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Enseignement Supérieur et Universitaire

INSTITUT SUPERIEUR DE DEVELOPPEMENT RURAL


« ISDR – BUKAVU »

ANALYSE DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT

Volume I : Aspects Généraux

Cours préparé par : Séverin MUGANGU M.


Professeur Ordinaire

Assisté de BUGEME ZIGASHANE Ziga


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PLAN SOMMAIRE DU COURS

I. POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT : ASPECTS GENERAUX

Chapitre I. : LES CHOIX ECONOMIQUES


Section 1. : Les infrastructures
Section 2. : L’agriculture
Section 3. : L’industrialisation
Section 4. : Les services

Chapitre II. : LE FINANCEMENT INTERNE DU DEVELOPPEMENT


Section 1. : La mobilisation de l’épargne intérieure
Section 2. : Les institutions financières et leur rôle dans le développement

Chapitre III. : LA NATIONALISATION ET LE DEVELOPPEMENT


Section 1. : Le droit de nationaliser
Section 2. : L’obligation d’indemniser

Chapitre IV. : LA PRIVATISATION ET LE DEVELOPPEMENT


Section 1. : Définition du concept de privatisation
Section 2. : Facteurs contribuant au modèle de privatisation
Section 3. : Privatisation et gestion publique
Section 4. : La privatisation des grandes infrastructures
Section 5. : Résultats positifs de la privatisation

Chapitre V. : LE FINANCEMENT EXTERNE DU DEVELOPPEMENT


Section 1. : Les institutions financières internationales 
Section 2. : La coopération au développement : Le transfert de technologie

II. POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT : ETUDE D’EXPERIENCES


NATIONALES
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Chap. I. : LE FORDISME AUX ETATS – UNIS


Chap. II. : LE PLAN MARSHALL ET LE REGIONALISME EUROPEEN
Chap. III. : KOLKHOZES ET SOVKHOZES EN URSS
Chap. IV. : LES KIBBOUTZ EN ISRAEL
Chap. V. : LA MODERNISATION DU JAPON SOUS LE MEIJI
Chap. VI. : LES PAYSANNATS AU CONGO – BELGE
Chap. VII. : LA REVOLUTION VERTE EN ASIE DU SUD
Chap. VIII. : LE MODELE DE DEVELOPPEMENT CONGOLAIS
(Nationalisation du sol, « Zaïrianisation de l’économie » et éléphants blancs)
Chap. IX. DSRP AU CONGO et PRSP AU RWANDA : POLITIQUES DE
DEVELOPPEMENT COMPAREES.
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Chapitre I. LES CHOIX ECONOMIQUES

Il ne nous est pas possible d’examiner tous les types de choix que doivent faire les
responsables du développement : chaque pays a ses propres problèmes et les études générales
sont difficiles.
Nous voudrions seulement évoquer quelques types de choix économiques
auxquels sont affrontés les gouvernements du tiers – monde. Nous le ferons en examinant
successivement :

1. La mise en place des infrastructures,


2. La place de l’agriculture dans le développement,
3. Les choix du développement industriel.

SECTION 1. : LA MISE EN PLACE DES INFRASTRUCTURES

Le manque de routes, de voies ferrées, de réseaux de télécommunications, d’adductions


d’eau, etc., en un mot d’infrastructures, est une des causes de la désarticulation et du sous –
développement.
Ces infrastructures sont même habituellement définies comme les équipements et les
services de base (au sens large : on peut y inclure les services d’enseignement, de santé et
d’ordre public), en l’absence desquels les branches productives ne peuvent pas fonctionner.
Leur charge représente en quelque sorte les frais généraux de l’économie. En effet,
comme les services généraux d’une entreprise (comptabilité, secrétariat, direction, …), la
plupart du temps, ils n’accroissent pas directement la production et ne sont pas affectés à une
activité productrice particulière (une route ne produit rien et sert à tout le monde). En outre, il
ne s’agit pas d’avoir un seul type d’infrastructure ; c’est tout un ensemble lié par des
complémentarités qui est nécessaire. On parle à ce propos d’un minimum nécessaire que
certains économistes appellent le quantum minimum de capital social fixe ; en deçà tout serait
difficile et même impossible, au – delà tout deviendrait possible.
En réalité, il n’existe pas de critère bien précis pour déterminer ce minimum, car on ne
créé pas une route, un port, un service d’éducation pour répondre seulement aux besoins
présents ; on essaie d’anticiper en bloc et une fois pour toutes ; il revient moins cher de percer
une route spacieuse qui ne sera utilisée à plein rendement que dans sept ou huit ans que de
l’agrandir au fur et à mesure du développement des transports routiers. L’importance des
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infrastructures à mettre en place dépend donc largement de la manière dont on prévoit l’avenir.
En ce domaine, les risques d’erreur sont considérables.
Depuis quelques années, il semble que l’erreur ait résidé dans l’excès d’infrastructures.
Il est plus facile de creuser un port, de construire un hôpital que d’assurer la marche d’une
usine ou d’accroître la production agricole. On ne risque pas un échec flagrant, car on peut
toujours prétendre qu’un port sans grande activité a été réalisé pour faciliter le développement
futur, tandis qu’une usine qui ne fonctionne pas apparaît inévitablement comme un gaspillage.
Par ailleurs, les investissements massifs reçoivent facilement une aide de l’étranger : leur
volume frappe l’imagination des masses, il constitue un excellent moyen de propagande.
Un minimum d’infrastructures est indispensable ; toutefois, un excès de dépenses
d’infrastructures n’est pas sans danger. Il entraîne des tensions inflationnistes : la mise en
place des équipements de base provoque la distribution de revenus aux firmes et aux ouvriers
qui y travaillent ; la consommation augmente sans qu’y répondre un accroissement des biens
offerts sur le marché (). Si l’absence d’équipement et de services de base est un danger,
l’investissement inconsidéré de capitaux dans ce secteur est tout aussi dommageable. En
outre, lorsque l’on crée des routes, des voies ferrées, etc., il faut penser au coût de leur
exploitation qui est souvent considérable et ampute durement les possibilités de dépenses
économiques de l’Etat.
On peut se demander s’il ne vaut pas mieux prévoir seulement peu d’infrastructures.
C’est la thèse de l’économiste Albert O. HIRSCHMAN. Comme il le dit avec humour, espérer
susciter des activités économiques en mettant en place un ensemble vaste et diversifié
d’infrastructures fait penser au « culte du cargo » pratiqué par les tribus de la Nouvelle –
Guinée. Ces tribus avaient bénéficié, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, de la présence
sur leur territoire d’un corps expéditionnaire allié et elles le virent partir avec regret. Dans
l’espoir de le faire revenir, elles ont construit des sortes d’appontements et d’aérodromes, et le
soir, à la lumière des torches, elles attendent la « seconde venue des cargos ».
Il est préférable que ce soit le développement qui exige l’accroissement des
infrastructures. Même si le manque de moyens de transport et d’énergie provoque des goulots
d’étranglement, le développement préalable de la production indiquera avec plus de précision
quelle ampleur il faut donner aux équipements de base et surtout où il faut les localiser. Bien
entendu, il faut un strict minimum et, dans un pays au tout premier stade du développement, il
faut commencer par mettre en place ce strict minimum. Mais, dans la plupart des cas, la marge
de choix est plus large.
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Section 2. LA PLACE DE L’AGRICULTURE DANS LE DEVELOPPEMENT

Le développement passe fatalement par l’industrialisation. Toutefois, cet objectif ne


doit pas faire oublier que l’adaptation et l’intégration de l’agriculture dans le développement
sont tout aussi fondamentales. Trop d’économistes ont eu tendance à sous – estimer la place
de l’agriculture dans le développement. Il faut réagir contre cette attitude. Tant pour des
raisons économiques que pour des raisons sociales et politiques, l’agriculture joue et jouera un
rôle décisif dans la bataille contre le sous – développement.

§.1. Le rôle économique de l’agriculture

L’agriculture nourrit les hommes. Par là elle est déjà un facteur important du
développement. Certains économistes ne sont pas très inquiets. Ils pensent que l’exode rural
amène fatalement une amélioration de la production agricole. L’accroissement de la demande
alimentaire dans les villes, jointe au besoin de faire face à la demande avec moins de main –
d’œuvre, entraînerait une recherche de nouvelles, jointe au besoin de faire face à la demande
avec moins de main d’œuvre, entraînerait une recherche de nouvelles techniques, une
mécanisation et une amélioration de la productivité. Finalement, c’est l’industrie et
l’expansion urbaine qui représenteraient l’élément dynamique. Dans cette conception,
l’agriculture devient un simple réservoir de main – d’œuvre sous – employée. En réalité, la
situation est beaucoup plus complexe.

1. L’exode rural n’est pas une panacée

Le progrès économique chasse l’homme des champs. Toutefois, même accompagné


d’une expansion industrielle et d’une demande supplémentaire de produits alimentaires,
l’exode rural ne peut, à lui seul, provoquer un progrès agricole général. Pour être bénéfique, la
réduction du surpeuplement agricole doit être accompagnée d’une amélioration des techniques
agricoles. Un exode rural sans modification des techniques agricoles aboutit fatalement à une
baisse de la production agricole. En outre, l’exode rural n’est pas toujours un bien. Dans de
nombreux pays, une industrialisation, même réussie, ne pourra absorber toute la main –
d’œuvre que peut rendre disponible un certain progrès des techniques agricoles. Les
techniques industrielles modernes n’exigent plus des masses considérables d’ouvriers. Pousser
à l’exode rural maximum risque donc d’augmenter le chômage ou le sous – emploi urbain.
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Dans ce cas, l’agriculture n’est pas seulement un réservoir de main – d’œuvre. Les choix dans
les modes de progrès agricole sont donc très importants.

2. La mécanisation n’est pas synonyme de progrès agricole

Il y a deux grands types de mécanisation : celle qu’on peut appeler la mécanisation


pour la mise en valeur du sol, c’est – à – dire l’emploi de bulldozers ou de tracteurs lourds
pour défricher de nouvelles terres ou mettre en place un système d’irrigation. Si la mise en
valeur est réussie, cette mécanisation entraîne une amélioration de la production. Notons que
l’agriculture qui se met en place sur de nouvelles terres n’est pas forcément mécanisée.

A côté de ce type, il y a une mécanisation directe de l’exploitation. On emploie alors


les mêmes tracteurs et engrais que dans les pays développés.

Cette mécanisation qui nécessite d’importants investissements ne donne pas toujours


des résultats très probants. Mécaniser l’exploitation agricole, c’est accroître la productivité
des agriculteurs en leur permettant de travailler plus vite. Ce n’est pas forcément accroître le
rendement du sol. L’emploi des engrais, une meilleure sélection des semences ou du bétail,
une transformation des comportements par l’animation rurale a plus d’importance dans
l’accroissement des rendements qu’une mécanisation forcenée.
Cette distinction n’est malheureusement pas toujours comprise. On croit moderniser
l’agriculture en distribuant des tracteurs ; en fait, dans bien des cas, par manque d’entretien, ils
sont vite réduits à l’état de ferraille et, le plus souvent, l’amélioration des rendements est
fiable.

La mécanisation de l’exploitation doit être progressive et toujours intégrée à un progrès


général des techniques et des connaissances. Lorsqu’on veut éviter un exode rural massif, il
vaut mieux ralentir le processus de mécanisation et développer plutôt la maîtrise biologique
(utilisation des engrais, sélection des espèces, meilleure connaissance des sols, …). Il est
souvent préférable de ne pas sauter les étapes : on passera, par exemple, de la culture non
attelée à la culture attelée et non pas directement au tracteur.
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En effet, la culture attelée active la transformation des mentalités sans un


bouleversement total des comportements. Par ailleurs, elle donne lieu à tout un artisan local
(fabrication de harnais et même de petites charrues) qui facilite l’expansion de l’emploi dans
les campagnes.
D’ailleurs, les sols légers et érodés des pays tropicaux et semi – désertiques ne
supporteraient pas longtemps les labours profonds du tracteur.

En agriculture, le progrès de la productivité dépend essentiellement de micro –


innovation, de l’encadrement et de la formation.

Tout en ayant conscience des limites de la mécanisation agricole, il ne faut pas


cependant pas la rejeter à priori. Aller vite peut permettre parfois de produire plus. Dans
certaines régions, des jachères auraient pu être cultivées si les agriculteurs avaient eu plus de
temps, ou encore on aurait pu éviter de mauvaises récoltes dues au retard des semailles. Dans
d’autres régions, les jachères, envahies de mauvaises herbes, ne peuvent être remises en
culture avec des outils traditionnels, car ce travail ne peut se faire que pendant la courte
période d’activité agricole à la fois semer et détruire les mauvaises herbes : un retard dans les
semailles serait catastrophique pour l’alimentation de sa famille.

La mécanisation de l’exploitation peut donc être utile mais elle n’est pas le seul mode
de modernisation de l’agriculture.

3. L’apport de la production agricole à l’industrie dépasse l’approvisionnement en


denrées alimentaires

La production de denrées alimentaires est importante. Tout démarrage économique


suppose qu’un surplus agricole soit dégagé. Le transfert de la population rurale vers
l’industrie implique qu’on puisse nourrir un plus grand nombre de travailleurs industriels. On
peut, certes, importer des aliments, mais on limite alors la possibilité d’importer des
équipements. Dans certains pays africains le développement de l’industrie passe même par
une expansion de la production vivrière au dépend de certaines cultures spéculatives (cacao,
arachides, café).
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L’agriculture peut être aussi un fournisseur de matières premières ou justifier une


industrie alimentaire. Bien plus, dans un pays où une grande partie de la population est
agricole, le développement de l’agriculture et l’élévation du niveau de vie de masses rurales
permettent une expansion du marché de l’industrie.

Un ajustement de la croissance agricole et industrielle est donc nécessaire et le


développement ne se conçoit pas sans une vision à long terme de la croissance de ces deux
secteurs.
Cet ajustement est d’autant plus nécessaire que l’agriculture peut, comme nous le
verrons dans le troisième chapitre de cette cinquième partie, participer au financement général
du développement ().

De toute façon, le rôle de l’agriculture dans le développement est considérable. Encore


faut – il que les structures sociales ne bloquent pas le développement : il faut que les masses
rurales abandonnent leur traditionnelle passivité. Nous abordons là le rôle politique de
l’agriculture dans le développement.

§.2. Le rôle politique de l’agriculture

En agriculture, plus qu’en tout autre domaine, le progrès économique est


révolutionnaire. Il met en effet en cause non seulement les attitudes du paysan devant la
nature, sa conception du monde et de la vie, mais encore toute une série de structures sociales
qui faisaient de l’agriculture un mode de domination sociale.

En faisant sortir le monde rural de sa passivité, la mise en cause des anciennes


mentalités bouleversent les données politiques les plus fondamentales. Animer une population
rurale, la former en changeant son attitude devant le destin, c’est en définitive empêcher une
main mise totale des élites urbaines et bourgeoises sur le développement et la vie politique ;
c’est empêcher que quelques groupes accaparent le pouvoir et s’installent dans la richesse et la
consommation opulente, tandis que la masse est dans la misère. La mise en mouvement des
masses rurales garantit la politique d’orientation du développement.

Par ailleurs, réaliser, quand cela est nécessaire, une reforme agraire et lutter contre
toutes les structures de domination qui pèsent sur les paysans, c’est briser le pouvoir de
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groupes qui freinent le développement, détruire d’anciennes classes dominantes et faire


apparaître une société nouvelle plus adaptée au progrès social et économique.
Paradoxalement, les américains, qui demandent que l’alliance pour le progrès comporte une
promesse de réforme agraire, ont des objectifs qui ne sont pas sans rapport avec ceux des
dirigeants des démocraties populaires. Ils veulent, en effet, détruire l’ancienne classe
possédante au profit de classes qui croient plus dynamiques : la classe moyenne et celle des
capitalistes industriels. Là encore, le rôle politique de l’agriculture est stratégiquement
déterminant.

Nous avons déjà étudié l’animation et la formation nécessaires à la mise en mouvement


des masses rurales. Nous voudrions dans ce paragraphe étudier spécialement la réforme
agraire, et plus généralement la réforme agraire, et plus généralement la lutte contre les
dominations sociales que supportent les agriculteurs.

1. Qu’est – ce qu’une réforme agraire ?

La réforme agraire est une modification apportée par la puissance publique aux
structures agraires. Par structures agraires on entend :

1. L’ensemble des relations socio – juridiques existant entre les hommes à propos de la
répartition du sol (système de métayage ou de fermage, grandes propriétés ou
plantations cultivées par des salariés, système foncier, tribal, …).
2. Les caractéristiques spéciales des entreprises agricoles (sont – elles grandes, petites,
morcelées ou non en de multiples parcelles ? …).
3. Le degré d’autonomie des entreprises agricoles (sont – elles indépendantes, existe – t –
il un système de coopération ou d’entraide communautaire ? …)

Les réformes agraires peuvent avoir pour but la modification d’un de ces
éléments ou l’ensemble de ces éléments. Elles peuvent donc soit modifier les règles du
métayage ou du fermage (interdiction d’un fermage supérieur à 25 % ou 50 % de la récolte),
partager des grandes propriétés ou, au contraire, réunir de trop petites exploitations en grandes
exploitations dans l’économie (coopérative de production de matériel ou de vente,
planification autoritaire, transformation des réseaux commerciaux).
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On le voit, le mot réforme agraire peut désigner des transformations de l’agriculture


très variées. Il existe divers types de réformes agraires.

On peut les distinguer suivant :


1. Leur ampleur : dans certains cas on ne supprime pas le droit de propriété ; on le limite,
soit qu’on interdise des fermages trop élevés, soit qu’on limite l’étendue maximale des
exploitations, comme ce fut le cas au Mexique.
2. La structure des nouvelles propriétés : on peut partager les grandes exploitations en
petites ou en moyennes exploitations, c’est le « partagisme ». Ce fut notamment le cas
des réformes agraires japonaise et italienne ; ou bien maintenir de grandes exploitations
gérées par les anciens salariés du domaine sous le contrôle de l’Etat. C’est le cas de la
réforme agraire algérienne. Les réformes agraires des démocraties populaires ont allié
les deux modes. Dans un premier temps, les grandes exploitations furent partagées,
puis les petites propriétés qu’on venait de créer furent regroupées dans de vastes
coopératives ou unités collectivistes.
3. la finalité de la réforme agraire : la réforme agraire peut être simplement un contre –
feu tendant à couper la base d’une révolution populaire. Il semble que ce soit le cas de
la réforme agraire du Venezuela. Elle peut avoir des objectifs purement sociaux,
parfois au détriment des objectifs économiques. Les objectifs d’une réforme agraire
peuvent être nationalistes : dans les nouveaux Etats indépendants, on veut supprimer
l’emprise étrangère : c’est le cas de la réforme agraire tunisienne ou algérienne. Enfin,
ils peuvent être économiques. Ainsi, en URSS la collectivisation des terres avait pour
but l’instauration d’une ponction monétaire sur le secteur agricole afin de faciliter la
mise en place d’une industrie lourde. Dans les deux premiers cas, on est en présence
d’une réforme non révolutionnaire, parfois contre – révolutionnaire. Dans les deux
autres cas, il s’agit généralement de réformes agraires décidées dans le cadre d’une
révolution nationale ou d’une révolution sociale. Ces deux types de révolution peuvent
fort bien se combiner, comme en Algérie ou en Tunisie.
4. Les modes d’indemnisation : généralement, les réformes bourgeoises ou contre –
révolutionnaires prévoient deux modes d’indemnisation sérieux. Par contre, les
réformes révolutionnaires aboutissent le plus souvent à évincer purement et
simplement les propriétaires.

2. Les conditions de réussite des reformes agraires


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Les objectifs des réformes agraires et les contextes dans lesquels elles sont
intervenues sont donc très divers. Pour juger de leur réussite, il faudrait normalement
examiner quel type de préoccupations animait leur promoteur. En fait, du point de vue qui
nous intéresse, nous pouvons toutes les juger par rapport au développement dont la politique
agraire doit être l’un des instruments.

1. Les conditions politiques du succès. La réforme agraire doit permettre de


briser les structures sociologiques traditionnelles en faisant disparaître un groupe qui bloque le
développement ou en limitant son influence. Il faut donc éviter que l’ancienne classe
possédante ne puisse arrêter le processus. Une réforme agraire doit donc se réaliser soit dans
un climat politique qui mobilise les masses rurales et les intègre au pouvoir, soit à travers des
mutations économiques et sociales qui réorientent d’anciennes classes possédantes. Le Cuba a
pu réaliser les objectifs politiques et sociaux de la réforme grâce à un gouvernement
révolutionnaire. Le Japon a opté au XIXème siècle pour la seconde voie. On distribua des bons
de la réforme agraire aux grands propriétaires. Ces bons pouvaient servir de garantie aux prêts
accordés par les banques pour faciliter la création d’industries. Les grands propriétaires
deviennent ainsi les grands capitalistes industriels. Par ailleurs, en aucun cas on ne doit laisser
le temps de se ressaisir à la classe des grands propriétaires et des féodaux. Tout système de
redistribution progressive des terres avec indemnisation ralenti l’application de la réforme
agraire et la voue à l’échec. La réforme agraire doit être totale, rapide et brutale. Souvent,
mieux vaut ne rien faire que de se contenter de demi – mesures vouées à l’échec. L’exemple
du Chili de Frei et Allende est éclairant.

2. Les conditions économiques du succès. La réforme agraire doit être


intégrée dans le développement et ne pas rester une simple mesure sociale et politique. Une
reforme agraire doit être liée à une vision à long terme de la place de l’agriculture dans le
développement et à une véritable maîtrise de son devenir. De ce point de vue, elle doit
répondre à un certain nombre de conditions bien précises.
a. La réforme agraire ne doit pas être séparée de la formation des hommes.
Lorsqu’il n’existe pas une véritable paysannerie ayant des traditions de vie rurales
et un amour de la terre, cette formation a une importance déterminante. On ne
s’improvise pas paysan ; il faut une longue expérience de la vie végétale et de la
vie animale, et de leur complémentarité. La réforme agraire est donc beaucoup
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plus aisée là où règne la propriété absentéiste et où existent déjà des milliers de


petits exploitants. Par contre, dans les grands latifundia mal entretenus, elle
rencontre de grandes difficultés. Elle exige la mise en place d’un encadrement
considérable et un effort de formation soutenu. Lorsqu’il s’agit, comme en
Algérie, d’ouvriers permanents qui ont eu le temps de se former à des techniques
agricoles valables, la réforme agraire peut être réalisée sans trop de risques.
b. Le poids financier de la réforme agraire ne doit pas être trop lourd, tant pour le
nouvel exploitant que pour l’Etat. Il n’est donc pas bon d’obliger le bénéficiaire
de la terre à acheter la terre ; c’est d’obliger à consacrer toute son épargne à la
formation d’un capital foncier qu’il ne pourra exploiter correctement, faute de
pouvoir effectuer les investissements productifs. Par ailleurs, dans les pays où il
n’existe pas d’infrastructure et où elle est nécessaire d’accompagner la réforme
agraire d’une mise en valeur des terres (irrigation, drainage, communications,
mise en culture des jachères, équipement de stockage, …) l’indemnisation des
propriétaires doit être réduite au maximum. On ne voit pas de quoi un propriétaire
qui n’a pas utilisé correctement son domaine sera indemnisé. Dans tous les cas,
l’indemnisation n’a d’intérêt que si elle permet des réinvestissements productifs et
une diversification économique. Une indemnisation pour sauvegarder le principe
de la propriété n’a aucun intérêt ; elle n’est qu’un handicap. Plus les sommes
investies en pure perte dans l’achat des terres sont importantes, moins la réforme
agraire a des chances de succès.
c. La réforme agraire ne doit pas empêcher la formation d’un surplus agricole. Dans
la mesure du possible, elle doit viser à l’accroissement de ce surplus. Une
réforme agraire n’a de sens que si elle est liée au développement et à la
diversification de l’économie. Or, nous l’avons vu, il n’y a d’industrialisation que
s’il y a création d’un surplus agricole. C’est une opération délicate, car on ne peut
sérieusement se demander si une réforme agraire n’entraîne pas fatalement, au
moins dans un premier temps, une baisse de la production. Dans la plupart des
cas, l’autoconsommation augmente et le pourcentage de production
commercialisée baisse. Ainsi, même lorsqu’il n’y a pas diminution de la
productivité (c’est le cas d’une réforme agraire dans une zone à propriété
absentéiste), le pays risque de connaître de graves difficultés dans
l’approvisionnement des villes et dans son commerce extérieur. Il faut donc au
départ, non seulement former et encadrer la population rurale, mais aussi créer des
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exploitations qui se rapprochent des dimensions optimales eu égard aux


productions, au sol, à la formation des agriculteurs et au peuplement. Des
exploitations trop petites sont condamnées dès le départ. On multipliera les
agriculteurs mais aussi l’autoconsommation et on bloquera toute diffusion des
méthodes modernes de production. Des exploitations trop grandes sont tout aussi
inefficaces ; l’URSS et le Cuba en ont fait l’expérience. Elles ne sont pas à la
dimension des possibilités d’action des agriculteurs et exigent trop
d’investissements. De toute façon, il ne faut pas hypothéquer l’avenir et laisser la
porte ouverte à l’augmentation de la taille des exploitations au fur et à mesure de
l’évolution des techniques et de la formation des agriculteurs. La location de
terres que la collectivité s’est appropriée semble de ce point de vue la solution la
plus simple, car elle permet des adaptations successives. Afin de faciliter
l’apparition d’un surplus agricole, on peut coupler la réforme agraire avec
l’instauration d’une fiscalité foncière ou de prélèvements en nature qui empêchent
une augmentation trop rapide de l’autoconsommation. Nous aurons l’occasion de
reparler de ce problème à propos du financement du développement. Disons pour
l’instant qu’il faut veiller à ce que cette ponction en espèces ou en nature ne brise
pas le dynamisme des paysans. L’expérience de l’URSS montre que ce n’est pas
là un risque illusoire. Enfin, il est nécessaire de fournir à l’agriculture tout un
ensemble de services qui lui permettront de surmonter les dominations sociales
qui pèsent sur elle. Nous rejoignons ici le problème plus vaste de l’articulation de
l’agriculture et de l’ensemble de l’activité économique nationale.
d. La réforme agraire est en effet inséparable de l’effort général d’intégration
économique. Si l’on veut que l’agriculture se développe, il faut en effet favoriser
l’échange avec les autres secteurs et empêcher que des dominations sociales
interfèrent avec ces relations. Tout d’abord, la réforme agraire doit porter tout
autant sur les eaux d’irrigation que sur la terre. Il ne faut pas oublier que dans
certaines régions l’eau est aussi vitale que la terre. Ne pas réformer la propriété
de l’eau, c’est maintenir la domination de quelques grands propriétaires.

Ensuite, il est nécessaire de réformer le circuit commercial. Au sud du


Vietnam, l’effacement des propriétaires, à la suite de la première guerre d’Indochine et de la
réforme agraire du président Diem, a considérablement renforcé la puissance des commerçants
chinois qui n’avaient plus affaire qu’à des petits exploitants inorganisés. La création d’un
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système de coopératives et d’un commerce d’Etat peut permettre la transformation du circuit


de distribution. Si les hommes ne sont point préparés, il est dangereux de mettre en place trop
rapidement une structure coopérative et étatique. Dans bien des cas, on a cru pouvoir passer
directement d’un système de solidarité traditionnelle, tribale ou villageoise à un système de
solidarité coopérative. En réalité, ces systèmes appartiennent à des univers mentaux différents.
La coopérative suppose une prise de conscience des interdépendances et du calcul économique
et une notion de bien commun étrangère à la solidarité traditionnelle. La coopération
appartient au monde de l’économie moderne, on l’oublie trop souvent. Elle suppose en outre
un encadrement important, des responsables qui soient au courant des problèmes commerciaux
et une administration intègre et qualifiée. Dans bien des cas, il faut se contenter de publicité
des prix, la confrontation de l’offre et de la demande et le stockage des productions invendues.
La domination des commerçants est en effet largement fondée sur les imperfections du marché
et non sur le marché lui – même ().
Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas tenter une évolution vers la coopérative.
L’animation rurale est la première étape. Elle peut faciliter à travers la transformation des
mentalités un passage progressif vers la coopérative. On peut aussi créer un secteur témoin ou
ne confier à la coopération que quelques activités simples (approvisionnement en engrais,
matériel ou prise en charge de la commercialisation de produits secondaires). Ensuite, pas à
pas, au fur et à mesure que naîtra un esprit coopératif, on pourra élargir le domaine de la
coopération.

Quant au système étatique de commercialisation, lorsqu’il aboutit à un véritable


monopole du commerce extérieur et intérieur, il dépasse souvent les capacités administratives
d’un pays en voie de développement. Ainsi, la réforme entreprise en Guinée par le Président
Sékou Touré a – t – elle été compromise parce que la Guinée ne disposait pas du minimum de
personnel qualifié pour gérer les offices de commercialisation.

Enfin, la réforme agraire doit aller de pair avec une réforme du crédit agricole et la
lutte contre l’usure. Nous examinerons plus spécialement ce point dans le financement du
développement.

Comme on le voit, la réforme agraire va beaucoup plus loin qu’une simple remise en
cause des structures foncières. Elle doit s’insérer dans une politique agricole générale. Il faut
donc éviter à son sujet tout dogmatisme et être prête à s’adapter aux circonstances.
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C’est en définitive l’attitude de tous ceux qui auront à s’occuper du développement


agricole. Ce développement entraîne une révolution à la fois dans les structures techniques,
économiques, sociales et intellectuelles. Il est difficile d’en saisir au départ toutes les
dimensions et toutes les conséquences. Il faut seulement se préparer à faire face aux
problèmes à mesure qu’ils se présentent et éviter que trop de problèmes se posent à la fois.

SECTION 3. : L’INDUSTRIALISATION

Dans un pays où plus de la moitié de la population est engagée dans l’agriculture et où


la faim, cette vieille compagne de l’homme, menace l’existence de masses importantes, le
développement ne peut se confondre avec l’industrialisation.
L’importance accordée à l’agriculture ne peut cependant faire oublier que
l’industrialisation est inévitable.

L’industrialisation est politiquement indispensable. Le sous – développement est un


fait politique. C’est la prise de conscience du retard et de la subordination. Acquérir une
industrie nationale, c’est refuser la fatalité et s’affirmer soi – même. Aucun gouvernement du
tiers – monde ne peut ouvertement déclarer qu’il refuse l’industrie.

La spécialisation dans l’agriculture et la fourniture des matières premières n’est plus


défendable. Aujourd’hui, la division internationale du travail s’effondre, car les pays
industriels ont relativement moins besoin des pays non industriels. Les complémentarités
internationales apparaissent, non entre pays industriels et pays non industriels, mais entre pays
industriels. Au terme, un pays qui refuserait de diversifier son économie se condamnerait à ne
jouer qu’un rôle marginal et dépendant.

Par ailleurs, l’industrie permet la création d’emplois. Avec le développement de


l’automation, on ne peut plus certes compter sur l’industrie pour absorber toute la main
d’œuvre disponible. Dans les pays du tiers – monde, par suite des nouvelles techniques,
l’industrie permettra d’augmenter la production plus que l’emploi. Toutefois, il n’est pas
douteux que, directement ou indirectement, la recherche du plein – emploi passe par
l’industrialisation. L’industrie peut être en effet l’élément catalyseur de l’ensemble du
processus de développement et d’intégration. C’est par elle et à travers elle qu’on peut
17

réaliser l’élévation des revenus ruraux, car elle ouvre à l’agriculture des débouchés nouveaux
et lui fournit les biens qui lui permettent d’accroître sa productivité.

Enfin, l’industrialisation est sociologiquement indispensable, il est en effet difficile de


concevoir le passage d’une société traditionnelle à une société moderne sans les
transformations sociales et mentales qu’entraîne l’industrialisation.

L’industrialisation, c’est en définitive la transformation de toute la société par un


ensemble coordonné d’industries. L’industrialisation n’est pas le simple parachutage
d’activités industrielles, elle forme un tout avec le devenir social et économique.

Reste à savoir :
1. Quel type d’industrie peut faciliter le processus d’industrialisation ?
2. Comment créer des industries ?
3. Où localiser les industries ?

§.1. Quel type d’industrie peut faciliter le processus d’industrialisation ?

Bien peu de pays en voie de développement n’ont pas d’industrie. Il s’agit


généralement
d’une industrie légère, fortement dépendante des consommateurs urbains et des importations.
Cette industrie ne s’enracine pas dans le pays, elle est en quelque sorte épidermique et accroît
la dépendance extérieure de l’économie urbaine. On voit ainsi apparaître une industrie textile
qui utilise du matériel et des fils importés, des fabriques d’allumettes et de cigarettes des
brasseries et glacières, quelques industries alimentaires qui, dans certains cas, importent une
partie de leur matière première, des chaînes de montage d’automobiles qui n’ajoutent guère
plus de 10 % à la valeur des produits importés, de petites usines de matières plastiques ou
encore des usines d’ustensiles ménagers qui se contentent d’emboutir de la tôle d’aluminium
importée.

Certains choix des gouvernements locaux favorisent ce type « d’industrialisation ». Ils


se fondent sur une vision à court terme du développement. Il est évident qu’un pays doit tenir
compte des contraintes qui pèsent dans l’immédiat sur son développement. Toutefois, les
critères qui servent alors à l’industrialisation risquent d’amener rapidement le développement
18

dans une impasse. Il faut penser l’industrialisation en fonction de l’avenir et non du présent ou
pire, du passé.

1. L’Industrialisation inspirée d’une vision à court terme

Pour déterminer quel type d’industrie est nécessaire ou possible dans un pays en voie
de développement, certains économistes partent de trois constatations. Dans un pays en voie
de développement :
1. Le capital est rare, car l’épargne est insuffisante,
2. la main – d’œuvre est abondante,
3. Les importations sont trop fortes et le pays connaît une pénurie chronique de
devises.

De ce trois constatations, ils déduisent deux critères : celui de l’intensité des facteurs et
celui de la balance des paiements.

