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DEUXIEME SECTION 

: LA RELIGION

Antonio Gonzalez Velasquez (1723-1793). Trois anges visitant Abraham.


La prosternation du corps d’Abraham mime la soumission de son âme. C’est ainsi tout l’homme,
corps et âme, qui se soumet volontairement à son Dieu.

« Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux les fils d’Abraham » Saint Paul, Galates 3, 6-14.
Pour les trois grandes religions monothéistes - judaïsme, christianisme et islam - Abraham est le
modèle de l’homme de foi et d’un monothéisme pur, l’homme qui se soumet absolument à l’Absolu et
qui place toute sa confiance en l’unique Dieu. Ces religions sont dites « abrahamiques » ou
« religions du Livre ».
Mais les trois Livres étant différents, trois figures d’Abraham, sensiblement différentes sont
présentées.
Des trois religions, l’islam cependant accorde une place prépondérante au Prophète Abraham, à tel
point que l’islam se présente avant tout comme « la religion d’Abraham », laquelle doit être restaurée
Se reporter section II, en II.3 et section III, en VI.5.

OBSERVATIONS

Nous avons vu dans les leçons précédentes que la philosophie n’imposait aucune limite à la curiosité
de la raison ; rien de ce qui est humain ne lui étant étranger, nous allons maintenant porter notre
attention sur le fait religieux.
« C’est l’office de la philosophie de tout comprendre, même la religion » écrit Jules Lachelier,
(philosophe français 1832 - 1918) dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie de
Lalande.

Définition(s) : deux définitions, l‘une subjective, l’autre objective, peuvent être proposées de la
religion.

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- Subjectivement, pour St.Thomas d’Aquin (religieux dominicain italien 1225 – 1274), la
religion est une vertu (=force) morale dont Dieu est la fin et le culte rendu à Dieu
l’objet ou la matière.
- Objectivement, pour Emile Durkheim (sociologue français 1858 – 1917), la religion est un
« Système de croyances (dogmes) et de pratiques (rites) relatives à des choses sacrées
(≠profanes) et qui unissent en une même communauté morale appelée église, tous ceux
qui y adhèrent »

I LA RELIGION : UN FAIT DE CULTURE MAJEUR

I.1 POUR LES SCIENCES HUMAINES

Remarque : les sciences humaines ont pour objet d’étude l’homme non pas en tant qu’être
biologique, mais en tant qu’il est engagé, par la culture, dans des rapports sociaux,
économiques, politiques, psychologiques, etc. L’histoire, la géographie, les sciences
économiques, les sciences politiques, la psychologie, la sociologie, etc. sont des sciences
humaines. Les sciences ont pour objet d’étude la nature : la physique, la médecine, la
botanique, etc. sont des sciences.

Les sciences humaines considèrent que la religion est une expression de la culture c’est-à-dire une
production de l’homme au même titre que la technique, l’art, la science, etc.

Ainsi, pour Karl Marx (économiste et philosophe allemand, 1818 - 1883), la religion est l’expression
compensatrice de l’aliénation économique du prolétariat et joue une fonction dormitive. « La religion
est l’opium du peuple, l’âme d’un monde sans âme, l’esprit d’un monde sans esprit » écrit-il. C’est
donc l’homme qui crée la religion et non pas la religion qui crée l’homme.

Ainsi pour Sigmund Freud (psychanalyste autrichien, 1856 - 1939), la religion est l’expression d’une
angoisse infantile par laquelle l’homme cherche la sécurité auprès de sa mère, puis de son père, puis
d’un Père d’une dignité plus élevée, c’est à dire de Dieu lui-même qui apparaît alors comme
l’expression d’une névrose par conversion hystérique de l’angoisse.

Conséquences : On a là des réductions économiques (Marx) ou psychologiques (Freud) du fait


religieux qui font dépendre la religion de l’homme.

I.2 POUR LA CONSCIENCE RELIGIEUSE


Il en va tout autrement pour la conscience religieuse : ce n’est pas la religion qui dépend de l’homme,
mais l’homme qui dépend de la religion. La religion n’est pas un effet mais une cause, elle n’est pas
un résultat mais une origine. On retrouve cette idée - mutatis mutandis - dans la troisième Méditation
Métaphysique de Descartes lorsque celui-ci écrit :
« (…) j’ai en quelque façon premièrement en moi la notion de l’infini, que du fini, c’est-à-dire de Dieu,
que de moi-même. Car comment serait-il possible que je pusse connaître que je doute et que je
désire, c’est-à-dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n’avais en
moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les
défauts de ma nature ? »

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Autrement dit, Dieu ne dépend pas de moi, c’est moi qui dépend de lui. La religion ne dépend pas de
l’homme, c’est l’homme qui dépend de la religion. En ce sens, la religion est donc l’expérience de
notre dépendance.

Nos analyses oscilleront entre ces deux extrêmes, en fonction des aspects du fait religieux que nous
voulons mettre en évidence.

I.3 L’HOMME EST PAR NATURE UN ANIMAL RELIGIEUX


Plusieurs définitions de l’homme existent : tantôt on le définit avec Aristote (philosophe grec 384 - 382
av. J.C.) comme zôon logikon c.-à-d. animal qui parle ou doué de raison, ou comme zôon politikon c.-
à-d. animal politique ou social. Tantôt on le définit, avec Bergson, comme homo faber c.-à-d.
fabricateur d’outils ce qui revient à définir l’homme par la technique, ou comme homo sapiens c.-à-d.
homme sage. Les définitions de l’homme sont aussi nombreuses qu’il y a d’activités propres à
l’homme et à lui seul. Et en effet il n’y a que l’homme qui vive en société, qui fabrique des outils, qui
parle et qui pense, etc.

On définit aussi l’homme, entre autres, avec Armand de Quatrefages (anthropologue français 1810 -
1892) comme un « animal religieux » puisque « partout où il y a des hommes, il y a aussi un Dieu ou
des dieux » : la religion est un phénomène universel.

