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'

KALLISTOS WARE
évêque de Diokleia

L'Orthodoxie
/

L'Eglise des sept Conciles

3e édition revue et corrigée


Traduction par Françoise Lhoest

LES ÉDITIONS DU CERF LE SEL DE LA TERRE


www.editionsducer(fr www.top.ca/users/thabor/
seldelaterre/ seldelaterre.htm
PARIS PULLY
2002
DANS LA MÊME COLLECTION

De vie et d,esprit, Archimandrite Sophrony, 1992.


Le Royaume intérieur, Kallistos Ware, 1993.
Béatitudes, Jean de Valaam, 1994.
Le Sacrement du frère, Mère Marie Skobtsov, 1995 et 2001.
Le christianisme ne fait que commencer, Alexandre Men, 1996.
Et si je disais les chemins de l'enfance, Georges Khodr, 1997.
Au cœur de la fournaise, Un moine de l'Église d'Orient, 1998.
La Prière, expérience de l'éternité, Archimandrite Sophrony, 1998.
Témoins de la Lumière. Six prêtres de l'époque soviétique, Irène Semenoff-
Tian-Chansky, 1999.
La Compassion du Père, Boris Bobrinskoy, 2000.
Jean de Cronstadt. Médiateur entre Dieu et les hommes, Alla Selawry, 2001.
L'Appel de !'Esprit. Église et société, Georges Khodr, 2001.
Voyages à travers la souffrance. Autobiographie d,un archevêque-chiru1lJien
pendant la grande persécution soviétique, Mgr Luc de Simféropol, 2001.
Père Arsène, passeur de la foi, consolateur des âmes, 2002.

DANGER Tous droits réservés. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies
ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute

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représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par
quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur
et de l'éditeur, est illicite et constitue une contrefàçon sanc-
tionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Timothy Ware, 1963


Publié pour la première fois au Royaume-Uni par Penguin Books Ltd en 1963,
sous le titre : The Orthodox Church
Les droits moraux de l'auteur ont été respectés

© pour la traduction française Les Éditions du Cerfet le sel de la terre, 2002


(29, boulevard La Tour-Maubourg- 75340 Paris Cedex 07)

ISBN (Cerf) 2-204-07102-1


ISBN (le sel de la terre) 2-940042-26-8
Table des matières

Introductio n ................................................................... 7

Première partie : L'histoire.......................................... 17


1. Les débuts ........................................................ 19 ·
2. Byzance, I. L'Église de sept Conciles ............. 27
3. Byzance, II. Le grand schisme ........................ 59
4. La conversion des Slaves ................................ 97
5. L'Église sous l'islam ....................................... 115
6. Moscou et Saint-Pétersbourg ......................... 133
7. Le x:xe siècle I : Grecs et Arabes ................... 163
8. Le x:xe siècle II : L'Orthodoxie
et l'athéisme militant.. .................................... 187
9. Le x:xe siècle III: Diaspora et mission .......... 223

Deuxième partie : Foi et rituel ................................. 249


10. La tradition: source de la foi orthodoxe ... 251
11. Dieu et l'homme .......................................... 269
12. L'Église de Dieu ........................................... 309
13. Rituel orthodoxe I: Un paradis terrestre ... 341
14. Rituel orthodoxe II : Les sacrements .......... 355
15. Rituel orthodoxe III: Fêtes,
jeûnes et prières .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... 385
16. L'Église orthodoxe
et la réunion des chrétiens .. .. ... .. ... .. .. .. .. .. .. . 397

Lecture conseillée .. ... .. ... ... .. .. .. .. ... .. .. .. ... .. ... .. .. ... . 425
Index ................................................................... 451
Errata .................................................................. 467
.'

Introduction

Gens obscurs, nous pourtant st connus.


2 Corinthiens 6, 9

En 1846, le théologien russe Alexis Khomiakov


écrivait à un de ses amis anglais : « Tous les protes-
tants sont des crypto-papistes ... Pour employer le
langage concis de l'algèbre, l'Occident ne connaît
que le donné A: qu'il soit précédé du signe "plus",
comme chez les catholiques romains, ou du signe
"moins", comme chez les protestants, le A reste le
même. Actuellement, tout passage à l'orthodoxie
semble un acte d'apostasie vis-à-vis du passé, de sa
science, de ses croyances et de sa vie; passer à l'or-
thodoxie, c'est se précipiter dans un monde nouveau
et inconnu 1 •.
Lorsque Khomiakov parle du donné A, il pense à
tout ce que les chrétiens occidentaux, qu'ils soient
protestants, anglicans ou catholiques romains, ont en
commun. Tous (bien qu'ils ne désirent pas toujours le
reconnaître) ont été profondément influencés par les
mêmes événements: la centralisation de la papauté et
la scolastique du Moyen Age, la Renaissance, la
Réforme et la Contre-Réforme. Le passé des membres
de l'Église orthodoxe, qu'ils soient Grecs, Russes ou

1. Extrait d'une lettre, citée dans: W.-J. Birkbeck, Russta and


the Engltsb Cburcb, p. 67.
8 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

autres, est tout à fait différent. Ils n'ont pas connu de


Moyen Age (au sens occidental du terme) et n'ont
subi ni Réforme ni Contre-Réforme; ce n'est qu'indi-
rectement qu'ils ont été affectés par les soulèvements
religieux et culturels qui au XVIe et au XVIIe siècle ont
transformé l'Europe occidentale. Les Chrétiens
d'Occident, qu'ils soient catholiques ou réformés,
commencent en général par poser les mêmes ques-
tions ; le désaccord vient avec les réponses. Pour les
orthodoxes, non seulement les réponses sont diffé-
rentes, mais les questions ne sont pas celles que pose
l'Occident.
L'Orthodoxie a une autre perspective de l'histoire et
son attitude est notamment très caractéristique en ce
qui concerne les controverses religieuses de
l'Occident. Du point de vue occidental, un catholique
romain et un protestant sont deux extrêmes ; du point
de vue oriental, ils sont semblables aux deux faces
d'une même pièce de monnaie. Khomiakov appelle le
pape « le premier protestant •, « le père du rationalisme
allemand», et il eût peut-être pris un adepte de la
« science chrétienne • pour un catholique romain légè-
rement excentrique2. « Comment pourrions-nous
arrêter les effets pernicieux du protestantisme dans
notre Église?•, lui demandait un anglican attiré vers la
catholicisme, lors d'une visite à Oxford en 1847:
« Débarrassez-vous de votre catholicisme romain •,
avait-il répondu. Pour le théologien russe en effet, les
deux dénominations allaient de pair. Le protestan-
tisme existe en fonction de Rome.
Khomiakov a raison de parler de l'orthodoxie
comme d'• un monde nouveau et inconnu •, car l'or-
thodoxie n'est pas une sorte de catholicisme romain
simplement dépourvu de pape, mais elle est très diffé-
rente des systèmes religieux occidentaux. Cependant,

2. Cf : P. Hammond, Tbe Waters of Marab, p. 10.


.'

Introduction 9

ceux qui voudront pénétrer plus avant dans ce


• monde inconnu • y trouveront beaucoup de choses
étrangement familières quoique différentes. • Mais
c'est ce que j'ai toujours cru •, disent fréquemment
ceux qui découvrent l'orthodoxie. Cette réaction est
amplement justifiée, car malgré neuf cents ans et plus
de développement séparé, chacun suivant sa voie, les
racines sont communes et remontent aux premiers
temps du Christianisme. Athanase et Basile, tout en
ayant vécu en Orient, appartiennent aussi à
l'Occident, et les orthodoxes qui habitent en France,
en Angleterre, en Irlande peuvent considérer les saints
nationaux de ces pays, Alban et Patrice, Cuthbert et
Bède, Geneviève de Paris et Augustin de Cantorbéry,
Martin de Tours et Hilaire de Poitiers, non comme des
étrangers, mais bien comme des membres de leur
propre Église. Il fut un temps où toute l'Europe faisait
partie de l'Église orthodoxe, tout autant que de nos
jours la Grèce et la Russie.
En 1846, lorsque Khomiakov écrivait à ses amis
anglais, les contacts personnels entre orthodoxes et
anglicans étaient encore très rares. Robert Curzon
déjà, vers 1830, lors d'un séjour au Moyen-Orient où il
cherchait à acheter à bon marché des manuscrits, fut
bien surpris le jour où il s'aperçut que le patriarche de
Constantinople n'avait jamais entendu parler de l'ar-
chevêque de Cantorbéry ! Depuis lors, les choses ont
changé, les facilités de voyage ont supprimé les
distances. Il n'est même plus nécessaire de voyager
pour connaître !'Orthodoxie de visu : des Grecs,
poussés par des raisons économiques ou par un choix
personnel, et des Slaves, sous la pression des persécu-
tions, ont apporté avec eux en Occident la présence
de leur Église, créant des diocèses, des paroisses, des
séminaires et des monastères en Europe, en Amérique
et en Australie. D'autre part, la pression œcuménique
de notre époque, en vue de réaliser l'unité réelle des
10 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

chrétiens, a attiré l'attention en particulier sur l'Église


orthodoxe. La diaspora grecque et russe s'est
répandue dans le monde au moment même où les
chrétiens occidentaux, dans une volonté d'union,
devenaient conscients de l'importance de l'orthodoxie
et désiraient la connaître plus en profondeur. Dans
bien des discussions œcuméniques, l'apport de
l'Église orthodoxe a été une surprise et une illumina-
tion. Précisément à cause de leurs différences cultu-
relles, les orthodoxes ont souvent apporté des vues
nouvelles, et suggéré des solutions longtemps
oubliées à de vieilles difficultés.
L'Occident n'a jamais manqué de personnalités
pour qui le christianisme n'était pas limité à
Cantorbéry, Genève ou Rome ; cependant si ces voix
dans le passé étaient semblables à des voix criant
dans le désert, les choses ont changé ; les effets d'un
estrangement qui a duré plus de neuf siècles ne
peuvent s'effacer rapidement, mais du moins des
ponts ont-ils été jetés.
Qu'entend-on par« Église orthodoxe»? -Les divi-
sions qui ont amené la fragmentation actuelle de la
chrétienté ont eu lieu en trois grandes phases,
chacune à peu près à 500 ans d'intervalle. La première
étape vers la séparation se passe au ve et au vie siècles,
quand ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom
d'Églises orientales orthodoxes furent séparés du
corps principal de la Chrétienté. Ces Églises se divi-
sent en deux groupes: l'Église d'Orient (essentielle-
ment dans les frontières de l'Iran et de l'Iraq actuels,
et qu'on appelle parfois nestoriens, assyriens, chal-
déens ou Syriens orientaux), et les cinq Églises non-
cbalcédoniennes (fréquemment appelées monophy-
sites) : l'Église syrienne d'Antioche (appelée Église
jacobite), l'Église syrienne de l'Inde, l'Église copte en
Égypte, l'Église arménienne et l'Église éthiopienne.
L'Église d'Orient aujourd'hui ne compte pas plus de
.'
Introduction 11

550 000 membres, bien qu'elle ait été jadis nettement


plus grande ; les non-chalcédoniens sont environ
27 millions. Ces deux groupes sont souvent qualifiés
de • Petites • Églises orientales, ou Églises orientales
• séparées •, mais il serait préférable d'éviter de
pareilles dénominations qui impliquent un jugement
de valeur.
Le présent ouvrage, qui ne prétend pas couvrir
l'Orient chrétien dans toute sa complexité, ne traite
pas directement de ces « orthodoxes orientaux •,
même si nous nous y référerons de temps à autre.
Notre propos sera ces chrétiens que l'on qualifie non
pas d'orthodoxes orientaux mais simplement d' ortho-
doxes, c'est-à-dire ceux qui sont en communion avec
le Patriarcat Œcuménique de Constantinople (et ainsi,
lorsque nous nous référons à l'Église orthodoxe, il
ne faut pas entendre orthodoxe orientale). Fort
heureusement, actuellement on espère assister à une
réconciliation pleine et entière entre ces deux
familles de Chrétiens, les orthodoxes et les ortho-
doxes orientaux.
Du fait de cette première division, les orthodoxes
ont été réduits en Orient principalement au monde
hellénophone. Puis vint la deuxième séparation, que
l'on date conventionnellement de 1054. Le corps
central de la Chrétienté se divisa alors en deux
communions : en Europe occidentale le monde catho-
lique romain sous le pape (de Rome) ; l'Église ortho-
doxe dans l'empire byzantin. L'Église orthodoxe fut
alors limitée également du côté de l'Occident.
La troisième séparation entre Rome et les réforma-
teurs, au seizième siècle, ne nous concerne pas ici
directement.
On note avec intérêt combien les divisions cultu-
relles et ecclésiales tendent à coïncider. Le Chris-
tianisme, bien qu'universel dans sa mission, tend à
être associé en pratique avec trois cultures : sémitique,
12 L'Orlhodoxie, l'Église des sept Conciles

grecque et latine. Du fait de la première séparation,


les Chrétiens sémites de Syrie, avec leur florissante
école de théologiens et d'écrivains, furent coupés du
reste de la chrétienté. Puis advint la deuxième sépara-
tion qui creusa un fossé entre les traditions grecque et
latine du christianisme. C'est ainsi que dans l'Eglise
orthodoxe, l'influence de la Grèce est prédominante.
Mais il ne faudrait pas penser que l'Église orthodoxe
est uniquement une Église grecque et rien d'autre, car
les Pères syriaques et latins ont aussi une place dans
la plénitude de la tradition orthodoxe.
Tandis que l'Église orthodoxe était limitée d'abord à
l'est et ensuite à l'ouest, elle s'étendit vers le nord. En
863, les saints Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves,
firent un voyage vers le Nord pour entreprendre un
travail missionnaire au-delà des frontières de l'Empire
byzantin, et leurs efforts finirent par aboutir à la
conversion des Bulgares, des Serbes et des Russes.
Avec l'affaiblissement du pouvoir byzantin, ces
nouvelles Églises du nord s'accrurent en importance,
et lorsque Constantinople tomba aux mains des Turcs
en 1453, la Principauté de Moscou était prête à
prendre la place de Byzance en tant que protecteur
du monde orthodoxe. Depuis deux siècles, on a
assisté à un revirement partiel dans cette situation.
Bien que Constantinople, elle-même aux mains des
Turcs, ne soit qu'un pâle reflet de sa splendeur
passée, les chrétiens orthodoxes en Grèce ont
commencé à yecouvrer leur indépendance en 1821;
d'autre part l'Eglise russe a, ce siècle présent, souffert
soixante-dix ans sous la domination d'un régime
agressivement anti-chrétien.
Telles sont les étapes principales qui ont déterminé
le développement extérieur de l'Église orthodoxe.
Géographiquement, sa principale ère d'extension est
en Europe de l'Est, en Russie, et le long des côtes de
la Méditerranée. Elle est composée actuellement des
!

Introduction

Églises3 suivantes, dites "autocéphales •, parce


qu'elles se gouvernent entièrement par elles-mêmes:

1. Les quatre anciens patriarcats :


Constantinople (6 millions de fidèles)
Alexandrie (350 000)
Antioche (750 000)
Jérusalem (60 000)
Bien que fort réduites en taille, ces quatre Églises,
pour des raisons historiques, occupent une place
particulière dans l'Église orthodoxe et ont une
primauté d'honneur. Les chefs de ces quatre Églises
portent le titre de patriarche.

2. Neuf autres Églises autocéphales :


Russie (entre 100 et 150 millions)
Serbie (8 millions)
Roumanie (23 millions)
Bulgarie (8 millions)
Géorgie (5 millions)
Chypre (450 000)
Grèce (9 millions)
Pologne (750 000)
Albanie (160 000).
A l'exception de la Pologne et de l'Albanie, ce sont
des pays dont la population est entièrement ou en
grande majorité orthodoxe. Les Églises de Grèce et de
Chypre sont grecques, celles de Russie, de Serbie, de
Bulgarie et de Pologne sont slaves. Les chefs des
Églises de Russie, de Roumanie, de Serbie et de
Bulgarie portent le titre de Patriarche, le chef de

3. Après chaque Église, on donn~ une estimation de sa taille.


Comme toutes les statistiques sur l'Eglise, celles-ci devraient être
considérées avec précaution et ne sont ici que comme des ordres
de grandeur relative. Pour la plus grande part, ces chiffres font
référence à un nombre de baptisés plutôt qu'à des pratiquants
actifs.
14 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

l'Église de Géorgie porte le titre de Catholicos-


Patriarche, les chefs des autres Églises sont soit des
archevêques, soit des métropolttes.

3. De plus il y a plusieurs Églises dites autonomes,


et non autocéphales, parce qu'elles ne sont pas entiè-
rement indépendantes, bien qu'elles se gouvernent
elles-mêmes sur bien des points.
République Tchèque et Slovaquie (55 000)4
Sinaï (neuf cents)
Finlande (56 000)
Japon (25 000)
Chine (? 10 000-20 000)

4. Il y a enfin une grande diaspora orthodoxe en


Europe occidentale, en Amérique du Nord et du Sud,
et en Australie. La plupart de ces Orthodoxes qui ont
été dispersés à l'étranger dépendent juridictionnelle-
ment de l'un des patriarcats ou Églises autocéphales,
mais, dans certaines régions, on enregistre une
tendance à l'autonomie de l'Église locale. En particu-
lier, des démarches ont été entreprises pour former
une Église autocéphale orthodoxe en Amérique
(environ un million de fidèles), mais ceci n'a pas
encore été officiellement reconnu par la majorité des
autres Églises orthodoxes.
L'Église orthodoxe est donc une famille d'Églises se
gouvernant elles-mêmes. Elle doit son unité non pas à
une centralisation organisée, non pas à l'autorité d'un
prélat qui aurait sur l'ensemble un pouvoir absolu,
mais au double lien d'unité dans la foi et de commu-
nion dans les sacrements. Chaque patriarcat ou Église
autocéphale, tout en étant indépendante, est en
accord absolu avec les autres sur toutes les questions

4. Certaines Églises orthodoxes la considèrent comme autocé-


phale.
!

Introduction 15

de doctrine et, en principe, en pleine communion


sacramentelle (il y a en fait certaines ruptures dans la
communion, spécialement chez les orthodoxes russes
et ukrainiens, mais cette situation est exceptionnelle
et, espérons-le, temporaire). Il n'existe pas dans
l'Église orthodoxe de siège équivalant à celui de pape
dans l'Église catholique romaine. Le patriarche de
Constantinople est connu sous le titre de patriarche
œcuménique (ou universel) et, depuis le grand
schisme, il occupe une place d'honneur parmi les
communautés orthodoxes, mais sans que cela lui
donne le droit d'intervenir dans les affaires intérieures
des autres Églises. Sa position rappelle celle de l'ar-
chevêque de Cantorbéry au sein de la communion
anglicane dans le monde.
Ce système de décentralisation en Églises locales
indépendantes a le grand avantage d'être extrême-
ment souple et de s'adapter facilement aux circons-
tances : des Églises locales peuvent être créées,
supprimées et rétablies à nouveau sans affecter la vie
générale de l'Église. Beaucoup de ces Églises locales
sont aussi nationales, l'Église et l'État ayant été en
général, en pays orthodoxes, étroitement liés. Mais
alors qu'un État possède souvent sa propre Église
autocéphale, les administrations ecclésiastiques ne
coïncident pas nécessairement avec les frontières des
États. Les territoires des quatre anciens patriarcats ont
été divisés en différents pays. L'Église orthodoxe est
donc une fédération d'Églises locales mais pas néces-
sairement nationales: elle n'a pas pour base le prin-
cipe politique d'une Église d'État.
Il y a parmi toutes ces Églises de grandes diffé-
rences de taille, depuis celle de Russie jusqu'à celle du
Sinaï. Et leur âge aussi varie : quelques-unes datent
des temps apostoliques alors gue d'autres ont à peine
plus d'une génération ; l'Eglise d'Albanie, par
exemple, n'est devenue autocéphale qu'en 1937.
16 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

L'Église orthodoxe revendique d'être une Église


universelle, non pas exotique ou orientale, mais
simplement chrétienne. La faiblesse humaine et le
cours de l'histoire ont restreint l'Église orthodoxe à
certaines limites géographiques. Les orthodoxes
considèrent néanmoins gue leur Église est davantage
qu'un simple groupe d'Eglises locales: le mot ortho-
doxie signifie « vraie foi » et « vraie gloire » (ou « vrai
culte ») : c'est pourquoi - même si au premier abord
on peut s'en étonner - ils croient que leur Église est
dépositaire de la vraie foi, qui glorifie Dieu comme Il
doit l'être, et la considèrent comme l'Église du Christ
sur la terre.
Le but de ce livre est en partie d'examiner comment
s'exprime ce postulat et quelle est l'attitude des
Orthodoxes vis-à-vis de ceux qui n'appartiennent pas
à leur Église.
I
L'Histoire
\
\
\

• Saint-Pétersbourg
eNovgorod

• Moscou

ÉGLISE DE RUSSIE

•Kiev

--- --- - - ~

J\ntioche
PATRIARCAT
Damas D'ANTIOCHE
,,
\

PATRIARCAT
PATRIARCAT \ DE Jl:RUSALEM
\
D'ALEXANDRIE
!

1
Les débuts

• Il y a dans le village une chapelle creusée sous la


terre, l'entrée en est soigneusement cachée. Quand un
prêtre visite secrètement le village, c'est là qu'il célèbre
la Liturgie et les autres offices. Lorsque les villageois se
croient à l'abri de la police, la population tout entière
se réunit dans la chapelle, à l'exception de gardiens,
qui guettent l'arrivée toujours possible d'un étranger.
D'autres fois c'est à tour de rôle que les membres de la
communauté prennent part aux offices•.
• On célébrait le service de Pâques dans un appar-
tement attaché à une institution d'État. L'entrée n'était
possible qu'avec un laissez-passer que j'avais pu
obtenir pour moi et pour ma petite fille. Il y avait là
une trentaine de personnes et j'en connaissais
quelques-unes. Un vieux prêtre célébrait cet office
que je n'oublierai jamais. Nous chantions à voix basse,
mais avec une joie profonde : "Christ est ressuscité" ...
Cette joie que j'ai ressentie pendant ce service, dans
l'Église des Catacombes, me donne la force de vivre,
encore aujourd'hui. •
Ces deux récits 1 témoignent de la vie religieuse en
Russie peu avant la deuxième guerre mondiale. Mais à
1. Extraits du périodique Ortbodox Life(Jordanville N.Y.), 1959,
n° 4, p. 30-31.
20 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

quelques détails près, ils pourraient passer pour des


textes concernant des célébrations chrétiennes à
l'époque de Néron ou de Dioclétien. Ils montrent
comment, au cours de dix-neuf siècles, l'histoire de la
chrétienté a réalisé un cycle complet. Les Chrétiens
d'aujourd'hui sont en effet bien plus proches de
l'Église primitive que ne l'étaient ceux de la généra-
tion de leurs grands-parents. Le Christianisme a
commencé par être une petite minorité existant dans
un environnement hostile. Il l'est redevenu. L'Église
chrétienne des premiers temps était nettement
distincte et séparée de l'État ; c'est une situation à
laquelle on revient, car on voit maintenant prendre
fin, dans beaucoup de pays, une alliance qui était
devenue peu à peu traditionnelle entre l'Église et
l'État. Le Christianisme à ses débuts était une religio
illicita, religion interdite et persécutée par le gouver-
nement ; cette persécution est redevenue actuelle et il
est bien possible que durant trente années, entre 1918
et 1948, plus de Chrétiens soient morts pour leur foi
que pendant les trois cents ans qui ont suivi la
Crucifixion.
Les membres de l'Église orthodoxe sont particuliè-
rement conscients de cet état de choses, la grande
majorité d'entre eux ayant vécu jusque très récem-
ment dans des pays communistes, sous des gouverne-
ments anti-chrétiens. Ce qui s'est passé dans la
première période du Christianisme, celle qui s'étend
de la Pentecôte à la conversion de Constantin, est très
semblable à ce qui se passe aujourd'hui dans le
monde orthodoxe.

• Tout à coup vint du ciel un bruit tel que celui d'un


violent coup de vent, qui remplit toute la maison où
ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on
eût dites de feu, elles se divisaient et il s'en posa une
sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l'Esprit
.'
Les débuts 21

Saint » (Actes 2, 2-4). L'histoire de l'Église chrétienne


commence par la descente de l'Esprit Saint sur les
apôtres, réunis à Jérusalem pour la fête de la
Pentecôte. Ce même jour, grâce à la parole prêchée
par l'apôtre Pierre, hommes et femmes, au nombre de
trois mille, reçurent le baptême, et la première
communauté chrétienne fut instituée.
Bientôt les membres de l'Église de Jérusalem furent
dispersés par les persécutions qui suivirent la lapida-
tion de saint Étienne. Christ avait dit: « Allez donc, de
toutes les nations faites des disciples • (Matthieu
28, 19). Obéissant à ce commandement, ils prêchèrent
partout où ils allaient, d'abord aux Juifs, mais bientôt
aussi aux Gentils. Une partie de ces voyages aposto-
liques est rapportée par saint Luc dans le livre des
Actes, une autre partie nous a été transmise par la
tradition de l'Église. Très rapidement, de nombreuses
communautés chrétiennes s'établirent dans tous les
centres de l'Empire romain et même au-delà de ses
frontières.
L'Empire où voyageaient ces premiers missionnaires
chrétiens était, surtout en Orient, un empire de
grandes cités, et cela détermina la structure administra-
tive de l'Église primitive. Il y eut bientôt dans chaque
ville une communauté de base, gouvernée par un
évêque, lui-même assisté de prêtres et de diacres, et la
campagne environnante dépendait de l'église de la
ville. Ce type d'organisation en un triple ministère
d'évêques, de prêtres et de diacres était déjà établi à
certains endroits vers la fin du l" siècle ; il en est fait
mention dans les sept courtes lettres écrites vers
l'an 107 par saint Ignace, évêque d'Antioche, alors qu'il
se rendait à Rome où il devait être martyrisé. Saint
Ignace insistait particulièrement sur deux choses : le
rôle de l'évêque et l'eucharistie. Il considérait l'Église
comme tout à la fois hiérarchique et sacramentelle.
« Dans chaque Église, écrivait-il, l'évêque préside à la
22 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

place de Dieu. • « Que personne ne s'avise de faire


quoi que ce soit dans l'Église sans le consentement de
l'évêque ... Là où est l'évêque, que là soit la commu-
nauté, de même que là où se trouve Jésus-Christ, là
aussi se trouve l'Église catholique. • La première et la
plus importante fonction de l'évêque est la célébration
eucharistique, ce« remède d'immortalité2 •.
On a tendance, aujourd'hui, à considérer l'Église
comme une organisation mondiale, englobant toutes
les communautés locales, mais tel n'est pas le point de
vue de saint Ignac~ d'Antioche; pour lui, la commu-
nauté locale est l'Eglise. C'est en termes de société
eucharistique qu'il définit l'Église, qui exprime sa véri-
table nature dans la célébration de la Cène, lorsqu'elle
reçoit, dans les Saints Dons, le Corps et le Sang du
Seigneur. Mais !'Eucharistie est un événement qui ne
peut être que local : dans chaque petite communauté
rassemblée autour de son évêque ; et à chaque célé-
bration de !'Eucharistie, le Christ est tout entier
présent. Ainsi chaque communauté qui célèbre
l'Eucharistie dans la liturgie du dimanche et des fêtes
est elle-même l'Église dans sa plénitude.
L'enseignement de saint Ignace demeure actuel dans
la tradition orthodoxe qui considère l'Église comme
une société eucharistique, dont l'organisation exté-
rieure, tout en étant nécessaire, est cependant secon-
daire à la vie sacramentelle. Les communautés locales
sont restées un facteur important de la structure de
l'Église et, lorsque au début d'une liturgie3 pontificale,
l'évêque se tient au centre de l'église, au milieu des
fidèles, la vision léguée par saint Ignace de ce que
représente l'évêque, en tant que centre d'unité de la
communauté locale, est particulièrement frappante.

, 2. Aux Magnésiens, VI, 1 ; Aux Smyrniotes, VIII, 1 et 2 ; aux


Ephésiens, XX, 2. (SC 10).
3. Liturgie est le terme généralement employé par les
Orthodoxes pour désigner la Messe.
·'
Les débuts 23

Outre l'unité de la communauté locale, il y a aussi,


plus largement, l'unité de l'Église dans le monde
entier. C'est sur ce deuxième aspect qu'insiste saint
Cyprien de Carthage, lui aussi évêque et martyr
(t258). Pour saint Cyprien, l'épiscopat est partagé par
tous les évêques, mais de telle façon que chacun
d'eux n'en possède pas une part seulement, mais la
totalité, « L'épiscopat, écrivait-il, est un tout que
chaque évêque reçoit dans sa plénitude. De même
l'Église est un tout, bien qu'elle forme une multitude
toujours plus étendue d'églises grâce à une fécondité
toujours plus grande4. • Il y a beaucoup d'églises,
cependant il n'y a qu'une seule Église ; il y a beau-
coup d' episcopi, mais il n'y a qu'un seul épiscopat.
Nombreux furent ceux qui, comme Cyprien et
Ignace, moururent martyrs dans les trois premiers
siècles de l'histoire de l'Eglise. Même si les persécu-
tions n'eurent souvent qu'un caractère local et tempo-
raire, entre de longues périodes de tolérance de la
part des autorités romaines, la menace était toujours
latente et les Chrétiens savaient qu'à n'importe quel
moment elle pouvait redevenir une réalité. Le sens du
martyre a pris une place centrale dans la spiritualité
des premiers Chrétiens qui ont vu leur Église se bâtir
dans le sang, non seulement celui du Christ, mais
également celui des « autres Christs •, les martyrs. Plus
tard, une fois l'Église .. établie » et dégagée des persé-
cutions, le sens du martyre survécut, mais prit une
autre forme, celle, notamment, de la vie monastique,
qui fut souvent considérée par les auteurs grecs
comme l'équivalent du martyre. On retrouve la même
idée en Occident, par exemple dans un texte celtique,
une homélie irlandaise du VII° siècle, qui compare la
vie ascétique à la voie des martyrs :

4. L'unité de l'Église catholique, 5, Paris : Desdée de Brouwer,


(coll. • Les Pères dans la Foi •), 1979, p. 29-30.
24 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

• Il y a maintenant trois espèces de martyre qui


peuvent tenir lieu de Croix : le martyre blanc, le
martyre vert et le martyre rouge. Le martyre blanc
consiste en l'abandon, pour l'amour de Dieu, de tout
ce qu'un homme aime ... Le martyre vert consiste en
ce que l'homme, par le jeûne et le labeur, se libère de
tout mauvais désir, ou qu'il souffre de nombreuses
tribulations dans un esprit de pénitence et de repentir.
Le martyre rouge est d'endurer une Croix ou la mort
pour l'amour du Christ5. »
Le martyre rouge a pu être oublié pendant de
longues périodes, et seules ont alors prévalu les
formes du martyre vert et du martyre blanc.
Cependant à plusieurs reprises, et spécialement dans
notre siècle, les chrétiens, orthodoxes èt autres, ont
été de nouveau appelés à subir le martyre du sang.
Comme l'a dit saint Cyprien, les évêques participant
d'un même épiscopat, il était donc naturel qu'ils se
réunissent en conciles pour y discuter leurs problèmes
communs. L'orthodoxie a toujours attaché une grande
importance aux conciles dans la vie de l'Église, et elle
croit que le concile est l'organe principal par lequel
Dieu a choisi de guider les siens ; aussi a-t-elle
toujours considéré l'Église catholique comme essen-
tiellement conciliaire. (En russe, l'adjectif soborny a le
double sens de• catholique• et de« conciliaire•, et le
substantif soborveut dire à la fois église et concile.) Il
n'y a dans l'Église ni dictature ni individualisme, mais
harmonie et unanimité ; chacun demeure libre, sans
être isolé, étant uni aux autres par l'amour, la foi et la
communion sacramentelle. C'est cet esprit d'harmonie
et d'unanimité spontanée qui doit animer un concile.
Dans un concile digne de ce nom, nul ne cherche à
imposer sa volonté personnelle, mais tous cherchent

5. Cité dans J. Ryan, Irish Monastictsm, Londres, 1931, p. 197.


!

Les débuts 25

ensemble à arriver à un consensus. Un concile incarne


la nature essentielle de l'Église.
Le premier concile de l'Église est décrit dans les
Actes, au chapitre XV. Il se tint à Jérusalem: les
apôtres décidèrent jusqu'à quel point les païens
convertis devaient être soumis à la Loi de Moïse. Étant
tombés d'accord, les apôtres ont parlé d'une seule
voix avec une autorité qui en toute autre occasion
pourrait sembler présomptueu se : • L'Esprit Saint et
nous-mêmes avons décidé ..... (Actes 15, 28). Plus
tard, d'autres conciles ont osé parler avec la même
assurance. Un individu isolé n'oserait pas dire : • Il a
semblé juste à l'Esprit Saint et à moi", mais une fois
réunis en concile, les membres de l'Église peuvent se
réclamer d'une autorité qu'individuellement aucun ne
possède.
Ce concile de Jérusalem, auquel tous les chefs de
l'Église étaient présents, a été une réunion exception-
nelle sans égal jusqu'en 325, date du concile de Nicée.
Dès avant l'époque de Cyprien, c'était la coutume de
tenir des conciles locaux, auxquels assistaient tous les
évêques d'une province de l'Empire romain. Ces
conciles locaux se réunissaient généralement dans la
capitale de la province sous la présidence de l'évêque
de cette capitale, à qui revenait le titre de métropolite.
Au cours du m• siècle, la portée des conciles s'étendit
et ils commencère nt à réunir les évêques de plusieurs
provinces. Comme ces conciles se tenaient générale-
ment dans de grandes villes, telles qu'Alexandrie et
Antioche, les évêques de certaines cités devinrent plus
importants que les métropolites de provinces, avant
même que les statuts de ces grands sièges aient été
fixés. Même si la pratique de tenir des conciles se
répandait, au III· siècle on n'en était pas encore arrivé à
réunir un concile général (à part le concile des Apôtres
à Jérusalem) formé par les évêques du monde chrétien
tout entier et parlant au nom de l'Église entière.
26 L'Orthodoxie;· /'Église des sept Conciles

En 312, la situation de l'Église changea brusque-


ment : l'empereur Constantin, qui traversait la France
avec son armée, aperçut dans le ciel, projetée devant
le soleil, une croix lumineuse sur laquelle était écrit :
Par ce signe, tu vaincras. A la suite de cette vision,
Constantin devint le premier empereur romain à
embrasser le christianisme, et ce fut le commence-
ment d'une série d'événements qui mirent fin à la
première grande période de l'histoire de l'Église et
aboutirent à la création de l'Empire chrétien de
Byzance.
.'

2
Byzance,
L'Église des Sept Conciles

Tous confessent qu'il y a Sept Conciles


Œcuméniques et Sacrés, et qu'ils sont les
sept piliers de la foi dans le Verbe Divin, sur
lesquels Il a érigé Sa sainte demeure :
l'Église Catholique et Œcuméntque.
Jean Il, Métropolite de Russie (1080-1089).

Fondation d'une Église impériale

Constantin vient à un tournant de l'histoire de


l'Église: l'époque des martyrs et des persécutions s'est
terminée avec sa conversion et l'Église des cata-
combes est devenue l'Église de l'Empire. La proclama-
tion de ce qui est souvent appelé "l'Édit de Milan", en
313, a été le premier effet de la vision de Constantin:
il y annonçait, conjointement avec l'empereur
Licinius, la tolérance officielle de la foi chrétienne.
Bien que Constantin ne lui ait accordé au début que
sa tolérance, il fit rapidement comprendre son inten-
tion de favoriser le christianisme plus que toutes les
autres religions tolérées jusqu'alors dans l'Empire
romain. Moins de cinquante ans après la mort de
28 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Constantin, l'œuvre commencée était achevée par


Théodose, dont la législation fit du christianisme non
seulement la religion la plus favorisée, mais la seule
officiellement reconnue. L'Église était établie. Les
autorités romaines avaient dénié autrefois aux chré-
tiens le droit d'exister. C'était désormais au paganisme
d'être persécuté.
Cette vision de la croix eut encore, du vivant de
Constantin, deux conséquences extrêmement impor-
tantes pour le développement de la chrétienté.
Premièrement, il décida en 324 de transférer la capi-
tale de l'Empire romain sur les rives du Bosphore.
C'est sur l'emplacement d'une ancienne ville grecque,
Byzance, que fut bâtie sa nouvelle capitale, qu'il
baptisa de son propre nom:• Constantinoupolis "· Ses
motivations étaient économiques et politiques autant
que religieuses : la vieille Rome était trop profondé-
ment marquée de paganisme pour pouvoir former le
centre de l'Empire chrétien qu'il envisageait. Dans la
nouvelle Rome, les choses allaient être différentes :
dès la solennelle inauguration de la ville en 330, il fut
strictement et définitivement défendu d'y accomplir
aucun rite païen. Cette nouvelle capitale de
Constantin a exercé une influence décisive sur le
développement de l'orthodoxie.
En second lieu, Constantin convoqua à Nicée, en
325, le 1er Concile général ou œcuménique de l'Église
chrétienne. Si l'empire romain devait devenir un
Empire chrétien, il fallait l'établir sur le ferme fonde-
ment de la foi véritable et ce fut la tâche du concile de
Nicée d'en préciser les termes. Rien ne pouvait mieux
symboliser les nouvelles relations de l'Église et de
l'État que le cérémonial de cet événement. L'empereur
lui-même présidait « comme l'envoyé céleste de
Dieu •, ainsi que le rapporte Eusèbe, évêque de
Césarée. Le concile achevé, un repas réunit les
évêques et l'empereur. « Le faste de ce banquet, écrit
.'
Byzance, l'Église des Sept Conciles 29

Eusèbe (qui était enclin à se laisser impressionner par


ce genre de choses), fut splendide au-delà de toute
description. Des détachements de la garde et d'autres
troupes se tenaient aux portes du palais, l'épée
dégaînée et, au milieu d'eux, les hommes de Dieu
avançaient sans crainte jusqu'au cœur des apparte-
ments impériaux. Les uns furent conviés à la propre
table de l'empereur, les autres s'étendirent sur des
couches rangées des deux côtés. On croyait voir
l'image du Royaume du Christ, un rêve plutôt qu'une
réalitél. • Certes, les choses avaient changé depuis le
temps où Néron illuminait ses jardins avec des chré-
tiens transformés en torches vivantes. Nicée est le
premier des sept conciles généraux et ceux-ci ont,
comme la ville de Constantin, une place centrale dans
l'histoire de l'orthodoxie.
L'Église devient « majeure •, une « majorité •
marquée par ces trois événements : l'Édit de Milan, la
fondation de Constantinople et le concile de Nicée.

Les six premiers conciles (325-681)

La vie de l'Église au début de la période byzantine


est dominée par les sept conciles généraux. Ces
conciles ont eu la double tâche de clarifier et de
formuler l'organisation extérieure de l'Église, de fixer
la place dans l'Église des cinq grands sièges ou
patriarcats, et surtout de définir une fois pour toutes
l'enseignement de l'Église sur les points fondamen-
taux de la foi chrétienne : la Trinité et l'Incarnation.
Tous les Chrétiens savent que ces mystères dépassent
l'entendement humain; aussi lorsque les évêques
réunis en concile en ont donné des définitions, ils

1. Vte de Constanttn, III, 10 et 15.


30 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

n'ont jamais imaginé avoir expliqué le mystère, mais


ils se sont limités à exclure toute fausse approche de
pensée et de langage. Pour empêcher que l'on ne
s'égare dans l'erreur et l'hérésie, ils ont simplement
protégé ces mystères.
De nos jours, ces discussions conciliaires peuvent
sembler parfois abstraites et dépassées, mais elles
partaient alors d'un point de vue absolument concret :
le salut de l'homme. L'homme, selon le Nouveau
Testament, est séparé de Dieu par le péché, et ne
peut, par ses seuls efforts, renverser le mur de sépara-
tion que ce péché a élevé. Il a donc fallu que Dieu
prenne l'initiative: Il s'est fait homme, Il a été crucifié,
Il est ressuscité d'entre les morts, délivrant ainsi l'hu-
manité de la servitude du péché et de la mort. Tel est
le message de la foi chrétienne, et c'est ce message de
rédemption que les conciles avaient à sauvegarder.
Les hérésies étaient dangereuses et devaient être
condamnées parce qu'elles faussaient l'enseignement
du Nouveau Testament, rétablissant une barrière entre
l'homme et Dieu et rendant ainsi de nouveau le salut
de l'homme impossible.
Saint Paul a exprimé ce message de rédemption en
termes de partage. Christ a partagé notre pauvreté afin
que nous puissions partager avec Lui les richesses de
Sa Divinité : " Vous connaissez la libéralité de Notre
Seigneur Jésus-Christ, comment de riche Il s'est fait
pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa
pauvreté» (II Corinthiens 8, 9). Sous une forme légè-
rement différente, on retrouve la même idée chez
saint Jean: par la participation qu'Il leur a donnée à
Sa gloire divine, il faut que les disciples parviennent à
l'union complète avec Dieu. " Je leur ai donné la
gloire que Tu M'as donnée, pour qu'ils soient un
comme nous sommes un : Moi en eux et Toi en Moi,
pour qu'ils soient parfaitement un » Qean 17, 22-23).
C'est au sens littéral que les Pères grecs ont pris ces
.'
Byzance, l'Église des Sept Conciles 31

textes, ainsi que d'autres similaires, lorsqu'ils ont osé


parler de la « déification • de l'humanité (en grec:
tbeosis). Si l'homme est appelé à partager la gloire de
Dieu, disaient-ils, s'il doit être« parfaitement un• avec
Dieu, ce qui signifie en fait sa déification, l'homme est
appelé à devenir par la grâce ce que Dieu est par
nature. C'est ainsi que saint Athanase a pu résumer les
données de l'Incarnation en disant : « Dieu s'est fait
homme afin que nous puissions devenir dieu2. »
Mais pour qu'il soit possible de « devenir dieu •,
pour réaliser cette théosis, il faut que le Christ, le
Sauveur, soit en même temps vrai Dieu et vrai
homme. Personne, sinon Dieu, ne peut sauver
l'homme, donc si le Christ doit nous sauver, il faut
qu'Il soit Dieu. Mais c'est seulement s'Il est parfaite-
ment homme, comme nous, que nous pouvons parti-
ciper à ce qu'Il a fait pour nous. Le Christ incarné est
le pont jeté entre Dieu et les hommes. • En vérité, en
vérité je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les
anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de
l'homme• (Jean I, 51). Cette échelle n'est pas seule-
ment pour les anges, mais aussi pour la race humaine.
Le Christ est pleinement Dieu et pleinement
homme. L'une après l'autre, chaque hérésie s'est atta-
quée à cette affirmation vitale, soit en faisant du Christ
moins que Dieu (arianisme), soit en séparant Son
humanité de Sa divinité, de telle sorte qu'il devenait
deux personnes au lieu d'une (nestorianisme) ; ou
enfin en ne le considérant pas comme véritablement
homme (monophysisme; monothélisme). Chaque
concile a eu pour tâche de protéger cette affirmation
vitale. Les deux premiers, tenus au IV· siècle, ont
insisté surtout sur la pleine divinité du Christ et ont
formulé la doctrine de la Trinité. Les quatre suivants,
aux v•, VI· et VII· siècles, se sont attachés à définir

2. Sur l1ncarnation du Verbe, 54; SC 199, Paris 1973, p. 459.


32 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

l'humanité du Christ et à expliquer l'union, en une


même personne, de la nature humaine et de la nature
divine. Le vue concile, tenu pour la défense des saintes
Icônes, paraît à première vue avoir une place à part,
mais, tout comme les six premiers, il traita en dernier
ressort de l'Incarnation et du salut de l'homme.
L'œuvre majeure du Concile de Nicée en 325 fut la
condamnation de l'arianisme. Arius, un prêtre
d'Alexandrie, soutenait que le Fils est inférieur au Père
et, en mettant une division entre Dieu et la création, il
ramenait le Fils parmi le créé ; créature supérieure,
concédait-il, mais néanmoins créature seulement. Son
but était certainement de protéger la transcendance de
Dieu, mais sa doctrine, en faisant le Christ inférieur à
Dieu, rendait impossible la déification de l'homme.
C'est parce que le Christ est véritablement Dieu,
répondit le concile, qu'il peut nous unir à Lui et nul
autre que Dieu Lui-même ne peut ouvrir à l'homme la
voie d'union. Le Christ est « un en essence • (homoou-
sios) avec le Père; Il n'est pas un demi-dieu ou une
créature supérieure, mais Il est Dieu dans la même
plénitude que Dieu le Père : « vrai Dieu de vrai Dieu •,
proclame le concile dans le Credo qu'il a rédigé,
« engendré, non créé, consubstantiel au Père•.

Le Concile de Nicée s'occupa aussi de l'organisation


matérielle de l'Église. Il établit la prééminence de trois
grandes villes: Rome, Alexandrie et Antioche (canon
6). Jérusalem, bien que demeurant soumise au métro-
polite de Césarée, se voyait attribuer la quatrième
place d'honneur (canon 7). Il ne put y être fait
mention de Constantinople, puisque celle-ci ne fut
officiellement inaugurée comme nouvelle capitale que
cinq ans plus tard ; elle restait donc sous la juridiction
du métropolite d'Héraclée.
Le travail du Concile de Nicée fut repris par le
ne Concile Œcuménique qui se réunit à Constan-
tinople en 381 et qui s'attacha au développement du
Byzance, l'Église des Sept Conciles 33

Credo, mettant l'accent sur l'Esprit Saint qui, affirmait


le Concile, est Dieu au même titre que le Père et que
le Fils : • Qui procède du Père, qui avec le Père et le
Fils est adoré et glorifié. • Le Concile révisa également
les dispositions prises dans le sixième canon du
Concile de Nicée : la position de Constantinople en
tant que nouvelle capitale de l'empire ne pouvait plus
être ignorée, et elle reçut la seconde place d'honneur,
après Rome et avant Alexandrie. • L'évêque de
Constantinople recevra la prérogative d'honneur
après l'évêque de Rome, précisément parce que
Constantinople est la nouvelle Rome• (canon 3). -
En précisant chaque mot, le travail des théologiens
a donné un sens à la fois profond et clair aux défini-
tions des conciles. C'est la gloire de saint Athanase
d'Alexandrie d'avoir donné sa pleine signification au
mot essentiel du Credo de Nicée : bomoousios, un en
essence ou substance, consubstantiel. Ses travaux
furent complétés par ceux des trois Pères
Cappadociens : saint Grégoire de Nazianze, connu
dans l'Église orthodoxe sous le nom de Grégoire le
Théologien (vers 329-390), saint Basile le Grand (vers
330-379) et son jeune frère saint Grégoire de Nysse
(t394). Tandis qu'Athanase insistait sur l'unité de Dieu
- Père et Fils sont un en essence ( ousia) - les
Cappadociens mettaient l'accent sur la Trinité de
Dieu : Père, Fils et Saint Esprit sont trois personnes
(bypostaseis). Conservant l'équilibre subtil entre la
Trinité et l'unité de Dieu, ils donnèrent sa pleine signi-
fication à la formule classique de la doctrine trinitaire,
trois Personnes en une seule essence. Jamais jusque-là,
et jamais depuis lors, l'Église n'a produit en une seule
génération quatre théologiens de cette envergure.
Après 381, l'arianisme s'affaiblit rapidement sauf en
certains points d'Europe occidentale. Le troisième
canon, qui inquiéta autant Rome qu'Alexandrie, fut
l'aspect controversé de l'œuvre du concile. L'ancienne
34 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Rome se demandait où s'arrêteraient les exigences de


la nouvelle Rome : ne visait-elle pas à prendre bientôt
la première place ? Et Rome préféra ignorer ce canon
offensant. Ce ne fut qu'au concile du Latran (1215)
que le pape reconnut officiellement le droit de
Constantinople à la deuxième place. (Constantinople
était alors aux mains des croisés et sous l'autorité d'un
patriarche latin.) Mais ce canon était aussi un défi
pour Alexandrie qui avait jusqu'alors occupé en
Orient une place prépondérante. Les soixante-dix
années suivantes allaient voir se développer un grave
conflit entre Constantinople et Alexandrie, avec la
victoire momentanée de cette dernière.
Alexandrie connut son premier grand succès au
concile du Chêne (403), lorsque Théophile
d'Alexandrie obtint la déposition et l'exil de l'évêque
de Constantinople, saint Jean Chrysostome, « Jean à la
bouche d'or .. (vers 344-407). Prédicateur éloquent
(ses sermons duraient souvent plus d'une heure),
saint Jean Chrysostome exprimait, sous une forme
accessible à tous, la théologie d' Athanase et des
Cappadociens. Homme d'une vie austère, il était plein
de compassion pour les pauvres et animé d'un ardent
désir de justice sociale. Il est peut-être le plus aimé de
tous les Pères dans l'Église orthodoxe, et certainement
celui dont les écrits sont le plus généralement connus.
Le second succès important d'Alexandrie fut
remporté par le neveu et successeur de Théophile,
saint Cyrille d'Alexandrie (t444), qui fut à l'origine de
la chute, au me Concile Œcuménique, tenu à Éphèse
(431), d'un autre évêque de Constantinople ,
Nestorius. Mais il y eut plus, à Éphèse, que la rivalité
de deux grands sièges épiscopaux. Des questions de
doctrine, latentes depuis 381, surgirent de nouveau,
centrées cette fois non plus sur la Trinité, mais sur la
personne du Christ. Cyrille et Nestorius étaient d'ac-
cord sur la pleine divinité du Christ, une des
Byzance, l'Église des Sept Conciles 35

Personnes de la Trinité, mais ils divergeaient dans


leurs explications sur Son humanité et les définitions
qu'ils donnaient sur l'union de Dieu et de l'homme en
une même personne. Ils représentaient différentes
traditions ou écoles de théologie. Nestorius, issu de
l'école d'Antioche, soutenait l'intégrité de l'humanité
du Christ, mais insistait tellement sur la distinction
entre Son humanité et Sa divinité qu'il semblait en
danger d'aboutir, non plus à une personne, mais à
deux personnes, coexistant dans un même corps.
Cyrille, tenant de la tradition d'Alexandrie, partait de
l'unité de la personne du Christ plutôt que de la diver-
sité de Son humanité et de Sa divinité ; il parlait
cependant de l'humanité du Christ avec moins de
passion et de clarté que ceux d'Antioche. Ces deux
approches, poussées trop loin, pouvaient chacune
conduire à l'hérésie; cependant l'Église avait besoin
également de l'une et de l'autre pour établir l'image
du Christ dans son intégrité. Alors qu'elles eussent pu
se compléter, ces deux écoles entrèrent en conflit, et
ce fut une tragédie pour la chrétienté.
Nestorius ouvrit la controverse en refusant à la
Vierge Marie le titre de Mère de Dieu (Tbeotokos). Ce
titre était déjà passé dans la dévotion populaire, mais
il sembla à Nestorius qu'il impliquait une confusion
entre l'humanité du Christ et Sa divinité. Marie, disait-il,
et ici le • séparatisme .. d'Antioche est évident, n'étant
mère que de l'humanité du Christ et non de Sa divi-
nité, ne peut être appelée que • Mère de l'Homme •,
ou tout au plus • Mère du Christ "· Cyrille, avec l'appui
du Concile, répondit par le texte: • Le Verbe s'est fait
chair » Qean I, 14) : Marie est la Mère de Dieu parce
qu' « elle a donné naissance au Verbe de Dieu fait
chair3 ». Celui que Marie a porté n'était pas un
homme, jusqu'à un certain point uni à Dieu, mais une

3. Voir le premier des douze anathématismes de saint Cyrille.


36 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

personne unique, qui était à la fois Dieu et homme. Le


mot Tbeotokos sauvegarde l'unité de la personne du
Christ : lui refuser ce titre, c'est partager le Christ
incarné en deux personnes distinctes, briser le pont
établi entre Dieu et l'homme, et introduire une divi-
sion dans la personne même du Christ. Il n'était donc
pas simplement question de titres de dévotion, mais
du message essentiel du salut. Le mot Tbeotokos, dans
la doctrine de l'Incarnation, a la même importance
que le mot homoousios dans celle de la Trinité.
Alexandrie remporta une autre victoire au
deuxième Concile d'Éphèse en 449, mais celui-ci -
c'est du moins ainsi qu'il fut ressenti dans une grande
partie du monde chrétien - poussa trop avant la posi-
tion d'Alexandrie. Dioscore d'Alexandrie, le succes-
seur de Cyrille, insista qu'il n'y avait en Christ qu'une
seule nature (physis), que le Sauveur est de deux
natures, mais après Son Incarnation il y a seulement
« une nature incarnée de Dieu le Verbe •. Cette posi-
tion est communément appelée« monophysite». Il est
vrai que Cyrille lui-même avait usé d'un tel langage,
mais Dioscore omit les affirmations équilibrantes que
Cyrille avait faites en 433, comme concession aux
Antiochiens. A beaucoup il sembla que Dioscore niait
l'intégrité de l'humanité du Christ, bien que ce soit
presque certainement une interprétation injuste de
son point de vue.
Deux ans plus tard, en 451, l'empereur Marcien
convoqua à Chalcédoine une nouvelle assemblée
d'évêques, qui fut considérée par l'Église de Byzance
et l'Occident comme le IVe concile général. Cette fois
la balle était dans le camp d'Antioche. Le concile, reje-
tant la position monophysite de Dioscore, proclama
que, tandis que le Christ est une seule personne, non
divisée, Il n'est pas seulement de deux natures mais
en deux natures. Les évêques acclamèrent le Tome de
saint Léon le Grand, pape (t461), dans lequel la
Byzance, l'Église des Sept Conciles 37

distinction entre les deux natures est clairement


affirmée, bien que l'accent soit mis également sur
l'unité de la personne du Christ. Les évêques procla-
mèrent dans leur décret leur foi en un • seul et même
Fils •, parfait quant à Sa divinité, parfait aussi quant à
Son humanité, véritablement Dieu et véritablement
homme ... • Ce Fils Unique, nous Le reconnaissons
être en deux natures, unies sans confusion ni altéra-
tion, sans division ni séparation, car la différence des
deux natures n'est nullement supprimée par leur
union, mais les caractéristiques propres à chaque
nature sont sauvegardées et subsistent en Une
Personne Unique, une seule Hypostase». Les défini-
tions de Chalcédoine visent les monophysites ( • deux
natures, unies sans confusion ni altération •), mais
aussi les partisans de Nestorius (• un seul et même
Fils, sans division ni séparation»).
Mais Chalcédoine a été plus que la défaite de la
théologie alexandrine : elle a marqué la fin des
prétentions d'Alexandrie à sa souveraineté en Orient.
Le canon 28 de Chalcédoine confirma le canon 3 de
Constantinople, assignant à la nouvelle Rome la
première place d'honneur après l'ancienne Rome.
Saint Léon récusa ce canon, mais l'Orient en a
toujours reconnu la validité. Le même concile affran-
chit Jérusalem de la juridiction de Césarée et lui
attribua la cinquième place parmi les grands sièges.
Ainsi fut établi le système connu plus tard dans l'or-
thodoxie sous le nom de Pentarchie : Il donnait à cinq
grands sièges une place particulièrement honorifique,
avec un ordre de préséance établi comme suit : Rome,
Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
Tous les cinq se réclamaient d'une fondation aposto-
lique. Les quatre premiers sièges correspondaient aux
quatre villes les plus importantes de l'Empire romain ;
le cinquième fut ajouté, parce que c'est à Jérusalem
(lUe le Christ a été crucifié et qu'il est ressuscité
38 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

d'entre les morts. L'évêque de chacune de ces villes


reçut le titre de patriarche. Les cinq patriarcats parta-
gèrent en zones de juridiction toute l'étendue du
monde connu, à l'exception toutefois de Chypre qui
avait reçu, au Concile d'Éphèse (431), une indépen-
dance qu'elle a conservée jusqu'à nos jours.
Il faut éviter deux malentendus lorsqu'on parle de
la conception orthodoxe de la pentarchie. D'une part
le système de métropolites et de patriarches fait essen-
tiellement partie d'une organisation ecclésiastique ; si,
cependant nous considérons l'Église non du point de
vue de l'organisation ecclésiastique, mais par rapport
au droit divin, il est évident que tous les évêques sont
essentiellement égaux entre eux, quelle que soit l'im-
portance de la ville où ils résident. Chaque évêque a
une part égale à la succession apostolique, tous ont
les mêmes pouvoirs sacramentels, tous sont, de droit
divin, prédicateurs de la foi. Si une doctrine est
discutée, il n'est pas suffisant que les patriarches
émettent leur opinion ; chaque évêque diocésain a le
droit d'assister à un concile général, d'y prendre la
parole et de voter. Le système de la pentarchie n'affai-
blit pas l'égalité essentielle de tous les évêques et ne
diminue en rien l'importance donnée par saint Ignace
à chaque communauté locale.
D'autre part, les orthodoxes croient que, parmi les
cinq patriarches, une place spéciale revient au pape.
L'Église orthodoxe n'accepte pas la doctrine de l'auto-
rité papale qui fut proclamée dans les décrets du
concile du Vatican en 1870, et qui est enseignée aujour-
d'hui dans l'Église catholique romaine. L'Orthodoxie ne
refuse cependant pas au saint Siège apostolique de
Rome une primauté d'honneur, allant avec le droit, en
certaines circonstances, de répondre aux appels de
toute la chrétienté. Mais il s'agit alors de prééminence
et non de suprématie. Les Orthodoxes considèrent
Rome, ainsi que l'a défini saint Ignace, comme l'Église
Byzance, l'Église des Sept Conciles 39

" qui préside dans l'amour ». L'erreur de la papauté -


d'après les orthodoxes - est d'avoir voulu transformer
cette primauté ou « présidence dans l'amour » en une
suprématie de pouvoir externe et de juridiction.
Cette primauté de Rome a une triple origine. En
premier lieu, c'est la ville où saint Pierre et sain~ Paul
furent martyrisés, et où Pierre fut évêque. L'Eglise
orthodoxe reconnaît à Pierre la première place parmi
les apôtres et n'oublie pas les textes pétriniens
(Mt 16, 18-19; Le 22, 32; Jn 21, 15-17), bien que les
théologiens orthodoxes ne leur donnent pas le même
sens que les commentateurs catholiques modernes.
Alors que beaucoup de théologiens orthodoxes
diraient que non seulement l'évêque de Rome, mais
tous les évêques sont les successeurs de Pierre, la
plupart d'entre eux admettent cependant que l'évêque
de Rome est le successeur de Pierre dans un sens très
particulier.
En deuxième lieu, le siège de Rome doit son impor-
tance à la place occupée par la ville de Rome : elle
était la capitale de l'Empire, la cité la plus importante
du monde ancien, et le resta encore sur bien des
points, même après la fondation de Constantinople.
Troisièmement, bien que quelques papes soient
tombés dans l'erreur doctrinale, le siège de Rome,
durant les huit premiers siècles de l'histoire de l'Église,
s'est distingué par la pureté de sa foi : d'autres patriar-
cats ont été ébranlés par les grandes disputes doctri-
nales, mais Rome, presque toujours, est restée ferme.
Ceux qui étaient acculés à la lutte contre les hérétiques
pouvaient donc se tourner vers le pape avec confiance.
Non seulement l'évêque de Rome, mais tout évêque est
sacré par la volonté de Dieu pour être docteur de la foi.
C'est pour la loyauté que Rome montra dans son ensei-
gnement de la foi que firent appel surtout à ce siège
ceux qui eurent besoin de direction doctrinale dans les
premiers temps de l'Église.
40 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Mais cette primauté accordée à Rome ne diminue


en rien l'égalité fondamentale entre tous les évêques.
Le pape est le premier évêque de l'Église, mais il est
premier parmi des égaux.
Éphèse et Chalcédoine, qui sont les pierres d'angle
de l'orthodoxie, sont en même temps des pierres
d'achoppement: les partisans d'Arius se sont réconci-
liés avec l'Église et leur schisme n'a pas duré très long-
temps, mais il existe aujourd'hui encore des Chrétiens
appartenant à l'Église d'Orient (fréquemment appelés
nestoriens, bien que ce terme soit une source de
confusion), qui ne peuvent accepter les décisions
d'Éphèse et qui considèrent comme incorrect d'ap-
peler la Vierge Marie Tbéotokos; aujourd'hui encore il
existe aussi des non-chalcédoniens qui suivent la
doctrine monophysite de Dioscore et qui rejettent la
définition de Chalcédoine et le Tome de Léon. L'Église
d'Orient était presque entièrement en-dehors de
l'Empire byzantin et on n'entend guère parler d'elle
dans l'histoire de Byzance. Mais de nombreux non-
chalcédoniens, particulièrement en Égypte et en Syrie,
étaient sujets de l'empereur et de nombreux et infruc-
tueux efforts furent faits pour les ramener dans la
communion de l'Église byzantine.
Là, comme bien souvent, les difficultés d'ordre théo-
logique furent hélas aggravées par des tensions provo-
quées par le nationalisme et les différences de culture.
L'Égypte et la Syrie n'étaient pour la plupart grecques
ni par la langue, ni par la culture, et s'irritaient contre
l'immixion de Grecs de Constantinople, tant dans les
affaires religieuses que dans la politique. Le schisme
de l'Église fut renforcé par le séparatisme politique. Si
ces facteurs non théologiques n'avaient pas joué, on
aurait peut-être pu, après Chalcédoine, ramener les
deux partis à une même conception théologique.
Beaucoup de spécialistes sont enclins à penser aujour-
d'hui que la différence entre « monophysites • et
!

Byzance, l'Église des Sept Conciles 41

« chalcédoniens » était essentiellement une différence


de terminologie et non de théologie. Les deux parties
entendaient le mot nature (physis) de deux manières
différentes, mais les deux étaient soucieuses d'affirmer
la même vérité fondamentale : que Christ le Sauveur
est pleinement Dieu et pleinement homme, et qu'Il est
pourtant un et non pas deux.
Deux autres Conciles tenus à Constantinople corro-
borèrent les décisions du Concile de Chalcédoine. Le
Cinquième Concile Œcuménique (553) examina les
décrets de Chalcédoine, mais cette fois d'un point de
vue alexandrin, et tenta d'expliquer de façon plus
positive comment les deux natures du Christ ne
forment qu'une même personne. Le VIe Concile
Œcuménique (680-681) condamna l'hérésie des
monothélites qui prétendaient que le Christ, ayant
deux natures bien qu'étant une seule personne,
n'avait qu'une seule volonté. Le concile répliqua
qu'ayant deux natures, Il avait deux volontés. Les
rnonothélites, ainsi que les monophysites, attaquaient
la plénitude de l'humanité du Christ, puisqu'une
nature humaine sans volonté humaine ne serait
qu'.une chose incomplète, une simple abstraction. Le
Christ, vrai homme et vrai Dieu, possède nécessaire-
ment une volonté humaine et une volonté divine.
Pendant les cinquante ans qui précédèrent la réunion
du sixième Concile, Byzance se trouva confrontée à l'in-
q1;1iétant et soudain essor de ~'Islam. Le plus frappant
dans l'expansion islamique est sa rapidité. A la mort du
Jlrophète en 632, son autorité dépassait à peine Hedjaz.
Mais. quinze ans plus tard, ses disciples arabes avaient
c:onquis la Syrie, la Palestine et l'Égypte ; moins de
cinquante ans plus tard, ils étaient devant les murs de
Constantinople et menaçaient d'envahir la ville. Une
c:entaine d'années plus tard, ils avaient traversé l'Afrique
<!ll. Nord, conquis l'Espagne et forcé l'Europe occiden-
tille à défendre son existence à la bataille de Poitiers.
42 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

L'invasion arabe a été définie comme « une explosion


centrifuge, lançant dans toutes les directions de petits
corps de cavaliers en razzia, avides de nourriture, de
pillage et de conquête. Les anciens empires n'étaient
pas en état de leur résister4 ... La chrétienté survécut,
mais difficilement. Les Byzantins perdirent leurs posses-
sions orientales, et les trois patriarcats d'Alexandrie,
d'Antioche et de Jérusalem tombèrent aux mains des
Infidèles. Le patriarcat de Constantinople fut désormais
sans rival dans l'empire chrétien d'Orient, mais Byzance
ne fut plus jamais à l'abri des attaques islamiques. Elle
tint ferme durant huit siècles, mais elle finit par
succomber.

Les saintes icônes


Les disputes au sujet de la personne du Christ ne
prirent pas fin au concile de 681, mais continuèrent
sous une autre forme durant les vm• et JX• siècles. Les
saintes icônes, images du Christ, de la Mère de Dieu et
des saints, vénérées dans les églises et dans les habi-
tations privées, devinrent le centre du conflit. Les
iconoclastes, ou briseurs d'icônes, se méfiaient d'un
art religieux qui s'attachait à la représentation de Dieu
et des êtres humains et réclamaient la destruction des
icônes. Les iconodules, ou vénérateurs des icônes,
défendaient avec vigueur la place des icônes dans la
vie de l'Église. Il n'était pas seulement question de
deux conceptions de l'art chrétien. L'enjeu était bien
plus important : il s'agissait du caractère de la nature
humaine du Christ, de l'attitude chrétienne envers la
matière et du sens réel de la rédemption.

4. H.St.L.B. Moss, dans : Baynes et Moss, Byzanttum : an


Introduction, Oxford, 1948, p. 11-12.
Byzance, l'Église des Sept Conciles 43

Les iconoclastes ont pu être influencés par des


idées juives et musulmanes, et il est significatif que,
trois ans avant la première manifestation de l'icono-
clasme dans l'empire byzantin, le calife musulman
Yézid ait ordonné de retirer toutes les icônes de son
territoire. Mais l'iconoclasme ne fut pas simplement
importé de l'extérieur: il ne faut pas oublier qu'à l'in-
térieur même du christianisme, il y eut toujours, de
façon latente, une certaine attitude « puritaine »
condamnant les icônes dans lesquelles on croyait voir
percer un reste d'idolâtrie païenne. Lorsque les empe-
reurs isauriens attaquèrent les icônes, ils trouvèrent
dans l'Église un appui important.
La controverse iconoclaste, qui s'est étendue sur
une période de 120 années, se divise en deux
phases. La première période commença en 726 avec
l'attaque de Léon III, et se termina en 780, lorsque
l'impératrice Irène arrêta les persécutions. La posi-
tibn des iconodules fut définje par le vue et dernier
Concile Œcuménique (787) qui se réunit - ainsi que
le 1er - à Nicée. Le concile proclama que les icônes
devaient rester dans les églises pour y être honorées
avec la même vénération témoignée aux autres
symboles matériels, tels que la précieuse Croix vivi-
fiante et le livre des Évangiles. Léon V }'Arménien
lança, en 815, une nouvelle attaque qui se
prolongea jusqu'en 843, date à laquelle l'impératrice
Théodora rétablit définitivement les icônes. La
victoire finale des saintes images en 843 est connue
sous le nom de « Triomphe de l'orthodoxie • et
commémorée dans un office spécial célébré le
Dimanche de !'Orthodoxie, le premier dimanche de
carême.
Saint Jean Damascène (vers 675-749) fut le plus
important parmi les défenseurs des icônes, pour la
première période, et saint Théodore le Studite (759-
856) pour la deuxième. Les activités de saint Jean
44 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Damascène furent facilitées par le fait qu'il demeurait


en territoire musulman, hors de portée du gouverne-
ment byzantin. Du reste, ce ne fut pas la dernière
fois que l'Islam, involontairement, protégea l'ortho-
doxie.
Une des caractéristiques de l'orthodoxie est la place
qu'elle assigne aux icônes: une église orthodoxe en
est remplie, elles décorent entièrement l'iconostase,
écran séparant le sanctuaire de la nef ; d'autres sont
placées dans des sortes d'armoires spécialement
conçues à leur dimension, et les murs de l'église sont
parfois couverts de fresques ou de mosaïques.
L'orthodoxe les embrasse, se prosterne et brûle des
cierges devant elles ; elles sont encensées par le prêtre
et portées en procession. Quel est le sens de ces
dévotions ? Que signifient les icônes, et pourquoi saint
Jean Damascène et bien d'autres ont-ils attaché tant
d'importance à leur perennité?
Considérons d'abord l'accusation d'idolâtrie que les
iconoclastes portèrent contre les iconodules, ensuite
l'importance des icônes comme moyen pédagogique,
et finalement leur valeur doctrinale.

1. Accusation d'idolâtrie: L'orthodoxe n'est pas


idolâtre lorsqu'il embrasse une icône ou se prosterne
devant elle. L'icône n'est pas une idole, mais un
symbole : la vénération témoignée aux saintes
images n'est pas adressée à la matière, bois, peinture
ou pierre, mais à la personne représentée. Léonce de
Néapolis (mort aux environs de 650) avait beaucoup
insisté là-dessus bien avant la controverse icono-
claste.
« Nous ne nous inclinons pas devant le bois comme

tel, mais nous révérons et nous nous inclinons devant


Celui qui fut crucifié sur la Croix ... Lorsque les deux
branches de la Croix sont assemblées, j'en adore la
forme à cause de la Croix sur laquelle le Christ a été
Byzance, l'Église des Sept Conciles 45

crucifié, mais si les branches sont disjointes, je les jette


et je les brûles. »
Parce que les icônes sont seulement des symboles,
l'orthodoxe ne les adore pas, mais il les vénère. Saint
Jean Damascène fait une distinction très nette entre la
façon dont les icônes doivent être vénérées et hono-
rées, et l'adoration qui est due à Dieu seul.

2. L'icône et l'enseignement de l'Église. Les icônes,


dit Léonce, sont • des livres ouverts qui nous font
souvenir de Dieu6 .. ; elles sont un des moyens que
l'Église emploie pour enseigner la foi. Celui qui
manque de culture ou qui n'a pas le temps d'étudier
des ouvrages de théologie n'a qu'à entrer dans une
église pour voir déployés devant lui, sur les murs, tous
les mystères de la religion chrétienne. • Si un païen
vous demande de lui expliquer votre foi, disaient les
iconodules, faites-le entrer dans l'église et mettez-le
en face des icônes ... De cette manière, les icônes font
partie de la sainte Tradition.

3. Signification doctrinale des icones. Nous arri-


vons ici au cœur même de la controverse iconoclaste.
Les icônes étant utiles à l'instruction et n'étant pas un
sujet d'idolâtrie, sont-elles non seulement souhai-
tables, mais nécessaires ? Est-il essentiel d'avoir des
icônes ? - Oui, disent les iconodules, parce que l'icône
sauvegarde pleinement la doctrine de l'Incarnation.
Iconoclastes et iconodules étaient d'accord sur le fait
que Dieu ne peut être représenté dans Sa nature éter-
nelle : « Nul n'a jamais vu Dieu .. (Jean I, 18). Mais,
disaient les iconodules, l'Incarnation a rendu possible
un art religieux représentatif ; Dieu peut être repré-

5. Léonce de Hiérapolis, PG (Patrologia Grœca, éd. J.-P. Migne]


94, 1384 D.
6. PG 94, 1276A.
46 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

senté parce qu'Il s'est fait homme et a pris chair. On


peut faire une image matérielle de Celui qui a pris un
corps matériel, ainsi que le dit saint Jean Damascène :
• Dieu l'incorporel et l'incirconscrit ne pouvait être
dépeint. Mais maintenant que Dieu est apparu dans la
chair et a vécu parmi les hommes, je fais une image
du Dieu qui peut être vu. Je n'adore pas la matière,
mais le créateur de la matière, qui est devenu matière
à cause de moi ; qui a voulu habiter la matière et qui
a fait mon salut par la matière. Je ne cesserai pas de
vénérer la matière à travers laquelle mon salut a été
fait7. •
Les iconoclastes n'ont pas vu qu'en rejetant toute
représentation de Dieu, ils n'arrivaient pas à rendre
pleinement compte de l'Incarnation. Ils tombèrent,
ainsi que bien des puritains, dans une sorte de
dualisme. Considérant la matière comme souillée, ils
voulaient une religion épurée de tout contact avec le
monde matériel, et opposaient ce qui est spirituel à ce
qui est matériel. Mais refuser de considérer le corps
du Christ dans son humanité matérielle, c'est trahir
Son Incarnation ; c'est oublier que non seulement
l'âme, mais aussi le corps de l'homme est appelé à
être sauvé et transfiguré. C'est ainsi que la controverse
iconoclaste est fortement liée aux querelles précé-
dentes sur la personne du Christ. C'était non seule-
ment une controverse au sujet d'un art religieux, mais
plus encore une controverse au sujet de l'Incarnation
et du salut de l'homme et de tout le cosmos matériel.
Dieu, en prenant un corps humain, a prouvé que la
matière peut être rachetée : • Le Verbe fait chair a
déifié la chair •, dit saint Jean Damascènes•. Dieu a
• déifié • la matière, la rendant capable de contenir
l'esprit; et si la chair a pu devenir véhicule de l'esprit,

7. Sur les icônes, l, 16, PG 94, 1245A.


8. Sur les icônes, I, 21, PG 94, 1253B.
.'
Byzance, l'Église des Sept Conciles 47

le bois et la peinture le peuvent aussi à leur manière.


La doctrine orthodoxe sur l'icône est fortement liée à
la foi en la rédemption de toute la création de Dieu
qui sera glorifiée, tant dans le domaine matériel que
dans le domaine spirituel. Ce que dit Nicolas Zernov
(1898-1980) est vrai, non seulement pour les Russes,
mais pour tous les orthodoxes :
.. Pour les Russes, les icônes n'étaient pas de simples
peintures, elles étaient des manifestations dynamiques
du pouvoir spirituel donné à l'homme pour racheter la
çréation par l'art et la beauté. Les lignes et les couleurs
çles icônes ne cherchaient pas à imiter la nature ; l'in-
tention des artistes était de montrer que l'homme, les
animaux et les plantes, avec tout le cosmos, pouvaient
être arrachés à leur état de dégradation et rendus à
leur réelle "image". Les icônes étaient des gages de la
victoire à venir de toute la création rendue à elle-
même ... La perfection artistique d'une icône n'était
pas seulement un reflet de la gloire céleste, c'était un
exemple concret de la matière rendue à son harmonie
et à sa beauté originelle et servant de véhicule à
l'Esprit. Les icônes faisaient partie du cosmos transfi-
guré9 . .,
Ainsi que saint Jean Damascène le dit : « L'icône est
µn chant de triomphe et une révélation, et un monu-
ment solide et durable à la gloire des saints ; elle est la
défaite des démonsIO .•
La conclusion de la controverse iconoclaste, la
convocation du VII .. Concile Œcuménique, le
triomphe de l'orthodoxie en 843 marquent la fin de la
deuxième période de l'histoire de l'orthodoxie, celle
des sept Conciles. Ces sept Conciles ont une extrême
importance dans l'orthodoxie; leur intérêt n'est pas

9. N. Zernov, The Russians and tbetr Cburcb, Londres, 1945,


p. 107-108.
10. Sur les icônes, II, 11, PG 94, 1296B.
48 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

seulement d'ordre historique, mais il est toujours


actuel pour les membres de l'Église : il concerne non
seulement les spécialistes et le clergé, mais tous les
fidèles. • Même les paysans illettrés - fait observer au
milieu du XIX· siècle !'Anglican A.P. Stanley - dont les
homologues en Espagne et en Italie ignoreraient tout
des conciles de Constance et de Trente, sont très
conscients du fait que leur Église repose sur la base
des sept Conciles, et gardent l'espoir de vivre assez
pour voir un huitième Concile général mettre fin aux
malentendus de leur tempsl 1. • Les orthodoxes se dési-
gnent souvent sous le nom d'• Église des sept
conciles •. Ils ne veulent pas dire par là que l'Église
orthodoxe a cessé de penser d'une manière créatrice
depuis 787. Mais ils voient dans la période des conciles
d'âge d'or de la théologie. Après la Bible, les sept
conciles sont la norme de l'Eglise orthodoxe et la
guident dans la recherche des solutions à apporter à
tous les problèmes qui surgissent à chaque génération.

Saints, moines et empereurs

Byzance n'a pas été appelée sans raison • l'icône de


la Jérusalem céleste •. En effet, la religion imprégnait
toute la vie d'un Byzantin : les jours fériés étaient ceux
des fêtes religieuses; au cirque, les courses commen-
çaient par des hymnes ; il invoquait la Trinité dans ses
contrats commerciaux et les marquait du signe de la
Croix. A notre époque si peu théologique, on imagine
mal quel intérêt brûlant les questions religieuses
éveillaient alors à tous les niveaux de la société, parmi
les laïcs autant que dans le clergé, parmi les pauvres

11. Lectures on the Htstory of the Eastern Church, Everyman


Edition, p. 99.
Byzance, l'Église des Sept Conciles 49

et les ignorants autant qu'à la Cour et parmi les


docteurs. Grégoire de Nysse décrit l'atmosphère de
discussions théologiques au moment du deuxième
Concile général :
« La ville en est pleine, les cours, les marchés, les
carrefours, tous discutent activement. Si vous
demandez votre monnaie à quelqu'un, il développera
pour vous sa philosophie sur l'Engendré ou
l'Inengendré ; si vous voulez savoir le prix d'un pain,
on vous répondra que le Père est plus grand que le Fils.
Si vous demandez "mon bain est-il prêt?" votre servi-
teur vous répondra que le Fils a été créé ex nihilolz ...
Ces curieuses doléances montrent bien l'atmosphère
dans laquelle se tenaient les conciles. Les passions
étaient si violentes.que les séances manquaient parfois
de dignité et de retenue. « Je salue à distance synodes
et conciles .. , disait Grégoire de Nazianze assez sèche-
ment, .. car je sais combien ils sont fastidieux13 ..... Plus
jamais je ne siégerai parmi ces grues et ces oies14... Les
Pères ont souvent défendu leurs causes avec des argu-
ments douteux: Cyrille d'Alexandrie, par exemple,
dans sa lutte contre Nestorius, a fortement soudoyé la
Cour et terrorisé la ville d'Éphèse avec le concours
d'une troupe de moines à sa dévotion. Cependant, si
le~ .méthodes de Cyrille ont manqué de mesure, ce fut
uniquement par un ardent désir de voir triompher la
bpnne cause ; et l'acrimonie des chrétiens n'a souvent
éfé qu'un autre aspect de leur attachement à la foi
çhrétienne. Le désordre est peut-être préférable à
l'apathie. L'orthodoxie reconnaît que les conciles ont
été tenus par des hommes imparfaits, mais croit cepen-
dant que ces hommes imparfaits étaient guidés par
{?Esprit Saint.

12. Sur la Divinité du Fils, PG 46, 557B.


13. Lettre 124.
14. Poèmes sur lut-même, xvn, 91.
50 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

L'évêque byzantin n'était pas seulement un person-


nage distant qui siégeait aux conciles ; il était en bien
des cas un père attentif aux besoins de ses fidèles, un
ami et un protecteur auquel on pouvait s'adresser
avec confiance. Nombreux sont ceux chez qui on
retrouve, comme chez saint Jean Chrysostome, le
même souci des pauvres et des opprimés. Saint Jean
}'Aumônier, patriarche d'Alexandrie (t619) dépensa
tout l'argent de son archevêché pour aider ceux qu'il
appelait « mes frères et sœurs les pauvres •, et lorsque
ses ressources furent épuisées, il fit appel aux autres.
Il disait, nous rapporte un contemporain : « Si, sans
mauvais vouloir, on enlevait au riche jusqu'à sa
chemise pour donner au pauvre, on ne ferait rien de
mal15 •. Il disait encore : « Ceux-là que vous appelez
pauvres et mendiants, je les nomme mes maîtres et
mes soutiens, car eux seuls nous aident réellement et
nous apportent le Royaume des Cieux16. • L'Église
byzantine n'a jamais méconnu ses obligations sociales
et l'une de ses fonctions principales a toujours été
l'œuvre de charité.
Le monachisme a joué un rôle décisif dans la vie
religieuse de Byzance, comme du reste dans tous les
autres pays orthodoxes. On peut dire sans se tromper
que « la meilleure voie pour pénétrer la spiritualité
orthodoxe est d'y entrer par le monachisme17 •. « La
vie spirituelle dans !'Orthodoxie connaît une grande
richesse de formes, dont le monachisme demeure la
plus classique18. •Lavie monastigue, sous une forme
bien définie, apparut d'abord en Egypte et en Syrie au

15. Léonce de Néapolis [Hiérapolis] Supplément à la Vie de jean


/'Aumônier, 21.
16. Ibtd., 2.
17. P. Evdokimov, L'Orthodoxie, Neuchâtel et Paris, 1959, p. 20.
18. V. Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Eglise
d'Orient, Paris : Aubier, 1960, p. 15.
Byzance, l'Église des Sept Conciles 51

JV• siècle ; de là, elle se répandit très vite dans toute


la chrétienté. Le fait que la vie monastique se soit
développée précisément à la suite de la conversion de
Constantin, et après la fin des persécutions, alors que
· le christianisme était à la mode, n'est pas une coïnci-
dence. Les moines, par leurs austérités, devinrent les
martyrs d'un autre âge. A une époque où le martyre
du sang n'existait plus, il firent contrepoids à une
chrétienté établie dans le monde. On eût facilement
oublié dans la société byzantine que Byzance était
une image et un symbole, pas encore la réalité, et
couru ainsi le risque d'identifier le Royaume de Dieu
avec un royaume terrestre. Les moines, en se retirant
dans le désert, remplirent une mission prophétique et
<;!SChatologique dans la vie de l'Église et rappelèrent
a1,1x Chrétiens que le Royaume de Dieu n'est pas de ce
monde.
Le monachisme a pris trois formes principales : elles
étaient apparues en Égypte avant l'année 350 et exis-
tent encore dans l'Église orthodoxe d'aujourd'hui. Il y
.~ d'abord les ermites, qui mènent une vie solitaire
dans des huttes ou dans des cavernes et même dans
des tombeaux, sur des branches d'arbre ou au
sommet de colonnes. Le prototype de la vie érémi-
tique est saint Antoine d'Égypte (251-356), père du
monachisme. Puis il y a la vie en communauté de
,moines habitant ensemble sous une règle commune
~t dans un monastère régulièrement constitué. Le
grand pionnier de cette vie est saint Pachôme
d'Égypte (286-346), auteur d'une règle qui a été
reprise en Occident par saint Benoît. Saint Basile le
Grand, dont les écrits ascétiques ont eu une grande
influence sur le monachisme oriental, se fit résolu-
ment l'avocat de la vie communautaire, bien qu'il ait
~té probablement plus influencé par la Syrie que par
;les maisons pachômiennes qu'il visita. Mettant l'accent
sur le caractère social du monachisme, il pressait les
52 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

maisons religieuses de s'occuper des pauvres et des


malades, d'organiser des hôpitaux et des orphelinats
et de travailler à l'intérêt général. Cependant, dans son
ensemble, le monachisme oriental a été moins préoc-
cupé d'activités pratiques que le monachisme occi-
dental ; la première tâche d'un moine orthodoxe est la
prière, et c'est par elle qu'il espère servir les autres. Ce
qu'un moine/ait n'est pas aussi important que ce qu'il
est. Il existe enfin une troisième forme de vie monas-
tique, située à mi-chemin entre les deux précédentes :
la vie semi-érémitique ; il s'agit alors de petites
communautés composées de deux à six frères, vivant
sous la direction d'un ancien, à proximité les unes des
autres sur un même site. Ses grands centres en Égypte
furent Nitrie et Scété qui, vers la fin du IV• siècle,
avaient déjà produit quelques moines exceptionnels :
Ammon, le fondateur de Nitrie, Macaire !'Égyptien et
Macaire d'Alexandrie, Évagre le Pontique et Arsène le
Grand. (Ce système semi-érémitique se retrouve du
reste également dans le christianisme celtique.) Dès
ses débuts, la vie monastique fut considérée en Orient
comme en Occident, comme une vocation tant fémi-
nine que masculine et, partout dans le monde
byzantin, les commuriautés de moniales étaient
nombreuses.
Ces monastères de l'Égypte du IV· siècle l'ont fait
regarder comme une deuxième Terre Sainte, et les
voyageurs qui se rendaient à Jérusalem trouvaient leur
pèlerinage incomplet s'il n'incluait pas également
les centres ascétiques de la vallée du Nil. Aux y• et
VI· siècles, le mouvement monastique se déplaça vers
la Palestine avec saint Euthyme le Grand (t473) et son
disciple saint Sabas (t532). Le monastère fondé par
saint Sabas dans la vallée du Cédron peut justement
prétendre à une continuité ininterrompue jusqu'à nos
jours, et c'est là que saint Jean Damascène se retira.
Presque aussi ancienne et continue est l'histoire du
!

Byzance, l'Église des Sept Conciles 53

monastère de Sainte-Catherine sur le mont Sinaï,


fündé par l'empereur Justinien (qui régna de 527 à
565). Lorsque la Palestine et le Sinaï tombèrent aux
mains des Arabes, la prééminence monastique dans
1mmpire Byzantin passa au IX· siècle au monastère du
Stoudios à Constantinople. Saint Théodore, qui en
devint l'Abbé en 799, revivifia la communauté et
révisa sa règle, attirant des foules de moines.
Depuis le x• siècle, le centre le plus important du
menachisme orthodoxe a été le Mont Athos, péninsule
tooheuse (culminant à 2000 mètres) du Nord de la
Grèce, promontoire en surplomb dans la Mer Égée.
~onnu sous le nom de Sainte Montagne, l'Athos
oo:mprend vingt monastères principaux et une grande
ijuantité de petites fondations, ainsi que des cellules
~ur. les ermites. Toute la péninsule est consacrée à
djs établissements monastiques ; au temps de leur
p:Jus grande expansion, elle a compté jusqu'à près de
quarante mille moines. La grande Laure, le plus ancien
dés vingt monastères principaux a produit à elle seule
~, patriarches et plus de cent quarante-quatre
1ffêques : cela peut donner une idée de l'importance
• Mont Athos dans l'histoire de !'Orthodoxie.
9~U n:y a pas d' • Ordres • dans le monachisme ortho-
O~N.e. En Occident un religieux est chartreux, cister-
qi~ ou appartient à quelque autre congrégation ; en
•~ient, bien qu'il soit attaché à une maison monas-
fitJue bien précise, il est simplement membre d'une
!*inde communauté qui englobe tous les moines et
ijtfiaiales. Les écrivains occidentaux appellent parfois

1
moines orthodoxes des • moines basiliens • ou
llîi,:m@ines de l'Ordre de saint Basile •, mais c'est
taiact. Saint Basile est une éminente figure du mona-
. ~Jl!Œrnte orthodoxe, mais il n'a fondé aucun Ordre; ses
ouvrages, connus sous le nom de Grandes
s et Règles Brèves, ne sont en rien comparables à
'gle de saint Benoît.
54 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Une figure typique du monachisme orthodoxe est


l'• ancien• (en grec geron, en russe starets, au pluriel
startsy). L'ancien est un moine que ses qualités spiri-
tuelles, le discernement et la sagesse, font accepter
par les autres moines et la population laïque comme
guide et directeur. Il est généralement prêtre, mais
peut être frère laïc; il n'est pas ordonné à cet effet,
mais il est sous l'inspiration directe de !'Esprit Saint.
Tant une femme qu'un homme peut être appelé à ce
ministère, car l'orthodoxie a ses mères spirituelles
comme ses pères spirituels. Les anciens voient, de
façon très concrète, quelle est la volonté de Dieu au
sujet de ceux qui viennent les consulter, et c'est en
cela que consiste leur charisme ou don particulier. Le
premier et le plus célèbre d'entre eux est saint
Antoine d'Égypte. Il passa la première partie de sa vie,
de dix-huit à cinquante-cinq ans, dans la solitude de la
retraite; ensuite, bien qu'il demeurât toujours dans le
désert, il abandonna cette vie de stricte réclusion et
commença à recevoir des visiteurs. Un groupe de
disciples se réunit autour de lui, et très rapidement de
nombreux pèlerins vinrent, souvent de très loin, lui
demander conseil. L'afflux de ces visiteurs était si
grand, dit saint Athanase, biographe de saint Antoine,
qu'il était devenu le médecin de toute l'Égypte. Saint
Antoine a eu de nombreux successeurs et l'on
retrouve chez beaucoup d'entre eux cette même
caractéristique importante: une retraite en vue d'un
retour. Le moine se retire afin d'apprendre la vérité
sur Dieu et sur lui-même. Ensuite, après une longue et
rigoureuse préparation dans la solitude, ayant obtenu
le don de discernement qui est celui d'un ancien, il
peut ouvrir la porte de sa cellule et recevoir le monde
qu'il avait fui autrefois.
L'empereur se trouvait au centre de l'administration
chrétienne de Byzance: il n'était pàs un souverain
ordinaire mais le représentant de Dieu sur la terre.
Byzance, l'Église des Sept Conciles 55

Byzance était l'image de la Jérusalem céleste et l'em-


pereur représentait, comme une icône vivante, la
monarchie de Dieu: on se prosternait à l'église devant
fts icônes du Christ comme l'on se prosternait au
palais devant l'empereur, icône lui aussi. Les dédales
du palais, la Cour avec ses cérémonies fastueuses, la
chambre du trône où rugissaient des lions mécaniques
cif 0ù chantaient des oiseaux artificiels, tout était
0

clîtstiné à faire apparaître l'empereur comme le vice-


1tdide Dieu. " De la sorte, écrivait l'empereur
~0ristantin VII Porphyrogénète, puisse le pouvoir
~périal, s'exerçant avec ordre et mesure, reproduire
1!4:mouvement harmonieux que le Créateur donne à
tStff cet univers, et l'Empire apparaîtra à nos sujets
~1fls majestueux et par-là-même plus agréable et plus
idmirable19. » L'empereur avait une place particulière
<!tÎ',;is le culte : il ne pouvait naturellement pas célébrer
lff\ficharistie, mais il recevait la communion " comme
lt's prêtres .. , en prenant le pain consacré en mains et
ll'buvant au calice, au lieu de recevoir le sacrement à
ltl~mahière des fidèles, au moyen d'une cuiller. De
f\tfs, il prononçait parfois l'homélie et, à certaines
fffés, il encensait l'autel. Les vêtements des évêques
~htidoxes de nos jours sont ceux que les empereurs
~~àntins portaient autrefois à l'église.
i~'fl11'y avait pas à Byzance une ligne de démarcation
tf~ifie entre le religieux et le séculier qui formaient un
~nsemble harmonieux, l'Église et l'Etat étant deux
lîftîes d'un même organisme. Il était dès lors inévi-
(tMe que l'empereur jouât un rôle important dans les
~ffaires de l'Église. Cependant il serait injuste d'ac-
; è'trsér Byzance de césaro-papisme, de subordination
· ~çt~le de l'Église à l'État. L'Église et l'État formaient un
organisme unique, dans lequel se différenciaient
:{;f+·'"
f('. :·' 0

{< 19. Livre des Cérémonies, t. I, Prologue. Paris : Les Belles


~1,~ttres, 1935, p. 2.
56 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

nettement d'un côté la prêtrise (sacerdotium) et de


l'autre le pouvoir impérial (imperium) ; ils travaillaient
en collaboration étroite mais gardaient l'un et l'autre
leur propre sphère d'activité dans laquelle chacun
restait autonome. Il y avait .. symphonie » et
« harmonie » entre les deux pouvoirs, mais aucun

d'eux n'exerçait sur l'autre de contrôle absolu.


C'est du reste la doctrine exposée dans le grand
code de loi byzantin rédigé par Justinien (voir la
Nove/le 6), et qui est répétée dans bien d'autres textes,
notamment dans les paroles de l'empereur Jean
Tzimiscès : « Je reconnais deux autorités, le sacerdoce
et l'empire; le Créateur a confié au premier le soin
des âmes et au second l'autorité temporelle ; pour que
le monde soit prospère, il faut que ces deux autorités
vivent en paix2o. • C'était donc le devoir de l'empereur
de réunir les conciles et de promulguer leurs décrets,
mais il aurait outrepassé son pouvoir en en dictant les
termes: c'était aux évêques, réunis en concile, à
définir la foi. Les évêques étaient choisis par Dieu
pour enseigner la foi, et l'empereur leur accordait sa
protection. Telle était la théorie, et en grande partie la
pratique. Assurément, il y eut parfois de la part des
empereurs des abus inexcusables, dans leur façon
d'intervenir dans les affaires ecclésiastiques, mais
chaque fois qu'il s'est agi de questions importantes,
les autorités ecclésiastiques ont montré qu'elles
avaient une volonté propre et bien déterminée.
L'iconoclasme eut beau être vigoureusement soutenu
par toute une série d'empereurs, il n'en fut pas moins
rejeté par l'Église. Dans l'histoire byzantine, l'Église et
l'Etat furent étroitement interdépendants mais jamais
subordonnés l'un à l'autre.
La critique est souvent sévère, tant à l'intérieur
qu'en dehors de l'Église orthodoxe, contre l'Empire

20. N.H. Baynes, Byzantine Studtes, Londres, 1955, p. 52.


Byzance, l'Église des Sept Conciles 57

byzantin et la société chrétienne qu'il voulait imposer.


Mais Byzance était-elle totalement dans l'erreur? Elle
croyait que le Christ, en vivant sur la terre comme un
homme, avait racheté chaque aspect de l'existence
humaine, et qu'il était dès lors possible de christia-
niser non seulement l'individu, mais le caractère et
l'organisation de la société. C'est pourquoi les
Byzantins s'efforcèrent de créer un régime sur des
principes entièrement chrétiens. Byzance, en fait, n'est
rien moins qu'un essai d'acceptation et d'application
çle tout ce qu'implique l'Incarnation. Cela ne pouvait
pas être tenté sans danger, et une des erreurs dans
lesquelles elle est souvent tombée a été d'identifier
cette Byzance, royaume terrestre, avec le Royaume de
Dieu et le peuple grec (ou plutôt les Romains, pour
utiliser le terme par lequel ils décrivaient eux-mêmes
leur propre identité) avec le peuple de Dieu. Byzance
a certes souvent été infidèle au magnifique idéal
qu'elle s'était fixé, et ses erreurs furent souvent lamen-
tables et désastreuses. Les récits de duplicités,
violences et cruautés byzantines sont trop connus
pour être répétés ici. Ils sont vrais, mais ils ne sont
8\l'une partie de la vérité, et malgré toutes ces insuffi-
~~inces, ·on ne peut s'empêcher d'admirer la grande
vision qui inspira Byzance : établir sur notre terre une
icône vivante du Royaume des Cieux.
.'

3
Byzance
Le grand schisme

Nous n'avons pas changé, nous sommes


toujours ce que nous étions au VII! siècle...
Oh ! st vous consentiez seulement à rede-
venir ce que vous étiez lorsque nous étions
unis dans une même foi et une même
communion!
Alexis Khomiakov

tfoignement progressif des chrétientés


:î:irientale et occidentale
~y;Jf""i'. ',~'

J~t:t>ar un après-midi d'été, l'an 1054, alors que l'office


"lfait commencer à l'église de la Sainte-Sagesse 1 à
t(fbnstantinople, le cardinal Humbert et deux autres
fl!$Jits du pape entrèrent dans l'église et se frayèrent
·.".r.n
"1r
.·. '. .·. c..h.emin jusqu'au sanctuaire. Ils n'étaient pas venus
Jepr prier. Ils placèrent sur l'autel une bulle d'excom-
.. ~~riication. Comme ils se retiraient, passant par la
;Pt>rte ouest, le cardinal secoua la poussière de ses
'Jtt;,:,;,,

,:1, En grec Hagta Sophia, très souvent appelée Satnte-Sopbte.


60 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pieds en disant: • Que Dieu voie et qu'Il juge.• Un


diacre, tout affligé, courant après lui, le supplia de
reprendre la bulle, mais Humbert refusa et la bulle
tomba dans la rue.
Tel est l'incident qui marque conventionnellement
le début du grand schisme entre l'Orient orthodoxe et
l'Occident latin. Mais cette séparation, ainsi que le
reconnaiss ent maintenan t la plupart des historiens,
n'est pas un événemen t dont on puisse fixer la date
avec précision. Elle s'est produite graduellem ent,
suivant un processu s long et compliqu é qui,
commencé bien avant le XI· siècle, ne s'est achevé que
longtemps après.
Diverses influences ont joué dans cette lente et
pénible séparation, et si la cause fondamentale du
schisme est théologiqu e et non séculière, on n'en
trouve pas moins à la base des facteurs culturels et
politiques et économiq ues. La querelle qui devait
aboutir au schisme éclata cependant pour des raisons
doctrinales, particulièrement celles des revendications
papales et du Filioque. Mais avant d'entrer dans les
détails de ces graves différends et avant d'étudier le
développe ment du schisme, il faut dire quelques mots
de la toile de fond sur laquelle se jouèrent ces événe-
ments. Bien avant que le schisme fût officiellement
consomm é, l'Orient et l'Occident étaient devenus
étrangers l'un à l'autre, et ce fait important doit être
pris en considéra tion si l'on veut essayer de
comprend re comment s'est défaite la communio n
entre les chrétiens.
Lorsque Paul et les autres apôtres voyageaient dans
le monde méditerranéen, ils voyageaient à l'intérieur
de l'Empire romain, d'une entité politique et culturelle
étroitemen t unie. L'Empire comprenai t évidemme nt
des groupes nationaux aux langues et dialectes variés,
mais ils étaient tous gouvernés par le même empereur.
L'importante civilisation gréco-rom aine rassemblait
Byzance: Le grand schisme 61

à travers l'Empire tous les gens cultivés. Le grec ou le


latin était compris presque partout, et nombreux
étaient ceux qui parlaient l'un et l'autre. C'est un état
de choses qui facilita grandement le travail mission-
naire de l'Église primitive.
Mais l'unité du monde méditerranéen devait dispa-
raître graduellement au cours des siècles suivants, en
commençant par l'unité politique. L'Empire, depuis la
fin du m• siècle, bien que théoriquement uni, était déjà
divisé entre deux Empires et comptait deux empe-
r~urs, l'un d'Orient, l'autre d'Occident. Constantin, par
lay:Jondation d'une deuxième capitale impériale, en
.Qrient, parallèlement à l'ancienne Rome d'Occident,
est en partie responsable de cette séparation.
a,!Au début du v• siècle, les invasions barbares parta-
gètent l'Occident entre leurs principaux chefs et ne
faissèrent à l'Empire que l'Italie presque entière. Les
~yzantins n'oublièrent jamais les idéaux de Rome
s::oris Auguste et Trajan et continuèrent à considérer
l~ur empire comme théoriquement universel. Mais en
t~alité, l'unité politique de l'Orient grec et de
l~Q:ccident latin fut détruite par les invasions des
Ba:rbares, sans pouvoir jamais être rétablie de façon
dùrable ; Justinien fut en fait le dernier empereur qui
essaya de combler l'abîme entre la théorie et la réalité,
41tlais après lui, ses conquêtes en Occident furent
:athandonnées.
tvt1!A la fin du VI· et au VII• siècles, l'Orient et l'Occident
{a:rent de plus en plus isolés l'un de l'autre par les
41tvasions des Avars et des Slaves dans la péninsule
Dalkanique : l'Illyrie, qui servait de passerelle, devint
,utsce sens une barrière entre Byzance et le monde
· i~tim. L'émergence de l'Islam accentua encore cette
~~uation : la Méditerranée, que les Romains appe-
4-ient autrefois Mare Nostrnm, « Notre Mer», passa en
nde partie sous le contrôle arabe et dès lors,
:S· cesser entièrement, les contacts culturels et
62 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

commerciaux devinrent de plus en plus difficiles entre


la Méditerranée orientale et occidentale.
La controverse iconoclaste contribua encore plus à
la division entre Byzance et l'Occident. Les papes
furent des fermes soutiens du point de vue des icono-
dules et ainsi, pendant plusieurs décennies, ils se trou-
vèrent en-dehors de la communion avec l'empereur
iconoclaste et le patriarche à Constantinople. Coupé
de Byzance et ayant besoin d'aide, le pape Étienne,
en 754, se tourna vers le nord et alla voir Pépin le
Bref, le souverain des Francs. Il amorçait ainsi un tour-
nant décisif, en ce qui concerne la papauté. Jusque là,
Rome avait continué à maints égards à faire partie du
monde byzantin, mais désormais, elle passait de plus
en plus sous influence franque, bien que les effets de
ce changement d'orientation ne se soient pas fait
sentir entièrement avant le milieu du onzième siècle.
La visite du pape Étienne à Pépin le Bref fut suivie,
un demi-siècle plus tard, par un événement bien plus
spectaculaire. Le jour de Noël de l'an 800, le pape
Léon III couronna Charles le Grand roi des Francs,
empereur. Charlemagne chercha par la suite à être
reconnu comme tel par le souverain de Byzance, mais
sans y parvenir. Les Byzantins, fidèles au principe de
l'unité de l'Empire, le considérèrent comme un usur-
pateur et jugèrent que le sacre par le pape était un
acte schismatique. Ainsi la création d'un Saint Empire
Romain d'Occident, loin de resserrer les liens en
Europe, ne servit qu'à séparer davantage l'Orient et
l'Occident.
L'unité culturelle subsista plus longtemps, encore
que sous une forme très atténuée. En Orient comme
en Occident, les gens instruits continuaient à vivre
dans la tradition classique dont l'Église avait hérité,
mais ils commencèrent à interpréter cette tradition de
façon de plus en plus divergente. Les questions de
langue compliquèrent le problème, lorsque les gens
Byzance : Le grand schisme 63

cultivés ne parlèrent plus nécessairement le grec et le


latin. Vers l'an 450, très peu d'Occidentaux lisaient le
grec, et après l'an 600, bien que Byzance se dé-
nommât Empire Romain, il était rare de trouver des
Byzantins parlant le latin, la langue des Romains.
Photius, le plus grand érudit du IX· siècle à
Constantinople, ne lisait pas le latin, et en 864, un
empereur • Romain • de Byzance, Michel III, alla
jusqu'à appeler la langue de Virgile • une langue de
Barbares et de Scythes •. Ceux qui désiraient lire un
ouvrage écrit dans l'autre langue pouvaient le lire en
traduction, mais la plupart ne prenaient même pas
cètte peine : Psellos, savant grec éminent du XI· siècle,
avait des notions si confuses de la littérature latine
qù'il confondit César et Cicéron. Ne s'abreuvant plus
aux mêmes sources et ne lisant plus les mêmes livres,
Grecs et Latins se séparaient de plus en plus.
Précédent significatif et de mauvais augure, la
renaissance culturelle à la cour de Charlemagne se
distingua par un préjugé contre la culture grecque.
L;'Europe du IV· siècle connaissait une seule civilisation
cWrétienne, l'Europe du xm• siècle en connut deux.
Gest peut-être au cours du règne de Charlemagne que
le schisme de civilisation commence à devenir appa-
rent. Les Byzantins, de leur côté, confinés dans le
monde de leurs idées, firent peu d'efforts pour en
sôrtir. Au IX· siècle comme plus tard, ils ne virent pas
la nécessité de prendre en considération l'enseigne-
rnertt occidental, et rejetèrent comme barbare tout ce
qui venait des Francs.
·· Ces facteurs, bien que politiques et culturels, ne
pouvaient manquer d'influencer la vie de l'Église et de
rendre plus précaire le maintien de l'unité religieuse.
Les divergences en matière de politique et de culture
conduisirent trop facilement à des divergences sur
l'Église ; l'attitude de Charlemagne en est un exemple
frappant. Lorsque Byzance refusa de reconnaître ses
64 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

droits dans le domaine politique, il fut prompt à se


venger en accusant l'Église byzantine d'hérésie ; il
attaqua les Grecs, qui n'employaient pas le Fi!ioque
dans le Credo (nous reviendrons bientôt sur ce point),
et alla même jusqu'à refuser d'accepter les décisions
du VIIe Concile Œcuménique. Bien que Charlemagne
n'ait connu les décisions du concile qu'à travers des
traductions dont les erreurs défiguraient sérieusement
la véritable signification des textes, il semble cepen-
dant avoir été lui-même semi-iconoclaste.
La situation politique, n'étant plus en Occident ce
qu'elle était en Orient, influença différemment le
développement extérieur de l'Église, et l'on en vint
peu à peu à des vues opposées. Depuis toujours,
l'Orient et l'Occident avaient eu chacun son orienta-
tion propre. En Orient, la fondation de beaucoup
d'églises remontait aux temps apostoliques, ce qui
maintenait fermement l'idée d'égalité entre tous les
évêques, en même temps que la nature collégiale et
conciliaire de l'Église. L'Orient considérait le pape
comme le premier évêque, mais premier parmi des
égaux. L'Occident par contre, ne possédant qu'un seul
siège de fondation apostolique, - Rome - finit par le
considérer comme le siège apostolique par excel-
lence. L'Occident, tout en acceptant les décisions des
conciles œcuméniques, n'y prit jamais une part très
active et l'Église lui apparaissait moins comme un
collège que comme une monarchie : celle du pape.
Les événements politiques rendirent ces diver-
gences de vue encore plus sensibles. Les invasions
barbares et la chute de l'Empire en Occident renforcè-
rent la structure autocratique de l'Église d'Occident.
Tandis que l'Orient conservait, grâce à ses empereurs,
une forte direction séculière, qui maintenait la civilisa-
tion et appliquait les lois, l'Occident fut, après l'avène-
ment des Barbares, gouverné par de nombreux chefs
militaires, tous plus ou moins usurpateurs. La plupart
Byzance : Le grand schisme 65

du temps, c'est la papauté qui fut le centre d'unité et


le seul élément de continuité et de stabilité dans la vie
spirituelle et politique de l'Europe occidentale. Par la
force des choses, les papes durent assumer un rôle
qui ne devait jamais échoir aux patriarches grecs :
donner des ordres non seulement à leurs subor-
donnés ecclésiastiques, mais aussi au pouvoir séculier.
JlÉglise d'Occident devint centralisée à un point qui
rllsta toujours étranger aux quatre patriarcats d'Orient
(saµfpeut-être pour l'Égypte); elle devint une monar-
cfüe/ alors qu'en Orient elle restait collégiale.
,c;,Ce ne fut pas le seul effet des invasions barbares sur
14':vie de l'Église. Le rôle du théologien laïc a toujours
~té assez important dans l'histoire de l'orthodoxie, et
ri~mbreux furent à Byzance les laïcs qui portaient un
ttif,intérêt aux questions de théologie. Plusieurs des
~triarches les plus distingués, dont Photius, furent
êl!îôisis parmi des laïcs et élevés directement au
~triarcat. Mais en Occident, la seule culture qui
s\àirvécut à la sombre période des invasions barbares
ftit celle que l'Église avait conservée et qu'elle réserva
•,'clergé. La théologie devint ainsi l'apanage des
11êtres : la plupart des laïcs, ne sachant pas même
J:tr~,' ne pouvaient en comprendre ni discuter les
fitails techniques. L'Orthodoxie, tout en assignant à
11épiscopat un ministère spécifique d'enseignement,
n3','jamais connu la division, si marquée en Occident
Ri'Moyen Age, entre le clergé et les laïcs.
échanges entre la chrétienté orientale et occi-
3~ntale furent aussi entravés par l'absence d'une
ttl1ngue commune. Ne pouvant plus communiquer
*-ttilement, ni lire les écrits des autres, ils en arrivèrent
fltfs facilement à des malentendus théologiques
•-univers du discours partagé fut progressivement
,~tdtJ.
l'b:E,n devenant ainsi étrangers l'un à l'autre, l'Orient et
k'tk;<2ident créaient une situation dont tous deux
66 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

devaient souffrir. L'Église primitive possédait une


unité de foi, malgré une variété d'écoles de théologie.
Depuis le début, Grecs et Latins ont toujours compris
le mystère chrétien de façon différente : au risque de
simplifier à outrance, on pourrait dire que l'approche
latine était plus pratique et celle des Grecs plus spécu-
lative ; la pensée latine était influencée par des idées
juridiques, par les concepts des lois romaines, tandis
que les Grecs comprenaient la théologie dans un
contexte cultuel et à la lumière de la sainte Liturgie.
Dans la Trinité, les Latins voyaient d'abord l'unité de
Dieu, alors que les Grecs y voyaient les Trois
Personnes. Devant la crucifixion, les Latins pensaient
d'abord au Christ, la victime, et les Grecs au Christ, le
vainqueur. Les Latins parlaient davantage de rédemp-
tion et les Grecs de déification, et ainsi de suite.
Comme pour les écoles d'Antioche et d'Alexandrie en
Orient, ces approches différentes n'étaient pas contra-
dictoires mais complémentaires, et chacune avait sa
place dans la totalité de la tradition catholique. Mais
désormais, en cette période d'éloignement, sans unité
politique et avec peu d'unité culturelle, le danger était
grand, pour les Grecs et les Latins, de suivre chacun
leur voie et, la poursuivant jusqu'à l'extrême dans cet
isolement, de sous-estimer les points de vue des uns
et des autres.
Nous avons parlé des approches doctrinales inhé-
rentes aux différentes civilisations, mais il est deux
points de doctrine où l'Orient et l'Occident, cessant
d'être complémentaires, entrèrent directement en
conflit : ce furent les revendications papales et le
Filioque. Les éléments de disparité mentionnés dans
les paragraphes précédents étaient déjà suffisants
pour provoquer des tensions sérieuses et mettre à mal
l'unité de l'Eglise, mais celle-ci aurait pu être main-
tenue si ces deux autres problèmes ne l'avaient
compromise. En les analysant, nous voyons qu'ils
.'
Byzance : Le grand schisme 67

n'apparurent au grand jour que vers le milieu du


JX• siècle, même si, de façon latente, ils existaient déjà
dèpuis longtemps.
Nous avons déjà mentionné la papauté en exposant
les différentes situations politiques d'Orient et
d'Occident, et nous avons vu comment la structure
monarchique et centralisée de l'Eglise d'Occident
avait été renforcée par les invasions barbares.
Cependant, tant que le pape ne revendiqua un
pouvoir absolu que sur l'Occident, Byzance ne
souleva aucune objection : il lui était indifférent que
l'Église d'Occident se fût centralisée à Rome, aussi
longtemps qu'elle n'intervenait pas dans les affaires
d'()rient. Le pape crut pourtant que son pouvoir juri-
dictionnel pouvait être étendu à l'Orient comme il
s~était étendu à l'Occident, mais aussitôt qu'il essaya
de faire valoir ses droits dans les autres patriarcats, les
difficultés commencèrent. Les Grecs reconnaissaient
a,µ pape une primauté d'honneur, mais non cette
s;t.îprématie universelle qu'il regardait comme un droit.
te pape considérait l'infaillibilité comme une préroga-
tiye personnelle, les Grecs soutenaient qu'en matière
èle foi, la décision finale revenait non pas au pape,
rbais à un concile représentant tous les évêques de
t~glise. Nous avons ici deu~ conceptions différentes
cle l'organisation visible de l'Eglise.
L'attitude orthodoxe vis-à-vis de la papauté est
admirablement exprimée par un auteur du XII• siècle,
Nicétas, archevêque de Nicomédie :
" Mon cher frère, nous ne refusons pas à l'Église
totnaine la primauté parmi les cinq patriarcats frater-
nels, et nous reconnaissons son droit à la première
place d'honneur dans les conciles œcuméniques. Mais
~Ile s'est séparée de nous de son propre fait, lorsque
par orgueil elle a assumé une monarchie qui n'appar-
tient pas à sa fonction ... Comment pourrions-nous
accepter les décrets qu'elle a émis sans nous consulter
68 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

et sans même que nous en ayons eu connaissance ? Si


le pontife romain, assis sur le trône hautain de sa
gloire, tonne contre nous et lance des ordres, s'il
désire nous juger et nous gouverner, nous et nos
Églises, sans concertation avec nous, mais par son
arbitraire et propre bon plaisir, quelle est cette frater-
nité et même quel genre de parenté est-ce là? Nous
serions les esclaves et non les fils d'une telle Église, et
Rome ne serait pas une mère dévouée à ses enfants,
mais une maîtresse impérieuse vis-à-vis de ses
esclavesz ...
Telle est la pensée d'un orthodoxe du xne siècle,
une fois la question posée dans toute son ampleur.
Dans les siècles précédents, l'attitude des Grecs vis-à-
vis de la papauté était déjà fondamentalement la
même, bien qu'elle ne fût pas encore exprimée avec
cette netteté, due aux controverses. Jusqu'en 850,
Rome et l'Orient avaient évité tout conflit ouvert au
sujet des revendications du pape, mais pour n'être pas
toutes apparentes, les divergences de vue n'en étaient
pas moins graves.
La deuxième grande difficulté fut soulevée par le
Filioque. La dispute s'engagea autour des mots
concernant !'Esprit Saint dans le Symbole de Nicée-
Constantinople. Le Symbole, à l'origine, se lit : « Je
crois ... en }'Esprit Saint, Seigneur, qui donne la vie,
qui procède du Père, qui, avec le Père et le Fils, est
adoré et glorifié "· Ceci est la forme originale,
conservée aujourd'hui encore sans altération dans
l'Église orthodoxe. Mais l'Occident introduisit « et du
Fils .. (en latin Filioque) de façon à lire le Symbole :
« qui procède du Père et du Fils "· Où et quand cette

addition fut faite pour la première fois n'est pas bien


établi, mais il semble qu'elle soit d'origine espagnole,

2. Cité dans S. Runciman, The Eastern Schism, p. 116.


Byzance: Le grand schisme 69

et qu'elle fut introduite pour se ~défendre contre l'aria-


n,isme. Si ce n'est auparavant, l'Eglise d'Espagne intro-
duisit le Filioque au me concile de Tolède en 589.
);)/Espagne, cette adjonction passa en France et de là
en Germanie où elle reçut un accueil favorable à la
~our de Charlemagne et fut adoptée au concile semi-
ic9noclaste de Francfort (794). Ce furent les écrivains
ài .1a cour de Charlemagne qui firent les premiers du
If,i/ioque un objet de controverse, accusant les Grecs
d!hérésie parce qu'ils récitaient le Credo dans sa
f,p,rme originelle. Mais Rome, avec un conservatisme
n7pique, continua à utiliser le Credo sans le Filioque
jusqu'au début du XI· siècle. En 808, le pape Léon III
~çrivit dans une lettre à Charlemagne que, bien que
troµvant le Filioque doctrinalement exact, il estimait
q.1,1e c'était une erreur d'altérer la rédaction du texte
~riginal du Symbole. Léon fit délibérément graver les
paroles du Credo sans le Filioque sur des plaques
~'àrgent qui furent placées dans la basilique Saint-
~jerre. A l'époque, Rome agissait en médiateur entre
Î~~ Francs et Byzance .
.' .•. Ce ne fut pas avant 850 que les Grecs prêtèrent atten-
tion au Filioque, mais lorsqu'ils le firent, leur réaction
fµt extrêmement vive. L'Orthodoxie s'opposait (et
çontinue de s'opposer) à cet ajout au Credo pour deux
Xàîsons. Premièrement le Credo appartient en commun
;à toute l'Église, et s'il faut y apporter un quelconque
(:hangement, cela doit être fait par un Concile
.<::Ècuménique. L'Occident, en modifiant le Credo sans
êbnsulter l'Orient, est coupable (comme Khomiakov l'a
fait remarquer) de fratricide moral, d'un péché contre
l'unité de l'Église. En deuxième lieu, la plupart des
Orthodoxes considèrent le Filioque comme théologi-
·tjuement inexact. Ils considèrent que l'Esprit Saint
procède du Père seul, et qu'il est hérétique de dire qu'il
procède du Fils également. Mais il se trouve des
Orthodoxes pour dire que le Filioque n'est pas en lui-
70 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

même hérétique, et qu'il est en fait admissible en tant


qu'opin ion théologique (et non en tant que dogme),
pourvu qu'il soit convenablement expliqué. Mais même
ceux qui adoptent cette attitude plus modérée le consi-
dèrent comme un ajout non autorisé.
A côté de ces deux questio ns majeur es de la
papauté et du Filioque, il y en eut d'autres, moins
importantes, concern ant des coutum es et des disci-
plines <l'Église, mais suffisantes cepend ant pour trou-
bler encore les relations entre l'Orient et l'Occident :
les Grecs admettaient l'ordination d'homm es mariés,
les Latins insistaient sur le célibat des prêtres ; ils
avaient des règles de jeûne différentes, et les Grecs
employ aient du pain levé pour !'Eucharistie alors que
les Latins se servaient de pain sans levain ou .. azyme •.
L'Orient et l'Occident, vers l'an 850, étaient encore
en pleine commu nion et formaient toujours une seule
Église. Des différences culturelles et politiques avaient
bien amené un éloigne ment progres sif mais il n'y
avait pas encore de schisme déclaré. Mais en 1190,
Théodo re Balsam on, patriar che d'Antio che, une
sommité en matière de droit canon, voyait les choses
bien différemment :
« Depuis bien des années [il ne dit pas combien
]
l'Église occiden tale a vécu hors de la commu nion
spirituelle avec les quatre autres patriarcats et est
devenu e étrangère aux orthodo xes ... Aussi ne faut-il
donner la commu nion à aucun Latin, à moins qu'il ne
déclare préalab lement renonc er aux doctrin es et
coutum es qui le séparen t de nous et qu'il accepte les
canons de l'Église, en union avec les orthodoxes3. ,,
Aux yeux de Balsamon, la commu nion avait été
brisée, une scissio n existai t entre l'Orien t et
l'Occident. Ils ne formaient plus une même Église.

