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Il y a chez Augustin une tension entre le mystère sans fond des Écritures, la capacité de

l'intelligence humaine, un don divin, « à y trouver le maximum de lumière compatible avec sa


nature fatalement limitée »92. Dans le De Consensu evangelistarum (399-400) et dans La Vision
de Dieu, il s'interroge sur les passages apparemment contradictoires des Évangiles et en conclut
que, puisque les Évangiles ne peuvent se contredire, il faut essayer d'en comprendre le sens qui
nous échappe.
La culture gréco-latine imprègne son grand ouvrage la Cité de Dieu, dans lequel il oppose
constamment « nos écritures » aux auteurs latins « votre Virgile »97. Le titre même de l’ouvrage,
non pas Le Royaume de Dieu mais La Cité de Dieu98, témoigne de cette influence. Enfin il
convient de noter que ce livre a contribué à faire connaître à des générations de lecteurs la culture
romaine, notamment la religion romaine ancienne et les écrits de Varron et d'autres auteurs.

Augustin, le platonisme et le néoplatonisme[modifier | modifier le code]


Articles connexes : Platonisme (doctrine philosophique), néoplatonisme, Plotin et Porphyre de
Tyr.
Depuis le iie siècle, des auteurs chrétiens tels Clément d'Alexandrie ou Origène cherchent à
acculturer le christianisme au monde gréco-latin en s'appuyant sur le platonisme. Lorsque
Augustin arrive à Milan au ive siècle, le néoplatonisme de Plotin — un Grec d'Égypte dont Les
Ennéades ont été publiés par son disciple Porphyre — connaît une très grande faveur, tant
auprès des païens que des chrétiens99.
Plusieurs éléments attirent alors les chrétiens vers les néoplatoniciens : le Royaume du Christ
n'est pas de ce monde et celui des platoniciens non plus puisqu'il est dans le royaume des
idées100 ; pour les platoniciens l'intellect est un médiateur entre l'Un et le monde extérieur, une
idée que les chrétiens rapprochent de l'Évangile de Jean, où il est question du « Verbe »102.
Mais, pour Augustin, Plotin a un autre mérite. Il lui permet de surmonter la tentation dualiste
et manichéenne qu'il a éprouvée dans sa jeunesse. En effet, chez Plotin l'Un est actif et modèle
le monde sans être souillé, alors que dans le manichéisme le Bien est passif face au Mal103.
Une architectonique inspirée par celle du néoplatonisme[modifier | modifier le code]
Pour Mendelson, « ce qui met l'ontologie néoplatonicienne à part […] c'est à la fois la fermeté
de sa promesse et la grandeur de l'architectonique qui complète le monde des apparences
visibles »n 11. Si le néoplatonisme se fonde sur une opposition monde sensible/monde physique
et raison/spirituel, son architectonique est fondamentalement basée sur l'Un. En écho, dans
l'architectonique augustienne, « Dieu est l'ultime source et point d'origine pour ce qui est
dessous »85.
Chez Augustin et les néoplatoniciens, la pluralité et la diversité viennent de l'Un ou de Dieu
dans un mouvement descendant. Le monde sensible est celui du privé, des choses qui passent,
tandis que le monde intelligible, celui du public, est formé des réalités durables. Le monde
intelligible cherche l'unité avec Dieu, avec la source, tandis que le monde sensible se laisse
piéger par les choses matérielles et n'est donc capable que d'accéder à une petite portion du
réel104.
Au contraire, le monde intelligible et la raison, importante tant chez Augustin que chez les
néoplatoniciens, permet d'orienter la sensibilité humaine vers le haut, vers Dieu105. Pour
Augustin, le mal moral réside dans le fait de s'en tenir aux biens inférieurs et par là de se
détourner de Dieu85.
Les points de désaccord entre Augustin et les néoplatoniciens
Pour Mendelson, Augustin se démarque des néoplatoniciens sur deux points. Tout d'abord,
Augustin insiste sur la « relation de l'âme à Dieu », semblant trouver que Plotin établit une trop
grande distance entre l'Un et les âmes. D'autre part, il ne fait pas sienne l'idée
néoplatonicienne selon laquelle le lien entre Dieu — ou Un — et les hommes, se fait par un
processus d'émanation venant du haut. Augustin met au contraire l'accent sur la volonté de
Dieu. En effet, ici, il doit rapprocher la conception néoplatonicienne à la conception biblique de
Dieu et combiner « les attributs divins les plus prisés de la tradition grecque (c'est-à-dire
nécessité, immutabilité et éternité atemporelle) avec les attributs personnels (c'est-à-dire
volonté, justice et but temporel) du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob »85 et de Jésus-Christ.
Pour Augustin, le christianisme ne vise pas le même public que le platonisme et le
néoplatonisme et c'est là selon lui l'une des différences fondamentales.
Le platonisme s'adresse à une élite, et n'arrive pas à convaincre le plus grand nombre de
se « détourner des choses terrestres pour les orienter vers les choses spirituelles » et
transformer ainsi le monde94. De sorte que pour Pierre Hadot « Nietzsche aurait pu s'appuyer
sur Augustin pour justifier sa formule « le christianisme est un platonisme pour le peuple » »106.

Le Divin
Dieu et les dieux occupent une grande place dans l'œuvre d'Augustin. Le fait que le
mot « athée » ne soit employé qu'une seule fois pour désigner Protagoras, montre que
le but d’Augustin n'est pas de convaincre de l'existence de Dieu, mais bien de montrer
quel Dieu honorer110.
Pour Goulven Madec, le Dieu d'Augustin est à la fois le Dieu des philosophes, le Dieu
comme être pur et le Dieu de la Bible, le Dieu pour les hommes, celui d'Abraham,
de Moïse et de Jacob . Augustin écrit : « Je suis Dieu et je suis ton Dieu. Comment
suis-je Dieu ? Comme il a été dit à Moïse, « je suis Celui qui est ». Comment suis-je
ton Dieu ? « Je suis le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. »

Un Dieu un et trine
Dieu est simple au sens où « sa volonté et sa puissance ne sont autres que Lui-
même ». Plus généralement, il n'est pas le sujet de ses attributs mais est ses attributs.
Cette simplicité est liée au fait que Dieu pour Augustin est essence et Être pur ; et
la Trinité (Père, Fils (Jésus-Christ) et Saint-Esprit) est un Dieu, un et trine : une
essence, trois personnes.
Si cette formule ne lui convient que partiellement, tant le mystère lui paraît grand, il
l'adopte parce que le terme personne évoque « l'être-en-relation »115. « L'Esprit Saint
est ainsi désigné proprement dans sa relation au Père et au Fils, parce qu'il
est leur Esprit saint. Mais, selon la substance, le Père est aussi esprit, ainsi que le Fils
et l'Esprit Saint lui-même, non pas trois esprits, mais un seul esprit, comme ce ne sont
pas trois dieux, mais un seul Dieu. Dieu un et trine est tout ce qu'il a »116.
Dans De la Trinité, Augustin insiste pour montrer que Dieu est hors des catégories
humaines et que la formulation trinitaire « une essence trois personnes »,
que Goulven Madec tient pour être « la formule la plus dogmatique qui soit », est un
pis-aller117. La reconnaissance de cette transcendance ne s'accompagne pas d'un
refus de savoir, d'utiliser son intelligence ; elle est au contraire une reconnaissance de
la finitude humaine face à l'infini. Comme il l'écrit, « cherchons comme si nous
devions trouver et trouvons pour nous disposer à chercher encore »118.
Un Dieu créateur
Dans la théodicée augustinienne, Dieu crée le monde et le Bien : « Pour Toi, il n'y a
absolument pas de mal : mais pour l'ensemble de ta création non plus, parce qu'il n'y
a rien au-dehors qui puisse faire irruption et causer la corruption de l'ordre que tu lui
as imposé »119. Pour Augustin, Dieu ne crée pas nos vices mais en prend acte, et traite
les pêcheurs comme il convient120.
Augustin écrit : « Dieu étant Créateur et Gouverneur de l'univers, toutes choses sont
belles ; et la beauté de l'ensemble est irréprochable, tant par la condamnation des
pêcheurs, que par l'épreuve des justes et la perfection des bienheureux »120. Pour
Augustin « Dieu crée à la fois le monde spirituel ses anges et le monde visible,
incluant les âmes incarnées à partir de rien». Il s'ensuit que pour Augustin, si Dieu est
immuable, la création ne l'est pas car elle est formée de formes et de matière
corporelle et spirituelle123.
Cela conduit Augustin à envisager trois types d'interventions divines : la création
initiale du monde, la préservation du monde, et enfin la providence123. Les idées,
quant à elles sont des modèles de ressemblances mineurs qui rendent possibles les
mutations du monde122.
Un Dieu non anthropomorphe
Un Dieu transcendant et immanent
Au contraire, Augustin insiste sur le mystère de Dieu, sur la part insondable pour les
hommes de la dimension divine. Une pensée résumée dans son dialogue
philosophique L'Ordre par la formule « Dieu tout-puissant, qui est mieux connu en ne
l'étant pas »128. Chez les néoplatoniciens, il y a un Dieu impersonnel, chez Augustin et
dans les Évangiles, c'est un Dieu incarné, un Dieu de lumière intérieure qui nous
travaille du plus intime de notre être129.
Le Christ comme « Lumière intérieure » et « médiateur »
Pour Augustin, le Christ est homme intérieur ou lumière intérieure qui au-delà des
mots peut nous conduire à la Vérité.
Ici, Augustin reprend le « connais-toi toi-même » de la sagesse grecque en lui
donnant une tonalité chrétienne où la connaissance de soi dépend de Dieu et nous
permet d'entrer dans l'intime de nous-même139.
Le Christ est aussi le médiateur entre le monde divin et ce monde imparfait.

Théologie
La théologie d'Augustin est très marquée par trois notions : un Dieu créateur,
le péché originel et la grâce.
Le monde, le créateur, la créature, l’être humain
Pour Augustin deux façons de comprendre le monde : le monde entendu comme ciel
et terre, et le monde considéré comme « ce qui advient par notre volonté »142.
Augustin ne nie pas du tout qu'il faille participer au monde, mais il ne faut pas oublier
le Créateur, lui fermer sa porte. « Ne place pas ton amour dans la création mais
habite le Créateur », rappelle le psaume143.
Pour comprendre la pensée d'Augustin, il convient de se souvenir que, pour lui,
le faire de l’Homme est limité par le fait de se trouver déjà là (invenire), d'avoir été
créé et donc de ne pas posséder le pouvoir de création du Créateur, qui Lui, est
incréé. En un mot, la création humaine est à la fois limitée par l'effet même de sa
création, et demeure toujours incluse et dominée par la création divine144.
Pour Augustin, le lien entre créature et être est complexe. D'une certaine façon, la
créature ne devient un être qu'à partir d'une réflexion sur la mort, car celle-ci lui
offre l'occasion de s'orienter vers son être et vers Dieu. La vie est donc vue comme
un tendre vers l’être éternel, ce qui suppose un détachement par rapport au siècle
entendu comme monde mondain, et une recherche de l’ante, de l’avant : du
Créateur145. rétrospectif et de succomber ainsi à la mort, à l'éloignement (alienatio)
de Dieu, absolu et éternel147. »
Le péché originel et la loi du péché (l'habitude)
Pour Augustin, le monde est bon si on le contemple dans la perspective de Dieu, mais
l'Homme tombe dans le péché quand il le voit dans la perspective des hommes148.
L'amour du monde rend les hommes sensibles à la concupiscence et les entraîne dans
l'amour du monde en tant que création de la créature. C'est là le péché véritable,
fruit de l'orgueil qui veut que l'Homme soit l'égal de Dieu149, qu'il soit aussi créateur
que Dieu, de sorte qu'il déforme « le sens originel de son être créé, qui était
justement de le renvoyer par-delà le monde à sa véritable origine »150.
Augustin commence à développer ses idées sur le péché originel et la nécessité de
la Grâce .
Sortir du péché : la grâce et la prédestination
Pour Augustin, si la loi et la conscience ne permettent pas toujours de sortir du
péché, ce n'est pas à cause d'une défaillance de la volonté mais parce que chez la
créature, il y a une faiblesse dans la relation entre vouloir et pouvoir, qui ne
coïncident pas, contrairement à la situation du Créateur154. Aussi la créature a-t-elle
besoin d'une aide extérieure : la grâce de Dieu qui va lui donner le pouvoir
nécessaire. Mais, recevoir la grâce exige d'une part de la vouloir et d'autre part de
reconnaître son incapacité à vaincre par soi-même le péché, c'est-à-dire faire un
retour à Dieu156.
Le problème est alors de savoir si tous les hommes peuvent recevoir la grâce, ou si elle est réservée à un nombre restreint d'individus. Dans la Prédestination des Saints, il
écrit : « la prédestination c'est la grâce ; la grâce est l'effet de la prédestination »158. Qu'advient-il alors des autres ? Pour Augustin Dieu peut donner « l'amour de vivre en
chrétien »158 sans donner la persévérance nécessaire à la grâce. À la question du pourquoi, Augustin répond : « je ne sais pas »158, et cite par deux fois l’apôtre Paul pour
montrer la petitesse de la créature face au Créateur : « Homme, qui es-tu pour discuter avec Dieu (Rm 9,20) »158 et « Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la
science de Dieu ! Que ses jugements sont inscrutables et ses voies impénétrables (Rm 11,33) »158.

Tout d'abord, il devient de plus en plus familier des Écritures. D'autre part, sa controverse avec Pélage l'a amené à se radicaliser, de sorte qu'il se voit parfois opposer ses
premiers écrits. À la fin de sa vie, il considère que le péché a entraîné une telle ignorance qu'il devient impossible, sauf par la grâce imméritée accordée à
quelques élus, de surmonter ces obstacles162.

Augustin développe une distinction entre les sacrements irréguliers et les sacrements valides. Les sacrements réguliers sont conférés par l'Église chrétienne
tandis que les sacrements irréguliers le sont par des schismatiques. Néanmoins, la validité du sacrement pour Augustin ne dépend pas de la sainteté du
prêtre qui le donne, de sorte que des sacrements irréguliers sont valides s'ils sont donnés au nom du Christ dans la forme prescrite par l'Église : ex opere
operato. Sur ce point, il se démarque des enseignements de Cyprien selon qui ceux qui quittent un mouvement schismatique pour l'Église chrétienne
doivent être rebaptisés163.

Contre les pélagiens, Augustin insiste sur l'importance du baptême à la naissance. Toutefois, il ne précise pas clairement si le baptême est une nécessité
absolue pour être sauvé et aller au paradis. En effet, bien qu'il dise dans un sermon que seuls les baptisés seront sauvés167, une croyance partagée par les
premiers chrétiens, un passage de la Cité de Dieu semble indiquer qu'il croit que le cas des enfants nés de parents chrétiens fait exception à cette règle168.