On ne peut pas penser l’homme à l’état de nature ; on doit d’emblée le penser comme un être de
culture. D’ailleurs chez des philosophes comme Thomas Hobbes au XVIIème s. et Jean-Jacques
Rousseau au XVIIIème s., l’état de nature et l’homme à l’état de nature sont de simples hypothèses.
Cela signifie que le problème de l’origine de l’homme reste un mystère ; on ne peut pas penser
l’homme en dehors de la culture. Autrement dit, penser l’homme c’est le penser d’emblée comme être
social, politique, ayant un langage donc une pensée, possédant une technique, et ayant une forme de
religiosité même primitive. Le désir, et le désir religieux en particulier, est donc constitutif de la
conscience.

Remarque : La société, le langage, la technique, l’art, le désir, la religion, etc. étant des
activités conscientes sont exclusivement humaines puisque la conscience est une prérogative
exclusivement humaine. On réserve pour l’animal les notions de communauté, de
communication, de production, de besoin, etc. et toutes relèvent de l’instinct, c’est-à-dire
de la nature. On doit bien distinguer, ici, ce qui relève de la nature et ce qui relève de la
culture : la conscience est la frontière entre la nature et la culture, c’est le Rubicon que
l’animal ne franchit pas.

I.4 Prise de conscience des valeurs religieuses

Définition : la valeur est une qualité présentée comme objective qui constitue un idéal à
atteindre et qui, par sa dignité, mérite d’être défendue. Exemples : la Vérité, la Justice,
la Paix sont des valeurs.

Pour le philosophe, la culture est, d’une part, le résultat du travail de l’homme en tant qu’être
conscient et, d’autre part, la prise de conscience de la valeur puisque toutes les productions
humaines n’ont pas la même valeur, la même dignité.

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La religion est une des plus hautes manifestations de la culture : elle exprime le désir absolu qui
anime l’homme et qui est le désir de l’Absolu en même temps la religion nous rend attentifs à notre
existence, à son sens. Elle résout, en partie, l’énigme de la condition humaine : la faiblesse, l’infirmité,
la souffrance, la maladie, la mort. La religion propose une réponse à la condition humaine et à notre
destinée. En mettant l’homme en rapport avec le sacré, elle rend intelligible ce qui sans elle serait
absurde. Une promesse de bonheur est alors possible ; par la religion la mort et le temps sont
vaincus puisque l’homme possède une âme qui survit au corps.
La religion, dans un certain sens, répond aux grandes interrogations de la métaphysique :
Qui suis-je ? Où vais-je ? Quelle est ma destinée ? La vie a-t-elle un sens ? Qu'est-ce que la mort ?
Dieu existe-t-il ?

L’homme, étant à l’image et à la ressemblance de Dieu, acquiert une dignité absolue, laquelle
implique un respect absolu quelles que soient les actions accomplies. Ce respect dû à la Personne
humaine est une exigence religieuse mais aussi morale, et par-là on peut mettre en évidence une
continuité entre de nombreuses prescriptions religieuses et les impératifs moraux même si les
fondements sont différents.

Prenons un exemple concret tiré de la religion musulmane : la Paix comme valeur.


Le mot « Islam » est un nom verbal qui provient du verbe « aslama » qui signifie « Il s’est résigné, il
s’est soumis » à Dieu, dans le cas où il est utilisé dans la sphère religieuse.
Mais « Islam » signifie aussi la Paix ; ce deuxième sens est la conséquence du premier. La Paix est
une valeur religieuse. On a donc une religion dont le nom même exprime une valeur.

On peut citer comme autres valeurs religieuses communes aux trois religions abrahamiques et qui
sont même des valeurs universelles : la Charité, le Pardon, l’Amour du Prochain, la Paix, etc.

II LA DOUBLE SOURCE ETYMOLOGIQUE DU MOT RELIGION

Nous avons signalé, dès l’introduction, la double définition que l’on rencontre pour le mot religion ;
nous allons expliquer les raisons de cette dualité. Le mot religion vient du latin « religio ». Mais il
existe une ambiguïté quant à l’étymologie.

II.1 Pour Cicéron la religion renvoie à l’opposition sacré / profane


Pour Cicéron (auteur latin 106 - 43 avant J.C.), « religio », tire son origine du verbe « relegere » ou
encore « religere ». Etant l’opposé du verbe « neglegere » qui signifie dédaigner, ne pas respecter, la
religion relève alors du domaine du sacré.
Sacré et profane sont deux notions qui ne prennent sens que si on les met en opposition : est sacré
ce qui n’est pas profane, est profane ce qui n’est pas sacré. Il y a donc une séparation, une coupure
entre les deux ordres : d’une part, celui du surnaturel, de l’éternité, du respect, de l’absolu, du divin,
de l’invisible ; et d’autre part, celui de la nature, de la temporalité, du dédain, du relatif, de l’homme,
du visible.
De même que l’ombre d’un objet, c.-à-d. son image, a sa raison d’être dans l’objet lui-même en tant
que modèle sans lequel il n’y aurait pas d’image, de même la conscience religieuse expérimente
spirituellement que derrière l’image existe un modèle, que derrière les apparences de ce monde
existe un autre monde, celui de la réalité elle-même c.-à-d. celui du divin.

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La religion est en ce sens une conversion au sens étymologique : conversio en latin revoie à l’idée de
retournement, de changement de direction.
Mais le mot latin conversio renvoie, en grec, à deux mots de sens bien différents : épistrophé et
métanoïa.
Epistrophé qui traduit l’idée de retour peut être assimilé à conversio, mais métanoïa qui signifie
changement de pensée, re-naissance, possède un sens beaucoup plus fort. La conversion du
profane au sacré est une métanoïa, la religion est une conversion au sens où un homme nouveau est
né. Dans cette transformation toutes nos pratiques anciennes cèdent la place aux nouvelles, et cela
dans tous les ordres de la vie : dans la vie publique comme dans la vie privée. C’est notre être même
qui est transformé lors de la conversion, d’où la définition de la conversion comme re-naissance.