3. Cité dans S. Runciman, The Eastern Schtsm, p. 139.


Byzance: Le grand schisme 71

Dans cette évolution de l'éloignement progressif au


schisme véritable, on trouve quatre incidents particu-
lièrement importants : la querelle entre Photius et le
pape Nicolas (connue sous le nom de .. schisme de
Photius », bien que l'Orient préfère le nommer
li schisme de Nicolas ») ; l'incident des diptyques en
1,009; l'essai de réconciliation en 1053-1054 et ses
suites désastreuses ; et en dernier lieu les Croisades.

De l'éloignement au schisme: 858-1204


En 858, quinze ans après le triomphe des icônes
sous Théodora, Photius, connu dans !'Orthodoxie
sous le nom de saint Photius le Grand, fut nommé
jatriarche de Constantinople. Il a été appelé • l'esprit
l~ plus remarquable, le politique le plus brillant et le
diplomate le plus fin qui ait jamais été revêtu de la
dignité patriarcale à Constantinople4 ». Peu après son
AC:Cession au trône patriarcal, il se trouva entraîné
Q:ans une dispute avec le pape Nicolas 1er (858-867). Le
patriarche précédent, saint Ignace, avait été exilé par
fempereur et, d'exil, avait démissionné sous la
<;:pntrainte ; mais ses partisans refusaient de recon-
naître la validité de cette démission et considéraient
Photius comme un usurpateur. Lorsque Photius
,envoya une lettre au pape pour l'informer de son
,~ccession au trône patriarcal, Nicolas décida d'étudier
\e différend de plus près avant de reconnaître le
,nouveau patriarche et, en 861, il envoya des légats à
Constantinople.
Photius, qui n'avait aucun désir de se quereller avec
le pape, traita ses légats avec déférence et les invita à

4. Cité dans G. Ostrogorsky, Histoire de l'État byzantin, trad.


]. Gouillard, Paris : Payot, 1983, p. 252.
72 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

présider le concile qui devait statuer sur le problème


entre Ignace et lui-même. Les légats, en accord avec
les autres membres du concile, décidèrent que
Photius était le patriarche légitime. Mais de retour à
Rome, ils furent désavoués par Nicolas qui les accusa
d'avoir outrepassé leur mandat et qui rejeta leur déci-
sion. Il décida de rejuger le cas à Rome où un concile
se tint sous sa présidence en 863. Ce concile reconnut
à Ignace le titre de patriarche et réduisit Photius à
l'état laïc. Les Byzantins ne tinrent aucun compte de
cette condamnation et ne répondirent pas aux lettres
du pape.
Ainsi s'ouvrit entre les Églises de Rome et de
Constantinople une brèche qui impliquait déjà claire-
ment les revendications papales. Nicolas était un
grand réformateur et se faisait une haute idée des
prérogatives de son siège; il avait déjà beaucoup
travaillé à l'établissement de son pouvoir souverain
sur les évêques occidentaux et pensait pouvoir
l'étendre également à l'Orient. Ainsi qu'il le dit dans
une lettre datée de 865, le pape jouit de l'autorité• sur
toute la terre, c'est-à-dire sur chaque Église•. Mais
cela, les Byzantins n'étaient pas prêts à le lui accorder.
Nicolas, dès qu'il eut appris la dispute entre Photius et
Ignace, y vit immédiatement l'occasion de renforcer
ses pouvoirs de juridiction universelle par la soumis-
sion des deux parties à son arbitrage. Lorsqu'il
comprit que Photius s'était soumis volontairement à
l'enquête de ses légats, il réalisa qu'il ne pouvait
prendre cette soumission pour un signe de reconnais-
sanèe de son pouvoir papal absolu: c'est une des
raisons qui le firent annuler les décisions de ses légats.
Byzance était bien d'accord pour en appeler à Rome,
mais sous certaines conditions, émises dans le canon
3 du concile de Sardique (343). Ce canon statuait
qu'un évêque encourant une condamnation pouvait
en appeler à Rome et que le pape, s'il jugeait la
Byzance : Le grand schisme 73

~equête fondée, pouvait ordonn er un nouvea u procès.


Ge deuxièm e procès ne devait cepend ant pas être
présidé par le pape, ni se tenir à Rome, mais devait
être tenu par les évêque s des provinces voisines de
celle de l'évêqu e condam né. Byzanc e sentit que
}mt:olas, en .réfutant les décisions de ses légats et en
exigean t un nouvea u procès à Rome même, avait
ôutrepa ssé les termes du canon. Cette conduite fut
€6âsidé rée comme une intervention injustifiable dans
lies affaires d'un autre patriarcat et tout à fait contraire
,tlx canons.
~!'*'Bientôt ce ne furent plus seulem ent les revendica-
ffbns papales, mais aussi le Filioque qui fut impliqué
fâns la querelle. Byzance ainsi que l'Occident, surtout
f:i Germanie, avaient commencé à lancer des offen-
stVês missionnaires en direction des SlavesS. Venant
~tO,den t et d'Occid ent, les avant-g ardes de ces
it~sion s conver gèrent rapidem ent, et lorsque les
q(ï~s,io nnaires grecs et germai ns se trouvè rent
~fày:;iiller ensemb le dans le pays, ils ne purent éviter
f~{ êonflits provoqués par des principes fondamenta-
fèinent différen ts. Le choc mit inévitab lement en
~Îiçlence la questio n du Filioque, employ é par les
efrrmains et non par les Grecs.
r.;La Bulgarie, que Rome et Constantinople voulaient
(td~mm ent voir entrer dans leur orbite, fut le prin-
çJîiâl motif de friction. Le khan Boris pensa d'abord
li.mand er le baptêm e aux missionnaires germain s
~~js, menacé d'une invasion byzantine, il changea de
$f:>Htique et, vers 865, il accepta d'ê!re baptisé par le
<::lergé grec. Mais Boris voulait que l'Eglise de Bulgarie
~~jt indépe ndante , et lorsque Consta ntinopl e lui
tifusa l'autonomie qu'il demandait, il se tourna vers
!'Occident, espéran t se voir accorder de plus grands

5. Voir p. 97 et suivantes.
74 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

avantages. Ayant les mains libres en Bulgarie, les


missionnaires latins lancèrent rapidement une
violente attaque contre les Grecs, mettant en avant les
différences entre les pratiques de Byzance et les
leurs: clergé marié, règles du jeûne et surtout le
Filioque. A Rome même, il n'était pas encore en
usage, mais Nicolas donna tout son appui aux
Germains lorsqu'ils insistèrent sur son emploi en
Bulgarie. La papauté, médiatrice en 808 entre les
Francs et les Grecs, n'était désormais plus neutre.
Photius s'alarma naturellement de l'extension de
l'influence germanique dans les Balkans, aux confins
mêmes de l'Empire byzantin. Mais ce fut surtout la
question du Filioque, mise maintenant bien en
évidence qui provoqua son inquiétude. Dès 867, il
prit des mesures énergiques: il écrivit d'abord une
lettre encyclique aux autres patriarches orientaux et
dénonça le Filioque, accusant d'hérésie ceux qui l'em-
ployaient. On a souvent blâmé Photius d'avoir écrit
cette lettre ; même le grand historien catholique
Francis Dvornik, si généralement favorable à Photius,
taxe cette lettre de « vaine attaque » et ajoute :
« L'erreur fut fatale, regrettable et lourde de consé-

quences6. • Mais, considérant le Filioque comme une


hérésie, Photius pouvait-il agir autrement? Il faut
également se souvenir que ce n'est pas Photius qui, le
premier, fit du Filioque une matière à controverse,
mais Charlemagne et ses clercs, soixante-dix ans plus
tôt. Photius fit suivre sa lettre par la réunion d'un
concile à Constantinople, lequel excommunia le pape
Nicolas, l'appelant « un hérétique qui saccage le
vignoble de Dieu ».
A ce moment critique, la situation changea soudai-
nement. Cette même année (867) Photius fut déposé

6. F. Dvornik, Le schisme de Photius, Histoire et Légende, Paris :


éd. du Cerf, 1950 (• Unam Sanctam ; 19 •), p. 582.
Byzance : Le grand schisme 75

par l'empe reur et Ignace nommé à nouvea u au


patriarcat, rétablissant ainsi la commu nion avec Rome.
En 869, un nouvea u concile, connu sous le nom de
concile anti-ph otien, fut tenu à Constan tinople. Il
condam na et anathém atisa Photius, réaffirmant les
décisions de 867. Ce concile, reconnu plus tard en
Occident comme le VIII° Concile Œcumé nique, s'ou-
vrit en présenc e de douze évêque s seulem ent ; par la
suite cepend ant, certaine s séances en comptè rent
jusqu'à 103.
Mais d'autres change ments allaient survenir. Le
concile de 869-870 pria l'emper eur de résoudr e la
questio n du statut de l'Église bulgare, et sans surprise,
il décida qu'elle devait revenir au patriarc at de
Constantinople. En voyant que Rome lui laisserait
encore moins de liberté que Byzance, Boris accepta
cette décisio n. A partir de 870, les mission naires
germains furent expulsés et le Filioque ne fut plus
è11tendu en terre bulgare. A Constantinople, Ignace et
Photius se réconcilièrent et, à la mort d'Ignace, en
877, Photiu s lui succéd a de nouvea u au siège
patriar cal. En 879, un autre concile se tint à
Çpnstan tinople , réuniss ant 383 évêque s, contras te
~Jngulier avec le petit nombre de particip ants du
çoncile anti-photien dix ans plus tôt. Le concile de 869
fut anathém atisé ; toutes les condam nations contre
photius furent annulées et ces décisions furent accep-
t~es par Rome sans protestation. Ainsi Photius restait
finalement victorieux, reconnu par Rome et maître en
Bulgarie en matière ecclésiastique. On a longtemps
pensé qu'il existait un deuxiè me « schism e de
Photius .. , mais Dvornik a prouvé de façon irréfutable
que ce deuxièm e schisme était un mythe ; dans la
second e période du patriarcat de Photius (877-886), la
commu nion entre Constantinople et la papauté ne fut
plus brisée. Le pape Jean VIII (872-882), qui avait peu
de sympat hie pour les Francs, ne souleva pas la
76 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

question du Filioque, et n'essaya pas non plus d'im-


poser son autorité en Orient. Il avait peut-être réalisé
à quel point la politique de Nicolas avait compromis
l'unité de la chrétienté.
Ainsi le schisme fut momentan ément résorbé, sans
pourtant qu'une solution ait été apportée aux deux
problème s majeurs soulevés par la dispute entre
Nicolas et Photius.
Photius, regardé en Orient comme un saint, un chef
de l'Église et un grand théologien, a d'abord été consi-
déré par l'Occident avec moins d'enthousiasme, et
principale ment comme l'auteur d'un schisme. On
reconnaît mieux de nos jours ses grandes qualités. • Si
nos conclusions sont acceptables, nous pouvons à
nouveau reconnaîtr e en Photius le grand homme
<l'Église, le savant humaniste et le chrétien qui fut
assez généreux pour pardonner à ses ennemis et faire
le premier pas vers la réconciliation7. " C'est ainsi que
Dvornik termine son étude monumentale sur Photius.
Au début du XI· siècle, de nouvelles difficultés s'éle-
vèrent au sujet du Filioque. La papauté avait alors
accepté l'adjonctio n: à Rome en 1014, lors du couron-
nement de l'empereur Henri Il, le Symbole fut chanté
dans sa forme interpolée. Cinq ans auparavant, en
1009, le pape Serge IV, récemment élu, avait envoyé à
Constantinople une déclaration de foi, incluant peut-
être le Filioque, bien que ceci ne soit pas certain. Quoi
qu'il en soit, le patriarche de Constantinople, (égale-
ment appelé Serge), sans protester officiellement,
n'avait pas repris dans les diptyques le nom du
nouveau pape. Les diptyques sont des listes tenues
par chaque patriarche et sur lesquelles sont inscrits les
noms des autres patriarche s, vivants ou décédés,
tenus pour orthodoxes. Les diptyques sont les signes

7. Ibid.
Byzanc e : Le grand schisme 77

visibles de l'unité de l'Église ; omettre délibérément


d'inscrire quelqu 'un sur la liste équivaut à déclarer ne
pas être en comm union avec lui. Après 1009, le nom
du pape n'app arut plus sur les diptyq ues de
Constantinople ; on peut donc considérer technique-
ment que c'est depuis ce mome nt que Rome et
Consta ntinop le cessèr ent officie llemen t d'être en
commu nion. Mais il serait imprud ent d'insister sur ce
point, car les diptyques furent très souven t incomplets
et ne peuven t être pris pour des guides infaillibles
dans les relations entre Églises. Les papes ont souven t
été omis dans les diptyques de Constantinople dès
avant 1009, parce que, au momen t de leur accession
au trône, ils avaient négligé de notifier leur élection
aux Églises d'Orient. L'omission de 1009 ne souleva
donc pas de commentaires à Rome, et à Constan-
tinople on oublia rapidement pourqu oi le nom du
pape avait d'abor d été exclu des diptyques.
Au cours du XI· siècle, les relations se tendire nt
entre la papaut é et les patriarches orientaux. Le siècle
précéd ent avait été une périod e d'instabilité et de
confus ion pour le siège de Rome ; ce fut un siècle que
le cardinal Baronius put justement appele r un âge de
fer et de plomb dans l'histoire de la papauté. Mais
sous l'influe nce germa nique, Rome se réforma et,
sous l'impulsion d'hom mes tels que Hildebrand (le
pape Grégoire VII) ; acquit en Occide nt une puis-
sance encore jamais atteinte. La papaut é réform ée
repren ait conscience de la revendication d'une juridic-
tion universelle, émise par Nicolas. De leur côté, les
Byzantins, habitués à traiter avec une papaut é faible et
désorganisée, avaient de la peine à s'accoutumer à la
nouvel le situation. Les choses furent encore enveni-
mées par des facteurs politiques tels que les incur-
sions des Normands en Italie byzantine et l'agressivité
comm ercial e des villes mariti mes italien nes en
Méditerranée orientale durant les XI· et XII· siècles.
78 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Une grave querelle éclata en 1054. Les Normands


ayant forcé les Grecs d'Italie byzantine à se conformer
aux usages latins, le patriarche de Constantinople,
Michel Cérulaire, exigea en retour que les églises
latines de Constanti nople adoptent les coutumes
grecques. Devant leur refus, en 1052, il ferma ces
églises. C'était peut-être dur, mais, en tant que
patriarche, il avait le droit d'agir ainsi. Michel et ses
partisans s'élevaient en particulier contre l'emploi de
pain azyme (sans levain) pour l'eucharistie, question
qui n'avait pas été soulevée au IX· siècle. En 1053,
cependan t, Cérulaire se montra plus conciliant et
proposa au pape Léon IX de rétablir son nom dans les
diptyques. En réponse, et pour en terminer avec les
questions litigieuses des usages grecs et latins, Léon
envoya en 1054 trois légats à Constantinople. La délé-
gation fut conduite par Humbert, évêque de Silva
Candida : choix malheureux car ce cardinal était, tout
comme Cérulaire, un homme raide et intransigeant ;
leur rencontre n'était pas de nature à promouvoir la
bonne volonté entre Chrétiens. Les légats, en se
présentant à Cérulaire, ne créèrent pas une impres-
sion favorable: ils lui jetèrent une lettre du pape et se
retirèrent sans lui adresser les salutations d'usage.
Cette lettre, bien que signée par le pape Léon, avait
été rédigée par Humbert en termes hostiles. Après
cela, le patriarche refusa tout nouveau contact avec
les légats. Humbert perdit patience et déposa sur
l'autel de l'église de la Sainte-Sagesse une bulle d'ex-
communication contre Cérulaire. Dans ce document,
parmi d'autres accusations sans fondement, Humbert
reprochait aux Grecs d'omettre le Filioque dans le
Symbole. Il quitta Constantinople aussitôt, sans plus
d'explications et, de retour en Italie, présenta l'inci-
dent comme une grande victoire pour le siège de
Rome. Cérulaire et son synode se vengèrent en jetant
l'anathèm e sur Humbert (mais pas sur l'Église de
Byzance: Le grand schisme 79

Rome en tant que telle). La tentative de réconciliation


avait envenim é la situation.
Cepend ant, même après 1054, des relation s
amicales persistèr ent entre l'Orient et l'Occident. Les
deux parties de la chrétient é n'étaient pas encore
conscien tes d'un grand abîme les séparant , et on
espérait que les malenten dus pourraie nt être dissipés
sans trop de difficultés. La majorité des chrétiens
restait en dehors de la dispute. Ce furent les croisades
qui rendiren t le schisme définitif: elles introduisirent
un esprit nouveau de haine et d'amertu me et portè-
rent le conflit au niveau même du peuple.
Stratégiq uement parlant, les croisade s débutère nt
avec éclat : Antioche fut prise sur les Turcs en 1098,
Jérusale m en 1099. Ce fut un brillant, quoique
sanglan t succès8 . Aussi bien à Antioch e qu'à
Jérusale m, les croisés installèr ent des patriarch es
latins. C'était une chose raisonna ble à Jérusalem, dont
le siège était alors vacant et la populatio n grecque
autant que latine accepta dans un premier temps le
patriarch e latin (il y eut cependa nt durant les années
suivante s une successi on de patriarch es grecs de
Jérusalem , vivant en exil à Chypre). L'abbé Daniel de
Tchernig ov, un pèlerin russe à Jérusalem en 1106-
1107, raconte que Grecs et Latins priaient ensembl e
.aux Lieux Saints ; il note cependa nt avec satisfaction
que les veilleuse s grecques , à la cérémon ie du Feu
sacré, furent miracule usement allumées, tandis que
les Latins durent allumer les leurs à celles des Grecs9.
Mais à Antioche, les croisés trouvère nt un patriarche

8. • Dans le temple et le portique de Salomon, écrivait Raymond


d'Agiles, les hommes chevaucha ient avec du sang jusqu'aux
genoux et aux rênes ... La ville était pleine de cadavres et de sang•
(PL 155, cité dans A.C. Krey, The First Crusade, Princeton, 1921,
p. 261).
9. Premiers Chrétiens de Russie, éd. R. Marichal, Paris 1966,
p. 110-111.
80 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

grec résidant effectivement dans la ville. Peu


aprè
est vrai, il se retira à Constantinople, mais la popu s, il
latio n
locale grec que ne désira pas reconnaître le patri
arche
latin que les croisés avaient installé à sa plac
e. Ainsi,
dès 1100, il y eut un schisme à Antioche, divis
ant la
popu latio n entr e deux patriarches et oppo sant
un autel
à un autre. Après 1187, lorsq ue Saladin s'em
para de
Jéru sale m, la situation en Terre Sainte se dété
riora :
deux patriarches rivaux siégeaient en Palestine,
divisant
la popu latio n chrétienne, le patriarche latin à Sain
t Jean
d'Acre, le patriarche grec à Jérusalem.
Ces schi sme s loca ux d'An tioch e et de Jéru
sale m
fure nt en eux- mêm es et par leur s cons éque
nces de
som bres évén eme nts. Rome était loin. Lorsque
Rome
et Con stan tino ple se querellaient, la dista nce
entr e les
deu x capi tales rend ait la polé miq ue prat ique
men t
indi ffére nte aux chré tien s moy ens de Syrie
ou de
Palestine. Mais lorsq ue deux évêq ues rivaux se
disp u-
taien t un sièg e et que deux grou pes de fidèl
es en
conflit habi taien t la mêm e ville, le schi sme
deve nait
une réali té tang ible qui imp liqu ait dire ctem
ent les
simp les croyants. Ce sont les croi sade s qui ont
trans-
form é la disp ute en une affaire qui impliqua
it des
asse mbl ées chré tienn es entiè res et non seul eme
nt des
chef s de l'Église : les croisés port èren t le schi
sme à
l'éch elon local.
La situation emp ira enco re en 1204 avec la prise
de
Con stan tino ple pend ant la quat rièm e croi sade
. Les
croi sés deva ient en prin cipe se rend re en Égyp
te, mais
se laissèrent pers uade r par Alexis, fils d'Isa ac
Ange,
emp ereu r dép osé de Byz ance , de se tour ner
vers
Con stan tino ple afin de le rétablir sur le trôn e ainsi
que
son père . Cette inter vent ion occi dent ale dans
la poli-
tiqu e byza ntin e fut malh eure use, et en fin de
com pte
les croisés, dégo ûtés par ce qu'ils appe laien t
la dupli-
cité grec que, perd iren t patie nce et sacc agèr ent
la ville.
Les Chrétiens d'Or ient n'on t jamais oubl ié ces horr
ibles
Byzanc e: Le grand schisme 81

journées de pillage. Même les Sarrazins sont bons et


compatissants, protesta Nicétas Choniates, comparés
avec ces hommes qui portent la croix du Christ sur
leurs épaules. Pour Sir Steven Runciman, " les Croisés
n'appo rtèrent pas la paix mais le glaive : et le glaive
était pour sépare r la ChrétientélO ... Les différents
doctrinaux restés latents pendan t tant d'anné es étaient
mainte nant exacer bés du côté grec par une haine
nationale intense, par le ressentiment et l'indignation
causés par les agressions sacrilèges des Occidentaux.
Après 1204, sans aucun doute, la divisio n s'était
installée entre l'Orient et l'Occident chrétiens.
Sur les questions doctrinales qui firent l'objet de la
controverse, Rome comme l'orthodoxie pense avoir eu
raison, et chacune, depuis le schisme, se considère
comme la véritable Église. Cependant l'une et l'autre,
sûres de leur juste cause, doivent regarder le passé avec
tristesse et se repentir, elles doivent reconnaître toutes
deux qu'elles auraient pu et qu'elles auraient dû faire
davantage pour éviter le schisme. Sur le plan humain, il
y eut des erreurs des deux côtés. Les orthod oxes
peuven t se reprocher l'orgueil et le mépris témoignés
aux occide ntaux penda nt la périod e byzant ine, et
condam ner leur propre attitude lors d'incidents tels que
les troubles de 1182, lorsque de nombreux Latins rési-
dant à Constantinople furent massacrés par la populace
byzantine (bien que rien ne soit comparable, du côté de
Byzance, au sac de Constantinople en 1204). Chacune,
tout en affirmant être la véritable Église, doit admettre
qu'au niveau des relations humaines, elle a été grave-
ment appauv rie par la séparation. L'Orient grec et
l'Occident latin étaient et demeurent nécessaires l'un à
l'autre et, pour tous les deux, le grand schisme est une
grande tragédie.

10. The Eastern Scbtsm, p. 101.


82 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

De ux essais de réu nio n ;


la con tro ver se des hésychastes

En 1204 les Croisés avaient installé à Constan


un roya ume latin éph émè re qui prit fin tinople
en 1261,
lors que les Gre cs repr iren t leur capi tale
. Byz ance
suiv écut deu x siècles enco re et ce fut une
péri ode de
gran de renaissance culturelle, artistique et
religieuse.
Mais, poli tiqu eme nt et écon omi que men t,
la situation
de l'Empire byza ntin restauré était de plus
en plus
préc aire : il était de moi ns en moi ns capa ble
de résister
aux pres sion s continuelles des arm ées turq
ues.
Deu x imp orta ntes tentatives de réconciliatio
n furent
faites, l'un e au XIW et l'autre au :xv• siècle,
entr e les
chré tien s d'Or ient et d'Oc cide nt. L'âme de
la prem ière
entr epri se fut Michel VIII (qui régn a de 1259
à 1282),
qui avait repris Constantinople. Son dési r
sinc ère de
l'un ité chré tien ne à des fins religieuses n'éta
it pas sans
mob iles poli tiqu es : men acé par des atta
que s de
Charles d'Anjou, souv erai n de Sicile, il avai
t un pres -
sant beso in de la prot ecti on du pap e et espé
rait que
l'un ion des Églises serait le meilleur moy en
d'ob teni r
l'aid e nécessaire. Un conc ile d'un ion fut tenu
à Lyon
en 127 4; les orth odo xes prés ents acce
ptèr ent de
reco nna ître l'aut orité du pap e et de réciter
le Cred o
avec le Filioque. Mais l'accord resta lettre
mor te et fut
vigo ureu sem ent rejeté par une écra sant e majo
rité, tant
cléricale que laïque, dan s l'Église byza ntin
e ainsi que
par la Bulgarie et les autr es pay s orth odo xes.
La réac-
tion gén éral e prov oqu ée par le conc ile de
Lyon peu t
se résu mer dan s les paro les attri buée s à
la sœu r de
l'em pere ur: « Plutôt voir péri r l'em pire de
mon frère
que de port er atteinte à la pure té de la foi orth
odo xe. •
L'union de Lyon fut form elle men t désa vou
ée par le
succ esse ur de Michel qui fut, pou r son
"apostasie",
priv é de sépu ltur e chré tien ne.
Byzance : Le grand schisme 83

Pendan t ce temps l'Orient et l'Occident s'écartaient


de plus en plus l'un de l'autre aussi bien en matière de
théolog ie que dans leurs concept ions différentes de la
vie chrétien ne. Byzance continu ait à vivre dans une
atmosp hère patristique, fidèle au langage et aux idées
des Pères grecs du N· siècle, alors qu'en Occiden t la
traditio n des Pères était graduel lement remplac ée par
la scolasti que, cette grande synthès e de philoso phie et
de théolog ie élaboré e aux XII· et XIII· siècles. Les théo-
logiens occiden taux comme ncèrent à employ er de
nouvel les catégo ries de pensée , de nouvel les
méthod es théolog iques et une nouvell e terminologie,
que l'Orient ne compre nait pas. Entre les deux parties,
• l'univers du discour s .. se perdait davantage.
Byzanc e contrib ua à ce process us par des dévelop -
pemen ts théolog iques qui restère nt inconn us en
Occiden t, bien qu'ils n'aient jamais été aussi radicaux
que la révolut ion scolastique. Ces dévelop pement s
théolog iques ont trait à la controverse hésychaste qui
comme nça à Byzance au milieu du XN· siècle, sur la
doctrin e de la nature de Dieu et les méthod es de
prière dans l'Église orthodo xe.
Pour compre ndre la controv erse hésychaste, il faut
remont er au début de l'histoi re de la théolog ie
mystiqu e oriental e. Dans ses grandes lignes, cette
théolog ie fut élaboré e par saint Clément d'Alexandrie
(t215) et par Origène d'Alexa ndrie (t253 ou 254),
leurs idées furent dévelop pées au N· siècle par les
Cappad ociens, particulièrement Grégoire de Nysse, et
par un ascète au désert d'Égypte, Évagre le Pontique
( t399). Cette tradition mystique est marquée, particu-
lièreme nt dans le cas de Clément et de Grégoire, par
un usage très fréquen t de l'approc he apopha tique, qui
décrit Dieu en termes négatifs plutôt que positifs.
Puisque l'esprit humain ne peut, à proprem ent parler,
compre ndre Dieu, le langage employ é pour se référer
à Lui est inévitab lement inexact . Toutefo is on est
84 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

moins induit en erreur en employan t le langage


négatif que le langage positif. On refuse de dire ce
que Dieu est, pour dire ce qu'Il n'est pas. Ainsi que l'a
dit saint Grégoire de Nysse: " C'est en cela que
consiste en effet la vraie connaissan ce de Celui qu'on
cherche et sa vraie vision [de Dieu], dans le fait de ne
pas voir, parce que Celui qu'on cherche transcende
toute connaissa nce séparé de toute part par son
incompréh ensibilité comme par une ténèbrell. »
La théologie apophatiq ue atteignit son expression
classique dans le corpus aréopagitique. Pendant bien
des siècles, ces livres furent attribués à saint Denys
l'Aréopagi te, converti au christianis me par Paul, à
Athènes (Actes 17, 34) ; en fait, ils sont l'ouvrage d'un
auteur inconnu qui vécut probablem ent vers la fin du
v• siècle, et qui peut avoir appartenu à des cercles
réservant bon accueil aux non-chalcé doniens. Saint
Maxime le Confesseur (t662) écrivit des commentaires
sur le corpus aréopagitique. lui assurant ainsi une place
définitive dans la théologie orthodoxe . Denys influença
aussi fortement l'Occident : il est cité 1760 fois dans la
Somme Théologique de saint Thomas d'Aquin, et un
chronique ur anglais du XIV· siècle écrit que la Tbéologie
mystique de Denys • court à travers l'Angleterre comme
un cerf ». Le langage apophatiqu e de Denys fut repris
par bien d'autres : « Dieu est infini et inconnaissable,
écrit saint Jean Damascèn e, et tout ce qu'on peut
comprend re de Lui est son infinité et son incompré-
hensibilité ... Dieu n'appartie nt pas à la classe des
choses existantes: non parce qu'il n'aurait pas d'exis-
tence, mais parce qu'il est au-dessus de toutes choses
existantes, au-dessus de l'existence mêmet2. •

11. Vie de Mofse Il, 163, éd. J. Daniélou, SC lter, Paris 1968,
p. 211-213 (PG 44, 377A).
12. Sur la Foi Orthodoxe 1,4 (PG 94, 800B). éd. trad.
E. Ponsoye ; Paris : Institut Saint-Denys 1996 et 2• éd. Paris : éd. de
l'Ancre, 1993; nouvelle éd. en préparation dans SC.
Byza nce : Le gran d schisme 85

Cet acce nt mis sur l'incognoscibilité de Dieu pour -


rait semb ler de prim e abor d exclu re toute expé rienc e
direc te de Dieu. Mais en fait, beau coup de ceux qui
utilis èrent l'app roch e apop hatiq ue la cons idéra ient
non pas simp leme nt comm e un moye n philo soph ique
pour indiq uer l'infinie trans cend ance de Dieu, mais
aussi et plus fond amen talem ent comm e un moye n
pour attein dre à l'uni on myst ique avec Lui par la
prière. Les néga tions , en mêm e temp s qu'el les serve nt
à qualifier des affirmations positives sur Dieu, agis-
saien t comm e un tremp lin par leque l le théol ogien
myst ique cherc hait à bond ir avec toute la pléni tude de
son être dans le vivan t mystère de Dieu. C'est le cas,
par exem ple, de Grégoire de Nysse, de Deny s et de
Maxime, qui tous font un large usag e de l'app roche
apop hatiq ue : pour eux la voie néga tive était en
mêm e temp s la « voie d'uni on ». Mais on peut se
dema nder : comm ent pouv ons-n ous attein dre à une
renco ntre face à face avec Dieu, Celui qui est infini-
ment trans cend ant? Com ment Dieu peut-Il être à la
fois conn aissa ble et inconnaissable ?
C'éta it l'une des ques tions auxq uelle s furen t
confr ontés au XN· siècle les hésychastes. (Leur nom
dériv e du grec besycbia, qui désig ne le silence inté-
rieur. L'hésychaste est celui qui se cons acre à la prière
silen cieus e, une prièr e dépo uillée , autan t que faire se
peut, de toute s les images, les parol es et la pens ée
discursive). Cette ques tion va de pair avec une autre :
quell e est la place du corps dans la prière ?
Évagre, comm e Origè ne, a souv ent empr unté un
peu trop au plato nism e; c'est en intellectuel qu'il écrit
sur la prière, comm e si elle était une activité de l'intel-
lect plutô t que celle de l'hom me tout entier, corps et
âme ; et il ne semb le pas acco rder de rôle positif au
corp s de l'hom me au cour s de ce long travail de
réde mpti on et de déification. D'au tres écrits ascé-
tique s, les Hom élies de Macaire, deva ient rétab lir
86 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

l'équilibre entre le corps et l'esprit. [La tradition a


longt emps attrib ué ces homé lies à saint Macaire
!'Égyp tien (300-390), mais elles sont actuel lemen t
consid érées comm e l'œuv re d'un auteu r inconnu qui
vivait en Syrie ou peut-être en Asie Mineure vers 380.J
Ces homél ies s'en tienne nt à une conce ption plus
bibliq ue: l'hom me n'est pas une âme empri sonné e
dans un corps (comm e dans la pensé e grecque), mais
il est en même temps âme et corps, être intégral. Là où
Évagre parle de l'intellect (en grec noûs), Macaire
emplo ie l'idée hébra ïque de cœur, et ce chang ement
d'acce nt est caractéristique, parce que le cœur inclut
non pas seulem ent l'intellect, mais aussi la volonté, les
émoti ons et même le corps, la plénit ude de l'homme.
Employant le mot « cœur • dans le sens que Macaire
lui donne , l'ortho doxe parle souve nt de• la prière du
cœur •. De quoi s'agit -il ? Lorsq u'un homm e
comm ence à prier, c'est d'abor d avec les lèvres et il
fait un effort intellectuel pour comp rendre le sens de
ce qu'il dit. Mais s'il persévère, priant constamment
avec recueillement, son intellect et son cœur s'unis-
sent : il trouve le « lieu du cœur • ; son esprit acquiert
le pouvo ir de« demeu rer dans le cœur et c'est ainsi
li

que sa prière devie nt« la prière du cœur •. Elle n'est


plus seulem ent dite avec les lèvres, ou pensé e par l'in-
telligence, mais elle devient une prière sponta némen t
offerte par l'hom me tout entier, lèvres, intelligence,
émotion, volonté, corps. La prière remplit entièrement
la conscience, elle ne doit plus être .. pouss ée mais se
li

dit elle-même. Cette prière du cœur ne s'obtient pas


par nos propr es efforts, mais elle est un don de la
grâce de Dieu.
Les auteurs orthod oxes qui emplo ient l'expression
«prière du cœur ont en général à l'esprit une prière
li

très particulière, la prière de Jésus. Saint Diadoque de


Photicé (milieu du v• siècle) et saint Jean Climaque,
abbé du Mont Sinaï (vers 579-649), parmi d'autres
Byzance : Le grand schisme 87

écrivains de spiritualité grecque, recomman dent la


continuelle répétition ou le rappel du Nom de Jésus,
comme une forme de prière très précieuse. Au cours
des temps, l'invocation du Nom s'est cristallisée dans
une courte phrase, connue sous le nom de " prière de
Jésus » : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié
de moi13. Peut-être déjà auparavant, mais certaine-
ment au XIII· siècle, cette prière était liée à certains
exercices physiques destinés à favoriser la concentra-
tion. La respiration était soigneusement rythmée selon
la prière, et une certaine posture était recommandée,
la tête inclinée, le menton appuyé sur la poitrine, les
yeux fixés sur le lieu du cœur14. Ceci est souvent
appelé • méthode de prière hésychaste ", mais il ne
faut pas croire que, pour les hésychastes, les exercices
physiques aient constitué l'essentiel de la prière. Ces
méthodes n'étaient pas considérées comme une fin en
soi, mais comme des moyens d'arriver à la contempla-
tion ; elles étaient des accessoires utiles à certains
mais non obligatoir es pour tous. Les hésychast es
savaient qu'il n'existe pas de moyen mécanique pour
obtenir la grâce de Dieu et qu'aucune technique ne
conduit obligatoirement à l'état mystique.
Pour les hésychastes de Byzance, le couronnem ent
de l'expérienc e mystique est la vision de la lumière
divine et incréée. L'œuvre de saint Syméon le
Nouveau Théologien (949-1022), le plus grand des
mystiques byzantins, est pleine de ce • mysticisme de
la lumière "· Lorsqu'il écrit au sujet de ses expériences
personnelles, il parle toujours de la lumière divine

13. De nos jours, la coutume orthodoxe termine souvent la


prière par • aie pitié de moi, pécheur •, addition du reste plus
usuelle chez les Russes que chez les Grecs (voir la prière du
Publicain, Luc 18, 13).
14. Il y a des parallèles intéressants entre les méthodes hésy-
chastes et le Yoga des Indes ou le Dhikr des Musulmans ; mais il
ne faudrait pas exagérer les points de similitude.
88 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

qu'il comp are à « un feu réellement divin », à « un feu


incr éé et invis ible, sans com men cem ent et
immatériel ». Et les hésychastes étaient certains que
cette lumière dont ils faisaient l'expérience était cette
mêm e lumière incréée qui frappa les disciples lors de
la Transfiguration sur le mont Thabor. Mais comm ent
conc ilier cette vision de la lumi ère divine avec la
doctrine apop hatiq ue d'un Dieu transcendant et inap-
proc hable ?
Toutes ces questions conc ernan t la transcendance
de Dieu, la lumière divine et le rôle du corps dans la
prièr e mûrirent vers le milieu du XIV· siècle. Les hésy-
chastes furent alors violemment attaqués par un lettré
grec d'Italie, Barlaam le Calabrais, qui expo sa sous sa
forme extrême la doctrine de Dieu « autre » et incon-
naiss able. Le poin t de vue de Barlaam resse mble
quelq ue peu à celui des philo soph es nominalistes de
la mêm e époq ue en Occi dent, mais Barlaam tira
prob ablem ent son ensei gnem ent de sources grecques.
Parta nt d'un e inter préta tion parti ale de Deny s, il
préte ndait que Dieu ne peut être conn u qu'indirecte-
men t; l'hésychaste, disait-il, a tort de parle r d'une
expé rienc e directe de Dieu, car une telle expérience
est impossible dans cette vie. Raillant les exercices
phys iques empl oyés par les hésychastes, Barlaam les
accusait de concevoir la prière avec un matérialisme
grossier. Leur prétention d'atteindre à la vision de la
Lumière Divine et Incréée le scandalisait. Comment,
de ses yeux humains, un homm e pourrait-il voir l'es-
senc e de Dieu ? Il préte ndait que la lumi ère dont
parlaient les hésychastes n'était pas la lumière éter-
nelle de la divinité, mais une lumière créée et tempo-
raire.
Saint Grégoire Palamas (1296-1359), archevêque de
Thessalonique, prit la défense des hésychastes. Il soutint
une doctrine qui, conjointement à la prière, permettait
des exercices physiques. Il affirma, contrairement à
Byzance: Le grand schisme 89

Barlaam, que les hésychastes avaient bien réellement


connu la lumière divine et incréée du mont Thabor.
Pour expliquer comment cela était possible, Grégoire
développa la distinction entre l'essence et les énergies
de Dieu. Ce fut son grand mérite de donner à l'hésy-
chasme une base dogmatique ferme en l'intégrant
dans la théologie orthodoxe. Les conciles de
Constantinople de 1341 et 1351 qui, sans être œcumé-
niques, ont cependant une autorité doctrinale, dans la
théologie orthodoxe, à peine inférieure à celle des
sept Conciles généraux, confirmèrent l'enseignement
de saint Grégoire Palamas. La chrétienté occidentale
n'a cependant jamais reconnu ces deux conciles,
même si de nombreux Chrétiens d'Occident acceptent
personnellement la théologie de Palamas.
Grégoire commença par réaffirmer la doctrine
biblique de la personne humaine et de l'Incarnation.
La personne humaine est un tout unique et uni : non
seulement l'esprit humain, mais toute la personne
humaine a été créée à l'image de DieulS. Le corps de
l'homme n'est pas l'ennemi de son âme, mais son
partenaire et son collaborateur. Le Christ, prenant un
corps humain lors de Son incarnation, a « fait de la
chair une inépuisable source de sanctification16 "·
Grégoire développe ici des idées implicites chez les
écrivains antérieurs, tels que l'auteur des Homélies de
Macaire. C'est bien la même insistance sur le corps
humain qu'on trouve dans la doctrine orthodoxe des
icônes. Saint Grégoire Palamas applique cette doctrine
de la personne à la méthode hésychaste de prière : les
hésychastes, en donnant tant d'importance au rôle du
corps pendant la prière, ne sont pas coupables de

15. PG.150, 1361C


16. Homélie 16, PG 151, 193B. trad. fr. Jérôme Cler: Grégoire
Palamas, Douze Homélies pour les Fêtes, Paris: YMCA-PRESS et
O.E.I.L., Paris 1987, p. 120.
90 L 'Orthodoxie, / 'Église des sept Conciles

matérialisme grossier : ils demeurent simplement


fidèles à la doctrine biblique de l'intégrité de
l'homme. Le Christ, en s'incarnant dans un corps
humain, a sauvé l'homme tout entier, corps et âme ;
c'est donc l'homme tout entier qui élève sa prière vers
Dieu.
Grégoire se tourna ensuite vers l'essentiel. du
problème, qui était de combiner ces deux affirma-
tions : que l'homme connaît Dieu et que Dieu est par
nature inconnaissa ble. D'après Grégoire, nous
connaissons les énergies de Dieu, mais nous ne
pouvons approcher Son essence. La distinction entre
l'essence de Dieu (ousia) et Ses énergies remonte au
temps des Pères Cappadociens ... Nous connaissons
notre Dieu par Ses énergies, écrivait saint Basile, mais
nous ne pouvons nous targuer d'approcher Son
essence, car Ses énergies nous parviennent, mais Son
essence reste hors d'atteinte17. • Grégoire acceptait
cette distinction. Il affirmait, aussi expressément que
n'importe quel partisan de la théologie apophatique,
que Dieu est en essence absolument inconnaissable .
.. Dieu n'est pas une nature, écrivait-il, car Il est au-
dessus de toute nature ... Il n'est pas un être, car Il est
plus que tous les êtres ... aucune chose créée n'a et
n'aura jamais la moindre communion avec la nature
suprême, n'en approchera jamais18 •. Mais si loin qu'il
soit de nous en essence, Dieu Se révèle à l'homme par
Ses énergies. Ces énergies n'existent pas en-dehors de
Lui, elles ne sont pas un don que Dieu fait à l'homme :
elles sont Dieu Lui-même ; agissant et se révélant au
monde. Dieu existe complètement et entièrement en
chacune de Ses énergies divines. Ainsi que le dit le
poète anglais Gerard Manley Hopkins : le monde est

17. Lettre 234, 1. Voir les Lettres de Saint Bastie, éd.


Y. Courtonne, Paris : les Belles Lettres, 1966, tome 3, page 42.
18. PG 150, 1176C.
Byzance : Le grand schisme 91

rempli de la grandeur de Dieu ; la création est un


immense buisson ardent imprégné mais non consumé
par le feu ineffable et merveilleux des énergies de
Dieu 19.
C'est par ces énergies que Dieu entre en relation
directe avec l'humanité. Par rapport à l'homme, cette
énergie divine n'est rien d'autre que la grâce de Dieu; la
grâce n'est pas un .. don de Dieu ", ce n'est pas une chose
que Dieu donne à l'homme, mais c'est la manifestation
même du Dieu vivant ; c'est une rencontre personnelle
entre le Créateur et Sa créature ... La grâce ... signifie
toute la richesse de la nature divine, en tant qu'elle se
communique aux hommes.20,. Lorsque nous parlons de
saints transformés ou« déifiés .. par la grâce de Dieu, c'est
parce que nous savons qu'ils ont eu une expérience
personnelle de Dieu; ils connaissent Dieu, c'est-à-dire
Dieu dans Ses énergies et non dans Son essence.
Dieu est Lumière, c'est pourquoi l'expérience des
énergies de Dieu prend la forme de la lumière. La
vision des hésychastes, affirme saint Grégoire
Palamas, n'est pas la vision de quelque lumière créée,
mais la Lumière même de la Divinité, la même lumière
qui a enveloppé le Christ sur le mont Thabor. Cette
lumière n'est pas accessible aux sens ou matérielle,
mais elle peut néanmoins être vue par des yeux
humains (ainsi qu'elle le fut par les disciples à la
Transfiguration), parce que les facultés corporelles
d'un homme déifié sont transformées en même temps
que son âme. La vision de la lumière par les hésy-
chastes est donc une véritable vision de Dieu, de Ses
divines énergies, et ils ont raison de l'identifier à la
lumière incréée du mont Thabor.

19. Comparer saint Maxime le Confesseur, Ambigua, PG 91,


1148D.
20. V. Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Église
d'Orient, p. 159.
92 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Ainsi Palamas, tout en préservant la transcendance


de Dieu, évite le panthéisme auquel conduirait aisé-
ment un mysticisme imprud ent ; mais il tient compt e
de l'immanence de Dieu, de Sa continuelle présence
dans le monde. Dieu est • le Tout Autre .. , et cepen-
dant, à travers Ses énergies (qui sont Dieu Lui-même),
Il entre en relation immédiate avec le monde. Dieu est
un Dieu vivant, celui de l'histoire, de la Bible, Celui
qui S'est incarné en Christ. Barlaam, en excluant toute
connai ssance directe de Dieu et en affirmant que la
divine lumière est une chose créée, instaure un abîme
trop profon d entre Dieu et l'homme. La préoccupa-
tion principale de Grégoire en s'oppo sant à Barlaam
était donc la même que celles d'Atha nase et des
concil es généra ux: comm e eux, il protég eait les
rappor ts directs de l'homm e avec Dieu et soutenait la
déification totale et l'entière rédemption de l'homme.
C'est la même doctrin e du salut, déjà sous-jacente
dans les contro verses conce rnant la Trinité , la
person ne du Christ et les sainte s icônes , qu'on
retrouve dans la controverse hésychaste.
• Dans le monde clo~ de Byzan ce, écrit Dom
Grego ry Dix, aucun e impuls ion nouve lle ne fut
donné e depuis le VI· siècle. L'ère du sommeil avait
comm encé ... vers le IX· siècle, peut-être même déjà au
VI· siècleZt ». Les contro verses byzantines du XIV· siècle
sont le démen ti le plus frappant à une telle assertion.
Grégoire Palamas ne fut certainement pas un innova-
teur révolutionnaire, mais, fermement enraciné dans
la tradition ; il fut cepend ant un théologien créatif de
premie r ordre et montre par son œuvre que la théo-
logie orthod oxe ne cessa pas d'être active, bien après
le VIII· siècle et le septièm e Concile Œcum énique .
Parmi les contemporains de saint Grégoire Palamas,
le théologien laïc saint Nicolas Cabasilas, sympathisait

21. The Sbape of the Liturgy, Londres 1945, p. 548.


Byzance: Le grand schisme 93

avec les hésychastes, même s'il ne fut pas impliqué


directemen t dans la controverse. Cabasilas est l'auteur
d'un Commentaire sur la Divine Liturgie22, qui est
devenu un ouvrage orthodoxe classique. Il a aussi
écrit un traité sur les sacrement s appelé la Vie en
Christ 23. Ses écrits sont marqués par un sens aigu de
la personne du Christ Sauveur, qui, ainsi qu'il le dit,
« est plus proche de nous que notre âme24 » et par l'in-

sistance constante sur les sacrements. Pour Cabasilas,


la vie mystique est essentielle ment une vie sacramen-
telle en Christ. Le mysticisme peut facilement devenir
spéculatif, individualiste et se séparer de la révélation
historique et de la vie constituée de l'Église avec ses
sacrement s. Mais le mysticism e de Cabasilas est
toujours christocentrique, sacramentel, ecclésial. Son
œuvre montre le lien profond, dans la théologie
byzantine, entre le mysticisme et la vie sacramentelle.
Palamas, pas plus que son entourage , n'a jamais
considéré la prière mystique comme une déviation
par rapport à la vie normale et institutionnelle de
l'Église.
Le concile de Florence (1438-143 9) fut une
deuxième tentative de réunion; l'empereur Jean VIII
(qui régna de 1425 à 1448) et le patriarche de
Constantin ople y assistaient , avec une nombreus e
délégation de l'Église byzantine. Il y eut de longues
discussion s et, de part et d'autre, un réel effort pour
arriver à un accord satisfaisant sur les grands points de
controvers e. Mais il était difficile pour les Grecs, dont
la situation politique était désespérée , de discuter de
théologie de façon impartiale, car leur seul espoir de

22. On peut le lire en traduction française face à l'original grec


dans la collection Sources Chrétiennes, 4 bis.
23. Nouvelle édition de M.-H. Congourde au, Sources
Chrétiennes 355 et 361.
24. PG 150, 712A.
94 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

vainc re les Turcs était dans l'appu i qu'ils pouva ient


recev oir de l'Occident. On arriva finalement à une
formu le d'ente nte qui couvrait le Filioque, le purga -
toire, le pain azym e et les reven dicati ons papales. Elle
fut signé e par tous les ortho doxes prése nts, excep tion
faite de Marc, arche vêque d'Éph èse (cano nisé plus
tard par l'Église ortho doxe) . L'union de Florence repo-
sait sur le doub le princ ipe de l'unan imité en matière
de doctr ine et du respe ct des rites et des traditions
légitimes particulières à chaqu e Église. Ainsi donc, en
matiè re de doctrine, les ortho doxes accep tèren t les
reven dicati ons papal es (la rédac tion de la formu le
était restée à certains égard s vague et ambiguë). Ils
accep tèren t la doctr ine de la Doub le proce ssion de
l'Esprit Saint, bien qu'il ne leur fût pas dema ndé d'in-
sérer le Filioq ue dans le texte du Credo à la Divine
Liturgie. Ils accep tèren t la doctr ine roma ine sur le
purg atoir e (disp ute qui éclat a entre l'Ori ent et
l'Occ ident vers le XIII· siècle). Mais sur la quest ion des
azym es, l'unif ormit é n'étai t pas exigé e. Les Grecs
pouv aient conse rver l'emp loi du pain levé, alors que
les Latins conti nuaie nt à empl oyer du pain sans
levain.
Mais bien qu'ell e ait été céléb rée à travers toute
l'Eur ope Occid ental e (les cloch es sonn èrent dans
toute s les paroi sses d'Angleterre), l'unio n de Florence
ne se révél a pas plus viabl e que celle de Lyon.
Jean VIII et son succe sseur Cons tantin XI (dern ier
empe reur de Byzance et le quatre-vingtième depui s
Constantin), euren t beau rester fidèles à leur signa-
ture, ils ne puren t jamais faire accep ter l'unio n par
leurs sujets. Ils n'osè rent mêm e pas procl amer cette
union à Cons tantin ople avant 1452. Beau coup des
signa taires se récus èrent dès leur retour. Seule une
infim e mino rité du peup le et du clerg é byzan tin
accep ta les décre ts du conci le. Faisa nt écho aux
parol es de la sœur de l'emp ereur , après le Concile de
Byzance : Le grand schisme 95

Lyon, le grand-duc Lucas Notaras remarqua : • Mieux


vaut voir régner dans notre ville le turban turc que la
mitre latine ...
Jean et Constantin avaient espéré que l'union de
Florence leur apporterait une aide militaire impor-
tante, mais celle qu'ils reçurent fut minime. Le 7 avril
1453, les Turcs lançaient une offensive terrestre et
maritime contre Constantinople. Malgré les forces
assaillantes vingt fois supérieures, les Byzantins se
défendirent pendant sept longues semaines avec un
courage désespéré. Le 29 mai au petit matin, un
dernier office chrétien était célébré dans la grande
église de la Sainte-Sagesse ; il réunissait orthodoxes et
catholiques romains qui, devant l'imminence du
danger, avaient oublié leurs désaccords. L'empereur
communia. Le même jour, il était tué sur les murs de
la ville, qui tombait aux mains des Turcs, et la plus
glorieuse église de la chrétienté était transformée en
mosquée.
C'était la fin de l'Empire de Byzance, mais ce n'était
pas la fin du patriarcat de Constantinople et encore
moins la fin de l'orthodoxie.
4
La conversion des Slaves

La religion de griice s'est répandue sur la


terre et vient d'atteindre le peuple russe...
Dieu, en souverain gracieux qui se soucie
de tous les peuples, ne nous néglige plus. Il
veut nous conduire à la sagesse et faire
notre salut.
Hilarion,
Métropolite de Russie (1051-1054).

Cyrille et Méthode

Le milieu du ixe siècle fut pour Constantinople une


période d'intense activité missionnaire. Enfin libérée
de son long combat contre les iconoclastes, l'Église de
Byzance put affecter son énergie à la conversion des
Slaves païens qui occupaient les régions limitrophes
du nord et du nord-ouest de l'Empire : les Moraves,
les Bulgares, les Serbes et les Russes. Photius fut le
premier patriarche de Constantinople qui organisa le
travail missionna ire sur une grande échelle. Pour
convertir les Slaves, il choisit deux frères, Constantin
(826-869) et Méthode (vers 815-885), des Grecs
de Salonique . Dans l'Église orthodoxe , Constantin
est généralem ent appelé Cyrille, nom qu'il reçut en
98 L'Orthodoxie, l'Église des sept Concile
s

dev ena nt moine. Connu au déb ut


de
« Constantin le Phi los oph e .. , ce fut le sa vie com me
élè ves de Pho tius : il con nai ssa it plus dou é des
de
lan gue s étrangères, don t l'hébreu, l'ar nom bre use s
abe et mê me le
dialecte samaritain. Mais en particulier
, son frère et lui
parlaient cou ram me nt le slave, ayant
appris dan s leur
enf anc e le dialecte des Slaves établis
aux environs de
Salonique.
Le pre mie r voyage missionnaire de
Mé tho de fut, ver s l'an 860, une Cyrille et de
cou rte visite aux
Khazars, au nor d du Caucase. Cette
exp édi tion n'eu t
pas de résultat durable, pui squ e que
lqu es ann ées plus
tard les Khazars ado ptè ren t le judaïsm
deu x frères com me nça réellement e. Le travail des
en 863, lorsqu'ils
par tire nt en Mo rav ie (en tre la
Bo
Slovaquie). Ils s'y rendirent pou r rép hêm e et la
du prin ce Rostislav qui dem and ait ond re à l'ap pel
des missionnaires
cap abl es de prê che r et de célébrer
dan s la lan gue du
pays. Les deu x frères avaient com
me ncé dès avant
leu r dép art leu r imm ens e travail
de traduction des
textes requis de la Bible et des livr
es
ava ien t à cette fin mis au poi nt un liturgiques. Ils
fiqu e. Leurs trad uct ion s· éta ien t alp hab et spéci-
réd igé es dan s la
lan gue slave familière de leu r enf
anc
ma céd oni en des Slaves de Salonique e, le dialecte
.
ce dialecte devint le slavon <l'Église, C'est ainsi que
qui est enc ore de
nos jou rs la lan gue litu rgi que des
cer tain es autres Églises orthodoxes. Rus ses et de
On ne peu t sur est ime r, dan s
}'O rtho dox ie, l'im por tan ce de ces l'hi sto ire de
trad uct ion s que
Cyrille et Méthode em por tère nt ave
c
qui ttèr ent Constantinople pou r le nor eux lorsqu'ils
d inconnu. Il y a
peu d'é vén em ent s aus si imp ort
ant
missionnaire de l'Église. Depuis le s dan s la vie
début, les Slaves
chr étie ns ont eu l'immense privilèg
e - inc onn u alors
des aut res nations d'E uro pe occide
nta
l'Évangile et les services religieux le - d'en ten dre
dan s une lan gue
La conversion des Slaves 99

qu'ils comprenaient. Contrairement à l'Église de Rome


qui imposait le latin, l'Église orthodox e n'a jamais été
rigide en matière de langue : l'usage est de célébrer
les offices dans la langue du pays.
En Moravie, comme en Bulgarie, la mission grecque
se heurta rapideme nt aux missionnaires germains. Les
deux missions non seulemen t travaillaient sous des
patriarcats différents mais selon d'autres principes.
Cyrille et Méthode employa ient le slavon pour les
offices et les Germains le latin ; Cyrille et Méthode
avaient conservé le Credo dans sa forme originale, les
Germains y avaient inséré le Filioque. Afin d'éviter
que les Germains n'intervi ennent dans sa mission,
Cyrille décida de la placer sous la protection directe
du pape. En appelant à Rome, il montrait qu'il n'avait
pas pris très au sérieux la querelle entre Photius et
Nicolas ; pour lui l'Orient et l'Occide nt étaient
toujours unis et peu importait qu'il dépendît de Rome
ou de Constantinople, aussi longtemps qu'il était libre
d'employ er le slavon à l'égiise. En 868, les deux frères
se rendiren t à Rome où ils obtinren t satisfaction.
Adrien II, successe ur de Nicolas le', leur fit bon
accueil, accorda son appui sans réserve à la mission
grecque et confirma l'usage de la langue slave comme
langue liturgique en Moravie. Il approuva les traduc-
tions et en déposa un exemplaire sur l'autel des prin-
cipales églises de la ville.
Cyrille mourut à Rome en 869, mais Méthode
retourna en Moravie. Malheureusement, les Germains
ne tinrent aucun compte des décisions du pape et
gênèren t autant qu'ils le purent les activités de
Méthode, allant jusqu'à l'emprisonner pendant plus
d'une année. A sa mort, en 885, les Germains expul-
sèrent ses partisans ou les vendirent comme esclaves.
Des vestiges de la mission subsistèrent en Moravie
pendant près de deux siècles, mais finirent par être
complète ment effacés par le christianisme occidental :
100 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Concile
s

la culture et la langue latine prévalure


nt
le Filioque. La tentative de fonder une et avec elles,
slave en Moravie n'avait pas abouti, Égl ise nationale
et le travail de
Cyrille et de Mé tho de sem bla it
s'ac hev er sur un
con stat d'échec.
En fait, il n'e n fut rien, car d'autres pay
la Serbie et la Russie notamment, s, la Bulgarie,
bénéficièrent de
leu rs efforts. Boris, kha n de Bulgar
hésité ent re l'Orient et l'Occident, ie, apr ès avoir
avait finalement
choisi la juridiction de Constantino
ple. Cep end ant la
mission byzantine, à qui faisait déf
aut
deu x frères, com me nça par em plo yer la vision des
aussi peu familière au Bulgare mo yen le grec, langue
lati ne. Lor squ e les dis cip les de que la langue
Mé tho de fur ent
chassés de Moravie, ils app ortè ren t
nat
Bul gar ie les prin cip es mis sio nna ires urellement en
em plo yés aup ara van t et intr odu isir qu' ils ava ien t
cul ture chr étie nne de Byzance fut ent le slave; la
alors facilement
assimilée par les Bulgares. L'Église
bulgare se déve-
lop pa rap ide me nt ; un patriarcat bul
gar
fut cré é (vers 926) sou s le règne du e ind épe nda nt
tsar Syméon le
Gra nd (qu i régna de 893 à 927), et
patriarcat de Constantinople en 927. rec onnu par le
Le rêve de Boris,
la cré atio n d'u ne Église aut océ pha
le,
réa lité mo ins d'u n dem i-si ècl e apr éta it dev enu
ès sa mort. La
Bulgarie fut la première, parmi les
avoir une Église nationale. nations slaves, à
D'a utre s missionnaires byzantins se
Serbie qui ado pta le christianisme ren dire nt en
moitié du IX" siècle. La Serbie, qui s'ét dan s la sec ond e
endait aussi sur
une rég ion frontalière ent re l'Orien
apr ès une pér iod e d'hésitation, suiv t et l'Occident,
it
Bulgarie et non celui de la Morav l'exemple de la
ie et s'attacha au
pat riar cat de Co nst ant ino ple . Là
aus si les livr es
sla von s fur ent introduits, et ave c
eux gra ndi t une
cul ture slav e-b yza ntin e. Lorsque,
en 1219, le plu s
gra nd des sai nts nat ion aux de Ser
bie, sai nt Sava
La conversion des Slaves 101

(1176-1235), fut consa cré à Nicée, arche vêqu e de


Serbi e, l'Égli se serbe acqu it une indép enda nce
partielle qui se transforma en 1346 en patriarcat indé-
penda nt; recon nu par Constantinopole en 1375.
Nous verrons plus tard comm ent la conversion des
Russes fut indirectement due au travail de Cyrille et de
Méthode. Ayant les Bulgares, les Serbes et les Russes
pour • enfants spirituels », les deux Grecs de Salonique
méritent bien leur titre d' • apôtres des Slaves ».
Une autre natio n ortho doxe des Balk ans, la
Roum anie, a une histo ire plus comp lexe. Les
Roumains, bien qu'influencés par leurs voisins slaves,
sont essentiellement des Latins par la langue et le
caractère ethni que La Dacie, corre spond ant pour une
part à la Roum anie mode rne, fut une provi nce
romaine de 106 à 271, mais les comm unaut és chré-
tienn es fond ées à cette pério de semb lent avoir
dispa ru après le retrait romain. Une partie du peupl e
roum ain fut appar emm ent convertie au christianisme
par les Bulga res à la fin du IXe ou au débu t du
X" siècle, mais la Valachie et la Moldavie ne furen
t pas
entiè reme nt converties avant le XIV" siècle . Ceux qui
tout • orien tale » et
croie nt que l'Orthodoxie est avant
de caractère grec ou slave, ne devraient pas perdr e de
vue que l'Église de Roumanie, la secon de des grand es
Églises ortho doxes d'aujourd'hui, est à prédominance
latine.
Byzance a fait aux Slaves un doub le don : elle leur
a donn é un systè me entiè reme nt déve loppé de
doctrines chrétiennes et, en même temps, une civilisa-
tion chrétienne.
Au mom ent de la conv ersio n des Slave s, au
IX" siècle, les grand es controverses doctrinales
de la
pério de des sept conci les étaie nt termi nées. Les
grand es lignes de la foi, les doctrines de la Trinité et
de l'Incarnation étaient établies et puren t être trans-
mises dans une forme définitive. C'est peut-être une
lOl L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

des rais ons pou r lesq uel les les Égl


ises slaves ont
pro dui t peu de thé olo gie ns orig ina
ux, et que les
controverses religieuses en pays slaves
n'on t générale-
men t pas pris un caractère dogmatiqu
e. Mais la foi
dan s la Trinité et l'Incarnation ne fure
nt pas pré sen -
tées d'u ne faço n abstraite, elles étai
ent eng lob ées
dan s toute la culture et la civilisation
chrétiennes que
les mis sio nna ires gre cs ava ien t
app ort ées de
Byzance ; les Slaves furent don c ainsi
christianisés et
civilisés en mêm e temps.
Les Grecs app ortè ren t la foi et la civi
tien nes sou s une forme assimilable aux lisation chré-
ici que les traductions de Cyrille et
Slaves (c'est
de Méthode furent
d'u ne imp orta nce cap ital e). Bie n que
limitées au
déb ut à la classe dirigeante, la culture
byz
foi orth odo xe devinrent progressiveme antine et la
nt
gra nte de la vie quo tidi enn e de tou partie inté-
s les peu ple s
slaves. Les liens ent re l'Église et la pop
ulat ion furent
enc ore resserrés par l'établissement
d'Églises natio-
nales ind épe nda ntes .
Mais cette pro fon de identification de
ave c la vie du pays, et surtout le sys !'Orthodoxie
tème d'Églises
nationales, a eu de fâcheuses con séq
uen
que l'Église et la nation étaient si inti ces . Parce
mement asso-
ciées, les Slaves orth odo xes les ont sou
ven t confon-
dues. Ils ont eu parfois ten dan ce à fair
à des fins politiques et à considérer
e serv ir l'Église
leur foi comme
étan t d'ab ord serbe, russe ou bulgare,
oubliant qu'elle
est avant tout orth odo xe et catholique
; et ceci a aussi
été une tentation pou r les Grecs à l'ép
oqu e moderne.
Ces dix derniers siècles, le nationalism
son né l'Orthodoxie. Mais d'au tre part, e a empoi-
la symbiose de
l'Église et du peu ple a été extrêmemen
t
le christianisme est dev enu che z les Slavbénéfique, et
de tou t le peu ple , une religion pop es la religion
ulaire, au sens
pro fon d du terme.
La conversion des Slaves 103

Baptêm e de la Russie: la périod e de Kiev


(988-1237)

Photius, de son côté, n'était pas resté indifférent à


l'évangé lisation des Slaves en Russie ; vers 864, il
envoya un évêque en Russie, mais la première fonda-
tion chrétienn e fut détruite en 878 par Oleg qui assu-
mait alors le pouvoir à Kiev, principale ville de Russie
à cette époque. Néanmoins, la Russie continua à rece-
voir une forte influence chrétienn e qui lui venait de
Byzance, de Bulgarie, de Scandinavie, et on sait avec
certitude qu'il y avait en 945 une église à Kiev. La
princesse Olga devint chrétienn e en 955, mais son fils
Sviatoslav refusa de suivre son exemple , craignant les
moqueri es de la cour s'il recevait le baptême . Vers l'an
988, Vladimir (qui régna de 980 à 1015), petit-fils
d'Olga, se converti t au Christian isme et il épousa
Anne, sœur de l'empere ur de Byzance. L'Orthodoxie
devint alors religion d'État en Russie et le demeura
jusqu'en 1917. Vladimir prit à cœur la christianisation
de son royaume ; il demanda des prêtres, des reliques,
des vases sacrés et des icônes. Il y eut des baptême s
en masse dans les rivières, on institua des tribunau x
ecclésias tiques et on établit la dîme en faveur de
l'Église. La grande idole du dieu Péroun, tête en
argent et moustac hes d'or fut renversé e et pour
comble, on la vit rouler jusqu'au bas de la colline d'où
elle dominait Kiev. .. Les trompett es des anges et le
tonnerre de l'Évangile retentissaient dans toutes les
villes. L'air était sanctifié par l'encens qui montait
vers Dieu. Les monastè res s'élevai ent sur les
montagn es. Hommes et femmes, petits et grands, tout
le peuple remplissait les saintes églisest. • C'est ainsi

1. Cité dans G.P. Fedotov, The Russtan Reltgious Mind, vol. I,


p. 410.
104 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

que, soixa nte ans plus tard, le métro polite Hilarion


décriyait l'évén emen t, l'idéalisant sans doute un peu:
la Russie de Kiev ne fut pas convertie si vite et si
comp lètem ent et l'Église, au début , fut limitée aux
villes, tandi s qu'un e grand e partie des camp agnes
deme ura païen ne jusqu 'au XIve ou au xve siècle.
Comm e Jean !'Aumônier avant lui, Vladimir donn a
une porté e sociale à son christ ianism e: il n'y eut pas
de fête au palais où les pauvr es ne reçur ent leur dû, et
nulle part en Europ e médié vale il n'y eut de• service
social • organ isé comm e à Kiev au X" siècle. L'exemple
de Vladimir fut suivi par d'autr es souve rains de la
Russie kiévienne, ainsi qu'en témoi gne le Testament
laissé par le princ e Vladimir Mono maqu e (qui régna
de 1113 à 1125) à ses fils : • Par dessu s tout, n'oub liez
pas les pauvr es et nourrissez-les dans toute la mesu re
de vos moye ns. Donn ez à l'orphelin, proté gez vous-
mêm es la veuve , et ne laissez pas le puiss ant détru ire
le plus faible 2 ... Vladi mir était très consc ient du
comm andem ent de miséricorde chrét ienne et lorsqu'il
introd uisit le code byzan tin à Kiev, il en adou cit
consi dérab lemen t les formes, souve nt sauva ges. La
peine de mort n'existait pas à Kiev, non plus que les
mutil ation s et la tortur e ; les punit ions corpo relles
étaien t peu employées3.
On retrou ve cette mêm e attitude, faite de douc eur
et de comp assio n chez Boris et Gleb, les fils de
Vladimir. En 1015, à la mort de Vladimir, son fils aîné,
Sviat opolk , voulu t s'emp arer des princ ipaut és de
ses frères . Prena nt l'Éva ngile à la lettre , Boris et

2. Cité dans G. Vernadsky, Ktevan Russfa, New Haven, 1948,


p. 195, et en français dans Premiers Chrétiens de Russie,
R. Marichal, Paris: éd. du Cerf, 1966, p. 132-138. éd.
3. La peine de mort, bien que rarement appliquée, existait
Byzance ; la mutilation, en revanche, était employée avec à
fréquence cruelle. une
La conversion des Slaves 105

Gleb n'oppos èrent aucune résistanc e, bien qu'ils


eussent pu le faire, et se laissèrent massacrer par les
émissaires de Sviatopolk. Si le sang devait être versé,
ils préférai ent que ce soit le leur. Même s'ils ne
mourure nt pas martyrs de la foi, mais victimes d'une
querelle politique, ils ont tous deux été canonisé s
sous le titre particulier de " saints ayant souffert inno-
cemmen t la passion • : par leur souffrance innocente
et volontaire, ils avaient participé à la Passion du
Christ. Les Russes ont toujours attaché une grande
importan ce à la souffrance dans la vie chrétienne.
Dans la Russie kiévienne, comme à Byzance et en
Occiden t médiéval, les monastères ont joué un grand
rôle: parmi eux la Laure4 des Grottes de Kiev (Kievo-
Petcberskaya Lavra) eut une influence primordiale.
Fondée aux environs de 1051 en tant que fraternité
semi-érémitique par Antoine, moine russe qui avait
vécu au Mont Athos, elle fut réorgani sée par son
successe ur saint Théodos e ( t107 4) qui introduisit une
vie entièrem ent communautaire basée sur la règle du
monastè re du Stoudios à Constantinople. Théodose,
comme Vladimir, n'ignorait pas la portée sociale du
vrai christian isme et l'appliqu a de façon radicale,
s'identifiant avec les pauvres - comme le fit saint
François d'Assise en Occident. Boris et Gleb avaient
suivi le Christ dans sa mort sacrificielle. Théodos e Le
suivit dans sa vie de pauvreté et de renoncem ent
(kénose). De naissance noble, il préférait déjà dans
son enfance porter des vêtemen ts grossier s et
rapiécés , et travailler aux champs avec les serfs.
« Notre Seigneur Jésus-Christ, disait-il, devint pauvre
et
humble, s'offrant Lui-mêm e en exemple afin que nous
devenion s humbles en Son nom. Il souffrit les insultes

4. Le mot Laure (en grec et en slavon : Lavra) désigne en Russie


un grand monastère ayant plusieurs églises dans son enceinte.
106 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Concile s

et les cracha ts, Il fut flagell é pour notre salut :


combi en donc est-il juste maintenant que nous souf-
frions à notre tour afin de Le gagner5. » Même lorsqu'il
fut devenu abbé, Théod ose continua de porter les
vêtements les plus misérables et rejeta tout signe exté-
rieur d'auto rité: il n'en était pas moins l'ami vénéré et
le conseiller des nobles et des princes. On rencontre
chez beauco up d'autre s ce même esprit d'humilité
kénotique, témoin l'évêque Luc de Vladimir (t1185)
qui, suivant la Chronique de Vladimir, « porta sur lui
l'humiliation du Christ, n'ayant pas ici de cité, mais
cherch ant la cité future». C'est un idéal qu'on retrouve
souven t dans le folklore russe et chez des écrivains
tels que Tolstoï et Dostoievsky.
Vladimir, Boris, Gleb et Théod ose s'intéressaient
intensé ment aux applications pratiques de l'Évangile :
Vladimir avait le souci dè la justice sociale et d'un trai-
temen t plus humai n des criminels ; Boris et Gleb
étaient résolus à suivre le Christ dans Ses souffrances
et Sa mort volontaire ; Théod ose s'identifiait avec les
humbles. Ces quatre saints représentent les formes les
plus attachantes du christianisme kiéyien.
Duran t la périod e de Kiev, l'Eglis e russe fut
soumis e à Constantinople et, jusqu'e n 1237, le métro-
polite de Russie fut généra lemen t un Grec. En
souven ir de l'époq ue où les métropolites venaient de
Byzance, l'Église russe chante encore en grec l'hymne
solenn el d'accueil aux évêque s : eis poila eti, despota
(pour beauc oup d'anné es, Maître). Penda nt cette
périod e, la moitié des autres évêque s fut russe ; outre
des Grecs, on rencon tre aussi un Juif converti et un
Syrien.

5. Nestor, • Vie de saint Théodo se• , dans G.P. Fedotov ,


A Treasury of Russian Spirltuality, p. 27. On trouvera par ailleurs
de larges extraits de cette • Vie • dans Premiers Chrétiens de
Russie, p. 61-90.
La conversion des Slaves 107

Kiev avai t des rela tion s non seul eme nt avec


et
Byza nce, mais auss i avec l'Eur ope occi dent ale,
certains traits de l'organisation de l'Église primitive
n-
russe, tels que la dîme, ne sont pas d'origine byza
nom breu x saints, qui ne
tine, mais occidentale. De nt
sont pas insc rits au cale ndri er byza ntin, étaie
la Sain te Trin ité,
véné rés à Kiev ; une priè re à
com posé e en russe au xi• siècle, com pren d une liste
un
de saints anglais, notamment Alban et Botolphe, et
rs ont
saint français, Martin de Tours. Certains auteu
préte ndu que jusq u'en 1054, le christianisme russe
ne
était auta nt latin que grec, mais c'est plus qu'u
la pério de de Kiev , fut
exagération. La Russie, pend ant
s,
plus proc he de l'Occident qu'e n aucu n autre temp
jusqu'au règn e de Pierre le Grand, mais elle doit infi-
e.
nim ent plus à Byz ance qu'à la cult ure latin
-
Nap oléo n avait historiquement raison lorsqu'il appe
du
lait l'em pere ur Alexandre I« de Russie cc un Grec
Bas-Empire ».
On a dit que ce fut le plus gran d malheur de la
iler
Russie de n'avoir pas eu assez de temps pour assim
nce. En 1237 ,
entiè reme nt l'héritage spirituel de Byza
en effet, la Russie kiévienne fut violemment attaq uée,
nt
et succ omb a sous l'invasion des Mongols qui mire
n
Kiev à sac et dévastèrent tout le territoire à l'exceptio
du Nord éloigné des environs de Novg orod . Un visi-
en
teur à la cour mongole en 1246 raconte qu'il ne vit
seule men t des
territoire russe ni ville ni village, mais
ruines et d'innombrables crânes humains. Mais si Kiev
fut détruite, le christianisme de Kiev resta vivant dans
s
les mémoires : cc La Russie de Kiev, telle les jours doré
.
de l'enfance, ne s'effaça jamais de la mémoire russe
Chac un peut abre uver sa soif relig ieuse à la pure
ses
fontaine de ses œuv res littéraires, trouver chez
véné rable s écrivains un guide sûr pour avan cer dans
ie
la com plex ité du mon de mod erne . La Russ
kiév ienn e donn a à l'esp rit relig ieux russe ce que
Jl~ L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Pou chk ine app orta à son sen s arti stiq


ue, une
ban nièr e, une mes ure d'or, une voie royale6.

L'église russe sou s les Mongols


(1237-1448)

La suzeraineté des Tartares mon gols sur


la Russie
dura de 1237 à 1480. Mais déjà aprè s la gran
de bataille
de Koulikovo (1380), lors que les Russes osèr
ent enfi n
faire face à leurs opp ress eurs dan s un com
bat ouvert,
et leur infligèrent mêm e une défaite, la puis
sanc e des
Mon gols fure nt con sidé rabl eme nt affaiblie
et, vers
1450, elle n'ét ait plus guè re que nom inal
e. Ce fut
surt out l'Église qui, aux XIIIe et XIV" siècles,
maintint en
éveil la con scie nce nati onal e russe, de mêm
e que ce
fut l'Église qui cons erva aux Grecs leur sens
de l'unité
sou s la dom inat ion turq ue. La Russie sort
it de la
péri ode mon gole extr ême men t chan gée.
Kiev ne se
remit jamais du sac de 1237 et, au XIV" sièc
le, elle fut
évin cée de sa posi tion dom inan te par la
prin cipa uté
de Moscou. Les gran ds-d ucs de Moscou insp
irèrent la
rési stan ce con tre les Mon gols , ce fure nt
eux qui
men èren t la Rus sie à Kou liko vo. L'as cen
sion de
Moscou fut prof ond éme nt liée à l'Église. Alor
s que la
ville était enc ore peti te et rela tive men t peu
tante, Pierre, mét ropo lite de Russie de 1308 impor-
déci da de s'y installer. Cela abou tit à la à 1326
division de
l'Église russ e entr e deu x métropolites, l'un
à Moscou,
l'au tre à Kiev, mais cet arra nge men t ne devi
nt fixe et
perm ane nt qu'a u milieu du XV" siècle.
Trois figures préd omi nen t dan s l'histoire de
l'Église
russ e pen dan t la péri ode mon gole , troi
s sain ts :

6. G.P. Fedotov, Tbe Russtan Reltgtous Mtnd,


vol. I, p. 412.
La conversion des Slaves 109

Alexandre de la Néva, Stéphane de Perm et Serge de


Radonège.
Alexand re Nevsky (t1263), un des grands saints
guerriers de Russie, a été comparé à son contemp o-
rain occident al, saint Louis, roi de France. Il était
prince de Novgorod, la seule grande principauté qui
avait échappé à l'invasion de 1237. Dès l'arrivée des
Tartares , Alexand re se trouva confront é avec les
ennemis de l'Ouest : Suédois, Germains et Lituaniens.
Il lui était impossible de se battre sur deux fronts à la
fois; Alexandre décida de se soumettre à l'autorité
tartare et à payer le tribut. Se tournant ensuite vers
l'Ouest, il infligea de sévères défaites à ses ennemis,
aux Suédois en 1240, aux Chevaliers teutoniques en
1242. C'est pour des raisons religieuses qu'il préféra
traiter avec les Tartares plutôt qu'avec les ennemis
d'Occide nt : les Tartares, une fois le tribu payé, n'in-
tervenaie nt pas dans la vie de l'Église, tandis que les
Chevaliers teutoniq ues avaient pour but explicite la
réductio n des Russes « schismatiques .. à l'autorité du
pape. C'était l'époque où un patriarche latin occupait
le siège de Constantinople, et l'objectif des croisés
germains était de renverser la puissance orthodox e de
Novgorod comme les croisés de 1204 avaient forcé
Constan tinople. Alexand re, malgré la menace
mongol e, refusa tout comprom is religieux ; on
raconte qu'il répondit un jour à des messagers du
pape : « Nos doctrines sont celles qui furent prêchées
par les Apôtres ; nous conservons scrupuleusement la
tradition des Pères de l'Église et des sept conciles.
Quant à votre parole, nous ne voulons pas l'entendre
et nous refusons vos doctrines7 ... Deux siècles plus
tard, les Grecs, après le concile de Florence, firent le

7. Extrait d'une • Vie de saint Alexandre Nevsky • (XIII° siècle)


citée dans Fedotov, Tbe Russtan Religtous Mtnd, vol. I, p. 383.
110 L'Orthodoxie, l'ÉgUse des sept Conciles

même choix : soumi ssion politiq ue aux infidèl es


plutôt que capitulation spirituelle devant Rome.
Stépha ne de Perm nous montre un autre aspect de
la vie de l'Église sous les Mong ols: son activité
missionnaire. Dès le début, l'Église russe avait été
missionnaire et les Russes furent prompts â essayer
d'évangéliser leurs conquérants païens. En 1261, un
certain Mitrophane, évêque missionnaire, se rendit â
Saraï, capitale des Tartares sur la Volga. D'autres allè-
rent prêche r aux tribus païennes du Nord-Est et du
Grand Nord du contin ent russe. Suivan t en cela
l'exem ple de Cyrille et Méthode, ils traduisirent la
Bible et les livres liturgiques dans les dialectes des
peuple s qu'ils partaient évangéliser.
Saint Stéphane, évêque de Perm (vers 1340-13%),
travailla parmi les tribus Zyrianes. Pendant treize ans,
il se prépar a dans un monas tère, appren ant les
dialectes ainsi que le grec, en vue de produire des
traductions de bonne qualité. Les disciples de Cyrille
et Méthode avaient employé un alphabet grec adapté
pour leurs traductions slaves ; Stéphane travailla en
caract ères runes. Il était aussi peintre d'icôn es et
chercha â montrer en Dieu, non seulement le Dieu de
vérité, mais aussi le Dieu de beauté. Comme bien
d'autres missionnaires de ce temps, il ne marcha pas
dans le sillon des conquêtes politiques et militaires,
mais il les devança.
Serge de Radonège (vers 1314-1392), le plus grand
saint national de Russie, est largement associé au
défrichement du territoire durant le XIV" siècle. Les
grande s lignes de sa vie rappellent celles de saint
Antoine d'Égypte. Lorsqu'il atteignit l'âge d'homme, il
se retira dans les forêts (l'équivalent nordiq ue du
désert égyptien) et il y fonda un ermitage dédié â la
Sainte Trinité. Après quelques années de solitude, on
comm ença â connaître sa retraite et des disciples se
réunirent autour de lui. Il devint un guide spirituel, un
La conversion des Slaves 111

«anci en• ou starets. Finalement (et ici prend fin le


parallèle avec saint Antoine), il constitua son group e
de discip les en un vérita ble mona stère qui devint,
encor e de son vivant, le plus grand centr e religieux du
pays. Ce que la Laure des grottes de Kiev fut pour la
Russie kiévie nne, le mona stère de la Sainte Trinité le
fut pour la Moscovie.
Serge mont ra le mêm e espri t d'hum ilité que
Théo dose, vivan t (bien qu'il fût de naissa nce noble )
comm e un paysa n, s'habillant des vêtem ents les plus
misérables. « Sa robe était de rude bure de paysan,
vieille et usée, sale, saturé e de sueur et rapié cée de
tous côtésB. • Au somm et de sa renom mée, lorsqu'il
était abbé d'un grand mona stère, il travaillait encor e
au potag er. Souvent, lorsq u'on le désignait aux visi-
teurs, ceux-ci ne voula ient pas croire que ce fût là le
célèb re Serge. « Je suis venu pour voir un proph ète,
s'excl ama un jour l'un d'eux avec mépris, et vous me
mont rez un mend iant9 . • Tout comm e Théo dose,
Serge joua un rôle impo rtant dans la vie politique. Il
était l'ami perso nnel des grand s-duc s de Moscou et
encou ragea l'expa nsion de la ville. Il est significatif
que le chef des force s russe s, le princ e Dimi tri
Dons koï, soit allé voir saint Serge pour lui dema nder
sa bénéd iction avant la bataille de Koulikovo.
Mais à côté des point s de resse mbla nce entre
Théo dose et Serge, il existe aussi de grand es diffé-
rence s. Prem ièrem ent, tandi s que la Laure des
grotte s de Kiev, comm e la plupa rt des mona stères de
Russie kiévi enne, se trouv ait aux abord s de la ville,
le mona stère de la Sainte Trinité fut fondé dans la
forêt, à une grand e distan ce de tous les lieux civi-

8. Épiph ane, • La Vie de saint Serge •, dans Fedot ov,


A Treasu ry of Russtan Sptrttua/ity, p. 69-70.
9. P. Kovalevsky, Saint Serge et la spiritualité russe, Paris, 1959,
p. 95.
112 L 'Orthodoxie, l'Église des sep t Concile
s

lisés. Serge était à sa façon un exp


col on, rep ous san t toujours plus loin lora teu r et un
mo nde civilisé et transformant les les frontières du
forêts en terres
cultivées. Il n'e st pas le seu l exe
mp le de mo ine s
col ons de son temps. D'autres aussi
allè
forêts pou r y vivre en ermites, mai rent dan s les
com me dan s l'autre, ce qui comme s, dan s un cas
nçait par être un
erm itag e se dév elo ppa it rap ide me
nt
tère régulier, aut our duq uel ven aie en un monas-
fam ille s. Et ens uit e l'op éra tio nt s'ét abl ir des
n
nou vea u ; une aut re gén éra tion de se rép éta it à
mo
de solitude, se frayait un pas sag e dan ines, en quê te
dis tan te, des dis cip les sui vai ent s la forêt plus
,
com mu nau tés se formaient et un aut de nou vel les
re
déf rich é et don né à l'agriculture. Cet territoire était
lière de moines colonisateurs est unete ava nce régu-
fra ppa nte de la Russie des XIVC et caractéristique
Rad onè ge et d'au tres centres, un
xve siècles. De
gra nd réseau de
ma iso ns religieuses s'ét end it rap ide
tou t le nor d de la Russie, atteignant me nt à travers
la
le Cer cle pol aire . Cin qua nte com Mer Blanche et
mu nau tés fur ent
fon dée s du vivant de saint Serge par
qua ran te enc ore par des disciples ses disciples et
de
sui van te. Ces mo ine s n'é taie nt pas la gén éra tion
col ons , ma is des mis sio nna ires , seu lem ent des
car
me sur e qu'ils avançaient plu s pro fon au fur et à
Nord, ils y prê cha ien t le christiani dém ent vers le
paï enn es vivant dan s les forêts avoisin sme aux tribus
antes.
De uxi èm em ent , si l'ex pér ien ce
Th éod ose n'a vai t pas un car act ère rel igi eus e de
mystique, on trouve chez Serge une exp lici tem ent
nouvelle dimen-
sio n de vie spirituelle. Serge était un
con
Grégoire Palamas et il n'est pas imp temporain de
con nu que lqu e cho se du mouveme ossible qu'il ait
nt
Byzance. Les visions accordées à Ser hésychaste de
ge en prière, rela-
tée s par son bio gra phe Épiphane,
ne peu ven t être
interprétées que dan s un sens mystiq
ue.
La conversion des Slaves 113

Serge a été appel é le « bâtiss eur de la Russie • et il le


fut de trois façon s : politi quem ent, il encou ragea
l'esso r de Mosc ou et sa résist ance aux Tarta res ;
géogr aphiq ueme nt, ce fut lui qui inspira la grand e
avanc e des moin es à travers les forêts ; spirituelle-
ment, son expér ience de la prière mystique a rendu
plus profo nde la vie intérieure de l'Église russe. Il a
su, proba blem ent plus que tout autre saint, équili brer
l'aspe ct social et mystique du monachisme. Sous son
influe nce et celle de ses disciples, les deux siècles
entre 1350 et 1550 ont été l'âge d'or de la spiritualité
russe.
Ces deux siècles furent aussi l'âge d'or de l'art reli- .
gieux russe. Ce fut l'époq ue où des peintr es russes
portè rent à sa perfe ction la tradition icono graph ique
qu'ils avaie nt reçue de Byzance. La peint ure d'icôn es
fut florissante surto ut parmi les fils spirituels de saint
Serge. Ce n'est pas par coïnc idenc e que la plus belle
des icône s ortho doxes du point de vue artistique - la
Sainte Trinité de saint André Roubliov (1370-1430) - a
été peint e en l'hon neur de saint Serge de Radonège et
placé e dans son monastère.
Soixante et un ans après la mort de Serge, l'Empire
byzan tin tomb ait aux mains des Turcs. La nouvelle
Russi e qui avait pris form e après la victo ire de
Koulikovo et que le saint lui-même contribua telle-
ment à bâtir, était appe lée à prend re la place de
Byza nce comm e protectrice du mond e ortho doxe. Elle
se mont ra à la fois digne et indigne de cette vocation.
5
L'Église sous l'Islam

La ferme persévérance de l'Église grecque


de nos jours... nonobstant l'oppression et le
mépris témoigné par les Turcs et les tenta-
tions et les plaisirs de ce monde, est une
confirmation non moins convaincante que
les miracles et le pouvoir accordés à ses
débuts. Il est vraiment admirable de voir et
de considérer avec quelle èonstance, résolu-
tion et simplicité des hommes pauvres et
ignorants gardent leur Foi.
Sir Paul Rycaut,
1be Present State of tbe Greek
and Armeni an Cburcbes (1679).

Imperium in imperio

« C'est bien à contre cœur qu'on voit le croissant


exalté partout, là où la croix fut si longtemps triom-
phante •, écrit Edward Browne en 1677, peu après son
arrivée comm e chapelain à l'ambassade d'Angleterre à
Constantinople. Pour les Grecs de 1453, ce dut être
aussi cruellement à contre cœur qu'ils se virent sous la
domin ation des infidèles. Pendant plus de mille ans,
l'Empire de Byzance avait été considéré comme un
116 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

don perm anen t de la providence de Dieu, et mainte-·


nant la • ville gardé e par Dieu » était tombée.
La transition fut dure, bien que facilitée par les
Turcs qui traitèrent les chrétiens asservis avec une
rema rquab le générosité. Les musulmans du XV" siècle
furent infiniment plus tolérants envers la chrétienté
que les chrétiens occid entau x ne le furent les uns
enve rs les autres du temp s de la Réforme et au xvne
siècle. Pour l'Islam, la Bible est un livre saint et Jésus-
Christ un prop hète ; pour un musulman, le christia-
nism e est incomplet, mais il n'est pas entiè reme nt
faux et les chrétiens, étant • peup le du Livre .. , ne
doive nt pas être mis au mêm e niveau que les païens.
Suivant l'ens eigne ment islamique, les chrétiens· ne
doiv ent pas être persécutés, ils peuv ent pratiquer leur
foi sans inter féren ce, auss i long temp s qu'il s se
soum etten t paisiblement au pouv oir islamique.
Tels étaie nt les prin cipe s du conq uéra nt de
Constantinople, le sultan Mehmet II. Avant la chute de
Constantinople, les Grecs le nommaient • le précurseur
de l'Antéchrist, un second Sennachérib .. , mais ils s'aper-
çurent à l'épreuve que sa domination avait un caractère
moins cruel. Apprenant que le poste de patriarche était
vacant, Mehmet convoqua le moine Gennade et l'ins-
talla sur le trône patriarcal. Gennade (vers 1400-1472),
conn u sous le nom de Georges Scholarios avant de
devenir moine, fut un écrivain prolifique et une autorité
parmi les théologiens grecs de son temps. C'était un
adversaire résolu de l'Église de Rome et sa nomination
au patriarcat marqua l'abandon définitif de l'union de
Florence. Ce fut certainement pour des raisons poli-
tiques que le sultan choisit délibérément un antilatin
convaincu : avec Gennade comme patriarche, il y avait
peu de chances que les Grecs cherchent en secret une
aide auprès des autorités catholiques romaines.
Le sultan institua lui-même le nouv eau patriarche,
lui conféra en gran de cérém onie le bâton pastoral,
L'Église sous l 1slam 117

exactem ent comme les autocra tes byzanti ns l'avaient


fait jusqu'alors. L'action était symbol ique : Mehmet le
.conqué rant, champi on de l'Islam, devenai t aussi le
protect eur de l'orthod oxie, prenait sur lui le rôle
assumé jusqu'alors par l'emper eur chrétien. Les chré-
tiens, ainsi assurés d'avoir une place détermi née dans
la société turque, devaien t cepend ant rapidem ent
s'aperce voir que c'était une place d'inférieurs qui leur
était réservée. Le Christianisme sous l'Islam fut une
religion de deuxiè me ordre, et les chrétie ns des
citoyen s de second e zone. Ils devaien t payer des
impôts exorbita nts, porter un vêteme nt distinctif, ils
ne pouvaie nt être militaires et il leur était interdit
d'épous er des musulmanes. L'Église se voyait interdire
toute activité mission naire et c'était un crime de
convert ir un musulm an à la foi chrétien ne. Du point
de vue matériel, un chrétien avait tout à gagner à
apostas ier et à devenir mahom étan. La persécu tion
ouverte sert souven t à renforc er l'Église, mais les
Grecs furent général ement privés de la possibilité de
porter le témoig nage héroïqu e de leur foi dans
l'Empire ottoman ; au contraire, ils furent soumis aux
effets démora lisants d'une incessante et lente pression
sociale.
Mais ce ne fut pas tout. Après la chute de
Constan tinople , il ne fut pas permis à l'Église de
retourn er à la situatio n d'avant Constantin et, para-
doxalem ent, ce qui était dû à César devint encore plus
associé qu'aupa ravant avec ce qui était dû à Dieu. Les
musulm ans ne firent aucune distinction entre la reli-
gion et la politiqu e : pour eux, si le Christianisme
devait être reconnu comme religion indépen dante, il
était nécessa ire que les chrétien s soient organis és
en un groupe politiqu e indépe ndant, un empire
dans l'empire . L'Église orthodo xe devint donc une
institution civile en même temps que religieuse, elle
devint Rum Millet, « la nation romaine •. La structure
i:;iS l 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

ecclésiastique fut prise dan s son ense mbl


e
inst rum ent d'ad min istra tion séculière. Les com me
évê
dev inre nt des fonctionnaires: le patriarche n'éta que s
seu lem ent le che f spir itue l de l'Église orth it plus
odo xe
grec que , mais le chef civil de la nation grec
que
nar que ou millet-bashi. Cette situation se , l' eth-
maintint
sou s les Turcs jusqu'en 1923, et à Chypre,
jusqu'à la
mort de Mgr Makarios III Cl 977).
Le système du millet a rendu un immense serv
a perm is à la nati on grec que de rest er ice : il
une entité
distincte et de subs iste r pen dan t ·quatre
siècles de
domination étrangère. Mais les ·conséquence
s sur la vie
de l'Église ne furent pas si heureuses. Première
ment, il
men a à une déplorable confusion entre l'ort
hodoxie et
le nati ona lism e. La vie civile et poli tiqu
e étai t si
complètement centrée sur l'Église qu'il devi
nt impos-
sible aux Grecs de distinguer entre l'Église et
la nation.
La foi orth odo xe, étan t universelle, n'es t
aucu n peuple, à aucu ne culture, à aucun lang limi tée à
age ; mais
pou r les Grecs de l'Empire turc ,• hellénisme•
et ortho-
doxie se sont inextricablement mêlés, bien
davantage
enco re qu'a u temps de l'Empire byzantin. Et
les effets
de cette confusion se font sentir jusqu'à nos
jours.
Deuxièmement, la haute administration de
l'Église
fut entr aîné e dan s un système dég rada nt de
tion et de simonie ; les évêques, eng agés corr up-
désormais
dan s les affaires du mon de et les questions
politiques,
dev inre nt la proi e des ambitions et des
cupidités.
Cha que nou veau patriarche devait recevoir
un
du sult an avan t de pou voir entr er en fonc berat
c'était un doc ume nt qu'il devait pay er très tion, et
récupérait la som me sur son épiscopat, exig cher. Il
eant des
hon orai res de cha que évê que qu'i l inst
ituait. Les
évêq ues, à leur tour, taxaient le clergé paro
issia
clergé taxait les fidèles. Ce qui fut dit une l et le
la pap auté étai t cert aine men t vrai du fois de
patr iarc at
œcu mén ique sou s les Turcs : tout était à vend
re.
L'Église sous l 1slam 119

Lorsqu 'il y avait plusieu rs candid ats au trône


patriarcal, les Turcs le vendaient littéralement au plus
offrant et ils virent rapidem ent qu'il était de leur
intérêt financi er de change r fréque mment de ,
patriarche, multipliant ainsi les occasions de vente du
berat. Les patriar ches étaient donc détrôn és et
restaurés à tout instant. • Sur les 159 patriarches en
fonction entre le XV" et le XX" siècle, les Turcs en ont
renversé 105; il y eut 27 abdications, souvent invo-
lontaires, 6 sont morts de mort violente et 21 seule-
ment de mort naturel le pendan t qu'ils étaient en
chargel. • Le trône patriarcal revenait parfois quatre ou
cinq fois au même évêque et il y avait généralement
plusieurs ex-patriarches en exil attendant fiévreuse-
ment le momen t de reprend re leur trône. Cette
extrêm e insécur ité donnai t lieu à de continu elles
intrigues parmi les métropolites du saint synode, qui
espérai ent succéde r au patriarche, et elle séparait les
chefs de l'Église en partis farouch ement hostiles.
• Tout bon chrétien, écrivait un Anglais résidant au
Levant au :xvne ·siècle, doit considérer avec tristesse et
voir avec compas sion cette Église, autrefois glorieuse,
se déchire r et s'arracher les entrailles pour les donner
en pâture aux corbeaux, aux vautours et à toutes les
créature s sauvages et cruelles de ce monde 2. » ·
Mais alors que le patriarcat de Constantinople souf-
frait d'une décaden ce intérieure, il restait extérieure-
ment aussi puissant qu'auparavant. Les Turcs considé-
raient le patriarche de Constantinople comme le chef
de tous les chrétiens orthodo xes sous leur domina-
tion. Les autres patriarcats également assujettis à l'em-
pire ottoma n : Alexandrie, Antioch e et Jérusal em,

1. B.J. Kidd, Tbe Churches of Eastern Chrlstendom, Londres,


1927, p. 304.
2. Sir Paul Rycaut, Tbe Present State of the Greek and Armenta n
Churches, Londres, 1679, p. 107.
120 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

dem eurè rent théo rique men t indé pend ants, mais
étaie nt de fait soum is à Constantinople. La Roumanie,
la Bulgarie et la Serbie étaie nt aussi tomb ées sous la
domi natio n turqu e ; vers le milieu du XVIIIe siècle,
toute s ces Églises natio nales avaie nt perd u leur indé-
pend ance antér ieure et se trouvaient totale ment sous
le contr ôle du patri arche œcum éniqu e. Mais au XIX"
siècle, au temp s du décli n du pouv oir turc, les fron-
tières du patriarcat se rétrécirent. Les natio ns libér ées
du joug turc ne pouv aient plus souffrir de reste r ecclé-
siale ment soum ises à un patriarche résid ant dans la
capit ale turqu e et enga gé dans le systè me polit ique
turc. Le patri arche résista aussi longt emps qu'il le put,
mais il dut chaq ue fois s'incliner deva nt l'inévitable.
Une série d'Égl îses natio nales furen t enlev ées au
patri arcat : l'Égl ise de Grèc e (orga nisée en 1833,
reco nnue par le patri arcat de Cons tanti nopl e en
1850 ) ; l'Égl ise de Roum anie (orga nisée en 1864,
recon nue en 1885) ; l'Église de Bulgarie (rétablie en
1871, non recon nue par Cons tantin ople avan t 1945) ;
l'Église de Serbie (resta urée et recon nue en 1879).
Princ ipale ment du fait de la guerr e, en ce XX" siècle, le
patriarcat de Cons tantin ople a conti nué à s'affaiblir : il
est main tenan t réduit, dans les Balkans, à une infime
parti e de ce qu'il était à l'épo que florissante de la
suzer ainet é ottom ane.
L'occ upati on turqu e eut deux effets oppo sés sur la
vie intellectuelle de l'Église : d'une part, elle fut la
caus e d'un traditionalisme rigide ; de l'autre elle favo-
risa l'ess or d'un e certa ine occi dent alisa tion.
L'ess entie l, sous la dom inati on turqu e, était de
survivre, de se main tenir à flot en vue de jours
meilleurs. Les Grecs s'acc rochè rent avec une ténacité
mira culeu se à la civilisation chrét ienne qu'ils avaient
reçue de Byzance, mais il leur manq ua la possibilité
de la déve lopp er d'une façon créatrice. Il est bien
comp réhen sible qu'ils se soien t conte ntés de répét er
L'Église sous l'Islam 121

positions
des form ules con nue s et retranchés sur des la façon
que regr ette r
héri tées du passé. On ne peu t
e. Mais le
don t la pen sée grec que fut ainsi sclérosé
e péri ode
con serv atis me a ses ava ntag es. A cett
ir la tradi-
som bre et difficile, les Grecs ont pu mai nten
cte. Les
tion orth odo xe sub stan tiel lem ent inta
guid e les
Ort hod oxe s, sou s l'Isl am, prir ent pou r
e : .. 0 Tim othé e, gard e
paro les de sain t Paul à Tim othé pu, en
Aur aien t-ils
le dép ôt de la foi• (lTm 6, 20).
vérité, choi sir une meilleure devi se ?
xe des
Il y a cep end ant dan s la théo logi e orth odo e, un
ition alism
XVIIç et xvme siècles, à côté du trad
dentale. Il
autr e cou rant d'id ées dû à l'infiltration occi
nten ir un
étai t difficile pou r les orth odo xes de mai
otto man e.
hau t deg ré d'ér udit ion sous la dom inat ion
truir e dev aien t se rend re
Les Gre cs qui dési raie nt s'ins
e, en Alle magne, à
en pay s non -ort hod oxe s, en Itali
ds théo logi ens
Paris et jusq u'à Oxford. Parmi les gran nt des
s fure
grec s de la péri ode turq ue, que lque s-un en
instr uite
auto dida ctes , mais la gran de majorité fut ou
ains
Occ iden t par des maî tres cath oliq ues rom
prot esta nts.
répe rcus -
Cette édu cati on eut inév itab lem ent des
tère nt la théo logi e
sion s sur la faço n don t ils inte rpré
ang er lisaient
orth odo xe. Les étud iant s grec s à l'étr liari-
se fami
cert aine men t les Père s de l'Eglise, mais ils urs
prof esse
sère nt seul eme nt avec ceu x que leur s goir e
i Gré
non -ort hod oxe s estimaient davantage. Ains
enco re lu
Pala mas et son ense igne men t spirituel était
tota lem ent inco nnu
des moi nes athonites, mais il était
ngu és de la péri ode
de la plup art des théo logi ens disti stra tios
·tur que . On ne trou ve, dan s l'œu vre d'Eu
dou é de
Argenti ( t vers 1758), le théo logi en le plus et le
mas
son épo que , pas une seul e citation de Pala
rage s de
cas est typi que. L'un des plus importants ouv
Palamas, les Triades pou r la défense des
saints hésy-
jusq u'en
cbastes, est rest é en gran de part ie inéd it
12.2 l'Or thod oxie , l'Église des sept Conciles

1959, et c'est un fait symbolique de l'état de


la
orth odo xe grec que des quatre derniers siècles. culture
Les Grecs qui étudiaient en Occident, mêm
restaient parfaitement loyaux d'intention à leur e s'ils
risquaient de perd re leur mentalité orth odo xe Église,
et
sépa rer de la tradition vivante. Il leur était diffi de se
cile de
ne pas considérer la théologie sous l'optique
occiden-
tale et, consciemment ou non, ils employa
ient
term inol ogie et des formes d'ar gum enta tion une
gère s à leur prop re Église. La théologie orth étran-
sub it ce que le gran d érud it russe, le P. odo xe
Georges
Florovsky (1893-1979), nom me une pseudom
orphose.
Les pen seur s religieux de la péri ode turq ue
peu ven t
être divisés en deu x grands grou pes : celui
qui subit
l'influence latine et celui qui subit l'influen
ce protes-
tante. Il ne faut cep end ant pas exagérer l'im
portance
de cette occidentalisation : les Grecs employè
rent des
formes apprises en Occident, mais substant
iellement,
dan s la gran de majorité des cas, leur pen
sée resta
fondamentalement orthodoxe. La tradition
fut parfois
défo rmé e parce qu'elle était cou lée dans des
moules
étrangers, mais elle ne fut jamais détruite.
Tenant com pte d'un e part des tendances cons
trices et d'au tre part des infl uen ces occi erva-
den
con sidé rons mai nten ant le défi qu'a ppo rtèr tale s,
ent au
mon de orth odo xe la Réforme et la Contre-R
éforme.

