Vous êtes sur la page 1sur 15

Fils de la Lumière*

Le monde offre aujourd'hui de nombreux paradoxes. Le siècle qui se


termine a permis un développement considérable dans tous les
domaines de ce qui peut être source de bien-être et de savoir pour
l'homme les communications permettent de considérer la planète
comme un grand village, le savoir et le progrès technique devraient
conduire à faire face aux exigences vitales de toute l'humanité.

Et pourtant, la conjugaison quasi exclusive du verbe avoir n'a fait que


renforcer les oppositions entre les hommes, allant jusqu'à autoriser les
exclusions dont notre société commence à prendre conscience.

L'homme qui prend conscience du danger de ces oppositions, ne peut


que s'interroger sur le sens de son existence et chercher un système,
des valeurs qui pourraient s'appliquer à l'humanité pour que la société
humaine fonctionne de façon harmonieuse.

Le sens de la vie et l'ensemble des règles qui fonctionnent comme


norme dans une société sont l'objet même de la morale,

Le problème moral et les problèmes de la morale constituent le centre


de toute réflexion, puisque toute entreprise humaine, pour désintéres-
sée qu'elle se croit, est soumise à la question de savoir si elle est justi-
fiée ou non, nécessaire, admissible ou répréhensible, en accord avec
les valeurs reconnues ou en contradiction avec elles, c'est-à-dire si elle
aide à la réalisation de ce qui est considéré comme souhaitable, à la
prévention ou à l'élimination de ce qui est jugé mauvais.

Une action ou un caractère est ainsi classé(e) comme moral(e) ou


immoral(e), de même que les règles consciemment ou inconsciemment

* Conférence publique prononcée le 12 avril 1997 dans le cadre du Cercle Condorcet-


Brossolette.

47
suivies dans les actes qui expriment le caractère. Puisque ces règles ne
sont pas les mêmes pour différents individus, époques, civilisations,
sociétés, la question se pose de savoir comment découvrir un vrai bien
et une vraie morale, question à laquelle seule une réflexion systéma-
tique sur la morale, une philosophie de la morale peut répondre, le
cas échéant par la négative en niant l'existence d'une morale absolu-
ment vraie et, partant, universelle en ce qu'elle obligerait tous les êtres
humains.

Si aujourd'hui notre monde est en crise, le fondement de cette crise


est moral. L'interaction des problèmes qui se posent à l'homme est
planétaire, et la cohérence des solutions sembleraient devoir relever
d'un comportement moral applicable par tous qui exigerait donc une
morale universelle.

Celle-ci est-elle possible ? Les religions qui se veulent universelles le


prônent, mais l'on voit combien ce qui est imposé à leurs fidèles à ce
titre, loin de les éveiller à une intégration harmonieuse à l'humanité, les
retranchent souvent dans des attitudes allant jusqu'au fanatisme, qui ne
font que renforcer les oppositions entre les hommes.

Est-ce donc à dire qu'une morale universelle n'est pas possible ?

Sans doute faut-il prendre cette question d'une autre manière, et ne


plus considérer la règle morale comme devant être imposée par une
autorité extérieure, mais comme jaillissant de l'homme lui-même et
conséquence du sens même qu'il donne à la vie.

Lorsque l'homme cherche à donner un sens à son existence, il lui vient


une triple question à l'esprit qui sommes-nous, d'où venons-nous, où
allons-nous?

C'est à cette interrogation que la démarche initiatique se propose de


répondre. En fait, elle ne donne pas de solution, mais propose à ceux
qui la suivent une méthode et des étapes qui leur permettent de trouver
en eux-mêmes les réponses à ces questions.

Naturellement, l'homme est un être social il vit dans un environne-


ment où il cherche à jouer un rôle ; de tout temps, il a aussi perdu une
dimension qui le dépasse et a affirmé dès lors une dimension transcen-

48
dentale à sa nature : c'est la tension vers cette dimension qui lui donne
le sentiment de pouvoir progresser.