II.2 Pour les sociologues la religion renvoie à l’idée de lien horizontal


Lactance (auteur latin et chrétien, 250 - 325 après J.C.), s’oppose à Cicéron. Pour lui, l’origine du mot
religion est le verbe « religare » que l’on peut traduire par relier ; la religion ressortit ici de ce qui
rallie, de ce qui unit.
C’est également l’étymologie retenue par Auguste Comte (philosophe et sociologue français 1798 -
1857) et par Emile Durkheim. Pour ces deux sociologues le mot religion vient du latin religare et a
pour fonction de rallier, réunir tous les individus dans une même communauté de rites, de mythes, de
croyances qui renforcent les relations des hommes dans une société particulière ; la religion est avant
tout un facteur de cohésion sociale et d’intégration à une communauté.
Le lien est horizontal : la société est le commencement et la fin des pratiques humaines en général et
de la religion en particulier. On a là une définition de la sociologie.
Comme tous les faits sociaux (langage, morale, droit, etc.), la religion présente deux caractéristiques :
elle est d’une part coercitive et d’autre part collective. Coercitive car elle impose des interdits et
collective car elle concerne tous les membres d’une société donnée.

Définition : La sociologie est une science humaine, elle étudie la vie sociale, ses types, et
ses lois c.-à-d. les rapports de cause à effet. A. Comte et E. Durkheim sont les
fondateurs de cette discipline.

III LA RELIGION : LIEN VERTICAL ET SENTIMENT DE DEPENDANCE

III.1 Transcendance et immanence


La conscience religieuse fait l’expérience de sa dépendance absolue par rapport à la
Transcendance ; il y a donc bien un lien comme l’affirme les sociologues, mais ce lien n’est pas
horizontal, il est vertical : il lie la créature au créateur, c.-à-d. à la Transcendance.
Alors que pour la sociologie c’est la société qui est transcendante à l’homme, pour la conscience
religieuse c’est Dieu qui est transcendant.
Remarque : pour être précis il faut signaler que, pour la sociologie, la société est à la fois
immanente et transcendante. Transcendante, car dans une société donnée les normes
morales et religieuses s’imposent aux hommes ; immanente, car ce sont les hommes qui ont
établi ou établissent ces normes.

Définition : transcendant (≠immanent). « Une réalité est transcendante par rapport à une
autre quand elle réunit les deux caractères : 1° de lui être supérieure, d’appartenir à un
degré plus élevé dans une hiérarchie ; 2° de ne pouvoir être atteinte à partir de la

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première par un mouvement continu. » A. Lalande. Vocabulaire technique et critique de la
philosophie.

Dieu est donc, du point de vue de la définition, un être transcendant. En parlant de Dieu on dit aussi :
la Transcendance, ce qui exprime l’indépendance absolue de Dieu par rapport au monde créé et la
dépendance absolue de l’homme par rapport à la Transcendance.

L’horizontalité a laissé la place à la verticalité laquelle renvoie à la Transcendance. La notion de


dépendance constitue l’essence même de la religion.

Nous venons de voir que Dieu est transcendant, mais pour être plus précis il nous faut affirmer qu’il
est aussi immanent. Dieu n’a pas créé le monde une fois pour toutes, puis se serait retiré
abandonnant sa création ! Pour la conscience religieuse, Dieu intervient dans l’histoire des hommes
et, de ce point de vue, il y est présent. Par exemple pour le christianisme, le Christ réunit en sa
Personne la nature de Dieu et la nature de l’Homme et il est présent dans les sacrements ; pour les
trois religions monothéistes, Dieu en tant que créateur est transcendant à sa création c.-à-d.
extérieur, mais Dieu étant omnipotent et infini est partout et par conséquent il est immanent à sa
création. C’est là un point théologique qui dépasse une simple analyse philosophique.

III.2 Le sentiment religieux


Il résulte de ce qui précède :

- c’est avant toutes choses l’expérience que la conscience religieuse fait de sa dépendance absolue
par rapport à la Transcendance, se reporter supra III.1. C’est ainsi que Friedrich Schleiermacher
(philosophe et théologien allemand (1768-1834) déclare : « la religion consiste dans le sentiment
absolu de notre dépendance ».

- c’est l’expérience du sacré que nous avons présenté en II.1

- c’est une rencontre dans un effusion de joie mais aussi de crainte ; cette rencontre prend des
formes différentes selon les diverses religions, puisque Dieu vient à la rencontre de l’homme dans
l’histoire et qu’il se fait connaître par des textes sacrés et par des prophètes. Nous analyserons dans
la section III le cas particulier de la religion musulmane où Allah donne à Mohammed le Coran sous la
dictée de Djibrîl (l’ange Gabriel) et va ainsi se révéler dans 114 sourates (chapitres).

- c’est un acte de foi (du latin fides = confiance). La foi qui est traduite en arabe par Al-Iman renvoie à
l’idée de connaissance et de croyance ferme à l’image d’Abraham, modèle de tous les croyants.
Cette foi fonde l’Ihsane c.-à-d. les comportements vertueux qui doivent incarner dans la pratique cette
même foi.
La foi fonde aussi la piété qu’on peut définir comme un comportement qui manifeste le respect pour le
sacré et pour les piliers de la religion c’est la fidélité aux devoirs religieux.
La foi n’est pas de type intellectuel, elle engage toute la personne ; elle exerce une sorte de causalité
dynamique par laquelle le croyant s’applique à vivre en conformité avec sa croyance et à incarner
cette croyance dans le monde. Elle continue et parachève en quelque sorte l’œuvre de Dieu ; en ce
sens on peut également parler d’une immanence de Dieu Cf supra II.1.

III.3 La soumission à la Transcendance


Cette soumission à la Transcendance, la religion musulmane l’atteste par son nom seul puisque
« islam » signifie « Paix » mais aussi, « résignation », « soumission », cf supra I.3.

