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LIBRARY

Southern California

SCHOOLOE THEOLOGY
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Claremont, Cal

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Aus der Bibl
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Walter Pauer

geboren 1877
gestorben 1960
Jules GROSS
Maître de Conférences Je
à la Faculté de Théologie Catholique
de l’Université de Strasbourg

———_—

LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN
| D'APRÈS LES PÈRES GRECS
CONTRIBUTION HISTORIQUE
À LA DOCTRINE DE LA GRACE

‘O roù Geoù AdVos évnvlpornsey,


tva nuets lewnornlouey.
Athan., De inc. Verbi, 54.

PARIS
LIBRAIRIE LECOFFRE

J. PAUVRE Ci, ÉDITEURS


RUE BONAPARTE, 90

1938
LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN
D'APRÈS LES PÈRES GRECS
Jules GROSS
Maitre de on térerees
à la Faculté de Théologie Catholique
de l'Université de Strasbourg

= —

LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN
D'APRÈS LES PÈRES GRECS
CONTRIBUTION HISTORIQUE
A LA DOCTRINE DE LA GRACE

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Lya ‘nuets Dewrornlouey.
« € La ed

Athan., De inc. Verbi, 54.

PARIS
LIBRAIRIE LECOFFRE

J. GABALDA ET Ci, ÉDITEURS


RUE BONAPARTE, 90

1938
Nihil obstat :

A. GAUDEL,
cens. dep.

IMPRIMATUR :
Argentinae, die 8a Julii 1938.

Tu. Douvier,
vic. gen.
INTRODUCTION

Envisager la divinisation de l’homme n'est-ce pas un para-


doxe ? Comme si de Dieu à nous il n’y avait pas une dis-
tance infranchissable !
_ Tel pourtant semble être le fond des aspirations Les plus
intimes de l’humanité. Sous des formes disparates, un désir
vague mais puissant s'exprime un peu partout d’une vie sem-
blable à celle de Dieu ou des dieux, considérée comme l'idéal
de la perfection et du bonheur.
Déjà ceux des primitifs qui croient à une récompense dans
l'au-delà se la représentent comme une existence auprès de
l’Être suprême « affranchie de la mort, de la maladie, de la
souffrance, pleine de toutes sortes de déiices » (1). À sa façon,
le récit biblique de la tentation témoigne d’un désir analogue
dès cette vie. Dans l’hellénisme aussi ka déification fut tenue
pour la fin suprême de nos destinées.
Le même idéal, mais conçu différemment, serait également
l’âme de toute la philosophie, même et surtout incroyante, de-
puis la Renaissance. « Quelle est, écrivait à y a quarante ans
Fonsegrive, la doctrine dominante des temps modernes, de Ba-
con et de Descartes à Condorcet, à Auguste Comte et à M. Ber-
thelot ? C’est que par Le progrès de la science l’homme arrivera
à s’asservir les forces redoutables de la nature, domptera le
malheur et la mort même, trouvera le paradis sur la terre et ar-
rivera enfin à l’apothéose. L'homme, par sa force et les forces
brutes de l’univers, arrivera à se diviniser » (2).

(1) W. ScxmipT, Origine et évolution de la religion. Traduction par


LEMONNYER, Paris, 1931, p. 339.
(2) George L.-FoNsEGRIVE, Le catholicisme et la vie de l'esprit, 2° édit.,
Paris, 1906, p. 18,
VI =: LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN

Entre cette ambition et la fin proposée à l’homme pur le


christianisme, comme le même auteur l’a fait remarquer, l’ana-
logie n'est-elle pas frappante (1) ? En effet, le but suprême de
la religion chrétienne, écrit-il ailleurs, « est de nous faire par-
ticiper à la nature même de Dieu — divinae consortes naturae,
dit saint Pierre — de nous diviniser et ainsi, par la grâce de
Dieu, de faire de nous des dieux » (2). 5,
‘Analogie, disions-nous, et non identité. Car, dans la philoso-
phie moderne, l’idée de la divinisation risque de n’être guère
« autre chose qu’une vague poésie » (8), à moins qu’elle ne soit
une pure allusion née d’un orgueil démesuré.
Dans le surnaturel chrétien, au contraire, cet idéal devient
réalité. Toute notre théologie de la grâce sanctifiante n’est-elle
pas, au mot près, une doctrine de la déification ? _
A la suite du Nouveau Testament, les Pères, en effet, ont vu
dans la vie nouvelle conférée au chrétien une participation de
la vie divine elle-même. Mais dans l’Écriture déjà cette con-
ception commune s'exprime avec des nuances importantes.
Saint Paul envisage principalement la « conversion », « la gué-
rison » du pécheur, tandis que « saint Jean est absorbé dans la
contemplation de la vie divine communiquée aux hommes par
Jésus-Christ », de « l’élévation » et de « l’adoption » de l’hom-
me par Dieu.
Or la conception paulinienne a été développée surtout par
saint Augustin et les Latins, alors que la conception johanni-
que « a été exploitée avec une enthousiaste prédilection par les
Pères grecs » (4). Rien d'étonnant, dès lors, à ce que, chez ces
derniers, l’idée de divinisation soit «véritablement cen-
trale » (5). Elle leur sert à exprimer d’une façon concrète et
vivante la réalité mystérieuse que les Latins désignent sous le
terme plus sobre de grâce (6).

(1) Ibid. : « C’est aussi bien des deux côtés la divinisation ».


(2) Ip., Le catholicisme et la religion de l'esprit, Paris, 1913, p. 21.
(3) Jean RIvièRe, Le dogme de la Rédemption. Étude théologique,
Paris, 1931, p. 89.
(4) Pierre RoUSSELOT, La grâce d'après saint Jean et d'après saint Paul,
dans Recherches de science religieuse, t. XVIII, 1928, p. 87-90.
(5) Ibid., p. 92.
(6) Cf. Herm. LANGE, De gratia, Kribourg-en-Brisgau, 1929, p. 166
et 186.
ete 2

INTRODUCTION | se ve
. Pour l'intelligence de la doctrine de notre élévation surnatu-
relle, it est donc de la plus haute importance de connaître l’ori-.
gine et le développement du thème de la divinisation. Cette
hastoire, c’est dans la tradition des Pères grecs qu’il faut sur-
tout la chercher. D'où l’objet et les limites du présent travail.
Assurément, le sujet n’est pas entièrement neuf. Depuis
longtemps, les historiens protestants du dogme l’ont mis en
évidence, non toutefois sans en minimiser la valeur religieu-
se (1). Chez nous, M. Rivière en a tracé les grandes lignes dans
ses rapports avec le dogme de la Rédemption (2). Mais à peine
quelques rares études ont-elles été spécialement consacrées à la
déification comme telle, dont les unes sont de simples monogra-
phies (3), Les autres, d'envergure générale, se réduisent à des
_ esquisses (4) ou restèrent inachevées (5).
_ Autant dire qu’il n’existe pas encore d’exposé d'ensemble de
la doctrine des Pères grecs sur la divinisation du chrétien.
C’est précisément cette lacune que nous nous sommes proposé
de combler.
Comme l’idée de déification a servi de lien entre l’hellénisme
et le christianisme, il était indispensable de commencer par sui-
vre les courants analogues qui se sont fait jour dans le monde
grec. En regard devaient prendre place les données bibliques
et judaïques. L'originalité des Pères grecs fut de meïtre en

(1) Cf. A. HARNACK, Dogmengeschichte, t. II, 4° édit, Tubingue, 1909,


p. 44, 65-66, etc.; Das Wesen des Ohristentums, 2 édit, Leipzig, 1900,
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(2) J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d'étude historique,
Paris, 1905, surtout p. 142-159. Cf. L. RicmArn, Le dogme de la Rédemp-
tion, Paris, 1932, p. 87-92.
(3) Par exemple Karl BORNHAEUSER, Die Vergottungslehre des Atha-
nasius und Johannes Damascenus, Gütersloh, 1903.
(4) V. ErMonr, La déification de l’homme chez les Pères de l'église,
dans Revue du clergé français, 3° année, 1897, t. XI, p. 509-519; O. FaL-
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1933, p. 8-55.
(5) Ainsi Louis BAUR, Untersuchungen über die Vergôttlichungslehre in
der Theologie der grièch, Väter, dans Theologische Quartalschrift, t.
XOVIII, 1916 sa.
VII LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN

œuvre la révélation judéo-chrétienne avec les ressources que


leur fournissait le milieu.
Étant donnée l'ampleur du sujet, il serait présomptueux de
prétendre l’avoir épuisé. Du moins osons-nous espérer. n’avoir
rien omis d’essentiel et, surtout, ne pas avoir trahi la pensée
de nos docteurs. Ramenée à ses premières origines, notre doc-
trine de la grâce sanctifiante y gagnera peut-être un surcroît
d'intérêt et de vitalité.
BIBLIOGRAPHIE

I — SOURCES

L’Écriture Sainte est citée, à moins d'indication contraire,


pour l’Ancien Testament, d’après F. Vicouroux. La Sainte Bible
Polyglotte, Paris, 1900-1909; pour le Nouveau Testament, d’après
E. NESTLE, Novum Testamentum graece et latine, Stuttgart,
1921. Pour la traduction, nous nous sommes aidé de CRAMPON,
La Sainte Bible, Paris (1923).
En règle générale, les Pères sont cités d’après J.-P. MIGNeE,
Patrologiae cursus completus, dont la série grecque fut éditée
de 1857-1866. Pour plusieurs Pères nous avons dû recourir aux
collections suivantes :
Die Griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei
Jahrhunderte, édités par l’Académie de Berlin (Corpus de
Berlin), Leipzig, depuis 1897.
GRAFFIN R.-NAU F., Patrologia Orientalis, Paris, depuis 1908.
HEMMER H.-LEJay P., Textes et documents pour l'étude histo-
rique du christianisme, Paris, depuis 1904.
Les éditions empruntées à ces collections sont signalées dans
le texte de notre travail.
Pour les auteurs profanes, pour Platon et Aristote surtout,
nous avons utilisé de préférence la « Collection des Universités
de France » (Coll. Budé) et, à son défaut, les éditions de Teub-
ner.

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LIVRE PREMIER

LA PRÉPARATION
Il n’est pas douteux que les Pères grecs, comme tous les au-
tres, à l'instar de l’Église elle-même, ne voient dans les
Saints Livres, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, la
source divinement inspirée de toute vérité à laquelle ils ali-
mentent leur foi, la norme infaillible sur laquelle leur pensée
doit se régler d’une manière absolue. C’est dès lors dans la Bi-
ble surtout qu’il faut chercher les racines de leur enseigne-
ment,
Mais, tout fervents chrétiens qu'ils soient, ils sont nécessai-
rement aussi des enfants de leur temps et de leur milieu. Tous,
en effet, ont grandi, ont été formés dans les institutions, les
usages et l’ambiance de leur époque. Aussi ont-ils tous profité,
bien qu'à des degrés fort différents, de l’immense patrimoine
que la Grèce ancienne avait légué au monde gréco-romain.
Avant leur conversion, plusieurs d’entre eux avaient même
été des adeptes de la philosophie et, devenus chrétiens, ils ont
gardé le manteau du philosophe. D’autres et non les moindres,
bien qu’issus de familles foncièrement chrétiennes, ont fré-
quenté, avant leur baptême tardif (1), les écoles d'Athènes, de
Constantinople, de Césarée (2), où, sous la direction des rhé-
teurs païens les plus célèbres de l’époque, tels que Thémistius
et Libanius, ils ont bu «à larges traïîts dans la coupe de la

(1) On sait que saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Jean
Chrysostome, lorsqu'ils reçurent le baptême, avaient largement dépassé les
vingt ans.
(2) Cf. Gustave BaArDY, L'Église et l’enseignement au IV® siècle, dans
Revue des sciences religieuses, t. XIV, 1934, p. 525-549; t. XV, 1935,
p. 1-27.
4 LA PRÉPARATION

culture profane » (1). Du reste, un saint Basile, un saint Gré-


goire de Nysse, avant de se retirer du monde, n'ont-ils pas
enseigné eux-mêmes la rhétorique ?
Chez tous ces hommes, parmi lesquels on compte des génies,
la prédication chrétienne n’est done pas tombée dans des eer-
veaux vides. Quand l'heure vint pour eux de se l’assimiler, de
la pénétrer et d’en exprimer le contenu, ils ont tout naturel-
lement utilisé, avee la langue grecque, de nombreux autres
éléments de la culture hellénique (2).
Pour bien comprendre leur pensée, pour mesurer notam-
ment l'influence que leur formation profane a pu exercer sur
l’expression de leur foi, il est, par conséquent, indispensable
de connaître l'atmosphère dans laquelle ils ont vécu, pensé et
lutté. >
On pouvait s’y attendre «a priori et notre enquête va le con-
firmer : cette règle générale s'applique également à la doctrine
des Pères grecs sur la divinisation du chrétien. Assurément
cette doctrine plonge ses racines vitales dans les Livres inspi-
rés. Mais elle contient aussi tant d'éléments d'origine helléni-
que que plusieurs critiques y ont voulu voir la preuve la plus
éclatante d’une hellénisation du christianisme qui se serait
opérée au détriment du moralisme religieux prêché par Jésus.
C’est pourquoi, avant d'aborder l'exposé de la doctrine pa-
tristique, il est indispensable de signaler les courants similaires
de pensée qui se sont manifestés dans le monde hellénique,
alors même qu'ils ne seraient que de lointaines analogies, pour
faire connaître le milieu dans lequel le germe biblique allait
sa développer:

(D) Ibid, t. XIV, p. 539. Cf. André BREMOND, Rationalisme et reli-


gion, dans Archives de Philosophie, t. XI, 1935, eahier 4, p. 16-17 :
« C’étaient de vrais hellènes, avec une teinte d'orientalisme, Basile, les
deux Grégoire, Jean Chrysostome ! Ils ont reçu l'hellénisme des mains
languissantes des derniers rhéteurs ».
(2) Une constatation analogue peut, du reste, se faire déjà chez les der-
niers auteurs de l'Ancien Testament, ainsi que chez les écrivains du
Nouveau,
=

PREMIÈRE PARTIE

ANALOGIES HELLÉNIQUES

CHAPITRE PREMIER

LA LITTÉRATURE

À travers tout l’hellénisme on retrouve, sous les formes les


plus diverses, l’idée que le bonheur suprême de l’homme con-
_siste dans yne certaine assimilation à la divinité. Avant de
s'épanouir dans les mystères, la philosophie et l’hermétisme,
cet idéal se dessine déjà dans la littérature au sens strict du
mot.
Après l'invasion des Doriens au début du XII®° siècle av.
J.-Chr., la civilisation grecque, fécondée par le mélange toujours
plus étendu des tribus et le contact de plus en plus fréquent
avec les voisins orientaux, se développe puissamment au point
de devenir capable de produire, vers le VIIT® siècle (1), le plus
ancien chef-d'œuvre de la littérature hellénique, où s’affirme,
pour la première fois, une culture commune aux tribus grec-

(1) Cf. Helmut BERvE, Griechische Geschichte, 1'° partie : Von den
Aufängen bis Perikles (Collection Geschichie der führenden Vôlker, vol.
IV), Bribourg-en-Brisgau, 1931, p. 88. Voir aussi Louis GERNET-André Bou-
LANGER, Le génie grec dans la religion (Collection L'évolution de l’huma-
niîté, t. XI), Paris, 1932, p. 22-26. D’après ces derniers auteurs, les poèmes
dits homériques n’auraient « été constitués dans leur état définitif, ou à peu
près, qu'à une date assez tardive qui ne saurait être très antérieure à
l'époque de Solon ou des Pisistratides », c’est-à-dire au début du VI®
siècle. Ils reconnaissent pourtant que ces poèmes « ont été constitués avec
des éléments divers, transmis par une tradition plus ou moins ancienne»
(p.. 23-24).
6 ANALOGIES HELLÉNIQUES

ques qui s’élève au-dessus des limites de l’espace et du temps :


les épopées d’Homère.
Dans des tableaux poétiques d’une beauté qui nous ravit en-
core après tant de siècles, l’Iliade et l'Odyssée dépeignent, non
seulement les mœurs, l’organisation sociale et politique de
l’époque, mais aussi l’état général des connaissances, des
croyances religieuses en particulier. Seules ces dernières nous
intéressent ici, ou plus exactement une petite partie d’entre
elles, savoir les conceptions qui se manifestent, dans ce qu’on a
appelé la « Bible hellénique » (1), concernant la divinité et les
possibilités pour l’homme de s'élever jusqu’à elle. |

Ce qui, aux yeux d’'Homère, caractérise surtout la divinité


c’est l’immortalité. A tel point, que, pour lui, les termes de
Üecs et d'afdvaros sont synonymes (2). L’immortalité des dieux
implique une éternelle jeunesse (3), ainsi qu’une vie heureu-
se (4) dans le séjour inaltérable de l’Olympe, bien au-dessus
des misères humaines (5).
Bien que le père de la poésie occidentale attribue à ses
dieux, avec une forme corporelle, des habitudes humaines de
penser, de sentir et d’agir et en fasse ainsi — suivant une ju-
dicieuse remarque d’Aristote — « des hommes éternels » (àv-
Üpwmous à&tôlous) (6), bien qu'il les présente comme constam-
ment mêlés aux affaires des mortels, il déclare à l’occasion avec
force que «la race des dieux immortels est bien différente de
celle des hommes qui rampent sur la terre » (7). Innombrables,
il est vrai, sont les vers, où des chefs ou même de simples guer-
riers sont qualifiés de Üetor, dvrifleor, toofeor, ete.; mais il est
(1) Édouard KAMMER, Hin ästhetischer Kommentar zu Homers Ilias,
Paderborn, 1906, p. 102.
(2) Voir 11, 1, 503; Od., I, 31, et beaucoup d’autres endroits.
(3) Cf. Od., V, 518, où Ulysse dit à la déesse Calypso au sujet de Péné-
Jope : « Elle n’est qu’une mortelle, alors que tu es immortelle et parée
d’une éternelle jeunesse (äyheuws) ».
(4) IL, XX, 54 : pdrapes Beol, Od., V, T3; 122 : Geot feta Cwévrec.
(5) Od., VI, 41-47.
(6) Anrtsror., Mépath., III (B), 2; p. 997 b 11.
(7) IL, V, 441-442.
LA LITTÉRATURE 7

évident que, dans la bouche de notre poète, ces qualificatifs ne


sont que des epitheta ornantia, qui laissent intacte la différence
de nature entre les hommes et les dieux. Aussi la plus grande
faute qu’un homme puisse commettre consiste-telle dans la
présomption de « vouloir s’égaler aux dieux » (1), comme le
prouve l’histoire de la superbe Niobé, si cruellement châtiée
« pour avoir osé se comparer à Latone » (2).
Néanmoins l'éternité bienheureuse des dieux n'apparaît pas
comme absolument inaccessible aux mortels. Homère connaît,
en effet, plusieurs cas où de simples hommes ont été reçus dans
la grande famille olympique. C’est ainsi que Clitus, dont Au-
rore s'était éprise, a été enlevé par cette déesse et introduit
parmi les immortels (3). Le beau Ganymède, ravi par
Zeus (4), devient l’échanson de celui-ci (5).
Un privilège analogue est proposé à Ulysse par Calypso qui
veut le rendre « immortel et toujours jeune (äfdvarov xai àyn-
puov)» (6). « Cela signifie qu’elle en fera un dieu, de même
qu’elle est une déesse. L’immortalité des dieux a pour condi-
tion l’usage de mets miraculeux, de l’ambroisie et du nectar;
si l’homme se nourrit d’une manière continue de ces aliments
divins, il devient lui aussi dieu immortel » (7).
D'après le célèbre mythe de la « prairie élyséenne » enfin,
auquel fait allusion le IV® chant de l'Odyssée (8), un sort com-
parable à l’existence des dieux est réservé à quelques hommes
privilégiés. Le vaillant Protée, «serviteur de Neptune, qui
connaît les abîmes de l’océan tout entier », y prédit au roi
Ménélas qu'il ne subira point le sort commun de la mort. Il
sera, au contraire, envoyé « par les immortels dans la prairie
élyséenne, aux confins de la terre, où se trouve le blond Rha-

(1) II, V, 440-441.


(2) Ibid, XXIV, 602. Cf. Od., V, 212-215.
(3) Od., XV, 249-251.
(4) IL, V, 265-266.
(5) Ibid, XX, 232-235, Sur d’autres enlèvements, voir Erwin ROHDE,
Psyché. Le culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité.
Édition française par Auguste REYMOND, Paris, 1928, p. 60-61.
(6) Od., V, 135-136; 208-209.
(7) E. ROHDE, op. cit., p. 60-61.
(8) Od., IV, 560-569. Ce IV* chant est attribué par les critiques à un
poète postérieur. Cf, E. ROHDE, op. cit., p. 57-58.
8 ANALOGIES HELLÉNIQUES : L

damanthe. Là une vie très facile est accordée aux humains :


jamais de neige, ni de longs hivers, ni de pluie; mais toujours
Okéanos envoie les douces haleines du zéphir qui rafraîchis-
sent les hommes». Ce bonheur lui viendra de ce qu'il est
l’époux d'Hélène et le gendre de Zeus.
Il s’agit là d’un sort exceptionnel, accordé à des mortels en
raison des liens de famille qui les unissent aux dieux. En
outre, il n’est aucunement question de la destinée de l’âme sé-
parée du corps. L’enlèvement miraculeux dont Ménélas sera
honoré a pour objet l’homme tout entier : par privilège spé-
cial, son âme restera pour toujours unie à son corps et ne des-
cendra jamais dans l’Hadès.
Dans les «champs élysées» ou «pays d'arrivée» (1), les
privilégiés jouissent d’un bonheur sans mélange et sans fin
comme les dieux. Ceux-ci ne partagent toutefois avec eux ni la
demeure olympienne (2), ni le gouvernement du monde. On
peut done parler, à propos des hommes envoyés dans la prairie
élyséenne, d’une certaine divinisation accidentelle. Déification
du reste tout extrinsèque, sans relation avec la morale, et en
cela conforme au concept homérique de la divinité qui dit es-
sentiellement immortalité bienheureuse.
Mais la grande masse des humaïns n'échappe pas à la mort.
Après l’incinération du corps, la psyché — ombre ou fumée
volatile, dépourvue de force, qui est cependant «comme la
parfaite image de l’homme et de sa conformation corpo-
relle » (3) — descend dans l’Hadès qui ne lâchera plus sa
proie. Là elle voltige, inquiète et sans but, menant une exis-
tence qui arrache à l’âme d’Achille cette plainte amère : « J’ai-

(1) Telle serait la véritable étymologie de l'expression grecque ’HAÿatoy


meôtov. Cf. E. ROHDE, op. cit, p. 63.
(2) Le fait d'habiter l’Olympe n’est pas une condition essentielle de
la divinité, ainsi que le montre l’exemple de Calypso. Cf. E. ROHDE, 09. cit.,
p. 105. x
(3) Walter F. Orro, Die Manen oder von den Urformen des Totenglau-
bens, Berlin, 1923, p. 11-13.
. Avec cet auteur, nous nous séparons de Rohde en ce qui concerne la
signification du mot psyché dans Homère. Sous l'influence de l’animisme
de Tylor, Rohde voyait dans la psyché un double moins consistant, un se-
cond moi de l’homme, qui deviendrait libre au moment de la mort. Cf. E.
ROHDE, op. cit., p. 3-7.
LA LITTÉRATURE | 9

merais mieux être sur terre l’esclave du plus indigent des la-
boureurs que de régner sur le peuple entier des ombres » (1).
= Dès lors la légende de la prairie élyséenne, séduisante vision
d’un lieu de délices sans fin, n’est-elle pas comme un rêve de
divinisation né de l’horreur que le cœur humain devait ins-
tinctivement éprouver en face de cette lugubre perspective de
l’Hadès homérique, né aussi et surtout de ses aspirations à une
survie illimitée dans la lumière et le bonheur ? Rien d’éton-
nant à ce que ce mythe ait exercé une si grande influence sur
le développement chez les Grecs de la foi à une vie d’outre-
tombe.

II

Cette influence est déjà sensible avant le dernier tiers du


VIT: siècle chez Hésiode (2).
Le poète béotien utilise, en éffet, lui aussi la légende de la
prairie élyséenne, lorsque, dans son poème Les travaux et les
jours, il trace le portrait des races humaines qui, aux cinq
âges du monde, auraient peupléla « glèbe nourricière » (3). Il
y mentionne même d’autres cas, où une certaine déification
aurait été accordée par les dieux à des générations entières de
mortels. Voici, en résumé, ce mythe des cinq races du monde.
Les hommes justes et paisibles du premier âge, appelé « âge
d’or», ont connu la mort, bien qu’elle fût pour eux douce
comme le sommeil. Mais, depuis que le sol les a recouverts,
« ils sont, de par la volonté de Zeus puissant, de bons démons
qui se promènent sur la terre comme gardiens des mortels, dis-
pensateurs de la richesse : tel est le royal honneur qui leur
fut départi » (4).

(1) Od., XI, 489-491.


à (2) Cf. Paul Mazon, Hésiode (Collection des Universités de France),
Paris, 1928, introduction, p. XIV.
Nous citons d’après cette édition.
(3) Opera, 106-202.
(4) Ibid., 121-126. Cf. 254-255, où le poète parle de «trente milliers
d'Immortels, gardiens des mortels, vêtus de brume, partout répandus sur
la terre, qui veillent sur les sentences et les crimes ».
Ce dernier passage montre que le nom de « démon », chez Hésiode « aussi
bien que chez Homère, désigne les dieux immortels » (E. ROHDE, op. eit.,
p. 79).
10 ANALOGIES HLLÉNIQUES à

Ainsi donc, qi ee mort, les premiers hommes Le trans: Re


formés en « démons », élevés à une existence quasi-divine. Rare
effet, constitués gardiens des hommes, ils exercent une activité
surhumaine, comparable à celle des dieux; ils sont, en outre,
honorés à la manière des dieux (1). Sur un point, toutefois,
leur condition reste nettement inférieure : les nouveaux dé-
mons ne sont pas admis dans les demeures olympiennes; ils
sont « terrestres » (èxtyBoviot), c’est-à-dire liés à la terre comme
lieu de séjour. Cette restriction faite, on peut dire que les
hommes de la race d’or ont été divinisés, mais — et ce détail
est d'importance — après leur mort seulement. RE
La seconde race, «bien inférieure» et appelée pour cela
« d’argent », est devenue coupable, parce qu’elle se livrait à
une « folle démesure » et ne rendait pas « hommage aux dieux
bienheureux qui possèdent l’Olympe». « Alors Zeus, fils de
Cronos, les ensevelit, courroucé. Et, quand le sol les eut recou-
verts à leur tour, ils devinrent ceux que les mortels appellent
les bienheureux souterrains (Oroyhovror pdxapec), seconds en
rang, mais que pourtant quelque honneur accompagne en-
core » (2).
Le sort échu aux âmes de la seconde génération, tout en
étant inférieur à celui des âmes de l’âge d’or, est encore assez
brillant, trop brillant, à notre sens, compte tenu de leurs dé-
mérites. Le poète les appelle ndxaoces comme les dieux eux- ;
mêmes, mais bienheureux «souterrains », pour marquer que,
séjournant dans l’intérieur de la terre, ils sont « seconds en :
rang» par rapport aux démons éntylowot de la race d'or.
Mais, tout comme ces derniers, ils sont un objet de vénération :
ce qui indique qu’on leur attribue une certaine influence sur
les destinées humaines, influence qui n’est pas précisée, que
rien n’oblige cependant à concevoir comme néfaste. Bien qu’à
un degré moindre, les hommes de la race d’argent ont done
été également divinisés.
Terribles furent les hommes de la troisième race ou « race de

. (1) Cf. ibid. 142.


(2) Ibid, 127-142. La lecon voi uèv ümoydvtot péxapes brio XANÉOVTAL,
adoptée a M. Mazon, semble préférable à cette autre voi UV... LLAKapES
Bvntof, soutenue et expliquée avec beaucoup d’ingéniosité dans E. ASAUS :
Op. Cil., p. 83-84.
LesmoirHe les a pour. Étreyts cn
à ils fussent |
-quittèrent l’éclatante lumière du soleil» (1). è
Jusqu’ ici, la succession des diverses races humaines a été
_— par une déchéance progressive Cette « marche cui k

par «= race ne de héros, nee àdemi- ns a


dont la génération nous a précédés sur la terre sans limites.
ee des certains dinde a da ee. guerre et dans la.

2 e 15Re + F mort saisit leuns, alors qu’à d’ ne


ns fils de Cronos et père des dieux, a donné une vie et une
_ demeure loin des hommes en les fixant aux confins de la terre.
Et là ils habitent, le cœur libre de soucis, dans les îles des.
FAbienheureux (év paxdowy vhgoust), au bord de l'Océan aux tour
#æ. billonsno — héros fortunés, pour qui Je sol écond porte

; @hes Hésiode, la prairie re de Odueé à a fait. place


aux « îles des bienheureux »; mais le reste n’a pas changé. Les
| héros fixés dans ces îles n on pas connu la mort: ils y ont été
2 transférés tout entiers, corps et âme. « Bienheureux », ils Ye
_ coulent une vie douce et éternelle comme les dieux. Mais au-
_cune influence ne leur est attribuée sur la marche du monde.
- La «race de fer » est la cinquième et dernière, celle à la-
_ quelle Hésiode appartient lui-même. C’est une génération dure
fie D que « Zeus anéantira àà Son tour)> (3).

É ans le récit hésiodique des _. un a monde, il n’est


as difficile de reconnaître | idée d’une divinisation, ou plus
_ exactement une «« démonisation »», des morts, Cane Noie

|
Leie Ibid, 152-155. . ne
A
er _@) Ibid, LOGATS ETS ARCS
LE). Ibid,Ar20t
12 ANALOGIES HELLÉNIQUES

vouées à l’Hadès.. Le culte. ne s’adresse plus qu'à ceux qui |


sont morts de longue date; le nombre des objets de sa véné-
ration ne s’accroît plus. Cela provient du fait que la croyance
s’est modifiée: l’idée dominante, c’est celle qui s’exprime dans
les poèmes homériques. A l’extrême horizon seulement, res-
plendissent les îles des Bienheureux; mais le cercle de ceux
qui y ont été transportés vivants, selon la vision fantastique
des poètes, est maintenant fermé, comme est fermé le cycle de
la poésie homérique. Le présent ne voit plus de tels mira-
cles » (1). |

III

On l'aura remarqué, le terme de héros (fpws) — titre pure-


ment honorifique chez Homère (2), comme aussi celui de « de-
mi-dieu » (3) — prend, dans le poème hésiodique, un sens nou-
veau, plus restreint. Les héros d’Hésiode sont exclusivement
les rois et les champions de l’âge légendaire. Ils ne sont pas
l’objet d’un culte : seules les âmes des deux premières races
humaines sont honorées par les hommes.
Or voici que, dès la fin du VIT siècle, des documents — les
odes de Pindare et l’histoire d'Hérodote notamment — attes-
tent que des sacrifices réguliers sont offerts, non seulement aux
dieux, mais aussi aux héros (4). Cependant les héros ainsi ho-
norés à côté des immortels ne sont plus des hommes, comme
ceux d’Hésiode : ce sont, à de rares exceptions près (5), des
esprits d'hommes morts, des âmes humaines séparées de leurs
corps, auxquelles les dieux ont accordé une existence et une
activité supérieures à celles dont elles jouissaient avant leur
séparation. Tout au plus pourrait-on comparer ces héros d’un
âge postérieur aux âmes transfigurées des races d’or et d’ar-

(1) E. RoxpDeE, op. cit, p. 89-90.


(2) Cf. Od., I, 100-101, etc.
(GG) ACETTIE KIT, 23:
(4) Pour les références, voir Æ. RoHDE, op. cit., p. 121-164. En ce qui
concerne Pindare, voir ibid., p. 431-446.
(5) La légende connaît quelques cas d'hommes «enlevés », et promus
ensuite au rang de «héros», tels qu'Amphiaraïüs, Trophonius et surtout
Cléomède. Voir E. ROHDE, op. cit., p. 94-96, 131-132, 147-148.
LA LITTÉRATURE 13
220

gent, qualifiées par Hésiode de «démons terrestres» et de


« bienheureux souterrains ».
L’« héroïsation » n’est pas un sort ordinaire : elle est, bien
_ au contraire, un privilège accordé rarement à une élite, aux
âmes d’hommes illustres. Ont été objet de cette transfiguration
surtout les grands chefs de l'épopée, descendants des dieux, les
ancêtres plus ou moins légendaires des familles royales ou no-
bles, les fondateurs des cités, bref, des hommes ayant vécu
dans un lointain passé. Du reste, un certain nombre d’indices
portent à croire que le culte des héros est sorti de celui des
ancêtres.
Plus tard, aux temps historiques, le cercle des âmes élevées à
la dignité de héros s’élargit de plus en plus. Sont ainsi « héroï-
sés » des généraux qui, dans les guerres médiques notamment,
_ont sauvé la patrie, des législateurs, voire même certains vain-
queurs des jeux panhelléniques. Il n’est pas rare que pareille
« canonisation » s’opère à l’instigation de l’oracle de Del-
phes (1).
La distinction entre les dieux et les héros n’a peut-être pas
toujours été bien nette (2). A l’époque qui nous occupe, elle
s’affirme avec elarté. Immortels comme les dieux, les héros leur
sont inférieurs pour tout le reste, Néanmoins ils disposent d’une-
puissance considérable, soit pour protéger leurs adorateurs, soit
pour se venger de ceux qui les méprisent ou seulement les né-
“gligent. C’est surtout le don de guérison et de divination qui
leur est reconnu. Maïs alors que les dieux ouraniens sont af-
-franchis de tout lien local et peuvent agir partout où il leur
plaît, la présence et l’activité des héros sont limitées à un lieu
déterminé, soit à leur tombeau, soit à leurs sanctuaires ou
effigies.
Malgré cette incontestable infériorité des héros par rapport
aux dieux, l’héroïsation se présente comme une sorte de divi-
nisation d’âmes humaines. Il importe de relever que, tout en
restant quelque chose d’extrinsèque à l’âme, la déification est
de plus en plus conçue comme une récompense accordée à des

(1) Cf. GERNET-BOULANGER, 09. Cit., p. 178.


(2) Cf. ibid., p. 103 : « Entre dieux et héros il y a eu d’abord indis-
tinction ». Tels morts particulièrement célèbres ont été honorés tantôt
comme héros, tantôt comme dieux. Ce fut le cas pour Héraclès et Achille.
Voir aussi E. ROHDE, 09. cit., p. 151.
| mérites bte Et € est ainsi
un caractère moral (oe

On vient de le dire, l’adoration des héros n était au o1


le reste d’un culte des ancêtres et des morts en général
l'existence de ce dernieràl’époque préhomérique de la
sation créto-mycénienne, les découvertes archéologiques
pot dernières années ne laissent pe guère de doute

d’ailleurs parfois er que l’Àâme ‘du mort estde +.


jouir par les sens des dons qui Jui sont offerts et qu’elle en a
besoin » (4). Ce qui n empêche pas que 1°imagination popnièe
a Sur les analogies ET qui tan entre eeue païen ai. :
héros et la vénération chrétienne des saints, voir Charles PRUEMM, que
christliche Glaube und die altheidnische Welt, Ho 1985 t. UT,
198-206.
(2) Voir E. RONDE, 09. _cit., p. 29 ss.; H. BERVE, 0p. FLDp. 19.
(3) Cf. GERNET-BOULANGER, op. cit. p. ee TN
(4) E. RoHDE, op. cit., p. 200. au
urine tone que puissent être, sur certains points,
ces conceptions, une idée s’en dégage clairement : « La psyché
mort entre dans la foule des êtres invisibles, meilleurs et
élevés »
» Es elle devient une espèce de héros ou de démon.

1 anse ue grecque mon philosophique, Dieu appa-


on. comme d’une autre es mais comme un esde

P£ATO, Phaedo, 81 D. |
C’est ainsi qu'à Athènes, le soir de la fête des Antiestéries, on crie
a ne À la porte (fous), Kères, les Anthestéries sont De L»
Voir |E. ROHDE, op. cit, p. 196-197; W. F. Oro, op. cit., p. 50-52.
Re: 3) a ROHDE, op. cit., p. 188. ne" Behrioves mal peltroves est
16 ANALOGIES HELLÉNIQUES

reste à jamais une demeure inébranlable. Toutefois, par notre


haute intelligence et notre corps, nous nous rapprochons quel-
que peu des immortels, bien que nous ignorions, même da
nuit (1), vers quelle carrière éphémère le destin écrivit que
nous devons courir » (2). Les dieux et les hommes sont done à
la fois unis par les liens d’une origine commune, d’une parenté
primitive, et séparés par un abîme. Mais, quelque profond
qu’apparaisse celui-ci, il n’est pas absolument infranchissable.
De fait, par une faveur spéciale, de nombreux mortels l’ont
franchi.
C’est dire que la croyance à une divinisation de simples
hommes est authentiquement hellénique, puisqu'elle plonge sa
racine dans le culte des héros et des morts (3).

(1) Le P. Festugière, L'idéal religieux des Grecs et l'Évangile, Paris,


1932, p. 24, voit dans le pet VÜxtas du texte une « allusion aux songes
venus des dieux et qui nous éclairent ». ;
(2) PIND.,, Nem., VI, 1-7. Voici ces vers célèbres, d’après l'édition Aimé
PuEscH, dans Collection des Universités de France, PINDARE, Paris, 1923,
t. III, p. 80 :
Ev ävôoav,
Ev Oev yévoc Êx id 0È nvéouey
patpès äpodtepor" Êrelo-
yet 0è Tâca expupÉvE
Oüvauts, be Tù mLèv oddév, © Ôà
XAnEOS Gopahès œièv Édoc
péver oùpavés. ARS tt Tpoo-
pÉpOUEV ÉUTAV À LÉYAY
vOov ATOL HÜauY &Bavdrouc,
Xaimep épaueplay oùx
elôôtes oùdè nat VÜxTac
UE TÔTLOG
> >
olav TV” Eypatbe Opaueiv rori oTiô la.
(3) 1 ne semble pas douteux que la vénération des héros et des mânes
ait préparé les Grecs à l’acceptation du culte oriental des souverains. Maïs
la différence entre les deux espèces de culte n’a pu leur échapper. Habitués
à vénérer des hommes miraculeusement enlevés de ce monde visible ou des
esprits de morts, ils ne l’étaient aucunement à adorer des mortels vivants,
habitants de cette terre commune à tous. Tout au plus avait-on, à titre tout
à fait exceptionnel, reconnu à un vivant des honneurs réservés jusque-là
aux héros (voir GERNET-BOULANGER, 0p. cit, p. 471-472, où est allégué
l'exemple de Lysandre, vainqueur d’Aigos-Potamos). Aussi la déification
d'Alexandre n'’alla-t-elle pas sans difficulté. Plus tard, des princes
des
royaumes macédoniens de l’Orient se font rendre des honneurs divins
sous
les titres de 6col ourñpes et 0eot érioaveis. . À l’époque hellénistique, le
1
CHapiTRe Il

LES MYSTÈRES

Le culte domestique des ancêtres, pratiqué par les Grecs dès


les temps les plus reculés impliquait l’idée d’une certaine im-
mortalité. Mais celle-ci présentait un caractère trop vague et
trop impersonnel pour que la condition diminuée des mânes
pût apparaître aux Grecs des VII® et VI° siècles comme un
sort enviable. D'autant moins que le désir d’une survie heu-
reuse, qui avait trouvé son expression poétique dans les mythes
des champs élysées et des îles des bienheureux, se ranimait et
se généralisait à l’époque. Ne trouvant pas de quoi se désal-
térer dans la croyance traditionnelle aux mânes, cette soif
d’une immortalité pleinement consciente et bienheureuse amena
l'élite à se tourner vers les institutions auxquelles tout le
monde songe dès qu’on parle des espérances d’outre-tombe
chez les Grecs : les mystères.
Cultes secrets, réservés aux initiés qui étaient astreints au
silence le plus strict, les mystères (1) — du reste mal connus —
malgré une grande divergence de détails accusent un certain
nombre de traits communs. Tous, en effet, prétendent donner à
leurs fidèles l’assurance du salut (swrnota), c’est-à-dire la ga-
rantie d’être délivrés de la tyrannie du destin et, par là, de
tout malheur, et d’obtenir un sort heureux dans ce monde,

() Le terme de yvoriota, au sens de cultes secrets, se rencontre pour


la première fois dans Héronorr, Histor., II, 51, à côté de celui d’ôpyta,
employé dans le même sens. L'étymologie deuvoripta est controversée.
On trouve encore, chez Hérodote, pour désigner des mystères, le terme
de veA:vh. Ibid, II, 171, IV, 79.
|
: .ce se Rs te des moyens pour le fond
sensiblement identiques. Ce sont moins des enseignements doc
trinaux que des représentations (rù deuxvuueva)et des pratiques
symboliques (à dowueya) renouvelant, pour ainsi dire, la « pas-
sion » (2) de divinités agricoles, afin de figurer la réviviscence
de la végétation au printemps, ainsi que des formules mysté-
rieuses;bref, des procédés qui parlent plus aux sens qu’à l’ in-
| teligenee comme Aristote l’avait déjà remarqué (3).
. Ces rites d initiation comportent habituellement, outre des
Tes
exercices préparatoires de purification, un premier degréé (pÜnots)
. qui fait des candidats des « mystes » (uuüstat), suivi d’un ou de
plusieurs autres. Le dernier, l’initiation suprême et définitive,
est la « vision » (ëxontela) et ceux qui l’ont reçue s'appellent |
les « voyants » (èromrar) (4).
Dans la plupart des mystères, les cérémonies de consécration
Fe
sont censées produire leurs effets indépendamment des dispo-
sitions morales du sujet. L’espérance du salut est uniquement

-: ” fondée sur le fait de l'initiation, à laquelle on semble attribuer


_ une efficacité magique (5).
Mais, si l'effet attendu de tous les mystères ee le salut, la
|

“GE nature et les modalités de celui-ci ne sont point conçues partout


de la même façon. À cet égard, les principaux mystères hellé-
| niques présentent des variétés qui leur constituent une au
momie use PRE Re 1

© ne Je PESTUGIÈRE, L'idéal religieux des Grecs et roue Paris,


sn 1982, p. 134. :
(2) Cf. ATHENAGOR., Legat., XXXIT; P. &, ‘t. VI, col. 964 À : rà néln
œ Ütov (se. beüv) Éobaues LUOTÉpLE.
F-

:(8) Of. FESTUGIÈRE, op. cit., p. 140.


LS (GSE Habituellement on distingue surtout deux dort de l’initiation, qui
Le sont parfois appelés les «petits» et les « grands» mystères. Cf. ROHDE,
: op. cit., p. 234.
(5) Magie raillée par Platon dre Phaedo, 69 C, Respubl, 364 B-
ne A.
20 ANALOGIES HELLÉNIQUES

Les mystères d'Éleusis, de date très ancienne et les plus


orecs de tous les mystères (1), avaient primitivement pour objet
deux déesses agricoles, Démèter et sa fille Coré ou Perséphone,
auxquelles, au cours des siècles, d’autres divinités ont été asso-
ciées, en particulier Jacchos, fils de Zeus et de Perséphone, iden-
tifié plus tard avee Dionysos. A l’origine strictement locaux et
réservés à un groupe fermé, ils ont de bonne heure débordé
leur cadre primitif pour devenir panhelléniques (2). A partir
du V* siècle jusqu’à leur suppression au IV° siècle après Jésus-
Christ, ils jouirent d’un grand prestige, notamment sous l’Em-
pire.
Par ses cérémonies impressionantes, le culte d’Éleusis —
qu’on a appelé «la fleur de la religion hellénique >»— éveilla
chez les initiés la ferme conviction qu’une vie agréable en ce
monde et, surtout, une bienheureuse immortalité dans l’au-delà
leur étaient assurées. Sur ce point, l’hymne homérique à Dé-
mèter, qui raconte la légende éleusinienne, est formel : « Heu-
reux parmi les hommes qui vivent sur la terre celui qui a vu
ces [rites sacrés] ; mais celui qui n’est pas initié aux choses
saintes (ôs d’ ätekñs leowy) et n’y participe pas n’aura jamais
un sort égal, lorsqu'il sera parvenu dans les mornes ténè-
bres » (3).
Ce qui est promis, ce n’est nullement la survie après la mort,
qui est présupposée, mais — et c’est là «la grande nouveauté
des rites d’'Éleusis » (4) — une meilleure existence dans l’Ha-
dès. Aucune précision n’est pourtant donnée sur la nature ni.
du bonheur futur des initiés, ni du sort « inégal » réservé aux
profanes, En tout cas, il ne s’agit pas d’une déification, idée
étrangère à la religion d’Éleusis (5). Cette idée ne tardera.

() Voir GERNET-BOULANGER, op. cit., p. 120.


(2) Cf. ibid.
(3) Texte cité par M.-J. LAGRANGE, Les mystères d'Éleusis et le chris-
tianisme, dans Revue biblique, nouvelle série, t. XVI, 1919, p. 161.
(4) Ibid, p. 163.
(5) Cf. M.-J. LAGRANGE, La génération et la filiation divine dans les
mystères d'Éleusis, dans Revue biblique, nouv. sér., t. XXXVIII, 1929.
p. 63-81, 201-214: A. J. FESTUGIÈRE, 0p. cit., p. 23, 38-41; E. ROHDE, op.
cit., p. 241; GERNET-BOULANGER, op. cit, p. 367.
= | LES MYSTÈRES VAR OL

pourtant pas à faire son apparition dans d’autres mystères,


notamment dans ceux de Dionysos et d’Orphée.

II

À peine moins anciens et moins célèbres que les mystères


d’Éleusis, ceux de Dionysos, dieu aux origines obscures (1),
qui compte parmi les principaux de la religion grecque, sont
marqués d’un trait psychologique qui, absent de la religion
d’Éleusis, caractérise, au contraire, les mystères d’origine
orientale (2) : la « folie sacrée ». Les fidèles qui se livrent aux
pratiques de la religion dionysiaque « sont hors d'eux-mêmes,
précipités soit dans une extase rêveuse, soit plutôt dans une
ivresse sauvage » (3).
Des danses et des courses orgiastiques, accomplies par des
groupes d'initiés appelés thiases, semblent avoir procuré aux
mystes la sensation d’être unis collectivement avec le dieu,
d’être «en dieu » (£veot), de vivre dans le dieu et de jouir
d’une vie infinie (4). L’omophagie, c’est-à-dire la manducation
de chair crue, pratiquée parfois dans ces états d’«enthousias-
me », aurait été, d’après les uns, un moyen de s’unir à la di-
vinité, qu’on croyait présente dans la chair dévorée, done « un
sacrifice de communion » (5), d’après les autres, une manifesta-
tion de l’union déjà réalisée (6).
Même si l’on conteste que l’idée d’une union personnelle
avec le dieu ainsi que la conception d’une immortalité bien-
heureuse aient été des éléments primitifs de la religion diony-

(1) Voir E. Ro&pe, op. cit., p. 268-270; GERNET-BOULANGER, 09. cit.,


p. 114-117. Le P. Festugière, Les mystères de Dionysos, dans Revue bibli-
que, nouv. sér., t. XLIV, 1935, p. 192-193, soutient que Dionysos est « d’ori-
gine thraco-phrygienne ». De même M.-J. LAGRANGE, L’orphisme, Paris,
1937, p. 50.
(2) Cf. Ch. PRUEMM, 09. cit., t. I, p. 352.
(3) Pierre LAVEDAN, Dictionnaire illustré de la mythologie et des anti-
quités grecques et romaînes, Paris, 1931, p. 338.
(4) Cf. E. RHODE, op. cit., p. 279.
(5) LAGRANGE, L’orphisme, p. 57; cf. p. 182-186.
(6) Cf. FESTUGIÈRE, Les mystères de Dionysos, dans Revue biblique,
t. XLAIV, 1935, p. 196. Sur la question controversée de l’omophagie diony-
siaque, son existence et sa signification, voir Ch. PRUEMM, op. cit., t. II,
p. 390-395.
d’après ea ns léniesee à in me
ainsi dire d'elle-même afin de s’unir au dieu et de vivre a
lui impliquait, du moins confusément et à1’ état de germe
persuasion que l’âme est apparentée au divin et capable de vie
divine.

Ces idées sous-jacentes au culte de Dionysos semblent en


avoir été dégagées, probablement sous l'influence de concep-
tions nr et no pan un. curieux mouvement mystique, I

également d’« orgies »ae àde nu (3). Das lesEn


nouilles, han parle d'Orphée comme 5e celuiqui« nous

meurtres » (4), c’est-à-dire de la viande d'animaux tués. Ainsi


done, dès le V® siècle au plus tard, l’orphisme apparaît comme
un ensemble d'associations et de doctrines secrètes, dont Or.
phée, le célèbre poète-musicien de la légende, aurait été le fon-
dateur. En réalité, les origines des sectes orphiques, qui se sont
développées en marge de la religion officielle, sont fort obs- Rè
cures (5). GRAS és RE à T1 0
L'organisation de ces confréries est moins connue que leur
doctrine. L’initiation orphique comprenait motamment une

(1) Le fait est nié dans GERNET-BOULANGER, 09. cit. p. 126 et Fasroe |
GIÈRE, loc. cit., p. 211. ju pe
(2) Of. LAGRANGE, op. cit, p. 79-95. ; Ar
(3) HERoDOT., Histor., II, 81. Pour ut de ce passage, voir on
0p. cit. p. 351-352.
(4) ARisroPx., Ran., 1032. Les Grenouilles ont été ren en 405.
Voir encore dates témoignages en faveur de l'antiquité de l'orphisme
dans ROHDE, op. cit., p. 348-358; LAGRANGE, op. cit., p. 77-95.
(5) Le P. Prümm, op. cit., t. I, p. 355, opte pour l’opinion qui fait remon-.
ter le mouvement orphique au VII: siècle. Le P. Festugière, au contraire,
ne voit dans l’orphisme qu’un ensemble peu ancien de traditions littéraires
ainsi que de pratiques purificatoirés et magiques. Il conteste, en outre, que
l’orphisme ait jamais été inséré dans des mystères dionysiagues. De son
côté, tout en approuvant «la discrimination du P. Festugière » entre ces se
- derniers et l’orphisme, le P. Lagrange « prend résolument parti» pour les
origines anciennes de celui-ci ainsi que pour «ses attaches dionysiaques » Do
(L'orphisme, p. 7, 11-95, 97).
ie était consommée. Eee ka ce te adû être réduit. « à se
_ des libations et à des encensements de substances diverses, avec
l’oblation de végétaux » (2). En outre, les mystes observaient
Rscertains préceptes . ascétiques, tels que l’abstinence de tout ce
qui a vie, ainsi que des ne etc. (3). Tr S pe ils les
purs ou les saints (4).
_ Mais ce qui caractérise surtout l’orphisme, ce qui le distin-
S gue à la fois de la religion dionysiaque officielle et de tous les
autres mystères, c’est que, dans un «discours sacré» (lepos
… 4 Gyoe) (5), il alliait la religion avec une « spéculation semi-phi-
_ losophique » (6). Alliance qui lui permit de sortir d’un sen-
_timentalisme amorphe et inconsistant pour élaborer une sagesse
populaire portant spécialement «sur la nature double de
_ l’homme, sur la grandeurde l'âme en vertu de laquelle elle
est immortelle et divine » (7).
_ Faite pour vivre avec les dieux, l’âme, en punition d’une
faute antérieure dont la nature n’est pas précisée, est empri-
= sonnée dans un corpset condamnée à la vie terrestre. Dès Lors, |
son aspiration la plus profonde, son devoir le plus sacré est de
s'affranchir des liens corporels qui l’accablent, non pas, certes,
: Êpar la violence, mais par les mystères et une « vie orphique »
ie . ts et d’ascèse to

7 la mort “4l’homme,son âme descend dans l’Hadès, où elle


_seraà jugée. « Des choses terribles » Los (9) y attendent le

- (1) LAGRANGE, 0p. cit., p. 100-102. ;


(2) Ibid, p. 113.
ne (O) CE Eurtpip., Hippol., 952. Voir aussi le vers d’Aristophane cité
plus haut et PLaro, Leg., VI, 782: ’Opgroi rives Aeyôwevor los éyiyvovro
hu&v vols tôt, &bÜywv uèv éx6pevot TéVTUV, ÉpYUywy ÔÈ ToÛvavTioy TavTwy
# ina
(4) Cf. ROHDE, op. cit, p. 367, 237; or op. cit., p. 96-118.
(5) “HERODoOT.. ., Histor., II, 81.
(6) E. ROHDE, op. cit., p. 358. Voir aussi Hess Drès, Le cycle mys-
tique, Paris, 1909, p. 47.58.
(7) Ch. PRUEMM, op. cit. t. I, p. 355. Cf. LAGRANGE, 0p. cit., p. 87.
_ (8) Voir surtout PLATO, Crat., 400 C. Phaed., 62 BC. Leg., VI, 782 C,
cité note 8. Autres références, dans E. RONDE, op. cit., p. 365-367.
; 0 PLATO, Respubl., II, 365 A,
24 ANALOGIES HELLÉNIQUES

non initié (äuÜntos xat dréheros), qui aura sa place dans le


bourbier (èv BopBoow). « Celui, au contraire, qui a été purifé
et initié (0 0ë xexalaouévos te at terekesuévos), une fois arrivé
Jà-bas, habitera dans la société des dieux (per Gewy) » (1).
« Sur la belle prairie, qui s'étend au bord du profond Aché-
ron » (2), il prendra part au «banquet des saints » (suuroouov
76 6skwv) et jouira d’une « ivresse sans fin » (uéÜn aiwvwos) (3).
Peut-être, d’après les théologiens orphiques, la récompense
définitive ne s’obtenait-elle qu'après la parfaite purification par
une série de réincarnations, alors que, pour les profanes, il n’y -
avait aucune possibilité de sortir du terrible « cyele des nais-
sances » (4).

Dans l’orphisme apparaîtrait donc, pour la première fois,


l’idée précise que toute âme est d’origine et de nature divines
et, par conséquent, immortelle par essence, dieu étant pour le
Grec synonyme d’immortel. Au premier siècle de notre ère,
pour illustrer cette vérité et expliquer le dualisme psychologi-
que de l’homme, on se servira du mythe de Dionysos-Zagreus
enfant, dévoré par les Titans. Sortis des cendres de ces der-
niers, après qu'ils ont été foudroyés par Zeus, les hommes sont
composés d’un élément titanique, violent, antidivin, et d’un
élément dionysiaque ou divin (5).
Mais la divinité de l’âme a subi un obseurcissement du fait
de l’emprisonnement dans un corps. Par une vie orphique, elle
peut, pourtant, la récupérer et reprendre sa place auprès des
dieux. Aussi la fin dernière proposée par l’orphisme est la
divinisation, ou plus exactement le re-divinisation de l’âme. IL
faut, toutefois, reconnaître que les images sous lesquelles cette
déification est présentée sont encore assez grossières.

(1) Ip., Phaed., 69 C.


(2) Fragment orphique 154, cité dans E. RoHDE, op. cit, p. 368.
(3) PLATO, Respubl., II, 3863 CD. Cf. Phead., 69
C ; E. RoHDE, p. 367-369.
Alors même qu’il serait démontré que l’orphisme de l’époque classique
n'était pas un culte dionysiaque à mystères, les textes de Platon impose-
raient, à eux seuls, d'admettre l’existénce de mystères qui ont cultivé les
espérances d’outre-tombe dont nous parlons. Or, pour nous, c’est là le point
essentiel
(4) Cf. E. RONDE, op. cit., p. 369-870. A. DIès, op. cit., p. 49-50.
(5) Cf. FESTUGIÈRE, Revue bibl., t. XLVI, p. 377. :
LES MYSTÈRES 95

IIL

De très bonne heure, au culte de Dionysos a été associé


celui d’Isis et d’Osiris-Sérapis d’origine égyptienne (1). C’est
qu'entre ces deux religions il y avait de réelles affinités.
« Des deux côtés, on commémorait l’histoire d’un dieu qui à
la fois présidait à la végétation et gouvernait le monde sou-
terrain, d’un dieu mis à mort par un ennemi et déchiré en
lambeaux, d’un dieu dont une déesse rassemblait les membres
épars pour le ramener miraculeusement à la vie. Les Grecs
devaient donc être disposés à accueillir un culte où ils retrou-
vaient leurs propres divinités et leurs propres mythes avec
quelque chose de plus poignant et de plus magnifique. C’est
un fait très remarquable que, parmi la multitude des déités
honorées dans les nomes du royaume des Ptolémées, celles de
l’entourage, ou, si l’on veut, du cycle d’Osiris, son épouse Isis,
leur fils Harpocrate et leur fidèle serviteur Anubis, soient les
seules qui aient été vraiment adoptées par les populations hel-
léniques » (2).
Grâce à la profonde hellénisation qu’elle avait subie sous les
Ptolémées au ITI° siècle avant Jésus-Christ, grâce aussi à son
extraordinaire plasticité, à la séduction de son rituel et surtout
à ses promesses eschatologiques, la religion d’Isis a exercé une
grande attraction sur le monde gréco-romain. Au début du IIT°
siècle de l’ère chrétienne elle atteignit son apogée, « De tous les
panthéons de l'Orient, seuls Isis et Sérapis restèrent jusqu’à la
fin du paganisme placés au nombre des grandes divinités que
vénérait le monde hellénique » (3).
Dès l’antiquité, il semble y avoir eu, en Égypte, à côté de la
religion officielle d’Isis, « un culte secret, auquel on n’était
admis qu’à la suite d’une initiation graduelle » (4). A ce culte
la réglementation des Ptolémées donna « la forme des mystères

(1) Cf. HeRoDoOT., Histor., II, 42 : « Tous les Égyptiens n’honorent pas
les mêmes dieux de la même manière, à l’exception d’Isis et d'Osiris qu'ils
disent être Bacchus; ceux-ci, tous les honorent de même ».
(2) Franz Cumonr, Les religions orientales duns le pagurîisme romain,
3° édit., Paris, 1929, p. 121-122. Voir aussi Philippe VIREY, La religion de
l'ancienne Égypte, Paris, 1910, p. 310-313.
(3) Ibid. p. 126.
(4) Ibid., p. 154.
répandus dans le monde ee », en le rappro
particulier de ceux d’Éleusis (1). ess Fe as
De tous les mystères antiques, le rites secrets célébrés en
l’honneur du groupe Isis-Osiris sont les mieux connus, grâce
aux écrits d’Apulée (II° siècle) et de Plutarque. Voici comment
le héros des Métamorphoses d’Apulée, Lucius, décrit sa propre
initiation. re
Résolu d’entrer dans la «milice sacrée» (2) d’Isis, il fait
d’abord dans l’enclos du temple une sorte de noviciat, durant
lequel il observe l’abstinence, la continence et assiste aux offi-
ces (3). Chaque nuit, en songe, il voit la déesse. Malgré son brû-
lant désir d’être admis à l’initiation, il doit attendre l’appel
d’en-haut. Enfinle signe attendu est donné par Isis à la fois
_ au postulant et au prêtre initiateur. Après l’« ouverture »
(apertio) du sanetuaire, l'office et le sacrifice du matin achevés,
les cérémonies commencent (4). AD \ LE es
Le candidat est solennellement baptisé et reçoit‘du grand- me
prêtre des « instructions que la voix humaine ne peut rendre »I LPS
Ayant fait encore dix jours d’abstinence de viande et de vin,
. le néophyte, revêtu d’une robe de lin, est emmené au fond du
sanctuaire. Là, dans une veillée sainte, il voit et entend des
choses dont le secret juré ne lui permet de parler que d’une
manière très voilée.«J'approchai, dit-il, des limites du trépas £
et, après avoir foulé du pied le seuil de Proserpine, j’en revins
en passant par tous les éléments. Au milieu de la nuit, je vis
le soleil briller d’une lumière éblouissante. Je vis face à face
les dieux de l’enfer et les dieux du ciel, et je les adoraï de re =
près » (5). 4
Au matin, le myste est haussé sur une See devant l’iimage
Ge la déesse, revêtu «des douze tuniques sacrées », -enveloppé L
d’un manteau somptueux orné de figures symboliques et appelé
« étole olympique », un flambeau à la main droite, le front ceint 2

(1) Ibid, p. 155. RSR


(2) APuz., Metamorph., XI, 15. NS citons d’après l'édition J. VAN DER
VLIET, nr 1897.
(3) Les exercices préparatoires à Vinitiäton, parfois très de primi- De
tivement des pratiques purement rituelles, devinrent, au IT° siècle de notre
ère, des moyens de purification morale. Voir F. CUMONT, 0». is p. as 145
(4) Metamorph., XI, 21-22. sus
(5) Ibid, 28. ane
É- on ilverra, du en dle étre . déesse lee
à travers les ténèbres de l’Achéron et régner dans les demeures
du Styx. < Habitant lui-même les champs élysées », dl adorera
_ fréquemment sa bienfaitrice (2). :
_ S'ilest malaisé de conjecturer ce qui à pu se passer au cours 5
de la veillée mystérieuse (3), la signification générale de cette ra
partie centrale de l'initiation n’est pas difficile à découvrir.
Fe En effet, tout invite à penser « qu’on imposait au néophyte une
_ simulation des épreuves d’Osiris » (4), de sa mort et de son
_ retour à la vie. On comprend dès lors que la consécration soit
_ appelée une sorte de « mort volontaire » et une renaissance
à un salut nouveau (5). Bref, « par l'initiation, le myste re-
: naissait à une vie surhumaine et devenait l’égal des immor-
: tels »@. : ne AA

(D: Ibid., 24. Rohde, op. cit, p. 620, corrige : natalem sacrum ; cette
. “leçon. semble préférable.
_ (2) Ibid., 6. Sur l’ensemble de l'initiation, voir E. REITZENSTEIN, Die
ae D one iselen Mysterienreligionen, Leipzig, 1910, p. 7-9, 66-85.
= (8) Voir quelques essais d'explication dans B. He1Gr, Antike Mysterien-
_ religionen und Urchristentum, Munster-en-Westph., 1932, p. 43-44.
_ (4) P. LaveDAN, op. cit., p. 550-551. Cf. Albrecht DIETERICH, Hine Mi- 5
as| thrasliturgie, Leipzig, 1910, p. 162. ï
s (5) APUL., Metamorph., XI, 21 : « Mraditionem ad instar voluntariae
mortis..ne cb he quippe cum transactis vitae temporibus iam in ipso
_ finitae lucis limine constitutos.….. numen deae soleat elicere et sua ee
dentia quodam modo renatos-ad novae- reponere rursus salutis curricula.»
D Cf. ibid., 16 : <renatus quodam modo ». -
“ (6) F. Cumonr, 0p. cit, p. 156:
28 ANALOGIES HELLÉNIQUES

Le culte phrygien de la Grande-Mère anatolienne se célébrait


primitivement par dés orgies sauvages au cours desquelles les
castrations ét autres mutilations sanglantes n'étaient pas
rares (1). « Ce mélange de barbarie, de sensualité et de mysti-
cisme avait rebuté les Grecs, qui, sauf dans quelques ports à
population cosmopolite, restèrent hostiles et méprisants envers
Cybèle » (2). Mais, à l'époque impériale ou peu avant, lors-
qu’Attis, l'amant de la déesse d’après le mythe, fut associé au
culte de la Grande-Mère et que ce culte fut humanisé et trans-
formé en religion à mystères sur le type de celle d’Éleusis, il
pénétra également, au temps de l’empereur Claude (41-54),
dans les pays hellénisés (3).
Les rites d'initiation, particulièrementmal connus, semblent
avoir comporté des ablutions d’eau et, à partir du Il° siècle
chrétien du moins, une sorte de baptême par le sang d’un tau-
reau (taurobole) ou d’un bélier (criobole) (4). Après un repas
sacré, ils s’achevaient par la promotion du postulant à la di-
enité d’«eunuque «a cubiculo » ou de « maître de chambre » de
: Cybèle (5). C’est ce qui semble résulter d’une formule d’initia-
tion reproduite par Clément d'Alexandrie : «J'ai mangé au
tambourin, j'ai bu à la eymbale; j’ai porté le kernos (vase de
terre sacré) ; je suis entré sous le rideau du lit nuptial » (6). La
même formule, mais légèrement modifiée, se retrouve chez Kir-
micus Maternus (TV® siècle) : « J’ai mangé au tambourin, j'ai
bu à la cymbale, je suis devenu un myste d’Attis » (7).
D’Attis « un syncrétisme de mauvais aloi » (8) a fait un dieu

(1) Ibid., p. 80.