Réforme et Contre-Réforme:
leu r dou ble impact

Bien que la Réforme et la Contre-Réforme se


soient
arrêtées net aux frontières de la Russie et de
l'Em
turc et que l'Église orth odo xe n'ait subi directem pire
l'un ni l'autre de ces mouvements, il ne faud ent ni
rait pas
L'Église sous l 1slam 123

croire qu'ils ne l'influ encère nt pas. Les échang es


d'idées furent nombr eux; ainsi que nous l'avons vu,
des orthod oxes allèren t étudie r en Occide nt ; des
jésuite s et des franci scains furent envoy és en
Méditerannée orientale où ils entreprirent un travail
missionnaire parmi les orthod oxes ; des jésuites furent
aussi à l'œuvr e en Ukrain e; à Constantinople, les
ambas sades des puissances catholiques romaines et
protes tantes jouère nt un rôle religie ux en même
temps que politique. Au cours du xvn• siècle, ces
contacts amenè rent des dévelo ppeme nts importants
dans la théologie orthod oxe.
Le premie r échang e de vues marqu ant entre ortho-
doxes et protestants date de 1573: une délégation de
savants luthériens de Tübingen, condui te par Jakob
Andre ae et Martin Crusius, se rendit à Constantinople
et remit au patriar che Jérémi e Il une copie de la
Confe ssion d'Augs bourg, traduit e en grec. C'était
certain ement avec l'espoir d'introduire chez les Grecs
un début de Réforme, ainsi que l'écrit naïvem ent
Crusius : "S'ils désirent penser à leur salut éternel, ils
doiven t se joindre à nous, accept er notre enseigne-
ment ou périr à jamais. • Cependant, dans ses trois
Répon ses aux théologiens de Tübing en (1576, 1579,
1581), Jérémi e resta strictement sur la position tradi-
tionnelle orthod oxe et ne montra aucune inclination
pour le protestantisme. Les luthériens répond irent aux
deux premiè res lettres, mais Jérémie, ayant compris
qu'ils arrivaient à une impasse, mit fin à la corresp on-
dance par une troisième le.ttre : .. Allez de votre côté et
ne nous écrivez plus au sujet de doctrines ; si vous
voulez encore écrire, que ce soit seulem ent par
amitié •. L'incident montre l'intérêt porté à l'ortho -
doxie par les réform ateurs , et les Réponses du
patriar che sont importantes, parce qu'elle s sont la
premiè re critique claire et faisant autorité, faite par un
orthod oxe, des doctrines de la Réforme. Les points de
124 L'Orthodoxie, l'Église des sept Concile
s

discussion avaient été le libre arbitre et


ture Sainte et la Tradition, les sacrem la grâce, l'Écri-
ents
pou r les morts et l'intercession des sain , les prières
ts.
Dur ant l'interlude de Tübingen, luthérie
dox es montrèrent une mutuelle courtoi ns et ortho-
esprit bie n différent qui marqua la pre sie. C'est un
miè
ren con tre de l'orthodoxie et de la Con re gra nde
ren con tre qui eut lieu en Ukraine, hor tre-Réforme,
s de l'Empire
turc. Après la destruction du pouvoir
kiévien par les
Tartares, une gra nde partie du sud -ou
est de la Russie,
et Kiev elle-même, fut ann exé e par la
Pol ogn e ; cette partie du sud -ou est de Lituanie et la
la Russie est
gén éral eme nt con nue sou s le nom de
• Petite Russie •
ou Ukraine. Depuis 1386, les cou ron nes
de
de Pol ogn e étai ent unies sou s un seu Lituanie et
alors que le mo nar que et la majeure part l sou ver ain :
ie de la pop u-
lation étaient catholiques romains, une
minorité signi-
ficative de ses sujets étaient russes et orth
ort hod oxe s d'U kra ine éta ien t dan s odoxes. Ces
une pos itio n
inconfortable. Le Patriarche de Constan
tinople, à la
juri dic tion duq uel ils app arte nai ent
, ne pou vai t
exe rce r auc un con trôl e effectif en
Pol ogn e : leurs
évê que s étaient nom més non pas par
l'Église mais par
le roi catholique de Pologne, et c'étaien
t parfois des
évê que s de cour, man qua nt de qualité
s spir
Toutefois, vers la fin du XVIe siècle, un ituelles.
en dir ect ion de Rom e se dév elo mo uve men t
ppa par mi les
Chrétiens orientaux d'Ukraine. En 1596,
Brest-Litovsk, six des huit évê que s pré au Concile de
sen
le métropolite de Kiev, Michel Ragoza ts, y compris
, prirent la déci-
sio n de s'un ir à Rome ; tou tefo is les
évê que s, ainsi qu'u n nom bre significatif deu x aut res
des délégués
des monastères et des paroisses, cho
isir
orth odo xes . Ce fut une division radicaleent de rester
les Ort hod oxe s qui continuaient de l'êtr : d'u ne part
les autres, les • grecs catholiques •, e, d'au tre part
« cath oliq ues de
rite orie nta l • ou « uni ates • selo n la
dén om ina tion
L'Église sous l'Islam 125

qu'on adopte . Les grecs-catholiques adoptè rent les


princi pes procla més au Concil e de Floren ce : ils
reconn urent la suprématie du pape, mais furent auto-
risés à garder leurs pratiques traditionnelles, comme
un clergé marié, et ils continuèrent comme précédem-
ment à utiliser la liturgie byzantine, bien qu'au cours
du temps des éléments occidentaux s'y soient infiltrés.
Extérieurement, peu de choses distinguaient donc les
catholi ques de rite oriental des orthodoxes. On se
deman de jusqu' à quel point les paysan s illettrés
compr irent de quoi il était question.
Ceux qui restaient orthod oxes dans l'Ukraine polo-
naise furent sévère ment réprimés par les autorités
catholiques romaines, et il ne fait aucun doute que
l'Union de Brest a augmenté l'amertume dans les rela-
tions entre l'Ortho doxie et Rome depuis 1596 et
jusqu'à nos jours. Mais la persécution eut à maints
égards un effet revigorant. Les laïcs se rallièrent à la
défens e de l'orthodoxie et, en maints endroits où le
haut clergé avait fait défection au profit de Rome, la
tradition orthod oxe fut maintenue par de puissantes
associ ations de laïques: les Fraternités (Bratstva).
Pour répond re à la propag ande jésuite, elles installè-
rent des presse s et publiè rent des livres pour la
défens e de l'orthodoxie. Pour neutraliser l'influence
des écoles jésuite s, elles organi sèrent des écoles
orthod oxes. Vers 1650, le niveau de culture était plus
élevé en Ukraine que dans n'impo rte quelle autre
région du monde orthod oxe et des intellectuels de
Kiev, se rendan t à Moscou, influencèrent la culture
généra le de la Grande-Russie. Pierre Mohyla, dont
nous reparlerons plus tard, métropolite de Kiev de
1633 à 1647, joua un rôle important dans ce réveil
intellectuel.
Cyrille Loukaris (1572-1638), jeune prêtre grec, était
un des représentants du patriarche de Constantinople
à Brest-Litovsk en 1596. Que ce soit le résultat de ses
126 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

expér iences en Ukraine ou celui d'amitiés qu'il noua à


Const antino ple, il fit preuv e plus tard d'une forte
hostil ité enver s l'Église de Rome. Lorsqu'il devin t
patriarche œcum éniqu e, il consacra toute son énergie
à combattre l'influence des catholiques romains dans
l'emp ire turc. Malhe ureus emen t, dans cette lutte
contre l'Église « papiq ue » (selon le terme grec), Cyrille
se trouva inévitablement mêlé à des questions poli-
tiques. Il deman da l'aide des ambassades protestantes
à Constantinople, tandis que ses adversaires jésuites
s'appu yaien t sur les diplomates des États catholiques
romains. En même temps qu'il demandait une aide
politique aux diplomates protestants, Cyrille tomba
sous leur influence en matière de théolo gie et sa
Confession?, publiée à Genève en 1629, a un caractère
nettem ent calviniste.
Le patriarcat de Cyrille fut une longue suite d'in-
trigues orage uses; c'est un triste exemp le de la situa-
tion du patriarcat œcum éniqu e sous la domination
ottomane. Six fois dépos é et six fois réinstallé à son
siège, il fut finalement étranglé par des janissaires
turcs et son corps fut jeté dans le Bosphore. Son cas
est navrant : c'était proba bleme nt l'hom me le plus
brillan t à occup er le siège patriarcal depui s saint
Photius et s'il avait vécu sous de meilleurs auspices,
libre de toute intrigue politique, ses dons exception-
nels auraient pu être .mieux employés.
Les orthod oxes répudièrent totalement et rapide-
ment le calvin isme de Cyrille : pas moins de six
conciles locaux entre 1638 et 1691 conda mnère nt sa
confe ssion . En réact ion direc te, deux autre s
hiérarques orthodoxes, Pierre Mohyla et Dosithée de
Jérusalem, produisirent leurs propre s confessions. La

3. Le terme de Confession, dans ce context e, désigne une affir-


mation de sa foi, une déclaration solenne lle sur ses croyanc es reli-
gieuses .
L'Église sous 11slam 127

Confession orthodoxe de Pierre, écrite en 1640, était


basé e dire ctem ent sur des man uels cath oliq ues
en
romains. Elle fut appr ouvé e par le concile de Jassy
Rou man ie (1642), mais seul eme nt aprè s avoi r été
révisée par un Grec, Mélèce Syrigos, qui chan gea
nota mme nt les pass ages sur la cons écra tion dans
l'Eucharistie (que Pierre attribuait entiè reme nt aux
e
paro les de l'Institution) et sur le purgatoire. Mêm
dans sa forme révisée, la Confessio n de Moh yla reste
un
le docu men t le plus latin qui ait été appr ouvé par
concile officiel de l'Église orthodoxe.
,
Dosithée, patriarche de Jérusalem de 1669 à 1707
Sa
puisa lui aussi abon dam men t aux sources latines.
par le conc ile de
Con fessi on, adop tée en 1672
de
Jéru salem (con nu aussi sous le nom de concile
et clair e et
Bethléem), répond, d'un e façon concise
-
poin t par point, à la Confession de Cyrille. Les diver
sur
genc es entre Cyrille et Dosithée portaient surtout
quat re poin ts prin cipa ux : les ques tion s du libre
arbitre, de la grâce et de la prédestination ; la doctrine
et
de l'Église; le nom bre et la nature des sacre men ts;
la véné ratio n des icôn es. Dan s son expo sé sur
e
l'Eucharistie, Dosithée adop te non seulement le term
la diffé renc iatio n scola s-
latin transsubstantiatio, mais
tiqu e entr e subs tanc e et acci dent s4. Dan s son
apol ogie des prières pour les morts, il s'app roch e très
n-
près de l'idée catholique du purgatoire, sans cepe
n-
dant en emp loye r le terme. Dans l'ensemble cepe
de
dant , sa Confession est moins latine que celle
e com me un docu men t
Mohyla et peut être considéré
de première importance dans l'hist oire de la théo logie
de
orth odox e du xvue siècle. Face au calvinisme
à sa
Loukaris, Dosithée prit naturellement les armes
portée, c'est-à-dire les armes latines (c'était peut-être

4. Voir p. 367 note 6.


128 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

la seule chose qu'il puisse faire en pareilles circons-


tances) : la foi qu'il défendit avec ces armes n'était
cependa nt pas romaine, mais orthodoxe.
Durant le XVIIe siècle, en dehors de l'Ukraine, les
relations entre orthodox es et catholiq ues romains
furent souvent amicales. En Méditerranée orientale,
particulièrement dans les îles grecques sous domina-
tion vénitienne, Grecs et Latins prenaien t part aux
mêmes services ; on pouvait voir des processi ons
catholiques romaines du saint sacrement auxquelles
assistait le clergé orthodoxe, revêtu de ses ornemen ts
sacerdotaux, portant cierges et bannières. Les évêques
grecs invitaient des missionnaires latins dans leurs
églises pour prêcher ou entendre les confessions.
Mais ces contacts se raréfièrent après 1700, et dès
1750 on n'en rencontr e plus guère. En 1724, une
grande partie du patriarca t orthodo xe d'Antioc he
s'était soumise à Rome; les autres patriarcats, crai-
gnant que ce mouvem ent puisse se produire ailleurs
dans l'Empire turc, devinrent beaucou p plus circons-
pects dans leurs rapports avec les catholiq ues
romains . L'antago nisme contre Rome atteint son
apogée lorsque les patriarch es de Constant inople,
d'Alexandrie et de Jérusalem déclarèrent, en 1755, la
nullité du baptême latin, et qu'ils exigèrent que tout
converti à l'orthodoxie soit rebaptisé. « Les baptêmes
des hérétique s doivent être rejetés et abhorrés, disait
le décret, ce sont des eaux qui ne peuvent profiter ni
sanctifier ceux qui les reçoivent, ni servir au pardon
des péchés. .. Cette mesure fut maintenu e en Grèce
jusqu'à la fin du :xrxe siècle, mais elle ne s'étendit pas
à l'Eglise russe ; les Russes ont rebaptisé les convertis
catholiques entre 1441 et 1667, mais depuis lors cela
n'a plus été l'usage en Russie.
Les orthodox es du XVIIe siècle entrèrent en contact
non seuleme nt avec des catholiqu es romains; des
luthérien s, des calvinistes, mais aussi avec l'Eglise
L'Église sous l 1slam 129

d'Angleterre. Cyrille Loukaris corresp ondit avec l'ar-


chevêq ue Abbot de Cantorbéry, et un futur patriarc he
d'Alexandrie, Métrop hane Kritopoulos, fut étudian t à
Oxford de 1617 à 1624. Kritopoulos est l'auteur d'une
Confession à tendanc e légèrem ent protestante, mais
qui est largeme nt employ ée dans l'Église orthodo xe. Il
fut questio n, aux environ s de 1694, de fonder un
collège grec à Glouce ster Hall, à Oxford (mainte nant
Worcester College), et une dizaine d'étudia nts grecs
furent effectiv ement envoyé s dans la célèbre ville
universitaire ; mais, faute d'argent, le projet de collège
ne put se réaliser et les Grecs trouvèr ent la nourritu re
et le logeme nt si mauvais que plusieurs ne purent y
rester. De 1716 à 1725, il y eut des échang es de
corresp ondanc e très intéressants entre orthodo xes et
non-jur eurs (groupe d'anglicans qui se séparèr ent de
l'Église d'Angleterre en 1688, pour ne pas faire allé-
geance à Guillau me d'Orang e, qu'ils considé raient
comme un usurpat eur). Les non-jureurs approch èrent
les quatre patriarcats orientau x et l'Église de Russie,
dans l'espoir d'établi r la commu nion avec les ortho-
doxes, mais ils ne purent accepte r la doctrine ortho-
doxe de la présenc e réelle du Christ dans l'Eucharistie.
Ils étaient égalem ent gênés par la vénérat ion que les
Orthod oxes portent à la Mère de Dieu et aux saints,
ainsi que par les saintes icônes. La corresp ondanc e se
termina sans qu'on fût arrivé à un accord.
Lorsqu 'on pense aux travaux de Mohyla et de
. Dosithé e, aux conciles de Jassy et de Jérusale m et à la
corresp ondanc e avec les non-jureurs, on est frappé
par l'indige nce de la théolog ie grecqu e de cette
période , où l'on est loin de trouver la plénitu de de la
tradition orthodo xe. Les conciles du xvuc siècle consti-
tuèrent néanmo ins un apport constructif et perman ent
à l'orthod oxie. Les controv erses de la Réforme avaient
soulevé des problèm es que n'avaien t pas connus les
concile s œcumé niques ni l'Église de la fin de la
130 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

période byzantine. Les orthodoxes du xvne siècle


furent forcés d'approfondir la théologie des sacre-
ments, de la nature et de l'autorité de l'Église. Il était
important pour l'orthodoxie de devoir exprimer son
opinion sur ces sujets et de définir sa position par
rapport à l'enseignement nouveau venu d'Occident.
Les conciles du XVII" siècle réalisèrent cette tâche. Ces
conciles furent locaux, mais la substance de leurs
décisions a été accepté par l'Église orthodoxe dans
son ensemble. Les conciles du XVIIe siècle, comme les
conciles hésychastes, trois cents ans auparavant,
montrèrent que le travail théologique créatif ne se
termina pas dans l'Église orthodoxe après la période
des conciles œcuméniques. Il y a des doctrines impor-
tantes qui n'ont pas été définies par des conciles géné-
raux que tout orthodoxe est tenu d'accepter comme
faisant partie intégrante de sa foi.

Tout au long de la période turque, les traditions de


l'hésychasme demeurèrent vivantes, particulièrement
au Mont Athos. C'est là que naquit, dans la deuxième
moitié du dix-huitième siècle, un important mouve-
ment de renouveau spirituel, dont les effets se font
sentir aujourd'hui encore. Ses membres, connus sous
le nom de Kollyvades, s'alarmaient de la manière dont
tant de leurs compatriotes grecs tombaient sous l'in-
fluence du Siècle des Lumières occidental. Les
Kollyvades étaient convaincus qu'une régénération de
la nation grecque ne viendrait pas en embrassant les
idées du siècle, à la mode en Occident, mais seule-
ment par un retour aux racines véritables du christia-
nisme orthodoxe, par une redécouverte de la théo-
logie patristique et de la vie liturgique orthodoxe. En
particulier, ils se firent les avocats de la communion
fréquente, si possible quotidienne, même si, à
l'époque, la plupart des orthodoxes ne communiaient
que trois ou quatre fois l'an. Cela valut aux Kollyvades
L'Église sous l1slam 131

des attaque s farouch es sur la Sainte Montag ne et


ailleurs, mais un concile tenu à Constan tinople en
1819 admit leur point de vue et affirma qu'en prin-
cipe, les fidèles adéqua tement préparé s peuven t rece-
voir le sacrem ent de !'Eucharistie à chaque célébra-
tion.
L'un des fruits les plus notable s de ce renouve au
spirituel fut la parutio n de la Phi'localie, une vaste
antholo gie de textes ascétiqu es et mystiques datant du
quatrièm e au quinziè me siècles. Publiée à Venise en
1782, c'est un fort volume de 1207 pages in folio. Les
éditeur s, tous les deux membr es très engagé s du
mouve ment des Kollyva des, étaient saint Macaire
(Notara s), métrop olite de Corinth e 0731-1 805) et
saint Nicodè me de la Sainte Montagne (• l'Hagiorite •,
1748-1809), qui fut nommé à juste titre• une encyclo-
pédie de la science athonit e de son temps •. La
Philocalie, que ses éditeurs destinai ent tant aux laïcs
vivant dans le monde qu'aux moines, est consacr ée
spécial ement à la théorie et à la pratique de la prière
intérieu re, particu lièreme nt de la Prière de Jésus.
A l'origine son impact dans le monde grec était limité,
et plus d'un siècle s'écoula avant la premièr e réédi-
tion. Mais la traducti on slavonn e publiée à Moscou en
1793 contrib ua de manière décisive à la renaissa nce
de la spiritualité russe au XIX" siècle. Plus récemm ent,
depuis 1950, on enregist re dans le monde grec un
regain d'intérê t pour la Philocalie. Des traductions ont
comme ncé à paraître aussi dans les langues occiden -
tales (depuis 1991, la Philocalie est publiée intégrale-
ment en français), et elles ont attiré un public éton-
namme nt large. En vérité, la Philocalie a agi comme
une • bombe à retardem ent • spirituelle, car la véri-
table époque de la Philocalie n'a pas été la fin du dix-
huitièm e siècle, mais bien le début du vingtième.
Nicodè me contribu a à l'édition de nombre ux autres
textes, en particul ier les écrits de saint Syméon le
132 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Nouveau Théologien, et il prépara une édition de


saint Grégoire Palamas qui ne fut pourtant jamais
publiée. Et de manière assez surprenante, vu les senti-
ments véhémentem ent anti-catholi ques dans le
monde hellénophon e à l'époque, il a aussi promu la
littérature dévotionnelle catholique romaine, adaptant
pour les lecteurs orthodoxes des ouvrages de Lorenzo
Scupoli et d'Ignace de Loyola, le fondateur des
Jésuites.
Un autre moine de l'Athos au dix-huitième siècle,
saint Cosmas l'Étolien (1714-1779) contribua à un
renouveau de la piété grecque, non pas par des livres,
mais par la prédication missionnaire. A une époque
où la vie religieuse et culturelle des Grecs sous la
domination turque était tombée bien bas, il entreprit
une série de voyages missionnaires en Grèce conti-
nentale et dans les îles, où il s'adressa à des foules
immenses. Il considérait la foi grecque orthodoxe et la
langue grecque comme intimement liées et, partout
où il allait, il fondait des écoles grecques. Il fut
exécuté par les autorités ottomanes. Il est l'un des
nombreux Nouveaux Martyrs qui souffrirent pour leur
foi sous la domination turque.
On a dit avec raison que si l'orthodoxie fut forte-
ment à plaindre durant la période turque, elle peut
aussi être profond~men t admirée. Malgré d'innom-
brables épreuves, l'Eglise orthodoxe sous la domina-
tion ottomane n'a jamais perdu courage. Il y eut
évidement de nombreux cas d'apostasie à l'Islam,
mais pour l'Europe tout au moins, ils furent moins
fréquents que l'on eût pu le craindre. La révoltante
c9rruption des hautes sphères de l'administration de
l'Eglise eut peu d'effet sur la vie quotidienne du
simple chrétien qui put toujours assister aux offices de
son église paroissiale, et c'est la sainte liturgie qui,
plus que tout dans cette sombre époque, a gardé
vivante la foi orthodoxe.
6

Moscou et Saint-Pétersbourg

Le sens de la présence de Dieu, du surna-


turel, semble pénétrer la vte du peuple russe
plus complètement que celle de n'importe
quelle nation d'Occident.
H.P. Liddon,
prêtre anglican après une visite
en Russie en 1867.

Moscou troisième Rome

Il n'y avait, après la prise de Constan tinople en


1453, qu'une nation, la Russie, qui fût en état d'as-
sumer la directio n de la chrétien té orientale. Les Turcs
avaient conquis la majeure partie de la Bulgarie, de la
Serbie et de la Roumanie ; le reste allait succom ber
rapidem ent. La métropo le de Kiev était passée sous
les souvera ins catholiq ues de Pologne et de Lituanie ;
la Moscovie, seule, restait libre. Les Moscovites ne
pensère nt pas que ce fût le hasard s'ils se libéraient
des dernier s vestige s de la domina tion tartare au
momen t même où l'empire byzanti n tombait : il leur
sembla que Dieu leur accordait la liberté parce qu 'Il
les avait choisis pour succéde r à Byzance.
134 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

En même temps que la Moscovie retrouvait son


indépendance, l'Eglise moscovite acquérait la sienne,
plus fortuitement du reste que par une volonté déli-
bérée. Jusqu'à présent, le patriarche de Constan-
tinople avait toujours nommé ou confirmé le métro-
polite qui était le chef de l'Église russe. Isidore,
métropolite au temps du concile de Florence, était un
Grec et partisan de l'union avec Rome ; de retour à
Moscou en 1441, il y proclama les décrets de
Florence, mais il ne trouva aucun appui parmi les
Russes. Au contraire, il fut emprisonné par le grand-
duc; ayant pu s'enfuir, il retourna en Italie. Le, siège
principal était donc vacant ; mais les Russes ne voulu-
rent pas demander un nouveau métropolite à
Constantinople, l'Église officielle de Constantinople
continuant à accepter l'union de Florence. Peu
disposés à agir par eux-mêmes, les Russes patientè-
rent plusieurs années. Finalement, en 1448, un concile
d'évêques russes à Moscou décida d'élire un métropo-
lite, sans en référer à Constantinople. Après 1453,
lorsque Constantinople eut dénoncé l'union de
Florence, la communion fut rétablie entre le patriarcat
et la Moscovie, mais celle-ci continua à nommer ses
propres chefs; c'est depuis lors qu'elle est autocé-
phale. La métropole de Kiev continua toutefois à faire
partie de la juridiction de Constantinople jusque 1686,
lorsqu'elle passa sous Moscou, sans la bénédiction
volontaire et dûment exprimée du Patriarche
Œcuménique.
L'idée de Moscou comme successeur de Byzance
fut encore renforcée par le mariage d'Ivan III • le
Grand» (qui régna de 1462 à 1505) avec Sophie
Paléologue, nièce du dernier empereur de Byzance.
Bien que Sophie eût des frères et qu'elle ne fût pas
l'héritière légitime du trône, ce mariage servit pourtant
à établir un lien dynastique avec Byzance. Le grand-
duc de Moscou prit le titre byzantin d' • autocrate » et
Moscou et Saint-Pétersbourg 135

de • tsar » (adap tation du latin • c:l!sar ..) et adopt a


l'aigle bicép hale pour emblè me de l'État. On se mit à
· conce voir Moscou comm e une • troisième Rome ». La
premi ère Rome, disait-on, était tombé e aux mains
des barba res et avait chu dans l'hérés ie ; la secon de
Rome , Cons tantin ople, était aussi tomb ée dans
l'hérés ie au concil e de Florence et, en punition, elle
avait été prise par les Turcs. Mosco u avait donc
succé dé à Cons tantin ople comm e troisi ème et
derniè re Rome, pour être le centre de la chréti enté
orthod oxe. Le moine Philothée de Pskov avançait cet
argum ent lorsqu'il écrivait au tsar Basile III en 1510:
• Je voudr ais ajoute r quelq ues mots au sujet de
l'Empire orthod oxe de notre souve rain : il est le seul
empe reur des chrétiens, le chef de l'Église aposto -
lique , dont le siège n'est plus à Rome ni à
Const antino ple, mais dans la cité bénie de Moscou.
Elle seule luit sur le mond e entier, plus brillante que le
soleil. .. Tous les empir es chrétiens sont tombé s et à
leur place, confo rmém ent aux livres proph étique s, il
n'y a plus que l'Empire de notre souve rain. Deux
Romes sont tombé es. Mais la troisième est debou t et il
ne saurai t y en avoir une quatri ème ...1
Cette conce ption de Mosc ou comm e troisiè me
Rome s'appl iquait assez exacte ment à l'emp ereur:
l'emp ereur de Byzance avait été le champ ion et le
protec teur de l'ortho doxie, et l'autocrate russe était
appel é maint enant à la même tâche. Son applic ation
dans le doma ine religieux fut toutefois plus limitée,
car le chef de l'Église russe n'a jamais suppla nté le
patria rche de Constantinople, mais il a toujours été
nomm é au cinqu ième rang des hiérar ques ortho-
doxes , après le Patriarche de Jérusalem.

1. Cité dans Baynes & Moss, Byzantium, an Introduction,


p. 385. Quelqu es autres extraits de la même épître sont donnés
dans M. Laran et J. Saussay, La Russie Anctenne, Paris: Masson,
1975, p. 153-155.
136 L'Ortbodoxte, l'Église des sept Conciles

Maintenant que le rêve auquel saint Serge avait


œuvré : la libération du joug tartare, s'était réalisé, une
déplorable division apparaissait parmi ses descen-
dants spirituels. Serge avait établi un équilibre entre
les activités sociales et mystiques du monachisme,
mais cet équilibre allait être rompu. La séparation
apparut en 1503, à l'occasion d'un concile de l'Église.
A la fin du concile, saint Nil de la Sora (vers 1433-
1508), moine d'un lointain ermitage d'au-delà de la
Volga, se leva pour parler et lança une attaque contre
la propriété terrienne des monastères (à peu près un
tiers des terres russes leur appartenait). Saint Joseph,
abbé de Volokolamsk (1439-1515), prit la défense des
propriétés monastiques. La majorité du concile
appuya l'opinion de Joseph, bien qu'une partie fût
d'accord avec les sentiments de Nil, principalement
les I ermites qui habitaient, comme lui, au-delà de la
Volga. Le parti de Joseph fut connu sous le nom de
possesseurs, celui de Nil et des « ermites de l'Outre-
Volga » sous celui de non-possesseurs. Une vingtaine
d'années de tension suivit cette prise de position entre
les deux partis. Quand, en 1525, les non-possesseurs
attaquèrent le tsar Basile III qui avait divorcé sans
raison valable (l'Église orthodoxe n'accorde le divorce
qu'en certains cas seulement), il en profita pour
emprisonner leurs chefs et fermer les ermitages de
l'Outre-Volga. La tradition de Nil se maintint, mais de
façon clandestine, et bien qu'elle ne se soit jamais
effacée complètement, son influence dans l'Église
russe fut très limitée. Les possesseurs avaient donc
momentanément triomphé.
Derrière la question des propriétés monastiques,
s'affrontaient deux conceptions différentes de la vie
monastique et, plus profondément, deux points de
vue différents sur les relations de l'Église et du
monde. Les possesseurs insistaient sur les obligations
sociales du monachisme : le soin des pauvres et des
Moscou et Saint-Pétersbourg 137

malades, l'hospitalité et l'ens eigne ment faisant partie


du travail des moin es, pour s'en occuper, il fallait de
l'arg ent, par cons éque nt il fallait des terre s. Les
moin es, disaient-ils, n'em ploie nt pas leur riche sse
pour eux-m êmes , ils en font bénéficier les autres. Les
disci ples de Jose ph avai ent pour adag e : « Les
richesses de l'Église sont les richesses des pauvres. •
Les non- posse sseur s répon daien t que l'aum ône était
le devo ir des laïcs, tandis que le prem ier devo ir du
moin e était d'aid er les autres en priant pour eux et en
leur mont rant l'exe mple du bien. Un moine, disaient-
ils, doit être détac hé du mond e et seuls ceux qui ont
fait vœu de pauv reté peuv ent arriver à un vrai déta-
chem ent. Les moin es propriétaires ne peuv ent éviter
d'être pris par les difficultés séculières et, parce qu'ils
sont abso rbés dans les affaires du mond e, ils agissent
et pens ent à la façon du mond e. C'est ce qu'ex prim ait
le moin e Vassian (prin ce Patrikiev), disciple de Nil:
« Où, dans la tradition de l'Éva
ngile, des Apôtres et
des Pères, voit-on des moines acqu érir des villages
peup lés et asservir les paysans à leur comm unau té ?
Nous regardons ce que les riches ont en mains et nous
nous aplatissons servilement devant eux, les flattant pour
en obten ir quelq ue petit village ... Nous lésons, volons et
vend ons des chrétiens, nos frères. Nous en torturons et
nous les battons comm e des bêtes sauvagesz...
L'indignation de Vassian, soule vée par les tortures
et les flagellations, nous confr onte à une autre ques -
tion sur làque lle les deux parties étaie nt égale ment en
désa ccor d: celle du traitement des hérétiques. Josep h
soute nait la théorie, géné ralem ent admi se par toute la
chrét ienté de l'épo que, du traitement des hérét iques
récal citra nts par la force et avec l'aid e du bras
sécu lier: par la prison, la torture et au beso in le feu.

93.
2. B. Pares, A Htstory of Russia, 3• éd., Londres 1936, p.
138 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Nil condamnait toutes les formes de coercition et de


violence contre les hérétiques. Il faut se souvenir de la
façon dont les protestants et les catholiques se trai-
taient en Europe occidentale, au moment de la
réforme, pour apprécier l'exceptionnelle tolérance et
le respect de la liberté humaine qu'on trouve chez Nil.
La question des hérétiques finit par s'étendre au
problème des relations de l'Église et de l'État. Nil
pensait que l'hérésie était du ressort de la vie spiri-
tuelle, qu'elle devait être réglée par l'Église, sans l'in-
tervention de l'État; Joseph invoquait l'aide des auto-
rités séculières. Nil avait une idée plus nette que
Joseph de la démarcation entre les choses de César et
les choses de Dieu. Les possesseurs étaient chauds
partisans de l'idéal de Moscou Troisième Rome ; ils
croyaient en une alliance étroite de l'État et de l'Église
et prirent, ainsi que Serge l'avait fait, une part impor-
tante dans la vie politique du pays. Mais ils furent
peut-être moins prudents que Serge, et ils ne virent
pas que l'Église risquait de devenir la servante de
l'État. Les non-possesseurs étaient plus conscients du
témoignage prophétique et du détachement du mona-
chisme. Le danger qui menaçait les partisans de
Joseph était d'identifier le Royaume de Dieu avec un
royaume terrestre: Nil savait que l'Église n'est sur
terre qu'une Église pèlerine. Tandis que le parti de
Joseph était profondément patriote et nationaliste, les
non-possesseurs pensaient davantage à l'universalité
et à la catholicité de l'Église.
Mais les divergences entre les deux partis ne s'arrê-
taient pas là : ils différaient aussi dans leurs concep-
tions de la piété et de la prière. Joseph était pour la
règle et la discipline, Nil pour la relation intime et
personnelle de l'âme avec Dieu. Joseph insistait sur la
beauté des services ; Nil craignait que l'amour de la
beauté se transforme en idolâtrie: un moine, disait-il,
est voué non seulement à la pauvreté extérieure, mais
Moscou et Saint-Pétersbourg 139

à un dépo uille ment total de soi-même, et doit bien se


gard er de laisser c!e belle s icône s ou de la belle
musique, fût-elle <l'Eglise, se glisser entre Dieu et lui
(dan s sa méfiance de la beauté, il se montre puritain,
presq ue iconoclaste, ce qui est rare dans la spiritualité
russe). Jose ph réalisait plus que lui l'importance de
l'office en comm un et de la prière liturgique:
« On peut prier chez soi, mais
on n'y priera jamais
comm e on prie à l'église ... où un chan t unan ime
s'élèv e vers Dieu ; où tous n'ont qu'un e pens ée et
une seule voix dans l'unité de l'amour. .. Là-haut les
armé es angé lique s glori fient Dieu , ici-b as, dans
l'Égl ise, les hom mes le chan tent ; là-ha ut, les
Séraphins procl amen t le Trisagion, ici-bas, la multi-
tude huma ine élève le mêm e chant. Fête comm une
dans les cieux et sur terre, une seule eucharistie, une
seule félicité, une seule joie3. "Plus que la prière litur-
gique, c'était surtout la prière mystique qui intéressait
Nil ; avan t de s'installer sur la Sora, il avait été moine
au mon t Athos et y avait étudi é la tradition hésy-
chast e de Byzance.
L'Église russe a recon nu les richesses que l'ensei-
gnem ent de l'un et de l'autre lui apportait et les a
cano nisés tous les deux. Ils avaient hérité chac un
d'une partie de la tradition de saint Serge, mais aucu n
ne l'avait entiè reme nt comprise : la Russie avait beso in
des deux formes complémentaires de monachisme, et
il est triste de voir qu'elles entrè rent en conflit au
détriment, du reste, de la tradition de Nil. Or, sans les
non-possesseurs, la vie spirituelle de l'Église russe prit
une orientation unilatérale et se trouva déséquilibrée.
Cette intégration de l'Église et de l'État, ainsi que le
nationalisme russe des joséphites et leur dévotion aux

l'Église.
3. J. Meyendorff, • Une controverse sur le rôle socialendeRussie
lle des biens ecclés iastiqu es au xv,• siècle •,
La quere
dans Irenikon, 29 0956) , p. 29.
140 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

formes extérieures , devaient susciter des difficultés


qui apparuren t au siècle suivant.
Une des figures les plus marquante s dans la dispute
des possesseur s et des non-posse sseurs est celle de
saint Maxime le Grec (1470-1556), un •passeur» dont
la longue vie embrassa les trois mondes de la
Renaissan ce italienne, du mont Athos et de la
Moscovie. Grec de naissance, c'est à Venise et à
Florence qu'il passa les premières années de sa vie
d'homme. Il se lia avec des humanistes tels que Pic de
la Mirandole ; il subit aussi l'influence de Savonarole et
prit, pour deux années, l'habit dominicain. De retour
en Grèce en 1504, il devint moine à l'Athos. En 1517 le
tsar l'appela en Russie pour traduire des ouvrages
grecs en slavon et pour corriger les livres liturgiques
qui avaient été défigurés par de nombreuse s erreurs. Il
était, ainsi que Nil, un fervent admirateur des hésy-
chastes, et à son arrivée en Russie, il soutint le point de
vue des non-posses seurs. Il souffrit avec eux et fut
emprisonn é pendant 26 ans, de 1525 à 1551. Les chan-
gements qu'il voulait apporter aux livres liturgiques
furent repoussés avec une extrême vigueur et le travail
de révision arrêté fut laissé inachevé. Sa vaste érudi-
tion, qui aurait pu rendre de si grands services en
Russie, fut gaspillée par sa longue détention. Son
exigence de pauvreté spirituelle et de dénuemen t était
aussi profonde que celle de Nil : • Si vous aimez réelle-
ment le Christ crucifié, écrivait-il, soyez un étranger,
soyez inconnu, sans pays, sans nom, silencieux devant
vos proches, vos relations, vos amis, donnez tout votre
avoir aux pauvres, renoncez à toutes vos anciennes
habitudes et à toute volonté propre4 ...
Bien que la victoire des possessem_:.s ait a.,mené une
alliance très étroite entre l'Eglise et l'Etat, l'Eglise n'en

4. Cité par E. Denissoff, Maxime le Grec et l'Occident, Paris,


1943, p. 275-276.
Moscou et Saint-Pétersbourg 141

perdit pas toute son indépendance. Au faîte du pouvoir


d'Ivan le Terrible, le métropolite de Moscou, saint
Philippe (t1569) osa protester ouvertement contre la
tyrannie sanguinaire et l'injustice du tsar; il le blâma
publiquemen t durant la célébration de la Sainte Liturgie.
Ivan le fit emprisonner et, plus tard, étrangler. Saint
Basile le Bienheureux (t1552), lui aussi, critiqua sévère-
ment le tsar Ivan ; saint Basile était un « Fol-en-Christ •,
forme de sainteté qu'on trouve déjà à Byzance, mais
surtout en Russie médiévale. Les « Fols » portent l'idée
de renoncemen t et d'humiliation jusqu'à l'extrême,
renonçant à leurs dons intellectuels et à tout aspect de la
sagesse du monde, assumant volontairement une croix
de folie. Ils ont souvent joué un rôle social important :
étant fols-en-Christ, ils pouvaient critiquer ceux qui
possédaient le pouvoir, avec une franchise dont
personne d'autre n'aurait osé faire preuve. Il en était
ainsi de Basile, « la conscience vivante .. du tsar Ivan, qui
écoutait ses sévères et perspicaces reproches et, loin de
le punir, lui témoignait de grands égards.
En 1589, avec l'assentimen t du patriarche de
Constantinop le, le chef de l'Église russe fut élevé du
rang de métropolite à celui de patriarche et reçut la
cinquième place après Jérusalem. La tournure des
événements fit que le Patriarcat de Moscou allait durer
à peine plus d'un siècle.

Le schisme des vieux-croyants


Le xvne siècle s'ouvrit en Russie sur une période de
trouble et de désastres, connue sous le nom de
« Temps des Troubles » : le pays, divisé intérieuremen t,

tomba victime des ennemis de l'extérieur. Mais après


1613, la Russie se releva soudainemen t et les quarante
années suivantes furent une période de reconstructio n
142 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

et de réformes, dans la vie de la nation et dans celle


de l'Église. Le mouvement réformateur dans l'Église
fut inspiré par Denys, abbé du monastère de la
Trinité-Saint-Ser ge, et par Philarète, patriarche de
Moscou de 1619 à 1633 et père du tsar. Après 1633, il
continua sous l'impulsion d'un groupe de prêtres
mariés, dont les plus célèbres sont les archiprêtres
Ivan Néronov et Avvakoum Pétrovitch. Le travail
de correction des livres liturgiques, commencé au
siècle précédent par Maxime le Grec, fut repris avec
circonspection. Une imprimerie patriarcale fut
installée à Moscou et publia des livres liturgiques plus
précis, sans toutefois que les autorités compétentes se
soient jamais aventurées à faire des changements trop
drastiques. Dans les paroisses, les réformateurs firent
tout ce qu'ils purent pour relever le niveau moral,
autant parmi le clergé que chez les laïcs. Ils combatti-
rent l'ivrognerie, ils insistèrent sur l'observance du
jeûne, ils exigèrent que la Sainte Liturgie et les autres
offices soient chantés avec piété et sans omissions, ils
encouragèrent les prédications fréquentes.
Ce groupe réformateur représentait une grande part
de ce qu'il y avait de meilleur dans la tradition de saint
Joseph de Volokolamsk. Comme Joseph, ils croyaient
à l'autorité et à la discipline, et voyaient la vie chré-
tienne conditionnée par les règles ascétiques et la
prière liturgique. Ils estimaient que non seulement les
moines, mais les prêtres mariés ainsi que les laïcs,
hommes, femmes, enfants, tout le monde, devait
jeûner et passer de longues heures en prière à l'église
ou chez soi devant les icônes. Leur programme faisait
peu de concessions à la faiblesse humaine et était trop
ambitieux pour être totalement réalisable. Néanmoins
la Moscovie, aux environs de 1650, fit beaucoup pour
justifier son nom de Sainte-Russie.
Les orthodoxes de l'Empire turc qui visitaient
Moscou étaient impressionnés, mais aussi souvent
Moscou et Saint-Péter'Sbourg 143

consternés , par l'austérité des jeûnes, par la longueur


et la magnifice nce des offices. La nation entière
semblait vivre comme" une vaste maison religieuse5 ».
L'archidia cre Paul d'Alep, un Arabe orthodoxe du
Patriarcat d'Antioche qui vécut en Russie de 1654 à
1656, remarqua que les banquets de la Cour étaient
accompag nés non de musique, mais de lectures sur la
vie des saints, ainsi qu'il est d'usage à table dans les
monastère s. Le tsar et la Cour assistaient à des services
qui pouvaient durer sept heures et davantage ... Que
dirions-no us de ces devoirs, dont l'austérité pourrait
faire blanchir les cheveux des enfants, et qui sont
observés si strictement par l'empereur, le patriarche,
les grands, les princesses et les femmes, se tenant
debout du matin au soir ? Qui pourrait croire
qu'ils puissent ainsi dépasser les anachorèt es du
désert ?6 "· Les enfants n'étaient pas exclus de ces
rigoureuse s observanc es: .. Notre plus grande surprise
fut de voir des garçons et de petits enfants ... se tenant
immobiles et tête nue, sans montrer le moindre signe
d'impatien ce7 ». Paul cependant n'apprécia pas sans
certaines réserves l'austérité des Russes, se plaignant
qu'ils ne permetten t .. ni gaîté, ni rire, ni plaisanterie,
ni ivresse, ni consomma tion d'opium» et qu'il soit
défendu de fumer : • pour le crime particulier d'user
du tabac, on peut être mis à morts.» Le tableau ainsi
dépeint par Paul et par d'autres visiteurs ne laisse pas
d'être impression nant, mais il insiste peut-être un
peu trop sur l'aspect extérieur. Ainsi qu'un Grec le
remarquai t en rentrant d'un voyage à Moscou, la reli-

S. N. Zernov, Moscow, the Third Rome, Londres, 1937, p. 51.


6. Les voyages de Macaire, [dans:) W. Palmer, The Patriarch
and the Tsar, Londres, 1873, vol. Il, p. 107.
7. Paul d'Alep, The Travels of Macarius, éd. Lady Laura
Ridding, p. 68.
8. tbtd. p. 21.
144 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

gion des Moscovites semble consister largement en


sonneries de cloches.
En 1652-1653, une funeste querelle éclata entre le
groupe des réformateurs et le nouveau patriarche
Nikon (1605-1681). D'origine paysanne, Nikon fut
probablemen t le plus brillant et le plus doué des chefs
de l'Église russe, mais il était aussi impérieux et auto-
ritaire. Grand admirateur des choses grecques, il
disait : • Je suis Russe, fils d'un Russe, mais ma foi et
ma religion sont grecques9 •. Il exigea que les
pratiques russes se conforment en tout point aux
coutumes des quatre anciens patriarcats et que les
livres liturgiques russes soient révisés là où ils diffé-
raient des livres grecslO. En particulier, il insista pour
que le signe de la croix, que les Russes continuaient à
faire à l'ancienne, avec deux doigts, soit dorénavant
fait avec trois doigts, comme les Grecs le faisaient
désormais.
Cette politique fut durement ressentie par beau-
coup de ceux qui étaient des héritiers de la tradition
joséphite. Ils considéraie nt Moscou comme la
Troisième Rome, et la Russie comme le rempart et la
norme de l'orthodoxie. Ils respectaient l'Église mère
de Byzance, dont la Russie avait reçu la foi, mais ils ne
sentaient pas le même respect pour les Grecs leurs
contemporai ns. Ils gardaient le souvenir de la trahison
de la foi par les hiérarques grecs à Florence et ils
n'ignoraient peut-être pas entièrement la corruption à
l'intérieur du patriarcat de Constantinop le sous la
domination turque. Tout ceci ne les rendait pas dési-
reux de copier servilement les usages grecs modernes
et, en particulier, ils ne voyaient aucune raison qui
obligerait les Russes à faire le signe de la croix à la

9. tbid p. 37.
10. Sur la réforme des livres liturgiques, voir Paul Meyendorff,
Russia, Ritual and Reform, New York 1991.
Moscou et Saint-Pétersbourg 145

manière grecque, alors que la pratique russe était en


fait plus ancienne . La question du signe de la croix
peut sembler dérisoire, mais il faut se rappeler quelle
grande importan ce les Orthodo xes en général et les
Russes en particulier ont toujours attaché aux actions
rituelles , aux gestes symboli ques par lesquels la
croyance intérieure du Chrétien s'exprime. Aux yeux
de beaucou p, un changem ent dans le symbole consti-
tuait un changem ent dans la foi. Cette divergence sur
le signe de la croix servit à cristalliser d'une manière
spécifiqu e toute la question de !'Orthodo xie grecque
contre la moscovite.
En procédan t avec tact et douceur, Nikon aurait pu
éviter un conflit, mais malheure usement il manquai t
de tact. Brûlant les étapes, il s'empres sa d'impose r son
program me de réformes , malgré l'opposi tion de
Néronov et d'Avvakoum, soutenus par de nombreu x
autres : clergé paroissial, moines et laïcs. Les oppo-
sants aux réformes de Nikon furent duremen t persé-
cutés, ils eurent à affronter l'exil, l'empriso nnement et
parfois la mort. Si Néronov se rendit finaleme nt,
Avvakou m (1620-1682) refusa de céder et après dix
années d'exil et vingt-deu x d'empris onnemen t, dont
douze dans un cul de basse fosse, il fut finalement
brûlé au bûcher. Ses partisans virent en lui un martyr
pour la foi. Il a laissé un récit complet de ses souf-
frances, dans sa vivante et extraordinaire biograph ie,
devenue un classique de la littérature religieuse russe.
La controve rse entre Nikon et les opposan ts aux
réformes aboutit à un schisme qui dure encore. Ceux
qui comme Avvakoum rejetèrent les livres liturgiques
niconien s furent appelés rasko/ni ki (sectaire s) ou
«vieux-c royants .. bien qu'il soit plus justifié de les
appeler • vieux-ritualistes "· C'est ainsi que surgit au
:xvue siècle un mouvem ent dissident; mais si on le
compare à la dissidenc e anglaise de la même période,
on s'aperçoi t de deux grandes différenc es: première -
146 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

ment, les vieux-croyants - les dissidents russes - se


distinguent de l'Église officielle par des questions de
rituel et non de doctrine ; deuxièmeme nt, tandis que
la dissidence anglaise fut un mouvement radical, une
protestation contre l'Église officielle, qui ne poussait
pas la réforme assez loin, la dissidence russe fut une
révolte des conservateur s contre une Église officielle
qui, selon eux, poussait la réforme trop loin.
Le schisme des vieux-croyants dure encore. Avant
1917, leur nombre était officiellement estimé à deux
millions, mais en réalité il pouvait bien y en avoir cinq
fois autant. Ils sont eux-mêmes divisés en deux
groupes principaux : les Popovtsy, qui ont maintenu la
prêtrise et qui, depuis 1846, ont leur propre succes-
sion d'évêques; et les Bezpopovtsy, qui n'ont pas de
prêtres.
Il y a bien des choses admirables chez les vieux-
croyants qui incarnent tant de composantes de la
piété médiévale russe traditionnelle. Mais ils n'em-
brassent pas toute la richesse de cette tradition, car ils
ne représentent qu'un de ses aspects : le point de vue
des « possesseurs •. Les erreurs des vieux-croyan ts
sont en gros, celles des joséphistes poussées à l'ex-
trême : étroitesse nationaliste et accent mis trop forte-
ment sur les signes extérieurs. Nikon du reste, lui
aussi, malgré son hellénisme, est en fin de compte un
joséphite : il exigeait une uniformité absolue de rituel
et, comme les possesseurs, il fit appel au bras séculier
pour supprimer tous ses adversaires religieux. Plus
que tout, ce fut son empresseme nt à recourir aux
persécutions qui rendit le schisme définitif. Si l'Église
russe entre 1550 et 1650 s'était développée d'une
façon moins partiale, elle eût peut-être pu éviter cette
séparation permanente. Si, au lieu de recourir à la
persécution, elle avait usé de tolérance et suivi Nil
dans son respect de la liberté individuelle, elle aurait
pu arriver à une réconciliation. Et si les opposants
Moscou et Saint-Pétersbourg 147

avaient pratiqué davantage la prière mystique, les


discussions sur le rituel auraient été moins âpres. Les
disputes du XVIe siècle sont à la base des divisions du
XVIIe.
En même temps qu'il contraignait les Russes à
accepter les coutumes grecques, Nikon poursuivait un
autre but: imposer à l'État la suprématie de l'Église.
Jusqu'ici, les relations de l'Église et de l'État étaient ce
qu'elles furent à Byzance : une dyarchie ou
symphonie de deux pouvoirs coordonnés, sacerdo-
tium et imperium, chacun ayant la suprématie dans
son propre domaine. Aux périodes kiévienne et
mongole, l'Église avait joui d'une grande indépen-
dance et avait eu une grande influence ; mais sous les
tsars de Moscovie, bien qu'en théorie les deux
pouvoirs fussent restés égaux, l'autorité civile, en fait,
contrôla l'Église de plus en plus (encouragée en cela
par la politique des joséphites). Nikon s'efforça de
renverser la situation. Non seulement il insista pour
que l'autorité du patriarche soit absolue en matière de
religion, mais il réclama le droit d'intervenir dans les
affaires civiles et prit le titre de « Grand Seigneur",
réservé jusqu'ici au tsar.
Le tsar Alexis, qui avait un grand respect pour
Nikon, commença par se soumettre à son contrôle.
Oléarius, visitant Moscou en 1654, écrivait: « L'autorité
du patriarche est si grande qu'il semble en quelque
sorte partager le pouvoir avec le grand-ducll. " Mais
après un certain temps, Alexis souffrit de l'immixion
de Nikon dans les questions séculières. En 1658,
Nikon, peut-être dans l'espoir de rétablir son
influence, décida de se mettre en semi-retraite, sans
toutefois démissionne r. Pendant huit ans, l'Église

11. Palmer, The Patriarch and the Tsar, vol. 2, p. 407 ;


Olearius, Relation de voyage en Moscovie et de Moscovie en Perse
et retour, 2' éd. Paris 1659 (autre édition française en 1666).
148 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

russe demeura sans chef effectif ; puis, à la demande


du tsar, un grand concile fut tenu à Moscou, présidé
par les patriarches d'Alexandrie et d'Antioche. Le
concile se prononça en faveur des réformes de Nikon
mais contre sa personne: les changements apportés
par Nikon dans les livres liturgiques et surtout son
ordonnance au sujet du signe de la croix furent
approuvés et confirmés, mais Nikon lui-même fut
déposé et exilé ; un nouveau patriarche fut nommé.
Le concile fut donc un triomphe pour la politique de
Nikon au sujet des pratiques grecques introduites
dans l'Église russe, mais une défaite en ce qui concer-
nait ses espoirs d'établir le Patriarche au-dessus du
Tsar. Le concile revint à la théorie byzantine de l'har-
monie de deux pouvoirs indépendants.
Mais les décisions du concile de Moscou au sujet des
relations de l'Église et de l'État ne furent pas longtemps
respectées. Le retour de balancier allait se révéler
redoutable. Pierre le Grand (qui régna de 1682 à 1725)
supprima complètement le patriarcat, ce pouvoir que
Nikon avait si ambitieusement rêvé d'accroître.

La période synodale (1700-1917)

Pierre décida qu'il n'y aurait dorénavant plus de


Nikon et, quand le patriarche Adrien mourut en 1700,
il ne fit rien pour nommer un successeur. En 1721, il
promulga son célèbre Règlement spirituel, abolissant
le patriarcat et instaurant, à sa place, une commission,
le Collège spirituel ou saint-synode. Celui-ci était
composé de douze membres, dont trois évêques,
les autres étant choisis parmi les supérieurs des
monastères ou le clergé marié.
La constitution du synode n'était pas basée sur le
droit canon orthodoxe, mais elle était copiée sur les
Moscou et Saint-Pétersbourg 149

synodes protestants d'Allemagne. Ses membres


n'étaient pas nommés par l'Église mais par }'Empereur
qui, les nommant, pouvait aussi les révoquer. Alors
qu'un Patriarche, nommé à vie, pouvait éventueile-
ment tenir tête au Tsar, un membre du saint-synode
n'avait aucune chance de faire preuve d'héroïsme : il
était simplement démis de ses fonctions. L'empereur
n'était pas appelé • chef de l'Église•, mais il avait le
titre de • juge suprême du collège spirituel .. ; il n'assis-
tait pas en personne aux réunions, mais y déléguait
un fonctionnaire, le haut-procureur du saint-synode.
Celui-ci, bien qu'il siégeât à une table séparée, ne
prenant aucune part aux discussions, avait en réalité
un pouvoir considérable sur les affaires de l'Église et
pouvait être considéré comme un • ministre des
affaires religieuses ...
L'Église n'était pas considérée dans le Règlement
spirituel comme une institution de droit divin, mais
comme un département d'État, organisé sur une base
séculière ; le Règlement tenait très peu compte de ce
que la Réforme anglaise a appelé • les droits royaux
du Rédempteur ». Cela est vrai non seulement pour les
dispositions régissant la haute administration de
l'Église, mais aussi pour beaucoup d'autres points. Un
prêtre, entendant en confession parler d'un plan sédi-
tieux contre le gouvernement, devait donner à la
police tous les noms et détails qui lui avaient été
confiés, violant ainsi le secret du sacrement. Le mona-
chisme était grossièrement appelé« l'origine d'innom-
brables troubles et désordres"· Il fut soumis à de
nombreuses restrictions : interdiction d'ouvrir de
nouveaux monastères sans permission spéciale,
défense aux moines de vivre en ermites; défense aux
femmes de prononcer leurs vœux avant d'avoir atteint
l'âge de cinquante ans.
Une intention bien délibérée était à la base de ces
restrictions sur les monastères qui avaient été
150 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

jusqu'alors les principaux centres de travail social en


Russie. L'abolition du patriarcat faisait partie d'une
vaste opération : Pierre cherchait non seulement à
priver l'Église de son chef, mais aussi à l'éliminer de
l'action sociale. Les successeurs de Pierre restreigni-
rent encore plus sévèrement l'action sociale des
monastères. Elisabeth (qui régna de 1741 à 1762)
confisqua la plupart des biens monastiques, et
Catherine II durant son règne (1762-1796) supprima
plus de la moitié des monastères et imposa une sévère
limitation du nombre de moines. La fermeture des
monastères fut désastreuse pour certaines provinces
éloignées, où ils étaient virtuellement les seuls centres
d'action caritative et de culture. Mais bien que grave-
ment restreint, le travail social de l'Église ne fut jamais
complètement arrêté.
Les réformes religieuses de Pierre le Grand suscitè-
rent une opposition considérable en Russie, mais elle
fut farouchement réprimée. A l'étranger, le redoutable
Dosithée émit une protestation vigoureuse, mais les
Églises orthodoxes sous le joug turc n'étaient pas en
position d'intervenir effectivement et, en 1723, les
quatre anciens Patriarcats acceptèrent l'abolition du
patriarcat de Moscou et reconnurent la constitution du
Saint-Synode.

Ce système de gouvernement, établi par Pierre le


Grand, resta effectif jusqu'en 1917. La période syno-
dale est généralement considérée comme une période
de décadence dans l'orthodoxie russe, l'Église étant
complètement assujettie à l'État. Un coup d'œil super-
ficiel sur le XVIff siècle confirmerait ce verdict: l'art, la
musique religieuse et la théologie furent en effet
influencés par une occidentalisation de mauvais aloi.
Ceux qui étaient découragés par l'aride enseignement
scolastique des Académies de théologie ne se sont pas
tournés vers Byzance et l'ancienne Russie, mais vers
Moscou et Saint-Pétersbourg 151

les mouvements religieux ou pseudo-relig ieux de


l'Occident contempora in, tels que le mysticisme
protestant, le piétisme allemand, la franc-maçon -
nerie12, et d'autres encore. Il y eut aussi parmi le haut
clergé des prélats de cour, tel Ambroise (Zertiss-
Kamensky), archevêque de Moscou et de Kalouga,
qui à sa mort, en 1771, laissa entre autres biens 252
chemises de fine toile et 9 monocles à monture d'or.
Mais ceci n'est qu'un aspect du xvme siècle. Quoi
qu'on puisse dire sur la constitution du saint-synode,
il se montra dans l'ensemble efficace. Les esprits réflé-
chis se rendaient compte des défauts des réformes de
Pierre, mais ils furent bien obligés de se soumettre. La
théologie, malgré la forte influence de l'Occident,
témoigne d'un haut niveau d'érudition. Derrière une
façade assez occidentale, la vie profonde de l'ortho-
doxie russe continua cependant sans interruption. Si
Ambroise Zertiss-Kam ensky représente un type
d'évêque russe, il y en eut d'autres bien différents, de
vrais moines tels que saint Tikhon de Zadonsk (1724-
1783), évêque de Voronège. Grand prédicateur,
Tikhon a également beaucoup écrit. Comme la
plupart de ses contemporain s, il emprunta largement
à l'Occident, mais il resta toujours fermement enraciné
dans la tradition classique de la spiritualité orthodoxe.
Il puisa dans les livres de dévotion allemande et
anglaise, et ses méditations détaillées sur les souf-
frances physiques de Jésus sont plus typiquement
catholiques romaines qu'orthodoxe s. Dans sa propre
vie de prière, il subit une expérience très semblable à
celle de la nuit obscure de l'âme, telle qu'elle
est décrite par des mystiques occidentaux comme
saint Jean de la Croix. Mais Tikhon était aussi très
proche de Théodose et de Serge, de Nil et des

12. Il est interdit aux orthodoxes, sous peine d'excommunica-


tion, de rejoindre la franc-maçonnerie.
152 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

non-possesseurs. Comme beaucoup de saints russes,


moines ou laïcs, sa grande joie était de pouvoir aider
les pauvres; c'est surtout avec les gens simples qu'il
était heureux; il aimait parler avec les paysans, les
mendiants et même les criminels.
La deuxième partie de la période synodale, le XIX"
siècle, loin d'être décadente, fut une période de
renaissance pour l'Église russe, qui se détourna alors
des mouvements religieux ou pseudo-religieux de
l'Occident contemporain pour revenir aux véritables
forces spirituelles de !'Orthodoxie. Parallèlement à
cette renaissance, on observe un essor enthousiaste
du travail missionnaire. En théologie aussi, comme
dans la vie spirituelle, l'orthodoxie se libéra d'une
longue imitation servile de l'Occident.
Cette renaissance religieuse vînt du mont Athos, par
l'œuvre et le témoignage de saint Paissy
Vélitchkovsky (1722-1794). Ukrainien de naissance,
pendant ses études à l'Académie de théologie de Kiev,
il fut rebuté par le ton séculier de l'enseignement et
s'enfuit au Mont Athos où il devint moine. En 1763, il
se rendit en Roumanie et devint abbé du monastère
de Niamets, qu'il transforma en un grand centre spiri-
tuel, groupant plus de 500 frères. La communauté,
sous sa direction, s'adonna spécialement à la traduc-
tion des Pères grecs en slavon. Au mont Athos, Paissy
avait étudié et vécu la tradition hésychaste, et il était
spirituellement proche de son contemporain
Nicodème. Il fit paraître à Moscou, en 1793, une
traduction des textes de la Philocalie. Paissy insistait
particulièrement sur le rôle de la prière continuelle -
surtout sur la prière de Jésus - et sur la nécessité
d'obéissance à un starets ou ancien. Il fut profondé-
ment influencé par Nil et les non-possesseurs,
mais sans méconnaître les éléments constructifs du
monachisme des joséphites : il donna plus de place
que Nil aux prières liturgiques et au travail social et,
Moscou et Saint-Pétersbourg 153

comme Serge avant lui, il essaya d'arriver à une


synthèse qui introduirait le mysticisme dans l'aspect
communautaire et social de la vie monastique.
Paissy ne retourna pas en Russie, mais beaucoup de
ses disciples s'y rendirent et inspirèrent un renouveau
de la vie monastique. Les maisons religieuses existantes
furent renforcées et beaucoup de nouvelles furent
fondées. En 1810, il y avait 452 monastères en Russie,
en 1914, 1025. Ce mouvement monastique, ouvert aux
besoins du monde et soucieux de le servir, restaura en
même temps, au cœur de l'Église, la tradition des non-
possesseurs qui avait été étouffée depuis le XVIe siècle.
Cette époque est marquée par le développement consi-
dérable de la direction spirituelle. Bien que les
« anciens • aient été des figures caractéristiques de beau-
coup d'autres périodes de l'histoire de l'orthodoxie, le
XIX" siècle est par excellence l'époque des startsy.
Le premier et le plus grand de tous les startsy du XIX"
siècle est saint Séraphim de Sarov (1759-1833). De tous
les saints de Russie, il est probablement celui qui attire
le plus les chrétiens non-orthodoxes. Entré au monas-
tère de Sarov à l'âge de dix-neuf ans, il y passa d'abord
seize années de vie communautaire. Il se retira ensuite
et passa vingt années en reclus, vivant d'abord dans
une hutte au cœur de la forêt ; puis, lorsque ses pieds
gonflés l'empêchèrent de marcher, il s'enferma dans
une cellule au monastère. Ce furent les années de
préparation à son travail de starets. Enfin, en 1815, il
ouvrit la porte de sa cellule. De l'aube jusqu'au soir, il
reçut alors les innombrables visiteurs qui venaient lui
demander son aide. Il guérissait les malades, donnait
des conseils, souvent même il répondait aux questions
avant que ses visiteurs aient eu le temps de les poser.
Parfois, en une seule journée, il y eut dans la cour du
monastère jusqu'à plusieurs milliers de personnes. Sa
vie rappelle dans ses grandes lignes celle de saint
Antoine d'Égypte, quinze siècles avant lui : on y voit
154 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

une même retraite en vue d'un retour. On considère


avec raison Séraphim comme l'exemple caractéristique
du saint russe, mais il est aussi un exemple frappant de
ce que le meilleur de l'orthodoxie russe a en commun
avec Byzance et avec la tradition orthodoxe univer-
selle à travers les âges.
Séraphim était extraordinai rement dur pour lui-
même (il passa un millier de nuits consécutives en
prière continuelle, se tenant immobile sur une grande
pierre) ; mais il était doux pour les autres, sans jamais
tomber dans le sentimentalisme ou la complaisance.
L'ascèse ne l'avait pas rendu sombre et si jamais une
vie de saint fut illuminée par la joie, c'est bien celle de
Séraphim. La vision de la Lumière Divine du Thabor
prit dans son cas une forme visible qui transforma
extérieurement son corps. Un de ses fils spirituels,
Nicolas Motovilov, a décrit ce qui se passa un jour
qu'ils parlaient ensemble dans la forêt. Séraphim avait
parlé de la nécessité d'acquérir l'Esprit Saint, et
Motovilov lui avait demandé comment un homme
pouvait avoir la certitude d'être dans l'Esprit de Dieu:

Père Séraphim me prit alors fermement par les


épaules et me dit:• Mon fils, nous sommes tous deux
en ce moment dans l'Esprit de Dieu ; pourquoi ne
voulez-vous pas me regarder ?
- Je ne peux pas vous regarder, mon Père,
répondis-je, vos yeux projettent des éclairs. Votre
visage est devenu plus éblouissant que le soleil et j'ai
mal aux yeux en vous regardant.
- Ne craignez rien, dit-il, en ce moment vous
êtes devenu aussi lumineux que moi. Vous êtes aussi
à présent dans la plénitude de l'Esprit de Dieu,
autrement vous ne pourriez me voir tel que vous me
voyez.
Et penché vers moi, il me dit tout bas â l'oreille :
- Rendez grâces au Seigneur pour Sa bonté infinie
Moscou et Saint-Pétersbourg 155

envers nous ... Mais pourquoi donc, mon ami, ne


voulez-vous pas me regarder droit en face ? Regardez
franchement, sans crainte, le Seigneur est avec nous ...
Encouragé par ces paroles, je regardai son visage et
fus saisi d'une sainte frayeur. Imaginez, au milieu du
soleil, dans l'éclat des rayons éblouissants de midi, la
face de l'homme qui vous parle. Vous voyez le mouve-
ment de ses lèvres, l'expression changeante des yeux,
vous entendez sa voix, vous sentez ses mains qui vous
tiennent par les épaules ; mais vous ne voyez ni ces
mains, ni le corps de votre interlocuteur, rien que la
lumière resplendissa nte qui se propage au loin, à
quelques toises, éclairant par son éclat le pré couvert
de neige et les flocons blancs qui ne cessent de tomber.
- Qu'est-ce que vous ressentez? me demanda le
Père Séraphim.
- Un bien-être infini, dis-je.
- Mais quel genre de bien-être ? En quoi précisément ?
- Je sens, répondis-je, une telle tranquillité, une
telle paix dans mon âme que je ne trouve pas de mots
pour l'exprimer.
- C'est, mon ami, la paix dont parlait le Seigneur
lorsqu'il dit à Ses disciples: « Je vous donne ma paix;
la paix que le monde ne peut pas donner "
(Jean 14, 27), la paix qui surpasse toute intelligence
(Philippiens 4, 7). Que sentez-vous encore ?
- Une joie infinie dans mon cœur.
Et le père Séraphim continue : - Quand l'Esprit de
Dieu descend sur l'homme et l'enveloppe dans la
plénitude de Sa présence, alors l'âme déborde d'une
joie indicible, car l'Esprit Saint remplit de joie toutes
les choses auxquelles Il touche ... 13 ...
Et la conversatio n continue. Tout ce passage
est extrêmemen t important ; il éclaire la doctrine
_13. Traduction française dans V. Lossky, Théologie mystique de
l'Eglise d'Orient, Paris: Aubier, 1960, p. 225-227. L'entretien,
156 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

orthodoxe de la déification de l'homme et de son


union avec Dieu, et il montre l'importance et la place
du corps dans la pensée orthodoxe de sanctification :
ce n'est pas l'âme seulement de Séraphim (ou celle de
Motovilov), mais son corps entier qui est transfiguré
par la grâce de Dieu. Il faut noter que ni Séraphim ni
Motovilov ne se trouvent en état d'extase: tous deux
peuvent parler de façon cohérente et ils restent, l'un
comme l'autre, conscients du monde extérieur ; mais
ils sont remplis de l'Esprit Saint et baignent dans la
lumière du Royaume à venir.
Séraphim n'avait pas eu de maître pour le guider et
il ne laissa pas de successeur ; à sa mort, son travail
fut repris par une autre communauté, l'ermitage
d'Optino. De 1829 à 1923, date où les bolchéviks
fermèrent le monastère, une succession de startsy
(canonisés en 1996) y fut à l'œuvre et leur influence,
comme celle de Séraphim, s'étendit sur toute la
Russie. Les plus connus d'entre eux sont saint Léonide
(1768-1841), saint Macaire (1788-1860) et saint
Ambroise (1812-1891, canonisé en 1988). Ils étaient
tous de l'école de Paissy et adeptes fervents de la
prière de Jésus, mais chacun avait son propre carac-
tère. Léonide, par exemple, simple, vif, très direct,
était surtout aimé des paysans et des marchands,
tandis que Macaire était un homme instruit, un patro-
logue, très au fait des mouvements intellectuels de
son temps. Optino a influencé un grand nombre
d'écrivains, entre autres Gogol, Khomiakov,
Dostoievsky, Soloviov et Tolstoï14. Le remarquable
personnage de Zossima dans les Frères Karamazov de

publié en entier dans Sérapbim de Sarov aux éditions de !'Abbaye


de Bellefontaine à Bégrolles en Mauges, est repris dans la
deuxième édition de ce livre, Desclée de Brouwer (Théophanie),
Paris 1979.
14. Les relations de Tolstoï avec l'Église orthodoxe sont çxtrê-
mement tristes. A la fin de sa vie, il attaqua publiquement l'Eglise
Moscou et Saint-Pétersbourg 157

Dostoievsky est en partie basé sur les pères Macaire et


Ambroise d'Optino ; Dostoievsky dit cependant en
avoir eu l'idée en lisant la vie de saint Tikhon de
Zadonsk.
« Ce qui importe plus essentiellement que tous les
livres et les idées possibles, écrivait le slavophile Ivan
Kiréevsky, c'est de trouver un starets orthodoxe à qui
tu puisses découvrir chacune de tes pensées et de qui
tu puisses entendre, non pas ta propre opinion, plus
ou moins judicieuse, mais le jugement des saints
Pères. Dieu soit loué, de tels startsy n'ont pas encore
disparu de Russie15 ...
Le renouveau monastique opéré par les startsy
influença la vie de beaucoup de laïcs. L'atmosphère
spirituelle du temps est exprimée de façon particuliè-
rement vivante dans les Récits d'un pèlerin russet6,
livre qui décrit les expériences d'un paysan russe qui
allait de lieu en lieu en pratiquant la Prière de Jésus.
C'est un petit ouvrage très attrayant, frappant par sa
simplicité, bien que quelque peu unilatéral dans l'ac-
cent qu'il met sur l'invocation exclusive du Nom Saint.
L'un des buts du livre est de montrer que la Prière de
Jésus n'est pas limitée aux moines mais qu'elle peut
être utilisée par tout un chacun, dans n'importe quel
genre de vie. Le pèlerin porte avec lui un exemplaire
de la Philocalie, probablement la traduction slavonne

avec une violence telle que le saint-synode se vit forcé de l'ex-


communier (février 1901). Au moment de sa mort, chez le chef de
gare d'Astapovo, sa famille refusa de laisser entrer le starets qui
était venu d'Optino pour le voir. Ainsi que le remarquait un de ses
paysans devant s;i tombe : • Souvent, avec trop d'instruction, un
homme perd son chemin •.
15. Cité dans : Métropolite Séraphim (de Berlin et d'Europe
occidentale), L'Église orthodoxe, Paris: Payot, 1952, p. 219.
16. Récits d'un Pèlerin russe, et Le Pèlerin russe: Trois récits
tnédits, trad. française par Jean Laloy (pseud. Jean Gauvain),
Ed. du Seuil (coll. Points Sagesses, 2 volumes,).
158 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

de Paissy. L'évêque saint Théophane le Reclus (1815-


1894) publia, de 1876 à 1890, une traduction très
augmentée de la Philocalie: elle comporte cinq
volumes écrits en russe et non plus en slavon.
Jusqu'à présent, nous avons parlé principalement
des activités des monastères. Mais parmi les person-
nages les plus marquants de l'Église russe du
XIX" siècle, on compte aussi un représentant du clergé
marié, saint Jean de Kronstadt (1829-1908). Tout au
long de son ministère, il travailla au même endroit,
Kronstadt, une base navale et une île au large de
Saint-Pétersbourg. Il était totalement dévoué à son
travail paroissial, visitait les pauvres et les malades,
organisait des œuvres de charité et l'instruction reli-
gieuse des enfants, il prêchait continuellement et
priait avec et pour ses paroissiens. Saint Jean de
Kronstadt était intensément conscient du pouvoir de
la prière et lorsqu'il célébrait la sainte Liturgie, il était
transporté : « Il ne pouvait pas suivre la mesure pres-
crite pour les intonations liturgiques : il appelait Dieu,
il criait, il pleurait devant les visions du Golgotha et de
la Résurrection, qui se présentaient pour lui avec une
éclatante précisiont7. • Ce sens du réel se fait sentir à
chaque page de l'autobiographie spirituelle qu'il
écrivit: Ma vie en ChristlB. Comme saint Séraphim, il
possédait les dons de guérison, de clairvoyance et de
direction spirituelle.
Jean de Kronstadt insistait sur la nécessité de la
communion fréquente, même si les laïcs de ce temps
ne communiaient guère plus de trois ou quatre fois
par an. Comme il n'avait pas le temps d'entendre
individuellement toutes les confessions, il institua
une sorte de confession publique : tous clamaient
simultanément leurs péchés. Il diminua la hauteur de
17. G. Fedotov, A Treasury of Russtan Sptrttuality, p. 348.
18. Nouvelle traduction française, éd. Abbaye de Bellefontaine,
1979 (Spiritualité orientale; 27)
Moscou et Saint-Pétersbourg 159

l'iconostase, afin que les fidèles puissent voir l'autel et


le célébrant pendant l'office. Son insistance sur la
communion fréquente et le retour à l'ancienne forme
des barrières d'autel anticipe l'évolution liturgique de
l'orthodoxie contemporaine.
Il y eut aussi, dans la Russie du XIX" siècle, un
renouveau frappant du travail missionnaire. Depuis le
temps de Mitrophane de Saraï et de Stéphane de
Perm, les Russes ont été d'infatigables missionnaires.
Avec l'extension de la Moscovie vers l'est, un grand
champ s'était ouvert à l'évangélisation des tribus
autochtones et des mongols musulmans. Bien que
l'Église n'ait jamais cessé d'envoyer des prédicateurs
aux païens, l'effort missionnaire s'était relâché au
cours des xvue et XVIIIe siècles, particulièrement après
que Catherine II eût fermé tant de monastères. Mais il
fut repris au XIX" siècle avec une nouvelle énergie et
un enthousiasme renouvelé. L'académie de Kazan,
ouverte en 1842, se concentrait en particulier sur la
formation des missionnaires : on y instruisait le clergé
des tribus autochtones ; les Saintes Écritures et la
Liturgie y furent traduites dans de nombreuses
langues. Rien qu'aux environs de Kazan, la Liturgie
était célébrée en vingt-deux langues et dialectes.
Il est significatif que l'un des plus grands inspira-
teurs de ce renouveau, l'archimandrite Macaire
(Gloukhariov, 1792-1847) ait étudié le mouvement
hésychaste et connu les disciples de saint Paissy
Vélitchkovsky: c'est donc la renaissance de la vie
spirituelle qui a provoqué le réveil missionnaire.
Le plus grand missionnaire du XIX" siècle est saint
Innocent (Ivan Veniaminov, 1797-1879), évêque en
Alaska, honoré par des millions d'Américains ortho-
doxes aujourd'hui comme le principal de leurs apôtres.
La Russie du XIX" siècle affranchit sa théologie d'une
dépendance excessive de l'Occident. Cette libération
est l'œuvre d'Alexis Khomiakov (1804-1860), chef du
160 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

cercle slavoph ile et peut-êtr e le premier théolog ien


créatif de toute l'histoire de l'Église russe. Propriétaire
terrien et capitain e de cavalerie en retraite, il appar-
tient à cette traditio n des théolog iens laïcs qui a
toujour s existé dans l'orthod oxie. Khomiakov soutien t
que toute la chrétie nté occiden tale, qu'elle soit
romaine ou protesta nte, partage les mêmes postulats
et les mêmes points de vue fondam entaux, mais que
l'orthod oxie est quelque chose d'entièr ement diffé-
rent. Et puisque c'est ainsi, continu e Khomiakov, il
ne convien t pas qu'un orthodo xe emprun te sa théo-
logie à l'Occide nt, comme ce fut le cas depuis le
XVII" siècle; au lieu d'emplo yer des argume nts protes-
tants contre Rome et des argume nts romains contre
les protesta nts, il doit retourn er aux sources authen-
tiques et redécou vrir la véritable tradition orthodo xe.
Celle-ci, dans ses présupp osés fondam entaux, n'est ni
romain e ni réformée, mais unique. Ainsi que l'a dit
son ami G. Samarine : avant Khomiakov • notre école
orthodo xe n'était pas en état de définir ni le latinisme
ni le protesta ntisme, parce que, en sortant de son
propre sol, elle était divisée et que chacun e de ses
moitiés se tenait face à l'adversaire mais non pas au-
dessus de lui. Khomia kov le premier regarda le lati-
nisme et le protesta ntisme de l'Église, par conséqu ent
d'en haut, c'est pourqu oi il put les définif1 9 •.
Khomia kov s'intéressait particul ièremen t à la doctrine
de l'Église, à son unité et son autorité ; il apporta à ce
sujet des contribu tions durable s à la théolog ie ortho-
doxe.
Khomia kov eut peu d'influe nce, durant sa vie, sur
la théolog ie enseign ée dans les sémina ires et les
académ ies mais celles-ci égalem ent se détacha ient de

19. G. Samarine, • Préface aux œuvres théologiques de A.S.


Khomiakov •, trad. A. Gratieux, Unam Sanctam 7, Paris : éd. du
Cerf, 1939, p. 68.
Moscou et Saint-Pétersbourg 161

L'influence occidentale. Les années 1900 virent


t'apogée de la théologie académique russe : un grand
nombre de théologiens, d'historiens et de liturgistes
étaient alors parfaitement instruits dans les disciplines
académiques occidentales, mais sans pour autant
déformer leur orthodoxie. A côté de ce réveil théolo-
gique, les années suivantes virent aussi un réveil intel-
lectuel en dehors des écoles de théologie. Depuis
Pierre le Grand, l'incroyance avait été courante parmi
les intellectuels russes, mais maintenant bon nombre
de penseurs, par des voies différentes, revenaient à
l'Église. Quelques-uns étaient d'anciens marxistes,
comme Serge Boulgakov (1871-1944) (ordonné prêtre
èn 1918) et Nicolas Berdiaev (1874-1948). Ils devaient
tous les deux jouer un rôle important dans l'émigra-
tion russe à Paris.
Lorsqu'on pense à la vie de saint Tikhon, à celle de
saint Séraphim, aux startsy d'Optino et à saint Jean de
Kronstadt, au travail missionnaire et théologique russe
du XIX" siècle, on voit combien il est injuste de consi-
dérer la période synodale seulement comme un temps
de décadence. Un des plus grands historiens de
l'Église russe, le professeur Anton Kartachov (1875-
1960), a dit très justement :
" La subjugation fut ennoblie de l'intérieur par l'hu-
milité chrétienne ... L'Église russe souffrait de l'oppres-
sion du régime, mais elle le surmontait intérieure-
ment. Elle grandit, elle s'étendit et fleurit de bien des
manières. La période synodale peut être appelée la
plus brillante et la plus glorieuse de l'histoire de
l'Église russe20 ...
Le 15 août 1917, six mois après l'abdication de l'em-
pereur Nicolas Il, pendant la période du gouverne-
ment provisoire, un concile de toute l'Église russe fut

20. 1be Christian East, 16 (1936), p. 114-115.


162 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

convoqué à Moscou (il fut finalement dispersé en


septembre 1918). Il comptait 250 membres du clergé
et 314 laïcs, mais (ainsi que le droit canon l'exigeait) la
décision finale sur certaines questions religieuses
spécifiques revint aux évêques. Le concile établit un
vaste programme de réformes, comprenant tout
d'abord l'abolition du saint-synode et le rétablisse-
ment du patriarcat. L'élection du patriarche eut lieu le
5 novembre 1917: saint Tikhon, métropolite de
Moscou (1866-1925) fut élu.
Les événements extérieurs donnèrent une note
d'urgence aux délibérations du Concile. Aux
premières sessions, on pouvait entendre l'artillerie des
Bolchéviks contre les murs du Kremlin et, au moment
même de l'élection du nouveau patriarche, Lénine et
ses partisans se rendaient maîtres de Moscou. L'Église
n'eut pas le temps de consolider ses réformes. En
janvier 1918, les membres du concile apprenaient
avec horreur l'assassinat brutal du métropolite
Vladimir de Kiev (canonisé en 1992). La persécution
avait commencé.
7
Le xx:e siècle
Grecs et arabes

L'Église est la vtvante image de l'éterntté


dans le temps.
Père Georges Florovsky

L'Église orthodoxe d'aujourd'hui existe dans cinq


situations différentes. Il y a, premièrement, les
Orthodoxes qui vivent dans les régions de la
Méditerranée orientale, comme une minorité dans une
société en majorité musulmane. C'est essentiellement la
situation des quatre anciens patriarcats de
Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche et de
Jérusalem (ce dernier existe sous la domination musul-
mane en Jordanie, mais naturellement pas en Israël).
Deuxièmement, il existe deux Églises orthodoxes,
celles de Chypre et _de Grèce, dans lesquelles continue
une alliance Eglise-Etat de type byzantin, bien que sous
une forme atténuée. Il y a ensuite des Églises ortho-
doxes en Europe orientale qui, jusque tout récemment
encore, vivaient sous le joug communiste et étaient
confrontées à des persécutions plus ou moins sévères.
C'est de loin le plus grand des cinq groupes, compre-
nant les Églises de Russie, de Serbie, de Roumanie, de
164 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Bulgarie, de Géorgie, de Pologne, d'Albanie et de


Tchécoslovaquie, et comptant plus de quatre-vingt-cinq
pour cent des membres de l'Eglise orthodoxe aujour-
d'hui. Quatrièmement, il y a les communautés ortho-
doxes de la diaspora, vivant dans le monde occidental,
et formées principalement d'immigrés et d'exilés et de
leurs descendants, mais comportant aussi des convertis
occidentaux. Et enfin, cinquièmement, on trouve
certains petits mouvements missionnaires, à l'intérieur
de !'Orthodoxie, avec des communautés en Afrique, au
Japon, en Chine, en Corée et ailleurs. Tous ensemble,
ces cinq groupes comptent entre 150 et 200 millions de
personnes dont peut-être entre 50 et 80 millions sont
en mesure de pratiquer activement leur foi.

Le présent chapitre sera consacré aux deux


premiers de ces groupes : aux Grecs et aux Arabes
vivant en milieu musulman, et aux Grecs appartenant
à ce qui constitue encore fondamentalement des
Églises d'État. Le chapitre suivant sera consacré aux
Orthodoxes dans ce qui était autrefois appelé le
Second monde, derrière le « rideau de fer • aujourd'hui
disparu. Un troisième chapitre est consacré à la
diaspora orthodoxe et au travail missionnaire actuelle-
ment au sein de l'Église orthodoxe.

1. Le Patriarcat de Constantinople, qui au xe siècle


comptait 624 diocèses est maintenant bien plus petit.
On ne compte plus à présent sous la juridiction du
patriarche que:
1. la Turquie ;
2. la Crète et le Dodécanèse;
3. tous les Grecs de la diaspora, avec certains
groupes de Russes, Ukrainiens, Polonais et Albanais
en émigration (voir le chapitre IX);
4. le Mont Athos ;
5. la Finlande.
Le XX' siècle. Grecs et Arabes 165

Cela fait en tout environ six millions de personnes,


dont plus de la moitié sont des Grecs vivant en
Amérique du Nord.

Au début de ce siècle, la Turquie comptait une


population de près de deux millions d'Orthodoxes
grecs, dont une communauté florissante de deux cent
cinquante mille membres à Constantinople (Istanbul).
Mais après la défaite désastreuse de l'armée grecque
en Asie Mineure en 1922, de très nombreux Grecs
furent massacrés, spécialement à Smyrne. Le pire allait
suivre. Selon les termes du Traité de Lausanne (juillet
1923), il y eut un « échange de populations • : tous les
orthodoxes furent expulsés vers la Grèce et beaucoup
d'entre eux moururent en route pendant cette dépor-
tation. Seule la population grecque d'Istanbul et des
environs immédiats fut autorisée à rester sur place.
Mais même là elle se heurtait à des restrictions : sauf
le patriarche, les membres du clergé ne pouvaient
porter la soutane dans la rue (mais la même règle
s'appliquait au clergé musulman).

La situation des Grecs d'Istanbul empira dans les


années 1950 à cause du ressentiment que les Turcs
éprouvaient envers le mouvement à Chypre en faveur
de l'union avec la Grèce (« Enosis •). Dans une
sauvage émeute anti-grecque (et anti-chrétienne) le
6 septembre 1955, soixante des quatre-vingts églises
orthodoxes de la ville furent saccagées ou pillées et
un dommage énorme fut causé aux propriétés des
chrétiens, il y eut des viols et quelques meurtres.
Pendant plusieurs heures les autorités turques, par
leur passivité, laissèrent quasiment le champ libre aux
émeutiers. Dans les années suivantes, beaucoup de
Grecs s'enfuirent d'Istanbul, tandis que d'autres
étaient déportés et, au début des années 1990, il ne
restait plus que trois ou quatre mille Grecs, la plupart
166 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pauvres et âgés. L'imprimerie du patriarcat avait été


fermée par les Turcs au début des années 1960 et
toutes ses publications suspendues. La célèbre école
théologique sur l'île de Halki, près de Constantinople,
avait été fermée en 1971. Le bruit courait même que le
Patriarcat allait être expulsé de Turquie, mais cela ne
fut pas. Toutefois dans les années 1980, la situation
s'améliora légèrement. Les Turcs donnèrent la permis-
sion de reconstruire le bâtiment central du patriarcat,
qui avait brûlé accidentellem ent en 1941, et il fut
réouvert en 1987. Le patriarche et les évêques, dont
les mouvement s avaient été sévèrement limités
pendant vingt ans par les Turcs, reçurent la permis-
sion de voyager plus librement à l'étranger.
Depuis la fermeture de l'école de Halki, le Patriarcat
dépend des écoles de Théologie de Crète, de Patmos,
du Mont Athos, d'Amérique du Nord et d'Australie. Il
soutient deux fondations actives en Grèce : l'Institut
Patriarcal d'Études Patristiques, au monastère de
Vlatadon, à Thessaloniqu e, ouvert en 1968 et qui
publie la revue scientifique Klèronomia, et l'Académie
orthodoxe de Gonia, en Crète, elle aussi fondée en
1968, qui s'occupe particulièrement d'études sociales
et écologiques. Sous le patriarcat on trouve également
le centre orthodoxe de Chambésy (près de Genève, en
Suisse), qui a la responsabilité particulière de promou-
voir les relations inter-orthodoxes.

Le plus célèbre occupant du trône œcuménique


depuis la seconde guerre mondiale a été le patriarche
Athénagoras (en charge de 1948 à 1972). Vision-
naire hardi, il s'est consacré à deux tâches en parti-
culier : raffermir les liens entre les différentes églises
orthodoxes , en particulier par l'organisati on
des conférences de Rhodesl, et promouvoir l'unité

1. Voir plus bas page 243.


Le XX" siècle. Grecs et Arabes 167

chrétienne dans le monde. Ses initiatives dans ce


dernier domaine, et spécialement ses tentatives de
rapprochement avec Rome, ont été l'objet d'attaques
très vives de la part des orthodoxes plus conserva-
teurs, en Grèce et ailleurs. Son successeur, le
patriarche Dimitrios 0972-91), homme de paix et de
prière, a fait beaucoup pour restaurer la confiance,
mais a poursuivi fondamentalement la même poli-
tique dans son travail pour l'unité chrétienne. Le
patriarche Bartholomé (élu en 1991), spécialiste en
droit canon qui a étudié à Rome, maintient des liens
étroits avec la Chrétienté d'Occident.

Le Mont Athos, le principal centre du monachisme


orthodoxe durent le millénaire passé, n'est pas seule-
ment grec, mais international. Des vingt monastères
principaux (ayant voix au Conseil de l'Athos), actuel-
lement dix-sept sont grecs, un russe, un serbe et un
bulgare. Au temps de Byzance l'un des vingt était
géorgien et il y avait aussi une maison latine avec des
moines d'Amalfi en Italie. Outre les monastères princi-
paux, il compte plusieurs autres vastes maisons et
d'innombrables établissements plus petits connus
sous le nom de skite ou de kellia : il y a aussi des
ermites dont beaucoup vivent au-dessus d'inquiétants
précipices, à l'extrémité sud de la péninsule, dans
des cabanes ou des grottes souvent accessibles
uniquement par des échelles pourries. Ainsi les trois
formes de la vie monastique, remontant au quatrième
siècle en Egypte: communautaire, semi-érémitique,
et érémitique, continuent côte à côte sur la
Sainte Montagne aujourd'hui. C'est une remarquable
illustration de la continuité de }'Orthodoxie.
La période de 1914 au milieu des années 1960 fut
un temps de déclin pour la Sainte Montagne. Le
nombre des moines décrut fortement. Au début du
siècle, ils étaient environ 7500, dont une moitié de
168 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Russes. Le monastère russe (Roussikon) de Saint-


Pantéléimon comptait à lui tout seul pas moins de
2000 moines. Le père Amphilochios, père spirituel à
Patmos, m'a raconté l'impression qu'il ressentit en tant
que Grec, en entendant les Russes chanter lorsqu'il
visita Saint-Pantéléimon vers 1912 : c'était la plus
proche incarnation qu'il connaissait du ciel sur la
terre. Mais après la première guerre mondiale, les
novices ne purent plus venir de Russie, tandis que les
recrues dans l'émigration russe se comptaient sur les
doigts de la main et vers 1960, il y avait moins de
soixante moines à Saint-Pantéléimon. Après 1945, le
nombre des novices en provenance de Roumanie, de
Bulgarie et de Serbie fut sévèrement réduit. A la
même époque, peu de jeunes Grecs entraient à
l'Athos. Vers la fin des années 1950, le déclin était
régulier de quarante à cinquante moines de moins
chaque année et en 1971, la population monastique
totale était descendue jusqu'à 1145 moines, presque
tous des vieillards. En termes humains, il semblait
douteux que la Sainte Montagne ait un avenir. Peu de
moines étaient bien instruits et !'Athos avait largement
cessé d'exercer une influence spirituelle active en
Grèce ou dans le monde orthodoxe.

Mais on aurait tort de vouloir juger l'Athos ou tout


autre centre monastique en fonction du nombre ou de
l'instruction, car le véritable critère n'est ni numérique,
ni académique: le vrai critère, c'est la qualité de la vie
spirituelle. Malgré la décadence extérieure, certaines
maisons maintenaient un haut niveau spirituel, spécia-
lement le monastère de Dionysiou, sous le père
Gabriel (1886-1983), qui en fut l'abbé pendant près de
cinquante ans. L'un des moines de Dionysiou, le père
Théoclite (toujours à l'œuvre) a écrit une étude remar-
quable sur la vie monastique, intitulée Entre ciel et
terre (en grec, à Athènes en 1956) qui montrait claire-
Le xx.e siècle. Grecs et Arabes 169

ment la continuelle vitalité de la spiritualité athonite.


D'une manière cachée et non ostentatoire, la Sainte
Montagne continua de donner des saints, des ascètes
et des hommes de prière formés dans les traditions
classiques de l'Orthodoxie. L'un d'eux était saint
Silouane (1866-1938, canonisé en 1988), au monastère
russe de Saint-Pantéléimon. D'origine paysanne,
simple et humble moine, sa vie, extérieurement, fut
exempte d'événements, mais il a laissé de très émou-
vantes méditations, de style poétique et profondes
dans leur vision théologique, qui ont été publiées par
son disciple l'archimandrite Sophrony (1896-1993), et
traduites en de nombreuses langues. Un autre saint
moine, le père Joseph (t1959), un Grec qui vivait dans
la fondation semi-érémitique du Nouveau Skite,
rassembla autour de lui un groupe de disciples qui
s'adonnaient à la pratique de la noera prosevkbi (la
prière mentale ou intérieure, signifiant en particulier
la Prière de Jésus). Aussi longtemps que l'Athos a
continué à produire des hommes tels que saint
Silouane et le père Joseph, il n'a aucunement failli à sa
tâche.

Soudainement et d'une maniere totalement inat-


tendue, après ce demi-siècle de déclin apparent, à la
fin des années 1960, commença un nouveau chapitre
de l'histoire athonite. Des signes d'une vie nouvelle
devinrent évidents : d'abord timides et incertains,
ensuite, vers 1980, clairs et indubitables. En premier
lieu, il y eut un afflux de nouveaux moines. Après être
tombé au plus bas en 1971, avec seulement 1145
moines, le nombre des Athonites remonta lentement
pour atteindre, en 1990, 1500 moines résidant sur la
Sainte Montagne. En soi cela semble peu. Mais beau-
coup plus significative est la répartition par classe
d'âge : en 1971, la grande majorité avait plus de
soixante ans, en 1990, la majorité avait moins de
170 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

40 ans. Le changement dans bien des monastères fut


rien moins que spectaculaire : des maisons qui, en
1971, déclinaient en silence avec peut-être une
douzaine de moines âgés dont une moitié seulement
était en état de fréquenter les offices, étaient, après
dix ou quinze ans tout au plus, pleines de membres
jeunes et actifs, avec rarement ci ou là une barbe
blanche.

Plus encore que la quantité des nouveaux arrivants,


leur qualité importe. Beaucoup d'entre eux ont non
seulement une instruction supérieure, mais des dons
spirituels. Certains ont des talents d'écrivains, d'autres
de pères spirituels et confesseurs. Le sens de la prière
s'est renouvelé sur la Sainte Montagne. Les services
liturgiques, souvent célébrés naguère avec négli-
gence, sont maintenant marqués par l'attention et la
joie, et les moines reçoivent la communion bien plus
fréquemment. Le chant s'est beaucoup amélioré.
Grâce à ·cette nouvelle génération de moines, la voix
des moines athonites est de nouveau entendue avec
respect hors des limites du Mont Athos, et elle agit de
nouveau comme un flambeau et une source de dyna-
misme pour l'Orthodoxie tout entière.

Quelles sont les raisons de cette transformation


frappante? C'est difficile à dire. L'un des facteurs,
toutefois, est indubitablement la présence, dans bien
des communautés, d'un higoumène (père supérieur)
doué du don de guidance spirituelle. Ce qui attire les
nouvelles recrues vers un monastère en particulier,
c'est généralement la présence d'un père spirituel
capable de fournir une guidance personnelle. Parmi
les higoumènes spécialement appréciés comme pères
spirituels, on trouve le père Basile d'Iviron (ancienne-
ment à Stavronikita), l'auteur de Chant d'Entrée, le
père Émilianos de Simonos Petras, le père Georges de
Le XX" siècle. Grecs et Arabes 171

Grigoriou, et le père Éphrem, jusque récemment abbé


de Philothéou, un disciple du père Joseph du
Nouveau Skite.

Mais des problèmes demeurent. Les maisons non-


grecques ont toujours des effectifs réduits, et les auto-
rités civiles grecques - contrevenant à l'esprit et
parfois aussi à la lettre de la constitution civile de
!'Athos - rendent l'accès au Mont extrêmement diffi-
cile pour les recrues de Roumanie et des pays slaves.
Il y a eu quelques graves incendies, certains à l'inté-
rieur des monastères, d'autres dans les forêts environ-
nantes. Le silence de l'Athos est menacé par un réseau
toujours plus vaste de routes, par un nombre croissant
de véhicules et par un flot continuellement accru de
visiteurs (plutôt Grecs qu'étrangers). Certains moines
font preuve d'un esprit étroit et fanatique qui les rend
hostiles à tout rapprochement avec les chrétiens non-
orthodoxes et les pousse, par un zèle excessif, à traiter
leurs frères orthodoxes de traîtres à la Sainte Tradition.
Mais malgré toutes ces difficultés, le temps est à l'es-
poir pour le Mont Athos. Selon la parole d'un starets
russe de la Sainte Montagne, le père Nikon de
Karoulia (1875-1963) : .. Ici chaque pierre respire la
prière. » C'est aussi vrai aujourd'hui que par le passé.

En-dehors de l' Athos, mais toujours dans la juridic-


tion de Constantinople, on trouve le célèbre monas-
tère de saint Jean le Théologien (l'Évangéliste) sur l'île
de Patmos, fondé par saint Christodule en 1088. L'un
de ses moines les plus remarquables de ce siècle fut le
père Amphilochios (1888-1970), déjà largement révéré
comme saint. Sa caractéristique la plus frappante, que
je me rappelle moi-même très vivement, était sa
douceur et son ardente compassion ; comme l'un de
ses enfants spirituels le remarquait, .. il parlait le
langage de l'amour ». Il attachait un grand prix à la
172 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Prière de Jésus, et était aussi écologiste, bien avant


que cela ne soit à la mode. "Celui qui n'aime pas les
arbres n'aime pas le Christ », avait-il coutume de dire,
et s'il imposait une pénitence aux fermiers qui
venaient se confesser à lui, il leur disait de planter
deux ou trois arbres. La communauté féminine qu'il a
fondée à Patmos, le monastère de l' Annonciation, a
maintenant plus de cinquante moniales et a des
dépendances sur les îles de Rhodes et de Kalymnos.

L'Église orthodoxe de Finlande doit ses origines aux


moines du monastère russe de Valaam sur le Lac
Ladoga, qui prêchèrent parmi les tribus païennes de
Carélie au Moyen Age. Les Orthodoxes finlandais
dépendirent de l'Église russe jusqu'à la révolution,
mais depuis 1923, ils sont sous la dépendance spiri-
tuelle du Patriarcat de Constantinople, bien que
l'Église russe n'aie pas accepté cette situation jusqu'en
1957. La grande majorité des Finnois est de confession
luthérienne et les 56 000 orthodoxes forment moins
d'l,5 % de la population. Les traditions du monastère
de Valaam se perpétuent aujourd'hui au monastère du
Nouveau-Valamo, à Heinavesi, au centre de la
Finlande ; non loin de là se trouve le couvent de
femmes de Lintula. Il y a un séminaire à Joensu.
Quoique dans les paroisses beaucoup de membres ne
le soient que nominalement, il y a un mouvement de
jeunesse actif, très engagé dans les contacts œcumé-
niques et interorthodoxes. Le chef actuel de l'Église de
Finlande, l'archevêque Jean, élu en 1987, était à l'ori-
gine un luthérien ; il est le premier converti occidental
à devenir le chef d'une Église orthodoxe locale.
Profondément enracinée dans l'histoire russe, mais
tournée vers l'Occident, l'Orthodoxie finnoise peut
jouer un rôle particulier de pont et de médiateur entre
les pays orthodoxes " traditionnels • et la diaspora
orthodoxe de formation récente.
Le X)( siècle. Grecs et Arabes 173

2. Le Patriarcat d'Alexandrie a toujours été une


petite Église, depuis 451, date à laquelle la majorité
écrasante des Chrétiens d'Égypte a rejeté le Concile de
Chalcédoine. Sa juridiction s'étend à toute l'Afrique. Au
début de ce siècle il y avait une communauté grecque
florissante au Caire et à Alexandrie, mais elle a beau-
coup diminué maintenant, du fait de l'émigration. La
majorité des fidèles du Patriarcat d'Alexandrie habite
maintenant en Ouganda ou au Kénya où l'on a assisté
à l'émergence d'un mouvement orthodoxe africain2, ou
encore en Afrique du Sud. Le pape Parthenios III, qui
fut patriarche d'Alexandrie de 1987 à 19963 était intel-
lectuellement le plus téméraire des chefs de l'Église
orthodoxe et s'est même exprimé en faveur de l'ordina-
tion des femmes au sacerdoce. Son successeur, qui fut
son plus proche collaborateur .comme métropolite
d'Accra, est Pierre VII (Papapetron), élu en février 1977.

3. Le Patriarcat d'Antioche a charge des


Orthodoxes de Syrie et du Liban. Le nombre de ses
fidèles a été extrêmement réduit par suite de l'émigra-
tion due surtout à la longue guerre du Liban, mais il a
une diaspora active, particulièrement en Amérique du
Nord. Le patriarche réside non pas dans l'ancienne
Antioche (qui se trouve maintenant en territoire turc),
mais à Damas. De 1724 à 1898, le patriarche et beau-
coup de membres du haut clergé étaient des Grecs,
mais maintenant ils sont tous Arabes. Au début de ce
siècle, le patriarcat présentait tous les signes d'une
Église en sommeil, mais on a enregistré un réveil, dû
spécialement au Mouvement de la Jeunesse

2. Voir plus bas p. 245-247.


3. Dans l'Orthodoxie, le titre de pape ne s'applique pas unique-
ment à l'évêque de Rome, mais est porté également par le
patriarche d'Alexandrie. Entre autres titres, il est appelé aussi
Berger des Bergers, Treizième apôtre et Juge de l'univers.
174 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Orthodoxe, fondé en 1942. Il compte aujourd'hui


7000 membres, et ses cadres sont essentiellement des
laïcs. Le MJO a toujours donné la priorité à la caté-
chèse. Il publie un périodique, An-Nour, et a déjà
édité 120 ouvrages. Il est aussi profondément engagé
dans le travail social et médical et le combat contre la
pauvreté. Ses initiatives ont été particulièrement
appréciées au Liban durant les années de guerre. Sous
l'égide du MJO, le monachisme, tant masculin que
féminin reprend vigueur. Plusieurs de ses membres
occupent maintenant des postes élevés dans la hiérar-
chie, en particulier l'actuel patriarche Ignace IV (élu
en 1979) et le métropolite George (Khodre) du Mont
Liban. Dans les années 1970, le patriarcat a fondé
l'Académie de Théologie Saint Jean Damascène à
Balamand, près de Tripoli, au Liban.

4. Le Patriarcat de Jérusalem a toujours occupé une


place spéciale dans l'Église. A son petit troupeau
incombe la tâche d'être le gardien des Lieux Saints.
Son territoire comprend Israël et la Jordanie. Comme à
Antioche, les Arabes forment la majorité des fidèles :
ils sont aujourd'hui environ 60 000 mais leur nombre
diminue comme partout ailleurs au Proche Orient, du
fait de l'émigration. Si avant la guerre de 1948 il n'y
avait que 5000 Grecs à l'intérieur du patriarcat, à
présent ils sont bien moins nombreux (peut-être pas
plus de cinq cents?). Mais le patriarcat de Jérusalem
est toujours grec et la Fraternité du Saint Sépulcre, qui
s'occupe des Lieux Saints, est entièrement sous le
contrôle des Grecs. Cette situation a été une source de
tension considérable ces soixante-dix dernières
années. Malheureusement l'actuel patriarche Diodore
(élu en 1981) a rencontré peu de succès dans ses
efforts pour résoudre les problèmes internes du
Patriarcat.
Le X)( siècle. Grecs et Arabes 175

Avant la révolution bolchévique, la vie de la Palestine


orthodoxe était marquée par l'afflux, chaque année, de
pèlerins russes, souvent plus de dix mille, séjournant
ensemble dans la Ville Sainte. Pour la plupart, c'étaient
des paysans âgés, et le pèlerinage constituait le prin-
cipal événement de leur vie. Après avoir parcouru à
pied peut-être plusieurs milliers de kilomètres à travers
la Russie, ils prenaient le bateau en Crimée, subissaient
les rigueurs d'une traversée qui nous semblerait aujour-
d'hui extrêmement inconfortable, et ils tâchaient d'ar-
river à Jérusalem pour Pâques4. La Mission Spirituelle
Russe en Palestine prenait soin des pèlerins russes,
mais accomplissait également un travail pastoral de
grande qualité parmi les Arabes orthodoxes et assurait
l'enseignement dans de nombreuses écoles. Cette
tnission russe a naturellement été très réduite en
nombre depuis 1917, mais n'a pas entièrement disparu
et il y a toujours trois couvents russes à Jérusalem :
deux d'entre eux reçoivent des jeunes filles arabes
èomme novices. A la faveur des récents changements
en Russie, les pèlerins russes commencent à revenir
dans la Ville Sainte, tandis que le nombre des pèlerins
grecs s'est accru notablement depuis 1980.

L'Église du Sinai; avec à sa tête l'Archevêque Damien


(élu en 1973) est parfois reconnue comme autocéphale,
bien qu'il soit plus juste de la nommer autonome,
puisque son chef est consacré par le Patriarche de
Jérusalem. Elle se compose d'un seul monastère,
Sainte-Catherine, au pied de la montagne de Moïse
dans la Péninsule du Sinaï en Égypte. Les moines, qui
sont grecs et au nombre d'une vingtaine, ont la charge

4. Voir le compte rendu frappant d'un témoin, Stephen


Graham ; With the Russtan Pilgrims to Jerusalem, Londres 1913.
L'auteur, qui parlait couramment le russe, fit lui-même la traversée
en tant que pèlerin.
176 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pastorale des familles de bédouins chrétiens qui vivent


dans la région, ainsi que d'un petit monastère de
femmes non loin de là. Sainte Catherine a une biblio-
thèque exceptionnelle, et une collection d'icônes
unique, certaines remontant à la période d'avant l'ico-
noclasme ; elles ont échappé à la destruction grâce à
l'éloignement géographique du Sinaï, loin de l'empire
byzantin. Hélas l'avenir du monastère est menacé par
les projets du gouvernement égyptien, qui a entrepris
de bâtir un complexe touristique à proximité.

5. L'Église de Chypre, autocéphale depuis le Concile


d'Ephèse (431), a beaucoup perdu du fait de l'invasion
turque de 1974, mais demeure vigoureuse et
bien organisée. Il y a environ 450 paroisses, avec
550 prêtres et 16 monastères, environ 50 moines et 120
moniales (Il y a aussi environ 150 moines chypriotes
au Mont Athos, trois des vingt monastères ont des
abbés chypriotes). Il existe une école de théologie à
Nicosie. Le système ottoman, qui faisait considérer le
chef de l'Église comme le chef de la nation, l'eth-
narque ou chef civil de la population chrétienne
grecque, continua sous le mandat britannique, lorsque
ceux-ci s'emparèrent de l'île en 1878. Ceci explique le
double rôle, ecclésiastique et civil, qui fut joué par l'ar-
chevêque Makarios III de 1950 à 1977, et qui fut si mal
compris de l'opinion publique, en particulier britan-
nique, pendant la lutte des chypriotes grecs pour l'in-
dépendance dans les années 1950. Ceux qui condam-
naient Makarios comme un homme <l'Église se mêlant
de politique sans aucune raison oubliaient qu'il était
l'héritier d'une longue tradition historique. Toutefois
son successeur, l'archevêque Chrysostome (élu en
1977), n'agit qu'en tant que chef religieux.

