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"Théorie de la littérature : une introduction"

Dufays, Jean-Louis ; Lisse, Michel ; Meurée, Christophe

ABSTRACT

Alliant l'exposé des notions à des illustrations variées puisées dans la diversité des productions littéraires
du monde et de l'histoire, l'ouvrage offre une introduction aux principaux concepts, références et outils
contemporains de la théorie de la littérature. Les trois premiers chapitres présentent les grandes approches
qui ont entrepris d'une part de définir le sens et la valeur des textes littéraires (des approches internes, qui
privilégient les procédés formels ou le jeu des référents, aux approches externes centrées sur la diversité
des contextes, ou sur la lecture et la réception), et d'autre part de cerner la problématique des types et des
genres littéraires. Les trois chapitres suivants traitent des trois types littéraires majeurs que sont le texte
dramatique, le texte poétique et le texte narratif. Un dernier chapitre montre enfin comment les différentes
notions exposées dans le livre permettent de mener concrètement l’analyse d’un texte li...

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Dufays, Jean-Louis ; Lisse, Michel ; Meurée, Christophe. Théorie de la littérature : une


introduction.  Academia-Bruylant : Louvain-la-Neuve (2009) (ISBN:978-2-87209-946-7)  208 pages http://
hdl.handle.net/2078.1/77426

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Théorie de la littérature
Une introduction

Jean-Louis Dufays
Michel Lisse
Christophe Meurée

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Dans la même collection :
1. Pierre Collart, Les abuseurs sexuels d’enfants et la norme sociale,
2005.
2. Mohamed Nachi et Matthieu de Nanteuil, éloge du compromis.
Pour une nouvelle pratique démocratique, 2006.
3. Lieven Vandekerckhove, Le tatouage. Sociogenèse des normes
esthétiques, 2006.
4. Marco Martiniello, Andrea Rea et Felice Dassetto (eds), Immigration
et intégration en Belgique francophone. état des savoirs, 2007.
5. Francis Rousseaux, Classer ou collectionner ? Réconcilier
scientifiques et collectionneurs, 2007.
6. Paul Ghils, Les théories du langage au XXe siècle. De la biologie à
la dialogique, 2007.
7. Didier Vrancken et Laurence Thomsin (dir.), Le social à l’épreuve
des parcours de vie, 2008.
8. Pierre Collart (dir.), Rencontre avec les différences. Entre sexes,
sciences et culture, 2009.
9. Jean-Louis Dufays, Michel Lisse et Christophe Meurée, Théorie de
la littérature. Une introduction, 2009.
10. Caroline Sägesser et Jean-Philippe Schreiber, Le financement
public des religions et de la laïcité en Belgique, à paraître.

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Théorie de la littérature
Une introduction

Jean-Louis Dufays
Michel Lisse
Christophe Meurée

ACADEMIA

A B
BRUYLANT

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Avertissement

Le présent ouvrage applique les recommandations orthographiques


de l’Académie française.

Une première version des chapitres 1 et 2 ainsi qu’une partie du


chapitre 7 ont été publiées dans le livre de J.-L. Dufays, L. Gemenne
et D. Ledur, Pour une lecture littéraire (De Boeck, 2005). La fin du
chapitre 7 a été publiée en 1993 dans le n° 96 de la revue Poétique.

Le chapitre 4 a été écrit par Christophe Meurée, le chapitre 3 et le point


D du chapitre 5 sont dus à Michel Lisse, Jean-Louis Dufays a écrit le
reste. L’ensemble a bénéficié de la relecture vigilante de Sébastien
Marlair : qu’il en soit vivement remercié.

D/2009/4910/23 ISBN 13 : 978-2-87209-946-7

© Bruylant–Academia s.a.
Grand’Place 29
B–1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits de reproduction ou d’adaptation par quelque procédé que ce soit,


réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.
Imprimé en Belgique.
www.academia-bruylant.be

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Introduction

Au moment d’entamer un ouvrage dédié à la théorie de la littérature,


il n’est pas inutile de se demander à quoi cela sert d’étudier la litté-
rature au XXIe siècle, époque où le livre et la lecture semblent de plus
en plus délaissés au profit de nouveaux modes de communication et
d’information. La question est posée sans complaisance par Antoine
Compagnon :
« Le lieu de la littérature s’est amenuisé dans notre société depuis
une génération : à l’école, où les textes documentaires mordent sur
elle, ou même l’ont dévorée ; dans la presse, où les pages littéraires
s’étiolent et qui traverse elle-même une crise peut-être funeste ;
durant les loisirs, où l’accélération numérique morcelle le temps
disponible pour les livres. […]
Aujourd’hui, même si chaque automne voit la parution de centaines
de premiers romans, l’on peut avoir le sentiment d’une indifférence
croissante à la littérature, ou même – réaction plus intéressante, car
plus passionnée – d’une haine de la littérature considérée comme
une intimidation et un facteur de “fracture sociale”. […]
La lecture doit désormais être justifiée, non seulement la lecture
courante, celle du liseur, de l’honnête homme, mais aussi la lecture
savante, celle du lettré, de l’homme ou de la femme de métier. L’Uni-
versité connait un moment d’hésitation sur les vertus de l’éducation
générale, accusée de conduire au chômage et concurrencée par des
formations professionnelles censées mieux préparer à l’emploi, si
bien que l’initiation à la langue littéraire et à la culture humaniste,
moins rentable à court terme, semble vulnérable dans l’école et la
société de demain. »1
Face à ce constat interpelant, ce n’est pas une, mais deux questions
qu’il s’agit d’affronter : d’une part, celle de l’utilité de lire la littérature,
d’autre part, celle de s’intéresser à la théorie de la littérature.

1 A. Compagnon, La littérature, pour quoi faire ?, Paris, Collège de France/


Fayard, 2007, pp. 29-31.

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Théorie de la littérature

A. Pourquoi s’intéresser à la littérature ?


La lecture des textes littéraires peut être justifiée par deux sortes
d’enjeux. Certains d’entre eux concernent les aspects cognitifs et intel-
lectuels de la lecture : nous les qualifierons de rationnels ; d’autres
concernent ses dimensions émotionnelles et relèvent du psychoaf-
fectif, de l’imaginaire, voire de l’inconscient : nous les qualifierons
de passionnels.
Ces deux types d’enjeux correspondent aux deux faces du lecteur,
que Michel Picard a appelées le lectant et le lu2, et ils sont fondamen-
talement complémentaires, car le rapport à la littérature mobilise par
sa nature même la lucidité et l’illusion, la réflexion et la détente, la
distanciation et la participation. Posons donc d’emblée, avec Picard,
que la lecture la plus riche, celle qui mérite le plus d’être qualifiée de
« littéraire » est celle qui établit un va-et-vient entre ces deux aspects.
Si l’on admet ce postulat, on admettra aussi qu’une tâche importante
de la formation littéraire doit être de préserver cet équilibre : négliger
l’un des deux termes reviendrait en effet à réduire la richesse poten-
tielle de la littérature, ce qui semblerait aussi discutable sur le plan
scientifique que nuisible sur le plan pédagogique.
Certes, ces enjeux concernent aussi d’autres activités de réception
que la lecture de textes littéraires, à commencer par la réception
audiovisuelle. La littérature semble néanmoins les mobiliser d’une
manière plus intense et plus diversifiée en raison de la durée de sa
lecture, des nombreuses pauses qui en résultent et du travail cognitif
plus intense qu’elle requiert. Lire un texte narratif, dramatique ou
poétique exige en effet un travail d’imagination, de construction
intérieure de « mondes », de personnages et d’actions plus exigeant
que la réception d’un film, car cette activité passe par le traitement du
langage, lequel ne donne accès aux représentations mentales qu’in-
directement et conserve un cadre matériel toujours disponible à la
vision qui empêche le lecteur d’oublier qu’il lit.
Examinons maintenant plus avant les enjeux passionnels et les enjeux
rationnels qui peuvent être associés à la littérature.

2 M. Picard, La lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986. Nous reviendrons


plus loin sur cette distinction fondamentale.

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Introduction

1. Les enjeux passionnels


S’évader, se décentrer. – Sur le plan passionnel, le rapport à la littérature
permet d’abord une expérience de décentrement fondamentale. En
effet, le monde du texte est une occasion de diversion, de divertis-
sement au sens fort du terme : il permet à l’esprit d’échapper aux
contraintes de l’existence individuelle et collective. Cette évasion va
de pair avec l’identification aux personnages du texte qu’on lit. Cette
expérience peut apparaitre comme une sorte de fuite, une manière
de vivre par procuration, mais elle n’en est pas moins fondamentale
et fondatrice, car il est impossible de se construire une identité sans
s’identifier, au moins temporairement, à des modèles, et parmi ceux-ci,
les personnages de fiction occupent une place privilégiée en raison de
l’intensité des situations qu’ils traversent et de la possibilité qui nous
est donnée de les côtoyer de manière intime des heures durant. En
nous permettant ainsi d’accéder à nous-mêmes par le truchement de
ses personnages, la littérature exerce une fonction initiatique : elle
nous révèle notre propre personnalité. 
Se trouver, se centrer. – L’identification joue aussi dans le sens inverse :
les personnages de nos lectures peuvent devenir des doubles de nous-
mêmes, des frères de papier, dont nous nous plaisons à retrouver des
traits dans nos propres vies. La littérature nous permet alors de nous
retrouver. En outre, en nous confrontant à des situations existentielles
fortes qui rejoignent les interrogations, les désirs et les expériences
partagés par beaucoup d’hommes, elle nous amène à la fois à anticiper
des épisodes de notre vie et à nous remémorer des évènements passés.
Levier actif de la mémoire involontaire, elle agit en nous de la même
manière que la madeleine trempée dans du thé, qui, au début de à la
recherche du temps perdu, fait ressurgir à la conscience du narrateur
proustien tout un pan de son passé.
Se perdre. – La littérature peut aussi nous faire éprouver une expérience
de déstabilisation. Roland Barthes a appelé « jouissance du texte »3 la
situation où le lecteur est tellement troublé par le texte qu’il en perd
ses repères, qu’il ne sait plus comment se situer. Face à des œuvres très
novatrices, comme celle de Joyce par exemple, de nombreux lecteurs
sont ainsi confrontés à un sentiment d’altérité radical, où se sentent en
quelque sorte subjugués par le texte.
Vivre plus intensément. – Une autre expérience passionnelle liée à
la littérature est l’expérience éthique, le sentiment que le texte nous

3 R. Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, pp. 25-26.

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Théorie de la littérature

nourrit sur le plan des valeurs, de nos attentes morales, mais aussi de
nos désirs. En lisant, nous nous posons des questions existentielles,
nous construisons et nous exerçons notre rapport éthique au monde.

2. Les enjeux rationnels


Lire la littérature, c’est aussi une expérience d’apprentissage, qui nous
donne accès à une diversité de connaissances. On peut en distinguer
au moins trois types :
Des connaissances d’ordre langagier. – La littérature nous donne
l’occasion de nous approprier toutes les ressources de la langue écrite,
et en particulier elle enrichit notre stock de structures syntaxiques et
de connaissances lexicales, dont elle fait un usage bien plus considé-
rable que le langage parlé.
Des connaissances génériques et esthétiques. – La littérature nous
fournit aussi des codes, des mythes, des scénarios, des stéréotypies
relevant des différents genres et courants littéraires et non littéraires.
Ainsi, c’est la lecture d’un certain nombre de romans policiers ou de
textes romantiques qui nous permet de dégager les tendances, voire
les règles, de ces deux systèmes de codes, dont la maitrise pourra
être à la fois réinvestie et réinterrogée aussitôt dans la lecture d’autres
textes du même genre ou du même courant.
Des informations sur le monde. – Un troisième type de savoir offert
par la littérature est celui des systèmes de références et des valeurs qui
permettent au lecteur de diversifier ses connaissances et ses jugements
sur le monde, sur ses semblables et sur lui-même. En nous relatant
de manière dynamique des évènements sur l’histoire, sur des pays
lointains, etc., la littérature véhicule un nombre considérable de
connaissances et exerce une fonction « gnoséologique » (elle se fait
médiatrice d’autres savoirs). écoutons à ce propos Roland Barthes :
« La littérature prend en charge beaucoup de savoirs. Dans un roman
comme Robinson Crusoé, il y a un savoir historique, géographique,
social (colonial), technique, botanique, anthropologique (Robinson
passe de la nature à la culture). Si, par je ne sais quel excès de socia-
lisme ou de barbarie, toutes nos disciplines devaient être expulsées
de l’enseignement sauf une, c’est la discipline littéraire qui devrait
être sauvée, car toutes les sciences sont présentes dans le monument
littéraire. C’est en cela que l’on peut dire que la littérature, quelles que
soient les écoles au nom desquelles elle se déclare, est absolument,

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Introduction

catégoriquement réaliste : elle est la réalité, c’est-à-dire la lueur


même du réel. »4
Plus précisément, la lecture de la littérature est un moyen d’accès
privilégié au témoignage des hommes qui nous ont précédés. C’est
donc un outil pour mieux comprendre le monde en nous ouvrant à
d’autres points de vue, d’autres cultures, d’autres époques. C’est aussi
une caisse de résonance qui donne sens et valeur à la vie ordinaire,
comme le dit joliment Danièle Sallenave dans son essai Le don des
morts :
« Sans les livres, nous n’héritons de rien : nous ne faisons que naitre.
Avec les livres ce n’est pas un monde, c’est le monde qui vous est
offert : don que font les morts à ceux qui viennent après eux.
Sans doute tout est-il déjà là, à notre naissance. Encore faut-il le
prendre. Offert, proposé, mais non donné. La terre, et le ciel, ce
qu’on en voit et ce qui s’y cache ; les choses de l’histoire, les replis
du temps. Mais, sans les livres, il se pourrait bien cependant que tout
nous échappe : le monde physique, même si je le parcours, parce
que je n’aurai rien appris ; le monde humain, l’histoire, parce que
je n’en saurai rien ; les langues – y compris celle de ma naissance,
parce que je ne les parlerai pas, ou les parlerai mal ; les œuvres, les
paysages, la douceur des soirs sur des bords étrangers, parce que je
n’en aurai pas retraversé l’expérience dans le miroir des livres. »5
La fréquentation de la littérature apparait ainsi à la fois comme une
occasion d’acquérir une meilleure prise sur le monde et un « renfor-
cement d’être » (Péguy). Pour autant, les connaissances qu’elle nous
transmet ne sont pas un savoir clos ou calcifié, car, comme le dit
Barthes, elle « fait tourner les savoirs » :
« En cela véritablement encyclopédique, la littérature fait tourner les
savoirs, elle n’en fixe, elle n’en fétichise aucun ; elle leur donne une
place indirecte, et cet indirect est précieux. D’une part, il permet
de désigner des savoirs possibles – insoupçonnés, inaccomplis : la
littérature travaille dans les interstices de la science : elle est toujours
en retard ou en avance sur elle [...]. D’autre part, le savoir qu’elle
mobilise n’est jamais ni entier ni dernier ; la littérature ne dit pas
qu’elle sait quelque chose, mais qu’elle sait de quelque chose ;
ou mieux : qu’elle en sait quelque chose – qu’elle en sait long sur
les hommes. [...] Parce qu’elle met en scène le langage, au lieu,
simplement, de l’utiliser, elle engrène le savoir dans le rouage de la
réflexivité infinie : à travers l’écriture, le savoir réfléchit sans cesse

4 R. Barthes, Leçon, Paris, Seuil, 1978, p. 18.


5 D. Sallenave, Le don des morts. Sur la littérature, Paris, Gallimard, 1991,
p. 65.

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Théorie de la littérature

sur le savoir, selon un discours qui n’est plus épistémologique, mais


dramatique. »6
Autrement dit, les textes littéraires nous amènent à remettre en cause
les représentations sociales, à briser les idées reçues, et à « probléma-
tiser » le monde d’une manière toujours renouvelée. Ceci explique
pourquoi, dans les dictatures, la littérature est une activité étroitement
surveillée : empêcher les citoyens d’écrire et de lire ce qu’ils veulent
revient à leur ôter une possibilité fondamentale de réfléchir, d’exercer
leur liberté et de contester le pouvoir.
En dernière analyse, la littérature apparait comme une occasion
formidable d’ouverture à d’autres expériences humaines. En cela, elle
présente un enjeu existentiel et philosophique fondamental, d’autant
plus que, tout en ouvrant ses lecteurs à une diversité d’expériences,
elle développe souvent chez eux le sens de l’altérité et la compassion.
Aussi ne semble-t-il pas excessif de penser que le degré de tolérance
et de démocratie d’une société est largement fonction de l’importance
qu’elle accorde à la littérature, et qu’à l’inverse, les sociétés où elle est
peu pratiquée et peu lue pas sont plus facilement la proie des préjugés
et des ostracismes. Même si elle ne suffit pas à le garantir, la littérature
forge le sens démocratique.

Pour toutes les raisons qui viennent d’être évoquées, apprendre à


lire et à connaitre les textes littéraires apparait à la fois comme un
outil essentiel pour la formation psychologique et morale de tous les
individus et comme une base pour pouvoir s’épanouir dans la vie
intellectuelle.
Mais si la littérature présente des enjeux essentiels, est-il nécessaire
pour autant de s’intéresser à sa théorie ?

B. La théorie de la littérature, pour quoi faire ?


Pour la plupart des lecteurs et des écrivains, la question ne se pose pas :
la littérature est avant tout objet d’une pratique passionnée, mais nul
n’est besoin, pour l’écrire ou pour la lire avec bonheur, de s’intéresser

6 R. Barthes, Leçon, op. cit., pp. 18-19.

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Introduction

à ses mécanismes ni de l’approcher d’un point de vue conceptuel.


écoutons à ce propos la mise en garde de Danièle Sallenave :
« Lire est une connaissance et une expérience du monde, auxquelles
on n’accèdera pas forcément parce qu’on aura appris à repérer dans
un écrit quels sont les «adjuvants» et les «opposants» que rencontre
le héros ou le personnage principal, et qui favorisent ou retardent
son action. Laissons Greimas et la sémantique structurale aux futurs
professeurs – et encore.
On n’a pas besoin, pour aimer lire, pour aimer les livres de fiction,
de poésie et d’imagination, de tout un embarras théorique qui accroit
la distance avec les livres au lieu d’en rapprocher. Ni du recours à
des notions issues pour l’essentiel d’une linguistique aujourd’hui en
déclin. Le professeur peut y être initié, à l’occasion, pour maitriser
ce dont il parle, mais ce qu’il doit enseigner, c’est la pratique, pas la
théorie des livres. »7
Alors à quoi bon se consacrer à la théorie de la littérature ? La réponse
est simple : en posant un regard général et technique sur la littérature
et ses textes, cette discipline augmente les possibilités de leur attribuer
du sens et de la valeur, et par là de mettre en évidence leur force
d’interpellation ou leur puissance transformatrice.
Plus précisément, quatre fonctions au moins peuvent être attribuées à
la théorie de la littérature :
1° elle nous apprend à mieux situer chaque œuvre par rapport aux
concepts, aux genres et aux procédés qu’elle mobilise, et par là,
elle nous permet de mieux saisir sa spécificité et son intérêt ;
2° elle enrichit nos outils et nos méthodes de lecture, notamment
lorsque nous nous préparons à analyser des œuvres littéraires dans
le cadre d’un apprentissage ou d’un enseignement ;
3° elle nous invite à mettre nos habitudes de lecture et nos jugements
de valeur littéraires en question et en perspective ;
4° elle nous apprend à mieux sentir et évaluer les œuvres, notamment
en nous exerçant à distinguer nos jugements de gout (« en vertu
de mes préférences personnelles, j’aime ou je n’aime pas cette
œuvre ») et nos jugements de valeur (« indépendamment de mon
appréciation spontanée, je reconnais ou non de la valeur à cette
œuvre en vertu de tel ou tel critère intersubjectif »).
L’étude de la théorie de la littérature correspond ainsi clairement à
un enjeu de distanciation critique : elle n’est certes pas indispensable

7 D. Sallenave, Nous, on n’aime pas lire, Paris, Gallimard, 2009, p. 99.

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Théorie de la littérature

pour nous faire aimer la littérature, mais elle est un moyen d’aug-
menter notre plaisir et notre intérêt à son égard. Qui plus est, dans le
contexte d’une formation universitaire en « langues et lettres », elle
apporte aux étudiants un « savoir savant » qui leur permet de passer
de la pratique à la science, et du statut de simple amateur à celui
de connaisseur. Elle est aussi, comme l’admet Danièle Sallenave, un
ensemble de savoirs utiles pour le futur professeur, qui aura besoin,
pour transmettre la littérature à des élèves, de « maitriser ce dont il
parle ». Enfin et surtout, lire des textes avec des outils théoriques,
c’est leur permettre de produire le maximum de leurs effets, et par là
apprendre à regarder le monde sous un angle neuf et interpellant.

Le sens de notre entreprise étant ainsi, nous l’espérons, quelque peu


clarifié, il nous faut maintenant définir – ou tout au moins débrous-
sailler – les concepts clés sur la base desquels toute théorie de la litté-
rature est obligée de se constituer : nous voulons parler d’une part
des notions de texte, d’écriture et de lecture, qui amènent à poser la
question du sens, et d’autre part de la notion de littérature, qui relève,
elle, du problème de la valeur. Ces notions feront l’objet de nos deux
premiers chapitres.
Après cette clarification conceptuelle, nous nous intéresserons à la
littérature du point de vue des types et des genres de texte qui la
constituent. Pour ce faire, il s’agira d’abord de montrer comment la
notion de genre littéraire a été pensée depuis l’Antiquité jusqu’à nos
jours (ce sera la matière de notre chapitre 3) ; nous entreprendrons
ensuite l’examen approfondi des trois types de textes majeurs qui
ont été distingués depuis le XVIIIe siècle, à savoir le texte dramatique
(chapitre 4), le texte poétique (chapitre 5) et le texte narratif (chapitre
6). Dans notre dernier chapitre, nous essaierons enfin de montrer
combien les différents concepts dégagés dans ce livre permettent de
mettre en œuvre une méthode d’analyse qui porte l’attention non plus
seulement sur le matériau textuel, mais sur la manière dont il se prête
à la lecture.

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Chapitre 1

Des théories du texte aux théories


de la lecture

Les derniers développements de la théorie du texte ont été le lieu d’un


renversement de perspective lourd de conséquences : alors qu’elle
avait généralement privilégié le point de vue de la production des
textes par leurs auteurs, la recherche s’est centrée de plus en plus sur
celui de la réception. « La théorie se doit d’être d’abord une consi-
dération approfondie du statut et du pouvoir du lecteur », écrit sans
ambages Stéphane Santerres-Sarkany en 19901. Nous commencerons
ici par évoquer les raisons de cette évolution et par dresser un rapide
panorama des principales orientations qui se partagent aujourd’hui le
champ des recherches sur la lecture.

A. Les théories du texte


Jusqu’à la fin des années 1970, le privilège était accordé soit au texte,
considéré comme un objet déjà-là qu’il s’agissait de circonscrire,
soit à certains éléments de son contexte d’énonciation. On pouvait
dénombrer pas moins de six types d’approches.
– L’approche exégétique considérait le texte comme une œuvre
dotée d’un sens canonique et définitif. Elle adoptait à son égard une
attitude à la fois finaliste (il fallait en restituer le sens, se montrer
fidèle à sa lettre et/ou à l’intention de son auteur) et transcen-
dante (la découverte du sens exact ne pouvait se faire qu’à l’aide
de connaissances plus ou moins savantes). Au moyen âge, cette
approche s’est illustrée dans le domaine religieux à travers la théorie
des quatre sens, qui distinguait dans tout texte de la Bible un sens
littéral ou historique (l’histoire racontée) et trois types de sens spiri-
tuels ou allégoriques : le sens typologique ou allégorique au sens

1 Théorie de la littérature, Paris, PUF, 1990 (Que sais-je ?), p. 59.

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strict, qui consistait à lire l’Ancien Testament comme l’annonce du
Nouveau, le sens moral ou tropologique, qui dégageait la portée
éthique du récit, et le sens anagogique, qui concernait l’évocation
des fins dernières de l’humanité.
Par la suite, l’approche exégétique a marqué durablement une
certaine critique universitaire hantée par la recherche de « clés »
susceptibles d’éclairer l’ensemble du texte (cf. notamment les
travaux de Léo Spitzer, axés sur la quête de l’« étymon spirituel » de
chaque œuvre, ou ceux du Père Guillaume, centrés sur la recherche
des « mots-thèmes » propres aux différents écrivains).
– Dès le XIXe siècle, s’est développée une autre approche des textes,
celle de la philologie, qui s’est progressivement scindée en deux
voies assez distinctes. En France, cette approche a pris un sens étroit
et a désigné un ensemble de méthodes visant à établir ou rétablir
le texte dans son intégrité, ses variantes, sa date, ses sources... En
Allemagne, la philologie possède un sens plus large, celui d’une
science de la culture, soucieuse de relier les documents aux civili-
sations qui les ont portés.
– C’est également au XIXe siècle que remontent les premières
approches contextuelles. Fondées sur une option relativiste,
celles-ci perçoivent le texte comme l’expression ou le reflet d’une
réalité antérieure, en particulier la vie de l’auteur et l’histoire de la
littérature. Elles débouchent ainsi sur des analyses biographiques
ou psychologiques d’une part (un lien sacro-saint étant établi entre
la vie et l’œuvre), et sur des études historiques d’autre part (vogue
de l’Histoire littéraire à l’université suscitée au début du XXe siècle
par Lanson). À partir de 1950, le biographisme et l’histoire littéraire
commencent à refluer face à la vogue des analyses sociologiques,
généralement marxisantes : mais dans un cas comme dans l’autre,
il s’agit toujours d’aborder la littérature au départ d’un contexte qui
lui est extérieur.
– L’approche immanente, quant à elle, était née chez les Roman-
tiques allemands : centrée sur les rapports de sens internes à
l’énoncé qu’elle prétendait restituer de manière objective, sans
référence à des savoirs extérieurs, elle considérait le texte comme
un système de signes clos sur lui-même et n’ayant d’autre fin que
lui-même (c’est-à-dire autotélique). Au XXe siècle, cette approche
a connu un succès considérable sous le nom d’analyse structurale

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(cf. par exemple les travaux publiés dans les années 1960-1970
par Todorov)2.
– Le structuralisme a longtemps été prolongé par une approche inter-
textuelle ou transtextuelle, qui lisait le texte comme une structure
ouverte, entretenant un réseau de relations avec d’autres textes.
Bakhtine développe ainsi la notion de « polyphonie », qui désigne
notamment la diversité des langages et des discours de toutes
origines qui se tressent dans les textes3, tandis que Kristeva, qui
considère la multiplicité des « intertextes » possibles, perçoit le
texte littéraire comme le lieu d’une « productivité » infinie4.
Dans Palimpsestes (1982), Genette a distingué cinq formes fonda-
mentales de transtextualités, c’est-à-dire de relations pouvant
unir deux textes : (1) l’intertextualité au sens strict désigne le jeu
des citations et des références ; (2) la paratextualité désigne les
rapports du texte avec sa périphérie immédiate : couvertures,
titres, épigraphes, préfaces, 4e de couverture... ; (3) la métatex-
tualité désigne les commentaires dont le texte peut faire l’objet ;
(4) l’hypertextualité désigne le jeu des réécritures, dans lequel
un « hypotexte » se trouve soit imité soit transformé, selon un
régime qui peut être sérieux, satirique ou ludique (voir le tableau
ci-dessous) ; (5) enfin, l’architextualité désigne la relation essen-
tielle que tout texte entretient avec un ou plusieurs « types » ou
« genre » littéraire ou discursif. On appelle encore parfois « trans-
textualité généralisée » la référence non plus à des textes ou à
des architextes, mais aux discours sociaux… mais dans ce cas, la
transtextualité se confond avec l’approche contextuelle.

Tableau général des pratiques hypertextuelles (Genette 1982, p. 37)

régime
ludique satirique sérieux
relation
transformation parodie travestissement transposition

imitation pastiche charge forgerie

2 On en trouve déjà le programme chez Aristote, et, sous l’influence de


Spinoza et de ses émules (notamment Schleiermacher), elle est devenue le
fondement de la discipline philologique.
3 Voir, au chapitre 2, le point sur « L’approche dialogique ».
4 Cf. J. Kristeva, Σηµειωτικη. Éléments pour une sémanalyse, Paris, Seuil,
1969.

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Théorie de la littérature

– Certains critiques vont plus loin. Soucieux de valoriser au maximum


l’ouverture du sens, ils prônent une approche plurielle : à l’idée d’un
sens unique ils substituent celle de l’« œuvre ouverte », du texte
pluriel en proie aux incertitudes de la « signifiance » (cf. Blanchot,
Eco, Barthes, Derrida, de Man). La forme la plus aboutie de cette
manière de lire est développée par Barthes dans S/Z (1970), qui
se fonde sur cinq codes entremêlés : le code des Actions (proaï-
rétique), ou voix de l’Empirie, le code herméneutique (l’énigme),
ou voix de la Vérité, les codes culturels ou de références, voix
de la Science, les Sèmes ou signifiés de connotations, voix de la
Personne, et enfin le Champ symbolique qui renvoie aux symboles
psychanalytiques.

B. Les théories de la lecture


À la fin des années 1970, tant en Allemagne (Jauss, Iser et l’École de
Constance) que dans le domaine français au sens large (Charles, Riffa-
terre, Renier), paraissent différents travaux qui affirment que la source
de la production du sens ne réside pas vraiment ou pas seulement
dans le texte, mais aussi et peut-être d’abord dans le récepteur, le sujet
lisant. Deux idées qui avaient déjà été avancées, notamment par le
Pragois Mukarovsky, s’imposent désormais :
1° tant qu’il n’est pas « concrétisé » dans une lecture donnée, le texte
est un produit inachevé, un message purement virtuel ;
2° considéré en lui-même, le texte n’est qu’un ensemble d’indétermi-
nations, d’ouvertures de sens que seule la collaboration active d’un
lecteur peut transformer en système ordonné de significations.
Par-delà leur commune adhésion à ce double postulat, les théories de
la lecture se laissent partager en deux grandes catégories.
Les unes restent centrées sur le texte et s’intéressent à la manière dont
celui-ci influencerait, voire déterminerait, l’activité de ses récepteurs.
Le point de vue adopté ici est donc interne : on présuppose qu’il existe
une structure contraignante de la textualité, que dans chaque texte est
inscrit un programme de lecture spécifique, une « rhétorique de la
lecture » (Charles), un « lecteur implicite » (Iser) ou « modèle » (Eco),
autrement dit une instance théorique censée percevoir les effets esthé-
tiques (Iser), sociologiques (Adorno) ou psychiques (Jouve) produits
par le texte.

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Des théories du texte aux théories de la lecture

Les autres théories sont centrées sur le lecteur empirique et s’inté-


ressent aux divers aspects de son activité. Résolument externes, elles
cherchent tantôt à décrire les « régies de lecture » observables dans la
réalité (Gervais), tantôt à rendre compte de l’influence exercée sur la
lecture par les différents contextes de réception, que ce soit ceux de
l’histoire (cf. Jauss, Chartier, Labrosse, Manguel), ceux du psychisme
des lecteurs (cf. Picard, Jouve, Bayard) ou ceux des divers groupes
sociaux (cf. Escarpit, Bourdieu, Lafarge, Leenhardt, Poulain).
En Allemagne, ces deux types de théories ont été appelés respecti-
vement théorie de l’effet et théorie de la réception5. Ces deux perspec-
tives ont été exploitées avec diverses variantes au sein de différentes
disciplines6.

C. Le double jeu de la lecture

1. Au-delà de l’opposition entre effet et réception


Si elles ont plutôt tendance à s’exclure mutuellement, les théories de
l’effet et de la réception se présentent parfois comme complémen-
taires : en témoigne la collaboration au sein de l’École de Constance
entre l’esthétique de la réception de Jauss et l’esthétique de l’effet
de Iser. À nos yeux, cette conception dialectique du rapport entre
les deux approches est éminemment souhaitable, car, lorsqu’on les
envisage isolément, les deux options présentent l’une comme l’autre
des défauts difficiles à ignorer.
D’un côté, du fait qu’elle refuse de considérer les motivations et les
compétences du sujet lisant, la notion de lecture modèle programmée
par le texte ne rend pas compte suffisamment de la diversité des codes
et des modes de lecture qui peuvent servir à produire le sens d’un
texte. En outre, il est impossible, lorsqu’on s’en tient au texte seul, de
déterminer la nature et l’origine des structures textuelles (des « lieux

5 Cf. W. Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Liège, Mardaga,


1985, p. 5.
6 Cf. S. Suleiman et I. Crosman (dir.), The Reader in the Text : Essays on
Audience and Interpretation, Princeton University Press, 1980. Pour une
présentation succincte, voir J.-L. Dufays, L. Gemenne & D. Ledur, Pour une
lecture littéraire, Bruxelles, De Boeck, 2005, pp. 63-70.

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Théorie de la littérature

de certitude »7) censées programmer la lecture, car les marqueurs qui


devraient servir de « guides sûrs » (par exemple les titres, les incipit,
les clausules) ne sont perçus comme pertinents qu’en vertu d’une
hypothèse de lecture qui peut fort bien varier selon les lecteurs et
s’avérer insatisfaisante.
À l’inverse, il parait incontestable que, même si chaque lecteur est
libre de lire à sa guise, la lecture ne se réduit pas pour autant à un
phénomène purement subjectif. Le choix que chaque lecteur peut
faire entre des points de vue interprétatifs divers est en effet limité par
l’« horizon d’attente », le contexte socioculturel dans lequel il vit ; il
est obligé de puiser ses pôles de référence parmi des connaissances
qu’il partage plus ou moins largement avec les autres lecteurs de son
époque et de sa culture. Impossible par exemple, pour qui a entendu
parler de Rimbaud, de lire aujourd’hui un texte de cet auteur sans avoir
à l’esprit quelques représentations stéréotypées relatives au « Voyant
de Charleville », à sa quête exaltée de l’absolu ou à son aventure
poétique. Impossible aussi de lire le fameux vers de Bérénice « Dans
l’Orient désert, quel devint mon ennui »8 sans lui conférer les conno-
tations modernes que trois siècles d’histoire et de culture ont inéluc-
tablement associées aux mots « Orient », « désert » et « ennui », en
démarquage complet avec leurs significations primitives. Il existe donc
pour tous les lecteurs qui appartiennent au même groupe sociocul-
turel un réseau virtuel d’effets textuels communs qui peuvent donner
l’illusion d’être programmés par le texte mais qui proviennent en fait
de schémas cognitifs communs, de stéréotypes. Comme le dit Charles
Grivel, « l’acte de lecture procède de la doxa, l’usage de l’œuvre,
bon gré, mal gré, s’y fonde »9. Le fait que nombre de stéréotypes aient
traversé les âges et les cultures assure certes une durée très longue à
certains effets de sens. Cependant, le fait que de nombreux stéréo-
types du passé soient aujourd’hui tombés en désuétude empêche
d’affirmer que les effets d’un texte lui sont immanents, attachés de
manière définitive10.

7 M. Otten, « Sémiologie de la lecture », in M. Delcroix et F. Hallyn (dir.),


Méthodes du texte. Introduction aux études littéraires, Paris-Gembloux,
Duculot, 1987, pp. 340-350.
8 J. Racine, Bérénice (1670), acte I, scène 4.
9 Ch. Grivel, « Vingt-deux thèses préparatoires sur la doxa, le réel et le
vrai », in Revue des sciences humaines, 201, 1986, p. 51.
10 Pour plus de développements à ce propos, voir J.-L. Dufays, Stéréotype et
lecture. Essai sur la réception littéraire, Liège, Mardaga, 1994.

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Des théories du texte aux théories de la lecture

2. Texte et lecture : définitions


Ces réflexions nous amènent à donner du texte et de la lecture une
définition à deux niveaux. D’une part, il faut admettre que la lecture
est un processus de construction qui repose sur les compétences et
les motivations du lecteur et que, tant qu’il n’est pas soumis au filtre
d’une lecture, le texte n’est qu’un pur artefact dénué de toute signi-
fication11. Mais d’autre part, la prégnance des stéréotypes est telle
que, sitôt qu’il est situé dans un contexte socioculturel donné, le texte
devient un objet social dont les signifiants peuvent être référés à des
schémas sémantiques de ce contexte, et la lecture devient quant à
elle un processus de reconnaissance et de combinaison d’une matière
préexistante.
Artefact à faire signifier/objet social à reconnaitre : ces deux défini-
tions apparemment contradictoires sont en réalité deux faces d’un
même phénomène. Elles attestent que, loin d’être le simple décodage
d’un sens déjà-là, la lecture est un processus dialectique où la liberté
et la contrainte se mêlent de manière indissociable.

3. Intention de l’auteur/intention du lecteur/intention « du texte »


Si tout texte est donc définissable en partie comme un objet social à
reconnaitre, il est possible et utile didactiquement de préciser quelque
peu l’origine des sens qui peuvent être reconnus. Pour ce faire, nous
reprendrons ici avec certains aménagements la distinction qu’a établie
U. Eco entre les différentes sources auxquelles peuvent être référées
les significations d’un texte12. Pour Eco, les sens peuvent relever de
trois origines ou de trois « intentions » distinctes :
– l’intentio auctoris : les intentions conscientes de l’auteur, les savoirs
qu’il a voulu exposer, les thèses qu’il a voulu défendre ;
– l’intentio lectoris : les intentions du lecteur, les sens qu’il a cherché
à faire advenir, qu’il a sollicités au départ du texte en projetant ses
propres connaissances et ses propres préoccupations ;
– l’intentio operis : pour Eco, il s’agit là des significations poten-
tielles, qui sont immanentes aux structures de l’œuvre et peuvent

11 Fr. Rutten, « Sur les notions de texte et de lecture en critique littéraire »,


in Revue des Sciences humaines, 177, 1980, pp. 67-83.
12 U. Eco, Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1992, pp. 29-32.

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Théorie de la littérature

faire l’objet d’un repérage objectif. Pour nous, il s’agit plutôt des
sens partagés, reconnaissables par différents lecteurs d’une même
génération, qui résultent du caractère social du texte, et qui n’ont
donc pas nécessairement été voulues comme telles par l’auteur
et ne se réduisent pas non plus à des projections subjectives de
lecteurs particuliers. Ces significations socialement reconnais-
sables dépendent des codes en vigueur au moment de la réception
et évoluent de génération en génération : aucun lecteur parti-
culier n’a donc le pouvoir de les saisir toutes. En outre, elles ne
sont évidemment pas partagées par tous les lecteurs d’une même
génération : certaines ne sont perçues que par un petit nombre
de lecteurs subtils ou érudits. Dire que des significations sont
« socialement reconnaissables » ne signifie donc pas qu’elles sont
évidentes ou faciles à déceler : cela veut seulement dire que leur
identification se fait à l’aide de codes non individuels disponibles
dans le contexte de réception.
Entre ces trois instances, il existe des recoupements qu’un schéma
ensembliste comparable à celui que propose Poslaniec13 permet de
bien percevoir :

Champ du texte
(intentio operis)

2
Champ de la création
consciente
Champ de la lecture
(intentio auctoris) 1 (intentio lectoris)
3

Ce schéma montre que, dans le champ de la lecture, qui est le seul à


jouer un rôle réel, seule une partie des intentions de l’auteur (1) et des
potentialités de l’œuvre (2) sont perceptibles, mais qu’en revanche,
une série de significations sont le fait du seul lecteur (3).
Remarquons que, dans les faits, la distinction entre les intentions
de l’auteur et celles du texte est souvent très malaisée à établir, car
comment savoir ce qui, du texte, a été voulu par l’auteur (1) et ce qui
lui a échappé (2) ? À la limite, seul l’auteur lui-même serait apte à le
dire. Cette distinction est cependant indispensable, car elle permet de

13 Chr. Poslaniec, De la lecture à la littérature, Paris, Sorbier, 1992, p. 128.

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Des théories du texte aux théories de la lecture

montrer que les potentialités d’un texte peuvent toujours dépasser ce


que l’auteur lui-même en a perçu.
De nombreux témoignages d’écrivains corroborent cette réalité,  à
commencer par ceux d’Eco et de Poslaniec eux-mêmes qui, tous deux,
combinent leur activité de critique avec celle de romancier.
D’autre part, il parait tout aussi indispensable de séparer ce qui, dans
les opérations du lecteur, est de l’ordre de l’interprétation, c’est-à-dire
de la reconnaissance de schémas communs, référables à une culture
collective (2), et ce qui est de l’ordre de l’utilisation, c’est-à-dire de la
projection des schémas personnels, liés à des expériences privées, des
fantasmes, des rêves, etc. (3).
Notre hypothèse est donc qu’une lecture littéraire lucide se doit de
mobiliser et combiner de manière équilibrée ces trois sources de signi-
fication : les sens intentionnels voulus par l’auteur, les sens partagés
qui peuvent être attribués par convention à l’« intention du texte » et
les sens « projetés » plus ou moins volontairement par le lecteur.

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Chapitre 2

La notion de littérature

L’évolution qui a affecté la critique contemporaine quant aux notions


de texte et de lecture s’est doublée d’une interrogation constante sur
la notion de littérature. Après avoir été longtemps tenue pour évidente,
la nature de la littérature est perçue aujourd’hui comme incertaine,
sujette à discussion. Deux problèmes liés entre eux mais néanmoins
distincts sont particulièrement débattus : 1° celui de la spécificité de
la valeur littéraire, 2° celui de l’extension du corpus littéraire et des
opérations de lecture qui le concernent ; ils seront successivement
abordés dans le présent chapitre.

A. La littérarité, valeur immanente ou contextuelle ?


Il semble que ce soit l’abbé Charles Batteux, suivi, peu de temps après,
par Mme de Staël, qui, le premier, employa le terme de « littérature »
pour distinguer et mettre en évidence les œuvres des écrivains au sein
de ce qu’on appelait jusqu’alors les « Belles-Lettres », mais ce n’est
qu’à la fin du XIXe siècle, lorsque les études littéraires commencèrent
à constituer un domaine de connaissance et d’enseignement à part,
que le concept devint réellement l’objet d’une préoccupation1. Au
cours du XXe siècle, le phénomène littéraire a ainsi fait l’objet de deux
approches opposées, l’une, qu’on peut qualifier d’interne, centrée
sur la recherche d’une littérarité immanente aux textes et/ou à leur(s)
contexte(s) d’énonciation, l’autre, qu’on peut qualifier d’externe,
centrée sur la mise en relation des textes avec leur(s) contexte(s)
de réception. Comme on va le voir, ces deux grandes approches
comprennent elles-mêmes plusieurs options bien distinctes.

1 Qui sera discutée au chapitre 3.

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Théorie de la littérature

1. Les approches internes

L’approche formelle

L’approche de la littérature qui a longtemps occupé seule le devant


de la scène est celle qu’on qualifie généralement de formelle. Dès les
années 1920 et 1930, sous l’égide de Roman Jakobson, les cercles
linguistiques de Moscou (les « formalistes russes ») et de Prague (« les
structuralistes tchèques ») se sont attachés à définir la littérarité en
se basant sur les spécificités linguistiques des textes littéraires. Selon
cette approche, relayée en France dans les années 1960 par Todorov,
Genette, Barthes, Greimas et quelques autres, la littérature se carac-
térise par un usage particulier du langage, que l’on peut résumer en
trois traits fondamentaux2.
1° La mise en évidence du langage pour lui-même : par le traitement
spécifique qu’elle réserve au lexique, à la syntaxe, aux rythmes,
aux structures narratives, aux figures, la littérature opèrerait une
défamiliarisation ou une désautomatisation du langage3. Jakobson
a souligné ce fait en élaborant le concept de « fonction poétique »,
qu’il considère non pas comme le propre de la littérature, mais
comme son activité privilégiée.
2° Le rapport étroit avec certaines conventions et d’autres textes de
la tradition littéraire. En arrière-fond du texte littéraire, il y aurait,
tapi dans l’ombre, un réseau « transtextuel » (Genette) fait de types
et de genres (architexte4) et de textes antérieurs (intertextes et
hypotextes) que ce texte manipule, actualise, imite, transforme et
dont la connaissance serait essentielle à la perception de ses effets
de sens.
3° L’intégration compositionnelle des éléments et des matériaux du
texte. Rien, dans un texte littéraire, n’est insignifiant ; tout fait sens,

2 J. Culler, « La littérarité », in M. Angenot et al. (dir.), Théorie littéraire.


Problèmes et perspectives, Paris, PUF, 1989, pp. 31-43. Cf. aussi
G.  Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991, et J.-M. Klinkenberg,
« La définition linguistique de la littérarité : un leurre ? », in L. Milot et
F. Roy (dir.), La littérarité, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1991,
pp. 11-30. Rappelons que le texte fondateur de ce courant est celui
de R.  Jakobson, « Linguistique et poétique », in Essais de linguistique
générale, Paris, Minuit, 1963, pp. 209-248.
3 Ces concepts ont été introduits par Chklovski.
4 La notion est explicitée au chapitre 3.

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La notion de littérature

participe d’une composition d’ensemble dont il faut rechercher le


principe. Les éléments formels, loin d’être gratuits, produiraient
toujours des effets sémantiques et thématiques hautement signi-
fiants, et des éléments thématiques hétérogènes pourraient toujours
être reliés à un principe compositionnel dominant5. Ainsi, tout texte
serait interprétable comme un discours autoréflexif, un commen-
taire sur la littérature, les livres ou la lecture.
L’approche formaliste, on le sait, a fait l’objet de mises en cause
sérieuses dès le milieu des années 1970 par certains de ceux qui
avaient contribué à sa diffusion (Barthes, Todorov). On lui a reproché
d’une part son attention excessive accordée au langage par rapport
aux éléments thématiques et sémantiques – signe d’une esthétique
d’époque ? –, et d’autre part le caractère non exclusif des traits qu’elle
attribue à la littérature : les procédés de la fonction poétique, les jeux
transtextuels et les corrélations entre les éléments textuels de différents
niveaux se retrouvent, parfois massivement, dans quantité de textes
qui ne sont pas pour autant perçus comme littéraires. Un consensus
semble aujourd’hui se dégager pour admettre que, si les éléments
formels contribuent de manière non négligeable à l’effet littérature, ils
n’en sont, à tout le moins, pas les seuls responsables.

L’approche référentielle

En contrepoint de la conception formaliste, des chercheurs comme


Auerbach, Hamburger ou Smith6 ont développé, dans la lignée de la
Poétique d’Aristote, une approche de la littérature qu’on peut qualifier
de référentielle ou de thématique, fondée sur l’analyse du rapport
particulier que la littérature entretient avec le réel. La littérature est ici
définie comme une expérience de réalité fictive, ou plus exactement

5 Pour Riffaterre, ce principe réside dans une matrice décelable en arrière-


fond de chaque texte : « Le poème [...] est le résultat de la transformation
d’une matrice, transformation d’une phrase littérale minimale en
périphrase plus étendue, non littérale et complexe (...). La matrice et le
texte sont des variantes d’une même structure » (« L’illusion référentielle »,
in R. Barthes et al., Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 100).
6 E. Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature
occidentale, Paris, Gallimard, 1969 (1re éd. 1946) (Tel), K. Hamburger,
Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986 (1re éd. 1957), B. H. Smith,
On the Margins of Discourse. The Relation of Literature to Language,
Chicago-Londres, Chicago University Press, 1978.

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Théorie de la littérature

de réalité possible, qui peut mettre en œuvre aussi bien des fictions
que des réalités historiques ou psychologiques : elle constituerait un
type particulier de mimésis qui porterait non pas sur des personnages
et des évènements, mais sur des discours et des actes de langage
« sérieux » – l’auteur ferait semblant d’exposer des faits réels, alors
qu’il les fabrique (Smith) –, ou bien un acte de langage spécifique qui
se distinguerait des autres par son pouvoir de présenter un monde
(Hamburger).

L’approche dialogique

L’approche qu’à la suite de Bakhtine et de Todorov nous qualifions


de « dialogique » est à certains égards une variante de l’approche
interne, puisqu’elle revient à mettre en évidence soit l’intertextualité
au sens large7, carrefour de citations, d’allusions, de parodies, etc.,
soit le caractère dialogal de la littérature (dans le roman tout spécia-
lement), et donc la polyphonie, l’entrelacement des voix de divers
personnages. Dans les deux cas, l’idée est que la littérarité du texte
tient prioritairement à sa richesse dialogique (en dialogues ou en
intertextualité).
Si pour Bakhtine le roman est « un système dialogique d’images,
de langues, de styles, de consciences concrètes et inséparables
du langage »8, chez Lotman, le texte littéraire et l’art en général se
signalent, sur le plan formel comme sur le plan sémantique, comme
des lieux de conflit entre des actualisations fidèles ou déviantes
de conventions, de normes et de traditions9. Un autre exemple de
démarche dialogique est celle de Louise Milot et de Fernand Roy,
qui font reposer l’étude de la littérarité sur la mise en relation dialec-
tique entre les discours dominants relatifs à la littérature dans chaque
contexte d’énonciation et la manière dont chaque texte particulier
thématise les figures de l’écrit10.