Entre le contexte social et l'orientation de nature spirituelle, il se com-


porte selon des mécanismes psychologiques et psychiques qui en font
sa spécificité. Ainsi, l'homme apparaît comme ayant une triple dimen-
sion dans sa nature : religieuse, psychologique et sociale.

Vouloir donner sens à l'existence et donc tenter de répondre aux trois


questions que nous avons posées tout à l'heure, c'est essayer de relier
la triple dimension de l'homme en une harmonie cohérente. C'est faire
en sorte que l'homme se tienne debout, la tête dans les étoiles et les
pieds sur le sol en toute conscience.

Le processus pour y parvenir consiste à reconnaître chacune de ces


dimensions dans leur spécificité. à travailler sur elles pour les rendre
cohérentes, et à les réunir en une synthèse consciente. C'est un pro-
cessus où l'homme opère par lui-même, sur lui-même, avec les autres.

Le processus va le conduire à reconnaître le principe dont toute chose


est issue, à se découvrir lui-même et à voir sa place dans la collectivité
humaine ; le processus va ensuite lui proposer de travailler pour
connaître ce qu'il est en potentialité, puis pour réaliser cette virtualité,
et enfin oeuvrer dans le monde conformément au principe qu'il a préa-
lablement reconnu.

Alors l'homme pourra, dans une synthèse harmonieuse de l'esprit, du


coeur et de l'action, accéder à la plénitude de l'Etre en Soi, à la
conscience d'Etre, et non simplement d'exister.

L'initiation maçonnique a pour but de conduire à cette réalisation.

L'initiation est un passage. Passage d'un état à un autre état. Selon


Raoul Berteaux dans «La voie symbolique» : «L'initié meurt à la vie
pour renaître à une autre, selon une nouvelle naissance qui n'est pas
réitération de la naissance naturelle de l'individu, mais réitération de
l'émergence dans le conscient, qui est naissance selon l'esprit. L'initia-
tion est un acte de création : l'initié est conduit à découvrir les poten-
tialités qu'il a en lui et à les actualiser en les amenant au niveau de la
conscience».

49
Cette naissance selon l'esprit est comparable à celle d'un enfant il
arrive à la vie. Ce dernier entre dans le monde de la lumière naturelle
et cette lumière est pour lui agression ; mais à force de l'utiliser pour
voir autour de lui, il va en faire un instrument de prise de conscience
de son environnement, du monde sensible.

Au niveau de l'initiation, il s'agit d'une autre forme de lumière celle de


l'esprit ; lumière spirituelle qui par l'usage de la raison va permettre à
l'initié de progresser vers la connaissance et la vérité. Il s'agit d'un pas-
sage du monde sensible au monde intelligible.

Ce que vient donc chercher l'homme en quête d'initiation est la


Lumière de l'Esprit.

Selon les Cahiers de la Grande Loge


«La fonction de la Lumière est de dévoiler un milieu où les choses
se donnent à voir. La vérité et le sens se dévoilent grâce à la
Lumière. Elle est ce pour quoi le monde prend forme, passe du
désordre à l'ordre. Le fondement même de la philosophie maçon-
nique est le «Fiat Lux» et l'»Ordo ab Chao><. La lumière repré-
sente le monde de la conscience auquel l'homme peut
accéder lorsqu'il triomphe de l'opacité de ses instincts, de
ses pulsions et lorsqu'il dirige son regard vers les formes
intelligibles qui constituent l'Ordre du Monde, dans sa
vérité et sa beauté».
Tout le cheminement du franc-maçon consiste alors par l'utilisation de
sa pensée à comprendre le Principe Spirituel qui éclaire toute chose
ceci passe par la connaissance qu'il doit acquérir de son moi comme
l'enseignait Socrate : Gnôthi Seauton,
Connais-toi toi-même
et par la prise de conscience de sa place dans le monde ; c'est par son
propre effort, par sa volonté et son intelligence qu'il peut y parvenir.

