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CLAUDE TRESMONTANT

La finalité la Création
le salut et le risque de
perdition
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SOMMAIRE

La Finalité de la Création..............................................................................................................7

La nouvelle programmation........................................................................................................23

Nietzsche........................................................................................................................................25

Les conditions objectives..............................................................................................................26

La résistance à l'information créatrice nouvelle........................................................................37

Immanence....................................................................................................................................39
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La Finalité de la Création

Dès lors qu'on a établi le fait ou la réalité de la Création, par l'analyse philosophique, à
partir de l'Univers et de la nature, à partir de l'histoire de l'Univers et l'histoire de la nature, il
reste à se demander quel est le but de la Création, quelle est sa finalité, quelle est sa raison d'être.
La finalité ultime de la Création est évidemment un être créé, — celui en qui se réalise pour
la première fois l'union sans mélange et sans confusion de l'Homme véritable créé, à Dieu unique
et incréé. C'est pourquoi les théories christologiques qui minimisent, estompent, ou même
éliminent l'Homme véritable créé avec toutes ses opérations, sa volonté, sa liberté, son action
propre, estompent ou évacuent la finalité de la Création et la rendent indiscernable, à commencer
par les systèmes christologiques qui professaient que le logos de Dieu s'est uni une apparence
d'homme, jusqu'à celles qui professaient que le logos de Dieu se substitue à l'intelligence humaine,
à la pensée humaine, à l'action humaine de l'homme créé, assumé et uni à Dieu. Si on attribue au
logos de Dieu une opération propre, distincte de celle de Dieu, on vire vers le trithéisme et on
évacue l'opération propre de l'homme créé, assumé et uni à Dieu. On rend indiscernable la finalité
de la Création.
Nous connaissons la Création par l'histoire de l'Univers et de la nature puisque nous voyons
la Création s'effectuer à chaque instant depuis quelque vingt milliards d'années. Nous
connaissons le but ou la finalité de la Création par celui en qui et par qui elle se réalise, celui qui
s'appelle lui-même le ben adam. C'est lui qui enseigne comment nous pouvons parvenir à achever
notre propre création, coopérer à la création de l'Homme nouveau et véritable en nous. Il est donc
beaucoup plus que rédempteur. On l'a réduit trop souvent à n'être que rédempteur parce qu'on
s'est imaginé que l'homme avait été créé achevé et parfait à l'origine, ce contre quoi saint Irénée
de Lyon s'élevait déjà dans son grand traité contre les gnostiques.
C'est de là, et de ce point de vue, que l'on voit le mieux l'erreur gigantesque de ceux qui,
depuis le moine breton Pelage jusqu'au philosophe prussien Immanuel Kant, se sont imaginé que
c'était un problème de morale, de vertu, de respect de la loi morale. Non, il s'agit d'une étape
nouvelle et ultime dans l'histoire de la Création. Il s'agit de passer de l'homme animal, le
préhominien, à l'Homme véritable. C'est une affaire de création. Et sur ce point Augustin avait
raison contre Pélage. Augustin cite constamment les textes de Paul. Dieu seul peut réaliser en
nous la création de l'Homme nouveau et véritable. C'est Dieu qui opère en nous et le vouloir et
l'agir (Philippiens 2, 13). C'est Dieu qui opère tout en tous (1 Corinthiens 12, 6; etc.).
On aperçoit l'erreur fatale de ceux qui se sont imaginé et qui s'imaginent encore aujourd'hui
pouvoir réduire le christianisme à n'être qu'une affaire de morale.
Le christianisme n'est pas une affaire de morale, c'est une affaire de Création. Et à partir du
moment où un être est créé qui est appelé à prendre part à la vie personnelle de l'Unique, cette
Création ne peut pas s'achever sans lui, sans son consentement, sans sa coopération, sans une
nouvelle naissance, sans une métamorphose, sans qu'il porte fruit. C'est une condition
ontologique et non pas simplement morale. Ceux qui ont pensé pouvoir réduire le christianisme à
n'être qu'une affaire de morale n'y avaient rien compris.
Nous connaissons la Création, le fait de la Création, la réalité de la Création, par l'analyse
de l'histoire de l'Univers et de la nature qui se révèle ou se manifeste comme une création
continuée depuis quelque vingt milliards d'années.
Nous connaissons la finalité de la Création, son but, par celui en qui, par qui, avec qui elle
se réalise, celui qui s'appelait lui-même le fils de l'Homme, qui appelait Dieu mon père, et que
Dieu appelait mon fils. Pour cette raison ses disciples l'ont appelé fils de Dieu.
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C'est en lui que le métaphysicien doit chercher la finalité ou la raison d'être de la Création.
Il n'y a aucune raison de ne pas tenir compte de ce fait parmi les faits.
Car une fois qu'on a découvert que Création il y a, il est bien permis de se demander :
Pourquoi ? C'est-à-dire : Dans quel but ?
Une métaphysique intégrale doit donc méditer sur le fait que constitue la Création, — sur le
fait de la Révélation, — et sur le fait que constitue l'union sans mélange et sans confusion de
l'Homme nouveau et véritable créé, à Dieu unique et incréé, absolument simple, transcendant et
impassible.
Une métaphysique totale de la Création doit inclure l'origine radicale et la finalité ultime de
la Création.
La grandeur des théologiens scolastiques du XIIIe et du XIVe siècle, Albert le Grand,
Alexandre de Halès, Bonaventure, Thomas d'Aquin, Jean Duns Scot, c'est qu'ils ont fait coopérer
l'analyse métaphysique, celle qui part de l'expérience objective, — et l'analyse théologique, celle
qui procède de la révélation historique effectuée à l'intérieur du peuple hébreu.
Cette métaphysique intégrale qu'est le monothéisme hébreu se déploie et s'exprime à travers
toute la Bibliothèque inspirée des Hébreux, y compris les livres de la Nouvelle Alliance traduits
de l'hébreu en grec. C'est une communication progressive d'information qui porte précisément sur
l'origine radicale de l'Univers, la causalité première, et sur sa finalité ultime.
Cette communication progressive d'information qui s'effectue pendant près de vingt siècles
à l'intérieur du peuple hébreu, est strictement nécessaire pour que l'homme, l'humanité, puisse
connaître quelle est la finalité ultime de la Création et pour qu'il puisse y consentir et y coopérer.

Saint Thomas d'Aquin, Sum. theol. I, 1, respondeo : primo quidem quia homo ordinatur
ad Deum sicut ad quendam finem... Finem autem oportet esse praecognitum hominibus,
qui suas intentiones et actiones debent ordinare in finem.

Le bienheureux Jean Duns Scot enseigne la même chose un peu plus tard, dès le début de
ses grands Commentaires des Sentences de Pierre Lombard donnés à Oxford et à Paris.
La Révélation est nécessaire pour que la création de l'Homme puisse s'achever. Elle fait
partie de l'histoire de la Création. Nous ne connaissons la finalité de la Création que par la
Révélation et par Celui en qui elle se réalise. Les philosophes qui détestent l'idée de Création
vont donc s'appliquer à éliminer aussi l'idée de Révélation, depuis Spinoza, Kant, Fichte et bien
d'autres à leur suite.
Si l'on suppose que l'Absolu n'a besoin de rien, ce qu'il est absolument nécessaire de
supposer, — et c’est ici que l'on aperçoit comment l'analyse métaphysique précède l'analyse
théologique —, alors il est permis de se demander pourquoi, pour quel but, pour quelle fin,
l'Absolu crée des êtres autres que lui-même et autonomes, capables d'action et d’efficace causale,
dignitatem causandi comme dit Thomas d'Aquin.
Si l'on supposait que l'Absolu a besoin de sa création pour se réaliser, s'achever, se
contenter, alors il ne serait plus l'Absolu.

Concile du Vatican I, 1870 : Non ad augendam suam beatitudinem nec ad


acquirendam...

C'est-à-dire que toute théogonie est destruction du monothéisme, c'est pourquoi le


monothéisme hébreu depuis les origines a écarté les mythes théogoniques.
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Si l'Absolu ne crée pas des êtres autres que lui-même pour lui-même, pour augmenter sa
joie, alors il est permis de supposer qu'il crée des êtres autres que lui-même pour eux-mêmes.
La finalité de la Création se découvre en la personne de celui qui s'appelle lui-même le fils
de l'Homme, qui appelle Dieu mon père, et que Dieu appelle mon fils.
La christologie est donc le sommet de la métaphysique. Une christologie faussée est une
métaphysique faussée. Si vous réduisez ou si vous estompez, si vous éliminez la réalité, la place,
la fonction, l'action, la liberté de l'Homme créé nouveau uni à Dieu depuis le premier instant de la
création de son âme humaine créée, — alors toute la Création devient incompréhensible,
indéchiffrable, ou inintelligible. La finalité de la Création, c'est lui. La raison d'être de la
Création, c'est lui. Le sens de la Création, c'est lui.
Celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme est le germe, la cellule germinale de la
création nouvelle, de l'humanité nouvelle. Il contient en lui l'information créatrice nouvelle qui
est nécessaire pour créer l'Homme tel que l'Unique l'envisage depuis le commencement.
Avec l'apparition dans l'histoire humaine de celui qui s'appelle lui-même le fils de
l'Homme, et qui communique à l'humanité entière l'information créatrice qui est nécessaire pour
créer l'Homme véritable conforme au dessein créateur de Dieu, la Création n'est pas achevée. Elle
se continue précisément par cette communication de l'information créatrice nouvelle qui
transforme progressivement la vieille humanité animale comme le levain transforme la pâte. Et
c'est pourquoi entre le moment où le fils de l'Homme communique l'information créatrice
nouvelle et l'achèvement de la Création, il existe une durée : le temps nécessaire à la
transformation de la vieille humanité animale et à la création de l'humanité nouvelle et véritable
par communication d'information et assimilation de l'information. C'est la durée dans laquelle
nous sommes depuis bientôt vingt siècles et nous ne savons pas combien de temps il faudra pour
que la vieille humanité animale tout entière soit transformée par l'information créatrice nouvelle
communiquée autour de l'année 30 de notre ère.
Ce sont des hommes et des femmes qui ont reçu et assimilé l'information créatrice nouvelle
communiquée par le Germe, qui ont été eux-mêmes transformés et créés nouveaux, qui
communiquent à leur tour l'information créatrice qu'ils ont reçue. Ils sont donc coopérateurs de
Dieu.
Pourquoi existe-t-il des conditions ontologiques pour que quelque être, au terme actuel de
cette histoire de l'Univers, puisse prendre part à la durée du monde qui vient, olam ha-bah
comme disaient nos maîtres les rabbins du Ier siècle de notre ère ?
— Parce que le dessein créateur apparemment ne se termine pas au petit chat qui boit son
lait dans sa soucoupe, ni au gorille, au chimpanzé ou à l'orang-outan qui mange sa banane ou sa
noix de coco dans son arbre.
Selon Genèse 1, 26 :

Et il a dit, Dieu : Faisons de l'homme (hébreu adam) [en sorte qu'il soit] dans [la
condition de] statue (hébreu tzelem, grec eikôn) de nous [c'est-à-dire : qu'il soit notre
statue visible, une statue visible du Dieu invisible].

C'est ainsi que l'a compris Schaoul surnommé Paulus, qui a appris sa théologie aux pieds du
grand rabbin Gamaliel :

Romains 1, 23 : Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible pour la ressemblance


d'une statue (grec eikôn, hébreu tzelem) d'homme corruptible…
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Romains 8, 29 : Ceux qu'il a connus à l'avance, il a lié un lien sur son âme (grec pro-
ôrisen, Nombres 30, 3, etc.) [pour faire en sorte qu'ils soient] conformes à la statue (grec
eikôn, hébreu tzelem) de son fils, en sorte qu'il soit, lui, le premier-né parmi un grand
nombre de frères...

1 Corinthiens 11, 7 : Le mâle (grec anèr, hébreu probable zakar) est la statue (grec
eikôn) et la gloire de Dieu...

1 Corinthiens 15, 49 : Comme nous avons porté la statue (grec eikôn) de celui qui est fait
avec de la terre, nous porterons aussi la statue (grec eikôn) de celui qui vient des deux \=
de Dieu]...

2 Corinthiens 3, 18 : Nous sommes métamorphosés [et nous devenons] la même statue


(tèn autèn eikona) [que le Seigneur]...

2 Corinthiens 4, 4 : Celui qui a reçu l'onction (grec christos) qui est la statue de Dieu
(grec eikôn, hébreu tzelem)...

Colossiens 1, 15 : Lui qui est la statue (grec eikôn, hébreu tzelem) de Dieu l'invisible, le
premier-né de toute la Création...

Il ne faut pas traduire l'hébreu tzelem, et le grec eikôn par le français image, parce qu'une
image, en français aujourd'hui, est une chose plate. Une statue a trois dimensions.

Genèse 1, 27 : Et il a créé, Dieu, l'Homme (hébreu ha-adam) dans [la condition de]
statue de lui (hébreu be-tzalmenô). [C'est-à-dire que l'Homme créé est une statue visible
du Dieu invisible. Colossiens 1, 15]. Dans [la condition de] statue de Dieu (hébreu be-
tzelem elohim) il l'a créé, lui, mâle et femelle il les a créés, eux...

Les inconnus qui ont mis en place les documents et les livres qui constituent la sainte
Bibliothèque hébraïque ont donc mis dès le premier chapitre de la Genèse ce document qui
enseigne la finalité de la Création : un être, l'Homme, qui soit la statue visible du Dieu invisible.
Comme nous le voyons en regardant tout autour de nous, nous sommes encore loin d'être
parvenus à la réalisation de cette finalité ultime de la Création. Pour l'instant l'humanité est en
régime de genèse et de transformation, elle est en train de passer péniblement de l'animalité à
l'humanité, avec de fortes régressions.
Genèse 1 qui enseigne le point de départ, le commencement, enseigne aussi la finalité
ultime de la Création. L'Univers commence par être lumière. Au terme de la Création, la statue
visible du Dieu invisible.

Quelles sont les conditions ontologiques de la réalisation d'un tel dessein ?


L'être qui reçoit le don de l'être ne peut se contenter de recevoir passivement ce don de
l'être. Pour qu'il devienne un être digne d'être nommé la statue visible du Dieu invisible, il faut
qu'il porte fruit, qu'il coopère activement et intelligemment à ce don de l'être.
C'est l'exigence de fructification.
Puisqu'il est appelé ou invité à devenir pour l'Unique incréé un face à face, un vis-à-vis,
comme lui, il faut qu'il consente librement à cette destination qui est proprement surnaturelle. Il
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faut qu'il ratifie le don de la Création et qu'il coopère activement et intelligemment au don de la
Création. Il faut qu'il coopère activement et intelligemment au don qui lui est proposé de prendre
part à la vie même de l'Unique incréé. Il ne peut pas se contenter de recevoir passivement,
comme une souche, le don de la Création et le don de la divinisation, comme disaient les Pères de
langue grecque.
C'est ce problème-là que Maurice Blondel a appelé le problème capital de la métaphysique
chrétienne, et qu'il a traité longuement et profondément dans sa grande Trilogie consacrée à la
Pensée, l'Être, et l'Action.
À quelles conditions l'Unique incréé peut-il créer un autre lui-même capable de prendre
part, sans mélange, sans confusion, sans séparation à la vie éternelle de l'Unique ?
C'est en effet un problème de haute métaphysique et une fois de plus nous constatons qu'il
n'est pas question de comprendre quoi que ce soit à la théologie chrétienne si on ne se donne pas
la peine d'entreprendre cette analyse métaphysique.
Le VIe concile œcuménique tenu à Constantinople a défini solennellement le 16 septembre
681 que si vous considérez avec les yeux de votre intelligence cet être en qui se réalise l'union de
l'Homme nouveau créé, à Dieu unique et incréé, vous observez en lui deux volontés naturelles
(grec duo phusikas thelèseis) et deux opérations naturelles (grec duo phusikas energeias) sans
séparation, sans altération, sans division, sans mélange... Et deux volontés naturelles qui ne sont
pas contraires l'une à l'autre... La volonté humaine suit, et ne s'oppose pas à, et ne combat pas (la
volonté de Dieu). Bien au contraire la volonté humaine est soumise à sa volonté divine... De
même que sa chair animée toute sainte et sans tache a été divinisée, et elle n'a pas été abolie (grec
theotheis ouk anèrethè) mais elle est restée dans ses limites propres..., — ainsi et de même son
vouloir humain a été divinisé (grec theôthen) et il n'a pas été aboli ; bien au contraire il a été sauvé,
conformément à ce que dit Grégoire le théologien, Grégoire de Nazianze, Oratio 30, chap. 12 : son
vouloir n'est pas contraire, opposé à Dieu : il a été divinisé tout entier (grec theôthen holon).
Deux opérations naturelles, sans séparation, sans altération, sans division, sans mélange
dans notre seigneur Ieschoua qui a reçu l'onction... C'est-à-dire une opération divine et une
opération humaine, comme le dit le pape Léon...
Tel est le but, la finalité de la Création. C'est ici qu'elle se réalise.