7 J. Kristeva, « Le mot, le dialogue et le roman », in Σηµειωτικη, op. cit.,


pp. 82-112.
8 Cf. notamment M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris,
Gallimard, 1978. La citation est tirée de T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine : le
principe dialogique, Paris, Seuil, 1981, p. 103.
9 Y. M. Lotman, La structure du texte artistique, Paris, Gallimard, 1973.
10 L. Milot, « La figure de l’écrit : son inscription dans le texte et dans l’histoire
littéraire », et F. Roy, « La Princesse de Clèves : de la mise en fiction de
la LETTRE comme condition du sens », in L. Milot et F.  Roy  (dir.), La

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La notion de littérature

Des approches combinées

À côté des approches formelle et référentielle « pures » se sont


développés des modèles qui cherchent à définir la littérature ou la litté-
rarité en intégrant plusieurs traits complémentaires, les uns formels, les
autres référentiels. Une telle approche « œcuménique » a notamment
été proposée par Thomas Aron, qui caractérise la littérarité par trois
traits complémentaires : « l’attention portée au pouvoir référentiel du
texte, à l’intégralité de sa “surface” et au “jeu“ par lequel il mobilise
l’affectivité »11.
Un autre exemple d’approche combinée est celle que développe
Barthes dans sa Leçon inaugurale au Collège de France (1978) : selon
celle-ci, la littérature se distingue par trois « forces », la mathésis,
qui concerne le rapport aux savoirs (la littérature « fait tourner les
savoirs »), la mimésis, qui concerne le rapport au monde (la littérature
serait une tentative utopique de représenter le réel), et la sémiosis, qui
concerne le rapport au sens (la littérature serait une mise en jeu conti-
nuelle des signes et du langage).

2. Les approches externes

L’approche lecturale

Si les tenants du formalisme et du référentialisme ont en commun de


se fonder sur les qualités supposées intrinsèques des textes, d’autres
théoriciens se sont avisés qu’en dernier recours, ce ne sont pas les
textes qui imposent leur littérarité, mais le lecteur qui décide de leur
conférer cette valeur. On retrouve dès lors ici l’approche centrée sur
la lecture, qui étudie la manière dont les textes sont lus, et, en parti-
culier, la manière dont ils sont « littérarisés » par la lecture. L’étude du
caractère littéraire des textes fait place à l’« esthétique de la réception »
(Jauss), à la « théorie de l’effet esthétique » (Iser) ou à la « lecture litté-
raire » des textes (Picard, Gervais, Poslaniec, Dufays) dont nous avons

littérarité. Actes du colloque de Québec des 1-3 novembre 1989, Sainte-


Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1991, pp. 1-10 et 81-93.
11 Th. Aron, Littérature et littérarité. Un essai de mise au point, Paris, Les
Belles Lettres, 1984 (Annales littéraires de l’Université de Besançon,
292), p. 7.

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Théorie de la littérature

déjà parlé ici. Selon cette nouvelle approche, la question n’est plus
de savoir ce qu’est la littérature comme objet ou comme produit fini,
mais ce qu’elle est en tant que projet ou représentation dans la tête
de celui qui lit.
Deux tendances sont alors possibles. Les uns s’intéresseront à la
diversité des interprétations et des évaluations du « littéraire », sur le
plan historique (Jauss, Chartier12) ou sociologique (Escarpit, Leenhardt
et Józsa13). D’autres tenteront plutôt de définir les fonctionnements
communs de la lecture littéraire aujourd’hui en répertoriant les opéra-
tions et les modes d’évaluation que l’on peut investir pour faire de la
lecture une activité littéraire.
Fondant, à la suite de Jean Cohen14 sa démonstration sur la lecture
d’un simple fait divers (« Sur la Nationale 7, une automobile roulant a
du cent à l’heure s’est écrasée contre un platane. Ses quatre occupants
ont été tués »), Marghescou a ainsi montré qu’on pouvait littérariser la
lecture de n’importe quel texte en effectuant une triple opération :
(1) l’abolition de la fonction référentielle habituelle (dans le cas du
fait divers, cela se produit dès le moment où l’on considère que
celui-ci ne se limite pas à une anecdote banale) ;
(2) la manifestation archétypale du signe (le fait divers devient
emblématique par exemple de l’échec de l’ambition moderne
consistant à vouloir conquérir le temps et l’espace, à l’échelle de
la Nation française, incarnée de manière mythique par une route
portant le numéro 7, nombre premier réputé sacré, et le nombre
des victimes – 4 comme les points cardinaux, les évangélistes, les
couleurs du jeu de cartes, etc. – apparait comme un symbole de
totalité) ;
(3) l’actualisation de toutes ses virtualités sémantiques (la voiture
symbolise à la fois la vitesse, la technologie, l’enfermement, l’égo-
centrisme, l’ambition, etc., et son échec signifie, outre l’échec
de toutes ces valeurs, l’affirmation du caractère éphémère de la
Culture face à la permanence et à la solidité de la Nature)15.

12 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978 ;


R. Chartier, Pratiques de la lecture, Paris, Rivages, 1985, et Lectures et
lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987.
13 R. Escarpit (dir.), Le littéraire et le social ; J. Leenhardt et P. Józsa, Lire la
lecture, op. cit.
14 J. Cohen, La structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966.
15 Le concept de littérarité, Paris, Kimé, 2009 (éd. orig. : 1974), pp. 63-67.

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La notion de littérature

D’une manière différente, Picard définit la lecture littéraire comme la


combinaison de trois regards dialectiques : conformité/subversion (la
lecture littéraire met au jour une « subversion dans la conformité »),
sens/signification (elle effectue l’« élection du sens dans la polysémie »)
et faux/vrai (elle constitue une « modélisation par une expérience de
réalité fictive »)16 : autrement dit, pour Picard, rendre un texte litté-
raire consiste à manifester sa valeur selon des critères apparemment
contradictoires.
Pour Gervais, qui prolonge les thèses de Riffaterre et du Groupe µ,
la lecture littéraire réside plutôt dans le passage d’une régie de la
progression (c’est-à-dire une lecture « heuristique » ou « linéaire »
qui privilégie les référents) à une régie de la compréhension (c’est-à-
dire une lecture « herméneutique » ou « tabulaire » qui privilégie les
significations)17. Enfin, Poslaniec confère à la notion de lecture litté-
raire une extension maximale en considérant comme littéraire toute
lecture où l’on éprouve de l’étonnement ou de l’admiration18.

L’approche institutionnelle

Si elle ouvre le champ du littéraire à l’extériorité du texte, l’approche


lecturale individuelle peut se voir reprocher de laisser dans l’ombre
le cadre socio-économique de la lecture, les valeurs symboliques
liées au nom de l’auteur, à l’éditeur, à la collection, au type de
couverture, au prix du livre, au discours critique le concernant, bref,
un ensemble de données qui relèvent de ce que Bourdieu19 a appelé
l’institution littéraire. Lorsqu’on étudie les rapports qu’elle entretient
avec les éléments institutionnels, la littérature cesse d’être un effet de
lecture individuel pour devenir un effet de champ, une valeur relative
qui évolue en fonction des positions que prennent les « agents »

16 La lecture comme jeu, op. cit., p. 266.


17 Cf. « Les régies de la lecture littéraire », in La lecture littéraire, Tangence,
36, mai 1992, pp. 8-18. L’opposition entre lectures heuristique et
herméneutique est posée par M. Riffaterre (Sémiotique de la poésie, Paris,
Seuil, 1983) et la distinction entre lectures linéaire et tabulaire est due au
Groupe μ dans Rhétorique de la poésie (Paris, Seuil, 1990 ; 1re éd. 1977
(Points, 216)).
18 De la lecture à la littérature, op. cit., pp. 75-96.
19 Cf. notamment « Le champ littéraire », in Actes de la recherche en
sciences sociales, 89, 1991 et Les règles de l’art, Paris, Minuit, 1992.
Cf. aussi Cl. Lafarge, La valeur littéraire, Paris, Fayard, 1983.

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Théorie de la littérature

occupant une place « légitimée » dans le champ, c’est-à-dire, pour


notre époque, les critiques, les grands éditeurs, les membres des
académies et des jurys littéraires et les auteurs reconnus, qui, pour la
littérature francophone, gravitent très majoritairement autour de Paris.
S’ajoute à cela le pouvoir d’influence considérable des responsables
scolaires et des experts universitaires, qui consacrent des écrivains en
les promouvant dans leurs programmes, leurs manuels, leurs cours ou
leurs recherches.
Ce type d’analyse amène à distinguer les textes de la « sphère de
production large » (best-sellers, œuvres de série et productions dites
« paralittéraires », qui se conforment à des canons établis pour viser
la conquête d’un « capital économique ») et ceux de la « sphère de
production restreinte » (textes novateurs, modernes, d’avant-garde,
visant la conquête d’un « capital symbolique »), ainsi qu’un classement
des « agents » en fonction de la place stratégique (symboliquement
« dominée » ou « dominante ») qu’ils occupent dans le champ.
L’approche institutionnelle permet par ailleurs de comprendre que la
littérature n’a pas toujours constitué un champ autonome. Jusqu’à la fin
du XVIIIe siècle, elle était en effet dominée par les pouvoirs politiques
et religieux et largement obligée pour exister de se soumettre aux
demandes et au contrôle de ces deux autorités. Les actes individuels
d’affirmation ou de résistance d’auteurs comme Rabelais, Molière ou
Voltaire sont d’autant plus remarquables qu’ils étaient exceptionnels
et impliquaient une réelle prise de risque. L’accession progressive de
la littérature à l’autonomie se fera au cours du XIXe siècle au travers
d’une succession d’évènements, tels que la création d’une Société des
gens de lettres, l’édiction de lois protégeant les droits d’auteurs, la
constitution d’une série de sociétés savantes et de jurys qui se sont
mis à décerner des prix, puis d’éditeurs et de journalistes spécialisés
dans la littérature, etc. Après la Révolution française, les écrivains ne
sont plus obligés pour vivre de dépendre de grands personnages de
la Cour ou de l’Eglise, mais s’il conquièrent ainsi leur liberté intellec-
tuelle, la plupart d’entre eux ne bénéficient plus d’aucune protection
matérielle : ils sont désormais des travailleurs censés gagner leur vie et
s’imposer dans la société par leurs propres forces, ce qui ne va guère
de soi et explique l’émergence de la figure de l’écrivain marginal,
voire maudit, qui traversera tout le XIXe siècle.

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La notion de littérature

L’approche polysystémique

Si l’approche institutionnelle compte beaucoup d’adeptes dans les


pays francophones, dans les pays anglophones, elle tend à être concur-
rencée par une théorie encore plus ambitieuse, qui entend relier l’étude
du fait littéraire à l’ensemble des codes, non seulement institutionnels,
mais aussi génériques, linguistiques, culturels qui interviennent dans
la constitution de ses effets. La littérature, à l’instar des autres formes
de communication, est vue ici comme « un ensemble hiérarchisé de
systèmes qui s’interpénètrent et qui se combattent »20. Cette approche,
qui se qualifie elle-même de « polysystémique », a été développée
dès les années 1970 par les Israéliens Even-Zohar et Toury21.
Remarquons que, comme les théories de la lecture, par-delà leurs
oppositions apparentes, les approches qu’on vient de résumer
peuvent se vouloir ou s’avérer très complémentaires : ainsi, comme
l’a souligné J.-M. Klinkenberg, l’étude des formes textuelles n’est
nullement exclusive d’une approche institutionnelle22, et de même,
rien n’empêche de considérer la perspective lecturale comme une
partie ou une condition de la perspective institutionnelle.
Parmi les approches qui intègrent une diversité de perspectives, une
place particulière doit être faite à la théorie de la triple mimésis23
développée par Ricœur dans Temps et récit (1983). Se fondant sur les
écrits de saint Augustin et d’Aristote, celui-ci propose de distinguer, à
propos de tout récit :
– la « préfiguration » de l’intrigue, c’est-à-dire son enracinement
« dans une pré-compréhension du monde de l’action » (mimésis I) ;
à ce niveau, il s’agit d’identifier les traits structurels de l’agir
humain ainsi que ses médiations symboliques et ses structures
temporelles ;
– la « configuration » des actions dans une fiction créatrice, qui
résulte de de la médiation entre les faits isolés et l’histoire globale,
de la composition de facteurs hétérogènes (agents, buts, moyens,

20 J. Lambert, « Un modèle descriptif pour l’étude de la littérature comme


polysystème », in Contextos, V/9, 1987, p. 51.
21 I. Even-Zohar, « Polysystem Theory », in Poetics Today, 1/1-2, 1979,
pp. 287-309. Cf. aussi les travaux de Sh. Yahalom, de B. Hernstein-Smith
et de J. Lambert.
22 Cf. « La définition linguistique de la littérarité : un leurre ? », op. cit.
23 Ricœur écrit « mimèsis » avec un « è ». Par souci d’unité avec les autres
usages, nous adoptons ici la graphie avec un « é ».

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Théorie de la littérature

interactions…) et de la synthèse temporelle de cet ensemble


(mimésis II) ;
– la « refiguration » du récit dans « le temps de l’agir et du pâtir »,
opération qui résulte de « l’intersection du monde du texte et du
monde de l’auditeur ou du lecteur » (mimésis III).
Se limitant au récit, Ricœur ne prétend pas définir la littérature en tant
que telle dans son ensemble, mais son approche illustre bien l’arti-
culation des points de vue de la production (mimésis I et II) et de la
réception (mimésis III).

3. Regards croisés sur l’effet littérature

Un phénomène institutionnel

On le voit, prétendre définir l’effet littérature de telle ou telle manière,


c’est courir le risque de privilégier une chapelle – un système de
valeurs – au détriment des autres, et de mêler à l’analyse « objective »
des contenus textuels l’imposition « subjective » d’une valeur, néces-
sairement relative et contestable. Cette relativité des définitions du
littéraire a été particulièrement mise en exergue par les travaux de
la sociologie des institutions (Bourdieu, Lafarge) qui voient dans la
littérature non pas une valeur déterminée, mais un champ de bataille
où s’affrontent les défenseurs de diverses valeurs, et où l’on observe,
à chaque époque, la domination provisoire de certaines conceptions
(dites « dominantes ») sur les autres (dites « dominées »). Le concept
de stéréotype joue une place essentielle dans ce processus, car il
sert aux dominants à dénoncer les contre-valeurs dont se repaissent
les dominés. Dans ce contexte, toutes les tentatives pour définir la
littérature ne constituent jamais que des « prises de position dans
le champ », des « coups » qui relèvent davantage de la stratégie
politique – d’une conquête de pouvoir – que du discours scienti-
fique.
Notre propos ici n’est pas de contester la réalité de ce fonctionnement.
Il nous semble cependant que la conscience de la relativité de toute
(pro)position ne doit ni ne peut empêcher la recherche d’un modèle
théorique correspondant mieux que d’autres à la spécificité de l’objet
qu’il s’agit de décrire. S’il est vain d’espérer arriver à une définition
définitive de la littérature, n’est-il pas permis de penser que certaines
approches du phénomène peuvent s’avérer du moins plus puissantes
que d’autres ?

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La notion de littérature

En l’occurrence, il nous semble que la manière la plus satisfaisante


aujourd’hui de caractériser la littérarité consiste à affirmer, pour les
raisons que nous exposerons ci-dessous, son caractère à la fois lectural
et scriptural, son caractère graduel et son caractère ambivalent et
ouvert, ancré dans une pratique double de la stéréotypie.

Un certain rapport à l’écriture

Commençons par constater que la définition de la littérarité d’une


écriture peut s’appuyer sur la manière dont cette écriture traite les
stéréotypes (cf. infra). Il est en effet aisé sur cette base de classer les
textes en trois grandes catégories qui sont autant de « régimes de litté-
rarité ».
La première est celle de l’écriture du premier degré, innocente ou
faussement innocente, qui emploie le stéréotype sans distance, afin
d’assurer, consciemment ou non, la lisibilité du discours, son rythme,
sa vraisemblance, sa force persuasive, son appartenance générique
ou sa valeur esthétique. On reconnait là le fonctionnement de la litté-
rature classique et de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler la
littérature de masse.
À l’opposé, on trouve un mode d’énonciation distant, critique,
ironique ou parodique, qui, par divers procédés, dénonce l’usure du
stéréotype, son caractère simpliste ou mensonger, et cherche à fonder
un langage neuf, étranger à toute stéréotypie. Ce mode d’écriture axé
sur l’écart (ou la différence) a été particulièrement mis à l’honneur
chez les poètes de la rupture (Rimbaud, Mallarmé, Breton) et chez les
romanciers du soupçon (Robbe-Grillet, Butor), qui ont parfois cultivé
une véritable hantise à l’égard des lieux communs. Son usage intensif
depuis environ deux siècles fonde ce qu’il est convenu d’appeler
la littérature moderne et sert de base à la plupart des spéculations
théoriques sur la nature du littéraire (et, plus généralement, de toute
valeur24).

24 Voir R. Barthes : « Le Nouveau n’est pas une mode, c’est une valeur,
fondement de toute critique : notre évaluation du monde ne dépend
plus [...] de l’opposition du noble et du vil, mais de celle de l’Ancien et
du Nouveau [...]. Tout, plutôt que la règle (la généralité, le stéréotype,
l’idiolecte : le langage consistant) » (Le plaisir du texte, op. cit.,
pp. 65‑67).

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Théorie de la littérature

Enfin, au-delà des deux modes précités, il existe une écriture ambiva-
lente, oscillatoire, qui table sur les deux faces du stéréotype, le rend
à son caractère double, indécidable. On trouve de bons exemples
de ce fonctionnement dans le mélange constant de lyrisme et de
cynisme qui sillonnent l’œuvre d’un Baudelaire (spleen vs idéal), d’un
Lautréamont (Chants de Maldoror vs Poésies) ou d’un Albert Cohen
(voir l’incessant va-et-vient qui rythme Le livre de ma mère, les Carnets
1978 ou Belle du Seigneur). Malgré son caractère tarte-à-la-crème, le
terme de postmodernisme est peut-être celui qui convient le mieux
pour désigner ce type d’écriture qui commence à s’attirer quelques
adeptes estimables25.
Ce classement permet de voir que deux ou trois modes d’écriture
peuvent coexister au sein d’une même époque (ce fut le cas dès le
Moyen âge), voire au sein de l’œuvre d’un même auteur. Il présente
surtout l’intérêt énorme de montrer que le rapport au stéréotype
donne lieu à trois conceptions distinctes de l’écriture littéraire : la
conception classique, fondée sur la fidélité aux canons, la conception
moderne, axée sur la différence, et la conception postmoderne (ou, si
on préfère, la contemporaine), centrée sur le va-et-vient. Si chacun est
libre ici de choisir son camp, nous ne cacherons pas que de ces trois
positions, la troisième nous parait la plus féconde, car elle nous parait
la plus applicable aux œuvres qui sont retenues par la postérité.

Un certain rapport à la lecture

L’analyse de traitement des stéréotypes permet donc d’asseoir une


première définition assez opératoire de la littérature en tant que mode

25 Voir U. Eco : « La réponse post-moderne au moderne consiste à


reconnaitre que le passé, étant donné qu’il ne peut être détruit parce que sa
destruction conduit au silence, doit être revisité : avec ironie, d’une façon
non innocente. Je pense à l’attitude post-moderne comme à l’attitude de
celui qui aimerait une femme très cultivée et qui saurait qu’il ne peut lui
dire : “Je t’aime désespérément” parce qu’il sait qu’elle sait (et elle sait
qu’il sait) que ces phrases, Barbara Cartland les a déjà écrites. Pourtant,
il y a une solution. Il pourra dire : “Comme dirait Barbara Cartland, je
t’aime désespérément.” Alors, en ayant évité la fausse innocence, en
ayant dit clairement que l’on ne peut parler de façon innocente, celui-ci
aura pourtant dit à cette femme ce qu’il voulait lui dire : qu’il l’aime et
qu’il l’aime à une époque d’innocence perdue » (Apostille au Nom de la
Rose, Paris, Grasset, 1985, pp. 77-78).

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La notion de littérature

d’écriture. Cela cependant ne suffit pas. Comme nous l’avons déjà


souligné à la suite de Picard et d’autres, toutes les tentatives qui sont
faites pour définir la littérature comme un « en soi » lié à une certaine
manière d’écrire ou à certains types de textes déçoivent, car elles ne
tiennent pas compte de la manière dont les textes sont lus ; oubliant
qu’il n’y a pas de littérature sans lecteur, elles ne voient pas qu’avant
d’être un corpus d’œuvres ou un type de textes, la littérature est une
manière de lire. Nous avons vu que, pour Jauss et l’esthétique de la
réception, la qualité littéraire résidait « dans l’enchainement dialec-
tique des « réponses » apportées par les textes aux questions confuses,
situées à la limite des systèmes de sens des différentes époques », et
de plus en plus de chercheurs admettent aujourd’hui que « la lecture
pourrait [...] percevoir comme littéraires des textes sacrés ou histo-
riques écrits en dehors de préoccupations artistiques, par exemple des
textes sacrés ou historiques de l’Antiquité ou du Moyen âge »26.
Mais s’il existe une lecture méritant d’être qualifiée de littéraire,
quelle est-elle ? On l’a vu, la lecture, comme l’écriture, connait trois
régimes de valeur qui correspondent aux trois regards possibles sur la
stéréotypie (participation/distanciation/ambivalence), et, pour Picard,
le régime ambivalent est le plus digne d’intérêt. Pour lui, la lecture
littéraire est une oscillation concertée entre des modes d’évaluation
antithétiques, elle consiste à exploiter chaque critère axiologique de
manière dialectique en valorisant tour à tour les deux pôles qui le
constituent :
1° conformité/subversion (critère de l’originalité) : la lecture littéraire
se fait à la fois dans et contre une culture, elle apprécie le jeu d’une
partition connue en même temps que sa remise en cause : si elle
célèbre le conforme, c’est dans la mesure où il s’accompagne d’une
certaine dose de subversion ;
2° sens/significations (critère de la polysémie) : la lecture littéraire est
une « élection du sens dans la polysémie », un maintien du game (le
jeu dont on connait les règles) dans le playing (le jeu ouvert, dont on
invente les règles en jouant), et partant, une mise en exergue de la
connotation, de la densité, de la condensation ;
3° faux / vrai (critère de la vérité) : la lecture littéraire est une « modéli-
sation par une expérience de réalité fictive », et elle exerce par là
une fonction sociale indirecte, car elle ne produit pas seulement un

26 Cf. La lecture comme jeu, op. cit., p. 241.

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Théorie de la littérature

nouveau texte, mais aussi un nouveau lecteur et un nouveau citoyen,


capable de poser sur le monde un double regard27.
On pourrait peaufiner l’analyse en mobilisant d’autres critères (telles
la charge émotionnelle et la portée éthique), mais ce qui précède suffit
à démontrer la puissance théorique de cette conception. Son intérêt
réside dans le fait que, loin de privilégier l’un ou l’autre critère isolé,
elle intègre de manière dialectique l’ensemble des critères possibles
et reconnait à chacun d’eux sa validité dans un contexte où la contra-
diction est non seulement admise mais valorisée. La lecture littéraire
selon Picard est un champ axiologique maximal ouvert à l’inventivité
et aux attentes diverses du lecteur. De plus, cette conception présente
le grand avantage de faire de la littérarité une valeur graduelle : dire
que la lecture littéraire réside dans un rapport oscillatoire au texte,
c’est admettre qu’il suffit d’un peu d’oscillation pour qu’il y ait litté-
rature.
Cette attitude de va-et-vient à l’égard des divers canons axiologiques
équivaut, insistons-y, à l’activation maximale de la double face des
stéréotypes : accorder une importance égale au conforme et au
subversif, à l’un et au multiple, au vrai et au fictif revient à porter sur
chaque signe du langage un regard réversible, toujours prêt à valider
d’un œil la stéréotypie que l’autre œil a discréditée. La lecture litté-
raire ici définie n’est donc rien d’autre que le maintien concerté des
stéréotypes, et partant du langage tout entier, dans leur ambivalence
constitutive.

B. La littérature, quel corpus et quelle lecture ?


Si l’on se penche à présent sur la question non plus de la spécificité de
l’œuvre littéraire, mais de l’extension qui est donnée à l’ensemble des
œuvres dites littéraires, on est amené à opérer, à la suite notamment
de Bourdieu, de Chartier et de Gervais28, une séparation nette entre
deux perspectives.

27 Ibid., pp. 242-266. Cette notion de vérité littéraire figure aussi au cœur
de la théorie des trois mimésis développée par Ricœur dans Temps et récit
(Paris, Seuil, 1983, 1984, 1985).
28 Cf. P. Bourdieu, « Le champ littéraire », op. cit. ; R. Chartier, « Du livre au
lire », in Pratiques de la lecture, op. cit., pp. 62-88 ; B. Gervais, « Contextes
et pratiques actuels de la lecture littéraire », in J.-L. Dufays, L. Gemenne,

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La notion de littérature

1° D’un côté, on trouve une perspective de type « ségrégationniste »,


qui limite la littérature à sa « sphère de production restreinte »
(Bourdieu) et participe d’une conception « intensive » de la culture
(Gervais) : selon cette perspective, la littérature est un ensemble
homogène et limité d’œuvres bien identifiées, qui correspond en
gros au corpus des œuvres « reconnues », et donne lieu à une
pratique de lecture savante, centrée sur la distanciation et sur la
relecture. Cette perspective, faut-il le souligner, a prévalu dans le
contexte francophone de la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux années
1960 et allait de pair avec la perpétuation d’une culture de classe
(celle des « héritiers »).
2° D’un autre côté, on remarque l’émergence croissante depuis une
trentaine d’années d’une perspective de type « intégrationniste »
ou « relativiste », qui considère la littérature dans sa « sphère de
production large » et relève d’une conception « extensive » de
la culture. Prévaut ici l’idée de l’hétérogénéité des genres et des
modèles culturels et, partant, de la notion de littérature et des
corpus lui correspondant. Selon cette idée, la littérature intègre aussi
bien les genres dits mineurs (écrits journalistiques, science-fiction,
romans policiers, sentimentaux, érotiques...) ou non proprement
textuels (chanson, bande dessinée, cinéma...) que les genres tradi-
tionnellement reconnus. À la limite de cette conception, il y a une
remise en cause de la notion même de littérature : plutôt que de
littérature, on préfère parler de « textes » ou de « discours ».
On remarquera que cette distinction entre littérature au sens restreint
et au sens large correspond pour une bonne part à deux points de vue
sur les genres de discours : alors que la perspective ségrégationniste
ne considère comme littéraires qu’un nombre limité de types et de
genres (la poésie, le roman psychologique ou réaliste...), la perspective
intégrationniste accueille tous les genres et s’en remet au jugement de
la postérité, qu’elle refuse pour sa part d’assumer prématurément.
Pour notre part, nous croyons possible et nécessaire de ne donner
raison de manière exclusive à aucun de ces deux points de vue. Il
nous semble en effet que la littérature est un corpus pluriel qui intègre
à la fois une diversité des manifestations textuelles et des textes
qui fonctionnent comme des références, des bases permettant de
comprendre et d’interpréter les autres.

D. Ledur (dir.), Pour une lecture littéraire. 2. Bilan et confrontations,


Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1996.

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Théorie de la littérature

Ajoutons à cela que, comme le corpus, la lecture littéraire peut être


« fermée » ou « ouverte », c’est-à-dire qu’elle peut se limiter à des
textes et à des traits perçus comme spécifiquement littéraires ou au
contraire traiter de manière semblable la diversité des textes et des
genres. Comme le souligne Gervais, cette opposition correspond à
une évolution historique :
De la lecture comme interprétation et appropriation en profondeur
de livres fondateurs ou religieux, fondée sur un respect pour le livre
perçu comme source d’un savoir essentiel sur les conduites de vie,
un respect marqué par la relecture, les récitations à haute voix,
les mémorisations, un rapport avant tout attentif et déférent, nous
sommes passés graduellement à une lecture de textes nombreux, lus
silencieusement et de ce fait beaucoup plus rapidement, une lecture
fondée cette fois sur un rapport désinvolte à l’imprimé, un moindre
investissement dans le livre29.
Selon l’approche ségrégationniste, il s’agit d’étudier la littérature
pour elle-même, dans sa clôture propre, tantôt en faisant l’exégèse
minutieuse des œuvres particulières, tantôt en situant celles-ci par
rapport aux contextes littéraires qui les font signifier : l’évolution des
courants et des genres, la vie des auteurs, les sources... Saisir le génie
propre des œuvres littéraires requiert d’appliquer à chacune sa propre
lecture.
L’approche intégrationniste, à l’inverse, promeut une lecture littéraire
indépendante des textes, laquelle se présente le plus souvent comme
une « lecture plurielle » : dès lors que le littéraire se dissémine dans la
diversité des genres et des textes, il n’existe pas d’approche privilégiée
pour saisir ses effets ; il s’agit au contraire d’étudier le sens et la valeur
des œuvres selon des voies (sémiotique, sociologique, psychanaly-
tique, philosophique, intertextuelle...) qui peuvent s’appliquer aussi
bien à une bande dessinée ou à un récit de science-fiction qu’à une
pièce de Racine.
On l’a compris, c’est à cette deuxième perspective, bien plus qu’à la
première, que se rattache la conception d’une lecture littéraire comme
va-et-vient dialectique. Maximaliser le travail de la lecture et le sens et
la valeur des œuvres n’est pas une opération qui s’arrête aux bornes
de la littérature consacrée : c’est une activité de transformation qui
s’applique à toutes les productions culturelles, et au-delà, à tous les
objets du monde.

29 « Contextes et pratiques actuels de la lecture littéraire », op. cit.

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Chapitre 3

La problématique des genres littéraires

A. De Platon aux Romantiques allemands


Pour élaborer ce chapitre, nous nous baserons d’abord essentiellement
sur l’étude de Gérard Genette, Introduction à l’architexte. Le premier
théoricien des genres à être étudié est Platon1.
Au livre III de La république, Platon propose d’expulser les poètes
de la Cité. Deux raisons sont avancées pour justifier ce refus. Ces
deux raisons reposent sur la distinction entre logos et lexis. Le logos,
c’est en quelque sorte le contenu : le poète ne doit pas représenter les
défauts des dieux ou des héros et il ne doit pas non plus encourager
la propagation de ces défauts chez les hommes en représentant les
malheurs de la vertu et les prospérités du vice. Bref le contenu de
l’œuvre doit être moral, voire moralisant, conforme à des préceptes
définis au préalable afin de servir la cité.
« Il faut […] surveiller ceux qui entreprennent de raconter ces fables,
et les prier de ne point blâmer, d’une manière simpliste, les choses
de l’Hadès, mais plutôt de les louer ; car leurs récits ne sont ni vrais
ni utiles à de futurs guerriers. » (386 b)
« […] les poètes et les faiseurs de fables commettent les plus grandes
erreurs à propos des hommes, quand ils prétendent que beaucoup
d’injustes sont heureux, alors que les justes sont malheureux ; que
l’injustice profite si elle demeure cachée ; que la justice est un bien
pour autrui, mais pour soi-même un dommage. Nous leur interdi-
rions de pareils discours, et nous leur prescririons de chanter et de
conter le contraire […] » (392 b)
La seconde justification de l’expulsion des poètes repose sur une analyse
du lexis, c’est-à-dire la « forme », la « diction » ou plus exactement les

1 G. Genette, Introduction à l’architexte, Paris, Seuil, 1979, pp. 14-17  ;


Figures II, Paris, Seuil, 1969, pp. 50-56, Figures III, Paris, Seuil, 1972,
pp. 184-190.

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Théorie de la littérature

modes de représentation. Tout poème est le récit (diègèsis) d’évène-


ments passés, présents ou futurs. Mais ce récit peut se faire selon des
modes différents. Ainsi, au début de l’Illiade, lorsque Homère raconte
que Chrysès pria Agamemnon de lui rendre sa fille, il fait un récit
purement narratif (haplè diègèsis), il « […] parle en son nom et ne
cherche pas à tourner notre pensée dans un autre sens, comme si
l’auteur de ces paroles était un autre que lui-même » (393 b).
Mais le récit peut également être fait selon le mode mimétique (dia
mimèséôs). Lorsque Homère « […] s’exprime comme s’il était Chrysès,
et s’efforce de nous donner autant que possible l’illusion que ce n’est
pas Homère qui parle, mais le vieillard, prêtre d’Apollon » (393 b), il
procède selon le mode mimétique, « […] il parle sous le nom d’un
autre », il feint d’être devenu Chrysès. Ce mode mimétique utilise
le dialogue, c’est, dit Platon, « […] la forme propre à la tragédie »
(394 b).
Lorsqu’on mélange ces deux modes, le purement narratif et le
mimétique, comme le fait Homère, on obtient un mode mixte, celui
de l’épopée.
« […] il y a une première sorte de poésie et de fiction entièrement
imitative qui comprend […] la tragédie et la comédie ; une deuxième
où les faits sont rapportés par le poète lui-même – tu la trouveras
surtout dans les dithyrambes2 – et enfin une troisième, formée de la
combinaison des deux précédentes, en usage dans l’épopée et dans
beaucoup d’autres genres » (394 c).
Cela donne le système des genres suivant :

narratif mixte mimétique


dithyrambe épopée tragédie et comédie

On remarquera – et c’est très important pour la suite de l’histoire des


genres – que Platon laisse hors du système ce qui n’est ni narratif, ni
mimétique, ce que nous nommons la poésie lyrique.
Pour la petite histoire, retenons que Platon condamne les modes
mimétiques3. Il serait intéressant de se demander quel statut Platon
accorde à son propre texte où il fait ce qu’il reproche à Homère : il

2 Le dithyrambe est une forme mal connue (aucun exemple satisfaisant n’a
été conservé), un chant choral en l’honneur de Dionysos.
3 Cf. J. Derrida, La dissémination, Paris, Seuil, 1972, pp. 211-212, note 8.

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La problématique des genres littéraires

nous donne l’illusion que ce n’est pas lui qui parle, mais Socrate…4
Nietzsche a ainsi pu avancer dans la Naissance de la tragédie que
« […] le dialogue platonicien qui, né du mélange de tous les styles
et de toutes les formes, tient le milieu entre le récit, la poésie lyrique
et le drame, entre la prose et la poésie […]. En vérité, Platon a donné
à toute la postérité le modèle d’une forme d’art nouvelle, le roman
[…] »5 
Aristote est le second théoricien des genres dont le système se trouve
dans La poétique6.
Aristote va repartir du système platonicien pour élaborer sa poétique.
Il va distinguer l’objet imité (question quoi ?) et la façon d’imiter
(question comment ?)
L’objet imité, ce sont les actions humaines qui seront tenues soit pour
supérieures, soit pour inférieures.
Il y a, pour Aristote, deux façons d’imiter : soit en racontant (mode
narratif), soit en présentant les personnages en acte (mode drama-
tique).
Cela donne le système des genres suivant :

objet/mode dramatique narratif


supérieur tragédie épopée
inférieur comédie parodie

Dans son texte, Aristote va, par la suite, se préoccuper exclusivement


ou presque de la tragédie définie comme suit :
« […] la tragédie est l’imitation d’une action de caractère élevé et
complète, d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’assai-
sonnements d’une espèce particulière suivant les diverses parties,
imitation qui est faite par des personnages en action et non au
moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation
(catharsis) propre à de pareilles émotions. » (1449 b)

4 Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’absolu littéraire, Paris, Seuil,


1978, p.  271 et Ph. Lacoue-Labarthe, « Typographie », in Mimesis des
articulations, Paris, Flammarion, 1975, pp. 249-268.
5 Fr. Nietzsche, Naissance de la tragédie, traduit de l’allemand par
G. Blanquis, Paris, Gallimard, 1949 (Idées, éd. 1982), pp. 95-96.
6 Cf. G. Genette, Introduction à l’architexte, op. cit., pp. 17-22.

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Théorie de la littérature

Il faut insister sur le fait que, pour Aristote, la catharsis est catharsis
d’une action et non, comme le diront les XVIIe et XVIIIe siècles français,
catharsis de sentiments.
Quel rapport y a-t-il entre ces deux systèmes de genre issu de l’Anti-
quité ?7
Reprenons le tableau des genres de Platon :

narratif mixte mimétique


dithyrambe épopée tragédie et comédie
et comparons-le avec celui d’Aristote que nous simplifions comme
suit :

narratif dramatique
épopée tragédie et comédie

Que constatons-nous ? Aristote ne parle plus du genre mixte. Il retient


le genre dramatique et le genre narratif. Mais en fait, ce qu’Aristote
nomme narratif correspond à ce que Platon nomme mixte. Aristote
ne veut plus distinguer un narratif pur d’un narratif impur, mélangé,
mixte. Entre Platon et Aristote une case se vide. Une place reste à
prendre dans le système des genres.
Il faut également remarquer que tout le système d’Aristote, comme celui
de Platon, exclut ce qui n’est pas représentatif (dans le sens de « lié à la
représentation »), ce qui n’est pas imitation d’actions (Genette précise
qu’« imitation n’est pas reproduction, mais bien fiction : imiter, c’est
faire semblant »8). Entre autres, la poésie lyrique, ainsi que les œuvres
en prose. L’étude de la dianoia (« ce que les personnages disent pour
démontrer quelque chose ou déclarer ce qu’ils décident »9) relève de
l’étude de l’argumentation, de ce qu’Aristote nomme la rhétorique.
Le problème de l’intégration de la poésie lyrique au système issu
d’Aristote va se poser au fil du temps10.
La poésie lyrique (énoncer des idées ou des sentiments, réels ou
fictifs) n’est pas ignorée dans tous les systèmes de genres issus de

7 Ibid., pp. 27-28.


8 Ibid., p. 42.
9 Voir également le rôle de ce concept pour le texte dramatique
(cf. chapitre 4).
10 Ibid., pp. 29-33.

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La problématique des genres littéraires

celui d’Aristote (jusqu’au XVIIe siècle), mais elle n’est pas tenue pour
égale à la poésie épique ou dramatique. Soit on la définit de manière
purement technique (poèmes accompagnés à la lyre), soit on la range
tant bien que mal avec l’épopée, soit on la dévalorise parce que non
mimétique, donc imparfaite.
Deux solutions pour intégrer la poésie lyrique vont être trouvées11.
Pour promouvoir la poésie lyrique à la dignité des poésies épiques ou
dramatiques, il y a deux possibilités, apparemment incompatibles :
soit élargir le dogme classique de la mimésis (en oubliant qu’elle est
imitation d’actions) et tenir la poésie lyrique pour une imitation ; soit
rompre avec le dogme de la mimésis et proclamer qu’une poésie non
représentative est de valeur égale à la poésie représentative.
L’abbé Batteux (XVIIIe siècle) va mettre en œuvre la première solution.
Pour lui, seul Dieu est capable de produire une vraie poésie sans
imitation. Dieu crée, les hommes en sont incapables, ils ne peuvent
que faire appel à leur imagination :
« [Les poètes] n’ont d’autre secours que celui de leur génie naturel,
qu’une imagination échauffée par l’art, qu’un enthousiasme de
commande. Qu’ils aient eu un sentiment réel de joie, c’est de
quoi chanter, mais un couplet ou deux seulement. Si l’on veut plus
d’étendue, c’est à l’art de coudre à la pièce de nouveaux sentiments
qui ressemblent aux premiers. »
La plupart des sentiments exprimés par les poètes sont des sentiments
feints, imités, fictifs. La preuve en est, ajoute Batteux, que l’on trouve
des morceaux lyriques dans le drame ou l’épopée :
« […] pourquoi le sentiment, qui est sujet à l’imitation dans un drame,
ne serait-il pas dans une ode ? Pourquoi imiterait-on la passion dans
une scène, et qu’on ne pourrait pas l’imiter dans un chant ? Il n’y a
donc point d’exception. Tous les poètes ont le même objet, qui est
d’imiter la nature, et ils ont tous la même méthode à suivre pour
l’imiter. »
L’abbé Batteux peut dès lors conclure que la poésie lyrique est elle
aussi une imitation, non des actions, mais des sentiments :
« […] elle [la poésie lyrique] entre naturellement et même nécessai-
rement dans l’imitation, avec une seule différence qui la caratérise
et la distingue : c’est son objet particulier. Les autres espèces de
poésie ont pour objet principal les actions ; la poésie lyrique est toute
consacrée aux sentiments. »

11 Ibid., pp. 33-41.

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Théorie de la littérature

Il suffit alors de faire du dithyrambe un exemple du genre lyrique pour


retrouver le tableau suivant :
lyrique épique dramatique
lié aux situations d’énonciation suivantes :

énonciation réservée énonciation réservée


énonciation alternée
au poète aux personnages

On voit comment le souci d’intégrer la poésie lyrique au système des


genres issu de l’Antiquité va de pair avec le souci de conserver un tel
système et le principe sur lequel il repose : l’imitation, ce qui ne sera
plus le cas au moment du romantisme allemand12.
Le romantisme allemand va conserver la triade poésie lyrique-poésie
épique-poésie dramatique, mais va l’ordonner non plus en fonction
de l’imitation, mais du système dialectique. Avant d’examiner
quelques systèmes des genres issus du romantisme allemand, il faut se
demander pourquoi le rapport à l’imitation change-t-il à ce moment
et en Allemagne.
De façon plus précise, il faut dire qu’il y a non pas abandon de la
notion d’imitation, mais déplacement de cette notion. Examinons
cette phrase de Winckelmann tirée de ses Réflexions esthétiques :
« L’unique moyen pour nous de devenir grands et, si possible, inimi-
tables, c’est d’imiter les Anciens. »
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe, l’Allemagne n’existe pas en tant
que nation alors qu’on lui reconnait une langue et un esprit digne
de la Grèce antique13. Elle doit donc s’élever au rang de cette Grèce
antique qui hante les esprits. Elle doit donc l’imiter. Mais imiter la
Grèce, c’est ce qu’on fait depuis la Renaissance partout en Europe.
C’est pourquoi il faut imiter la Grèce de telle sorte que l’Allemagne
devienne inimitable. Il faut donc imiter ce qui, chez les Grecs, n’a
pas été imité. D’une certaine façon, les Grecs ont cessé d’être grands
quand ils ont été imités, notamment par les Latins (passage de la
mimésis à l’imitatio). D’où la volonté de rechercher la face cachée de
la Grèce, sa face nocturne, « mystique ».

12 Cf. G. Genette, Introduction à l’architexte, op. cit., pp. 43-49 et Ph. Lacoue-


Labarthe, L’imitation des modernes, passim, Paris, Galilée, 1986.
13 Cf. Fichte, Discours à la nation allemande commenté par J. Derrida,
Psyché, Paris, Galilée, 1987, pp. 416-420.

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La problématique des genres littéraires

Deux conséquences importantes pour la théorie des genres : l’abandon


du concept d’imitatio, trop utilisé par la tradition, et une hiérarchi-
sation diachronique des genres, associée à un critère « psycholo-
gique » (l’âme) et non plus technique (la situation énonciative).
Friedrich Schlegel fait de la poésie épique l’état mixte qu’il valorise
comme aboutissement d’un processus :
« Il existe une forme épique, une forme lyrique, une forme drama-
tique, sans l’esprit des anciens genres poétiques qui ont porté ces
noms, mais séparées entre elles par une différence déterminée et
éternelle. – En tant que forme, l’épique l’emporte manifestement. Elle
est subjective-objective. La forme lyrique est seulement subjective, la
forme dramatique seulement objective. »
Fr. Schlegel prend bien soin de se démarquer des anciens genres
poétiques (« sans l’esprit des anciens genres poétiques qui ont porté
ces noms ») et d’affirmer la suprématie de la forme épique sur les
deux autres (« l’épique l’emporte manifestement »). On remarque
également que le schéma dialectique (thèse, négation de la thèse,
relève (Aufhebung)) s’élabore (subjectif, objectif, subjectif-objectif).
Les variations seront des variations hiérarchiques, mais le schéma
restera identique. Ainsi August Wilhelm Schlegel considèrera-t-il que
le dramatique est l’interprétation du lyrique et de l’épique :
« La division platonicienne des genres n’est pas valide. Aucun vrai
principe poétique dans cette division. Épique, lyrique, dramatique :
thèse, antithèse, synthèse. Densité légère, singularité énergétique,
totalité harmonique… L’épique, l’objectivité pure dans l’esprit
humain. Le lyrisme, la subjectivité pure. Le dramatique, l’interpré-
tation des deux. »
On retrouve bien la mise en cause du système issu de Platon, même si
on voit mal sur quoi porte exactement la critique, puisque les mêmes
catégories sont reprises. (D’où la nécessité de l’hypothèse du double
bind : imiter sans imiter pour devenir inimitable.)
Chez Schelling, dans l’introduction à sa Philosophie de l’art, on trouve
la tripartition suivante :
« […] l’unité idéale, qui comprend en elle à son tour les trois formes
de la poésie lyrique, épique et dramatique. Lyrisme = formation de
l’infini en fini = particulier. Épos = présentation (subsomption) du
fini dans l’infini = universel. Drame = synthèse de l’universel et du

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Théorie de la littérature

particulier. C’est selon ces formes fondamentales qu’il faut donc


construire l’art tout entier […] »14
Hegel, dans son Esthétique, reprendra le schéma d’August W. Schlegel.
La poésie épique vient en premier lieu, car elle décrit le monde
objectivé :
« […] la poésie épique qui décrit, sous une forme d’un large dérou-
lement poétique, une action totale, ainsi que les caractères d’où elle
découle soit dans une gravité substantielle, soit dans ses rencontres
aventureuses avec des accidents et des hasard extérieurs, d’où résulte
un tableau de l’objectif dans son objectivité même. Ce monde
objectivé pour l’intuition spirituelle et pour le sentiment, ce n’est
pas le chanteur qui le présente comme étant sa propre représen-
tation et comme exprimant son propre sentiment vivant, mais c’est le
rhapsode qui le récite machinalement, par cœur […] » 15 
On remarquera que Hegel réintroduit le critère technique des modes
d’énonciation, mais dans le cadre du processus dialectique. Pas
d’intériorité mise en évidence par le rhapsode, mais bien la réalité
extérieure, celle du monde objectivé.
La poésie lyrique est la négation de la poésie épique. Alors que celle-ci
était le pôle objectif, la poésie lyrique sera le pôle subjectif :
« La poésie lyrique est à l’opposé de l’épique. Elle a pour contenu
le subjectif, le monde intérieur, l’âme agitée par des sentiments et
qui, au lieu d’agir, persiste dans son intériorité et ne peut par consé-
quent avoir pour forme et pour but que l’épanchement du sujet, son
expression. Il ne s’agit donc pas ici d’une totalité substantielle se
développant sous la forme d’évènements extérieurs, mais l’intuition,
le sentiment, la médiation de la subjectivité repliée sur elle-même
expriment même le plus substantiel et le plus concret comme faisant
partie du sujet […]. Ce mouvement intérieur n’a pas besoin, pour
sa communication extérieure, de la récitation mécanique qu’exige
la poésie épique. Au contraire le chanteur doit faire en sorte que
les représentations et les considérations qu’il expriment apparaissent
justement comme faisant partie de sa subjectivité, comme des états
éprouvés par lui-même. Et comme c’est l’intériorité qui doit animer
le récit, son expression revêt presque nécessairement un caractère
musical et rend possibles, souvent même nécessaires, des modula-

14 Traduit de l’allemand par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’absolu


littéraire, op. cit., p. 405.
15 G.W.F. Hegel, Esthétique, quatrième volume, traduit de l’allemand par
S. Jankélévitch, Paris, Flammarion, 1979, p. 94.

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La problématique des genres littéraires

tions variées de la voix, du chant, un accompagnement instrumental,


etc. »16
Ici plus de récitation mécanique, mais expression de sentiments, avec,
éventuellement, un accompagnement musical (définition technique
de la poésie lyrique inscrite, une fois encore, dans un processus
dialectique) qui reste purement intérieure.
Enfin, la poésie dramatique est la réunion des deux genres précédents,
avec reprise des deux aspects objectif et subjectif :
« Le troisième genre réunit les deux précédents, pour former une
nouvelle totalité qui comporte un déroulement objectif et nous fait
assister en même temps au jaillissement des évènements de l’inté-
riorité individuelle, si bien que l’objectif se présente comme insépa-
rable du sujet, tandis que le subjectif, par sa réalisation extérieure
et par la manière dont il est perçu, fait apparaitre les passions qui
l’animent comme étant un effet direct et nécessaire de ce que le
sujet est et fait. […] Cette objectivité, qui a sa source dans le sujet, et
cette subjectivité, présentée dans sa réalité et sa signification objec-
tives, forment la totalité de l’esprit et constituent, en tant qu’action,
la forme et le contenu de la poésie dramatique. […] sa présentation
exige, en plus de la visibilité purement picturale des lieux, que toute
la personne du récitant soit engagée, que l’homme vivant lui-même
serve de moyen d’extériorisation. Le drame, en effet, comporte une
partie lyrique, celle où le caractère exprime ce qui lui appartient en
propre […] ; mais, d’autre part, ce caractère se montre actif dans la vie
réelle […] ; autrement dit, il se livre à une activité extérieure… »17
Cela donne le tableau suivant :

poésie épique poésie lyrique poésie dramatique

objectif subjectif objectif et subjectif

extérieur intérieur extérieur et intérieur

expression des états activité et expression


activité
éprouvés des états éprouvés

Hugo18, quant à lui, reprendra dans la préface de son Cromwell le


système de Schelling. Selon Hugo, le lyrisme « […] est l’expression
des temps primitifs, où «l’homme s’éveille dans un monde qui vient

16 Ibid., pp. 94-95.


17 Ibid., pp. 95-96.
18 Cf. G. Genette, Introduction à l’architexte, op. cit., pp. 47-48.

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Théorie de la littérature

de naitre », l’épique (qui englobe d’ailleurs la tragédie grecque) celle


des temps antiques, où « tout s’arrête et se fixe » et le drame celui des
« temps modernes, marqués par le christianisme et la déchirure entre
l’âme et le corps »19.
Le romantisme allemand va donner naissance à une certaine
conception de la « littérature » et accorder une place très importante
au roman dans la théorie des genres20.
Dans le même mouvement de reformulation d’une théorie des genres
littéraires, les Romantiques allemands en viennent à s’interroger sur
l’essence de la poésie romantique et sur l’essence de la littérature.
Qu’est-ce que la littérature ? À une telle question, il n’y aura pas de
réponse définitive, mais une succession d’approches.
Ainsi Friedrich Schlegel va-t-il opposer le tout formé par les poèmes
antiques au livre en devenir formé par tous les livres de la littérature
accomplie, c’est-à-dire de son époque :
« Tous les poèmes classiques des Anciens sont liés réciproquement,
inséparables, ils forment un tout organique et ne sont, correctement
perçus, qu’un unique poème, le seul où l’art de la poésie lui-même
se manifeste à la perfection. De manière analogue, tous les livres de
la littérature accomplie doivent n’être qu’un seul livre, et c’est dans
un tel livre, éternellement en devenir, que se révèlera l’évangile de
l’humanité et de la culture. »21
Le nom « littérature » et l’adjectif « littéraire » vont commencer à
désigner l’art d’écrire en général. Il en va de même pour le terme de
« poésie romantique ». La poésie romantique doit mêler et fondre la
poésie et la prose, le génie et la critique, elle doit abolir en quelque
sorte les différents genres pour devenir universelle :
« La poésie romantique est une poésie universelle progressive. Elle
n’est pas seulement destinée à réunir tous les genres séparés de la
poésie et à faire se toucher poésie, philosophie et rhétorique. Elle
veut et doit aussi tantôt mêler et tantôt fondre ensemble poésie et
prose, génialité et critique, poésie d’art et poésie naturelle, rendre la
poésie vivante et sociale, la société et la vie poétiques […] »22 
C’est pourquoi elle est toujours en devenir. À l’inverse des autres
genres poétiques qui sont achevés, la poésie romantique est inachevée
et inachevable, car son essence tient dans son éternel devenir et son

19 Cité par Genette, ibid., p. 124.


20 Cf. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’absolu littéraire, passim.
21 Ibid., p. 216.
22 Ibid., p. 112.

