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LA CONTEM PLATION DE DIEU


SOURCES C H R É T IE N N E S
C o llectio n dirig ée p a r H . d e L u b a c, S . J ., el J . D a n iéto u , S . J .
S ecréta ria t d e D irectio n : C . M o n d éserl, S . J .

Série des Textes M onastiques d'O ccldent, n « II

G UIL LA U M E D E SA IN T -T H IE R R Y

LA C O N TE M PL A T IO N 'D E D IE U

L ’ O R A ISO N D E D O M G U IL LA U M E

In t r o d u c t io n , t e x t e l a t in b t t r a d u c t io n d e
D om Jacques H O URLIER

L E S É D IT IO N S D U C E R F , 2 9 , B D d e l à T o u r -M a o b o v r o , P A R IS
S IG L E S E T A B R É V IA T IO N S

Œuvres de Guillaume de Saint-Thierry :


Aen. A e n ig m a f ld e i. P. L., 1 8 0 , 3 9 8 -4 1 0 . 6 /- 4 Λ 4 3
Cant. E x p o s itio a lte ra s u p e r C a n ti c a C a n tic o ru m . P. L., 180,
4 7 3 -5 4 6 .
Ep. E p i s t o l a a d E r a t r e s d e M o n te - D e i. P. L., 1 8 4 , 3 0 7 -3 5 4 .
Med. M e d ita tiv æ o ra tio n e s . P. L., 1 8 0 , 2 0 5 -2 4 8 .
Ν α ί. D e n a t u r a e t d i g n i t a t e a m o r is . P. L., 1 8 4 , 3 8 0 -4 0 8 .
Spec. S p e c u lu m f id e i. P. L., 1 8 0 , 3 6 5 -3 9 7 .

Les autres œ uvres de Guillaume seront toujours désignées par leur titre
com plet. Dans les références au De contemplando Deo, les chiffres renvoient
aux paragraphes et aux lignes du présent volum e.

Manuscrits et éditions du D e c o n te m p la n d o D e o :

Λ A u ln e B r u x e lle s B . R . 1 1 - 1 0 5 2 X III e
C C o rse n d o n c k B r u x e ll e s B . R . 5 9 6 - 6 0 0 x iii· ,d.
/) le s D u n e s B ru g e s B . M . 1 2 8 x u e, L
F ? L o n d re s B . M . 5 F V II X II e
II é d itio n d ’H o r s tlu s 1641
J J u m lè g e s R ouen B . M . 557 X III 0
K A n c h in D o u a i B . M . 3 7 2 , t. I a. 1165
M P a r i s , F r a n c is c a i n s ? M a z a r in e 6 3 0 x m e, d .
m ? M a z a r in e 7 3 9 X III e
A’ B o u rg o g n e ? P a ris B . N . la t. 1 0 6 2 1 X III e
n I t a l ie P a ris B . N . la t. 1 7 2 7 X III-X 1V *
O ·> O x fo rd , J e s u s X X X V X II e
K R e u il ? M a z a r in e 7 7 6 x n e, m .
S P a ris, G d s A u g u s tin s ? A rse n a l 3 2 4 X IV e
s 9 A rse n a l 5 0 2 X IV °
T le J a r d i n e t T ro y e s B . M . 2 0 5 1 1428
V é d i t . T i r a q u e a u - G i l l o l ( d ’ a p r è s S t - V i c t o r d e P a r is ) 1640
X a u t r e t e x t e d a n s la m ê m e é d i t i o n : S o lilo q u ia , c o l. 5 0 8
y é d i t i o n M a r g a r in d e la B ig n c 1677
z é d i t i o n M a b illo n 1690

F et O : I-cs variantes de ces deux m anuscrits sont données d ’après M .-M .


D a v y , Deux traites de l'amour de Dieu, Paris. Vrin, 1953. oh ils sont présentés
com m e m anuscrits du xn« s.
H et VXY-a?/nous rcprôdidsons les vy nantes de ces im primés en raison
des m anuscrits que édttqMT* dnVpà consulter.
n : Le ms. contient de nom breuses fautes et négligences, surtout dans la
seconde partie du traité. Quelques-unes seulem ent sont réparées en inter ­
ligne. La ponctuation est trêriinfuW ti
m 1759

IN T R O D U C T IO N

V ie d e Gu il l a u m e d e Sa in t -T h ie r r y

L a v ie d e G u illa u m e d e S a i n t - T h i e r r y 1 p e u t s e r é s u m e r
e n q u e lq u e s lig n e s 2 , e n c o r e q u e s o n a c tio n a il é té p r o f o n d e
c l q u e s a p e n s é e s o il r ic h e e t p u is s a n te . U n e c h r o n o lo g ie
s o m m a ir e s u f f it à d é lim ite r le c a d r e o ù l ’ a c tio n s ’ e s t e x e r c é e ,
o ù la p e n s é e s ’ e s t d é v e lo p p é e e t é p a n o u ie .

C h r o n o lo g i e N é à L iè g e , d ’ u n e f a m ille n o b le q u e
s o m m a ir e n o u s n e c o n n a is s o n s p a s a u tr e m e n t,
G u illa u m e q u i t t e s o n p a y s p o u r f a ir e
s c s é tu d e s , à L a o n tr è s p r o b a b le m e n t. P u is il abandonne
i

1. On abordera Guillaum e de Saint-Thierry par le livre de Dom J.-M .


DÆ c i i a n k t : Guillaume de Saint-Thierry l'homme cl son (wn (Bibliothèque
M édiévale, Spirituels Préscolastiqucs. I)» Bruges. Bcyacrt, 1942, D ’un point
de vue plus spécialem ent philosophique, cf. du même auteur : Œuvres choisies
de. Guillaume de Sainl-Thirrnj (Bibliothèque PblIosophiqUeX Paris, Aubier,
194 1. Ces deux ouvrages nous dispensent de reproduire la bibliographie du
sujet ; nous ne citerons des études particulières que dans la mesure néces ­
saire si notre exposé. Cependant, nous tenons à m entionner, pour son inté ­
rêt et sa date» In thèse de l ’abbé André A d a m : Guillaume de Saint-Thierry
sa vie et ses œuvres, Bourg. 1923.
2. C ’est bien le cas d ’ un écrit hagiographique : Vitu Wiltelmi ou Vita
antiqua : Paris, B. N. ms lat. 11.782, f° 340-341. Publié par le Père A.
P o n c e l e t , dans les Mélanges Gode/roid Kurth (t. I» Liège, 1908, p. 85),
ce texte u été reproduit depuis. Avant le P. Poncelet, il était connu des
M auristcs de Saint-Grrm ain-dcs-Prés, qui com ptaient le faire entrer dans
les Acta Sanctorum O. S. B. : le m anuscrit et une copie du xvii· siècle se
trouvent aujourd ’ hui dans les papiers des M aurlstes. Des passages en ont
été cites par M abillon dans son édition de S. Bernard, par Cottron dans son
histoire m anuscrite de Saint-Thierry, et par d ’autres auteurs du xvii* siècle.
8 INTRODUCTION VIE DE GUILLAUM E DE SAINT-THIERRY 9

le monde des écoles el prend l'habit m onastique dans l'abbaye restait partagée entre la défense de la foi catholique contre
Salnt-Nicaise de Reims, alors en pleine ferveur. En 1119- des novateurs trop hardis, et l'exposé de sa doctrine
1120, 11 devient abbé do Saint-Thierry, tout près de Reims. spirituelle, en faveur des âmes avides do perfection.
Il se trouve désormais accaparé par les devoirs de sa
charge, direction de ses m oines el administration de son
monastère, auxquels II ajoute le rôle de zélateur du renou ­ M ilieu Ce résum é resterait bien terne si l ’on
veau qui anim e alors les abbayes de toute la province ecclé ­
siastique. caractérise le Xll· siècle. G uillaume l'a connu ; Il y a été mêlé
Sa nomination Λ la tète d'une importante m aison et, à bien des égards. Ce sont d'abord les affaires séculières qui.
peut-être plus encore, sa situation au m ilieu des autres pour n'ètre pas les plus importantes, ne s'en avèrent pas
abbés de la région prouve de quelle considération II jouissait m oins très astreignantes ; adm inistration du tem porel, ser ­
déjà, considération bien m éritée si nous on Jugeons par ses
premiers écrits. Guillaume s'y m anifeste un penseur profond. et avec le vicom te de Trigny, insubordination des vilains
et bourgeois agités par le m ouvement com m unal, constituent
Pères grecs. L'originalité de sa pensée ne s ’oppose pourtant les principales causes de soucis.
pas à un extrêm e souci d'orthodoxie théologique, qui ne Et le poids de ces affaires se fait d'autant plus pesant que

vons saisir aussi, dès les premières années d ’abbatiat, le toutes les activités de l'hom me vaquer à Dieu. Or ce besoin
caractère et le tempéram ent de Guillaume. Il est d ’ une de liberté, d'évasion d'un monde trop envahissant, a été si
constitution assez délicate, nature m aladive qui s accom ­ vivem ent senti par beaucoup qu'il a donné naissance, surtout
moderait m ieux du repos que des tracas des affaires ; esprit depuis quelques dizaines d ’années, à de nouvelles form es
pieux et exigeant qui aimerait à s'évader vers une parfaite de vie m onastique ; l ’ordre cistercien n ’ est que l'une do ces
solitude ; et en m êm e temps, volontaire, agressif presque, m anifestations, la plus caractéristique peut-être aux yeux
dans la réalisation d'un idéal placé très haut. Idéal qu ’il des anciens moines, les m oines noirs. Ceux-ci, dès qu ’ils sont
touchés par l'exemple des nouveaux, des m oines blancs,
voudrait communiquer, pour ne pas dire Imposer, autour n ’ont d'autre solution que de passer à Cltcaux ou de modifier
de lui. Et cet idéal, au fond, c ’est saint Bernard : Guillaume
désire mettre Bernard partout. G uillaume veut vivre avec la vie de leurs m onastères, à l'im itation de Clteaux. C'est
tout un mouvement de transform ation, d'adaptation ; il est
Bernard. Or son am i n ’ y consent pas. particulièrement actif dans le Nord-Est de la France actuelle :
Il s'ensuit une crise de plusieurs années qui dure jusqu'au l'abbaye de Saint-Thierry y prend part avec Geoffroy
rejoint, à Signy 1 , un essaim de moines cisterciens venus au premier rang des soucis ecclésiastiques qui s'imposent à
d ’ Igny, le m onastère de saint Bernard le plus proche de la sollicitude des abbés. Or G uillaume est l'ami de Bernard :
Reim s. Il y demeurera jusqu'à sa m ort, le 8 septem bre 1148.
On ne lui connaît qu'une seule absence hors de Signy : le tant de l'abbé de Clairvaux, son porte-parole, le meilleur
séjour qu ’ il fit, à quelque distance de là. chez les Chartreux tenant d ’ un esprit que tous partagent, m ais que Guillaume
du M ont-Dieu. Son activité, durant ces dernières années, possède par droit d'am itié. H entretient avec saint Bernard
un com m erce épislolalrc où il est souvent question des
1. Slany. dloc. de Reims. dip. des Ardennes, eh-l. de eanlon. — tuny. |mr affaires m onastiques : passage des bénédictins de la province
Arels-le-IOnssrd. dîne, de Reims, dtp. de la Marne, rant. Himes.
10 INTRODUCTION VIE DE GUILLAUME DR SAIXT-THIEBKV 11

