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SUPPORT DE COURS : (ANTHRCH1040)

PROFESSEUR :

WISLY JEAN-CHARLES

JUILLET 2022
Aristote et le Traité de l’âme
Pour faire suite à la dernière présentation que nous avions, nous vous proposons de lire quelque chose à nouveau sur le
traité de l’âme et l’anthropologie d’Aristote. L’anthropologie chrétienne doit beaucoup aux écrits d’Aristote, De
l'âme et Éthique à Nicomaque. Aristote divise l’âme humaine en trois parties (ou trois niveaux de l’âme) : végétative,
passionnelle et intellectuelle. L’âme végétative, qu’ont en commun les plantes, les animaux et les hommes, se
caractérise par les facultés propres à la nutrition et à la reproduction. L’âme passionnelle ou sensible, que possèdent
tous les animaux, est ce qui par les facultés du concupiscible et de l’irascible, leur permet d’interagir avec le monde
extérieur et de tendre vers les biens sensibles. L’âme intellectuelle ou spirituelle, que seul possède l’homme, est ce qui lui
permet de s’autodéterminer et de s’auto-penser. L’intelligence et la volonté sont les deux facultés de l’âme intellectuelle.
L’homme communique avec le monde par l’intermédiaire de son intériorité. L’intelligence lui permet de juger le vrai, de
saisir le bien et d’apprécier le beau. La volonté est ce qui permet ensuite à l’homme de choisir la vérité et le bien. (Pour
Aristote, il y a une profonde unité entre l’âme et le corps, contrairement à son maître Platon. Il y a aussi une profonde unité
dans l’âme ; même s’il la divise, pour mieux en distinguer les facultés et différencier ainsi l’homme de l’animal, et
l’animal de la plante, Aristote ne la conçoit pas comme compartimentée de même que le serait un organe.)
L’intelligence et la volonté étant ce qui caractérise l’homme, c’est par l’usage de celles-ci que l’homme s’accomplit et
devient véritablement ce qu’il est. L’homme a pour finalité le bonheur, et pour Aristote, le bonheur s’acquiert par
l’exercice des vertus qui permettent d’ordonner nos facultés. (Le concupiscible, par exemple, qui fait tendre l'homme
vers telle nourriture désirable, doit être ordonné par la vertu de tempérance qui lui permettra d’en manger à juste dose, et à
tel moment plutôt qu’un autre.) C’est cette activité de l’âme intellectuelle qui permet à l’homme d’atteindre son bien
véritable, soit le bien de toute sa personne, mais aussi le bien de l’autre. Pour le Chrétien, c’est par la pratique des
vertus que l’homme devient véritablement libre, puisqu’il devient maître de soi. Il devient aussi capable de dépasser
ses désirs égoïstes pour entrer dans une attitude de don.
Aussi, pour Aristote l’homme est par nature un être social. La société, pour les catholiques, trouve son origine et son
principe dans la personne humaine et doit être au service de celle-ci. Selon eux, comme pour Aristote, l’homme doit
travailler au bien commun dont profite chaque personne de la communauté.
Étonnamment proche de la définition du concile Vatican II (seize documents conciliaires, 1963) sur l’homme (qui réalise
sa vocation au don sponsal soit dans le mariage ou le célibat consacré), Aristote pense que le bonheur humain ne peut se
réaliser que dans l’amitié et la vie contemplative.

Comprendre la pensée de St Thomas d’Aquin et la Trinité


Il faut tout d’abord comprendre que la vision que Thomas d’Aquin a de Dieu dans son être intime, aura d’importantes
conséquences sur sa vision aussi de l’homme. À la suite du concile de Nicée (20 Mai 325), Thomas d’Aquin parle du
Père, du Fils et de l’Esprit Saint comme de trois personnes de même nature et de même substance (deux personnes
humaines sont de même nature, mais non de même substance). Pour Thomas d’Aquin, cependant, ce qui distingue les trois
personnes, ce sont les relations qu’elles ont entre elles. Pour lui, l’essence même de Dieu, c’est la relation, et chaque
personne en Dieu est une relation ; le Père est la paternité, le Fils est la filiation qui procède du Père, et l’Esprit est la