III.3.1 Soumission et liberté


La soumission de la conscience religieuse à Dieu est volontaire car c’est la réponse d’une conscience
libre, et c’est rester libre que d’accepter d’obéir. Ici mon obéissance est une réponse par laquelle je
m’engage, c’est le contraire d’une aliénation, d’une servitude.

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D’ailleurs dans le Coran, Dieu déclare sans aucune ambiguïté possible : « Pas de contrainte en
religion ! La voie droite se distingue de l’erreur ». (Sourate II, verset 256).

III.3.2 La prière : acceptation de la volonté de Dieu


La pensée magique veut commander à Dieu et le tenir par des incantations : Dieu ici dépend de
l’homme ! On prie alors Dieu pour qu’il exauce nos volontés. Tel candidat priera Dieu pour le
contraindre à obtenir tel examen ! C’est là le contraire de l’attitude religieuse, de la soumission
volontaire à la Transcendance.
La pensée religieuse, à l’opposé, ne demande qu’une chose : avoir la force de supporter la volonté de
Dieu.
C’est le sens de la prière que le Christ nous laisse par une double origine : d’une part chez Matthieu 6
9-13 et d’autre part chez Luc 11 2-4 : « Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne. Que ta
volonté soit faite ». Cette acceptation de la volonté de Dieu caractérise l’attitude religieuse par
opposition à la superstition et à la magie.
Dans le lien vertical qui unit l’homme à Dieu, c’est l’homme qui dépend de Dieu et non pas Dieu qui
dépend de l’homme.

IV RELIGIONS REVELEES ET RELIGION NATURELLE :

On oppose religions révélées et religion naturelle.

IV.1 Les religions révélées : leurs trois caractéristiques


Les religions révélées (judaïsme, christianisme et islam) se présentent, comme révélant la parole de
Dieu par des textes sacrés et par des prophètes. On dit aussi que ce sont des religions positives au
sens où elles sont constituées, posées, instituées. « Positif », ici, n’est pas le contraire de « négatif ».
Les religions instituées, c.-à-d. positives en tant que ce sont des institutions, qu’elles sont établies,
présentent trois caractéristiques :

« Il (le philosophe) comprend que trois choses sont nécessaires pour qu’il y ait institution religieuse :
1° Une visée d’absolu, c’est-à-dire une mystique vécue ; 2° Une symbolique expressive, ou encore,
au sens technique (non péjoratif), une mythique ; 3° Une régulation sociale, une organisation qui
rende cette mystique vivable en rendant cette mythique communicable ». Henry Duméry,
Phénoménologie et religion P.U.F., 1958, p. 72.

IV.1.1 Une mystique


La mystique ou le mysticisme est défini comme l’état où le croyant a le sentiment d’entrer en rapport
avec Dieu dans une relation de dépendance. Ce point a été longuement développé, se reporter supra
III.2.

IV.1.2 Une mythique (au sens étymologique, muthos=discours) 


Le mot mythique vient du grec muthos qui signifie à la fois, parole / parole non rationnelle / discours,
c’est ce sens non péjoratif que nous retenons ici. Il s’agit donc du discours sur les origines et les fins
dernières que chaque religion, en même temps qu’elle indique un chemin à l’homme, présente dans
des textes sacrés ou par ses prophètes.
- Pour les juifs, la mythique est exprimée par le Tanakh ou Bible (hébraïque) constituée  :
I de la Torah, II des Prophètes, III des Ecrits ou Hagiographes. Au Tanakh s’ajoute la Loi Orale,
constituée : I du Midrash, II du Talmud, III du Zohar. La Loi Orale explicite la Loi Ecrite de la Torah.
- Pour les chrétiens, la mythique est exprimée par la Bible hébraïque (l’Ancien
Testament) et par le Nouveau Testament qui est le recueil des quatre Evangiles (Matthieu, Marc, Luc,
Jean) auxquels on doit ajouter les Actes des Apôtres, les quatorze Epitres dont la plupart sont de
Paul, d’autres Epitres (Jacques le Juste, Simon-Pierre, etc.) et l’Apocalypse.
- Pour les musulmans, la mythique est exprimée par un seul livre, le Coran, auquel
s’ajoute la souna c.-à-d. la pratique religieuse musulmane fondée sur la tradition de Mohammed.
Nous reviendrons plus en détails sur le Coran et sur la souna dans la troisième section.

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IV.1.3 Une régulation sociale
On appelle régulation sociale l’ensemble des règles qui assurent un certain mode de fonctionnement
de l’activité sociale, ici de la religion comme institution d’un type particulier.
Les religions monothéistes sont structurées et présentent, en effet, un corps doctrinal précis, de plus
l’expérience religieuse est mise en forme par les différentes religions. Enfin ces religions ne sont pas
de vagues élans sentimentaux personnels vers Dieu, elles se définissent, pour une religion donnée,
par des pratiques cultuelles communes sous formes de rites, de fêtes à l’intérieur d’un temps religieux
propre, le tout en lien avec ou sans clergé.

Le culte : c’est l’honneur rendu à Dieu. Les rites sont des règles précises et contraignantes qu’exige
la célébration du culte. Cultes et rites ont une dimension collective et individuelle.

Les fêtes religieuses : elles rythment, pour chaque religion, le temps religieux : elles rappellent à la
conscience religieuse des événements importants révélés par les textes sacrés. Par exemple : Yom
Kippour (Le Jour du Grand Pardon) chez les juifs, Pâques (Résurrection du Christ) chez les chrétiens,
Aïd El Adha ou Aïd El Kébir (fête du Sacrifice d’Abraham) chez les musulmans. Ces fêtes sont, à la
fois des manifestations individuelles et collectives.