1.1. Le critère de l’intensité des facteurs

On part des deux premières constations : la main d’œuvre est abondante et le capital est
rare. Il faut donc créer des industries qui emploieront beaucoup de main – d’œuvre et peu de
capital. En plus des avantages économiques d’un tel choix, on avance ses avantages sociaux :
avec peu d’investissements, on résorbera au maximum le chômage et le sous – emploi.
Les conséquences d’une telle option sont de trois ordres :
a. On investit de préférence dans l’industrie légère,
b. On protège l’artisanat et la petite industrie,
c. On recherche des méthodes de production simples.

a. La préférence dans l’industrie légère trouve rapidement une limite. Les pays qui
commencent leur industrialisation par les industries légères, généralement axées
sur la consommation (industrie alimentaire, textiles, chaînes de montage, ….),
connaissent un gonflement démesuré des importations de biens intermédiaires et de
capital. Ainsi, en Amérique latine, au cours des vingt – cinq dernières années, les
importations de biens de consommation manufacturés ont diminué de moitié, mais
celles des biens intermédiaires ont doublé, tandis que celles des biens
19

d’équipement se sont accrues de 50 %. Dans les pays comme l’Argentine où les


industries de base sont peu développées, le déséquilibre de la balance des
paiements devient très important. Pour le résorber, il faut dépasser le stade de
l’industrie légère. Mais la production des biens intermédiaires, puis des
équipements, suppose un emploi beaucoup plus massif de capital et d’abandon du
critère de l’intensité des facteurs.
b. La protection de l’artisanat et des petites industries est ambiguë. Lorsqu’il existe
un artisanat traditionnel, rural ou urbain, sa protection s’impose tant que l’industrie
est dans l’incapacité d’employer la main – d’œuvre utilisée par l’artisanat. On peut
alors chercher à le grouper en coopératives pour faciliter ses approvisionnements et
organiser ses ventes. Par ailleurs, on peut inciter à la création d’un artisanat rural
de réparation ou de production du petit matériel agricole. Il ne faut cependant pas
oublier que l’artisanat n’est pas l’industrie ; il possède des origines socio –
économiques évidentes : c’est un mode de vie et non un mode de production ;
comme l’agriculture traditionnelle, il est étranger aux rationalisations imposées par
l’industrie. Dans certains cas, l’artisanat bloque le développement industriel, car il
ne calcule pas ses coûts et ne respecte pas toujours des normes de production
correctes. Ainsi, à Saïgon, les artisans chinois concurrencent – ils victorieusement
la fabrication industrielle des sandales de caoutchouc. En effet, ils ne
comptabilisent pas le coût de la main – d’œuvre familiale, ils mêlent au latex une
quantité impressionnante de sciure et emploient souvent une matière première
volée dans les plantations, … créer un artisanat à la place d’une industrie est tout à
la fois difficile et dangereux. Les problèmes posés par les petites industries sont
différents. Dans les pays industriels, il y a place aussi bien pour de petites
industries que pour des grandes. Aux Etats – Unis, 99 % des entreprises
industrielles emploient moins de 100 personnes et leur personnel représente 7 %
des salariés de l’industrie. La General Motors a quelque 45.000 fournisseurs et
sous – traitants, pour la plupart des petites et moyennes entreprises. Dans un pays
en voie de développement, l’étroitesse du marché, la possibilité pour la petite
industrie de mobiliser une épargne familiale qui serait restée inemployée, la
faiblesse des investissements nécessaires, la facilité de la direction, tout milite,
semble – t – il, dans le sens d’une expansion des petites industries. En réalité, il
faut bien distinguer deux sortes de petites industries :
20

- Celles qui produisent pour la consommation et dont la multiplication aboutissent


aux difficultés que nous avons énumérées,
- Celles qui travaillent en symbiose avec la grande industrie et qui sont de fait une
des forces des pays industriels : la petite industrie permet de débarrasser la grande
entreprise de toute production de faible série et d’activités secondaires exigeant une
souplesse que n’a pas la grande entreprise. Dans un pays du tiers – monde, comme
nous l’avons dit plus haut, une des difficultés de l’industrialisation est l’absence
d’un véritable milieu industriel composé de petites entreprises (). Dans certains
pays, lorsqu’une industrie importante s’installe, elle est obligée de monter elle –
même une partie de ses installations (équipements de stockage, chariots de
manutention, grilles de protection, …), car l’importation de ces équipements serait
trop onéreuse et aucune petite entreprise ne peut les fournir. La faible valeur
ajoutée aux produits importés par les chaînes de montage s’explique aussi par
l’absence d’industries locales d’accompagnement (par exemple fabrication des
sièges, d’enjoliveurs, des phares, des poignées, …). Les petites industries sont
donc nécessaires. Mais elles ne se conçoivent pas sans de grandes industries. Or,
celles – ci exigent le plus souvent des investissements importants.
c. La recherche des méthodes de production simples est en partie illusoire. Tout le
monde se souvient encore des « hauts fourneaux de campagne » inventés par les
chinois dont la production fut pratiquement inutilisable par l’industrie de
transformation. On peut produire avec des méthodes périmées les biens
nécessaires à l’industrie moderne. Sans aller jusqu’aux outrances chinoises, on
prétend souvent qu’en raison du manque de compétence et d’expérience de la main
– d’œuvre locale, des machines simples et robustes, n’exigent pas un haut niveau
de qualification, sont préférables au matériel complexe des usines européennes ou
nord – américaines. Tout dépend en fait des secteurs : dans le secteur textile, une
telle option peut se défendre ; dans les industries mécaniques, dans la métallurgie
et la chimie, elle est le plus souvent à rejeter, car elle entraîne une hausse
considérable des coûts. Actuellement, la solution opposée triomphe souvent. Par
suite du manque de main – d’œuvre qualifiée, on tend à automatiser au maximum
certaines des installations industrielles des pays sous – développés. Les risques de
dégâts sont par là - même fortement réduits. Quant à l’achat à bas prix de matériels
d’occasion qui ne correspondent plus aux normes de productivité des pays riches, il
cause souvent bien des déboires : le matériel, souvent usé, exige de nombreuses
21

réparations et surtout les ouvriers qui démontent les machines en pays développé
ne sont pas ceux qui les remontent en pays sous – développé… Quelques
fantaisies président parfois à l’agencement des éléments. Adapter l’équipement
aux conditions locales ne doit jamais signifier fournir un matériel de second ordre.

1.1. Le critère de la balance des paiements

Etant donné le déficit de leur balance commerciale et de leur balance des paiements,
bien des pays centrent leur effort sur des industries qui substituent une production locale à des
importations.
Comme, au début du développement, les importations sont constituées essentiellement
par des biens de consommation, le critère de la balance des paiements coïncide souvent avec
celui de l’intensité des facteurs. On obtient alors une série d’industries peu complémentaires
et qui dépendent très largement des importations de biens intermédiaires. Au total, le résultat
de l’opération est assez décevant. L’industrie ne s’enracine pas, ses coûts de production sont
exorbitants par rapport aux gains en devises qu’elle procure ; la valeur ajoutée sur place aux
biens importés est en effet dérisoire.

Certes, se baser sur les importations pour fixer certains objectifs de production n’est
pas à rejeter totalement ; il faut cependant bien en voir les limites. En prenant pour critère les
importations, on fonde ses objectifs sur le passé et non le futur. De plus, en ce qui concerne
les biens de consommation, on tend par ce système à satisfaire essentiellement la population
urbaine privilégiée ; ce sont en effet les besoins de ce groupe qui sont satisfaits par des
importations. A ce stade, l’industrie reste artificielle et dépendante.

Pour aller au – delà et véritablement permettre des économies de devises, il faut


remonter dans le processus de production et créer des industries de biens intermédiaires, puis
d’équipements. On est alors obligé d’abandonner le critère de l’intensité des facteurs et celui
des importations. La production minimale d’une industrie de biens intermédiaires ou d’une
industrie d’équipements est généralement supérieure au volume de ces biens importés ; les
importations n’indiquent plus les quantités à produire. Pour découvrir ce qu’il faut produire, il
est indispensable de trouver un autre critère.

2. Les critères fondés sur une perspective à long terme


22

Les critères fondés sur la rareté du capital ou les difficultés de la balance des paiements
mènent donc à une impasse. Leur grand défaut est de vouloir, par volonté de réalisme,
considérer comme insurmontables les contraintes qui pèsent actuellement sur
l’industrialisation. On recherche alors le maximum d’industries compatibles avec la rareté des
facteurs ou le minimum d’industries nécessaires à l’équilibre de la balance des paiements.
Finalement, on est amené à une politique très timide qui ne transforme pas fondamentalement
les données du sous – développement.

Pour établir un plan d’industrialisation efficace, il faut partir d’un autre point de vue.
On ne recherchera pas ce qu’il est possible ou urgent de faire dans la situation présente, mais
au contraire quelles devraient être les caractéristiques d’une industrialisation qui serait
parvenue à s’enraciner. A partir de cette étude, on créera les activités dont l’apparition
favorisera ce type d’industrialisation.

2.1. L’enracinement de l’industrialisation

L’industrialisation est un phénomène à la fois technique, économique et


social. Nous l’avons dit, techniquement et économiquement l’industrialisation n’est pas
simplement l’apparition d’industries ; c’est la naissance de complémentarités entre des
activités industrielles. La force des pays industrialisés est fondée sur un système complexe de
relations entre les différentes productions industrielles. Chaque industrie trouve à la fois des
clients et des fournisseurs parmi les autres industries.

Prenons l’exemple à la limite de l’agriculture : les abattoirs. Dans les régions


industrielles, il ne s’agit pas d’une simple activité para – agricole. Les abattoirs sont un
chaînon de l’industrialisation ; ils ne fournissent plus seulement de la viande pour
l’alimentation ; leurs sous – produits (peaux, os, graisses, abats, glandes, …) sont utilisés dans
des activités complémentaires (industries du cuir, aliments pour bétail, industries
pharmaceutiques, …). Cette utilisation des sous – produits permet d’abaisser les coûts de
production et suscite la création d’abattoirs de grandes tailles à proximité des zones
industrielles. En effet, ces sous – produits ne peuvent pas être récupérés au niveau des petits
23

abattoirs disséminés sur un territoire. Pour des raisons d’hygiène très évidentes, ils sont
difficilement transportables. Le passage aux abattoirs industriels exige des équipements pour
la conservation et le conditionnement de la viande ; l’abattoir va alors totalement s’insérer
dans l’ensemble de la structure industrielle. Nous retrouvons ici l’interdépendance dont nous
parlions à propos de l’allongement du processus de production ().

La complémentarité permet à l’industrie nationale de trouver en elle – même son


propre dynamisme. Chaque secteur de l’industrie alimente les autres secteurs et est alimenté
par eux. Nous sommes en présence d’un véritable mouvement cumulatif de développement
industriel.

L’agriculture est intégrée à ce phénomène d’industrialisation. Non seulement,


l’industrialisation exige des surplus commercialisables, mais l’agriculture devient un débouché
pour l’industrie (industries chimiques, industries mécaniques et métallurgiques, cimenteries,
…).

Sociologiquement, l’industrialisation représente une véritable transformation de la


société. Par nature, l’industrie est une application systématique des connaissances
scientifiques et techniques à la conquête de la nature. Par elle, la technique devient le mode
habituel de l’action de l’homme sur la nature. Comme elle exige une accumulation de capital,
une part croissante de la production est prélevée au profit de l’investissement. La société
entière se structure en fonction de ce prélèvement. Nous retrouvons là le principe de
l’économie progressive d’échange dont nous avons déjà parlé au début de l’ouvrage ().

L’industrialisation est donc intimement unie au processus de maîtrise et de prise en


main du devenir économique et social. C’est en fonction de cette vue à long terme qu’elle doit
être pensée. Il faut donc choisir des industries industrialisantes (), c’est – à – dire des
industries qui permettront un véritable enracinement de l’industrialisation.

2.2. A la recherche d’industrie industrialisante

Une industrie industrialisante doit avoir deux caractéristiques essentielles :


- Elle doit faciliter l’intégration générale de l’économie,
- Elle doit permettre l’apparition d’un développement indépendant.
24

Dans la plupart des pays actuellement développés, les complexes industriels


du charbon et de l’acier ont ainsi été des industries industrialisantes créées pour faire face aux
besoins de la construction des chemins de fer, de la modernisation des armées ou de la
mécanisation des autres activités industrielles. Ces complexes se sont rapidement révélés
comme des facteurs autonomes d’industrialisation.

En effet, le charbon est lié à l’énergie ; elle est nécessaire à la fois pour l’exploitation
de la mine (machine à vapeur, puis plus tard électricité) et pour l’utilisation des charbons de
mauvaise qualité (usine thermique). En outre, le charbon est étroitement associé à la
sidérurgie qui a besoin de coke. La cokétification donne à son tour naissance à une série
d’industries chimiques. Les hauts fourneaux sont liés à des usines de céramique et de produits
réfractaires, ils donnent lieu, eux aussi, à une série d’activités capables d’utiliser leurs sous –
produits (ciment de laitier, scories de déphosphatage, gaz des hauts fourneaux, …). La
métallurgie et la grosse mécanique ont d’autant plus avantage à s’installer près de sidérurgie
que les houillères et la sidérurgie sont parmi leurs meilleurs clients (besoins du forage et de
l’exploitation, transports de produits lourds, équipements divers, …). Mes masses humaines
exigées par ces complexes attirent à leur tour des industries de biens de consommation.
L’ensemble du complexe nécessite un réseau de transport de très grande densité. Enfin,
l’agriculture en contact avec le complexe est profondément transformée.

Quelles que soient leurs origines, les complexes du charbon et de l’acier sont aussi
devenus de puissants facteurs d’industrialisation.

Ils ne sont cependant pas les seuls types d’industries industrialisantes. D’une manière
générale, les industries fabriquant des biens intermédiaires (métaux, ciments, produits
chimiques) et les industries d’équipement nécessaires à ces industries de biens intermédiaires
sont des industries industrialisantes. Elles peuvent jouer un rôle analogue à celui des
complexes du charbon et de l’acier.

Dans les pays qui ont déjà une industrie, comme en Amérique Latine, les industries de
base et les industries d’équipement liées à ces industries peuvent être l’élément moteur de
l’industrialisation. Il en va de même pour les pays qui ont déjà une industrie minière qui livre
25

un produit brut. La transformation poussée du produit grâce à des industries de base et des
industries d’équipement peut permettre l’industrialisation.

On ne doit cependant pas oublier que la plupart des économies du tiers – monde sont
encore des économies agricoles et qu’il s’y livre un combat acharné contre la faim. Les
industries industrialisantes doivent donc essentiellement faciliter l’accroissement de la
production et de la productivité agricole. Les industries chimiques qui permettent la
fabrication d’engrais ou de matières plastiques utilisées pour l’irrigation ou le forçage de
certaines cultures, la production du ciment nécessaire à un grand nombre de travaux de mise
en valeur pour les infrastructures et celles sur la sidérurgie qui permet de fabriquer des
équipements agricoles plus modernes apparaissent alors comme des industries particulièrement
efficaces.
Toutefois, la mise en place de ces industries industrialisantes se heurte à un certain
nombre de difficultés.
a. Qu’elles soient liées aux industries de consommation ou à l’agriculture, les
industries industrialisantes exigent des investissements importants. Dans la
mesure où l’on aura soin de lier les industries de biens intermédiaires à la mise en
place d’industries d’équipements, une partie de la difficulté peut être résolue. En
effet, on possédera alors les moyens de produire les équipements dont on aura
besoin. Du même coup, on évitera à terme de sérieuses difficultés dans la balance
des paiements ; ne l’oublions pas, lorsqu’on s’arrête à la production de biens
intermédiaires on multiplie les besoins d’importation de biens d’équipements. Par
ailleurs, on peut rechercher des techniques qui évitent une trop grande utilisation
du capital ; nous avons vu cependant le caractère aléatoire de notre recherche.
b. Les industries industrialisantes n’amènent pas une amélioration immédiate des
niveaux de vie. Tout au contraire, les tensions inflationnistes qu’entraîne
l’investissement risquent d’accroître la misère. D’autre part, dans bien des cas, la
création d’emplois sera faible. C’est là une difficulté à court terme. A long terme,
l’intégration de l’économie et l’industrialisation auront des effets bénéfiques
certains. Cependant, dans l’immédiat, le coût humain risque bien d’être
insupportable. Pour éviter cet écueil, il faut tout d’abord ne point séparer
l’industrialisation de la lutte contre les dominations sociales qui écrasent les plus
pauvres et notamment les agriculteurs. Il faut ensuite tenter, dès le départ, une
amélioration de la production agricole par une animation rurale qui prépare la
26

modernisation de l’agriculture sans exiger d’importants investissements. Il faut


enfin essayer de créer deux secteurs industriels : le premier exigeant peu de main
d’œuvre et beaucoup d’équipement a pour tâche l’industrialisation en profondeur ;
le second, composé de petites ou moyennes entreprises, utilisant beaucoup de
main – d’œuvre et peu de capital, sert essentiellement à créer des emplois et à
favoriser la production de biens de consommation. La modernisation de ce
secteur peut fort bine être en retard sur le niveau habituel dans les industries de ce
type. C’est un peu la solution qui a été longtemps celle du Japon. Ainsi, sont
réintégrées dans une perspective à long terme ce qu’avaient de valable les options
pour une fiable utilisation de capital, de petites entreprises, et une politique de
substitution d’une production locale aux importations de biens de consommation.
c. Tous les pays ne peuvent avoir une industrie lourde. Vouloir créer une industrie
lourde nationale ou une industrie d’équipement dans certains petits pays africains
rappellent beaucoup l’histoire de la grenouille qui voulait devenir aussi grosse
qu’un bœuf. Dans bien des cas, en effet, les industries lourdes et d’équipement
exigent, pour être rentables, des productions minimales qui soient quatre ou cinq
fois supérieures aux productions qu’on peut espérer écouler dans le pays. Même
lorsqu’il s’agit d’industries fabriquant de l’engrais, on s’aperçoit que les capacités
de production minimales excèdent les besoins d’un pays comme l’Algérie. Les
petits pays, voire les pays de moyenne importance, ne peuvent se passer
d’exporter une partie de leur production industrielle. S’emparer d’une partie du
marché international est à l’heure actuelle très difficile. Au lieu de se hasarder sur
le marché international, il est généralement préférable de concevoir les industries
industrialisantes dans le cadre d’ententes régionales entre pays en voie de
développement. Nous aurons l’occasion de revenir plus amplement sur cet aspect
de la coopération internationale. Toutefois, l’entente entre pays du tiers – monde
est toujours difficile et, dans bien des cas, de petits pays éloignés des grandes
voies maritimes qui ne peuvent dans l’immédiat créer un ensemble d’industries de
base sont amenés à une politique axée sur les industries de biens de
consommation. A titre de politique de rechange, il est alors nécessaire de
rechercher la complémentarité la plus grande possible entre les industries
existantes. Ainsi, une chaîne de montage peut embrayer sur des entreprises qui
fabriqueront les sièges, les poignées de portes, les équipements électriques … De
proche en proche, ces industries forment un tout qui, tout en n’ayant pas le même
27

dynamisme que les industries de base, peut permettre un enracinement de


l’industrialisation. Il reste que, dans la plupart des cas, l’installation d’industries
de biens intermédiaires et d’équipement est une anticipation audacieuse. Rien
dans la situation présente ne semble justifier leur existence ; leur réalisation se
rattache à une vue optimiste et créer une véritable surproduction des biens de
production. La croissance plus rapide des biens de production est en fait une
situation très avantageuse pour le développement. L’URSS a fondé sur elle toute
une option à certains égards comparable. Disposer de la base la plus large
possible est pour une industrialisation un avantage considérable. De plus, comme
l’a fait remarquer A. O. HIRSCHMAN, disposer en abondance d’un produit, être
obligé d’en rechercher l’utilisation projette le pays vers l’avant. Il vaut mieux être
forcé à créer un débouché qu’essayer d’exploiter celui qui existe et qui est
généralement trop faible.

§.2. Comment réaliser l’industrialisation ?

L’anticipation de l’avenir que représentent les industries industrialisantes ne peut être


que le fait de l’Etat. On imagine mal un groupe privé se lançant dans la surproduction des
biens de production. Même s’il n’a pas pris d’options idéologiques fermes, le gouvernement
d’un pays sous – développé est ainsi entraîné à créer une industrie de l’Etat. Dès le XIX ème
siècle, le Japon a fort bien compris le rôle que devait jouer l’Etat dans le démarrage industriel.
Les premières firmes industrielles furent une création et une propriété de l’Etat. A Porto Rico,
le gouvernement américain a créé lui – même des industries pour amorcer l’industrialisation.
Dans les deux cas, les industries créées ont ensuite été revendues aux capitalistes privés.
Aujourd’hui, la tendance est au contraire à établir un secteur public permanent.

1. Quelle que soit la solution choisie, il faut surtout qu’une option claire soit
prise ; en effet, rien n’est plus paralysant pour le développement industriel que l’incertitude sur
le statut de la propriété des entreprises. Dans le cas d’une création d’industrie nationalisée, la
maîtrise de l’Etat est directe. Son intégration au développement est donc en principe faible. Il
faut cependant reconnaître que les habitudes administratives, l’absence de critères clairs quant
28

à la définition d’une bonne gestion, la formation bureaucratique des directeurs… ne


contribuent pas à favoriser le dynamisme de la firme publique. Pour éviter ces inconvénients,
l’Etat doit préciser exactement le rôle qu’il entend faire jouer aux firmes publiques. Pour
éviter ces inconvénients, l’Etat doit préciser exactement le rôle qu’il entend faire jouer aux
firmes publiques, il ne suffit pas de créer un secteur nationalisé, il faut aussi établir une
politique, car le but de l’entreprise publique qui n’est plus le profit doit être précisé. Par
ailleurs, on doit établir des critères de gestion et de succès qui ne supposent pas une tutelle
permanente de l’Etat. L’industrie n’est pas l’administration ; elle a besoin de souplesse dans sa
gestion.

Dans le cas de l’intégration de l’initiative privée à l’effort de développement, on peut


concevoir tout un ensemble de mesures incitatrices et contractuelles, une aide forfaitaire ou
négociée, des avantages fiscaux, des commandes publiques, ou encore l’octroi d’un quasi –
monopole étant accordé à une firme si elle réalise les objectifs déterminés par le plan.

L’Etat peut essayer aussi de s’associer avec des capitaux privés, soit nationaux, soit
étrangers. Il crée alors des sociétés d’économie mixte dont il possède une part importante,
parfois majoritaire, du capital. Ce système permet généralement plus de souplesse dans la
gestion tout en introduisant à l’intérieur de l’entreprise un contrôle de l’Etat. Reste à savoir
s’il existe des capitaux privés désireux de s’associer à l’Etat, …

2. Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que la prise en charge par l’Etat
du développement industriel, l’aide qu’il peut accorder à l’industrie privée, l’association qu’il
peut proposer aux capitalistes ne créent pas d’un coup de baguette magique une classe
d’industrielle.

La Chine communiste elle – même a tenté d’intégrer dans ses entreprises les anciens
« capitalistes » en les nommant directeurs. On ne s’improvise pas industriel ; ni un
fonctionnaire ni un commerçant. Ils sont préparés à l’intégration d’une gestion quotidienne
dans la perspective à long terme qu’exige toute industrie.

Certains pensent qu’il vaut mieux, dans ces conditions, faire appel à des entreprises
étrangères, mais la mainmise du capital étranger sur l’industrie naissante ne fait qu’aggraver la
domination actuelle des pays du tiers – monde par les pays industriels.
29

Il vaut mieux tenter de généraliser la pratique des « usines vendues clés en mains »
dont nous reparlerons plus loin. Dans une première phase, le gouvernement fait construire une
usine par une entreprise étrangère ; il peut éventuellement associer des capitalistes locaux à
cette opération. Les futurs dirigeants nationaux sont associés à la construction. On ne livre
pas une usine comme un réfrigérateur : il faut que celui qui la dirigera en comprenne
totalement l’organisation et la logique.

Dans une deuxième phase, de cinq ou sept années, l’entreprise est gérée par le groupe
étranger qui construit l’usine, mais les futurs dirigeants, des techniciens et hommes d’affaires
nationaux, sont associés à cette gestion. Les bénéfices réalisés par l’entreprise peuvent être
partagés entre le gouvernement et le groupe étranger pour paiement du service qu’il rend en
formant la future équipe de direction.

Dans une troisième phase, le groupe étranger cède la place à l’équipe de direction qu’il
a formée durant la seconde phase. Cette solution à l’avantage de former sur le tas les futurs
industriels sans renforcer la domination étrangère. On peut aussi, en dehors de la construction
« d’usines clés en mains », passer de simples « contrats de direction » avec des sociétés
étrangères ; mais il est plus difficile de trouver des sociétés qui y consentent.

En ce qui concerne les industries légères et de biens de consommation, il faut faciliter


le passage du groupe des commerçants au groupe des industriels. Dans tous les pays en voie
de développement, le commerce est florissant et actif ; malheureusement, les chefs
d’entreprise qui s’y dégagent et les capitaux qui s’y forment ne passent pas facilement à
l’industrie. Certains pays comme la Tunisie ont eu à ce propos une expérience intéressante.
Ils ont progressivement obligé les grands commerçants importateurs à fabriquer eux – mêmes
mes produits qu’ils importaient. L’opération a été réalisée avec une grande souplesse. Tout
d’abord, les importateurs ont été obligés de passer pour leurs achats par des groupements
d’importateurs qui les ont coupés de leurs circuits traditionnels et leur ont causé pas mal de
tracas. Ensuite, les commerçants se sont vus proposer des prêts à long terme et une assistance
technique s’ils acceptaient de devenir industriels. Un certain nombre ont accepté cette solution
et ont, semble – t – il, réussi. On est au début d’une expérience. Pour qu’elle réussisse, il
faudra dépasser le stade de la simple substitution d’une production locale à une importation de
produits finis et parvenir à des complémentarités entre entreprises.
30

3. Notons enfin que toute création d’industrie dans un pays en voie de développement
suppose une protection efficace des industries naissantes. La production d’une usine n’arrive à
son rythme normal qu’après un temps d’adaptation. En Europe, il faut compter au moins un
an de tâtonnement et de mise au point. Dans un pays en voie de développement, ce délai est
d’autant plus long que l’usine anticipe sur les besoins futurs et que durant parfois plusieurs
années elle ne pourra utiliser pleinement sa capacité de production. Par ailleurs, l’absence de
milieu industriel et de complémentarités économiques et techniques est, au départ, un handicap
considérable. Finalement, en dépit d’une main- d’œuvre bon marché, tous les facteurs du sous
– développement entraînent une hausse des coûts de production.

On peut tout d’abord abaisser les coûts par des dégrèvements fiscaux. Un grand
nombre de pays en voie de développement accordent aux nouvelles entreprises des réductions
temporaires d’impôts sur le revenu et sur le chiffre d’affaires durant une période de cinq à dix
ans. Dans certains pays, l’exemption est dégressive plus forte durant les premières années que
durant les dernières années de l’exemption, de sorte qu’il peut y avoir adaptation progressive
de l’entreprise à des conditions normales de fonctionnement. Les exemptions peuvent, bien
entendu, être appliquées pour l’expansion des entreprises déjà existantes. Dans certains cas,
l’expansion d’anciennes entreprises ayant déjà acquis une expérience est en effet plus facile à
susciter que la création de nouvelles.

Parallèlement à ces dégrèvements fiscaux, on peut établir des droits de douane


protecteurs et éducateurs. Rares sont les développement industriels qui ne se sont point réalisés
à l’abri des protections douanières. L’Allemagne et les Etats – Unis ont usé et abusé de telles
protections.
On peut distinguer deux sortes de tarifs douaniers protecteurs :
- Ceux qui sont établies de manière permanente et qui risquent à terme d’amener une
sclérose industrielle. A l’abri derrière leur protection douanière, les entreprises ne
sont point incitées à améliorer leur production.
- Ceux qui sont temporaires et qui ont pour but de permettre en épanouissement de
l’industrie naissante. Ces tarifs sont dits éducateurs. Ils disparaissent lorsque
l’industrie parvient à des coûts de production compétitifs.
31

N’importe comment, il est difficile de savoir si les tarifs douaniers du tiers – monde
sont permanents ou provisoires. Disons seulement qu’ils sont actuellement nécessaires mais
toujours insuffisants. En effet, dans bien des cas, l’acheteur préfère un produit étranger au
produit national. Le consommateur voit dans ce bien importé une source de prestige,
l’industriel une garantie de qualité. Il faut donc compléter les tarifs douaniers par des
limitations quantitatives d’importation, voire des interdictions pures et simples d’importer des
biens dont il existe une production subit des pressions et des sollicitations de toutes sortes et
finit parfois par accorder des autorisations abusives. L’interdiction d’importer suppose une
administration probe et efficace.
§.3. Où implanter l’industrie ?

La complémentarité étant à la base de toutes industrialisation, il est évident qu’on ne


peut imaginer un développement industriel réalisé par un saupoudrage d’usines sur l’ensemble
du pays. Le coût des infrastructures, le coût des transports pour les sous – produits, l’ensemble
des relations interentreprises et les difficultés de formation d’une main d’œuvre disséminée
serait fatal au développement industriel. Une dissémination de l’industrie serait d’ailleurs
contraire aux enseignements de l’histoire économique. Comme l’a fort bien montré le
professeur F. Perroux, la croissance n’apparaît pas partout à la fois, elle se manifeste en des
points ou des pôles de croissance et se propage.

1. Une industrialisation praticable doit donc être fondée sur l’implantation de pôles de
croissance. Il ne faut pas disséminer les industries nouvelles mais les regrouper en ensembles
capables, par la nature des activités industrielles qu’ils groupent, par les complémentarités
qu’ils permettent, par leur poids économique d’atteindre rapidement des niveaux de
productivité et de rentabilité comparables à ceux des anciens pays industriels.

Un pôle de croissance est donc un générateur d’activités. Il faut cependant faire


attention : la création d’une coopérative villageoise, d’une école est, elle aussi, un générateur
d’activités. Un véritable pôle de développement situe son action au niveau de l’activité
nationale et internationale.
La seule dimension d’un pôle de développement ne lui permet toutefois pas d’avoir une
action efficace sur la croissance. Il doit être lié à une industrie industrialisante () qui s’alliera à
d’autres industries ou facilitera leur implantation. Bien plus, par sa masse, un pôle de
développement sera un élément de mise en question des immobilismes. L’offre d’emploi
32

augmente, le flux des revenus n’est plus en rapport avec les anciennes structures de production
et de distribution, les infrastructures se révèlent insuffisantes, bref l’ensemble de l’économie
est lancé en avant.

L’implantation d’industries dans un pays en voie de développement doit donc se faire


par blocs et concentrations géographiques. Au départ, une industrie décentralisée est un luxe
inefficace.
Cette exigence renforce encore les besoins d’entente entre pays voisins que nous
évoquions à propos des industries industrialisantes. Pour l’instant, la plupart des pays en voie
de développement se refusent à coordonner leur développement et à créer en commun les
pôles de développement qui permettraient une propagation et un enracinement plus rapides de
l’industrialisation. Le nationalisme dont ils ont besoin pour se sentir une nation risque alors
de les laisser à l’état de pseudo nations soumises à la domination des grandes puissances
internationales qui possèdent les grands pôles du développement mondial.

2. La création de pôles de développement dans les pays du tiers – monde n’est


cependant pas une solution miracle. Il y a loin entre la création du pôle de développement et la
propagation de ses effets.
a. Un pôle de développement ne pourra produire un effet bénéfique sur le développement
que si les décisions qui gouvernent son fonctionnement sont conformes aux exigences
du développement. Les grandes sociétés internationales ont créé dans bien des pays
des complexes pétroliers importants, mais les stratégies qui ont gouverné la création et
le fonctionnement de ces pôles ont été trop étrangères implantés pour susciter une
économie complexe et articulée. Par ailleurs, lorsque le pôle de développement se
confond avec une activité urbaine dont les réseaux commerciaux et les groupes
privilégiés dominent socialement les régions rurales, il y a plutôt renforcement
qu’atténuation des dominations sociales et des désarticulations qu’elles entraînent.
C’est en fait le cas de bien des pays en voie de développement : la prospérité des
capitales, voire leur industrialisation, n’a qu’un effet secondaire sur les régions rurales
soumises aux effets de domination. L’accroissement de la demande urbaine ne fait que
profiter aux privilégiés urbains qui confisquent à leur profit la hausse des prix
agricoles.
b. Il est indispensable qu’une politique volontaire permette au pôle de développement
d’embrayer sur l’ensemble de l’économie. Si l’agriculture n’est pas mise en état de
33

faire face aux besoins créés par le pôle de développement, or ne fera que provoquer un
effondrement des sociétés traditionnelles et un exode rural sans commune mesure avec
les besoins en main d’œuvre du pôle de développement. Pour propager la croissance,
l’implantation d’un pôle de développement doit aller de pair avec la mise en place
d’une politique agricole efficace. D’autre part, pour généraliser les effets de
l’industrialisation dans l’ensemble du pays, on doit créer à côté d’un pôle principal, des
pôles secondaires dont les activités seront en partie complémentaires. Il ne s’agit point
de revenir à la dissémination dont nous montions les dangers, mais de penser
l’ensemble de la structure industrielle du pays à partir de quelques points forts et
coordonnés. Le pôle de développement introduit dans le processus de développement
est un élément dynamique capable d’ébranler la stagnation. Il faut cependant
comprendre qu’il est une occasion de développement et non le développement. On ne
répétera jamais assez que le développement ne se conçoit pas sans une maîtrise
volontaire du devenir économique et social.

Chapitre 2. LE FINANCEMENT INTERNE DU DEVELOPPEMENT

L’économie et la technique doivent décider du financement et non l’inverse. Trop


souvent, on établit un plan de développement en fonction des moyens financiers dont on
dispose ; cette primauté financière dans un pays où l’épargne est rare et le système bancaire
mal organisé aboutit pratiquement à perpétuer le sous – développement.

Il faut au contraire rechercher ce qui est nécessaire pour développer, ensuite plier les
moyens financiers aux exigences du développement et prendre les mesures qui permettent de
garantir un relatif équilibre monétaire.

S’il apparaît alors que les objectifs économiques sont trop ambitieux par rapport aux
possibilités financières et aux contraintes de l’équilibre monétaire, un rajustement peut être
fait. Mais il ne devra être qu’exceptionnellement une remise en cause des options
fondamentales.

D’autre part, pour donner au développement un véritable dynamisme interne, il faut


d’abord lui assurer un maximum de financement interne. Un financement extérieur est
généralement indispensable, mais il ne doit jamais conditionner l’essentiel.
34

Dans ce chapitre, nous étudierons exclusivement le financement interne, le


financement externe étant inséparable de la coopération internationale. Le financement interne
du développement doit être étudié d’un double point de vue.
1. Comment créer une épargne qui permette à la fois le financement de l’investissement et
l’équilibre monétaire ?
2. Comment adapter les institutions bancaires à leur rôle dans le développement ?

Section 1. : LA CREATION D’UNE EPARGNE

Il n’est pas toujours besoin qu’une épargne finance directement un


investissement ; on peut ainsi financer le développement soit par une avance d’une banque
d’émission à l’Etat (Planche habillée), soit par un crédit bancaire : dans le premier cas
l’investissement est financé par une création de monnaie fiduciaire, dans le second cas par une
création de monnaie scripturale.
Toutefois, dans un pays en voie de développement qui n’a que peu de capacité de
production inutilisée, cette création monétaire risque bien de dégénérer en inflation (). Elle se
traduit, en effet, par un gonflement de la demande de besoins de consommation qui sera
difficilement compensé par une offre.

En règle générale, un investissement doit être compensé par une abstention de


consommation, c’est – à – dire une épargne au sens large de ce terme. Pour faire apparaître
cette épargne on peut :
- Soit compter sur le secteur traditionnel et agricole,
- Soit sur la fiscalité,
- Soit sur un développement de l’épargne privée du secteur moderne.

1. Le rôle du secteur traditionnel et agricole


Dans bien des pays actuellement industrialisés, l’agriculture a permis le financement de
l’industrialisation naissante. En France, tout au long du XIXème siècle, l’épargne paysanne a été
drainée par les banques au profit de l’industrie ou de pays étrangers alors en voie de
développement. (On trouve encore dans bien des campagnes françaises des « fonds russes »,
témoignage d’une épargne à jamais, perdue pour l’agriculture française).
35

Dans d’autres pays, la ponction sur le secteur agricole fut beaucoup moins spontanée.
Au Japon, l’impôt foncier établi après la réforme agraire permit une vaste redistribution des
revenus au profit de l’industrie. En URSS la collectivisation des terres permit des
prélèvements en nature et des livraisons à bas prix de produits agricoles dont la vente à des
prix élevés dans les villes facilita l’équilibre monétaire compromis par la priorité donné à
l’industrie lourde.

En Angleterre, le processus de ponction sur l’agriculture fut plus tardif et plus subtil. Il
apparut en 1840 avec l’instauration du libre – échange qui fit brutalement tomber les prix des
produits alimentaires. Ainsi les industriels purent – ils maintenir assez bas les salaires des
ouvriers et réalisèrent – ils maintiennent assez bas les salaires des ouvriers et réalisèrent – ils
d’importants bénéfices.

Cette situation est normale, l’agriculture représentant une grande partie de la


production et de la population d’un pays qui commence à s’industrialiser ; il apparaît logique
de faire supporter à ce secteur une large partie du coût de l’industrialisation. Dans la situation
actuelle du tiers – monde, il faut cependant se garder d’appliquer dans des circonstances très
différentes des recettes qui ont réussi autrefois.

Aujourd’hui, l’accroissement des échanges internationaux, le développement des


administrations et le contact traumatisant des sociétés industrielles ont fait naître des
économies urbaines axées sur le commerce et la consommation. Dans ces conditions, un
prélèvement sur l’économie urbaine est peut – être plus adapté à la situation présente qu’un
prélèvement sur l’agriculture. En tout cas, si les revenus agricoles doivent être amputés, ils ne
peuvent l’être qu’une fois supprimées les dominations sociales qui pèsent sur le pays et
profitent essentiellement à l’économie urbaine.

Si l’agriculture ne peut plus financer l’ensemble du développement industriel, elle peut


cependant jouer un rôle important dans la formation du capital par les micro investissements et
l’épargne – travail.

1. Les micros – investissements


36

Quand on parle de la formation du capital, on évoque toujours les constructions de


barrages, de routes, d’usines, d’hôpitaux, etc. En fait, il ne s’agit là que d’une catégorie
d’investissements ; à côté d’elle existe un investissement que négligent souvent les
planificateurs et qui n’intéresse essentiellement le secteur traditionnel.

Il s’agit d’investissements en petits instruments agricoles ou artisanaux, en petits


aménagements ruraux, en équipements ménagers des campagnes, etc. les micro –
investissements jouent un rôle important dans l’élévation de la productivité et des niveaux de
vie dans le secteur traditionnel.

