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Theologicum-Christologie

M-C de Marliave

PENSER L’HUMANITE DU CHRIST :

L’HUMANITE DU CHRIST COMME INSTRUMENT CHEZ SAINT THOMAS ET LE


DEPLACEMENT CONTEMPORAIN DE KARL RAHNER

Introduction

1. L’HUMANITE DU CHRIST COMME INSTRUMENT DE SALUT DE LA DIVINITE


CHEZ SAINT THOMAS D’AQUIN 

« Le don de la grâce est au-delà des forces de toute nature créée, car elle n’est rien d’autre qu’une
certaine participation à la nature divine qui transcende toute créature. Il est donc impossible qu’une
créature quelconque puisse causer la grâce. »1

« Ainsi que le dit Jean Damascène, l’humanité du Christ est comme « l’instrument de sa divinité ». Or
l’instrument ne produit pas l’action de l’agent principal en vertu de sa propre efficacité, mais
seulement par la motion de cet agent principal. C’est pourquoi l’humanité du Christ ne cause pas la
grâce par elle-même, mais seulement par la divinité à laquelle elle est unie et qui fait que ces actions
sont salutaires. »2

a. L’humanité du Christ est l’instrument propre et conjoint de la divinité

« [...] le corps avec ses membres est outil de l’âme d’une autre manière que peuvent l’être des
instruments extérieurs. Cette hache n’est pas un instrument propre comme l’est cette main. Beaucoup
d’ouvriers peuvent se servir de cette hache, tandis que cette main sert l’opération propre de cette âme.
Ainsi en va-t-il de l’union de Dieu et de l’homme. Tous les hommes sont devant Dieu comme certains
instruments avec lesquels il agit, mais les autres hommes sont devant Dieu comme des instruments
extrinsèques et séparés. [...] En revanche la nature humaine du Christ a été assumée afin d’accomplir à
titre d’instrument les opérations propres à Dieu seul, comme d’effacer les péchés, d’illuminer les
esprits par la grâce, d’introduire au plein épanouissement de la vie éternelle. La nature humaine du
Christ est donc par rapport à Dieu comme un instrument propre et conjoint, telle la main, par rapport à
l’âme. »3

b. L’humanité du Christ comme instrument a une action qui lui est propre et qui imprime
sa marque à l’acte de salut

« L’instrument a une double action : une action instrumentale selon laquelle il opère non pas en
fonction de sa vertu propre, mais par la vertu de l’agent principal, et aussi une action propre qui lui
revient en vertu de sa forme propre. Ainsi, en raison de son tranchant, il revient à la hache de couper,
mais comme instrument utilisé par un artisan, il lui revient de faire un meuble. Toutefois, elle
n’accomplit son action instrumentale qu’en exerçant son action propre : c’est en coupant qu’elle fait le
meuble. »4

« [...] la nature humaine du Christ a une opération propre en plus de son opération divine »5, mais en
tant que l’humanité du Christ est instrument de la divinité, l’agir humain du Christ est aussi un agir
divin. « Le salut procuré par l’humanité du Christ n’est pas différent de celui procuré par sa divinité »6

« [...] puisque ce qui est mû participe à l’opération de ce qui meut et puisque ce qui meut utilise
l’opération de ce qui est mû, ils agissent ainsi en synergie l’un avec l’autre. [...] L’une et l’autre forme

1
SAINT THOMAS, ST Ia IIae q. 112 a. 1.
2
SAINT THOMAS, ST Ia IIae q.112 ad. 1
3
SAINT THOMAS, CG III, c. 41.
4
SAINT THOMAS, ST IIIa q. 62 a.1 ad.2.
5
SAINT THOMAS, ST IIIa q. 19 a. 1 sol. 2.
6
SAINT THOMAS, ST IIIa q. 19 a. 1 sol. 2.

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accomplissent ce qui leur est propre en communion l’une avec l’autre : le Verbe opérant ce qui est du
Verbe, et la chair ce qui est de la chair. »7

« L’action de l’instrument comme instrument n’est pas différente de l’action de l’agent principal, mais
cela ne l’empêche pas d’avoir son opération propre. Dès lors, dans le Christ, l’opération de la nature
humaine, en tant qu’elle est l’instrument de la divinité, ne diffère pas de l’opération divine : notre salut
est l’œuvre unique de l’humanité et de la divinité du Christ. Mais la nature humaine du Christ, en tant
que telle, a une opération différente de celle de la nature divine.»8.

c. L’analogie de l’instrument conjoint et séparé pour penser le rapport entre l’agir


salvifique du Christ et les sacrements chez saint Thomas

« Le sacrement opère, pour causer la grâce, à la façon d’un instrument [...] Mais il y a deux types
d’instruments : l’un séparé, comme le bâton, l’autre conjoint, comme la main. C’est par l’intermédiaire
de l’instrument conjoint que l’instrument séparé est mis en mouvement, ainsi le bâton par la main. Or
la cause efficiente principale de la grâce est Dieu lui-même, pour qui l’humanité du Christ est un
instrument conjoint et le sacrement un instrument séparé. C’est pourquoi il faut que l’efficacité
(uirtus) salvifique de la divinité du Christ passe dans les sacrements par son humanité. »9

