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SOURCES C H R É T IE N N E S
C o llectio n dirig ée p a r H . d e L u b a c, S . J ., el J . D a n iéto u , S . J .
S ecréta ria t d e D irectio n : C . M o n d éserl, S . J .
G UIL LA U M E D E SA IN T -T H IE R R Y
LA C O N TE M PL A T IO N 'D E D IE U
L ’ O R A ISO N D E D O M G U IL LA U M E
In t r o d u c t io n , t e x t e l a t in b t t r a d u c t io n d e
D om Jacques H O URLIER
L E S É D IT IO N S D U C E R F , 2 9 , B D d e l à T o u r -M a o b o v r o , P A R IS
S IG L E S E T A B R É V IA T IO N S
Les autres œ uvres de Guillaume seront toujours désignées par leur titre
com plet. Dans les références au De contemplando Deo, les chiffres renvoient
aux paragraphes et aux lignes du présent volum e.
Manuscrits et éditions du D e c o n te m p la n d o D e o :
Λ A u ln e B r u x e lle s B . R . 1 1 - 1 0 5 2 X III e
C C o rse n d o n c k B r u x e ll e s B . R . 5 9 6 - 6 0 0 x iii· ,d.
/) le s D u n e s B ru g e s B . M . 1 2 8 x u e, L
F ? L o n d re s B . M . 5 F V II X II e
II é d itio n d ’H o r s tlu s 1641
J J u m lè g e s R ouen B . M . 557 X III 0
K A n c h in D o u a i B . M . 3 7 2 , t. I a. 1165
M P a r i s , F r a n c is c a i n s ? M a z a r in e 6 3 0 x m e, d .
m ? M a z a r in e 7 3 9 X III e
A’ B o u rg o g n e ? P a ris B . N . la t. 1 0 6 2 1 X III e
n I t a l ie P a ris B . N . la t. 1 7 2 7 X III-X 1V *
O ·> O x fo rd , J e s u s X X X V X II e
K R e u il ? M a z a r in e 7 7 6 x n e, m .
S P a ris, G d s A u g u s tin s ? A rse n a l 3 2 4 X IV e
s 9 A rse n a l 5 0 2 X IV °
T le J a r d i n e t T ro y e s B . M . 2 0 5 1 1428
V é d i t . T i r a q u e a u - G i l l o l ( d ’ a p r è s S t - V i c t o r d e P a r is ) 1640
X a u t r e t e x t e d a n s la m ê m e é d i t i o n : S o lilo q u ia , c o l. 5 0 8
y é d i t i o n M a r g a r in d e la B ig n c 1677
z é d i t i o n M a b illo n 1690
IN T R O D U C T IO N
V ie d e Gu il l a u m e d e Sa in t -T h ie r r y
L a v ie d e G u illa u m e d e S a i n t - T h i e r r y 1 p e u t s e r é s u m e r
e n q u e lq u e s lig n e s 2 , e n c o r e q u e s o n a c tio n a il é té p r o f o n d e
c l q u e s a p e n s é e s o il r ic h e e t p u is s a n te . U n e c h r o n o lo g ie
s o m m a ir e s u f f it à d é lim ite r le c a d r e o ù l ’ a c tio n s ’ e s t e x e r c é e ,
o ù la p e n s é e s ’ e s t d é v e lo p p é e e t é p a n o u ie .
•
C h r o n o lo g i e N é à L iè g e , d ’ u n e f a m ille n o b le q u e
s o m m a ir e n o u s n e c o n n a is s o n s p a s a u tr e m e n t,
G u illa u m e q u i t t e s o n p a y s p o u r f a ir e
s c s é tu d e s , à L a o n tr è s p r o b a b le m e n t. P u is il abandonne
i
le monde des écoles el prend l'habit m onastique dans l'abbaye restait partagée entre la défense de la foi catholique contre
Salnt-Nicaise de Reims, alors en pleine ferveur. En 1119- des novateurs trop hardis, et l'exposé de sa doctrine
1120, 11 devient abbé do Saint-Thierry, tout près de Reims. spirituelle, en faveur des âmes avides do perfection.
Il se trouve désormais accaparé par les devoirs de sa
charge, direction de ses m oines el administration de son
monastère, auxquels II ajoute le rôle de zélateur du renou M ilieu Ce résum é resterait bien terne si l ’on
veau qui anim e alors les abbayes de toute la province ecclé
siastique. caractérise le Xll· siècle. G uillaume l'a connu ; Il y a été mêlé
Sa nomination Λ la tète d'une importante m aison et, à bien des égards. Ce sont d'abord les affaires séculières qui.
peut-être plus encore, sa situation au m ilieu des autres pour n'ètre pas les plus importantes, ne s'en avèrent pas
abbés de la région prouve de quelle considération II jouissait m oins très astreignantes ; adm inistration du tem porel, ser
déjà, considération bien m éritée si nous on Jugeons par ses
premiers écrits. Guillaume s'y m anifeste un penseur profond. et avec le vicom te de Trigny, insubordination des vilains
et bourgeois agités par le m ouvement com m unal, constituent
Pères grecs. L'originalité de sa pensée ne s ’oppose pourtant les principales causes de soucis.
pas à un extrêm e souci d'orthodoxie théologique, qui ne Et le poids de ces affaires se fait d'autant plus pesant que
vons saisir aussi, dès les premières années d ’abbatiat, le toutes les activités de l'hom me vaquer à Dieu. Or ce besoin
caractère et le tempéram ent de Guillaume. Il est d ’ une de liberté, d'évasion d'un monde trop envahissant, a été si
constitution assez délicate, nature m aladive qui s accom vivem ent senti par beaucoup qu'il a donné naissance, surtout
moderait m ieux du repos que des tracas des affaires ; esprit depuis quelques dizaines d ’années, à de nouvelles form es
pieux et exigeant qui aimerait à s'évader vers une parfaite de vie m onastique ; l ’ordre cistercien n ’ est que l'une do ces
solitude ; et en m êm e temps, volontaire, agressif presque, m anifestations, la plus caractéristique peut-être aux yeux
dans la réalisation d'un idéal placé très haut. Idéal qu ’il des anciens moines, les m oines noirs. Ceux-ci, dès qu ’ils sont
touchés par l'exemple des nouveaux, des m oines blancs,
voudrait communiquer, pour ne pas dire Imposer, autour n ’ont d'autre solution que de passer à Cltcaux ou de modifier
de lui. Et cet idéal, au fond, c ’est saint Bernard : Guillaume
désire mettre Bernard partout. G uillaume veut vivre avec la vie de leurs m onastères, à l'im itation de Clteaux. C'est
tout un mouvement de transform ation, d'adaptation ; il est
Bernard. Or son am i n ’ y consent pas. particulièrement actif dans le Nord-Est de la France actuelle :
Il s'ensuit une crise de plusieurs années qui dure jusqu'au l'abbaye de Saint-Thierry y prend part avec Geoffroy
rejoint, à Signy 1 , un essaim de moines cisterciens venus au premier rang des soucis ecclésiastiques qui s'imposent à
d ’ Igny, le m onastère de saint Bernard le plus proche de la sollicitude des abbés. Or G uillaume est l'ami de Bernard :
Reim s. Il y demeurera jusqu'à sa m ort, le 8 septem bre 1148.
