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INTRODUCTION

Le phénomène religieux est un fait ancien qui existe aussi longtemps qu’on remonte l’histoire
et les civilisations des hommes. Dans leur vécu, les hommes ont senti la nécessite de se lier
entre eux et de se rattacher à des forces sacrées, surnaturelles, et parfois même transcendantes.
Ceci est lié à la nature de la religion. La religion renvoie en effet à une attitude de vénération,
de crainte vis-à-vis d’un être surnaturel. La réflexion philosophique sur la religion a fait jaillir
de nombreuses questions inhérentes aux rapports que les hommes entretiennent avec celle-ci.
En tant que phénomène social, la religion aura un impact sur la façon de concevoir le monde
et de justifier le vécu quotidien des hommes. S’il en est ainsi, c’est parce que la religion
véhicule des idées et enseignements dans le but d’organiser la vie humaine.

Ainsi, en proposant aux hommes une vie post mondaine, la religion semble détourner les
hommes de ce qui doit constituer pour eux leur préoccupation majeure ; c’est-à-dire la quête
de la liberté et de l’autonomie humaine qui reste le but ultime de l’existence. De ce fait, les
penseurs de la politique ont pour l’essentiel critiqué la religion, en alléguant qu’elle invite les
hommes à tourner le dos à la vie active et politique. C’est ainsi qu’il faut comprendre ces propos
de Machiavel : « Notre religion, en effet, nous ayant montré la vérité et le droit chemin, fait
que nous estimons moins la gloire de ce monde […] Notre religion glorifie plutôt les humbles
voués à la vie contemplative que les hommes d’action. Notre religion place le bonheur suprême
dans l’humilité, l’abjection et le mépris des choses humaines1 ». Cette critique sera à la base
de la conception marxienne de la religion. Rappelons que, évoquer les thèses marxiennes sur
la religion, nous pousse à nous intéresser aux avis de ces prédécesseurs sur la question, Hegel
et Feuerbach notamment.

Hegel analyse la question de la foi dans une perspective métaphysique, qui enferme Dieu dans
un système rationnel: seule la foi me donne la conscience de mon existence singulière et
concrète. Et, toute vérité objective et abstraite, a besoin d’un soubassement subjectif pour être
vraie pour moi. Ainsi, ces analyses sur la religion, sur le christianisme notamment, ont abouti
à l’idée que celle- ci, en tant que moment nécessaire du cheminement de la conscience à l’esprit
absolu est une condition de réalisation de la liberté. Hegel en vient même à considérer la
religion chrétienne comme la seule véritable religion, où Dieu trouve son existence dans la vie
réelle, à travers la figure du Christ qui est à la fois homme et Dieu. Ainsi, Hegel note ce qui

1
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite- Live, Il, p.2.

1
suit : « Le principe fondamental de la croyance chrétienne, est que Dieu lui-même est homme,
qu’il s’est fait chair2 ».

C’est justement contre cet idéalisme que s’insurge Feuerbach, en développant une critique
matérialiste du christianisme, et par extension, de toute religion qu’elle soit monothéiste ou
polythéiste. Son analyse aura à sa base : « le divin n’existe en dehors des hommes », pour
montrer en réalité que la religion est une projection imaginaire que l’homme fait de sa propre
espèce. On peut de ce fait convenir avec Feuerbach que tout Dieu est anthropomorphe, car c’est
l’homme qui l’a projeté à son image. De cette sorte, il note ce qui suit : « l’opposition du divin
et de l’humain est une opposition illusoire, elle n’est, autrement dit, rien d’autre que
l’opposition entre l’essence humaine et l’individu humain3 ». Ainsi, pour Feuerbach, l’homme
se pense lui-même, mais comme un être que lui. Le christianisme est donc aux yeux de
Feuerbach la plus aliénante et la dernière des religions.

Karl Marx s’inscrit dans cette perspective, et s’inspire fortement de la critique matérialiste
menée par Feuerbach, qu’il va ensuite dépasser. Si en effet chez Feuerbach, la religion se trouve
être un produit de la conscience humaine, cette dernière chez Marx, trouve ses fondements dans
les conditions matérielles et sociales de l’homme. Ainsi, pour mieux prendre en charge cette
problématique de la religion, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment
expliquer chez Marx que la religion exprime la réalité sociale ou qu’elle émane des conditions
de la vie sociale ? Quel rapport Marx établit-il entre la représentation spirituelle et les
conditions de la vie sociale ? La religion en tant qu’expression de la réalité sociale ne constitue-
t-elle pas cependant, une puissante arme de critique contre cette même réalité dont elle émane ?