Ce qui soutient son effort est la foi en cette idée qu'il peut progresser
vers la vérité et comprendre l'ordre qui régit l'Univers grâce à la
Lumière dont le principe est ce qu'il nomme le Grand Architecte de
l'Univers.

50
Le passage que constitue l'initiation ne peut se faire que seul, car celui
qui le franchit doit pénétrer au plus profond de lui-même. Seule une
méthode peut lui être transmise, mais c'est l'expérience personnelle
d'utilisation de cette méthode qui le conduira à l'éveil, c'est-à-dire à la
réalisation de son initiation. Cette méthode est une maïeutique qui
résulte de l'échange avec les autres, chacun essayant de pousser l'autre
à exprimer ce qu'il a de plus profond en lui, sans jamais imposer ses
propres vues.

L'initiation s'appuie sur des rites conformes à la Tradition, qui mettent


en oeuvre mythes et symboles.

Selon Micea Eliade


«Le sens profond de tout rituel est clair : pour bien faire quelque
chose, il faut d'abord retourner ad originem puis répéter la cosmo-
gonie. La mort initiatique et les ténèbres mystiques ont donc une
valeur cosmologique : on réintègre l'état premier, l'état germinal de
la matière et la « résurrection » correspond à la création cosmique ».

C'est cette résurrection qui correspond réellement à l'initiation.

L'initiation maçonnique va reprendre le but qui vient d'être défini, dans


une discipline fondée sur l'action, et dans une perspective non seule-
ment de réconciliation de l'homme avec lui-même, ce qui ne serait,
sommes toutes, qu'une approche psychologique, mais de construction
de la Fraternité Universelle, ce qui exige pour l'initié de vivre totalement
le triple aspect religieux (au sens de relier), psychologique et social.

Tout le cheminement va le conduire autour de ce ternaire il va tra-


:

vailler «à la gloire du Grand Architecte de l'Univers», sur lui-même, en


relation constante avec les autres. Et progressivement, il va s'ouvrir
à la connaissance de lui-même, des autres et à la reconnaissance du
Principe
à l'amour qui l'unit au Principe en lui, et aux autres
et à l'action qui consiste à exprimer l'Idée dans la création constante
de la Fraternité Universelle.

Cette prise de conscience va se faire par l'exercice de sa pensée, et le


franc-maçon va se transformer par le jeu de sa propre réflexion, au tra-
vers de l'action et de son expérience.

51
La méthode qu'il va utiliser lui est donc par la Tradition qui est la trans-
mission d'un ensemble de moyens consacrés permettant l'approche de
la prise de conscience de principes immanents d'ordre universel. L'ini-
tiation s'appuyant sur la Tradition, rendue compréhensible par ses
symboles, est un entraînement graduel de tout l'être humain vers les
sommets de l'esprit d'où l'on peut dominer la vie.

Cette quête inlassable à laquelle se soumet le franc-maçon cette tension


vers la Lumière à la recherche de la vérité est source de liberté véritable
et de plénitude de vie.

Ainsi la quête vers la Lumière conduit l'homme à se reconstruire lui-


même et à devenir Fils de la Lumière l'objet même de sa quête
devient la source de sa propre régénération.

Cette quête, le franc-maçon la poursuit en loge,

La loge symbolique est à l'image de l'univers un lieu orienté vers la


lumière où les hommes qui se sont volontairement destinés à découvrir
cette lumière et à la mettre en oeuvre, cherchent à se connaître et à
trouver leur place selon un processus d'echange canalisé par les règles
du rituel.