On ne lui connaît qu'une seule absence hors de Signy : le tant de l'abbé de Clairvaux, son porte-parole, le meilleur
séjour qu ’ il fit, à quelque distance de là. chez les Chartreux tenant d ’ un esprit que tous partagent, m ais que Guillaume
du M ont-Dieu. Son activité, durant ces dernières années, possède par droit d'am itié. H entretient avec saint Bernard
un com m erce épislolalrc où il est souvent question des
1. Slany. dloc. de Reims. dip. des Ardennes, eh-l. de eanlon. — tuny. |mr affaires m onastiques : passage des bénédictins de la province
Arels-le-IOnssrd. dîne, de Reims, dtp. de la Marne, rant. Himes.
10 INTRODUCTION VIE DE GUILLAUME DR SAIXT-THIEBKV 11
de Reims nu nouvel ordre, beauté de la vie cistercienne et flque itinéraire spirituel, que la suite de ses œ uvres nous
perfection des m oines blancs, réformes à opérer chez les
m oines noirs. Au centre de la controverse que soulève le
problème m onastique, se situe la célèbre Apologie de saint
Bernard à Guillaume do Saint-Thierry. Au term e de tous Itinéraire O n ne saurait douter que la vocation
ces efforts de rénovation, se placent les réunions périodiques spirituel de Guillaume ait été de vivre pour Dieu.
des abbés bénédictins de la province ecclésiastique, et les Cette vocation lui fait quitter sa patrie
heureux résultats qui en découlent. de Liège, où il ne sem ble jamais être retourné, et sa fam ille,
M ais les affaires m onastiques ne sont pas les seules qui dont nous ne savons plus rien. Il gagne les écoles les plus
Incom bent aux abbés, dans la vie de l ’ Égllse au xn e siècle : célèbres, afin de recevoir des m eilleurs m aîtres la science qui
on peut dire qu ’aucune question ecclésiastique ne doit les fait connaître Dieu. M ais bientôt il a vu les périls du m ilieu
laisser indifférents ; les abbés participent d ’ailleurs, de droit, scolaire : plus que l ’inconduite de certains étudiants, les
aux synodes et conciles, ils sont en rapports constants avec excès et l ’orgueil d ’ une science qui peut parler de Dieu, sans
l'épiscopat. le donner, l ’effrayent, au point de le conduire vers d ’ autres
Au premier rang des travaux des conciles de cette époque, écoles, plus sûres, celles du service du Seigneur : il entre au
nous trouvons toujours les problèm es agités par le m ouve m onastère. Déjà nanti d ’ un beau bagage intellectuel, et
m ent intellectuel. C'est le m om ent où les écoles épiscopales, même spirituel, il développe celul-cl sans négliger celui-là.
se tournant résolum ent vers la philosophie, cherchent l ’ ex Ses effusions, sem ées çà et là ou réunies en recueil de M édi
plication des choses à la lumière de la raison ; m ais leur tations, nous livrent le secret de scs élans. Le problème est
science en formation se heurte aux difficultés de notions toujours pour lui de saisir son Dieu invisible ; ce problème
se présente sous un double aspect, théorique et pratique.
else. La question dés universaux est peut-être la plus grave La question pratique est de trouver le lieu où seiréalisera
do toutes ; elle entraîne les plus considérables répercussions le plus parfaitem ent la ligne de conduite déterm inée par les
théologiques. Q ue sont au juste nos idées ? Y correspond-il principes théoriques. Ce ne saurait être que la solitude, un
une réalité dans les êtres ? E t si la réponse est appliquée à • désert > reproduisant ceux de l ’ Égypte, où vivaient les
l'énoncé du m ystère de la Sainte Trinité, que signifie la vrais m oines, les solitaires de l ’ âge d ’or. M ais où ? Plus ou
distinction des personnes divines : trois dieux, trois personnes m oins nettes, les aspirations de G uillaume s ’orientent vers
réelles, trois aspects de la divinité, trois façons de parler '1 divers centres particulièrement fervents : vie canoniale en
Com m ent, en conséquence, envisager le m ystère do l'incar la collégiale du M ont-Notre-Dame, ou vie m onastique à
nation ? Le nom d'Abélard évoque, plus qu ’ aucun autre Saint-Nicaise ; habit noir à Saint-Thierry ou habit blanc à
ces problèmes capitaux. Or Guillaume est passé par les écoles Clairvaux ; solitude cistercienne de Signy ou retraite car-
Il est resté philosophe ; et plus que quiconque 11 se m ontn tuslcnne du M ont-Dieu. O ù que ce soit, il restera Insatisfait,
soucieux d ’orthodoxie, il s'inquiète, il intervient, car il n'i là céleste patrie.
jam ais été de tem péram ent il se taire quand il s ’ ém eut
Affaires tem porelles et séculières, affaires ecclésiastique Le problème théorique est celui des rapports entre la
et théologiques n ’ ont cessé de solliciter l ’ attention de Guil connaissance et l'am our. G uillaume est trop intellectuel
laum e, de le faire sortir de lui-m êm e, alors qu ’ il aurait vouli pour ne pas situer la possession de Dieu dans un acte de
ne s'adonner qu'à un seul problèm e, celui de connaître Diet contem plation, de connaissance. Il garde en m êm e temps
dans l ’amour parlait. 11 n ’ en a pas m oins réussi un m agni un sens trop pratique pour ne pas tenir com pte des deux
12 INTRODUCTION VIE DE GUILLAUME DE SAINT-THIERRY 13
autres réalités. D'une part, toute connaissance sur terre son désir de demeurer auprès de Bernard, dans la solitude
s ’élabore à partir des objets sensibles, et des concepts que adm irable de la sainte vallée, vivant les paroles du Cantique *.
nous en lirons ; or Dieu est esprit, être transcendant ; puis D ’autres nécessités pourtant le retiennent à Saint-Thierry.
