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LA LECTURE DE L'ANCIEN

ET DU NOUVEAU TESTAMENT
DANS LE RITE BYZANTIN

par ie R. p. Alexis KNIAZEFF


Professeur à l'Institut Saint-Serge

Un développement hymnographique particulière-


ment important est l'un des traits essentiels de la
liturgie byzantine. C'est au point que la trame même
de l'office byzantin dans sa forme actuelle est presque
entièrement constituée par des tropaireE: et des sti-
chères de toutes catégories. En revanche un tel déve-
loppement hymnographique a très sensiblement réduit
la place des autres éléments constitutifs de cet office,
et notamment celle des passages de l'Écriture Sainte
lus ou chantés au cours des diverses fonctions.
C'est ainsi que la lecture ininterrompue du Psautier
réparti en cathismes est généralement tombée en dé-
suétude dans la pratique liturgique courante. En de-
hors de quelques grands centres monastiques où, du
reste, il avait pris naissance, cet usage n'est observé
que très rarement même pendant la première semaine
du Grand Carême ou pendant les trois premiers jours
de la Semaine de la Passion. Ont été réduits de même
les psaumes chantés avec les stichères aux vêpres et
aux matines, les odes scripturaires du canon. On ne
retient plus ordinairement que les premiers et les
derniers versets de tous ces chants bibliques, à l'excep-
202 LA PRIÈRE DES HEURES

tion du <' Magnificat >> qui est le seul à être encore


intégralement chanté. Mais quand on passe aux lec-
tures bibliques et si l'on laisse de côté les libertés qui
peuvent être prises à leur égard par la pratique des
églises paroissiales, l'on constate que c'est conformé-
ment au Typicon que leur part est relativement réduite
dans l'ordonnance de l'office comme dans les divers
cycles liturgiques. En dehors de la célébration eucha-
ristique quasi quotidienne 1 le rite byzantin ne connaît
de lectures qu'en des occasions limitées et en nombre
relativement limité.
Cette évolution n'a pourtant pas empêché la liturgie
. byzantine de demeurer foncièrement biblique, que ce
soit dans le cycle de ses fêtes ou même dans son
hymnographie. A son apogée l'hymnographie byzan-
tine sous toutes ses formes n'est en somme qu'un
commentaire théologique de faits scripturaires, com-
posé avec des paroles et employant les images de
l'Écriture Sainte. Mais on comprend que ce soit
l'hymnographie, tant par l'importance de son dévelop-
pement que par la richesse de ses formes, qui ait été
étudiée plus spontanément et de préférence, plutôt
que le système de lectures bibliques.
Nous possédons cependant sur la lecture de la Bible
dans la liturgie byzantine d'importantes études, œuvre,
pour la plupart, de biblistes et de liturgistes allemands. ·
Au début du siècle Caspar René Gregory, en fin du
I er tome de sa Teœtkritik des N euen Testaments 2, a
donné une description sommaire des lectionnaires grecs
relatifs au Nouveau Testament et a reconstitué le
tableau des lectures, tant pour le propre du temps
que pour le propre des saints; mais, dans l'ensemble,
c'était plus l'esquisse du travail à faire sur les lection-
naires grecs que ce travail lui-même. Une étude ana-
1. En ce qui concerne les jours dits aliturgiques, v. infra.
2. Leipzig, 1900, pp. 327-478.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 203

logue, mais beaucoup plus poussée, a été ensuite


entreprise par Alfred Rahlfs pour les lectures vétéro-
testamentaires dans l'Église grecque 1 • Finalement, le
tout a été repris en 1947 par M. Gerhard Kunze dans
les chapitres consacrés à l'Église byzantine de son
ouvrage général sur la lecture de l'Écriture Sainte
à l'office divin 2 • Ces études ont principalement porté
sur les divers documents relatifs à l'histoire du lec-
tionnaire byzantin et ont permis de dégager les grandes
lignes de cette histoire. Et si nous reprenons ici le
même sujet, c'est qu'il y a lieu de compléter ce résultat
par ceux auxquels sont arrivés certains liturgistes
russes d'avant la Révolution de 1917 et qui ne sont
pas encore tous suffisamment connus en Occident.
Nous voudrions aussi poser le problème des vues
théologiques sur lesquelles reposerait tout le système
de lectures bibliques adopté par l'Église byzantine.
Mais avant d-'aborder l'étude elle-même, il nous a
paru opportun de rappeler l'essentiel de ce système
tel qu'il se présente actuellement.

La célébration eucharistique, c'est-à-dire la << litur-


gie >> proprement dite selon la terminologie grecque,
est la seule fonction dans l'Église byzantine à com-
porter obligatoirement des lectures scripturaires. Cel-
les-ci sont constituées par l'Épître et l'Évangile. L'Épî-
tre est toujours prise dans le Nouveau Testament,
parmi les écrits apostoliques, à l'exception de l'Apoca-

1. Cette étude a d'abord été éditée dans les Nachrichten von


der Kgl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Gottingen (Phil. histo.
Klasse, 1915, Heft 1, pp. 28-136). Elle a été rééditée la même année
à Berlin dans la série Mitlesungen des Septuaginta Unternehms der
Kg/. Gesellshaft der Wissenschaften zu Gottingen, fasc. no 5.
2. Gottingen, 1947, pp. 23 s., 75-102.
204 LA PRIÈRE DES HEURES

lypse. A côté de lectures propres au temps, la << litur-


gie 1> peut avoir des lectures prescrites par le Ménologe
et qui, autrement dit, relèvent du propre des fêtes et
des saints. Mais en dehors de la célébration eucharis-
tique 1 , l'Église byzantine ne lit l'Écriture Sainte qu'en
des circonstances solennelles. Et cette lecture, lors-
qu'elle est prescrite, se fait ordinairement aux vêpres
et aux matines.
Les lectures des vêpres sont, en règle générale,
prises dans l'Ancien Testament : en dehors de cas
très particuliers et qui seront indiqués par la suite,
seules les fêtes d'apôtres peuvent avoir aux vêpres
des lectures néotestamentaires choisies parmi les écrits
apostoliques. En temps du Triode ces lectures des
vêpres sont au nombre de deux, mais ce nombre passe
à trois les Grands Jeudi et Vendredi; il passe à quinze
le Grand Samedi, lors de la vigile pascale. Pour ce
qui est du Ménologe, les lectures des vêpres, au cas
où elles sont prévues, sont au nombre de trois. Mais
l'Annonciation en compte cinq, tandis que les vigiles
de Noël et de l'Épiphanie en comptent respectivement
sept et treize. Si nous passons à la lecture, aux vêpres,
de leçons néotestamentaires, celles-ci, en dehors du cas
déjà cité de fêtes d'apôtres, ne se rencontrent, en
premier lieu, que le Grand Vendredi. En effet, à côté
des trois leçons vétérotestamentaires, les vêpres de
cette solennité comportent également une Épître
(I Cor. 1, 18 à 2, 2) et un Évangile (qui est constitué
par un récit composite de la Passion, fait de textes
empruntés aux quatre évangélistes). De même, il y a

1. La liturgie des Présanctifiés n'est pas une célébration eucha-


tistique mais un simple service de communion. Aussi, en principe,
ne comporte-t-elle pas de lectures néotestamentaires. On y lit, ce-
pendant, un Évangile les trois premiers jours de la Semaine de la
Passion. On peut parfois y lire l'Épître et l'Évangile les jours de
certains saints, en cas d'incidence de leurs fêtes sur un jour alitur-
gique du Carême.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 205

exceptionnellement un Évangile aux vêpres chantées


le soir du dimanche de Pâques: c'est la péricope de
Jean 20, 19-25 relatant la première apparition du
Christ ressuscité aux apôtres.
La lecture biblique des matines consiste toujours,
lorsqu'elle est prévue, en une seule et unique leçon
tirée de l'Évangile. La liturgie byzantine prévoit tou-
jours une telle lecture pour l'orthros du dimanche
ainsi que pour celui des grandes fêtes comme pour
celui des saints à partir d'un degré déterminé de
festivité 1 • Mais elle fait également lire l'Évangile à
matines tous les jours de la Semaine de la Passion.
Le Grand Vendredi le nombre de leçons passe même
de un à douze : ce sont, alors, les douze Évangiles
de la Passion qui ont fait donner à tout cet office le
nom d' << akolouthia des Saintes et Rédemptrices Souf-
frances>>. Quant à l'orthros du Grand Samedi, il com-
porte, cas unique dans toute l'année liturgique byzan-
tine, une épître et une lecture prophétique (le chap. 37
d'Ézéchiel), qui s'ajoutent ainsi à la leçon évangélique
réglementaire.
La liturgie byzantine connaît aussi parfois des
lectures scripturaires aux petites heures. Ainsi le
Triodion prévoit une leçon prophétique à sexte du
mercredi et du vendredi de la tyrophagie, à celle
des jours de semaine pendant le Grand Carême à
l'exception des samedis et, aussi, à celle des trois
premiers jours de la Semaine de la Passion. Autre
cas unique, il y a aussi une lecture prophétique à
prime le Grand Jeudi. Enfin, le Grand Vendredi, pour
chacune des heures, appelées ce jour Heures Royales,
le Triodion prescrit à la fois une leçon prophétique,
une épître et un Évangile. Ici nous devons ajouter
que sur le modèle des Heures Royales du Grand Ven-
1. Il s'agit des mémoires des saints à « polyélaios $ et des classes
au-dessus.
206 LA PRIÈRE DES HEURES

dredi on a composé par la suite des offices similaires


pour les veilles de Noël et de l'Épiphanie comportant
la même répartition des leçons scripturaires. Rappe-
lons aussi qu'à tierce, sexte et none des trois premiers
jours de la Semaine de la Passion l'Église byzantine
relit Matthieu, Marc et Luc en entier, et Jean seule-
ment jusqu'au chapitre 12. Précisons également, pour
terminer, qu'il n'y a jamais de leçons bibliques à
complies, à l'office de minuit et aux heures intermé-
diaires.
Ces lectures, lorsqu'elles sont prescrites, peuvent
relever soit du Ménologe, soit du propre du Triode 1 •
Les deux sortes de leçons, du fait de certaines inciden-
ces du cycle des fêtes sur les cycles du temps, peuvent
avoir à s'ajouter l'une à l'autre au cours d'une seule
et même célébration. On ne peut dans ce cas retenir
les deux catégories de lectures que pour la <<liturgie))
eucharistique, comme cela a été déjà dit, et pour
l'office des vêpres. Le cas le plus typique est celui
de l'incidence de la fête de l'Annonciation sur un jour
de semaine en période du Carême ou sur un jour
quelconque pendant la Semaine de la Passion. En
revanche, aux matines il ne peut y avoir qu'une seule
leçon évangélique : aussi, en règle générale, la lecture
d'une grande fête mobile l'emporte-t-elle sur celle qui
relève du propre du temps. Seule la structure toute
particulière des matines du Grand Vendredi et de
celles du Grand Samedi permet de garder à la fois
et les lectures du Triodion et celle du Ménologe en
cas de l'incidence de l'Annonciation sur l'un des
deux derniers jours de la Semaine de la Passion.
Aussi est-on obligé de constater que le lectionnaire
1. Observation terminologique : nous appellerons temps du Triode
l'époque mobile comprenant les semaines préparatoires au Carême,
la Sainte Quarantaine et la Semaine de la Passion, tandis que nous
réserverons le nom de Triodion au livre qui, pour cette période, ren-
ferme le propre du temps et, par conséquent, remplace l'Octoéchos.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 207

byzantin a reçu un développement pour ce qui est


des lectures aux vêpres et à la << liturgie >> eucharis-
tique, et qu'il n'en a presque pas eu pour les matines
en dehors de la fin de la Semaine de la Passion.
La chose, du reste, est aisée à comprendre. Tout
peut se ramener, en effet, aux particularités du déve-
loppement hymnographique propre à chaque office.
Plus l'hymnographie prend de l'ampleur, moins, par
voie de conséquence, il reste de possibilités pour un
développement du système de leçons bibliques. La
part de l'hymnographie propre au temps et aux fêtes
étant demeurée relativement réduite à la célébra-
tion eucharistique byzantine, le Typicon actuel y a
admis, tant à l'Épître qu'à l'Évangile, la possibilité
de trois leçons dont l'une relèverait du propre du
temps et les deux autres de celui des saints. Si de
même il ne peut y avoir en principe qu'une seule leçon
évangélique aux matines, c'est parce que cet office
a été très rapidement envahi par le canon\ lequel,
après y avoir singulièrement diminué la place du
kontakion, a fini par en constituer l'élément le plus
important. Aux vêpres, en revanche, où le canon n'a
pas été introduit 2 , la lecture de la Bible a eu la pleine
liberté de se développer concouramment à l'élément
hymnographique.
Quoi qu'il en soit, il résulte également de cette
répartition des lectures bibliques entre les divers
offices, que la liturgie byzantine tend à réserver l'Ancien
Testament aux vêpres et le Nouveau Testament aux
matines et à la célébration eucharistique. L'Ancien
Testament était également lu à cette célébration dans