Nous avons observé, dans une brochure antérieure, La Pensée de l'Église de Rome, que le
pape Honorius, condamné par les Pères du concile de Constantinople le 28 mars 681, considérait
directement, in recto, cet Homme singulier concret qui était uni à Dieu depuis le premier instant
de la création de son âme humaine créée, et c'est pourquoi, dans cet homme, Me homo, comme
disait saint Augustin, il ne voyait qu'une seule liberté, une seule volonté, une seule opération,
comme son prédécesseur, Schimeôn sur nommé Rocher par son Rabbi. Tandis que les Pères du
concile considéraient le Tout relationnel constitué par Dieu qui s'unit l'Homme, et l'Homme
nouveau créé uni à Dieu. Dans ce Tout relationnel, évidemment l'intelligence distingue deux
natures, deux volontés, deux libertés, deux opérations.
Il est bien évident, dans cette perspective, que l'accès à la connaissance réfléchie était une
étape absolument nécessaire à la réalisation du dessein créateur, une étape dangereuse mais
nécessaire. Ce n'est donc pas une chute, comme l'ont compris les gnostiques depuis les premiers
siècles de notre ère jusqu'aujourd'hui. C'est ce qu'écrit saint Irénée, évêque de Lyon, dans son
grand traité Contre les gnostiques, livre IV, 38 :

Si quelqu'un dit : Quoi donc ? Est-ce qu'il ne pouvait pas, depuis le commencement,
Dieu, faire l'homme achevé (grec teleion, latin perfectum), qu'il sache que pour Dieu,
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pour ce qui est de Dieu, considéré en lui-même, tout est possible. Mais l'être créé, lui,
était incapable de recevoir, de supporter la plénitude, la perfection (to teleion)...

Irénée a parfaitement vu que la Création se fait par étapes parce que l'être créé doit recevoir
progressivement l'accroissement, le développement. Les gnostiques, comme les platoniciens,
s'imaginaient que la plénitude, la perfection était à l'origine et que nous sommes tombés dans
l'imperfection, le corps, la matière, le monde. Saint Irénée montre que la Création se fait par
étapes et que la plénitude, la perfection, est au terme de l'histoire de la Création et non pas au
début.
Les inconnus qui ont composé Genèse 3, peut-être au Xe siècle avant notre ère, se sont
exprimés comme ils l'ont pu, dans l'hébreu de ce temps-là, et sous la forme qui était familière aux
anciens théologiens et prophètes hébreux : le mâschâl. — Le mâschâl est une histoire simple,
concrète, qui contient un enseignement métaphysique et théologique.

Isaïe 5, 1 : Je vais donc chanter pour mon chéri le chant de mon chéri pour sa vigne. Une
vigne était à mon chéri...

Marc 4, 3 : Voici qu'il est sorti, le semeur, pour semer...

Matthieu 13, 3 : Voici qu'il est sorti, le semeur, pour semer...

Luc 8, 5 : Il est sorti, le semeur, pour semer sa semence...

La question est de savoir si la Création a un sens, une finalité ou non. S'il n'y a pas en
réalité de Création, comme le pensent les philosophes depuis Plotin, Spinoza, Fichte, Karl Marx,
Nietzsche, Heidegger et leurs disciples, — alors, bien évidemment, il n'y a pas non plus de sens
ni de finalité. Le monde est en trop et il est absurde. C'est ce que pensent nos plus illustres
philosophes français au XXe siècle.
La question de la Création ne relève pas de la foi, Glauben, comme le disent et le répètent
les maîtres à penser du XIXe siècle et du XXe : Immanuel Kant et Martin Heidegger. La question de
la Création relève de la compétence de l'analyse rationnelle fondée dans l'expérience. Henri
Bergson a retrouvé, comme il dit, le fait de la Création par une analyse expérimentale à partir du
fait de l'évolution. Tout dans l'histoire de l'Univers et de la nature a commencé. Le
commencement d'être est le signe de la Création, sa signature. Nous sommes dans un Univers en
régime de création continuée parce que tout dans l'histoire de l'Univers et de la nature commence
d'exister, tout est toujours nouveau dans l'histoire de l'Univers et de la nature. Encore faut-il
considérer l'histoire de l'Univers et de la nature, ce que nos philosophes dominants ont omis de
faire.
La finalité de la Création relève de la compétence de l'intelligence humaine fondée dans un
fait, qui est le fait constitué par le peuple hébreu, dans lequel cette finalité se trouve enseignée et
communiquée. Ce n'est pas non plus une question de foi au sens kantien du terme, Glauben,
dissociée du connaître, Wissen, mais une question d'analyse fondée dans une réalité objective qui
s'impose à nous dans l'expérience depuis environ quarante siècles, le peuple hébreu, fait entre les
faits. La finalité de la Création se réalise d'une manière germinale en celui qui s'appelait lui-
même le fils de l'Homme (hébreu ben adam) et qui est l'Homme véritable uni à Dieu véritable.
Si même l'humanité n'était pas devenue criminelle, ce que de fait elle est devenue, d'une
manière atroce et de plus en plus atroce, en toute hypothèse celui que nos amis paléontologistes
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appellent avec trop de bienveillance homo sapiens sapiens n'était pas l'Homme véritable uni à Dieu
que Dieu envisage depuis l'aujourd'hui de son éternité. Celui que les paléontologistes appellent
homo sapiens sapiens, c'est celui-là que Paul appelle paléo-anthropien (Romains 6, 6 ; Éphésiens
4, 22 ; Colossiens 3, 9). Et par conséquent la raison d'être de celui qui s'appelle lui-même le ben
adam, qui appelle Dieu mon père et que Dieu appelle mon fils, n'est pas seulement de réparer la
faute originelle. La raison d'être du Christ est beaucoup plus que cela puisque c'est en lui, avec
lui, par lui, que Dieu unique et incréé, crée l'Homme véritable tel qu'il l'envisage depuis
l'aujourd'hui de son éternité, et c'est en lui, par lui, avec lui, que nous pouvons devenir, après
transformation, après métamorphose, par une naissance d'en haut, conformes à celui qui est le fils
de l'Homme et le fils de Dieu. La raison d'être du Christ est donc beaucoup plus que la
Rédemption. À la suite d'Origène d'Alexandrie chez les Grecs, et de saint Augustin chez les
Latins, nombre de docteurs se sont représentés la Rédemption comme un retour à l'origine ou aux
origines. La Rédemption est beaucoup plus que cela, puisqu'elle est, selon l'expression de saint
Paul, création de l'Homme nouveau en nous (2 Corinthiens 5, 17 ; Galates 6, 15 ; Éphésiens 2, 15
; 4, 24).
À la suite de saint Augustin, Luther et Calvin, puis le jansénisme, ont accrédité le système
réparateur. À la suite de saint Paul, Irénée de Lyon, dans son grand Traité contre les gnostiques,
puis le bienheureux Jean Duns Scot, puis saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d'Avila, puis
Maurice Blondel et le Père Teilhard, ont mis en relief de nouveau que le Christ est celui en qui
Dieu crée l'Homme nouveau et véritable et qu'en lui se réalise la finalité ultime de la Création,
par la transformation du vieil homme, du paléo-anthropien.

De ce point de vue on aperçoit aussi combien les sciences de l'Univers et de la nature,


depuis le XIXe siècle, nous ont aidés à mieux comprendre la doctrine chrétienne, l'essence du
christianisme, puisque les sciences de la nature et de l'Univers nous ont permis de découvrir les
étapes de la Création, les étapes de la cosmogénèse, de la biogenèse, de l'anthropogenèse, et ainsi
nous ont délivrés du sinistre cycle gnostique, de ce que déjà des textes fort anciens appelaient le
triste cycle lassant des chutes dans la matière, des métensomatoses (kuklos tès geneseôs). Nous
venons à peine d'émerger grâce aux sciences expérimentales du schéma cyclique orphique et puis
gnostique. Il n'est pas étonnant que ceux qui les premiers ont découvert la vision positive et
expérimentale de l'irréversibilité aient été violemment combattus par les tenants du vieux
jansénisme ; je pense à Bergson, à Blondel, à Teilhard. Les sciences expérimentales nous ont
aidés à mieux comprendre la doctrine chrétienne, en nous découvrant l'histoire de la Création.
Elles ont donc contribué à ce que Newman a appelé le développement dogmatique. Le fait est que
les théologiens appartenant à l'école janséniste ne se sont guère intéressés à l'histoire de la
Création. Ils ne la connaissaient pas. Ils ont pensé le christianisme en termes de retour et de
châtiment. Ils ont tout naturellement pensé la raison d'être du Christ en termes exclusivement de
Rédemption et de restauration. Ils étaient, ils sont augustiniens.

Le fond de l'affaire, c'est bien la question de savoir si la Création a été achevée, dans le
passé, ou bien si elle sera achevée dans l'avenir.

Genèse 2, 1 : Et ils ont été achevés, les cieux et la terre, et toutes leurs armées. Et il a
achevé, Dieu, au jour septième, son œuvre qu'il a faite et il s'est reposé, au jour septième,
de toute son œuvre qu'il a faite. Et il a béni, Dieu, le jour septième et il l'a consacré parce
qu'en lui il s'est reposé de toute son œuvre, qu'il a créée, Dieu, pour [la] faire.
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C'est probablement à partir de ce texte qu'argumentent les adversaires du Rabbi lorsque


celui-ci guérit un malade

Jean 5, 8 : Il lui a dit Ieschoua : Lève-toi, prends ton lit et marche. Et voici qu'il a été
guéri, l'homme et il a pris son lit et il s'est mis à marcher. C'était schabbat ce jour-là. Et
alors ils ont dit, les Judéens, à celui qui avait été guéri : C'est schabbat et il ne t'est pas
permis de porter ton lit... Et c'est pourquoi ils poursuivaient, les Judéens, Ieschoua, parce
que cela il l'a fait dans le schabbat. Et alors Ieschoua, il leur a répondu : Mon père
jusqu'à maintenant il agit, et moi aussi j'agis...

Le Rabbi enseigne donc que Dieu continue d'agir, d'opérer, de créer, et que lui, le fils de
l'Homme, il coopère. Il corrige donc, sur ce point, le texte de Genèse 2, 1. Non seulement la
Création est continuée, mais la Révélation, elle aussi, est continuée.
À cette représentation qui s'exprime (Genèse 2,1), est venue se superposer, beaucoup plus
tard, au début de notre ère, la conception platonicienne selon laquelle tout est donné dans
l'éternité. La perfection, la plénitude, est dans le passé.
Si la Création a été achevée tout entière dans le passé, aux origines, alors le rôle, la
fonction, la raison d'être du Maschiah, c'est seulement de réparer le mal qui a été commis, de
restaurer la condition initiale, de revenir au point de départ. C'est plus ou moins la représentation
qui a dominé depuis Origène d'Alexandrie et saint Augustin. C'est ce que saint Augustin appelle
la restauratio.
Si au contraire la Création n'a pas été achevée aux origines, dans le passé, mais si elle sera
achevée, dans l'avenir, au terme de l'histoire de la Création, alors la raison d'être du Maschiah est
beaucoup plus que la réparation, la Rédemption, la restauration. Alors la raison d'être du
Maschiah, c'est de coopérer à l'achèvement de la Création, à la création de l'Homme nouveau et
véritable par son existence même, puisqu'il est le Germe de la nouvelle création, et par son
enseignement, puisqu'il communique l'Information créatrice nouvelle qui le constitue Germe.
C'est le point de vue et la perspective de Schaoul-Paul, qui sera suivi par saint Irénée de
Lyon et bien d'autres à travers les siècles.
Cela fait deux présentations du christianisme qui sont évidemment opposées l'une à l'autre,
d'où la violence des controverses.
Ceux qui avaient tendance, et qui ont encore aujourd'hui tendance, à substituer l'action,
l'agir, du logos de Dieu, considéré comme un individu divin, à l'action, à l'agir de l'Homme
véritable uni à Dieu, l’assumptus homo, — ceux-là avaient aussi tendance, et ils ont encore
tendance, à supposer que la Création a été achevée, terminée, dans le passé, aux origines et ils
n'aiment guère la notion de Création continuée. Lorsqu'ils l'ont rencontrée, plus tard, chez Henri
Bergson, ils ne l'ont pas reçue. La raison d'être du Christ, à leurs yeux, est principalement, pour
ne pas dire exclusivement, la réparation, la restauration, la Rédemption. La perfection, la
plénitude, est aux origines. Ils sont sous la mouvance du schéma platonicien, comme l'étaient
Origène, Apollinaire de Laodicée et Cyrille d'Alexandrie.

À propos de ce que, depuis saint Augustin, on appelle péché originel (latin peccatum
originale), il convient d’observer qu’ on a superposé aux textes hébreux Genèse 1, 2 et 3, des
thèmes platoniciens et gnostiques, et qu'on a lu ces anciens textes hébreux à travers un système
optique qui lui était totalement étranger, le système gnostique associé au système platonicien.
Genèse 1, 2 et 3 parlent de la création de l'Homme, tout comme un zoologiste et un
paléontologiste parlent de l'apparition de l'Homme. Genèse 3 expose que l'Homme a eu accès à la
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connaissance réfléchie et qu'il est ainsi entré dans une zone de haut risque, ce que nous vérifions
aujourd'hui. Il n'est pas question de chute dans ces textes, contrairement à ce que disent nombre
de commentaires depuis vingt siècles. Ces textes ont été lus à travers le mythe archaïque de l'âge
d'or originel, selon lequel la perfection, la plénitude, était à l'origine ou aux origines. Genèse 1, 2
et 3 ne disent rien de tel. Ils disent que l'homme a commencé par vivre de cueillette, ce qui
semble vraisemblable. Tout ce que nous savons aujourd'hui des origines humaines et du long
processus de l'anthropogenèse, qui se poursuit pendant plusieurs millions d'années, nous montre
qu'il n'y a pas eu d'âge d'or dans le passé. Aussi loin que nous remontions dans l'histoire et dans la
préhistoire de l'humanité, nous trouvons des guerres et des massacres. Et avant l'apparition de
l'homme, nous découvrons les programmations transmises génétiquement et inscrites dans le
paléo-cortex qui expliquent ces guerres et ces massacres. La différence fondamentale entre
l'homme et l'animal qui le précède dans le temps, c'est le fait que l'homme a eu accès à la
connaissance réfléchie et qu'ainsi il est plus cruel que le plus cruel des fauves.
Toute l'affaire est là. Selon le christianisme orthodoxe, celui des Écritures, la perfection, la
plénitude, l'achèvement de la Création ne se trouvent pas dans le passé, en arrière de nous, aux
origines, — mais dans l'avenir, au terme de l'histoire de la Création. Il n'y a donc jamais eu d'âge
d'or dans le passé. La raison d'être du Christ n'est pas de nous faire retourner aux origines, dans le
passé, à un âge d'or qui n'a jamais existé, mais de créer l'humanité nouvelle, qui est l'humanité
véritable, laquelle est en cours de réalisation. Le Christ n'est pas seulement rédempteur. Il est
beaucoup plus que cela. Il coopère à la création de l'Homme nouveau et véritable qui est réalisée
en lui-même d'une manière germinale. En Orient sous l'influence d'Origène d'Alexandrie, en
Occident latin sous l'influence de saint Augustin, le schéma gnostique de la chute et du retour a
largement dominé chez les théologiens. On a même vu des théologiens comme saint Grégoire de
Nysse, disciple d'Origène d'Alexandrie, expliquer dans son livre de la Création de l'Homme, que
sans le péché originel, tel qu'il se le représentait, l'union physique de l'homme et de la femme
n'aurait pas existé. À quoi maître Thomas répond sagement, Sum. theol. I, qu. 98, a. 2, resp. :

Sed hoc non dicitur rationabiliter. Dire cela, ce n'est pas raisonnable. Ea enim quze sunt
naturalia homini neque substrahuntur neque dantur homini per peccatum. Ce qui est
naturel à l'homme, ce qui fait partie de sa nature, cela n'est ni ôté ni ajouté par le péché.

Ce qui revient à dire que l'enfant qui vient de naître sort des mains du Créateur. C'est
d'ailleurs ce que dit le Maître,

Matthieu 18, 10 : Voyez à ne pas mépriser un seul de ces petits. Car je le dis à vous :
Leurs messagers dans les deux continuellement voient la face de mon père qui [est] dans
les deux...