de Reims nu nouvel ordre, beauté de la vie cistercienne et flque itinéraire spirituel, que la suite de ses œ uvres nous
perfection des m oines blancs, réformes à opérer chez les
m oines noirs. Au centre de la controverse que soulève le
problème m onastique, se situe la célèbre Apologie de saint
Bernard à Guillaume do Saint-Thierry. Au term e de tous Itinéraire O n ne saurait douter que la vocation
ces efforts de rénovation, se placent les réunions périodiques spirituel de Guillaume ait été de vivre pour Dieu.
des abbés bénédictins de la province ecclésiastique, et les Cette vocation lui fait quitter sa patrie
heureux résultats qui en découlent. de Liège, où il ne sem ble jamais être retourné, et sa fam ille,
M ais les affaires m onastiques ne sont pas les seules qui dont nous ne savons plus rien. Il gagne les écoles les plus
Incom bent aux abbés, dans la vie de l ’ Égllse au xn e siècle : célèbres, afin de recevoir des m eilleurs m aîtres la science qui
on peut dire qu ’aucune question ecclésiastique ne doit les fait connaître Dieu. M ais bientôt il a vu les périls du m ilieu
laisser indifférents ; les abbés participent d ’ailleurs, de droit, scolaire : plus que l ’inconduite de certains étudiants, les
aux synodes et conciles, ils sont en rapports constants avec excès et l ’orgueil d ’ une science qui peut parler de Dieu, sans
l'épiscopat. le donner, l ’effrayent, au point de le conduire vers d ’ autres
Au premier rang des travaux des conciles de cette époque, écoles, plus sûres, celles du service du Seigneur : il entre au
nous trouvons toujours les problèm es agités par le m ouve ­ m onastère. Déjà nanti d ’ un beau bagage intellectuel, et
m ent intellectuel. C'est le m om ent où les écoles épiscopales, même spirituel, il développe celul-cl sans négliger celui-là.
se tournant résolum ent vers la philosophie, cherchent l ’ ex ­ Ses effusions, sem ées çà et là ou réunies en recueil de M édi­
plication des choses à la lumière de la raison ; m ais leur tations, nous livrent le secret de scs élans. Le problème est
science en formation se heurte aux difficultés de notions toujours pour lui de saisir son Dieu invisible ; ce problème
se présente sous un double aspect, théorique et pratique.
else. La question dés universaux est peut-être la plus grave La question pratique est de trouver le lieu où seiréalisera
do toutes ; elle entraîne les plus considérables répercussions le plus parfaitem ent la ligne de conduite déterm inée par les
théologiques. Q ue sont au juste nos idées ? Y correspond-il principes théoriques. Ce ne saurait être que la solitude, un
une réalité dans les êtres ? E t si la réponse est appliquée à • désert > reproduisant ceux de l ’ Égypte, où vivaient les
l'énoncé du m ystère de la Sainte Trinité, que signifie la vrais m oines, les solitaires de l ’ âge d ’or. M ais où ? Plus ou
distinction des personnes divines : trois dieux, trois personnes m oins nettes, les aspirations de G uillaume s ’orientent vers
réelles, trois aspects de la divinité, trois façons de parler '1 divers centres particulièrement fervents : vie canoniale en
Com m ent, en conséquence, envisager le m ystère do l'incar ­ la collégiale du M ont-Notre-Dame, ou vie m onastique à
nation ? Le nom d'Abélard évoque, plus qu ’ aucun autre Saint-Nicaise ; habit noir à Saint-Thierry ou habit blanc à
ces problèmes capitaux. Or Guillaume est passé par les écoles Clairvaux ; solitude cistercienne de Signy ou retraite car-
Il est resté philosophe ; et plus que quiconque 11 se m ontn tuslcnne du M ont-Dieu. O ù que ce soit, il restera Insatisfait,
soucieux d ’orthodoxie, il s'inquiète, il intervient, car il n'i là céleste patrie.
jam ais été de tem péram ent il se taire quand il s ’ ém eut
Affaires tem porelles et séculières, affaires ecclésiastique Le problème théorique est celui des rapports entre la
et théologiques n ’ ont cessé de solliciter l ’ attention de Guil connaissance et l'am our. G uillaume est trop intellectuel
laum e, de le faire sortir de lui-m êm e, alors qu ’ il aurait vouli pour ne pas situer la possession de Dieu dans un acte de
ne s'adonner qu'à un seul problèm e, celui de connaître Diet contem plation, de connaissance. Il garde en m êm e temps
dans l ’amour parlait. 11 n ’ en a pas m oins réussi un m agni un sens trop pratique pour ne pas tenir com pte des deux
12 INTRODUCTION VIE DE GUILLAUME DE SAINT-THIERRY 13
autres réalités. D'une part, toute connaissance sur terre son désir de demeurer auprès de Bernard, dans la solitude
s ’élabore à partir des objets sensibles, et des concepts que adm irable de la sainte vallée, vivant les paroles du Cantique *.
nous en lirons ; or Dieu est esprit, être transcendant ; puis ­ D ’autres nécessités pourtant le retiennent à Saint-Thierry.
qu'il dépasse l'intelligence, il taut suppléer au défaut do Et d'autres problèm es se posent, en particulier celui de la
celle-ci. D ’ autre part, l'hom me form ant un tout com plot,
l ’acte de l'intelligence s ’ accom pagne d ’un acte de la volonté ; vers la source m êm e de l ’amour, pour scruter ce grand m ys ­
et il en va de m êm e en Dieu, dans le m ystère do la Sainte tère : com m ent Dieu nous donne-t-il son am our, et comm ent
Trinité. D'un côté comme de l'autre, il convient de faire le recevons-nous ? En ce domaine encore, il m arche derrière
place à l ’ am our, pour réaliser, m oyennant le secours de la les maîtres, saint Paul, expliqué par saint Augustin surtout,
grêce, une véritable connaturallté avec Dieu, pour être un
avec lui. aussi saint Bernard, qui lui rédige un petit exposé sur la
Ces principes sont posés dès le prem ier traité de Guillaume, question. Ce n ’ est pas s ’ écarter de l'objet constant de ses
celui que nous publions. M ais les idées y sont encore im par ­ sollicitudes que de composer alors un livre sur le S a crem en t
faitement claires : U faut les préciser, les approfondir. d e V A u tel, mystère de la rencontre de la créature avec le
G uillaume étudie ici l ’ amour, cette faculté divine m ise en Dieu vivant 2 .
nous à la création, dévoyée par le péché, restaurée par le Guillaume semblerait m aintenant pouvoir se lancer dans
sacrifice du Calvaire. L'amour est essentiellement l'unité do
volonté avec Dieu, unité conférée à notre nature par le félicité où l ’ on jouit de la béatitude du plein amour. 11 pon-
Créateur, m ais qui, du fait de notre liberté, est susceptible natt la nature de l'amour et son développem ent ; il connaît
soit de se perdre, soit de croître, d ’une ascension qui conduit
jusqu ’au plein am our, jusqu ’à la sagesse et à la béatitude qui est aim é ; sous la conduite des m aîtres, il a déjà scruté
Afin de réaliser plus sûrement cette ascension, il convient
à l'hom m e de se connaître, corps et âm e. G uillaume en bénéficie du loisir de Slgny : loin de tout, au milieu · des
arrive donc à étudier ce qu ’il appelle « la physique » du corpi cham ps et des hêtres », dans la pleine m aturité de la spiri-
et de l ’ âm e, ou, si l ’on préfère, la psychologie 2 .
II se sent alors plus apte à m ettre en pratique la théorii du Cantique ·.
de l ’ amour qu ’il avait étudiée déjà. Un livre lui servira d<
guide : le Cantique des Cantiques, ouvrage classique en la
m atière. M ais n ’ osant encore voler de ses propres ailes, 1
suit ses maîtres, Am broise et Grégoire, Bernard aussi, ave
qui il en confère au cours d ’ une maladie qui les im mobilis
tous deux à Clairvaux. Ces conversations ne font qu ’avive
Λ ηαΙ,αα S acri O rdlnU C lU errtm alr, XII <101,6), pp. 103-114.
1. D r eonlem plarnlo D ca : P . L . 184. col. 363-379^ l ’ormi le* nombreuse 2. E riiositlo in B p iM am ad K om ana, : P . L·. ISO. cot 605-726. — S.
Demcslioos. De ffrado et U bero arbitrio .- P . L . 1S2. col. 1001-1020. —
Îilto^hlaur/i ’ iwis. vrin. 1933. — De la meme J

2. Ire neutra corporis et an im a : P . 1 - ISO, col. 005-726.


Va-t-il enfin toucher aux som m ets 1 Pas encore, car une Est-ce tout ? Un devoir de charité fraternelle lui permet
dernière purification s'im pose. Non sans doute qu ’il ait trop
donné à la sensibilité, m ais souvent la vio des Saints, avant vaux, m ais en entreprenant la V ie d e sa in t B ern a rd . Le saint
de se clore, com porte une phase d ’ allcrm lsscm cnt dans la abbé n ’ avait pas besoin de la Lettre d'Or, lui qui était un
foi. Elle ne constitue pas nécessairem ent une épreuve, m ais maître ; G uillaum e lui devait donc autre chose, quelque chose
toujours elle apporte une certitude plus profonde, une con ­ qui ne soit que saint Bernard. E t pourtant, Guillaume n'a-t-il
naissance plus grande, m algré l ’obscurité de la foi : c ’ est pas plus d'une fois esquissé son propre portrait on brossant
l ’entrée dans un nuage lumineux. Pour G uillaum e, les con ­ celui de son am i ? L ’ am itié fait un ; elle rend tout com-
troverses théologlques fournissent l ’ occasion de cette phase
ultime. Sans doute lalsse-t-il à Geoffroy do Lèves et il Bernard Après avoir payé son tribut à la piété fraternelle, Guillaum e
de Clairvaux la m ission d ’ entrer en- lice, après leur avoir de Saint-Thierry pouvait enfin entrer dans le repos, célébrer
fourni des arm es ; il n ’en apporte pas m oins sa contribution ■ ce sabbat perpétuel » o ù parfaitem ent et éternellement
à l'orthodoxie, composant les traités qui confirmeront les «ion voit celui qu ’on aim e, on aime celui qu ’ on volt ».
âmes dans la fol et dans les m ystères de la foi. Comment
n ’ en serait-il pas le prem ier bénéficiaire 1 ?
Il ne lui' reste plus qu'une tâche à rem plir : faire la syn ­
thèse de sa doctrine et de ses expériences. Ainsi, son itiné ­
raire spirituel ne sera pas un repliem ent égoïste : il pourra
profiter il beaucoup ; la loi de la charité parfaite sera accom ­
plie, dans l ’ am our de Dieu et du prochain. Il rédige alors cet H i s t o i r e nu t e x t e d u D e con tem pla n d o D eo
adm irable T ra ité d e la V ie S o lita ire, qui restera sous le nom
de L ettre d 'O r, dédié aux Chartreux du M ont-Dieu ! .
On situe com muném ent le D e con tem p la n do au début de
l'abbatiat de G uillaume : Dom . J.-M . Déchanct le date de
182. col. 331-333, sur les erreur» d'Abélnnl. — Lettre * mint Bernard J 1119-1120, encore que l ’ébauche en puisse, dit-il, rem onter

ImbUolM qne rie Splrtlonllté Médiévale : Guillaume de Salnt-ThleciT : L

U t Testent traduction ont été édités par M.-M. Daw (Iliblloibe<iuc°aê


texle» pbilosopbl<|ue»). Purls. Vein. 1031. Une Médllnllon Inédlto a été
pubHeo^ par D oraIM cuaKK T dans C ollectanea O. C. B .. Vil (1840),

«es Oraisons Médllallvos ont été écrites à divers moment» do In vie de


deux ou trois, ünep
INTRODUCTION

In la cu n ’ a été introduit en tête du D e con tem pla n d o que par


une confusion de l ’ éditeur 1 .
laum e aux m oines de Saint-Thierry ? On comprendrait qu'ii La collation prouve que toute la tradition dérive d ’ un
se livre à eux, leur disant ce qui lui tient le plus à cœur, son original unique : contrairement à ce que nous constatons
désir de voir Dieu, désir qu ’ il a charge do leur faire partager. pour d ’ autres écrits de G uillaum e, le traité ne présente pas
On peut aussi faire état de c e que le Cantique des Can ­ deux états successifs du texte ; les copies se distinguent
tiques n ’ est pas cité, dans une œuvre ou il viendrait si natu ­ simplement par leur plus ou m oins grande fidélité. D e façon
rellement. Ceci nous reporte au tem ps où Guillaume n ’a générale, les nuances de la pensée, les artifices du style,
pas encore abordé le sens spirituel de ce livre, donc avant l ’ordre des m ots se perdent d ’ autant plus facilement que
les scribes, déroutés par les particularités d ’ une époque et
dans leurs conversations de Clairvaux, à cette signification plus encore d ’ un auteur subtil, substituent leur m entalité
du Cantique. La date de leur réunion n'est pas facile à déter ­ à celle de G uillaum e. On rem arque aussi que plusieurs copistes
m iner très exactem ent, m ais on ne saurait la reculer après m odifient le texte, à l'évidence parce qu'ils pensent en
français. Q uelques-uns y ajoutent des fautes proprement
Une dernière considération semble décisive pour fixer le dites, fautes de lecture ou de transcription. Nous assistons
D e co n tem p la n d o aux premiers débuts de l ’ abbatiaL Alors ainsi à la corruption, plus ou m oins rapide, d ’ un texte très
m êm e que dans ce traité nous retrouvons, à la lum ière des
écrits postérieùrs, les idées fondam entales de l ’ auteur, il Des groupes se reconnaissent aisém ent a , qui se hiérar-
imparfaitement form ées, et exprimées ' beaucoup m oins
tem ent de l'autographe, car elle sem ble très pure · . La
nettem ent que par la suite ; tout le travail littéraire de deuxième est celle des Chartreux, Slgny et le M ont-Dieu
G uillaume sera justement ordonné à les préciser.
d ’ une copie de Clairvaux, selon toute vraisemblance : cc
D iffusion Un inventaire, m êm e incom plet, des n ’ est pas seulem ent le nom bre des m anuscrits cisterciens
m anuscrits du D e con tem pla n d o montre
bénédictins avec les cisterciens, en particulier dans le cas
les pays de l ’ Êglise latine s . L ’accord, pour le fond, des
: une unité au point de départ ; la

bule In la cu de l ’édition de M abillon ferait difficulté, s ’il


appartenait effectivem ent au texte ; m ais il n ’en est rien :
La division des m anuscrits en trois familles n ’exclut pa
h? I
et d'éclairer. Nous pouvons adm ettre que G uillaume de des œuvres de Guillaume avec l ’ indication exacte de l'au-
Saint-Thierry n ’a donné à ses œuvres qu ’une dilluslon