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spiration qui procède du Père et du Fils ensemble. (Ainsi, Dieu dans son être même est amour, parce qu’il est don, don
constant du Père au Fils, du Fils au Père, du Père et du Fils à l’Esprit, et de l’Esprit au Fils et au Père.)
Si donc, pour Thomas d’Aquin, la relation est ce qui définit essentiellement Dieu, l’être humain qui est à l’image de
Dieu est profondément aussi un être de relation et est appelé à réaliser cette image.
Le concept de personne, dans la théologie catholique, vient directement de la conception qu’elle a de Dieu. Dans l’Islam,
par exemple, qui confesse l’unicité de Dieu (tawhid), transcendance absolue, inconnaissable et impénétrable, la notion
de personne n’existe pas ni l’idée de communion des hommes entre eux et des hommes avec Dieu, mais plutôt celles
d’individu et de communauté (oumma); l’individu n’est pas appelé à une communion mais à une simple soumission
à Dieu et à l’oumma.
L’homme, personne corporelle. L’anthropologie de Thomas d’Aquin.
• Histoire de la Philosophie

La réflexion philosophique de Thomas d’Aquin sur ce qu’est l’homme se situe à un point de rencontre de diverses traditions.
Ses synthèses vont jouer un rôle important tant dans les développements du magistère ecclésial que dans les développements modernes
de l’anthropologie philosophique avec le renouvellement de la notion de personne.

Commentateur d’Aristote, Thomas utilise la notion d’âme conçue comme forme du corps et rend compte ainsi d’une certaine
unité de l’individu humain. Il articule cette approche avec la notion d’image de Dieu telle qu’il la reçoit de la tradition augustinienne
de lecture de la Genèse et envisage dans ce cadre une place particulière de l’intellect humain. L’horizon de la Béatitude conçue comme
relation vivante avec Dieu le conduit à reformuler la notion philosophique de personne à partir de la fin à laquelle il la croit destinée
nouant ainsi une approche philosophique et une approche théologique.

Jean-Paul II et le personnalisme
Proche de nombreux penseurs personnalistes, Jean-Paul II a véritablement remis la personne au centre de toute sa
doctrine. La Théologie du corps en ce sens se veut aussi une véritable anthropologie, une étude de la personne comme
être sexué, à la fois spirituel et corporel, créé dans un état de béatitude, déchu et racheté par le Christ, appelé à une
nouvelle communion plus profonde avec Dieu et l’humanité sauvée. Dans l'approfondissement de Gaudium et spes, la
Théologie du corps se présente comme le fondement théologique d’une « anthropologie du don ».
Le respect de la dignité de la personne se retrouve constamment au cœur des enseignements de Jean-Paul II, et se
fond avec une véritable théologie de la Rédemption. Selon une expression déjà employée par les philosophes latins, la
personne est « incommunicable, inaliénable». Toutes les manifestations de l’homme dans la société, la famille, le
travail, l’Église, trouvent leur raison d’être dans la personne et doivent être au service de la personne. Un exemple
manifeste de cela est l’encyclique Laborem exercens dans laquelle Jean-Paul II propose une véritable anthropologie du
travail, l’homme étant reconnu comme véritable sujet de son travail grâce auquel il s’accomplit comme personne
faite pour le don.

La Doctrine sociale de l’Église ou la société au service de l’Homme


La Doctrine sociale de l’Église (DES) met la personne humaine au centre de toutes les questions sociales et de tout
son message. C’est pourquoi elle aussi contribue grandement à l’anthropologie chrétienne. Si on reprend la définition
donnée par Vatican II, « L’homme, seule créature que Dieu a voulue pour elle-même, ne se trouve pleinement que dans
le don désintéressé de lui-même », l’Homme est appelé à une communion particulière avec le reste de l’humanité, à
commencer par la première société, la famille. « Humanité veut dire appel à la communion interpersonnelle», dira
Jean-Paul II. Pour l’Église, l’Homme et l’État ne peuvent être dissociés, ni confondus. « La personne ne peut jamais
être pensée uniquement comme une individualité absolue », adage de l’individualisme et d’un capitalisme exacerbé, ni
« comme la pure cellule d’un organisme disposé à lui reconnaître, tout au plus, un rôle fonctionnel à l’intérieur du
système», soit l’idée du communisme et de plusieurs courants de pensée modernes (structuralisme, théorie du gène

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égoïste…). L’Homme est, en fait, à la fois un être individuel et social, fait pour la « communion de personnes ».
(Dans la communion subsistent à la fois la personne et une réalité nouvelle qu'est le « nous ».)