Sous l'influence d'Origène d'Alexandrie, pour les Pères de langue grecque, en Orient, et de
saint Augustin, pour les docteurs latins, en Occident, c'est-à-dire sous l'influence de l'antique
schéma cyclique inhérent à la plus ancienne métaphysique grecque, nous avons eu trop souvent
tendance à penser et à formuler le christianisme à l'intérieur de ce schéma cyclique qui en réalité
ne lui convient pas.
Sous l'influence d'autres schémas archaïques, nous avons eu trop tendance pendant des
siècles à penser les problèmes en termes de punition ou de châtiment, alors qu'il s'agit en réalité
d'un problème métaphysique, qui est celui de la Création et des conditions ontologiques de la
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réalisation du dessein créateur à l'intérieur d'une création qui se poursuit depuis des milliards
d'années et qui est encore inachevée.
Nous avons eu trop souvent tendance à penser en termes juridiques un problème de
métaphysique, qui est un problème d'ontogenèse. À quelles conditions l'Unique incréé peut-il
réaliser la création d'un être qui soit pour lui-même un vis-à-vis, un autre lui-même, capable de
prendre part à la vie personnelle de l'Unique incréé ?
C'est ce problème que Maurice Blondel a traité longuement pendant une vie de travail et
plus profondément qu'un autre : le problème capital de la métaphysique chrétienne.
Dans les systèmes d'Origène d'Alexandrie et de saint Augustin, on ne voit pas, on n'aperçoit
pas la finalité de la Création. La Création est posée achevée d'un seul coup, suivie d'une chute, et
d'un retour au point de départ. Le terme est identique au commencement. Le Christ est seulement
ou exclusivement réparateur.
Nous, en fin du XXe siècle, nous commençons à apercevoir la finalité de la Création parce
que nous connaissons l'histoire de la Création, qui procède par étapes, depuis environ vingt
milliards d'années. Nous voyons nettement que le peuple hébreu est une étape dans l'histoire de la
Création, la création d'un nouveau type d'humanité. Et nous voyons clairement que celui qui
s'appelle lui-même le fils de l'Homme, qui appelle Dieu mon père, et que Dieu appelle mon fils,
est l'Homme nouveau et véritable que Dieu visait depuis les origines de la Création. Il est le
germe et le but visé depuis les origines. Il n'est pas seulement réparateur ni seulement
rédempteur. Il est beaucoup plus que cela. Il est celui par qui, en qui, avec qui, Dieu réalise son
œuvre suprême (summum opus Dei), la création de l'homme nouveau et véritable uni à Dieu sans
mélange et sans confusion depuis le premier instant de la création de son âme humaine créée,
avec le consentement de Mariam, qui a été préparée, pré adaptée pour consentir à ce que le
summum opus Dei soit réalisé en elle.

Ce que depuis des siècles on appelle le messianisme, — expression formée à partir du mot
hébreu maschiah, celui qui a reçu l'onction royale, sacerdotale et prophétique —, est au fond la
question de la finalité de la Création.
Il est évident que dans toute l'histoire du prophétisme hébreu, depuis Abraham, il existe un
regard qui se porte sur ou vers la finalité ultime de la Création.

Jean 8, 56 : Abraham votre père s'est réjoui de voir mon jour et il l'a vu, et il s'est
réjoui...

S’il n'y a pas de Création, comme le pensent Spinoza, Fichte, Karl Marx Heidegger et bien
d'autres, alors il n'y a pas de finalité de la Création. Ceux qui pensent que la Création a été
achevée au début, aux origines, dans le passé, ne regardent guère du côté de l'avenir pour y
chercher une finalité.
Ceux qui estiment que la finalité de la Création se réalise sur cette terre-ci (be-ôlam ha-zeh)
dans la durée du monde présent, n'attendent qu'une organisation raisonnable des sociétés
humaines. Leur point de vue se limite à l'ordre politique.
La conception chrétienne du messianisme, du Maschiah, est parfaitement claire et définie :
le Maschiah est le Germe de la nouvelle création, qui sera la Création définitive.
Le Germe contient en lui l'information créatrice nouvelle qui est nécessaire pour réaliser
l'humanité nouvelle qui sera l'humanité définitive. Il convient donc de distinguer deux temps : 1.
Le temps de la communication de l'information créatrice nouvelle qui se trouve dans le Germe. 2.
Le temps de la croissance de l'arbre, de la communication de l'information créatrice à l'humanité
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entière, le levain dans la pâte, la transformation progressive de la vieille humanité animale en


humanité nouvelle et véritable.
La malkouta di-schemaiia (le royaume, le règne des cieux = de Dieu) n'est donc pas
achevée avec la communication du Germe. Elle commence son développement.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que le règne de Dieu ne soit pas venu immédiatement,
d'un seul coup.
La formule, la définition de l'anthropologie chrétienne a été donnée par Grégoire de
Nazianze, Grégoire le théologien : zôon theoumenon. L'homme est un animal divinisable. C'est un
animal, évidemment, par son anatomie, sa physiologie, sa neurophysiologie, sa biochimie, les
programmations animales transmises génétiquement et inscrites dans le paléo-cortex. Il apparaît
au terme de l'histoire naturelle, le dernier, avec son énorme cerveau, cent ou deux cents milliards
de neurones.
C'est un animal divinisable, c'est-à-dire appelé à une transformation, à une métamorphose,
qui le rende apte à prendre part à la vie personnelle de Dieu. Le Christ est le premier-né de cette
nouvelle et ultime création. La création de l'homme nouveau est effectuée ou réalisée dans
l'Homme nouveau et véritable uni à Dieu depuis le premier instant de la création de son âme
humaine créée, — la création de l'homme nouveau et l'union sans mélange et sans confusion à
Dieu unique incréé. C'est pourquoi il est permis de dire que Mariam est theotokos puisque l'enfant
qu'elle a enfanté n'est pas homo solitarius, un homme seulement, mais Me homo vero unitus Deo,
mais cet homme uni à Dieu depuis le premier instant de la conception. Cet être que Mariam a
enfanté, c'est l'Homme véritable uni à Dieu véritable. Si l'on retourne la proposition, on a le droit
de dire qu'elle a enfanté Dieu uni à l'homme, ou, en abrégé, qu'elle est mère de Dieu, — uni à
l'homme, qui s'est uni l'homme.
Nous, nous naissons avant la transformation, avant la métamorphose, avant la nouvelle
naissance. Et donc nous avons à effectuer cette transformation, cette métamorphose, cette
nouvelle naissance. Nous naissons donc dans un état qui précède la nouvelle naissance, tandis
que l’assumptus homo, lui, naît nouveau et uni à Dieu depuis sa propre conception. C'est
pourquoi il est le premier-né de la nouvelle et définitive création.
La Création s'achève ou s'achèvera par ce que le livre de Daniel (IIe siècle avant notre ère)
appelle malkouta di-schemaiia, grec basileia ton ouranôn, le royaume, le règne, la royauté des
cieux [= de Dieu], expression reprise par Matthieu 3, 2 ; 5, 3 ; 5, 14; 5, 19 ; 5, 20; etc. Marc 1, 15;
4, 11; 9, 1; etc. Luc 4, 43 ; 6, 20 ; 7, 28 ; etc. Jean 3, 3 ; 3, 5.
Après les grands empires qui se succèdent, vient le royaume, le règne, la royauté des cieux
[= de Dieu].
Il est bien évident que la création d'une humanité nouvelle et sainte implique et requiert que
l'homme consente à cette destination, qu'il ratifie le don de sa propre création ; qu'il coopère
activement et intelligemment à sa propre création ; qu'il consente à la métamorphose qui lui est
proposée, à la création de l'homme nouveau en lui, et qu'il coopère activement et intelligemment
à cette métamorphose, à cette création de l'homme nouveau.
Pourquoi ? Parce que l'être appelé ou invité à être be-tzelem elohim, Genèse 1, 26 ; 1, 27,
dans [la condition] de statue [visible] du Dieu invisible, ne peut pas se contenter de recevoir d'une
manière purement passive le don de la Création et le don de la participation à la vie de l'Unique
incréé.
Parce que s'il se contentait de recevoir d'une manière purement passive le don de la
Création et le don de ce que les Pères de langue grecque ont appelé la theiôsis, la divinisation, —
alors il ne serait pas be-tzelem elohim. Il serait une contrefaçon, une poupée fabriquée par les
14

dieux, comme le dit Platon, Lois, 1, 644 d ; VII, 803, c, theou ti paignion einai
memèchanèmenon.
Une poupée fabriquée ou machinée par les dieux, voilà justement ce que l'homme n'est pas,
selon le monothéisme hébreu.
Ce que, depuis le rouleau de Daniel, on appelle la malkouta des cieux ou de Dieu (Daniel 2,
44 ; 33 ; 4, 31 ; 7, 14 ; Psaume 145, 13 etc. ; expression reprise en traduction grecque Matthieu 3,
2 ; 17 ; 10, 7 ; 5, 3 ; etc. Marc 1, 15 ; 4, 11 ; 9, 1 ; etc. Luc 4, 13 ; 6, 20 ; 9, 2 ; etc. Jean 3, 3 ; 3,
5), c'est la nouvelle humanité, l'humanité sainte, façonnée, formée, informée par la sainte Torah,
créée nouvelle. C'est l'humanité véritable qui a franchi décidément le pas qui la sépare de
l'humanité animale dont parle Paul (1 Corinthiens 2, 14).

Nous savons maintenant en fin du XXe siècle que l'histoire de l'anthropogenèse s'effectue ou
se réalise par étapes. Nous avons sous les yeux, sous forme de fossiles, les traces de ces étapes de
l'anthropogenèse qui s'effectue durant plusieurs millions d'années. Celui, le dernier venu, que nos
amis paléontologistes appellent avec une bienveillance coupable homo sapiens sapiens, c'est
celui-là que Paul appelle le paléo-anthropien (grec ho palaios anthrôpos, Romains 6, 6 ;
Éphésiens 4, 22 ; Colossiens 3, 9).
Ce que l'on appelle en araméen malkouta di-sche-maiia, traduction grecque basileia ton
ouranôn, le règne ou le royaume des cieux, c'est-à-dire de Dieu, c'est la nouvelle humanité sainte
qui succède aux Empires de ce monde de la durée présente, l'humanité véritable que vise le
Créateur depuis les origines ou avant les origines de l'Univers. Cette nouvelle humanité est
constituée, formée, informée, par une nouvelle programmation, dont on trouve la formule dans
ces quatre documents, ces quatre cahiers de textes, que les traductions françaises appellent les
Évangiles, et dans quelques lettres de Pierre, Jean, Jacques et Paul.
Pour entrer dans l'économie de cette nouvelle création qui est la Création définitive,
certaines conditions sont requises, dont on trouve l'expression, par exemple Matthieu 5, 3 et sq. Il
ne s'agit pas ici, il n'est pas question de châtiments ni de punitions. Il existe des conditions
objectives qui sont requises pour que l'homme animal, le vieil homme, le paléo-anthropien, que
les paléontologistes appellent homo sapiens sapiens, entre dans l'économie de cette nouvelle
création, de cette nouvelle et ultime étape de la Création. Si ces conditions ne sont pas réalisées,
l'homme ne prend pas part à la nouvelle création.
La différence fondamentale entre cette étape, la dernière, et les précédentes, c'est que dans
les étapes précédentes ou antérieures de l'anthropogenèse, le Créateur communique librement des
messages génétiques nouveaux ; il augmente de l'intérieur le message génétique ; il accroît la
quantité et la qualité de l'information. La création des divers préhominiens s'effectue par
communication d'information tout comme la création de tous les groupes zoologiques antérieurs.
Avec la dernière étape de la création de l'Homme, nous changeons de régime, parce que
l'Homme est un animal qui a franchi le seuil de la connaissance réfléchie et que désormais il doit
coopérer activement et intelligemment à sa propre genèse ou création. Il doit porter fruit. Il doit
naître nouveau. Il doit effectuer une transformation, une métamorphose, pour devenir réellement
un Homme, be tzelem elohim.
À partir de quand, dans l'histoire naturelle, un être est-il capable de prendre part à la vie de
la durée du monde qui vient, olam ha-bah, c'est-à-dire à la vie de Dieu ? À partir de quel moment
dans l’histoire de l'anthropogenèse un être est-il capable, par nature ou par création, de recevoir
par grâce le don de la participation à la vie de l'Unique ? À partir de quel moment un être est-il
capable de la sainteté ? Une condition requise, c'est qu'il ait franchi le seuil de la conscience
réfléchie et qu'il soit capable de ratifier le don de la Création, de coopérer activement et
15

intelligemment au don de la Création, qu'il puisse consentir librement à la nouvelle naissance, à


la création de l'Homme nouveau en lui, et qu'il puisse coopérer librement, activement et
intelligemment, à la création de l'Homme nouveau en lui, afin de devenir be-tzelem elohim.

Pour le Rabbi, la malkouta di-schemaiia, le règne ou royaume des cieux, c'est-à-dire de


Dieu (hébreu malkout schamaïm) commence avec Abraham, Isaac et Jacob :

Matthieu 8, 10 : Amen [en hébreu dans le texte grec] je le dis à vous, chez aucun homme
je n'ai trouvé une telle certitude de la vérité en Israël. Et je le dis à vous : Ils sont
nombreux ceux qui viendront du côté du Levant et du côté du Couchant et ils s'étendront
pour manger avec Abraham et Isaaq et Iaaqôb dans le royaume des cieux...

Luc 13, 28 : Lorsque vous verrez Abraham et Isaaq et Iaaqôb et tous les prophètes dans
le royaume ou le règne de Dieu... Et ils viendront du Levant et du Couchant et du Nord
et du Midi et ils s'étendront pour manger dans le royaume ou le règne de Dieu...

Cependant le Rabbi marque une étape nouvelle dans la genèse de la malkouta di-schemaiia
à propos de Iohanan, l'ascète du désert de Juda qui plongeait les pénitents dans les eaux du
Jourdain.

Luc 7, 26 : Mais qu'est-ce que vous êtes allés voir ? Un prophète ? Oui, je le dis à vous,
et plus encore qu'un prophète. C'est lui qui est celui dont il est écrit : [Malachie 3, 1] Me
voici qui envoie mon messager et il va déblayer la route devant ma face et tout d'un coup
il viendra dans son Temple, le seigneur que vous, vous recherchez et le messager de
l'alliance que vous, vous désirez. Voici qu'il vient, — a dit YHWH des armées. — Et je
le dis à vous : Plus grand parmi les enfants des femmes, que Iohanan, personne ne l'est.
Et le plus petit dans le règne de Dieu est plus grand que lui.

Matthieu 11, 11 : Amen [en hébreu dans le texte grec], je le dis à vous : il ne s'est pas
levé parmi les enfants des femmes plus grand que Iohanan qui plonge [les pénitents dans
les eaux]. Et le plus petit dans la malkouta di-schemaiia est plus grand que lui...

La question du salut et de la perdition n'est pas du tout un accident, ne survient pas du tout
comme un accident dans l'histoire de la Création et de l'humanité. Elle est inhérente au dessein
créateur qui se réalise dans celui qui est l'Homme véritable uni à Dieu. La réalisation de ce
dessein implique de la part de l'être créé un consentement, une coopération active, une
fructification. Aussi bien celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme a-t-il été soumis à une
épreuve rapportée par Matthieu 4, 1 ; Marc 1, 12.
Le dessein créateur de Dieu ne se termine pas à une poupée mécanique ni à une
marionnette, mais à une liberté sainte unie à la liberté incréée de l'Unique, comme l'a défini le VIe
concile œcuménique. Il n'est donc pas possible de supposer que l'homme créé reçoive d'une
manière purement passive le don de la vie surnaturelle qui lui est proposé. Une possibilité d'échec
est donc impliquée dans le dessein créateur. Il ne s'agit pas ici de punition ni de châtiment. Nous
ne sommes pas au jardin d'enfants. Il s'agit des conditions requises pour que l'homme créé puisse
prendre part à la vie personnelle et éternelle de Dieu. Ces conditions objectives ne sont pas
facultatives ni arbitraires. Ce sont les conditions de la genèse, de la création d'un être capable de
prendre part à la vie personnelle de l'Unique incréé. Ce n'est pas un problème juridique. C'est un
16

problème ontologique. Ceux qui méconnaissent la finalité ultime de la Création qui se réalise
dans le ben adam, méconnaissent aussi les conditions objectives et ontologiques de la réalisation
de cette finalité et ils ramènent toute l'affaire à une question d'obéissance, de désobéissance, de
faute et de punition.
Parce que la Création ne peut s'achever que par la coopération active, libre et intelligente de
l'homme créé, il n'est même pas certain ni évident que le tout finira bien, que la Création réussira.
C'est le Rabbi qui le dit.

Luc 18, 8 : Mais le fils de l'Homme, lorsqu'il viendra, est-ce qu'il trouvera la certitude de
la vérité (hébreu émounah, grec pistis) sur la terre ?

Ce n'est pas certain, ce n'est pas évident, parce que tout dépend de la liberté humaine créée
qui coopère ou qui ne coopère pas, qui coopère librement à la Création ou qui détruit la Création.
L'avenir est donc imprévisible pour nous et nous ne pouvons pas mesurer le temps qui reste
à la Création pour être achevée, parce que cela dépend de l'activité, de la coopération active,
libre, intelligente, de l'Homme dans la suite des temps.
Le très ancien et très célèbre problème des rapports ou des relations entre la prescience de
Dieu et la liberté de l'homme repose sur ce fait : le but, la finalité ultime de la Création, c'est une
liberté sainte qui coopère activement à l'œuvre de la Création et de la divinisation. C'est cette
liberté sainte qui est réalisée dans celui qui est l'Homme véritable uni à Dieu, VIe concile
œcuménique, 681.