Clairvaux leur a procuré la notoriété, quelques années Bem ard, la pratique générale m aintiendra l ’abbé de Saint-
après la m ort de saint Bernard. On voit facilement com m ent Thierry dans le sillage de l ’ abbé de Clairvaux, lui donnant
les choses ont pu se passer. La célébrité de saint Bernard toujours de réaliser à titre posthum e le rêve de sa vie : « sub
a provoqué la multiplication de ses œuvres : en tous lieux umbra illius quem desideraveram sedi ·. Saut très rares
on a copié, non seulem ent ce qui circulait déjà du vivant du
hors du corpus bernardin les œuvres de Guillaume ; et encore
les deux traités sur l ’amour ne le seront-ils qu ’au m ilieu
du siècle ’ .
de son · autre soi-même » ; et nous avons la preuve d ’échanges certains seulement ont connu la plus large diffusion, tandis
littéraires, d'échanges d'idées même. Avides de posséder que les autres tombaient dans l ’oubli. Très peu de lettres
tout saint Bernard, les copistes ont pris tout ce qu ’ils trou ­ nous ont été conservées. C ’est le sort com m un à ce genre
vaient, constituant un imm ense dossier où les apocryphes d ’écrits, sauf pour quelques collections particulièrement
entraient toujours plus nom breux : on ne se souciait pas
trop du fond, un air de ressem blance suffisait ’ . Une confu ­
sion m atérielle initiale était d ’ autant plus facile que les Le |ieu de diffusion des florilèges et extraits s'explique
copies venues de Saint-Thierry et de Signy, ou prises à de soi-m ême, à une époque où ce procédé de travail tend
Clairvaux sur les autographes, ne portaient pas nécessai ­ à disparaître devant des œuvres plus systém atiques. On
rement le nom de l ’auteur a . Ainsi se com prendrait et l ’ ano ­
nym at des écrits en certains m anuscrits, et le passage tiré de saint Am broise, et du traité sur le Sacrem ent de
d ’ œuvres de G uillaume sous le nom de saint Bernard en l'autel. L ’ un et l'autre, souvent anonym es, circulent hors
d ’ autres m anuscrits. du corpus bernardin. Π faut admettre la diffusion, dès la
Π s ’ est trouvé pourtant des copistes, panni les prem iers,
qui ont dû connaître l ’auteur véritable, car le nom de
Bernard sem ble parfois écrit sur un grattage du parchemin.·

Les Imprimés consacreront la position prise par les m anus­


crits. Seule, sem ble-t-il, ferait exception la M a gn a b ib lio ­ Mlle Davy le· deux Imités en 1033.
th eca p a tru m (1618), et sa suite, la M a x im a b iblio th eca
2. Lettre· de Guillaume : il Rupert de Tuy (Deutz) c. 1126 (P. ISO,
(t. 22 : 1677), à l’ occasion des M ed ita lio tc o ra tio n es et du
D e co ntem p la n d o. Si Bertrand Tissier publie la m ajorité
du Monl-DIcu (P.

lalvie enlcndre que ks courriers ont Clé aequent» entre Clairvaux


composition, par le destinataire de celui-ci, et par les béni d ilig en d o D eo , surtout lorsque ce dernier devient un D e d ilec ­
flciaircs de celui-là. tio n e D ei. Dans le corpus bernardin, il était facile de rap ­
Le traité contre Abélard se rencontre norm alem ent dan procher le D e a m ore et le D e d ilectio n e : on le fit parfois, et
le dossier du concile de Sens, parm i les œuvres de sain
Bernard. connaissance, il faudra pourtant attendre l ’ édition d ’ Hors-
tius, à Cologne en 1641, pour que les trois traités se pré ­
sentent explicitem ent comme les trois parties d'un même
crit unique. Les deux opuscules sur la foi. S p écu lu m < ouvrage *, dont le titre, extrêmement fallacieux, s'explique
A en ig m a , en raison de leur caractère théologique, demcurei par l ’ histoire des éditions.
exclus de recueils destinés aux écrits spirituels. Les M éd A la suite des m anuscrits en effet, les incunables conti ­
tâtions entreraient dans cette catégorie. Elles ne sont pou nuent à réunir D e d ilig en d o et D e a m ore dans les œuvres
tant pas répandues. Au contraire, le Traité de la vie sol com plètes de saint Bernard. En 1508, André Bocard et Josse
taire et tes deux traités sur l ’am our ont connu le plus larç
succès. Ils le doivent au patronage de saint Bernard, patrt premier traité,'authentiquem ent bernardin, ce qui perm et
nage dont les M éditations pouvaient difficilem ent bénéficie à François Comestor, en 1547, de s découvrir... l ’épilogue
leur style, leur allure étant trop différents de ce qu ’écriva du D e d ilig en d o », et de le publier en appendice aux œuvres
l'abbé de Clairvaux. Bien que le D e co n tem p la n d o s'app de l'abbé de Clairvaux 8 . Un siècle plus tard, H orstius donne
rente aux M éditations, il présente davantage le caractè: le D e d ilig en d o au tom e IV de son édition ; puis au tom e V,
d ’un traité, surtout lorsqu'on le rapproche du D e n a tu ra parmi les * aliena, dubia, supposita », il place les deux traités
d ig n ita te a m o ris. Le seul patronage de saint Bernard j de G uillaum e, accom pagnés d ’ un nouveau D e d iligen d o,
suffit donc pas à expliquer la diilusion do trois œuvres < qui n ’est plus celui de saint Bernard, m ais le texte com posite
Guillaume : il faut y ajouter, com me cause initiale, le fa < Cogit m e instantia charitatis tuæ 4 ».
qu ’elles sont des traités de spiritualité. M abillon, en 1667, voit l ’ erreur, m ais il crée à son tour
Les trois traités devaient pourtant connaître un so une nouvelle trilogie. Dom Charles de Visch lui a signalé
dilTérent. Tandis que le Traité de la vie solitaire circule un manuscrit des Dunes où les S o lilo q u ia , c ’esl-è-dlre le
D e con tem p la n do et le D e a rte a m o ris, sont suivis d ’un autre
progressivement. Presque toujours le D e co n tem p la n d o pi
cède le D e n a tu ra . I.c prem ier a pour titre D e a m o re, ou 1

plus longtemps" son titre propre, niais on trouve aussi' 1

copistes peuvent parfois m arquer le début du second pi


une lettrine; celle-ci se distingue rarement des lettrlri
Indiquant les paragraphes : les deux traités se trouvent juxt
posés bout à bout.
Or le titre D e a m ore D ei ressemble beaucoup à celui du D
HISTOIRE DV TEXTE

tom e III, à la suite des S erm o n es in C an tiea, avec le titre nance, une tournure familière à G uillaum e. Ces manuscrits
courant do L ib er d e a m ore D ei. Nos deux autres traités se se groupent également par le décom pte et la série des

donnent de semblables Indications. Aucun tém oin ne soulève


réunis dans l ’esprit de l ’éditeur, sont publiés l'un à la suite de difficulté dans une tradition où le manuscrit de Reull
de l'autre, en 1690, encore que M abillon se m ontre mainte ­ se recom mande particulièrement.
nant m oins explicite dans les titres 1 *. Il faut pourtant avouer que nous avons examiné m oins
Ainsi, le curieux besoin de constituer un traité de l ’amour d'une vingtaine de m anuscrits, auxquels nous avons joint
quelques imprimés, à cause des docum ents dont les éditeurs
deux écrits de Guillaume et un autre écrit plus ou m oins ont pu profiter. Étant donné les constatations que nous

H fallait envisager l'ensem ble des œuvres de Guillaume m ents im portants soient il attendre de m anuscrits qui, en
principe, s'éloignent du Heu d'origine. D'une part, le texte
et savoir comm ent le D e con tem p la n do nous a été transmis. actuel du D e con tem pla n d o est trop conforme aux autres
Sa diffusion s'est opérée en deux temps : une com munica ­ D'autre part, la présence d ’ un témoin de la famille cartu-
tion privée, dirait-on, par l ’auteur lui-m êm e à ses am is ;
slennc conllrm c l ’inexistence de deux états successifs du
puis une large expansion, par Clairvaux, sous le couvert et traité, et par conséquent il n ’y a aucun inconvénient A
n ’avoir pas consulté des séries qui jouent un rôle si consi ­
dérable dans l ’ édition de saint Bernard, ou de Guillaume
Principes Après avoir étudié l'histoire du texte lui-m ëm e pour d'autres œuvres ’ .
d'édition de notre traité, ou plutôt l'histoire de Sans être précisém ent une édition critique, un texte basé
sa transm ission, les principes qui doivent sur le manuscrit de Reull a donc chances de rejoindre l'ori­
guider cette nouvelle édition ressortent des faits. Nous ginal. Reull contient cependant quelques fautes de trans ­
n'avons pas l'autographe. Le manuscrit de Reull, le seul qui cription. Elles ont été corrigées de première m ain 3 , ou par
indique le nom du s*éritable auteur, est un manuscrit une main contemporaine3 . Il reste : une pure distraction 4 ,
libraire, très soigneusem ent copié, en m énageant la place deux lectures douteuses 3 , quatre fautes de cacographie"
pour le rubricateur, dont le travail était dirigé par de fines® et deux cas em barrassants ’ dont la leçon, appuyée par
noies m arginales. Nous ne possédons pas non pins l'arcbélypeM
de Clairvaux. La collation reste le seul m oyen do critiquerai
Elle tait ressortir la corruption progressive du texte, donc^H
l’ intérêt des plus anciens tém oins, qui par ailleurs s'accordent^·
sur la variante rare conservant un jeu de m ots, une asso^H
nuances, ou sim piemen

être Adèle, la traduction doit se ressentir de ces


32 STRUCTURE ET CONTENU DU TRAITÉ
entendre, c'est bien le cas du présent Traité. Il a déconcerté efforts infructueux pour atteindre, au-delà de la contem ­
plus d ’ un copiste, et aujourd'hui le lecteur reste facilement plation de (’ H umanité du Christ, la divinité du Verbe ; au-delà
en peine. 11 convient d ’ en souligner les principales articu ­
lations et de m arquer les thèm es autour desquels gravite la créé, l’ intim ité divine elle-même. S ’ il accède parfois à des
pensée, afin d'en faciliter l ’ intelligence. expériences plus hautes, eelles-ci durent· peu, et l'ftme
retom be douloureusem ent sur elle-même. G uillaum e est
Division Une lecture attentive du D e co n tem ­
du Traité p la nd o D eo perm et de distinguer deux sur la raison de ces vicissitudes. Il découvre celle-ci, sous
parties, différentes par le sujet et même l ’inspiration divine, dans une uistmcuon entre i am our de
par l ’allure du style. Une prem ière partie, plus véhém ente désir, anxieux et douloureux, m ais m éritoire, et l ’amour
semble plus personnelle, plus intime, car elle s appliqué de fruition, qui jouit de la présence do l ’ aim é. C ’ est alors
surtout à décrire le désir qui pousse 1 G uillaum e vers la com la perfection de l ’am our.
temptation de son Dieu. Une seconde partie est plus didaeü Ainsi se trouve introduite une nouvelle section de celte
que : elle expose com m ent Dieu réalise le désir de sa créa prem ière partie. G uillaume y traite de la perfection de
turc. Le style se m odifie sensiblem ent ; il n ’est pas toujours l'am our, préludant ainsi aux considérations plus m éta-
plus aisé, loin de là parfois, m ais m oins haché, il coule plus
calm em ent. un achèvem ent, une lim ite, m ais un perpétuel dépassement
en Dieu. Elle réside dans une parfaite union d ’ amour entre
le Créateur et la créature, Im pliquant l’ identité foncière
coupure. En m êm e temps, la division en paragraphes qu ’elle des vouloirs : c ’ est C u n ila s sp iritu s .
révèle nous aidera à discerner les articulations de l'exposé 1 . La prem ière partie s'achève par une prière, dont Guillaume
prend occasion pour résum er à grands traits sa doctrine
sur la nature de l'am our.
Dans la seconde partie, G uillaum e poursuit son étude
vers Dieu » ; la seconde : > La Sainte Trinité, source dé question* par les som mets. Pour rendre com pte de l'union
l'am our ».
d ’ am our entre Dieu et l ’hom me, il est nécessaire de s'élever
jusqu'au centre du m ystère Trinitaire, jusqu'à la consubs ­
tantialité. à C om o uston des Personnes divines.
Dieu nous a aimés le prem ier, et il nous a envoyé son
Fils qui provoque, surtout par sa passion et sa m ort, le
libre don de notre amour. A cette m anifestation externe
de l'am our divin, répond, dans l ’intime de notre âm e, la

du Père et du Fils au sein de la Trinité. C ’ est par cette union,


par cette u n ita s sp iritu s que, reformés à l ’ im age de Dieu,
nous connaissons Dieu, d'une connaissance expérim entale,
par connaturalité, qui transcende toute autre connaissance.
34 INTRODUCTION STRUCTURE ET CONTENU DU TRAITÉ 35
Cette longue m éditation s'achève par une ardente invocation L ’Esprit d'adoption.
à l'Esprit Créateur. Amour et béatitude.
Avant de clore son traité, G uillaume apporte encore quel ­
ques précisions complém entaires. L ’amour doit se prouver Prière pour dem ander l ’ Esprit-Saint.
par des œuvres anim ées par la foi, et dont Dieu soit ainsi
le principe et la fin. Puis, une dernière description de l'expé ­
rience m ystique conduit Guillaume à insister de nouveau La vraie Philosophie.
sur sa brièveté, son caractère insaisissable, sa transcendance L'Esprit souille où il veut
à l'égard de tous les procédés hum ains. Prière finale 13.
Le traité se termine par un élan final vers Dieu, Principe,
Sagesse et Béatitude, élan qui s ’épanouit en une profonde Tel apparaît le plan du D e con tem pla n d o D eo quand, sous
adoration du Dieu Un et Trine. l’abondance des idées et des im ages, on s ’arrête aux mots
essentiels. Il faut élaguer considérablem ent. En particulier,
11 faut supprimer tout le bagage de pensées accessoires qui
I. L 'itin éra ire d e l'â m e vers D ieu 1-8. se greffent sur l'idée principale au hasard d'une citation,
Prologue. L ’évasion vers Dieu 1. d ’une assonance, d ’une allusion, d'une réminiscence. Il faut

