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ANTHROPOLOGIE DE LA RELIGION

Dr. Paul Ouédraogo

POUR UNE PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RELIGION

Le mot religion viendrait de religo, as, are, relier. La religion désigne le rapport de
l’homme à Dieu. Le phénomène est présent dans toutes les sociétés.
‐ Un aspect mystique qui porte sur la révélation, la foi, le salut…
‐ Un aspect social qui se manifeste par les rites, les liturgies, les rencontres
communautaires, etc.
C’est ce deuxième aspect qui fait de la religion un fait social par excellence.
Durkheim, fils de rabbin souligne la dimension collective de la religion. « Une religion
est un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées qui
unissent en une même communauté morale tous ceux qui y adhèrent » in : les formes
élémentaires de la vie religieuse, 1912. Pour lui, la religion est facteur de cohésion
sociale.
M. Weber (luthérien), considère les religions comme facteurs de développement
culturel et économique. Le judaïsme et le christianisme sont la source d’un
mouvement de rationalisation. Mouvement qui peut se retourner contre la religion à
l’époque moderne (Cf. l’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme, 1920 ; Le
judaïsme antique, 1921).
Il est facile de faire le constat de la manifestation du phénomène religieux dans
la société. Il devient de ce fait un phénomène social et un comportement qui n’est pas
le fait d’un individu : langage, funérailles, mariage, sexualité, vêtement, lieux de culte
(mosquées, temples) objets de culte (amulette, croix). D’un point de vue descriptif,
toute religion se caractérise par le sens du sacré, les rites et le culte.

I. Le culte
Dictionnaire Larousse
1. Hommage rendu à Dieu, à une divinité, à un saint, etc.
‐ Cérémonie, pratique par laquelle on rend cet hommage.
‐ Spécialement. Office religieux
2. Par extension. Religion. Le culte catholique.
3. Vénération immodérée. Avoir le culte de la famille.
‐ Culte de la personnalité : admiration et approbation systématique de quelqu'un, en
particulier d'un dirigeant politique d'un système totalitaire.
4. (En apposition, avec ou sans trait d'union.) Se dit de ce qui suscite l'enthousiasme
d'un public généralement restreint. Des films cultes.
Dans toutes les religions le culte établit une relation entre l’homme et Dieu.
Selon la bible l’initiative de ses relations revient au Dieu vivant qui se révèle. En
réponse, l’homme adore Dieu dans un culte prenant une forme communautaire.
Le culte (du latin » cultus » dérivé du verbe « colere ») veut dire au sens
propre : cultiver ; et par extension « rendre un culte ». Rendre un culte c’est donc
cultiver une relation avec une divinité et vouloir la faire fructifier pour le plus grand
bénéfice moral et matériel de l’individu ou de la communauté (paix, richesse, bonheur,
santé, prospérité, salut éternel, etc.).
On appelle culte, l’ensemble des pratiques publiques et/ou privées d’une
religion par lesquelles se manifeste le rapport des croyants à leur Dieu. Il est l’élément
central de la religion, le moment où les fidèles se réunissent et communient avec les
divinités.
Certains cultes sont publics ; ils concernent la totalité des membres du groupe
religieux en question. D’autres sont réservés à une sphère particulière du groupe
(cultes familiaux). Certaines pratiques cultuelles peuvent relever de l’ésotérisme c’est‐
à‐dire être réservées à des initiés.
Les principaux actes cultuels sont : le sacrifice, la libation, l’offrande, la prière
(invocation, demande), le chant et la musique, la lecture de textes sacrés, la
prédication, le pèlerinage et la procession. On appel « liturgie » le déroulement du
culte tel que chaque tradition le fixe. La célébration du culte est sous la tutelle d’un
personnage spécial (ministre du culte, iman, pasteur (guide religieux) qui peut avoir
été choisi de diverses manières (appartenance à une classe sacerdotale, élection,
choisi par la divinité ou ordination).
Dans le culte familial le père de famille est le célébrant. Il s’agit dans ce cas de
sa place de pater familias le désignant automatiquement pour présider le culte
familial. La théologie catholique fait une distinction entre le culte de latrie (culte
d’adoration qui n’est rendu qu’à Dieu seul) et le culte de dulie (simple vénération due
aux saints). Le protestantisme qui ne reconnait pas le culte des saints ne fait pas cette
distinction.
Notons quelques éléments communs à tous les cultes : lieux, objets et
personnes sacrés (sanctuaire, arche, autel, prêtre, imam) ; temps sacrés (jeune, fête,
sabbat) ; actes cultuels (purification, consécration, circoncision, sacrifice, offrande de
parfum) ; prières sous toutes ses formes, prescriptions cultuelles (jeune, pénitence,
interdits, etc.).

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II. Le sacré
Dictionnaire Larousse

1. Qui a rapport au religieux, au divin.


‐ Les Livres sacrés : la Bible.
‐ Sacré Collège : collège des cardinaux formant le sénat de l’Église romaine et le conseil
du pape.
‐ Art sacré : art religieux au service du culte, notamment au XXe s.
‐ Musique sacrée : musique religieuse.
2. À qui ou à quoi l’on doit un respect absolu ; qui s’impose par sa haute valeur. Les lois
sacrées de l’hospitalité.
3. Familier. Renforce un terme injurieux ou admiratif. C’est un sacré menteur.
Dans l'interprétation des phénomènes religieux, caractère de ce qui transcende
l’humain (par opposition à profane).