Le développement de ces micro – investissements doit être un des buts de l’animation


rurale. Il peut être lié à la disparition des formes traditionnelles d’épargne.
2. L’épargne – travail

Les pays sous – développés sont caractérisés par un sous – emploi important, une partie
des hommes travaillant à la terre sont en partie inutiles et l’ensemble des agriculteurs restent
inoccupés durant de longs mois ; en utilisant ces restes inoccupés durant de longs mois ; en
utilisant ce travail perdu pour réaliser des routes, des irrigations, des écoles ou des drainages,
on peut économiser les moyens financiers à la disposition de l’investissement et résoudre plus
aisément le problème de l’équilibre entre l’offre et la demande. Au fond, cette méthode ne fait
que systématiser le comportement des agriculteurs qui profitent généralement des périodes
sans travaux agricoles pour refaire ou réparer leur habitation, fabriquer leurs instruments de
travail et réaliser ainsi toute une série de petits investissements. Notons qu’aux XVIIème et
XVIIIème siècles une grande partie des infrastructures des pays occidentaux furent réalisées
grâce à un système de corvée qui obligeait les paysans à venir travailler aux grands travaux
royaux.

Toutefois, pour être réellement efficace, l’utilisation de cette épargne – travail doit
remplir certaines conditions :
1. Le gouvernement qui l’impose doit être politiquement capable de mobiliser les masses.
Rien ne serait plus dangereuse qu’une mobilisation effectuée par un gouvernement de
privilégiés, car la mobilisation apparaît alors comme une brimade et une injustice et se
heurte à l’hostilité et à la passivité des masses.
37

2. Les travaux effectués grâce à la mobilisation des travailleurs doivent entrer dans les
perspectives d’ensemble du plan de développement et ne pas être seulement conçu
pour occuper des chômeurs,
3. On doit réaliser un dosage entre les grands travaux et les réalisations de plus petite
envergure mais dont l’utilité sera immédiatement perceptible par les travailleurs
mobilisés (écoles locales, adductions d’eau potable, petits travaux d’irrigation, etc.).
4. La mobilisation de la main – d’œuvre doit se faire en dehors des périodes normales de
travail agricole et ne pas gêner les petits investissements que l’agriculteur avait
coutume de réaliser en dehors de ces périodes.
5. On doit éviter de faire travailler la main – d’ouvre mobilisée loin de son village, car il
faut alors prévoir son déplacement, son logement, sa nourriture et un encadrement
beaucoup plus important. On accroît considérablement le coût de l’opération, et
l’épargne – travail perd une partie de son intérêt.
6. on peut combiner l’utilisation de l’épargne – travail avec des distributions de surplus
agricoles. Il faut cependant éviter que la distribution de salaires en nature n’amène
l’apparition d’un trafic de denrées alimentaires préjudiciable à la production locale. En
Inde, on a opté pour la distribution de repas servis sur les lieux du chantier, mais cette
formule ne permet pas de nourrir la famille du travailleur.

Notons qu’il ne faut pas confondre l’épargne – travail et les services civils de type
paramilitaire et qui s’adressent aux jeunes. Ce type de service entraîne inéluctablement
un important encadrement hiérarchisé, des logements en dur, un équipement important.
Un tel système a aussi un coût disproportionné, on compte environ de 20 à 30 millions
de nouveaux francs pour 10.000 à 20.000 conscrits. Même si son financement est
possible, l’importance de l’encadrement nécessaire entraîne un abaissement de sa
qualité qui crée un climat de moindre intérêt et de déception. Enfin, il est
vraisemblable qu’après un dépaysement d’un à deux ans, les jeunes recrues
retourneront difficilement dans les campagnes. Le service civil paramilitaire est un
luxe pour pays riches.

§.2. Le rôle de la fiscalité


38

La fiscalité empêchant une consommation peut être assimilée à une épargne des
ménages. Dans un pays en voie de développement, toute réforme fiscale doit poursuivre trois
objectifs fondamentaux :

1. Elle doit permettre le maintien d’un équilibre économique et monétaire,


2. Elle doit faciliter la formation du capital et l’accroissement de la productivité,
3. Elle doit permettre de résorber les distorsions dans la possession des richesses et
dans les niveaux de vie.

1. La fiscalité et l’équilibre économique et monétaire.


La fiscalité doit d’abord équilibrer les dépenses du budget. Il ne faut pas cependant employer
à cette fin n’importe quel impôt. Il est ainsi dangereux d’équilibrer le budget grâce à des
recettes essentiellement douanières. Dans bien des pays en voie de développement, une
grande partie des recettes fiscales provient des droits de douane. Le gouvernement est alors
tenté de perpétuer les importations afin de financer ses dépenses. Une production interne qui
se substitue à une importation ne peut être frappée aussi durement qu’un produit étranger.
Tout doit donc être mis en œuvre pour réorienter la fiscalité sur l’économie interne. Comme il
ne faut cependant par faciliter les importations, il est donc nécessaire de créer des limitations
quantitatives d’importation (). De toute façon, les droits de douane doivent être considérés
comme un instrument pour faciliter la diversification économique et non comme un moyen
pour équilibrer le budget. Quant à la réorientation de la fiscalité sur le secteur interne, elle doit
être conforme aux deux autres objectifs de la politique fiscale.

2. la fiscalité, la formation du capital et l’accroissement de la productivité. Dans une


économie développée, le haut niveau des revenus engendre presque automatiquement un large
flux d’épargne et d’investissement (). La politique fiscale a un simple rôle
d’accompagnement. Dans un pays en voie de développement, le bas niveau des revenus, la
faiblesse de l’épargne, l’effet de démonstration et les difficultés de l’investissement productif
élargissent considérablement la tâche de la politique fiscale. En facilitant le développement de
l’économie, l’impôt doit se substituer partiellement à l’épargne.

A propos de l’industrialisation nous avons évoqué les diverses mesures fiscales qui
peuvent faciliter l’industrialisation. Leur principe de base est d’accorder des faveurs fiscales
aux industries naissantes.
39

Pour cela, on établit de très lourds impôts sur les bénéfices (par exemple impôt sur les
sociétés égal à 50 % de leur bénéfice). Echapper à l’impôt doit être avantageux.

Ensuite :
1. On supprime cet impôt pendant les cinq ou dix premières années qui suivent la création de
l’entreprise.
2. on réduit l’impôt toutes les fois que l’entreprise réalise un investissement dans le cadre du
plan. En France, on réalise cette opération par l’amortissement dégressif et ajoutée) (). Un
tel système suppose un contrôle strict de la comptabilité ; dans un pays en voie de
développement, il est souvent préférable de fixer les taux de faveur pour les entreprises
réalisant des investissements. Par ailleurs, il est nécessaire d’abaisser les droits de douane
sur les biens dont ont besoin les industries naissantes et qui ne peuvent être produits
localement. Bien qu’il ne soit pas toujours souhaitable de faire supporter à l’agriculture le
coût de l’industrialisation, l’agriculture ne doit cependant pas échapper à l’impôt. La
fiscalité peut être un moyen de stimuler le progrès agricole. Dans le cas d’une agriculture
peu ouverte au marché, l’obligation de payer un impôt monétaire peut obliger l’agriculteur
à vendre une partie de sa production. Quand une réforme agraire supprime la ponction du
propriétaire et réforme agraire supprime la ponction du propriétaire et incite les
agriculteurs à consommer ce qui était autrefois expédié vers les villes, l’impôt peut, là
encore, jouer un rôle important. Il doit inciter le nouveau propriétaire à produire plus.
Certains économistes () reprennent à ce propos l’idée centrale de la politique fiscale
japonaise au cours de l’ère du meiji. Ils préconisent un impôt foncier qui porte sur les
superficies agricoles indépendamment des rendements. Un tel impôt stimule l’agriculture
et l’oblige à accroître sa productivité. Toutefois il n’est valable que dans le cadre d’une
politique agricole donnant à l’agriculture les moyens d’accroître les rendements ;
3. Fiscalité et disparité dans la possession des richesses et des revenus, une fiscalité frappant
les hauts revenus, grâce, par exemple, à un impôt progressif, est souvent présentée comme
un modèle de justice fiscale. Une telle fiscalité est cependant difficilement applicable dans
un pays en voie de développement. Elle suppose en effet des déclarations fiscales
compliquées et contrôlables, ce qui est pratiquement irréalisable dans un pays en voie de
développement.
40

On ne peut cependant laisser se perpétuer les écarts de revenus et de richesses qui


désarticulent les campagnes des villes sans faciliter pour autant l’investissement. Ne
l’oublions pas, les privilégiés urbains n’investissent pas, ils consomment et, qui plus est, ils ont
une prédilection toute particulière pour les biens importés.

Il faut donc frapper les riches. Cette politique fiscale aurait l’avantage de faire
supporter à l’économie urbaine et non à l’économie rurale le financement du développement.

Les impôts sur le revenu sont difficilement utilisables : cette ponction peut être réalisée
par des impôts sur la possession de biens facilement repérable (auto, climatiseur, réfrigérateur,
téléviseur, logements de luxe, …). Ces impôts peuvent être extrêmement lourds. On peut aussi
établir des impôts indirects sur des consommations typiquement urbaines (essence pour
voitures de tourisme, habits à l’européenne, cigarettes, bière, glace, …).

Toutefois, certaines limites ne doivent pas être dépassées. D’une part, il faut éviter de
provoquer un marasme urbain qui serait fatal à une partie de l’industrie naissante. D’autre
part, on ne doit pas décourager les velléités d’épargne des milieux urbains.

§.3. Le développement de l’épargne privée du secteur moderne

Il existe toujours dans le secteur moderne une thésaurisation monétaire et au moins des
liquidités monétaires importantes. Dans de nombreux pays, les milieux populaires
constituent par exemple des « cagnottes ». Parfois ces cagnottes allient curieusement le
crédit mutuel et le jeu (). Souvent, les enjeux d’argent immobilisent, par ailleurs, des
sommes considérables.

Le drainage de cette épargne ou de ces liquidités ne doit donc pas être négligé. De
toute façon, il est souhaitable d’habituer la population à placer son argent dans des institutions
qui pourront financer le développement.

La création de caisses d’épargne doit donc être encouragée. Lorsqu’elles sont créées, il
faut qu’au départ qu’elles constituent un réseau assez dense permettant au déposant de venir
facilement déposer ou retirer son épargne. L’influence des institutions d’épargne sur le niveau
de l’épargne dépend des facilités d’accès qu’elles offrent. Lorsque les caisses d’épargne se
41

proposent de drainer des fonds monopolisés par les jeux d’argent, l’organisation des loteries
peut favoriser la réalisation de leur objectif.

Dans certains pays en voie de développement, on a aussi envisagé la création d’une


Bourse pour faciliter le placement de l’épargne dans l’industrie. En effet, un épargnant peut
avoir besoin de l’argent qu’il avait transformé en obligations (reconnaissance de dette de
l’entreprise), ou en actions (titre de propriété d’une partie du capital d’une entreprise). Il faut
donc qu’il ait à tout moment la possibilité de vendre. La bourse est le lieu où se rencontrent
ceux qui vendent des actions et des obligations et ceux qui en achètent. Elle n’accroît pas
directement les possibilités d’investissement des entreprises, elle permet de trouver plus
facilement des bailleurs de fonds en donnant à un épargnant une sécurité de revente de ses
titres.

Dans un pays du tiers – monde, si le nombre des entreprises industrielles et le nombre


de titres vendus dans le public sont importants, la création d’une bourse peut avoir un effet
bénéfique sur l’orientation de l’épargne. Dans le cas contraire, la bourse ne fonctionnera pas
normalement et sa création risque bien de décourager l’épargne et de faciliter la spéculation.
En effet, pour fonctionner normalement, une bourse suppose à la fois un très grand nombre de
transactions de toutes sortes et, pour fonctionner normalement, une bourse suppose à la fois un
très grand nombre de transactions de toutes sortes et, pour chaque entreprise, un très faible
pourcentage de ses actions ou de ses obligations changeant de détenteur. Si ces deux
conditions ne sont pas remplies, les cours de Bourse subiront des variations très amples
donnant des possibilités de gains et de pertes qui attireront les spéculateurs professionnels et
feront fuir les épargnants.

Dans un pays du tiers – monde, dont l’industrie est à peine naissante, on peut tout au
plus créer un organisme public qui prête aux épargnants momentanément gênés l’argent dont
ils ont besoin, les actions et obligations servant de garanties à ces prêts.

Section 2. : L’ADAPTATION DES INSTITUTIONS FINANCIERES A LEUR


ROLE DANS LE DEVELOPPEMENT

Comme nous l’avons vu plus haut, le réseau bancaire des pays en voie de
développement est un héritage de l’économie de traite. Axées sur l’export – import et les
42

opérations de change, les banques ne s’engagent pas dans l’économie. Elles ignorent presque
totalement le secteur agricole et négligent presque aussi complètement l’investissement. De
plus, elles gardent souvent inemployée une plus large proportion de leurs liquidités. Elles
n’ont plus ainsi de problèmes de trésorerie et n’ont pas besoin de faire appel à la banque
d’émission. Elles échappent alors à tout contrôle. Elles agissent peu, mais agissent librement.
Pour réformer le réseau bancaire il faut donc généralement prendre trois séries de mesures :
1. Assurer le contrôle effectif des banques,
2. permettre un financement du secteur agricole,
3. créer un organisme capable de financer les investissements.

§.1. Assurer le contrôle effectif des banques


Dans un pays en voie de développement la manière la plus efficace de contrôler les banques
est de les obliger à déposer à la banque centrale une grande partie de leurs liquidités (30 à 50
%). La banque centrale peut ensuite faire des avances aux banques commerciales si celles – ci
acceptent de suivre ses injonctions et de distribuer plus correctement leurs crédits ().

§.2. Permettre un financement du secteur agricole

Dans la plupart des pays en voie de développement, les crédits nécessaires à


l’agriculture sont accordés par des établissements publics de crédit ou sous le contrôle de
l’Etat. Ces établissements s’appellent généralement « caisse de crédit agricole ». Ces caisses
n’ont pas toujours un fonctionnement satisfaisant, car les problèmes auxquels elles sont
affrontées sont très complexes :
1. Elles doivent lutter contre l’usure,
2. Elles doivent faciliter la modernisation de l’agriculture,
3. Elles doivent distribuer un crédit sur une vaste zone de petits agriculteurs dont elles
ne peuvent juger que très imparfaitement la solvabilité.

Dans bien des régions, les caisses de crédit agricole fuient les difficultés, se
contentent de financer l’agriculture moderne et les grandes exploitations. Elles deviennent des
privilèges pour des privilégiés.

Pour établir un crédit agricole efficace, il faut d’abord le considérer comme un élément
de la politique économique et d’assistance sociale dans l’agriculture. Dans cette perspective,
43

le crédit agricole doit avoir pour première tâche de vaincre l’usure. A cette fin, il devra être
distribué en abondance et plus spécialement aux plus pauvres qui sont d’ordinaire les plus
endettés. Distribuer le crédit agricole avec parcimonie, c’est alimenter l’usure : les
bénéficiaires du crédit se transforment en usuriers.

Tout en luttant contre l’usure, il ne faut point oublier que le crédit agricole doit
favoriser la modernisation de l’agriculture. Les prêts des usuriers étaient des prêts à la
consommation qui facilitaient la soudure ; les prêts du crédit agricole doivent devenir des prêts
à la production. Il faut donc progressivement les assortir de conditions quant à leur utilisation.
Dans ce but, les caisses de crédit agricole doivent travailler en étroite coopération avec les
services de l’animation et de la vulgarisation rurale.

Pour être assuré de leur bonne utilisation, il est nécessaire d’obliger l’agriculteur à un
remboursement. Les garanties traditionnelles (hypothèques, saisie de la récolte ou des biens
mobiliers, …) sont très faibles et inefficaces. On ne voit pas ce qu’on pourrait saisir dans la
case d’un paysan africain ou dans le gourbi d’un paysan kabyle. La garantie du remboursement
doit être collective, villageoise ou clanique. C’est l’ensemble du groupe qui doit se porter
garant du prêt. Si le prêt n’est pas remboursé par son bénéficiaire, ou le groupe rembourse à sa
place, ou il est privé de tout nouveau crédit.

C’est une solution peu en accord avec les principes occidentaux du droit, mais qui
correspond bien aux solidarités traditionnelles du milieu agricole.

Il faut d’ailleurs tenter d’intégrer ces solidarités dans le cadre même du crédit agricole
en lui donnant, dans la mesure du possible, un caractère mutualiste. On peut, d’une part,
demander un droit d’entrée plus ou moins symbolique et, d’autre part, associer les paysans aux
décisions relatives aux prêts de moindre importance. Là encore, le crédit agricole est
inséparable de l’animation rurale.

§.3. La création de banques de développement

Dans de nombreux pays du tiers – monde, l’intégration des institutions financières au


développement est couronnée par la création d’une banque de développement. Ce type de
banque est en définitive un établissement public qui joue dans les pays en voie de
44

développement le rôle que jouèrent dans l’Europe du XIXème siècle les banques d’affaires :
financer l’investissement à long terme.

La solution idéale, que bien peu de pays ont réalisée, est de faire de la Banque de
développement l’organisme financier au plan de développement. La Banque aurait ainsi le
contrôle de tous les investissements, qu’il s’agisse d’investissements réalisés par l’Etat grâce à
l’aide extérieure ou à la fiscalité, qu’il s’agisse de prêts à des entreprises ou de participations
de l’Etat à la création d’entreprises nouvelles. En outre, la banque de développement devrait
servir d’organisme tampon dans les opérations de moyen terme et contrôler le fonctionnement
du crédit agricole.

Les ressources de cet organisme devraient être à la fois des fonds d’épargne (caisse
d’épargne, emprunts placés dans le public), des entrées fiscales reversées par l’Etat pour
financer son budget d’équipement, des fonds de l’aide extérieure et éventuellement des
avances de la banque d’émission.

Inutile de dire que bien des obstacles s’opposent à cette centralisation. Des instituts
spécialisés dans telle ou telle opération existent déjà. Les ministères refusent de se dessaisir de
l’exécution des budgets d’équipement. Chaque crédit a une spécificité propre et obéit à des
procédures différentes, etc.

On peut tenter de pallier ces difficultés en créant à l’intérieur de la Banque des


départements spécialisés pouvant travailler en liaison avec des organismes et administrations
différents, mais restant étroitement coordonnés et travaillant en liaison constante avec les
services du plan.
45

Chapitre 3. : LA NATIONALISATION ET LE DEVELOPPEMENT

SECTION 1. LE DROIT DE NATIONALISER

Le droit des Etats de nationaliser les biens étrangers ne fait l’objet actuellement
d’aucune contestation. Mais le consensus ne va pas loin. Il existe de sérieuses oppositions
entre pays développés et pays en développement sur le fondement, les limites et les conditions
d’exercice de ce droit.

§.1. La controverse sur le fondement du droit de nationaliser

1. La thèse occidentale

Il n’est pas nécessaire d’insister longuement sur la thèse des pays


Occidentaux, dans la mesure où ces pays s’en tiennent, au moins dans leurs déclarations
officielles, aux principes classiques, selon lesquels le droit de nationaliser reconnu aux Etats
trouve son fondement dans le droit international général. Ils considèrent que ces principes
s’appliquent de la même façon à tous les Etats et en conséquence ils ne peuvent admettre que
des nationalisations effectuées par des pays du Tiers Monde puissent remettre en cause le
fondement traditionnel de ce droit et créer de quelque manière que ce soit un régime
différencié et plus favorable au profit de ces pays.

2. La thèse du Tiers Monde

Pour le Tiers Monde, l’avènement du principe de souveraineté sur les ressources


naturelles a changé le fondement du droit de nationaliser. Dans son expression la plus
radicale, la thèse des pays en développement peut prendre deux formes :
- Ou bien le fondement du droit de nationaliser réside exclusivement dans le droit interne
de l’Etat nationalisateur. On trouve une illustration particulièrement abrupte de cette
position dans la rédaction de l’article 2 de la Charte des droits et devoirs économiques
des Etats, qui énonce le droit des Etats de nationaliser, d’exproprier ou de transférer la
propriété des biens étrangers sans faire la moindre référence au droit international.
- Ou bien ce fondement se trouve dans une règle de jus cognes en vertu de laquelle la
souveraineté sur les ressources naturelles et le droit de nationaliser qui en découle ne
46

sauraient se voir opposer aucune limitation. Les Etats nationalisateur dans les grandes
sentences arbitrales précitées. Ces thèses, on le sait, n’ont jamais pénétré dans le droit
positif du fait de l’hostilité irréductible des pays développés à la philosophie qui
s’exprimait à travers elles.

3. La situation actuelle

A l’heure actuelle, la controverse sur le fondement du droit de nationaliser


n’a pas donné lieu à un compromis acceptable. Ce désaccord fondamental explique toutes les
divergences qui existent encore sur les modalités de mise en œuvre du droit de nationaliser.

La seule chose qu’il soit possible d’affirmer aujourd’hui est que le droit positif, même
dans sa conception la plus étroite, reconnaît le droit des Etats de nationaliser leurs ressources
naturelles.

La sentence Texaco exprime avec beaucoup de pertinence cette position en affirmant


que : « … le droit d’un Etat de procéder à des nationalisations n’est pas aujourd’hui
contestable. Il résulte du droit international coutumier, établi à la suite de pratiques
concordantes considérées par la communauté internationale comme étant de droit. L’exercice
de la compétence étatique de nationaliser est considéré comme l’expression de sa souveraineté
territoriale. Celle – ci confère une compétence exclusive pour organiser comme il l’entend les
structures économiques du pays et y introduire les réformes qui lui paraissent opportunes.
C’est une prérogative essentielle de la souveraineté pour les autorités de l’Etat qui sont chargée
constitutionnellement de l’exercer que de choisir et d’édifier librement un système
économique et social. Cette prérogative est reconnue à l’Etat par le droit international au
même titre que celle de déterminer en toute indépendance son régime politique et ses
institutions constitutionnelles. Le caractère exclusif de ce droit se trouve d’ailleurs consacré
par le fait que, dans la pratique, la décision de nationaliser émanée le plus souvent de l’organe
considéré comme l’échelon suprême dans la hiérarchie interne des institutions de l’Etat ».

§.2. La controverse sur l’étendue du droit de nationaliser

1. Position du problème
47

Nombre d’Etats du Tiers Monde ont conclu dans le passé des contrats de
concession avec des sociétés étrangères opérant sur leur territoire (voir infra 237 et s.).
Lorsque certains de ces Etats ont voulu par la suite procéder à des nationalisations en résiliant
unilatéralement ces contrats, leurs engagements antérieurs leur ont été opposés par les sociétés
concernées.

Le problème juridique qui se pose ici est donc de savoir si le droit de nationaliser peut
subir des limitations du fait d’engagements contractuels antérieur de l’Etat. Cette question est
l’une de celles qui montrent le plus clairement les contestations que peut faire naître
l’existence même du droit international du développement, dans la mesure où elles révèlent
l’antagonisme, voire l’incompatibilité entre l’une des théories centrales de ce droit, à savoir la
souveraineté sur les ressources naturelles, et quelques – uns des piliers du droit international
classique, à savoir la stabilité des relations conventionnelles, le respect des droits acquis et le
principe de la bonne foi.

Ce problème a conduit les deux groupes d’Etats à soutenir des thèses radicalement
opposées :
- Les pays développés et les sociétés intéressées ont soutenu qu’il convenait de respecter
et d’appliquer strictement les clauses contractuelles, et notamment, s’il y a lieu, les
clauses de stabilisation et les clauses d’intangibilité (v. supra, n° 155). Celles – ci
possèdent une validité intrinsèque qui ne saurait en aucun cas être remise en cause
unilatéralement par l’Etat. L’existence de telles clauses limite par conséquent son droit
de nationaliser.
- A l’inverse, la thèse des Etats qui nationalisent consiste à affirmer que l’Etat peut
exercer sans limites et sans partage sa souveraineté permanente sur ses ressources
naturelles, ce qui lui donne le droit de les récupérer à tout moment pour les exploiter
conformément à sa propre politique de développement, sans qu’on puisse lui opposer
un contrat d’exploitation saurait se voir imposer de limites contractuelles dans
l’exercice de son droit de nationaliser.

Cette opposition s’est manifestée avec une particulière netteté dans le cadre
de célèbres affaires pétrolières soumises à l’arbitrage.
48

2. Les solutions arbitrales

Les sentences arbitrales récentes illustrent parfaitement les incertitudes existant en ce


domaine. En effet, sur des problèmes juridiques en ce domaine. En effet, sur des problèmes
juridiques de même nature, les autre grandes sentences (B.P. Texaco, Liamco et Aminoil) ont
non seulement abouti à des solutions différentes mais encore se sont appuyées sur des
raisonnements divergents. Il suffit, pour s’en convaincre, de rendre compte des théories
élaborées d’une part dans la sentence Texaco, d’autre part dans la sentence Aminoil.

2.1. La sentence Texaco

Sur le point précis de savoir si des engagements contractuels peuvent limiter


le droit de l’Etat de nationaliser, l’arbitraire unique, R. J. Dupuy, fonde sa décision sur
l’analyse du droit applicable au contrat en cause. Ce faisant, il reprend une construction
doctrinale antérieure en vertu de laquelle il convient de distinguer selon que le contrat se
rattache au droit interne de l’Etat nationalisateur ou selon qu’il est internationalisé (voir supra
n° 152 et s.). Dans le premier cas, le droit de nationaliser ne saurait être « internationalement
critiqué ». L’arbitre estime au contraire qu’il en va tout différemment dans le cas où l’Etat a
conclu avec un contractant étranger un accord internationalisé. La sentence considère qu’il en
est ainsi en l’espèce, dans la mesure où le contrat de concession conclu par la Libye avec les
sociétés concernées contenait ce qu’il interprète comme des clauses de stabilisation. A ses
yeux, c’est donc à la lumière du droit international qu’il convient d’examiner la force
obligatoire du contrat et les conséquences de sa violation. Au terme de cette analyse, il conclut
par conséquent que :

« Un Etat ne saurait se prévaloir de sa souveraineté pour méconnaître les engagements


auxquels il a librement souscrit dans l’exercice de cette même souveraineté et ne saurait, par
des mesures relevant de son seul ordre interne, anéantir les droits de son contractant qui a lui –
même exécuté les obligations diverses mises à sa charge par le contrat ».

Pour l’arbitraire, le non – respect de ce principe constitue une violation du droit et


appelle une réparation, devant s’opérer ici sous forme de restitutio in integrum.

2.2. La sentence Aminoil


49

Cette sentence se situe plus résolument dans la perspective du droit


international du développement. Le tribunal arbitral n’attache pas la même importance à la
détermination du droit applicable. Comme l’a fait finement remarquer l’un des commentateurs
les plus autorisés de la sentence, le tribunal met en œuvre une distinction originale qui repose
sur l’idée implicite qu’il existe des clauses de stabilisation « ordinaires » et des clauses de non
– nationalisation. Pour le tribunal en effet le droit de nationaliser constitue un corollaire direct
de la souveraineté économique de l’Etat. Dès lors, l’engagement d’un Etat de renoncer à
exercer son droit de nationaliser est trop important pour pouvoir être déduit d’une simple
clause de stabilisation. En l’espèce le tribunal, considérant qu’une clause « ordinaire » de
stabilisation se trouve ici incluse dans un contrat de très longue durée (soixante ans), se refuse
à admettre que cela signifie que l’Etat s’engage à se priver de son droit de nationaliser durant
une aussi longue période. On sait que le raisonnement du tribunal est tout entier guidé par le
désir de ne pas priver l’Etat d’un élément fondamental pour la mise en œuvre de sa politique
de développement, quitte à accorder à la société des compensations adéquates.

§.3. La controverse sur les conditions de licéité de la nationalisation

L’exercice par les pays du Tiers Monde de leur droit de nationaliser a soulevé
également des controverses relatives à la licéité de ces opérations. En effet, le problème était
de savoir s’il était possible de concilier les conditions de licéité posées par le droit classique et
les impératifs de la politique d’indépendance économique et de développement des Etats
nouveaux.

On sait qu’en droit classique la licéité des nationalisations est subordonnée à


trois conditions : motif d’utilité publique, caractère non – discriminatoire, versement d’une
indemnité correspondant à la valeur des biens nationalisés. Certains Etats du Tiers Monde ont
remis en question cette construction, si bien qu’aujourd’hui la doctrine et la pratique sont
fluctuantes. Le pays développés ont plus ou moins accepté, selon les circonstances, que les
deux premières conditions de licéité soient interprétées avec souplesse. Par contre ils sont
restés très fermes sur les problèmes relatifs à l’indemnisation.

1. La condition d’utilité publique


50

Cette condition est expressément rappelée par la résolution 1803 (XVII) qui prévoit
que « la nationalisation, l’expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou
sur des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national, reconnues comme primant
les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu’étrangers ».

Dans la pratique, il s’est révélé extrêmement délicat de contrôler le caractère d’utilité


publique des actes de nationalisation, et cela pour deux raisons :
- La première tient au fait qu’un tel contrôle apparaît aux pays du Tiers Monde comme
incompatible avec l’idée qu’ils se font de leur souveraineté permanente sur leurs
ressources naturelles ;
- La seconde provient de la difficulté qu’il y a à définir internationalement la notion
d’utilité publique. Dans la sentence Texaco, l’arbitre estime que cette condition est
présumée. Dans le même esprit, la sentence Liamco définit la nationalisation comme
étant « une mesure législative motivée par la politique sociale de l’Etat ».

2. La condition de non – discrimination

Pendant longtemps, le caractère non – discriminatoire de la nationalisation a


été conçu comme une condition absolue de la licéité de l’acte. On trouve des traces de cette
exigence dans les réactions suscitées par les nationalisations indonésiennes portant sur des
biens néerlandais et la nationalisation à Cuba de biens et d’avoirs américains.

A l’heure actuelle, et sans que l’on puisse parler de renversement de tendance, il


semble que le rappel ou l’abandon de la condition de non – discrimination obéisse à des
considérations de pure opportunité. Lorsque les sociétés nationalisées ou les Etats dont elles
relèvent recherchent une solution de compromis avec l’Etat nationalisateur, cette condition
n’est plus guère invoquée. Par contre, lorsque la nationalisation prend une dimension
conflictuelle et débouche sur une procédure contentieuse, l’exigence de non – discrimination
peut réapparaître comme condition de licéité de la nationalisation. La sentence B.P. confirme
cette analyse. L’arbitre considère l’acte de nationalisation comme illicite au motif que le
gouvernement libyen aurait, selon ses propres dires, effectué la nationalisation de la
compagnie pétrolière britannique en représailles contre l’attitude de la Grande – Bretagne lors
de l’occupation par le Chah d’Iran de îlots d’Ormuz. En conséquence la sentence conclut au
« caractère arbitraire et discriminatoire » de la loi de nationalisation libyenne.
51

3. La condition d’indemnisation

C’est sur ce point, évidemment, que se cristallisent les oppositions les plus fermes.
a. La thèse occidentale n’a pas varié. Certes, depuis longtemps, l’idée d’une indemnité
intégrale et préalable a été abandonnée. Néanmoins, les pays industrialisés affirment
nettement que non seulement le droit international impose à tous les Etats une
obligation d’indemniser mais aussi qu’il en soumet l’exécution à des conditions
strictement définies. La position américaine sur ce point est particulièrement
révélatrice à cet égard. Depuis les nationalisations mexicaines de 1938, le
gouvernement américain rappelle chaque fois que nécessaire, la formule classique
depuis la lettre de Cordell Hull du 03 avril 1940, selon laquelle : « under international
law, the United States has right to expect that its citizens will receive prompt, adequate
and effective compensation from the expropriating countries ». Des pays comme la
RFA, la Grande - Bretagne et la Suisse ont repris cette formule et l’on insérée dans leur
modèle de convention bilatérale d’investissement. De manière plus générale, l’article 3
du projet de convention de l’OCDE sur la protection des biens étrangers met au
nombre des conditions de licéité de la nationalisation «  le paiement d’une juste
indemnité ». cette indemnité « correspondra à la valeur réelle du bien en cause, sera
versée sans délai injustifié et sera transférable dans la mesure nécessaire pour la rendre
effective pour l’ayant – droit ».
b. La position du Tiers Monde est plus complexe et on relève à l’égard de l’obligation
d’indemniser des tendances différentes.
- Selon la thèse la plus radicale, il n’existerait en droit international aucune obligation
d’indemniser à la charge des Etats nationalisateurs. Le fondement de l’obligation
éventuelle d’indemniser ne peut se trouver que dans la législation interne des Etats en
question. On trouve un écho de cette tendance dans un certain nombre de textes
internationaux. Ainsi la IVè Conférence des Non – alignés d’Alger (1973) a proclamé
que « les nationalisations réalisées par les Etats pour sauvegarder leurs ressources
naturelles en tant qu’expression de leur souveraineté impliquent qu’il appartient à
chaque Etat de fixer le montant des indemnités éventuelles ainsi que les modalités de
leur versement et que tout conflit soulevé doit être réglé conformément aux lois
nationales de chaque Etats ». la même idée se rencontre dans la résolution 3171
52

(XXVIII) du 17 décembre 1973 et surtout dans l’article 2 de la charte des droits et


devoirs économiques des Etats.
- Une construction plus subtile a été élaborée par ailleurs. Elle a été explicitée avec
netteté devant la commission du droit international par M. Bedjaoui dans ses rapports
sur la succession d’Etats. Cette construction tend à distinguer les nationalisations
directement consécutives à la décolonisation et celles qui sont intervenues
postérieurement à celle – ci.

Dans le premier cas, il a été soutenu que l’Etat n’avait aucune obligation d’indemniser,
au
motif que les droits acquis même régulièrement, subissent le contrecoup de l’illégalité du
régime colonial dans lequel ils ont pris naissance. On a pu relever des illustrations de cette
thèse dans la législation et la pratique d’Etats tels que le Zaïre, le Ghana, l’Algérie, le Maroc,
le Vietnam, etc. L’idée générale qui sous – tend cette position est que le versement d’une
indemnité serait inéquitable dans la mesure où les sociétés implantées sur le territoire du fait
de la colonisation en ont pillé les ressources naturelles. La résolution 3202 (S-VI) va même
plus loin en affirmant que ce sont les pays du Tiers Monde qui devraient être indemnisés. Elle
revendique en effet « le droit pour tous les Etats, territoires et peuples soumis à une occupation
étrangère, à une domination étrangère et coloniale ou à l’apartheid d’obtenir une restitution et
une indemnisation totale pour l’exploitation, la réduction et la dégradation des ressources
naturelles, et de toutes les autres ressources de ces Etats, territoires et peuples ». On trouve la
même idée dans l’article 16 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats.

Par contre, lorsque la nationalisation affecte des investissements étrangers réalisés


après l’accession à l’indépendance, le principe de l’indemnisation a été admis. Cependant,
cette reconnaissance est loin de résoudre la totalité des problèmes, et la contestation reste
entière quant au régime juridique de l’indemnisation elle – même. Il n’en reste pas moins vrai
que la tendance actuelle des pays du Tiers Monde est d’accepter l’existence d’une obligation
d’indemniser.

Section.2. L’OBLIGATION D’INDEMNISER

§.1. Les controverses juridiques


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C’est aujourd’hui sur les problèmes concrets concernant l’exécution de l’obligation


d’indemniser que se cristallisent les oppositions réelles entre les partenaires en présence. Ces
controverses ont donné lieu à une pratique internationale abondante et, ces dernières années, à
un contentieux particulièrement intéressant pour le juriste. Le débat a porté essentiellement
sur le calcul de l’indemnité. Cela explique largement que, devant les difficultés qui se sont
élevées à ce propos, la tendance des divers partenaires soient de s’orienter dans toute la mesure
du possible vers des solutions négociées.

1. La controverse sur le calcul de l’indemnité

1.1. L’état du droit

A l’heure actuelle, il n’existe aucune règle de droit positif fixant le mode de calcul de
l’indemnité due en cas de nationalisation. Les pays développés demandent toujours que
l’indemnité couvre la totalité du dommage subi du fait de la nationalisation. Les pays en
développement s’en tiennent, quant à eux, à l’idée d’indemnité équitable, tenant compte certes
des intérêts des propriétaires de l’entreprise mais surtout de leur propre capacité de paiement et
des exigences de leur politique de développement.