qu'il dépasse l'intelligence, il taut suppléer au défaut do Et d'autres problèm es se posent, en particulier celui de la
celle-ci. D ’ autre part, l'hom me form ant un tout com plot,
l ’acte de l'intelligence s ’ accom pagne d ’un acte de la volonté ; vers la source m êm e de l ’amour, pour scruter ce grand m ys
et il en va de m êm e en Dieu, dans le m ystère do la Sainte tère : com m ent Dieu nous donne-t-il son am our, et comm ent
Trinité. D'un côté comme de l'autre, il convient de faire le recevons-nous ? En ce domaine encore, il m arche derrière
place à l ’ am our, pour réaliser, m oyennant le secours de la les maîtres, saint Paul, expliqué par saint Augustin surtout,
grêce, une véritable connaturallté avec Dieu, pour être un
avec lui. aussi saint Bernard, qui lui rédige un petit exposé sur la
Ces principes sont posés dès le prem ier traité de Guillaume, question. Ce n ’ est pas s ’ écarter de l'objet constant de ses
celui que nous publions. M ais les idées y sont encore im par sollicitudes que de composer alors un livre sur le S a crem en t
faitement claires : U faut les préciser, les approfondir. d e V A u tel, mystère de la rencontre de la créature avec le
G uillaume étudie ici l ’ amour, cette faculté divine m ise en Dieu vivant 2 .
nous à la création, dévoyée par le péché, restaurée par le Guillaume semblerait m aintenant pouvoir se lancer dans
sacrifice du Calvaire. L'amour est essentiellement l'unité do
volonté avec Dieu, unité conférée à notre nature par le félicité où l ’ on jouit de la béatitude du plein amour. 11 pon-
Créateur, m ais qui, du fait de notre liberté, est susceptible natt la nature de l'amour et son développem ent ; il connaît
soit de se perdre, soit de croître, d ’une ascension qui conduit
jusqu ’au plein am our, jusqu ’à la sagesse et à la béatitude qui est aim é ; sous la conduite des m aîtres, il a déjà scruté
Afin de réaliser plus sûrement cette ascension, il convient
à l'hom m e de se connaître, corps et âm e. G uillaume en bénéficie du loisir de Slgny : loin de tout, au milieu · des
arrive donc à étudier ce qu ’il appelle « la physique » du corpi cham ps et des hêtres », dans la pleine m aturité de la spiri-
et de l ’ âm e, ou, si l ’on préfère, la psychologie 2 .
II se sent alors plus apte à m ettre en pratique la théorii du Cantique ·.
de l ’ amour qu ’il avait étudiée déjà. Un livre lui servira d<
guide : le Cantique des Cantiques, ouvrage classique en la
m atière. M ais n ’ osant encore voler de ses propres ailes, 1
suit ses maîtres, Am broise et Grégoire, Bernard aussi, ave
qui il en confère au cours d ’ une maladie qui les im mobilis
tous deux à Clairvaux. Ces conversations ne font qu ’avive
Λ ηαΙ,αα S acri O rdlnU C lU errtm alr, XII <101,6), pp. 103-114.
1. D r eonlem plarnlo D ca : P . L . 184. col. 363-379^ l ’ormi le* nombreuse 2. E riiositlo in B p iM am ad K om ana, : P . L·. ISO. cot 605-726. — S.
Demcslioos. De ffrado et U bero arbitrio .- P . L . 1S2. col. 1001-1020. —
Îilto^hlaur/i ’ iwis. vrin. 1933. — De la meme J
Clairvaux leur a procuré la notoriété, quelques années Bem ard, la pratique générale m aintiendra l ’abbé de Saint-
après la m ort de saint Bernard. On voit facilement com m ent Thierry dans le sillage de l ’ abbé de Clairvaux, lui donnant
les choses ont pu se passer. La célébrité de saint Bernard toujours de réaliser à titre posthum e le rêve de sa vie : « sub
a provoqué la multiplication de ses œuvres : en tous lieux umbra illius quem desideraveram sedi ·. Saut très rares
on a copié, non seulem ent ce qui circulait déjà du vivant du
hors du corpus bernardin les œuvres de Guillaume ; et encore
les deux traités sur l ’amour ne le seront-ils qu ’au m ilieu
du siècle ’ .
de son · autre soi-même » ; et nous avons la preuve d ’échanges certains seulement ont connu la plus large diffusion, tandis
littéraires, d'échanges d'idées même. Avides de posséder que les autres tombaient dans l ’oubli. Très peu de lettres
tout saint Bernard, les copistes ont pris tout ce qu ’ils trou nous ont été conservées. C ’est le sort com m un à ce genre
vaient, constituant un imm ense dossier où les apocryphes d ’écrits, sauf pour quelques collections particulièrement
entraient toujours plus nom breux : on ne se souciait pas
trop du fond, un air de ressem blance suffisait ’ . Une confu
sion m atérielle initiale était d ’ autant plus facile que les Le |ieu de diffusion des florilèges et extraits s'explique
copies venues de Saint-Thierry et de Signy, ou prises à de soi-m ême, à une époque où ce procédé de travail tend
Clairvaux sur les autographes, ne portaient pas nécessai à disparaître devant des œuvres plus systém atiques. On
rement le nom de l ’auteur a . Ainsi se com prendrait et l ’ ano
nym at des écrits en certains m anuscrits, et le passage tiré de saint Am broise, et du traité sur le Sacrem ent de
d ’ œuvres de G uillaume sous le nom de saint Bernard en l'autel. L ’ un et l'autre, souvent anonym es, circulent hors
d ’ autres m anuscrits. du corpus bernardin. Π faut admettre la diffusion, dès la
Π s ’ est trouvé pourtant des copistes, panni les prem iers,
qui ont dû connaître l ’auteur véritable, car le nom de
Bernard sem ble parfois écrit sur un grattage du parchemin.·
tom e III, à la suite des S erm o n es in C an tiea, avec le titre nance, une tournure familière à G uillaum e. Ces manuscrits
courant do L ib er d e a m ore D ei. Nos deux autres traités se se groupent également par le décom pte et la série des
H fallait envisager l'ensem ble des œuvres de Guillaume m ents im portants soient il attendre de m anuscrits qui, en
principe, s'éloignent du Heu d'origine. D'une part, le texte
et savoir comm ent le D e con tem p la n do nous a été transmis. actuel du D e con tem pla n d o est trop conforme aux autres
Sa diffusion s'est opérée en deux temps : une com munica D'autre part, la présence d ’ un témoin de la famille cartu-
tion privée, dirait-on, par l ’auteur lui-m êm e à ses am is ;
slennc conllrm c l ’inexistence de deux états successifs du
puis une large expansion, par Clairvaux, sous le couvert et traité, et par conséquent il n ’y a aucun inconvénient A
n ’avoir pas consulté des séries qui jouent un rôle si consi
dérable dans l ’ édition de saint Bernard, ou de Guillaume
Principes Après avoir étudié l'histoire du texte lui-m ëm e pour d'autres œuvres ’ .