Dans les sciences humaines du début du 20ème siècle, le terme sacré était en
gros confondu avec celui de religieux. De plus, la notion de « sacré » prenait sens par
opposition au monde « profane ». Le monde du sacré est alors celui de la
transcendance et de l’au‐delà. Le monde profane étant le monde commun d’ici‐bas,
matérialiste, sans mystère. Les choses sacrées sont celles qui font l’objet d’interdits
que « l’on protège et que l’on isole » (Robertson W Smith) ; et qui représentent les
valeurs les plus hautes. Alors que les choses du monde profane peuvent être
échangées, données, vendues dans un but utilitaire. Tel n’est pas le cas des objets
sacrés comme la Torah, la bible, le Coran, une croix, un masque africain, un autel, mais
aussi un drapeau, un couronne…
Chez plusieurs auteurs, le sacré renvoie à une vision spiritiste de l’être humain
qui serait porté par une force intérieure vers l’au‐delà, la transcendance, le mystère de
la foi ou de la croyance. C’est ainsi que le théologien allemand Rudolf Otto (1869‐1937)
soutenait dans son livre « Le sacré » que l’expérience religieuse est irréductible à tout
autre phénomène. Le sacré concerne ce qu’il appelle le « numineux élément non
rationnel et caractéristique ».
Le numineux est définit assez vaguement comme le « sentiments de la créature
qui s’abime dans son propre néant et disparait devant ce qui est au‐dessus de la
créature » (du latin numen, inis, n, puissance, volonté divine). Le numineux est à la fois
mysterium tremendum, mystère du Tout‐Autre qui effraye l'homme dans ses
profondeurs, et mysterium fascinosum, mystère qui attire C’est tout un mélange
d’effroi mystique (tremendum), de crainte respectueuse face à la puissance absolue
du divin et de fascination (fascinants).
Soucieux de fonder une approche scientifique du phénomène religieux, Otto se
donne l’ambition de déterminer la nature, l’essence et la vérité de la religion. Pour

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cela, il tente de dépasser la problématique de Kant qui distingue les phénomènes des
choses en soi ou noumène. Il ne définit plus le sacré en termes d’absolu éthique
comme l’a fait Kant ; il le considère comme une catégorie spécifique qui se manifeste
au‐delà de la sphère de l’éthique. C’est ce qui fait nécessairement de la religion un
domaine autonome non indexable à d’autres réalités. Le sacré est donc une réalité
séparée, contrairement à l’avis de Schleiermacher, qui a tendance à le réduire à son
immanence humaine.
Otto propose le concept de numineux comme concept central de l’expérience
du sacré. Le numineux comporte un double aspect :
– il est le « mysterium tremendum », c’est‐à‐dire, le mystère du Tout‐Autre qui
effraie l’homme dans ses profondeurs ;
– il est le « mysterium fascinosum », c’est‐à‐dire, un attrait de l’homme par une
sorte de fascination.
Les deux aspects sont inséparables dans toute expérience et structuration
religieuses. Otto universalise cette notion de numineux comme une réalité qui captive
toutes les expériences religieuses, allant de l’animisme jusqu’au christianisme. Le
numineux constitue ainsi l’essence de la religiosité. C’est lui qui détermine la foi. La
manifestation du numineux se traduit par une expérience d’effacement,
d’engloutissement dans son propre néant, en face du Tout‐Autre, lequel détermine de
façon abrupte la créature.
Le numineux d’Otto n’est ni idée ni notion abstraite. C’est une terrible
puissance à la fois terrifiante et irrationnelle, fascinante et étonnante. Quand on est en
face de lui, on découvre un sentiment d’effroi devant le sacré, devant ce mystère du
Tout‐Autre qui dégage une écrasante supériorité de puissance, mais en même temps
on est en face de la plénitude de l’être, provoquée par la révélation d’un aspect de la
puissance divine. Devant le numineux, l’homme éprouve le sentiment de sa nudité et
de sa pauvreté, son langage est réduit à suggérer ce qui le dépasse. Certes on le
nomme par le langage, mais la nomination est simplement évocatrice (nomination et
attributs de Dieu dans les langues africaines)
Cette vision suppose que le sacré est avant tout un sentiment niché dans le
cœur des hommes. Cette vision mystique du sacré a influencé Carl G. Jung (1875‐1961)
pour qui l’âme humaine est naturellement religieuse. On retrouve une vision similaire
chez M. Eliade dans son livre le sacré et le profane (1969).
La sociologie et l’anthropologie des religions à partir des années 50 vont
globalement se détourner de cette vision spiritualiste du sacré pour se centrer sur les
pratiques, les rites, les institutions et le rôle sociale des religions. Ainsi dans son petit
essai intitulé Anthropologie du sacré (1992) Reis Boyer, spécialiste des religions
scandinaves, propose une interprétation globale du phénomène. La thèse de l'auteur
peut se résumer en une phrase : « le rôle de la religion étant de transcender la mort, le
sacré est le synonyme de la vie. Adorer, sacraliser concourent aux fondements et à la
perpétuation de la vie. Les religions primitives vénèrent 3 types d’esprit : les éléments