Le drame de l'humanisme athée


On a souvent voulu opposer la toute-puissance de Dieu à la liberté de l’homme. Les réformes protestantes
de Luther et Calvin, outre leur critique des indulgences et de la richesse de l’Église, ont voulu redonner à Dieu ce qui avait
été donné à l’homme. Pour Luther, il faut séparer Dieu de l’homme ; Dieu est la sainteté même alors que l’homme
n’est que corruption. L’homme ne peut rien par lui-même, mais il est mené soit par Dieu, soit par Satan. Luther insiste
sur la toute-puissance de Dieu, au profit d’un arbitraire de Dieu. Nous sommes sauvés parce que Dieu l’a choisi. Les
hommes sont sous la condamnation de Dieu, et on ne peut être sauvé que par la foi en Jésus-Christ.
Calvin, insiste plus encore sur cet arbitraire de Dieu. Il y a chez lui l’idée de double prédestination. Sans qu’ils l’aient
mérité, ni par leurs fautes, ni par leurs biens, les hommes sont prédestinés au salut ou à la mort éternelle, avant même leur
création. L’homme ne peut mériter le salut, mais seule une décision arbitraire de Dieu le lui permet. L’homme ne
peut que respecter et accepter avec humilité la volonté de Dieu.
Même si ces positions ne sont plus que rarement soutenues par les protestants eux-mêmes, le sentiment de l’arbitraire de
Dieu qui pesait dans certains milieux luthériens et calvinistes ont conduit certains penseurs
dont Feuerbach, Nietzsche et Marx à répondre avec violence contre le christianisme. L’humanisme athée, expression de
Feuerbach, reprise par le cardinal Henri de Lubac dans son livre Le drame de l’humanisme athée, a voulu redonner à
l’homme ce qui avait été donné à Dieu.
Pour Feuerbach, les théologiens chrétiens ont pensé ce qu’il y a avait de plus beau, mais en mettant ces valeurs en
Dieu, ils en ont dépouillé l’homme. L’athéisme moderne est la volonté de préserver la dignité essentielle de l’homme.
Pour Marx, l’idée est encore plus nette, il faut arracher l’homme de la fascination de Dieu. Tant qu’il aura les yeux
tournés vers le ciel, l’homme ne prendra pas sa tâche sur terre au sérieux. L’autorité politique, la famille, la propriété privée
sont des aliénations et doivent être abolies. L’homme devrait vivre pour lui-même, et au lieu de cela, il vit pour Dieu, il
vit pour sa famille. Ce sont ces choses qui, selon lui, produisent la tristesse de l’homme.
Nietzsche, quant à lui, s’est fait le héraut de la mort de Dieu. Issu d’une longue lignée de pasteurs protestants, il va se
rebeller contre cette société. Pour lui, la révolte contre Dieu est la grandeur de l’homme. Il faut entreprendre le
combat conscient, volontaire, contre Dieu afin que l’homme devienne Dieu.
Selon l'avis de Lubac, ce sont ces prémisses qui conduiront aux horreurs du nazisme, du communisme et du fascisme. Les
hommes qui ont voulu construire une idéologie sans Dieu ont construit une idéologie contre l’homme. « Nous
constatons que si, contrairement à ce que l’on avait pensé jusqu’alors, on pouvait construire une cité sans Dieu, nous
devons aussi constater que cette société se fait contre l’homme ».