6. L'Église de Grèce, malgré toutes les ingérences du


sécularisme et l'indifférence depuis la deuxième
Le XX' siècle. Grecs et Arabes 177

guerre mondiale, continue à occuper une place


centrale dans la vie du pays en général. Au recense-
ment de 1951, seules 121 personnes, sur une popula-
tion de plus de sept millions et demi d'habitants, se
déclarèrent athées. Aujourd'hui le nombre d'athées
serait sans conteste plus élevé, mais pas de manière si
dramatique : car la plupart des Grecs, pratiquant ou
non leur foi, considèrent toujours le christianisme
orthodoxe comme partie intégrante de leur identité
grecque. Selon des estimations récentes, la population
a été baptisée à 97 %, et 96,5 % des baptisés appar-
tiennent à l'Église orthodoxe. Parmi la petite minorité
de chrétiens non-orthodoxes, les plus nombreux sont
les catholiques romains (environ 45 000, dont environ
2500 catholiques de rite oriental). Il y a environ
120 000 musulmans en Grèce.

Le lien en Grèce entre l'Église et l'État, autrefois


extrêmeme nt étroit, s'affaiblit graduellem ent.
L'instruction religieuse orthodoxe joue maintenant un
rôle beaucoup moindre dans les programme s
scolaires. Dans les années 1980, le gouvernement a
introduit le mariage civil et légalisé l'avortement : la
seconde de ces mesures, en particulier, a rencontré
l'opposition farouche de l'Église, mais sans effet. De
son côté l'Église a gagné une autonomie interne beau-
coup plus considérable et les politiciens interviennent
moins dans la nomination des évêques. Mais rares
sont ceux qui, en Grèce, envisagent une séparation
complète de l'Église et de l'État. Les séminaires de
théologie qui formel}t les futurs prêtres continuent à
être subsidiés par l'Etat et à faire partie du système
éducatif de l'État, qui continue par ailleurs à payer les
salaires du clergé.

Les diocèses grecs d'aujourd'hu i, comme dans


l'Église primitive, sont petits : ils sont au nombre de 80
178 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

(par contraste, la Russie avant 1917 comptait


67 diocèses pour cent millions de fidèles). Le plus
grand diocèse grec n'a pas plus de 247 paroisses, et
plus de la moitié des autres ont moins de cent
paroisses. Dans l'idéal et quelquefois dans la réalité,
l'évêque grec est moins un administrateur distant
qu'un homme accessible, avec lequel ses ouailles
peuvent avoir un contact personnel, et à qui les
pauvres et les simples se confient librement, venant
en grand nombre le voir tous les jours pour recevoir
des conseils pratiques autant que spirituels.

Pour ce qui est de l'organisation extérieure, dans les


décennies passées, il y a eu une constante extension
de l'Église de Grèce5 :

1971 1981 1992

paroisses 7426 7477 7742


clergé 7176 8335 8670
moines 776 822 927
moniales 1499 1971 2305
Outre ce réseau de paroisses et de monastères,
l'Église de Grèce entretient également une grande
quantité de fondations philanthropiques, orphelinats,
maisons de retraite, cliniques psychiâtriques, groupes
organisés pour les visites dans les hôpitaux et les
prisons. Ceux qui imaginent que l'orthodoxie n'est
strictement pas de ce monde et ne s'intéresse pas au
travail social devraient rendre visite à l'Église de Grèce.

5. Ces statistiques sont empruntées à l'annuaire de l'Église de


Grèce pour 1971, 1981 et 1992. Les chiffres donnés pour 1992
peuvent nécessiter quelques corrections, car les précisions four-
nies dans le calendrier sont souvent incomplètes.
Le XX siècle. Grecs et Arabes 179

Mais si l'organisation extérieure s'est étendue, nul


doute que la fréquentation des églises depuis trente
ans a baissé. Lorsque le journal Ta Nea, le
21 septembre 1963, a réalisé un sondage d'opinion à
Athènes sur la question : « allez-vous souvent à
l'église ? », il a obtenu les réponses suivantes en pour-
centages:

tous les dimanches 31


2-3 fois par mois 32
1 fois par mois 15
aux grandes fêtes 14
quand j'ai le temps 3
Dans un sondage similaire, l'été 1980, également
dans la région d'Athènes, les résultats furent les
$uivants, en pourcentages :.

tous les dimanches 9


assez souvent 20
seulement pour les grandes fêtes
ou les grandes occasions 60
jamais 11

Même si les gens ne disent pas toujours la vérité


dans des sondages de ce genre, il est manifeste que la
fréquentation des églises est en baisse. Il faudrait
naturellement tenir compte également du fait qu'en
Grèce comme ailleurs, la fréquentation religieuse est
plus basse au centre des grandes villes que dans les
petites villes ou les régions rurales.
Un dimanche ordinaire, il y a plus de femmes que
d'hommes à l'église et plus de personnes âgées que
de jeunes, mais la Grèce n'est certainement pas la
seule à cet égard! Beaucoup d'étudiants des Écoles
supérieures et les jeunes gens en général se sont
détournés de l'Église en raison de l'apparente collabo-
180 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

ration de la hiérarchie avec la dictature militaire de


1967 à 1974, au temps où l'archevêque Hiéronymos
était à la tête de l'Église de Grèce. En fait, l'étendue de
cette collaboration a été généralement exagérée et
c'étaient en tous cas les colonels qui exploitaient
l'Église plutôt que le contraire. Il n'en demeure pas
moins vrai que la réputation de l'Église a été grave-
ment compromise aux yeux de la jeune génération.
Au début des années 1990, toutefois, il y a eu des
signes d'un modeste mais significatif retour des jeunes
à l'église.

Autrefois les prêtres de paroisses en Grèce étaient


peu ou pas du tout formées, et depuis 1833 l'un des
soucis principaux de l'Église a été d'élever le niveau de
formation du clergé. Durant la période turque et jusqu'à
la seconde guerre mondiale, le prêtre était fortement
intégré au sein de la communauté locale au service de
laquelle il se trouvait. Il était généralement natif du lieu
où il exerçait son ministère et on attendait de lui qu'il
demeure toute sa vie dans la même paroisse. Ce n'est
que très rarement qu'il avait fréquenté le séminaire ; il
n'était pas plus instruit que les laïcs autour de lui et,
comme eux, il était marié. Après son ordination, il
continuait à exercer son métier de charpentier, cordon-
nier ou, plus souvent, de fermier. Il ne faisait générale-
ment pas de sermon: s'il y en avait un, il était prêché
par l'évêque, par des moines en visite dans la paroisse
ou peut-être par un prédicateur laïque nommé par
l'évêque. Généralement, le prêtre de paroisse ne
confessait pas : ses ouailles allaient en visite dans un
monastère voisin ou comptaient pour la confession sur
des moines-prêtres de passage (mais le sacrement de
confession fut extrêmement négligé durant la période
de la domination turque).
Cette alliance solide entre le prêtre et ses ouailles
avait ses avantages dans la société rurale stable du
Le XX siècle. Grecs et Arabes 181

passé. L'orthodoxie grecque a eu la chance d'éviter le


fossé culturel entre le prêtre et le peuple, tel qu'il a
existé par exemple dans l'Église d'Angleterre depuis la
Réforme. Mais à l'heure actuelle, avec l'élévation du
niveau d'instruction de la société grecque en général,
il devient urgent de former un clergé capable d'ensei-
gner, de prêcher et de fournir une guidance spiri-
tuelle. Dans le monde contemporain, et spécialement
dans les villes, le prêtre de paroisse risque d'être
marginalisé: il n'est plus comme autrefois le guide
naturel de la communauté.

L'Église de Grèce, actuellement, a en fait développé


un programme très élaboré d'instruction théologique.
Il y a deux facultés de théologie, aux universités
d'Athènes et de Thessalonique (mais les étudiants en
théologie sont loin de vouloir tous être ordonnés) et
en plus, le pays compte vingt-huit écoles de théologie
de niveaux différents. Aujourd'hui quasiment plus
personne n'est ordonné sans une formation théolo-
gique à l'université ou au séminaire. Le nombre de
diplômés en théologie, parmi les prêtres, est enfin en
augmentation significative. En 1919, des 4433
membres du clergé qui servaient dans l'Église de
Grèce, moins d'un pour cent, pas plus de 43, sans
compter les évêques, avait un diplôme universitaire
en théologie. En 1975, le nombre de diplômés en
théologie n'était toujours que de 589, environ 8 % du
total, mais en 1981, il y en avait 1406 et en 1992
ils étaient 2019. C'est encore moins du quart de
l'ensemble du clergé, mais cela représente une
amélioration notable, encore q4e les diplômes en
théologie ne garantissent pas obligatoirement de bons
prêtres!
Quel est l'état actuel de la théologie en Grèce ?
Pendant les 90 dernières années, les professeurs de
théologie à l'université ont produit un formidable
182 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

corpus d'écrits théologiques. Deux œuvres sont parti-


culièrement représentatives de cette tradition de théo-
1o g ie scientifique : la Dogmatique de Christos
Androutsos6 (1869-1935), publiée pour la première
fois en 1907, à sa suite, la Dogmatique en trois
volumes de Panagiotis Trembelas7 (1886-1977),
publiée entre 1959 et 1961. D'une approche similaire,
mais plus succincte, est la Synopsis de Ioannis
Karmiris8 (1904-1991). Mais si volumineux et systéma-
tiques qu'ils soient, ces ouvrages sont quelque peu
décevants. Les lecteurs occidentaux, familiers des
théologiens de l'émigration russe tels que Lossky,
Florovsky et Evdokimov, ne trouveront pas dans leurs
contemporains grecs le même esprit stimulant et
la même exploration créatrice. La théologie
d'Androutsos, Trembelas et Karmiris est très fort une
théologie pour conférences universitaires, acadé-
mique et scolastique plutôt que liturgique et mystique.
Bien plus, quoique le contenu de ces ouvrages
soit strictement orthodoxe, la méthode et les catégo-
ries employées sont très souvent empruntées à
l'Occident. Trembelas, si passionnément attaché qu'il
soit à la tradition orthodoxe, n'en est pas moins un
occidentaliste, dans le sens où il appartient à cette
longue série de théologiens orthodoxes qui, comme
Mohyla et Dosithée au dix-septième siècle, ont été
formés par des schémas de pensée occidentaux.
Trembelas cite fréquemment les Pères, mais il les fait
entrer dans un cadre nullement patristique.

6. Elle a fait l'objet d'un grand résumé (plutôt fastidieux) dans


Frank Gavin, Some Aspects of Contemporary Greek Orthodox
1bought, Milwaukee 1923.
7. Trad. fr. Pierre Dumont: Dogmatique de l'Église Orthodoxe
Catholique, 3 volumes, Bruges 1966-1968.
8. A Synopsis of the Dogmattc 1beology of the Orthodox
Catholic Church, trad. angl. George Dimopoulos, Scranton 1973.
Le X}( siècle. Grecs et Arabes 183

Ces défauts ont conduit une génération plus jeune


de théologiens grecs à adopter une approche théolo-
gique très différente. Ils sont moins systématiques que
leurs prédécesseurs, moins magistraux et moins
remplis de confiance en eux-mêmes. Ils sont beau-
coup plus critiques des catégories intellectuelles occi-
dentales. Ils puisent chez des théologiens mystiques
tels qu'Isaac le Syrien et Syméon le Nouveau
Théologien, que leurs prédécesseurs négligeaient ; ils
mettent l'accent sur l'approche apophatique, et utili-
sent à fond la distinction entre l'essence et les éner-
gies élaborée par Grégoire Palamas. Le plus hardi et le
plus controversé de ces théologiens plus jeunes est
Christos Yannaras, qui adopte une approche forte-
ment personnaliste, en partie due à l'existentialisme
de Heidegger, mais qui puise aussi, et beaucoup plus
fondamentaleme nt, dans les écrits dogmatiques et
ascétiques des Pères. Panayotis Nellas 0939-1986)
dont la mort prématurée a été une grande perte, Jean
Zizioulas, métropolite de Pergame, et le père Jean
Romanidès ont apporté une contribution majeure à la
théologie contemporaine. Ils ne sont ni toujours d'ac-
cord avec Yannaras, ni d'accord entre eux, mais ils
partagent tous le désir de développer un style de
théologie qui se veut à la fois plus fidèle à l'esprit des
Pères et plus apte à répondre à l'angoisse et à la soif
du monde actuel.

L'art religieux grec a connu une réaction analogue


contre l'occidentalisation. Le style corrompu italiani-
sant, universel au début de ce siècle, a largement été
abandonné au profit de la plus ancienne tradition
byzantine. Beaucoup d'églises d'Athènes et d'ailleurs
ont été récemment décorées d'un programme complet
,d'icônes et de fresques exécutées en conformité stricte
avec les règles traditionnelles. Le chef de file de ce
renouveau artistique, Photios Kontoglou (1896-1965),
184 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

était l'avocat sans compromis de l'art byzantin.


Typique de cette vision est son commentaire sur l'art
de la Renaissance italienne : « Ceux qui voient les
choses dans une optique séculière disent qu'il a
progressé, mais ceux qui le considèrent dans une
optique religieuse disent qu'il a décliné9. »

Dans la vie de l'Église grecque de la première


moitié de ce siècle, des mouvements de mission à l'in-
térieur même du pays, pour le travail social et l'évan-
gélisation, ont joué un rôle décisif. Le plus dynamique
d'entre eux, le mouvement Zoè [Vie], connu égale-
ment sous le nom de Fraternité des Théologiens, a été
fondé par le père Eusébios Matthopoulos en 1907,
dans la lignée des mouvements similaires à la fin du
dix-neuvième siècle. Il a une structure semi-monas-
tique : tous ses membres à part entière, qu'ils soient
laïcs ou prêtres (les évêques sont exclus), sont céliba-
taires, même s'ils ne prononcent pas de vœux perma-
nents. Depuis sa fondation, Zoè s'est fait l'avocat de la
communion fréquente, d'un usage plus fréquent du
sacrement de confession, de la prédication régulière,
de la formation catéchétique des enfants, des groupes
de jeunesse organisés et de cercles d'étude biblique.
Tout ceci est sûrement admirable, et effectivement, les
points principaux du programme de Zoè ont été
repris et sont maintenant appliqués dans toute l'Église
grecque. Mais si Zoè a fait tant de choses extrême-
ment positives, son goût du secret et son esprit auto-
ritaire - il ressemble en cela à l' Opus Dei des
catholiques - lui a valu beaucoup d'ennemis.
L'influence de Zoè, très forte entre 1920 et 1960, a
diminué depuis. Au début des années 1960, une

9. C. Cavarnos, Byzantine Sacred Art: Selected Wrlttngs of the


Contemporary Greek !con Patnter Fotis Kontoglous, New-York
1957, p. 21.
Le XX' siècle. Grecs et Arabes 185

coupure s'est opérée entre ses membres et une orga-


nisation rivale, Soti'r, a été mise sur pied. Dans les
années 1970, Zoè a été accusée de liens avec les
Colonels - pour une large part, c'était là une accusa-
tion injuste - et cela lui a fait beaucoup de mal. Le ton
moraliste, puritain qui tend à marquer ses publications
a peu d'intérêt pour la jeune génération grecque d'au-
jourd'hui. ,

La Grèce moderne a ses saints « kénotiques »


proches, par leur compassion aimante, de saint
Séraphim de Sarov et saint Silouane de l'Athos. Le
plus largement révéré est saint Nectaire (1846-1920),
gui fut un temps métropolite de la Pentapole en
Egypte, avant d'en être chassé en raison de fausses
accusations : dans son humilité, il refusa de faire la
moindre réponse à ses accusateurs. Il passa le reste de
sa vie dans une grande pauvreté, vivant ses dernières
années comme aumônier des Sœurs du Monastère de
la Sainte Trinité qu'il avait fondé sur l'île d'Égine. Une
autre figure kénotique, un prêtre de paroisse comme
saint Jean de Kronstadt, saint Nicolas Planas (1851-
1932), est grandement aimé pour sa simplicité de
cœur et sa proximité des pauvres. Il aimait tout
spécialement les vigiles de toute la nuit, que chan-
taient souvent les deux écrivains Alexandre
Papadiamantis (1851-1911) et Alexandre Moraitidis
(1850-1929).

Qu'en est-il de la vie monastique ? Le renouveau du


Mont Athos doit encore s'étendre à une échelle signifi-
cative aux monastères d'hommes ailleurs en Grèce. La
plupart des maisons sont dépeuplées, - malgré de
notables exceptions comme celle du Monastère du
Paraclet à Oropos (Attique) - mais le contraste est frap-
pant avec les communautés de femmes.
L'augmentation du nombre de moniales est impression-
186 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

nante et beaucoup de nouvelles fondations ont vu le


jour depuis 1920. Les moniales en Grèce, qui n'étaient
que quelques centaines au début de ce siècle, sont
aujourd'hui plusieurs milliers. Parmi les plus grands
couvents, on note celui de saint. Patapios à Loutraki,
non loin de Corinthe, de la Dormition à Panorama, non
loin de Thessalonique, de Notre-Dame du Prompt
Secours à Chios et de Kechrovouni à Tinos (île célèbre
pour son pèlerinage au sanctuaire de la Mère de Dieu).
Le Monastère de la Dormition à Ormylia (Chalcidique,
au Nord de la Grèce) a plus d'une centaine de moniales
et de novices; la communauté y dépend du monastère
athonite de Simonos Petras, et s'est embarquée récem-
ment dans un projet spécial d'agriculture biologique.
Les vieux-calendaristeslO ont eux aussi plusieurs grands
couvents de femmes.

La société grecque d'aujourd'hui vit une période


d'évolution extraordinairement rapide. Ceux qui ont
visité la Grèce pour la première fois il y a quarante ans
ne la reconnaissent plus. L'Église répond-elle à ces
défis nouveaux avec suffisamment de souplesse? Il
n'a pas été simple pour l'archevêque Séraphim (élu en
1974) de fournir la guidance créatrice essentielle en
période de crise et devant l'urgence d'un témoignage
nouveau. Mais à Athènes, à Thessalonique et dans
d'autres villes, certains jeunes prêtres mariés sont
indubitablement des personnalités d'envergure.
Partout où il y a un prêtre de paroisse énergique et
intelligent, la réponse des laïcs - et sûrement pas en
dernier lieu des jeunes - est généralement très encou-
rageante. L'Orthodoxie grecque a passé une période
assez difficile mais le vieil arbre est vigoureux et plein
de sève nouvelle.

10. Voir plus bas, page 391.


8
Le xxe siècle
L'orthodoxie et l'athéisme militant

Ceux qui désirent Me voir passeront par


des tribulations et des souffrances.
Epître de Barnabé, VII, 11.

L'assaut du ciel

Depuis octobre 1917, depuis la prise de pouvoir


des bolchéviques, jusque vers 1988, époque où le
Christianisme russe célébra son millénaire, l'Église
orthodoxe en Union Soviétique a vécu en état de
siège. L'intensité de la persécution a varié durant ces
soixante-dix années, mais l'attitude fondamentale des
autorités communistes demeurait inchangée : la foi
religieuse, dans toutes ses manifestations, était une
erreur à réprimer et extirper. Pour reprendre les
t~rmes de Staline, .. le Parti ne peut être neutre envers
la religion. Il conduit une lutte antireligieuse contre
tous les préjugés religieuxl ». Pour apprécier toute la
force de ces paroles, il faut rappeler que le Parti, sous

1. Works, vol. 10, Moscow 1953, p. 132.


188 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

le communisme soviétique, désignait virtuellement


l'État.

Ainsi, depuis 1917, les Orthodoxes et les autres


chrétiens se trouvèrent dans une situation sans précé-
dent exact dans l'histoire chrétienne. L'empire romain,
bien que persécutant les Chrétiens de temps en
temps, n'était nullement un état athée, engagé à
supprimer la religion en tant que telle. Les Turcs otto-
mans, bien que non-chrétiens, adoraient le Dieu
unique et, comme nous l'avons vu, accordaient une
certaine tolérance à l'Église. Mais le communisme
soviétique était engagé, par ses principes fondamen-
taux, dans un athéisme militant et agressif. Il ne
pouvait se satisfaire d'une séparation entre l'Église et
l'État et d'une neutralité, mais il cherchait par tous les
moyens, directs et indirects, à éliminer toute vie
<l'Église organisée et à éliminer toute foi religieuse.

Les bolchéviques, dès leur arrivée au pouvoir,


furent prompts à mettre en œuvre leur programme. La
législation de 1918 coupait l'Église de toute participa-
tion au système d'éducation et confisqua toutes les
propriétés de l'Église. L'Église cessa de posséder des
droits: tout simplement, elle cessa d'être une entité
légale. Les termes de la Constitution soviétique se
faisaient de plus en plus répressifs. La Constitution de
1918 permettait la propagande religieuse et antireli-
gieuse (article 13), mais la loi sur les associations reli-
gieuses, adoptée en 1929, modifia le texte en liberté
de croyance religieuse et de propagande anti-reli-
gieuse. La distinction est d'importance: les Chrétiens
étaient autorisés - au moins en théorie - à croire libre-
ment, mais ils n'avaient aucune liberté de propa-
gande. L'Église était considérée purement comme une
association cultuelle. Il était, en principe, permis
de célébrer les offices religieux, et en pratique, plus
Le XX" siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 189

particulièrem ent à partir de 1943, certaines églises


furent réouvertes au culte. Après 1943, l'Église fut
également autorisée à entretenir quelques institutions
pour la formation des prêtres et entreprendre un
programme limité de publications. Mais virtuellement
rien d'autre ne fut permis.

Autrement dit, les évêques et le clergé ne pouvaient


pas entreprendr e d'action caritative ou de travail
social. Visiter les malades était strictement limité, le
travail pastoral dans les prisons, les hôpitaux et les
asiles psychiâtrique s était impossible. Les prêtres de
paroisses ne pouvaient organiser aucune sorte de
groupe de jeunesse ou de cercle d'études. Ils ne
pouvaient pas faire le catéchisme aux enfants. La
seule instruction qu'ils pouvaient donner à leurs
ouailles était l'homélie pendant les offices. (Ils en
profitaient souvent au maximum : je me rappelle avoir
assisté à des célébrations de la Liturgie dans les
années 1970, où quatre ou cinq sermons différents
avaient été prêchés : l'assistance écoutait avec une
attention soutenue et remerciait le prédicateur à la fin
avec un grand cri de gratitude - une expérience dont
je n'ai pas l'habitude, lorsque je prêche en Occident!).
Le clergé ne pouvait pas constituer de bibliothèque
paroissiale, puisque les seuls livres qu'on était auto-
risé à garder à l'église étaient les livres liturgiques
pour les offices. On n'avait pas de livrets à distribuer
au peuple, pas la moindre brochure où donner l'infor-
mation la plus élémentaire, même les exemplaires de
la Bible étaient une grande rareté, et atteignaient des
prix exorbitants au marché noir. Pire, chaque membre
du clergé, depuis l'évêque jusqu'au plus humble
prêtre de paroisse, avait besoin de la permission de
l'État pour exercer son ministère et était soumis en
permanence au contrôle très strict de la police secrète.
Chaque mot que le prêtre prononçait dans son
190 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

sermon était noté soigneusement. Toute la journée,


des yeux attentifs et hostiles observaient qui venait
dans son église pour les baptêmes et les mariages, la
conf~ssion ou pour un entretien privé.
L'Etat communiste totalitaire employait à plein
toutes les f5>rmes de propagande antireligieuse et
déniait à l'Eglise tout droit de réplique. Il y avait
d'abord l'instruction achée donnée systématiquement
dans chaque école. Les enseignants recevaient des
injonctions telles que :
• Un enseignant soviétique doit être guidé par les
principes de l'esprit scientifique du parti: il est tenu
non seulement d'être lui-même incroyant, mais d'être
un propagandiste actif de l'athéisme parmi les autres,
de véhiculer les idées de l'athéisme militant proléta-
rien. Avec calme et méthode, tact et obstination, l'en-
seignant soviétique doit exposer et vaincre les
préjugés religieux dans ses activités à l'école et en-
dehors, qu'il soit en service ou en congé2. •

Hors de l'école, une vaste campagne antireligieuse


fut poursuivie par la ligue des athées militants ; elle fut
remplacée en 1942 par la Société soviétique pour la
propagation de la connaissance scientifique et poli-
tique, légèrement moins agressive. L'athéisme fut acti-
vement promu parmi la jeune génération par le
truchement de la Ligue des jeunes communistes. Des
musées de la religion et de l'athéisme furent ouverts,
souvent dans d'anciennes églises, comme la Cathé-
drale Notre-Dame de Kazan à Saint-Pétersbourg. Dans
les années 1920, des processions antireligieuses gros-
sières et blasphématoires furent organisées dans les
villes, surtout au moment de Pâques et de Noël. En
voici une description par un témoin oculaire :

2. F.N. Olestchuk (ancien secrétaire de la Ligue des athées mili-


tants), dans Outcbttelskata gazeta du 26 novembre 1949.
Le XX! siècle.L'orthodoxie et l'athéisme militant 191

• Aucun mouvement de protestation dans les rues


silencieuses - les années de terreur avaient fait leur
œuvre - mais presque tout le monde essayait de
quitter la rue lorsque la procession scandaleuse appa-
raissait. J'ai assisté personnellement au carnaval de
Moscou et je peux certifier qu'il n'y avait pas une once
de plaisir là-dedans. La parade passait par les rues
désertes et ses efforts pour amener le rire ou la provo-
cation ne rencontraient que le morne silence des
témoins occasionnels3. •
Non seulement les églises furent fermées en masse
dans les années 1920 et 1930, mais une quantité colos-
, sale d'évêques, de prêtres, de moines, de moniales et
de laïcs furent emprisonnés, envoyés en camps de
concentration. On ne saurait dire le nombre de ceux
qui furent exécutés ou moururent de mauvais traite-
ments, on n'arrive pas à le calculer. Nikita Struve
fournit une liste d'évêques-martyrs comprenant 130
noms, et il la qualifie lui-même d'incomplète et provi-
soire4. Le total des prêtres martyrs doit se compter en
dizaines de milliers. Bien sûr les croyants ne furent
pas les seuls à souffrir de la terreur stalinienne, mais
ils souffrirent plus que la plupart des autres. Rien de
comparable n'était arrivé durant les persécutions du
temps de l'Empire romain. Les paroles de }'Archiprêtre
Avvakoum, prononcées au dix-septième siècle, se
sont certainement accomplies durant le communisme,
trois cents ans plus tard : • Satan a obtenu de Dieu la
claire Russie, pour l'empourprer du sang des
martyrs5.,,

3. G.P. Fedotov, The Russtan Church stnce the Revolution,


Londres 1928, p. 47.
4. Les Chrétiens en URSS, Paris 1963, p. 405-409.
5. La Vie d'Avvakoum écrite par lut-même, trad. Pierre Pascal,
Paris 1960, p. 154 ; voir Fedotov, A Treasury of Russian
Spirltualtty, p. 167.
192 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Quel effet la propagande et la persécution commu-


nistes ont-elles eu sur l'Église? Dans beaucoup d'en-
droits la vie spirituelle s'est étonnamment vivifiée,
purifiée des éléments de ce monde, libérée du poids
des membres non sincères qui fréquentaient l'église
par pur conformisme social, purifiée comme par le
feu. Les vrais croyants orthodoxes se rassemblèrent et
résistèrent avec héroïsme et humilité. Un émigré russe
écrivait : « Les effusions abondantes de la grâce, les
miracles les plus étonnants ont eu lieu partout où la foi
était mise à l'épreuve: les icônes se rénovaient devant
les yeux des spectateurs émerveillés, les coupoles des
églises resplendissaient d'une lumière qui n'était pas
de ce monde. • « Cependant, ajoute avec raison le
même auteur, tout cela fut à peine remarqué: le côté
glorieux de ce qui se passait en Russie resta presque
sans intérêt pour la plupart : . . . Le Christ crucifié et
enterré ne serait pas jugé autrement par ceux qui sont
aveugles pour la lumière de la Résurrection6. • Il n'est
pas surprenant que l'Église fut désertée en masse à
l'heure de la persécution, car ceci est toujours arrivé et
arrivera sans doute encore. Bien plus surprenant est le
fait que tant d'hommes demeurèrent fidèles.

Rendre à César ce qui est à César.


Où tracer la ligne de partage ?

En un temps de persécutions religieuses, les prin-


cipes sous-jacents en cause sont d'habitude bien
6. Vladimir Lossky, Tbéologie mystique de l'Église d'Orient,
Paris 1960, p. 244-245. Les rénovations miraculeuses d'icônes
auxquelles Lossky fait allusion ont eu lieu en divers endroits sous
le régime communiste. Des icônes et des fresques ternies et défi-
gurées par l'âge ont soudain, et sans aucune intervention
humaine, retrouvé leur fraîcheur.
Le xx• siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 193

précis, mais le cours pratique de l'action que chaque


croyant devrait suivre n'est souvent pas précis du tout.
Jusqu'où pouvaient aller les évêques, les prêtres et les
laïcs dans une coopération avec un régime qui s'atta-
chait ouvertement à renverser la religion ? Les chré-
tiens orthodoxes russes, de 1917 à 1988, ont donné à
cette question maintes réponses contradictoires. Les
occidentaux qui n'ont jamais vécu la persécution se
doivent d'être très circonspects avant de porter un
jugement sur ceux de Russie. Mais nous pouvons au
moins noter certaines variations d'attitude.
On peut distinguer cinq périodes principales dans
l'évolution des relations entre l'Église et l'État en
Union Soviétique :
1. 1917-25 : Le patriarche Tikhon lutte pour
préserver la liberté de l'Église.
2. 1925-43 : Le métropolite Serge est en quête d'un
modus vivendi.
3. 1943-59 : Staline permet un renouveau de la vie
de l'Église dans les années d'après-guerre.
4. 1959-64: Khroutchev reprend la persécution.
5. 1964-88: Émergence d'un mouvement dissident
qui est écrasé.

1. 1917-1925: Au début, le patriarche de Moscou,


saint Tikhon, adopta une attitude ferme et sans
compromis envers les bolchéviques. Le 1e• février
1918, il frappa d'anathème et d'excommunication
ceux qu'il appela« les ennemis du Christ, ouvertement
ou déguisés .. , les «gouvernants sans-Dieu de notre
sombre époque ... Cet anathème fut confirmé par le
concile pan-russe qui siégeait à Moscou à l'époque et
ne fut jamais retiré par la suite. Plus tard en 1918, le
patriarche condamna publiquement l'assassinat de
l'empereur Nicolas II comme un crime haineux, ajou-
tant : «Celui qui ne le condamne pas sera coupable de
son sang ... Lorsque les communistes se préparaient à
194 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

célébrer le premier anniversaire de la révolution


d'Octobre, il les appela à renoncer « à la persécution
et à la destruction des innocents •. Personne d'autre, à
ce moment, n'eut le courage d'élever la voix pour
défendre la justice et les droits de l'homme. En même
temps, toutefois, le patriarche Tikhon évitait de
prendre parti sur des questions strictement politiques
et il refusa d'envoyer sa bénédiction au général
Dénikine, le chef de l'Armée Blanche en Crimée.

Naturellement, les communistes étaient mécontents


de l'attitude du patriarche et s'attachèrent à briser sa
résistance. De mai 1922 à juin 1923, il fut emprisonné,
et pendant ce temps, on essaya de le persuader de
remettre le contrôle de l'Église à un groupe d'ecclé-
siastiques mariés qui, à son insu, agissait de concert
avec les autorités communistes. Ce groupe, connu
sous le nom d' « Église vivante• ou« rénovée", mit en
œuvre un vaste programme de réformes ecclésias-
tiques, allant jusqu'à sacrer évêques des hommes
mariés7. Même si un certain nombre de ces réformes
n'étaient pas critiquables en elles-mêmes, le mouve-
ment fut compromis dès le début par sa collaboration
avec les autorités athées. Le patriarche Tikhon, dès
qu'il réalisa sa véritable nature, rompit toutes rela-
tions avec l'Église vivante. Malgré les succès du
début, elle perdit rapidement son soutien parmi les
fidèles, et de ce fait, les communistes cessèrent de s'y
intéresser. Après 1926, l'Église vivante et ses émana-
tions n'ont plus beaucoup d'importance, et elles
disparurent complètement durant la deuxième guerre
mondiale. La première tentative des bolchéviques
pour prendre le contrôle de l'Église se révéla un
fiasco.

7. Dans l'Église orthodoxe, les évêques doivent être moines.


Le XX: siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 195

Nous ne savons pas quelles pressions furent exer- -


cées sur saint Tikhon en prison, mais lorsqu'il en
sortit, il parla sur un ton plus conciliant qu'en 1917-18.
C'est ce qui apparaît à l'évidence dans sa
• Confession•, qu'il publia peu avant sa libération en
1923, et dans son testament, signé le jour de sa mort
(et dont l'authenticité a été parfois contestée). Il s'ef-
forçait néanmoins d'adopter une position neutre, non
politique, de façon à sauvegarder la liberté intérieure
de l'Église. Comme il l'écrivait en 1923: « L'Église
orthodoxe russe est en-dehors de la politique ; elle ne
veut être ni une Église rouge ni une Église blanche ;
elle doit être et elle sera l'Église catholique et aposto-
lique, et toutes les tentatives, .de quelque bord qu'elles
émanent, pour l'entraîner dans une lutte politique
doivent être rejetées et condamnées. • Saint Tikhon
mourut subitement, dans d'étranges circonstances.
Assurément un confesseur de la foi, il fut aussi très
probablement un martyr.

2. 1925-1943. Le patriarche Tikhon se rendait


compte que lorsqu'il mourrait, il ne serait pas
possible de réunir librement un concile comme en
1917, pour élire un nouveau patriarche. Il désigna
donc son propre successeur, et nomma trois locum
tenentes, ou • Gardiens • du trône patriarcal : les
métropolites Cyrille, Agathange et Pierre. Les deux
premiers étaient déjà emprisonnés au temps de la
mort de Tikhon, de sorte qu'en avril 1925, Pierre,
métropolite de Kroutitsy, devint le locum tenens du
patriarche. En décembre 1925, Pierre fut arrêté et
exilé en Sibérie, où il demeura jusqu'à sa mort en
1936. Après l'arrestation de Pierre, Serge
(Starogorodsky) (1867-1944), métropolite de Nijni-
Novgorod, prit la direction de l'Église à son tour, avec
le titre insolite de « remplaçant du locum tenens •.
Serge avait rejoint l'« Église vivante• en 1922, mais en
196 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

1924, il avait fait sa soumission à Tikhon qui l'avait


rétabli dans sa fonction précédente.
Dans un premier temps, Serge chercha à suivre la
ligne de conduite adoptée par son prédécesseur Tikhon
dans les dernières années de son patriarcat. Tout en
soulignant que l'Église respecte les lois de l'Union
Soviétique, il dit dans sa déclaration du 10 juin 1926,
qu'il ne fallait pas attendre des évêques des promesses
de loyauté. • Nous ne pouvons, dit-il, accepter l'obliga-
tion de contrôler les tendances politiques de nos coreli-
gionnaires. • Cela équivalait en fait à une demande de
séparation véritable entre l'Église et l'État. Serge désirait
ainsi préserver l'Église de la politique, et refusait par
conséquen t de faire de l'Église un instrument de la poli-
tique soviétique. Il parle, dans la même déclaration, des
incompatibilités et des • contradictions • qui existent
entre le christianisme et le communisme. • Loin de
promettre de réconcilier l'irréconciliable en maquillant
notre foi pour l'adapter au communisme, nous reste-
rons, du point de vue religieux, ce que nous sommes :
des membres de l'Église traditionnelle. •
Mais en 1927 - année cruciale dans les relations de
l'Église et de l'État en Russie - Serge changea d'atti-
tude. Il avait été emprisonn é de décembre 1926 à
mars 1927 et, comme dans le cas de Tikhon, nous ne
savons pas à quelles pressions il fut soumis durant sa
détention. Une fois libéré, le 29 juillet 1927, il fit une
nouvelle déclaration, nettement différente de la précé-
dente. Il ne disait rien, cette fois, des • contradictions •
entre le christianisme et le communisme ; il ne plaidait
plus pour une séparation entre l'Église et l'État, mais
les associa aussi étroitement que possible :
• Nous voulons être orthodoxes et en même temps
reconnaître l'Union Soviétique pour notre patrie : ses
joies et ses succès sont nos joies et nos succès, ses
échecs sont nos échecs. Un coup porté à l'Union ... est
un coup porté contre nous. •
Le )(Xè siècle. L 'orlhodoxie et l'athéisme militant 197

Alors qu'en 1926, Serge avait refusé de surveiller les


tendances politiques de ses coreligionnaires, il
demandait maintenant au clergé russe à l'étranger de
• signer un engagement écrit de loyauté totale au
gouvernement soviétique8 •.
Cette déclaration provoqua un grand désarroi chez
beaucoup d'orthodoxes en Russie et à l'étranger.
Serge semblait compromettre l'Église comme jamais
Tikhon ne l'avait fait. Il identifiait étroitement l'Église
avec un gouvernement résolu à renverser toute reli-
gion et semblait vouloir aujourd'hui ce qu'il avait
rejeté en 1926 : réconcilier l'irréconciliable. La victoire
de l'athéisme serait certainement une joie et un succès
pour l'État soviétique : serait-elle aussi une joie et un
succès pour l'Église ? La dissolution de la Ligue des
athées militants serait un coup néfaste pour le gouver-
nement communiste, mais peut-on dire que ce serait
également un coup pour l'Église ? Comment exiger du
clergé émigré une promesse de loyauté totale au
gouvernement soviétique, lorsque, pour dire le moins,
nombre d'entre eux étaient devenus citoyens de leur
pays d'adoption? Il n'est guère surprenant que le
métropolite Antoine (Khrapovitsky), évêque présidant
J>Église russe hors frontières9, aie répondu à Serge en
citant l'Evangile : • Quelle union entre la lumière et les
ténèbres ? Quelle entente entre le Christ et Bélial ?
Quelle association entre le fidèle et l'infidèle ? •
(2Cor 6, 14-15). • L'Église, disait-il, ne peut pas bénir
ce qui est antichrétien, moins encore une politique
athée.• C'est la déclaration de Serge en 1927 qui avait
abouti à la rupture entre le synode de Karlovtsy et les

8. Pour la lettre de 1927, voir N. Struve, Les Chrétiens en URSS,


l'aris 1963, p. 319-323; pour le texte complet en anglais des décla-
rations de Serge en 1926 et 1927, voir Matthew Spinka, The
Church in Soviet Russia, New York 1956, p. 157-165.
9. Voir plus bas p. 227-230.
198 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

autorités de l'Église à Moscou. Et depuis lors, le


synode en exil n'a pas cessé de condamner ce qu'il
qualifie de « sergianisme ", c'est-à-dire la capitulation
de l'Église en face du gouvernement athée. Le métro-
polite Euloge, exarque russe pour l'Europe occiden-
tale, résidant à Paris, chercha d'abord à se conformer
aux requêtes de Serge, mais à partir de 1930, il trouva
lui aussi impossible de maintenir des liens directs avec
l'Église à Moscou.

La politique de Serge provoqua aussi une vive


opposition en Russie. Nombreux étaient ceux qui
rappelaient qu'il avait été un partisan de l'Église
vivante, et qui trouvaient qu'il poursuivait maintenant
la même politique de collaboration sous une forme
légèrement différente. Les communistes avaient
échoué dans leur première tentative de faire main
basse sur l'Église par le truchement d'un mouvement
réformateur: maintenant ils semblaient réussir, avec
l'aide de Serge, à leur deuxième tentative. Si Serge
avait convoqué un concile de tous ses collègues
évêques en 1927 (naturellement les conditions maté-
rielles rendaient la chose impossible), il n'aurait fort
probablement pas obtenu la majorité des suffrages. Le
bruit courait que le locum tenens du trône patriarcal,
le métropolite Pierre, était opposé à la déclaration de
1927, mais on ne peut en être sûr. Mais on sait que le
métropolite Joseph de Petrograd, rejoint par un
nombre d'évêques parmi les plus anciens, désapprou-
vèrent si fortement la politique de Serge qu'ils rompi-
rent la communion avec lui.

Et bien que Joseph et ses principaux partisans aient


rapidement été écartés et soient morts en prison, le
mouvement dont ils avaient été les initiateurs continua
à exister sous le manteau. Une Église des catacombes
fut formée, avec des évêques et des prêtres œuvrant
Le xxe siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 199

en secret, sans aucun lien avec l'Église officielle


dirigée par Serge. L'évêque Maxime (Jijilenko) de
Serpoukhov, prit une part importante dans l'organisa-
tion de cette Eglise clandestine ; il avait été le médecin
personnel du patriarche Tikhon, et proclamait que
c'était là le vœu de Tikhon, que l'Eglise continue dans
la .clandestinité si la pression se faisait intolérable.
L'Église des catacombes (il serait peut-être plus
correct de parler des chrétiens des catacombes, car on
ne sait pas jusqu'à quel point il y avait une seule orga-
nisation unifiée) survécut jusque dans les années
1980, avec probablement un nombre limité de
membres. Elle était parfois appelée la " véritable Église
orthodoxe ...

Mais d'autres Russes orthodoxes défendaient la


politique du métropolite Serge. Ils ressentaient chez
lui un désir sincère de protéger l'Église. Ils justifiaient
ses démarches comme un " péché nécessaire .. pour
sauver son troupeau de la destruction: il avait assumé
humblement le « martyre • du mensonge. Effective-
ment, il eut à mentir beaucoup. Dans une interview
accordée à des journalistes étrangers en 1930, par
exemple, il alla jusqu'à nier la réalité des persécutions
religieuses en Union Soviétique. Pour beaucoup, en
Russie et à l'étranger, cela semblait un déni cruel des
souffrances des nouveaux martyrs pour le Christ. Les
membres de l'Église orthodoxe russe demeurent
aujourd'hui encore extrêmement divisés sur la
conduite de Serge.

Les concessions que Serge fit en 1927 n'apportèrent


à l'Église que bien peu d'avantages apparents. La
fermeture des églises et l'élimination du clergé conti-
nuèrent dans les années trente. Au début de la
seconde guerre mondiale, en 1939, la structure exté-
rieure de l'Église avait été quasiment anéantie. Seuls
200 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

quatre évêques étaient toujours en fonction et il n'y


avait probablement pas plus de quelques centaines
d'églises ouvertes dans toute la Russie; toutes les
écoles de théologie et tous les monastères étaient
fermés depuis longtemps. Ce fut une période sombre
pour l'Église russe, mais un changement saisissant se
préparait. La situation fut entièrement transformée par
un élément nouveau : la guerre.

3. 1943-1959. Le 22 juin 1941, l'Allemagne envahit


la Russie et le même jour, sans attendre la suite des
événements, le métropolite Serge publia une lettre
pastorale appelant les chrétiens orthodoxes à la
défense de leur patrie menacée. Dès lors le Patriarcat
de Moscou donna son soutien sans faille à l'effort de
guerre. Comme les dirigeants de l'Église le voyaient
bien, ils combattaient non pas pour le communisme,
mais pour leur patrie. Pendant ce temps, les
Allemands, dans les parties de la Russie qu'ils occu-
paient, permettaient de reprendre la vie de l'Église. Le
renouveau fut immédiat, spontané et intense. Les
églises furent réouvertes partout, en Ukraine et en
Biélorussie ; le renouveau fut particulièrement dyna-
mique dans le diocèse de Pskov, sous l'impulsion de
son jeune évêque, le métropolite Serge (Voskresensky)
(1899-1944)10. A l'évidence, vingt années de persécu-
tions n'avaient pas détruit la foi du peuple.

Pris à la gorge par la lutte contre les Allemands,


Staline jugea prudent de faire certaines concessions
aux chrétiens sous son gouvernement. Il était
clair que les croyants formaient une proportion signi-
ficative de la population et Staline avait besoin de

10. Voir N. Struve, /.es Chrétiens en URSS, Paris 1963, p. 59-63.


Il ne faut pas confondre Serge Voskresensky avec le locum tenens
du patriarche, Serge Starogorodsky.
Le xxe siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 201

l'aide de tous les Russes pour gagner la guerre. En


reconnaissance pour le soutien de Serge et de son
clergé - et assurément conscient aussi qu'il ne pouvait
guère se permettre d'être moins généreux que les
Allemands, il desserra l'étau qui enfermait l'Église. Au
début les concessions furent minimes, mais le
4 septembre 1943, Staline convoqua Serge et deux
autres métropolites et leur donna la permission d'élire
un nouveau patriarche. Trois jours plus tard, un
modeste concile de dix-neuf évêques élut Serge. Déjà
vieux, il mourut l'année suivante, et en février 1945, le
métropolite Alexis de Léningrad (1877-1970), un
ardent partisan de Serge depuis 1927, fut élu
patriarche à sa place.

La permission de rétablir le patriarcat n'était qu'un


premier pas. Dans l'immédiate après-guerre, Staline
permit à l'église de reprendre des forces. Selon les
statistiques publiées par le Patriarcat de Moscou, le
nombre des églises ouvertes était en 1947 de plus de
20 000 ; il y avait 67 monastères, deux académies de
théologie et 8 séminaires. La situation avait donc radi-
calement changé par rapport à la fin des années
trente. On pourrait croire que la résurrection de la vie
de l'Église après la guerre constituait le triomphe post-
hume de la politique de Serge depuis 1927. Mais cette
conclusion serait fausse. Ce qui sauva l'Église n'était
pas la direction de Serge, mais un accident historique :
la guerre, et plus fondamentalement, la persévérante
fidélité du peuple des croyants russes.

Mais la tolérance de Staline avait des limites :


l'Église ne fut pas autorisée à faire autre chose que
célébrer les offices et former les futurs prêtres. Elle ne
pouvait ni entreprendre des activités sociales, ni
travailler avec les jeunes, ni catéchiser les enfants. Le
gouvernement soviétique continua à traiter la religion
202 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

comme un ennemi à combattre par toutes les formes


de propagande, tandis que l'Église n'était pas auto-
risée à répondre. La police secrète interférait dans
tous les aspects de la vie intérieure de l'Église. Bien
plus, en échange d'une tolérance limitée, les chefs de
l'Église devaient être «loyaux» envers le gouverne-
ment. Cela voulait dire non seulement qu'ils avaient à
s'abstenir de toute critique des autorités soviétiques,
mais qu'ils étaient forcés de soutenir activement la
politique communiste en Russie et plus spécialement
à l'étranger. Aucune disposition légale contre la reli-
gion ne fut abrogée, et il ne tenait qu'aux autorités de
reprendre la persécution active n'importe quand, lors-
qu'ils le jugeraient opportun.

4. 1959-1964. Jusqu'à sa mort en 1953, Staline


maintint le statu quo de l'après guerre. Les huit
dernières années où il fut au pouvoir (1945-1953)
furent la période la moins pénible pour l'Église russe
durant toute l'ère du communisme. Mais en 1959,
Khroutchev lança une offensive majeure contre
l'Église, avec un acharnement d'autant plus frappant
qu'il contrastait avec la libéralisation dans d'autres
domaines. Les évêques, les prêtres, les moines et les
moniales furent jugés et emprisonnés sous de fausses
accusations, le clergé fut partout soumis à beaucoup
de tracasseries et une certaine violence physique. Les
églises furent fermées en masse et leur nombre total
fut réduit à sept mille, représentant une perte de deux
tiers. Le nombre des séminaires passa de sept à trois,
et le nombre des monastères en activité tomba de 67
à 21. Des restrictions particulièrement sévères touchè-
rent le travail de l'Église avec les enfants : il était
souvent interdit aux prêtres de donner la communion
aux enfants et les parents arrivant avec leurs jeunes
enfants pour la Liturgie se voyaient interdire l'entrée
de l'église par des policiers en civil.
Le xxe siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 203

L'ampleur de cette persécution passa généralement


inaperçue en Occident, en particulier parce que les
autorités de l'Église en Russie n'émirent pas de protes-
tations ouvertes. Lorsqu'ils parlaient en Occident, à
des forums comme le Conseil Œcuménique des
Églises ou la Çonférence pour la paix, à Prague, les
délégués de l'Eglise russe prétendaient que tout était
normal dans les relations Église-État. La campagne
antireligieuse cessa brusquement lorsque Khroutchev
fut écarté du pouvoir, mais l'Église ne fut pas auto-
risée à récupérer ce qu'elle avait perdu.

· 5. 1964-88. En ce qui concerne les relations offi-


cielles Église-État, ce fut une période de calme appa-
rent. L'État, par le KGB, continuait à surveiller très
étroitement l'Église, les autorités du Patriarcat de
Moscou continuèrent à travailler du mieux qu'elles
pouvaient dans les limites étroites assignées par les
autorités communistes. Si ces autorités avaient été
plus dynamiques, si elles avaient crié plus fort -
comme beaucoup de Baptistes connus le firent à
l'époque - l'Église n'aurait-elle pas en fait obtenu de
beaucoup plus grandes concessions de la part de
l'État? La hiérarchie de l'Église devait-elle être si
immanquablement soumise ?

Telles étaient les questions que commencèrent à


poser, avec une acuité toujours grandissante depuis la
fin des années 1960 et durant les années 1970, non
seulement les observateurs occidentaux, mais les
Chrétiens orthodoxes à l'intérieur de l'Union
Soviétique. Et c'est précisément cela qui constitua le
plus profond changement dans la cinquième période
des relations entre l'Église et l'État sous le commu-
nisme. Même si les autorités religieuses gardaient le
silence, d'autres ne se taisaient pas. Un mouvement
dissident émergea à l'intérieur de l'Église orthodoxe
204 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

en Russie, gui protestait ouvertement contr~ l'interfé-


rence de l'Etat dans la vie intérieure de l'Eglise. Les
protestataires ne furent aucunement encouragés par le
Patriarche et le Saint-Synode - bien au contraire -
mais leur nombre n'en continua pas moins de croître.

La première figure de proue parmi les dissidents


orthodoxes fut Anatoli Krasnov-Lévitine, qui à partir
de 1958, produisit un courant d'articles du samizdatll,
décrivant les persécutions religieuses et les souf-
frances des croyants. D'autres témoignages de même
nature furent rassemblés par le laïc Boris Talantov, qui
mourut en camp de travail. Mais le document du
mouvement de dissidence religieuse qui eut le plus
grand impact fut la lettre ouverte adressée en
novembre 1965 au patriarche Alexis par deux prêtres
de Moscou, les pères Nicolas Eschlimann et Gleb
Yakounine. Ils mentionnaient en détail les mesures de
répression prises contre l'Église par les autorités
communistes et l'absence de résistance, même l'appa-
rente coopération des autorités de l'Église. Ils appe-
laient le patriarche à agir : • L'Église qui souffre se
tourne vers vous avec espoir. Vous avez reçu le bâton
de l'autorité primatiale, Vous avez le pouvoir, d'un
seul mot, en tant que Patriarche, de mettre fin à cette
illégalité ! Faites-le 112.

Malheureusement - mais c'était bien prévisible sans


doute - la seule réponse du patriarche fut de
suspendre les deux prêtres a divinis. Mais la lettre fit

11. Documents manuscrits ou dactylographiés, circulant sous le


manteau.
12. Jane Ellis, 7be Russtan Orthodox Cburch: A Contemporary
Htstory, p. 292. Trad. française de la lettre de Yakounine et
Eschlimann dans I.e Messager Orthodoxe N° 35, 1966. Les deux
prêtres écrivirent une seconde lettre à Podgorny, Président du
Présidium du Soviet Suprême.
Le XX' siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 205

l'effet d'un catalyseur, inspirant beaucoup d'autres


croyants à exprimer leurs sentiments longtemps
contenus. Enfin, l'Église semblait s'arracher à l'em-
prise de la langue de bois, des réponses évasives et
des demi-vérités, qui l'étouffait. L'un de ceux qui
furent inspirés par l'exemple du père Gleb et du père
Nicolas, le romancier Alexandre Soljénitsyne, écrivit
en 1972 une vigoureuse "Lettre de carême» au
patriarche Pimène (1910-1990), le successeur d'Alexis,
dans laquelle il mettait l'accent sur la tragique ironie
de la situation pénible de l'Église :

• En se raisonnant quelque peu, il est possible de se


convaincre que la destrnction organisée de l'esprit et
du corps de l'Église sous la guidance des athées est le
meilleur moyen de la conserver. De la sauver pour
qui ? Certainement pas poùr le Christ. De la préserver
par quels moyens? Par la fausseté. Mais après la faus-
seté, par quelles mains les saints sacrements doivent-
ils être célébrés ? •

Sa propre solution aux problèmes de l'Église repose


sur le mot sacrifice : • Bien que privée de toute force
matérielle, l'Église est toujours victorieuse dans le
sacrifice13 ...

En 1976, le comité chrétien pour la défense des


droits des croyants fut fondé: il se proposait d'aider
les croyants, tant orthodoxes que non-orthodoxes. Le
comité travaillait en étroite coopération avec le
groupe de surveillance des accords d'Helsinki pour la
question des atteintes aux droits de l'homme en
général. Reconnaissant que la liberté est indivisible,
les dissidents chrétiens cherchaient à travailler de

13. Ellis, op. ctt., p. 304. Autour de la lettre de Soljénitsyne au


patriarche, voir le Messager Orthodoxe N° 57, 1972.
206 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

mamer e constru ctive au sein d'un mouvem ent de


disside nce plus vaste. D'impo rtantes protesta tions
contre l'oppres sion religieuse émanai ent égalem ent
du séminaire Chrétien, un groupe d'étude s informel
pour les jeunes intellectuels russes orthodoxes, fondé
par Alexan dre Ogorod nikov en 1974, puis repris,
après son arrestation en 1978, par Lev Regelson. Le
mouve ment fémini ste russe qui comme nça à
Léningrad en 1979, comprenait certaines orthodoxes,
comme Tatiana Goritcheva.

A partir de 1976, les autorités communistes réagi-


rent de plus en plus sévèrement au mouvement dissi-
dent et, en 1980, la plupart des orthodo xes connus
avaient été réduits au silence. Certains furent envoyés
en camps de travail et en exil, d'autres discrédités par
le KGB de différentes manières. La perspective géné-
rale était décourageante. Plus d'une décenn ie de dissi-
dence ouverte n'avait apporté, apparemment, aucun
change ment dans la relation de base entre l'Église et
l'État athée. L'Église n'avait pas d'assurance contre
l'interférence communiste, et il semblait peu probabl e
qu'elle en acquierre dans un futur proche. Pour le
gouvern ement comme pour les autorités du patriarcat,
tout était • comme d'habitu de •.

Or, contrairement à toutes les attentes, il y eut un


change ment brusque et radical. Le régime commu-
niste, qui semblait tout-puissant depuis sept décen-
nies, s'effondra comme un château de cartes.

Une renaissance troublée


Le 11 mars 1985, Mikhail Gorbatchov devint secré-
taire généra l du Parti commu niste de l'Union
Le XX! siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 207

Soviétique. Sept ans plus tard, au début de 1992,


Gorbatchov n'était plus au pouvoir et l'Union
Soviétique avait cessé d'exister. Mais la politique de
glasnost (ouverture) et de péréstroïka (reconstruction)
qu'il avait mis en œuvre permit à l'Église russe d'être
soudain libérée de toutes les mesures répressives qui
avaient entravé sa vie depuis 1917. Sans retrouver sa
position privilégiée du temps des tsars, l'Église était au
moins essentiellement libre. Encore qu'il faille ajouter
" essentiellement •, car on enregistre encore des cas
d'obstruction par des fonctionnaires du gouvernement
au niveau local et d'intimidation par le KGB. Après
tout, les fonctionnaires, subalternes ou moyens, de
l'administration, dont la plupart avaient travaillé pour
le communisme, étaient toujours en place. Les
léopards ne se débarrassent pas de leurs taches en
l'espace d'une nuit.

Le changement le plus significatif a été au niveau


de la législation. De 1990 à 1991, presque dans toutes
les parties de l'ex-Union Soviétique, de nouvelles
règles vinrent remplacer la • Loi sur les associations
religieuses .. de 1929. Il y a maintenant pour la
première fois une véritable séparation de l'Eglise et
de l'État. L'Etat ne fait plus la propagande de
l'athéisme. L'Église orthodoxe - de même que d'autres
entités religieuses - est reconnue comme une
personne morale jouissant du droit de propriété.
Certaines restrictions demeurent, toutefois, en ce qui
concerne l'ouverture des églises, soumise à l'autori-
sation des autorités civiles. Mais l'Église a maintenant
la liberté de s'engager dans le travail social et philan-
thropique, et les offices religieux peuvent être
célébrés dans les hôpitaux et les prisons. Les activités
missionnaires sont permises. Les groupes de jeunes et
les cercles d'étude biblique sont autorisés. L'Église
peut publier de la littérature religieuse et enseigner
208 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

la religion aux enfants ; et même : cette instruction


religieuse peut être donnée dans des locaux apparte-
nant à l'État.

Mais la législation est sans valeur si elle demeure


lettre morte et si elle n'est pas suivie d'effet pratique.
En fait, depuis 1988, l'Église a déjà été autorisée à faire
la plupart des choses désormais permises par la loi.
De 1989 à 1992, l'orthodoxie russe a commencé très
activement à reconstituer ses structures extérieures. Le
tableau suivant indique les vicissitudes de l'Église
durant les sept dernières décennies.

1914 1939 1947 1988 1996


Églises 54174 quelques 20000? environ plus de
centaines 7000 17000
Prêtres et diacres 51105 quelques 30000? environ environ
centaines 7000 13000
Monastères 1025 aucun 67 21 337
metf
moines et moniales 94629 10000? 1190
Académies 4 aucune 2 2 3
de théologie
Séminaires 57 aucun 8 3 environ
50y
compris
préparatoires 185 interdit interdit interdit les pré-
au séminaire par la loi para-
toires
étudiants aucun ? 2000
écoles paroissiales 37528 interdit interdit interdit en
par la loi par la loi par la loi
maisons de retraite aug-
hopitaux men-
bibliothèques tation
paroissiales. rapide

Il montre l'Église presque totalement annihilée à la


veille de la seconde guerre mondiale, qui revécut
dans l'immédia te après-gue rre; les lourdes pertes
Le~ siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 209

(essentiellement du fait de la persécution de 1959


à 1964), et depuis 1988, une reconstruction rapide
(mais l'Église a toujours beaucoup moins de prêtres
qu'en 1947). Les églises ont été ouvertes, de 1?89
à 1992, au rythme d'une trentaine par semaine ; l'Etat
a restitué beaucoup de monastères historiques ;
les institutions formant les futurs prêtres se déve-
loppent.

Mais il serait nettement erroné de suggérer que tout


est pour le mieux. La situation politique et écono-
mique dans l'ancienne Union Soviétique depuis 1991
est très instable et l'avenir demeure incertain. L'Église
est confrontée à des problèmes gigantesques. L'État
restitue les églises et les monastères dans un état de
dévastation totale et le coût des réparations est parti-
culièrement lourd à supporter pour les finances de
l'Église. L'administration centrale du patriarcat,
d'après toutes les sources, est en état de cessation de
paiements; les communautés locales se sacrifient
pour donner à l'Église mais, prises à la gorge par la
crise économique, elles ne sont pas à même de faire
suffisamment. L'ouverture continuelle de nouvelles
paroisses soumet le clergé existant à une grande
tension psychologique: même avant 1988, les prêtres
étaient surmenés, maintenant ils sont bien trop peu
nombreux pour les multiples tâches à mener de front.
L'Église a besoin d'au moins sept mille prêtres de
plus dans l'avenir immédiat. On entend régulière-
ment des critiques sur le programme des écoles théo-
logiques: étroit et périmé, il ne prépare pas le clergé
à la situation pastorale radicalement nouvelle qui l'at-
tend. L'approvisionnement en livres religieux, malgré
l'aide occidentale, est bien en-dessous des besoins.
Pendant soixante-dix ans, l'Église a été exclue de tout
le travail social et caritatif, et bien que partout elle aie
maintenant les portes ouvertes - les hôpitaux de l'État
210 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

et les maisons de retraite sont pour la plupart trop


heureuses de l'aide des croyants volontaires - les
autorités de l'Église ne sont pas expertes en la matière.
De même elles n'ont pas d'expérience du travail
organisé avec la jeunesse, ni de l'éducation religieuse
des enfants. Dans toutes ces matières, il faut partir
de zéro.

Mais ce n'est pas tout: l'Église est confrontée à


d'autres problèmes, moins tangibles mais non moins
graves dans ce qui est maintenant une société plura-
liste. L'Orthodoxie russe, sous le communisme, était,
si paradoxal que cela puisse paraître, une Église
d'Etat, protégée par les autorités autant que persé-
cutée. Maintenant, ce n'est plus le cas. Les catho-
liques et les protestants sont libres de faire du travail
missionnaire en Russie. Les orthodoxes considèrent
cela comme du prosélytisme, mais ils sont im-
puissants à l'arrêter. Toutes les sortes d'autres mou-
vements religieux ou pseudo-religieux : Hare
Krishna, l'occultisme, et même des cultes explicite-
ment sataniques, offrent eux aussi leur propre
version de la voie spirituelle à un public russe
perplexe, en quête du sens de la vie, mais qui ne sait
vers qui se tourner. Dans l'ère du post-communisme,
!'Orthodoxie russe doit affronter la concurrence de
tous les côtés.

Il y a d'autres motifs d'inquiétude. Le KGB en tant


qu'organisation, survit, plus ou moins intact, et beau-
coup de ses éléments sont hostiles à la religion. On
croit généralement que l'assassinat cruel du père
Alexandre Men (1935-1990), un prêtre énergique et
d'esprit indépendant, a été commis à l'instigation de la
police secrète. Il y a aussi des éléments sinistres à l'in-
térieur même de l'Église. L'organisation orthodoxe
Pamiat (mémoire), fortement nationaliste, au sein de
Le XX' siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 211

laquelle certains prêtres sont actifs, est plus ou moins


ouvertement anti-sémite. Malgré les condamnations
fermes d'hiérarques éminents, l'anti-sémitisme
continue à jouir d'un grand soutien dans la popula-
tion. Ceci est malheureusement vrai également dans
d'autres Églises orthodoxes.

Dans quelle mesure la hiérarchie actuelle est-elle à


même de faire face à ces difficultés ? Son autorité
morale est quelque peu amoindrie. Avec l'ouverture
des dossiers du KGB en 1992, beaucoup de laïcs ont
été scandalisés de découvrir l'étendue de la collabora-
tion sous le communisme, entre certains évêques et la
police secrète. Les laïcs ont aussi l'impression que les
évêques formés dans la période soviétique, lorsque
toutes leurs activités pastorales étaient strictement
. surveillées, sont maintenant beaucoup trop passifs
pour affronter une situation nouvelle et manquent
d'intelligence et d'imagination pour saisir les occa-
sions qui s'offrent à eux. Mais ce n'est certainement
pas le cas de certains hiérarques en vue, comme le
métropolite Kyrill de Smolensk et l'archevêque
Chrysostome d'Irkoutsk. Les opinions diffèrent quant
à la collaboration passée entre l'actuel patriarche
Alexis II (élu en 1990) et les autorités communistes,
mais l'opinion qui prévaut est qu'il a fait, en tant
qu'évêque diocésain, preuve de fermeté et d'indépen-
dance par rapport à l'Etat soviétique. Depuis son élec-
tion, l'épiscopat a canonisé certains des nouveaux
martyrs qui ont souffert sous le communisme. Pour
l'Orthodoxie russe, c'est une étape d'une grande
importance spirituelle. Trois saints en particulier ont
été canonisés : la belle-sœur du tsar Nicolas II, la
Grande-Duchesse Elisabeth, qui devint moniale après
l'assassinat de son mari par des terroristes en 1905 et
fut elle-même tuée par les bolchéviques en 1918 ; le
métropolite Vladimir de Kiev, assassiné en 1918 ; et le
212 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

métropolite Benjamin de Pétrograd, exécuté après un


procès truqué en 1922.

L'un des problèmes particulièrement épineux qui


troublent !'Orthodoxie russe est la résurgence du
catholicisme de rite oriental. En 1946, l'Église grecque-
catholique d'Ukraine, créée en 1596 par l'union de
Brest-Litovsk14 et qui comptait environ trois millions
et demi de fidèles, fut réincorporée à l'Église ortho-
doxe russe et cessa d'exister. Et bien que, sans aucun
doute, certains Ukrainiens catholiques retournèrent
volontairement à }'Orthodoxie, on ne peut guère
douter que la grande majorité désirait continuer
comme elle était, en union avec la papauté. Aucun
des évêques ukrainiens n'était en faveur de ce retour;
tous furent arrêtés et la plupart moururent en prison
ou en exil. A cause de la coercition directe et du terro-
risme policier, de nombreux clercs et laïcs choisirent
de se conformer extérieurement à l'Église orthodoxe,
tout en continuant de demeurer catholiques dans leur
for intérieur; d'autres choisirent la clandestinité. Les
hiérarques du patriarcat de Moscou, en fermant les
yeux sur la persécution de leurs frères chrétiens par
Staline et les autorités athées, furent placés dans une
situation d'équivoque peu enviable. Assurément, par
principe aucun chrétien ne devrait jamais approuver
des actes de violence contre la conscience d'autres
chrétiens. Le sort des grecs-catholiques après la
deuxième guerre mondiale est peut-être le chapitre le
plus noir dans l'histoire de la collusion du patriarcat
de Moscou avec les communistes.

Bien que poussé dans la clandestinité, le catholi-


cisme de rite oriental n'était pas exterminé. L'un des

14. Voir plus haut p. 124-125.


Le xx• siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 213

fruits de la glasnost gorbatchévienne fut la légalisa-


tion, une fois de plus, à la fin de 1989, de l'Église
grecque-catholique d'Ukraine. Déjà en 1987, il deve-
nait parfaitement clair que les grecs-catholiques
réémergeraient des catacombes et chercheraient à
récupérer les églises qui leur avaient autrefois appar-
tenu et étaient passées aux mains des orthodoxes. Si
seulement le patriarcat de Moscou avait pris l'initiative
de proposer une solution pacifique et négociée, elle y
aurait gagné une immense autorité morale, et bien des
rancœurs auraient pu être évitées. Malheureusement,
il n'y eut aucune initiative de ce genre. En 1987 et
encore en 1988, le chef de l'Église catholique
d'Ukraine, le cardinal Myroslav Lioubatchivsky,
approcha le patriarcat de Moscou, tant verbalement
que par écrit, et proposa que les deux parties, les
orthodoxes et les catholiques, fassent un geste public
et formel de pardon mutuel, mais aucune réponse ne
vint du patriarcat de Moscou. On comprend aisément
combien les grecs-catholiques trouvèrent ce silence
blessant. Maintenant le moment opportun est passé.
Depuis 1989, il y a eu par endroits d'âpres disputes,
souvent marquées par la violence, pour la possession
des bâtiments d'église. Les passions s'étant réveillées
des deux côtés, la réconciliation sera longue.

Outre le problème des relations entre les Ortho-


doxes et les Grecs catholiques en Ukraine, et en lien
étroit avec cette question, se pose celle du nationa-
lisme ukrainien. L'Ukraine est maintenant devenue un
État indépendant et donc la plupart des Ukrainiens
orthodoxes veulent que leur Eglise le soit aussi. Une
Église autocéphale ukrainienne orthodoxe avait en
fait été fondée après la révolution. A une assemblée
réunie à Kiev en 1921, les délégués, ne pouvant
trouver un hiérarque orthodoxe prêt à rejoindre le
mouvement pour l'autocéphalie, décidèrent de créer
214 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

eux-mêmes un épiscopat sans toutefois avoir


d'évêques pour célébrer les consécrations. La hiérar-
chie ukrainienne « auto-consacrée », comme on l'ap-
pelle, qui en résulta, n'a jamais été reconnue par
le reste de l'Église orthodoxe. Pour un temps, toute-
fois, l'Église ukrainienne autocéphale fleurit, avec
26 évêques, 2 500 prêtres et 2 000 paroisses, mais
dans les années trente, elle fut liquidée par Staline.
Elle revécut durant la seconde guerre mondiale sous
l'occupation allemande, cette fois avec des évêques
investis de la succession apostolique, mais fut
supprimée une fois de plus par Staline dès la fin de la
guerre. En 1989, l'Église Ukrainienne autocéphale
revécut une fois de plus avec l'appui d'un évêque
en retraite du Patriarcat de Moscou, Jean
(Bednartchouk).

Au milieu des années 1990, la situation ecclésiale de


l'Ukraine est extrêmement confuse. Les grecs-catho-
liques ont environ 2700 paroisses ; l'Église autocé-
phale orthodoxe ukrainienne, maintenant divisée en
deux groupes (dont aucun n'est reconnu par une
autre Église orthodoxe), compte environ 1500
paroisses ; le corps ecclésial orthodoxe principal,
constituant une métropole autonome reconnue par le
Patriarcat de Moscou, compte environ 5500 paroisses.
Du côté orthodoxe, la seule solution à long terme est
une Église autocéphale ukrainienne totalement indé-
pendante : ceci demanderait la reconnaissance du
Patriarcat de Moscou et aussi celle du Patriarcat
Œcuménique, dont l'Ukraine relevait jusqu'en 1686.
Mais ceci fera une énorme différence par rapport à la
situation du Patriarcat de Moscou, du fait que, dans la
période d'après guerre, pas moins des deux tiers des
églises ouvertes dans toute l'Union Soviétique étaient
situées en Ukraine, et peut-être jusqu'à 70 % des sémi-
naristes étaient ukrainiens. Pour les Orthodoxes,
Le XX: siècle.L'orthodoxie et l'athéisme militant 215

partout dans l'ancienne Union Soviétique, c'est un


temps de grands espoirs mais aussi de profonde
anxiété.

L'Europe de l'Est: un tableau varié


Espoir et anxiété, ces mots s'appliquent également
à la situation actuelle des sept autres Églises ortho-
doxes précédemment sous un régime communiste. A
l'exception de l'Église de Géorgie, leur expérience du
communisme a été plus brève que celle de l'Église
orthodoxe russe : quarante années au lieu de
soixante-dix. Les régimes communistes établis après
la deuxième guerre mondiale ont suivi les mêmes
principes généraux que ceux de l'Union Soviétique .
. L'Église a été exclue de l'action sociale et caritative.
Dans la plupart des cas, il était aussi interdit d'entre-
prendre des activités d'éducation, sauf la formation
des prêtres. Les autorités de l'Église étaient censés
soutenir le gouvernement ; des « confédérations de
prêtres .. semi-gouvernementales, furent formées sous
l'égide des communistes, et les prêtres devaient
généralement prêter un serment de loyauté aux
autorités communistes. Mais le nombre d'arrestations
de chrétiens et de fermetures d'églises variait de
pays à pays.

Les pires conditions furent celles endurées par


l'Église d'Albanie, qui avait reçu de Constantinople en
1937 l'autocéphalie. En 1967, le gouvernement
d'Enver Hodja annonça que l'Albanie était maintenant
le seul véritable État athée au monde : tous les lieux
de culte avaient été fermés et toute expression visible
de la foi religieuse éliminée. La répression s'abattit
avec la même violence sur les orthodoxes, les catho-
216 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

liques et les musulmans. Le dernier primat de l'Église


orthodoxe d'Albanie, l'archevêque Damien, mourut
en prison en 1963. En 1991, lorsque la religion
réémergea de la clandestinité, aucun évêque ortho-
doxe ne survivait et moins de vingt prêtres ortho-
doxes étaient encore en vie, dont la moitié trop
infirmes pour célébrer. Les églises sont maintenant
réouvertes, et de nouveaux prêtres ordonnés, une
petite école de théologie a été ouverte. En 1992,
l'évêque Anastase (Yannoula tos), un Grec qui a
travaillé comme missionnaire dans l'Est africain, a été
nommé archevêque de Tirana; il s'est déclaré prêt à
passer la main dès qu'un candidat albanais valable
pourra être trouvé.

A l'autre extrême, l'Église orthodoxe qui a le mieux


préservé sa structure externe sous le communisme est
l'Église de Roumanie. A la prise du pouvoir par les
communistes en 1948, peu d'églises furent fermées. Le
patriarcat de Roumanie conserva ses académies de
théologie et fut en mesure de continuer à publier des
périodique s et d'autres livres sur une grande échelle.
Cette situation favorable était due en partie aux liens
amicaux que le patriarche Justinien, en fonction de
1948 à 1977, entretenait avec les nouveaux maîtres du
pays. Parfois il s'identifiait de manière quelque peu
surprenan te à l'idéologie marxiste, mais il fut aussi un
pasteur dévoué, respecté et aimé par son troupeau
orthodoxe. Tout au long de la période communiste, le
nombre des membres du clergé en Roumanie
continua de s'accroître, et beaucoup de nouvelles
églises furent ouvertes. Sous l'inspirat ion du
patriarche Justinien, il y eut aussi un renouveau
monastique frappant, basé sur les meilleures traditions
de l'hésychasme, l'accent étant particulièrement mis
sur la prière de Jésus. L'esprit de saint Paissy
Vélitchkovsky est très vivant en Roumanie aujourd'hui
Le X.Je siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 217

et il y a de grands « startsy •, comme le père Cléophas


de Sihastria. En 1946, une nouvelle édition de la
Philocalie commença à paraître, préparée par le plus
grand théologien roumain du vingtième siècle, l'archi-
prêtre Dumitru Staniloae (1903-1993). Bien plus
qu'une simple traduction du grec, elle contient des
introductions et des notes, utilisant les travaux de la
critique occidentale, mais démontrant aussi une
compréhension toute en finesse de la spiritualité ortho-
doxe. La Philocalie roumaine en était à son onzième
volume en 1990. L'Église de Roumaine, toutefois, a dû
affronter la persécution, surtout en 1958, lorsque beau-
coup de prêtres, de moines et de moniales furent
emprisonnés, y compris le père Dumitru Staniloae.
Dans ses dernières années au pouvoir, Ceaucescu
ferma et détruisit beaucoup d'églises.

Le prix fut lourd à payer pour la relative tolérance


dont l'Orthodoxie roumaine bénéficia. La vie ecclé-
siale était étroitement surveillée dans tous ses aspects
par la police secrète, et cela signifiait, qu'au moment
de la chute de Ceaucescu en décembre 1989, l'autorité
morale de l'Église avait été gravement entamée, du fait
de sa collaboration avec le régime honni. Le
patriarche Théoctiste (élu en 1986) jugea bon de
démissionner en janvier 1990, mais il fut réinstallé par
le Saint-Synode en avril de la même année. Toutefois,
la conduite future de l'Église de Roumanie dépendra
certainement des jeunes évêques nommés depuis la
fin du communisme, comme le métropolite Daniel
(Ciobotea) de Moldavie.

Jusqu'en 1948, la Roumanie comptait un grand


nombre de grecs-catholiques, environ un million et
demi, mais cette année-là, comme leurs frères et
sœurs d'Ukraine, ils furent forcés de se réunir à
l'Église orthodoxe. Depuis 1990, ils ont refait surface
218 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

et cherché à recouvrer les propriétés appartenant à


leur communauté, et comme en Ukraine, la tension et
l'amertume ont été grandes.

L'Église de Serbie a connu, sous le communisme,


une moindre prospéri té extérieure que l'Église de
Roumanie, mais elle a préservé une plus grande indé-
pendanc e intérieure. Les églises sont moins fréquen-
tées qu'en Roumanie et, en certains endroits, il y a
pénurie de prêtres, mais le nombre d'étudiants en
théologie se préparan t au sacerdoce est nettement
plus élevé que dans les années trente. Il y a trop peu
de moines, mais comme en Grèce, on enregistre un
renouvea u du monachisme féminin. Des questions
de nationalisme, parfois exploitées par les autorités
communistes ont troublé l'unité de l'Église de Serbie
et en 1967, une Église orthodoxe macédonienne a
été fondée. Elle se considère comme autocéphale,
mais n'a été reconnu e par aucune autre Église ortho-
doxe.

L'Église serbe du vingtième siècle a produit d'in-


nombrables martyrs. Certains d'entre eux ont souffert
du fait des communistes, mais bien plus nombreux
furent ceux tués pendant la seconde guerre mondiale
du fait de l'infâme État fasciste de Croatie, sous le chef
oustachi Ante Pavelic, qui se réclamait de la bénédic-
tion de l'Église catholique. En Croatie et dans le reste
de là Yougoslavie, durant les années de guerre, des
21 évêques orthodoxes, 5 furent tués, 2 moururent de
mauvais traitements, 2 mourure nt en prison, cinq
autres furent empriso nnés ou chassés de leurs
diocèses; un quart des prêtres orthodoxes furent tués,
et une moitié environ emprisonnés. En Croatie, la
moitié de la population serbe périt et beaucou p d'or-
thodoxe s furent converti s par la force et sous la
menace des armes au catholicisme romain. Ces souve-
Le XX! siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 219

nirs étaient très vivaces dans les esprits des Serbes


lorsqu'une Croatie indépendante revit le jour en 1991
et commença d'emblée à prendre des mesures de
répression contre les églises et le clergé orthodoxes
serbes sur son territoire. Mais il faut savoir gré à la
hiérarchie serbe, sous la conduite du révéré
patriarche Pavle (élu en 1990), d'avoir condamné les
atrocités commises par les envahisseurs, l'armée
serbe et les irréguliers serbes, en Croatie et en
Bosnie. « L'Église serbe - le patriarche a particulière-
ment insisté là-dessus dans son message de Pentecôte
1992 - n'a jamais enseigné à son peuple de s'emparer
des biens des autres et de les tuer pour obtenir leurs
biens, mais simplement de défendre ses propres
sanctuaires ...

Dans les quatre autres Églises orthodoxes autrefois


sous domination communiste, les relations avec l'État
ont été très semblables à celles qui prévalaient en
Russie. Depuis l'arrivée au pouvoir des communistes
en 1944, l'Église orthodoxe de Bulgarie a suivi étroite-
ment la politique du Patriarcat de Moscou. A l'évi-
dence, au début des années quatre-vingt, la fréquen-
tation des églises en Bulgarie était bien moindre qu'en
Roumanie ou en Serbie. Les monastères étaient
dépeuplés, même si certains couvents féminins comp-
taient de jeunes sœurs. Avec le rétablissement de la
liberté, un groupe de six évêques bulgares a eu le
courage, en juillet 1990, de poser publiquement un
geste de repentir pour demander le pardon de leurs
fautes et de leurs compromis sous le régime commu-
niste; mais le chef de l'Église de Bulgarie, le patriarche
Maxime (élu en 1991) n'était pas de leur nombre.
Avec la chute du communisme, espérons que des
forces de renouveau réémergeront maintenant à l'inté-
rieur de !'Orthodoxie bulgare.
220 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

L'Église de Géorgie elle aussi était jusque très récem-


ment étroitement dépendante de Moscou. Fondée dès
le début du quatrième siècle grâce au témoignage
missionnaire d'une femme, sainte Nino « égale-aux-
Apôtres », elle fut quelque temps sous la juridiction du
patriarcat d'Antioche, mais elle conquit son auto-
nomie au huitième siècle, et sa complète autocéphalie
vers 1053. Incorporée dans l'Église russe en 1811, elle
réaffirma son indépendance en 1917. Son autocé-
phalie fut officiellement reconnue par Moscou en
1943 et par Constantinople en 1990. Des 2455 églises
ouvertes en Géorgie en1 1917, moins de cent l'étaient
encore vers 1980; mais avec l'arrivée de la glasnost, on
assiste à un modeste renouveau. En 1992, outre le
patriarche-catholicos Élie II (élu en 1977), il y avait
quatorze évêques diocésains.

L'Église orthodoxe de Pologne reçut l'autocé-


phalie du Patriarcat Œcuménique en 1924. Dans
l'entre-deux-guerres, elle comptait environ quatre
millions de fidèles, mais avec la modification des fron-
tières en 1939, la plupart d'entre eux se retrouvèrent
en territoire soviétique. Dans les années trente, elle
eut à souffrir beaucoup de tracasseries de la part du
gouvernement catholique clérical de Pilsudski, et de
nombreuses églises furent fermées. Après la prise du
pouvoir par les communistes en 1948, le chef de
l'Eglise orthodoxe de Pologne, le métropolite Dionizy,
fut déposé et placé en résidence surveillée, et les
Polonais orthodoxes durent demander une nouvelle
fois l'autocéphalie au Patriarcat de Moscou, qui les
contrôla étroitement jusqu'aux années quatre-vingt.
On compte actuellement environ 250 paroisses
desservies par 325 prêtres. Tous les témoignages
concordent pour dire que la vie de l'Église orthodoxe
est actuellement en plein essor, et elle comporte un
mouvement de jeunesse actif.
Le XX! siècle. L'orthodoxie et l'athéisme militant 221

L'Église orthodoxe de République Tchèque et de


Slovaquie a été étroitement liée au patriarcat
de Moscou depuis 1946. Elle a reçu l'autocéphalie
de Moscou en 1951, mais ceci n'a pas encore
été reconnu par Constantinople. Dans l'entre-
deux guerres, elle était placée sous la conduite de
l'évêque Gorazd, à l'origine un prêtre catholique
romain, consacré évêque orthodoxe en 1921 et assas-
siné par les Allemands en 1942; il a été canonisé
en 1987. Le nombre des fidèles s'accrut nettement
en 1950, lorsque les grecs-catholiques de Slovaquie,
environ 200 000, furent forcés de rejoindre l'Église
orthodoxe. Mais la plupart d'entre eux rejoigni-
rent l'Église grecque-catholique lorsque celle-ci
fut rétablie lors du printemps de Prague en 1968.
Après la chute du communisme, le gouvernement
restitua aux catholiques la plupart des édifices du
culte qui étaient utilisés par les orthodoxes.
L'Orthodoxie tchèque, morave et slovaque mène
un combat difficile pour construire de nouveaux
lieux de culte.

Pour la plupart des chrétiens orthodoxes, au ving-


tième siècle, le communisme a été l'ennemi. Mais
il est sage de rappeler que notre ennemi, loin
d'être seulement en dehors de nous, est également
au dedans. Comme Soljénitsyne l'a découvert
au camp où il était détenu, nous ne devrions
pas simplement projeter le mal sur les autres,
mais le débusquer aussi dans notre propre
cœur:

« Peu à peu j'ai découvert que la ligne de partage

entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni


les classes, ni les partis, mais qu'elle traverse le cœur
de chaque homme et de toute l'humanité. Cette ligne
est mobile, elle oscille en nous avec les années.
222 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Dans un cœur envahi par le mal, elle préserv e


un bastion du bien. Dans le meilleur des cœurs, un
coin d'où le mal n'a pas été déracinét5. »

15. A. Soljénits yne, L'Arcbtp el du Goulag, trad. G. et


J. Johannet, t. 2, 4• partie, Paris : éd. du Seuil, 1974, p. 459.
9
Le xxe siècle
Diaspora et mission

Tout pays étranger est notre patrie


et toute patrie nous est étrangère.
Épître à Diognète, 5

Diversité dans l'unité

Culturellement et géographiquement, l'Église ortho-


doxe paraissait jusqu'à présent quasi exclusivement
qrientale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a mainte-
qant, en-dehors des pays traditionnellement ortho-
doxes, une grande • dispersion ., dont le centre principal
s~ trouve en Amérique du Nord, et qui se ramifie dans
tgµtes les parties du monde. Les Grecs et les Russes
sqnt les plus nombreux et les plus influents, mais la
« <:fiaspora ", bien loin de se limiter à eux, comprend
également des Serbes, des Roumains, des Arabes, des
Bulgares, des Albanais et d'autres y ont aussi leur place.
Pour retracer les origines de la diaspora orthodoxe,
il faut remonter assez loin. La première église grecque
à,\Londres fut ouverte dès 1677, dans le quartier alors
résidentiel de Soho. Elle eut une existence brève mais
224 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

troublée et fut fermée en 1682. Henry Compton,


l'évêque anglican de Londres, défendit aux Grecs
d'avoir une seule icône dans l'église et exigea que le
clergé s'abstienne de toutes prières adressées aux
saints, qu'il désavoue le concile de Jérusalem de 1672
et rejette la doctrine de la transsubstantiation. Quand
le patriarche de Constantinople protesta contre ces
exigences auprès de l'ambassadeur anglais, Sir John
Finch, ce dernier rétorqua qu'il était « illégal pour
toute église ouverte au public en Angleterre d'ex-
primer des croyances papistes, et qu'il était aussi inad-
missible de les professer en grec qu'en latin !1 .. Le lieu
de culte suivant fondé à Londres par des orthodoxes,
la chapelle de !'Ambassade russe, ouverte vers 1721,
jouissait de l'immunité diplomatique, et l'évêque
anglican de Londres n'avait donc pas à se préoccuper
de ce qui s'y passait. Au XVIIIe siècle, cette chapelle fut
utilisée par les Grecs et par les convertis anglais aussi
bien que par les Russes. En 1838, les Grecs purent
ouvrir une église à Londres sans aucune restriction
irritante de la part des autorités anglicanes.
Il y eut une présence orthodoxe sur le continent
nord-américain dès le milieu du xvme siècle. Les
explorateurs russes Behring et Tchirikov furent en vue
des côtes de l'Alaska le 15 juillet 1741 et cinq jours
plus tard, le jour de la fête du saint prophète Elie, la
première liturgie orthodoxe en Amérique était célé-
brée dans la baie de Sitka à bord du bateau le Saint-
Pierre. Quelques années plus tard, en 1768, un groupe
nombreux de Grecs arrivait en Floride pour fonder la
colonie de New Smyrna, mais l'aventure se termina
par un échec retentissant2.

1. Voir E. Carpenter, Tbe Protestant Bishop, Londres 1956,


p. 357-364.
2. Voir E.P. Panagopoulos, New Smyrna : an Etghteenth
Century Greek Odyssey, Gainesville 1966.
Le XX' siècle. Diaspora et mission 225

Mais si la diaspora en elle-même n'est pas quelque


chose de nouveau, ce n'est cependant qu'au ving-
tième siècle que la diaspora a pris des proportions qui
font maintenant de la présence orthodoxe un facteur
important dans la vie religieuse des pays non-ortho-
doxes. Même aujourd'hui, du fait des divisions natio-
nales et juridictionnelles, l'influence de la diaspora est
loin d'être aussi importante qu'elle le devrait.
L'événement le plus important dans l'histoire de la
dispersion a été la révolution bolchévique qui a
contraint à l'exil plus d'un million de Russes, dont une
grande partie de l'élite culturelle et intellectuelle de la
nation. Avant 1914, la majorité des orthodoxes
émigrés, qu'ils fussent Grecs ou Russes, était pauvre et
peu instruite, paysans et travailleurs manuels en quête
d'une terre ou d'un emploi. Mais dans la grande vague
des exilés de la Révolution russe, il y avait des
hommes parfaitement armés intellectuellement pour
établir avec l'Occident des contacts scientifiques, et
présenter !'Orthodoxie d'une manière dont la plupart
des immigrants précédents étaient manifestement
incapables. La production intellectuelle de l'émigra-
tion russe après 1917, en particulier les premières
années, a été stupéfiante: on a calculé que dans les
deux décennies de l'entre-deux-guerres, les émigrés
ont publié dix mille livres et deux cents périodiques,
sans compter les revues littéraires et scientifiques.
Aujourd'hui, la seconde et la troisième générations
des Grecs en Occident, spécialement aux États-Unis,
prennent une part de plus en plus active à la vie intel-
lectuelle et professionnelle de leurs pays d'adoption.
Sur le plan religieux, l'émigration orthodoxe s'est
organisée en fonction de critères nationaux. Au XIX" et
au début du XX" siècle, la première initiative venait
généralement non d'en haut mais d'en bas, des laïcs
plutôt que de la hiérarchie. Des immigrants se grou-
paient, invitaient un prêtre de leur pays d'origine et
226 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

une paroisse se formait. Souvent c'était bien plus tard


qu'un évêque était impliqué dans cette affaire. Pour la
première génération, l'église paroissiale était leur lien
principal avec la mère-patrie; c'était l'endroit où ils
pouvaient parler leur langue maternelle, l'arche et le
gardien de leurs coutumes nationales. Ainsi donc,
pour des raisons parfaitement compréhensible s,
!'Orthodoxie en Occident avait dès le début un carac-
tère ethnique très marqué.
La notion d'appartenance nationale est certaine-
ment un don de Dieu. Alexandre Soljénitsyne avait
raison de dire en 1970, dans son Discours Nobel:
« Les nations sont la richesse de l'humanité, ses
personnalités collectives, la plus infime d'entre elles a
sa coloration particulière et porte en elle un reflet
particulier de l'intention divine3 ... Malheureusement
toutefois, dans la vie religieuse de la diaspora, on a
laissé les loyautés nationales, légitimes en elles-
mêmes, prendre le pas sur la catholicité orthodoxe et
cela a causé une fragmentation dommageable des
structures ecclésiales. Au lieu d'un seul diocèse à
chaque endroit, sous un seul évêque, presque partout
en Occident il s'est établi une multitude de juridictions
parallèles avec plusieurs évêques orthodoxes côte à
côte dans les grandes villes. Quelles que soient les
causes historiques de ce phénomène, cela est certai-
nement contraire à la conception orthodoxe de
l'Église. Le patriarche œcuménique Dimitrios, lors de
sa visite aux États-Unis en 1990, avait parfaitement
raison de parler des divisions ethniques de
!'Orthodoxie américaine comme d'un « véritable scan-
dale •. Aujourd'hui beaucoup d'entre nous aimeraient
voir dans chaque pays d'Occident une seule Église

3. _A. Soljénitsyne, • Discours de Stockholm •, [in:) Les Droits


de /'Ecrivain, Paris: éd. du Seuil, (.Points; Essais; 38 •), 1972,
p. 109-110.
Le x.xe siècle. Diaspora et mission 227

locale englobant tous les Orthodoxes dans une orga-


nisation unifiée : les paroisses pourraient préserver
leur caractère ethnique si elles le désiraient, mais
toutes reconnaîtraient le même hiérarque local et tous
les hiérarques de chaque pays siègeraient les uns aux
côtés des autres en un seul synode.
Malheureusement ceci n'est encore qu'un espoir
lointain. Les divisions ethniques se révèlent difficiles à
transcender.
En plus de ces divisions ethniques, il y a également
des fractionnements à l'intérieur de beaucoup des
groupes nationaux : et spirituellement ceux-ci ont un
effet bien plus dommageable sur la vie de l'Ortho-
doxie en Occident que les divisions ethniques. Depuis
1922, à part certaines tensions locales, l'émigration
grecque a été ecclésialement plus ou moins unie au
sein du Patriarcat œcuménique. Mais les Orthodoxes
ayant fui le communisme se sont divisés dans presque
tous les cas en factions rivales, l'un des groupes main-
tenant ses liens avec l'Église mère et un autre mettant
sur pied une Église en exil indépendante. Malgré l'ef-
fondrement du communisme à la fin des années 80, la
plupart de ces schismes ne sont pas encore guéris.
L'histoire de la diaspora russe est particulièrement
complexe et tragique. Il y a quatre juridictions princi-
pales:

1. Le patriarcat de Moscou, comprenant les


paroisses de l'émigration qui ont choisi de maintenir
des liens directs avec les autorités de l'Église à l'inté-
rieur de la Russie (peut-être 30 ou 40 000 membres
dans toutes les parties de l'Occident).

2. L'Église orthodoxe russe hors de Russie, connue


~ussi comme Église hors-frontières, orthodoxe
i:usse en exil, Église orthodoxe russe à l'étranger,
Eglise synodale, Synode de Karlovtsy (peut-être
228 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

150 000 membres), dirigée actuellement par le métro-


polite Vitaly (élu en 1986).

3. L'archidiocèse russe orthodoxe en Europe occi-


dentale, sous la juridiction du patriarcat œcuménique,
connu aussi comme « juridiction de Paris» (peut-être
50 000 membres), dirigé actuellement par l'arche-
vêque Serge (élu en 1993).

4. L'Église grecque-orthodoxe russe d'Amérique,


connue aussi sous la dénomination de Métropole. En
1970 elle est devenue l'Église Orthodoxe en Amérique
(Orthodox Church of America, OCA) qui rassemble
un million de fidèles et qui est dirigée actuellement
par le métropolite Théodose (élu en 1977).

Quelle est l'origine de ces divisions? Le 20 novem-


bre 1920, le patriarche de Moscou, saint Tikhon, publia
un décret autorisant les évêques de l'Église russe à
établir, temporairement, des organisations indépen-
dantes au cas où il leur deviendrait impossible de
rester en relations avec le patriarcat. Après l'effondre-
ment des armées blanches, les évêques orthodoxes en
exil décidèrent de mettre en pratique les termes de ce
décret, même si on peut se demander si le patriarche
Tikhon avait l'intention de l'appliquer au-delà des fron-
tières de la Russie. Une première réunion eut lieu à
Constantinople en 1920 et ensuite en 1921, avec
l'appui du patriarche Dimitrije de Serbie, un concile fut
convoqué à Sremski Karlovci (Karlovtsy) en Serbie.
Une administration temporaire pour les Russes ortho-
doxes en exil fut mise sur pied sous l'autorité d'un
synode d'évêques qui devait se réunir tous les ans à
Karlovtsy. Le premier président du Synode de
Karlovtsy fut l'ancien métropolite de Kiev Antony
Khrapovitsky (1863-1936), l'un des théologiens les plus
audacieux et les plus originaux de la hiérarchie russe
Le XX!' siècle. Diaspora et mission 229

cle l'époque. Parmi ses autres clécisions, le Synode de


Karlovtsy de 1921 vota une motion - contre le souhait
de nombreux participants - appelant à la restauration
cle la clynastie Romanov sur le trône de Russie.
L'attitude véhémentement anti-communiste cles
évêques cle Karlovtsy plaça le patriarche Tikhon dans
une position délicate. En 1922, il ordonna la dissolu~
tion du Synode mais les évêques le reconstituèrent
pratiquement sous la même forme. Les évêques de
Karlovtsy rejetèrent totalement la déclaration de 1927
du métropolite Serge, le locum tenens du patriarche,
alors que de son côté Serge déclarait en 1928 tous les
actes du synode de Karlovtsy nuls et non avenus.
Après la seconde guerre mondiale, le Synode se
déplaça à Munich et, depuis 1949, il siège à New-
York. En 1990 le Synode étendit son travail à l'an-
cienne Union Soviétique, consacra deux évêques et
établit des paroisses à Moscou, Saint-Pétersbourg et
ailleurs; le Synode en Russie s'appelle l'Église ortho-
doxe russe libre. Naturellement ce pas franchi a
conduit à un regain de tension entre le Synode et le
Patriarcat de Moscou.
Depuis 1960 environ, le Synode a été de plus en
plus isolé, bien qu'il maintienne des liens avec l'Église
serbe. Cet état de séparation a été dans une large
mesure le choix du Synode lui-même. Les chefs
éprouvent fortement le sentiment que les autres
Églises orthodoxes compromettent la foi véritable en
participant au Mouvement œcuménique. Quelles
qu'en soient les raisons, l'isolement du Synode est
certainement très regrettable. Il a conservé avec une
fidélité pleine d'amour les traditions ascétiques,
monastiques et liturgiques de la Russie orthodoxe et
cette spiritualité traditionnelle est une chose dont
l'Orthodoxie occidentale a grand besoin.
A l'origine, tous les évêques russes en exil
essayaient de travailler avec le Synode de Karlovtsy,
230 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

mais à partir de 1926, des divisions internes conduisi-


rent à la formation des troisième et quatrième groupes
mentionnés ci-dessus. La juridiction de Paris doit son
origine à l'évêque russe de Paris, le métropolite
Euloge (1864-1946), que le patriarche Tikhon avait
nommé son exarque en Europe Occidentale. Euloge
rompit avec le Synode de Karlovtsy en 1926-27; puis
en 1930 il fut démis de ses fonctions par le locum
tenens du patriarche, le métropolite Serge, parce qu'il
avait pris part à un office de prière célébré, à l'abbaye
de Westminster à Londres, à l'intention des Chrétiens
persécutés <l'Union Soviétique. En 1931, Euloge en
appela au patriarche œcuménique Photius II, qui le
reçut, lui et ses paroisses, dans la juridiction de
Constantinople. Euloge retourna à la juridiction de
Moscou en 1945, peu avant sa mort, mais la grande
majorité des fidèles choisit de demeurer sous
Constantinople. Malgré les difficultés entre 1965 et
1971, l'Archidiocèse russe de Paris se trouve toujours
sous la juridiction du patriarcat œcuménique.
Le quatrième groupe est formé par la métropole
nord-américaine. Après la révolution, la position des
Russes en Amérique se trouva légèrement différente
de celle des émigrés russes partout ailleurs, car, seule
de tous les pays, l'Amérique possédait, dès avant
1917, des diocèses organisés avec des évêques rési-
dents. Le métropolite Platon de New York se sépara,
comme Euloge, du Synode de Karlovtsy après 1926. Il
avait déjà, en 1924, coupé tout contact avec le
patriarcat de Moscou, et ainsi les Russes aux États-
Unis se trouvèrent de facto former un groupe auto-
nome. Entre 1935 et 1946 la Métropole maintint des
liens avec le Synode de Karlovtsy, mais au Synode de
Cleveland en 1946, la majorité des délégués votèrent
pour retourner à la juridiction du patriarcat de
Moscou, à la condition que Moscou leur permette de
conserver « leur autonomie complète dans sa forme
Le~ siècle. Diaspora et mission 231

actuelle •. A cette époque, le Patriarcat était dans l'im-


possibilité d'y consentir. En 1970, toutefois, l'Église de
Russie accorda à la Métropole non pas une simple
autonomie, mais l'autocéphalie. Cette Église autocé-
phale orthodoxe ~en Amérique a été formellement
reconnue par les Eglises de Bulgarie, de Géorgie, de
Pologne et de Tchécoslovaquie, mais pas encore par
Constantinople et aucune autre Église orthodoxe. Le
Patriarcat œcuménique considère qu'il a seul le droit-
de commun accord avec les autres Églises ortho-
doxes - d'établir une Église autocéphale en Amérique.
Mais malgré cette controverse non encore résolue,
l'OCA continue son existence en pleine communion
avec les Églises orthodoxes.

L'Orthodoxie occidentale

Sans vouloir être exhaustif, examinons brièvement


les communautés orthodoxes en Europe occidentale,
en Amérique du Nord et (plus succinctement) en
Avstralie. En Europe Occidentale, le principal centre
intellectuel et spirituel est Paris. C'est là qu'est établi le
fameux Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge
(sous la juridiction de l'archevêché russe de Paris).
Fondé en 1925, il a toujours été un point de rencontre
important entre orthodoxes et non-orthodoxes. Dans
l'éntre-deux-guerres, l'Institut a compté parmi ses
professeurs un groupe particulièrement brillant d'éru-
dits. Mentionnons !'archiprêtre Serge Boulgakov
(1871-1944), premier recteur; l'évêque Cassien
Bezobrazov (1892-1965); son successeur Anton V.
Kartachov (1875-1960); Georges Fedotov (1886-1951)
ét Paul Evdokimov (1901-1970). Parmi ses professeurs
actuels, on trouve Constantin Andronikof, le père
Boris Bobrinskoy (doyen depuis 1993) et !'écrivain
232 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

orthodoxe français Olivier Clément. Trois professeurs,


les pères Georges Florovsky 0893-1979), Alexandre
Schmemann 0921~1983) et Jean Meyendorff 0926-
1992) se sont établis en Amérique où ils ont joué un
rôle déterminant dans le développement de
l'Orthodoxie américaine. La liste des livres et articles
publiés par les professeurs de l'Institut entre 1925 et
1947 couvre 92 pages de catalogue et comprend,
entre autres, 70 livres importants: c'est une réalisation
remarquable avec laquelle peu d'académies de théo-
logie, si grandes soient-elles, pourraient rivaliser dans
aucune autre Église. Saint-Serge est aussi connu pour
son chœur, qui a beaucoup contribué à la renaissance
des anciens chants liturgiques de Russie. Presque
entièrement russe entre les deux guerres, l'Institut
attire maintenant des étudiants de beaucoup d'autres
nationalités, et l'enseignement est donné essentielle-
ment en français. Il y a actuellement plus de cinquante
étudiants à plein temps et 400 autres environ suivent
des cours par correspondance.
Le patriarcat de Moscou a donné lui aussi une
contribution remarquable à la vie orthodoxe en
Europe occidentale. Parmi ses théologiens on comp-
tait Vladimir Lossky 0903-1958), l'archevêque Basile
Krivochéine (1900-1985), l'évêque Alexis van der
Mensbrugghe 0899-1980), ancien moine bénédictin.
Nicolas Lossky, le fils de Vladimir, est un spécialiste
de Lancelot Andrewes, théologien anglican du XVIIe
siècle dans la pensée duquel il a discerné des affinités
frappantes avec l'orthodoxie4. Léonide Ouspensky
(1902-1987) a exercé une influence considérable
comme iconographe et comme théologien de l'icôneS,

4. Nicolas Lossky, Lancelot Andrewes le prédicateur (1555-


1626), Paris: éd. du Cerf, 1986.
5. L. Ouspensky, La théologie de l'tcOne dans l'Église ortho-
doxe, Paris: éd. du Cerf, 1980.
Le xxe siècle. Diaspora et mission 233

tandis que le moine iconogr aphe Grégoire Kroug


(1909-1969) a fait la preuve, dans son travail, qu'une
loyauté à la traditio n iconog raphiq ue peut se
combin er avec une large mesure de créativité artis-
tique6. En Grande-Bretagne, le chef du diocèse du
patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine (Bloom)
de Souroge est très respecté pour son enseignement
sur la prière. Son diocèse est celui qui en Grande
Bretagne utilise le plus l'anglais comme langue litur-
gique et sa conférence diocésaine annuelle donne la
preuve d'une étroite collaboration entre le clergé et
les laïcs.
L'Orthodoxie occidentale n'a pas encore produit
beauco up de compos iteurs de musiqu e religieuse,
mais il y a au moins une excepti on notable , le
converti britannique John Tavener. Connu à l'origine
pour sa musique profane, il se consacre maintenant
exclusivement à la musique religieuse, et se livre à des
expérie nces créatrices avec les huit tons traditionnels
de l'hyrnnographie byzantine et le chant russe ancien,
qu'il transpo se dans un idiome qui pour être en
dehors du temps n'en est pas moins contemporain. En
résumant son approch e de son travail il a observé :
• Je dirais que le dictum de tout l'art sacré chrétien
doit être comme saint Paul l'a exprimé dans un autre
context e : "Ce n'est pas moi qui vis, mais le Christ qui
vit en moi"»
L'Orthodoxie en Grande Bretagne est particulière-
ment bénie par la présen ce d'une commu nauté
monastique en expansion, comportant des moines et
des moniales, à Tolleshunt Knights dans l'Essex (sous

6. Voir Grégoire Kroug, Les carnets d'un petntre d'icônes,


Lausanne: L'Age <l'Homme, 1983 ; Myslt ob ikone, Paris : Ymca-
Press, 1978 [même texte en russe, plus un important album d'illus-
trations] ; Andrew Tregubov, 1be Ligbt of Christ, Iconography of
Gregory Kroug, New York 1990.
234 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

la juridiction du Patriarcat Œcuménique). Fondée par


l'archimandrite Sophrony (1896-1993), disciple de
saint Silouane de l'Athos, elle réserve une place
centrale à la Prière de Jésus. Le monastère reçoit beau-
coup de pèlerins, spécialement des Cypriotes grecs
qui forment la grande majorité des Orthodoxes en
Grande Bretagne. En France il y a deux couvents de
femmes établis de longue date : à Provement en
Normandie (juridiction de l'Église hors-frontières) et à
Bussy-en-Othe (Patriarcat Œcuménique). L'archiman-
drite Placide Deseille (ancien moine trappiste) a fondé
deux communautés, l'une de moines, l'autre de
moniales, à Saint Laurent en Royans ; elles forment
une dépendance du monastère athonite de Simonos
Petras.
L'archimandrite Lev (Gillet) (1893-1980) fut une
figure emblématique de !'Orthodoxie en Europe
Occidentale7. Ce Français signait ses livres• Un moine
de l'Église d'Orient •. D'abord prêtre catholique de rite
oriental, il fut reçu dans l'Orthodoxie en 1928 et plus
tard il fut l'aumônier orthodoxe, à Londres, de la
Fellowship of St Alban and St SergiusB. Il a exprimé
mieux que d'autres le paradoxe de l'Église orthodoxe
au vingtième siècle : • 0 étrange Église orthodoxe, si
pauvre et si faible, à la fois si traditionnelle et si libre,
si archaïque et si vivante, si ritualiste et si personnelle-
ment mystique, Église où la perle de grand prix de
l'Évangile est précieusement conservée, parfois sous
une couche de poussière; Église qui souvent n'a pas
su agir, mais qui sait chanter comme nulle autre, la
joie de Pâques9 ·.