d'édition de notre traité, ou plutôt l'histoire de Sans être précisém ent une édition critique, un texte basé
sa transm ission, les principes qui doivent sur le manuscrit de Reull a donc chances de rejoindre l'ori
guider cette nouvelle édition ressortent des faits. Nous ginal. Reull contient cependant quelques fautes de trans
n'avons pas l'autographe. Le manuscrit de Reull, le seul qui cription. Elles ont été corrigées de première m ain 3 , ou par
indique le nom du s*éritable auteur, est un manuscrit une main contemporaine3 . Il reste : une pure distraction 4 ,
libraire, très soigneusem ent copié, en m énageant la place deux lectures douteuses 3 , quatre fautes de cacographie"
pour le rubricateur, dont le travail était dirigé par de fines® et deux cas em barrassants ’ dont la leçon, appuyée par
noies m arginales. Nous ne possédons pas non pins l'arcbélypeM
de Clairvaux. La collation reste le seul m oyen do critiquerai
Elle tait ressortir la corruption progressive du texte, donc^H
l’ intérêt des plus anciens tém oins, qui par ailleurs s'accordent^·
sur la variante rare conservant un jeu de m ots, une asso^H
nuances, ou sim piemen
o m n ia in teriora m ea , tirée du psautier rom ain, et non du l'effusion de l'am our ne répond-elle pas ? et toute sa spiri
psautier dit « gallican », peut venir du G raduel de saint tualité ne repose-t-elle pas sur l ’inhabitation en nous de
M ichel (1,4). l ’amour subsistant ?
O rientés dans cette direction, nous penserons que le choix M ais jamais G uillaume n ’ oublie que l ’ Esprit nous est
de certaines citations s ’ accom pagnait, dans l'âm e de Guil donné par le Christ, qu ’ il nous a été obtenu par le sacrifice
laume, d ’une résonance m élodique qui en développe singu
lièrement la richesse. Il l ’ afllrm e lui-m êm e, au souvenir do l ’esprit. Nous avons noté des allusions possibles au Gloria.
l ’ introït du m ardi de la seconde semaine de Carême : « Ici Les oraisons se présentent ensuite avec leur conclusion,
vraim ent et avec com pétence, elle chante : T ib i d ix it coi qui justement précise la médiation du Christ (11,84) chaque
m eu m ex qu isioit te lacies m ea , /a ciem tu a m D o m in e req u ira m > fols que nous offrons - nos oraisons, vœux et sacrifices ».
(3,41). La substitution de la version de la Vulgate à cello Un ■ te ig itu r » (13,18), sans être une citation, pourrait fort
de l ’antlphonalre n'enlève rien à la précision du co m p etentet bien éveiller, dans le souvenir do l ’auteur, l’ im age de la page
ca n ta t. Le dim anche après l'Ascension lui fournit une autre de tête du canon de la messe dans un Sacram entaire de
occasion de se référer à la liturgie, lorsqu ’il introduit la Saint-Thierry. 11 est enfin un m oment du saint sacrifice
citation : E x q u isio it le /a cies m ea , etc. par un lib i d ica t cor pour lequel Guillaume nourrissait sans doute une dévotion
particulière, la fin du canon : · p er Ip su m et cu m ip so e t in
ip so » ; elle évoquait dans son esprit une form ule analogue,
D o m in e, q u ia a u d it servu s tu u s (6,29), ne fait-il pas penset
au prem ier sam edi après l'octave de la Pentecôte, m aigri base il s'appuie, pour s'élever jusqu ’au Père : » cu m ip so
les variantes du texte ? et p er ip su m ... a u dem u s d icere : P a ter n o ster... » (11,51).
Parlant de l ’ incarnation rédemptrice, Guillaume transcril On rem arquera toutefois que les textes liturgiques, aussi
longuement le M u ltifa ria m m u ltisqu e m o dis de la Circonci bien que les textes scripturaires proprem ent dits, se trouvent
sion puis le D u m m ed iu m silen tiu m de N oël (10,17 et 26) utilisés et non pas recopiés m ot à m ot. D e plus, les citations
Toute la seconde moitié du traité est animée du souille do sont ordinairement corrigées par une version de la Bible
qui n ’ est pas celle des livres liturgiques.
revient sans cesse (12,76 et 81) ; l ’ alleluia V erb o D orn in
Les Pères latins Une rem arque sim ilaire s'impose à
de «l'esprit de sa bouche» qui, au xn» siècle, ne signifie pas l ’ égard des autres sources d'inspiration
du traité. H abituellement G uillaum e ne les nomme pas, ou
la m ission de l’ Esprit-Saint ; dans le m êm e passage (10,22) s ’ il les indique, c ’est en term es voilés 1 . La remarque valait
l'évangile Sic D eu s d ilex il n o s reste sous-jacent à la pensée déjà pour l ’ Écriture Sainte. M ais si l ’ on devine aisément
de G uillaume quand, disant que le Père nous a donné son que < le serviteur de ton am our » (10,13) puisse être saint
Fils, il déclare aussi que le Fils nous a chéris et s'est livré Jean, il s'avère plus difficile de retrouver Aratus dans le
pour nous. On retrouve la com m union S p iritu s q u i a P atn • G entil < (11,45), saint Augustin dans « quelqu'un que tu
p ro ced it, avec l'addition et F ilio (11,22). D ’ autres passages
dérivent m oins nettem ent de la liturgie de la Pentecôte;
l ’hom me, ou de la conception de la · nature · envisagée tude est comm une à divers auteurs chez qui l ’abbé de
com me ° nature historique, incluant l ’aptitude passive, et Saint-Thierry a pulsé ’, c ’est cependant avec les termes
non purem ent obédienticlle, à la déification* ». On ne retiendra m êm es de saint Grégoire qu ’ il la formule (6,40). Plus caracté-
pour autant que Guillaume ait eu la tête rem plie do tout ce retombées, avec le Ion dans lequel Guillaume les exprime.