1. On pourra noter ici que le canon n'a que trois odes aux matines
du Grand Vendredi, dont le système de lectures est particulièrement
développé.
2. Le canon est aussi chanté aux complies et à l'office de minuit.
C'est peut-être la raison pour laquelle ces offices ne comportent
jamais de lectures bibliques dans la liturgie byzantine.
208 LA PRIÈRE DES HEURES

l'Église primitive et cet usage, en Orient, a été con-


servé par les nestoriens. Quant au lectionnaire byzan-
tin actuel, l'Ancien Testament ne s'y trouve indiqué
pour la << liturgie >) eucharistique que pour les cas où
l'on célèbre celle-ci conjointement aux vêpres, ce qui
a lieu en temps de Triode ou, quelquefois, aux vigiles,
à la veille de Noël et de l'Épiphanie. Il est impossible
dans l'état actuel de nos connaissances de préciser
quand, exactement, l'Église byzantine a cessé de lire
l'Ancien Testament au cours de ses célébrations
eucharistiques : cet usage est encore connu, notam-
ment, de saint Maxime le Confesseur 1, mort en 662.
Il est également difficile d'indiquer les causes qui ont
déterminé la disparition de cet usage. Mais l'on peut
être certain que cette disparition a largement contribué
à répandre l'interprétation symbolique des offices,

l
aujourd'hui encore très courante dans la piété popu-
laire, et qui voit dans les vêpres une figuration de
l'histoire sainte de l'Ancien Testament, et dans les
matines comme dans la << liturgie >) eucharistique celle
de la vie terrestre du Sauveur 2 •
Tels sont, brièvement esquissés, les faits et les
idées qui ont présidé à la formation du lectionnaire
byzantin ou qui ont accompagné son élaboration.
Comment, maintenant, se sont constitués les divers
cycles de lectures dont il est l'ensemble? Il comprend,
notamment, des lectures propres au temps et des lec-
tures propres aux fêtes. L'histoire de ce second cycle
de lectures serait trop longue à retracer dans les
cadres assignés à la présente étude: il s'agirait, en
somme, de refaire pour elles l'histoire de chaque fête
ou de chaque mémoire de saints dont elles relèvent.
Aussi bornerons-nous cette étude aux seules lectures
1. P. G., 91, 700.
2. L'exemple classique d'une telle interprétation est fourni pour
le cas de la liturgie eucharistique par Nicolas Gogol dans ses Médita-
tions sur la divine liturgie.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 209

scripturaires qui dans la liturgie byzantine actuelle


font partie du propre du temps.

II
1. Celles-ci comptent parmi elles en premier lieu un
cycle de onze leçons évangéliques que l'on lit tour à
tour aux matines des dimanches. Ces leçons sont ap-
pelées Évangiles de la Résurrection, parce qu'elles y
ont trait, ou bien Évangiles de l'aube (EÔIX'Y"(ÉÀ~IX &(J)ewci),
parce que le moment de leur lecture en principe doit
coïncider avec ce moment du jour. L'origine, sinon
de ce cycle, du moins de l'usage d'avoir à cet office
un Évangile de la Résurrection, est ancienne, puisque,
d'après Ethérie, à Jérusalem déjà au rve siècle, il Y1
avait une lecture de l'Évangile aux matines domini-1
cales 1 • Elle s'explique par le désir de l'Église de
revivre la Résurrection du Christ avec ceux-là mêmes
qui ont été ses témoins et au moment même où elle
avait eu lieu ainsi que d'en entendre la nouvelle dans
les paroles mêmes où elle avait été annoncée pour
la première fois. Aussi l'usage veut-il que ces Évan-
giles, à la différence des Évangiles de fêtes ou de
saints, soient lus non au milieu de l'église mais à
l'autel même, dans le sanctuaire, telle l'annonce de la If
Résurrection du Christ jaillissant hors du Tombeau.
Les onze péricopes qui composent ce cycle dans sa
forme définitive sont les suivantes :
1. Matthieu 28, 16-20 7. Jean 20, 1-10
2. Marc 16, 1-8 8. Jean 20, 11-18
3. Marc 16, 9-20 9. Jean 20, 19-31
4. Luc 24, 1-12 10. Jean 21, 1-14
5. Luc 24, 12-35 11. Jean 21, 15-25
6. Luc 24, 36-53
1. Peregrinatio Etheriae 24, § 10. Il est très possible que les
matines dominicales avec leur lecture évangélique aient servi de
modèle aux matines des fêtes qui, elles aussi, comportent à la même
place une lecture de l'Évangile.
210 LA PRIÈRE DES HEURES

Le cycle débute le Dimanche après la Pentecôte


(Dimanche de la Toussaint) avec la première de ces
leçons, se poursuit jusqu'au 11 e dimanche, après quoi
il recommence et ainsi de suite jusqu'au 6e dimanche
du Grand Carême. Ces mêmes leçons figurent aux
matines des dimanches compris entre les fêtes de Pâ-
ques et de la Pentecôte, à l'exception de la 2e, de la 5e,
de la 6e, de la ge et de la 11 e 1 • Un rapide examen de la
composition de ce cycle et de l'ordre dans lequel se
suivent les péricopes qui en font partie nous montre
que dans ses lectures propres au temps, l'Église byzan-
tine suit l'ordre des auteurs et celui du texte des
livres saints qu'elle emploie. C'est le principe de la
( lecture continue de l'Écriture Sainte 2 •

2. Ce principe s'est encore mieux manifesté dans


le cycle des lectures à la << liturgie )) eucharistique.
C'est le second cycle des lectures qui, dans l'Église
byzantine, relèvent du propre du temps. Il y repré-
sente même l'élément de base pour cette catégorie
de lectures puisqu'on peut dire qu'il constitue la vraie
sanctification du temps par la lecture quasi ininter-
rompue du Nouveau Testament, jointe à une célébra-
tion quasi quotidienne de la Sainte Eucharistie. Cette
suite de lectures débute à la liturgie du Dimanche de
Pâques par Actes 1, 1-8 et Jean 1, 1-17 et se poursuit
dans l'ordre des Évangiles et des autres écrits néotes-
tamentaires jusqu'au Dimanche des Palmes de l'année
suivante 3 • Ce principe de lecture continue s'explique

1. La lecture des matines de la Pentecôte est Jn 20, 19-23.


2. Ce principe de la lectio continua s'oppose à celui de la lectio
discontinua ou congrua, adopté par d'autres Églises, notamment
par l'Église romaine.
3. L'année ecclésiastique byzantine commence le 1•• septembre,
les lectures néotestamentaires de la « liturgie • ont pour commence-
ment le Dimanche de Pâques et le cycle des huit tons de l'Octoéchos
débute avec le ton 8 le premier dimanche après la Pentecôte. De là
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 211

ici par le désir très net de la part de l'Église de per-


mettre à ses fidèles d'entendre dans le courant d'une
seule année la presque totalité des livres du Nouveau
Testament. Aussi a-t-il amené l'Église byzantine à
répartir les lectures prévues pour la <<liturgie>> domi-
nicale selon un schéma très strict qui, dans ses grandes
lignes, se présente de la façon suivante :
Épître Évangile
De Pâques à la Pentecôte Actes Jean
Du 1er dimanche après Romains
la Pentecôte au 1 Corinthiens Matthieu:
Dimanche des Palmes Galates
Éphésiens Luc
Colossiens
Timothée
Hébreux Marc

Pour ce qui est de la répartition des lectures pour


les jours de semaine, l'ordre en est un peu différent
mais le principe qui y transparaît est toujours le
même. C'est ainsi que nous avons pour la répartition
des Évangiles :
De Pâques à la Pentecôte: Jean
De la Pentecôte
à la Sainte Quarantaine :
1re à 11 e semaine : Matthieu
Du lundi au
vendredi le samedi
12é à 16e semaine : Marc Matthieu
17 8 à 29e semaine : Luc Luc
la nécessité de coordonner le cycle des lectures de la «liturgie •
avec celui des tons et avec le calendrier. Tout cela a donné lieu à
l'élaboration d'un système assez compliqué de règles. Mais ici, sur
quelques points, la pratique de l'Église russe est sensiblement diffé-
rente de celle de l'Église grecque.
212 LA PRIÈRE DES HEURES

30e à 35 8 semaine : Marc Luc


36e semaine : Luc Matthieu
Pendant la Sainte
Quarantaine : Marc

Quant au tableau de la répartition des Épîtres, il est


plus compliqué dans ses détails, mais lui aussi tient du
même principe, ainsi qu'en témoigne le schéma suivant:
Période de la Pentecôte : Actes
Après la Pentecôte :
1re à 6 8 semaine : Romains
Du lundi au le samedi
vendredi
78 à 10 8 semaine : Corinthiens Romains
11 e à 13 8 semaine : Corinthiens Corinthiens
13 8 à 24e semaine : Galates
Éphésiens
Philippiens Corinthiens
Colossiens
Thess.
25 8 à 27e semaine : Thess.
Timothée Gala tes
Tite ~phésiens
28 8 à 30e semaine : Hébreux Ephésiens
30e à 35 8 semaine : Jacques Colossiens
Pierre Thess.
Jean Timothée
36 8 semaine (dite (sauf le mercredi
de la Tyrophagie) et le vendredi)
Jean Romains
Jude
Pendant la Sainte
Quarantaine Hébreux

Pourtant, ce principe de la lecture continue de


l'Écriture Sainte n'est pas aussi absolu dans l'Église
byzantine que dans l'Église arménienne, dans laquelle
il est appliqué sans aucune défaillance. Aussi, dans
ses lectures à la liturgie eucharistique, l'Église byzan-
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 218

tine s'en écarte-t-elle chaque fois que tel jour de


l'année, défini en fonction de son rapport avec Pâques
et la Pentecôte, il y a incidence d'une fête du Ménologe
dont les lectures priment sur celles indiquées par le
propre du temps. Mais parfois c'est le lectionnaire
byzantin du propre du temps qui s'écarte lui-même
de ce principe dans la répartition des lectures néotes-
tamentaires à la << liturgie >>. Ainsi, en période de
Pentecôte, le. Dimanche des Myrophores on lit non
pas Jean mais Mc 15, 4 à 16, 8; de même le premier
dimanche après la Pentecôte, fête de tous les Saints,
on lit non pas l'épître aux Romains, mais Hébr. 11,
82 à 12, 2. La raison qui a, dans ces deux cas, déterminé
le choix de leçons, est très claire : le lectionnaire a pré-
féré retenir les textes se rapportant directement aux
faits commémorés ou bien dépeignant d'une manière
particulièrement éloquente l'exploit spirituel des saints
que l'on fête 1 • Dans d'autres cas les raisons de l'aban-
don de ce principe sont moins évidentes et nous aurons
à y revenir dans la suite. Notons, en attendant, que,
grâce au système de la lecture continue et bien que
s'en écartant parfois, l'Église byzantine parvient ainsi
à lire en une année tout le Nouveau Testament, à
l'exception de l'Apocalypse et de l'épître à Philémon.
Le premier de ces deux écrits, comme on a déjà eu
l'occasion de le remarquer, n'est jamais lu dans la
liturgie byzantine ; le second, bien que ne figurant
pas parmi les lectures relevant du propre du temps,
est lu en entier à la célébration eucharistique du 22
novembre, jour de la saint Philémon.
Que sait-on de l'histoire de ce système de lectures

1. Noter, en particulier, dans l'~vangile des Myrophores. les


détails pittoresques dépeignant la marche des Saintes Femmes
vers le Tombeau vide et l'attitude courageuse de Joseph d'Arimathie
devant Pilate (Mc 16, 1-3 et 15, 43 et ss). L'~pttre du Dimanche
de tous les Saints, elle, donne une description du maximalisme
dans la foi, qui constitue le fait de toute sainteté humaine.
214 LA PRIÈRE DES HEURES

adopté par l'Église byzantine pour sa « liturgie » eu-


charistique? Ce système, tel qu'il se présente aujour-
d'hui, s'est élaboré à Constantinople, sans doute vers
1
le xe siècle 1• Les lectionnaires du VIlle siècle (le ma-
nuscrit arménien de la Bibliothèque Nationale date de
ce siècle) se rapportant à l'Église de Jérusalem, témoi-
gnent d'un système de lectures qui diffère sur bien
des points du système byzantin actuel. Il en est de
même de la tradition hiérosolymitaine du rxe siècle
(évangéliaire du Sinaï) 2 • L'étude de ces textes permet
de conclure que le lectionnaire byzantin .actuel, tout
comme le Typicon byzantin actuel, a résulté de la
concurrence entre deux traditions liturgiques : celle
de Jérusalem et celle de Constantinople. Mais tandis
que pour le Typicon la victoire a été remportée par
la pratique hiérosolymitaine, le lectionnaire de Jéru-
salem a été évincé par celui qui s'est formé dans la
capitale byzantine.
Ainsi que le montrent les tableaux précédents, il
n'y a plus de lectures néotestamentaires prévues en
temps du Carême pour les jours de semaine, à l'excep-
tion du samedi. Cet arrêt s'explique par la discipline
du jeûne dans l'Église byzantine. En effet, selon une
tradition très ancienne, pendant la période quadra-
gésimale les jours de jeûne sont des jours aliturgiques,
autrement dit ne comportant pas de célébration eu-
charistique, à laquelle toute la lectwe quotidienne du
Nouveau Testament se trouve indissolublement liée.
Pour ces jours donc l'Église byzantine remplace cette
lecture par une lecture quotidienne de l'Ancien Testa-

1. Cf. Archimandrite CYPRIEN (KERN) : L'Eucharistie, Paris,


1947, p. 183 (en russe).
2. Nous pouvons indiquer ici, à titre d'exemple, que le dimanche
de Pâques on lisait à Jérusalem non pas Jn 1, 1-17, mais Mat. 28,
qui, dans le système byzantin actuel, constitue la leçon évangélique
à la • liturgie • du Grand Samedi.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 215

ment. Ce troisième cycle de lectures propres au temps


va se dérouler au cours de l'office divin.