Pourquoi faut-il donc que l'homme soit soumis à ce risque de perdition ? Tout simplement
parce que l'homme est appelé, ou invité, ou destiné à prendre part à la vie personnelle de l'Unique
incréé, et que cette destination ne peut pas se réaliser si l'homme créé ne consent pas à cette
destination, s'il n'y coopère pas activement, librement, et intelligemment. La Création ne se
termine pas au gorille, ni à l'australopithèque, ni même à celui que nos amis paléontologistes
appellent homo sapiens sapiens. La Création se termine à celui qui est l'Homme véritable uni à
Dieu, c'est lui qui est la statue (grec eikôn, hébreu tzelem) de Dieu (2 Corinthiens 4, 4) ; la statue
(eikôn, tzelem) du Dieu invisible, le premier-né de toute la Création (Colossiens 1, 15).
Si l'on considère cet être en qui, par qui, avec qui se réalise l'union de l'Homme nouveau
créé à Dieu unique et incréé, l'intelligence discerne évidemment deux libertés, deux volontés,
deux opérations : la liberté créatrice de l'Unique incréé, et la liberté créée de l'Homme ; la volonté
de l'Unique incréé, et la volonté de l'Homme ; l'opération de l'Unique incréé, et l'opération de
l'Homme (Concile du Latran, 31 octobre 649 ; concile de Constantinople, III ; VIe concile
œcuménique, 16 septembre 681).
Paul interprète Genèse 1, 26 et 1, 27 comme un texte prophétique :

Genèse 1, 26 : Et il a dit, Dieu : Faisons de l'homme (hébreu adam sans article, grec
anthrôpon) dans [la condition de] statue (hébreu tzelem, grec eikôn) qui soit notre statue,
statue de nous (hébreu be-tzalmenou, grec kat' eikona hèmeteran) comme une
ressemblance de nous (hébreu ki-demoutenou, grec kath' homoiôsin) et qu'ils dominent
[au pluriel, ce qui prouve que pour l'auteur de ce texte l'hébreu adam n'est pas un nom
propre] sur le Poisson [au singulier] de la mer et sur l'Oiseau [au singulier] des deux et
sur le Bestiau [au singulier]...
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Genèse 1, 27 : Et il a créé, Dieu, l'Homme (hébreu ha-adam, avec l'article, grec ton
anthrôpon) dans [la condition de] statue de lui (hébreu be-tzalmô, grec kat' eikona
theou). Dans [la condition de] statue de Dieu (hébreu be-tzelem elohim, grec kat' eikona
theou), il l'a créé. Mâle et femelle il les a créés, eux.

De nouveau on observe que pour le rédacteur de ce texte, ha-adam n'est pas un nom propre
signifiant un individu singulier.

Genèse 1, 28 : Et il les a bénis, Dieu, et il leur a dit : Portez fruit et multipliez-vous et


remplissez le pays...

Genèse 1, 29 : Et il a dit, Dieu : Voici que je vous ai donné...

Dans sa première lettre aux Corinthiens, probablement contre Philon d'Alexandrie qui
prétendait le contraire, Paul explique que l'Homme dont il est question Genèse 2, 7 :

1 Corinthiens 15, 45 : Et il a formé, YHWH, Dieu, l'homme (hébreu ha-adam, grec ton
anthrôpon) poussière prise de la terre et il a insufflé dans sa narine un souffle de vie, et il
a été, l'homme, une âme vivante (hébreu le-nephesch haiiah, grec eis psuchèn zôsan).

— Paul explique que l'homme dont il est question ici, le premier homme, celui que Paul
appelle psuchikos, est bien une âme vivante. Mais l'homme qui viendra après (grec ho eschatos
adam — le traducteur de la lettre de Paul laisse le mot hébreu adam dans le texte de la traduction
grecque), il sera un esprit vivifiant.
Et Paul ajoute, probablement contre Philon d'Alexandrie :

Mais il n'est pas premier, le spirituel (grec to pneumatikon), mais c'est l'homme
nephesch haiiah qui est premier, et ensuite seulement viendra l'homme spirituel (to
pneumatikon). Le premier homme (grec ho prôtos anthrôpos) il est issu de la terre, il est
poussière. Et le deuxième homme, il vient des cieux [= de Dieu]... Et comme nous avons
porté la statue (grec eikôn, hébreu tzelem) de [l'homme] issu de la poussière, nous
porterons aussi la statue (grec eikôn) de [l'homme] qui vient des cieux [= de Dieu].

Celui que nos amis paléontologistes appellent homo sapiens sapiens, c'est celui-là que Paul
appelle paléo-anthropien, ho palaios anthrôpos, Romains 6, 6 ; Éphésiens 4, 22 ; Colossiens 3, 9,
avec ses vieilles programmations animales déchaînées, comme nous les voyons à l'œuvre plus
que jamais en cette fin du XXe siècle.

L'une des erreurs de ce qu'on a appelé l'humanisme moderne a été de s'imaginer que celui
que les paléontologistes appellent aujourd'hui homo sapiens sapiens, est l'homme terminal,
l'homme achevé, l'homme pleinement homme et qu'il n'y a rien à ajouter, rien à transformer, qu'il
n'y a pas de métamorphose à attendre ni de nouvelle naissance.
C'est sur ce point que porte le désaccord fondamental entre ce qu'on a appelé l'humanisme,
et le christianisme.
C'est une erreur toujours actuelle. L’homo sapiens sapiens n'était pas le but ultime de la
Création. Il fallait regarder plus loin, dans l'avenir de l'histoire humaine, plus haut et ailleurs que
dans les couches fossilifères.
18

Ce que l'on a appelé l'humanisme de la Renaissance était en somme un aplatissement, un


retour au platonisme et au néo-platonisme, c'est-à-dire à des philosophies selon lesquelles la
perfection, la plénitude, est dans le passé, aux origines.

Genèse 3, contrairement à l'interprétation de tendance gnostique dominante depuis Origène


d'Alexandrie chez les Grecs, et Augustin chez les Latins, n'enseigne pas une chute. Genèse 3
enseigne l'une des conditions de réalisation du dessein créateur. Il faut que l'être créé, l'animal
humain, franchisse le seuil de la connaissance réfléchie, afin que ce dessein puisse se réaliser : la
création d'un être qui puisse se tenir en face de Dieu et lui parler face à face (panim el panim).
C'est ainsi que l'a compris saint Irénée de Lyon dans son grand Traité contre les gnostiques,
Advenus Haereses, IV, 38. Pour que l'homme créé puisse consentir librement à la destinée qui lui
est proposée et y coopérer activement, il faut qu'il ait franchi le seuil de la connaissance réfléchie,
ce que la vieille langue hébraïque appelait la distinction du bon et du mauvais.

La formule de la finalité ultime de la Création est donnée, Jean 17, 21 :

Afin que tous ils soient un, comme toi, père, [tu es] en moi et moi [je suis] en toi, afin
que eux aussi en nous ils soient un...

C'est la formule de Paul.

1 Corinthiens 15, 28 : Afin qu'il soit, Dieu, tout en tous.

L'immanence réciproque de l'Homme nouveau créé et de Dieu unique et incréé, sans


confusion des personnes ni des natures, sans mélange, tel est, selon les Écritures, le sens et le but,
la finalité de la Création, sa raison d'être.
Il est bien évident dans ces conditions, si tel est le but et la finalité ultime de la Création,
que n'importe qui, n'importe comment, en faisant n'importe quoi, ne peut pas devenir participant
d'une telle communauté entre Dieu unique et incréé et l'Homme nouveau créé. Il existe donc des
conditions ontologiques de réalisation de ce dessein.
19

La nouvelle programmation

Si l'on étudie un peu attentivement les quatre Évangiles, on découvre aisément qu'ils
contiennent une nouvelle programmation qui a pour raison d'être, pour finalité, de former,
d'informer une humanité nouvelle, qui est en réalité l'humanité véritable, celle qui est voulue
depuis les origines. Cette nouvelle programmation s'oppose point par point aux antiques
programmations animales dites reptiliennes qui sont transmises génétiquement et inscrites dans le
paléo-cortex, ces programmations que des chercheurs nous découvrent depuis plus d'un demi-
siècle. Les antiques programmations animales portent sur la défense du territoire. Celui qui
s'appelle lui-même le fils de l'Homme (hébreu ben adam) nous dit lui-même qu'il n'a pas de
territoire :

Matthieu 8, 20 : Les renards, ou les chacals, ont des tanières et les oiseaux des cieux ont
des demeures. Le fils de l'Homme n'a pas où poser sa tête. (Luc 9, 58).

Les antiques programmations animales enseignent ou commandent de répondre à


l'agression par l'agression. Le Rabbi enseigne à ne pas répondre à l'agression par l'agression
(Matthieu 5, 39 ; 5,44; Luc 6, 27).
Les antiques programmations animales commandent à l'accumulation des richesses, à la
thésaurisation. Le Rabbi enseigne la pauvreté voulue, volontaire, libre, Matthieu 5, 3 ; Luc 6, 20.
Les antiques programmations animales commandent à la formation des systèmes de castes
aussi bien dans les sociétés animales que dans les sociétés humaines, que ce soit en Inde, en
Grèce ou partout ailleurs. Le Rabbi enseigne tout le contraire :

Luc 22, 25 : Les rois des nations païennes dominent sur elles... Quant à vous, il n'en sera
pas ainsi.

Dans la nouvelle création qui est en formation, sous l'action, sous l'influence de
l'information créatrice nouvelle que lui, le fils de l'Homme, communique de la part de Celui qu'il
appelle son propre père, le système des castes est aboli ; la distinction des races est abolie ; la
distinction des classes est abolie. C'est ce qu'écrira Schaoul, surnommé Paulus le petit (hébreu
ha-qatan) autour de l'année 50 de notre ère.

Galates 3, 26 : Parce que tous vous êtes fils de Dieu, par la certitude de la vérité (grec
pistis, hébreu émounah) dans celui qui a reçu l'onction, Ieschoua. Parce que vous tous
qui avez été plongés dans celui qui a reçu l'onction, c'est celui qui a reçu l'onction que
vous avez revêtu. Il n'y a plus désormais ni Judéen ni Grec ; il n'y a plus désormais ni
esclave ni homme libre ; il n'y a plus désormais ni mâle ni femelle. Car tous vous êtes un
dans celui qui a reçu l'onction, Ieschoua...

Colossiens 3, 9 : Vous avez dévêtu le vieil homme (grec ton palaion anthrôpon) avec
toutes ses actions. Et vous avez revêtu l'homme nouveau, qui est renouvelé pour la
connaissance [de celui qui est] la statue (grec eikôn, hébreu tzelem, Genèse 1, 26 ; 1, 27)
de celui qui l'a créé.

Genèse 1, 26 : Et il a dit, Dieu : Faisons de l'homme (hébreu : naaseh adam, be-


tzalmenou, grec kat'eikona hèmeteran).
20

Genèse 1, 27 : Et il a créé, Dieu, l'Homme (hébreu et-ha-adam) dans la statue de lui


(hébreu be-tzalmô, grec kat'eikona), dans la statue de Dieu il l'a créé (hébreu be-tzelem
elohim bara ôtô, grec kat'eikona theou).

Le grec kat'eikona de Paul (Colossiens 3, 10) traduit donc l'hébreu be-tzelem de Genèse 1,
26 et 1, 27. Paul poursuit :

Colossiens 3, 11 : Dans la statue de Celui qui l'a créé, — là où il n'y a plus désormais ni
Grec ni Judéen ; il n'y a plus circoncision ni prépuce ; il n'y a plus Barbare, Scythe,
esclave, homme libre... Mais toutes choses et dans tous les êtres, celui qui a reçu
l'onction, le Maschiah...

Le système des castes, des classes, la distinction des races, tout cela est désormais aboli
dans la nouvelle création qui est en cours. Et de fait, si l'on étudie l'histoire de l'Église, qui est la
nouvelle création en régime de formation, on voit aussitôt que la question des races, des classes et
des castes ne joue plus aucun rôle et cela depuis les origines. Nous avons donc changé de
programmation.

Ce que dans notre langage moderne, nous appelons les programmations animales ou
reptiliennes inscrites dans le paléo-cortex, Schaoul-Paulus dans son langage de rabbin, au milieu
du premier siècle de notre ère, l'appelait, dans la traduction en langue grecque de sa lettre
adressée à la communauté chrétienne de Colosses (2,18) : nous tès sarkos, la pensée, la mentalité,
la manière de penser de la chair. Il faut faire très attention ici que le grec sarx traduit l'hébreu
basar qui ne signifie pas ce que signifie le mot français chair aujourd'hui. L'hébreu basar, ou
encore, comme disaient nos maîtres les rabbins du Ie siècle : basar we-dam, signifie et désigne
l'homme tout entier, la totalité psychosomatique ou psychobiologique, ce que Paul appelle le vieil
homme, le paléo-anthropien (ho palaios anthrôpos), lettre aux Romains 6, 6 ; lettre aux
Éphésiens 4, 22 ; aux Colossiens 3, 9.

1 Corinthiens 15, 50 : Voici ce que je dis, frères : chair-et-sang (grec sarx kai aima,
hébreu basar we-dam) il ne peut pas hériter le royaume de Dieu... Voici que je vous dis
un secret : Tous, nous ne nous coucherons pas [pour mourir], mais tous nous serons
transformés...
21

Nietzsche

Des philosophes allemands comme Friedrich Nietzsche vont regretter amèrement l'abolition
du système des castes par ces Judéens, — trois Judéens, comme on sait, et une Judéenne ; Jésus
de Nazareth, le pêcheur Pierre, le fabricant de tapis Paul, et la mère de celui qui a été nommé tout
d'abord Jésus, appelée Maria (Zur Genealogie der Moral, Werke, éd. Karl Schlechta, II, 796).
Nietzsche déplore que le système des castes de l'Inde soit aboli par ces Judéens, ainsi que le
système des races. Nietzsche appelle, avec sa délicatesse habituelle, Mischmasch-Mensch, le
Tschandala, le hors caste, l'intouchable (Götzen-Dämmerung, 3, éd. cit., II, 980, 981). Nietzsche
se réfère aux Lois de Manu, proches des débuts de notre ère. Nietzsche vante (Götzen-
Dämmerung, 4 ; éd. cit., II, 981) l'Humanité arienne (die arische Humanität), toute pure (ganz
rein), toute originelle (ganz ursprünglich). Nous apprenons ce que signifie le concept de sang pur
(der Begrif reines Blut). Mais d'autre part, ajoute Nietzsche, il est clair : dans quel peuple la
haine, la haine des Tschandala s'est éternisée contre cette Humanité (l'humanité véritable, c'est-à-
dire l'arienne)... De ce point de vue, les Évangiles sont une source de premier rang...
Dans der Antichrist, Nietzsche revient sur la défense et la restauration du système des
castes (éd. cit. II, 1227). Il y oppose de nouveau le christianisme aux Lois de Manu (n° 57, pp.
1225-1226). Le système des castes, nous dit-il, c'est le Système de la Nature elle-même. Les
Tschandala sont de nouveau opposés aux castes des dominants, des guerriers (der Antichrist, éd.
cit. II, 1227, 1229, etc.).
Le christianisme, écrit Nietzsche (p. 1229) a été le vampire de l'Empire romain. L'Empire
romain n'a pas été suffisamment solide pour résister à la forme la plus corrompue de la
corruption, les chrétiens (p. 1229). C'est la vengeance des Tschandala (p. 1229). C'est alors
qu'est apparu Paul, la haine des Tschandala contre Rome devenue chair, devenue génie (p. 1230),
le Judéen, l'éternel Judéen par excellence (allemand der Jude, der ewige Jude)...
Ces quelques textes de Nietzsche, glanés parmi beaucoup d'autres, permettent d'entrevoir la
réaction furieuse de la vieille humanité, avec ses antiques programmations animales reptiliennes,
à la révolution introduite par le Rabbi qui enseigne, qui communique une nouvelle
programmation. Nous devons rendre hommage à Nietzsche pour a parfaite clarté avec laquelle il
formule sa haine de a nouvelle programmation, et sa préférence pour le Système des castes et les
Lois de Manu.
22

Les conditions objectives

Il existe des conditions objectives pour entrer dans le règne des deux, c'est-à-dire de Dieu
(araméen malkouta di-schemaiia, malkout ôlam, Daniel, grec basileia ton ouranôn). Le Rabbi les
enseigne à plusieurs reprises.

Matthieu 5, 20 : Car je le dis à vous : si elle n'abonde pas votre justice plus que [celle
des] lettrés et des perouschim, vous n'entrerez pas dans le règne [ou le royaume] des
cieux.