Le clergé : sa définition varie d’une religion à une autre : largo sensu, c’est l’ensemble des prêtres ou
des responsables d’une communauté, d’une religion ; chaque religion a donc son clergé.
Mais on doit distinguer rabbin, prêtre et imam.
. Dans le judaïsme : il y a eu des prêtres, mais il n’y en a plus depuis la destruction du
Second Temple de Jérusalem en 70 après J.C. par les Romains. Tous les juifs sont donc des laïcs, le
rabbin est ordonné au terme de ses études. Cette ordination est une autorisation qui lui permet
d’exercer son ministère de gardien de la loi religieuse. L’ordination du prêtre catholique est d’une
autre nature.
. Dans le christianisme et pour les catholiques : le prêtre, par son ordination, est seul à
pouvoir rendre présent le Christ par les sacrements, lors du sacrifice de la messe. Ici, le prêtre est
médiateur entre le sacré et le profane, entre Dieu et les hommes. C’est un Pont entre les deux
mondes, au sens où on parle d’un Souverain Pontife.
. Pour la religion musulmane : il n’y a jamais eu de prêtre, et il n’y en a pas ; l’imam est
un laïc instruit dans les choses de la religion, il a la responsabilité d’une mosquée et dirige la prière.
L’imam n’est investi d’aucun pouvoir surnaturel : il n’y a pas d’intermédiaire entre la créature et le
Créateur. La notion de sacrement est étrangère au judaïsme et à l’islam.

Conséquences : expression particulière et visée universelle de la conscience religieuse.


Le clergé, les fêtes religieuses, le culte et les rites manifestent que la conscience religieuse est une
réponse personnelle et libre, mais qui s’exprime dans et par une communauté, celle d’une religion
instituée et structurée. Autrement dit, l’expression de la conscience religieuse est particulière mais
s’inscrit dans une religion à vocation universelle. Il y a une solidarité de la conscience religieuse à
celle des autres, ce qui est rendu possible par le culte, les rites, les fêtes, le clergé largo sensu. Cela
signifie qu’il n’y a pas de solitude de la conscience religieuse.
Ainsi, l’anachorète, qui fait le choix d’une vie religieuse dans la « solitude », rejoint-il Dieu et la
communauté de ses frères dispersés dans le monde, par la prière, dans une existence qui est en
communion avec toutes les autres communautés.

IV.2 La religion naturelle et la théologie naturelle : autonomie de la Raison

IV.2.1 La religion naturelle : la Raison contre la foi

Définition : on appelle religion naturelle la religion des philosophes, ceux-ci n’admettant


aucune autorité supérieure à la Raison ou Lumière Naturelle (d’où l’expression Lumière

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Naturelle), révoquent, des religions révélées, toutes les données non démontrables et en
contradiction avec les principes de la rationalité.

« Naturelle » ici s’oppose à « révélée ». La Raison étant commune à tous les hommes, la religion
naturelle est une et, contrairement aux religions révélées, elle réunit tous les hommes par l’évidence
de ses raisons. Autrement dit, la religion naturelle est un résidu : c’est ce qui reste des religions
révélées après que la critique philosophique a détruit tout ce sur quoi le doute a prise. Ce
rationalisme est l’une des caractéristiques du XVIIIème siècle, le Siècle des Lumières. Des philosophes
comme Voltaire et Rousseau, entre autres, sont des représentants de ce mouvement.
Pour la religion naturelle, la religion doit avoir son fondement dans la Raison, celle-ci doit prouver
l’existence de Dieu et son essence, partir de l’ordre de la nature et en déduire les principes moraux
universels. On a là un refus de la foi et des vérités révélées des dogmes des diverses églises et des
arguments d’autorité qui aliènent l’exercice libre de la Raison souveraine.

Définition : le rationalisme est un mouvement philosophique pour lequel la Raison est la


seule source de la connaissance. Il est en opposition avec le mysticisme et avec le fidéisme
(du latin fides, foi) qui affirment que les vérités religieuses dépendent de la foi et non de
la Raison.
IV.2.2 La théologie naturelle : la Raison au service de la foi
Etymologiquement, la théologie est l’étude (logos) de Dieu (theos). On doit maintenant distinguer la
théologie révélée et la théologie naturelle
La théologie révélée étudie Dieu à partir des textes sacrés, c.-à-d. à partir de la façon dont Dieu lui-
même a choisi de se révéler aux hommes dans l’histoire.
La théologie naturelle ou rationnelle regroupe ce que l’homme peut connaître de Dieu par l’exercice
de sa Raison. Il n’y a pas, ici, comme dans le cas de la religion naturelle, une opposition aux religions
révélées. Sans doute convient-il de préciser que l’Eglise catholique a toujours affirmé qu’il existe deux
ordres de connaissance distincts complémentaires : l’ordre de la foi et l’ordre de la Raison. La foi est
au-dessus de la Raison, mais il ne peut y avoir de désaccord entre foi et Raison puisque c’est le
même Dieu qui révèle les mystères de la foi, et qui a créé l’homme dont la Raison ou Lumière
Naturelle est l’attribut principal. Une contradiction entre la foi et la Raison signifierait alors que Dieu se
contredit lui-même et que la vérité contredit la vérité. Pour plus d’informations vous pouvez vous
reporter à la déclaration officielle du Concile Vatican I (1869-1870), constitution dogmatique « Dei
Filius » du 24 avril 1870 qui précise les rapports de la foi et de la Raison. C’est l’une des raisons pour
lesquelles le fidéisme est condamné par l’Eglise.

Définition : le fidéisme (du latin fides, confiance) est la doctrine selon laquelle la foi
religieuse dépend du sentiment et non de la raison.

IV.2.3 Etude de deux exemples : démonstration et preuve de


l’existence de Dieu chez Descartes
Parmi les nombreuses démonstrations de l’existence de Dieu que propose la théologie naturelle,
nous nous limiterons à l’une des démonstrations ainsi qu’à l’argument ontologique que Descartes
présente, en 1646, dans les Méditations Métaphysiques. (En abrégé M.M. cf. infra)

IV.2.3.1 Démonstration de l’existence de


Dieu par la présence en nous de l’idée de perfection
(Les références renvoient à : Descartes, oeuvres philosophiques, édition de F. Alquié, Garnier, 3
tomes)
C’est dans la troisième méditation métaphysique que Descartes démontre l’existence de Dieu.

Définitions :
- l’existence est pour une chose le fait d’appartenir au réel, c’est le fait d’être.