3. Ce troisième cycle débute à la semaine de la


Tyrophagie, qui compte deux jours aliturgiques : le
mercredi et le vendredi. Le mercredi de la Tyrophagie,
on lit à Sexte comme aux Vêpres le livre de Joël,
et le vendredi celui de Zacharie. Avec l'avènement
de la Saint~ Quarantaine, ces lectures vétérotesta-
mentaires s'étendent sur toute la semaine du lundi au
vendredi. A Sexte, on lit Isaïe, aux Vêpres la Genèse
et le livre des Proverbes. La lecture de chacun de ces
livres commence le lundi de la première semaine du
Carême, se poursuit pendant toute la Quarantaine pour
s'achever le vendredi de la 6e semaine, la veille du
samedi de la résurrection de Lazare. Nous retrouvons
ensuite le même système de répartition des lectures
au cours des trois premiers jours de la semaine de la
Pa~sion: on y continue, en effet, d'avoir à Sexte une
lecture prophétique et, aux Vêpres, celle de la Loi
et d'un livre sapientiel. Mais c'est Ézéchiel qui prend
la place d'Isaïe, tandis que la Genèse et les Proverbes
sont remplacés respectivement par l'Exode et Job.
Les jours suivants, la répartition des lectures change,
mais le principe qui a déterminé leur choix demeure.
La lecture prophétique le Grand Jeudi passe de Sexte
à Prime et elle est prise dans Jér. 11 et 12. Le même
jour à Vêpres avec l'Exode et Job il y a une seconde
lecture prophétique qui est tirée d'Isaïe. Le Grand
Vendredi, comme il a déjà été signalé, a un système
de lectures très particulier à ses heures, dites Heures
Royales, mais aux Vêpres de ce jour, comme à celles
du Grand Jeudi, on retrouve l'Exode, Job et Isaïe.
Ézéchiel, dont la lecture a été interrompue pendant
deux jours, reparaît aux matines du Grand Samedi
avec sa célèbre prophétie des ossements (ch. 37).
LE LECTIONNAIRE BYZANTIN DE LA SEMAINE DE LA PASSION

Parties de l'Oftice LUNDI MARDI MERCREDI JEUDI VENDREDI SAMEDI

Matines Mat. 21, ISA3 Mat. 22, 15l23, 30 Jean 12, 17-50 Luc 22, 1-30 Les 12 fu. 37
~vaniiles 1 Cor. 5, 5-8
de la Gal. 3, 13-14
Passion Mat. 27, 62-66

Prime Jér. Il et 12 Zach. Il, 10-13


Gal. 6, 14-18
Mat. 27, 1-56

Tierce Is. 50, 4-11


Rom. 5, 6-11
Marc 15, 16--41

Sexte fu. l, 1-20 fu. 1, 21 à 2, 1 fu. 2, 3-10 et Is. 52, 13 à 54, 1


3, 1-30 Héb. 2
Luc 23, 32-49

None Jér. Il et 12
Héb. 10, 19-31
Jean 18, 28 à
19, 37

Vêpres et Ex. 1, 1-20 Ex. 2, 5-10 Ex. 3, 11-22 Ex. 19, 10-19 Ex. 33, 11-23 La pnde
Uturgie Job 1, 1-12 Job l, 13-22 Job 2, 1-10 job 23, 1-23 et Job 42, 12-16 viiile
Mat. 24, 3-35 Mat. 24, 36 à 26, 2 Mat. 26, 6-16 42, 4-5 Is. 52, 13 à 54,1 pascale
ls. 50, 4-11 1 Cor. 1, 18 à 2,2
1 Cor. Il, 23-32 ~vaoiile
~vaniile composite de
composite la Passion
1
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 217

Et l'on termine avec les quinze lectures des Vêpres du


Samedi, qui constituent la grande Vigile pascale.
Ainsi esquissé ce système de lectures du temps du
Triode appelle quelques remarques. Nous avons déjà
souligné le nombre de leçons lues aux Vêpres ainsi
que le fait que l'une était tirée de la Loi (Genèse,
Exode) et l'autre des Sapientiaux (Proverbes, Job) ou
d'un livre prophétique (Isaïe, pendant la deuxième
moitié de la ~emaine de la Passion). Nous sommes
certainement là en présence du vestige d'un très vieil
usage, que l'antiquité chrétienne avait hérité de la
Synagogue, et qui consistait à faire lire à la liturgie
une leçon de la Loi suivie d'une leçon des Prophètes.
On ne sait quand cet usage disparut dans l'Eglise
byzantine. Les Nestoriens, qui s'en sont séparés au
vie siècle, le conservent encore. Cette considération
permet de penser que la formation du système adopté
par l'Église byzantine pour ses lectures en temps du
Triode doit avoir eu lieu entre le ve et le vie siècle.
On peut aussi présumer que le système byzantin, tout
comme le système nestorien, ont été élaborés sur la
base d'une tradition commune, celle de l'Église d'An-
tioche 1 •
Il faut également noter que là aussi, pour ces lee•
tures du temps du Triode, nous retrouvons le même
principe de la lecture continue, que nous avons déjà
noté à propos des autres cycles de lectures relevant
du propre du temps. Seulement ici, à la différence
de ce qui a été vu pour les lectures de la «liturgie >>,
ce principe ne concerne pas tout le canon vétérotes-
tamentaire, mais les quelques livres qui y ont été
pris pour être lus pendant ces sept semaines de jeûne
et de prière intensive précédant Pâques. Etant donné
la longueur des livres choisis, leur lecture doit corn-
1. Cf. Ivan KARABINOV, Postnaia Triod, Saint-Pétersbourg, 1910
(en russe), pp. 62-63.
218 LA PRIÈRE DES HEURES

LES LECTURES VÉTÉROTESTAMENTAIRES


DE LA VIGILE PASCALE
1. La liste byzantine

Leur signification initiale


N•• Le système de leçons
d'ordre actuel Lectures de Lectures
Lectures Pâques de
du jour et de la baptême
Résurrection

1 Gen. 1, 1-3 x
2 Is. 60, 1-16. x
3 Ex. 12, 1-11 x
4 Jon. 1 à 4 x
5 Jos. 5, 10-15 x
6 Ex. 13, 20 à 14, 32 x
Chant du Cantique d'Ex. 15, 1-19
7 Soph. 3, 8-15 x
8 III Royaumes, 17,
8-23 x
9 Is. 61, 10-11 ; 62, 1-5 x
10 Gen. 22, 1-18 x
11 Is. 61, 1-9 x
12 IV Rois 7, 8-37 x
13 Is. 63, 11 à 64, 5 x
14 Jér. 31, 31-34 x
15 Dan. 3, 1-56 x
Chant du Cantique de Dan. 3, 57-88

II. Les listes de quelques autres Églises anciennes 1 :

A] La liste arménienne :
1. Gen. 1, 1-3, 24 (cf. la 1re lecture byzantine)
2. Gen. 22, 1-18
3. Ex. 12, 1-24 (cf. la 3e lecture byzantine)
4. Jon. 1, 2-4, 11 (cf. la 4e lecture byzantine)
5. Ex. 14, 24 à 15, 21 (cf. la 6e lecture byzantine)
6. Is. 60, 1-13 (cf. la 2e lecture byzantine)
7. Job 38, 1-41
8. Jos. 1, 1-9
9. Jér. 31, 31-34 (cf. la 14e lecture byzantine)
10. Éz. 37, 1-14
11. Dan. 3 (seulement le Cantique des Trois Enfants
dans la fournaise).
1. D'après les tableaux qui ont été établis par 1. KARABINov,
Postnaia Triod, Saint-Pétersbourg, 1910, pp. 56-57.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 219

BI La liste de la liturgie Mozarabe :


1. Gen. 1,1 à 2,6 (cf. la te lecture byzantine)
2. Gen. 2, 7 à 3
3. Is. 55
4. Gen. 5, 31 à 8, 21
5. Ex. 13, 18 à 15, 21 (cf. la 6e lecture byzantine)
6. Gen. 22, 1-18 (cf. la tOe lecture byzantine)
7. Deut. 31, 28 à 32, g; 44 à 45
8. Gen. 27, 1-29
9. Ex. 12, 1-42 (cf. ge lecture byzantine)
10. II Hab: g4, 1-4, 30-gg; g5, 1-19
11. Ez. g7, 1-14
12. Dan. 3, 1-24, 46-48, 49-51 (cf. 15 6 lect. byzantine)
Cette liste est contenue dans le lectionnaire du xie s.
conservé à la Bibliothèque Nationale (N° 2172). Elle
pourrait remonter au vue s. Dans d'autres lectionnaires
on trouve des listes encore plus proches des systèmes
byzantin et arménien :
1.Gen. 1, 1 à 2, 4 (cf. 1e lecture byzantine)
2.Gen. 5, 1-4; 8, 1-21
3.Gen. 22, 1-18 (cf. 10e lecture byzantine)
4.Ex. 12, 1-12 (cf. ge lecture byzantine)
5.Ex. 14, 14 à 15, 21 (cf. 6e lecture byzantine)
6.Is. 2, 1 à 5, 18 (avec des omissions)
7.Éz. g7, 1-14 (cf. la 11 e lecture arménienne)
8. llab. 1, 1-6, 11-14, 18 à g, 3
9. Jon. 1, 1 à 2, 3, 11 à 4, 11 (cf. 4{' lecture byzantine)
10. Dan. 3, 1-23, 46-100 (cf. 15e lecture byzantine)

C) La liste de l'église Gallicane :


Gen. 7, 10 à 8, 21
Gen. 22, 1-19
Gen. 27, 1-40
Ex. 12, 1-50
Ex. 13, 18 à 14, 9 ; 15, 14-21
Éz. 37, 1-14
Is. 1, 1 à 5, 24
Jos. 3, 4-34
Jon. 1, 1 à 3, 10
Dan. 3.
220 LA PRIÈRE DES HEURES

porter nécessairement des coupures. Mais la lecture


est réellement sans discontinuité pour l'Exode, Job
et Ézéchiel pendant les trois premiers jours de la
Semaine de la Passion, ainsi que pour les Proverbes
pendant les deux premières semaines du Carême ; elle
est presque continue pour la Genèse pendant les
quatre premières semaines de la même période. Nous
essaierons de voir plus loin les raisons qui ont déter-
miné le choix de telle ou telle péricope particulière.
Mais pour l'instant arrêtons-nous sur les raisons du
choix des livres eux-mêmes.
Pour comprendre ces raisons il y a lieu, très certai-

l nement, de prendre pour point de départ les lectures


de la grande Vigile pascale. Le choix de ces dernières
dans l'Église byzantine est très proche du choix de
lectures arrêté par les autres Églises pour la même
solennité 1 • Sans aucun doute, c'est la partie la plus
ancienne du système de lectures entré dans le Triodion.
Certaines des lectures de la Vigile pascale figurent
dans ce contexte depuis l'antiquité chrétienne. Ainsi,
Athanase, en 832, parlait à ce propos des chapitres
14-15 de l'Exode et les présentait comme un chant
de fête 2 • :Mais si de cet ensemble nous passons aux
lectures qui le composent et au rapport de chacune
d'entre elles avec l'objet de la solennité dont elles
font partie, nous sommes amenés à diviser ces leçons
en trois groupes bien distincts quant à leur rôle dans
l'économie générale de la célébration. Un premier
groupe est celui des lectures du jour. Y entrerait,
tout d'abord, la première lecture, c'est-à-dire Gen. 1,
1-8. Ce serait la première péricope de la Loi, dont la

1. Ibid., pp. 55-58.


2. PG, 26, 1777. De même, saint Cyrille de Jérusalem dans sa
18• Catéchèie nous apprend que le Grand Samedi, pendant le baptê-
me des catéchumènes, on lisait notamment la prophétie d'Isaïe
c Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem • (Is. 60, 1 et s.) (auj. : 2•
lecture de ce jour).
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 221

lecture aurait été commencée ce jour-là pour être


continuée les semaines qui suivent. Ferait aussi partie
de ce premier groupe la seconde lecture, c'est-à-dire
Is. 60, 1-16 à titre de péricope constituant le début
de la lecture des Prophètes. Le deuxième groupe est
celui des leçons choisies en raison de leur rapport
évident avec le mystère pascal, c'est-à-dire avec la
Résurrection, la Rédemption et l'achèvement de
l'œuvre du Christ tout entière. Feraient partie de
ce second groupe :
la 3e lecture actuelle: Exode 12, 1-11 (l'agneau pascal)
4e » » Jonas 1-4 (Jonas et le poisson;
Jonas à Ninive)
5e >> » Josué 5, 10-15 (la première Pâque
en Terre promise)
6e » » Exode 13, 20 à 15, 19 (le passage de
la Mer Rouge)
88 n n III Royaumes 17, 8-23 (Élie ressus-
citant le fils de la veuve)
10e » » Genèse 22, 1-18 (le sacrifice d'Abra-
ham)
12e » » IV Rois 4, 8-38 (Élisée ressuscitant
le fils de la Sunamite).