Anthropologie
L’anthropologie d’Augustin repose sur une conception de la nature humaine comme
profondément pervertie par le péché, ce qui a occasionné certaines de ses plus
grandes controverses. Autre point important, sa tripartition de l'amour : amour du
monde, et amour qui aspire à l’éternité, et amour de l’homme présent dans le
monde et qui cherche à atteindre l’éternité.
Une nature humaine profondément pervertie par le péché : Augustin contre Pélage
L'opposition entre Augustin et Pélage présente un caractère sociologique et politique.
Pour Pélage, qui s’adresse à un public de riches Romains convertis par mariage ou par
conformisme social, l'Église est vue comme un groupe qui doit donner le bon
exemple de façon à convertir les autres par leur modèle169. Il s'agit là d'idées proches
de celles des donatistes qu'Augustin vient de « mettre au pas » en Afrique en
approuvant pleinement les mesures coercitives et violentes prises par l'Empereur170.
Augustin affirme ainsi : « Le devoir du pasteur n'est-il pas de ramener à la bergerie du
maître, non-seulement les brebis violemment arrachées, mais même celles que des
mains douces et caressantes ont enlevées au troupeau, et, si elles viennent à résister,
ne doit-il pas employer les coups et même les douleurs ? »171.
Pour Pélage et ses partisans, la nature humaine est immuable et la corruption par le
péché assez légère, de sorte que la maîtrise de soi et la volonté peuvent suffire.Au
contraire, pour Augustin la nature est profondément pervertie. Autre point de
divergence, alors que, chez Pélage l'Homme est vu comme isolé, pour Augustin,
l'Homme est en relation avec les autres, il est « toujours sur le point d'être entraîné
dans de vastes et mystérieuses solidarités »172.
Augustin, au contraire, dans un livre intitulé De l'esprit et de la lettre, insiste sur
l'évolution intérieure, sur l'impuissance de l'homme et sur le rôle de Dieu qui seul
peut « donner l'esprit qui fait vivre, c'est-à-dire aimer le bien pour lui-même ». De
même, alors que chez les pélagiens les hommes sont libres de leur choix, chez
Augustin la volonté libre ne peut à elle seule nous faire choisir le bien, il faut d'abord
que l'homme soit guéri de son péché, c'est-à-dire qu'il lui faut « acquérir tout ce que
Pélage avait pensé qu'il possédait dès le départ »173.
Nature divine, justice et souffrance : Augustin contre Julien d'Éclane]
La controverse avec l'évêque Julien d'Éclane est la dernière que mène Augustin, que
la mort surprend avant qu'il ait terminé un écrit consacré à ce sujet174. Julien est
pélagien et comme tel s'oppose à Augustin sur la nature humaine. En particulier,
Julien qui a été un évêque marié n'a pas la même prévention qu'Augustin sur la
sexualité175. Toutefois, le centre de leur controverse ne porte pas sur ce point, mais
sur la nature divine, la justice et la souffrance176.
Pour Julien, Dieu est d'abord juste. Il ne peut donc pas envoyer en enfer les bébés
non baptisés comme le prétend Augustin. Pour Augustin, Dieu est tellement au-
dessus de nous que sa justice nous est insondable et que son œil peut voir plus en
profondeur que nous le péché inscrit dans l'Homme.
En fait, la conception d'un Dieu tout-puissant d'essence néoplatonicienne s'oppose,
comme le lui rappelle Augustin, au Dieu faible de Mani. Mais, pour Peter Brown,
Augustin et le manichéisme ont en commun de se focaliser sur la souffrance, et sa
perception du monde comme un « enfer en miniature »
L’amour selon Augustin d’Hippone
Amour-cupiditas
Il y a deux formes d'amour désir ( …). Le premier, l'amour « convoitise
(cupiditas) » revient à aimer le monde, c'est-à-dire quelque chose de fuyant qui nous
amène à nous disperser et qui, en nous rendant dépendant de quelque chose
d'extérieur, le monde, nous prive du se quærere, c'est-à-dire de la recherche de nous-
même. Augustin souligne dans son livre Du libre arbitre que ce type d'amour nous fait
perdre également notre autonomie. Il s'agit donc d'un faux amour qu'il
appelle « convoitise (cupiditas) »179.
Amour-caritas[modifier | modifier le code]
En opposition, Augustin dresse l'amour-caritas : « l'amour juste qui aspire à l'éternité
et à l'avenir absolu ». Dans ce type d'amour, le désir est dirigé vers l'éternité, vers
quelque chose de stable en lien avec un Dieu autonome « qui ne dépend pas d'un
monde, d'un dehors qui lui serait par principe extérieur »180. Aussi, si « la charité fait
le lien entre l'homme et Dieu, comme la convoitise entre l'homme et le monde », elle
le fait sans nous faire entrer en dépendance de Dieu, mais en nous permettant de
nous abstraire du monde, et de réaliser pleinement notre être intérieur. Comme le
note Hannah Arendt, pour Augustin, l'« amour de Dieu et amour de soi vont de pair
et ne se contredisent pas. Dans l'amour de Dieu, l'homme s'aime lui-
même »181. « Augustin écrit à ce propos : Lorsque j'aime mon Dieu, c'est la lumière, la
voix, l'odeur […] de mon être intérieur que j'aime. Là où resplendit la partie de mon
âme que ne circonscrit pas le lieu, où résonne celle que le temps n'emporte pas […]
et où se fixe celle que le contentement ne disperse pas. Voilà ce que j'aime lorsque
j'aime mon Dieu »182.
Amour dilectio
L'amour dilectio n'est guidé ni par le désir (appetitus) ni par l'objet, mais n'est
que « l'attitude objective pré-assignée de l'homme qui, toujours là dans le monde, vit
dans l'avenir absolu »183. Il existe une hiérarchie de ce qu'il faut aimer : d'abord ce qui
est au-dessus de nous (supra nos), puis nous et ce qui est à côté (iuxta nos), le
prochain (proximus), et ce qui est en dessous de nous (infra nos), le corps venant en
dernier. L'amour dilectio accomplit les commandements, les lois dans une perfection
qui est fonction de la grâce de Dieu et qui donc ne dépend pas que de l'être
humain184.
L'amour du prochain (dilectio proximi) est un amour-renoncement où après être
entré dans un amour-charité avec Dieu et l'éternité, on a renoncé à soi, ce qui pour
Arendt signifie qu'on « aime tous les hommes sans la moindre différence »185. Ce qui
frappe Arendt dans l'amour du prochain chez Augustin, c'est justement que les
individus restent isolés, car dans ce type d'amour, on aime l'amour : « Peut-il aimer
son frère sans aimer l'amour ? Nécessairement il aime l'amour. En aimant l'amour, il
aime Dieun 12. » Cette solitude interroge Arendt, qui lie cette forme d'amour à la Cité
de Dieu, où les hommes sont également tenus de s'aimer mais où ce n'est plus le
genre humain qui compte, mais les êtres particuliers, et où « toute relation à l'autre
devient un simple passage vers la relation directe à Dieu »186.
Anthropologie philosophique[modifier | modifier le code]
Pour Augustin, l'Homme est composé d'un corps et d'une âme, laquelle,
conformément au dogme néoplatonicien, est destinée à commander au corps85. Dans
la Vie heureuse, il ressort d'une discussion où intervient sa mère que les nourritures
de l'âme ou de l'esprit sont la science et les arts libéraux187. Une des questions que se
pose Augustin est de savoir d'où vient l'âme. Dans Du libre arbitre (De Libero arbitrio),
écrit vers 395, il émet quatre hypothèses, dont les deux premières supposent la
préexistence de l'âme :
1. l'âme est envoyée par Dieu ;
2. l'âme vient de sa propre initiative habiter le corps (c'est l'hypothèse
volontariste) ;
3. toutes les âmes viennent de celle d'Adam à travers un processus généalogique
similaire à celui des corps (c'est l'hypothèse dite traducianiste qui vient
de Tertullien) ;
4. Dieu crée une âme pour chaque corps (hypothèse créationniste)85.
Dans ses écrits de 419-420, tout se passe comme s'il ne retenait que les deux
dernières hypothèses, en montrant de façon de plus en plus claire qu'il préfère
l'hypothèse créationniste188. Dans La Cité de Dieu, il avance une cinquième
hypothèse : les âmes sont similaires à celle d'Adam. Cela lui permet de mieux rendre
compte du péché originel que dans l'hypothèse créationniste. En fait, Augustin ne
tranche jamais clairement entre les hypothèses même quand, peu de temps avant sa
mort, il relit toute son œuvre et écrit les Rétractations189.
Théorie de la connaissance[modifier | modifier le code]
Dans son livre De Trinitate, Augustin voit la mémoire, l'intelligence et la volonté
presque aussi unies que le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Par analogie, il va donc les
considérer comme formant une trinité intérieure190.
Trinité intérieure
Mémoire
Pour Augustin, la mémoire participe à la vie de l'esprit. C'est elle qui instaure de la durée, de la profondeur
de champ, qui permet de donner sens aux expériences191. Dans ses premières œuvres, Augustin est très
marqué par la théorie platonicienne de la réminiscence, puis il s'en éloigne assez complètement dans ses
œuvres de maturité que sont Les Confessions et De Trinitate. Dans les Rétractations (document écrit juste
avant sa mort et où il commente tous ses écrits qu'il vient de relire), il note que la théorie platonicienne de
la réminiscence selon laquelle nous avons eu accès à la vérité des Idées dans une vie antérieure mais les
avons ensuite oubliées avant de les redécouvrir, est moins crédible que la thèse de l'illumination au moyen
de laquelle la raison découvre les vérités immuables192.
Pour l’évêque d’Hippone, la mémoire est une « chambre intérieure vaste et illimitée » où sont conservées
nos actions passées, les images de ce que nous avons vu et perçu mais aussi ce que nous avons appris
des arts libéraux ainsi que les affections de l'esprit : joie, tristesse, désir et peur193. Dans cette optique, Les
Confessions peuvent être vues comme une œuvre de mémoire augustinienne où se déploient les trois
fonctions de la mémoire : « la mémoire du passé (livres 1 à 9), l'intuition du présent (livre 10) et
l'espérance du futur (livres 11-13) »194.
La mémoire, qui permet de se projeter dans le futur à partir du passé, est ainsi analogue au Père, tandis
que l'intelligence qui procède de la mémoire l'est du Fils : « l'analogie avec le Père illustre la primauté de la
mémoire dans le récit de la cognition humaine »195.

Intelligence et foi
Croire chez Augustin, et dans le christianisme en général, est lié non pas à l'opinion mais à la foi (fides) vue
comme recherche fidèle de la vérité dans un monde marqué par « la versatilité et l'inconstance de l'âme
humaine »196. La foi ne commence pas où l'intelligence finit mais au contraire la précède. En effet, pour
Augustin, il faut croire pour penser. C'est le sens de l'injonction « Crois afin de comprendre, comprends
afin de croire.
Concernant le lien entre la foi, l'intelligence et Dieu, le raisonnement d'Augustin peut-être schématisé
ainsi : toute pensée cherche la vérité et traduit une volonté de vérité, or Dieu est vérité donc l'homme
désire Dieu. Mais l'essentiel n'est pas là puisque pour Augustin Dieu se révèle parce qu'il a mis en l'homme
ce désir de vérité, parce qu'Il l'appelle. Maxence Caron note : « Dieu ne peut être pensé par l'homme que
parce qu'il a voulu se manifester à lui »199. Chez Augustin, la foi incite à tenter de comprendre le mystère de
Dieu et du monde en même temps qu'elle pose une distance, un recul tant par rapport à ce mystère que
par rapport à soi-même200.

La volonté
La philosophie grecque est marquée par l'intellectualisme, c'est-à-dire que la raison est à la fois un
instrument qui permet de théoriser et quelque chose qui nous dicte la conduite à suivre dans un monde
bien ordonné201. Pour Augustin, l'intervention d'éléments non rationnels empêche
ce dictamen et « l'intellect lui-même a besoin de la volonté pour le pousser à l'activité »202, d'où
l'importance accordée à la volonté et à la responsabilité des hommes203. Cet accent ira croissant avec l'âge
sous l'influence de trois facteurs:
1. Augustin, en partie sous l'influence de sa controverse avec les pélagiens, insiste de plus en plus sur
l'ignorance et le péché inhérents à la nature humaine204.
2. Il met l'accent sur les éléments non rationnels de la volonté, liés notamment aux habitudes204.
3. Plus il lit les Écritures, plus il met l'accent sur la notion de communauté, sur l'autorité des anciens et
l'obéissance à des normes sanctionnées par Dieu205.
La foi devient première. C'est elle qui guide la volonté, qui elle-même précède la réflexion raisonnée, qui
de façon rétrospective fournit une justification rationnelle206.
L'importance qu'Augustin accorde à la volonté entraine le problème de faire coexister liberté de la volonté
humaine et prescience divine204, un problème « complexe et parfois excessivement obscur »208. Néanmoins
le but recherché est clair : montrer, contre les manichéens et Cicéron, que la liberté de la volonté humaine
et la prescience divine ne sont pas incompatibles, car Dieu a la prescience de notre volonté209.

Scepticisme et vérité
Dans un de ses premiers écrits, le Contre les académiciens, Augustin se dresse contre le scepticisme de
la Nouvelle Académie dont Cicéron est un des plus illustres représentants. Contrairement aux arguments
des anti-sceptiques modernes, Augustin ne cherche pas à justifier nos croyances et nos pratiques : il vise
surtout à réfuter l'idée développée par la Nouvelle Académie selon laquelle l'homme sage ne peut jamais
être certain de connaître la vérité sur une question210. Son but est de montrer l'existence de certaines
formes de connaissances vraies, car même si nos sens ne peuvent pas nous permettre de connaître
entièrement le monde extérieur, ils peuvent néanmoins nous amener à quelques idées certaines de ce qu'il
est211. Comme chez Descartes, qu'il a probablement inspiré, la reconnaissance de la réalité de notre propre
existence ouvre la voie à une certaine vérité. Mais il n'y a pas dans le cogito ergo sum (je pense donc je
suis) d'Augustin le commencement d'une philosophie aussi systématique que chez Descartes mais plutôt le
point de départ d'une vision de Dieu comme vérité immuable et sagesse éternelle212. La recherche de la
vérité et le refus du probable de la Nouvelle Académie ont aussi chez Augustin une dimension morale,
voire politique, comme l'atteste le passage suivant :
« Ce qui est capital, ce qui est effrayant, ce que doivent redouter tous les honnêtes gens, c’est que, si ce
système est probable, pour peu qu’un individu ait cru réaliser le probable et du moment qu’il ne donne son
assentiment à rien comme une vérité, il ne commette n’importe quel acte horrible sans qu’on lui reproche
non seulement un crime, mais même une erreur213. »

Connaissance et illumination
Contre les sceptiques de l'Académie, Augustin soutient qu'il existe des connaissances réelles qu'il classe en
trois groupes : « les vérités logiques (par exemple, « il y a un monde ou il n'y en a pas »), les vérités
mathématiques (« trois fois trois neuf »), et les comptes rendus de l'expérience immédiate (« ces saveurs
me sont agréables ») »214. Aux sceptiques qui lui demandent comment il sait qu'il existe un monde hors de
son esprit, il répond : je sais qu'il y a un monde qui nous nourrit qui nous entoure. Annonçant le « je pense
donc je suis » (cogito ergo sum) de Descartes, il écrit : « si je suis trompé, je suis » (si fallor, sum)214.
Pour Matthews, le fait de savoir que l'on est vivant ne se limite pas chez Augustin à la vie biologique. Dans
le De Trinitate, le terme vie doit être entendu au sens platonicien où l'âme, même quand elle a cessé
d'animer le corps, reste vivante dans l'au-delà214. Dans la recherche de la connaissance, Augustin
s'interroge sur le lien entre les mots et l'objet qu'ils désignent. Au xxe siècle Ludwig Wittgenstein dans son
livre Investigations Philosophiques écrit qu'Augustin d'Hippone n'analyse pas tout le langage mais
seulement un système de communication215. Mais lui-même présente un travers similaire dans son œuvre
majeure le Tractatus Logico-philosophicus dans la mesure où il ne s'intéresse qu'au langage applicable aux
sciences formelles de type logico-mathématique216. Toutefois selon Danvers et Saint-Fleur217 le dernier
Wittgenstein adopte comme Augustin un processus d'apprentissage du langage « fondé sur le modèle de
l'ostentation »(ou de la monstration)217.
Pour Augustin, l'esprit est une substance non corporelle qui vit, se rappelle, comprend, veut, sait et juge ;
elle s'auto-justifie. Dans son ouvrage De la trinité (10.120.14), il souligne :
« Car qui douterait qu'il vit, se rappelle, veut, pense, sait et juge ? Car même s'il doute, il vit ; s'il doute, il se
rappelle pourquoi il doute ; s'il doute, il comprend qu'il doute ; s'il doute, il veut être certain ; s'il doute, il
sait qu'il ne sait pas ; s'il doute, il juge qu'il ne devrait pas accepter sans réflexion218. »