(2) P. LAVEDAN, op. ciît., p. 639.
(3) Voir M.-J. LAGRANGE, Attis et le christianisme, dans Revue biblique,
nouv. sér., t. XVI, 1919, p. 419-480, notamment p. 473-479. L'auteur admet
que des influences chrétiennes ont pu intervenir dans la transformation
subie par la religion de Cybèle à« partir du II° siècle de notre ère.
(4) Cf. B. HEIGx, op. cit., p. 48.
(5) D’après LAGRANGE, loc. cit., p. 454. Le savant exégète exclut absolu-
ment l’idée d’un mariage mystique avec la divinité.
(6) CLEM. ALEX., Protr., IL: P.G., t. VIII, col. 76 B.
(7) Firmic. MATERN., De errore prof. relig., XIX, 1; P. L., t. XEL, col.
1022. Dans l'édition MIGNE, qui reproduit celle de FLACIUS ILLYRICUS
(Strasbourg, 1562), le dernier membre de la formule ne contient que ces
deux mots : yéyovx uuottxôc. Les éditions critiques plus récentes, exempli
gratia celle de Conrad ZteGLER, Leipzig, 1907, où le texte figure au chap.
XVIII, portent : yéyova uotnc "Attewc.
(8) LAGRANGE, loc. cit., p. 447.
LA ER A | LES MYSTÈRES 29

-par résurrection et le type de la divinisation de ses mystes. Du


moins à en juger d’après un curieux écrit reproduit par saint
Hippolyte (1) et qui contient un exposé des mystères d’Attis
dû à un gmostique naasénien. Selon cet écrit — dont Reitzen-
stein a cru pouvoir dégager un opuseule païen (2) — les Phry-
giens auraient parlé d’Attis tantôt comme d’un « mort, enseveli
dans le corps comme dans un tombeau et un sépulere », tantôt
comme d’un ressuscité, devenu «dieu par conversion» (ëx
petafBokñs 0eov) (3). En imitant mystiquement la mort et la ré-
surrection de leur dieu, les fidèles d’Attis seraient égalés à lui,
c’est-à-dire divinisés (4).

; V
Une espérance analogue faisait la force de la plus virile et la
plus noble des religions à mystères : le culte perse du dieu de
lumière Mithra, Plus que partout aïlleurs y étaient prêchés le
courage, la véracité, la maîtrise de soi, la lutte contre le mal,
non seulement extérieur, mais aussi intérieur à l’homme. Ces
qualités n’ont toutefois pas suffi pour vaincre l’aversion
qu'éprouvaient les Grecs pour tout ce qui venait des Perses,
leurs ennemis héréditaires, et « on peut dire d’une façon géné-
rale que Mithra resta toujours exelu du monde hellénique » (5).
Pour cette dernière raison, il suffira ici de dire que l’initia-
tion mithriaque à sept degrés semble avoir symbolisé l’ascension
de l’âme séparée de son corps à travers les sept sphères plané-
taires jusque dans la région du dieu-soleil et devant le trône
de Jupiter-Ormuzd, auprès de qui elle trouvera un jour l’im-
mortalité bienheureuse (6). « Les mithriastes ne croyaient pas,
comme les sectateurs de Sérapis, que le séjour des bienheureux
(1) HrPpor., Philosoph., V, 6; édit. de Berlin, t. III, p. 79-99.
(2) R. REITZENSTEIN, Poimandres, Leïipzig, 1904, p. 81-101.
(3) Hrppoxz., op. cit, p. 93, 12-14, 20-23; REITZENSTEIN, op. Cit., p. 83.
(4) Firmicus Maternus appelle le candidat à l'initiation un « moritu-
rus » : « In quodam templo, ut in interiores partes homo moriturus possit
admitti, dicit : De tympano mandueavi, de cymbalo bibi, et religionis
secreta perdidici ». Cf. A. DIETERICH, 0p. cit., p. 162-165.
(5) Franz CuMoNT, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères
de Mithra, Bruxelles, 1899, t. I, p. 241. Cf. Ip., Les religions orientales,
p. 232-233. Ce n’est qu’au III° siècle après J.-C., période de son apogée,
que le culte de Mithra semble avoir pénétré dans les régions périphériques
du monde grec.
(6) Cf. ORIGEN., Contra Cels., VI, 22; P.@. t. XI, col. 1324-1325.
ANALOGIES HELLÉNIQUES

fût situé dans les profondeurs de la terre; ce sombre royaume é


est pour eux le domaine des êtres pervers : les âmes des justes
vont habiter dans la lumière infinie, qui s’étend au-dessus des
étoiles, et, se dépouillant de toute sensualité et de toute convoi-
tise en passant à travers les sphères planétaires, elles devien-
nent aussi pures que les dieux dont elles seront désormais les
compagnes » (1).
%
++

Les mystères, dans lesquels le sentiment religieux des Grecs.


a trouvé ses satisfactions les plus intimes et les plus élevées,
se présentent comme un curieux mélange d’éléments étrangers
à la religion et de conceptions d’une réelle valeur religieuse. De
celles-ci, les principalés sont l’idée de la supériorité de la partie
spirituelle de l’être humain sur sa partie matérielle, ainsi que
l'espérance, pour la première, non pas d’une immortalité quel-
conque, mais d’une survie heureuse, semblableà 1° existence des
dieux et dans leur société.
Alors qu'auparavant pareil sort apparaissait comme réservé
à une élite, il est, dans les mystères, pour aïnsi dire mis à la
portée de tous. Il suffit, pour l'obtenir, de s’assurer la protec-
tion, les bonnes grâces d’un dieu-sauveur par l’imitation de
sa « passion ». Cependant, à partir du IT° siècle de notre ère du
moins, on observe une moralisation progressive des moyens de
salut et du salut lui-même. É
Comme, à la mort, tous sont censés descendre dans l’Hadès,
c’est dans le royaume infernal que la théologie des mystères
transporte, des confins du monde, le paradis des disparus, les
célèbres champs élysées (2).
Être un jour reçu dans ce séjour bienheureux, échapper au
bourbier commun, voilà ce que le myste cherche avant tout.
Son but immédiat n’est done pas « de devenir dieu, ou fils d’un
dieu, ou semblable au dieu ». Mais, dans la mesure où l’immor-
talité, à laquelle il aspire, « comporte un bonheur égal à celui
des dieux, c’est-à-dire immuable et sans fin» (3), par consé-
quent indirectement et implicitement, il attend une véritable
divinisation. LApEES
() F. Cumonr, Les religions orientales, p. 248- 249.
(2) Sur ce point, les mystères non hellénisés de Mithra font: exception.
G) FESTUGIÈRE, L'idéal religieux... D LOS:
k
CHAPITRE III

L'HERMÉTISME
De dE et III: sièeles de notre ère, période du grand syncré-
_ tisme, sans doute sous la menace du christianisme montant, un ,
&2-_ rapprochement s’est opéré entre les religions à mystères autre
: Le fois rivales,à tel point qu’on peut pe «d’une doctrine
>:
#4
commune » (1).
A la même époque apparaît, comme le fruit des mystères, ce
curieux mélange de doctrines égyptiennes et de spéculations hel-
Fe —léniques connu sous le nom d’hermétisme. Celui-ci, « expression
e littéraire plutôt que facteur déterminant du synerétisme, tenta,
_ par un dosage savant d'éléments grecs et orientaux, d’édifier
une théologie acceptable pour tous les esprits; mais il paraît
ne lavoir jamais été généralement adopté dans les mystères ale-
© xandrins qui lui sont antérieurs, et il ne put d’ailleurs échap-
_ per aux contradictions de la pensée égyptienne » (2).
ee L’hermétisme tire son nom d’un groupe d’ écrits qui se don-
: nent pour une révélation faite par le dieu-révélateur égyptien
fe Hermès Trismégiste, e ’est-à-dire trois fois grand, à son fils
_Tat surtout, qui est comme un dédoublement de sa propre per-
_sonne (3). Seuls nous intéressent les traités grecs et latins qui
_eontiennent des doctrines religieuses et philosophiques (4). On y
PEtRene trois groupes d écrits : le Corpus hermeticum propre-
AT TÉ

> GERNET-BOULANGER, op. cit, p. 415. Cf. F. CuMmonT, Les religions


orientales p. 319-328.
(2) HS CUMONT, 0p. cit, p. 138-139.
(8) C£. M.-J. LAGRANGE, L'hermétisme, dans Revue biblique, nouv.
sér., Éz XXE, 1924, p. 498.
Ë (4). D'autres concernent l’astrologie, la magie, l’alchimie, etc. Ce qui nous
jose Par enu des écrits a n’est sans doute au ’un be reste d’une

4
32 ANALOGIES HELLÉNIQUES

ment dit, comprenant dans l'édition W. Scott dix-huit traités;


l’Asclepius latin faussement attribué à Apulée; enfin, des ex-
traits de l’Anthologium de Stobée dits Fragments de Stobée (1).
On admet généralement que certains de ces documents re-
montent peut-être à la fin du Il° siècle de notre ère, mais que
la plupart ne seraient pas antérieurs au ITI° (2). Il n’est toute-
fois pas douteux que les thèmes qui y sont traités ne soient plus
anciens. Tout porte à croire que les auteurs inconnus étaient
des prêtres égyptiens hellénisés.

Le fond de la doctrine contenue dans le Corpus hermeticum


est fourni par la philosophie grecque, notamment par le plato-
nismé et le stoïcisme. Mais un peu partout l'influence de la
spéculation orientale se fait fortement sentir. À cette influence,
ainsi qu’au tempérament égyptien des auteurs, est due la fer-
veur religieuse qui distingue ces écrits de toutes les autres pro-
ductions de la spéculation hellénique.
Du chaos déconcertant de conceptions disparates et souvent
contradictoires que renferment les Hermetica émergent quel-
ques idées générales qui sont pour nous d’un intérêt capital.
En effet, le salut (swrnpla), présenté comme la délivrance
de la tyrannie du destin | (etuapuévn) grâce à une divinisation
par la gnose, en est comme le leitmotiv (3).

(1) Nous citons l'édition Walter Soort, Hermetica, Oxford. Le tome I,


paru en 1924, donne le texte avec une traduction anglaise: les tomes II
et TITI, parus en 1925 et 1926, contiennent un commentaire détaillé; le
tome IV, intitulé T'estimonia, paru en 1936, renferme les « témoignages »
relatifs au Corpus hermeticum que l’on trouve dans les anciens auteurs,
d’Athénagore à Cosmas le Mélode (VIII: siècle). -
Dans son article cité plus haut, Revue bibl., t. XXXIII, 1924, p. 481-
497; t. XXXIV, 1925, p.82-104, 368-396, 547-574 : t. XXXV, 1926, p. 240-
264, le P. Lagrange donne une analyse des principaux écrits hermétiques
et une traduction de Corp. herm. I (Poimandrès) et XIII.
(2) Cf. W. SoorT, op. cit., t. I, p. 10 : LAGRANGE, loc. cit. ,t. XX XV, 1926,
p. 262. Ces deux auteurs repoussent l'hypothèse de Reïtzenstein (Poiman-
dres, p. 1-36), d’après laquelle le Pasteur d'Hermas dépendrait du Poiman-
drès dans sa forme primitive qui, dès lors, serait antérieur au II siècle.
Voir encore À. PuEoH, Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. II,
Paris, 1928, p. 655 : « Quelle que soit l'époque à laquelle il faille faire
remonter les premiers germes de cette littérature [hermétique] — et cette
époque peut-être fort ancienne — ce n’est pas avant la fin du IE siècle, et
c'est au cours du ILI° surtout, qu’ils ont pris la forme sous laquelle nous
les possédons ».
(3) Cf. L. CERFAUX, GAnose préchrétienne et biblique, dans Dict. de la
Bible, Suppl. t. IIX, col. 678.
a pi)
L'HERMÉTISME 00

I
Voici comment sont conçus le salut et les moyens d’y parve-
nir dans le premier écrit du Corpus hermeticum, le célèbre Poi-
mandrès où « pasteur des hommes » (1).
« Le vovs, le premier, qui est vie et lumière (Cu xai pc),
étant bissexuel, enfanta un autre vo0:; celui-ci, le second, eréa
de feu et d’esprit sept administrateurs qui embrassent en cercle
le monde sensible ; et leur administration se nomme destin (etuap-
pévn). La nature fit produire aux éléments inférieurs les ani-
maux sans raison... Or le père de toutes choses, qui est vie et lu-
mière, enfanta un homme semblable à lui, dont il s’éprit comme
de son propre enfant : car il était très beau, ayant l’image (eixc-
va) de son père. et il lui livra toutes les créations» (2).
L'Homme, enfant du dieu suprême et frère du démiurge, était,
de par son essence, au-dessus du destin (3).
Mais cet Homme d’en haut, archétype de l’humanité, se pen-
chant vers la nature inférieure, «se refléta dans l’ eau et de-
vint, comme Narcisse, amoureux de sa propre image; mais
croyant l’embrasser, c’est à la nature qu'il s’unit» (4). En
effet, « ayant reçu celui qu’elle aimait, la nature (eUots) l’étrei-
gnit tout entière, et ils se sont mélangés, épris d’amour qu'ils
étaient » (5). Mais, en traversant les sphères des planètes,
l’homme reçut de celles-ci toutes les mauvaises passions. Pour
ces raisons, « parmi tous les animaux qui sont sur la terre,
l’homme est double, mortel à cause du corps, immortel à cause
de l’Homme essentiel. Car, bien qu'immortel et maître de tou-
tes choses, il souffre le sort d’un mortel, étant soumis au des-
(1) Titre bien choisi, puisque le traité se donne pour une révélation
de « Poimandrès, l'intelligence du pouvoir absolu » (6 vis abevtiæs voÿs)
(Corp. herm., I, $ 2; SCOTT, t. I, p. 114).
(2) Corp. herm., I, $ 9-12; Scorr, t. I, p. 118-120. — « On sait combien
était alors [au II° siècle] répandue la conviction que les astres déterminent
les événements d'ici-bas, le caractère et les actions des hommes ». Pierre
- DE LABRIOLLE, La réaction païenne, Paris, 1934, p. 158. De tout temps, les
conceptions concernant l’origine et les destinées de l’homme se trouvent
liées à l’idée qu’on se fait de l’univers.
Dans la cosmologie mythologique du Poimandrès, le P. Lagrange décou-
vre des réminiscences de la cosmologie bilbique (Loc, cît., t. XXXV, 1926,
p. 250).
(3) Ibid, $ 12; p. 120.
(4) LAGRANGE, loc. cit., t. XXXV, 1926, p. 244.
(5) Corp. herm., I, $ 14; p. 122.
ANALOGIES HELLÉNIQUES
tin. Étant au-dessus de l’harmonie [des sphères] (drepdvu ve
ov ras apuoyias), il est devenu esclave du destin. Quoique bis-
sexuel, issu d’un père bissexuel, et exempt de sommeil, issu
d’un [père] exempt de sommeil, il est vaincu par l’amour et g

l’oubli » (1). À
= Cependant seul le corps de Phone est soumis à la eipappévn.
Après la dissolution du Corps, l’homme qui a recu le voùs
«s’élance en hautà travers l’harmonie (6ou& ävw ÔLù This appo-
vkas). Chemin faisant, il se dépouille des vices contractés à sa
descente. Enfin, il entre dans la «huitième nature », l'oyêods
— royaume intermédiaire entre les sphères planétaires et celle
du dieu suprême (2) — monte même vers le père et, devenu
une puissance (duyduets yevduevot), pénètre en Dieu (êy (ETS YÉvoy- Æ
ra). « Tel est le bien, telle est la fin pour ceux qu ont eu la
gnose : la déification » (ToÙto £ort T0 dyahoy, roÙTo T0 Téos TOÙS
vrOTLY èsynxoot fewbrva) (3).
Aïnsi done, selon le Poimandrès, le salut de l’homme, sali-
bération de l’empire du destin, obtenue au moyen de la gnose,
est une véritable divinisation, ou mieux un retour à son état
divin primitif, Mais ce retour n’a lieu, la swrnola suprême
n’est atteinte qu'après « la dissolution du corps matériel » (4).
(1) Ibid. $ 13-15; p. 120-122. Voir Commentary, t. IT, p. 36-46.
On trouve des conceptions analogues dans Asclep. lat., I, $ Tb, $ 10-11.
SCOTT, t. I, p. 296-298, 304-306.
On reconnaît le thème traditionnel de la dualité dans Than Cf. R.
REITZENSTEIN, op. cit, p. 69.
A remarquer aussi à quel point l'hermétisme est tributaire de l’idée
qu’on se faisait alors de l’organisation de l'univers.
(2) Voir R. REITZENSTEIN, op. cit, p. 53-55.
(3) Corp. herm., T, $ 24-26; p. 126-128. Même si le mot Bewbñvat était
une glose postérieure, comme le pense Scott, l’idée d’une déification est
clairement exprimée dans le & 6e& yevésôat de la phrase précédente. Voir
Commentary, t. II, p. 67. è
REITZENSTEIN, 0p. cit., p. 336, I. 25, donne ewôtvat pour authentique.
Ce terme est, du reste, certainement employé dans Corp. herm.. X, $ 6;
p. 190 (voir note suivante): XIII, $ 10: p. 246. Voir plus loin, p. 36,
note 4.
(4) Même idée dans Corp. herm., X, $ 6: p. 190 : «Il est impossible,
mon fils, que l'âme soit déifiée Cantet) aussi longtemps qu’elle reste
dans le corps de l’homme; mais il faut qu’elle soit changée et alors divi-
nisée par la contemplation de la splendeur du Beau». :
Voir aussi Asclep. lat., I, $ 10-11, III, $ 37: Soorr, t. I, p. 304-308;
t. IIT (Commentary), p. 56, 225. Il y est également parlé d’une ascension
de l'âme au ciel après la mort de l'homme.
a comme se réalisant dès cette vie. C? est le cas=
ns le dibellus ei Ans se donne pour un < ou ue FE

D que, dans ses «discours communs » Dés


0YOL . AN
fort obseurs, il avait déclarée nécessaire pour «être sauvé».
_ Rappelant à Hermès sa promesse de lui communiquer sa doc-
_trine secrète « lorsqu' ilse serait détaché du monde », il s 'affir-

| ce. quil désire savoir avant tout, c’est «de quel sein et de
_ quelle semence l’homme peut être régénéré ». Et le Trismégiste
le lui expliquer que « le sein est la sagesse (sogia) qui conçoit |
en silence et la semence le bien véritable », alors que ce qui les
fait fructifier est «la volonté de Dieu » ®.
Au cours du dialogue, petità petit, s’élevant au-dessus de
ui-même et entrant en extase, Tat est déifié. Bien que, par ses
_ remarques, il témoigne lui-même de la mystérieuse transfor-
mation
2 qui s’opère en lui, il ne s’en rend pas compte immédia-
tement et Hermès se voit obligé de l’en informer. « Ignores-tu,
er + à son fils ns ie tu esRe : dieuæ 5 de tie

us )1 G). c’est là une anticipation mystique de la divin.


sation après la mort dont parle le Poimandrès.

ee

@ or t. I, p. 238-254, Traduction FFANGURSE par LAGRANGE, loc. cit,


XXXV, 1926, p. 252-259.
LES ;
(2) Corp. herm., XIII, $ 1:22: p. 238.
| (3) Ibid, $ 14; p. 248.
© ÈS $ 22, XIII, $ 1, 7a, 10; p. 126, 238, 242, 246,
36 _ ANALOGIES HELLÉNIQUES Re

des vertus doit chasser la «douzaine» des vices (1). Enfin,


sortant pour ainsi dire de soi-même, l’homme qui a reçu la mi-
séricorde de Dieu (2) passe par une mort et une ascension
mystiques. Celles-ci le délivrent de la «tente» du corps (To
sxñvos voùro) (8) et, par là, du destin, et, grâce à une « naiïs-
sance intellectuelle » (vonox Véveots), le divinisent (4).
Ainsi donc, dans l’hermétisme, le salut, cette délivrance de la
sombre etuaouévn, s'obtient — le miséricordieux secours de Dieu
étant présupposé (5) — par une régénération d'ordre pure-
ment intellectuel : au moyen ‘de la gnose, de la contemplation
extatique, l’homme «véritable», d'origine divine, mais ra-
baissé par son incorporation, remonte à Dieu et s’unit à lui. A
tel point que, dans son hymne d'action de grâces, le myste
peut s’écrier : « Suis-je autre que toi ? Car tu es ce que je
suis; tu es ce que je fais; tu es ce que je dis» (6).
Comment ne pas reconnaître dans cette exclamation la for-
mule typique du mysticisme des papyrus magiques : «Je suis
toi et tu es moi » ? Dans notre cas, l’union du myste avec son
Dieu semble même être une absorption de l’homme « supérieur »
par «l’Un et le Tout ». Ce qui cadre parfaitement avec la ten-
dance panthéiste assez prononcée qui caractérise la littérature
hermétique (7).

(1) Ibid, XIII, $ 7b-10; p. 242-246. Les douze vices, dus à l'influence
néfaste ds astres, correspondent aux douze signes du sons qui, selon
la tradition égyptienne, régissent le destin.
La décade a été considérée déjà par les Pythagoriciens comme un énbre
sacré, générateur d'âme ou de vie dans l’homme. Voir SCorr, t. II (Com-
mentary), p. 392-393; REITZENSTEIN, 0p. cît., p. 70-78.
(2) Cf. ibid, $ Tb; p. 244, où il est parlé d’un homme « auquel Dieu
a fait miséricorde » (Toÿ &hendévros Ümd toù Beob).
Corp. hermet., I, $ 32; p. 130, la gnose est appelée une «grâce» (ydou,
de Dieu.
(3) Ibid, $ 12; p. 246.
(4) Ibid, $ 10; p. 246. Ici l'emploi du terme Oewbñvat n’est pas dou:
teux. Cf. REITZENSTEIN, op. cit, p. 343.
(5) Ibid., I, $ 22, XIII, $ 2, 10; p. 126, 238, 246.
(6) Zbid., V, $ 11; p. 164 : Gtà tivos 8 vai Duvñou ce ; de éuautod dv,
be Éxuy tt lôtoy ; &s ŒX os © ; où ydp sl 6 Av D, où el D ày rod, où el D dv Xéyu.
(7) Voir, entre autres passages : Corp. herm., V, $ 11, XIII, $ 17-19;
p. 164, 250-252. Mais surtout Asclep. lat., $ 2a; p. 288 : « Non enim hoc
dixi, omnia unum esse et unum omnia, utpote quae in creatore fuerint
omuia, antequam cereasset omnia. Nee inmerito ipse dictus est omnia,
L'HERMÉTISME O1

Assurément, des formulesde ce genre ne sont guère d’ins-


piration grecque; par contre, elles ne sont pas rares dans les
documents égyptiens de toute époque (1).

ke

Une comparaison des mystères hermétiques avec les cultes à


mystères dont il a été question plus haut révèle d’abord des
ressemblances fondamentales. Les uns et les autres partent de
la dualité corps-âme dans l’homme et reconnaissent à l'élément
spirituel une incontestable supériorité. Le but qu'ils poursui-
vent est le même : la swrnoia, la délivrance de la eluaouéyn.
Mais sur les moyens employés de part et d’autre pour réali-
ser cette fin règnent de profondes divergences. Dans les reli-
gions à mystères, ce qui sauve c’est moins un enseignement
doctrinal qu’un dsousvoy, une action liturgique qui agit sur la
partie émotive de l’être humain. Par une assimilation surtout
rituelle de l’initié à la divinité, l'initiation assure au premier
la protection de la seconde.
Les mystères hermétiques, au contraire, ne connaissant ni
culte ni liturgie, sont entièrement basés sur un À0y0s, une écri-
ture censément inspirée et infaillible. « Mystères littéraires »,
ils s'adressent au voùs directement et mènent à une sagesse su-
périeure, la yvoous (2), et, par elle, à la vision (féa) de Dieu.
Ils apparaïssent ainsi comme une transposition mystico-philo-
sophique des mystères « cultuels », comme «la religion philo-
sophique du Nos ou intelligence » (3).

cuius membra sunt omnia. Huius itaque, qui est unus omnia, vel ipse est
creator omnium, in tota hac disputatione curato meminisse. » Cf. KELEIN-
KNECHT, art. 6e6ç,, dans KITTEL, Tl'heol. Würterbuch, t. III, p. 78.
(1) Voir Soorr, t. II (Commentary), p. 167-168, où l’on trouve quelques
_ références, entre autres, à des papyrus magiques.
Des exemples empruntés à ces derniers sont donnés dans REITZENSTEIN,
op. cit, p. 20-21, où se rencontre aussi la formule citée plus haut : où yào
Éy& Hal éy® où.
(2) Sur ce point, un beau passage du Poimandrès est particulièrement
révélateur : Mabeïy Béhu tà Ovra al voñaar Tv ToUTwy pÜoiv, al yvdvar Tôv Bedv
(Corp. hermet., I, 8 3; p. 114). On pourrait mettre ces mots comme devise
en tête du Corpus hermeticum.
(3) LAGRANGE, loc. cit., t. XXV, 1926, p. 263. Cf. FESTUGIÈRE, L'idéal
religieux des Grecs, p, 127-132.
_ divinité qu’une union A un
ue.
de protection. Les np de laFa un

allantjusqu’àà Das En définiti


ue
_. par la . Lo “
CHAPITRE IV.

: ul y:a loin de lasr des mystères cultuels, conçue comme


“un bonheur passablement grossier, au salut des mystères litté-
_raires, qui consiste dans l’union de l’âme à Dieu au moyen de
__da gnose. Ce raffinement, cette spiritualisation supposent un
effort de réflexion qui, lui-même, n est devenu possible que
grâce à la naissance et au progrès de la spéculation philosophi-
que. Mais, s’il est vrai que les mystères ont été à l’école deda
__ philosophie plutôt que celle-ci à l’école des mystères (1), il n’en .
_est pas moins certain que les premiers philosophes s’inspirent
de préférence des dires « des anciens théologiens et devins »,
= des cosmogonies et des mythes des poètes, d’Homère et d’Hé
8 siode surtout, ainsi que des pratiques religieuses.
Sur deux points, notamment, la religion semble avoir in-
* fluencé la philosophie et vice versa: la notion de la divinité et
l’immortalité de l’âme (2). Des progrès réalisés en ces matières,
l’idéal de divinisation, entrevu par les poètes et les fidèles des
_ religions à mystères, a tiré sa part de profit. \

| A
| | Toutefois. les premiers systèmes philosophiques élaborés par
le génie grec s'avèrent plutôt hostiles aux antiques croyances
et réfractaires à toute mystique religieuse.
= Au commencement du VI° siècle, on voit s’éveiller dans le
monde hellénique, d’abord dans les villes ioniennes qui étaient
alors à l'avant-garde de la civilisation grecque, la réflexion

A). Voir douard ZæLLERr, Die Philosophie der Griechen, t. I,re partie,
; & édit., Leipzig, 1919, p. 62.
: (2). Cf. ibid., p. 68-88. Voir aussi M. Louis, Doctrines Dore des
nÉ philosophes grecs, Paris, 1909, p. 3-50.
=
40 _ ANALOGIES HELLÉNIQUES

philosophique. Dans une première période qui s’étend de 600 à


450 avant J.-C. environ, l’attention des penseurs est tournée
vers le dehors, vers le cosmos. C’est pourquoi on l’appelle la
période « cosmologique » de la philosophie grecque. :
L'âme humaine semble avoir peu préoccupé l'esprit de ces
premiers pionniers de la philosophie. Elle a dû leur apparaître
comme un détail d'importance secondaire. C’est que, pour les
physiologues ioniens, la psyché est bien l'énergie vitale de
l’homme, le principe de ses pensées et désirs; mais cette force
psychique, ils la «concevaient comme absolument inhérente à
la matière et aux choses qui en sont formées », comme une par-.
ticipation à «la force unique qui construit et gouverne l’uni-
vers » (1). C’est ce qu’on appelle la théorie de l’« hylozoïsme ».
En tant que manifestation de l’âme universelle qui vivifie le
Tout divin, l’âme humaine peut être qualifiée, elle aussi, de di-
“vine et d’immortelle. Mais il ne saurait être question pour elle
d’une immortalité individuelle et consciente.
Bien que Pythagore lui-même semble avoir cru à l’immorta-
lité de l’âme et à la métempsychose (2), quelques-uns de ses dis-
-ciples, tels que Philolaos, conçoivent l’âme en fonction de leur
théorie mathématico-musicale comme « l’harmonie des éléments
opposés dont la réunion forme le corps » (3).
Pour Empédocle, le célèbre philosophe, poète, médecin, puri-
ficateur et thaumaturge, auteur de la théorie des quatre élé-
ments, ce qu'on appelle psyché n’est que la somme des énergies
vitales du corps humain qui périssent avec lui (4).
Appliquant à l’âme sa théorie atomiste, Démocrite y voit
un composé d’atomes ronds et lisses, done particulièrement
mobiles et pénétrants. Impérissables comme les autres, les ato-
mes qui forment l’âme se dispersent, à la mort de l’homme,
exactement comme ceux qui composent son corps. C’est dire
que la personnalité humaine disparaît purement et simple-
ment (5),
La même ‘conclusion résulte de la psychologie fort obscure

(1) E. ROHDE, op. cit., p. 381. Cf, E. ZELLER, op. cît., t. I, 1'° partie,
253-270.
(2) Cf. E. RoHDE, op. cit, p. 395-397.
(3) Ibid., p. 402.
(4) Ibid., p. 404-409.
(5) Ibid., p. 418-421.
LA PHILOSOPHIE DÉ L'ÉPOQUE CLASSIQUE 41

d’Anaxagore,le premier penseur grec qui, pour expliquer l’uni-


vers, ait eu recours à un principe spirituel. Pour lui, les âmes,
tant des plantes et des animaux que des hommes, ne semblent
être que des manifestations graduées de cette intelligence
(voÿs), de ce principe pensant qu’il conçoit probablement
comme immatériel, et dont il fait partir le premier mouvement
ordonnateur de la masse inerte des « semences » matérielles (1).
Chose étonnante : à eôté de cette psychologie rationnelle, on
trouve, chez plusieurs philosophes de la période cosmologique,
tels qu'Héraclite (2), Parménide, les Pythagoriciens, Empé-
docle surtout, les conceptions orphiques de l’origine divine de
l’âme, de sa faute et de son exil dans un corps terrestre, de la
métempsychose purificatrice et d’une délivrance finale avec re-
tour à la vie bienheureuse dont l’âme avait joui avant sa
chute (3). Ce qui montre quel attrait puissant la psychologie |
religieuse de l’époque a dû exercer sur les élites grecques pour
s’imposer ainsi à des philosophes dont les systèmes cosmologi-
ques étaient en opposition irréductible avec ce genre de
croyances. Attitude d’autant plus significative que la religion
officielle, qui ne possédait pas de sacerdoce professionnel et
n'avait pas de dogmes intangibles à défendre, ne paraît avoir
guère réagi contre des systèmes philosophiques qui pourtant la
ruinaient par la base (4).

II

Après les guerres médiques, la civilisation en général et l’ac-


tivité intellectuelle en particulier prirent en Grèce un essor
admirable. Une poussée de plus en plus large vers la science
amena les philosophies à sortir de l’ombre de leurs écoles plus
ou moins fermées ét à se mêler à la vie publique. Comme on

(1) Ibid., p. 421-424. ;


(2) Jbid., 383-390. Voir aussi Hans Ergr, Die Grundlegung der abend-.
ländischen Philosophie, Bonn, 1934, p. 10-12. .
(3) Ibid., p. 391-425. En ce qui concerne Empédocle, voir encore A. DIës,
op. cit, p. 83-99.
(4) De pareilles réactions ne sont connues que pour Athènes. Plusieurs
de ces procès pour « asébie », semblent avoir été avant tout d'inspiration
politique, Voir E. ZELLER, op. cit, t. I, 1'° partie, p. 60; UEBERWEG-
HEINZE, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Berlin, 1903 sq., t. I,
p. 215-218; H. BERVE, op. cit., t. II, p. 4; GERNET-BOULANGER, 0p. cit.
p. 345-354,
lieu une initiation à l’art de parler si rat Fe une dé- Fe
mocratie, leur réflexion se concentra sur l’homme.
Cette nouvelle orientation, en même temps que 1 individua-
lisme favorisé par l’évolution politique et sociale provoquèrent
dans la seconde moitié du V° siècle, une crise des croyances tra-
ditionnelles, qui conduisit les uns, avec les sophistes, au scepti-
cisme, les autres vers les mystères, l’orphisme en particulier (1).
Ces diverses tendances paraissent s'être incarnées dans la
puissante personnalité qui devait inaugurer la période de flo-
raison de la philosophie grecque, Socrate, cet homme extraor-
dinaire «au cœur ardent et à la tête froide » (2). ee
On a pu écrire que « Socrate sera toujours une énigme» (3).
Mais, s’il n’a pas encore été possible d'établir avec certitude
sa pensée authentique, il n’est cependant pas douteux qu’elle
avait pour centre l’homme, plus exactement «le soin et le
salut de l’âme humaiïne » (4). Il semble aussi que Platon a fidè-
lement rapporté, dans son Apologie, les conceptions de son
maître concernant l’immortalité de l’âme. Le philosophe con-
-damné à mort y avoue ne rien savoir de certain au sujet de
celle-ci (5). Il envisage cependant deux possibilités : ou bien
un sommeil profond et sans rêve, ou bien un passage de l’âme
de ce monde dans un autre lieu, savoir l’Hadès, qu’il conçoit
un peu à la manière d'Homère. En aucun cas, la mort ne lui
apparaît comme un mal. Cela suffit à Socrate pour la regarder
en face avec ce calme et cette sérénité qui devaient faire l” ad-
miration de la postérité (6).
Son incertitude, toutefois, n’a empêché notre philosophe ni
de placer le véritable bonheur de l’homme dans la pratique de
la vertu, c’est-à-dire dans une vie conforme à la raison divine,

() Voir H. BERYE, op. cit., t. II, p. 31.


(2) Th. GoMPErZ, Griechische Denker, 2° édit. Leipzig, 1903, p. 36.
(3) GERNET-BOULANGER, op. cit. p. 384 Sur la controverse ouverte
autour de Socrate, voir E. ZELLER, op. cit., t. II, 1'° partie, 4° édit., Leip-
zig, 1889, p. 91-100.
(4) A. BREMOND, S. J., Rationalisme ét religion, dans Archives de Phi-
losophie, t. XI, 1935, cahier 4, p. 8.
Voir surtout PLATro, Apolog., 29 D-30 B, où Socrate montre aux Athéniens
que leur premier souci doit consister à rendre l’âme aussi vertueuse que
possible, la vertu étant la source de tous les autres biens.
(5) PLaro, Apolog., 29 AB, 37 BE. :
(6) Ibid, 40 C-41 D. “ Re

PO
DT
III

- Avecla méthode de son maître, Platon a repris son idéal de


perfection. Maïs, en incorporant celui-ci dans son système, qui
_est une puissante synthèse des traditions religieuses, morales et
S_rephilosophiques de la Grèce classique, en le précisant et en le ce
fondant sur une base métaphysique, il allait en assurer Ja vitä
lité et le rayonnement.
_ Toute la pensée philosophique de Platon est donnée par Je
ne esprit-matière et être-devenir. Le disciple de Socrate
_ semble avoir été vivement impressionné d’un côté par la doc-
_ trine d ’Héraclite sur l’insaisissable irréalité « du monde des
_ phénomènes sensibles qui oscille dans le flux et le reflux du
- devenir» (2), de l’autre par la conviction de Socrate sur l’exis-
tence de l’universel (3). Ce dernier, le vrai réel, «la réalité
_ ensoi» (ô éozt) (4), n’est autre chose que « le monde de l’Être
- immuable, qui n’a pas eu d’origine et n’aura pas de fin, monde
_ dont tous les phénomènes de ce monde inférieur tirent ce qu’ils
renferment de réalité. La réalité elle-même, la totalité des Idées,
2 ne se mélange point avec ce qui devient et périt, mais constitue
en quelque sorte un but suprême vers lequel tend tout ce qui
aspire à la plénitude inconditionnée de l’Être » (5).
_ «Réalité immuable (70 xurù sabrà eldos ëyov), inengendrée et
Fu impérissable (ayévrnroy xt dvokehoov) » (6), l’idée est nécessai-
< rement étornelle (7). Autant dire qu’elle est divine (8). « C’est

‘© Ibid. 23, 28-29. Sur 1 « mission » de Socrate, voir M. Lours, 0p.


_ cit, p. 59-95.
(2) E. RONDE, op. cit., p. 482-483.
(3) Cf. Phaed., 65 DE.
À
(4) Ibid., 75 D.
(6) E. ROHDE, op. cit. p. 488. Cf. E. ZELLER, op. cit, t. II, 1'° partie,
RO p. 699-765; Th. GomPERZ, op. cit., p. 320-321.
Voir Phaed. 74 D et 75. Sympos., 210-212 B, où cette conception se
trouve développée d’une facon admirable au sujet du beau.
(6) Tim., 52 A. ; È
(7) Phaed., 19 C-E. Le monde des idées y est appelé TÔ xafapcv ve xai
Fe âe Ôv ua dbdvarov xal boaitus Eyov. Re
_@) Cf. ibid., 80 AB, où vù Peiov est nettement opposé à To Ont.
44 ANALOGIES HELLÉNIQUES

ce qui mérite, au premier chef, le nom de Dieu. Et s il existe,


parmi les Idées, une hiérarchie, s’il est une Idée qui, de ce
qu’elle se subordonne toutes les autres comme leur fin, puisse
être estimée la première, Idée suprême, Fin du tout, cette
Idée — l’Idée du Bien — étant l’Être par excellence est, du
même coup, le divin le plus divin. Ainsi gravissant l’échelle de
l’être, des apparences visibles aux invisibles Idées, et, d’Idée
en Idée, à celle qui les domine, étant leur raison dernière et ce
qui leur confère leur achèvement, l’esprit enfin saisit le pre-
mier Être, il voit Dieu » (1).
Mais, d’après le principe aussi vieux que la philosophie
oreeque : le semblable n’est connu que par le semblable (2), le
voÿs, partie supérieure de l’âme, ne pourrait voir les idées si
l’âme n'était pas «apparentée au divin, à l’immortel, à l’in-
telligence, au simple, à l’indissoluble et à l’immuable » (3),
bref aux idées, spécialement à celles de la vie (4). |
« Par quelque malheur remplie d’oubli et d’incapacité », en
d’autres termes à la suite d’une dégénérescence intellectuelle,
l'âme, « rejeton céleste » (5), est « tombée sur la terre » (6), où
elle prend demeure dans un corps terrestre, qu’elle meut par
sa force et avec lequel elle forme ce qu’on appelle un animal
(Éoov) (7). Néanmoins, dans son essence «pure» et selon sa
«nature véritable », elle reste immatérielle ou spirituelle (8)
et «inengendrée » (9), tout comme les idées et l’âme du monde

(1) A.-J. FESTUGIÈRE, L'idéal religieux, p. 43-44.


(2) Au témoignage de Théophraste, Empédocle déjà aurait enseigné :
TÔ pèv yäp ppoveiv elvar vois omoiouç, to d'éyvosly vois évouolou. Of. ZELLER, op.
eit., t. I, 2° partie, p. 997.
(3) Phaed., 80 AB. Respubl., 611 E.
(4) Ibid., 106 D.
(5) Tim., 90 A. L’essence de l'âme y est appelée Oalwv eteuroy oùx éyyetov
ah) oùpayrov.
(6) Phaedr., 248 C: cf. 246 C.
(7) Ibid., 246 OC.
(8) Respubl. X, 611 C, 612 A.
Dans les premiers livres de la République (L II-V, surtout 1. IV, 435 C-
441 C) et dans le Phèdre, 246, se dessine assez nettement une conception
trichotomiste de l'âme, qui comprendrait une partie concupiscible (éruBuun_
Tuxôv), irascible (bupoeté) et raisonnable (hoytoruxéy ou voÿc). Mais, au
X° livre de la Républ., 611B-612A, Platon semble abandonner cette tripar-
tition de l'âme comme incompatible avec son immortalité et sa parenté
«avec le divin, l’immortel et l'éternel » (611 E).
(9) Phaedr., 245D :
LA PHILOSOPHIE DE L'ÉPOQUE CLASSIQUE 45

dont elle est «tirée» (1). Si l’âme n’est pas immuable comme
les idées, elle est du moins «simple» (2), absolument indis-
soluble ou à peu près» (3), «impérissable» et «immor-
telle » (4), De par sa propre nature, l’âme est vyods, pure fa-
culté de penser et de vouloir (5); les instincts et les passions
ne lui viennent que du corps et disparaîtront avec lui (6).

Venue du royaume de l’Être vrai, du Bien et du Beau,


l’âme est appelée à retourner dans sa patrie divine, pour y
S

vivre « absolument Sans corps pour toute la suite de sa


durée » (7), unie « à des êtres pareïls » à elle, et pour connaî-
tre « tout ce qui est sans mélange » (8). Ne parviendra, toute-
fois, à ce bonheur suprême que celui dont l’âme est parfaite-
ment pure; car «n'être pas pur et se saisir pourtant de ce qui
est pur. n’est point permis » (9).
Mais comment parvenir à cette pureté ? L'âme est dans le
corps comme dans une « geôle » (10). Aussi longtemps qu’elle
est pétrie avec le corps, « cette chose mauvaise » (11), elle est
troublée par lui et empêchée « d’acquérir vérité et pensée » (12).
L’« antique tradition » — celle de l’orphisme (13) — a donc
bien raison d’exiger la purification (xdbapsts). Celle-ci consiste
à « mettre le plus possible l’âme à part du corps, à l’habituer
à se ramener, à se ramasser sur elle-même en partant de cha-
eun des points du corps, à vivre, autant qu’elle peut dans les
circonstances actuelles aussi bien que dans celles qui suivront,

(1) Phileb., 30 A.
(2) Respubl., X, 612 A : uovosdfs. Cf. Phaed., 80 B.
(3) Phaed., 80 B.
(4) Phaedr., 245 CD. Cf. Phaed., 80 AB.
(5) Jbid., 247 C.
(6) Respubl., X, 611 B-612 A.
(7) Phaed., 114 C, 115 D.
(8) Ibid., 67 A.
(9) Zbid., 67 B.
(10) Ibid., 62 B. Cf. ibid., 67 D, Phaedr., 250 D; Crat., 400 C, où Platon
fait allusion au jeu de mots orphique : oôua-sfua (voir plus haut, p. 23) ;
Gorg., 493 A. |
(11) 10id., 66B : £us dv... cuurspusuévn À AUOV À JUYN HNTX ToOUToU 4aKOÛ.
(12) Ibid, 66 A.
(13) En ce qui concerne l'influence de l’orphisme sur Platon, voir
LAGRANGE, L'orphisme, p. 165-175.
46 ANALOGIES HELLÉNIQUES

isolée et par elle-même, entièrement détachée du corps, comme


si elle l'était de ses liens » (1).
Alors, s’élançant vers sa patrie, le monde des idées, au voisi-
nage du vrai et de l’immuable, l’âme « cesse d’errer…. et con-
serve, elle aussi, toujours son identité parce qu’elle est en con-
tact (ëpanrouévn) avec des choses de ce genre» (2). Ainsi donc
la «fuite» d'’ici-bas vers le haut «assimile à Dieu dans la
mesure du possible » (3) ; elle rend l’âme semblable et, par là,
« chère » à Dieu (4) ; bref, elle la divinise en ce sens qu’elle
dégage de tout obseurcissement et rétablit dans son éclat ori-
ginel l'élément divin qui est «en elle.
Par malheur, peu d’hommes remplissent ce devoir suprême
de purification. Un triage des âmes par un jugement devient,
dès lors, nécessaire dans l’Hadès, à la suite duquel deux caté-
gories se révèlent : l’une celle des âmes dont «la vie fut d’une
éminente sainteté », l’autre, celle dont la vie n’a pas été telle.
Les premières sont libérées des régions intérieures de la terre
et établies «sur les hauteurs du pur séjour, sur le dessus de
la terre». Des demeures plus belles encore sont réservées à
l'élite de ces âmes, aux philosophes « purifiés autant qu'il
faut ». À jamais soustraits à la corporéité, ils jouissent, avec
leurs égaux et près des dieux, d’une béatitude sans fin (5).
La seconde classe d’âmes comprend trois subdivisions.
D'abord celles qui «ont mené une vie moyenne », où le mal
et le bien sont mêlés; puis les âmes dont les fautes sont « gué-
rissables » : enfin le groupe des âmes « irrémédiablement» eri-
minelles (6). Les premières — c’est «la grande masse des tré-

(1) Ibid., 67 CD. :


(2) Ibid, 79 CD. Cf. À. J. FESTUGIÈRE, A et vie contem-
plative selon Platon, Paris, 1936, où l’auteur montre que la Gewpla plato-
nicienne est «une sorte de contact spirituel qui unit immédiatement le
connaissant au connu » (p.43).
(3) Theact., 176B : Œuyh 6 Ouoluots Bed xatà Tù Ouvarov. Cf. Res-
publ., X, 613, où est égalernent proposé comme idéal : ôwotoüshat 0e.
Ÿ
(4) Leg, IV, 716 : ‘O pèv coppuv fudy 0eG wldos, Euoos yép. Of. André
BREMOND, La piété grecque, Paris, 1914, p. 186-193.
(5) Phaed., 108 C, 113 D-114 C. Les « demeures plus belles » semblent
être les astres. Cf, Tim., 41 D.
D’après ue 248 E-249 À, la récompense parfaite ne saurait être
atteinte qu'après trois incarnations séparées par un intervalle de ns ans.
(6) Tbid., 113 DE. Cf. Gorg., 525 C.
obtiennent, «en raison de en one actions, a. réconben.
_ses proportionnées au mérite de chacune » (2). Les âmes de la
_ seconde subdivision sont « précipitées dans le Tartare». Elles
ont, toutefois, la possibilité d’en sortir et de se purifier dans le
lac. Après une expiation qui dure au moins mille ans (3), elles
‘5 sont « dirigées à nouveau », comme lesâmes du premier groupe,
__ «vers les générations animales» (4). Les âmes criminelles,
.dont l’état est sans remède, « sont lancées dans le Tartare, d’où
plus jamais elles ne sortent » (5).

: Ce qui frappe surtout dans la synthèse platonicienne, c’est


qu’elle réunit en un tout assez homogène des éléments mythi-
ques, religieux, mystiques et rationnels. Du reste, le philoso-
_ phe ne s’en cache pas: les principaux traits de sa doctrine sur
_ l’âme sont empruntés à l’« antique tradition », aux conceptions
he_ répandues par les mystères et notamment par l’orphisme (6).
La différence entre le corps et l’âme, l’origine de celle-ci, son
emprisonnement dans le corps à la suite d’une déchéance, son
DE immortalité, r obligation de la «catharsis », le jugement des
âmes séparées et la métempsychose : toutes ces idées caractéris-
es tiques de l’orphisme et des mystères se retrouvent chez Platon.
Non plus cependant à l’état de croyances et d’aspirations va-
" _ gues; mais organisées en un système philosophique.
Platon va même jusqu'à se servir de la terminologie des mys-
_ tères. Mais e’est là, semble-t-il, un simple stratagème littéraire
_ et pédagogique. En effet, dans le fond de son âme,le philoso-
_ phe méprise les cultes secrets à cause de leurs pratiques et de

D ON bi, A1 À.
2 (2) bit. 113 DE. -
(3) Phacdr., 249 AB. Cf. Respubl., X, 615 A.
(4) Phaed., 113A.
__ (5) Ibid. Cf. _Gorg, 525 C; Respubl., X, 615 C-616 A. D’après Phaedr.,
_ 249 B, au contraire, toutes les âmes coupables peuvent, après expiation,
_ «choisir une seconde vie ».
-_ Sur l’eschatologie de Platon, voir Jean ITHURRIAGUE, La croyance de
Platon à l’immortalité et à la survie de l'âme humaine, Paris, 1931, p.
77-99.
_ (6) CE:| GERNET-BOULANGER, op. cit., D.387-388.
48 ee ANALOGIES HELLÉNIQUES

leurs espérances grossières (1). S'il parle néanmoins leur lan-


gœue, c’est pour orner son discours et mieux se faire compren-
dre (2) ; c’est surtout pour en ruiner plus sûrement et du de-
dans les conceptions par une totale transposition de leurs no-
tions essentielles.
Ainsi, tout comme les mystères, Platon parle d’« initiés » ;
mais, pour lui, les vrais mystes ou « bacchants », sont ceux qui
s’adonnent à la philosophie (3). De même la « catharsis », puri-
fication toute rituelle et magique, se mue chez le philosophe
en libération de l'âme, en affranchissement de l’esprit de la
domination des sens, bref, en purification intellectuelle et mo-
rale (4). Lie voyage mystique de l'initiation qui s’achève dans
la vue se transforme en l’ascension dialectique du vobs vers
Dieu. La déification enfin, qui, dans les cultes secrets, « ris-
quait bien de ne jamais signifier beaucoup plus que « le ban-
quet des saints » et « l’éternelle ivresse » raïllée dans la Répu-
blique » (5), cette divinisation extérieure par assomption de-
vient chez Platon une assimilation intérieure de l’âme à Dieu
grâce à la vision de la Réalité divine (6).
En précisant et spiritualisant de la sorte les données tradi-
tionnelles encore vagues et mythiques, en les intégrant dans
son système, l’incomparable génie de Platon a réussi à faire
une synthèse des intuitions les plus profondes et des aspira-
tions les plus élevées de l’âme grecque. La divinisation qu’il

(1) Platon proscrit les mystères de sa République idéale comme des


sources de désordre et de superstition. Cf. Leg., IX, 909 D-910.
(2) D'après A. Diès, Autour de Platon, Paris, 1927, p. 545, Platon
«veut. faire descendre le plus possible d'intelligence et de raison dans
cette mythologie qui, seule, peut représenter à l’enfant qui est en nous, à
l'imagination éprise de symboles et d’idoles, la vérité abstraite et suprasen-
sible ». Voir aussi J. ITHURRIAGUE, op. cit, p. 11-18.
(3) Phaed., 69 CD.
(4) La purification morale est expressément mentionnée dans le Ban-
quet, 210-212 C. Elle y apparaît comme une conséquence quasi- nécessaire
de la purification intellectuelle : quiconque est parvenu à voir la Beauté
divine et simple (xd Oeïov xæ)dv... puovoeuôéc) ne peut plus mener une vie
mauvaise, mais « enfante la vraie vertu ».
(5) Diès, op. cit., p. 448.
(6) Sur tous ces points, l’hermétisme est manifestement tributaire de la
pensée platonicienne, bien que l'influence de celle-ci n’ait peut-être pas été
directe, Cf. REITZENSTEIN, Poimandres, p. 304-308: FESTUGIÈRE, L'idéal
religieux, p. 129.

Pt
LA PHILOSOPHIE
DE L'ÉPOQUE CLASSIQUE 49

propose comme fin à l’activité humaine est, sans conteste,


l’idéal le plus sublime qui ait jamais été conçu en dehors du
christianisme.
En dépit de son indéniable grandeur, la conception platoni-
cienne de la somoinois n’en comporte pas moins de graves défi-
ciences. Intellectualiste à outrance, elle ne tient pas suffisam-
ment compte de l’homme tout entier, de l’unité foncière de sa
nature (1) et exclut pratiquement de la déification la masse des
humbles. Basée sur une idée trop abstraite de la divinité et sur
un optimisme exagéré concernant les forces du vods, qui trop
souvent apparaît comme l’unique agent du salut, elle ne réserve
au concours divin qu'un rôle assez effacé (2).
Malgré ces lacunes, l’idéal platonicien exercera une puissante
influence sur les conceptions postérieures du salut, celles des
Pères y comprises. Notamment le lien que Platon « établit entre
les idées d’être, de divin, d’immortalité», de même que la
synonymie qu'il découvrit entre l’assimilation divine ou la déi-
fication d’une part et le salut ou la béatitude de l’autre s’im-
poseront désormais à la spéculation théologique (3).
Enfin, la contemplation platonicienne, qui s'élève vers le Beau,
identique au Bien, dans un élan d’amour de bienveïllance allant
jusqu'à l’extase, fournira, par l’entremise de Plotin, à la mys-
tique chrétienne sa terminologie et ses cadres intellectuels.

IV
Toutefois l’impression immédiate produite par la philosophie
de Platon ne semble pas avoir été bien profonde ni bien durable.
Dès la seconde moitié du IV®* siècle, en effet, l’esprit grec

(1) L’anthropologie platonicienne a le grand tort de déchirer l'unité de


l'être humain. Sur cette erreur et ses graves conséquences, voir Marcel DE
CORTE, Anthropologie platonicienne et aristotélicienne, dans Études carmé-
litaines, fascicule intitulé L'Esprit et la vie, XXIII® année, avril 1938,
p. 59-73.
(2) Cf. FESTUGIÈRE, op. cit, p. 52-53; A. BREMOND, Rationalisme et
religion, dans Archives de Philos., t. XI, 1935, cahier 4, p. 38-43. Cet
auteur y fait, au sujet de l'exposé du P. Festugière, « quelques réserves
compensatrices ».
(3) Ibid., p. 39. Cf. BREMOND, loc. cit., p. 38; FESTUGIÈRE, Contemplo-
tion et vie contemplative selon Platon, notamment la « Conclusion », p.
449-457.
50 ANALOGIES HELLÉNIQUES

s'oriente de plus en plus vers un rationalisme modéré peu favo-


rable au mysticisme. L'école platonicienne elle-même n’a pu se
soustraire à cette nouvelle orientation, qui se manifeste d’une
facon particulièrement frappante dans l’évolution Pen
que du plus grand des disciples de Platon.
Dans ses dialogues de jeunesse, malheureusement perdus, no-
tamment dans son « Eudème ou sur l'âme», Aristote paraît
s’être encore inspiré de la doctrine de son maître (1). Mais, de
bonne heure, il a dû l’abandonner pour élaborer une anthropo-
logie en harmonie avec son mystère propre.
Déjà le point de vue auquel les deux penseurs se placent est
fort différent. Alors que Platon se fixe dans le monde suprater-
restre des idées, d’où il juge des choses terrestres et où il situe
le vrai bonheur de l’homme, plus exactement du voÿs humain,
Aristote part du monde réel et assigne à l’homme tout entier
une fin qu’il doit réaliser en cette vie même. « Entre les pen-
seurs grecs héritiers de la sagesse socratique », le stagirite est
«le moins socratique en ce sens qu’il est le moins préoccupé
‘ du salut de l’âme. Le problème du bonheur, qui est celui de
toutes les Écoles après lui, n’est pas dans sa doctrine premier
et dominant » (2).
Divergence profonde qui cependant n’empêche pas le disciple
de conserver, comme un précieux héritage, l’idéalisme éthique
du maître. En effet, Aristote voit, lui aussi, le bonheur : (eUdœL-
povla) dans la perfection. Mais, loin de concevoir celle-ei comme
l’acquisition d’un bien supérieur à l’homme, le philosophe la
place dans « une activité conforme à la vertu suprême », c’est-
à-dire conforme à la vertu « de la meilleure partie » (roÿ &olstou)
de nous-mêmes, savoir le voÿs, «le plus divin en nous» (3).
C’est l’activité « contemplative » (fewpnrixr), qui porte sur
« les choses bonnes et divines », qui peut se faire avec le maxi-
mum de continuité et trouve en elle-même sa fin aïnsi que sa
jouissance la plus pure et la plus stable (4). Une vie suffisam-

(1) Cf. W. D. Ross, Aristote, Paris, 1930, p. 18; EÆ. ROHDE, 09. Ci,
p. 506.
(2) A. BREMOND, loc. cit., p. 48.
(3) Æih. Nicom., X, 7: 1177 a 12-17.
(4) Tbid.; 1177 a 12-1177 b 6.
- dos » D.
Mais « pareille vie dépasse la nature humaine (koslrrwv À
cxar ” &ybpwmoy); l’homme ne pourra la vivre en tant que tel,
_ mais en tant qu'il a en lui un élément divin (Geïdy x). Si done, es
_ comparé à l’homme, le voùs est quelque chose de divin, la vie -
selon ce dernier est divine elle aussi par rapport à la vie hu- Ë
ee maine. Et il ne faut pas suivre ceux qui disent qu’étant hommes
_. et mortels nous me devons penser qu’à des choses humaines et
A mortelles ;nous devons, au contraire, nous immortaliser autant
_ qu'ilest possible et tout faire pour vivre en conformité avec ce re
qu’il y a de mieux en nous» (2).
_ En tant que contemplation, le bonheur humain est, en vérité,
«une certaine assimilation.» (ouoloux 71) à la béatitude di- |
_ vine elle-même, qui ne saurait consister que dans une «activité
contemplative» (3). C’est que, «Premier Moteur immobi- Ra
le » (4), qui « meut en tant qu’objet d'amour » (5), « Premier
Principe inengendré » (6), Acte pur (7), Dieu est à la fois in-
telligence et intelligible purs : ce qui revientà dire qu'il est FANS
«intellection subsistante du souverain bien subsistant » (8),
« pensée de sa pensée » (9). Aussi, « à condition que les dieux
prennent quelque soin des choses humaines, ce qui semble être
le cas », le sage qui vit de la vie du voÿs, sera-t-il « l’homme le
$plus aimé des dieux » (eoptkésTatos) (10).
(4) Ibid: 1177 b 24-25. | 4 2. PURE
(2) Zbid.; 1177 b 26-34. +
(3) Tbid., X, 8; 1178 b 20-32. . ne
Sur la conception aristotélicienne du bonheur, voir W. D. Ross, op. 11324
_ cit, p. 266-269, 323- 395 ; M. WITTMANN, Die Ethik des Aristoteles, Dans |
bonne, 1920, p. 7-42, 308-322. RE
(4) Phys, VII, 6; 258 b 11-12:sd rpôüroy xivoüv xiynrov. de
- (5) Met., XII (A), 7; 1072 b 3 : xiwei Gs épopevo. “E
(6) Ibid., IIT (B), 4; 999 b 7-8 : tù Ésyatov dyévnrov. : Fa ee
(7) Ibid, XII (A), 6; 1071 b 19-20 : Get äpa eivar épxv. TOLAU ENV: Îe SES
OÛoia évépyeta. Cf. 1072 b 8 : évepyeig ôv. ES
(8) Ibid. XII (A), 7; 1072 b 18-20 : à Gè vénois h xab” avé roù xab” }. RUES
| avroéÿ &plotou. 6
_ (9) Zbid., XII (A), 9 ; 1074 b 33-55. par
Sur la conception aristotélicienne de l’essence divine, voir Alfred BoExx, ae
Die Gottesidee bei Aristoteles auf ihren religiôsen Charakter untersucht,
Strasbourg, 1914, p. 88-103. 2
(10) Eth. Nicom., X, 9: 1179 a 22-32.
52 ANALOGIES HELLÉNIQUES

Cependant la contemplation béatifiante, dont la divinité jouit


éternellement, n’est réalisable pour l'élite des sages que «de
temps à autre » (noté) (1) et pour «une courte durée » (2).
Encore faut-il le concours de toute une série de circonstances
favorables, notamment la santé, la fortune et la paix de
l’âme (3).
À peine accessible durant cette existence, le bonheur proposé
par Aristote sera-t-il du moins atteint dans un au-delà ? D’au-
euns ont bien soutenu, mais à tort, que telle aurait été la
pensée du philosophe (4).
Assurément, d’après le stagirite, quelque chose de l’homme
lui survit; mais c’est là le principe actif de l’intellection qu’Ale-
xandre d’Aphrodisias appellera l’intellect actif (voÿs rotntixos)(5)
par opposition à l’intellect passif (vos mafnrixos). Alors
que celui-ci est «périssable» ( pÜaoros ), l’intellect actif est
«immortel et éternel » (6). Or «ce yoùs impersonnel, ce vyoÿs
commun à tous les ydor mafintixol, ce voès rayon de lumière
qui permet à notre miroir de capter les intelligibles que les
sensibles recèlent, ce voùs, quel qu’il soit au juste, peut bien
durer toujours, il n’est plus nôtre» (7). Bref, Aristote nie
l’immortalité personnelle de l’âme. A la mort, celle-ci, « comme
siège de la destinée », disparaît (8). La meilleure preuve en est
que l'éthique aristotélicienne manque de perspective sur une
vie supraterrestre et éternelle : l'idéal suprême qu’elle propose
à l’activité humaine, quelque élevé qu'il soit, est de ce mon-
de (9).

(1) Met., XII (A), 7; 1072 b 25.