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La problématique des genres littéraires

inaccomplissement. Dès lors, il est impossible de l’épuiser théori-


quement, elle excède toute théorie, toute classification générique, elle
est plus qu’un genre :
« D’autres genres poétiques sont achevés, et peuvent à présent être
entièrement disséqués. Le genre poétique romantique est encore en
devenir ; et c’est son essence propre de ne pouvoir qu’éternellement
devenir, et jamais s’accomplir. Aucune théorie ne peut l’épuiser, et
seule une critique divinatoire pourrait se risquer à caractériser son
idéal. Elle seule est infinie, comme elle seule est libre, et elle reconnait
pour première loi que l’arbitraire du poète ne souffre aucune loi qui
le domine. Le genre poétique romantique est le seul qui soit plus
qu’un genre, et soit en quelque sorte l’art même de la poésie : car en
un certain sens toute poésie est ou doit être romantique. »23
Si l’on remplace le terme « poésie romantique » par celui de « roman »,
on retrouve quasiment les théories de Bakhtine. Cette substitution sera
opérée par les Romantiques allemands eux-mêmes. Dans un autre texte
de Friedrich Schlegel, intitulé Entretien sur la poésie, un personnage,
Antonio, lit une lettre sur le roman. Antonio représenterait Friedrich
Schlegel lui-même24. Après avoir repris l’opposition entre la poésie
antique et la poésie romantique, Antonio précise que la poésie roman-
tique « repose tout entière sur un fond historique », une histoire vraie
qui peut être « largement transformée »25. Ceci étant posé, on va voir
que ce qui est dit de la poésie romantique sera transposé au roman. Le
roman va être défini par Antonio comme un livre romantique :
« Un roman est un livre romantique. – Vous allez prendre cela pour
une tautologie vide de sens. Mais je vous ferai d’abord remarquer
qu’un livre fait déjà penser à une œuvre, à un tout autonome.
Ensuite, il y a là une différence radicale avec le théâtre, destiné
à être regardé : le roman en revanche fut de tout temps destiné à
la lecture, et il en découle presque toutes les différences dans les
modes de présentation des deux formes. Le théâtre doit également
être romantique, comme toute poésie ; mais il n’est un roman que
dans certaines limites, un roman appliqué. […] Cela mis à part, il y a
si peu d’opposition entre le drame et le roman que le drame – conçu
et traité à fond et historiquement, comme par exemple dans Shakes-
peare – est bien plutôt le véritable fondement du roman. Certes vous
avez affirmé que le roman s’apparentait surtout au genre du récit, au
genre épique. Là-contre je rappellerai premièrement qu’une chanson
peut, aussi bien qu’une histoire, être romantique. Oui, je ne peux
guère concevoir un roman qui ne soit un mélange de récit, de chant,

23 Ibid.
24 Ibid., p. 273.
25 Ibid., p. 326.

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Théorie de la littérature

et d’autres formes. […] Ma véritable objection est la suivante : rien


n’est plus contraire au style épique que de laisser voir si peu que ce
soit l’influence des dispositions d’esprit personnelles ; que serait-ce
s’il osait s’abandonner à son humour et jouer avec lui, comme cela
se passe dans les meilleurs romans. »26
Le roman est un livre romantique, cela signifie :
1° qu’il est destiné à la lecture (et ce, à l’inverse du théâtre) ;
2° qu’il est proche du drame (si le point de vue historique est pris en
compte) ;
3° qu’il n’est pas un sous-genre épique ;
4° mais plutôt un art du mélange comportant du récit, du lyrique,
d’autres formes et de l’humour.
On voit bien comment les catégories traditionnelles (épique, lyrique,
dramatique) sont prises en compte pour faire du roman le genre
incluant les autres genres (à la fois récit (épique), chant (lyrique) et
dialogue historique (drame)) et les parodiant (humour). Les exemples
cités (Cervantès, Sterne, Swift, Diderot…) sont éloquents quant au
rapprochement possible avec la théorie bakhtinienne.
Le romantisme allemand va trouver son aboutissement extrême dans
la théorie de Maurice Blanchot qui postule une négation des genres
au nom même de la littérature. Selon lui, la littérature nie aux genres
littéraires tout droit à inscrire le livre dans une classification et une
détermination formelle :
« Seul importe le livre, tel qu’il est, loin des genres, en dehors des
rubriques, prose, poésie, roman, témoignage, sous lesquelles il refuse
de se ranger et auxquelles il dénie le pouvoir de lui fixer sa place et de
déterminer sa forme. Un livre n’appartient plus à un genre, tout livre
relève de la seule littérature, comme si celle-ci détenait par avance,
dans leur généralité, les secrets et les formules qui permettent seuls de
donner à ce qui s’écrit réalité de livre. Tout se passerait donc comme
si, les genres s’étant dissipés, la littérature s’affirmait seule, brillait
seule dans la clarté mystérieuse qu’elle propage et que chaque
création littéraire lui renvoie en la multipliant – comme s’il y avait
donc une “essence” de la littérature. »27
Chaque œuvre, chaque « création littéraire » dirait en quelque sorte
l’essence de la littérature.

26 Ibid., pp. 327-328.


27 M. Blanchot, Le livre à venir, Paris, Gallimard, 1959, pp. 253-254 pour les
trois citations.

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La problématique des genres littéraires

Mais cette possibilité en vient même à être contestée :


« Mais, précisément, l’essence de la littérature, c’est d’échapper
à toute détermination essentielle, à toute affirmation qui la
stabilise ou même la réalise : elle n’est jamais déjà là, elle est
toujours à retrouver ou à réinventer. Il n’est même jamais sûr que le
mot littérature ou le mot art réponde à rien de réel, rien de possible
ou rien d’important. »
Il est impossible de définir de manière stable ce qu’est la littérature,
il est impossible de l’assigner dans un lieu, mais chaque livre la
réinvente. La littérature devient ainsi mobile excédant toute détermi-
nation, toute définition.
« Qui affirme la littérature en elle-même, n’affirme rien. Qui la
cherche, ne cherche que ce qui se dérobe ; qui la trouve, ne
trouve que ce qui est en deçà ou, chose pire, au-delà de la litté-
rature. »
On ne peut trouver que le mouvement de dérobade de la littérature,
son esquive. Toute autre découverte est leurre : on est soit avant la
littérature, soit après…

B. Mikhaïl Bakhtine : le roman et les genres


La théorie des genres issues de l’Antiquité n’avait pas, jusqu’au
XVIIIe siècle, accordé de place au roman. Les Romantiques d’Iéna,
en élaborant une théorie des genres hiérarchiquement pensée selon
une perspective dialectique, ont ouvert une perspective où un genre
pouvait dominer les autres. C’est dans cette brèche que s’est engouffré
le théoricien russe Mikhaïl Bakhtine pour penser le roman comme
genre en devenir imposant sa loi aux autres genres28.
L’élaboration théorique de Mikhaïl Bakhtine repose sur l’hypothèse
selon laquelle le roman n’est pas un genre parmi les autres ni un genre
comme les autres. Au contraire, il ne serait pas un genre, tout au plus
est-ce un anti-genre. Il est également le seul genre en devenir, il n’a

28 Cf. M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe


par D.  Olivier, préface de M. Aucouturier, Paris, Gallimard, 1978, en
particulier la cinquième étude : « Récit épique et roman » (pp. 439-473).
Nous donnerons désormais les références à ce texte entre parenthèses.
On se reportera également à M. Bakhtine, La poétique de Dostoïevski,
traduit du russe par I. Kolitcheff, préface de J. Kristeva, Paris, Seuil, 1970,
en particulier pp. 151-186.

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Théorie de la littérature

pas de canon et ce, à l’inverse des autres genres qui sont connus sous
leur aspect achevé. Il est le seul à être organisé pour la lecture silen-
cieuse (cf. p. 441). L’étudier revient à étudier une langue vivante alors
que l’étude des autres genres équivaut, pour Bakhtine, à l’étude d’une
langue morte (c’est-à-dire achevée, et qui, dès lors, n’évoluera plus). Il
est né après les grands genres et en quelque sorte contre eux. Bakhtine
introduit dans la théorie des genres une forme de hiérarchisation en
les qualifiant de « grands » ou de « nobles », ce qui sous-entend que
des « formes textuelles » moins nobles auraient pu exister. Comment
Bakhtine définit-il ces « grands » genres ?

1. Les grands genres


À l’origine de nos littératures, avance Bakhtine, il y a les « grands
genres » ou genres « nobles ». Leur origine est inconnue : quand ils
apparaissent (sous forme de textes conservés), ils sont déjà constitués,
ils ont leurs lois, leurs canons, et se répartissent harmonieusement
le champ littéraire. Ce fur le cas de l’épopée, de la tragédie, de la
comédie et du lyrisme (ode ou élégie). Ces genres sont nobles par leur
forme et par leur sujet.
Du point de vue de la forme : ils sont stylisés. On emploie le plus
souvent le vers, un langage noble (et archaïque), très « littéraire ».
On emploie également des formes fixes (les « actes » dans le théâtre,
strophe et anti-strophe dans l’ode, etc.).
Du point de vue du sujet : ils sont fondés sur une double distance des
personnages et du temps. On ne met en scène que de grands person-
nages : dieux, héros, rois, ainsi que de grands sentiments. Les évène-
ments se passent dans un temps éloigné, un temps tout à fait autre que
celui où on écrit : il s’agit du temps des origines de la race, des héros
fondateurs (comme Ulysse ou Roland). C’est ce que Bakhtine nomme
le passé absolu.
La notion de genre implique donc la fixité : le genre ne peut évoluer,
par définition, car toute évolution serait une perte de sa pureté, une
dégradation.

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La problématique des genres littéraires

2. Le roman
Pour Bakhtine, le roman n’est pas un genre parmi les autres. Il est
unique (cf. p. 442). Le roman nait beaucoup plus tard, sur une autre
base que les grands genres, car il a une autre origine. Il est le seul à
avoir été enfanté par « l’ère moderne de l’histoire universelle » (sans
doute faut-il comprendre la période qui va de Platon à nos jours) et lui
est profondément apparenté à l’inverse des genres nobles (cf. p. 442).
Avant le XVIIIe siècle, le roman ne participe pas à l’harmonie des
genres, mais il a une existence officieuse, il n’appartient donc pas à la
« grande » littérature.
Bakhtine voit une preuve, voire un symptôme de ce rejet, de ce refou-
lement du roman dans les marges de la « grande » littérature, en
examinant les grandes poétiques du passé (Aristote, Horace, Boileau)
qui ignorent le roman. Quant au XIXe, qui n’a réalisé que des antho-
logies théoriques, prétend Bakhtine, ignorant le Romantisme d’Iéna,
il a dû lui accorder une place dans celles-ci, mais il a méconnu sa
spécificité (cf. pp. 442-443). C’est dire si, avec le roman, la théorie
littéraire est confronté à une impasse, une impuissance puisqu’elle n’a
rien pu dire de neuf depuis Aristote, pense le théoricien soviétique (cf.
p. 445). Comment Bakhtine caractérise-t-il le roman ?
Premièrement, le roman nait et se développe au moment où les grandes
civilisations « fermées » se décomposent, s’ouvrent à l’altérité, sentent
que le temps les travaille…
Ce fut le cas lors de la fin de l’Empire romain (Satiricon) et à la fin du
moyen âge et au début de la Renaissance (Rabelais, Cervantès).
Deuxièmement, l’origine du roman (quant à son ton, son esprit, sa
langue) se trouve dans des textes, des pratiques verbales populaires
qui sont dans les marges de la « grande » littérature : les dialogues
socratiques, les pamphlets, les dialogues à la Lucien…, c’est-à-dire
un ensemble de petits textes populaires où l’actualité (le présent)
est évoqué de façon réaliste, burlesque, parodique, comique… Le
présent, l’époque contemporaine est une « actualité de bas niveau »
si on la compare au passé absolu (cf. p. 445). À l’idéalisation officielle
du passé s’oppose le roman qui véhicule une pensée non officielle,
qui est liée au comique populaire (cf. p. 456). Celui-ci prend comme
objet de rire moi-même, mon époque ou mes contemporains, ce qui
engendre une nouvelle relation aux mots et à la langue.
Dès l’Antiquité apparait le sérieux-comique, le spoudogelion, dont,
dit Bakhtine, font partie les dialogues socratiques (cf. p. 457).

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Théorie de la littérature

Troisièmement, le tour d’esprit du roman se marquera dans la volonté


de coller au réel, au présent immédiat, mais dans un esprit de contes-
tation, de moquerie, qui est le signe d’un renouveau. La nouveauté
tient dans une absence de distanciation vis-à-vis de l’objet littéraire
(p. 457). Cette abolition de la distance épique (cf. infra) s’effectue par
le rire et ce qui l’accompagne (injures, coups…). L’irruption du rire est
l’étape majeure et nécessaire pour la création des œuvres libres (cf.
p. 458). Le roman en viendra alors à faire « irrespectueusement le tour
de l’objet » dans la mesure où le dos, le cul, les tripes… deviendront
des objets littéraires.
Si le roman fait irrespectueusement le tour de l’objet, le personnage
du héros perd sa qualité première, son héroïsme, et d’autres qualités.
Il y a démembrement, mise à nu du héros qui « se transforme en
bouffon » (p. 459). Bakhtine associe encore l’origine du roman et la
naissance de l’élément autobiographique. Le déplacement du centre
temporel (du passé absolu au présent) permet « à l’auteur, sous tous
ses masques et faux visages, de se déplacer librement dans ce champ
du monde représenté qui, dans l’épopée, était absolument inacces-
sible et clos. » (p. 461).
Le roman a pour but de tout dire, de tout montrer, de tout parodier (il y a
donc un rapport entre la littérature comme institution et la démocratie :
idéalement, il ne peut pas y avoir de censure du romancier dans un
régime démocratique et ce, à l’inverse d’autres régimes politiques) et,
à cette fin, il peut utiliser toutes les langues (populaires, argotiques,
nobles, provinciales, patoisantes…).
De tout cela, il ressort que le roman est plutôt un anti-genre : il n’a
aucune règle, aucun canon, tout lui est permis, il colle au présent et
le conteste même.
De cet état des lieux du roman comme anti-genre, Bakhtine tire
une conséquence importante : c’est un « genre en devenir », un
genre inachevé, qui n’a pas encore donné toutes ses possibilités, qui
changera encore, évoluera encore comme genre sous nos yeux. « Le
roman, étant le seul genre en devenir, reflète plus profondément,
plus substantiellement, plus sensiblement et plus vite, l’évolution
de la réalité elle-même : seul celui qui évolue peut comprendre une
évolution. […] Il a anticipé, il anticipe encore, l’évolution future de
toute la littérature » (p. 444).
Les grandes œuvres romanesques ont d’ailleurs un caractère prophé-
tique, elles anticipent et la réalité et la littérature à venir. Cette capacité

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La problématique des genres littéraires

d’anticipation est due à une capacité d’intégration. Les romans


intègrent très rapidement les nouveaux savoirs ; dès qu’un discours
nouveau s’impose, le roman s’en empare, s’en nourrit.

3. Le rapport du roman aux autres genres


Pour Bakhtine, le rapport du roman aux autres genres est une guerre
pour occuper la place : quand le roman l’emporte, les autres genres
ou bien meurent (ce fut le cas pour l’épopée) ou bien subissent
l’influence de l’esprit du roman et s’adaptent, se « romanisent » : « Le
roman parodie les autres genres (justement, en tant que genres) ; il
dénonce leurs formes et leur langage conventionnels, élimine les uns,
en intègre d’autres dans sa propre structure en les réinterprétant, en
leur donnant une autre résonance. […] En présence du roman devenu
genre dominant, les langages conventionnels des genres strictement
canoniques commencent à avoir une résonance nouvelle, autre que
celle qu’ils avaient au temps où le roman ne faisait pas partie de la
grande littérature. » (p. 443)
Cette romanisation, qui provoque un renouvellement de la langue, se
marque par un plurilinguisme, une dialogisation, une imprégnation
de rire, d’humour, d’ironie, d’auto-parodie. Le roman agit comme
un virus, il affecte toute la littérature et détermine son avenir : « Il a
anticipé, il anticipe encore, l’évolution future de toute la littérature.
Voilà pourquoi, devenu le maitre, il contribue au renouveau de tous
les autres genres, il les contamine par sa propre évolution, son propre
inachèvement. Il les entraine impérieusement dans son orbite, parce
que son évolution coïncide avec l’orientation fondamentale de toute
la littérature en devenir. Là réside l’importance fondamentale excep-
tionnelle du roman comme objet d’étude tant pour la théorie que pour
l’histoire de la littérature » (pp. 444-445).

Dans la suite de ce livre, nous présenterons quelques outils d’analyse


des genres littéraires au départ de la distinction classique entre les trois
grands « types » ou « modes » textuels que sont le texte dramatique,
le texte poétique et le texte narratif. Pour être exhaustifs, nous aurions
dû également consacrer un chapitre au texte d’idées (essai, manifeste,
pamphlet, etc.), mais la taille restreinte que nous avons voulu donner
à cet ouvrage nous a obligés à faire des choix.

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Chapitre 4

Le texte dramatique

Du point de vue théorique, la grande difficulté que pose le texte


dramatique réside dans la mutation historique dont le XXIe siècle est
l’héritier immédiat : si l’on reconnait enfin le potentiel dramaturgique
propre à tout texte de théâtre (à savoir sa tension vers une actualisation
scénique), les productions dramatiques des cent dernières années
témoignent d’une transformation qui touche toutes les catégories
classiques d’approche du texte théâtral : la vraisemblance (l’ensemble
des conventions de représentation auxquelles consent le public),
qui subordonne toutes les catégories de la composition textuelle, ne
connait plus aucune stabilité depuis la fin du XVIIIe siècle et les pièces
flirtent constamment avec les limites du genre auquel elles appar-
tiennent. « Le vraisemblable, en ce qu’il régit le comportement du
personnage et lui confère une estampille de rationalité, est toujours lié
à un code de convenances, dicté lui-même par la sensibilité collective
et par la culture dominante d’une époque donnée. »1
Le théâtre est pourtant inscrit au registre des genres littéraires dès la
Poétique d’Aristote, quoiqu’il souffrît alors déjà d’une définition tout
à fait partielle. Au XIXe puis au XXe siècle, la naissance de la mise
en scène en tant qu’art à part entière, puis les multiples avant-gardes
concomitantes à l’apparition et au développement de nouvelles
techniques de représentation comme le cinéma et la télévision ont
relancé le questionnement générique à l’endroit des arts de la scène et,
par voie de conséquence, du texte dramatique2. En tant que catégorie
générique propre, le théâtre s’appuie sur des dimensions internes dont
le philosophe grec repérait déjà l’importance.
« De fait, le spectacle englobe tout : caractères, histoire, expression
et chant, ainsi que la pensée. Cependant, la plus importante de ces

1 R. Abirached, La crise du personnage dans le théâtre moderne, Paris,


Gallimard, 1994 (Tel, 245), p. 37.
2 H.-Th. Lehmann, Le théâtre postdramatique, Paris, L’arche, 2002, p. 148.

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Théorie de la littérature

parties est l’agencement des actes accomplis, puisque la tragédie3


imite non des hommes, mais l’action, la vie […]. Bien loin d’imiter
des caractères grâce à des personnes en action, les auteurs conçoivent
au contraire les caractères à travers les actions. Ainsi, ce sont bien les
actes accomplis et l’histoire qui sont la fin de la tragédie ; or la fin est
de tout, la chose la plus importante. »4
Les considérations d’Aristote, inégalées jusqu’au XXe siècle, sous-
tendront la majorité des travaux théoriques portant sur le domaine
dramatique durant de nombreux siècles. Selon Florence Dupont,
l’aristotélisme renait avec davantage de force à partir de la seconde
moitié du XVIIIe siècle qu’au moment de sa récupération occidentale
à la Renaissance ; en atteste l’art théâtral : Aristote investit toute forme
de réflexion sur le théâtre de manière dogmatique. Dupont prend
toutefois le parti osé de prétendre que les théâtres classiques des
alentours du XVIIe siècle, qui se réclament tous pourtant explicitement
d’Aristote, ne le suivent pas à la lettre au moment de la composition des
pièces. Mieux, elle suggère que le véritable aristotélisme occidental
ne commence qu’au milieu du XVIIIe, lorsque la tension vers une
certaine forme de réalisme (l’on peut déjà y inclure l’évolution goldo-
nienne de la commedia dell’arte, le théâtre bourgeois de Diderot ou
la fameuse « couleur locale » revendiquée par les Romantiques à la
suite de Victor Hugo5) se fait déterminante. « Tous les changements qui
s’opèrent alors visent à objectiver le spectacle scénique, à le rendre
indépendant du spectateur, à créer l’illusion théâtrale en effaçant les
marques de la théâtralité et à réduire le théâtre à la représentation
d’une action, c’est-à-dire au drame. »6 S’en suit une autonomisation
du texte par rapport au spectacle, autonomisation dont le théâtre
d’aujourd’hui, qui publie le plus fréquemment les pièces avant de les
jouer, est toujours pleinement tributaire.
Si l’entreprise de Dupont est plus que louable (elle cherche en effet à
décongestionner les références astreignantes de l’antique et, partant, à
décloisonner l’art théâtral), elle commet tout de même une erreur toute
moderne, qui est de remettre en question une référence exemplaire

3 Aristote ne se réfère qu’à la tragédie dans la Poétique ; son texte sur la


comédie est supposé perdu.
4 Aristote, Poétique, Paris, Belles-Lettres, 1990 (Classiques de poche,
6734), p. 94.
5 V. Hugo, « Préface à Cromwell », in Cromwell, Paris, Flammarion, 1968
(GF), pp. 61-109.
6 Fl. Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Paris, Aubier,
2007 (Libelles), p. 86.

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Le texte dramatique

à laquelle le théâtre s’est tout de même alimenté durant deux mille


cinq cents ans. Quand bien même les textes introducteurs des théâtres
classiques européens ne seraient que poudre aux yeux par rapport aux
textes dramatiques mêmes, il n’empêche que le spectre vampirique
d’Aristote plane depuis longtemps sur les scènes européennes. Son
influence se ressent principalement sur la pérennité relative (du moins
jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle) des grandes catégories défini-
toires internes du texte dramatique.
En dépit de son identification ancienne, le genre dramatique est celui
qui aura attendu le plus longtemps avant de connaitre une théorisation
qui ne s’attache pas seulement à des préceptes stylistiques. C’est aussi
la raison pour laquelle il est difficile de détacher son étude théorique
de son histoire. Il faut dès lors prendre le texte de théâtre à rebours
de l’histoire littéraire et théorique en vue d’en comprendre le champ
d’action spécifique.

A. Définitions internes classiques


Depuis Aristote et jusqu’après les multiples théoriciens qui l’ont
redécouvert plus ou moins fidèlement, le théâtre s’est toujours défini
en fonction de sa relation à l’action, à l’espace et au temps, trois
catégories réputées inamovibles que le théâtre classique français
appelait les « trois unités ». À celles-ci s’ajoute un axe majeur dans la
constitution du texte et de la représentation : le personnage. Ensemble,
ces quatre catégories fondent la fable, à savoir l’histoire telle que la
pièce la propose de manière singulière. Enfin, une sixième catégorie
interne s’avère indispensable à l’étude du texte théâtral : le langage
proprement dramatique.

1. L’action
De l’Antiquité à l’époque classique, l’action se devait d’être à la fois
unique et cohérente. Dans le spectacle, tout était action, sans gratuité
aucune : texte, hors-texte et hors-scène (l’entracte, par exemple,
était incluse dans le déroulement de la fable en tant que temps qui
s’écoule hors de scène). Ainsi que les autre catégories internes du texte
dramatique, celle-ci dépend intégralement de la mimésis, qui peut
être entendue – dans un premier temps et plus ou moins fidèlement

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Théorie de la littérature

à Aristote – comme la manière de s’approprier le réel par l’écriture et


le jeu scénique : loin de n’être qu’une reproduction trait pour trait de
la réalité quotidienne, la pièce repose sur une construction, un choix
de dispositifs narratifs spécifiques au genre théâtral, un découpage qui
permettre de fédérer et/ou d’ordonner des éléments qui sembleraient
chaotiques dans le monde réel. L’efficacité du texte de théâtre repose
donc sur sa très grande économie d’artifices, en accord avec les codes
de vraisemblance propres à l’époque à laquelle est écrite la pièce, mais
aussi avec les conditions matérielles de la représentation scénique.
Selon le dramaturge Michel Vinaver, l’action théâtrale est tendue entre
les pôles extrêmes de la « pièce-machine » et de la « pièce-paysage »7.
Le premier pôle est fondé sur un système de cause à effet répété, dont
l’exemple type est le vaudeville, où chaque action entraine une série
de conséquences qui s’abattent comme des dominos en cascade. Le
second pôle, dont l’idée est empruntée au théâtre expérimental de
Gertrude Stein, se livre comme une « juxtaposition d’éléments discon-
tinus » et de « micro-actions », dont l’un des meilleurs représentants
serait sans aucun doute En attendant Godot de Samuel Beckett. Ces
deux pôles dépendent bien entendu des concepts élaborés à l’origine
par Michel Corvin, que reprend Vinaver, de « parole-action » et de
« parole-situation »8. Cette dernière use d’une cohérence lâche par
rapport à la progression de l’action alors que la précédente suppose
une cohérence ferme.

2. La fable
Patrice Pavis définit la fable en ces termes : « La mise en place chrono-
logique et logique des évènements qui constituent l’armature de l’his-
toire représentée. »9 La fable est l’histoire racontée par la pièce, son
sujet. Elle se distingue de la fable narrative en ceci que ses moyens
sont plus réduits (en général, du moins : Le soulier de satin de Paul
Claudel est un contre-exemple d’économie dramatique, mettant en
scène une centaine de personnages pour un spectacle dont la mise
en scène totale équivaut à une douzaine d’heures) : elle doit afficher

7 M. Vinaver (dir.), Écritures dramatiques, Arles, Actes Sud, 1993 (Babel,


446), p. 901.
8 Ibid., p. 900.
9 P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2002 (1re éd. 1980),
s.v. fable.

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Le texte dramatique

une cohérence plus grande et installe habituellement un ensemble


choisi de fragments d’une fable plus conséquente que le lecteur ou
le spectateur est amené à reconstruire en fonction du découpage en
actes, en scènes ou en tableaux qui lui est présenté. Ainsi la fable
n’est jamais totalement objective puisqu’elle dépend intégralement de
l’interprétation scénique qu’elle peut contenir en germe, en fonction
de la discontinuité de sa composition.
Au théâtre, il n’est pas possible de résumer narrativement ce qui
n’appartient pas à l’action, à moins de recourir à un chœur ou à un
choéphore. Deux procédés pallient en général cette carence : d’une
part, l’exposition, artifice permettant de disséminer, dans le dialogue,
tous les éléments narratifs nécessaires à la compréhension du public
(l’exposition occupe souvent une position relativement initiale dans le
texte, mais peut accompagner l’intégralité du texte) ; d’autre part, la
didascalie, surtout dans la dimension de plus en plus importante qu’elle
a pris avec le temps, permet à l’auteur d’adjoindre quelques repères
supplémentaires nécessaires à l’identification des « trous » – comme
les appelle Anne Ubersfeld10 – que suppose le découpage de la fable
dramatique.
Si la fable subit un affaiblissement au XXe siècle, dont nombre de
productions tendent vers la pure « pièce-paysage », le conflit ou la
quête qui motivent l’action ne disparaissent pas pour autant : ils sont
simplement réduits à des expressions plus infimes, le plus souvent
liées aux tourments intérieurs qui animent les personnages.

3. Le personnage
Peut-être davantage que dans les autres genres, le personnage de
théâtre illustre la double origine étymologique occidentale que l’on
retrouve en français et en anglais. Il est en effet d’une part « persona »,
c’est-à-dire le masque au moyen duquel l’acteur antique faisait
résonner sa voix pour se faire entendre du public entier et par lequel il
affichait une expression en lien avec le rôle qu’il tenait. D’autre part,
il est « character », le sillon gravé dans une surface solide à l’instar
du caractère d’imprimerie, à savoir une présence-absence du réel, un
équilibre dynamique entre l’évocation fictionnelle et le corps réel de
l’acteur en scène.

10 A. Ubersfeld, Lire le théâtre, Paris, Belin, 1996, 3 vol.

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Théorie de la littérature

4. Le temps et l’espace
Depuis les débuts du théâtre dans l’Antiquité, la scène a toujours été
le lieu de tous les lieux. Richement ou chichement, concrètement ou
abstraitement, le plateau de jeu subit le même type d’investissement
que le personnage par l’acteur. Deux espaces sont en jeu simulta-
nément : l’espace scénique et l’espace de la fiction (d’Aubignac11,
Ubersfeld, Biet & Triau).
De la même manière, le temps est multiple : traditionnellement, on
considère le temps de la représentation et le temps de la fiction repré-
sentée (d’Aubignac, Ubersfeld, Biet & Triau), mais il est également
important de garder à l’esprit qu’il existe aussi le temps de la découpe
en scènes et en tableaux.
Temps et espace peuvent être traités à l’image de ce qui se fait dans
les autres genres, à condition que la tension entre le texte et la repré-
sentation intègre le raisonnement12.

5. Le langage
À la fin des années soixante-dix, Pierre Larthomas13 a tenté de démontrer
et de définir les caractéristiques propres au langage dramatique, en
analysant minutieusement la tension constante entre l’oral et l’écrit.
Le jeu théâtral implique un « faire comme si » qui semble mimer la
réalité tout en gommant certaines scories de la langue quotidienne (de
certaines particularités d’époque aux épanorthoses). Selon Larthomas,
le langage dramatique est un pont entre deux rives : il n’est ni totalement
oral ni totalement écrit (même dans le cas des pièces versifiées) ; en
ce sens, il n’est pas un langage « surpris » mais seulement « comme
surpris », c’est-à-dire qu’il dépend intégralement de l’adhésion du
public à un code de vraisemblance implicite. Évidemment, la très
grande variété du répertoire dramatique mondial met à mal une telle
généralisation : la notion de vraisemblable différant d’une aire géocul-
turelle à une autre, de même que d’une époque à l’autre, l’étude de
Larthomas ne pouvait être qu’incomplète, puisqu’elle n’aborde que le

11 Fr.-H. d’Aubignac, La pratique du théâtre, Paris, Champion, 2001.


12 A. Ubersfeld, op. cit., vol. 1, pp. 113-184.
13 P. Larthomas, Le langage dramatique. Sa nature, ses procédés, Paris, PUF,
1980 (Quadrige).

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Le texte dramatique

théâtre français jusque dans les années trente (à savoir pour les esthé-
tiques que l’on peut qualifier de classique et de réaliste).
À l’exploration du langage doit s’ajouter ce qu’Arnaud Rykner appelle
son envers, le silence14. Au théâtre, le gestuel et le visuel occupent
un territoire tout aussi essentiel que la réplique. En ce sens, si tous les
éléments de mise en scène n’appartiennent ni en propre à l’écrivain
ni à la lecture des pièces, il convient de se soucier, dans l’approche
du texte, de la valeur des didascalies et des pauses que suggèrent les
dialogues et les monologues.

B. Les catégories dramaturgiques


Aucun des éléments traditionnellement considérés comme constitutifs
du théâtre ne semblent plus, aujourd’hui, essentiels au texte drama-
tique lui-même. Comme dans les autres genres, mais plus concrè-
tement que dans ceux-là, le personnage, l’espace, le temps, l’action
sont déconstruits. Dans ce cas, il convient de définir le genre de
manière oppositive, tout en conservant les catégories délimitées soit
par le texte lui-même, soit par ses rapports transgénériques.
Le théâtre se caractérise par une destination scénique fortement
implantée dans la rédaction du texte lui-même, et ce même si l’auteur
l’envisage uniquement comme un « théâtre dans un fauteuil », à
l’instar d’Alfred de Musset. Pour d’autres, le texte dramatique ne
constitue qu’une forme de valeur ajoutée (sinon une pièce rapportée)
à l’entreprise « théâtre », tout entière fondue dans le but du spectacle.
La plus grande part des théoriciens du texte dramatique (Abirached,
Dort, Ryngaert, Ubersfeld, Sarrazac, Biet & Triau) s’accordent à recon-
naitre que ce type de textes se distingue des autres par la tension
dramaturgique qui l’anime, c’est-à-dire que le texte dramatique est
tout entier orienté vers sa destination scénique (les répliques sont
composées pour être à la fois prononcées et entendues sur scène ;
elles supposent des gestes et des actions visuelles et sonores ; les
didascalies comblent – fût-ce seulement partiellement – les infor-
mations visuelles et sonores que ne peuvent contenir les dialogues).
Cette tension dramaturgique, même si elle parait battue en brèche

14 A. Rykner, L’envers du théâtre. Dramaturgie du silence de l’âge classique


à Maeterlinck, Paris, Corti, 1996, et Paroles perdues. Faillite du langage et
représentation, Paris, Corti, 2000.

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Théorie de la littérature

par la tentation moderne du « texte-paysage » (Vinaver) ou du « récit


scénique » (Engelberts), ne disparait jamais.
Un élément ne peut être dénié lorsque l’on envisage une approche
théorique du texte théâtral, bien que d’aucuns y consentent volon-
tiers : le principe de la dramaturgie interdit tout bonnement d’écarter
le texte de sa destination scénique. Même dans un fauteuil, la lecture
du texte de théâtre se caractérise par une activité de comblement de ce
qu’Ubersfeld appelle les « trous » propres à ce genre de texte. Comme
l’écrit Matthijs Engelberts, « il y a réflexivité linguistique dans la litté-
rature, tandis que le caractère spéculaire du langage est émoussé dans
le théâtre, où le code linguistique n’a pas de privilège exclusif puisque
la scénicité du texte appelle des systèmes sémiotiques non linguis-
tiques »15. La virtualité du texte dramatique est peut-être plus grande
que celle inhérente aux autres genres littéraires, mais elle se trouve
rendue plus immédiate, plus concrètement active dans le second temps
de la destination de ce type de textes : la représentation scénique.
C’est ainsi que Engelberts propose une définition succincte du genre
dramatique : « Présence physique d’un être humain qui joue, donc
incarne quelqu’un qu’il n’est pas ; une suite d’évènements (le plus
souvent fictifs) ; et un public qui regarde et qui est donc présent dans
le même lieu que celui qui joue. »16 S’il semble n’être plus question
de texte, il n’est en réalité question que de texte, mais d’un texte dont
l’existence tout entière est tournée vers sa destination finale.

1. La dramaturgie
La dramaturgie constitue donc l’un des pivots de tout travail théorique
sur le texte dramatique. Incontestablement, « au théâtre, dire, c’est
faire », comme le dit si simplement Jean-Pierre Ryngaert17. De l’acces-
soire scénique (prévu par le texte ou non) à la réplique, tout y est action
en germe. Le principe de dramaturgie se définit comme la dynamique
de tension vers la représentation qui est présente dans tout texte
dramatique. Si cette notion existe implicitement depuis les origines
les plus anciennes de l’art théâtral, elle ne fut théorisée que bien tard,
dans la foulée de ce que le dramaturge allemand Bertolt Brecht avait

15 M. Engelberts, Défis du récit scénique, Genève, Droz, 2001, p. 201.


16 Ibid., p. 106.
17 J.-P. Ryngaert, Introduction à l’analyse du théâtre, Paris, Dunod, 1999,
p. 50.

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Le texte dramatique

appelé le « gestus » (l’entrelacs des gestes et paroles qui donnent du


sens au rapport social entre les hommes, que Brecht considérait être
l’essence même du théâtre, puisqu’il pouvait également convenir à
la pantomime qui est dépourvue de texte prononcé et qui cependant
signifie18), en en généralisant l’acception. Tout le matériel visuel et
sonore prévu par le texte dramatique se donne comme un fragment de
signification dont l’accumulation permet au spectateur (ou au lecteur)
de reconstruire la totalité de la fable.
Vinaver a créé, avec sa méthode d’analyse du texte dramatique19, une
typologie des catégories dramaturgiques et de figures textuelles qui
permet d’étudier le texte dramatique comme un tout, sans en passer
par la distinction classique – mais périmée – des répliques et des didas-
calies. Une telle classification renouvelle et dépasse les applications
dramaturgiques du schéma actantiel qu’avait proposé Ubersfeld20.
À l’évidence, la dramaturgie a toujours fonctionné, en fonction des
codes de vraisemblance propres à chaque époque et à chaque aire
géographique. Toutefois, ces codes ne périment pas (ou très peu),
puisqu’il est toujours possible aujourd’hui de lire ou de voir repré-
sentées des pièces datant de plusieurs siècles. La vraisemblance
procède donc par accumulation et élargit constamment le champ de
vision du public et ses capacités d’adaptation.

2. Mimésis et catharsis
Le texte de théâtre fonctionne à partir d’une double représentation.
D’une part, la représentation du réel, consacrée par Aristote sous le
nom diversement interprété de mimésis, et d’autre part, la réalisation
matérielle et concrète du texte sur la scène. Le second type de repré-
sentation est, bien entendu, le spectacle, à savoir une incarnation
momentanée du texte par le corps du ou des comédiens et par le
lieu scénique, dans un temps donné. Le spectacle doit être considéré
comme une œuvre à part entière, dont le texte est l’un des éléments
primordiaux.
La lecture du texte dramatique mise à part, c’est le spectacle qui
entraine la catharsis, à savoir le réflexe du public qui éprouve des

18 B. Brecht, Écrits sur le théâtre, Paris, L’arche, 1997, vol. 2, p. 95.


19 M. Vinaver (dir.), op. cit., pp. 901-909.
20 A. Ubersfeld, op. cit., t. I, pp. 43-87.

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Théorie de la littérature

émotions durant le spectacle, une foule de jugements critiques et


d’émotions qui exerceront ensuite une influence sur ses perceptions
ultérieures de l’existence et du réel21. Selon le metteur en scène et
théoricien polonais Jerzy Grotowski, les grandes œuvres dramatiques
peuvent receler autant d’effets cathartiques pour le spectateur que pour
le comédien. Il parle alors du « texte-bistouri », qui permet à chacun
de s’ouvrir à lui-même et de s’ouvrir à l’autre en même temps.
« La force des grandes œuvres consiste réellement dans leur effet
catalyseur : elles nous ouvrent des portes, elles mettent en branle le
mécanisme de notre propre conscience. Ma rencontre avec le texte
ressemble à a rencontre avec l’acteur, et à la sienne avec moi. Pour
les deux, le metteur en scène et l’acteur, le texte de l’auteur est une
espèce de bistouri qui nous permet de nous ouvrir nous-mêmes, de
nous transcender, pour trouver ce qui est caché en nous et accomplir
l’acte de rencontrer les autres ; autrement dit, de transcender notre
solitude. Au théâtre, […] le texte a la même fonction que le mythe
avait pour le poète des temps anciens. »22
Les lecteurs et exégètes d’Aristote, au fil de l’Histoire, ont été divisés
quant à l’interprétation à donner au concept de mimésis. Dès l’Anti-
quité, le théâtre reflète les diverses dimensions humaines. Le théâtre
(la tragédie, plus spécifiquement), selon Aristote, est le lieu d’un
conflit entre ethos et dianoia, entre l’action déterminée par l’émotion
et l’action telle que la détermine la pensée rationnelle, consciente des
règles de vie en société. Pour que le conflit existe au théâtre, les héros
doivent faire preuve d’un hamartia, un défaut tragique, un défaut de
leur ethos, qui s’oppose à la doxa et à la polis. Ce défaut donne lieu
à ce que l’on appelle couramment le « délit d’ubris », à savoir une
fierté excessive qui conduit le héros à se battre aveuglément pour
défendre ce qu’il ne perçoit pas comme un défaut, ce qu’il ne perçoit
pas comme allant à l’encontre de la doxa et de la polis, puisqu’on le
présente comme un trait essentiel de sa personnalité. Cette structu-
ration du conflit tragique relève de l’ordre de la mimésis.
La présence de cet ethos parfait à l’exception d’un unique défaut,
d’un seul délit d’ubris, crée un lien émotionnel entre le personnage
(le héros) et le public qui se reconnait en ce héros, l’empathie.
L’hamartia est donc l’objet visé par la catharsis : le public, à la fin du
spectacle, est supposé s’être rendu compte du caractère « invivable »,
« asocial » de l’hamartia et doit se libérer de ce pour quoi il a éprouvé

21 Ce qui renvoie, bien entendu, à la mimésis III de Ricœur.


22 J. Grotowski, Vers un théâtre pauvre, Lausanne, L’âge d’homme, 1971
(Théâtre vivant), pp. 55-56.

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Le texte dramatique

de l’empathie en soumettant ce défaut au jugement de ce que Freud


appelle « principe de réalité ».
L’analyse de la tragédie par Aristote pourrait paraitre obsolète si elle
ne mettait en jeu les fondements mêmes de la psychanalyse. Ainsi,
l’on retrouve dans la structure tragique l’opposition freudienne entre
le Ça et les autres instances du Moi, ainsi que l’opposition entre le
principe de plaisir et le principe de réalité (grossièrement : le second
tend à museler partiellement la course à la satisfaction du plaisir
par une confrontation de l’action avec les règles régissant la vie en
commun). Le texte théâtral représenté, par son emprise directe sur le
public, détient des pouvoirs spécifiques qui intéressent au plus haut
point toute une frange de théoriciens versés en psychanalyse ou en
psychothérapie (Freud, Grotowski, Fanchette, Florence, Regnault).
Selon François Regnault23, par exemple, le principe de catharsis n’est
pas tant une purgation des passions humaines que la présentation
de leur épure, c’est-à-dire la manifestation la plus élémentaire des
pulsions qui régissent le comportement humain.
Bernard Dort analyse le théâtre aristotélicien dans le lien qui unit la
salle et la scène à partir du point de vue de sa fonction politique.
« L’action de l’œuvre, sa fable, est la vérité même de ses spectateurs.
Et la scène délivre littéralement la salle du souci de son histoire. D’où
la catharsis. ». L’action « reflète l’accord social, politique, qui fonde
cette communauté »24, le théâtre justifie les institutions et l’ordre
social de la polis.
Roland Barthes25 s’oppose à l’idée de Dort selon laquelle la « fonction
politique » (Barthes emploie le mot « civique ») du théâtre eût perduré
jusqu’au XVIIIe siècle. Selon lui, le théâtre classique français n’est
guère plus qu’un théâtre psychologique (il n’a pas de chœur : or,
selon Barthes, c’est le chœur qui concentre le jugement populaire, qui
établit l’« ordre causal intelligible », placé dans le théâtre comme le
prolongement du public même – les chœurs d’Athalie existent parce
que cette pièce est destinée aux jeunes filles de l’école de Saint-Cyr).
On peut ajouter à la critique de Barthes le fait sociologique du public
classique (il s’agit, principalement – exceptons partiellement le public
cible de certains auteurs, surtout comiques – d’aristocrates).

23 Fr. Regnault, La doctrine inouïe, Paris, Hatier, 1996.


24 B. Dort, « La vocation politique » (1965), in Théâtres, Paris, Seuil, 1986
(Points essais, 185), pp. 235 et 237, respectivement.
25 R. Barthes, Écrits sur le théâtre, Paris, Seuil, 2002 (Points essais, 492).

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Théorie de la littérature

Du point de vue de la mimésis, les théâtres de cette époque ont eu


pour vocation une stylisation (règle des trois unités, sujets mythiques
ou nobles, costumes d’époque, pièces en vers, etc.) de la démons-
tration psychologique et politique (c’est aussi l’époque des monarques
absolus) par le biais de la catharsis. En réalité, les Classiques envisagent
la catharsis comme la purgation des passions humaines, qui s’expurgent
grâce aux modèles (bons ou mauvais) qui sont incarnés sur la scène.
Le dramaturge et théoricien français Michel Deutsch affirme que la
fonction du théâtre précédant le XVIIIe siècle « était alors de maintenir
un espace où l’hostilité, le conflit pouvaient se représenter sans
s’effectuer. »26 Cette assertion semble ne pas différencier le théâtre
classique du théâtre antique. Pourtant, le projet n’est pas tout à fait
le même, si l’on se penche sur le contexte historique spécifique à
chacune des périodes. Pour résumer très (trop) brièvement : pour
l’Antiquité, asseoir un pouvoir civil ; au Moyen Âge, asseoir le pouvoir
de l’Église par la crainte du diable ; dans les théâtres classiques, asseoir
les pouvoirs monarchiques absolus. La condition exemplaire des
personnages du théâtre classique est supposée respecter les conseils
antiques selon lesquels chaque histoire portée au théâtre doit donner
lieu à la mimésis et à la catharsis. La mimésis et la catharsis posent
le problème de la représentation : quel rapport au réel est recherché
dans le théâtre classique, à dessein de quelles mimésis et catharsis
(pour autant qu’il y ait un dessein de cette sorte dans ce théâtre) ? Les
classicismes européens, s’ils sont le plus souvent considérés comme
la norme, doivent davantage être regardés sous l’angle de l’écart.
Selon Biet et Triau, la théorisation classique (dont l’interprétation toute
particulière de la règle des trois unités) s’est fondée a posteriori et
a pris pour modèle un ensemble de pièces aux règles fixes et sans
doute fixées sur les fondements de la théorie d’Aristote. La fortune de
Molière, de Pierre Corneille et de Jean Racine tient bien davantage à
l’intemporalité de leur écriture et de leur dramaturgie qu’à un respect
supposé de règles de composition.
La stylisation classique se poursuit approximativement jusqu’à la
seconde moitié du XVIIIe siècle ; à cette époque est inventée la théori-
sation de l’art de l’acteur, dont le Paradoxe du comédien de Denis
Diderot demeure le texte clé. L’intérêt pour la pratique de l’acteur est
aussi le symptôme d’une mutation dans la conception de la vraisem-
blance : d’un jeu abstrait, l’on en passe à un jeu plus concret, centré
sur les émotions naturelles et quotidiennes. S’amorce alors la transition

26 M. Deutsch, Le théâtre et l’air du temps, Paris, L’arche, 1999, p. 27.

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Le texte dramatique

vers l’esthétique réaliste qui prévaudra durant deux siècles et rendra


problématique la rencontre du théâtre avec le cinéma naissant.
En 1872, l’essai de Friedrich Nietzsche intitulé La naissance de la
tragédie dégage deux visions de la mimésis, par le biais de l’oppo-
sition entre l’apollinien et le dionysiaque, autrement dit la mise en
forme rationnelle du réel par la composition dramatique et l’accep-
tation du chaos qui régit l’univers au point d’en transposer la substance
dynamique dans le spectacle. La théorie dramatique du XXe siècle
explorera simultanément les deux axes proposés par le philosophe
allemand.
La veine dionysiaque sera exploitée par Antonin Artaud, principalement
dans Le théâtre et son double (1938), où l’écrivain se réclame d’un
« théâtre de la cruauté ». Inspirée d’une vision orientale du théâtre,
la volonté d’Artaud est de redéfinir le théâtre comme instrument de
mise en espace (visuel et sonore) du réel dans sa violence et dans ses
contradictions. À cette mimésis violente répond une catharsis dont
l’effet doit ébranler le spectateur en son tréfonds.
La veine apollinienne, quant à elle, verra son plus grand représentant
en la personne de Brecht. La pensée théorique de Brecht opère un
retour à Aristote en redéfinissant la mimésis comme lecture particu-
lière du réel. Toutefois, si le théâtre doit être imitation de la réalité, il
doit avant tout disposer le spectateur à exercer son esprit critique. La
pièce devient dès lors le lieu d’une machinerie qui se détache de toutes
les ficelles illusionnistes de l’esthétique réaliste, tout en se réclamant
d’une réalité souvent historique (La résistible ascension d’Arturo Ui est
ainsi l’allégorie de la montée du nazisme en Allemagne, transposée
dans le commerce du chou-fleur à Chicago).
Chacune des deux veines a connu un prolongement à la fois théorique
et pratique. Ainsi, les expériences du Teatr Laboratorium de Wroclaw,
menées et théorisées par Jerzy Grotowski, reprennent en quelque
sorte le point de vue artaldien selon lequel l’art théâtral serait un art
du corps et de sa mise en tension. Vers un théâtre pauvre27 insiste ainsi
sur l’articulation des processus mimétique et cathartique à l’œuvre non
seulement dans la réception du spectacle mais aussi dans le travail de
mise en scène et d’interprétation. Chez Grotowski, le théâtre rencontre
l’essence de l’être humain, dans une visée presque mythique.