Matthieu 7, 21 : Ce n'est pas tout homme qui me dit : Maître, Maître, qui entrera dans le
règne [ou le royaume] des cieux, mais c'est celui qui fait la volonté de mon père [qui est]
dans les deux.

Matthieu 18,3: Amèn [en hébreu dans le texte grec], je le dis à vous, si vous ne vous
retournez pas et si vous ne devenez pas comme les enfants, vous n'entrerez pas dans le
règne [ou le royaume] des deux.

Marc 10, 15 : Amèn [hébreu dans le texte grec], je le dis à vous : celui qui ne recevra pas
le royaume de Dieu comme un enfant, il n'entrera pas dans le royaume de Dieu.

On observe que le traducteur de Matthieu traduit littéralement malkouta di-schemaiia par


royaume ou règne des deux. Le traducteur de Marc traduit : le royaume ou règne de Dieu.
L'araméen schemaiia et l'hébreu schamaïm, toujours au pluriel, dans ce milieu ethnique et
dans ce temps-là, sont synonymes de Dieu.

Luc 18, 17 : Amèn [hébreu dans le texte grec], je le dis à vous : celui qui ne recevra pas
lé royaume [ou le règne] de Dieu comme un enfant, il n'entrera pas dans le royaume.

Même observation : le traducteur de Luc rend 1 araméen schemaiia ou l'hébreu schamaïm


par son équivalent : Dieu.

Matthieu 7, 13 : Entrez par la porte étroite Parce qu'elle est large la porte et facile la
route qui conduit à la perdition et ils sont nombreux ceux qui entrent par elle. Combien
elle est étroite la porte et resserrée la route qui conduit à la vie et peu nombreux ils sont
ceux qui l'ont trouvée.

Ici, la vie est synonyme de l'expression royaume ou règne de Dieu.

Luc 13, 24 : Combattez pour entrer par la porte étroite, parce qu'ils sont nombreux, je
vous le dis, ceux qui chercheront à entrer et ils ne le pourront pas.

Matthieu 18, 8 : Et si ta main ou ton pied est pour toi un obstacle sur lequel tu butes,
arrache-le et jette-le loin de toi. Il est bon pour toi d'entrer dans la vie manchot ou
boiteux plus que, avec à toi deux mains et deux pieds, d'être jeté dans le feu de la durée
éternelle à venir. Et si ton œil est pour toi un obstacle qui te fait tomber, arrache-le et
23

jette-le loin de toi. Il est bon pour toi d'entrer dans la vie avec un seul œil, plus que, avec
tes deux yeux, d'être jeté dans la geï ben hinnom du feu.

La vieille expression hébraïque geï ben hinnom, ou geï hinnom, ou geï benei hinnom, la
vallée du fils ou des fils de Hinnom (Josuée 15, 8 ; 18, 16 ; 2 Rois 23, 10 ; Jérémie 2, 23 ; etc.),
n'est pas traduite dans la traduction grecque de Matthieu. Elle est seulement transcrite de l'hébreu
en caractères grecs, ce qui prouve que cette traduction de l'hébreu en grec n'a pas été faite en
première intention pour les goïm, pour les Grecs, qui ne pouvaient rien y comprendre, mais pour
les frères et les sœurs des communautés judéennes de la Diaspora de langue grecque, qui
connaissaient cette expression depuis longtemps et pour qui il n'était pas nécessaire de la traduire
en grec.

Marc 9, 43 : Et si elle est un obstacle qui te fait buter et tomber, ta main, coupe-la. Il est
bon pour toi d'entrer manchot dans la vie, plus que, avec tes deux mains, de t'en aller
dans la geï ben hinnom du feu qui ne s'éteint pas. Et si ton pied est pour toi un obstacle
qui te fait buter et tomber, coupe-le. Il est bon pour toi d'entrer dans la vie boiteux, plus
que, avec tes deux pieds, d'être jeté dans la geï ben hinnom.

Même observation : la vieille expression hébraïque geï ben hinnom n'est pas traduite dans
le texte grec de Marc. Ce qui prouve que cette traduction n'était pas destinée en première
intention aux goïm, aux Grecs qui ne pouvaient rien comprendre à cette expression, mais aux
frères et aux sœurs des communautés judéennes de la Dispersion.

Matthieu 19, 17 : Et si tu veux entrer dans la vie, garde les mitzwot, les commandements
de la Torah.

Matthieu 19, 23 : Amèn [hébreu dans le texte grec], je le dis à vous : un riche, c'est
difficilement qu'il entrera dans le royaume [ou le règne] des deux [= de Dieu]. Je le
répète : il est plus facile pour le chameau de passer par le trou d'une aiguille que pour le
riche d'entrer dans le royaume [ou le règne] de Dieu Et ils ont entendu, ceux qui
apprenaient avec lui, et ils ont été stupéfaits fortement et ils ont dit : Mais alors qui peut
donc être sauvé ? Et il a levé les yeux, Ieschoua, et il leur a dit : De la part de 1 homme,
ou venant de l'homme (hébreu possible me-ha-adam), cela est impossible. Mais de la
part de Dieu [ou venant de Dieu], tout est possible…

Pourquoi ? Parce que ce qu'on appelle le salut, dans ce milieu ethnique et dans ce temps-la
dans la pensée du Rabbi, c'est en réalité la nouvelle création, la création de l'Homme nouveau
Seul Dieu peut créer l'Homme nouveau à partir de 1 homme ancien que Paul appelle aussi
homme animal.

Marc 10, 23 : Combien il est difficile pour ceux à qui sont des richesses d'entrer dans le
royaume [ou le règne] de Dieu... Combien il est difficile d'entrer dans le royaume [ou le
règne] de Dieu... Il est plus facile pour le chameau de passer par le trou de l'aiguille que
pour un riche d'entrer dans le royaume [ou le règne] de Dieu. Et alors eux, c'est
extrêmement qu’ils ont été stupéfaits et ils se sont dit, chacun a son compagnon : Mais
alors qui peut être sauve . Et il a levé les yeux sur eux, Ieschoua, et il a dit : De la part de
24

l'homme, venant de 1 homme c'est impossible, mais non de la part de Dieu. Car tout est
possible de la part de Dieu.

Luc 18 24 : Combien il est difficile pour ceux à qui sont des richesses d'entrer dans le
royaume [ou le règne] de Dieu. Car il est plus facile pour le chameau de passer par le
trou de l'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume [ou le règne] de Dieu. Et alors ils
ont dit, ceux qui ont entendu : Mais alors qui peut être sauvé ? Et lui il a dit : Ce qui est
impossible venant de la part de l'homme est possible de la part de Dieu...

Jean 3, 1 : Et il était un homme, qui faisait partie de l'école des perouschim, Naqdimôn
son nom, prince (nasi) des Judéens. C'est lui qui est venu vers lui [Ieschoua] la nuit et il
lui a dit : Rabbi [en hébreu dans le texte grec], nous savons que c'est de Dieu que tu es
venu enseigner. Car personne ne peut faire ces signes que toi tu fais s'il n'est pas, Dieu,
avec lui. Et il a répondu Ieschoua et il lui a dit : Amèn, amèn [en hébreu dans le texte
grec], je le dis à toi : Si quelqu'un ne naît pas d'en haut (hébreu mi-le-maelah) [= de
Dieu], il ne peut pas voir le royaume [ou le règne] de Dieu...

Jean 3, 5 : Et il a répondu, Ieschoua : Amèn, amèn, je le dis à toi : Si quelqu'un ne naît


pas de l'eau et de l'esprit, il ne peut pas entrer dans le royaume [ou le règne] de Dieu...
Ce qui est né de la chair (grec sarx, hébreu basar) est chair et ce qui est né de l'esprit est
esprit...

Ce qui donne en langage moderne : ce qui est issu de l'ordre biologique appartient à l'ordre
biologique. Ce qui est issu de l'Esprit de Dieu appartient à l'ordre de l'Esprit de Dieu. L’homme
est un être inachevé
L'homme naît homme animal. Il est appelé, invité, à effectuer une transformation, une
métamorphose, qui fera de lui un être capax Dei, c'est-à-dire capable par création ou par nature
de recevoir par don la participation à la vie personnelle de l'Unique incréé.
C'est la théorie que Schaoul-Paul va développer dans ses lettres.

Le problème est donc très simple. L'Homme est un être inachevé. Il est appelé ou invite à
prendre part à la vie personnelle de l'Unique incréé. Pour que cela soit possible, il faut que
l'homme consente à une métamorphose, à une transformation, à une nouvelle naissance, à une
nouvelle création qui le rende capable de prendre part à la vie personnelle de l'Unique incréé.
L'Homme créé pour une telle destination, qui est proprement surnaturelle, ne peut pas se
contenter de recevoir passivement le don de la Création, précisément parce qu'il est invité par
grâce à devenir pour Dieu unique un vis-à-vis à qui Dieu puisse parler face à face, panim el
panim.
Pour réaliser ce dessein, il faut que l'homme consente au don de la Création ; qu'il ratifie le
don de la Création ; qu'il coopère activement et intelligemment au don de la Création ; qu'il
consente à l'invitation qui lui est adressée ; qu'il ratifie le don de la divinisation qui lui est proposé
; qu'il coopère activement et intelligemment à cette métamorphose, à cette transformation, à cette
nouvelle naissance d'en haut, à cette nouvelle création que Dieu unique opère en lui.
Parce que s'il ne coopère pas activement et intelligemment, alors il ne sera jamais pour
Dieu un vis-à-vis à qui il puisse parler face à face.
Il ne suffit donc pas d'être pardonné pour nos fautes. Encore faut-il être capable,
ontologiquement, de prendre part à la vie personnelle de l'Unique.
25

Ce n'est pas un problème de morale. Ce n'est pas un problème de droit. C'est un problème
d'être.

Matthieu 25, 14 : Parce que c'est comme un homme qui est parti en voyage. Il a appelé
ses serviteurs et il leur a donné ses richesses. À l'un d'entre eux il a donné cinq kikkar
(pluriel kikarim, Exode 25, 39 ; 37, 24 etc. ; traduction grecque talanton, pluriel talanta,
poids légal de 26 kg à Athènes au Ve siècle avant notre ère). À l'autre il a donné deux
kikkarim ; à celui-là un seul kikkar. À chacun il a donné selon sa capacité. Et puis il est
parti en voyage.

Et aussitôt il est allé, celui qui a reçu cinq kikarim et il les a fait travailler et il a gagné
cinq autres kikarim. Et de même celui qui avait reçu deux kikarim les a fait travailler et il
a gagné deux autres kikarim. Et celui qui a reçu un kikkar il s'en est allé, il a creusé la
terre et il a caché l'argent de son maître. Et après un long temps il est revenu le seigneur
de ces serviteurs et il les a convoqués pour rendre des comptes avec lui. Et il s'est avancé
celui qui a reçu le cinq kikarim et il a présenté cinq autres kikarim et il a dit : Voici les
cinq autres kikarim que j'ai gagnés. — Et il lui a dit, son maître : Bravo, serviteur bon et
de qui on peut être certain (hébreu neeman). Pour peu de choses tu as été tel qu'on peut
être certain de toi (hébreu neeman). Sur de nombreuses choses je t'établirai. Entre dans la
joie de ton maître. — Et il s'est avancé aussi celui qui a reçu deux kikkarim et il a dit :
Maître, ce sont deux kikkarim que tu m'as donnés. Voici les deux autres kikarim que j'ai
gagnés. — Et il lui a dit, son maître : Bravo, serviteur bon et dont on peut être certain.
Sur de petites choses tu as été quelqu'un dont on peut être certain, sur de nombreuses
choses je t'établirai. — Et il s'est avancé lui aussi celui qui a reçu un seul kikkar et il a dit
: Maître, je te connais. Je sais que tu es un homme dur, tu récoltes là où tu n'as pas semé
et tu rassembles là où tu n'as pas dispersé. Et alors j'ai eu peur et je suis parti et j'ai caché
ton kikkar dans la terre. Voici est à toi ce qui est à toi. — Et il a répondu le maître et il lui
a dit : Mauvais serviteur et paresseux. Tu savais que je récolte là où je n'ai pas semé et
que je rassemble là où je n'ai pas dispersé. Il te revenait donc, il t'appartenait de jeter
mon argent sur les tables des banquiers et alors moi, quand je serais revenu, j'aurais reçu
ce qui m'appartient avec les intérêts. Enlevez donc à celui-ci le kikkar et donnez-le à
celui à qui appartiennent déjà les dix kikkarim. Car tout homme à qui il est, il sera donné
et il sera dans l'abondance. De celui à qui il n'est rien, même ce qui est à lui, cela lui sera
enlevé. Et le serviteur qui n'est bon à rien (peut-être hébreu ha-beliial), jetez-le dehors
dans la ténèbre extérieure.

Ceux qui pendant des siècles et surtout depuis les derniers siècles ont voulu réduire le
christianisme à une affaire de jardin d'enfants (allemand Kinder-Garten) avec interdits, punitions
et récompenses pour le ridiculiser et le déshonorer, n'y ont rien compris. Il s'agit en réalité d'un
problème d'être : la création par l'Unique d'un être qui puisse se tenir en face de lui et qu'il puisse
inviter à prendre part à sa propre vie. Il est évident que cet être ne sera réellement un être que s'il
porte fruit, s'il a la dignité d'être cause, dignitatem causandi, comme l'écrivait saint Thomas
d'Aquin, s'il coopère activement et intelligemment à sa propre création, comme l'a montré
Maurice Blondel dans l'Être et les êtres. Il s'agit d'un problème d'ontogenèse et non d'un
problème de morale ni de droit.
Et donc le problème du salut et de la perdition se pose d'une manière inévitable. Parce que
l'être créé pour cette destination proprement surnaturelle, la participation à la vie de l'Unique
26

incréé, ne peut pas être dispensé de consentir librement et de coopérer activement au don de la
Création et de la divinisation.
S'imaginer que l'être créé pour une telle destination puisse recevoir d'une manière purement
passive le don de la Création et le don de la divinisation est une absurdité métaphysique. C'est
pourquoi les Pères du concile de Trente, en 1547, ont défini solennellement cette nécessité
métaphysique de la coopération active de l'homme à la grâce qui le sanctifie et donc le divinise :

Si quelqu'un s'avisait de dire que le libre arbitre de l'homme mû par Dieu et excité par
Dieu ne coopère en rien en accordant son assentiment à Dieu qui excite et qui appelle...
Mais que comme une chose inanimée il ne fait rien, il n'agit en rien, mais qu'il se
comporte d'une manière totalement passive...

Si quelqu'un s'avisait de dire que le libre arbitre de l'homme après la faute d'Adam est
perdu et éteint, ou que c'est une chose de pure convention, un titre factice ; bien plus un
titre sans réalité, enfin une fiction introduite par Satan dans l'Église...

Si quelqu'un s'avisait de dire que par la foi seule l'impie est justifié, de telle manière qu'il
entende par là que rien d'autre n'est requis, rien par quoi l'homme coopère pour obéir à la
grâce de la justification et que de sa part il n'est aucunement nécessaire qu'il se prépare
par le mouvement de sa propre volonté et qu'il s’y dispose... — il est hors du corps de la
pensée de l'Église (latin anathema, grec anathèma, hébreu herem).

C'est pourquoi celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme dit :

Luc 18, 8 : Mais le fils de l'Homme, lorsqu'il viendra, est-ce qu'il trouvera la certitude de
la vérité sur la terre ?

Les jeux ne sont pas faits. La question reste ouverte parce que ce dont il s'agit, c'est de créer
une liberté sainte et qu'une liberté sainte ne peut pas être contrainte.
C'est la raison aussi pour laquelle celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme, lorsqu'on
l’interroge sur l’avenir, sur le jour et l’heure, dit ceci :

Matthieu 24, 36 : Et au sujet de ce jour-là [le jour de YHWH] et au sujet de l'heure,


personne ne sait, ni les messagers des deux ni le fils, mais seulement le père [= Dieu].

Marc 13, 32 : Et au sujet de ce jour-là ou de l'heure, personne ne sait, ni les messagers


[qui sont] dans les cieux ni le fils, personne si ce n'est le père.

Ceux qui, à la suite de Philon d'Alexandrie, d'Origène d'Alexandrie et d'Arius d'Alexandrie,


ont décidé d'appeler fils de Dieu le propre logos de Dieu, doivent être bien embarrassés, car dans
leur système cela donne : le logos de Dieu ne sait pas ce que Dieu sait.