7. Voir la monograp_hie que lui a consacrée Élisabeth Behr-


Sigel, Un Moine de l'Eglise d'Orient, le Père Lev Gillet, Paris:
éd. du Cerf, 1993.
8. Voir p. 412.
9. E. Behr-Sigel, op. cit., p. 173.
Le XX' siècle. Diaspora et mission 235

En Amérique du Nord (USA et Canada), il y a entre


deux et trois millions d'Orthodoxes, plus de quarante
évêques et environ 2250 paroisses dépendant d'au
moins quinze juridictions différentes. Les Russes,
comme nous l'avons vu, furent les premiers arrivants
orthodoxes sur le continent américain. En 1794 une
mission ecclésiastique fut établie en Alaska - qui fit
partie de l'Empire russe jusqu'en 1867 - par un
groupe de moines de Valamo, le monastère sur le lac
Ladoga. L'un d'eux, le père Germain (tl836) l'ermite
de Spruce Island, fut particulièrement aimé par les
indigènes. Le travail missionnaire en Alaska fut orga-
nisé sur un fondement solide par saint Innocent
(Veniaminov) qui travailla en Alaska de 1824 à 1853,
d'abord comme prêtre, ensuite comme évêque. Il s'in-
téressait tout particulièrement aux coutumes et aux
croyances des indigènes et ses écrits dans ce domaine
demeurent une source directe pour l'ethnographie
moderne. Suivant la tradition des saints Cyrille et
Méthode, il s'empressa de traduire les Évangiles et la
Liturgie en aléoute. Il cherchait à former des prêtres
indigènes et en 1845, il fonda un séminaire à Sitka.
Doué d'une grande force physique, voyageur infati-
gable, il entreprit des expéditions missionnaires qui
duraient des années, dans des conditions extrême-
ment dures, jusqu'aux îles les plus isolées, navigant
par une mer démontée sur de frêles embarcations
indigènes, .. sans même une planche pour vous sauver
de la mort .. , simplement faites de peaux de bêtes,
comme il le raconte lui-même.
Dans le courant du XIX" siècle, de nombreux immi-
grants orthodoxes - Grecs, Slaves, Roumains, Arabes
- commencèrent à s'installer sur la côte est de
l'Amérique et petit à petit à se déplacer vers l'ouest.
En 1891 et dans les années suivantes, de nombreux
catholiques de rite oriental, conduits par saint
Alexis Toth (1854-1909), rejoignirent l'archidiocèse
236 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

orthodoxe russe, essentiellement parce que la hiérar-


chie catholique romaine leur dénia le droit de
conserver des prêtres mariés. Du temps de saint
Tikhon, le futur patriarche de Moscou, qui vécut neuf
ans (1898-1907) en Amérique, l'archidiocèse russe prit
un caractère de plus en plus multi-national et en 1904
un Syrien, Raphaël (Hawaweeny), fut consacré
évêque auxiliaire chargé de la communauté ortho-
doxe arabe. Saint Tikhon encouragea l'usage de l'an-
glais dans les célébrations et la publication de traduc-
tions liturgiques, en particulier le fameux Seroice Book
préparé par Isabelle Florence Hapgood.
Jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, !'ar-
chidiocèse russe était la seule présence orthodoxe
organisée en Amérique du Nord et la plupart des
paroisses orthodoxes, quel que soit leur caractère
ethnique, avait recours à l'archevêque russe et ses
évêques auxiliaires pour la guidance pastorale. Bien
que cela n'ait jamais été accepté officiellement par le
Patriarcat œcuménique et l'Eglise de Grèce, l'unité
canonique et de l'organisation existait bel et bien en
fait. Mais après la révolution de 1917, la confusion
s'installa. Les Russes se divisèrent en groupes hostiles,
même si la majorité demeura dans la métropolelO. Un
archevêché orthodoxe grec séparé fut instauré en
1922 ; puis les autres groupes nationaux suivirent le
mouvement en établissant leurs propres diocèses.
C'est l'origine de cette multiplicité de juridictions,
étonnante pour les orthodoxes américains eux-mêmes
ainsi que pour les observateurs extérieurs.
Le plus grand groupe orthodoxe en Amérique
du Nord est !'archidiocèse grec qui comporte environ
475 paroisses. Miné par les divisions internes dans les
années 1920, il fut réorganisé et unifié entre 1931 et

10. Voir ci-dessus, p. 230-231.


Le XX! siècle. Diaspora et mission 237

1948 par l'archevêque Athénagoras qui devint plus


tard patriarche de Constanti nople. L'archevê que
Iakovos, qui fut de 1959 à 1996 à la tête de ce diocèse,
a considérablement payé de sa personne pour faire
largement connaître et respecter l'Orthodo xie en
Amérique. Depuis 1996, l'archidiocèse grec est dirigé
par l'archevêq ue Spyridon. Le deuxième par son
importance numérique, après l'archidiocèse grec, est
l'Église Orthodoxe en Amérique (OCA), l'ancienne
métropole russe, maintenant largement multinationale
et dont l'anglais est la principale langue liturgique.
Son clergé compte de très nombreux convertis. Le
troisième en importance est l'archidiocèse antiochien
(faisant partie du patriarcat d'Antioche), dirigé par le
dynamiqu e métropolite Philippe. En 1986, il reçut
dans sa communio n un groupe d'anciens protestants
dirigé par Peter Gillquist, l'Église orthodoxe évangé-
lique. Au Canada, la plus nombreus e communauté
orthodoxe est l'Ukrainienne. Canoniquement isolée
durant de nombreuses années, elle fut reçue en 1991
par le Patriarcat Œcuménique.
Les Orthodoxe s en Amérique ont dix écoles de
théologie, dont les mieux connues sont Saint-Vladimir
à Crestwood dans la banlieue de New York (OCA) et
Sainte-Croix à Brookline, près de Boston (archidio-
cèse grec). La première publie sa revue théologiqu e:
Saint Vladimir's 1beological Quarter/y, la deuxième
édite Tbe Greek Orthodox 1beological Review. Parmi
les théologiens orthodoxes à l'ceuvre en Amérique du
Nord aujourd'hu i, on compte l'archevêq ue Pierre
(L'Huillier) (OCA), le père Thomas Hopko, le père
John Breck et John Erickson (Saint Vladimir), le père
Joseph Allen (archidioc èse antiochien ), l'évêque
Maximos de Pittsburgh (archidiocèse grec) et le père
Stanley Harakas (Séminair e Sainte-Croix). La vie
monastiqu e a trouvé un terrain pierreux et dur en
Amérique du Nord. Si saint Théodore le Studite avait
238 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

raison de dire que « les moines sont les nerfs et les


fondements de l'Églisell » on a quelques motifs d'in-
quiétude pour !'Orthodoxie en Amérique. La vie
~onastique est la plus forte dans la juridiction de
l'Eglise hors-frontières, où le principal monastère est
celui de la Sainte-Trinité à Jordanville dans l'État de
New York (qui abrite aussi un séminaire). L'OCA a
depuis longtemps un monastère Saint-Tikhon à South
Canaan en Pennyslvanie (qui abrite lui aussi un sémi-
naire). Dans l'archidiocèse grec, peu après 1990, une
dizaine de petites communautés, essentiellement
féminines, ont été établies par le père Éphrem, ancien
Abbé du monastère de Philotheou au Mont Athos.
L'émigration orthodoxe en Australie est beaucoup
plus récente que la diaspora nord-américaine et les
paroisses orthodoxes australiennes ont été fondées,
pour la plupart, après la deuxième guerre mondiale.
L'archidiocèse grec est l'entité la plus large avec plus
de 121 paroisses et un collège de théologie récem-
ment inauguré à Sydney. Il y a aussi beaucoup de
paroisses russes (surtout synodales) et une importante
présence arabe (Patriarcat d'Antioche).
La diaspora orthodoxe est confrontée à deux
problèmes essentiels. Le premier est la transition
d'une première génération d'immigrants orthodoxes à
une deuxième génération d'orthodoxes nés et élevés
en Occident. La première génération d'immigrants,
même si elle ne pratique pas toujours sa foi d'une
manière active, conserve dans la plupart des cas
jusqu'à la mort le sentiment d'appartenance ortho-
doxe. Mais qu'en est-il de la deuxième génération?
Va-t-elle rester fidèle à son héritage orthodoxe ou va-
t-elle grandir dans l'indifférence et s'assimiler à la
société séculière occidentale qui l'entoure ? En

11. Petites catéchèses, 114; trad. Mohr, (• Les Pères dans la Foi;
52 •), Paris 1993, p. 246.
Le XX' siècle. Diaspora et mission 239

Amérique du Nord, où une proportion notable des


immigrants est arrivée avant la première guerre
mondiale, la plupart des groupes orthodoxes ont déjà
passé le stade de cette transition culturelle cruciale de
la première génération à la seconde. Les pertes ont été
immenses, mais l'Orthodoxie a survécu. Mais en
Europe occidentale et en Australie, la grande vague
des immigrants est arrivée seulement a près la
deuxième guerre mondiale et la transition est loin
d'être achevée.
Pour assurer cette transition il est vitale pour tous
les groupes orthodoxes de recruter leur futur clergé
parmi les jeunes orthodoxes nés et formés en
Occident, plutôt que de les importer déjà formés dans
le pays d'origine. Il est encore plus important que la
langue locale (le français, l'anglais, l'allemand etc.)
soit largement utilisée dans les offices. Sans cela les
jeunes vont s'en aller, se sentant étrangers à une Église
qui semble plus se préoccuper de maintenir la langue
et la culture du pays d'origine que de prêcher la foi
chrétienne. Malheureusement les autorités orthodoxes
en Occident, soucieuses de préserver leur héritage
national, ont été généralement lentes à établir la
langue locale vernaculaire dans les offices. En
Amérique du Nord, l'anglais est maintenant largement
employé dans l'OCA, l'archidiocèse antiochien et de
nombreuses paroisses grecques. Mais en Grande
Bretagne, la plupart des paroisses grecques n'utilisent
pas du tout l'anglais à l'heure actuelle.

Le second problème manifeste auquel la diaspora


est confrontée est sa division en juridictions. Si
compréhensible que cela puisse être d'un point de
vue historique, cela nuit au travail pastoral de l'Église
orthodoxe parmi ses propres membres en Occident
ainsi qu'au témoignage de !'Orthodoxie occidentale
face au monde extérieur. Les laïcs et le clergé se
240 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

demandent avec une frustration croissante : quand


donc serons-nou s visiblement unis ? Comment
pouvons-nou s porter témoignage plus efficacement
de l'universalité de }'Orthodoxie? Un début de solu-
tion a été apporté par l'établissement de comités inter-
épiscopaux dans la plupart des pays occidentaux
(mais pas encore en Grande-Bretagne). Sur le conti-
nent américain par exemple, existe une Conférence
permanente des évêques orthodoxes canoniques dans
les Amériques (en anglais Standing Conference ou
SCOBA), fondée en 1960, mais elle n'a pas été en
mesure de contribuer, aussi positivement qu'on l'es-
pérait à l'origine, à l'unité orthodoxe. Au niveau local,
partout aux USA, il y a des fraternités orthodoxes
actives, regroupant le clergé et les laïcs, qui essaient
de bâtir une amitié et une coopération par-delà les
frontières des juridictions. La Fraternité Orthodoxe en
France et la Fraternité Orthodoxe Saint Jean-Baptiste
en Grande-Bretagne effectuent un travail de même
nature. L'apport de ces organisations, implantées dans
le terreau local, peut être considérable; car l'unité des
Orthodoxes, si elle se réalise, ne viendra sans doute
pas du sommet {de décisions de conférences pan-
orthodoxes), mais bien plutôt de la base, par l'amour
mutuel et la sainte impatience du peuple de Dieu.

Il est encore un aspect de !'Orthodoxie occidentale


qui mérite d'être mentionné spécialemen t: l'existence,
bien que limitée et sous forme de tentative, d'une
orthodoxie de rite occidental (le pendant du catholi-
cisme de rite oriental, mais inverse). Au premier millé-
naire de l'histoire chrétienne, avant le schisme entre
l'Occident et l'Orient, l'Occident utilisait ses propres
liturgies, différentes du rite byzantin mais pleinement
orthodoxes. On entend souvent parler de la Liturgie
orthodoxe, alors qu'il s'agit en fait de la Liturgie byzan-
tine. Mais il ne faudrait pas la considérer comme la
Le~ siècle. Diaspora et mission 241

seule orthodoxe, car les anciennes liturgies romaine,


gallicane, celtique et mozarab e, datant d'avant le
schisme , ont leur place égaleme nt dans
la plénitude de l'Orthodoxie. Il existe des paroisses
de rite occidental aux États-Unis (dans le cadre de
l'archid iocèse antiochi en, rassemb lant environ
10 000 fidèles) et en France, où existe un groupe assez
actif, connu sous le nom <l'Église Catholiq ue-
Orthodoxe de France (ECOF). Il remonte à 1937, lors-
qu'un ancien prêtre catholique romain, Louis-Charles
Winnaert (1880-1937), qui avait reçu le sacre épiscopal
dans l'Église Libre-Catholique, fut reçu à Paris avec
son groupe dans le patriarcat de Moscou12. Par déci-
sion spéciale du locum tenens patriarcal, le métropo-
lite Serge, ils furent autorisés à continuer à utiliser le
rite occidental. Le successeur de Winnaert, le père
Eugraphe Kovalevsky (1905-1970), consacré en 1964
comme évêque Jean de Saint Denys, a établi une
liturgie basée sur le rite gallican mais incorporant
beaucou p d'éléments byzantins. L'Église Catholique-
Orthodo xe de France est assez isolée des autres juri-
dictions orthodoxes en France; elle a été accusée de
liens avec la théosophie, mais l'accusation est vigou-
reusement niée par son chef actuel, l'évêque Germain.
Après avoir été liée pendant de nombreuses années
avec le Patriarcat de Roumanie, l'ECOF n'est mainte-
nant plus reconnue par aucune Église orthodoxe et
son avenir est problématique. Depuis 1995 il existe un
certain nombre de paroisses de rite occidental en
Grande Bretagne, mais sous le patriarcat d'Antioche.

Petite minorité dans un environnement étranger, les


Orthodo xes de la Diaspora ont souvent eu à mener un

12. Lorsque Winnaert fut reçu, il était spécifié qu'il ne pourrait


officier que comme prêtre, la validité de son sacre épiscopal par
les Libres-Catholiques étant déclarée douteuse.
242 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

rude combat pour leur simple suivie, mais certains


d'entre eux, en tous cas, se rendent compte que, plus
que de sutvivre, ils ont à faire face à un défi plus
important. S'ils croient réellement que !'Orthodoxie
est la véritable foi catholique, ils ne devraient pas se
couper de la majorité de non-orthodoxes qui les
entourent, mais devraient considérer comme un
devoir et comme un privilège de partager leur ortho-
doxie avec les autres. Ce n'est certainement pas par
hasard que Dieu a permis que les Orthodoxes soient
dispersés dans tout l'Occident au vingtième siècle.
Cette dispersion, loin d'être fortuite et tragique,
constitue au contraire notre kairos, le moment
opportun. Mais si nous devons répondre adéquate-
ment à ce kairos, nous devons à la fois, en tant qu'or-
thodoxes, être capables de comprendre et d'écouter:
de comprendre plus en profondeur notre propre héri-
tage orthodoxe, et d'écouter plus humblement ce qui
est dit par nos contemporains en Occident, qu'ils
soient religieux ou dans le siècle.

Ce n'est pas seulement dans la diaspora que


!'Orthodoxie souffre d'un manque de contacts réci-
proques. Les diverses Églises autocéphales ont
souvent, bien malgré elles, été isolées les unes des
autres. Il fut un temps où leur seul contact officiel était
une correspondance régulièrement échangée entre les
chefs d'Églises. Cet isolement continue, mais on
perçoit un désir toujours plus vif de coopération, dû
particulièrement à la participation orthodoxe au
Conseil Œcuménique des Églises. Aux grands rassem-
blements du Conseil Œcuménique des Églises, les
délégués orthodoxes se sont souvent trouvés insuffi-
samment préparés pour pouvoir parler d'une seule
voix. Et ils se sont demandé pourquoi il fallait que ce
soit un Conseil Œcuménique d'Églises qui réunisse les
Orthodoxes. Pourquoi ne pas se réunir entre soi pour
Le XX" siècle. Diaspora et mission 243

discuter de ses propres problèmes ? Les mouvemen ts


de jeunesse ressentent aussi l'urgente nécessité d'une
coopératio n. Un important travail a été fait dans ce
sens par Syndesmo s, fédération internation ale des
mouvemen ts de jeunesse orthodoxe , fondée en 1953.

Le Patriarche Œcuméniq ue, doyen de l'Église ortho-


doxe, a pris une part importante à ces efforts de coopé-
ration. Après la première guerre mondiale, le Patriarcat
de Constantin ople avait considéré la possibilité de
réunir un • grand concile » de toute l'Église orthodoxe,
et un premier pas avait été fait : des plans furent
élaborés pour un « pro-synod e » qui devait préparer
l'agenda du concile. Un comité préliminai re inter-
orthodoxe se réunit au Mont Athos en 1930, mais le
« pro-synod e » lui-même ne fut jamais réuni, en grande

partie à cause de l'obstruction du gouvernem ent turc.


Aux environs de 1950, le Patriarche Œcuméniq ue
Athénagoras reprit la même idée et après de nombreux
ajournements, une • conférence pan-orthod oxe » se tint
à Rhodes en septembre 1961. Il y eut deux autres
conférence s à Rhodes en 1963 et 1964, et depuis lors
des conférenc es et comités orthodoxe s se tiennent
régulièrem ent à Genève. Les principaux points de
l'ordre du jour du• grand et saint Concile» (s'il se réunit
un jour) seront sans doute le problème de la désunion
des Orthodoxe s dans la diaspora, les relations des
Orthodox es avec les autres Églises chrétienn es
(œcuméni sme), et l'applicati on de l'enseigne ment
orthodoxe sur la morale dans le monde moderne.

Missions

On a souvent critiqué l'orthodoxie en l'accusant de


ne pas être une Église missionnaire, et il y a une part
244 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

de vérité dans cette accusation. Mais si l'on réfléchit à


la conversion des Slaves par Cyrille et Méthode et leurs
disciples, il faut reconnaître que le zèle missionnaire de
Byzance n'est pas moindre que celui de la chrétienté
celtique ou romaine à la même période. Les Grecs et
les Arabes sous le joug turc, cependant, furent naturel-
lement empêchés de se livrer à quelque travail
missionnaire que ce soit, mais l'Église russe au XOC'
siècle organisa un nombre considérable de missions
parmi les nombreux allogènes non-chrétiens à l'inté-
rieur de l'Empire russe. En 1900, la Liturgie était célé-
brée en Russie non seulement en slavon, mais en plus
de vingt langues indigènes. Ce programme mission-
naire fut naturellement supprimé sous le communisme,
mais il reprend maintenant à une moindre échelle.

Les missions russes avant 1917 s'étendaient aussi


en-dehors de Russie non seulement à l'Alaska (dont
nous avons déjà parlé) mais aussi à la Chine, au Japon
et à la Corée. L'une des préoccupations des mission-
naires russes, partout où ils allaient, était d'établir un
clergé indigène aussi rapidement que possible. Les
origines de la mission chinoise remontent à la fin du
xvue siècle, bien que le travail systématique ne se soit
pas développé avant la fin du XIX" siècle. Environ
400 Chrétiens chinois souffrirent le martyre dans la
révolte des Boxers (1901). En 1957, quand l'Église
orthodoxe chinoise devint autonome, il y avait deux
évêques chinois et peut-être vingt mille fidèles, mais
la répression des gardes rouges en 1966 poussa les
orthodoxes presque entièrement dans la clandestinité.
Aujourd'hui la Liturgie est célébrée en plusieurs
endroits par des prêtres chinois âgés, mais aucun
évêque n'a survécu et il reste peu de fidèles.

L'Église orthodoxe japonaise fut fondée par saint


Nicolas Kassatkine (1836-1912), l'un des plus grands
Le XX! siècle. Diaspora et mission 245

missionnaires des temps modernes dans toutes les


communautés chrétiennes. Envoyé à Hakodate en
1861 comme chapelain du consulat russe, il décida
dès l'abord de se consacrer à prêcher la foi chrétienne
parmi les Japonais, malgré les lois de l'époque qui
interdisaient formellement toute forme de travail
missionnaire. Il baptisa ses premiers convertis en 1868
et les premiers prêtres japonais furent ordonnés en
1875. A sa mort, en 1912, il y avait 266 communautés
paroissiales et 33 017 fidèles desservis par 35 prêtres
japonais et 22 diacres. Après les pertes d'effectifs dans
l'entre-deux guerres, on compte aujourd'hui environ
25 000 fidèles, un évêque et une quarantaine de
prêtres. Le présent titulaire du diocèse, le métropolite
Théodose (élu en 1972) était à l'origine un boud-
dhiste; comme tout son clergé, il est japonais. L'Église
du Japon est autonome, sous la guidance spirituelle
de son Église-mère, l'Église de Russie.

La mission russe en Corée, fondée en 1898, faillit se


terminer dans les années 1950, mais elle reprend vie
depuis une quinzaine d'années sous l'impulsion d'un
prêtre grec, l'archimandrite Sotirios (Trambas),
consacré évêque en 1993. Il y a maintenant plus de
cinq paroisses, un séminaire et un monastère. Dans
les années 1980, sous les auspices du patriarcat
œcuménique, le travail missionnaire a également
commencé en Indonésie, aux Philippines, à Hong-
Kong et au Bengale du Sud (Inde).

Outre ces missions orthodoxes en Asie, il y a aussi


une Église orthodoxe africaine très vivante au Kénya,
en Ouganda et en Tanzanie. Totalement indigène
depuis sa fondation, l'orthodoxie africaine n'a pas été
suscitée par la prédication des missionnaires de pays
traditionnellement orthodoxes, mais elle est un
mouvement spontané des Africains eux-mêmes. Les
246 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

fondateurs du mouvement orthodoxe africain furent


deux Ougandais, Rauben Sebanja Mukasa Spartas (né
en 1899, évêque en 1972, mort en 1982) et son ami
Obadiah Kabanda Basajjakitalo. Élevés dans l'Église
anglicane, ils se convertirent à l'orthodoxie dans les
années vingt, non à la suite de contacts personnels
avec les orthodoxes, mais à la suite de recherches
personnelles, de lectures et d'études. Dans un premier
temps, la situation canonique de l'Orthodoxie ougan-
daise était sujette à caution ; Rauben et Obadiah
avaient d'abord établi des contacts avec une organisa-
tion des États-Unis, l' .. Église orthodoxe africaine• qui,
bien qu'employant ce titre, n'avait en réalité aucun
lien avec la vraie et historique communion orthodoxe.
Ils furent tous deux ordonnés en 1932 par un certain
archevêque Alexandre, appartenant à cette Église.
Mais vers la fin de la même année, ils s'aperçurent du
statut douteux de cette " Église orthodoxe africaine » et
rompirent toutes relations avec elle ; ils se tournèrent
alors vers le Patriarcat d'Alexandrie. Ce n'est toutefois
qu'en 1946, lorsque Rauben se rendit à Alexandrie,
que le patriarche reconnut officiellement la commu-
nauté africaine orthodoxe d'Ouganda et la prit en
charge.

Rauben et Obadiah ont prêché avec un grand


enthousiasme aux autres Africains cette foi qu'ils
venaient de découvrir, et le mouvement s'est rapide-
ment étendu. L'une des raisons en était que la mission
orthodoxe, bien que condamnant la polygamie, était
en pratique moins stricte que les missions euro-
péennes dans sa façon d'accueillir ceux qui avaient
déjà contracté des mariages polygames. Des facteurs
politiques étaient également en cause : avant que le
Kénya ne devienne indépendant en 1959, les ortho-
doxes kényans étaient étroitement liés avec
des mouvements africains de libération tels que les
Le xx• siècle. Diaspora et mission 247

Mau-Mau. L'un des facteurs qui rendent l'orthodoxie


attrayante aux yeux des Africains est de n'avoir pas
partie liée avec les puissances colonialest3. Après l'in-
dépendance, la mission orthodoxe perdit beaucoup
de ses appuis. Mais plus récemment l'orthodoxie afri-
caine s'est réorganisée et a recommencé à grandir.
Selon certains observateurs, le nombre des
Orthodoxes au Kénya se situe entre 70 000 et 250 000,
et en Ouganda à 30 000 ; mais des sources orthodoxes
grecques citent souvent un chiffre nettement moins
élevé, aux environs de 40 000 indigènes orthodoxes
dans tout l'Est africain. Il y a maintenant un évêque
orthodoxe africain à Kampala en Ouganda, Théodore
Nankyamas, un diplômé de l'Université d'Athènes. En
1992, il y avait 19 prêtres ou diacres indigènes en
Ouganda, 61 au Kénya et 7 en Tanzanie. L'école de
théologie orthodoxe de Nairobi, fondée en 1982,
compte environ 50 étudiants.

La croissance spontanée de }'Orthodoxie africaine a


eu un effet significatif sur les Grecs orthodoxes, aussi
bien en Grèce même qu'en Amérique du Nord, en
sensibilisant plus directement à la dimension mission-
naire de l'Église. Les visites de Rauben Spartas en
Grèce en 1959 et de Théodore Nankyamas aux États-
Unis en 1965 ont eu une grande influence, beaucoup
de paroisses - et plus spécialement de groupes de
jeunes - s'engageant à les aider par la prière et maté-
riellement. On peut sans doute dire que les
Orthodoxes africains ont donné de cette manière à
l'orthodoxie grecque plus qu'ils n'avaient reçu.
Chaque société chrétienne est confrontée aujour-
d'hui avec de graves problèmes, mais les Orthodoxes

13. Pour le contexte politique ici, voir F.B. Wellbourn, East


African Rebets, Londres 1961.
248 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

ont peut-être les plus grandes difficultés à les résoudre.


Il n'est pas facile de distinguer dans l'Orthodoxie
contemporaine, « la victoire sous les apparences de
l'échec, la force de Dieu s'accomplissant dans l'infir-
mité, la vraie Église dans sa réalité historiquet4. » Mais
si de toute évidence il y a des faiblesses, il y a aussi
beaucoup de signes de vitalité. Quels qu'aient été les
compromis des chefs de l'Église sous le communisme,
!'Orthodoxie a également produit de nombreux
martyrs et confesseurs. Dans la situation hautement
instable qui résulte de l'effondrement du commu-
nisme, on ressent non seulement un certain malaise,
mais aussi de grandes raisons d'espérer. Le déclin du
monachisme orthodoxe a été complètement enrayé
sur la Sainte Montagne et l'Athos se montrera peut-être
la source d'une résurrection monastique plus large. Les
trésors spirituels de l'orthodoxie, - tels que la
Philocalie et la Prière de Jésus - bien loin d'être
oubliés, sont employés et appréciés de plus en plus.
Les théologiens orthodoxes sont peu nombreux, mais
quelques-uns d'entre eux - souvent stimulés par des
contacts en Occident - redécouvrent des éléments
oubliés mais vitaux de leur héritage théologiq~e. Un
nationalisme à courte vue retarde le travail de l'Eglise,
mais on enregistre des tentatives sporadiques de
coopération. Les missions sont encore à très petite
échelle, mais !'Orthodoxie se montre de plus en plus
consciente de leur importance, Nous orthodoxes, si
nous sommes réalistes et honnêtes, ne pouvons
ressentir de la complaisance ou du triomphalisme
quant à l'état présent de notre Église. Mais malgré ses
nombreux problèmes et les lacunes manifestes des
individus, l'Orthodoxie peut néanmoins envisager
l'avenir avec confiance et un optimisme mesuré.

14. Vladimir Lossky, Essai sur la théologte mystique de l'Égltse


d'Orient, Paris 196o, p. 245.
II
Foi et culte
10

La Tradition :
source de la foi orthodoxe

Garde le dépôt de la fot.


1 Timothée VI, 20.
La Tradition est la vte du Saint Esprit
dans l'Église.
Vladimir Lossky.

Le sens intérieur de la Tradition

L'histoire orthodoxe est marquée extérieurement


par une série de cassures soudaines : la prise
d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem par les
Arabes musulmans ; l'incendie de Kiev par les
Mongols ; les deux sacs de Constantinople ; la révolu-
tion d'octobre en Russie. Cependant ces événements,
tout en transformant l'apparence du monde ortho-
doxe, n'ont en rien altéré la continuité intérieure de
l'Église. Ce qui frappe le plus souvent un étranger,
dans une première rencontre avec l'orthodoxie, c'est
cet air d'ancienneté, cette apparence d'immuabilité. Il
voit que les orthodoxes baptisent encore par triple
immersion, comme dans l'Église primitive, que la
252 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

sainte communion est encore donnée aux bébés et


aux petits enfants; il s'aperçoit que le diacre, durant la
liturgie, s'exclame encore: « Les portes, les portes!•
comme autrefois, lorsque l'entrée de l'église était
jalousement gardée et que nul, en dehors de la famille
chrétienne, ne pouvait assister au culte familial ; il
s'aperçoit aussi que le Credo est récité sans altération.
Ce ne sont là que des exemples de ce qui imprègne
tous les aspects de la vie orthodoxe. Quand on
demande aux orthodoxes, à des rassemblements
inter-ecclésiaux, de faire le résumé de ce qu'ils consi-
dèrent être les caractéristiques distinctives de leur
Église, ils mentionnent souvent cette absence de
changement, cette détermination à demeurer fidèle au
passé, ce sens de la continuité vivante avec les Églises
des anciens tempsl. Au début du dix-huitième siècle,
les patriarches orientaux avaient dit, dans des termes
qui rappellent le langage des Conciles Œcuméniques,
exactement la même chose aux non-jureurs :
« Nous préservons, incorrompue, la doctrine du

Seigneur, et adhérons à la foi qu'Il nous a donnée,


nous la gardons intacte de toute souillure et amoin-
drissement, comme un trésor royal et un monument
de grand prix, n'ajoutant rien et ne retranchant
rien2. •
Pour les orthodoxes, cette idée de continuité
vivante tient dans un seul mot : Tradition. • Nous ne
changeons pas les bornes éternelles que nos pères
ont placées, écrivait saint Jean Damascène, mais nous
gardons la Tradition, comme nous l'avons reçue3. »

Mais si les orthodoxes parlent toujours de la

1. Voir par exemple Panagiotis Bratsiotis et Georges Florovsky,


dans Ortbodoxy, A Fattb and Order Dialogue, Genève 1960.
2. Lettre de 1718 dans G. Williams, Tbe Orthodox Churcb of the
East tn the etghteentb Century, p. 17.
3. Sur les icônes Il, 12, PG 94, 1297B.
La Tradition : source de la foi orthodoxe 253

Tradition, qu'entendent-ils par ce mot? On comprend


8énéralement une tradition comme signifiant une
0pfnion, une croyance, une coutume transmise par les
ancêtres à leur postérité. La Tradition chrétienne, dans
ce cas, est la foi et la pratique données par le Christ à
ses apôtres, et qui, depuis les temps apostoliques, a
été transmise par l'Église de génération en généra-
tion4. Mais pour un chrétien orthoooxe, la Tradition
veut dire quelque chose de plus précis. La Tradition
contient : les livres de la Bible, le Credo, les décrets
des conciles œcuméniques et les écrits patristiques;
(ille veut dire aussi les canons, les livres liturgiques,
les saintes icônes, en fait, tout le système que forment
la doctrine, le gouvernement de l'Église, le culte, la
spiritualité et l'art exprimé par l'orthodoxie au cours
des âges. Les Chrétiens orthodoxes d'aujourd'hui se
considèrent comme les héritiers et les gardiens d'un
riche héritage du passé, et ils considèrent de leur
devoir de transmettre cet héritage.
Il faut bien noter que la Bible fait partie de la
Tradition. Il est vrai que le mot .. Tradition • est parfois
assimilé à l'enseignement oral du Christ, qui n'a pas
été écrit par Ses disciples directs. Et non seulement
des non-orthodoxes, mais aussi beaucoup d'écrivains
orthodoxes ont adopté cette façon de différencier les
Écritures saintes de la Tradition, comme si elles étaient
deux sources différentes de la foi chrétienne. Mais en
réalité, elles ne sont qu'une seule et même source,
puisque les Écritures existent dans la Tradition ; les
séparer ou les opposer, c'est appauvrir l'idée de l'une
comme de l'autre.
Tout en respectant cet héritage, les orthodoxes sont
conscients du fait que tout ce qu'il renferme n'est pas
d'égale valeur. Parmi les divers éléments de la

4. Voir saint Paul, 1 Cor 15, 3.


254 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Tradition, une place unique revient à la Bible, au


Credo, aux définitions doctrinales données par les
conciles œcuméniques ; ce sont des choses que les
orthodoxes acceptent comme absolues et immuables ;
elles ne peuvent être ni annulées ni révisées. Le reste
de la Tradition n'a pas tout à fait la même autorité. Les
décrets de Jassy ou de Jérusalem n'ont pas le même
poids que le Credo de Nicée, les écrits d'un Athanase
ou d'un Syméon le Nouveau Théologien n'occupent
pas la même place que l'évangile de saint Jean.
Tout ce qui vient du passé n'est pas d'égale valeur
et n'est pas nécessairement exact. Ainsi que le faisait
remarquer un des évêques au concile de Carthage, en
257 : • Le Seigneur a dit : "Je suis la vérité" ; il n'a pas
dit: ''Je suis la coutume"5. » Il y a une différence entre
la Tradit.ion et les traditions: de nombreuses traditions
sont humaines et accidentelles, opinions pieuses (ou
pire), mais non une part réelle de la seule Tradition,
du message chrétien par excellence.
Il est absolument essentiel d'interroger le passé. A
la période byzantine et ultérieurement, les orthodoxes
ont trop souvent manqué de sens critique et une
certaine stagnation en a résulté. Aujourd'hui, cette atti-
tude dépourvue de sens critique ne peut continuer :
une instruction plus étendue, des contacts de plus en
plus nombreux avec les chrétiens occidentaux, les
incursions de la sécularisation et de l'athéisme, ont
forcé les orthodoxes en ce siècle à étudier de plus
près cet héritage et à opérer une différenciation plus
subtile entre la Tradition et les traditions. Cette discri-
mination n'est jamais facile à faire. Il est aussi néces-
saire d'éviter les erreurs des vieux-croyants que celles
de l'• Église vivante » : les uns sont tombés dans un

5. Optnions des évêques concernant le baptême des béréttques,


30.
La Tradition : source de la foi orthodoxe 255

Z~hservatisme extrême, ne supportant aucun change-


':~nt dans les traditions, les autres au contraire dans
;~ compromis théologique qui mine la Tradition.
~pendant malgré des obstacles manifestes, les ortho-
cloxes d'aujourd'hui sont peut-être mieux placés que
~urs prédécesseurs ne l'ont été, pendant bien des
S:iècles, pour faire une discrimination plus impartiale,
~f, è'est en bien des cas le contact avec l'Occident qui
l~ur permet de retourner à l'essentiel de leur propre
ijéritage.
)La véritable fidélité orthodoxe au passé doit être
'l!lhe fidélité créatrice et l'orthodoxie ne peut se satis-
f;;tire d'une stérile • théologie de répétition •, d'une
téitération psittacique de formules toutes faites sans
essayer de les comprendre en profondeur. Il n'y a rien
de mécanique dans une loyauté bien comprise envers
la Tradition; ce n'est pas simplement un processus
passif et automatique de transmettre la sagesse
acceptée d'un passé lointain. Un orthodoxe qui réflé-
chit voit la Tradition de l'intérieur; il en pénètre l'es-
prit: il doit refaire l'expérience de la signification de la
Tradition sur un mode exploratoire, courageux et
plein de créativité imaginative.
Pour vivre dans la Tradition, il n'est pas suffisant
d'adhérer intellectuellement à un système de
doctrines, car la Tradition est bien autre chose que des
propositions abstraites. La Tradition est vivante, c'est
une rencontre personnelle avec le Christ, dans l'Esprit
Saint. La Tradition n'est pas simplement gardée par
l'Église : elle vit en elle, elle est, dans l'Église, la vie de
l'Esprit Saint. La conception orthodoxe de la Tradition
n'est pas statique, mais dynamique, ce n'est pas un
héritage accepté passivement, mais bien la découverte
vivante et toujours actuelle de l'Esprit Saint. Quoique
intérieurement immuable - car Dieu ne change pas -
elle prend constamment des formes nouvelles,
qui s'ajoutent l'une à l'autre sans se supplanter. Les
256 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

orthodoxes parlent souvent comme si la période des


formules doctrinales était terminée, mais il n'en est
rien, et peut-être verrons-nous même de nos jours de
nouveaux conciles œcuméniques se réunir et enrichir
la Tradition par de nouvelles déclarations de foi.
Cette idée de tradition vivante est clairement
exprimée par Georges Florovsky :
« La Tradition est le témoignage de l'Esprit, la révé-

lation incessante et l'incessante annonce de Bonnes


Nouvelles ... Pour accepter et comprendre la
Tradition, nous devons vivre dans l'Église et nous
devons être conscients de la grâce vivifiante de la
présence du Seigneur, nous devons y sentir le souffle
de l'Esprit Saint. La Tradition n'est pas seulement un
principe qui protège et conserve: c'est essentielle-
ment un principe de croissance et de régénération ...
La Tradition n'est pas seulement une mémoire
verbale, mais elle est la demeure éternelle de
l'Esprit6. •
La Tradition est le témoignage de !'Esprit: dans les
paroles du Christ, « Quand Il viendra, Lui, l'Esprit de
vérité, Il vous conduira vers la vérité tout entière •
(Jean 16, 13). Cette promesse divine est à la source de
l'attachement orthodoxe à la Tradition.

Formes extérieures

Voyons maintenant la Tradition dans ses différentes


expressions :

6. • The Catholicity of the Church •, dans Bible, Cburch,


Tradition, p. 46-47 ; cf. G. Florovsky, • Saint Gregory Palamas and
the Tradition of the Fathers •, ibid., p. 105-120 et V. Lossky, • La
Tradition et les traditions •, dans A l'image et à la ressemblance de
Dieu, Paris: Aubier, 1967, p. 139-166, articles où j'ai largement
puisé.
La Tradition : source de la foi orthodoxe 257

1. La Bible

a) La Bible et l'Église. La vie de l'Église chrétienne


repose sur les saintes Écritures : cette croyance est
âussi ferme, sinon plus ferme encore, chez les ortho-
doxes que chez les protestants. La Bible est l'expres-
sion suprême de la révélation de Dieu aux hommes, et
les chrétiens sont toujours • le peuple du livre •. Mais si
les chrétiens sont le peuple du livre, la Bible est le
livre du peuple: ce n'est pas une chose placée au-
d?SSUS de l'Église, mais une chose qui vit dans l'Église.
C'est pourquoi il ne faut pas séparer les Écritures de la
Tradition. La Bible tient en définitive son autorité de
l'Église, car c'est l'Église qui, à l'origine, a décidé du
choix des livres des saintes Écritures et elle est seule à
pouvoir les interpréter avec autorité. De nombreux
passages de la Bible sont loin d'être clairs et le lecteur
de bonne foi peut se tromper dans son interprétation
des textes. « Comprends-tu ce que tu lis ? • demande
Philippe à l'eunuque éthiopien. • Et comment le pour-
rais-je, dit-il, si personne ne me guide?• (Actes 8, 30-
31). Dans sa lecture des Écritures saintes, l'orthodoxe
se laisse guider par l'Église. Un converti, en entrant
dans l'Église orthodoxe, promet • d'accepter et de
comprendre les Saintes Écritures, conformément aux
interprétations qui ont été et sont encore données par
la sainte Église catholique orientale notre Mère7 •.
b) Le texte de la Bible : la critique de la Bible. Le
Nouveau Testament de l'Église orthodoxe est le même
que celui de toute la chrétienté. Mais le texte qui fait
autorité pour l'Ancien Testament est l'ancienne
traduction grecque, la version des Septante. Là où

7, Sur la Bible et l'Église, voir spécialement Dosithée,


Corifesston, décret II.
258 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

celle-ci diffère de l'hébreu (ce qui arrive assez


souvent) l'orthodoxe croit que les différences sont
dues à l'inspiration de !'Esprit Saint et qu'elles doivent
être acceptées comme une part de la continuité de la
révélation de Dieu. L'exemple le plus frappant se
trouve dans Isaïe 7, 14 ; là où le texte hébreu dit : • La
jeune fille concevra et enfantera un fils .. , le texte des
Septante dit : • La vierge concevra et enfantera un
fils ... Le texte du Nouveau Testament est celui des
Septante : • La Vierge concevra et enfantera un fils ..
(Matthieu I, 23).
La version hébraïque de l'Ancien Testament est
formée de trente-neuf livres. La Septante contient, en
plus de ceux-là, dix autres livres appelés dans l'Église
orthodoxe • livres deutéro-canoniques8 ... Ils ont été
adoptés par les conciles de Jassy (1642) et de
Jérusalem (1672), comme .. faisant partie intégrante
des Écritures • ; cependant les spécialistes orthodoxes
contemporains, suivant en cela l'exemple d'Athanase
et de Jérôme, estiment, pour la plupart, que ces livres,
tout en faisant effectivement partie de la Bible, ne sont
pas au niveau du reste de l'Ancien Testament.
Le christianisme, s'il est vrai, n'a rien à craindre
d'une investigation sincère. Et l'orthodoxie, tout en
considérant l'Église comme la seule interprète auto-
nsee des Écritures, n'interdit pas l'étude critique et
historique de la Bible. Il faut cependant ajouter que,
jusqu'ici, les orthodoxes ne se sont pas particulière-
ment illustrés dans ce domaine.

8. En Occident, les livres deutéro-canoniques sont générale-


ment nommés les apocryphes. Les textes concernés sont le 1•• (3•)
livre d'Esdras, Tobie, Judith ; les livres 1, 2 et 3 des Macchabées, la
Sagesse de Salomon, !'Ecclésiastique ou livre de Sirach, Baruch, la
Lettre de Jérémie. Certaines éditions orthodoxes de la Bible
contiennent le 4· livre des Macchabées. Ces livres se trouvent pour'
la plupart dans les éditions catholiques de la Bible en langue fran-
çaise.
La Tradition : source de la foi orthodoxe 259

s c) La Bible dans la liturgie. On croit parfois que les


ôtthodoxe s attachent moins d'importance à la Bible
<qûe ne le font les, chrétiens occidentaux, mais en
réalité, les Saintes Ecritures sont constamment lues
(;lans les offices orthodoxes. Durant matines et vêpres,
le psautier est entièrement lu au cours de la semaine
et deux fois par semaine au temps du grand carême9.
Les vêpres, à la veille de beaucoup de fêtes, la
Sixième heure et les vêpres les jours de semaine en
carême, comprenn ent plusieurs leçons tirées de
l'Ancien Testament (mais il est vraiment dommage
qu'il n'y ait pas de lecture de l'Ancien Testament à la
Liturgie); la lecture de l'Evangile forme le point culmi-
nant des offices de matines des dimanches et jours de
fête ; une lecture particulière des épîtres et de l'Évan-
gile est prescrite à la liturgie pour chaque jour, afin
que le Nouveau Testamen t, exception faite de
l'Apocalypse de saint Jean, soit entièrement lu dans le
cours de l'année. Le Nunc Dimittis (Cantique de
Syméon) est chanté aux vêpres; le Magnificat et le
Benedictus sont chantés à matines. Le Notre Père est
récité à chaque office. A côté de ces grands textes
emprunté s aux Écritures, chaque célébratio n est
remplie de citations bibliques et l'on a calculé qu'il y a
dans la Liturgie 98 références à l'Ancien Testament et
114 au Nouveau.
Le septième Concile ayant décidé que les icônes
seraient vénérées de la même façon que l'évangile,
l'orthodox e considère la Bible comme une icône
verbale du Christ. Dans chaque église, l'évangéliaire
est placé sur l'autel et il est porté en procession à

9. Cela suivant la règle des livres liturgiques. En pratique,


matines et vêpres ne sont pas célébrées chaque jour dans bien des
églises paroissiales, mais seulement le samedi et les veilles de
fêtes, et même alors, malheureusement, le texte des Psaumes est
abrégé ou, ce qui est pire, complètement supprimé.
260 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

chaque liturgie, ainsi qu'aux matines des dimanches et


des fêtes. Les fidèles l'embrassent et se prosternent
devant lui. C'est ainsi que l'Église orthodoxe témoigne
de son respect et vénère la Parole de Dieu.

2. Les sept Conciles Œcuméniques : le Credo

Les définitions doctrinales d'un Concile Œcumé-


nique sont infaillibles. Ainsi, aux yeux des ortho-
doxes, les professions de foi fixées par les sept
Conciles possèdent, avec la Bible, une autorité irrévo-
cable et permanente.
La plus importante profession de foi de tous les
conciles œcuméniques est le Credo de Nicée-
Constantinople, qui est récité à chaque célébration
eucharistique, et chaque jour à l'office de minuit et aux
complies. Les deux autres Credo en usage en Occident,
celui des Apôtres et celui d'Athanase, n'ont pas l'auto-
rité du Credo de Nicée, puisqu'ils n'ont pas été formulés
par un Concile Œcuménique. Les orthodoxes respec-
tent dans le Credo des Apôtres un ancien acte de foi et
ils en acceptent tout l'enseignement, mais il est seule-
ment un Credo baptismal occidental et n'est jamais
employé dans les offices liturgiques des patriarcats
orientaux; de même le Credo d'Athanase n'est pas
utilisé dans le culte orthodoxe, mais on le trouve parfois
sans le Filioque dans l'Horologion Oe livre des Heures).

3. Conciles postérieurs

Comme nous l'avons vu, des doctrines orthodoxes


ont encore été formulées après les sept Conciles
La Tradttton: source de lafot orthodoxe 261

EEcuméniques. Depuis 787, l'Église s'est exprimée


principalement de deux façons : d'abord par les défini-
tions des conciles locaux (c'est-à-dire ceux
qui réunissaient, des membres d'un ou plusieurs
patriarcats ou Eglises autocépha_les, mais sans
prétendre représenter l'entièreté de l'Eglise catholique
orthodoxe), et ensuite par les lettres ou exposés de foi,
exprimés isolément par des évêques. Alors que les
décisions doctrinales émises par les conciles généraux
sont infaillibles, celles des conciles locaux et des
évêques sont toujours susceptibles d'erreur. Mais, si
elles sont acceptées par le reste de l'Église, elles
acquièrent une portée œcuménique, c'est-à-dire une
autorité universelle, similaire à celle des décisions
doctrinales d'un Concile EEcuménique. Les décisions
doctrinales d'un Concile EEcuménique ne peuvent être
ni revues ni corrigées ; nous devons les accepter dans
leur intégralité. Cependant l'Église a toujours été très
sélective dans sa façon de traiter les actes des conciles
locaux. En ce qui concerne les conciles du xvne siècle,
par exemple, une partie seulement de leurs déclara-
tions de foi a été acceptée par toute l'Église orthodoxe,
mais une autre partie a été laissée de côté ou corrigée.
Voici les principales déclarations doctrinales ortho-
doxes depuis 787 :

I. Lettre encyclique de saint Photius (867).


II. Première lettre de Michel Cérulaire à Pierre
d'Antioche (1054).
III. Décisions des conciles de Constantinople eri
1341 et 1351 sur la controverse hésychaste.
IV. Lettre encyclique de saint Marc d'Éphèse
(1440-1441).
V. Confession de foi de Gennade, patriarche de
Constantinople (1455-1456).
VI. Réponses de Jérémie II aux luthériens (1573-
1581).
262 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

VII. Confession de foi de Métrophane Kritopoulos


(1625).
VIII. Confession orthodoxe de Pierre Mohyla dans
sa forme révisée (ratifiée par le concile de
Jassy en 1642).
IX. Confession de Dosithée (ratifiée par le concile
de Jérusalem en 1672).
X. Réponses des patriarches orthodoxes aux
non-jureurs (1718-1723).
XI. Réponse des patriarches orthodoxes au pape
Pie IX (1848).
XII. Réponse du synode de Constantinople au
pape Léon XIII (1895).
XIII. Lettres encycliques par le Patriarcat de
Constantinople sur l'unité chrétienne et le
"Mouvement Œcuménique" 0920 et 1952)

Ces documents, les numéros V à IX particulière-


ment, sont parfois appelés « livres symboliques » de
l'Église orthodoxe, mais beaucoup de spécialistes en
théologie orthodoxe d'aujourd'hui estiment que ce
titre peut induire en erreur et ne l'emploient pas.

4. Les Pères de l'Église

C'est dans le contexte des écrits des Pères de l'Église


que les définitions des conciles doivent être étudiées.
Mais de même que le jugement de l'Église est sélectif
envers les conciles locaux, de même est-il sélectif vis-
à-vis des Pères ; des écrits individuels peuvent être
erronés et contradictoires. Le froment patristique doit
être séparé de sa balle. Un orthodoxe ne peut pas
se contenter de citer les Pères, il doit pénétrer
plus profondément le sens de leurs écrits et acquérir
La Tradition : source de la foi orthodoxe 263

intérieurement .. l'esprit patristique Il ne doit pas


P,

considérer les Pères comme des reliques du passé,


mais comme des témoignages vivants et des contem-
porains.
L'Église orthodoxe n'a jamais essayé de définir
exactement la situation des Pères, encore moins de les
classifier par ordre d'importance. Mais elle respecte
plus particulièrement les auteurs du ive siècle et
spécialement trois grands hiérarques : Basile le Grand,
Grégoire de Nazianze (que les Orthodoxes appellent
Grégoire le Théologien) et Jean Chrysostome. Pour
l'orthodoxie, l'époque patristique ne se termine pas
avec le ve siècle et d'autres écrivains plus récents sont
aussi des Pères (tels saint Maxime le Confesseur, saint
Jean Damascène, saint Théodore Studite, saint
Syméon le Nouveau Théologien, saint Grégoire
Palamas, saint Marc d'Éphèse). Il est dangereux de
considérer les écrits patristiques comme un cycle
fermé qui appartiendrait au passé : qui peut dire si
notre époque ne produira pas aussi quelque nouveau
Basile ou Athanase? Dire qu'il ne peut plus y avoir de
Pères équivaut à dire que l'Esprit Saint a déserté
l'Église.

5. La liturgie

L'Église orthodoxe est moins portée que l'Église


catholique romaine à donner des définitions dogma-
tiques officielles. Mais il ne faut pas croire que, parce
que certaines croyances n'ont pas été formulées en
dogme par l'orthodoxie, elles ne font pas réellement
partie de la Tradition orthodoxe et qu'elles sont en
quelque sorte des opinions privées. Certaines
doctrines, qui n'ont pas été définies officiellement,
264 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

sont soutenues par l'Église avec une conviction inté-


rieure si évidente et une unanimité si sereine que cela
équivaut largement à une définition explicitement
formulée. • Une part de notre enseignement est écrit,
dit saint Basile, et une autre part nous a été mysté-
rieusement transmise par la Tradition apostolique ; ces
deux formes d'enseignement ont la même valeur de
piétélO. »
Cette Tradition intérieure • mystérieusement trans-
mise » est conservée surtout dans les célébrations de
l'Église. Lex orandi /ex credendi: notre foi s'exprime
surtout dans notre prière.
L'orthodoxie a fait peu de déclarations explicites au
sujet de l'eucharistie et des autres sacrements, au sujet
de l'au-delà, de la Mère de Dieu, des saints et des
fidèles défunts : notre foi sur ces points est presque
entièrement contenue dans les prières et les hymnes
des offices. La Tradition ne se limite pas aux paroles
des offices; les gestes et les actions: l'immersion dans
les eaux du baptême, les diverses onctions d'huile, le
signe de croix, ont un sens particulier et expriment,
sous une forme symbolique ou démonstrative, les
vérités de la foi.

6. Le Droit canon

A côté des définitions doctrinales, les Conciles


Œcuméniques ont élaboré les canons, qui traitent de
l'organisation de l'Église et de sa discipline ; quelques
autres canons ont été écrits par les conciles locaux ou
différents évêques. Théodore Balsamon, Zonaras et

10. Traité du Saint Esprit, XXVII, SC 17, Paris 1947, p. 231-233.


La Tradition : source de la foi orthodoxe 265

d'autres écrivains byzantins ont compilé des collec-


tions de canons, avec explications et commentaires.
Le commentaire moderne grec, par excellence, est le
Pedalion (Gouvernail) publié en 1800, œuvre de l'in-
fatigable saint Nicodème de la Sainte-Montagne.
Le droit canon orthodoxe a été très peu étudié en
Occident et de ce fait, les auteurs occidentaux croient
souvent à tort que l'orthodoxie est virtuellement sans
réglementation. Mais la vie de l'orthodoxie est au
contraire soumise à beaucoup de lois, souvent très
strictes et rigoureuses. Il faut cependant reconnaître
que, de nos jours, beaucoup de canons devenus diffi-
ciles ou impossibles à appliquer sont, par conséquent,
tombés en désuétude. La'révision et la clarification du
droit canon pourrait bien être l'une des tâches d'un
nouveau concile général de l'Église.
Les définitions doctrinales des conciles possèdent
une validité absolue et intangible à laquelle les canons
en eux-mêmes ne peuvent prétendre ; car les défini-
tions doctrinales traitent des vérités éternelles tandis
que les canons ont trait à la vie quotidienne de
l'Église, dont les conditions évoluent constamment et
où les situations sont infiniment variées. Il existe
cependant un rapport essentiel entre les canons et les
dogmes de l'Église : le droit canon est le moyen par
lequel les dogmes sont appliqués à la vie journalière
de chaque chrétien et de ce fait, par cet aspect, les
canons font partie de la sainte Tradition.

7. Jcônes

La Tradition de l'Église ne s'exprime pas seulement


à travers les mots, les gestes et les symboles des
offices, mais aussi au moyen de l'art, à travers les
266 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

lignes et les couleurs des saintes icônes. Une icône


n'est pas simplement une image religieuse destinée à
éveiller de pieuses émotions, mais elle est une des
voies par lesquelles Dieu se révèle à nous. C'est à
travers les icônes que les chrétiens orthodoxes reçoi-
vent une vision du monde spirituel. Et parce que les
icônes font partie de la Tradition, le peintre d'icônes
n'est pas libre de faire les adaptations et les innova-
tions qui lui plairaient : son travail ne doit pas refléter
ses sentiments esthétiques personnels, mais l'esprit de
l'Église. L'inspiration artistique, qui n'est pas exclue,
ne peut être exercée que dans les limites de certaines
règles prescrites. Il est important qu'un peintre
d'icônes soit un bon artiste, mais il est encore plus
important qu'il soit un bon chrétien, vivant dans l'es-
prit de la Tradition, et qu'il se prépare à son travail par
la confession et la communion.

Tels sont les éléments essentiels qui, du point de


vue extérieur, forment la Tradition de l'Église ortho-
doxe : les Saintes Écritures, les Conciles, les Pères de
l'Église, la liturgie, le droit canon, les icônes. Ces
choses ne peuvent pas être séparées ou contrastées,
car c'est le même Esprit Saint qui parle à travers elles,
et elles forment un tout unique, chaque élément étant
expliqué par les autres.
On a dit quelquefois que la raison profonde
du démembrement du christianisme occidental au
XVIe siècle est la séparation qui se fit entre la théologie
et le mysticisme, la liturgie et la dévotion privée.
L'orthodoxie, pour sa part, a toujours essayé d'éviter
une telle division : toute théologie orthodoxe est
mystique. Un mysticisme dissocié de la théologie
devient subjectif et hérétique, de même que la théo-
logie, lorsqu'elle n'est pas mystique, dégénère en
scolastique aride et • académique » au sens péjoratif
du mot.
La Tradition : source de la foi orthodoxe 267

Théologie, mysticisme, spiritualité, règles morales,


culte, art : ces choses ne doivent pas être comparti-
mentées. La doctrine ne peut être comprise que dans
la prière : « un théologien, dit Évagre, est quelqu'un
qui sait prier, et celui qui prie en esprit et en vérité, est
un théologien11.. Et la doctrine comprise à la lumière
de la prière doit être vécue : la théologie qui n'agit pas
est, ainsi que l'a dit saint Maxime le Confesseur, « la
théologie des démons12 •. Le Credo n'appartient qu'à
ceux qui le vivent. Foi et amour, théologie et vie, sont
inséparables. Dans la liturgie byzantine, le Credo est
introduit par ces paroles : « Aimons-nous les uns les
autres, afin que, dans un même esprit, nous confes-
sions le Père et le Fils et le Saint Esprit, Trinité consub-
stantielle et indivisible•, mots qui expriment exacte-
ment l'attitude des orthodoxes vis-à-vis de la
Tradition. Si nous ne nous aimons pas les uns les
autres, nous ne pouvons aimer Dieu ; et si nous n'ai-
mons pas Dieu, nous ne pouvons pas faire une véri-
table profession de foi, et nous ne pouvons pas entrer
dans l'esprit de la Tradition, car il n'y a pas d'autre
façon de connaître Dieu que de L'aimer.

11. Sur la prière, 60, PG 79, 1180B.


12. Lettre 20, PG 91, 601C.
11
Dieu et l'homme

Dans Son amour infini, Dieu est devenu


ce que nous sommes afin de faire de nous
ce qu 'Il est.
Saint Irénée (t202)

Dieu trinitaire
Notre programme social, dit le philosophe russe
Fiodorov, c'est le dogme de la Sainte Trinité.
L'orthodoxe croit passionnément que la doctrine de la
Sainte Trinité n'est pas de la « haute théologie•
réservée aux professionnels, mais qu'elle a une
importance effective, réelle, pour chaque chrétien. La
Bible nous enseigne que l'homme a été fait à l'image
de Dieu et, pour les chrétiens, Dieu est la Trinité: c'est
donc seulement à la lumière du dogme de la Trinité
que nous pouvons comprendre ce que nous sommes
et ce que Dieu veut que nous soyons. Notre vie
privée, nos relations personnelles et tous nos projets
pour une société chrétienne dépendent de l'exacti-
tude de notre théologie sur la Trinité. • Entre la Trinité
et l'enfer, il n'y a pas d'autre choix1 . • Ainsi que l'a dit
1. V. Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient,
Paris: Aubier, 1960, p. 64.
270 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

un écrivain anglican : • Cette doctrine résume une


nouvelle façon de penser au sujet de Dieu, et c'est
investis de son pouvoir que les pêcheurs sont partis
convertir le monde gréco-romain. Elle marque une
révolution salvatrice dans la pensée humaine2. •
Nous avons mentionné, au début de ce livre, les
éléments de base de la doctrine orthodoxe au sujet
de Dieu, et il ne faut donc que les résumer briève-
ment:

1. Dieu est absolument transcendant.

« Aucune chose creee n'a et n'aura jamais la

moindre communion avec la nature suprême, n'en


approchera jamais3 •. C'est par l'usage de la • voie
négative • ou • théologie apophatique • que l'ortho-
doxie sauvegarde cette transcendance absolue de
Dieu. La théologie positive ou cataphatique doit
toujours être équilibrée et corrigée par l'emploi d'un ·
langage négatif. Nos déclarations positives au sujet de
Dieu: qu'Il est bon, sage, juste, etc., sont exactes pour
ce qui est d'elles, mais elles ne sont pas adéquates
pour décrire la nature profonde de la divinité. Ces
déclarations positives, dit Jean Damascène, • ne révè-
lent pas la nature, mais ce qui entoure la nature. Il est
évident qu'il y a un Dieu, mais ce qu'il est par essence
et nature se situe au-delà de notre compréhension et
de notre entendement4 .•

2. D.J. Chitty, • The Doctrine of the Holy Trinity Told to the


Children •, dans Sobornost, 4:5(1961), p. 241.
3. Grégoire Palamas, PG 150, 1176C (cité p. 90).
4. Sur la Fot orthodoxe, I, 4: PG 94, 800B, 797B.
Dieu et l'homme 271

2. Dieu, bien qu 'absolument transcendant,


n'est pas détaché du monde qu 11 a fait.

Dieu est au-dessus et en-dehors de Sa création ;


cependant, Il existe aussi à l'intérieur d'elle. Une
prière orthodoxe très courante dit : « Tu es partout
présent et Tu emplis tout •. L'Orthodoxie distingue
donc entre l'essence de Dieu et Ses énergies, sauve-
gardant ainsi également la divine transcendance et la
divine immanence. L'essence de Dieu ne peut être
approchée, mais Ses énergies descendent sur nous.
Les énergies de Dieu, qui sont Dieu Lui-même, imprè-
gnent toute Sa création et nous les connaissons sous
forme de grâce déifiante et de lumière divine. Notre
Dieu est en vérité un Dieu qui se cache, mais Il est
aussi un Dieu qui agit, le Dieu historique qui intervient
de façon directe dans des situations déterminées.

3. Dieu est personnel, c'est-à-dire trinitaire.

Ce Dieu agissant n'est pas simplement un Dieu


d'énergies, mais un Dieu personnel. Quand l'être
humain participe aux énergies divines, il n'est pas
submergé par un pouvoir vague et anonyme, mais il
est confronté, face à face, avec une personne. De
plus, Dieu n'est pas une seule personne, limitée dans
son être propre, mais une Trinité de trois personnes,
le Père, le Fils et le Saint Esprit, dont chacune
demeure dans les deux autres en raison d'un perpé-
tuel mouvement d'amour. Dieu n'est pas seulement
unité, mais union.
272 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

4. Notre Dieu est un Dieu incarné.

Dieu s'est révélé à l'homme, non seulement à


travers Ses énergies, mais en Sa propre personne. La
seconde personne de la Trinité « vrai Dieu de vrai
Dieu• S'est faite homme: « Et le Verbe S'est fait chair,
et Il a demeuré parmi nous • (Jean I, 14). Il ne pourrait
y avoir d'union plus étroite entre Dieu et Sa création.
Dieu Lui-même est devenu une de Ses créatures5.

Ceux qui ont été élevés dans d'autres traditions ont


parfois de la peine à accepter l'insistance des ortho-
doxes sur la théologie apophatique et la distinction
entre essence et énergies ; mais à part ces deux ques-
tions, les orthodoxes ont sur Dieu les mêmes
doctrines que la grande majorité de ceux qui se
nomment chrétiens. Non-Chalcédoniens et luthériens,
membres de l'Église d'Orient et catholiques romains,
calvinistes, anglicans et orthodoxes, tous adorent Un
Dieu en Trois Personnes et confessent que le Christ
est le Fils de Dieu incarné6.
Il y a cependant un point sur lequel l'Orient et
l'Occident ne semblent pas d'accord : c'est la question
du Filioque. Nous avons déjà vu quel rôle décisif ce
seul mot a joué dans la malheureuse division qui a
affecté la chrétienté. Mais, mise à part l'importance
historique du Filioque, quelle est sa portée théolo-
gique ? Bien des gens aujourd'hui, y compris des

5. Pour le premier et le second de ces deux points, voir


p. 84-92, pour le troisième et le quatrième, voir p. 29-42.
6. Depuis un siècle, sous l'influence du 'modernisme', beau-
coup de protestants ont virtuellement abandonné les doctrines de
la Trinité et de l'Incarnation. Je parle donc ici des calvinistes,
luthériens et anglicans qui sont restés fidèles aux formules du
protestantisme classique du xvr siècle.
Dieu et l'homme 273

orthodoxe s, ont tendance. à trouver la dispute si


obscure et si technique qu'ils sont tentés de la rejeter
comme entièreme nt insignifiante. Du point de vue de
la théologie orthodoxe traditionne lle, il ne peut y
avoir qu'une réponse : la question est certaineme nt
technique et obscure, comme toutes celles qui se
rattachent à la théologie trinitaire, mais non sans
importanc e. La foi en la Trinité étant au cœur de la foi
chrétienne , une légère différence dans la théologie
trinitaire peut avoir des répercussi ons sur tous les
aspects de la vie et de la pensée chrétienne s. Essayons
donc de comprend re plus en profondeu r quelques
points de cette controvers e du Filioque.
Une essence en trois personnes. Dieu est un, et Dieu
est trois : la Sainte Trinité est le mystère de l'unité dans
la diversité et de la diversité dans l'unité. Père, Fils et
Esprit sont ~ un en essence • (homoousios), chacun
cependant se distingue des deux autres par des carac-
téristiques personnell es. • La Divinité est sans division
dans ceux qui sont distincts7 .. , car les personnes sont
• unies sans confusion, distinctes, cependant non divi-
séesB » ; • distinction et union sont toutes deux aussi
paradoxale s9 •.
La caractéris tique distinctiv e de la première
Personne de la Sainte Trinité est la Paternité : le Père
est incréé, ayant Sa source et Son origine en Lui-même
uniqueme nt et non en une autre personne. La caracté-
ristique distinctive de la deuxième Personne de la
Sainte Trinité est d'être Fils: bien qu'égal au Père et
coéternel à Lui, le Fils n'est pas inengendr é ou sans
source, mais Il a Sa source et Son origine dans le Père

7. Grégoire de Nazianze, Discours, 31, 14: SC 250, Paris 1978,


p. 303.
8. Jean Damascène, Sur la Foi orthodoxe, 1,8 (PG 94, 809A).
9. Grégoire de Nazianze, Discours, 25, 17: SC 284, Paris 1981,
p. 198-199.
274 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

duquel il fut engendré ou est né de toute éternité


• avant les siècles •, comme il est dit dans le Credo. La
caractéristique distinctive de la troisième Personne de
la Sainte Trinité est la Procession : comme le Fils, le
Saint Esprit a Sa source et Son origine dans le Père,
mais Sa relation au Père est différente de celle du Fils,
du fait qu'Il n'est pas engendré, mais procède de toute
éternité du Père.
C'est précisément sur ce point que l'opinion occi-
dentale sur la Trinité semble entrer en conflit avec
celle de l'Orient. Selon la théologie catholique
romaine, telle qu'elle s'exprime par exemple chez
saint Augustin d'Hippone (360-430) ou au Concile de
Florence (1438-1439) le Saint Esprit procède éternelle-
ment du Père et du Fils (Filioque). Cette doctrine est
appelée doctrine de la • Double Procession • de
l'Esprit Saint. Mais les Pères Grecs affirment à l'occa-
sion que le Saint Esprit procède du Père par le Fils -
on trouve ce langage particulièrement chez saint
Grégoire de Nysse - ou qu 'Il procède du Père et
repose sur ou dans le Fils ; mais l'Orient chrétien a
presque toujours refusé de dire que l'Esprit procède
du Fils.
Mais quel est le sens du terme• procéder•? S'il n'est
pas bien compris, rien ne peut être compris. L'Église
croit que le Christ a passé par deux naissances: l'une
éternelle, l'autre à un moment donné, dans le temps.
Il est né du Père • avant tous les siècles • et Il est né de
la Vierge Marie au temps d'Hérode, roi de Judée, et
d'Auguste, empereur de Rome. Il faut de la même
manière distinguer très nettement entre la procession
éternelle de !'Esprit et sa mission temporelle, le don de
!'Esprit au monde : la première concerne des relations
existant de toute éternité au sein de la divinité, la
deuxième est une relation de Dieu avec la création.
Lorsque l'Occident dit que l'Esprit procède du Père et
du Fils et que l'orthodoxie dit qu'il procède du Père
Dieu et l'homme 275

seul, catholiques et orthodoxes ne se réfèrent pas à


l'action extérieure de la Trinité envers la création,
mais bien à certaines relations éternelles, existantes
dans la divinité, relations qui existaient avant que le
monde fût. Mais tandis que les orthodoxes ne sont pas
d'accord avec l'Occident sur la procession éternelle de
l'Esprit, ils admettent intégralement la mission de
l'Esprit, envoyé au monde par le Fils, et qu'Il est en
vérité • !'Esprit du Fils •.
La position orthodoxe est basée sur les paroles du
Christ : « Quand viendra le Paraclet, que Je vous
enverrai d'au près du -Père, !'Esprit de vérité, qui
procède du Père, Il me rendra témoignage •
(Jean 15, 26). Le Christ envoie !'Esprit, mais l'Esprit
procède du Père : c'est ce que la Bible nous enseigne,
et c'est la foi orthodoxe. L'orthodoxie n'enseigne pas
et la Bible ne dit pas que !'Esprit procède du Fils.
La position des Occidentaux est que !'Esprit
procède éternellement du Père et du Fils. Et contre
l'Occident, saint Photius affirmait: !'Esprit procède
éternellement du Père seul, et a reçu du Fils une
mission temporelle. Mais les écrivains byzantins des
XIff et XIV" siècles - notamment Grégoire de Chypre,
patriarche de Constantinople de 1283 à 1289, et
Grégoire Palamas - sont allés un peu plus loin que
Photius pour essayer de combler le fossé entre
l'Orient et l'Occident : ils ont été d'accord pour
accepter non seulement une mission temporelle, mais
une manifestation éternelle de l'Esprit Saint par le Fils.
Là où .Photius parlait seulement d'une relation tempo-
relle entre le Fils et l'Esprit, ils admettaient une rela-
tion éternelle. Mais sur le point essentiel, les deux
Grégoire étaient d'accord avec Photius : l'Esprit est
manifesté par le Fils, mais ne procède pas du Fils.
L'Esprit tire Son être éternel, Son identité personnelle,
non pas du Fils mais du Père seul. Le Père est l'unique
origine, source et cause de la Divinité.
276 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Telles sont, dans leurs grandes lignes, les positions


adoptées par chacune des deux parties. Considérons
maintenant les objections orthodoxes à la théorie
occidentale de la Double Procession. Dans
}'Orthodoxie contemporaine, il y a en fait deux
approches à cette question. Les « faucons •, ceux qui
s'en tiennent à une position plus stricte sur le Filioque,
suivent Photius et Marc d'Ephèse en considérant la
doctrine de la Double Procession comme une hérésie
qui produit une distorsion fatale dans la doctrine occi-
dentale de Dieu comme Trinité. Vladimir Lossky, le
principal tenant de cette position stricte au XX" siècle,
va même plus loin: il argue que le déséquilibre dans
la doctrine occidentale de la Trinité a aussi conduit à
un déséquilibre dans la doctrine de l'Église ; le
Filioque, pour lui, est clairement lié avec l'accent que
mettent les catholiques romains sur les revendications
papales. Mais parmi les théologiens orthodoxes
modernes, il y a aussi les « colombes • qui se font les
avocats d'une approche plus conciliante de la ques-
tion. Tout en déplorant l'insertion unilatérale par
l'Occident du Filioque dans le texte du Credo, ils ne
considèrent pas la doctrine latine de la Double
Procession comme en elle-même hérétique. Elle est,
disent-ils, quelque peu confuse dans son expression
et potentiellement source d'erreur, mais elle se prête à
une interprétation orthodoxe, et alors elle peut être
acceptée, non pas comme un dogme, mais comme un
tbeologoumenon, une opinion théologique.
Pour les penseurs orthodoxes les plus stricts, le
Filioque mène soit à un dithéisme, soit à un semi-
sabellianisme10. Si le Fils, comme le Père, est un archè,

10. Sabellius, hérétique du JI• siècle, considérait le Père, le Fils


et l'Esprit Saint non comme trois personnes distinctes, mais
simplement comme des • modes • ou des • aspects • variés de la
Divinité.
Dieu et l'homme 277

un principe ou source de la Divinité, y a-t-il alors


(demande le groupe le plus strict) deux sources indé-
pendantes, deux principes séparés dans la Trinité ?
Manifestement, ce ne peut pas être le point de vue
latin, car cela équivaudrait à croire en deux Dieux, et
c'est une chose que ni les Occidentaux ni les
Orientaux n'ont jamais prétendu. En fait, le Concile de
Florence, suivant Augustin, prend la précaution de dire
que l'Esprit Saint procède du Père et du Fils comme
d'un seul principe : tanquam ab uno principio.
Pour les plus stricts d'entre ces orthodoxes, cepen-
dant, cette tentative d'éviter l'accusation de dithéisme
ouvre la porte à des objections également graves : on
tombe de Charybde en Scylla. En se débarrassant
d'une hérésie, l'Occident a dévié dans une autre : le
dithéisme est évité, mais les personnes du Père et du
Fils sont fusionnées et confondues. La théologie
orthodoxe soutient la monarchie du Père à l'intérieur
de la Trinité: Lui seul est archè, la Source ou l'origine
de l'être à l'intérieur de la Divinité. Mais la théologie
occidentale attribue cette caractéristique distinctive du
Père également au Fils, donc confondant les deux
personnes en une: et qu'est-ce d'autre sinon • une
renaissance de Sabellius, ou plutôt un monstre semi-
sabellien », selon les termes de saint Photiusll ?
Examinons plus attentivement cette accusation de
semi-sabellianisme. La Double Procession, c'est ainsi
qu'elle apparaît à beaucoup d'orthodoxes, porte
atteinte à l'équilibre propre à l'intérieur de la théo-
logie trinitaire, entre les trois personnes distinctes et
l'essence partagée. Qu'est-ce qui soude la Trinité ? Les
Cappadociens, et les théologiens orthodoxes après
eux, répondent qu'il y a un seul Dieu parce qu'il y
a un seul Père. Les deux autres Personnes tirent
leur origine du Père et sont définies en termes de leur

11. PG 102, 289B.


278 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

relation avec le Père. En tant qu'unique source d'être


à l'intérieur de la Trinité, le Père constitue de cette
manière le principe ou base de l'unité pour la Divinité
tout entière. Mais l'Occident, en considérant non
seulement le Père mais aussi le Fils comme la source
de l'Esprit, trouve son principe d'unité non plus dans
la personne du Père, mais dans l'essence que partagent
les trois personnes. Et de cette manière, beaucoup
d'orthodoxes le ressentent ainsi, dans la théologie
latine, les personnes sont éclipsées par l'essence ou la
substance commune.
Ceci aboutit, pour ce groupe plus strict à l'intérieur
de !'Orthodoxie, à une dépersonnalisation dans la
doctrine latine de la Divinité. Dieu est conçu moins en
des termes concrets et personnels que comme une
essence dans laquelle différentes relations sont distin-
guées. Cette façon de penser Dieu atteint son plein
développement chez Thomas d'Aquin, qui allait
jusqu'à identifier les personnes avec leurs relations:
personœ sunt ipsœ relationes12. Pour bien des
penseurs orthodoxes, cela donne une piètre idée de la
personnalité. Les relations, disent-ils, ne sont pas les
personnes: elles sont les caractéristiques personnelles
du Père, du Fils et de !'Esprit Saint. Et ainsi que le dit
Grégoire Palamas : « Les caractères hypostatiques ne
sont pas l'hypostase, mais ils caractérisent l'hypo-
stase13... Les relations, tout en désignant les personnes,
n'épuisent aucunement le mystère de chacune.
La théologie scolastique latine, en insistant telle-
ment sur l'essence au détriment des personnes, est
bien près de faire de Dieu une idée abstraite. Il
devient un être éloigné, impersonnel, dont l'existence
se prouve par des arguments métaphysiques, le Dieu

12. Summa Tbeologica, I, question 40, art. 2.


13. J. Meyendorff, Introduction à l'étude de Grégoire Palamas,
Paris, éd. du Seuil, 1959 (Studia Patristica Sorbonensia), p. 294.
Dieu et l'homme 279

des philosophes et non plus le Dieu d'Abraham,


d'Isaac et de Jacob. Quant aux orthodoxes, ils sont
moins intéressés que les Latins par les preuves philo-
sophiques de l'existence de Dieu. Ce qui importe, ce
n'est pas une argumentation au sujet de la Divinité,
mais le fait d'une rencontre directe et vivifiante avec
un Dieu personnel et concret.
Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles
beaucoup d'orthodoxes considèrent le Filioque
comme dangereux et hérétique : il mêle les personnes
et détruit le juste équilibre entre l'unité et la diversité
dans la divinité; il met l'accent sur l'indivisibilité, non
sur l'aspect trinitaire. Dieu est considéré comme une
essence abstraite et trop peu en termes de personna-
lité spécifique.
De plus, le Filioque donne aux plus stricts parmi les
orthodoxes l'impression que }'Esprit Saint, dans la
pensée occidentale, est subordonné au Fils, sinon en
théorie, certainement en pratique. L'Occident ne prête
pas assez d'attention au rôle de !'Esprit dans le
monde, dans l'Église et dans la vie quotidienne de
chaque individu.
Les écrivains orthodoxes prétendent aussi que ces
deux conséquences du Filioque, la subordination de
}'Esprit et l'extrême accentuation de l'unité de Dieu,
ont pour résultat d'amener une déformation dans la
doctrine catholique romaine de l'Église. L'Occident
ayant minimisé l'importance du rôle de }'Esprit,
regarde trop l'Église comme une institution de ce
monde, gouvernée en termes de pouvoir temporel. Et
de même que la doctrine occidentale a accentué
l'unité de Dieu aux dépens de la diversité, de même
l'unité de l'Église a triomphé sur la diversité, et il en
est résulté un excès de centralisation et une impor-
tance trop marquée de l'autorité papale.
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les posi-
tions des « faucons ». Mais les « colombes » orthodoxes
280 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

émettent des réserves importantes sur plusieurs points


de cette critique du Filioque. Premièrement, ce n'est
qu'au XX" siècle que les écrivains orthodoxes ont vu
un lien si étroit entre la doctrine de la Double
Procession et la doctrine de l'Église. Les écrivains anti-
latins de la période byzantine n'affirment pas un tel
lien entre les deux. Si le Filioque et les revendications
papales sont en fait si manifestement et si intégrale-
ment liées, pourquoi les Orthodoxes ne l'ont-ils pas
reconnu plus tôt ?
Deuxièmement, il n'est pas juste d'affirmer, d'une
manière aussi absolue et tranchée, que le principe de
la Divine unité est personnel dans !'Orthodoxie mais
pas dans le catholicisme romain ; car l'Occident latin
autant que l'Orient grec soutiennent la doctrine de la
« monarchie » du Père. Quand Augustin a affirmé que

l'Esprit procède du Père et du Fils, il a pris la précau-


tion d'insister sur le fait que l'Esprit ne procède pas du
Fils de la même manière dont Il procède du Père. Il y
a deux sortes différentes de procession. L'Esprit
procède du Père principaliter, « principalement » ou
« en principe », dit Augustin, mais Il procède du Fils
seulement per donum Patris, « par le don du Père •.
Que l'Esprit procède du Fils, pour ainsi dire, cela
résulte d'un don spécial que le Père Lui-même a
conféré au Fils. Tout comme le Fils reçoit toutes
choses comme un don du Père, c'est aussi du Père
que le Fils reçoit le pouvoir de spirer ou faire
procéder l'Esprit.
Ainsi, pour Augustin comme pour les
Cappadociens, le Père demeure la seule « source de la
Divinité», et l'ultime origine à l'intérieur de la Trinité.
La doctrine d'Augustin, à savoir que l'Esprit procède
du Père et du Fils - mais avec le qualificatif qu'il
procède du Fils non principaliter, mais « par le don du
Père» - n'est alors pas si différente des vues de
Grégoire de Nysse, selon lequel le Saint Esprit
Dieu et l'homme 281

procède du Père par le Fils. Le Concile de Florence,


en adoptant la doctrine d'Augustin sur la Double
Procession, a mis l'accent explicitement sur le point
que le souffle de l'Esprit est conféré au Fils par Dieu le
Père. Le contraste, alors, entre l'Orthodoxie et Rome
en ce qui concerne la« monarchie .. du Père n'est pas
aussi marqué qu'il apparaît à première vue.
En troisième lieu, le reproche à l'Occident de
dépersonnaliser la Trinité en suraccentuant l'unité de
resssence aux dépens de la diversité des personnes
ne devrait pas être exagéré. Indubitablement, du fait
du scolastisme dégradé qui a prévalu à la fin du
Moyen Age et dans des siècles plus récents, certains,
en Occident, traitent de la Trinité d'une manière
abstraite et schématique. Il est vrai également qu'au
début de la période patristique, l'Occident latin eut
généralement tendance à aborder la question par
l'unité de l'essence divine et d'en dériver la trinité des
personnes, tandis que l'Orient grec avait tendance à
raisonner en sens inverse, de la triunité des personnes
à l'unicité de l'essence. Mais à ce niveau, nous ne
parlons que de tendances générales et non d'opposi-
tions irréconciliables ou d'hérésies spécifiques. Si elle
est poussée à l'extrême, l'approche occidentale mène
au modalisme et au sabellianisme tout comme l'ap-
proche orientale mène au trithéisme, à la notion de
« trois Dieux ... Mais les grands penseurs représentatifs,

en Orient comme en Occident, n'ont pas poussé


jusque là. Il est faux de prétendre qu'Augustin néglige
le caractère personnel de la Trinité, même s'il hésite à
appliquer à Dieu le mot persona ; et il est certaine-
ment des théologiens de l'Occident médiéval, comme
Richard de Saint-Victor (t1173), pour affirmer une
doctrine «sociale .. de la Trinité qui s'exprime en
termes d'amour réciproque des personnes.
Pour toutes ces raisons, il y a aujourd'hui une école
de théologiens orthodoxes qui croient que la diver-
282 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

gence entre l'Orient et l'Occident à propos du


Filioque, malgré toute son importance, est loin d'être
aussi fondamentale que Lossky et ses disciples l'affir-
ment. La conception catholique romaine de la
personne et de l'action du Saint Esprit - conclut ce
second groupe de théologiens orthodoxes - n'est pas
fondamentalement différente de celle de l'Orient chré-
tien ; et ainsi nous pouvons espérer que, dans le
dialogue d'aujourd'hui entre les Orthodoxes et les
Catholiques romains, il sera possible d'arriver un jour
à un accord sur cette épineuse question.

La personne humaine : sa création, sa


vocation, sa chute

• Tu nous as faits pour Toi, et nos cœurs n'auront


pas de repos avant de pouvoir se reposer en Toi14. •
L'homme a été créé en vue de sa communion avec
Dieu ; ceci est l'affirmation première et essentielle de
la doctrine chrétienne au sujet de l'homme. Mais
l'homme, créé pour être l'ami de Dieu, a, en tous
lieux, méconnu sa vocation ; c'est le deuxième
facteur inscrit dans l'anthropologie chrétienne.
L'homme a été créé en vue de sa communion avec
Dieu ; dans le langage de l'Église, Dieu a créé Adam
à sa propre image et ressemblance et l'a placé au
Paradis15. L'homme a répudié cette communion;
dans le langage de l'Église, Adam est tombé, et sa

14. Augustin, Confessions, I, 1.


15. Les premiers chapitres de la Genèse se rapportent à des
vérités religieuses et ne doivent pas être pris littéralement. Quinze
siècles avant les critiques modernes de la Bible, quelques Pères
Grecs interprétaient déjà l'histoire de la Création et du Paradis de
façon plus symbolique que littérale.
Dieu et l'homme 283

chute, son « péché originel •, a affecté toute l'huma-


nité.
La création de l'homme. Dieu dit : « Faisons
l'homme à notre image et à notre ressemblance •
(Genèse 1, 26). Dieu parle au pluriel:« faisons•. Ainsi
que les Pères grecs le répètent continuellement, la
création est un acte des trois Personnes de la Trinité,
et c'est pourquoi, dans l'image et la ressemblance de
Dieu, il ne faut jamais perdre de vue l'image et la
ressemblance trinitaire. Nous allons voir l'importance
vitale de ce point.
Image et ressemblance. D'après la plupart des Pères
grecs, image et ressemblance ne veulent pas dire
exactement la même chose. ~ L'expression à notre
image, écrit Jean Damascène, indique la rationalité et
la liberté, tandis que l'expression à notre ressem-
blance indique une assimilation avec Dieu par la
vertu16. • L'image, ou pour employer le mot grec,
l'icône de Dieu veut dire notre libre arbitre, notre
raison, notre sens moral et de responsabilité, en fait
tout ce qui nous distingue de la création animale et
fait de chacun de nous une personne. Mais l'image
veut dire encore plus : elle veut dire que nous
sommes «de la race• de Dieu (Actes 17, 28), de Sa
parenté; qu'entre Lui et nous il y a un point de
contact, de similitude. L'abîme entre le Créateur et la
créature n'est pas infranchissable, puisque, étant faits
à Son image, nous pouvons connaître Dieu et entrer
en communion avec Lui. Et si nous faisons usage de
cette faculté de communier avec Dieu, nous devien-
drons • comme • Lui, nous acquerrons une ressem-
blance divine ; dans les termes de Jean Damascène,
nous serons « assimilés à Dieu par nos vertus •.
Acquérir cette ressemblance équivaut à être déifié, à
devenir un« deuxième Dieu•,« un Dieu par la grâce•.

16. Sur la Fot orthodoxe, 11,12 (PG 94, 920B).


284 L'Orlhodoxie, l'Église des sept Conciles

• ]'ai dit: vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut»


(Psaume 81, 6; Jean 10, 34-35)17.

L'image signifie les possibilités dont Dieu a doté


chacun d'entre nous dès le moment de sa naissance;
la ressemblance n'est pas un don gratuit, possédé dès
le début de l'existence, mais un but auquel il faut
tendre, quelque chose qui ne peut s'acquérir que
graduellement. Quelque pécheurs que nous soyons,
nous ne pouvons perdre l'image, mais la ressem-
blance dépend de notre choix moral, de notre
• vertu », et peut par conséquent être détruite par le
péché.
Les humains ont été créés parfaits, non pas en effet,
mais potentiellement. L'image étant un don gratuit
d'emblée, ils étaient appelés à acquérir la ressem-
blance par leurs propres efforts, aidés naturellement
par la grâce de Dieu. L'état premier d'Adam était d'in-
nocence et de simplicité. • Il était comme un enfant
dont la maturité n'est pas encore achevée », dit saint
IrénéelB. • Il devait croître et atteindre sa perfection.»
Dieu a mis Adam sur la bonne voie, mais la route était
longue avant d'arriver au but final.
Ce tableau d'Adam avant la chute diffère quelque
peu de celui qu'Augustin d'Hippone a représenté et
qui, depuis son temps, a été généralement accepté par
l'Occident. Selon Augustin, l'homme, au paradis, a été
dès le premier moment doué de toute la sagesse et de
la connaissance possible; sa perfection n'était nulle-
ment potentielle, mais pleinement réalisée. La concep-
tion dynamique d'Irénée est bien plus proche des

17. Dans les citations des psaumes, on reprend la numérotation


de la Septante. Certaines versions de la Bible donnent à ce
psaume le numéro 82.
18. Démonstratton de la prédication apostolique, 12. Cf. SC 62
[trad. de l'arménien], Paris 1959, p. 52.
Dieu et l'homme 285

théories modernes de l'évolution que la conception


statique d'Augustin. Mais comme tous deux parlent en
théologiens et non pas en hommes de science, les
hypothèses scientifiques ne peuvent ni corroborer ni
contrarier leurs vues.
L'Occident a souvent associé l'image de Dieu avec
l'âme ou l'intellect humain. Beaucoup d'orthodoxes
soutiennent la même idée, mais d'autres disent que
puisque l'homme est un tout complet, l'image de Dieu
embrasse toute sa personne, corps et âme ensemble .
• Lorsqu'on dit que Dieu a fait l'homme à Son image,
dit Michel Choniates (tvers 1222), le mot homme ne
signifie pas l'âme en elle-même, ou le corps en lui-
même, mais les deux ensemble19. • Le fait que l'être
humain possède un corps ne le rend pas, selon
Grégoire Palamas, inférieur, mais supérieur aux anges.
Il est vrai que les anges sont de .. purs » esprits alors
que la nature humaine est .. mixte •, matérielle aussi
bien qu'intellectuelle; mais cela montre seulement
qu'elle est plus complète que celle des puissances
angéliques et plus riche en potentialités. L'homme est
un microcosme, un pont et le point de rencontre de
toute la création de Dieu.
L'image de Dieu dans l'homme a une place très
importante dans la pensée religieuse orthodoxe.
Chacun d'entre nous est une .. théologie vivante» et
parce que nous sommes l'image, l'icône de Dieu,
nous pouvons trouver Dieu en regardant à l'intérieur
de notre propre cœur, • en retournant en nous-
mêmes •: • Le Royaume de Dieu est au-dedans de
vous .. (Luc 17, 21) ... Connais-toi toi-même, dit saint
Antoine d'Égypte, celui qui se connaît soi-même
connaît Dieu20 ..... Si tu es pur, dit saint Isaac le Syrien,

19. PG 150, 1361C.


20. SAINT ANTOINE, Lettres, Lettre 6, Bellefontaine 1976
(• Spiritualité Orientale; 19 •) ; p. 103.
286 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

(fin du vue siècle), le ciel est en toi; tu verras en toi les


anges et le Seigneur des anges21. "Et ainsi qu'on l'a dit
de saint Pachôme : « dans la pureté de son cœur il a
vu Dieu, l'invisible, comme dans un miroif22. •
Parce qu'il est une icône de Dieu, chaque membre
de la race humaine, même le plus coupable, est infini-
ment précieux au regard de Dieu. • Celui qui a vu son
frère a vu son Dieu23 » a dit saint Clément d'Alexandrie
(t215), et Évagre nous apprend: • Après Dieu, nous
devons considérer chacun comme Dieu Lui-même24. •
Ce respect de la personne humaine est exprimé dans
les offices orthodoxes, lorsque le prêtre encense non
seulement les icônes, mais tous les membres de l'as-
semblée : il salue l'image de Dieu en chaque
personne. • La meilleure icône de Dieu, c'est la
personne humaine25. »
Grâce et libre arbitre. Ainsi que nous l'avons vu, le
fait que l'homme ait été créé à la ressemblance de
Dieu veut dire qu'il possède une volonté propre. Dieu
a voulu des fils et des filles, non des esclaves. L'Église
orthodoxe rejette toute doctrine d'une grâce qui
empiéterait sur la liberté humaine. Pour exprimer les
relations entre la grâce de Dieu et la liberté humaine,
l'orthodoxie se sert du terme coopération ou
•synergie• (synergeia). Selon saint Paul : • Nous
sommes les coopérateurs (synergoi) de Dieu •
(1 Cor 3, 9). Nous ne pouvons espérer atteindre une
pleine communion avec Dieu sans l'aide de Celui-ci,
mais nous devons être aussi actifs. Bien que ce que
Dieu fait soit infiniment plus important que ce que

21. Cité dans Paul Evdokimov, L 'Orthodoxie, p. 88.


22. Première vie grecque, 22.
23. Clément d'Alexandrie, Stromates, I, 19 (94,5): SC 30, Paris
1951, p. 120.
24. Sur la prière, 123: PG 79, 1193C.
25. Paul Evdokimov, L'Orthodoxie, p. 218.
Dieu et l'homme 287

nous pouvons faire, nous devons également contri-


buer au travail commun. « L'incorporation de l'homme
au Christ et son union à Dieu requièrent la coopéra-
tion de deux forces inégales, mais également néces-
saires: la grâce divine et la volonté humaine26. • La
Mère de Dieu est l'exemple par excellence de la
synergie 27.
Depuis Augustin d'Hippone et le pélagianisme,
l'Occident a discuté la question de la grâce et du libre
arbitre en termes quelque peu différents, et beaucoup
de ceux qui ont été élevés dans la tradition
d'Augustin, les calvinistes notamment, ne considèrent
pas sans réserve l'idée orthodoxe de la« synergie•. Ne
donne-t-elle pas trop d'importance à l'homme et trop
peu à Dieu? Pourtant l'enseignement orthodoxe est
très clair : « Voici que je me tiens à la porte et que je
frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la
porte, j'entrerai chez lui • (Apoc 3, 20). Dieu frappe,
mais attend que nous ouvrions la porte. Il ne la brise
pas. La grâce de Dieu invite, mais ne force personne.
Dans les termes de Jean Chrysostome: • Dieu n'attire
jamais personne de force, par la violence. Il désire le
salut de tous, mais ne force aucun28 •. • A Dieu de
donner Sa grâce, dit saint Cyrille de Jérusalem (t386),
à toi de l'accueillir et de la garder29. • Mais il ne faut
pas croire que parce qu'une personne a reçu et
conserve la grâce de Dieu, elle a gagné des « mérites •.
Les dons de Dieu sont toujours gratuits et l'homme n'a
aucun droit sur son Créateur. Mais alors que nous les
humains ne pouvons • mériter • le salut, nous devons

26. Un moine de l'Église d'Orient, Introduction à la spiritualité


orthodoxe Paris: Desclée de Brouwer (•Théophanie• ), 1983,
p. 38.
27. Voir p. 333-334.
28. Homélie sur les mots• Saul, Saul ... • PG 51, 144.
29. Catéchèse baptismale, l, 4. Éd. chanoine Bouvet, éditions
du Soleil Levant, Namur, 1962, p. 45.
288 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

y travailler, puisque, ainsi qu'il est écrit : • Si la foi n'a


pas les œuvres, elle est morte» (Jacques 2, 17).
La chute : le péché originel. Dieu a doté Adam d'un
libre arbitre, c'est-à-dire du pouvoir de choisir entre le
bien et le mal. Et il dépenda it d'Adam d'accepter ou
de refuser sa vocation. Il l'a refusée. Au lieu de conti-
nuer sur le chemin que Dieu lui indiquait, il a changé
de direction et il a désobéi. La chute d'Adam consiste
essentiellement dans sa désobéissance à la volonté de
Dieu : il a opposé sa volonté à celle de Dieu et, de sa
propre initiative, il s'est séparé de Dieu. Il en résulta
l'apparit ion sur terre d'une nouvelle forme d'exis-
tence : celle de la maladie et de la mort. En se détour-
nant de Dieu, qui est l'immortalité et la vie, l'homme
est entré dans une situation contraire à sa nature et
dont les conditions antinaturelles ont inévitablement
amené la désintég ration de son être et la mort
physique . Les conséqu ences de la désobéis sance
d'Adam se sont étendues à toute sa descenda nce.
Nous sommes membres les uns des autres, répète
constam ment saint Paul ; si un membre souffre, tout le
corps souffre. En raison de cette mystérieuse unité de
la race humaine , ce n'est pas Adam seul qui s'est
trouvé assujetti à la mort, mais toute l'humanité. Et la
désintégration qui a suivi la chute n'a pas été seule-
ment physique, mais égaleme nt morale. Séparés de
Dieu, Adam et sa descenda nce sont passés sous le
pouvoir du péché et du diable. Chaque nouvel être
humain naît dans un monde où le mal prévaut, un
monde dans lequel le mal est aisé et le bien difficile.
Notre volonté est affaiblie par ce que les Grecs appel-
lent •désir» et les Latins •concup iscence» . Nous
sommes tous sujets à ces effets spirituels du péché
originel.
Jusqu'ici, l'orthodoxie, le catholicisme romain et le
protesta ntisme classiqu e sont d'accord . Mais plus
avant, les opinions sont partagée s: l'orthodoxie, qui
Dieu et l'homme 289

dès le début n'a pas une idée aussi exaltée de la


perfection de l'homme avant sa chute, est aussi moins
sévère que ·l'Occident quant aux conséquen ces de
cette chute. Adam est tombé, non d'une grande
hauteur de connaissance et de perfection, mais d'un
état de simplicité première ; il ne faut donc pas juger
sa faute trop sévèremen t. Certes, à la suite de sa
chute, l'esprit humain s'est tellement obscurci et sa
volonté a été si diminuée, qu'il ne pouvait plus
espérer parvenir à la ressembla nce avec Dieu.
L'orthodoxie cependant ne pense pas que la faute a
complètem ent démuni l'homme de la grâce de Dieu,
mais dirait plutôt que la grâce, au lieu d'agir de l'inté-
rieur, comme avant la chute, agit maintenant de l'exté-
rieur. L'orthodoxe ne partage pas le point de vue de
Calvin pour qui l'homme, après la chute, est totale-
ment dépravé et incapable d'un bon sentiment .
L'orthodo xe n'est pas davantage d'accord avec
Augustin, lorsque celui-ci écrit que l'homme est sous
• la cruelle nécessité • de pécher et que la nature
humaine • est dominée par la faute dans laquelle il est
tombé et par laquelle il a perdu sa liberté30 • L'image
de Dieu est déformée par le péché, mais elle n'est
jamais détruite ; selon les paroles d'une hymne
chantée aux funérailles dans l'Église orthodoxe : • Je
suis l'image de Ta gloire ineffable, bien que je porte
en moi les stigmates du péché "· Et parce que nous
conservon s toujours l'image de Dieu, nous gardons
aussi notre libre arbitre, même si le péché en a
restreint la portée. Même après la chute, Dieu • n'en-
lève pas à l'homme le pouvoir de vouloir - de vouloir
lui obéir ou lui désobéir31 •. Fidèle à l'idée de
synergie, l'orthodoxie rejette toutes les interprétations

30. Sur la perfection et la droiture de l'homme, IV, 9.


31. Dosithée, Confession, Décret III (comparer avec le décret
XIV).
290 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

de la chute qui ne laisseraient plus de place à la


liberté humaine.
La plupart des théologiens orthodoxes rejettent
aussi l'idée de la culpabilité originelle, soutenue par
Augustin et toujours acceptée (bien que sous une
forme atténuée) par l'Église catholique romaine. En
général la conception orthodoxe est que l'homme a
automatiquemen t hérité de la corruption et de la
mortalité d'Adam, mais non pas de sa faute : il n'est
coupable que dans la mesure où, par un libre choix,
il imite Adam. Beaucoup de chrétiens occidentaux
pensaient que l'homme est incapable de faire quoi
que ce soit d'agréable à Dieu, parce qu'il ne pouvait
rien faire qui ne soit marqué par le péché originel. Il
est écrit dans le treizième des trente-neuf articles de
l'Église anglicane : • Les œuvres avant la justification
ne sont pas agréables à Dieu, parce qu'elles sont de
la nature du péché ... • C'est une hypothèse qu'un
orthodoxe hésiterait à formuler. Et jamais un ortho-
doxe ne pensera (ainsi qu'Augustin et beaucoup
d'autres occidentaux) que les bébés qui meurent
sans être baptisés, parce qu'ils sont entachés du
péché originel, seront, par la volonté d'un Dieu juste,
livrés aux flammes éternelles de l'enfer32. L'humanité
déchue est bien moins sombre du point de vue

32. Thomas d'Aquin, dans l'ensemble, épouse les vues


d'Augustin et retient particulièrement l'idée d'une culpabilité origi-
nelle, mais en ce qui concerne les bébés non baptisés, il prétend
qu'ils ne vont pas en enfer, mais dans les limbes, point de vue
généralement accepté aujourd'hui par les théologiens catholiques ·
romains. Pour autànt que je puisse voir, aucun écrivain orthodoxe
ne fait état de cette idée des limbes.
On trouve parfois, dans la littérature théologique orthodoxe, le
point de vue augustinien sur la chute, mais c'est en général Je
résultat d'une influence occidentale. La Confession Orthodoxe de
Pierre Mohyla est, ainsi qu'on peut s'y attendre, fortement augus-
tinienne; mais la Confession de Dosithée est exempte d'augusti-
nisme.
Dieu et l'homme 291

orthodoxe que de celui d'un Augustin ou d'un


Calvin.
Mais l'orthodoxie, tout en maintenant que l'homme,
après la faute, conserve encore son libre arbitre et est
toujours capable de vouloir le bien, est cependant
d'accord avec l'Occident dans la croyance commune
que le péché a élevé entre l'homme et Dieu une
barrière que l'homme ne peut détruire par ses propres
efforts. Le péché bloque la voie de l'union avec Dieu.
Et puisque nous ne pouvions plus aller à Dieu, c'est
Dieu qui est allé vers nous.

Jésus-Christ

L'Incarnation est un acte de la philanthropia de


Dieu, de Sa bonté aimante pour le genre humain.
Quelques auteurs orientaux ont prétendu que même
si l'homme n'était pas tombé, Dieu, dans Son amour
pour l'humanité, Se serait quand même fait homme :
l'Incarnation doit être comprise comme une part des
intentions éternelles de Dieu et non pas simplement
comme une réponse à la chute. Tel était le point de
vue de saint Isaac le Syrien, telles aussi ont été les
vues de certains écrivains occidentaux, notamment de
Duns Scot (1265-1308).
Du fait de la chute de l'homme, l'Incarnation n'est
plus seulement un acte d'amour, mais de salut. Jésus-
Christ, en unissant en Lui l'humanité et la divinité, a
ouvert de nouveau à tous les humains la voie de
l'union avec Dieu. Le Christ a montré dans sa propre
personne ce qu'est la véritable •ressemblance• avec
Dieu ; et par Son sacrifice rédempteur et victorieux, Il
a remis cette ressemblance à notre portée. Le Christ,
deuxième Adam, est venu sur la terre et a brisé les
effets de la désobéissance du premier Adam.
292 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Les éléments essentiels de la doctrine orthodoxe au


sujet du Christ ont été énoncés dans le chapitre II: vrai
Dieu et vrai homme, une personne en deux natures,
sans séparation et sans confusion, une seule personne,
mais qui possède deux volontés et deux énergies.
Vrai Dieu et vrai homme: ainsi que l'a dit l'évêque
Théophane le Reclus : • Derrière le voile de la chair du
Christ, les Chrétiens contemplent le Dieu trinitaire. »
Ces mots soulignent nettement ce qui est peut-être la
caractéristique la plus frappante de l'enseignement
orthodoxe au sujet du Christ : le sens irrésistible de Sa
gloire divine. Cette gloire divine s'est manifestée tout
particulièrement à deux moments de la vie du Christ :
à la Transfiguration sur le mont Thabor, lorsque la
lumière incréée de la divinité a resplendi visiblement
à travers l'enveloppe de Sa chair; et à la Résurrection,
lorsque le tombeau s'est ouvert sous la pression de la
vie divine, et que le Christ triomphant est ressuscité
d'entre les morts. Ces deux événements ont une place
centrale dans la spiritualité orthodoxe et par consé-
quent dans les offices de l'Église. La Transfiguration
est une des douze grandes fêtes du calendrier
byzantin, et est célébrée avec beaucoup plus de
solennité que dans les Églises d'Occident. Nous avons
déjà vu l'importance de la lumière incréée du Thabor
dans la doctrine orthodoxe de la prière mystique.
Quant à la Résurrection, on peut dire que la vie
entière de l'Église orthodoxe en est imprégnée :

• A travers toutes les vicissitudes de son histoire,


l'Église grecque a conservé quelque chose de l'esprit
même des premiers temps du christianisme. On
trouve encore dans sa liturgie cette pure joie de la
Résurrection du Seigneur, dont on rencontre tant
d'exemples dans les premiers récits chrétiens33 ».

33. P. Hammond, The Waters of Marab, p. 20.


Dieu et l'homme 293

« Ce lien de la Résurrection du Christ lie en un fais-


ceau toutes les notions et toutes les réalités théolo-
giques dans le christianisme oriental, les retenant dans
un tout harmonieux:34. » ,

Mais ce serait une erreur de ne voir dans l'ortho-


doxie que le culte de la gloire divine du Christ, de Sa
Transfiguration et de Sa Résurrection. Malgré l'ex-
trême dévotion à la gloire divine du Seigneur, l'ortho-
doxie ne méconnait jamais Son humanité. Un ortho-
doxe est profondém ent attaché à la Terre Sainte, et
rien ne peut surpasser l'ardente vénération des pieux
chrétiens orthodoxe s pour les lieux où le Christ
incarné a vécu dans Son humanité, où comme un
homme, Il a mangé, enseigné, a souffert et est mort. Et
la joie de la Résurrection ne porte pas les orthodoxes
à minimiser l'importance de la Croix. La crucifixion
n'est pas moins souvent représentée dans les églises
orthodoxe s que dans les autres, et la vénération de la
Croix est plus marquée dans le culte byzantin que
dans le culte latin.
Il faut donc rejeter l'assertion généralement admise
d'une conceptio n orientale du Christ ressuscité, paral-
lèle à la conception occidentale du Christ crucifié. Si
l'on veut les opposer, il vaut mieux dire que, à partir
d'un même donné, leurs lignes de pensée sur la cruci-
fixion sont légèrement différentes. L'attitude ortho-
doxe vis-à-vis de la crucifixio n se trouve très
éloquemm ent décrite dans les hymnes chantées le
Vendredi saint :

Celui qui se revêt de lumière comme d'un manteau


Se présentait nu au jugement.

34. O. Rousseau,• Incarnation et anthropologie en Orient et en


Occident•, dans Irenikon 26 (1953), p. 373.
294 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

Sur sa joue Il reçut les coups


Des mains qu'Il avait formées.
La multitude des sans-loi
Cloua sur la Croix le Seigneur de Gloire.
Le Vendredi saint, l'Église orthodoxe pense non
seulement aux souffrances physiques du Christ, mais
plutôt au contraste entre l'humiliation apparente et la
gloire réelle. L'orthodoxe ne voit pas seulement l'hu-
manité souffante du Christ, mais le Dieu souffrant:
Aujourd'hui est suspendu au bois de la Croix
Celui qui a suspendu la terre sur les eaux.
Une couronne d'épines couronne la tête
De Celui qui est le roi des anges.
Il est enveloppé d'une pourpre de dérision
Celui qui a enveloppé les cieux dans les nuées.

Derrière le voile de la chair du Christ ensanglantée


et déchirée, l'orthodoxe découvre toujours le Dieu
trinitaire. Même le Golgotha est une théophanie ; et
déjà le Vendredi saint, l'Église fait entendre une note
de la joie de la Résurrection :

Nous adorons Ta passion, ô Christ :


Montre-nous aussi Ta glorieuse Résurrection.
Je magnifie Tes souffrances,
Je loue Ton ensevelissement et Ta Résurrection
M'écriant: « Seigneur, gloire à Toi!»

On ne peut séparer la crucifixion de la Résur-


rection ; elles se fondent en une seule et même action.
Le Calvaire se voit toujours dans la lumière d'un
tombeau vide; la croix est l'emblème de la victoire.
Lorsque l'orthodoxe pense au Christ crucifié, il ne
pense pas seulement à Sa souffrance et à Sa désola-
tion, mais il voit le Christ Vainqueur, le Christ Roi, déjà
triomphant sur l'arbre, et régnant :
Dieu et l'homme 295

« Le Seigneur est venu dans le monde et a demeuré


parmi les hommes, afin de détruire la tyrannie du
démon et de libérer les hommes. Sur le bois de
la Croix, Il a triomphé de toutes les puissances qui
s'opposaient à Lui, lorsque le soleil s'obscurcit et que
la terre trembla, lorsque les tombeaux s'ouvrirent et
que les corps des saints se relevèrent. Par la mort, Il a
détruit la mort et anéanti celui qui avait le pouvoir de
tuer35 ...
Le Christ est notre Roi victorieux, non pas malgré la
crucifixion, mais grâce à elle : « Je l'appelle Roi, parce
que je Le vois crucifié36 .•
Tel est l'esprit dans lequel les chrétiens orthodoxes
considèrent la mort du Christ sur la croix. Entre eux et
les chrétiens de l'Occident médiéval et post-médiéval,
il y a naturellement une grande similitude ; cependant
certaines choses dans l'optique occidentale gênent les
orthodoxes. Il leur semble que l'Occident a tendance
à penser trop isolément à la crucifixion, la séparant
radicalement de la Résurrection. Et de ce fait, la vision
de l'humanité souffrante du Christ remplace la vision
du Dieu souffrant ; le fidèle occidental qui médite sur
la croix est trop souvent encouragé à sentir une
sympathie émotionnelle pour l'Homme de douleurs,
plutôt qu'à adorer le Roi victorieux et triomphant. La
grande hymne latine de Venance Fortunat d'Arles
(530-609), Pange Lingua, qui salue la croix comme
l'emblème de la victoire, est tout à fait dans la ligne de
la pensée orthodoxe :

Chante, ma langue, le glorieux combat du Christ


Et devant le trophée de Sa Croix
Entonne un chant de triomphe,

35. Premier exorcisme avant le sacrement du baptême.


36. Jean Chrysostome, Second sermon sur la Crotx et le larron,
PG 49,413.
296 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

car le Rédempteur du monde, par Son sacrifice,


a remporté la victoire.

Le Vexilla Regis, également de Venance Fortunat,


est aussi très proche de l'orthodoxie:

Tout s'est accompli de ce qu'a chanté David


en des vers prophétiques ;
Il proclamait : « Sur les nations,
C'est par le bois que règne Dieu ».

Mais la sensibilité orthodoxe a peu d'affinité avec


les sentiments exprimés vers la fin du Moyen Age,
comme par exemple ceux qu'on trouve dans le Stabat
Mater:

Elle voit Jésus en tourment


· Pour les péchés de son peuple,
Et soumis à la flagellation ;
Elle voit son tendre enfant
Mourant en désolation, abandonné à la mort,
L'entend exhaler son dernier soupir.

Il est significatif qu'en soixante lignes cette hymne


ne fasse pas une seule fois mention de la Résurrection.

Là où l'orthodoxie voit avant tout Christ le


Vainqueur, le Moyen Age, et spécialement le Moyen
Age finissant, voient d'abord Christ, la Victime. Les
orthodoxes interprètent la crucifixion essentielle-
ment comme le triomphe sur les puissances du mal ;
mais l'Occident, et ceci particulièrement depuis
Anselme de Cantorbéry (vers 1033-1109), a une
tendance à penser à la croix en termes juridiques, en
termes de peine et comme un acte propitiatoire de
satisfaction ou de substitution, apaisant la colère du
Père irrité.
Dieu et l'homme 297

Cependant il ne faut pas pousser trop loin de telles


comparaisons. Des écrivains orientaux ont, comme les
occidentaux, mis l'accent sur le côté pénal et juridique
de la crucifixion, et les écrivains occidentaux, de
même que les orientaux, n'ont jamais cessé de voir,
dans le Vendredi Saint, la victoire du Christ. On
constate en Occident, depuis les années 1930, un
renouveau de l'idée patristique du Christus Victor, en
théologie, dans la spiritualité et dans l'art; c'est un
renouveau que les orthodoxes enregistrent avec joie.