qu ’il lisait avec tant d ’ assiduité. Enfin, le thèm e, fondam ental dans le Traité, de la connais-
La recherche des sources m ontre, en effet, l ’ étendue do
son inform ation. Saint Augustin est peut-être son auteur D'aulres autours seraient encore A nom m er, en particulier
préféré. C ’est lui qui, en de nom breux passages, inspiro co ceux qui, A la suite de saint Augustin dans sa lettre a d P a u li-
stylo coupé, pressé, chargé d ’ interjections, et ce ton si affec
tif ; il donne une m anière : les effusions du colloque avec ra n g , Raban M aur. M ais déjA les Pères grecs avaient abordé
Dieu. Nom m é, quoique de façon discrète, il est surtout cité ;
lorsque celui-ci s ’écarte sensiblement du modèle. Jean Scot La littérature de l ’ Orient chrétien a
Il est remarquable que, de la pensée de saint Augustin, Érigène ; toujours attiré l ’abbé de Saint-Thierry,
Guillaume retient surtout les éléments qui sont en conso- les Pères grecs A l ’époque où il rédigeait le D e C o ntem -
déjà exploités Scot Érigène. Néanmoins, bien qu ’il néglige accès à de nom breux élém ents de la pensée grecque à travers
la théorie des analogies psychologiques de la Trinité dans l’ œuvre de Scot Érigène. Il est plus difficile de préciser dans
l'hom me, sa doctrine trinitaire est, snr un point, nettem ent
d ’ inspiration augustlnlenne et occidentale : le rôle d ’amour des œuvres de Grégoire de Nysse ou de M axime le Confesseur,
La notion de l'am our envisagé, dans l ’ homm e, com me du Traité. Elle a contribué, dans une large m esure, à la
un poids, une tendance de l ’ im age vers son Principe, la
distinction entre < l ’amour · et ■ l ’ amour de l ’am our », la
doctrine du progrès de l ’am our depuis le désir jusqu'à la
fruition, sont tributaires de saint Augustin. A propos des
vertus des païens, la dépendance est évidente. Tout au long
form ation du style de G uillaum e, si particulier tant par la
m ots et des expressions qui sem blent indifférents se rencon A l'Écriture et à la Liturgie, aux Pères latins et grecs,
trent fréquemm ent dans Scot Érigène : rapprochés d ’ autres
plus symptomatiques, ils avouent leur origine ’ . O n peut de l ’ Antiquité ? G uillaume cite un m ot d'H orace, et, d ’après
saint Paul, Aratus le poète. M algré son pessim ism e à leur
davantage des exposés personnels de Scot que des traduc égard, il se préoccupe de la doctrine des philosophes païens
tions faites par lui sur le grec. Il n ’ est pas exclu qu ’il ait (12,7), attestant par là sa formation hum aniste ; m ais aucun
emprunt à ces doctrines ne se m anifeste dans le texte du
D e C o n tem p la n d o D eo.
platonicien de l'ém anation et du retour : tout vient de Dieu,
subsiste en lui et reflue vers lui : ex ip so , et p er ip su m , et in O riginalité Pour le fond et pour la form e, le
de G uillaum e Traité de la Contemplation repose donc
du D e C o n tem p la n do D eo . Néanmoins, Guillaume en res Il était im portant d'en
treint l ’application à l ’histoire individuelle de l'ânie ; le
thèm e essentiel du D e d ivisio n s n a turæ , la division et la naître sous un texte très homogène et avare de citations
explicites, pauvre m êm e en citations proprem ent dites lors-
créatures déifiées par les «Théophanies», Dieu" devenant
G uillaum e, sans doute, fera des progrès dans la construc
ainsi « tout en tous », est absent de l ’ œuvre de Guillaume.- tion de son systèm e philosophique, et surtout dans l ’élabo
Le term e si caractéristique de Théophanics n ’ y apparaîtra ration de sa spiritualité, principalement à l ’égard de ses
sources grecques. Dès sa prem ière œuvre pourtant, on recon-
constitue, dans l ’œuvre dè la déification, la force par excel
lence qui nous unit à Dieu et nous fait sem blables à lui » 3 . C ’est, avec son tempéram ent et son attitude d ’esprit, ce
qui fait son originalité, en ce xn e siècle si riche et si divers.
référence (8,11). tcrait, après saint Grégoire, des auteurs comme saint Bède
D e Scot et de ses m aîtres orientaux viennent encore, par et Am broise Autpert. Dans cette m êm e ligne on le compa
exem ple, la distinction entre l ’esse et le b en e esse, la doctrine rerait aux dunisiens, saint Odon et saint O dilon, tous deux
vivant le m ystère de la Pentecôte, m ais avec une note ecclé
siologique que n'a pas Guillaume. Par contre, il ne semble
qui le rapprocherait de G uillaum e, m ais par sa brièveté, son le m étaphysicien infuse son am our en tous ses développe-
essai reste loin de l'effort constructif du De co n tem p la n d o .
Cet effort lui-m ême a une source, en ce sens qu ’il reprend Sous ce double aspect, du penseur et de l ’homme de cœur,
un effort similaire, de l'époque où se discutait la question on établirait encore un parallèle avec des œuvres de la
du D e o id en d o . Guillaume continue Scot Érigène. L ’ im por seconde m oitié du xn· siècle, ou postérieures. L'abbé de
tance de celui-ci dans la formation des idées de l'abbé de Saint-Thierry sait unir les deux aspects, alors que bientôt
Saint-Thierry, et souvent de leur expression, nous autori les écrivains se diviseront en deux groupes distincts. En
serait ù parler de < l ’érlgénlsm e · de G uillaume, si le m ot ne outre, Guillaume montre dans l'affection une élévation
risquait pas de voiler l'originalité du penseur, sa puissance à laquelle n'atteindront pas les écrits de piété, qui laissent
d'assim ilation, sa liberté d'utilisation, et, surtout, la nou libre cours à une sensibilité extrêm e sans grand élément
veauté de sa philosophie, pulsée pourtant à des sources doctrinal ; et il conserve dans le raisonnement une liberté
anciennes. A propos de l'identification de la grâce avec que gênera, ou étouffera, le goût pour les cadres logiques
l'Esprit-Saint, M gr Landgrat a d'ailleurs noté la place de préétablis. L ’évolution s ’annonce déjà, quelques années
G uillaum e, surtout dans le D e co n tem p la n d o , entre Scot après le D e co n tem pla n d o, dans le D e d ilig en d a D eo de saint
Érigène ou Paschase Radbert, et le Lom bard*. Bernard, cependant si proche encore de son am i, m ais plus
G uillaume m arque donc par son effort intellectuel. Π ne méthodique et plus rationnel.
