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La Religion

Le thème de la religion est difficile à aborder, dans la mesure où il n’est pas évident d’articuler la
prétention de la philosophie à un discours rationnel et objectif et la vie plus intime et mystérieuse
de la foi. La philosophie de la religion, telle que nous la présenterons, n’a évidemment pas pour
ambition de régler des questions relatives à l’existence de Dieu ou à la bonne façon de vivre sa foi.
Ici il s’agit plutôt de confronter différents points de vue pour s’interroger sur la place qu’occupe la
religion dans nos vies individuelles et collectives.

Religion, foi et raison

La philosophe, notamment celle du 17ème et du 18ème siècle, s’est confrontée à la question


de déterminer si la foi pouvait être considérée comme un savoir, c’est-à-dire comme une croyance
vraie justifiée par des preuves. Or, il est d’usage de distinguer deux types de preuves : les preuves
sensibles qui s’appuient sur l’expérience (ce que nous percevons à partir de nos sens) et les preuves
rationnelles qui s’appuient sur la démonstration (comme dans le cas des démonstrations
mathématiques). Les preuves sensibles sont inopérantes dans le cas de la foi en vertu de la
définition même de Dieu comme être transcendant : puisque Dieu dépasse la réalité matérielle,
nous ne pouvons pas en faire l’expérience direct. En revanche, certains philosophes, dont
Descartes, ont essayé de donner des preuves rationnelles de l’existence de Dieu. La preuve
cosmologique (qui n’est pas de Descartes) stipule, par exemple, que tout phénomène doit avoir une
cause qui explique son existence, y compris l’existence elle-même, ce qui nécessite d’admettre une
cause première qui ne peut être que Dieu.

Toutefois, les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ne résistent généralement pas à


l’examen. Kant a montré, par exemple, la contradiction de la preuve cosmologique, puisque cette
dernière suppose l’existence d’une cause sans cause, Dieu (ce qui ne respecte pas la première
prémisse : toute chose doit avoir une cause). Plus généralement, Kant entend montrer qu’aucune
preuve de l’existence de Dieu ne fonctionner en s’appuyant sur la raison, car la raison ne peut pas
prouver l’existence d’une chose en dehors de l’esprit humain (seule l’observation le peut). Pour
Kant, cependant, il n’est pas question d’en déduire que Dieu n’existe pas, mais plutôt de poser une
distinction stricte entre le domaine du savoir et de la connaissance, d’une part, et le domaine de la
foi et de l’espérance, d’autre part. La raison humaine ne peut pas tout démontrer, il nous faut donc,
dans certains cas, nous contenter d’espérer la possibilité de certaines choses : l’existence de Dieu,
celle du libre-arbitre et l’immortalité de l’âme. Kant rend compte de cette perspective à partir de
l’énonce suivante : « je dus abolir le savoir pour laisser place à l’espérance » (abolir veut dire ici :
donner des limites).

La position kantienne semble relativement solide: on ne peut ni prouver que Dieu n’existe
pas ni prouver qu’il existe. En revanche, la raison peut évaluer certaines affirmations religieuses sur
le monde, ce qu’on appelle les credos religieux (l’ensemble des vérités admises par une
communauté religieuse). Aux yeux du philosophe anglais, Bertrand Russell (20ème siècle), le
discours scientifique n’a rien à dire au sujet de l’existence de Dieu ou des morales religieuses, mais
elle peut parfois entrer en contradiction avec des conceptions religieuses. C’est notamment le cas,
lorsque Galilée en affirmant que la terre tournait sur elle-même s’est opposé à une vérité alors
admise par l’Église. Aux yeux de Russell, cependant, la science possède un avantage concernant les
vérités au sujet du monde ; parce qu’elle reconnaît le caractère provisoire de ses vérités, la science
rend possible l’existence d’un progrès scientifique, là où les religieux tiennent leurs vérités pour
définitives. Pour que religion et science puissent cohabiter, il faut donc que leurs discours portent
sur des réalités différentes.

Foi et bonheur

Un autre sujet classique en philosophie de la religion porte sur l’articulation de la foi et du


bonheur. Aux yeux du philosophe Pascal, le véritable bonheur ne peut s’envisager en dehors de la
foi. Tous les hommes désirent être heureux (« jusqu’à celui qui va se pendre », écrira Pascal pour
montrer que même le plus terrible des actes reste une façon d’échapper au malheur), mais ils le
désirent mal, soit qu’ils désirent des ressources limitées et se lancent dans des guerres incessantes
pour les obtenir, soit qu’ils désirent des choses périssables et se condamnent à être malheureux
lorsqu’ils auront perdu leur bien. Or, la foi échappe à ces déterminations : ma foi ne prive personne
et puisqu’elle porte sur un être éternel, je ne puis perdre l’objet de mon amour. Plus encore, la foi
seule peut combler le vide que l’être humain ressent en face de ses tourments existentiels ; seule la
foi donne une réponse et un réconfort en face de la vacuité de l’existence, de l’immensité de
l’univers et de la quête infinie de sens. Celui qui s’engage dans la foi n’a donc rien à perdre, ni dans
l’au-delà (puisqu’il aura la vie éternelle ou rien) ni ici bas (puisqu’il aura un bonheur qui, sans la
foi, lui serait demeuré étranger).