A. La quête de D ieu 2-5. durcir l ’expression d ’ un esprit extrêmement souple. Parfois


Désir de Dieu 2. même nos interprétations dépassent légèrem ent les termes
La contem plation de l' H umanité du Christ 3.
La contem plation des perfections divines dans la créa· nous éclairer, en nous montrant l ’achèvem ent d'une pensée
qui, ici, n'en est qu ’au premier stade de son élaboration.
Vicissitudes de la contem plation. Am our de désir et
il faudra revenir au texte et en savourer toute la densité.
Le traité est remarquablement orchestré : sachons percevoir
B. La perfection de l ’am our 6-8.
Perfection et désir sans fin 6. nattre, sous la m élodie fondam entale, le retour des thèm es
L 'u n ita s sp iritu s et la restauration de l ’im age de Dieu 7. secondaires qui sonnent en harm oniques.
Prière. Nature de l ’ am our 8.
ce court traité. Nous com prendrons pourquoi ce livre, con ­
IL L a S a in te T rin ité, so u rce d e l'a m o ur 9-13. sacré à la contem plation de Dieu, nous parle tant de l ’amour :
Appel vers Dieu 9.
celui-ci ne peut connaître Dieu, véritablement et intim e ­
Dieu nous a aim és le prem ier. m ent, que par un don de Dieu. E t ce don ne saurait être
L ’ am our ne se contraint pas. que Dieu lui-m ême : c ’ est par l ’ Inhahltatton en nous do la
Sainte Trinité que nous devenons un avec elle, entrant,
B. L ’ am our de D ieu et la mission du Saint-Esprit 11. pour ainsi dire, dans ses opérations de connaissance et
L ’ Am our de Dieu dans l'homme. d ’amour. M ais, de m êm e que l ’ Esprit-Saint constitue le
37
souvent inconsciente pour l ’écrivain, de la form e de son
élocution.
II convient aussi de le rem arquer : les citations, quelles
qu ’elles soient, peuvent ne pas toujours reproduire très

gés, com me si la m émoire se m ontrait Infidèle ; plus souvent,


le texte est m odifié pour continuer le discours et entrer
dans un développement ; 11 arrive m ôm e que Guillaume
paraphrase, quelquefois d ’assez loin, ne reprenant que ça
et là un m ot du passage dont il s'inspire. D'autres fois, au
contraire, il suit l ’ Écriture de près, m ais en la citant de
m anière équivalente, substituant, par exemple, ù la béati ­
tude : · bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu »,
la défense « pour le cœur immonde, de vouloir voir Dieu ».

La Liturgie Comm e un office liturgique, le traité


débute par un Invitatoire : ■ Venite ».
Il ne s'agit pas d ’ une sim ilitude fortuite, m ais de l ’indication
précise de l ’ une des sources du traité. Λ côté de l ’ Écriture
il convient en effet de placer les textes liturgiques, qui pour
une très large part sont encore l ’ Écriture, m ais l ’Écriture
présentée dans une lum ière particulière, avec une signifi­
cation précise. Si en effet le psautier fournit l ’ élément cons ­
tant do ta prière liturgique, l ’utilisation de tel verset de
psaum e en une fête donnée lui confère une valeur particu ­
lière, tout com m e la répétition fréquente de tel autre, au
cours des heures canoniales. Cette référence de l ’ Écriture
au service liturgique doit entrer on ligne de com pte dans
l'étude des sources de G uillaume, sans qu ’ il soit toujours
possible, pour lui comm e pour tous ses contem porains, de
déterminer si le texte s ’est Im posé à son esprit par la lecture
de la Bible, au chœur, au réfectoire, sous le clottre, ou par
le chant de l ’ office divin. Nous pouvons noter des rém inis ­
cences du Gloria de la messe, dans le p rop ter b o n ita tem
lu am (2,7) et dans le tu en im oere so lu s es d o m in u s (9,7).
L ’ inlluence de l ’office choral se remarque m ieux dans le
odo ran de, trem end e, b en ed icen d e (11,124) qui évoque une
antienne de sainte Agnès ; ou dans le lestin a D o m in e, ne
ta rd a veris d ’ un répons de l ’ Avent (S, 8). La citation : et
SOURCES

o m n ia in teriora m ea , tirée du psautier rom ain, et non du l'effusion de l'am our ne répond-elle pas ? et toute sa spiri ­
psautier dit « gallican », peut venir du G raduel de saint tualité ne repose-t-elle pas sur l ’inhabitation en nous de
M ichel (1,4). l ’amour subsistant ?
O rientés dans cette direction, nous penserons que le choix M ais jamais G uillaume n ’ oublie que l ’ Esprit nous est
de certaines citations s ’ accom pagnait, dans l'âm e de Guil­ donné par le Christ, qu ’ il nous a été obtenu par le sacrifice
laume, d ’une résonance m élodique qui en développe singu ­
lièrement la richesse. Il l ’ afllrm e lui-m êm e, au souvenir do l ’esprit. Nous avons noté des allusions possibles au Gloria.
l ’ introït du m ardi de la seconde semaine de Carême : « Ici Les oraisons se présentent ensuite avec leur conclusion,
vraim ent et avec com pétence, elle chante : T ib i d ix it coi qui justement précise la médiation du Christ (11,84) chaque
m eu m ex qu isioit te lacies m ea , /a ciem tu a m D o m in e req u ira m > fols que nous offrons - nos oraisons, vœux et sacrifices ».
(3,41). La substitution de la version de la Vulgate à cello Un ■ te ig itu r » (13,18), sans être une citation, pourrait fort
de l ’antlphonalre n'enlève rien à la précision du co m p etentet bien éveiller, dans le souvenir do l ’auteur, l’ im age de la page
ca n ta t. Le dim anche après l'Ascension lui fournit une autre de tête du canon de la messe dans un Sacram entaire de
occasion de se référer à la liturgie, lorsqu ’il introduit la Saint-Thierry. 11 est enfin un m oment du saint sacrifice
citation : E x q u isio it le /a cies m ea , etc. par un lib i d ica t cor pour lequel Guillaume nourrissait sans doute une dévotion
particulière, la fin du canon : · p er Ip su m et cu m ip so e t in
ip so » ; elle évoquait dans son esprit une form ule analogue,
D o m in e, q u ia a u d it servu s tu u s (6,29), ne fait-il pas penset
au prem ier sam edi après l'octave de la Pentecôte, m aigri base il s'appuie, pour s'élever jusqu ’au Père : » cu m ip so
les variantes du texte ? et p er ip su m ... a u dem u s d icere : P a ter n o ster... » (11,51).
Parlant de l ’ incarnation rédemptrice, Guillaume transcril On rem arquera toutefois que les textes liturgiques, aussi
longuement le M u ltifa ria m m u ltisqu e m o dis de la Circonci bien que les textes scripturaires proprem ent dits, se trouvent
sion puis le D u m m ed iu m silen tiu m de N oël (10,17 et 26) utilisés et non pas recopiés m ot à m ot. D e plus, les citations
Toute la seconde moitié du traité est animée du souille do sont ordinairement corrigées par une version de la Bible
qui n ’ est pas celle des livres liturgiques.
revient sans cesse (12,76 et 81) ; l ’ alleluia V erb o D orn in
Les Pères latins Une rem arque sim ilaire s'impose à
de «l'esprit de sa bouche» qui, au xn» siècle, ne signifie pas l ’ égard des autres sources d'inspiration
du traité. H abituellement G uillaum e ne les nomme pas, ou
la m ission de l’ Esprit-Saint ; dans le m êm e passage (10,22) s ’ il les indique, c ’est en term es voilés 1 . La remarque valait
l'évangile Sic D eu s d ilex il n o s reste sous-jacent à la pensée déjà pour l ’ Écriture Sainte. M ais si l ’ on devine aisément
de G uillaume quand, disant que le Père nous a donné son que < le serviteur de ton am our » (10,13) puisse être saint
Fils, il déclare aussi que le Fils nous a chéris et s'est livré Jean, il s'avère plus difficile de retrouver Aratus dans le
pour nous. On retrouve la com m union S p iritu s q u i a P atn • G entil < (11,45), saint Augustin dans « quelqu'un que tu
p ro ced it, avec l'addition et F ilio (11,22). D ’ autres passages
dérivent m oins nettem ent de la liturgie de la Pentecôte;

entre l ’enseignem ent de celte liturgie et la doctrine du traité.


A ux appels incessants de G uillaum e, à ses cris vers l ’ Esprit,
Illum inais » (12,2), ot surtout Scot Érigène dans « quelqu ’ un du Traité on sent, par des rapprochements de m ots, d ’ex ­
de tes serviteurs · (8,11). pressions, d ’ idées, combien l ’abbé de Saint-Thierry est
Cette im précision ou celte absence de références, comme
les déformations apportées aux textes cités ou utilisés, rend C o n /essio n s, du T ra ité d e la T rin ité, de la C ité d e D ieu et
délicate la recherche des sources. Souvent on hésitera. Le
A côté de saint Augustin, il faut m entionner saint Gré ­
des Pères, m ais en bien des cas il s'agit seulem ent de thèm es goire le Grand. Entre l'enseignem ent du « Docteur du désir
substantiellement communs à tonte la Patristique. C ’ est le

l ’hom me, ou de la conception de la · nature · envisagée tude est comm une à divers auteurs chez qui l ’abbé de
com me ° nature historique, incluant l ’aptitude passive, et Saint-Thierry a pulsé ’, c ’est cependant avec les termes
non purem ent obédienticlle, à la déification* ». On ne retiendra m êm es de saint Grégoire qu ’ il la formule (6,40). Plus caracté-

pour autant que Guillaume ait eu la tête rem plie do tout ce retombées, avec le Ion dans lequel Guillaume les exprime.
qu ’il lisait avec tant d ’ assiduité. Enfin, le thèm e, fondam ental dans le Traité, de la connais-
La recherche des sources m ontre, en effet, l ’ étendue do
son inform ation. Saint Augustin est peut-être son auteur D'aulres autours seraient encore A nom m er, en particulier
préféré. C ’est lui qui, en de nom breux passages, inspiro co ceux qui, A la suite de saint Augustin dans sa lettre a d P a u li-
stylo coupé, pressé, chargé d ’ interjections, et ce ton si affec ­
tif ; il donne une m anière : les effusions du colloque avec ra n g , Raban M aur. M ais déjA les Pères grecs avaient abordé
Dieu. Nom m é, quoique de façon discrète, il est surtout cité ;

lorsque celui-ci s ’écarte sensiblement du modèle. Jean Scot La littérature de l ’ Orient chrétien a
Il est remarquable que, de la pensée de saint Augustin, Érigène ; toujours attiré l ’abbé de Saint-Thierry,
Guillaume retient surtout les éléments qui sont en conso- les Pères grecs A l ’époque où il rédigeait le D e C o ntem -

déjà exploités Scot Érigène. Néanmoins, bien qu ’il néglige accès à de nom breux élém ents de la pensée grecque à travers
la théorie des analogies psychologiques de la Trinité dans l’ œuvre de Scot Érigène. Il est plus difficile de préciser dans
l'hom me, sa doctrine trinitaire est, snr un point, nettem ent
d ’ inspiration augustlnlenne et occidentale : le rôle d ’amour des œuvres de Grégoire de Nysse ou de M axime le Confesseur,