cesse pas pour autant de se montrer affectif, sentim ental Ces qualités, plutôt d ’ordre personnel, se traduisent par
presque. M ieux que beaucoup de ses prédécesseurs il a su un exposé très original. Guillaume rénove le sujet du D e
s'assimiler le ton de l'un de ses maîtres, saint Augustin, soit o ld en d o par la com binaison de deux thèm es : d'une part,
qu'il le cite, soit qu ’il l'imite. Sous cet aspect il y aurait à celui des cœurs purs, qui m éritent de voir Dieu tel qu ’ il est,
situer, dans la littérature des Soliloques, un écrit auquel on
a justement donné, parfois, pour titre S o lilo q u ia B ern a rd i *. part, le triple thème de Dieu, cause exem plaire, s'abaissant
Bornons-nous à dire que Guillaume s ’avère en cela beaucoup Jusqu'au plus intime de l'hom m e par la « condescendance »,
plus habile que d'autres auteurs, du ix· au . XII e siècle, sans
doute parce qu'il est m oins littérateur et plus sincère. 11 se de la vie divine. H réalise cette combinaison par un double
passage : d'abord, insatisfait, le désir de connaître introduit
égards, que saint Anselme. Quelques passages du M o n o to - dans le dom aine de l ’amour, qui, satisfait, doit assurer en
g io n et surtout du P ro sto gio n auraient pu donner occasion même temps possession et vision ; puis, l'étude de l ’ am our
A une rencontre des deux auteurs. Or II n'en est rien, ni pour en sol, sur un plan plutôt philosophique, conduit à l'am our
concret, au sein de la Trinité et dans les m anifestations de
la Trinité à la créature intelligente. Dieu, qui est amour,
idées similaires, malgré le tilre E x cita tio m en tis a d co n tem réalise alors l'objet m êm e du D e co ntem p la n d o, à partir du
p la n d u m Ileu m , il reste quelque chose do tout différent. Le Père, dans une m édiation successive du Fils et de l ’ Esprlt,
logicien coupe ses raisonnem ents d élévations vers Dieu ; médiation qui se trouve être aussi une double m édiation
concomitante, par le Fils dans l'Esprit : par l ’ unité de nature
et d'amour, l ’unité de connaissance devient possible. Des
deux élém ents de la connaissance, la ressem blance naturelle
2. Le litre Semoeale n'est que l'un des litres du IU m nU m planAt, ou d'ordre ontologique, et la ressemblance acquise, d'ordre
du Dr ronm nplana» suivi du De nature H dlonU au umoeh. Mais « titre moral, le traité n ’ expose celle-ci que de façon im parfaite,
ni aurai donne eu petit texte In ter. <v. a llmtellru 1377).
48 INTRODUCTION L ’ ORAISON DK DOM GUILLAUM E 49
ne m ontrant peut-être pas assez clairem ent, comm ent manuscrit de Reuil lui-m êm e, si soigné dans sa transcription,
l'amour peut être dit connaissance ; aussi, m ettant l'accent si précis dans ses indications, si exact dans ses attributions.
sur l ’ unité que l ’ am our établit entre l ’hom me et Dieu, Il On y ajoutera la place de cet écrit dans le manuscrit, en
oriente davantage la solution du problème de la contem pla conclusion à une série d ’œuvres de G uillaum e de Saint-
tion vers une insertion de l ’ activité am oureuse de l ’ âm e dans Thierry : il y vient un peu comm e la signature. Dom Gull-
le circuit des opérations divines. C ’est peut-être là que réside
la principale originalité du D e con tem pla n d o D eo dans l ’his du traité sur la contem plation, du traité sur l ’am our.
toire de la spiritualité, comm e dans la vie de G uillaume de La lecture de l ’ Oraison rend évidente l ’indication du titre.
Saint-Thierry. Dans l ’histoire de la spiritualité, nous la con On se demande si Guillaume ne commence pas un second
crétiserons par le titre de quelques traités : D e vid en d o D eo , D e co ntem p la nd o , écrit de la m êm e plum e : style, expressions,
D e co ntem p la nd o . D e d ilig en d o , D e ca ritate. Il est plus difficile mots se retrouvent, identiques. Les idées aussi sont com-
de trouver la formule caractéristique, situant son premier m unes. Il s ’agit encore de rechercher la face de Dieu ; on
écrit dans la vie de G uillaume ; à la lum ière des explications nous parle toujours de la création de l ’ homme à l ’ im age de
précédentes, peut-être pouvons-nous choisir cette citation :
• U t tin t u n u m >. les élans soudains et les retombées. Il est question du Verbe
incarné et de l ’Esprit Saint. Et pour que rien n ’y m anque,
les philosophes de l ’antiquité sont cités à la barre.
Cependant, l ’ Oraison se distingue des deux traités qui la
L ’O r a is o n d b Do n Gu il l a u m e précèdent. Beaucoup plus brève, elle n est pas un résum é,
un condensé. M algré bien des similitudes, œuvre originale,
Λ la suite des deux traités sur la contem plation de Dieu elle apporte des idées nouvelles. Non contente de préciser
et sur la nature et dignité de l ’ amour, le manuscrit de Reuil
(M azarine 776) présente un texte, d ’une page et demie elle aborde d ’autres sujets. G uillaum e parle de · l ’intelli
environ, sous le titre « Oraison de Dom G uillaume ». Cette gence de la raison ou de l ’amour » ; il invite à com prendre,
Oraison com m ence vers le m ilieu d ’ une colonne, après un • non tant par l ’ effort de la raison, que par l ’affection de
blanc de quelques lignes. Elle précède le traité d ’Alcuin sur l ’amour ·. Il parle aussi de l'adoration véritable, et de la
les vertus et les vices. Tout, dans la disposition du texte, transcendance de Dieu, qui dépasse toute image. Il étudie
certifie que ce court écrit tait bien partie du m anuscrit • le lieu de Dieu ■ et, arguant de la parole ■ m on Père et m oi
original. lai lecture montre combien il se rattache parfaite nous som mes un >, il fixe ce « lieu de Dieu · dans la consubs
m ent aux deux traités de G uillaum e. On s ’ étonnerait de ne tantialité de la Sainte Trinité. On regrette de ne pas voir
pas le retrouver dans d ’ autres m anuscrits, si nous ne con développé davantage un sujet qui ne sem ble pas avoir
naissions pas déjà le sort des œuvres de G uillaum e. L'Oral· exercé les m éditations des théologiens des xu· et xrii· siècles,
son, pas plus que les .M éditations, n ’est entrée dans le ■ corpus pas plus que la notion du · lieu divin · n ’a été retenue.
bernardin ·. soit que la copie n ’en soit pas venue à Clairvaux, Si donc l ’ Oraison sc rapproche, à bien des égards, du Traité
soit, plutôt, que le style et le sujet en aient rendu difficili de la Contem plation de Dieu, elle le com plète aussi, par des
l ’ attribution à saint Bernard.
L ’Oraison n ’est signalée dans aucune liste des œuvres seul indice que nous ayons pour dater "l’ Oraison. Elle se
de G uillaum e. O n ne saurait pourtant en dénier la paternité situe à la m êm e époque que le D e con tem p la n do et le D e
à l ’abbé de Saint-Thierry. Nous en avons pour garant le n atu ra e t d ig n a te a m oris, m ais un peu après. Le m anuscrit
la eootrmpletion de Dieu *■
INTRODUCTION 51
de la Genèse, du Cantique, et la finale du canon de la m esse :
G uillaume «lu Cantique des Cantiques. Sans chercher ici tem p ta n d o . Seul le Cantique constitue un apport nouveau.