Scène de banquet, évocatrice du « festin spirituel » auquel Socrate et ses amis


sont conviés au début du Timée. Coupe attique à figures rouges, vers 480 av. J.-C. Musée du Louvre.
Augustin, qui a connaissance par sa lecture de Cicéron de la théorie de la réminiscence de Platon, propose,
selon Gareth Matthews, une version christianisée de la théorie des formes de Platon. Dans le De diversis
quæstionibus octoginta tribus, il soutient que les formes peuvent être comprises de trois façons :
comme formæ (formes), species (espèces) ou rationes (raisons). Par ailleurs, elles ne peuvent être qu'en
Dieu car selon lui, le créateur ne peut consulter quelque chose d'extérieur à lui comme c'est le cas pour
le démiurge dans le Timée de Platon219. C'est à travers les formes que l'âme, illuminée par une lumière
intérieure divine, peut avoir accès à la vérité, grâce à une théorie active de la perception.
Augustin écrit dans De Genesi ad litteram libri duodecim « ce n'est pas le corps qui perçoit, mais l'âme à
travers le corps qui transmet la perception telle quelle ; l'âme utilise alors ce qui vient de l'extérieur pour
former en elle-même la vraie chosen 13. »
Selon la théorie de l'illumination, c'est la lumière de Dieu ou Dieu lui-même qui nous permet non
seulement d'arriver à des vérités a priori mais également à tout le savoir humain, et non l'âme qui n'est
qu'une créature faite à l'image de Dieu. Si Augustin rejette l'acquisition du savoir par abstraction, comme
chez Aristote, c'est que pour lui, cette méthode ne permet pas de résoudre la question du savoir apparent,
c'est-à-dire d'être certain qu'il y a un lien réel entre le mot et la chose qu'il désigne219.
Il convient de souligner les limites qu'Augustin porte à notre capacité de connaître. Tout d'abord, pour lui,
il n'est pas possible de prouver la nécessité de l'existence de Dieu par la raison ; il n'est possible d'atteindre
une connaissance directe de Dieu que par l'expérience mystique : il en résulte que tout ce qu'on peut
savoir de Dieu par la raison, c'est qu'il excède nos capacités de compréhension220. Il a une attitude
semblable à l'égard de la philosophie : elle ne peut nous permettre d'atteindre la vérité absolue, mais elle
conduit l'esprit à réduire en quelque sorte le doute, à se faire une idée des choses. Matthews note que
quand Augustin pose comme il le fait souvent la question « [c]omment est-il possible que [la
proposition] p [soit vraie] […] quelquefois, quoique pas toujours, la réflexion le mène à une connaissance
philosophique de la chose, à montrer que ce qu'il connait, ou croit fermement connaître, peut en fait
être »221. Comme la philosophie s'enracine dans un différentiel fort entre Dieu et les hommes, pour
Augustin, elle ne peut mener à la vérité absolue, si elle n'est pas éclairée par les textes sacrés222.
Éthique[modifier | modifier le code]
Tout comme pour les philosophes de son temps, la philosophie est pour lui une discipline pratique dont le
but principal est la recherche du bonheur et où l'éthique domine la logique et la métaphysique. Sa pensée
morale se rapproche davantage de l'éthique de la vertu et de l'eudémonisme de la tradition occidentale
classique que de l'éthique du devoir et du droit (déontologisme) associées au christianisme à l'époque
moderne223. Si Augustin tend à unifier les vertus autour de l'amour de Dieu, il recourt malgré tout parfois
au conséquentialisme. Cela tient pour Chappell à ce que la classification standard des éthiques des
philosophes modernes n'est pas adaptée à l‘éthique d'Augustin qui a donc « quelque chose à offrir aux
éthiciens de toutes ces catégories »224.
Une éthique fondée sur le dialogue avec Dieu[modifier | modifier le code]

Rousseau herborisant.
Deux ouvrages importants portent le titre Confessions, le premier écrit par Augustin et le second par Jean-
Jacques Rousseau225. Si la recherche de la vérité est un élément central dans ces deux ouvrages, les auteurs
l'abordent de façon très différente. Ainsi, Thimothy Chappell note : « Le son de la vérité chez Rousseau
est je, je, je, le son de la vérité chez Augustin est tu, tu, tun 14 »
Atteindre la vérité chez Rousseau exige d'être vrai et libre. Au contraire, chez Augustin, la « première étape
du progrès moral consiste à s'éloigner de ce qui est trop personnel et du domaine privé au profit de ce qui
est commun; et ce qui est le plus commun, c'est la vérité et Dieu »226.
Pour l’évêque d’Hippone, être « sincère », authentique, ne peut conduire qu'au désastre226. Pour lui, Dieu
est une personne avec qui il parle. Dieu n'est pas un autre, ce n’est pas « lui », c'est « tu », c’est-à-dire
quelqu'un d'intime avec lequel on est en relation. Ce qui conduit Augustin dans le domaine moral est
donc « une relation à la seconde personne » avec Dieu, qui ne se fait pas selon un principe d'autorité ou de
code moral, mais est affaire de confiance, d'amour entre Dieu et l‘Homme227.
Bonheur et immortalité[modifier | modifier le code]
Dans les livres VIII et XIX de La Cité de Dieu, Augustin voit l'éthique ou la philosophie morale (la formulation
latine pour l'éthique) comme l'identification du bien suprême ainsi que des moyens de l'atteindre228. Le vrai
bonheur (Augustin utilise le terme latin beatitudo) se confond pour lui avec le bien suprême (Summum
Bonum). Sur ce point, il ne se différencie pas des philosophes qui, pour cette raison, voient « les
intellectuels chrétiens comme des rivaux philosophiques »229. Son livre De Beata vita montre, selon Bonnie
Kent, l'importance qu'Augustin attache au bonheur, qui pour lui ne se confond pas avec la possibilité de
faire ce qu'on veut. En effet, pour Augustin, comme pour Cicéron, nous sommes plus près du bonheur en
échouant à faire ce que nous désirons qu'en voulant une chose non appropriée230.
Adam et Ève au paradis dans un tableau de Lucas Cranach.
Selon Augustin « l'immortalité est un des plus grands prérequis pour atteindre le vrai bonheur »231. Cela le
rapproche des platoniciens qui insistent sur l'immortalité de l'âme et l’éloigne des épicuriens et les
stoïciens qui voient le bonheur comme la liberté face à la souffrance et à l'anxiété. Malgré cela, Augustin se
différencie du platonisme en ce que, pour lui, il n'y a pas seulement immortalité de l'âme mais résurrection
des corps, quelque chose qui avait déjà choqué les Athéniens quand l'apôtre Paul avait prêché chez eux232.
Augustin met les stoïciens plus haut que les épicuriens, car ils « enseignent que le bonheur ne vient pas du
plaisir du corps mais de la vertu de l'esprit »233. Toutefois, il leur reproche de trop compter sur la vertu et
pas assez sur Dieu, ce qui les conduit à une certaine arrogance 233.
Malgré l'accent mis sur l'immortalité et la vie après la mort, Augustin ne réduit jamais la vie présente à une
simple épreuve en vue du Paradis. Il insiste non seulement sur l'importance d'accomplir ici-bas les talents
que Dieu nous a donnés mais également sur les plaisirs esthétiques qui ne servent aucune autre fin que le
bonheur. Il s’ensuit que « les visions sécularisées ou puritaines d'un Dieu austère teneur de livre céleste,
obsédé à tenir les comptes de nos mérites et démérites, ne peuvent se réclamer de l'autorité d'Augustin.
Le Dieu d'Augustin est davantage l'amoureux ou l'artiste que le teneur de livres ou le juge »234.
Éthique et religion : orgueil et peur de l'enfer[modifier | modifier le code]
Le Jugement dernier, par Michel-Ange, chapelle Sixtine.
Augustin n'a rien contre l'amour de soi tant que celui-ci reste dans une certaine limite235. Il n'en est pas de
même de l'orgueil, qu’il considère comme « une forme perverse et hautement spécifique de l'amour de
soi », responsable du péché originel. C'est lui qui anime les anges rebelles et conduit Caïn à tuer son frère.
C'est aussi l'orgueil qui conduit les hommes à vouloir « s'arroger la place qui appartient à Dieu seul »235.
Comme la peur de la punition peut être une étape dans l'éducation morale, elle n'est pas totalement
inutile. Toutefois, à la différence de Pélage, il faut éviter d'exploiter la peur du jugement dernier pour
préserver du péché. Dans l'épitre 145, il écrit à ce propos :
« Est alors un ennemi de la justice celui qui s'abstient du péché uniquement par peur de la punition ; mais il
deviendra un ami de la justice, si c'est par amour d'elle qu'il évite le péché. Alors, il craindra vraiment le
péché. Car les personnes qui ont seulement peur des flammes de l'enfer n'ont pas peur de pécher mais de
brûler… »n 15
L'éthique du De Mendacio (Du mensonge)[modifier | modifier le code]
Dans son livre De Mendacio, Augustin distingue huit types de mensonges : le mensonge capital qui consiste
à mentir sur les dogmes religieux, le mensonge qui tend à porter injustement tort à quelqu'un, le
mensonge destiné à servir l'un au détriment de l'autre, le mensonge dicté par le désir de mentir et de
tromper, le mensonge provoqué par le désir de plaire, le mensonge qui ne nuit à personne mais profite à
quelqu'un, le mensonge qui sert à ne pas trahir, les cas où on ment pour ne pas envoyer quelqu'un à la
mort236.
Sa condamnation du mensonge repose sur trois raisons : mentir divise la volonté en deux ; mentir ne
permet pas d'atteindre la vérité et rend l'idée même de vérité improbable ; mentir est condamné par les
Écritures. Concernant le premier point, la division de la volonté en deux parties qui se combattent mène à
la désintégration mentale qu'il voit également à l'œuvre dans le désordre sexuel237 :
« Ment donc qui a une chose dans l'esprit, et en avance une autre… Aussi, dit-on également que sa pensée
est double car elle embrasse ce qu'il sait être vrai et ne dit pas, et, en même temps, ce qu'il avance à sa
place tout en sachant ou en pensant que c'est faux238. »
Concernant le second point, mentir rend la vérité improbable. Cela conduit Augustin à anticiper
l'argumentation attribuée à David Hodgson selon qui la recherche des bénéfices d’une action par
l'utilitarisme le rend peu sensible à celle de vérité239. Augustin écrit à cet effet : « Comment croire en effet
un homme selon qui il faut mentir à l'occasion, et qui peut-être alors ment au moment où il vous enjoint
de le croire ? »240. Concernant le troisième point, à savoir l’argument fondé sur les Écritures, l'évêque
d'Hippone s'appuie principalement sur le neuvième commandement qui enjoint de ne pas porter de faux
témoignage. Il s'appuie aussi sur le Livre de la Sagesse et sur le Psaume 5 verset 7237. Des commentateurs
ont remarqué qu'Augustin utilisait les Écritures de façon plus stricte pour condamner le mensonge que
pour le fait de tuer. Cela tient à ce que pour lui, la « Vérité (Veritas) est le nom de Dieu lui-même »237, ce
qui touche au cœur même de sa pensée. Il ne s'agit donc pas, comme pour les philosophes modernes, de
faits sans valeur intrinsèque 237.
La justice[modifier | modifier le code]
a étudié le concept de justice chez Augustin.
Pour les Grecs, la notion de justice est liée aux lois de la cité ou de la polis. Les stoïciens ont étendu la
notion de justice au reste de l'humanité de façon duale : selon que l'on est citoyen d'une polis ou en tant
que citoyen du monde241. Chez Cicéron, la justice ou l'injustice sont liées à la loi non écrite, qu'il assimile à
la raison droite. Toutefois, l'égalité devant la justice ne s'en déduit pas car le monde est hiérarchisé et la
justice envers les étrangers passe en dernier242.
Selon Alasdair MacIntyre, l'idée d'une justice applicable à tous trouve d'abord sa source dans
le Deutéronome et les Dix Commandements où Yahvé « s'exprime non seulement en tant que Dieu
d'Israël, mais aussi en tant que Dieu créateur de toutes les nations et des territoires de tous les
peuples »243. Mais, là encore, dans certains cas, il y a une différence de traitement entre le peuple d'Israël
et les étrangers. Pour les chrétiens qui s'adressent au monde entier, le problème d'une justice applicable à
tous devient crucial. L'apôtre Paul dans son Épître aux Romains lie loi divine et raison, de sorte que le
monde entier, même les non-chrétiens, peuvent en bénéficier. C'est là une formulation très proche de
celle de Cicéron. Les premiers chrétiens en ont bien conscience, et voient « dans les conceptions
stoïciennes (et plus particulièrement cicéroniennes) de la loi à laquelle la nature et la raison exigent que
l'on obéisse, une preuve de cette connaissance de la loi de Dieu à laquelle Paul avait fait référence »244.
Malgré tout, harmoniser les deux sources sera une tâche complexe, dont les Pères de l'Église n'ont
réellement perçu toute l'ampleur « qu'avec la réussite du plus grand d'entre eux : saint Augustin »244.
La conception de la justice chez Augustin emprunte à la fois aux platoniciens, à Cicéron et à Saint Paul. Aux
platoniciens et à Cicéron, il reprend l'idée que « la justice consiste à donner à chacun ce qui lui est dû »244.
Si la justice qui s'inscrit dans le cadre de La Cité de Dieu est universelle comme chez les stoïciens, chez
Augustin elle inclut des devoirs bien plus importants envers les pauvres et les opprimés245. À Saint Paul, il
reprend l'idée selon laquelle il faut être juste « de façon à n'avoir aucune dette envers qui que ce soit,
sinon de nous aimer les uns les autres (De Trinitate VIII, VI ; Romains 13,8) » : l'action juste ne peut venir
que de l'amour tourné vers Dieu, qui permet de bien orienter la volonté. Or, depuis Adam, notre volonté
est tournée vers l'amour de soi et donc vers l'injustice. Chez Augustin, cette différence est centrale dans la
distinction entre la Cité des hommes, dont l'exemple est Rome dominée par l'orgueil, et la Cité de Dieu,
où « le don de la grâce […] permet à la volonté de choisir librement ce qui en fait mène au vrai
bonheur »246.
Augustin et l'idée de guerre juste[modifier | modifier le code]
À la suite de son maître Ambroise de Milan, Augustin est un des premiers chrétiens à s'intéresser au
concept de guerre juste. Avant lui, on trouve des traces de cette notion dans La République de Platon, dans
la Politique d'Aristote, chez Thucydide et chez Cicéron247.
Si Augustin traite de la thématique de la guerre juste, il n’en dresse pas une théorie comme le feront plus
tard les juristes du droit canon et Thomas d'Aquin247 dont il inspire les deuxième et troisième critères
du Ius ad bellum (droit de la guerre). L'un de ces critères exige que la guerre ait pour but de promouvoir ce
qui est bon ou de punir ce qui est mauvais. L'autre exige que la guerre soit déclarée par une autorité
légitime247. Contrairement à Hobbes, Augustin soutient que les hommes aiment la paix et ne se font la
guerre que lorsqu'ils y sont contraints par d'autres. Par ailleurs, il ne pense pas que la guerre soit un mal
parce que les gens meurent, mais parce qu'elle déchaîne des passions mauvaises248.
Augustin et la sexualité[modifier | modifier le code]
Augustin considère que le plaisir sexuel n'est pas mauvais en soi puisqu'il permet la reproduction249, mais
qu’il est un mal parce que depuis la Chute, l'homme ne contrôle pas directement ses organes sexuels. La
sexualité n'est pas un « appétit » ou un « désir » normal car elle possède une forte capacité de corruption,
de désintégration de l'ordre des choses, outrepassant notre volonté et notre rationalité250. La question de
la sexualité est d'autant plus cruciale pour Augustin que, comme de nombreux philosophes jusqu'à Locke, il
considère que le corps d'une personne est la personne elle-même. Il est même, suivant l'évangile de Jean,
Dieu, puisque le Verbe (Dieu) s'est fait chair251. Il s'ensuit une contradiction. Si la chair est Dieu, elle est
aussi des organes sexuels dotés d'une vie propre. Aussi Timothy Chappell estime-t-il qu'Augustin, tout
comme « ses contemporains chrétiens et païens, est indubitablement manichéen dans son attitude envers
la sexualité humaine »224.
Chez Augustin, le péché ne trouve pas son origine dans la découverte de la sexualité comme chez Grégoire
de Nysse, mais dans le passage d'une sexualité parfaite à une sexualité où l'harmonie entre la chair et
l'esprit s'en est allée252, de sorte qu’il y a chez Augustin une « discordia », entre la chair et l'esprit253. Le
désir, surtout le désir sexuel, qui touche Augustin personnellement, est perçu comme une force qui se
heurte constamment à la raison et qui tire la nature humaine vers le bas. La vie de couple est assimilée
au « regnum uxorium » (« royaume conjugal ») et les pratiques sexuelles afférentes sont jugées
asservissantes254. Toutefois, pour Peter Brown comme pour Goulven Madec, si l’évêque d’Hippone
développe une vision sombre de la sexualité, il se montre toutefois relativement modéré par rapport à
certains de ses contemporains, tels Jérôme de Stridon et Grégoire de Nysse255.
Temps : du commencement à la vie éternelle[modifier | modifier le code]
Chez Augustin, temps et politique ne sont pas sans lien car notre passage ici-bas n’est que la fin de la vie
terrestre laquelle s’inscrit dans une perspective d’éternité. Cela change la perception des choses par
rapport à une vie limitée à l’espace-temps terrestre. En outre, contrairement à la position des platoniciens
et d'Aristote, le temps commence chez lui avec la Création.
Temps et commencement[modifier | modifier le code]
Article détaillé : Temps.