C'est un lieu où se déroule un échange qui conduit chacun à prendre


conscience de ce qu'il est, de son rôle dans le groupe et de l'impor-
tance du sens qu'il donne à sa vie par l'orientation même de son
regard. Jaillissement chez chacun d'une conscience toujours plus aigile,
d'une Lumière plus intense,

Comme vous pouvez le constater, la Lumière est toujours l'élément


essentiel de la démarche du franc-maçon. Par elle, l'existence prend
sens. Par elle encore, et en considérant l'homme comme l'objet central
de ses préoccupations, le franc-maçon accède à la liberté, à la recon-
naissance de l'Egalité entre les hommes et conçoit les fondements
d'une morale individuelle basés sur la construction de l'homme par lui-
même et sur sa participation à la construction de la Fraternité,

Comme l'affirme Henri Tort-Nouguès, passé Grand Maître de la Grande


Loge de France «C'est par la recherche de la vérité dans la liberté que
l'homme peut accéder à l'universalité et par là même à la fraternité,

52
cette fraternité qui devient comme la vérité et la liberté Lumière,
Lumière de l'Esprit et Lumière du Coeur».

Ainsi le Ternaire bien connu «Liberté, Egalité, Fraternité» est l'expres-


sion de la spiritualité de l'homme et le franc-maçon, comme pour affir-
mer que cette connaissance le re-construit, se nomme lui-même, Fils
de la Lumière.

Accéder à la conscience d'être totalement le sujet de ses actes, de ses


pensées et de ses paroles, de ne dépendre en aucune manière des
conditions dans lesquelles nous place notre existence, mais en toute
circonstance savoir concilier les oppositions du monde en une synthèse
harmonieuse voilà sans doute la maîtrise de la vie à laquelle aspire
l'homme. Cette conscience-là est Liberté, elle est plénitude. A ce
niveau, nous Sommes et il n'y a pas lieu d'ajouter un qualificatif à cet
état. Mais ne croyez pas que l'on y arrive par un coup de baguette
magique, ou par une simple cérémonie d'initiation. L'initiation est
ouverture d'un chemin vers cet état et c'est par un travail constant et
persévérant d'échange avec les frères de son atelier, que le chemine-
ment se fait. Sans doute de nombreuses années sont-elles nécessaires.
Y arrive-t-on du reste ? Le plus important n'est pas d'arriver, mais de
parcourir le chemin qui nous est ouvert. La qualité essentielle à déve-
lopper est le vouloir, et ce qui nous y encourage est l'Espérance.

Le franc-maçon recherche la connaissance ; on sait qu'il ne l'obtiendra


jamais totalement et de façon absolue, mais sa Foi en l'homme et l'uti-
lisation de la raison l'aident à tenter de se dépasser sans cesse et donc
à progresser. S'il est capable de devenir le sujet de son existence, on
sait que ce qu'il Est, est en fait en perpétuel devenir et que le travail qui
s'offre à lui est une expression de ce devenir,

Ce n'est pas une chose très agréable à entendre, je le sais ; car

l'homme aimerait savoir que ce vers quoi il progresse est un état défini-
tif, absolu et immuable. Or, ce que la démarche initiatique nous offre
est au contraire un mouvement permanent : mais cette non perma-
nence des états que nous rencontrons ne sont-ils autre chose que la vie
elle-même ?

Alors le sens de la vie que nous avons cru percevoir au cours de notre
quête nous montre que nous ne pouvons trouver aucune quiétude per-

53
sonnelle, et qu'au contraire la Lumière qui guidait nos pas doit rayonner
par notre canal dans la création de l'harmonie entre les hommes,

Si le franc-maçon, par le travail sur lui-même et par l'échange qu'il a


avec ses frères, est en mesure de se reconstruire, de devenir le sujet de
sa vie, d'être Fils de la Lumière, cela n'a d'intérêt que dans une perspec-
tive universelle, Si toute cette démarche ne se limitait qu'aux frères, le
but serait terriblement égoïste et nos idéaux n'auraient guère de sens,
Seule une mise en application en toute circonstance de son existence
est de nature à rendre conforme la vie du franc-maçon avec son idéal,
De Fils de la Lumière, il doit devenir un porteur de Lumière dans le
monde. Son but est d'être un constructeur de la Fraternité humaine,
Vaste projet, mais qui est le seul auquel sa compréhension lui permette
d'adhérer.

