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LES IDÉES MAÎTRESSES


DE LA MÉTAPHYSIQUE
CHRÉTIENNE
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DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DU SEUIL

Saint Paul et le mystère du Christ

Coll. « Maîtres spirituels »


Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin
La Doctrine morale des prophètes d'Israël
La Métaphysique du christianisme et la Naissance
de la philosophie chrétienne

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Essai sur la pensée hébraïque


Éditions du Cerf
Études de métaphysique biblique
Éditions Gabalda
Essai sur la connaissance de Dieu
Éditions du Cerf
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CLAUDE TRESMONTANT

LES IDÉES MAÎTRESSES


DE LA MÉTAPHYSIQUE
CHRÉTIENNE
esquisse

ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris V I
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Ni H IL O B S T A T : PARIS, LE 2 0 A V R I L 1 9 6 2 .
J-M. LEBLOND, S. j . CENS. DEP.

IMPRIMATUR : P A R I S , LE 21 A V R I L 1962,
J . H O T T O T , V . G.

Tous droits de reproduction, d'adaptation


et de traduction réservés pour tous les pays.
@ 1962 by Éditions du Seuil.
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A Paul-André Lesort
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INTRODUCTION

Dans un travail antérieur nous avons essayé de montrer


comment, dans les premiers siècles de notre ère, le christia-
nisme a pris progressivement conscience de ses propres exi-
gences, de ses propres principes, de sa propre structure
métaphysiques. Nous avons vu comment la pensée chré-
tienne, en tâtonnant, dans des polémiques innombrables,
découvre sa propre nature, du point de vue métaphysique.
Nous n'avons poursuivi ce travail que jusqu'aux alentours
de saint Augustin, et nous n'y avons abordé que les pro-
blèmes qui sont traités dans cette première période, juvénile,
du christianisme. Nous pourrions continuer à montrer com-
ment, dans les siècles ultérieurs, le christianisme a pris cons-
cience d'autres exigences constitutives et proprement philo-
sophiques.
Le travail que nous proposons ici est différent, par sa
méthode et son point de vue. Nous voudrions décrire, en
de brèves esquisses, la structure de la métaphysique chré-
tienne, sans tenir compte de sa lente évolution ni de sa pa-
tiente et tâtonnante prise de conscience, mais en dégageant le
contenu proprement métaphysique de définitions solennelles
qui, souvent, engagent l'Église tout entière. Au lieu de
suivre pas à pas la découverte, par la pensée chrétienne, de
ses propres exigences et de ses propres principes métaphy-
siques, nous proposons donc ici un exposé synthétique, à
partir de textes particulièrement décisifs, recueillis le plus

I. La Métaphysique du christianisme et la Naissance de la Philoso-


phie chrétienne, Ed. du Seuil, Paris, 1961.
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souvent dans des actes de Conciles œcuméniques, ou dans


des textes pontificaux. Dans ces textes, ce n'est plus tel ou
tel penseur chrétien, tel ou tel Père ou Docteur de l'Église
qui s'exprime, mais bien l'Église universelle. La pensée
chrétienne orthodoxe s'y formule dans son universalité.
Les brèves esquisses que nous présentons ici visent donc
simplement à montrer, à l'intention de ceux qui le nient,
qu'il existe une métaphysique chrétienne, en décrivant à
grands traits sa structure d'ensemble. Il restera, ultérieure-
ment, à développer chaque point en particulier, à creuser
dans chacune des directions ici indiquées.
Les ébauches que nous proposons dans les pages qui sui-
vent ne veulent donc constituer qu'un programme, tout pro-
visoire, rectifiable, et ouvert à des corrections et développe-
ments ultérieurs. C'est un plan général de travail, et non
une œuvre achevée, — cela va sans dire. Un exposé synop-
tique de ce genre peut parfois rendre service pour préparer
et situer des recherches particulières. Il va sans dire aussi
que la présente esquisse, mise par écrit pour nous-mêmes,
ne s'adresse pas aux savants ni aux clercs : ils n'y appren-
draient rien. Elle s'adresse à ceux qui, partis comme nous-
mêmes de la plus complète ignorance de ces problèmes, dé-
sirent s'initier progressivement à la pensée de l'Église du
point de vue métaphysique. Partant de cette ignorance com-
mune, nous avons pensé que, peut-être, il n'était pas absolu-
ment inutile de communiquer au fur et à mesure de nos
propres investigations, les résultats de nos lectures, à ceux
qui n'ont pas le loisir de se livrer à ce genre de recherches.
L'ignorant qui découvre ce que les doctes connaissent de-
puis longtemps sait parfois exposer avec plus de simplicité
et dans un langage mieux adapté à l'ignorance commune,
ces vérités toutes fraîches à ses yeux, et qu'il s'émerveille
de goûter pour la première fois, quoiqu'en elles-mêmes elles
soient anciennes. En mathématiques il est parfois bon que
des vérités élémentaires soient redécouvertes par les com-
mençants, et exposées à leurs compagnons. Peut-être en
serait-il de même en métaphysique, et en théologie?
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Pour ce qui concerne le problème de la philosophie chré-