C’est dire que selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre camp, la notion d’indemnité
adéquate sera comprise de manière radicalement différente. Cette divergence d’interprétation
se traduit directement dans les controverses relatives aux différents modes de calcul de
l’indemnité. La question est d’autant plus délicate que la nationalisation porte soit sur des
biens soit sur des titres et qu’il existe en pratique une multiplicité de modes d’évaluation des
actifs nationalisés : estimation directe, système de la valeur boursière, valeur fiscale, système
dit de l’entreprise en état de marche (going concern), système du forfait, analogie,
participation aux résultats futurs de l’entreprise, etc. Le problème s’est encore compliqué du
fait que certains Etats nationalisateur ont avancé des théories originales sur les déductions à
opérer dans le calcul de l’indemnité.
Cette controverse a été au cœur de la Sentence Partielle, en date du 14 juillet 1987,
rendue par le tribunal des différends irano – américains dans l’affaire Amoco.

1.2. La méthode de la valeur réelle


54

Cette méthode, qu’il convient de rapprocher de la méthode de la valeur vénale (market


value) se traduit en pratique par le recours à des techniques d’évaluation très complexes et qui
peuvent varier sensiblement d’un cas à l’autre. Il est évident que ce mode d’évaluation
correspond mieux à l’idée que les pays développés se font de l’indemnité effective et adéquate.
Toutefois, les nationalisations récentes n’y font pas référence en raison de son caractère
aléatoire et du fait que les pays en développement la considèrent moins équitable pour eux –
mêmes que la méthode de la valeur comptable.

1.3. La méthode de la valeur comptable

Cette méthode consiste à calculer l’indemnité en fonction de la valeur des biens


nationalisés tels qu’ils figurent dans les documents comptables de la société. En d’autres
termes, il s’agit du système du bilan.

La pratique récente montre que les pays en développement se réfèrent à titre principal à
cette méthode. Déjà, l’accord du 11 août 1973 entre la Libye et les trois filiales de la société
américaine oasis (Amareda Petroleum Corporation of Libya Ltd) prévoyait que la
compensation serait calculée en fonction de la valeur comptable des actifs nets. Elle serait
égale à la valeur comptable des actifs nets. Elle serait égale à la valeur nette des actifs
comptabilisés au jour de la signature de l’accord. Il en est allé de même de l’accord du 13 juin
1974 entre Libye et Shell.

A l’occasion des nationalisations chiliennes, la loi de nationalisation du cuivre du 16


juillet 1971 l’avait, elle aussi pris en considération la valeur de l’entreprise suivant ses propres
documents, mais à l’exclusion de la valeur des droits d’exploration et d’exploitation, qui
étaient la propriété de l’Etat. Cette méthode a été contestée par les Etats-Unis qui souhaitaient
voir appliquer la théorie du « going concern », c’est – à – dire de l’évaluation de l’entreprise
en état de marche. Deux chiffres aideront à comprendre l’ampleur du désaccord : la société
Kennecott estimait que la valeur réelle des 49 % qu’elle détenait dans la seule mine d’El
Teniente représentait un milliard de dollars alors que les autorités chiliennes, se fondant sur la
valeur comptable, ne proposaient que 365 millions de dollars.

On voit ainsi l’intérêt que des pays du Tiers Monde ont à utiliser une telle méthode,
d’autant qu’elle contribue aussi à sanctionner les comptabilités minorées. Cette méthode est
55

évidemment défavorable aux sociétés du fait de l’arbitraire pouvant exister dans le choix des
documents comptables et des situations de dépréciation monétaire dans lesquelles se trouvent
souvent les pays du Tiers Monde.

1.4. La méthode de valeur boursière

Ce système conduit à déterminer la valeur de l’indemnité sur la base du cours des


actions de la société nationalisée. La valeur boursière peut coïncider avec la valeur vénale si la
nationalisation se réalise par transfert d’actions. En pratique, cette méthode comporte un
certain nombre d’inconvénients : elle peut favoriser des mouvements spéculatifs, elle rend
difficile le choix de la période d’évaluation des actions et elle n’est évidemment valable que
pour les sociétés cotée en bourse.

La loi de nationalisation de la compagnie du canal de Suez prise par le gouvernement


égyptien le 26 juin 1956 prévoyait dans son article 1er que « les actionnaires et les porteurs de
parts de fondateur seront indemnisés pour les actions et parts qu’ils détiennent avec la valeur
calculée sur la base du prix de clôture du jour précédent la date de la mise en vigueur de cette
loi, à la Bourse des valeurs de Paris ». Mais, on le sait, l’accord d’indemnisation du 13 juillet
1958 a écarté l’indemnisation calculée selon cette méthode pour ne retenir qu’une
indemnisation globale et forfaitaire.

1.5. Utilisation conjointe de diverses méthodes

En pratique, il arrive souvent que les pays en développement combinent plusieurs de


ces méthodes. Ainsi la méthode de la valeur en bourse est utilisée par les pays en
développement surtout pour renforcer d’autres méthodes de calcul et notamment celle de la
valeur comptable. De son côté, l’Algérie a utilisé des procédés de calcul différents en fonction
de compte de critères économiques. Ainsi, pour les sociétés de production, elle a eu recours à
la méthode de la valeur réelle (remboursement des investissements, compte tenu des
amortissement et du manque à gagner). Pour les sociétés de distribution, elle a employé la
méthode de la valeur comptable.

1.6. Les déductions


56

Les pays du Tiers Monde ont eu dans certains cas une conception particulièrement
extensive des déductions susceptibles d’être opérées sur l’indemnité de nationalisation.

De nombreuses lois de nationalisation ont prévu que l’indemnité serait diminuée des
sommes que le gouvernement estime lui être dues par la compagnie nationalisée. On rencontre
de telles dispositions dans la loi irakienne et dans la loi syrienne portant nationalisation de
l’IPC ainsi que dans l’accord de 1973 entre la Libye et les trois filiales de la société Oasis.

A l’occasion des nationalisations algériennes, la question des déductions a fait naître un


différend avec les compagnies pétrolières françaises. Selon les ressort que l’indemnité de
nationalisation due aux sociétés française s’élevant à 100 millions de dollars suivant un calcul
fondé sur le « Cash Flow » actualisé des entreprises nationalisées alors que les dettes fiscales
et non fiscales, selon l’Algérie, s’élevaient à 300 millions de dollars, …

Les nationalisations chiliennes, quant à elles prévoyaient diverses déductions


originales. Il était envisagé des déductions techniques relatives à l’état déficient de certains
biens et à certaines dépenses d’infrastructure ou de dépenses sociales réalisées par des
gouvernements chiliens antérieurs. De plus, la loi chilienne prévoyait que l’Etat chilien
prendrait en charge « toutes les dettes des entreprises nationalisées à l’exception des dettes qui
n’ont pas été investies utilement d’après le Président de la République ». Mais l’innovation
principale provient de la mise en avant d’une nouvelle théorie, la fameuse théorie des
bénéfices excessifs.

1.7. La théorie des bénéfices excessifs

Cette théorie, déjà suggérée par la pratique des Etats socialistes, a été élaborée lors des
nationalisations chiliennes de 1971. Elle a pour objet de permettre à l’Etat de déduire de
l’indemnité de nationalisation la part des bénéfices de la société qu’il estime excessifs. En
l’espèce, le procédé a consisté à comparer la rentabilité des filiales opérant au Chili avec celle
de la société – mère dans l’ensemble de ses opérations ou celle d’autres entreprises intervenant
dans le même secteur d’activité. Le gouvernement chilien avait fixé à 12 % la base de
57

rentabilité annuelle normale des entreprises nationalisées (ce taux étaient voisin de celui fixé
par le code des investissements du Pacte andin selon lequel les bénéfices nets à répartir chaque
année ne peuvent, en règle générale, excéder 14 % du montant total de l’investissement
étranger). Or les études effectuées par ce gouvernement ont démontré que les bénéfices des
entreprises visées étaient tous supérieurs à ce taux et allaient, selon les entreprises, de 16 à 205
%. En conséquence, le gouvernement chilien, tout en admettant le principe de
l’indemnisation, a estimé qu’il convenait de déduire ces bénéfices exorbitants du montant de
l’indemnité. Cette opération a produit pour la plupart des sociétés un solde négatif.

Le gouvernement chilien a justifié en droit sa position en avançant un argument global


selon lesquel l’existence de tels bénéfices s’explique moins par les investissements engagés ou
le mode d’organisation des entreprises que par le sous – développement économique et social
du pays dans lequel elles opèrent. Dans ces conditions, la théorie des bénéfices excessifs
constituerait une application de la théorie de l’enrichissement sans cause. De plus la déduction
opérée à ce titre serait conforme à l’équité et à l’idée, souvent avancée par les pays du Tiers
Monde, que l’indemnisation doit tenir compte de toutes les circonstances qu’ils jugent
pertinentes.

En 1987, la sentence Amoco a condamné, pour la première fois en jurisprudence


internationale, la théorie des bénéfices excessifs. Elle a en effet considéré que la notion de
« plein équivalent » inscrite dans un instrument conventionnel, devait exclure toute prise en
compte, dans le calcul de la compensation, de facteurs qui, par leur nature, seraient étrangers à
la valeur des biens saisis.

2. Les solutions négociées

2.1. Les accords d’indemnisation

Il serait faux de penser que, dans la pratique, les nationalisations entreprises par les
pays du Tiers Monde donnent systématiquement naissance à des différends. Bien au contraire,
dans la plupart des cas, les parties finissent par adopter une solution négociée, même si à
l’origine elles avaient pris des positions intransigeantes. Ainsi par exemple, la Libye, malgré
son refus de la sentence Texaco, a conclu, quelques mois seulement après le prononcé de celle
58

– ci, un arrangement aux termes duquel elle s’est engagée à fournir aux compagnies pétrolières
concernées une certaine quantité de pétrole brut pendant une durée de quinze mois.

Les accords d’indemnisation consécutifs à des nationalisations ont pour objet principal
d’établir un compromis relativement à l’indemnité. Ils sont conclus par l’Etat nationalisateur
soit avec les sociétés elles – mêmes, soit avec les Etats dont elles relèvent. Dans cette
hypothèse, le règlement est considéré comme définitif. Les accords interétatiques ont pour
effet de dégager l’Etat nationalisateur de toute responsabilité vis – à – vis des réclamants ayant
la nationalité de l’autre partie. La charge de la répartition de l’indemnité incombe désormais à
l’Etat réclamant dans le cadre de son ordre juridique interne.

2.2. Le contenu des accords

a. Le montant de l’indemnité est fixé dans des conditions qui diffèrent


considérablement de celles qu’établit le droit classique. En effet, il est rare que
dans le cadre des accords d’indemnisation intégrale. Dans la majorité des cas,
l’accord aboutit à la fixation d’une indemnité forfaitaire. Le montant de cette
indemnité est souvent le résultat de la recherche d’un équilibre entre les
investisseurs étrangers et les exigences du développement des pays du Tiers
Monde. On peut citer maints exemples en ce sens (parmi les accords
interétatiques, voir l’accord USA – Pérou du 19 février 1974, l’accord France –
Guinée du 26 janvier 1977. Pour les accords passés avec des particuliers, voir
l’accord entre la Mauritanie et les anciens actionnaires de la Miferma du 28 janvier
1976 et l’accord entre l’Irak et l’IPC du 28 février 1976). Il arrive même que
l’accord ne prévoit qu’une indemnité modique, voire symbolique (cas de la Tunisie
lors de la reprise des terres de colonisation). Dans ce cas, l’Etat dont relèvent les
personnes concernées prend quelquefois à sa charge une partie de l’indemnité. A
l’heure actuelle, la tendance générale concernant les nationalisations opérées par
des pays en développement est d’inclure l’accord d’indemnisation dans un
règlement global des problèmes économiques pendant entre les deux pays, de
manière à l’insérer dans le réseau des relations de coopération entre ceux – ci.
b. La forme des paiements présente souvent, elle aussi, un caractère original.
Certains accords prévoient que le paiement s’effectuera en monnaie convertible.
Cette modalité a évidemment la faveur des pays industrialisés : ceux – ci invoquent
59

souvent le principe de l’indemnité effective pour refuser le paiement en monnaie


locale. Au contraire, d’autres conventions contiennent des dispositions beaucoup
plus souples, destinées à rendre le paiement de l’indemnité compatible avec la
poursuite voire le développement d’une politique de coopération entre les deux
Etats. En conséquence, elles stipulent non seulement la possibilité d’un paiement
en monnaie locale, mais encore toutes sortes d’avantages et de incombant au pays
en développement. Les accords passés par la Tunisie avec plusieurs pays
européens illustrent cette pratique : ainsi l’accord avec l’Italie du 29 août 1967
prévoit de son côté, pour faciliter le règlement de l’indemnité, l’engagement de
l’Italie d’autoriser les instituts de crédit à moyen terme qui en feront la demande à
accorder d’importants crédits financiers à la banque centrale de Tunisie ; l’accord
avec la Belgique contient des dispositions originales selon lesquelles « les
indemnités payables aux ayants – droits sont compensées par les dépenses
engagées par le gouvernement du Royaume de Belgique en Tunisie à titre de
coopération entre les deux Etats ».
60

Chapitre 4. : LA PRIVATISATION ET LE DEVELOPPEMENT

Section 1. : DEFINITION DU CONCEPT DE PRIVATISATION

Le terme « privatisation » est susceptible d’être utilisé dans plusieurs acceptions


différentes.
A un premier niveau, il désigne la privatisation d’entreprises publiques. Au sens strict, elle
vise le transfert à titre définitif d’entreprises du secteur public au secteur privé, sous la forme
d’une cession de titres ou d’actifs, ou d’une cession de contrôle. Cette privatisation implique
donc cession permanente de contrôle, que ce soit suite à la cession () de droits de propriété
d’un organisme public () à une ou plusieurs parties privées, ou à la suite, par exemple, d’une
augmentation de capital auquel l’organisme public – actionnaire aurait renoncé à souscrire.

Toujours à ce premier niveau, mais dans un sens plus large, la privatisation peut inclure
toute mesure qui opère le transfert temporaire au secteur privé d’activités qui jusque là avaient
été exercées par un organisme public. Elle comprendra ainsi, outre les formes de privatisation
au sens strict :
i. La sous – traitance, portant généralement sur des services qui étaient
précédemment fournis directement par l’organisme public (),
ii. Les contrats de gestion, qui peuvent ou non prévoir un intéressement au résultat
matériel de l’exploitation, et la régie intéressée, qui comprend toujours un tel
intéressement(),
iii. La location ou location – gérance d’entreprises, de matériel ou d’actifs
appartenant à l’Etat (), ainsi que les contrats d’affermage ; et
iv. Les concessions de services et travaux publics et contrats de type BOT (« Build
Operate and Transfer »)().

A un deuxième niveau, on peut parler de la privatisation d’un secteur, qui implique à


titre
principal l’ouverture dudit secteur à l’initiative privée, typiquement par l’abolition du
monopole public et l’octroi de licences, comme dans le cas de nouvelles licences de téléphonie
(cellulaire, par exemple), de production électrique ou de routes aériennes(). Cette ouverture
est souvent, mais pas toujours, accompagnée par l’introduction d’une réelle concurrence entre
opérateurs. Les privatisations du premier niveau (et notamment les transferts d’actions ou
61

d’actifs publics, affermages et concessions) font également partie de ces mesures de


privatisation sectorielle.

Le concept de privatisation peut être abordé de manière plus large encore pour inclure,
non seulement la privatisation d’une économie. L’intensité de la privatisation d’une économie
variera selon le degré d’étatisation préalable de l’économie en question et l’ampleur du
programme de réformes entrepris. Nous avons déjà évoqué les programmes poursuivis dans
ce contexte par certains pays en transition, ainsi que les programmes néo – zélandais et
britannique. Dans ce cas, les privatisations des premiers et deuxième niveaux font partie
intégrante des programmes de privatisation de l’économie nationale (). Ainsi, en Nouvelle –
Zélande, le programme gouvernemental a porté tant sur la libéralisation du commerce
extérieur, des marchés financiers et du travail, que sur la réforme des secteurs des
télécommunications et du transport aérien, et sur la restructuration et la privatisation de
nombreuses entreprises et activités politiques ().

Bien que distincts, ces trois niveaux ne sont toutefois nullement cloisonnés. Au
contraire, une interaction étroite s’opère, d’une part en ce que la stratégie adoptée pour les
niveaux supérieurs déterminera dans une large mesure celle suivie aux niveaux inférieurs : une
stratégie sectorielle et la stratégie macroéconomique. En effet, la privatisation d’une entreprise
en trouvera souvent son sens que dans le cadre d’un programme de privatisation sectoriel ou
macro – économique, devenant ainsi un instrument de ces programmes plus globaux plutôt
qu’une fin en soi. D’une autre part, l’expérience concrète au niveau des transactions de
privatisation au sens strict, contribuera au développement des stratégies sectorielles et
générales, celles – ci ne pouvant être figées une fois pour toutes en début de programme de
réforme.

Enfin, ces différents concepts peuvent également être classés selon le niveau de
délégation par l’Etat, le degré de risque transféré, et le degré d’irréversibilité de la
privatisation. Ces facteurs sont quant à eux directement et positivement liés à l’importance de
l’engagement financier consenti par l’opérateur privé et à la durée du contrat conclu, le cas
échéant, entre ce dernier et l’autorité publique. Le diagramme ci – dessous illustre de manière
schématique la gradation de différentes techniques de participation du secteur privé. L’on
progresse ainsi d’un contrat de sous – traitance, qui requiert relativement peu d’investissement,
implique peu de risques et auquel il peut être facilement mis fin, à la privatisation totale au
62

sens strict, par laquelle les actifs, l’activité et son financement sont transférés de manière
permanente au secteur privé.

Techniques contractuelles de privatisation

Sous – Contrat Régie Location


traitance de gestion Intéressée gérance
Affermage Concession Privatisation

0 Durée (années) Illimitée


Public Investissements, risques (répartition) Privé
Aux différentes formes de privatisation figurant dans ce diagramme, il faut également
ajouter
les sociétés d’économie mixte, qui typiquement assurent une activité de manière permanente
(quoiqu’elles puissent également être titulaires de participation privée peut varier de moins de
1 % à plus de 99 %. On peut également y ajouter des techniques non – contractuelles de
privatisation, telles que l’octroi de licence, permis ou autorisations accordées à des opérateurs
privés, dont la durée peut varier dans le temps.

Enfin, mentionnons que ce que nous appelons privatisation a reçu d’autres noms dans
certains pays, souvent parce que le terme de privatisation était jugé politiquement trop délicat.
Ainsi parle – t – on de capitalisation en Bolivie (), de population au Sri – Lanka et
d’actionnarisation au Vietnam, pour ne citer que ces pays (). Aux Pays – Bas, par contre le
terme de privatisation est utilisé non seulement pour désigner ce que nous avons qualifié ainsi,
mais également pour décire le processus de transformation d’une entreprise publique en une
entreprise soumise aux règles du droit commercial mais restant la propriété de l’Etat().

Section 2. : FACTEURS CONTRIBUANT AU MODELE DE PRIVATISATION

Ce renversement de tendance que nous observons s’explique assurément par des


raisons
multiples, qui varient de pays à pays et même d’entreprise à entreprise (). En premier lieu
vient le fait que la performance des entreprises publiques s’est, en règle générale, révélée
décevante. Si certaines fonctionnent bien, beaucoup d’autres, par contre, sont notoirement
inefficaces. Celles – ci réussissent à survivre grâce à la protection douanière qui leur est
accordée vis – à – vis des importations concurrentes, à l’octroi préférentiel de marchés publics
63

importants, à l’accès privilégié aux sources de crédits dont elles bénéficient auprès de banques
publiques, à des garanties étatiques, aux exonérations fiscales, ou encore aux subventions que
leur versent directement les autorités publiques. Alors qu’elles avaient été créées pour pallier
la carence du secteur privé et servir de fer de lance au développement de l’économie nationale,
elles ont dans bien des cas contribué à l’étouffement du secteur privé local et à la stagnation de
l’économie. Elles ont souvent servi d’instrument pour la réalisation d’objectifs politiques et
ont subi les ingérences fréquentes des autorités publiques. Dans certains pays, elles ont
également été un facteur de redistribution des revenus vers les classes moyennes et aisées de la
population, au détriment des classes les plus pauvres qui n’ont généralement accès ni aux
emplois fournis par ces entreprises ni à leurs produits. Presque partout, le poids des
entreprises publiques sur les finances de l’Etat était devenu intenable.

La privatisation était – elle la seule solution possible pour redresser ce type de


situation ? En fait, plusieurs études visant à comparer les performances d’entreprises
publiques et privées ont conclu que c’est moins le caractère public ou privé d’une entreprise
que la structure réglementaire et le degré de concurrence auxquels elle est soumise qui
déterminent son efficacité (). Certaines réformes visant à accroître l’autonomie des
entreprises publiques et à les exposer à une concurrence plus intense, sans toutefois transférer
leur propriété au secteur privé, ont donné des résultats encourageants. Cependant, il est apparu
que dans bien des cas ces réformes n’ont pas pu être soutenues et ont été remises en cause par
les autorités publiques avec pour conséquence une nouvelle détérioration de la situation de ces
entreprises (). Le défi consiste à améliorer durablement la performance des entreprises
concernées et la privatisation est aujourd’hui considérée par de nombreux gouvernements
comme la seule option permettant d’atteindre cet objectif.

De plus, de nombreux gouvernements se sont trouvés face à un inquiétant déficit


budgétaire et à une crise des finances publiques. Ils n’ont plus, aujourd’hui, les ressources
financières nécessaires pour compenser les pertes de certaines entreprises publiques ni pour
procéder aux augmentations de capital indispensables à leur développement. Par ailleurs, une
remise en ordre des finances publiques, passant par une réforme en profondeur du secteur
public, peut également être requise pour satisfaire à certaines obligations ou aspirations
internationales ; il en est ainsi notamment de certains Etats membres de l’Union Européenne
qui cherchent à satisfaire aux strictes conditions budgétaires imposées par le traité de
64

Maastricht pour pouvoir accéder à l’union monétaire, ou de pays ayant conclu des programmes
d’ajustement structurel avec la Banque mondiale ou le Fonds Monétaire International.

La rapide évolution du contexte économique international a également contribué à


l’accélération du déclin du modèle de l’entreprise publique nationale. En effet, la
mondialisation de l’économie, l’accélération de l’innovation technologique et l’intégration
croissante des marchés obligent les entreprises à adopter des stratégies très souples et à les
adapter en permanence aux circonstances. Cela peut également exiger la formation d’alliance
avec des partenaires étrangers, que ce soit en matière technologique, d’approvisionnement ou
commerciale, voire même par voie de participations croisées ou d’absorption par des groupes
internationaux. Les entreprises publiques sont notoirement mal placées pour fonctionner de
manière aussi souple et réaliser de telles alliances.

Par ailleurs, il convient de souligner que le débat idéologique en matière de gestion


économique et de privatisation a également considérablement évolué, suite à la globalisation
croissante de l’économie ainsi qu’à la fin de la guerre froide et de l’opposition des modèles
socialistes et capitalistes de développement. Cette atténuation des clivages idéologiques s’est
notamment traduite par une approche plus pragmatique des réformes économiques, dont la
privatisation fait partie.

Section 3. : PRIVATISATION ET GESTION PUBLIQUE

§.1. Identification du propriétaire

Bien que cela puisse paraître tout à fait évident, il est important de relever que, pour
être
propriétaire, il faut juridiquement parlant, posséder la personnalité juridique, c’est – à – dire
avoir une existence propre et distincte en droit. L’Etat, personne morale, sera en règle
générale, propriétaire de certaines entreprises publiques. Les entités provinciales ou locales,
dans la mesure où elles possèdent également la personnalité juridique, peuvent donc aussi être
propriétaires d’entreprise.

Les entreprises publiques (ou les sociétés holding publiques) elles – mêmes seront
normalement propriétaires de leurs biens ou filiales. Il n’en va pas toujours ainsi cependant.
65

En Bulgarie, en Pologne, en Guinée (jusqu’en 1985) et dans d’autres pays dont le système
juridique s’inspire ou s’inspirait du modèle soviétique, les entreprises en sont (ou n’étaient)
pas propriétaires de leur propres biens immobiliers (outillage, véhicules, meubles).
Typiquement, l’Etat finançait l’acquisition de ces biens et l’entreprise publique payait chaque
année à l’Etat une somme représentant le montant des amortissements. Ces biens restaient
propriété de l’Etat et ne pouvaient pas être vendus par l’entreprise sans autorisation préalable.
Ce régime a notamment des implications importantes pour l’affectation des recettes de
privatisations. En cas de vente, le produit revient normalement à l’Etat ().

Dans de nombreux pays socialistes (ou anciennement socialistes), dont le Vietnam, la


Hongrie et l’ex – Yougoslavie, une confusion profonde existe entre propriété de l’Etat et
propriété de l’entreprise publique qui est véritablement propriétaire, comme l’illustre
également les exemples du laos, de la Russie et de l’Allemagne. Ce type de problème y est
encore amplifié par les complications résultant des lois ou mesures de nationalisation ou
d’expropriation dont il a déjà été question (). On ne saurait donc trop insister, sur l’importance
que revêt la clarification préalable des droits de propriété pour le bon déroulement du
processus de privatisation.

§.2. Détermination de l’autorité habilitée à vendre

Une fois le propriétaire identifié, il reste à déterminer qui a le pouvoir d’exercer ses
droits. Il
s’agit là de deux questions distinctes qui sont toutefois souvent confondues. L’Etat ou les
entreprises publiques ne sont en effet susceptibles d’exercer leurs droits que par l’intermédiaire
de personnes dûment habilitées. S’agissant de privatisation, il importe tout particulièrement de
déterminer à qui le pouvoir d’aliéner (c’est – à – dire de céder la propriété), élément essentiel
du droit de propriété, a été confié ().

En l’absence de dispositions expresses dans la législation relative aux entreprises ou


biens publics, il faut se référer aux autres éléments du cadre juridique en vigueur et apprécier
si celui – ci permet de déterminer précisément qui a la capacité juridique de vendre les
entreprises publiques. En Nouvelle – Zélande, par exemple, sauf législation expresse
contraire, le gouvernement et les différents ministres du gouvernement sont réputés habilités à
66

vendre les biens publics (). La même situation se retrouve dans la plupart des pays de
« Common law ».
Quelle que soit l’autorité habilitée à vendre au nom de l’Etat, le principal est que
l’habilitation (expresse ou tacite) soit dépourvue d’ambiguïté afin d’éviter tous litiges
ultérieurs.

§.3. Aliénation d’entreprises et participations publiques

La gestion relative aux entreprises publiques autorise parfois explicitement la


privatisation de
ces dernières en la soumettant à certaines règles, généralement assez simple. Au Burundi, par
exemple, le décret – loi relatif aux entreprises publiques désignait le Président comme la seule
autorité habilitée à vendre les participations de l’Etat dans une entreprise régie par ce texte ().

Quant au programme mexicain, un des programmes de privatisation parmi les plus


ambitieux et couronnés de succès, il repose, dans une large mesure, sur les dispositions de la
loi relative aux entreprises parapluies de 1986 (). Cette loi dispose en son article 32 que
lorsqu’une entreprise publique n’a plus d’importance stratégique ou que l’intérêt public ou
l’économie nationale le dicte, le ministre chargé des programmes et du budget propose au
gouvernement fédéral la vente des participations de l’Etat en tenant compte des vues des
ministères sectoriels concernés. En cas de vente, le même article prévoit que les travailleurs
de l’entreprise bénéficieront d’un droit de préemption. L’article 68 de la même loi stipule que
les ventes se feront par voie de ventes en bourse ou par l’intermédiaire d’institutions
financières sur base de directives adoptées par les ministres chargés des programmes, du
budget et de finances. Ces deux articles constituent ainsi la base juridique d’une grande partie
des privatisations mexicaines. Des dispositions similaires se retrouvent dans les lois relatives
aux entreprises publiques d’autres pays ().

La législation en vigueur peut également exiger certaines formes juridiques. Ainsi, le


principe juridique du parallélisme des formes – selon lequel, pour abolir ou transformer une
entreprise publique, il faut utiliser le même instrument juridique que celui employé pour la
créer – peut imposer l’usage d’instruments juridiques déterminées et parfois consacré par la
loi, comme au Togo où l’article 36 de la loi organique n° 82 – 5 du 16 juin 1982 relative aux
sociétés d’économie mixte, prévoit que « si une entreprise publique a été créée par décret
67

ministériel en conseil des ministres, l’entreprise ne peut être privatisée ou liquidée que dans la
même forme » ().

Par ailleurs, les lois sur les entreprises publiques contiennent souvent des dispositions
relatives à la prise et à la cession par l’Etat (ou d’autres organismes publics) de participations
dans des sociétés d’économie mixte, ainsi qu’à la création et à la cession de filiales
d’entreprises publiques. Ces lois peuvent ainsi limiter le droit des entreprises publiques
d’acheter ou de vendre des actions d’autres sociétés, bien que ce type de restrictions puisse
ralentir le processus de privatisation, il s’impose souvent pour prévenir les abus et soumettre
ces ventes à un minimum de règles. De telles restrictions peuvent également être contenues
dans la loi de privatisation ().
§.4. Aliénation des biens publics

L’aliénation des biens d’Etat sera souvent régie par le droit administratif, une
législation
spécifique sur le patrimoine public ou la législation relative aux finances publiques. Dans les
pays dont la législation s’inspire du système français, on opère parfois une distinction entre les
biens appartenant au domaine public () et ceux qui relèvent du domaine privé de l’Etat, ces
derniers étant plus faciles à aliéner, sauf moyennant au domaine public de l’Etat ne peuvent en
effet pas être aliénés, sauf moyennant un transfert préalable dans le domaine privé de l’Etat,
qui ne peut être effectué qu’en vertu d’une loi.

Les règles portant sur la vente de biens publics, lorsqu’elles existent, sont souvent mal
adaptées aux besoins d’un programme de privatisation. Ainsi, en Italie les modalités de vente
de propriété de l’Etat remontaient à une loi de 1924, qui imposait des procédures
administratives très compliquées soumises à l’avis du conseil d’Etat et au contrôle de la cour
des comptes. En vue d’accélérer le processus de privatisation le gouvernement a dû prendre
un décret – loi autorisant notamment l’Etat à aliéner ses biens en suivant des procédures
considérablement allégées ().

En ce qui concerne l’aliénation de biens des entreprises publiques, la législation sur les
entreprises publiques et leur statut habilitent normalement les organes de direction d’une
entreprise publique à vendre, dans certaines limites, les biens de l’entreprise ou ses filiales.
Quant aux sociétés de portefeuille publiques, elles sont autorisées, en règle générale, à céder
68

des filiales ou des participations financières (). Lois et statuts fixent ainsi les pouvoirs des
divers organes, notamment l’assemblée générale des actionnaires (s’il y en a une), le conseil
d’administration et le directeur – général, en précisant, le cas échéant, des seuils financiers
délimitant leurs compétences respectives, notamment en matière de cession d’actifs. Certaines
dispositions peuvent aussi réglementer le pouvoir d’engager l’entreprise publique par contrat
et prévoir des sanctions contre les dirigeants de l’entreprise qui outrepasseraient leurs
pouvoirs.

La législation devrait, pour bien faire, permettre à l’entreprise publique de disposer


d’une souplesse suffisante pour mener efficacement son activité, sans pour autant qu’elle
puisse vendre les principaux éléments de son patrimoine ou entreprendre d’aliéner ce dernier
sans contrôle par le propriétaire, c’est – à – dire l’Etat ou d’autres organismes publics. De
telles aliénations abusives apparaissent souvent en l’absence d’assemblées générales des
actionnaires ou d’organes similaires, et faute de mécanismes rendant la direction et les
administrateurs de l’entreprise dûment responsables de leurs actes. La législation sur les
entreprises publiques peut restreindre la latitude dont la direction et le conseil d’administration
d’une entreprise publique disposent pour privatiser les principaux éléments d’actif et pour
décider de l’affection du produit des ventes. Ainsi, au Vietnam, une circulaire du ministère des
finances stipule que les entreprises publiques doivent obtenir l’autorisation de leurs autorités
de tutelle pour contribuer une partie de leur actif à la création de sociétés d’économie mixte et
du Premier Ministre pour se porter acquéreur d’actions dans des sociétés anonymes ou pour
investir dans des sociétés à responsabilité limitée ().

Section 4. : LA PRIVATISATION DES GRANDES INFRASTRUCTURES

§.1. Survol historique

Dans les chapitres qui précèdent, nous avons examiné les privatisations de manière
générale sans distinction particulière entre différents types de secteurs ou d’entreprises. Il est
clair cependant que des modalités spécifiques s’imposent lorsqu’il s’agit de secteurs à
69

caractéristiques monopolistiques hautement réglementés tels que l’électricité, le gaz, l’eau, les
télécommunications, les ports, aéroports, autoroutes et chemins de fer, souvent regroupés sous
l’appellation de grandes infrastructures (). Ce chapitre explore certaines des spécificités
propres à ces secteurs, tout en renvoyant aux chapitres précédents pour les autres aspects du
processus de privatisations s’appliquant de manière plus générale.

Les secteurs d’infrastructure sont, en fait, un sous – ensemble des services publics,
notion couvrant également d’autres activités non reprises dans notre énumération, qu’il
s’agisse de services à caractère commercial comme la poste(), ou de fonctions comme la
sécurité sociale (), la justice () ou la défense nationale, par exemple. Le concept de service
public lui – même est pour le moins ambigu et n’a jamais pu être défini de manière précise et
opérationnelle (). La notion de service public est souvent abordée de manière émotionnelle.
Privatiser un service public est en effet une opération qui s’apparente dans l’esprit de certains à
une vente des bijoux de famille. Une confusion s’installe très vite entre service rendu au
public et accessible au public de manière non – discriminatoire d’une part, et service fourni ou
produit par une administration ou entreprise publique d’autre part. Ce glissement sémantique,
cette fusion de deux sens fort différents, complique inutilement le débat sur la manière de
fournir au public certains services. Nous n’essayerons donc pas de définir le service public
mais plutôt d’analyser ce que ce concept recouvre dans les secteurs d’infrastructure en termes
d’activités distinctes ().

Tous les secteurs d’infrastructure mentionnés ci – dessus sont, ou du moins étaient,


généralement considérés comme des secteurs à caractéristiques monopolistiques, ce qui revient
à dire qu’un seul opérateur devrait être à même de fournir ces services en monopole de
manière plus efficiente que plusieurs opérateurs agissant séparément.

Des progrès en recherche économique et le succès des programmes de démopolisation


et de privatisation entrepris au Royaume – Uni et dans d’autres pays depuis le début des
années quatre – vingt ont démontré que cette ancienne conception était souvent erronée, ou du
moins que l’on tirait d’un constat de présence d’éléments de monopole naturel des conclusions
qui ne s’imposaient pas. En particulier, la contestabilité de ces secteurs (ou de certains de
leurs segments), la capture des instances chargées de la réglementation desdits monopoles,
l’impact négatif de l’absence de concurrence et les inefficiences propres à beaucoup de
systèmes de gestion publique étaient rarement pris en compte dans l’analyse des coûts et
70

bénéfices du maintien de monopoles (). De plus, l’évolution technologique a réduit


considérablement la taille et le coût des facteurs de production fixes (« sunk costs ») et donc
les rendements d’échelle, ainsi que les barrières à l’entrée dans de nombreux secteurs. Il
devient ainsi de plus en plus difficile de soutenir de manière générale que le secteur des
télécommunications ou de la production électrique, par exemple, sont intrinsèquement
monopolistiques.
Ces évolutions économiques, politiques et technologiques, auxquelles s’ajoutent des
contraintes budgétaires pesant de plus en plus sur les finances publiques, ont donc mené à un
double phénomène de démonopolisation et de privatisation, que l’on retrouve à des stades plus
ou moins avancés dans de nombreux pays. Dans ce chapitre nous examinerons
successivement, après un bref aperçu historique, la stratégie sectorielle, ainsi que le cadre
législatif et réglementaire de ces privatisations. Nous utiliserons principalement l’exemple des
télécommunications () pour illustrer nos propos.

Il importe de rappeler que de nombreux grands services d’infrastructures à travers le


monde n’ont pas toujours été publics (). Dans quelques rares pays, des sociétés
d’infrastructure, privées à l’origine, ne sont jamais devenues publiques. Il en est ainsi des
Etats – Unis, qui ont largement échappé aux différentes vagues de nationalisation de ce siècle,
où des sociétés d’infrastructure, généralement réglementées, sont restées privées, avec
certaines exceptions toutefois, telles que le service de l’eau et de l’assainissement, souvent
géré directement par des entreprises municipales, et certaines lignes de chemin de fer qui
furent reprises par l’Etat suite à leur faillite et soit reprivatisées (conrail), soit maintenues
comme entreprises publiques (Amtrak).