Le troisième groupe, enfin, serait en relation avec


le baptême des catéchumènes, lequel se faisait prin-
cipalement ce jour-là dans l'Église primitive. Ce troi-
sième groupe, parmi les lectures actuelles, compren-
drait les leçons suivantes :
Soph. 3, 9-15 (7e lecture)
Is. 61, 10-11 ; 62, 1-5 (9e lecture)
Is. 61, 1-9 (11 e lecture)
Is. 63, 12 à 64, 5 (13e lecture)
Jér. 31, 31-34 (14e lecture)
Dan. 3, 1-88 (15e lecture).

Tous ces textes, en effet, ont ceci de commun qu'ils


ont trait aux divers aspects du miracle de la grâce.
222 LA PRIÈRE DES HEURES

D'autre part, dans certains typica, on trouve à propos


des lectures du Grand Samedi l'indication suivante :
si le nombre des catéchumènes à baptiser n'est pas
très élevé, et si leur baptême peut être achevé dans
un temps relativement court, l'on est autorisé à
omettre les lectures à partir de la septième jusqu'à la
quatorzième, et de Eœ. 13, 20 à 15, 19 à passer directe-
ment à Dan. 3, 1-88 1 • C'est dire que dans l'esprit de
l'Église primitive toutes ces lectures, qui pouvaient être
ainsi omises, se rapportaient principalement au baptê-
me des catéchumènes.
Si nous avons tellement insisté sur tous ces détails
c'est à cause de l'importance du système de lectures
du Grand Samedi pour le développement ultérieur
du lectionnaire byzantin. En effet, cette Vigile pascale
a servi de modèle aux vigiles de Noël et de l'Épi-
phanie 2, comportant elles aussi, comme nous l'avons
déjà noté, un nombre important de lectures vétéro-
testamentaires. Mais les lectures des deux premiers
groupes définis plus haut, c'est-à-dire celles par quoi
débute le cycle du temps et celles qui ont trait à la
Pâque, ont rejailli en quelque sorte sur toute la
Semaine de la Passion et même sur la Sainte Quaran-
taine Ftout entière en devenant de la sorte l'origine

l même ·de tout le système des lectures bibliques pour


le temps du Triode.
Nous devons noter, en effet, qu'à l'exception des
Proverbes, tous les livres qu'on lit aujourd'hui au
cours du temps du Triode sont précisément ceux qui
sont également utilisés à la Vigile pascale. On peut
même le constater pour Job, dont, pourtant, aucun
extrait ne figure parmi les leçons du Grand Samedi
1. Cf. A.A. DMITRIEVSKY, Description des manuscrits liturgiques
conservés dans les bibliothêques de l'Orient orthodoxe, Kiev, t. 1,
1895, p. 192.
2. Th. SPASSKIJ, La Pdque de Noël, étude sur l'avant-f2te de
Noël dans le rite byzantin, Irénikon, tome XXX, 1957, pp. 290-306.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 228

dans le Triodion actuel. Mais Job 88, 1-41 se trouve


parmi ces lectures dans la liturgie arménienne 1, très
voisine, en bien des points, de la liturgie byzantine.
Il en est exactement de même du livre d'Ézéchiel.
Si aujourd'hui l'Église byzantine lit Éz. 37 aux matines
du Grand Samedi, cette péricope figure, néanmoins,
parmi les lectures des Vêpres de ce jour chez les
Arméniens ainsi que dans la liturgie mozarabe et
gallicane 2 • II ~e pourrait donc que Job et Ézéchiel,
à une époque et pour des motifs que l'on ignore,
soient passés des Vêpres du Grand Samedi, où ils
auraient figuré originairement, dans d'autres offices
de ce jour ou des jours précédents 3 • Et l'on aurait
même là un précédent à partir duquel se serait géné-
ralisée la lecture intensifiée de l'Ancien Testament à
tous ces offices préparatoires à Pâques. Par ailleurs,
il faut reconnaître aussi que le contenu, pris dans son
ensemble, de chacun des livres dont on a extrait
des leçons pour la Vigile de Pâques, offre une lecture
particulièrement appropriée aux besoins spirituels des
chrétiens pendant toute la durée de la longue prépa-
ration à cette fête.
Il en est ainsi, tout d'abord, du livre de l'Exode,
dont on trouve deux passages parmi les lectures du
Grand Samedi. Les faits que ce livre rapporte, c'est-
à-dire les persécutions dont Israël est l'objet en Égypte,
la vocation et le rôle de Moïse, l'institution de la Pâque
1. KARABINOV, op. cil., pp. 56-57,
2. Cf. ibid. Le même auteur cite des preuves établissant l'ancien-
neté de Jér. 11, 18 à 12,15 (aujourd'huileçon prophétique à Prime du
Grand Jeudi et à None du Grand Vendredi) ainsi que de Gen. 49,
1-10 et de Zach. 9, 8-14 (lectures à Vêpres du Dimanche des Palmes).
L':Église nestorienne garde encore ces deux dernières leçons à la
«liturgie • du Dimanche des Palmes où elles figurent comme lectures
de la Loi et des Prophètes.
3. Par LÉONCE DE BYZANCE, mort en 543, nous apprenons que
Job faisait partie des lectures de la Semaine de la Passion à son
époque (PG, 86, 2, col. 1993). A. RAHLFS (op. cit., p. 217, éd. de
Berlin) estime que ce livre figurait dans ce contexte liturgique déjà
au Iv• siècle.
224 LA PRIÈRE DES HEURES

et la grande victoire que Dieu remporta sur le Pharaon


ont été de tout temps considérés comme des figures
du Christ et de son œuvre rédemptrice. Il n'est donc
pas étonnant que, ainsi qu'il a été déjà dit, saint
Athanase associe étroitement ce livre à la période
conduisant à Pâques et qu'il nomme chant de fête
le cantique de Moïse d'Exode 15. Il en est de même,
en second lieu, du livre,.de l11 Geuèf;e, dont également
deux leçons figurent à la Vigile pascale 1 et dont la
lecture se poursuit aux Vêpres tout le long de la
Sainte Quarantaine. Il est repris à son début, le lundi
de la première semaine, sans doute parce que la Créa"
tion du monde, dont parle son premier chapitre, a
toujours été regardée comme une préfiguration de la
( Rédemption, celle-ci étant interprétée comme une
Création nouvelle. D'autre part ce premier livre de la
Loi est plus que tout autre approprié pour être l'objet
d'une lecture continue pendant une période aussi
longue que la Sainte Quarantaine : son contenu est
essentiellement narratif, ses récits plus que ceux des
autres livres du Pentateuque peuvent servir à l'édifi-
cation des hommes de tous les temps, et l'histoire de
la chute, du déluge, de la tour de Babel, etc., ne font
certainement que mieux accentuer le caractère parti-
culièrement pénitentiel des offices du Grand Carême.
Remarquons aussi que, mis en relation avec les cha-
pitres 1 à 8 de l'Exode, lus pendant les trois premiers
jours de la Semaine de la Passion, les récits de la
Genèse y trouvent à la fois leur suite et leur aboutis-
sement, et l'on obtient ainsi tout un ensemble bien
ordonné qui relate l'histoire du salut depuis le moment
où la Promesse avait été esquissée jusqu'à celui où
Dieu lui a donné son premier accomplissement. Mais

1. Gen. 1, 1-3 et 22, 1-18 font aussi partie des lectures du Grand
Samedi dans les liturgies mozarabe et gallicane.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 225

à côté de la Loi il y a les lectures sapientielles. Job 1


a très certainement été choisi à cause du personnage
même de son héros, lequel, parmi tous les souffrants
de l'Ancien Testament, est la préfiguration par excel-
lence de la Passion du Christ 2 • Quant au livre des
Proverbes, qui ne figure pas parmi les lectures du
Grand Samedi, il a très certainement été choisi comme
seconde lecture des Vêpres pendant le Grand Carême
à cause du caractère à la fois moral et éminemment
pratique de son contenu. Il reste, enfin, à dire, sous
le même rapport, quelques mots expliquant le choix,
pour la même période, des lectures prophétiques. Ézé-
chiel a été choisi pour la Semaine de la Passion très
certainement en liaison avec son chapitre 87 qui est
lu actuellement aux matines du Grand Samedi.
D'autre part, Éz. 1 à 3, que l'on lit sans interruption
du Grand Liiii'ai--:m- Grand Mercredi, qui relate la
grande vision du char et de la main divine tendant
un rouleau au prophète, nous montre la Présence
divine se manifestant parmi le peuple déporté à
Babylone en dépit et, peut-être, par le fait même de la
grande épreuve dont il est l'objet. En choisissant
Ézéchiel, l'Église aussi a donc très certainement pensé
à la Gloire du Christ qui s'est manifestée sur sa Croix
et que ce prophète aurait ainsi pressentie. Isaïe, pour
finir, a été choisi parce que c'est un très grand prophète
messianique et parce que la seconde partie de son livre
renferme des prophéties qui se rapportent directement
à la Passion du Christ. Mais le choix du livre d'Isaïe
pose aussi un tout autre problème. De tous les livres
que l'Église byzantine lit pendant la Sainte Quaran-

1. Cf. là-dessus notre étude: La Théodicée de Job dans les offices


byzantins de la Semaine Sainte, Théologie, Athènes, 1955, xxvi,
pp. 107 et suiv.
2. Le même lien typologique entre Jérémie persécuté et le Christ
souffrant explique la présence de Jér. 11 et 12 à Prime du Grand Jeudi
et à None du Grand Vendredi.

15
226 LA PRIÈRE DES HEURES

taine le livre d'Isaïe est, en effet, celui dont la lecture


offre le plus de coupures. Or, c'est là précisément que
la question se pose : peut-on savoir ce qui a déterminé
le choix des péricopes qui ont été retenues? Nous
passons ainsi de la question concernant le choix des
livres bibliques à celle qui, dans un système de lectures
déjà bien arrêté, concerne les choix de péricopes
particulières.

III
Ce problème ne touche pas seulement la lecture du
livre d'Isaïe. Il se pose également à propos d'autres
lectures vétérotestamentaires. On a eu l'occasion de
le rencontrer au sujet des lectures néotestamentaires
de la << liturgie >) eucharistique.
1. Nous avons vu plus haut que la période de
l'année qui précède le Grand Carême est marquée
par des lectures dominicales tirées de l'Évangile de
Luc. Les péricopes y sont choisies dans l'ordre du
texte de cet Évangile, mais, juste avant le Carême,
il y a une sorte de retour en arrière et l'on voit même,
après, l'Évangile de Luc abandonné au profit de celui
de Matthieu, lequel était déjà utilisé immédiatement
après la Pentecôte. Si l'on se place au point de vue
du principe général adopté par l'Église byzantine dans
ses lectures relevant du propre du temps, il y a là,
évidemment, une anomalie. Elle peut être mise en
évidence par le tableau suivant :
26 6 dimanche : Luc 12, 2-21 (section liturgique 66) 1
27 6 Luc 13, 10-17 ( n n 71)
1. Les rubriques byzantines ignorent la division des livres saints
en chapitres et en versets. Aussi l'Église byzantine a-t-elle introduit
dans l'Evangéliaire et dans l'Apôtre, les deux livres qui sont l'objet
d'une lecture réellement continue, une division liturgique qui lui
est particulière. Dans l'Évangéliaire, ces sections liturgiques sont
comptées séparément pour chaque évangéliste ; dans l'Apôtre, le
numérotage des sections est établi pour l'ensemble du livre.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 227

28 6 dimanche Luc 14, 16-24 (section liturgique 76)


29 6 Luc 17, 12-19
~
)) )) 85)
30 6 Luc 18, 18-27 )) )) 91)
31 6 Luc 18, 35-43 ( )) )) 93)
32 6 Luc 19, 1-10 ( )) )) 94)
Dimanche du
Pharisien et
du Publicain Luc 18, 10-14 (section liturgique 89)
Dimanche de
l'Enfant pro-
digue . Luc 15, 11-32 ( » )) 79)
Dimanche de
l'abstinence
de la viande Mat. 25, 31-46 (sect. lit. 106 de Matthieu)
Dimanche de la
Tyrophagie Mat. 6, 14-21 (sect. lit. 17 de Matthieu).