tienne, les opinions soutenues jusqu'à présent se partagent
en plusieurs camps. Les uns prétendent qu'une telle philo-
sophie chrétienne n'existe pas, que l'expression même n'a
pas de sens, et qu'il n'existe pas plus de philosophie chré-
tienne que de mathématique chrétienne ou de physique chré-
tienne. C'est l'opinion soutenue par Émile Bréhier, tant dans
son Histoire de la Philosophie, que dans divers articles mé-
morables publiés par la Revue de Métaphysique et de Mo-
rale en 1931.
D'autres, au contraire, soutiennent qu'il y a non pas une,
mais plusieurs philosophies chrétiennes possibles, que le
christianisme est compatible, compossible, avec plusieurs
philosophies. Ils revendiquent, pour le philosophe qui est
chrétien, la liberté de choisir ou de se constituer une philo-
sophie qui ne soit pas soumise à la juridiction de la théolo-
gie, afin de ne pas verser dans une erreur analogue à celle
qui a consisté à vouloir édifier une « politique tirée de l'An-
cien Testament ».
La thèse que nous soumettons à l'examen critique du
lecteur est qu'il y a une philosophie chrétienne, et une seule.
Autrement dit, que le christianisme comporte une structure
métaphysique, qui n'est pas quelconque, que le christia-
nisme est une métaphysique originale ; que la théologie chré-
tienne, la dogmatique chrétienne, contiennent en elles une
infrastructure métaphysique, un ensemble de thèses pro-
prement métaphysiques, très précises, très déterminées, en-
core que la pensée chrétienne n'en prenne conscience que
progressivement au cours du temps, au cours de son his-
toire.
Nous avons ailleurs essayé de le montrer en partant de
l'Écriture sainte. Nous avons essayé de montrer que l'Écri-
ture comporte en fait, d'une manière explicite ou implicite,
un ensemble de thèses ou de doctrines, qu'on ne peut appe-
ler que métaphysiques, concernant l'être, la distinction
entre l'être incréé et l'être créé, l'un et le multiple, le deve-
nir, la matière, la temporalité, l'homme, l'âme humaine, la
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corporalité, la liberté, la pensée, l'action, etc. Nous avons


ensuite essayé de montrer que la pensée chrétienne, dans les
premiers siècles, a pris progressivement, et non sans tâton-
nement, conscience de posséder, de comporter, un ensemble
d'exigences, de principes, de doctrines et de thèses, qui sont
aussi proprement métaphysiques, et concernant les mêmes
points que nous venons d'indiquer : à savoir une doctrine de
l'être, originale, une ontologie radicalement différente de
celle des philosophies helléniques, une doctrine de l'absolu
et une doctrine de l'être sensible, ainsi que de leurs relations;
une doctrine du monde, de la matière, du devenir, du temps ;
une anthropologie très précise, qui se définit en écartant cer-
taines thèses incompatibles avec les principes mêmes du
christianisme; une doctrine de l'action, de la liberté, de la
pensée. Nous avons donc, dans ces études publiées jusqu'ici,
essayé de montrer, en commençant par le commencement,
c'est-à-dire par la racine biblique de la pensée chrétienne,
comment le christianisme comporte une métaphysique très
précise, comment en fait il est une métaphysique originale,
en face des métaphysiques existantes, soit celles de l'Inde,
soit celles de la Grèce, soit celles de l'Europe moderne non
chrétienne ou partiellement christianisée.
Mais nous aurions pu procéder d'une autre façon. L'É-
glise a défini, depuis deux mille ans, sa pensée, dans un cer-
tain nombre de textes solennels, formulés par des conciles
oecuméniques, ou par des Papes. Nombre de ces textes con-
tiennent des affirmations, des assertions, qui sont propre-
ment métaphysiques, et qu'il suffit d'examiner à part. L'É-
criture, le consensus des Pères et des Docteurs de l'Église,
les définitions solennelles des conciles œcuméniques et des
Papes, manifestent donc que la pensée chrétienne comporte
un certain nombre de thèses métaphysiques bien précises,
dont il suffit de faire l'inventaire. Depuis le document
jahwiste, constitué par écrit vers le I X siècle avant notre
ère, jusqu'aux canons du concile du Vatican, en 1870, une
tradition métaphysique originale se développe, croît, se pré-
cise, se formule.
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On peut ranger l'ensemble de ces thèses proprement méta-