(2) Ibid.; 1072 b 15 : puxpdv ypévov.
(83) Eth. Nicom., I, 8; 1099 b 2-8; X, 9; 1178 b 33-1179 a 9.
(4) C’est l'opinion de saint Thomas et de son école presque tout entière.
Tout récemment, l'interprétation thomiste a trouvé un ardent défenseur
en la personne de M. Marcel de Corte, La doctrine de l'intelligence chez
Aristote, Paris, 1934. Il ne semble pourtant pas que l’exégèse de cet auteur
ait sérieusement ébranlé la conception de Zeller et de Jaeger que nous
avons adoptée. Cf. G. FWRITZ, dans Revue des sciences religieuses, t. XNII,
1937, p. 336-348.
(5) Cf. E. Roupe, op. cit., p. 518, note.
(6) De an., IIL, 6; 480 a 17-25.
(7) FEsTUGIÈRE, L'idéal religieux, p. 57.
(8) 6. BRÉHIER, Histoire de la philosophie, t. I, Paris, 1927, p. 458.
(9) Cf. FESTUGIÈRE, op. cit, p. 56-57.
on que le ne de ie en Mais dans deSys-
_tème d Aristote, avec sa négation de l’immortalité personnelle,
TRE le bonheur suprême est pen inaccessible àà l’homme.
| ne Rien d'étonnant, dès lors,à ce que les penseurs postérieurs
se soient détournés d’un idéal aussi difficile et froid, pour cher-
V Fa cher des recettes de bonheur plus faciles et plus oo
Br
ee V

LA PHILOSOPHIE
DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE

Avec Alexandre, l'élève d Aristote, commence une :


er période de l’histoire grecque. Au point de vue philosophique,
‘cette époque, appelée hellénistique, qui voit la décadence de la
cité grecque et, avec elle, de tant de valeurs traditionnelles, est
d’abord dominée par le scepticisme. Assurément, la philosophie
devient de plus en plus la « religion de l'élite ». Mais c’est une
philosophie qui se détourne de la spéculation et de la mystique, nn
pour s'orienter vers la recherche scientifique, qui veut être
avant tout une sagesse de vie. Et ainsi, sans renier ouvertement
l'idéal platonicien de l'assimilation à la divinité, l’épicurisme
et le stoïcisme le transforment en un eudémonisme plus où
moins banal. Cependant, avec le néopythagorisme, la mystique FES
de la divinisation commence à prendre sa revanche, pour attein-
dre dans le plotinisme son point culminant.

RNA
ANS
OT
ÀA Y

L'’épicurisme se donne pour une méthode rationnelle de bon- ne


NO
LAN
ASDA
A
rer
Tan
00 PE
ASLe
Le
heur. Variant à sa façon le thème platonicien, Épieure proclame 3 7m

ne
que le bonheur consiste à « vivre comme un dieu Done les a
hommes » (1). :
Or, dans le système épicurien qui est basé sur J’atomisme :4
de Démocrite, les dieux, « êtres immortels et DORnree » (2), 3
(1) Errcur., Ad Menoec., dans H. USENER, Epicurea, Leipzig, 1887, p.
LEse
66, 1. 7-8 : Chose de Bedc èv avbpuro. e =. L
(2) Ibid.; p. 59, 16-17. Cf. Ad Herod.; p. 29, 3-4; Kipun 86tæ, Ii k
D TI, : +
EE

-
Ée
TEL
“ii
ct à
Fe. on Us ne s aie en effet, ni 4 ni des
hommes (2).
_ Pour devenir heureux comme eux, l'homme doit donc viser
en tout ce qu’il fait « à éloigner la souffrance et le trouble » (3).
_ Dans ce but, le sage doit s'appliquer avant tout à éliminer de sa
_ vie les vains espoirs et les vaines craintes. En premier lieu,
il s’affranchira de la crainte de la mort, qui, «privation de
_ toute sensibilité, n’est rien pour nous» (4). Et «la connais-
_ sance de cette vérité nous rendra capables de jouir de cette vie
_ mortelle, en supprimant la perspective d’une durée infinie et
en nous ‘enlevant le désir de l’immortalité » (5). Afin de par-
_ venir à «l’achèvement de la vie heureuse », il ne restera plus
au philosophe que d’acquérir « une connaissance exacte (Bswpla
_ dmlavñs) des désirs, capable de rapporter tout choix et toute
_ aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme » (6).

Nous voilà bien loin de cette éuolwors 7® (le que préco-


_ nisaient un Platon et un Aristote. Mais, tout en la rabaissant
au niveau d’un vulgaire hédonisme, Épicure témoigne de la per-
sistance de cet idéal qui ie le bonheur de l’homme dans son
assimilation à Dieu. |

Æ IT
_ Le même principe est à la base de la morale stoïcienne. C'est
ere que le stoïcisme, philosophie par excellence du monde hellénis-
_ tique, veut, lui aussi, être une école de sagesse et de vrai
_ bonheur.
Panthéisme le issu de la physique d’'Héraclite, la
__ doctrine de la Stoa voit le principe de l’univers dans «la ma-
tière primordiale, le feu éthéré, le souffle de feu qui se conserve

(1) Cf. USENER, op. cit, p. 238-240.


(2) Küôp. Ô6ë, I; p. 71.
© (8) Ad Menoec.; p. 62, 16-17.
fe (4) Ibid.; p. 60, 15-17. Cf. Küe. 68. Il; p. 71.
(5) Ibid.; p. 60, 17-20.
© (6) Jbid.; p. 62, 12-15.
56 ANALOGIES HELLÉNIQUES

ou se transforme, et, sous mille figures, constitue le monde ». Se’


spiritualisant de plus en plus dans la spéculation stoïcienne, ce
feu primordial devient « la raison, la loi..., la divinité » du cos-
mos, le Logos qui « agit comme « relation » (syéots) dans la
matière inorganique, comme « nature » 1(ousu) dans les plan-
tes, comme « âme dépourvue de raison » (410yos du-yr) dans les
autres êtres vivants, comme âme raisonnable et pensante (u-y7
Àcyoy épousa xa Gidyota) dans l’homme » (1).
L'âme humaine est done une parcelle, une émanation de la
divinité ; elle est « divine comme tout ce qui est dans le monde,
mais plus purement que le reste » (2). C’est ce que le poëte
Aratus veut exprimer dans le mot cité par saint Paul (Act.
XVII, 28) : voû ap xai vVévos Écuéy (3). « Prendre cons-
cience de notre parenté avec le À0yos divin, demeurer attentif
à l’Esprit qui habite en nous, c’est simplement, pour le phi-
losophe, saisir l’unité du système, et comment toute parcelle
de matière, et aussi bien tout mouvement psychique, désir,
volition, pensée, se relient à la matière primordiale » (4).
De ce rapport entre l’individu et la divinité il résulte que le
devoir et le bonheur consistent pour l’homme dans sa soumis-
sion absolue à la raison universelle : obéir à l’ordre divin,
« vivre selon la nature » (5), « suivre les dieux » (6), « c’est être
sage, c’est être heureux » (7). Y réussir au point de s'élever
au-dessus de tous les mouvements du corps et de l’âme, de se
fixer dans une imperturbable maîtrise, de soi, l’ärdfeta, cons-
titue le comble de la vertu et du bonheur (8). Parvenus à ce

(1) E. RoHDE, op. cit., p. 518-519. Héraclite est le père de l’idée du


logos appelée à la destinée que l’on sait.
(2) Ibid, p. 519. Cf. ZELLER, op. cit. t. III, 1'° partie, 4° édit, p.
203-204.
(3) ARAT,, Phaenom., v. 5. Cf. CLEANTH., Hymne à Zeus, dans H. von
ARNIM, Sioïcorum veterum fragmenta, Leipzig, 1903-1905, t. I, N° 537.
p. 121, 1. 37 : êx coù [scil. Aude] y&p yévos els” you piunpa layévres.
(4) FESTUGIÈRE, op. cit., p. 71.
(5) DioG. LaERT., VII, 88: vô äuxohoÿtuc Ti gÜoer Cnv.. Cité dans
ZELLER, op. cit., III, 1, p. 214.
(6) Error, Diss., I, 12, 5 : Ereodat sois. Cité dans ROHDE, op. cit.,
p. 521.
(7) CLEANTH, Hymne à Zeus, dans H. VON ARNIM, OD.NCit, LOIS UNC
537, p. 122, 1. 19-20.
(8) Cf. H. von ARNIM, t. III, N° 449: ZELLER, op. cit., t. III, 1, p.
239-240,
LA PHILOSOPHIE DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE 57

sommet, les philosophes (oœmoudator) «sont vraiment divins,


ayant en eux comme un dieu» (1).

En bonne logique, les docteurs stoïciens auraient dû admettre


qu'à la mort de l’homme son âme retourne dans le feu divin
dont elle n’est qu’une émanation. Mais un bon nombre d’entre
eux rêvaient d’une survie de l’âme séparée, avec des rétri-
butions appropriées, qui durerait jusqu'au moment de l’em-
brasement universel (2). Ils n'étaient guère plus conséquents
avec eux-mêmes les nombreux tenants du Portique qui s’effor-
çaient de donner à leur système une teinte de mystique reli-
gieuse (3).

Bien que tout aussi terrestre et utilitaire que celui d'Épicure,


l’idéal stoïcien est plus viril et plus élevé. Il apparaît, en effet,
comme le couronnement d’un grand effort qui a pour but d’éta-
blir, par une exacte connaissance des lois de l’univers, le règne
de la vertu, du divin. On comprend, dès lors, que, dans leurs
doctrines morales, de nombreux Pères aient réservé à l’àxdletu
stoïcienne une place de choix.

TITI
A leur modèle du sage les moralistes stoïciens finirent par
découvrir eux-mêmes un défaut capital : celui d’être pratique-
ment irréalisable (4). Aussi, vers le début du I siècle avant
Jésus-Christ, la déception causée par les morales courantes s’ac-
eentuant de plus en plus, de nombreux esprits se sentent portés
à admettre qu’une aide d’en-haut est indispensable pour réali-
ser l'idéal éthique. D'où ce revirement très prononcé en fa-
veur de la religion qui caractérise la dernière période de la
philosophie grecque, à tel point qu’on a pu l’appeler «la pé-
riode de la métaphysique religieuse » (5). Quelque grande qu'’ait

(1) Dioc. LAERT., VII, 119; H. VON ARNIM, 09. cit., t. III, N° 606.
(2) Cf. GERNET-BOULANGER, 0p. cît., p. 495-496; ZELLER, 0p. cit., t. III,
1'e partie, p. 205-206 ; G. KarTa-H. Ergz, Der Ausklang der antiken Phi-
losophie, Munich, 1928, p. 103-107.
(3) Cf. A. BREMOND, loc. cit, p. 49-53.
(4) Cf. FESTUGIÈRE, 0p. cit., p. 69.
(5) WINDELBAND-ROTHACKER, Lehrbuch der Geschichte der Philosophie
Tubingue, 1921, p. 177.
58 ANALOGIES HELLÉNIQUES

pu être l'influence des religions orientales sur la nouvelle phi-


losophie religieuse, le platonisme en reste le fond.

C'est ainsi que le néopythagorisme n’est, en substance, qu’une


transposition de la métaphysique platonicienne compliquée
d’une arithmologie fantastique (1).
En accentuant l’opposition entre le monde du divin et le
domaine de ce qui change, ce mouvement d'idées revint au
dualisme, qui, du reste, traduisait bien le désarroi intime des
esprits dégoûtés des jouissances sensibles, assoiffés de purifi-
cation, de salut, de divinisation par l’union personnelle avec
Dieu. |
Mais comment atteindre Dieu sinon par le moyen tradition-
nel de l’ascèse, seule capable de purifier l’âme, prisonnière du
corps, des souillures de la matière ? C’est grâce à l’âme, en
effet, qu’« il y a une certaine parenté (Evyéveux) de l’homme
à Dieu, à cause de laquelle, seuls des vivants, il connaît les
dieux, réfléchit (puhosopei) à sa propre nature ainsi qu'aux
moyens de participer au divin... Sa forme même (eidos) ressem-
ble à Dieu... Les vertus lui viennent de Dieu (Geoûey), et eeux
qui les reçoivent sont semblables à Dieu et même divins (&y-
yuéous ze elvar xat Gelous) » (2).
C’est ce qui serait arrivé au célèbre prophète et prédicateur
de la secte néopythagoricienne, Apollonius de Tyane : pour
S’être entièrement purifé, il aurait obtenu la divinisation et se
serait assuré l’immortalité bienheureuse (3).
L’immortalité en général me se démontre pas : il faut y
croire. Du reste, le néopythagorisme tout entier «est moins
raisonnement que foi». C’est un mysticisme religieux à fonde-
ment doctrinal très vague. Tellement vague qu'il est difficile
de dire si le Dieu suprême, distinct du monde mais inconnaissa-
ble, est pour les néopythagoriciens un être personnel ou simple-

(1) Cf É. BRÉRIER, Histoire de la philosophie, t. I, p. 440-441.


(2) Pæirosre., Vita Apoll., VIII, 7, dans F. C. CoNYBEARE, Philostra-
tus, Londres, 1912, t. II, p. 312.
(3) Sur «la physionomie réelle de cet Apollonius >», voir P. DE
LABRIOLLE, La réaction paienne, p. 175-177. Of. ZELLER, op. cit., t. III,
2° partie, 4 édit., p. 165-175;-Mario MEUNIER, Apollonius de Tyane ou le
séjour d'un dieu parmi les hommes, Paris, 1956.
_ ment «la région la plus haute de l'univers: soit le soleïl, soit |
l'air léger ». Même impression en ce qui concerne l’immortalité
Fr. de l’âme : on ne sait si nos mystiques l’ont conçue comme une
survie personnelle ou comme le retour de l’âme à l'élément |
divin, dont elle est une émanation ture Ent
Tous ces points seront précisés dans le dernier grand sys-
tème que le génie grec ait produit et auquel le néopythagorisme
__a préparé la voie.

IV

« Le plus logique et le plus achevé » (2) des systèmes philo-


sophiques de l’antiquité, le néoplatonisme apparaît comme une
synthèse, réalisée dans l’unité supérieure du principe religieux,
des principaux éléments de la philosophie grecque et hellénis-
:
A
Æ-
tique ainsi que des aspirations mystiques d’origime orientale.
L’Un, le Dieu suprême, à la fois principe premier et fin der-
nière de toutes choses, constitue le fond de la vision néoplato-
nicienne du monde. Le retour, l'ascension de l’âme vers l’Un
est le thème principal du néoplatonisme (3). C’est done à bon
droit que celui-ci a été qualifié de philosophie religieuse.
Les Ænnéades de Plotin sont la charte du néoplatonisme.
_ Vrai fondateur et le plus grand représentant de cette école,
« Plotin était appelé à une haute mission : en lui, l'esprit de
l’hellénisme devait, pour la dernière fois, montrer au monde
toute sa beauté, sa profondeur et sa grandeur » (4). Avec lui,
qui <est en un sens le plus religieux des philosophes... la sa-
_gesse et la raison hellénique dit son dernier mot et assure à

(1) Cf. FESTUGIÈRE, op. cit, p. 73-85. Les citations qui précèdent sont
empruntées à cet auteur.
(2) WINDELBAND-ROTHACKER, 0p. cit, p. 179.
(3) M. é. Bréhier, La philosophie de Plotin, Paris, 1928, p. 23, a bien
mis en relief l’intime connexion de ces deux thèmes dans la pensée de
Plotin : « Découvrir le principe des choses, ce qui estle but de la recherche
philosophique, c’est en même temps, pour Plotin, la «fin du voyage»,
c'est-à-dire l’accomplissement de la destinée ».
D'après une vieille idée, «toutes choses sortent de l’un et rentrent en
lui». Voir H. DreLs, Doxographi Graeci, Berlin, 1879, p. 179.
(4) Othon KIEreR, Plotin, Hnneaden, Leipzig, 1905, t. I, p. XV. Cf.
pb XX: «Dans cet homme brûlait une nostalgie de la divinité, comme
on ne la constate chez aucun autre philosophe de l'antiquité ».
|
a
60 ANALOGIES HELLÉNIQUES

l’homme, en dehors de toute assistance surnaturelle, par les


seules forces de son esprit, la libération de l’âme et la plus
parfaite assimilation divine qui se puisse concevoir » (1).

À en juger d’après les Ænnéades (2) — dont l’obscurité est


proverbiale — deux parties peuvent être distinguées dans la
philosophie de Plotin. La première, plus théorique, traite de
l'origine de l’âme et de sa descente dans le corps; elle prépare
ainsi la seconde, d'ordre pratique, qui indique le chemin qui
ramène l’âme au souverain Bien.
L'univers, conçu comme éternel (3), est hiérarchisé en deux
mondes bien différents : le monde intelligible et le monde sen-
sible, Au sommet de toute cette hiérarchie trône l’Un, l’Être,
le Principe, le premier ou souverain Bien, le Roi de toutes
choses, Dieu. Il est même «au-delà de l’être, au-delà aussi de
l’acte et au-delà du voùs et de la pensée » (4) : l’Indéterminé
par excès de réalité (5).
L'Être premier, qui est aussi le «premier Vivant » (6), «ne
saurait rester en lui-même, comme s’il était jaloux de lui-
même ou impuissant, lui qui est la puissance de toutes choses;
mais il faut que quelque chose sorte de lui» (7). Tout en

(1) A. BREMOND, loc. cit., p. 54.


(2) On sait que Plotin n’a rien publié. Des éditions de ses œuvres, dues:
à ses disciples, seule nous est parvenue dans son intégrité celle de Por-
phyre.
Les six Ænnéades — mot à mot «neuvaines > — c’est-à-dire « groupes
de neuf traités », division arbitraire due à Porphyre, loin d’être un exposé
systématique, se présentent plutôt comme des conférences, dont chacune
est consacrée à l’étude d’une question. Ce qui en fait l’unité, c’est la vision
de l'univers qui commande l’œuvre entière. Cf. 6. BRÉHIER, op. cit., p. 9-22.
(3) Cf. III, vix, 6 : Üote pnôè toy xdouov àpyv Tia ypomxhv elAnvpévaz.
Nous citons les Fnnéades d’après l'édition 6. BRÉHIER, Plotin, Ennéades,
Paris, 1924-1931 (Collection des Universités de France), pour les cinq
premières, seules parues jusqu’à présent; d’après l'édition R. VOLKMANN,
Plotini Enneades, t. II, Leipzig, 1884, pour les quatre dernières.
Le premier chiffre romain indique l’ennéade, le second, plus petit, le
traité; le premier chiffre arabe signale le chapitre, le second la ligne.
(4) I, vir, 1, 19-20 : éméneva oùolac, énéxeuva xai êvepyelas nai èméxetva vod
xal voñoeus. Cf. V, Iv-v.
(5) "VI 1x, 3:20. VW iv, 1,
(6) IV, vix, 9, 14-15.
(7) V, 1v, 1, 34-38. D’après Plotin, l'Un engendre nécessairement. « Le
dieu néo-platonicien implique toujours l’image de cette grande source de
qe
-— LA PHILOSOPHIE DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE 61

restant immobile, il engendre done «une imitation et une


image » (uiunux xat eldwAoy) de lui-même (1), savoir le Noÿsqui
est à la fois intelligence et objet intelligible (vontoy) (2). Le
Nos est, par conséquent, le « fils» (raïôa) du Bien (3), un
« second Dieu » (fes Geurepos) (4).

Du Noùs procède la substance immatérielle de l’« âme univer-


selle », qui « produit tous les animaux en leur insufflant la
vie » (5). En effet, sans se morceler en parties, l’Ââme univer-
selle se répand et se diversifie dans les âmes individuelles, qui
en sont l’image en tant que, par illumination, elles informent
le cosmos dans ses détails, comme l’âme universelle l’informe
dans son ensemble. Étant de même nature que l’âme univer-
selle et ne perdant pas son union avec elle, l’âme humaine est
«un être divin (etov),.… le dernier dieu (4:05 oÙox 6 Üore-
pos) » (6). Néanmoins les âmes particulières se distinguent les
unes des autres par leur perfection plus ou moins grande, qui
dépend de leur proximité du monde intelligible (7).
De la sorte, « l’Ââme est. intermédiaire entre le monde intel-
ligible et le monde sensible, touchant au premier parce que,
procédant de lui, elle se retourne vers lui pour le contempler
éternellement, touchant au second, parce qu’elle l’ordonne et
l’organise » (8). Aussi longtemps qu’il reste docile à son action,

vie durante et agissante que Plotin eut l’audace d'évoquer avant que Berg-
son ne la magnifiât en élan vital. » Éd. KRAKOWSKI, Plotin et le paga-
nisme religieux, Paris, 1933, p. 287.
(1): -V, 1v, 2, 24-27.
() V, av, 2.
(3): LIT, vixx, 11, 32-38.
(4) V, v, 3. 3-4. Dans ce troisième chapitre, « tout empreint de la reli-
giosité des mystères hellénistiques », Plotin compare les degrés de la hiérar-
chie des êtres aux objets de plus en plus sacrés qui figuraient dans les
processions rituelles. Cf. BRÉHIER, Plotin, t. V, p. 85.
Sur la théodicée et les hypostases divines de Plotin, voir aussi Jacques
BARION, Plotin und Augustinus, Berlin, 1935, p. 53-58, 65-86, 89-98.
(5) V, x, 2, 1-2. Cf. V, 1, 7, 36-41.
(6) IV, virx, 5, 24-27.
(7) IV, 1v-vr. Cf. V, 11, 1 et V, 1, 7, 48, où il est dit que «les choses
divines (Tà Beia) s'arrêtent à l’âme ». :
(8) É. BRÉHIER, Histoire de la philosophie, t. TI, p. 459. Cf. ZELLER, 0p.
cit. t. III, 2° partie, p. 558-598. Pour Plotin, les âmes sont, au fond, des
forces cosmiques.
62 ANALOGIES HELLÉNIQUES

le monde sensible est bon et beau. Maïs, en réalité, à la place


de l’unité et de l’harmonie, y règnent le chaos et la lutte qui
entraînent le devenir et le périr. C’est que les corps ont pour
substratum la matière. Or celle-ci est « un illimité, un informe
en soi» (1), l’«indigence radicale » (2), le « premier mal et le
mal en soi» (3). « Si, outre ce mal, il est des choses mauvaises,
c’est ou bien qu’elles sont mêlées de mal, ou bien qu’elles ten-
dent au mal ou font le mal » (4).
L'âme particulière qui, sans quitter par sa partie supérieure
le monde intelligible, entre dans un corps humain afin de l’or-
donner et de l’illuminer devrait « rester entièrement sur les
sommets » (èy t& dvw) (5), c’est-à-dire exclusivement occupée à
la contemplation des êtres intelligibles. Maïs de cette vision elle
est détournée par la matière, par les nécessités de la vie corpo-
relle, qui l’asservissent aux changements du monde sensible (6).
Ce que Plotin nomme la « descente » (x&odos) de l’âme (7).
Dès lors, un retour vers le monde supérieur qui est la « pa-
trie» des âmes (8), en d’autres termes, une «conversion »

(1) I, vrxx, 5, 30-34.


(2) III, v, 9, 50.
(3) I, vrx, 3, 38-40.
Le problème de la matière première, purement métaphysique pour Aris-
tote, devient, pour Plotin, un problème de philosophie religieuse. Cf. R.
JOLIVET, Wssai sur les rapports entre la pensée grecque et la pensée chré-
tienne, Paris, 1931, p. 102-138. R. Arnou, Le désir de Diew dans la philo-
sophie de Plotin, Paris, s. d. (1921), p. 64-66.
(4) I, vrrx, 8, 33-34.
(5) IV, xxx, 17, 28-31.
(6) IV, xrx, 12-18.
Dans ces chapitres, l'éloignement de l’âme du monde intelligible apparaît
comme une conséquence naturelle de son incorporation. Plus loin, dans la
même Ænnéade, traité VIII, chapitre 4, ce même éloignement est présenté
comme une défection. volontaire qui consiste dans l'amour de l’âme pour le
monde inférieur. Maïs là n’est pas la pensée définitive de Plotin. Son hési-
tation s’explique peut-être par l'influence de la conception platonicienne
concernant la chute de l’âme, dont il n’aurait pas réussi à se dégager entiè-
rement. Cf. BRÉHIER, Plotin, t. IV, p. 218-214 ; ARNOU, op. cit., p. 39 ;
JOLIVET, op. cit, p. 131.
(7) IV, vrix,-5, 2.
(8) V, 1x, 1, 16-22. En cet EAuot comme ailleurs encore, Plotin fait
allusion à Ulysse, dont le retourà Ithaque symbolise pour lui l'ascension
à la vie divine. Cf. I, vx, 8 (plus loin, p. 63-64).
1270084) @) s'impose. Cette conversion st possible grâce à
lajs dont l'homme jouit :2). é

sir & l’art, la méthode et la pratique qui conduisent où


il faut aller », savoir «au Bien et au Principe premier » (3)
_ qui est aussi « la fin » de toutes choses (4) : tel est le but et le
contenu de la philosophie pratique de Plotin. Or l’ascension de
V’âme vers Dieu se fait en deux étapes : la purification
LE | (tdflapouc) et l’union. s |
;
Au premier degré, l’âme, ou mieux sa partie inférieure qui
_ «esten sympathie avec le corps et juge d'accord avec lui » (5),
se libère du monde sensible. A eet effet, elle doit se recueillir,
se tourner vers elle-même, vers l’image, la trace du Noûs et de
_ l’Un qu’elle porte en elle (6). Ce qui suppose que, par la pra-
_ tique de la vertu, « l’âme se sépare du corps », devient « tout à
fait impassible » (rdycux dmafis éyouoa) et « pure » de toutes les
_ passions, ne se laissant plus aller aux sollicitations désordon-
nées de la chair (7).
Toutefois l'effort de l’homme ne doit pasRue viser à
«être sans faute (&£w duaprlac), mais à être dieu (edv elvar)» (8).
= Or c’est précisément « dans la fuite d’ici-bas que Plotin fait
_ consister la ressemblance avec Dieu », cette fuite vers la chère
Bu « patrie, dont nous sommes originaires et où séjourne le

| (1) I, zx, 4, 16-18. 6 $


# (2) Voir surtout III, I, 4, où, contre le stoïcisme et l'astrologie, Plotin
… défend l'existence dans l’homme d’« un principe libre ». Mais d’autres déve-
_ Joppements, exempli gratia IV, vitx, 5, semblent montrer qu’il conçoit cette
- liberté comme une sorte de spontanéité compatible avec le déterminisme.
Cf. Joriver, op. cit., p. 134-138; ZELLER, op. cit., t. EI, 2° partie, p. 640-
642.
-G) 4;I, Ï,- 2-3:
_@ Cf. EL Vin 7 VIT, VIE, 25-26 AIX 9. Toutes les choses tendant
| vers le Bien : c’est l’éros universel, « É désir de Dieu ».
; >. (5} I, x, 8, 11-13. . |
(6) VI, 1x, 7. Cf. I, 1, 6; I, vi, 9, 7 : ”Avaye êml oautôv ;V, v, 5.
(7) I, x, 5, 1-25. Description impressionnante de la eat
_ À noter que, d’après Plotin, la catharsis ne change pas l’âme intérieu-
| rement, celle--ei ne pouvant perdre sa pureté ni sa perfection naturelles (cf.
nee “IT VI, 5, 14-20); tout au1 plus la elle:de sa propension vers le sen-
sble or S
(8) I, sn 6, 2-3.
TA |
64 ANALOGIES HELLÉNIQUES

Père» (1). C’est que, une fois « dégagée du corps » et exelu-


sivement « régie parla raison et l'intelligence », l’âme « use
du voÿs (vost) et est ainsi sans passion (ärafns). Disposition qui
peut être appelée, en toute vérité, ressemblance avec Dieu
(dpolwatv mods fecy) ; car l'être divin est pur et son acte
(èvéoyeux) également » (2). Et voici l’âme « devenue vous» (3).
Parvenu à ce sommet, l’homme «est purement et simplement
un dieu, un de ces dieux qui viennent à da suite du Pre-
mier » (4).
La catharsis est donc une véritable divinisation : en élimi-
nant de l’âme les éléments impurs, elle lui rend sa beauté di-
vine primitive, comme le travail du sculpteur dégage du mar-
bre une belle statue (5).

Quelque précieux que soit le résultat ainsi obtenu par la pu-


rification, le terme de l’ascension n’est pas encore atteint pour
autant : il reste à franchir la seconde étape, celle de l’union.
A vrai dire, tous n’y peuvent prétendre : seuls «le philoso-
phe, l’ami des muses (mououxoc) et l'amant (épwTx06)» en sont
capables (6).
Une fois détachée des choses sensibles et fixée dans le monde
intelligible, guidée par la dialectique supérieure. l’âme de ces
privilégiés s’élève vers le Principe premier et l’Un absolu qui
est « beau en soi » (7). L'œil intérieur, suffisamment dégagé et
préparé par la purification — « car, pour contempler, il faut
que l'œil soit apparenté et semblable (suyyevèc mai duotoy ) à
l’objet vu» (8) — « perçoit soudainement la lumière », cette
lumière qui vient de l’Un et qui est l’Un. Ainsi « illuminée,

() I, vr. 8, 21. Ici apparaît nettement le caractère surtout négatif de la


morale plotinienne. L’éloignement du monde sensible en est l'élément essen-
tiel, puisqu'il a pour conséquence nécessaire la conversion vers l’intelligible.
Cf. ZELLER, op. cit., p. 653-656.
(2) I, 1x, 3, 15-22.
(3) VI, vx, 35; édit. VOLKMANN, t. IL, p. 468, L. 4. Of. IV, 1v, 2, 24-82.
(4) I, 11, 6, 6-7 : Bedc ôvoy" Bedc Oà Tv ÉTOUÉVEY TO rpuTw.
(6) Cf. I, vi, 9, 7-15.
(6) I, xx, 1, 9-10. Cf. V, 1x, 2.
- (7) V, 1x, 2. C chapitre est une transposition de L « ascension » décrite
par Platon dans le Banquet, 211 C.
(8) I, vr, 9, 29-30. On y reconnaît l’ancien principe de la connaissance
du semblable par le semblable. Cf. plus haut, p. 44.
SET
LA PHILOSOPHIE DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE 65

l’âme tient ce qu’elle cherchait » grâce à un « contact intellec-


tuel » (vosows évabasior). « Telle est la fin véritable de l’âme, le
contact (ëpdbaslat) avec cette lumière, la vision (leäoachar)
qu’elle a, non pas au moyen d’une autre lumière, mais au
moyen de la lumière même qui lui procure la vision » (1). C’est
que, par Sa purification, l’âme se trouve « réduite à cette trace
de l’Un qui constitue sa partie la plus intime et la plus élevée,
à cette ressemblance qui est en elle, qui est elle. Pure ressem-
blance de Dieu, mise en présence de Dieu, car alors il n’y a
plus rien qui les sépare — en vertu de ce principe que les in-
corporels ne sont séparés que par leurs différences et qu'ils
sont unis dès qu'ils se ressemblent — elle est comme absorbée
par l’Un, submergée et perdue dans l’immensité infinie de sa
présence » (2).
Voilà l’union parfaite avec Dieu. Elle est moins une « con-
templation » (féaua), qu’«une extase (éxostasts), une simpli-
fication (#rAwots , un don de soi, un élan vers le contact égeots
mo0s dy), un repos (tésus)et un rêve d'harmonie, semblable à
la vision dans le temple » (3). Elle est aussi et surtout un état
d’ineffable bonheur, comparable seulement à l'ivresse (uébn)
et à la folie de l’amour. Ravi hors de soi au point de perdre
pensée et conscience, sans toutefois être annihilé (4), uni à
Dieu de telle sorte qu’« il n’y à plus rien entre eux, qu’ils ne
sont plus deux, mais que les deux sont un (£y aupw) » (5),
l’homme parvenu au terme de l’ascension « devient dieu, ou
plutôt, il l’est déjà » (Beov Vevouevoy, uaAkoy dE vra) (6).
0

(1) V, xt, 17, 28-35. Pour Plotin, la sensation lumineuse se produit sans
intermédiaire par un contact de la lumière extérieure avec la lumière sup-
posée intérieure à l'œil. Voir BRÉHIER, La philosophie de Plotin, p. 162.
(2) R. ARNoOU, op. cit., p. 245; cf. p. 269-270; BRÉHIER, op. cit., p. 109.
(3) VI, 1x, 11; VozkMaNN, t. II, p. 524, 1-5. Dans le dernier membre
de la phrase, l’allusion à la « vision » qui couronnait les rites d'initiation
est manifeste.
(4) VI, vix, 35; Cf. ARNOU, op. cit., p. 241-258; ZELLER, op. cit., p. 666-
671. M. Bréhier, op. cit, p. 134, écrit de l’extase plotinienne : « Toutes
les relations morales et intellectuelles qui fondent une pensée et une per-
sonne se perdent dans cette contemplation ». Voir aussi KRAKOWSKI, 0p.
cit., p. 183-184.
(5) VI, vit, 34; VoLKMANN, t. II, p. 467, 1-2.
(6) VI, 1x, 9; VoLkMANN, t. II, p. 522, 17-18.
ANALOGIES HELLÉNIQUES

Par malheur, l’union extatique, qui de divinise dans la me-


sure du possible, pour être une tension violente, ne saurait
durer aussi longtemps que l’homme «n’est pas encore complè- :
tement sorti» (1), c’est-à-dire délivré de son corps. Car 1l est
fatalement « de nouveau alourdi » (2) par les choses sensibles,
et alors la divine lumière qui était en lui est «comme étein-
te » (3). Expérience décévante que Plotin, souvent favorisé de
l’extase (4), devait faire lui-même.
« Mais viendra un temps, où la continuité de la vision (Déus)
sera à celui qui n’est plus troublé par aucun ennui venant du
corps» (5). La mort, en effet, procurera à l’âme qui en est
digne, avec la vision unitive ininterrompue du Bien suprême
et une béatitude sans bornes et sans fin, la divinisation parfaite
et définitive.

L'idéal plotinien de déification reproduit les traits essentiels


de celui de Platon, mais enrichis de nombreux éléments nou-
veaux empruntés surtout à la tradition stoïcienne et néopytha-
goricienne et animés d’un mysticisme plus fervent et tout
oriental. C’est notamment l'élévation de cet idéal qui explique
« la longue sympathie que le néoplatonismé a éveillée dans les
intelligences chrétiennes » (6). Assurément, «l’idée d’un Dieu
unique qu’on peut atteindre par la contemplation et rejoindre
par l’extase, le souci de détacher la vie spirituelle des œuvres
de la chair, l’ascétisme, la charité, tous caractères dominants
du néoplatonisme de Plotin.…., rapprochent profondément, et
pour ainsi dire par le cœur, les deux “doctrines chrétienne et
néoplatonicienne » (7).
Pourtant, «en son fond et par l'essentiel de ses vues, le néo-
platonisme offrait de quoi justifier », de la part des penseurs

(D) VI, 1x, 10; VoLkMaNN; t. II, p. 522, 20-21.


(2) VI, 1x, 9; VoLKMaNN, t. II, p. 522, 18.
(8) 1bid:;) D. 522, 1819.
(4) Cf. IV, vin, 1, 1-11; PorPHyR., Vita. Plot., 23, dans BRÉBHIER,
Plotin, t. I, p. 27, 15-18. D'après Porphyre, Plotin « atiene quatre fois »,
pendant que Porphyre était auprès de lui, «l'union intime avec le Dieu
qui est au-dessus de toutes choses ».
(5) VI, 1x, 10; VOLKMANN, t. II, p. 522, 21-28.
(6) P. DE LABRIOLLE, op. Got: D. 1297:
(7) KRAKOWSKI, op. cit, p. 221.
de sement ie nécessité quind: à tout ce que it la cause
__ première » (2). En outre, le néoplatonisme est « un naturalisme
F5. intégral » (3): l’homme se suffit à lui-même pour se purifier
et s’éleverà l’extase (4). Cependant, tout en étant le fruit du
| seul effort humain, l’union extatique avec Dieu est pratique-
x ment réservée à un élite. Des xo)kol le néoplatonisme, doctrine
aristocratique, se désintéresse. Enfin — en ce qui concerne
_ strictement notre sujet — l’union définitive de l'âme séparée
au Bien suprême, avec l’abolition de la conscience qu’elle en-
— traîne, ressemble trop à un anéantissement de la personne hu
maine par suite d’une sorte de résorption panthéistique de
__ l’âme dans l’Un.

Y
L’antagonisme irréductible entre le néoplatonisme et le chris-
tianisme, dont Plotin avait déjà conscience (5), devait s’affir-
mer brutalement dans les écrits de ses continuateurs, Cepen-
4€ dant :les disciples de Plotin n’ont Se eu l’originalité de sa 7e
pensée (6) "°c:
Le «tyrien » Porphyre ( vers 303- 305),qui fut «le Fe.
risateur de la doctrine néoplatonicienne » (7), ennemi acharné
_ du christianisme, chez qui apparaît déjà la tendanceà faire
du plotinisme une religion, rêve d’une divinisation de l’homme
_au moyen d’un développement de la vie spirituelle sur la base
_ des « quatre éléments» qui sont «la foi, la vérité, l’amour,
l'espérance» (8).
- (D BP. DE LABRIOLLE, 0p. cit, p. 297.
2) 5R. ARNOU, Platonisme des Pères, dans Dict. de théol. cath., t. XII,
HO. 2OTT,. à ES
s (3) Ibid., col. 2282. }
= (4) Cf. ibid., col. 2368-2372. -
(5) Cf.A. BREMOND, loc. cit., p. 54-58.
. (6) Cf. KRAKOWSKI, op. cit., p. 282: « Proclus, Jamblique, Porphyre
dans l'essentiel
— dans la substance vitale — de leur pensée ne font guère
que répéter celle de Plotin. »
(7) L. VAGANay, Porphyre, dans Dict. de théol. cath., t. XII, col. 2562.
(8) Ad Marcell., 24; édit. NAUCK, Leipzig, 1886, p. 289. Cf. M. Lours,
0p. cit, p. 808 -818.
Î

68 ANALOGIES HELLÉNIQUES

Jamblique (+ vers 330), fondateur du néoplatonisme syrien,


transforme la philosophie plotinienne en théurgie. D’après lui,
l’homme ne peut s’unir à Dieu par la seule pensée; pour réali-
ser cette union, il doit recourir aux rites sacrés qui « éveillent »
la bienveillance des dieux (1), source de tout bien. C’est dès
lors la théurgie qui est «la voie prééminente vers la félicité,
voie qui mène les âmes à la réalisation intellectuelle de l’union
divine. Le don sacerdotal et théurgique de la félicité s’appelle-
une porte vers Dieu, le démiurge de l’univers, ou encore lieu
ou vestibule du Bien; et il a la force prééminente de purifier
l'âme; ensuite, il purifie la pensée, afin qu’elle participe au
Bien et le contemple (ets... éav), en s’affranchissant de tout ce
qui lui est contraire; finalement, il unit aux dieux, source de
tous les biens » (2).
Proclus (+ 485), enfin, le chef le plus représentatif de
l’école néoplatonicienne d'Athènes, développe le schéma tria-
dique déjà ébauché par Jamblique et donne ainsi au néopla-
tonisme sa forme la plus subtile, mais aussi la plus rigide (3).
Pour lui encore, « le but qui doit être atteint par la triple voie
. de la purification, de l’illumination et de l’union, par la prière
et le sacrifice, par la cathartique, la télestique et la théurgie,
par les logia et la hiérarchie, c’est la divinisation » (4).

%
CE

«Il y avait dans la culture grecque et la religion qui en


était, sinon l’âme, du moins une partie intégrante, écrit le P.

(1) De myster., IL, 11; édit. G. PaRTHEY, Berlin, 1857, p. 96-97. On y


lit : « Ce n’est point la connaissance qui unit (ouvéntet) les fidèles (Bsoup-
voos) aux dieux; autrement rien n'aurait empêché les philosophes de pos-
séder l’union théurgique avec les dieux. Mais en réalité il n’en est pas
ainsi. » Ce qui conduit à l’union divine ce sont, au contraire, la pratique des
rites ineffables et la « puissance des symboles mystérieux connus des dieux
seuls ». +
(2) Ibid., X, 5; p. 291-292. Cf. Lours, op. cit., p. 318-327.
(3) Cf. ZELLER, op. cit., t. III, 2° partie, p. 850-851.
(4) H. Koon, Pseudo-Dionysius Areopagita in seinen Beriehungen zum
Neoplatonismus und Mysterienwesen, Mayence, 1900, p. 190.
Se conformant à la tradition néoplatonicienne, Proclus entend par À6yta
les oracles et les doctrines des anciens « théologiens », comme Homère,
Orphée, Pythagore, Platon, ete. Voir KocH, op. cit., p. 41-43.
'

_ LA PHILOSOPHIE DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE 69


Bremond (1), un besoin du divin transcendant, un sens de
l'insuffisance et de la dépendance humaine. Ce besoin, la phi-
losophie, à partir de Socrate, le définira désir d’assimilation di-
vine, désir d’être comme les dieux, parfaits de leur perfection,
heureux de leur bonheur (2), et elle prétendra satisfaire ra-
tionnellement ce désir. Maïs, par son impuissance à satisfaire
un besoin qu’elle a rendu plus conscient, plus impérieux, indi-
rectement elle prépare à l'Évangile. »
On ne saurait caractériser d’un trait plus succinct, dans leur
valeur et dans leurs déficiences, les analogies helléniques, dont
les Pères ont pu se souvenir en méditant sur la déification du
chrétien.

(1) A. BREMOND, loc. cit, p. 24.


(2) Cf. KLEINKNEOKT, art. Ueoç , dans KiTTELr, Theol. Wôürterbuch, t. III,
p. 78 : « Nous devons parvenir au mode d’être de Dieu, non pas Dieu au
nôtre. Telle est l'expérience spécifiquement grecque de Dieu ».
DEUXIÈME PARTIE
CR

CHAPITRE PREMIER

ANCIEN TESTAMENT
- È NE

« La culture hellénique. comme l’a dit Maurice ae est


rationaliste et aristocratique. C’est la divinisation des appétits
réglés ou d’une règle rationnelle des désirs et des ambitions
naturelles » (1). Fort différente, parce que profondément reli- s
gieuse, est la culture qui se reflète dans la source par excellence
de la pensée patristique grecque, savoir l’Écriture Sainte, dont
les Pères placent l’enseignement bien au-dessus de toute sagesse Eq'e
ES
AT
EE

humaine. Essentiellement religieux est aussi dès lors l'idéal Le


de perfection préconisé dans les Saints Livres. . L
P
ne

Sans doute l'Ancien Testament est encore bien imparfait re-


lativement aux destinées de l’homme. Mais, en reconnaissant à
celui-ci, dès les premières lignes de la Genèse, une ressemblance EE
TE
REFEO

avec le créateur, il ouvre à la réflexion religieuse de larges 22


AT
LE
LR
ts
RS
APO
4 =
perspectives. Plus tard l’alliance théocratique fait naître l’idée AAN
0
de filiation divine, qui, purifiée et approfondie par les pro- a
phètes et notamment par l’auteur de la Sagesse, finit par de- Ë
venir l’équivalent de la déification et prépare l'idéal chrétien.

&.
(1) Maurice CRorser, Histoire de la littérature vrenaue) t. IV, p. 327; °4

cité par A. Bremond, Loc. cit, p. 18. à.


à
*

TEES
LJ-pX
RL
26. Et Elohim dit : « Faisons [l’] homme à notre image selon
notre ressemblance, et qu’ils dominent (1), sur les poissons de
la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et
sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la
+ terre ». 27. Et Elohim créa l'homme à son image, à l’image |
d’Elohim il les créa. (2).

L’emphase de ce texte met fortement en relief la similitude


divine du premier homme. Grâce à cette ressemblance, celui-
ei exerce sa domination sur la terre et les animaux qui la peu-
__ plent.
Ce qui revient à dire que l’homme est l’image de Dieu
et comme son lieutenant sur la terre en vertu de facultés qui
le placent au-dessus de l'animal, savoir nc à et le
| bre arbitre (3). Re
S À partir de saint Irénée, de nombreux Pères ont conelu du :
récit de la formation d'Adam à une certaine déification de
_ celui-ci. Distinguant entre image (etxy) et ressemblance (éprot-
_wsts), ils ont entendu cette dernière dans le sens d’une simi-
_ litude plus parfaite qui dépasserait de beaucoup celle que
l’homme possède dans sa nature.
_ En réalité, l’auteur sacré emploie les deux termes comme
synonymes, avec cette nuance peut-être que le second doit pré-
ciser l’autre. Exégèse confirmée es le verset 27 dans lequel
À
1)
4,
hu
_ l'écrivain se contente de dire qu ’« Elohim eréa l’homme à
LT. Son image DE

É Dans sa prédilection pour le chef-d'œuvre de sa création,


= Yahweh avait réservé à l’homme une faveur plus précieuse
encore : la participation au bien spécifique de la divinité, sa-
voir «la vie éternelle ». À cet effet, il « fit pousser l'arbre de
| vie au milieu du jardin », dont le fruit possédait la vertu de

J (1) L'hébreu a le pluriel.


(2) Gen. I, 2627.
(3) Cf. P. HEINISCH, Das Buch der Genesis, Bonn, 1930, p. 100-101;
> Hubert JUNKER, Die Biblische Urgeschichte, Bonn, 1932, p. 40; Édouard
_ Kænie, Die Genesis, Gütersloh, 1919, p. 153-161; Jean HEMPEL, Gott
und Mensch in Alten Testament, Stuttgart, 1936, p. 266.
12 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

procurer l’immortalité. Mais celle-ci devait récompenser un


acte d’obéissance : elle était subordonnée à l’observation du
précepte de ne pas «< manger de l’arbre de la connaissance du
bien et du mal ».
Trompés par le serpent, Êve d’abord, Adam à sa suite, dé-
daignent la déification compatible avec leur nature créée, que
Dieu leur avait offerte, pour se laisser aller à l’ambition
d’« être comme Elohim », au rêve d’une divinisation qui serait
une égalité parfaite avec Dieu, non seulement en ce qui con-
cerne sa vie éternelle, mais aussi quant à sa science illimitée et
à son autonomie absolue (1). Rêve coupabie et, du reste, bientôt
suivi d’un réveil douloureux : le fruit défendu vaut bien aux
premiers parents une connaissance nouvelle ; maïs c’est la con-
naissance de leur folie et de leur faiblesse. Conformément à la
menace divine, leur faute a pour conséquence leur éloignement
définitif de l’arbre de vie et, par là, de l’immortalité (3).
Rencontre digne d’être relevée : comme les grecs, le narra-
teur de la Genèse conçoit la divinisation de l’homme avant
tout comme une immortalisation ;de même il attribue également
à la connaissance un rôle important. C’est ce que l’auteur
hellénisé de la Sagesse a bien remarqué. Se référant manifeste-
ment à notre récit, il place, en effet, la ressemblance divine de
l’homme dans son immortalité : «Car Dieu, écrit-il, a créé
l’homme pour l’immortalité (èx” aplapsio)et il en a fait l’image
(eixova): de sa propre nature » (3).
Cette analogie entre les conceptions juive et grecque de la
déification n’a rien de surprenant, puisque, dans des civilisa-
tions primitives déjà, « une manière d’éternité » est considérée
comme un attribut essentiel de l’Être suprême (4), auquel
l’homme aspire.

. Cf. Charles FRUHSTORFER, Die Paradiesessünde, Linz a. D., 1929,


p. 9.
@) Gen, IL, 8-III, 24 Cf. Hwnisom, op. cit, 113-130: JuNxeR,
op. cit, p. 44-49; K@æNIG, op. cit., p. 216-270.
(3) Sap., II, 28. Voir plus loin, p. 80.
(4) W. SOHMIDT, Origine et évolution de la religion
, p. 332,
ANCIEN TESTAMENT Te

IT

À défaut d’une déification proprement dite, les plus anciens


livres de l’Ancien Testament sont du moins très fermes sur la
ressemblance de l’homme avec Dieu. Celle-ci va être précisée et
enrichie par l’idée de filiation divine.
Au dire d’ethnologues modernes, le concept de paternité
appliqué à l’Être suprême et, dès lors, le concept corrélatif de
filiation appliqué aux hommes seraient extrêmement an-
ciens (1). Rien d'étonnant, à ce qu’on les rencontre également
chez les Hébreux, où ils occupent de fait une place considéra-
ble. Volontiers, en effet, les écrivains de l’Ancienne Loi —
comme, du reste, les Sémites en général (2) — emploient l’ima-
ge de la filiation pour traduire les diens qui rattachent à Dieu
ses serviteurs. Cependant l’emploi de cette métaphore accuse
dans l’Ancien Testament des nuances importantes qui devien-
nent particulièrement sensibles dans le livre de la Sagesse.
Nous n’avons pas à nous arrêter ici aux passages bibliques
où les anges sont appelés « fils de Dieu » (3). Il nous suffit de
savoir que cette appellation signifie simplement que ces êtres
supra-terrestres vivent dans l’entourage immédiat du Seigneur
et sont de sa part l’objet d’une affection et d’une sollicitude
spéciales.
La métaphore de la filiation a un sens analogue, lorsqu'elle
est appliquée à des hommes. Fréquemment Yahweh lui-même
honore son peuple pris en bloc du titre de « fils ». C’est ainsi
que, sur l’ordre de Dieu, Moïse doit dire au pharaon : « Aïnsi
parle Yahweh : Israël est mon fils, mon premier-né » (4). Dans
Osée, Dieu tient un langage semblable : « Quand Israël était
enfant, je l’aimai, et, dès l'Égypte, j'ai adressé des appels à

(1) Cf. W. SCHMIDT, 09. cit., p. 329-330.


(2) Cf. H. Junwker, Das Buch Deuteronomium, Bonn; 1933, p. 69.
(3) Ils sont au nombre de six : JoB, I, 6; II, XXX VIII, 7; Ps. XXIV,
1: LXXXIX, 7; Gen. VI, 2. En ce qui concerne ce dernier texte fort
controversé, l'interprétation ancienne qui voyait dans les bene ha-elohim
des anges a pour elle Juwd., 6-7. Moins influencée par des considérations
d'ordre dogmatique, elle semble en outre plus conforme aux données du
texte.
(4) Exod., IV, 22.
mon fs » (1). As ie écrivains sacrés ne | manqu
de rappeler cette filiation tantà Yahweh lui-même qu’à
compatriotes. L’auteur de la prière pour la restauration dT:
raël qu'est le psaume LXXX conjure le « pasteur d'Israël ;te
“en ces termes : « Protège ce que ta droite a planté et le fils:
que
_ tut’es choisi !» (2). S’adressant au peuple tout entier, Moïse
lui rappelle : « Vous êtes des fils pour Yahweh, votre
. Dieu » (3). LAS
PH
Quelle est au juste la nature de la filiation divine du peuple
élu, telle qu’elle se manifeste dans l'Ancien Testament ?
Israël, en tant que peuple, est dit « fils» de la part de ;
Yahweh, parce que Dieu lui a donné l'existence, le guide «et le
protège avec une affection paternelle. Aussi l’image du « fils »
est-elle parfois remplacée par l’analogie de l’«épouse» (4).
L'une et l’autre de ces métaphores expriment un lien spécial
d’appartenance réciproque (5), de tendresse et de protection
de la part de Dieu, de fidélité et d’amour du côté du peuple.
Israël est le « peuple particulier » de Yahweh « parmi tous
les peuples » (6), en vertu de l’alliance (7). En retour, Yahweh
“est le Dieu d'Israël d’une façon toute particulière (8): des .
intérêts de son peuple il fait ses propres intérêts; les ennemis
d'Israël sont ses ennemis (9) ; il lui promet une vie heureuse et
un avenir brillant (10).

(JO KDEACT TS IN 2 EX XD 0)
(2) Ps, LXXX, 16. Cf. Ps. LXXII, 15; Is., LXIV, 7-11. ;
(3) Deut., XIV, 1. À noter que jamais la formule bene elohim n’est
appliquée à des hommes. D’après Os., IL, 1, le nouvel Israël sera Appels
« fils du Dieu vivant ». Cf. Deut., XXXIL, 5, 20.
Aux textes signalés on aurait encore pu ajouter tous ceux où Saeh est
appelé le père d'Israël. Cf. J. HEMPEL, op. cit, p. 170-179.
(4) Voir notamment les oracles d’Osée et JER., XXXI, 22.
(@) Dans les langues sémitiques surtout, l’image de la filiation est d’un
| usage Courant pour traduire n’importe quel rapport d'appartenance (cf. Ps.
LXXXIX, 23 : «le fils de l’iniquité »), mais notamment celui qui unit
les fidèles à leur Dieu. Dans la Bible même, les Moabites Loue qualifiés de
fils et de filles de Chamos, leur dieu national (Num, XXE 29) ; les femmes
étrangères, avec lesquelles des juifs ont contracté mariage, sont appelées
les «filles d’un dieu étranger » (Mrcx., II, 11; Cf. JE, II, 27).
(6) Exod., XIX, 5. Cf. ibid., VI, 7.
: (7) Cf. ibid., XIX-XXIV, 8; XXXIV, 10, etc.
(8) Cf. ibid, XX, 1. S
(9) Zbid., XXIII, 22.
(0) Voir les promesses messianiques, surtout AM. IX, 11-15; Os.CLS E Et
Is, LIV, LVI-LXVI.
: d un d hs ceux qui vivent daprèsFe Dar F
Seigneuret «ceux dont le cœur marche à la suite de leurs
_ idoles». Seuls les premiers, les justes, appartiennent à Dieu,
alors que les impies sont reniés par lui (1); les saints qui au-
dErent part aux promesses divines ne seront qu'une minorité, un
« reste d'Israël» (2), qui subsistera après le châtiment puri-
| ficateur réservé à la nation adultère.
_ De la sorte, les prophètes s’efforcent de faire comprendre à
<ns compatriotes que l'appartenance à la race d'Abraham ne
DESuit pas pour fonder la filiation divine et donner droit au
_ bonheur promis ; qu'il faut en outre et avant tout l'élément
_ moralde la fidèle observation de la Loi divine, à laquelle
cn Yahweh lui-même a subordonné la réalisation de ses promesses.
= Celles-ci, du reste, ne dépassent pas le cadre de l’eschatolo-
_gie collective et terrestre (3) qui ne compte guère avec l’indi-
s vidu. Plus tard, dans le livre de Daniel et le deuxième des
e Macchabées, se manifeste l’espérance d’une résurrection qui
permettrait aux justes déjà disparus au moment de l’avène-
ment du royaume messianique d’y participer (4).

- Bien avant déjà se dessine une légère tendance vers une


ie con individualiste de la filiation divine. En effet, non
seulement le peuple dans son ensemble, mais aussi des individus
k ie € fils» par Dieu.

16) Ezrox. XI, 17-21. Cf. Is, LXVI, 16.


(2) Cf. Is, VI, 13; VII, 3 (un enfant d’Isaïe s'appelle «un reste
_ reviendra »); X, 20-23 («le reste d'Israël ») ; XXVIIL 5-8; Mrou., IV,
7: \: 6-7; Jer., IV, 27; Ezecu., V, 4, 12; VI, 8-10; IX, 2-6; XIV, 22;
reÉPRRE XILL 8-9. &
“GBh:CE ECC. -IX, 2-10; Jos, XIV, 13; Is, XXXVIII, 18: PS:NE;:6;
LXXX VIII, 6, 11-13; Ecozr., XVII, 22.23
-(4) Cf. Dan., XII, 13; IT re VIT; XII, 43-45; XIV, 46. La même
idée apparaît peut-être déjà dans ce qu’on appelle lApocalypse d’Isaïe,
ch XXIV-XXVII, notamment XXVI, 19. Voir L. DENNEFELD, Judaïsme,
dans Dict. de théol. cath., t. VIII, col. 1630; F. NoETSCHER, Altorientali-
scher und alttestamentlicher Auferstehungsglauben,, Wurzbourg, 1926,
p. 154-159.
76 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

C’est le cas pour David et Salomon. Parlant du premier,


Yahweh dit dans le psaume LXXXIX, 27 : « Il m’invoquera :
Tu es mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut. Et moi,
je ferai de lui le premier-né ». Une promesse analogue est faite
par Dieu en faveur de Salomon : «Je serai pour lui un Père,
et il sera pour moi un fils » (1).
Logiquement on doit s'attendre à ce que le Messie soit éga-
lement honoré par Dieu du titre de «fils». C’est ce qui se
produit au moins une fois dans le psaume IT, «le psaume
messianique par excellence » (2). Exposant lui-même ses droits
à la royauté, le Messie y parle ainsi : « Yahweh m'a dit : Tu
es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande, et je te
donnerai des nations pour héritage, pour domaine les extrémi-
tés de Ja terre » (3). D’après le contexte, ces versets se rappor-
tentà «la glorification du Messie et à l’inauguration de son
règne » (4) : ce jour-là le roi messianique sera « engendré »,
c'est-à-dire il deviendra à un titre spécial le fils de Yahweh.
Ce titre de « fils », conféré par Dieu aux rois et au Messie,
veut dire que ces privilégiés sont pour Dieu des sujets de pré-
dilection et que, investis d’une dignité et d’une autorité excep-
tionnelle par Yahweh, ils sont ses lieutenants sur la terre (5).
D'une manière analogue, les juges sont parfois appelés des
elohim, des dieux. C’est ainsi que, dans le verset 6 du psaume
LXXXII, Yahweh adresse à de mauvais juges ces paroles :
«J'ai dit :Vous êtes des dieux (elohim) et fils du Très-Haut
tous » (6). Là encore, il s’agit d’ appellations honorifiques qui
indiquent simplement que les juges « rendent la justice au nom
(A) TI Reg; NAIL AA CE TZ Par. XVII, 13: XXII, 9; XXVII,
XXVIII, 6.
(2) LAGRANGE, La paternité de Dieu dans l'Ancien Testament, dans
Revue biblique, t. V, 1908, p. 492.
(3) Ps. II, 7-8.
(4) J, LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, t. I, 7° édit., Paris,
1927, p. 134.
Jamais l'expression « fils de Dieu » n’est appliquée au Messie.
(5) Dès l'époque primitive, de nombreux peuples ont identifié l’ftre
suprême avec l’ancêtre tribal et attribué ainsi à leurs chefs une origine
divine. Voir W. SCHMIDT, op. cit., p. 323. Rien de pareil ne s’observe dans
Israël.
(6) Voir encore Fxod., XXI, 6: XII, 7-8, 28; Ps. LVIII, 1. Pour ce
dernier texte, voir Fr. ZOoRELL, Psalterium, Rome, 1928, p. 97; H. HEr-
KENNE, Das Buch der Psalmen, Bonn, 1936, p. 202.
ANCIEN TESTAMENT ù Te

et à la place de Dieu» (1), qu’ils prennent part à l’autorité


divine, sans que, pour cela, leur nature soit en rien changée.
C’est ce que, du reste, Yahweh, l’Elohim par excellence, leur
rappelle non sans ironie. Comme magistrats, ils sont des
« dieux», en ce sens que leurs sentences sont sans réplique.
Ils n’en restent pas moins des mortels : « Cependant, vous
mourrez comme des hommes, vous tomberez comme l’un des
démons » (2). Quoi qu’en disent beaucoup d'’exégètes anciens,
les titres d’elohim et de « fils du Très-Haut » conférés
ici au
juges n’ont done aucunement le sens d’une divinisation par
une assimilation de l’homme à la nature divine.

Au total, qu’elle soit appliquée au peuple comme tel ou à


quelque membre privilégié du peuple, l’analogie de la filiation
divine semble exprimer un rapport plutôt extérieur, une fa-
veur qui a pour principal but d’assurer le salut de la nation
juive et par là le triomphe de son Dieu (3).

III

_ Il faut arriver à la Sagesse pour que la filiation divine


prenne un sens franchement individuel et transcendant.
Non pas que le Sage ignore la conception traditionnelle
d’une filiation divine collective, basée sur le fait de l’apparte-
nance au peuple de Dieu. Bien au contraire, l’idée d’après la-
quelle Israël est « fils de Dieu » (4) semble dominer toute la
troisième partie de son divre, où il décrit l’action de la sagesse
dans l’histoire (5).
Mais, à côté de cette conception, émerge celle d’une filiation
personnelle, qui, si elle n’est pas entièrement nouvelle (6), se
manifeste avec une netteté jusqu'alors inconnue.

(1) F. Vicouroux, La Sainte Bible polyglotte, Paris, 1903, t. IV, p. 199.


Cf. THEoDORET., In psalm. LXXXI; P. G., t. LXXX, col. 1528 B-1529 C.
(2) Ps. LXXXII, 7. Avec B. Duhm, Die Psalmen, et H. Herkenne, op.
cit, p. 281, nous lisons haschedim, « des démons », à la place du hassa-
rim, «des princes », du texte massorétique.
(3)' Cf. L. DENNEFELD, Le judaïisme, Paris, 1925, p. 90-91.
(4) Sap., XVIII, 13; Cf. XII, 7.
(5) Ibid, X-XIX.
(6)- Vers la fin de la période assyrienne déjà, se constate en Israël une
tendance vers l'individualisation de l'espérance religieuse, de la piété
Dès la première partie de son livre, l’auteur sacré reprend,
en la dramatisant, la discrimination des prophètes entre Isra-
élites justes et impies (1). Il met en scène les méchants eux-
mêmes pour leur faire développer ex professo leur idéal de
vie et exhaler leur haine du juste. En parlant de ce dernier,
ils disent : « Il se vante d’avoir Dieu pour père. Voyons donc
si-ce qu'il dit est vrai. Car, si de Le est fils de Dieu (uios
Üeoo ), Dieu prendra sa défense » (2). Mais, au jour du juge-
ment, les impies sont confondus et se voient forcés de recon-
naître leur erreur concernant le sort final du juste, qui, après
sa mort, est «compté parmi les fils de Dieu » (S à
Pour la première fois dans la Bible, de titre de « fils de
Dieu » est ici clairement donné au juste individuel. Or pour
être juste aux yeux de notre auteur, il est sans doute indispen-
sable d’avoir Abraham pour père (4); mais cette descendance
est certamement insuffisante : « Dieu, en effet, n’aime que
celui qui habite avec la sagesse » (5). N'est dès lors agréable à
. Dieu, c’est-à-dire juste, que l’homme qui possède cette sagesse
pratique qui s’identifie avec la crainte du Seigneur et avec la
vertu. En d’autres termes, la justice est la parfaite confor-
mité de la vie humaine avec les exigences de la Loi divine (6).

notamment. Voir J. HEMPEL, op. cît., p. 134-162. D'une facon générale,


« Jérémie et Ézéchiel ont expressément et solennellement établi l’individua-
lisme comme principe de la religion ». 14 DENNEFELD, 0p. cit. p. 92.
(1) Sap., I-V.
(2) Ibid., IX, 16-18.
(3) Ibid, V, 5. Que les impies mis en scène soient des Israélites, c’est
ce qui résulte clairement du contexte. Ils y sont, en effet, qualifiés d’« apos-
tats » (Toë xuplou âmostävres) ; ils haïssent le juste parce qu’il leur « repro-
ches leurs péchés contre la Loi ». Ibid., II, 12.
(4) Si, pour notre Sage, tous les Israélites ne sont pas des justes, il
ue semble toutefois pas avoir admis l'existence de justes en dehors d'Israël.
(5) Sap., VII, 28.
(6) On l’a souvent remarqué, notre auteur ne donne « nulle art une:
définition proprement dite de la sagesse ». Il «se contente d’en exposer
les propriétés et les effets». I. ToBAc, Les cinq livres de Salomon, Bru-
xelles, 1926, p. 140. Il appert cependant de l’ensemble du livre, notamment
des chapitres I-VII, qu’elle est une vertu à la fois intellectuelle et pratique
qui conduit l’homme à sa fin. C’est ainsi que, dès les premiers versets, la
justice est identifiée avec la sagesse et celle-ci opposée à l’iniquité (E, 1-5).
Voir Rodolphe Sonumrz, Les idées svhotb login du livre de la Poe k
Strasbourg; 1935, p. 66-67.
; \ sagesse exaltée par le pseudo-Salomon, pour être d’ins-
iration foncièrement religieuse, est essentiellement différente
? ce la sagesse grecque. Loin d’être le fruit du seul effort hu-
rs comme ie ci, elle est un don de Dieu, une récompense <
« Bar .