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- l’essence d’une chose est sa nature, sa définition.

La démonstration se fait en six étapes, l’étape sept étant la conséquence de la démonstration :

Etape 1 Je suis (existence) et je suis quelque chose qui pense (essence). Telle est la vérité
indubitable c.-à-d. évidente de notre point de départ. « Et remarquant que cette vérité je pense donc
je suis était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques
n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais le recevoir sans scrupule, pour le
premier principe de la philosophie que je cherchais ». Descartes, Discours de la Méthode, 4ème partie,
p .603.
Etape 2 Dans ma pensée c.-à-d. dans ma conscience, je découvre l’idée d’un être parfait. Cette
idée de perfection, c’est l’idée même de Dieu, puisque : « Par le nom de Dieu j’entends une
substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute puissante et par
laquelle moi-même et toutes les autres choses ont été créés et produites » (M.M. III §22 p. 445).
Etape 3 Par le principe de causalité, je suis tenu d’affirmer qu’« Il n’y a aucune chose existante de
laquelle on ne puisse demander quelle est la cause pourquoi elle existe ». (Descartes, Réponses aux
Secondes Objections, pp 591-592). Cela signifie que tout a une cause, y compris les idées.
Etape 4 Le principe de causalité, qui lie une cause à un effet, est tel qu’il doit y avoir au moins
autant de réalité et de perfection dans la cause que dans l’effet, puisque la cause produit l’effet alors
que l’effet est produit par la cause : « Maintenant c’est une chose manifeste par la lumière naturelle
qu’il doit y avoir pour le moins autant de réalité dans la cause efficiente et totale que dans son effet :
car d’où est-ce que l’effet peut tirer sa réalité, sinon de sa cause ? Et comment cette cause la lui
pourrait-elle communiquer, si elle ne l’avait en elle-même ? » (M.M. III §16 p. 438).
Etape 5 Appliquons le principe de causalité ainsi défini aux idées et à l’idée de perfection que je
découvre dans ma pensée. Je ne peux pas être cause de cette idée de perfection puisque je suis un
être imparfait, qui doute, qui n’est ni omniscient, ni omnipotent, etc. et que la cause doit être au moins
aussi parfaite que l’effet : « Et certes on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, ait mis
en moi cette idée (de perfection, N.D.A.) pour être comme la marque de l’ouvrier empreinte sur son
ouvrage ; et il n’est pas aussi nécessaire que cette marque soit quelque chose de différent de ce
même ouvrage.» M.M. III § 39 p.453. Donc la cause de l’idée de perfection ne peut être qu’un être qui
possède en tant que cause au moins autant de perfection que je m’en représente en tant qu’effet ;
cette cause ne peut être que la perfection elle-même, c.-à-d. Dieu.
Etape 6 Conclusion. Dieu existe C.Q.F.D. : « Mais de cela seul que Dieu m’a créé, il est fort
croyable qu’il m’a en quelque façon produit à son image et semblance (…), lorsque je fais réflexion
sur moi, non seulement je connais que je suis une chose imparfaite, incomplète, et dépendante
d’autrui, qui tend et qui aspire sans cesse à quelque chose de meilleur et de plus grand que je ne
suis, mais je connais aussi, en même temps, que celui duquel je dépends (Dieu, N.D.A.), possède en
soi toutes ces grandes choses auxquelles j’aspire, et dont je trouve en moi les idées, non pas
indéfiniment et seulement en puissance, mais qu’il en jouit en effet, actuellement, et ainsi qu’il est
Dieu. Et toute la force de l’argument dont j’ai usé pour prouver l’existence de Dieu, consiste en ce que
je reconnais qu’il ne serait pas possible que ma nature fût telle qu’elle est, c’est-à-dire que j’eusse en
moi l’idée d’un Dieu, si Dieu n’existait véritablement. » (M.M. III § 39 pp. 453-454)
Etape 7 Adoration de Dieu, dont nous venons de démontrer l’existence. Après avoir démontré
l’existence de Dieu, Descartes, dans un élan quasi-mystique écrit : « (…) il me semble très à propos
de m’arrêter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de peser tout à loisir ses
merveilleux attributs, de considérer, d’admirer et d’adorer l’incomparable beauté de cette immense
lumière, au moins autant que la force de mon esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, me le
pourra permettre. Car, comme la foi nous apprend que la souveraine félicité de l’autre vie ne consiste
que dans la contemplation de la Majesté divine, ainsi expérimentons-nous dès maintenant qu’une
semblable méditation, quoique incomparablement moins parfaite, nous fait jouir du plus grand
contentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie. » (M.M. III § 41-42 p.454)

IV.2.3.2 La preuve ontologique :


l’existence de Dieu est déduite de son essence

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Définition : l’ontologie est étymologiquement la science de l’être ; ce mot peut être pris
également dans le sens d’étude de Dieu, de l’âme, du monde ; c’est la métaphysique
spéciale.

Il ne s’agit pas, ici, d’une longue démonstration semblable à la précédente, mais d’un argument ou
d’une preuve immédiate que la conscience ne peut qu’accepter, dans une expérience intellectuelle, à
cause de la force de son immédiate évidence qui s’impose à la conscience, par-delà tout discours.
L’argument ontologique a été énoncé pour la première fois par St Anselme de Cantorbéry (moine
bénédictin italien, philosophe et théologien 1033-1109) dans le Proslogion ». « Fides quaerens
intellectum » c.-à-d. « La foi cherche l’intelligence », telle est la méthode théologique de St Anselme.
Cet argument ontologique est repris par Descartes : « Lorsque j’y pense avec plus d’attention, je
trouve manifestement que l’existence ne peut non plus être séparée de l’essence de Dieu que de
l’essence d’un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droites. » (M.M. V §7 p.
473) En effet, penser Dieu, c’est penser un être parfait. Donc dans le même moment où je pense
Dieu, c.-à-d. la perfection, je dois nécessairement penser qu’il existe car l’existence est une
perfection. Déclarer que Dieu qui est parfait n’existe pas reviendrait à dire que ce qui est parfait n’est
pas parfait, ce qui est absurde. On déduit donc immédiatement l’existence de Dieu de son essence :
penser Dieu c’est penser son existence nécessaire ; Dieu est l’être nécessaire au sens où est
nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être.
Cette évidence qui affirme l’existence à partir de l’essence n’est valable que pour la seule idée de
Dieu, la seule idée qui me représente un être parfait. L’argument ne peut s’appliquer à d’autres
idées : j’ai l’idée d’un cheval ailé (essence), je ne peux évidemment pas en tirer l’existence.