physiques sous un certain nombre de chapitres, et consti-
tuer ainsi un exposé systématique de la métaphysique chré-
tienne, pour autant qu'elle a pris, à ce jour, conscience
d'elle-même ; car, bien entendu, cette prise de conscience
n'est pas achevée, pas plus d'ailleurs que la prise de cons-
cience explicite et exhaustive du contenu de la Révélation
qui est confié à l'Église.
Nous avons antérieurement essayé de manifester la con-
vergence, chez des penseurs chrétiens multiples, de la pen-
sée chrétienne, autour de certaines thèses métaphysiques qui
apparaissaient comme inhérentes au christianisme lui-même.
C'est une pensée collective qui se découvrait, la pensée même
de l'Église. Tant qu'on n'invoque que l'autorité de tel ou
tel penseur chrétien, de tel ou tel Père ou Docteur de l'É-
glise, on peut toujours contester que telle doctrine professée
par un maître de la pensée chrétienne soit bien en effet cons-
titutive du christianisme. La pensée chrétienne, la pensée
de l'Église, n'a pas suivi ses plus grands docteurs en toutes
leurs doctrines. Elle a choisi. Une seule autorité ne suffit
donc pas à établir que telle doctrine, métaphysique ou théo-
logique, est bien en effet pensée de l'Église. Mais la con-
vergence, le consensus de plus en plus unanime, par contre,
attestent que telle est bien la pensée de l'Église, surtout si
ce consensus est scellé par une définition solennelle, par un
concile œcuménique. Dans un concile œcuménique, c'est la
pensée de l'Église qui se formule, qui s'explicite. S'il y a des
propositions métaphysiques contenues dans ces définitions
solennelles, on ne pourra pas contester que c'est bien la
métaphysique du christianisme, formulée par l'Église tout
entière, qui s'y exprime.
Tant que nous ne nous appliquions qu'à dégager par des
textes des Pères cette convergence de la pensée chrétienne
autour de certaines certitudes métaphysiques, on pouvait
contester la méthode. On pouvait émettre l'hypothèse que
nous avions choisi tels textes de tels Pères, précisément
pour qu'ils convergent. Mais lorsqu'une définition solen-
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nelle d ' u n concile œcuménique vient sceller cette conver-


gence, on aperçoit que celle-ci est l'effet d'une courbure réelle
de la pensée chrétienne, de l'univers de la pensée chré-
tienne dans lequel les penseurs chrétiens s'appliquent à
penser. Si les multiples textes que nous avons rassemblés
dans notre précédent travail convergent, ce n'est pas que
nous les ayons choisis d'une manière systématique et arbi-
traire pour leur convergence, en écartant ceux qui n'en-
traient pas dans ce mouvement, c'est bien plutôt parce que
les Pères de l'Église ne s'efforçaient pas de faire œuvre ori-
ginale, excentrique, mais au contraire de penser avec l'É-
glise, sentire cum Ecclesia. La convergence des textes rele-
vés manifeste la courbure d'un univers de pensée dans le-
quel les Pères veulent se situer. Lorsqu'une doctrine, telle
par exemple celle d'Origène, se présente à nous d'une ma-
nière excentrique et originale par rapport à la tradition phi-
losophique chrétienne, nous ne l'avons pas dissimulé, nous
ne l'avons pas minimisé. Au contraire, nous avons exposé
largement le système métaphysique du Peri Archôn en sou-
lignant tout ce que ce système comportait d'incompatibilités
avec le christianisme. Mais nous avons vu aussi comment la
pensée chrétienne réagit à ce système, comment elle s'af-
firme, comment elle prend mieux conscience d'elle-même,
en réaction contre ce système.
Les Pères de l'Église ne disent pas : ma philosophie,
mais : notre philosophie, ἡ ϕιλοσοϕία ϰαθ' ἡμἁς.
La pensée chrétienne présente donc un phénomène ori-
ginal, exceptionnel. Une école philosophique — par exemple
l'école platonicienne, ou aristotélicienne, ou néo-platoni-
cienne — présente des constantes dans les thèses soutenues,
une tradition de pensée, une certaine homogénéité. Mais les
auteurs ne se refusent pas à sortir de cette tradition, à rom-
pre avec elle, à faire œuvre originale. Dans la pensée chré-
tienne, les auteurs, les Pères et les Docteurs, ont comme
souci unique d'être fidèles à la pensée de l'Église, de ne pas
dévier de cette pensée. Ils ne cherchent pas à inventer un
système original. Bien au contraire ils y répugnent. Ils
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cherchent à penser avec la tradition. Ils invoquent constam-


ment leurs prédécesseurs. Ils invoquent surtout l'Écriture
sainte, qui est leur règle et leur critère. On peut dire qu'à
travers eux, c'est une pensée collective qui s'élabore, la
pensée d ' u n Corps. La pensée de l'Église est une réalité
beaucoup plus organique et homogène que la tradition de
pensée d'une école philosophique quelconque. Ce que les
Pères et les Docteurs chrétiens ambitionnent, c'est d'être
une cellule active, ou un membre actif et créateur, de ce
Corps qu'est l'Église, afin de le faire croître selon l'analogie
de la règle de foi. On ne peut donc comparer ce phénomène
que constitue la pensée chrétienne orthodoxe à aucune école
philosophique. C'est un phénomène unique.
Au terme de notre longue exploration dans cette forêt peu
frayée que constitue la littérature chrétienne des tout pre-
miers siècles de notre ère, nous étions parvenus à certaines
conclusions, d'ailleurs classiques. La pensée chrétienne or-
thodoxe, dans les premiers siècles, n'a pas assimilé, et si
l'on peut dire « avalé » l'apport de la philosophie grecque,
comme certains historiens l'ont assuré, les uns pour s'en
réjouir, les autres pour s'en plaindre. La pensée chrétienne
orthodoxe, dans les premiers siècles, a choisi, dans la philo-
sophie hellénique, les éléments qui lui sont apparus utili-
sables, et elle a rejeté les thèses métaphysiques qui lui ont
semblé être incompatibles avec ses propres principes, ses
propres exigences. C'est-à-dire qu'en fait la pensée chré-
tienne a repoussé les thèses les plus originales et les plus
constantes de la métaphysique antique. Nous sommes donc
bien loin de l'invasion pure et simple du christianisme par la
philosophie grecque, que pensaient discerner nombre d'his-
toriens. Ce travail de sélection et de rejet, opéré par la pen-
sée chrétienne orthodoxe dans les premiers siècles, est décrit
par Léon X I I I dans son encyclique consacrée à la philoso-
phie chrétienne, Aeterni Patris, 4 août 1879 :