De nombreuses sociétés électriques à travers le monde étaient privées à l’origine, que


ce soit aux Etats – Unis, en Angleterre, en France, en Belgique, en Inde, en Indonésie, en
Chine, au Sri – Lanka, aux Philippines, en Argentine, en Jamaïque, au Venezuela ou
en Colombie(). La France (en 1945), l’Indonésie (en 1953), la Jamaïque (en 1971) et la
Colombie (en plusieurs étapes à partir des années trente) les ont ensuite nationalisées, alors
que l’Inde et les Philippines choisirent de nationaliser certaines sociétés privées de ce secteur,
mais pas toutes. Quant au Royaume – Uni, à la Côte d’Ivoire, au Chili et à l’Argentine,
l’évolution a fait un cercle complet, ces sociétés étant initialement privées, ensuite
nationalisées avant d’être enfin reprivatisées. Les nationalisations étaient typiquement, soit
une réponse à une fragmentation trop grande de l’industrie électrique qui ne permettait pas
71

l’intégration des réseaux et la réalisation des économies d’échelle techniquement possibles,


soit la résultante de courants idéologiques ou nationalistes. Quant aux privatisations récentes,
elles peuvent être attribuées à divers facteurs, au premier rang desquels figurent les énormes
besoins en investissement dans ce secteur, estimés à plus de cent milliards de dollars par an
rien que pour le pays en développement, besoins que des trésoreries publiques exsangues ne
parviennent pas à financer.
Le même phénomène se retrouve dans le secteur des télécommunications, où bon
nombre d’entreprises privées furent parmi les premières à établir des liaisons télégraphiques
dès le milieu du XIXème siècle et téléphoniques vers la fin du même siècle. L’on assiste ainsi
entre 1849 à 1859 à la création d’une demi douzaine de sociétés privées au moins dont l’objet
était de relier différents pays par câble télégraphique, et notamment par des liaisons sous la
Manche, entre l’Angleterre et l’Irlande, sous la Méditerranée, sous l’Atlantique, et
sous la Mer Rouge, pour ne citer que celle – là (). Alors que le développement des
réseaux internationaux fut entrepris principalement par le secteur privé, dans de nombreux
pays, dont le Japon, les liaisons télégraphiques internes étaient dès l’origine gérées par une
entité étatique. L’on retrouve la même diversité en matière de téléphonie, avec des entreprises
privées inaugurant ce service dans certains pays et des entreprises publiques dans d’autres.
Lorsqu’elles étaient privées à l’origine, les sociétés de télécommunications furent souvent
nationalisées ensuite pour, dans quelques cas, être enfin reprivatisées, comme au Royaume -
Uni () au Chili (voir l’encadré 15 ci – dessous), au Mexique, en Argentine et en Jamaïque.
Quelques pays, dont les Etats – Unis et les Philippines, n’ont cependant jamais nationalisé leur
secteur des télécommunications. La présente décennie est déjà marquée par une libéralisation
accrue de ce secteur et elle le deviendra probablement encore davantage. Cette libéralisation
s’accompagne d’un grand nombre de privatisations et du développement de nouveaux réseaux
internationaux de télécommunications, privées et concurrents (tant câblés que par satellite).

Le domaine de l’eau est également intéressant puisque l’on retrouve la France, pays qui
s’est fait le champion du service public et des entreprises publiques, parmi les quelques pays
où ce secteur est resté largement privé. En Côte d’Ivoire ce secteur est également resté privé
(sous forme d’affermage), alors qu’en Guinée il était privé avant d’être repris par l’Etat pour
être enfin reprivatisé (également sous forme d’affermage) en 1989. l’Espagne, l’Italie, la
Belgique, le Royaume – Uni, les Etats – Unis, Macao, la Gambie, le Chili, l’Argentine, la
Bolovie et le Guatémala figurent parmi les pays qui ont des sociétés de distribution d’eau
privées, dans certains cas récemment privatisées(). Au Maroc, une société privée assure plus
72

d’un tiers de l’approvisionnement en eau de Casablanca, tandis qu’au Mexique et en Malaisie


l’on retrouve des stations d’épuration d’eau privées.

§.2. Octroi d’une concession ou licence

La privatisation des grandes sociétés d’infrastructure requiert, tant en termes


stratégiques que par leur taille et le volume d’investissement nécessaire, une approche
particulière se traduisant en général par l’octroi par l’Etat aux investisseurs d’une concession
ou licence(). Cet ouvrage étant principalement consacré à la privatisation au sens strict, à
savoir le transfert du secteur public au secteur privé d’entreprises ou d’actifs existants, ne peut
pas examiner en détail le régime de la concession de travaux publics, de même que les contrats
de BOO et BOT, qui constituent une autre forme importante de privatisation (sensu lato), l’Etat
confiant au secteur privé la responsabilité de construire, financer et gérer certaines
infrastructures. Nous nous contenterons de relever ici l’importance du concept et des
mécanismes juridiques de concession qui trouvent également à s’appliquer dans de
nombreuses privatisations de sociétés de services publics.

1. Concession ou licence ?

Bien que les deux concepts soient souvent utilisés de manière interchangeable, les
termes licence et concession ont chacun un sens propre qui les différencie. Dans le contexte
des services d’infrastructure, une licence est avant tout l’octroi par l’Etat au secteur privé
d’une autorisation d’exercer une activité déterminée, alors que la concession représente la
délégation par l’Etat à une personne privée de l’exercice d’une activité publique, la
qualification publique d’une activité étant largement contingente et variant tant historiquement
que d’un pays à l’autre (). Seconde différence importante, la licence est normalement accordée
de manière unilatérale d’une licence par l’autorité publique requert en général l’accord du
bénéficiaire de la licence (), alors que le droit français reconnaît aux pouvoirs publics le droit,
moyennant compensation, de modifier unilatéralement les termes d’un contrat de concession
lorsque les circonstances le requièrent (principe de l’adaptation du service). Le terme
concession implique non seulement le caractère public de l’activité mais également sa
délégation pour une période déterminée au terme de laquelle l’activité retournera au concédant
(à savoir l’autorité publique). Ainsi, les deux sociétés de télécommunication argentines ayant
hérité du réseau de l’ancienne ENTEL opèrent sous une licence perpétuelle, et non sous une
73

concession, alors que les sociétés italiennes ou hongroises de télécommunications, par


exemple, opèrent sous des concessions à durée déterminée. Ce sont donc les termes et
caractéristiques de l’autorisation de fournir un service, plutôt que la qualification donnée à
cette autorisation, qui sont importants.

2. Conditions d’octroi

Les conditions d’octroi de la concession ou licence peuvent être stipulées, soit par la loi
ou réglementation de privatisation, soit par la réglementation portant sur l’accès à ces secteurs
lorsqu’elle existe déjà. Elles seront normalement reflétées dans les documents d’appel
d’offres. L’octroi du contrat de privatisation suite à un tel appel d’offres devrait emporter
automatiquement octroi de ladite concession ou licence.

3. Contenu de la concession ou licence

La concession ou licence donne à son détenteur le droit de fournir un service public


dans des conditions précises, qui comprennent souvent des éléments de monopole. Deux
techniques de privatisation très différentes tendent à être utilisées : dans le premier cas, la
propriété de l’entreprise publique est cédée à la partie privée avec le droit d’exploiter le
service. Dans le second, l’entreprise publique ou ses biens sont confiés à l’exploitant privé
pour la durée de sa licence (). Quel que soit le cas, l’actif le plus précieux mis en vente n’est
pas l’infrastructure physique même mais plutôt le droit de fournir le service concerné. La
concession, normalement accordée pour une durée limitée, ou la licence peut être révoquée si
le titulaire manque au respect des conditions qu’elle prévoit. Elle comprend toujours un
contrôle, par l’administration publique ou par un organe spécialisé, de la manière dont la
société exécute ses obligations, et prévoit normalement des mécanismes qui permettent de
modifier les droits et obligations créés par la concession ou licence pour tenir compte de
circonstances nouvelles ().

4. Promouvoir la concurrence
74

Dans de nombreux cas, un élément de monopole a dû être concédé aux repreneurs.


Dans
le secteur des télécommunications, ce monopole couvre typiquement les services de téléphonie
dits de base pour une période déterminée, au terme de laquelle le monopole prend fin et la
concurrence est autorisée. Le concept de service de base varie d’un pays à l’autre et
comprend, outre le réseau local câblé (qui en constitue l’essence), tout ou partie des services
de télécommunication par voix (communications longues distance et internationales ainsi que,
moins souvent réseau de radio – téléphonie).

La durée du monopole est souvent inférieure à la durée de la concession ou licence, ce


qui produit des licences ou concession à deux temps : une échéance au terme de laquelle la
protection monopolistique est supprimée et une échéance marquant le terme du contrat de
concession lui – même, sauf bien sûr dans les cas où la licence (ou « concession ») aurait été
octroyée à perpétuité. L’on retrouve ainsi des périodes de monopole allant de cinq ans au
Pérou, sept ou dix ans en Argentine (où la licence est à durée indéterminée), huit ans en
Hongrie (concession de 25 ans), neuf ans au Venezuela (concession de 35 ans), à 25 ans en
Jamaïque où la durée de la concession coïncide avec celle du monopole, allant du réseau local
uniquement (certaines concessions locales en Hongrie) à l’ensemble des services dits de base.
L’octroi d’un monopole temporaire se justifie souvent par la nécessité de rééquilibrer les tarifs
en vue d’éliminer progressivement la subvention croisée des services locaux par les services
interzonaux et internationaux. Si le monopole était aboli avant ce rééquilibrage, l’opérateur
dominant ne serait plus en mesure de concurrencer les nouveaux opérateurs tout en maintenant
une subvention interne des services locaux. Une autre raison souvent avancée pour justifier un
monopole est que ce dernier est indispensable pour permettre le financement des importants
investissements nécessaires dans beaucoup de pays.

Cet élément de monopole se retrouve également sous d’autres formes et dans d’autres
secteurs. Des monopoles ont été accordés aux sociétés de distribution de gaz et d’électricité au
Royaume – Uni et en Argentine, et certaines exemptions au droit de la concurrence ont été
prévues, notamment en Angleterre dans le domaine électrique (). Par ailleurs, dans le
domaine routier, il n’est pas rare de voir des restrictions à la construction de nouvelles routes
pouvant faire concurrence avec une autoroute mise en concession.
75

Au monopole dont on vient de parler, on peut opposer la concurrence, qui elle aussi
devra faire l’objet de dispositions particulières dans la mesure où des conditions
monopolistiques persistent, notamment en matière d’accès des tiers au réseau. L’implantation
de réseaux cellulaires concurrents en est un exemple, le succès de tels réseaux demandant en
général qu’ils soient raccordés au réseau fixe de l’opérateur principal. Il en va de même pour
les communications à longue distance, lorsque celles – ci sont ouvertes à la concurrence, et
pour la location de capacité de transmission. Une des règles fondamentales devant être mise en
place dans ce contexte est l’accès non discriminatoire au réseau, ce qui implique notamment
que lorsque l’opérateurs, il doit leur accorder cet accès aux mêmes termes et conditions
techniques et financiers qu’il applique à sa propre utilisation du réseau.

5. Promouvoir l’investissement

Une caractéristique commune aux secteurs d’infrastructure de presque tous les pays en
développement et de certains pays industrialisés et de certains pays industrialisé est
l’inefficiente et le sous – investissement chronique dont ils souffrent. Dans ces pays l’objectif
principal de la privatisation est (ou devrait être) de promouvoir de nouveaux investissements et
d’accroître la performance du secteur afin de résorber l’écart entre l’offre et la demande. Les
privatisations de sociétés de télécommunications en Argentine, au Mexique, au Venezuela (),
au Pérou () et ne Hongrie () exigeaient toutes d’importants investissements neufs de la part des
repreneurs, ainsi que des améliorations dans la qualité du service fourni et des gains de
productivité. De même, l’objet principal de la réglementation du secteur devrait être de créer
les conditions nécessaires pour encourager l’investissement, plutôt que de contrôler le niveau
des prix comme le font les pays à haut taux de pénétration, comme les pays de l’OCDE.

6. Contrôler les prix

Autre élément critique de la licence octroyée : le régime des prix, et en particulier la


formule d’ajustement des prix. En vue d’assurer un meilleur rendement économique, seuls les
prix de services non – concurrentiels devraient être réglementés et des restrictions devraient
être imposées en vue d’interdire à une entreprise de subventionner ses activités
concurrentielles au moyen des recettes réalisées dans le cadre de ses activités réglementées ().
76

Par ailleurs, la formule de contrôle des prix choisie doit pouvoir être effectivement
appliquée par l’autorité responsable, ce qui implique notamment que les informations
nécessaires pour permettre à cet organisme d’accomplir sa mission soient effectivement
disponibles et que l’organisme ait les moyens de forcer les sociétés soumises à réglementation
à les communiquer (). Le degré de complexité du mécanisme de calcul des ajustements de
prix devrait tenir compte des moyens et capacités techniques de cet organisme. En d’autres
mots, le mécanisme de régulation doit répondre aux caractéristiques et contraintes du pays et
du secteur concernés.

Nous examinons ci – dessous la formule tarifaire choisie par le gouvernement


britannique pour la majorité des privatisations de sociétés d’infrastructures. Cette technique
mérite une attention particulière, d’une part, au vu de son caractère novateur et, d’autre part, au
vu de sa place centrale dans le processus de privatisation des services publics britanniques,
processus dont l’influence à travers le monde fut et est toujours considérable.

Cette formule (dite de « pipe cap ») fixe le pourcentage plafond d’augmentation du prix
d’un panier de services déterminé à RPI – X, ou RPI représente le taux d’inflation tel que
mesuré par l’indice des prix à la consommation (« retail price index ») et « X » le facteur de
productivité initialement stipulé dans le prospectus de privatisation. Dans le cas de British
Telecom, par exemple, la valeur de « x » a été fixée initialement (en 1984) à 3 %, puis portée
successivement par l’Oftel (le régulateur) à 4,5 % en 1989 (au terme de la période initiale de
cinq ans stipulée dans la licence), 6,25 % en 1991 et 7,5 % en 1993. L’entreprise a ainsi été
contrainte par le régulateur à répercuter à une cadence accélérée sur l’abonné les gains de
productivité qu’elle réalisait. L’ajustement de 1989 correspondait au premier ajustement
quinquennal. A cette occasion, BT a également accepté que la prochaine révision ait lieu en
1993, un an plus tôt que ce qui était normalement prévu, et qu’une révision éventuelle à mi –
parcours (à savoir en 1991) puisse avoir lieu pour refléter, le cas échéant, des circonstances
exceptionnelles en dehors du contrôle de BT. L’ajustement intérimaire de 1991 eut lieu pour
tenir compte notamment de l’accélération de l’évolution technologique dans le secteur des
télécommunications.

L’indexation porte sur un panier de services, qui fut également modifié lors de chaque
adaptation de la formule BT est libre de modifier les prix des services compris dans ce panier
pour autant que dans leur ensemble ces prix diminuent en moyenne (pondérée) au moins du
77

pourcentage résultant de l’application de la formule. Certains services non compris dans le


panier sont soumis à d’autres services est librement fixé par l’opérateur. Le pourcentage des
revenus de BT soumis à contrôle des prix est passé de 55 % en 1984 à 80 % en 1993.

La principale différence entre le contrôle par la formule RPI – X et le contrôle par la


formule du taux de rentabilité (« rate of return ») vient de ce que la première est plus facile à
administrer (car elle dépend moins d’informations fournies par l’entreprise réglementée elle –
même), requiert moins de vérifications de la part du régulateur et permet d’espacer davantage
ses interventions. Etant plus souple, elle est également mieux adaptée à des industries en
mutation technologique constante, où l’entreprise réglementée pourra bénéficier de gains de
productivité et de profitabilité induits par une introduction accélérée de nouvelles
technologies. Il est cependant encore trop tôt pour se prononcer définitivement sur les
avantages et inconvénients respectifs de ces formules ().

Le facteur « X » était appelé à être réévalué tous les quatre à cinq ans, selon les
dispositions spécifiques à chaque secteur. Le régulateur peut toutefois décider à tout moment
de modifier les termes d’une licence, y compris le montant du facteur « X », moyennant
l’accord de l’entreprise réglementée. Au cas où la société privée (BT dans ce cas) s’oppose à
cet ajustement, le régulateur peut porter l’affaire devant la « Mergers and Monopolies
Commission » (MMC) et modifier la licence pour autant que la MMC déclare que l’entreprise
réglementée a agit contre l’intérêt public et que le ministre du commerce et de l’industriel ne
s’oppose pas aux modifications proposées ().
On retrouve donc au Royaume – Uni un certain marchandage entre régulateur et
entreprise réglementée qui peut porter tant sur le niveau du facteur X, le degré de concurrence
dans le marché, les conditions d’interconnexion et le renseignements à fournir, que sur la
survie même de l’entreprise en tant que telle, le régulateur pouvant menacer d’introduire un
recours auprès de la MMC demandant que l’entreprise fasse l’objet d’une fragmentation en
plus petites entités. La modification du facteur X par le régulateur rapproche donc cette
formule de la formule du taux de rentabilité, une rentabilité de l’entreprise à un taux jugé
« raisonnable » par le régulateur sur base notamment des rendements obtenus sur les marchés
des capitaux. En effet, dans pratiquement tous les pays, la réalisation de profits
extraordinaires, c’est – à – dire nettement supérieurs aux rendements du marché, par des
entreprises bénéficiant d’un certain degré de monopole n’est en général politiquement pas
78

tenable à long terme, quelles que soient les dispositions contractuelles ou réglementaires
applicables.

Ceci dit, en laissant à l’entreprise le bénéfice de réductions de coûts réalisées entre


chaque ajustement, cette formule fournit de réelles incitations à l’efficience, il faut également
noter que le facteur X n’est pas toujours négatif et pourra par exemple être positif lorsque
d’importants nouveaux investissements sont nécessaires. De manière générale, il importera de
ne pas attribuer un « X » négatif une valeur absolue trop élevée (de sorte à ne pas décourager
les acquéreurs potentiels, ni les investissements que ceux – ci seraient prêts à réaliser, ni
l’entrée de nouveaux concurrents), ni trop basse (de manière à éviter de trop faibles gains de
productivité, des prix consommateurs élevés et une moindre compétitivité de l’économie
nationale).

Le choix du niveau de gains de productivité à réaliser est particulièrement difficile lors


de la première détermination du facteur « X », puisqu’à ce moment là le régulateur (ou
l’autorité politique) ne dispose généralement pas des informations nécessaires pour déterminer
les gains de productivité pouvant être réalisés par la ou les entreprise (s). La meilleure façon
de confisquer les rentes de monopole au moment de la privatisation est probablement d’utiliser
un mécanisme concurrentiel pour la vente de l’entreprise ou de ses actions, laissant ainsi aux
soumissionnaires ou au marché le soin d’évaluer les gains de productivité pouvant être
réalisés. Ce n’est pas la route que choisit le Royaume – Uni. Ainsi, la première tranche de
BT fut vendue en novembre 1984 par une OPV portant sur plus de trois milliards d’actions
(50,2% du capital) au prix fixe de £1,30 par action, la demande des souscripteurs dépassant de
plus de trois fois le nombre d’actions disponibles.

Cette formule des prix plafonnés (« price cap ») n’est donc pas sans failles ou risques.
Tenenbaum, Lock et Barker (1992, pp.27-8) en notent trois, à savoir le risque que le régulateur
ne tente de réduire les tarifs lorsque les sociétés réalisent des profits plus élevés que prévu (ce
qui réduit leur incitation à réduire les coûts), que les entreprises réglementées ne tentent
d’augmenter leurs profits en réduisant la qualité des services fournis et que cette formule ne
fournisse pas les incitations voulues pour encourager de nouveaux investissements. Ces
risques se trouvent amplifiés lorsqu’il s’agit de pays en voie de développement sans réputation
établie en matière d’indépendance des organes de régulation. Dans ces cas, le risque principal
est que l’investisseur ne soit pas prêt à accepter un ajustement du facteur X après quatre ou
79

cinq ans qui pourrait conduire sa société à enregistrer des pertes importantes, ou qu’il ne
consente à investir que moyennant un rendement escompté fort élevé lui permettant de
recouvrer sa mise avant le premier ajustement du facteur X. Tout investissement privé à long
terme dans ces secteurs sera conditionné par l’existence d’un mécanisme d’ajustement des prix
raisonnable et crédible limitant les risques d’une « expropriation administrative ».

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé, il importe de ne pas accorder une trop
grande importance au niveau des prix dans les pays où la priorité est de stimuler
l’investissement et l’extension des réseaux. Dans ces pays, il sera souvent préférable d’avoir
des tarifs élevés permettant à l’entreprise d’autofinancer une bonne patrie de son programme
d’investissement, et des mécanismes contractuels ou réglementaires forçant la ou les entreprise
(s) à réinvestir le « sur tarif » dans le secteur et à satisfaire la demande. De manière générale,
le public préfère un service cher à un service défaillant, inaccessible ou inexistant ().

Section 5. : Résultats positifs de la privatisation

Dans une étude publiée en juin 1994, Messieurs Galal, Jones, Tandon et Vogelsang ont
analysé en profondeur (près de 600 pages) les effets de douze privatisations au Royaume –
Uni, au Chili, au Mexique et en Malaisie. Il s’agit de la privatisation des compagnies
aériennes British Airways, Malaysian Airline Systems, Mexicana de Avciacion et Aeroméxico,
des sociétés de télécommunications British Telecom, Compania de Teléfonos de Cile et
Téléfonos de México, des sociétés électriques Chilgener et Ernestic (Chili), du transporteur
National Freight (Royaume – Uni), du port à conteneurs de Kelang (Malasie) et de Sports
Totot Malaysia (Lotterie).

L’objet de ce livre était de comparer les situations avant et après privatisation en y


ajoutant un modèle hypothétique représentant ce qui se serait probablement passé en l’absence
de privatisation. Les auteurs ont essayé d’isoler les gains et pertes dus à la privatisation des
autres facteurs. Ils ont calculé l’impact sur l’Etat – vendeur, les acquéreurs (nationaux et
étrangers), les travailleurs, les utilisateurs et consommateurs (nationaux et étrangers) et les
concurrents de l’entreprise privatisée. Dans onze des douze cas examinés les effets nets de la
privatisation ont été positifs tant pour l’entreprise que pour l’économie.
80

L’exception était la privatisation de la société aérienne Mexicana, où les effets négatifs


subis par les acheteurs et les utilisateurs se sont révélés supérieurs aux effets positifs dont a
bénéficié le gouvernement, alors que l’impact net global sur les travailleurs était nul. Non
seulement y a-t-il eu dans ce cas un effet net négatif sur l’économie nationale, mais cet effet
négatif est encore plus important lorsqu’on tient compte de l’impact négatif que cette opération
a eu sur les acheteurs et utilisateurs étrangers (non – mexicains)().

Dans tous les autres cas, la privatisation examinée a représenté un bénéfice économique
net, tant pour l’économie nationale du pays concerné que pour l’économie mondiale. Ces
privatisations ont non seulement été bonnes pour l’économie, mais également pour les
travailleurs. L’étude relève que dans aucune de ces douze opérations de privatisations, les
travailleurs ne se sont retrouvés dans leur ensemble dans une situation moins favorable au
terme du processus. Elle souligne également l’impact positif important des mesures de
libération économique qui ont accompagné ces privatisations, et de la mise en place d’un cadre
réglementaire avant ou au moment de la privatisation des sociétés d’infrastructure.

Il n’est toutefois pas possible d’extrapoler à partir de cette étude et d’en conclure que
les privatisations auront toujours un effet positif. La situation des quatre pays concernés (un
pays de l’OCDE et trois pays en développement parmi les plus prospère) peut en effet être fort
différente de la situation de pays pauvres ou en transition.

Dans une autre étude récente, Messieurs Megginson, Nash et Van Randenborgh ont
comparé la performance avant et après privatisation de 61 entreprises privatisées de 18 pays
différents entre 1961 et 1990 par offre publique de vente. Ces auteurs concluent que suite à
leur privatisation ces entreprises ont dans leur ensemble réalisé d’importants gains de
performance (augmentation des ventes, de l’investissement, de la productivité, des profits, des
dividendes, et réduction de l’endettement) tout en augmentant le niveau d’emploi.

Chapitre 5. LE FINANCEMENT EXTERNE DU DEVELOPPEMENT

SECTION 1. : LES INSTITUTIONS FINANCIERES DES NATIONS UNIES


POUR LE DEVELOPPEMENT
81

§.1. Les institutions du système de Bretton WOODS

Il s’agit, on le sait, du Fonds Monétaires International (FMI) et de la Banque


Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), plus couramment
dénommée « Banque Mondiale » aujourd’hui. On doit y ajouter les deux filiales de la Banque,
qui forment avec celle – ci ce que l’on appelle le « groupe de la Banque Mondiale » :
l’Association Internationale de Développement (AID) et la Société Financière Internationale
(SFI). Les quatre organisations ont la qualité d’institutions spécialisées et font partie de la
famille des Nations Unies.

Le Fonds et la Banque ont été créés avant l’émergence des pays en développement sur
la scène internationale et même avant la création de l’ONU. A l’origine, le fonds n’était en
aucune façon une institution de développement. La Banque, elle ne s’est consacrée
exclusivement au développement que lorsque le Plan Marshall a pris en mains la
reconstruction. L’AID et la SFI ont été créées au contraire pour servir le développement du
Tiers Monde, mais cette création, l’atteste leur qualité de « filiales » de la Banque s’est faite
sous l’égide de celle – ci et leur structure comme leur fonctionnement obéissent aux mêmes
règles, à quelques exceptions près en faveur de l’AID. On peut donc les considérer, mutatis
mutandis, comme indirectement issues des principes de Bretton WOODS. De ce fait, quels
que soient leurs mérites et l’importance de leur action, elles sont en butte à des critiques aigues
de la part du Tiers Monde. Du point de vue du droit du développement, ce qui importe n’est
pas de décrire leur physionomie mais de relever les traits particuliers qui donnent prise à ces
critiques et les revendications émises à leur propos par les pays en développement. On pourra
alors comprendre pourquoi les institutions créées plus récemment présentent, sur le plan des
structures des caractéristiques différentes.

1. Structure et règles de fonctionnement du FMI et du Groupe de la


Banque Mondiale

On rappellera pour mémoire que le FMI et les organisations du groupe de la Banque


Mondiale ont une structure tripartie suivant le modèle mis au point par le droit classique des
organisations internationales :
- Un organe intergouvernemental plénier, le conseil des gouverneurs ;
82

- Un organe intergouvernemental restreint, les administrateurs ;


- Un Directeur Général (FMI) ou un Président (Groupe de la Banque Mondiale), assisté
d’un secrétariat.

On sait par ailleurs que les organes de la Banque Mondiale sont en même temps ceux de
l’AID et de la SFI mais que celle – ci possède son propre personnel administratif. Le fonds et
la Banque tiennent tous les ans une réunion commune au cours de laquelle sont discutés leurs
politiques et leurs programmes.

L’important ici est de marquer que le problème institutionnel principal, celui qui suscite
les plus vives critiques de la part des pays en développement, est celui du pouvoir de décision
au sein des organisations en question. L’acuité de ce problème mérite quelques observations.

2. Le pouvoir de décision au sein des organisations du système de Bretton


WOODS

Les quatre institutions du système de Bretton WOODS reposent sur un


principe de base, à savoir que chaque Etat qui devient membre de l’une d’elles doit participer à
la constitution de son capital en versant une souscription (appelée quote – part au FMI).

Ce qu’il importe de souligner, c’est qu’au système des souscriptions ou quotes – parts
est attaché un mécanisme de vote pondéré qui met le contrôle effectif des organisations entre
les mains des grands pays développés à économie de marché, et qui provoque par conséquent
dans le Tiers Monde des sentiments de frustration, de méfiance et d’irritation.

Aux termes des statuts du FMI (art. XII, section 5), de la BIRD (art. V, section 3) de
l’AID (art. Vi, section 3) et de la SFI (art. V, section 3), chaque Etat membre dispose d’un
nombre égal de voix augmenté d’une voix supplémentaire par fraction de sa souscription. Ce
qui donne :
- Au FMI : 250 voix, plus une voix supplémentaire pour chaque fraction de quote – part
équivalent à 100.000 dollars,
- A la BIRD : 250 voix, plus une voix supplémentaire pour chaque action détenue (même
principe à la SFI) ;
83

- A l’AID : 500 voix, plus une voix additionnelle par tranche de 5.000 dollars de la
souscription initiale.

Des systèmes de bonification sont prévus, dont on peut négliger le détail ici.

Le principe d’égalité est en partie respecté par l’attribution d’un nombre


égal de voix, mais l’octroi d’un nombre de voix supplémentaires proportionnel au montant du
capital versé détruit évidemment cette égalité puisque les Etats qui versent les souscriptions les
plus élevées sont ceux qui disposent du plus grand nombre de voix.

Pour ne prendre que l’exemple de la Banque, on relèvera qu’en 1989 les Etats – Unis
disposaient de 16,33 % des voix, le Japon de 9,43 %, la RFA de 7,29 %, le Royaume – Uni de
6,99 % et la France de 4,76%, soit 44,80% du total (contre 42,33% en 1983). Si on y adjoint
les voix de l’Australie, de l’Autriche, de la Belgique, du Canada, du Danemark, de l’Espagne,
de la Finlande, de la Grèce, de l’Irlande, de l’Islande, de l’Italie, du Luxembourg, de la
Norvège, de la Nouvelle – Zélande et de la Suède (ensemble 17,22 %, contre 19,41 % en 1983
moins l’Espagne et le Portugal), on obtient un totale de 62,02 % des voix (contre 61,74 % en
1983). L’ensemble des pays du Tiers Monde membres, augmenté de l’Afrique du Sud,
d’Israël, de la Roumanie, de la Turquie et de la Yougoslavie dispose donc de 37,98% des voix,
dont il faut déduire 0,64% pour la Pologne et 0,83 % pour la Hongrie, soit un reste de 36,51%
(contre 38,25% en 1983). L’apport des principaux pays exportateurs de pétrole est variable :
certains ont vu augmenter leur pourcentage (Arabie Saoudite, Nigeria, Venezuela, Iran, Irak),
pour d’autres il a diminué (Algérie, Koweït). Les chiffres ici parlent d’eux – mêmes, mais
l’appréciation serait plus fine s’il était possible de considérer le pourcentage de chaque pays.
Un seul exemple : de 1983 à 1989, le Japon est passé de 6,58 à 9,43 %).

3. Les critiques des pays en développement

Les pays du Tiers Monde n’ont jamais accepté cette situation de gaîté de cœur. Sans
parler des critiques jadis émises par les pays socialistes, selon lesquelles les institutions de
Bretton WOODS utilisent des méthodes de gestion capitalistes incompatibles avec les leurs –
les pays en développement s’élèvent contre le vote pondéré tel qu’il est conçu dans ces
organisations. Ils n’acceptent pas les arguments des pays développés à économie de marché,
84

qui estiment que le nombre de voix doit correspondre aux responsabilités effectivement
assurées par les Etats. Au fil des ans, les pays en développement n’ont cessé de demander une
participation accrue au processus de décision dans les institutions en question. Cette
revendication a été présentée en termes modérés dès la 1 ère CNUCED. La Conférence
« recommande aux institutions financières et monétaires internationales qu’en poursuivant une
politique visant à la plus grande efficacité possible, elles continuent à rechercher le moyen
d’accroître la participation des ressortissants des pays en développement à l’élaboration de leur
politique, en employant des experts qualifiés aux postes supérieurs ».

C’est à partir de la crise monétaire de 1971 que l’accent est mis sur la participation des
Etats eux – mêmes au processus. La résolution 2806 (XXVI) de l’Assemblée générale en date
du 14 décembre 1971 et à sa suite la résolution 84 (III) de la CNUCED en date du 21 mai 1972
demandent, la première une pleine participation, la seconde une participation effective de tous
les pays intéressés à la réforme du système monétaire international. La résolution 3203 (S-
VI), portant programme d’action international, se fait plus insistante : elle demande une
participation « pleine et effective des pays en voie de développement à tous les stades de la
prise des décisions devant conduire à l’élaboration d’un système monétaire équitable et
durable »… et une participation « adéquate » de ces pays « à tous les organes chargés d’opérer
cette réforme ». Pour la B.I.R.D et l’A.I.D, le même texte demande « une participation plus
effective des pays en voie de développement, qu’ils soient bénéficiaires ou contribuant, … par
l’institution d’une structure de vote plus équitable » (que la résolution ne définit pas
davantage).

La formulation la plus large et la plus complète se trouve dans l’article 10 de la Charte


des droits et devoirs économiques des Etats, qui se réfère explicitement à l’égalité et à
l’équité : «  Tous les Etats sont juridiquement égaux, et, en tant que membres égaux de la
communauté internationale, ont le droit de participer pleinement et effectivement à l’adoption,
au niveau international, de décisions visant à résoudre les problèmes économiques, financiers
et monétaires mondiaux, notamment par l’intermédiaire des organisations internationales
appropriées conformément à leurs règlements présents et à venir, et d’avoir part, de manière
équitable, aux avantages qui en découlent ».

A l’heure actuelle, ces revendications, quoique toujours présentes dans l’esprit des pays
en développement, ont perdu de leur actualité. Les difficultés dans lesquelles se trouvent ces
85

pays, et en particulier la crise de la dette et la nécessité de l’ajustement structurel ont provoqué


un recours accru à l’aide du FMI et la Banque Mondiale.

4. Premiers correctifs

Quelques initiatives ont été prises sur le plan institutionnel pour améliorer le système,
mais elles n’ont qu’un caractère mineur. On se doit cependant de les signaler :
1. Lorsqu’il fut question de mettre à l’étude la réforme du système monétaire
internationale, le conseil des gouverneurs du FMI créa, par la décision 27-10 du 26
juillet 1972, un comité ad hoc chargé de donner des avis sur tous les aspects de la
réforme (« comité de vingt »). Mais entre temps, le groupe des 77 avait institué de son
côté, dès le début de l’année, un « Groupe ministériel des 24 » chargé de suivre les
questions monétaires internationales et de faire en sorte que les intérêts des pays en
développement soient pris en considération lors de la réforme. Les communiqués
publiés par le Groupe à chacune de ses réunions sont d’une grande utilité si l’on veut se
faire une idée de la position des pays en développement sur la reforme du système
monétaire international.
2. En septembre 1974, ont été créés de nouveaux organes : le comité intérimaire, composé
comme le comité des vingt dont il a pris la relève, et chargé comme lui de conseiller le
conseil des gouverneurs du FMI sur tout ce qui touche à la surveillance et à la gestion
du système monétaire transitoire mis en place à partir de 1971 (décision n° 4231 –
(74/67) du 13 juin 1974, entérinée par le Conseil des gouverneurs à l’Assemblée
annuelle de la même année) ; et surtout le « comité ministériel conjoint des conseils des
gouverneurs de la Banque et du Fonds sur le transfert de ressources réelles aux pays en
développement », plus connu sous le nom de « comité du développement » institué sur
des bases identiques et chargé de présenter aux conseils des gouverneurs de la Banque
et du Fonds des suggestions pour améliorer la situation des pays en développement,
notamment dans le système monétaire international. Il était prévu que ce comité
accorderait une attention particulière aux problèmes des pays les moins avancés et des
pays les plus gravement touchés.

C’est au sein du comité des vingt, puis du comité intérimaire, qu’a tenté de
s’élaborer – très lentement et sans grand succès – la réforme du système monétaire
international. Toutefois, ni l’un ni l’autre de ces organes n’a été habilité à prendre des
86

décisions. Ils se bornent à formuler des avis qu’ils transmettent au conseil des gouverneurs.
C’est celui – ci qui doit prendre les décisions concernant la réforme, avec ratification
éventuelle par les pays membres, selon ce qui est prévu dans les accords de Bretton WOODS.

Il ne s’agissait cependant en tout cela que de palliatifs, qui laissait intactes les
structures en place. Aussi, lorsque le Tiers Monde l’a pu, il a contribué à faire créer, dans le
cadre des Nations Unies, des institutions financières nouvelles, correspondant mieux à ses
propres conceptions.

§.2. Les institutions récentes

Les deux grandes institutions financières créées après 1974 au sein de la famille des
Nations Unies laissent apparaître d’intéressants changements. En effet, à la différence des
organisations que l’on vient d’étudier, le processus de décision est placé en grande partie sous
le contrôle de pays en développement.