27 J. Grotowski, op. cit.

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Théorie de la littérature

Dans Théâtre de l’opprimé, le metteur en scène et théoricien Augusto


Boal28 se réclame d’Aristote et de Brecht lorsqu’il met en valeur la
dimension hautement politique du théâtre. Il répond en ceci à l’une
des quelques remarques théoriques de l’auteur dramatique allemand
Heiner Müller, lorsque ce dernier rendait compte du processus de
composition dramatique : « La répartition du texte proposée est un
schéma variable, le type et le degré des variantes est une décision
politique à prendre selon les cas. »29 Boal conçoit la catharsis comme
un instrument de révolte contre l’oppression idéologique plus que
comme un facteur de pacification sociale.
Plus que les autres genres qui se sont fondés de manière plus ou moins
stable à partir du XIXe siècle, le texte dramatique, dans l’épreuve de
sa réalisation scénique, exerce un pouvoir de stigmatisation plus
directe des errances humaines. Si le cinéma occupe aujourd’hui à la
fois la plus large part de renforcement de l’ordre établi et de critique
directe de celui-ci (c’est l’un des traits qui distingue de cinéma dit
« hollywoodien » du cinéma d’art et d’essai ou du cinéma d’auteur),
le théâtre détient quant à lui des clés d’équilibre entre l’engouement
purement passionnel et la critique distanciée telle que Brecht l’a
théorisée durant plusieurs décennies au moment de la montée du
nazisme et de son achèvement dans la seconde guerre mondiale. La
distanciation de Brecht et de Boal rejoint en quelque sorte la vocation
politique que Dort prêtait aux théâtres classiques de l’Antiquité et des
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, tout comme la fonction psychologique
fait se croiser Artaud, Grotowski ou Barthes. Les veines dionysiaque
et apollinienne doivent être considérées, en dernière analyse, comme
les deux faces d’une seule pièce.

3. Dialogue, monologue, aparté, dramatis personae, didascalie


Majoritairement, le texte de théâtre est un discours distribué aux
personnages de telle manière qu’ils interagissent par le biais d’un
dialogue fictif. Le dialogue peut être analysé par rapport aux règles
de la conversation normale (sujet, longueur du discours, destinataires,
digressions, respect des conventions implicites, stratégie d’information
du lecteur/spectateur, etc.). Il est nécessaire de mettre à la question

28 A. Boal, Théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, 1996.


29 H. Müller, « Note pour Mauser », in Hamlet-machine, Paris, Minuit,
1985 (1re éd. 1979), p. 65.

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Le texte dramatique

tous les présupposés, afin de dégager la construction textuelle qui se


cache sous les espèces d’une simple conversation.
La spécificité du dialogue théâtral s’éprouve dans les informations
qu’il distille et qui forme le principe de dramaturgie : le dialogue
théâtral n’est pas naturel puisqu’il use d’artifices qui tiennent compte
du tiers spectateur. La portion du texte de théâtre imputée aux person-
nages suit le principe de la double énonciation, à savoir une double
adresse : aux autres personnages (ou du personnage à lui-même) et
au public.
Le monologue est l’une des formes premières du texte théâtral. Ce type
de discours témoigne pleinement du jeu de la double énonciation,
puisque son caractère vraisemblable repose entièrement sur la
convention du tiers spectateur.
L’aparté participe pleinement du principe de l’exposition ; il s’agit
d’un artifice destiné à confier au public, de manière interpelante, des
informations essentielles à la construction de la fable (motivations des
personnages, secrets, plaisanteries, etc.).
Le dramatis personae est extrêmement fréquent depuis le redémarrage
du théâtre occidental (fin du Moyen Âge) et consiste en une liste des
personnages présents dans la pièce, qu’ils aient des répliques ou non
(personnages muets, figurants). Cette liste comporte souvent quelques
notes précisant la fonction, l’âge, les relations des personnages, mais
aussi éventuellement des indications sur les costumes ou le cadre
général de l’action (temps et lieu), ou encore sur des directives de
jeu, de mise en scène ou de décor. Dans le théâtre contemporain, le
dramatis personae existe toujours, même si d’aucuns en dénigrent la
fonction et vont jusqu’à le supprimer ou même si d’autres utilisent cet
espace textuel à des fins plus larges.
La didascalie est rare jusqu’au XIXe siècle et carrément proscrite au
XVIIe siècle en France (les théoriciens du classicisme considéraient que
tout le texte de théâtre devait tenir dans le dialogue). Mais lorsqu’elle
apparait, son importance est capitale. À partir du XIXe siècle, la didas-
calie devient exigeante, voire dictatoriale (cf. les didascalies de Hugo
et les débuts du réalisme). Le règne de la mise en scène et bientôt de
la scénographie vont ôter tout pouvoir de contrôle de l’auteur sur son
texte dès la fin du XIXe siècle ; puisque l’équipe de mise en scène prend
des libertés de plus en plus grandes avec le texte, l’auteur abandonne
la didascalie ou bien lui confère d’autres fonctions, devenant le lieu
de l’écriture et de la réflexion, plus que celui d’indications destinées

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Théorie de la littérature

à la scénographie, au jeu ou à la mise en scène de manière plus


générale.
Frédérique Toudoire-Surlapierre a tenté de résumer l’apport fonda-
mental de la didascalie au théâtre : « La contradiction du théâtre
vient de cet entre-deux des signes et des images dont la didascalie
est l’une des expressions, et dont elle représente les tentations. »30
Si la didascalie se tenait dans l’espace restreint de l’indication de
jeu, uniquement tournée vers la destination scénique, la modernité
brouille les pistes en proposant des didascalies injouables, fantasma-
tiques, souvent destinées à la seule lecture, sinon à la lecture publique
au sein même de la mise en scène.

4. La lecture du texte de théâtre


La question de la spécificité de la lecture des pièces de théâtre
demeure probablement, encore aujourd’hui et en dépit de deux
siècles de pièces parfois créées pour la lecture (l’exemple du « théâtre
dans un fauteuil » d’Alfred de Musset a engendré plusieurs épigones),
le domaine le moins exploré de toute la théorie du texte dramatique.
Dans Qu’est-ce que le théâtre ?, Christian Biet et Christophe Triau ont
tenté de faire le point31, si imparfait fût-il, sur cette épineuse question.
Il est évident qu’un texte dont toute la construction le fait tendre vers
la scène peut, comme tout autre texte, faire l’objet d’une lecture
silencieuse (les praticiens du théâtre, avant toute concrétisation d’un
projet de mise en scène, en passent par là). Cependant, le lecteur de
pièces doit avoir à la fois la connaissance spécifique de la destination
du texte et la connaissance des spécificités du support graphique
du texte dramatique : les didascalies en italiques, les dialogues en
romains, etc. La tension que suppose le théâtre mental est maximale
par rapport à ce qu’exigent un récit ou un poème, puisqu’elle rétablit
tout le parcours virtuel qui porte le texte sur la scène, comblant les
« trous » du livret dramatique.

30 Fl. Fix et Fr. Toudoire-Surlapierre (dir.), La didascalie dans le théâtre du


XXe siècle. Regarder l’impossible, Dijon, ÉUDijon, 2007 (Écritures), p. 7.
31 Chr. Biet et Chr. Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, Paris, Gallimard, 2006
(Folio essais), pp. 536-639.

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Le texte dramatique

C. Le décloisonnement théâtral au XXe siècle


Dès le début du XXe siècle, l’esthétique réaliste dans laquelle s’ancre
le vraisemblable depuis plus de cent ans subit les coups de boutoir
de la création littéraire. À l’époque où nait le cinéma et où la mise
en scène devient tout à fait indépendante de la volonté des écrivains
de théâtre, la position occupée par ces derniers est à revoir. Dans
un premier temps, la transmission de la mise en scène à des profes-
sionnels réduit la liberté de l’auteur, qui n’a plus voix au chapitre
sur la totalité du processus de développement de son texte. Ensuite,
la référence réaliste passe progressivement aux mains des cinéastes ;
le théâtre se voit donc tenu d’explorer ses propres limites en vue de
redessiner les contours de son territoire spécifique.
Dans la foulée de cette mutation, la fable subit un affaiblissement
conséquent, de même que les catégories considérées comme les piliers
fondateurs du texte dramatique. Selon Jean-Pierre Sarrazac32, l’insta-
bilité générique du texte dramatique contemporain est caractéristique
de la fonction originaire du théâtre : une hybridation entre un art litté-
raire et un art spectaculaire, que le théoricien appelle « rhapsode ».
Le texte n’est plus seulement une partition à jouer sur la scène, mais,
tout comme celle-ci, le lieu de diverses expérimentations (les didas-
calies deviennent des textes à lire qu’il est impossible, matériellement
parlant, de monter ; les écrivains dramaturges déploient de plus en
plus un arsenal de paratextes ou de portions textuelles réservées
uniquement à la lecture ; les mises en scène débordent largement, de
leur côté, les données du texte). Depuis Brecht, le texte dramatique
s’assume de plus en plus comme artificiel, fragmentaire et fondé sur
le collage.
Dans cette perspective, Hans-Thies Lehmann a nommé Le théâtre
post-dramatique l’ensemble de ces formes théâtrales nouvelles qui
vont jusqu’à se passer totalement du texte (comme dans les happe-
nings de troupes comme le Living Theatre ou les spectacles à la limite
de plusieurs genres artistiques : danse, vidéographie, chant, musique,
etc.). Pourtant, même dans ces cas extrêmes, un « texte » – au sens
premier de « trame » – sous-tend la représentation ; aucun spectacle,
si minimaliste et improvisé soit-il, ne repose sur aucune trame sous-
jacente.

32 J.-P. Sarrazac, L’avenir du drame. Écritures dramatiques contemporaines,


Belfort, Circé, 1999 (Poche), et Jeux de rêve et autres détours, Belval,
Circé, 2004 (Penser le théâtre).

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Théorie de la littérature

« Si, à juste titre, l’on décompose méthodiquement la densité de la


représentation en niveaux de signes, il ne faut pas oublier là qu’une
texture ne s’échafaude pas comme un mur de pierres, mais comme
un tissu de ligaments ; ce qui veut dire que, en fin de compte, la
signification des éléments particuliers – loin de constituer cette
globalité par addition – dépend complètement de « l’éclairage
global ». Désormais, dans le théâtre postdramatique, le texte écrit
et/ou oral pré-posé au théâtre et – dans le sens le plus large du
terme – le « texte » de la mise en scène (avec des comédiens, leurs
ajouts, réductions ou déformations « para-linguistiques » du matériau
linguistique ; avec les costumes, l’éclairage, l’espace, la temporalité
propre, etc.), apparaissent dans une optique différente suite à un
changement de conception du performance text. Même si la trans-
formation structurelle de la situation théâtrale, le rôle du spectateur
(qui lui est inhérent), les procédés de communication, n’apparait
pas partout avec la même évidence, on constate néanmoins que le
théâtre postdramatique n’est pas seulement un nouveau type de texte
de mise en scène – encore moins un simple nouveau type de texte
théâtral, mais un mode d’utilisation des signifiants dans le théâtre
qui bouleverse fondamentalement ces deux niveaux du théâtre au
travers d’autres types du texte de performance structurellement
transformés : davantage présence que représentation, davantage
expérience partagée qu’expérience transmise, davantage processus
que résultat, davantage manifestation que signification, davantage
impulsion d’énergie qu’information. »33

Le texte dramatique a pris conscience, au cours du XXe siècle, de la


partialité de son rôle au sein de l’entreprise théâtrale. Il n’est que l’une
des composantes – quoique essentielle – qui forment le « texte », la
texture du spectacle à venir.

33 H.-Th. Lehmann, op. cit., pp. 133-134.

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Chapitre 5

Le texte poétique

A. Poésie et société 1
En ce début de XXIe siècle, la poésie semble être devenue le parent
pauvre des « grands genres » de la littérature. Non seulement les
lecteurs la boudent, mais on publie très peu de poésie, sinon à compte
d’auteur. Les prix littéraires destinés à récompenser les meilleurs poètes
ne bénéficient d’aucune médiatisation, et même l’institution scolaire
tend à délaisser de plus en plus l’enseignement systématique de la
poésie, y compris celle des grandes figures du passé. Déplorant cette
situation, le romancier Philippe Sollers n’hésitait pas, dans un article
du Monde publié dans les années 1990, à dénoncer un « complot
social et culturel » contre la poésie.
On ne peut ignorer le rôle déterminant qu’a joué Mallarmé dans cette
« crise » : en voulant faire de la poésie un art quasi sacré, réservé aux
initiés, en déconstruisant le langage jusqu’à friser la rupture avec les
lois de la syntaxe, il a mis fin au lien social qui unissait auparavant les
poètes à leurs lecteurs. La majorité des poètes qui ont suivi Mallarmé
lui ayant peu ou prou emboité le pas – à quelques notables exceptions
près : Prévert, Queneau, Norge, Guillevic –, il ne faut pas s’étonner
qu’un grand nombre de lecteurs se soient détournés d’un genre qu’ils
percevaient désormais comme illisible, ni que la poésie soit devenue
de plus en plus une pratique réservée aux happy few.
À cette marginalisation provoquée par les poètes eux-mêmes s’ajoute
un changement de sensibilité collective à l’égard de la poésie. Alors
que les grands poètes des XVIe, XVIIe et XIXe siècles ont été plus ou
moins rapidement considérés comme des modèles, voire comme des
prophètes, et ont pesé sur l’usage et l’évolution de la langue – songeons

1 Une partie des analyses développées dans ce chapitre nous a été inspirée
par une conférence donnée en 2002 par Karl Canvat.

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Théorie de la littérature

à la fortune intertextuelle de Ronsart, de La Fontaine, de Racine, de


Lamartine, de Hugo, de Verlaine… –, aucun poète du XXe siècle n’a
bénéficié durablement d’un tel statut2.
Sans doute l’enseignement a-t-il sa part de responsabilité dans cette
déconsidération croissante de la poésie : trop souvent, celle-ci n’est
présentée aux élèves et aux étudiants que comme une pratique du
passé, que l’on aborde tantôt de manière techniciste, tantôt à l’inverse
sans aucune méthode. Dans les deux cas, au lieu de favoriser son
appropriation passionnelle par la lecture et/ou par l’écriture, on
augmente la distance et le rejet dont elle est déjà victime a priori.
Dans ce chapitre, nous esquisserons d’abord un bref panorama
des conceptions de la poésie qui ont été débattues par les critiques
contemporains et au cours de l’Histoire. Nous présenterons ensuite
une méthode de lecture relativement simple applicable à n’importe
quel texte de ce type. En guise de prolongement, nous développerons
enfin une approche spécifique de la poésie inspirée des travaux de
Jacques Derrida.

B. Qu’est-ce que la poésie ?

1. Des théories en débat


Parmi les innombrables tentatives qui ont été faites par les théoriciens
de la littérature pour approcher la nature du langage poétique, nous
n’en évoquerons ici rapidement que trois, qui privilégient respecti-
vement la notion d’écart, la notion de forme poétique et la notion de
« matière émotion ».
Jean Cohen3 définit la poésie comme un écart : pour lui, l’effet poétique
réside d’abord dans la défamiliarisation par rapport au langage
ordinaire. Cette théorie sera critiquée notamment par Genette, mais on
la retrouve toujours aujourd’hui chez des auteurs comme Dominique
Combe et Jean Molino.

2 Des auteurs comme Péguy, Claudel, Valéry ou Saint-John Perse ont


certes connu une importante renommée pendant la première moitié du
XXe siècle, mais celle-ci a fait long feu : dès les années 1980, leur place
dans les anthologies scolaires était devenue complètement marginale.
3 Dans Structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966.

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Le texte poétique

Jakobson4 opposait lui aussi la fonction poétique du langage à la


fonction référentielle – et donc au langage ordinaire –, mais il la
concevait plus précisément comme un jeu autoréférentiel sur la matière
langagière. Selon cette conception, la fonction poétique est maximale
lorsque des procédés rythmiques, phoniques, lexicaux se combinent,
comme dans ce vers de Phèdre de Racine : « Tout m’afflige et me nuit
et conspire à me nuire ».
Si la position jakobsonienne se retrouve chez de nombreux auteurs,
notamment dans la définition que Jean-Michel Adam donne du type
textuel poétique5, elle est critiquée par Michel Collot6, qui refuse de
surestimer la dimension formelle du poétique. Pour lui, la poésie est
certes un travail sur le langage, mais elle est avant tout une « matière-
émotion », une émotion faite langue, un condensé de lyrisme et de
matérialisme, d’expérience humaine et de travail langagier.

2. Les conceptions historiques de la poésie


Avant d’être l’objet de débats théoriques, la poésie n’a cessé d’évoluer
au cours de l’Histoire de la littérature et elle a connu des incarnations
extrêmement diverses.
Durant l’Antiquité, elle était considérée comme un don de Dieu.
Le poète se présentait volontiers lui-même comme un prophète ou
comme le porte-parole d’une muse qui s’exprimait à travers sa main.
C’est ainsi que L’Iliade débute par le vers « Chante, déesse, la colère,
déesse… », et L’Odyssée par « Muse, dis-moi le héros… ». De même,
dans les dialogues de Platon, la poésie est présentée comme une
communication avec le monde divin et le poète comme un inspiré.
Cette tradition platonicienne se retrouvera à la Renaissance : les
poètes de la Pléiade se sentent investis de l’« enthousiasme » dont
parlait Platon, c’est-à-dire qu’ils se croient possédés par un dieu ou
par « une fureur divine » comme disait Ronsard.
La même idée se retrouve dans la tradition judéo-chrétienne. Dans
la Bible, on est frappé par le nombre de fois où Dieu se saisit d’un

4 Dans son célèbre article « Linguistique et poétique », in Essais de


linguistique générale, Paris, Minuit, 1963, pp. 209-248.
5 Dans Pour lire le poème. Introduction à l’analyse du type textuel poé-
tique, Bruxelles, De Boeck-Duculot, 1985.
6 Notamment dans « Lyrisme et matérialisme », in Pratiques, 93,
pp. 31‑49.

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Théorie de la littérature

homme pour le faire parler. Par exemple, dans le Livre d’Ezéchiel :


« L’esprit du Seigneur me saisit et me dit : ”Parle” ».
Le thème de la proximité entre le poète et le prophète, entre la poésie
et le sacré est donc récurrent dans l’Antiquité : le poète est perçu
comme quelqu’un d’exceptionnel, mais en même temps, aux yeux de
Platon, c’est un paria qui doit être chassé de la République7.
Cela n’empêche pas les poètes de suivre des règles. Ainsi, dans son
Épitre aux Pisons, Horace règlemente les rythmes et les thèmes de
l’écriture poétique, instaurant un ensemble de normes qui seront
reprises 1600 ans plus tard par Boileau dans son Art Poétique. Chez les
Latins, toutefois, la poésie était liée à une versification quantitative, les
mètres étant liés à la longueur des syllabes. Ce n’est qu’au haut Moyen
âge qu’on passera à une versification numérique (liée au nombre de
syllabes par vers), qui prévaudra jusqu’à la fin du XIXe siècle.
La fin du Moyen âge est également marquée par un engouement pour
les formes fixes. La plus célèbre de ces formes, le sonnet, se répandra
à la Renaissance, période où la poésie reste dépendante de l’imitation
des auteurs antiques, mais s’émancipe par rapport aux normes des
Grands Rhétoriqueurs. Les poètes humanistes de la Renaissance et
plus encore les Baroques privilégient la liberté du créateur : leur moi
a désormais son mot à dire.
À l’inverse, Malherbe, puis Boileau, imposent les dogmes classiques
de la clarté, du respect des règles de la langue, du choix d’un lexique
noble, de la souveraineté du mètre et de la recherche d’une harmonie
du vers.
Cette conception ne sera contrecarrée qu’à l’époque romantique, où
l’avènement du mal de vivre (ou du siècle) dicte au poète de nouvelles
priorités. Sujet aux troubles de la conscience et des passions, il ne
peut plus s’exprimer dans des formes qu’il perçoit comme figées et
codifiées. Le geste clé du romantisme réside dans l’affirmation du
moi, dans la réaction contre la mécanisation de l’écriture et dans
l’ouverture du regard, qui débouchera sur l’exploration de nouvelles
zones de l’imaginaire et de ressources insoupçonnées du langage.
Les Romantiques renouent certes en partie avec l’Antiquité en défendant
un sentiment du sacré, du divin, mais ils adoptent de nouvelles formes
rhétoriques dont le but est de les aider à sortir du diktat de la raison
pour laisser le cœur et les sentiments s’exprimer.

7 Voir chapitre 4.

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Le texte poétique

À l’inverse, dès le milieu du XIXe siècle, le Parnasse cultivera l’Art pour


l’Art, conception de l’écriture où la forme compte avant toute chose.
Plusieurs membres de ce mouvement sont d’anciens Romantiques
convaincus qu’on ne peut renoncer à la recherche de la beauté pure
sous peine d’aboutir à une poésie chaotique.
Le Symbolisme réconciliera l’idéal de la beauté parnassienne avec
le projet initial du romantisme, qui est de dire l’indicible. Verlaine et
Baudelaire arriveront à un certain équilibre dans cette recherche en
explorant les contradictions du moi sans pour autant abandonner les
règles. Mallarmé et Rimbaud feront un pas de plus en s’affranchissant
peu à peu des lois de la lisibilité commune et en vouant leur œuvre à
« un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens »8.
Les surréalistes pousseront l’expérience plus loin encore en cherchant
à libérer le caractère stupéfiant des images. La rupture avec les codes et
les règles est désormais consommée et on ne vise plus à être compris :
seul importe l’enrichissement continu du langage poétique. La poésie
devient le lieu de jaillissement des images et est vécue comme le
prolongement d’un travail de l’inconscient.
Le mouvement de l’OuLiPo, animé par Queneau, réagit en mettant
l’accent sur l’exploration ludique des possibilités du matériau poétique.
Queneau a ainsi composé un sonnet dont chaque vers comporte de
multiples variantes qui peuvent toutes êtres combinées avec celles des
autres vers (Cent mille milliards de poèmes). Par la radicalité ludique
de leurs expériences, les Oulipiens rejoignent à certains égards la folie
des surréalistes, mais il s’agit cette fois d’une folie réglementée.
Bien entendu, la conception de la poésie ne s’arrête pas avec la
conception oulipienne. Il est impossible ici d’évoquer la multitude
d’expériences poétiques qui ont jalonné ces cinquante dernières
années, mais s’il ne fallait citer qu’un nom, nous retiendrions celui
de Francis Ponge : se consacrant au « parti pris des choses », ce poète
a décrit les objets les plus variés avec un luxe inouï de détails, qui
aboutissent à les rendre étonnamment insolites.

8 Le précepte est de Rimbaud, mais il s’applique aussi, à certains égards, à


Mallarmé.

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Théorie de la littérature

3. Quatre postulats pour une définition relativiste de la poésie


Nous terminerons ce rapide parcours des conceptions de la poésie
par un quadruple postulat qui prolonge à certains égards la réflexion
que nous avons proposée dans notre chapitre 2 sur la notion de litté-
rature.
1° La poésie, comme la littérature, ça n’« existe » pas : c’est une
construction historique. Ce que l’on considère comme poésie
étant différent à chaque époque, les moyens auxquels les poètes
ont recours ne prennent sens eux aussi qu’en fonction de ces
époques.
2° Depuis la Renaissance, le sens de l’entreprise poétique est marqué
par des conflits permanents entre les institutions et les écoles autour
de la valeur littéraire. Chaque poète tend à vouloir faire autre chose
que ses prédécesseurs afin d’obtenir un capital symbolique (ou une
légitimité) supérieur.
3° La question de la valeur littéraire concerne presque toujours
davantage des problèmes de forme que des problèmes de
contenu.
4° L’intelligence de chaque œuvre poétique particulière requiert celle
de l’ensemble de l’entreprise, car seul cet ensemble permet de saisir
l’originalité de chaque texte individuel. Par exemple, comment
saisir la différence entre Rimbaud et Hugo si on ne sait pas ce qui
les a précédés ?

C. Comment lire la poésie ?


Comment aborder un texte poétique en allant au-delà du « j’aime/
je n’aime pas » ou « je comprends/je ne comprends pas », sans pour
autant tomber dans un technicisme desséchant ? La méthode qui est
décrite ici n’est qu’une manière possible d’aborder un texte poétique,
mais elle s’avère particulièrement efficace pour expliquer un poème
en contexte scolaire.
Pour commencer, il est utile de lire une première fois le texte sans
a priori, simplement pour le sentir, en percevoir les effets sonores,
émotionnels et visuels et se laisser interpeller par lui. à ce premier
stade, on se montrera attentif à la composante rythmique et la compo-
sante phonique, sans essayer pour autant de « comprendre » ce dont
il est question.

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Le texte poétique

Ce n’est que dans un second temps qu’on pourra essayer de comprendre


le texte d’une manière un tant soit peu « objective », c’est-à-dire en
se basant sur le sens ordinaire – ou stéréotypé – de la langue9. Pour ce
faire, il est utile de pratiquer d’abord une lecture « tabulaire » fondée
sur le repérage des champs lexicaux et thématiques, puis une lecture
« linéaire » basée sur la composante syntaxique.
Lorsque les éléments objectifs de la signification auront ainsi été
établis, on pourra enfin tenter d’interpréter le poème en le situant
dans un contexte, un cadre, une visée, et en s’éclairant au besoin de
connaissances extérieures issues de la biographie, de l’histoire, des
intertextes, etc.
Pour illustrer cette démarche, considérons le poème de Rimbaud
« Marine », qui fait partie des Illuminations (1886), un recueil réputé
hermétique.
Marine
Les chars d’argent et de cuivre –­
Les proues d’acier et d’argent –­
Battent l’écume, –­
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l’est,
Vers les piliers de la forêt, –­
Vers les fûts de la jetée,
Dont l’angle est heurté par des tourbillons de lumière.

Sentir

Première lecture, fondée sur les composantes rythmique et sonore

Si le lecteur s’y montre réceptif, la première lecture peut dégager


d’emblée une sensation d’énigme et d’harmonie sonore. Les unités
rythmiques sont l’objet d’un redoublement insistant, et on peut déceler
d’emblée des jeux de sonorités, en particulier les répétitions des sons
« ou » (voyelle fermée) et « an » (voyelle ouverte). Mais la première
lecture provoque aussi immanquablement une certaine perplexité : le
mètre n’a rien de régulier, des tirets ralentissent la lecture, on assiste

9 Voir la section que nous avons consacrée à la lecture dans notre premier
chapitre.

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Théorie de la littérature

à un curieux redoublement lexical, qui peut faire songer à un


bégaiement («  d’argent et de cuivre, d’acier et d’argent ») et, d’une
manière générale, l’énoncé est frappé d’ambigüités qui empêchent
tout repère : on ne sait pas qui parle, ni où cela se situe, ni même de
quoi il est question.
La lecture « ordinaire » étant ainsi empêchée, le lecteur est contraint,
s’il veut tirer du sens de ce texte, d’adopter une autre attitude, d’opter
pour une lecture proprement poétique. Pour cela, il lui faudra d’abord
observer le texte comme on observe un tableau et comme le suggère
le titre : une « marine » est un genre pictural qui représente un paysage
marin et entre bien dans le registre des « enluminures » suggérées par
le sens anglais du titre du recueil Illuminations.

Comprendre

Seconde lecture : tabulaire, fondée sur la composante lexicale

Le poète mêle des termes qui appartiennent à deux champs lexicaux


différents : la terre d’une part (champ, ornière, lande), la mer d’autre
part (proue …), et les termes de ces deux champs ne sont pas répartis
au hasard, mais organisés : aux vers 1 à 4, la relation terre-mer est
« embrassée », alors qu’aux vers 5 à 8, elle est « croisée » (la terre et
la mer se conjuguent dans une même formule), et qu’aux vers 7 à 10,
ces deux éléments s’effacent devant l’élément aérien, affirmé par les
termes « tourbillon » et « lumière ».

Troisième lecture : linéaire, fondée sur la composante syntaxique

La syntaxe n’est pas si incohérente qu’elle le parait, même si le poème


ne comprend pas de ponctuation : en effet, une première phrase
englobe les vers 1 à 4, tandis qu’une deuxième phrase englobe les
vers 5 à 10. Le tableau qui est ainsi dressé est celui d’un mouvement
progressif et d’un élargissement du regard : on assiste à une amplifi-
cation et une complexification du paysage. La convergence devient
nette alors entre les niveaux lexical et syntaxique.

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Le texte poétique

Interpréter

Quatrième lecture : fondée sur des contextes extérieurs au texte

En dernier recours, qu’a cherché à dire le poète ? « J’ai voulu dire ce


que j’ai dit littéralement et dans tous les sens » a précisé Rimbaud
dans une de ses lettres. Mais pour saisir le sens de son entreprise, il
faut se rappeler quel était l’usage dominant de la poésie à la fin du
XIXe siècle et comprendre ce qu’il y avait lieu de déplacer. Opposé à
une conception utilitaire du langage, Rimbaud refusait que la poésie
se limite à représenter le monde réel. Sur ce point, il incarne parfai-
tement l’idéal symboliste et se montre le digne héritier de Baude-
laire qui écrivait, dans « Le voyage » : « ô Mort, vieux capitaine, il
est temps de jeter l’ancre […] Au fond de l’inconnu pour trouver du
nouveau. » C’est là ce que Rimbaud a voulu faire : explorer et révéler
un monde qui dépasse la réalité connue. À cette fin, si Baudelaire
avait transformé les contenus de l’inspiration poétique, Rimbaud a
tenté de transformer la langue.

D. Vers une lecture derridienne de la poésie


Après l’approche générale de la poésie qui vient d’être développée,
l’objectif des pages plus spécialisées qui vont suivre tient en un mot :
« éradication du principe herméneutique »10. En quoi consiste ce
principe herméneutique ? En une anticipation du sens du texte, en
une compréhension préalable à la lecture. Hans-Georg Gadamer a
formulé ce principe comme suit :
Quiconque veut comprendre un texte a toujours un projet. Dès qu’il
se dessine un premier sens dans le texte, l’interprète anticipe un sens
pour le tout. À son tour ce premier sens ne se dessine que parce
qu’on lit déjà le texte, guidé par l’attente d’un sens déterminé. C’est
dans l’élaboration d’un tel projet, constamment revisé [sic] il est vrai
sur la base de ce qui ressort de la compréhension ultérieure dans
le sens du texte, que consiste la compréhension de ce qui s’offre à
lire11.

10 J. Derrida, Schibboleth. Pour Paul Celan, Paris, Galilée, 1986, p. 50.


Cf. M. Lisse, L’expérience de la lecture. 1. La soumission, Paris, Galilée,
1998, pp. 49-66 ; L’expérience de la lecture. 2. Le glissement, Paris,
Galilée, 2001, 137-147.
11 Cité dans M. Lisse, L’expérience de la lecture. 1, op. cit., p. 53.

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Théorie de la littérature

Dans le commentaire du recueil de Paul Celan, Cristaux de souffle,


Gadamer met en application ce principe qui, pour être tenu, réclame
de faire appel au contexte (souvent biographique ou historique) pour
exclure la plurivocité au profit de l’univocité. Ainsi, commentant
le mot « murier » (Maulbeerbaum), Gadamer exclut, au nom du
« contexte poétique », qu’on puisse entendre une référence à la mure
(Maulbeer) ou à la gueule (Maul) et ne retient que l’univocité portée
par ce mot qui mettrait en évidence la couleur verte : « Le nom de
plante, « murier », est tout à fait courant et lorsqu’on suit le contexte
[nous soulignons] poétique où ce nom apparait, il ressort de façon
tout à fait univoque [nous soulignons] que le poème ne se réfère pas
à la Maulbeerbaum (la mure), ni au Maul (la gueule), mais au vert
tendre qui perce inlassablement, tout l’été durant sur les muriers. C’est
à partir de là qu’on doit orienter le sens [nous soulignons] de toute
transposition ultérieure »12. Le principe herméneutique promeut une
interprétation globale et univoque du poème au nom d’un travail de
contextualisation. Or un tel principe est contestable en référence à
une pensée du texte élaborée, entre autres, par Roland Barthes, Julia
Kristeva et Jacques Derrida.
Roland Barthes a distingué le texte de l’œuvre. Si l’œuvre existe
matériellement parlant (on peut, par exemple, la tenir en main), si
elle est un « fragment de substance », si elle occupe une portion
de l’espace, notamment dans une bibliothèque, le texte, lui, est un
« champ méthodologique » qui tient dans le langage, qui n’existe que
pris dans un discours13. On passe donc d’une conception du texte
(ce que Roland Barthes nomme « œuvre ») conceptuellement fermé
à une conception du texte comme ne pouvant jamais être clos sur
lui-même, comme infiniment ouvert. Pour Jacques Derrida, le texte
est un système de traces, chaque trace ne prenant sens que par rapport
aux autres traces. Aucune trace n’est autonome, n’existe en soi et donc
le texte n’est jamais clos sur lui-même, il peut toujours excéder son
contexte.
Roland Barthes, en référence à Julia Kristeva, a également avancé que
« tout texte est un intertexte ». Ou pour le dire plus précisément, avec
Kristeva, « tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout

12 H.-G. Gadamer, Qui suis-je et qui es-tu ? Commentaire de Cristaux de


souffle de Paul Celan, tr. fr. par E. Poulain, Arles, Actes Sud, 1987, p. 20.
13 R. Barthes, « De l’œuvre au texte », in Le bruissement de la langue, Paris,
Seuil, 1984, pp. 69-77.

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Le texte poétique

texte est absorption et transformation d’un autre texte »14. Le texte est


donc un tissu, tissé de citations, de références, d’échos : des langages
culturels, des textes antérieurs ou contemporains (voir futurs, si l’on
donne droit au caractère prophétique de certains textes) le traversent
de part en part et lui donnent un aspect stéréophonique. Ces citations
peuvent être anonymes, sans guillemets, et elles ne sont pas néces-
sairement effectuées de manière consciente par l’auteur, ce qui les
distingue des « sources ». Une lecture qui se réfère à l’intertexte ne
doit pas obligatoirement s’appuyer sur des documents connus de
l’auteur, mais peut se référer à tout autre texte dans la mesure où des
traces peuvent être mises en relation.
Jacques Derrida a soutenu qu’« aucun contexte ne peut se clore sur
lui-même ». Tout texte doit pouvoir être lu en l’absence de celui qui
l’a écrit, il doit même pouvoir être lu par-delà la mort de celui qui
l’a écrit. Cela signifie qu’un texte possède une force de rupture par
rapport au moment de son inscription et qu’il doit être possible de le lire
indépendamment du « présent » de son inscription, de la présence du
scripteur à ce qu’il écrit, de tout son environnement et son horizon…
et de son intention, de son vouloir-dire ; le « il doit pouvoir être lu »
est une potentialité nécessaire. Le contexte est donc toujours insatu-
rable et la référence à un contexte donné ne peut jamais exclure la
possibilité d’excéder celui-ci par un geste de lecture.
Le principe herméneutique va également être mis à mal par l’élabo-
ration du « concept » de poète par Jacques Derrida. Sans doute n’y-a-
t-il là aucun hasard : l’exemple de poète pris par Jacques Derrida est
celui de Paul Celan. Comment l’activité poétique de Celan peut-elle
être caractérisée ? Pour Jacques Derrida, par le fait qu’il a touché à
la langue allemande : « [Paul Celan] touche à la langue allemande à
la fois dans le respect du génie idiomatique de la langue allemande
mais aussi au sens où il l’a fait bouger, où il y laisse une sorte de
cicatrice, de marque, de blessure. Il modifie la langue allemande, il
touche à la langue mais, pour y toucher, il faut qu’il la reconnaisse,
non pas comme sa langue puisque je crois que la langue n’appartient
jamais, mais comme la langue avec laquelle il a choisi de s’expliquer
[…] »15.

14 J. Kristeva, Σηµειωτικη, op. cit., p. 85.


15 J. Derrida, « La langue n’appartient pas. Entretien avec Évelyne Grossman »
dans Europe. Paul Celan, janvier-février 2001, p. 84.

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Théorie de la littérature

Le poète est donc quelqu’un qui touche à la langue, qui l’effleure, qui
la touche sans la toucher, en signe de respect, de reconnaissance ;
mais aussi qui la marque, qui la transforme en y apportant sa touche.
Le poète est également un héritier : il reçoit la langue en héritage.
Mais qu’est-ce qu’hériter ? Et hériter de la langue ? Tout d’abord, il
s’agit de la reconnaitre, la respecter avec son lexique et sa syntaxe
qui constituent sa loi. Puis de signer et contresigner cet héritage. Pour
Jacques Derrida, il n’y a pas d’héritage passif, recevoir passivement
un donné déjà là n’est pas hériter. « Hériter, dit-il, c’est réaffirmer en
transformant, en changeant, en déplaçant. »16 Au don de la langue, il
faut répondre par le don d’une marque, d’une signature, sur ce corps
reçu.
Hériter activement de la langue, y toucher, sont des activités définies
comme « expérience[s] de la langue » dans son « essence spectrale » ;
la langue n’est jamais identique à elle-même : quand les mots font
retour, la langue se répète à la fois comme elle-même et comme autre,
comme à chaque fois autre. Le comme telle de la langue est marqué
par cette « errance spectrale » dont font l’épreuve et l’expérience les
poètes. Jacques Derrida va alors proposer de définir le poète à partir
de l’expérience de la langue comme « une expérience comme telle »
et qui apparait « comme telle dans la poésie, la littérature et l’art »17.
Plus précisément, il faut nuancer l’idée même de définition, car
Jacques Derrida n’utilise jamais le verbe définir et rarement la copule
est, quand il s’agit d’approcher le poète, mais il a recourt au verbe
appeler selon des modes et des temps qui varient :
J’appellerais poète celui qui en fait l’expérience le plus à vif. Quiconque
fait à vif l’expérience de cette errance spectrale, quiconque se rend à
cette vérité de la langue, est poète, qu’il écrive ou non de la poésie.
On peut être poète au sens statutaire du terme dans l’institution
littéraire, c’est-à-dire écrire des poèmes dans l’espace de ce qu’on
appelle « la littérature ». J’appelle poète celui qui laisse le passage
à des évènements d’écriture qui donnent un corps nouveau à cette
essence de la langue, qui la font paraitre dans une œuvre. […] Créer
une œuvre, c’est donner un nouveau corps à la langue, donner à la
langue un corps tel que cette vérité de la langue y paraisse comme
telle, y apparaisse et disparaisse, apparaisse en retrait elliptique18.

16 Ibid., p. 88.
17 Ibid., p. 90.
18 Ibid., p. 90. Pour le concept d’œuvre, qui doit être entendu dans un
sens radicalement différent de celui de R. Barthes, cf. J. Derrida, Papier

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Le texte poétique

Plusieurs figures du poète se donnent ici à entrevoir : il y a le poète


« au sens statutaire du terme », celui qui écrit des poèmes au sein
de l’institution littéraire, dans l’espace de la littérature, par exemple
ceux qui sont publiés dans la collection « Poésie » chez Gallimard. Il
y a également ceux, qui, dans l’institution littéraire, n’écrivent pas de
la poésie, mais font l’expérience à vif de la spectralité de la langue :
ceux-là aussi sont poètes. De manière plus large, et donc cela vaut
pour tous ceux qui n’ont pas de place littéraire institutionnalisée, on
peut appeler poète quiconque expérimente à vif l’errance spectrale de
la langue. L’expression à vif, c’est-à-dire avec la chair vive à nu, qui
indique la souffrance et la sensibilité extrême du poète et peut-être de
la langue, blessée, marquée, donne à entendre que l’écriture touche à
la vie et à la mort. En français, le mot vif tend à désigner une certaine
résidence de la vie (l’eau vive, la source vive, de vive voix), voire
une augmentation de la vie par le biais du contact, par exemple de
l’air vif qui vivifie, rend plus vivant, et même octroie plus de vivacité,
de rapidité, mais ce mot désigne également la souffrance morale et
physique quand on est touché au vif ou piqué au vif et même coupé
jusqu’au vif, pour finir par caractériser des formes extrêmes de
supplices mortels : être écorché vif ou brulé vif.
En associant poésie et expérience à vif de la spectralité de la langue,
Jacques Derrida en vient à faire de la poésie une sorte de trans-genre :
il y aurait de la poésie partout, de l’essai au théâtre en passant par le
roman, non seulement (ou non plus) au sens courant, quand on dit de
tel ou tel texte qu’il est poétique, mais aussi (ou mais bien) quand le
génie d’une langue se voit fidèlement trahi par une ou un écrivain.
Si l’on croise le concept de texte avec celui de poète, on en arrive à
postuler une théorie de lecture du texte poétique comme chambre
d’échos. Commentant un poème de Paul Celan, Jacques Derrida
propose « [d’] écouter ce poème dans la chambre d’échos de tout
l’œuvre de Celan, à travers ce dont il hérite en le réinventant, par
chacun de ses thèmes, tropes, vocables mêmes, et parfois forgés ou
accouplés dans l’unique occurrence d’un poème »19. Il s’agit de prendre
en considération tant la signification que la rhétorique, la thématique
que la sonorité ou les jeux graphiques, soit en traversant plusieurs
textes, voire tout l’œuvre, soit en s’intéressant à l’unique occurrence

Machine. Le ruban de machine à écrire et autres réponses, Paris, Galilée,


2001, pp. 48, 51, 111, 112.
19 J. Derrida, Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème,
Paris, Galilée, 2003, p. 59.

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Théorie de la littérature

(car la singularité et la différence importent autant que la répétition).


L’objectif n’est pas de dégager un sens global, de fournir une interpré-
tation, mais de donner à entendre une multiplicité d’échos.
Il importe dès lors de ne pas confondre l’indécidabilité (ou la dissémi-
nation) avec la polysémie réglée. Pour rappel, Aristote pensait que ce
n’est rien signifier que de ne pas signifier une seule chose. Gadamer,
d’une certaine façon, reste tributaire de cette conception de la signi-
fication. Néanmoins, la tradition interprétative a dû faire face à des
textes polysémiques. Dans ces cas, on a considéré que des textes
pouvaient signifier plusieurs choses pour autant qu’elles se rassem-
blent dans une unité de sens, ce qu’on peut nommer polysémie réglée
(par exemple, les quatre sens de la Bible qui ne divergent pas, mais se
rassemblent, pense-t-on, dans la cohérence du message divin…).
Ce qui importe au premier chef pour Jacques Derrida se trouve dans
des phénomènes où la décision n’est plus possible, où le jugement
se trouve suspendu. Autrement dit, il mettra en évidence non pas
la richesse sémantique d’un mot, mais un certain jeu de la syntaxe.
Pourquoi cette méfiance vis-à-vis d’une polysémie réglée ? La réponse
se trouve dans un petit texte consacré à Mallarmé : « Aristote […]
disait aussi que c’était ne rien signifier que de ne pas signifier une
seule chose. Le texte de Mallarmé n’enfreint pas seulement cette
règle, il en déjoue la fausse transgression, l’inversion symétrique, la
polysémie qui continue de faire signe – vers la loi »20.
C’est pourquoi la richesse sémantique d’un mot (par exemple, le
mot hymen, qui signifie la consommation du mariage ou le voile
de la virginité) ne sera mise en évidence que dans le cadre d’un jeu
syntaxique. Ainsi Mallarmé place-t-il le mot hymen dans le texte cité
ci-dessous de telle sorte qu’il est impossible de décider s’il signifie la
consommation ou la virginité :
La scène n’illustre que l’idée, pas une action effective, dans un hymen
(d’où procède le Rêve), vicieux mais sacré, entre le désir et l’accom-
plissement…21
De même, la syntaxe du mot or est telle qu’il est impossible de décider
s’il s’agit du nom, de la conjonction de coordination ou de l’adverbe
de temps (qui signifie maintenant) :

20 J. Derrida, « Mallarmé » dans Tableau de la littérature française. De


Madame de Staël à Rimbaud, Paris, Gallimard, 1974, p. 372.
21 Mallarmé cité par J. Derrida, La dissémination, Paris, Seuil, 1972, p. 237.

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Le texte poétique

Apitoyé, le perpétuel suspens d’une larme qui ne peut jamais toute


se former ni choir (encore le lustre) scintille en mille regards, or,
un ambigu sourire dénoue la lèvre […] au long du labyrinthe de
l’angoisse que mène l’art…22
Il y a plus, car or opère la dissection du mot, mettant en cause l’identité
de mots entiers dans un jeu qui parait les laisser inentamés. Ainsi en
va-t-il des mots dehors, trésor, hors… ; ce procédé est manifeste dans
la rencontre de l’orchestre et de l’or précédé par le possessif son :
« … un orchestre ne faisant avec son or, ses frôlements de pensée et
de soir, qu’en détailler la signification à l’égal d’une ode tue…  »23.
Dans ce passage, son or devient sonore grâce à l’orchestre !

Une lecture24 du texte Fable de Francis Ponge va maintenant être


proposée en prenant appui sur les considérations théoriques qui
précèdent.
FABLE
Par le mot par commence donc ce texte
Dont la première ligne dit la vérité,
Mais ce tain sous l’une et l ’autre
Peut-il être toléré ?
Cher lecteur déjà tu juges
Là de nos difficultés…
(APRÈS sept ans de malheurs
Elle brisa son miroir.)
Le titre FABLE, qui provient de Fari (parler ; mais aussi « célébrer,
chanter » dans le registre poétique), invite à entendre également la
première ligne comme suit : Parle mot par : commence donc ce texte !
Il y aurait une injonction à parler : le mot par doit parler et commencer
le texte, mais aussi une injonction à partir, à prendre son départ : Part
le mot par… Quant au mot par (Par le mot par commence donc ce
texte), il est à la fois utilisé et mentionné : 1) le mot par commence le
texte et 2) le texte lui-même et le lecteur constatent que le mot par
commence le texte. Il y a collusion du langage et du métalangage.
FABLE réalise et décrit son propre engendrement, sa propre création.
Au commencement, elle se présente comme un commencement, une

22 Mallarmé cité par J. Derrida, « Mallarmé », op. cit., p. 377.


23 Mallarmé cité par J. Derrida, La dissémination, op. cit., p. 296.
24 Cette lecture est à la fois très proche et différente de celle proposée
par J.  Derrida dans Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987,
pp. 19‑35.

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Théorie de la littérature

genèse : cette hypothèse se voit confirmée par une référence intertex-


tuelle à Paul Valéry, qui dans un texte intitulé « Au sujet d’Eurêka »
(Eurêka est un texte de Poe, traduit et commenté par Baudelaire),
écrivait : « Au commencement, était la Fable »25.
Mais qu’est-ce qu’une fable ? Qu’est-ce qu’une fable en général ?
Qu’est-ce qu’une fable pour Francis Ponge ?

Qu’est-ce qu’une fable en général ?

Dans l’Encyclopaedia universalis, l’entrée Fable fournit diverses


indications : « Pour caractériser la fable, le plus simple reste de
partir de l’étymologie : la racine indo-européenne bha, parler, d’où
viennent […] le latin fari et le mot fabula. Dans cette perspective,
la fable apparait moins comme un genre déterminé que comme une
nébuleuse originelle à partir de laquelle se sont formés peu à peu divers
types de fiction faisant une part plus ou moins grande au narrateur, ou
même l’excluant au profit des divers locuteurs qui se sont emparés de
l’univers du discours. […] la caractéristique essentielle du genre [est]
le mentir-vrai. Là où la société emprisonne ou tue ceux qui disent la
vérité, l’artiste est acculé à la “feinte”, au ”dire sans dire”. »
Quant au Dictionnaire du littéraire, il précise que « [p]ar son étymo-
logie (du lat. fari : parler), fable renvoie à tout propos oral ou écrit, à
tout récit fictif. La fabulation est l’art d’inventer des histoires, et ces
histoires elles-mêmes. […] un récit généralement bref qui renferme un
enseignement moral… »
Enfin Littré définira la fable comme un « [p]etit récit qui cache une
moralité sous le voile d’une fiction »…
Que retenir de ces définitions ? La fable est un récit, une narration ;
elle a un rapport à la vérité et à la fiction, voire au mensonge ; elle a
une morale (une moralité).
La structure la plus fréquente de la fable repose sur un récit qui est
suivi de la moralité, mais cette structure peut être inversée comme
dans Le loup et l’agneau.
Qu’en est-il de FABLE ? On constate une inversion de la structure : le
récit n’est pas un récit et la moralité, entre parenthèses, est un récit.
La question de la vérité est bien présente, mais elle concerne le texte
lui-même et non pas le « monde »… Donner FABLE comme titre à un
texte, c’est déjà installer un rapport très complexe entre la littérature

25 Cité par J. Derrida, Psyché, op. cit., p. 22.

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Le texte poétique

et la loi (qu’il s’agisse du droit relatif aux livres, aux auteurs… ou qu’il
s’agisse du règlement d’une bibliothèque) : le titre FABLE est semblable
à la ruse d’Ulysse : mon nom est personne, répond-il au Cyclope ;
mon nom est FABLE, dit le texte de Ponge, je suis une fabulation, une
invention, je ne suis pas réelle… Néanmoins, les bibliothécaires, les
agents de l’État… sont tenus d’archiver ce titre, de le tenir pour réel,
pour vrai, alors qu’il oscille entre le vrai et le faux ; par là même
ils inscrivent la possibilité de la fraude, de la supercherie… au sein
même de la légalité, du droit…

Qu’est-ce qu’une fable pour Francis Ponge ?