« Si maintenant, vénérables Frères, vous parcourez l'his-


toire de la philosophie, vous y trouverez la démonstration
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de tout ce que nous venons de dire. En effet, parmi les philo-


sophes anciens, qui n'eurent pas le bienfait de la foi, ceux
mêmes qui passaient pour les plus sages tombèrent, en bien
des points, dans de monstrueuses erreurs. Vous n'ignorez
pas combien, à travers quelques vérités, ils enseignent de
choses fausses et absurdes, combien plus d'incertaines et de
douteuses, touchant la nature de la divinité, l'origine pre-
mière des choses, le gouvernement du monde, la connais-
sance que Dieu a de l'avenir, la cause et le principe des
maux, la fin dernière de l'homme et l'éternelle félicité, les
vertus et les vices, et d'autres points de doctrine, dont la
connaissance vraie et certaine est d'une nécessité absolue
au genre humain.
« Au contraire, les premiers Pères et Docteurs de l'Église,
comprenant très bien que, dans les desseins de la volonté
divine, le Christ est le restaurateur de la science, puisqu'il
est la force de la sagesse de Dieu et qu'en lui sont cachés
tous les trésors de sagesse et de science, entreprirent de fouil-
ler les livres des anciens philosophes, et de comparer leurs
sentiments avec les doctrines révélées; par un choix intelli-
gent, ils adoptèrent ce qui leur parut chez eux conforme à
la vérité et à la sagesse, et, quant au reste, ils rejetèrent
ce qu'ils ne pouvaient corriger. Car, de même que Dieu,
dans son admirable Providence, suscita pour la défense de
l'Église contre la cruauté des tyrans, des martyrs héroïques
et noblement prodigues de leur vie, ainsi, aux sophistes et
aux hérétiques, il opposa des hommes d'une profonde sa-
gesse qui eussent soin de défendre, même par le secours de
la raison humaine, le trésor des vérités révélées. Dès le ber-
ceau de l'Église, la doctrine catholique rencontra des adver-
saires très acharnés, qui, tournant en dérision les dogmes
et les principes chrétiens, affirmaient qu'il y avait plusieurs
dieux, que le monde matériel n'a ni commencement ni cause,
que le cours des choses n'est pas régi par le conseil de la
divine Providence, mais qu'il est mû par je ne sais quelle
force aveugle et par une fatale nécessité. Contre ces fau-
teurs de doctrines insensées s'élevèrent à propos des hommes
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savants, connus sous le nom d'apologistes, lesquels, guidés


par la foi, prouvèrent, au moyen d'arguments empruntés au
besoin à la sagesse humaine, qu'on ne doit adorer qu'un
Dieu, doué au plus haut point de tous les genres de perfec-
tion, que toutes choses sont sorties du néant par sa toute-
puissance, qu'elles subsistent par sa sagesse et par elle sont
mues et dirigées chacune vers sa fin p r o p r e . »

Dans notre travail antérieur, consacré aux premiers siè-


cles, nous avions dû préciser qu'il s'agissait de la métaphy-
sique du christianisme orthodoxe, de la métaphysique de
l'orthodoxie. En effet, il est patent que les « hérésies » des
premiers siècles obéissent à des principes métaphysiques,
latents ou explicites, qui sont précisément différents de ceux
que l'on peut découvrir au sein de la théologie orthodoxe.
Sans prendre parti — ce n'était pas notre rôle — sur le bien-
fondé des termes « orthodoxie » ou « hérésie », nous avons
choisi d'étudier le phylum de pensée, ou la tige, orthodoxe,
en mettant en lumière les différences qui existent, au niveau
métaphysique, entre la pensée chrétienne orthodoxe, et les
« tiges » latérales qui s'en séparaient.
Dans les présentes esquisses, nous devrons rappeler les
mêmes distinctions méthodologiques. Nous étudions ici une
métaphysique qui s'exprime dans des définitions solennelles,
provoquées le plus souvent, sinon toujours, par des opposi-
tions, des hérésies, des schismes. Nous suivons donc une
« tige » qui se distingue expressément d'autres « espèces »
ou « familles » de pensée chrétienne. Sans, ici non plus,
prendre parti, ce qui relèverait d'un autre travail, nous décri-
vons la métaphysique de la « tige » catholique de la pensée
chrétienne, et nous aurons l'occasion de remarquer, lorsque
nous lirons les définitions proprement métaphysiques, ou
de contenu métaphysique, du concile de Trente et du pre-
mier concile du Vatican, qu'au niveau métaphysique des
différences sensibles apparaissent entre la théologie catho-