I- La religion comme expression de la réalité sociale

La religion n’occupe pas une place centrale dans la pensée de Marx. En effet, contrairement à
Hegel, à Feuerbach et à plusieurs autres jeunes hégéliens, Marx n’a réservé à la question de la
religion aucun livre. Dans ses nombreux écrits, il n’en parle qu’en passant, donc de façon
épisodique. Mais cela ne signifie pas pour autant que la question de la religion est dépourvue
de tout sens. Au contraire, Marx va montrer que la religion a un fondement anthropologique
plutôt que divin. En ceci, il est disciple de Ludwig Feuerbach dont il fut l’auditeur et le lecteur
averti. C’est vrai de dire, que dans les analyses de Karl Marx, on note une forte influence des

2
Hegel, Esthétique, textes choisis par Claude Khodoss, PUF, p. 191.
3
Feuerbach, Essence du christianisme, trad. L. Althusser, in Manifestes philosophiques, PUF 1960, pp. 72-73.

2
thèses feuerbachiennes sur la religion. Par exemple, « C’est l’homme qui crée la religion et
non l’inverse4 ». Feuerbach fut donc le premier à analyser la religion comme une pure créativité
humaine. Et, Marx reprenant ce paradigme montre que dans le processus de création de Dieu,
c’est la conscience qui est le point de départ.

Certes, Feuerbach a eu à jouer un rôle fondamental parce que c’est à partir de lui qu’on a
découvert ou qu’on a compris l’essence du christianisme mais il n’est pas allé loin pour
comprendre que l’homme n’est pas que représentation spirituelle. L’homme c’est l’être social,
c’est la réalité sociale. Ainsi, Marx change de paradigme. Du paradigme feuerbachien, il passe
au paradigme matérialiste parce que comme le montre la Sixième thèse : « L’essence humaine
n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble
des rapports sociaux 5». L’essence qui est relationnelle ou dialectique ne peut être saisie que
dans la réalité sociale. C’est dans cette logique que la question de la religion sera abordée chez
Marx comme expression de la réalité sociale. Ainsi, là où la religion est un produit de la
conscience chez Feuerbach, elle est chez Marx, un produit social car elle trouve son origine
dans les conditions matérielles et sociales de l’homme.

La religion montre les manquements qui existent dans ce monde. C’est parce que l’homme
manque quelque chose qu’il est obligé de se projeter dans un Au-delà. Engels dira de la religion
qu’elle elle est « Le reflet des choses humaines dans le cerveau de l’homme6», « reflet [...] des
puissances extérieures qui dominent l’homme et qui prennent la forme de puissances
supraterrestres7». Ces puissances extérieures réelles, objectives, mais dont l’homme ne se fait
pas une représentation adéquate sont deux ordres : naturelles et sociales. La religion est le reflet
illusoire du monde naturel et social. Le reflet du monde naturel s’explique par l’impuissance
des hommes face aux forces naturelles, laquelle impuissance également s’explique par l’état
embryonnaire des forces productives. C’est le reflet du monde social ou matériel.

Du reste, il faut dire que si l’homme a inventé la religion c’est surtout pour disposer d’un
système de consolation, de refuge, de légitimation et de domination bâti sur l’illusion et

4
Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction, Paris, Éditions
sociales, 1975, pp. 197-198.
5
Idéologie Allemande, « Les thèses sur Feuerbach, VI », Introduction de Jacques Milhau, Paris, Éditions
sociales, 1972, p.29.
6
Engels, Dialectique de la nature, trad. E. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1952, p. 178.
7
Engels, Anti-Dühring, trad. E. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1973, p. 353.

3
l’imaginaire. Ici, la fonction de la religion va consister à expliquer l’état des choses telles
qu’elles sont, de donner raison à la misère du monde, et à la souffrance de l’homme. Ce que
nous pensons au fond est d’origine sociale. Le contenu de notre conscience est idéologiquement
déterminé. Ainsi, par exemple, dans une société marquée par l’inégalité, où également certains
sont riches et d’autres n’ont que leur force de travail pour survivre, la structure de base de la
société économique génère de la souffrance. De ce fait, la religion permet de rendre supportable
l’insupportable. Supporter la souffrance de ce bas monde pour un Au-delà meilleur. La religion
soulage et console les hommes.