C'est ce qu'il se donne comme mission lorsqu'il affirme que l'oeuvre


commencée dans le Temple doit se poursuivre dans le monde il ;

exprime alors que son comportement et son action doivent être sources
de progrès pour tous. Mais de quel progrès s'agit-il?

Dans le premier chapitre des Constitutions de la Grande Loge de


France, il est dit
<(La franc-maçonnerie a pour but le perfectionnement de l'humanité.
A cet effet les francs-maçons travaillent a l'amélioration constante de
la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur
le plan du bien-être matériel».

Le progrès qui nous intéresse est fondamentalement la prise de


conscience de chacun de ce qu'il est et la possibilité de l'exprimer dans
la collectivité. Cela répond donc à une aspiration profonde qui se mani-
feste aujourd'hui tant au niveau individuel qu'au niveau collectif.

Si la franc-maçonnerie a pour but le perfectionnement de l'humanité, le


préalable de toute action du franc-maçon est dès lors de se mettre à
l'écoute de cette aspiration profonde.

N'est-ce pas un signe de notre monde et de sa pauvreté spirituelle que


la manifestation de la solitude de tant d'êtres humains alors que les
conditions de vie les fait côtoyer tant de personnes nous le voyons par
la foule des villes, le déferlement des informations par les médias, et

54
parallèlement la détresse de tant et tant d'êtres humains qui n'ont jamais
pu s'exprimer ni être entendus.

Qu'ont-ils à dire de si important pour eux?


Qu'ils existent! lis ont besoin d'être entendus.
Qu'ils ont une place dans l'humanité ! Ils ont besoin d'être reconnus.
Qu'ils veulent participer à leur destin dans l'humanité ! Il leur faut les
moyens d'y parvenir.

Répondre à ce triple appel, c'est faire en sorte que les conditions


permettent à chacun de s'exprimer, que les appels soient entendus et
qu'enfin soit donnée à tous l'espérance de réaliser leur aspiration
profonde.

Pour que chacun puisse s'exprimer, il est nécessaire d'améliorer les


conditions matérielles et intellectuelles de la condition humaine.

Le bien être matériel, pour permettre à tout homme de vivre digne-


ment, c'est-à-dire que l'objet de toute évolution dans ce domaine doit
avoir comme but réel l'homme à la fois comme acteur de cette évolu-
tion et ceci pose la question du travail, de l'emploi, et comme bénéfi-
ciaire du fruit de cette évolution.

N'entrons pas dans les questions que je soulève à linstant, mais à l'évi-
dence, nous pouvons mesurer à l'aune des préoccupations majeures des
hommes de notre société, l'importance de ce chantier,

L'amélioration de la condition humaine sur le plan intellectuel est celui


du développement de la pensée. Dans un monde où les slogans, la
publicité, la pensée unique, les feuilletons telévisés, se déversent dans les
esprits remplaçant chez la plupart des individus l'usage de la raison, on
peut comprendre combien cet aspect de l'oeuvre à accomplir est impor-
tant. Ceci pose notamment le problème de l'éducation. Vaste sujet qui
est inclus comme principe dans la déclaration des Droits de l'Homme.
Mais dans son application, il y a encore tant à faire. Chacun de nous est
concerné, comme parent ou simplement comme citoyen.

Peut-il y avoir une réelle démocratie là où il existe des illettrés?

55
Peut-on imaginer des règles librement acceptées dans une société si les
individus ne se sentent pas solidaires et s'ils n'ont pas été formés à vivre
en démocratie?

L'éducation est-elle seulement un moyen de fournir des individus au


monde du travail?

L'objet premier de l'éducation ne serait-il pas d'éveiller la conscience


des jeunes, à leur apprendre à penser par eux-mêmes et à les faire
devenir des hommes, des citoyens aptes à trouver leur place dans la
société et à y oeuvrer ? Telles devraient être les préoccupations
majeures des parents et des enseignants. Ce fut la préoccupation des
instituteurs du début du siècle, qu'en est-il aujourd'hui?

