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OEUVRE INTEGRALE

Chapter · March 2020

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Christophe Ronveaux Julie Babin


University of Geneva Université de Sherbrooke
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ŒUVRE INTEGRALE
Dans le domaine scolaire, la notion d’œuvre intégrale – et celle d’œuvre complète qui la précède –
s’est constituée à l’école secondaire principalement, en opposition aux morceaux choisis et à leur
lecture commentée et approfondie. Elle cristallise les profondes mutations de la discipline français
depuis sa formation dans son projet de discipliner toute une génération d’élèves à des manières de lire
des textes littéraires. Houdart1 relève dans les instructions officielles françaises, dès 1909, à côté de
l’explication de texte, des formes de lecture qui portent sur des passages longs, sans commentaire.
L’appellation d’« œuvre complète » apparait dans les instructions de 1939 associée à la lecture suivie.
En 1952, poursuit l’auteure2, la lecture suivie et dirigée se pratique sur une « œuvre entière » dans la
double finalité de dégager des « notions suivies d’histoire de la littérature française » et de développer
« le sentiment des ensembles ». En contrepoint de ces pratiques de lecture scolaires, contre l’édition
abrégée, se développe le livre de poche sous l’appellation d’« œuvre intégrale »3. Il faut attendre les
années septante pour que la notion paraisse dans les instructions officielles. Pour les militants du
manifeste de Charbonnières, elle entre en concurrence avec la notion générique de « texte intégral ».
Ainsi peut-on lire en 1977 dans la revue de l’AFEF, Le Français aujourd’hui : « La seule chose sûre,
c’est qu’il faut tordre le cou aux classements tout faits, aux découpages tout faits des morceaux
choisis; on n’envisagera […] que des textes intégraux »4 (en italique dans le texte). Jusque-là, la notion
ne touchait que les pratiques de lecture scolaires des élèves du secondaire supérieur de 15 ans et plus,
mais dès les années 1990, un peu partout en Francophonie se fait jour la nécessité d’enseigner la
compréhension à partir de textes intégraux dès les premiers apprentissages de la lecture. Ces deux
appellations d’œuvre intégrale et de texte intégral témoignent de la lutte contre les dimensions
essentialistes de l’opus auctoris et contre la sacralisation de la littérature. Faut-il voir là un nouvel état
de la discipline, davantage orientée vers le développement de compétences de lecture ?

« Œuvre complète », « ensemble vaste », « œuvre intégrale », « texte intégral », « version intégrale des
textes », toutes ces étiquettes, au-delà de leur histoire et de la variété des objets qu’elles couvrent,
accompagnent l’évolution de la discipline vers l’idée que la lecture, considérée comme une production
de significations, ne peut s’enseigner qu’à partir d’un texte, c’est-à-dire une suite linguistique formant
une unité de communication, dont le bornage générique détermine le sens. D’aucuns considèrent que
le texte intégral – originalement pensé par son auteur comme un tout, une globalité – est plus adapté
pour enseigner la lecture que l’extrait, servant traditionnellement les commentaires analytiques
approfondis et les exercices d’admiration. La transformation de la littérature comme matière
d’enseignement en objet à enseigner pour développer la compétence de lecture marque une profonde

1
Violaine Houdart, Violaine, « L’œuvre intégrale : apreçu historique et enjeux », dans Le Français
aujourd’hui, no 117, 1997, p. 3-13.
2
Ibid., p.4.
3
Bertrand Legendre, « Les débuts de l'édition de poche en France: entre l'industrie et le social (1953-
1970) », dans Mémoires du livre, no 2(1), 2010, récupéré dans http://id.erudit.org/iderudit/045320ar
4
Ibid., p.9.
rupture des usages de la notion. L’œuvre intégrale, à côté du texte intégral, se comprend aujourd’hui
dans un sens qui atténue le trait du fait littéraire d’exception (« le chef-d’œuvre ») au profit d’une
notion plus relative. Est œuvre intégrale toute production textuelle singulière, produite par un auteur,
délimitée par sa matérialité d’objet-livre, par son unité thématique, par l’organisation de son contenu
(une intrigue dans le cas d’une narration, une thématique dans le cas d’un poème), toutes ces
dimensions qui, selon l’expression de Lanson, « contiennent déjà le public », c’est-à-dire pour le
domaine scolaire, des dimensions langagières, textuelles et littéraires, variables selon les plans
d’études, les niveaux scolaires et les idéologies des institutions scolaires.

L’appellation d’œuvre intégrale s’applique majoritairement au texte romanesque. Il est troublant en


effet de constater que les dispositifs innovants des années 1970, développés par la toute jeune
didactique du français, proposaient d’accompagner la lecture d’œuvres intégrales de l’usage de
diverses notions narratologiques (le schéma quinaire, la constellation des personnages, les fonctions
du récit, etc.).

Les divers acteurs de l’école qui agitent aujourd’hui la notion d’œuvre intégrale veulent se prémunir
de trois démons5 : celui du découpage arbitraire des morceaux choisis, celui du chef d’œuvre
admirable que l’on aborde avec humilité – « à reculons », écrivait Clarac –, et celui des lectures
suivies linéaires commentant pas-à-pas la découverte du texte. Ces démons renvoient à des problèmes
didactiques considérables, à la fois théoriques et praxéologiques. Quels enseignables privilégier pour
développer la compréhension d’un texte d’une certaine ampleur dans l’espace et le temps de l’étude ?
Par quels dispositifs ménager des temps de lecture individuel et collectif dans des rythmicités
différenciées ? Par quels exercices accompagner le trajet interprétatif d’un sujet lecteur dans son
articulation du local au global ? Comment le soutenir dans sa mémorisation ? Les dispositifs proposés
aujourd’hui tentent de répondre à ces questions de deux manières : (1) en développant une ingénierie
de la lecture indicielle6, les élèves sont invités à repérer dans le texte des indices qui leur permettront
de structurer un mouvement thématique, de mener une analyse thématique, de reconstituer la
constellation des personnages ; (2) en focalisant l’attention des élèves sur le mouvement d’ensemble
du texte, appelée « approche tabulaire »7, par la formulation d’hypothèses sur le sens global, lesquelles
hypothèses sont mises à l’épreuve au fil de la découverte du texte.

RONVEAUX Christophe
Université de Genève
BABIN Julie

5
Olivier Dezutter et Cari Morissette, « Les finalités assignées à la lecture des oeuvres complètes: le point de vue
d'enseignants québécois du dernier cycle du primaire à la fin du secondaire », dans Jean-Louis Dufays (dir.),
Enseigner et apprendre la littérature aujourd'hui, pour quoi faire?, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de
Louvain, 2007, p. 269-277.
6
Bernard Veck, Œuvres intégrales et projet de lecture, Paris, INRP - Bertrand-Lacoste, 1998.
7
Gérard Langlade, Lire des œuvres intégrales au collège et au lycée, Toulouse, Delagrave, 2002.
Université de Sherbrooke

mots-clés : roman, lecture, extrait, recueil, sujet lecteur

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