On aimerait savoir qui a donné A G uillaume l ’idée de sa
à ce qu ’en dit G uillaume lui-m êm e, dans la V ita B ern ardi petite dissertation sur le lieu de Dieu, m ais rien ne l'indique.
pour adm ettre que l'abbé de Saint-Thierry s ’intéresse tou D ’ordinaire les théologiens expliquent pourquoi Dieu, igno
spécialement au Cantique lorsqu ’ il se soigne auprès de soi rant le temps et l ’espace, ne saurait être contenu dans un
am i, à Clairvaux. Dans l ’ Oraison, ii ne s ’y arrête qu ’ ui lieu ; ils demeurent sur le plan physique, sans ce coup d'aile
instant. Nous pouvons dater l ’Oraison des environs de 1122 qui, soudain, élève G uillaume Jusqu'au sein de la Trinité.
La date précise reste d ’ ailleurs d'importance secondaire Dans sa M éditation VI, G uillaume s'arrêtera plus longuement
l ’ Oraison ne marquant pas un tournant dans la pensée de sur le * lieu de Dieu ■ (P. L . 180, 221).
G uillaum e. Son objet est sim plem ent de savoir où Dieu peu L'origine d ’ une autre idée prèle ή dlfllcullé : celle de la
être trouvé. M onté sur la m ontagne où Dieu volt et est vu vérité divine (51-53). La citation explicite, quoique vague,
G uillaume regarde le ciel, pour scruter ce lieu où Dieu habite nous renvoie aux philosophes de l ’antiquité qui ont défini
Aucune division ne permet de distinguer, matériellement la vérité. La forme en est bien contournée et le sens assez
des idées qui s ’enchaînent étroitement. Il faut analyser I obscur. Le texte le plus voisin serait une définition du vrai
texte de près pour reconnaître une structure à l'ensemble par le stoïcien Zénon, cité par saint Augustin : ■ on ne peut
structure à peine soulignée par une phrase plus affective percevoir comm e vrai qu ’ une représentation im prim ée dans
Nous reconnaîtrons un préam bule et une conclusion, enca l ’âm e, à partir d ’un objet réel, et telle qu ’elle n ’ existerait
drant une dissertation.
Le préam bule form e un appel vers le plein et unique amou L 'O ra tio d o m n i W ittelm i nous permet ainsi d ’ ajouter un
de Dieu (1-18). Le centre du sujet se subdivise en trois partiel philosophe grec aux sources si diverses de l ’abbé de Saint-
Dans le préambule, G uillaume cherchait A diriger sur Diet Thierry. Jointe à la notion de « localité ■ de Dieu dans la
un regard pur : Il se réfère m aintenant A la « physique · d consubstantialité, et A l ’ idée d'une contem plation absolum ent
la vue, com me ailleurs II étudiera la ■ physique de l'âm e dépouillée de tout élément sensible, cette originalité d'une
pour préparer A la connaissance de Dieu. Π conclut ù la nécel citation confère un intérêt particulier A ce court texte de
slté d ’ un objet certain et proche (18-29). Pois une brèv Guillaume. Par ailleurs, le désir d ’aim er Dieu, de le voir,
citation scripturaire lui sert de transition pour étudier I ce besoin de parvenir Jusqu'A l'intime do la Trinité, par le
ciel où réside Dieu. C ’est le centre de l’ Oraison (30-55 Verbe Incarné et l ’ Esprit-Saint, rejoignent tout A tait lo
Rapidem ent 11 s'élève jusqu ’ à l'unité des personnes divine De co n tem p la n d o .
jusqu ’ il la a consubstantialité «le la Trinité » et ù la transcei
dance divine. Q uelques lignes ensuite suffisent pour assigne
le rôle de l ’ incarnation dans cette vue parfaite de Diet
(55-61). La conclusion en découle tout naturellem ent (61-68)
E t l ’Oraison tourne court, pour s'achever sur un ton sec
presque m échant, qui cache en réalité une invitation A vise
aux plus hauts som mets.
L ’ Évangile de saint Jean constitue la principale souro
de l ’ Oraison ; on y relève aussi quelques citations des Psaum t
LISTE DE QUELQUES M ANUSCRITS
DU D E C O N TE M P L A N D O D E O
dnldèrÎo n || dic i* dlooS |l 13 qui : qiila V r || )om om. T tam ,V|| 14 dot : ilnns rinUxrltd de son ''Ire loi que Dieu l'n errt enroulu · (1. Ι.ΒΜΑΐτηκ,
dal m II quam : quoniam H V ut V || rocoulbl» suis J S V || 15 hujus sacculi
2. lleoula Verti oerU all» : 01. S. A u o u s t in , De Dori, ehrlsl,. 1 ·, P. 1... 34,22,
W ILLELM1 ABBATIS SANCTI THEODORICI
susceptor indefesse, sed vide quia am ore am oris tui hoc gable. M ais e ’ est par amour de ton amour que je le fais :
facio, sicut vides m e non videntem te, et sicut lui desi vois-le, tout com m e tu m e vois, m oi qui ne te vois pas.
derium dedisti m ichi, et si quid tibi placet in m e ; et Et, tout com m e tu m *as donné le désir de toi, tu es cause
as cito ignoscis cæco tuo ad te currenti, et m anum das si quelque chose te plait en m oi · . E t bientôt tu pardonnes
in aliquibus in currendo offendenti. à ton aveugle, qui court vers toi ; et tu lui donnes la m ain,
quand sur quelque chose en sa course il choppc.
3. Respondeat quippe m ichi intus in anim a et m ente
m ea tum ultuans in m e et concutiens om nia interiora C ontem plation 3. Q ue m e réponde alors au dedans,
m ea vox testificationis tuæ, et caligant oculi m ei inte de l ’ H um anité dans m on âm e et m on esprit, tem -
riores a fulgore veritatis tuæ , ingerentis m ichi : quia du C hrist. pétant en m oi et secouant tout m on
s non videbit te hom o, et vivere potest. Ego enim vere intérieur, la voix de ton tém oi
in peccatis totus usque adhuc : necdum potui mori· gnage : et m es yeux intérieurs sont éblouis par l ’ éclat de
m ichi, ut vivam tibi. Sed tam en ex pracepto tuo et ta vérité qui m e représente que ■ l ’ hom m e ne pourra pas
dono tuo, sto in petra fidei tuæ, fidei Christian®, in loco te voir, et vivre ». M oi en effet, vraim ent tout entier au
qui vere est penes te ; in qua ut possum interim fero péché jusqu ’ ici, je n ’ai pas encore pu m ourir à m oi-mêm e
10 patienter et am plector, et deosculor tegentem et prote pour vivre à toi ’ .
Cependant, selon ton précepte et par un don de toi,
gentem m e dexteram tuam et aliquotiens contem plans je m e tiens sur la pierre de la foi en toi, de la foi chrétienne,
et videre gestiens posteriora videntis m e : hum ilitatem au lieu qui est vraim ent près de toi ; sur elle, de tout m on
scilicet pertranseuntem dispensationis hum anæ. Christi possible, en attendant, je souffre patiem m ent ; et j ’em
brasse et je baise ta droite qui m e couvre et m e protège.