Ainsi les hommes ont besoin de la religion pour échapper à la dure réalité. C’est donc le mal
de vivre qui a précipité les hommes vers Dieu. La religion a des vertus thérapeutiques. Et c’est
sans doute ce qui justifie ces propos de Marx : « La religion est l’opium du peuple8 ».
Comprendre cette citation revient à comprendre l’analogie que Marx établit entre la religion et
la drogue. En effet, pour lui, la religion a sur le croyant le même effet que la drogue a sur ses
inconditionnels. Elle crée une relation de dépendance, réconforte l’homme, lui donne courage,
lui fait oublier ses conditions de vie et le transporte dans un monde avec la promesse d’un
bonheur imaginaire.

Il reste vrai, que si l’homme projette son être réel dans des représentations spirituelles comme
la religion c’est parce qu’il ne réalise pas pleinement son être dans le monde vécu. C’est donc
dire que la création de la religion trouve sa légitimation dans les profondeurs de la détresse ou
de la misère absolue des hommes. Mais au fur et à mesure que s’agrandit le mal de vivre,
l’homme aussi oublie que la religion n’est pas une réalité autonome et finalement l’homme
s’incline et plie le genou devant le Dieu qu’il a lui-même créé par désolation. L’homme qui
essaie de créer Dieu se perd dans sa création. D’ailleurs, dans son Capital, Marx fait la
corrélation entre le fétichisme de la marchandise avec le monde religieux. En effet, dans le
domaine de la production, il arrive que le produit échappe à son producteur pour finalement
l’assujettir ou l’asservir. Dans cet ordre d’idées, Engels aussi souligne que la religion n’est que
l’ombre de la réalité sociale. Ce sont les réalités de la vie qui vont par la suite se présenter aux
hommes comme des forces surnaturelles qui s’autonomisent pour ensuite exercer une pression
sur eux. C’est pourquoi Marx et Engels pensent que pour lutter contre la religion, il faut
s’attaquer à sa racine : la réalité sociale. Cela suggère que la religion n’est pas éternelle. Et en
tant qu’elle n’a pas une existence autonome, elle peut et doit disparaître. Ainsi, l’homme qui

8
Karl Marx, op. cit. , pp.197-198.

4
n’aura découvert dans l’illusion religieuse, du ciel où il cherchait un Dieu quelconque que sa
nature dans ce qu’elle a de plus parfaite, n’inclinera plus à ne trouver que sa vraie réalité.

II- La religion comme critique de la réalité sociale.

Comme l’opium du peuple, la religion apaise et console de la tristesse, de l’angoisse,


bref de tous les maux liés à la vie de l’homme. La religion serait en ce sens une compensation
illusoire qui aide à surmonter facilement les difficultés de notre existence. Le discours religieux
donne en même temps l’illusion qu’il existe un paradis après la mort et légitime la souffrance
par la promesse du salut. Ainsi, l’homme ne cherche plus le bonheur sur terre car il est dans
l’attente d’un bonheur après la mort. Par voie de conséquence, en proposant aux hommes une
vie post mondaine, la religion détourne les hommes de ce qui doit constituer pour eux le but
ultime de leur existence : la quête de la liberté ou de l’autonomie humaine. Mais si la religion
est comparée à de l’opium, cela ne peut signifier que le bonheur qu’elle procure n’est pas
éternelle. C’est donc dire que le bonheur religieux est un bonheur différé. Il urge dès lors
d’abolir la religion afin que l’homme pense, façonne sa vraie réalité.