7%TLine at Fehu tirée par l'écrivain sacré Fa même —


que, tout comme la sagesse qui en est la condition sine qua non,
Ja filiation divine du desee un don du Re

ae qui «:"eut deAR de Lepuissance de Dieu G), une u pure éma-


ESnation de la gloire du Tout-puissant ; …le resplendissement de
_ la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu
et l’image de sa bonté » (4). Il s’ensuit que, sans cesser d’être
un lien extérieur d'appartenance au Dieu de l'Alliance, la
s en ane est devenue une
1 es nine e FRRAQDE

< devie ie n sticindront rs leur ie épanouisse-


_ment ue dans l’au-delà. |
ne est grâce à sa Pie affinée au contact & L

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| ous du salut devient Ro ee lui. Ce delui

(1) Sap.A 3-5. On peut dire que la sagesse est « bien plus une récom-
pense qu’un don gratuit de Dieu ». P. VAN IMSCHOOT, Sagesse et Esprit
dans l'A. T., dans Revue biblique, t. XLVII, 1938, p. 49. :
(2) Ibid, VIII, 21. Cf. IX, 6-18; VII, 7.
(3) L'auteur de la Sagesse identifie la sagesse avec l'esprit de Dieu.
Cf. P. van Imscxoor, loc. cit., p. 44-46.
- (4) Zbid., VII, 25-26. Au verset 27, il est dit de la sagesse divine
:qu ?« à travers les Âges elle se répand dans toutes les âmes saintes ».
222 Ibid. VII, 27. Cf. VII, 4. Versets qui rappellent PLAT. . Leg., AV,
“0 uèy He Apoy 0eS wfdos. Voir plus haut, p. 46.
80 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

scheol (1), qui semblait exclure toute idée de sanctions ultra-


terrestres (2), mais aussi, bien que peut-être pas complètement,
de l’eschatologie collective et terrestre (3), pour en arriver à
concevoir des rétributions d’outre-tombe.
Ainsi, pour le pseudo-Salomon, la sagesse, qui, dès ici-bas, rend
les hommes semblables à Dieu, achèvera dans l’autre vie leur
ressemblance et leur filiation divines, en leur « assurant l’incor-
ruptibilité », pour laquelle ils ont été créés (4).
Or l’immortalité « donne une place près de Dieu » (5). Après
la mort, en effet, «les âmes des justes sont dans la main de
Dieu » et «en paix» (6). « Les justes vivent éternellement, et
leur récompense est dans de Seigneur et le Très-Haut a souci
d’eux. C’est pourquoi ils recevront le royaume d'honneur et le
diadème d’éclat de la main du Seigneur » (7). Ils seront comp-
tés « parmi les fils de Dieu» et leur «sort est au milieu des
saints » (8).
Alors que, dans la vie présente, la filiation divine du juste
semble être d’ordre purement moral, elle s’épanouit aïnsi, dans
l’au-delà, jusqu’à faire participer effectivement l’âme séparée
aux biens proprement divins de l’immortalité bienheureuse, de
la puissance et de la gloire. N'est-ce pas là une véritable déifi-
cation de l’âme — sans le mot — dans toute la mesure où le
permet sa qualité de créature, qui, évidemment, ne disparaîtra
jamais ?

(1) Le scheol des Hébreux ressemble à l'Hadès d'Homère ; on le retrouve


d’une manière analogue chez les Babyloniens. Cf. F. NoETSCHER, 0p. cit.
p. 10-15.
(2) Voir plus haut, p. 75.
(ACER S ANSE EXVIILE 4 ERIEXS 202)
(4) Ibid, VI, 18, combiné avec II, 23 : «Car Dieu a créé l’homme
pour l’incorruptibilité et il en a fait l’image de sa propre nature ». Les
deux membres de ce verset semblent être synonymes : en créant l’homme
pour l'äpôapola, Dieu en a fait son image. C’est donc l’immortalité — iden-
tique à l’incorruptibilité — qui fait que l’homme est l’image de Dieu. Voir
ToBaC, op. cit., p. 131; R. SCHUETrZ, op. cit., p. 44-47.
(5) Ibid., VI, 19 (texte grec).
(6) Ibid, ATLAS 8 LOF LVAUT.
(7) Ibid., V, 15-16 (texte grec).
(8) Ibid., V, 5.
ANCIEN TESTAMENT 81

À
|
Entre la conception du salut qui se reflète dans la Sagesse
et l'idéal hellénique de divinisation l’analogie est évidente. En
effet, de part et d’autre, il y a assimilation de l’âme à Dieu au
moyen de la sagesse et de l’immortalité heureuse. Cependant
les dissemblances apparaissent plus grandes encore. La plus
importante consiste en ce fait qu’à l'encontre des grecs, qui
attendent tout de leur propre effort, l’auteur sacré voit dans
la sagesse et dans l’incorruptibilité des grâces divines.
Une seconde divergence saute aux yeux : pour le pseudo-
Salomon, la ressemblance divine n’est pas, comme pour les
grecs, le terme d’une ascension et d’une union mystiques. Chez
lui, pas de trace d’une mystique de divinisation : il a su résister
à la fascination du mysticisme hellénistique qu'’allait subir si
profondément son compatriote Philon.
Ce qui montre que, tout en s’ouvrant à l’hellénisme, le Sage
ne s’est pas laissé dominer par lui. Il n’en était que plus apte
à féconder les germes d’une doctrine de la déification contenus
dans les livres plus anciens de l’Ancien Testament et à prépa-
rer ainsi la révélation chrétienne.
À ne II
i\

LITTÉRATURE JUIVE EXTRA-CANONIQUE


Chose étrange à première vue : l’assimilation à Dieu au
moyen de la sagesse et de l’ immortalité bienheureuse, telle ‘que Se
l’expose le pseudo- Salomon, n’a guère trouvé d’écho dans la
littérature juive post- bliblique. Mais, à y regarder de plus près, |
on s'explique aisément ce fait. On constate, en effet, d’abord |
que la Sagesse, œuvre d’un juif hellénisé probablement de la
communauté alexandrine (1), ne figure pas: dans le canon pales-
tinien de l'Ancien Testament et que, de plus, sur de nombreux
points, la pensée juive évolue différemment en Palestine et dans
la dispersion égyptienne. C’est là, à Alexandrie, dans les écrits
de Philon, que l’on voit apparaître ce qu’on pourrait appeler la
première mystique judéo -hellénique de la divinisation. Le

RC 1 TA x |
5I . 0 j 4 NUE
L x : .

En Judée, le sentiment exagéré de la transcendance divine —


” PR p | $ : CC < | s

sentiment caractéristique du judaïsme post-biblique tout entier


— se développeà tel point qu’on laisse « tomber le nom propre
. du Dieu d’Israël » et qu on éloigne Dieu le plus possible du
monde et des hommes (2). Par serupule monothéiste, les rabbins |
évitent d’appeler les anges des elohim ou des bene elohim,
comme le fait l’Écriture (3). Si, au contraire, les auteurs non
canoniques se conforment sans hésitation à l’usage biblique .

(1) Cf. ToBao, op. cit., p. 113- 118; F. FRLDMANN, Das Buch de. eiv k Bit
heit, Bonn, 1926, p. 13-15. TA
(2) J. BonSIRVEN, Le Judaïsme ur n. au temps ie.Jésus-Christ.
La théologie, Paris, 1934-1935, t. I, p. 144, 155-159. Cf.
She His-
toire du dogme de la Trinité, t. I, p. 146-147.
(3) Cf. ibid., t. I, p. 223-226. RAS
sens purementnn Deces Ro ne fait de doute
_ pour personne (1). Elles prennent même, dans la bouche des
rabbins, comme aussi le titre de « père» donné à Dieu et qui
_est absent des écrits pseudépigraphes, un accent personnel et
tendre qui rappelle la Sagesse (2). Ce qui n’empêche pas l’exé-
gèse rabbinique de s’évertuer à faire de la ressemblance divine
_ de l’homme, pourtant clairement affirmée dans la Genèse, une
« ressemblance de devant Yahweh » et, finalement, une ressem-
_ blance aux anges seulement (3).
A ce monothéisme ombrageux s'ajoute un culte excessif de la
Loi, considérée comme l’unique règle de sagesse et de justice,
à _ ainsi que des observances extérieures. Attitude qui, étouffant le
_ besoin d’implorer le secours d’en haut, engendre la suffisance et
Be paralyse tout élan mystique (4).
_ Le problème eschatologique, enfin, reçoit en Palestine des solu-
_ tions fort différentes de celle que lui donne le pseudo-Salomon.
_ Fidèles aux conceptions traditionnelles tout en les développant,
_ Jes juifs palestiniens rêvent d’une rédemption qui serait à la
7 fois le triomphe éclatant et définitif de leur nation et la vic-
_ toire décisive de l’unique vrai Dieu (5). Cette restauration
fe nationale, dans laquelle on fait au Messie une part plus ou
| moins importante, s’accomplirait soit dans le siècle présent qui
” serait censé continuer son cours (6), soit dans un monde mer-
veilleusement transformé (7). D’après le ZV® livre d’Esdras,
<« un des plus beaux et des plus touchants » des apocryphes juifs
et « qui de tous à joui de la plus grande diffusion » (8), le règne

_ (1) Voir, par exemple, IV Esdr., VI, 55-59. Cf. BONSIRVEN, 09. cit., t. I,
e 84-85. k <
…_ (2) Cf BonsIRVEN, op. cit, t. I, 138-139; LEBRETON, op. cit. t. I,
p. 143-146.
(3) Voir KOENI6, 0p. cit, p. 158.
(4) Of. BoNSIRYEN, op. cit., t. II, p. 158-162, 178-182, 314.
: (5) Le judaïsme tardif a encore renforcé le lien que, .de tout temps, les
£ juifs avaient établi entre les intérêts de leur nation et ceux de Dieu.
L- (6) Cf. Hen., X, 16-XI:; XC. Sauf indication contraire, nous donnons les
__ références d’après l'édition E. KauTzscx, Die Apocryphen und Pseudepigra-
e phen des Alien Testaments, 2 vol., Tubiugue, 1900.
ns (7) CE. ibid, XLV: XCI, 14-17.
(8) J.-B. Frey, Apocryphes de l'Ancien Testament, dans Dictionnaire de
; . 20e Supplément, t. I, col. 411. Cf. BONSIRVEN, 0p. cit., t. I, p. XIX-
84 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

du Messie serait suivi de la résurrection universelle, du juge-


ment final et des rétributions définitives. Celles-ci consisteraient
pour les justes dans une vie bienheureuse au paradis terrestre,
qui, fermé après la chute de nos premiers parents, serait de
nouveau «ouvert » (1).
Bien que très incomplètes, ces indications montrent suffisam-
ment qu’à l’époque qui va du II° siècle avant J.-C. au I* siècle
de l’ère chrétienne l'atmosphère religieuse dans laquelle évolue
le judaïsme palestinien est défavorable à toute idée et plus
encore à toute mystique de divinisation.

IT

Comme on pouvait s’y attendre a priori, la sotériologie de la


Sagesse réapparaît dans le groupe hellénistique des apocryphes.
Le IV® livre des Macchabées en est le plus important à notre
point de vue.
Dans ce « discours très philosophique » (2), écrit au début
de notre ère par un juif fidèle à sa foi, mais imprégné de stoi-
cisme (3), l’auteur se propose de démontrer, tant par des argu-
ments rationnels que par des exemples tirés de l’histoire juive,
que «la raison pieuse (6 eûsefñs Aoyusuos) est la souveraine des
passions » (4). La « pieuse raison » n’est autre chose que la
piété fondée sur la Loi et la tradition juives (5). Eléazar qui en
fit la règle de sa vie jusqu'à sa mort héroïque est appelé un
« philosophe d’une vie divine » (6).
La croyance à l’immortalité de l’âme se manifeste dans notre
pseudépigraphe avec une clarté parfaite. Du reste, avec la

(1) IV Esdr., VIL 121-123; VIII, 52-54. Cf. Léon VaAganAy, Le pro-
blème eschatologique dans le IV® livre d'Esdras, Paris, 1906, p. 115.
Au sujet de l'imbroglio presque inextricable de conceptions messianiques
et eschatologiques que renferme la littérature juive extra-canonique, voir
surtout BONSIRVEN, 0p. cit, t. I, p. 307-541.
(2) IV Macch., I, 1 :7%6yos vtocogwratos. Nous citons d’après l’édi-
tion H. B. Swete, The Old Testament in greek, Cambridge, 1901-1903,
t. III, p. 729-762.
(3) Le P. Bonsirven, op. cit., t. I, p. 326, le qualifie d’« auteur stoïcien ».
(4) IV Macch., I, 7-9. Cf. I, 32-35: II, 6, 21-28, etc.
(5) Cf. ibid., I, 14-17. XIII, 16, l’auteur n'hésite pas de parler de «la
raison divine» (toÿ Gelou hoytsuoü). Of. XVII, 11 : dyùv Gstos.
(6) Ibid, VII, 7 : gudooge Bsiou Blou.
_ LITTÉRATURE JUIVE EXTRA-CANONIQUE 85

Sagesse, c’est le seul écrit juif de cette période qui emploie les
termes d’éfavastia ét d’äplaosia (1). Ce qui soutient les sept
frères Macchabées et leur mère dans leurs supplices atroces,
c’est l’espérance de la « vie éternelle selon la promesse divi-
ne» (2), «l'espérance d’un salut auprès de Dieu» (3). La
conviction de « l’immortalité de leurs âmes pieuses » rend les
frères « unanimes dans la résolution de mourir pour la piété ».
Ils courent au-devant d’une mort douloureuse, « comme s'ils
étaient sur le chemin de l’immortalité ». (4).
Aussi l’attente des martyrs n'est-elle pas trompée : leur
« victoire était l’incorruptibilité (&pfaosta) dans une vie de
longue durée (5). Avec ses fils, la mère héroïque «a dans le
ciel une demeure stable » (6) ; «ils sont près du trône divin et
vivent l’éternité bienheureuse » (7), «rendus dignes d’une
paït divine » (8).
Cette part divine est manifestement conçue comme une parti-
cipation à l’immortalité et à la gloire de Dieu dans laquelle
le pseudo-Salomon avait placé le salut suprême du juste.

Toutefois, dans le ZV® livre des Macchabées, pas plus qu'’ail-


leurs dans la littérature juive, soit canonique soit extra-cano-
nique, on ne trouve trace d’une mystique de la divinisation, l’on
pourrait dire d’une mystique tout court. Ce qui s'explique peut-
être par le fait que, si la piété juive oscille entre la crainte de
Dieu et la confiance en lui, le premier de ces sentiments domine
nettement dans l’ensemble (9).

(1) Tbid., XIV, 5-6 et XVI, 13(40avaota) ; XVII, 12 (&p0apoia); XVIII,


23 (&G0ävaros appliqué à l’âme).
(2): 1bid, XV; 3:
(3) Ibid., XI, 7. Cf. IX, 8; XVI, 25 : « Ils savaient que ceux qui meu-
rent pour Dieu vivent avec Dieu (£&sty T® (eo), comme Abraham,
Isaac, Jacob et tous les patriarches ».
(4) Ibid., XIV, 5-6.
(5) Tbid., XVII, 12.
(6) Ibid, XVII, 5.
(7) Ibid, XVII, 18. Cf. XVIII, 23.
(8) Ibid. XVIII, 3 : Betas uep{ôoc xarnEtwOnoav.
(9) Cf. J. Hemprez, op. cit, p. 4-33, 273. Voir L. DENNEFELD, dans
Revue des sciences relig., t. XVII, 1937, p. 322-324.
\ D’après un sentiment qui s'exprime nettement tant dans l’Ancien T'es-
tament que dans le culte israélite, l’homme ne peut voir Yahweh sans mou-
rir. Pæod., XX XIII, 18-23. Voir pourtant ibid., XXIV, 18-23 (texte hébreu).
DONNÉES BIBLIQUES ET
1 JUDAI
,

Il est vrai qui"un ei on d’ oe - auxquels Se


rallie le P. Bonsirven— voient dans le prophétisme une« admi-
rable manifestation de mysticisme» (1). Mais des analyses
minutieuses entreprises ces derniers temps — tout récemment x:
par MM. Heschel (2)) et Hempel (3) — il semble résulter que ce
qu’on pourrait appeler le saisissement prophétie est essentiel-
lement différent de l’extase mystique. Alors que, en effet, dans
l’extase — pour ne signaler que la divergence la plus obvie — #
l'âme se retire du monde pour se plonger en Dieu dans un à.
ineffable élan d'amour, le voyantse sent envahi, souvent à “
contre-cœur (4), par une influeñce divine qui met pour ainsi
dire ses propres sentiments à l’unisson de ceux de Yahweh en
vue d’une intervention dans la vie religieuse, sociale ou politi-
que de l’époque. Aussi faudra-t-il attendre le syncrétisme judéo-
hellénique d’un Philon pour troùver oe un auteur juif une
mystique de la divinisation.

IT ot
Plutôt mystique que philosophe, Philon d'Alexandrie, le plus
remarquable des Juifs qui se soient appliqués à marier leur foi
avec la civilisation hellénique, écrit surtout pour défendre la
“religion juive. À cet effet, il présente celle-ci, non seulement
comme la vraie sagesse qui contient, implicitement du moins, -
tout ce qu’il y a de bon dans la philosophie grecque (5), mais

(1) J. BONSIRVEN, op. cît., t. II, p. 159. En France, cette opinion est
soutenue par M. Adolphe Lods, Israël, Paris, 1930, p. 347, 513-520. Elle
pourrait se réclamer de Philon d'Alexandrie. Voir plus loin, p. 92, n. 1.
(2) Abraham Hescnez, Die Prophetie, Cracovie, 1936. Recension par
M. Dennefeld, Revue des sciences rel., t. XVII, 1937, p. 319-322.
(3) J. HEMPEL, op. cit., p. 104, 132, 273. Il est significatif que le pro-
testant Hempel se rencontre avec le juif Heschel pour dire que l'expérience
prophétique est le contraire d’une union mystique. Ê
(4) Cf. W. SANDAy, Bampton Lectures, 1893, p. 150 : « On ne connaît
pas d'exemple d’un prophète qui se soit offert spontanément pour sa mis-
sion. Cette mission leur est imposée comme une nécessité contre laquelle
ils luttent en vain pour s’y soustraire ». Cité dans CONDAMIN, Prophétisme
israélite, dans Dictionnaire apolog., t. IV, col. 424. Cf. ce HÉMPEL, 0p. cit.,
p. 96-99.
(5) Dans le but d'élever le judaïsme au-dessus du pasänisie: les juifs
hellénistiques ont imaginé la théorie du larcin, d’après laquelle Platon et
les autres philosophes grecs auraient puisé les meilleurs éléments de leurs
a tableRe ie de Vhumaiité » , séûle nshle de
la conduireà la science de Dieu et, par là, au salut. « Les préoc-
. cupations de Philon sont avant tout morales et concernent
l’ascension de l’âme vers la connaissance de Dieu» (2).
E _ s’explique dès lors l’impression produite sur lui par la mysti-
que hellénistique et son effort pour l’incorporer dans son sys-
tème (3) — si, toutefois, il est permis de donner ce nom à un
ensemble d’idées souvent incohérentes, exposées sans méthode |
“ et presque toujours au hasard d’une exégèse allégorique des
livres sacrés (4). :
+ Deux idées maîtresses commandent toute la théologie et,
par là-même, également la mystique philonienne : la transcen-
dance divine et la nécessité d’êtres intermédiaires entre Dieu
Fe 4

et le monde. £

= Pour sauvegarder la pureté et la sainteté absolues de


w «l’Être » par excellence (r0 ëv) (5), Philon le sépare du
_ monde sensible par le monde intelligible, seul directement créé
F:

_ doctrines dans les saints livres des Hébreux. Cette théorie a été adoptée
dans la suite par de nombreux auteurs chrétiens. Cf. Ad. SoeCcK, De fon-
tibus Clementis Alexandrini, Augsbourg, 1889; LAGRANGE, L’orphisme,
__ 187-189.
HE. BaRDy, Philon le Juif, dans Dict. de théol. cath., t. XII, col.
1444. |
y = 0) Etre BRÉHIER, Les idées philosophiques et religieuses de Philon
d'Alexandrie, Paris, 1908, p. 137.
(3) Sur Philon et la mystique hellénistique, voir Joseph PASCHER, ‘H
Basuhiuxh 606. Der Kænigsweg zu Wiedergeburt und Vergottung bei
Philon von Alexandria, Paderborn, 1931.
(4) Cf. É. BRÉMIER, Histoire de la Philosophie, t. I, Paris, re p. 438-
= 439. : à
. (5) De mutat. nom. 21; t. IL, p. 144. Nous citons d’après l’editio
Ÿ minor en An Ruvert, Berlin, 1896-1915. Le chiffre qui suit le
titre du traité indique le paragraphe du texte; les deux - autres chiffres
indiquent le tome et la page de l’édition mentionnée. {
Parmi les qualificatifs que Philon donne à Dieu, signalons les princi-
paux : « inengendré (äyévnroc), incorruptible (&yôæpros) et immuable L
_(àr
äroercoc)» (Leg. alleg., I, 51; t. I, p. 63) ; «le premier bien et le plus RP Pe-
parfait » (De special. leg., I, 277; t. V, p. 57). Voir la liste dressée par =
M. Drummond, Philo Judaeus, Londres, 1888, t. II, p. 63, reproduite dans
J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, t. I, p. 190.
-88 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

par lui (1), et le place même au-dessus de ce dernier (2). Mais


ailleurs, en juif croyant, notre théosophe n'hésite pas d’affir-
mer que, tout en étant retiré de l’univers sensible, l’Être su-
prême le remplit pour de conserver et le gouverner (3).
Toutefois, habituellement Philon attribue le gouvernement
du monde à une série d’intermédiaires. Ces êtres inconsistants
semblent nés d’un curieux effort fait pour combiner la doctrine
stoïcienne du Logos à la fois avec la théorie platonicienne des
idées et les spéculations bibliques sur la sagesse et la parole (4).
Au sommet des intermédiaires notre auteur place le Logos,
conçu tantôt comme une abstraction tantôt comme une per-
sonne. Être intelligible — identique au monde intelligible ou du
moins l’exemplaire de ce monde (5) — appelé « image de Dieu et
son ange » (6), «fils premier-né » (RpwTOVovos vios) de Dieu (7),
«second Dieu» (ôeütepos Mecs ) (8) et même « Dieu» sans
article (9), le « Logos divin » (10) est surtout conçu comme une
force cosmique: À la fois modèle et agent de la création (11),
il est en même temps «le soutien ( éoetsua ) très ferme et
très solide » et le « lien (desuos) mfrangible de l'univers » (12).
Principal intermédiaire entre Dieu et le monde au point de
vue physique, le Logos l’est également dans le domaine moral
et religieux. En tant que parole divine révélée, il est, en effet,
le messager de Dieu auprès des hommes et le médiateur entre
(1) Cf. Leg. alleg., I, 41; t. I, p. 60.
(2) L'image que Philon se fait du monde comporte trois cieux superpo-
sés les uns aux autres : le ciel des astres, celui des êtres RCD et
le ciel où trône Dieu. Voir J. PASCHER, op. cit., p. 15-16.
(3) Cf. De decalog., 53; t. IV, p. 233. Voir 6. BRÉHIER, Les idées.
de Philon, p. 70-76.
(4) Cf J. LEBRETON, op. cit., t. I, p. 198-209; É. BRÉHIER, op. cit.
p. 83-176.
(5) Voir surtout De opif. mundi, 24-25; t. I, p. 5-6. Cf. É. BRÉHIER,
op. cit., p. 89-97; J. PASCHER, 0p. cit., p. 25-26.
(6) De somn., I, 239; t. III, p. 237. Cf. Leg. alleg., ILE, 96: t. I, p. 128 :
axtà Oeoë GÈ 6 Adyos aüToù Écrit.
(7) De agricult., 51; t. II, p. 100 et en beaucoup d’autres endroits, dont
on trouve la liste dans J. LEBRETON, op. cit., t. I, p. 617.
(8) Quaest. in Œenes., II, 62, cité dans Evuses., Praep. evang., VII,
13; P. G., t XXI, col. 545 B.
j (9) De somn., I, 230; t. III, p. 235. Cf. JF. LEBRETON, op. cit., t. I,
p. 239-240.
(10) De fuga, 5; t. III, p. 98; 6etoc Ados.
(11) De Cherub 127; t. I, p. 197. Cf. Leg. alleg., III, 96; t. I, p. 128.
(12) De plantat., 8-9; t. II, p. 126-127.
LITTÉRATURE JUIVE EXTRA-CANONIQUE 89

les créatures et le créateur (1). Il est notamment «la voie


royale » (6005 Bastaxr) (2) qui conduit à « Dieu, premier et
seul roi de l’univers » (3).
Dans ses fonctions diverses, spécialement dans celles de guide
des hommes vers Dieu, le Logos est aidé et parfois même rem-
placé par les autres intermédiaires, dont les plus importants
sont la Sagesse, les anges et les puissances, ces dernières
n'étant guère autre chose que des attributs divins (4).

Comme l’auteur de la Sagesse, Philon met en évidence la


parole biblique d’après laquelle l’homme est créé à l’image de
Dieu. Mais, logique avec sa théorie des intermédiaires, notre
philosophe transforme la ressemblance divine de l’homme en
une similitude avec le Logos : « Parmi les choses terrestres, rien
n’est plus sacré ni plus semblable à Dieu (feoetôétesoy) que
l’homme; car il est une magnifique empreinte d’une image
magnifique façconnée sur le modèle de l’archétype idéal » (5).
L'homme est ainsi « l’image d’une image » (6).
En se basant sur les deux récits différents de la formation
du premier homme (7), notre exégète distingue entre l’homme
fait à l’image et l’homme formé de terre. «Celui qui est
façonné, explique-t-il, est sensible et participe à la qualité
(peTéywv ROLOTNTOS) ; il est composé d’un corps et d’une âme,
mâle ou femelle, mortel par nature (guse. fynzos). L'homme
selon l’image, au contraire, est une sorte d’idée, ou de genre
ou de sceau ( iüéx vus n ‘yévos n sppayis ), intelligible, incor-
porel, ni mâle ni femelle, incorruptible par nature ( äplaoros
guset) » (8). Fait avant l’autre, ce dernier est « l'homme géné-

(1) Voir surtout De spec. leg., I, 116; t. V, p. 24; De somn., II, 188-
189; t. III, p. 271-272.
(2) D’après Num., XX, 17 : Message de Moïse au roi d’Édom : « Laisse-
nous, de grâce, travérser ton pays nous suivrons la voie royale... ».
(3) De posterit. Caïni, 101-102 ; t. II, p. 22-23. Sur le Logos philonien,
‘ voir Ch. PRUEMM, op. cit., t. I, p. 245-248.
(4) Cf. 6. BRÉHIER, op. cit., p. 112-157; J. LEBRETON, op. cit., t. I, D.
198-209.
(5) De spec. leg., III, 83; t. V, p. 147. Cf. De opif. m., 69; t. I, p. 18.
(6) De opif. m., 25; t. I, p. 6.
(7) Gen. I, 26-27 et II, 7.
(8) De opif. mundi, 134; t. I, p. 38.
rique » (T0 us ävhowtoy) (,v « homme de > (où
105 avbowros) (2). ;
Toutefois, dans le même traité De sta mundi où il dis-
tingue si nettement entre l’homme spirituel et l’homme sensible,
Philon reconnaît implicitement que celui-ci est également à
l’image de Dicu. Il explique, en effet, que la ressemblance divine
de l’homme n’est pas à chercher dans son corps, « Dieu n'étant
pas anthropomorphe (&vfowrouoowos), ni le Corps humain
déiforme ( beoerdés) ». « Mais l’image est dite selon le vods,
pilote de l’âme », qui « est en quelque sorte un dieu (roomov zivà
eos wy) pour celui qui le porte» (3). C’est done «selon l’es-
prit (xati vTAy Ôtévotay) que tout homme entre en parenté
avec le Logos divin, étant devenu une empreinte ou un reflet
de la nature bienheureuse » (4). Cela était vrai surtout pour le
premier homme : formé par Dieu directement, il était « parfait
d’âme et de corps» au point de surpasser de beaucoup tous
ses descendants (5). €
L'élément divin que l’âme humaine porte en elle, par suite
de l’insufflation et du contact (fVaro) divin, la rend capable de
connaître Dieu. « Jamais, en effet, le vos humain n’aurait osé
s'élever jusqu’à la saisie de la nature de Dieu (bs &yrrhafBéotar
Beoù guet), si Dieu lui-même ne l’avait haussé vers lui, dans
la mesure où le yoùs humain pouvait l'être, et ne l'avait fa-
conné selon les puissances qui sont accessibles à la connais-
sance » (6). Aussi est-ce en utilisant les puissances comme au-
tant de degrés que progressivement l’homme parvient d’ordt-
naire à la science de Dieu, la plus précieuse qui soit, puisqu’en
elle l’homme trouve le comble de sa perfection et de son
bonheur (7). ES
(1) Leg. alleg., IX, 12-18; t. I, p. 81. Cf. Ibid., I, 31-43: p. 58-61. De
conf. ling., 114; t. II, p. 247, le xar’ sixdva &vÜpuros est identifié avec le
Logos.
(2) Ibid, X, 31; t. I, p. 58.
(3) De opif. mundi, 69; t. I, p. 18. Ici et au $ 135, p. 39, où il est dit que
ce que Dieu « a insufflé n’est autre chose qu’un esprit divin », Philon sem-
. identifier cet esprit avec le voÿc. Ailleurs, au contraire, exempli gra-
: Leg. alleg., I, 33-40; t. I, p. 58-60, il les distingue CRE puisque
voÿs y est présenté comme « receyant » l'esprit.
(4) Ibid, 146; t. I, p. 42.
(5) Ibid., 136-140 ; p. 39-40.
(6) Leg. alleg., I, 38; t. I, p. 59-60. \
(7) Cf. De spec. leg., I, 332: t. V, p. 69.

LE
“Ts
AE
1
|4 LITTÉRATURE JUIVE EXTRA-“CANONIQUE

Mais le ee souvent l'intelligence s'arrête aux puissances


RAN
inférieures. Quelques-uns parviennent à contempler le Logos :
nsaa KO.
ce qui est déjà « un grand bien» (1), car ils deviennent des
« fils du très saint Logos » (2). Cependant tous ceux-là « célè-
brent encore les petits mystères, incapables qu'ils sont de saisir
l’Être sans intermédiaire, en lui seul, mais à travers les œuvres
qu’il fait soit en créant soit en gouvernant » (3).
_ Très rares sont les « initiés aux grands mystères», auxquels
il est donné de pénétrer dansla sphère proprement divine. Ne
« peut y parvenir que l’âme « entièrement purifiée », qui, « ayant
dépassé non seulement la multitude des nombres, mais aussi la
dyade voisine de la monade, s’élance vers l’idée pure, simple
et se suffit parfaitementà elle-même » (4). La purification dont
il s’agit est d’abord d'ordre moral : «les mystes dignes des
plus saints mystères sont ceux qui, sans ostentation et avec
modestie, pratiquent la piété véritable et sincère» (5). Mais,
au suprême degré, elle devient une « seconde naissance » (deu-
Tépa yévesus), une « naissance divine » (divina nativitas) (6),
qui mystiquement fait de l’initié un être purement spirituel, ÿ

voire le transforme dans le Logos lui-même (7), le « divinise » (8).


Lorsque ces privilégiés — à vrai dire, Philon n’en connaît
qu’un seul : Moïse initié au Sinaï par Dieu lui-même (9) —
sont saisis « par le divin pneuma », leur voùs humain se trouve
« délogé; car il n’est pas permis que le mortel cohabite avec
_l’immortel. Aussi l’évanouissement de la raison et l’obscurité

(1) De fug. et invent., 97; t. III, p. 115-116.


._ () De conf. ling., 146; t. II, p.,247 : maiôec.… ÀAOYOU Toù lepwrérou.
Sur l'ascension vers le Logos, voir J. PASCHER, op. cit., p. 37-160.
(3) De Abrah., 122; t. IV, p. 24.
(4) Ibid. On se rappelle que cette idée d’une purification de l’âme par
« unification », c’est-à-dire par réduction de l’âme à sa vraie nature, à sa
simplicité originelle, devait être fortement exploitée par Plotin. Voir plus
- haut, p. 63-64.
(5) De Cherub., 42; th D: 178:
(6) Quaest. et ee in Bxod., IT, 46-47, cité dans J. Pa op. cit.
_ p. 242-248. ;
(7) Voir J. PASOHER, op. cit., p. 143-160.
(8) Leg. alleg., ILE, 44; t. I, p. 115 : Jâme entièrement purifiée est
<divinisée » (éxbetash).
(9) De sacrif. Ab. et O., 8; t. I, p. 201. Cf. De gigant., 54; t. II, p. 52;
De plant., 26-27; t. II, p. 129-130 ; J. PASOHER, op. cit, p. 238-239. .
LS
#

92 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

qui en résulte engendrent-ils une extase et un délire inspiré


par Dieu (Exstasty xai Beopopnrov uaviay) ». Car, lorsque « la
lumière humaine s’est effacée, la lumière divine se lève» (1).
Alors l’initié «s'’élance (Oneonrñvat) au-dessus de toutes les
idées et de tous les genres » et pénètre dans «la contrée invi-
sible » jusqu’à Dieu lui-même (2) ; « car la gnose et la connais-
sance de Dieu sont le terme de la voie» (3). «Par cette
ascension, qui à lieu, non pas dans l’air, ni dans l’éther, ni
dans le ciel suprême, mais au-dessus de tous les cieux, l’âme
sainte est déifiée (deificari) » (4), c’est-à-dire « transformée en
un être divin, au point de devenir apparentée à Dieu et vrai-
ment divine » (5).
A l’en croire, Philon aurait fait lui-même l’expérience d’une
déification mystique de ce genre. Dans son traité De specialibus
legibus, il écrit en effet :

11 fut un temps où, adonné à la philosophie et à la contem-


plation (0swpix) du cosmos et de ce qu’il contient, je reçus
le magnifique esprit ( voÿs ), tant désiré et vraiment béatifiant.
Toujours plongé dans la méditation de paroles et de doctrines
divines dont je jouissais sans jamais en être rassassié, loin de
penser à des choses basses et terrestres ou de ramper autour de
la gloire, de la richesse ou de plaisirs corporels, il me sembla
que j'étais sans cesse porté vers le haut dans une sorte de divi-
nisation de l’âme (xara riva ris duyñs émuberacuév) et que je
tournais avec le soleil, la lune, le ciel tout entier et le cosmos.
Alors, oui alors, élevant mes regards au-dessus de l’éther et,

(1) Quis rer. div. her., 264-265; t. III, p. 51. En cet endroit, Philon
met sur le même plan l’extase mystique et le saisissement prophétique.
De opif. mundi, 71; t. I, p. 19, Philon appelle l’extase une «ivresse
sobre » (uéôn vnoghoc).
(2) De sacrif. Ab. et Caïni, 8; t. I, p. 201, combiné avec De gigant., 54;
t. II, p. 52. Pour Philon aussi, l'initiation comporte un voyage symbolique
dans un monde nouveau. Cf. J. PASOHER, op. cit., p. 13-23.
(3) Quod Deus sit immut., 143: t. II, p. 82. Cf. ibid. 160; p. 86 : le
terme de la « voie royale », c’est « rencontrer le roi» (évruyeïiy t& Baorhet).
Voir encore Quod. deter. potior. insid. sol., 89: t. I, p. 259. se
(4) Quaest. et sol. in Æxod., II, 40, cité dans J. PASCHER, 09. cit.
p. 240.
(5) Ibid., II, 29; PASsonER, p. 249-150 : transmutatur in divinum, îta
ut fiat Deo cognatus vercque divinus.
LITTÉRATURE JUIVE EXTRA-CANONIQUE 193

comme d'un point d'observation, tendant l'œil de mon esprit


(ro rñs Ôtavolas ôuua), je contemplai la vision ineffable de tout
ce qui est sur la terre et je m’estimai moi-même heureux d’avoir
échappé de toutes mes forces au destin de la vie mortelle (1).

Point n'est besoin d’ajouter que notre mystique n’entend


aucunement faire de l’initié un dieu au sens plein de ce mot.
En effet, l’unicité absolue de Dieu est pour lui un dogme intan-
gible : « Le véritable Dieu est unique, maïs ceux qui sont appe-
lés [dieux] par l’usage (èv xatayoser) sont nombreux » (2).
Pour Philon, l’extase divinise en ce sens qu’elle fait du
« myste. un être mitoyen entre la nature inengendrée et la na-
ture corruptible (ueoptoy ris dyevnrou xal phapris pusews)»(3),
qu'elle le range, par conséquent, parmi les puissances divi-
nes (4). Ce qui n'empêche pas que, l’extase passée, « revenant
des choses divines », l’initié « redevienne homme » (5). Mais
le jour viendra où la mort le confirmera définitivement dans
l’état de félicité qu’il avait connu dans l’extase (6).
Ainsi, d’après Philon, la déification parfaite s’opère par une
connaissance intuitive de Dieu, vision qui se produit en dehors
du voÿs ou mieux par dessus le vods, grâce à un contact immé-
diat avec la divinité. C’est tout ce qu'il faut pour une expé-
rience proprement mystique. Chose curieuse, cette mystique
apparaît comme étant à la fois intellectualiste, puisqu'elle abou-
tit à une intuition de Dieu, et irrationnelle : la vision s’ac-
complit en dehors de la raison.Il s’agit vraiment — l’expres-
sion est de ‘Philon lui-même — d’un « mystère littéraire au su-
jet de l’Inengendré et ses puissances » (roy tepov meol vod àye-

(1) De spec. leg., III, 1-2; t. V, p. 129.


(2) De somn., I. 229; t. III, p. 235. Cf. Quod deter. potior. insid. sol.,
161-162; t. I, p. 276. È
(3) Ibid., II, 234; t. III, p. 279. À remarquer l'opposition bien platoni-
cienne entre dyévnros et wœptôc.
(4) Cf. De sacrif. Ab. et Caïni, 5-8; t. I, p. 200-201. Aïnsi entendue, la
déification semble comporter des degrés et convenir également à ceux qui
ne sont initiés qu'aux petits mystères.
D’après le Poimandrès, I, $ 26; Soorr, t. I, p. 128, parvenus au terme
de leur ascension, les mystes « deviennent des puissances et sont en Dieu »
(Bvvauers nevépevor &v Bed yivovrai). Voir plus haut, p. 34.
(5) De somn., II, 233; t. III, p. 279.
(6) Cf. J. PAsOHER, op. cit, p. 251-252; 260.
VATOU Hal TOY DUVAUEUY a0ToÙ LUS TNY À0y0v) (), anne
calqué sur des mystères tels que nous les fait connaître l'her-
métisme.
_ En revanche, le mystère philonien semble avoir exercé une
influence profonde sur la mystique plotinienne. Les deux eon-
ceptions se ressemblent tellement que seule une dépendance
de Plotin par rapport à Philon peut en expliquer la “ee
renté (2).
Cependant, à côté de ressemblances très accusées, il y aà des
divergences non moins considérables dont voici les principales. È
Philon appuie ses affirmations sur une exégèse allégorique —
il serait plus juste de l’appeler « fantaisiste» — des saints
livres de son peuple. Plotin, au contraire, tire sa théorie de
l’extase de ses principes philosophiques (3). Dans l’une et
l’autre conception, mettant le voüs en sommeil, l’expérience
mystique paraît supprimer la conscience personnelle. Toute-
fois, le théosophe juif maintient sans équivoque la distinction
entre Dieu et l’âme en extase, alors que le DS grec
_ semble la sacrifier. |
Un dernier trait, plus que tout le reste, oppose la en
philonienne à celle de Plotin : si, pour ce dernier, la eontem-
plation de Dieu, bien suprême de l’homme, est accessible aux
seules forces humaines, elle suppose, chez Philon, la venue dans
l’âme de l’esprit divin. Dès lors la visionde Dieu et, par voie
de conséquence, le bonheur parfait sont un don gratuit, une.
grâce de Dieu. Du coup, l’intellectualisme et le maturalisme
grecs se trouvent dépassés : la révélation «et la grâce divines,
comme sources de connaissance et de bonheur, sont placées au-
dessus de la raison. En s’efforçant de la sorte d’insuffler à la
mystique hellénistique une âme juive, PÉTES a préparé la mys-
tique chrétienne. F}

(1) De sacrif. Ab. et C'aïni, 60: t. I, p. 215.


(2) Cf. R. ArNow, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, pas
259-263. Q
(3) Cf. ibid., p. 265-271.

D
NET
1e
CHAPITRE III

NOUVEAU TESTAMENT
Le

Le le Ron nTestament, on entre dans un monde bien


_ différent de celui de l'Ancien, Ce qui constitue le caractère dis-
tinctif de la révélation chrétienne par rapport à la révélation
juive, c’est que la première gravite autour de la personne de
_ Jésus- Christ, reconnu par ses fidèles, non seulement comme le
Messie prédit par les prophètes, mais comme le Fils unique de
Dieu qui s’est incarné. Du coup apparaît une filiation divine
‘transcendante que l’Ancien Testament n’avait pas soupconnée.
Or, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est fait le frère
| des hommes afin de les sauver. A cet effet, il les réconcilie avec
rh son Père, qui, dès lors, les adopte comme fils. Ainsi, du fait de
l'apparition
(Es
du Christ, la conception judaïque de la filiation
divine se transforme pour s'élever à la hauteur d’une vérita-
ble participation. A peine esquissée chez les Synoptiques, cette
transformation devient manifeste dans saint Paul et saint

ee

‘D (e») Nous n'avons pas à entrer ici dans la discussion des problèmes
Re d'authenticité et, d’historicité soulevés autour des écrits du Nouveau Testa-
+ ment, discussion qui, par suite des travaux de MM. A. Loiëy (voir sur-
tout :Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament,
_ Paris, 1935; Les origines du Nouveau Testament, Paris, 1936 et J. Tur-
mel (notamment : Les écrits de saint Paul, 4 vol., 1926-1928, publiés sous
le pseudonyme H. DELAFOSSE) ont connu en France un regain d'actualité.
Du reste, quelque grande que soit leur importance à d’autres points de vue,
ces questions ne sauraient toucher notre sujet que de très loin. En effet,
les écrits néotestamentaires nous intéressent ici non comme l’œuvre per-
< -sonnelle de tel ou tel auteur, mais comme des documents qui reflètent la
- foi des premières on chrétiennes. À
96 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

Dans les Synoptiques, pour exprimer les rapports entre Dieu


et l’humanité, Jésus reprend la métaphore de la paternité fami-
lière à l'Ancien Testament, mais en lui donnant un sens
plus complexe et plus intime.
Dieu est d’abord le père des hommes en tant que créateur
et « Seigneur du ciel et de la terre » (1). En vertu de l’alliance
conelue avec eux, il est toujours, à un titre spécial, le père des
Juifs (2). Mais il y a une autre filiation divine qui, loin d’être
fondée sur un privilège de race (3), est d’ordre purement spiri-
tuel, un don divin mis à la portée de tous.
Afin d'obtenir cette filiation spirituelle, les hommes qui se
sont éloignés de Dieu par le péché doivent en premier lieu se
détacher de celui-ci par la meravoux, par un profond changement
de cœur qui comporte l’aversion du mal et le retour confiant
à Dieu (4). Ils doivent, en outre, « croire à l'Évangile » (5) et
devenir « des fils du royaume » (6) prêché par le Christ.
Non content d’imposer à ses disciples la pratique de la jus-
tice, le Sauveur les appelle à la perfection :

Moi, au contraire, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez


pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez des enfants
de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil
sur méchants et bons et pleuvoir sur justes et injusces.. Soyez
donc, vous aussi, parfaits comme votre Père céleste est par-
fait (7).

(4) Luc. X, 21. Cf. Marrx., VI, 25-34; VII, 7-11; Luc, XI, 9-13; XII,
22-31.
(2) Cf. Marru., XV, 21-28; Mo., VII, 24-30 : Entretien avec la Chana-
néenne, où, adoptant la manière de parler des Juifs, Jésus appelle ceux-ci
les «enfants» et les païens «les chiens». Voir aussi Marrx., VI, 7-8,
31-33, où les Juifs sont opposés aux païens et où Dieu est appelé le père
des premiers.
(3) Cf. Marre, VIITL, 11-13; Luc. XIII, 28-29.
(4) Voir surtout Luc. XV, 11-32 : la parabole de l'enfant prodigue;
ibid, XVIII, 9-14 : le pharisien et le publicain.
(5), Mo, LE 15. Cf. Marre, X, 7: Luo., X, 9, 11.
(6) Cf. Marrx., XIII, 37-39. Dans ce passage, «les fils du royaume »
sont les disciples du Christ qui pratiquent la justice (v. 43). Dans MATTH.
VIII, 11-12, au contraire, la même expression désigne les Juifs infidèles
qui seront « jetés dans les ténèbres extérieures >.
(7) MATTH., V, 44-48.
NOUVEAU TESTAMENT au 97

Appel admirable qui, dans sa simplicité, est infiniment plus


religieux, plus accessible à la foule et, partant, plus entraînant
que l’aristocratique ôuoto0sûar ro Geo de Platon.
Tmiter l’infinie bonté du Père céleste par une pratique de
la charité allant, au besoin, jusqu’à l'amour des ennemis, telle
est la caractéristique de la filiation divine parfaite.
Devenus ses «frères» (1), les disciples de Jésus entrent
dans un rapport spécial d’amour confiant avec Dieu (2); ils
sont les « bénis » du Père, auxquels le royaume « a été préparé
dès la création du monde » (3).
Dans ce dernier texte, il s’agit du royaume dans son état
d'achèvement, c’est-à-dire de la « vie éternelle » (4) « dans le
siècle à venir » (5). Les justes y « resplendiront comme le so-
leil» (6) et « auront place au festin » avec les patriarches (7).
IIS seront rassasiés, verront Dieu, seront appelés fils de
Dieu » (8).

On le voit, la conception de la filiation divine qui s’exprime


dans les Synoptiques est en principe dégagée de considérations
d’ordre racial. Elle accuse aussi une intimité que le pseudo-
Salomon n’a pas connue. En présentant, enfin, la filiation divine
dans son stade définitif comme une certaine participation à la
gloire et au bonheur indéfectibles de Dieu, les Synoptiques
conduisent jusqu’au seuil du mystère d’après lequel le chrétien
est assimilé à la nature divine, mystère sur lequel saint Paul
et saint Jean nous réservent de plus profonds développements.

IT
C’est à saint Paul, en effet, que la révélation du mystère de
la déification doit son progrès le plus décisif. Pour s’en con-

(1) Marrx., XX V, 31-46. Cf. Mc. III, 35; Luc. VIII, 19:21; MATTH.
KA 2 EX INEITS 20;
(2) I.,, VI, 5-34; Luc, XII, 22-32.
(3) Ip., XXV, 34.
(4) Ip., XIX, 29; Mc. X, 30.
(5) Mc. X, 30; Luc., XVIII, 30.
(6) Marrx., XIII, 43, d’après DAN., XII, 3.
(7) Ip. VIIL, 11. Cf. Is, XXV, 6; MarrTx., XXII, 1-14: XX VI, 29;
Mc.; XIV, 25.
(8) Ip., V, 6-9. Cf. Sap, V, 5.
vaincre, il suffit de comparer la Dédications de Jésus sur le
salut d’après les Synoptiques avee la doctrine de saint Paul
sur le Christ-Sauveur. Tellement frappante est la différence
que d’aueuns ont voulu faire de l’Apôtre le créateur du « mMys-
tère chrétien » de la Rédemption (1). Mais, s’il n’en est pas. |
l’auteur, «il en fut certainement le plus ardent prédicateur et
le premier théologien » fe} En développant les données initiales
de la tradition primitive touchant l’économie de salut inaugurée
par Jésus, saint Paul a effectivement élaboré la première théorie
chrétienne du salut. Or l'élément le plus personnel de la soté-
riologie paulinienne est une mystique de déification dont le
Christ glorieux est le centre.
Comme toute doctrine de salut, celle de l’Apôtre est domi-
née par la conception du mal à vainere, 4n casu du péché, qui
en forme le point de départ. Non content de constater le fait
du péché, l’Apôtre en recherche l’origine historique, qu'il dé-
couvre dans le récit génésiaque de la désobéissance d'Adam. La
faute du premier homme, voilà la source de toutes les misères
physiques et morales qui accablent l’humanité, savoir l’ini-
mitié de Dieu, le péché personnel avec son esclavage humiliant,
la souffrance et, surtout, la mort. Ceci en vertu d’une mysté-
rieuse solidarité qui, de par une disposition divine, existe entre
Adam et tous ses descendants : Adam n’est pas seulement le
premier homme; il est le chef, le représentant de RARE
que, de ce fait, 1 entraîne dans sa chute.
Mais voici que, après l’avoir temporairement abandonnée à
sa propre faiblesse, sans toutefois la rejeter complètement,
quand vient la plénitude des temps, Dieu envoie à l’humanité
son Fils unique, revêtu d’une chair humaine, pour qu’il répare,
tel un nouvel Adam, l’œuvre de mort du premier. Adam et Jé-
sus sont ainsi, pour Paul, les deux pivots autour desquels gra-
vite l’histoire religieuse de l'humanité. Le premier, père de
l'humanité pécheresse, est, par antithèse, le type, la figure .
second qui est le père de l’humanité régénérée.
Cependant, s’il est vrai que Paul voit en Adam surtout le F4

je
ou
() Cf. F. PraT, La théologie de saint Paul, t. II, T° édit. Paris, 1993, L ENT
EAENES
AT
Fi
TAC

p. 25-32. L

(2) Jean Rivière, Le dogme de la Rédemption. Étude théologique, p. 62. $ CA


ra
.
F
re l-
ne n est. tel.qu te suite nesa faute. a la dé
_crire directement, l’Apôtre met la condition originelle d'Adam
en parallèle avec l’état de justice et de sainteté apporté par
à “le Christ, puisqu'il présente l’œuvre de celui-ci comme une ré-
2 _novation, une réconciliation (1) et une réparation (2). De plus,
en disant que la mort n’est entrée dans le monde que « par le
_péché » (8), il reconnaît implicitement à Adam innocent le don
_ de l’immortalité. En admettant de la sorte une identité fon-
_ cière entre les deux états, primitif et restauré, saint Paul sem-
_ ble suggérer qu’Adam 4 été primitivement élevé à l’état d’ami-
tié divineet orné de dons extraordinaires, au point de posséder
une ressemblance avec Dieu de beaucoup supérieure à celle
qu'il tenait de sa formation même en vertu de laquelle il était
_« l’image de la gloire de Dieu » (4).
Es Les privilèges que notre premier père a perdus pour lui et sa
__ postérité, le Christ les a surabondamment rétablis. En mou-
sa rant sur la croix, l'Homme-Dieu a détruit le péché et la mort;
en ressuscitant, il a établi une vie nouvelle (5), afin de deve-
; _nir <le principe, le premier-né d’entre les morts » (6), «le pre- |
mier-né d’un grand nombre de frères » (7).
Pour avoir part à cette « nouveauté de vie » (8),à cette on
de « nouvelle création » (9), l’homme doit se conformer à l’ima-
ge du Christ (0) : il faut qu'il soit « enseveli avec lui par de
baptême dans la mort » et «greffé sur lui », afin que, « affran-
chi du péché » (11), sauvé « par le bain de la régénération » (12),
À il vive «à Dieu dans le Christ-Jésus » (13).
(1) II Cor., V, 17-20.
_(2) Rom., V, 15-21; I Cor., XV, 21-22.
(3) Ibid., V, 12 Ke l
ROUE Uors XI: 7. TRES
(5) Rom. VI. PE aTue
(6) Col.I, 18. É : PE
"© (7) Rom, VIII, 29.
(8) Ibid., VI, 4 .
_(9)-II Cor., V, 17. Cf. Eph., IT, 4-10.
(10) Rom., VIII, 29.
a
2 à insister ici sur les dispositions
(11) Ibid, VI, 1-10. Nous n’avons pasà
F. d'ordre moral que saint Paul réclime en vue de la justification par Je
baptême.
(12) Tit., LIL, 5 : dia Aétpou rahwyeveaias.
(13) Rom., VI, DE ce
100 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAIÏQUES

Ainsi l’union au Christ est la condition et le moyen de la


vie nouvelle et, partant, du salut. Rien d’étonnant, dès lors, à
ce que la formule « dans le Christ», ou ses équivalents, re-
vienne si fréquemment sous la plume de l’Apôtre, (1). Plus
rare, mais non moins expressive, est la tournure «le Christ en
nous » (2). Assurément, la formule ëv Xpworé exprime parfois
l'appartenance au corps mystique du Christ qu'est l’Église (3)
et peut, dans plusieurs textes, être rendue par l’adjectif « chré-
tien » (4). Dans la grande majorité des cas, pourtant, elle si-
gnifie que le Christ est intimement uni à ses fidèles, qu'il existe
entre lui et eux une véritable communauté de vie. Tel est du
moins, sans doute possible, le sens de la formule «le Christ
en nous ».
Bref, pour saint Paul, l’union de Jésus avec ses croyants est
un fait. Mais quelle en est la nature ? C’est sûrement une union
d'ordre moral, une communauté de sentiments, une confor-
mité de pensée, de volonté et d’action. Les chrétiens doivent .
avoir «les mêmes sentiments dont était animé le Christ-Jé-
sus » (5) et ainsi le Christ sera « formé en eux » (6).
Mais la réalité que recouvre la formule paulinienne est beau-
coup plus riche. En effet, d’après l’Apôtre, le Christ glorifié,
devenu « esprit vivifiant » (7), est comme une atmosphère dans
laquelle les baptisés sont plongés (8) : il les compénètre au
point d’être avec eux « un seul corps » et « un seul esprit » (9),

(1) On à compté jusqu'à 164 passages qui la contiennent. Voir A.


WIKENHAUSER, Die Christusmystik des hl. Paulus, Munster-en-Westphalie,
1928, p. 10; F. PRAT, op. cit., t. II, p. 476-480.
(2) Cf. A. WIKENHAUSER, op. cût., p. 21-25.
(3) Aïnsi dans Rom., XVI, 7: Gal., III, 28.
(4) Cf. Gal., I, 22 : «les églises de Judée dans le Christ». Voir A.
WIKENHAUSER, 0p. Cit., p. 14-15; F. PRAT, op. cit., t. II. p. 476-480.
(5) Phil, II, 5. Cf. Rom. VI-VII.
(6) Gal., IV, 19. A ce texte les Pères grecs ont rattaché leur doctrine de
la naissance du Logos dans le cœur de chaque fidèle. Voir Hugo RAHNER,
Die Gottesgeburt, dans Zeitschrift für kath. Theologie, t. 59, 1935, p.
333-418.
(D T:Cor., XI, 12:13, CE. Eph., IL, 16.
(8) C’est Ià le sens de la formule Rantiéeuw eis Xptoroy et d’autres
semblables. Cf. A. WIKENHAUSER, 0p. cit, p. 65-66; F. PRAT, op. cit., t.
II, p. 361-362.
(9) Z Cor., XII, 12-13. Cf. Eph., IL, 16.
NOUVEAU TESTAMENT 101

«un seul homme nouveau » (1). C’est. dire que le baptême


assure un contact direct entre le Seigneur glorieux et ses fidè-
les. Or le Christ est Dieu, car en lui « habite toute la plénitude
de la divinité corporellement » (2). Le sacrement de l’initia-
tion chrétienne réalise, par conséquent, une union immédiate
entre Dieu et l’homme resserrée encore par l’Eucharistie (3).
Ainsi, «pour saint Paul, la vie chrétienne est une vie di-
vine, dans laquelle le fidèle s’approprie en quelque sorte la na-
ture spirituelle et divine du Christ, pour devenir un homme
nouveau et atteindre la perfection » (4). Cette union objective
avec le Seigneur n’aura qu’à se transformer en expérience
pour devenir mystique au sens strict de ce mot (5).
Que saint Paul ait éprouvé pareille transformation, ses écrits
le prouvent avec évidence. Pour lui, en effet, la communion de
vie avec son divin Maître tant aimé n’est pas une vérité spé-
culative et abstraite ; c’est une réalité profondément sentie et vé-
cue, le principe de son activité morale (6). Toute sa piété vise
à inteusifier cette expérience dans laquelle il puise l’indompta-
ble énergie qui, malgré sa faiblesse physique, fait de lui le
plus ardent et le plus grand des apôtres. C’est qu'il se sent
«saisi par le Christ » (7) comme par une force irrésistible (8),
qu'il se sait inséparablement uni à lui (9). Fortifié par lui, il

(1) Eph., II, 15. La conception paulinienne du corps mystique suppose


l’union intime au Seigneur du chrétien individuel. Le corps mystique n’est
que l'aspect social de cette union. Cf. J.-B. CoLon, À propos de la « mys-
tique » de saint Paul, dans Revue des sciences religieuses, t. XV, 1935, p.
179-180.
(2) Col., II, 9-10.
(3) Cf. I Cor., X, 17; XI, 27.
(4) J.-B. CoLon, loc. cit, p. 171-172.
(5) Nous appelons « mystique » au sens strict seulement le « fait psy-
chologique >» dans lequel l’homme pense atteindre directement et immédia-
tement Dieu, en un mot «expérimenter » Dieu, de quelque façon que ce
soit. Of. A. FoncK, Mystique, dans Dictionnaire de théol. cath., t. X, col.
2600: J.-B. CoLon, loc. cit, p. 160-163; Anselme Srozz, T'heologie der
Mystik, Ratisbonne, 1936, p. 13-16.
(6) Cf. G. STAFrELBACH, Die Vereinigung mit Christus als Prineip der
Moral bei Paulus, Fribourg-en-Br., 1932.
(7) fhil, III, 12. Ce n’est pas sans raison qu’un auteur récent appelle
Paul <un possédé du Christ». Voir Henri Moricr, La vie mystique dé
saint Paul, Paris, 1932, p. 245. .
(8) II Cor., V, 14 : Caritas Christi urget nos. Cf. I Cor., IX, 16-19,
(9) Rom., VIII, 35-39,
one tout (1). En une ce n’est plus lui,Paul, qui
c’est le Christ qui vit en lui (2). SE PT IP TE
Il y à donc, dans la doctrine de l’'Apôtre sur le salut par.
l’incorporation au Christ, une mystique de la divinisation des .
chrétiens (3). Est-il besoin d’ajouter que, dans la pensée Se
saint Paul, l'union mystique qui divinise laisse intacte la per- Dé

sonnalité de l’homme, qu’elle ne saurait jamais devenir une cn


absorption, un retour du petit ruisseau de vie au grand eue r=i

pour S’y perdre et s’y dissoudre (4) ?


L’incorporation au Christ a pour conséquence nécessaire
d’unir le chrétien également au Père et au Saint-Esprit. Les
baptisés sont réconciliés avec Dieu (6); grâce au don de «la
filiation adoptive» (6), ils sont les «fils», les « héritiers de
Dieu, les cohéritiers du Christ» (7). Ils sont, en outre, spé-
cialement consacrés au Saint-Esprit. Celui-ci habite en eux (8);
conjointement avee le Christ, il est comme le moteur de leur
activité salutaire (9), de leur vie nouvelle, Le fidèle, en effet,-
vit dans l’Esprit, comme ïl vit dans le Christ ; dans son âme
l action de l’un est inséparable de celle de iene Comme àin-

4
(1) Phil, IV, 18.
(2) Gal., II, 20. À propos de ce Pr LEP. Lagrange parlé d’« explo-
sion de foi mystique ». L'orphisme, p. 198.
(3) Cf. Émile MERSOH, Le corps mystique du Christ, 2° édit. Paris, À
1936, t. I, p. 190-191. L'auteur tire la même conclusion de la doctrine 2 >
paulinienne du corps mystique. ne
(4) Voir A. WIKENHAUSER, 0p. cit, p. 58-59. EÆ. JACQUIER, re
paiens (les) et saint Paul, dans Dict. apol., t. III, col. 595-596. Assuré-
ment, il nous est difficile de concevoir l'union mystique préconisée par “ se
Ke
l'Apôtre. M. Wikenhauser croit en trouver des analogies : celles, par exem-
ple, de l’inhabitation dans l’âme du juste de. la Sagesse divine personnifiée |
(cf. Sap., VII, 27-IX) et de l’activité du démon dans les pécheurs (p. 52).
Quoiqu'il en soit, «la difficulté qu’il peut y avoir pour l’homme moderne
"7

à s’intellectualiser une semblable conception n’est pas une raison suffisante


pour ne pas la reconnaître dans l'écriture ». E. ToBac, Grâce, dans Dict.
apol., t. II, col. 338. Cf. J.-B. CoLon, loc. cit., p. 188.
(5) Rom., V, 10-11.
(6) Gal., IV, 5. Cf. ibid., III, 26. Ë |
(7) Rom., VIII, 14-17. Puisque c’est l’assimilation au Christ qui,FR CRe +

Paul, est io.condition de notre salut, la mystique paulinienne est une union
au Christ et non à Dieu directement. Voir WIKENHAUSER, 0p. cit, p. 104.
(8) TI Cor. III, 16-17; VI, 19; II Cor., VI, 16; . II, 24.
(0) 7Cr Rom NET 14.
t
LES corporation a au Christ. est un « gage » Fe la es à venir »@,
de même le don de LeEsprit est pour le chrétien «une arrhe»
de l'héritage (2). |
= Dans ces conditions, on peut dire sans exagération que, tout
en étant christocentrique, la mystique paulinienne ne laisse pas
d’avoir comme principe actif l'Esprit divin. |
L'héritage auquel le chrétien a droit, et dont sa _condition
_ présente est comme une anticipation, est la vie éternelle. Là,
- son union au Christ et à Dieu, réalisée dès cette vie, sera portée
_ au maximum d'intimité : il sera « pour toujours avec le Sei-
gneur » (3). Celui-ci « transformera le Corps de notre humilia-
tion pour le rendre conforme au corps de sa gloire» (4). Re- |
vêtus d’« un corps pneumatique » (5) et devenus ainsi « incor-
_ruptibles » (äplaprot) (6), nous verrons Dieu « face à face » (7).
Alors notre assimilation au Christ glorieux, en d’autres ter-
mes notre divinisation, atteindra son point culminant. ù

_ La conception paulinienne de la déification, participation à


l’attribut proprement divin de l’incorruptibilité bienhéu-
reuse (8), se rattache visiblement aux idées analogues que nous
avons rencontrées dans la Sagesse et les Synoptiques. Mais la
théologie et plus spécialement la mystique de l’Apôtre ont ceci
de particulier qu’elles présentent la divinisation comme l’effet
_ direct de l’union assimilatrice au Christ qu’opèrele baptême.
_ C’est là une nouveauté non seulement par rapport à l'Ancien
Testament, mais aussi eu ee aux trois premiers évangiles (9).