Ce thème de réflexion est particulièrement important en notre veille du


2leme siècle et c'est pour la Grande Loge de France un défit la Com-
:

mission des Droits de l'Homme et du Citoyen en a fait l'objet des tra-


vaux de cette année maçonnique et un colloque aura lieu en décembre
prochain sur ce sujet,

Condition encore pour que chacun puisse s'exprimer : qu'au niveau col-
lectif il existe une démocratie véritable et une justice fondée sur les
Droits de l'Homme,

Ces droits sont la condition réelle d'une possibilité d'expression de cha-


cun et donc de la reconnaissance de la valeur de chaque expression,
Ces droits sont le fondement de la démocratie et de la justice entre les
hommes.

Il nous appartient d'être attentifs à ce qu'ils ne soient pas bafoués et au


contraire même chaque fois que nous pouvons agir dans ce sens, à tout
faire pour les mettre en oeuvre là où ils ne le sont pas.

Ces droits pour beaucoup d'hommes sont encore un luxe, voire quelque
chose qui échappe à leur entendement car leurs conditions même de vie
font que leurs préoccupations sont de tenter de survivre et de satisfaire
leurs besoins élémentaires,

Je pense à tous les pays qui sont au-dessous du seuil de pauvreté dans le
dénuement le plus complet. Ces pays sont naturellement la proie de

56
toutes les idéologies, de tous les totalitarismes. Oeuvrer pour les Droits
de l'Homme, c'est au niveau de l'économie faire en sorte qu'un nombre
accru d'êtres humains puisse accéder au niveau de vie qui leur donnera
«le loisir» de s'exprimer. Je pense aussi bien évidemment aux exclus de
notre société. Nous retrouvons ici la raison pour laquelle l'amélioration
matérielle que nous évoquions tout à l'heure est nécessaire.

J'ai parlé des Droits, et nous entendons souvent dire que l'homme
devrait d'abord reconnaître ses devoirs pour pouvoir prétendre bénéfi-
cier de droits, Je crois en fait que plus l'homme progresse et plus il
s'éveille, plus il prend conscience et par conséquent, plus sa responsa-
bilité va se développer. Et c'est alors, mais alors seulement, que la
notion de Devoir en résulte et ce concept de Devoir va devenir essen-
tiel pour l'initié,

Le Devoir n'est en effet qu'une conséquence de la prise de conscience,


en aucune manière la cause. Lorsque nous affirmons que l'homme
devrait avoir des devoirs s'il veut avoir des droits, nous disons qu'il
convient de donner à l'homme des règles qui lui sont extérieures, et ceci
peut devenir asservissement : c'est très exactement le contraire du pro-
cessus d'éveil et de libération que doit prôner l'initié.

Bien sûr, dira-t-on, la cité exige des règles, des lois ; mais plus la loi
devient contrainte, moins elle permet à l'homme de s'exprimer. La loi
doit être la règle strictement nécessaire pour que la cité vive dans l'ordre
et permettre à chacun d'avoir l'égale possibilité de s'exprimer ; au-delà,
elle asservit.

Si le maçon est devenu conscient et responsable, il a un devoir vis-à-vis


des autres hommes, celui de leur reconnaitre leurs droits

Vous le voyez, l'approche des questions que nous nous posons est fon-
dée sur la Lumière dont je disais tout à l'heure, et je me répète qu'elle
était le monde de la conscience auquel l'homme, après avoir dominé ses
instincts et ses passions, peut accéder lorsqu'il dirige son regard vers les
formes intelligibles qui constituent l'ordre du monde dans sa vérité et sa
beauté.

Je soulignais que le franc-maçon travaille enfin à l'amélioration de la


condition humaine sur le plan spirituel, et c'est bien évidemment le

57
point essentiel de son action en tant que porteur de lumière. Ce qu'il
peut apporter à ce niveau est l'espérance Espérance en l'homme en
ses potentialités, en son devenir.