L'Esprit Saint

Dans leur activité parmi les hommes, la seconde et


la troisième personne de la Trinité se complètent.
L'œuvre de rédemption du Christ ne peut être
considérée en dehors de l'œuvre de sanctification de
!'Esprit. « Le Verbe s'est fait chair, dit saint Athanase,
afin que nous puissions recevoir l'Esprit37 • ; le but de
l'Incarnation est la descente de l'Esprit à la Pentecôte.
L'Église orthodoxe insiste beaucoup sur l'œuvre de
l'Esprit Saint. Ainsi que nous l'avons vu, une des
objections des orthodoxes au Filioque est sa tendance
à subordonner et à négliger l'Esprit. Pour saint
Séraphim de Sarov, le seul objectif de la vie chré-
tienne est l'acquisition de l'Esprit Saint, et il dit au
début de sa conversation avec Motovilov :
« La prière, le jeûne, les veilles et toutes les autres

pratiques chrétiennes, quoique très bonnes en elles-


mêmes, ne représentent nullement à elles seules le
but de notre vie chrétienne : ce ne sont que des
moyens indispensables pour y parvenir. Car le but

37. Sur l1ncarnation et contre les Ariens, 8 : PG 26, 996C.


298 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

véritable de la vie chrétien ne est l'acquisition du


Saint Esprit. Quant aux jeûnes, veilles et prières,
aumônes et toutes les autres œuvres bonnes faites au
nom du Christ, elles ne sont que les moyens pour
acquérir le Saint Esprit. Remarquez que seules les
bonnes actions faites au nom du Christ nous procu-
rent les fruits du Saint-Esprit38. »
« Cette définitio n qui, au premier abord, peut
paraître trop simple, résume toute la tradition spiri-
tuelle de l'Église orthodoxe39 », commen te Vladimir
Lossky. Et, comme le dit Théodore, disciple de saint
Pachôm e: « Qu'est-c e qui est plus grand que de
posséder l'Esprit Saint40? ».
Nous aurons l'occasion, dans le chapitre suivant, de
situer la place de l'Esprit dans la doctrine orthodoxe
de l'Église ; et ensuite nous verrons le rôle de !'Esprit
Saint dans le culte orthodoxe. Dans chaque action
sacramentelle de l'Église, et particulièrement au cœur
de la prière eucharistique, l'Esprit Saint est solennelle-
ment invoqué . Au commen cement de chaque
journée, dans ses prières quotidiennes, le chrétien
orthodox e se place sous la protection de l'Esprit Saint
en disant:
« Roi céleste, consolateur, Esprit de vérité, Toi qui
es
partout présent et qui remplis tout, trésor de biens et
donateu r de vie, viens, fais Ta demeure en nous,
purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, Toi
qui es bon4 1. »

38. lrina Goraïnoff, Sérapbtm de Sarov, sa vte, entretien avec


Motovtlov, Desclée de Brouwer (•Théopha nie•), Paris, 1979,
~15~ •
39. V. Lossky, Essai sur la théologte mystique de l'Bgltse
d'Orient, p. 193.
40. Première vte grecque de PachtJme, 135.
41. Cette même prière est utilisée au début de presque tous les
services liturgiques.
Dieu et l'homme 299

Participants à la nature divine

Le but de la vie chrétienne, que Séraphim décrit


comme l'acquisition de l'Esprit Saint de Dieu, peut
aussi être défini par le terme déification. Basile décrit
l'homme comme une créature qui a reçu l'ordre de
devenir un dieu ; et Athanase, comme nous savons,
dit que Dieu s'est fait homme afin que l'homme puisse
çlevenir Dieu. "Dans Mon Royaume, dit le Christ, Je
serai Dieu et vous serez des dieux avec moi42. • Tel
est, d'après l'enseignement de l'Église orthodox e le
but final auquel chaque chrétien doit tendre : devenir
dieu, atteindre la theosis, la "déification•, la« divinisa-
tion•. Pour l'orthodoxie, notre salut et notre rédemp-
tion, cela signifie notre déification.
Derrière la doctrine de la déification, on trouve
l'idée de l'homme fait à l'image et à la ressemblance
de Dieu, la Sainte Trinité.• Que tous soient un•, a prié
le Christ à la Dernière Cène, " comme Toi, Père, Tu es
en moi et moi en Toi, qu'eux aussi soient en nous•
(Jean 17, 21). De la même manière que les trois
personn es de la Trinité «demeu rent• l'une dans
l'autre, dans un continuel mouvem ent d'amour, ainsi
l'homme , fait à l'image de la Trinité, est appelé à
« demeure r • dans le Dieu trinitaire. Le Christ prie pour
que nous puissions partager la vie de la Trinité, dans
ce mouvem ent d'amou r qui circule entre les
personne s divines ; Il prie pour que nous puissions
être incorpor és dans la Divinité. Comme le dit Maxime
le Confesseur, les saints sont ceux qui exprimen t en
eux la Sainte Trinité. Cette idée d'une union person-
nelle et organiqu e entre Dieu et l'homme, Dieu vivant
en nous et nous en Lui, est un thème constant de
l'Évangile de saint Jean ; il revient aussi fréquemm ent

42. Canon des matines, Jeudi Saint, Ode 4, tropaire 3.


300 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

dans les Épîtres de saint Paul, qui considère la vie


chrétienne, avant tout, comme une « vie en Christ •. La
même idée se retrouve dans le fameux texte de la
seconde épître de saint Pierre : « Les plus grandes
promesses nous ont été données, afin que vous deve-
niez ainsi participants de la nature divine •
(2 Pierre I, 4). Il est important de ne pas oublier ce
fondement néotestamentaire. Certains auraient parfois
tendance à penser que la doctrine de la déification
n'est pas scripturaire, mais rien n'est plus faux : elle a
au contraire une base solide dans les textes bibliques,
non seulement dans la Deuxième épître de Pierre,
mais aussi dans Paul et le quatrième évangile.
Quand on parle de déification, on doit toujours se
souvenir de la différence entre l'essence et les éner-
gies de Dieu. L'union avec Dieu est une union avec
les énergies divines et non pas avec l'essence divine.
L'Église orthodoxe, dans sa conception de l'union et
de la déification, rejette toute forme de panthéisme.
Autre point non moins important et lié à celui-ci :
l'union mystique de Dieu et de l'homme, qui est une
véritable union, est une union dans laquelle, cepen-
dant, Créateur et créature ne fusionnent pas en un
seul être. Contrairement aux religions orientales, qui
enseignent que l'homme est absorbé par la divinité, la
théologie mystique orthodoxe a toujours insisté sur le
fait que l'homme, si étroitement lié à Dieu qu'il puisse
être, ne perd jamais sa propre intégrité. L'homme,
même déifié, reste distinct (mais non séparé) de Dieu.
Le mystère de la Trinité est un mystère d'unité dans la
diversité, et ceux qui expriment en eux la Trinité ne
sacrifient pas leurs caractéristiq ues personnelles .
Quand saint Maxime écrit • Dieu et ceux qui sont
dignes de Lui ont une et même énergie43 », il ne veut

43. Ambigua, PG 91, 1076C. [trad. fr. Paris: éd. de !'Ancre,


1994.]
Dieu et l'homme 301

pas dire que les saints perdent leur libre arbitre, mais
que, étant déifiés, c'est librement et par amour qu'ils
se conforment à la volonté de Dieu. L'homme, en
« devenant dieu•, ne cesse pas d'être humain: « On

reste créature tout en devenant dieu par la grâce,


comme le Christ est resté Dieu en devenant homme
par l'Incarnation44. • Nous ne devenons pas Dieu par
nature, mais nous sommes seulement « créé dieu •, un
dieu par grâce ou par statut.
La déification entraîne aussi le corps. L'homme
étant une unité de corps et d'âme, et le Christ incarné
ayant sauvé et relevé l'homme tout entier, « notre
corps est déifié, conjointemen t avec notre âme45 •.
Dans cette divine ressemblapce que nous, humains,
sommes appelés à réaliser en nous mêmes, le corps a
sa place. « Votre corps est un temple du Saint Esprit •,
écrit saint Paul (1 Corinthiens 6, 19). • Je vous exhorte
donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos
corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu •
(Romains 12, 1). Mais la pleine déification du corps ne
peut cependant être atteinte avant le Dernier Jour et,
dans les temps actuels, même la gloire des Saints n'est
en général qu'une splendeur intérieure, une splen-
deur de l'âme seule; mais lorsque les justes ressusci-
teront et seront revêtus d'un corps spirituel, leur sain-
teté sera rendue manifeste. • Au jour de la
Résurrection, la gloire de }'Esprit Saint viendra de l'in-
térieur, ornant et recouvrant les corps des saints -
cette gloire qu'ils possédaient déjà, mais cachée dans
leur âme. Ce que l'homme possède maintenant appa-
raîtra alors extérieureme nt dans son corps46 ... Les

44. V. Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Église


d'Orient, p. 84.
45. Maxime, Chapitres gnostiques, Il, 88: PG 90, 1168A.
46. Homélies de Macaire, V. 9. C'est la transfiguration de ce
corps ressuscité que le peintre d'icônes essaie symboliquement
302 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

corps des saints seront extérieurement transfigurés par


la lumière divine, comme le fut le corps du Christ sur
le mont Thabor. • Nous devons espérer aussi dans un
printemps du corps47.•
Mais certains saints ont déjà expérimen té, dans
cette vie, les prémices de cette glorification visible du
corps. Saint Séraphim, pour être le plus célèbre, n'est
pas le seul à l'avoir connue. Les disciples d'Arsène le
Grand, alors qu'il priait, l'ont vu • tout entier comme
du feu48. •Eton rapporte, à propos d'un autre Père du
désert: • comme Moïse empreint de l'image de la
gloire d'Adam, lorsque sa face fut glorifiée, ainsi la
face d'Abba Pambo brillait comme un éclair et il était
un roi assis sur son trône49. • Comme l'a dit Grégoire

d'exprimer ; conservant donc les traits initiaux et distincts du saint,


il évite délibérémen t de faire un portrait réaliste (photogra-
phique). Peindre les hommes tels qu'ils sont maintenant équivau-
drait à les peindre dans leur état déchu, dans leur corps • charnel •
et non • céleste •.
47. Minucius Felix (fin du II" siècle), Octavtus, 34. A cause de
notre respect pour le corps _humain et notre foi dans la résurrec-
tion finale des corps, dans l'Eglise Orthodoxe, nous ne permettons
pas la crémation. Malheureusement, aujourd'hui il arrive qu'on ne
tienne pas compte de cet interdit basé sur des principes théolo-
giques profonds.
48. Les Sentences des Pères du Désert, collection alphabétique,
éd. Dom Lucien Regnault, Solesmes 1981, p. 29 (Apophthegmata
PG 65), Arsène 27.
49. Pambo 12 (éd. citâ! p. 264-265); cf. Sisoès 14 (éd. citée
p. 286) et Sylvain 12 (éd. citœ p. 299). Epiphane, dans sa vie de
Serge de Radonège, déclare qu'après sa mort, le corps du saint
resplendissait de gloire.
On dit parfois, avec une certaine raison, que la transfiguration
par la lumière divine chez les saints orthodoxes correspond à la
stigmatisation des saints occidentaux. Il ne faut cependant pas être
trop catégorique dans ces comparaisons: on trouve en Occident
des cas de glorification du corps, comme par exemple chez une
Anglaise, Evelyn Underhill (1875-1941), dont un ami rapporte
avoir vu la face transfigurée de lumière (tout le récit rappelle saint
Séraphim - voir The Letters of Evelyn Underhill, publiées par
Ch. Williams, Londres, 1943, p. 37). De même la stigmatisation
Dieu et l'homme 303

Palamas « Si dans les temps futurs, le corps est appelé


à partager avec l'âme d'indicibles félicités, il est
certain qu'il doit autant que possible, dès maintenant,
en avoir sa part50, •
C'est parce qu'ils sont convaincus de la sanctifica-
tion et de la transfiguration du corps avec l'âme, que
les orthodoxes ont un immense respect pour les
reliques des saints. Comme les catholiques romains,
ils croient que la grâce de Dieu, active dans les corps
des saints durant leur vie, continue dans leurs
reliques, par lesquelles Dieu manifeste Son pouvoir
divin et dont Il fait des instruments de guérison. Il y a
des cas où les corps des saints ont été miraculeuse-
ment préservés de la corruption, mais, lorsque cela ne
se présente pas, les orthodoxes montrent une égale
vénération envers leurs ossements. Ce respect n'est
pas dû à l'ignorance ou à la superstition, mais est le
fruit d'une haute théologie du corps.
Et ce n'est pas seulement le corps humain, mais
toute la création qui sera finalement transfigurée :
« Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle; le
premier ciel, en effet, et la première terre avaient
disparu•. (Apocalypse 21, 1). L'humanité rachetée
n'est pas arrachée au reste de la création, mais la créa-
tion doit être sauvée et glorifiée avec elle (les icônes,
ainsi que nous l'avons vu, sont les prémices de cette
rédemption de la matière51). « Car la création en
attente aspire à la révélation des fils de Dieu ... car
l'univers lui-même sera libéré de la servitude de la
corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire et la
splendeur des enfants de Dieu. Nous le savons en
effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail

n'est pas incon!}ue en Orient. Dans le texte copte de la Vie de


saint Macaire d'Egypte, il est écrit qu'un chérubin lui apparut, • prit
la mesure de sa poitrine • et • le crucifia à terre •.
50. Tomos de la Sainte Montagne: PG 150, 1233C.
51. Voir p. 46-47.
304 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

d'enfan tement• (Romains 8, 19-22). L'idée de cette


rédemption cosmique, comme les doctrines ortho-
doxes sur le corps humain et sur les icônes, est basée
sur une profon de compr éhensi on du rôle de
l'Incarnation ; le Christ a pris chair, quelque chose de
l'ordre matériel, et Il a ainsi rendu possible la rédemp-
tion et la métamo rphose de toute la création, non
seulem ent du monde immaté riel, mais aussi du
monde physique.
Ce sentim ent que la terre est intrinsè quemen t
sacrée - créée bonne par Dieu, corrom pue par la
chute, mais sauvée avec nous en Christ - a poussé des
responsables orthodo xes ces dernières années à se
préoccu per davantage des moyens de combattre la
pollutio n de l'enviro nnemen t. La crise écologi que
actuelle attristait particulièrement feu le Patriarche
Œcumé nique Dimitrios. Dans son message de Noël
1988, il insistait: « Considérons-nous, nous-mêmes,
chacun à sa place, personnellement responsables du
monde que Dieu nous a confié. Rien de ce que le Fils
de Dieu a assumé et fait Son Corps par Son
Incarnation ne devrait périr. Mais cela devrait devenir
une offrande eucharistique au Créateur, un pain vivi-
fiant, partagé dans la justice et l'amour avec les autres,
un hymne de paix pour toutes les créatures de Dieu. »
En 1989, le Patriar che Dimitrios a publié une
encycli que appela nt chacun à faire preuve d'un
• esprit eucharistique et ascétique•, et a désigné le
1er septembre, le début de l'année ecclésiastique dans
l'Église orthodoxe, comme le • Jour de la protection
de l'enviro nnemen t•, qu'il espérait voir observé non
seulem ent par les Orthodoxes, mais par les autres
Chrétiens également52. Saint Silouane de l'Athos dit:

52. Voir la brochure Orthodoxy and the Ecologlcal Crlsts,


publiée en 1990 par le Patriarcat Œcumén ique en collaboration
avec le World Wide Fund for Nature (World Conservation Centre,
Avenue du Mont Blanc, CH-1196 Gland, Suisse).
Dieu et l'hom me 305

f(te cœur qui a appris à aimer a pitié de toute la créa-


tion». Il nous incombe, à nous les êtres humains, de
lfîe pas exploiter le mond e égoïstement, mais de le
théri r avec une sensibilité amoureuse et, en tant que
prêtre s cosmiques, d'offrir en retour la Création à son
Créateur en action de grâces.
Cet expo sé de la déification, de l'union et de la
transfiguration cosmique, peut sembler très éloigné de
}'expérience courante, mais uniqu emen t si la concep-
tion ortho doxe de la theosis a été mal comprise. Pour
éviter toute interprétation erronée, six points doivent
être particulièrement soulignés :
Premièrement, la déification n'est pas réservée à
quelq ues initiés, mais elle est destinée à tous. Pour
l'Église orthodoxe, elle est le but normal de chaque
chrétien, sans exception. Assurément, nous ne serons
plein emen t déifiés qu'au Dern ier Jour, mais pour
chac un de nous le proce ssus de déific ation doit
comm encer ici et dès à présent. Très rares, en vérité,
sont ceux qui atteignent de leur vivant cette plénitude
d'uni on mystique avec Dieu. Mais chaqu e vrai chré-
tien s'effo rce d'aim er Dieu et d'acc ompl ir Ses
comm andem ents ; et tant que nous persévérons dans
cette voie, si faibles que soient nos tentatives et si
souve nt que nous tombions, nous sommes déjà en
quelq ue sorte déifiés.
Deuxièmement, le fait que nous soyons déifiés ne
veut pas dire que nous cessons d'avoir conscience du
péch é. Au contr aire, la déifi catio n présu ppos e
toujours un repentir continuel. Un saint, si avancé
soit-i l dans la saint eté, cesse -t-il d'em ploye r les
paroles de la Prière de Jésus : • Seigneur, aie pitié de
moi, pécheur»? Saint Silouane de l'Athos avait l'habi-
tude de se dire : • Garde ton esprit en enfer et ne
déses père pas." D'autres saints orthodoxes ont aussi
répét é : • Tous seron t sauvé s, moi seul je serai
cond amné "· La théologie mystique orthodoxe est une
306 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

théologie de gloire et de transfiguration, mais aussi


une théologie de pénitence.
En troisième lieu, il n'y a rien d'ésotérique ou d'ex-
traordinai re dans les méthodes que nous devons
suivre afin d'être déifiés. Si quelqu'un demande:
« Comment puis-je devenir dieu?•, la réponse est

simple : il faut aller à l'église régulièrement, prier Dieu


« en esprit et en vérité •, lire l'Évangile, observer les

commande ments. Le dernier conseil : • observer les


command ements • ne do.it jamais être oublié.
L'orthodoxie, tout autant que le christianisme occi-
dental, repousse fermement toute espèce de mysti-
cisme qui chercherait à se dispenser des lois morales.
Quatrièm ement, la déificatio n n'est pas un
processus solitaire, mais un processus « social •. Nous
avons vu que la déification se gagne en suivant les
command ements ; Christ les a résumés dans Son
enseignem ent sur l'amour de Dieu et l'amour du
prochain . Ces deux formes d'amour sont
inséparabl es : on ne peut pas aimer son prochain
comme soi-même si on n'aime pas Dieu par-dessus
tout, et on ne peut pas aimer Dieu si on n'aime pas les
autres hommes (1 Jean 4, 20). Il apparaît ainsi qu'il n'y
a rien d'égoïste dans la déification; on ne peut être
déifié que si on aime son prochain. • De notre
prochain dépend pour nous la vie ou la mort, dit
Antoine d'Égypte, car si nous gagnons notre frère,
nous gagnons Dieu, mais si nous scandalisons notre
frère, nous péchons contre le Christ53. • L'homme, fait
à l'image de la Trinité, ne peut réaliser cette divine
ressemblance que s'il vit une vie semblable à celle de
la Sainte Trinité : comme les trois personnes de la divi-
nité • demeuren t • les unes dans les autres, ainsi

53. Apophthegm ata (PG 65) Antoine 9. Sentences des Pères du


Désert, Edition cit. dom L. Regnault, p. 15.
Dieu et l'homme 307

devons-no us • demeurer • dans les autres, ne vivant


pas pour nous seuls, mais dans les autres et pour les
autres. • Si je pouvais, disait un Père du désert, trouver
un lépreux, à qui donner mon corps pour prendre le
sien, j'en serais content, car telle est la charité
parfaite54. • Ceci définit la nature profonde de la
theosis.
Cinquièm ement, l'amour pour Dieu et pour les
hommes doit être actif: l'orthodox ie rejette toute
forme de quiétisme, toutes les formes d'un amour qui
reste abstrait. La déification, quoiqu'elle embrasse les
hauteurs de l'expérience mystique, a aussi un côté
prosaïque et terre-à-terre. Lorsque nous pensons à la
déification, ce sont les hésychastes priant silencieuse-
ment et la face transfigurée de saint Séraphim qui
s'imposen t à nous, mais nous ne devons pas oublier
saint Basile s'occupan t des malades à l'hôpital de
Césarée, ni saint Jean l'Aumônie r, secourant les
pauvres d'Alexandrie, ni saint Serge vêtu de guenilles,
travaillant comme un paysan dans le potager afin de
pourvoir aux besoins des hôtes du monastère. Ces
deux aspects ne forment qu'une image.
Finalement, la déification présuppos e une vie dans
l'Église, par les sacrements. La theosis, conformément
à la Trinité; implique une vie commune, ,et ce n'est
que dans l'Eglise qu'elle peut se réaliser. L'Eglise et les
sacrements sont les moyens que Dieu nous a donnés
pour acquérir l'Esprit sanctifiant et être remodelés
selon la divine ressemblance.

54. Apophthegmata (PG 65) Agathon 26. Sentences des Pi}res


du Désert, Edition dt. dom L. Regnault, p. 42.
12
L'Église de Dieu

Le Christ a atmé l'Église:


Il S'est livré pour elle.
Éphésiens 5, 25.
L'Église est une avec le Setgneur. Son
corps fatt de sa chair et de ses os. L'Église est
la Vigne Vivante, nourrie de Lui et se déve-
loppant en Lut. On ne peut Jamais penser à
l'Eglise en dehors du Seigneur Jésus-Christ,
du Père et du Saint Esprit.
Saint Jean de Kronstadt.

Dieu et Son Église


Un chrétien orthodoxe est toujours très conscient
d'appartenir à une communauté. • Nous savons, dit
Khomiakov, que lorsque l'un de nous tombe, il tombe
seul, mais personne n'est sauvé seul. On est sauvé
dans l'Église, comme un de ses membres, et en union
avec tous ses autres membres1 ...
Nous avons vu dans la première partie de cet
ouvrage, quelques-une s des différences qui caractéri-

1. L'Église est une, (texte français dans A. GRATIEUX, Le mouve-


ment slavophile à la veille de la révolution, Paris 1953, p. 215-242)
section 9.
310 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

sent les doctrines de l'Église chez les orthodoxes et


chez les chrétie ns occide ntaux. Contra iremen t au
protestantisme, l'ortho doxie insiste sur la structure
hiérarchique de l'Église, sur la succession apostolique,
l'épiscopat et la prêtrise : les saints sont honorés et
priés, et l'Église intercède pour les défunts. Jusque là,
Rome et l'orthodoxie se rencontrent sans difficultés.
Mais lorsque Rome pense en termes de suprématie et
de juridiction universelle du pape, l'orthodoxie pense
en termes de cinq Patriarches et de conciles œcumé -
niques ; là où Rome met en avant l'infaillibilité ponti-
ficale, l'orthodoxie insiste sur l'infaillibilité de l'Église
dans sa totalité. Les deux parties ne sont probable-
ment pas toujours équitables l'une envers l'autre, mais
il semble souven t aux orthodoxes que Rome envisage
trop facilement l'Église comm e un pouvo ir et une
organisation temporels. Et il semble aux catholiques
romains que les doctrines de l'Église orthodoxe, aussi
spirituelles et mystiques soient-elles, restent vagues,
incohérentes et incomplètes. A quoi l'orthodoxie peut
répond re qu'elle ne néglige pas entièrement l'organi-
sation temporelle de l'Église, et quicon que lirait les
canon s de l'Église orthod oxe verrait combi en les
règles en sont strictes et précises.
Mais la conception orthodoxe de l'Église est certai-
nemen t spirituelle et mystique, en ce sens que la théo-
logie ne traite jamais isolément aucun aspect temporel
de l'Église, mais la considère toujours par rapport au
Christ et à !'Esprit Saint. Toute la pensée orthodoxe
sur l'Église comm ence par la relation spéciale qui
existe entre l'Église et Dieu. Trois phrases peuvent
illustrer cette situation : l'Église est : 1° l'image de la
Sainte Trinité ; 2° le Corps du Christ ; 3° une Pentecôte
continuée. La doctrine orthod oxe de l'Église est trini-
taire, christologique et pneumatologique.
L'Église de Dieu 311

t. L'image de la sainte Trinité.

Comme l'homme est fait à l'image du Dieu trinitaire,


ainsi l'Église en sa totalité est une icône de la Trinité,
reproduisant sur terre le mystère de l'unité dans la
diversité. Dans la Trinité, les trois personn es sont un
seul Dieu, et cepend ant chacun e est pleinement une
personne; de la même manière, l'Église unit en elle la
multitu de des êtres humains, mais en préserv e la
diversité personnelle inaltérée. On peut faire un paral-
lèle entre les personn es de la Trinité, qui• demeurent»
les unes dans les autres, et les membres de l'Église
qui, eux aussi, demeur ent les uns dans les autres. Il
n'y a pas de conflit dans l'Église entre la liberté et l'au-
torité ; il y a unité, mais pas de totalitarisme. Lorsque
les orthodo xes appliqu ent à l'Église le mot • catho-
lique .., ils envisagent, entre autres choses, ce miracle
vivant de l'unité d'une multitude de personnes en une
seule.
Cette concep tion de l'Église comme icône de la
Trinité a plusieurs applications. • Unité dans la diver-
sité » : de même que chaque personn e de la Trinité est
autonom e, de même l'Église est faite de beauco up
d'Églises autocéphales indépendantes ; et de même
que dans la Trinité, les trois personn es sont égales,
dans l'Église aucun évêque ne prétend à un pouvoir
absolu sur les autres. Tout comme dans la Sainte
Trinité, le Père a la prééminence, comme source et
jaillisse ment de la divinité, ainsi à l'intérie ur de
l'Église, le pape est le• premier d'entre les égaux».
Cette idée de l'Église, icône de la Trinité, aide aussi
à compre ndre l'importance des conciles dans l'ortho-
doxie. Un concile est une expression de la nature
trinitaire de l'Église. On peut voir à l'œuvre le mystère
de l'unité dans la diversité, conformément à l'image
312 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

de la Trinité, lorsque les nombre ux évêques , assem-


blés en concile, arrivent sans contrainte à une déci-
sion collective, sous l'inspiration de !'Esprit Saint.

2. Le Corps du Christ.

« Ainsi, nous, à plusieurs, nous ne formon s


qu'un
seul corps dans le Christ• (Romains 12, 5). Il y a entre
le Christ et l'Église le lien le plus étroit qui soit, selon la
phrase célèbre de saint Ignace d'Antioche : « Là où est
le Christ, là se trouve l'Église catholique2. • L'Église est
le prolon gemen t de l'Incar nation, le lieu où
l'Incarnation se perpétu e. Ainsi gue l'a écrit le théolo-
gien grec Christos Androutsos, l'Eglise est • le centre et
l'organe de l'œuvre rédemptrice du Christ ... elle n'est
rien d'autre que la continuation et le prolong ement de
son pouvoir prophét ique, sacerdotal et royal. .. L'Église
et son fondate ur sont indissolublement liés. . . L'Église
est le Christ avec nous3. • Le Christ n'a pas abando nné
l'Église lorsqu'Il est monté aux cieux: «Et Moi, je suis
avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde •
(Matthieu 28, 20). Il a promis : • que deux ou trois en
effet soient réunis en Mon Nom, je suis là au milieu
d'eux• (Matthieu 18, 20). C'est une erreur facilement
faite, de parler comme si le Christ était absent:
Et la Sainte Église est toujours là
Bien que le Seigneur soit parti4.
Mais comme nt peut-on dire que le Christ« est parti•,
alors qu'Il nous a promis Sa présenc e perpétu elle ?

2. Aux Smyrniotes, VIII,2.


3. Théologie dogmatique, Athènes, 1907, p. 262-265 (en grec).
4. Hymne composée par J.-M. Neale et chantée dans l'Eglise
anglicane.
L'Église de Dieu 313

L'unité qui existe entre le Christ et Son Église se


réalis e princ ipale ment par les sacre ments . Au
baptêm e, le nouve au chréti en meurt et ressuscite avec
le Christ ; dans l'Eucharistie, les memb res du Corps du
Christ, l'Église, reçoiv ent Son Corps. L'Eucharistie,
unissa nt les memb res de l'Église au Christ, les unit en
même temps les uns aux autres : .. Puisqu 'il n'y a
qu'un pain, à nous tous nous ne formo ns qu'un corps,
car tous nous avons part à ce pain uniqu e »
(1 Corin thiens 10, 17). C'est }'Euch aristie qui fait
l'unité de l'Église. L'Église, ainsi que l'a vu Ignace, est
une sociét é eucha ristiqu e, un organ isme sacramentel,
qui existe dans sa plénit ude partou t où l'Eucharistie
est célébr ée. Ce n'est pas par coïnc idenc e que le
terme " Corps du Christ » veut dire en même temps
l'Église et le sacrem ent eucha ristiqu e ; et que la phrase
comm unio sanctorum du Credo des Apôtres veut dire
en même temps « la comm union du peupl e saint »
(comm union des saints) et • la comm union aux chose s
sainte s» (comm union aux sacrements).
On doit pense r à l'Église tout d'abor d en terme$
sacra mente ls. Son organ isatio n extéri eure, pour
impor tante qu'ell e soit, est secon daire par rappo rt à sa
vie sacramentelle.

3. Une Pentecôte continuée

On accen tue si facilement l'Église - Corps du Christ,


qu'on en oublie quelq ue peu le rôle du Saint-Esprit.
Mais, comm e nous l'avon s dit, le Fils et l'Esprit se
comp lètent dans leur œuvre parmi les homm es, et
c'est aussi vrai dans la doctri ne de l'Église que partou t
ailleurs. Saint Ignace d'Antioche a dit : • Là où est le
Christ, là aussi se trouve l'Église cathol ique », mais
314 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

saint Irénée de Lyon dit avec une égale vérité:• Là où


est l'Église, est l'Esprit, et là où est !'Esprit, est
l'Église5. • Précisément parce que l'Église est le corps
du Christ, elle est aussi le temple et la demeure de
!'Esprit.
VEsprit Saint est un Esprit de liberté. Le Saint-Esprit
non seulement nous unit, mais assure dans l'Église
notre infinie diversité. A la Pentecôte, les langues
étaient divisées, descendan t séparément sur chaque
personne présente. Le don de !'Esprit a été fait à
l'Église, mais c'est en même temps un don personnel
que chacun assimile à sa manière. • Il y a, certes,
diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit•
(1 Corinthiens 12, 4). La vie dans l'Église ne signifie
pas la disparition des caractéristiques particulières, ni
l'imposition d'un modèle unique et rigide, mais tout
l'opposé: les saints, loin de témoigner d'une morne
monotonie, ont manifesté au contraire des personna-
lités extrêmement différentes. Ce n'est pas la sainteté,
c'est le mal qui est ennuyeux.
Telles sont donc, brièvement résumées, les relations
qui existent entre l'Église et Dieu. Cette Église - icône
de la Trinité, Corps du Christ, plénitude de !'Esprit -
est tout à la fois visible et invisible, divine et humaine.
Elle est visible parce qu'elle est composée d'assem-
blées concrètes, priant ici sur terre ; elle est invisible
parce qu'elle est aussi l'Église des saints et des anges.
Elle est humaine, parce que ses membres terrestres
sont des pécheurs, elle est divine parce qu'elle est le
Corps du Christ. Il n'y a pas de division entre le visible
et l'invisible, ni, pour employer la terminologie occi-
. dentale, entre l'Église militante et l'Église
triomphan te ; car les deux ne font qu'une seule et
même réalité. • L'Église, visible sur terre, vit en
complète communio n et unité avec tout le corps de

5. Contre les Hérésies, III, XXIV, 1.


L'Église de Dieu 315

.l'Église dont le Christ est la tête6. • Elle est le point


d'intersection du siècle actuel et du siècle à venir et
êlle existe dans les deux à la fois.
· L'orthodoxie, tout en employant la phrase « Église
visible et Église invisible•, insiste sur le fait qu'il n'y a
cependant pas deux Églises, mais une seule. Ainsi que
le dit Khomiakov :
« C'est seulement par rapport à l'homme qu'il est
possible d'admettre une division entre l'Église visible
et invisible : son unité, en fait, est une unité réelle et
absolue. Ceux qui vivent encore dans ce monde, ceux
qui ont terminé leur pèlerinage terrestre, ceux qui,
comme les anges, n'ont pas été créés pour vivre sur la
terre, ceux des générations futures qui n'ont pas
encore commencé leur parcours sur terre, tous sont
unis dans l'unique Église, dans l'unique grâce de
Dieu ... L'Église, le Corps du Christ, se manifeste et
s'accomplit dans le temps sans modifier son unité
essentielle et sa vie intime, sa vie de grâce. C'est pour-
quoi parler de " l'Église visible et invisible ", c'est
parl<;r seulement du point de vue de l'homme7. •
L'Eglise, selon Khomiakov, est déjà accomplie sur
terre sans perdre ses caractéristiques essentielles ...
Ceci est un point capital dans l'enseignement ortho-
doxe. L'orthodoxie ne croit pas simplement à une
Église idéale, invisible et céleste, car cette « Église
idéale • existe visiblement sur terre dans une réalité
concrète.
L'orthodoxie essaie, cependant, de ne pas oublier
qu'il y a dans l'Église un élément humain aussi bien
que divin. Le dogme de Chalcédoine s'applique tout

6. Khomiakov, L'Éjslise est une, section 9.


7. Khomiakov, L'Eglise est une, section 1.
316 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

autant à l'Église qu'au Christ. Comme le Christ -


l'Homme-Dieu - a deux natures, divine et humaine, il y
a dans l'Église une synergie ou coopération entre le
divin et l'humain. Cependant entre l'humanité du Christ
et celle de l'Église, il y a une différence manifeste : l'une
est parfaite et sans péché alors que l'autre ne l'est pas
entièrement. Une partie seulement de l'humanité de
l'Église - les saints qui sont aux cieux - a atteint l'état
de perfection, tandis qu'ici-bas, il arrive souvent que les
membres de l'Église fassent un mauvais usage de leur
liberté humaine. L'Église sur terre existe dans un état de
tension ; elle est déjà le corps du Christ, et donc parfaite
et sans péché, et cependant, parce que ses membres
sont imparfaits et pécheurs, elle doit continuellement
• devenir ce qu'elle est8.•
Mais le péché de l'homme ne peut affecter la nature
essentielle de l'Église. Nous ne pouvons pas dire que,
parce que les chrétiens pèchent et sont imparfaits,
l'Église est elle aussi imparfaite et pécheresse ; car
l'Église, même sur terre, est une chose du ciel et ne
peut 2as pécher9. Saint Éphrem le Syrien parle bien
de • l'Église des pénitents, l'Église de ceux qui péris-
sent•, mais cette Église est en même temps l'icône de
la Trinité. Comment se fait-il que les membres
pécheurs de l'Église appartiennent cependant à la
communion des saints ? • Le mystère de l'Église
consiste dans le fait même que les pécheurs ensemble
deviennent quelque chose de différent de ce qu'ils
sont individuellement ; ce "quelque chose de diffé-
rent", c'est le corps du Christ10. •

8. • Cette idée de • devenir ce qu'on est• est le mot dé de l'en-


seignement eschatologique du Nouveau Testament• (Gregory Doc,
1be Sbape of the Ltturgy, p. 247).
9. Voir Declaratton on Fatth and Orderpar les délégués ortho-
doxes à Evanston en 1954, où ce point est clairement exposé.
10. J. Meyendorff, • What Holds the Church Together? •,
Ecumentcal Revtew 12 (1960), p. 298.
L'Église de Dieu 317

Telles sont les voies d'approche orthodoxes du


mystère de l'Église. Elle est intégralement liée à Dieu.
Elle est une vie nouvelle, conforme à l'image de la
Trinité, une vie dans le Christ et dans !'Esprit saint, et
elle est réalisée dans la participation aux sacrements.
L'Église est une seule réalité terrestre et céleste, visible
et invisible, humaine et divine.

L'unité et l'infaillibilité de l'Église

• L'Église est une ; son unité dérive nécessairement


de l'unité de Dieull. • C'est ainsi que débute un essai
très connu de Khomiakov. Considérant le lien qui unit
Dieu et Son Église, nous ne pouvons manquer de voir
que l'Église en effet est une, de même que Dieu est
un ; il n'y a qu'un Christ, il ne peut donc y avoir qu'un
seul corps du Christ. Cette unité n'est pas seulement
idéale et invisible ; la théologie orthodoxe refuse de
séparer l'Église • invisible • de l'Église • visible • et par
conséquent, refuse de dire que l'Église est invisible-
ment une, encore que visiblement séparée. Non,
l'Église est une, dans le sens que sur la terre il n'y a
qu'une communauté visible qui seule peut prétendre
être la véritable Église. L'• Église indivise• n'est pas
seulement quelque chose qui a existé dans le passé et
qui, nous l'espérons, existera de nouveau dans le
futur : c'est quelque chose qui existe, ici et mainte-
nant. L'unité est une des caractéristiques essentielles
de l'Église, et puisque l'Église temporelle, malgré la
culpabilité de ses membres, garde ses caractéristiques
essentielles, elle reste et restera toujours visiblement
une. Il peut y avoir des schismes hors de l'Église, mais

11. Khomiakov, L'Église est une, section 1.


318 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

jamais dans l'Église. Et s'il demeure indéniablement


v~ai que, sur le plan purement humain, la vie de
l'Eglise est gravement appauvrie à la suite de tels
schismes, ils ne peuvent jamais affecter sa nature
essentielle.
Dans son enseignement au sujet de l'unité visible
de l'Église, l'orthodoxie est beaucoup plus proche du
catholicism e romain que du protestantis me.
Cependant si l'on demande comment est maintenue
cette unité visible, Rome et l'Orient ne feront pas les
mêmes réponses. Pour Rome, le principe unificateur
est le pape, dont la juridiction s'étend à tout le corps
de l'Église, tandis qu'aucun orthodoxe ne peut croire
qu'un seul évêque soit investi du pouvoir de juridic-
tion universelle. Ce qui, pour les orthodoxes, main-
tient l'Église unie, c'est la communion sacramentelle.
La théologie orthodoxe de l'Église est avant tout une
théologie de communion. Chaque Église locale est
constituée, ainsi que l'a vu saint Ignace, par une
assemblée de fidèles, réunie autour de son évêque et
célébrant la sainte Eucharistie ; l'Église universelle est
constituée par la communion des chefs des églises
locales, de tous les évêques les uns avec les autres.
L'unité n'est pas imposée de l'extérieur par l'autorité
d'un souverain pontife, mais se crée de l'intérieur
dans la célébration de }'Eucharistie. La structure de
l'Église n'est pas monarchique, centrée sur un seul
hiérarque ; elle est collégiale, formée par la commu-
nion entre eux de nombreux hiérarques et de chaque
hiérarque avec l'assemblée des fidèles. C'est donc
l'acte de communion qui est le critère de la participa-
tion à l'Église. Un particulier cesse d'être un membre
de l'Église s'il rompt la communion avec son évêque,
et un évêque cesse d'être un membre de l'Église s'il
rompt la communion avec les autres évêques.
L'orthodoxie, croyant que l'Église, depuis sa fonda-
tion, a toujours été visiblement une, et qu'elle doit le
L'Église de Dieu 319

demeurer, croit aussi être elle-même cette Église une


êt visible. C'est une revendication audacieuse et qui
pêut sembler arrogante , mais il ne faut pas se
méprendre sur l'esprit qui in~pire cette affirmation.
!.'orthodoxie se croit la vraie Eglise, non à cause de
mérites personnels , mais par la grâce de Dieu, et
ébmme saint Paul l'a dit : « Mais ce trésor, nous le
portons en des vases d'argile, pour qu'on voie bien
que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu
et ne vient pas de nous » (2 Corinthiens 4, 7). Mais
même s'ils n'en revendiquent pas le mérite, les ortho-
doxes sont en toute humilité persuadés qu'ils ont reçu
de Dieu un don unique, et s'ils prétendaient ne pas le
posséder, ils feraient, vis-à-vis du ciel, un acte de
trahison.
Quelques auteurs orthodoxe s semblent parfois
accepter la «théorie des branches », très en faveur un
certain temps dans l'Église anglicane. (Selon cette
théorie, l'Église catholique est divisée en plusieurs
<è branches », généralem ent au nombre de trois: les

catholiques romains, les anglicans et les orthodoxes).


Mais ce point de vue est inconciliable avec la théo-
logie orthodoxe traditionnelle. Si nous parlons en
termes de «branches », les seules admises par les
orthodoxe s seraient les églises locales autocéphales
dans la communio n orthodoxe.
Forte de se sentir l'Église une et véritable, l'Église
orthodoxe croit aussi que, si elle le désire, elle peut
convoque r et tenir un concile œcuméniq ue, qui aurait
la même autorité que les sept premiers. Depuis la
séparation de l'Orient et de l'Occident, les orthodoxes
(contrairement aux occidentaux) n'ont jamais décidé
de convoque r un tel concile, mais cela ne veut pas
dire qu'ils croient ne pas avoir le pouvoir de le faire.
Telle est donc, pour les orthodoxes, l'idée de l'unité
de l'Église. L'orthodoxie enseigne aussi qu'il ny a pas
de salut en dehors de l'Église. Cette croyance est
320 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

basée, comme la croyance en l'indissolubilité de


l'unité de l'Église, sur la relation étroite qui existe
entre Dieu et Son Église. Ainsi que le dit saint Cyprien
de Carthage : • Un homme ne peut pas avoir Dieu
pour père s'il n'a pas l'Église pour mèret2. • Ceci est
pour lui une vérité évidente, car il ne pouvait penser
séparément à Dieu et à l'Église. Dieu est le salut, et
l'Église, Son Corps, est la médiatrice du pouvoir salva-
teur. " ''Extra ecclesiam nul/a salus ". La force absolue
de cet aphorisme réside dans sa tautologie. En dehors
de l'Église, il n'y a pas de salut, parce que l'Église est
le salut13. •
Mais faut-il en conclure que celui qui n'est pas visi-
blement dans l'Église est nécessairement damné ? Non
bien sûr, mais il n'est pas non plus raisonnable de
penser qu'être dans l'Eglise équivaut automatique-
ment à être sauvé. Ainsi qu'Augustin l'a sagement
remarqué: « Combien y a-t-il de brebis en dehors,
combien de loups à l'intérieur !14.• Il n'y a pas de divi-
sion entre l'Église • visible • et l'Église • invisible •, mais
il y a des membres de l'Église qui ne le sont pas visi-
blement et dont Dieu seul connaît la parenté. Pour
être sauvé, il faut être un membre de l'Église, mais
nous ne pouvons pas toujours dire en quel sensI5.
L'Église est infaillible. Cette infaillibilité est due
naturellement à l'indissolubilité de l'unité entre Dieu
et Son Église. Le Christ et l'Esprit Saint ne peuvent se
tromper et puisque l'Église est le corps du Christ, puis-
qu'elle est une Pentecôte continuelle, elle ne peut être
qu'infaillible. Elle est • la colonne et le fondement de
la vérité• (1 Timothée 3, 5). « Quand Il viendra, Lui,

12. Sur l'unité de l'Église catholique, 6. Collection • Les Pères


dans la Foi•, Desclée de Brouwer, Paris, 1979, p. 30-31.
13. G. Florovsky, • The Catholicity of the Church •, dans Bible,
Cburch, Tradition, p. 37-38.
14. Homélies sur Jean, XLV, 12.
15. Sur cette question, voir p. 398-401.
L'Église de Dieu 321

}'Esprit de vérité, Il vous conduira vers la vérité tout


entière » (Jean 16, 13) : Christ l'a promis au moment de
la Dernière Cène et l'orthodoxie croit qu'une
promesse du Christ ne peut manquer de se réaliser.
Ainsi que Dosithée l'a dit: • Nous croyons que c'est
l'Esprit qui guide l'Église... et nous croyons donc, et
confessons comme une vérité absolue, qu'il est
impossible que l'Église catholique se trompe, ou
qu'elle soit abusée ou qu'elle choisisse le mensonge
au lieu de la vérité16 ...
L'infaillibilité de l'Église s'exprime spécialement
dans les conciles œcuméniques. Mais avant de
pouvoir comprendre ce que représente un concile
œcuménique, il faut étudier la place que tiennent
dans l'Église orthodoxe les évêques et les laïcs.

Évêques, laïcs, conciles

L'Église orthodoxe est hiérarchique. La succession


apostolique des évêques est un élément essentiel de
sa structure. « La dignité d'évêque est si nécessaire à
l'Église, dit Dosithée, que sans lui, on ne pourrait
parler ni <l'Église, ni même du nom chrétien .. .
L'évêque est une image vivante de Dieu sur la terre .. .
et la source de tous les sacrements de l'Église catho-
lique, par lesquels nous obtenons le salut17 ... • Si quel-
qu'un est contre son évêque, dit Cyprien, il est en
dehors de l'ÉgliselB. »
A son élection et sa consécration, un évêque reçoit
le triple pouvoir: a) de diriger; b) d'enseigner; c) de
conférer les sacrements.

16. Confession, décret XII.


17. Confesston, décret X.
18. Lettre, LXVI, 8.
322 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

a) Un évêque est nommé par Dieu pour guider et


commander le troupeau commis à sa charge ; il est un
« monarque » dans son propre diocèse.

b) L'évêque, à sa consécration, reçoit un charisme


ou don spécial du Saint Esprit, en vertu duquel il
devient docteur de la foi. C'est surtout à la Liturgie
eucharistique, lorsqu'il prononce l'homélie, qu'il
accomplit son ministère d'enseignement; lorsque
d'autres membres de l'Église - prêtres ou laïcs -
prononcent l'homélie, ils agissent en mandataires de
l'évêque. Mais malgré son charisme, il peut arriver
que l'évêque se trompe dans son enseignement : le
principe de la synergie est aussi appliqué ici, et l'élé-
ment divin ne chasse pas l'élément humain. L'évêque
est un homme et peut se tromper. L'Église est
infaillible, mais il n'existe pas d'infaillibilité de
personne.
c) L'évêque, ainsi que le dit Dosithée, est la « source
des sacrements ». Dans l'Église primitive, c'était
toujours un évêque qui célébrait l'Eucharistie, et
même aujourd'hui, lorsque les prêtres célèbrent la
Divine Liturgie, ils agissent en délégués de leur
évêque.
Mais l'Église n'est pas seulement hiérarchique, elle
est aussi charismatique et pentecostale. « N'éteignez
pas l'Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie•
(1 Thessaloniciens 5, 19-20). L'Esprit Saint descend sur
tout le peuple de Dieu. Il y a un ministère ordonné,
fait d'évêques, de prêtres et de diacres, mais en même
temps, tout le peuple de Dieu est fait de prophètes et
de prêtres. Il y a dans l'Église apostolique, à côté du
ministère institué par l'imposition des mains, d'autres
charismes ou dons conférés directement par l'Esprit :
Paul mentionne « le don de guérir », les miracles, « les
diversités de langues » et d'autres encore
(1 Corinthiens 12, 28-30). Ces dons se rencontrent
moins souvent après l'âge apostolique, mais ils n'ont
L'Église de Dieu 323

pas cessé d'exister dans l'Église. Tel est, par exemple,


le don des" anciens» en Russie du :xrxe siècle; il n'est
pas le résultat d'une ordination, mais se rencontre
aussi bien chez un laïc que chez un prêtre ou un
évêque. Séraphim de Sarov et les startsy d'Optino ont
eu une influence bien plus grande que celle de n'im.:.
porte quel hiérarque.
Certains théologie ns de l'émigrati on russe ont
récemmen t fait ressortir l'aspect • spirituel • par
rapport à l'aspect« institutionnel• de la vie de l'Église.
Mais la chose avait déjà été remarquée par des écri-
vains byzantins dont saint Syméon le Nouveau
Théologien. Plus d'une fois du reste, dans l'histoire de
l'orthodoxie, le 'charismatique' est entré en conflit
avec le hiérarchique, mais il n'y a, finalement, pas de
contradict ion: c'est le même Esprit qui les anime tous
les deux.
L'évêque a les pouvoirs d'un monarque, mais non
dans un sens autocratique et personnel, car il est guidé,
dans l'exercice de ses pouvoirs, par la loi de l'amour
chrétien. Il n'est pas un tyran, mais un père. Cette atti-
tude envers l'épiscopat orthodoxe est exprimée avec
force dans une des prières de consécration :
« Seigneur, notre Dieu, fais devenir celui-ci, qui est

appelé à exercer la grâce épiscopale, Ton imitateur, ô


vrai Berger qui donnas Ta vie pour Tes brebis. Fais de
lui le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont
dans les ténèbres, l'éducateu r des gens déraison-
nables, l'instructe ur des enfants : qu'il éclaire le
monde afin qu'après avoir mené à la perfection les
âmes qui lui sont confiées dans la vie présente, il
puisse se tenir sans confusion devant Ton trône, et
recevoir la grande récompense que Tu as préparée
pour ceux qui auront souffert pour la prédication de
Ton Évangile ...
L'autorité de l'évêque est fondamentalement celle
de l'Église : quelles que soient ses prérogatives, il n'est
324 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

jamais au-dessus de l'Église mais il occupe une charge


dans l'Église. L'évêque et les fidèles forment une unité
organique, et on ne peut les séparer. Sans évêque, il
n'y aurait pas de fidèles orthodoxes, mais sans fidèles
orthodoxes, il ne peut y avoir d'évêque. • L'Église, dit
Cyprien, est le peuple uni à son évêque, le troupeau
attaché à son berger. L'évêque est dans l'Église, et
l'Église est dans l'évêque19.•
Les rapports entre l'évêque et son troupeau sont
mutuels : l'évêque est nommé docteur de la foi, mais
ce n'est pas seuleme nt l'épiscopat, c'est tout le peuple
de Dieu, évêques, prêtres et laïcs ensemble, qui sont
les gardiens de la foi. Proclamer la vérité n'est pas la
même chose que la posséde r ; le peuple entier
possède la vérité, mais c'est la fonction de l'évêque de
la prêcher. L'infaillibilité appartie nt à l'Église tout
entière et non isolément à l'épiscopat. Ainsi que les
patriarches orthodox es l'ont écrit en 1848 au pape
·Pie IX: « Ni patriarche ni concile ne pourraient parmi
nous introduir e un enseigne ment nouveau , car le
gardien de la religion est le corps même de l'Église,
c'est-à-dire le peuple (laos) même ».
Khomiakov, commentant cet exposé, écrit:
« Le pape se trompe grandem ent en croyant que
nous considérons la hiérarchie ecclésiastique comme
la gardienn e des dogmes. La réalité est toute diffé-
rente. La constance invariable et la vérité infaillible
des dogmes chrétiens ne dépende nt pas de l'ordre
hiérarchique, ils sont gardés par la totalité, par tous les
fidèles de l'Église, qui est le corps du Christ20. •
Cette concepti on du laos, du peuple des fidèles, et
de sa place dans l'Église doit toujours rester présente
à l'esprit lorsqu'on considère la nature d'un concile

19. Lettre, LXVI, 8.


20. Lettre dans WJ. Birkbeck, Russta and the English Church,
p.94.
L'Église de Dieu 325

œcum emque . Les laïcs ne sont pas ceux qui ensei-


gnent, mais qui gardent. Aussi, bien qu'ils puissent
assister aux conciles et y prendr e une part très active
(comm e Constantin et d'autres emper eurs byzantins),
lorsque le concile arrive au moment des proclama-
tions formelles de la foi, ce sont les évêque s seuls qui,
en vertu de leur charisme d'enseignement, prenne nt
les décisions finales.
Mais un concile d'évêq ues peut se tromper ou être
abusé. Or comm ent peut-o n être sûr qu'une assem-
blée d'évêq ues a été réellement un concile œcumé -
n iqu e dont par consé quent les décret s sont
infaillibles ? Bien des concil es se sont consid érés
comm e œcumé niques , ont revendiqué de parler au
nom de toute l'Église, quelquefois celle-ci les a rejetés
par après C01!1ffie étant hérétiques ; il suffit de penser
au concile d'Ephèse en 449, au concile iconoclaste de
Hiéria en 754, ou à celui de Florence en 1438-1439.
Ces conciles, cepend ant, ne semblent pas à première
vue être différents des conciles œcumé niques . Par
quel critère définit-on un concile œcumé nique ?
La questio n est plus épineu se qu'elle ne paraît de
prime abord et, malgré de nombreuses discussions au
cours des cent dernières années, on ne peut pas dire
que les orthod oxes soient arrivés sur ce point à une
solutio n satisfaisante. Tous les orthod oxes savent
quels sont les sept conciles œcumé niques acceptés
par leur Église, mais ce qui en fait l'œcuménicité est
moins clair. Il faut admettre que certains points de la
théolo gie orthod oxe sur les concil es sont encore
obscurs et nécessitent d'autres développements et les
efforts des théologiens. Tout en tenant compt e de
cette insuffisance, il est néanmoins intéressant de voir
quelle est la tendan ce actuelle de la pensée orthod oxe
à ce sujet.
A la questio n de savoir quel concile est œcum é-
nique, Khomiakov a donné une répons e qui paraît, au
326 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

premier abord, claire et sans détour : un concile ne


peut être considéré comme œcuménique que si ses
décrets sont acceptés par l'Église entière. Florence,
Hiéria et d'autres, œcuméniques en apparence, ne le
sont pas parce qu'ils n'ont pas été approuvés par
toute l'Église. (On pourrait objecter à cela que le
Concile Œcuménique de Chalcédoine a été rejeté par
l'Égypte et la Syrie. Peut-on dire alors qu'il fut
approuvé par toute l'Église?) Les évêques, dit
Khomiakov, étant docteurs de la foi, définissent et
proclament la vérité dans les conciles, mais ces défini-
tions doivent ensuite être reçues par tout le peuple de
Dieu (dont les laïcs font partie), puisque c'est le
peuple de Dieu qui, en sa totalité, est gardien de la
Tradition. D'autres théologiens, russes et grecs, ne
considèrent cependant pas sans méfiance ce point de
vue: ils pensent qu'il met en danger les préro8atives
épiscopales et •démocratise• l'idée de l'Eglise.
Cependant la théorie de Khomiakov, sous une forme
prudente et mesurée, est assez généralement admise
par la pensée orthodoxe contemporaine.
Il va sans dire que l'acceptation des décrets d'un
concile par l'entièreté de l'Église n'a pas un caractère
juridique:
"Ce n'est pas que les décisions du concile aient
encore besoin d'être confirmées par un plébiscite
universel, faute duquel elles seraient sans valeur. Il n'y
a pas de plébiscite. Cependant, une évidence certaine
apparaît au grand jour : la voix du concile a été effec-
tivement celle de la conciliarité catholique (ou elle ne
l'a pas été) sans plus21 .•
A un véritable concile œcuménique, les évêques
reconnaissent la vérité et la proclament ; cette procla-
mation est ensuite vérifiée par l'assentiment de tout le

21. Père Serge Boulgakov, L'Orthodoxte, trad. C. Andronikof,


Lausanne : !'Age <l'Homme, 1980, p. 87.
L'Église de Dieu 327

peuple chrétien, un assentiment qui n'est pas exprimé


formellement et explicitement, mais qui est vécu.
Ce n'est pas non plus le nombre ou la répartition de
ses membres qui fait l'œcuménicité d'un concile:
« Un concile 'œcuménique' est tel, non parce qu'y

ont participé des représentants accrédités de toutes les


Églises autocéphales, mais parce qu'il a rendu témoi-
gnage de la foi de l'Église œcuménique22. »
L'œcuménicité d'un concile ne peut pas être définie
uniquement sur des critères extérieurs : • La vérité ne
peut pas avoir de critère extérieur, étant manifeste par
elle-même, d'une évidence intérieure23 •. L'infaillibilité
de l'Église ne peut pas être • extériorisée », ni
entendue dans un sens • matériel » :
• Ce n'est pas l"œcuménicité' mais la vérité des
conciles qui rend leur décision obligatoire pour nous.
Nous touchons ici au mystère fondamental de la
doctrine orthodoxe sur l'Église : l'Église est le miracle
de la présence de Dieu parmi les hommes, au-delà de
tout "critère" formel, de toute "infaillibilité" formelle. Il
ne suffit pas de convoquer un "concile œcumé-
nique" ... il faut encore qu'au milieu de ceux qui s'as-
semblent ainsi, soit présent Celui qui a dit : "Je suis la
voie, la vérité, la vie". Sans cette présence, si
nombreuse, si représentative que soit l'assemblée, elle
ne sera pas dans la vérité. Les protestants et les catho-
liques ont, d'ordinaire, peine à comprendre cette
vérité fondamentale de l'orthodoxie: les uns et les
autres matérialisent la présence de Dieu dans l'Église
- les uns dans la lettre de l'Écriture, les autres dans la
personne du pape - n'évitant pas par là le miracle,
mais le revêtant d'une forme concrète. Pour l'ortho-
doxie, l'unique "critère de la vérité" demeure Dieu

22. Métropolite Séraphim, L'Église orthodoxe, p. 51. ,


23. V. Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Eglise
d'Orient, p. 185.
328 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Lui-même, vivant mystérieusement dans l'Église, la


conduisant sur la voie de la vérité24. »

Les vivants et les morts


La Mère de Dieu

En Dieu et en Son Église, il n'existe pas de sépara-


tion entre les vivants et les morts, tous sont un dans
l'amour du Père. Que nous soyons vivants ou morts,
en tant que membres de l'Église nous appartenons
toujours à la même famille et nous avons le devoir de
porter les fardeaux les uns des autres. C'est pourquoi,
de même que le chrétien orthodoxe prie pour les
autres et en demande les prières, il prie aussi pour les
fidèles défunts et en demande également les prières.
La mort ne rompt pas le lien d'amour mutuel qui unit
entre eux tous les membres de l'Église.
Prières pour les défunts. C'est en ces termes que
l'Église orthodoxe prie pour les défunts : • Fais
reposer parmi les Saints, ô Christ, les âmes de Tes
serviteurs, là où il n'y a ni maladie ni tristesse, ni
gémissements, mais la vie éternelle.• Et dans une
autre prière nous disons:
.. Dieu des esprits et de toute chair, qui as vaincu la
mort et anéanti le diable, Toi qui as donné la vie au
monde, Seigneur, accorde le repos aux âmes de Tes
serviteurs défunts, dans un lieu de lumière, un lieu
d'abondance et de repos, là où il n'y a ni douleur ni
tristesse, ni gémissements, mais la vie éternelle ...
Pardonne-leur tout péché, commis en parole, en
action, en pensée ... •

24.J. Meyendorff, citê par M.-J. Le Guillou, Mission et untté,


vol. II, Paris 1960, p. 313.
L'Église de Dieu 329

Les orthodoxes pensent que c'est le devoir des


vivants de prier pour les morts et que ces prières sont
utiles aux défunts. Mais comment la prière aide-t-elle?
Dans quelle condition se trouvent-ils, durant cette
période qui s'étend de la mort au jour de la résurrec-
tion des corps, au Jugement Dernier ? La doctrine
orthodoxe ne s'exprime pas nettement sur ce point et
a varié quelquefois au cours des temps. Au xvue
siècle, un certain nombre d'auteurs orthodoxes, dont
Pierre Mohyla et Dosithée, dans sa Confession, ont
soutenu la doctrine catholique du purgatoire, ou à
défaut, quelque chose de très approchant25. (Selon la
doctrine catholique, à tout le moins dans le passé, les
âmes vont au purgatoire afin d'y expier leurs péchés
dans la souffrance). La plupart des théologiens ortho-
doxes d'aujourd'hui, sinon tous, rejettent l'idée de
purgatoire, tout au moins sous cette forme. La majo-
rité serait portée à dire que les fidèles défunts ne souf-
frent pas du tout. Une autre école de p~nsée admet-
trait que les défunts souffrent peut-être, mais leur
souffrance aurait alors un caractère purificateur et non
expiatoire; car lorsqu'une personne meurt dans la
grâce de Dieu, Dieu lui pardonne ses péchés sans
exiger de pénalité expiatoire: le Christ, !'Agneau de
Dieu qui a effacé le péché du monde, est notre
unique rachat et acquittement. Cependant une troi-
sième école laisse la question en suspens : évitons,
dit-elle, de formuler les détails sur la vie après la mort,
et conservons plutôt une respectueuse et a_snostique
réticence. Un jour que saint Antoine d'Egypte se
posait des questions sur la Divine Providence, il

25. Il faut cependant remarquer que, même au XVII· siècle,


beaucoup d'orthodoxes ont rejeté l'enseignement catholique
romain sur le purgatoire. Les déclarations de Mohyla dans sa
Conjesston ont été soigneusement révisées par Mélèce Syrigos, et
Dosithée a ultérieurement spécifiquement rétracté ce qu'il avait
écrit sur ce sujet dans sa Confession.
330 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

entendit une voix qui lui disait : « Sois attentif à toi-


même, Antoine, car ce sont des jugements de Dieu et
il ne t'est pas utile de les connaître26.•
Les Saints. Syméon le Nouveau Théologien dépeint
les saints sous la forme d'une chaîne d'or:
« La Sainte Trinité pénétrant à travers tous les êtres,

du premier jusqu'au dernier, comme dans un corps,


depuis la tête jusqu'aux pieds, les assemble... Les
saints, de génération en génération, rejoignent ceux
des précédentes, reçoivent comme eux la lumière ...
Ils deviennent une chaîne d'or dans laquelle chaque
saint est un chaînon relié au précédent par la foi, les
œuvres et la charité, jusqu'à former dans le Dieu
unique une chaîne qu'il n'est pas facile de rompre27, •
C'est ainsi que les orthodoxes envisagent la
communion des saints : une chaîne d'amour mutuel et
de prières, où les membres de l'Église sur terre,
« appelés à devenir saints •, ont aussi leur place.
Tout orthodoxe peut, en privé, demander ses
prières à n'importe quel membre de l'Église, qu'il soit
canonisé ou non. Il serait tout à fait normal qu'un
enfant orphelin termine ses prières en demandant non
seulement l'intercession de la Mère de Dieu et des
saints, mais aussi de ses propres parents. Dans les
offices publics, cependant, l'Église demande leurs
prières uniquement à ceux qui ont été canonisés ;
mais il y a eu des circonstances exceptionnelles où un
culte public s'est établi sans acte préalable de canoni-
sation. Sous l'empire ottoman, l'Eglise grecque a très
vite commencé à commémorer ses Nouveaux Martyrs.
Cependant, pour ne pas attirer l'attention des Turcs,
ce fut fait sans proclamation officielle : le culte des
Nouveaux Martyrs débuta la plupart du temps par une

26. Apophthegmata : PG 65, Antoine 2. êd. Dom Lucien


Regnault, Solesmes 1981, p. 14.
27. Chapitres, III, 2-4. SC 51bis p. 121-123.
L'Église de Dieu 331

initiative spontanée. La même chose s'est passée sous


le communisme avec les Nouveaux Martyrs de
Russie : pendant longtemps, ils ont été honorés en
secret par les croyants dans ce qui était alors l'Union
Soviétique, mais ce n'est qu'après 1988 qu'il devint
possible pour l'Église russe de les proclamer ouverte-
ment comme saints.
Le culte des saints est très étroitement lié à la véné-
ration des icônes. Les orthodoxes les placent non
seulement dans leurs églises, mais dans chaque
chambre de leur habitation, et même dans les
voitures et les autobus. Cette perpétuelle présence
des icônes est un point de contact entre les membres
de l'Église vivants et les morts. Elle aide les ortho-
doxes à ne pas regarder les saints comme quelques
lointaines ou légendaires figures du passé, mais à les
considérer comme des contemporains et des amis
personnels.
Un orthodoxe reçoit à son baptême le nom d'un
saint, comme un symbole de son entrée dans l'Église
qui n'est pas seulement terrestre, mais aussi céleste.
Les orthodoxes ont une dévotion particulière pour le
saint dont ils portent le nom ; ils ont généralement
une icône de leur saint patron dans leur chambre et
demandent chaque jour son intercession. Ils ont leur
fête onomastique, le jour de la fête de leur saint
patron et pour la plupart des orthodoxes (comme
pour la plupart des catholiques romains en Europe
continentale), cette date est beaucoup plus importante
que l'anniversaire de leur naissance. En Serbie,
chaque famille a son saint patron et le jour de sa fête,
la famille réunie procède à une célébration collective,
la slava.
Un Chrétien orthodoxe invoque dans sa prière non
seulement les saints mais les anges et en particulier
son ange gardien. Les anges, dans la pensée ortho-
doxe, font autour de nous une • barrière protectrice
332 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

d'intercession et nous protègent sous leurs ailes de


gloire immatérielle28.•
La. Mère de Dieu. La Vierge Marie a parmi tous les
saints une position particulière et les orthodoxes la
vénèrent comme la plus glorieuse de toutes les créa-
tures de Dieu, • plus vénérable que les chérubins et
incomparablement plus glorieuse que les séraphins29, »
Il faut remarquer qu'elle est appelée la plus glorieuse,
de toutes les créatures de Dieu. Les orthodoxes, comme
les catholiques romains, vénèrent et honoren t la Mère
de Dieu, mais aucune des deux Églises ne la regarde
comme une quatrième personne de la Trinité, ni ne lui
témoigne l'adoration due à Dieu seul. La distinction est
très nette dans la théologie grecque : un mot spécial,
latreia, est réservé à l'adoration de Dieu; et des termes
tout à fait différents sont employés pour la vénération
de la Vierge (douleia, byperdouleia, proskynesis).
Marie est très souvent mentionnée dans les offices
orthodoxes et on lui donne habituellement son titre
entier : • toute sainte, immacul ée, toute bénie et
glorieuse Souveraine, Mère de Dieu et toujours Vierge
Marie ». Titre qui inclut les trois épithètes principales
que l'Église orthodo xe réserve à Notre-D ame:
Tbeotokos (Mère de Dieu), Aeipartb enos (toujours
Vierge) et Panbagia (toute sainte). Le premier de ces
titres lui fut donné par le Ille Concile Œcuménique
(Éphèse , 431) ; le second pàr le ve Concile
Œcumén ique (Constan tinople, 553)30. Le titre de

28. Hymne du congé à la fête des archanges (8 novembre).


29. Tirée d'une hymne:• Il est digne en vérité de Te célébrer, ô
Mère de Dieu ... • qui est chantée après la prière de consécration,
dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, et dans d'autres offices.
30. La croyance en la perpétuell e virginité de Marie peut
sembler en contradiction avec le texte de saint Marc (3, 31) qui
mentionne en effet les • frères • du Christ. Mais la référence peut
être à des demi-frères, nés d'un premier mariage de Joseph ; le
mot employé ici en grec peut également désigner un cousin ou un
autre proche parent aussi bien qu'un frère au sens strict.
L'Église de Dieu 333

Panbag ia, qui n'a pas fait l'objet d'une définition


dogmat ique, est accepté et employ é par tous les
orthodoxes.
L'appellation Tbeotokos est d'une importance parti-
culière, car elle est la clé du culte orthodo xe de la
Vierge. Nous honoro ns Marie parce qu'elle est la Mère
de notre Dieu ; ce n'est pas isolément que nous la
vénérons, mais à cause de sa relation avec le Christ. Et
ainsi, la vénérat ion témoig née à Marie, bien loin
d'amoindrir le culte de Dieu, a un effet contrai re: plus
nous estimons Marie, plus nous nous rendons compte
de la majesté de son Fils, car c'est précisément à cause
du Fils que nous vénéron s la Mère.
Nous vénéron s la Mère de Dieu à cause de son Fils :
la mariologie est simplem ent une extensi on de la
christologie. Lorsque les Pères, au concile d'Éphèse,
ont insisté pour l'appeler Tbeotokos, ce n'était pas en
vue d'une glorification qui eût été une fin en soi, en
dehors de son Fils, mais parce que c'est en honoran t
Marie qu'ils sauvegardaient l'intégrité de la doctrine
de la personn e du Christ. Quicon que pense à toutes
les implications de cette phrase fondam entale : Le
Verbe S'est fait chair, ne peut que s'incliner avec un
profond respect devant Celle qui fut choisie pour être
l'instrument d'un si haut mystère. Ceux qui refusent
d'honor er Marie sont très souvent ceux qui ne croient
pas réellement à l'Incarnation.
Mais ce n'est pas seulem ent parce qu'elle est
Tbeotokos que les orthodoxes honoren t Marie, c'est
aussi parce qu'elle est Panbagia, toute Sainte. Elle est,
parmi toutes les créatur es de Dieu, le suprêm e
exempl e de synergie ou coopération entre la divinité
et la liberté humain e. Dieu, qui respect e toujours
notre liberté de choix, n'a pas voulu s'incarner sans le
consen tement volontaire de sa Mère. Il attendit sa
réponse spontan ée : • Je suis la servante du Seigneur,
qu'il m'advie nne selon Ta parole.» (Luc I, 38). Marie
334 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pouvait refuser ; elle ne fut pas simplement passive,


mais participa activement au mystère de l'Incarnation.
Ainsi que l'a dit saint Nicolas Cabasilas :
• L'Incarnation du Verbe fut l'œuvre non seulement
du Père, de sa Puissance et de l'Esprit... mais aussi
[l'œuvre) de la volonté et de la foi de la Vierge ... De
même que Dieu S'incarna volontairement, de même il
voulait que Sa mère engendrât librement31, •
Si le Christ est le nouvel Adam, Marie est la nouvelle
Eve, celle dont la soumission obéissante à la volonté
de Dieu a contrebalancé la désobéissance d'Eve au
Paradis. • Ainsi ce qui avait été noué par la désobéis-
sance d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie:
ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité, la
Vierge Marie l'a délié par sa foi32 •. • La mort par Eve,
la vie par Marie33. »
L'Église orthodoxe appelle Marie • Toute Sainte •,
" Immaculée • ou • sans corruption .. (en grec
achrantos), et tous les orthodoxes pensent qu'elle n'a
jamais commis de péché actuel. Mais fut-elle aussi
dégagée du péché originel? En d'autres mots, est-ce
que l'orthodoxie accepte la doctrine catholique
romaine, proclamée en dogme par Pie IX en 1854,
selon laquelle Marie, dès le moment de sa conception
par sa mère sainte Anne, et par une grâce spéciale, fut
délivrée de • toute tache du péché originel • ? L'Église
orthodoxe n'a jamais fait de déclaration officielle à ce
sujet. Dans le passé, certains orthodoxes ont fait des
déclarations qui, sans affirmer catégoriquem ent la
doctrine de l'Immaculée Conception, s'en sont appro-

31. Sur l'Annonctatton 4-5 (Patrologia Orientalts, vol. XIX,


Paris, 1926, p. 488); trad. fr. de Jean-Louis Palierne, Nicolas
Cabasilas, la Mère de Dieu, Lausanne: l'Age <l'Homme (Coll.• La
Lumière du Thabor •) 1992, p. 53. ,
32. Irénée, Contre les Hérésies, III, XXII, 4. Paris : Ed. du Cerf,
1985, p. 385 ; également dans SC 211, p. 441.
33. Jérôme, Lettres, XXII, 21.
L'Église de Dieu 335

chés ; mais, depuis 1854, la grande majorité des ortho-


doxes a rejeté cette doctrine et ce pour plusieurs
raisons. Ils la ressentent comme superflue; telle qu'elle
est définie par les catholiques romains, elle implique
une interprétation douteuse du péché originel ; d'autre
part, cette doctrine est dangereuse parce qu'elle sépare
Marie du reste de la descendance d'Adam, en la
rangeant à part des autres justes, hommes et femmes,
de l'Ancien Testament. Du point de vue orthodoxe,
cependant, la question est du domaine des opinions
théologiques, et si un orthodoxe se sentait actuelle-
ment poussé à croire en la Conception Immaculée, il
ne serait point pour autant traité d'hérétique.
Mais l'orthodoxie, qui nie généralement la doctrine
de l'immaculée Conception de Marie, croit fermement
en son assomption corporelle34. Notre-Dame, comme
le reste de l'humanité, a connu la mort physique, mais
pour elle, la résurrection du corps a été anticipée ;
après sa mort, son corps a été élevé au ciel et sa
tombe a été trouvée vide. Elle est au-delà de la mort et
du jugement et vit déjà dans le siècle à venir.
Cependant, elle n'est pas séparée du reste de l'huma-
nité, car nous espérons tous partager un jour avec elle
cette résurrection glorieuse dont elle jouit déjà.
Cette croyance dans l'Assomption de la Mère de
Dieu est exprimée sans ambiguïté dans les hymnes
que l'Église chante le 15 août, jour de la fête de la
Dormition. Mais, contrairement à Rome, l'orthodoxie
n'a pas proclamé de dogme sur }'Assomption et n'a
pas l'intention de le faire. Les doctrines de la Trinité et
de l'Incarnation ont été proclamées en dogmes, parce

34. Immédiatement a.près que le pape eut proclamé le dogme


de l'Ass9mption en 1950, quelques orthodoxes - en réaction
contre l'Eglise catholique romaine - ont émis des doutes au sujet
de l'assomption corporelle ,et l'ont même niée; mais ils ne repré-
sentent certainement pas l'Eglise orthodoxe dans son ensemble.
336 l'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

qu'elles appartiennent à la prédication publique de


l'Église, mais la glorification de Notre-Dame relève de
la tradition intérieure de l'Église.
• Il est difficile de parlelj non moins difficile de
penser aux mystères que l'Eglise garde dans le fond
non apparent de sa conscience intérieure... La Mère
de Dieu n'a jamais été l'objet de la prédication apos-
tolique. Tandis que le Christ est prêché sur les toits,
proclamé à la connaissance de tous dans une caté-
chèse s'adressant à l'univers entier, le mystère de la
Mère de Dieu se révèle à l'intérieur de l'Église ... Plus
qu'un objet de foi, c'est un fondement de notre espé-
rance : fruit de la foi, mûri dans la Tradition. Taisons-
nous donc et n'essayons pas de dogmatiser sur la
gloire de la Mère de Dieu35. »

Les fins dernières

Il existe, pour le chrétien, une alternative finale : le


ciel et l'enfer. L'Église attend la consommation finale
du temps, ce que la théologie grecque appelle apoca-
tastasis ou • réintégration », lorsque le Christ reviendra
en gloire, juger les vivants et les morts. Cette apoca-
tastasis finale entraîne aussi, comme nous l'avons vu,
la rédemption et la glorification de la matière : au jour
du jugement, les justes se lèveront de leur tombe et
seront à nouveau pourvus d'un corps, non pas tel que
nous le connaissons, mais d'un corps transfiguré ou
• spirituel » dans lequel la sainteté interne sera rendue
extérieurement manifeste. Et non seulement nos corps
humains, mais toute la création sera transformée :
Dieu fera un nouveau ciel et une nouvelle terre.

35. V. Lossky, Panbagla, dans A l'image et il la ressemblance


de Dieu, p. 206-207.
L'Église de Dieu 337

Mais l'enfer existe comme le ciel existe. Bien des chré-


tiens, ces dernières années, non seulement en Occident,
mais aussi dans l'Église orthodoxe, ont tendance à croire
que l'idée de l'enfer est incompatible avec celle d'un
Dieu aimant. Mais cela prouve seulement une dange-
reuse confusion de la pensée. Oui, Dieu nous aime d'un
amour infini, mais Il nous a dotés d'une libre volonté, et
ce libre arbitre nous permet de Le rejeter. Puisque le
libre arbitre existe, l'enfer existe, car il n'est pas autre
chose que le refus de Dieu. Si nous nions l'enfer, nous
nions automatiquement le libre arbitre. « Personne n'est
meilleur ni plus miséricordieux que Dieu, écrit Marc le
moine ou l'ermite (début du v• siècle), mais Il ne
pardonnera pourtant pas à celui qui ne fait pas péni-
tence36. • Dieu ne nous force pas à l'aimer, car l'amour
n'est vrai que s'il est libre. Comment Dieu peut Il donc
se concilier ceux qui refusent toute réconciliation ?
On peut se rendre compte de l'attitude orthodoxe vis-
à-vis du jugement dernier et de l'enfer par le choix que
l'Église a fait dans la lecture de l'Évangile aux trois
derniers dimanches qui précèdent le grand Carême.
C'est d'abord la parabole du pharisien et du publicain,
puis celle du fils prodigue, qui illustrent toutes deux
l'immense compassion et la clémence de Dieu envers
nous, les pécheurs qui se repentent. Mais le troisième
évangile, la parabole des brebis et des boucs, nous
remet en mémoire une autre vérité : il est possible de se
détourner de Dieu et de choisir l'enfer. « Alors Il dira à
ceux qui sont à sa gauche : allez loin de moi, maudits,
dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses
anges. » (Matthieu 25, 41).
Il n'y a pas de terrorisme dans la doctrine ortho-
doxe de Dieu. Les chrétiens orthodoxes ne rampent

36. Sur ceux qut pensent être Justifiés par les amvres, 71 ;
Abbaye de Bellefontaine 1985 (• Spiritualité Orientale; 41 •), p. 48
(PG 65, 940D).
338 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pas craintivement devant Lui dans une peur abjecte,


car ils Le connaissent comme pbilantbropos, « aimant
les hommes». Cela ne les empêche pas d'être très
conscients du fait que lors de Son deuxième avène-
ment, c'est en juge que le Christ viendra.
L'enfer n'est pas un endroit où Dieu emprisonne '
I:homme, c'est plutôt un endroit où l'homme, abusant
de son libre arbitre, choisit de s'empriso nner lui-
même. Et, même en enfer, les maudits ne seront pas
privés de l'amour divin; c'est par leur propre choix
qu'ils éprouvero nt dans la souffrance ce que les saints
éprouvero nt dans la joie : « l'amour divin ... deviendra
un tourment intolérable pour ceux qui ne l'ont pas
acquis à l'intérieur d'eux-mêmes37 ».
L'enfer existe comme une possibilité ultime, mais il
y a des Pères qui croient cependant qu'à la fin des
temps, tous, sans exception, seront réconciliés avec
Dieu. Dire que tous doivent être sauvés est une
hérésie, parce que c'est nier le libre arbitre, mais il est
légitime d'espérer que tous puissent être sauvés.
Jusqu'au jour du jugement, il ne faut désespérer du
salut de personne, mais prier et espérer la réconcilia-
tion de tous. Aucun ne doit être exclu de notre inter-
cession compatissante. « Qu'est-ce qu'un cœur miséri-
cordieux ? » demande saint Isaac le Syrien. • C'est un
cœur qui brûle d'amour pour toute la création, pour
les hommes, les oiseaux, les animaux, les démons, et
pour toute créature38. » Grégoire de Nysse a dit que

37. V.Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Église


d'Orient, p. 232.
38. Œuvres spirituel/es, 81· discours, Paris: Desclée de Brouwer
(• Théophanie •) 1981, p. 395. [Texte modifié sur la base de la
traduction anglaise effectuée directement à partir du syriaque par
le Monastère de la Sainte Transfiguration, Boston, Massachusetts,
1984, p. 344-345 - cf. Kallistos Ware, Le Royaume intérieur, trad.
française M. et L. Egger, coéd. Cerf et Le Sel de la Terre, Paris 1996,
p. 72 et 108}.
L'Église de Dieu 339

les chrétiens pouvaient légitimement espérer même la


rédemptio n du diable.
La Bible se termine sur une note d'intense attente :
• Oui, mon retour est proche. Oh oui, viens, Seigneur
Jésus. • (Apocalypse 22, 20). Les premiers chrétiens
priaient dans le même esprit : • Que la grâce vienne et
que ce monde passe39. • Ces premiers chrétiens se trom-
paient en pensant que la fin du monde était si proche,
car deux millénaires ont passé sans qu'elle soit venue. Ce
n'est pas à nous de connaître le temps et la saison, et
l'ordre actuel peut se maintenir encore pendant d'autres
millénaires. Mais d'un autre côté, les premiers chrétiens
avaient raison : que la fin vienne plus tard ou plus tôt,
elle est toujours imminente; et même si elle ne l'est pas
temporellement, elle est spirituellement proche. Le Jour
du Seigneur viendra • comme un voleur en pleine nuit •
(1 Thessaloniciens 5, 2), à l'heure où nous ne l'attendrons
pas. Les chrétiens doivent donc, comme aux temps apos-
toliques, être toujours prêts, dans une constante expecta-
tive. Un des signes les plus encourageants de renaissance
dans l'orthodoxie contemporaine est ce renouveau de
conscienc e du Second Avènement et de ses consé-
quences. • A un pasteur en visite en Russie, et demandant
quel est le problème brulant de l'Église russe, un prêtre a
répondu sans hésiter: la parousie4o.•
Mais ce Second Avènement n'est pas seulem<:_nt un
événemen t des temps futurs, car dans la vie de l'Eglise,
l'âge à venir a déjà commencé à faire irruption dans
l'âge présent ; les membres de l'Église de Dieu sont déjà
dans • les temps derniers " et connaissent déjà les
prémices du Royaume de Dieu. « Oh oui, viens,
Seigneur Jésus ». Il vient déjà dans la sainte Liturgie et
dans l'Église en prière.

39. Didachè, X, 6. Écrits des Pères Apostoliques, Paris: éd. du


Cerf, 1969, p. 49; = Doctrine des Douze Apôtres, SC 248, p. 181.
40. P. Evdokimov, L'Orthodoxie, p. 9 (Parousta, terme grec
pour le second avènement).
13
La prière de l'église,
le ciel sur la terre

L'Église est le paradis terrestre dans


lequel le Dieu du ciel demeure et se meut.
Saint Germain,
patriarche de Constantinople (t733).

Doctrine et culte

La première chronique russet raconte que Vladimir,


prince de Kiev, alors qu'il était encore un païen,
désira savoir quelle était la vraie religion, et envoya
des messagers dans différents pays. Ils allèrent
d'abord chez les Bulgares musulmans de la Volga,
mais ayant remarqué que lorsque ceux-ci priaient, ils
prenaient des airs d'hommes possédés, les Russes
passèrent leur chemin : • Il n'y a pas de joie en eux »,
dirent-ils à Vladimir, • mais deuil et mauvaises odeurs
et leur système n'a rien de bon.» Le culte qu'ils virent
célébrer chez les Germains et à Rome les satisfit
davantage, mais là aussi, ils se plaignirent du manque

1. Chronique de Nestor.
342 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

de beauté. Enfin ils arrivèrent à Constantinople et,


assistant à un office dans la grande église de la Sainte
Sagesse, ils découvrirent ce qu'ils cherchaient: • Nous
ne savions pas si nous étions au ciel ou sur la terre.
Nous ne pouvons décrire ce que nous avons vu ; tout
ce que nous pouvons dire, c'est que Dieu était là
parmi les hommes et que leur louange dépasse tout
ce que nous avons vu ailleurs. Nous ne pourrons
jamais oublier cette beauté. »
Ce récit met en relief plusieurs des caractéristiques
du christianisme orthodoxe. Il y a d'abord cet accent
sur la divine beauté: • nous ne pourrons jamais
oublier cette beauté. » Il semble que ce soit un don
spécial des peuples orthodoxes, et plus particulière-
ment de Byzance et de Russie, que cette faculté de
percevoir la beauté du monde spirituel et de l'ex-
primer dans le culte.
En second lieu, il est caractéristique que les Russes
aient dit : « Nous ne savions pas si nous étions au ciel
ou sur la terre ». Car pour l'Église orthodoxe, le culte
n'est pas autre chose que le ciel sur la terre. La sainte
liturgie embrasse les deux mondes car, au ciel comme
sur la terre, elle est une seule et même chose, un
autel, un sacrifice, une présence. En chaque endroit
de culte, si humble que soit son apparence, lorsque
les fidèles se rassemblent autour de la sainte eucha-
ristie, ils sont élevés dans les • lieux célestes "· Chaque
fois que le sacrifice eucharistique est offert, ce n'est
pas seulement l'assemblée locale qui est présente ;
mais c'est l'Église universelle, les saints, les anges, la
Mère de Dieu et le Christ Lui-même qui sont là. Le
chœur chante à la Grande Entrée durant la Liturgie
des Présanctifiés : « Maintenant les puissances célestes
célèbrent invisiblement avec nous. • Nous savons que
Dieu est là, parmi les hommes.
Inspirés par cette vision du .. ciel sur la terre•, les
orthodoxes se sont efforcés de représenter dans leurs
La prière de l'Église, le ciel sur la terre 343

offices une icône de la liturgie céleste. En l'an 612, il y


avait 80 prêtres attachés à l'église de Sainte-Sophie,
150 diacres, 40 diaconesses, 70 sous-diacres , 160
lecteurs, 25 chantres et 100 portiers, chiffres qui
peuvent donner une idée de la magnificence des
services qui a frappé les envoyés du prince Vladimir.
Et bien d'autres qui ont participé à des offices ortho-
doxes, dans des circonstances bien différentes et un
tout autre contexte, ont senti aussi cette présence de
Dieu parmi les hommes. Que l'on passe, par exemple,
du récit de la Première Chronique russe à cette lettre
d'une Anglaise, qui écrit en 1935 :
« Cette matinée fut si étrange. Un hall de mission

presbytérienne, sordide et délabré, dans une ruelle,


au-dessus d'un garage, où les Russes sont admis à
célébrer leur liturgie tous les quinze jours. Une icono-
stase un peu semblable à un décor de théâtre et
quelques icônes modernes. Un plancher sale pour
s'agenouiller et un banc le long du mur. Et au milieu
de cela, deux vieux prêtres splendides, et un diacre, et
des nuages d'encens. Et, à l'anaphore, une puissante
impression de surnaturel2. »
Une troisième caractéristique de l'orthodoxie est
illustrée dans l'histoire des envoyés du prince
Vladimir; lorsqu'ils étaient en quête de la vraie foi, les
Russes n'ont pas demandé quelles étaient les
doctrines ni les règles morales ; ils ont regardé
comment priaient les différentes nations. L'orthodoxe
comprend la religion à travers la liturgie, la doctrine
est inscrite dans le culte divin, et ce n'est pas par
hasard que le mot « orthodoxie • signifie en même
temps vraie croyance et vrai culte, car les deux choses
sont inséparables . Ce qui a été dit une fois des
Byzantins s'étend à toute l'orthodoxie: « Les dogmes

2. The Letters of Evelyn Underhill, p. 248.


344 L'Orthodoxie, l'ÉgUse des sept Conciles

ne sont pas seulement un système intellectuel perçu


par le clergé et expliqué aux laïcs, mais un champ de
vision, dans lequel toutes les choses terrestres sont
envisagées dans leur relation avec le ciel, et ceci prin-
cipalement à travers la célébration de la liturgie3. •
Ainsi que le dit Georges Florovsky : • Le christianisme
est une religion liturgique. L'église est avant tout une
communauté en prière. Le culte vient d'abord, les
doctrines et la discipline ne viennent qu'ensuite4. •
Ceux qui voudraient connaître }'Orthodoxie n'ont pas
à lire tant de livres à son sujet, mais à suivre simple-
ment l'exemple des envoyés du prince Vladimir et
assister à la liturgie. Ainsi que le Christ l'a dit à André :
• Viens et vois• Qean 1, 39).
L'orthodoxie considère l'homme avant tout comme
un être liturgique, devenant réellement lui-même lors-
qu'il glorifie Dieu, et qui trouve son expression et son
accomplissement dans cette prière. Les orthodoxes ont
mis toute leur expérience religieuse dans la liturgie qui
exprime leur foi; c'est elle qui a inspiré leurs plus
grands poèmes, le meillêur de leur art et de leur
musique. La liturgie n'est jamais devenue ce qu'elle eut
tendance à être au Moyen Age en Occident, l'apanage
des spécialistes et du clergé ; elle est toujours restée
populaire, le bien commun de tout le peuple chrétien.
« Le fidèle orthodoxe moyen, par une familiarité

acquise dans sa petite enfance, se sent chez lui à


l'église, il est parfaitement au courant de toute la
partie audible de la sainte Liturgie, et il prend part aux
rites spontanément, avec une facilité qu'on ne
rencontre en Occident que chez les gens particulière-
ment engagés dans la vie de l'Église5. •

3. G. Every, The Byzantine Patrlarcbate, Londres, 1947, p. IX.


4. • The Elements of Liturgy in the Orthodox Catholic Church•,
dans le périodique One Cburcb, New York 130959),1-2, p. 24.
S. Augustin Oakley, The Ortbodox Ltturgy, London, 1958, p. 12.
Peut-être l'auteur, qui était anglican, est-il trop optimiste.
La prière de l'Église, le ciel sur la terre 345

Durant les périodes sombres de son histoire, sous


les Mongols, les Turcs ou les communistes, c'est vers
la Sainte Liturgie que le peuple s'est toujours tourné
pour y chercher inspiration et soutien. Et ce ne fut
jamais en vain.

Aspect extérieur des services:


prêtres et peuple

La base des services est la même chez les ortho-


doxes que chez les catholiques romains : a) la Sainte
Liturgie (Eucharistie ou Messe); b) l'office divin (dont
les deux services principaux sont matines et vêpres,
avec les heures canoniques: l'office de minuit, prime,
tierce, sexte, none et complies6) ; c) les offices à la
demande, telles que : baptême, mariage, profession
monastique, sacre royal, consécration des églises, rite
d'enterrement (et en plus de ceux-ci, les orthodoxes
ont une grande variété de petits offices de bénédic-
tion).
Alors que beaucoup d'églises anglicanes et presque
toutes les églises paroissiales catholiques célèbrent
l'eucharistie chaque jour, dans les églises orthodoxes
la liturgie quotidienne n'est généralement célébrée
que dans les cathédrales et les grands monastères;
dans les églises de paroisse, elle est célébrée seule-
ment le dimanche et les jours de grandes fêtes. Mais
aujourd'hui en Russie, là où les lieux de culte sont
rares et où les fidèles sont souvent obligés de

6. Dans le rite romain, les nocturnes, l'équivalent de l'office


byzantin de minuit, font partie des matines, mais dans le rite
byzantin, l'office de minuit est un office séparé. Les matines
byzantines équivalent aux matines et laudes du rite romain.
346 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

travailler le dimanche, une liturgie quotidienne est


entrée dans la coutume de beaucoup d'églises cita-
dines.
L'Église orthodoxe emploie habituellement dans ses
services la langue du pays: l'arabe à Antioche, le
finnois à Helsinki, le japonais à Tokio, l'anglais ,
(lorsque c'est nécessaire) à Londres et à New-York.
Une des premières tâches entreprises par les mission-
naires orthodoxes (depuis les saints Cyrille et de
Méthode au 1xe siècle, jusqu'à saint Innocent
Veniaminov et saint Nicolas Kassatkine au xixe) fut de
traduire les livres liturgiques dans la langue maternelle
des nouveaux fidèles. Il y a pourtant des exceptions à
cette règle générale : l'Église grecque n'emploie pas le
grec moderne mais celui du Nouveau Testament et de
l'époque byzantine; et l'Église russe emploie toujours
la traduction slavonne médiévale. En fait, en 1906,
beaucoup d'évêques ont exprimé le désir de
remplacer plus ou moins généralement le slavon par
du russe moderne. Mais la révolution bolchévique a
empêché de mettre en œuvre ce projet.
Dans l'Église orthodoxe d'aujourd'hui, comme dans
l'Église primitive, tous les services sont chantés ou
psalmodiés; il n'existe pas de service équivalant à la
« messe basse » des catholiques ou l'« office récité » des

anglicans. L'encens est employé abondamment à


chaque liturgie, comme à chaque célébration de
matines et de vêpres ; les offices sont chantés, même
s'il n'y a pas d'assemblée des fidèles ou de chœur,
auquel cas c'est un lecteur qui donne les répons à l'of-
ficiant. La musique d'église des Grecs orthodoxes est
toujours l'ancien plain-chant, avec ses « huit tons ».
C'est celui que les missionnaires byzantins ont intro-
duit dans les pays slaves, mais il a été modifié au
cours des siècles et les Églises slaves ont développé
leur propre style et tradition de musique religieuse.
C'est la tradition russe qui est la plus connue et la plus
La prière de l'Église, le ciel sur la terre 347

attachante pour les occidentaux. Elle est souvent


considérée comme la plus belle de toute la chrétienté,
et il y a des chœurs célèbres en Russie même comme
dans l'émigration. Le chant, dans l'Église orthodoxe,
était jusque très récemment réservé au chœur, mais
dans un nombre de plus en plus important de
paroisses, en Grèce, en Russie et en Roumanie, ainsi
que dans la diaspora, les fidèles ont tendance à se
joindre au chœur, sinon durant tout le service, tout au
moins à certains moment tels que le Credo et le Pater.
Comme dans l'Église primitive, les chants, dans les
églises orthodoxes, ne sont accompagnés d'aucun
instrument, sauf en certaines églises d'Amérique,
particulièrement chez les Grecs, qui ont un penchant
pour les orgues et l'harmonium. L'emploi de cloches
ou de sonnettes est tout à fait rare à l'intérieur des
églises, mais non à l'extérieur : dans les clochers, où
on sonne les cloches non seulement pour annoncer
les offices, mais à divers moments de l'office. Les
cloches de Russie étaient particulièrement célèbres.
• Rien, écrit Paul d'Alep durant sa visite à Moscou, en
1655, ne m'a tant impressionné que d'entendre sonner
ensemble toutes les cloches à la veille des dimanches
et des grandes fêtes, ainsi que parfois à minuit. La
terre tremblait de leurs vibrations et leur bourdonne-
ment montait au ciel comme un tonnerre. • • Ils
sonnaient à leur façon leurs cloches d'airain ; puisse
Dieu ne pas être saisi du charme tapageur de leur
son7. •
Une église orthodoxe est généralement carrée,
ménageant un vaste espace central recouvert d'un
dôme. (En Russie, le dôme a pris une curieuse forme
d'oignon, caractéristique de tant de paysages.) On ne
trouve dans l'architecture orientale ni ces nefs, ni ces

7. The Travels of Macarlus, éd. Ridding, p. 27 et p. 6.


348 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

chœurs allongés, si courants dans les cathédrales et


les grandes églises gothiques. Dans le passé, ce n'était
pas la coutume d'avoir des chaises ou des bancs dans
la partie centrale de l'église, même s'il pouvait y avoir
des bancs ou des stalles le long des murs ; mais
malheureusement, ces dernières années, on observe
une tendance croissante, en Grèce comme dans la
diaspora, à encombrer toute l'église avec des rangées
de sièges. Même s'il en est ainsi, c'est toujours la
pratique normale pour un orthodoxe d'être debout
durant la plus grande partie des offices (les visiteurs
non-orthodoxes sont souvent surpris de voir de
vieilles femmes se tenir debout pendant des heures,
sans montrer de signes apparents de fatigue); mais il
y a des moments où l'assemblée peut s'asseoir ou
s'agenouiller. Le canon XX du 1er Concile Œcumé-
nique interdit de s'agenouiller le dimanche et proscrit
aussi tout agenouillement, dimanche ou jour de
semaine, depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte, ce qui
est l'expression de la joie de la Résurrection. Cette
règle n'est malheureusement pas toujours observée de
nos jours.

On est étonné de constater combien la présence ou


l'absence de bancs peut affecter tout l'esprit du culte
chrétien. Il y a une souplesse dans le culte orthodoxe,
une absence de formalisme, qu'on trouve rarement
dans les assemblées occidentales, tout au moins au
nord des Alpes. Les fidèles occidentaux, en rangs bien
nets, chacun à sa place, ne peuvent se déplacer sans
gêner les autres ; une assemblée occidentale est du
reste supposée arriver à l'heure et rester du commen-
cement à la fin du service. Mais pendant les services
orthodoxes, les fidèles vont et viennent bien plus
librement, et personne n'est surpris de ces allées et
venues. Le maintien des prêtres n'est pas aussi rigide
qu'en Occident, il est moins stylisé et plus individuel.
La prière de l'Église, le ciel sur la terre 349

Bien que ce caractère informel puisse dégénérer en


irrévérence, il est cependant une précieuse qualité
que les orthodoxes seraient tristes de perdre. Les
orthodoxes sont chez eux à l'église, ils ne sont pas
enrégimentés, ils sont des enfants dans la maison de
leur Père. On dit parfois que le culte orthodoxe est
« détaché du monde•, mais il est plutôt «familier»,
c'est une affaire de famille. Et pourtant, derrière cette
simplicité familiale et cette absence de formalisme, il y
a un sens profond du mystère.
Dans chaque église orthodoxe, le sanctuaire est
séparé des fidèles par une iconostase, écran fixe, habi-
tuellement fait en bois et recouvert d'icônes.
Primitivement, le sanctuaire n'était séparé que par un
écran assez bas (guère plus d'un mètre), et parfois
surmonté de colonnes, supportant une poutre hori-
zontale ou architrave ; on peut encore en voir un
spécimen dans la basilique Saint-Marc à Venise. Ce
n'est que relativement récemment - en maints
endroits pas avant le XV" ou le XVIe siècle - que l'on a
rempli l'espace entre ces colonnes et donné à l'icono-
stase cette forme pleine. Bien des liturgistes d'aujour-
d'hui voudraient suivre l'exemple de saint Jean de
Kronstadt et, comme lui, revenir à un ancien type
d'iconostase, plus ouvert, ce qui, du reste, s'est fait en
certains endroits.
L'iconostase est percée de trois portes. Lorsque la
grande porte centrale, appelée porte royale ou porte
sainte, est ouverte, elle laisse voir l'autel. C'est une
porte à deux battants, derrière laquelle est suspendu
un rideau. En dehors des offices, sauf durant la'
semaine de Pâques, les portes sont closes et le rideau
tiré. Durant les services, à des moments précis, les
portes sont ouvertes, puis fermées, ainsi que le rideau.
Mais dans beaucoup de paroisses grecques d'aujour-
d'hui, on laisse les portes et le rideau ouverts pendant
toute la liturgie. Dans beaucoup d'églises, on a enlevé
350 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

les portes, tandis que dans d'autres églises, on a gardé


les portes, mais enlevé le rideau, ce qui est liturgique-
ment plus correct. Des deux portes qui encadrent la
porte centrale, celle de gauche mène à la • chapelle »
de préparation ou prothèse (c'est là où l'on garde les
vases sacrés et où le prêtre prépare le pain et le vin au
début de la liturgie) ; celle de droite conduit au diako-
nikon (employé maintenant comme vestiaire, mais
qui était autrefois l'endroit où on gardait les livres
saints et l'évangéliaire, ainsi que les reliques). Les laïcs
ne sont pas admis à l'intérieur du sanctuaire, sauf
exceptions, comme par exemple le service de l'aco-
lyte. L'autel - Sainte Table ou trône - est tourné vers
l'est, placé au milieu du sanctuaire, et derrière lui,
contre le mur, se trouve le trône de l'évêque.
Les églises orthodoxes sont couvertes d'icônes, sur
l'iconostase, sur les murs, dans des• châsses• (kivot),
sur de hauts et étroits pupitres recouverts de tissu de
couleur où les fidèles peuvent les vénérer. La
première chose que fait un orthodoxe en entrant dans
l'église est d'acheter un cierge, puis il va s'incliner
devant une icône, se signe, l'embrasse et allume son
cierge devant elle. • Ce sont de grands offreurs de
cierges •, commente le marchand anglais Richard
Chancellor, qui visita la Russie du temps d'Élisabeth
Jè'e. La décoration intérieure de l'église, les sujets
iconographiques, ne sont pas placés fortuitement,
mais suivant un système théologique, afin que tout
l'édifice ne fasse qu'une grande icône du Royaume de
Dieu. Ainsi que dans l'art religieux du Moyen Age
occidental, il y a tout un système très élaboré de
symboles dans la décoration et la construction de
l'église: les icônes, les fresques, les mosaïques ne
sont pas simplement là pour• embellir• l'église, mais
ont une fonction théologique et liturgique.
Ces icônes qui remplissent l'église sont un lieu de
rencontre entre le ciel et la terre. Lorsque l'assemblée
La. prière de l'Église, le ciel sur la terre 351

prie, dimanche après dimanche, entourée des figures


du Christ, des anges et des saints, ces images rappel-
lent sans cesse aux fidèles la présence invisible,
pendant la liturgie, de tous les hôtes célestes. Le fidèle
peut sentir que les murs de l'église s'ouvrent sur l'éter-
nité et que la liturgie à laquelle il assiste est la même
que célèbre le ciel. Les innombrables icônes expri-
ment dans leur multitude et leur beauté « le ciel sur la
terre».
Le culte orthodoxe est communautaire et populaire,
dans le bon sens du terme. Un non-orthodoxe qui
assiste aux services avec quelque régularité se rend
très vite compte combien toute la communauté,
fidèles et prêtres, ne fait qu'un et l'absence de bancs
contribue à cette impression. Il ne faut pas croire que
parce que la plupart des fidèles ne se joignent pas au
chœur, ils ne prennent pas part au service. Même
l'iconostase, sous sa forme la plus massive, ne donne
pas aux fidèles l'impression d'être séparés des prêtres
qui sont dans le sanctuaire. Et de toute façon, toute
une partie des cérémonies se passe devant l'icono-
stase, à la vue de l'assemblée des fidèles.
Il y a dans chaque service orthodoxe une qualité
particulière de lenteur et d'éternité, due en partie aux
constantes répétitions des litanies. Abrégées ou non,
les litanies reviennent à maintes reprises dans chaque
service de rite byzantin ; elles sont dites par le diacre,
ou à défaut par le prêtre, qui appelle ainsi l'assemblée
à prier pour les besoins de l'Eglise et pour ceux du
monde, et à chaque pétition, le chœur ou la commu-
nauté répond: "Seigneur, aie pitié» (Kyrie eleison en
grec, Gospodi pomilouï en russe). Ce sont vraisembla-
blement les premiers mots qu'un visiteur remarque
et retient dans un service orthodoxe. Une autre
réponse usuelle est : " Exauce-nous, Seigneur ». Et
l'assemblée, en s'inclinant et se signant, s'associe aux
différentes intercessions. Le signe de la croix est
352 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

employé beaucoup plus fréquemment que par les


fidèles occidentaux et avec une plus grande liberté
d'usage : les orthodoxes se signent à différents
moments, spontanément, au gré de chacun, mais bien
sûr, à certains moments de l'office, presque tous les
fidèles font en même temps le signe de la croix.
La lenteur et cette qualité d'éternité qui caractéri-
sent les seivices orthodoxes les font paraître parfois
intolérablement longs aux étrangers ; ils sont effecti-
vement plus longs que les seivices occidentaux équi-
valents, mais pas exagérément. Il est parfaitement
possible de célébrer une liturgie byzantine et de
prêcher une courte homélie en une heure et quart. En
1943, le patriarche de Constantinople a décrété que
les liturgies dominicales dans sa juridiction ne
devaient pas excéder une heure et demie. Les offices
russes sont généralement plus longs que les grecs,
mais dans une paroisse ordinaire de l'émigration
russe, les vigiles du samedi soir ne durent pas plus de
deux heures et souvent moins. Dans les monastères,
les services sont évidemment plus longs, et aux
grandes fêtes, au Mont Athos, ils peuvent durer douze
à quinze heures consécutives, mais c'est absolument
exceptionnel.
Cela peut être encourageant pour un non-ortho-
doxe de savoir que les orthodoxes s'inquiètent
souvent autant qu'eux de la longueur de leurs offices.
• Et maintenant, écrivait Paul d'Alep dans son journal
en arrivant en Russie, nous entrons dans une période
de peine et de supplice, car il n'y a pas de sièges dans
leurs églises, pas un seul, même pour l'évêque. Vous
pouvez voir l'assemblée debout durant tout l'office,
comme des rocs, immobiles ou au contraire s'inclinant
fréquemment en signe de piété. Que Dieu nous aide
pour la longueur de leurs prières, de leurs chants et
de leurs messes, car nous avons grandement souffert
et nos âmes étaient torturées de fatigue et de
La prière de l'Église, le ciel sur la terre 353

douleur». Et il s'exclame durant la Semaine Sainte:


« Que Dieu nous accorde une grâce spéciale pour
arriver au bout de cette semaine ! Quant aux
Moscovites, leurs pieds sont sûrement en fer8. •

8. ibid., p. 14, p. 46.


14
La prière de l'église
Les sacrements

Celut qut fut vtstble comme notre


Rédempteur a passé matntenant dans les
sacrements.
Saint Léon le Grand

Les sacrements occupent la place centrale dans le


culte chrétien. Les Grecs les appellent mystères : • On
l'appelle mystère, écrit saint Jean Chrysosto me à
propos de l'Eucharis tie, parce que ce que nous
croyons n'est pas ce que nous voyons, mais nous
voyons une chose et nous en croyons une autre ..•
Lorsque j'entends parler du Corps du Christ, je
comprend s ce que l'on dit dans un sens, et l'incroyant
dans un autre sensl. » Cette dualité de ce qui est
visible et invisible dans chaque sacrement en est la
caractéristique distinctive : ils sont, comme l'Église, à
la fois visibles et invisibles, et il y a dans chaque sacre-
ment un signe extérieur et une grâce spirituelle. Le
chrétien, à son baptême, est plongé dans l'eau qui le

1. Homélies sur 1 Cor, VII, 1 (PG 61,55)


356 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

lave et il est en même temps lavé de ses péchés ; à


l'eucharistie, il reçoit ce qui, sous les apparences du
pain et du vin, est en réalité le Corps et le Sang du
Christ.
Pour la plupart des sacrements, l'Église prend des
éléments matériels - eau, pain, vin, huile - et en fait
des véhicules de l'Esprit. Et, dans ce sens, ils font réfé-
rence à l'Incarnation, lorsque le Christ prit une chair
matérielle et en fit le véhicule de l'Esprit ; ils font réfé-
rence aussi, par anticipation, à l' apocatastase ou
rédemption finale de la matière au Dernier Jour.
L'Orthodoxie rejette toute tentative d'amoindrir la
matérialité des sacrements. La personne humaine doit
être considérée comme un tout, comme l'unité inté-
grale de l'âme et du corps, et donc le culte sacra-
mentel auquel nous les hommes, nous participons,
devrait englober pleinement nos corps aussi bien que
nos esprits. Le baptême est administré par immersion ;
à !'Eucharistie, on utilise du pain levé et non pas sans
levain ; à la confession, le célébrant ne confère pas
l'absolution de loin, mais met sa main sur la tête du
pénitent ; aux funérailles, le cercueil est, selon la
coutume, laissé ouvert et chacun s'en approche pour
donner un dernier baiser au défunt : le corps mort est
un objet d'amour, non d'abhorration.
L'Église orthodoxe parle généralement de sept
sacrements. Ce sont fondamentalement les sept
mêmes que dans la théologie catholique romaine.