Image représentant la vision du temps du Chronos.


Augustin est connu pour sa maxime figurant au livre XI des Confessions : « Qu'est-ce donc que le temps ? Si
personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais
plus ». Pour lui, c'est à partir du présent que nous envisageons le passé, le présent et le futur :
« C'est donc une impropriété que de dire : il y a trois temps, le passé, le présent et le futur. Il serait sans
doute plus juste de dire : il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur
[…] Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition ; le présent de l'avenir,
c'est l'attente256. »
Comme le présent est fugace, il s’ensuit que les hommes sont comme en pèlerinage dans ce monde257.
Dans ses développements, selon Simo Knuuttila, Augustin s'inspire beaucoup d'Aristote, qui insistait déjà
sur la centralité du présent258. Comme le stagirite et les stoïciens à sa suite, il suppose que « le temps est
un continuum infiniment divisible »259. Toutefois, trois points l’opposent à Aristote.
1. Pour Augustin, le temps dépend du mouvement et donc commence avec la Création260. Sur cette
question, il se démarque aussi des platoniciens pour qui le monde est sans début ni fin, et des
tenants des théories de cycles ou de l'éternel recommencement du monde261. Plus tard, il
influencera Leibniz dans sa critique du temps absolu de Newton262.
2. Augustin adopte l'idée platonicienne du tout à coup. Alors que, pour Aristote, avant la mort, les gens
sont mourants et la mort est la limite de la période où l'âme n'a pas encore quitté le corps, pour
Augustin « l'instant de la mort relève du tout à coup platonicien auquel le principe du tiers exclu ne
s'applique pasn 16. »
3. Si Augustin comme Aristote accepte l'idée que la mesure du temps possède un aspect objectif
intéressant, il développe néanmoins une conception psychologique du temps qui l'amène à se
demander jusqu'à quel point on peut dire que le temps est long ou court. Il note que le présent n'a
pas de durée et n'est donc ni long ni court (Confessions, 11,15.18-20). Sa démarche est ici proche de
la notion de temps phénoménologique que développera Husserl263.
Millénarisme et chronologie de l’histoire[modifier | modifier le code]
D'abord millénariste à la suite de Lactance, Augustin se détachera de cette conception après sa conversion,
concluant que l'établissement du paradis est incompatible avec les imperfections de la vie terrestre, et ira
même jusqu'à combattre cette doctrine dans La Cité de Dieu :
« Il faut donc donner un sens spirituel (et métaphorique) à l´Apocalypse de saint Jean : le règne de mille
ans sur la terre est celui de l’Église, de la Cité de Dieu enfouie dans celle des hommes (il écrit : « les mille
ans de paix ont commencé avec Constantin ») mais qui ne sera vraiment accompli qu´au Ciel, à la fin des
temps264. »
Reprenant l'équivalence temporelle de l'Ancien Testament, selon laquelle une durée de mille ans
correspond à un jour dans la Bible, Augustin voit la durée de l'Histoire comme une réponse aux six jours de
la création, soit six mille ans, le dernier millénaire étant celui du repos, mais il ne propose pas la date
habituelle de fin de l'Histoiren 17. Estimant que l'humanité ne peut pas savoir quand viendra la fin des
temps, il exclut une intervention surnaturelle imminente dans le cours de l'histoire, vu que celle-ci se
déroule à la fois dans la Cité divine et la Cité terrestre. Cette conception d'un millénarisme purement
allégorique deviendra la doctrine officielle de l'Église, forçant la ferveur apocalyptique à se réfugier dans
des courants souterrains267.
Résurrection des corps et vie éternelle[modifier | modifier le code]
Le dogme de la résurrection, un élément central de la foi chrétienne, occupe une place de choix dans
l’œuvre d’Augustin268. Cette thématique est présente aussi bien dans les livres XII, XX et XXII de la Cité de
Dieu, que dans les écrits et discours consacrés aux fidèles, notamment à ceux qui vont recevoir le
baptême269. Ce dogme de la résurrection des corps a été un de ceux que le christianisme a eu le plus de mal
à imposer. En effet, il heurtait autant la pensée populaire de l’empire romain que les philosophes stoïciens
et épicuriens du temps de l’apôtre Paul ou que les néoplatoniciens du temps d’Augustin d’Hippone270.
Cette incompréhension conduit Augustin à devoir répondre à des questions de bon sens comme : que se
passe-t-il au moment de la résurrection de la chair pour les hommes dévorés par les requins ? Ce à quoi il
répond en s’inspirant de la réponse de saint Jean Chrysostome : au moment de la résurrection, les corps
seront comme des statues qu’on aurait refondu271.
En réalité, la question de la résurrection ou non des corps dépend de la place relative accordée au corps et
à l’âme. Chez les néoplatoniciens, comme chez Virgile, le corps est la prison de l’âme ou de l’esprit. Comme
l’écrivent Marrou et La Bollardière, l’homme est « [u]ne étincelle divine, une parcelle de la substance de
Dieu, momentanément et regrettablement insérée dans la gangue matérielle des corps »272. Pour Augustin
au contraire l’origine du mal n’est pas dans le corps mais dans l’âme et l’esprit, car le péché vient du libre-
arbitre de l’homme273. De là une différence notable sur la notion de résurrection entre les deux parties en
présence. Pour les néoplatoniciens, la résurrection est un « redressement spirituel » au sens où elle doit
nous affranchir de tout ce qui vient du corps. Au contraire, pour Augustin la chair n’est pas mauvaise, elle
l’est d’autant moins que le Christ s’est fait chair, s’est fait vrai homme et vrai Dieu. De sorte qu’à la fin des
temps, selon lui, c’est l’homme en tant que corps et âme qui doit être transfiguré et renouvelé en mieux.
Marrou en conclut que, concernant la fin des temps, l’eschatologie chrétienne est plus une consommation
qu’une destruction274.
Après les conciles, à une époque où le catholicisme veut dialoguer avec le monde, la place des valeurs
proprement humaines est un problème important275. Pour Augustin les valeurs humaines sont surtout
spirituelles et permettent de s’approcher de la vie éternelle par la louange et le retour sur soi, anticipant
ici-bas ce que sera la vie éternelle conçue par Augustin comme un grand sabbat (maximum sabbatum) et
non comme un repos (Augustin évite précisément l’emploi du mot otium). La vie bonne accordée par Dieu
aux saints est donc pour lui d’essence intérieure et liturgique276.
Politique[modifier | modifier le code]
Augustin et la philosophie politique[modifier | modifier le code]
Les philosophes politiques contemporains ne considèrent pas Augustin comme un des leurs ; ce refus a
plusieurs justifications. Taylor fait d’abord remarquer que l’évêque d’Hippone n'a produit ni une théorie de
l'État, ni une réflexion sur les diverses formes de gouvernement277. De plus, concevant l'État comme
moralement neutre, Augustin introduit une désacralisation de la politique et annonce de ce point de
vue Machiavel et Hobbes278. Enfin, l'importance qu'il accorde aux Écritures, ainsi que son eschatologie,
notamment la place qu’il donne à l'après-vie, le situent nettement hors du champ de la philosophie
politique actuelle279.
Malgré tout, Augustin est considéré par Reinhold Niebuhr comme le premier grand réaliste en politique du
monde occidental280. Michaël Loriaux estime que si Augustin partage avec les réalistes en politique
moderne un même scepticisme quant à la possibilité d'un progrès moral et politique, la justification n'est
pas la même. En effet, alors que les derniers s'appuient sur une psychologie simplifiée reposant sur
des faits stylisés, la psychologie d'Augustin est fouillée, presque individualisée281. Par ailleurs, alors que les
réalistes modernes essaient d'analyser les relations internationales en utilisant des jeux stratégiques, ce
qui laisse peu de place à la morale, chez Augustin la responsabilité morale des gouvernants est toujours
engagée par leurs actes même quand ceux-ci sont dictés par la nécessité282. Le livre XIX de la Cité de
Dieu reprend un passage des Psaumes : « Délivre-moi de mes nécessités »283.
Politique dans les lettres et sermons[modifier | modifier le code]
Dans les lettres et sermons, Augustin traite des questions qui se posent à un évêque dans un Empire
romain devenu chrétien depuis la conversion de Constantin. La question de la violence en politique y
occupe une place de choix. S'appuyant sur l’épître de Paul aux Romains, il admet que les personnes
exerçant des fonctions spécifiques (gouverneurs, juges, soldats, etc.) puissent ordonner l’usage de la force
si le bien-être physique ou moral du peuple l’exige. Toutefois, il précise que ceux qui recourent à la force
demeurent responsables de leurs actes envers les autres hommes et envers Dieu ; ils doivent donc s'en
confesser et être capables de repentir284.
De façon générale, les idées politiques d’Augustin ne sont pas statiques mais pragmatiques. Au lieu de
fournir des règles fixes, les Écritures sont porteuses d’un idéal qui donne un cadre pour juger des actions
humaines. Dans ce contexte, le recours à la force doit être aussi pacifique que possible et celui qui
l’ordonne doit faire preuve d’humilité et de miséricorde285.
Dimension politique des écrits de Cassiciacum[modifier | modifier le code]

Statue de Sénèque.
Michael Foley note que les écrits rédigés à Cassiciacum — à savoir le Contra Academicos, le De beata vita,
le De ordine et le Soliloquia — se présentent sous forme de dialogues philosophiques. Ces thématiques
témoignent non seulement d’un intérêt pour la philosophie pure mais également de l’influence de la
philosophie politique de Cicéron286. Si ces ouvrages portent surtout sur la poursuite de la vérité, ils traitent
aussi de la notion de bonheur, un thème central dans la philosophie politique de Cicéron et
de Sénèque (également auteur d’un livre intitulé De vita beata). Chez Augustin, la notion de bonheur est
apolitique, c'est-dire extérieure à la polis et au jeu politique287.
Selon Foley, Augustin poursuit trois objectifs dans ces écrits : le premier est la lutte contre un patriotisme
exacerbé et contre les vertus politiques qui relèvent des opinions et des apparences, associées à des désirs
désordonnés et traduisant une rébellion de l'âme contre le bien288 ; le second est le rappel que l'important
pour l'homme est la sagesse, l'amour de la vérité et l'amour de Dieu289 ; le troisième est l'affirmation que
l'on doit s’occuper sérieusement de la politique et, en particulier, éviter qu'elle ne tombe entre les mains
de personnes guidées par des motifs égocentriques ou irrationnels. Dans cette optique, il estime que ceux
qui désirent quelque chose de plus grand que simplement gouverner sont les plus aptes à la politique290. Si
l’évêque d’Hippone tend à subordonner la vie politique à la philosophie, il ne défend cependant pas la
thèse selon laquelle les chrétiens pourraient réaliser le Royaume de Dieu sur cette terre291.
Politique et religion dans La Cité de Dieu[modifier | modifier le code]
Selon Peter J. Burnell, l'interprétation politique dominante en 1992 de la pensée d’Augustin est la
suivante :
« […] Comme les institutions civiles sont une réponse nécessaire au péché, elles ne sont pas quelque chose
de pleinement naturel. De sorte que la société civile est théologiquement neutre et sert des fins
éphémères. Elle constitue un espace d'indétermination entre la cité de Dieu et la cité de ce monde. L'État
est intrinsèquement coercitif dans ses méthodes et implique la domination d'un être humain sur un autre,
de sorte qu'il n'aurait jamais pu exister dans le Jardin d'Eden. Une telle institution est regrettable, mais
acceptable dans les circonstances présentes. Cela implique qu'il n'y a aucune part de la loi naturelle qui soit
intrinsèquement politique; la politique est une matière technique qui n'engage pas notre humanité
entièren 18. »

La Chute de l'homme par Lucas Cranach, illustration du xvie siècle.


Burnell se démarque de cette interprétation : selon lui, pour Augustin, il est naturel pour les êtres humains
de s’engager en politique dans la mesure où ce n’est pas seulement l'âme mais aussi l'homme civil qui
entre dans la cité de Dieu292. Par ailleurs, comme la qualité des institutions compte, l’important pour
Augustin est que le gouvernement n’empêche pas les chrétiens de suivre leur foi :
« Quant à cette vie mortelle dont la durée est si rapide et le terme si prochain, qu'importe sous quelle
puissance vive l'homme qui doit mourir, pourvu que les dépositaires de la puissance ne l'entraînent point à
des actes d'injustice et d'impiété (La Cité de Dieu, p. 233). »
Enfin à la différence de Cicéron, Augustin place la préoccupation des actions honorables au-dessus de celle
de l'État. Il s’ensuit, selon Burnell, que l'État ne saurait être une expression terrestre de la Cité de Dieu293.
Louis Dumont, quant à lui, insiste sur le fait que, par rapport aux autres philosophes de l'Antiquité,
Augustin restreint la portée des lois de la nature et étend le champ de la providence et de la volonté de
Dieu. Il en découle une plus faible portée donnée à la cité, à la république, et un plus grand rôle donné à
l'Église294.
Influence sur la théologie occidentale[modifier | modifier le code]
Article détaillé : Influence d'Augustin sur le monde occidental.
Augustin a exercé une très forte influence sur la théologie occidentale jusqu'à l'arrivée
du thomisme au xiiie siècle. Après cette date, son influence décline dans le catholicisme mais reste forte
principalement auprès des protestants et des jansénistes.
Augustin et le passage de la culture antique au Moyen Âge[modifier | modifier le code]
Articles connexes : Antiquité et Moyen Âge.

Abbaye de Lérins vue depuis la forteresse.


Au Moyen Âge, deux civilisations chrétiennes dont l'aire d'influence recouvre celle de deux grandes
langues — le latin et le grec — et de leurs dérivés, se partagent l'Europe, une séparation linguistique qui
débute dès le Bas-Empire. Augustin, un maître de la langue latine et qui ne lit pas couramment le grec295,
est donc le Père de l'Occident, tout comme Origène l’est pour le christianisme oriental (grec, et russe en
particulier)296.
Du vivant même d'Augustin, son œuvre circule à travers un réseau de disciples tels Paulin de
Nole ou Prosper d'Aquitaine, un des secrétaires du pape Léon Ier. À sa mort, ses disciples luttent contre
le semi-pélagianisme de Jean Cassien qui sera condamné en 529297. Après lui, à l'exception de Grégoire le
Grand, il n'y aura plus de personnalité intellectuelle de sa stature. Isidore de Séville voit en lui le premier
de tous les Pères de l'Église, tandis que l'œuvre de Césaire d'Arles est profondément marquée par Augustin
d'Hippone298.
La règle de saint Augustin régit encore actuellement de nombreux ordres ou congrégations religieuses et
constitue un des deux grands courants monachiques de l'Occident, avec celui inspiré par Jean Cassien. S'il
subsiste des doutes sur le rédacteur originel de la règle de Saint Augustin, l'inspiration augustinienne est
indéniablen 19.
Augustin et le christianisme jusqu'à la Renaissance du xiie siècle[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : Moyen Âge et Renaissance du xiie siècle.