E t quelquefois, quand je contemple et m 'empresse de
voir, j'aperçois le « dos » de celui qui m e voit : j ’aperçois,
qui passe, l ’ hum ilité de la o dispensation * hum aine du
22 pm l .u w eplor «M . mcu· > || vMo quia cm. A C D F JK M m N n O S sTX V |
23 Λ -Ides om . a video Y || videntem am . T || 23-20 sicut*... ollendenU :
me?H.W mS.ii'Z || ,«»t ίι add. bl X'||°2 Inîerlom men am . â.W m.VS | 3 meU
add. sô Y II te videbit J | 3 potest ! poterit T7. || mlm am . Jm n* || 7 mlebl
ACFJAIinA ’nOSsVZ || tero Interim CPJ.'lm.VnOSl || 10 teiienlem : regale
U m V Z II 12 gestiens : sident S || humllllnlcm Killed (sc'llkel cm. is) pop
64 DB CONTEM PLANDO DEO, 3
filii tui suspicio. Sed cum accedere gestio ad eum . et Christ, ton Fils >. M ais quand je m 'em presse d'accéder
is vel sicut emorrousa illa, infirma: et m iseræ animæ m eae a :i lui ; ou, com m e cette hém oroïsse, quand je m 'efforce
salutifero tactu vel fim briæ ejus, quasi furari gestio de dérober, pour ainsi dire, la santé pour m on âm e
sanitatem ; vel sicut Thom as ille vir desideriorum totum infirm e et m isérable, par l'attouchem ent salutaire au
eum desidero videre et tangere, et non solum , sed accedere m oins de ses franges ; ou, com m e Thom as, cct hom m e de
ad sacrosanctum lateris ejus vulnus, ostium archie quod désirs, quand je désire le voir tout entier et le toucher,
20 factum est in latere, ut non tantum m ittam digitum et non seulement cela, m ais accéder à la sacrosainte
blessure de son côté, porte de l'arche qui est faite sur le
vel totam m anum , sed totus intrem usque ad ipsum côté, non seulem ent pour y m ettre le doigt ou toute la
cor Ihesu, in sanctum sanctorum , in archam testam enti, m ain, m ais pour entrer tout entier jusqu ’au cœur m êm e
ad urnam auream , anim am nostræ hum anitatis conti de Jésus 8 , dans le saint des saints, dans l ’ arche du Testa
nentem intra se m anna divinitatis : heu dicitur m ichi : m ent, jusqu'à l'urne d'or, à l'âm e de notre hum anité
23 Noli m e tangere. E t illud de A pocalipsi : Foris canes. contenant en soi la m anne de la divinité : hélas, on m e dit
Sicque condignis conscientiæ m eæ verberibus expulsus: alors : · Ne m e touche pas · , et ce m ot de l'A pocalypse :
et propulsus : im probitatis et præsumplionis m eæ pœnas « Dehors, les chiens 1 »
cogor luere. R ursum que in petram m eam m e recipiens, E t ainsi, com m e il convient, quand les verges de ma
quæ refugium est erinaciis spinis peccatorum plenis, conscience m 'expulsent et m e poussent dehors, je suis
30 ream plector et reosculor tegentem et protegentem m e obligé de payer la peine de m on inconvenance et de m a
présom ption. E t de nouveau, je m e rem ise sur m a pierre,
dexteram tuam , et ex eo quod vel leviter sensi, vel qui est le refuge des hérissons rem plis des épines de leurs
vidi, m agis accenso desiderio vix patienter expect© ut péchés ; de nouveau je saisis et de nouveau j'embrasse
ta droite, qui m e couvre et m e protège. E t du fait que j'ai
U IS M atth., 1«. senti 8 , m êm e légèrem ent, ou vu, davantage s'allume
Dan.. IX. 23 II 1
IS rurari
om . Τ' II 17 desideriorum vir T || 18 desidero om . C F Jn desiderio N || videre
desidero V || post sed odd.et V|| IS ostium : hosliums || posl ostluyr odd. seOlcel
animam A C D F JK M m N n O B sT X Y |j 2d ‘sc om. * II : H “ »·
dignis aCDKK.M mNOSsVyZ eoa
. (trad. B ibi. A u pusl.. 1, p. 237).
W ILLELM t ABBATIS SANCTI THEODORICI DE CONTEMPLANDO DEO, 3 67
m on désir ; et, presque im patient, j'attends qu'un jour
aliquando auferas m anum tegentem , et infundas gratiam · tu enlèves la m ain qui m e couvre et verses la grâce qui
illuminantem ; ut tandem aliquando secundum responsum illum ine, pour qu'un jour enfin, selon la réponse de ta
ss veritatis tuæ m ortuus m ichi, et vivens tibi, revelata facie, vérité, m ort à m oi-m êm e et vivant pour toi, la face dévoi
ipsam tuam faciem incipiam videre, et affici tibi a visione lée, je com m ence à voir ta face m êm e, et sois « affecté »
faciei tuæ. E t o facies facies, quam beata facies : quæ de toi 1 par la vision de ta face. Et, ô face, face ! com bien
affici tibi m eretur videndo te, ædificans in corde suo heureuse la face, — celle-là qui m érite d ’être « affectée »
tabernaculum deo lacob, et om nia faciens secundum de toi en te voyant ! Elle édifie dans son cœ ur un taber
nacle au D ieu de Jacob, et fait tout selon l ’ exem plaire
petcnter cantat : Tibi dixit cor m eum exquisivit tc facies qui lui est m ontré sur la m ontagne *. Ici, avec vérité
m ea, faciem tuam dom ine requiram . Itaque ut dixi ex et com pétence, elle chante : ■ A toi m on cœur a dit :
dono gratiæ tuæ contem plans om nes conscientiæ m eæ m a face t ’a cherché ; ta face. Seigneur, je rechercherai ».
C 'est pourquoi, je l ’ ai dit, par un don de ta grâce je
angulos, vel term inos, unice et singulariter desidero contem ple tous les angles de m a conscience et ses extré
45 videre te ut om nes fines terræ m eæ videant salutare m ités, et je désire uniquem ent et exclusivem ent te voir :
domini dei sui, ut amem cum videro : quem am are hoc ainsi, tous les confins de m a terre verront le salut du
est vere vivere. D ico enim m ichi in languore desiderii Seigneur son D ieu, et j ’aim erai, puisque je verrai, celui
m ei : Q uis am at quod non videt ? Q uom odo potest qu ’aim er est la vraie vie. Je m e dis en effet, dans la lan
esse am abile, quod non aliquatenus est visibile ? gueur de m on désir : < Q ui peut aim er ce qu ’il ne voit
pas ? Com m ent pourrait être aim able ce qui n ’ est pas,
de quelque façon, visible ? »