I. LÉON XIII, Encyclique « Aeterni Patris », 4 août 1879.


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lique et les théologies issues de la Réforme. Peut-être même


est-ce au niveau métaphysique que se décident les options
qui commanderont les divergences théologiques.
Les esquisses que nous proposons ici ne se fondent guère
que sur des définitions conciliaires. Ces définitions conci-
liaires ne disent pas toute la pensée de l'Église. Elles ne for-
mulent que ce qui a été mis en question, contesté ou dévié.
Il existe donc une marge entre ce qui est défini par l'Église,
et ce qui, sans être défini, est pensé par elle. Nous nous en
sommes tenu ici aux définitions solennelles, parce qu'elles
représentent et manifestent la formulation incontestable d'un
minimum, qui suffit à démontrer l'existence d'une métaphy-
sique chrétienne, et à en dégager la structure d'ensemble.
Mais la pensée de l'Église déborde largement ce qui a été
défini. C'est donc dans le fleuve de la tradition chrétienne
qu'il faudra chercher ce consensus qui exprime, au plan mé-
taphysique, des certitudes connaturelles à la théologie chré-
tienne. Il y a là matière à de multiples monographies.

L'idée même de métaphysique chrétienne peut prêter à


contestation à partir de plusieurs points de vue. La méta-
physique, dira-t-on fort justement, est une technique con-
ceptuelle, située au niveau de la réflexion philosophique. Il
n'y a rien de tel dans l'Ancien Testament ni dans le Nou-
veau Testament, il n'y a rien de tel dans les origines chré-
tiennes. — L'Ancien Testament et le Nouveau Testament ne
contiennent certes pas de livres ni de traités consacrés à
traiter explicitement, techniquement, scolairement, des pro-
blèmes de l'être, du devenir, du temps, du sensible, de la
matière, de l'âme, de la liberté, de l'action, de la pensée, etc.
Mais ils contiennent des prises de position sur ces divers
problèmes, des attitudes de pensée, enveloppées dans un
contexte qui n'est pas techniquement philosophique, mais
qui, pour autant, n'en sont pas moins parfaitement cons-
cientes d'elles-mêmes. La preuve, c'est que constamment,
d'une manière continue, la pensée biblique, puis la pensée
chrétienne, rejettent, repoussent, des doctrines et des mythes
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qui contiennent, d'une manière non moins enveloppée, des


prises de position contraires ou inverses, soit en présence
des mythologies assyro-babyloniennes, soit en présence des
mythes gnostiques, soit en présence de certaines thèses phi-
losophiques.
La métaphysique contenue d'une manière le plus souvent
implicite et enveloppée dans l'Écriture sainte n'est pas for-
mulée dans des traités de philosophie. Elle n'en existe pas
moins. Un organisme comporte une structure anatomique,
même si cette anatomie n'a pas été décrite et formulée dans
un traité d'anatomie. La pensée biblique et, après elle, la
pensée chrétienne, comportent une structure métaphysique
originale, avant même que cette structure soit décrite et for-
mulée d ' u n e manière technique et explicite.
Mais il y a plus. En fait, la métaphysique de l'Écriture
s'exprime parfois, sur des points fondamentaux, d'une ma-
nière explicite. Ainsi, la doctrine biblique de l'être est expri-
mée dès la première ligne de la Bible, lorsque l'école théolo-
gique, que la Critique biblique appelle « sacerdotale »,
expose la distinction fondamentale qui existe entre Dieu et
le monde, et la création de celui-ci par celui-là. Une double
ontologie se découvre, celle de l'Être incréé, et celle de l'être
créé. Si ce n'est pas de la métaphysique, qu'est-ce donc?
Dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, la méta-
physique immanente à l'Écriture s'explicite, se formule, se
réfléchit, grâce à l'opposition rencontrée entre les thèses
constitutives de la métaphysique biblique et certaines thèses
reçues d'une tradition de pensée et d'une culture helléniques.
Il ne s'agit pas, bien entendu, d'opposer d'une manière sim-
pliste la pensée biblique et la pensée chrétienne à l'hellé-
nisme en tant que tel. Ce serait verser dans une forme philo-
sophique du manichéisme, ou plutôt dans un manichéisme
transporté à l'histoire de la philosophie. Il s'agit simplement
de reconnaître qu'en fait, la pensée chrétienne s'est consi-
dérée elle-même comme incompatible avec certaines thèses
et doctrines bien précises reçues du platonisme, de l'aristo-
télisme, du stoïcisme, du néo-platonisme.
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Dès les premières générations chrétiennes, la pensée chré-


