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Pascal Roblot
Espérance de moisson
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Points de Vue Initiatiques N° 155
Pascal Roblot
que le peu de semis que nous avons ne soit mangé par les oiseaux.
Enfin nous pourrons moissonner.
Ainsi fût fait. Le labour était pénible, la charrue trop lourde à tirer
pour le vieux cheval. La terre riche et humide collait au socle, il fallait
plusieurs fois par rang l’alléger à l’aide d’une bèche en évacuant la
terre qui collait sur le métal. Très souvent les deux frères laissaient
le cheval se reposer un peu, conscient des efforts qu’il accomplissait.
Ils devaient aussi le ménager car il était la seule aide qu’ils avaient
en leur possession pour labourer.
Pendant que le cheval reprenait haleine, ils en profitaient pour
ramasser les pierres que la charrue avait mises à jour. Ils écartaient
aussi, à la main, les mottes de racines trop importantes que le
passage du sillon n’avait pu enterrer. Ils étaient fourbus, en plus des
efforts que demandait la charrue sur laquelle ils pesaient de tout leur
poids pour forcer la terre, être courbé pour ramasser les pierres et les
mottes ajoutait à leur peine.
Il pleuvait depuis plusieurs jours, le travail était de plus en plus
difficile, au froid, s’ajoutait la lourdeur des souliers auxquels collait
la terre. Ils finissaient la journée trempés et boueux. Le labourage
terminé, il fallait passer la herse pour casser les mottes de terre, cela
pris trois bon jours.
Puis vint le temps du semi. A grandes enjambées, le geste large du
semeur répartissait les grains. Il fallait, à cause du peu de grains
en leur possession, faire attention de ne pas recouvrir deux fois le
même passage. Le frère ainé se chargea de cette tâche si délicate. Le
cadet, du bout du champ, le guidait de la voix stimulant ainsi une
régularité presque parfaite.
L’hiver arriva plus rude qu’à l’habitude.
Puis suivit le printemps et la naissance des premières pousses. Tous
les jours ils passaient plusieurs heures sur leur champ, surveillant
les pousses de blé qui laissaient envisager une bonne récolte si l’été
tenait ses promesses de chaleur sans sécheresse.
L’été fût chaud et sec, fin aout une pluie fine mais persistante
retarda l’heure de la récolte. C’était un mal pour un bien, cette petite
pluie revigora les grains qui s’alourdirent d’autant plus. Le poids
des grains commençait à faire plier la tige au niveau de l’épi. Le
soleil frappa de plus en plus fort sur le champ. Le frère ainé décida
d’attendre encore quelques jours. Bien sûr, en retardant la moisson,
il leur faudra travailler deux fois plus vite car les pluies de Septembre,
si le grain n’était pas rentré, risqueraient à coup sûr de le faire moisir
sur pied.
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Les jours d’après ils étendirent une bâche dans la cour de la petite
ferme, ils y étalèrent les gerbes et à l’aide de fléaux ils se mirent à
battre le blé. Ils séparèrent le grain de l’ivraie, écartèrent la paille
qu’ils allaient conserver et remplirent des vieux sacs de jute du
fruit de leurs efforts. Les sacs s’amoncelaient dans la grange. Ils
mesurèrent au fur et à mesure que le tas grossissait l’abondance de
leur récolte, celle-ci dépassait le plus fou de leur espoir.
Après huit jours de battage et que tout fût engrangé, ils mirent de
côté le semi de l’année prochaine puis ils se partagèrent en deux
parties exactement égales le restant de leur récolte.
Chacun pu entasser son blé dans la partie de la ferme qui lui était
réservée.
La vielle ferme était disposée en forme de U, l’habitation principale
qui comportait une pièce principale et deux chambres à l’étage était
occupées par le frère aîné et son épouse. Les parents dormaient dans
la première chambre, l’autre était réservée pour les deux enfants.
A l’opposé, séparée par la cour, l’autre partie était plus petite. Elle
ne comportait qu’une seule pièce. C’était là où résidait le cadet,
largement suffisant, car il était célibataire. A chacune de ces parties
était adossé un appentis où chacun des deux frères avait entassé son
tas de blé. La grange faisait la liaison entre ces deux bâtiments.
Pour le dernier soir de la récolte, la femme de l’aîné, avait préparé un
repas plus conséquent qu’à l’habitude. Les deux frères étaient heureux
et satisfait du travail effectué. Le repas fût un peu plus silencieux
que les autres soirs, ils n’avaient plus à parler de l’organisation du
lendemain et chacun pensait au bonheur de leur récolte. Demain,
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Ils avaient l’un pour l’autre un amour profond. Cet amour était
renforcé par le labeur, la peine et il faut le dire par la souffrance
qu’ils avaient endurés à travailler ensemble la parcelle de terre que
leur avait léguée leur père.
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A leur pied s’est créé un nouveau tas de blé, issu du blé que chacun
avait apporté dans son tablier. Ce nouveau tas de blé porte un nom :
Fraternité.n
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