Dans un texte daté d’hiver 1925-1926, mais publié en 1984 chez


Hermann, dans la collection « L’esprit et la main », Ponge traite du
« fabuliste La Fontaine  »26 qui ne donne pas de règles morales ou
« s’il les donne c’est en suite de ses histoires, de ses fables ». Ponge,
semble-t-il, procèdera de la sorte dans FABLE.
L’objectif de La Fontaine est de « constater […] telles ou telles idées
morales des hommes » et de les imiter, voire de les parodier, de s’en
moquer, car « La Fontaine ne pense pas un mot de ce qu’il raconte ».
L’exemple donné par Ponge vaut son pesant d’or : « Lorsque La
Fontaine dit : La raison du plus fort est toujours la meilleure c’est bien
évidemment une constatation et non pas une règle. […] C’est un lieu
commun. C’est un proverbe. »
Pourquoi ? D’une part, parce que cet exemple va à l’encontre de ce
que Ponge vient d’énoncer, à savoir l’ordre de la fable où la morale
vient après, « en suite de » l’histoire, la fable. Le loup et l’agneau
commence par La raison du plus fort est toujours la meilleure. En
choisissant un exemple qui invalide son propos, Ponge met à mal le
texte qu’il est en train d’écrire. Le second exemple, il faut autant qu’on
peut obliger tout le monde, est également un cas où la vérité de la
fable la précède. Ponge ne respecte pas la ponctuation de La Fontaine
et ne cite pas la suite de la morale On a souvent besoin d’un plus petit
que soi.
D’autre part, Ponge insiste sur le lieu commun, le stéréotype dont La
Fontaine se moque : « Les hommes ont coutume de dire et de faire
cela. La Fontaine s’en moque. Il exprime avec charme, rythme, d’une
manière durable ce que tous les hommes disent en plus de mots, plus

26 Fr. Ponge, Pratiques d’écriture ou L’inachèvement perpétuel, Paris,


Hermann, 1984, pp. 69-72.

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Théorie de la littérature

maladroitement ». Par ces propos, Ponge annonce le traitement qu’il


réservera lui-même à la moralité.
Revenons à FABLE. Affable vient de affabilis (« à qui on peut parler »,
adfari) et signifie « qui accueille et écoute de bonne grâce ceux
qui s’adressent à lui », qui est poli, aimable… Affabulation signifia
d’abord la moralité d’une fable, puis l’arrangement de faits constituant
la trame d’un roman, d’une œuvre d’imagination. Et dans le registre
médico-psychologique, un symptôme de mythomanie : le récit imagi-
naire est présenté comme réel (attitude qui serait « normale » chez le
petit enfant, mais « pathologique » chez l’adulte !).
La structure de FABLE respecte ou feint de respecter l’ordre de la
fable : le récit (la fable), puis la moralité (l’affabulation) : la fable est à
la fois le tout (le récit + la moralité) et la partie (la fable, le récit) ; or la
première partie de FABLE ne raconte rien, si ce n’est l’engendrement
du texte, alors que la seconde est un mini-récit : le bris du miroir
après sept ans de malheur par un « personnage » féminin. La moralité,
qui ne devrait pas être un récit, en devient un tout en déjouant un
stéréotype, un lieu commun, un proverbe : briser un miroir annonce
sept ans de malheurs ; cette structure de l’annonce implique donc
que les sept années viennent après le bris du miroir. À l’inverse, dans
FABLE, elle brise son miroir après sept ans de malheurs.
Le texte marque une insistance sur le sept : (APRÈS sept ans de
malheurs est le septième vers et c’est un heptasyllabe…). Ce procédé
renforce la spécularité du texte : le texte (se) réfléchit, réfléchit sur
lui-même et s’inverse en se réfléchissant. La fin pourrait être un début
et le début une fin si l’on prend en considération la conjonction de
coordination donc, puisqu’en français, donc est la conjonction qui
amène la conclusion de ce qui précède, à savoir la vérité du texte
dite par la première ligne : la première ligne aura dit en conclusion la
vérité du texte. Vérité qui pourrait être la suivante : un texte ne parle
jamais que de lui-même, il dit comment il commence et ce commen-
cement est aussi sa fin, sa conclusion.
Néanmoins cette spécularité abyssale est, elle aussi, mise à mal :
le tain (du texte-miroir ?) (l’amalgame métallique qu’on applique
derrière une glace pour qu’elle puisse réfléchir la lumière) peut-il être
toléré ? Le tain dirait la partie et le tout, le tain dirait déjà le miroir
qui sera par après brisé, tout en désignant l’amalgame métallique
qui permet le jeu de miroir, comme la fable dit le récit, l’histoire et
aussi le récit + la moralité. Le tain est un amalgame, un alliage du
mercure et d’un autre métal, souvent l’étain dans le cas de miroir,

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Le texte poétique

mais qui dit amalgame dit aussi mélange d’éléments différents qui ne
s’accordent guère et donc un certain artifice. Autrement dit, peut-on
tolérer l’artifice, le mélange, l’alliage de la fable : l’alliage d’un titre et
d’un texte, l’alliage d’un récit et d’une morale, l’alliage de la vérité et
de la première ligne d’un texte… ? Si le mot tain, par un effet métony-
mique, désigne le miroir, donc le reflet, la spécularité…, les mêmes
questions se reposent autrement : peut-on tolérer les effets de miroir
entre le titre et le texte, le récit et la moralité, la vérité et la première
ligne… ? Il faut encore ajouter ceci : le mot tain est une altération du
mot étain d’après la forme teint (du verbe teindre). Donc le mot qui
pourrait désigner le miroir a déjà été brisé (et il peut désigner le miroir
grâce à cette brisure, à cette altération) ; de plus l’altération est due
à une forme verbale qui dit à la fois l’imprégnation d’une matière
par une couleur, mais aussi la modification, voire la falsification…
On se teint les cheveux pour échapper à la police, comme l’écrivain
doit dire sans dire, feindre, recourir au mentir-vrai pour échapper au
pouvoir, à la force (dont la raison est toujours la meilleure).
Mais il s’agit du tain sous l’une et l’autre…
L’une et l’autre : la première ligne et la vérité, Fable et la fable, Fable
et la première ligne, Fable et la vérité, la première partie et l’autre…,
mais aussi, peut-être, nos difficultés. Rien ne permet d’identifier
clairement l’une et l’autre. Tout au plus sait-on qu’elles sont unies
tout en étant différentes comme lune et terre (ne pas taire la vérité…),
l’une et l’autre, du moins pour le moment, car après elle (l’une d’entre
elles ?) brisera le miroir. Cette union opéré par la conjonction et est
reflétée dans la vérité et les difficultés. À moins que l’autre ne soit pas
féminin, qu’il s’agisse d’une union hétérosexuelle : l’une et l’autre,
l’étranger, le « cher lecteur »…
Le tain est glissé sous l’une et l’autre. Le reflet concernerait donc
moins l’entre : le reflet entre première ligne et vérité… que le reflet
entre vérité et première ligne et l’autre (le monde, la vie… ?) À moins
qu’il ne faille entendre « Mais ce mot tain sous l’une et l’autre, sous
la première et la deuxième ligne, peut-il être toléré ? » Peut-on tolérer
que le tain soit sous la première et la deuxième ligne, peut-on tolérer
qu’une troisième ligne existe, fût-ce comme un tain ou qu’elle fasse
office de tain, peut-on accepter le reflet, la réflexion après la vérité,
surtout si cette vérité a déjà été dédoublée, voire reflétée… ? En effet,
la deuxième ligne dit que la première ligne dit la vérité, la deuxième
ligne dit donc la vérité de la première ligne qui dit la vérité sans la
dire, sans dire le mot vérité ni la vérité de la vérité. Quand on dit la

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Théorie de la littérature

vérité, on ne dit pas la vérité, on ne dit pas la vérité et on ne dit pas


« la vérité »… Il ne faut donc jurer de rien et surtout pas de dire toute
la vérité, rien que la vérité.
Tolérer signifie l’acceptation d’une chose qu’on aurait le droit ou la
possibilité de refuser, d’empêcher ; on autorise, on permet, parce
qu’on est le plus fort, une situation, un état de fait… Ou on pardonne,
on considère avec indulgence ce qui est blâmable ou inapprouvable :
on tolère, on passe l’éponge (Le Petit Robert cite une phrase de Martin
du Gard qui associe tolérer et passer l’éponge). On va même jusqu’à
supporter avec patience le désagrément, les défauts… et ce, sans
réaction fâcheuse pour l’organisme. Va-t-on tolérer le reflet, mais
jusqu’à quand ? Va-t-on tolérer une troisième ligne sous les deux
premières… ? Va-t-on passer l’éponge sur le miroir, soit pour le nettoyer,
le laver, le savonner, soit pour l’obscurcir, le rendre inefficace, comme
on le fait avec des vitres lorsqu’on souhaite empêcher la vision… ? Les
questions se multiplient à l’infini, comme les reflets avec un jeu de
miroirs, un palais des glaces…
L’appel au lecteur, l’interpellation du lecteur altère la spécularité,
la multiplication infinie des questions, des interprétations, des jeux
d’écriture, cet appel casse la fable : y a-t-il une fable, avant Ponge, où
l’on ait interpellé le lecteur par un « Cher lecteur » ? L’interpellation
sonne comme un réveil : las de nos difficultés, fatigué par tant de jeux
de miroirs, le lecteur doit être réveillé. On doit l’assurer de notre consi-
dération, comme dans une lettre, pour qu’il juge avec bienveillance
de nos difficultés ou pour éviter que, lassé par nos difficultés, il ne
juge déjà, il ne tranche en défaveur du texte : ceci n’est qu’une fable
sans importance, une affabulation peu digne d’intérêt…
Les points de suspension pourraient signifier que la spécularité n’a été
altérée que pour mieux repartir, comme l’étain devient tain. Si après
quatre lignes, le lecteur, le cher lecteur, celui qui importe donc, a
déjà reconnu les difficultés rencontrées, a déjà tenu en haute estime
le procès d’écriture, alors la machine peut repartir, l’œuvre peut
s’écrire…
La morale, néanmoins, pour être morale, se doit de faire cesser cette
fable. Elle, la fable, brise son miroir, met un terme à cette spécularité et
à nos spéculations, elle s’autodétruit, se finit pour mieux se terminer,
s’achève pour bien s’achever. Pour faire une bonne fable, sachez y
mettre un terme : une fable se doit d’être courte, voire écourtée si le
besoin s’en fait sentir. En se brisant, la fable devient fable. Sept ans de

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Le texte poétique

tolérance – un blanc entre deux parties de texte, entre une fable et sa


moralité – auront été nécessaires pour arriver au terme de la fable.
Bien évidemment, l’indécision relative au pronom Elle ne garantit en
rien cette lecture : Elle pourrait renvoyer à la première ligne, à la vérité,
à l’une ou l’autre… Dire la vérité, c’est s’attirer sept ans de malheurs
et même si on ose toujours se regarder en face, grâce au miroir, on
finit quand même par le briser. Ou encore, par ce bris, il pourrait s’agir
de la fin de l’union de l’une et l’autre qui étaient uni(e)s par un miroir,
leur renvoyant leur image de couple. L’une a brisé son miroir, le sien
ou celui de l’autre, car, complication supplémentaire, il est impossible
de dire qui possède le miroir : est-ce la fable, la vérité, la moralité,
l’une, l’autre, voire le lecteur… Le « cher lecteur » qui, pendant sept
ans, se serait amusé à jouer du miroir, à refléter la fable, la vérité, la
ligne, la multipliant et donc la divisant, la diffractant en la dédoublant
(la vérité, par exemple, doit être une : il ne peut pas y avoir plus d’une
vérité sous peine de perdre la vérité)…
Ou enfin le bris du stéréotype, du lieu commun met fin aux sept
(fois sept, fois sept…) années de malheurs de la fable, prise dans un
canevas où il importe de placer avant ou après une fable, un récit, une
moralité, une vérité, alors que, d’après Ponge, « l’encre n’a rien à voir
avec la vertu »…

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Le texte poétique

Chapitre 6

Le texte narratif

Introduction
Les chapitres que nous venons de consacrer aux textes dramatiques et
poétiques ne peuvent dissimuler le fait que la majorité des travaux de
la théorie de la littérature portent sur le texte narratif. C’est pourquoi
le présent chapitre, qui vise à en donner un aperçu, sera le plus long.
On s’y interrogera tour à tour sur les constituants fondamentaux du
récit, sur les mondes – ou les univers référentiels – qui lui servent de
matière, et sur les différents genres auxquels il a donné lieu.

1. Universalité et singularité du récit


L’être humain se caractérise notamment par sa capacité de raconter.
Comme l’a souligné Ricœur1, c’est même grâce aux récits – ceux
qu’il lit mais aussi ceux qu’il se raconte – qu’il transforme le temps
en expérience humaine, qu’il se construit une identité en se posant
comme le sujet d’un certain nombre de « quêtes » et qu’il donne sens
à sa vie. Il n’est donc pas étonnant que le récit intéresse toutes les
sciences humaines, de la philosophie à la sociologie en passant par
l’anthropologie.
L’importance du récit explique aussi pourquoi son étude est devenue
une discipline spécialisée, la « narratologie », dont l’éclosion, au
cours des années 1920, coïncide avec celle de la théorie moderne de
la littérature.
Le mot récit a une acception très large : sous ce vocable se mêle une
diversité de genres (roman, nouvelle, conte, épopée, etc.) et de sous-

1 Dans Temps et récit, vol. 1, op. cit., pp. 13-17, puis dans Soi-même
comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 138.

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Théorie de la littérature

genres (policier, science-fiction, comique, etc.). Dès lors, dans quelle


mesure peut-on parler de récit en général ? Pour Adam et Revaz2,
le trait commun de tout récit est la représentation des actions d’un
agent – humain ou non – motivé par une raison d’agir. Tant qu’il n’y a
pas d’actions posées par un personnage doté d’une certaine volonté, il
n’y a pas de récit. Par exemple, l’évocation d’une tempête en tant que
telle est une simple description d’évènements, mais elle devient récit
si la tempête est présentée comme un fléau envoyé par une divinité,
qui joue alors le rôle d’agent narratif, ou comme un mal auquel vont
résister un ou plusieurs individus.

2. Les deux faces du récit : énoncé/énonciation, diégèse/référent


Comme tout acte de parole, un récit comporte deux dimensions :
l’énoncé, qui est le texte en tant que produit fini et clos, où sont mis
en scène des personnages, et l’énonciation, qui est l’acte de commu-
nication mettant en relation des personnes réelles. Cette distinction
fondamentale, qui recoupe l’opposition langue/parole, est consubs-
tantielle à tout fait linguistique : produire un énoncé suppose un acte
de communication et certains choix de présentation. De nombreux
linguistes (notamment Van Dijk) opposent dès lors le texte, qui est
l’énoncé brut, et le discours, qui constitue l’acte d’énonciation
complet, réunissant à la fois le texte et l’acte de parole qui le produit.
La prise en compte de l’énonciation est d’autant plus importante
que, comme l’a montré Benveniste, l’énonciation se manifeste
dans l’énoncé à travers les déictiques (je, tu, nous, maintenant, ici,
aujourd’hui…), ces mots qui n’ont de sens que par rapport à la situation
de l’énonciation. Dans l’analyse des récits, ils servent notamment à
distinguer les récits homodiégétiques (relatés à la 1re personne) et les
récits hétérodiégétiques (à la 3e personne).
Remarquons encore que la communication littéraire est une commu-
nication différée, puisque l’énonciation et la réception ont lieu dans
des lieux et des temporalités différentes : il en résulte une série d’indé-
terminations et de malentendus potentiels qui constituent à la fois
l’intérêt et la complexité des textes littéraires.
Dans l’analyse du récit, l’opposition énoncé/énonciation conduit à
trois distinctions essentielles : (1) entre l’écrivain, qui est le sujet de

2 Dans L’analyse des récits, Paris, Seuil, 1996 (Mémo), pp. 14-16.

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Le texte narratif

l’énonciation, et le narrateur, qui est le sujet de l’énoncé, c’est-à-dire


la personne fictive qui dit « je « dans le texte) ; (2) entre le lecteur réel
ou potentiel, qui reçoit l’énonciation ou lit un texte, et le narrataire,
qui est le destinataire de l’énoncé, la figure imaginaire du « lecteur »
qui est parfois interpellée comme telle dans le texte ; (3) entre la
diégèse, qui est l’histoire mise en scène dans l’énoncé, et le référent,
qui est le monde réel dans lequel vit l’énonciateur.
On remarquera cependant que, dans le cas de l’autobiographie, il y
a une quasi-conjonction entre l’auteur, le narrateur et le personnage
principal, ainsi qu’entre la diégèse et le référent. Cette conjonction
est cependant illusoire, car le langage ne peut jamais dire exactement
la réalité : on ne peut raconter une histoire sans héroïser des person-
nages, sans simplifier, sans sélectionner les épisodes de sa vie.

A. Les éléments constitutifs du récit


Un récit se réalise nécessairement à trois niveaux textuels à la fois.
Le premier, qui relève de l’inventio narrative, c’est à-dire du contenu,
de la matière traitée, est celui de l’histoire racontée ou diégèse, qu’on
appelle aussi plus simplement le « raconté » ou la « fiction » au sens
strict. Le deuxième, qui concerne la dispositio, c’est-à-dire l’organi-
sation du récit et la manière de le raconter, est celui de la narration,
qu’on appelle aussi le « racontant » ou le « récit » proprement dit. Le
troisième, qui relève de l’elocutio, c’est-à-dire de la verbalisation, de
la dimension langagière, est celui de la mise en texte.
Pour illustrer ces trois niveaux, considérons la fable de La Fontaine
« La cigale et la fourmi ».
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’Oût, foi d’animal,

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Théorie de la littérature

Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant.
– La diégèse a pour objet les sorts contrastés des deux personnages et
leurs actions respectives (la cigale, qui vit dans le dénuement, rend
visite à la fourmi, l’implore de l’aider, ce que cette dernière refuse
de faire, en ironisant sur l’inconséquence de sa visiteuse). Comme
dans tout récit, il y a là des personnages (deux animaux humanisés
par l’usage de la parole et dotés d’intentions complexes) inscrits
dans un contexte spatio-temporel donné (l’hiver, le domicile de
la fourmi), ainsi qu’une action identifiable en termes d’intrigue
(la cigale cherche à combler un manque) et de tension narrative
(comment la fourmi accueillera-t-elle la demande de la cigale ?).
– La narration est prise en charge par un narrateur externe, sans
identité repérable, qui relate l’histoire à la 3e personne, en se
situant après les évènements (il emploie le passé), et en alternant
les passages descriptifs (« La cigale […] se trouva fort dépourvue » ;
« La fourmi n’est pas prêteuse »), les passages narratifs (« Elle alla
crier famine » ; « lui dit-elle ») et les passages dialogués, les uns en
discours indirect (« La priant de lui prêter »), les autres en discours
direct (« Que faisiez-vous au temps chaud ? […] – […] Je chantais,
ne vous déplaise. – Vous chantiez, j’en suis fort aise,/Eh bien dansez
maintenant ! »).
– Quant à la mise en texte, elle se caractérise notamment par l’usage
de vers réguliers (décasyllabiques) à l’exception du 2e vers, où
« tout l’été » est, du coup, fortement mis en évidence, de rimes,
de certaines figures (comme la métonymie lorsque l’hiver est
symbolisé par la brise, ou l’ellipse dans la phrase « Pas un seul petit
morceau… ») et par le caractère comique du discours attribué à la
cigale, qui amuse par son mélange de réalisme (« Je vous paierai
[…], intérêt et principal »), et de fantaisie (« foi d’animal »).
Attachons-nous à présent à détailler les composantes de chacun de
ces niveaux d’analyse, à commencer par la diégèse.

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Le texte narratif

1. La diégèse

La diégèse, dont le nom vient du mot grec diégésis, est parfois appelée
« fiction » (par exemple par Reuter). Ce dernier terme fait cependant
problème dans la mesure où, d’une part, toutes les histoires racontées
ne sont pas à proprement parler « fictionnelles », et d’autre part, loin
d’être limitée aux textes narratifs, la fiction est un univers référentiel
qui sert aussi abondamment de matière aux textes dramatiques et
poétiques. On s’efforcera donc de réserver le mot fiction au phénomène
général de « feintise ludique » tel que l’a analysé notamment J.-M.
Schaeffer (Pourquoi la fiction, 1999), et celui de diégèse à la matière
narrative.
Toute diégèse comporte quatre types d’éléments : des actions, des
personnages, un espace et une temporalité.

a. Les actions

Mise en intrigue et tension narrative

Les actions d’un récit sont analysables selon deux points de vue complé-
mentaires, tous deux fondamentaux : d’un côté, on peut s’attacher à
identifier leurs récurrences et leur organisation commune ; de l’autre,
on peut s’intéresser aux effets qu’elles visent à produire sur le lecteur.
Le premier point de vue est celui la mise en intrigue, le second celui
de la tension narrative.
La mise en intrigue a fait l’objet de l’immense majorité des travaux
des narratologues jusqu’à nos jours. Elle est déterminée par le couple
fondamental nœud/dénouement, qui peut apparaitre à différents
niveaux du même récit. La fable de La Fontaine a ainsi pour nœud
principal le manque éprouvé par la cigale (« La cigale […] se trouva
fort dépourvue »), et pour nœud secondaire, subordonné au premier,
la demande adressée par la cigale à la fourmi (« Elle alla crier famine
chez la fourmi sa voisine »). Le dénouement, qui consiste dans la fin
de non-recevoir adressée par la fourmi (« Vous chantiez ? J’en suis fort
aise ! Eh bien, dansez maintenant ! »), porte seulement sur le nœud
secondaire (la demande de la cigale échoue), mais implicitement, on
peut en déduire qu’il fait échouer également le nœud principal (le
manque éprouvé par la cigale reste inabouti).

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Théorie de la littérature

La tension narrative, quant à elle, a été étudiée de manière appro-


fondie par Raphaël Baroni3, qui a souligné son caractère prioritaire
aux yeux du récepteur : si nous lisons ou « consommons » des récits
(qu’ils soient littéraires, cinématographiques ou médiatiques), c’est
moins dans le but d’y retrouver des structures communes que dans
l’espoir de vivre certaines émotions de curiosité (anticipation mêlée
d’incertitude fondée sur un diagnostic de la situation narrative en
cours), de suspense (anticipation mêlée d’incertitude fondée sur un
pronostic de la situation narrative à venir, ou anticipation liée à une
contradiction entre ce que l’on sait et ce que l’on voudrait), de rappel
(anticipation liée à l’attente du retour d’évènements connus) ou de
surprise (infirmation d’une anticipation).
Dans « La cigale et la fourmi », la tension narrative est réduite en raison
à la fois de la brièveté du texte et du fait que la plupart des lecteurs
actuels, connaissant cette fable depuis leur enfance, n’en perçoivent
plus la portée émotionnelle. Pour les premiers lecteurs, en revanche,
le discours de la cigale était accompagné d’un certain suspense, dans
la mesure où l’identification au personnage était favorisée par sa mise
en évidence (au début du texte, c’est la cigale qui agit et cherche à
combler son manque) et où l’issue de sa quête était marquée du sceau
de l’incertitude.
Plus précisément, Baroni résume comme suit les différentes modalités
de la tension narrative4 :

Tension narrative
… anticipation…

… mêlée d’incertitude… … liée à une … liée à


contradiction l’attente
… fondée sur …fondée sur entre savoir et du retour
un diagnostic un pronostic vouloir : d’évènements
de la situation de la situation connus :
narrative : narrative : Suspense par
Curiosité Suspense contradiction Rappels

Infirmation de l’anticipation :
Surprise

3 La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, 2007


(Poétique).
4 Ibid., p. 254.

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Le texte narratif

Dans les pages qui suivent, nous décrirons surtout les différentes
formalisations qui ont été faites de la mise en intrigue, mais on gardera
à l’esprit que l’enjeu essentiel du récit – du point de vue de l’auteur
comme du lecteur – se situe bien davantage du côté des effets de
curiosité, de suspense et de surprise qui sont produits par le texte.
Les schémas narratifs que l’on va décrire sont néanmoins utiles pour
décrire la structure de l’action.

Les fonctions de Propp

Les recherches sur la mise en intrigue ont démarré avec l’étude de


Propp, Morphologie du conte5. Se fondant sur l’étude d’un corpus de
contes merveilleux russes, cet auteur a montré qu’au-delà de leurs
différences de surface, ces récits étaient gouvernés par une struc-
ture commune consistant en trente-et-une actions types, baptisées
« fonctions » narratives. Selon Propp, ces fonctions, dont le nombre
est fini et qui reviennent chaque fois dans un ordre identique, forment
les unités de base du récit.
Cette étude, qui a lancé la narratologie, reste pertinente et précieuse
de nos jours par l’analyse fine qu’elle a faite non seulement des
actions récurrentes du conte russe, mais aussi de leurs nombreuses
variantes. Diverses recherches ultérieures ont cependant relativisé la
portée du travail de Propp. Ainsi, rares sont les contes reprenant toutes
les fonctions qu’il a identifiées. De plus, malgré certaines tentatives
d’application à des contes d’autres origines ou à d’autres genres (tel
le roman policier), ce répertoire d’action est difficilement transférable
aux autres genres. Enfin, chose inévitable pour le premier travail de ce
type, la typologie de Propp n’apparait pas d’une rigueur irréprochable
et manque de généralité théorique. D’autres narratologues (Bremond,
Greimas, Larivaille) ont dès lors tenté de systématiser et de généra-
liser sa démarche, en l’appliquant non plus seulement aux contes
merveilleux, mais à tous les récits.

5 Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970 (édition originale en russe :


1928) (Points).

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Théorie de la littérature

Le schéma quinaire de Greimas et de Larivaille


Greimas6, puis Larivaille7, s’est attaché à dégager un schéma
canonique qui serait commun à tous les récits : pour eux, tout récit
consiste dans la transformation d’un état à un autre. La situation
initiale est un état stable qui est mis à mal par une complication ou
une force perturbatrice, laquelle constitue le nœud du récit. S’ensuit
une dynamique ou une action, qui vise à rétablir l’ordre initial pour
aboutir à une résolution ou une force équilibrante, laquelle constitue
le dénouement. Enfin, si le dénouement a eu lieu, on revient à un état
stable : la situation finale.
TRANSFORMATION

État Complication ou Dynamique Résolution ou état


→ Force perturbatrice
Initial → ou ACTION → Force équilibrante
→ final

(NŒUD) (DÉNOUEMENT)

Ce schéma est intéressant à la fois par sa simplicité et par sa souplesse,


car il permet de voir qu’un même récit comporte presque toujours
plusieurs schémas canoniques, dont le repérage dépend du choix
du lecteur. Prenons l’exemple de Candide de Voltaire. Si l’on décide
d’abord de lire ce récit comme une histoire d’amour, sa situation initiale,
qui est décrite pendant le premier chapitre, met en scène Candide,
un jeune roturier qui vit heureux dans un château présenté – certes
ironiquement, mais le personnage n’en a nulle conscience – comme
paradisiaque. La première perturbation se produit dès la fin du chapitre,
lorsque, émoustillé par elle, le jeune homme flirte avec Cunégonde,
la fille du châtelain : le désir amoureux qui était déjà en germe se
confirme alors, qui génère aussitôt une seconde perturbation, à savoir
la réaction négative du père de la jeune fille, qui décide de chasser
le garçon. Commence alors l’action transformatrice du héros, qui
consiste dans une succession de voyages et d’enquêtes visant à la fois
à annuler la séparation forcée et à assouvir sa passion avec l’élue de
son cœur. Le dénouement ne surgit qu’au dernier chapitre, lorsque
Candide et Cunégonde se retrouvent enfin, même si la jeune fille est
en piteux état, et la situation finale nous montre le couple réuni et
installé dans une vie tranquille.

6 Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966.


7 « L’analyse (morpho)logique du récit », in Poétique, 19, 1974.

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Le texte narratif

Mais le même récit peut être lu comme celui d’une initiation philoso-
phique. Dans ce cas, la situation initiale est celle de l’optimisme naïf
et de l’ignorance où se trouve Candide dans le premier chapitre, la
perturbation est la contradiction qui apparait dès le deuxième chapitre
entre cet optimisme est les évènements auxquels le héros est confronté
(son éviction du château, puis la découverte d’une succession d’hor-
reurs et d’exactions), l’action est la tentative répétée que fait Candide
pour donner sens à ces évènements, le dénouement est la découverte,
au dernier chapitre, que la doctrine de l’optimisme s’avérait en fait
mensongère, et la situation finale montre le héros absorbé par une
nouvelle vision du monde (« il faut cultiver notre jardin ») fondée sur
l’action quotidienne dans un cadre de vie modeste.
Cet exemple montre bien que le même récit peut se voir appliquer diffé-
rents schémas narratifs simultanés. Qui plus est, la plupart des récits
combinent plusieurs schémas narratifs minimaux qui s’enchainent
pour former l’histoire. Ainsi, pratiquement chaque chapitre de
Candide relate une micro-crise où l’on voit le personnage confronté à
une nouvelle perturbation qu’il lui faut résoudre avant de passer à la
suivante et d’enfin pouvoir dénouer la perturbation principale.
Le schéma quinaire est un bon outil pour mettre en relation l’état
initial et l’état final d’un récit et pour identifier ce qui a été trans-
formé ou non dans l’histoire, ce qui était son enjeu. Il permet aussi
d’objectiver l’effet qui résulte, dans certains récits, de l’absence de
dénouement, en distinguant les fins « fermées » (avec dénouement
et situation finale) et les fins « ouvertes » (en queue de poisson). Ce
schéma reste cependant très général et ne suffit pas à rendre compte
de la complexité ou de la finesse d’un récit.

Les séquences narratives de Bremond

Comme l’a noté Reuter8, le terme de « séquence narrative » peut servir


à désigner trois choses différentes : le schéma quinaire, une unité de
temps, de lieu et d’action (comme au cinéma), et le passage d’une
virtualité à un achèvement ou un inachèvement.
Cette troisième conception, très souple et d’usage très aisé, est due
à Bremond9. Pour lui, les séquences sont des unités d’analyse inter-
médiaires, plus réduites que les étapes du schéma quinaire et plus
étendues que les actions.

8 Introduction à l’analyse du roman, Paris, Armand Colin, 2009, p. 42.


9 Logique du récit, Paris, Seuil, 1973.

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Théorie de la littérature

passage à l’acte achèvement



Virtualité inachèvement
non-passage à l’acte

Dans la fable de La Fontaine, la virtualité apparait dès le moment où


l’état de manque de la cigale est posé : elle est suivie d’un passage
à l’acte (la cigale va quémander chez la fourmi), mais celui-ci reste
inachevé, car la demande est rejetée.
Remarquons aussi que les différentes séquences d’une intrigue peuvent
être reliées entre elles par des relations d’ordre logique (l’une est la
cause de l’autre), mais aussi d’ordre temporel (l’une succède à l’autre)
ou hiérarchique (l’une participe à l’autre).
Barthes complètera cette théorie en distinguant les fonctions cardinales
ou noyaux (fondamentales) et les fonctions secondaires ou catalyses10.
Lorsque James Bond affronte son ennemi dans un combat décisif, on
a affaire à une fonction cardinale, tandis que, lorsqu’il ouvre son tiroir
pour saisir son revolver, il s’agit d’une catalyse.
Baroni pour sa part a précisé le schéma triadique de Bremond en
l’appliquant aux trois processus majeurs susceptibles de constituer
le « nœud » d’une intrigue, à savoir les Catastrophes (exemple : le
héros doit affronter un tsunami), les Conflits (exemple : le héros est
engagé dans une guerre) et les Actions planifiées (exemple : le héros
entreprend de conquérir le cœur de celle qu’il aime). Il en résulte le
tableau suivant11 :

Catastrophe Conflit Action planifiée


Éventualité
Virtualité d’une Provocation But
catastrophe

Passage à l’acte Actualisation de Actions


Plan-acte
(ou non) la catastrophe polémiques

Conséquence
Résultat (atteint
de la Issue du conflit Résultat
ou non)
catastrophe

10 « Introduction à l’analyse structurale des récits », in R. Barthes et al.,


Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977 (1re éd. 1966), pp. 7-57.
11 La tension narrative, op. cit., p. 211.

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Le texte narratif

b. Les personnages

Les personnages constituent la deuxième composante clé de la


diégèse, car, sans eux, nulle histoire n’est possible. Pour qu’il y ait
récit, il faut des personnages dotés d’intentions. Nous les étudierons
ici de trois points de vue : leurs interrelations actantielles, leurs traits
distinctifs et leur effet sur le lecteur.

Schéma actanciel, rôles thématiques et personnages principaux

Greimas12 définit les actants comme des personnages types, des forces
purement logiques, qui se retrouvent dans tout récit et que l’on peut
grouper en six classes différentes, articulées autour de trois axes :
– l’axe du vouloir ou du désir lie le sujet à l’objet, lequel peut être
un personnage ou une chose (exemple : le chevalier recherche la
princesse, l’aventurier recherche un trésor) ;
– dans l’axe du pouvoir, l’adjuvant aide le sujet, tandis que l’opposant
lui fait barrage ;
– dans l’axe du savoir ou de la communication, le destinateur charge
le sujet de sa quête et le destinataire sanctionne son résultat, ces
deux rôles pouvant être assumés par le même personnage (exemple :
le roi envoie le chevalier, puis le récompense), voire parfois par
le sujet lui-même (ainsi, l’amoureux se définit pour lui-même son
propre objet de désir).
Destinateur Adjuvant

Sujet Objet

Opposant Destinataire

La notion d’actant ne se confond pas avec celle de rôle thématique,


qui concerne les catégories socioculturelles des personnages : le curé,
le jeune, la princesse, etc.
Il importe par ailleurs de souligner que, dans les récits complexes qui
comportent de nombreux personnages, la notion de sujet-héros – et à
partir d’elle le schéma actantiel qui en dépend – est relative et dépend
en partie d’un choix du lecteur. Ainsi, dans Notre-Dame de Paris de

12 Sémantique structurale, op. cit.

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Théorie de la littérature

Hugo, chaque personnage important peut être analysé comme le sujet


d’une quête : Esmeralda, Quasimodo, mais aussi Gringoire, Phébus
et Frollo.
Enfin, une variante simplifiée du schéma actantiel a été proposée par
Bremond13. Se fondant sur la manière dont le personnage se situe
psychologiquement par rapport à l’action, celui-ci distingue :
– le patient, qui subit le processus ou le problème ;
– l’agent, qui initie le processus ou résout le problème ;
– et l’influenceur, qui forme l’état d’esprit du personnage ou de
l’agent.
Ce classement, qui permet d’objectiver les notions psychologiques,
comme celles de personnage influençable, actif, passif, velléitaire…,
ne recoupe pas le schéma actantiel : tous les actants peuvent être
aussi bien des patients que des agents ou des influenceurs les uns par
rapport aux autres.

Six paramètres pour analyser les traits distinctifs des personnages

Au-delà des typologies actantielles, Hamon a développé une analyse


sémiologique des personnages qui se fonde sur la façon dont ils se
comportent ou sont présentés dans le récit14. Six paramètres sont ainsi
distingués :
– la qualification différentielle est le nombre de traits descriptifs
attribués à chaque personnage ;
– la distribution différentielle est le nombre de leurs occurrences dans
le récit ;
– l’autonomie différentielle mesure la vie relationnelle des person-
nages : apparaissent-ils seul ? avec qui ? est-ce toujours avec les
mêmes comparses ?
– la fonctionnalité différentielle est le degré d’activité et de réussite de
chaque personnage ;
– la prédésignation conventionnelle concerne la manière dont
chaque personnage est nommé au début du récit (par quels noms,
prénoms, surnoms, pronoms…) et l’évolution de son étiquetage ;

13 Logique du récit, op. cit.


14 « Pour une étude sémiologique du personnage », in R. Barthes et al.,
Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977 (Points).

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Le texte narratif

– enfin, le commentaire explicite est l’évaluation, la mise en


perspective que le narrateur fait du personnage.
Un septième paramètre à prendre en compte est la situation du
personnage par rapport à la perspective ou au point de vue : est-ce lui
qui voit l’action ? Connait-on son point de vue ? On distinguera ici le
personnage « simple » (que l’on voit simplement agir), le focalisateur
(dont on connait le point de vue) et le narrateur (dont on connait le
point de vue et qui dirige l’organisation du récit).

Les effets-personnages

Jouve15, quant à lui, lie ce qu’il appelle l’effet-personnage aux instances


du lecteur qu’il reprend à Picard, à savoir le lu (la part inconsciente
du lecteur) et le lectant (la part analytique et critique), auxquels il
ajoute le lisant, qu’il définit comme la part émotionnelle consciente
du lecteur, marquée par l’adhésion volontaire à l’illusion référentielle.
À ces trois instances correspondent trois effets-personnages :
– l’effet pion : du point de vue du lectant, le personnage est envisagé
comme un actant, un élément structurel de l’histoire ;
– l’effet personne : du point de vue du lisant, le personnage apparait
comme « vrai », il participe à l’illusion référentielle et favorise la
projection volontaire du lecteur dans l’histoire ;
– l’effet prétexte : du point de vue du lu, le personnage devient le
support d’un travail inconscient, fantasmatique, qui influence le
lecteur malgré lui.
Les propositions de Greimas, de Bremond, d’Hamon et de Jouve sont
loin d’épuiser les possibilités d’analyse des personnages du récit16 :
elles constituent cependant une bonne base méthodologique pour
fonder objectivement leur étude.

15 L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, 1992.


16 Pour en savoir plus, cf. P. Glaudes et Y. Reuter, Le personnage, Paris, PUF,
1999 (Que sais-je ?).

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Théorie de la littérature

c. L’espace

Comment analyser l’espace dans un récit ?

Comme les personnages, les lieux de la diégèse peuvent faire l’objet


d’une analyse sémiologique. Il s’agit pour ce faire de relever et de
comparer :
a) le nombre et la diversité des lieux évoqués (par exemple, leur
diversité dans les romans picaresques ou dans Candide donne au
lecteur une impression de foisonnement) ;
b) la manière dont ils font système et sens entre eux (opposition ville/
campagne, ou Paris/province, par exemple) ;
c) leur valeur par rapport au statut des personnages (par exemple,
chez Balzac, les personnages sont souvent décrits à travers le lieu
qu’ils hantent) ;
d) leur lien avec un certain type d’actions, de dialogues ou de descrip-
tions (par exemple, un espace ouvert et multiple se prête davantage
à un récit d’aventures fondé sur l’action, tandis qu’une chambre
close et unique favorisera davantage les dialogues).

Les fonctions possibles de l’espace dans le récit

Les lieux du récit peuvent par ailleurs exercer trois grandes


fonctions :
a) ancrer le récit dans le réel : la description précise d’un décor crée
un effet de réalisme (c’est par exemple, le cas dans la plupart des
romans de Balzac et de Zola) ;
b) conférer au récit une dimension symbolique, allégorique ou
universelle (au début de Germinal de Zola, la fosse du Voreux est
présentée comme un monstre prêt à engloutir ses victimes, ce qui
est une anticipation du roman ; dans La faute de l’abbé Mouret, le
jardin du Paradou est présenté comme un paradis luxuriant) ;
c) créer un univers imaginaire mais qui paraitra réel grâce à des détails
qui le rendent vraisemblable (c’est ainsi le propre des romans de
science-fiction de nous faire croire à un univers qui n’existe nulle
part dans le monde que nous connaissons).

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Le texte narratif

d. Le temps

Comment analyser le temps diégétique ?

Pour étudier le temps diégétique, on s’intéresse aux indications tempo-


relles plus ou moins précises (dates, évocations de traits d’époques, de
phénomènes saisonniers…) qui permettent d’inscrire l’histoire dans le
réel. On se demande également à quelle(s) espèce(s) de temporalité
appartient la diégèse : se situe-t-elle dans le passé, dans l’actualité,
dans une uchronie (temps du « il était une fois »), dans le futur (cas
des récits de science-fiction), ou dans un temps brouillé ?

Les fonctions possibles du temps diégétique

L’analyse peut par ailleurs repérer différents effets de sens qui sont
associés au temps de l’histoire. Celui-ci apparait-il comme précis
ou incertain, comme long ou bref, comme limité ou ouvert, comme
structuré par des oppositions (du type passé/présent), comme multiple
ou centré sur un évènement, comme collectif ou centré sur une famille
ou un individu… ? Il arrive aussi que le temps soit thématisé comme un
élément fondamental : c’est le cas dans les récits qui relatent l’attente
étirée d’un évènement (chez Proust par exemple) ou la recherche d’un
passé oublié (récits ayant pour thème l’amnésie, comme la série BD
XIII de Vance et Van Hamme).

2. La narration

La diégèse ne nous est accessible que par la narration, le raconté par


le racontant, c’est-à-dire les différents choix et procédés qui mettent le
récit en perspective. En nous inspirant principalement des travaux de
Genette17, nous analyserons ici d’une part les différentes postures du
narrateur et d’autre part la gestion du temps narratif.

17 « Discours du récit », in Figures III, Paris, Seuil, 1972 (Poétique), pp. 67-267,


et Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983. L’ordre de présentation
des catégories est repris largement au livre d’Y. Reuter, Introduction à
l’analyse du roman, Paris, Armand Colin, 2009, pp. 53‑79.

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Théorie de la littérature

a. Les postures du narrateur

Mode du raconter et mode du montrer

Pour relater une histoire, un narrateur dispose de deux modes narratifs


fondamentaux : le mode du raconter, dans lequel il ne dissimule pas
sa présence, et le mode du montrer, dans lequel, au contraire, aucune
de ses traces n’est repérable et l’histoire parait se raconter d’elle-
même sans médiation. Le mode du raconter s’épanouit ainsi dans les
passages narratifs où apparaissent des explications, des jugements,
tandis que le mode du montrer s’épanouit à travers les dialogues et
les descriptions. Naturellement, un roman mélange toujours ces deux
modes : il importera d’analyser comment et pourquoi ils se répar-
tissent et se combinent.
Le choix du mode est parfois lié à des enjeux moraux ou esthé-
tiques. Ainsi, dans les années 1950, Sartre reprochait à Mauriac d’être
beaucoup trop présent en tant que narrateur dans son œuvre (c’est-
à-dire de privilégier le mode du raconter), et par là de se comporter
comme Dieu, au détriment du respect de la liberté existentielle de ses
personnages.
Lieu privilégié du montrer, les scènes correspondent aux dialogues
entre les personnages ou aux descriptions détaillées. Elles s’opposent
aux sommaires, dans lesquels l’audition et la visualisation de l’action
sont moindres et où le narrateur est présent de manière plus visible.
Les paroles des personnages peuvent relever de trois styles différents :
le style direct, qui présente les paroles sans médiation, domine dans le
mode du montrer, tandis que le style indirect, où les paroles sont intro-
duites par un verbe déclaratif, et le style indirect libre, où le verbe et le
marqueur d’enchâssement ont été supprimés, dominent dans le mode
du raconter. Comme le montre l’exemple suivant, où se succèdent
styles indirect, indirect libre, indirect et direct, Flaubert était friand de
l’alternance des styles, ce qui donnait à ses dialogues un tour particu-
lièrement élégant :
D’abord il voulut savoir quels hommes lui plaisaient. Étaient-ce,
par exemple, ceux du genre de Bouvard ? Pas du tout ; elle préférait
les maigres. Il osa lui demander si elle avait eu des amoureux ?
– Jamais !
Bouvard et Pécuchet, Paris, Gallimard, 1979 [éd. or. 1880] (Folio),
p. 266.

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Le texte narratif

Le narrateur peut encore choisir entre une perspective objective


(quand il dissimule sa présence, comme c’est souvent le cas dans le
nouveau roman) et une perspective subjective (quand il privilégie le
point de vue d’un personnage).

Les fonctions du narrateur

Le narrateur peut exercer différentes fonctions, qui ne sont bien sûr


pas exclusives l’une de l’autre :
– communicative : quand il entre en contact avec le lecteur et s’entre-
tient avec lui comme dans un salon ;
– métanarrative : quand il commente son propre texte et signale ses
articulations (« après cette longue introduction… ») ;
– testimoniale ou modalisante : quand il donne son point de vue sur
l’histoire, pour attester sa certitude à son égard, pour exprimer son
émotion, pour évaluer… ;
– explicative : quand il s’attache à éclairer tel élément jugé utile pour
la compréhension de l’histoire ;
– généralisante ou idéologique : quand il tire la morale de l’histoire,
ou se lance dans des sentences philosophiques (comme c’est
fréquemment le cas dans à la recherche du temps perdu).
Le passage ci-dessous, extrait du Tristram Shandy de Sterne, illustre
simultanément les fonctions communicative (le narrateur s’y adresse
directement au lecteur) et métanarrative (il commente son propre
texte) :
Au début du chapitre précédent, je vous ai appris exactement quand
j’étais né ; je ne sous ai pas appris comment. Non, ce détail valait un
chapitre à lui seul. D’ailleurs, monsieur, comme nous sommes vous
et moi parfaitement inconnus l’un à l’autre, il n’eût pas été décent
de vous mettre tout à trac au courant d’un trop grand nombre de mes
affaires personnelles.
Lawrence Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme,
trad. fr. de Ch. Mauron, Paris, Flammarion, 1982 (GF), p. 33.

Narrateurs hétérodiégétique et homodiégétique

Intéressons-nous à présent à la place que le narrateur occupe dans son


récit. Il convient de faire ici deux distinctions. La première concerne
les niveaux de la narration : un narrateur peut être extradiégétique
ou externe, c’est-à-dire complètement extérieur au texte, ou intra-

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Théorie de la littérature

diégétique ou interne, c’est-à-dire présent et repérable, notamment


par l’emploi des marques de la première personne. Comparons par
exemple ces deux incipits romanesques :
Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à
demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient.
Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste
presque invisible.
Jean-Marie Gustave Le Clézio, Désert, Paris, Gallimard, 1980 (Folio),
p. 7.

Depuis le temps… Il me semble que quelqu’un aurait pu oser… Je


cherche, j’observe, j’écoute, j’ouvre des livres, je lis, je relis… Mais
non… Pas vraiment… Personne n’en parle… Pas ouvertement en
tout cas… Mots couverts, brumes, nuages, allusions… Depuis tout
ce temps…
Philippe Sollers, Femmes, Paris, Gallimard, 1983 (Folio), p. 11.
La seconde distinction porte sur les relations du narrateur avec l’his-
toire : s’il n’est pas un personnage de l’histoire, il est hétérodiégé-
tique ; s’il fait partie de l’histoire, il est homodiégétique. La peste de
Camus illustre tour à tour ces deux cas de figure : dans la première
partie du roman, le narrateur, bien qu’intradiégétique (il dit « je »
et prend position), est hétérodiégétique (il tait son identité et ne se
présente pas comme un acteur de l’histoire) ; dans la deuxième partie,
il dévoile qu’il est le docteur Rieux, l’un des personnages de l’histoire,
et il poursuit le récit en passant à la première personne.
La distinction intra/extradiégétique est à rapprocher de l’opposition
récit/discours de Benveniste. Dans le discours, le narrateur s’implique
dans son propos, en usant des marques de la 1re personne et de diffé-
rents déictiques (ici, maintenant, hier, papa, etc.) qui le relient direc-
tement aux référents, et en privilégiant le présent, le passé composé et
le futur, tandis que dans le récit, il relate des évènements qui lui sont
extérieurs en usant de la 3e personne, en optant souvent pour le passé
simple et l’imparfait, et en utilisant des marqueurs spatio-temporels
d’éloignement comme là, le lendemain, la veille….

Les perspectives ou focalisations narratives

Si le narrateur est l’instance qui raconte le récit, il ne se confond pas


nécessairement avec l’instance qui perçoit les évènements, qu’on

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Le texte narratif

appellera le personnage focalisateur. à la suite de Pouillon18 et de


Genette19, on distingue trois perspectives ou focalisations possibles :
– dans la vision par derrière ou focalisation zéro, tout passe par le
narrateur, c’est lui qui voit et qui parle (c’est le cas par exemple
dans la deuxième partie de La peste) ;
– dans la vision avec ou focalisation interne, le narrateur délègue
sa parole au personnage qui exprime sa vision (c’est le cas par
exemple dans les thrillers de Stephen King) ;
– dans la vision du dehors ou focalisation externe, le narrateur se place
à distance et relate tout de façon apparemment objective (c’est le
cas de nombreux nouveaux romans, comme Dans le labyrinthe de
Robbe-Grillet).
Il est fréquent qu’un narrateur passe, en cours de récit, de la focalisation
zéro à une focalisation interne. Ainsi, dans le passage ci-dessous, on
le voit se placer subitement du point de vue des convives qui voient le
père découvrir le cadavre de sa fille :
Quand la détonation retentit, environ cinq minutes après que sa fille
eut quitté la table, le père ne se leva pas aussitôt, il resta quelques
secondes paralysé, la bouche pleine, sans plus oser mâcher ni avaler
et moins encore jeter sa bouchée dans l’assiette ; et lorsqu’enfin il se
dressa et courut vers la salle de bains, ceux qui le suivirent purent
voir, comme il découvrait le corps ensanglanté de sa fille et se prenait
la tête à deux mains, la bouchée de viande dont il ne savait que faire
passer d’un côté à l’autre de sa bouche.
Javier Marías, Un cœur si blanc, trad. de l’espagnol par A.-M. Geninet
et A. Keruzoré, Paris, Gallimard, 2008 (Folio), p. 13.
Remarquons encore que la perspective ne se limite pas au seul regard
mais peut passer par tous les sens… y compris le sens olfactif, comme
dans le roman de Patrice Süskind Le parfum.