(1): IT Cor., I, 22: V1: ICE ROM, VIII, 18, 23-25.


_ @) Eph, I, 19-147C2 II Cor. I, 22: "Rom. NI, VIII, 11. Voir J.-B.
_ CoLon, loc. cit., p. 329-332.
(3) I Thess., IV, 18. Pour exprimer l’union du fidèle avec le Christ
dans l'au-delà, l’'Apôtre n’emploie jamais la formule «dans» le Christ,
mais «avec» le Christ. Voir A. WIKENHAUSER, 0p. Cit., p. 33-34, 113-114;
118-119 ; J.-B. CoLon, loc. cit., p. 343. CEE
- (4): Phil, III, 20. . È >
(5) I Cor, XV, 44. s t : ARE UPS EN
2 (6) TDi, XV, 52e 5
(7) Ibid. XIII, 12; II Cor. V, 7.
_ (8) Cf. I. Tim., VI, 16, où Dieu est appelé & pLôvos ETN àBavasiæv.
(9)MeePz nos op. cit, t. II, p. 291-293, s'efforce de découvrir le
« fondement » de la mystique paulinienne dans l’idée de la satisfaction ‘
vicaire qui se manifeste dans MATTEH., XX, 28, dans la « mystique de la
_souffrance » (Leidensmystik) qu'impliquerait l'invitation à. porter la croix
104 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES

Non que la signification mystique du baptême soit nécessaire-


ment une découverte de Paul, puisque les fidèles de Rome la
connaissent déjà au moment où, pour la première fois, l’Apô-
tre entre en relations avec eux (1). La nouveauté consiste dans
le fait que, pour la première fois dans l’Écriture, se fait jour
dans les épîtres pauliniennes cette idée du salut, de la déifica-
tion obtenue par une assimilation mystique à la mort et la ré-
surrection du Dieu-Sauveur, conformité précisément produite
par le baptême.
D'où vient cette mystique de divinisation déjà familière aux
chrétiens de l’église de Rome quand Paul leur écrit ? Pro-
blème aussi difficile que délicat qui, depuis cinquante ans en-
viron, passionne théologiens, exégètes, voire même philologues,
et a recu les solutions les plus opposées (2).
Nous l’avons vu, imiter la «passion » d’un héros-sauveur
afin de s'assurer le salut, c’est comme le leitmotiv ou « le prin-
cipe constructeur » (8) des religions à mystères (4). Or il n’est
pas douteux — et ce qui va être dit de Paul s’applique égale-
ment aux autres missionnaires qui évangélisaient les païens, à
ceux d’entre eux notamment qui étaient venus de la gentilité —
«que l’Apôtre a connu certaines doctrines des religions à
mystères ; il ne pouvait en être autrement, car ces idées étaient
on peut le dire, du domaine public, elles n'étaient pas secrètes.
En outre, Paul, en fréquentes relations avec des convertis
païens, dont quelques-uns avaient été initiés aux mystères, a
dû apprendre de ceux-ci les conceptions et les rites des mys-
tères : les premières pour les combattre, les seconds pour les
juger » (5).

à la suite du Christ (MATTH., X, 38), voire même dans l’Ancien Testament,


où, « dès le protévangile, se déploie la théologie de la solidarité (Theologie
der Verbundenheit) qu'il y a entre l'humanité et son Sauveur futur ».
« Fondement » à la vérité aussi mince que fragile.
(1) Cf. Rom., VI, 3, 6, 11, 16. Voir À WIKENHAUSER, 0p. Cît., p. 112;
J.-B. CoLoN, Paul, dans Dictionnaire de théol. cath., t. XI, col. 2448.
(2) Dans PRUEMM, op. cit., t. II, p. 275-321, on trouve un exposé et.
une discussion serrée du problème. Cf. E. JACQUIER, loc. cit., col. 982-1014 ;
W. Bousser, Kyrios Christos, Goettingue, 2° édit., 1921, préface.
. @) L'expression est du P. Prümm, op. cit, t. II, p. 277 : Aufbauprin-
21D.
(4) Voir plus haut, p. 30. Cf. À. J. FESsTUGrÈèRE-Pierre FABRE, Le monde
gréco-romain au temps de Notre-Seigneur, Paris, 1935, t. II, p. 140,
(5) E. JACQUIER, loc. cit., col, 1011,
NOUVEAU TESTAMENT 105

On comprend, dès lors, que, tout en insistant avee force sur


les divergences essentielles qui opposent la mystique chrétienne
du baptême aux conceptions analogues des mystères païens (1),
tout en repoussant l’hypothèse d’après laquelle saint Paul au-
rait fait à ces derniers des emprunts directs, de nombreux au-
teurs, même catholiques, estiment qu’on n’est pas en droit
«d’exelure la possibilité que les missionnaires (venus de
la gentilité) se soient servis de l’idée d’après laquelle le sort
du myste est associé à celui du dieu pour expliquer à leurs
auditeurs, par des moyens empruntés à leur facon de penser
et de voir, la signification du baptême pour celui qui le reçoit.
Ceci peut-être en opposition voulue avec la croyance païenne,
comme saint Paul, par exemple, dit devant l’Aréopage : « Ce
que vous adorez sans le connaître, c’est cela que je vous an-
nonce » {Act., XXVII, 23). Donc, dans notre cas : Ce que les
prêtres qui initient aux mystères affirment à tort de leurs
dieux (1 Cor., VIII, 5) s’est pleinement réalisé dans le Christ.
Il n’y aurait là aucun emprunt pour le fond (keine sachliche
Anleihe), mais simplement l’utilisation d’une forme donnée de
pensée et d'expression, dans laquelle est coulé un contenu nou-
veau. Comme lorsque Paul dit aussi qu'être baptisé c’est « re-
vêtir le Christ » (Gal., III, 27; Rom., XIII, 14) et qu'il em-
ploie ainsi une image très répandue dans les religions antiques
et familière également aux initiés des mystères » (2).
En résumé, la mystique baptismale de la divinisation serait
« un essai, entrepris par des chrétiens convertis du paganisme
ou par leurs missionnaires, de prêcher Jésus et la piété chré-
tienne aux gentils hellénisés dans leur langage à eux » (3).

(1) Voir notamment A. WIKENHAUSER, 09. cit., p. 103-138: B. HEIGt,


op. ciît., p. 60-68.
(2) A. WIKENHAUSER, 0p. cit, p. 112-113. L'opinion de cet auteur est
résumée et adoptée dans B. HE1GZ, op. cit., p. 91-92.
(3) J. LæerpozpT, Sterbende und auferstehende Gütter, Leïpzig, 1923,
p. 73. Cf. dans le même sens, G. VAN RANDENBORGH, Vergottung und
Erlüsung, Berlin, s. d., p. 115. L'’explication de M. Leiïpoldt est envisagée
comme une possibilité par B. Bartmann, Dogma und Religionsgeschichte,
Paderborn, 1922, p. 81-82. Dom ©. Casel, dans Jahrbuch für Liturgie-
wissenschaft, t. V, 1925, p. 232, admet également que, dans sa manière de
s'exprimer, saint Paul ait pu subir des influences étrangères au christia-
nisme., ©. Faller, Griechische Vergottung und christliche Vergôttlichung,
niennes la A n conçue qu "à. le Chris
C’est dans le Sauveur que le chrétien est régénéré, qu'il naît |4
D
un homme nouveau reproduisant l’idéal de perfection qu est le
Fils de Dieu incarné et qu’il devient ainsi fils adoptif de Dieu.
Bref, c’est dans le Christ que l’homme est co à Dieu, p
qu’il est divinisé.

III ÈS

Théologien et mystique non moins génial, l’auteur des écrits


Ca
c
inspirés que la tradition identifie avec l’apôtre saint Jean,
poursuit également à sa manière l'élaboration du message chré- 2
tien. Avec saint Paul, il voit le salut dans une participation de
da vie incorruptible et bienheureuse de Dieu obtenue par f
l’union au Christ; mais il conçoit autrement les modalités de
cette union. C’est ainsi que l’idée paulinienne du Seigneur glo-
rieux devenu esprit vivifiant n’apparaît pas chez lui (1).
Les analogies de la « lumière » et de la « vie», qui ue
risent la théodicée de saint J ean (2), dominent également sa.
sotériologie. Depuis la chute d'Adam, les hommes étaient plon-
gés dans «les ténèbres » (3), c’est-à-dire « dans le mal» (4),
« parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (5). Aussi étaient-
ils « dans la mort » (6), sous le coup de la colère divine (7) et
sous la domination de Satan. | cha
Dans ce monde de mort et de ténèbres, le « Logos » (8), le
« Monogène » de Dieu (9), par qui « tout a été fait » (10) et en

dans Gregorianum, t. VI, 1925, p. 424-426, parle d’une « adaptation du E 1

langage des mystères païens à la doctrine chrétienne de la divinisation ses 2


adaptation qui aurait commencé avec Paul et Jean.
(1) L'exposé qui suit s'inspire à la fois du IV* évangile et de la Jr
épître de saint Jean. À notre point de vue, ces deux écrits oPmene une
unité.
(2) Cf. I Joan. I, 5 : « Dieu est lumière » : Tone V, 26 : «Le Père
a la vie en lui-même ».
(3) Joan., I, 5; III, 19.
(4) I Joan., V, 19. Cf. Joan., I, 29.
(5) Joan., III, 29. LES A ES
(6) TI Joan., III, 14. Cf. Joan., V, 24.
(7) Joan., III, 36. $ DATES
(8) Ibid, prolog. | ; Ro
(9) Tbid,, L, 18. a
(10) Ibid. I, 3.
ù_ qui « était. la vie» (), apparaît, S ns « fait ae @,.
4 comme « la vie» (8) et «la vraie lumière » (4). Par son incar-
nation le « Logos de vie» (5) devient pour les hommes source
de vie divine
et éternelle (6), «le pain de vie» (7), «la Vraie ES
La
vigne » qui communique sa sève à ceux qui lui sont unis (8).
Bien qu’il soit surtout préoccupé de mettre en relief la fone-
He ton: vivifiante du Verbe incarné, l’évangéliste n'oublie pas
pour autant le rôle expiatoire de Jésus. Celui- ci, en effet, est
_«l’Agneau de Dieu» (9), qui, par sa mort librement accep-
Le (10), se fait «une victime de propitiation (Lhusuds ) peus
os péchés » (11).
e ee. après sa résurrection, le Sauveur one achève son
< action vivificatrice et expiatoire par le don du Saint-Esprit (12).

: Pour avoir part à la vie divine apportée par Jésus-Christ,


_ l’homme doit s’unir à lui par la foi (13) et une nouvelle nais-
sance « d’eau et d esprit » (14). Cette union vivifiante du Sau-
| veur avec ses « disciples » (15) et «amis» (16) se consomme
dans l’Eucharistie, nouveau gage de « vie éternelle » (17). Par
ie le fidèle est également uni au Père et à l’Esprit-
$ _ Saint (18). Leur amour réciproque établit une sorte de com-
munauté mystique entre Dieu, qui est amour, et l’âme chré-
tienne di it la charité (19).

EL (1) Ibid., I, 1
2) 10-114;
(3) Ibid, XI, 25.
no A) iid.; T9.
EME (6) Joan. I, 1
Mn = (6) Toid., IV, 9; Cf. Joan., IIL, 16; IV, 10-14.
Me (TS Jour: VI, 35.
Me (OS) Jbid., XV, 1-8. L'image de la vigne exprime Ja même idée Fe
_ union organique et vivifiante que l’analogie du corps chère à saint Paul.
OO) bu, D 29,86. 7 e. |
(10): Cf. TT X, 11-18. È
(11) I Joan. IL, 2; cf. IV, 10; Joan. III, 14- 17; XI, 51-52; Apoc.
"15:-Nil, 14; XXII, 14.
(12) Joan. VII, 39; XVI, 7-14; XX, 22-23.
(13) Ibid, III, 36.
(14) Ibid, III, 5; cf. I, 15.
(15) Ibid., XIII, 35.
(16) Ibid, XV, 14- 15.
-(7) Ibid. VI, 32-58. :
_ (18) Ibid. XIV, 15-23.
(19) I Joan. À, 3; IV, 7-21.
108 DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES
E
« Né de Dieu » (1) ou « d’en haut» (2), en possession d’une
«semence» ou d’un «germe de Dieu» qui «demeure en
lui» (3), le baptisé est « enfant (réxvoy) de Dieu » (4) au sens
étymologique de ce mot.
Mais, bien que les croyants possèdent dès maintenant la vie
éternelle ou « vie » tout court (5), ainsi que la filiation divine,
ces dons ne se manifesteront dans toute leur splendeur que
dans le « royaume de Dieu », c’est-à-dire au ciel. Là, les amis
de Jésus, non seulement seront toujours avec lui pour contem-
pler sa gloire (d0Eav) (6), mais, voyant Dieu « tel qu’il est », ïls
seront «semblables (éuotor) à lui» (7).
Ainsi, sous le vêtement d’analogies différentes, les écrits jo-
hanniques contiennent un enseignement sur la divinisation du
chrétien qui, dans ses lignes essentielles, se rencontre avec
celui de Paul : chez les deux apôtres, en effet, c’est par l’union
au Christ que l’homme est rempli de vie divine. Bien qu'il
en parle avec moins d’ardeur que l’Apôtre des Gentils, il n’est
_ pas douteux que le disciple bien-aimé ait, lui aussi, vécu de
cette union, que, pour lui aussi, «elle soit devenue une expé-
rience mystique. :
Chemin faisant, on aura peut-être remarqué que les concepts
accouplés de « vie et lumière » appliqués à Dieu, et aussi l’idée
d’une assimilation à Dieu, d’une déification par la vision de
Dieu qui s'exprime dans la première épître de saint Jean (8)
— pour ne signaler que les points de contact les plus impor-

(1) Joan., I, 13; cf. III, 5-8.


(2) Zbid., IIL,: 3, 7.
(3) I Joan., IIL, 9.
(4) Joan., I, 12. Alors que saint Paul emploie le mot vis pour désigner
la qualité de fils adoptif, saint Jean se sert exclusivement du terme de véx-
voy, « qui a été engendré », de tixtetv.
(5) Sur la synonymie de ces deux expressions, voir J.-B. REY, Le con-
cept de vie dans l’évangile de saint Jean, dans Biblica, t. I, 1920, p. 52.
Chez saint Jean, le royaume des Synoptiques et de saint Paul «est
devenu la vie ». E. ToBac, Grâce, dans Dictionnaire apol., t. IX, col. 340.
(6) Joan., III, 3-5 combiné avec XVII, 24.
(7) I Joan., IIT, 2. Dans ce texte, la ressemblance divine apparaît
comme un effet de la vision de Dieu.
(8) T Joan., III, 2 cité à l'instant. Cf. Joan. VI, 40; XVII, 3, textes
où la vie éternelle est présentée comme un effet de la vision ou de la con-
naissance du Père et de son envoyé. :
NOUVEAU TESTAMENT 109

tants (1) — se rencontrent également dans la littérature her-


métique (2). Assurément, les divergences fondamentales qui sé-
parent celle-ci des écrits johanniques, ainsi que l'originalité
très accentuée qui caractérise l’un et l’autre de ces deux grou-
pes de documents, exeluent absolument toute dépendance di-
recte de quelque côté qu’on la place. Mais ici encore il ne sem-
ble pas impossible d'expliquer les indéniables similitudes par
l'influence qu’un milieu hellénistique commun a pu exercer
sur les deux courants d'idées, chrétien et païen.

IN

Dans le reste des écrits néotestamentaires, la conception du


salut ne dépasse guère le niveau des Synoptiques. Seules les épt-
tres de saint Pierre rappellent, par endroits, «les splendides
envolées de saint Paul et de saint Jean » (3). La seconde de
ces lettres renferme un passage devenu justement célèbre, qui
semble résumer, en la précisant, la sotériologie des deux apô-
tres. En voici le texte, malheureusement obscur et, dès lors,
fort controversé :

Puisque sa divine puissance nous a tout donné pour la vie


et la piété, par la connaissance (ô1à ris Éntyvcoews) de celui
qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu, par lesquelles
les précieuses et très grandes promesses (ènayyéAuara) nous
ont été données, afin que, par elles, vous deveniez participants
de la nature divine (£væ 81à roûtwy Vévnobe Oelaç xotvwvot oÜcew),
après avoir échappé à la corruption (+0op&) de la convoitise
[qui est] dans le monde (4).

Le consortium divinae naturae dont il est iei question est-il


acquis dès cette vie ? Ou bien est-il l’objet d’une promesse, un
terme qui ne sera atteint que lorsqu'on aura quitté ce monde

(1) Voir d’autres analogies encore dans BOUSSET, op. cit., p. 154-177.
(2) Cf. Corp. herm., I (Poimandres), $ 9, où Dieu est dit « être Gun xai
wc ». Voir plus haut, p. 33. Autres exemples dans BOUSSET, 0p. cit.
p. 174-175.
(3) E. Togac, loc. cit., col. 339.
(4) IT Petr., I, 3-4.
corrompu pour entrer « dans l'éternel royaume de notre Sei-
gneur et Sauveur diésus-Christ » (1) ? Cette dernière interpré-
tation semble préférable (2). .
Quel que soit le moment de sa réalisation, la : à
la nature divine apparaît clairement comme un don de Dieu,
entièrement gratuit, mais conditionné par d’effort moral de
l’homme, une grâce d’assimilation à Dieu. Il ne s’agit pas
d’une simple « conformité » (3) d’ordre moral seulement qui
résulte évidemment de l’imitation de Dieu. Pareille conformité :
est la condition indispensable, mais non l'essence de la parti-_
cipation à la nature divine. Celle-ci consiste, en effet, à faire
communier l’hommeà la « gloire éternelle » (4), à la vie même
de Dieu (5), c’est-à-dire à son incorruptibilité bienheureuse (6), -
brefà le déifier. Il est permis de penser qu ’avec Paul et Jean
notre écrivain voyait dans la divinisation définitive un effet de ,
la vision de Dieu. : Le
A-t-il admis, avec les mêmes apôtres, que, dès ici-bas, le chré-
tien possède, à l’état d’ébauche du moins, la participation à la
nature divine ? Pris en eux-mêmes, les écrits de saint Pierre ne
permettent pas de trancher cette question. Il ne semble pour-
tant pas téméraire de lui prêter une idée, fortement insinuée
par saint Paul et saint Jean, d’après laquelle la gloire céleste
n’est que l'épanouissement de la vie nouvelle dontle baptisé
est gratifié dès son existence terrestre (7). Il est done probable
que notre auteur, lui aussi, fait commencer la déification du
chrétien dès la vie présente (8).
(1) Jbid., I, 11.
(2) Cf. I Petr., I, 3-5, 15. :
(3) Cf. ibid., I, 14-15 : il faut se «conformer» (|svsynpatiopevor )
à Jésus-Christ. : ; -
(4) Ibid., V, 10.
(5) Cf. ibid, IV, 6. :
(6) Cf. ibid., I, 23, où il est dit que, dans le chrétien, la parole dise
. È un germe non corruptible, mais incorruptible ». Voir encore, I, 3-4;

(7) Le P. Lange, De gratia, p. 303, estime que, dans le texte de saint


Pierre, l'expression ëtayyéAuata doit être traduite par « choses promises »
plutôt que par « promesses » ; plus probablement la participationà la nature
divine serait done accordée dès cette vie (p. 183). Même si l'on adopte
l'interprétation eschatologique, écrit plus loin l’auteur, on peut faire appel
à l'idée biblique d’après laquelle les dons de la gloire ue sont Pré POnDeS
dans les dons de la grâce.
(8) La mystique est absente de la II° épître de saint RES
|2 cipauxae scripturaires en faveur de leur us +
fe Je divinisation. |
1

£ ; #%

Si donc ce dernier terme et ses équivalents sont absents du 4


Nouveau Testament, il n’en est pas moins certain que la réa-
Se
_lité qu ’ils expriment s’y trouve : par et dans le Christ uni à
Dieu, devenu fils adoptif de Dieu, vivant d’une vie vraiment
_ divine, assuré de l’incorruptibilité bienheureuse, le chrétien
_ est assimilé à Dieu, participe à la nature divine autant qu’AE
a est possible àà une créature humaine.
Telle est la -« bonne RE, » ie le christianisme est ie.:

in due que d 1 dal :grec de la déification.


_ Ce même évangile, les Pères grecs le reprendront en 1 ’adap-
nt à leur milieu et en l’explicitant avec les ressources dont
ESils ST Tous se feront l’écho — bien qu’à des degrés
différents — de la doctrine paulinienne qui fonde notre salut
sur la mort du Christ. Mais plusieurs d’entre eux, développant
_ de préférence l’idée johannique du Logos incarné source de
D vie divine, insisteront sur Dhs comme Pace de no-
tre divinisation.
LS

LIVRE D EUXIÈME

RI NE DES PÈRES CRECS !


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LIVRE DEUXIÈME

DOCTRINE DES PÈRES GRECS


52 Chez les Pères grecs, les germes d’une doctrine de la divini-
sation que contient le Nouveau Testament devaient tomber sur
un terrain d’autant plus fertile qu’ils étaient mieux préparés
à les recevoir et à les faire fructifier grâce aux conceptions re-
13 ligieuses et. philosophiques qu’ils tenaient de l’hellénisme.
". : Aussi, non contents d'enseigner presque unanimement, bien
_ que parfois seulement d’une manière implicite, le fait de la
-déification du chrétien, s ’appliquent-ils de bonne heure à en
_ préci er les modalités. 7 :
Ce travail d'élaboration, qui s'étend sur sept siècles environ,
s’accomplit en trois phases. Dans la première (II° et III° siè-
cles), se dessinent les premières ébauches. Au IV® siècle, grâce
aux progrès substantiels que les Alexandrins et les Cappado-
ciens font . à la et à la one du ue

14
de de la ue dans le paie + la Léa
avec saint |Cyrille d’Alexandrie, sur le terrain de la mystique
avec le pseudo-Denys. Le Damaseène, enfin, incorpore dans sa
ue
. les éléments essentiels de l’enseignement de ses pré-
décesseurs pour les transmettre à la postérité. ei
PREMIÈRE PARTIE

PÉRIODE DE FORMATION

CHAPITRE PREMIER

ÉBAUCHES PRIMITIVES
$ |. — Pères apostoliques
En passant du Nouveau Testament aux Pères apostoliques,
on constate que des conceptions sotériologiques de ces premiers
témoins non inspirés du développement qu'a pris la doctrine
chrétienne dans l’Église primitive se rattachent à celles des
Synoptiques et ne s'élèvent que rarement à la hauteur des vues
d’un saint Paul et d’un saint Jean. Cela tient sans doute à ce
qu'ils sont — à l’exception de saint Ignace — des esprits peu
spéculatifs, des moralistes plutôt que des théologiens ou des
mystiques.
Cependant tous font écho à la révélation néotestamentaire
où le salut offert par le christianisme consiste essentiellement
dans l’äplaosia ou àlavasia, termes synonymes de vie éter-
nelle. Or il y a là l'équivalent pratique d’une déification
— terme du reste absent de leur vocabulaire. De la mystique
paulinienne et johannique seul l’évêque d’Antioche se montre
sérieusement touché.
Cé n’est dès lors que virtuellement que l’idée d’une déifi-
cation de l’homme par le christianisme se trouve chez les
Pères apostoliques. L'un d’eux pourtant, Hermas, connaît un
cas de divinisation qui, pour être très spécial et exceptionnel,
ne mérite pas moins d’être signalé.
ÉBAUCHES : PÈRES APOSTOLIQUES 117

D'après la Didachè, ce « manuel élémentaire de religion » si


apprécié des premières générations chrétiennes, c’est par Jésus
que Dieu a fait connaître aux hommes «la vie et la gnose
(prosts)» (1), qu'il leur a révélé «la gnose, la foi et l’immor-
talité (äavasla) », et «donné une nourriture et un breuvage
spirituel ainsi qu’une vie éternelle » (2). Celle-ci sera acquise
à da parousie. C’est alors, en effet, que le «bien immortel »
(0 äfdvaroy) (3) sera donné en partage aux «saints», qui,
seuls, ressusciteront et accompagneront le Seigneur venant sur
les nuées du ciel (4). 5
Cette conception du salut met bien en relief l’élément de
l’immortalité; mais elle est inférieure à celle des Synoptiques
du fait qu’on n’y voit guère accusée la filiation divine du
chrétien.

Cette dernière idée tient plus de place dans la curieuse lettre


dite de Barnabé, dans laquelle s’exprime une conception du
salut qui est plus riche que celle de la Didachè, bien qu’elle
soit défigurée par un millénarisme particulièrement prononcé.
« Avant de croire en Dieu, écrit l’auteur anonyme, qui
puise volontiers dans les épîtres pauliniennes, le tabernacle de
notre cœur était périssable et caduc.. ainsi que la demeure de
démons, parce que nous faisions ce qui était contraire à Dieu ».
Mais, « après avoir reçu la rémission des péchés et l'espérance
dans le nom, nous sommes devenus nouveaux, une seconde fois
créés comme de neuf ; c’est pourquoi dans notre demeure habite
vraiment Dieu en nous » (5). Cette transformation opérée par
le baptême (6) est une « rénovation dans la rémission des pé-

(1) Did. IX, 3; édit. F.-X. FunK, Patres apostolici, Tubingue, 1901, t.
I, p. 22. L'’indication de la page qui suit la référence se rapporte à cette
édition, dont le texte est reproduit dans H. HEMMER, Les Pères apostoli-
ques, 4 vol., Paris, 1907-1912. L'ouvrage de Funk a été réédité par Ch.
Bihlmeyer, Die apostolischen Väter, Tubingue, 1924.
(2) Ibid., X, 2-3; p. 22.
(3) Ibid., IV, 8; p. 12.
(4) Ibid, XNI, 6-8; p. 36.
(5) Barn., XVI,:7-8; p. 86-88. Cf. I Cor., III, 16-17.
(6) Zbid., XI, 11; p. 74,
“ts
chés »,
cœur » @) qui faità.nous Fe «fils de Die » (3)
« Ceux qui espèrent en Jésus, vivront éternellement » »> (4).
La vie éternelle sera inaugurée, après la résurrection (5),par >
le millenium que le Fils de Dieu viendra instaurer au septième É
millénaire. Après avoir régné mille ans, «il mettra fin à toutes
choses: ce sera le commencement du huitième jour qui mar"
quera l'avènement d’un monde nouveau » (6). sr.
Aïnsi, d’après le pseudo-Barnabé, la rénovation morale Fa É
chrétien ainsi que sa filiation divine aboutissent à une vie éter- S.
nelle conçue comme une existence interminable et heureuse
qui se déroulerait d’abord dans le monde actuel, puis dans un =
monde renouvelé. Nous voilà loin de 1idéal d’une assimilation
au ‘Christ « pneumatique » prêché par saint Paul. î exe
l

Il
Clément de Rome — qui, lui aussi, aime à citer l’Apôtre des
Gentils — est le premier parmi les Pères apostoliques qui in-
siste sur la ressemblance divine que HRerUrE reconnaît ee x
:
Adam. een
S’arrêtant volontiers à la contemplation de l’œuvre créatrice “S
et de la puissance divine qui s’y manifeste (7), ‘Clément me.| Sur
manque pas l’occasion de présenter l’homme comme le chef-_
d'œuvre des mains de Dieu et «comme une empreinte de son : :
image » : | <

Après tous les autres, de ses mains saintes et immaculées,


il forma l’être vivant le plus excellent et de plus grand [par
l'intelligence], l’homme, comme une empreinte de sa propre
ETS

(1) Ibid, VI, 11: p. 56. Cf. XVI, 8; p. 88. Cor JL Cor.v,
ŒU
Gal., VI, . Tât., TIL, o
(2) Ibid., VIII, 35 p. 62: bre E ge
(3) Ibid., IV,9; p. 48 | ET D
(4) Ibid. VIII, 5: p. 62. Cf. XI, 11: p T4 URL FRE TND
(5) Ibid., XXI, 1 ; p. 94. È Ras a
(6) Ibid, XV, 4- 8: p. 82. Dans les six jours de la création Barnabé
voit un symbole et une prédiction de la durée de ce monde :Eux ‘en six mille
ans, le Seigneur achèvera toutes choses ». |
(7) Voir notamment I Clem., XX-XXXIII ; édit. FUNK, Ne EU p. 126-140.
image. Car Dieu Pal ainsi : he « l'homme à
à notre image
et à notre ressemblance » (1).

Cette un divine est le propre non seulement d'Adam,


mais de tous les hommes. Assurément, le mode spécial de for-
À _ mation décrit dans le texte sacré reste le privilège exclusif du
__ premier homme. Maïs tous ses descendants partagent avec ce-
lui-eile don de l'intelligence dans laquelle Clément semble .
-_ bien voir l'élément principal de la ressemblance divine (2).
= En ce qui concerne la position de l’humanité déchue par rap-
port au salut, notre auteur, sans se référer au péché
_ d’Adam (3), suppose que tous les hommes ont besoin de faire
| pénitence, que tous, par conséquent, sont des pécheurs. Mais il
__ admet aussi que tous, même ceux qui étaient «des étrangers
pour Dieu », ont pu se sauver par la petdvota (4).
0 est précisément «une grâce de pénitence» que Jésus a
ménagée au monde entier par l’effusion de son sang, « pré-
cieux pour Dieu » et « versé pour notre salut» (5). Par là
surtout Jésus-Christ est «sauveur» (6). Mais il est aussi le
maître de «la gnose immortelle », puisque
…par lui le démiurge de l’univers nous a appelés des ténèbres à
la lumière, de l'ignorance à la pleine connaissance (ëx{yvwai)
de la gloire de son nom... (7) Par lui, nous avons les ÿeux tendus

(1) Ibid. XXXIII, 45; p. 140. Dans l'édition FonKk-BIHLMEYER, t. I,


ep: 00, les mots «par l'intelligence » (xarà ôtävotav) sont supprimés, parce
À qu ’ils manquent dans les versions anciennes. Mais, si elle n’est pas ner
ES. £ ie l'addition est bien dans la pensée de l’auteur.
nn (2) Dans le passage cité tout à l’heure, rien n'autorise à conclure à
une dotation surnaturelle d'Adam, comme le fait, par exemple, J. Sprinzel,
Die Theologie der apostolischen Väter, Vienne (Autriche), 1880, p. 145.
_ Cette interprétation est combattue par A. Struker, Die Gottebenbildlichkeit
des Menschen, Munster-en-Westph., 1915, p. 7.
AR (3) Clément, qui est pourtant un « paulinisant », applique Sap., II, 24 : |
Re C'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde» au
meurtre d'Abel. Z Clem., III, 4-IV, 7; p..102-104. D'une manière générale
l’on peut dire que les Pères apostoliques ne parlent pas de la chute de nos
théol.
_ premiers parents. Cf. A. GAUDEL, Péché originel, dans Dict. de
cath., t. XII, col. 317-318. :
(4) I Clem., VII, 5-7; p. 108. Re
< :
(5) Ibid., VII, 4; p. 108.
(6) Ibid. LIX, 8; p. 176.
3 -_ (7) Ibid, LIX, 2; p. 174.

#4“55
FE
"TE
à

120 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

vers les hauteurs des cieux; par lui, nous voyons comme dans
un miroir sa face immaeulée et noble; par lui, ont été ouverts
les yeux de notre cœur; par lui, notre intelligence lente et enté-
nébrée s’épanouit vers la lumière; par lui, le Maître a voulu
nous faire goûter à la gnose immortelle (rs d&ôavarou yvo-
ctws) (1).

En appelant la doctrine chrétienne une « gnose immortelle »,


saint Clément veut sans doute dire que cette doctrine assure
l’immortalité., Ailleurs il écrit, en effet, que «de grandes et
glorieuses promesses » (2) attendent «ceux qui ont servi le
démiurge saintement et avec la confiance d’une foi parfaite » :
ils ressusciteront comme le phénix (3) pour une «vie dans
l’immortalité » (4), dont ils jouiront dans «le royaume du
Christ » (5), le « séjour de gloire » (6).
Dans l’au-delà, les élus possèderont donc l’immortalité près
de Dieu. Auront-ils également part, d’une façon plus intime,
à la vie même de Dieu ?
Plus d’une fois Clément exalte la paternité divine (7) : mais
il la conçoit « comme la relation qui relie le démiurge à ses
créatures plutôt que comme le lien intime de l’adoption di-
vine» (8). Pour lui, l’union qu'établit la charité entre Dieu
et l’homme semble d’ordre purement moral. Il en est de même
de l’union entre le Christ et le baptisé.
Assurément, notre auteur ne se lasse pas de relever le rôle
capital que joue le Seigneur dans la vie de ses fidèles : tout ce
que Dicu fait pour eux s’accomplit par l'intermédiaire du Sau-
veur. L'expression Ô1x ‘Inso Xotstoù est répétée à satiété (9) ;

(1) Ibid, XXXVI, 2; p. 144-146. À remarquer le lien que notre auteur


établit entre la gnose et l’immortalité.
(2) Ibid, XXXIV, 7; p. 142.
(3) Cf. ibid, XXV-XXVI: p. 132-134, où la légende du Phénix est
racontée avec force détails. L
(4) Ibid, XXXV, 2; p. 142 : Con à Bavaale.
(5) Ibid., L, 3; p. 164.
(6) Ibid., V. 4; p. 104.
(7) Cf. ibid, XIX, 2; XXXV, 3: LXII, 2.
(8) J. LEBRETON, op. cit., t. II,p. 281.
(9) I Clem., XXXVI; p. 144-146; L, 7: p. 164; LIX,.3; p. 176:
XIV; Lip 182; XV 2" p.184!
D ÉBAUCHES : PÈRES APOSTOLIQUES 121

celle de &v Xeisto ‘Insod ou simplement ëy Xotst® est moins


fréquente (1).
Cependant ces formules n’ont pas le sens d’une union mys-
tique proprement dite. En parlant de «tout notre corps en
Jésus-Christ » (2), Clément pense évidemment à l’Église dont
le Christ est le principe d'unité, donc à ce qu’on appellera
plus tard «le corps mystique» du Christ. Mais jamais, dans
Clément, la formule &v Xousro n’exprime l’idée d’une commu-
nauté intime de vie, au sens paulinien, entre le Christ et son
fidèle; elle peut presque toujours être remplacé par Ôôtà Xoustod,
et notre auteur lui-même écrit indistinctement : « Nous avons
été appelés en Jésus-Christ » (3) et « Ceux que Dieu a appelés
par Jésus-Christ » (4). Ce qui montre que, dans sa pensée, il
s’agit de médiation plutôt que d'union. Néanmoins, en lisant
tels passages de sa lettre, en particulier le magnifique chapitre
XXXVI, l’on croit entendre comme un faible écho des éléva-
tions de l’apôtre des Gentils.

Pareille ardeur est absente de l’écrit qu’on appelle la ZI°


épitre de Clément et qui est, en réalité, la première homélie
chrétienne connue. L'auteur anonyme —il se compte lui-même
parmi les äsogot (5) — insiste avec force sur l’immortalité cor-
porelle garantie aux chrétiens par le « Sauveur », qui est « l’au-
teur de l’incorruptibilité » (6).
Le Christ, « que nous devons considérer comme un Dieu » (7),
« nous a donné la lumière; comme un père, il nous a appelés
ses fils et nous à sauvés alors que nous périssions » (8). C’est
que tous ceux qui « gardent le baptême pur et immaculé » en-
treront «dans le royaume de Dieu» (9), pour y jouir du

(1) Ibid. XXXII, 4; p. 138 : & Xo. 1; XLIII, 1; p. 152 : év Xp., etc.
(2) Ibid, XXXNVIII, 1; p. 146 : Subéclu oùv Aywv OAov TÔ coua ëv
Xpioté ’Incoù. De ce texte, pourtant signalé par lui, le P. Mersch, 0p. cit.
t. I. p. 292, aurait peut-être pu tirer plus de profit.
(3) Ibid, XXXII, 4; p. 138. Of. XLVI, ; p. 158.
(4) Ibid., LXV, 2; p. 184.
(5) II Clem., XIX, 2; édit. FUNK, t. I, p. 208.
(6) Zbid., XX, 5; p. 210 : Tùv suripa rai apynyov this aplapaiac.
(7) Ibid., I, 1; p. 184.
(8) Ibid., I, 4; p. 184-186.
(9) Zbid., VI, 9; p. 190-192. Cf. VII, 6 et VIII, 6; p. 192 et 194,
— car «c’est . cette Ho que nous recevrons pe salaire as 7

à (prsdov) » (2) — notre chair aura part aux « biens incorrupti- .


AN
bles » (rù àyabè va apvapte)) (3), c’est-à-dire à la « vie et à l’in-
_ corruptibilité, grâce à son union avec l’Esprit-Saint » (Ajr RE
Clairement s'exprime ici l’idée d’après laquelle, tout en
_ restant le fruit le plus précieux de l’œuvre rédemptrice du N
ANT

Christ, l’incorruptibilité définitive du baptisé ressuscité est un


effet direct de l’inhabitation du ee dans la chair du
chrétien. x | enr à

III |
Bien différentes des écrits dont nous venons de parler, les
lettres de saint Ignace, ces « courts billets, rédigés à la hâte 5e
par un martyr qui marche à la mort » 6) révèlent laperson-
nalité originale et ardente d’un théologien doublé d’un mys-
tique. # Es
Pour l’évêque da comme pour saint Jean, l’aspect
positif de l’« économie de Dieu » (6) se résume dans les notions
de «vie» (7), « vie véritable » (8), « vie éternelle » (9), «in-
corruptibilité et vie éternelle » (10). Préparé par les prophè-
tes (11), ce « plan arrêté par Dieu » (12) a été réalisé par Jéésus-
Christ, au moyen de «sa passion et sa résurrection (A)
Le salut ainsi objectivement opéré par le Christ, l’homme

(1) Ibid, V, 5; p. 190. Cf. VI, 7; p. 190.


(2) Ibid., IX, 5; p. 194. Cf. XV, 1; p. 202. NES
(3) Ibid, VI, 6; p. 190. OR
(4) Ibid, XIV, 5; p. 202 : tooaürny Büvarar À oùpé aÜrTn petahaGey Éoùv
. na &plapoiav x0XAnBévTos adTÿ ToÙ nvebuaros éyiou. À remarquer la force de
cette dernière expression : l’Esprit-Saint est «collé» à la chair. k
(5) J. LEBRETON, op. eit., t. IE, p. 282. 5
(6) Ienar., Eph., XVIII,2; édit. FUNK, t. I, p: 226. È
(7) Ibid, XIV, 1: p. 224. 3
(8) Ibid, VII, 2; p. 218. Cf. XI, 1; p. 222. ES EM
(9) Ibid, XVIII, 1; p. 226. Cf. XIX, 3: p. 298. SAS ca
(10) Polyc., II, 3: p. 288-290. DR
(11) Phil, V, 2; p. 268. Cf. IX: p. 272. : ;
(12) Eph, XIX, 3; p. 228. : |
Go Fu IX, 2; p. 272. Of. Rom, VI, 1; p. 258-260; Smyrn., II:
p. b |
Len:
+. pat ON
à 3 x
$ STRe
L v.
DO
PET AUCHES :: PÈRES APOSTOLIQUES

see l'approprie par l’union à son Sauveur. Que celle-ci se réa-a


£-_Jise grâce au baptême, notre auteur le suppose évidemment,
mais il ne le dit formellement nulle part (1): ainsi on ne re-
__ trouve pas chez lui la mystique baptismale de saïnt Paul. Ce
;_ qui est d’autant plus curieux qu’Ignace n’insiste guère moins
de que l’Apôtre sur l’union du chrétien individuel à Jésus-Christ
ainsi que sur l’unité de tous les baptisés dans le Seigneur (2).
Nous devons, écrit-il aux Éphésiens, faire « toutes nos
2 actions comme si Jésus habitait en nous, pour que nous
_ soyons ses temples et que lui-même soit en nous notre
__ Dieu» (3). Bref, mener une vie chrétienne, c’est « vivre en
_ Jésus-Christ» (4). Aussi, «ayant Jésus-Christ en eux» (5),
Fr: les ‘chrétiens sont-ils /p1sr0g6p0r (6). Non pas que le Sauveur
Eee soit en nous comme une statue dans un temple: ïl est, au con-
F2 traire, « notre vie inséparable » (7), « notre vie éternelle » (8).
.
Le vie nouvelle du baptisé se nourrit de l’Eucharistie qui
_est la « chair de notre Sauveur Jésus-Christ » (9), «un re-
_ mède d’immortalité, un antidote pour ne pas mourir, mais pour
:_vivre enJésus-Christà jamais » (10). ;
L'union au Christ entraîne l’union avec Dieu le Père. Les
Fa sont Beogépou (11), et leurs corps des «temples de
s Dieu » ue « Tout entiers à Dieu » (13), « pleins de Dieu » ee

(1) Sauf erreur, Ignace ne parle du baptême qu’une seule fois, en passant,
one VI, 1; p. 292
_ (2) Sur la doctrine du corps mystique dans saint Ignace, voir MERSCH,
+ op. cit, €. I, p. 294-305 ; P. Barrrroz, L'Église naissante et le catholicisme,
9 édit, Paris, 1927, p. 157-170.
_ (3) Eph, XV, 3; p. 224-226.
(4) Ibid, XX, 2; p. 230. Cf. VILL, 2, X, 3, XI, 1; p. 220, 222.
#| id.
(5) Magn., XI; p. ‘240.
Eph., IX, 2; p. 220. e
(6)
(7) Ibid, LIL, 2; p. 216. ;
(8) Magn., I, 2; p. 232.
(9) Smyrn., VIT, 1; p. 280. Cf. Rom., VII, 3; p. 260.
àrohaveï,
(10)Eph., XX, 2; p. 230 : 24p#4%0) &bavaslas, àytiôoros 705 #à
no Li & ’Inso5 Xorsrd Là ravr6s.
(D Ibäid., IX, 2; p. 220. D’après la suscription des sept ler FPS
portait le surnom de beozpos.
(12) Phil, VIL 2; p. 270. …
- (13) Zvh, VIIL 1; p. 218-220: Ghotr üvres Bo.
d2) Magn, REV, L: D. 240 : Beod yéuzTe.
124 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ils « participent » à lui (1). Enfin, de même qu'elle ne peut


être dissociée de celle de Dieu le Père, l’action du Christ dans
nos âmes est également inséparable de celle de l’Esprit-
Saint (2).
Pourtant, quelque étroite que soit ici bas la communauté de
vie qui existe entre le chrétien et son Dieu, elle est appelée à
devenir plus intime encore. Lie bonheur suprême, en effet, ar-
demment désiré par notre martyr et proposé par lui à Poly-
carpe, consiste à « atteindre Jésus-Christ » ou, plus souvent, à
« atteindre Dieu » (3). C’est l’union parfaite et définitive qui,
ébauchée seulement dans cette vie, se réalisera pleinement dans
le «royaume de Dieu » (4). Là, après la « résurrection vers le
Christ » (5), les fidèles auront « une part en Dieu » (6) et pos-
séderont «l'äplaosia et la vie éternelle » (7).
Atteindre Dieu, s’unir indissolublement à lui, tel est, pour
l’évêque d’Antioche, le terme idéal de la vie chrétienne. De
toute évidence il ne s’agit pas là d’une simple assimilation
morale par imitation; celle-ci est présupposée, les chrétiens
devant être «les imitateurs de Jésus-Christ, comme il l’est lui-
même de son Père » (8). Mais saint Ignace ne s’arrête pas là :
on trouve bien chez lui la mystique d’un saint Jean, d’un saint
Paul surtout, qui réalise expérimentalement l’union immédiate
avec le Christ et, par lui, avee Dieu le Père et le Saint-Esprit.
Pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire ce passage de la lettre
aux Romains : «Mon amour [pour le monde] a été crucifié,

(1) Eph., IV, 2; p. 216 : Geoû uetéynte.


(2) Cf. Magn., XIII; p. 240. Saint Ignace insiste davantage sur le rôle
que joue l'Esprit dans l’Église, dans la hiérarchie surtout dont il est l’inspi-
rateur, que dans l’âme du fidèle.
G) Cf. Eph., XII, 2; p. 222 : Beoù émiréyewv. Voir encore : Magn., XIV:
p. 240: Rom., I, 2; p. 256, ete. Pour la formule ‘Insoù Xptorod érurüyeiy, voir
Rom., NV, 3; p.258.
(4) Eph., XVI, 1; p. 226. Cf. Phil, III, 8: p. 266.
(5) Trall., inser.; p. 242 : Eu rü elc adrdv dvacrdoet.
(6) Polyc., VI, 1; p. 292.
(7) Ibid, IT, 3; p. 288-290. Si, sous la plume d'Ignace, àäpOapoia
semble ordinairement désigner l’incorruptibilité morale c'est-à-dire la sain-
teté, ici le sens d'immortalité est postulé par l'addition de «la vie éter-
nelle ». Cf. A. LELONG, Ignace d'Antioche, Paris, 1910, t. III, p. 33-34.
(8) Phil, VII, 2; p. 270. Of. VIII, 2; ibid.

LA
ÉBAUCHES : PÈRES APOSTOLIQUES 125

et iln’y a plus en moi de feu qui aime la matière (rdo œLAdUAov),


mails Une eau vive qui murmure en moi et du fond de mon
âme me dit : Viens vers le Père» (1). Ou encore, dans la
lettre aux Philadelphiens : « Mes frères, mon amour pour vous
déborde, et c’est pour moi une joie extrême de travailler à
votre affermissement, non pas moi, mais Jésus-Christ» (2).
N'est-ce pas là l’écho fidèle de cette parole de saint Paul : « Ce
n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi» ?
À la suite de Paul et de Jean, notre martyr conçoit done le
salut comme une saisie, une possession de l’homme par Dieu,
de Dieu par l’homme, à travers le Christ et l'Esprit. Posses-
sion qui n’est pas une absorption, mais une élévation de l’homme
à une existence nouvelle dans l’incorruptibilité, en d’autres
termes, à un mode d’être quasi-divin (3). C’est dire que la
sotériologie de saint Ignace est une doctrine, voire même une
mystique de la divinisation sans le mot. Se

IV

Alors que saint Ignace est un théologien et un mystique fer-


vent, Hermas, l’auteur du roman pieux qui porte le titre de
Pasteur, est un moraliste qui, malgré ses visions, n’a rien d’un
mystique. Ses conceptions dogmatiques trahissent une hésita-
tion et une incohérence déconcertantes. Aussi aurions-nous pu
le passer sous silence si, dans son ouvrage, ne se rencontrait
un cas de déification digne d’être relevé.
Il se trouve dans la parabole de la vigne et les explications
qui en sont données (4). Sont mis en seène comme personnages :
le maître de la vigne, savoir le créateur; son fils qui est pour
l’auteur le Saint-Esprit; l’esclave qui est «le Fils de Dieu »,

(1) Rom., VII, 2; p. 260.


(2) Phil, V, 1; p. 266.
(3) Tout invite à penser que, suivant la tradition philosophique grecque,
Ignace a vu dans l’évôaæpolix et l’äyewnaix qui la fonde les attributs essen-
tiels de Dieu (Cf. Æph., VII, 2; p. 218, et le commentaire de ce texte dans
LEBRETON, op. ciît., t. II, p. 314-316). Pour Ignace, devenir incorruptible
devait donc signifier : être assimilé à Dieu, être divinisé. Mais, bien qu’elle
soit dans la ligne de sa pensée, Ignace ne tire cette conclusion nulle part.
(4) HERM., Sim., V, 2-6; édit. FUNK, t. I, p. 530-542.
FORMATION DE LA DOCTRINE GREUQ
c’est-à-dire le Christ (1);les amis et conseillers du maître, qui
sont les anges Dee (2). D'après la parabole même
et- l'explication qu’on lit au paragraphe 5, l’esclave fidèle, en
récomnense du travail qu’il a fourni dans la vigne du maître,
est affranchi et devient le cohéritier du fils, c’est-à-dire de
l’Esprit-Saint. Comme il ne se distingue des autres serviteurs
que par son zèle, l’esclave apparaît comme un simple homme
qui, par adoption, devient Fils de Dieu (8). 7: CAT
Pareille conception dut choquer la conscience chrétienne de
l’époque, qui exigeait que l’on « pensât de Jésus-Christ comme.
d’un Dieu » (4). Aussi l’auteur s’efforce-t-il, dans une nouvelle
explication (5), de rendre sa parabole moins indigne du Sau-
veur. L'’esclave y est toujours le Christ, ou plus exactement la”
« chair » du Christ. Dans cette chair ou nature |humaine Dieu a
fait habiter

…PEsprit-Saint, qui node qui a créé toute la Pie =:


Cette chair, dans laquelle l’Esprit-Saint avait fixé sa demeure,
le servit admirablement, marchant dans les voies de la sainteté
et de la pureté, sans jamais lui causer la moindre souillure. Pour
cette noble et chaste vie, pour la part qu’elle avait prise aux
labeurs de l'Esprit et le concours qu’elle lui avait prêté en toute
circonstance, pour sa courageuse et virile conduite, Dieu voulut
faire de cette chair l’associée du Saint-Esprit (erà ToÙ nveüua-
toc Toù dytou fard xotwvwyév).. Il prit done conseil du fils et des
anges glorieux pour donner à cette chair, qui avait servi Esprit
avec une irréprochable fidélité, un lieu de repos, ne voulant pas
qw’elle eût l’air d’avoir perdu la récompense deses services. Car

(1) Cf. A. LeLonG, Le Pasteur d'Hermas, Paris, 1912, p.. LXX VIII :
« Dans le Pasteur, on ne rencontre pas une seule fois le nom de Jésus ni
celui de Christ; le Sauveur y est ordinairement appelé le Fils de Dieu ».
(2) Sim., V, 5, 2-3; p. 538.
(3) Les efforts faits par certains auteurs, par exemple par M. Lebreton,
op. cît., t. II, p. 364-366, pour démontrer, d’après Sim., V, 2-3, la préexis-
tence de l’eselave préposéà la vigne, du moins sous la forme d’un ange,
ne paraissent pas convaincants. s
(4) IT Clem., I, 1, cité plus haut, p. 121. Il ne semble pas, cependant,
qu'Hermas ait été un isolé, puisque, du temps de saint Justin encore,
des chrétiens doutaient de la préexistence du Christ. Cf. Dial., XLVIIT; S
édit. OTro, t. II, p. 162-164.
(5) Sim., V, 6-7.
toute chair qui aura servi de demeure au Saint-Esprit etaura été
trouvée sans souillure ct sans tache recevra une récompense (1).
Le

On le Fo Lotion de. . parabole est devenue ici « com-


| munauté avec l’Esprit-Saint ». La nature humaine qui, durant
son existence terrestre, était unie à l’Esprit, après sa résurrec-
un et son ascension, est associéeà ce même Esprit. Elle entre
pour ainsi dire dans la famille divine et devient le Fils de Dieu,
qui «a reçu de son Père toute puissance » (2). Alors l’inhabi-
tation du Saint- Esprit fait place à la communauté avec l’Es-
Dr (3). œ- | | :
Fe rAtnSI done, de après Hermas, l’homme Jésus-Christ aurait été
x ‘introduit, à titre de récompense et par une sorte d'adoption ou
ÀHd: assomption, dans la sphère divine et honoré du nom de nie
de Dieu. Bref, il aurait été divinisé. : l
3 _ Mais 1l'Esprit-Saint n’habitait pas seulement dans la chair
de Christ: il réside également dans celle des justes (4), et rien
_p’indique que, dans la pensée d'Hermas, les deux cas d’inhabi-
= tation soient d'espèce différente. Dans l’un et l’autre, l’Esprit-
Saint est ‘considéré comme un hôte dans l’âme et non comme
un principe de vie divine (5). Néanmoins, en ce qui concerne
la récompense qui attend les justes, Hermas mentionne unique-
_ ment le « royaume de Dieu » (6) ; jamais il ne parle de com-
_munauté avec l’Esprit au sujet des élus. Cette communauté
_est l’apanage exelusif du Christ :les chrétiens ne seront point
|divinisés comme
e leur maître.

1 (Dm, V; 6:57: p. 540-542. Certains auteurs considèrent Sim., V, 6,


_ 4-7, 1 comme une glose. Cf. BoussET, 0p. cit., p. 263.
MES (2) Ibid. V, 6, 4, Ce dernier morceau de phrase ne se lit que dans la
“a _versi on latine. Voir FUNK, op. cit., t. I, p. 540. | :
_ (8) Il ne semble pas qu’il faille voir « dans cette union de la chair et
_ de l’esprit une union substantielle et perpétuelle, comme celle qui est une
. conséquence nécessaire de l’incarnation » (LEBRETON, 09. cit., t. II, p. 317).
En effet, si telle avait été la pensée d'Hermas, aurait-il pu assigner au
= Christ le rôle d’eselave et parler de l’inhabitation de l'Esprit dans la chair
_ du Christ cornme d’un fait passé ? En outre, aurait-il pu reconnaître à
_ cette chair la possibilité de pécher, comme il le fait manifestement ?
À (4) Ibid., V, 7, 1; p. 542. Cf. Sim., IX, 24, 4; p. 620; Mand., INT, Lt
HD: AT2 V2 2-45 D, 482: X; 51, 2 ;p.-498.
Di) Cf. Mand., III, 4; p. 472; Sim., V, 7, 2; p.542 -
(6) Sim. IX, 12; p. 598-600. Of. ibid., 15, 2 et 16, 2-4; p. 606 et 608.
128 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE
%k
LES

Tous les Pères apostoliques placent dans l’incorruptibilité


bienheureuse ou vie éternelle l’essence du salut chrétien. Chez
quelques-uns d’entre eux, on voit même poindre l’idée d’après
laquelle, Dieu seul étant incorruptible par nature, l’homme ne
saurait le devenir que par une participation à la divinité, par
une divinisation (1).
Or c’est précisément sur ce point qu’allaient se manifester
dans l’Église des conceptions qu’elle ne tardera pas à rejeter
comme hérétiques,

$ 2. — Gnose hérétique

Les écrits des Pères apostoliques ne donnent qu’une idée


très imparfaite de la vie intellectuelle intense qui animait
l’Église du IT° siècle. Mais nous savons par ailleurs que celle-ci
comptait parmi ses fidèles des penseurs vigoureux dont plu-
sieurs, avant leur conversion, semblent avoir été des adeptes
de l’un ou de l’autre des systèmes gnostiques préchrétiens ou,
du moins, en avoir subi l’influence. De cette gnmose païenne les
écrits hermétiques nous donnent peut-être une idée (2). Con-
vaincus qu'ils pouvaient incorporer dans leurs spéculations
philosophico-mythologiques les éléments nouveaux qu’appor-
tait le christianisme, pour transformer la foi des humbles en
une connaissance supérieure, en une «gnose», ces maîtres
finissaient par compromettre les bases mêmes de la doctrine
Fous Telle est l’origine des innombrables systèmes que
l’on comprend sous le nom de gnosticisme (3).
Celui-ci intéresse notre sujet en tant que, dans tous les sys-

(1) Signalons, à titre de curiosité, un passage de l'Épître à Diognète, où


il est dit que celui qui fait l’aumône « devient [le] dieu (Eds yiverar) de
ceux qui [la] reçoivent». Simple métaphore pour dire que celui qui
donne est un «imitateur de Dieu». Ad Diogn., X, 6; édit. FUNK, t I
p. 408. At.
(2) Sur la gnose préchrétienne, voir notamment I. CERFAUX Gnose
a et biblique, dans Dictionnaire de la Bible, Suppl, t. III, col.

(3) Cf. J. TIXERONT,


es Histoire des dogmes,
gmes, t.t. I,I, 11°
11° édit.,
édi Paris,
i 1930,
ÉBAUCHES : GNOSE HÉRÉTIQUE 129

tèmes genostiques, le salut est conçu comme une divinisation,


plus exactement une redivinisation. Conception si intimement
liée aux doctrines fondamentales de la gnose que, sans elles,
on me saurait ni la présenter ni la comprendre. Nous l’étudie-
rons surtout d’après l’école de Valentin, « dans laquelle le
mouvement gnostique atteint son sommet spéeulatif et, en
même temps, une diffusion locale que peu de systèmes ont
connue » (1).

Comme toute « gnose», le gnosticisme est une religion de


salut dans laquelle la rédemption dépend de la connaissance
(yY@ots) — acquise par une révélation — de Dieu, du sens et
du but du cosmos et de la vie humaine (2). Les systèmes aussi
nombreux que variés que couvre ce nom générique ont ceci de
commun que, suivant la tendance de l’époque, ils exagèrent la
transcendance de Dieu au point de faire de lui une abstraction
inaccessible et inconnaissable. Cette abstraction est pourtant
censée capable de se manifester, de s'épanouir en une série
d’émanations qui vont se dégradant et sont appelées les éons.
Émanés du Père de toutes choses, dont l’essence inengendrée
est « incorruptibilité et lumière » (3), par couples dont chacun
forme de syzygie, ces êtres intermédaires entre Dieu et la
matière constituent l’ensemble hiérarchisé du « plérome » ou
plénitude.
L'un des éons inférieurs, Achamoth, avorton de l’éon Sophia,
chassé du plérome, produit d’autres éons, mauvais comme lui
et inférieurs à ceux du plérome, et dont l’un crée le monde
- matériel, l’homme y compris. C’est le démiurge dont parle la
Genèse, le dieu malfaisant de l'Ancien Testament (4). Sur cette

(1) J. P. Srerres, Das Wesen des Gnostisismus und sein Verhältnis


zum katholischen Dogma, Paderborn, 1922, p. 137-138.
(2) Cf. LESEIGANG, Gnosis, dans Die Religion in G'eschichte und Gegen-
wart, t. II, 2° édit., Tubingue, 1928, col. 1272.
(3) Ptolem. ad Flor. epist.; P. G., t. VII, col. 1289 D : voù GÈ matpôs
T@v OAwy ToÙ dyewvrou À oÙala éotiv GpOapola te al pOç aûTd, Ov dmhoV te ua
movoetôés. On n’est pas étonné de retrouver chez les gnostiques cette thèse
classique de la philosophie grecque.
(4) Voir G. BAREILL, Gnosticisme, dans Dict. de théol. cath., t. VI,
Tu

130 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

théogonie et cette cosmogonie se greffe la sotériologie gnosti-


que.

II

Comme tout ce qui est en dehors du plérome, l'homme ne


doit done pas son origine au Dieu suprême, maïs au démiurge
qui n’est qu’un éon inférieur. Celui-ci fit l’homme «selon
l’image et la similitude » (xax’ elxôva xai ouotwastv) (1). Ce qui
veut dire qu'il forma l’homme «hylique» selon l’image,
l’homme « psychique », au contraire, selon la similitude. Ce-
pendant, à l’insu du démiurge, sa mère Achamoth déposa dans
certains hommes de son choïx une semence pneumatique qui les
rend capables de recevoir la science parfaite (2).
Cette distinction entre «image» et «similitude», qui,
d’après Irénée, avait cours dans l’école italique de Valentin,
se retrouve dans l’école orientale de ce gnostique. On HE, par
exemple, dans les Extraits de Théodote : « Le hylique est selon
l’image, le psychique selon la similitude de Dieu, le pneuma-
tique selon la propre [essence] » (3). Les hyliques sont les
hommes très nombreux à l’« âme terrestre et matérielle, dénuée
de raison(&loyoy) et de même substance (6mooûsoy) que les âmes

col. 1434-1467, surtout col. 1447-1453; Albert DHRHARD, Die Kirche der
Müriyrer, Munich, 1932, p. 164-168 ; E. DE FAYE, Gnostiques et gnosticis-
me, Paris, 1913, p. 436-439; J. P. Srerres, op. cit, p. 137-184; J. TIxE-
RONT, op. cît., t. I, p. 197-199. |
(D) Cf. IREN., Adv. haer., I, v, 5; P. G., t. VIL, col. 500 B.
(2) Ibid, I, v, 6; col. 501.
(3) Excerpt. ex Theod., 54; edit. Otto STAEHLIN, Clemens Alexandrinus,
t. III, Leipzig, 1090, p. 124-125 : 6 HV yotx6s éoTt & xaT’ elxOva », 6 à Vuyt-
%06 (xaÿ° Golwawvy» Beod, 6 à TVEUpartixdc xat ilav. L'expression xat' iôlav
— certains lisent : “art” l5éav — est divérsement rendue. Les uns, comme
Struker, op. cîit., p. 58, la prenant pour une locution adverbiale, traduisent :
« le pneumatique est un être à part». D’autres, par exemple W. Capitaine,
Die Moral des Clemens von Alexandrien, Paderborn, 1903, p. 131, commen-
tent : “at ldlav soil. oûclav. Cette interprétation semble préférable, parce
qu’elle permet de traduire la préposition xaté d’une manière uniforme dans
les trois cas où elle est employée, ce qui rend la phrase plus homogène. Du
reste, il est tout naturel qu’un gnostique, pour qui la semence spirituelle
déposée dans le pneumatique vient du plérome, dise du spirituel qu'il est
« fait selon la propre essence» de Dieu.
| ÉBAUCHES : GNOSE HÉRÉTIQUE ASE
_ des bêtes » (1). Caïn en est le représentant (2). L'homme fait
« selon la similitude du démiurge même est celui auquel il a
insufflé et inspiré quelque chose qui lui est consubstantiel
(omooüatoy rt adro) » (3). C’est l’homme psychique qui est dans
le hylique ; c’est «l’âme divine cachée dans la chair » et à la-
quelle l’âme hylique sert pour ainsi dire de chair (4) ; c’est une
« nature douée de raison et juste », à l’instar d’Abel (5). Aussi
les psychiques sont-ils peu nombreux (6). Le pneumatique, en-
fin, est l’homme rare qui «a la semence pneumatique semée
dans d’âme par la Sophia », semence qui rend «l'âme raison-
nable et céleste.., remplie de moëlle spirituelle » (7).
Il y a donc trois catégories d'hommes : les hyliques, les psy-
chiques et les pneumatiques. Les premiers — ce sont les païens
et les Juifs — bien qu'ils soient « près de Dieu ne lui sont pas
consubstantiels » (raparAñouov pèy, &AN oùy éuoobaroy T@ BG) (8) ;
« incapables de recevoir un souffle d’incorruptibilité », ils pé-
rissent fatalement, dévorés à la fin, avec la matière, par le feu
caché dans le monde. Lies psychiques — savoir les fidèles de la
grande Église — sont libres de se décider pour le hylique ou le
pneumatique; par une « foi nue » et une bonne vie, ils peuvent
se sauver, mais sans jamais obtenir «la gnose parfaite» (ray
rehclavyvooty), ni pouvoir pénétrer dans le plérome. A la con-
sommation des choses ils jouiront (ävamausecar) avec le dé-
miurge d’une béatitude inférieure dans le «lieu intermédiai-
re », c’est-à-dire situé entre le plérome et le monde matériel ;
« car rien de psychique n’entre dans le plérome » (9).
Les pneumatiques — c’est-à-dire les gnostiques — sont in-
corruptibles par nature : quoi qu'ils fassent, ils sont assurés
de leur salut. En effet, quelles que soient leurs « actions hyli-

) Ibid, 50; p. 123. Le terme &hoyos, « dénué de raison », veut dire ici
que le hylique se comporte dans l’ordre moral comme s’il n’avait pas de
raison. Il a un sens éthique.
(2) Ibid., 54; p. 124.
(3) Zbid., 50; p. 123.
(4) Ibid., 51; p. 128.
(5): Ibid., 54; p. 124.
(6) Ibid., 56; p. 125. où moddot 0è oi duyruoi,
(7) Ibid., 53; p. 124.
(8) Adv. haer., I, v, 5; col. 500 B.
(9) Ibid, I, vI-vix, 1; col. 504-513 A,
!

