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Introduction
Par « modernité », on entend le fait que les sociétés occidentales accordent plus
d’importance aux valeurs matérielles qu’aux valeurs spirituelles ; aussi se définit-elle par un
individualisme et par une rationalité ou par une sorte d’affrontement de l’existence en dehors
des cadres et institutions sociaux, c’est-à-dire avec ses moyens personnels. Une grande
confiance en soi et la mise en valeur des pouvoirs. Des vertus et des mérites personnels et
individuels se cachent derrière ce que l’on appelle modernité. Il s’agit, en clair, du désir de
s’améliorer, de changer, de s’adapter dans un monde fragile et hostile, dominé par la volonté
de rompre avec un passé moins glorieux et moins heureux et le désir de retrouver ses propres
racines. En somme, la modernité se résume en une émancipation et en une absence de contrôle
par rapport aux cadres et aux institutions sociaux et contre l’archaïsme du passé.
Parmi les classiques des sociologues des religions, Emile Durkheim est celui qui a le
plus cherché à trouver une définition canonique de la religion. Cet objectif n’a pas connu de
succès, car en cherchant à prendre pour modèle de référence la religion qu’il considérait comme
étant la plus primitive, il confond en même temps la définition d’une religion particulière (le
totémisme) avec un type de société particulier (le clan). A partir de sa définition de la religion
primitive, il pense avoir retrouvé la définition globale de la religion qui englobe en son sein
toutes les autres religions.
Dans cette logique, Emile Durkheim définit la religion par ce qu’il considère comme
étant sa source (sentiment collectif hypostasié) d’abord et ensuite par sa fonction principale
dans la société (protection du lien social) clanique et moins par ses caractéristiques communes
à toutes les religions comme il prétendait le faire. Il refuse de définir la religion par le rapport
à la divinité ou au surnaturel. Il aboutit par déifier la société en la considérant comme l’origine
du sentiment religieux, voire de la religiosité. Il évoque la notion de sacré qui n’est, pour lui,
que la transcendalisation du sentiment collectif distingué radicalement avec la notion de
profane. Ces notions qui composent la définition de la religion de Emile Durkheim partagent
les choses, l’espace et le temps entre l’accessible et l’inaccessible, l’important et le banal, le
sensible et l’intelligible, le révérenciel et l’utilitaire, l’à part, le réservé, le consacré et le banal.
De ce point vue, selon Emile Durkheim : « Les choses sacrées sont celles que les
interdits protègent et isolent, et les choses profanes étant celles auxquelles ces interdits
s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières. » Cela étant, pour Emile Durkheim, la
religion et/ou la religiosité proviennent de l’importance que les individus accordent à certaines
idées ou choses. Elle provient de l’importance que les agents sociaux accordent au lien social.
C’est dans cette logique qu’il dit : « Lorsque les hommes partagent une idée avec une certaine
intensité et une certaine extension, elle inspire respect révérenciel identique aux croyances
religieuses : il est donc probable que la religion correspond à la région centrale de la conscience
commune. Dans les sociétés primitives « elle s’étend à tout ; tout ce qui est social est religieux.
Les deux mots sont synonymes. »
Par contre, Marx Weber s’était inscrit dans cette lancée en l’appliquant dans son étude
sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Dans cette dynamique, il explique l’origine
d’un système économique (le capitalisme) par des valeurs religieuses qui ont inspiré un
comportement économique particulier (ethos).
Max Weber, quant à lui, pense que la religion, en tant qu’espèce particulière de se
comporter et de vivre en société, en tant qu’éthique de vie, possède, non seulement, une portée
temporelle, mais, elle inspire et fonde l’autorité dans la société ; cela, d’une part par sa
dimension collective et d’autre part, par l’existence de maitres à pensées religieuses qui
exercent une domination spirituelle sur les autres membres par les ressources disposées en biens
de salut. La religion ne gère pas seulement des biens de salut dans l’au-delà, mais elle promet
des biens de toutes sortes dans l’ici-bas.
Avant Emile Durkheim, Karl Marx avait presque commis la même erreur que lui en
déclarant que la religion n’a pas une existence intrinsèque et que le sentiment religieux découle
de la société. Autrement dit, Karl Marx pense que la religion émane de l’infrastructure
économique pour lui servir de caution en anesthésiant les faibles (prolétaires) et légitimant les
forts (bourgeois). Elle n’est qu’une simple idéologie inventée par les hommes pour masquer les
rapports de domination. Dès fois aussi, il peut, selon lui, servir de moyen idéologique pour les
faibles de protester contre leur situation de détresse.
Dr Mouhamadou Mansour DIA 4
Religion et Modernité SOC/P5/S2/2018
Donc, Karl Marx a très trop exclu toute idée de surnaturel et de divinité intrinsèque pour
définir la religion. Il s’en est allé jusqu’à considérer la religion comme une invention. Ce que
son collaborateur Friedrich Engels a refusé en estimant qu’il est trop simpliste pour expliquer
la genèse et le devenir de la religion, de déclarer que c’est un tissu d’absurdités inventé par les
imposteurs. Cela n’empêche pas d’analyser ses conditions socio-économiques d’émergence et
expliquer pourquoi elle a eu tant de succès. Engels finit par témoigner que les religions
possèdent réellement une puissance sociale, surtout, lorsqu’elles imprègnent les consciences
deviennent des forces collectives agissantes soit au service du statuquo ou au service de la
protestation.