La notion de l'am our envisagé, dans l ’ homm e, com me du Traité. Elle a contribué, dans une large m esure, à la
un poids, une tendance de l ’ im age vers son Principe, la
distinction entre < l ’amour · et ■ l ’ amour de l ’am our », la
doctrine du progrès de l ’am our depuis le désir jusqu'à la
fruition, sont tributaires de saint Augustin. A propos des
vertus des païens, la dépendance est évidente. Tout au long
form ation du style de G uillaum e, si particulier tant par la

m ots et des expressions qui sem blent indifférents se rencon ­ A l'Écriture et à la Liturgie, aux Pères latins et grecs,
trent fréquemm ent dans Scot Érigène : rapprochés d ’ autres
plus symptomatiques, ils avouent leur origine ’ . O n peut de l ’ Antiquité ? G uillaume cite un m ot d'H orace, et, d ’après
saint Paul, Aratus le poète. M algré son pessim ism e à leur
davantage des exposés personnels de Scot que des traduc ­ égard, il se préoccupe de la doctrine des philosophes païens
tions faites par lui sur le grec. Il n ’ est pas exclu qu ’il ait (12,7), attestant par là sa formation hum aniste ; m ais aucun
emprunt à ces doctrines ne se m anifeste dans le texte du
D e C o n tem p la n d o D eo.
platonicien de l'ém anation et du retour : tout vient de Dieu,
subsiste en lui et reflue vers lui : ex ip so , et p er ip su m , et in O riginalité Pour le fond et pour la form e, le
de G uillaum e Traité de la Contemplation repose donc
du D e C o n tem p la n do D eo . Néanmoins, Guillaume en res ­ Il était im portant d'en
treint l ’application à l ’histoire individuelle de l'ânie ; le
thèm e essentiel du D e d ivisio n s n a turæ , la division et la naître sous un texte très homogène et avare de citations
explicites, pauvre m êm e en citations proprem ent dites lors-
créatures déifiées par les «Théophanies», Dieu" devenant
G uillaum e, sans doute, fera des progrès dans la construc ­
ainsi « tout en tous », est absent de l ’ œuvre de Guillaume.- tion de son systèm e philosophique, et surtout dans l ’élabo ­
Le term e si caractéristique de Théophanics n ’ y apparaîtra ration de sa spiritualité, principalement à l ’égard de ses
sources grecques. Dès sa prem ière œuvre pourtant, on recon-
constitue, dans l ’œuvre dè la déification, la force par excel ­
lence qui nous unit à Dieu et nous fait sem blables à lui » 3 . C ’est, avec son tempéram ent et son attitude d ’esprit, ce
qui fait son originalité, en ce xn e siècle si riche et si divers.
référence (8,11). tcrait, après saint Grégoire, des auteurs comme saint Bède
D e Scot et de ses m aîtres orientaux viennent encore, par et Am broise Autpert. Dans cette m êm e ligne on le compa ­
exem ple, la distinction entre l ’esse et le b en e esse, la doctrine rerait aux dunisiens, saint Odon et saint O dilon, tous deux
vivant le m ystère de la Pentecôte, m ais avec une note ecclé ­
siologique que n'a pas Guillaume. Par contre, il ne semble

Dam ien, ni de Jean de Fécam p ou de saint Anselm e, Dans


ibtà., 1012 ; nU loelnath> (5. 111 ’: ΙΜΛ. pa n im ; liw w npr sa ligne m êm e, il se distingue com me étant peu ascétique,
hrndl. m n iprtken drrt (11, 9S1 : (Mil., 443 B-147 C ; fie. m ais surtout m ystique. Il utilise librem ent ses sources
dlonvsiennes : il cherche m oins à décrire la transcendance
divine qu'à l ’atteindre, et quand il parle de Dieu, il évite
PLACB DANS L ’ BISTOIRB DB LA SPIRITUALITÉ
le vocabulaire superlatif de Denys. Cette originalité foncière notre corps matériel ou avec un corps spirituel : c ’ était
lui perm et de donner à une doctrine éminemment catholique reprendre un problème agité déjà par saint Augustin’ .
une physionom ie très particulière, qui'le caractérise parmi M ais les discussions dépassaient le point controversé, pour
ses contem porains, un Pierre le Vénérable, un saint Bernard
par exem ple, ou ses successeurs immédiats, tel H ugues de verra Dieu en lui-m êm e et dans scs créatures, ou celui de se
Saint-Victor. préparer à la vision béatidque par la pureté de cœur, ou

et la vision de Dieu tel qu ’il est Ces sujets ne sont pas


étrangers au D e con tem pla n d o ; G uillaum e de Saint-Thierry
a dû connaître les écrits qui en traitent. S'il est assez difficile

p ta nd o de la lettre de Loup de Ferrières3 , Guillaume aura


pu transposer à l'am our une idée de celle-ci relative à la
connaissance : Dieu sera vu en lui-mêm e et en chacune de
ses créatures.
essentielles, on se heurte toujours à quelque obstacle, com m e
en présence d'une œuvre qui n'est pas au point : Guillaume co n tem p la n d o , on remarque l ’aspect nouveau que Guillaume
devra préciser sa terminologie, creuser encore ses idées, donne à son œuvre. La distinction des titres le suggère déjà.
leur donner une expression à la fois plus claire et plus systé ­ Certaines idées sont semblables, m ais le sujet n ’est plus
m atique. Ce sera l ’œuvre de sa vie. Le D e co n tem p la n d o D eo le même. Q uantité de citations scripturaires sont com munes,
est com me un prélude, où sont déjà effleurés les thèmes
m ajeurs et pressentis les développem ents ultérieurs. Il serait m ent différents. Tout ceci pourtant reste secondaire à l ’égard
facile d'y pointer les passages, ou sim plem ent les allusions, du point capital, cette recherche d ’ une possession de Dieu
qui annoncent chacun des traités à venir. U n relevé, en
serait fastidieux ; m ais on aura noté l ’importance qui y est m ale. Un H aban M aur, docte et plus encore dévôt, semble
déjà donnée à la question de la grâce, à la nécessité de la bien terne à côté d ’un G uillaume de Saint-Thierry, penseur
foi, à la théologie trinitaire, à la place de l ’am our dans la autrem ent nourri, qui élargit le problème jusqu ’ aux prin ­
vie spirituelle. cipes et propose une solution solidement charpentée. Dans
Ce serait un plus gros travail que de situer le D e con tem ­
p la n d o dans l ’histoire de la spiritualité. Nous nous bornerons
à poser quelques jalons dans une direction très particulière. si intelligente soit-elle, et une construction théologique
m ettant en œuvre toutes les capacités d ’ inform ation et de
portait sur la vision de Dieu *. Elle a provoqué divers opus ­ raisonnem ent, vers 1064 le sujet discuté au ix° siècle est
cules et lettres, de G odescalc, Loup de Ferrières, lÎaban repris par Jean de Fécamp 8 , dans une note plus spirituelle,
M aur, Scot Érigène peut-être. La question portait primi ­
tivement sur le point de savoir si nous verrons Dieu avec 1. S. A u g u s t i n , Bp. XCII ad llalloam ; Bp. CXLVII ad P au llnam ; Bp.
CXLVIIl ad P orlunallanum : repris D e C io. D el, XXII.
2. Bp. XXX de l'éd. de Duemoler ; LXXX de l ’éd. de !.. Lsvlllaln

ιχ· M d e, dans ΛΤΛΜ , I (1029), pp. M 407. "" '" '