I. Baptême
Il. Chrismation (équivalant à la Confirmation en
Occident)
Ill. Eucharistie
IV. Pénitence ou confession
V. Ordination
VI. Mariage
VIII. Onction des malades
La prière de l'Église: les sacrements 357

Cette liste ne fut finalement arrêtée qu'au xvne


siècle, sous l'influence latine alors à son apogée. Les.
auteurs orthodoxes des périodes antérieures varient
considérablem ent quant à ce nombre ; Jean
Damascène en nomme deux, Denys l'Aréopagite en
nomme six, Joasaph, métropolite d'Éphèse (xve siècle)
en nomme dix ; certains théologiens byzantins sont
d'accord sur le nombre sept, mais leurs listes ne
concordent pas toujours. Jusqu'à présent le nombre
sept n'a pas une signification dogmatique particulière
dans la théologie orthodoxe; souvent il n'est employé
que pour faciliter l'enseignement du catéchisme.
Ceux qui pensent en termes de « sept sacrements »
doivent être prudents et éviter les malentendus que
cela peut créer. Premièrement, bien que tous les sept
sacrements soient réels, ils ne sont pas tous d'impor-
tance égale, et il y a entre eux une certaine • hiérar-
chie ». L'Eucharistie, par exemple, est au cœur de la
vie et de l'expérience chrétiennes d'une autre façon
que l'onction des malades. Parmi les sept sacrements,
le Baptême et l'Eucharistie ont une place particulière ;
pour employer une expression adoptée par la
commission mixte des théologiens roumains et angli-
cans à Bucarest en 1935, ces deux sacrements sont
• prééminents parmi les mystères divins ».
Deuxièmement, lorsqu'on parle de • sept sacre-
ments», il ne faut jamais les séparer d'autres actions
qui possèdent aussi un caractère sacramentel et qui
sont du reste appelés sacramentaux, tels par
exemple, la prise d'habit monastique, la grande béné-
diction des eaux à !'Épiphanie, le service des funé-
railles et l'onction d'un sacre royal. En toutes ces
actions, il y a simultanément un signe visible et une
grâce invisible. L'Église orthodoxe emploie aussi un
grand nombre de bénédictions mineures qui sont
aussi de nature sacramentelle : bénédictions du blé,
du vin, de l'huile, des fruits, bénédictions des champs
358 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

et des habitations, d'objets variés. Ces services ont


souvent un but très prosaïque et réaliste, car il y a des
prières pour la bénédiction des voitures et des loco-
motives et même pour détruire la vermine2. Il n'y a
pas de frontière stricte entre les sacrements essentiels
et mineurs : la vie chrétienne doit être envisagée dans
son unité, comme un seul grand mystère ou un seul
grand sacrement dont les aspects divers s'expriment
dans une grande variété de formes et de manières, les
uns une fois seulement dans une vie humaine, les
autres peut-être quotidiennement.
Les sacrements sont personnels: c'est par eux que la
grâce de Dieu se manifeste individuellement à chaque
chrétien ; et pour cette raison, dans la plupart des
sacrements, l'Église orthodoxe nomme le fidèle par
son nom. Au moment de la sainte communion, le
prêtre dit : • Le serviteur (la servante) de Dieu N
communie aux précieux et saints Corps et Sang de
Notre Seigneur Dieu.• Et à l'onction des malades:
• Père saint ... guéris Ton serviteur (Ta servante) N des
maux qui assaillent son âme et son corps. A l'ordina-
tion, l'évêque dit: •Lagrâce divine, qui toujours guérit
les faiblesses et supplée aux déficiences ordonne N •
On note que dans tous les cas, le célébrant ne parle
pas à la première personne, il ne dit pas : •Je baptise •,
•]'oins •, •]'ordonne. • Les • mystères • ne sont pas nos
actions, mais les actions de Dieu dans l'Église, et l'offi-
ciant véritable est toujours le Christ Lui-même. Comme
le dit saint Jean Chrysostome : • Le prêtre ne fait que
prêter sa langue et fournir sa main3. •

2. • La religion populaire d'Europe orientale est liturgique et


rituelle, mais pas entièrement détachée de ce monde. Une religion
qui continue à produire des formes de malédictions contre les
chenilles ou pour enlever les rats morts du fond d'un puits peut
difficilement prétendre à être purement mystique. (G. Every, 1be
Byzanttne Patrlarchate, p. 198).
3. Homélies surJean LXXXVI, 4, PG 59, 472.
la prière de l'Église: les sacrements 359

Le Baptême4

Dans l'Église orthodoxe d'aujourd'hui, comme dans


l'Église des premiers siècles, les trois sacrements de
l'initiation chrétienne, baptême, confirmation,
première communion, sont étroitement liés. Un ortho-
doxe qui devient un membre du Corps du Christ en
reçoit en même temps tous les privilèges. Les enfants
ne sont pas seulement baptisés mais également
confirmés en bas âge, et ils reçoivent la sainte
çommunion. • Laissez venir les petits enfants et ne les
empêchez pas de venir à Moi; car c'est à leurs
semblables qu'appartient le Royaume des Cieux»
(Matthieu 19, 14).
Il y a deux éléments essentiels dans l'acte baptis-
mal : l'invocation du nom de la Trinité et la triple
immersion. Le prêtre dit : • Le serviteur (la servante)
de Dieu N. est baptisé(e) au nom du Père, Amen, du
Fils, Amen, et du Saint Esprit, Amen ! » et, à chaque
mention du nom d'une des Personnes de la Sainte
Trinité, le prêtre immerge l'enfant dans les fonts
baptismaux, le plongeant en entier, ou tout au moins
en versant l'eau sur tout son corps. Si la personne à
baptiser est si malade qu'une immersion mettrait sa
vie en danger, il est suffisant de verser l'eau sur son
front ; mais autrement, l'immersion ne doit pas être
omise.
Beaucoup d'Orthodoxes sont gênés par la coutume
du christianisme occidental qui, ayant abandonné le
rite primitif du baptême par immersion, se contente
simplement de verser un peu d'eau sur le front du

4. Dans ce paragraphe comme dans les suivants, les sacrements


sont décrits dans la forme actuelle du rite byzantin, mais il ne faut
pas oublier la possibilité ou même le fait d'un rite orthodoxe occi-
dental (voir p. 240-241).
360 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

catéchumène ou même d'humecter très légèrement le


front sans verser d'eau du tout (ceci est malheureuse-
ment de plus en plus fréquent dans la communion
anglicane). Même si certains. membres du clergé
orthodoxe sont devenus négligents dans l'observance
de la pratique propre, il n'y a pas de doute à propos
de la vraie doctrine orthodoxe : l'immersion est essen-
tielle (sauf dans les cas d'urgence), car sans immer-
sion, il n'y a pas de correspondance entre le signe
extérieur et le sens intérieur, et le symbolisme du
sacrement est rejeté. Le baptême signifie un ensevelis-
sement mystique et la résurrection avec le Christ
(Romains 6, 4-5; Colossiens 2, 12); et le signe exté-
rieur est l'immersion suivie de l'émergence du baptisé.
Le symbolisme sacramentel exige donc qu'il soit
immergé ou « enseveli • dans les eaux du baptême et
qu'il « en ressuscite •. Le baptême par infusion
(lorsque l'eau est simplement versée sur une partie du
corps) est permis dans certains cas spéciaux; mais le
baptême par aspersion ou humectation n'est pas un
véritable baptême.
Nous recevons dans le baptême l'absolution de tous
nos péchés, originel et actuels ; nous • revêtons le
Christ•, devenant membres de son Corps, l'Église. En
souvenir de ce jour, les chrétiens orthodoxes portent
généralement une petite croix suspendue à leur cou
par une chaînette.
C'est en général un prêtre ou un évêque qui
baptise, mais en cas d'urgence, cela peut aussi être
un diacre, ou le cas échéant un laïc, homme ou
femme, pourvu qu'il soit chrétien. Alors que la théo-
logie catholique romaine admet même un baptême
administré par un non-chrétien, l'orthodoxie ne le
reconnaît pas. La personne qui baptise doit avoir été
elle-même baptisée.
La prière de l'Église : les sacrements 361

La Chrismation

La chrismation suit immédiatement le baptême. Le


prêtre prend une huile spéciale, le saint chrême
(myron en grec), et il en oint l'enfant en traçant le
signe de la croix sur le front, puis les yeux, les
narines, la bouche et les oreilles, la poitrine, les mains
et les pieds. A chaque onction, il dit : «Sceau du don
du Saint Esprit. Amen•. L'enfant qui a été incorporé
au Christ dans le baptême, reçoit ainsi le don de
!'Esprit et devient un laikos (laïc), un membre à part
entière du peuple (laos) de Dieu. La chrismation est
une extension de la Pentecôte : le même Esprit, qui
descendit visiblement, en langues de feu, sur les
Apôtres, descend maintenant invisiblement sur le
nouveau baptisé, avec une réalité et une puissance
non moindres. Par la chrismation, chaque membre de
l'Église devient un prophète, et reçoit sa part du sacer-
doce royal du Christ; tous les chrétiens, parce qu'ils
ont reçu le saint chrême, sont appelés à être des
témoins conscients de la Vérité.« Quant à vous, vous
avez reçu l'onction (chrisma) venant du Saint, et tous
vous possédez la science , (1 Jean 2, 20).
En Occident la confirmation est généralement
donnée par un évêque, mais en Orient, la chrismation
est conférée par un prêtre, pourvu que le chrême
employé ait été béni par un évêque. (Selon l'usage
orthodoxe en vigueur, seul un évêque à la tête d'une
Église autocéphale a le privilège de la bénédiction du
saint chrême.) Ainsi donc, en Orient comme en
Occident, l'évêque est impliqué dans le deuxième
sacrement de l'initiation chrétienne : en Occident de
façon directe, indirectement en Orient.
La chrismation est aussi employée comme sacre-
ment de réconciliation. Si un orthodoxe apostasie en
se faisant musulman, et s'il revient ensuite à l'Église,
362 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

c'est par le sacrement de chrismation qu'il est reçu à


nouveau. De même pour les catholiques romains qui
deviennent orthodoxes : le patriarcat de Constan-
tinople et l'Église grecque les reçoivent généralement
par chrismation. Mais l'Église russe, généralement, ne
leur demande qu'une profession de foi et ne leur fait
pas l'onction du saint chrême. Les anglicans et les
autres protestants sont toujours reçus par chrismation.
Aussitôt que possible après la chrismation, le
nouveau baptisé est amené à la communion. Ses plus
anciens souvenirs d'église seront centrés sur sa commu-
nion aux Saints Dons du Corps et du Sang du Christ.
L'enfant ne se présente pas pour la première fois à la
communion vers l'âge de six ou sept ans (comme chez
les catholiques romains) ou à l'adolescence (comme
chez les anglicans) mais n'en a jamais été exclu.

L'Eucharistie

L'Eucharistie est célébrée dans toute l'Église ortho-


doxe d'Orient selon quatre formes :

1. La Liturgie de saint Jean Chrysostome (liturgie


habituelle des dimanches et jours de la semaine).
2. La Liturgie de saint Basile le Grand (employée
dix fois par an; par sa structure, elle ressemble beau-
coup à la Liturgie de saint Jean Chrysostome, mais la
prière eucharistique centrale est beaucoup plus
longue).
3. La Liturgie de saint Jacques, frère du Seigneur
(employée une fois par an, le jour de Saint-Jacques, 23
octobre, et seulement à Jérusalem et en quelques
autres localités).
4. La Liturgie des Présanctifiés (employée les
mercredis et vendredis durant le grand Carême et les
La prière de l'Église : les sacrements 363

trois premiers jours de la Semaine sainte. C'est une


liturgie sans consécration, à laquelle la communion
est donnée avec les éléments consacrés le dimanche
précédent).

Voici, dans ses grandes lignes, la structure des


Liturgies de saint Jean Chrysostom e et de saint
Basile:
1. LA PRÉPARATION - Prothèse ou Proscomidie :
préparation du pain et du vin qui seront utilisés
durant la liturgie.
II. LA LITIJRGIE DE LA PAROLE - la Synaxe.
A) Commenceme nt du seroice (Enarxis)
Litanie de paix
Psaume 102 (103)
Petite litanie
Psaume 145 (146) suivi de l'hymne Fils Unique et
Verbe de Dieu
Petite litanie
Les Béatitudes (avec les hymnes spéciaux ou
tropaires des Béatitudes)
B) Petite entrée suivie des tropaires du jour
Le Trishagion: • Saint Dieu, Saint Fort, Saint
Immortel, aie pitié de nous • répété plusieurs fois
C) Lectures scripturaires.
Prokimenon - versets, pris généralement dans les
psaumes
Épître
Alleluia (chanté neuf (ou trois) fois, en alternance
avec des versets des Écritures)
Évangile
Homélie (souvent reportée à la fin de l'office)
D) Intercession pour l'Église.
Litanie de supplication fervente
Litanie pour les défunts
Litanie ·des catéchumènes et renvoi des catéchu-
mènes
364 L'Orthodoxie, l'Égi'ise des sept Concües

III. L'EUCHARISTIE.
A) Deux courtes litanies des fidèles conduisent à
la grande entrée qui est suivie de la litanie de suppli-
cation.
B) Baiser de paix et Credo
C) Prière eucharistique
Dialogue d'introduction.
Action de grâces qui culmine dans le récit de la
Cène et les paroles du Christ:• Ceci est mon Corps ...
Ceci est mon Sang... •
Anamnèse: acte de rappel et d'offrande. Le prêtre
rappelle la mort du Christ, l'ensevelissement, la
Résurrection, !'Ascension et le Nouvel Avènement, et
offre les saints Dons à Dieu
Épiclèse. Invocation de !'Esprit sur les saints Dons.
, Commémoraison générale de tous les membres de
l'Eglise : la Mère de Dieu, les Saints, les défunts, les
vivants
Litanie de supplication, suivie du Notre Père
D) Élévation des Dons consacrés et fraction du
Pain
E) Communio n du clergé et des fidèles
F) Conclusion de l'office : action de grâces, béné-
diction finale et distribution du pain bénit ou anti-
doron.

La première partie de la liturgie, l'office de prépara-


tion, est célébrée en privé par le prêtre et le diacre,
dans la chapelle de prothèse. La partie publique de
l'office comprend deux phases: la Synaxe (hymnes,
prières, lectures scripturaires) et l'Eucharistie propre-
ment dite : Synaxe et Eucharistie étaient primitivement
célébrées séparémen t, mais depuis le IV" siècle, elles
ont été fondues en un seul service. Chacune d'elles
comporte une processio n : la petite et la grande
entrée. L'évangile est porté en procession autour de
l'église à la petite entrée ; à la grande entrée, le pain et
le vin (préparés avant la synaxe) sont apportés
procession nellement de la chapelle de prothèse et
La prière de l'Église : les sacrements 365

déposés sur l'autel. La petite entrée correspon d à l'in-


troït du rite occidental (primitivement, elle marquait le
début de la partie publique du service, mais elle est
maintena nt précédée de diverses litanies et
psaumes); la grande entrée correspon d en gros, mais
non exactemen t, à la procession d'offertoire occiden-
tale. La Synaxe culmine dans la lecture de l'évangile,
l'Eucharistie dans l'épiclèse de l'Esprit Saint.
La foi de l'Église orthodoxe au sujet de l'Eucharistie
est très clairement indiquée dans la prière eucharis-
tique. Le prêtre lit à voix basse - mais en certains
endroits à voix haute - le début de l'action de grâces,
jusqu'au moment où il arrive aux paroles du Christ
durant la Cène : « Prenez, mangez, ceci est mon
Corps ... Buvez-en tous, ceci est mon Sang ... • Ce
passage est toujours lu à haute voix afin d'être
entendu de toute l'assemblé e. A voix basse de
nouveau, le prêtre continue par l'anamnès e :

« Nous souvenant donc de ce commande ment salu-


taire et de tout ce qui a été fait pour notre salut : la
Croix, le Tombeau, la Résurrection au Troisième jour,
l'Ascension au ciel, le Siège à la droite, le second et
glorieux Nouvel Avènemen t .... •

Et tout haut :

«Ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous Te l'offrons


pour tous et en tout. •

L'épiclèse est généralem ent lue secrètemen t, mais


parfois toute l'assemblé e peut l'entendre :

«Envoie Ton Esprit Saint sur nous et sur les dons


qui sont présentés ici ...
Et fais de ce Pain le Corps précieux de Ton Christ.
Amen.
366 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Et de ce qui est dans ce calice, le Sang précieux de


Ton Christ. Amen.
Opérant le changement par Ton Esprit Saint. Amen.
Amen.
Amen5. •

Le prêtre et le diacre se prosternent aussitôt ou s'in-


clinent profondément devant les Saints Dons qui sont
maintenant consacrés.
Il est évident que les orthodoxes et les catholiques
comprennent différemment • le moment de la consécra-
tion •. Selon la théologie latine médiévale, la consécra-
tion est effectuée par les paroles de l'Institution : • Ceci
est mon Corps ... Ceci est mon Sang ... • Selon la théo-
logie orthodoxe, l'acte de consécration n'est pas
complet avant la fin de l'épiclèse et l'Église orthodoxe
condamne l'adoration des saints Dons, avant ce point,
comme • artolâtrie • (adoration du pain). Cependant il
n'est dans l'enseignement orthodoxe ni de croire que la
consécration soit effectuée uniquement par l'épiclèse, ni
de considérer d'autre part que les paroles de l'Institution
soient accidentelles ou peu importantes. Pour l'Église
orthodoxe la prière eucharistique forme un tout indivi-
sible dont les trois phases les plus marquantes : action
de grâces, anamnèse, épiclèse, font partie intégrante
d'un seul acte de consécration. Mais il est évident que si
un • moment de la consécration • doit être choisi, ce ne
peut être avant le triple amen de l'épiclèse.
Présence du Christ dans /'Eucharistie. Les paroles
de l'épiclèse prouvent abondamment que l'Église
orthodoxe croit que le pain et le vin, après la consé-
cration, deviennent réellement le Corps et le Sang du
Christ : ce ne sont pas seulement des symboles mais

5. Anamnèse et épiclèse mentionnées ici proviennent de la


Liturgie de saint Jean Chrysostome ; dans celle de saint Basile,
elles sont légèrement différentes.
La prière de l'Église: les sacrements 367

des réalités. Cependant, tout en affirmant la réalité du


changement, l'orthodoxie n'a jamais essayé d'expli-
quer la manière dont il s'opère. La prière eucharistique
emploie un terme neutre metaballo : « changer •,
«altérer•. Il est vrai qu'au xvne siècle quelques auteurs
orthodoxes, et même des conciles, tel celui de
Jérusalem en 1672, ont employé le terme latin de
« transsubstantiation • (en grec, metousiosis), ainsi que
la distinction scolastique entre substance et accidents6.
Mais en même temps, les Pères de Jérusalem prennent
soin d'ajouter que l'emploi de ces termes ne constitue
pas une explication sur la manière dont le changement
s'opère, car ceci est un mystère qui doit toujours
demeurer incompréhensible7. Cependant, malgré ces
réserves, beaucoup d'orthodoxes ont ressenti ce
compromis a':ec la terminologie latine et scolastique
et, en 1838, l'Eglise russe a fait paraître une traduction
des Actes de Jérusalem, où on note avec intérêt que le
mot de « transsubstantiation • est retenu, mais que, par
une paraphrase adroite, les termes techniques de
substance et d'accidents ont été évités8.

6. La philosophie médiévale fait une distinction entre la


substance ou l'essence (ce qui constitue une chose, qui la fait ce
qu'elle est) et les accidents ou les qualités qui appartiennent à la
substance (tout ce que les sens perçoivent : volume, poids, forme,
couleur, goût, odeur, etc.). La substance est quelque chose qui
existe en soi (ens perse), mais les accidents existent seulement à
l'intérieur de quelque chose d'autre (ens tn alto).
En appliquant cette distinction à !'Eucharistie, l'on arrive à la
doctrine de la transsubstantiation. Selon elle, pendant la messe, au
moment de la consécration, il y a un changement de substance,
alors que les accidents continuent à être ce qu'ils étaient : la
substance du pain et du vin est changée en Corps et en Sang du
Christ, mais les accidents du pain et du vin continuent miraculeu-
sement à exister et à être perceptibles aux sens.
7. Sans aucun doute, la plupart des catholiques romains le
pensent aussi. ,
8. Ceci est un exemple intéressant de la façon dont l'Eglise est
• sélective • dans son acceptation des décrets des conciles locaux
(voir p. 261).
368 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Quelques écrivains orthodoxe s contempo rains


emploient encore le terme de « transsubstantiation •,
mais en insistant sur deux points : premièrem ent,
beaucoup d'autres mots peuvent légitimement être
employés pour qualifier la consécrati on et, parmi
ceux-ci, le terme de « transsubstantiation • ne jouit pas
d'une autorité décisive ; deuxièmement, son emploi
n'entraîne pas nécessairement l'adoption des concepts
de la philosophie d'Aristote. La position de l'ortho-
doxie est clairemen t résumée dans le Grand
Catéchisme du métropolite Philarète de Moscou (1782-
1867), qui a été adopté par l'Église russe en 1839 :

« Question : Comment faut-il comprend re le mot

transsubstantiation ? Réponse : . . . le mot transsubstan-


tiation ne définit pas la manière dont le pain et le vin
sont changés en le Corps et le Sang du Seigneur, car
ceci, personne, sauf Dieu, ne peut le comprendre ; mais
il signifie seulement que véritablement, réellement et
substantiellement, le pain devient le vrai Corps de Notre
Seigneur et le vin devient le Sang réel du Seigneui:9...

Et le catéchisme continue par une citation de saint


Jean Damascène :

« Si vous cherchez à savoir comment cela arrive, il

suffit que vous sachiez que c'est par l'Esprit Saint ...
Nous ne savons rien de plus : la Parole de Dieu est
vraie, active et toute-puissante, mais insondable dans
son opérationto .•

Le Saint Sacremen t est tenu en réserve dans


presque chaque église de paroisse orthodoxe, le plus

9. 1be Doctrine of the Russtan Church, traduit par R.W.


Blackmore, London, 1845, p. 92.
10. Sur la Fot orthodoxe, N, 13: PG 94, 1145A.
La prière de l'Église : les sacrements 369

souven t sur l'autel, bien qu'il n'y ait pas de règle


stricte à ce sujet. Cependant, il n'y a pas d'office de
dévoti on publiq ue devant la réserve des Saints Dons,
il n'y a pas d'équi valent à l'expo sition du Saint
Sacrement et à la bénédiction avec le Saint Sacrement
dans l'Églis e cathol ique romain e. On laisse une
réserv e du Sacrem ent pour pouvo ir donne r la
comm union aux malades, mais pas pour d'autres buts.
L'Eucharistie est essentiellement un repas, et donc la
signification des éléments consac rés est détour née
s'ils sont utilisés hors du contex te du boire et du
manger. Au cours de la liturgie, le prêtre bénit les
fidèles avec les éléments consacrés, mais jamais en
dehors de ce moment.
L'Eucharistie comme sacrifice. L'Église orthodoxe
croit que l'Eucharistie est un sacrifice. L'enseignement
orthod oxe est réaffirmé dans le texte même de la
liturgie : Ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous Te l'of-
frons. (1) "Ce qui est à Toi, le tenant de Toi. A
l'Eucharistie, le sacrifice offert est le Christ Lui-même.
Notre offrande de pain et de vin est reprise dans l'of-
frande du Christ, et ainsi elle est transformée en son
Corps et son Sang. (2) L'offrande est à Toi dans un
autre sens: non seulement le Christ est le sacrifice
offert, mais Il est aussi, véritablement et profondément,
Celui qui accomplit l'acte d'offrande. Il est à la fois
victime et prêtre, offrande et offrant. Comme le célé-
brant dit au Christ dans la prière avant la Grand e
Entrée : • Tu es Celui qui offre et Tu es offert. » (3) Nous
Te l'offro ns. L'Euch aristie , selon le Conci le de
Constantinople de 1156-57 est offerte à la Trinité. Elle
est offerte non pas simplement par le Christ à Dieu le
Père, mais par le Christ aux Trois Personnes de la
Trinité, par le Christ à Lui-même, avec le Père et
!'Esprit. Ainsi donc, si nous demandons : Qu 'est {-ce qui
constitue ] le sacrifice de !'Eucharistie? Par qui est-il
offert? A qui est-il offert? Dans chaque cas, la réponse
370 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

est le Christ (bien que dans le troisième cas, nous


devions ajouter que lorsque le Christ reçoit le sacrifice,
Il le fait en union avec les deux autres membres de la
Trinité, car Dieu n'est pas divisé). (4) Nous l'offrons
pour tous : selon la théologie orthodoxe, !'Eucharistie
est un sacrifice propitiatoire (en grec tbysia hilastirios)
offert pour les vivants et les morts.
C'est donc le sacrifice du Christ qui est le sacrifice
offert dans !'Eucharistie, mais qu'est-ce que cela veut
dire ? Les th~ories des théologiens sont nombreuses à
ce sujet ; l'Eglise en a rejeté quelques-unes comme
inadéquates, mais ne s'est jamais engagée définitive-
ment dans aucune explication spécifique du sacrifice
eucharistique. Saint Nicolas Cabasilas résume ainsi la
position orthodoxe :
« Tout d'abord, ce n'est ni une simple image, ni un
symbole, mais un sacrifice véritable, et deuxième-
ment, ce n'est pas le pain qui est sacrifié, mais réelle-
ment le Corps du Christ; troisièmement, !'Agneau de
Dieu a été sacrifié une seule fois et pour toutes ... Le
sacrifice eucharistique consiste non dans l'immolation
sanglante de l'Agneau, mais dans la transformation du
pain en Agneau du sacrificell .•

L'Eucharistie n'est pas seulement une commémora-


tion ni une représentation imaginaire du sacrifice du
Christ, mais le sacrifice réel: cependant ce n'est pas
un nouveau sacrifice ni la répétition du sacrifice du
Calvaire, l'Agneau ayant été sacrifié • une seule fois
pour toutes ». Tous les éléments du sacrifice :
l'Incarnation, la Cène, la Crucifixion, la Résurrection,
l'Ascension12 ne sont pas répétés dans !'Eucharistie,

11. Explication de la Divtne liturgie, 32 (SC 4 bis).


12. Le sacrifice du Christ comprend bien plus que Sa mort : cela
est un point très important dans l'enseignement patristique et
orthodoxe.
La prière de l'Église: les sacrements 371

mais sont rendus présents. • Pendant la liturgie, par sa


pyissance sacrée, nous sommes projetés au point où
l'Eternité se croise avec le temps, et à ce point nous
devenons les contemporains réels des événements
[que nous commémorons] ». • Toutes les saintes cènes
de l'Église ne sont qu'une seule éternelle et unique
Cène, celle du Christ dans la chambre haute. Le même
acte divin, à la fois a eu lieu à un moment précis de
l'histoire, et s'offre toujours dans le sacrementt3. •
La Sainte Communion. Dans l'Église orthodoxe,
clergé et laïcs reçoivent la communion • sous les deux
espèces•. Elle est donnée au moyen d'une petite
cuillère, contenant une parcelle de pain et un peu de
vin ; le fidèle la reçoit debout. Un jeûne très strict est
observé avant la communion, et rien ne doit être
mangé ni bu depuis le réveil au matin14. Beaucoup
d'orthodoxes , actuellement, ne communient que rare-
ment, trois ou quatre fois par an ; non par froideur vis-
à-vis du sacrement, mais par coutume : ils ont appris
depuis l'enfance à ne s'approcher qu'après une
longue et soigneuse préparation. Mais ces dernières
années toutefois, la communion fréquente - dans
certaines paroisses tous les dimanches - s'est plus
répandue, comme en Grèce, en Russie, en Roumanie
et en Occident. C'est un retour bienvenu à la pratique
ancienne des premiers Chrétiens.
Après la bénédiction qui termine la liturgie, les
fidèles viennent recevoir un petit morceau de pain,
appelé antidoron : il est bénit, mais non consacré,
bien qu'il soit pris, au moins en partie, du même pain

13. P. Evdokimov, L'Orthodoxte, p. 241 et 208.


14. • Ceux qui invitent l'Empereur nettoient leur maison, ainsi,
vous qui désirez recevoir Dieu dans la maison de votre corps,
pour l'illumination de votre vie, devez tout d'abord sanctifier ce
corps par le jeûne • (Gennade, Les Cent chapitres). En cas de
maladie ou de nécessité absolue, le confesseur peut accorder une
dispense du jeûne eucharistique.
372 L'Orthodoxie, l'Égtise des sept Conciles

qui est employé pour la consécration. Dans la plupart


des paroisses orthodoxes, les non-orthodoxes qui
assistent à la liturgie peuvent et même sont cordiale-
ment invités à prendre l' antidoron, gage de fraternité
et d'amour chrétien.

La Pénitence

Un enfant orthodoxe reçoit la communion depuis


qu'il est tout petit; puis, lorsqu'il est assez grand pour
distinguer entre le bien et le mal et comprendre ce
que signifie un péché (cela vers l'âge de six ou sept
ans), il reçoit un nouveau sacrement, celui de la péni-
tence ou confession (en grec metanoia ou exomolo-
gesis). Par ce sacrement, les péchés commis après le
baptême sont pardonnés et le pécheur réconcilié avec
l'Église; c'est pour cela qu'il est appelé un« deuxième
baptême •. Il agit aussi comme une cure morale pour
la guérison de l'âme, car le prêtre ne donne pas seule-
ment l'absolution, mais des recommandations spiri-
tuelles. La confession et la discipline pénitentielle, à
l'origine, étaient publiques, puisque le péché est non
seulement une offense envers Dieu, mais aussi envers
notre prochain, envers la communauté. Cependant,
depuis bien des siècles, en Orient comme en
Occident, la confession est devenue un entretien privé
entre le prêtre et le fidèle. Le prêtre est tenu au secret
absolu sur ce qui lui est dit en confession.
Les confessions sont entendues non pas dans un
confessionnal fermé avec une grille séparant pénitent
et confesseur, mais dans toute partie appropriée de
l'église, généralement devant l'iconostase, parfois
derrière un écran, ou dans une chambre réservée à
cet usage. Tandis qu'en Occident le prêtre est assis
et le pénitent agenouillé, dans l'Église orthodoxe
La prière de l'Église: les sacrements 373

confesseur et pénitent restent debout (ils peuvent


aussi tous deux s'asseoir). Le pénitent se tient souvent
devant un pupitre, recouvert d'un tissu, pareil à ceux
qui, dans l'Église, supportent les icônes, et sur lequel
se trouvent une croix et une icône du Christ, ou le
livre des Évangiles ; le prêtre se tient légèrement de
côté et cette disposition des personnes marque que
c'est Dieu qui juge, que le prêtre n'est que le témoin
et le serviteur (ministre) de Dieu. Ceci est encore
souligné par ce que dit le prêtre avant d'entendre la
confession :
« Mon enfant, le Christ est invisiblement présent

pour recevoir ta confession, n'aie pas honte, ne crains


pas, ne me cache rien. Mais sans réticence, dis tout ce
que tu as commis pour en recevoir le pardon de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Voici Son icône près de nous, je
ne suis qu'un témoin pour rendre témoignage devant
Lui de tout ce que tu m'auras dit. Si tu me caches
quelque chose, tu auras un plus grand péché.
Courage donc, tu es venu au médecin, prends garde
de retourner sans être guéri ». Après cela, le prêtre
entend la confession et si nécessaire, il pose des ques-
tions, puis il donne des conseils ; le pénitent s'age-
nouille ou incline la tête, sur laquelle le prêtre pose
son étole (epitrachilion) et, y appuyant la main, il dit
la prière d'absolution. Dans le texte grec, la formule
d'absolution est à la troisième personne (« Dieu te
pardonne ... •), dans le texte slavon à la première
personne (« Je te pardonne ... »). Voici le texte de la
formule grecque la plus généralement utilisée :

« Tout ce que tu as dit à mon humble personne, ou

tout ce que tu as manqué de dire, par ignorance ou


par oubli, quoi que ce soit, que Dieu te le pardonne
dans ce monde et dans l'autre ... N'aie plus d'anxiété.
Va en paix.»
374 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Et le texte de la formule slavonne :


« Que Notre Seigneur et Dieu, Jésus-Christ, par la

grâce et l'abondance de Son amour pour les hommes,


te pardonne, mon enfant N., toutes tes transgressions.
Et moi, prêtre indigne, par le pouvoir qui m'a été donné
par Lui, je te pardonne et te délie de tous tes péchés. »

Cette formule à la première personne a été intro-


duite par Pierre Mohyla en Ukraine, sous l'influence
latine, et adoptée par l'Église russe au xvme siècle.
Beaucou p d'orthod oxes déploren t cet écart de la
pratique sacramentelle traditionnelle de l'Orient chré-
tien, car dans aucun autre cas le prêtre ne parle à la
première personne du singulier.
Le prêtre peut, s'il lui semble bon, imposer une
œuvre pénitentielle (epitimion), mais ce n'est pas une
part essentielle du sacrement et cela est très souvent
omis. Beaucou p d'orthod oxes ont un• père spirituel»,
(celui-ci n'est pas nécessairement le prêtre de leur
paroisse) auquel ils se confessent et auprès duquel ils
viennent chercher un conseil spirituel15. Il n'y a pas de
règle stricte au sujet de la fréquence des confessions. ·
Les Russes ont tendance à se confesser plus souvent
que les Grecs. En cas de communions peu fréquentes
- quatre ou cinq fois par an par exemple - on peut
attendre du fidèle qu'il se confesse avant de commu-
nier; mais lorsqu'u ne commun ion fréquente a été
établie, le prêtre n'attend pas nécessai rement une
confession avant chaque communion.

15. Dans l'Église orthodoxe, la guidance est donnée non seule-


ment par un prêtre ordonné, mais quelquefois par un moine non
ordonné ou par une moniale; moins communément, des fidèles
non-moines, hommes et femmes, peuvent agir comme pères ou
mères spirituelles. Dans ces cas, ils écoutent la confession du
pénitent, donnent des conseils et, agissant au nom de Dieu, ils
assurent le pénitent du pardon de Dieu, mais ils n'administrent
pas l'absolution sacramentelle au sens canonique strict.
La prière de l'Église : les sacrements 375

Le sacrement de l'ordre

L'Église orthodoxe compte trois • ordres majeurs • :


épiscopat, prêtrise et diaconat ; et deux • ordres
mineurs • : sous-diaconat et lectorat. (Il y eut autrefois
d'autres ordres mineurs, mais ils sont tombés en
désuétude.) L'ordination aux ordres majeurs se fait
toujours au cours d'une liturgie et doit être indivi-
duelle ; selon le rite byzantin, qui diffère en cela du
rite romain, un seul diacre, prêtre ou évêque est
ordonné au cours d'une liturgie. L'évêque seul a le
pouvoir d'ordonner16 et, l'épiscopat étant collégial, la
consécration d'un nouvel évêque doit être faite par
deux ou trois évêques au minimum, jamais par un
évêque tout seul. Bien que l'ordination soit conférée
par les évêques, elle doit cependant recevoir l'appro-
bation de tout le peuple de Dieu ; c'est pourquoi à un
moment du service, l'assemblée tout entière approuve
en criant « Axios » (il en est digne)17.
Le clergé se répartit en deux groupes: le clergé
• blanc • ou séculier qui est marié, et le clergé • noir •
ou régulier, c'est-à-dire les moines. Les ordinands
doivent choisir leur voie avant l'ordination, car nul ne
peut se marier après avoir été ordonné à un ordre
majeur. Il faut donc que le mariage précède l'ordina-
tion. Ceux qui choisissent le célibat sont généralement
consacrés moines avant d'être prêtres; mais il y
a dans l'Église orthodoxe d'aujourd'hui quelques
rares prêtres célibataires, qui n'ont pas fait de vœux

16. En cas de nécessité, un archimandrite ou un archiprêtre,


mandaté expressément par l'évêque, peut ordonner un lecteur.
17. Ce qui arriverait si les fidèles disaient Anaxtos (il est
indigne) n'est pas très clair. Le cas s'est présenté au cours du siècle
présent à Constantinople et en Grèce, mais sans effet. Cependant
on peut dire que, au moins en théorie, une ordination ne doit pas
avoir lieu sans l'approbation des laïcs.
376 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

monastiques. Ils ne peuvent cependant pas plus que


les autres contracter mariage. Si un prêtre devient
veuf, il ne peut pas se remarier.
Autrefois, le clergé paroissial était presque toujours
composé d'hommes mariés, mais maintenant il est
assez fréquent qu'un prêtre-moine soit en charge
d'une paroisse. Depuis le sixième ou le septième
siècle, l'évêque doit être célibataire, et depuis au
moins le quatorzième siècle, il doit avoir prononcé des
vœux monastiques ; mais un veuf peut être consacré à
l'épiscopat s'il fait profession monastique. Dans l'état
actuel du monachisme, dans toute une partie de
l'Église orthodoxe, il n'est pas toujours facile de
trouver des candidats convenables à l'épiscopat, et de
plus en plus d'orthodoxes considèrent que le recrute-
ment des évêques uniquement parmi les moines n'est
plus souhaitable dans les conditions du monde
moderne. La solution n'est peut-être pas de changer la
règle actuelle qui veut qu'un évêque soit d'abord un
moine, mais de revigorer la vie monastique.
Dans l'Église primitive, l'évêque était souvent élu
par l'ensemble du diocèse, clergé et· fidèles.
Aujourd'hui, c'est généralement le synode dirigeant de
chaque Église autocéphale qui nomme les évêques
aux sièges vacants. Mais dans quelques Églises -
Antioche et Chypre notamment - un système modifié
d'élection populaire est encore en vigueur. Le concile
de Moscou de 1917-1918 a décidé que dorénavant les
évêques de l'Église russe seraient élus par les fidèles
et le clergé du diocèse ; cette règle est observée dans
la juridiction russe de Paris et par l'Église orthodoxe
en Amérique (OCA), mais en Union Soviétique, sous
le communisme, une telle élection était impossible
pour des raisons évidentes. Maintenant que la religion
est redevenue libre en Russie, la décision de Moscou
de 1917-1918 pourrait sûrement être appliquée, bien
que ce ne soit pas encore le cas.
La prière de l'Église : les sacrements 377

Dans l'Église orthodoxe, le diaconat est en principe


un office permanent, non pas seulement une étape
sur la voie de la prêtrise, et beaucoup de diacres
orthodoxes ne comptent pas devenir prêtres. Pour la
pleine célébration de la Divine Liturgie, un diacre est
requis, et ainsi chaque paroisse devrait si possible
avoir un diacre (qui peut bien sûr exercer un métier à
plein temps dans le siècle) ; mais dans la pratique, les
diacres sont maintenant rares en certaines régions. Il
est urgent, dans }'Orthodoxie contemporaine, de
repenser et de revigorer le ministère diaconal.
Quelle est l'attitude, dans le monde orthodoxe
actuel, envers la question brûlante de l'ordination des
femmes ? L'Orthodoxie accepte certainement que des
femmes puissent être ordonnées au premier des
ordres majeurs, le diaconat. Dans l'Église ancienne,
les femmes servaient comme diaconesses, et quoi-
qu'en Occident ces diaconesses semblent avoir été
considérées comme un ministère laïc plutôt qu'or-
donné, dans l'Orient chrétien elles étaient bénies avec
les mêmes prières et exactement selon le même rite
que les diacres hommes, de sorte qu'il y a tout lieu de
les placer au même niveau sacramentel. Elles aidaient
en particulier au baptême des femmes adultes, et
faisaient du travail pastoral parmi les femmes de la
paroisse, bien qu'elles ne semblent pas avoir prêché
ou aidé à distribuer la communion. L'ordre des diaco-
nesses n'a jamais été aboli dans l'Église orthodoxe,
mais à partir du sixième ou du septième siècle, il est
tombé en désuétude, et a fini par disparaître vers le
onzième siècle. Beaucoup d'Orthodoxes souhaite-
raient aujourd'hui, comme une priorité urgente, voir
rétablir le diaconat féminin.
Si les femmes peuvent être ordonnées diaconesses,
peuvent-elles aussi être ordonnées à la prêtrise? La
grande majorité des Orthodoxes considère que cela
est impossible. Ils en appellent premièrement à la
378 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pratique immuable de l'Église pendant deux millé-


naires. Si le Christ avait voulu que des femmes soient
prêtres, disent-ils, Il aurait enseigné en conséquence
Ses Apôtres, et ces derniers auraient obéi. L'ordination
de femmes à la prêtrise est dépourvue de toute base
dans !'Écriture et la Tradition, et après deux mille ans,
nous n'avons pas le droit d'innover dans une matière
de pareille importance. Quelques théologiens ortho-
doxes utilisent aussi l'argurpent • symbolique • ou
« iconique • avancé par certains catholiques romains :

le prêtre, à l'Eucharistie, représente le Christ, et


puisque le Christ était un homme, le prêtre doit de
même être un homme. Mais d'autres orthodoxes,
opposés à l'ordination de femmes prêtres, trouvent
cet argument iconique peu convaincant et préfèrent
invoquer simplement l'appel à la Tradition.
Il y a pourtant une petite minorité (mais croissante)
à l'intérieur de !'Orthodoxie, qui ressent très fort que
toute cette question doit encore recevoir des évêques
et théologiens orthodoxes l'examen rigoureux et
attentif qu'elle requiert. Très peu nombreux sont
actuellement les orthodoxes qui diraient qu'ils sont
tout à fait favorables à l'ordination de femmes, ici et
maintenant, à la prêtrise. Mais un groupe beaucoup
plus nombreux considère que les arguments avancés
jusqu'à présent, qu'ils soient pour ou contre cette
ordination, sont profondément inadéquats. Ils consi-
dèrent qu'il existe aujourd'hui un besoin impérieux
pour !'Orthodoxie de réfléchir sur une quantité de
sujets essentiels : Qu 'est un prêtre ? Comment
pouvons-nous réactiver la riche diversité des minis-
tères que l'on trouvait dans l'Église ancienne? Dans
quelle mesure nos conceptions actuelles sur le minis-
tère qui convient respectivement aux hommes et aux
femmes viennent-elles des stéréotypes culturels dont
nous avons hérité plutôt que de principes authenti-
quement théologiques ? Au niveau spirituel, quelle
La prière de l'Église: les sacrements 379

signification devrions-nous attacher à la différencia-


tion sexuelle et à la complémentarité de l'homme et
de la femme ? Il y a là un mystère que nous avons à
peine commencé d'explorer.
Si nous les Orthodoxes, examinons ce mystère avec
plus de courage et d'imagination, cela ne peut pas
être fait par des hommes uniquement. La voix des
femmes orthodoxes doit être entendue dans notre vie
<l'Église, bien plus que par le passé. Heureusement,
elles commencent maintenant à jouer un rôle beau-
coup plus actif dans l'Orthodoxie. Dans les écoles de
théologie grecques et russes, par exemple, le nombre
de femmes étudiantes est en augmentation rapide,
tandis qu'en Amérique il y a des associations dyna-
miques de femmes de prêtres, et elles savent se faire
entendre. Tout ceci est sûrement à saluer, car si
l'Orthodoxie doit porter un témoignage créatif au
vingt-et-unième siècle, elle doit utiliser au mieux les
dons de ses femmes comme de ses hommes.

Le Mariage

Le mystère trinitaire de l'unité dans la diversité ne


s'applique pas seulement à la doctrine de l'Église,
mais aussi à celle du mariage. L'être humain est fait à
l'image de la Trinité, et Dieu ne l'a pas créé pour vivre
seul, à part des cas exceptionnels, mais pour vivre en
famille. Dieu a béni la première famille, commandant
à Adam et à Eve : soyez féconds et multipliez-vous ;
c'est pourquoi l'Église bénit l'union de l'homme et de
la femme. Le mariage n'est pas seulement un état de
nature, mais un état de grâce. C'est une vocation non
moins que la vocation monastique, et elle demande
un charisme, ou don particulier de l'Esprit Saint, qui
est donné par le sacrement.
380 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

L'office du mariage comprend deux parties: primi-


tivement séparées, elles prennent place actuellement
l'une à la suite de l'autre, sans discontinuité ; ce sont
les fiançailles et le couronnement, ce dernier consti-
tuant le sacrement proprement dit.
L'office des fiançailles culmine dans la bénédiction
et l'échange des anneaux, gage du consentement
mutuel, donné librement par les deux fiancés, car le
sacrement ne peut être donné que s'il y a libre
consentement des deux parties. Le point culminant du
deuxième service est la cérémonie du couronnement ;
des couronnes sont placées par le prêtre sur la tête
des époux. Ces couronnes sont faites de feuilles et de
fleurs chez les Grecs, d'or ou d'argent chez les
Russes ; elles sont le signe visible du sacrement et
signifient la grâce spéciale que le couple reçoit de
l'Esprit Saint afin de fonder une nouvelle famille, une
Église domestique. Ces couronnes sont des couronnes
de joie, mais aussi de martyre, car chaque vrai
mariage demande de part et d'autre de l'abnégation. A
la fin du service, commémorant le miracle des noces
de Cana, les époux boivent du vin à la même coupe,
symbolisant le fait que, dorénavant, ils partageront
une même vie.
L'Église orthodoxe permet le divorce et le rema-
riage, en s'appuyant du reste sur le texte de
Matthieu 19, 9, lorsque le Seigneur dit: « Quiconque
répudie sa femme - si ce n'est pour infidélité - et en
épouse une autre, commet un adultère ». Puisque le
Christ, selon le récit de Matthieu, a permis une excep-
tion à sa règle générale sur l'indissolubilité du
mariage, l'Église orthodoxe peut consentir à des
exceptions. Il est évident que l'Église considère le
mariage comme en principe indissoluble et contracté
à vie et elle considère sa rupture comme une tragédie
due à la faiblesse et au péché humain. Mais tout
en condamnant le péché, l'Église aide les gens qui
La prière de l'Église: les sacrements 381

souffrent en leur accordant une deuxième chance. Et


lorsqu'un mariage a complètement cessé d'être une
réalité, l'Église orthodoxe n'exige pas qu'on préserve
ce qui n'est plus qu'une fiction légale. Le divorce est
donc accordé comme une concession exceptionnelle
mais inévitable à notre état brisé, nous qui vivons
dans un monde déchu. Mais, tout en aidant l'homme
et la femme divorcés à se relever après leur chute,
l'Église orthodoxe sait qu'une deuxième union ne
peut jamais avoir exactement le même caractère que
la première, et c'est pourquoi, à un second mariage,
toute une partie de la cérémonie joyeuse est
supprimée et remplacée par des prières pénitentielles.
Dans la pratique toutefois, cet office des secondes
noces est rarement utilisé.
Le droit canon orthodoxe, qui permet un deuxième
et même un troisième mariage, en défend strictement
un quatrième. En théorie, le divorce est accordé seule-
ment en cas d'adultère, mais dans la pratique il est
donné pour d'autres raisons également.
Au point de vue de la théologie orthodoxe, le
divorce civil est insuffisant, et un remariage à l'Église
ne peut évidemment être autorisé que lorsque le
divorce a été accordé par les autorités ecclésiastiques.
Les relations sexuelles sont un don de Dieu, mais
un don donné pour l'usage entre homme et f~mme
uniquement dans le sacrement du mariage. L'Eglise
orthodoxe ne peut donc approuver les relations
sexuelles hors mariage, même lorsqu'un couple a la
ferme intention de se marier plus tard : la bénédiction
nuptiale ne doit pas être anticipée. L'Église peut
encore moins donner son approbation à des unions
sexuelles entre personnes de même sexe. Mais dans
tous les cas d'espèce d'homosexualité, nous devrions
naturellement veiller à faire preuve d'un maximum de
sensibilité pastorale et de compassion généreuse. • Un
frère qui avait commis un péché fut chassé de l'église
382 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

par le prêtre. Alors Abba Bessarion se leva et sortit


avec ce frère en disant : "Moi aussi, je suis un
pécheur" 18. •

Pour ce qui est des contraceptifs et d'autres formes


de contrôle des naissances, différentes opinions exis-
tent à l'intérieur de l'Église orthodoxe. Dans le passé,
le contrôle des naissances était généralement sévère-
ment condamné, mais maintenant, une opinion moins
sévère est amenée à prévaloir, non seulement en
Occident mais dans les pays traditionnellement ortho-
doxes. Beaucoup de théologiens et de pères spirituels
orthodoxes considèrent que l'usage responsable de la
contraception dans la vie conjugale n'est pas en lui-
même un péché. Pour eux, il vaut mieux que le
couple décide lui-même, en conscience, combien il
veut d'enfants et quand.
Mais l'avortement est condamné de manière non
ambiguë par l'enseignement moral orthodoxe. Nous
n'avons pas le droit de détruire la vie humaine.

Onction des malades


Ce sacrement (en grec eucbelaion, • huile de
prière ..) est décrit dans la première épître de Jacques
(5, 14-15): .. Quelqu'un parmi vous est-il malade?
Qu'il appelle les presbytres (anciens) de l'Église et
qu'ils prient sur lui après l'avoir oint d'huile au nom
du Seigneur. La prière de la foi sauvera le patient, et le
Seigneur le relèvera. Les péchés qu'il a commis lui
seront remis •. Ce sacrement, comme on le voit dans
ce passage des Écritures, a un double but. L'être

18. Apophthegmata (PG 65), Bessarion, 7. éd. de Dom Lucien


Regnault, Solesmes 1981, p. 66.
La prière de l'Église: les sacrements 383

humain étant l'unité d'un corps et d'une âme, il ne


peut y avoir de distinction trop rigide entre les maux
du corps et ceux de l'âme. L'orthodoxie ne croit pas
que l'onction rende invariablement la santé ; les sacre-
ments ne sont pas magiques. Parfois l' eucbelaion aide
effectivement au rétablissement du malade, mais dans
d'autres cas il sert comme préparation à la mort. « Ce
sacrement, remarque Serge Boulgakov, a une double
finalité : s'affranchir de la maladie, soit par voie de
guérison, soit par l'issue de la mortl9 ...
Le sacrement de l'onction n'a jamais été considéré
par l'Église orthodoxe comme l'extrême-onction,
uniquement à l'intention des mourants, mais il est
disponible pour tous ceux qui souffrent de maladie
physique ou mentale. Dans beaucoup de paroisses et
de monastères orthodoxes, c'est la coutume de célé-
brer l' euchelaion à l'église le mercredi soir ou le jeudi
matin durant la Semaine Sainte, et chacun de ceux qui
sont présents est invité à s'approcher pour l'onction,
qu'il soit ou non physiquement malade ; car même si
nous n'avons pas besoin d'une guérison du corps,
nous avons tous besoin d'une guérison de l'âme. Trop
souvent dans l'Orthodoxie, l'onction des malades est
un sacrement oublié : nous, les orthodoxes, devrions
en faire un bien plus large usage.

19. L'Orthodoxie, 3• éd., Lausanne 1980, p. 129.


15
La prière de l'église
Fêtes, jeunes, prières

Le but de la prière est d'entrer en conver-


satton avec Dteu. Elle ne doit pas être
limitée à certaines heures de la Journée. Un
chrétien doit se sentir personnellement en
présence de Dieu et l'objet de la prière est
d'être continuellement maintenu en cette
présence.
Père Georges Florovsky.

L'année liturgique

Celui qui désirerait dire ou suivre les services offi-


ciels de l'Église anglicane aurait assez (en théorie tout
au moins) de deux livres : la Bible et le livre de
prières. De même pour les offices de l'Église catho-
lique en Occident, il ne lui faudrait que deux livres : le
missel et le bréviaire. Mais la complexité des services
ç:>rthodoxes est telle que, pour suivre les offices, il
faudrait une petite bibliothèque d'une vingtaine de
volumes importants. « On peut estimer sans exagéra-
tion, fait remarquer J.-M. Neale en parlant des livres
liturgiques orthodoxes, que ces volumes comprennent
386 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

au minimum 5000 pages d'in-quarto, sur deux


colonnes et en caractères serrésl. • Mais ces volumes,
si peu maniables à l'abord, sont une des grandes
richesses de l'Église orthodoxe.
Ces vingt volumes contiennent les offices de
l'année liturgique, séquences de fêtes et de jeûnes qui
commémorent l'Incarnation et son accomplissement
dans l'Église. Le calendrier ecclésiastique commence
le 1er septembre. Parmi les fêtes, Pâques est la fête
prééminente, la fête des fêtes, et se place tout à fait à
part. Outre Pâques, il y a douze grandes fêtes particu-
lièrement importantes que l'on cite généralement
comme suit:

Nativité de la Mère de Dieu (8 septembre)


Exaltation (ou Élévation) de la vénérable et vivi-
fiante Croix (14 septembre)
Entrée au Temple de la Mère de Dieu (21
novembre)
Nativité du Christ (25 décembre)
Baptême du Christ dans le Jourdain (Théophanie
ou Épiphanie) (6 janvier)
Présentation au Temple de Notre Seigneur : la
Sainte Rencontre (2 février)
Annonciation à la Mère de Dieu (25 mars)
Entrée du Seigneur à Jérusalem (Dimanche des
Rameaux, une semaine avant Pâques)
Ascension aux cieux de Notre Seigneur Jésus-Christ
(40 jours après Pâques)
Pentecôte (en Orient, fête de la Sainte Trinité)
(50 jours après Pâques)
Transfiguration du Seigneur (6 août)
Dormition de la Mère de Dieu (Assomption)
(15 août).

1. Hymns of the Eastern Church (3• éd.), Londres, 1866, p. 52.


La prière de l'Église : fêtes, jeunes, prières 387

Ainsi, trois des douze grandes fêtes sont des fêtes


mobiles qui dépendent de Pâques, les autres sont à
dates fixes. Sept sont dédiées au Seigneur, cinq à la
Mère de Dieuz.
Il y a un grand nombre d'autres fêtes de moindre
importance, mais dont les plus marquantes sont les
suivantes:

Circoncision; Saint-Basile (1er janvier)


Fête des Trois grands Hiérarques (30 janvier)
Nativité de saint Jean-Baptiste (24 juin)
Saint Pierre et saint Paul (29 juin)
Décollation de saint Jean-Baptiste (29 août)
Protection de la Mère de Dieu : fête du Voile de la
Vierge (1er octobre)
Saint Nicolas (6 décembre)
Fête de tous les saints (1 e, dimanche après la
Pentecôte).

Mais, outre ces fêtes, il y a les jeûnes. L'Église


orthodoxe qui regarde la personne dans son entiè-
reté, corps et âme, a toujours exigé l'entraînement
du corps en même temps que celui de l'âme. • Le
jeûne et la tempérance sont les prémices, la mère,
la racine, la source et le fondement de tout bien3. •
L'année comporte quatre grandes périodes de
jeûne:

1. Le grand carême, qui commence sept semaines


avant Pâques.

2. La Sainte Rencontre (2 février) est parfois considérée comme


une fête du Seigneur ; dans ce cas il y a huit fêtes du Seigneur, et
quatre de la Mère de Dieu.
3. Callixte et Ignace Xanthopouloï, Centurie spirttuelle, 32 ;
dans la Philocalte, Abbaye de Bellefontaine, fascicule 1, p. 94;
Desclée de Brouwer et J.-Cl. Lattès 1995, t. 2, p. 580 (Athènes,
1961, vol. 4, p. 232).
388 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

2. Le jeûne des Apôtres, qui commence un lundi,


huit jours après la Pentecôte, et finit le 28 juin, veille
de la fête de saint Pierre et saint Paul; il varie entre
une et six semaines.
3. Le jeûne de la Dormition , qui dure deux
semaines, du 1er au 14 août.
4. Le jeûne de Noël, qui dure 40 jours, du
15 novembre au 24 décembre.

En plus de ces grandes périodes de jeûne, chaque


mercredi et chaque vendredi (et lundi dans certains
monastères) sont des jours de jeûne (sauf entre Noël
et la Théophan ie, durant la semaine qui suit le
Dimanch e du Publicain et du Pharisien (trois
semaines avant le début du Grand Carême), durant la
semaine de Pâques et durant la semaine qui suit la
Pentecôte). L'exaltation de la Sainte Croix, la décolla-
tion de saint Jean Baptiste et la veille de la
Théophan ie sont aussi des jours de jeûne.
Les règles du jeûne de l'Église orthodoxe sont d'une
rigueur qui pourrait étonner bien des chrétiens occi-
dentaux. Pendant la plus grande partie du grand
Carême et de la Semaine Sainte, ce n'est pas seule-
ment la viande qui est défendue, mais aussi le poisson
et tout produit animal (graisse, œufs, beurre, fromage,
lait), ainsi que l'huile et le vin. Beaucoup d'ortho-
doxes, et particulièrement en Occident, trouvent que
la vie moderne rend impraticable un jeûne qui a été
conçu dans d'autres condition s matérielle s, et
certaines dispenses sont accordées. Mais, même avec
des adoucissements, le grand Carême, et surtout la
première semaine et la Semaine Sainte, sont encore
pour les orthodoxe s pieux une période de réelle
austérité et de sévères privations physiques. Compte
tenu de tous les relâcheme nts de notre temps, il
est certain que les chrétiens orthodoxes du XX" siècle,
les laïcs aussi bien que le clergé, jeûnent avec une
La prière de / 'Église : fêtes, jeunes, prières 389

sévérité qui n'a pas d'équivalent dans la chrétienté


occidentale, sauf peut-être en certains ordres religieux
des plus stricts.
Certains moments de l'année sont marqués par des
cérémonies particulières : la grande bénédiction des
eaux à la Théophanie (elle a souvent lieu dehors,
devant un fleuve ou au bord de la mer) ; la bénédic-
tion des fruits à la Transfiguration ; la solennelle exal-
tation et adoration de la Croix le 14 septembre; l'of-
fice du pardon qui précède immédiatement le grand
Carême, lorsque fidèles et clergé s'agenouillent les
uns devant les autres, se demandant mutuellement
pardon. Mais c'est naturelleme nt au cours de la
Semaine sainte qu'on peut assister aux plus émou-
vants et aux plus impressionnants des offices ortho-
doxes. Jour après jour, heure après heure, l'Église
entre dans la Passion du Seigneur. Le moment le plus
pathétique de la Semaine Sainte est celui de la proces-
sion de l' Epitaphion, le soir du vendredi saint : une
représentat ion du Christ - mort et prêt à être
enseveli- est lentement portée autour de l'église,
parfois à l'intérieur seulement, par le clergé précédé
de la croix, de cierges et de bannières, et suivi par le
chœur et tous les fidèles, un cierge allumé à la main.
Et tandis qu'ils avancent en procession, les fidèles
chantent le Trishagion sur la lente et solennelle
mélodie des funérailles. Personne ne peut assister aux
exultantes matines de la Résurrection, pendant la nuit
de Pâques, sans être saisi par un sentiment de joie
universelle. Le Christ a délivré le monde de ses
anciennes servitudes et de ses anciennes terreurs, et
l'Église tout entière se réjouit du triomphe de Sa
victoire sur les ténèbres et la mort.
Le sujet de l'année liturgique ne serait pas complet
si l'on ne disait quelques mots au sujet de la question
si débattue du calendrier.Jusqu'à la fin de la première
guerre mondiale, tous les orthodoxes utilisaient
390 L 'Orthodoxie, / 'Église des sept Conciles

encore le Vieux Style ou calendrier julien qui est, au


XX" et au XXIe siècles, en retard de treize jours sur le
nouveau calendrier (grégorien), suivi en Occident. En
1923, un congrès interorthodoxe se tint à Constan-
tinople, en présence de représentants de certaines,
mais pas de toutes les Églises orthodoxes, tant s'en
faut. Cette assemblée décida d'introduire un calen-
drier julien révisé, correspondant, pour des buts
pratiques, au nouveau calendrier, grégorien. Le
passage au Nouveau Style fut introduit à Constan-
tinople et en Grèce en mars 1924, mais il se révéla très
controversé et ne fut pas adopté partout. A présent, le
calendrier julien révisé est en usage à Constantinople,
Alexandrie, Antioche, en Roumanie, en Bulgarie, à
Chypre et en Grèce, mais à Jérusalem, en Russie, en
Serbie, en Géorgie et en Pologne, ainsi qu'à la sainte
Montagne de l'Athos, on continue à suivre le Vieux
Style ou comput julien non révisé4. Ceci donne lieu à
une situation difficile et confuse qu'on espère voir
bientôt prendre fin. A présent les Grecs (en dehors de
l'Athos et de Jérusalem) fêtent la Noël en même temps
que l'Occident, le 25 décembre (Nouveau Style) tandis
que les Russes la fêtent treize jours plus tard, le
7 janvier (Nouveau Style), les Grecs fêtent !'Épiphanie
le 6 janvier, les Russes le 19 janvier, etc. Mais prati-
quement toute l'Église orthodoxe fête Pâques en
même temps, sans tenir compte du calendrier julien
révisé et comptant l'équinoxe selon le vieux calen-
drier. Cela veut dire qu'en pratique, la Pâque ortho-
doxe coïncide parfois avec la date occidentale, et
qu'elle est parfois une, ou cinq, ou occasionnellement
quatre semaines plus tard. L'Église de Finlande et

4. Mais certaines paroisses, dans l'Église orthodoxe de Pologne,


utilisent le Nouveau Calendrier ; de même beaucoup de paroisses
du patriarcat de M9scou dans la diaspora. Le Nouveau Style est
aussi utilisé dans l'Eglise Orthodoxe d'Amérique (OCA).
La prière de l'Église: fêtes, jeunes, prières 391

quelques paroisses du monde occidental fêtent


toujours Pâques à la date occidentale.
L'opposition au nouveau calendrier est particulière-
ment forte en Grèce où des groupes de vieux-calen-
daristes, les paléoimérologites, ont rompu avec l'Église
officielle ayant adopté le nouveau calendrier et ont
mis sur pied leur organisation séparée. Bien que
persécutés par les autorités civiles grecques, dans les
années trente et quarante ils avaient de nombreux
adeptes, leurs propres évêques et leurs propres
monastères, environ huit cents paroisses et peut-être
jusqu'à un million de sympathisants. Mais plus récem-
ment ils se sont fractionnés en beaucoup de groupes
rivaux et ont perdu la plus grande part de leur
influence. Il y a également des vieux-calendaristes à
Chypre et en Roumanie. Les moines de l'Athos, tout
en adhérant au vieux calendrier, ont pour la plupart
maintenu la communion avec le Patriarche de
Constantinople et l'Église officielle en Grèce. Les
vieux-calendaristes considèrent le changement de
calendrier comme la première d'une longue série d'in-
novations qui, selon eux, ont corrompu le courant
principal de !'Orthodoxie ce siècle-ci. Pour eux,
l'enjeu n'est pas simplement la question technique de
treize jours, mais la pureté de la foi orthodoxe. Ils
protestent en particulier contre les initiatives prises,
entre autres par le Patriarche œcuménique, dans la
perspective d'une réunion avec les Chrétiens
d'Occident.

Prière personnelle

Outre la prière liturgique publique, il y a aussi la


prière personnelle à la maison, les prières journalières
récitées matin et soir devant les icônes, soit par toute
392 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

la famille réunie, soit par chacun, individuellement.


Pour ces prières quotidiennes, il existe des manuels.
La plus grande partie de leur contenu est toutefois
puisée directem ent dans les livres liturgique s
employés pour les offices à l'église, de sorte que,
même quand nous sommes seuls, nous prions avec
l'Église, en utilisant les paroles qui sont aussi pronon-
cées dans d'innomb rables églises paroissial es et
monastères. • La prière personnelle est possible seule-
ment dans le contexte de la prière publique. Personne
n'est chrétien par soi-même, mais seulement en tant
que membre du corps chrétien. Même dans la solitude
"de la chambre", un chrétien prie comme membre de
la communau té des rachetés, de l'Église. Et c'est dans
l'Église qu'il apprend les pratiques de la dévotions•
Naturellem ent, les manuels ne sont prévus que
comme des guides généraux, et il y a toute liberté de
prier spontanément, avec ses propres mots.
Voici, à titre d'exemple, deux prières extraites du
manuel. La première est une prière du matin, peut-
être basée sur un modèle occidenta l, écrite par
Philarète, métropolite de Moscou :
« Accorde-moi, Seigneur, d'accueillir dans la paix le
jour qui se lève ; aide-moi en toutes choses à m'ap-
puyer sur Ta sainte volonté ; à chaque heure du jour,
révèle-moi quelle est Ta volonté. Bénis tout ce que je
ferai avec mon entourage ; apprends-moi à accepter
d'une âme sereine tout ce qui adviendra au cours de
la journée et donne-mo i la conviction profonde que
Ta volonté gouverne tout. Guide mes pensées et mes
sentiment s dans toutes mes paroles et toutes mes
actions, et que je me souvienne que tout événémen t
imprévu est envoyé par Toi. Apprends-moi à agir avec
fermeté et sagesse, sans provoquer d'amertume ou de

5. G. Florovsky, Prayer, prlvate and Corporate ("Ologos" publi-


cations, Saint-Louis, Minnesota), p. 3.
La prière de l'Église : fêtes, jeunes, prières 393

gêne chez les autres. Donne-moi la force de supporter


toutes les fatigues de cette journée et tout ce qu'elle
apportera; dirige ma volonté; apprends-moi à prier,
prie Toi-même en moi. Amen. •

Et voici quelques clauses de l'intercession générale


qui conclut les prières du soir :

« Pardonne, ô Seigneur, Toi qui aimes les hommes,


à ceux qui nous haïssent et nous font du mal. Bénis
ceux qui nous font du bien. Accorde à nos frères,
sœurs et amis tout ce qu'ils demandent pour leur salut
et la vie éternelle. Visite et guéris les malades. Libère
les prisonniers. Guide ceux qui sont en mer. Fais route
avec les voyageurs... Sur ceux qui se sont recom-
mandés à nos prières, malgré notre indignité, que Ta
bonté se répande largement. Souviens-Toi, Seigneur,
de nos parents, de nos frères et sœurs défunts, et
donne-leur le repos dans la lumière de Ta face •.

La méditation méthodique, telle qu'elle est prati-


quée chez les jésuites, les sulpiciens, les salésiens et
d'autres, très répandue en Occident depuis la Contre-
Réforme, n'est pas dans le caractère de la spiritualité
orthodoxe. La lecture de la Bible et celle des Pères est
largement conseillée, et toujours lentement et attenti-
vement; cependant cet exercice, tout excellent qu'il
soit, ne constitue pas une prière et n'a jamais été
systématisé en •méthode•. Chacun doit lire de la
façon qui lui sera la plus utile.
Mais si les orthodoxes ne pratiquent pas la médita-
tion discursive, une autre forme de prière privée est,
depuis des siècles, prépondérante dans la vie de l'or-
thodoxie: c'est la Prière de Jésus: Seigneur Jésus-
Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, (pécheur).
Puisqu'il est parfois dit que l'orthodoxie ne prête pas
assez d'attention à la personne du Christ incarné, il est
394 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

donc nécessaire et utile de faire remarquer que cette


Prière de Jésus - la plus classique de toutes les prières
orthodoxes - est essentiellement christocentrique,
adressée à Jésus, centrée sur Sa personne. Ceux qui
ont été élevés dans la tradition de la Prière de Jésus ne
peuvent jamais oublier un moment la centralité de
l'Incarnation du Christ.
La Prière de Jésus peut s'accompagner de l'emploi
d'un chapelet, généralement en laine ou en corde, de
telle sorte qu'au contraire du rosaire occidental, il est
parfaitement silencieux.
Cette prière est d'une souplesse merveilleuse :
excellente pour les débutants, elle est également la
prière qui conduit aux plus profonds mystères de la
vie contemplative. Elle peut être employée • par n'im-
porte qui, n'importe quand et n'importe où • : lors-
qu'on fait la file, en marchant, en voyageant, dans les
trains ou les bus, au travail, lors d'insomnies, en
périodes de particulière anxiété, lorsqu'on ne peut
concentrer sa pensée sur d'autres formes de prière.
Mais si, naturellement, tout chrétien peut dire cette
Prière de cette manière à ses moments perdus, autre
chose est de la réciter plus ou moins continuellement
et d'utiliser les exercices physiques qui y sont asso-
ciés. Les écrivains spirituels orthodoxes ont toujours
insisté pour que l'usage systématique de cette prière
soit, dans toute la mesure du possible, entrepris sous
la guidance d'un directeur expérimenté et surtout pas
de sa propre initiative.
Il vient un moment où il est parfois donné à
quelques-uns de connaître la prière « de l'intérieur du
cœur • ; on ne la récite plus alors d'un effort délibéré,
car elle est devenue spontanée, c'est ainsi qu'on peut
la dire en écrivant, en parlant, durant le sommeil, au
réveil. Ainsi que le dit saint Isaac le Syrien :
« Quand l'Esprit Saint demeure dans un homme,

celui-ci ne cesse de prier, car l'Esprit Saint prie tout le


La, prière de l'Église: fêtes, jeunes, prières 395

temps en lui. Que cet homme dorme ou qu'il veille, la


prière, désormais, ne quitte jamais son âme. Qu'il
mange ou qu'il boive, qu'il se couche, quoi qu'il fasse,
et jusque dans le sommeil profond, le parfum de la
prière est comme la respiration spontanée de son
cœur6»
L'orthodoxe croit que le pouvoir de Dieu est
présent dans le Nom de Jésus et l'invocation du Nom
divin agit comme « un signe effectif de l'action de
Dieu, doué d'un pouvoir sacramenteF. •

« Le Nom de Jésus, contenu dans le cœur de

l'homme, lui communique la puissance de la déifica-


tion ... la lumière du Nom de Jésus, par la médiation
du cœur, éclai_re tout l'univers8. •

La Prière de Jésus est une grande source de joie et


un grand réconfort pour ceux qui la pratiquent conti-
nuellement ainsi que pour ceux qui ne l'emploient
qu'occasionnellement. Ainsi qu'il est écrit dans les
Récits d'un Pèlerin russe :
« Voilà comment je vais, maintenant, disant sans

cesse la prière de Jésus, qui m'est plus chère et plus


douce que tout au monde. Parfois je fais plus de
soixante-dix verstes par jour et je ne sens pas que je
vais ; je sens seulement que je dis la prière. Quand un
froid violent me saisit, je dis ma prière avec plus d'at-
tention et je suis tout réchauffé. Si la faim devient trop
forte, j'invoque plus souvent le Nom de Jésus et je ne
me rappelle plus avoir eu faim. Si je me sens malade
et que mon dos ou mes jambes me fassent mal, je me

6. Isaac le Syrien, Œuvres sptrituelles, Discours 85, Paris, 1981,


p. 438-439 [Traduction, modifiée ici).
7. Un moine de l'Eglise d'Orient, La prière de Jésus, Cheve-
togne, 1952, p. 87.
8. S. Boulgakov, L'Orthodoxte, 3• éd., Lausanne, 1980, p. 164.
396 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

concentre dans la prière et je ne sens plus la douleur.


Lorsque quelqu'un m'offense, je ne pense qu'à la
bienfaisante prière de Jésus. Aussitôt colère ou peine
disparaissent, et j'oublie tout ... Grâce à Dieu je
comprends clairement maintenant ce que signifie la
parole de l'Apôtre que j'entendis jadis: Priez sans
cesse [1 Thessaloniciens 5, 17)9. •

9. Récits d'un pèlerin russe, trad. J. Laloy, éd. du Seuil(• Points.


Sagesses; 14 •), Paris, 1978, p. 39-40.
16
L'Église orthodoxe
et la réunion des chrétiens

Sur les hauteurs de leurs vies spiri-


tuelles, les saints n'ont-ils pas franchi les
murs qut nous séparent, ces murs qui,
selon cette belle parole du métropolite
Platon de Kiev,
ne montent pas Jusqu'au cte/?
Métropolite Euloge

L'unité est une chose déjà donnée


et un but à atteindre.
. Père Serge Boulgakov

La plus grande et la plus prometteuse


des • vertus œcuméniques • est la patience.
Père Georges Florovsky

L'Église Une, Sainte, Catholique


Que voulons-nous dire ?

L'Église Orthodoxe se croit en toute humilité • la


sainte Église catholique et apostolique• du Credo.
C'est la conviction fondamentale qui est à la base des
398 l 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

relations des orthodoxes avec les autres chrétiens. Il


peut y avoir des divisions entre chrétiens, mais l'Église
elle-même n'est pas et ne peut pas être divisée.
Il peut sembler que cet exclusivisme des Ortho-
doxes exclut tout • dialogue œcuménique • réel et tout
travail constructif de réunion. Et pourtant il serait faux
de tirer une telle conclusion car, et cela est suffisam-
ment paradoxal, depuis les années 1920, il y a eu de
nombreux contacts enèourageants et fructueux entre
les chrétiens orthodoxes et les autres. Il reste d'im-
menses obstacles, mais d'importants progrès ont
pourtant été enregistrés en vue d'une réconciliation.
Si les orthodoxes disent qu'ils sont la seule Église
véritable, quelle est pour eux la situation des chrétiens
non-orthodoxes ? Tous les orthodoxes ne répondront
pas de la même façon à cette question, car si prati-
quement tous les orthodoxes sont d'accord sur la
doctrine fondamentale de l'Église, ils ne sont pas tous
du même avis quant à ses conséquences pratiques.
Un premier groupe, assez modéré, comprend la
plupart des orthodoxes qui ont eu des contacts
personnels avec les autres chrétiens. Pour ce groupe,
bien qu'il soit juste de dire que l'Orthodoxie est
l'Église, il est faux d'en conclure que ceux qui ne sont
pas orthodoxes n'appartiennent pas du tout à l'Église.
Beaucoup sont membres de l'Église parmi ceux qui ne
le paraissent pas de prime abord : il existe des liens
invisibles en dépit des séparations apparentes. L'Esprit
de Dieu souffle où Il veut et; comme le dit saint
Irénée, là où est !'Esprit, là est l'Eglise. Nous savons où
est l'Église, mais nous ne pouvons être certains de là
où elle n'est pas ; par conséquent, ainsi que
Khomiakov l'a dit avec force, nous ne devons pas
juger les chrétiens non orthodoxes :
• Parce que l'Église terrestre et visible n'est pas
encore la plénitude et l'achèvement de toute l'Église,
telle que le Seigneur l'a désignée pour apparaître au
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 399

jugement final de toute la création, elle n'agit et ne


connaît qu'à l'intérieur de ses propres limites; elle ne
juge pas le reste de l'humanité et ne considère exclus,
c'est-à-dire ne lui appartenant pas, que ceux qui se
veulent exclus. Elle laisse au jour du jugement le reste
de l'humanité, qu'il lui soit étranger ou qu'il lui soit
rattaché par des liens que Dieu n'a pas jugé bon de
lui révéle~. »
Il n'y a qu'une seule Église, mais il y a de nom-
breuses façons de lui être attaché et de nombreuses
façons d'en être séparé. Certains non-orthodoxes sont
très proches de l'orthodoxie, d'autres le sont moins ;
certains sont sympathisants, d'autres indifférents ou
hostiles aux orthodoxes. Par la grâce de Dieu l'Église
orthodoxe possède la plénitude de la vérité (c'est ce
que ses fidèles sont tenus de croire), mais d'autres
communions chrétiennes possèdent aussi une certaine
part d'orthodoxie. Il faut tout prendre en considération:
on ne peut se borner à dire que tous les non:-0rtho-
doxes sont en-dehors de l'Église et on ne peut traiter les
autres chrétiens sur le même pied que des incroyants.
Si certains adoptent ce point de vue modéré, il
existe toutefois un groupe plus rigoriste pour qui,
!'Orthodoxie étant l'Église, qui n'est pas orthodoxe ne
peut être membre de l'Église. C'est ainsi que le métro-
polite Antoine Khrapovitsky, le premier chef de
l'Église russe hors frontières, et l'un des plus distin-
gués parmi les théologiens russes du début du siècle,
a écrit dans son catéchisme :
• QUESTION : Est-il possible d'admettre une division
quelconque dans l'Église ou entre les Églises ?
RÉPONSE : Jamais. Les hérétiques et les schisma-
tiques se sont séparés de l'Église indivisible et ont par
conséquent cessé d'être membres de l'Église. Mais

1. L'Église est une, section 2 . L'italique n'est pas dans l'original.


400 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

l'Église elle-même ne peut jamais perdre son unité


garantie par la promesse du Christ2. •.
De toute évidence, ajoute pourtant ce groupe plus
strict, la grâce divine peut agir parmi de nombreux
non-orthodoxes et s'ils aiment Dieu sincèrement, alors
nous pouvons être sûrs que Dieu aura pitié d'eux,
mais ils ne peuvent pas, dans leur situation actuelle,
être appelés membres de l'Église. Ceux qui travaillent
pour l'unité chrétienne et ne rencontrent pas souvent
des représentants de cette école rigoriste ne devraient
pas oublier qu'une telle opinion est partagée de nos
jours par des orthodoxes d'une grande sainteté et d'un
amour compatissant.
Parce qu'ils sont persuadés que leur Église est
l'Église véritable, les orthodoxes ne peuvent avoir
qu'un seul désir: la réconciliation de tous les chré-
tiens avec l'Orthodoxie. Mais il ne faudrait pas penser
que les orthodoxes désirent une soumission à
quelque centre particulier de pouvoir ou de juridic-
tion. Selon les paroles du père Serge Boulgakov,
« L'Orthodoxie tend non pas à soumettre mais à ouvrir
l'intelligence3. • L'Orthodoxie est une famille d'Églises-
sœurs non centralisées dans leur structure, ce qui
permet à chacune des communautés de s'intégrer à
l'orthodoxie sans que leur autonomie en souffre.
L'Orthodoxie désire l'unité dans la diversité, non l'uni-
formité, l'harmonie dans la liberté, non l'absorption. Il
y a place au sein de l'Église orthodoxe pour de
nombreux modèles culturels, pour beaucoup de
formes liturgiques et même pour bien des systèmes
différents d'organisation externe.
C'est seulement en matière de foi que l'orthodoxie
ne tolère pas la diversité. Avant qu'il puisse y avoir

2. L'italique n'est pas dans l'original.


3. S. Boulgakov, L'Ortbodoxte, trad. C. Andronikof, Lausanne
1980, p. 210.
L'Église orthodoxe et la 'Yéunion des ch'Yétiens 401

une réunion des chrétiens, il doit y avoir une parfaite


concordance de foi. C'est le principe qui sert de base
aux orthodoxes dans tous leurs rapports œcumé-
niques. C'est l'unité de foi qui importe et non pas
l'unité d'organisatio n; conserver l'unité d'organisation
au prix d'un compromis avec les dogmes, c'est rejeter
le fruit et conserver la coquille. Les orthodoxes ne
sont pas d'accord de prendre part à une réunion
« minimum .. qui assurerait un accord sur quelques
points seulement et laisserait le reste à l'opinion
privée. Il ne peut y avoir qu'une seule base pour
l'union: c'est la plénitude de la foi. Mais en même
temps, comme nous l'avons réaffirmé précédemment,
il y a une distinction vitale entre la Tradition et les
traditions, entre l'essentiel de la foi et les opinions
théologiques. Nous recherchons l'unité dans la foi,
non dans les opinions ou dans les coutumes.
Ce principe de base : pas de réunion sans unité de
la foi, a un corollaire important: tant que l'unité de
foi n'est pas réalisée, il ne peut y avoir de communion
sacramentelle. La communion à la Table du Seigneur
(c'est ce que croient la plupart des Orthodoxes) ne
peut pas être utilisée comme un moyen pour assurer
l'unité de la foi, mais doit venir comme la consé-
quence et le couronneme nt de l'unité réalisée.
L'Orthodoxi e rejette le concept d'intercomm union
entre les communauté s chrétiennes séparées et n'ac-
cepte aucune forme de fraternité sacramentelle en
dehors d'une communion plénière. Ou bien les
Églises sont en communion les unes avec les autres
ou elles ne le sont pas. Il ne peut y avoir de moyen
terme. On pense souvent que les Anglicans et les
Vieux-Catholiques sont en communion avec l'Église
orthodoxe, mais ce n'est pas le cas. Même si nous le
regrettons profondéme nt, nous ne pouvons pas
partager la communion avec les autres chrétiens:
Anglicans, Vieux-Catholiques, Catholiques romains et
402 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

protestants. Nous les orthodoxes, constatons l'exis-


tence de sérieuses difficultés doctrinales qu'il importe
de résoudre d'abord avant qu'il soit possible de
réaliser la fraternité sacramentelle.
Telle est l'attitude orthodoxe fondamentale en ce
qui concerne !'intercommunion, mais en pratique elle
est qualifiée de différentes manières. L'Orthodoxie
n'est pas monolithique sur cette question délicate.
Une petite minorité, non négligable, d'Orthodoxes
considèrent que la position officielle de leur Église sur
le partage sacramentel est bien trop rigide. Ils sont
convaincus que, vu les progrès du cheminement vers
l'unité chrétienne, il faudrait adopter une politique
beaucoup plus ouverte comme cela a été le cas ces
trente dernières années dans le catholicisme romain et
dans l'anglicanisme. La plupart des orthodoxes ne
sont pas d'accord avec cette approche plus • libérale »,
mais ils feraient peut-être des • exceptions • à l'inter-
diction générale dans les cas d'espèce, moins pour
des motifs œcuméniques que pour des raisons
personnelles et pastorales. Virtuellement toutes les
Églises orthodoxes permettent l'intercommunion • par
économie4 », là où des Chrétiens non-orthodoxes dans
l'impossibilité matérielle de recevoir les sacrements de
leur Église peuvent - moyennant une permission
spéciale - recevoir la communion des mains d'un
prêtre orthodoxe. Mais l'inverse est-il vrai? Des ortho-
doxes isolés loin d'une paroisse orthodoxe (ceci est
souvent le cas en Occident) peuvent-ils solliciter la
communion des non-orthodoxes ? La plupart des
autorités orthodoxes répondront par la négative. Mais
en fait cela arrive, parfois avec la bénédiction tacite ou
même explicite d'un évêque orthodoxe. Il y a aussi la

4. Dans le droit canon orthodoxe.Je terme d'économte signifie


un écart par rapport aux règles de l'Eglise, de façon à contribuer
au salut de certaines personnes.
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 403

question des mariages mixtes, une situation humaine


dans laquelle la séparation devant l'autel est particu-
lièrement douloureuse. Là encore certaines mesures
d'intercommunion à travers les frontières ecclésiales
sont permises à l'occasion, mais en aucun cas réguliè-
rement. La grande majorité des orthodoxes insiste
toutefois sur le fait qu'en dépit de la souplesse dans
certains cas, il faut maintenir le principe de base, à
savoir que l'unité dans la foi doit précéder la commu-
nion sacramentelle.

Rapports des orthodoxes avec les autres


communions
Possibilités et problèmes

Les Églises non-chalcédoniennes. Dans la perspec-


tive d'une réunion, les orthodoxes sont tournés
d'abord non pas vers l'Occident, mais vers leurs
voisins en Orient. Les Coptes et les autres non-chalcé-
doniens sont plus proches de nous, tant pour leur
expérience historique, leur doctrine et leur spiritualité,
que n'importe quelle confession chrétienne en
Occident. De tous les dialogues en cours, dans
lesquels l'Église orthodoxe est engagée, c'est celui
avec les non-chalcédoniens qui est le plus fructueux
et le plus susceptible d'aboutir à des résultats concrets
dans un avenir proche.
Des consultations officieuses de théologiens des
deux bords se sont tenues à Aarhus, au Danemark, en
1964 et à Bristol, en Angleterre, en 1967; d'autres
rencontres ont eu lieu à Genève 0970) et Addis
Abeba 0971). Les résultats ont été positifs au-delà des
espérances. Il est devenu clair que, sur la question
fondamentale qui avait historiquement mené à la
404 L'Orlhodoxie, l'Église des sept Conciles

division - la doctrine de la personne du Christ - il n'y


a en fait pas de réel d~saccord. La divergence, comme
cela a été déclaré à Aarhus, se situe uniquement au
niveau de la formulation. ~ Nous reconnaissons l'un
dans l'autre l'unique foi Orthodoxe de l'Église • ont
conclu les délégués,« sur l'essence du dogme christo-
logique, nous nous sommes trouvés totalement d'ac-
cord ». Dans les termes de la consultation de Bristol :
« Certains d'entre nous affirment les deux natures, les

deux volontés et les deux énergies hypostatiquement


unies dans le seul Seigneur Jésus-Christ. Certains
d'entre nous affirment une nature unie, divino-
humaine, une volonté et une énergie dans le même
Christ. Mais les deux parties parlent d'une union sans
confusion ni altération, sans division ni séparations.
Les quatre adverbes appartiennent à notre commune
tradition. Les deux parties affirment la permanence
dynamique de la Divinité et de l'Huma-nité avec
toutes leurs propriétés et facultés naturelles dans
l'unique Christ».
Ces quatre sessions de rencontres officieuses entre
1964 et 1971 ont été suivies de la formation d'une
commission conjointe officielle représentant les deux
familles ecclésiales: cette commission s'est réunie à
Genève en 1985 et au monastère d'Amba Bishoy en
Egypte en 1989, puis ensuite à Genève en 1990. Les
accords doctrinaux réalisés lors des consultations offi-
cieuses ont été réaffirmés, et il a été recommandé à
chacune des parties de lever tous les anathèmes et
toutes les condamnations prononcées dans le passé
contre l'autre partie. Des difficultés demeurent parce
que, à l'intérieur de chaque camp, tout le monde ne
juge pas aussi positivement les résultats du dialogue :
en Grèce par exemple, certains persistent à considérer

5. Ici la consultation de Bristol utilise le langage du Concile de


Chalcédoine (451) voir plus haut p. 37.
L'Église onhodoxe et la réunion des chrétiens 405

les orthodoxes orientaux comme des • hérétiques


monophysites • et de même certains non-chalcédo-
niens persistent à regarder Chalcédoine et le Tome de
Léon comme « nestoriens •. Mais le point de vue offi-
ciel des orthodoxes et des non-chalcédoniens a été
clairement exprimé lors de la rencontre de 1989 :
« Comme deux familles d'Églises orthodoxes, depuis

longtemps coupées de la communion les unes avec


les autres, nous prions maintenant et nous avons
confiance en Dieu, pour restaurer cette communion
sur la base de la foi apostolique de l'Église indivise
des premiers siècles que nous confessons dans notre
commun Credo. • Puisse cette pleine restauration de la
communion sacramentelle être bientôt un fait
accompli!

L'Église de l'Orient. Si les progrès ont été tellement


porteurs d'espoir dans les relations avec les non-chal-
cédoniens, est-ce qu'on ne pourrait pas de la même
façon guérir les anciennes divisions entre les ortho-
doxes et l'Église de l'Orient (les Assyriens)? La sépa-
ration s'est produite pour des raisons historiques
plutôt que doctrinales, plus par manque de contacts
mutuels qu'en raison d'une controverse proprement
théologique, malgré, naturellement, le problème du
Concile d'Ephèse (431) et le titre de Théotokos6. Le
moment d'une réconciliation n'est-il pas encore venu?
La difficulté vient du fait que les Assyriens sont main-
tenant bien moins nombreux parce qu'ils ont souffert
tragiquement, beaucoup ont été massacrés par les
Turcs entre 1915 et 1918. Dispersés à l'étranger ou
sinon - s'ils habitent encore dans leurs patries, l'Irak
ou l'Iran - en butte à de nombreuses restrictions, ils
manquent de porte-parole théologiens. En fait, une

6. Voir plus haut p. 35-36.


406 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

réunion partielle entre l'Église de l'Orient et les ortho-


doxes a eu lieu en 1898, lorsque Mar Yonan, évêque
d'Urmia en Perse, fut reçu dans la communion de
l'Église russe 7 avec une grande partie de ses fidèles.
Les Assyriens semblent n'avoir alors éprouvé aucune
difficulté à accepter le terme de "Theotokos". Sans
aucun doute, des facteurs politiques furent pour une
part dans la décision de 1898, mais un siècle plus tard,
ne pourrait-on aboutir un nouvel acte d'union,
exempt de pressions du pouvoir séculier ?

L'Église Catholique romaine. Parmi les Chrétiens


d'Occident, c'est avec les anglicans que les orthodoxes
ont eu les relations les plus cordiales durant les cent
dernières années, mais c'est avec les catholiques
romains qu'ils ont le plus en commun, et de loin. Il est
bien sûr des questions doctrinales et canoniques qui
doivent être clarifiées entre l'Orthodoxie et Rome, en
particulier le Filioque et les revendications papales,
auxquelles certains orthodoxes ajouteraient encore le
purgatoire et l'immaculée Conception. Les catholiques
romains, pour leur part, interpelleraient les ortho-
doxes sur la pratique concernant le divorce et la
distinction palamite entre l'essence et les énergies de
Dieu. Moins explicites, mais peut-être tout aussi
importantes, sont les différences dans la mentalité et la
méthode théologique. Les orthodoxes craignent
souvent que la théologie scolastique latine ne fasse un

7. Sur ce sujet, voir le livre fascinant de J.F. Coakley, 1be


Church of the East and the Church of England: A History of the
Archbishop of Canterbury's Assyrlan Mission, Oxford 1992, en
particulier p. 218-233. Visitant le couvent russe de Spring Valley
près de New York en 1960, j'eus le plaisir de rencontrer un survi-
vant de l'union de 1898, lui aussi appelé Mar Yonan. Prêtre marié,
il devint évêque après la mort de sa femme. Lorsque je demandai
aux moniales quel âge il pouvait avoir, il me fut répondu : • Il dit
qu'il a 102 ans, mais ses enfants le croient beaucoup plus âgé ! •
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 407

usage trop abondant de concepts juridiques, et qu'elle


se fie trop lourdement aux catégories rationnelles et à
l'argumentation par syllogismes, tandis que les Latins,
pour leur part, trouvent l'approche plus mystique de
l'Orthodoxie trop vague et mal définie. Au-delà des
différences dans la doctrine et la méthode théolo-
gique, il est aussi des barrières psychologiques qu'il ne
faudrait pas sous-estimer. Durant ce xx.e siècle, beau-
coup de personnes encore en vie s'en souviennent,
catholiques et orthodoxes se sont affrontés en
Pologne, en Slovaquie, en Croatie et en Ukraine,
subissant la violence et même mis à mort les uns par
les autres, et ces conflits lourds de conséquences se
prolongent dans les années 1990.
Mais cela étant, il demeure vrai que les deux
parties ont énormément en commun. Nous croyons
tous deux en un Dieu Trinitaire, en Jésus-Christ
comme Dieu incarné, nous reconnaissons
l'Eucharistie comme le vrai Corps et le vrai Sang du
Sauveur, nous avons une même dévotion envers la
Mère de Dieu et les Saints et nous prions tous pour
les fidèles défunts. Les orthodoxes peuvent recon-
naître avec gratitude les tentatives iréniques de pion-
niers du côté catholique romain comme André
Cheptitsky (1865-1944), métropolite grec-catholique
de Lviv en Ukraine, et de Dom Lambert Beauduin
(1873-1960), qui en 1925 fonda le "prieuré de
l'union .. à Amay-sur-Meuse (il se transporta à
Chevetogne en 1939). Cette communauté, élevée
récemment au rang d'abbaye, pratique deux rites: le
latin et le byzantin. Elle accueille beaucoup de visi-
teurs et d'amis orthodoxes et publie une excellente
revue Irenikon. La théologie orthodoxe a aussi béné-
ficié grandement du renouveau des études patris-
tiques dans l'Église catholique romaine, en particulier
des travaux de savants comme Henri de Lubac, Jean
Daniélou et Hans Urs von Balthasar.
408 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Les changements apportés dans l'Église catholique


romaine au deuxième Concile du Vatican (1962-65)
ont rendu possible un rapprochement progressif entre
Rome et l'orthodoxie au niveau officiel. En 1964, le
pape Paul VI et le patriarche Athénagoras eurent une
rencontre historique à Jérusalem - c'était la première
fois qu'un pape et un patriarche œcuméniq ue se
rencontra ient en tête à tête depuis le concile de
Florence (1438-1439). Le 7 décembre 1965 eut lieu la
levée solennelle des anathèmes, en des cérémonies
tenues simultané ment à Rome par le Concile du
Vatican et à Constantinople par le Saint-Synode. Ce
n'était qu'un geste symbolique, puisqu'il ne rétablis-
sait pas en lui-même la communion entre les deux
parties. Mais il ne faut jamais sous-estimer la valeur
des gestes symboliqu es pour rétablir la confiance
mutuelle.
En 1980, la réunion inaugurale de la Commission
internationale conjointe pour le dialogue théologique
entre l'orthodoxie et Rome se tint sur les îles grecques
de Patmos et de Rhodes et, entre 1982 et 1988, la
commission produisit trois textes importants adoptés
conjointement, concernant l'Église, les sacrements et
la succession apostolique. Sans traiter directement du
Filioque ou des prétentions papales, ces documents
fournissent une base solide pour une discussion future
de ces questions controversées. Malheureusement, à la
fin des années 1980, la commission s'est heurtée à des
difficultés à cause des tensions croissantes entre les
orthodoxe s et les catholique s de rite oriental en
Ukraine et ailleurs, et la réunion prévue pour 1992 a
dû être annulée. Il y a eu une autre rencontre en 1993,
puis une fois encore la discusssion a été interrompue.
Le pape Jean-Paul II et le patriarche Bartholomé sont
tous deux très engagés pour reprendre le dialogue,
mais il est clair que le travail de rapprochement n'en
est encore qu'à ses débuts.
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 409

La question cruciale entre l'orthodo xie et Rome est


certainem ent la concepti on du ministère du pape à
l'intérie ur de l'Église. Nous les orthodo xes, ne
pouvons admettre les définitions du premier Concile
du Vatican, promulg uées en 1870 et concerna nt l'in- .
faillibilité et la juridictio n suprême universe lle du
pape. Ces définitions ont été réaffirmées avec force
par le deuxièm e Concile du Vatican, qui plaçait toute-
fois les revendic ations papales dans un nouveau
contexte , en insistant égaleme nt sur la collégialité des
évêques. L'Orthodoxie le reconnaît, dans les premiers
siècles de l'Église, Rome était préémine nte dans son
ferme témoign age de la vraie foi. Mais nous ne
croyons pas que, dans son ministère d'enseign ement,
le Pape possède un charisme, un don ou une grâce
spéciale, qui n'est pas accordé à ses frères les autres
évêques. Nous le reconnai ssons comme premier, mais
seuleme nt comme premier entre égaux. Il est le frère
aîné, non le chef suprême . Nous ne considér ons pas
que, dans les dix premiers siècles de l'Église, le pape
possédai t un pouvoir de juridiction direct et immédiat
dans l'Orient chrétien et, en conséque nce, nous consi-
dérons qu'il est impossib le de lui accorder un tel
pouvoir aujourd'h ui.
Pour des oreilles catholiqu es romaines, cela peut
sembler négatif et peu utile. Mais au lieu de dire ce
que les orthodox es n'accepte ront pas, demando ns-
nous en termes positifs ce que la nature de la primauté
du pape est d'un point de vue orthodox e. Assurément,
nous orthodox es, voudrion s être désireux d'assigne r
au Pape, dans une chrétienté réunie, non pas seule-
ment une préémine nce d'honneu r, mais une sollici-
tude apostoli que universe lle. Nous voudrion s lui
reconnaî tre le droit, non seuleme nt d'accept er des
appels de tout le monde chrétien, mais même de
prendre l'initiative en cherchan t des remèdes et des
solution s quand la crise et le conflit survienn ent
410 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

quelque part entre les chrétiens. Nous envisageons


qu'en de telles occasions, le pape agisse non pas isolé-
ment, mais toujours en concertation étroite avec ses
frères évêques. Nous souhaiterions voir son ministère
se traduire en termes pastoraux plutôt que juridiques :
encourager plutôt que contraindre et consulter plutôt
qu'exercer une coercition.
En 1024, le patriarche Eustathe de Constantinople
suggér a au pape Jean XIX la formul e suivant e,
distinguant entre la primauté de Rome et celle du
patriarcat œcumé nique: « Que l'Église de Constan-
tinople soit appelée et considérée comme universelle
dans sa propre sphère comme Rome l'est à travers le
mondes"· La commission conjointe orthodoxe/catho-
lique romaine ne pourrait-elle prendre ceci comme
base de discussion pour une future rencontre ?

Les Vieux-catholiques. Bien que les origines de


l'Église vieille-catholique remontent au début du dix-
huitième siècle, elle ne prit sa forme actuelle que dans
les années 1870 et 1880, lorsqu'elle fut rejointe par un
assez grand nombre de catholiques romains qui ne
pouvaient accepter les décisions du concile Vatican I
concer nant la papaut é. Les vieux-c atholiq ues en
appelan t à la foi de l'Église indivise, exempt e de ce
que les papes y ont ajouté par la suite ont naturelle-
ment regardé avec sympathie du côté de l'Orient chré-
tien. D'importantes conférences entre les vieux-catho-
liques et les orthodoxes (les anglicans s'y joignirent
également) se tinrent à Bonn en 1874 et 1875. C'est là,
ainsi qu'à une rencontre entre orthodoxes et vieux-
catholiques à Bonn en 1931, que les deux parties se
trouvèrent avoir des points de vue fort semblables.
Une commission théologique internationale conjointe

8. Raoul Glaber, Htstortarum ltbrl qutnque, N, 1. (PL 142,


671A).
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 411

représentant les deux Églises, qui se réunit entre 1975


et 1987, arriva à un accord détaillé sur nombre de
questions : la Trinité, la Christologie, la doctrine de
l'Église et des sacreme nts. Malgré cela, aucune
démarch e concrète n'a été entrepris e pour établir
l'unité visible. D'un point de vue orthodoxe, la situa-
tion est compliqu ée par la pleine commun ion établie
depuis 1931 entre les vieux-catholiques et les angli-
cans. Pour nous, la question de l'union entre vieux-
catholiq ues et orthodox es ne peut pas être réglée
séparém ent. Ce n'est que si l'Église orthodox e en
vient à un accord avec les anglicans, qu'elle peut
mettre en pratique son accord avec les vieux-catho-
liques.

La commun ion anglicane. Le début du dialogue


international orthodoxes-luthériens remonte à 1981 et
celui du dialogue international orthodoxes-réformés à
1988, tandis qu'en 1992 on a commen cé à préparer un
dialogue orthodox es-méth odistes. Mais bien plus
importante pour les orthodoxes est leur longue rela-
tion avec les anglicans. Dès le début du dix-septième
siècle, il s'est toujours trouvé des anglicans pour qui la
réforme élisabét haine n'a jamais représen té plus
qu'un règleme nt provisoi re et qui en appelaie nt,
comme les vieux-catholiques, à des Conciles géné-
raux, aux Pères et à la tradition de l'Église indivise.
Que l'on pense à l'évêque John Pearson (1613-1686)
qui suppliait : « Cherchez comment les choses étaient
au commen cement, allez à la source, étudiez les
temps anciens• . Ou à l'évêque Thomas Ken (1637-
1711), le non-jureur, qui disait : « Je meurs dans la
sainte foi catholiq ue et apostolique, professée par
toute l'Église avant la désunion de l'Orient et de
l'Occident ». Cet appel à la foi de l'Église ancienne a
conduit beaucou p d'anglic ans à considér er avec
sympathie et intérêt l'Église orthodoxe, et a également
412 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

amené de nombreux orthodoxes à considérer avec


intérêt et sympathie l'anglicanisme. Suite aux travaux
de pionniers anglicans tels William Palmer (1811-
1879)9, J.M. Neale (1818-1866) et WJ. Birkbeck (1859-
1916), de fermes liens de solidarité entre anglicans et
orthodoxes furent établis à la fin du dix-neuvième
siècle.
L' Eastern Church Association fut fondée en
Grande-Bretagne en 1863, plus particulièrement à
l'initiative de Neale. Connue maintenant sous le nom
d'Anglican and Eastern Churcbes Association, elle
publie un périodique, Eastern Cburches News Letter,
et favorise les contacts entre anglicans et l'Orient chré-
tien par des pèlerinages et des réunions. Une société
plus récente, la Fellowship of St Alban and St Sergius,
fondée en 1928, comme une branche de l'Action
Chrétienne des Etudiants, poursuit des buts similaires.
Elle publie une revue importante, Sobornost. Elle tient
une conférence annuelle qui fut fréquentée dans le
passé par d'aussi éminents théologiens orthodoxes
que Boulgakov, Lossky et Florovsky, et du côté
anglican par l'archevêque Michael Ramsey (1904-
1988), un fervent et loyal mais néanmoins critique
admirateur des orthodoxes ; elle continue à être un
forum pour faire avancer la cause de l'unité en
forgeant des amitiés personnelles solidesIO.
D'importantes conférences officielles entre les
Églises anglicane et orthodoxe se tinrent à Londres en
1930 et 1931 et à Bucarest en 1935. Cette dernière
représente à maints égards le plus haut point du
rapprochement entre anglicans et orthodoxes. Au
sortir de cette réunion les délégués affirmèrent :
« Nous avons posé les bases d'un plein accord sur les

9. qui fut reçu dans l'Église catholique romaine en 1855.


10. Voir Nicolas et Militza Zernov, Tbe Fe//owsbtp of St Alban
and St Sergius: a Htstorlcal Memoir, Oxford 1979.
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 413

dogmes entre la communion orthodoxe et la commu-


nion anglicanell. » Rétrospectivement, ces paroles
apparaissent trop optimistes et la conférence tenue à
Moscou en 1956 entre l'Église d'Angleterre et l'Église
russe - qui n'avait pas été représentée lors des
rencontres des années trente - fut nettement plus
prudente12.
Dans l'entre-deux-guerres, les orthodoxes ont
consacré beaucoup d'attention à la question des
ordres anglicans. Après la condamnation des ordina-
tions anglicanes par le pape Léon XIII en 1896 dans
son encyclique Apostolicae Curae, beaucoup d'angli-
cans espéraient en revanche persuader l'Église ortho-
doxe de reconnaître la validité de leurs ordinations
sacerdotales et épiscopales. En 1922, le patriarche
œcuménique Meletios IV (Metaxakis) publia une
déclaration affirmant que les ordres anglicans ont la
même validité que ceux des Églises romaine, vieille-
catholique et arménienne, dans la mesure où on y
trouve toutes les composantes essentielles qui sont
considérées comme indispensables d'un point de vue
orthodoxe13. Des affirmations également positives
furent émises dans les mêmes termes par les Églises
de Jérusalem 0923), de Chypre 0923), d'Alexandrie
0930) et de Roumanie 0936). Mais aucune de ces
Églises ne semble avoir fait suivre d'effets pratiques
ces actes de reconnaissance. Les prêtres anglicans qui
entrent dans l'Église orthodoxe, s'ils sont appelés à
servir comme prêtres, sont toujours réordonnés,
tandis que dans le cas des prêtres catholiques romains
qui deviennent orthodoxes, il n'y a généralement pas
de réordination.
11. E.R. Hardy, éd. Ortbodox Statements on Anglican Orders,
Londres-Oxford 1946, p. 35.
12. Cf. H.M. Waddams, éd. Anglo-Russtan Tbeologtcal
Conference, Moscow, July 1956, Londres 1958.
13. Hardy, éd. Ortbodox Statements on Angltcan Orders, p. 2.
414 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Depuis la guerre, aucune autre Église orthodoxe n'a


fait de déclaration en faveur de la reconnaissance des
ordinations anglicanes. En 1948, le Patriarcat de Moscou,
dans une déclaration officielle, concluait par la négative,
disant : • L'Église orthodoxe ne peut pas reconnaître
l'exactitude de la doctrine anglicane sur les sacrements
en général et particulièrement sur celui de l'ordination,
et par conséquent elle ne peut pas reconnaître la validité
des ordinations anglicanes. • Mais on ajoutait une note
d'espoir pour l'avenir: si l'Église anglicane adoptait offi-
ciellement une confession de foi que l'Église orthodoxe
pourrait reconnaître comme pleinement orthodoxe,
alors la question pourrait être réexaminée et une
reconnaissance éventuelle serait peut-être possibJe14.
Il est significatif que, dans cette déclaration, le
Patriarcat de Moscou refuse de traiter isolément la
question de la validité des ordinations, mais insiste
pour situer la question dans le contexte global de
toute la foi de l'Eglise anglicane. Pour l'Orthodoxie, la
validité des ordinations ne dépend pas simplement de
certaines conditions techniques à remplir (posséder la
succession apostolique, forme, matière et intention
correctes). Les orthodoxes demandent aussi: quel est
l'enseignement général sur les sacrements de la
communauté chrétienne en question? Que croit-elle
concernant la signification doctrinale de la succession
apostolique et du sacerdoce ? Comment comprend-
elle la présence eucharistique et le sacrifice eucharis-
tique ? Ce n'est que lorsque ces questions auront
reçu une réponse qu'une décision pourra être prise
concernant la validité ou non des ordinations.
Considérer séparément le problème des ordres
valides, c'est s'engager dans une impasse. Réalisant

14. Paul B. Anderson, éd. Major Portions of the Proceedtngs of


the Conference of Heads and Representatives of Autocepbalous
Ortbodox Cburcbes... 8-18July 1948, Paris 1952, p. 239.
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 415

cela, les anglicans et les orthodoxes, à partir des


années 1950, ont laissé de côté la question des ordi-
nations valides pour se concentrer sur des thèmes
plus fondamentaux et plus centraux de la doctrine.
Un dialogue théologique officiel impliquant toutes les
Églises Orthodoxes et toute la communion anglicane a
commencé en 1973. Malgré une crise dans les pourpar-
lers en 1977-1978, due à l'ordination de femmes-prêtres
dans plusieurs Églises anglicanes, le dialogue continue.
Deux déclarations conjointes ont été signées, à Moscou
en 1976 et à Dublin en 1984. Elles contiennent des para-
graphes admirables sur l'Ecriture et la Tradition, par
exemple, sur les conciles, la communion des saints et
les icônes. Mais il faut avouer que ces deux déclarations
ne sont encore jusqu'à présent que des accords sur le
papier, et on est déçu de constater leur peu d'effet sur la
vie des deux Églises. Il semble souvent que le dialogue
anglicano-orthodoxe ait lieu dans le vide.
Du point de vue orthodoxe, le principal obstacle à
des relations plus étroites avec la communion angli-
cane est la grande diversité de l'anglicanisme, l'extrême
ambiguité des formulaires anglicans, la grande variété
d'interprétation qu'ils permettent. Il est des anglicans
dont la foi est pratiquement celle des Orthodoxes, mais
il y en a d'autres, à l'intérieur de la communion angli-
cane, dans l'aile la plus libérale, qui refusent manifeste-
ment des éléments fondamentaux dans la doctrine et
l'enseignement moral du Christianisme. C'est cette
déconcertante variété à l'intérieur de l'anglicanisme qui
rend les relations entre anglicans et orthodoxes si
pleines d'espoir et si insaisissables.
Ainsi qu'il apparaît dans deux remarquables
brochures, Orthodoxy and the Conversion of England
par Derwas Chitty15 et Anglicanism and Orthodoxy

15. Première édition en 1947, nouvelle édition par Edward


Every, The Anglo-Orthodox Society, Colchester 1990.
416 · l'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

par H.A. Hodges, certains anglicans sont très proches


de la foi orthodoxe. Ces deux auteurs ont été des
membres actifs et influents de la Fellowship of St
Alban and St Sergius. « Le problème œcuménique ,
conclut le professeur Hodges, consiste à ramener
l'Occident à un esprit sain, à une vie saine, c'est-à-dire
à l'Orthodoxie ... La foi orthodoxe, cette foi dont les
Pères ont témoigné et dont l'Église orthodoxe est la
gardienne fidèle, est la foi chrétienne dans sa forme
véritable et essentielle16." Mais dans quelle mesure
ces deux auteurs sont-ils représentatifs de l'anglica-
nisme? L'Église orthodoxe, si assoiffée qu'elle soit de
réunion, ne peut pas établir des relations plus proches
avec la communion anglicane tant que les anglicans
eux-mêmes ne seront pas plus précis sur leurs propres
croyances. Les paroles du général Alexandre Kiréev
(1832-1910) sont autant d'actualité aujourd'hui qu'au
début de ce siècle : « Nous les Orientaux, nous dési-
rons sincèrement arriver à un accord avec la grande
Église anglicane, mais nous n'arriverons à cette
heureuse issue ... que si l'Église anglicane devient plus
homogène et que si les doctrines sont identiques dans
chacune de ses composantes17 ...

Le Conseil Œcuménique des Églises. Au début de


chaque célébration de la Divine Liturgie, les Chrétiens
orthodoxes prient« pour la paix du monde entier... et
l'union de tous». Une autre prière orthodoxe dit:
« 0 Christ, Tu as uni Tes apôtres en une union
d'amour et nous Tes serviteurs qui croient en Toi, tu
nous as unis à Toi par le même lien : accorde-nous en
toute sincérité d'accomplir Tes commandements et de
nous aimer les uns les autres .....

16. Ang/tcanism and Ortbodoxy, Londres 1955, p. 46-47.


17. Olga Novikoff, éd. Le général Alexandre Kiréejf et l'ancien-
catbolicisme, Berne 1911, p. 224.
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 417

Cette exhortation à l'unité et à l'amour mutuel a


conduit beaucoup d'orthodox es à participer active-
ment au Conseil Œcuméniq ue des Églises et à d'autres
expression s du Mouvement œcuméniq ue. Mais l'atti-
tude de l'Orthodoxie envers l'œcuménisme demeure
ambivalente. Bien qu'à présent presque toutes les
Églises orthodoxe s soient membres à part entière du
COE, à l'intérieur de chaque église locale, certaines
personnes ressentent fortement qu'être membre du
COE comprom et la revendicat ion de !'Orthodox ie
d'être la véritable et unique Église du Christ. L'opinion
de cette minorité signifiante est qu'il serait mieux pour
les orthodoxe s de se retirer du COE ou du moins de
n'y envoyer que des observateurs.
Depuis le début du xxe siècle, le Patriarca t
Œcuméniq ue a fait preuve d'un souci particulier de la
réconciliation des chrétiens. Lorsqu'il fut élu en 1902,
le patriarche Joachim III envoya une lettre encyclique
à toutes les Églises orthodoxe s autocépha les, leur
demandan t en particulier leur opinion sur les relations
avec les autres confessions chrétiennes. En janvier
1920, le Patriarcat Œcuméniq ue adressa une lettre
courageus e et prophétiqu e • à toutes les Églises du
Christ, où qu'elles soient•, demandan t instamment
une plus étroite collaborat ion entre les chrétiens
séparés et suggérant une alliance des Églises parallèle
à la Société des Nations qui venait d'être fondée. On
trouve dans cette lettre beaucoup d'idées développé es
plus tard dans le Conseil Œcuméniq ue des F:glises.
Constantinople, comme plusieurs des autres Eglises
orthodoxe s, était représentée aux Conférences de Foi
et Constitution (Lausanne 1927 et Edimbourg 1937).
Le Patriarcat œcuméniq ue participa également à la
première assemblée du Conseil Œcuméni que des
Églises à Amsterdam en 1948 et a depuis lors toujours
soutenu le travail du Conseil Œcuméni que des
Églises.
418 L'Orlbodoxie, l'Église des sept Conciles

La Conférence de Moscou qui se tint la même


année (1948) exprima une attitude très différente
envers le COE. « L'objectif du mouvement œcumé-
nique - déclarèrent sans ambages les délégués - tel
qu'il est exprimé dans la formation du Conseil
Œcuménique des Églises, ne correspond ni à l'idéal
de la Chrétienté, ni aux buts de l'Église du Christ, tels
que l'Église orthodoxe les comprendl8. » Toute forme
de participation au COE était dès lors condamnée.
Quelles que soient les raisons théologiques ayant pu
conduire à cette affirmation, les tensions internatio-
nales à l'époque doivent aussi être prises en compte:
on était alors au plus fort de la « guerre froide ». Mais
en 1961, le Patriarcat de Moscou demanda et obtint
son admission au COE, ce qui ouvrit la voie à d'autres
Églises orthodoxes de pays communistes. Depuis lors,
les orthodoxes ont été plus et mieux représentés aux
réunions du COE.
Même s'ils participent aux travaux du COE, les
orthodoxes ont toujours trouvé problématique leur
appartenance à cette assemblée. A plusieurs des
premières réunions, ils ne se sentirent pas le droit de
signer les résolutions principales et firent des déclara-
tions séparées : celle faite par les délégués orthodoxes
à Evanston en 1954 est particulièrement importante.
Depuis 1961, les orthodoxes ont cessé de faire des
déclarations séparées, mais certains verraient d'un
bon œil le retour à la pratique plus ancienne. Les
orthodoxes se sont régulièrement sentis minorisés par
la majorité protestante et ont dû insister sur le fait que
les questions doctrinales ne peuvent pas être résolues
par un vote à la majorité. Ils ont aussi déploré le
peu de considération de bien des assemblées du
COE pour la prière et la spiritualité. Les porte-parole

18. Anderson, éd. Major Portions of the Proceedings, p. 240.


L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 419

orthodoxes considèrent qu'il s'agit là d'un horizonta-


lisme indu du COE ces dernières années et que l'ac-
cent est vraiment trop fortement mis sur les questions
sociales et économiques au détriment de discussions
théologiques sérieuses. Ils ont régulièrement cherché
à rappeler le but premier du COE, à savoir d'être un
lieu de rencontre entre les communautés ecclésiales
en quête du rétablissement de l'unité chrétienne sur la
base d'un accord doctrinal.
Pour les orthodoxes, il est particulièrement impor-
tant que le COE, dans sa charte constitutive, affirme :
« le Conseil Œcuménique des Églises est une fraternité
d'Églises qui confessent le Seigneur Jésus-Christ
comme Dieu et Sauveur et cherchent donc à remplir
ensemble leur commune vocation pour la gloire du
Dieu unique, Père, Fils et Saint Esprit ». Si cette claire
expression de la foi en la divinité du Christ et de la
nature trinitaire de Dieu devait être de quelque
manière que ce soit minimisée, il serait difficile pour
les orthodoxes de demeurer membres à part entière
du COE.
Un autre document de base, d'une importance
particulière pour l'Orthodoxie, le document de
Toronto adopté par le comité central du COE en 1950,
expose prudemment : « Adhérer au COE n'implique
pas d'accepter une doftrine spécifique concernant la
nature de l'unité de l'Eglise ... Adhérer au COE n'im-
plique _pas que chaque Église doiv~ considérer les
autres Eglises membres comme des Eglises au vrai et
plein sens de ce mot •. Ceci rend possible pour les
orthodoxes d'adhérer au COE sans pour autant
renoncer à croire que !'Orthodoxie est l'unique vraie
Église qui seule détient la plénitude de la foi. Les
orthodoxes opposés à l'adhésion au COE arguent que
participer au Mouvement œcuménique, c'est tomber
dans une« pan-hérésie d'œcuménisme » selon laquelle
toutes les confessions chrétiennes sont sur le même
420 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

pied. Mais à la lumière du document de Toronto, on


peut se convaincre qu'être membre du COE n'im-
plique rien de ce genre. Les représentants orthodoxes
aux assemblées du COE ont en fait et à de
nombreuses reprises insisté- souvent au point d'exas-
pérer les autres participants - sur la revendication
orthodoxe d'être la vraie Église, une et unique.
La participation orthodoxe au COE est un facteur
d'une extrême importance pour le Mouvement
œcuménique : c'est la présence des orthodoxes - et à
un moindre degré celle des vieux-catholiques et des
anglicans - qui empêche le mouvement d'apparaître
uniquement comme une alliance pan-protestante.
Mais réciproquement, le mouvement œcuménique est
utile pour l'Orthodoxie. Il a forcé les diverses Eglises
orthodoxes à sortir de leur relatif isolement, les a fait
se rencontrer et entrer en contact vivant avec des chré-
tiens non-orthodoxes. Nous, les orthodoxes, sommes
au Conseil Œcuménique des Églises non seulement
pour porter témoignage de ce que nous croyons, mais
aussi pour écouter ce que les autres ont à dire.