192 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ques », ils ne peuvent perdre leur «substance pneumatique »,


pas plus que l’or tombé dans la boue ne perd son éclat. Pour
eux, le salut final consistera dans la délivrance de l’élément
pneumatique : ïls déposeront jusqu’à leurs âmes, pour devenir
des esprits purs et rentrer, avec Achamoth, dans le plérome où
ils deviendront les épouses des anges (1). Cette rédemption
s'opère uniquement au moyen de la gnose, qui a été révélée
par le Sauveur, l’un des éons supérieurs, qui, avec les appa-
rences d’un homme, a pris le nom de Jésus (2). « Connaître le
Père inconnu jusque-là, pénétrer dans les mystères de la secte,
croire à ses traditions secrètes, interpréter comme elle les écrits
évangéliques et les phénomènes de la nature, participer à ses
rites, tel est le salut que Jésus nous a apporté » (3).

x
Ce qui frappe de prime abord dans la sotériologie gnostique,
c’est qu'elle nie l’universalité du salut : seuls les pneumatiques
obtiendront l’incorruptibilité bienheureuse. Du reste, dans les
systèmes gnostiques, l’immortalité n’est qu’un trompe-l’œil;
car rien de ce qui fait partie de la nature humaïne n’est rendu
incorruptible. En effet, c’est uniquement la semence ou l’étin-
celle divine tombée du plérome dans l’homme qui remonte dans
sa patrie pour y jouir d’une immortalité qu’elle n’avait jamais
perdue. Assurément, ce retour se présente comme une véritable
redivinisation de la «substance spirituelle» (ryevuartxr ÜTOoTAS LS)
cachée dans le pneumatique (4). Mais, du -point de vue gnos-
tique, il n’y à pas, il ne peut pas y avoir de déification de
l’âme humaine ;bien moins encore de l’homme tout entier, puis-
que, voyant dans la matière quelque chose d’essentiellement
mauvais, les gnostiques nient la résurrection de la chair.
Sur ce dernier point, nos auteurs restent dans la ligne tradi-
tionnelle de la philosophie grecque. Mais ils abandonnent cette
ligne, lorsqu'ils font de la rédemption un événement cosmique

() Ibid. I, vi, 2; col. 505-508; vir, 1; col. 512-513.


(2) Cette conception semble être à la base des rêveries gnostiques si
variées sur la personne du Sauveur. Of. A. EHRHARD, op. cit., p. 169.
(3) TJ. TIXERONT, op. cit, t. I, p. 201.
(4) Adv. haer., I, vr, 2; col. 508.
ÉBAUCHES : APOLOGISTES 133

sans rapport avec la morale, conception qui mène logiquement


au fatalisme. Bref, dans sa sotériologie — comme du reste dans
son ensemble — le gmosticisme s’avère, non pas comme « une
hellénisation brusque du christianisme » (1), mais comme une
christianisation superficielle d’une « gnose » hellénistique fon-
cièrement païenne.
On comprend, dès lors, que « la lutte contre la gnose fut la
grande affaire doctrinale de l’Église au II° siècle » (2). Mais,
si le mouvement gnostique constitua pour cette dernière un
péril plus redoutable que la persécution officielle, il n’en reste
pas moins qu'indirectement il lui a été utile. C’est qu’il a obli-
gé les défenseurs de l’orthodoxie à développer et à préciser la
doctrine traditionnelle, travail facilité par un vocabulaire nota-
blement enrichi. De ce progrès la conception du salut et, avec
elle, l’idée de la divinisation ne pouvaient manquer de profiter,
ainsi qu’on le constate chez les Apologistes.

$ 3. — Apologistes

Si les Pères apostoliques n’ont pas éprouvé le besoin de pé-


nétrer rationnellement leur foi, les Apologistes s'efforcent de
la fonder en raison et de la justifier au dehors en l’interpré-
tant au moyen de la philosophie de leur temps. A cet effet, ils”
ont soin de mettre en relief tout ce que la foi a de commun
avec la pensée grecque et de présenter le christianisme comme
“une « philosophie », c’est-à-dire « une enquête sur le divin » (3).
Préoccupation qui les amène à analyser en particulier la notion
de l’incorruptibilité promise au chrétien et à comparer celle-ci
avec l’immortalité de Dieu. D’autant que l’äpÜassta corporelle
constituait pour tout esprit de formation hellénique une véri-
table pierre d’achoppement. La preuve en est que les gnosti-
(1) A. HARNAOK, Dogmengeschichte, t. I, p. 250. M. Loisy semble être
plus près de la vérité lorsqu'il écrit : « Dans le gnosticisme, c’est. l’Évan-
gile qui est absorbé par la philosophie et la mystique païennes ». Les mys-
tères païens et le mystère chrétien, Paris, 1930, p. 341.
(2) J. TIXERONT, 0p. cit, t. I, p. 205.
(3) JusriN., Dial., 1; édit. Th. von Orro, Corpus apologetarum chris-
tianorum saeculi secundi, Téna, 1876-1881, t. IT, p. 4. Sauf indication con-
traire, nous citons les Apologistes d’après cette édition,
ad
DATA :
FORMATION DE LADOCTRINE GRECQUE

à au seul dément divin AE


ques la niaient et ni a
l’incorruptibilité natureile reconnue au pneumatique.
Les Apologistes, au contraire, maintiennent telle quelle la
doctrine révélée de la vie éternelle assurée à tout chrétien di-
gne de ce nom, pour ne demander à la philosophie que la soiu-
tion du problème spéculatif soulevé par ce dogme.
Or, depuis Platon (1) et Se (2), c'était une thèse is
que en philosophie que seul l’Être non produit, dyÉvynTos, est
- aussi incorruptible, A ou immortel, àfdvaros, par na-
ture (3). Nos auteurs — et tous les Pères grecs à leur suite —
ne voient pas d’inconvénient à adopter ce principe. Ils en con-
cluent que l’immortalité destinée aux justes ne saurait être
qu’une incorruptibilité participée.
Nu RAT eee ee den A

Saint Justin, «le plus important» des Apologistes du FE


siècle (4), a le plus largement compriset exposé l'harmonie
foncière entre la religion chrétienne et la philosophie. Il est le
premier auteur chrétien à énoncer clairement, en la faisant
à

sienne, la thèse dont nous venons de parler. Dieu seul, éerit-il


en effet, « est mengendré et incorruptible (&yévyntos xat apluo-
ros), et c’est par là qu’il est Dieu, tandis que tout le reste qui
vient après lui est engendré et corruptible» (5). En eonsé-
quence, on ne doit pas dire que l’âme humaine est immortelle,
« car, si elle est immortelle, elle est évidemment aussi inengen-
drée »; en outre, elle ne pécherait pas ni ne serait remplie de
folie (6). Il est, dès lors, faux de prétendre — comme le font
les gnostiques — que «l'âme est incorruptible, parce qu’elle
est une partie (ué00<) et un souffle (èuoUonua) de Dieu, et que,
pour cette raison, il voulait sauver ce qui lui est propre et ap-
parenté (70 do xal quyyevés) » (7).
(1) Voir plus haut, p. 43-45.
(2) Voir plus haut, p. 51-52.
(3) Cf. J. LEBRETON, op. cit., t. II, p. 635-640.
(4) Aimé PuEom, Les Apologistes grecs du II° siècle, Paris, 1912, p. 46.
(5) Dial, NS CTI p.26.
(6) Zbid.; p. 22-28,
(7) De resurr., VIII; t. III, p. 240.

Ne TC
était se au pouvoir de la mort et aan l’e erreur . on ne
chacun commettant le mal par sa propre faute » (2). De plus en
| “plus les démons _étendaient leur domination sur l'humanité
_ déchue surtout au moyen de 1 ‘idolâtrie (3).
Le hommes n’“étaient, Fhpendants pas abandonnés par Dieu.

_ Ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, eûssent-ils


_ passé pour athées, comme, chez les Grees, Socrate, Héraclite et
leurs semblables, et, chez les barbares, Abraham, Ananias, Aza-
rias, Misaël, Élie et tant d’autres, dont il serait trop long de
citer ici les actions et les noms (4).

Mais cess chrétiens avant le Christ n'avaient du Verbe qu’une


connaissance Le IDE ee était lens ne chez les

108 maux etee nous en guérir » (7). ec


« est par ie que nous
_ avons été appelés au salut préparé auprès du Père » (8). |
Fa
_ Ce «salut éternel » (9) consistera pour les justes dans l’in-

(4) Dial, LXXXVIIT; t. II, p. 322.


(2) Ibid. :p. 320. #
7 ==) CEST. RIVIÈRE, Saint Justin et les Apologistes du second siècle,
=Paris, 1907, :p. 220-226.
_ (4 Apol. I, 46; t. I, p. 128.
_ (5) Apol. IT, 10; t. I, p. 224-226. En cet endroit, Justin es que,
si les philosophes ont dit quelque chose de bien, c’est grâce à une parceile
du Logos (xarx dyou uépos). Ce qui ne l'empêche pas d'adopter
Cp, I, 44: p. 122-1238) la théorie du plagiat. Voir plus haut, p. 86, n. 5.
(6). Apol. ie 833: p. 102. Cf. ibid., 36; p. 106-108; Apol. II, 10; p. 224-
È 226; Dial, LXXXVII; t. IL, p. 316 ; etc.
(7) Apol. II, 13; p. 238.
(8) Dial, CXXXI; t. IL, p. 466.
Me(0}/Apol. LE 12% p; 26
136 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

corruptibilité et l’impassibilité dont ils jouiront en la société


de Dieu (1). Il se réalisera lors de la parousie du Christ (2).
Alors celui-ci « ressuscitera les corps de tous les hommes qui
ont existé, il revêtira les justes d’incorruptibilité et enverra
les méchants dans le feu éternel » (3). « Devenus impassibles
et immortels comme Dieu», les élus seront « jugés dignes
d’être appelés par lui se fils». D’après Ps. LXXXII, 6, ils
seront même des « dieux et fils du Très-Haut » (4).
En appliquant ce verset aux bienheureux, Justin dit équi-
valemment que l'octroi de l’incorruptibilité est une sorte de
divinisation.

in

Plus clairement «encore que son maître Justin, l’impétueux et


obseur Tatien présente l’immortalité destinée à l’homme comme
une assimilationà celle de Dieu.
D'après lui, l’homme a été fait par le Logos céleste «1°
de l’immortalité (eixova tas dfavastas), afin que, comme l’in-
- corruptibilité appartient à Dieu, de même l’homme, partici-
pant à la portion de Dieu (8eo0 motouv ueralafuy), possède l’im-
mortalité » (5). Cette portion divine qui faisait de l’homme
«l’image et la ressemblance de Dieu », c'était l'Esprit supé-
rieur ou divin qui avait été donné aux premiers hommes, en
plus de leurs âmes, et qui les élevait «au-dessus de la ma-
tière » (6).

(BA Tbid A0" p782:


(2) Ibid., 52; p. 138-140. Avec toute la tradition primitive, Justin attend
le retour du Christ pour un avenir prochain. Cf. Dial, XXXII, LXXXI.
(3) Ibid.
(4) Dial, CXXIV ; t. II, p. 446-448.
(5) TArIAN., Orat., VII; Oro, t. VI, p. 30.
(6) Ibid, XII; p. 52. Dans les chapitres XII-XIII de son « discours »
Tatien distingue deux espèces d’esprits : un esprit inférieur, conçu à la
manièré stoicienne, qui est « dans les astres, les anges, les plantes et les
eaux, dans les hommes et les animaux; et bien qu’il soit un seul et même
être, il possède en lui des différences », c’est-à-dire il différencie les choses
(XII; p. 56); et, d’autre part, un Esprit « supérieur à l’Âme, image et res-
semblance de Dieu » (ibid.,; p. 52), « céleste » (KX ; p. 90), « saint » (XV;
p. 66), « divin» (XIII; p. 62), identique au « Logos qui est la lumière
de Dieu » (XIII; p. 60). Cf. Pueon, op. cit., p. 163.
ÉBAUCHES : APOLOGISTES 137

Aïnsi la ressemblance divine, constituée surtout par 1’ &pluo-


sta où d’äflavasta— termes manifestement synonymes — avait
été conférée aux premiers parents dès leur formation. Maïs,
chez eux, «l’accouplement (su£uyla) de l'Esprit divin» avec
l’âme ne devait pas durer : l'Esprit quitta l’âme parce qu’elle
avait refusé de le suivre (1). Du coup, elle devenait mor-
telle (2). C’est que

l’âme, en soi, n’est pas immortelle, mais mortelle. Elle est cepen-
dant capable aussi de ne pas mourir. Elle meurt et se dissout
avec le corps, si elle ne connaît pas la vérité; elle ressuscite,
toutefois, à la fin du monde avec le corps, pour recevoir, en châ-
timent, la mort dans l’immortalité. Par contre, ne meurt plus,
fût-elle dissoute pour un temps (3), celle qui a acquis la con-
naîssance de Dieu. Par elle-même, en effet, elle n’est que ténè-
bres, et rien de lumineux n’est en elle. Et c’est bien là ce qui
a été dit: « Les ténèbres ne reçoivent pas la lumière ». Car
ce n’est pas l’âme qui a sauvé l'Esprit, mais elle a été sauvée
par celui-ci, et la lumière a reçu les ténèbres. Or la lumière de
Dieu n’est autre que le Logos; les ténèbres au contraire, sont
l’âme ignorante. C’est pourquoi, laissée à elle-même, elle penche
vers la matière en bas et meurt avec la chair. Celle, au contraire,
qui possède la syzygie de l’Esprit divin, n’est pas sans aïde;
elle monte vers les régions où la guide l'Esprit, car c’est en
haut que celui-ci a sa demeure, alors que l’âme a son origine
en bas (4).

L'homme déchu, privé de l'Esprit divin, a cessé d’être l’ima-

(1) Ibid, XIII; p. 62. La conception de Tatien, d’après laquelle l'Esprit


divin forme avec l’âme une « syzygie », c’est-à-dire un couple, est d’inspi-
ration gnostique. Cf. XV; p. 66: vThv uarà Oedv sutuylav (cité plus loin,
p. 138). Voir plus haut, p. 129.
(2) Ibid, VII; p. 32.
est
(3) Certains auteurs ont interprété ce passage en ce sens : l'âme
dissoute, « c’est-à-dire séparée de son corps, mais elle ne meurt pas ». Cf.
L. BaAuRr, Untersuchungen über die Vergüttlichungslehre in der Theologie
29.
der griechischen Väter, dans T'heologische Quartalschrift, t. CI, 1920, p.
Cette interprétation est manifestement erronée, puisque Tatien dit lui-
même (Orat., XV; p. 66) que l’âme — qui, pour lui, n’est que le lien du
corps — ne saurait exister sans ce dernier. Cf. Puecx, Recherches sur le
discours aux Grecs de Tatien, Paris, 1903, p. 71.
(4) Ibid., XIII; p. 58-62.

SEE
ER
2SI
5
do 2 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ge de Dieu; il « l'emporte sur les bêtes par la parole articulée


seulement » (1). Toutefois, une « étincelle» (évauoua) de l’Es-
prit supérieur est restée à l’Âme qui lui permet de chercher
Dieu, sans pourtant la préserver de tomber dans le polythéis-
me (2). Heureusement l'Esprit de Dieu s’est uni à l’âme de
quelques justes, tels que les prophètes, qui ont annoncé aux
autres âmes les choses cachées (3). 5
= Mais nous devons maintenant chercher à recouvrer ce que
nous avons perdu : nous devons «unir l’âme à l'Esprit saint
et former le couple selon Dieu (TrAv xarà Beoy cuCuylav) » (4).
Seul cet Esprit, c’est-à-dire le Logos, «œuvre première du
Père » (5), est capable de nous rendre la ressemblance divine
perdue. Car c’est par l’intermédiaire de l'Esprit comme d’un
ambassadeur que Dieu habite dans les hommes, comme dans un
temple (6). À condition que, par la foi et la pénitence, ils meu-
rent au monde et vivent pour Dieu (7). Aïnsi, « l’Esprit par-
fait est pour l’Ââme comme un appareil d'ailes » qui lui permet
de s'élever vers Dieu (8),
Redevenu l’image et la ressemblance de Dieu, possédant
le Logos, la lumière divine, le chrétien est capable de « voir les
choses parfaites » (9). Aussi, à la fin du monde après la résur-
rection (10), une « immortalité bienheureuse » (ro aflévaroy uerè
&rohaVoews), «la vie éternelle » (11), sera son partage.

(1) Zbid., XV ; p. 70 $
(2) Pour Tatien, l’homme déchu non relevé n'est plus na ment
homme. Il s'élève, en effet, contre la définition donnée par des philosophes
«à la voix de corbeau» (xopaxégwvoi), d’après laquelle l’homme est un
« animal raisonnable, capable de recevoir intelligence et science ». Notre
auteur ne veut appeler homme que « celui qui, s’éloignant de l'humanité,
s’est rapproché de Dieu lui-même » (XV ; p. 68). Par une heureuse incon-
séquence, il maintient néanmoins, contre les fatalistes, la pleine liberté et
la responsabilité de l’homme déchu. Voir VII; p. 30-32.
(3) Orat., XIII; p. 62. Cf. XX ; p. 90.
(4) Ibid, XV ; p. 66.
(5) Ibid., V; p. 22.
(6) Zbid., XV ; p. 68-70.
(7) Ibid.; p. 70-72. Cf. XI: p. 50 : Amoôvnoxe T& noospuw..fñ0 ro 0e@.
(8) Ibid., XX ; p. 88.
(9) Ibid., XIIL ; p. 62.
(10) Cf. ibid.; p. 58-60.
(11) Tbid., XIV : p. 64. De ce passage il résulte qu’il y a une différence
entre avant et Tù à0d4varoy. Alors que l'immortalité peut être bonne
ou
| pilité,qu’
« elle soit. douée au premier er ou promise . :
chrétiens, c’est qu’elle est présentée comme un effet de la con-
naissance de Dieu, conditionnée à son tour par d’inhabitation |
de L'Esprit. Sur ce dernier point, notre apologiste se rencontre ;
avec l’auteur de l’homélie dite ZJ° épître de saint Clément, qui,
lui aussi, attribue l’immortalité de la chair humaine à la pré-
_sence du Saint-Esprit.

ÉT =
III

Tout platoniciens qu'ils Soient, mais surtout préoceupés


d’exalter l’immortalité assurée par le christianisme, saint Jus-
tin et Tatien ont nié l’incorruptibilité naturelle de l’âme hu-
_ maine. En quoi ïls étaient manifestement dans l’erreur. Meil-
leur philosophe qu'eux, Athénagore, qui, dans le titre de sa
_ Supplique pour les chrétiens, se qualifie lui-même d’« Athé-
_nien, philosophe chrétien » (1), s’appliqueà « mettre en équi-
e.- Jibre la doctrine grecque de l’immortalité de l’âme et la
: #4He en la résurrection du corps » (2), qui impliquent déjà
He qe: participation à la nature divine.
Lui aussi voit dans l’agennésie, ainsi que dans l’ incorrupti-
_hilité et l'éternité qui en découlent, les attributs qui caractéri-
sent la divinité (3). Aucun être créé ne possède « la perpétuité
Gtapoviv) en vertu de sa propre nature ». Les anges même,
« êtres toutà fait incorruptibles et immortels... ont été créés
dès l’origine immortels et le demeurent indéfiniment par la
_ seule volonté du créateur ». En ce qui concerne les hommes,

mauvaise, Tù &fävarov. signifie le « te » immortel, savoir l'immortalité bien-


Ep ne ne :
© ATHENAG., Legat., LU ; édit. Oo! t. VII, p. 2.
(2) A. PuxcH, Les Apologistes grecs, p. 199.
_@ Legat., IV ; p. 20 : vù pèv yàp Oeïov dyévnrov elvat wat dfôtov, v Lévy rai
Adyw Bewpoëpuevoy, thy d Ühny yevnthy xai oBaprhv.
“La lecon dyévnrov, « non devenu », adoptée également par Geffken, Zwei
griechische Apologeten, Leipzig, 1907, p. 123, est suggérée par le yevnriv
qui suit. Le codex Parisien. 451 porte la lecon qu « inengendré ».
: La question d'orthographe est ici secondaire, la pensée de l’auteur DISIARE
pas douteuse : il veut dire que Dieu est sans principe.
140 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

«ils possèdent, quant à l’âme, dès leur naissance, la perpétuité


immuable ;mais, quant au corps, ils recevront l’incorruptibilité
par une transformation » (1).
Athénagore maintient done fermement l’immortalité de
l'âme humaine, en la présentant toutefois comme l’effet d’une
disposition divine. spéciale. C’est déjà un progrès sur saint Jus-
tin et Tatien. Mais, pas plus que ces derniers, il ne distingue
entre la « perpétuité» de Dieu, qui est l'éternité proprement
dite, et la « perpétuité » de l’âme qui ne saurait être qu'une
immortalité (2). C’est pourquoi notre philosophe se croit obligé
de nier que l’âme possède l’immortalité xatù thv obxelay puauv.
Quoi qu'il en soit de ces finesses d’ordre philosophique,
Athénagore atteste à son tour que les chrétiens attendent, après
cette existence, une seconde vie. Elle sera, ou meilleure : la
possession du ciel; ou pire : le supplice du feu. La béatitude
céleste est réservée aux justes : après la résurrection, ils seront
auprès de Dieu et avee Dieu, l’âme imperturbable et impassi-
ble, non pas comme de la chair bien qu’ils en aient, mais
comme des esprits. C’est en cela précisément que consiste la
supériorité de l’homme sur les animaux : doué d'intelligence,
portant en lui l’image de son créateur, il ne périt pas comme
la bête (3), mais, dans l’au-delà, est assimilé à Dieu.

IV "e
À la différence d’Athénagore, Théophile d’Antioche est un
adversaire résolu de la philosophie. Sur l’immortalité qu’espè-
rent les chrétiens l’auteur des trois livres à Autolycos expose
des vues qui rappellent les conceptions de Justin et de Tatien.
Théophile insiste sur la ressemblance divine de l’homme.
Adam, dont la formation a été le seul ouvrage que le créateur

(1) De resurr., XNI; p. 252.


(2) Plus tard, à la suite de Boèce, on distinguera de l'éternité propre-
ment dite que Dieu seul possède l’aevum (alwv) ou la sempiternitas, qui
est une éternité participée. Cf. Boxr, De consol. philos;:V, GP. L,
t. LXIIT, col. 858-862.
(3) Legat., XXXI; p. 162-164, combiné avec De resurr., XII; p. 234-
236.
‘ ÉBAUCHES : APOLOGISTES 141

ait jugé digne de ses propres mains (1), a été fait « selon l’ima-
ge et la similitude >» de Dieu. Non seulement notre premier
père, mais tout hommé sans exception « est l’ouvrage et l’ima-
ge » de Dieu (2). Et, à la suite de saint Paul (3), notre apolo-
giste de citer le célèbre passage d’Aratos, d’après lequel « nous
sommes de la race de Dieu» (4). Mais il ne précise pas sur
quoi se fonde cette parenté.
Toutefois, à côté d’une ressemblance mal définie entre Dieu
et le premier homme, il y avait surtout cette différence que
celui-ci n’était pas immortel par nature. Dieu, au contraire,
« est sans principe parce qu’il est non produit (&vap'yoc dé sr,
ÔTt dÉVATOS ésttv) ; il est immuable, comme il est immor-
tel» (5); il n’a besoin de rien (6). Si donc Dieu avait fait
l’homme

immortel dès le commencement, il l’aurait fait Dieu. D’autre


part, s'il d’avait fait mortel, Dieu aurait semblé être la cause
de sa mort.Il ne le fit dès lors ni immortel ni mortel, mais...
- susceptible des deux. S'il s’orientait vers les choses de l’immor-
talité, en observant le précepte de Dieu, il recevrait de lui en
récompense l’immortalité et deviendrait dieu (yéynrar Oedç). Si,
au contraire, il se tournait vers les œuvres de la mort, en déso-
béissant à Dieu, il serait lui-même la cause de sa mort. Car
c’est libre et autonome que Dieu à fait l’homme (7).

Ainsi done le premier homme, auquel Dieu avait «donné


l’aiguillon du progrès », était appelé à grandir, à devenir par-
fait (téeuos), « voire même dieu par assomption (Beos &YAdELY=
Mets) (8) et à monter ainsi au ciel... étant mis en possession de
l'éternité (&ïdrornta ) » (9).

(1) Tacopx., Ad Autol., IL, 18; édit. Oro, t. VIII, p. 108.


(2) Ibid., I, 4; p. 14.
(3) Cf. Act., XVII, 28.
(4) Ad Huile MS p200;
(5) Ibid., I, 4; p. 12. La forme dyévntos est suggérée par la citation de :
la Sibylle qui se trouve II, 36; p. 164, et où cette leçon est garantie par
le mètre du vers.
(6) Ibid., II, 10; p. 78.
(7) Ibid., II, 27; p. 130-134. Cf. II, 24; p. 124.
(8) Mot à mot : «un dieu assumé », deus assumptus.
(9) Ad Autol., II, 24; p. 124.
142 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE ne

Mais, devenu infidèle à cette vocation, Adam s’est perdu par


le péché (1). A la suite de sa désobéissance, il a enduré le la-
beur, la souffrance et la peine, pour tomber finalement sous la
domination de la mort (2) et, avec lui, «tout le genre hu-
main » (3). se
Dieu ne s’est pourtant pas désintéressé de l'humanité : il lui
« a donné une loi et de saints préceptes ». Quiconque les « observe
peut se sauver, participer à la résurrection, hériter l’incorrup-
tibilité» (4) et «obtenir la vie éternelle» (5). Et, quand il
aura déposé ce qui est mortel et revêtu l’incorruption, alors
l'élu verra Dieu selon son mérite (xat’ &£lav). Devenu immortel,
il verra l’Immortel (6). De la sorte, malgré le péché, se réalisera
le plan divin primitif.
Pour la première fois Théophile exprime avec une parfaite
clarté l’idée d’après laquelle, en recevant l’immortalité, l’hom-
me devient dieu, en d’autres termes est divinisé. Il ne manque
plus que ce mot. L’immortalité qui déifie, c’est, d’après notre
apologiste, l’incorruptibilité bienheureuse ou la vie éternelle
au ciel, que Dieu réserve aux chrétiens ressuscités: elle est
donc, elle restera toujours un don divin et ne deviendra jamais
une ‘ncorruptibilité « par nature » ou absolue comme celle de
Dieu. Aussi, en disant de l’homme rendu immortel qu’il de-
vient dieu, Théophile a soin de préciser : « dieu par assomp-
tion ». | :
*#
CET

Tous les Apologistes enseignent que la vie éternelle offerte


par le christianisme ne sauraït être qu’une immortalité parti-
cipée. Tous suggèrent en outre ce que Théophile dit formelle-
ment, savoir que cette participation à l’incorruptibilité divine
implique une assimilation à Dieu donc une divinisation, encore
que ce terme ne soit pas employé par eux (7).

(1) Ibid.
(2) 7h14; IL, 25: p. 12S8.
(3) Ibid., II, 29; p. 138.
(4) C£. TI Cor, XV, 50 : «la corruption n’héritera pas l'incorruptibi-
lité ».
(5) Ad Autol., II, 27: p. 134.
(6) ITbid., I, 7; p. 24. |
(7) Tatien emploie le terme de Beomouiv, lorsqu'il reproche aux Grecs de
« diviniser les éléments du monde ». Orat., XVIII; t. VI, p. 82.
ÉBAUCHES : APOLOGISTES |
à ;
voir, _est nettement eschatologique. Elle n’en suppose pas Es
une terrestre, qui consiste surtout dans l ac-

ne Dons cette 0 la Si. assignée au ne ar.


est capitale : c’est de lui que semble dépendre en pre-
mier lieu dadestinée humaine. Néanmoins l’activité prévenante
du en estue insinuée et souvent ue RU comme

à nes Fequ ils voient . le nn surtout 1xignorance


17 l'erreur, les ne oo: le He da : DHRes

logistes ontre en différence ose entre son activité


av ant à Se L'œuvre a rédemptri-

: Somme toute, ce que l’on trouve chez les Pères apostoliques


hez les Apologistes ce sont des ébauches d’une doctrine de
EI déification. Bien que, prises en elles-mêmes, ces ébauches ne
_ manquent ni de valeur ni d'intérêt, elles tirent toute leur im-
tance du fait qu’elles seront le point de départ d’un déve-
pement considérable inauguré par saint [rénée.

Î
CHAPITRE II

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS

$ {. — Tradition chrétienne : Saint Irénée

Conçue trop exclusivement comme une divinisation eschato-


logique, la sotériologie des Apologistes n’intègre pas suffisam-
ment l’enseignement de saint Paul et de saint Jean d’après
lesquels, dès ici-bas, le baptisé vit de la vie même du Christ et
de son Esprit. C’est précisément cette doctrine que vont re-
prendre les premiers exégètes et théologiens, dont saint Irénée
tient la tête. Aïnsi, non seulement ils complètent les Apologis-
tes, mais en même temps ils opposent aux rêveries gnostiques
la notion authentiquement chrétienne d’une assimilation à
Dieu, d’une déification commencée dès cette vie grâce à l’in-
carnation du Verbe et à l’inhabitation de l’Esprit-Saint dans
l’âme du juste, divinisation achevée dans l’au-delà par le don
effectif de l’incorruptibilité corporelle,

À la suite de saint Paul, l’évêque de Lyon élabore sa sotério-


logie — dans laquelle la divinisation occupe une place de
choix — en partant du parallèle entre Adam et Jésus-Christ :
en celui-ei nous retrouvons «ce que nous avions perdu en
Adam, savoir l’image et la ressemblance de Dieu » (1). « Cette
phrase, observe M. Rivière, nous donne le principe général et
comme le résumé de la théologie rédemptrice de saint Iré-

(1) Ado. haer., TITI, XvInt, 1; P. G., t. VIL, col. 932. Sauf indication
contraire, les écrits des Pères sont cités d’après Migne.
S

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : IRÉNÉE 145

née » (1). Elle montre également que celui-ci conçoit la simi-


litude divine du chrétien sur le type de la ressemblance divine
qu’il attribue à Adam. D'où l'intérêt que présente l'étude de
l’état originel pour l'intelligence de la grâce chrétienne.

Notre docteur ne se lasse pas de répéter que l’homme a été


fait «selon l’image et la ressemblance de Dieu » (2). Souvent
il emploie ces deux expressions comme synonymes. Ainsi lors-
qu’il éerit : « [Dieu] imprima sa propre ressemblance à sa
créature, afin que l’on vit bien qu’elle est l’image de Dieu » (3).
La même synonymie paraît encore supposée chaque fois que
l’un des deux termes est utilisé seul, sans être opposé à l’au-
tre, pour exprimer, d’une manière générale, la similitude entre
Dieu et l’homme. Ce qui résulte des passages suivants :

En disant: «selon l’image du créateur», il [saint Paul]


a manifesté la récapitulation de l’homme, qui, au début, a été
fait selon l’image de Dieu (4).
L’homme est un mélange d’une âme et d’une chair qui a été
formé à la similitude de Dieu (qui secundum similitudinem Dei
formatus est) (5).

En admettant la parfaite synonymie d’imago et de simili-


tudo dans le texte de la Genèse, saint Irénée ne fait, du reste,
que suivre l’Écriture elle-même (6) ainsi que la tradition. On
n’en est que plus surpris de rencontrer sous sa plume des pas-

(1) J. RIVIÈRE, op. cit., p. 121.


(2) Cf. par exemple Adw. haer., III, XVIIx, 1; col. 932; xxIx, 1; col.
956; xxxIx, 1-2; col. 960-961; IV, xxxVIIT, 3-4; col. 1108-1109; V, x, 38,
col. 1123.
(3) Demonstr., 11; P. O., t. XII, p. 762. Nous citons la Démonstration
de la prédication apostolique d’après la traduction française par Joseph
BARTHOULOT, dans Patrologia Orientalis, t. XII, p. 749-800, en la contrô-
lant sur la traduction anglaise qui la précède, ainsi que sur la traduction
allemande de S. WEBER, /renäus, Kempten-Munich, 1912.
(4) Adv. haer., V, xIx, 4; col. 1155. Cf. IV, xx, 1; col. 1032.
(5) Ibid., IV, praef., 4; col. 975. Cf. V, x, 1; col. 1121. Non sans raïi-
son, M. Struker, op. cit., p. 89-90, estime que, dans tous les passages dans
lesquels le traducteur latin emploie le terme similitudo pour exprimer la
ressemblance divine de l’homme prise au sens large, l’original grec portait,
«non pas ôpofwot, mais opotütns. Of. Adv. haer., III, xxI, 10; col. 955;
XXII, 1; col. 956.
(6) Cf. plus haut, p. 71.
Le 2 ke Fe

# 7 de ;
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F F1 = 5 L CANNES : ETEY ra 7 Se
k Ve L . A RES re PR LE
146 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE RIRE
+

sages oùil oppose ces deux mots l’un à l’autre avee une net-
teté qui exclut tout doute. C’est ainsi qu’en déerivant l’hom-
me parfait il enseigne :

Lorsque cet Esprit [de Dieu] mélangé à l’âme s’unit à la


chair, alors, à cause de l’effusion de l'Esprit, l’homme est devenu
spirituel et parfait : et c’est celui-là qui est fait à l’image et à
la similitude de Dieu. Si, au contraire, l'Esprit manque à l’âme,
cet homme est vraiment animal et, resté charnel, il sera impar-
fait, ayant bien l’image dans la chair, mais ne possédant pas la |
similitude dans l'Esprit. En effet, ni la chair n’est par elle
même l’homme parfait, mais le corps est une partie de l'homme;
ni l’Âme non plus, par elle seule, mais elle est l’Âme et une
partie de l’homme; ni, enfin, l’Esprit, car il est appelé Esprit
et non homme. C’est le mélange et l’union de tous ces trois élé- É
ments qui consttde l’homme parfait (1). :

L'homme parfait — done Adam avant sa chute— se com-


pose dès lors de trois parties : du plasma ou de la chair, appe-
lée aussi corps, de l’âme et de l’Esprit. Ce qui est « formé à
l’image de Dieu » c’est la chair qui, dans notre texte, est net-
tement distinguée de l’âme : l’homme «animal et charnel….
possède l’image dans le plasma » (2).
En face d’affirmations aussi précises, il semble difficile de
ne pas reconnaître que, pour Irénée, «l’eixoy est surtout réa-
lisée dans le corps » (3). es: :
Mais alors comment concilier pareille conception avec la doc-
trine de l’absolue spiritualité de Dieu très fermement soutenue
par notre docteur (4) ? Un passage de la Démonstration sem- *
_ble contenir la clef de cette énigme. Au chapitre XXII, en ef-
fet, après avoir cité Genèse, IX, 1-6 — citation qui se termine
par cette phrase : «car Dieu a fait l’homme à son image» —
Irénée commente : « L'image de Dieu c’est le Fils, à la ressem-
blance duquel l’homme a été fait. Et c’est pour cela qu'il [le
Fils] est apparu à la fin des temps, pour montrer que son

(1) Adv. haer., V, vx, 1: col. 1137-1138.


(2) Ibid. Cf. V, 1, 3; col. 1123.
(3) A. HARNACK, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. I, p. 589.
(4) Cf. X. LE BACHELET, Dieu, dans Dict. de théol. eath., t IV,
col. 1036-1039. S
l image di Fe:» incarné, on que,, le passage de
< Adversus haereses cité toutà l’heure, il ait pu voir réalisée
«li image de: Dieu» d’abord dans le corps humain, puisque,
selon Jui, celui--ci a été formé sur le type du corps du Logos
incarné de toute éternité idéalement présent au créateur. ?
_ Nous disons bien que l’image de Dieu ou du Fils se trouve
réalisée «d’abord » dans Ja chair humaine, pour marquer que |
D œn est point le corps seul qui est une image de Dieu. Ailleurs,
en effet, saint Irénée distingue une double similitude de
l’homme : nature! par rapport à Dieu:

Quant àà l’homme, il le forma de ses propres mains, en pre-


nant de la terre la plus pure et la plus fine et en mélangeant en
due proportion sa force à la terre. En outre, il imprima ses”
propres traitsà son ouvrage, afin que même le visible [en lui]
fût déiforme; car l’homme [ainsi] façonné a été placé sur la
terre comme image de Dieu. Et pour qu’il devînt vivant, il souf-
fla sur son visage le souffle de vie, de sorte que, tant par cette
insufflation que par sa formation l’homme fût semblable à Dieu.
à Or il était libre et autonome, puisqu'il a été fait par Dieu pour
LT commander ?à tous les êtres qui seraient sur la Le (2).

ire est, par conséquent, l’image Fe Dieu, ou plus exaC-


tement du Logos incarné, dans son corps déjà, ce corps ayant
été façonné selon l’Homme-Dieu, type idéal de l'humanité tout
entière (3). Il l’est également dans son âme en tant que, par
ne e, il est libre et maître, non seulement de ses propres actes,
mais aussi |de toute la création (4). Cette similitude divine fon-

k F2 (1) Le 4 XXII; p. 767. Comme c’est déjà le cas pour Philon, la


_ ressemblance d'Adam avec Dieu affirmée dans le récit biblique devient,
chez Irénée, une ressemblance avec le Logos. Cf. plus haut, p. 89. ;
(2) Ibid, XI. La traduction de ce passage donnée par le P. Bar--
” thoulot, p. 762, diffère notablement tant de la traduction añglaise, p. 667-
_ 668, que de la traduction allemande de Weber, op .cit., p. 591. Nous devons
Ja traduction que nous donnonsà l’obligeance de notre collègue, M. Karst,
professeur d’arménien à l’Université de Strasbourg.
(3) Cf. Adv. haer., V, vi, l1; col. 1136 : « Glorificabitur autem Deus in
conforme illud et consequens suo puero adaptans ». Voir
148 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

dée sur l'intelligence et le libre arbitre de l’homme est, du


reste, affirmée à plusieurs reprises par Irénée dans son ouvrage
principal. Opposant l’homme aux êtres privés de raison, il écrit
par exemple : « L'homme raisonnable, et par là semblable à
Dieu, a été créé libre dans sa volonté et autonome » (1).
Que ce soit l’homme tout entier, corps et âme, abstraction
faite de l'Esprit (2), qui est l’image du Logos, ceci résulte
clairement d’un autre texte où s’exprime la distinction faite
dans l’homme entre eixwy el ouolwsts.

C’est alors que ce Verbe a été montré, lorsque s’est fait


homme le Verbe de Dieu, s’assimilant lui-même à l’homme et
assimilant l’homme à lui-même, pour que, grâce à sa ressem-
blance avec le Fils, l’homme devint plus cher au Père. Dans
le passé, on disait bien que l’homme était fait à l’image de Dieu,
mais ce n’était pas manifeste. En effet, le Verbe était encore
invisible à l’image duquel l’homme avait été fait. C’est pour-
quoi il a facilement perdu la similitude (émotwotv). Mais, lorsque
s’est fait chair le Verbe de Dieu, il affermit l’une et l’autre;
car il révéla la véritable image en devenant lui-même ce qu'était
son image; et il rétablit solidement la similitude en rendant avec
lui l’homme semblable ( ouveéouotwcas ) au Père invisible par
le Verbe visible (3).

Ainsi donc, devenu visible par son incarnation, le Logos a


montré que l’homme était vraiment à son image. C’est dès
lors par sa nature que l’homme est l’image du Verbe. Et voilà
pourquoi, par la faute originelle, il n’a pas perdu l’ sixwy , pas

« double élément dans la ressemblance divine naturelle » de l’homme. Mais,


ne pouvant l'expliquer, il élimine ce passage comme une interpolation. Nous
pensons avoir montré qu'il n’est pas indispensable de recourir à cet expé-
dient.
(1) Adw. haer., IV, 1v, 38; col. 983. C£. IV, xxxVIX, 4 ; col. 1102 ; XxXXVIII,
4; col. 1109, où la similitude divine de l’homme est placée dans son libre
arbitre.
(2) C£ ibid, V, xI1, 2; col. 1152-1153, où Irénée distingue entre la
€ Tvoh Cwñs qui fait l’homme psychique », c’est-à-dire lui donne l’âme rai-
sonnable, et «l'esprit vivifiant qui le perfectionne en le rendant pneumati-
que ». Maïs dans ce passage notre docteur ne semble reconnaître à Adam
que le «souffle» et lui refuser, «l'esprit» que, pourtant, ailleurs il lui
attribue formellement.
(3): Ibid, V, XVI, 2; col. 1167,1168.
N
M4

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : IRÉNÉE 149

plus qu'il ne pouvait perdre la nature humaine (1). La


opotwous, au contraire, a été effacée par le péché d'Adam.
Quelques grandes que soient les difficultés d'interprétation
dues à l’imprécision de la pensée et plus encore du vocabulaire
de saint [rénée, il est certain — et c’est là pour nous le point
capital — que, chaque fois qu’il oppose eixwy à ouotwats,
l’évêque de Lyon voit l’image divine réalisée dans la nature
même de l’homme. L’eixwy apparaît dès lors comme quelque
chose de naturel à l’homme, d’inamissible et de commun à
tous.

Le premier homme possédait done à la fois l’eixoy et la


ouotwots. Il a perdu celle-ci par sa désobéissance : similitudi-
nem facile amisit. Mais le Verbe de Dieu « a fermement rétabli
la ressemblance, en rendant l’homme semblable au Père invi-
sible ».
Il s’ensuit que cette ressemblance divine d'Adam, distinguée
de l’état d’image, était quelque chose de spirituel qu’il pouvait
perdre sans cesser d’être homme. Surajoutée et supérieure à
la similitude naturelle, elle était l’effet de la possession de
l’Esprit de Dieu : similitudinem assumens per Spiritum (2).
C’est que l’Esprit avait donné à Adam «la robe de sain-
teté » (3) et fait de lui un homme parfait, non pas d’une per-
fection absolue excluant tout progrès, mais d’une perfection
relative. Car l’homme était destiné à « progresser paisiblement
et à monter vers le parfait, c’est-à-dire à se rapprocher de
l’inengendré (zxoù à&yeyyirou ). Est parfait, en effet, l’inengen-
dré et celui-ci est Dieu ». Au terme de cette ascension, Adam
aurait vu Dieu. « Or la vue (past) de Dieu procure l’äplapota,
qui, à son tour, donne une place auprès de Dieu » (4). Le créa-
_ teur ne fit donc pas dès le début de l’homme un dieu, parce
qu’il eût été incapable « de porter la puissance de la divinité » :

(1) Cf. E. KregBA, Die Anthropologie des hl. Trenaeus, Munster-en-


Westphalie, 1894, p. 24-26. C’est à tort que l’auteur comprend dans
V’elxwv, non seulement la nature humaine, mais aussi les dons préternatu-
rels dont Adam était orné.
(2) Ad. haer., V, vi, 1; col. 1138, cité p. 145.
(3) Ibid., IIT, xxuux, 5; col. 963.
(4) Cf. Sap., VI, 19.
il lui fallait d’abord devenir ne hole dieu
après seulement, en acquérant la perfection, c’est-à-dire l’incor-
ruptibilité grâce à la vision de Dieu (1).
La déification progressive, telle était, dès lors, la fin proposée
à l’activité de notre premier père. Mais, loin de la réaliser,
Adam, par son insoumission, a perdu, pour lui et ses descen-
dants, les dons qu’il n’avait reçus qu ’à titre précaire : Ie Esprit
Let, par suite, la éuolwats avec Dieu (2). ;

IT RP ET

Pour nous rendre ce que nous avions perdu en Adam, après


une préparation appropriée (3), à la fin des temps, le Fils de
Dieu s’est fait homme, L'œuvre de restauration ne pos-
tulait, en effet, un Homme-Dieu :
Le Verbe de Dieu s’est fait hommeet celui qui est Fils de
Dieu s’est fait fils de l'homme, uni au Verbe de Dieu, pour
que l’homme reçût l'adoption et devint fils de Dieu. Car nous ne
pouvions recevoir autrement Far bise et l’immortalité
que par l’union à lincorruptibilité et à l’immortalité. Mais
comment aurions-nous pu être unis à l’incorruptibilité et à l'im-
mortalité, si l’incorruptibilité et l’immortalité n'étaient pas deve-
nues préalablement ce que nous sommes, afin que ce qui était
corruptible fût absorbé par l’incorruptibilité et ce qui était
mortel par l’immortalité et que nous reçussions l’adoption des
fils (4) ?
+

Ailleurs la même doctrine se trouve Fe dans cette mn


formule lapidaire:
Qui [Jesus Christus] propter immensam suam dilectionem
factus est quod sumus nos, uti nos perficeret esse quod est
ipse (5).

(1) Adv. haer., IV, xxxvIIt, 3-4; col. 1108-1109. Sur l’« enfance spiri-
tuelle » d'Adam, voir A. VERRIÈLE, Le plan du salut d'après saint Irénée,
dans Revue des sciences relig.,t. XIV, 1934, p. 515-518. €
(2) Cf. A. GAUDEL, Péché originel dans Dict. de théol. cath., L XII,
col. 325-326.
(3) Ado. haer., IV, x1,-2; col. 1011.
(4) Ibid, III, xIx, 1; col. 939-940. Cf. ibid. “XVII, 7; col. 937;
IV, XXXIN, 4; col. 1074. Dans ces textes, saint Trnes part de l’œuvre
.déifiante du Sauveur pour établir à la fois sa divinité et son humanité,
(5) Ibid., V, praef.; col. 1120,
Lorsque [le Fils de Dieu] s’est incarné et s’est fait homme, :
il a récapitulé en-lui-même la longue série des hommes (longam
homimim expositionem in seipso recapitulavit), nous donnant le
salut en bloc (in compendio), pour que nous retrouvions en
Jésus-Christ ce que nous avions perdu en Au savoir l’image
et la ressemblance de Dieu HS
Il unissait donc l’hommeàà Dieu. Si l'homme n'avait pas été
= uni à Dieu, il n'aurait pas pu avoir part à lincorruptibilité |
E (oùx à ävsie ueracyeiy ris &pbapoiac) (2).

S
De ces tés: on voit s’esquisser pour la première. nn une
_ conception physique ou mystique de la déification (3). D’ après
_ cette théorie — qui part de l’idée johannique du Logos, prin-
<cipe de vie — la nature humaine est immortalisée, done divini-
sée, par le fait même du contact intime que l’Incarnation éta-
blit entre elle et la nature divine du Verbe.
É Mais, si l’Incarnation joue ici le rôle principal, au point de
sembler suffire àà elle seule pour le salut, le docteur de Lyon ne
méconnaît nullement la valeur rédemptrice de la mort du

; effet, les mêmes biens, l’immortalité notamment, qu'il attribuait


tout à lheure à l’Incarnation, comme le fruit de la Passion :

_ Par sa passion, le Seigneur a détruit la mort, dissipé l'erreur,


_ exterminé la corruption et aboli l'ignorance; il a manifesté la
__ vie, montré la vérité et conféré l’incorruptibilité (4).
. = : ï F s . CEE 72

\ s Cane

4) Ibid, III, XVIII, 1; col. 932. Cf. ibid., xxI, 10- XX ; col. 954-960;
IV, XX, 4; col. 1034.
= (2): Ibid., TITI, xvux, 7: col. 937.
Le (3) Cf. J. TIXERONT, op. cit, t. I, p. 265; t. IT, 9e édit., 1931, p. 149;
L. RICHARD, Le dogme de la Rédemption, Paris, 1932, p. 84.
2 (4) Adv. haer., II, xx, 8; col. 778. Autres références dans J. RIVIÈRE,
_ Le dogme de la Rédemption. Essai d'étude histor., p. 123- 126. Cf. F. VER- …
Enr, Te dans Poennaire de théol. cath., t. VII, col. 2472-2474.
152 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Ce qui n’est pas autre chose que le réalisme biblique —


paulinien surtout — et traditionnel, d’après lequel notre rachat
s'opère par le sacrifice expiatoire de Jésus-Christ (1); mais
nulle part Irénée ne montre comment il s’harmonise avec l’effi-
cience qu'ailleurs il attribue à l’Incarnation comme telle.

Bien entendu, quelque grande que soit la vertu qu'il recon-


naît à l’œuvre salvifique du Christ, l’évêque de Lyon est loin
de penser qu’il ne reste plus rien à faire pour l’homme en vue
de sa divinisation. Au contraire, d’après lui, seuls les fidèles
qui «sont unis au Verbe de Dieu le Père » obtiendront l’incor-
ruptibilité.
C’est, en effet, ce qu'Irénée enseigne avec force à propos des
hérétiques qui ne voient dans le Christ qu’un simple homme.
Il écrit à leur sujet : |

S’obstinant dans l'esclavage de l’antique désobéissance, ils


meurent, n'étant pas encore unis au Verbe de Dieu le Père
(nondum commixti Verbo Dei Patris) et n'ayant pas encore
obtenu par le Fils la liberté. Ils sont privés de son don qui
est la vie éternelle : ne voulant pas recevoir le Verbe de l’incor-
ruptibilité, ils restent dans la chair mortelle et soumis à la
mort, parce qu’ils n’acceptent pas l’antidote de la vie (2).

L'union déifiante avec le Logos incarné et son Esprit s’opère


par la foi, la charité et l’usage de sacrements, tels que le bap-
tême et l’Eucharistie (3). C’est par ces moyens que l’action
divine renouvelle l’homme « à l’image et à la ressemblance de
Dieu » (4) et rétablit en lui la ouolwots 56 0e& perdue par le
péché.

() Cf. J. TIXERONT, 09 .cit., t. II, p. 149, 265-266 ; F. VERNET, loc. cit.,


col. 2470; Bernard BARTMANN, Précis de théologie dogmatique, traduction
sur la huitième édition par Marcel GAUTIER, Mulhouse, 1935, t. I, p. 436.
(2) Advw. haer., III, x1x, 1; col. 938 CD.
(3) Cf. F. VERNET, loc. cit. col. 2492-2495.
(4) Adv. haer., V, XXXVI, 8; col 1224. Cf, Demonstr, XOVII:; p. 799.
PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : IRÉNÉE 153

III

En quoi consiste exactement la ressemblance divine supé-


rieure accordée au chrétien ? Le principe en est certainement
l’Esprit-Saint :

Par l’effusion de l'Esprit, l’homme est devenu spirituel et


parfait, et c’est celui-là qui est à l’image et à la ressemblance
de Dieu. Maïs si, dans un homme, l'Esprit manque à l’âme,
cet homme-là sera imparfait ne possédant pas la similitude
dans l'Esprit (1).

Des affirmations de ce genre reviennent fréquemment sous


la plume de notre auteur (2). Du reste, pour lui, cette imhabi-
tation de l’Esprit de Dieu dans l’homme n’a pas été, avant
l’arrivée du Christ, le privilège exclusif d'Adam : les prophètes
et les justes de l’Ancien Testament en ont été également favo-
risés (3). Bref, il n’est pas douteux qu’à la suite de saint Paul
l’évêque de Lyon n’enseigne l’inhabitation spéciale du Saint-
Esprit dans l’âme du chrétien et, par elle, dans son corps. Plus
exactement, la chair du juste est possédée par l'Esprit divin,
cette chair qui, d’après l’Apôtre, doit être « un temple pur pour
que l'Esprit de Dieu se délecte en elle, comme l'époux en
l’épouse » (4). Sur les modalités de cette présence spéciale du
Saint-Esprit dans le baptisé saint Irénée n’a pas spéculé.
A côté du don personnel de l’Esprit-Saïint, notre docteur
semble admettre dans le juste la présence d’une sorte de « na-
ture spirituelle apparentée à l'Esprit divin et créée par lui,
qui est devenue la propriété individuelle de l’homme » (5). M.
Struker le déduit de ce passage de l’Adversus haereses :

(1) IZbid., V, vi, 1; col. 1138. Voir plus haut, p. 145.


(2) Cf. ibid, V, 1x, 1-3; col. 1144-1146; IV, xx, 4, 6; col. 1034,
1036; V, virx, 1; col 1141; x, 1; col. 1150: xxx, 2; col. 1152-1153;
Demonstr., VII; p. 760.
(3) Demonstr., XLAX ; p. 781; LXXIII, p. 791. Cf. Adw. haer., III,
xx1, 4: col. 950; IV, xx, 8; col. 1037-1038.
(4) Adv. haer., V, 1x, 4; col. 1146-1147. Cf. ibid., 3; col. 1145 : caro
a Spiritu possessa. Voir KLEeBBA, op. cit., p. 166-169.
(5) A. STRUKER, 0p. cit., p. 106.
Une fois rempli le nombre qu’il a fixé d'avance en son déeret £
tous ceux qui sont inscrits au livre de vie ressusciteront, avec
leurs propres corps et leurs propres âmes et leurs esprits pro-
pres ({ôua nveüuara), dans lesquels ils auront su plaire à Dieu.
Mais ceux qui auront méritéun châtiment iront le subir, eux
aussi, avec leurs propres corps et leurs propres âmes, dans les-
quels ils seront éloignés de la grâce de Dieu (1).

En assignant de la sorte à chaque élu un «esprit propre »,


exactement comme un corps et une âme « propres », Irénée don-
nerait à entendre que le mvebux en question est propriété
individuelle et exclusive de l’homme, tout comme son corps et
son âme, sans toutefois appartenir à la nature humaine, puisque
les réprouvés en sont privés (2). M. Klebba, au contraire, esti-
me que l'expression tütoy nveüua désigne l’Esprit-Saint lui-
même «en tant que donné à un homme, conservé intact par
lui et devenu ainsi sien». L'’adjectif « propre » exprimerait
simplement la mesure individuelle et diverse selon laquelle
l'Esprit est possédé par les hommes (3). RS x
Si, en soi, l’une et l’autre de ces interprétations sont possibles,
la première a pour elle que notre docteur semble lui-même dis-
tinguer entre spiritus hominis et Spiritus Dei dans un autre
passage de l’Adversus haereses :
Si erim substantiam tollat aliquis earnis, id est dore
et nude ipsum solum spiritum intelligat, iam non spiritualis
homo est, quod est tale, sed spiritus hominis aut Spiritus Dei (4).

Au même endroit, commentant 1 Thess., V, 28 : « Que le


Dieu de paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et que tout
ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, se conserve sans
reproche jusqu’au jour de l’avènement de nôtre Seigneur Jé-
sus-Christ », saint Irénée écrit :
Et quelle raison avait-il donc d’implorer, en vue de l’avène-
ment du Seigneur, une pleine et parfaite persévérance pour
ces trois éléments, savoir l’âme, le corps et l'esprit, si ce n’est

(1) Ado. haer., II, xxxIu, 5; col. 834.


(2) Ibid.
(3) E. KLEBBA, op. cit., p..181. ,
(4) Adv. haer., V, vi, 1 col. 1137.
parce qu il savait que dans le ble et le te de
ces trois choses consiste leur unique et même salut (1)?

ni Deinble difficile d’°identifier le spiritus de ce texte avec le


ÉmeEsirit, puisqu'il y est question de son salut au même
titre que de celui du corps et de l’âme. Tout invite, au con-
traire, à y voir une réalité spirituelle, distincte de l'Esprit di- on
_ vin et inhérente à l’homme. Seulement, un peu plus loin, Iré-
_ née donne de nouveau l'impression que, pour lui, « l'esprit de $
l’homme » s’identifie avec « l'Esprit de Dieu », lorsqu'il écrit :
sce | Perfecti igitur, qui et Spiritum in se perseverantem habuerint
Dei,et animas et corpora sine querela servarint (2).

= Le commentaire que fait Irénée à propos de la comparaison


_ de l'olivier sauvage et de l'olivier franc employée par 1’Apô-
tre fournit à M. Struker un nouvel argument en faveur de sa
::thèse. Comme l'olivier sauvage, après avoir été enté, sans chan-
ger de nature, se trouve intérieurement amélioré ainsi que le
_ prouvent ses fruits, de même s ’accomplirait dans les hommes
ot
; acceptent l'Esprit de Dieu et produisent ses fruits «un
changement vraiment intrinsèque bien que non substantiel » (3).
“es Tout en l’explicitant, cette argumentation paraît faire res-
_ sortir la vraie pensée de notre docteur. D'autant qu’une série
d’autres indications vont dans le même sens,
_ C’est aïnsi que l’évêque de Lyon dit souvent que, pour le
_ chrétien, l’Esprit-Saint est principe, source de vie divine : qui
us Patris) emundat hominem et sublevat in vitam
- Dei (4). Cette vie nouvelle «ne vient pas de nous, ni de notre
nature ; mais elle est donnée selon la grâce de Dieu », elle est
une participation à la vie divine elle-même (5). Supérieure à la

à © Ibid. ;. col. 1138B


=, (2) Ibid. 3; col. 1138 BC.
É* 4 A. STRUKER, op. cit, p. 107.
(4) Adv. haer., V, 1x, 2; col. 1144. Cf. ibid., 3-4; col. 1145-1147.
(6) Ibid., II, XXXIV, 3-4: col. 836-837. Nous avons ici in nuce la distinc-
_ tion entre nature et grâce. Me loin d’insister sur cette distinction, Irénée
_ et les Grecs en général marquent plutôt la continuité entre les deux ordres :
«la nature n ‘apparaissant guère que comme une participation imparfaite
ei
de . So la grâce réalise D lace pour ainsi dire
156. FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

vie naturelle — on l’appellera plus tard « surnaturelle » — ne


suppose-t-elle pas dans l’homme un substratum spirituel, un
spiritus hominis produit par l’Esprit-Saint et, dès lors, dis-
tinct de lui ?
De plus, l’action divine sur l’homme est comparée par saint
Irénée à celle d’un monnayeur et d’un artiste : « Par l'Esprit
nous recevons l’image et l’inscription du Père et du Fils » (1).
Aussi devons-nous offrir à l’artiste divin un cœur maniable et
soigneusement garder le chef-d'œuvre qu’il forme en nous (2).
Ces images d’une inscription, d’un chef-d'œuvre produits en
nous, avec celle de la « robe de sainteté », suggèrent fortement
que notre docteur a entrevu dans le chrétien, à côté de la pré-
sence de la personne même du Saint-Esprit, celle d’un « esprit
de l’homme », c’est-à-dire d’un don spirituel, distinct de l’Es-
prit divin, mais produit par lui et inséparable de lui, qui élève
l’être humain à un mode supérieur d'existence et d'activité,
au point de le rendre semblable aux personnes divines (3) ; don
qui constituerait essentiellement la opolwots divine de l’homme
régénéré. La théologie postérieure n’aura pas de peine à y re-
connaître la grâce habituelle ou sanctifiante (4). Bref, on peut
dire sans anachronisme que, d’une certaine manière, saint Iré-
née a anticipé la distinction entre Don inceréé et don créé (5).
On trouverait donc chez l’évêque de Lyon, à l’état implicite
du moins, l’idée d’après laquelle la ouotwsts, cette ressemblance
supérieure qui existe entre Dieu et l’homme racheté, serait con-
ditionnée par la possession de la personne du Saint-Esprit, et
constituée par une grâce créée qui transfigure l’homme et le

(1) Tbid., III, xvix, 3; col. 930.


(2) Ibid, IV, xxx1x, 2; col. 1110.
(3) L’Esprit-Saint transforme l’homme à sa propre image (Adw. haer..,
V, 1x, 8; col. 1145) ; « en assumant la qualité de l'Esprit », l'homme devient.
« conforme au Verbe de Dieu » (ibid.) ; celui-ci, enfin, « rend l’homme sem-
blable au Père invisible » (V, xvI, 2: col. 1168. Cf. Demonstr., V; p. 758-
759).
(4) Cf. H. LANGE, op. cit., p. 187.
(5) Il semble, dès lors, au moins exagéré de prétendre, comme le fait
M. J. Turmel, Histoire des dogmes, t. IV, Paris, 1935, p. 465 et 451, que
les Pères «ne connaissaient que la grâce sanctifiante incréée» et que,
« jusqu’au XITI° siècle », celle-ci « sera seule à exister ».
*

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : IRÉNÉE 157

rend semblable aux trois personnes trinitaires. En les assimilant


au Logos incarné qui est l’« enfant » de Dieu par nature, elle
ait des baptisés les fils adoptifs de Dieu (1). L'écriture va
même jusqu'à les appeler des «dieux»; car dla parole du
psaume LXXXII, 6 : «J'ai dit : Vous êtes des dieux et fils
du Très-Haut tous », s’applique « à ceux qui ont reçu la grâce
de l’adoption par laquelle ils crient : Abba, Père » (2).

IV

Pour précieux que soit le don de la ouolwots divine accordée


au chrétien dès cette vie, il n’est qu’un germe qui, tout en de-
vant se développer ici-bas, n’atteindra son plein épanouisse-
ment que dans l’au-delà. Assurément, Irénée appelle « parfait »
l’homme rempli du Saint-Esprit; mais, pour lui, il ne s’agit
pas d’une perfection absolue. Comme celle d'Adam avant la
chute, elle reste, au contraire, susceptible d’un progrès illimi-
té : l’homo viator « progressera lentement et marchera vers le
parfait, c’est-à-dire s’approchera de l’ äyévntos» (3): « Mainte-
nant nous ne recevons de l'Esprit de Dieu qu’une certaine par-
tie en vue de la perfection et de la préparation de l’incorrupti-
bilité, petit à petit nous habituant à saisir et à porter Dieu ».
Mais «la grâce totale de l'Esprit » qui nous sera donnée par
Dieu « nous rendra parfaits selon la volonté du Père; car elle
fera l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu » (4).
- Or, avec saint Ignace et les Apologistes — on pourrait ajou-
ter, les gnostiques — notre docteur voit dans l'àyeyynsla, avec
l’äplapsta qui en découle, l'élément distinctif de l’essence di-
vine, la perfection et la « gloire » de la divinité (5). Dieu seul
est incorruptible par nature au sens strict et complet. Cepen-
dant quelques créatures ont part à la «gloire de l’Inengen-
dré », en tant qu’« assumant la vertu de l’Incréé » elles durent

(1) Cf. Adv: haer., V, vi, 1; col. 1137; III, vr, 1; col. 861; V, xt, 2;
col. 1152.
(2) Ibid, III, vi, 1; col. 861.
(3) Ibid, V, xxxVIII, 3; col. 1108.
(4) Ibid., V, vrrx, 1; col. 1141-1142.
(5) Cf. ibid., IL, xxIv, 2; col. 835; IV, xxxvIIT, 3; col. 1108 : rapx-
uovn dofapolas ÔGEX dyewvrou.
ee

FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE


x ès

toujours (1). Tel est le cas de l’âme humaine (2). homme ad


contraire, ce composé de corps et d’âme, appartient à la cor-
ruption. Mais, après la résurrection et le jugement général (3),
Dieu le fera participer à son privilège de l’incorruptibilité.
Cette participation sera l’effet de la vision de Dieu, que, par
pure bonté, le Père accordera aux élus. En effet, « ceux qui
voient Dieu sont au dedans de Dieu, ont part à sa splen-
deur » (4). Rendus « immortels par la vision » (5), les bienheu-
reux possèdent la ouoloots t@ Üew au suprême degré :: ils se-
ront divinisés dans toute la mesure du possible. ]
Bien que saint Irénée n’emploie jamais les termes Geoxotety
et Üeonoinots, sa sotériologie implique dès lors une :
doctrine de
la déification. ï
+
++

Deux traits surtout caractérisent cette doctrine. D'abord la


distinction qu'elle fait, dans l’homme racheté entre l’ eixoy
et la ‘uolwous. On a vu que cette dinstinction se rencontre pour
la première fois chez les gnostiques; mais chez Irénée elle se
présente avec de tout autres caractères. En effet, repoussant le
concept gnostique de la ôuolwots, comme d’une semence divine
qui, formant l’essence du pneumatique, est dans celui-ei un don
de nature et, par conséquent, inamissible, l’évêque de Lyon
identifie la ouotwots avec la possession du Saint-Esprit et de
ses dons. En quoi, il s’inspire manifestement de la.doctrine
paulinienne de l'Esprit divin, source de vie nouvelle dans +
chrétien (6).
Cette divergence fondamentale en entraîne plusieurs autres.