Toutefois, de nombreux philosophes ont aussi pointé du doigt que la religion loin de rendre
l’homme meilleur et joyeux l’avaient rendus plus esclaves et plus malheureux. Marx dénonce, par
exemple, dans la religion un « bonheur illusoire ». La critique irreligieuse qu’il entend mener
consiste à expliquer le phénomène religieux non par l’intermédiaire de quelque être transcendant et
supérieur, mais par un système économique et social qui, en créant de la misère, rend nécessaire
l’espérance d’un bonheur après la mort. Aux yeux de Marx, la religion est « l’opium du peuple »,
par quoi il faut entendre deux choses : d’abord que la religion fait oublier au peuple la misère dans
laquelle il se trouve mais sans rien arranger à cette dernière (ici apparaît l’effet antalgique de
l’opium), ensuite qu’elle endort la volonté de révolte et ne fait, en fin de compte, qu’entretenir le
système qu’elle essaie de faire oublier (ici apparaît l’effet somnifère de l’opium). Il est donc
nécessaire, pour Marx, de renoncer à cette illusion. Sans les expliquer en détail (voir cours et fiche
par auteurs), évoquons d’autres perspectives critiques : celle de Freud qui fait de la foi l’expression
du désir de trouver en tout temps et en tout lieu une figure paternelle et aimante et celle de
Nietzsche qui dénonce l’hypocrisie des morales religieuses (altruistes).

On pourrait objecter à ces auteurs que leur critique porte moins sur la foi et la religion elles-
mêmes que sur certaines dérives historiques et sociales de ces dernières. Leur critique est
intéressante, car elle montre que la foi comporte un risque d’aliénation, mais elle doit sans doute
surtout servir à savoir d’où vient ce risque pour mieux s’en prémunir. Or, Spinoza nous donne ici
des pistes : le danger est que, dans la foi, nous renoncions totalement à faire usage de notre Raison.
L’être humain a tendance à se représenter Dieu à l’aide de son imagination. Comme il ne peut le
connaître directement, il projette sur lui ce qu’il connaît déjà, c’est-à-dire ses propres attributs
humains. C’est ainsi que nous nous représentons un Dieu à notre image, qui possède des émotions
et des pensées similaires aux nôtres (la colère, la joie, la tristesse). Dans ce cas, il est naturel que
nous le pensions comme un maître ou comme un père. Pour Spinoza, seule une religion fondée sur
la raison peut permettre d’accéder au bonheur. Il ne s’agit pas non plus de penser naïvement que la
foi puisse se résoudre dans la Raison : il y a dans l’expérience que le croyant fait de sa foi quelque
chose qui dépassera toujours la raison et mettra toujours en défaut cette dernière, cela est
l’inévitable. Mais il importe que la raison intervienne lorsque, engagé les uns avec les autres dans
une vie en commun, nous nous engageons dans un dialogue. Il n’y a là que des pistes de réflexion.

Religion et vie politique

Il convient de bien comprendre que si la foi désigne une expérience intime, la confiance
personnelle et subjective que le croyant place en Dieu et dans sa parole, la religion quant à elle
possède une dimension sociale. C’est pourquoi Durkheim la définit ainsi : la religion est « un
ensemble de croyances et de pratiques relatives aux choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Église, tous ceux
qui y adhèrent ». En reconnaissant à la religion une dimension historique et sociale, il devient
possible d’en faire la sociologie et l’histoire. La sociologie religieuse se divise en deux approches :
une approche explicative qui cherche à rendre compte de l’apparition du fait religieux, de ses cause
et de ses évolutions et une approche dite compréhensive qui s’intéresse davantage aux valeurs et
aux expériences qui accompagnent la foi (voir la fiche par auteur pour une description un peu plus
approfondie).

Reconnaître la dimension sociale de la religion permet aussi de mieux comprendre ces


relations avec d’autres phénomènes sociaux, notamment la science et la religion. Pour reprendre les
propos de Russell, la religion comme phénomène sociale inclut, non seulement les crédos, mais
aussi un code de morale qui définit comme le croyant doit se comporter et une Église, c’est-à-dire
une institution qui repose sur des représentants (les prêtres, les imams, les rabbins, etc.). La part
respective de ses trois éléments peut varier d’une religion à un autre, mais, selon Russell, on trouve
ces trois éléments constitutifs dans toutes les religions. La relation très forte qu’ils entretiennent
entre eux peut justifier les conflits qui surviennent avec la science : lorsque la science critique les
crédos religieux, elle risque d’amoindrir le pouvoir des hommes d’Église ce qui provoque de vives
réactions.

Comprise comme phénomène social, la religion interagit nécessaire avec la sphère politique
et l’État. Cela a donné lieu à différentes réflexions sur les rapports que ces deux entités doivent
entretenir. C’est au regard de cette problématique que se pose généralement la question de laïcité.
La laïcité désigne d’abord une certaine posture de l’État vis-à-vis de la question religieuse qui se
définit par une forme de neutralité : l’État ne se donne aucune religion et n’en interdit aucune.
Comme dans le cas de la science, les penseurs de la laïcité, dont John Locke entendent tout de
même poser des limites, notamment celles de la loi. Tant que le code morale de l’Église conduit à
des pratiques qui sont compatibles avec la loi commune, nul ne saurait les interdire. En revanche,
écrit l’auteur : « tout ce qui peut être dommageable à l’État et que les lois défendent pour le bien
commun ne doit être souffert dans les rites sacrées des Églises ». Le philosophe français Ricoeur
(Xxème) ajoute à cela une dimension positive de la laïcité qu’il définit comme la capacité d’une
société civile à favoriser un dialogue ouvert et rationnel entre les religions. Il n’est plus seulement
question de neutralité mais de qualité du débat public ayant trait aux questions religieuses.

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