tienne se formule à elle-même ses propres thèses philoso-
phiques dans un langage emprunté souvent à la culture hel-
lénique. Rencontrant des thèses philosophiques qu'elle
estime incompatibles avec ses exigences propres, avec ses
principes constitutifs, la pensée chrétienne se met à philo-
sopher techniquement. Il existe une philosophie chrétienne
à partir du moment où la pensée chrétienne réfléchit tech-
niquement et rationnellement à ces conditions métaphysiques
de son propre contenu, reçu de l'Écriture.
Nous avons parfois entendu des voix amicales prononcer,
à propos de ce genre de recherche, le mot : intégrisme. En
étudiant la structure métaphysique de la pensée biblique, le
contenu métaphysique de la dogmatique chrétienne, l'ana-
tomie et la physiologie, au plan métaphysique, du courant
de pensée juif et chrétien, nous menacerions une liberté
philosophique. Nous répondons que notre propos, jusqu'à
présent, a été simplement descriptif. Nous avons cru aperce-
voir et pouvoir décrire une anatomie métaphysique dans ce
corps, ou mieux, cette espèce originale qu'est la pensée
hébraïque et chrétienne. La question première est de savoir
si cela est, ou non. Si nous n'avons décrit qu'un fantôme, si
ce que nous avions cru voir n'existe pas, la question est
réglée. Mais si vraiment la pensée chrétienne comporte, au
plan métaphysique, une certaine anatomie fonctionnelle qui
n'est pas quelconque et qui est nécessaire à la vie du corps,
ce n'est pas à celui qui tente de la décrire qu'il faut reprocher
les exigences qu'entraîne toute structure. La pensée chré-
tienne orthodoxe n'est pas compatible, du point de vue
métaphysique, avec n'importe quoi, de même que, dans un
tout autre ordre, la structure anatomique et physiologique
d'un organisme implique certaines lois d'existence qui ne
sont pas quelconques. On ne reproche pas, au biologiste qui
décrit cette structure anatomique et les lois d'existence phy-
siologique, de limiter notre liberté.
Il importe donc, nous semble-t-il, d'examiner en premier
lieu une question de fait.
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Mais si la pensée chrétienne, si le christianisme, comporte,


au plan métaphysique comme au plan théologique, certaines
exigences d'homogénéité et de consistance — l'analogie de
la foi — cela n'entraîne aucun risque pour notre liberté de
pensée. Car la liberté ne consiste pas à pouvoir choisir
entre plusieurs positions, dont les unes sont fausses et
l'autre vraie — mais à trouver la vérité. Là où est l'Esprit
du Seigneur, là est la liberté. L'amorphe et l'indéterminé,
le vague, ne sont pas plus favorables à la liberté, que la
structure et l'organisation.
Nous reconnaissons cependant volontiers que, en méta-
physique comme en théologie, l'analyse des structures et des
thèses constitutives de la pensée chrétienne, présente un
risque d'intégrisme. L'intégrisme consiste essentiellement
à durcir et à choséifier ce qui est in via, en développement,
en genèse. L'intégrisme est une fixation à la lettre. L'or-
thodoxie est esprit. Mais l'esprit n'est pas sans structure.
L'intégrisme consiste à opérer des déductions hâtives et
despotiques à partir de définitions théologiques qui, souvent,
ne visaient pas le problème pour lequel on veut les exploiter.
L'orthodoxie est vie, — mais la vie, encore une fois, pré-
suppose et constitue des structures et une organisation. On
peut abuser de ces structures et de cette organisation de la
pensée, pour empêcher un développement légitime et sain :
c'est l'intégrisme. Mais ce danger, très réel, ne doit pas
conduire à méconnaître l'existence de la structure et de l'or-
ganisation fonctionnelle et précise.
Aujourd'hui, la philosophie chrétienne est bien loin d'a-
voir pris conscience de tout ce qu'elle implique, exige, com-
porte en elle-même, de tout ce qu'elle est, de même que la
théologie catholique n'a pas fini de prendre conscience expli-
citement de son contenu et n'a pas épuisé le dépôt de la
révélation. Il reste un ordre et des zones obscures, indéter-
minées, des problèmes ouverts à la libre discussion des théo-
logiens et des philosophes. Les solutions, dans ces domaines
immatures, demeurent libres, dans la mesure où ces solu-
tions se situent toutes à l'intérieur de l'analogie de la foi,
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et sont compatibles avec l'ensemble de l'organisme de la


pensée chrétienne. Ainsi, pour nous en tenir au plan philo-
sophique, on peut se demander légitimement aujourd'hui
dans quelle mesure l'idéalisme est compatible avec le chris-
tianisme. Si l'idéalisme consiste à nier, comme le fait Fichte,
la création des êtres, et la distinction ontologique radicale
entre le Moi divin et le moi humain ; si l'idéalisme s'identifie
à un panthéisme — alors, certes, l'idéalisme est incompatible
avec le christianisme. Mais si l'idéalisme consiste simple-
ment à nier l'existence d'une chose matérielle existant hors
de l'esprit, tout en maintenant la création réelle des sujets
pensants, alors on ne voit pas, pour l'instant du moins,
d'incompatibilités foncières et essentielles avec le christia-
nisme. Au lieu d'une monadologie de type panthéiste, où
les substances pensantes sont des étincelles et des fulgura-
tions éternelles issues de la Source divine et consubstan-
tielles à cette Source ou Foyer originel, nous avons affaire
à une monadologie chrétienne, dans laquelle l'objectivité de
la substance matérielle est considérée comme superflue. On
pourra discuter, d'un point de vue philosophique, du bien-
fondé d'une telle philosophie. On ne peut, semble-t-il, l'ac-
cuser d'hérésie. Toutes choses se passent comme si la
substance matérielle comportait une existence objective et
indépendante de l'esprit pensant humain. Cette existence,
dans l'hypothèse idéaliste, n'est qu'une représentation. Pra-
tiquement, rien n'est changé. La discussion reste ouverte, au
plan philosophique, et le philosophe se demandera ce que
peut signifier, dans ces conditions, l'existence de l'univers
et de la vie plusieurs milliards d'années avant l'homme.
Par cet exemple, nous n'avons voulu indiquer que l'un
des cas où la philosophie chrétienne reste indéterminée pour
une part, et susceptible de recevoir, au moins provisoire-
ment, des solutions également légitimes. Dans ces questions
librement disputées, il existe donc bien, en fait, un plura-
lisme philosophique. Mais au fur et à mesure que la pensée
chrétienne progresse, elle écarte, cela est visible au plan
théologique comme au plan métaphysique, certaines doc-
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trines et certaines thèses, comme incompatibles avec ses