(1) Tbid., IV, xxxvirt, 3: col. 1107-1108.


(2) Ibid., IT, xx1V; col. 834-837. Cf. KLEBBA, op. cit., p. 108-111. En ce
qui concerne Piniorialte naturelle de l’âme, Irénée pense comme Athé-
nagore. Voir p. 140.
(3) On sait que saint Irénée a donné dans l'erreur millénariste. D’après
lui, le règne terrestre du Christ, d’une durée de mille ans, devait être
inauguré par la résurrection des seuls justes. Adv. haer. Ve XXVITI-XXXVI,
Voir F. VERNET, Loc. cit., col. 2503-2505.
(4) Adv. haer., IV, xx, 5: col. 1035B
(5) Ibid, 6; col. 1036A. Cf. tout le chap. xx du livre IV.
(6) Létane il donne la définition de l’homme parfait, Irénée se réfère
expressémentà l’Apôtre. Cf. Adv. haer., V, vr: col. 1136-1139.
ainsi que, pour Irénée, a épolwate est une De ac-
cidentelle seulement, une grâce divine see à à nature

. la
f te ee. . dune naissent de hi opolwots.
écupérée. , celle-ci ee seRue de oies 5 mes il a

Le d'être Fee 4 Ph et du mal, comme le no Le


gnostiques, le spirituel reste soumis à toutes les exigences de
_ la loi divine et faillible. :
Mais ce qui assure à saint JIrénée une place à Dar dans l’his-
| toire de la doctrine de la divinisation, c’est qu’il est le premier
_ qui ait tenté une interprétation théologique du fait de la déi-
ne ee. os les modalités, en et

É ABS 2 Il vaut mieux ne savoir absolument rien, pas même une seule
_ des causes de tout ce qui a été fait, et croire en Dieu et persé-
| vérer dans la charité, plutôt qu’enflé par cette science déchoir
_de l'amour qui vivifie l’homme; [mieux vaut] ne rechercher
aucune autre science en dehors de Jésus-Christ, Fils de Dieu,
_crucifié pour nous, plutôt que de tomber dans le bavardage et
Mimpiété, entraîné par la subtilité des questions (2).

oo PET IV, XXXIX, 1; col. 1109- 1110.


_@ Jbid. I XXVI, 1; col. 800 BC. 45de 12
160 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Cependant pareille méfiance ne fut pas partagée par tous les


docteurs chrétiens de l’époque. À Alexandrie, à la fin du II
siècle, se dessine une tentative de grande envergure — beau-
coup plus considérable que celle de certains Apologistes, tel
que saint Justin — en vue de présenter le christianisme comme
«la véritable philosophie » (1), qui «est, non pas une science
née de la spéculation humaine, mais une connaissance religieuse
plus haute, due à une révélation privilégiée; une intuition,
qui initie celui qui en jouit à des mystères interdits à la foule,
transforme sa vie morale et religieuse, le tire de la condition
servile commune à tous les hommes, en fait un ami de Dieu,
égal ou même supérieur aux anges » (2). Bref, ces penseurs,
représentés surtout par Clément d'Alexandrie et Origène (3),
pour le but de combattre plus efficacement le gnosticisme de-
venu particulièrement dangereux dans la métropole égyptien-
ne, lui opposent une gnose chrétienne, c’est-à-dire une concep-
tion du christianisme d’après laquelle le salut s'obtient grâce
à une connaissance plus profonde et plus savante de la foi chré-
tienne. Le salut lui-même y ayant pour terme la déification,
cette gnose est une gnose de la divinisation.

D'après Clément, les philosophes, tels que Platon et les stoï-


ciens, sont d’accord avec les auteurs de l'Ancien et du Nouveau
Testament pour placer le souverain bien de l’homme dans son
assimilation aussi parfaite que possible à Dieu :

L’assimilation (£ouotwow) au Adyos 6006<, dans la mesure du


possible, voilà la fin. L’assimilation à Dieu, en vue de devenir
aussi juste et saint dans la prudence que possible, tel est le but
de la foi (4).

(1) CLem. ALEX., Strom., II, xxit; P. G., t. VIII, col. 1080 B. Cf. ibid.,
I; col. 933 CD.
(2) J. LEBRETON, Le désaccord de la foi populaire et de la théologie
savante dans l’Église du ITI° siècle, dans Revue d'histoire ecclés., t. XIX, !
1923, p. 498. à
(3) Certains indices autorisent à penser que tel maître de Clément
déjà — peut-être Pantène — s'était efforcé d'élaborer une gnose chrétienne.
Cf. J. LEBRETON, loc. cit., p. 493-494: G. BarDpy, Aux origines de l'École
d'Alexandrie, dans Recherches de science religieuse, t. XXVII, 1937,
p. 72-77.
(4) Sirom., IT, xxu1; P. G., t. VIII, col, 1084-1085. L'äp0dç Adyos est la
— PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : CLÉMENT D’ALEXANDRIE 161

C'est l’idéal hellénique de la divinisation de l’homme que


notre auteur reprend pour son compte, mais en lui infusant une
âme chrétienne. Il présente, en effet, la déification comme
l’œuvre exclusive du Logos incarné commencée au baptême et
achevée au ciel.

I
En vertu de sa formation déjà, l’homme possède une certaine
similitude avec Dieu. En effet, d’après la Sagesse, « Dieu a
créé l’homme pour l’immortalité et il en a fait l’image de sa
propre nature » (1). Contrairement à ce que rêvent les gnos-
tiques, l’homme est donc une créature : il n’est ni une parcelle
de Dieu ni consubstantiel à lui. Image et ressemblance de Dieu,
l’homme ne l’est pas « dans son corps », mais « selon le voÿs et
la raison » (2). C’est que « le voùs humain est l’image de l’ima-
ge. l’image de Dieu étant le Logos divin et royal, l’homme
impassible (äyGownos àmalrne)» (3).
Clément signale la distinction qu’à son époque certains chré-
tiens faisaient dans l’homme entre l’image et la ressemblance
divines et que, manifestement, il fait sienne : « N’y en a-t-il
pas parmi nous qui pensent que l’homme a reçu l’image (ro
xar” ckx0va) de par son origine même, alors qu’il va recevoir la
ressemblance (ro 40° éuotwsty) plus tard par la perfection? » (4)
C’est qu’en effet Adam «n’a pas été créé parfait, mais apte à
acquérir la vertu: car l’aptitude à son acquisition porte vers la

raison droite des stoïciens, admise par Clément comme principe régulateur
de la morale. Cf. ibid., V, xiv:; t. IX, col. 140 B. Voir A. DE LA BABRE,
Clément d'Alexandrie, dans Dict. de théol. cath., t. III, col. 179-180.
La seconde phrase de notre citation reproduit Théétète, 176 B. Voir plus
haut, p. 46. ,
(1) Ibid, VI, xIT; t. IX, col. 317 C. Cf. Paed., I, 1x; t. VIIL, col. 257
AB; Æclog. prophet., fragm. 17; édit. STAEHLIN, du corpusde Berlin, t.
III, p. 141. Dans ce dernier texte, Clément nie expressément toute préexis-
tence de l’homme, done aussi de l’âme humaine. Cf. Jean HERING, Étude
sur la doctrine de la chute et de la préexistence des âmes chez Clément
d'Alexandrie, Paris, 1923, p. 28-34.
(2) Tbid., II, xr1x; t: VIII, col. 1045°B.
(3) Ibid. V, x1v; t. IX, col. 140. Philon déjà appelle l'homme «image
d'une image», savoir du «Logos divin». Voir plus haut, p. 89-90.
(4) Zbid., II, xxrr; t. VIII, col. 1080 C. Of. Paed., I, xt; t. VIIL, col.
368 B.
162 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

vertu. Or Dieu veut que nous nous sauvions par nous-mé-


mes » (1). Aïnsi de salut de l’homme ne sera nullement l'effet
d’un déterminisme naturel, comme le veulent les gnostiques,
mais le fruit de son libre arbitre. Néanmoins l’on peut dire
qu’« Adam a été parfait quant à sa formation, parce que rien
ne lui manquait de ce qui caractérise l’idée et la forme de
l’homme » (2). |
De par sa création, notre premier père n’a dès lors possédé
que l’image de Dieu inhérente à la nature humaine et, par
conséquent, inamissible; il n’avait pas encore la ressemblance
divine qui est quelque chose de supérieur à l’état d’image, de
surajouté à la nature. Adam était pourtant doué de l’immor-
talité (8) et menait au paradis une vie heureuse (4).
Par suite de sa désobéissance (5), de premier homme «a
échangé une vie immortelle contre une vie mortelle, mais non
pour toujours » (6). Le péché d'Adam inaugure une période
de ténèbres (7) et de mort pour l'humanité tout entière, qui,
de plus en plus, sombre dans la corruption et l’esclavage du
péché (8). Cependant le Logos ne l’abandonne pas pour au- .
tant : il est, non seulement le créateur des hommes, maïs aussi
leur illuminateur, leur pédagogue et sauveur (9). A tous ceux
qui ont vécu avant son incarnation il a préparé des moyens de
salut appropriés : aux Juifs, la Loi; aux Grecs, la philoso-

() Ibid, NI, xIt1; t. IX, col. 317 B. .


(2) Ibid, IV, xx11; t. VILLE, col. 1360 B.
(3) L’immortalité est le seul privilège dépassant l’ordre naturel que Clé-
ment signale dans Adam. Comme, pour lui, l'âme est naturellement immor-
telle (voir N. Le NoURRY, Dissertationes in Clem. Alex., II, vaux, 38; P. G:,
t. IX, col. 1155 CD et xvitx, 1; col. 1289-1291), c’est l’immortalité cor-
porelle qu’il reconnaît done au premier homme. Voir aussi CAPITAINE, 0p.
cit., p. 118-121.
(4) Protr., XI; t. VIII, col. 228 C.
(5) La faute de nos premiers parents a été de «s'être laissé entraîner
à la procréation d'enfants plus tôt qu’ils ne le devaient ». Strom., III, xVIIT;
t. VIII, col. 1205 B. Cf. A. GAUDEL., loc. cit. col. 330.
(6) Strom., IT, xIx ; t. VIII, col. 1041 B. Comme Irénée, Clément croit.
au salut final d'Adam.
(7) CE ibid, VI, xv1; t. IX, col. 360 A. :
(8) Cf. Paed., III, x1r; t. VIII, col. 672 OC : rù uèv yäp Éauaprévermmäov
ÉLUTOV al LOLVOV.
(9) Voir A. DE LA BARRE, loc. cit., col. 160-161.
IT

Ni
: NiRe Christ, c’est la déification: «“Le”L £

si un de toute. la pédagogie divine et fin dernière de


ERre déification se réalise ie ae ou Te Une

rit sieee ue à ne leconnaissant au connu » _


Ilest vrai que, d’ après le Pédagogue, « la foi est déjà la per-
fection de la doctrine »; car «rien ne manque à la foi, puis-
Île est parfaite et pleine par elle-même ». On peut dire, en
sbrat les sont « parfaits autant qu'il est possible

Avoir au : avoir été régénéré, c’est déjà la perfection dans


on.vie @. Æ&

ÿ6%. F t. VIII, Fe 64 D.
Paed., I, xx1; t. VIII col. 368 AB.
_ (6) rom: VX, tx, eok ASIA" Re à
ee Paed., L IV; t.VIII, col. 286 À, Cf. 280 B : « Régénérés, nous
164 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Baptisés, nous sommes illuminés; illuminés, nous sommes


adoptés; adoptés, nous sommes rendus parfaits; parfaits, nous
sommes immortalisés. « J’ai dit, est-il écrit, vous êtes des dieux
et fils du Très-Haut tous » (1).

Il ne manque plus que «la possession de la vie éternel-


le » (2). Aussi n’y a-t-il pas à distinguer diverses classes parmi
les chrétiens :

Il n’est done pas vrai que les uns soient des gnostiques, les
autres des psychiques dans le même Logos; mais tous ceux qui
se sont dépouillés des désirs charnels sont égauxet pneuma-
tiques aux yeux du Seigneur (3).

En lisant ces descriptions enthousiastes de la grandeur de


«l’enfance chrétienne », on ne doit pas perdre de vue que,
dans les passages en cause, Clément combat la théorie gnosti-
que qui établit une différence de nature entre psychiques et
pneumatiques. À cet effet, il nie avec la dernière énergie toute
diversité originelle et essentielle entre baptisés. De plus il faut
se rappeler que, dans son Pédagogue, notre docteur s’adresse à
des néophytes, auxquels il s'efforce de donner une idée aussi
élevée que possible de l’état de perfection qui résulte du bap-
tême.
Mais, dans les Sfromates, s'inspirant de Rom., I, 17, Clément
distingue nettement une double foi : la « foi commune » ( xotvà
mistts) et une foi «augmentée et perfectionnée » (4). La pre-
mière est celle des simples fidèles qui connaïssent Dieu, accep-
tent les faits contenus dans la révélation et ne pratiquent en
aucune manière l'injustice (5). La foi plus parfaite est «la
magnifique et excellente gnose de la vérité » (6), Celui qui la
possède, « le gnostique », est « seul l’homme vraiment pieux » :
c’est lui «le véritable chrétien » (6 t@ ôvr youstuuyds) (7).

(1) Ibid.; col. 281 A.


(2) Ibid.; col. 286 A.
(3) Ibid.; col. 288 AB.
(4) Strom., V, ï; t. IX, col. 12 A.
(5) Ibid. ; col. 9-13 Cf. VII, tr: col. 408 B.
(6) Ibid.; col. 13 C.
(7) Ibid., VIL, 1; col. 401 B.
PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : CLÉMENT D’ALEXANDRIE 169

- III

À plusieurs reprises, dans les VI* et VII® Stromates notam-


ment, Clément trace le portrait du gnostique, philosophe et
parfait chrétien. En lui, il salue la fleur du christianisme,
l’idéal qui « résume toutes les aspirations de son noble cœur
et de sa piété enthousiaste » (1). En lui, il voit se révéler de
la manière la plus éclatante l’action déifiante du Logos. C’est
done dans le emostique surtout que nous devons étudier cette
action.
Comment parvenir à la gnose ?
Plus d’une fois, notre docteur présente la gnose « comme le
résultat d’une tradition secrète, transmise à la faveur d’une
méthode ésotérique et de la discipline du secret » (2). C’est
ainsi qu'après avoir rappelé ses maîtres il écrit :

Ceux-là conservaient la véritable tradition de l’enseignement


bienheureux, reçu directement de Pierre et de Jacques, de Jean
et de Paul, les saints apôtres, le fils la recevant de son père —
mais peu ressemblent à leurs pères — et, avec Dieu, ils sont
venus jusqu’à nous, pour nous transmettre ces semences ances-
trales et apostoliques (3).

Plus rares et plus atténuées dans les premiers Stromates, les


affirmations en faveur de cette tradition ésotérique se font plus
fréquentes et plus formelles dans les derniers (4). Il semble
donc que, vers la fin de sa vie, lorsqu'il rédigea les derniers
Stromates, Clément «s’abandonna à l’enthousiasme de ses
maîtres pour une vie exempte de passions, fixée dans une con-
templation perpétuelle, soulevée au-dessus de l'humanité. Et
cette ambition très haute, mais non dépourvue d'’illusion, en-
traîne dans sa conception du christianisme, et particulièrement

(1) E. DE FAYE, Clément d'Alexandrie, 2° édit., Paris, 1906, p. 318.


(2) A. DE LA BARRE, loc. cit., col. 191.
(3). Strom., I, 1; t. VIII col. 700 A.
(4) Voir, par exemple, Strom., VI, xvi; t. IX, col. 356 B; vir; col. 284 :
La gnose, « transmise et révélée par le Fils de Dieu », « transmise par les
apôtres oralement (ä&yp£ous), est parvenue par tradition jusqu’à un petit
nombre d'hommes ».
des rapports de foi et de la gnose, ds. conséquences très
graves» (1). C'était, en effet, distinguer au sein de la chré.
tienté deux classes de fidèles nettement séparées : l'élite des
initiés, les gnostiques, et la masse des simples fidèles qui ne
sauraient atteindre à la connaissance religieuse et à la divini- EE à

sation parfaites réservées aux gnostiaues. C'était compromettre


l’unité intérieure de l’Église chrétienne (2).
Plus nombreux toutefois — dans le Pédagogue surtout et les =
premiers Stromates, encore qu'ils ne fassent pas complètement
défaut dans les derniers (3) — sont les passages où la gnose
qui divinise est donnée pour un épanouissement organique de
la foi, pour une perfection, dès lors, à laquelle, en prineipe,
tout fidèle peut et doit aspirer (4). En fait, seule une élite ”

y parvient; car elle suppose un entraînement ardu, une longue


préparation à la fois intellectuelle et morale. Et d’abord le can-
didat à la gnose ou philosophie chrétienne doit acquérir toute
science, y compris la sagesse pratique; « car il est impossible
que l’ignorant, aussi longtemps qu'il reste tel, puisse philoso-
pher » (5). Non moins indispensable est la discipline morale.
Dans sa prière constante, le futur gnostique « demandera en
premier lieu la rémission de ses péchés; puis [la grâce] de ne
plus pécher; ensuite [celle] de faire le bien...» (6). Sans re-
lâche, il travaillera, non à refréner ses passions, mais à les ex-

(1) J. LERETON, loc. cit., p. 497.


(2) Cette évolution, faut-il l'expliquer par l'influence croissante qu’au-
raient exercée sur Clément le gnosticisme et les mystères païens ? Étant.
donnée l'hostilité constante de notre docteur contre ces deux courants reli-
gieux, pareille explication ne semble guère probable. Mieux vaut admettre
qu'en vieillissant Clément s’est laissé gagner par un enthousiasme mysti-
que excessif, phénomène qui, du reste, n’est pas rare. Cf. G. BaRDY, loc.
cit., p. 77. L'auteur estime que, dans les derniers Stromates, Clément « suit
la pente naturelle de son esprit ».
(3) Cf. plus haut, p. 163.
(4) Clément s'est-il rendu compte de la contradiction dans laquelle il
s'engageait en adoptant, sinon simultanément, du moins. successivement,
l’une et l’autre de ces deux conceptions ? Il ne semble pas, puisque nulle
part il ne se montre préoccupé de les harmoniser. Du reste, notre catéchète
n’en est pas à une contradiction près. à
(5) Sirom., II, 1x; t. VIII, col. 980 C-981 A. C£. VI, vit: t. IX, col.
284 sq.; x; col. 300 C sq.; xv; col. 340. Qu'on est 16e de Matth. NI 250
(GA TDId ONE RIT; EU EX Col, 224747
L “ seule -« une Fr conversion » (4) est « la voie
: nr. (5) qui conduit de la simple foià da gnose.
Encore faut-il la grâce de Dieu; car la gnose est avant tout
suL'œuvre du Christ, du pédagogue dr dans l’âme qui lui est
_ intimement unie et parfaitement soumise (6).
_Magnifique est le résultat de cette seconde conversion : « Le
mt . la science et la vertu Ne il sait tout,

sans cesse ; sa vie est une fêteétre Il est te il est


4 prêtre, il constitue non seulement l'élite, mais la véritable hié-
3 rarchie de l'Église » (7). Bref, le philosophe chrétien a réalisé
ns sa destinée, qui est d’être, non seulement à l’image, mais aussi
et surtout à la ressemblance divine :
C'est lui qui est selon l’image et la ressemblance, le gnostique, |
qui imite Dieu autant qu’il est possible, n’omettant rien de ETES /

Sat qui conduità la possession de la épolwats (8).


La ressemblance (ééouoluax) au Sauveur Dieu est échue au
__ gnostique devenu parfait autant qu'il est permis à la nature
humaine (). -

a, vn Ibid, II, XX; te VIII, col. 1048-1049. Le gmostique doit ri értôu-


av éxxbmvetv.
Er,2) Tbid., IV, var; t. VIIL, col. 1264 C-1265 B. |
= (5): Ibid. II, xx: t. VIII, col. 1048B sq. En ce qui concerne la conti-
sd_nence dans leDen voir UE II, XXIII sq.; col. 1085 C + et Sirom.,

.(4) Ibid, VII, x; t. IX, col. 481 À, cité plus haut, p. 163.
(5) Ibid, VII, XII ; col. B : à 0806 Basthuwr.
501 Expression manifes-
FRET empruntée à Philon. Voir plus haut, p. 89.
(6) Ibid, VII, x; t. IX, col. 477-484. Cf. IT, xx11; t. VIIL, col. 1084
1e
; V, x1: t. IX, col. 109 B; E. DE FAYE, op. cit., p. 285-286; In. Origène,
III, Paris, 1928, p. 207.
_ (7) J. Lægreron, loc. cit, p. 499-500. Cf. Strom., VI, 1x-xur; t. IX,
>col. 292-329. ÿ
(8) Strom., II, x1x ; t. VII, col. 1040 B.
_ (9) Zbid., VI, xr1; t. IX, col. 325 B. Of. II, xx11; t. VIIL, col. 1080 C;
VI, it; t. IX, col. 417 A.
(0) Ibid, VII, xrtr; t. IX, col. 516 A,
168 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ges » (1); d’après le psaume LXXXIT, 6, il est même « devenu


dieu » (2) : «un dieu déambulant dans la chair » (£v capxi ne-
pumokwy Bec) (3). Ainsi, grâce à la doctrine céleste du christia-
nisme, le gnostique est pour Clément un homme déifié.

IV

En quoi consiste exactement la divinisation de l’homme, son


assimilation à Dieu au moyen de la gnose ?
Très complexe est la signification du mot gnose dans les
écrits de Clément. Il distingue, en effet, une gnose d'ordre na-
turel (4) et une gnose qui s’inspire de la foi (rusT} yrosts) (5).
Celle-ci elle-même se subdivise en gnose que tous possèdent
(ñ xotvñ ëv voïs xotyois), par laquelle on sait « qu'il y a un
seul Dieu », et une autre gnose plus élevée, qui seule fait le
parfait chrétien (6).
« La gnose basée sur la foi est la démonstration scientifique
des vérités transmises dans la véritable philosophie » (7). Cette
définition, ainsi que beaucoup d’autres données par Clément,
fait clairement ressortir que, dans la gnose, l’élément intellec-
tuel est essentiel. Par sa science, le gnostique embrasse non seu-
lement rù oyTa, ce qui est réellement (8), mais encore rù vont,
le monde intelligible (9) :

Par la connaissance, il pénètre le ciel (réyvet rdv oùoavév), et,


après avoir traversé toutes les essences pneumatiques et toute

(1) Ibid., VII, x; col. 481 A.


(2) Ibid, IV, xxrr1; t. VIII, col. 1360 A. Cf. VII, x; t. IX, col.
480 AB,
(3) Ibid., VII, xvr; t. IX, col. 540 B.
(4) Ibid, VI, 1; t. IX, col. 209 B-212 A.
(6) Ibid., II, xx; t. VIIL, col. 984 B.
(6) Zbid., IV, xv; t. VIII, col. 1304 AB.
(7) Ibid., II, xx; t. VIIL, col. 984 B.
(8) Ibid, VI, virr; t. IX, col. 292 A. À
(9) Ibid.; col. 289 B. Cf. VI, 1; col. 209 C. Sans admettre le monde des
idées de Platon, Clément emploie le terme qui l’exprime. Mais il a du mal
à lui trouver un contenu nouveau, comme le montre le texte qui suit.
XAE

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : CLÉMENT D’ALEXANDRIE 169

principauté ct puissance, il atteint aux trônes les plus élevés,


tendant uniquement vers celui vers lequel sa pensée aspirait (1).

Le gnostique est même « initié à la bienheureuse vision face


à face » (TpOG UT TOÛE FpÜTOY rhy paxaolay léav munf) (2).
Contemplation qui se fait « selon l'opération nue de l’âme » (3)
ou «avec le seul voïs » (du to vo) (4), c’est-à-dire sans le
concours du corps (5). C’est une ärontela 0eoù semblable à celle
des mystères (6). Aussi, quelque indispensable que soit l'effort
humain pour s'élever à cette gmose suprême, celle-ci reste « une
grâce qui vient de Dieu par le Fils » (7) ; car « seule la divinité
possède la sagesse par nature » (8).
Être une grâce divine, c’est là un caractère spécifique qui
distingue la gnose de Clément — comme du reste déjà celle de
Philon — de la vision des idées chère à Platon, qu’elle rappelle
par ailleurs si fortement (9). À cette première divergence
s’en ajoute une autre plus importante encore : la gnose du doc-
teur alexandrin est au moins aussi morale qu'’intellectuelle.
Elle n’est pas seulement connaïssance, mais également action,
vie, vertu, voire même « la vertu par excellence » (10).
Deux traits surtout caractérisent la physionomie morale du
gnostique : l’impassibilité (ärdfleux) et la charité (&yäxn).
L’«apathie » de Clément — manifestement calquée sur celle
des stoïciens (11) — n’est pas l’insensibilité ni l’indifférence
(1) Ibid., VII, x1x1; t. IX, col. 516 A. Cf. VI, vit; col 289 B.
(2) Tbid., VI, xI1; t. IX, col. 324 B.
(3) Ibid, VI, 1; col. 209 C.
(4 Ibid, V, x1; col. 101 B-104 A.
(5) Cf. encore ibid.; col. 109.
(6) Paed., I, vi; t. VILI, col. 313 B. Cf. Strom., V, x1; t. IX, col. 108-
109. On est tenté d'appeler cette vision de Dieu une connaissance « mys-
tique », mais il n’est pas certain que Clément pense ici à une saisie expéri-
mentale de Dieu. Voir A. FoncK, Mystique, dans Dictionnaire de théol.
cath., t. X, col. 2604-2605.
(7) Strom., V, xI1; t. IX, col. 109 B. Du reste, d’après Clément, toute
connaissance vient à l’homme par le Logos. Voir E. DE -FAYE, 0p. cit.
p. 266. Ici encore l'influence de Philon est manifeste.
- (8) Ibid., IX, 1x; t. VIII, col. 980 C.
(9) Cf. Strom., V, xiv; t. IX, col. 204.
(10) E. DE FAYE, op. cit., p. 291.
(11) L'influence stoicienne, non seulement sur la terminologie, mais sur
les conceptions morales elles-mêmes de Clément ne saurait être contestée.
Plus d’un principe adopté par lui — tel le suivant : «les actions suivent
FORMATION DE LA |

apathique. Elle est plutôt une royale indépendance, une par- -


faite liberté d'esprit et de cœur vis-à-vis de tous les biens au-
tres que la gnose (1). Par là, et en préservant le gnostique de
tout’ péché (2), « l’impassibilité acquise par l’ascèse rend sem-
blable, autant que faire se peut, à celui qui possède l'éndfere :
par nature » (3).
La gnose s’achève dans L’éyérn, «la très sainte charité qui. -
est supérieure à toute connaissance » (4). La charité «est le
ressort essentiel de l’âme vraiment gnostique. Il ne doit pas
suffire au sage chrétien, dit Clément, d'éviter de faire le mal,
il doit faire le bien;et ce bien il ne doit le faire ni par crainte,
ni par espoir de récompense, mais uniquement par amour » (5).
Son amour pour Dieu lui fait accepter la souffrance et même
le martyre (6), l’engage à travailler au salut de ses frères (7),
à pardonner les injures et à aïmer ses ennemis (8). Mais le
bienfait le plus précieux de la charité consiste à unir l’âme
au Christ (9) et, par lui, à Dieu. Dans le gnostique, l’&yarn
n’est plus un désir; «car il possède déjà, autant que possible,
l ‘objet même de son désir » (10), « étant par la charité intime-
ment uni à Dieu» (11). Cette union inonde l'âme d’une joie
perpétuelle, qui délecte sans jamais rassasier (12).

la gnose, comme l'ombre le corps » — montre clairement que sa morale est.


intellectualiste, comme celle des stoïciens, alors que la morale chrétienne ne
l'est point. Voir Æ. DE FAYE, op. cit., p. 291-299; 6. BRÉHIER, Histoire,
t. I, p. 507-508.
(1) Cf. Strom., IV, xx, t. VIII, col. 1345 D-1348 A; 1356 AB. On
y trouve de magnifiques développements sur le HER du gnos-
tique.
(2) Cf: ibid, II, vi; t. VILI, col. 961 B:; IV, v: col. 1233 BY a.
col. 1320-1328; VI, x1r; t. IX, col. 321 C. ne
(3) Ibid, VII, 1x7; t. IX, col. 417 A. Cf. IV, xxrxr; L VIIL, col. 1356 D;
VLIDS IX col 293 B:
(4) Ïvid,, VII, x1; t. IX, col. 493 C: x
(5) E. DE FAYE, op. ci p. 302. Cf. Rom, IV, ÉL t. VIII, col.
1345 B
(6) Aro, VII, x1; t. IX, col. 492 B-496 B.
(7) Cf. ibid, VIL, 1; col. 405 A-408 A.
(8) Ibid., IT, xvrrr; t. VIII, col. 1028-1040.
(9) Ibid, VII, X; t. IX, col. 481 À : « La perfection de l’âme guostique...
c'est d’être avec le Seigneur ». Cf. CAPITAINE, op. cût, p. 154-155.
(10) Zbid., VI, 1x; t. IX, col. 298.
(11) Ibid, VI, xIr: col. 324 B-325 B. L’ dyéTn y est appelée Geopopoca
al onto Ces développements sur la charité rappellent la 1'° épître
de saïnt Jean. Voir plus haut, p. 107.
(12) Cf. ibid, VI, 1x; surtout col. 296 B-297 B.
e gnostique à Dbu et le à à qui en écuite Font ne
qu'il parle d’’expérience. C’est dire que l’union à Dieu qu’il SAR
E- magnifie est une union vécue, donc mystique. |-é
_ Parce qu’elle est connaissance et impassibilité la gnose rend
deL'homme semblable à Dieu, qui seul possède par nature la sa-
|gesse et l’apatheia ;parce qu’elle est charité, enfin, elle achève …
cette ressemblance
dans l’union mystique. :

V
z

“D ca du gnostique à Dieu préconisée par notre doc-


à teur est-elle d’ordre purement moral et mystique, une simple
_ imitation qui, tout en dépassant les capacités de l’homme, tout.
en étant une grâce divine, n’affecte pas sa nature même ? Ou
“bien suppose- +-elle en nous un élément, un principe supérieur
à_inhérent àà l’âme ? Notre LU ne semble pas avoir entrevu
ce problème. |
Fe ‘aucuns, ilest vrai, ont cru pouvoir découvrir des allusions
à la. grâce sanctifiante dans un certain nombre de passages, où
Clément parle de la justice comme d’une marque, d’un sceau
de l’àâme qui en constitue la vraie beauté (1). Il faut, toutefois,
ne pas perdre de vue que la justice dont il s’agit n’est pas celle
- de n'importe quel baptisé, mais la perfection que seul le gnos-
tique peut atteindre. De plus, dans les textes qu’on allègue,
rien ne montre que la « qualité caractéristique » (2) de cette
4 perfection soit un habitus physique ; il semble, au contraire,
à E que notre auteur y ait vu une marque d’ordre purement moral, | xTR
semblable à celle qui caractérise les damnés.
| Bref, si Clément connaît un secours divin qui, en agissant
He sur nos facultés supérieures, leur fait produire de nombreux à

D“A effets qui dépassent leurs capacités natives, il ne semble pas


- ‘avoir. soupeonné l'existence dans le chrétien d’un don divin
Ë É qui élève, qui divinise l’essence même de l’âme. <

k (1) Voir surtout Strom., VI, xI1; t. IX, col 395 AB ; IV, XVIII; t. VIII,
. 1325 A. Cf. A. DE LA BARRE, loc. cit., col. 162 et 190.
12) Strom., VI, XIT; Pix, col. 325 AB : 7apaureptariual TOLbTrTES. On
172 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Tellement sublime est l'idéal de déification proposé par le doc-


teur alexandrin qu'il a dû reconnaître lui-même que, sur terre,
seul le-Christ l’a parfaitement réalisé (1). Les autres n’y par-
viendront que dans l’au-delà, après la résurrection (2). Les
âmes des croyants qui ne sont pas encore complètement puri-
fiées le seront par des châtiments divers ;même après leur puri-
fication, il leur restera «la très grande douleur de ce que,
ayant été trouvées dignes d’une autre demeure, elles ne sont
point réunies à celles qui sont glorifiées à cause de la justi-
ce » (3). Ceci sera le partage des âmes pures : immédiatement
après leur séparation d’avec le corps (4), elles seront établies
dans le «lieu suprême du repos », près du Seigneur, et joui-
ront d’une manière indéfectible de la contemplation éternelle
de Dieu, face à face (5), et, par là, d’un bonheur ineffable (6).
Enfin, en unissant l’âme béatifiée au corps glorifié, la résurrec-
tion aboutira à la divinisation de l’homme tout entier.

#=
k%

Comme saint Irénée, Clément place le terme du salut dans


la opolwots r@ eg. Pour l’un et l’autre, celle-ci est une ressem-
blance plus élevée que la similitude qu'il y a entre Dieu et
l’homme en vertu de la nature même de ce dernier. C’est une
ressemblance fondée sur une participation aussi parfaite que
possible à des biens proprement divins, participation accor.
dée à l’homme par pure bonté.
Mais, lorsqu'ils précisent quels sont les biens divins ainsi
participés, les deux écrivains accusent des divergences notables.

(1) Zbid., IV, xxr: t. VIII, col. 1340 B.


@ Cf. Paed., I, v1; t. VIII, col. 284 B. D’après Clément, infidèles et
pécheurs ne ressusciteront pas, parce qu’ils sont déjà jugés (Strom., II,
xv;
ee VII, col. 1008 B) et que leurs âmes sont déjà condamnées « au supplice
du feu éternel » (Quis dives salv., XXXIIT ; t. IX, col. 640 A. Cf.
Strom.,
V, xIV; t. IX, col. 132 B-133 A).
(3) Strom., VI, xIv: t. IX, col. 332 AB.
(4) Zbid., IV, 1v: t. VIII, col. 1228 B. Cf. IV, vit; col. 1256 B.
(5) Ibid, VII, x; t. IX, col. 480 B-481 A.
(6) Cf. Protr., XII; t. VIII Col. 237, où se lit une description poétique
du bonheur céleste.
- PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : CLÉMENT D’ALEXANDRIE 173
nn
Pour l’évêque de Lyon, la ouolwsts, conditionnée ici-bas par
l’inhabitation de l’Esprit-Saint, est formellement constituée,
semble-t-il, par un don créé qui fait du juste l’ami et Le fils
adoptif de Dieu. L’une et l’autre de ces grâces se trouvent,
bien qu’à des degrés divers, dans tout vrai chrétien, Dans l’au-
tre vie, la ressemblance divine des élus consistera avant tout
dans leur participation à la bienheureuse incorruptibilité de
Dieu.
D'après Clément, la véritable et pleine ouoltwots ro Geo est
essentiellement un effet de la gnose; plus exactement, c’est la
ognose. Comme l’indique son nom, celle-ci est surtout connais-
sance, contemplation, done assimilation intellectuelle à la di-
vinité, qui, d’après certains textes, dès ici-bas atteindrait à la
vision intuitive. En même temps la gnose de Clément est assi-
milation morale par l’apatheia et la charité.
Pareille conception, dans la mesure où la ressemblance divine
y ést le privilège d’une aristocratie spirituelle, s’inspire du
platonisme et du stoïcisme plus que de la révélation chré-
tienne. Bien différente de la pensée d’Irénée, la pensée de Clé-
ment se rapproche de celle des Apologistes. Elle accuse surtout
des affinités avec le mysticisme hellénistique tel qu’il se mani-
feste dans la littérature hermétique. S'il n’est pas vraisem-
blable que Clément ait connu les traités hermétiques que nous
possédons encore, le mouvement d'idées qui s’y traduit n’a
guère pu lui rester étranger (1). Son christianisme l’a cepen-
dant préservé des tendances panthéistes qui dominent l’her-
métisme et d’après lesquelles le bonheur final de l’homme con-
sisterait dans son absorption par le premier principe. Notre
docteur, en effet, maintient fermement la distinction entre
Dieu et l’homme parfait (2). Ce faisant, il s’oppose en même

(1) Clément connaît « des livres d'Hermès » et en énumère quarante-


deux (Strom., VI, 1v: t. IX, col. 253 A-256 A). Mais il s’agit là d’écrits
égyptiens en usage dans des écoles sacerdotales. En ce qui concerne les
écrits hermétiques tels que les nôtres, W. Scott, op. cit., t. I, p. 87-90,
estime que Clément ou bien n’en avait pas connaissance ou bien en con-
naissait, mais, les sachant de date récente, n’en tenait aucun_compte.
2) Cf. Strom., VIL, 1x1; t. IX, col. 417A ; passage cité plus haut, p.
170; VI, 1x; col. 293. Voir O. FALLER, Gricchische Vergottung, p. 427-428.
LR

temps aux tendances stoïciennes àee l'âme avec la di15e&


vinité.
Que l’idée d no alé ne joue, che Clément, qu’ un rôle
secondaire, re n’a rien d'étonnant chez un disciple de Platon
qui reconnaît à l’âme une incorruptibilité naturelle et voit
dans la gnose qui est vision la fin dernière de l'homme. In’ us
est que plus significatif que Clément, guidé par son sens chré-
tien, ait maintenu le dogme de la résurrection, bien que, en
vérité, dans l’ensemble de sa pensée, ce dogme fasse quelque
peu figure de bloc erratique.
N'est-ce pas également un fait dû à des influences philoso-
phiques que le docteur alexandrin mentionne comme intermé-
diaire entre Dieu et l’humanité presque exclusivement le Logos,
alors qu'il n’attribue à l’Esprit-Saint qu’un rôle bien effacé
dans l’œuvre du salut (1) ?
En résumé, l’on peut dire que, pour Clément had
le christianisme est «un mystère analogue à ceux des païens,
mais plus véridique et plus sûr» (2). Pour le simple fidèle
c’est un mystère cultuel dans lequel il trouve son salut. Pour
le parfait chrétien, le gnostique, au contraire, €*est un mystère
littéraire (3) qui le divinise.

$ 3. — Gnose chrétionns :| Origène


t

Pour intéressante et originale que soit la conception du chris-


lianisme élaborée par Clément, elle ne semble pas avoir exercé
sur la pensée chrétienne une influence considérable. Sans doute,
parce que son œuvre un peu chaotique a été évincée par celle
plus systématique et plus pénétrante d’Origène. C'est. par ra
l’intermédiaire de celui-ei que la gnose chrétienne d’Alexan-
drie agira sur la théologie postérieure. - »

(1) Cf. À. DE LA BARRE, loc. cit., col. 159- 160 ; W. CAPITAINE, 0p. cit, mu

p. 104 et 334,
(2) FEsTUGIÈèRE, L'idéal religieux des Grecs et Pbpangile, p. 193.
(3) En ce qui concerne les expressions « mystère cultuel» et « mys- %
tère littéraire», voir plus haut, Pire re
Origène reprend,‘en effet, 1idée de Clément d’après laquelle
me 15us est unRS une gnose qui déifie Ho

Lu
: unehe propre. Le ne nouveau, e’est la cosmo-
4 logie de notre docteur qui, avec l’anthropologie qu’elle impli-
+ que, forme la base de sa sotériologie et partant de sa doctrine
“A de la déification. À
_ Pour Origène, les âmes humaines sont des esprits (yes)
É|créés purs par Dieu, mais dégradés par suite d’une défaillance
:ou, comme le suggère l’étymologie du mot grec duyr , « refroi-
nedis». « De ceux qui sont déchus de l’amour de Dieu, il faut
- dire sans hésitation qu'ils se sont refroidis de leur charité et
qu'ils sont devenus froids» (1). Pour avoir ainsi perdu « cette
# chaleur naturelle et divine et s’être refroidie de son état plus
< divin et meilleur », l’âme a reçu en grec le nom de Quyn (2).
__ Toutefois — et c'est là que s'affirme l’indestructible opti-
_ misme du docteur alexandrin — le mal, ce non-être (3), ne sau-
eeTrait triompher définitivement. En effet, la liberté est restée aux
o esprits déchus et par elle ils peuvent se rétablir dans l’état
_ de ferveur dans lequel ils se trouvaient au début (4). En vue
de ce> rétablissement, le « monde visible a été constitué » ce

‘7ou ces qui ie l’âme U dons(6) c'en est


ia totalité — ont été revêtues d’un corps plus ou moins lumi-
+ neux ou opaque, suivant le degré de leur défection. De la sorte,

(1) OnrIG., De prince, IL, vint, 3; P. G., t. XI, col. 222 B.


(2) Ibid.;col. 222 CD. En cet endroit, Origène semble s ‘inspirer d'Aris-
tote, De an. 405 b, 23-30, où le philosophe fait dériver duyh de Quypds.
(3) In Ioan., II, 7; t. XIV, col. 136A. Origène déduit cette notion
ative du mal de l'identification bien platonicienne de rù ôv avec rù àya-
dd adoptée par Jui.
(4) De prince. II, vis, 8: t. XI, col. 221 C-222 A.
(5) Ibid., III, v, 4; col. 328-330. Cf. II, nr, 2; col. 187; In Ioan., XIX,
5; t XIV, col. 568-569.
ë 1 Poids 15 vi, 5-6; t. XI, col. 213-214. c IV, 31; col. 504- 506. 1
*

176 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

les âmes sont entrées dans des corps appropriés et ont été
appelées hommes (1).

IT

_ Pour expliquer l’état peu enviable de l’humanité actuelle,


Origène philosophe se serait probablement contenté d’imvoquer
sa théorie de la préexistence et de la chute des âmes dans le
monde suprasensible, hypothèse qu’il croit trouver du reste sug-
cérée dans la Sainte Écriture (2). Mais, lorsqu'il faisait œuvre
d’exégète et de prédicateur, notre docteur ne pouvait pas ne
pas tenir compte des données scripturaires, qui rattachent la
déchéance de l’humanité à une faute du premier homme.
Au sujet de l’état originel et du rôle d'Adam, on relève dans
l’œuvre immense du catéchète alexandrin les vues les plus dis-
parates. Tantôt, parlant en platonicien, Origène voit dans le.
seul fait d’être unie à un corps une souillure pour l'âme :

Quaecumque anima in carne nascitur iniquitatis et peccati


sorde polluitur (3).

Tantôt, prêchant au peuple, il interprète le récit biblique de


la formation d’Adam comme un document historique. Ailleurs,
enfin, écrivant pour le monde savant, il allégorise ce même
récit au point de « substituer à la personne historique du pre-
mier homme une vue philosophique de l’humanité » (4).
De cet imbroglio d’interprétations incohérentes semble toute-
fois se dégager l’idée fondamentale d’un état privilégié de nos
premiers parents par rapport à nous. Comme privilèges d'Adam
notre exégète signale d’une part le séjour au paradis, l’incor-

(1) Zbid., I, vit, 4; col. 173. Pour Origène, les astres sont des esprits
déchus revêtus de matière lumineuse.
(2) Cf. In Terem., hom. II, 1; t. XIII, col. 277. Méthode d'Olympe cite
une série de textes scripturaires dans lesquels, grâce à son exégèse allégo-
rique, Origène aurait découvert sa théorie de la préexistence. Voir surtout
De resurr., I, 55-58: édit. BoNwerscx du corpus de Berlin, p. 313 sq.
(3) In Levit., VIII, 8; t. XIL, col. 496 À. Cf. In Luc., hom. XIV; t.
XIII, col. 1834 B; Contra Cels., VII, 50: t. XI, col. 1494.
(4) A. SLomkowskt, L'état primitif de l'homme dans la tradition de
l’Église avant saint Augustin, Paris, 1928, p. 54.
PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : ORIGÈNE LT.

ruptibilité ou immortalité (1), d'autre part une certaine rec-


titude ou perfection relative (2).
À l’exemple de Clément, Origène distingue dans notre pre-
mier père entre elxwy el ouolwous. Si Adam était à l’image de
Dieu du fait de son âme raisonnable (3), il devait encore acqué-
rir la ressemblance divine (ouolwstus) au moyen de son activité
libre, par l’« imitation de Dieu » (4). A cet effet, il lui aurait
suffi de se tourner entièrement vers celui à l’image duquel il
avait été fait et de déposer toute inclination vers la matière (5).
Ce qui montre que, dans la pensée de notre auteur, la ôuolwats
ro ew ne consistait aucunement dans les dons extraordinaires
de l’état originel.
Ayant répondu aux avances divines par un acte de désobéis-
sance, Adam à perdu ses privilèges pour lui et sa descendance.
. Entraînée par son mauvais exemple, de plus en plus séduite par
le démon et la concupiscence, l’humanité s’est enfoncée tou-
jours davantage dans une déchéance morale universelle (6).

III

Malgré tout, l’homme déchu possède dans son intelligence


et dans sa volonté libre le moyen de retourner à son créateur (7)
et d'obtenir la ressemblance divine, mon toutefois sans le
secours de Dieu.
Or, « de tout temps, par son Verbe, … Dieu a remis dans la

(1) In Rom., X, 14; t. XIV, col. 1275 A.


(2) In Ioan., XIII, 37; t. XIV, col. 464 AB. Cf. In Rom., III, 3; col.
933 B. :
(3) Cf. In Gen., hom. I, 13: t. XII, col. 93-96; Contra Cels., IV, 83, 85;
t. XI, col. 1156-1157, 1160.
_ (4) De prince. III, vi, 1; t. XI, col. 333 C. Cf. Contra Cels., IV, 30; col.
1072 B : « Dieu fit l'homme à l’image de Dieu, maïs non pas de suite à
la ressemblance ».
Il arrive cependant que le terme d'image désigne la ressemblance supé-
rieure. Cf, De princ., IV, 37; col. 412 C.
(5) In Ioan., XX, 20; t. XIV, col. 621 B.
(6) Cf. A. GAUDEr, Péché originel, col. 333-338.
(7) Cf. De prine., II, vrnx, 3; t. XI, col. 222. Une des idées principales
d'Origène est celle d’une union, d’une harmonie foncière entre Dieu et le
monde des intelligences. Union qui, si elle a pu être troublée pour un temps,
doit nécessairement se rétablir tôt ou tard. Là est la clef de toute la soté-
riologie d'Origène et spécialement de sa doctrine de l’apocatastase. Cf. Da
princ., III, vi, 1; t. XI, col. 333-334; In Toan., I, 40; t. XIV, col. 93,
18 © FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE |
bonne voie ceux qui ont prêté l'oreilleà_ses paroles » (1). Dès
avant son incarnation, le Fils monogène, « médiateur entre les
hommes et la lumière», a «illuminé toute la création» (2).
N'est-ce pas grâce à une participation à cette «lumière du
cosmos » que les hommes sont raisonnables (Aoytxol ) (3)
Mais ce n'étaient là que des révélations partielles, incomplètes.
Dans le Logos incarné seulement s’est accomplie la dernière
% et parfaite révélation (4).
Aussi l’action pédagogique du Logos semble-t-elle être pour
notre docteur la partie principale de l’œuvre rédemptrice du
Christ. Assurément, celle-ci « a été envisagée par Origène à peu
près sous tous ses aspects, et il a eu l’occasion, dans ses immen-.
ses commentaires, d’en mettre en lumière tous les résultats » (5).
C’est ainsi que, pour lui, Jésus est rédempteur au sens étymo-
logique de ce terme, parce qu’il nous rachète au démon devenu
notre maître en raison de nos péchés (6). Sauveur, Notre-Sei-
eneur l’est aussi en tant que, à la fois prêtre et hostie, il à
offert à son Père son corps et son sang en vrai sacrifice de
propitiation pour réconcilier les hommes avec Dieu (7). Néan-
moins l'impression domine que, pour notre catéchète, le Christ
est surtout sauveur parce qu'il est le révélateur, le pédagogue de
l'humanité, le Otôdouahos elwy puornpiwy (8) :

En lui la nature divine et la nature humaine ont commencé


à s'unir étroitement (:ouvuoaivecdat ), afin que, par sa commu-

(1) Contra Cels., IV, 3; t. XI, col. 1032 C. Cf. De princ., 1, xx, 7; col.
135-136. Voir C. VeRFAILLIE, La doctrine de la justification dans Origène
d'après son commentaire de l'Épitre aux Romains, Strasbourg, 1926, p.
41-50.
2) De princ., I, 11, 7; col. 135 C.
(3) In Ioan., I, 42; t. XIV, col. 96-97. Séduit par le jeu de mots A6-
ae Omass semble ici oublier sa théorie de la préexistence, d’ après
laquelle les Âmes sont des vdec, donc intelligentes par nature.
(4) Ibid., XIX, 1; col. 524-537.
(5) on Opicisc tel aphelos
(6) Of. In Matth, XVI, 8; t. XIII, col. 1397B; In Rom., II, 13: t.
XIV, col. 911 C. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Études cri-
tiques et documents, Louvain, 1931, p. 165-212. D’après l’auteur, la « ran-
%
con » ne serait qu'une métaphore qui exprime le « mode onéreux de notre
Rédemption ».
(7) In Rom. IIT, 8: t. XIV, col. 946-950. Cf. In Num., hom. XXI,
1; t. XII, col. 756-759.
(8) Contra Cels., III, 62; t. XI, col. 1001 B. : RES RTE
le nature Lun ro An, non Snlenens ena ;
mais aussi en tous ceux qui, avec la foi, embrassent la vie
que Jé ésus a enseignée et qui conduit à l'amitié et à la commu-
nauté avec Dieu (1). SRE

_Cen
passage dans lequelon croit entendre un
t écho de la théo- |

| agissante qui sFo par une vie chrétienne ©. Celle-ci


suppose la réception du baptême, sacrement qui remet les
| péchés à ceux qui se détournent d’eux (3). Cependant, si la foi
avec le baptême suffit pour le salut, elle est loin de la perfec-
ion. A la suite de Clément, notre docteur distingue deux
S_ classes de chrétiens, distinction qui «est capitale > dans son
enseignement (4). PE Pre
_ I y; a d’abord la masse des simples croyants qui, « amis de
a lettre »; (5),se contentent du sens somatique des Écritures, de
L’« ombre des mystères du Christ » (6). Ces simpliciores (7) « ne
savent rien que Jésus-Christ se Jésus-Christ crucifié, cu

: &@ bide III, 28; col. 956 D. Cf. col. 956 A.


(2) Cf. In Ioan., TX, 6; t. XIV, col. 569 B.
6) cr ibid., VI, 17; col. 253-257; In Luc., hom. XXI; t. XIII, col.
1855. SE
(06: BARDY, Origène, dans Dict. de théol. cath., t. XI, col. 1514.
Parfois _Origène divise les chrétiens en troi® groupes conformément aux
trois sens qu ‘il distingue dans l’Écriture : somatique, psychique et spirituel.
Cf. In Rom. hom. VI, 14; t. XIV, col. 1102; Contra Cels., NI, 13; t. XI,
= col: 1309-1312. Mais le plus souvent il ne mentionne que deux classes.
(5) In Gen., hom. XIII, 3; t. XII, col. 232 C.
_ (6) In Toan., I, 9; t. XIV, col. 36 D.
(7) De princ., ILE, 11, 1; t. XI, col. 305 B.
(8) In Ioan., IT, St XIV. col 113,
180 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

«que le Christ paît à cause de leur nature douce et docile,


mais peu intelligente » (1). Ce sont les Corinthiens, auxquels
convient seul le lait des enfants (2). Cependant notre théologien
a soin de proclamer que même ces simples, par leur moralité et
leur force d'âme, dépassent de loin les plus sages des païens (3).
Il y a surtout l'élite des parfaits, à laquelle va toute la sym-
pathie d’Origène. « Plus intelligents » (4), ils saisissent les mys-
_ tères de l’analogie, le sens pneumatique des Écritures, « l’Évan-
gile éternel ou spirituel » (5), et, comme les Éphésiens, peu-
vent recevoir la nourriture.des forts (6). Ces vreAeroduevor (7)
« participent au Logos » (8) ; ils s'élèvent à la gnose. A leur
égard, le Verbe ne se comporte plus en simple berger, mais en
roi (9) et en époux (10). ;
Comme dans le temple de Jérusalem on entrait par des degrés
au Saint des Saints, de même le vrai disciple de Jésus s'élève
à la sagesse divine par des degrés. Guidé par «le Monogène
de Dieu » et s’aidant des choses sensibles, le gnostique acquiert
d’abord la connaissance du cosmos intelligible, puis celle du
Logos, pour parvenir enfin « à la contemplation de l'essence ou
de la puissance qui est par delà l’essence et de la mature de
Dieu » (11). Cette « gnose de Dieu dépasse la nature humai-

(1) Ibid. I, 30; col. 77 A.


(2) In Eeech., hom. VII, 10; t. XIII, col. 726-727. Cf. In Ioan., V, 8;
édit. PREUSCHEN, du corpus de Berlin, p. 105, où Origène n'hésite pas de
parler d’une miottç &Aoyoc xal iôturuxt |
= (8) Contra Cels, I, 13: t. XI, col. 680. Cf. VII, 44; col. 1485 A.
(4) In Toan., I, 30; t. XIV, col. 77A
(5) Ibid. I, 9; col. 36 D.
(6) In Heech., hom. VII, 10: t. XIII, col. 727 A : solidus cibus MYS-
ticus.
(7) In Ioan., XIII, 14; t. XIV, col. 420 C.
(8) Ibid., IL, 3: col. 113 A.
(9) Tbid., I, 30; col. 76-77. Cf. I, 22; col. 57 C.
(10) De orat., 17; t. XI, col. 472 B. Dans son commentaire du Cantique
des cantiques, Origène voit dans l'épouse parfois l’Église, plus souvent
l’âme instruite par le Christ, l'époux. Cf. H. RAHNER, Die Gottesgeburt
,
dans Zeitschrift für kath. Theologie, t. XLIX, 1935, p. 391-358.
(11) In Ioan., XIX, 1; t. XIV, col. 536 : oÙruc E)0n ëti To émdeiv ti
oÜsla, À TA ÜnepéxelVa te oÙolac duvipuet wat pÜoet toû Beoû. L'expression étéxeive
oùglas, appliquée à Dieu, se rencontre souvent chez Plotin. Voir plus haut,
p. 60. Cf. Contra Cels., VII, 46; t. XI, col. 1488-1489.
PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : ORIGÈNE 181

ne» (1); elle est un don «que Dieu accorde à ceux qui se
sont rendus aptes à le recevoir » (2).
La connaissance du Père qui constitue «la gnose parfaite »
(ñ yrüous Tehela) est donc «le plus grand bien». C’est même
d'elle que vient au Fils toute sa gloire (8). À tel point que le
Logos «ne resterait pas Dieu, s’il ne persistait pas dans la
contemplation ininterrompue de l’abîme paternel » (4).
D'une manière analogue, « le yo9s qui s’est purifié et élevé
au-dessus de toutes les choses matérielles pour avoir une vision
nette de Dieu, est déifié dans sa vision (év oïç Üewpet, Geomouet-
rar) ». C’est ce qui est arrivé à Moïse lorsqu'il à conversé
avec Dieu. Car, si l’Écriture dit que sur sa figure reposait un
rayon de gloire, e’est là un trope pour indiquer que son vos
avait été divinisé (9).
Le ‘Logos est, dès lors, l’archétype de tout ce qui a été déifié
par une participation à la déité du « Dieu par soi» (To aÿxo-
eos) : il est l’archétype des « dieux qui sont formés d’après le
vrai Dieu, comme des images d’un prototype » (6).
Ce rapprochement établi entre «la participation à la divi-
nité» propre au -Noûs divin qui est le Logos et celle qui est
accordée au vos humain paraît difficilement défendable au
point de vue de l’orthodoxie. Loin d’aider à préciser la nature

(1) Contra C'els., VII, 44; t. XI, col. 1484 C.


(2) Ibid, VI, 13; col. 1309. Cf. In Ioan., XXXII, 18; t. XIV, col.
820 C. -
(3) In Ioan., XXXII, 18; t. XIV, col. 817. ‘
(4) Ibid., II, 2; col. 109B : Adyos...oùx y pelvas Beôç, el uh Tapépeve ti
&dtaeintw Géx To marpumoù Bifouc. Cette conception paraît moins étrange
lorsqu'on se rappelle une idée analogue de Platon. D’après celui-ci,:
en effet, «c’est parce que les dieux cosmiques contemplent les For-
mes immuables qu'ils jouissent de l’immortalité », qu'ils sont vraiment
dieux. FESTUGIÈRE, Contemplation et vie contemplative selon Platon, p.
455.
Le texte d’Origène s’éclaire davantage encore quand on le rapproche
des passages où Plotin décrit le second dieu, le Noûs, et le rapport que
celui-ci soutient avee l'Un. Cf. R. ARNOU, Platonisme des Pères, col.
2333-2336.
(5) Ibid., XXXII, 17; col. 816-817. On a vu que pour Philon déjà Moïse
est le type de l’homme déifié. Voir plus haut, p. 91.
(6) Ibid., II, 2; col. 109. Cf. Contra Cels., III, 28; t. XI, col. 956 D.
JusrTiN., Upist. ad Men., dans MaANsr, Sacrorum conciliorum nova et am-
plissima collectio, t. IX, col. 525 E,.
FORMATION DE LA

de la participation qui divinise Tone <ene fait que €


quer le problème. À en juger par ce qu'il écrit à la fn de son
Peri Archon, Origène n aurait songé qu'à une assimilation
d'ordre moral, obtenue par la pratique de toutes les vertus :
alors que les vertus «sont en Dieu de par sa substance (per
substantiam) », elles ne peuvent se trouver dans l’homme que
grâce à une « imitation laborieuse de Dieu » (1). |
Mais il y a plus. La gnose qui déifie le chrétien parfait n’est
plus une connaissance purement spéculative, D’après Origène,
toute vraie connaissance suppose l’union de celui qui connaît
avec l’objet connu; car « connaître c’est se mêleret s’unir».
La gnose divine doit, dès lors, s'achever nécessairement
dans
l’union avec Dieu (2). :
La gnose unitive, notre docteur l’exalte avee un lyrisme qui
ne le cède guère aux transports de Clément. Il y voit le vin
de la vraie vigne qui réjouit le cœur de l’homme. Par la gnose,
le Logos réjouit notre cœur, c’est-à-dire notre faculté pensante,
«en nous arrachant aux choses humaines, en mous remplissant
d’enthousiasme et en nous enivrant d’une ivresse qui n’est
pas déraisonnable mais divine » (3). Ces métaphores montrent
que, pour Origène, il s’agit d’une union mystique allant jusqu’à
l’extase. On comprend, dès lors, que la gnose parfaite réchauffe
l’âme, lui rende la chaleur dont la perte avait causé sa He et
la rétablisse dans son état primitif d ‘intelligence :

Nourri de sagesse, l'esprit (mens) est de nouveau et parfaite-


ment réparé à l’image et à la ressemblance de Dieu, tel que
l’homme a été fait au commencement (4). -

La parenté originelle de l’âme avec Dieu réapparaît : dans

(L) De prince, AN ST: € XI col MAC FA


(2) In Ioan, XIX, 1; t. XIV, col. 529 C-532. Pour montrer que la vraie
connaissance exige l’union, Origène ne craint pas d’en appeler à l’euphé-
misme biblique : « Adam connut ve, sa femme», pour lui faire dire
qu'Adam n’a vraiment connu Ève qu'après s'être uni à elle.
(3) Ibid., I. 33; col. 77-80. Cf. De princ., II, xI, 3; t XI, col. 242, où
se rencontre l'expression : divinae sapientiae pocula.
Depuis Platon, l’image d’une ivresse « divine» était devenue courante.
Philon connaît une p£éôn vnogAtoc, Voir plus haut, p. 92, n. 1.:
(4) De princ., II, XI, 3; t. XI, col. 242 D.
1

in sa os sera d a instruit de tout ce qui se passe


sur la terre, puis «initié à la science des astres » (3). Enfin,
« l’esprit. déjà perfectionné atteindraà la gnose parfaite con-
| Ÿtemplant faceà face les causes des choses » et se nourrissant
de cette contemplation. Mais là nourriture par excellence des
élus consistera dans la «vision de Dieu, nourriture ayant ses
mesures propres et adaptées à cette nature créée» (4). Au
_ moment de l apocatastase, #AISCE

2 il ny aura, plus due seule occupation pour ceux qui, grâce


au Logos, sont parvenus jusqu’à Dicu, savoir celle de contem-
_ pler Dieu, afin que, formés dans la gnose du Père, tous devien-
_ nent parfaitement fils, de même que maintenant seul le Fils te
RE ; connaît le Père. Personne, en effet, fût-il apôtre ou prophète,
> ne connaît le Père s’il n’est pas devenu un avec lui, comme
Hole Fils et le Père sont un (5). bi

Alors les saints verront le Père, comme le voit le Fils, sans


intermédiaire. Ce sera la fin, lorsque le Fils remettra le royaume
“à son Dieu et Père, et que Dieu deviendra « tout en tous » (6).
À en croire saint Jérôme (7), notre théologien aurait donné
_ à cette expression de saint Paul (8) un sens panthéiste, en
_ admettant que les êtres finiraient par se confondre avec la

(@) Ibid, I, vint, 4; col. 180 AB.