Apprendre les uns des autres

Un jour que Khomiakov cherchait à définir l'attitude


des orthodoxes vis-à-vis des autres chrétiens, dans
une de ses lettres, il se servit d'une parabole. .. Un
maître, en partant, laissa son enseignement à trois
disciples. L'aîné répéta fidèlement ce que son maître
lui avait appris, sans rien y changer. Un des cadets
ajouta à cet enseignement, l'autre en retrancha une
partie. A son retour, le maître, sans se fâcher avec
aucun d'eux, dit aux deux plus jeunes: 'Remerciez
votre frère aîné: sans lui vous n'auriez pas conservé la
vérité que je vous ai donnée'. Ensuite il dit au frère
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 421

aîné : "Remercie tes frères cadets, sans eux tu n'aurais


pas compris la vérité que je t'ai confiée". »
Les orthodoxes pensent en toute humilité qu'ils
sont dans la situation du frère aîné, qu'ils ont, par la
grâce de Dieu, conservé la vérité sans nulle altération:
• sans ajouter ni retrancher ». Ils se réclament d'une
continuité vivante avec l'Église primitive, avec la tradi-
tion des Apôtres et des Pères, et croient qu'il est de
leur devoir, dans un monde chrétien divisé et déso-
rienté, de porter témoignage de la tradition ininter-
rompue qui, bien qu'inchangée, n'en est pas moins
toujours jeune, vivante et nouvelle. Nombreux sont
actuellement les Occidentaux, catholiques et protes-
tants, qui cherchent à se libérer de la cristallisation et
de la sclérose du XVIe siècle, et qui désirent remonter
plus loin que la Réforme et le Moyen Age. De
nombreux chrétiens d'Occident, en réaction contre un
extrême libéralisme qui met en doute tous les ensei-
gnements de la Bible, cherchent à retrouver un point
d'ancrage doctrinal ferme mais évitant le fondamenta-
lisme rigide. C'est précisément en cela que les ortho-
doxes peuvent les aider. L'Orthodoxie est en dehors
du cadre d'idées dans lequel les chrétiens d'Occident
ont vécu durant huit siècles : elle n'a pas connu de
révolution scolastique, de Réforme et de Contre-
Réforme, mais n'a jamais cessé de se mouvoir dans
cette Tradition plus ancienne des Pères que toute une
partie de l'Occident voudrait maintenant retrouver. Tel
est donc le rôle œcuménique de l'Orthodoxie : mettre
en question les formules admises par l'Occident latin,
le Moyen Age et la Réforme. En même temps,
l'Orthodoxie, qui se base non pas sur la lettre de
!'Écriture dans son aspect extérieur, mais sur la façon
dont l'Écriture a été ressentie et vécue par l'Église à
travers les âges, peut offrir une voie médiane entre le
fondamentalisme littéral et le semi-agnosticisme des
libéraux extrêmes.
422 L'Ortbodoxie, l'Église des sept Conciles

Et encore une fois, si nous, orthodoxes, devons


nous acquitter convenablement de cette tâche, nous
devons comprendre notre propre tradition mieux que
nous ne l'avons fait dans le passé et c'est l'Occident, à
son tour, qui peut nous aider à le faire. Nous, ortho-
doxes, devons remercier nos frères cadets, car c'est le
contact avec les chrétiens d'Occident qui nous rend
aptes à nous forger une nouvelle vision de
!'Orthodoxie.
L'Orient et l'Occident commencent seulement à se
découvrir mutuellement et chacun a beaucoup à
apprendre de l'autre. Tout comme dans le passé la
séparation entre l'Orient et l'Occident a été pour les
deux parties une grande tragédie et un grand appau-
vrissement mutuel, de même aujourd'hui les contacts
renoués entre l'Orient et l'Occident sont déjà une
source d'enrichissement mutuel. L'Occident avec ses
normes critiques, sa connaissance biblique et patris-
tique, peut rendre les orthodoxes capables de
comprendre d'une façon nouvelle le substrat histo-
rique des Écritures et de lire les Pères plus soigneuse-
ment et avec plus de discernement. De leur côté, les
orthodoxes peuvent amener les chrétiens occidentaux
à prendre à nouveau conscience du sens profond de
la Tradition en leur faisant voir dans les Pères une
réalité vivante. (L'édition roumaine de la Philocalie
montre quel profit on peut tirer d'une alliance des
normes occidentales critiques et de la spiritualité
orthodoxe traditionnelle). L'exemple de leurs frères et
sœurs occidentaux est un encouragement aux ortho-
doxes qui désirent revenir à l'usage d'une communion
fréquente; beaucoup de chrétiens occidentaux, de
leur côté, ont pu éprouver combien leur prière et
leurs célébrations liturgiques s'approfondissaient par
la connaissance des icônes orthodoxes, de la Prière de
Jésus et de la Liturgie byzantine. Pendant les soixante-
dix dernières années, l'Église orthodoxe, persécutée
L'Église orthodoxe et la réunion des chrétiens 423

en Russie et ailleurs, a rendu service à l'Occident en


lui rappelant la signification essentielle du martyre et a
constitué un vivant témoignage de la valeur de la
souffrance créatrice. Maintenant que les Églises ortho-
doxes dans les anciens pays communistes se trouvent
dans une situation de pluralisme - et maintenant que
l'Église de Grèce se trouve confrontée à une séculari-
sation croissante - l'expérience occidentale aidera
sûrement les orthodoxes à traiter les problèmes de la
vie chrétienne dans une société post-constantinienne
industrialisée. Nous avons tout à gagner à poursuivre
le dialogue.
Lectures conseillées

L'Église primitive et Byzance


Alexandre SCHMEMANN fournit une esquisse vivante, dans
une perspective orthodoxe, dans Le Chemin historique de
!'Orthodoxie, Paris: YMCA-Press, 1995.
Le Séminaire Saint-Vladimir à Crestwood près de New
York projette une Histoire orthodoxe de l'Église ; le premier
volume paru et maintenant traduit en français laissait déjà
particulièrement bien augurer du niveau scientifique de la
série: Jean MEYENOORPF, Unité de l'Empire et divisions des
chrétiens, l'Église de 450 à 680, Paris: éd. du Cerf, 1993;
un deuxième volume Tbe Christian East and the Rise of the
Papacy, par Aristeides PAPADAKIS en collaboration. avec
Jean MEYENDORFF est paru en 1994. ].M. HUSSEY, Tbe
Orthodox Church in the Byzantine Empire, Oxford 1986,
est une excellente vue d'ensemble, même si elle consacre
peu de place aux vies des saints et à la religion populaire.
Deux petits livres d'Olivier CLÉMENT vont souvent à l'essen-
tiel : L'essor du christianisme oriental et Byzance et le
Christianisme, Paris : Presses Universitaires de France,
1964. Georges OsmoGORSKY, Histoire de l'État Byzantin,
Paris: Payot, 1983, demeure la meilleure histoire générale.
Sur l'action caritative de l'Église, voir Demetrios J.
CoNSTANTELOS, Byzantine Philanthropy and Social Welfare,
2e éd., New Rochelle, 1985.

Patristique et théologie byzantine. Jean MEYENDORFF,


Initiation à la théologie byzantine, Paris: éd. du Cerf, 1975
est la meilleure introduction générale ; voir aussi Jaroslav
PELIKAN, The Christian Tradition, A History of the
426 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Development of Doctrine, vol.1 et 2, Chicago 1971 et 1974.


Pour une approche classique par l'un des grands théolo-
giens orthodoxes du vingtième siècle, voir les trois volumes
de Georges FtoROVSKY, The Eastern Fathers of the Fourlh
Century, [Le début est traduit dans le cadre de la Formation
Théologique par correspondance de l'Institut Saint-Serge]
The Byzantine Fathers of the Fifth Century et the
Byzantine Fathers of the Sixth to the Eightb Century dans
The Collected Works, vol. 7-9, Vaduz et Belmont, 1987, mais
malheureusement sans notes et sans références. Sur la
Christologie, consulter : Jean MEYENOORFF, Le Christ dans la
théologie byzantine, Paris : éd. du Cerf, 1965 ; une bonne
présentation, mais Denys est quelque peu sous-estimé.
Andrew LouTH, The Origins of the Christian Mystical
Tradition: From Plato to Denys, Oxford 1981, est excellent.

On peut consulter les œuvres des Pères surtout dans la


série Sources Chrétiennes, aux Éditions du Cerf, (plus de
400 volumes parus depuis 1942); d'autres collections
s'adressent à un public plus large : • Les Pères dans la Foi •
dirigée par le p. Adalbert Hamman (Desclée de Brouwer),
derniers volumes parus publiés par l'Association Jacques-
Paul Migne (Diffusion Brepols), • Spiritualité Orientale • éd.
par !'Abbaye de Bellefontaine à Bégrolles-en-Mauges, les
ouvrages patristiques de la nouvelle collection • Spiritualités
vivantes •, chez Albin Michel, ainsi que :
Paul EvooKIMOV, La connaissance de Dieu selon la
Tradition Orientale, 2e éd., Paris: Desclée de Brouwer
(•Théophanie•), 1990
Pour les écrits de saint Syméon le Nouveau Théologien, voir
les Catéchèses, les Traités, les Hymnes et les Chapitres théolo-
giques, gnostiques et pratiques, dans Sources Chrétiennes (éd.
du CerO et aussi les extraits repris sous le nom de Prière
Mystique, éd. du Cerf, 1975 (• Foi Vivante; 195 •).
Les meilleures présentations de saint Syméon sont celles
de Basile Kn1vocHÉINE, Dans la Lumière du Christ,
Chevetogne 1980 et H.J.M. TuRNER, St Symeon the New
Theologian and Spiritual Fatherhood, Leyde 1990.
Lectures conseillées 427

Les triades de saint Grégoire Palamas ont été éditées


dans l'original par Jean MEYENDORFF, Spicilegium sacrum
Lovaniense 30-31, Louvain 1959. Le même donne une
approche brève mais bien équilibrée de l'hésychasme dans
Saint Grégoire Palamas et la spiritualité orthodoxe, Paris :
éd. du Seuil, 1959; son grand ouvrage: Introduction à
l'étude de Grégoire Palamas, Paris: éd. du Seuil, 1959,
demeure fondamental. Parmi les études récentes, on notera
en particulier Jacques LISON, L'Esprit répandu : la pneuma-
tologie de Grégoire Palamas, Paris: éd. du Cerf, 1994. En
traduction française, voir SAINT GRÉGOIRE PALAMAS, De la
déification de l'être humain. Lausanne: l'Age <l'Homme,
1990 (contient une bibliographie abondante sur le sujet).
De lui aussi, voir Douze homélies pour les fêtes, trad.
Jérôme Clerc, YMCA-Press et O.E.1.L., 1985 et Traités
apodictiques sur la procession du Saint-Esprit, Paris : éd. de
l'Ancre (distribué par les éd. du Cerf), 1995.

Les Églises orientales ortbod-Oxes. Raymond LE Coz,


Histoire de l'Église d'Orient, Paris: éd. du Cerf, 1995. Pour
un compte-rendu complet et bien documenté, voir S.H.
MoFFETT, A History of Christianity in Asia, vol. I, Beginnings
to 1500, San Francisco 1992. Aziz S. ATIYA, A History of
Eastern Christianity, 2• éd., Millwood 1980, couvre les temps
anciens aussi bien que modernes. W.H.C. PREND, 1be Rise of
the Monophysite Movement, Cambridge 1972, est une étude
très détaillée. Karekin SARKISSIAN, maintenant Patriarche-
Catholicos d'Etchmiadzine, 1be Council of Chalcedon and
the Armenian Church, Londres 1967, montre comment le
rejet de Chalcédoine par les non-chalcédoniens fut déter-
miné essentiellement par des facteurs étrangers à la théo-
logie. Comparer aussi Paulos GREGORIOS, William H. LA.zARErn
et Nikos N1ss1011s, Does Chalcedon divide or unite ? Genève
1981. Sur la spiritualité syriaque, voir Robert MURRAY,
Symbols of Church and Kingdom : A Study in Barly Syriac
Tradition, Cambridge 1975 et Sebastian BROCK, 1be Syriac
Fathers on Prayer and the Spiritual Life, • Cistercian Studies ;
101 •, Kalamazoo 1987. Sur les Coptes, consulter Otto F.A.
MEINARDUS, Christian Egypt: Faith and Life, Le Caire, 1970.
428 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Sur les deux plus grands parmi les Pères syriaques, saint
Éphrem et saint Isaac, voir : Sebastian BROCK, L 'œil de
lumière. La vision spirituelle de saint Éphrem, suivie de la
Harpe de l'Esprit, florilège de poèmes de saint Éphrem,
(. Spiritualité Orientale; 50 •), Bellefontaine, 1991. St ISAAC LE
SYRIEN, Homélies Spirituelles, Paris : Desclée de Brouwer,
(• Théophanie •), 2" éd. 1993. Voir aussi ISAAC OF NINEVEH,
'1be Second Part: Chapitres IV-XIJ, trad. Sebastian Broek
(• Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium; 555 •),
Louvain 1995.

Le schisme entre l'Orient et l'Occident. Pour une rela-


tion bien documentée des faits, meilleure pour l'histoire
que pour la théologie, lire Steven RUNCIMAN, 1be Eastern
Schism, Oxford 1955, couvrant la période jusque 1204; voir
aussi Francis DvoRNIK, Byzance et la primauté romaine,
Paris: éd. du Cerf, 1950. R.W. SoU1HERN, Western Society
and the Church in the Middle Ages, Pelican History of the
Church, vol. 2: Harmondsworth 1970, réimprimé en
Penguin Book 1990, p. 53-90 est bref mais pénétrant bien
qu'il ne dise rien de Photius. L'étude classique sur Photius
demeure celle de Francis DvoRNIK, Le schisme de Photius,
histoire et légende, Paris: éd. du Cerf, 1950. Sur le Filioque
au 1:xe siècle, voir Richard HAUGH, Photius and the
Carolingians: the Trinitarian Controversy, Belmont 1973,
bien argumenté, mais moins irénique que l'ouvrage de
Dvornik. Pour un réexamen de la question du Filioque, voir
Lukas VISCHER, éd. Spirit of God, Spirit of Christ, Genève
1981 ; Joseph GILL, Le Concile de Florence, Desclée, Tournai
1964, est complet et académique pour l'aspect historique,
mais d'une insensibilité curieuse envers les préoccupations
théologiques des orthodoxes. Pour une analyse perspicace
des questions en jeu, par un catholique témoignant d'une
grande sympathie pour l'orthodoxie, voir Yves M.J. CoNGAR,
• Neuf cents ans après•, (dans 1054-1954, L'Église et les
Églises, Chevetogne 1954, vol. I). Pour une évaluation plus
sévère par un orthodoxe, voir les livres de Philip SHERRARD,
The Greek East and the Latin West, Londres 1959, et
Churcb, Papacy and Schism, Londres 1978.
Lectures conseillées 429

La période turque

La meilleure étude générale en anglais, bien que ne


faisant qu'un usage limité des sources grecques, est celle de
Steven RUNCIMAN, The Great Church in Captivity: A Study
of the Patriarchate of Constantinople from the Eve of the
Turkish Conquest to the Greek War of Independence,
Cambridge 1968. Theodore H. PAPADOPOULLOS, Studies and
Documents relating to the History of the Greek Church and
People under Turkish Domination, Bruxelles 1952 est plus
technique. Sur les orthodoxes et les catholiques, voir
Charles A. FRAZEE, Catholics and Sultans : The Church and
the Ottoman Empire, 1453-1923, Cambridge 1983 et
Timothy WARE, Eustratios Argenti : A Study of the Greek
Church under Turkish Rule, Oxford 1964. George
A. MALONEY, A History of Orthodox Theology since 1453,
Belmont, Massachusetts, 1976, est une étude de pionnier,
pas toujours exacte sur les détails, comprenant aussi bien
les Slaves et les Roumains que les Grecs. Voir aussi Ladislav
HADROVICS, Le peuple serbe et son Église sous la domination
turque, Paris : PUF, 1947.

La correspondance entre les luthériens et le patriarche


Jérémie II a été traduite en anglais par George
MASTRANTONIS, Augsburg and Constantinople, Brookline
1982. Colin DAVEY, Pioneer for Unity, Londres 1987, est très
riche d'informations sur Kritopoulos. Pour la confession de
Pierre Mohyla, révisée à Jassy (Iasi) voir J.J. OVERBECK, éd.
The Orthodox Confession of the Catholic and Apostolic
Eastern Church, Londres 1898; pour la confession de
Dosithée et de Lukaris, voir J.N.W.B. ROBERTSON, éd. The
Acts and Decrees of the Synod ofjerusalem, Londres 1899 ;
pour les négociations entre les orthodoxes et les non-
jureurs, voir George WIWAMS, The Orthodox Church of the
East in the Eighteenth Century, Londres 1868. G.P.
HENDERSON, The Revival of Greek Thought 1620-1830,
Edimbourg et Londres 1971, concerne plus la philosophie
que la théologie.
430 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Sur la vie spirituelle durant le joug turc, voir les études de


Constantine CAVARNOS dans la série utile : • Modern
Orthodox Saints•: St Cosmas Aitolos, Belmont, Mass.,
1971 ; St Macarios of Corinth, Belmont 1972 ; St Nicodemos
the Hagiorite, Belmont 1974; Nomikos Michael VAPORIS a
traduit les sermons de saint Cosmas dans Father Kosmas the
Apostle of the Poor, Brookline 1977. Pour l'enseignement
personnel de saint N1coo~ME L'HAGIORITE, voir son ouvrage :
A Handbook of Spiritual Counsel, trad. Peter A. CHAMBERAS,
(• The Classics of Western Spirituality •), New York 1989.
Des témoignages sur les nouveaux martyrs, souvent par
des témoins oculaires, se trouvent dans Leonidas
J. PAPADOPOULOS et Georgia LIZARDOS, trad. New Martyrs of
the Turkish Yoke, Seattle 1985. En français, le monastère de
Saint-Jean le Théologien à Souroti près de Thessalonique
commence à publier en français des vies de saints et de
spirituels grecs. Déjà parus: Saint Arsène de Cappadoce, et
Le Vénérable Georges (Hadji-Georgis).

La Grèce moderne
Sur les événements qui ont abouti à l'autocéphalie
accordée par le Patriarcat Œcuménique, voir Charles
A. FRAzEE, 1be Orthodox Church and Independent Greece,
Cambridge 1969. Peter HAMMOND, 1be Waters of Marah,
Londres 1956, offre un beau et émouvant tableau, parfois
idéalisé, de l'Église grecque à la fin des années 1940. Mario
RINVOLUCRI, Anatomy of a Church. Greek Orthodoxy Today,
Londres 1966, indique les empiètements constants de la
sécularisation. Pour une évolution plus récente, consulter
Kallistos WARE, • The Church, A Time of Transition •,
in Richard Clogg, éd. Greece in the 1980s, Londres 1983,
p. 208-230.
La diaspora grecque. Theodore E. DoWLING et Edwin
W. FLETCHER, Hellenism in England, Londres 1915, est inté-
ressant mais incomplet et souvent inexact. Theodore
SALOUTOS, 1be Greeks in the United States, Cambridge,
Mass., 1964, est beaucoup plus systématique. Voir aussi
Lectures conseillées 431

George PAPAIOANNOU, 1be Odyssey of Hellenism in America,


Thessalonique 1985, et Charles C. MosKos, Greek
Americans, Struggle and Success, 2e éd., New Brunswick
1989.

La Russie

Pour une histoire générale, voir : Dimitri PoSPIID.OVSKY,


Jean-Claude. ROBERT!, Nikita STRUVE, Vladimir ZIÉLINSKI,
Histoire de l'Église russe, Paris, éd. Nouvelle Cité, 1989;
Georges FLOROVSKY, Les Voies de la Théologie Russe,
Desclée de Brouwer, (•Théophanie•), Paris 1991, [2e tome
sous presse), est fondamental, quoique souvent partisan.
Sur les origines, voir Vladimir VoooFF, Naissance de
la chrétienté russe, Paris, Fayard, 1988 ; René MARICHAL
s.j. Premiers Chrétiens de Russie, éd. du Cerf, 1966 (avec
une sélection de sources). John FENNELL, A History of the
Russian Church to 1448, Londres 1995. Les deux livres
d'Igor SMOUTSCH, Moines de la Sainte Russie, ·Tours, Marne,
1967, et Tomas SPIDUK, Les grands mystiques russes, Paris,
Nouvelle Cité, 1979, donnent un bon choix de textes essen-
tiels. G.P; FEDOTOV, 1be Russian Religious Mind, 2 vol.
Cambridge, Mass, 1946 et 1966, qui va du X" au XV" siècles,
est partiellement dépassé, mais toujours jmportant.
Elisabeth BEHR-SIGEL, Prière et sainteté dans l'Église russe,
2e édition, Bellefontaine 1982 (• Spiritualité Orientale; 8 •)
donne un excellent tableau de la spiritualité russe. Dimitri
OBOLENSKY, The Byzantine Commonwealth : Eastern
Europe, 500-1453, Londres 1971, est excellent sur la
conversion des Slaves, comme sur beaucoup d'autres
sujets. John MEYENDORFF, dans Byzantium and the Rise of
Russia, Cambridge 1981, fait autorité sur le quatorzième
siècle. Sur la tradition monastique, voir Sergius BoLSHAKOFF,
Russian Mystics (• Cistercian Studies; 26 •), Kalamazoo
1977 ; Muriel HEPPELL, trad. Tbe Paterik of the Kievan Caves
Monastery, Harvard 1989; Pierre KoVALEVSKY, Saint Serge et
la spiritualité russe, Paris, éd. du Seuil, 1958; Boris
ZAïTSEFF, Vie de saint Serge de Radonège, dans le Messager
432 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Orthodoxe, N° 117-118 (11-1111991). Saint NIL SORSKY, La vie,


les écrits, le skite (• Spiritualité Orientale ; 32 •), Bellefon-
taine 1980.
Pour une interprétation ukrainienne orthodoxe, voir Ivan
WLAsowsKY, Outline History of the Ukrainian Orthodox
Church, vol. I, 988-1596 (Bound Brook, New Jersey, 1956).
Pour une discussion plus détaillée par une Ukrainienne
catholique, voir Sophia SENYK, A History of the Church in
Ukraine, vol. 1 : To the End of the Tbirteenth Century
(• Orientalia Christiana Analecta; 243 •, Rome 1993).

Sur les controver ses du xvue siècle, où le patriarche


Nikon fut impliqué, voir l'ouvrage monumental de Pierre
PASCAL, Avvakoum et les débuts du Raskol, Paris, 1938, rééd.
Paris et La Haye : Mouton, 1969 et dans la traduction de
Pierre Pascal : La Vie de / 'Archiprêtre Avvakoum, écrite par
lui-même , Paris: Gallimard , 1960; plus récent: Paul
MEYENDORFF, Russia, Ritual and Reform, Crestwood New
York: St Vladimir's Seminary, 1991. L'organisation exté-
rieure de l'Église à la période synodale est bien couverte
par Gregory L. FREEZE, Tbe Russian Levites : Parish Clergy
in the Eighteenth Century, Cambridge, Mass, 1977, et Tbe
Parish Clergy in Nineteen th Century Russia : Crisis,
Reform, Counter-Reform, Princeton 1983. Sur la vie inté-
rieure, voir les études pénétrantes de Nadejda GoRODETSKY,
Saint Tikhon Zadonsky : Inspirer of Dostoevsky, Londres
1951, et The Humilia ted Christ in Modern Russian
Tbought, Londres 1938.

Sur saint Paissy Vélitchk ovsky, lire sa propre


Autobiographie d'un starets, (• Spiritualité Orientale ; 54 •)
Bellefontaine 1991 ; ainsi que des matériaux de première
main dans P. Seraphim (RosE) Blessed Paisius Velichkovsky,
St Herman of Alaska Brotherhood, Platina, Californie, 1976.
Voir Sergius CHETVERIKOV, Starets Paisii Velitchkovskii,
Belmont 1980, et P. Romul JoANTA (évêque Séraphim )
Rouman ie, sa tradition et sa culture hésychas te,
(• Spiritualité Orientale ; 46 •), Bellefontaine 1987.
Lectures conseillées 433

Sur saint Séraphim de Sarov, voir en français : Irène


GoRAINOFF, Séraphim de Sarov, sa vie, entre tien avec
Motovilov, 3e éd., Paris : Desclée de Brou wer( . Théopha-
n-
nie•) 1995 ; une présentation frappante, bien que perso
de BEAus oBRE, Flam e in the Snow ,
nelle se trouve dans Iulia
Londres 1945 ; pour une plus grand e attent ion aux faits,
voir Valentine ZANDER, St Seraphim of Sarov, Londres 1975
et sa petite broch ure en franç ais sur le mêm e sujet.
P. Vsevolod ROCHCAU, [catholique). St Séraphim. (• Spiri-
tualité Orien tale; 45 •), Bellefontaine 1987.
. Les récits d'un pèlerin rnsse, l'apologie anonyme
de la
prière de Jésus, trad. Jean Laloy, Paris, Editions du Seuil,
(. Points, Sages ses; 14 •), 1978 et Le Pèlerin russe, trois
l
récits inédits, (• Points, Sagesses; 19 •), 1979. De Miche
EVDOKIMOV, l'étude Pèlerins rnsses et vagabonds mystiq ues,
Paris : éd. du Cerf, 1987.
Pour les startsy d'Optina, voir MACARius, Russian Letter
s
es,
of Direction, 1834-1960, éd. Iulia de Beausobre, Londr
1944, et John B. DUNLOP, Le Starets Ambroise d'Optino,
(. Spiritualité Orien tale; 34 •) Bellefontaine, 1982.
Pour un missionnaire aumônier du bagn e peu avant la
rite
révolution, on lira le lumineux petit livre de !'Archimand
moin e
SPIRIDON, Mes missions en Sibérie, Souvenirs d'un
Pasca l,
ortho doxe russe, trad. et prése ntatio n de Pierre
Paris : éd. du Cerf, 1978.
a
Sur le monachisme féminin au XIX" siècle, voir Brend
MEEHAN, Ho/y Women of Russia, San Francisco 1993.
Sur Alexis Khomiakov, consulter l'ouvrage ancien mais
le
toujours très utile de A. GRATIEUX, A.S. Kbomtakov et
1939 ;
Mouvement Slavophile, 2 vol., Paris: éd. du Cerf,
Voir aussi Nicolas BERDIAEV, Khomiakov, Lausa nne: L'Age
<l'Homme(• Sophia•), 1988.
;
St JEAN DE CRONSTADT, Ma vie en Christ, Paris 1902
nouv elle édition, (• Spiritualité Orien tale; 27 •), Belle fon-
-
taine , 1979 ; voir évêq ue ALEXANDRE (Sém enoff -Tian
Chansky), Father John of Kronstadt, A Life, Lond res 1979.
Nicolas ZERNov, Tbe Russian Religious Renaissance of
the Twentieth Century, Londres : Darton, Longmans and
Todd, 1963, est basé en partie sur des contacts personnels
434 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

avec les membres les plus actifs du mouvement de renou-


veau. On trouve un bon choix de matériaux dans
Alexander ScHMEMANN, éd., Ultimate Questions, an
Anthology of Modern Russian Religious Tbought, New York
1965. Pour un bonne étude sur l'un des théologiens russes
les plus originaux du début du siècle, voir Robert SLESINSKI,
Pavel Florensky, A Metaphysics of Love, New York 1984. La
thèse monumentale du Père Paul FLORENSKY, La Colonne et
le Fondement de la Vérité, a été traduite par C. Andronikof,
(•Sophia•) L'Age <l'Homme, ze éd., Lausanne 1994; du
même : La Perspective Inversée, L1conostase et autres Écrits
sur l'Art, éd. Françoise Lhoest, Lausanne 1992 ; d'autres
textes de lui sont en préparation aux éditions l'Age
<l'Homme à Lausanne. Sur la situation de l'Église immédia-
tement avant la Révolution, consulter John Shelton CuRnss,
Church and State in Russia : Tbe Last Years of the Empire
1900-1917, New-York 1940, et James W. CUNNINGHAM,
A Vanquished Hope : Tbe Movement for Church Renewal
in Russia 1905-1906, New York 1981.

L'Église sous le communisme et après. Les


meilleures des vieilles études sont : Walter KoLARZ, Religion
in the Soviet Union, London 1961, et Nikita STRUVE, Les
Chrétiens en URSS, Paris: éd. du Seuil, 1963. Dimitri
PosPIELOVSKY, The Russian Church under the Soviet Regime
1917-1982, 2 vol., New York 1984, bien que très complet,
est unilatéral dans son traitement de l'émigration russe. Jane
Ems, The Russian Ortbodox Cburcb : A Contemporary
History, Londres 1986, couvrant la période de 1965 à 1985,
est équilibré et objectif, bien que profondément engagé.
Parmi les nombreux livres sur Soljénitsyne : Olivier
CLÉMENT, L'esprit de Soljénitsyne, Stock, Paris 1974, a l'avan-
tage d'être écrit par un penseur orthodoxe distingué. Pour
les changements récents, voir le livre bien informé de
Michael BOURDEAUX, Gorbachov, Glasnost and the Gospel,
Londres 1990, Nathaniel DAVIS, A Long Walk to Church: A
Contemporary History of Russian Orthodoxy, Boulder,
1995. Jane ELLIS, The Russian Orthodox Church :
Triumphalism and Defensiveness, London 1996. Sur un
Lectures conseillées 435

prêtre remarquable, connu pour sa vision et son courage,


assassiné en 1990, voir Yves HAMANT, Alexandre Men, un
témoin pour la Russie de ce temps, Paris : Marne, 1993, ainsi
qu'une anthologie de textes du père Alexandre MEN : Le
Christianisme ne fait que commencer, Paris : éd. du Cerf et
Pully : Le Sel de la Terre, 1996.
Les souffrances des Catholiques orientaux sont rappelées
dans un livre émouvant, mais objectif de Serge KELEHER,
Passion and Resurrection : The Greek Catholic Church in
Soviet Ukraine, 1939-1989, L'viv, Stauropeghion, 1993.
Les missions russes. Pour une bonne vue d'ensemble
tenant compte également des Grecs, voir James
J. STAMoous, Eastern Orthodox Mission Theology Today,
Maryknoll, 1986. Sur la mission d'Alaska, voir Paul D.
GARRETT, St Innocent Apostle to America, New York 1979, et
l'anthologie bien choisie de Michael OLEKSA, Alaskan
Missionary Spirituality, New York 1987; du même auteur,
voir aussi Orthodox Alaska, St Vladimir's Seminary Press,
Crestwood New York 1993.

L'émigration russe. Pour un tableau général consulter


Marc RAEFF, Russia Abroad: A Cultural History of the
Russian Emigration, 1919-1939, New York et Oxford 1990
et la toute récente synthèse de Nikita STRUVE, Soixante-Dix
ans d'émigration russe 1919-1989, Paris: Fayard, 1996. Sur
les mouvements religieux russes à Paris, voir du P. Alexis
KNIAZEFF, recteur de l'Institut : L'Institut Saint-Serge de
Paris. De l'Académie d'autrefois au rayonnement d'au-
jourd'hui, Paris : Beauchesne, 1974 ; Aidan NICHOLS,
Theology in the Russian Diaspora : Church, Fathers,
Eucharist in Nikolai Afanas'ev (1893-1966), Cambridge
1989 (une étude importante). De nombreuses œuvres du P.
Serge BOULGAKOV sont maintenant traduites en français par
C. Andronikof et publiées à l'Age <l'Homme (coll.
• Sophia .) à Lausanne. Nicolas BERDIAEV, Essai
d'Autobiographie spirituelle, Paris : Buchet-Chastel
(• La Barque du Soleil•), 1958. Sur l'auteur, voir Olivier
CLÉMENT, Berdiaev, Paris: Desclée de Brouwer, 1991. Pour
436 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

les expériences d'un prêtre de paroisse marié, voir


Alexandre ELTCHANINOFF, Ecrits spirituels, Bellefontaine,
1980 (• Spiritualité Orientale; 29 •), excellent comme intro-
duction informelle à la théologie pastorale orthodoxe.
Sergei HACKEL, Pearl of Great Price, The Life of Mother
Maria Skobtsova 1891-1945, Londres 1981, raconte la vie
d'une moniale russe qui protégea des Juifs à Paris sous l'oc-
cupation et mourut dans une chambre à gaz du camp de
Ravensbrück. De Mère Marie SKOBTSov elle-même : Le
Sacrement du Frère, Pully: Le Sel de la Terre, 1995. Sur les
Russes et les autres aux États-Unis, consulter Constance J.
TARASAR, éd. Orthodox America 1794-1975, New York
1975, pour l'Orthodoxie russe en dialogue avec la culture
américaine, voir Anthony UGOLNIK, The Illuminating /con,
Grand Rapids 1989. Andrew BLANE (ed.), Georges
Florovsky: Russian Intellectual and Orthodox Cburchman
(New York 1993) se lit avec beaucoup d'intérêt.

La théologie orthodoxe

Études générales. Paul EVDOKIMOV, L'Orthodoxie, 3eéd.,


Paris: Desclée de Brouwer (•Théophani e•), 1989 est
fondamental; Vladimir LossKY, La Théologie mystique de
l'Église d'Orient, Paris: Aubier, 1945, rééd. Cerf, (• Foi
Vivante•) 1990, est très précieux et mérite de fréquentes
relectures. Voir aussi d'autres livres de LOSSKY : Vision de
Dieu, Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1962, et A l'image
et à la ressemblance de Dieu, Paris : Aubier-Montaigne,
1967. Kallistos WARE, Approches de Dieu dans la tradition
orthodoxe, Paris: Desclée de Brouwer, 1982 couvre beau-
coup des mêmes thèmes d'une manière plus simple. Voir
aussi l'anthologie d'Olivier CLÉMENT, Sources. Les mystiques
chrétiens des origines, textes et commentaires, Paris : Stock,
1982. Christos YANNARAS, La Foi vivante de l'Église, Paris:
éd. du Cerf, 1989, est un précieux résumé de la doctrine
orthodoxe.
Sur la théologie trinitaire, consulter les ouvrages majeurs
de Boris BOBRINSKOY, Le Mystère de la Trinité, 2e éd., Paris:
Lectures conseillées 437

éd. du Cerf, 1996 et Communion du Saint-Esprit,


Bellefontaine, 1992 (• Spiritualité Orientale; 56 •) qui est un
recueil d'études de théologie dogmatique et sacramentelle.
Sur le Saint Esprit, voir Paul EVDOKIMOV, L'Esprit Saint
dans la tradition orthodoxe, Paris : éd. du Cerf, 1969 et
Henryk PAPROCKI, La promesse du Père, /'Expérience du
Saint Esprit dans l'Église orthodoxe, Paris: éd. du Cerf,
1990.
La dogmatique du père Dumitru STANILOAE a commencé à
paraître en anglais sous le titre The Experience of God,
Brookline, 1994 et en français sous le titre Le génie de
/'Orthodoxie, Paris: Desclée de Brouwer(• Théophanie•) ,
1985.

Théologie biblique. Ce n'est pas un domaine dans


lequel les théologiens orthodoxes du XX" siècle ont excellé,
bien que certains travaux utiles aient commencé à paraître,
tels que ceux de Veselin KEsICH, The Gospel Image of Christ,
Crestwood New York: St Vladimir's Press, Nouvelle éd.
1992, et Jean BRECK, La Puissance de la Parole, Paris : éd.
du Cerf, 1995 ; et du même ; Spirt.'t of Truth : The Holy Spirit
in Jobannine Tradition, St Vladimir's Press 1991 ; The
Shape of Biblical Language, St Vladimir's Press 1994;
Georges FLoRovsKY, Bible, Church, Tradition : An Eastern
Orthodox View, dans les Collected Works, vol. I, Belmont,
Mass, 1972, est une synthèse magistrale des lignes de force
principales. Sur !'Écriture et la Tradition, voir Dumitru
STANILOAE, Le génie de /'Orthodoxie, Paris: Desclée de
Brouwer(• Théophanie•) , 1985.
L'Église. L'essai d'Alexis KHoMIAKov, • L'Église est Une•,
[dans A. GRATIEUX, Le mouvement slavophile à la veille de la
révolution, Paris 1953, p. 215-242] est une impressionnante
affirmation de l'unité entre l'Église sur terre et l'Église
céleste. Serge BouLGAKov, L'Orthodoxie, Lausanne: L'Age
<l'Homme, 1980, 3e éd., est très utile pour ce qui concerne
l'interdépenda nce entre la hiérarchie et les laïcs et la récep-
tion des conciles de l'Église. L'essai de FLOROVSKY sur la
catholicité de l'Église dans Bible, Church, Tradition, p. 37-
55 dit plus en 19 pages que la plupart des auteurs en
438 L'Orthodoxie, l'Eglise des sept Conciles

plusieurs volumes. Sur l'ecclésiologie eucharistique, voir


Nicolas .AFANASSIEFF, L'Église du Saint-Esprit, Paris : éd. du
Cerf, 1975 et • L'Église qui préside dans l'amour•, dans
Nicolas .AFANASSIEFF, Nicolas KOULOMZINE, Jean MEYENDORFF,
Alexandre SCHMEMANN, La Primauté de Pierre dans l'Église
Orthodoxe, Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1960, mais
ceci accentue trop le contraste entre l'ecclésiologie eucha-
ristique et l'ecclésiologie universelle. Des correctifs impor-
tants sont fournis par Jean Z1z1ouLAS, aujourd'hui
Métropolite de Pergame, L'Etre ecclésial, Genève : Labor et
Fides, 1981. Du même, L'Unité de l'Église dans la Divine
Eucharistie et dans l'évêque aux trois premiers siècles,
Paris: Desclée de Brouwer, 1994. Pour une approche
roumaine, voir Dumitru STANILOAE, Theology and the
Church, New York 1980. John ERICKSON, Tbe Challenge of
our Past, New York 1991, et les études de l'Archevêque
Pierre (L'Huillier), Tbe Church of the Ancient Councils:
The Disciplinary Work of the First Four Ecumenical
Councils, New York 1996, sont de bonnes introductions au
droit canon orthodoxe.

La théologie de la Création et la crise écologlqu,e.


IGNACE IV, patriarche d'Antioche, Sauver la Création,
Desclée de Brouwer, Paris, 1989, récapitule l'approche
orthodoxe de la question ; PAULOS MAR GREGORIOS, Tbe
Human Presence. Ecology and the Age of the Spirit, Nouv.
éd., New York 1987, comprend beaucoup de références aux
Pères Grecs. Philipp SHERRARD, Tbe Rape ofMan and Nature.
An Enquiry into the Origins and Consequences of Modern
Science, Ipswich 1987, est puissamment argumenté, mais
indûment négatif en ce qui concerne la science moderne.

La nature humaine, la sexualité, le mariage. Voir


Olivier CLÉMENT, Questions sur l'homme, Paris: Stock, 1972
et Corps de mort, Corps de gloire, Paris : Desclée de
Brouwer, 1995 ; Paul EVDOKIMOV, ·La femme et le salut du
Monde, 3e éd., Paris : Desclée de Brouwer ( •Théophanie•),
1996 ; Christos YANNARAS, La liberté de la morale, Genève :
Labor et Fides, 1983, est une réaffirmation courageuse et
Lectures conseillées 439

controversée de l'enseignement orthodoxe sur l'ascèse et la


sexualité. Cf. Philipp SHERRARD, Christianity and Eros,
Londres 1976. Panayotis NELLAS, Le Vivant Divinisé, anthro-
pologie des Pères de l'Église, Paris: éd. du Cerf, 1989, traite
en particulier de l'image de Dieu et de la chute.

Sur la théologie du mariage voir la stimulante discussion


par Paul EVDOKIMOV, Le sacrement de l'amour, le mystère
conjugal à la lumière de la tradition orthodoxe. 2" éd.,
Paris: Desclée de Brouwer, (•Théophanie•), 1977, et une
approche plus pragmatique par Jean MEYENDORFF, Le
mariage dans une perspective orthodoxe, Paris: Ymca-
Press et 0.E.I.L., 1986, les deux incluant l'office du mariage.

Théologie sacramentelle. Parmi les nombreux ouvrages


d'Alexandre ScHMEMANN dans ce domaine : Pour la vie du
monde, Paris : Desclée de Brouwer, 1969 est particulière-
ment précieux. Voir aussi, du même auteur, Le Grand
Carême, (« Spiritualité orientale»), Bellefontaine 1974, De
l'eau et de l'esprit,, Paris : Desclée de Brouwer, • Théopha-
nie», 1987 (sur le baptême). La plus ancienne étude par UN
MOINE DE L'ÉGIJSE D'ORIENT [Lev Gillet] Introduction à la spiri-
tualité orthodoxe, Paris : Desclée de Brouwer,
•Théophanie», 1973 est simple mais profonde. La plus belle
approche byzantine est celle de saint Nicolas CABASILAS, La
Vie en Christ, nouvelle édition de M.-H. Congourdeau dans
Sources Chrétiennes 355 et 361, Paris 1989-91. Un moine du
Mont Athos, l'archimandrite BASILE DE STAVRONIKITA, dans
Chant d'entrée, Genève: Labor et Fides, 1980, montre
comment toutes choses trouvent leur unité dans !'Eucharistie.

Sur la confession, voir V. PALACHKOVSKY, Sin in the


Orthodox Church, New York, s.d., et John CHRYSSAVGIS,
Repentance and Confession in the Orthodox Church,
Brookline 1990. Voir aussi Olivier CLÉMENT Le chant
des larmes, Essai sur le repentir, Paris : Desclée de
Brouwer, (.Théophanie•), 1982, qui comporte également
une traduction intégrale du Grand Canon de saint André de
Crète.
440 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Sur le sacerdoce, consulter Joseph J. Au.EN, 1be Ministry


of the Cburcb : 1be image of Pastoral Care, New York
1986. Pour deux discussions sur la question de l'ordination
des femmes au sacerdoce, la première opposée, la seconde
plutôt favorable à cette ordination, voir Thomas HoPKO, éd.
Women and the Priesthood, New York 1983, et Elisabeth
BEHR-SIGEL, Le ministère de la femme dans l'Église, Paris :
éd. du Cerf, 1987.
Sur la thérapie sacramentelle, voir Stanley S. HARAKAS,
Health and Medicine in the Eastern Ortbodox Tradition,
New York, 1990. Voir aussi Jean-Claude LARCHET, 1béologie
de la maladie, Paris: éd. du Cerf, 1991; 1bérapeutique des
maladies spirituelles, Paris : éd. du Cerf, 1991 ;
1bérapeutique des maladies mentales, Paris : éd. du Cerf,
1992 et Dr Dominique BEAUFILS, "Ta foi t'a sauvé»,
Approche orthodoxe de la maladie et de la mort, Paris :
Desclée de Brouwer(. Théophanie•), 1996.

Culte liturgique
Pour les traductions de la liturgie en français, voir
• Liturgica • (75008 Paris, 12 rue Daru) qui publie des textes
bilingues slavon/français. Disponibles·: la liturgie de saint
Jean Chrysostome, le baptême, le mariage, l'office des
défunts et l'office pour tous les saints de la terre russe.
Le Liturgicon ou Missel Byzantin à l'usage des fidèles,
(trad. N. Édelby) édité par l'archevêché Grec-Catholique de
Beyrouth, 2e éd., 1990, donne les parties variables de la
Liturgie.

Pour les études sur la Liturgie, dans une approche pasto-


rale, voir Alexandre ScHMEMANN, L'Eucharistie, sacrement du
Royaume, YMCA-Press et O.E.I.L., Paris 1984. Paul
EVDOKIMov, La Prière de l'Église d'Orient, la Liturgie de saint
Jean Chrysostome, 2e éd. Paris : Desclée de Brouwer
(•Théophanie•), 1985. Dans une approche érudite, voir:
Introduction to Liturgical 1beology, Londres 1966 (diffusé
en français provisoirement sous forme de résumé par la
Lectures conseillées 441

formation théologique par correspond ance de l'Institut Saint


Serge à Paris en 1972-74); et plus récemment , Henryk
PAPROCKI, Le Mystère de ! 'Eucharistie. Genèse et interpréta-
tion de la Liturgie byzantine, Paris : éd. du Cerf, 1993.
Constantin ANDRONIKOF, Le Sens de la Liturgie, Paris: éd. du
Cerf, 1968. Sur l'histoire de la liturgie, voir Hans Joachim
SCHULTZ, The Byzantine Liturgy, New York 1986 [éd. origi-
nale allemande : Die Byzantinisc he Liturgie, Vom Werden
ihrer Symbolgestalt, Fribourg en Brisgau 1964; [traduction
française manuscrite de l'édition récente par le chanoine
André Rose] ; pour une histoire plus complète et faisant
autorité, de la Liturgie, voir Robert F. TAFT, The Great
Entrance et The Dyptichs, Orientalia Christiana Analecta 200
et 238, Rome 1975 et 1991 (les volumes suivants sont en
préparation ). Juan MATEOS, La Célébration de la Parole dans
la Liturgie byzantine, Orientalia Christiana Analecta 191,
Rome 1971 traite de la partie d'ouverture de l'office. UN
MOINE DE L'ÉGIJSE D'ORIENT dans L'Offmnde Liturgique, éd.
du Cerf, Paris 1988, donne quelques courtes mais belles
méditations sur la Liturgie. Pour l'interprétation classique
byzantine, voir saint Nicolas CABASILAS, Explication de la
Divine Liturgie, • Sources Chrétienne s; 4 bis•, Paris 1967.
Voir aussi /'Eucharistie dans l'antiquité chrétienne, textes
choisis et présentés par Adalbert Hamman, 2e éd. Desclée de
Brouwer (• lchtus • / • Les Pères dans la Foi•) 1981, et dans
la même collection : L 1nitiation chrétienne, textes (patris-
tiques) recueillis et présentés par Adalbert Hamman,
Introductio n de Jean Daniélou, Paris : Desclée de Brouwer,
1980 [Comporte entre autres cinq catéchèses mystagogiques
de saint CYRILLE DE JÉRUSALEM - celles-ci et les autres ont été
rassemblées en un seul volume, Namur : éd. du Soleil Levant,
1964 - et la Mystagogie de saint MAxIME LE CONFESSEUR}.

Textes des offices :


Jacques TOURAILLE a publié le triode de Carême et le
Pentecostai re, traduits du grec et édités sous les auspices de
l'Institut Saint Serge à Paris.
Denis GUILLAUME au Collège Grec de Rome (Diaconie
Apostoliqu e) a publié les Livres des mois, le paraclitique, le
442 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

triode de Carême et le Pentecostaire ainsi que certains


offices à la demande.
Les Éditions de CHEVETOGNE ont publié en français les
parties fixes des offices : Dimanche, Livre des Heures, les
Huit Tons.
La Liturgie de saint Basile, la Liturgie des Présanctifiés et
le Grand Canon de Saint André de Crète ont été publiés par
la Fraternité Orthodoxe.
Pour la prière quotidienne à la. maison le plus complet
est le Livre de Prières Orthodoxe, éd. Paix (Monastère Saint-
Nicolas de la Dalmerie, 34260 Le Bousquet d'Orb, Hérault),
1996; Michel EVDOKIMOV, Prières de l'Église russe, CLP,
Paris, 1988; Prières de l'Église Orthodoxe, trad. Jacques
Touraille, Paris: Desclée de Brouwer(• Théophanie•), 1989
et le livre de prières bilingues slavon/français édité par
l'ACER, 91 rue Olivier-de-Serres, 75015 Paris, s.d.

Le Synaxaire (calendrier des saints de chaque jour de


l'année avec une notice sur leur vie) 6 vol., a été publié à
Thessalonique en français 0987-1996) et diffusé par le
Monastère de Saint-Antoine le Grand à Fond de Laval,
26190 Saint-Laurent-en-Royans.
L' Euchologe ou rituel de l'Église orthodoxe, éd. Paix,
1979, qui donne des textes des offices du Baptême, du
mariage, des funérailles, des offices d'action de grâces et
diverses prières et bénédictions.

Le MOINE DE L'ÉGUSE D'ORIENT, dans L'an de grâces du


Seigneur, Paris, éd. du Cerf, 1988 commente les lectures
scripturaires des dimanches et des grandes fêtes de toute
l'année liturgique, tandis que le métropolite Antoine BLooM
dans Voyage Spirituel, Paris: éd. du Seuil, 1974, traite parti-
culièrement des Évangiles de la période du pré-carême. Le
P. Alexandre SCHMEMANN et Olivier CLÉMENT Le Mystère
Pascal, Commentaires liturgiques, (• Spiritualité orientale ;
16 •), Bellefontaine, 1975 offrent deux études sur le point
culminant de l'année liturgique. Pour une discussion des
grandes fêtes et du cycle pascal, voir Constantin
ANDRONIKOF, Le Sens des fêtes, tome I, Paris : éd. du Cerf,
Lectures conseillées 443

1970; tome II, Lausanne : L'Age <l'Homme, (• Sophia •),


1985.

Sur les vêpres et la Liturgie des Présanctifiés, lire N.D.


UsPENSKY, Evening Worship in the Orthodox Church, New
York: St Vladimir's Seminary Press, 1985.
Sur la musique liturgique, l'ouvrage de base est toujours
celui d'Egon WELLESZ, A History of the Byzantin e Music and
Hymnography, 2• éd. Oxford 1961, cf. Johann von GARDNER,
Russian Church Singing, vol. 1, Orthodox Worship and
Hymnography, New York 1980.

Prière du cœur
Beaucou p de textes essentiel s se trouvent dans la
Philocalie, dont la traductio n intégrale (11 fascicules),
entreprise par Jacques Touraille, a paru aux éditions de
!'Abbaye de Bellefontaine à Bégrolles-en-Mauges de 1979 à
1991 et a été republié e sous une forme révisée en
2 volumes Paris : Desclée de Brouwer et Jean-Clau de
Lattès, 1995. Pour des pages choisies, voir Jacques
Touraille, La, Nouvelle Petite Philocalie, Genève : Labor et
Fides, 1992 ainsi que la plus ancienne Petite Philocalie de
la Prière du Cœur, éd. Jean Gouillard, Paris : éd. du Seuil,
1979 (.Points; Sagesses, 20 •)
Higoumè ne CHARITON de Valamo, L'.Art de la Prière,
(• Spirituali té orientale ; 18 •), Bellefont aine 1976, qui
consiste principalement en extraits de saint Théophan e le
Reclus et saint Ignace Briantchaninov, est plus facile à lire
que la Philocalie et peut lui servir d'introduction. Pour un
écrivain moderne de Finlande orthodoxe, dans la tradition
philocalique, voir Tito COLLIANDER, Le chemin des Ascètes,
Initiation à la Vie spirituelle (. Spiritualité Orientale ; 12 •),
Bellefontaine, 1973.
Sur la tradition ascétique et mystique de l'Église ortho-
doxe, voir:
Evêque Ignace BruANTCHANINov, Les miettes du festin.
Introduction à la tradition ascétique de l'Église d'Orient,
444 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

trad. hiéromoine Syméon, Paris : Présence, 1978 ; Paul


EVDOKIMOV, Les âges de la vie spirituelle, 3e éd., Paris:
Desclée de Brouwer, 1995, et du même auteur: La connais-
sance de Dieu selon la tradition orientale, 2" éd. Desclée
de Brouwer, 1994.
La meilleure initiation â la Prière de Jésus est : UN MOINE
DE L'ÉGIJSE D'ORIENT, La Prière de Jésus, sa genèse, son déve-
loppement et sa pratique dans la tradition religieuse
byzantinoslave. Paris: éd. du Seuil, 1974; Irénée HAUSHERR,
Noms du Christ et voies d'oraison, (• Orientalia Christiana
Analecta ; 157 •), Rome 1960 est savant mais parfois
pervers. Voir aussi Élisabeth BEHR-SIGEL, Le lieu du cœur,
initiation à la spiritualité de l'Église orthodoxe, Paris: éd.
du Cerf, 1989, qui contient aussi un chapitre par Kallistos
WARE sur l'usage pratique de la prière. Pour un enseigne-
ment russe au siècle dernier, voir : Évêque Ignace
BRIANTCHANINOV, Approches de la Prière de Jésus, trad. Émile
Simonod, (•Spiritualité orientale ; 35 •), Bellefontaine 1983.

Monachisme
Derwas J. CHITTY, Et le désert devint une cité,
(• Spiritualité orientale; 31 •) Bellefontaine, 1980, sur l'his-
toire ancienne du monachisme en Egypte et en Palestine,
est l'œuvre d'un expert qui a aimé le désert de Judée ; Peter
BROWN, The Body and Society: Men, Women and Sexual
Renunciation in Barly Cbristianity, Londres, 1989, est une
brillante analyse d'un contexte culturel plus large. Placide
DESEILLE, L'Évangile au désert, Origines et développement de
la spiritualité monastique, YMCA-Press et 0.E.I.L., Paris,
1985 et du même: Nous avons vu la vraie lumière,
Lausanne: L'Age <l'Homme, 1989 contiennent les textes
fondamentaux.
Parmi les sources primaires: Saint ATHANASE, Antoine le
Grand, père des Moines, Paris: éd. du Cerf(. Foi Vivante;
240 •), 1989; PALLADIUS, Les Moines du désert, Histoire
Lausiaque, Paris : Desclée de Brouwer (• Les Pères dans la
Foi•), 1981); les Apophtegmes des Pères du Désert,
Lectures conseillées 445

nombreuses présentations : alphabétique (Solesmes), systé-


matique Les chemins de Dieu au désert, éd. Dom Lucien
Régnault (Solesmes également et éd. critiq. de Jean-Claude
Guy dans Sources Chrétiennes), sous un format plus réduit
Paroles des Anciens, Apophtegmes des Pères du Désert, éd.
J.-CI. Guy, Paris: éd. du Seuil (• Points, Sagesses; 1 •),
1976; en outre: Homélies spirituelles de saint Macaire: Le
Saint-E sprit et le Chrétien, trad. P. Placide Deseille ,
(• Spiritualité Orientale ; 40 •) Bellefontaine, 1984.
les Ecrits Ascétiques de SAINT BASILE sont partiellement
accessibles en français dans Placide DESEIUE, Saints Moines
d'Orient, Namur: éd. du Soleil Levant, 1959.

CYRIUE DE SCYTIIoPous, Vies des moines de Palestin~ trad.


A.J. FESTUGIÈRE dans Les Moines d'Orient, tome III, Paris,
1963; Maîtres Spirituels au Désert de Gaza. Barsanuphe,
Jean et Dorothée, éd de Dom Lucien REGNAULT, Solesmes,
1976.
Saint JEAN CLIMAQUE, /'Echelle Sainte, trad. Placide
Deseille, (• Spiritualité Orientale ; 24 •), Bellefontaine, 1978.
[En 1711, Arnaud d'Andilly avait publié une premièr e
traduction française].

Pour la profession monastique, voir Pierre RAF'FIN, Les


rituels orientau x de la profession monastique, (• Spiritualité
Oriental e; 4 •), Bellefontaine, 1974. Le texte français de la
profess ion monast ique se trouve égalem ent dans
l' Eucholo ge (éd. Paix, Monast ère Saint-N icolas de la
Dalmerie, 1979) et en édition séparée par les soins du P.
Denis Gum.AUME aux éd. • Diaconie Apostolique• (Collège
Grec de Rome). Sur le ministère du starets, gr. geron, voir
Irénée HAUSHERR, Direction Spirituelle en Orient autrefois,
• Orientalia Christiana Analecta; 144 •, Rome 1955; on trou-
vera une brève dicussion sur le sujet dans Kallistos WARE, Le
Royaum e Intérieur, ze éd., Paris: éd. du Cerf et Pully: Le
Sel de la Terre, 1996.

Le Mont Athos . La meilleure introduction, mettant l'ac-


cent sur l'idéal intérieu r du moine, est celle de Philip
446 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

SHERRARD, Athos, The Ho/y Mountain, Londres 1982.


Emmanuel Amand de MENDIETA, Mount Athos: Tbe Garden
of the Panhagia, Berlin 1972, est bon pour l'aspect histo-
rique ; voir aussi son livre plus ancien, La presqu'île des
caloyers: le Mont Athos, Bruges: Desclée de Brouwer, 1955.
R.M. DAWKINS, Tbe Monks of Athos, Londres 1936, rapporte
beaucoup des traditions monastiques concernant les icônes
et les miracles. Pour la vie et les écrits de saint Silouane, voir
le livre de son disciple, l'archimandrite SOPHRONY (Sakharov,
1896-1993), Starets Silouane, Paris : éd. Présence, 1973. Du
même auteur : Voir D'ieu tel qu 11 est, Genève : Labor et
Fides, 1984 (• Perspective Orthodoxe; 5 •) Sa vie est la
m'ienne, Paris: éd. du Cerf, 1981. (. Témoins spirituels d'au-
jourd'hui•). La félicité de connaître la vo'ie, Genève : Labor
et Fides, 1984, et De Vie et d'Esprit, Aphorismes spirituels,
Pully : Le Sel de la Terre, 1992.

Les icônes
Sur la théologie et la spiritualité de l'icône et sa place
dans le culte, les meilleures études sont celles de Léonid
ÜUSPENSKY et Vladimir LOSSKY, The Meaning of /cons,
nouvelle édition : New York : St Vladimir's Seminary Press,
1982 (existe aussi en allemand: Berne et Olten 1952, tandis
que beaucoup des études sur chacune des icônes sont
traduites en français); Léonide OusPENSKY, La théologie de
l'icône dans l'Église Orthodoxe, Paris: éd. du Cerf, 1980;
et Paul EVDOKIMOV, L'Art de l'icône, théologie de la beauté,
2e éd., Paris: Desclée de Brouwer, 1980. Pour une intro-
duction plus simple, voir Michel QUENOT, l1cône, fenêtre
sur le Royaume, Paris: éd. du Cerf, 1990. Grégoire KRouG,
Les carnets d'un peintre d'icônes, Lausanne : L'Age
<l'Homme 1983 contiennent les réflexions d'un remar-
quable iconographe qui vivait en France au XX" siècle.
Eugène ThouBETZKoï, Trois études sur l'icône, Paris : YMCA-
Press et O.E.1.L., 1986, représente la réflexion en Russie au
début de ce siècle, d'un éminent philosophe, à l'époque où
on retrouvait les sources de l'art de l'icône. Georges
DROBOT, L 'Icône de la Nativité, 2• éd., (• Spiritualité
Lectures conseillées 447

Orientale; 15 •) Bellefontaine, 1994. Sur la place des icônes


dans les Églises orientales non-byzantines, voir Christine
CHAILLOT, Rôle des images et vénération des icônes dans les
Églises orthodoxes orientales, syrienne, arménienne, copte,
éthiopienne, Éd. Dialogue entre orthodoxes, Genève 1993.
Sur les techniques pratiques de la peinture d'icônes, voir
Egon SENDLER, L'icône, image de l'invisible, Paris: Desclée
de Brouwer, 1981.

Sur la controverse iconoclaste, consulter Jaroslav PELIKAN,


Imago Dei: Tbe Byzantine Apologia for /cons, New Haven
1990. Pour le point de vue orthodoxe, voir Saint JEAN
DAMASCÈNE, Contre ceux qui rejettent les saintes icônes, in :
La Foi orthodoxe, trad. E. Ponsoye, 2e éd. revue, Paris : éd.
de L'Ancre, 1993; [éd. nouvelle en préparation dans
Sources Chrétiennes). Gervase MATHEW, Byzantine
Aesthetics, Londres 1963, est fascinant mais souvent obscur.
Sur l'urgence de retrouver la place véritable de l'icône dans
notre société désacralisée, voir Philip SHERRARD, Tbe Sacred
in Life and Art, Ipswich 1990.

La réWlion des chrétiens

Le Dictionary of the Ecumenical Movement, éd. Nicolas


Lossky e.a., Genève et Grand Rapids, Michigan 1991 contient
beaucoup d'articles écrits par des Orthodoxes ou à propos de
l'Orthodoxie. L'engagement de l'Église orthodoxe dans les
projets pour la réunion des chrétiens depuis le xve siècle est
décrit par Georges FLOROVSKY et Nicolas ZERNOV dans A
History of the Ecumenical Movement 1517-1648, éd. Ruth
Rouse et Stephen Charles Neill, 3• éd., Genève 1986. Pour
une version plus complète du texte de FLoROVSKY, voir ses
Collected Woms, vol. 2 et 4 Belmont, Massachusetts, 1974 et
1975, voir aussi vol. 13 et 14, Vaduz-Belmont 1989.
Methodios FouYAS, Orthodoxy, Roman Catholicism and
Anglicanism, Londres 1972, contient une documentation
abondante mais serait plus éclairant si le contexte historique
et culturel était mieux pris en compte. Sur les relations des
448 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

orthod oxes avec Rome, voir Edward KILMARTIN, Toward


Reunion : 1be Roman Catholic and the Orthodox Churches,
New York 1979 et Robert BARRINGER éd., Rome and
Constantinople, Essays in the Dialogue of love, Brookline
1984. Pour la documentation, voir E.J. STORMAN, éd. Towards
the Healin g of the Schism : The Sees of Rome and
Constantinople, New York 1987. Sur les relations avec l'angli-
canisme, voir William PALMER, Notes on a Visit to the Russian
Church in the Years 1840, 1841, éd. par le Cardinal NEWMAN,
Londres 1882, une relation personnelle extrêmement vivante
d'une visite explora toire; W.J. BIRKBECK, Russia and the
English Church during the last Eighty Years, Londres 1895,
contien t l'impor tante corresp ondanc e de Khomi akov et
Palmer ; J .A. Do UGLAS, The Relatio ns of the Anglic an
Churches with the Eastern Orthodox, Londres 1921, qui
discute de la question de l'intercommunion (sur la même
questio n voir Intercommunion. Des Chrétiens s'interrogent.
Eucharistie. Égtise. Unité, P. Boris BoBRINSKOY, Pasteur J.-J.
Heitz, P. Paul Lebeau, Marne, Tours, 1969; le volume Vers
/'intercommunion? et les douze précédents volumes de la
collection • Églises en dialogue • La Parole de Dieu, L'Église
dans le monde, Les Chrétiens et l'État, Le Mariage, La Femme,
Prêtres et pasteur s, L 'œcumé nisme, La Vierge Marie,
Mariag es mixtes , Le Peuple de Dieu, Le Diacon at,
L'Eucharistie (Tours : Marne 1965-1970). V.T. ISTAVRIDIS,
Orthodoxy and Anglicanism, Londres 1966, un résumé utile ;
Anglican-Orthodox Dialogue: the Dublin Agreed Statement
1984, Londres 1984, voir aussi la déclaration de Moscou de
1976 et le rapport d'Athènes 1978 sur l'ordination des femmes
au sacerdoce. Sur l'Orthodoxie et le Conseil Œcumé nique
des Églises, voir Gennadios LIMourus, Orthodox Visions of
Ecume nism : Statements, Messages, and Reports on the
Ecumenical Movement, 1902-1992, Genève 1994.
Lectures conseillées 449

Bibliographies : Ouvrages de références


Dictionnaire encyclopédique du Christianisme antique,
Paris : éd. du Cerf, 1992, 2 volumes,
Petit Dictionnaire de l'Orient Chrétien, éd. J. Assfalg et
P. Kruger, Turnhout: Brepols, 1991.
Pour une bibliographie plus complète, consulter le
Dictionnaire de Théologie Catholique, éd. A. Vacant,
E. Mangenot et E. Amann, 15 volumes, Paris 1903-1950.
Le Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie,
réd. Fernand Cabrol, H. Leclercq et Henri-Irénée Marrou, 15
vol., Paris, 1907-1953, qui fournit de précieux renseigne-
ments à caractère historique.
Les derniers volumes du Dictionnaire de Spiritualité
ascétique et mystique, éd. M. Viller, 17 vol., Paris 1933-1995,
contiennent d'excellents articles sur le christianisme oriental.

La Chrétienté Byzantine: Hans Georg BECK, Kirche und


Theologische Literatur im Byzantinischen Reich, Münich
1959 ; J.M. HUSSEY, éd. The Cambridge Medieval History,
vol. 4, te et ie parties, The Byzantine Empire, Cambridge
1966-1967); Alexander P. KAZHDAN, éd. The Oxford
Dictionary of Byzantium, 3 vol., Oxford et New York, 1991.
Les Coptes: Aziz S. ATIYA, éd. The Coptic Encyclopedia,
8 volumes, New York 1991.
La période turque: Gerhard PoosKALSKY, Griechische
Theologie in der Zeit der Türkenhem;cbaft 1453-1821,
Münich 1988.
La Grèce moderne: Mary Jo et Richard CLOGG, Greece,
World Bibliographical Seri es, vol. 17, Oxford 1981.
L'Église russe : Gerhard PoosKALSKY, Cbristentum und
Tbeologische Literatur in der Kiever Rus: Münich 1982 ;
Antoine NIVIÈRE (éd.) Les Orthodoxes russes, Turnhout
(Belgique): Brepols (• Fils d'Abraham•), 1993.
L'ouvrage en 12 volumes en grec, publié par A. MARTINOS,
Thriskevtiki kai lthiki Enkyklopaideia, Athènes 1962-1968,
bien qu'inégal, contient une mine d'informations.
450 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

La Liturgie: R.F. TAPT, Introduzione allo studio dei


Liturgie Orientali, Bibliografia essenziale, 2 vol., pro
manuscripto, Rome 1982.
}.-M. SAUGET, Bibliographie des Liturgies orientales
(1900-1960), Rome 1962 complété par S. JANERAS,
Bibliografta su/le Liturgie orientali, (1961-1967), Rome
1969.

Pour des faits et des chiffres sur l'Orthodoxie contempo-


raine, consulter Ronald R. RoBERSON, 1be Eastern Christian
Churches : A Brie/ Suroey, 3e éd., Rome : Pontificio Istituto
Orientale, 1990. Pour les noms et adresses. des évêques
orthodoxes, voir Nikolaus WYRWOLL, éd. Orthodoxia 1994-
1995, Ostkirchliches Institut, Regensburg [Ratisbonne]
1994. Pour l'information sur le monde orthodoxe, on se
réfèrera au Service Orthodoxe de Presse (SOP), bulletin
mensuel, 92400 Courbevoie, 14, rue Victor-Hugo.
Index Ancien 54, 153, 157, 323, 394
Andreae, J . 123
A André l'iconographe (Roubliov),
Aarhus 404 saint 113
Abbot, archevêque de cantorbéry Andrewes, Lancelot 232
129 Andronikof, C. 231, 400, 434, 435
Action Chrétienne des Étudiants Androutsos, Christos 182, 312
Russes 412 Anges 285, 331
Adam 284, 288, 289, 290, 379 Angleterre, orthodoxie en 233-234
- Je nouvel Adam 291 Anglicanisme et orthodoxie 272,
Adrien, patriarche de Moscou 148 290, 401, 411-416
Adrien II, pape 99 Anne, sainte 334
Agathange, métropolite de Iaroslav Anne, femme de saint Vladimir 103
195 An Nour 174
Agathon, saint 307 Anselme de Cantorbéry 296
Alaska 159, 224, 235, 244 Antidoron 371
Alban, saint 9, 107 Antisémitisme 211
Albanie 13, 15, 164, 216 Antioche 13, 32, 79, 80, 173
Alexandre Nevsky, saint 109 Antoine (Bloom), métropolite 233
Alexandre, archevêque de l'• Église Antoine (Khrapovitsky), métropo-
orthodoxe africaine , 246 lite 197, 228, 399-400
Alexandrie 13, 32-36, 173, 390, 413 Antoine d'Égypte, saint 51, 54, 153,
Alexis I patriarche de Moscou 201, 285,306,329
204 Antoine des Grottes de Kiev, saint
Alexis Il patriarche de Moscou 212 105
Alexis Mikhai1ovitch, tsar de Russie Apocatastasis 336, 356
147 Apocryphes 258
Alexis (van der Mensbrugghe), Apophatique (théologie) 83-84,
évêque 232 270
Alexis Toth, saint 235 Argenti (Eustratios) 121
Ambroise, archevêque de Moscou Arianisme 31, 32, 40
151 Arméniens 10
Ambroise d'Optino, saint 156, 157 Arsène le Grand, saint 52, 302
Amérique, orthodoxie en 237, 241 Assyriens voir Église de l'Orient
Ammon de Nitrie, saint 52 Assomption de la Vierge voir
Amphilochios, père 171 Dormition
Anamnèse 364-366 Athanase, saint 9, 31, 33, 34, 54,
Anastase, archev. de Tirana 216 258,297,299
• Anastasiens •, voir Église russe Athanase (symbole d') 260
hors frontières Athéisme militant 190
452 L'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Athénagoras, patriarche de Benoît de Nursie, saint 51, 53


Constantinople 166-167, 237, berat 118, 119
243,408 Berdiaev, Nicolas 161
Athos 53, 130-131, 139, 140, 152, Bessarion, abba 382
164, 167-171, 248,352,390,391 Bezpopovtsy 146
Augustin, saint 274, 2n, 280, 282, Bible 189, 257-260, 393
284-285, 290,320 Birkbeck, WJ. 7,412
Augustin de Cantorbéry, saint 9 Bobrinskoy, Boris, père 231, 436
Autocéphalie et autonomie des Bonn, conférences de 410
Églises 13-14 Boris, khan de Bulgarie 73, 75, 100
Avortement 382 Boris, prince de Kiev, saint 104-
Avvakoum Pétrovitch 142, 145, 106
191,432 Botolphe, saint 107
Azymes 78, 94 Boulgakov, Serge, père 161, 231,
326,383,395,397,400,412,437
B Branches, théorie des 319
Balamand 174 Breck, Jean, père 237
Balsamon voir Théodore Brest-Litovsk, union de 124, 125
Balthasar, H.U. von 407 Bristol 404
Baptême 251, 264,356,359-360 Browne, E. 115
- des hérétiques 128 Bucarest conférence de (1935)
- bébés non baptisés 290 357,412
Baptistes russes 203 Bulgarie 73-74, 100, 220, 390
Barbares en Occident (invasion Bussy-en-Othe 234
des) 61-65 Byzance (empereur de) 55
Barlaam le calabrais 88-89, 92
Barnabé, épître de 187 C
Baronius 77 Cabasilas voir Nicolas cabasilas,
Bartholomée I, patr. saint
Constantinople 167, 408 Calendrier 389-391
Basajjikitalo, Obadiah 246 Calvinisme 272, 287, 289
Basile (Krivochéine) archevêque Canonisation des saints 330-331
232,426 Cassien (Bezobrazov), évêque 231
Basile, archimandrite d'Iviron 170, Catacombes, Église des 19, 199
439 cataphatique (théologie) 270
Basile le Bienheureux, saint 141 Catherine II de Russie 150, 159
Basile le Grand, saint 9, 33, 51, 53, Ceaucescu, N. 217-218
263,264,299,307 Célibat ecclésiastique 375-376
- Liturgie de 362 Celtique 23, 52
Basile III, tsar de Russie 135, 136 Cérulaire, Michel 78, 261
Beauduin, dom Lambert 407 Césaropapisme 55
Behring 224 Chaises 348, 351
Bénédiction du Saint-Sacrement 369 Chaldéens 10
Benjamin, métr. de Petrograd, st Chambésy 166
martyr 212 Chancellor, Richard 350
Index 453

Charismatique, ministère 322, 325 - les Sept Conciles Œcuméniques


Charlemagne 62, 63, 64, 69, 74 - Nicée 1 (325) 25, 28, 32, 33, 348
Charles d'Anjou 82 - Constantinople 1 (381) 32-33
Cheptitsky, Andrê, métr. 407 - Éphèse (431) 34, 40, 176, 332,
Chevaliers Teutoniques 109 405
Chevetogne 407 - Chalcédoine (451) 36-37, 326,
Chine 14, 244 404,405
Chios 186 - Constantinople II (553) 41, 332
Chitty, DJ. 270, 415, 444 - Constantinople III (681) 41, 42
Chrismation 361-362 - Nicée Il (787) 43, 64, 259
Christ, Personne du 89, 272, 394, autres conciles
404 - Jérusalem 25
- Second avènement du 338-339 - Carthage (257) 254
Christodule, saint 171 - Sardique (343) 72
Christus Victor 291-292, 294, 297 -Éphèse (449) 36,325
Chrysostome, archev. de Chypre - Tolède (589) 69
176 - Hiéria (754) 325, 326
Chrysostome, archev. d'Irkoutsk - Francfort (794) 69
212 - Constantinople (867) 75
Chute de l'homme 288-291 - Constantinople (869) 75
Chypre 13, 163, 165, 176, 390, 413 - Constantinople (879) 75
Ciel 335, 336 - Constantinople (1156-57) 369
Cierges 44, 350 - Latran 0215) 34
Clément d'Alexandrie, saint 83, 286 - Lyon (1274) 82
Clément, Olivier 232, 425, 434, - Constantinople (1341, 1351) 89,
438,439,442 261
Cléophas, père 217 - Florence (1438-39) 93, 274, 277,
Clergé régulier ("noir") 375 281,325,326,408
- séculier ("blanc") 375 -Moscou (1448) 134
- célibat du 375, 376 - Jassy (1642) 127, 258, 262
Cloches 144, 347 -Moscou (1666) 148
Communio Sanctorum 313 - Jérusalem (1672) 127, 224, 258,
Communion 252, 358, 371 262,367
- des enfants 362 - Constantinople (1819) 131
- fréquence de la 158-159 - Vatican (1870) 38, 409
voir aussi Eucharistie - Moscou (1917) 161-162, 376
Compton, Henry, évêque de - Karlovtsy (1921, 1922) 228-229
Londres 224 - Cleveland (1946) 230
Conciles - Vatican II (1962-65) 408
- théologie des 24-25, 56, 310, Concile Grand et Saint 243
324-328 Concupiscence 288
- troubles lors des 49 Conférences anglicano-orthodoxes
- œcuméniques 29, 47-48, 64, 67, 357,410,412,413
260,319 Conférences vieux-catholiques-
- locaux 25, 129-130, 260-261 orthodoxes 410
454 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Confession 149, 180, 372-374 Cruciflxion du Christ 293, 296


Confirmation 356 voir Chrismation Crusius, Martin 123
Conseil CEcuménique des Églises Culpabilité originelle voir Péché
242-243, 416-420 originel
Consécration 127, 365, 366 Curzon, Robert 9
Constantin le Grand, saint 26, 27, Cuthbert, saint 9
61 Cyprien de Carthage, saint 23, 24,
Constantin le Philosophe voir 230,321,324
Cyrille, Apôtre des Slaves Cyrille, Apôtre des Slaves 12, 97-
Constantin VII Porphyrogénète 55 102, 346
Constantin XI 94 Cyrille d'Alexandrie, saint 34-36, 49
Constantinople (ville de) Cyrille de Jérusalem, saint 287
- fondation 28 Cyrille Loukaris, patriarche 125-
- sac (1204) 80-81 127, 129
- royaume latin 82 Cyrille, Agathange et Pierre, métro-
-chute 95 polites 195
Constantinople (patriarcat de) Cyrille de Smolensk, métropolite
- origines 32-34, 37 212
- primauté du 42
- sous l'Islam 116-119 D
- de nos jours 164-167 Dacie 101
- relations avec la Russie et Damas 173
l'Ukraine lo6, 124, 133-135, 141 Damien, archev. d'Albanie, 216
- et la diaspora 227, 230 Damien, archev. du Sinaï 175
- et le Mouvement CEcuménique Daniel, métr. de Moldavie 218
417 Daniel de Tchernigov, higoumène
Contrôle des naissances 382 79
Copte, Église 10 Daniélou, Jean cardinal 407
Coptes 403 Défunts 328-330
Corée 245 Déification 299-302, 305-307
Corps du Christ 46, 312-313, 355, Dénikine 194
366-369 Denys, Abbé de la Trinité-Saint-
Corps humain 46, 86, 89, 154, 156, Serge 142
285, 301-303, 356 Denys [Dionizy), métropolite de
Cosmas l'Étolien, saint 132, 430 Pologne 221
Création de l'homme 283-286 Denys de !'Aréopage, saint 84, 357
- salut de la création 46 Dernier Jour 301, 336
Credo 33, 68-71, 78, 252, 260, 267, Deutéro-canoniques, livres 258
313 Dhikr87
Crémation 302n Diable, possible rédemption du
Croisades 79, 80 339
Croix Diaconesses 351, 377
- de baptême 360 Diacres 21, 351, 377
- exaltation de la 386 Diadoque de Photicé 86
- signe de la 144-145 Diakonikon 350
Index 455

Diaspora orthodoxe 223-248 - et la réunion des chrétiens 397-


Didachè 339 423
Dîme 107 - édifice 347-348
Dimitri Donskoï 111 Église et État
Dimitrije, patr. de Serbie 228 - à Byzance 55
Dimitrios, patr. de Constantinople - en Occident 63-64
167,226,30 4 - dans les pays slaves 138
Diodore, patr. de Jérusalem 174 - sous l'Islam 116-118
Diognète, épître à 223 - en Russie 147
Dioscore d'Alexandrie 36, 40 - sous le communisme et après
Diptyques 76-77 187-222
Divorce 136, 380-381 Église d'Angleterre voir
Dix, Gregory 92, 316 Anglicanisme
Dosithée, patriarche de - catholique romaine 406-410
Constantinople 126-127, 150, - voir aussi grecs-catholiques,
257,262,28 9,290,321, 322,329 Filioque, revendications papales
Dostoievsky 106, 156-157 - de l'Orient (Assyriens) 405-406
Droit canon 264-265 - orthodoxe africaine 246
Duns Scot 291 - russe hors frontières 227-230
Dvomik, Francis 74, 75, 428 "Église Vivante" 194
Égypte voir Alexandrie
E Élie II, catholicos de Géorgie 220
Eastern Churches News Letter 412 Élisabeth, Gde Duchesse, ste 212
ECOF (Eglise catholique Élisabeth, impératrice de Russie
Orthodoxe de France) 241 150
Écoles théologiques Émilianos de Simonos-Petras170
-Halki 166 Enarxis 363
-Athos 166 Enosis 165
- Finlande 172 Énergies divines 90-91, 271, 406
- Grèce 181-182 Enfer 336-338
- Russie 201,206 Entrée
- Roumanie 217 - grande 364, 365
-Serbie 218 - petite 363, 365
- Paris 231-232 Éphrem de Philothéou 171, 238
- Amérique 237-238 Éphrem le Syrien, saint 316
- Australie 238 Épiclèse 364-366
-Corée 245 Épiphane, saint, disciple de saint
- Afrique 247 Serge 112
Écologie 304 Épiphanie 386, 389
Économie 402 Épiscopat voir évêques
Écriture voir Bible Epitaphion 389
Édit de Milan 27 Epitimion 374
Égine 185 Erickson, John 237
Église' Ermites 51-52, 167
- doctrine de I' 309-339 Eschlimann, Nicolas 204-205
456 l 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Éthiopiens 10 Floride 224


Ethnarque 176 Foi et Constitution (CŒ) 417
Étienne, pape 62 Fol et œuvres 288
Étienne, saint 21 Fols-en-Christ 141
Eucharistie 313 France (Orthodoxie en) 231-233
- consécration 127 François d'Assise, saint 105
- comme sacrifice 342, 369-371 Franc-maçonnerie 151
Ethnarque 176 Francs 62, 63
Euloge (Georgievsky), métropolite Fraternité Orthodoxe 240
198,230,397 Fraternités (Bratstva) 125
Eusèbe de Césarée 28
Eustathe, patr. de Constantinople G
410 Gabriel, abbé de Dionysiou 168
Euthyme le Grand, saint 52 Gennade, auteur des 100 Chapitres
Évagre le Pontique 52, 83, 85, 86, 371n
267,286 Gennade (Georges Scholarios)
Evdokimov,Paul50, 182,231,286, patr. de Constantinople 116, 261
339,371,426,436,438 ,440 Georges de Grigoriou, père 170-
Eve (Marie, la Nouvelle Eve) 334 171
Évêques 38, 321-325, 375-376, 414 Géorgie 13, 14, 220, 390
- et le pouvoir civil 56 Germain d'Alaska, saint 235
- et les pauvres 34, 50, 151-152 Germain, patriarche de
Every, G. 344, 358 Constantinople 341
Extrême onction voir onction des Germain (Hardy) évêque 241
malades Gillet voir Lev
Gillquist, Peter 237
F Glasnost 220
Fédotov, G.P. 103, 108, 109, 111, Gleb, saint prince 104-106
158,191,231,431 Gonia, académie orthodoxe de 166
Fellowship of St Alban and St Gorazd, archevêque, saint 221
Sergius 234, 412 Goritcheva, Tatiana 206
Fellowship of St John the Baptist 240 Grâce 284, 286-288, 289
Femmes Graham, Stephen 1754
- ministère des 52, 53, 54 Grèce 13, 120, 163-186, 390
- ordination des 377-379 Grecs-catholiques 124-125, 212-
Fêtes 386-387 215, 218, 221
FiodorovN.F. 269 Grégoire VII (Hildebrand), pape 77
Filioque 68-71, 73, 74, 78, 82, 94, Grégoire de Chypre 275
98, 272-282, 297,406,428 Grégoire de Nazianze, saint 33, 49,
Finch, sir John 224 263,273
Finlande 14, 164, 172, 390 Grégoire de Nysse, saint 33, 49, 83,
Florensky, Paul, père 436 84,85, 274, 280,338-339
Florovsky, Georges, père 122, 163, Grégoire Palamas, saint 88-92,
182,232,252,256,320 ,344, 112, 121, 132, 263, 270, 275,
385,397,412 285,302
Index 457

B - vénération 45, 127, 129, 331,


Halki 166 350-351
Hammond, Peter 8, 292 Iconoclastes, controverse 42-43, 62
Hapgood, Isabelle F. 236 Iconostase 44, 159, 349
Harakas, S. 237 Ignace d'Antioche, saint 21-23, 38,
Heidegger 183 312,313,318
Henri Il, empereur 76, Ignace, patr. de Constantinople,
Hérêtiques saint 75
- baptême des 128, 360 Ignace (Hazim), patr. d'Antioche
- chrismation des 361-362 174
- persécution des 137-138 Ignace de Loyola, saint 132
Hésychastes 82-93 Image de Dieu dans l'homme 283-
Hiérarchie voir évêques 286, 289,299
Hiéronymos, archev. d'Athènes 180 Immaculée Conception 334-335,
Hilarion, métropolite russe 97, 104 406
Hildebrand 77 Incarnation voir Christ, Personne
Hodges, H.A. 415-416 du
Homme doctrine de l' 282-291 Infaillibilité
Homoousios 32, 33, 36, 273 - des conciles 67
Homosexualité 381 - de l'Église 320, 322
Hopkins G .M. 90 -du pape67
Hopko, Thomas, père 237 Innocent Veniaminov, saint 159,
Horologion 260 235,346
Hoxha (Hodja) 216 Intercommunion 401-402
Humbert de Moyenmoutier, Irênée de Lyon, saint 269, 284,
cardinal 59-60, 78 314,334
Hypostase 33 Irène, impératrice, sainte 43
Irenikon 407
I Isaac Ange 80
Iakovos, archevêque de New York Isaac le Syrien, saint 285-286, 291,
237 338,394
Icônes 446-447 Isidore, métropolite de Russie 134
- comme partie de la tradition Islam 41, 61
sacrêe 265-267 Ivan III de Russie 134
- et la Bible 259 Ivan IV le Terrible 141
- et l'Incarnation 45-46
- et la doctrine de la matière 46- J
47 Jacobites 10
- et le Corps Ressuscité 301-302 Jacques, liturgie de saint 362
- homme, image de Dieu 286 Japon 14, 244-245
- peinture d'icônes 266 Jean, archevêque de Finlande 172
- - en Russie 110, 113 Jean l'Aumônier, patriarche
--en Grèce moderne 183-184 d'Alexandrie, saint 50, 104, 307
- - dans la diaspora 232-233 Jean Chrysostome, saint 34, 50,
- rénovation miraculeuse 192 263,287,295,332,355,358
458 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Jean Climaque, saint 86 Karmiris, J.N. 182


Jean de la Croix, saint 151 Kartachov,A.V. 161,231
Jean Damascène, saint 44, 46, 52, Kassatkine, Nicolas, saint voir
252,263,270,273,283,357,368 Nicolas
Jean l'Évangéliste, saint 30, 31, 299 Kazan, académie de théologie 159
Jean de Kronstadt, saint 158-159, Ken, Thomas, évêque 411
309,349,433 Kénose 105
Jean Tzimiscès, empereur 56 Kenya 173, 245-247
Jean Il, métropolite de Russie 27 Khazars98
Jean VIII, empereur de Byzance 94 Khodre, Georges, métropolite du
Jean VIII, pape 75 Mont-Liban 174
Jean XIX, pape 410 Khomiakov, A.S. 7, 8, 9, 59, 69, 156,
Jérémie Il, patriarche de 159-160, 309, 315, 317, 324, 325,
Constantinople 261 326, 398-399,420-421, 433,437
Jérôme, saint 258,334 Khroutchev, N.S. 193, 202-203
Jérusalem 13, 32, 79, 80, 174, 390, Kiev 103-108
408,413 - Laure des Grottes 105, 111
Jeûne 142, 387-388 Kiréev, A. 416
- avant la communion 371 Klréevsky, Ivan et Pierre 157
Jeunesse orthodoxe d'Antioche Klèronomia 166
(MJO) 173-174 Kollyvades 130
Joachim III, patr. de Kontoglou, Photis 183
Constantinople 417 Koulikovo, bataille de 108
Joasaph d'Éphèse 357 Kovalevsky, Eugraphe 241
Jordanville 238 Kovalevsky, Pierre 111
Joensu 172 Krasnov-Lévitine, Anatole 204
Joseph, métropolite de Pétrograd Kritopoulos, Métrophane 129, 262
198 Kroug, Grégoire 233
Joseph, du Nouveau Skite 169 Kyrill, métr. de Smolensk 212
Joseph de Volokolamsk, saint 136,
142 L
Jugement, jour du (voir aussi Laïcs 324-325
Dernier jour ) 336 - théologiens 65
Julien, calendrier 390-391 - fraternités 125
Juridictions 227-228 Langues liturgiques 98-100, 233,
- russe d'Amérique du Nord 230- 236,237,239,346
231 Laure 105
- russe de Paris (rue Daru) 228, - Grande Laure de l'Athos 53
230 Lausanne, traité de 165
Justinien, empereur 56, 61 Lectorat 375
Justinien, patriarche de Roumanie Lénine 162
217 Léningrad 190
K Léon le Grand, pape, saint 36, 37,
Karlovtsy, synode de 197-198, 227- 40, 43,405
229 Léon Ill, empereur 43
Index 459

Léon III, pape 62, 69 Macaire d'Alexandrie, saint 52


Léon IX, pape 78 Macaire d'Antioche (voyage de)
Léon XIII, pape 262, 413 voir Paul d'Alep
Léonce de Néapolis (Hiérapolis) Macaire d'Égypte, saint 52, 85, 86
44,45, 50 - Macaire, homélies de 85-86, 89,
Léonide d'Optino, saint starets 156 301
Lev (Gillet) archimandrite 234, 395, Macaire d'Optino, starets, saint
439 156,157
L'Huillier voir Pierre, archev. Macédoine 218-219
Liban 173-174 Mahomet voir Islam 41
Liddon, H.P. 133 Makarios, archevêque de Chypre
Ligue des athées militants 190 118, 176
- des jeunes communistes 190 Marc d'Éphèse, saint 94, 261, 263,
Limbes 290 276
Lintula 172 Marc l'Ermite, saint 337
Litanies 351, 363 Marcien, empereur 36
Liturgie voir Eucharistie Mariage 379-382
Liturgies, les quatre différentes - clergé marié 375-376
362-363 - mariages mixtes 403
Liturgie et prière personnelle 391- Marie, Mère de Dieu 35-36, 332-336
394 Marie (Skobtsova) moniale 436
Livres liturgiques 346, 385 Martin de Tours, saint 107
- correction des 140, 142, 144 Martyre 24
• Livres symboliques • 262 - et vie monastique 23, 51
Londres 223-224, 230, 234 - et mariage 380
Lossky, Nicolas 232 Martyrs nouveaux 132, 191, 212,
Lossky, Vladimir 91, 182, 192, 232, 219, 330-331
248,251,256,269 ,276,282, Matière, doctrine orthodoxe de la
298,301,327,336 ,338,412 46-47, 303-304, 336, 356
Louis, roi de France, saint 109 Matthopoulos, Eusebios 184
Loukaris, Cyrille 125-127, 129 Mau-Mau 247
Loutraki 186 Maxime, évêque de Serpoukhov
Lubac, Henri de 407 199
Luc, évêque de Vladimir 106 Maxime, patriarche de Bulgarie
Luc l'Évangéliste, saint 21 220 .
Lucas Notaras 95 Maxime le Confesseur, saint 84, 85,
Lumière divine 87-88, 91, 154, 292 263,267,299,300 ,301
Luthéranisme 261, 272 Maxime le Grec, saint 104, 140,
142
M Maximos, év. de Pittsburgh 237
Macaire Gloukhariov, métropolite Méditations, méthodes de 393
de Moscou 159 Mehmet li, sultan 116
Macaire Notaras, saint 131 Mélèce Syrigos 127, 329
Macaire d'Alexandrie, patriarche Meletios IV, patr. de
143 Constantinople 413
460 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Men, Alexandre, père 211, 435 Mouvement de la Jeunesse


• Mérites • 287 Orthodoxe, 173-174, 417
Méthode, apôtre des Slaves, saint Munich 229
12, 97-102 Musées anti-religieux 190
Méthodistes 411 Musique liturgique 232, 233, 346-
Metousiosis voir 347
Transsubstantiation Myron 361
Métropolites 25, 38 Mystères voir Sacrements
Meyendorff, Jean, père 232, 278, Mystiques (théologie et prière) voir
316,328,425,426,427 hésychastes
Michel III, empereur 63
Michel vm, empereur 82 N
Michel Choniates 285 Nankyamas, Théodore, évêque 247
Milan, édit de 27, 29 Napoléon 107
•Millet•, système du 117-118 Nationalisme et orthodoxie 15,
Minucius Félix 302 102,118,227,239,248
Missionnaire, travail 110, 112, 159, Natures en Christ 36-37, 41, 42
243-248 Neale, J.M. 312, 385, 412
Mitrophane de Saraï 159 Nectaire d'Égine, saint 185
Mohyla, voir Pierre Mohyla Nellas, Panayotis 183
Moldavie 101 Neronov, Ivan 142, 145
Moment de la consécration 366 Nestoriens 40
• Monarchie • du Père 277, 280 Nestorius 31, 34, 35, 49
Monachisme 50-54, 164, 167-171, New Smyrna 224
185-186 Niamets 152
- à Byzance 51 Nicétas Choniates 81
- en Russie 136-139, 149, 153 Nicétas de Nicomédie 67
- dans le monde orthodoxe Nicolas cabasilas, saint 92-93, 334,
contemporain 167-172, 185-186, 370
209, 217, 218, 220, 233-235, 238, Nicolas Kassatkine, évangélisateur
248 duJapon,saint244,346
Mongols 107 Nicolas Planas, saint 185
Monophysites 31, 40 Nicolas Ier, pape 71-74, 76-77, 99
Monothélites 31, 41 Nicolas II, tsar de Russie 161, 193
Moraitidis, A. 185 Nicodème de la Sainte Montagne,
Moravie 97-100 saint 131, 152, 265
Mort 288, 356 Nikon, patriarche de Moscou 144-
- vie après la mort 328-330 148
- peine de mort 104 Nikon de Karoulia 171
Moscou 108 Nil de la Sora, saint 136-140, 146,
-Troisième Rome 135, 138, 144 152
- Patriarcat de 141, 148-150, 162, Nino, sainte 220
227 Nitrie 52
- diaspora russe 227-235 Nominalistes 88 ·
Motovilov, Nicolas 154, 156 Nom fête onomastique 331
Index 461

Non-chalcédoniens 10, 403-405 p


Non-jureurs 129, 252, 262 Pachôme, saint 51, 286
Non-possesseurs 136, 138-140, Paissy Vélitchkovsky, saint 152,
152 153,159,217,432
Normands 78 Paléoimérologites (vieux-calenda-
Nouvelle Rome 28 rlstes) 391
Novgorod 107 Palestine 80
Nuit obscure de l'âme 151 - mission russe en 175
- voir Jérusalem
0 Palmer, William 412
Oakley, A. 344 Pambo (abba), saint 302
Ogorodnikov, Alexandre 206 Pamiat' 211
Œcuménique, mouvement 262, Pan-orthodoxe, conférences 243
447,448 Papadiamantis A. 185
Œcuménique, patriarche voir pape 173, 40
Constantinople Pâques 386-387, 389, 390
Office divin 345 Pardon (dimanche du) 389
- longueur des offices 143, 351- Paris 231-232
353 • Paroles de l'Institution• 127, 365-
Olearius (Adam Ohlschlager) voya- 366
geur en Russie 147 Parousie 338-339
Oleg, prince 103 Parthenios Ill, patriarche
Olestchuk, F.N. 190 d'Alexandrie 173
Olga, sainte 103 Patmos 408 ·
Onction des malades 358, 382-383 Patriarcats voir Alexandrie,
Optlno 156 Antioche etc ...
Ordination 358, 375-379 Patrice 9
Ordres anglicans 413-414 Paul, apôtre, saint 30, 39, 84, 288,
Origène 83, 85 301,319
Orlginel(le) Paul d'Alep, archidiacre 143, 347,
- faute 288-291 352
- péché 288-291, 334-335 Paul VI, pape 408
Ormylia 186 Pavelic, Ante 219
Oropos 185 Pavie, patriarche de Serbie 219
Orthodoxes évangéliques 237 Pearson, John évêque 411
Orthodoxie Péché originel 288-291, 334-335
- approche liturgique 341-345 Pedalion 265
- signification du mot 16 Pélagianisme 287
- Dimanche de l' 43 Pentarchie 37-38
- Occidentale 240-241 Pentecôte 313-314
Ouganda 173, 245, 241 Pépin le Bref 62
ousia 33 Pères de l'Église 262-263
Ouspensky, Léonide 232 Père spirituel voir • Anciens •
Outre-Volga, ermites d' 136 Personne humaine 286
Oxford 8, 121, 129 Petite-Russie voir Ukraine, Kiev
462 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Pétrinlens, textes 39 Pouchkine, A.S. 108


Peuple du Livre 257 Présanctifiés, Liturgie des 362
Philarète Drozdov, métropolite de Présence réelle 129, 366
Moscou, saint 368 Prière du cœur 86, 443-444
Philarète Nikititch, patriarche de Prière de Jésus 86, 87, 131, 156,
Moscou 142 157, 169, 172, 248, 305, 393-396,
Philippe de Moscou, saint 422
patriarche 141, 392 Prières quotidiennes 391-396
Philippe, métropolite de New York - à genoux 348
237 Primauté d'honneur 38
Philocalie 131, 152, 157, 158, 217, Procession (double) voir Saint
248 Esprit
- traductions de la 131, 422 Processions antireligieuses 190-191
Philothée de Pskov 135 Prokimenon 363
Photius, patriarche de • Pro-synode •. 243
Constantinople, saint 63, 65, 71, Prophétie 322
72, 74-76, 98, 99, 261, 275-277 Proscomidie 363
Photius II, patriarche de Protestantisme 122-124, 126, 129,
Constantinople 230 160
Pic de la Mirandole 140 Prothèse 350, 364
Pie IX (réponse des patriarches Provemont 234
orthodoxes à) 262, 324 Psellos, Michel 63
Pierre, apôtre, saint 21, 39, 300 Pseudomorphose 122
Pierre d'Antioche 261 Pskov 200
Pierre VII, patriarche d'Alexandrie Purgatoire 127, 329
173
Pierre le Grand, tsar 148, 161 R
Pierre de Kroutitsy, métropolite Ragoza, Michel 124
195. 198 Ramsey, Michael, archevêque de
Pierre (L'Huillier) archevêque 237 Cantorbéry 412
Pierre Mohyla 125-127, 262, 290, Raphaël Hawaweeny, év. 236
329,374 Raskolniki voir vieux-croyants
Pierre de Moscou, saint 108 Raoul Glaber 410
Pilsudski 221 Raymond d'Agiles 79
Pimène, patriarche de Moscou 205 Récits d'un pèlerin russe 395-396,
Placide (Deseille) archimandrite 433
234 Rédemption cosmique 304
Platon, métropolite de Kiev 397 Réforme voir protestantisme
Platon, métropolite de New York Regelson, Lev 206
230 Règlement spirituel 148-149
Poitiers, bataille de 41 Règles, grandes et brèves 53
Pologne 13, 220-221, 390, 407 Reliques 303
Popovtsy 146 Repentir voir confession
Portes Royales 349 Réserve des Saintes Espèces 368-
Possesseurs 136, 142 369
Index 463

Résurrection du Christ 292, 294 - procession du 68-71, 272-282


Résurrection du corps 329, 335 - et la Tradition 255
Revendications papales - et l'Église 25, 280, 298
- dans la controverse de Photius - et les Sacrements 356, 361
72-73 Saint-Jean d'Acre 80
- acceptées par les orthodoxes à Saint-Marc de Venise 349
Lyon et à Florence 82, 93 Saint-Pétersbourg 229
- rejetées par Alexandre Nevsky Saint-Sacrement voir Eucharistie
109 Saint-Serge, Institut de Théologie
- et le Filioque 274 orthodoxe de Paris 231-232
Rhodes, conférence panorthodoxe Saint-Synode de l'Église russe 148-
de 166,243 149
Richard de Saint-Victor 281 Saint-Tikhon, Séminaire de South
"Romains" (Byzantins) 57, 63 canaan, Pennsylvanie 238
Romanidès, J. 183 Saint-Vladimir, Séminaire de
Rome 32, 39 Crestwood, New York 237
- Nouvelle Rome 28 Sainte-Croix, séminaire de New
-Troisième Rome 135, 138, 144 York 237
Rosaire 394 Sainte-Sophie, église 59, 78, 95,
Rastislav, prince de Moravie, saint 342,343
98 Saints 330-332
Roubliov, voir André Saints-ayant-souffert-la-passion
l'iconographe, saint 104-lo6
Roumanie 13, 101, 120, 216, 390, Saints patrons 331
413 Saladin 80
Rousseau, dom Olivier 293 Salut du corps 29-31, 46
Rum Millet 117 - du cosmos 46, 304
Runciman, Steven 68, 81, 428, 429 Samarlne, G. 160
Ryan,). 24 Sava, saint 100
Rycaut, Paul 115, 119 Savonarole 140
Scété 52
s Schmemann, Alexandre, père 232,
Sabas, saint 52 425,439,440, 442
Sabellianisme 276, 277 Scholarios, voir Gennade
Sacerdoce 375-379 SCOBA (Conférence des Évêques
- royal des fidèles 361 canoniques) 240
Sacramentaux 357 Scolastique 266, 281
Sacrements 355-383 Scupoli, Lorenzo 132
- définition des 355 Second Avènement 338-339
- nombre des 356-357 Semaine Sainte 388-389
- et l'Église 22, 313, 318 Séminaire chrétien 2o6
- et la déification 307 Septante, bible des 257-258
Sacrifice du Christ 369 Séraphim, archevêque d'Athènes 186
- de !'Eucharistie 369-371 Séraphim, métropolite de Berlin
Saint Esprit 155, 156, 297, 298 327
464 L 'Orthodoxie, l'Église des sept Conciles

Séraphim de Sarov, saint 153-156, Stanley, A.P. 48


158,297,302,307,323 Startsy voir •Anciens,
Serbie 13, 100, 120, 218-219, 331 Stéphane de Perm, saint 110, 159
Serge (Konovaloft), archevêque Stigmates 302
228 Stoudios, monastère du 53, 105
Serge (Voskresensky) métropolite Struve, Nikita A. 191, 197, 200, 434
de Pskov 200 Substance et accidents 367
Serge, patriarche de Moscou 193, Succession apostolique voir
195-199, 241 évêques
Serge de Radonège, saint 110-113, Sviatopolk 104
302,307 Sviatoslav 103
Serge II, Patriarche de Symbole des Apôtres, voir Credo
Constantinople 76 Syméon le Nouveau Théologien
Serge IV, pape 76 87, 131-132, 263, 323, 330
Sergiev, Ivan, voir Jean de Syméon, tsar de Bulgarie 100
Kronstadt, saint Symphonie byzantine 56
Silouane de !'Athos, saint 169, 304- Synaxe eucharistique 363, 364, 365
305 Syndesmos 243
Sinaï, monastère de Sainte- Synergie 286-287
Catherine 14, 53, 175 Synodaux voir Église russe hors
Sitka (Alaska) 224, 235 frontières
Slava 331 Syriens (non-chalcédoniens) 10,
Slaves 61, 73, 97-102 40-41
Slavon d'église 98 Syrigos voir Mélèce
Slavophiles 160
Slovaquie 407 T
Smyrne 165 Talantov, Boris 204
Sobornost, revue 412 Tanzanie 245
Soborny 24 Tatares 107
Soljénitsyne, Alexandre 205, 222, Tavener, John 233
226 Tchèque et Slovaque 14, 221
Soloviov, Vladimir S. 156 Tchirikov 224
Sophie Paléologue, femme d'lvan Temps des Troubles 141
III 134 Thabor 292 voir Lumière Divine
Sophrony (Sakharov), archiman- Théoclite de Dionysiou, père 168
drite 169, 234 Théoctiste, patriarche de Roumanie
Sotir, confrérie 185 218
Sotirios, évêque en Corée 245 Théodora, impératrice, sainte 43,
Sous---diaconat375 71
South Canaan 238 Théodore, disciple de Pachôme
Spartas, père Rauben 246, 247 298
spirituels, père et mère 54, 374n Théodore Balsamon, patriarche 70,
Stabat Mater 296 264
Staline 187, 193, 201, 202, 214 Théodore (Nankyamas) évêque
Staniloae, Dumitru, archiprêtre 217 247
Index 465

Théodo re le Studite, saint 43, 53, Trinité- Saint-S erge, Laure de la


237-238, 263 110-111
Théodose, empere ur 28 Trishagion 389
Théodo se des Grottes de Kiev, Triomphe de !'Orthodoxie 43
saint 105-106 Tropaires 363
Théodose, métropolite du Japon Tsar, titre de 135
245 Tübingen 123
Théodose, métropolite de New
York 228 u
Théologie apophat ique 270 Ukraine 123-125, 164, 213-215,
Theolog oumena 276 . 407-408
Théorie des, branche s• 319 - voir Kiev
Théoph ane le Reclus, évêque, Ukrainiens au Canada 237
saint 158, 292 Underhill, Evelyn 302, 343
Théophile d'Alexandrie 34 Uniates voir grecs-catholiques
Theosis voir déification Urmia 406
Theotokos voir Marie, Mère de
Dieu V
Thomas d'Aquin, saint 84, 278, 290 Valaam (Valamo) 172, 235
Tikhon, patriarche de Moscou, Valachie 101
saint 162, 193-197, 228-230, 236 Vassian Patrikiev, prince 137
Tikhon de Zadonsk, saint 151, 157, Vélitchkovsky voir Paissy, saint
432 Venance Fortunat d'Arles 295,
Tinos 186 296
Tolleshunt Knights 233 Vendredi Saint 294
Tolstoï, Léon 106, 156, 157 Veniaminov voir Innocent, saint
Toronto, déclaration de 419-420 Vieux-c alendar istes 186, 391
Tradition 253, 267 Vieux-c atholiqu es 401, 410
- Écriture et Tradition 253-255, Vieux- croyant s 141-148, 254-
257 255
• Tradition • et • Traditions • 253 Virginité de Marie 332
Transfiguration du Christ 292 Vitaly, métropolite 228
- du Corps de l'homme 302-303 Vladimir, métropolite de Kiev, st
Transsubstantiation 127, 224, 367- martyr 162, 212
368 Vladimir le Grand, saint 103, 106,
Trembelas, P.N. 182 341,343 ,344
Trinité, la Sainte 269, 271-282 Vladimir Monomaque, prince 104
-Trinit é et l'Église 311-314, Vlatadon 166
-Trinit é et conciles 314
- Trinité et doctrine de l'homme w
269 Winnaert, Louis-C harles, Mgr 241
- Trinité et sacrifice eucharistique
369-371 X
Trinité, (monastère de la) Xanthopoulos, Callixte et Ignace
Jordanville, New York 238 387
466 L'Orthodoxie, l'Égl'ise des sept Conciles

y z
Yakounine, Gleb 204, 205 Zemov, Nicolas 47, 143, 412, 433
Yannaras, Christos 183, 436, 438 Zizioulas, Jean, métropolite de
Yêzld, calife 43 Pergame 183, 438
Yoga 87 Zoè, confrérie 184
Yonan, Mar 406 Zonaras 264
Yougoslavie voir Serbie Zossima, starets 156-157
Zyrianes 110
Errata

p. 173, 1er §, dernière ligne : « Pierre VII (Papapetron, élu en


1977) », lire : Papapetrou, élu en 1927).

p. 174 : supprimer la dernière phrase et remplacer par: Le


patriarche Irénée (élu en 2001) a d'emblée annoncé l'arabisa-
tion du patriarcat.

p. 195, lignes 6-7 à partir du bas : En décembre 1925, Pierre fut


arrêté. Il fut fusillé le 10 octobre 1937 près de Tchéliabinsk dans
l'Oural.

p. 231 (bas de page), lire: Georges Fedotov 0886-1951), Paul


Evdokimov 0901-1970) et Constantin Andronikof 0916-1997).
Parmi ses professeurs actuels, on trouve le père Boris
Bobrinskoy.

p. 233, note 6 : lire : Iconography of Gregory Krug.

p. 425, ligne 10: lire: un deuxième volume: L'Orient chrétien


et l'essor de la papauté est paru en 2001.
p. 431, lignes 9-10: G~orges Florovsky, Les Voies de la théolo-
gie russe, Lausanne, L'Age <l'Homme, 2001 (édition intégrale).
p. 455 : supprimer Diodore, patr. de Jérusalem.

p. 457 : ajouter Irénée Jer, patr, de Térusaiem.


p. 462 : lire : Philippe de Moscou, saint métropolite.

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