Jean Scot Érigène, Paris, Bibliothèque nationale, Lat. 6734.


Durant cette période, Augustin vient juste après les apôtres dans l'Occident chrétien. Son ouvrage La Cité
de Dieu, qui n'est pas toujours bien compris, sert de creuset à l'ordre politique et social qui se met en
place. Son aura est telle durant cette période que toute œuvre anonyme de qualité lui est attribuée par les
copistes, de sorte que son œuvre déjà volumineuse s'accroît encore. Par exemple, on lui attribue
les Méditations dont on découvrira plus tard qu'elles sont l'œuvre de Jean de Fécamp299.
Boèce (480-526) reprend des thèmes augustiniens en leur donnant un tour plus technique, plus fondé sur
la logique aristotélicienne qui sous-tend la tradition platonique de Proclus (410-485) et d'Ammonios. Plus
tard, le Periphyseon, appelé aussi De divisione nature, et le De prædestione de Jean Scot Érigène (810-870),
sont également marqués par la pensée d'Augustin300.

Saint Augustin remettant la Règle de son ordre. [archive] Bibliothèque du


Patrimoine Clermont Auvergne Métropole, MS 158 f. 1, en ligne [archive] sur Overnia.
Au milieu du xie siècle, Augustin inspire non seulement Anselme de Cantorbéry et Abélard mais aussi leurs
adversaires : Pierre Damien et Bernard de Clairvaux. Toutefois, selon Henri-Irénée Marrou, c'est l'école de
l'abbaye de Saint-Victor autour de Guillaume de Champeaux qui au xiie siècle s'est la plus « intimement
inspirée de l'augustinisme ». Si des communautés de chanoines réguliers continuent de suivre la règle
d'Augustin — qui inspire au xiiie siècle la règle des dominicains —, la règle bénédictine de Benoît
d'Aniane et de Bernard de Clairvaux s'impose dans les monastères299.
Durant la période suivante, la pensée d'Augustin demeurera très présente grâce au Livres des
sentences de Pierre Lombard (1095-1160), qui servent de base à l'apprentissage de la théologie jusqu'à la
fin du xiiie siècle301.

Moine de la famille franciscaine. Aux xiiie et xive siècles, les franciscains sont plus
marqués par Augustin que les dominicains, proches de l'aristotélicianisme et du thomisme.
Déclin de l'influence d'Augustin face à Aristote et au thomisme[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : Bonaventure de Bagnoregio, Thomas d'Aquin, Jean Duns Scot et Augustinisme.
Jusqu'à la fin du xiie siècle, l'Occident n'a accès qu'au corpus logique d'Aristote. Après cette date, l'œuvre
entière devient accessible aux lettrés occidentaux grâce à des traductions réalisées à partir de l'arabe et du
grec. Les conséquences en sont doubles : les belles-lettres — un des points forts d'Augustin — reculent au
bénéfice de la philosophie pure ; la pensée d'Augustin qui jusque-là a régné en maître décline
et Aristote devient « le Philosophe » tandis que le platonisme et le néoplatonisme qui ont tant imprégné la
pensée d'Augustin perdent de leur influence302.
L'œuvre de Thomas d'Aquin, très marquée par la pensée d'Aristote, tend à devenir la référence du
christianisme occidental. L'opposition est réelle mais doit être nuancée. En effet, selon Henri-Irénée
Marrou, Thomas d'Aquin incorpore dans son « aristotélicisme systématique et en quelque sorte radical […]
des pans entiers d'augustinisme », combattant surtout un « augustinisme avicenisant » et
un « aristotélisme averroïste »303.
Quoi qu'il en soit, de vives controverses opposent augustiniens et thomistes au xiiie siècle. Du côté
thomiste, on trouve les dominicains, tandis que le côté augustinien regroupe les franciscains autour
de Bonaventure et de Jean Duns Scot ainsi que les grands augustins autour de Gilles de Rome et
de Grégoire de Rimini304. C'est la controverse de la Correctia, qui met au jour au moins deux points de
divergences notables entre les camps opposés. Les franciscains acceptent avec des aménagements
les « enseignements d'Augustin concernant l'illumination divine, le pouvoir de l'âme et la raison
séminale »n 20 ainsi que son volontarisme, que les thomistes récusent305. Par « illumination », les
franciscains entendent que l'esprit humain a besoin de la présence de règles et de raisons divines. Par
l'idée de raison séminale qui vient du stoïcisme, ils soulignent que « Augustin enseigne que Dieu a infusé
dans la matière, au moment de la création, des normes intelligibles qui peuvent être actualisées »n 21, tout
comme une semence permet de produire une nouvelle plante. Sur la question du volontarisme, pour W.F.
Stone, il n'y a pas entre les protagonistes de véritable différence concernant la psychologie morale, mais
des divergences sur l'importance du volontarisme (Stone 2001, p. 258).
Augustin et les mouvements chrétiens réformateurs (protestantisme et jansénisme
des xvie au xviie siècle)[modifier | modifier le code]
Durant cette période, Augustin est surtout influent dans les mouvements réformateurs — que Rome
n'hésite pas à qualifier d'hérétiques. Ce fait est dû en partie à la montée en puissance du thomisme et de
l'aristotélisme. Mais pour Jean Delumeau, cela tient aussi aux grandes difficultés de l'époque — guerre de
Cent Ans, peste noire, Grand Schisme, menace turque, etc. — qui créent en Europe une mauvaise
conscience et un sentiment que « seul le péché pouvait expliquer tous ces malheurs »306. Ce besoin peut
expliquer le succès du calvinisme et du luthéranisme qui, comme Augustin, ont une vision de l'Homme
réaliste, voire sombre ou pessimiste. Pour Jean Delumeau, ce trait fait que les humanistes — Nicolas de
Cues, Marsile Ficin, Jean Pic de la Mirandole, Thomas More, etc. — qui ont une conception assez optimiste
de l'homme et qui n'insistent pas sur la notion du péché, satisfont moins bien aux besoins de renouveau de
l'époque307.
Augustin et le protestantisme[modifier | modifier le code]
Article détaillé : protestantisme.
La publication de la première édition critique de l'œuvre d'Augustin par Johann Amerbach en 1506 permet
aux réformés d'avoir un accès direct à sa pensée. Toutefois son influence réelle est discutée ; W.F. Stone
estime que s'ils font grand cas des théories d'Augustin sur l'élection et la réprobation ainsi que sur la
justification et la volonté, « les éléments les plus positifs de son anthropologie et de sa théorie de la grâce
sont négligés ou sous-estimés »308.
Martin Luther[modifier | modifier le code]
Martin Luther par Lucas Cranach l'Ancien (1633).
Article détaillé : Martin Luther.
Luther, lui-même moine augustinien au début de sa carrière, est influencé à la fois par le travail de Johann
von Staupitz, un néo-augustinien, et par Augustin lui-même. Dans ses commentaires bibliques, Luther fait
référence 270 fois à l'œuvre d'Augustin309. Toutefois, si Luther s'inspire d'Augustin, il apporte également sa
propre touche. La proximité des deux hommes est particulièrement notable dans la théorie de la grâce.
Pour Luther, si la grâce peut être accordée à tous ceux qui ont la foi, l'Homme n'est pas relevé de ses
péchés, mais ceux-ci ne sont plus portés à son passif310.
Autre point de convergence : la question de l'Homme intérieur. Sur ce point, à partir de 1520-1521, Luther,
dans De la liberté du chrétien, se rapproche, avec des nuances, de la pensée d'Augustin. Pour Augustin,
l'Homme intérieur est créé à la fois à l'image et à la ressemblance de Dieu, tandis que l'Homme extérieur
— le corps —, « possède une excellence et une prédisposition à la contemplation qui en font aussi, en un
certain sens, une image de Dieu ». Pour Luther, une ascèse prudente permet à l'Homme extérieur de se
régler sur l'Homme intérieur qui est « créé par Dieu »311.
Enfin, Luther reprend l'opposition d'Augustin entre Cité de Dieu et Cité des hommes en la centrant sur la
primauté du Christ. C'est ainsi qu'il distingue un Royaume de Dieu, « celui de la grâce, de la foi, de l'amour,
de la parole de Dieu, des préceptes évangéliques », du royaume du monde, « celui du glaive temporel, de
la loi, du décalogue »312 : si les vrais chrétiens qui appartiennent au Royaume de Dieu n'ont pas besoin de
lois parce qu'ils sont gouvernés par l'esprit, les autres, ceux du monde, doivent être encadrés par le droit ;
de sorte que par ce biais Luther pose les principes de la légitimité du pouvoir temporel313.
Jean Calvin[modifier | modifier le code]

Portrait de Calvin par Le Titien.


Article détaillé : Jean Calvin.
Jean Calvin est lui aussi profondément imprégné de l'œuvre d'Augustin, notamment La Cité de Dieu qu'il a
étudié de mai 1532 à octobre 1533314. Dans son ouvrage majeur, l’Institution, il cite 1 700 fois Augustin et y
fait référence sans le citer 2 400 autres fois315. D'une façon générale, Augustin a une quadruple influence
sur Calvin. Il est d’abord l'auteur qui l'a conduit vers la Réforme. Dans ce cheminement, Luchesius Smits
insiste sur l'influence qu’a eue sur lui le livre d'Augustin intitulé De la lettre et de l'esprit (De spiritu et
littera). Comme Augustin, Calvin perçoit le sacrement comme étant une « parole visible ». Il n'a pas une
efficacité en lui-même, il est seulement « l'instrument de Dieu autorisant une communion spirituelle »314.
Enfin, le théologien de Genève reprend à Augustin sa démarche exclusiviste voulant que les hérésies
doivent être combattues. Denis Crouzet note que pour Calvin « Dieu a donné le glaive aux magistrats pour
défendre la vérité de Dieu quand besoin sera, punissant les hérétiques qui la renversent »314. Calvin
s'inspire aussi d'Augustin pour tout ce qui touche à la loi, la pénitence, le mérite et la prédestination,
notions qui chez Augustin font système. Toutefois, Calvin développe une théorie de la grâce plus dure
qu'Augustin en oubliant les possibilités de régénération présentes dans la pensée de l'évêque d'Hippone.
Pour Luchesius Smits, cette différence d'appréciation tiendrait au fait que chez Augustin l'amour est positif
— action vers — alors que chez Calvin il est passif, il est « condescendance de Dieu à notre égard »315.
Les catholicismes augustiniens au xviie siècle[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : Jansénisme et École française de spiritualité.
Jean-Ambroise Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, par Philippe de
Champaigne.
L'École française de spiritualité[modifier | modifier le code]
Au début du xviie siècle, l'École française de spiritualité, essentiellement représentée par la Société de
l'oratoire de Jésus fondée en 1611 par le cardinal Pierre de Bérulle, un proche de Saint-Cyran, cherche à
mettre en pratique la théologie augustinienne, sans toutefois se focaliser sur le problème de la grâce
comme le feront plus tard les jansénistes. Il s'agit, par l'adoration du Christ sauveur, d'amener les âmes à
un état d'humilité devant Dieu316.
Le jansénisme[modifier | modifier le code]
Le jansénisme, à travers l’œuvre de Saint-Cyran, un de ses grands théologiens, reprend à l’augustinisme la
nécessité pour le chrétien d'une véritable « conversion intérieure », seul moyen d'être en état de recevoir
les sacrements de pénitence et d'Eucharistie. Cette idée de conversion inspirée de saint Augustin repose
sur la technique des « renouvellements », où, une fois l'état de conversion atteint, le pénitent doit faire
fructifier les grâces qu'il a reçues, en menant une vie retirée317. Au contraire, Richelieu et les jésuites
soutiennent la thèse de l'attrition : pour eux, seul suffit le « regret des péchés fondé sur la seule crainte de
l'enfer »318.
De son côté, Jansenius dans son ouvrage théologique l'Augustinus met l'accent sur la théorie augustinienne
de la grâce et de la prédestination319. Jansenius, Saint-Cyran et Antoine Arnauld, qui défend l'Augustinus,
sont les véritables introducteurs et propagateurs du jansénisme en France318.
Le néo-thomisme et la pensée d’Augustin[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : Néothomisme et Premier concile œcuménique du Vatican.
Aux xviiie et xixe siècles, avec des auteurs tels que Hyacinthe-Sigismond Gerdil (1718-1855), Vincenzo
Gioberti (1801-1852) et Antonio Rosmini (1797-1855), se développe un « augustinisme ontologique qui se
nourrit d’une lecture malebranchiste d’Augustin »320. En condamnant l’idéalisme et l’ontologisme,
le concile Vatican I met de facto cet augustinisme à l’index, tandis qu’il fait du néo-thomisme la pensée
officielle de l’Église. Ce concile est suivi de ce que Goulven Madec appelle la Belle
Époque du néoscholastisme où la pensée d’Augustin est examinée par l’orthodoxie de l’Église non en elle-
même mais en référence à celle de Thomas d'Aquin considérée comme « norme » intangible. La
prééminence donnée à saint Thomas par rapport à saint Augustin tient à ce que les valeurs humaines qu’il
développe semblent plus en phase avec une Église catholique qui veut dialoguer avec le monde — terme
de Paul VI —, que celles défendues par Augustin d’Hippone, dont le tempérament religieux semble bien
résumé par le verset « Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné de
surcroît » de l’Évangile selon Matthieu275. Les années 1920 et 1930 voient se développer des controverses
entre les tenants d’Augustin regroupés en France autour de Fulbert Cayré (1884-1971), le fondateur de
l’Institut d’études augustiniennes, et les néo-thomistes tels Étienne Gilson, auteur d’une introduction à la
pensée d’Augustin321.
La disputatio entre augustiniens et néo-thomistes[modifier | modifier le code]

Sceau de l’Institut pontifical d'études médiévales fondé à Toronto par Étienne Gilson.
En 1918, Prosper Alfaric publie un livre intitulé L’évolution intellectuelle de Saint Augustin, I - Du
manichéisme au néoplatonisme où il affirme concernant Augustin : « [m]oralement comme
intellectuellement, c’est au néoplatonisme qu’il s’est converti plutôt qu’à l'Évangile », un jugement qui
marquera l’époque. Ce livre est suivi en 1920 par celui de Charles Boyer intitulé Christianisme et
néoplatonisme dans la formation de Saint Augustin. En 1938, Paul Henry (1906-1984) cherche dans un livre
de 1938 intitulé La vision d’Ostie dans l’œuvre de Saint Augustin à préciser la place du néoplatonisme chez
Augustin322. Dans son ouvrage de référence Introduction à la pensée d’Augustin dont la première édition
paraît en 1929, Étienne Gilson fait d’Augustin un néoplatonicien proche des idées de Plotin et soutient
que « Saint Augustin a cru pouvoir donner à la doctrine de Plotin un sens chrétien sans lui faire subir les
remaniements internes rendus nécessaires du fait qu’il y introduisait l’idée de création ». En fait des
recherches ultérieures montreront que l’évêque d’Hippone est surtout influencé par un autre
néoplatonicien, Porphyre de Tyr323,324,325.
Dans les années 1920 et 1930, les auteurs se passionnent sur les rapports entre Thomas d'Aquin et
Augustin. En 1921, Boyer développe dans son livre L’Idée de vérité dans la philosophie de Saint Augustin,
une lecture thomiste de l’évêque d’Hippone. En 1927, Fulber Cayré publie La contemplation augustinienne.
Principe de la spiritualité de Saint Augustin où il tente de montrer une certaine proximité entre
l’exemplarisme d’Augustin (un concept mis en lumière en 1916 par l’universitaire allemand Johannes
Hessen) et la théorie de la connaissance de Thomas d’Aquin, une thèse qui n’emporte pas la conviction
d’Étienne Gilson326. La parution en 1943 la deuxième édition du livre Introduction à la pensée d’Augustin de
Gilson va provoquer une disputatio entre lui et Fulbert Cayré portant sur deux points principaux : premier
point, pour Cayré, il est possible de soutenir qu’une synthèse philosophique augustinienne est possible, ce
que récuse Gilson ; le second point porte sur la question de la hiérarchie à établir entre Thomas et
Augustin que Lagouanère résume ainsi : « Le thomisme a-t-il épuisé l’augustinisme au point de vue
proprement philosophique au point qu’il ait rendu caduque toute tentative de philosophie proprement
augustinienne »327.
Pour Goulven Madec, qui a succédé à Cayré à la tête de l’Institut d’études augustiniennes, Gilson commet
une erreur de méthodologie en mettant sur le même pied le rapport de saint Thomas à Aristote et celui
d’Augustin à Plotin. Par ailleurs il y a une différence d’approche fondamentale entre celle d’Augustin qui
vise à « expliciter le contenu du dogme […] en utilisant des schèmes de pensée de son temps » et celle de
Gilson qui veut qu’il ait « mené un débat scolastique entre le donné révélé et la raison ». Enfin pour
Lagouanère, il n’y a pas chez Augustin comme on le trouve chez Gilson et dans le néothomisme « [u]ne
articulation entre une philosophie et une théologie chrétienne », il y a au contraire une dialectique
d’origine cicéronienne que l’on trouve notamment dans le De ordine entre « auctoritas de la foi et les
prétentions légitimes de la raison »328.
Les enjeux de la notion d’augustinisme politique[modifier | modifier le code]
Article détaillé : Augustinisme politique.