16 INTRODUCTION PLACE DANS l. ’ lllSTOlHK DK LA SPIRITUALITÉ 47

qui le rapprocherait de G uillaum e, m ais par sa brièveté, son le m étaphysicien infuse son am our en tous ses développe-
essai reste loin de l'effort constructif du De co n tem p la n d o .
Cet effort lui-m ême a une source, en ce sens qu ’il reprend Sous ce double aspect, du penseur et de l ’homme de cœur,
un effort similaire, de l'époque où se discutait la question on établirait encore un parallèle avec des œuvres de la
du D e o id en d o . Guillaume continue Scot Érigène. L ’ im por ­ seconde m oitié du xn· siècle, ou postérieures. L'abbé de
tance de celui-ci dans la formation des idées de l'abbé de Saint-Thierry sait unir les deux aspects, alors que bientôt
Saint-Thierry, et souvent de leur expression, nous autori ­ les écrivains se diviseront en deux groupes distincts. En
serait ù parler de < l ’érlgénlsm e · de G uillaume, si le m ot ne outre, Guillaume montre dans l'affection une élévation
risquait pas de voiler l'originalité du penseur, sa puissance à laquelle n'atteindront pas les écrits de piété, qui laissent
d'assim ilation, sa liberté d'utilisation, et, surtout, la nou ­ libre cours à une sensibilité extrêm e sans grand élément
veauté de sa philosophie, pulsée pourtant à des sources doctrinal ; et il conserve dans le raisonnement une liberté
anciennes. A propos de l'identification de la grâce avec que gênera, ou étouffera, le goût pour les cadres logiques
l'Esprit-Saint, M gr Landgrat a d'ailleurs noté la place de préétablis. L ’évolution s ’annonce déjà, quelques années
G uillaum e, surtout dans le D e co n tem p la n d o , entre Scot après le D e co n tem pla n d o, dans le D e d ilig en d a D eo de saint
Érigène ou Paschase Radbert, et le Lom bard*. Bernard, cependant si proche encore de son am i, m ais plus
G uillaume m arque donc par son effort intellectuel. Π ne méthodique et plus rationnel.
cesse pas pour autant de se montrer affectif, sentim ental Ces qualités, plutôt d ’ordre personnel, se traduisent par
presque. M ieux que beaucoup de ses prédécesseurs il a su un exposé très original. Guillaume rénove le sujet du D e
s'assimiler le ton de l'un de ses maîtres, saint Augustin, soit o ld en d o par la com binaison de deux thèm es : d'une part,
qu'il le cite, soit qu ’il l'imite. Sous cet aspect il y aurait à celui des cœurs purs, qui m éritent de voir Dieu tel qu ’ il est,
situer, dans la littérature des Soliloques, un écrit auquel on
a justement donné, parfois, pour titre S o lilo q u ia B ern a rd i *. part, le triple thème de Dieu, cause exem plaire, s'abaissant
Bornons-nous à dire que Guillaume s ’avère en cela beaucoup Jusqu'au plus intime de l'hom m e par la « condescendance »,
plus habile que d'autres auteurs, du ix· au . XII e siècle, sans
doute parce qu'il est m oins littérateur et plus sincère. 11 se de la vie divine. H réalise cette combinaison par un double
passage : d'abord, insatisfait, le désir de connaître introduit
égards, que saint Anselme. Quelques passages du M o n o to - dans le dom aine de l ’amour, qui, satisfait, doit assurer en
g io n et surtout du P ro sto gio n auraient pu donner occasion même temps possession et vision ; puis, l'étude de l ’ am our
A une rencontre des deux auteurs. Or II n'en est rien, ni pour en sol, sur un plan plutôt philosophique, conduit à l'am our
concret, au sein de la Trinité et dans les m anifestations de
la Trinité à la créature intelligente. Dieu, qui est amour,
idées similaires, malgré le tilre E x cita tio m en tis a d co n tem ­ réalise alors l'objet m êm e du D e co ntem p la n d o, à partir du
p la n d u m Ileu m , il reste quelque chose do tout différent. Le Père, dans une m édiation successive du Fils et de l ’ Esprlt,
logicien coupe ses raisonnem ents d élévations vers Dieu ; médiation qui se trouve être aussi une double m édiation
concomitante, par le Fils dans l'Esprit : par l ’ unité de nature
et d'amour, l ’unité de connaissance devient possible. Des
deux élém ents de la connaissance, la ressem blance naturelle
2. Le litre Semoeale n'est que l'un des litres du IU m nU m planAt, ou d'ordre ontologique, et la ressemblance acquise, d'ordre
du Dr ronm nplana» suivi du De nature H dlonU au umoeh. Mais « titre moral, le traité n ’ expose celle-ci que de façon im parfaite,
ni aurai donne eu petit texte In ter. <v. a llmtellru 1377).
48 INTRODUCTION L ’ ORAISON DK DOM GUILLAUM E 49
ne m ontrant peut-être pas assez clairem ent, comm ent manuscrit de Reuil lui-m êm e, si soigné dans sa transcription,
l'amour peut être dit connaissance ; aussi, m ettant l'accent si précis dans ses indications, si exact dans ses attributions.
sur l ’ unité que l ’ am our établit entre l ’hom me et Dieu, Il On y ajoutera la place de cet écrit dans le manuscrit, en
oriente davantage la solution du problème de la contem pla ­ conclusion à une série d ’œuvres de G uillaum e de Saint-
tion vers une insertion de l ’ activité am oureuse de l ’ âm e dans Thierry : il y vient un peu comm e la signature. Dom Gull-
le circuit des opérations divines. C ’est peut-être là que réside
la principale originalité du D e con tem pla n d o D eo dans l ’his ­ du traité sur la contem plation, du traité sur l ’am our.
toire de la spiritualité, comm e dans la vie de G uillaume de La lecture de l ’ Oraison rend évidente l ’indication du titre.
Saint-Thierry. Dans l ’histoire de la spiritualité, nous la con ­ On se demande si Guillaume ne commence pas un second
crétiserons par le titre de quelques traités : D e vid en d o D eo , D e co ntem p la nd o , écrit de la m êm e plum e : style, expressions,
D e co ntem p la nd o . D e d ilig en d o , D e ca ritate. Il est plus difficile mots se retrouvent, identiques. Les idées aussi sont com-
de trouver la formule caractéristique, situant son premier m unes. Il s ’agit encore de rechercher la face de Dieu ; on
écrit dans la vie de G uillaume ; à la lum ière des explications nous parle toujours de la création de l ’ homme à l ’ im age de
précédentes, peut-être pouvons-nous choisir cette citation :
• U t tin t u n u m >. les élans soudains et les retombées. Il est question du Verbe
incarné et de l ’Esprit Saint. Et pour que rien n ’y m anque,
les philosophes de l ’antiquité sont cités à la barre.
Cependant, l ’ Oraison se distingue des deux traités qui la
L ’O r a is o n d b Do n Gu il l a u m e précèdent. Beaucoup plus brève, elle n est pas un résum é,
un condensé. M algré bien des similitudes, œuvre originale,
Λ la suite des deux traités sur la contem plation de Dieu elle apporte des idées nouvelles. Non contente de préciser
et sur la nature et dignité de l ’ amour, le manuscrit de Reuil
(M azarine 776) présente un texte, d ’une page et demie elle aborde d ’autres sujets. G uillaum e parle de · l ’intelli­
environ, sous le titre « Oraison de Dom G uillaume ». Cette gence de la raison ou de l ’amour » ; il invite à com prendre,
Oraison com m ence vers le m ilieu d ’ une colonne, après un • non tant par l ’ effort de la raison, que par l ’affection de
blanc de quelques lignes. Elle précède le traité d ’Alcuin sur l ’amour ·. Il parle aussi de l'adoration véritable, et de la
les vertus et les vices. Tout, dans la disposition du texte, transcendance de Dieu, qui dépasse toute image. Il étudie
certifie que ce court écrit tait bien partie du m anuscrit • le lieu de Dieu ■ et, arguant de la parole ■ m on Père et m oi
original. lai lecture montre combien il se rattache parfaite nous som mes un >, il fixe ce « lieu de Dieu · dans la consubs ­
m ent aux deux traités de G uillaum e. On s ’ étonnerait de ne tantialité de la Sainte Trinité. On regrette de ne pas voir
pas le retrouver dans d ’ autres m anuscrits, si nous ne con développé davantage un sujet qui ne sem ble pas avoir
naissions pas déjà le sort des œuvres de G uillaum e. L'Oral· exercé les m éditations des théologiens des xu· et xrii· siècles,
son, pas plus que les .M éditations, n ’est entrée dans le ■ corpus pas plus que la notion du · lieu divin · n ’a été retenue.
bernardin ·. soit que la copie n ’en soit pas venue à Clairvaux, Si donc l ’ Oraison sc rapproche, à bien des égards, du Traité
soit, plutôt, que le style et le sujet en aient rendu difficili de la Contem plation de Dieu, elle le com plète aussi, par des
l ’ attribution à saint Bernard.
L ’Oraison n ’est signalée dans aucune liste des œuvres seul indice que nous ayons pour dater "l’ Oraison. Elle se
de G uillaum e. O n ne saurait pourtant en dénier la paternité situe à la m êm e époque que le D e con tem p la n do et le D e
à l ’abbé de Saint-Thierry. Nous en avons pour garant le n atu ra e t d ig n a te a m oris, m ais un peu après. Le m anuscrit
la eootrmpletion de Dieu *■
INTRODUCTION 51
de la Genèse, du Cantique, et la finale du canon de la m esse :
G uillaume «lu Cantique des Cantiques. Sans chercher ici tem p ta n d o . Seul le Cantique constitue un apport nouveau.
On aimerait savoir qui a donné A G uillaume l ’idée de sa
à ce qu ’en dit G uillaume lui-m êm e, dans la V ita B ern ardi petite dissertation sur le lieu de Dieu, m ais rien ne l'indique.
pour adm ettre que l'abbé de Saint-Thierry s ’intéresse tou D ’ordinaire les théologiens expliquent pourquoi Dieu, igno ­
spécialement au Cantique lorsqu ’ il se soigne auprès de soi rant le temps et l ’espace, ne saurait être contenu dans un
am i, à Clairvaux. Dans l ’ Oraison, ii ne s ’y arrête qu ’ ui lieu ; ils demeurent sur le plan physique, sans ce coup d'aile
instant. Nous pouvons dater l ’Oraison des environs de 1122 qui, soudain, élève G uillaume Jusqu'au sein de la Trinité.
La date précise reste d ’ ailleurs d'importance secondaire Dans sa M éditation VI, G uillaume s'arrêtera plus longuement
l ’ Oraison ne marquant pas un tournant dans la pensée de sur le * lieu de Dieu ■ (P. L . 180, 221).
G uillaum e. Son objet est sim plem ent de savoir où Dieu peu L'origine d ’ une autre idée prèle ή dlfllcullé : celle de la
être trouvé. M onté sur la m ontagne où Dieu volt et est vu vérité divine (51-53). La citation explicite, quoique vague,
G uillaume regarde le ciel, pour scruter ce lieu où Dieu habite nous renvoie aux philosophes de l ’antiquité qui ont défini
Aucune division ne permet de distinguer, matériellement la vérité. La forme en est bien contournée et le sens assez
des idées qui s ’enchaînent étroitement. Il faut analyser I obscur. Le texte le plus voisin serait une définition du vrai
texte de près pour reconnaître une structure à l'ensemble par le stoïcien Zénon, cité par saint Augustin : ■ on ne peut
structure à peine soulignée par une phrase plus affective percevoir comm e vrai qu ’ une représentation im prim ée dans
Nous reconnaîtrons un préam bule et une conclusion, enca l ’âm e, à partir d ’un objet réel, et telle qu ’elle n ’ existerait
drant une dissertation.
Le préam bule form e un appel vers le plein et unique amou L 'O ra tio d o m n i W ittelm i nous permet ainsi d ’ ajouter un
de Dieu (1-18). Le centre du sujet se subdivise en trois partiel philosophe grec aux sources si diverses de l ’abbé de Saint-
Dans le préambule, G uillaume cherchait A diriger sur Diet Thierry. Jointe à la notion de « localité ■ de Dieu dans la
un regard pur : Il se réfère m aintenant A la « physique · d consubstantialité, et A l ’ idée d'une contem plation absolum ent
la vue, com me ailleurs II étudiera la ■ physique de l'âm e dépouillée de tout élément sensible, cette originalité d'une
pour préparer A la connaissance de Dieu. Π conclut ù la nécel citation confère un intérêt particulier A ce court texte de
slté d ’ un objet certain et proche (18-29). Pois une brèv Guillaume. Par ailleurs, le désir d ’aim er Dieu, de le voir,
citation scripturaire lui sert de transition pour étudier I ce besoin de parvenir Jusqu'A l'intime do la Trinité, par le
ciel où réside Dieu. C ’est le centre de l’ Oraison (30-55 Verbe Incarné et l ’ Esprit-Saint, rejoignent tout A tait lo
Rapidem ent 11 s'élève jusqu ’ à l'unité des personnes divine De co n tem p la n d o .
jusqu ’ il la a consubstantialité «le la Trinité » et ù la transcei
dance divine. Q uelques lignes ensuite suffisent pour assigne
le rôle de l ’ incarnation dans cette vue parfaite de Diet
(55-61). La conclusion en découle tout naturellem ent (61-68)
E t l ’Oraison tourne court, pour s'achever sur un ton sec
presque m échant, qui cache en réalité une invitation A vise
aux plus hauts som mets.
L ’ Évangile de saint Jean constitue la principale souro
de l ’ Oraison ; on y relève aussi quelques citations des Psaum t
LISTE DE QUELQUES M ANUSCRITS
DU D E C O N TE M P L A N D O D E O

Bruges, Bibliothèque de le Ville 126. Notre-Dame des Dunes, xin* s.

Bruxelles. B. R. 596-600 (n° 1436 du catalogue). Corsendonck,


Bruxelles. B. R. 1373-61 (n» 1465 du catalogue). Louvain, Chartreuse
Bruxelles. B. R. 11-1052 (n* 144S du catalogue). Notre-Dame
d'Aulne, xnt" s. P 91. = A.
Bruxelles. B. R. 11-1056 (n° 1449 du catalogue). Notre-Dame
Cambridge. Petcrbouse 201. xiv· s. P 172.
Douai. Bibliothèque Municipale 372, t. 1. Anchin, a. 1165. f· 127 v.

Florence. Laurentlenne. Plut. XVI, cod. III. xv« s. η. III, p'. 47 b.


Florence. Laurentlenne. Plut. XIII Dext. cod. VIH. Ste-Croix de

Florence. Saint-M arc 652. xiv s. t° 84.


Londres. B. M . 5 F VII. χπ· s. I" 43. - F.

M ilan. B. N. Braidense AD IX 12. Chlaravalle 7, xv* s. I e 106.


Oxford. Bold. Laud. 368. χπ" s. t° S3.
Oxford. JesU college XXXV. xti· s. I» 1. = O.
Oxford. M erton college XL. xut° s- 1° S3.
Paris. Arsenal 324 (504 T. L.). Paris, Grands-Augustlns 7, xrv· s.
Paris. Arsenal 502 (514 T. L.). xtv· s. I» 121. = s.
T E X T E E T T R A D U C T IO N
IN CIPIT TRA CTATUS D O M IN I W ILI.ELM I C Y C O M M ENC E LE T RA IT É D E
ABBATIS SANCTI TH EO DO RICI DO M G UILLAUM E, ABBÉ
DE CO NTEM PLANDO DEO DE SAINT -T H IERRY,
SUR LA C O N TEM PLA TIO N DE DIEU
60 DE CONTEMPLANDO DEO, 2 61
2. D om ine deus virtutum converte nos, et ostende 2. Seigneur, Dieu des vertus, retour ­
faciem tuam et salvi erimus. Sed heu heu dom ine quam D ésir ne-nous, et m ontre! a face, et nous
de D ieu. serons sauvés ’ . M ais hélas ! H élas,
praeproperum est. quam tem erarium , quam inordinatum,
quam præsum ptuosum , quam alienum a regula verbi Seigneur, com bien il est précipité, com bien téméraire,
s veritatis, et sapientiæ tuæ : corde im m undo velle deum com bien désordonné, com bien présom ptueux, com bien il
videre. Sed o sum m e bone, sum m um bonum , vita cordium , est étranger à la règle du verbe de vérité 23 et de ta sagesse,
pour le cœur imm onde, de vouloir voir D ieu ! M ais,
lux oculorum interiorum : propter bonitatem tuam dom ine ô souveraine bonté, souverain bien, vie des cœurs,
miserere. H æ c est enim m undatio m ea, hæc fiducia m ea, lum ière des yeux intérieurs, à cause de ta bonté, Seigneur,
hæc justitia : contem platio bonitatis tuæ bone dom ine. aie pitié. C ’est en effet m a purification, c ’est m a confiance,
10 Ergo o dom ine deus m eus, qui dicis animæ meæ m odo c ’est la justice, de contem pler ta bonté, bon Seigneur.
quo tu scis : Salus tua ego sum , Rabboni, sum m e m agister, Donc, ô Seigneur m on Dieu, toi qui dis à m on âm e, de la
unice doctor videndi quæ videre desidero : dic casco· m anière que tu sais : « Ton salut, c ’ est m oi · , Rabboni,
m endico tuo : Q uid vis faciam tibi. E t tu scis qui jam souverain m aître, unique docteur pour voir ce que je
hoc ipsum das, quam cx om nibus suis recessibus abjectis désire voir, dis à ton aveugle, à ton m endiant : ■ Q ue veux-
is procul om nibus sæculi hujus altitudinibus, pulchritu ­ tu que je fasse pour toi ? »
dinibus, dulcedinibus, et qqicquid concupiscentiam carnis· E t tu sais, puisque précisém ent tu le donnes, com m ent
du plus profond de ses retraites, après avoir rejeté au
vel oculorum , vel am bitionem spiritus attem ptare potest,' loin toutes les hauteurs de ce siècle, ses beautés, scs dou ­
vel solet : tibi dicat cor m eum : Exquisivit te facies ceurs, et tout ce qui peut tenter la concupiscence de la
m ea ; faciem tuam dom ine requiram . N e avertas faciem chair ou des yeux, ou l ’ ambition de l ’esprit, — et souvent
Μ tuam a m e ; ne declines in ira a servo tuo. Im pudens le fait. — tu sais com m ent m on cœur te dit : « M a face
quippe sum et im probus o adjutor m eus antique, eÉ t ’ a cherché; ta face. Seigneur, je rechercherai. Ne détourne
pas ta face de m oi ; ne t ’ éloigne pas, dans ta colère, de
2 Ps. LXXIX, 20 II 10 l*s. xxxiv. 3 II 11 Jo.. XX, IS II 13 Mare., x. SI || 10 ton serviteur ». Im pudent, sans doute, je le suis, et in ­
1 Jo., u. 10 II 13 Fs. XXVI, 8-0 ter. bom. post Λ κ αη ί., nd Introit.) || 21 Es. convenant, ô m on aide antique et m on défenseur infati-