Paul Evdokimov, dans son livre L’amour fou de Dieu, répond à Luther et Calvin, et aux humanistes athées et résume
la position de l’Église quant à la liberté de l’homme. « Notre époque attend la promotion adulte de l’homme et
refuse toute reconnaissance de Dieu qui ne soit en même temps reconnaissance de l’homme ». Pour Evdokimov, la
grandeur de l’homme est justement sa liberté de pouvoir accepter ou refuser Dieu, et cette liberté de l’homme est la
plus haute manifestation de l’amour de Dieu. Pour les catholiques, le bien ne peut s’imposer sans devenir un mal, et
Dieu lui-même ne saurait s’imposer à l’homme. Dieu fait tout, or l’homme doit au moins dire « oui » à l’action que Dieu
fait. « C’est parce que l’homme peut dire non que son oui prend une pleine résonance et le place dans le même registre que
le oui de Dieu. C'est pourquoi aussi Dieu accepte d'être refusé, méconnu, rejeté, évacué de sa propre création ». « L’enfer
n’est pas autre chose que l’autonomie de l’homme révolté qui l’exclut du lieu où Dieu est présent. La puissance de
refuser Dieu est le point le plus avancé de la liberté humaine ; elle est voulue telle par Dieu ».
Ainsi, tout le problème de l’homme se résume dans l’amour, dans sa capacité à se donner et à accueillir le don de
l’autre. La personne devient ce qu’elle est dans la mesure où elle accepte d’accueillir l’autre ; dans le mariage, accueillir

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l’autre qui est d’un autre sexe, ou dès cette vie, accueillir l’Autre qui est Dieu, parce que l’autre me complète et me
donne ce que je ne suis pas.

L’anthropologie chrétienne pour le chrétien


Pour le Chrétien, c’est le Christ, la deuxième personne de la Trinité, qui par son Incarnation et sa Résurrection,
redonne à l’homme toute sa dignité, et une dignité plus grande encore qu’à l’origine, « manifestant pleinement
l'homme à lui-même et lui découvrant la sublimité de sa vocation » Assumant la nature humaine, le Christ devient
du même coup le modèle nouveau de l’humanité. Après la Résurrection, l’homme est appelé à se configurer au Christ, à
porter avec le Christ sa propre croix, et la croix des autres hommes, en solidarité avec toute l’humanité ; il devient ainsi
co-rédempteur.

Bibliographie
Les textes de Thomas d’Aquin seront présentés en début de séminaire.

BELLOY, de C. (2010). « Personne divine, personne humaine selon Thomas d’Aquin, l’irréductible analogie », in Saint Thomas
d’Aquin, Paris, Cerf, p.137-164.

LAFONT, G. (1959). « Le sens du thème de l’image de Dieu dans l’anthropologie de saint Thomas d’Aquin », in RSR 47, p.560-569.

LIBERA, de A. (2007). Archéologie du sujet, Paris, Vrin.

WEBER, E-H. (1991). La personne humaine au XIIIe siècle, L’avènement chez les maîtres parisiens de l’acception moderne de
l’homme, Paris, Vrin.

WEBER, E-H. (2018). Nature, singularité et devenir de la personne humaine chez Thomas d’Aquin, Paris, Vrin. Ouvert
sur autorisation du directeur de cycle, formulaire à demander au secrétariat.

Jean-Marc Rouvière, (2009), Adam ou l'innocence en personne, L'Harmattan.

Paul Evdokimov, (2009). L'amour fou de Dieu, Paris, Seuil.

Henri de Lubac, (1998), Le drame de l'humanisme athée, Paris, Cerf, 450 p.

Yves Semen (2009). « Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ? », Communication donnée à l’Académie d'éducation et d'études sociales,
Paris.

Maurice Zundel, (2008). L'humble présence, inédits recueillis et commentés par Marc Donzé, Le Sarmant, 467 p.
Textes du magistère

• Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, sur l'Église dans le monde de ce temps.
• Conseil pontifical Justice et paix, Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, Bayard - Cerf - Fleureus-Mame, 2005, 530 p.
• Jean-Paul II, Homme et femme il les créa; une spiritualité du corps, Cerf, 696 p.
• Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, sur la dignité et la vocation de la femme.
• https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropologie_chr%C3%A9tienne

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