La Cité de Dieu. Début d'un manuscrit en français du début du xve siècle conservé
à la bibliothèque royale des Pays-Bas.
L'expression a été forgée au xxe siècle par Henri-Xavier Arquillière dans un ouvrage intitulé Augustinisme
politique. Il s'agit pour Arquillière de s'opposer au philosophe allemand protestant Ernst Bernheim (1850-
1942), pour qui Augustin est un penseur de la théocratie329. Selon cette thèse, la Cité de Dieu aurait servi
à « justifier la primauté pontificale de Grégoire VII à Boniface VIII » car l'augustinisme en général
consisterait en une tendance « à fusionner l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, à absorber le premier dans
le second »330. Au xviie siècle, Bossuet avait déjà énoncé ces mêmes thèses en faveur de l'absolutisme royal.
Pour l’évêque Arquillière, à la différence de la thèse de Bernheim, l’influence d’Augustin sur la pensée
théocratique n’est qu’indirecte en ce sens qu’elle résulte d’un état d’esprit que sa pensée aurait permis de
créer. Dit avec les mots d’Arquillière, elle ne traduit pas l’influence d’Augustin « comme le grand évêque
aurait voulu qu’elle s’exerce » mais comme fait elle s’est réalisée de fait329. Aussi, sous le vocable
d'augustinisme, on ne cherche pas à trouver ce qui pourrait être l'essence de la pensée d'Augustin, mais on
y classe tous les développements auxquels la pensée d'Augustin a donné lieu en y incluant « les véritables
contresens et caricatures que chaque époque a commis en relisant Augustin »331. En effet, chez Augustin,
les deux cités ne sont pas l'Église temporelle et le pouvoir des États car, comme le note Étienne Gilson,
elles « recrutent leurs citoyens par la seule loi de la prédestination divine. Tous les hommes font partie de
l'une ou de l'autre, parce qu'ils sont prédestinés à la béatitude avec Dieu, ou à la misère avec le démon »332.
En fait, à travers la notion d'augustinisme politique, Arquillière cherche surtout à placer toute la prétention
théocratique de l’Église catholique dans un passé révolu allant du viie siècle au xive siècle à un moment où
l’Église, après Vatican I, se cherche un nouveau rôle plus axé sur la spiritualité. La pensée d'Arquillière
s’inscrit dans une perspective néo-thomiste soutenue par le concile précité où l’opposition thomisme-
augustinisme structure l’approche du monde médiéval. Pour Blaise Dufal329 :
« L’augustinisme politique, relevant d’une vision thomaso-centriste de la théologie, peut être considéré
comme une manière de contourner les problèmes de la théorie politique de saint Thomas. En effet, la
tendance à unifier les deux hiérarchies, spirituelle et temporelle, attribuée à l’augustinisme politique, se
retrouve chez Thomas d’Aquin alors qu’elle apparaît en contradiction avec la pensée aristotélicienne. Il
s'agit de rejeter sur l'évêque d'Hippone les ambiguïtés et les confusions que les commentateurs modernes
ont entrevues chez le « docteur angélique ». »
Influence au début du xxie siècle[modifier | modifier le code]
Augustin, Nietzsche et le nihilisme postmoderne[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : nihilisme, philosophie postmoderne et postmodernité.
Selon Gavin Hyman333, tant Augustin que Nietzsche ont étudié la notion de « nihil » (rien), une question qui
a après avoir déjà hanté les pré-modernes hante de nos jours les philosophes et théologiens
postmodernes. Fait plus marquant encore : chez les deux hommes, les questions de Dieu et
du « nihil » sont étroitement liées334. Si chez Augustin le rien paraît théologiquement domestiqué, il est
malgré tout présent dans beaucoup de ses textes334. Cela fait dire à Hyman335 que chez l'évêque d'Hippone
« loin d'être vaincu, éradiqué ou banni, le « nihil » est surmonté seulement aussi longtemps que Dieu
poursuit son activité conservatrice. Dieu ne peut pas laisser les créatures à leur sort car dans ce cas,
le « nihil » spontanément et immédiatement s'affirmerait à nouveau »n 22.
Si aussi bien dans le nihilisme postmoderne que chez les philosophes postmodernes d'Europe continentale
la référence à Nietzsche est très présente, celle d'Augustin est également présente chez les théologiens
postmodernes336.
Sur le christianisme[modifier | modifier le code]
À la fin du xxe siècle et au début du xxie siècle, le christianisme semble s'intéresser de nouveau à Augustin,
comme en témoignent deux écrits de Benoît XVI337,338, ainsi que l'intérêt que lui portent des philosophes
comme Alain de Libera et Jean-Luc Marion, qui mènent une réflexion sur sa théologie dans le cadre d'une
sortie de la métaphysique339.
Influence sur la philosophie[modifier | modifier le code]
Après le xviiie siècle, la théologie d'Augustin perd de son influence, mais sa philosophie demeure appréciée.
Augustin, Descartes, Malebranche et Leibniz[modifier | modifier le code]
Descartes[modifier | modifier le code]

Le Je pense donc je suis de René Descartes a des résonances augustiniennes.


Augustin est le tout premier philosophe occidental à fonder sa pensée sur le « Je », il est à ce titre un
précurseur de Descartes qui bâtira sa philosophie sur le Cogito ergo sum (je pense donc je suis). Pour les
deux hommes, l'esprit est « une chose qui doute, comprend, affirme, dénie, veut, ne veut pas, qui imagine,
qui a des perceptions sensorielles »340.
Toutefois une différence de taille les sépare : pour Augustin, vivre est une fonction de l'esprit, mais pas
pour Descartes. Il s’ensuit que, quand Augustin se pose la question « comment sais-je que je ne rêve
pas ? », il ne la traite que de façon rhétorique pour contredire les sceptiques, sans envisager réellement la
possibilité du rêve. Au contraire, Descartes, qui veut reconstruire le savoir, se pose la question de savoir s'il
existe un monde physique indépendant de l'esprit341.
Pour Stephen Menn, le livre IV des Méditations de Descartes peut être vu comme
une théodicée augustinienne fondée sur l'erreur de jugement342. Descartes reprend notamment l’« interdit
augustinien » selon lequel on ne saurait « trouver une raison » des actes de Dieu343.
Malebranche[modifier | modifier le code]
Nicolas Malebranche reconnaît l'influence d'Augustin non seulement sur sa pensée mais également sur son
intention « de proposer une nouvelle philosophie des idées »344. Mais Malebranche revendique une
divergence : « cependant nous ne proclamons pas, comme le fait saint Augustin, que nous voyons Dieu en
voyant les vérités, mais en voyant les idées de ces vérités »345. Alors qu'Augustin ne se soucie pas du monde
humain ni des corps corruptibles, Malebranche veut s'occuper du monde ici-bas à travers les essences de
ces éléments qu'il voit comme éternelles, immuables et nécessaires. Il ajoute ainsi à la doctrine de
l'illumination d'Augustin une seconde dimension : « une théorie de notre connaissance de la nature (pas de
son existence), du monde matériel qui nous entoure »346.
Leibniz[modifier | modifier le code]

Gottfried Wilhelm Leibniz est l'auteur d'une théodicée d'inspiration


augustinienne : la Monadologie.
Le philosophe allemand Leibniz reprend les trois idées clés de la réponse d'Augustin au problème du
mal347 :
1. « le mal est une privation, un manque, un « rien » » ;
2. « le mal naturel, bien qu'horrible en lui-même, fait partie d'un ordre, qui comme tout ordre est
merveilleux » ;
3. « le mal moral est le résultat du libre-arbitre, sans lequel il n'y aurait pas de bien moral ».
Pour Gareth Matthews, Leibniz est beaucoup plus « élégant » qu'Augustin dans la distinction qu'il pose
entre nécessité hypothétique et nécessité absolue. L'idée est que Dieu a tout prévu, même ce qui ne se
produit pas, de sorte qu'il faut distinguer ce qui est possible (nécessité hypothétique, par exemple quand
quelqu'un dit qu'il écrira demain) et la nécessité absolue qui ne dépend pas du libre choix348.
Leibniz s’écarte d’Augustin d’Hippone sur un point central, le refus de « l’interdit augustinien » que
Descartes acceptait, avec pour conséquence que Dieu aurait pu créer un autre monde. Cette dernière
hypothèse est intolérable pour Leibniz, selon qui Dieu a créé le meilleur des mondes possibles. Par ailleurs,
pour lui, « la racine du mal est dans la finitude » et non dans l’orgueil de l’homme349.
La phénoménologie[modifier | modifier le code]

Pour Husserl, Augustin est un précurseur de la phénoménologie.


La méthode philosophique d'Augustin telle qu'elle se déploie en particulier dans les Confessions exerce une
influence persistante tout au long du xxe siècle sur la philosophie continentale, notamment dans la façon
dont l'intentionnalité, la mémoire et le langage sont éprouvés à l'intérieur de la conscience du temps. En ce
sens, Augustin a inspiré les points clés de la phénoménologie et de l'herméneutique350. Husserl écrit à ce
sujet :
« L'analyse de la conscience du temps est un vieux nœud classique de la psychologie descriptive et de la
théorie de la connaissance. Le premier penseur à avoir été extrêmement sensible à ces immenses
difficultés est Augustin, qui a travaillé quasi désespérément à ce problème351. »
Martin Heidegger se réfère à plusieurs reprises à la philosophie descriptive d'Augustin dans son livre Être
et Temps. Par exemple, le thème du « comment-être-dans-le-monde » est exposé ainsi : « La nature
particulière, alternative, du voir, a été remarquée notamment par Augustin, dans le cadre de son
interprétation de la concupiscence. » Heidegger cite ensuite les Confessions : « Voir est l'attribut des yeux,
mais nous utilisons même ce mot « voir » dans d'autres sens quand nous parlons de la connaissance […]
Nous ne disons pas seulement voir comment ceci brille […] nous disons même voir comment cela
sonne »352.
Hannah Arendt[modifier | modifier le code]

Hannah Arendt en 1975.