M inMlOSarZY II| port qulequld V^17^»plrllu» · *0^'°

liiro · (Ε ρ ^ . ï 1313 A). Sur In ’ balte dTtexUe biblique» (Ps. LXXIX, 20 :

dnldèrÎo n || dic i* dlooS |l 13 qui : qiila V r || )om om. T tam ,V|| 14 dot : ilnns rinUxrltd de son ''Ire loi que Dieu l'n errt enroulu · (1. Ι.ΒΜΑΐτηκ,
dal m II quam : quoniam H V ut V || rocoulbl» suis J S V || 15 hujus sacculi
2. lleoula Verti oerU all» : 01. S. A u o u s t in , De Dori, ehrlsl,. 1 ·, P. 1... 34,22,
W ILLELM1 ABBATIS SANCTI THEODORICI
susceptor indefesse, sed vide quia am ore am oris tui hoc gable. M ais e ’ est par amour de ton amour que je le fais :
facio, sicut vides m e non videntem te, et sicut lui desi­ vois-le, tout com m e tu m e vois, m oi qui ne te vois pas.
derium dedisti m ichi, et si quid tibi placet in m e ; et Et, tout com m e tu m *as donné le désir de toi, tu es cause
as cito ignoscis cæco tuo ad te currenti, et m anum das si quelque chose te plait en m oi · . E t bientôt tu pardonnes
in aliquibus in currendo offendenti. à ton aveugle, qui court vers toi ; et tu lui donnes la m ain,
quand sur quelque chose en sa course il choppc.
3. Respondeat quippe m ichi intus in anim a et m ente
m ea tum ultuans in m e et concutiens om nia interiora C ontem plation 3. Q ue m e réponde alors au dedans,
m ea vox testificationis tuæ, et caligant oculi m ei inte ­ de l ’ H um anité dans m on âm e et m on esprit, tem -
riores a fulgore veritatis tuæ , ingerentis m ichi : quia du C hrist. pétant en m oi et secouant tout m on
s non videbit te hom o, et vivere potest. Ego enim vere intérieur, la voix de ton tém oi ­
in peccatis totus usque adhuc : necdum potui mori· gnage : et m es yeux intérieurs sont éblouis par l ’ éclat de
m ichi, ut vivam tibi. Sed tam en ex pracepto tuo et ta vérité qui m e représente que ■ l ’ hom m e ne pourra pas
dono tuo, sto in petra fidei tuæ, fidei Christian®, in loco te voir, et vivre ». M oi en effet, vraim ent tout entier au
qui vere est penes te ; in qua ut possum interim fero péché jusqu ’ ici, je n ’ai pas encore pu m ourir à m oi-mêm e
10 patienter et am plector, et deosculor tegentem et prote ­ pour vivre à toi ’ .
Cependant, selon ton précepte et par un don de toi,
gentem m e dexteram tuam et aliquotiens contem plans je m e tiens sur la pierre de la foi en toi, de la foi chrétienne,
et videre gestiens posteriora videntis m e : hum ilitatem au lieu qui est vraim ent près de toi ; sur elle, de tout m on
scilicet pertranseuntem dispensationis hum anæ. Christi possible, en attendant, je souffre patiem m ent ; et j ’em ­
brasse et je baise ta droite qui m e couvre et m e protège.
E t quelquefois, quand je contemple et m 'empresse de
voir, j'aperçois le « dos » de celui qui m e voit : j ’aperçois,
qui passe, l ’ hum ilité de la o dispensation * hum aine du
22 pm l .u w eplor «M . mcu· > || vMo quia cm. A C D F JK M m N n O S sTX V |
23 Λ -Ides om . a video Y || videntem am . T || 23-20 sicut*... ollendenU :

exemplar >>^|| dcdlatl mi d

me?H.W mS.ii'Z || ,«»t ίι add. bl X'||°2 Inîerlom men am . â.W m.VS | 3 meU
add. sô Y II te videbit J | 3 potest ! poterit T7. || mlm am . Jm n* || 7 mlebl
ACFJAIinA ’nOSsVZ || tero Interim CPJ.'lm.VnOSl || 10 teiienlem : regale
U m V Z II 12 gestiens : sident S || humllllnlcm Killed (sc'llkel cm. is) pop ­
64 DB CONTEM PLANDO DEO, 3
filii tui suspicio. Sed cum accedere gestio ad eum . et Christ, ton Fils >. M ais quand je m 'em presse d'accéder
is vel sicut emorrousa illa, infirma: et m iseræ animæ m eae a :i lui ; ou, com m e cette hém oroïsse, quand je m 'efforce
salutifero tactu vel fim briæ ejus, quasi furari gestio de dérober, pour ainsi dire, la santé pour m on âm e
sanitatem ; vel sicut Thom as ille vir desideriorum totum infirm e et m isérable, par l'attouchem ent salutaire au
eum desidero videre et tangere, et non solum , sed accedere m oins de ses franges ; ou, com m e Thom as, cct hom m e de
ad sacrosanctum lateris ejus vulnus, ostium archie quod désirs, quand je désire le voir tout entier et le toucher,
20 factum est in latere, ut non tantum m ittam digitum et non seulement cela, m ais accéder à la sacrosainte
blessure de son côté, porte de l'arche qui est faite sur le
vel totam m anum , sed totus intrem usque ad ipsum côté, non seulem ent pour y m ettre le doigt ou toute la
cor Ihesu, in sanctum sanctorum , in archam testam enti, m ain, m ais pour entrer tout entier jusqu ’au cœur m êm e
ad urnam auream , anim am nostræ hum anitatis conti ­ de Jésus 8 , dans le saint des saints, dans l ’ arche du Testa ­
nentem intra se m anna divinitatis : heu dicitur m ichi : m ent, jusqu'à l'urne d'or, à l'âm e de notre hum anité
23 Noli m e tangere. E t illud de A pocalipsi : Foris canes. contenant en soi la m anne de la divinité : hélas, on m e dit
Sicque condignis conscientiæ m eæ verberibus expulsus: alors : · Ne m e touche pas · , et ce m ot de l'A pocalypse :
et propulsus : im probitatis et præsumplionis m eæ pœnas « Dehors, les chiens 1 »
cogor luere. R ursum que in petram m eam m e recipiens, E t ainsi, com m e il convient, quand les verges de ma
quæ refugium est erinaciis spinis peccatorum plenis, conscience m 'expulsent et m e poussent dehors, je suis
30 ream plector et reosculor tegentem et protegentem m e obligé de payer la peine de m on inconvenance et de m a
présom ption. E t de nouveau, je m e rem ise sur m a pierre,
dexteram tuam , et ex eo quod vel leviter sensi, vel qui est le refuge des hérissons rem plis des épines de leurs
vidi, m agis accenso desiderio vix patienter expect© ut péchés ; de nouveau je saisis et de nouveau j'embrasse
ta droite, qui m e couvre et m e protège. E t du fait que j'ai
U IS M atth., 1«. senti 8 , m êm e légèrem ent, ou vu, davantage s'allume
Dan.. IX. 23 II 1

IS rurari
om . Τ' II 17 desideriorum vir T || 18 desidero om . C F Jn desiderio N || videre
desidero V || post sed odd.et V|| IS ostium : hosliums || posl ostluyr odd. seOlcel
animam A C D F JK M m N n O B sT X Y |j 2d ‘sc om. * II : H “ »·
dignis aCDKK.M mNOSsVyZ eoa
. (trad. B ibi. A u pusl.. 1, p. 237).
W ILLELM t ABBATIS SANCTI THEODORICI DE CONTEMPLANDO DEO, 3 67
m on désir ; et, presque im patient, j'attends qu'un jour
aliquando auferas m anum tegentem , et infundas gratiam · tu enlèves la m ain qui m e couvre et verses la grâce qui
illuminantem ; ut tandem aliquando secundum responsum illum ine, pour qu'un jour enfin, selon la réponse de ta
ss veritatis tuæ m ortuus m ichi, et vivens tibi, revelata facie, vérité, m ort à m oi-m êm e et vivant pour toi, la face dévoi­
ipsam tuam faciem incipiam videre, et affici tibi a visione lée, je com m ence à voir ta face m êm e, et sois « affecté »
faciei tuæ. E t o facies facies, quam beata facies : quæ de toi 1 par la vision de ta face. Et, ô face, face ! com bien
affici tibi m eretur videndo te, ædificans in corde suo heureuse la face, — celle-là qui m érite d ’être « affectée »
tabernaculum deo lacob, et om nia faciens secundum de toi en te voyant ! Elle édifie dans son cœ ur un taber ­
nacle au D ieu de Jacob, et fait tout selon l ’ exem plaire
petcnter cantat : Tibi dixit cor m eum exquisivit tc facies qui lui est m ontré sur la m ontagne *. Ici, avec vérité
m ea, faciem tuam dom ine requiram . Itaque ut dixi ex et com pétence, elle chante : ■ A toi m on cœur a dit :
dono gratiæ tuæ contem plans om nes conscientiæ m eæ m a face t ’a cherché ; ta face. Seigneur, je rechercherai ».
C 'est pourquoi, je l ’ ai dit, par un don de ta grâce je
angulos, vel term inos, unice et singulariter desidero contem ple tous les angles de m a conscience et ses extré ­
45 videre te ut om nes fines terræ m eæ videant salutare m ités, et je désire uniquem ent et exclusivem ent te voir :
domini dei sui, ut amem cum videro : quem am are hoc ainsi, tous les confins de m a terre verront le salut du
est vere vivere. D ico enim m ichi in languore desiderii Seigneur son D ieu, et j ’aim erai, puisque je verrai, celui
m ei : Q uis am at quod non videt ? Q uom odo potest qu ’aim er est la vraie vie. Je m e dis en effet, dans la lan ­
esse am abile, quod non aliquatenus est visibile ? gueur de m on désir : < Q ui peut aim er ce qu ’il ne voit
pas ? Com m ent pourrait être aim able ce qui n ’ est pas,
de quelque façon, visible ? »

earacUre de participation (afflcl Deal cl. Spec., 391 B : . Uni» «plrltue


68 W lLLEI.M l ABBATIS SANCTI TIIBODOB1CI j DE CONTEM PLANDO DEO, 4 69
4 . Sed te desideranti am abilia quidem tua cccuruut, . „ __ 4. M ais à qui te désire se présen-
et a cœlo et a terra, et ab om ni creatura se m ichi ultro .. Inlo a "°? S tenl llu n ‘ oi |is les ■ am abilités 1 ».
offerunt, et ingerunt : o in om nibus adorande et am abilis ëréstrtnn E t du Cicl Cl de la terrC ' el P ar
dom ine ; quas quanto te m anifestius et verius prodicant on ' toutes tes créatures, elles s ’ offrent et
5 et approbant am abilem , tanto ardentius te m ichi faciunt se présentent à m oi d'elles-m êm es, û Seigneur en tout
desiderabilem , sed heu non ad fruendi perfectam suavi· adorable et aim able. Et autant elles te proclam ent et te
tatem et gaudium ; sed ad intentionis et intensionis prouvent aim able avec plus d'évidence et de vérité,
et defectus, non tam en sine aliqua suavitate torm entum autant elles te rendent pour m oi plus ardem m ent desi­
rable. M ais hélas ! ce n'est pas pour jouir en parfaite
Sicut enim m ea non tibi perfecte placent oblata nisi suavité et joie, m ais pour être tourm enté, non sans
10 m ecum : sic bonorum tuorum contem platio reficit nos quelque suavité pourtant, par l'attention, l ’ intention,
quidem dulciter ; sed non satiat perfecte nisi tccum et le défaut s . En effet, de m êm e que m es oblations ne te
H æ c est animæ m eæ assidua exercitatio, hinc assidue plaisent pas parfaitem ent si je ne suis pas avec elles,
scobo, vel scopo spiritum m eum et cum bonis et am abilibu ainsi la contemplation de tes biens nous rafraîchit-elle
tuis, quasi pedibus et m anibus et totis innitens viribus sans doute avec douceur, m ais elle ne nous satisfait pas
is sursum tendo ad te, in te, sum m e amor, sum m um bonum parfaitem ent, si tu n'es pas avec elle.
sed quanto tendo fortius, tanto retrudor durius infn Tel est de m on âm e l'exercice assidu. De là, assidû ­
in m em etipsum , sub m e ipso. Sic ergo respiciens et dis ­ m ent je scrute, ou applique, m on esprit 5 ; et, avec l'aide
cernens et dijudicans m eipsum : factus sum michiips de tes biens et de tes am abilités, com m e faisant effort
avec les pieds et les m ains et toute m a vigueur, je tends
de m cipso laboriosa et tæ diosa quæ stio. Tandem tam ei vers le haut, vers toi, en toi : souverain am our, souverain
20 dom ine, certe certus sum per gratiam tuam desideriun bien. M ais plus fort je tends, plus durem ent je suis rejeté
en bas. en m oi-m êm e, sous m oi-m êm e. A insi donc, je m e
4 13 1*1. LXXVr. 7 ( 18 Job. vu. 20 regarde, et je m e jauge, et je m e juge m oi-m êm e ; et je
deviens à m oi-mêm e, à propos de m oi-m êm e, une labo ­
rieuse et ennuyeuse question .
Enfin cependant, Seigneur, je suis certain, certes,
4 sed : si M || pou te oM . U A D K J desideranti : desiderant s || lus quidem de par ta grâce, d ’avoir en m oi le désir de te désirer et
Y 1 2 POU creatura odd. UM C F H M m R n O S iV YZ " ultro : ultra e | 3 o ont.