exigences internes. La pensée chrétienne progresse ainsi
d'une manière apophatique, en suivant la via negativa. Mais
cette démarche par laquelle la pensée chrétienne écarte ce
qui est incompatible avec ses principes entraîne l'organisa-
tion d'un corps de pensée positif et structuré, encore qu'ina-
chevé, et en genèse. La liberté du philosophe chrétien est
dans cette genèse à laquelle il doit coopérer, non dans la
structure de l'acquis, qui lui impose en effet certaines exi-
gences fonctionnelles bien précises.
On nous a dit parfois qu'il est aussi absurde de prétendre
tirer une métaphysique de la Bible qu'une politique de l'An-
cien Testament. Certes, nous n'irions pas rechercher des
principes politiques dans tel texte du Deutéronome qui
recommande le massacre des ennemis d'Israël. Mais, au ris-
que d'aggraver notre cas, nous avouerons que, à nos yeux,
le christianisme n'est pas plus compatible avec n'importe
quelle politique qu'avec n'importe quelle philosophie. Le
christianisme comporte, au niveau de l'éthique — et ce
niveau est d'ailleurs accessible à la raison naturelle — des
principes qui commandent en politique comme ils comman-
dent dans la vie individuelle. Mais ceci est une autre his-
toire...

Paris, octobre 1961.


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CHAPITRE PREMIER

LA DOCTRINE DE L'ABSOLU

La doctrine de l'Absolu, selon le christianisme, est origi-


nale, si on la compare à la doctrine de l'Absolu selon le
brahmanisme, selon le platonisme, l'aristotélisme, le néo-
platonisme, le spinozisme, ou les autres philosophies ulté-
rieures, en particulier celles de l'Idéalisme allemand.
Selon le christianisme, l'Absolu n'est pas le monde, ou,
ce qui revient au même, le monde n'est pas l'Absolu. Le
monde n'est pas incréé, éternel, ontologiquement suffisant.
Le monde n'est pas non plus quelque chose de l'Absolu : ni
ombre de l'Absolu, ni émanation, ni modalité de la subs-
tance divine. Non, le monde est radicalement, ontologique-
ment, autre que l'Absolu. Il n'est pas d'essence divine, ni
de nature divine. La nature n'est pas l'Esprit absolu aliéné,
pétrifié, exilé.
Selon le christianisme, l'Absolu est unique. On peut con-
cevoir les choses autrement, et en effet les religions et les
philosophies ont conçu souvent les choses de manière dif-
férente. Selon les cosmogonies égyptiennes, assyriennes, par
exemple, c'est le chaos primitif qui est l'absolu incréé et
éternel. Le divin est issu de ce chaos primitif. Ce n'est pas le
divin qui est, à proprement parler, l'Absolu. Selon ces reli-
gions, il y a, comme chez Hésiode, une généalogie des dieux
et des déesses, et une bataille de dieux aux origines de l'his-
toire. Un polythéisme qui accorderait les prédicats de l'Ab-
solu à plusieurs dieux — l'aséité, l'éternité, la suffisance onto-
logique, etc. — multiplierait l'Absolu. Dans le dualisme mani-
chéen, nous avons un cas où les prédicats de l'Absolu sont
attribués à deux principes : la Matière, le principe mau-
vais, et le Bien, le principe bon et lumineux. Nous avons
donc là affaire à deux absolus. Dans la cosmologie d'Aris-
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tote, le m o n d e est incréé, éternel, i m p é r i s s a b l e . Il est