Puisqu'il s'agit de la création d'une liberté sainte, et que cette liberté sainte doit coopérer
activement et intelligemment à l'œuvre de la Création, la question reste donc ouverte de savoir
quand sera terminée la Création. Deux libertés entrent en jeu : l'unique liberté incréée de l'Unique
incréé, — et la liberté créée qui coopère ou qui ne coopère pas à l'œuvre de la Création. Le temps
27

de l'histoire humaine est la durée de la coopération de la liberté humaine créée à l'œuvre de la


Création, ou de l'opposition de la liberté créée à la Création continuée et inachevée.
Le fond du problème est en somme simple. Il s'agit de faire passer l'Homme, du stade
animal, ce que Paul appelle ho psuchikos anthrôpos (1 Corinthiens 2, 14) au stade proprement
humain, que Paul appelle l'Homme nouveau, ho kainos anthrôpos (Éphésiens 2,15 ; 4,24). Cette
transformation, cette métamorphose (Paul aux Romains 12, 2, qui transforme le vieil homme,
l'homme ancien, ho palaios anthrôpos, Romains 6, 6 ; Éphésiens 4, 22 ; Colossiens 3, 9) est
évidemment une œuvre de création. Dieu seul est créateur. Dieu seul peut donc opérer cette
transformation, cette métamorphose, qui est une nouvelle création, kainè ktisi (2 Corinthiens 5,
17 ; Éphésiens 2, 15 ; Galates 6, 15).
Il ne faut donc pas s'imaginer que la pratique des commandements de la sainte Torah peut
suffire pour réaliser en nous cette nouvelle création.
À cette nouvelle création, l'Homme doit coopérer activement et intelligemment, parce que
si l'Homme ne coopère pas à cette nouvelle création, s'il reste passif comme une souche, alors
l'Homme nouveau ne se réalise pas en lui. Ce qui est nouveau dans l'Homme nouveau et
véritable, c'est que celui-ci consent à l'œuvre de la Création, ratifie librement le don de la
Création, consent à l'œuvre de la transformation et coopère librement et activement à l'œuvre de
cette transformation qui est une nouvelle création.
C'est ainsi que l'Homme devient véritablement un être, comme Maurice Blondel l'a montré
dans son livre l'Être et les êtres.
Il n'y a d'être au sens authentique du terme que celui qui est capable d'action et d'efficace
causale.
Pour que l'Homme ancien passe de l'état d'homme animal à l'état nouveau d'Homme
véritable, c'est-à-dire pour qu'il sorte de l'animalité, il faut tout d'abord que l'Homme ancien
franchisse le seuil de la connaissance réfléchie.
La question du salut et de la perdition a trop souvent été traitée, depuis des siècles, en
termes de punition et de châtiment. En réalité si on lit attentivement les textes qui rapportent les
paroles du Rabbi, on voit qu'il s'agit bien d'un problème de Création : à quelles conditions le vieil
homme, l'homme ancien, celui que les paléontologistes appellent sapiens sapiens, va-t-il entrer
dans l'économie de ce que le Rabbi appelle la malkouta di-schemaiia, c'est-à-dire le règne final de
la Création, le règne terminal, l'achèvement de la Création, la création de l'Homme véritable ?
On traitait la question du salut et de la perdition en termes de châtiment ou de punition parce
qu'on supposait à tort que la création de l'homme a été achevée à l'origine, il y a quelques milliers
d'années dans l'hypothèse ancienne, et qu'il n'y a plus qu'à réparer ce qui a été cassé, ou restaurer
ce qui a été abîmé. C'est donc bien le schéma gnostique qui a prédominé et qui a empêché de saisir
l'enseignement du Rabbi.
La question n'est donc pas tellement de savoir si nous allons être châtiés après notre mort
ou non. La question est de savoir si nous aurons réussi à devenir l'Homme conforme au dessein
créateur ; si nous aurons coopéré activement et intelligemment à la création de l'Homme
véritable. C'est un problème d'être, non un problème juridique. Si nous n'avons pas réussi à
réaliser l'Homme véritable, si nous n'avons pas réussi le passage, la transformation, de l'homme
animal, l'ancien, le paléo, en Homme nouveau, le véritable, nous aurons beau demander pardon.
Ce n'est pas seulement du pardon que nous aurons besoin, mais d'une nouvelle création. Le point
de vue juridique ou simplement moral est donc totalement insuffisant pour comprendre le
problème posé. C'est pourquoi Immanuel Kant est passé complètement à côté de la question,
parce qu'il n'avait apparemment aucune idée de la destinée surnaturelle de l'homme, de la
destination surnaturelle de l'homme, de la finalité de la Création, c'est-à-dire l'essence du
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christianisme. Il a réduit le christianisme à n'être qu'une morale, ce qui est une inversion et une
destruction.

Le Rabbi enseigne par ses meschalim que l'information créatrice nouvelle qu'il
communique transformera lentement et progressivement l'humanité tout entière, la pâte humaine ;
que cette transformation rencontrera des résistances violentes ; et que finalement les jeux ne sont
pas faits. La question est posée. Pour nous qui venons vingt siècles plus tard, nous vérifions la
vérité de ce qu'il a annoncé dans ses meschalim qui sont aussi des prophéties.
Ce qui est tout à fait nouveau pour nous en cette fin du XXe siècle, c'est que nous apercevons
désormais les événements de l'histoire dans le système de référence des longues durées. Augustin
et les théologiens latins ultérieurs pensaient dans un système de référence qui est le système
solaire, dont ils supposaient la durée de quelques milliers d'années. Nous sommes tenus de penser
désormais dans le système de référence de l'Univers qui est constitué de milliards de galaxies : un
gaz de galaxies, et dont l'âge se compte en milliards d'années. Nous avons pris l'habitude des
longues durées. Nous avons vu les groupes zoologiques qui naissent, se développent, recouvrent
la planète, dominent, et puis disparaissent ; nous nous demandons pourquoi. Nous avons vu les
empires qui naissent, se développent, dominent, écrasent, et puis disparaissent. Ils devaient soi-
disant durer mille ans. Ils durent dix ans ou soixante-dix ans. Nous avons appris que pour faire
l'Homme il a fallu plusieurs millions d'années et ce n'est pas fini, loin de là. Les groupes
zoologiques se relaient les uns les autres. Les civilisations se relaient les unes les autres.
Dans cette longue histoire, quelque chose se forme, un peuple, créé, constitué par une
nouvelle information, une espèce, un type nouveau d'humanité. Nous avons découvert que F
anthropogenèse se fait ou s'effectue par étapes et nous apercevons que le peuple hébreu, le
phylum hébreu, est une étape de la Création, la dernière, et que donc le peuple hébreu exerce une
fonction, il a une place, une raison d'être dans l'histoire de la Création, ce qui explique la
détestation dont il est l'objet de la part des nations païennes qui pratiquent les sacrifices humains,
la sorcellerie, la divination, et qui interrogent les morts (Deutéronome 18, 9). Nous ne pensons
plus en termes de réparation. Nous pensons en termes de Création, et de Création continuée. Qu'il
existe des conditions objectives, des conditions ontologiques pour entrer dans la malkouta di-
schemaiia, c’est ce qui est évident et certain. La création de l'homme n'est pas achevée. L'homme qui
est capable de prendre part à la vie de Dieu, qui est la vie unique, doit avoir consenti à sa propre
création, avoir ratifié librement le don de la Création ; consenti à la transformation, à la nouvelle
naissance, à la création de l'Homme nouveau en lui, à la métamorphose ; avoir coopéré
activement et intelligemment à cette création de l'Homme nouveau en lui ; avoir porté fruit.
Si le dessein de l'Unique créateur est de créer un être qui soit pour lui-même un vis-à-vis, à
qui il puisse parler face à face, panim el panim ; qui soit pour lui un autre lui-même, alors bien
évidemment des conditions sont requises pour que se réalise un tel dessein. N'importe qui n'entre
pas n'importe comment dans la durée du monde qui vient, be-olam ha-bah, comme disaient nos
maîtres les rabbins du premier siècle de notre ère. Ce n'est pas un tapis roulant sur lequel, quoi
qu'on fasse, vautré ou debout, on arrive de toute façon à l'étage désiré.
Il existe des conditions de réalisation du dessein créateur, qui sont proprement
métaphysiques.
Dans notre expérience, depuis bientôt vingt siècles, nous constatons que par milliers, par
dizaines de milliers, par centaines de milliers, des garçons et des filles, des hommes et des
femmes, ont effectué, plus ou moins complètement, cette métamorphose, cette transformation. Ils
ont consenti et coopéré librement et activement à la création de l'Homme nouveau en eux,
conformément à l'information créatrice communiquée par celui qui s'appelait lui-même le ben
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adam, le fils de l'Homme. Et ainsi ils sont devenus conformes (grec summorphous) à celui qui est
le Germe de la nouvelle humanité (hébreu tzemah).

Paul, lettre aux Romains 8, 29 : Ceux qu'il a connus à l'avance, et il a lié un lien sur son
âme, à l'avance [en sorte qu'ils soient] conformes (grec summorphous) à la statue (grec
eikôn, hébreu tzelem) de son fils, en sorte qu'il soit, lui, le premier-né parmi un grand
nombre, une multitude de frères.

De fait, depuis bientôt vingt siècles, par milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers,
les garçons et les filles, les hommes et les femmes, qui ont consenti à cette métamorphose,
constituent un nouveau type d'humanité, une nouvelle espèce d'humanité, qui n'est pas semblable
à celle qui est fort bien représentée autour de l'année 40 par Caïus Caligula, ou, un peu plus tard,
par Néron, — pour ne prendre que des exemples relativement anciens, afin de ne choquer
personne.
La transformation, qui est la création de l'Homme nouveau, s'effectue par communication
d'information nouvelle. Elle est communiquée par celui qui est le Germe. Et ceux qui ont été
suffisamment transformés peuvent dire, comme Schaoul-Paul l'écrivait, peut-être autour de
l'année 50, dans sa lettre aux communautés chrétiennes de la Galatie :

Galates 2, 20 : Je ne vis plus, moi, mais celui qui vit en moi, c'est celui qui a reçu
l'onction (hébreu maschiah, grec christos).

Il s'agit donc d'une véritable trans-substantiation.


On pourrait fort bien étudier d'une manière positive, comme disait Auguste Comte,
expérimentale, scientifique, ces milliers de garçons et de filles qui depuis bientôt vingt siècles ont
consenti et coopéré à la création de l'Homme nouveau en eux, et ainsi on pourrait constituer une
phénoménologie et une anthropologie chrétienne objective, l'anthropologie des saints. Ils
présentent tous des caractères communs. Aucun d'entre eux ou d'entre elles ne se prend pour le
moi absolu, das Absolute Ich, pour reprendre une expression du professeur Johann Gottlieb
Fichte.

Paul, première lettre aux Corinthiens 4, 7 : Qu'est-ce qui est à toi [l'hébreu n'a pas le
verbe avoir] que tu n'aies reçu ? Et alors si tu as reçu, pourquoi te vanter comme si tu
n'avais pas reçu ?

Ils savent tous et toutes que c'est Dieu qui opère en nous et le vouloir et l'agir (lettre de Paul
aux Philippiens 2, 13). — S'ils portent fruit, en abondance, ce qui est le cas, ils se souviennent de
ce que disait leur Rabbi, rapporté par Luc 17, 10 : Et ainsi vous, lorsque vous avez fait tout ce qui
vous a été commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles.
Même leur maître et seigneur, leur Rabbi, ne se prenait pas, contrairement au professeur
Fichte, pour das Absolute Ich. Celui qui s'appelle lui-même constamment le fils de l'Homme
(hébreu ben adam) — Matthieu 8, 20 ; 9, 6 ; Marc 2, 10 ; Luc 5, 24 ; 9, 58 ; Jean 1,51 ; 3, 13 ; 3,
14 ; etc. — il prie nuit et jour Dieu qu'il appelle son propre père, Matthieu 14, 23 ; 26, 36 ; Marc
1, 35 ; 6, 46 ; Luc 3, 21 ; 5, 16 ; 6, 12 ; 9, 18 ; 9, 28 ; 9, 29 ; Jean 14, 16 ; 16, 26 ; 17, 9 ; 17, 20,
etc. Lettre aux Hébreux 5, 7.
Il distingue sa propre volonté de celle de Dieu, Matthieu 26, 39 ; Marc 14, 36 ; Luc 22, 42.
30

Celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme enseigne l'immanence réciproque de Dieu
dans le fils de l'Homme, et du fils de l'Homme en Dieu, et donc la distinction ontologique entre
Dieu unique incréé et le fils de l'homme créé qui lui est uni.

Jean 10, 38 : Afin que vous connaissiez qu'il [est] en moi, le père, et que moi [je suis]
dans le père...

Jean 14, 10 : Moi [je suis] dans le père et le père [il est] en moi... Le père qui demeure en
moi agit ses actions...

Jean 14,20 : Vous connaîtrez, vous, que moi [je suis] dans mon père et que vous [vous
êtes] en moi et que moi [je suis] en vous... (Il n'y a pas le verbe être dans la traduction
grecque, inutile en hébreu).

Jean 17, 11 : Afin qu'ils soient un comme nous [nous sommes uni-Jean 17, 21 : Afin que
tous ils soient un, comme toi, père [tu es] en moi et moi [je suis] en toi...

Lorsque le Rabbi enseigne :

Jean 10, 30 : Moi et le père [= Dieu], — nous sommes un (hébreu probable : ani we-abi
ehad anahenou, Delitzsch, sans le verbe être inutile en hébreu),

— il s'agit d'une unité par union de l'Homme véritable créé à Dieu unique incréé.
Celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme enseigne :

Jean 5, 19 : Il ne peut pas, le fils, faire quelque chose de lui-même s'il ne voit pas que le
père le fait. Ce que celui-ci [= le père = Dieu] fait, cela le fils aussi semblablement le
fait...

Et donc le fils de l'Homme se distingue objectivement de Dieu qu'il appelle son propre
père.

La question n'est donc pas tellement de savoir si nous allons être punis ou châtiés après la
mort. La question est de savoir si nous aurons réalisé l'Homme nouveau conforme au dessein
créateur ou non, c'est-à-dire si nous serons capables ontologiquement de prendre part à la vie de
l'Unique qui est l'unique vie. Ce n'est pas un problème de punition ou de châtiment. C'est un
problème d'être.
À supposer qu'il n'y ait pas de punition ni de châtiment à la sortie, à supposer que l'on
pardonne au massacreur ses massacres, et au tortionnaire ses tortures, il n'en reste pas moins que,
pardonné ou non, l'homme qui n'a pas coopéré activement et intelligemment à l'œuvre de la
Création, qui n'a pas porté fruit, qui n'a pas fait fructifier le prêt de l'être qui lui a été confié, il est
un figuier stérile ou un arbre mort. Comment peut-il, comment pourrait-il avoir part à la vie de
l'Unique Créateur ? Celui qui n'a pas porté fruit n'est même pas un être, comme l'a montré
Maurice Blondel. Ceux donc qui ont posé le problème en termes de punition, châtiment, etc.
étaient à côté de la question. Ceux qui ont posé le problème en termes juridiques n'ont pas vu
qu'en réalité il s'agit d'un problème ontologique, un problème d'ontologie génétique, comme disait
Blondel.
31

La question du salut et de la perdition n'est pas un problème juridique ni même un


problème moral. C'est un problème d'être.
La question n'est pas seulement de savoir si nous serons pardonnes ou si nous ne serons pas
pardonnés. La question première est de savoir si nous serons réellement des êtres, be tzelem
elohim.