1. Le fonds international de développement agricole

Le FIDA a été créé par un Accord ouvert à la signature le 20 décembre 1976 après
avoir été élaboré au mois de juin précédent par une conférence des Nations Unies. Il est entré
en vigueur le 30 novembre 1977. Le 15 décembre suivant, par la résolution 32/107,
l’Assemblée générale a approuvé l’accord entre l’ONU et le fonds, faisant de celui – ci une
institution spécialisée des Nations Unies.

Pour ce qui est des aspects institutionnels du fonds, et particulièrement pour ce qui a
trait au vote pondéré, il convient de remarquer que le FIDA est la première institution
financière des Nations Unies, dans laquelle les pays en développement ont une influence
prépondérante. L’accord de 1976 combine en effet le principe du classement des Etats en
catégories et le principe du vote pondéré.

a. Les Etats – membres sont classés en trois catégories : pays industrialisés de l’OCDE,
pays de l’OPEP pays en développement non exportateurs de pétrole. Les deux
premières catégories représentent les Etats fournisseurs de l’aide financière au titre du
FIDA, la troisième regroupe les pays qui seront en fait les bénéficiaires de cette aide.
87

Pour les membres non originaires, le classement est décidé par le conseil des
gouverneurs sous réserve de l’agrément de ces Etats. Sur ce point, l’originalité du
FIDA tient à ce que les pays exportateurs de pétrole ne sont plus classés dans le même
groupe que les autres pays en développement. Ils ont ainsi fait reconnaître leur
pouvoir.
b. Le deuxième élément d’originalité du FIDA tient à la manière dont la pondération y a
été conçue. A vrai dire, il n’existe pas de pondération entre les groupes mais seulement
à l’intérieur des catégories I et II. Les (1.800 voix, réparties également entre les
catégories) au conseil des gouverneurs et au conseil d’administration. Cette égalité
apparente donne cependant l’avantage aux pays du tiers monde dans les deux organes,
puisqu’en se regroupant, les catégories II et III (soit 1.200 voix) disposent de la
majorité requise par les statuts. Toutefois, par l’effet d’un subtil balancement – qui
bénéficie en fait aux pays exportateurs de pétrole – les catégories I et II, regroupant les
fournisseurs essentiels de capitaux, peuvent s’allier face à la catégorie III.

La pondération n’existe pas à l’intérieur de la catégorie III où prévaut le


principe « un Etat, une voix ». Par contre, au sein de chacune des catégories I et II, on
retrouve des techniques de pondération analogues à celles qui se rencontrent dans les autres
institutions financières des Nations Unies :
- D’une part, on a réparti de manière égalitaire un certain nombre de voix. Au conseil
des gouverneurs, 17,5 % des voix de la catégorie I et 25 % des voix de la catégorie II
sont répartis également entre les membres, tandis qu’au conseil d’administration
chaque administrateur dispose d’un nombre de voix égal à celui attribué aux
gouverneurs qui l’ont élu.
- D’autre part, au conseil des gouverneurs, les 82,5 % restant des voix de la catégorie I et
les 75 % restant des voix de la catégorie II sont répartis à proportion des contributions
respectives.
Le Tiers Monde trouve à la fois une satisfaction de principe et une garantie
dans ces dispositions. Cependant, comme le souhaitaient les pays développés afin d’éviter les
heurts entre catégories, les règlements intérieurs du conseil des gouverneurs et du conseil
d’administration prévoient qu’un consensus doit toujours être recherché de préférence au vote.

Section 2. : L’AIDE DU SYSTEME DES NATIONS UNIES


88

1. Préambule : Aide monétaire et aide financière

Les institutions compétentes du système des Nations Unies peuvent apporter aux pays
en développement soit une aide monétaire soit une aide financière. L’aide monétaire ne doit
pas être confondue avec l’aide financière stricto sensu. Elle se distingue de celle – ci :
- Par son objet : alors que l’aide financière a essentiellement pour but de fournir aux
pays demandeurs des capitaux pour l’investissement, c’est – à – dire pour l’équipement
et la production, l’aide monétaire vise à leur procurer les ressources, principalement en
devises ou en avoirs de réserve, qui leur sont nécessaires pour effectuer leurs paiements
internationaux, particulièrement en cas de déficit de leur balance des paiements. Elle
est donc surtout liée à l’échange.
- Par sa durée : l’aide financière est de part sa nature même une aide à moyen ou à long
terme, alors que l’aide monétaire est en principe une aide à court terme, encore que
s’agissant des pays en développement, la ligne de démarcation entre aide à court terme
et l’aide à moyen terme tendre, comme on le verra, à perdre de sa netteté devant des
besoins de plus en plus pressants.

Dans le schéma originel, l’aide monétaire relève du Fonds Monétaire International (FMI),
tandis que l’aide proprement financière provient à titre principal du groupe de la Banque
Mondiale (BIRD, AID, SFI) et accessoirement de divers fonds qui se sont créés par la suite.
On étudiera donc successivement :
- L’intervention du Fonds Monétaire International,
- L’aide du groupe de la Banque Mondiale,
- L’aide du Fonds International de Développement Agricole,
- Les fonds spéciaux des Nations Unies.

Section 1. L’INTERVENTION DU FONDS MONETAIRE INTERNATIONAL

1. Evolution du FMI

Au terme de ses statuts, le FMI a été créé pour remplir deux grandes
mission :
89

- Favoriser la coopération monétaire entre ses membres en vue de la création et du


maintien d’un système monétaire stable et apte à favoriser l’accroissement du
commerce international,
- Aider les Etats à réduire les déséquilibres temporaires de leur balance des paiements en
leur fournissant une aide monétaire conditionnelle et même temporaire.

Au cours d’une histoire fertile en rebondissements, la mission du FMI a connu


des transformations considérables. Certaines ne concernent qu’indirectement les pays en
développement. Dans d’autres cas, les pays du Tiers Monde ont joué un rôle important dans
l’évolution du Fonds. Pour bien comprendre le sens de cette évolution, il est nécessaire de se
rappeler que le FMI n’est pas en soi une institution d’aide au développement. Il a été conçu au
départ pour œuvrer en faveur de tout Etat membre qui désire avoir recours à ses services.
Pendant longtemps, du reste, l’essentiel de ses opérations s’est effectué à l’égard de pays
développés. Cependant, à partir du moment où un nombre grandissant de pays en
développement en sont devenus membres, il a été amené à prendre en considération leurs
besoins spécifiques et toujours grandissants. Il a dû par conséquent évoluer dans le double
sens de l’adaptation de ses techniques ordinaires et de la création de mécanismes nouveaux.
Cette évolution s’est fortement accentuée à partir de la crise monétaire ouverte par les
décisions du Président Nixon du 15 août 1971 et de la crise pétrolière et économique qui a
commencé en 1973 – 1974. Si ces crises n’ont pas entraîné la transformation du FMI en une
institution s’occupant exclusivement d’aide au développement, elles ont eu pour conséquence
une modification profonde de sa mission originelle. Selon le vœu des pays en développement,
le FMI a tendu à devenir la principale institution chargée de remédier à leurs difficultés
structurelles de balance des paiements en même temps qu’important pourvoyeur de capitaux à
moyen terme, ce qui lui a donné une physionomie que ne laissaient prévoir ni ses statuts ni son
évolution initiale.

De plus, alors que la règle de base du FMI est que celui – ci doit traiter uniformément
tous ses membres tout en prenant en considération la situation propre de chaque pays, les Etats
du Tiers Monde ont fait tous les efforts possibles pour introduire en droit ou en fait la dualité
des normes dans l’action du Fonds.

Tout en utilisant comme les pays développés les mécanismes ordinaires du fonds, ils
sont les bénéficiaires principaux et parfois exclusifs de certains mécanismes spéciaux.
90

2. Les pays en développement et les mécanismes ordinaires du FMI

2.1. Physionomie générale du fonds rappel

L’action du FMI en tant qu’institution d’aide monétaire consiste en ce que chaque


membre peut effectuer des tirages sur le fonds en fonction de la quote – part qui lui est
attribuée. Un tirage s’analyse en un achat par un pays membre d’une certaine quantité de
devises détenues par le fonds. Cet achat est effectué dans la monnaie du pays acheteur. A
l’issue d’une période donnée – variable selon les types de tirage – le pays en question doit
racheter sa propre monnaie en fournissant au fonds une quantité de devises équivalente.

Les opérations et transactions du fonds s’effectuent par l’intermédiaire d’un compte


général. Toutefois, à la suite d’un premier amendement aux statuts du FMI, intervenu en 1969
et entré en vigueur en 1970, le fonds est désormais autorisé, en vue de compléter les
instruments de réserve existants lorsque le besoin s’en fait sentir, à allouer des droits de tirage
spéciaux (DTS) aux membres qui participent, dans des conditions définies, au compte de tirage
spécial.

Selon le cas, les tirages peuvent s’effectuer de manière inconditionnelle ou au contraire


être assortis d’une certaine conditionnalité.

2.2. Le système des tranches

Le système des tranches constitue la procédure ordinaire de tirage. Les pays en


développement membres du fonds ont évidemment le droit, comme tous les autres membres,
de recourir à cette procédure qui, en soi, ne relève pas du droit du développement car elle ne
comporte aucun élément de faveur. On doit cependant la mentionner ici dans la mesure où ces
pays l’utilisent couramment.

2.3. La tranche de réserve


91

Lorsque le montant des avions du fonds en la monnaie d’un pays membre est inférieur
à la quote – part de ce pays, la différence entre ces deux montants est appelée tranche de
réserve. Un pays membre peut choisir soit d’utiliser soit de conserver sa position dans la
tranche de réserve. Les achats dans la tranche de réserve ne peuvent être effectués que s’il y a
un « besoin de balance des paiements ». Mais ils ne peuvent pas faire l’objet d’une
contestation a priori et ils ne sont soumis ni à des conditions de politique économique ni à
l’obligation de rachat. Il s’agit donc de droits de tirage inconditionnels.

2.4. Les tranches de crédit et la conditionnalité

En dehors de la tranche de réserve il existe quatre tranches de crédit qui représentent


chacune 25 % de la quote – part du pays membre. Dans le passé, le montant total des achats
dans les tranches de crédit ne pouvait pas dépasser 100 % de la quote – part. ce montant en
effet portait les avoirs du fonds en la monnaie de ce pays membre à 200 % de la quote – part.
Mais la situation a évolué : les difficultés de balance des paiements auxquelles se heurtent
actuellement les pays membres et spécialement les pays en développement ont amené et
spécialement les pays en développement ont amené les autorités du FMI a reconnaître un
caractère structurel et profond à ces déséquilibres. Aussi le fonds accepte – t – il maintenant
que les programmes qui lui sont présentés portent sur des périodes d’ajustement plus longues
et il a pris des dispositions en vue d’un accès élargi à ses ressources, comme on le verra plus
loin.

En présence de tirages sur les tranches de crédit, le fonds – qui examine toutes les
demandes sauf celles qui se rapportent à la tranche de réserve – se reconnaît le droit de vérifier
si l’utilisation proposée est conforme aux dispositions des statuts et aux politiques qu’il a
arrêtées. Conformément aux principes qui régissent l’accès aux tranches de crédit, le pays
membre examine avec les services du fonds un programme d’ajustement définissant les
orientations en matière de budget, de monnaie, de taux de change, de commerce et de
paiements qui couvre ordinairement les douze moins suivants, mais qui peut être prolongée
jusqu’à un maximum de trois ans dans le cas où la situation exige que l’effort d’ajustement se
poursuive sur une période plus longue. Ce programme fait l’objet d’une lettre d’intention
présentée par l’Etat au FMI.
92

Cet aspect de la politique du fonds est désigné par le terme de conditionnalité. Il faut
cependant distinguer ici entre les achats dans la première tranche de crédit et les achats dans
les tranches supérieures.
1. Lorsqu’il présente une demande d’achat dans la première tranche de crédit, le pays
membre doit prouver qu’il fait des « efforts raisonnables » pour surmonter ses
difficultés. En pratique, si l’appréciation du fonds diffère sur ce point de celle du
pays membre, ce dernier se voit souvent accorder le bénéfice du doute. Les
demandes d’utilisation de la première tranche de crédit peuvent revêtir la forme
d’un achat direct ou d’un accord de confirmation (accord stand by) : il s’agit, dans
ce cas, de l’ouverture d’une ligne de crédit dans le cadre de laquelle les tirages sont
effectués en principe sur une période d’un an qui peut toutefois être portée à un
maximum de trois ans. C’est généralement la technique de l’accord de
confirmation qu’utilisent les pays en développement.
2. Les demandes d’achat dans les tranches supérieures doivent être étayées par de
« solides justifications » et sont presque toujours formulées dans le cadre d’un
accord de confirmation ou d’un accord similaire. Naturellement, la conditionnalité
est ici plus rigoureuse : le droit d’un pays membre d’effectuer des tirages dépend
toujours de certains indicateurs – clés décrits dans le programme d’ajustement ou
d’un réexamen éventuel de la situation. Ces indicateurs, appelés aussi critères de
réalisation, portent sur la politique en matière de crédit et de restrictions aux
échanges et aux paiements. Ils peuvent également refléter les besoins de
financement de l’Etat, l’évolution de la dette extérieure à court et à moyen terme et
la position des réserves. Les critères de réalisation permettent tant au pays membre
qu’au fonds d’évaluer les progrès accomplis dans l’application des politiques
pendant la durée de l’accord. Le non – respect des critères indique qu’il est
nécessaire d’examiner l’opportunité de nouvelles mesures permettant d’atteindre
les objectifs du programme. Dans ce cas, le pays membre a des consultations avec
le fonds afin de convenir avec ce dernier des changements requis. Le fonds insiste
pour que les mesures correctives soient prises sans tarder. Il estime en effet que si
les déséquilibres économiques et financiers se généralisent et prennent un caractère
durable, il sera obligé lui – même de prendre des mesures plus radicales pour les
corriger. Or ces mesures sont beaucoup plus difficiles à appliquer et entraînent
souvent des réactions violentes de la part des populations qui en supportent le
poids.
93

3. Les mécanismes spéciaux

3.1. Création et classification

Au fur et à mesure qu’un nombre croissant de pays en développement


devenaient membres du FMI (en 1989 le fonds comptait 152 membres), il est apparu que les
procédures habituelles qui avaient cours au sein de cette organisation étaient insuffisantes et
inadaptées pour faire face aux besoins spécifiques de ce pays. Aussi, pour leur venir en aide
dans son champ de compétence, le fonds a – t – il imaginé un certain nombre de mécanismes
nouveaux que l’on désigne par le terme générique de « facilités ». C’est dire que ces
mécanismes intéressent particulièrement les pays en développement.

Ils présentent deux caractéristiques communes :


- Ils ne se substituent pas aux mécanismes ordinaires mais s’y ajoutent ;
- Ils sont mis en œuvre à des conditions souvent moins strictes que les tirages ordinaires.
On pourrait, par ailleurs, les classer selon deux critères :
- La durée d’application : les uns n’ont ou n’ont eu qu’un caractère temporaire et
conjoncturel, les autres revêtent un caractère permanent qui leur confère une portée
structurelle ;
- La date de création : il faut distinguer ici entre la période antérieure à la crise de 1973
et la période postérieure.

Avant 1973, il n’existait au sein du FMI que deux mécanismes spéciaux


intéressant les pays membres en développement : la facilité de financement compensatoire des
fluctuations des exportations, et la facilité de financement des stocks régulateurs. Ces deux
mécanismes avaient pour objet de parer, autant que faire se pouvait et compte tenu des limites
des ressources mises à ce titre à la disposition du fonds, aux aléas du commerce des produits
de base, dont on connaît inconvénients pour les pays en développement. Mais bien qu’établis
en tant que mécanismes permanents, ils n’avaient qu’une faible portée.

Au contraire, la situation née de la crise de 1973 et notamment la revendication par les


pays en développement d’un nouvel ordre économique international a fait apparaître des
nécessités nouvelles, non seulement sur le plan de l’aide conjoncturelle, mais aussi sur celui
94

d’une aide aux aménagements structurels. D’où l’apparition de nouvelles facilités : le


mécanismes pétrolier et le compte de subvention, la facilité élargie d’aide à moyen terme, le
fonds fiduciaire, la facilité de financement supplémentaire, la politique d’accès élargi aux
ressources du fonds.

Toutefois, ces classifications ne sont pas déterminées et ne peuvent pas être utilisées de
manière rigide. Ces mécanismes, en effet, ont été incontestablement conçus de manière
empirique. Seul l’ordre chronologique dans lequel ils ont été créés permet de se faire une idée
de l’évolution des doctrines et des politiques du FMI en la matière. On verra ainsi comment
une aide à caractère structurel est venue s’ajouter à l’aide purement conjoncturelle, qui n’a pas
pour autant disparu.

3.2. Le mécanisme de financement compensatoire et son évolution

Cette facilité a été créée par la décision n° 1477 (63/8) des Administrateurs en date du
27 février 1963. Elle a été libéralisée depuis lors à plusieurs reprises (décisions n° 2192
(66/81) du 20 septembre 1966, 4912 (75/207) du 24 décembre 1975 et 6224 (79/135) du 02
août 1979).

Les textes ne spécifient pas que ces mécanismes est destiné aux seuls pays en
développement. Mais il est évident que ce sont ces pays qui en sont les bénéficiaires
quasiment exclusifs. En effet, il s’adresse aux pays membres qui se heurtent à des difficultés
de paiement résultant de déficits temporaires de leurs recettes d’exportation dus, pour une
large part, à des circonstances indépendantes de leur volonté, telles l’enchérissement des prix
de certains produits de base ou la survenance de catastrophes naturelles, notamment de
mauvaises conditions climatiques.

Le système ne se donne pas pour but d’agir sur les cours eux – mêmes, mais seulement
de compenser temporairement les pertes de recettes résultant de fluctuations dont on sait
qu’elles sont erratiques et qu’elles représentent une menace permanente pour l’économie des
pays qui en sont victimes.
95

La facilité du FMI prévoit d’une part une augmentation des quotas en faveur des pays
intéressés – ce qui leur permet d’effectuer des tirages plus importants -, d’autre part un
assouplissement des conditions de l’accès aux ressources du fonds.

L’existence et le montant du déficit d’exportation sont calculés d’après une période de


référence (la dernière période de 12 mois précédant la demande de tirage pour laquelle le fonds
dispose de données statistiques suffisantes). Le rachat doit être effectué dans les quatre années
qui suivent. Il restaure pour l’Etat en question la faculté d’effectuer de nouveaux tirages.

La décision de 1963 prévoyait que le total des tirages à recouvrer ne devait pas
dépasser 25 % de la quote – part du demandeur. Ce plafond a été porté à 50 % en 1966, 75 %
en 1975 et 100 % en 1979. En outre, dès l’origine, le fonds a admis qu’il pouvait accorder des
dérogations au « butoir » fixant à 200 % du quota les montants des avoirs qu’il peut détenir
dans la monnaie d’un de ses membres.

Les décisions de 1975 et 1979ont également libéralisé de façon profonde le monde de


calcul des moins – valeurs des recettes d’exportation : non seulement les limites sont
assouplies, mais encore il est permis, pour calculer le déficit, d’ajouter aux recettes
d’exportation proprement dites les recettes provenant des envois de fonds des travailleurs à
l’étranger.

La libéralisation du système de financement compensatoire a eu pour effet d’entraîner


un accroissement marqué des recours à ce mécanisme et de lui faire perdre en partie son
caractère marginal. Ces recours ne cessent d’augmenter, tant en valeur absolue que par rapport
à l’utilisation totale des crédits du fonds.

Plus récemment, le fonds à créé, le 23 août 1988, la facilité de financement


compensatoire et de financement pour imprévus (FFCI). Cette facilité se substitue au
mécanisme antérieur mais elle en conserve les caractéristiques essentielles. L’élément
nouveau est un mécanisme de financement pour imprévus, dont peuvent bénéficier les pays
membres qui ont entrepris de mettre en œuvre un programme d’ajustement appuyé par le
fonds. Cette facilité met les pays membres concernés à l’abri des effets perturbateurs que
pourraient avoir sur la balance de leurs paiements courants des variations notables des recettes
d’exportation et des prix à l’importation, une chute brutale des envois de fonds des travailleurs
96

à l’étranger et des recettes provenant du tourisme, ou encore une hausse inattendue des taux
d’intérêt sur les marchés internationaux.

Il convient de signaler que le 12 mai 1981 le conseil d’administration, par décision n°


6860 (81/81), a établi, parallèlement au mécanisme de financement compensatoire déjà
existant, une facilité spéciale de financement compensatoire des fluctuations du coût des
importations de céréales. Pour calculer l’excédent du coût desdites importations pour une
année donnée leur coût moyen pour les cinq années centrées sur l’année en question. La limite
pour les tirages effectués à ce titre est égale à 100 % de la quote – part. Il existe toutefois une
limite globale de 125 % pour l’ensemble des tirages effectués dans le cadre du financement
compensatoire. La facilité céréalière a été prévue pour une période initiale de quatre ans à
compter du 13 mai 1981.

3.3. Le mécanisme de financement des stocks régulateurs

Il a été créé par la décision n° 2772 (69 – 67) du 25 juin 1969. Il s’agit là d’un
mécanisme destiné à aider certains pays à financer la constitution de stocks internationaux de
matières première afin d’en stabiliser les cours dans le cadre d’accords sur les produits de
base.

Le système de financement des stocks régulateurs consiste lui aussi en un


assouplissement des conditions d’accès aux ressources du fonds. Les Etats pourront effectuer
des tirages atteignant 50 % de leur quote – part, sans limite durant toute période de douze
mois. Ici aussi, le fonds peut accorder des dérogations en ce qui concerne la limite maximum
de 200 % des quotas. Mais il assortit son aide de conditions économiques et juridiques
diverses concernant la gestion des accords sur les produits de base.

Le fonds a jusqu’à présent autorisé les pays membres à utiliser ses ressources pour la
constitution de stocks régulateurs de cacao, d’étain, de sucre et de caoutchouc.

3.4. Le mécanisme pétrolier et le compte de subvention


97

Par la décision n° 4241 (74/67) du 13 juin 1974, les Administrateurs ont créé une
facilité spéciale de crédit afin d’aider les membres au cours d’une période s’achevant fin
décembre 1975 à faire face à l’incidence initiale de l’enchérissement des importations de
produits pétroliers. Cette facilité a été désignée par l’expression de « mécanisme pétrolier ».

Il avait été décidé qu’elle serait financée, du moins au cours d’une période initiale,
grâce aux emprunts du fonds auprès des pays producteurs de pétrole (« recyclage » des
pétrodollars).

Le mécanisme pétrolier n’avait pas été conçu seulement pour les pays en
développement. Il était ouvert à tout membre du fonds ayant besoin d’une assistance du fait de
la situation dans laquelle l’enchérissement des produits pétroliers mettait sa balance des
paiements.

Le pays intéressé devait présenter une demande d’achat de dollars. Le fonds pouvait y
donner suite après avoir examiné chaque demande. Les ressources fournies au titre de ce
mécanisme devaient être remboursées dès que les difficultés de balance des paiements ayant
motivé l’achat auraient cessé ou, en tout cas, en 16 paiements trimestriels égaux devant être
achevés au plus tard sept ans après l’achat.

Le mécanisme pétrolier a été prorogé en 1975 par une décision du comité intérimaire.
Le nouveau système différait à plusieurs égards du mécanisme de 1974 et il avait notamment
un caractère plus conditionnel. Une nouvelle révision du mécanisme a été effective en février
1976 et celui – ci a cessé de fonctionner en mai de la même année. A cette date, 55 pays
l’avaient utilisé, dont 45 pays en développement (37 % du total des achats). Parmi ceux – ci,
les principaux acheteurs ont été l’Inde, la Corée, le Chili et le Pakistan. Les principaux
acheteurs développés ont été l’Italie et la Grande – Bretagne.

Le 1er août 1975, par décision n° 4773 (75/136), les administrateurs ont créé un compte
de subvention pour aider les membres du fonds les plus gravement touchés à faire face aux
charges de l’utilisation du mécanisme pétrolier. Il s’agissait de réduire la charge des intérêts
payables au titre de ce mécanisme.
98

Les pays recevables à bénéficier de l’aide du compte de subvention étaient les 39 pays
figurant sur la liste des pays les plus gravement touchés établie par le Secrétaire général des
Nations Unies.

Le compte était alimenté par des contributions demandées aux pays ne figurant pas sur
la liste, notamment les pays industrialisés et les pays exportateurs de pétrole.

L’objectif du compte de subvention était de réduire d’environ 5 % par an le taux


effectif de l’intérêt annuel appliqué aux tirages au titre du mécanisme pétrolier 1975, ce qui
donnait un élément de subvention de 28 %.

Les achats au titre du mécanisme pétrolier 1975 devant être remboursés sept ans plus
tard à compter de la date à laquelle ils avaient été effectués, il était prévu que les paiements des
subventions seraient effectués chaque année pendant une période allant de 1976 à la fin de
1983.
3.5. La facilité élargie d’aide à moyen terme

Elle a été créée par décision n°4377 (74/114) des Administrateurs en date du 13
septembre 1974 et modifiée par des décision du 03 décembre 1979 et du 22 avril 1981. Elle
fait depuis lors l’objet de réexamens périodiques en vue d’en faire un instrument plus efficace
à la fois pour appuyer les efforts déployés dans le cadre de vastes programmes à moyen terme
d’ajustement macro – économique et de réformes structurelles, et pour catalyser les
financements en provenance d’autres sources.
Cette facilité permet au FMI de fournir dans certaines circonstances aux membres dont
la balance des paiements est déficitaire une aide portant sur une période plus longue et
représentant un pourcentage de leur quote – part plus élevé que l’aide qu’il apporte dans le
cadre des dispositions relatives aux tranches de crédit. Il s’agit d’une aide à moyen terme.

L’aide consentie au titre de cette facilité s’adresse aux pays dont l’économie souffre de
graves déséquilibres des paiements liés à la structure défectueuse de la production et du
commerce ou dont l’économie est caractérisée par une croissance lente et une balance des
paiements intrinsèquement faible, ce qui les empêche de poursuivre une politique active de
développement.
99

Le membre qui recourt à cette aide doit être prêt à mettre en œuvre un programme
complet de mesures correctives portant sur une période de deux à trois ans. Le fonds a le droit
de s’assurer que le pays demandeur ne peut résoudre ses problèmes de balance des paiements
dans les délais ordinaires d’utilisation des ressources du FMI. Il contrôle aussi le programme
de redressement de ce pays pendant toute la durée du recours à la facilité élargie.

Il a été jugé bon que la durée des accords élargis actuellement en vigueur, initialement
fixée à trois ans, puisse être portée à quatre ans lorsque cela faciliterait le déploiement soutenu
des politiques et le rétablissement d’une balance des paiements viables à moyen terme.

Les montants fournis par le fonds devront être rachetés par le membre dès qu’il aura
surmonté ses difficultés de balance des paiements.

3.6. Le fonds fiduciaire

Par la décision n°5069 (76/72) du 05 mai 1976, les Administrateurs avaient adopté un
« instrument portant création du fonds fiduciaire » administré par le fonds en tant que
mandataire et ayant pour objectif d’accorder une aide supplémentaire en matière de balance
des paiements à des conditions favorables aux Etats membres admis à bénéficier de son aide.
Le mécanismes a été réexaminé ou modifié à maintes reprises par des décisions des 28 octobre
1977, 23 mars, 25 juin et 4 décembre 1978, 23 juillet et 19 décembre 1979, 09 avril et 25 juin
1980 prévoyait que la fin des opérations du fonds fiduciaire aurait lieu à la plus éloignée des
dates suivantes : soit le 30 avril 1981, soit à la date où les prêts du fonds auront été
intégralement versés. A cette date, le reliquat a été transféré au compte spécial de versements
du FMI.

Il avait été prévu que l’essentiel des ressources du fonds fiduciaire proviendrait des
ventes de l’or détenu par le FMI.

3.7. La politique d’accès élargi aux ressources du fonds


100

En 1977, les administrateurs avaient créé une facilité de financement supplémentaire


destinée aux Etats – membres risquant de graves déséquilibres de paiement par rapport à leur
quote – part. La couverture de ce mécanisme était assurée par des prêts consentis au FMI par
des pays ou institutions de pays – membres. Prévoyant que les ressources du mécanisme de
financement supplémentaire serait bientôt intégralement engagées, les Administrateurs ont
adopté, le 11 mars 1981, la décision n° 6783 (81/40) définissant une « politique d’accès
élargi » à ses ressources jusqu’à l’entrée en vigueur de la huitième révision générale des quotes
– parts. Les objectifs sont toujours les mêmes : aider les pays membres qui ont besoin de
ressources dont les montant sont plus élevés et les périodes plus longues que ne le permettent
les tranches ordinaires de crédit.

La décision devait prendre effet lorsque le fonds aurait engagé la totalité des ressources
disponibles au titre du mécanisme de financement supplémentaire et de nouveaux accords
d’emprunt : elle est entrée en vigueur le 07 mai 1981, lorsque a été signé le nouvel accord
d’emprunt avec l’Agence monétaire de l’Arabie Saoudite.

Les conditions sont analogues à celles du mécanisme de financement supplémentaire.


L’accès aux autres ressources du FMI demeure possible mais le fonds n’approuve d’accords
dans le cadre de cette politique que dans la mesure du financement disponible. Les achats sont
financés sur ressources ordinaires et sur ressources empruntées dans des proportions
spécifiées.

Il a été prévue que le Directeur serait autorisé à remplacer, avant le 22 février 1984,
des ressources au titre de l’accès élargi par des ressources du mécanisme de financement
supplémentaire si celles – ci deviennent disponibles.
Les Administrateurs ont établi les directives régissant l’utilisation des ressources du
fonds dans le cadre de la Politique d’accès élargi. Ces directives prévoient que les pays
membres faisant de vigoureux efforts d’ajustement pourront utiliser les ressources du FMI
jusqu’à concurrence de l’équivalent de 150 % de leur quote – part par an et de 45 % en trois
ans. Le recours cumulatif des pays membres à la liquidité conditionnelle du fons, après
déduction des rachats prévus, peut atteindre 600 % de la quote – part, indépendamment de
l’utilisation des mécanismes de financement compensatoire et de financement des stocks
régulateurs ou des achats effectués dans le cadre du mécanisme pétrolier et non encore
remboursés.
101

Les directives régissant l’accès aux ressources du fonds pourront être appliquées avec
souplesse. Ainsi, comme le soulignent les rapports du FMI, un pays membre pourra procéder
dans certains cas à des rachats pour des montants dépassant les limites normales, par exemple
si sa quote – part est exceptionnellement faible par rapport à son importance économique ou
s’il entreprend d’appliquer un programme d’ajustement exceptionnellement rigoureux.

3.8. Les facilités d’ajustement structurel

Depuis quelques années le fonds accorde une attention toute spéciale aux problèmes
posés par l’ajustement structurel dans les pays en développement. Dans cette perspective il a
créé deux facilités.

La facilité d’ajustement structurel (FAS) a été établie le 26 mars 1986 en vue de fournir
une aide concessionnaire aux pays membres à faible revenu qui se heurtent à de graves
problèmes à faible revenu qui se heurtent à de graves problèmes de balance des paiements et
qui doivent entreprendre la réalisation de programmes d’ajustement structurel. Elle est
alimentée par le produit du remboursement des prêts au fonds fiduciaire. Ces ressources sont
prêtées à un taux d’intérêt de 0,5 % et sont remboursables sur une période de dix ans avec un
différé d’amortissement de cinq ans et demi.

Une facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR) a été créée le 18 décembre 1987
en vue de fournir un surcroît d’assistance aux mêmes pays. Elle est alimentée en partie par des
ressources provenant de la FAS mais en partie par des ressources provenant de la FAS mais
surtout par des contributions spéciales sous forme de prêts et de dons. L’échéance des prêts et
le taux d’intérêt sont les mêmes que pour la FAS, mais les possibilités d’accès à cette facilité
sont beaucoup plus larges.

§. 2. L’aide du groupe de la banque mondiale

Présentation

Les trois institutions qui composent le groupe de la Banque Mondiale (BIRD,


102

AID, SFI) ont pour fonction unique d’aider au développement du Tiers Monde en lui
fournissant des capitaux pour l’investissement. Mais dans ce cadre général, elles ont chacune
une mission et des attributions différentes. La BIRD peut être considérée en quelque sorte
comme le fournisseur ordinaire, ou encore comme l’organisme de financement à compétence
générale. L’AID et la SFI au contraire, sont des institutions à vocation spéciale. La première a
pour objectif de fournir une aide aux pays en développement les plus graves (que l’on doit pas
confondre avec les PMA) et à des conditions qui doivent peser moins lourdement sur leur
balance des paiements que les prêts de la BIRD. La SFI, quant à elle, s’intéresse avant tout à
des projets hautement rentables dans les pays en développement et elle encourage
l’investissement dans de tels projets soit en fournissant elle – même des capitaux, notamment
sous la forme de prise de participation, soit en mobilisant des fonds privés de participation : on
l’a présentée comme un « catalyseur » des investissements privés.

C’est dans ce cadre que sera étudiée l’aide de chacune des trois institutions. On
examinera pour cela les procédés et procédures selon lesquels elles conduisent leurs
opérations. Ce faisant, on devra garder à l’esprit une observation fondamentale, à savoir
qu’elles agissent à la fois comme des banques en utilisant des techniques inspirées de la
société commerciale, et comme des services publics internationaux en ayant recours par
conséquent à celles que mettent en œuvre ordinairement les organisations internationales.
Cette synthèse entre deux vocations différentes fait l’originalité des trois institutions. Elles
créent aussi une ambiguïté qu’on ne s’est pas fait faute de leur reprocher.

1. L’aide de la BIRD

1.1. Caractères généraux


103

1°. La reconstruction n’étant plus qu’un anachronisme depuis le Plan Marshall, la


BIRD se consacre exclusivement au développement depuis 1974.

Aux termes des statuts, sa contribution au développement consiste essentiellement à


encourager les investissements de capitaux à des fins productives et à faciliter les
investissements privés à l’étranger. Ses interventions n’ont donc, en principe, qu’un caractère
supplétif.

L’action de la Banque peut prendre deux formes :


- Elle aide les Etats principalement par la voie de prêts à long terme pour
l’investissement. Elle peut consentir ces prêts sur ses fonds propres ou sur ceux qu’elle
emprunte. Ces prêts sont presque exclusivement réservés, depuis les années 50, aux
pays en développement. Cette pratique a été renforcée et formalisée par la politique
dite de « reclassement », qui consiste à fixer une limite de PNB par habitant, au – delà
de laquelle un pays ne peut plus normalement prétendre à un prêt de la banque.
- Elle a la possibilité statutaire d’accorder sa garantie à de prêts consentis par des
investisseurs privés aux Etats membres ou à des entités qui en relèvent. Mais en
pratique, elle n’a pas usé de cette faculté.

La banque ne prend pas de participations dans le capital des entreprises.


Elle se différencie en cela de la SFI. Il convient en outre de signaler que la Banque n’a cessé
de développer des opérations de cofinancement avec toutes sortes d’organismes financiers
publics et privés.

2°. Bien que ses statuts prévoient qu’elle doit aider les pays les plus démunis, en
pratique ce soin revient à l’AID et la banque s’est consacrée surtout aux pays à revenu
intermédiaire.

3°. En ce qui concerne les priorités sectorielles et géographiques, les premiers


financements de la Banque, dès 1948, ont visé surtout l’infrastructure. A ces premières
priorités, quantitatives, s’est ajoutée, dans les années 70, une volonté de lutter contre la
pauvreté, ainsi qu’en témoigne le célèbre discours prononcé par son président R. Mac
NAMARA, devant la IIIème CNUCED en 1972. Par la suite, ont été dégagées des priorités
sectorielles, d’abord en direction du secteur agricole, puis du secteur énergétique. De plus, la
104

banque s’est donnée aussi une priorité géographique, celle d’aider l’Afrique subsaharienne,
pour laquelle elle a mis sur pied un programme spécial.

1.2. Typologie des opérations financées

Les opérations financées par la Banque, directement ou par l’intermédiaire de l’AID,


peuvent être classées en cinq catégories.

1°. Il existe d’abord des prêts pour des investissements spécifiques. l’objectifs de ces
prêts est de créer de nouveaux actifs productifs, des infrastructures économiques et sociales, de
leur redonner leur pleine capacité, ou d’assurer leur maintenance.
2°. Par ailleurs, diverses opérations sectorielles sont prévues. Il s’agit des prêts
sectoriels d’investissement et de maintenance, des prêts à des intermédiaires financiers et des
prêts d’ajustement sectoriel.
3°. Les prêts d’ajustement structurel tiennent une place de plus en plus grande dans les
opérations de la Banque. Dans la perspective de celle – ci, il s’agit de soutenir, par une série
de prêts, des modifications spécifiques de politique économique et de réformes
institutionnelles, en vue d’une meilleure utilisation des ressources et pour obtenir une balance
des paiements plus équilibrée à moyen et à long terme, tout en poursuivant la croissance.
4°. De façon plus classique, sont établis des prêts d’assistance technique.
5°. Enfin la Banque peut octroyer des prêts de reconstruction d’urgence.