Les instances narratives

Reuter20 appelle instances narratives les articulations entre les formes


de narrateur et de perspectives. Il distingue cinq cas de figure :
– la narration hétérodiégétique passant par le narrateur (focalisation
zéro) : le narrateur est omniscient et assume toutes les fonctions

18 Temps et roman, Paris, Gallimard, 1946.


19 « Discours du récit », op. cit.
20 Introduction à l’analyse du roman, op. cit., pp. 62-65.

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Théorie de la littérature

(vision et savoirs illimités) ; il est extérieur à l’histoire, voit tout se


qui se passe, et visite toutes les consciences. C’est le cas le plus
fréquent, notamment dans les romans du XIXe siècle ;
– la narration hétérodiégétique passant par un ou plusieurs person-
nages : le narrateur est extérieur à l’histoire, assume des fonctions
réduites (visions et savoirs limités) et privilégie l’un des person-
nages. C’est le cas par exemple dans Notre-Dame de Paris de Hugo
où l’action est vue successivement du point de vue de Gringoire,
de Frollo, d’Esmeralda, etc.
– la narration hétérodiégétique neutre : la vision est livrée de manière
neutre, limitée, sans passer par aucune conscience, ce qui produit
un effet de sécheresse ou de dureté. C’est le cas notamment dans
certains récits relevant du nouveau roman, comme L’amour de
Marguerite Duras ;
– la narration homodiégétique passant par le narrateur : c’est le cas
classique des récits à la première personne où le narrateur relate sa
propre histoire, comme les autobiographies ou à la recherche du
temps perdu de Proust ;
– la narration homodiégétique passant par un ou plusieurs person-
nages : dans ce cas très rare, le narrateur relate son histoire comme
si elle était en train de se dérouler : on a alors une identité entre
les visions du narrateur et du personnage qui produit une illusion
de simultanéité, comme dans cet extrait du roman d’Edouard
Desjardin, Les lauriers sont coupés (1887) : « L’heure a sonné ; six
heures, l’heure attendue. Voici la maison où je dois entrer, où je
trouverai quelqu’un ; la maison ; le vestibule ; entrons. »
Ces différentes instances peuvent bien entendu varier au cours d’un
même récit : on s’interrogera alors sur les modalités et les effets de ces
variations.

Les niveaux narratifs

Des récits peuvent être emboités dans d’autres récits selon trois grands
modes : (a) un personnage peut devenir à son tour narrateur d’une ou
plusieurs histoires (comme dans Le Décameron ou Les mille et une
nuits), (b) l’auteur peut affirmer tenir l’histoire de quelqu’un d’autre
(procédé de l’histoire rapportée ou du manuscrit trouvé, comme dans
Le nom de la rose d’Umberto Eco) ; (c) une histoire secondaire peut

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Le texte narratif

apparaitre comme la mise en abyme ou le reflet en réduction de l’his-


toire principale21.
La métalepse quant à elle est un glissement qui s’opère entre la
narration et la diégèse, lorsque le narrateur entre dans l’histoire qu’il
relate, ou invite le lecteur à y entrer, ou encore lorsqu’un personnage
se met à interpeler le narrateur ou le narrataire. Ce procédé produit
généralement un effet comique. C’est le cas par exemple dans la
bande dessinée de Marcel Gotlib la Rubrique-à-brac, où l’on voit
couramment des personnages s’adresser au lecteur-narrataire ou
à l’auteur-narrateur. La métalepse a récemment fait l’objet de deux
études fouillées22, qui ont montré que ses manifestations étaient loin
de se limiter au domaine du comique et à la littérature.

b. Le temps de la narration

Après nous être intéressés aux manifestations du narrateur, il nous faut


étudier la manière dont il gère son récit dans le temps. Quatre points
sont ici à envisager : le moment, le rythme, la fréquence et l’ordre.

Le moment de la narration

Par rapport à la diégèse, la narration peut être ultérieure (l’histoire


est racontée au passé), antérieure (cas peu courant : on raconte au
futur, comme dans certains nouveaux romans), simultanée (l’histoire
est racontée pendant qu’elle est en train de se dérouler, comme dans
certains romans policiers contemporains) ou encore intercalée (dans
un journal intime, on revient sur les évènements du jour et on s’arrête
pour laisser passer le jour suivant). Des variations sont possibles
dans un même roman : cela crée des effets de surprise et relance
l’attention.

Le rythme (ou la vitesse)

Le rythme d’un récit dépend de la relation entre le temps de l’histoire


(TH), qui se calcule en années, en jours ou en heures, et le temps de
la narration (TN), qui se calcule en chapitres et en nombre de pages

21 Voir L. Dällenbach, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris,


Seuil, 1992 (Poétique).
22 G. Genette, Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil, 2004
(Poétique), et J. Pier et J.-M. Schaeffer, Métalepses. Entorses au pacte de la
représentation, Paris, EHESS, 2005.

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Théorie de la littérature

ou de lignes. Ici encore, on distingue quatre cas, figurés par le schéma


ci-dessous23 :

TR

Scène Ellipse Sommaire Pause


TH

La scène se produit lorsque la durée de l’histoire coïncide avec celle


de la narration : c’est le cas des dialogues.
L’ellipse est un « blanc chronologique », qui se produit lorsque le
narrateur ne raconte pas certains évènements de l’histoire ; il en
résulte une accélération du récit.
Le sommaire ou résumé est un autre procédé d’accélération, qui
consiste à relater une longue période en quelques lignes.
La pause se produit lorsqu’un évènement est longuement raconté, ou
donne lieu à une description ou une intervention du narrateur. Le récit
est alors ralenti.
Ces procédés sont utiles à repérer quand on analyse un texte, car le
découpage rythmique est généralement porteur de sens : il permet
par exemple de distinguer les récits d’actions des récits psycholo-
giques, d’étudier l’évolution d’un récit ou d’un cycle romanesque, ou
encore d’étudier certains procédés comme l’ellipse hypothétique ou
le suspense.

La fréquence

La fréquence correspond au nombre de fois qu’un évènement est


relaté. En l’occurrence, le mode de la narration peut se faire singu-
latif (chaque évènement est relaté une fois, comme dans les contes
simples), itératif (plusieurs faits similaires sont résumés en un seul) ou
répétitif (un fait de la diégèse est raconté plusieurs fois, éventuellement
de plusieurs points de vue différents, ce qui provoque leur mise en
perspective, comme c’est souvent le cas dans les romans policiers).
Cette composante est utile pour repérer, le cas échéant, les moments
qui sont relatés plusieurs fois : ils apparaissent alors comme particu-
lièrement importants.

23 Adapté de Genette, Figures III, pp. 122-144.

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Le texte narratif

L’ordre

L’ordre désigne le rapport entre la succession des évènements dans la


diégèse et la succession des évènements dans la narration.
La narration peut s’organiser selon un ordre strictement chronologico-
logique, mais c’est assez rare et ne concerne que les récits simples.
La plupart des récits comportent de nombreuses anachronies, c’est-
à-dire des perturbations de l’ordre linéaire, qui peuvent consister dans
des anticipations (prolepses) ou dans des rétrospections (analepses ou
flash-backs).
Les anachronies peuvent être plus ou moins objectives, selon
qu’elles concernent des faits certains ou incertains. Généralement,
les prolepses sont davantage subjectives que les analepses, car elles
relèvent davantage du mode du peut-être. Par ailleurs, les anachronies
se distinguent par leur portée : elles se situent à un moment plus ou
moins lointain du temps de référence principal. Elles se caractérisent
aussi par leur amplitude : elles couvrent une durée temporelle plus ou
moins longue.
Dans le film Titanic de James Cameron (1997), l’histoire principale,
qui relate l’idylle entre deux jeunes gens et le naufrage du bateau en
1912, apparait comme une longue analepse puisque le film débute
par le récit de la fouille de l’épave du Titanic à la fin des années 1990.
Cette analepse peut être qualifiée d’objective, sa portée est de 75 ans,
son amplitude diégétique est de 4 ou 5 jours (durée du voyage avant le
naufrage) et son amplitude narrative de près de 3 heures (quasi-totalité
de la durée du film).
Les perturbations de l’ordre narratif peuvent exercer de multiples
fonctions : expliquer ce qui s’est passé, mimer un parcours psycho-
logique ou des formes de la remémoration en suivant le chemin
chaotique des souvenirs, contester l’objectivité du réalisme et la
chronologie du roman classique, faire monter l’angoisse chez le
lecteur en lui dévoilant à l’avance un moment ultérieur inquiétant,
exciter sa curiosité en lui dissimulant des évènements antérieurs…

3. La mise en texte
Après avoir traité de la diégèse et de la narration, venons-en enfin à
la troisième composante du récit : celle de sa verbalisation, de son

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Théorie de la littérature

elocutio, que certains auteurs appellent la mise en texte. Nous envisa-


gerons ici, à la suite de Reuter24, cinq éléments clés.

a. Le jeu des temps

L’organisation des temps verbaux dans les récits est bien plus
complexe que l’opposition récit/discours que nous avons évoquée
précédemment. Elle est aussi très diversifiée en raison de la variété
des effets recherchés. Nous nous limiterons ici à l’alternance passé
simple/imparfait qui présente bien souvent une valeur narrative
(cf. Germinal).
Le passé simple est fréquemment employé pour les évènements
principaux de l’histoire, ceux qui font progresser l’action. Ils se
détachent ainsi de l’arrière-plan, constitué par les propositions
comprenant un verbe à l’imparfait, qui participent de la compré-
hension, mais ne font pas avancer véritablement l’histoire.
Le jeu des temps peut également produire un effet narratif. C’est le
cas pour les romans modernes qui utilisent de plus en plus les temps
du présent et du passé composé. À l’inverse du passé simple qui
narrativise, « mythifie » le récit, ces deux temps sont perçus comme
plus décapants, plus secs : ils relativisent l’histoire et lui confèrent
une authenticité brute. Le premier roman à user abondamment de ces
deux temps fut L’étranger de Camus.
L’usage des temps peut faire l’objet d’infractions apparentes, qui
sont parfois des effets de sens ou de style. Par contre, les conteurs
qui ont livré les contes populaires qui étaient ancrés dans la tradition
commettaient souvent des maladresses qui étaient dues au flottement
plus grand de l’oral.

b. La progression thématique

La progression thématique résulte de l’articulation entre le rhème


(informations nouvelles, repérables par des articles indéfinis) et le
thème (informations connues par le lecteur, repérables par des articles
définis).

24 introduction à l’analyse du roman, op. cit.

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Le texte narratif

La progression à thème constant présente une thématique donnée


qui est ensuite déclinée. La progression à thèmes dérivés est une
progression en arbre (on trouve cette progression au début de Candide,
où la description globale du château débouche sur celle de ses parties).
Dans la progression à thème linéaire, chaque phrase introduit un
rhème qui sert de thème à la phrase suivante. Ce procédé est fréquent
dans les romans d’action, mais aussi dans certaines descriptions,
comme dans cet incipit d’un roman de Duras, où « l’homme », qui est
le rhème de la première « phrase », devient le thème de la deuxième,
puis « la mer », qui est le rhème de la deuxième phrase devient le
thème de la troisième :
Un homme.
Il est debout, il regarde : la plage, la mer.
La mer est basse, calme, la saison est indéfinie, le temps, lent.
Marguerite Duras, L’amour, Paris, Gallimard, 1971 (Folio), p. 9.

c. Désignation des personnages et coréférence

Un autre élément clé de la mise en texte concerne la manière dont les


personnages sont désignés (nom complet, profession, surnom, pronom,
appellations affectives, simple initiale), les causes de variation de leurs
« désignateurs » et de l’ordre dans lequel ceux-ci apparaissent.
Les désignateurs servent parfois à produire des effets particuliers, en
particulier un effet de brouillage lorsqu’ils mettent en scène un faux
inconnu (le narrateur désignant par exemple comme « un homme »
un personnage qu’on reconnaitra bientôt comme familier) ou un faux
nouveau personnage (comme « M. Madeleine » dans la deuxième
partie des Misérables de Hugo (1862), dont on ne découvrira que
tardivement qu’il s’agit en fait de Jean Valjean, personnage auquel
avait été consacrée la première partie), ou encore lorsque le même
nom est donné à des personnages différents (ainsi, dans Le bruit et
la fureur de Faulkner (1929), deux personnages, un homme et une
femme, s’appellent Quentin)...
Les désignateurs peuvent aussi contribuer à la déstabilisation de
l’identité des personnages en réduisant leur nom à leur initiale
(comme « K. » dans Le château de Kafka (1922)) ou à de simples
pronoms (comme dans Le planétarium de Nathalie Sarraute (1959), où
le lecteur est contraint de se demander qui sont les « il » et les « elle »
qui se succèdent de chapitre en chapitre).

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Théorie de la littérature

d. Choix rhétoriques et stylistiques

Loin d’être l’apanage de la poésie, les choix rhétoriques et stylistiques


sont des composantes essentielles de l’écriture des romans. En parti-
culier, les figures de style présentent un intérêt évident pour l’analyse
des romans réalistes, car elles y interviennent abondamment et y
produisent divers effets de sens.
L’intérêt de ces figures est parfois simplement ludique. Ainsi, les
multiples calembours dans la série San Antonio de Frédéric Dard ou
l’usage des zeugmas dans le roman de Joseph Delteil, Sur le fleuve
Amour (1923) (exemple : « Le logement dans les maisons bourgeoises
prédisposait aux parures correctes et aux idées droites »). Mais la
figure est surtout le moyen privilégié de poétiser la prose narrative, en
particulier dans le cadre des descriptions et des portraits. Il s’avère dès
lors précieux d’étudier l’usage spécifique qu’en fait chaque écrivain :
quel type de figures privilégie-t-il, et quelles valeurs symboliques
véhiculent-elles ? On a pu ainsi relever l’importance des hyperboles
dans les épopées, le gout particulier de Victor Hugo pour les grandes
antithèses, l’importance des métaphores marines dans Madame
Bovary de Flaubert, etc.

e. Champs lexicaux et champs sémantiques

Parallèlement à l’usage des figures, les récits regorgent de champs


lexicaux et de champs sémantiques, lesquels constituent deux notions
distinctes :
– le champ lexical (ou thématique) est l’ensemble des mots utilisés
pour caractériser une notion, un objet, etc. qui participent d’une
même idée ; par exemple « lampe », « soleil », « éclair » parti-
cipent tous trois du champ lexical de la lumière ;
– le champ sémantique est l’ensemble des sens qu’un même mot
prend dans un énoncé ; par exemple le mot « lumière » peut servir
à désigner tantôt une lumière au sens propre, tantôt une personne
très intelligente, tantôt encore la pensée du XVIIIe siècle.
Les champs sémantiques et lexicaux sont des outils clés pour l’analyse
des textes en général, qu’ils soient poétiques, narratifs ou argumen-
tatifs.

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Le texte narratif

B. Les formes narratives


Sous l’étiquette de « formes du récit », nous allons à présent étudier cinq
« genres » narratifs considérés sur une base formelle et énonciative,
en distinguant le mythe, l’épopée, le conte, le roman et la nouvelle.

1. Le mythe

Le mythe est le premier genre narratif à s’être illustré dans l’histoire des
hommes. « Récit sacré des origines », porteur de vérités universelles et
fondateur de rites, selon la définition de Mircea Eliade25, ce genre est
aussi, selon l’historien Georges Dumézil26, le propre des sociétés peu
organisées, qui recourent peu – voire pas du tout – à l’écriture. Dans
ces contextes, le récit mythique sert à propager une vision partagée
du monde, et sa transmission orale facilite l’adhésion du groupe à une
interprétation commune.
Dans chaque religion, les mythes relatent les exploits ou les mésaven-
tures de héros (Hercule, Œdipe, énée) ou de pères fondateurs (Moïse,
Jésus, Abraham), dont l’expérience est sacralisée. Mais le mythe est
loin de se réduire au domaine religieux : au fil des siècles, il a investi
des matières profanes et des héros modernes, réels ou fictifs, perçus
comme particulièrement fascinants et emblématiques de certains
rêves ou de certaines valeurs (de Don Juan à Che Guevara en passant
par Faust, Napoléon, Marylin Monroe ou Lady Di). Plus récemment,
les héros mythiques ont été rejoints par des objets et des évène-
ments, la sacralisation mythique s’exerçant désormais tout autant sur
l’Automobile, la Télévision, l’Internet ou le Tour de France que sur
les vedettes et les grands hommes. Enfin, la matière mythique, dans
sa diversité, constitue, depuis toujours, le fondement sous-jacent de
bien des récits et une des sources majeures de la fascination secrète
exercée par la littérature.

25 M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963 (rééd. Folio essais


1988).
26 G. Dumézil, Du mythe au roman, Paris, PUF, 1983 (Quadrige).

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Théorie de la littérature

2. L’épopée

Un genre toujours vivant

Toujours d’après Dumézil, l’épopée serait propre aux sociétés


organisées, structurées de manière inégalitaire, où prévaut une vision
du monde hiérarchisée : la noblesse et les chevaliers sont mis en avant
par rapport au peuple. L’épopée est donc une première étape dans la
sécularisation des récits parce qu’elle s’incarne davantage dans les
valeurs et les structures d’une société humaine. Néanmoins, ses héros
restent des êtres d’exception, à mi-chemin des dieux du mythe – avec
lesquels ils restent d’ailleurs en contact étroit – et des personnages
ordinaire du roman. Il faudra donc attendre l’avènement du roman
pour assister au passage d’une vision du monde centrée sur la collec-
tivité à une vision qui privilégie davantage les individus.
L’épopée, pour sa part, se définit comme le récit d’exploits fabuleux
d’un héros militaire. Premier grand genre narratif considéré par
Aristote, elle s’est illustrée dans L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, puis
dans les chansons de geste du Moyen Âge et encore au XVIIIe siècle
dans La Henriade de Voltaire. Si elle a décliné ensuite comme genre
littéraire, elle a trouvé un nouveau souffle dans la fantasy (chez Tolkien,
notamment) et s’incarne toujours aujourd’hui au cinéma à travers des
légendes populaires ou médiatiques, comme celle qui a entouré le
destin de Che Guevara, ou comme celles qui servent régulièrement
à célébrer certains exploits sportifs. Centrée sur l’exaltation de héros,
l’épopée garde une fonction fondamentale au niveau de l’imaginaire
et des fantasmes de la collectivité.

Traits constitutifs27

L’épopée se caractérise d’abord au niveau de la diégèse : elle met


en scène un héros ou un groupe de héros qui incarne des valeurs
collectives et qui est chargé par une puissance régulatrice et trans-
cendante – un roi, voire Dieu lui-même – d’une mission qu’il ne
parviendra à réaliser qu’après avoir réussi différentes épreuves. Sa
réussite permettra le salut de la communauté dont il est le représentant
et passera par une succession de combats et d’exploits contre des

27 Cf. D. Madelénat, « épopée », in J.-P. de Beaumarchais, D. Couty et A. Rey


(dir.), Dictionnaire des littératures de langue française, vol.  1, Paris,
Bordas, 1984, pp. 759-760.

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Le texte narratif

ennemis redoutables, avec, à l’occasion, l’aide de puissances surnatu-


relles : dans l’épopée l’action est constante.
La narration, quant à elle, est assurée par un narrateur extradiégé-
tique omniscient, qui sonde les cœurs et les esprits des personnages
et s’adresse parfois directement à son public, mais se lésine pas sur
l’étirement de son récit, produisant ainsi l’illusion d’une énonciation
orale.
Enfin, au niveau de la mise en texte, le récit est marqué par de
nombreuses répétitions, mais aussi par l’hyperbole, l’exagération. Les
personnages sont volontiers désignés par des périphrases stéréotypées
(la déesse aux yeux pers, l’empereur à la barbe chenue), les compa-
raisons pullulent, et d’une manière générale, les clichés abondent.
Enfin, la syntaxe de l’épopée est paratactique, rythmée par des énoncés
relativement brefs et répétitifs.

3. Le conte

Plusieurs genres en un

Par son ancrage dans la quotidienneté de personnages ordinaires,


le conte apparait comme en rupture avec la noblesse de l’épopée et
comme plus proche du roman. Ses frontières – en particulier avec
le genre de la nouvelle – sont cependant floues, et ses formes sont
plurielles : il faut distinguer au minimum le conte populaire, qui est
transmis oralement, sans prétention littéraire, dans un vocabulaire
simple et un langage mâtiné de régionalismes, le conte littérarisé, qui
organise une matière populaire d’origine dans une forme élégante
(exemples : les contes de Perrault et de Grimm), et le conte littéraire,
qui apparait comme une variante morale de la nouvelle (exemples :
les contes philosophiques de Voltaire, les contes de Maupassant, les
Contes cruels de Villiers de l’Isle-Adam).

Traits constitutifs

Même dans ses versions les plus littéraires, le conte est un récit que
l’on « ra-conte ». Il comporte dès lors presque toujours des marques
d’oralité, qui, dans les récits populaires, sont repérables notamment au
début et à la fin du récit, dans les formules d’ouverture et de clôture.

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Théorie de la littérature

Par ailleurs, par contraste avec le roman, le conte se présente comme


une structure narrative relativement simple. Si Propp, comme on l’a vu,
a repéré trente-et-une fonctions narratives dans les contes merveilleux
russes, Alan Dundes28, qui a travaillé sur un corpus nord-américain,
a simplifié la structure en retenant seulement trois séquences obliga-
toires : (a) l’interdiction et la transgression, (b) l’assignation d’une
tâche et son accomplissement, (c) la manœuvre de tromperie et la
victime trompée.
Denise Paulme29 se fonde quant à elle sur un corpus africain pour
distinguer cinq types de structures :
– les contes ascendants sont ceux qui évoluent vers l’amélioration du
sort des personnages (exemple : le Petit Poucet, qui finit par sauver
ses frères et aider ses parents) ;
– les contes descendants sont ceux qui, au contraire, se terminent
mal (exemple : le Petit Chaperon Rouge de Perrault, qui meurt sans
rémission) ;
– les contes cycliques sont ceux qui s’achèvent par un retour au point
de départ (exemple : le Petit Chaperon Rouge des frères Grimm, qui
est sauvée par un chasseur après avoir été mangée par le loup) ;
– dans les contes en sablier, un personnage améliore son sort tandis
qu’un autre voit le sien régresser (exemple : les quêtes de Perceval
et de Galaad dans le Conte du Graal) ;
– dans les contes en miroir, enfin, on voit à nouveau deux person-
nages opposés évoluer de manière opposée, mais leurs parcours
s’entrecroisent au lieu de se succéder.

Deux sortes de fonctions

Le conte se signale enfin par les fonctions qu’il exerce. Pour nous en tenir
au conte merveilleux, celui-ci remplit d’abord une fonction psycho-
logique chez les enfants en les confrontant à des désirs inavoués qui
contribuent à la formation de leur personnalité30. Mais le conte exerce
aussi une fonction sociale : dans ses versions populaires, il renforce
la cohésion sociale, non plus sur la base de croyances religieuses,

28 A. Dundes, The Morphology of North America Indian Folktales, Helsinki,


Academia Scientarum Fennica, 1980.
29 D. Paulme, La mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes
africains, Paris, Gallimard, 1976 (Bibliothèque des sciences humaines).
30 Cf. B. Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Laffont, 1976.

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Le texte narratif

mais sur la base de valeurs traditionnelles partagées par la collectivité.


En l’occurrence, le conte valorise généralement le bon sens du petit
peuple, mais aussi la subtilité, la ruse. La protestation sociale dont
témoignent ces récits populaires reste cependant embryonnaire, ce
qui finalement confère à ces récits une dimension conservatrice.

4. Le roman

Ses traits dominants… et leurs limites

Le roman se laisse traditionnellement définir par six traits dominants,


mais il importe de percevoir leurs limites. Ainsi, le roman est sans
nul doute un récit, mais cela n’empêche pas que la part narrative
de certains romans soit réduite (Le roman inachevé d’Aragon est une
succession de poèmes). De même, tout roman n’est pas littéraire : au
départ, le terme « roman » désignait simplement tout texte écrit en
langue romane, et aujourd’hui encore, nul ne songe à intégrer certains
romans dits « de gare » dans la littérature. Troisièmement, si un roman
est généralement écrit en prose, on ne peut oublier que les premiers
romans étaient écrits en vers octosyllabiques. Par ailleurs, le roman
relève en principe de la fiction, mais dans certains romans la part
d’expérience vécue semble dominer, comme dans à la recherche du
temps perdu ou dans la plupart des autofictions. Du reste, étant donné
que toute fiction comporte une part de réalité et vice-versa, où se
situe le départ entre la fiction et la réalité, entre le roman et l’autobio-
graphie ? De plus, si les romans sont censés se distinguer des nouvelles
par leur longueur, à partir de quelle taille un récit quitte-t-il le domaine
de la nouvelle pour accéder à celui du roman ? Comment classer un
récit comme Le dernier jour d’un condamné de Hugo, qui compte
une centaine de pages ? Enfin, le roman se signale par la diversité des
techniques narratives qu’il met en œuvre (récit, dialogue, description,
analyses), mais c’est aussi le cas de nombreuses nouvelles.

Origines : des hypothèses variées

Les origines du roman moderne sont perçues différemment selon les


théoriciens, car elles dépendent de la dimension du genre que l’on
retient comme la plus essentielle.

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Théorie de la littérature

Dumézil, nous l’avons vu, conçoit l’émergence du roman au Moyen


Âge comme une réaction à l’épopée. Bakhtine, pour sa part31, souligne
l’origine populaire de ce genre, qui est le premier à donner la parole
au petit peuple à travers le dialogisme, la polyphonie. Genre démocra-
tique par excellence, le roman laisse s’exprimer la diversité des voix.
Rabelais apparait dès lors comme le premier romancier moderne
parce qu’il incarne une ouverture permanente à l’altérité et au doute
et qu’il ne cesse d’exploiter le génie populaire.
La critique littéraire anglo-saxonne considère plutôt que le roman
moderne nait au XVIIIe siècle, lors de l’avènement du réalisme, qui
s’incarne notamment dans les romans de Defoe. Moll Flanders et
Robinson Crusoe sont des romans englobants qui touchent à tous les
savoirs de l’époque, dans les différents domaines du quotidien.
D’autres, comme Kundera, et comme la majorité des critiques français
et allemands, prennent comme référence le XVIIe siècle et insistent
sur le rôle clé de Cervantès : son Don Quichotte est le premier héros
hanté par une quête de sens et qui se montre en proie au doute et à
la fragilité au point d’en devenir ridicule. Il est humain parce qu’il
erre et s’interroge : il inaugure ainsi à la fois une nouvelle conception
de l’écriture et un nouveau regard sur l’homme et sur son rapport à
l’univers, qui définit à la fois la Modernité et l’ère du roman. Kundera
définit ainsi le roman comme la « grande forme de la prose où l’auteur,
à travers des ego expérimentaux (personnages), examine jusqu’au bout
quelques grands thèmes de l’existence »32
Ces différentes conceptions de l’origine du roman ont chacune leur
pertinence, et elles se complètent plus qu’elles ne s’opposent. On
conclura avec Bakhtine que, par ses évolutions incessantes et sa
capacité d’accueillir toutes les formes d’écriture, le roman apparait
aujourd’hui comme un anti-genre, une sorte de laboratoire qui ne
cesse de se transformer en transgressant les règles33. Il apparait aussi
aujourd’hui comme le genre roi des temps modernes et comme l’avenir
de la littérature, car c’est lui, particulièrement dans ses manifestations
anglo-saxonnes et hispaniques, qui semble porter les germes de la
créativité la plus forte.

31 Dans Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.


32 L’art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 179.
33 Voir à ce propos les dernières pages de notre chapitre 4.

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Le texte narratif

5. La nouvelle

Pour clore cette section, nous n’évoquerons que brièvement le genre


de la nouvelle. Celui-ci est né à la Renaissance avec Le Décameron de
Boccace, un recueil de cent-une nouvelles qui servira longtemps de
canon du genre. Parmi les multiples tentatives de définir la nouvelle,
nous retiendrons celle de René Godenne34, qui la définit à l’aide de
quatre caractéristiques : il s’agit d’un récit (a) bref, (b) fondé sur un
sujet restreint, (c) rapide et resserré, dont la structure est très marquée
(entrée en matière immédiate, concentration de la matière anecdo-
tique sur un fait ou un instant, structuration nette de la chronologie,
temps fort vers lequel le récit tend : la sacro-sainte chute) ; et c’est
enfin un récit (d) conté, qui comporte souvent un « cachet » oral (en
référence aux premières productions du genre).
Michel Viegnes35 pour sa part a distingué cinq types de nouvelles :
la nouvelle histoire (la plus classique et la plus proche du roman), la
nouvelle portrait (qui dresse le portrait d’un personnage sans relater
d’anecdote : ce cas a été illustré notamment par des recueils de Paul
Morand), la nouvelle biographie (qui brosse également le portrait d’un
personnage, mais sur toute la durée de sa vie), la nouvelle instant
(qui raconte un instant sublime, un éblouissement) et la nouvelle
descriptive (pratiquée surtout par certains adeptes du nouveau
roman). À ces catégories, Viegnes ajoute trois variantes : la nouvelle
symbole (variante de la nouvelle descriptive, où un objet devient
symbole d’autre chose), la nouvelle dialogue (composée seulement
de dialogues, sans même de didascalies) et la nouvelle épistolaire (qui
s’est développée depuis le XVIIIe siècle).

C. Les mondes du récit


Après avoir envisagé les genres narratifs du point de vue des formes
et des modes d’énonciation qu’ils mobilisent, nous les considérons à
présent du point de vue de leurs contenus thématiques, des univers de
référence qu’ils mettent en scène. Nous nous intéresserons ainsi aux
récits réalistes, aux récits policiers, aux récits de l’étrange (merveilleux,

34 R. Godenne, La nouvelle, Paris, Champion, 1996.


35 M. Viegnes, L’esthétique de la nouvelle française au XXe siècle, Berne, Peter
Lang, 1989.

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Théorie de la littérature

fantastique, science-fiction) et aux récits de vie (biographie et


autobiographie).
On remarquera au passage que la distinction entre « mondes du
récit » et « formes narratives » est en partie poreuse : il est clair par
exemple que le mythe et l’épopée mettent en scène tant une certaine
conception du monde qu’une certaine manière de raconter.

1. Le récit réaliste

a. Deux sens au mot « réalisme »

Le terme « réalisme » désigne d’abord un courant littéraire qui est né


au XIXe siècle avec Stendhal et Balzac, qui avait pour ambition de
décrire le monde au plus près dans ses réalités sociales et matérielles
et a dominé une large part de la production romanesque jusqu’à
nos jours : ainsi, le prix Goncourt continue à récompenser chaque
année un roman relevant de cette esthétique, dont les frères Jules
et Edmond de Goncourt étaient des adeptes. Mais le réalisme, c’est
aussi un ensemble de procédés d’écriture qui cherchent à produire
une impression de réalité, une illusion référentielle. Ce réalisme-là
apparait dans la plupart des récits et n’est nullement l’apanage de
ceux qui relèvent du courant littéraire du même nom, mais il est
devenu fondateur d’un genre narratif, celui des « récits réalistes » qui
font une large place à ces procédés.

b. Le cahier des charges du projet réaliste

Philippe Hamon36 a défini avec précision ce qu’il appelle le « cahier


des charges » du projet réaliste. Il distingue quatre ensembles de
procédés.

La naturalisation (ou justification) de la narration

Il convient d’abord que le narrateur ne nuise pas par sa présence à la


crédibilité de l’histoire qu’il raconte. Pour ce faire, s’il est hétérodiégé-
tique, il veillera à justifier l’origine du récit (par exemple en affirmant

36 « Un discours contraint », in R. Barthes et al., Littérature et réalité, Paris,


Seuil, pp. 119-181.

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Le texte narratif

avoir reçu le récit d’un personnage digne de foi) ou au contraire à


occulter celle-ci en se faisant le plus transparent possible, en laissant
l’histoire « se raconter d’elle-même ». à l’inverse, dans les récits
homodiégétiques, le réalisme est lié à la vérité de la vision narrative
qui est livrée : l’effet de naturalisation tient au fait que le narrateur
apparait comme une personne authentique.

L’inscription dans l’espace-temps

Un deuxième ensemble de procédés réalistes consiste à ancrer le récit


dans un cadre spatio-temporel précis et vérifiable. Par exemple dans
Germinal de Zola (1885), on relève dès l’incipit de nombreuses indica-
tions spatio-temporelles communes au hors-texte, puis on constate
que le récit est inscrit dans l’Histoire à travers des personnages ou des
faits existants (allusions à Napoléon III et à des grèves minières qui
ont réellement agité le 3e Empire), qu’il est fait référence fréquemment
au passé des personnages, et que l’on recourt volontiers à des person-
nages ou à des scènes relevant du récit de vie : plus le récit comporte
d’éléments existant dans la vraie vie, plus il parait authentique.

La motivation de l’univers diégétique

Par ailleurs, pour que les éléments de l’intrigue paraissent réels, il


s’agit d’exclure tout élément extraordinaire, toute incohérence, toute
contradiction, même si elles se sont effectivement déroulées, car
comme le notait déjà Boileau, « le vrai peut quelquefois n’être pas
vraisemblable ».
Pour la même raison, tout personnage doit avoir des actions motivées,
et si ce n’est pas le cas, il faut qu’il s’agisse d’un fou. Les traits
descriptifs gagnent à être redondants, afin de produire un effet de
cohérence maximale. Quant aux noms des personnages, ils doivent
être conformes à ceux de leur région ou de leur groupe social et pas
trop symboliques (Candide est un contre-exemple parfait).
De même, des personnages et des scènes récurrents naturalisent l’his-
toire parce que les répétitions sont censées faire partie de la réalité. En
revanche, le rôle du héros ne peut pas être trop important, la diversifi-
cation des personnages étant davantage conforme à la vraisemblance.
Germinal est un peu en infraction à cet égard, dans la mesure où
Étienne Lantier y apparait comme un véritable héros qui mène les
mineurs durant tout le récit.

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Théorie de la littérature

Enfin, dans un récit réaliste, les descriptions se font sans complaisance,


elles présentent les choses telles qu’on les trouve dans la vie. Barthes
a ainsi appelé « effet de réel » la mention d’un détail apparemment
anodin et sans utilité narrative, mais qui suggère, par sa gratuité même,
son appartenance à la réalité.

La surdétermination réaliste

La surdétermination, ou le souci didactique, est également un facteur


important du réalisme. Elle repose sur des éléments qui précisent encore
davantage l’ancrage référentiel du propos : ce sont des images, des
plans, des illustrations, des diagrammes, des arbres généalogiques…
L’utilisation du jargon du milieu que l’on décrit contribue également
à cet effet. Le souci didactique est particulièrement présent dans les
préfaces, postfaces et biographies écrites par l’auteur. Le récit est alors
assimilé à une somme de savoir, ce qui renforce l’illusion référentielle :
ce qu’on y apprend apparait comme utile pour la vie quotidienne. La
surdétermination passe aussi par des inventaires, des classements, des
détails. Enfin, certains personnages sont utilisés comme des garants
du sérieux de la narration : c’est le cas des scientifiques, des « sages »,
etc. qui relaient indirectement le travail du narrateur.

2. Les récits policiers

Variantes diachroniques et synchroniques

Le récit policier relève pour une large part du récit réaliste, auquel
il emprunte la plupart de ses procédés. Ce genre de récit, qui a pour
thème central la tension produite par un ou plusieurs meurtres qui
ont eu lieu ou sont sur le point de se dérouler, n’atteint en effet sa
pleine efficacité que s’il permet à son lecteur d’y croire, en favorisant
le jeu de l’illusion référentielle. Pour autant, le « polar » est loin de
constituer un genre unique. Il n’existe pas un récit policier, mais
plusieurs catégories de récits qui participent au genre policier.
Le récit d’énigme criminelle « ludique » est le plus emblématique du
genre. Le lecteur y est confronté à une énigme puis à une enquête,
menée par un héros exceptionnellement subtil (le chevalier Dupin,
Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Miss Marple, Rouletabille…) au fil
de laquelle lui sont livrés tous les indices nécessaires pour trouver le
coupable. Les romans d’Arthur Conan Doyle, d’Agatha Christie et de

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Le texte narratif

Gaston Leroux sont les plus célèbres de ce « sous-genre » qui a été


inauguré par la nouvelle d’Edgard Alan Poe Double assassinat dans
la rue Morgue.
D’autres auteurs ont traité le thème du crime en privilégiant les aspects
psychologiques et sociologiques. Simenon est le plus célèbre repré-
sentant de ces récits d’investigation et de moeurs : son personnage
principal, le commissaire Maigret, est un personnage subtil, en proie
aux doutes et aux émotions, et qui s’intéresse avant tout au cadre de
vie et aux motivations du coupable, qu’il se soucie relativement peu
de mettre sous les verrous. Plus récemment, les commissaires Adam
Dalgliesh et Jean-Baptiste Adamsberg, héros des romans de l’Anglaise
P. D. James et de la Française Fred Vargas apparaissent comme de
lointains cousins de Maigret. Le réalisme des faits et la crédibilité
des personnages sont ici beaucoup plus forts que dans la première
catégorie, où le crime apparait le plus souvent comme un acte d’un
machiavélisme invraisemblable et l’enquête comme un jeu de piste
mettant en scène des adversaires exceptionnels.
Dans le roman noir, qui s’est développé dans l’Amérique des années
1930-1940, les héros sont généralement des enquêteurs désabusés et
l’histoire, qui est parfois relatée du point de vue du criminel, montre
comment celui-ci évoluera jusqu’au crime. Les exemples les plus
célèbres sont ceux de Philip Marlowe (héros du roman de Raymond
Chandler, Le grand sommeil) et de Sam Spade (héros du roman de
Dashiell Hammett, Le faucon de Malte). J’irai cracher sur vos tombes
de Boris Vian, dont le « héros » est un sérial killer pédophile, peut
aussi être classé dans cette catégorie.
Dans le roman à suspense, ou thriller, genre illustré aujourd’hui par des
auteurs comme Patricia Highsmith, Ruth Rendell, Mary Higgins Clark,
Harlan Coben, Douglas Kennedy ou Guillaume Musso (ou encore
par de nombreux films, comme Le silence des agneaux), l’important
réside moins dans une énigme criminelle que dans l’effet de suspense.
Ici, même si un ou plusieurs crimes sont parfois commis au départ,
c’est surtout la peur d’un (autre) crime qui tient le lecteur en haleine
jusqu’au dernier moment. L’accent est donc mis sur l’aspect psycholo-
gique, ce qui rapproche ce type de récit du récit d’épouvante. L’illusion
référentielle joue un rôle clé, car pour que le suspense fonctionne, il
faut croire à l’histoire.
Le genre policier est aussi volontiers pratiqué par des auteurs habitués
à d’autres genres, qui se plaisent à explorer les ressorts psychologiques
et moraux de l’acte criminel, voire ses implications d’ordre existentiel

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Théorie de la littérature

ou spirituel. Dostoïevski (avec Crime et châtiment), Bernanos (avec Un


crime), Graham Greene (avec Le troisième homme) ont ainsi écrit des
romans d’investigation qu’on peut qualifier de « métaphysiques ».
Genre polymorphe, le roman policier peut rassembler dans un même
récit des composantes de ses différents sous-genres. Ainsi, la trilogie
Millénium de Stieg Larsson (2006) apparait à la fois comme un récit
d’énigme (dans le premier tome, il s’agit de résoudre un crime vieux
de près de quarante ans), comme un récit sociologique (on y apprend
énormément sur les milieux du journalisme et de la finance) et comme
un thriller (les héros, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander sont aux
prises avec des tueurs psychopathes).

Contraintes et ouvertures du genre

Comme l’a démontré M. Lits37, le récit policier – lorsqu’il est fondé


sur une énigme criminelle – peut être défini par quatre traits corres-
pondant aux composantes du titre de la nouvelle fondatrice de Poe
Double assassinat à la rue Morgue.
Double : ce récit a une structure duelle dans la mesure où il relate au
présent une enquête relative à un crime qui s’est produit dans le passé,
mais dont le scénario n’est révélé que peu à peu. Le récit d’énigme
policière entrelace donc toujours deux niveaux diégétiques, dont l’un
(l’histoire de l’enquête) suit une logique éminemment stéréotypée
et prévisible, tandis que l’autre (l’histoire du crime) est forcément
surprenant.
Assassinat : le crime – qu’il soit déjà commis ou redouté – est la
thématique clé qui différencie le « polar » des autres récits. Il est la
matrice qui permet de déployer toute la stéréotypie et l’appareillage
narratif liés à l’enquête policière : interrogatoires, témoignages,
indices, suspicions, accusations, révélations, aveux, etc.
Dans la rue : la dimension sociologique prend de plus en plus d’impor-
tance dans les romans policiers et s’exprime par une place croissante
des caractérisations d’ordre spatiotemporel, des descriptions, des
portraits, des exposés de type scientifique, juridique, technique, etc.
Morgue : il en va de même des dimensions symboliques et fantas-
matiques : comme les noms des lieux, ceux des personnages sont

37 M. Lits, Le roman policier : introduction à la théorie et à l’histoire d’un


genre littéraire, Liège, CÉFAL, 1993, pp. 75-88.

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Le texte narratif

souvent significatifs, et quoi qu’il en soit, les connotations renvoyant à


l’univers du crime et de la mort sont surabondantes.
Le développement croissant du roman policier tant dans la littérature
qu’au cinéma ou dans la bande dessinée, le caractère éminemment
contemporain de ses thématiques et son ancrage important dans
l’imaginaire collectif ont permis à Jacques Dubois de suggérer qu’il
s’agissait là d’un genre emblématique de la modernité38.
Pierre Bayard a souligné pour sa part le caractère paradoxal des
romans d’énigme criminelle : leur structure semble a priori fermée
par la révélation finale qui résout l’énigme, et pourtant, il ne dépend
que du lecteur de poursuivre son travail interprétatif, voire l’enquête
policière elle-même, au-delà de celle qui est prétendument bouclée
par le héros du livre. Bayard montre ainsi que, dans Le meurtre de
Roger Ackroyd d’Agatha Christie, rien n’oblige de prendre pour argent
comptant l’explication que le narrateur donne du crime en s’accusant
de l’avoir commis39.

3. Les récits de l’étrange

Trois genres distincts

Nous envisageons sous l’étiquette commune de « récits de l’étrange »


les récits qui ont en commun de se référer à une réalité différente de
celle dont le lecteur peut faire l’expérience quotidiennement. Les trois
genres rassemblés dans cette catégorie se distinguent entre eux par
leur rapport à l’espace et au temps.
Le merveilleux se situe dans un passé indéterminé, celui de l’uchronie
(temps du « il était une fois »), et il met en scène un monde irréel
homogène, où tout – les personnages (fées, ogres, elfes…) comme les
lieux – est de l’ordre de l’imaginaire : le lecteur sait qu’il est plongé
dans un « autre monde » du début à la fin.
Le fantastique, pour sa part, se déroule dans un passé précis ou au
présent, le plus souvent celui du narrateur qui nous relate sa propre
expérience. Le récit semble d’abord relever du réalisme, mais il sera

38 J. Dubois, Le roman policier ou la modernité, Paris, Nathan, 1992 (Le texte


à l’œuvre).
39 P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ?, Paris, Minuit, 1998 (Paradoxes).

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Théorie de la littérature

court-circuité par la manifestation d’un phénomène apparemment


surnaturel (apparition, fantôme, faits inexplicables), dont la réalité
restera le plus souvent incertaine. Le lecteur est dès lors soumis ici à un
mélange incessant entre le réel et l’irréel, à une oscillation constante
entre le monde du vraisemblable et celui des «  phénomènes  » qui
suscitent la peur. Plus précisément, pour Todorov40, le fantastique
« exige que trois conditions soient remplies » :
« D’abord, il faut que le texte oblige le lecteur à considérer le monde
des personnages comme un monde de personnes vivantes et à hésiter
entre une explication naturelle et une explication surnaturelle des
événements évoqués.
Ensuite, cette hésitation peut être ressentie également par un
personnage ; ainsi le rôle de lecteur est pour ainsi dire confié à un
personnage et dans le même temps l’hésitation se trouve représentée,
elle devient un des thèmes de l’œuvre ; dans le cas d’une lecture
naïve, le lecteur réel s’identifie avec le personnage.
Enfin il importe que le lecteur adopte une certaine attitude à l’égard
du texte : il refusera aussi bien l’interprétation allégorique que l’inter-
prétation “poétique” »41.
Quant à la science-fiction, elle se situe clairement dans l’avenir, mais
un avenir daté et qui ne relève pas du surnaturel. Elle ne présente pas
de mélange réel/irréel, mais nous plonge dans un monde qui apparait
comme le résultat possible de certaines évolutions technologiques
(progrès scientifiques, robots…), sociales ou politiques. L’inquiétude
ne provient plus des phénomènes surnaturels, mais des transforma-
tions de la science et de la société elles-mêmes.
à côté des trois genres précités, on peut en distinguer un quatrième, la
fantasy, illustré notamment par Le Seigneur des Anneaux (1954-1955)
de Tolkien, et qui se présente comme une variante du merveilleux :
comme dans ce genre, on est plongé dans un univers imaginaire, mais
celui-ci est dominé par les valeurs et les thèmes de l’épopée.

40 Tz. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970


(Points, 73). Cette approche du fantastique a été nuancée par d’autres
auteurs : cf. notamment I. Bessière, Le récit fantastique. La poétique de
l’incertain, Paris, Larousse, 1974 (Thèmes et textes) et J. Malrieu, Le
fantastique, Paris, Hachette, 1992 (Contours littéraires).
41 Op. cit., p. 38.

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Le texte narratif

Le récit de science-fiction

Attardons-nous quelque peu sur le cas de la science-fiction. Il s’agit


d’un genre mal famé, que certains critiques hésitent à considérer
comme littéraire parce qu’il trouve son origine davantage dans la litté-
rature de jeunesse, dans le cinéma (Batman, Superman...) et dans la
BD que dans la littérature proprement dite. Qui plus est, on reproche
à la « SF » le caractère stéréotypé de ses personnages et l’alliage, jugé
peu sérieux, entre la science et la fiction.
Pourtant, la science-fiction s’est illustrée par de grands textes, et c’est un
genre protéiforme. Tout en y associant, de manière discutable, l’heroic
fantasy, Karl Canvat42 y distingue quatre sous-genres, susceptibles de
différentes combinaisons : (a) le space opera, où la technologie et les
combats intergalactiques sont mis au premier plan (exemple type : le
film de George Lucas La Guerre des étoiles, 1977), (b) la hard-science,
où le souci de plausibilité est plus grand : les récits, projetés moins
loin dans le temps, explorent de possibles évolutions de la science
(exemple type : le film de Stanley Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace,
inspiré de deux nouvelles d’Arthur C. Clarke : on y voit un ordinateur se
rebeller et prendre le pouvoir), (c) la politic fiction, qui explore l’hypo-
thèse d’un monde dominé par des individus exploitant les ressources
technologiques à des fins totalitaires (exemple types : 1984 de George
Orwell, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Fahrenheit 451 de
Ray Bradbury) et (d) la speculative fiction, qui envisage l’évolution
de certains phénomènes de société comme les médias, la publicité
ou l’urbanisme (exemple type : la série de BD Les cités obscures de
Schuiten et Peeters, où l’on voit l’identité des individus mise en péril
par l’évolution des villes et de leur gestion).
Malgré ses multiples variantes, la science-fiction se caractérise par des
thématiques récurrentes qui relèvent de la stéréotypie (voyage dans
l’espace et dans le temps, fin du monde, mutants, extra-terrestres…),
mais à travers des variations sur des thèmes connus, elle pose des
questions graves qui touchent à l’identité, à l’écologie, à la gestion du
monde.
Enfin, ce genre est aussi le lieu d’un travail sur la langue, où la création
de mondes neufs va de pair avec diverses sortes de transgressions
langagières et de créations verbales, comme la novlangue imaginée
par Orwell dans 1984. Dès lors, si l’on s’accorde à définir la littérature

42 K. Canvat, La science-fiction. Vadémécum du professeur de français,


Bruxelles, Didier Hatier, 1991 (Séquences).

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Théorie de la littérature

notamment comme une exploration de possibles par les moyens de


l’écriture, la science-fiction apparait comme emblématique de la litté-
rature tout entière.

4. Les récits de vie


L’étiquette « récits de vie » sert à regrouper deux genres apparemment
semblables, et pourtant distincts par leur contenu comme par leur
forme, la biographie et l’autobiographie.

Origines 

La biographie s’est illustrée dès l’Antiquité à travers les ouvrages de


Suétone (les Vies des douze Césars), de Plutarque (Vies parallèles des
hommes illustres) et de Diogène Laërce (Vies, doctrines et sentences
des philosophes illustres). Ces récits, qui ont eu un succès considé-
rable, exerçaient un rôle clé dans l’éducation morale et politique des
citoyens. Au Moyen âge, cette fonction a été relayée par les vies de
saints ou hagiographies, comme la Vie de Saint Alexis ou la Cantilène
de sainte Eulalie, qui sont des textes fondateurs de la littérature
française. Le genre biographique connait ensuite une certaine stabilité,
sauf que les personnages sont de moins en moins des monarques ou
des saints, et de plus en plus des artistes et des savants. Cette évolution
illustre bien celle d’une société où les valeurs collectives (politiques
ou religieuses) décroissent au profit de l’affirmation des individus.
L’origine de l’autobiographie est plus proche dans le temps, car on n’en
retrouve pas avant le IVe siècle de notre ère. Au Moyen Âge, un certain
nombre de textes y ressemblent, mais les Confessions (397-398) de
Saint Augustin ne sont pas une autobiographie au sens strict, car elles
ont aussi un but édifiant. Au XVIe siècle, on relève les écrits de Sainte
Thérèse d’Avila et les essais de Montaigne, qui constituent en partie
des autoportraits. Le genre explose vers la fin du XVIIIe siècle, quand
paraissent à peu près au même moment (signe de l’évolution de la
conscience occidentale) : en France, Les Confessions de Rousseau,
aux états-Unis, l’Autobiographie de Benjamin Franklin, en Grande-
Bretagne, celle d’Edouard Gibbon, en Italie, celle de Casanova (écrite
à la fin du XVIIIe siècle et publiée dans les années 1820).