Hannah Arendt a consacré sa thèse au concept d'amour chez Augustin (1929). Dans cet ouvrage, « la jeune
Arendt veut montrer que le fondement de la vie sociale chez Augustin peut être compris comme résidant
dans un amour du prochain enraciné dans la compréhension de la commune origine de l'humanité »353. Il
existe de profondes similitudes entre la conception du mal chez Augustin et celle d'Arendt : « Augustin ne
voit pas le mal comme quelque chose de démoniaquement enchanteur mais plutôt comme l'absence du
bien, comme quelque chose n'étant paradoxalement rien. Arendt […] envisage de même l'extrême mal qui
a produit l'Holocauste comme simplement banal dans son livre Eichmann à Jérusalem »354.
Dans son livre La Crise de la culture, Hannah Arendt voit en Augustin le seul philosophe que Rome ait
jamais eu. Elle considère que le pivot de la philosophie augustinienne, « Sedes animi est in memoria (Le
siège de l'esprit est dans la mémoire) », a permis au christianisme de répéter « la fondation de Rome […]
dans la fondation de l'Église catholique » en reprenant sur un autre plan « la trinité romaine de la religion,
de l'autorité et de la tradition »355. Pour elle, le fait de toucher à un des piliers de cette trinité affecte
automatiquement les deux autres. Luther a commis l'erreur de penser que l'on pouvait toucher à l'autorité
sans revoir les deux autres piliers. Hobbes a fait de même, mais en s'en prenant à la tradition. Quant
aux humanistes, ils ont commis l'erreur « de penser qu'il serait possible de demeurer à l'intérieur d'une
tradition inentamée de la civilisation occidentale sans religion et sans autorité »356.
D'une façon générale, Hannah Arendt considère qu'Augustin a permis à la pensée chrétienne de sortir de
son antipolitisme des premiers temps. À cet égard, pour elle, ce qui est décisif, c'est l'idée de la Cité de
Dieu, car celle-ci implique l'existence d'une vie en communauté, et donc d'une sorte de politique dans l'au-
delà357.
Influence sur certains développements de la philosophie politique récente[modifier | modifier le code]
Pour Deepak Lal, un économiste anglo-indien, les philosophes et les lumières au xviiie siècle ont transformé
le Dieu chrétien en une chose abstraite, le grand horloger, et remplacé l'idée chrétienne de Paradis par
celle de postérité, de « lendemains qui chantent ». Au xixe siècle, après que Darwin a montré que Dieu était
aveugle, Nietzsche a proclamé que Dieu était mort. Lal estime que les fondations morales de l'Occident
sont en ruine358. Dans un texte qui s'adresse d’abord aux Indiens, Culture, Democracy and Development, il
précise 358 :
« Mais la mort du dieu chrétien ne signe pas la fin des variations séculières sur le thème de la Cité de
Dieu d'Augustin. Le marxisme, le freudisme et le récent et bizarre éco-fondamentalisme sont des
mutations séculières sur cette thématique augustinienne. Mais aucune d'elle n’a réussi à donner une assise
morale à l'Occidentn 23. »
Il reprend cette même argumentation dans un texte de 2002 intitulé Morality and Capitalism : Learning
from the past359.
Toni Negri et Michael Hardt, dans leur livre Empire, citent Augustin d'Hippone et ambitionnent de
remplacer l'Empire non pas par une Cité de Dieu — il n'y a pas de transcendance chez eux — mais
par « une cité universelle d'étrangers, vivant ensemble, coopérant, communicant »360.
Influence culturelle[modifier | modifier le code]
La forte influence culturelle tant sur la religion que sur le xviie siècle français et sur la constitution du moi
occidental a fait l’objet de vives critiques au xxe siècle.
Augustin et la constitution du « moi » occidental[modifier | modifier le code]
Socrate rencontre Alcibiade dans la maison d'Aspasie, toile de Jean-Léon
Gérôme, 1861.
Augustin est un des architectes de la pensée occidentale du « moi ». Certes, Platon avait déjà abordé ce
thème dans l'Alcibiade, et les stoïciens ainsi que les néoplatoniciens avaient fait de même dans certains de
leurs écrits ; du côté judéo-chrétien, on trouve des traces du « moi » dans le Livre des Psaumes, dans
l'Évangile ainsi que dans les lettres de Paul. Pourtant, c'est Augustin qui, dans les Soliloques et
les Confessions, lie ces divers éléments et leur donne une force et une cohérence qui dépassent ce qui
existait auparavant361.
Pour arriver au « moi », Augustin utilise le dialogue sur le mode de Platon. Mais, au dialogue extérieur
entre personnes, il adjoint le dialogue intérieur, qu'il juge supérieur362. Dans la ligne de la philosophie
grecque et de Socrate, Augustin estime que progresser dans la vie intérieure exige de la pratique. Pierre
Hadot a particulièrement insisté sur le fait que la philosophie grecque n'était pas d'abord une technique
mais surtout un exercice spirituel visant le perfectionnement du « soi ». Pour Augustin, l'exercice spirituel
est le soliloque, c'est-à-dire le dialogue avec soi-même363.
Dans le christianisme, il y a une tension entre l'adhésion au Christ qui oblige à s'abandonner et l'exigence
d'être davantage soi-même. À la différence des philosophes grecs pour lesquels l’homme peut s’améliorer
de lui-même, pour les chrétiens, il doit se mettre à la suite du Christ, la conversion entraînant une
rupture364.
Brian Stock insiste sur trois traits fondamentaux de la pensée du « moi » chez Augustin : il veut prouver
que le « moi » existe et réfuter les sceptiques ; il montre que le « moi » est étroitement lié à l’intention ; il
insiste sur l'importance de la mémoire dans la constitution du « moi »365.
Augustin et la littérature classique du xviie siècle[modifier | modifier le code]
Le xviie siècle débute quelques années après l'édition des Œuvres complètes d'Augustin par l'ancienne
université de Louvain en 1577 et se clôt sur une autre édition complète, celle des bénédictins de Saint-
Maur (en 1679-1700). Entre ces deux dates, les œuvres d'Augustin sont également traduites par des gens
de lettres souvent membres de l'Académie française, tels Guillaume Colletet, traducteur de La doctrine
chrétienne (1636), Louis Giry, traducteur de La Cité de Dieu (1665-1667) ou encore Philippe Goibaud du
Bois, traducteur notamment des Lettres (1684) et des Sermons (1694). Ces hommes admirent le lyrisme et
la qualité poétique de l'œuvre d'Augustin366.
Toutefois, l'influence d'Augustin sur le xviie siècle français est restée longtemps inaperçue, jusqu'à la
parution, notamment, de l'ouvrage de Pierre Courcelle Les « Confessions » de saint Augustin dans la
tradition littéraire (1963), suivi de Pascal et Saint Augustin (1970) et de La Rochefoucauld, Pascal et Saint
Augustin de Jean Lafond. En 1982, la revue de la Société d'étude du xviie siècle a consacré un numéro
spécial à ce qu'elle appelle « [l]e siècle de Saint Augustin »367.
La reine de Suède en conversation avec René Descartes. La reine Christine a écrit
une autobiographie à la façon de saint Augustin.
L'influence d'Augustin sur la littérature s'est fait sentir à plusieurs niveaux. Par son livre Doctrine
chrétienne, Augustin a marqué profondément les grands prédicateurs du siècle de Louis XIV tel Bossuet,
même si les influences de Cicéron et de Sénèque sont également perceptibles368. Dans la littérature
profane, la pensée de Platon reprise par Augustin, faite d'hostilité à la fiction, a produit deux effets
principaux : d'une part, elle conduit les augustiniens les plus durs, les jansénistes de Port-Royal, à
critiquer Pierre Corneille et à rejeter le théâtre et le roman ; d'autre part, de façon plus positive, elle
pousse le classicisme français à exiger de l'art littéraire « le vrai, et un vrai-qui-est-bon, qui élève l'âme »369.
Il s'agit ici de répondre à l'injonction d'Augustin dans De Doctrina christina, IV, 28, selon laquelle l'être
humain doit se rendre capable de faire face aux réalités370.
Pour Philippe Sellier, la pensée d'Augustin irradie sept grands thèmes qu'on trouve fréquemment chez les
écrivains classiques. Elle marque cinq d'entre eux de façon assez sombre tandis qu'elle éclaire et illumine
les deux autres. Parmi les thèmes sombres, il y a d'abord ce que Jean Rousset a qualifié d'« inconstance
noire », c'est-à-dire le thème de l'instabilité du monde, qui s'inspire du poème en prose d'Augustin sur le
psaume 136, intitulé Sur les fleuves de Babylone. Sur ce thème, Pascal, opposant Babylone et Sion,
écrit : « Les fleuves de Babylone coulent et tombent, et entraînent / Ô saint Sion, où tout est stable, et où
rien ne tombe ! »371. En deuxième lieu, le thème de la « démolition du héros » provient de la défiance
d'Augustin envers les vertus héroïques de Rome372. Associé au précédent et également présent dans La
Cité de Dieu, un troisième thème souligne que la vertu peut n'être qu'un vice déguisé, comme on le voit
dans les comédies de Molière373. La sombre vision qu'a Augustin de la nature humaine se manifeste aussi
dans un quatrième thème qui est son regard désabusé sur le fonctionnement de la vie politique, un
jugement qui se retrouve dans les œuvres politiques de Thomas Hobbes et de Pascal ainsi que chez les
moralistes La Rochefoucauld et Pierre Nicole. Un cinquième thème est la façon dont Augustin réduit
l'amour à la sensualité, thème que reprendront Pascal et Bossuet. Au contraire, dans La Princesse de
Clèves, Madame de La Fayette laïcise l'amour qu'Augustin destine à Dieu374. Le siècle est aussi marqué par
l'idée de retour sur soi — connais-toi toi-même — si forte chez Augustin, et en conséquence réfléchit
beaucoup sur l'âme, tout comme il est imprégné par l'idée augustinienne d'un Dieu intérieur, qui « remplit
l'âme et le cœur de ceux qu'il possède »375.
Le mauvais génie de l'Occident ?[modifier | modifier le code]
En avant-propos de son livre Le Dieu d'Augustin, Goulven Madec répond à Jacques Duquesne qui a repris
des allégations souvent portées à l'encontre d'Augustin à la fin du xxe siècle et au début du xxie siècle ; pour
Madec, cette contestation de la pensée d'Augustin porte sur sept points principaux. Les deux premiers sont
(1) « les frasques d'Augustin » et (2) « Augustin et les femmes »376. Par ailleurs, (3) les modernes
reprochent à Augustin son mépris du monde. Mais pour Madec, Jésus dénonçait déjà « le prince de ce
monde » dans l'Évangile de Jean377. De plus, (4) Jacques Duquesne reproche à Augustin d'être « le véritable
inventeur du péché originel ». À quoi Madec répond que l'évêque d'Hippone a inventé la formule mais que
l'idée était présente bien avant lui dans les textes évangéliques378. (5) Pour Augustin, le Christ est
rédempteur, or l'idée du rachat du péché originel paraît étrange à Duquesne et sur ce point, Madec
constate que « la « rédemption » est, de nos jours, une métaphore éteinte, une « notion » ou un
« concept » vidé de sens379. » (6) Le fait que, pour Augustin, les enfants non baptisés vont en enfer est jugé
choquant ; pour Madec, Augustin interprète les textes en fonction de sensibilités différentes de celles des
êtres humains occidentaux de la fin du xxe siècle à une époque où le « pluralisme théologique », c’est-à-
dire l’acceptation de lectures diverses des écrits religieux n’était pas couramment accepté. (7) Enfin,
Augustin, contre Origène et notre siècle, ne croit pas que tout le monde sera sauvé. C’est d’ailleurs en
grande partie toute la problématique de la grâce380.
Influence sur l'individualisme moderne et le libéralisme[modifier | modifier le code]
Louis Dumont relève dans la philosophie politique d'Augustin plusieurs points qui annoncent
l'individualisme moderne : d'une part, en plaçant la foi, c'est-à-dire « l'expérience religieuse, au fondement
de la pensée rationnelle »381, Augustin annonce l'ère moderne, que Dumont voit « comme un effort
gigantesque pour réduire l'abîme initialement donné entre la raison et l'expérience »382. D'autre part,
Augustin insiste sur l'égalité entre les hommes, avec des accents qui se retrouvent plus tard chez Locke382.
Enfin, par rapport à Cicéron, on trouve chez Augustin une plus forte importance accordée à
l'individualisme. Augustin insiste davantage sur le fait que la Cité, la res publica, l'État, est constitué
d'individus et n'est pas un organisme. De même, sa conception de l'ordre et de la loi laisse une place plus
importante à l'homme. Dumont note que lorsque Augustin écrit dans le Contra Faustum : « La loi éternelle
est la raison divine ou volonté de Dieu, qui commande de conserver l'ordre naturel et interdit de le
troubler »383, les mots « volonté » et « ordre naturel » signifient que les lois viennent certes de Dieu mais
sont dans les mains des hommes383.
Pour l'historien Somos, chez Augustin il existe un espace non politique individuel, espace qui a commencé
à être sécularisé aux xiie et xiiie siècles384. Cet espace entre les sphères d’interactions d’individus autonomes
et le politique officiel a été élargi par Calvin et Mandeville quant à l’autre extrême Thomas
Hobbes et Bodin l’ont politisé 385. Quoi qu’il en soit, c’est dans cet espace que Locke place la société
civile, Adam Smith la main invisible, Montesquieu l’esprit des lois et plus près de nous Jürgen Habermas, la
sphère publique385. Cet espace entre une idéologie impériale (Reichstheologie) et un pur retrait du monde
ouvre un espace où les penseurs libéraux peuvent « naviguer » et constitue un apport important à
l’individualisme et au libéralisme. Mais pour Somos, les libéraux à la — différence d’Augustin — ne
disposent pas d’un statut prophétique caché capable de faire contrepoids à leur attachement à une raison
universelle et à leur goût du dialogue386.
Relations avec le judaïsme[modifier | modifier le code]
Généralités[modifier | modifier le code]
Moïse et le buisson ardent, par Dirk Bouts.
Article détaillé : Peuple témoin.
Aucune des œuvres de saint Augustin ne s'adresse directement aux Juifs, mais la discussion avec ces
derniers est omniprésente dans ses ouvragesn 24. On peut d'ailleurs citer des textes où Augustin fait allusion
à des rencontres de chrétiens avec des Juifs en Afrique romaine, où ceux-ci étaient nombreux, par exemple
pour connaître le sens d'un mot hébreu387.
L'image qu'Augustin s'est formée du judaïsme donne la vision traditionnelle du judaïsme en Occident,
la théologie de la substitution, selon laquelle le christianisme a remplacé le judaïsme comme seule vraie
religion. Augustin suivait en cela une doctrine déjà formulée notamment par Justin de
Naplouse, Tertullien et Jean Chrysostome388
Pour Augustin, l'enseignement contenu dans l'Ancien et le Nouveau Testament est identique (Novum in
Vetere latet, Vetus in Novo patet)389, sauf que le premier, écrit sur la pierre des Tables de la Loi, est imposé
du dehors, tandis que le second est implanté dans le for intérieur de l'Homme, inscrit dans son cœur 390.
C'est de cette théorie, qui insiste — à l'encontre des manichéens — sur la continuité et la permanence, que
naît la théologie de la nouvelle mission des Juifs : celle de rendre témoignage, par la garde de la Loi, aux
prophéties qui se sont accomplies dans le Christ391
La pensée d’Augustin n’est pas inconnue des penseurs juifs du Moyen Âge. Selon Bernhard Blumenkranz la
doctrine augustinienne de l’Église se « laisse déceler dans la vision cabalistique de La Knesset Israel » tandis
que l’évêque d’Hippone est cité par des penseurs juifs tels que Juda Romano (1292-1350), Isaac
Abravanel (1437-1508) ou Hillel ben Samuel de Vérone 392
La question du peuple déicide[modifier | modifier le code]
À la suite de Justin de Naplouse et de Méliton de Sardes, entre autres, Augustin considère les Juifs comme
les « assassins du Christ », et donc de Dieu. C'est sous son influence et celle de Jean Chrysostome que se
propage la doctrine du « peuple déicide », doctrine qui n'est officiellement abandonnée par le catholicisme
qu'après la Shoah, lors du concile Vatican II, quelque mille six cents ans plus tard393. Cette doctrine
demeure intacte dans l'Église orthodoxe. Les accusations d'Augustin, récitées chaque Vendredi saint lors
de la litanie des impropères, furent historiquement l'un des plus puissants vecteurs de l'antijudaïsme et de
l'antisémitisme394.
Augustin écrit notamment dans son Commentaire du psaume 63 :
« Que les Juifs ne viennent pas dire : « Ce n'est pas nous qui avons mis le Christ à mort. » Car s'ils l'ont livré
au tribunal de Pilate, c'est pour paraître innocents de sa mort. […] Mais pensaient-ils tromper le Juge
souverain qui était Dieu ? Ce que Pilate a fait, dans la mesure où il l'a fait, l'a rendu pour une part leur
complice. Mais si on le compare à eux, il est beaucoup moins coupable. […] Si c'est Pilate qui a prononcé la
sentence et donné l'ordre de le crucifier, si c'est lui qui en quelque sorte l'a tué, vous aussi, Juifs, vous
l'avez mis à mort. […] Lorsque vous avez crié : « En croix ! En croix ! »
Toutefois, ce « peuple déicide » ne doit pas être combattu, selon Augustin, car les Juifs sont à la fois les
« témoins » de l'ancienne religion et l'objet d'une humiliation due à leur crime : par la diaspora et la
destruction du Temple de Jérusalem, événements quasiment contemporains de la Crucifixion, ils
constituent la preuve vivante du châtiment divin. Ils n'ont donc pas à être tués puisque leur
rabaissement témoigne de ce crime395.
« Si donc ce peuple n’a pas été détruit jusqu’à entière extinction, mais dispersé sur toute la surface de la
terre, c’est pour nous être utile, en répandant les pages où les prophètes annoncent le bienfait que nous
avons reçu, et qui sert à affermir la foi chez les infidèles. […] Ils ne sont donc pas tués, en ce sens qu’ils
n’ont pas oublié les Écritures qu’on lisait et qu’on entendait lire chez eux. Si en effet ils oubliaient tout à
fait les saintes Écritures, qu’ils ne comprennent pas du reste, ils seraient mis à mort d’après le rite judaïque
même ; parce que, ne connaissant plus la loi ni les prophètes, ils nous deviendraient inutiles. Ils n’ont donc
pas été exterminés, mais dispersés ; afin que n’ayant pas la foi qui pourrait les sauver, ils nous fussent du
moins utiles par leurs souvenirs. Nos ennemis par le cœur, ils sont par leurs livres, nos soutiens et nos
témoins396. »
Par ailleurs, Augustin s'est vivement opposé à saint Jérôme pour sa traduction en latin de l'ensemble de
la Bible, connue sous le nom de « Vulgate », car celui-ci avait coutume de demander conseil à
des rabbins pour l'interprétation de certains termes du Tanakh afin de rester le plus fidèle possible à la
« vérité hébraïque », ce qu'Augustin lui reproche. Pour lui, en effet, le mot rabbi veut dire maître, mais il
n'y a pas d'autre maître que le Christ397.
Augustin dans la culture et les arts[modifier | modifier le code]
Peintures et sculptures[modifier | modifier le code]
Au sein du chœur de la basilique Notre-Dame-des-Victoires de Paris, ancienne église des Augustins
déchaussés, sont exposées six toiles monumentales de Charles André van Loo, constituant une série de
fresques sur la vie de saint Augustin398 :
 L'Agonie de Saint Augustin, 1748.
 La Translation des reliques de Saint Augustin, 1748.
 La Dispute contre les Donatistes (La conférence de Carthage), 1753.
 Le Sacre de Saint Augustin, 1754.
 Le Baptême de Saint Augustin, 1755.
 La Prédication de Saint Augustin devant Valère, 1755.