l ' A b s o l u . L e d i v i n , s'il en est d i s t i n c t — q u e s t i o n q u e n o u s
n ' e x a m i n e r o n s p a s ici —, c o n s t i t u e u n a u t r e A b s o l u . L e
c h r i s t i a n i s m e a rejeté à la fois le p o l y t h é i s m e et le d u a l i s m e
m a n i c h é e n . L e c h r i s t i a n i s m e p r o f e s s e u n seul et u n i q u e
Absolu.
S e l o n le c h r i s t i a n i s m e , l ' A b s o l u est de t o u t e é t e r n i t é b i e n -
h e u r e u x , incréé, o n t o l o g i q u e m e n t suffisant, s a n s n a i s s a n c e
et s a n s devenir, s a n s g e n è s e . L e c h r i s t i a n i s m e r é p u d i e t o u t
ce qui rappelle, de p r è s o u de loin, le m y t h e t h é o g o n i q u e .
L a t h é o l o g i e d e s d o c u m e n t s j a h w i s t e et s a c e r d o t a l avait d é j à
r é p u d i é les m y t h e s t h é o g o n i q u e s qui se m a n i f e s t e n t d a n s
les r e l i g i o n s aussi bien é g y p t i e n n e s q u ' a s s y r o - b a b y l o n i e n -
n e s et p h é n i c i e n n e s . L a t h é o l o g i e c h r é t i e n n e , c o n t r e les
m y t h o l o g i e s g n o s t i q u e s des p r e m i e r s siècles, rejette le m y t h e
t h é o g o n i q u e s o u s t o u t e s ses f o r m e s . Elle le r e j e t t e r a e n c o r e
a u concile du V a t i c a n , c o n t r e H e g e l et S c h e l l i n g , cette fois.
S e l o n le c h r i s t i a n i s m e , le r a p p o r t e n t r e l ' A b s o l u et le
m o n d e n ' e s t d o n c p a s un r a p p o r t d ' i d e n t i t é de s u b s t a n c e (le
m o n d e n ' e s t p a s c o n s u b s t a n t i e l à D i e u ) ni u n r a p p o r t néces-
saire de p r o c e s s i o n éternelle, ou d ' é m a n a t i o n , ou d ' e x p l i c i t a -
tion l o g i q u e , c o m m e les t h é o r è m e s d é c o u l e n t l o g i q u e m e n t
d ' u n e p r é m i s s e . L e r a p p o r t entre l ' A b s o l u et le m o n d e , selon
le c h r i s t i a n i s m e , est u n r a p p o r t de liberté, q u e la t h é o l o g i e
h é b r a ï q u e et c h r é t i e n n e é n o n c e p a r le t e r m e de c r é a t i o n . P a r
cette d o c t r i n e de la création, n o u s c o n n a î t r o n s m i e u x ce
q u ' e s t , o u p l u t ô t qui est l ' A b s o l u selon le c h r i s t i a n i s m e .
C o m m e n o u s l ' a v o n s dit, n o u s ne t e n o n s p a s c o m p t e , d a n s
le p r é s e n t exposé, qui est s y n t h é t i q u e , de l ' o r d r e h i s t o r i q u e
d e la prise de c o n s c i e n c e p r o g r e s s i v e de la m é t a p h y s i q u e
c h r é t i e n n e p a r elle-même. N o u s p o u v o n s d o n c citer, dès l ' a -
b o r d , d e s textes très récents, c e u x d u p r e m i e r concile d u
Vatican :

I. Nous citons les définitions conciliaires et les textes solennels des


papes d'après DENZINGER-BANNWART-UMBERG-RAHNER, Enchiridion Sym-
bolorum, 3 1 édition, 1960, indiquée par l'abréviation ES.
« La Sainte Église Catholique Apostolique Romaine croit
et confesse qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, Créateur
et Seigneur du ciel et de la terre, tout-puissant, éternel,
immense, incompréhensible, infini en intelligence, en volonté
et en toute perfection, qui, étant une substance spirituelle
unique par nature, tout à fait simple et immuable, doit être
déclaré distinct du monde en réalité et par son essence,
bienheureux en lui-même et par lui-même et élevé indici-
blement au-dessus de tout ce qui est et peut se concevoir
en dehors de l u i . »

Ce texte contient un certain nombre de propositions, d'as-


sertions, qui sont incontestablement d'ordre métaphysique :
un seul Absolu (contre le polythéisme et le dualisme), doc-
trine de la création, éternité de Dieu, distinction entre
l'Absolu et le monde, etc.
On peut penser ce qu'on veut des thèses métaphysiques
contenues dans un tel texte. Il reste hors de toute contes-
tation, semble-t-il, que ces thèses sont métaphysiques, relè-
vent en droit de la métaphysique, constituent une méta-
physique de l'Absolu, au même titre que la doctrine de
l'Absolu selon le brahmanisme, selon Aristote, Plotin, Spi-
noza, Hegel, ou tout autre.

I. CONCILE DU VATICAN, Constitution dogmatique sur la foi catho-


lique, ch. I, ES, 1782, trad. J. M. A. VACANT, Etudes théologiques sur
les constitutions du concile du Vatican d'après les actes du concile,
Paris, 1895, t. I, p. 11.
« S a n c t a catholica apostolica R o m a n a Ecclesia credit et confitetur,
u n u m esse D e u m v e r u m et vivum, creatorem ac D o m i n u m coeli et ter-
rae, omnipotenten, a e t e r n u m . i m m e n s u m , incomprehensibilem, intel-
lectu ac voluntate omnique perfectione i n f i n i t u m ; qui c u m sit u n a
singularis, simplex omnino et incommutabilis s u b s t a n t i a spiritualis,
praedicandus est re et essentia a m u n d i distinctus, in se et ex se bea-
tissimus, et super omnia, quae praeter ipsum s u n t et concipi possunt,
ineffabiliter excelsus. »

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