1.3. Bénéficiaires des prêts

Seuls les Etats membres peuvent bénéficier des ressources et services de la banque. Ce
principe est entendu d’une manière large :
- D’une part l’action de la Banque s’étend non seulement au territoire métropolitain mais
aussi aux territoires dépendants s’il y a lieu,
- D’autre part la banque peut prêter non seulement à l’Etat lui – même mais à une
collectivité publique ou à une entreprise privée établie sur le territoire. Dans ce dernier
cas, la garantie du gouvernement est exigée.

1.4. Conditions d’ordre économique concernant les prêts


105

On en relève trois :
a. La banque n’accorde son concours qu’à des activités productives. Ce
principe a une double signification :
- La BIRD ne doit financer que des investissements rentables, c’est – à – dire conduisant
à une augmentation du PNB par tête. La banque est seule juge de la rentabilité de
l’investissement, d’où l’ambiguïté signalée plus haut lorsqu’elle n’estime pas rentable
économiquement, selon ses critères qui sont ceux de l’économie capitaliste, un projet
ou un programme sur lequel le gouvernement demandeur a une opinion opposée, soit
pour des raisons économiques soit du point de vue politique ou social (par exemple
lorsque le gouvernement agit dans une optique socialiste).
- La Banque peut financer d’autres activités que les investissements, pourvu qu’il
s’agisse d’activités productives. Ce peut être le cas d’activités de pré investissement
ou de formation de cadres

b. L’aide de la Banque peut aller soit à des projets, soit à des programmes. A
l’origine, l’aide de la Banque devait être limitée à des projets déterminés. Par la
suite il a été admis que la Banque pouvait accorder une aide à des programmes,
mais 90 % au moins des financements doivent aller à des projets et 10 % au plus à
des programmes. En outre, depuis quelques années, la Banque pratique des prêts à
l’ajustement structurel, c’est – à – dire des prêts visant à soutenir la réforme en
profondeur des politiques et des institutions des pays en développement pour leur
permettre de restaurer la viabilité de leurs balances des paiements à moyen terme.
Mais qu’ils ‘agisse de projets ou de programmes, ils doivent être prioritaires dans le
pays bénéficiaire.
c. La banque doit agir dans le souci de sauvegarder les intérêts de tous ses membres.
Pour cela :
- Ses statuts lui recommandent d’agir « avec prudence », et en particulier de tenir
dûment compte des répercussions économiques des investissements au financement
desquels elle participe. C’est pourquoi elle tient à connaître l’économie des Etats
membres appelés à bénéficier de son aide et à suivre leur progrès. Aussi examine – t –
elle en un processus continu, avec le concours de missions envoyées sur place, leurs
plans de développement et leurs problèmes concrets ;
- Elle doit s’assurer soigneusement de la solvabilité de l’Etat emprunteur. Institution
permanente conçue pour fonctionner selon des principes commerciaux et à l’aide de
106

fonds empruntés sur le marché, elle vérifie que les emprunteurs sont raisonnablement
susceptibles de rembourser les prêts qui leur sont consentis.

1.5. Conditions financières des prêts

a. Les prêts ayant un caractère supplétif, la banque doit circonscrire son assistance aux
cas où le capital privé n’est pas disponible à des conditions raisonnables.
b. Jusqu’en 1982, les prêts de la banque étaient assortis d’un taux d’intérêt fixe (11,6
%). Depuis juillet 1982, tous les encours de prêts accordés sont assujettis à un taux
d’intérêt qui varie tous les six mois en fonction du coût pondéré des emprunts de la
banque pendant les douze mois qui ont précédé cette période.
c. La banque finance essentiellement les dépenses en devises et rarement les dépenses
locales, bien qu’elle le fasse dans certains cas. Elle doit en principe fournir à
l’emprunteur les monnaies dont il a besoin pour se procurer auprès des autres Etats
membres des biens et services requis pour la réalisation du projet en cause.
d. La durée des prêts est de 15 à 20 ans, avec un délai de grâce de 4 à 5 ans. La
banque distingue à cet effet trois groupes de pays selon le niveau de leur revenu par
tête, afin de déterminer les conditions de ses prêts.
e. L’encours des prêts (et garanties) ne doit jamais dépasser 100 % du capital souscrit
et des réserves non engagées.

1.6. Prêts de la Banque et politique

Statutairement, l’action de la banque doit avoir un caractère rigoureusement


apolitique. Ses décisions ne doivent s’inspirer que de considérations économiques impartiales.
Elle ne doit ni se laisser influencer par l’orientation politique de l’Etat qui sollicite son
assistance, ni intervenir dans la vie politique des pays membres. En pratique, cependant, des
ambiguïtés ont pu apparaître, parce qu’il est difficile de dissocier motivations économiques et
motivations politiques dans l’action de la banque et parce que, dominée par les Etats – Unis,
celle – ci a pu donner l’impression qu’elle agissait dans un sens correspondant aux intérêts
américains (affaire du barrage d’Assouan, affaire chilienne). Un exemple typique de cette
ambiguïté est apparu dans les années 1965 – 1968, lorsque la banque, invoquant son
autonomie pour passer outre à des injonctions de l’Assemblée générale des Nations Unies a
107

apporté son assistance à l’Afrique du Sud sur la base de considérations en principe


exclusivement économiques.

1.7. Cofinancement avec des capitaux privés

La banque mondiale encourage depuis l’origine les cofinancements avec des


investisseurs privés. Jusqu’aux années soixante, ces financements ont été souvent liés à des
émissions publiques de pays emprunteurs et ses prêts ont parfois été coordonnés avec des
placements privés d’investisseurs institutionnels. Depuis 1975, la banque poursuit un
programme précis visant à faire participer le secteur privé à ses opérations dans le cadre
d’accords officiels.

Les modalités juridiques de ces opérations de cofinancement sont les suivantes : la


Banque mondiale et les banques commerciales signent des accords distincts avec l’emprunteur.
Divers liens sont prévus entre les prêts en question.

La technique utilisée par la Banque mondiale pour monter une opération de


cofinancement allié la souplesse à une relative simplicité. La Banque est attentive aux
possibilités de cofinancements avec le secteur privé et encourage les emprunteurs à envisager
cette solution lorsque cela est possible. Bien souvent, c’est la banque qui indique à ses
emprunteurs les banques commerciales susceptibles de s’intéresser à un cofinancement. En
dernier ressort toutefois, c’est l’emprunteur qui choisit l’institution privée avec laquelle il
négocie les modalités pour sa part se réserve le droit de formuler des observations sur cet
accord de prêt mais n’est pas partie à sa négociation effective.

L’expansion du volume des prêts consentis par les Banques commerciales aux pays du
Tiers Monde a, pendant la décennie 1970, modifié de façon spectaculaire l’offre de capitaux
pour le développement. Mais, s’il est vrai que les opérations de cofinancement de la banque
mondiale avec des sources privées se sont multipliées et diversifiées au cours des années
récentes, leur nombre et leur volume restent relativement peu importants lorsqu’on les
compare au montant global des prêts accordés par les banques privées aux pays en
développement.

2. L’Aide de l’AID
108

2.1. Ressources de l’AID

Les ressources financières de l’AID proviennent essentiellement des souscriptions et de


contributions supplémentaires des Etats membres. Elles comprennent aussi les dons consentis
par la banque à partir de ses propres bénéfices, les bénéfices tirés de placements qu’elle peut
faire et de la rotation de ses ressources. Il suffit ici de parler des deux premières catégories,
qui seules présentent de l’importance.

2.2. Les souscriptions des Etats membres

Leurs statuts de l’AID prévoyaient que les Etats – membres de la Banque au 31


décembre 1959 étaient appelés à être membres originaires et, en tant que tels, auraient à verser
des souscriptions dont le total devait s’élever à un milliard de dollars, répartis entre les
souscripteurs au prorara de leur participation au capital social de la Banque. La même formule
a été appliquée aux Etats qui ont adhéré par la suite de l’AID.

En vertu des statuts, les membres de l’AID sont répartis en deux groupes : le groupe dit
de la « Première Partie » qui comprend actuellement les pays industrialisés occidentaux, plus
l’Afrique du Sud, le Koweït et les Emirats arabes Unis, et le groupe dit de la « Deuxième
Partie », qu comprend les pays en développement. Ces deux groupes acquittent leurs
souscriptions selon des modalités différentes. Les premiers doivent verser la leur en monnaie
convertible, librement utilisable par l’AID, tandis que 10 % seulement de la souscription des
seconds sont payables en monnaie convertible, le reste étant acquitté en monnaie nationale et
ne pouvant être utilisé par l’AID qu’avec le consentement du pays intéressé.

Les statuts ne prévoient pas un montant maximum des ressources totales analogues au
capital autorisé de la banque. En cas d’admission d’un nouvel Etat, il suffit que le conseil des
gouverneurs en fixe les conditions.

2.3. Apports supplémentaires fournis par les Etats membres

L’AID dispose de deux moyens statutaires pour accroître les ressources fournies par les
Etats membres :
109

1°. Elle peut procéder par voie d’augmentation générale ou individuelle des
souscriptions. C’est ce que l’on appelle les souscriptions additionnelles. Les statuts
prévoyaient que lorsqu’elle le jugera opportun – en principe à des intervalles d’environ cinq
ans. – L’AID doit faire le point de ses ressources et, si elle le juge souhaitable, autoriser une
majoration générale des souscriptions, ainsi que des majorations particulières mais dans ce cas
à la demande seulement des Etats intéressés. Chaque membre a le droit de participer à toute
majoration, en versant une somme qui lui permette de conserver sa part relative des droits de
vote.

2°. Les statuts prévoyaient aussi que tout membre peut mettre à la disposition de
l’Association, par le moyen d’un accord particulier, des fonds que le texte nomme « ressources
supplémentaires ». L’Etat membre qui apporte de telles ressources peut le faire en sa propre
monnaie ou en la monnaie d’un autre membre. Ces ressources peuvent rester distinctes de
celle – ci. Les utilisations font l’objet d’un accord entre elle et l’Etat qui les fournit. C’est
essentiellement par cette voie que se fait la reconstitution des ressources de l’AID. Cette
reconstitution est extrêmement importante, car les crédits de l’AID sont, avec l’aide bilatérale,
la seule source effective d’apport de capitaux pour les pays les plus pauvres.

2.4. Objectifs de l’AID

Aux termes des statuts, les objectifs de l’AID sont « d’élever les niveaux d’existence
dans les régions les moins avancées du monde » en fournissant des moyens financiers » à des
conditions plus souples et plus légères pour la balance des paiements que celles de prêts
consentis selon des formules classiques ». L’action de l’AID doit aider celle de la Banque « en
complétant ses activités ».

Cette première disposition appelle deux remarques :


a. Les « régions les moins avancées du monde » indiquées par les statuts, ne s’identifient
pas aux « pays les moins avancés » figurant sur la liste officielle des Nations Unies.
L’AID n’est pas tenue de limiter son aide à ces pays. Elle peut l’accorder à tout pays
accepté par ses instances de décision. Dans la pratique, elle retient les critères
suivants :
110

- Revenu par habitant. En 1979 – 1980, elle n’a aidé que les pays où le PNB par
habitant était inférieur à 625 dollars en dollars de 1978 et 87 % de cette aide est allée
à des pays ou le PNB était inférieur à 360 dollars par habitant.
- Solvabilité de l’emprunteur,
- Bonne gestion économique.
Toutefois, les crédits de l’AID ne sont pas réservés aux seuls pays qui ont
épuisé leur capacité d’emprunter à des conditions classiques. Elle peut aussi aider des
Etats qui sont solvables aux yeux de la banque, mais qui ont besoin, pour arriver à un
taux d’investissement satisfaisant, d’emprunter des capitaux si importants que le
service de leur dette atteindrait rapidement un point critique. En de tels cas, on
envisage des financements mixtes BIRD / AID ou d’autres formules de
cofinancement.

b. Bien que les statuts ne le précisent pas, la pratique de l’AID révèle qu’elle souhaite
financer des projets productifs pouvant atteindre assez rapidement une rentabilité
minimum de 10 % environ : l’AID souhaite justifier de cette manière les appels
réguliers à la reconstitution des fonds.

2.5. Conditions de financements de l’AID

Ces conditions sont les suivantes :


- L’AID accorde surtout ses crédits pour des projets et exceptionnellement pour des
programmes.
- Elle ne retient pas de priorité absolue. Elle étudie les priorités pays par pays mais
considère en général l’agriculture comme une priorité importante.
- Les aides ne sont en principe accordées qu’à des gouvernements. Toutefois,
statutairement, l’AID peut aussi prêter à des organismes privés.
- Les crédits de l’AID sont consentis en général pour une durée de 50 ans avec un délai
de grâce de 10 ans. Bien que statutairement l’AID puisse prélever un intérêt (à
condition qu’il reste inférieur aux taux du marché), elle prête sans intérêt et ne
demande qu’une commission de 0,75 % par an pour frais de gestion. C’est là l’élément
le plus original de son action. Le remboursement du principal se fait à raison de 1 %
par an de la dixième à la vingtième année et de 3 % par an pendant les trente années
suivantes.
111

- Les crédits sont accordés en dollars ou autres devises convertibles. L’Etat doit opérer
ses remboursements dans les devises prêtées car l’AID ne prend pas de risques de
change. Les dépenses locales sont normalement financées par l’emprunteur, en totalité
ou en partie.

3. L’aide de la SFI

3.1. Opérations de la SFI

D’une certaine manière, la SFI joue le rôle d’une banque d’affaires


internationale. Elle est le seul organisme international habilité à investir des fonds d’origine
publique dans des entreprises privées, tout en favorisant l’investissement de capitaux privés,
nationaux et étrangers, dans telles entreprises.

Dans l’exercice de ses activités, elle est notamment amenée à :


- Effectuer des investissements directs dans des entreprises privées de caractère
productif,
- Contribuer à la création, au financement et à l’amélioration des sociétés financières de
développement et autres institutions qui elles – mêmes participent au développement
du secteur privé,
- Encourager la croissance des marchés financiers dans les pays en développement,
- Susciter, dans les pays exportateurs de capitaux, l’intérêt des investisseurs pour des
placements dans des entreprises établies dans les pays en développement,
- Conseiller ces pays sur les mesures propres à créer un climat favorable à l’expansion
des investissements privés.

3.2. Caractéristiques de l’action de la SFI

L’action de la SFI se caractérise avant tout par sa souplesse. Celle – ci est


allé croissant au fur et à mesure que les demandes d’investissements s’amplifiaient et se
diversifiaient. Les statuts de la société ont d’ailleurs été modifiés en 1961 et 1965, justement
pour lui permettre d’effectuer ses interventions avec une souplesse plus grande.
a. A l’origine, les investissements que la société était habilitée à réaliser pouvaient
seulement prendre la forme de prêts consentis aux entreprises privées des pays en
112

développement. L’élément de souplesse par rapport à la banque venait de ce que la


Société pouvait prêter aux entreprises privées sans la garantie du gouvernement du
pays où était installée l’entreprise, alors que la banque, on le sait, exige une telle
garantie.
b. En 1961, par une importante modification de ses statuts, la SFI a été autorisée à
aller plus loin et à prendre des participations dans le capital des entreprises ce que
la banque ne peut faire. A l’heure actuelle, l’investissement – type de la SFI
consiste en une prise de participations assortie d’un prêt à long terme. La
possibilité de prendre des participations a permis de simplifier la forme des
investissements de la SFI, de faciliter les négociations et de trouver plus facilement
des investisseurs désireux de participer à des opérations ou d’acquérir des titres de
son portefeuille. La SFI a été en outre autorisée à garantir les émissions d’actions
de sociétés nouvelles ou en voie d’expansion. Elle a obtenu également la
possibilité de participer en tant qu’actionnaire aux sociétés financières de
développement locales. Elle ne se contente pas fournir elle – même un apport au
capital social de ces sociétés, mais elle les aide à obtenir la participation
d’investisseurs privés étrangers.

3.3. Entreprises susceptibles de bénéficier de l’aide de la SFI

La SFI peut investir dans toute entreprise privée qui répond aux critères
qu’elle a définis. Elle ne peut accorder une aide à un gouvernement ou à une entité
gouvernementale. Par contre, elle considère comme privées les entreprises dans lesquelles
l’Etat a une participation, mais à condition qu’elles soient dotées d’une gestion de type privé.
Elle peut aussi intervenir auprès des sociétés d’économie mixte. Son intervention est décidée
cas par cas en fonction de facteurs tels que le degré de participation et l’étendue du contrôle de
l’Etat, la nature de l’entreprise, l’efficacité de sa gestion et les possibilités d’accroissement
futur de la participation du capital privé dans l’entreprise. Le niveau minimum de
participation privée pour permettre une intervention de la SFI est de l’ordre de 20 %.

Le rôle de la société, on l’a dit, est de contribuer au financement de projets privés


productifs. Elle fait donc des investissements surtout dans les industries de transformation.
Mais elle intervient aussi dans des secteurs tels que le tourisme, les services publics, les
113

industries extractives et l’agro – industrie. Par contre, elle ne finance pas les projets
d’infrastructure ou les projets productifs du secteur gouvernemental.

3.4. Critères et limites des investissements de la SFI

Toute entreprise dans laquelle la SFI se propose d’investir doit offrir de sérieuses
perspectives de rentabilité et contribuer à l’essor économique du pays intéressé.

Mais, en raison de sa vocation même, la société n’investit jamais seule dans une
entreprise. Sa contribution sert seulement d’appoint aux capitaux privés qu’elle chercher à
mobiliser. Elle ne se substitue pas à eux. Elle s’abstient même d’apporter son concours
financier s’il lui semble que l’entreprise peut attirer sans conditions raisonnables. Le cas
échéant, elle peut prendre part à des opérations de garantie d’émissions ou à tout autre type de
financement permettant aux investisseurs locaux de prendre une participation dans l’affaire à
plus ou moins longue échéance. Elle attache une grande importance à une telle participation.
Mais il a été entendu que pour éviter une mainmise de la SFI sur l’entreprise, elle ne doit
prendre aucune participation majoritaire. Elle ne peut non plus participer à la gestion. Elle
n’est pas représentée au conseil d’administration.

3.5. Conditions de financement

La souplesse inhérente à l’action de la SFI apparaît notamment en ce qui concerne les


conditions de son concours financier.

Celui – ci peut prendre la forme, soit d’une prise de participation, soit d’un prêt à long
terme, soit d’une prise de participation assortie d’un prêt à long terme. Dans certains cas, elle
consent un prêt à long terme convertible.

Les prêts de la SFI sont consentis pour une durée de 7 à 12 ans, avec un délai de grâce
pouvant aller jusqu’à 3 ans. Le taux d’intérêt est fonction du coût des emprunts contractés par
114

la SFI auprès de la banque. Le remboursement du capital se fait par semestres égaux. Les
intérêts sont payables trimestriellement.

Les prêts se font ordinairement en dollars, exceptionnellement en d’autres devises. Le


remboursement a lieu dans les devises prêtées.

Le type d’investissement et le dosage entre capitaux d’emprunt et fonds propres ainsi


que les modalités d’investissement varient d’un projet à l’autre en fonction des circonstances,
des risques et des perspectives de rendement. La SFI est l’une des rares organisations
internationales à pouvoir offrir aussi bien des capitaux à risques que des prêts à long terme
sans garantie du gouvernement. Elle a fait remarquer elle – même que sa souplesse lui
permettait « d’offrir une enveloppe financière unique en son genre, à la mesure des besoins
spécifiques de chaque projet et de l’aptitude de chaque entreprise à se procurer des fonds
auprès d’autres sources ».

§.3. L’Aide du Fonds International de Développement Agricole (FIDA)

On a vu plus haut que l’originalité du FIDA venait de ce que sa création répondait à


certains des objectifs du nouvel ordre économique international (). Ses promoteurs, en effet,
se sont penchés avant tout sur le problème crucial de la pauvreté agricole et ont voulu en
même temps que la lutte contre cette pauvreté soit financée dans des proportions équitables par
tous les pays intéressés, pays riches comme pays pauvres, les « nouveaux riches » que
constituent les pays exportateurs de pétrole formant, on s’en souvient, une catégorie
juridiquement distincte.

1. Ressources du FIDA

1.1. Composition

Les ressources du FIDA proviennent des contributions des membres et d’abord des
Etats des catégories I et II, c’est – à – dire des pays industrialisés et des pays exportateurs de
pétrole. L’accord constitutif prévoit également la possibilité de recourir à « d’autres sources »,
mais il ne précise pas lesquelles.
115

1.2. Les contributions des Etats membres

Chaque membre de la catégorie I et II contribue, et tout membre de la


catégorie III peut contribuer aux ressources du fonds. Ces contributions se répartissent en deux
catégories : les contributions initiales et les contributions supplémentaires.

La contribution initiale de chaque membre est exigible et payable soit sous la forme
d’un versement unique, soit en trois annuités égales, au choix du membre. Les contributions
sont versées en monnaies librement convertibles, mais les membres de la catégorie III peuvent
verser les leurs dans leurs propres monnaies, qu’elle soit ou non convertible. L’unité de
compte pour évaluer les monnaies, et donc les versements effectifs des membres, est le DTS.

Afin d’assurer la continuité des opérations du fonds, le conseil des gouverneurs


détermine périodiquement aux intervalles qu’il juge appropriés, si les ressources dont le fonds
dispose sont suffisantes, et il le fait pour la première fois trois ans au plus tard après le début
des opérations du fonds. S’il le juge nécessaire ou souhaitable, le conseil peut alors, par
décision prise à la majorité des deux tiers du nombre total des voix, inviter les membres à
verser au fonds des contributions supplémentaires.

1.3. Les contributions spéciales

Les ressources du fonds peuvent être accrues par des contributions spéciales d’Etats
non
membres ou des « autres sources » dont parle l’accord. On pense surtout à des contributions
provenant du PNUD ou des institutions financières universelles ou régionales.

2. Opérations du FIDA

2.1. Idée générale

Comme le PNUD, auquel il s’apparente sur ce point, le FIDA n’exerce lui – même
aucune activité opérationnelle. Il se borne à financer des projets et programmes dont
l’appréciation relève des institutions internationales compétentes qui existent déjà. C’est
également à ces institutions qu’il confie l’administration des fonds qu’il débourse et la
116

surveillance de l’exécution du projet ou programme convenu. Ces institutions à caractère


mondial ou régional sont sélectionnées dans chaque cas avec l’accord du bénéficiaire.

2.2. Modalités de l’aide

Le fonds n’accorde de moyens financiers qu’aux Etats membres en développement ou


à des organisations intergouvernementales aux travaux desquelles ces membres participent.
En cas de prêt à une organisation intergouvernementale, le fonds peut requérir une garantie
gouvernementale ou d’autres formes de garantie.

Il assure que les sommes qu’il prête sont utilisées conformément aux fins pour
lesquelles le financement a été accordé, compte dûment tenu des considérations d’économie,
d’efficacité et de justice sociale.

Le fonds fixe des priorités pour l’affectation de ses ressources. Ces priorités ont été
définies de la manière suivante :
- Accroître la production alimentaire et améliorer le niveau nutritionnel des populations
les plus pauvres dans les plus pauvres des pays à déficit alimentaire,
- Accroître la production alimentaire dans d’autres pays en développement, en
s’attachant ici encore à l’amélioration du niveau nutritionnel et des conditions de vie
des populations de ces pays.

Dans le cadre de ces priorités, l’octroi de l’aide est fonction de critères


économiques et sociaux objectifs. Une place particulière doit être faite aux besoins des pays à
faible revenu et il doit être dûment tenu compte d’une répartition géographique équitable des
ressources du fonds.

Le fonds accorde des moyens financiers sous forme de dons et de prêts, suivant des
modalités et à des conditions appropriées eu égard à la situation et aux perspectives
économiques du monde ainsi qu’à la nature et aux exigences de l’activité envisagée.

C’est le conseil des gouverneurs qui fixe de temps à autre les politiques générales, les
critères et les règlements régissant les prêts. Les projets et programmes à financer sont soumis
117

au conseil d’administration pour examen et approbation. Mais à vrai dire le conseil


d’administration ne procède pas toujours lui – même à l’examen des projets et programmes.
Il peut le faire effectuer par d’autres organismes compétents spécialisés, qu’il choisit après
consultation du bénéficiaire et qui, dans leur mission d’examen, relèvent directement du fonds.

L’octroi du prêt ou du don se fait par voie d’accord conclue pour chaque prêt entre le
fonds et le bénéficiaire.

§. 4. Les fonds spéciaux des Nations Unies

1. Présentation

Toute une série de fonds spéciaux ont été créés par les Nations Unies pour faire face à
des activités bien déterminées. Ces fonds sont administrés et gérés par le PNUD dans la
mesure où leur étude n’appelle pas d’observations particulières, il suffit de présenter ici les
plus importantes d’entre eux :

1°. Le fonds d’équipement des Nations Unies (FENU) créé par la résolution 2186
(XXI) du 13 décembre 1966, il fournit une aide à l’équipement à des conditions libérales aux
pays en développement, et particulièrement aux pays les moins avancés. Il peut également
faire des dons à ces derniers. Les dépenses d’administration sont imputées sur le budget
ordinaire de l’ONU, les dépenses opérationnelles sont couvertes par des contributions
volontaires. Il est administré, sous l’égide du PNUD, par un secrétaire exécutif. Le FENU a
longtemps piétiné faute de ressources.

2°. Le fonds des Nations Unies pour les Activités en matière de Population (FNUAP).
Il a été créé en 1967 par le secrétaire général, comme suite à la résolution 2211 (XXI) du 17
décembre 1966, dans laquelle l’Assemblée Générale se préoccupait des conséquences de
l’accroissement démographique pour le développement. C’était à l’origine un fonds
d’affectation spéciale du secrétariat, mais la résolution 3019 (XXVII) du 18 décembre 1972 l’a
placé sous l’autorité de l’Assemblée générale et a décidé qu’il serait administré par le Conseil
d’administration du PNUD. Il est financé par des contributions volontaires des gouvernements
et par des contributions privées. Son rôle essentiel est de favoriser l’établissement de
118

programmes démographiques. Au début, son programme d’assistance visait surtout à


rassembler des renseignements démographiques, qui faisaient cruellement défaut aux
nouveaux Etats. Aujourd’hui il s’occupe beaucoup de planification familiale.

3°. Les fonds autorenouvellable pour l’exploration des ressources naturelles. Il a été
créé par la résolution 3167 (XXVIII) du 17 décembre 1973. C’est un fonds d’affectation
spéciale commis à la garde du secrétaire général et administré en son nom par l’Administrateur
du PNUD. Sa principale caractéristique est qu’il s’agit d’un fonds de roulement alimentée par
des contributions volontaires des gouvernements et par des sommes provenant de la
production des ressources découvertes ou mises en valeur grâce à son assistance. Dans son
action il doit respecter le principe de la souveraineté sur les ressources naturelles.

2. Le fonds spécial des Nations Unies pour les pays sans littoral

Il a été créé par les résolutions 3504 (XXX) du 15 décembre 1975 et 31/177 du 21
décembre 1976. Il fournit des ressources et une assistance aux pays enclavés afin de les aider
à compenser les dépenses supplémentaires de transport et de transit. Il est alimenté par des
contributions volontaires versées en espèce ou en nature. Il est habilité à accorder des
subventions et des prêts, y compris des prêts à des conditions de faveur ainsi qu’à participer, le
cas échéant, à des investissements et à allouer une assistance en nature. Il est administré, sous
le contrôle du conseil économique et social et de l’Assemblée générale, par un conseil des
gouverneurs de 36 membres et un Directeur exécutif.

3. Le fonds intérimaire des Nations Unies

Pour la science et la technique au service du développement. Il a été créé par la


résolution 34/128 du 19 décembre 1979, entérinant le programme d’action de Vienne. Il
fournit une assistance technique et financière à des gouvernements et à des organisations en
vue de renforcer les capacités scientifiques et techniques endogènes des pays en
développement et de promouvoir le renforcement de la coopération internationale dans le
domaine de la science et de la technique. Ses ressources se compensent de contributions
volontaires des gouvernements mais il est aussi habilité à recevoir des contributions
d’organisations internationales et de sources privées. Il est administré par l’Administrateur du
119

PNUD conformément aux principes directeurs fixés par l’Assemblée générale et par le comité
intergouvernemental de la science et de la technique au service du développement.

Le PNUD administre également à titre provisoire les activités opérationnelles du


système de financement pour la science et la technique au service du développement qui ont
démarré très rapidement et de façon encourageante. Ce système, établi par la résolution
36/183 du 17 décembre 1981, est entré en vigueur le 1er janvier 1982. Il doit servir
d’instrument pour mobiliser, coordonner, acheminer et débourser les ressources financières
dont il disposera. Il est organisé sur une base volontaire et universelle. Tous les pays membres
doivent en principe y contribuer dans la mesure de leurs moyens et participer collectivement à
sa direction. Par la résolution 37/244 du 21 décembre 1982, l’Assemblée générale a décidé
qu’il serait doté de ressources de base et de ressources complémentaires. Les ressources de
base et de ressources complémentaires peuvent être de divers types : cofinancements,
contributions multi ou bi – latérales, partage des coûts, co-entreprises, participation au capital,
fonds d’affectation spéciale, etc. Le système doit assurer un équilibre raisonnable entre ces
deux types de ressources et atteindre un objectif global de 600 millions de dollars au minimum
pour 1983 -1985, dont 300 millions pour les ressources de base.

Section 3. L’AIDE DES ORGANISATIONS REGIONALES

1. Panorama général

Dans le cadre régional, l’aide financière multilatérale prend des formes variées et sans
rapport direct les unes avec les autres. Dans certains cas, cette aide est le fait d’une
organisation internationale regroupant des pays développés et décidant d’inclure l’aide au
développement parmi des activités multiples. Ainsi, en est – il de l’aide dispensée par la CEE.
Son importance et son originalité méritent qu’on lui accorde une attention particulière. Dans
d’autres cas, l’aide est organisée par les pays en développement eux – mêmes, avec ou sans le
concours des pays développés. Sur ce plan , on citera en premier lieu les banques régionales et
sous – régionales de développement, où la primauté des pays de la région ou de la sous –
région est évidente, mais qui font appel au concours des pays riches, donc toujours à la
coopération Nord – Sud, mais dans un cadre peut – être plus adapté aux besoins des pays
riches, donc toujours à la coopération Nord – Sud, mais dans un cadre peut – être plus adapté
aux besoins des pays en développement. En second lieu, on notera, à partir des
120

bouleversements de 1974 et de la modification des rapports de force qu’ils ont entraînée,


l’apparition d’organismes nouveaux, sinon par l’originalité de leurs techniques d’action, du
moins par la qualité des acteurs en cause : il s’agit en effet d’institutions créées dans le cadre
de la coopération Sud – Sud, tels que les banques arabes ou islamiques et le fonds de
l’OPEP pour le développement international.

§. 1. L’AIDE FINANCIERE DE LA CEE

1. Evolution

L’aide financière de la CEE a une longue histoire et s’inscrit dans une tradition
continue. Elle remonte en effet à la création même de la communauté puisqu’elle apparaît déjà
dans la convention d’application annexée au Traité de Rome et relative à l’association des pays
et territoires d’outre-mer. Elle a subi ensuite toute une évolution caractérisée d’une part par le
maintien des principes fondamentaux sur lesquels elle a été édifiée à l’origine, d’autre part et
en même temps par la novation qu’elle a connue du fait de l’accession à l’indépendance des
pays associés au Marché Commun, et ultérieurement de l’élargissement de la communauté
ainsi que de l’extension géographique de sa politique d’aide.

La branche maîtresse de l’édifice est incontestablement l’aide aux pays et territoires


d’Outre – Mer (PTOM) visés par la convention d’application. Cette aide a été reprise avec
certaines transformations par les conventions de Yaoundé I et Yaoundé II conclues avec les
nouveaux Etats africains et malgache associés (EAMA) pus étendue à un grand nombre de
pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) par les conventions de Lomé I, de Lomé
II, de Lomé IIi et de Lomé IV. L’évolution ici se caractérise, d’une convention à l’autre, par
un élargissement constant des financements, tant sur le plan quantitatif (augmentation des
sommes mises à la dispositions des Etats intéressés) que sur le plan qualitatif (diversification
des formes de transfert).

Moins importante par son volume, moins originale dans ses mécanismes, mais non
moins significative de l’attitude générale de la CEE envers le Tiers Monde apparaît l’aide
financière qui forme, avec les avantages commerciaux, l’un des grands volets des accords
passés par la communauté avec les pays en développement du bassin méditerranéen.
121

2. L’aide de la CEE aux pays ACP

2.1. Les précédents : la convention d’application et les conventions de Yaoundé I


et de Yaoundé II

Si l’on veut bien comprendre le mécanisme des conventions de Lomé, il est


indispensable de connaître, au moins sommairement, les mécanismes d’aide financière mis sur
pied par les accords antérieurs. En effet, il n’y a pas de solution de continuité entre les
diverses étapes de l’évolution chacune reposant en partie sur celle qui la précède.

1°. La convention d’application annexée au traité de Rome a été conclue, il convient de


le rappeler, entre les seuls Etats membres de la communauté, à une époque où aucun des
PTOM n’avait accédé à l’indépendance. Il s’agit donc, dans cette convention, d’une aide
octroyée, et accordée à des pays et territoires encore fort peu développés. C’est ce qui
explique qu’elle ne prévoyait le financement du développement de ces pays et territoires que
sous la forme de subvention, destinées essentiellement à des investissements d’infrastructure
dans le domaine économique (essentiellement les voies de communication) et social. A cet
effet, elle avait institué un fonds spécial, appelé « fonds de développement pour les pays et
territoires d’outre – mer ». Ce fonds avait pour mission d’être l’instrument principal, sinon
unique, de la coopération financière et technique avec les PTOM. Ce premier fonds européen
de développement (FED) avait été doté d’un volume de crédits de 581, 25 millions d’unités de
compte (UC). Il y a inauguré ses opérations en 1959. Sa durée avait été fixée à cinq ans.

2°. Avec la Convention de Yaoundé I du 20 juillet 1963, on passe du régime de


l’association octroyée à celui de l’association négociée, du moins avec les pays devenus
indépendants (pour les PTOM non indépendants, le régime précédent a été reconduit par une
décision du conseil des ministres de la CEE en une décision du conseil des Ministres de la
CEE en date du 25 février 1964). Arrivée à son terme, la convention de Yaoundé a été
remplacée par une deuxième convention d’association, également signée à Yaoundé le 29
juillet 1969, tandis que l’association avec les pays restés dépendants était renouvelée par
décision du conseil des communautés du 29 septembre 1969.
122

Au deux conventions ont correspondu les deuxième et troisième FED, tandis qu’était
introduite une forme nouvelle d’aide financière manifestée par la possibilité donné à la banque
européenne d’investissement (BEI) d’intervenir au profit des EAMA.
a. Le deuxième FED voyait ses crédits passer à 800 millions d’UC dont 730 pour les
EAMA et 70 pour les PTOM et les DOM. Cette aide devait porter en priorité sur le
développement rural (aide à la production et à la diversification) et sur des actions
d’assistance technique. Elle comportait en majeure partie les aides non
remboursables, c’est – à – dire des dons (620 millions) et pour une faible part des
prêts à des conditions spéciales (96 millions), consentis pour la réalisation de
projets directement rentables. Pouvaient également être imputées au FED les
avances de trésorerie consenties par la communauté aux caisses de stabilisation
pour pallier les conséquences des fluctuations temporaires des prix mondiaux.
b. Quant à la BEI dont jusqu’alors l’activité n’était réservée qu’aux six Etats membres
de la communauté, elle recevait l’autorisation de consentir aux EAMA jusqu’à
concurrence de 64 millions UC de prêts sur ses ressources propres à des conditions
normales, c’est – à – dire aux conditions ordinaires pratiquées par la banque
au moment du prêt. Ces prêts ne pouvaient concerner que des projets à rentabilité
directe et pouvaient être assortis de bonifications d’intérêts accordées par le FED.