A la différence d’Emile Durkheim, la vie en société n’est pour Simmel qu’une des
origines de la religion : le rapport à la nature et l’attitude de l’homme face au sort en sont
d’autres sources immanentes. Ainsi, Simmel définit la religion par la notion de piété qu’il
considère comme le sentiment de respect et de crainte vis-à-vis de certaines choses ou de
certains êtres.
Weber, quant à lui, n’a pas trop abordé la question de la définition englobante de la
religion. Il s’est limité à chercher les incidences sociales de la religion. Sa thèse a consisté à
considérer la religion comme un modèle de référence à l’action sociale dans les domaines
d’activités qui transcendent même le domaine spécifiquement religieux. Ainsi, il considère la
religion comme une manière particulière d’agir en société. Pour lui, la religion est « une
méthode de conduite en rapport avec une entité émotionnelle en accord avec une réalité
transcendante fondatrice ».
Le concept de fait religieux est évoqué en tant que fait social objectivable, observable
et analysable de manière opératoire dans toutes ses facettes (collectives, matérielles,
symboliques et sensibles) et dans ses rapports avec les autres sphères d’activités.
En effet, il faut retenir que toutes les définitions qui précédent ont été élaboré dans le
cadre d’une société moderne au sein de la discipline sociologique. Ceci nous renvoie à deux
aspects : d’abord le fait que la religion a constitué une problématique qui a beaucoup intéressé
les sociologues classiques qui n’ont manqué de l’aborder en abordant la société moderne,
ensuite l’importance de la religion dans les sociétés modernes malgré les tentatives de leur
opposition. On peut retenir à travers les définitions précédentes qu’une certaine façon simpliste
et réductionniste de concevoir la réalité religieuse a poussé certains auteurs à prédire son déclin
au fur et à mesure de l’avancée de la modernité occidentale. Ce qui nous permet de passer à la
définition de la modernité pour voir si elle porte en elle des caractéristiques intrinsèques qui
l’opposent naturellement à la religion.
3. Pourquoi oppose t’on religion et modernité ?
On pense à Sigmund Freud qui assimile la religion à de l’illusion des sens (prendre nos
désirs pour des réalités). Karl Marx évoque la notion d’idéologie pour montrer que la religion
n’est qu’un moyen pour masquer la réalité des rapports de domination. Elle est l’opium du
peuple. On peut aussi évoquer le concept populaire de désenchantement du monde théorisé par
Max Weber pour désigner le processus de recul de la pensée mystique et de l’avancée de la
pensée rationnelle. Emile Durkheim a prédit le déclin des religions traditionnelles après
Auguste Comte qui dans sa théorie de la loi des trois états a relégué l’esprit religieux au passé
correspondant à l’enfance de l’humanité. Ainsi, considère-t-il l’esprit positif comme étant la loi
qui gouverne la modernité.
Cependant, ces dits auteurs ont tous fini, sans exception, par reconnaitre que la religion
n’est pas un simple phénomène accidentel que des besoins circonstanciels font naitre et qui
devraient naturellement disparaitre une bonne fois pour toutes lorsque ces besoins n’existent
plus. Ceci dit, ces auteurs ont été frappés par le retour en force de l’effervescence religieuse
dans la société moderne. Notons que le religieux a longtemps été considéré comme étant
incompatible avec l’esprit du type d’homme moderne.
Si la religion possède une aussi grande capacité d’adaptation dans la société moderne,
c’est qu’elle ne peut pas être considérée comme un archaïsme. On ne saurait non plus la réduire
à un simple besoin de croire ou à une réponse illusoire à l’angoisse de la mort, comme le soutient
Michel Onfray dans son Traité d’athéologie. Les études nous montrent que les religions servent
davantage à affronter la vie qu’à supporter la mort.
Quand des villageois du sud de l’Inde continuent à se tourner vers leurs chamans ou
leurs prêtres pour leur demander la fertilité ou pour retrouver la santé, de jeunes catholiques de
tous les pays affluent aux journées mondiales de la jeunesse pour mieux se sentir vivre
ensemble. Partout dans le monde de l’échelle la plus locale à la dimension la plus globale, la
religion sous des formes extrêmement variées, continue d’imprégner le quotidien d’une
majorité de nos contemporains.
Peter Ludwig Berge affirme sans ambages que l’idée selon laquelle nous vivons dans
un monde sécularisé est fausse. Le monde d’aujourd’hui est plus religieux qu’il l’a toujours été.
Pour lui, la réalité de la religion dans la modernité a rendu caduque les théories qui ont
longtemps prédit son déclin ou son recul que ce soit la sécularisation, le désenchantement du
monde, la rationalisation ou le positivisme etc.
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Religion et Modernité SOC/P5/S2/2018
Cet ouvrage collectif n’est qu’un des très nombreux travaux accumulés depuis les
années 2000 sur la place du religieux aux Etats Unis, sur la propagation d’un Islam radical, sur
la progression mondiale des sectes. Toute cette littérature, une fois mise en perspective, suggère
quelques réponses possibles à la question du « retour de Dieu ». Si les religions renaissent et se
renouvellent sans cesse, si elles semblent se marier si bien avec la modernité, c’est sans doute
qu’elles répondent à des attentes individuelles et à des besoins collectifs dont aucune société
n’a su, à ce jour, s’affranchir.
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1- P.L. Berger (dir.), Le Réenchantement du monde, Bayard, 2001
Dr Mouhamadou Mansour DIA 9