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naturels (feu, air, verre, eau), les ancêtres fondateurs de la société, et l’âme collective.
Dans les 3 cas, ils sont sacralisés en tant que source de puissance et de vie.
Pour Durkheim, l’âme collective n’est rien d’autre que la société elle‐même. Le
rite des sacrifices réel ou symbolique ont pour fonction d’alimenter la divinité, de lui
redonner des forces vitales nécessaires : « Tout sacrifice dans toute religion est destiné
à revigorer les dieux de la vie ». Cette symbolisation de la vie dans le sacré se retrouve
dans le fait que partout le divin est associé à l’éternel et à l’immortel, alors que le
profane est temporel et périssable. Est sacré tout ce qui tend à la perpétuation de la
vie ; le sacré aurait cette fonction d’incarner la vie c’est‐à‐dire la permanence des êtres
(sens des sacrifices en milieu africain).

III. Le rite
Dictionnaire Larousse
- Ensemble des règles et des cérémonies qui se pratiquent dans une Église, une
communauté religieuse. Le rite romain.
- Ensemble des règles fixant le déroulement d'un cérémonial quelconque.
- Action accomplie conformément à des règles et faisant partie d'un cérémonial
précis. Rites de la remise d'une décoration.
- Manière d'agir propre à quelqu'un ou à un groupe social et revêtant un
caractère invariable. Le rite des vœux de nouvel an.
- ANTHROPOLOGIE. Dans certaines sociétés, acte, cérémonie, fête à caractère
répétitif, destinés à réaffirmer les valeurs et à assurer la relance de
l'organisation sociale. Rites d'initiation.

Serrer la main pour dire bonjour, croiser les doigts, aller à la messe ou à la
prière du vendredi, célébrer noël ou un anniversaire ou un mariage, etc. Ces actes
peuvent être appelés rites. Leur diversité semble si grande qu’on en mesure mal les
limites. Dans le dictionnaire « ritus » en latin désignait les dispositions d’un culte
religieux, mais aussi toute coutume fixée par une tradition.
L’anthropologie et la sociologie s’en servent pour décrire les cérémonies
collectives religieuses (baptême, messe, sacrifice…) et profanes (intronisation,
bizutage…) ; mais aussi des pratiques usuelles (allumer un cierge, dire bonjour…) dont
la forme et l’intention sont très variables. La compréhension moderne du rite doit
beaucoup à l’étude comparée des cultures.
Au 19ème siècle, des historiens et des anthropologues ont recherché des
similitudes dans les rites religieux et profanes, pour en établir la liste. On a alors classé
les rites selon qu’ils étaient :
‐ Des rites cycliques : rites liés aux cycles de vie (naissance, puberté, mort), aux
cycles naturels (saison, passage d’astres), aux cycles sociaux (fête,
commémoration) ;

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‐ Des rites liés à des évènements inattendus : les rites d’affliction (maladie,
guerre), les rites curatifs (purification, expiation, expulsion), les rites
d’installation (installation de chef d’Etat, intronisation des rois) ; rites qui
peuvent être opposés aux rites d’inversion (carnaval)
« Les rites sont des règles de construction qui précisent comment l’homme doit
se comporter avec les choses sacrés » écrivait E. Durkheim in : « Les formes
élémentaires de la vie religieux » (1912). Pour lui comme pour M. Mauss, le rite
religieux par excellence est le sacrifice permettant la conjonction d’une assemblée
humaine avec un Dieu ou des ancêtres par l’intermédiaire d’un objet ; toutefois, la
fonction du rite est sociale.
Le sacré est pour Durkheim une projection de la société et la force du rite est
de créer une communauté morale à la fois intellectuelle et affective. La conception
durkheimienne a eu une influence durable sur les théories ultérieures du rite. On lui
doit l’idée que les cérémonies profanes sont des rituels au même titre que les liturgies
religieuses, non seulement parce qu’elles peuvent adopter des formes analogues
(procession, défilé, serment, discours), mais parce qu’elles ont la même fonction
d’exaltation des sentiments collectifs et d’intégration de l’individu dans une
communauté.
Dans les années 50, les anthropologues fonctionnalistes ont soutenu que le
rituel religieux ou non est un dispositif très important des régulations des rapports
sociaux. Il ne consiste pas seulement en cérémonies collectives ou en liturgies sacrées,
mais il est investi dans de nombreux actes de la vie courante : attitude, façon de faire,
objets, etc. Tout ce qui dans une société donnée « comporte un élément expressif ou
symbolique, est susceptible de constituer un rite » Alfred R. Brown, in : « Structure et
fonction dans la société primitive ». Cette évolution très importante a repoussé au
second plan la distinction sacré/profane et a considérablement élargie l’usage des
mots rites et rituels désormais susceptibles de désigner une action ayant une
dimension religieuse ou profane.

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