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Le Langage et l'Homine, vol. XXXXI, n° l (juin 2006)
L'explication de texte, dans le sens englobant que lui donne Daunay (2002),
est !'exercice fondateur de renseignement de la littérature au secondaire. Qu'elle
prenne la forme d'une analyse textuelle, d'un commentaire composé, d'une
analyse littéraire ou d'une lecture méthodique, elle vise à développer la
compétence du lecteur. Dans un. enseignement de la littérature, il s'agit de former
à un discours métatextuei. Dans le meilleur des cas et dans sa forme ia plus
ambitieuse de l'analyse de texte, un élève apprendra à « communiquer avec ses
compagnons, avec son professeur, avec des dictionnaires, des grammaires..., à
expliciter ses réactions et hypothèses, à les mettre à l'épreuve et ainsi, peu à peu,
à faire le départ entre ce qui lui est propre et ce qui lui est commun à la classe (et
par là, sans doute, plus facilement attribuable, en tant que valeur culturelle, au
texte iui-même) ; non pas simple rejet ou refoulement, mais reconnaissance,
discrimination et maîtrise progressives » (Legros, 1978, p.65). Cette finalité est
ambitieuse et son exercice périlleux.
La pratique en classe de français de l'exercice de l'explication de texte fait
régulièrement Pobjet de critique. On lui reproche de ne plus tenu- sa visée de
développer la lecture, de perdre le lien avec le texte. Sont mises en cause tour à
tour son inadaptation au contexte des faibles lecteurs, la nature même de
l'exercice trop axé sur le texte littéraire, la technique de guidage de renseignant.
La lecture littéraire a pu apparaître à certains conime une voie prometteuse, en
particulier dans sa manière de replacer le lecteur au cœur de l'activité
interprétative. Avec elle, on retrouverait le sens de l'exercice originaire de
l'explication de texte : repartir du texte, en saisir les potentialités didactiques et en
faire le point de départ de la tâche. Le propos de cet article n'est pas de présenter
une innovation de plus. Il s'agit plutôt d'identifier ce qui dans les techniques de
pointage de renseignant détermine les conditions d'un apprentissage de la
lecture.
Cette contribution propose une analyse du travail d'une enseignante de
littérature au secondaire supérieur . Cette enseignante a accepté de mener une
leçon sur un extrait de la Lettre aux acteurs de Valère Novarina. Dans un premier
34 DU TEXTE LITTÉRAIRE À LA TÂCHE SCOLAIRE...
L. Le contrat deux périodes qui couvrent la leçon. Celui-ci fournit une sorte de synthèse des
sa lecture du activités réalisées suivant un ordre séquentiel et une structure hiérarchique. La
•us permettre macro-structure ainsi dégagée (cf. annexe) nous permettra de mieux comprendre
la logique du travail de renseignante.
acteurs. Les
présence de
t pas faire les 2. Analyse de la préparation
et apparente
le texte. La La réflexion de renseignante lors de la préparation de son travail évoque
phonatoires d'abord les liens possibles à établir entre le texte de Novarina, les tâches
ssion chère à prescrites dans les programmes officiels du cours de français et les contenus
ionnalité des d'enseignement en cours de développement dans la classe (en particulier du cours
oppose deux de littérature). Sont convoqués tour à tour son expérience personnelle de lectrice,
mes liés à la le contexte socio-bistorique du texte, les diverses représentations dont ce dernier a
yer, déglutir, fait l'objet, les textes proches dont elle cite des extraits plus ou moins longs (de
3 relevant de quelques lignes à plusieurs pages) ou des auteurs dont elle nomme les topiques,
gibles. Cette les stéréotypes. Progressivement, renseignante centre ses réflexions sur le texte
française. Le même et ses thématiques propres : l'oralité et le corps. Cette centration sur la
1 corps oral thématique du texte est le produit de l'analyse des moyens lexicaux, syntaxiques,
isition de la sonores mis en œuvre par le texte. Le caractère scandaleux du texte, la nature de
renonciation (une prescription aux acteurs), le rythme rapide des phrases brèves
u « réactif» (phrases nominales, verbes à l'impératifou à l'mfinitifsans sujet) en alternance
formation / avec de longues périodes classiques, la thématique du corps oral et buccal, la
:e littéraire), présence de toumures orales (élisions, interjections, phrases exclamatives,
î davantage syntaxe mimant le tour oral) dans l'écrit, les ruptures créatives du genre
un objet qui épistolaù-e qui devient texte théâtral, tous ces aspects du texte conduisent
istigation de renseignante à choisir une entrée par l'oralisation au détriment d'une approche
nant. L'idée traditionnelle de type « commentaire », une entrée dont renseignante reconnaît
des circuits explicitement qu'elle lui a été suggérée par le texte même. Les activités de lecture
un modèle à haute voix, de mémorisation et de mise en espace se feront dans un premier
ts et montre temps en dehors de toute préoccupation de sens. L'activité métatextuelle
irayant sous interprétative est mise en veilleuse au profit de la performance.
