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Une culture peut-elle renoncer à sa religion ?

Dissertation de Philosophie (corrigé)


Introduction
Selon un point de vue individuel, il existe deux manières d’adhérer à une religion : soit elle a été
héritée via les ascendants d’une famille conservatrice depuis la plus jeune enfance, soit elle est
l’œuvre d’une conversion radicale, suite à une expérience marquante dans la vie adulte. Dans les
deux cas, l’individu peut faire preuve d’une foi inébranlable, que celle-ci soit fondée sur des miracles
reliés à une manifestation divine ou sur la croyance en des textes sacrés, nourrissant l’espérance
d’une vie éternelle. Mais aussi, le renoncement à la foi est un cas très fréquent, ce qui s’explique le
plus souvent par un retour à la raison. Voici un passage du Dictionnaire philosophique de Voltaire,
rappelant à travers l’histoire des religions les contradictions observées entre les dogmes et les
pratiques : « Quand les Romains furent maîtres de la plus belle partie du monde, on sait
qu’ils en tolérèrent toutes les religions, s’ils ne les admirent pas, et il me paraît démontré
que c’est à la faveur de cette tolérance que le christianisme s’établit, car les premiers
chrétiens étaient presque tous Juifs ». Selon l’histoire, les Romains ont perverti le christianisme
fondé par les Apôtres en imposant leurs pratiques culturelles à l’intérieur des dogmes chrétiens,
pour donner naissance à l’Eglise Catholique. La domination culturelle aurait-elle comme
conséquence l’évincement de la foi religieuse ? Nous allons répondre à cette problématique à
travers les trois paragraphes qui suivent : le premier fera un exposé sur le rattachement d’une
religion au fait de la culture ; le deuxième expliquera le fondement de la religion comme le
dévoilement de la nature transcendante de l’homme ; et le troisième conclura qu’une culture trace
sa propre évolution, indépendamment de sa religion.

I) La croyance en des divinités reflète une représentation


particulière du monde
De nos jours, il existe trois religions fondamentales qui ont pu imposer leur notoriété dans plusieurs
contrées du monde, à savoir le judaïsme, le christianisme et l’islam. Rappelons toutefois que ces
croyances étaient nées dans des civilisations vieilles de plusieurs millénaires, et qui se suffisaient et
se pratiquaient autrefois dans le cercle restreint d’un peuple donné. Comme toutes les religions,
elles possèdent certains interdits qui s’expliquent par le respect des commandements divins, et
entretiennent le côté mystique par l’observation de certains rites. Toutefois, la représentation de la
divinité de manière spirituelle ou fétichisée reflète déjà la façon de penser propre à ce peuple, ainsi
que l’influence de la religion sur leur quotidien. Les formes élémentaires de la vie religieuse, écrites
par Emile Durkheim, soulignent ce passage : « Les croyances proprement religieuses sont
toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de
pratiquer les rites qui en sont solidaires ». Les sociétés traditionnelles, qui se caractérisent
essentiellement par le poids des coutumes et des croyances, forgent leur façon de vivre à travers la
force de leur religion. Et ce respect vis-à-vis du sacré est d’autant plus grand que la magie et toute
autre manifestation spirituelle sont encore effectives. Remarquons d’ailleurs que les peuples
fervents à la religion sont plus perméables à l’obéissance aux règles morales. Ainsi, la distinction
entre le bien et le mal tire son origine sur des explications religieuses, c’est-à-dire provenant de la
volonté divine. Pierre-Joseph Proudhon, dans son livre De la création de l’Ordre dans l’humanité,
énonce ceci : « C’est elle qui cimenta les fondements des sociétés, qui donna l’unité et la
personnalité aux nations, qui servit de sanction aux premières législations ». Force est de
constater que la représentation des divinités démontre une relation très proche avec les affaires des
hommes, ce qui nous fait dire que ce sont les humains qui ont modelé les dieux à leur image. Les
mythes constituent un véritable patrimoine culturel aux yeux des étrangers, tandis que pour les
natifs de la culture, c’est un moyen de comprendre le fondement de leur religion. Sans ces mythes
ou ces histoires retraçant l’expérience des anciens qui étaient en contact direct avec les dieux, il
serait difficile pour les générations qui se succèdent de donner beaucoup de crédit à leur religion.
Voici un extrait de De la Nature de Lucrèce qui illustre ce côté mythique de la religion : « Dès ce
temps, les mortels voyaient en effet des dieux les figure merveilleuses quand leur esprit
veillait, et plus encore en rêve les corps à la taille étonnante ».