Cette anomalie s'explique par l'importance dans la


liturgie byzantine actuelle des semaines préparatoires
au Carême et tient aux particularités de leur histoire.
Cette période de pré-Carême apparut dès le ve siècle
tout d'abord en Palestine. Mais pendant très longtemps
l'Église de Jérusalem n'a connu qu'une seule semaine
de préparation à la Sainte Quarantaine. L'Église de
Constantinople, au contraire, a vu tout un développe-
ment de cette période préparatoire tant au point de
vue du nombre de semaines qui la composent, qu'à
celui de la discipline du jeûne et de la liturgie 1 • Cette
période y a été très vite marquée par un choix très
significatif de leçons évangéliques pour la célébration
eucharistique dominicale. Ainsi le Dimanche de la
Tyrophagie, qui clôt la semaine du même nom, et qui
est la dernière semaine où l'on peut encore prendre
du laitage, on lit Mat. 6, 14-21, qui vient souligner
fort à propos que le jeûne, bon en lui-même, n'est
agréable à Dieu que s'il est fait uniquement pour lui,
et que la condition préalable de toute ascèse comme
1. Cf. KARABINOV, op. cil., pp. 22-23. Cf. égaiement MANSVETOV,
Des jeflnes dans l'Église Orthodoxe, 1887 (en russe).
228 LA PRIÈRE DES HEURES

de toute prière est le pardon mutuel des fautes. La


semaine de la Tyrophagie fut précédée du Dimanche
de l"Arro~pÉw ou de la cessation de la viande. Pour
ce dimanche l'Église de Constantinople choisit, comme
le montre le tableau précédent, Mat. 25, 31-46, et
tout l'office de ce jour est actuellement déterminé
par le contenu de ce texte. Il faut voir dans ce choix
à la fois un appel et un encouragement à la pénitence :
cette leçon évangélique, en effet, tout en rappelant
aux hommes le jour redoutable du Jugement dernier,
contient aussi un message d'espoir, puisqu'elle permet
de croire à la miséricorde divine en faveur de ceux
des pécheurs qui auront assisté charitablement leur
prochain. Quant au Dimanche de l'Enfant prodigue
qui, dans cette période préparatoire au Carême, précède
celui de la Cessation de la viande, il n'apparaît dans
les évangéliaires de Constantinople que dès le IXe et
le xe siècle, où il est déjà marqué comme le Dimanche
7tpo 't?jç 'A1to~p€w 1 • Très certainement, c'est sa leçon
évangélique (Luc 15, 11-32) qui en a fait également
un dimanche de préparation au Carême, et pendant,
assez longtemps c'est lui qui a constitué le début de
cette période préparatoire où sa liturgie est comme
une sorte de rappel de la situation dans laquelle tous
les hommes se trouvent vis-à-vis de Dieu, lequel,
malgré toutes leurs fautes, continue d'être pour eux
un Père qui les aime. Le Dimanche du Pharisien et
du Publicain, par lequel tout le temps du Triode
débute dans le système actuel, est apparu plus. tard
encore. On le voit pour la première fois dans les
évangéliaires du XIe siècle, mais il n'y est pas encore
rattaché aux semaines préparatoires au Carême. Ainsi

1. Dans le manuscrit de Patmos, qui contient le Typicon de la


grande église de Constantinople et qui se rapporte à cette époque,
le Dimanche de l'Enfant prodigue constitue même déjà le début du
cycle mobile de Pâques (DMITRIEVSKY, op. cit., I, p. 110).
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 229

lorsque la date de Pâques était tardive et si, de ce


fait, il manquait des lectures pour les dimanches qui
doivent s'insérer entre l'Épiphanie et le début du
Carême, on voyait quelquefois s'intercaler, entre le
Dimanche du Pharisien et du Publicain et celui de
l'Enfant prodigue, un dimanche complémentaire, dont
la leçon évangélique était Mat. 15, 21-28 (l'Évangile
dit de la Cananéenne, aujourd'hui indiqué comme la
lecture du 17e Dimanche) 1 • Mais dès le xne siècle
la place du Dimanche du Pharisien et du Publicain
était déjà celle qu'il a aujourd'hui. Quant aux motifs
qui ont déterminé une telle fixation, il faut recon-
naître qu'ils ont commencé par être d'ordre essentiel-
lement polémique. Il s'agissait, en effet, d'une con-
troverse avec les Arméniens au sujet d'une semaine
de préparation au Carême que ceux-ci passaient dans
l'abstinence la plus complète 2 • Ce jeûne que les
Arméniens appelaient le <<Premier Carême>>, s'expli-
quait probablement par un jeûne èxpiatoire, observé
un certain temps par tous les Orientaux, lequel devait
rappeler la cessation miraculeuse d'une grave épidémie
de peste qui aurait sévi dans l'empire perse aux
environs de 567-578 3 • Par la suite les Arméniens au-
raient trouvé pour ce jeûne une explication à eux,
en le rattachant à un épisode de la vie de saint Grégoire
l'Illuminateur 4 • Aussi, afin de mieux convaincre les
Arméniens que leur pratique d'un jeûne complet avant
le Carême était abusive, les Byzantins firent-ils de la
semaine qui suit le Dimanche du Pharisien et du Publi-

1. Dans la pratique grecque actuelle, l'Évangile de la Cananéenne


(lecture du 17• dimanche) est lu le dimanche qui précède celui du
Pharisien et du Publicain. Dans la pratique russe, ce dimanche est
réservé à la lecture du récit de Luc relatant la conversion de Zachée
(Luc 19, 1-10).
2. KARABINOV, Op. cit., p. 24.
3. AssEMANI, Bibliotheca Orient., II, 413, 427-428.
4. I.E. TnoiTSKY, Exposé de la foi de l'Église arménienne, 1875,
pp. 216-217 (cité par KARABINOV, p. 24).
230 LA PRIÈRE DES HEURES

cain une semaine où la consommation de la viande


est permise le mercredi et le vendredi et en rattachant
cette semaine elle aussi à celles qui forment la période
préparatoire à la Sainte Quarantaine 1 • Cette polé-
mique a été rapidement oubliée. Aussi, dans le sys-
tème actuel, ce dimanche, avec sa leçon évangélique,
sa liturgie et avec toute la semaine qui le suit, est-il
devenu une leçon d'humilité que l'Eglise propose à
ses propres fidèles, afin de les mieux préparer à cette
période d'austérité qu'est le Grand Carême: elle tient
à leur rappeler par là que la « justice des œuvres ))
n'est rien si elle n'est pas inspirée par une profonde
humilité et une vraie charité pour le prochain. Donc,
! là aussi nous voyons, en définitive, les mêmes
considérations de pédagogie spirituelle et de prépara-
tion progressive à l'ascèse exigées par le Carême, se
manifester dans l'ordonnance du lectionnaire byzantin
et dans son ordonnance traditionnelle elle-même, ce
qui, en définitive, amena ce lectionnaire à s'écarter
pour quatre dimanches consécutifs du principe de
lecture scripturaire continue qui lui est si cher par
ailleurs.
2. Une autre anomalie dans le système des lectures
dominicales réside dans la présence d'une leçon de
Jean (la vocation de Nathanaël, Jn 1, 43-51} à la
liturgie eucharistique du 1er dimanche du Carême,
alors que tous les autres dimanches de la même période
on lit l'Évangile de Marc (v. supra). Il faut même
préciser que la leçon évangélique de ce premier diman-
che est, en plus, une véritable énigme. Elle est, en
effet, sans rapport avec la solennité de l'Orthodoxie
et des saintes Icônes, à laquelle ce dimanche se trouve
1. La levée de l'abstinence pour le mercredi et le vendredi de
la semaine qui vient après le Dimanche du Pharisien et du Publicain
est mentionnée pour la première fois au xi• siècle chez l'écrivain
Nicon le Mélanorite (Cf. MANSVETov, op. cit., p. 53). Mais cette
pratique n'y parait pas encore s'être généralisée.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 231

être consacré depuis 842. Il y a certainement un lien


entre cette leçon et la mémoire des Prophètes qui se
faisait ce jour, avant l'institution de la fête de l'Ortho-
doxie: quelques vestiges de cette festivité disparue
demeurent encore, en particulier parmi les stichères
des Vêpres de ce jour 1• Mais il faut aussi ajouter à
cela que l'Évangile de Jean figurait parmi les lectures
adoptées pour les dimanches du Carême par l'Église
de Jérusalem_. Le tableau des leçons évangéliques de
cette Église en témoigne, en effet, nous montrant en
même temps combien le système de lectures hiéroso-
lymitain pour les dimanches de la Quarantaine était
plus expressif et mieux approprié au caractère péni-
tentiel de cette période que le système constantinopo-
litain en usage aujourd'hui. Voici ce tableau 2, tel qu'il
se présente d'après l'Évangéliaire du Sinaï (n° 210 du
Ixe-xe siècle) et reproduit par Karabinov 3 :

Le Dimanche de l'' A1':oxpÉ;, :


1° (le matin) Mat. 5, 17-48 (au sujet de l'accom-
plissement dans le N.
T.de certains comman-
dements de l'Ancienne
Loi).
2° (à la liturgie) Luc 7, 36-50 (la pécheresse dans la
maison de Simon le Pha-
risien).

1. Cf. KARABINOV, pp. 28-29. Cet auteur cite pour cette fête
en l'honneur des Prophètes un canon du patriarche Germain, mort
en 740, ce qui révèle le haut degré de solennité que cette fête avait
avant d'avoir été supplantée par celle qui a été instituée plus tard
pour le même jour en l'honneur de la victoire de l'Orthodoxie.
2. Le souvenir de certaines des lectures figurant dans ce tableau
se retrouve parfois dans le Triodion actuel. Ainsi, la parabole du
Bon Samaritain est évoquée plusieurs fois au cours de l'office du 4•
dimanche du Carême, celle du Riche et de Lazare dans le canon
du 5• dimanche, ainsi qu'au cours de certains offices de la 6• semaine.
3. Op. cit., pp. 25-26.
232 LA PRIÈRE DES HEURES

Le dimanche de la Tyrophagie :
1° Luc 12, 32-40 (ordre deveillerenatten-
dant leretourduMaître).
2o Mat. 6, 16-33 (sur le jeûne; cet Évan-
gile subsiste dans sa
première partie dans le
système actuel).
Le premier dimanche du Carême :
1o Mat. 7, 13-29 (la porte étroite et le
chemin resserré).
2o Mat. 6, 1-15 (l'aumône et le pardon
des offenses).
Le deuxième dimanche du Carême :
1o Mat. 22, 2-14 (Parabole des invités au
festin préparé pour les
noces du fils de roi).
2° Luc 15, 11-32 (Parabole de l'Enfant
prodigue).
Le troisième dimanche du Carême :
1o Mat. 20, 1-16 (Parabole des ouvriers
invités à travailler dans
la vigne).
2o Luc 18, 9-14 (Parabole du Pharisien
et du Publicain).
Le quatrième dimanche l\11 Carême :
1o Mat. 2,, 33-46 (Parabole des ouvriers
voulant s'approprier la
vigne de leur Maître).
2o Luc 10, 25-37 (Parabole du Bon Sama-
ritain).
Le cinquième dimanche du Carême :
1o Mat. 2.'3, 1-39 (Discours du Christ con-
tre les Scribes et les
Pharisiens).
2o Jean 9, 1-38 (Guérison de l'aveugle-
né à Jérusalem).
3o Luc 16, 19-31 (Parabole du Riche et
de Lazare).
4o Jean 11, 55-57 (Les grands prêtres et
les Pharisiens décident
l'arrestation de Jésus
qui vient de ressusciter
Lazare).
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 233

D'autre part, le même Karabinov cite des cas où,


en Orient, le chapitre 4 de Jean (l'Évangile de la
Samaritaine) constituait la lecture du se dimanche du
Carême et le chapitre 9 du même Évangile (la guérison
de l'aveugle-né), celle du 4e dimanche de ladite pé-
riode 1 • Les mêmes lectures figurent pour les dimanches
du Carême dans les lectionnaires des Églises mozarabe
et gallicane 2 • Enfin, l'Église arménienne commence la
lecture de l'Évangile de saint Jean itnmédiatement
après l'Épiphanie. De toutes ces indications nous
croyons pouvoir déduire qu'à une certaine époque
l'Église byzantine avait, sans doute, connu elle aussi
l'usage de la lecture de Jean à la liturgie dominicale
au cours de la Sainte Quarantaine. Cet usage aurait
disparu par la suite, et l'Église byzantine aurait alors
adopté pour ces dimanches l'Évangile de saint Marc
sans doute par souci, dans sa fidélité au principe de
la lecture scripturaire continue, de faire aussi figurer
cet Évangile, à l'instar des trois autres, dans so~
cycle de lectures dominicales 3 • Seule serait donc de-
meurée, à titre de vestige du système archaïque et
pour des raisons qu'il est encore difficile de préciser,
la péricope de Jean 1, 43-51, lecture actuelle du pre-
mier dimanche du Carême.
3. Si, maintenant, nous passons aux lectures vété-
rotestamentaires, nous voyons que le problème du
choix de péricopes particulières se pose, en premier
lieu, pour la lecture de la Genèse au cours de la seconde