Le plus ancien portrait connu d'Augustin. Fresque du vie siècle.


 Augustin emmené à l'école par Sainte Monique. Nicolò di Pietro (1414).

La conversion d'Augustin, par Fra Angelico (1433).

Augustin par Tomás Giner (1458).


Augustin dans son studiolo, par Botticelli (1492).

Augustin dans son studiolo, par Vittore Carpaccio (1502).


Augustin par Pierre Paul Rubens (1637).

Reliquaire contenant un os du bras droitn 25.


Basilique Saint-Augustin d'Annaba. Algérie.
Littérature et philosophie[modifier | modifier le code]
Jostein Gaarder a écrit une nouvelle philosophique, Vita Brevis (1996), qui se présente comme la
traduction d'un manuscrit écrit par la concubine d'Augustin399. Augustin apparaît aussi dans le
roman L'Archiviste de Dublin (The Dalkey Archive) de Flann O'Brien400. Dans Un cantique pour Leibowitz,
roman de science-fiction de Walter M. Miller, Jr., Augustin présente la première version d'une théorie de
l'évolution401.
Dans son roman Dans l'ombre de la lumière (2013), Claude Pujade-Renaud brosse un portrait d'Augustin à
travers les yeux et la plume de sa concubine, à laquelle elle donne le nom d'Elissa, et dont elle suppose
qu'elle était la fille d'un ouvrier du port de Carthage402.
Le Sermon sur la chute de Rome (prix Goncourt 2012), de Jérôme Ferrari, fait référence à un sermon
d'Augustin d'Hippone et insiste sur le fait que les hommes voient disparaître leurs idéaux, leurs mondes
rêvés403.
En philosophie, Albert Camus consacre un chapitre de son mémoire de DES de 1936404 à une analyse de la
pensée d'Augustin d'Hippone, intitulée Métaphysique chrétienne et Néoplatonisme405.
Séries TV, théâtre[modifier | modifier le code]
Franco Nero a tenu le rôle d'Augustin dans la mini-série italienne due à Christian Duguay Augustine: The
Decline of the Roman Empire en 2010406, distribuée aux États-Unis sous le titre Restless Heart: The
Confessions of Augustine en 2012407. Au théâtre, Gérard Depardieu a interprété en 2003 des extraits
des Confessions408.
Chansons, musique classique[modifier | modifier le code]
Bob Dylan a écrit et enregistré une chanson intitulée « I Dreamed I Saw St. Augustine » pour son 8e album
studio John Wesley Harding paru en décembre 1967409. Le chanteur pop Sting a écrit et enregistré la
chanson Saint Augustine in Hell qui apparaît dans son 4e album studio Ten Summoner's Tales paru en mars
1993410.
Pour St Augustin mourant H 419, pour 2 voix et basse continue est une histoire sacrée composée vers 1690
par Marc-Antoine Charpentier411.
Pour St Augustin H 307, pour 2 voix et basse continue est un motet composé par Marc-Antoine
Charpentier vers 1670412.
Philatélie[modifier | modifier le code]
Un timbre à l'effigie de saint Augustin dessiné et gravé par Albert Decaris est émis en 1954 en Algérie pour
célébrer le seizième centenaire de sa naissance413.
Un timbre algérien d'une valeur faciale de 5 DA représentant saint Augustin enfant d'après une statue
trouvée à M'daourouch (Madaure) est émis en 2001414.
L'œuvre[modifier | modifier le code]
La très prolifique et populaire œuvre de Saint Augustin a survécu au siège d'Hippone. À la fin de sa vie,
Augustin en a relu l'essentiel et a exposé ce qu'il pensait de presque tous ses ouvrages dans un document
paru en 427, Les Rétractations, demeurées inachevées. Il a classé ses traités mais n'a pu faire de même
avec la correspondance. Par contre, son disciple Possidius, dans sa Vie d'Augustin, a rédigé en annexe
un Indiculum recensant non seulement les traités d'Augustin mais également les sermons et les lettres,
permettant de fixer le corpus à sa source415. Malgré tout, si l'on connait la plupart des écrits, le
recensement des lettres et des sermons demeure aléatoire, ce qui a conduit à la découverte en 1975 et
1990 de nouvelles lettres et de nouveaux sermons416,417.
Ouvrages courts[modifier | modifier le code]
Les quatre premiers opus sont aussi connus sous le nom de dialogues de Cassaciacum418
Contre les Académiciens[modifier | modifier le code]
Cet ouvrage, comme les deux suivants, a été écrit pendant la retraite à Cassiciacum qui précède son
baptême. Dans ce livre, il s'en prend au scepticisme de la Nouvelle Académie à partir de l’œuvre du
stoïcien Zénon de Kition. Pour Matthews, un des axes de la réfutation du scepticisme par Augustin repose
sur le raisonnement suivant : « Une chose ne peut être connue que si elle ne semble pas fausse. À partir de
ce critère, Augustin pose un dilemme aux sceptiques. Ou le critère de Zénon est reconnu comme vrai ou
non. S'il est considéré vrai alors les sceptiques ont tort. S'il n'est pas vrai, alors les sceptiques ne nous ont
pas fourni une base adéquate pour justifier leur scepticisme »419. Toutefois son argument principal est plus
positif et repose sur l'idée d'une connaissance simple des choses à travers trois critères : « les vérités
logiques (par exemple, « il y a un monde ou il n'y a en pas »), les vérités mathématiques (« trois fois trois
égale neuf ») et les constantes de l'expérience immédiate (« ces goûts me plaisent ») (3.10.23-11.26) »420.
La vie heureuse (De beata vita)[modifier | modifier le code]
Ce livre traite du lien entre la vérité et le bonheur humain et montre comment la philosophie peut nous
amener au vrai bonheur. Chez Augustin, comme chez Cicéron et Sénèque, qui a aussi écrit un livre
intitulé De vita beata, le bonheur est apolitique, c'est-à-dire extérieur à la polis421.
De l'ordre[modifier | modifier le code]
Cet ouvrage, comme le précédent, s'intègre dans la partie de son œuvre écrite pendant la retraite qu'il fit
avec quelques compagnons et sa mère à Cassiciacum. Une des questions importantes de ce livre est de
savoir s'il existe un ordre providentiel. Auprès de ses compagnons qui ne parviennent pas à traiter
correctement ce point, il insiste sur les prérequis indispensables notamment en termes de métaphysique,
et plus généralement sur la culture préalable nécessaire pour répondre à une telle question422.
Soliloques dits du tome 1 ou de Cassaciacum[modifier | modifier le code]
« Je les écrivis selon mon goût et mon amour pour trouver la vérité sur les choses que je souhaitais le plus
de connaître, m’interrogeant moi-même et me répondant, comme si nous fussions deux, la Raison et moi,
quoique je fusse seul : de là le nom de Soliloques donné à cet ouvrage. (Rétractations). »
Dans la prière inaugurale des Soliloques, ouvrage également écrit à Cassiciacum, il emploie cinquante-sept
fois le terme deus (dieu) et montre déjà l'importance que revêt pour lui la grâce. Il écrit en
effet : « Ordonne, je te prie, et commande tout ce que Tu veux ; mais guéris et ouvre mes oreilles, afin que
j'entende ta voix »423. Les soliloques sont pour Augustin des dialogues intérieurs qui permettent de mieux
se connaître et d'atteindre son moi intérieur362.
Le Maître[modifier | modifier le code]
Le Maître commence par une réflexion sur le sens des mots qui n’est pas sans rappeler les interrogations
de deux philosophes du xxe siècle, John Langshaw Austin et Ludwig Wittgenstein. La question posée est
celle de la connaissance ostensive, c'est-à-dire de savoir si en montrant du doigt une chose on peut en
saisir le sens véritable. La réponse pour Augustin est négative : la compréhension d'une chose ne vient pas
de la voix qui nous explique ou du doigt qui pointe une chose mais d'une « vérité qui dirige l'esprit de
l'intérieur » vérité qu'il identifie au Christ le Maître ; c'est la doctrine de l'illumination424.
Isidore de Séville (560-636), un compilateur des œuvres antiques, peint
par Murillo.
Du Libre arbitre[modifier | modifier le code]
Ce texte a été écrit en deux fois : en 387 pour les Livres I et II, en 391 pour les Livres II et III. Ces différences
de date sont importantes car entre-temps, sa pensée a évolué204. Le livre I se présente comme
une théodicée anti-manichéenne. Le mal est présent mais il n'est pas substantialisé et il ne trouve pas sa
source dans l'activité divine. Dans ce livre, la volonté tient une place importante et c'est sur elle que repose
la responsabilité humaine. Dans le livre III, il met l'accent sur l'ignorance des hommes et se demande s'il
est possible de la surmonter. Certes, la volonté demeure importante et c'est sur elle que repose toujours la
responsabilité des hommes, mais Dieu prend une place plus grande204.
Pour Goulven Madec, ce livre « pourrait fort bien porter le titre de l'ouvrage de Leibniz : Essai
de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal »425. Paul Ricœur porte un
jugement extrêmement sévère sur cette partie de l'œuvre d'Augustin : « Ne faut-il pas dénoncer l'éternelle
théodicée et son projet fou de justifier Dieu — alors que c'est lui qui nous justifie ? N'est-ce pas la
ratiocination insensée des avocats de Dieu qui habite maintenant le grand saint Augustin ? »426.

Augustin d'Hippone (Aurelius Augustinus), ou saint Augustin, né à Thagaste (actuelle Souk-Ahras, Algérie)
le 13 novembre 354, mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba, Algérie), était
un philosophe et théologien chrétien, évêque d’Hippone, et un écrivain berbère romanisé de l’Antiquité
tardiveL'étude de l'univers ne peut que conduire à une appréciation plus haute de la sagesse de Dieu. - Il
place la foi au-dessus de tout : il estime qu'elle prime même la connaissance. L'homme a le libre choix
entre le bien et le mal, mais pour faire le juste choix, il a besoin de l'aide divine et d'une foi forte.
 La nécessité ne connaît pas de loi.
 Une loi injuste, ce n’est pas une loi.
 On ne connaît personne sinon par l’amitié.
 Nul ne pèche par un acte qu’il ne peut éviter.
 Ce que tu es parle plus fort que ce que tu dis.
 Tant qu’il y a de l’inquiétude il reste de l’espoir.
 La simulation de l’humilité est pire que la fierté.
 Soyons meilleurs et les temps seront meilleurs.
 La nature est le meilleur enseignant de la vérité.
 Nous ne possédons le bonheur qu’en espérance.
 Quand tu seras à Rome, agis comme les Romains.
 Intelligence : Connais-toi, accepte-toi, surpasse-toi.
 La charité équivaut à l’ensemble de tous les préceptes.
 Vas sur ton chemin, car celui-ci n’existe que par tes pas.
 Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède.
 Se tromper est humain, persévérer dans l’erreur est diabolique.
 Le désir de la renommée tente même les esprits les plus nobles.
 On peut être cruel en pardonnant et miséricordieux en punissant.
 Vieillir est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps.
 Apprends à danser sinon les anges au ciel ne sauront quoi faire de toi.
 Il n’y a aucune nature mauvaise et le mal n’est qu’une privation du bien.
 Les royaumes sans la justice ne sont que des entreprises de brigandage.
 Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page.
 Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion.
 Il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d’un pas ferme.
 Les riches ; vous voyez bien ce qu’ils ont. Vous ne voyez pas ce qui leur manque.
 Douter, c’est croire implicitement à l’existence de la vérité et en désirer la connaissance.
 Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même : c’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité.
 Je m’endormis, et à mon réveil trouvais que ma difficulté avait beaucoup perdu de sa violence.
 L’homme souhaite le bonheur même lorsqu’il fait en sorte que le bonheur devienne impossible.
 Sois calme et comprends, car tu te troubles et dans ta demeure intérieure tu atténues la lumière.
 C’est l’orgueil qui a changé les anges en démons. C’est l’humilité qui fait des hommes des anges.
 L’esprit commande le corps et le corps obéit. L’esprit se commande à lui-même et trouve de la
résistance.
 L’homme est méchant de peur d’être malheureux, et il est encore plus malheureux parce qu’il est
méchant.
 Les miracles ne sont pas en contradiction avec les lois de la nature, mais avec ce que nous savons de ces
lois.
 Heureux celui qui vous aime, qui aime son ami en vous et son ennemi à cause de vous. (Les confessions,
398)
 Il y a une grande différence entre le refoulement du désir par l’âme désespérée et son expulsion de
l’âme guérie.
 Aboyer, solliciter au mal, tout cela est dans les moyens du diable ; mais il ne peut mordre que qui veut
être mordu.
 Celui qui est charnel l’est jusque dans les choses de l’esprit ; celui qui est spirituel l’est jusque dans les
choses de la chair.
 Tout homme cherche la paix même en faisant la guerre, et nul ne cherche la guerre en faisant la paix. (La
charte de la paix)
 Désires-tu t’élever ? Commence par descendre. Tu planifies une tour qui percera les nuages ? Pose
d’abord la fondation de l’humilité.
 Veux-tu t’élever ? Commence par descendre. Tu projettes de construire une tour qui percera les
nuages ? Pose d’abord les fondations de l’humilité.
 Comment se fait-il donc que de toutes les conditions de la vie, il n’en est pas une seule qui soit agréable
à tous, tandis que tous sont unanimes pour aimer la vie heureuse ?
 Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles, voilà ce que disent les gens… Vivons bien, et les temps
seront bons ! C’est nous qui sommes les temps ! Tels nous sommes, tels sont les temps.
 À force de tout voir, on finit par tout supporter… À force de tout supporter, on finit par tout tolérer… À
force de tout tolérer, on finit par tout accepter… À force de tout accepter, on finit par tout approuver.
 La vie heureuse est donc le bien commun que tous ambitionnent ; mais quel moyen d’y arriver, quel
chemin prendre pour y parvenir, c’est là que les hommes ne sont plus d’accord. (Tout homme veut être
heureux !)
 Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur… Le présent du passé,
c’est la mémoire ; le présent du présent c’est l’intuition directe ; le présent de l’avenir, c’est l’attente. (Les
confessions, Livre XI)
 Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par amour, si tu parles, parle par amour, si tu corriges,
corrige par amour, si tu pardonnes, pardonne par amour. Aie au fond du cœur la racine de l’amour ; de
cette racine, rien ne peut sortir de mauvais. (Epistulam ad Parthos tractatus decem)
 Il nous reste à rechercher ensemble la vérité comme une chose qui n’est pas encore connue ni des uns ni
des autres, car c’est seulement alors que nous pouvons la chercher avec amour et sérénité, si nous n’avons
pas l’audacieuse prétention de l’avoir déjà découverte et de la posséder définitivement.
 Les hommes sont entraînés par des passions diverses, l’un désire une chose et l’autre en veut une autre ;
il y a dans le genre humain bien des conditions différentes, et dans cette multitude de conditions chacun
choisit et adopte celle qui lui plaît ; mais quel que soit l’état de vie dont on fasse choix, il n’est personne qui
ne veuille être heureux. (Tout homme veut être heureux !)
Saint-Augustin était un philosophe et théologien chrétien latin du IVe siècle, connu pour ses réflexions sur
la foi divine et la liberté humaine. Il est né le 13 novembre 354 à Thagaste, en Afrique du Nord (actuelle
Algérie), et est décédé le 28 août 430 à Hippone, en Afrique du Nord. Augustin a étudié la philosophie et la
rhétorique à Carthage et à Rome avant de se convertir au christianisme et de devenir évêque d’Hippone. Il
est surtout connu pour ses écrits sur la théologie et la spiritualité, dont « Les Confessions », qui raconte
son parcours spirituel, et « La Cité de Dieu », qui traite de la relation entre l’Église et l’État. Saint-Augustin
est l’un des plus grands penseurs de l’histoire de la chrétienté et ses ouvrages ont exercé une grande
influence sur la religion et la pensée en occident. Il est également un des pères de l’Église catholique. Il a
été canonisé en 1303 par le pape Boniface VIII.

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