Abolir la religion pour Marx serait s’attaquer au bonheur illusoire et mettre un terme
au besoin de religion pour construire un bonheur réel. C’est ce que Marx veut expliquer dans
la Critique de la philosophie du droit Hégélien:

« La preuve évidente du radicalisme de la théorie allemande, donc de son


énergie pratique, est qu’elle a pour point de départ l’abolition résolue et positive de la
religion. La critique de la religion aboutit à cet enseignement que l’homme est pour
l’homme l’être suprême, c’est-à-dire à l’impératif catégorique de renverser tous les
rapports qui font de l’homme un être humilié, asservi, abandonné, méprisable […] »9

Par ailleurs, ce qui fait l’originalité de la critique marxienne de la religion, c’est qu’elle
montre d’une part que l’homme qui crée la religion n’est pas une pure abstraction c’est-à-dire,
« une réalité blottie quelque part hors du monde10 ». D’autre part, elle montre que la religion
n’est que le reflet de la société puisque la conscience qui produit la religion est un produit de
cette même réalité sociale. C’est dans cette perspective que Marx affirme dans ce magnifique
texte de la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel : « Mais l’homme, ce

9
Ibid.., p 205.
10
Ibid., pp. 197-198.

5
n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde
de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société, produisent la religion, conscience
inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers.»11 Ces propos de Marx
montrent que la fausseté de la religion s’explique par la fausseté de la société. En ce sens on
peut comprendre aussi que la conscience qui produit la religion est en même temps un produit
de la réalité sociale. Autrement dit, ce sont les conditions d’existence sociales qui déterminent
la conscience et non l’inverse. Pour mettre un terme à la misère de l’homme, il faut lutter contre
la religion et humaniser les conditions sociales. La religion étant le reflet du monde social, si
on veut la supprimer, on s’attaque à la réalité qui est à l’origine de la représentation spirituelle.
C’est toujours différent de ce que prône Feuerbach qui veut que l’homme devienne le nouveau
Dieu. Or, pour Marx, il ne s’agit pas de diviniser qui que ce soit. Mais il s’agit d’humaniser les
conditions matérielles et sociales d’existence. L’un veut faire de telle sorte que l’homme
récupère toutes les qualités qu’il a mises au divin et devient le nouveau Dieu. L’autre dit non,
parce que cet homme-là qu’on essaie de diviniser va s’autonomiser à nouveau et nous nous
retrouverons encore dans ce même processus d’aliénation. La grosse faute de Feuerbach c’est
que pour lui, il suffit juste de changer les représentations spirituelles pour que l’homme ne
pense plus à la religion. Marx dit non, puisque ce sont les conditions matérielles et sociales
d’existence qui sont à l’origine des représentations spirituelles, pour alors abolir la religion, il
faut s’attaquer à ces conditions. Car, il y’a une concomitance entre la réalité sociale et la
représentation spirituelle.

Ainsi, changer les conditions matérielles et sociales d’existence revient à changer les
représentations spirituelles. C’est comme qui dirait que si le monde change, la pensée change
en même temps. Critiquer la religion ce n’est donc pas critiquer la conscience mais les
conditions dans lesquelles les hommes sont entrain de vivre. Ainsi, il n’y a pas d’autonomie de
la conscience. Toute conscience émane d’une réalité sociale. La conscience est toujours
déterminée par la réalité sociale. Il faut enfin de compte établir le rapport entre représentation
spirituelle et conditions sociales et faire de sorte que, les conditions sociales déterminent la
représentation spirituelle.

Marx ne fait que déplacer la critique de son milieu initial de déploiement vers la sphère
socio-politique des hommes. Une telle démarcation s’explique du fait de son insatisfaction des
critiques précédentes. Cela montre que la critique marxienne est aux antipodes de la

11
Ibid. P.197.

6
philosophie spéculative et invite les hommes à prendre conscience de la réalité sociale et
politique gouvernée par les représentations abstraites. Il est grand temps maintenant que la
critique explore d’autres horizons, un monde nouveau. Dans ce cas, il s’agira selon l’expression
de Calvez d’interpeller « Ses contemporains à quitter le royaume de la nouvelle illusion
métaphysique, le monde des diverses aliénations qui empêchent l’homme de se trouver lui-
même. » 12

Par conséquent, si on parvient à comprendre cette dimension sociologique de la


religion chez Marx, on comprendra alors plus aisément pourquoi la critique de la religion doit
devenir la critique de la terre et de la politique mais aussi pourquoi la critique de la politique
doit devenir la critique de l’économie. Marx tente de mettre en évidence les similitudes qui
existent entre la critique de la religion et la critique de la politique car aussi bien dans la religion
que dans la politique, il s’agit de démasquer les fausses représentations que les hommes se font
d’eux-mêmes. Il s’agit en d’autres termes dans ces deux cas de figures, de dévoiler les illusions
que les hommes se font de leur propre être. Cela montre sans équivoque que le modèle religieux
est le modèle par excellence pour comprendre les autres formes d’auto-aliénations. Ce qui
équivaudrait à dire qu’on doit s’inspirer du modèle religieux pour aller progressivement vers
d’autres critiques sociales plus profondes. C’est ce que Marx tente de démontrer dans la
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel :