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Le texte narratif

Aujourd’hui

Plus de deux cents ans après son émergence, l’autobiographie s’est


particulièrement développée depuis la fin des années 1970. Ce genre
de récits connait un succès mondial sans précédent. C’est étonnant,
car même le roman policier qui est le genre le plus populaire, se
retrouve concurrencé par les récits de vie. Cette efflorescence va de
pair avec une diversité des modes d’écriture : on voit ainsi se côtoyer
des autobiographies modernes et subversive écrites par des auteurs
qui avaient prétendu ne jamais parler d’eux-mêmes comme Nathalie
Sarraute (dans Enfance) ou Alain Robbe-Grillet (dans Le miroir qui
revient), des récits du terroir, récits enregistrés sur le terrain auprès
de personnes témoins d’une tradition, d’un fait historique particulier
(exemples : Mémé Santerre ou Toinou, le cri d’un enfant auvergnat),
ou encore des ouvrages de témoignages écrits par des vedettes du
sport ou des médias ou des personnalités politiques. Le récit de vie est
donc le lieu d’une diversité extrême et d’une évolution considérable :
il suffit pour s’en convaincre de comparer les biographies de Suetone
à celles des chanteurs d’aujourd’hui.
Quand on parle de la diversité du genre, il faut parler aussi des genres
connexes à la biographie et à l’autobiographie. On distingue alors
les récits psychanalytiques, où l’auteur raconte sa vie au départ d’une
psychanalyse (exemples : Les mots pour le dire de Marie Cardinal, La
déchirure de Henry Bauchau), les autobiographies partielles : raconter
quelques années de sa vie (exemple : L’Amant de Marguerite Duras),
les autobiographies en vers (exemple : Le roman inachevé d’Aragon),
les journaux intimes : raconter au jour le jour (exemple : le Journal
d’Anne Frank), les mémoires, où l’auteur témoigne de faits historiques
qu’il a vécus, les autobiographies simulées, où l’on raconte sa vie à
travers celle d’un autre (exemples : La vie d’Alice Toklas a été écrite
par Gertrude Stein, qui a pris la plume à la première personne à la
place de son amie Alice, ou Au nom de tous les miens, qui est écrit
au nom de Martin Gray par Max Gallo), les chroniques, récits journa-
listiques où l’auteur peut parler de lui, les romans autobiographiques
(comme à la recherche du temps perdu, où le narrateur s’appelle
Marcel et les récits ressemblent à la vie de Marcel Proust), les confi-
dences épistolaires (comme la « Lettre au Père », où Kafka raconte
les difficultés qu’il a eu à émerger comme adulte), les autoportraits
où l’auteur se décrit (exemple : Autoportrait au radiateur de Christian
Bobin), ou encore les autofictions, qui se sont développées surtout en
France et aux USA : ces récits adoptent les formes de l’autobiographie,

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Théorie de la littérature

mais l’auteur ne se prive pas d’y mêler des éléments de fiction pour
piéger le lecteur. Ainsi, dans Le portrait du joueur de Philippe Sollers,
le narrateur-héros s’appelle Philippe Sollers comme l’auteur (le pacte
est donc feint), mais il explique que son véritable nom est Philippe
Diamant… Or, à l’état civil, le vrai nom de Sollers est Philippe Joyaux :
la fiction se mêle donc à la réalité.

Définitions

La biographie se définit comme un récit chronologique, linéaire,


qui vise à la complétude et s’astreint à une certaine exactitude et au
sérieux ; à ce titre, elle relève davantage du discours scientifique et
historique que du discours littéraire. A contrario, le récit que fait Jean-
Edern Hallier de la vie de Charles de Foucauld dans L’évangile du fou
(1988) n’est pas une véritable biographie, car l’auteur y raconte sa
propre vie autant que celle de son héros, et son propos dominant est
manifestement romanesque.
L’autobiographie pour sa part a été définie par Philippe Lejeune, auteur
d’une série d’essais consacrés à ce genre, dont l’un, publié en 1975,
s’intitulait Le pacte autobiographique. Pour lui, une autobiographie est
un récit rétrospectif (qui relate des évènements passés, à la différence
du journal intime, où le récit est simultané), écrit en prose, qu’une
personne réelle fait de sa propre existence (ce qui oppose l’autobio-
graphie au roman à la première personne) lorsqu’elle met l’accent sur
sa vie individuelle (plus que sur les expériences historiques, qui sont
l’objet des mémoires) et sur sa personnalité intime (plutôt que sur les
évènements extérieurs).
Lejeune insiste par ailleurs sur l’importance du pacte autobiogra-
phique, ce contrat explicite par lequel dès les premières pages du
livre, l’auteur introduit une coïncidence entre lui-même, le narrateur
et le personnage principal de l’histoire : ce pacte est propre à l’auto-
biographie, mais il arrive qu’il soit implicite.
En outre, par opposition à la biographie, l’autobiographie se définit
comme un genre subjectif, où c’est le « je » qui prime. Du coup, les
évènements font l’objet d’une sélection qui n’est plus soumise à la
rigueur scientifique et objective. L’auteur mélange la vérité et son
travestissement ou sa recomposition. Il mêle aussi le témoignage à
la littérature, dont une des fonctions est justement de composer avec
le réel, d’utiliser des référents connus pour réinventer un réel. À

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Le texte narratif

cet égard, l’autobiographie relève davantage de la littérature que la


biographie.
Notons encore que ces récits sont des récits à thèse, qui visent à
présenter la vie comme un destin. Il est donc important de faire en
sorte que la fin de ce destin soit l’objet d’une tension sur laquelle tout
va converger : le récit se fait téléologique.
En raison du caractère récurrent de sa structure, le récit de vie a fait
l’objet de schémas narratifs similaires à celui du conte. Ainsi le Groupe µ
a montré que les « biographies de Paris Match »43 présentaient toutes
la même structure : tout débute par l’exposé des origines du héros, se
poursuit par le récit d’une vocation ou d’une convocation (exemple :
Johnny Stark dit à Mireille Mathieu : « tu deviendras Edith Piaf »), puis
par l’accomplissement d’une série d’exploits ou « noyaux répétitifs »
(exemple : la première rentrée à l’école relatée par Alphonse Daudet
dans Le petit chose), qui débouchent sur la réussite, puis sur l’usage
qui est fait de celle-ci. Ces stéréotypes narratifs sont subordonnés à
des stéréotypes idéologiques qui leur donnent une visée démons-
trative – par exemple, dans son récit Mes écoles (1977), édouard Bled,
inspecteur de l’enseignement secondaire, démontre que l’école est
la plus belle chose du monde –, et ils sont souvent accompagnés de
stéréotypes langagiers qui enjolivent le récit en le métaphorisant et en
le littérarisant.

Fonctions et effets des récits de vie

Du point de vue de l’auteur, ces récits permettent à la fois de se forger


une identité, de se composer un visage, d’établir de la cohérence dans
sa propre vie, d’exorciser la mort (désir d’arrêter le temps en faisant de
sa vie une œuvre d’art), voire parfois de se confesser, mais aussi tout
simplement de se souvenir (plaisir narcissique largement partagé).
Du point de vue du lecteur, l’intérêt pour ces récits rejoint un besoin
fondamental : celui de se projeter dans l’existence d’un autre, de se
grandir en vivant une vie par procuration. Cette expérience est possible
aussi à travers le roman, mais elle est vécue avec plus d’intensité
quand le récit est authentique. à ces effets classiques s’ajoutent des

43 « Les biographies de Paris Match », in Communications, 16, 1970,


pp. 110-124.

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Théorie de la littérature

plaisirs « impurs » qu’a relevés Guy Scarpetta44 : lire un texte intime


relève à certains égards du voyeurisme (on entre par effraction dans la
vie d’autrui), du picorage (alors qu’on se sent obligé de lire les romans
du début à la fin, on peut lire un récit de vie par fragments sans avoir
le sentiment de trahir) et du fétichisme (il est tentant de sacraliser le
récit de vie des êtres qu’on admire).
Enfin, le gout pour les récits de vie témoigne aussi d’un certain retour
aux valeurs sûres après la « crise des avant-gardes » des années 1970 :
s’intéresser aux vies réelles, c’est sacrifier au mythe de la vérité, au
besoin de toucher « du concret ». Rappelons cependant qu’il s’agit là
d’un fantasme puisque ces récits sont toujours peu ou prou orientés,
composés et mêlés d’imaginaire.

Voilà qui termine ce long chapitre consacré à l’analyse du récit. On


notera pour conclure que bien d’autres genres et sous-genres narratifs
auraient pu être traités ici, comme le roman d’aventure, le roman
historique, le roman sentimental, le récit comique… Le propos de
ce chapitre n’était cependant pas d’être exhaustif : il était seulement
de poser quelques jalons qui permettront au lecteur de s’essayer
lui-même à l’analyse des récits.

44 G. Scarpetta, L’impureté, Paris, Grasset, 1985 (Figures), pp. 289-291.

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Chapitre 7

De l’analyse des textes à l’analyse


de leur lecture

Maintenant que nous savons dans quel cadre théorique et à l’aide


de quels savoirs – notamment génériques – la lecture de la littérature
peut être pensée, il reste à se pencher de plus près sur les opérations
qui constituent cette activité. Pour ce faire, nous étudierons tour à
tour ce qui nous apparait comme les trois composantes essentielles de
toute lecture1 : la composante sémiotique (c’est-à-dire la construction
du sens), la composante psychoaffective (c’est-à-dire la modalisation
du sens) et la composante axiologique (c’est-à-dire l’évaluation du
texte).

A. Les étapes de la construction du sens


Lire, c’est, bien entendu, d’abord comprendre un texte. Mais qu’est-ce
que la compréhension ? Comme on vient de le voir, ce n’est pas
recevoir passivement du sens déjà-là ; c’est bien plutôt construire du
sens à l’aide du texte et des codes dont on dispose. Du point de vue
logique, toute construction de sens suppose quatre phases ou niveaux
d’opérations. Nous les décrirons ici à l’œuvre dans la lecture d’un
texte particulier, le célèbre « Pont Mirabeau » d’Apollinaire.
Le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

1 Pour tout ce qui va suivre, nous renvoyons le lecteur désireux d’en savoir
plus à V. Jouve, La lecture, op. cit., et à J.-L. Dufays, Stéréotype et lecture,
op. cit.

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Théorie de la littérature

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face


Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante


L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines


Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

1. L’orientation préalable
Toute lecture commence par une phase de pré-réception où le lecteur
se prépare à lire en mobilisant dans ses affects et sa mémoire des désirs
et des codes présupposés qui permettent d’emblée d’accorder au texte
sens et valeur. Cette lecture d’avant la lecture comporte elle-même
deux aspects, l’un axiologique et affectif, que nous appellerons la
finalisation, l’autre sémiotique et cognitif, que nous appellerons le
précadrage.

a. La finalisation

Côté valeurs, tout lecteur commence, consciemment ou non, par


orienter le texte en fonction de ses attentes, des intérêts qui sont les
siens. Cette première opération qui dépend de la personnalité et des
gouts de chacun explique pourquoi un même texte peut être lu selon

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

des modalités totalement différentes. On ne lit pas le même « Pont


Mirabeau » selon qu’on est amateur de confidences lyriques ou adepte
de discours rationnels, passionné de poésie moderne ou amoureux de
formes classiques, etc.

b. Les précadrages

À la finalisation se superpose la plupart du temps la projection


préalable sur le texte des significations et des valeurs que l’on suppose
lui appartenir. Cette seconde opération a lieu chaque fois qu’on sait
ou croit savoir quelque chose du texte avant de le lire. Le bouche à
oreille, la lecture des critiques ou tout simplement la lecture d’autres
œuvres du même auteur permet bien souvent d’aborder le texte en
ayant à l’esprit une idée de la personnalité de l’auteur, des contenus
et des formes qui lui sont chers, mais aussi du type, du genre et du
courant esthétique auxquels le texte appartient.
Selon les cas, le précadrage se fera psycho-biographique, co-textuel,
typo-générique ou historique2. Par exemple, certains lecteurs du « Pont
Mirabeau » mobiliseront d’emblée dans leur mémoire 1° l’image
d’Apollinaire, le « mal aimé », le précurseur du surréalisme, l’ami
de Picasso et de Braque, 2° la connaissance d’autres textes d’Apol-
linaire, et notamment de « Zone » qui précède immédiatement
« Le pont Mirabeau » au début du recueil Alcools, 3° les notions de
« poésie lyrique » et de « poème rimé, en vers réguliers », 4° la notion
d’« esprit nouveau » lié au début du XXe siècle et servant de transition
entre le symbolisme et le surréalisme. Mais pour l’élève en situation
de lecture scolaire, le texte est peut-être le premier par lequel il entre
en contact avec l’auteur et les connaissances préalables à son propos
sont beaucoup plus limitées. L’élève-lecteur entame souvent sa lecture
dans un état de quasi-virginité, ce qui constitue à la fois une force (car
le texte est d’abord lu pour ce qu’il est) et une difficulté (car l’absence
de point d’appui expose à produire des hypothèses maladroites ou
naïves).
À ces divers niveaux de présuppositions doit s’en ajouter un autre,
particulièrement prégnant dans le contexte scolaire : celui des signi-
fications qui sont liées au contexte institutionnel dans lequel le
texte est donné à lire, et qui amènent par exemple à recevoir « Le

2 Pour plus de précisions sur ces questions, voir l’ouvrage de D. Maingueneau,


Le contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993.

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Théorie de la littérature

pont Mirabeau » comme l’expression du choix d’un professeur et/


ou comme une matière qu’il faudra étudier pour réussir, c’est-à-dire
comme le pré-texte d’une compétence à exercer, d’un devoir à faire.
La prise en compte de ces diverses influences qui pèsent sur la lecture
parait particulièrement importante du point de vue didactique : s’il
veut comprendre les lectures réelles de ses élèves et favoriser chez eux
une lecture riche, attentive à la diversité des possibles, l’enseignant a
tout avantage à leur faire expliciter et exploiter les précadrages et les
attentes dont ils investissent d’emblée le texte.

2. La compréhension locale

a. La sémiotisation ou la reconnaissance des mots

Commence alors la lecture proprement dite, qui consiste bien entendu


d’abord dans le balayage visuel de l’objet à lire. D’emblée, ce balayage
est aussi orienté par des habitus qui résultent de la connaissance du
langage écrit ; sitôt capté par le regard, le texte dans son ensemble et
ses diverses portions sont directement sémiotisés, perçus comme plus
ou moins « lisibles », c’est-à-dire reconnaissables. Ainsi, un lecteur
ignorant le chinois ou le slave peut immédiatement constater qu’il est
incapable de donner sens à un texte écrit en ces langues. En revanche,
un simple regard sur « Le pont Mirabeau » permet à la plupart des
lecteurs francophones de voir là un texte écrit en français moderne
dans un vocabulaire courant mais privé des adjuvants sémantiques
que sont les signes de ponctuation et comportant un terme et un
référent qui relèvent d’une culture plus spécialisée : tout le monde
ne sait pas ce que signifie le mot « onde » du vers 10 et à quel lieu
renvoie le référent « pont Mirabeau ».

b. La construction du sens des phrases. Ambigüités et incertitudes

Mais lire ne se limite pas à reconnaitre des signes isolés. Pour que le
texte puisse prendre sens, il faut nécessairement qu’on y reconnaisse
des structures sémantiques Cette reconnaissance joue toujours sur
plusieurs tableaux à la fois : tout ce qui est lu est aussitôt situé dans le
micro-contexte de la proposition (ou, si l’on préfère, de la « phrase »,
au sens logique du terme), dans les contextes intermédiaires que sont

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

les fonctions narratives et les configurations thématiques ou idéolo-


giques, et dans le macro-contexte du texte global.
Les propositions brèves (ou phrases) sont les premières unités dont
on est amené à construire le sens : si les mots n’ont besoin que d’être
reconnus, les combinaisons qu’ils constituent, qui sont le plus souvent
inédites, ont besoin d’être intégrées dans des schémas syntaxiques
conventionnels pour pouvoir former aux yeux du lecteur des unités
signifiantes. En revanche, toute anomalie par rapport à ces schémas
de la syntaxe, comme on en observe constamment chez Mallarmé, est
perçue comme un indice d’illisibilité.
Dans le cas du « Pont Mirabeau », l’identification sémantique des
phrases fait problème étant donné l’absence de ponctuation et le
caractère inhabituel, archaïsant, de certaines constructions (Faut-il qu’il
m’en souvienne, Vienne la nuit, sonne l’heure). Le lecteur éprouve des
difficultés à segmenter le texte en phrases, ce qui l’oblige d’emblée
à admettre la polysémie de certaines sections. Ainsi, à première vue,
le deuxième vers est rattaché au premier (« Et nos amours » parait
coordonné à « la Seine »), mais cette hypothèse est contredite par le
fait que le verbe « coule » est au singulier. Il faut dès lors supposer
que le second vers forme plutôt une sorte de phrase avec le troisième
(« Et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne ») ou bien a une valeur
interrogative (« Et nos amours ? »), mais cela ne supprime pas l’image
première des amours s’écoulant sous le pont comme la Seine (laquelle
est d’ailleurs confirmée au vers 13 : « L’amour s’en va comme cette
eau courante »).
De même, comment interpréter le double subjonctif « Vienne la nuit,
sonne l’heure » du refrain ? Trois sens paraissent possibles : un sens
optatif (« Vivement que vienne la nuit... »), un sens temporel (« À
mesure que vient la nuit... ») et un sens concessif (« Bien que la nuit
vienne... »)3. La même ambivalence prévaut à propos du vers 19 bâti
sur le même modèle syntaxique.
Ces exemples montrent combien la construction du sens des phrases
est parfois loin d’être automatique. Dès ce niveau, des énigmes et des
ambiguïtés peuvent apparaitre et solliciter l’habileté et la culture du
lecteur. C’est particulièrement le cas dans les textes poétiques, dont

3 À ce propos, voir l’analyse du « Pont Mirabeau » proposée par A. Couprie


dans Du symbolisme au surréalisme. 10 poèmes expliqués, Paris, Hatier,
1985 (Profil littérature, 92), pp. 45-53.

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Théorie de la littérature

l’une des spécificités est précisément l’exploitation des ressources de


la polysémie langagière.

c. Sens grammatical et sens symbolique

À la nécessité d’affronter la polysémie des mots et des phrases s’ajoute


celle de saisir directement le sens « profond » (ou « second » ou encore
« symbolique ») des phrases qui sont décodées : ce qui a été compris
grammaticalement (ou littéralement) doit aussitôt être interprété (ou
« exemplifié »4) par rapport au reste du texte (le co-texte). Dans « Le
pont Mirabeau », l’image concrète de l’écoulement de la Seine peut
ainsi être interprétée assez aisément comme la figuration d’une réalité
plus abstraite, de nature à la fois philosophique et sentimentale (la
fuite du temps, l’épuisement de l’amour).
Dans d’autres textes, le sens symbolique de certains termes concrets
fera davantage problème : il est par exemple assez malaisé a priori
d’interpréter la succession de termes et d’images à laquelle on assiste
dans la troisième strophe du poème de Nerval « El desdichado » :
Suis-je Amour ou Phébus ? Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J’ai nagé dans la grotte où rêve la sirène.
Ce n’est que si l’on connait d’autres textes de Nerval et/ou que l’on
dispose d’un bon dictionnaire des noms propres que ces différents
termes peuvent acquérir un début de signification.

d. La lecture « poétique »

Qu’elles soient lexicales, référentielles, syntaxiques ou symboliques,


les incertitudes potentielles ne manquent donc pas dès le stade de
la première lecture. Certains critiques voient dans les divers « lieux
d’incertitude » qui viennent d’être évoqués les stimuli d’une « lecture
poétique », dont le propre serait de relever et d’exploiter au maximum
les ambiguïtés et les énigmes latentes du texte5. D’autres considèrent
qu’une « bonne » lecture consiste d’abord à essayer de faire signifier

4 G. Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991 (Poétique).


5 H.-R. Jauss, Pour une herméneutique littéraire, pp. 357-369 ; voir aussi
les « lectures » développées par J. Derrida, P. de Man et les autres tenants
de la « déconstruction ».

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

le texte dans sa globalité6. L’opposition entre ces deux points de vue


correspond au clivage philosophique entre la « lecture rationalisante »
et la « déconstruction ». La première attitude met l’accent sur les
limites que chaque texte impose à l’interprétation et sur la nécessité
pour le lecteur de se soumettre autant que faire se peut aux règles du
sens commun ; la seconde perspective, qui n’est pas sans rappeler la
lecture midrachique7, insiste au contraire sur le caractère inépuisable
des textes et sur la liberté dont dispose le lecteur pour exploiter cette
richesse potentielle. À vrai dire, ces deux attitudes n’ont rien d’incom-
patible : il nous semble qu’en classe, on aurait tout intérêt à inviter
les élèves à les combiner, en soulignant leurs enjeux respectifs : d’un
côté, il s’agit d’assurer à chaque lecture une certaine rationalité et une
certaine cohérence d’ensemble, de l’autre, il s’agit d’être attentif à ce
qui, dans chaque texte, est incertain, pluriel, irréductible aux entre-
prises rationalisatrices.

3. La compréhension globale

a. Sens, topics, stéréotypes

Dès qu’une proposition isolée est comprise et interprétée, le lecteur


cherche à l’intégrer dans un schéma plus général. Pour ce faire, il ne
cesse d’élaborer des topics, des hypothèses de signification à partir de
structures sémantiques préexistantes dont il dispose dans sa mémoire
à long terme et qu’il peut donc reconnaitre aux divers niveaux du
texte (lexical, syntaxique, rhétorique, narratif, thématique, actantiel,
idéologique)8. Ces structures peuvent être des intertextes précis (par
exemple, une citation célèbre, un thème connu ou bien un scénario,
comme celui de Tristan et Iseut, qui se retrouve dans L’éternel retour
de Cocteau), mais, le plus souvent, il s’agit de stéréotypes, de schèmes
figés et inoriginés qui sillonnent un grand nombre de textes9.

6 C’est le cas notamment d’U. Eco (Lector in fabula) et de G. Steiner (Réelles


présences. Les arts du sens, Paris, Gallimard, 1991).
7 À ce sujet, lire D. Banon, La lecture infinie, Paris, Seuil, 1987.
8 Cf. T. A. Van Dijck, Text and context, Londres, Longman, 1977, et U. Eco,
Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985 (Figures).
9 Voir la définition de la stéréotypie par Cl. Bouché : « La stéréotypie
(qui, comme la caricature, peut renvoyer accessoirement à un auteur,
un genre, un courant donnés) se réfère à un contexte, c’est-à-dire à la
fois ensemble anonyme de textes et ensemble de valeurs véhiculées par

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Théorie de la littérature

Ainsi, dans « Le pont Mirabeau », un lecteur ordinaire peut recon-


naitre sans difficulté trois micro-lexiques (pour cette notion, cf. infra)
ou séries de termes relevant habituellement d’un même paradigme :
celui du temps (souvienne, la nuit, l’heure, les jours...), celui de l’eau
(le pont, coule, la Seine, l’onde...) et celui de l’affectivité (nos amours,
la joie, la peine, nos bras, les éternels regards...). S’il possède quelque
culture, le lecteur reconnaitra en outre ici le personnage stéréotypé
de l’amant méditatif, le décor cliché du bord de Seine parisien, la
scène déjà vue de la séparation lente des amants et l’image classique
du cours d’eau pris comme symbole de l’écoulement du temps et de
l’amour (voir les poètes latins, Ronsard, Lamartine, Hugo, etc.).

b. Du topic générique au macrotopic et au mode d’énonciation

Le premier topic global dont on a besoin pour pouvoir donner sens à


un texte est celui qui concerne le genre du texte : les sens particuliers
du « Pont Mirabeau » ne prennent sens ensemble que si on les situe
dans le cadre générique de la poésie lyrique. Le plus souvent, l’iden-
tification du genre ne pose aucun problème, car elle s’appuie sur des
mentions du paratexte, et elle précède la lecture proprement dite.
Dans le cas du « Pont Mirabeau », il suffit de regarder la disposition
typographique du texte pour savoir qu’il s’agit d’un poème (a fortiori si
on lit ce texte dans le recueil Alcools), et ce sont des éléments formels
et thématiques présents dès la première strophe (usage de la première
personne + thème des amours + thème du souvenir) qui permettent
rapidement de convoquer le schéma lyrique. Soulignons cependant
que de nombreux textes sont « multigénériques », autorisent plusieurs
catégorisations : par exemple, Le nom de la rose d’Umberto Eco est
lisible à la fois comme un récit policier, comme un roman historique
et comme une fable philosophique.
Au-delà du genre, le lecteur a besoin de pouvoir intégrer l’ensemble
des topics partiels qu’il a produits dans un schéma global plus précis
ou « macrotopic » (Eco), qui lui permettra de donner au texte une
cohérence à la fois narrative et thématique. Ainsi, dans « Le Pont
Mirabeau », tous les éléments du texte peuvent être intégrés dans le

ces textes » (Lautréamont. Du lieu commun à la parodie, Paris, Larousse,


1974, pp.  44-45). Il faut distinguer le stéréotype, qui est une structure
isolée, de la stéréotypie, qui est un ensemble cohérent de stéréotypes, et
du cliché, qui est une expression verbale figée.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

schéma classique de l’association fuite de l’eau/fuite du temps/érosion


d’un amour.
Plus précisément, on soulignera que le macrotopic affecte toujours
deux niveaux de sens successifs :
– le niveau « discursif », c’est-à-dire la configuration globale du sens,
indépendamment de ses manifestations narratives et linéaires ;
– le niveau narratif et linéaire, c’est-à-dire la saisie des structures de
la « fabula », de l’intrigue.
En outre, les éléments de sens qui sont construits (ou compris) par le
lecteur sont agencés entre eux dans le macrotopic selon différentes
relations logiques : cause, conséquence, coordination, inclusion,
opposition, etc. Ces relations dépendent elles-mêmes d’un système
logique général. Le système le plus prégnant dans la culture occidentale
est celui la logique aristotélicienne, qui interdit la contradiction, mais
dans la lecture littéraire, il est souvent nécessaire de recourir à un
système non artistotélicien admettant la contradiction : seul un tel
système permet de donner sens à certains textes fantastiques.
Enfin, la projection du « macrotopic » va nécessairement de pair
avec un essai d’interprétation du mode d’énonciation du texte : pour
pouvoir articuler un schéma global, le lecteur a besoin de déter-
miner si celui-ci est assumé (énonciation du 1er degré), mis à distance
(2e degré) ou énoncé de manière ludique ou indécidable (3e degré). En
général, c’est le repérage d’indices métalinguistiques (commentaires
du narrateur sur les éléments thématiques ou rhétoriques du texte) qui
permet de conclure qu’on a affaire à un texte du second degré. Tel
n’est pas le cas dans « Le pont Mirabeau » où rien ne vient rompre le
lyrisme typique d’une énonciation au premier degré.

c. Construction du cadre « intratextuel » et saisie des informations

En même temps qu’il essaie d’intégrer les différentes strates de topics


dans un schéma global, le lecteur est amené à les combiner entre
elles et à se construire ainsi un cadre de référence nouveau, qui, par
opposition aux cadres préexistants qui ont servi à le fabriquer, peut
être qualifié d’intratextuel. Il faut souligner que, si chaque énoncé
apparait au lecteur comme une succession d’éléments familiers, la
combinaison de ces éléments n’en apparait pas moins comme neuve
et porteuse d’information. Ainsi, pris isolément, chaque énoncé et

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Théorie de la littérature

chaque thème du « Pont Mirabeau » comporte (et c’était le cas dès


la parution du texte), un air de déjà-vu  ; mais, par la combinaison
qu’il fait de ce matériel connu, le texte entier se présente comme
un ensemble inédit et novateur10. La lecture peut donc être décrite
comme un processus dialectique alliant indissolublement de l’ancien
et du neuf, du stéréotype et de l’information.
On remarquera encore que, si l’identification des éléments isolés se
fait au cours de la progression linéaire du regard, leur intégration dans
un nouveau schéma complexe suppose qu’on interrompe un temps
cette marche en avant au bénéfice d’une représentation spatiale du
texte.

d. Du repérage des indéterminations à la lecture suspensive

Au cours de la construction du macrotopic, un certain nombre de


« lieux d’incertitude », de « blancs » ou d’indéterminations risquent
de se présenter (apparition de contradictions ou d’incohérences,
ignorance du sens de tel énoncé, de telle action, de tel dénouement,
etc.). Le lecteur a alors la possibilité de les prendre au sérieux, soit
qu’il veuille les garder en réserve pour une exploitation ultérieure (cf.
infra), soit qu’il veuille tout simplement assumer les doutes et les incer-
titudes qu’ils suscitent : on peut alors dire qu’il pratique une lecture
« suspensive » soucieuse de respecter l’altérité et le mystère du texte.
Cette situation peut se présenter face au « Pont Mirabeau » si l’on
considère le contraste qui existe entre le lyrisme des propos du poète
et la relative sécheresse de la syntaxe, jointe au caractère syncopé
de la versification et à l’absence de ponctuation : chacun peut inter-
préter comme il l’entend cette opposition entre le « classicisme » de
certains éléments textuels et la « modernité » de certains autres. On
notera toutefois qu’ici, l’indétermination affecte seulement le mode
d’énonciation (le « ton ») du poème, et non sa structure sémantique,
qui parait assez limpide.

10 À ce propos, cf. I. Crosman, « Poétique de la lecture romanesque », in


L’Esprit créateur, 21-2, 1981, pp. 70-80. Il faut souligner que ceci est vrai
de tout texte nouveau, même si, bien entendu, le sentiment de nouveauté
varie fortement en fonction des textes (qui peuvent être plus ou moins
originaux) et des lecteurs (qui peuvent être plus ou moins sensibles à la
banalité).

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

e. Le clichage du texte : colmatage des « blancs » et créativité


du lecteur

Dans la plupart des cas, la construction du macrotopic ne se fait pas


sans rançon. Au lieu de se montrer attentifs aux lieux d’incertitude,
de nombreux lecteurs polarisent leur attention sur les éléments qui
confortent leur hypothèse globale du moment et laissent de côté les
autres éléments. Comme l’a bien montré M. Otten11, la lecture devient
alors une opération de « traduction » par laquelle on cherche à faire
entrer le texte dans un schéma qui ne lui correspond souvent que
partiellement, ce qui veut dire que le lecteur est amené à surinter-
préter certains éléments, à en négliger certains, à en inventer d’autres,
bref à faire subir au texte une véritable métamorphose.

4. Les constructions du second degré


Si la projection sur le texte des stéréotypies réduit ses virtualités séman-
tiques en les canalisant dans une direction unique, en même temps,
elle rend possible d’autres hypothèses de sens si le lecteur accepte
d’exploiter ce qui résiste à ce schéma unificateur pour formuler de
nouvelles hypothèses : une première structure sémantique a permis de
comprendre le texte, d’autres permettront de l’interpréter.
Il est bon à ce propos de souligner que l’interprétation est donc
toujours seconde par rapport à la compréhension et résulte d’une
déception que le lecteur éprouve à propos de celle-ci. En contrôlant le
schéma sémantique qu’il a bâti, il s’avise de son insuffisance, pressent
que divers signes n’y ont pas été intégrés, bref qu’il faut poursuivre et
approfondir la construction d’hypothèses. Si l’hypothèse nouvelle qui
est alors trouvée vient remplacer celle qui précédait (exemple type :
lors de la recherche de la solution dans un roman policier à énigme),
on dira que le texte est simplement soumis à une seconde compré-
hension. L’interprétation proprement dite survient lorsque le nouveau
schéma vient se superposer au premier sans l’annuler, comme c’est
par exemple le cas lorsqu’on lit de manière allégorique les romans
de Kafka.
L’interprétation peut recourir à des voies multiples : ses schémas
peuvent provenir de la vie ou de la psychologie de l’écrivain (inter-
prétation psycho-biographique), de la théorie de l’inconscient (inter-

11 « Sémiologie de la lecture », op. cit., pp. 349-350.

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Théorie de la littérature

prétation psychanalytique), des textes antérieurs ou du contexte


littéraire (interprétation intertextuelle ou littéraire), du contexte socio-
historique de l’énonciation (interprétation sociologique), des valeurs
que l’on devine sous-jacentes au texte (interprétation idéologique)...
Ainsi, il est loisible à celui qui a commencé par comprendre « Le pont
Mirabeau » comme l’expression d’une plainte relative à l’écoulement
de l’amour et du temps de voir aussi dans ce texte un témoignage
sur la vie sentimentale d’Apollinaire (interprétation biographique),
la confirmation d’une tendance déjà observée dans son écriture
personnelle (interprétation cotextuelle ou intertextuelle auctorale),
l’expression d’un psychisme tourmenté par le conflit entre un « ça »
envahissant et les appels désespérés d’un surmoi qui voudrait sauver
l’amour et arrêter le temps (interprétation psychanalytique), une sorte
de manifeste formel de l’art nouveau en même temps qu’une variation
littéraire sur le « Fugit irreparabile tempus » des Anciens et sur les
mètres de la poésie classique (interprétation intertextuelle et architex-
textuelle), un écho du doute existentiel qui gagne une partie de la
France à la fin de la Belle Époque (interprétation socio-historique),
ou encore l’expression d’une écriture égocentrique qui laisse dans
l’ombre les réalités sociales du temps (interprétation idéologique).
Le tableau ci-dessous12 synthétise le rapport existant entre les diffé-
rents niveaux de codes dont nous avons parlé plus haut et les divers
types d’interprétations auxquels il est possible de recourir :

12 Nous le reprenons à J.-L. Dufays, Stéréotype et lecture, op. cit., p. 106.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

STÉRÉOTYPIES, SYSTEMES DE
codes collectifs RÉFÉRENCE,
codes individuels

Codes Lexique, grammaire, Style, idiolecte


d’elocutio LECTURE LINGUISTIQUE LECTURE STYLISTIQUE

Codes de évènements, états de la Biographie, personnalité


dispositio société de l’auteur
- socioculturels LECTURE SOCIO- LECTURE
HISTORIQUE BIOGRAPHIQUE

Sources, conventions, œuvres antérieures de


- littéraires genres l’auteur
LECTURES ARCHI et LECTURE cotextuelle
INTERTEXTUELLE ou
INTERTEXTUELLE
AUCTORALE

Codes Institutions, idéologies, Vision du monde et


d’inventio mythes psychisme de l’auteur
LECTURE IDÉOLOGIQUE LECTURES
PSYCHOLOGIQUE
ET PSYCHANALYTIQUE

On appelle communément lecture plurielle la lecture qui recourt tour


à tour à plusieurs types d’interprétations. Comme on le verra plus loin,
cette façon de lire en exploitant une diversité de savoirs est particuliè-
rement riche en enjeux didactiques, car l’apprentissage de la diversité
interprétative apparait comme un élément essentiel du savoir-lire.

B. Les modes de lecture


La lecture ne se limite pas à construire des hypothèses de sens. En
même temps qu’elles sont élaborées, celles-ci sont modalisées sur le
plan psychoaffectif, situées dans une perspective qui confère au texte
des fonctions bien déterminées.
Les théoriciens de la lecture distinguent deux grands types de modali-
sations. La première privilégie la référenciation externe, c’est-à-dire la
mimésis, la fonction « référentielle » dont parle Jakobson, le rapport

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Théorie de la littérature

du texte avec les objets du monde ordinaire (le « réel »). La lecture


alors va directement du signifiant à l’objet, sans s’arrêter à la structure
matérielle du signifiant ni aux stéréotypies : elle se fait « partici-
pative », émotionnelle et identificatoire, et relève de ce que Picard et
Jouve appellent le lu et le lisant, ou de ce que Winnicott appelait le
playing, le jeu ouvert sur l’infini des fantasmes (cf. supra).
La seconde modalisation privilégie les référenciations interne et
intertextuelle, c’est-à-dire la sémiosis du texte, sa nature construite,
sa fonction « poétique » et esthétique. La lecture se fait ici objecti-
vante, distante, vigilante à l’égard des stéréotypies, et elle relève du
lectant (Picard), ou du game (Winnicott), du jeu dont on connait les
règles. Comme l’ont souligné les théoriciens allemands, cette attitude
de distanciation commence nécessairement par « dépragmatiser » le
texte13 pour lui conférer une portée fictionnelle ou « pseudo-référen-
tielle »14. Cela peut aussi mener le lecteur à privilégier des hypothèses
de lecture de type autoréférentiel (les contenus thématiques du texte
sont lus comme une allégorie relative à l’écriture ou à la lecture) ou
transtextuel (l’attention est polarisée sur les traces de textes antérieurs
et sur les traitements qui leur sont réservés). À l’extrême, la distan-
ciation peut donner lieu à une exploitation systématique de tous les
éléments polysémiques ou incertains du texte, pratique qui a été
théorisée et illustrée par Barthes, Derrida, de Man et quelques autres
sous le nom de « dissémination » ou « déconstruction »15.
Certains critiques se sont attachés à louer les mérites d’une attitude
contre l’autre. Ainsi, K. Stierle a développé un plaidoyer virulent en
faveur de la distanciation16, et, à l’inverse, G. Steiner a consacré un
essai remarqué à célébrer les vertus de la participation, qu’il considère
comme le seul mode de lecture apte à rendre le monde du texte
réellement présent au lecteur17.
D’autres, comme M. Riffaterre et le Groupe µ, présentent la partici-
pation et la distanciation comme deux temps de lecture successifs,

13 H. Steinmetz, « Réception et interprétation », in A. Kibédi Varga (dir.),


Théorie de la littérature, Paris, Picard, 1981, pp. 193-209.
14 K. Stierle, « Réception et fiction », in Poétique, 39, 1979, pp. 299-320.
15 Pour une synthèse des théories relatives à cette manière de lire, cf.
F. Hallyn et Fr. Schuerewegen, « De l’herméneutique à la déconstruction »,
in M. Delcroix et F. Hallyn, Méthodes du texte, op. cit., pp. 314-322.
16 Cf. « Réception et fiction », op. cit., pp. 299-320.
17 Cf. Réelles présences, passim.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

dont le second viendrait en quelque sorte supprimer le précédent18 : il


y aurait d’abord la lecture « linéaire », basée sur la reconnaissance de
la mimésis, de la signification référentielle des mots et des phrase, et
ensuite la lecture « tabulaire », axée sur la perception de leur sémiosis
ou de leur signifiance, c’est-à-dire de leur dimension intertextuelle ou
stéréotypée.
En fait, ces deux modes de réception sont loin d’être incompatibles.
Lorsqu’il aborde un texte littéraire, le lecteur opère presque nécessai-
rement un va-et-vient entre la participation et la distanciation, entre
la soumission à l’autorité de référents et la réflexion sur leurs effets
esthétiques et idéologiques. Le lecteur, dit Michel Picard, est donc
double, et même triple si l’on considère qu’à sa dimension « intellec-
tuelle » s’ajoute une dimension « corporelle », qui se manifeste par
le mouvement des yeux le long des lignes, la manipulation tactile
des pages du livre et le choix d’une position et d’un cadre de lecture
particuliers19.

C. L’évaluation du texte
On ne peut enfin ignorer que toute lecture comporte une démarche
évaluative. En lisant, on ne dote pas seulement le texte d’un sens et
d’une fonction, on le soumet aussi à un jugement de valeur. Comme
nous l’avons déjà dit, celui-ci peut bien sûr se faire selon des critères
variés : il peut être moral (le Bon), esthétique (le Beau), référentiel (le
Vrai), il peut aussi se fonder sur la valeur sémantique (unité/polysémie),
l’originalité (banalité/nouveauté), la charge émotionnelle (tension/
impassibilité), l’intérêt thématique (intérêt/désintérêt)20. Mais, dans
chaque cas, le lecteur choisit de privilégier une méta-valeur en optant
soit pour la conformité, qui est la valeur « classique » par excellence,
soit pour la subversion, qui est la première des valeurs « modernes ».
Toute évaluation en effet est comparative : tandis que certains lecteurs
(qu’on peut qualifier de « classiques ») apprécient surtout les textes qui
respectent la morale traditionnelle, les canons esthétiques reconnus et

18 M. Riffaterre, Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1983, et Groupe µ,


Rhétorique de la poésie, Paris, Seuil, 1990.
19 La lecture comme jeu, op. cit., pp. 112-114 et 214-215.
20 Pour un exposé plus détaillé à ce propos, cf. J.-L. Dufays, « Stéréotypes,
sens, valeurs : pour une axiologie du littéraire », in Degrés, 79-80, 1994,
pp. b1-b16.

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Théorie de la littérature

les représentations convenues du monde, d’autres (qu’on peut appeler


les « modernes ») préfèrent les textes qui renouvellent cette morale,
ces canons et ces représentations. Cependant, la recherche de la
conformité et celle de la subversion ne sont jamais absolues. Même
s’il apprécie d’abord la conformité, un lecteur « classique » a besoin
de trouver dans le texte une certaine information ; et parallèlement,
le fait de privilégier les écarts n’empêche pas le lecteur « moderne »
d’avoir besoin de repères familiers21. L’évaluation consiste donc,
comme la compréhension et la modalisation, à situer le texte par
rapport aux stéréotypes, mais en opérant un double mouvement :
objectivation des stéréotypes que nous rejetons, valorisation de ceux
qui nous sont familiers. Évaluer un texte, c’est apprécier dans quelle
mesure il reproduit de « bons clichés » (moraux, référentiels, esthé-
tiques ou autres) et s’écarte des « mauvais ».
Comme on l’a vu plus haut, Michel Picard considère l’activation
maximale de ce rapport double à la valeur comme la condition de
la lecture « littéraire ». Pour l’auteur de La lecture comme jeu, la
littérarité n’est plus à considérer comme une propriété immanente à
certains types de textes, mais comme un effet émanant d’une certaine
manière de lire, le résultat d’une activité plus ou moins consciente du
lecteur :
Aussi bien, comment pouvait-on oublier que c’est toujours la lecture
[...] qui décide du littéraire ? Il existe des écrits sans lecteurs, mais
non de littérature sans lecture [...] En littérature, toute évaluation
esthétique passe par la lecture, qu’il s’agisse du fameux « jugement
de la postérité » ou de celui de l’écrivain lui-même, lequel n’est tel
que s’il sait du même coup écrire et se lire.22
Cette conception dialectique de l’évaluation littéraire, qui oscille
entre la posture esthétique « classique » et la posture « moderne », la
rapproche de la posture « postmoderne ». Si l’on ajoute à cela le fait
que le pôle des valeurs classiques occupent aujourd’hui une place
« dominée » sur le plan institutionnel, tandis que le pôle moderne
incarne, à l’inverse, une position symboliquement « dominante », on
peut résumer les relations entre les différentes formes d’évaluation
ainsi définies par le tableau suivant :

21 Cf. Cl. Lafarge, La valeur littéraire, op. cit., pp. 67-82


22 La lecture comme jeu, op. cit., p. 242.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

Pôle classique Pôle moderne


(« dominé ») (« dominant »)

La portée référentielle réalisme, vérité fictionalité, invention

Le rapport aux codes conformité subversion (originalité)

pluriel, ouverture
La densité sémantique unité, clôture (un sens)
(significations)
éclatement,
La portée esthétique harmonie, clarté
complexité

La portée éthique conformité transgression

La portée raison, distanciation,


passion, participation
émotionnelle neutralité
La portée fonction référentielle fonction poétique (la
fonctionnelle (le fond) forme)

Par ailleurs, il n’est pas indifférent de constater que l’évaluation d’un


texte peut exercer une influence directe sur l’activité sociale ou affective
du lecteur. En particulier, lorsqu’un texte est perçu comme « vrai »,
« moral » et « émouvant » (par-delà la perception de sa dimension
fictionnelle), il est bien souvent érigé par le lecteur au rang de modèle
éthique ou fonctionnel ; le lecteur est alors tout naturellement tenté de
passer, selon la formule de Paul Ricœur, « du texte à l’action ».
La définition des trois opérations cardinales de la lecture fait apparaitre
clairement le rôle essentiel qu’exercent dans chacune d’entre elles les
connaissances préalables du lecteur, et parmi elles, ces phénomènes
qu’on aurait tendance de prime abord à tenir pour de simples repous-
soirs : les stéréotypes. Si provoquant que cela paraisse, il n’est pas
exagéré de dire que lire, c’est avant tout manipuler des stéréotypes :
c’est reconnaitre des agglomérats de sens préfabriqués, c’est alterner
entre l’acceptation et la mise à distance des représentations conven-
tionnelles, c’est enfin valoriser les conventions qu’on attend tout en
rejetant celles qu’on refuse.
Cette constatation dont les théoriciens de la lecture commencent à
peine à s’aviser est lourde de conséquences sur le plan didactique.
Dès lors, en effet, que les stéréotypes exercent dans la lecture un tel
pouvoir, la sensibilisation des lecteurs aux diverses manifestations et

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Théorie de la littérature

fonctions de ces phénomènes apparait comme un moyen privilégié


de les aider à tirer de leurs lectures le maximum de profit et de
jouissance.

D. Une illustration : démontage d’une lecture d’un


« conte » de Villiers de l’Isle-Adam

1. L’explication traditionnelle
Une manière classique d’expliquer le conte de Villiers de l’Isle-Adam
« À s’y méprendre ! »23 (texte en annexe) consiste à dire qu’il repose
sur un parallélisme subtil entre le spectacle des suicidés de la morgue
et celui des gens d’affaires. Le narrateur, dira-t-on, a raison de croire
qu’il n’y a nulle différence réelle entre ces deux scènes, puisqu’il s’agit
de part et d’autre d’êtres morts – mort physique pour les uns, mort
spirituelle pour les autres. On en conclut que le second spectacle n’est
que la transposition symbolique du premier et que le récit vise, sur le
mode de l’allégorie, à dénoncer le caractère mortifère des activités
financières et à proclamer, comme tous les textes de Villiers, le primat
du spirituel sur le temporel.
à cette explication générale peuvent s’ajouter des considérations parti-
culières relatives soit à la manière dont l’œuvre a été engendrée – on
met alors en relief l’habileté de l’auteur à rapprocher les deux scènes
en n’y introduisant que des termes et des référents à double entente (les
vêtements appendus aux colonnes, les tables de marbre, l’apparence
méditative des personnages, leurs regards vides, leurs portefeuilles
ouverts, les robinets qui les arrosent...) –, soit à l’ancrage du récit dans
un contexte référentiel « réel » – est alors soulignée la conformité des
lieux évoqués avec la morgue et un café d’affaires que l’on pouvait
observer dans le Paris des années 1870 (la morgue se situait bien tout
près des quais de la Seine, derrière Notre-Dame, et la description du
café est celle de la salle Le Peletier, qui fut effectivement détruite par
un incendie en 187324).

23 Contes cruels, in Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard (Bibliothèque


de la Pléiade), pp. 628-630.
24 Pour ce genre d’explications, voir par exemple les commentaires de
P. Citron dans l’édition Garnier-Flammarion des Contes cruels.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

De telles explications sont à première vue irréprochables : non


seulement elles sont « exactes » (on peut les vérifier de diverses
manières), mais en outre elles respectent la règle implicite qui veut
qu’un commentaire fournisse une « clé » permettant de faire la
« lumière » sur le texte. L’inconvénient est qu’en procédant de la
sorte on brule les étapes ; plutôt que de mettre en évidence le jeu du
texte et le travail de la lecture, on exhibe un résultat ; on présente le
texte comme un produit déjà-là dont le sens peut être objectivement
restitué, comme une œuvre achevée dont il est possible, moyennant
un peu d’attention, de décoder le programme. Nulle place ici pour le
travail du lecteur. Tout semble reposer sur une science infuse mêlée
d’érudition : l’interprétation n’est pas celle d’un lecteur particulier,
mais une lecture « modèle » qui est comme imposée par le texte.
Du point de vue didactique, le moins que l’on puisse dire est qu’une
telle attitude n’apprend guère à lire ; elle impose à l’apprenti lecteur
un savoir magique dont l’origine est complètement tue. En outre, ce
type d’explication occulte tout ce que les significations textuelles
peuvent avoir de mouvant et d’incertain. En rationalisant le texte, en
l’ancrant dans une visée et des référents « sûrs », on le simplifie et,
pour tout dire, on l’aliène.
Le texte de Villiers lui-même peut cependant être lu comme une mise
en garde contre cette manière de faire. Comme nous allons nous
efforcer de le montrer, il est en effet possible de trouver dans cette
courte nouvelle, par-delà les significations qu’on vient de signaler, une
véritable leçon de lecture. Deux points de vue me semblent devoir
ici être distingués : celui du parcours de lectures auquel le texte se
prête implicitement, et celui de la présence explicite qu’on y trouve
du thème de la lecture et de l’intellection.