Λ' β 7 «1 Intentionis... suavitate : od intentate .V el intensionis mtr. C FH J>


M m n O S tT V X Y Z lailo. ta oiorp Z : < al. add. et intensionis <> ; S suavitate

onu M mSs 1 13 scobo ; JLben d 'i^ seo b ifv d om . F Jli.M m N n O & T V Y Z


vel scopo om. C. U scabo cl scopo X J spiritum scopo S J et1 an. S II 15 1
te an. V 11 amor om. m || 10 Hd «s. A D K X cl T il lanlo : lande J.ttai.Vl
R S T V Y Z II durius : durior ΛΙ . intra : in terram C F lIJYlm X n O SsV Z l*s qui louchent à Dies, ‘. non ■ Dieu lulmèaw, l'essencodlvtno · <Ep., 3S3 A);
IS meipsum : memeUpsum VY 19 cl taediosa om. C F JM u X M S o mo ­ en ellel, si . la raison nous dirige vers Dieu. d ’Hle-inCine elle ne l'atteint
diolo : radiosa R |] quaestio om. S || tandem not. H JM m N n S iV X Y Z Pas · (MesL. ill, 214 B).
2. CL Med.. Π1.212 B. Pour le sens de in lfn lio et iidenslo. el. p. SS. note 1.
tu X 1 20 eerie ont. H T V Y Z J post sum odd. et s. 3, Seoho eel scopo : CI. Introduction, p. 30, note 13.
DE CONTEM PLANDO DEO, 4-5
l'am our de t'aim er de tout m on cœur et de toute m on
desiderii tui, et am orem am oris tui habere m e, in toto , âm e. Jusque-là tu m ’ as fait progresser, jusqu'à désirer
corde, et in tota anim a m ea. H uc usque te faciente te désirer et aim er t ’ aim er '. M ais quand j'aim e ainsi,
profeci : ut desiderem desiderare te, et am em am are te. ce que j'aim e je ne le sais. Q u'est-ce en effet qu'aim er
Sed hoc am ans, quid amem nescio. Q uid enim est am are l'am our, désirer le désir ? C'est par l'am our que nous
as am orem , desiderare desiderium ? Am ore am am us si quid aimons, si nous aim ons quelque chose ; c ’ est par le désir
am am us ; desiderio desideram us quicquid desideramui que nous désirons tout ce que nous désirons. M ais sans
Sed forsitan eum am o am orem non am o am orem quo amq doute, quand j ’ aim e l'amour, ce n ’ est point l'am our que
quod am are volo, et am o quicquid am o ; sed m e am antem j'aime, — cet amour par lequel j'aim e ce que je veux
cum in dom ino laudatur et am atur a m e anim a m ea; aim er, et par lequel j ’ aim e tout ce que j'aim e, — m ais
so quam proculdubio detestarer et odio haberem, si eam c'est m oi que j'aim e aim ant2 , lorsque je loue et aim e
m on âm e dans le Seigneur. — cette âm e que sans aucun
alibi quam in domino et in ejus am ore invenirem . Sed doute je détesterais et aurais en haine, si je la trouvais
et de desiderio quid dicemus ? Si dicam desidero esse ailleurs que dans le Seigneur et dans son am our.
desiderans : jam m e invenio desiderantem . Sed num quit M ais encore, du désir, que dirons-nous ? Si je dis : « Je
desiderantem desiderium tui quasi non habeam , aut désire être désirant s, déjà je m e trouve désirant. M ais
35 desiderium m ajus quam habeam ? 5 est-ce que je désire le désir de toi, com m e si je ne l'avais
pas, ou bien un désir plus grand que celui que j'ai ?
5. Cum igitur hoc m odo deficiant et caligent et cæcu
tiant interiores oculi m ei, oro ut citius a te aperiantui
non sicut aperti sunt Adam carnales oculi ut videret V icissitudes 5. Lors donc qu'en cette façon
de la défaillent
-- — .. et s'obscurcissent
---------------- — -et- s ’a-
contem plation, veuglent m es yeux intérieurs, je
dem ande qu'au plus vite par toi ils

X || déslderoosseom. C K JM m N rw || desidero... Jam : desideri


tui desiderantem C F H JM m N n O S iV Y Z || desiderium oa
manis C F Jauu || 5 1 Igitur : ergo N X Y | caecutiant : caecutient ni
2 oro : orc s || a lo cillus (cujus VI A C D X Y || cillus apertatur a le C
a i ud XII a lo om. Λ' || 3 oculi carnales Ulle T || ut : no M || videret : videt
W ILLELMI DE CONTEM PLANDO DEO, 5 73
W ILLBI.M1 ABBATIS SANCTI THEODORICI DE CONTEM PLANDO DEO, 5
2s Q uamdiu non perm anebit spiritus tuus in hominibus, gueur de jour ? Combien de tem ps ton Esprit se refusera-
quia caro sunt, sed venit et vadit, et spirat ubi vult ? t-il à dem eurer dans les hom m es, parce qu'ils sont chair ?
Sed in convertendo dom inus captivitatem Syon. facti
erim us sicut consolati ; tunc replebitur gaudio os nostrum le Seigneur fera revenir Sion de captivité, nous serons
et lingua nostra exultatione. Interim heu m ichi quia vraim ent consolés : alors notre bouche se rem plira de joie,
30 incolatus m eus prolongatus est. habitavi cum habi ­ et notre langue d'exultation. En attendant, m alheur de
tantibus Cedar ; m ultum incola fuit anim a m ea. Sed m oi 1 car m on exil s'est prolongé : j ’ habite avec les habi ­
respondet m ichi intus in corde m eo veritas conso ­ tants de Cédar : m on âm e est bien exilée.
lationis tuæ ; et consolatio veritatis tuæ. Est amor
desiderii : et est am or fruitionis. Am or desiderii m eretur M ais au dedans de m oi. dans
3S aliquando visionem , visio fruitionem ; fruitio am oris A m our de désir m on cœur, m e répond la vérité de
perfectionem . G ratias ago gratiie tuse, qui loqui dignaris et am our de ia consolauon. et la consolation de
ad cor servi tui : et anxiis ejus quæstionibus aliquatenus fruition. ta vérité : « Il y a l'am our du désir.
respondes. Suscipio et am plector hanc spiritus tui arram ; et il y a l'am our de la fruition. L ’ amour du désir m érite
et lætus expecto in arra prom issionem tuam . Desideri (d'obtenir) parfois la vision, la vision la fruition, la frui­
so itaque am are te. et am o desiderare te. et hoc m odo tion la perfection de l'am our *. »
curro ut apprehendam , in quo apprehensus sum ; sci­ Je rends grâce â la grâce, â toi qui daignes parler au
licet ut am em te pertecte aliquando, o qui prior nos cœur de ton serviteur, et qui réponds quelque peu à ses
questions anxieuses. Je reçois et j ’étreins ces « arrhes
am asti am ande et am abilis dom ine. de ton Esprit · , et joyeux j ’attends, dans les arrhes.
l ’effet de ta prom esse.
as Gen.. Vi. 3 I 20 Jo.. ni. S il 28 Ps. exxv, |.] |H h cxlx, S· · II 37 cf
Ruth. II. 13 || 38 11 C«r.. 1, 22 || 39 Act, 1.4 || 41 W ill.. IO, 12 || 42 1 Jo. façon je cours pour saisir celui par qui j ’ ai été saisi,
c'est-à-dire pour t'aim er parfaitem ent un jour, à toi
qui le prem ier nous a aimés, toi qu'on doit aim er, aimable
Seigneur.
76 W ILLELMI ABBATIS SANCTI THEODOniCI
6. M ais existe-t-il quelquefois, ou
tui perfectio, btec in am ore tuo beatitudinis consum m a-
désir sans fin.

Seigneur, posséderont-ils ton

une conscience de sa dette, une intelligence de ton amour

S.GK£ao<»KI.BOnA!<D, AforeSûr Jo», XVltl, XXVIII, 01 ; P. X-, 76,04 Λ B I


S c o t ËnioSsB, D e dim elone not., 11. 3S ; V. 2S ; P . L ·, 122, CIS A, 010 D.
W ILLELMI ABBATIS SANCTI THEODORICI DE CONTEM PLANDO DEO, 6
ille quicum que ille est tantum te am are quantum am at, quel qu'il soit, t ’aim er autant que t ’aim ent tous ceux qui
20 quieum que plus eo am at ; non æm ula insectatione, sed pia aim ent plus que lui ; ce n ’ est point là envieuse poursuite,
et devota im itatione. Si vero et in am ore proficit, quanto m ais pieuse et dévote im itation. E t si, en outre, l ’ am our
felicius illum inatis oculis in interiora procedit, tanto dul-. profite en lui, autant, les yeux illum inés, il progresse
cius sentit et intelligit, si ingratus non est, et injustus, et avec plus de félicité dans les réalités intérieures, autant
te plus posse am ari, et se debitorem plus am are ; veil· il sent et comprend avec plus de douceur, s ’il n'est pas
2S quantum te am ant chérubin et séraphin. Sed qui desi ­ ingrat et injuste, que tu peux être aim é davantage, et
que lui. débiteur, peut aim er davantage, et m êm e autant
derat quod assequi non potest : m iser est. M iseria vero que t ’aim ent chérubins et séraphins.
a regno beatitudinis prorsus aliena est. Assequitur ergo M ais celui qui désire ce qu ’ il ne peut atteindre est m al­
quod desiderat : quisquis ibi aliquid desiderat. Q uid heureux. Or la m isère est tout à fait étrangère au royaum e
de la béatitude. 11 atteint donc ce qu ’ il désire, quiconque
so cro dom ine : quia audit servus tuus. Num quid et m aga là-haut désire quelque chose.
et parvi om nes qui sunt in regno dei, unusquisque it Q ue dire à cela? O ui, que dire ? Parle, je le prie. Sei ­
suo ordine et am at et desiderat amare, et am oris unitas gneur, car ton serviteur écoute. Tous ceux qui sont dans
non sinit ut sit diversitas, dum am at cui est datum' le royaum e de D ieu, les grands et les petits, chacun selon
hoc ardentius, m inor autem in m ajore, sine invidit son ordre, n ’ aim ent-ils pas et ne désirent-ils pas aim er ?
ss bonum ubicum que videt am at, quod ipse sibi desiderat E t l ’ unité de l ’am our n ’ empêche-l-elle pas qu ’il y ait
diversité ? Pendant que celui qui en a reçu le don aim e
et habet utique am orem quantuscum que est quem it plus ardem m ent, le m oindre, de son côte, n'aim e-t-il
am ante am at ? Nim irum am or est qui am atur ; qui es pas dans le plus grand, sans envie, partout où il le voit,
m agna bonitatis suæ affluentia et natura, am antes ei le bien qu'il désire pour lui-m êm e ? E t n ’ est-il pas cer ­
coam antes gaudentes et congaudentes pari im plet gratia. tain qu ’il possède ainsi tout l'am our, si grand soit-il,
qu'il aim e dans l'aim ant 1 ?
A la vérité, c'est l'Am our qui est aim é, lui qui, par la
grande affluence et la nature de sa bonté em plit d'une
pareille grâce, bien qu ’avec une inégale m esure, ceux qui
aim ent et aim ent ensem ble, qui se réjouissent et se ré-
10 quicumtiue om. C F JM m N nO S s || llleom. CFJM niNnOSfT||cst om . C FJI

Y ei provisionis n || delom. s || 32 Online suo T || ol> oni. UM niSsTV ||


lunaro desiderat A C D V njK M m N nO SsT V X YY . || 33 sit om. H 1| datum
est hoe H M m SsV X Z hoc datum est C F JN n O Y || hoc om. M m Ss || 34 χηΜ οηΙ,Ί ’Μ Ι dôjù les posséder <cl. Bp.!*33a C) ; un tel désir n ’exclut donc
majora : amoto A C D F H JK M m N O S sT V X Y Z || 3S videt i vidit F || nmnts PM In béaUtude.

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