1. Ibid., 30-31.
2. Cf. ibid.
3. Ce choix de l'Évangile de Marc pour les dimanches du Carême
s'explique dans le système de lectures constantinopolitain en partie
par l'influence de la leçon prise dans Mc 8,34 à 9, 1 qu'on lit le 3•
dimanche du Carême consacré à l'adoration de la Vénérable et Vivi-
fiante Croix. Cette solennité pourrait dater du règne de Justin I••
(518-527) ou de Justin II (565-578). Sur les origines de cette fête
et sur les raisons pour lesquelles elle a fini par être fixée au 3• diman-
che de la Sainte Quarantaine, cf. KARABINov, p. 33. ·
284 LA PRIÈRE DES HEURES

moitié de la Sainte Quarantaine. Nous avons noté, en


effet, que, jusqu'à la 4e semaine comprise, la lecture
de ce livre ne comportait presque pas de coupures,
mais que dès la se semaine ces coupures apparaissent
et qu'elles se font de plus en plus importantes à
mesure qu'on se rapproche de la fin du temps quadra-
gésimal. Les péricopes retenues sont nettement le fait
d'un choix qui avait ses raisons.
Leur contenu, en effet, se présente de la façon
suivante:
La 5e semaine :
le lundi: Gen. 13, 12-18 Dieu promet à Abraham
la terre de Canaan.
le mardi: 15, 1-15 suite des promesses: la
descendance d'Abraham.
le mercredi : 17, 1-9 l'alliance de Dieu avec
Abraham.
le jeudi: 18, 20-33 Abraham intercède pour
Sodome et Gomorrhe.
le vendredi 22, 1-18 le sacrifice d'Abraham.
La 6e semaine :
le lundi: 27, 1-14 Jacob béni par Isaac.
le mardi: 31, 3-21 Jacob chez Laban en
Mésopotamie.
le mercredi : 43, 26-36; Joseph se fait connaître
45, 1-6 et pardonne à ses frères.
le jeudi: 46, 1-7 Israël s'établit en Égyp-
te.
le vendredi : 49,33à50, mort et ensevelissement
26 de Jacob et de Joseph.

Ce tableau fait ressortir que, de l'histoire patriarcale,


les auteurs du Triodion ont surtout cherché à retenir
pour les lectures des Vêpres les moments de cette
histoire qui sont en lien direct avec les Promesses
divines, et notamment, avec la réaffirmation de leur
contenu, avec leur transmission d'un patriarche à
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 285

l'autre et avec tout ce qui peut être tenu pour un


début de leur accomplissement. Si donc nous revenons
à tout l'ensemble que forme la lecture de la Loi,
du premier lundi du Carême jusqu'à la Semaine de
la Passion (v. supra), nous pouvons dire que l'Église
y a voulu faire revivre aux fidèles précisément tout
ce qui touche les Promesses divines : les causes qui
ont amené Dieu à les donner aux hommes (c'est ce
que raconte J'histoire primitive, contenue dans Gen. 1-
11), les moments solennels dans la vie de ceux qui
en ont été les premiers témoins (lectures prises dans
Gen. 12-50), leur première réalisation dans les événe-
ments qui constituent la Pâque de Moïse (chapitres
de l'Exode lus au cours de la Semaine de la Passion).
Cette Pâque de l'Exode est, en effet, la figure de la
Pâque du Christ, vraie réalisation de ces Promesses.
Les lectures de la 5e et de la 6e semaine montrent,
dans cet ensemble, que c'est bien de Promesses divines
qu'il s'agit avant tout. Là se trouve donc, semble-t-il,
la raison principale qui a guidé leur choix.
Or, au sein du système une fois adopté dans ses
grandes lignes, des changements paraissent être inter-
venus par la suite en ce qui concerne le choix de péri-
copes pour certains jours particuliers. Nous en trou-
vons certainement un exemple dans le cas de la lecture
de la Loi aux Vêpres du jeudi de la 5e semaine. On
y lit ce jour Gen. 18, 20-88, où il est question de l'in-
tercession d'Abraham pour Sodome et Gomorrhe, les
deux villes coupables condamnées par Dieu. Le thème
de cette leçon n'a qu'un rapport très lointain avec le
thème général de la Promesse divine. Il semble être
sans rapport aucun avec ce qui est commémoré à
l'office du jour. Or, ce jour on relit en entier à Matines
le canon de saint André de Crète. Ce canon, divisé
en sections, a déjà été lu à Complies pendant la pre-
mière semaine. L'office du jeudi de la 5e semaine n'est
236 LA PRIÈRE DES HEURES

pourtant pas consacré à saint André de Crète, bien


qu'en plus ~u canon des Matines, on chante encore
aux Vêpres~ stichères composées par ..œ--sttint. La
fête de ce dernier a lieu le 4 juin : il n'y a aucune raison
pour qu'une solennité en son honneur soit introduite
également dans le Triodion 1• Il ne s'agit pas non
plus le jeudi de la se semaine d'une fête en l'honneur
de sainte Marie l'Égyptienne, fêtée le 1er avril et
commémorée de même le 'e dimanche du Carême 2 •
Il est vrai que les odes du canon de saint André
renferment des tropaires en l'honneur de cette sainte,
mais ces tropaires n'y ont été adjoints qu'au xie siè-
cle s. Aussi Karabinov 4 , partant du tropaire qui figure
aux cathismes à l'office du jeudi de la se semaine
dans le Triodion du Sinaï n° 733 (XIe s.), estime-t-il
qu'autrefois il devait y avoir polir ce jour un office
votif, composé en souvenir d'une délivrance miracu-
leuse d'un fléau ou d'une catastrophe naturelle immi-
\ nente. Tout semble indiquer qu'il s'agirait en l'occu-
rence d'un tremblement de terre. Or, justement les
Ménologes font état d'un tremblement de terre qui
s'est produit à Constantinople sous Constantin VI
le 17 mars 790 et d'un autre qui s'est produit à Antio-
che le 5 avril S26 5 • Très vraisemblablement c'est le

1. Pour les mémoires des saints qui sont passés du Ménologe


dans le cycle mobile du Triode, cf. ibid., p. 31 et ss.
2. La célébration, le 6• dimanche du Carême, d'une solennité en
l'honneur de sainte Marie l'Égyptienne est mentionnée pour la pre-
mière fois au XI" siècle (DMITRIEVSKY, op. cit. 1, p. 538. Cf. également
KARABINOV, p. 50).
3, Cf. KARABINOV, p. 34.
4. Ibid., pp. 34-35. Voici la traduction du tropaire en question :
• Le châtiment divin s'avance sur nous. Où allons-nous fuir? Qui
allons-nous implorer? Nous sommes en proie à nos malheurs. 0
Dieu très bon, devant qui sont saisies d'effroi et tremblent les mon-
tagnes, (devant qui) la mer s'était enfuie et toute la Création a fris-
sonné,. regarde-nous avec miséricorde 1 Les chœurs angéliques t'im-
( plorent : sauve le monde que tu as créé, Saint, Saint, trois lois Saint
Seigneur, sauve nous 1 »
5. Archim. SERGE, Le Ménologe complet de l'Orient, t. II, pp. 77
et 99 (en russe).
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 287

premier de ces séismes qui serait visé dans l'office du


jeudi de la 5e semaine. Une telle commémoration, au-
jourd'hui oubliée, expliquerait, tout d'abord, le carac-
tère particulièrement pénitentiel de l'office de ce jour.
Elle expliquerait également le choix très spécial de
la lecture de la Genèse qui figure à cet office. Il s'y
agit, en effet, comme il a été déjà indiqué, du célèbre
dialogue entre Dieu et Abraham, dans lequel ce dernier
demande à :Oieu de vouloir bien épargner les villes
pécheresses qui sont sur le point d'être détruites à
cause des abominations commises par leurs habitants.
Nous sommes donc conduits à la conclusion qu'il
peut y avoir également parmi les leçons scripturaires
du Triodion des lectures de caractère votif. Ceci nous
amène à aborder la question des lectures prophétiques
de Sexte, extraites du livre d'Isaïe.
4. Ces leçons d'Isaïe ont, dans la grande majorité
des cas, un contenu très différent de celui que l'on
s'attend à trouver dans des lectures choisies pour le
Grand Carême. Pour cette époque de prière intense )
et de préparation spirituelle à la fête de Pâques, on
penserait plutôt à des lectures prophétiques consti-
tuant des appels à la rénovation intérieure ou annon-
çant l'œuvre du Messie. Or, si l'élément pénitentiel se
rencontre parfois dans les péricopes d'Isaïe retenues
par l'Église byzantine pour sa liturgie de Carême,
l'élément messianique y est presque partout absent.
On dirait même parfois que ce second élément avait
été évité comme à dessein. Ainsi, comme le montre
le tableau ci-après, la leçon du vendredi de la 2e se-
maine s'arrête juste avant la grande prophétie messia-
nique concernant la naissance de l'Emmanuel (ls. 7,
14b}, après quoi la lecture du livre reprend au lundi
de la se semaine avec 8, 13 à 9, 7. De même se trouve
évitée la prophétie sur le rameau qui sortira du tronc
de Jessé dans 11, 1-10, etc. Ces remarques ont conduit
238 LA PRIÈRE DES HEURES

Tableau des péricopes d'Isaïe


utilisées par l'Église byzantine
au cours de la Sainte Quarantaine

Première semaine : lundi : Is. 1, 1-20


mardi: 1, 19 à 2, 3
mercredi: 2, 3-11
jeudi: 2, 11-21
vendredi: 3, 1-14
Deuxième semaine : lundi : 4, 2-6; 5, 1-7
mardi: 5, 7-16
mercredi: 5, 16-25
jeudi: 6, 1-12
vendredi: 7, 1-14a
Troisième semaine : lundi : 8, 13-23; 9, 1-7
mardi: 9, 9-21 ; 10, 1-4
mercredi: 10, 10-20
jeudi: 11, 10-16; 12, 1-2
vendredi: 13, 2-13
Quatrième semaine : lundi : 14, 24-32
mardi: 25, 1-9
mercredi: 26, 21 à 27, g
jeudi: 28, 14-22
vendredi: 29, 13-23
Cinquième semaine : lundi : 37, 33-38
mardi: 40, 8-31
mercredi: 41, 5-24
jeudi: 42, 5-16
vendredi: 45, 11-17
Sixième semaine : lundi : 48, 17 à 49, 4
mardi: 49, 6-10
mercredi: 58, 1-11
jeudi: 65, 8-16
vendredi: 66, 10-24.