IV.2.4 Conclusion : pour une collaboration de la foi et de la


Raison
Cette collaboration entre foi et raison est affirmée par les trois religions monothéistes.

IV.2.4.1 Dans le judaïsme 


La Torah présente des préceptes rationnels qui relèvent de la Raison et des préceptes irrationnels qui
relèvent de la foi. Le travail du religieux consiste alors à établir un lien entre les deux ordres ; c’est ce
que propose, par exemple, Moïse Maïmonide (talmudiste, théologien, philosophe juif espagnol de
culture arabe, 1135-1204). Pour lui, on doit arriver à un accord entre les enseignements de la Torah
(vérités révélées) et les exigences de la Raison. En cas de désaccord, Maïmonide rejette le sens
littéral de la Loi pour lui substituer un sens allégorique ; ce qui signifie que la Raison substitue au
sens manifeste texte, un contenu latent lequel n’est plus le texte mais son interprétation.
« L'Ecriture, est comme un puits caché à une grande profondeur. Et ce n'est que par l'interprétation
des allégories, et d'une allégorie par l'autre, que l'on noue, en quelque sorte, les cordes qui servent à
y puiser ».
Maïmonide. Guide des Egarés.
IV.2.4.2 Dans le christianisme
« Sur ce long chemin, saint Thomas d’Aquin occupe une place toute particulière, non seulement pour
le contenu de sa doctrine, mais aussi pour le dialogue qu'il sut instaurer avec la pensée arabe et la
pensée juive de son temps. À une époque où les penseurs chrétiens redécouvraient les trésors de la
philosophie antique, et plus directement aristotélicienne, il eut le grand mérite de mettre au premier
plan l'harmonie qui existe entre la raison et la foi. La lumière de la raison et celle de la foi viennent
toutes deux de Dieu, expliquait-il ; c'est pourquoi elles ne peuvent se contredire. » Jean-Paul II
Encyclique Fides et ratio, 1998.
« L’Eglise voit en effet dans la philosophie le moyen de connaître des vérités fondamentales
concernant l’existence de l’homme. En même temps, elle considère la philosophie comme une aide
indispensable pour approfondir l’intelligence de la foi ». Ibid.
« La foi ne craint donc pas la raison, mais elle la recherche et elle s’y fie ». Ibid.

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Ainsi le Saint-Père met-il en lumière les relations complémentaires que la foi et la Raison
entretiennent ; les Pères de l’Eglise ont su en tirer avantage, notre époque marque
malheureusement, selon Jean-Paul II, la fin de cette fructueuse collaboration.
« LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers
la contemplation de la vérité. C'est Dieu qui a mis au cœur de l'homme le désir de connaître la vérité
et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L'aimant, il puisse atteindre la
pleine vérité sur lui-même. ». Ibidem, incipit.

IV.2.4.3 Dans la religion musulmane


L’islam se présente comme une religion de la mesure, une religion centrée, une religion du juste
milieu qui fuit donc les extrêmes et qui rend possible un moyen terme entre foi et Raison :
« Nous avons fait de vous une Communauté éloignée des extrêmes (c.-à-d. du juste milieu) »
(Coran, sourate II verset 143).
La communauté musulmane est une communauté médiane, de la juste mesure, de l’équilibre. Cet idéal
de modération permet de rendre complémentaires, entre autres, la foi et la Raison :
« Il y a certes dans la création des cieux et de la terre, dans la succession des nuits et des jours des
signes pour ceux qui sont doués d’intelligence. » (Coran, sourate III verset 190)
Autrement dit la science, par l’exercice de la Raison qui a pour objet la nature (« les cieux, la terre, la
succession des jours et des nuits », etc. permet d’affermir la foi. D’ailleurs plus de sept cents versets
du Coran valorisent la connaissance et la science ; il n’y a pas d’opposition entre la religion et la
science, entre la religion et la philosophie, entre la foi et la Raison.
C’est ainsi qu’Averroès, (nom latinisé de Ibn Rochd, philosophe, théologien, musulman andalou de
langue arabe 1126-1198), peut déclarer cette phrase célèbre : « La vérité (en sciences, N.D.A.) ne
saurait contredire la vérité (en religion, N.D.A.), elle s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. » On
peut donc connaître Dieu par l’étude scientifique de ses œuvres ; la science (la Raison) est un chemin
vers Dieu (la foi).

Giuseppe Vermiglio 1585-1635

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Le sacrifice d’Abraham

La soumission volontaire d’Abraham à son Dieu, conjuguée à


sa foi, le conduit à accepter de sacrifier son fils unique.
Se reporter infra, section III, en VI.5.3.4.4 et en VII.2.2.3.

V ANALYSE CRITIQUE DE LA RELIGION :

La critique philosophique de la religion est aussi ancienne que la philosophie elle-même.


L’acte d’accusation dirigé contre Socrate précise en effet que celui-ci est condamné à mort car il est
reconnu coupable de ne pas croire aux dieux de la Cité et d’en introduire de nouveaux. Socrate est
ainsi condamné à boire la ciguë.

Mais la critique de la religion va surtout prendre une forme systématique et radicale inaugurée au
XIXème siècle par Ludwig Feuerbach (philosophe allemand, 1804-1872) et Karl Marx (philosophe
allemand, 1818-1883).