Et les actions porteuses de cette espérance répondent aux deux appels


dont nous parlions tout à l'heure l'homme ayant la possibilité de
:

s'exprimer doit être entendu, et il doit pouvoir être aidé pour réaliser ses
aspirations profondes.

Si l'homme s'exprime, il lui faut une oreille attentive qui l'écoute. Pas
une écoute comme nous la voyons trop souvent qui consiste à chercher
la faille de l'expression pour dominer par une réponse. Mais une écoute
qui accepte ce qu'elle entend, qui ne juge pas, qui est vide de toute idée
préconçue, de toute réponse qui ne serait que la projection de celui qui
écoute écoute à la fois mentale et du coeur, recevant de l'autre tout ce
qu'il peut exprimer. Une telle écoute est rare, vous le savez, mais ceux
qui l'ont rencontrée savent combien elle est éveillante, combien elle per-
met à celui qui s'exprime de puiser au fond de lui-même, de prendre
conscience qu'il est accepté, reconnu et par conséquent poussé à
s'exprimer davantage et donc à progresser.

Quant à la réponse qui peut être apportée par celui qui a prêté ainsi son
oreille, elle est jaillissement de son silence intérieur, et c'est un échange
spirituel, de coeur à coeur qui se développe, apportant à l'autre l'espé-
rance d'un progrès toujours plus grand. Cette réponse est une expres-
sion de la Lumière dont le franc-maçon est porteur et sa démarche lui a
permis de cultiver cette capacité d'écoute qu'il met ainsi en oeuvre dans
son existence, Cette faculté est souvent reconnue aux francs-maçons
dans leurs activités quotidiennes mais sachez qu'elle se cultive dans nos
temples à tout moment,

Si l'écoute telle que je l'ai décrite est réellement éveillante car permet-
tant à l'autre d'exprimer ce qu'il peut du plus profond de lui-même, elle
ne saurait être le seul outil spirituel du franc-maçon dans son action. Car
en restant là il n'agirait que comme un psychanalyste. Il lui faut aller
plus loin et orienter cet éveil, Ceci par son exemple. Pour ce faire, il
faut qu'il exprime son idéal et donc l'ait réalisé.

58
Regardez un chef d'oeuvre ! Voyez que ce qui en fait l'attrait : n'est-ce
pas cet indicible qui est la véritable beauté de ce qui est contemplé ? Ne
serait-ce pas l'idée que l'artiste a voulu incorporer à son oeuvre?

Cet attrait ne nous pousse-t-il pas à vouloir à notre tour exprimer à


notre manière cet indicible?

Le franc-maçon qui cherche à vivre son idéal n'est-il pas de la même


manière un artiste qui incorpore dans la construction de lui-même cet
élément spirituel qui rayonne sur ceux qu'il rencontre et infuse en eux
un désir d'aller vers la Lumière ? Son art est l'Art Royal qui lui permet
de devenir Fils de la Lumière et par là-même d'être aux yeux de l'autre
porteur de l'idéal de Fraternité et d'Universalité,

Il va sans dire que je décris là une réalisation qui peut vous paraître
excessive, Ai-je réellement rencontré un franc-maçon me direz vous
Laissez-moi simplement souligner que si tel est notre idéal, nons avons
sans cesse à le construire progressivement avec le temps, il s'incorpore
et s'exprime, Mais c'est une longue histoire

Reprenons la description de cet idéal en expression

Le maçon qui apprend, en loge, à se ressourcer, à écouter et à voir


«plus loin» devient, sans l'avoir spécialement cherché, un être
rayonnant : Lorsqu'il se retrouve dans le monde, dans sa famille dans
son travail professionnel, dans des structures diverses, les autres ne
tardent pas à remarquer cet homme dont le comportement est parfois
jugé étrange, qui écoute, retient ne s'emporte pas, n'ouvre la bouche
que pour exprimer le nécessaire, qui manifeste le sens peu commun de
la synthèse.