Karabinov 1 a conclure, au sujet de l'intention qui a


guidé les auteurs du choix de ces textes, que celle-ci
a été de reproduire, à l'aide de passages d'Isaïe judi-
cieusement choisis, tout un chapitre glorieux de l'his-
1.~,0p. cit., pp. 45 et suiv.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 2S9

toire byzantine, en l'espèce le récit des péripéties qui


ont marqué la brillante campagne militaire que l'em-
pereur Héraclius (6ll-642} a conduite contre les Perses.
Celui ou ceux qui avaient composé ce système de
péricopes ont certainement voulu présenter d'abord
l'état religieux, moral et social de Byzance au début
du vue siècle de notre ère, lequel devait leur rappeler
singulièrement celui de Jérusalem, tel que le dépeignait
le prophète Is~ïe dans la seconde moitié du vme siècle
avant J.-C. C'est sans doute la raison pour laquelle
les chapitres 1 à 5 du livre, où Isaïe donne surtout
la description des péchés de ses concitoyens, font
l'obj~resque continue du lundi de la
1re semaine au mercredi de la 2e semaine. Ensuite,
les auteurs du lectionnaire semblent avoir voulu parler
des ~\heurs que ~u pourrait envoyer sur la capitale
coupab e qui, touJours comme la Jérusalem du temps
d'Isaïe, se disait être l'objet d'une protection divine
toute particulière: cette menace est très nettement
soulignée dans 6, 10-12, et c'est ce qui aurait pu déter-
miner le choix de la lecture du jeudi de la seconde
semaine. Puis on aurait voulu parler du début de
l'épreuve envoyée par Dieu, ce qui résulterait de la
leçon du vendredi de la 2e semaine (ls. 7, 1-l4a}. Mais,
en même temps, il est possible que l'on ait voulu
rappeler que Dieu réserve a~i un châtiment aux
~du peuple chrétien, tout comme il le faisait
jadis à l'égard de ceux de la cité de David, ce qu'expri-
meraient les lectures des trois premiers jours de la
se semaine, prises respectivement dans les chapitres 8,
9 et 10 du livre du prophète hiérosolymitain. On
aurait même voulu souligner que, tout comme pour
Sion, c'est Dieu lui-même · · bataille
les armées de la cité chrétienne (lectures du jeudi
et du vendredi de la se semaine, prises dans les cha-
pitres Il, 12 et 1S} et que, commè il en a été au temps
240 LA PRIÈRE DES HEURES

d'Isaïe, Assour, c'est-à-dire l'ennemi venu de l'Est,


sera nécessairement écrasé (Is. 14, 24 et suiv. dans
la lecture du lundi de la 4e semaine). Après cela, on
a sans doute voulu montrer les divers aspects du
triomphe de Dieu, ce que l'on aurait fait en choisis-
'-sant les lectures au mardi au vendredi de la 4e semaine
parmi les passages particulièrement significatifs à cet
égard des chapitres 25, 26, 27, 28 et 29. Encore plus
significative paraît être la lecture du lundi de la 5e
semaine, c'est-à-dire Is. 37, 33-38. Cette leçon contient,
en:effet, cette promesse expresse donnée à Jérusalem
par Dieu: le--!2i d'Assyrie n'entrera pas dans cette
_yi].l.e_;. elle annonce, d'autre part, Je châtiment qui
s'abattra sur Sennachérib (v. 38). N'y a-t-il pas dans
le choix de cette péricope, qui parle du siège de Jéru-
salem par les Assyriens sous Ézéchias, une allusion
r au siège de Constantinople par les Perses et les Avars
\ en 626, de même qu'à la mort violente dont fut victime
Chosroès? Car, en effet, ce roi ennemi de Byzance,
par une coïncidence vraiment extraordinaire, périt de
la main de ses fils tout comme le puissant monarque
assyrien duquel il est dit en fin de cette leçon d'Isaïe:
((comme il s'était prosterné dans la maison de Nisroc,
son dieu, ... ses fils le frappèrent de l'épée et s'enfuirent
au pays d'Ararat et Assarhaddon, son fils, régna à
sa place. l} Mentionnons encore les lectures du mercredi
et du jeudi de la 6e semaine (58, 1-11 et 65, 8-16)
\lesquelles, de nouveau, mettent en garde les pécheurs
~t les impies contre un châtiment divin, toujours
possible, et terminons par la lecture du vendredi de
la même semaine, par laquelle se clôt tout ce cycle
de leçons prophétiques tirées d'Isaïe : cette péricope
(66, 8-16) parle de la gloire de~ nouvelle
et de la grande consolation qui s'y déversera sur tous
les sauvés. Le choix de cette leçon ne cache-t-il pas
une allusion au retour dans la Ville Sainte de la Vraie
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 241

Croix, une fois la paix victorieuse conclue, et à la


VISlte triomphale qu'Héraclius fit à Jérusalem le~
mars 630?
Une telle interprétation de cet ensemble de leçons
prophétiques tirées du livre d'Isaïe rencontre les mêmes
difficultés que l'opinion qui voit dans la fête de l' Aka-
thiste (le samedi de la 5 6 semaine du Carême) une
célébration en souvenir de la levée miraculeuse du
fameux siège_ de Constantinople en 626, déjà men-
tionné. Il y a, en effet, actuellement de fortes raisons
pour admettre que l'Akathiste à la Vierge, chanté aux
. matines de cette fête, a été composé bien avant le
patriarche Sergius 1 , collaborateur d'Héraclius et l'un
des défenseurs de Constantinople en 626. Sergius, en
effet, a été tenu pendant très longtemps pour auteur
de cette pièce poétique en l'honneur de la Théotokos,
dont l'intercession auprès de son Fils aurait été la
cause de la défaite inespérée des assiégeants devant
les murs de la capitale byzantine. D'autre part, ni le
siège de Constantinople en 626, ni les deux autres
sièges de la ville par les Arabes (celui de 672-78
et celui de 716) que mentionne également N.C. Xan-
thopoulos dans son Synaxaire du Samedi de l' Akathis-
te, ne concordent par les dates où ils ont été levés, avec
le moment de l'année où la fête de l'Akathiste est
célébrée 2 • Or, le problème de la date de l'Akathiste
et de son attribution à tel ou tel auteur n'est pas
forcément lié à celui qui concerne l'occasion qui dé-
termine la composition· de l'office où cet hymne devint
l'élément principal. D'autre part, la difficulté relative

1. Certains même attribuent la composition de l' Akathiste à


Romanos le Mélode (Cf. analyses et bibliographie dans A.C. EME-
REAU, Hymnographie byzantine, Echos d'Orient, XXII, 1922, pp. 259-
263. On peut consulter également S. SALAVILLE, dans Maria, t. I
Paris, 1949, p. 259 et ss.)
2. Ainsi, le siège de 626 a été levé le 7 aoüt et les Ménologes
indiquent à cette date une fête pour commémorer cet événement.

16
i
1 242 LA PRIÈRE DES HEURES

1) aux dates des levées des sièges disparaît si l'on admet


que la festivité du samedi de la 5e semaine du Carême
a trait, non à la levée du siège de 626, mais à l'achève-
ment victorieux de toute la campagne d'Héraclius
contre les Perses. En effet, il est établi que la fin de
r cette guerre a pratiquement eu lieu la veille même
i de la fête de l'Annonciation, ce qui permit à Héraclius
d'attribuer sa grande victoire à l'aide de la Théotokos
l elle-même. Nous sommes bien renseignés sur tous ces
faits par la << Chronique Pascale 1 )), laquelle, pour
l'année 628 (la 1se année d'Héraclius), nous rapporte
le contenu de la lettre que l'empereur victorieux envoya
au patriarche Sergius et au peuple de la capitale pour
leur annoncer l'heureuse fin de sa campagne. Cette
lettre nous apprend : 1. que le 25 février Chosroès
était détrôné par son fils puis, le 5 mars, mis à mort ;
2. que le 24 mars, la veille de l'Annonciation, les
Perses commencèrent les pourparlers en vue de la
paix, laquelle fut conclue le Dimanche de Thomas,
le 3 avril. Comme l'événement le plus important, en
l'espèce le début des pourparlers de paix, a eu lieu
presque en même temps que l'Annonciation, on a très
bien pu considérer que la paix glorieuse, qui rendait
à l'Empire ses provinces perdues et ramenait dans
la Ville Sainte la Vraie Croix, était d'ores et déjà
acquise le jour de la grande fête mariale, ce qui tout
. naturellement a permis d'attribuer cette victoire à une
assistance manifeste de la Mère de Dieu. Or, il est
( très probable que la fête, qui aujourd'hui est fixée
au 5e samedi du Carême, existait déjà avant Héraclius
et qu'elle constituait, en fait, une célébration de
l'Annonciation 2 • Il en était certainement ainsi à cause
1. PG, XLII, col. 1263 et suiv.
2. L' Akathiste est, en effet, entièrement consacré à la glorifica-
tion de l'Annonciation en rapport avec tout le mystère de l'Incarna-
tion du Verbe. Il faut également noter que la fête de l'Akathiste
ne se célébrait pas autrefois nécessairement le 5• samedi du Carême,
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 243

des canons 49 et 51 du Concile de Laodicée (364 ?)


qui prescrivaient, pour la Sainte Quarantaine, de re-
porter toutes les solennités du cycle des fêtes fixes
aux samedis et aux dimanches, c'est-à-dire aux seuls
jours de cette période où la célébration eucharistique
était admise. Depuis Héraclius, et en souvenir de sa
victoire obtenue grâce à l'intercession de la Théotokos,
la fête dite de l' Akathiste reçut un caractère votif
qui vînt s'açljoindre à sa signification première. Plus
tard elle fut dissociée de l'Annonciation, car en 692
le Concile in-Trullo, par son canon 52, prescrivit de J
toujours célébrer cette fête à sa date quelle que soit
son incidence. La fête de l' Akathiste perdait ainsi sa
signification initiale, risquant par là de tomber en
désuétude, tout comme un certain nombre d'autres
solennités qui, comme elle, étaient passées du Ménologe
dans le cycle mobile du Triode. Mais cette fête fut
préservée de l'oubli et maintenue dans le Triodion
grâce, précisément, au caractère votif qui lui fut atta-
ché depuis la victoire d'Héraclius sur les Perses. Dans
les temps qui suivirent on oublia peu à peu l'ensemble
des faits qui avaient constitué cette campagne et seul
restà associé à la fête de l' Akathiste le souvenir du )
siège de Constantinople en 626 et celui de la façon
miraculeuse dont avait été levé ce siège. C'était, en
effet, l'événement le plus spectaculaire de la guerre
contre les Perses et le seul pratiquement à avoir été
vécu par les habitants de la capitale byzantine. Mais
c'est la campagne entière qui était visée tout d'abord,
ce que confirmerait aussi le système des leçons pro-

mais qu'elle pouvait aussi parfois être célébrée le 4• samedi. Cela


dépendait de l'incidence de Pâques par rapport à la date du 25 mars,
date de l'Annonciation, ce qui souligne encore la relation qui existe
entre cette fête et le samedi dit de l' Akathiste.
244 LA PRIÈRE DES HEURES

phétiques du Carême extrait du livre d'Isaïe 1 • Tout


ce système daterait donc de l'époque d'Héraclius.
5. Il est très possible que le choix des lectures
prophétiques pour la semaine de la Tyrophagie soit
en lien étroit avec celui de ces textes d'Isaïe retenus
pour la Sainte Quarantaine. Ainsi que nous l'avons
déjà noté, le mercredi de la Tyrophagie on lit Joël,
et le vendredi Zacharie. Dans les deux cas il s'agit

f Les lectures prophetiques de la semaine de la Tyrophagie


i le mercredi le vendredi
l
j, A sexte: Joël 2, 12-26 Zach. 8, 7-17
t A v~pres: Joël 3, 12-21 Zach. 8, 19-23
f
l! certes d'appels à la pénitence et au jeûne. Mais ces
leçons contiennent d'autres allusions qui, à la lumière
de ce que nous avons dit pour les leçons d'Isaïe,
peuvent devenir très significatives. Ainsi, le mercredi
dans la lecture de Sexte on lit : << Seigneur, épargne
ton peuple et ne livre pas ton héritage à l'opprobre
des nations. Pourquoi dirait-on parmi les peuples:
Où est leur Dieu?>> (Joël 2, 17). Le même jour on
entend à Vêpres: <<Jérusalem sera sainte et-les étran-
gers n'y passeront plus >> (3, 17). De même dans la
leçon du vendredi à Sexte on trouve : << Ainsi parle le
Seigneur des armées : Voici je délivre mon peuple du
pays de l'Orient et du pays du Couchant >> (Zach. 8,
7). N'a t-on pas voulu utiliser ce texte dans un but
d'allusion à la défaite des Perses, venus de l'Est,
et à celle des Avars, venus de l'Ouest? On pourrait,
I
i
1. On peut aussi remarquer que les tropaires et les versets du
psautier, qui sont chantés au début ou en conclusion des lectures
prophétiques du Triodion, tout en adressant aux fidèles des appels
à la pénitence, font très souvent état de malheurs s'abattant sur
ces mêmes fidèles et ils implorent Dieu pour que ces derniers soient
délivrés de leurs ennemis.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 245

dans le même esprit, relever d'autres allusions possi-


bles, mais ce qui a été déjà dit confirme suffisamment
le caractère votif de ces lectures comme de tout
l'ensemble des leçons prophétiques prévues pour la
Sainte Quarantaine.