V.1 Ludwig Feuerbach : « homo ominis deus »


« l’homme est un dieu pour l’homme »
Alors que pour l’homme de foi, c’est Dieu qui crée l’homme, pour
Feuerbach, c’est l’homme qui crée Dieu. Toutes les qualités de l’homme
sont réduites et projetées en un être construit par l’imagination et pensé
comme transcendant : Dieu. C’est ainsi que Feuerbach déclare que
« L’homme pauvre possède un dieu riche »
Justice, Paix, Amour, etc. sont ainsi des attributs de la conscience
humaine dont l’homme se dessaisit et qu’il projette en son Dieu. L’homme
religieux est cause de son aliénation puisqu’il se dépossède de ses
propres qualités en se plaçant dans la dépendance d’une Puissance
objectivement illusoire mais qu’il prend subjectivement pour la réalité
suprême. Être aliéné, selon l’étymologie, c’est être étranger à soi-même ;
c’est la raison pour laquelle la religion qui ampute l’homme de lui-même
L. Feuerbach
en le rendant étranger à sa propre essence est au fondement d’une
aliénation radicale. La négation de Dieu, dans cette perspective, est le moyen pour l’homme de
mettre un terme à son aliénation, de rentrer en possession de son essence et d’accéder à la liberté
pensée comme résultat d’une conquête.
« Les dieux sont les vœux de l’homme réalisés » déclare Feuerbach en inaugurant par ces mots la
critique moderne de la religion. Concrètement cela signifie que le culte que l’homme croit rendre à
Dieu, est en réalité un culte qu’il rend à lui-même : homo ominis deus. Cela suffit pour caractériser
la religion comme illusion.

V.2 Karl Marx : « La critique de la religion est la critique préliminaire à toute


critique » 
K. Marx, Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel

V.2.1 Critique de la thèse de Feuerbach 

Marx retient de la pensée de Feuerbach l’idée selon laquelle la religion


est une production humaine, fondement d’une aliénation ; mais il lui
reproche de s’arrêter trop exclusivement à l’aspect théorique de la
question. Pour Marx le matérialisme de Feuerbach est statique c.-à-d.
que les idées sont des produits de la conscience laquelle est une

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production de l’activité cérébrale. Le réél est posé comme un donné et non comme la base de
l’activité de l’homme, de la praxis c.-à-d. de la pratique sociale. Marx reproche également à
Feuerbach d’occulter la dimension historique par laquelle l’homme se transforme. Selon Marx, il n’y
a pas d’essence absolue de l’homme : « l’histoire tout entière n’est qu’une transformation continue
de la nature humaine ».

V.2.2 L’existence sociale fondement du fait religieux


« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur
existence sociale qui détermine leur conscience »
K. Marx, Critique de l’Economie Politique.
Il faut donc partir de l’existence sociale et du mode de production économique pour saisir l’originalité
du fait religieux. La critique de la religion chez Marx s’explique par l’analyse qu’il propose de la
société.
La religion appartient à la superstructure, tout comme le Droit, l’Etat, la Philosophie etc. La
superstructure découle de l’infrastructure c.-à-d. de tout ce qui relève de la production économique
et du monde du travail.

L’infrastructure : c’est la base, le fondement constitué par l’ensemble de l’organisation


économique de la société ainsi que du mode de production.
La superstructure : c’est l’édifice qui se construit sur la base (infrastructure) et que l’on peut
caractériser par les formes politiques, juridiques, idéologiques ; la religion appartient à cet édifice.

Autrement dit, la religion pour Marx, en tant qu’élément de la superstructure, trouve sa raison d’être
en dehors d’elle-même. Elle doit être comprise à partir de la base que constitue l’infrastructure, la
religion obéit donc à une logique qui lui est extérieure.
Si l’infrastructure détermine la superstructure, la superstructure en retour peut agir sur
l’infrastructure et maintenir en place un mode de production économique particulier. La causalité
n’est pas à sens unique, il y a une action réciproque entre les deux niveaux de la réalité.

V.2.3 « La religion est l’opium du peuple »


« La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est
l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple »
K. Marx, Critique de la philosophie du droit de
Hegel

N.B. : l’opium est une drogue qui présente la propriété d’induire notamment un état hypnotique et
onirique.

Il y a, pour Marx, une contradiction inhérente à la religion :


- D’une part elle est une critique de l’aliénation et de la misère puisqu’elle est la promesse d’un
monde meilleur, espoir de changements.
- D’autre part, et dans le même moment, elle rend impossible la réalisation de cet espoir
puisqu’elle projette dans les Cieux, le règne de la liberté et du bonheur. C’est en ce sens que la
religion est présentée comme une drogue. Elle est au fondement de l’illusion. Le jugement est
faussé, l’homme est captif de ses propres phantasmes, il est le jouet d’une réalité inversée.
Prisonnier de lui-même, le peuple accepte alors sa souffrance ici-bas, au nom d’un bonheur dans
l’au-delà. C’est à cette condition que l’aliénation est possible et peut être maintenue.

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Pour Marx, les racines de la religion étant la misère qui traverse la société et son mode de
production économique qui vise toujours la recherche exclusive du profit, la religion n’a pas à être
combattue. La fin de l’exploitation de l’homme par l’homme doit conduire naturellement à la
disparition de l’illusion religieuse. Dans une société juste, sans misère ni exploitation, dans une
société des droits humains réels, la religion privée de son terreau devient alors caduque.

Mais pour atteindre ce but, la prise de conscience par le prolétariat, de ses diverses aliénations est
nécessaire. C’est pourquoi Marx considère que :
« L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son
bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une
situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette
vallée de larmes dont la religion est l'auréole »
K. Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de
Hegel

Le bonheur réel se substitue au bonheur illusoire promis par la religion. La société sans classes
sociales et donc la fin de la lutte des classes, la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la
disparition de la recherche exclusive du profit par le travail aliéné dont le prolétariat est la victime,
tout cela conduit à la disparition de la misère sociale, de « cette vallée de larmes » sur laquelle la
religion prend racine et prospère. Tel est l’idéal visé par Marx.

FIN DU COURS

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