2. L’HUMANITE DU CHRIST DANS LA CHRISTOLOGIE DE KARL RAHNER

« La faculté humaine de connaissance et d’amour ne peut saisir l’objet particulier sans une sorte de
saisie anticipée ou « prénotion » de l’être en général. Toute connaissance se fonde donc, sans pouvoir
se l’exprimer, sur une connaissance implicite et non thétique de l’être comme tel, où se trouve déjà
incluse, même si c’est d’une façon totalement non thétique, une connaissance de Dieu, de l’esprit, de
la liberté, par conséquent du mystère qui est au-dessus de nous et en nous. »10

« Cette expérience est appelée transcendantale, parce qu’elle fait partie des structures nécessaires et
invincibles du sujet connaissant lui-même [...]. L’expérience transcendantale est expérience de la
transcendance, expérience en laquelle la structure du sujet connaissant et [...] la structure ultime de
tous les objets concevables de la connaissance sont des données simultanées et identiques. Bien sûr,
cette expérience transcendantale ne relève pas uniquement de la connaissance pure, mais aussi du
vouloir et de la liberté. »11

« [...] avec cette expérience transcendantale est donné pour ainsi dire un savoir anonyme et non
thématique de Dieu ; et donc que la connaissance originaire de Dieu ne relève pas de la saisie d’un
objet qui par hasard se présenterait de l’extérieur ; directement ou indirectement, mais qu’elle possède
le caractère d’une expérience transcendantale. »12

Il est essentiel à toute connaissance spirituelle et donc aussi à la connaissance théologique que
toute question sur son objet soit également une question sur l’être du sujet connaissant.13

1. Une approche originale


2. Pour penser à nouveau frais l’union hypostatique 
a. « Problèmes actuels de christologie »

7
SAINT THOMAS, ST IIIa q. 19 a. 1 rep.
8
SAINT THOMAS, ST, IIIa q. 19 a 1 et ad 2
9
SAINT THOMAS, ST IIIa q. 62 a5.

10
K. RAHNER, H. VORGRIMLER, Petit dictionnaire de théologie catholique, Paris, Seuil, coll. Livre de Vie, 1979,
p. 484.
11
K. RAHNER, TFF, p. 33.
12
K. RAHNER ,TFF, p. 34.
13
K. RAHNER, TFF, p. 29

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« L’incarnation du Verbe de Dieu en Marie (comme le comprend le concile de Chalcédoine) fait de lui
le « médiateur » entre Dieu et les hommes. Cela suppose cependant que l’on comprenne bien (contre
le monothélisme) l’originalité véritable de l’homme Jésus en face de Dieu et que l’on ne fasse pas du
Christ une simple apparition de Dieu et de lui seul, apparition qui n’aurait aucune valeur propre en
face de Dieu qui apparaît. Un tel « médiateur » ne serait pas médiateur. Une christologie qui ne
comprendrait pas cela ne serait en définitive qu’une mythologie.[...] En effet, si la nature humaine de
la thèse des deux natures du Christ n’est comprise que dans son sens courant et habituel de pur
«instrument », alors son possesseur ne peut plus être conçu comme médiateur.[...] Lorsqu’on se
contente de parler de nature, et en opposition à personne divine, cela suffit-il aujourd’hui pour
sauvegarder l’originalité de l’histoire humaine de Jésus en face de Dieu et, par là, celle de son sujet
empirique immédiat (distingué de la personne métaphysique) »14

« [...] quelle formulation d’ensemble peut-on donner du dogme christologique pour que, de prime
abord, ou, du moins, avec une clarté suffisante, le Christ apparaisse vraiment comme le médiateur
messianique ? C'est-à-dire comme un homme véritable qui, dans sa libre obéissance à Dieu, reste de
chez nous et soit médiateur, non seulement dans l’union ontologique des deux natures, mais encore à
travers son activité orientée vers Dieu (comme obéissance à la volonté du Père). Activité qu’on ne
peut concevoir seulement comme un pur agir divin dans et à travers une nature humaine, purement
instrumentale, qui, en face du Logos, resterait ontologiquement et moralement passive. »15

« [...].de Dieu seul, on peut penser qu’il puisse constituer lui-même ce qui le différencie de lui-même.
C’est un attribut de sa divinité comme telle et de son propre pouvoir créateur que de pouvoir ainsi, par
lui-même et par son activité propre, réaliser quelque chose qui, d’une part soit radicalement dépendant
(parce que totalement constitué) et cependant jouisse, même à son égard, de véritable autonomie
(parce que précisément constitué par Dieu seul). Dieu seul peut réaliser quelque chose qui garde
encore une valeur en face de lui. C’est là que réside le mystère de la création active qui ne peut être
attribué qu’à Dieu. Une dépendance radicale à son égard ne croît pas en proportion inverse, mais en
proportion égale, avec une véritable autonomie devant lui ».16