C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité,


d’établir la vérité de ce monde ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui
est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de
l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non-sacrées. La critique du
ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du
droit, la critique de la théologie en critique de la politique. 13

Ici, la critique de la religion se présente comme le point de départ de la critique dans


son ensemble. Donc, comprendre la critique de la religion c’est facilement entrer dans d’autres
critiques beaucoup plus fondamentales. Le modèle religieux est donc le modèle par excellence
pour comprendre les autres illusions. C’est donc la tâche de la philosophie qui est au service
de l’histoire. Une fois la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde
ci. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en

12
Jean-Yves Calvez, La pensée de Karl Marx, Paris, Seuil, 1958.p.25.
13
Karl Marx, op.cit. pp.197-198.

7
critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. Cependant, il reste vrai
que la critique de la religion n’est pas la critique de la conscience mais la critique des conditions
matérielles et sociales d’existence.

CONCLUSION

Que peut-on alors retenir de cette étude entre marxisme et religion ? Au sortir de cette analyse,
nous en tirons un double éclairage.

-D’abord faut-il noter que la religion, contrairement à ce que nous pensons, n’est pas chez Marx
une entité autonome : elle est le reflet ou un produit ou encore l’expression de la réalité sociale :
voici d’une part le positionnement de Marx à l’égard de la question religieuse. Marx considère
bien en effet, comme Feuerbach, que la religion a une essence anthropologique c’est-à-dire
c’est l’homme qui crée Dieu et non l’inverse. Mais encore faut-il souligner que Marx se
démarque de Feuerbach dans le sens où il pose la religion comme la résultante de la détresse
sociale.

-D’autre part, Marx montre que si l’on veut abolir la religion qui aliène les hommes, empêche
l’épanouissement des libertés individuelles, il faudra remonter à la source : la réalité sociale.
En effet, si l’homme, dans la société, vit une situation difficile qui a besoin d’illusion alors
enrayer la religion revient tout simplement à changer qualitativement les conditions de vie qui
poussent l’homme à se projeter dans un Au-delà dans le dessein de se réaliser pleinement ou
de vivre un bonheur illusoire. C’est dire que la transformation de la société entraine
immanquablement la transformation des représentations, des idées de la conscience. En
résumé, critiquer la religion c’est critiquer la réalité sociale qui l’a produit. Et cette critique de
la religion est cruciale en ce sens qu’elle permet de saisir d’une seule haleine les autres formes
d’inversion de la réalité. On épuisera notre investigation en apportant quelques précisions sur
ses deux points.

De vrai, c’est par la conscience que l’homme essaie de connaître le Genre et en voulant
connaître ce dernier, il se dédouble, c’est-à-dire il crée un autre être. Cette autre entité c’est
l’homme tel qu’il voudrait être. Mais malheureusement au fur du temps, plus qu’on progresse,
plus que l’homme oublie que ce Dieu c’est lui-même dans sa perfection totale et il finit par
s’incliner. L’homme qui essaie de créer Dieu se perd dans sa création. C’est donc dire que cet
objet qui est originaire de sa conscience a fini par lui échapper. Ainsi, l’homme qui aura
8
découvert dans l’illusion religieuse, du ciel où il cherchait un Dieu quelconque que sa nature
dans ce qu’elle a de plus parfaite, n’inclinera plus à ne trouver que sa vraie réalité.

Désormais, l’homme se comprend dans son nouveau rapport à Dieu comme créateur et non
comme créé. L’anthropologie devient alors le mystère de la théologie. Donc à partir du moment
où on comprend que dans la religion, que Dieu est rempli des désirs les plus fondamentalement
humains, on aura plus besoin de s’incliner devant Lui parce qu’on comprend que ce Dieu en
réalité c’est l’homme lui-même dans sa perfection. Au lieu maintenant de s’incliner devant ce
Dieu, il faut faire un processus de recours à l’envers, c’est-à-dire il faut attaquer la racine du
mal : la réalité sociale.

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