Une culture se reconnaît essentiellement par sa religion, ce qui met en évidence la manière de
penser et d’agir propre à ce peuple. On peut également considérer la religion selon une dimension
individuelle, cette fois-ci comme le choix à l’issu d’un jugement sans l’influence de l’extérieur.

II) L’homme exprime sa nature transcendante par le recours


à la religion
Ce qui importe le plus à l’homme dans la pratique d’une religion, que ce soit celle de ses ancêtres ou
d’un pays étranger, c’est désormais l’épanouissement de son esprit en évinçant les nécessités
corporelles. En effet, cette dimension spirituelle implique une croyance en l’existence de l’âme qui
entretient une relation avec les divinités. En conséquence, il y a une espérance à vivre une vie
céleste, coupée du monde physique, ou bien une communication de force entre l’humain et le divin.
Hegel, dans sa Propédeutique philosophique, propose cette définition : « Sa destination capitale
est d’élever l’individu à la pensée de Dieu, de provoquer son union avec lui et de l’assurer
de cette unité ». Bien que la croyance aux divinités implique nécessairement une bénédiction de la
part de ces êtres supranaturels, la foi requiert une vie de piété. C’est à travers la foi que l’homme
accède progressivement à la sainteté, ce qui se manifeste par l’adoption de la vertu de manière
inconditionnelle. La foi religieuse reflète précisément l’amour envers Dieu ainsi que l’acceptation de
sa volonté comme produit de cet amour. Il s’agit d’une soumission qui n’attend pas une récompense
en retour, toutefois ce comportement ne rend pas Dieu insensible. Mais surtout, la foi renvoie à une
crainte qui pousse le croyant à accepter les évènements bons ou mauvais comme la conduite du
Tout-puissant. Tous ces préceptes ordonnés par la foi ne peuvent être commandés de la part de la
société : c’est une expérience intérieure qui se fait entre Dieu et soi-même. Cela est appuyé par ces
remarques de Thomas Hobbes, citées dans Le Citoyen ou les fondements de la politique : « Quand
les raisons pour lesquelles nous donnons notre consentement à quelque proposition, ne
sont pas tirées d’elle-même, mais de la personne qui l’a mise en avant, comme si nous
estimions qu’elle est si bien avisée qu’elle ne peut se méprendre, et si nous ne voyons pas
de sujet qu’elle voulût nous tromper, alors notre consentement se nomme foi ». Bien que
certaines religions affichent par des symboles visibles la forme des divinités, cela suppose toujours
une force spirituelle qui intervient pendant le culte. Par la religion, l’homme cherche donc à
dépasser sa nature humaine en voulant accéder à ce qui est propre au divin. C’est pourquoi les
saints parviennent à défendre les principes de leur religion en refusant le confort et les honneurs
offerts par ce bas-monde. La satisfaction des saints serait alors nettement supérieure par rapport à
celle des impies, par le seul fait que les saints ont davantage réalisé leur condition d’homme avec
plus de perfection. La religion ne se limite donc pas à une fonction sociale, il s’agit surtout d’un
épanouissement dans sa vie personnelle. Dans les Pensées de Pascal, il est d’ailleurs écrit : « Ils
sont vus de Dieu et des anges et non des corps et des esprits curieux. Dieu leur suffit ».

Bien que la religion se présente comme une institution, sa pratique se fait plus exactement dans
l’intériorité de soi, c’est-à-dire dans un rapport spirituel avec Dieu. Cette distinction entre la
réalisation individuelle et la dimension sociale de la religion fait que celle-ci trace son propre
évolution en marge à la culture.