analyse des Le choix par renseignante d'une entrée axée sur la lecture à haute vobî de
l'extrait du texte de Novarina où ['accès au sens et au champ esthétique est
le la leçon : d'abord intuitif et par imprégnation, est dicté par les contenus de La lettre aux
leurs. Nous acteurs. Cela dit, tout le travail de préparation proactive permet une anticipation
en avec les des mterventions concrètes de renseignante. L'analyse a priori du texte à lire et
uuent cette de ses potentialités didactiques reste de ce point de vue une base des ressources à
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mobiliser dans les mteractions avec les élèves après l'oralisation et la mise en
bouche.
Etant donné ce chobc de renseignante, les réflexions sur le corps, la mise en
scène, la prosodie, l'articulation, l'accentuation, le souffle, les registres de langue,
les jeux de mots, le caractère boulimique de la parole, etc. sont celles qui seront
davantage reprises et rentabilisées au cours des activités qu'ordonne la logique de
la tâche scolaire. En résumé, quatre axes de la réflexion de renseignante vont
détermmer la tâche scolaire :
3. Analyse de la tâche
produit d'une activité de sémiose, au sens où celle-ci s'appuie sur des ressources
vocales, kmésiques, corporelles, spatiales pour provoquer des effets. Ces
ressources sont mises au service des moyens mis en œuvre par le texte. C'est en
cela que la tâche proposée par renseignante relève de l'interprétation.
5. Le. contrat didactique est volontairement lacunaire. Même s'il est
explicité d'emblée, le contrat didactique porte moins sur le texte et la démarche
d'mterprétation que sur l'engagement des élèves dans l'exploration des
ressources vocales et corporelles. Les consignes et les conseils pour la mise en
activité sont sobres ; chaque activité porte sur un objet (le souffle, l'accentuation
des consonnes, la mémorisation, etc.) dont les propriétés vont être sollicitées au
moment de la performance.
6. L'évaluation du processus et du travail ne porte pas sur la qualité de la
performance, mais sur les effets de sens provoqués par la performance.
L'enseignante coupe court aux premiers applaudissements et rappelle le caractère
exploratoire du travail en atelier. Ce dernier est un moyen au service de la
sémiose, et non une fin. Les performances viennent saturer le texte de sens,
chacune à sa manière.
L'analyse de la tâche montre que c'est bien le projet génératif de La lettre
aux acteurs qui est au cœur de la tâche d'interprétation proposée. C'est Yartifice
sémantico-syntaxique, pour reprendre l'expression de Eco, constitué par le texte,
qui détermine le projet de leçon de renseignante et l'organisation de la tâche, non
un modèle didactique a priori de commentaù'e de texte.
Conclusion
îxte littéraire
l gestion des
icteurs, entre
accentuation,
n mouvement
corporel, les
• son exercice
i ; c'est cette
erature, nous
•se du travail
ensemble des
des contenus
;tuées par les
le particulière
•ientée par les
le consignes,
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Annexe
auteur -
- oralité
en espace Bibliographie
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mme Bronckart, E. Bulea, M. Pouliot (Eds.), Repenser renseignement des langues: comment identifier
le 4 Pour une définition de ces deux gestes, voir Schneuwly (2000) et Ronveaux (2004) pour une
reformulation en lien avec un cours de littérature.
ina par le
5 La méthode élaborée par le GRAFE à l'occasion de la recherche FNRS 1214-068110 consiste à
dégager pour l'ensemble de la leçon les unités de travail mises en œuvre selon les gestes de
présentification et de pointage de renseignant. Les unités constituantes de la leçon sont identifiées en
fonction des changements de contenus d'enseignement, de consignes, de mises en activité, du milieu
(supports) et des formes sociales du travail.