Il reste, évidemment, à préciser la valeur religieuse


de ces sortes de lectures ainsi que les considérations
doctrinales par lesquelles on pourrait justifier leur
présence dans le lectionnaire de l'Église. Leur valeur
religieuse est assurée, tout d'abord, par le fait qu'elles
sont placées sous le signe d'un appel à la pénitence
et à l'accomplissement fidèle des exigences de Dieu.
Les faits vétérotestamentaires, qui ont trouvé écho·
dans ces textes extraits des écrits de Prophètes, sont
tous liés à des situations historiques où Dieu a exigé
d'Israël un repentir sincère. Les faits de l'histoire
byzantine, que l'on a voulu évoquer par ces textes,
font état de l'aide miraculeuse de Dieu en marquant
bien que cette aide survint à la suite d'une prière
de contrition de l'Église entière. Mais si Isaïe, à qui
appartiennent la plupart de ces textes, a parlé de la
pénitence, c'est parce qu'il avait en vue la foi en
Dieu fidèle à ses promesses et qu'il entendait amener
le peuple choisi à vivre et à agir selon cette foi. Or,
tout retour à Dieu conduit à admettre à nouveau et
à vérifier par expérience que Dieu est toujours fidèle
à ses promesses. Il en était ainsi tant dans l'Ancien
Testament que dans la vie de l'Église du Christ.
Aussi, les auteurs du Triodion, par le choix des
lectures prophétiques, ont-ils certainement pensé faire
autre chose que d'évoquer une théologie de la contri-
tion et du retour à Dieu. Les promesses que Dieu fit
à Israël, et qui permirent à celui-ci de survivre aux
pires catastrophes de son histoire, ne sont, en effet,
que la préfiguration de cette promesse du Christ à
246 LA PRIÈRE DES HEURES

son Église : <1 Les portes de l'Enfer ne tiendront pas


contre elle>> (Mat. 16, 19). Au premier chef, évidem-
ment, les auteurs du Triodion voyaient Byzance et
les faits miraculeux qui s'étaient produits dans son
histoire, autrement dit, des faits dont ils étaient peut-
être les contemporains. Pourtant, à travers leur pa-
triotisme byzantin, si naturel et légitime qu'il était,
ils voyaient aussi très certainement l'Église et la
promesse inaliénable qu'elle reçut du Christ. Car, ne
l'oublions pas, dans l'esprit des chefs spirituels et des
guides religieux de Byzance, celle-ci tirait sa signifi-
cation uniquement du fait qu'il avait plu à Dieu de
faire passer par elle les voies historiques de son Église.
L'amour fervent des Byzantins envers la Mère de Dieu
et la conviction intime exprimée dans la fête du 5e
samedi du Carême, que la Théotokos accordait une
protection toute spéciale à Constantinople sont, certai-
nement, une autre preuve de préoccupations d'ordre
ecclésiologique chez les auteurs du Triodion et, par-
ticulièrement, chez ceux qui y ont introduit ces lec-
tures à caractère votif. Dans la piété byzantine, en
effet 1 , la Théotokos, qui intercède pour l'Église, est
aussi un signe de l'Église: elle en exprime l'essence
en tant qu'humanité glorifiée du Christ, elle en mani-
feste et en authentifie également la présence. Toutes
ces considérations nous permettent donc de penser que,
s'étant efforcés de relater des faits particulièrement
glorieux de l'histoire de Byzance et ayant recouru,
pour ce faire, aux textes prophétiques vieux de cinq
1
1
à sept siècles av. J.-C., les auteurs de ce système de
_ leçons scripturaires ont, en fait, porté un témoignage

sur la pérennité de l'Église du Christ. Or, le rappel


1 de cette vérité ecclésiologique a sa place tout indi-
quée dans les offices de Carême, puisqu'en ce temps
1. Cf. notre étude : La Théotokos dans les offices byzantins du
temps pascal, Irénikon, t. XXXIV /1, 1961, pp. 21-44.
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 247

de prière ardente et de jeûne, c'est l'Église tout


entière qui est appelée à retremper sa foi en la fidélité
de Dieu, en expérimentant, à nouveau, sa magnanimité
que rien n'altère, de même que la puissance de sa
grâce, gage de triomphe certain pour le Nouvel Israël
dans sa marche à travers l'histoire du monde, depuis
la nouvelle Pâque jusqu'à la Parousie.

***
Si nous revenons au lectionnaire byzantin pris dans
son ensemble, nous pouvons constater que, pour ce
qui est des lectures propres au temps, il comprend,
en premier lieu, deux grands ensembles de textes ré-
partis de façon à rendre possible au cours de l'année
liturgique, ou au cours du temps du Triode, la lec-
ture continue ou, tout au moins, quasi continue de
larges portions de la Bible. Il s'agit, tout d'abord,
de la lecture continue de tout le Nouveau Testament
qui se fait à la liturgie eucharistique depuis le diman-
che de Pâques jusqu'au dimanche des Palmes. Il
s'agit, ensuite, de la grande suite vétérotestamentaire
composée des péricopes de la Loi qu'on lit aux
Vêpres depuis le lundi de la première semaine du
Carême jusqu'au Grand Samedi. Cette suite relate,
on l'a vu, toute l'histoire de l'économie divine depuis
la Création et la chute, jusqu'à la première Pâque et
les faits qui l'ont accompagnée ou immédiatement
suivie. Il met en avant les grands thèmes de la Pro-
messe, de l'Élection, de l'Alliance et de la Pâque.
Ces thèmes se sont pleinement accomplis dans l'In-
carnation du Verbe Divin, dans sa mort et sa Résur-
rection. Il y a donc entre ces deux grands ensembles
de leçons scripturaires un rapport évident : l'un nous
montre Dieu définissant lui-même, tout au début de
l'Histoire sainte, les thèmes essentiels de ses rapports
248 LA PRIÈRE DES HEURES

avec les hommes, l'autre présente l'aboutissement de


l'histoire sainte et la plénitude que tous ces thèmes
ont reçue dans la personne du Fils de Dieu fait homme.
A part ces deux ensembles fondamentaux de leçons
scripturaires, le lectionnaire byzantin comprend deux
autres cycles relevant également du propre du temps.
Ce sont, en premier lieu, le cycle de lectures sapien-
tielles (Proverbes, Job) et, en second lieu, le cycle
de lectures prophétiques (Isaïe, Ézéchiel, Joël, Zacha-
rie). Le premier a une portée didactique et ne con-
cerne pas spécialement l'Histoire Sainte. Le second,
au contraire, a pleinement trait à cette dernière. Il
se rapporte, en effet, à certains des événements qui la
composent. Il montre, surtout, ce que sont ces événe-
ments en nous dévoilant qu'ils constituent ce que la
Bible appelle des jugements de Dieu 1 • Par l'inter-
médiaire de ces événements, Dieu montre, en effet,
qu'il condamne une situation historique déterminée
où son peuple se trouve, et qu'il lui ordonne d'accéder
à un état religieusement meilleur et cela par l'accom-
plissement d'un acte de foi très précis. Ce cycle de
lectures prophétiques, ainsi qu'il a été dit plus haut,
est composé de leçons relatant des cas particuliers
de ces jugements de Dieu. Cela nous permet de voir
que, dans l'histoire du monde, le déroulement du plan
de l'économie divine s'est traduit par un enchaînement
de jugements de Dieu, pareils à ceux que nous montre
le livre d'Isaïe, depuis le premier d'entre eux, celui
que nous raconte l'Exode et par lequel, selon le mot
d'Osée (Os. 11, 1}, Dieu appela hors d'Égypte son fils,
jusqu'à cet autre jugement, celui de la Nouvelle Pâque,
où, par la Croix de son V erbe, Dieu triompha de ce

1. Cf., notamment, ces paroles de Dieu dans Ex. 6, 6b: • Je vous


affranchirai des travaux dont vous chargent les Égyptiens, je vous
délivrerai de leur servitude et je vous sauverai à bras étendu et par
de grands jugements. »
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 249

monde et du prince de ce monde (Jn 12, 21). Ce cycle


prophétique forme donc une pièce essentielle dans
l'ordonnance de tout le système de lectures dans
l'Église byzantine: c'est par lui, en effet, que se fait
le lien, tant historique que théologique, entre le cycle
de la Loi et tout ce qui est Nouveau Testament. Le
lectionnaire byzantin relevant du temporal n'est donc,
en somme, qu'une vue d'ensemble de toute l'économie
divine du salut, présentée comme une grande synthèse,
dont les éléments essentiels sont mis en valeur grâce
à un puissant raccourci.
La signification religieuse de ce lectionnaire ne s'ar-
rête cependant pas à cette vue historique. Ce que nous
croyons savoir de son histoire nous montre que, lors
de la formation de l'une des parties qui le composent,
des textes bibliques ont été évoqués à propos de faits
se rapportant à l'histoire de Byzance et, par là, à
celle de l'Église. Or, ces textes ont trait, on vient de
le noter, à des manifestations de jugements de Dieu,
qu'Israël avait connus dans son histoire et par les
événements qui en relèvent. Il résulte de là qu'aux
yeux de l'Église, des faits qui rentrent dans son histoire
à elle peuvent également céler de tels jugements divins.
Elle affirmerait donc par son système de lectures
scripturaires que, depuis la constitution du canon
des Écritures Saintes, Dieu n'a pas changé sa façon
d'agir dans le monde et que, de ce fait, l'Histoire
sainte est non seulement toujours actuelle dans sa
liturgie, mais qu'aussi elle se répète et, bien plus,
qu'elle continue, en ce sens que Dieu ne cesse d'appeler
les hommes à des actes de foi toujours répétés qui
leur ouvrent une connaissance de plus en plus parfaite
de son amour et de sa gloire.
Partant de la structure et de l'histoire de ce système
de leçons scripturaires, on peut pousser la déduction
théologique plus loin encore. Nous nous arrêterons
250 LA PRIÈRE DES HEURES

tout particulièrement sur les considérations qui per-


mettent de souligner l'importance et la place de l'An-
cien Testament dans la vie spirituelle de l'Église, et
dans celle de chaque chrétien pris individuellement.
Le lectionnaire de l'Église byzantine, qui a fait l'objet
de cette étude, nous présente, en effet, tout l'ensemble
de l'économie du salut. D'un autre côté, la liturgie
tout entière n'est qu'une affirmation de la présence
toujours actuelle du passé sacré dans la vie de l'Église.
Enfin, le même lectionnaire paraît témoigner que
l'Histoire sainte continue et se refait pour chaque
génération chrétienne et pour chaque chrétien en
\ particulier. Tous ces faits réunis ne forment-ils pas
la preuve que l'Ancien Testament, bien qu'accompli
pleinement dans le Christ, est toujours une réalité
dans la vie de l'Église et qu'il reste une étape tout à
fait nécessaire dans la marche vers le Christ de chaque
individu comme il l'a été pour l'ensemble de l'huma-
nité ? Si une telle conclusion est possible, le lectionnaire
byzantin mettrait en avant l'importance de l'Ancienne
Loi dans le domaine du salut et fournirait une justi-
fication nouvelle de l'emploi par l'Église de l'Ancien
comrr.e du Nouveau Testament.

Tout au début de la présente étude nous avons


'
souligné la place relativement restreinte que tient dans
t la liturgie byzantine la lecture de l'Écriture Sainte.
l Notre étude nous a montré que, pour ce qui est du
1
temporal et le Nouveau Testament mis à part, l'Église
l
~
byzantine ne lit au cours de sa liturgie que deux livres
de la Loi, des fragments des Prophètes et de deux
livres sapientiels. Si nous ajoutons à cela les lectures
du Ménologe, nous voyons que l'Église byzantine ne
t
l lit jamais dans sa liturgie Ruth, Sam., Chr., Esdr.,
j Néhém., Tob. et Mace. parmi les livres historiques,
Eccl., Cant., et Sir. parmi les Sapientiaux, et Lam.,
1'
'
LES LECTURES DANS LE RITE BYZANTIN 251

Os., Am., Abd., Nah., Hab. et Aggée parmi les Pro-


phètes. Et, l'on sait, par ailleurs, que certains de ces
livres ont une place souvent importante dans le lec-
tionnaire des autres Églises. Mais nous avons aussi
relevé qu'en dépit de tout cela la liturgie byzantine
était demeurée foncièrement biblique. Nous avons noté
qu'elle a pu rester telle grâce aux particularités de son
cycle de fêtes, grâce au contenu et même à la forme
de son hymnographie. L'étude que nous venons de
faire, tant sur l'histoire du lectionnaire byzantin que
sur la façon dont le système de lectures y a été conçu
et présenté par l'Église, nous permet de souligner que
la liturgie byzantine est même restée profondément
biblique: elle l'est par sa théologie de l'histoire, comme
par celle qui aurait pour objet la rencontre de l'âme
et du Christ, théologie encore à peine ébauchée bien
que déjà révélatrice du véritable sens de toute prière
chrétienne.
L'OFFICE DIVIN CHEZ LES CHALDtENS

par. le P. Jean MATEOS, S. J.


Institut Pontifical Oriental, Rome

Le sujet de cette communication est l'office divin


des Syriens Orientaux. Nous l'appellerons office chal-
déen. Cette dénomination aura deux avantages : d'a-
bord, elle évitera la confusion avec la tradition jaco-
bite de la Mésopotamie, qui s'appelle elle aussi tradi-
tion syrienne orientale ; ensuite, elle écartera le fâcheux
appellatif de <<nestorien >> qu'on donne souvent à ce
rite, imbu, sauf dans quelques compositions d'auteurs
récents, de la plus pure orthodoxie.
Le plan de cet exposé sera le suivant :
I. En premier lieu, nous chercherons à savoir quelles
sont les heures qui composent l'office chaldéen.
II. Puis nous décrirons brièvement la structure des
heures de cet office.
III. Nous essayerons ensuite de montrer ce qui relie
cet office aux documents liturgiques de l'antiquité
chrétienne.
IV. Finalement, nous signalerons quelle est, à notre
avis, l'importance du rite chaldéen pour l'histoire com-
parée de l'office divin.

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