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Tanella Boni
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par
TANELLA BONI
mains. C’est sans doute là que peut commencer notre enquête sur
la dignité humaine.
L’intégrité du corps humain, vivant ou mort, sa transformation
en objet, en animal ou en chose nous donne l’occasion de penser la
dignité humaine ou son manque, mais aussi l’une des manières
qu’elle a de conforter sa présence : par la parole. Connaître
l’homme, se connaître soi-même, c’est connaître son âme, comme le
pense Platon. Mais est-il possible de se connaître ? De reconnaître
l’autre humain ? En quoi consiste la connaissance et la reconnais-
sance réciproques ? Chez Aristote, l’homme est d’abord intelligence
avant d’être par exemple animal politique. L’être qui parle est doué
d’intelligence et de pensée par opposition à l’animal. Mais qu’en
est-il de l’homme face à l’homme ? Que devient l’humain en
l’homme par l’action ou le regard de l’autre homme ?
15. Voir Birago DIOP , « Souffles » dans Leurs et Lueurs, poèmes, Paris,
Présence Africaine 1960.
16. Aujourd’hui, un tel crime peut être non seulement imaginé mais perpé-
tré parce qu’il entre dans le cadre de moyens politiques en période de
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20. Comme il en existe tant, en Afrique de l’Ouest, voir par exemple Ber-
nard DADIÉ , Le pagne noir, Paris, Présence Africaine 1955 et, du même
auteur chez le même éditeur, Les contes de Koutou-as-Samala, 1982.
21. J.-J. ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes (1755), première partie.
22. Hormis les nombreuses études sur le génocide au Rwanda, des films
mais aussi des textes littéraires ont vu le jour. On peut mentionner la
dizaine de romans écrits par des écrivains africains qui se sont rendus sur
place quatre ans après les faits, soutenus par FestAfrica, festival de litté-
rature à Lille.
23. Voir Abdourhaman A. W ABERI, Moisson de crânes, Paris, Le Serpent à
Plumes, coll. Motifs, 2004, p. 56 : « Tout le monde me demande pourquoi je
garde près de moi ce gros chien. Il était sec comme le bambou, il s’est en-
graissé avec de la chair humaine pendant le génocide. On dit qu’il aurait
mangé des membres de la famille, ici tout le monde se connaît et donc ce
chien a mangé des gens qu’il connaissait. Certains étaient seulement bles-
sés et les chiens les ont envoyés dans l’autre monde. (Silence.) Comme s’ils
faisaient eux aussi le travail des miliciens interahmwe ».
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La difficile reconnaissance
À la réflexion, en ce début du 21e siècle, on peut s’étonner que
les philosophes occidentaux, promptes à défendre l’autonomie de la
pensée et du sujet comme le fait Kant, aient oublié quelque peu de
considérer l’humanité comme une et indivisible, l’humanité d’un
point de vue concret, celle de chaque humain et non pas seulement
de quelques-uns ; celle de tous les humains qui, pris individuelle-
ment, représentent l’humanité tout entière. Je ne parle pas ici des
différentes déclarations, celle de 1789, celle dite « universelle des
droits de l’homme » du 10 décembre 1948, faite après les horreurs
subies par des humains pendant la seconde guerre mondiale. On se
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 03/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.58.38.22)
l’autre. Le corps intègre, c’est la totalité du corps qui résume, dans chaque
corps unique, ce qui mérite que chacun le considère comme humain. Les
lois peuvent aider à cette prise en considération, à la reconnaissance de
l’humain ayant tel corps, mais cela suffit-il, puisque, entre l’existence des
lois et leur application effective, il semble y avoir, de plus en plus, un écart
qui n’ose pas s’avouer comme tel.
29. Celle-ci est aussi tissage, création de liens, passage de l’un à l’autre,
maintient et vie ensemble d’après la conception de la parole chez les Dogon
comme le montrent les travaux de Marcel Griaule, Geneviève Calame-
Griaule, Jean Rouch et Germaine Dieterlen. On pourrait comparer une
telle conception de la parole comme tissage à cette vision du politique
comme « royal tisserand » dans le Politique. Voir PLATON, Politique, 268a
sqq. ; par exemple la traduction de Luc Brisson et Jean-François Pradeau,
Paris, GF Flammarion 2003.