« La réflexion christologique rejaillit sur notre conception commune des rapports du créateur et de la
créature et fait apparaître la christologie comme la perfection spécifique, évidemment unique, de ce
rapport. »17

b. La mise en œuvre du programme de 1954 dans « Réflexions théologiques sur


l’Incarnation » (1958)

« [...] on pourrait penser qu’en ce dogme fondamental du christianisme le prédicat « homme » serait la
part la plus intelligible de l’énoncé. Car l’homme, c’est ce que nous sommes nous-mêmes, ce que
quotidiennement nous vivons. [...] Bien sûr nous savons toutes sortes de choses sur l’homme. Chaque
jour, les sciences anthropologiques les plus diverses bâtissent des énoncés concernant l’homme. Tous
les arts discourent à son propos ; chacun reprend à sa manière ce thème inépuisable. Mais l’homme
est-il pour autant défini ? »18

« On pourrait appeler l’homme zoon logikon, animal rationale. Mais avant de se féliciter de la sobre
clarté d’une telle « définition », on devrait bien réfléchir à ce qui est proprement visé par logikon. Le
fait-on, l’on aborde – littéralement – au sans rivage. Car ce qu’est l’homme, on ne peut le dire que si
l’on énonce ce qu’il vise et ce qu’il avise. Mais cela, comme sujet transcendantal, est le sans rivage, le
sans nom, et en fin de compte, le mystère absolu que nous nommons Dieu. Il suit de là que l’homme,
dans son essence, sa nature, est lui-même le mystère, non parce qu’il serait comme tel plénitude infinie
du mystère en cause, lequel est inépuisable, mais parce que, dans son essence proprement dire, dans

14
« Problèmes actuels de christologie », ET 1, DDB, 1954, p. 125-126
15
« Problèmes actuels de christologie », ET 1, DDB, 1954, p. 131.
16
« Problèmes actuels de christologie », p. 132-133.
17
« Problèmes actuels de christologie », p. 134
18
TFF, p. 244-245

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son fondement originaire, dans sa nature, il est référence à cette plénitude, référence pauvre, mais
venue à elle-même. »19

« Si telle est en effet la nature humaine, nous comprenons plus clairement [...] ce que signifie
l’énoncé : Dieu fait de la nature humaine la sienne propre. Cette nature indéfinissable, dont la limite –
« la définition » - est la référence sans limite au mystère infini de la plénitude, parvient tout
simplement, si Dieu en fait sa propre réalité, là où, de par son essence même, elle tendait
constamment. C’est le sens même de cette nature, et non une occupation accidentelle [...] d’être
abandonnée, livrée, ne pouvant s’accomplir et se posséder qu’en se perdant, sans s’y dissoudre, dans
l’incompréhensibilité. [...] Et puisque l’homme n’est que dans la mesure où il s’abandonne,
l’Incarnation de Dieu se présence comme le cas suprême et unique de l’achèvement essentiel de
l’humaine réalité. »20 

« Dans son acte créateur, Dieu formule toujours la créature comme la grammaire d’une possible
expression de lui-même et ne peut faire autrement, même s’il se tait, parce que ce mutisme même
présuppose des oreilles qui entendent le silence de Dieu. »21

« Le Logos éternel de Dieu lui-même a assumé une nature humaine. Le devenir homme de Dieu, de ce
point de vue, est le cas unique et suprême de l’accomplissement essentiel de la réalité humaine, lequel
tient en ce que l’homme existe en se perdant dans le secret absolu que nous nommons Dieu. »22

c. L’incarnation comme autodiction de Dieu qui se communique.

« Si donc le Logos devient homme, cette sienne humanité n’est pas ce qui est donné par avance, mais
ce qui devient, et ce qui surgit dans l’être et l’existence quand et dans la mesure où le Logos
s’extériorise. Cet homme, précisément comme homme, est l’autodiction de Dieu dans son auto-
extériorisation, parce que Dieu se dit justement quand il s’extériorise, lorsqu’il se fait connaître lui-
même comme l’Amour, lorsqu’il voile la majesté de cet Amour et se montre comme le commun des
hommes. [...] Il faut que l’homme Jésus, comme tel, et non pas d’abord ses paroles, soit autorévélation
de Dieu, et il ne saurait l’être si cette humanité, justement, n’était pas l’expression de Dieu.23

19
TFF, p. 244 et cf. « Réflexions théologiques sur l’incarnation », ET 1, DDB, 1954, p. 84-85.
20
«Réflexions théologiques sur l’incarnation », ET 3, DDB, 1958, p. 86.
21
«Réflexions théologiques sur l’incarnation », ET 3, DDB, 1958, p. 94.
22
TFF, p. 247.
23
TFF, p. 253

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