III) La religion résiste à l’évolution culturelle grâce à sa


pratique individuelle
La modernité, qui s’efforce de convertir ses adeptes vers la croyance au pouvoir de la raison, peut
s’établir dans n’importe quelle culture. Cela dit, elle voudrait occulter ce qu’une culture a de plus
essentiel pour faire prévaloir l’efficacité, pour classer ensuite la religion dans les livres d’histoire.
En conséquence, la religion sera considérée par les modernistes comme faisant partie de la
tradition, tandis que la modernité s’érige désormais comme une culture universelle. Le clivage entre
la religion et la modernité s’accentue progressivement, et ceux qui se montrent trop fervents dans le
cadre de la religion ne sont pas bannis de la société, mais jugés comme arriérés. Cette idée est en
phase avec l’affirmation d’Auguste Comte dans son Catéchisme positiviste selon laquelle : « Il
n’existe au fond qu’une seule religion, à la fois universelle et définitive, vers laquelle
tendirent de plus en plus les synthèses partielles et provisoires, autant que le comportaient
les situations correspondantes ». Notons que la société moderne n’a pas le droit de renverser les
religions existantes, cependant les pratiquants rencontrent quelques difficultés dans le quotidien à
cause des principes de laïcité qui sont désormais plébiscités. Par conséquent, la modernité est une
forme déguisée de domination culturelle, c’est-à-dire qu’elle tend à occidentaliser les manières de
penser, alors que cette prétendue culture occidentale n’est pas réellement ce qu’elle est selon la
tradition. Or, la religion chrétienne, sans tenir compte de ses évolutions internes au fil du temps, est
toujours présente malgré la modernisation de la société. Cela dit, il existe une certaine sélection
inconsciente entre les religions qui pourraient être compatibles avec la modernité. C’est pourquoi
Edmund Husserl, dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale,
écrit : « Il est manifeste que, sous le titre d’Europe, il s’agit ici de l’unité d’une vie, d’une
activité, d’une création spirituelle, avec tous les buts, tous les intérêts, soucis et peines,
avec les formations téléologiques, les institutions, les organisations ». Pour pouvoir affirmer
qu’une religion est encore en activité, nous nous référerons à la mise en place d’une institution en
bonne et due forme. Par contre, la société n’est pas en mesure de juger la véritable existence d’une
religion via la profondeur de la foi, le nombre des croyants ou la visibilité de ses pratiques
religieuses. Par conséquent, lorsqu’on étudie formellement une culture, on évoque toujours la
religion qui lui est affiliée d’origine. Mais dans les faits actuels, cette culture a subi tellement
d’évolution que ses membres auraient dû procéder à plusieurs adaptations pour pouvoir encore
pratiquer leur religion ancestrale. Auguste Cournot fait d’ailleurs la remarque suivant dans son
Traité sur l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences : « C’est ainsi qu’une
religion parvenue à la vieillesse se soutient par sa vieillesse même et se soustrait aux lois
naturelles de la vie, trouvant dans sa durée passée la raison de sa durée future, sans qu’on
aperçoive de fin nécessaire à cette influence du passé sur le présent et sur l’avenir ».

Conclusion
La vie et la survie de la société s’appuient essentiellement sur la faveur des divinités, et le rapport
entre les hommes et son milieu physique sera expliqué à travers l’intervention bienveillante des
dieux. Par ailleurs, une communauté héritant d’une même culture ne peut pas croire à quelque
chose qui leur est totalement étranger, qui n’a aucun rapport avec leur environnement et qui ne
reflète pas la forme de suprématie à laquelle ils aspirent. Il est vrai que la société a tendance à juger
le degré de moralité de ses membres à travers la ferveur dans leur religion. Toutefois, l’individu
dispose d’une grande liberté à adopter la religion de son choix, surtout dans notre époque actuelle
où la majorité des Etats est laïcisée. La foi religieuse est donc une manière propre à l’homme de se
dire que ce qui est en rapport avec le corps ne lui suffit pas. Chaque culture, aussi moderne qu’elle
se prétend être, se rattache originellement à une religion qui lui est propre. Les différentes
pressions extérieures influencent certes la ferveur des pratiquants, mais cela ne fera pas disparaître
la religion tant que les dogmes y afférents sont tellement vivaces dans leur esprit. La modernité
tend-elle à se transformer en religion ?

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