La convention de Yaoundé II a poursuivi dans la même voie. Le 3ème FED a


été doté de 100 millions d’UC, destinés au financement d’investissements économiques et
sociaux et à des aides à la production et à la diversification, ainsi qu’à des secours d’urgence et
à des avances aux caisses de stabilisation. La BEI pouvait intervenir jusqu’à concurrence de
100 millions d’UC.

2.2. Les conventions de Lomé

Avec la convention de Lomé I, l’aide financière de la communauté aux Etats


signataires, tout en se situant dans la ligne des conventions de Yaoundé, a pris un nouveau
visage. Elle obéissait à deux principes fondamentaux, qui s’appliquaient aussi à la coopération
technique et à la coopération commerciale :
- D’une part, le maintien des avantages acquis aux EAMA, tant en ce qui concernait le
volume de l’enveloppe financière qu’en ce qui avait trait aux aspects qualitatifs de
123

l’aide communautaire : forte prédominance des dons sur les prêts, large éventail des
instruments d’intervention ;
- D’autre part, le traitement similaire de tous les Etats ACP en fonction des besoins
inhérents à leur niveau de développement, des obstacles spécifiques qui freinent celui –
ci et des ressources propres dont chacun pouvait disposer.

Mais en même temps, l’expérience acquise dans la mise en œuvre des conventions
précédentes et les mutations survenues dans le nombre et dans les besoins des pays aidés a
conduit à élargir considérablement la nature, le montant et les modalités des aides
communautaires. Non seulement l’allocation des moyens alloués au VIè FED et à la BEI
augmente considérablement (3 milliards d’UC pour le FED, 390 millions pour la BEI), mais
aux orientations traditionnelles des financements effectués par ces deux organismes s’ajoutent
des orientations nouvelles, cependant qu’avec la création d’un mécanisme de financement
compensatoire des fluctuations des recettes d’exportation, le « stabex », la convention apporte
une innovation spectaculaire dans les relations économiques internationales. La convention de
Lomé II reprendra ces mécanismes en les élargissant encore et ajoutera au stabex un système
analogue, pour certains produits miniers : le « sysmin ».

On ne traitera ici que la coopération financière « stricto sensu ». Le stabex et le sysmin


sont en effet étroitement liés au problème plus vaste du commerce des produits de base et
seront donc étudiés lorsque l’on abordera ce problème (voir infra, n° 493 et s.) couplée comme
auparavant avec la coopération technique, la coopération financière apparaît dans la troisième
partie (Titre III) de la convention de Lomé IV. Pour les dispositions communes aux deux types
de coopération, il convient de se reporter à ce qui a été dit lors de l’étude de la coopération
technique (voir supra n° 270 et s.). Seules seront envisagées ici les modalités de la
coopération financière au sens strict.

2.3. Modes et conditions des financements

Les projets ou programmes peuvent être financés :


- Au moyen de subventions ;
- Au moyen de capitaux à risques au titre du fonds européen de développement (FED),
- Au moyen de prêts de la Banque Européenne d’investissement (BEI) sur ses fonds
propres ;
124

- Ou en ayant recours à un ou plusieurs de ces modes de financements.


La convention de Lomé IV précise les formes que peuvent prendre les
capitaux à risque (art. 234) et les conditions auxquelles sont consentis les prêts de la banque
(art. 235).

2.4. Dette et appui à l’ajustement structurel

Il s’agit là d’une nouveauté de la convention de Lomé IV.

1°. En vue d’éviter l’accroissement de la dette des Etats ACP, le financement, en dehors
de la fourniture de capitaux à risques et des prêts de la banque, se fait sous forme de dons.
Ceux – ci concernent notamment le financement au titre du sysmin et les transferts effectués
au titre du stabex (art. 240).

2°. Par ailleurs, la convention prévoit une ligne d’appui à l’ajustement structurel (art.
243 et suivants). Celle – ci est destinée à répondre aux besoins immédiats d’Etats frappés par
une crise financière grave et urgente et dont les besoins de trésorerie doivent être couverts à
bref délai pour leur politique d’ajustement.

2.5. Les cofinancements

Par ailleurs, la convention prévoit que :


« A la demande des Etats ACP les moyens de financement de la convention peuvent
être affectés à des cofinancement (en particulier avec des organismes et des institutions de
développement des Etats – membres de la communauté, des Etats ACP, des pays tiers ou des
institutions financières internationales ou privées, des entreprises ou des organismes de crédit à
l’exportation) »(art. 251, al.1).

Une attention particulière est portée :


- Aux grands projets pour lesquels la participation et l’expérience pourraient faciliter la
participation d’autres institutions de financement,
- Aux projets qui peuvent bénéficier à la fois de financements à des conditions souples et
de financements à des conditions normales,
125

- A des projets qui peuvent être décomposés en projets éligibles à des sources de
financement différentes,
- A des projets pour lesquels une diversification des financements peut se révéler
avantageuse,
- A des projets à caractère régional ou interrégional.

Les cofinancements peuvent prendre la forme de financements conjoints ou


de financements parallèles. Selon la convention, la préférence doit être donnée à la formule
qui conduit au meilleur coût et à la meilleure efficacité.

La convention contient encore quelques dispositions relatives à la coopération. Le


principe en est posé par l’article 251 al.4.

2.6. Autres types d’aide

La convention contient des dispositions détaillées s’agissant de l’aide financière à


accorder dans des domaines spécifiques, notamment les micro-réalisations (art. 252 et 253) ; la
convention prévoit aussi la possibilité d’accorder aux Etats ACP une aide d’urgence (art. 254 à
257).

§.2. Les banques régionales de développement

1. Caractéristiques d’ensemble

Il existe actuellement trois grandes banques régionales de développement


correspondant aux trois continents que couvre le Tiers Monde. La banque inter - américaine
de développement (BID), la banque asiatique de développement (BAsD), et la banque
africaine de développement (BAfD). Il existe également des banques sous – régionales telles
que la banque Ouest – Africaine de développement, la Banque de développement des Caraïbes
ou la Corporation andine de développement fonctionnant sur les mêmes bases et que l’on peut
donc négliger ici.

Ces institutions ont pour mission de favoriser l’accroissement des pays en


développement en essayant de faire participer chacun des Etats d’un continent au
126

développement de celui – ci grâce à un organisme financier commun. Toutefois, des Etats


extérieurs à la région peuvent prendre part à leurs activités.

La banque mondiale en effet ne suffit pas à elle seule à couvrir les besoins de l’Asie, de
l’Afrique et de l’Amérique Latine. Mais on aurait pu accroître sa capacité en lui versant les
sommes que l’on a affectées aux banques régionales, sans avoir à créer trois organismes de
plus. Si les Etats n’ont pas choisi cette voie, c’est parce que la création des banques régionales
a obéi à une seconde idée, plus importante encore : la volonté des Etats de chaque continent
d’unir leurs efforts pour assurer le développement de la région du globe à laquelle ils
appartiennent.

2. Origine et création

2.1. La banque interaméricaine de développement

L’idée d’une banque interaméricaine est fort ancienne puisqu’on en trouve la trace dès
1886. Mais c’est à partir de 1948, date de la création de l’OEA que le projet commence à
prendre corps et à s’orienter dans une perspective de développement. Malgré l’opposition des
Etats –Unis qui persista plusieurs années, l’idée fit son chemin. En 1954, lors de la quatrième
session du comité interaméricain économique et social, la délégation chilienne présenta un
plan concret de création d’une banque interaméricaine de développement, qu’une commission
d’experts fut chargée d’étudier. Les Etats-Unis levèrent leur opposition en 1958. La Banque
interaméricaine de développement fut créée le 09 avril 1959 par dix – huit Etats du continent
américain, les trois autres signant quelques jours plus tard. Elle commença ses opérations le
1er octobre 1960.

La BID a son siège à Washington et des bureaux dans chacun des pays latino-
américains membres ainsi qu’à Londres et à Paris. Au 31 décembre 1980, elle comprenait.
127

- Des membres fondateurs : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa – Rica, El
Salvador, Equateur, Etats – Unis, Guatemala, Haïti, Honduras, Mexique, Nicaragua,
Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela.
- Des adhésions ultérieurs : Barbade, Canada, Jamaïque, Trinité – et – Tobago, Bahamas,
Guyane, RFA, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Israël, Italie,
Japon, Pays – Bas, Royaume – Unis, Suède, Suisse, Yougoslavie, Portugal et Surinam.
A cette date, la BID comprenait donc 43 membres, dont 25 régionaux et 18
extrarégionaux.

2.2. La banque africaine de développement

La création de la Banque africaine de développement n’a pas entraîné de problèmes


aussi
complexes car les Etats africains se trouvaient à un niveau de développement à peu près égal et
il n’existait pas en Afrique de puissance dominante analogue aux Etats – Unis d’Amérique.
D’autre part, l’aspiration à l’unité était très forte sur le continent africain au moment de
l’indépendance.

L’intention de créer une banque africaine de développement a pris naissance en 1960 à


la conférence des peuples africains de Tunis, mais c’est surtout sous l’impulsion de la
Commission Economique pour l’Afrique que l’institution a vu le jour. L’idée est apparue en
1961. les pays francophones de l’Union Africaine et malgache manifestèrent quelques
réticences mais les divergences purent être aplanies et l’accord portant création de la Banque
africaine, adopté le 30 juillet 1963, fut ouvert à la signature jusqu’au 31 décembre de la même
année. Il entra en vigueur le 10 septembre 1964 et la banque commença ses opérations le 1er
juillet 1966.

La banque a son siège à Abidjan. Au 31 décembre 1982, seuls les cinquante Etats
africains en étaient membres. Le principe d’accueillir des Etats extra – régionaux a été admis
ultérieurement aux conditions suivantes :
- Les pays africains garderont 67 % des voix,
- Le président de la banque sera africain,
- Le siège restera en Afrique.
2.3. La banque asiatique de développement
128

La création de la Banque asiatique de développement présente des traits


communs avec celle de la banque africaine. On y retrouve aussi l’influence d’une commission
régionale, la commission pour l’Asie et l’Extrême – Orient. Les statuts ont été adoptés le 04
décembre 1965 par une conférence de plénipotentiaires représentant trente – sept pays.
L’accord fut ouvert à la signature jusqu’au 31 janvier 1966 et entra en vigueur le 22 août de la
même année. La banque commença ses opérations le 19 décembre suivant.

Les statuts de la Banque prévoyaient dès l’origine que celle – ci serait ouverte aux Etats
extérieurs à la région, en précisant toutefois que les pays membres non asiatiques ne pourraient
jamais détenir plus de 40 % des voix. Au 1er avril 1980, la Banque comprenait 43 membres :
- 29 Etats régionaux : Afghanistan, Australie, Bangladesh, Birmanie, Cambodge, Corée
du Sud, Fidji, Hong – Kong, Iles Cook, Iles Salomon, Inde, Indonésie, Japon, Kiribati,
Laos, Malaisie, Maldives, Népal, Nouvelle – Zélande, Pakistan, Papouasie, Philippines,
Samoa, Singapour, Sri - Lanka, Taiwan, Thaïlande, Tonga, Vietman.
- 14 Etats extra – régionaux : RFA, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Etats – Unis,
Finlande, France, Italie, Norvège, Pays – Bas, Royaume – Uni, Suède, Suisse.
La banque a son siège à Manille.

3. Objectifs et fonctionnement

Les règles qui gouvernent l’activité des trois banques régionales ressemblent beaucoup
à celles sur lesquelles s’appuie la Banque mondiale. Il n’y a donc pas lieu de les décrire en
détail, sauf à mettre en lumière les principales différences qui apparaissent et par rapport au
modèle et entre les trois institutions elles – mêmes.

3.1. Objectifs

Les objectifs des trois institutions sont très voisins parce que leur création a obéi dans
les trois cas à des préoccupations similaires : elles entendent favoriser d’une part le
développement des Etats de la région, d’autre part la coopération entre les membres.
1°. Les banques régionales sont avant tout des organismes de développement. Aux
termes de leurs statuts, leur but est de contribuer aux progrès économique et social des Etats
membres, pris individuellement et collectivement. Cette entreprise doit permettre une
129

meilleure croissance de l’économie, encourager l’investissement et l’épargne et atténuer la


dépendance des Etats concernés.

2°. Les banques régionales se présentent en même temps comme des organismes de
coopération. Les statuts mettent l’accent sur l’avantage des projets multinationaux et sur la
coordination des politiques économique doit surmonter les divergences politiques et
encourager les efforts d’intégration.

3.2. Ressources

Les ressources des trois banques régionales sont déterminées de la même façon que
celles de la BIRD. Elles comprennent les fonds qui forment le capital de chaque banque, les
fonds empruntés et des ressources de type divers.

1°. Chacune des trois banques a été dotée d’un capital représentant la souscription des
Etats membres. Le montant de la souscription de chaque pays est fixé en fonction de la
situation économique et sociale du pays et après consultation économique et sociale du pays
candidat. La souscription est constituée par parties égales d’actions à libérer et d’actions
sujettes à appel. Il existe quelques différences en ce qui concerne les modalités de versement
des fonds.
a. Au sein de la BID, les membres régionaux doivent effectuer leurs versements à
raison de 50 % en or et de 50 % en devises convertibles, tandis que les membres
extra – régionaux versent les leurs intégralement dans leur monnaie nationale.
b. La banque asiatique ne fait pas de distinction entre ses membres : pour chacun, 50
% des fonds sont à payer en or ou en devises convertibles, 50 % en monnaie
nationale.
c. Depuis la réforme de 1979, il est prévu que tous les membres de la banque africaine
effectuent leurs versements, soit en or, soit en devises convertibles. La banque
africaine et la banque asiatique prévoient le paiement en plusieurs tranches pour
alléger la charge qu’un tel paiement fait peser sur de nombreux membres.

L’augmentation du capital est de la compétence de l’Assemblée ou du Conseil des


gouverneurs.
130

2°. Les trois banques peuvent se procurer des fonds en émettant des emprunts sur le
marché international des capitaux.

3°. Les trois banques disposent encore, comme la BIRD, de ressources diverses
provenant essentiellement, soit du remboursement des prêts antérieurement accordés, soit de
revenus des prises de participations qu’elles effectuent.

3.3. Intervention

Comme la BIRD aussi, les banques régionales accordent des prêts et offrent une
assistance technique. On ne s’occupera ici que des interventions financières.

1°. Peuvent bénéficier des prêts les gouvernements, leurs subdivisions politiques, les
entreprises publiques ou privées situées sur le territoire d’un Etat membre (dans le cas de la
BAfD, sans référence à la nationalité des actionnaires). La BID et la BAfD y ajoutent les
banques nationales de développement et, pour la BAfD, toute organisation ou institution
régionale ou multinationale s’intéressant au développement de l’Afrique.
2°. Les critères de prêt sont analogues à ceux de la BIRD : rentabilité et viabilité de
l’emprunteur, financement partiel par celui – ci dans le cas de BAfD, etc. La BAfD ne
pratique que l’aide – projet et non l’aide – programme.

3°. Les conditions financières varient d’une banque à l’autre, tout en participant du
même schéma de base :

a. L’emprunteur doit parfois financer une parie du projet sur fonds propres (BID 10
% BAfD 30 %),
b. Le minimum et le maximum autorisé peuvent être fixés.
c. La durée du prêt, le délai de grâce, les sûretés, le taux d’intérêt, le choix de la
monnaie, etc. varient légèrement d’une banque à l’autre, sans s’écarter du modèle
de la BIRD,
d. La procédure et le contrôle sont également voisins de ceux de la Banque
mondiale.
131

SECTION 2. : LA COOPERATION AU DEVELOPPEMENT : LES


TRANSFERTS DE TECHNOLOGIE

§.1. Dépendance technologique des pays en développement

Le développement technologique est devenu aujourd’hui une exigence sans cesse


croissante des pays en développement. Or, l’accession aux technologies modernes est
contrariée par l’état de dépendance extrême dans lequel se trouvent ces pays par rapport aux
détenteurs de la technologie qu’ils importent. Ces détenteurs, on le sait, sont essentiellement
les entreprises privées des pays occidentaux et parmi celles – ci, avant tout, les sociétés
transnationales. C’est cette situation qui donne aux transferts de technologie Nord – Sud leur
importance et leur spécificité.

Juridiquement, le transfert de technologie consiste en un contrat à titre onéreux par


lequel une entité dénommée « l’acquéreur » achète des connaissances techniques à une autre
entité dénommée le « détenteur » ou le « fournisseur ». Le transfert peut être national ou
international, selon que les deux entités relèvent du même pays ou de deux pays différents.

Les transferts de technologie ont pris une place de plus en plus grande dans les rapports
économiques internationaux. Ils s’effectuent à l’heure actuelle aussi bien entre pays
développés et pays en développement ou entre pays en développement.

Lorsque les acquéreurs relèvent de pays en développement, ces transferts soulèvent


deux séries de difficultés :
1°. La première concerne la nature même de la technologie transférée :
- Il y a d’abord risque d’obsolescence. Les pays en développement doivent éviter que
leurs fournisseurs ne leur livrent une technologie dont ils n’ont plus grand que les
progrès technologiques sont de plus en plus rapides et qu’il est tenant pour les
fournisseurs d’écouler dans le Tiers Monde des stocks devenus obsolètes. Dans de tels
cas en effet, les transferts aboutiraient à un résultat inverse du but recherché, en
consolidant le retard technologique des pays du Tiers Monde.
- Le désir de modernisation doit cependant aller de pair avec la volonté de ces pays
d’acquérir une technologie adaptée au niveau et aux besoins de leur développement.
132

L’accès trop brutal aux techniques les plus sophistiquées risquerait là encore de
perpétuer, voire d’accentuer le phénomène de dépendance en maintenant le personnel
local à l’écart d’une véritable maîtrise de la technologie transférée. Aussi des débats
prolongés ont – ils depuis longtemps mis en avant des stratégies de transfert de
technologie « douce », «intermédiaire », « appropriée », etc.
2°. La deuxième série de difficultés concerne le transfert lui – même :
- Le prix des transferts est souvent considéré comme trop élevé. Les pays en
développement reprochent aux fournisseurs relevant des pays développés d’utiliser
abusivement un rapport de forces qui leur est favorable dans les négociations relatives
à la fixation du prix. L’argument invoqué par les fournisseurs, selon lequel le coût
élevé de la recherche – développement explique en grande partie le prix demandé, ne
leur paraît pas expliquer à lui seul des prix qu’ils estiment exorbitants. Cette situation
est aggravée par le fait que les achats de technologie se règlent en devises, ce qui
accroît encore le déséquilibre de la balance des paiements des pays dont relèvent les
acquéreurs.
- Les modalités juridiques des transferts sont également mises en cause. Jusqu’à ces
dernières années en effet, les transferts s’effectuaient selon les modalités contractuelles
qui étaient défavorables aux pays du Tiers Monde. Le droit international du
développement n’intervenait en aucune manière pour atténuer les effets rigoureux de
cette relation. Le recours par les pays du Tiers Monde à leurs lois nationales s’est
souvent révélé insuffisant, inefficace et même maladroit. Aussi ces pays ont – ils en
même temps ardemment milité en faveur d’une prise en charge des modalités du
transfert par les institutions internationales afin de le rendre plus équitable et plus
rationnel.

§.2. L’action internationale dans le domaine technologique

Cette action est conduite essentiellement par la CNUCED et l’assemblée générale des
Nations Unies, tandis que l’Organisation Mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)
s’occupe d’une manière plus technique des problèmes relatifs aux brevets et autres formes de
propriété industrielle. La caractéristique commune des réflexions menées au sein de ces
institutions est qu’elles envisagent comme un tout indissoluble l’ensemble des problèmes
relatifs au progrès technologique des pays du Tiers Monde. Cette approche globale inscrit
133

donc le problème des transferts de technologie dans un ensemble plus vaste et plus complexe,
qui s’est traduit par la formulation de principes et l’élaboration de plans d’action.

Dès 1961, l’Assemblée générale s’est saisie de la question. Par la suite, elle a surtout
émis des directives d’ordre général dans la stratégie de 1970, dans les résolutions relatives au
nouvel ordre économique international, dans la charte des droits et devoirs économiques des
Etats et dans la stratégie de 1980. la CNUCED quant à elle, a énoncé dès 1964 les problèmes
fondamentaux sur lesquelles allait reposer toute l’action ultérieure des organisations
internationales. Depuis lors, elle n’a cessé de préciser sa doctrine en adoptant une série
appréciable de résolutions (Rés. 39 (III) du 16 mai 1972, 87, 88 et 89 (IV) du 05 mai 1976,
101, 102, 112 et 113 (V) des 30 mai et 03 juin 1979, 143 (VI) du 02 juillet 1983).

Un examen synthétique de ces textes laisse apparaître les thèmes sur lesquels se sont
engagés les débats internationaux :
- D’une part, les pays en développement ont réclamé l’établissement d’un droit
protecteur de leurs intérêts particuliers en matière de transfert de technologie.
- D’autre part, les pays en développement ont réclamé l’établissement d’un droit
protecteur de leurs intérêts particuliers en matière de transfert de technologie.
- D’autre part, ils ont insisté pour que les pays développés et la communauté
internationale les aident à renforcer leur capacité technologique propre et à régler le
difficile problème de l’exode des compétences, appelé maintenant « transfert inverse de
technologie ».
- Enfin, ils ont engagé toute une action en faveur de l’adaptation de la science et de la
technique à l’impératif de développement. Sur ce point, il convient de signaler
l’importance de la conférence des Nations Unies sur la science et la technique au
service du développement qui s’est tenue à Vienne en août 1979 et qui a adopté un
programme d’action dit programme de Vienne que l’Assemblée Générale a entériné
dans sa résolution 34/218 du 19 décembre suivant. Pour permettre l’application de ce
programme, l’Assemblée a créé un « comité intergouvernemental de la science et de la
technique au service du développement » ouvert à tous les Etats et un « Centre pour la
Science et la Technique au service du développement » ayant pour mission d’aider le
comité et le directeur général au développement et à la coopération économique à
s’acquitter de leurs responsabilités en la matière. Le financement du programme est
assuré par un mécanisme spécial mis sur pied par la même résolution et dénommé
134

« système de financement des Nations Unies pour la Science et la technique au service


du développement ».

§.3. Classification des contrats de transfert des technologies

La multiplicité des contrats comportant transfert de technologie a entraîné de la part de


la doctrine un effet de clarification et de classification. Diverses typologies ont été établies
mais elles varient d’un auteur à l’autre. On peut distinguer en effet suivant que la technique
transférée est brevetée ou non, suivant que l’opération de transfert est autonome ou au
contraire liée à un acte d’investissement ou de vente d’ensembles industriels, suivant que la
cession porte sur des connaissances techniques, sur des compétences techniques ou sur un
ensemble plus ou moins complexe de biens corporels et incorporels que la terminologie
algérienne désigne par l’expression de « quantum de développement ».

Dans le souci de clarté, il est possible de proposer la classification suivante :


a. Certains contrats opèrent le transfert par une opération autonome.
- Les uns portent sur un transfert de connaissances techniques : il s’agit notamment des
contrats de licence de brevet et des contrats de communication de know – how,
- D’autres portent sur un transfert de compétences : ce sont en particulier les contrats
d’assistance technique et les contrats de formation.
b. Certains contrats lient le transfert de technologie à une opération plus vaste
- Il peut s’agir d’abord de la vieille formule couplant le transfert de technologie à un
investissement direct,
- Il peut s’agir aussi de cas où le transfert de technologie accompagne une vente
d’équipements ou d’ensembles industriels : les exemples les plus importants en sont les
contrats « clés en mains » et le contrat « produits en main », avec leurs diverses
variantes.

Comme toujours, la pratique se révèle plus complexe que les typologies abstraites. En
effet,
les prestations fournies peuvent soit se présenter isolément, soit être groupées en
d’innombrables combinaisons. C’est ainsi qu’un contrat peut ne comporter qu’une cession de
licence, qu’une cession de know – how ou que la fourniture d’une assistance technique. Mais
il peut aussi prévoir la présence de plusieurs de ces éléments à la fois. Le passage de l’une à
135

l’autre de ces catégories est souvent graduel, comme par exemple lorsqu’une cession de know
– how s’accompagne d’une assistance technique liée seulement à la période de livraison. Il
importe maintenant de donner un aperçu des divers types de contrats ainsi identifiés.

1. Contrats comportant cession de brevet ou de licence

Ces contrats ne peuvent par définition porter que sur des connaissances déjà brevetées.

La cession pure et simple de brevet est une opération relativement rare puisqu’il s’agit
de la vente d’un monopole. Elle ne peut donc s’effectuer qu’une seule fois et en faveur d’un
seul client. Par contre la cession de licence est une opération juridique courante, qui consiste
en l’autorisation donnée par le titulaire du brevet d’invention d’exploiter celui – ci dans des
conditions et dans des pays déterminés, moyennant le paiement d’une redevance. Ces contrats
s’inscrivent dans la perspective classique du droit de la propriété industrielle. L’érosion
constante de ce droit de la propriété industrielle. L’érosion constante de ce droit fait
qu’aujourd’hui les techniques brevetées ne constituent qu’une partie des techniques
brevetables. De plus, la cession d’un brevet ou d’une licence ne suffit pas à elle seule à
garantir à l’acquéreur, surtout lorsqu’il relève d’un pays en développement, une parfaite
maîtrise de la technologie ainsi obtenue. Aussi ce type de transfert se retrouve – t – il de plus
en plus fréquemment lié, dans les contrats, à d’autres prestations.

2. Contrats de communication de know – how

On a défini le contrat de know – how comme un « contrat aux termes duquel le


détenteur d’un procédé transmet ses connaissances à une autre personne en vue de l’aider à la
fabrication d’un produit ou à l’exécution d’une prestation de services déterminés ». Ces
contrats ne s’appuient pas sur un titre de propriété industrielle mais sur divers éléments tels
que l’habileté technique, l’expérience technique accumulée, les connaissances techniques dont
on dispose, les procédés ou secrets de fabrication que l’on a mis au point.

La transmission de telles connaissances se fait dans la plupart des cas par cession de
documents permettant à l’acquéreur d’utiliser au mieux la technologie acquise. Comme il est
naturel, les vendeurs veulent protéger le secret d’un savoir – faire dont ils tirent profit et en
136

conséquence les contrats de know – how contiennent tous des clauses obligeant l’acheteur à
respecter le caractère confidentiel des informations transférées.

Le know – how n’étant pas protégé par un titre légal, le détenteur doit en assurer la
protection, notamment en cas de divulgation abusive, par les voies du droit commun.

Dans les contrats de know – how passés entre partenaires de niveau technologique trop
différent, la transmission du savoir – faire s’accompagne généralement de prestations
d’assistance technique. Celles – ci sont plus ou moins étendues, mais dans certains cas elles
peuvent prendre des proportions considérables.

3. Contrats d’assistance technique et contrats de formation

A côté de l’assistance technique accordée par les Etats et les organisations


internationales, qui fait l’objet d’accords régis par le droit international public, il convient de
marquer la place de l’assistance technique prodiguée par les firmes privées par voie
contractuelle.

L’assistance technique peut à elle seul faire l’objet du contrat. Elle peut aussi
accompagner une cession de brevet ou une communication de know – how. Elle peut
également être couplée avec une vente d’équipements ou de complexes industriels, ou encore
être comprise dans un contrat portant sur l’exploitation ou la gestion d’une activité
économique.

Il existe une grande variété de contrats d’assistance technique, selon que celle – ci porte
sur une activité industrielle, sur la recherche scientifique, etc.

Dans certains cas, le contrat peut s’élargir jusqu’à comporter un véritable programme
de formation. Aux termes du contrat de formation, l’entreprise fournisseur s’engage à prendre
en charge la formation, suivant des modalités variées, du personnel d’une entreprise acquéreur,
afin d’adapter celui – ci aux techniques acquises par cette entreprise. Dans le contrat de
formation, l’entreprise fournisseur intervient soit en procurant une assistance technique d’ordre
pédagogique aux centres de formation de l’entreprise locale, soit en agissant avec un
programme spécifique et une équipe autonome.
137

4. Le contrat « clés en main »

Dans ce type de contrat, le vendeur s’engage à fournir un ensemble industriel en état de


marche, sans pour autant être tenu de former le personnel local. Par rapport aux pratiques
antérieures, notamment celle du «découpage en lots », le contrat « clés en mains » est un
moyen de jeter les bases d’une infrastructure industrielle dans un pays du Tiers Monde sans
que celui soit obligé de maîtriser immédiatement les techniques de conception et de
réalisation. De plus, ce type de contrat place toutes les prestations demandées sous la
responsabilité d’un fournisseur unique. Cependant, la formule demeure encore sommaire et ne
répond pas aux besoins réels du développement du pays. En effet, dans le contrat « clés en
mains » classique, la prestation se limite à la livraison d’unités industrielles. Mais cela est vrai
aussi dans le cas des contrats « clés en mains lourds », dans lesquels le vendeur fournit à la
fois l’outil de production et un certain nombre de prestations de services supplémentaires.
Celles – ci peuvent concerner soit le procédé de fabrication (brevets et marques) soit des
connaissances techniques de production ou de gestion (know – how et assistance technique).
Dans ce dernier cas, les biens incorporels ou les services n’apparaissent que comme les
accessoires des biens corporels. La technologie n’est pas transférée comme un moyen de
développement (valeur d’usage). L’engagement de l’entreprise étrangère se limite à la mise en
marche de l’unité de production selon les normes fixées par le contrat, mais le transfert de
technologie proprement dit reste très partiel, puisqu’il se limite à la communication de la
documentation technologique et à une formation assez succincte du personnel local. Cela est
sans doute suffisant lorsque les partenaires sont d’un niveau technologique comparable, mais
le procédé est inadapté dans les rapports avec les pays en développement. Aussi certains de
ces derniers ont – ils proposé d’autres formules et d’abord celle du contrat « produit en
mains ».

5. Le contrat « produit en mains »

Cette forme de contrat prend sa source dans une initiative algérienne mise au point
pour obliger les pays industrialisés fournisseurs à opérer un transfert effectif de leur
technologie et de leur savoir – faire industriel vers les pays en développement. Ce contrat peut
être défini comme « un accord complexe mettant à la charge de l’entreprise étrangère trois
obligations principales : la livraison des biens corporels, un transfert de technologie, la
138

garantie d’une production spécifiée ». L’originalité de la formule réside surtout dans la


formation du personnel local par l’entreprise cocontractante, ce qui correspond par essence aux
besoins du développement. En effet, dans ce type de contrats, l’entreprise étrangère n’aura
rempli ses obligations que lorsque le personnel local réussira à faire fonctionner lui – même
l’installation industrielle.

Contrairement au contrat « clés en mains », le contrat « produits en mains » fait de la


formation professionnelle l’un des objets mêmes du contrat.

Le transfert est envisagé ici de manière progressive et selon des modalités


minutieusement prévues dans le contrat. Schématiquement, l’opération se déroule en trois
phases :
- La phase de réception provisoire, réalisée principalement par le personnel de
l’entreprise étrangère, qui marque la capacité théorique de l’installation de bien
fonctionner ;
- La période de gestion initiale, placée elle aussi sous la responsabilité de l’entreprise
étrangère,
- La réception de fin de gestion, qui est prononcée lorsque les essais menés
exclusivement par le personnel local auront abouti à la production prévue par le
contrat.

Ce mécanisme subtil est renforcé par un ensemble de garanties destiné à vérifier que
toutes
les obligations inhérentes au transfert ont bien été remplies. La formule « produit en mains » a
pu marquer un progrès certain dans la recherche d’un processus de transfert de technologie
approprié aux aspirations des pays en développement. Si elle apparaît aujourd’hui périmée,
c’est parce qu’elle comporte de multiples inconvénients. Tout d’abord les lourdes obligations
qu’elle met à la charge de l’entreprise étrangère ne peuvent être assumées que par de
puissantes sociétés transnationales dont le pouvoir de négociation est considérable par rapport
à celui de l’acquéreur local. En second lieu, la formation du personnel local peut être pour ces
sociétés un moyen indirect d’intégrer les entreprises locales dans leur propre stratégie globale.
Par ailleurs, les obligations de qualité et de rendement auxquelles elles sont tenues peuvent les
conduire à utiliser surtout des matériaux en provenance des pays industrialisés, ce qui
défavorise l’industrie locale dans son ensemble et entretient la dépendance technologique.
139

Enfin les contrats ne transfèrent que l’un des éléments de la maîtrise technologique, à savoir la
maîtrise d’exploitation, alors que la technique, à savoir la maîtrise d’exploitation, alors que la
technique de conception reste entre les mains de la société transnationale.

6. La formule « cost and fee »

Les modalités de paiement prévues par les contrats de transfert de technologie ont elles
aussi évolué de manière à assurer une répartition plus équilibrée des risques et une coopération
plus étroite entre le fournisseur et l’acquéreur. A l’origine en effet, il existait deux formules
principales, le paiement en régie et le paiement au forfait. Dans le paiement en régie, le
receveur prend seul la charge du risque financier de l’opération. Dans le forfait au contraire, le
risque est entièrement assumé par le prestataire.

Pour mieux répartir les risques, la pratique a inventé des formules nouvelles, parmi
lesquelles il faut relever le « cost + » et surtout le « cost and fee ». Cette dernière constitue en
elle – même une innovation intéressante pour les pays en développement. En effet, le
« cost+ » consiste en l’application d’un certain coefficient de marge sur l’ensemble des
dépenses engagées par l’entreprise fournisseur, mais il est fixe et plafonné. Cette formule
permet de faire supporter les risques techniques par le constructeur de l’installation transférée
et d’organiser un partage du risque financier entre les deux partenaires. C’est précisément ce
partage qui peut faciliter l’émergence d’une véritable coopération industrielle conduite
conformément aux intérêts des deux parties et aux exigences du développement.

7. Le contrat multilots

L’accession de certains pays en développement à ce que l’on a appelé un « état


technologique intermédiaire » caractérisé par une aptitude plus grande de l’acquéreur maître
de l’ouvrage à apprécier la valeur des évolutions sans parvenir encore à être lui – même un
innovateur, a conduit la pratique à élaborer de nouvelles formules contractuelles. L’une des
plus typiques et des plus intéressantes, parmi ces formules, est celle dite des « contrats
multilots », particulièrement lorsqu’il prend la forme d’une licence de marque accompagnée
d’une obligation d’assurance de qualité.
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Ce modèle a pour objet, entre autres, de remédier aux inconvénients du contrat clé en
mains et de ses divers avatars, dont on sait quels mécomptes il a entraînés dans les tentatives
faites par nombre de pays du Tiers Monde pour s’industrialiser.

Dans le contrat multilots, la réalisation de l’ensemble industriel est divisée en lots


(procédé, ingénierie, montage et démarrage, formation et assistance, coopération
commerciale). Certains lots peuvent ainsi faire l’objet d’un prix forfaitaire, alors que d’autres
sont rémunérés sur dépenses contrôlées. Toutefois, comme dans le contrat clé en mains,
l’ensemble est confié à un seul constructeur et la responsabilité reste donc unitaire.

Là où réside l’originalité du nouveau modèle, c’est que le contrat dépasse la


construction de l’usine pour viser l’obtention du constructeur dans ses propres établissements.
Le véritable objet du contrat porte alors sur le système de fabrication du produit, c’est – à –
dire l’obtention de produits finis. Autrement dit, le contrat réunit les éléments des contrats
clés en mains et celui de la licence de marque. Et, dans la mesure où le maître de l’ouvrage a
déjà atteint un certain degré de développement technologique, il est considéré comme étant en
mesure d’offrir des produits d’une qualité identique – ou au moins analogue – à ceux du
bailleur de licence. Dans ce cas, l’accent est mis avec un soin particulier sur trois éléments (en
dehors de la construction de l’usine et de l’utilisation de la marque) : la transmission du know
– how, qui se fait ici avec beaucoup plus de minutie, l’organisation scientifique de la qualité,
dite aussi assurance de la qualité, et l’assistance à la commercialisation des produits finis.

Ces éléments nouveaux se traduisent par diverses obligations qui, on doit insister sur ce
point, pèsent sur le constructeur. Obligations pouvant aller, comme c’est le cas pour le
système d’assurance de la qualité, jusqu’à l’obligation de résultat. Or l’examen de la pratique
antérieure révèle que les constructeurs avaient toujours évité de s’engager aussi loin.
Toutefois, il y a une limite aux engagements du constructeur : la garantie de transfert du
know – how au personnel local est souvent spécifiée expressément dans les contrats comme ne
dépassant pas le cadre de l’obligation de moyens. Il ne s’agit donc pas d’un retour à la
formule « produits en mains ».

Il est admis en doctrine que de tels contrats peuvent se développer, mais seulement
avec des pays non dénués de tradition industrielle.
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