On observera ici que l'étiquette que nous avons reçue de saint Augustin, l'expression latine
peccatum originale, recouvre précisément cette situation. Ce n'est pas une chute. Ce n'est pas une
catastrophe. Ce n'est pas une histoire gnostique. C'est un fait : nous naissons tous dans la
condition de paléo-anthropien, avec nos vieilles programmations animales et reptiliennes. Et tous
nous sommes invités à effectuer ou réaliser une véritable métamorphose, une nouvelle naissance,
qui seule peut nous rendre capables d'entrer dans l'économie de la nouvelle création qui est
définitive. Nous naissons dans un état qui précède la nouvelle naissance. Nous avons tous à
effectuer une métamorphose pour devenir l'Homme que le Créateur unique et incréé envisage
depuis l'aujourd'hui de son éternité. Cette métamorphose en nous rencontre une résistance
violente, qu'ont décrite les maîtres de la théologie mystique depuis Schaoul-Paul jusqu'à saint
Jean de la Croix. Elle rencontre dans la vieille humanité animale une résistance violente qui va
jusqu'au meurtre du messager qui porte la nouvelle information créatrice. C'est ce que l'on
observe déjà chez les anciens prophètes hébreux et, depuis les origines du christianisme, c'est ce
qu'on observe chez les missionnaires qui s'en vont au péril de leur vie porter l'information
créatrice nouvelle chez les peuples qui vivent sous le régime des antiques programmations
animales.
Non seulement nous naissons dans l'état de paléo-anthropien, pour parler comme Paul, mais
de plus, par le fait que l’homo sapiens sapiens a franchi le seuil de la connaissance réfléchie, et que
de fait il est devenu criminel, — ce que ne sont pas les grands fauves qui n'ont pas franchi le seuil
de la connaissance réfléchie —, nous naissons de fait dans une vieille humanité criminelle, dans
des sociétés criminelles, avec un héritage criminel. Comme l'écrivaient les Pères du concile de
Trente, dans la Ve Session, le 17 juin 1546, l'Homme, par le fait qu'il est devenu criminel, a perdu
la sainteté et la justice dans laquelle il avait été constitué.
Il faut donc distinguer deux choses.
— 1. Nous naissons avant la métamorphose à laquelle nous sommes invités, et en
toute hypothèse, si même l'humanité n'était pas devenue criminelle, nous étions tenus de
consentir et de coopérer à cette métamorphose parce que, comme l'écrit Paul, 1 Corinthiens 15,
50 : chair-et-sang (grec sarx kai aima, hébreu basar we-dam) il ne peut pas — le verbe
au singulier — hériter le royaume de Dieu, ni la corruption ne peut hériter l'incorruptibilité. —
C'est ce que disait le Rabbi, Jean 3, 3 : Amen amèn (en hébreu dans le texte grec), je le dis à toi, si
quelqu'un ne naît pas d'en haut [= de Dieu], il ne peut pas voir le règne ou le royaume de Dieu.
C'est un problème métaphysique.
— 2. Mais de fait l'humanité est devenue criminelle, et elle l'est, semble-t-il, de plus
en plus. Et donc l'enfant qui naît aujourd'hui —, s'il parvient à naître —, hérite du poids de
l'héritage d'une humanité criminelle, et donc, pour naître d'en haut, pour effectuer la
métamorphose qui va faire de lui, le paléo-anthropien, l'Homme nouveau conforme au dessein
créateur, il faudra qu'il renonce aux normes d'une vieille humanité criminelle, il faudra qu'il
rompe avec ce système normatif de la vieille humanité criminelle.
Il convient d'observer ici que si l'humanité, l'espèce humaine, se détruit elle-même, ce
qu'elle est en train de faire sous nos yeux, ce ne sera pas pour autant la fin du monde ou la fin de
l'Univers. Notre système solaire a environ cinq milliards d'années et notre étoile, le Soleil, a
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encore devant elle quelques milliards d'années avant d'épuiser son stock d'hydrogène. La question
qui reste ouverte est de savoir si, dans notre Galaxie, qui compte quelque cent milliards d'étoiles,
d'autres systèmes sont habités, si dans l'Univers entier constitué de centaines de milliards de
galaxies, il existe des systèmes solaires avec des êtres vivants et des êtres pensants, — ou non. À
cette heure nous n'avons, à ma connaissance du moins, aucune donnée positive concernant cette
question. Ce qui est sûr c'est que si l'espèce humaine se détruit elle-même demain, l'Univers, lui,
continuera quelque temps encore, sans elle.
33

La résistance à l'information créatrice nouvelle

La théorie de l'information est l'une des principales théories scientifiques en cette fin du XXe
siècle, surtout depuis que l'on a découvert, au milieu du XXe siècle, que les messages génétiques
qui constituent, qui font, qui commandent au développement des êtres vivants, c'est de
l'information, et de l'information quasiment sans masse. Au cours de l'histoire naturelle,
l'information augmente constamment et même d'une manière accélérée. Tout dans l'Univers est
lumière et information. La lumière elle-même est de l'information.
On avait commencé à réfléchir depuis le siècle dernier sur la dégradation de l'information,
la décomposition des systèmes composés, l'inverse de la composition, à savoir l'entropie des
systèmes.
Mais il reste à réfléchir sur un autre phénomène : la résistance à l'information. Ce
phénomène n'apparaît qu'avec l'Homme, l'animal qui a franchi le seuil de la connaissance
réfléchie, qui est programmé, qu'il le sache ou non, pour une métamorphose ; qui reçoit de
l'information créatrice qui lui est adressée par le Créateur lui-même, adressée à sa pensée, à sa
conscience, à sa liberté, et qui résiste et s'oppose à l'information créatrice nouvelle qui lui est
proposée.
Ce phénomène de résistance à l'information se discerne dans l'histoire du peuple hébreu.
L'information créatrice nouvelle communiquée provoque une réaction de rejet, une révolte, une
opposition. Cela se voit depuis l'histoire de Môscheh-Moïse qui fait sortir le peuple hébreu
d'Égypte, et c'est ensuite constant dans toute l'histoire du peuple hébreu. Cela est visible ensuite
lorsque le monothéisme hébreu est communiqué aux nations païennes. Les violentes persécutions
des premiers siècles de notre ère ne sont qu'une expression de cette résistance violente de la
vieille humanité païenne à l'information créatrice nouvelle qui est communiquée par les petites
communautés chrétiennes et les persécutions du XXe siècle de même.
La physique a établi au XIXe siècle avec Carnot et Clausius que tout système physique, tout
système biologique, tout message qui ne reçoit plus d'information tend de lui-même et par lui-
même à retourner au multiple, à la poussière. Tout ce qui a été composé tend à se décomposer.
Lorsqu'on recopie des manuscrits, les fautes de copie s'accumulent, l'information se dégrade et
diminue d'autant. On dit que l'entropie du système augmente. C'est une loi qui se vérifie dans
toute l'histoire de l'Univers et de la nature. Tout est composé, c'est-à-dire informé, dans l'Univers
et dans la nature, et tout se décompose.
L'histoire de la Révélation, l'histoire du monothéisme hébreu, nous a appris autre chose, à
savoir qu'il existe une résistance et une résistance violente à l'information créatrice. On le perçoit
dès les origines du peuple hébreu. Le peuple hébreu gémit dans le désert et ne songe qu'à
retourner à son état antérieur. L'histoire du peuple hébreu dans le désert est une histoire de
transformation de l'humanité en ce temps et en ce lieu. Cette transformation rencontre une
résistance qui va jusqu'à la mise à mort du messager. C'est ce que dit Moïse, Exode 17, 4 : Encore
un peu et ils me lapideront.
Cela se vérifie dans toute l'histoire du prophétisme hébreu. Celui qui communique à son
peuple le message qui vient de l'Unique, rencontre une résistance violente qui dans nombre de cas
va jusqu'à la mise à mort du messager.
Comment faut-il comprendre cette résistance ? À partir du moment où un être est apparu
dans l'histoire de l'Univers et de la nature, qui a franchi le seuil de la connaissance réfléchie, il
peut s'opposer à l'information nouvelle qui veut le créer nouveau, l'achever, le faire passer de
l'animalité à l'humanité. Les antiques programmations animales transmises génétiquement et
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inscrites dans le paléo-cortex qu'on appelle aussi le cerveau reptilien, s'opposent à la nouvelle
programmation transmise ou communiquée par les prophètes hébreux. Si les prophètes hébreux
sont assez régulièrement persécutés et mis à mort, cela n'est pas un hasard ni un accident. C'est
parce qu'ils communiquent la nouvelle information créatrice qui vient de l'Unique.
Le peuple hébreu tout entier qui porte pendant près de vingt siècles avant notre ère, cette
information créatrice nouvelle communiquée petit à petit par les prophètes hébreux, rencontre
cette résistance violente de la part des nations païennes. Ce qu'on appelle improprement
l'antisémitisme, c'est en réalité la détestation ou l'exécration du peuple hébreu, c'est-à-dire de la
nouvelle normative qu'il porte au milieu de nations.
L'histoire de l'Église depuis les origines va vérifier cette loi. L'expansion de l'Église qui est
un système biologique informé, va rencontrer une opposition violente de la part des nations
païennes qui ne veulent pas de cette information créatrice nouvelle que l'Église porte aux nations
païennes.
Les philosophes et les philosophies, depuis les origines et jusqu'aujourd'hui, — depuis
Celse, Plotin, Porphyre, jusqu'à Nietzsche et Heidegger —, ont joué un rôle considérable dans
cette opposition violente au monothéisme hébreu. Cette opposition est une haine spirituelle,
parfaitement exprimée par Nietzsche et Heidegger (Deshalb perhorresziere ich das Christentum
mit einem tödlichen Hass, Ans dem Nachlas, éd. Karl Schlechta, III, p. 749).
Cette haine spirituelle n'a évidemment rien à voir avec le second Principe de la
thermodynamique ni avec la matière ni avec la matérialité. Comme l'écrivait déjà Aristote, la
matière est un terme relatif : c'est ce qui entre dans une composition, ce qui reçoit l'information.
Le contraire de la grâce, ce n'est pas la pesanteur.
Cette résistance violente à l'information créatrice nouvelle qui veut faire du paléo-
anthropien l'Homme nouveau qu'il est destiné à devenir, cette opposition violente qui va jusqu'à
la mise à mort de celui qui transmet et communique l'information, entre dans le concept de
peccatum originale que nous devons sans doute à saint Augustin et qui a été précisé, affiné et
épuré par les Pères du concile de Trente.

D' où provient cette résistance violente, cette opposition violente de l'ancienne humanité
animale à l'information créatrice nouvelle qui est communiquée à l'intérieur du peuple hébreu
pendant à peu près vingt siècles ? Nous l'avons déjà indiqué, la nouvelle information créatrice est
en fait une nouvelle programmation, qui, si l'on y regarde de près, s'oppose point par point aux
antiques programmations animales reptiliennes transmises génétiquement et inscrites dans notre
paléo-cortex. On conçoit donc que l'antique humanité animale qui fonctionne selon ou
conformément aux antiques programmations animales n'aime pas ces nouvelles programmations.
Mais alors la question se pose évidemment : Pourquoi donc le Créateur unique et incréé
utilise-t-il cette méthode ? Dans un premier temps, pendant des centaines de millions d'années,
toutes les espèces animales sont programmées pour être, pour vivre en communauté, pour se
reproduire, pour chasser ou faire la cueillette, pour la défense du territoire, etc. Avec l'apparition
de l'animal qui a franchi le seuil de la connaissance réfléchie, il change les programmations, il
introduit une nouvelle programmation, qui n'est pas transmise génétiquement, qui n'est pas
inscrite dans le paléocortex, qui est transmise à l'intérieur d'un peuple, qui est transmise du père
au fils, de la mère à la fille, qui peut être reçue ou refusée, rejetée. On ne naît pas chrétien, on le
devient.
La question est ouverte.
35

Immanence

Pour qu'il y ait immanence réciproque entre celui qui s'appelle lui-même le fils de
l'Homme, et Dieu unique et incréé, encore faut-il qu'il y ait distinction.
C'est-à-dire qu'une métaphysique qui professe une immanence de Dieu dans l'Univers, dans
le peuple hébreu, dans le Temple de Jérusalem, dans le fils de l'Homme, dans l'Église qui est le
nouveau Temple, — est forcément une métaphysique de la Création. Une métaphysique qui
professe, comme dit Paul à Athènes autour de l'année 50 (Actes 17, 28 :), En lui nous vivons et
nous nous mouvons et nous sommes, — est forcément une métaphysique de la Création.
Parce que s'il n'y a pas de Création, c'est-à-dire de distinction ontologique entre l'être créé et
l'être incréé, il ne peut pas y avoir non plus d'immanence.
Une métaphysique qui rejette la théorie hébraïque de la Création ne peut pas comporter une
théorie métaphysique de l'immanence.
Une métaphysique qui rejette la théorie hébraïque de la Création, comme par exemple
Johann Gottlieb Fichte, — ne peut pas professer une théorie de l'immanence. Elle professe une
théorie de l'identité entre le moi singulier, et le Moi absolu, das Absolute Ich.
C'est exactement le contraire. Une métaphysique de l'Un est exactement le contraire d'une
métaphysique de l'Union.
Aussi bien celui qui s'appelle lui-même le fils de l'Homme ne dit-il pas : je suis l'Absolu.
Mais il dit : le Père [= Dieu], il est en moi et moi je suis en lui.
L'hérésie que les théologiens ont appelée sabellienne consistait précisément à dire que le
fils de l'Homme est identique à l'Absolu, et donc incréé.
C'est l'hérésie bien connue par les textes qui nous ont été conservés concernant Noêtos de
Smyrne, et probablement aussi Sabellios ou Sabellius, dont nous n'avons pas de document.
Si le fils est identique au Père, c'est-à-dire à Dieu, alors la naissance du fils est la naissance
de Dieu ; la souffrance du fils est la souffrance de Dieu ; la mort du fils est la mort de Dieu. C'est
pourquoi cette hérésie a été appelée patripassienne ; lettre du pape Léon, à des évêques
d'Espagne, 21 juillet 447 :

Les disciples de Sabellius sont appelés à juste titre patripassiani, ceux qui font souffrir
le Père [= Dieu], — parce que si le Fils est le Père lui-même, alors la croix du fils est la
passion du Père, quia si ipse est Filius qui et Pater, crux Filii Patris est passio.

Le mot transcendance dans les temps jadis, lorsqu'il existait des métaphysiciens qui
connaissaient leur métier, signifiait : la distinction ontologique entre l'Unique incréé et tous les
autres êtres. Ce n'est pas une question d'espace ni de lieu, c'est une question d'être. Unique est
l'Incréé. Tous les autres êtres ont reçu de lui l'existence. Les êtres de l'Univers et de la nature ne
sont pas faits de la substance de l'Unique, ils ne sont pas issus de la substance de l'Unique ; ils ne
sont pas engendrés par l'Unique incréé. Les êtres de l'Univers et de la nature ne sont pas des
parties ni des parcelles de la substance divine, pars divinae essentiae, comme le disaient les
manichéens, cités par saint Augustin.
L'immanence n'est pas contraire ni contradictoire à la transcendance. Il ne peut y avoir
immanence que s'il y a tout d'abord transcendance. Comme chacun sait, pour que les amants
soient l'un dans l'autre, encore faut-il qu'ils soient deux. Une métaphysique de l'Un ne peut pas
comporter une doctrine ou une théorie de l'immanence.
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Ce que les livres hébreux de la sainte Bibliothèque hébraïque enseignent, c'est la théorie de
la causalité, l'existence de la cause première, son action, et la distinction entre la cause première
et les causes secondes. Ils apprennent à discerner la cause première dans les événements
historiques, en mettant en relief la disproportion entre les causes secondes qui entrent en jeu, et
l'effet, le résultat produit. Ils donnent l'intelligence de la cause première, le discernement de la
cause première dans les événements historiques.

Le monothéisme hébreu comporte une doctrine ou une théorie de l'immanence depuis les
origines. Le verbe hébreu utilisé pour signifier l'immanence de Dieu dans son peuple, c'est
schakan.

Exode 25, 8 : Et ils feront pour moi un sanctuaire (hébreu miqdasch) et j'habiterai au
milieu d'eux (le verbe hébreu schakan). Nombres 5, 3 : Leur camp que moi j'habite au
milieu d'eux... Zacharie 2, 14 : Pousse des cris de joie et réjouis-toi, fille de Tziôn car me
voici je viens et j'habiterai (hébreu schakaneti, grec kata-skènôsô) au milieu de toi,
oracle de YHWH. Et s'attacheront des nations nombreuses à YHWH en ce jour-là et
elles seront pour moi un peuple et j'habiterai (hébreu schakaneti) au milieu de toi et tu
connaîtras que c'est YHWH des armées qui m'a envoyé vers toi... Deutéronome 12, 5 :
Mais seulement au lieu qu'il choisira, YHWH, votre dieu, parmi toutes vos tribus pour
mettre son nom là, pour l'habiter... Isaïe 8, 18 : De la part de YHWH qui habite sur la
montagne de Tziôn... Psaume 74, 2 : La montagne Tziôn, c'est là que tu demeures en
elle... Joël 4, 17 : Et vous connaîtrez que moi [je suis] YHWH votre Dieu qui habite
(hébreu schôken, grec kata-skènôn) dans Tziôn montagne de ma sainteté. Et elle sera,
Jérusalem, sainteté...

Mischkan, la Demeure,

Exode 25, 9 : Comme tout ce que moi je te ferai voir, l'archétype, le paradigme de la
Demeure (hébreu tabenit ha-mischkan, grec to paradeigma tes skènès)... ainsi tu feras...
Lévitique 8, 10 : Et il a pris, Môscheh, l'huile de l'onction, et il a fait l'onction de la
Demeure (hébreu ha-mischkan)...

Jean 1,1: Au commencement [de la Création] était l'acte de parler [de Dieu] et l'acte de
parler était à Dieu et il était Dieu, l'acte de parler. C'est lui qui était au commencement à
Dieu. Tout par lui a été créé et sans lui rien n'a été créé... En lui était la vie et la vie était
la lumière de l'homme...

Jean 1, 14 : Et l'acte de parler [de Dieu] homme il a été et il a habité parmi nous, au
milieu de nous (grec eskènôsen, hébreu schakan) et nous avons contemplé sa gloire,
gloire comme celle du fils unique et chéri (grec mono-genès, hébreu probable ben iahid)
issu du Père [= de Dieu], plein de grâce et de vérité (grec plèrès charitos kai alètheias,
hébreu hesed we-emet).