2. La lecture réaliste
De prime abord, « À s’y méprendre ! » apparait comme le récit d’une
anecdote qui requiert une lecture à la fois fragmentaire et référen-
tielle : avant de pouvoir donner d’emblée un sens global à l’ensemble,
le lecteur est obligé de recueillir pêle-mêle les premiers éléments sûrs
qui s’offrent à sa compréhension, en l’occurrence les signifiants qui
renvoient aux référents d’un univers extratextuel connu. Nul autre
recours à ce stade que de conférer aux mots la fonction mimétique
qu’ils exercent dans la communication ordinaire, c’est-à-dire de

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Théorie de la littérature

produire une lecture réaliste fondée sur la projection des référents : le


monde qui est décrit est perçu comme « réel » et le narrateur comme
une personne normale, douée de raison, capable d’analyser correc-
tement ce qui lui arrive.
La surprise provient du fait que ce personnage parait assister deux fois
de suite à la même scène : à quelques minutes d’intervalle, il pénètre
dans deux lieux qui sont décrits à peu près dans les mêmes termes. Ses
propos nous permettent de reconnaitre assez clairement le premier lieu
comme étant la morgue « Je reconnus, alors, que la maitresse du logis
[...] n’était autre que la Mort »), Le mot n’est cependant jamais lâché,
ce qui laisse planer un doute ; en outre, le narrateur semble dire tout
aussi clairement que le second lieu est identique au premier « Il faut
que ce cocher ait été frappé [...] d’une sorte d’hébétude pour m’avoir
ramené [...] simplement à notre point de départ »), ce qui déroge à la
fois aux lois du vraisemblable (comment cette reproduction du même
évènement est-elle possible ?) et aux règles de l’écriture (on lit le même
texte – le texte recommence). à qui d’autre nous fier cependant qu’au
narrateur ? Celui-ci semble de bonne foi, et nous sommes d’autant
plus amenés à croire à ce qu’il dit que nous partageons son désarroi
devant les « évènements » du texte : son incapacité à dénouer direc-
tement l’énigme fait de lui notre double. Non contents d’être dans
la projection des référents, nous sommes invités à nous identifier au
personnage, à nous absorber comme lui dans la fiction pour mener
l’enquête à ses côtés. Comme lui, nous sommes mis en position
herméneutique ; nous voyons un lieu au travers de la description qui
en est faite, puis, interloqués, nous cherchons à deviner, et nous nous
demandons : où sommes-nous ?
Ce double processus de projection mimétique et de repérage des
incongruités a été bien décrit par Michael Riffaterre, qui y a vu la
démarche typique de la lecture du poème :
La première lecture, heuristique, parcourt la page de haut en bas, du
début à la fin du poème. C’est au cours de cette lecture qu’on saisit
la signification (non la signifiance), la fonction mimétique des mots ;
c’est aussi à ce stade que le lecteur perçoit les incompatibilités ou
remarque, par exemple, qu’une certaine expression n’a pas de sens
à moins d’être interprétée comme métaphore, ironie, métonymie, ou
autre25.

25 « L’illusion référentielle », in R. Barthes et al., Littérature et Réalité, Paris,


Seuil, 1982, pp. 96-97.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

Mais s’il convient pour lire la poésie, ce mode de lecture est a fortiori
celui de la prose narrative, car c’est dans ce type de texte que la fonction
mimétique du langage est le plus mobilisée26. « Une grise matinée de
novembre », « les quais de la Seine », « un rendez-vous d’affaires »,
« l’auvent d’un portail », toutes ces expressions sont concrètes, réfèrent
à des entités tangibles qu’on peut observer dans le monde réel, et cela
se vérifie jusque dans le détail, puisque, comme on l’a vu plus haut,
il est possible au lecteur qui connait le Paris des années 1870 de faire
coïncider les lieux du texte avec des lieux existants.
Si elle est systématisée et érigée en mode de lecture, cette posture inter-
prétative nous permet de participer à l’action du texte, de supprimer
la distance qui sépare son univers du nôtre. Le texte est alors reçu
comme un espace de fantasmatisation, comme un de ces jeux ouverts
que Donald Winnicott appelle le playing et que Michel Picard27 définit
comme l’une des composantes essentielles de toute lecture.

3. Un récit fantastique ? L’illusion générique


Au terme de ce premier parcours, le lecteur reste insatisfait, car le
recours aux référents ne lui permet pas de rationaliser l’ensemble du
texte. Le doute subsiste en effet : le second lieu est-il vraiment le même
que le premier ? Si c’est le cas, quel est le sens de cette répétition ? Si
ce n’est pas le cas, les éléments qui la composent s’avèrent référentiel-
lement énigmatiques. Si l’on n’est plus à la morgue, que signifient les
attitudes étranges des personnages qui sont décrits, leurs portefeuilles
ouverts, les robinets qui les arrosent ? Et qu’en est-il de l’allusion qui
est faite à la mort ? S’agit-il bien de la mort réelle ou d’une métaphore ?
à la vérité, les questions ne manquent pas.
Ces incertitudes cependant ne déroutent pas longtemps le lecteur
expérimenté, car il sait qu’elles sont typiques d’un modèle générique
bien établi, celui du récit fantastique. Il se rappelle que, bien que
répondant partiellement aux normes du vraisemblable, le texte regor-
geait dès son début de « marqueurs d’ambiance » qui connotaient
nettement l’inquiétude et l’horreur : le titre (qui échappe aux canons
syntaxiques habituels et suggère qu’il va être question de mystification),
l’épigraphe tirée des « Aveugles » de Baudelaire (qui parle de « globes

26 Sur ce point, cf. entre autres Tz. Todorov, « La lecture comme
construction », in Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1980, pp. 175-177.
27 Cf. La Lecture comme jeu, op. cit.

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Théorie de la littérature

ténébreux » tournés vers des lieux inconnus), le climat automnal,


brumeux et humide, l’aspect lugubre des passants (ils s’entrecroisent,
« noirs, obombrés de parapluies difformes », puis se battent contre
le vent « avec ces attitudes et ces contorsions dont le spectacle est
toujours si pénible pour l’artiste ») et de la Seine « jaunie » (elle
charrie ses bateaux « pareils à des hannetons démesurés »), les idées
« pâles et brumeuses » du narrateur, l’emploi explicite de l’adjectif
« fantastique » pour qualifier la buée qui enveloppe le bâtiment de
pierre, la manière dont ledit bâtiment apparait d’abord (il se dresse
« dans la brume comme une apparition »), tout concourait d’emblée à
créer l’atmosphère d’angoisse propre aux récits d’épouvante. La chose
n’est d’ailleurs pas rare chez Villiers : songeons aux descriptions qui
jalonnent « L’intersigne » et « Le convive des dernières fêtes ». Là
aussi nous rencontrons un narrateur « mortellement pâle » (p. 695),
en proie tantôt à un « ennui ardent et vague » (p. 607), tantôt à un
« spleen pénible jusqu’au malaise » (p. 695), et là aussi on se trouve
plongé dans une ambiance lugubre, où « La Nuit jette ses ombres et
ses effets étranges » (p. 614).
La lecture réaliste fait dès lors place à une autre illusion tout aussi
puissante, qu’on pourrait appeler l’illusion générique. Certes, la lecture
y gagne, car le texte est à présent compris d’une manière globale ; il
n’apparait plus comme la mise en scène de situations extratextuelles
éparses, mais comme la reproduction d’une stéréotypie, de cette
structure architextuelle familière que constitue l’irruption d’éléments
inexplicables au sein d’une anecdote conventionnelle. Si elle n’est
pas vraiment expliquée, l’énigme de la reproduction de la scène est
tout au moins canalisée, intégrée dans un schéma connu, ce qui peut
parfaitement suffire à satisfaire le lecteur. à quoi bon chercher des
explications, se dit celui-ci, puisqu’il est manifeste que nous sommes
dans un texte fantastique, c’est-à-dire dans un type de récit qui autorise
et même parait susciter le recours à une logique de l’irrationnel ?
On a dès lors l’impression que l’effet fantastique est suggéré par le
texte. Le narrateur lui-même n’y succombe-t-il pas un temps lorsqu’il
se dit convaincu « à coup sûr ») d’avoir assisté deux fois au même
spectacle ? Gardons-nous cependant de conclure trop vite : nous ne
sommes pas encore au bout des pièges que nous réserve la lecture de
ce conte.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

4. La lecture symbolique
Au rebours du lecteur pressé, celui qui a quelque familiarité avec les
textes de Villiers ne tarde pas à deviner que derrière la machinerie
mimétique et fantastique se cache quelque symbole. Il comprend
que le jeu auquel le texte le convie n’est pas seulement extratextuel
(identifier les référents) et architextuel (identifier le genre), mais
aussi intratextuel : ce qu’il convient en dernier recours de faire, c’est
d’identifier les différences qui s’établissent à l’intérieur même du texte
entre les deux séquences apparemment analogues. On retrouve là un
jeu bien connu des enfants : le jeu des sept erreurs. Deux tableaux
apparemment semblables sont présentés au lecteur, mais celui-ci doit
se souvenir que la répétition gratuite est en principe exclue dans la
prose « littéraire » – même dans le genre à part que constitue le récit
fantastique –, et qu’il s’agit dès lors de chercher les détails qui signi-
fient. Le jeu consiste à isoler l’information parmi la redondance, le
multiple au sein du même, le sens dans le pêle-mêle des signes indif-
férenciés.
C’est seulement au terme de cet examen minutieux que la lumière
peut enfin surgir : saisissant tout d’un coup (le sens surgit toujours
subitement, comme dans un éclair) que les signifiants utilisés pour
décrire les deux scènes peuvent signifier deux choses différentes, on
comprend que la seconde description n’est plus celle d’une morgue,
mais celle d’un café d’affaires. Tout alors devient clair : les « tables
de marbre » qui désignaient là les litières des cadavres désignent ici
les tables du café ; les « jambes allongées », la « tête élevée », les
yeux « fixes » et « sans pensée », l’« air positif » des personnages qui
signalaient là leur état cadavérique signifient ici qu’ils sont absorbés
dans leurs affaires ; les « portefeuilles » qui servaient là à identifier les
morts s’ouvrent ici pour permettre aux affaires de se conclure ; enfin,
les « robinets de cuivre destinés à l’arrosage quotidien de ces restes
mortels » qui répandaient là l’eau de la toilette ultime déversent ici
des consommations alcoolisées.
Le sens des derniers propos du narrateur apparait lui aussi clairement :
dire que « le second coup d’œil est plus sinistre que le premier »
signifie que la mort physique des suicidés est moins dramatique
que la mort spirituelle qui frappe les gens d’affaires, et la décision
finale de « ne jamais faire d’affaires » manifeste la répugnance que
suscite le sort de ces derniers. Pour dire les choses d’une manière
technique, la structure discursive globale se double instantanément
d’une structure axiologique ; sitôt distinguées, les deux scènes se

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Théorie de la littérature

trouvent hiérarchisées, classées sur l’échelle des valeurs, et cette struc-


turation idéologique peut déboucher elle-même sur une décision de
type pragmatique qui fait l’effet aux yeux du lecteur d’une injonction :
« Il ne faut jamais faire d’affaires sous peine de perdre son âme. » La
lecture effectue ainsi en une fraction de seconde tout le parcours qui
va du sens du texte à la valeur et à l’action qu’il propose28.
Tout devient donc limpide. Il reste que le lecteur, s’il est ravi d’avoir
dénoué le problème, est quelque peu confus d’avoir été berné si
longtemps, « L’auteur m’a bien eu », se dit-il. Et il oscille alors entre
deux sentiments à l’égard de Villiers : d’une part, il admire son habileté
et lui sait gré d’avoir su le tenir en haleine ; d’autre part, il lui en veut
d’avoir recouru à un artifice aussi grossier. « Tout de même, ce jeu de
confusions, c’est un peu tiré par les cheveux. » Cette réaction ne doit
pas nous surprendre, car elle est l’inévitable rançon de toute compré-
hension. Sitôt compris, sitôt enserré dans un schéma rationnel, le texte
devient décevant. Quoi ? Ce n’était que cela ? Ce tissu de mystères
avait une cause aussi « simple » ?
L’accession au niveau de l’interprétation globale a donc pour corol-
laire une mise à distance critique du texte. Dès le moment où une
cohérence d’ensemble se manifeste, le lecteur se détache de l’illusion
des référents pour percevoir le texte en termes de procédés et de
techniques d’écriture. Ce qui était jusque-là un jeu « ouvert », un
playing accessible à toutes les fantasmatisations, apparait comme un
jeu éminemment réglé et fini, un game dont il convient seulement de
trouver la bonne issue29. Remarquons que, dans le cas qui nous occupe,
cette mise à distance critique était possible dès la perception de l’effet
de genre. Comprendre « à s’y méprendre ! » comme un récit fantas-
tique, c’était déjà prendre du recul par rapport à son fonctionnement
et se donner le moyen de poser sur lui un regard critique. Mais l’effet
de fantastique, on l’a vu, n’expliquait pas vraiment tout ; il laissait
le lecteur sur sa faim et lui évitait par là les affres de la déception.
Cela nous permet de formuler une loi qui constitue peut-être le grand
paradoxe de la lecture : plus le lecteur en sait sur le texte, plus il
s’expose à être déçu. Si l’interprétation satisfait le désir de savoir, elle
creuse en même temps ce désir qu’a tout lecteur d’être mystifié, de

28 Ce parcours capital qui fait passer des structures sémantiques aux


structures actancielles et idéologiques a notamment été bien décrit par
U. Eco dans son Lector in fabula, op. cit., pp. 231 sq.
29 Pour l’application à la lecture des catégories du jeu, voir M. Picard, op.
cit.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

rester sous l’emprise d’un charme, d’un inconnu qui le dépasse. Or,
de ces deux désirs, aucun n’a barre sur l’autre. Entre l’envie d’arrêter
le sens et celle de le laisser en suspens, c’est un combat sans fin qui
se joue, combat dont rendent bien compte des sémioticiens comme
Peirce ou Eco lorsqu’ils définissent la lecture comme une dialectique
entre la rationalisation pragmatique du texte et la stimulation de la
sémiosis illimitée.

5. Le sens en suspens
Mais qu’en est-il de cette dérive du sens, de cette sémiosis illimitée
dans le conte qui nous occupe ? Si la lecture symbolique s’avère
somme toute décevante, de quels moyens dispose le lecteur pour
relancer l’interprétation ? Il ne suffit pas de vouloir faire jouer le sens ;
encore faut-il que le texte s’y prête, que l’on puisse y déceler ce qu’Iser
appelle des Leerstelle, des « blancs », des indéterminations, des lieux
qui résistent à la logique de l’interprétation globale30.
Avec Villiers, Dieu merci, nous sommes servis. Est-ce vraiment une
surprise ? Si nous avons quelque connaissance de ses autres contes,
nous savons que, chez lui, rien n’est jamais absolument clair, aucun
problème définitivement clos. Dans « Le secret de l’ancienne
musique » par exemple, il n’hésite pas à se contredire, faisant l’éloge
tantôt de la musique nouvelle, tantôt de la musique ancienne. Dans
« Antonie », il s’abstient carrément de toute conclusion morale et
laisse le lecteur décider tout seul si la fidélité à elle-même qu’affiche
la demi-mondaine doit être comprise comme le comble du cynisme
ou comme l’ultime refuge de sa dignité.
Dans « à s’y méprendre ! », l’ambigüité ne concerne pas tant la
moralité que l’attitude du narrateur. Le parcours de lecture tâtonnant
qui vient d’être retracé a en effet permis de constater que le personnage
central de ce récit est tour à tour la dupe de l’illusion référentielle et
générique (il « croit » voir deux fois la même scène) et le révélateur de
la dimension symbolique du récit « la vie est un songe », nous glisse-
t-il subrepticement, puis, lors du dénouement, il laisse clairement
entendre qu’il a fort bien distingué les deux spectacles et détient la clé
de leur énigme). Le narrateur est donc successivement quelqu’un qui ne
comprend pas et quelqu’un qui sait, un halluciné et un clairvoyant ; il

30 Cf. W. Iser, L’acte de lecture, op. cit..

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Théorie de la littérature

passe brusquement de l’aveuglement à la lucidité. Certes, on peut dire


que cette ambivalence est nécessaire pour que le texte fonctionne : il
faut que le narrateur soit d’abord aveugle pour qu’on comprenne que
la ressemblance entre les deux lieux est hallucinante, puis il faut qu’il
devienne lucide pour que soit perceptible la nature symbolique de la
seconde scène. Il n’empêche que la duplicité du narrateur est lourde
de conséquence pour l’interprétation globale, car elle oblige à consi-
dérer que ce texte appartient à la fois au registre du fantastique et à
celui du symbolisme sans que rien ne permette de donner une priorité
décisive à un genre sur l’autre. L’effet le plus saisissant de la nouvelle
ne serait donc pas tant son « message » symbolique que le mixage
qu’elle opère entre deux modèles génériques établis.

6. Tout dans les yeux


Mais les découvertes du lecteur attentif ne s’arrêtent pas là. à bien
examiner le texte, il s’aperçoit que le narrateur ne dit nulle part que
les deux spectacles auxquels il a assisté sont effectivement différents.
Il use seulement pour les décrire de mots partiellement distincts et
affirme que ce qui diffère dans le second spectacle, c’est le coup d’œil
qui est porté sur lui.
Cette précision est capitale, car elle signifie que, pour Villiers, le sens
n’est pas immanent à la chose regardée, mais est construit par le
regard, par la conscience du spectateur. Une scène n’est pas en soi
sinistre ou joyeuse : c’est seulement la façon dont on la contemple qui
la dote de telles qualités. Il existe d’ailleurs une véritable obsession
du regard dans ce texte. Tout ce qui concerne l’organe visuel y est
présenté de manière déceptive, tous les personnages semblent souffrir
d’un déficit de la vue dont les aveugles de l’épigraphe constituent
les figures éponymes. Comme les infirmes qui « dardent on ne sait
où leurs globes ténébreux », les passants évoqués au début du récit
paraissent se débattre dans un enfer d’ombres et de masses difformes.
Le narrateur est lui-même affecté par le spectacle de leurs contor-
sions, qu’il qualifie de « toujours si pénible pour l’artiste » : il établit
donc clairement une opposition entre le regard impavide de l’homme
de la rue et l’œil éveillé de l’esthète épris d’harmonie et de beauté.
Hélas pour lui, la suite ne lui permettra guère de rencontrer un regard
frère. Dans la morgue, il a comme par hasard l’attention attirée par
« les yeux fixes », « les regards sans pensée » des cadavres : la mort,
semble-t-il nous dire, se manifeste avant tout par la perte du regard.

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De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture

Lorsqu’on arrive au café d’affaires, le thème devient de plus en plus


explicite. Ce qu’espère principalement le narrateur, c’est rencontrer
des gens à l’« œil brillant », mais, on le sait, une nouvelle déception
l’attend.
On voit de la sorte se dessiner en filigrane dans le texte une autre
moralité, qui n’annule pas la précédente, mais lui confère une
épaisseur singulière : vivre, ce serait d’abord savoir regarder, être
capable de faire habiter son regard par une pensée. De cette acuité
visuelle, le narrateur nous donne constamment l’exemple : observant
soigneusement les spectacles qui s’offrent à lui, il s’efforce chaque fois
de les reconnaitre, de les faire signifier par la mémoire (« malgré la
rigidité de son architecture, malgré la buée [...], je lui reconnus, tout
de suite, un certain air d’hospitalité cordiale » ; « Et je reconnus, alors,
que la maitresse du logis [...J n’était autre que la Mort »).
Villiers nous donne par là une sorte de modèle de ce que nous devrions
être en tant que lecteurs : non pas des consommateurs aveuglés par la
fixité des stéréotypies, mais des sujets actifs et désirants, qui prouvent
par leur attention aux mouvements souterrains du texte qu’ils ont
encore une « âme » et font partie du monde des vivants.

7. Villiers, maitre à lire


Apprendre à bien regarder, à reconnaitre la vérité derrière le leurre
des apparences : ce message caché d’« à s’y méprendre ! » est aussi,
à la réflexion, l’un des thèmes obsessionnels des Contes cruels. Dans
« Vox populi », il nous est clairement dit qu’au sein de toute foule se
cache un prophète, qu’à toute manifestation collective fait écho la
plainte métaphysique d’un personnage symbole, et que le monde est
fait de la combinaison dialectique de ces deux plans de réalité. Dans
« Le convive des dernières fêtes », la fonction essentielle du regard
est énoncée de manière explicite : « Les objets, nous dit Villiers, se
transfigurent selon le magnétisme des personnes qui les approchent,
toutes choses n’ayant d’autre signification, pour chacun, que celle
que chacun peut leur prêter » (p. 613). Dans tous ces textes, il est
demandé au lecteur de se munir d’un système de vision et d’audition
stéréophonique, afin de pouvoir percevoir à tout moment l’occulte
derrière l’apparent, l’essentiel derrière le superficiel, l’authentique et
le spirituel derrière l’inauthentique et le matériel.

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Théorie de la littérature

Tel serait donc, en dernier recours, l’un des enjeux profonds des
Contes cruels : apprendre au lecteur à percevoir le rôle magique que
peuvent exercer le regard et partant, la lecture elle-même. Est-il leçon
plus spirituelle que celle-là ?

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ANNEXE

à s’y méprendre !
à M. Henri de Bornier
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux
(C. Baudelaire)
Par une grise matinée de novembre, je descendais les quais d’un pas
hâtif. Une bruine froide mouillait l’atmosphère. Des passants noirs,
obombrés de parapluies difformes, s’entrecroisaient.
La Seine jaunie charriait ses bateaux marchands pareils à des
hannetons démesurés. Sur les ponts, le vent cinglait brusquement
les chapeaux, que leurs possesseurs disputaient à l’espace avec ces
attitudes et ces contorsions dont le spectacle est toujours si pénible
pour l’artiste.
Mes idées étaient pâles et brumeuses ; la préoccupation d’un rendez-
vous d’affaires, accepté depuis la veille, me harcelait l’imagination.
L’heure me pressait : je résolus de m’abriter sous l’auvent d’un portail
d’où il me serait plus commode de faire signe à quelque fiacre.
A l’instant même, j’aperçus, tout justement à côté de moi, l’entrée
d’un bâtiment carré, d’aspect bourgeois.
Il s’était dressé dans la brume comme une apparition de pierre,
et malgré la rigidité de son architecture, malgré la buée morne et
fantastique dont il était enveloppé, je lui reconnus, tout de suite, un
certain air d’hospitalité cordiale qui me rasséréna l’esprit.
« à coup sûr, me dis-je, les hôtes de cette demeure sont des gens
sédentaires ! – Ce seuil invite à s’y arrêter : la porte n’est-elle pas
ouverte ? »
Donc, le plus poliment du monde, l’air satisfait, le chapeau à
la main, – méditant même un madrigal pour la maitresse de la
maison, – j’entrai souriant, et me trouvai, de plain-pied, devant une
espèce de salle à toiture vitrée, d’où le jour tombait, livide.
à des colonnes étaient appendus des vêtements, des cache-nez, des
chapeaux. Des tables de marbre étaient disposées de toutes parts.
Plusieurs individus, les jambes allongées, la tête élevée, les yeux
fixes, l’air positif, paraissaient méditer.
Et les regards étaient sans pensée, les visages couleur du temps.
Il y avait des portefeuilles ouverts, des papiers dépliés auprès de
chacun d’eux.

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Théorie de la littérature

Et je reconnus, alors, que la maitresse du logis, sur l’accueillante


courtoisie de laquelle j’avais compté, n’était autre que la Mort. Je
considérai mes hôtes.
Certes, pour échapper aux soucis de l’existence tracassière, la
plupart de ceux qui occupaient la salle avaient assassiné leurs corps,
espérant, ainsi, un peu plus de bien-être.
Comme j’écoutais le bruit des robinets de cuivre scellés à la muraille
et destinés à l’arrosage quotidien de ces restes mortels, j’entendis
le roulement d’un fiacre. il s’arrêtait devant l’établissement. Je fis la
réflexion que mes gens d’affaires attendaient. Je me retournai pour
profiter de la bonne fortune.
Le fiacre venait, en effet, de dégorger, au seuil de l’édifice, des collé-
giens en goguette qui avaient besoin de voir la mort pour y croire.
J’avisai la voiture déserte et je dis au cocher : « Passage de
l’Opéra ! »
Quelque temps après, aux boulevards, le temps me sembla plus
couvert, faute d’horizon. Les arbustes, végétations squelettes, avaient
l’air, du bout de leurs branchettes noires, d’indiquer vaguement les
piétons aux gens de police ensommeillés encore.
La voiture se hâtait.
Les passants, à travers la vitre, me donnaient l’idée de l’eau qui
coule.
Une fois à destination, je sautai sur le trottoir et m’engageai dans le
passage encombré de figures soucieuses.
A son extrémité, j’aperçus, tout justement vis-à-vis de moi, l’entrée
d’un café, – aujourd’hui consumé dans un incendie célèbre (car
la vie est un songe), – et qui était relégué au fond d’une sorte de
hangar, sous une voute carrée, d’aspect morne. Les gouttes de pluie
qui tombaient sur le vitrage supérieur obscurcissaient encore la pâle
lueur du soleil.
« C’était là que m’attendaient, pensai-je, la coupe en main, l’œil
brillant et narguant le destin, mes hommes d’affaires ! »
Je tournai donc le bouton de la porte et me trouvai, de plain-pied,
dans une salle où le jour tombait d’en haut, par le vitrage, livide.
à des colonnes étaient appendus des vêtements, des cache-nez, des
chapeaux.
Des tables de marbre étaient disposées de toutes parts.
Plusieurs individus, les jambes allongées, la tête levée, les yeux fixes,
l’air positif, paraissaient méditer.
Et les visages étaient couleur du temps, les regards sans pensée.

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Annexe

Il y avait des portefeuilles ouverts et des papiers dépliés auprès de


chacun d’eux. Je considérai ces hommes.
Certes, pour échapper aux obsessions de l’insupportable conscience,
la plupart de ceux qui occupaient la salle avaient, depuis longtemps,
assassiné leurs « âmes », espérant, ainsi, un peu plus de bien-être.
Comme j’écoutais le bruit des robinets de cuivre, scellés à la muraille,
et destinés à l’arrosage quotidien de ces restes mortels, le souvenir du
roulement de la voiture me revint à l’esprit. « à coup sûr, me dis-je, il
faut que ce cocher ait été frappé, à la longue, d’une sorte d’hébétude,
pour m’avoir ramené, après tant de circonvolutions, simplement à
notre point de départ ? – Toutefois, je l’avoue (s’il y a méprise), LE
SECOND COUP D’ŒIL EST PLUS SINISTRE QUE LE PREMIER !... »
Je refermai donc, en silence, la porte vitrée et je revins chez
moi, – bien décidé, au mépris de l’exemple, – et quoi qu’il pût m’en
advenir, – à ne jamais faire d’affaires.

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PINSON J.-C.
1995 Habiter en poète, Seyssel, Champ Vallon.
RIFFATERRE M.
1978 « L’illusion référentielle », in R. BARTHES et al., 1982, Littérature et réalité,
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1983 Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil (Poétique) (éd. orig. : 1978).
Szondi P.
1970 « Friedriech Schlegels Theorie der Dichtarten », in Euphorion, 64.

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Théorie de la littérature

Chapitre 6. Le texte narratif

Le récit : généralités

ADAM J.-M.
1991 Le récit, PUF (1re éd. 1984).
1994 Le texte narratif, Paris, Nathan.
ADAM J.-M. et REVAZ Fr.
1996 L’analyse des récits, Paris, Seuil (Mémo).
Bal M.
1990 De theorie van vertellen en verhalen : inleiding in de narratologie, Coutinho.
Baroni R.
2007 La tension narrative. Suspense, curiosité, surprise, Paris, Seuil (Poétique).
2009 L’œuvre du temps, Paris, Seuil (Poétique).
BARTHES R.
1966 « Introduction à l’analyse structurale des récits », in R. BARTHES et al., 1977,
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1968 « L’effet de réel », in BARTHES R. et al., 1982, pp. 81-90.
1970 S/Z, Paris, Seuil (Points, 70)
BARTHES R. et al.
1977 Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977 (Points, 78).
1982 Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982 (Points, 142).
BREMOND Cl.
1973 Logique du récit, Paris, Seuil.
DÄLLENBACH L.
1992 Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil (Poétique).
DUMORTIER J.-L.
1986 Écrire le récit, Bruxelles-Gembloux, De Boeck-Duculot.
2001 Lire le récit de fiction, Bruxelles, De Boeck-Duculot (Savoirs en pratique).
2005 Tout petit traité de narratologie buissonnière, Namur, P. U. de Namur
(Diptyque).
DUMORTIER J.-L. et PLAZANET Fr.
1980 Pour lire le récit, Bruxelles-Gembloux, De Boeck-Duculot.
ECO U.
1996 Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Paris, Grasset.
EVERAERT-DESMEDT N.
1987 Sémiotique du récit, Bruxelles, De Boeck.
GENETTE G.
1972 Figures III, Paris, Seuil (Poétique).
1983 Nouveau discours du récit, Paris, Seuil (Poétique).
2004 Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil (Poétique).
GERVAIS B.
1990 Récits et actions, Québec, Le Préambule.
GLAUDES P. et REUTER Y.
1999 Le personnage, Paris, PUF (Que sais-je ?).

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Bibliographie

HALLYN F. (dir.)
Onze études sur la mise en abyme, Gand, Romanensia Gandensia.
HAMON Ph.
1977 « Pour une étude sémiologique du personnage », in R. BARTHES et al.,
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JOUVE V.
2001 Poétique des valeurs, Paris, PUF (Écriture).
LARIVAILLE P.
1974 « L’analyse (morpho)logique du récit », in Poétique, 19, pp. 368-388.
LITS M.
2008 Du récit au récit médiatique, Bruxelles, De Boeck (Info Com).
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2009 Le narrateur. Introduction à la théorie narrative, Paris, Armand Colin (U).
Pier J. et Schaeffer J.-M.
2005 Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS.
REUTER Y.
2000 L’analyse du récit, Paris, Nathan (128).
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1983, 84, 85 Temps et récit (3 tomes), Paris, Seuil (L’ordre philosophique).

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BARTHES R.
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CARLIER Chr. et GRITON-ROTTERDAM N.
1994 Des mythes aux mythologies, Paris, Ellipses (Thèmes et études).
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2003 « Archétype, mythe, stéréotype : pour une clarification terminologique »,
in Cahiers électroniques de l’Imaginaire, 1, Héroïsation et questionnement
identitaire en Occident : mise en place des concepts interdisciplinaires,
pp. 7-42.
DUMÉZIL G.
1968-1973 Mythe et épopée, Paris, Gallimard (3 vol.)
1983 Du mythe au roman, Paris, PUF (Quadrige).
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1963 Aspects du mythe, Paris, Gallimard (Folio essai).
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1984 « épopée », in J.-P. de Beaumarchais, D. Couty et A. Rey (dir.),
Dictionnaire des littératures de langue française, Paris, Bordas.
1984 « Mythe et littérature », in J.-P. de Beaumarchais, D. Couty et A. Rey
(dir.), Dictionnaire des littératures de langue française, Paris, Bordas.
1988 L’épopée, Paris, PUF.
HUET-BRICHARD M.-C.
2001 Littérature et mythe, Paris, Hachette (Contours littéraires).

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Théorie de la littérature

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1999 Mythe et écriture. La nostalgie de l’archaïque, Paris, PUF.
SUARD F.
2009 La chanson de geste, Paris, PUF (Que sais-je ?) (1re éd. : 1993).
WUNENBURGER J.-J. (dir.)
1998 Art, mythe et création, Dijon, Presses universitaires de Dijon (Figures libres).

Le conte

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1987 « Conte et nouvelle », in COLLECTIF, Le conte. 7e colloque d’Albi, Toulouse,
Université de Toulouse-le-Mirail.
BELLEMIN-NOËL J.
1983 Les contes et leurs fantasmes, Paris, PUF.
BELMONT N.
1999 Poétique du conte. Essai sur le conte et la tradition orale, Paris, Gallimard.
BETTELHEIM Br.
1976 Psychanalyse des contes de fées, Paris, Laffont.
CARLIER Chr.
1998 La clef des contes, Paris, Ellipses (Thèmes et études).
Dundes A.
1980 The Morphology of North America Indian Folktales, Helsinki, Academia
Scientarum Fennica.
FLAHAULT Fr.
1988 L’interprétation des contes, Paris, Denoël.
JACQUES G. (dir.)
1981 Recherches sur le conte merveilleux, Louvain-la-Neuve, Travaux de la Faculté
de Philosophie et Lettres de l’UCL, XXIV.
PAULME D.
1976 La mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes africains, Paris,
Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines).
Petitat A. (dir.)
2002 Contes, l’universel et le singulier, Lausanne, Payot.
Petitat A. et PAHUD S.
2003 « Les contes sériels ou la catégorisation des virtualités primaires de l’action »,
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2004 « L’interaction narrative et ses surprises. Contes-attrapes et autres curiosités de
la littérature orale », in Poétique, 138, pp. 159-181.
PROPP Vl.
1965-70 Morphologie du conte, suivi de Les transformations des contes merveilleux
et de E. Métélinski, L’étude structurale et typologique du conte, Paris, Seuil
(Points, 12).
SIMONSEN M.
1984 Le conte populaire français, Paris, PUF (Que sais-je ?).

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Bibliographie

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Littérature, 1, pp. 15-30.
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Le roman

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1970 Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil.
1978 Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard.
1984 Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.
BERTHELOT Fr.
2001 Parole et dialogue dans le roman, Paris, Nathan (Fac).
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1980 Roman et poésie. Essai sur l’esthétique des genres – La littérature d’avant-
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1990 Introduction aux grandes théories du roman, Paris, Bordas.
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2004 « Wat is a Novel ? », in The English Novel : An Introduction, Grand Rapids :
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1992 L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF.
1997 La poétique du roman, Paris, SEDES (Campus Lettres).
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1986 L’art du roman, Paris, Gallimard (Folio Essais).
1993 Les testaments trahis, Paris, Gallimard.
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1996 Le roman, Paris, Seuil (Mémo, 26).
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2009 Introduction à l’analyse du roman, Paris, Armand Colin (Lettres Sup) (1re éd. :
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Théorie de la littérature

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1992 Le roman, Paris, Hachette (Contours littéraires).
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1981 Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique, Paris, Seuil.

La nouvelle

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1993 « La nouvelle : genre de l’évènement (sur un thème de Gilles Deleuze) », La
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1994 L’Année-nouvelle à Louvain-la-Neuve. Le Colloque-festival, Louvain-la-Neuve,
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1995 Le genre de la nouvelle dans le monde francophone au tournant du XXIe
siècle. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve, Frasne/Québec/Luxembourg,
Canevas/L’instant même/Éditions Phi.
ENGEL V. et GUISSARD M. (dir.)
1996 La nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen
Âge à nos jours. Vol. 1. Actes du colloque de Metz, Ottignies, Quorum.
Godenne R.
1989 Bibliographie critique de la nouvelle de langue française (1940-1985), Genève,
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1992 Premier supplément à la bibliographie critique de la nouvelle de langue
française (1940-1990), Genève, Droz.
1996 La nouvelle, Paris, Champion.
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1960 « Préface » à Barbey d’Aurevilly, Les diaboliques, Paris, Librairie générale
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1993 Lire la nouvelle, Paris, Dunod.
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1871 Deutscher Novellenschatz, München, Oldenburg.
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1956 « Préface » à Conteurs français du XVIe siècle, Paris, Gallimard (Bibliothèque
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1996 La nouvelle, Paris, Hachette (Contours littéraires).

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Bibliographie

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1995 « La nouvelle : essai de compréhension d’un genre », Cahiers de l’université
de Perpignan, n° 18, Aspects de la nouvelle (II), pp. 9-76.
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1989 L’esthétique de la nouvelle française au XXe siècle, Berne, Peter Lang.

Le récit réaliste

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1982 Littérature et réalité, Paris, Seuil (Points, 142).
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2000 Les romanciers du réel : de Balzac à Simenon, Paris, Seuil.
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Récits policiers et romans noirs

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1998 Qui a tué Roger Ackroyd ?, Paris, Minuit.
BOILEAU-NARCEJAC
1975 Le roman policier, Paris, PUF (Que sais-je ?).
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1992 Le roman policier ou la modernité, Paris, Nathan (Le texte à l’œuvre).
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1983 Autopsies du roman policier, Paris, U.G.E. (10/18).
LITS M.
1993 Le roman policier : introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire,
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2007 Le roman policier, Paris, Armand Colin (128) (1re éd. : Nathan, 1997).
SCHWEIGHAEUSER J.-P.
1984 Le roman noir français, Paris, PUF (Que sais-je ?).
VAREILLE J.-Cl.
1989 L’homme masqué, le justicier et le détective, Lyon, PUL (Littérature et
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Fantastique et science-fiction

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2004 Les frontières du fantastique, Valenciennes, P.U. de Valenciennes.

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Théorie de la littérature

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1991 La science-fiction. Vadémécum du professeur de français, Bruxelles, Didier
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1951 Le conte fantastique, Paris, Corti.
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1992 La science-fiction. 13 nouvelles, Paris, Nathan (Récits du monde).
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2006 La science-fiction. Lecture et poétique d’un genre littéraire, Paris, Armand
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MALRIEU J.
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1974 Le merveilleux et le fantastique, Paris, Delagrave.
PRINCE N.
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2004 Poétique du fantastique, Paris, Cahiers de la nouvelle Europe/L’Harmattan.
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2004 « La lecture du fantastique : terreurs littéraires, peurs sociales », in Belphégor,
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1990 La littérature fantastique, Paris, PUF (Que sais-je ?).
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1976 Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil (Points, 73).

Les récits de vie

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2004 Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil (Poétique).
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1970 « Les biographies de Paris Match », in Communications, 16, pp. 110‑124.
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1975 Le pacte autobiographique, Paris, Seuil (Poétique).
1980 Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux médias, Paris, Seuil
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1983 « Le pacte autobiographique (bis) », in Poétique, 56, pp. 416-434.
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Bibliographie

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1979 L’autobiographie, Paris, PUF.
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2001 Le journal intime, Nathan (128).

Le roman historique

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1975 « Le roman historique et l’histoire », in Revue d’histoire littéraire de la France,
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LUKACS G.
2000 Le roman historique, Paris, Payot (Petite bibliothèque Payot) (éd. orig. en
français : 1965).
MOLINO J.
1975 « Qu’est-ce que le roman historique ? », in Revue d’histoire littéraire de la
France, 2-3, pp. 195-234.

Le récit postmoderne

ECO U.
1985 Apostille au Nom de la rose, Paris, Grasset (Le Livre de Poche, Biblio essais).
KIBEDI VARGA A.
1990 « Le récit postmoderne », in Littérature, 77, pp. 3-22.
LYOTARD J.-F.
1986 Le postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée.
SCARPETTA G.
1985 L’impureté, Paris, Grasset (Figures).

Le comique

DECOTTIGNIES J.
1988 Écritures ironiques, Lille, P.U. Lille.
DEFAYS J.-M.
1996 Le comique, Paris, Seuil (Mémo, 24).
DEFAYS J.-M. et DUFAYS J.-L.
1999 Le comique. Vadémécum du professeur de français, Bruxelles, Didier Hatier
(Séquences).

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Théorie de la littérature

EMELINA J.
1996 Le comique. Essai d’interprétation générale, Paris, SEDES (Questions de
littérature).
HAMON Ph.
1996 L’ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette.
OST I., PIRET P. et VAN EYNDE L. (dir.)
2004 Le grotesque. Théorie, généalogie, figures, Bruxelles, Facultés universitaires
Saint-Louis.
SANGSUE D.
1994 La parodie, Paris, Hachette (Contours littéraires).
SAREIL J.
1984 L’écriture comique, Paris, PUF (Écriture).
SCHOENTJES P.
2001 Poétique de l’ironie, Paris, Seuil.

La description

ADAM J.-M. et PETITJEAN A.


1989 Le texte descriptif, Paris, Nathan.
HAMON Ph.
1993 Du descriptif, Paris, Hachette.
REUTER Y. (dir.)
1998 La description. Théories, recherches, formation, enseignement, Paris, Presses
universitaires du Septentrion.

La « paralittérature »

BOYER A.-M.
1992 La paralittérature, Paris, PUF (Que sais-je ?).
COUEGNAS D.
1992 Introduction à la paralittérature, Paris, Seuil (Poétique).
MARTY R.
1976 Le roman populaire, Paris, Seghers.

La bande dessinée

BARON-CARVAIS A.
2007 La bande dessinée, Paris, PUF (Que sais-je ?) (1re éd. 1985).
FRESNAULT-DERUELLE P.
1972 La bande dessinée. Essai d’analyse sémiotique, Paris, Hachette.
GROENSTEEN Th.
1999 Système de la bande dessinée, Paris, PUF.

— 200 —

001.Théorie de la litttér.n° 9.indd 200 2/11/09 16:30:03


Bibliographie

PEETERS B.
1995 La bande dessinée, Paris, Flammarion (Dominos).
RENARD J.-B.
1986 Bandes dessinées et croyances du siècle. Essai sur la religion et le fantastique
dans la bande dessinée franco-belge, Paris, PUF (La politique éclatée).
ROUVIERE N.
2008 Astérix ou la parodie des identités, Paris, Flammarion.

Le récit filmique

GARDIES A.
1993 Le récit filmique, Paris, Hachette (Contours littéraires).
GAUDREAULT A.
1988 Du littéraire au filmique. Système du récit, Paris, Klincksieck (Méridiens).
SERCEAU M.
1999 L’adaptation cinématographique des textes littéraires. Théories et lectures,
Liège, CEFAL.

Autres genres narratifs

CANVAT K. et VANDENDORPE Chr.


1993 La fable. Vadémécum du professeur de français, Bruxelles, Didier Hatier
(Séquences).
HAROCHE-BOUZINAC G.
1995 L’épistolaire, Paris, Hachette (Contours littéraires).
MONTANDON A.
1993 Les formes brèves, Paris, Hachette (Contours littéraires).
ROUSSET J.
1981 Leurs yeux se rencontrèrent, Paris, José Corti [étude sur le roman
sentimental].
TADIÉ J.-Y.
1982 Le roman d’aventures, Paris, PUF.
VERALDI G.
1983 Le roman d’espionnage, Paris, PUF (Que sais-je ?).

L’essai

ANGENOT M.
1982 La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot.
BAAR M. et LIEMANS
2000 Lire l’essai, Bruxelles, De Boeck (Savoirs en pratique).
DUMONT Fr.
2003 Approches de l’essai. Anthologie, Québec, Nota Bene (Visées critiques).

— 201 —

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Théorie de la littérature

LITS M.
1994 L’essai. Vadémécum du professeur de français, Bruxelles, Didier Hatier
(Séquences).

Chapitre 7. L’analyse des lectures (quelques exemples...)


DUFAYS J.-L.
1993 « À s’y méprendre! ou le second coup d’œil. Démontage d’une lecture », in
Poétique, 96, pp. 451-461.
1993 « L’enjeu des stéréotypes dans Olivia de Madeleine Ley », in Textyles, 10,
pp. 49-62.
1995 « Pour une analyse des lectures. Le jeu des interprétations dans Le train
immobile de Frédérick Tristan », in Orbis Litterarum, 50, pp. 164‑180.
PICARD M.
1992 Nodier, La fée aux miettes : loup y es-tu ?, Paris, PUF (Le texte rêve).

+ Voir les autres rubriques de cette bibliographie.

Principales revues de critique ou de théorie littéraire en langue


française
Critique (Paris, Minuit).
Degrés (Bruxelles).
Études françaises (Montréal).
Études germaniques (Paris).
La lecture littéraire. Revue de recherche sur la lecture des textes littéraires (Paris,
Klincksieck).
Les Lettres romanes (Louvain-la-Neuve, UCL).
Littérature (Paris, Larousse).
Orbis litterarum (Munksgaard, Danemark).
Poétique (Paris, Seuil).
Pratiques (Metz).
Revue des sciences humaines (Lille).
Texte (Toronto).
Textyles (Bruxelles).

— 202 —

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Présentation des auteurs

Jean-Louis Dufays est professeur à l’Université catholique de Louvain,


où il enseigne la théorie de la littérature et la didactique du français
langue première. Responsable du Centre d’études en didactique
des langues et des littératures romanes, il est l’auteur d’une dizaine
d’ouvrages parmi lesquels Stéréotype et lecture (Mardaga, 1994) et
Pour une lecture littéraire (De Boeck, 2005), ainsi que de deux cents
articles.

Michel Lisse est chercheur qualifié du FNRS et professeur à l’Université


catholique de Louvain, où il enseigne la philosophie et la théorie de
la littérature. Spécialiste de Jacques Derrida, il a publié L’expérience
de la lecture (2 volumes, Galilée, 1998-2001), Jacques Derrida (ADP,
2005), ainsi que de nombreux articles, et il a co-édité le Séminaire de
Derrida La bête et le souverain (Galilée, 2008).

Christophe Meurée a été pendant huit ans assistant à l’Université


catholique de Louvain, où il a enseigné la théorie et l’analyse litté-
raires. Spécialiste du texte dramatique et du récit contemporain – en
particulier de l’œuvre de Marguerite Duras et de Bernard-Marie Koltès
–, il a publié une vingtaine d’articles et soutenu en 2009 une thèse de
doctorat intitulée La scène d’atemporalité dans le récit contemporain
de langue française.

— 203 —

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Table des matières

Introduction 5
A. Pourquoi s’intéresser à la littérature ? 6
1. Les enjeux passionnels 7
2. Les enjeux rationnels 8
B. La théorie de la littérature, pour quoi faire ? 10

Chapitre 1. Des théories du texte aux théories de la lecture 13


A. Les théories du texte 13
B. Les théories de la lecture 16
C. Le double jeu de la lecture 17
1. Au-delà de l’opposition entre effet et réception 17
2. Texte et lecture : définitions 19
3. Intention de l’auteur/intention du lecteur/
intention « du texte » 19

Chapitre 2. La notion de littérature 23


A. La littérarité, valeur immanente ou contextuelle ? 23
1. Les approches internes 24
L’approche formelle 24
L’approche référentielle 25
L’approche dialogique 26
Des approches combinées 27
2. Les approches externes 27
L’approche lecturale 27
L’approche institutionnelle 29
L’approche polysystémique 31
3. Regards croisés sur l’effet littérature 32
Un phénomène institutionnel 32
Un certain rapport à l’écriture 33
Un certain rapport à la lecture 34
B. La littérature, quel corpus et quelle lecture ? 36

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Théorie de la littérature

Chapitre 3. La problématique des genres littéraires 39


A. De Platon aux Romantiques allemands 39
B. Mikhaïl Bakhtine : le roman et les genres 51
1. Les grands genres 52
2. Le roman 53
3. Le rapport du roman aux autres genres 55

Chapitre 4. Le texte dramatique 57


A. Définitions internes classiques 59
1. L’action 59
2. La fable 60
3. Le personnage 61
4. Le temps et l’espace 62
5. Le langage 62
B. Les catégories dramaturgiques 63
1. La dramaturgie 64
2. Mimésis et catharsis 65
3. Dialogue, monologue, aparté, dramatis personae,
didascalie 70
4. La lecture du texte de théâtre 72
C. Le décloisonnement théâtral au XXe siècle 73

Chapitre 5. Le texte poétique 75


A. Poésie et société 75
B. Qu’est-ce que la poésie ? 76
1. Des théories en débat 76
2. Les conceptions historiques de la poésie 77
3. Quatre postulats pour une définition relativiste
de la poésie 80
C. Comment lire la poésie ? 80
Sentir 81
Comprendre 81
Interpréter 83
D. Vers une lecture derridienne de la poésie 83

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Table des matières

Chapitre 6. Le texte narratif 97


Introduction 97
1. Universalité et singularité du récit 97
2. Les deux faces du récit : énoncé/énonciation,
diégèse/référent 98
A. Les éléments constitutifs du récit 99
1. La diégèse 101
2. La narration 111
3. La mise en texte 119
a. Le jeu des temps 120
b. La progression thématique 120
c. Désignation des personnages et coréférence 121
d. Choix rhétoriques et stylistiques 122
e. Champs lexicaux et champs sémantiques 122
B. Les formes narratives 123
1. Le mythe 123
2. L’épopée 124
3. Le conte 125
4. Le roman 127
5. La nouvelle 129
C. Les mondes du récit 129
1. Le récit réaliste 130
2. Les récits policiers 132
3. Les récits de l’étrange 135
4. Les récits de vie 138

Chapitre 7. De l’analyse des textes à l’analyse de leur lecture 143


A. Les étapes de la construction du sens 143
1. L’orientation préalable 144
a. La finalisation 144
b. Les précadrages 145
2. La compréhension locale 146
a. La sémiotisation ou la reconnaissance des mots 146
b. La construction du sens des phrases. Ambigüités et
incertitudes 146
c. Sens grammatical et sens symbolique 148
d. La lecture « poétique » 148
3. La compréhension globale 149
a. Sens, topics, stéréotypes 149

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Théorie de la littérature

b. Du topic générique au macrotopic et au mode d’énonciation 150


c. Construction du cadre « intratextuel » et saisie des informations 151
d. Du repérage des indéterminations à la lecture suspensive 152
e. Le clichage du texte : colmatage des « blancs » et créativité
du lecteur 153
4. Les constructions du second degré 153

B. Les modes de lecture 155


C. L’évaluation du texte 157
D. Une illustration : démontage d’une lecture d’un « conte »
de Villiers de l’Isle-Adam 160
1. L’explication traditionnelle 160
2. La lecture réaliste 161
3. Un récit fantastique ? L’illusion générique 163
4. La lecture symbolique 165
5. Le sens en suspens 167
6. Tout dans les yeux 168
7. Villiers, maitre à lire 169

ANNEXE
à s’y méprendre ! 171

Bibliographie 175
Présentation des auteurs 203

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