Le franc-maçon vibre de l'idéal qu'il a progressivement incorporé au


cours de ses travaux en loge, et il véhicule alors une image qui peut don-
ner aux autres un désir profond de progresser.

Ce qui rayonne ainsi est ce ><supplément d'âme», cette transcendance


qui filtre par le canal de l'initié et à laquelle l'a conduit sa démarche.
C'est du domaine de l'indicible et c'est pourtant très réel. C'est là le
secret maçonnique qui fait couler tant d'encre et que beaucoup vou-
draient connaître objectivement, sans le pouvoir

59
Voilà me semble-t-il les grandes lignes de ce que le Fils de la Lumière
se doit de porter dans le monde tant par son comportement que dans
son engagement. Toute son action devrait être empreinte de cette
Lumière qu'il est venu chercher dans le Temple et qui donne sens à
son existence.

Le sujet de la morale est, vous avez pu le constater, central dans sa pré-


occupation.

Or, je posais au début de mes propos la question d'une morale univer-


seïie que pourrait transmettre la franc-maçonnerie. Je crois avoir mon-
tré que le franc-maçon en se construisant était conduit à exprimer à sa
manière, selon sa spécificité cette lumière intérieure, source de la
morale qu'il adopte en toute liberté. Mais à l'évidence, cette morale ne
saurait devenir dogme car elle ne respecterait en aucune manière le
libre choix de ceux qui devraient s'y soumettre.

La franc-maçonnerie ne formule pas la Vérité : son ambition est d'inci-


ter ses adeptes à la rechercher. Elle ne peut en faire des soldats obéis-
sant à des directives et ayant mission à les faire triompher.

Elle laisse au contraire à chacun son entière liberté, désirant avant tout
sauvegarder sa personnalité, la prise de conscience de la réalité de la
personne étant la condition première du progrès. Elle enseigne à
l'homme, par l'initiation, le devoir de se faire lui-même, de tailler sa
pierre pour la porter à la place qu'elle doit occuper dans le Grand
Temple de l'Humanité.

Elle l'incite à découvrir le fondement de toute morale : la liberté de


l'homme, avec comme corollaire le respect de sa dignité, ce qui
implique la tolérance compréhensive et exclut toute pression extérieure
à son égard.

Sur le sentier de l'initiation le franc-maçon cherche à donner sens à sa


vie ; il rencontre la Connaissance, l'Amour et l'Action il s'ouvre à leur
synthèse et devient ainsi ce qu'il Est en Vérite et en Esprit accède à la
plénitude de la conscience universelle et oeuvre selon l'intuition qui se
révèle à lui, par la loi d'Amour.

60
Son but est de construire la Fraternité Universelle en provoquant
l'envie, chez les autres, de donner à leur tour sens à leur existence et
en aidant aussi à promouvoir en chacun une morale individuelle, il y
participe.

Mais cette morale personnelle, si elle permet de vivre harmonieusement


avec les autres ne saurait être érigée en système

Vous avez dit Fils de la Lumière ?

Alors vous comprendrez peut-être pourquoi les francs-maçons du rite


Ecossais Ancien et Accepté que pratique la Grande Loge de France
ouvrent leurs travaux avec la Bible ouverte au prologue de l'Evangile de
Saint-Jean sans pour autant nécessairement adhérer à une quelconque
religion
«Au commencement était la Parole et la Parole était en Dieu et la
Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par Elle et rien de ce qui a été fait n'a
été fait sans Elle. Elle était la vie et la vie était la Lumière des
hommes. La lumière luit dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l'ont
pas reçue».

Le franc-maçon quant à lui recherche cette Lumière, pour oeuvrer avec


elle, sur lui-même, et rayonner sur le monde

Jean-Michel Balling

61

Vous aimerez peut-être aussi