Jean 10, 38 : Afin que vous sachiez et que vous connaissiez qu'il [est] en moi, le père [=
Dieu], et moi [je suis] dans le père...
37

Jean 14, 8 : Et il lui a dit, Philippos : Rabbi, montre-nous le père... Et il lui a dit,
Ieschoua : Voilà tellement de temps que je suis avec vous et tu ne m'as pas connu,
Philippos ? Celui qui m'a vu a vu le père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le père ?
Est-ce que tu n'es pas certain que moi [je suis] dans le père et le père est en moi ? Les
paroles que moi je dis à vous, ce n'est pas de mon propre cœur que je les dis. C'est le
père qui habite en moi qui agit ses propres actions. Soyez certains de la vérité en moi :
moi [je suis] dans le père et le père [il est] en moi...

Jean 14,20 : Et dans ce jour-là vous connaîtrez, vous, que moi [je suis] dans mon père et
vous [vous êtes] en moi et moi [je suis] en vous...

Jean 17, 21 : Afin que tous ils soient un, comme toi, père, [tu es] en moi et moi [je suis]
en toi, afin que eux ils soient en nous...

Jean 17, 23 : Moi [je suis ou je serai] en eux et toi [tu es] en moi...

C'est la formule de la christologie orthodoxe. L'union sans mélange et sans confusion de


l'Homme véritable créé à Dieu unique incréé, est une immanence réciproque.
Pour qu'il y ait immanence réciproque de l'Homme créé et de Dieu incréé, il faut qu'il y ait
distinction ontologique. L'hérésie que l'on a appelée sabellienne consiste donc à dire que celui qui
s'appelle lui-même le fils de l'Homme (hébreu ben adam), il est identique à Dieu incréé. Dans ce
cas il s'agit d'une aventure de Dieu, d'une aliénation ou d'un exil de Dieu : c'est la théorie
hégélienne de l'incarnation reprise à ces anciennes mythologies gnostiques.
Selon l'orthodoxie, il n'y a de la part de Dieu incréé aucune modification, aucune altération,
aucune aliénation, lorsqu'il s'unit l'Homme nouveau créé. Dieu reste absolument transcendant et
simple.
Celui qui regarde cet être en qui se réalise l'union et l'immanence réciproque de Dieu incréé
et de l'Homme créé, ne voit pas l'Homme seul ni Dieu seul. Il voit celui en qui se réalise l'union
sans confusion et sans mélange de l'Incréé et du créé, c'est-à-dire la finalité ultime de la Création.
C'est la christologie de saint Paul, Colossiens 2,9 : Parce qu'en lui [celui qui a reçu l'onction]
habite (grec katoikein, hébreu schakan) toute la plénitude de la divinité corporellement...
C'est en lui que se réalise la finalité ultime de la Création, 1 Corinthiens 15, 28 : Afin qu'il
soit, Dieu, tout en tous...
C'est le contraire du panthéisme. Le panthéisme consiste à dire que le tout est Dieu, que
l'Univers est Dieu, que l'Univers est divin, que Dieu est identique au tout, à l'Univers.
Le monothéisme hébreu dit exactement le contraire. Il dit et il enseigne depuis les origines
que l'Univers physique n'est pas divin, qu'il n'est pas Dieu, qu'il n'est pas l'Être pris absolument.
Et parce qu'il enseigne cette distinction entre l'Univers physique et l'Unique incréé, il peut
aussi enseigner l'immanence réciproque de Dieu et du crée.
Pour qu'il y ait immanence, il faut qu'il y ait distinction.
Pour qu'il y ait amour entre Dieu incréé et l'Homme créé, encore faut-il qu'il y ait
distinction. C'est bien ce que reconnaît Spinoza :

Court Traité, II, chapitre 24, 3 : Si nous disons cependant que Dieu n'aime pas les
hommes, cela ne doit pas être compris comme s'il les abandonnait, pour ainsi dire, à eux-
mêmes, mais en ce sens que, l'homme étant en Dieu conjointement à tout ce qui est, et
Dieu étant formé de la totalité de ce qui est, il ne peut y avoir d'amour proprement dit de
38

Dieu pour autre chose, puisque tout ce qui est ne forme qu'une seule chose, à savoir Dieu
lui-même. (Traduit du hollandais par Ch. Appuh)

Non seulement il y a immanence de Dieu dans son peuple chéri, mais il y a aussi
immanence des êtres que nous sommes en lui. C'est ce que dit Paul à Athènes autour de l'année
50 :

Actes 17, 27 : Pour chercher Dieu, pour voir s'ils vont tâtonner et le trouver, et en réalité
il n'est pas loin de chacun d'entre nous. Car en lui nous vivons et nous nous mouvons et
nous sommes...

C'est ce qu'analysera saint Thomas :

Somme théologique, I, question 8, article 1 : Dieu est dans tous les êtres, non pas certes
comme une partie de l'essence [de Dieu], ni comme un accident, mais comme celui qui
agit ou opère, est présent à celui dans lequel il agit... Étant donné que Dieu est l'acte
même d'être ou d'exister par sa propre essence, il faut que l'exister créé soit son propre
effet... Cet effet, Dieu le cause dans les êtres non seulement lorsqu'ils commencent
d'exister, mais tout aussi longtemps qu'ils sont conservés dans l'exister... Aussi
longtemps qu'un être a l'existence, aussi longtemps il faut que Dieu lui soit présent...
L'acte d'être ou d'exister est ce qui est le plus intime à chaque être et ce qui au plus
profond se trouve à l'intérieur de tous les êtres... D'où il résulte que Dieu est dans tous les
êtres et d'une manière intime...

L'immanence de l'action créatrice et opératrice de Dieu à l'intérieur de l'action coopératrice


de l'homme est formulée à plusieurs reprises.

Actes 14, 27 : Et lorsqu'ils sont arrivés ils ont réuni la communauté et ils ont fait
connaître ce qu'il a fait, Dieu, avec eux, et qu'il a ouvert pour les païens la porte de la
certitude de la vérité...

Actes 15, 4 : Et lorsqu'ils sont arrivés à Jérusalem ils ont été reçus par la communauté et
les envoyés et les anciens et ils ont fait connaître ce que Dieu a fait avec eux...

Actes 15, 12 : Et alors elle a fait silence toute l'assemblée et ils ont écouté Bar-naba et
Paul [Bar-naba en tête, c'est un document ancien] qui ont raconté tout ce qu'il a fait,
Dieu, comme signes et miracles parmi les païens par leurs mains...

1 Corinthiens 12, 6 : C'est le même Dieu qui opère toutes choses en tous...

Éphésiens 1,11: Celui qui opère toutes choses selon la décision de sa volonté...

1 Corinthiens 12, 11 : Tout cela, celui qui l'opère, c'est l'unique et le même Esprit...

Galates 2, 8 : Car celui qui a opéré ou agi en Pierre pour la mission de la circoncision, il
a opéré aussi en moi pour aller vers les païens...
39

Galates 2, 5 : Celui qui vous a communiqué l'Esprit et qui opère des actes de puissance
en vous...

Éphésiens 3, 20 : À celui qui a la puissance de faire au-delà de tout, au-delà en


surabondance de ce que nous demandons ou pensons selon la puissance qui opère en
nous, à lui la gloire...

Philippiens 2, 13 : Car c'est Dieu qui opère en vous et le vouloir et l'agir...

2 Corinthiens 12, 9 : Elle te suffit, ma grâce. Car la puissance [de Dieu] c'est dans la
faiblesse [de l'homme] qu'elle trouve sa plénitude...

C'est une loi constante dans l'histoire du peuple hébreu. Le Dieu d'Abraham utilise des
causes secondes faibles et fragiles pour réaliser des actions puissantes afin que l'homme ne
s'imagine pas qu'il est, lui, la cause première.
L'action créatrice et opératrice de Dieu qui opère à l'intérieur de l'histoire humaine, ne se
substitue pas à l'action coopératrice de l'homme. Au contraire elle la suscite, elle la crée, parce
que le but de la Création ce n'est pas pour Dieu de se substituer lui-même à sa Création, mais de
réaliser une liberté sainte capable de porter fruit.
C'est ce que Blondel a appelé le problème capital de la métaphysique chrétienne : la
création d'une liberté capable d'action.
Si on dit que l'homme ne coopère pas à la Création, alors on annule la Création. La
Création est» dans ce cas-là une fiction, un songe, un fantasme, mais non une réalité.

Plusieurs textes enseignent la présence réelle.

Matthieu 18, 19 : Si deux se mettent d'accord parmi vous sur la terre au sujet de toute
parole (grec pragma, hébreu al kôl dabar) qu'ils demanderont, cela leur sera accordé de
la part de mon père qui [est] dans les cieux (hébreu sche-ba-schamaiim). Car en tout lieu
où deux ou trois sont réunis en mon nom, là je suis au milieu d'eux...

Matthieu 25, 40 : Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces frères qui sont les miens
les plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait...

Matthieu 25, 45 : Chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ceux-ci les plus petits,
c'est à moi que vous ne l'avez pas fait...

Le but de la Création, la finalité ultime de la Création, c'est l'immanence réciproque, sans


mélange, sans confusion des natures ni des personnes, de Dieu unique incréé et de l'homme créé :
Dieu tout en tous, hina hè ho theos ta panta en pasin (1 Corinthiens 15, 28) :

Afin que tous, ils soient un, comme toi, père [tu es] en moi et moi [je suis] en toi, et que
eux en nous ils soient (Jean 17, 21).

Non seulement la transcendance n'exclut pas l'immanence, mais bien au contraire, ce que
veut le Transcendant, c'est l'immanence sans mélange et sans confusion de l'être créé, son union à
l'Unique incréé. C'est ce qu'enseignait déjà Schir ha-Schirim, le Chant des Chants. La Création se
40

termine par l'union de l'Homme nouveau créé à Dieu unique incréé et l'immanence réciproque de
l'Homme créé et de Dieu incréé.
Le monothéisme hébreu est une métaphysique, et la mystique chrétienne orthodoxe
implique, présuppose et comporte cette métaphysique de la Création, de la transcendance et de
l'immanence, que l'on trouve analysée par exemple chez Thérèse d'Avila et Jean de la Croix. La
mystique chrétienne orthodoxe est fondée sur la christologie orthodoxe.

Le très célèbre et très ancien problème du mal doit évidemment être traité maintenant à
partir de tout ce que nous savons de l'histoire de l'Univers et de la nature, c'est-à-dire l'histoire de
la Création, environ vingt milliards d'années. Le mal apparaît tardivement dans cette histoire,
avec les systèmes nerveux suffisamment développés. Il doit être traité aussi à partir de ce que
nous savons de l'avenir de la Création, c'est-à-dire de sa finalité. La finalité de la Création n'a
jamais été de nous installer confortablement sur notre minuscule Planète dans notre
microscopique système solaire, qui existe depuis environ cinq milliards d'années et qui n'est pas
construit physiquement pour durer très longtemps, encore quelques milliards d'années.
Il faut donc renoncer à traiter le problème du mal dans un système de référence constitué
par un cosmos imaginé achevé, terminé, depuis quelques milliers d'années. Il faut aussi renoncer
à l'hypothèse arbitraire selon laquelle la mort physique serait une annihilation. Nous n'en savons
rien et nous ne pouvons donc pas nous appuyer sur cette conjecture Nous avons des raisons de
penser que l'histoire de l'Univers et de la nature qui aboutit à des êtres pourvus de conscience
réfléchie ne se termine pas en queue de poisson dans le néant.
Nos confrères de l'athéisme n'ont pas à traiter le problème du mal, puisque depuis vingt
siècles et plus ce problème n'existe que par l'opposition supposée ou prétendue entre le
monothéisme et l'expérience du mal dans notre existence. S'il n'y a pas de monothéisme, ce qui
est l'hypothèse de l'athéisme, alors il n'y a plus de problème du mal. L'athéisme est chargé de
traiter un autre problème, un problème antérieur, qui est le problème de l'être. Comment
comprendre l'existence de ce qui est, et la réussite de tant de milliards d'êtres vivants dans
l'hypothèse de l'athéisme ? On ne voit guère aujourd'hui de philosophe athée qui se fatigue à
traiter ce problème pourtant évident et premier.

L'ascèse dans la longue tradition du monothéisme hébreu, depuis bientôt quarante siècles,
se comprend à partir de la finalité ultime de la Création. Contrairement à ce qu'enseignent les
maîtres à penser du paganisme moderne, l'ascèse, dans la tradition du monothéisme hébreu, n'est
ni une autopunition, ni une auto flagellation, ni un refoulement des instincts, ni une
autodestruction. C'est tout juste le contraire. L'ascèse est l'une des conditions du développement
de l'homme, de sa maturation, de sa transformation, de sa métamorphose par laquelle seule il peut
parvenir à la finalité qui lui est assignée. Il n'y a pas de fécondité sans ascèse, dans aucun
domaine. La fécondité d'une existence est généralement proportionnelle à l'ascèse, dans tous les
domaines. Les maîtres à penser du paganisme moderne sont parvenus à faire croire aux
populations que l'ascèse est une maladie. Comme d'habitude le mensonge est au principe de la
destruction et de l'inversion.
Si l'on méconnaît que l'ascèse a pour raison d'être la finalité de la Création, la réalisation de
cette finalité, alors on verse dans un système qui ressemble plus ou moins au platonisme, au néo-
platonisme et à la gnose. On donne comme raison d'être à l'ascèse l'idée fausse que la matière est
mauvaise, que l'existence corporelle est mauvaise, ce qui est contraire au monothéisme hébreu.
Nos gentils compagnons du paganisme, — saint Thomas d'Aquin les appelait gentiles,
traduction latine de l'hébreu goïm —, n'ont pas bien compris ce que signifie l'ascèse chrétienne.
41

Peut-être ne leur a-t-on pas bien expliqué. Ils s'imaginent qu'il s'agit d'une autopunition, d'une
autodestruction, d'une auto flagellation, d'une mutilation, et, horreur, d'un refoulement. C'est tout
juste le contraire. L'ascèse chrétienne, dans le christianisme orthodoxe évidemment, repose sur un
principe ontologique fondamental : l'excellence de la Création, et de tout ce qui est créé, l'ordre
cosmique, physique, biologique. Mais alors, diront nos gentils compagnons, pourquoi l'ascèse ?
— Parce que l'homme, animal divinisable, comme disait Grégoire de Nazianze, est un animal
inachevé. Il est appelé à une transformation, à une métamorphose, à une nouvelle naissance.
L'ascèse chrétienne orthodoxe est tout simplement la condition et la méthode de cette
transformation, de cette métamorphose. L'ascèse anticipe la durée du monde à venir, pour parler
comme nos maîtres les rabbins du premier siècle. Elle est à cet égard prophétique.

Luc 24, 25 : Et alors lui il leur a dit : Hoï [transcription grecque ômega], [hommes],
manquants d'intelligence et lourds de cœur [organe de l'intelligence] pour être certains de
la vérité dans toutes les paroles qu'ils ont dites, les prophètes ! Est-ce qu'il n'incombait
pas au Maschiah de souffrir tout cela et d'entrer [ainsi] dans sa gloire ? Et il a commencé
à partir de Môscheh et à partir de tous les prophètes et il leur a expliqué dans toutes les
écritures ce qui était dit à son sujet...

Il ne faut pas s'imaginer qu'il s'agit là d'une sorte de jeu de miroirs, l'avenir étant préfiguré
dans le passé, ou préformé. Bien plutôt convient-il de se souvenir de ce que nous ont appris les
sciences de la nature, au cours de l'histoire naturelle. Des systèmes biologiques, des organes, sont
ébauchés, qui vont trouver leur réalisation complète beaucoup plus tard. Ainsi la souffrance du
Maschiah est en effet enseignée dans les saintes Écritures hébraïques depuis longtemps, puisque
les prophètes hébreux souffrent lorsqu'ils communiquent au peuple hébreu l'information créatrice
nouvelle qui provient de l'Unique. Ils rencontrent une résistance qui va jusqu'à la mise à mort. Le
prophète hébreu, c'est l'ontogenèse du Maschiah. L'histoire du prophétisme hébreu, c'est la
phylogenèse du Maschiah. Ce qu'ont souffert Amos, Jérémie et les autres, cela va se retrouver au
terme de l'histoire du prophétisme hébreu. Et le peuple hébreu tout entier, à son tour, parce qu'il
porte l'information créatrice qui provient de l'Unique, va souffrir de la part des nations païennes.
C'est ce qu'expliquent les oracles recopiés à la suite du rouleau du prophète Isaïe, et c'est sans
doute le thème du livre de Job. Il n'y a pas préformation mais épigenèse, préparation, pré-
adaptation, ébauches de ce qui va être pleinement réalisé plus tard. Les souffrances du Maschiah
ne sont pas un accident. Elles sont constantes dans toute l'histoire du prophétisme hébreu. Elles
tiennent au conflit entre la nouvelle programmation créatrice communiquée, et les antiques
programmations animales inscrites dans le paléo-cortex du vieil homme, celui que les
paléontologistes appellent homo sapiens sapiens.

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