(2).16id., II, xx, 4; col. 244 A.
_(8) Ibid., II, xx, 5-6; col. 244-246.
ne) Ibid., T; col. 248. D’après Origène, l’âme séparée s'élève à Dieu par
une ascension qui ressemble à celle qui conduit à la gnose terrestre.
(5) In Ioan.,I, 16; t. XIV, col. 94 C-52A. *
(6) Ibid., XX, 7; col. 588 A.
(7) HieRoN., Ep. CXXIV, 10, 14; P. L,, t. XXII, col. 1069, 1071- 1072.
ne I Cor, XV, 28. Â APE
184 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

substance divine. Mais, sur ce point, le témoignage du savant


exégète semble plus que suspect. Tout d’abord parce que le
docteur alexandrin admet la résurrection (1). Il est vrai qu'il
n’attribue aux ressuscités que des corps éthérés, spirituels (2) ;
mais quelques subtils que l’on conçoive ces corps, ils empêchent
nécessairement ceux qui en sont revêtus de se confondre avec
l’essence divine absolument spirituelle. Puis parce qu'il n’est
œuère probable qu'Origène, qui ne se lasse de répéter que « la
fin est toujours semblable au commencement » (3), ait conçu
l’apocatastase comme une abolition de la distinction originelle
entre Dieu et les esprits créés.
Bref, sous la plume de notre exégète, la formule pauli-
nienne « Dieu sera tout en tous » (4) signifie simplement qu’à
la consommation des choses toutes les créatures raisonnables
rentreront dans l’ordre primitif de soumission et ‘d’union
morale à Dieu. Ce sera l’apocatastase, c’est-à-dire le rétablisse-
ment de l’harmonie originelle par la destruction de tout ce qui
l’avait troublée (5).

%
*k 3

La divinisation de la partie la plus noble de l'être humain,


ébauchée dès cette vie par la gnose, pleinement réalisée dans
l’au-delà grâce à la vision de Dieu, tel est done, pour Origène,
le terme du salut offert par le christianisme. C’est, en somme,
la conception de Clément, mais avec des particularités impor-
tantes, qui, du reste, ne l’ont guère améliorée.

(1) De princ., praef., 5; t. XI, col. 118 AB. Of. III, vi, 6: col. 338-
340; Contra Cels., V, 17 sq.; col. 1205 sq.
(2) Cf. G. Barpy, loc. cit., col. 1546-1547. Sur ce point de la résurrec-
tion, l'influence de la foi sur la pensée origénienne est particulièrement
sensible, puisque la logique de son système devait pousser Origène à nier
toute résurrection corporelle.
(3) Cf. De princ., I, vi, 2; III, v, 4; t. XI, col. 166 B, 329 À, etc.
(4) Sur le sens de ce verset, voir J.-B. CoLoN, À propos de la « mys-
tique» de saint Paul, p. 345-349.
(6) Cf. In Ioan., I, 16; t. XIV, col. 49 C. L’apocatastase n’est pour
Origène qu’une conclusion de sa conception optimiste de la création. Il ne
peut admettre que l'harmonie primitive qui avait uni les créatures spiri-
tuelles à Dieu puisse être éternellement compromise par ce non-être qu'est
le mal,
SX

PREMIERS DÉVELOPPEMENTS : SYNTHÈSE 185

En réduisant le rôle de l’amour dans la gnose, Origène ren-


force encore le caractère intellectualiste de celle-ci déjà exagéré
par Clément. En conformité avec ses théories de la préexistence
et l’apocatastase, il conçoit la déification finale de l’homme
comme un simple rétablissement du voùs humain dans son état
« divin » primitif, autant dire comme une redivinisation. Une
conception aussi peu traditionnelle ne devait guère favoriser le
progrès de la doctrine de la divinisation.
Il y à là de graves erreurs, dues à des influences philosophi-
ques. Elles ne sauraïent pourtant, au total, donner le change
sur l'inspiration foncièrement chrétienne de la gnose d’Origène.
Cette inspiration se révèle nettement dans la place réservée
à la liberté humaine, dans le rôle central assigné au Logos
incarné, dans la prépondérance accordée à l'initiative divine
dans l’œuvre du salut, enfin et surtout dans la fermeté avec
laquelle est maintenue la distinction entre Dieu et la créature
déifiée. Si la gnose origéniste peut être appelée une mystique,
elle n’est certainement pas une mystique au sens néoplato-
nicien, mais une mystique chrétienne de la divinisation.
PE

CHAPITRE IL : Le es ta * Pr"

ESSAIS DE SYNTHÈSE
_ l.— SaintHippolyte: = è

- Les fondateurs de l’école 4’ Alexandrie sont dcenl avec


le représentant le plus brillant de latradition des églises d'Asie + :
mineure pour affirmer le fait de la divinisation del ‘homme par A ,
le christianisme. Mais, dès qu’ils entreprennent d’ ‘expliquer la.
nature et les modalités de cette déification, les divergences fon-
damentales réapparaissent qui caractérisent les deux courants &
doctrinaux qu'ils incarnent, dont l’un est plutôt positif 7
conservateur, l’autre surtout spéculatif et progressiste. Dans” Là
ces conditions, un essai de synthèse s’imposait. Il à été tenté CAL Je
plus ou moins consciemment par deux Pères de langue grecque,
qui ont laissé une œuvre théologique importante :Saint Hipre %
lyte de Rome et saint Méthode d’ Olympe. | RE.

I : Faite

Dans ce qui nous reste de:ses nombreux ouvrages, 1e « pre.=


mier exégète occidental » (1) ne parle qu’en passant de l?état
primitif de l'humanité et du salut apporté par le Christ. Mais à
ces passages sporadiques montrent suffisamment qu’il voyait
dans la divinisation de l’homme le but suprême de Ja création
ainsi que de la Rédemption. ie
Ÿ
A4 Le, x

(1) É. AMANN, Hippolyte, dans Dictionnaire de théol. cath., t. VI,


col. 2487. ; RE ES
ar nature, mais veste par laNe » @). de.qui
ne veut pourtant ‘pas dire que l’homme soit un dieu manqué,
: comme certaines rêveries gnostiques semblent le suggérer ; mais
si est bien telque le créateur l’a voulu:

_ Après cela, il créa le chef de l'univers, le formant de toutes


:
les substances composées. Il n’a pas échoué voulant faire un F8
TRE _dieu ou un ange — je ne trompe pas — mais un homme. En
ne effet, s’il avait voulu le faire dieu, il le pouvait; tu as l’exem- Die
RES ple:du Logos; te voulant homme, il t'a fait homme. Si toutefois ô
tu veux devenir dieu toi aussi, obéis à celui qui t’a fait et ne lui
résiste ] pas maintenant, afin que, ayant été trouvé fidèle dans
les petites choses, tu puisses en recevoir de grandes. Le Logos à
seul est [issu] de Dieu; c’est pourquoi il est Dieu, étant subs-
| tance de Dieu (cola : ürdpyxwv Osoë). Le monde, au contraire,
cest. [tiré] du néant; voilà pourquoi il n’est pas dieu; il est.
susceptible d'être dissous, lorsque le créateur le veut (3).

De ce passagé passablement obscur il semble ressortir que


D. “notre. docteur voit dans l’immortalité l'élément qui déifie
l’homme. Mais alors pourquoi ne veut-il pas admettre qu’Adam
était divinisé, puisqu'il fut créé incorruptible ? Sans doute
parce que notre premier père ne possédait l’incorruptibilité
qu’à titre précaire et que seule la possession définitive de cette
qualité, promise à sa fidélité, aurait fait de lui un dieu. En
réalité,pat suite de sa désobéissance, Adam a été condamné à

_les ie d'après le corpus de Berlin. Autant que i. nous ajoutons


la référence à Migne. ;
MORE Daniel. APS tt. Ia, ne 94, 21-24. |
e ns à XS9 nt. III, p. 290, 1-9;re G., t. XVI, col. 3450 AB.
188 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE .

Néanmoins l’homme n’a jamais été abandonné par Dieu :

Dès les plus anciens temps, une loi fut imposée à l’homme
par le ministère d'hommes justes. Plus près de nous, par Moïse,
homme pieux et aimé de Dieu... une loi fut donnée pleine de
sainteté et de justice. Mais c’est le Logos de Dieu qui gouverne
tout; le Fils premier-né du Père, la voix qui, avant l’étoile du
matin, apporte la lumière. (1).
Ce Logos, le Père l’a envoyé plus tard. Nous savons qu’il a
pris un corps d’une vierge, a porté le vieil homme, après l’avoir
nouvellement formé (ô1à xaivñs mhécewc); il a traversé tous les
âges de la vie, afin de devenir lui-même la loi pour tout âge,
de proposer à tous les hommes comme modèle sa propre huma-
nité et de démontrer par lui-même que Dieu n’a rien fait de
mauvais, que l’homme est maître de soi, capable de vouloir et
de ne pas vouloir, ayant en son pouvoir l’un et l’autre (2).

Dans ces lignes, l’action rédemptrice du Verbe est décrite


surtout comme une œuvre de pédagogie, ce qui semble trahir
l’influence des Apologistes. Mais on y découvre également une
fugitive allusion à la théorie physique de la déification qu'’ail-
leurs, en fidèle disciple de saint Irénée (3), notre docteur sem-
ble, du reste, faire sienne. Par son incarnation, écrit-il, le Fils
de Dieu «a réformé en lui-même Adam, le premier hom-
me» (4). |

Le Logos de Dieu, étant sans chair, s’est revêtu de la sainte


chair empruntée à la vierge sainte, tel un fiancé de sa robe nup-
tiale, se la tissant dans la souffrance dè la croix, afin d’unir
notre corps mortel à sa puissance, de mêler le corruptible à
Vincorruptible, le faible au fort et de sauver l’homme perdu (5).

On reconnaît ici, formulée peut-être avec une certaine ré-


serve, la pensée du docteur de Lyon, d’après laquelle, en vertu

(1) Philosoph., X, 33; t. III, p. 290, 20-25; P. G. t. XVI, col. 3450 C.


(2) Tbid.; p. 291, 14-25: col. 3451 BC.
(3) Cf. H. AcHeris, Hippolytstudien, dans Tewte und Untersuchungen,
t. XVI, fase. 4, Leipzig, 1897, p. 27.
(4) In Daniel., IV, 11; t. I a, p. 214, 5-6. Cf. De Antichr., XXVI: t. I b,
p. 19, 1-2 : ävarhdsowv 51 Éaurod vov ’Adau. P. G., t. X, col. 748 C.
(5) De Antichr., IV; t. I b, p. 6, 20-7, 2. P. G., t. X, col. 722.
ESSAIS DE SYNTHÈSE : HIPPOLYTE 189

du contact qui se produit dans l’Incarnation entre le Verbe


divin et la nature humaine, l’humanité entière est guérie, im-
mortalisée et, dès lors, déifiée. Cela n'empêche pas, du reste,
saint Hippolyte de présenter à l’occasion notre déification
comme l'effet de la mort du Christ (1).

IT

La divinisation n’est pourtant pas l’œuvre exclusive du Sau-


veur : l’homme doit s’approprier les fruits de la Rédemption
par l’intermédiaire de l’Église qui continue sur terre l’action
du Christ en engendrant sans cesse le Logos dans les âmes (2).
À cette fin, il faut que d'homme se soumette à la direction du
_ Verbe et s’efforce de se rendre semblable à Dieu par la con-
naissance de Dieu et l’imitation ‘du Christ. Alors l’inhabitation
du Saint-Esprit dans la chair humaine assurera à celle-ci l'im-
mortalité (3). ‘
Cependant les saints qui composent l’Église (4) n’obtien-
dront effectivement l’incorruptibilité qu’à la fin des temps,
après le jugement universel. Ceux qui meurent auparavant de-
meurent provisoirement dans l’Hadès, les justes séparés des pé-
cheurs, recevant les uns et les autres les arrhes de leur rétribu-
tion éternelle (5). Au jour choisi par lui, Dieu ressuscitera tous
1es corps pour le grand jugement. Après celui-ci, les justes en-
treront immédiatement au royaume céleste (6).

(1) CE. ibid, XXVI: p. 19, 3-4; col. 748 D; In Daniel. IT, o6Hete ra,
p. 112, 12-13; In Gen., XXIV; t. I b, p. 60, 9-12.
(2) Cf. ibid, LXI; p. 41, 17-42; col. 780-781. Voir aussi H. RAHNER,
loc. cit., p. 347-350.
(3) Of. Ipôc Baothiôa ivé, fragm. IV-VI; t. I b, p. 252.
(4) Cf. In Daniel., I, 14; t. I a, p. 24-89; Philosoph., IX, 122-L0LEE
p. 250: P. G., t. XVI, col. 3386-3387. 4
(5) Cf. A. D’Arès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 200-
901. Dans l’'Hadès d'Hippolyte, il n’y a pas de place pour un purgatoire.
(6) In Daniel., IV, 14; t. Ta, p. 229, 7-12. Ce texte donne l'impression
qu'Hippolyte s’est émancipé des rêves chiliastes que son maître Irénée
avait apportés d'Orient. Cf. A. D’ALES, 09. cit, p. 198 sd; É. AMANN,
loc. cit., col. 2511.
[1
Là les es Le dniotation arte nt en| quelques
traits rapides, Hippolyte trace un tableau saisissant dans d’ap-
pel éloquent adressé aux païens à la fin de ses Philosophoume-
nG : ; ce core

; Accourez tous et laissez-vous instruire par nous sur le Dieu


Du _ véritable et sa création bien ordonnée. Ne vous attachez pas
aux sophismes d’habiles discours, ni aux vaines promesses d’hé-
rétiques plagiaires, mais à la sublime simplicité de la vérité
sans jactance. En reconnaissant cette vérité, vous échapperez
à la menace à venir du feu du jugement, au sombre spectacle
du tartare ténébreux, non éclairé par la voix du Logos, aux
crépitements des flammes inextinguibles de l’étang de la géhen-
e… Et à tout cela tu échapperas pour avoir connu le Dieu
véritable. Tu auras ton corps immortel et incorruptible, tout
= comme l’âme, et tu recevras le royaume des cieux. Toi qui,
vivant sur cette terre, as connu le roi céleste, tu seras le fami-
lier de Dieu, et le co-héritier du Christ, n étant plus soumis ni
aux désirs des passions, ni aux maladies. Car tu es devenu dieu
(yéyovas yap 0e6c). Toutes les épreuves que tu as endurées étant
homme, Dieu te les a envoyées parce que tu es homme ; en.
revanche, tous les biens qui sont naturels àà Dieu, Dieu a promis
de te les donner quand, engendréà l’immortalité, tu auras été
déifié (dTav Beorounôûñs, abdvaroc yewnbeic). En obéissant àà ses
précépts saints, en te rendant bon par l’imitation de sa Re
tu lui seras semblable ( éuoro.), honoré par lui. Car Dieu n est
pas pauvre, lui qui t’a fait dieu, (oraussi, en vue de sa gloire LE
#

Ce n’est donc qu'après la résurrection, dans dt que,


d’après Hippolyte, le chrétien sera déifié grâce à une partici-
pation aux biens proprements divins, en premier lieu”ià l’im-
passibilité et à 1 ’imcorruptibilité divines. :

En somme, le docteur romain reprend, au sujet de la déif-


cation, les idées principales de saint Irénée. Comme celui-ei, il

(1) Philosoph., X, 34; t. TIT, p. 292, 11-293, 15: P. G., t. XVI, col. 3454,
Fe
#
E..
à que Pelle du ire C’est ainsiÀ qu Eihpdire ne pa-
raît pas avoir envisagé l’existence dans l’âme du juste vivant
sur terre d’une ébauche de la déification céleste. En revanche,
il faut reconnaître qu'il a rapproché la conception d’Irénée de
_ celle des Apologistes et des Alexandrins, en attribuant un rôle
plus considérable à l'élément intellectuel dans le processus de
_ notre divinisation.

| $ 2. — Saint Méthode d'Olympe


a ae théologie “i plus grand des alexandrins et, partant, sa
LE SRE de la déification contenaient tant d'éléments étrangers
Ja tradition ecclésiastique et inassimilables par elle qu’à la
Ée longue une réaction ne pouvait manquer de se manifester.
Chose étonnante, « jusque vers la fin du III siècle, et sauf
quelques ombres fugitives, la réputation d’orthodoxie d’Ori-
ène ne paraît pas avoir beaucoup souffert. Mais, à ce moment, ri
_des attaques directes se produisirent contre certaines ses
_ opinions » (2). À
Parmi les adversaires d’Origène à cette époque, saint Mé-
thode, évêque diOlympe en Lycie, est l’un des principaux (8).
Il s’attaque surtout à la théorie origéniste de la préexistence
des âmes, à laquelle il oppose la conception traditionnelle du
æ composé humain. Le corps, écrit-il, n’est pas «un instrument > KE
de torture ou une prison » (4), « un lien, un filet, une entra-
= à À

© se RIVIÈRE, Le dogme de la Rédemption. Essai site historique,


«50e 2 SRE
_ (2) TIxERONT, op. cût., t. I, p. 477-478.
- (3) Dars son écrit sur le culte des images — honoré d’une lecture publi-
que au IIe concile de Nicée (487) — Jean de Thessalonique invoque comme
autorités patristiques, après Basile et Athanase, «Méthode le Grand»
(6 péyas Mebdôtoc). MANSI, op. cit., t. XIIT, col. 165 B. ÿ à
(4) METHOD. De res, I, 5: édit. BoNWETsCH, du corpus de Berlin, AR
_ p. 227,5-9. La remarque faite au sujet de l'édition des œuvres d’ Hippolyte
: contenue dans Migne compte également pour celle des écrits de Méthode.
1%
192 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ve », infligé à l’âme pour la punir d’une désobéissance qu’elle


aurait commise dans une vie antérieure à son incorporation (1).
« L'homme est par nature. le composé d’une âme et d’un
corps qui s'unissent pour constituer l'unique forme du
beau » (2). Le corps est donc « un collaborateur (auvepyoy) pour.
l’âme, soit dans le bien, soit dans le mal» (3).
Dans son ardeur combative, saint Méthode va même jusquà
soutenir que les âmes ne sont pas « incorporelles », comme, à
la suite de Platon, Origène l'avait prétendu (4) ; qu’elles sont,
au contraire, « des corps raisonnables (souata vosod), pourvus
de membres visibles aux yeux de la raison ». C’est que « Dieu
seul est proclamé la nature inengendrée (&yévnvos), exempte de
besoin et de souffrance, étant incorporelle » (5).
On comprend dès lors que, pour notre auteur, la déification
du chrétien soit avant tout un retour à l’incorruptibilité primi-
tivement accordée au premier homme.

Lorsqu'il parle de l’état originel d'Adam, saint Méthode, re-


prenant l’idée de saint Irénée d’après laquelle nous étions tous
contenus dans notre premier père, nous identifie constamment
avec nos premiers parents. C’est ainsi qu'il n'hésite pas à
écrire que nous vivions au paradis « dans les protoplastes, en
dehors de la concupiscence » (6). Cela complique singulière-
ment l’étude de la conception que l’évêque d’Olympe se fait de
l’état originel.

(1) Ibid, I, 54; p. 310-318.


(2) Ibid., I, 34; p. 272, 7-9. Cf. I, 5-6; p. 226-228.
(3) Ibid, I, 31; p. 267, 21-23.
(4) ITbid., III, 17-18; p. 414-416. Ce passage contsitue un témoignage
indirect en faveur de l’opinon d’après laquelle Origène a enseigné la par-
faite spiritualité de l'âme. Sur ce point, Rufin semble avoir faussé la pen-
sée de son maître.
Méthode est logique avec lui-même, quand il attribue également aux
anges des vospà owuara. De res. III, 15; p. 411, 25-26.
(5) Tbid.; p. 415, 11-15
(6) Ibid, II, 1-2; p. 329-333.
ESSAIS DE SYNTHÈSE : MÉTHODE D’OLYMPE 193
7

Un point du moins est incontestable : avec la tradition, notre


docteur reconnaît au premier homme «la déiformité et la si-
militude divine » (1). Tout d’abord l’homme est une image du
Logos par son âme raisonnable et libre (2). Il y a plus : la
forme humaine entière est l’image, non pas du Logos incarné
— comme le voulait saint Irénée — mais de Dieu lui-même (3).
Ce qui était vrai surtout pour Adam, puisqu'il avait été fait
immortel aussi dans son corps :

Dieu, l’artisan par excellence, qui peut faire toutes choses,


même en les tirant du néant, n’a-t-il pas dû de toute nécessité
fabriquer l’homme, sa statue raisonnable, absolument impéris-
sable et immortel. en le formant à son image et à sa ressem-
blance, l’homme, la gloire du monde (zûv xé6cuov 109 xésuou ),
pour qui le monde a été fait (4) ?

, En rapprochant ces lignes d’un passage du Banquet, où, à


l’exemple de saint Irénée, l’évêque d’Olympe distingue dans
_ l’homme en général entre eixwy et ouolwsts, on a l'impression
que, dans la pensée de Méthode, l’état d’image divine était
constitué en Adam par sa nature intelligente et libre, alors
que sa ressemblance divine consistait dans l’exemption de la
corruption (5).
Impression renforcée par un autre texte du Banquet, dans
lequel la ouolwsts est formellement attribuée à toute âme ve-
nant en ce monde. Célébrant avec enthousiasme la beauté de
ces âmes, la vierge Agathe s'exprime ainsi :

C’est doués d’une beauté indescriptible, apparentée et sem-


blable à la Sagesse, à Vierges, que nous arrivons tous en ce

) Ibid., I, 35; p. 274, 4-5. Cf. Sympos., III, 3-4; p. 29-31; P. G., t,
XVIII, col. 64-68.
(2) Sympos., VI, 1; p. 64, 14-20; col. 112-113. Cf. De res., II, 24; p.
380, 45: De autez., XNI; p. 186, 11-13.
(3) De res., III, 15; p. 411.
(4) Ibid, I, 35; p. 275, 3-10. A noter au passage la conception bien
- chrétienne, suivant laquelle l’homme est le centre et la fin du monde, alors
que, pour les philosophes grecs, l’homme n’est qu'un détail du cosmos.
(5) Sympos., I, 4-5; p. 12, 20-13, 16; col. 44-48. L'auteur y écrit en
propres termes, imitant manifestement Platon (voir plus haut, p. 46) :
Opolwats yo 0e0û obop droguyf.

“4
monde. Les âmes, en effet, ressemblent le plus à leur Père
et
créateur, lorsqw’elles reflètent immaculée l’idée [faite] selon la
ressemblance (Tv xa0” Gômotuoiy 1déav) et les traits de cette.
vision que Dieu à contemplée, quand il les a créées avec une
forme immortelle et impérissable et qu’elles conservent ces qua-
lités (1). ; | =

La ressemblance divine identifiée avec l’incorruptibilité, qui


est iei attribuée à toute âme humaine au moment de son entrée
en ce monde, doit « fortiori être reconnue à l’âme d'Adam
innocent. Seulement notre premier père ne l’avait reçue qu’à
titre précaire. En effet, le protoplaste, tel un vased argile SOT-.
tant tout frais des mains du potier, «n’était pas encore par-
venu, comme une coquille de terre euite, à être affermi et pé-
trifié par l’immortalité ». C’est pourquoi « le péché, comme de
l’eau qui tombe goutte à goutte, l’a dissous » (2). -
La première et la plus grave conséquence de la désobéissance
d'Adam a été la concupiscence : « Vidés de l'inspiration de
Dieu, nous avons été remplis de concupiscence hylique que le
fourbe serpentà soufflée en nous » (8). Du coup, le mal s’est
solidement installé dans la chair humaine dont il a fait sa
demeure (4). Aussi l'homme a-t-il été chassé du paradis, pour
qu’il ne mangeât pas de l’arbre de vie et que «le mal ne de- =
vint pas immortel » (5). Dieu lui fit done des « tuniques de
peaux », c’est à dire qu’il l’a «comme enveloppé de mortali-
té» (6). Car «la mort a été inventée comme un moyen d’amé-
lioration », comparable aux coups par lesquels on corrige les”
écoliers négligents (7). C’est que le péché, enraciné dans le
corps, ne meurt que «s’il est tué avec le corps » (8).

(1) Jbid., VI, 1; p. 64 8-14; col. 113 AB.


(2), 14, TL, 5: pb. 31 T4: 18; col. 68 B.
(3) De res. II, 6; p. 339, 15-16.
_
. (© Jbid., II, 2; p. 338, 4-8. A l’exemple de saint Paul, Lo FOR
parle du mal comme d’une réalité pouvant subsister par elle-même. Mais
visiblement il pense à la concupiscence, cause du mal moral.
(5) Ibid., I, 39; p. 283, 15-16.
(6) Tbid., I, 38; p. 281, 13-14. Interprétation dirigée contre ant qui
avait vu dans les « tuniques de peaux » la corporéité dont les âmes auraient
été revêtues après leur chute. Cf. I, 39, etc.
(7) Ibid.; p. 280, 1-3. ë
(8) Tu I, 40; p. 285, 2-4. Fes
ceee + était au ne avant de Abe il nn oué >» G@).
Afin. de réaliser ne divinisation de l’homme, Je ee ne

erge :ne =

mo done pion Paul … raison de référer Adam


au “Christ, en voyant en lui, non pas seulement un type et une
_ image, mais en pensant que le Christ est devenu exactement ce
qu'était Adam, parce que sur celui-ci est tombé le Logos qui
est avant les siècles. Il convenait, en effet, que le premier-né
_ de Dieu, son premier rejeton, son Monogène, sa Sagesse, se
mélangeant avec le protoplaste, le premier et le premier-né des
hommes, devint homme... Ainsi donc Dieu, reprenant son œuvre
du commencement et la reformant de nouveau de la Vierge et de
_ : l'Esprit, façonne le même [être], tout comme au début, lorsque
dl terre était vierge et non encore labourée, il prit de la pous-
sière et en forma sans semence l’animal le plus intelligent (4).

ee Si notre docteur insiste tellement sur l'identité de la nature


| maine assumée par le Verbe avec celle d'Adam, c’est que,

() Res X, 1; p. 122, 3-7; col. 192-198.


- (2) Deres., IL, 8; p. 344, 16-18.
(3) Ibid. . 49: p. 308, 6-8. C£. Adv. Porphyr., I, 3; p. 503, 13-22..
(4). Sympos., III, 4; p. 30, 16-31, 9; col. 65-68. cf. III, 5-6: p. 31-33;
196 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

selon lui, la perfection de l’œuvre rédemptrice exigeait cette


identité. En effet, la sentence de perdition devait être levée par
celui qui l’avait provoquée; le démon devait être vaincu =

par celui qu’il s'était vanté d’avoir subjugué par sa tromperie;


car il ne convenait pas que le péché et la condamnation fussent
enlevés autrement, si ce n’est que ce même homme, à cause
duquel a été prononcée la parole : Tu es terre et tu retourneras
à la terre, par une nouvelle lutte, effaçât la malédiction qui, à
cause de lui, avait été étendue à tous; afin que, de même qu’en
Adam au début tous sont morts, de même aussi de nouveau tous
soient vivifiés dans le Christ qui a assumé Adam (1).

Ainsi, en prenant la forme humaine, le Verbe nous a rendus


capables «de saisir de nouveau la forme divine (riv ebay
poppiy) » (2), c’est-à-dire l’incorruptibilité qui nous divinise (3).
Dans ces développements saint Irénée aurait reconnu sa théo-
rie physique de la déïfication, bien que l’évêque d’Olympe l’ait
compliquée d’une spéculation inacceptable sur l'identité du
corps du Christ avec celui d'Adam (4).
Est-il besoin d’ajouter que, pas plus qu'Irénée et toute la
tradition, Méthode ne conçoit la divinisation comme un proces-
sus purement physique ? Souvent, au contraire, il revient sur
la coopération indispensable de l’homme. Il faut mourir et res-
susciter avec le Christ, pour vivre de sa vie: il faut que l’Égli-
se nous enfante « jusqu'à ce que le Christ soit engendré et
formé en nous, afin que chacun des saints, par sa participation

(1) Ibid., III, 6; p. 33, 7-16; col. 69 B.


Ce passage exclut toute interprétation symbolique d’après laquelle Adam
symboliserait seulement la nature humaine prise par le Verbe, interpréta-
tion tentée par M. J. Farges, Les idées morales et religieuses de Méthode
d'Olympe, Paris, 1929, p. 127.:M. Tixeront, op. cit., t. I, p. 494, au con-
traire, reconnaît que « Methodius pousse les choses si loin qu’il semble
identifier le Christ avec la personne du premier Adam ».
(2) .Tbid., I, 4;:p. 12, 23-13, 2: col. 44 D:
(3) Cf. De res., III, 23; p. 420, 25-421, 6.
(4) Certaines expressions hardies du docteur de Lyon ont pu suggérer
à Méthode cette curieuse théorie. Cf. Adw. haeres,, LIT °Xx1, 10: P. 0,
t. VIL, col. 9.
Le terme d’ävarhdosetw, employé également par saint Hippolyte à pro-
pos de l’Incarnation (plus haut, p. 188, n. 4), n'a pas, chez lui, le même
sens réaliste que chez Méthode,
ESSAIS DE SYNTHÈSE : MÉTHODE D’OLYMPE 197

au Christ, naisse lui-même un Christ » (1). Car reproduire dans


sa propre vie les traits de la vie terrestre de Jésus, « c’est se
former exactement à la ressemblance divine (x40° ôuolwsty
Üeoo) » (2). L'’imitation du Christ, voilà la condition de notre
déification.

III

- Cette imitation comporte, toutefois, des degrés (3), et une


élite seulement est capable d’aller jusqu’au bout, de s'élever à
la perfection.
Clément et Origène, on s’en souvient, identifiaient la perfec-
tion et la gnose. Tout en appréciant hautement la connaissance
des Écritures et l'intelligence des vérités divines, au point d’en
faire une condition de la foi et, surtout, de la virginité (4),
c’est dans cette dernière que saint Méthode voit l'idéal chré-
tien. Ne va-t-il.pas jusqu’à écrire que, « par ordre du Christ,
la virginité remplaca la Loi et devint la reine des hom-
mes » (5) ?
C’est que, pour l’évêque d’Olympe, la virginité n’est pas
seulement la vertu d’intégrité parfaite, mais la consécration,
librement (6) faite au Seigneur, de l’homme entier, corps et
âme, pour toute la vie (7). Comme telle, elle arrache l’homme
à la domination du démon et de la concupiscence (8); elle lui
permet de conserver intacte la beauté originelle de son âme (9)
et lui assure l’immortalité (10). En le transformant à l’image

(1) Sympos., VIII, 8; p. 90, 12-14; col. 149 C. C'est la pensée centrale
du Banquet. Cf. H. RABNER, loc. cit., p. 359-364.
(2) Tbid., I, 4; p. 13, 2-11; col. 44 D-45.
(3) Ibid., VII, 3; p. 73-79; col. 116-117.
(4) Cf. ibid., I, 1; p. 8-9; col. 37 B-40; V, 4; p. 57, 9-58; col. 101-104;
De lepra, I, 2; p. 452.
(5) Ibid., X, 1; p. 122, 7-8; col. 193 A. Cf. TX, 4; p. 118-119 ; col. 185-
188.
(6) Cf. ibid., LIT, 14; p. 44-45; col. 84-85. À ceux qui, après avoir choisi
la virginité, se sentent incapables de l’observer Méthode conseille de se
marier.
(7) Ibid., V, 1-6; p. 53-60; col. 97-109.
(8) Ibid., X, 1; p. 121, 23-122, 15; col. 192-195.
(9) Ibid, VI, 2; p. 65, 8-17; col. 113-116.
(10) Jbid., IV, 2, 4; p. 46, 9-12, 49, 19-20; col. 89 A, 92 B,
;198 dE Le

de l’Époux divin, Ja rentes et elle ee « end cat quib :


possède, qui à été initié à ses purs mystères, semblableà
Dieu » (1). C’est donc avant tout le don divin (2) de la vir-
ginité qui immortalise et, par là, déifie l’homme.
_ Aux âmes de choix, qui sans réserve se donnent à ie le
Christ accorde sa prédilection : il en fait ses épouses bien-ai-
mées (3) et ses auxiliaires dans l’enfantement des croyants (4) ;
il les fait par avance « demeurer avec lai au ciel » (5)

Légères et douées d’ailes puissantes, elles parviennent àà jeter


un regard vers la région supra-terrestre de la vie et voient de
loin ce qu'aucun autre homme ma contemplé : les prairies
mêmes de l’incorruptibilité, toutes parsemées de fleurs, d’une
ineffable beauté. Toujours tournées vers ces lieux, elles médi-
tent sans cesse les merveilles de là-bas. Aussi estiment-elles
comme de peu de valeur ce qu’on tient ici-bas pour |beau :à
richesse, gloire, noblesse de naissance, mariage; pour elles, rien
ne vaut les biens supra-terrestres. Bien plus; si par vengeance
on voulait jeter leurs corps aux bêtes féroces ou dans le feu,
_elles sont prêtes à supporter les tortures avec indifférence, air
grande est leur soif de ces biens et la fascination qu’ils exercent
sur elles, à tel point que, tout en étant encore en ce monde, elles
semblent ne plus être du monde, mais déjà, par leur esprit
et l’élan de leurs désirs, appartenir à la société de ceux qui sont
dans les cieux. En effet, il n’est pas dans la nature de Vaile
de la virginité de s’appesantir sur la terre, mais de s’élever en
haut dans le pur éther et vers une vie dans le voisinage des
anges (6).

Ce langage plein de lyrisme, dont l'inspiration platonicienne


est évidente (7), révèle en Méthode un mystique, qui, dans une
sorte d’extase, croit réaliser, dès cette vie, l'union immédiate
avec le Christ glorieux et « entrevoir les choses divines » (iy5&A- :
{

() Ibid, NIIT, 1; p. 81, 5-6: col. 137 C.


(2) Ibid., III, 14; p. 44, 1-2; col. 84 C.
(3) Ibid, VII, 1-2; p. 72, 9-73, 18; col. 125 B-128 C.
(4) Ibid, III, 8; p. 37, 3-15; col. 72-76. Ce passage rappelle Fenfonte
ment spirituel dont parle Platon dans son Banquet, 209.
(5) Ibid., IV, 2; p. 47, 16-17; col. 89 A.
(6) Zbid., VIII, 2; p. 82, 11-83, 9: col. 140-141. :
(7) Voir les références aux écrits de Platon dans BoNWETSCOH, p. 82-83,
7 :
n mettant l’a
accent. sur la ue du oo. Avec cette di.
rence encore are au d’
Loue n ue pas la termi-

des corps éuscités avec ceux que nous ve en ce mon- …


de 2). Les corps des justes seront transformés en des Corps
2 _impassibles et incorruptibles, en des corps « pneumatiques »,
«assimilés » au corps glorieux du Christ ressuscité (3), parce
L . ont À, es et gouvernés par le te ae (&). De

| repos, ce qu’ ’onne le septième jour,a. vrai ee » (6).


4 Ensuite, transformés « en la grandeur et la beauté angélique »,
à _entreront au ciel (7). Les vierges, s ’élevant «au-dessus des
cieux », _pénètreront «dans la maison même de Dieu» (8),
| «comme dans une chambre nuptiale», pour y jouir de la

(1) Sympos, VIII, 2: p. 83, 16; col. 141 A. re.


(2) Voir surtout le III° livre du De res.; p. 388-424. LES
= (3) De res., III, 11; p. 407. Méthode manifeste des doutes au sujet de
sta: résurrection des pécheurs. Mais il est convaineu que, s’ils ressuscitent,
les corps des méchants seront incorruptibles eux aussi, mais non trans-
_figurés.
(4) Zbid., III, 16: p. 418, 5-11. Texte extrait de la chaîne du pseudo- É
Œcumenius, dont la tradition est sujette à caution. C£ BONWETSCH, is
D. XXXVI. ; En
(5) De res., I, 47; p. 297, 12-298, 2. FER ICE
NE _ (6) Sympos., IX, 5; p. 120, 14-15; col. 189 A. Cf. IX, 1-2; p. 113-116; Æ
=. col. 177-185; De res., I, 55; p. 313, 6-11; G. BarDY, Millénarisme, dans RE
Dict. de théol. cath., t. X, col. 1760-1763. ë
(7) Ibid., IX, 5; p. 120, 19-21; col. 189 B. N
(87 -Ibid.; p. 120, 21-26; col. 189 B.
200 FORMATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

« vision du Père » (1) et mener « un chœur de fête harmonieux


en glorifiant Dieu » (2).

ses

Dans sa conception de la déification du chrétien, saint Mé-


thode fait entrer, dans une mesure notablement plus large que
saint Hippolyte, à la fois la théorie physique esquissée par le
docteur de Lyon et la gnose des alexandrins, voire même la
mystique d'Origène. Non, toutefois, sans imprimer aux em-
prunts qu'il fait une marque personnelle. Assurément la pré-
cision qu'il ajoute à la théorie d’Irénée en disant que le Logos
a pris le corps d'Adam n’est pas un progrès. En revanche, ïl
lui reste le mérite d’avoir été l’un des premiers à discerner
dans la gnose origéniste les principaux éléments antichrétiens
et à les combattre tout en maintenant l'idéal gnostique, Que,
dans l’accomplissement de cette tâche si délicate, l’évêque
d’Olympe n'ait pas su éviter lui-même toute erreur, qui oserait
l’en blâmer ?
En tout cas, mieux que personne avant lui, Méthode a réussi
à unir dans sa conception de la divinisation la tradition chré-
tienne et la spéculation hellénique. Par là il annonce et
prépare l’épanouissement que la doctrine de la déification alaït
connaître au grand siècle patristique.

(1) Ibid, VII, 3; p. 74, 5-8; col. 128 D.


(2) Ibid., VIII, 3; p. 84, 22-26; col. 144 A.
DEUXIÈME PARTIE

PÉRIODE D’APOGÉE

CHAPITRE PREMIER

GRANDES SYNTHÈSES DOCTRINALES


I. — SAINT ATHANASE

Dès les trois premiers siècles, l’idée d’une déification de


l’homme par le christianisme occupe dans la pensée des Pères
grecs une place de plus en plus importante et, pour une élite
du moins, elle semble avoir été une idée-force. Au IV® siècle,
grâce à des circonstances particulièrement favorables, surtout
grâce au travail théologique de saint Athanase et de saint Gré-
goire de Nysse, ce progrès allait atteindre son point culminant
et aboutir à de grandes synthèses doctrinales.
Le thème de la divinisation a dû alors être courant dans
les Églises d'Orient, puisque, dans sa lutte contre les ariens,
Athanase fonde sur lui l’un de ses principaux arguments en
faveur de la parfaite divinité du Fils de Dieu. C’est ainsi qu'il
écrit dans son De synodis :
Si le Logos avait été, lui aussi, Dieu par participation et
non pas divinité consubstantielle et image du Père par lui-
même, il n’aurait pu déifier, étant lui-même déiñé. Car il n’est
pas possible que celui qui ne possède que par participation
communique à d’autres de ce qu’il a ainsi reçu, parce que ce
qu’il n’a pas de lui, mais du donateur, et ce qu’il a reçu suffit
à peine pour lui-même (1).

(1) ArTHan., De synod., 51; P. G., t. XX VI, col. 784 B.


La même argumentation revient sans cesse dans les Discours
contre les ariens et, plus tard, appliquée au Saint-Esprit, dans
Re”
les lettres à Sérapion dirigées contre les pneumatomaques. Il en LE

résulte que, pour le docteur alexandrin, la divinisation du chré-


tien n’est pas, comme chez la plupart des Pères antérieurs, un
élément plus ou moins secondaire et adventice, mais 1idée cen-€
trale de sa théologie.
En vain, il est vrai, chercherait-on chez Hréinsse un exposé
systématique et bien équilibré sur ce point. Toutefois, en grou-
pant les principaux des nombreux textes où il y touche en pas-
sant, on peut obtenir un ensemble qui reflète d’une façon suf-
_ fisamment exacte sa conception concernant le fait, les modali-
tés et la nature de la divinisation. CACRSTER -

Plus clairement qu’on ne l’a fait avant lui, Athanase conçoit


la Rédemption et, dans le cadre de celle-ci, la déification comme
une restauration de l’état primitif d'Adam; plus nettement
aussi, il identifie cet état avec celui de l’homme restauré. Ce
qui explique l’attention particulière avec laquelle il étudie la
ressemblance divine de notre premier père, prototype de ni
divinisation.
À plusieurs reprises, notre docteur analyse d’une manière
directe l’état originel. Dans ses deux ouvrages de jeunesse, qui
forment une unité, le Contra gentes et l’Oratio de incarnatione,
il parle de cet état en philosophe platonicien et en apologiste,
alors que, dans ses Orationes contra arianos, il en traite plutôt
en théologien. :
Nous n’avons pas à nous arrêter longuement au portrait fort
idéaliste qu’Athanase, encore simple diacre, trace d'Adam in-
nocent. De celui-ci il fait le gnostique idéal, qui, « s'étant élevé
au-dessus des choses sensibles et de toute imagination corpo- ;
relle », et « débarrassé ainsi de tout obstacle à la gnose du di-
vin, contemple sans cesse, dans sa propre pureté, l’image du
. — » . 5 ke

Père, le Dieu-Logos, selon l’image duquel il est fait» (1) et

(1) Contra gent. 2: t. XXV, col. 5 C-8B. Les spéculations que contient
ce passage rappellent certaines conceptions de Philon (voir plus haut, p.
89-90) .et trahissent É influences RÉAPAOR ASUS -
«comme un dieu, ainsi que la divine cn le dit. ».
_ dans le psaume LXXXII (T}e Pour lui done, L'état SRE
d'Adam comportait, comme le plus précieux des dons divins, la
_ ressemblance avec le Logos et, par celui-ci, avec Dieu, simili-
tude qui était pour notre premier père une source de connais-
sance de Dieu,de bonheur et d’incorruptibilité (2).
_ Une vingtaine d’années plus tard, dans ses controverses
avec les ariens, l’évêque d'Alexandrie, sans le dire formelle-
ment, apporte des modifications substantielles à sa HAE CO
de jeunesse relativeà l’état originel. \
. C’est ainsi que, dans ses Discours contre les ariens, il distin-
gue entre l’acte divin par lequel l’homme est créé et l’acte di-
vin par lequel il est adopté. A proposde Malachie, IT, 10 :« Un
même Dieu ne nous a-t-il pas créés ? N'y a-t-il pas un même
Re pour nous tous ? » (3), il écrit:

“Das ce _passage aussi, il [le prophète] a d nouveau placé


en premier lieu les mots «il a créé», et en second lieu le
en père », afin de montrer, lui aussi, que, de par, notre origine
et selon notre nature, nous sommes des créatures, et que notre
créateur c’est Dieu par le Logos; que c’est plus tard que nous
sommes pris pour fils et qu’alors notre créateur devient aussi
notre père. Le mot « père»,et non celui de «créateur», se
_ rapporte done au «fils», alors que le «fils» se réfère au
. « père ». Pour qu’il soit ainsi manifeste que nous ne sommes
pas fils par nature Cl elvar ps pÜoet vioÿc), mais bien le Fils
qui est en nous, et qu’à son tour Dieu n’est pas notre père par
nature, mais père du Logos qui est en nous, dans lequel et à
cause duquel nous crions : Abba, Père ! (4). De même le Père 6
de son côté appelle fils ceux dans lesquels il voit son Fils et
_ dit [à leur sujet] : J’ai engendré. Car « engendrer » indique
= un fils, tandis que « faire » signifie des œuvres. C’est pour cela
done que nous ne sommes pas d’abord Eee mais faits.

ao De incarn., 4; t. XXV, col. 104 A-C.


(2) Athanase reprend ici l’idée chère à Clément et à Origène, dÉRes
laquelle la gnose divine est génératrice d'immortalité.
(8) Dans nos éditions, l’ordre des deux parties du verset est renversé.
É L'ordre suivi par Athanase est celui du Codex Alexandrinus, dont il se
servait. Inutile de relever la faiblesse d’un argumentà base aussi fragile.
(4) Cf. Rom., VIII, 15. À noter que, d’après l’Apôtre, c’est dans Esprit
que «nous crions : Abba, Père L»
PURE NON CENT
ET Et
Be ti te ol S
a ee EPS al ES CR D TA
Ge RE HS y

204 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

Il est écrit en effet: « Faisons l'homme». Mais, plus tard,


après avoir reçu la grâce de l'Esprit, nous sommes aussi dits
« engendrés » (1).

Fils adoptifs et images de Dieu, nous ne le sommes, dès lors,


pas en tant que créatures, dans notre «être naturel » (+0 xatù
gUaty) (2) ; nous le devenons uniquement par une « génération »
spéciale qui consiste dans la venue-du Logos en nous :

Si nous avons été faits à l’image, si nous sommes qualifiés


d'image et de gloire de Dieu (3), ee n'est point à cause de
nous; mais e’est à cause de l'image et de la vraie gloire de Dieu
habitant en nous, qui est son Logos devenu plus tard ehair
pour nous, que nous possédons la grâce de cette appellation (4).

C'est poser assez nettement la distinction de principe entre


«l'être naturel » dans l’homme et la grâce. Seulement, pour
notre théologien, l’« être naturel » est moins la somme des élé-
ments qui constituent la nature humaine que la qualité même
d'être créature, d'être « fluent et sujet à la dissolution » sans
l’appui du Logos qui seul fait durer les êtres (5). Néanmoins,
puisqu'il attribue, même à l’homme déchu, une âme spirituelle
et immortelle, douée de raison et de liberté, saint Athanase a
dû considérer ces dons comme pratiquement inséparables de la
nature humaine. Mais ses vues philosophiques sur ceelle-ei con-
sidérée en elle-même ne lui ont pas permis — à la différence
de nombreux Pères antérieurs — de reconnaître dans la dota-
tion naturelle de l'âme une première similitude avee Dieu, sa-

(1) Contra arian., II, 59: t. XX VI, col. 273.


(2) Ibid, IT, 58: col. 272 A.
(G)-CETE:Gor,, KE
(4) Contra arian., III, 10; t. XXVI, col. 334 A. Cf. I, 37: col. S9 B.
(5) C£ Contra gent, 41; t. XXV, col. Si C. Voir A. GAuDEL, La doe-
trine du Adyos chez saint Athanase, dans Revue des sciences religieuses,
t. XI, 1931, p. 4-14.
À la suite de Philon, des Apologistes et des Alexandrins antérieurs,
Athanase distingue deux actes ou deux aspects dans la fonction créatrice
du Logos : d'une part, il tire les êtres du néant; d'autre part, il les com-
pénètre pour les ordonner et les maintenir dans l'existence. Voir encore
De incarn., 11-13; col. 113C sa.
D'après Platon, Tim., 53 B, l'état chaotique est naturel à « toute chose
- d'où Dieu est absent». Cf. DIÈs, Autour de Platon, p. 565.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : ATHANASE 02205

voir l’état d'image, l’esbxwv, et de la distinguer d’une ressem-


blance divine supérieure, la ouotwsts. Il ne connaît donc qu’une
seule ressemblance divine de l’homme : celle qui résulte de l’in-
habitation du Logos en nous et qu’il appelle une « grâce ».
Cette grâce, notre docteur l’a manifestement attribuée à
Adam. La conception définitive qu'il se faisait de la similitude
divine du premier homme peut, dès lors, se résumer ainsi. Par
sa présence substantielle — qui, d’après les précisions données
dans les lettres à Sérapion, implique celle du Père et du Saint-
Esprit — le Logos a transfiguré l’âme d'Adam au point d’en
faire sa propre image ; par quoi il lui a assuré, avec la filiation
divine, l’incorruptibilité et une vie heureuse dans l'intimité
‘avec Dieu. Il est aisé de voir que saint Athanase prête à notre
premier père les traits du chrétien idéal tel qu'il le conçoit.
En transgressant le précepte de Dieu, Adam se sépara, se
vida du Logos. Avec la connaissance du divin, il perdit l’in-
corruptibilité et tomba sous la loi de la corruption et de la
mort. Or, « par la désobéissance d'Adam, le péché a envahi tout
le genre humain » (1), et, avec le péché, toutes ses conséquences
funestes.
Cependant même-dans cet état l’homme ne perdit ni la puis-
sance de connaître Dieu, ni la diberté. Aussi notre docteur
n’hésite-t-il pas à déclarer parfois que, grâce à ces facultés, le
yoÿs humain a la possibilité de rétablir en lui l’image du Logos
oblitérée par le péché (2) ou encore que, par la conversion
(perävota), l’homme peut récupérer la filiation divine qu'il a
perdue (3). Mais plus souvent, notamment dans ses traités théo-
logiques, l’évêque d'Alexandrie proclame que seul le Logos
pouvait restaurer l’image dans l’homme déchu (4).
Pratiquement, les hommes ne firent qu’abuser des dons qui
leur étaient restés et tombèrent dans une corruption de plus en
plus profonde (5). Pour recréer l’homme à l’image divine, il
fallait que le Logos, l’image du Père, intervint en prenant un

() Contra arian., I, 51; t. XXVI, col. 117 C.


(2) Contra gent., 34; t. XXV, col. 68 C.
(3) Contra-arian., I, 37; t. XXVI, col. 89 B.
(4) Cf. De incarn., 18: t. XXV, col. 117 C.
(5) Ibid., 12; col. 116-117.
état nd J ne. lui à Hi une arêce . “aivinie BR:
sation beaucoup plus précieuse encore que celle du début @)..8

ET

Que È déification de l’homme déchu soit le but de l'Inear-


nation, c’est Ce que saint tee ne cesse de PR :

[Le Logos] est devenu homme, pour que 1nous fussions divi-
nisés (3). PAU
[Le Fils de Dieu] est devenu nee afin de nous diviniser
en Jui (4). “ ge æ oi,

Aux ariens l’évêque d'Alexandrie ne se lasse pas de mon-


trer que, si le Christ n est pas Dieu, l’homme n'a pas été ra-
cheté; car «une créature n’aurait point uni les créatures à
Dieu » (5), et, pour déffier, il faut d’abord être Dieu (6). SE
Ce qui suppose qu’ariens et catholiques étaient d’ accord
pour voir dans la divinisation la fin de l’Incarnation. En ce.
sens toutefois que celle-ci ne l’a pas seulement rendue possible,
mais qu’elle l’a effectivement réalisée. « Dans l’existence
même de l’Homme-Dieu la redivinisation de l’humanité est en
principe accomplie. C’est dans la constitution de la personne
du Christ que, pour Athanase, la Rédemption a son centre de
gravité :du fait de l’inhabitation du Logos dans Vhumanité
cette dernière a été pénétrée de vie divine. Telle est la pensée
fondamentale de la sotériologie de notre saint, en quoi il dé-
pend manifestement de saint Irénée » (7). HSE He .
En effet, sous la plume de notre docteur, la conception phy- É
sique de la déification, ébauchée par l’évêque de Lyon, s’am-

(1) Ibid, 13; col. 117-120. FSI


(2) Che arian., II, 67: t. XANE col. 289 C. AE
(3) De incarn., 54; t XXV, col. 192 B : . à émvpérnaev, ee ï
npeis Beororn@muev.
(4) Ad Adelph., 4; t. XXVI, col. 1077 A : fée y&e PIRE Va fn
êv éaut® Oeonothon.
(5) Contra arian: II, 69: t. XX VI, col. 293 A. Cf. ibid., 67; one 289 C.
(6) Contra gent., 9; t. XXV, col. 21 A.
&
(7) H. STRAETER, Die Mrlüsungslehre des hl. Athanasius, Fribourg--en-
Brisgau, 1894, p. 140.
* et: nd les allures d’une véritable synthèse, dans la- ;
+ e, à côté du Logos incarné, qui joue évidemment le pré
mier rôle, une place considérable est réservée à l’action déifi- È
nr du Saint- Esprit.

Se
| patriarche d'Alexandrie explique très clairement que
e ’est par le contact mtime que l’Incarnation réalise entre le 5
_ Logos divin et la mue humaine que celle-ci est déifiée: É
|
Le Logos n’est point du nombre des êtres créés, mais bien au
contrairele démiurge même de ceux-ci. C’est pourquoi il a pris
_le corps créé et humain, afin que, l'ayant renouvelé comme créa- SE
teur, il le divinisât en lui-même et nous introduisit ainsi tous à
pe dans le royaume des cieux, selon la ressemblance avec lui
(xa0” épouérn ra êxeivou). Uni à une créature, l’homme n’aurait
pas été de nouveau divinisé, si le Fils n’était pas vrai Dieu.
L’homme ne se serait pas rapproché du Père, si celui qui avait
revêtu le corps n'avait pas été son Logos naturel et véritable.
Et de même que nous n’aurions pas été délivrés du péché et
de la malédiction, si la chair revêtue par le Logos n'avait pas
été par nature une chair humaine — car nous n’avons rien de
; commun avec un être étranger — de même l’homme n’aurait
Er pas été déifié, si celui qui est devenu chair n’était pas issu du
Père par nature et son véritable et propre Logos. C’est pour-
= quoi le contact (ouvayt) s’est ainsi fait, afin qu'à la nature
_ divine fût unie la nature humaine et que le salut et la déifica-
_ tion (eoxofnow) de celle-ci fussent assurés. Ceux-là done qui
nient que le Fils est issu par nature du Père et qu’il est le
propre de son ‘essence, qu’ils nient également que le Fils a pris
une vraie chair humaine de Marie toujours vierge :(L),
“T

= On retrouve dans un autre passage l’idée d’après laquelle,


_ pour diviniser l'homme, le Sauveur devait unir en lui la nature
divine à la nature humaine, union qui seule pouvait remplir
| celle-ci de forces divines pour la guérir et l’immortaliser :

* Si les œuvres de la divinité du Logos n’avaient pas été accom-


plies par le corps, l’homme n’aurait pas été divinisé; de même,
si l’on ne dit pas du Logos ce qui est propre à la chair, l’homme
\

Je a) Contra arian, I, 70: t XXVI, col. 296 AB.


208 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE |

n’en aurait pas été complètement délivré. Maintenant que le


Logos s’est fait homme et s’est approprié ce qui est de la
chair, le corps n’est plus touché à cause du Logos qui est
en lui et qui a tout enlevé. En effet, désormais les hommes
me restent plus, suivant leurs propres passions, pécheurs et
morts, mais, ressuscités par la puissance du Logos, ils restent
‘ à jamais immortels et incorruptibles. Nous ne mourrons plus
en Adam, selon notre première naissance; mais, notre naissance
et toute notre infirmité charnelles étant désormais transférées
sur le Logos, nous sommes ressuseités de la terre; la malédiction
résultant du péché est levée par celui qui, en nous, s’est fait
malédiction pour nous (1).

Des développements de ce genre, qui, plus ou moins étendus,


se rencontrent fréquemment dans les écrits athanasiens (2),
donnent l'impression que, pour notre théologien, le Logos à
assumé la nature humaine comme telle ou toute l’humanité à
racheter. Impression particulièrement vive, lorsqu'on lit des
textes tels que les suivants :

Comme le Seigneur, en revêtant le corps, est devenu homme,


ainsi nous, les hommes, assumés par sa chair, nous sommes divi-
nisés par le Logos et avons désormais pour héritage une vie
éternelle (3). ;
Étant donné que tous les hommes ont été perdus par la trans-
gression d'Adam, la chair de celui-ci a été sauvée et délivrée
en premier lieu, puisqu'elle est devenue le corps du Logos
même; et ensuite nous, unis en un seul corps (süoswor ruy-
Xävovres), nous sommes sauvés selon ce même corps (4).

Dans ces affirmations, pourtant formelles, d’aucuns ne veu-


lent voir qu’«un abus de langage platonicien » (5). Pareille
interprétation vide les textes en cause de leur force probante
et de leur signification profonde. Pour cette raison déjà il sem-

(1) Ibid, III, 33; col. 383 A-396 A.


(2) Cf. par exemple De incarn., 44: Contra arian., II, 67 sq.; Ep. ad
Epict., 9. É
(3) Contra arian., III, 34; t. XXVI, col. 397 AB. Cf. I, 46-50: col.
105-117.
(4) ITbid., II, 61; col. 277 B. .
(5) TIXERONT, 0p. cit., t. IT, 9° édit, p. 151. Même explication dans
STRAETER, Op. ot, p. 175.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : ATHANASE 209

ble préférable d'admettre que saint Athanase a effectivement


conçu la nature humaine à la manière d’une réalité concrète,
comme une espèce d’«homme générique » — pour employer
une expression de Philon (1) — auquel participeraient tous
les individus, mais de telle sorte que les propriétés acciden-
telles — « figures et qualités » (2) — joueraient le rôle de ce
que nous appelons le principe d’individuation. Ceci explique-
rait que, tout en voyant dans le Christ l’humanité entière,
l’évêque d'Alexandrie attribue au Logos incarné un corps et
une âme strictement individuels et qui lui appartiennent exclu-
sivement (3).
_ Néanmoins l’on hésiterait à prêter au grand docteur un réa-
lisme aussi étranger à nos conceptions, si ailleurs dans les écrits
athanasiens il ne se manifestait pas avec une clarté qui exclut
tout doute.
Dans la IT° Lettre à Sérapion, par exemple, il éerit :

Avec les êtres auxquels nous sommes semblables nous avons


également l’identité et nous sommes consubstantiels à eux : étant
done des hommes et ayant l’identité, nous sommes consubstan-
tiels les uns aux autres (4).

Un peu plus loin, Athanase établit un parallèle entre la


consubstantialité des hommes et celle des personnes trinitai-
res :
De même que nous n’appellerions pas nos pères [nos] créa-
teurs (rotnréc), mais [nos] générateurs (yevviropas), et que
personne ne dirait de nous que nous sommes des créatures de
nos pères, mais bien [leurs] fils par nature et [que mous
sommes] consubstantiels aux pères; de même, si Dieu est Père,
il est certainement Père d’un Fils par nature [qui lui est]
consubstantiel.., tout fils étant consubstantiel à son père (5).

(1) Voir plus haut, p. 89-90.


(2) Cf. De synod., 53; t. XX VI, col. 788 BC.
(3) C£ G. A. PELx, Die Lehre des hl. Athanasius von der Sünde und
Erlôsung, Passau, 1888, p. 125-133; STRAETER, op. cit, p. 175.
(4) Ad Serap., II, 3; t. XXVI, col. 612 B : ’Qv êouey ôpouot, xai Thy
ravrérnra Éyouev toUruy, xœi Opooûotot Écuev dvfpwnot poüv Gporot al Tauri-
snta Éyovres, Owooûstol Écuev SAAAUV.
(5) Ibid., II, 6; col. 617 AB :.…. oütus, el Ilathp 6 eds, révrws Yiod puoet vai
époovatou éoti [larip. Cf. De synod., 53; col. 788 BC, où l’auteur déclare
Or, puisque notre auteur net : ue des
personnes divines comme une identité numérique d'essence (4),
force est de conclure qu’il a admis également pour les hommes
l’unité numérique de nature. :
Mais, pour bien comprendre son langage réaliste à propos
de l’Incarnation, il faut se rappeler en outre que saint Atha-
nase a, « jusqu'à la fin de sa vie, confondu les deux termes
oùska et Ürostasts » (2). Faute de cette distinction si
importante, il lui était difficile de préciser — comme le fera
plus tard saint Jean Damaseène — que la déifieation de la
nature humaine n’entraîne pas automatiquement celle des per-
sonnes. Toujours est-il qu'il présente la divinisation indivi-
duelle comme le résultat de l’action combinée du sujet, du
Christ et de l’Esprit-Saint, k

III

Dans ses deux traités apologétiques, le patriarche d’Alexan-


drie ne fait intervenir, comme agent de notre déification, que
le Logos incarné. Mais, dans les Discours contre les ariens déjà,
il menticnne la coopération du Saint-Esprit. La naturede cette
coopération se précise, enfin, dans les quatre lettres à Sérapion,
dans lesquelles, contre les pneumatomaques, notre docteur dé-
fend la divinité de l'Esprit au moyen des mêmes principes
qui dui ont servi pour établir celle du Fils. C’est ainsi que :
l’action déificatrice de l’Esprit-Saint, reconnue sans doute par
ses adversaires, lui fournit l’un de ses meilleurs arguments :

C’est par l’Esprit que nous sommes tous dits avoir part à
Dieu... Or, si par la participation de l'Esprit nous dévenons
participants de la nature divine, ce serait folie de dire que l’Es-

d'une manière rl qu’« au sujet des essences ce n’est pas de similitude,


mais d'identité qu’il faut parler » (ti y&p rüy oot@v oùy OmotÜTns, &AÀX TautO-
tas dv Aeybein). In effet, continue-t-il, « l’homme est dit semblable (ëmotoc)
à l’homme, non selon l'essence, mais selon la forme et la figure (xatà vd
ci x xa rôv yapaxtñpx), car par l’essence ils sont de même nature (ôpogu-
Ets) ».
(1) Cf. De synod., 48; t. XXVI, col. 780 AB : à&vayun.… a Tv an
Voetv al thy Yiob xai [Tatpdç Evérnra….. ‘O 53 Yièc êx ts oÙolac dv ému, oùsig
ËV éotiy aÜtos al 0 yewoacs «toy Te Voir TIKERONT, op. _Ct., E LTD:
71-72.
(2) TIXERONT, op. cit., t. II, p. 75. ë
prit est de nature créée et non de nature divine. C’est pourquoi
aussi ceux en qui il est sont divinisés ( dsomouoüvrar ). Or, s’il
divinise, il n’est pas douteux que sa nature ne soit celle de
Dieu (1). 5

Que l'Esprit contribue à notre déification, le patriarche


d'Alexandrie le déduit du principe trinitaire d’après lequel
« il n’y a rien qui ne devienne et ne soit opéré par le Logos
dans l'Esprit » (2). Or, argumente-t-il, comme il n’y a qu’« une
seule sanctification », elle doit « venir du Père par le Fils dans
_ l’Esprit-Saint (èx Iuvods du Yioû èv Iyebuart dylw)» (8).
Sur la fonction générale de ce dernier, Athanase s'explique
ainsi : ;

L'Esprit est chrême et sceau (xploua xat copayis); en lui, le


Logos oïint et scelle toutes choses. Or le chrême contient l’odeur
de celui qui oint,.. le sceau la forme de celui qui scelle... Il con-
vient done qu’ainsi marqués nous devenions également partici-
pants de la nature divine, comme l’a dit Pierre (4) et que, de
la sorte, toute la création participe au Logos dans l'Esprit (5).

Maïs en quoi consiste au juste, à côté de celle du Logos


incarné, l’action du Saint-Esprit dans notre déification ? Ce
De er ; ar . É Le . ER
rôle est, au fond, identique à celui que la troisième personne
trinitaire a joué dans l’Incarnation. Or c’est précisément dans
S l’Esprit-Saint que le Logos a assumé la nature humaine.

Lorsque le Logos descendit dans la sainte Vierge Marie,


VEsprit vint en même temps en elle, et c’est dans l’Esprit que
le Logos se forma et s’adapta son corps, voulant par lui-
même unir et offrir la création au Père (6).

_ (1) Ad Serap., I, 24; t. XXVI, col. 585 C-588 A.


(2) Ibid., I, 31; col. 601 A.
(3) Ibid., I, 20; col. 577 C. Cf. I, 24 et 30; col. 585-588 et 597-600;
III, 5; col. 632-633. La formule « du Père par le Fils dans l’Esprit-Saint »
deviendra classique dans l'Église grecque pour exprimer le rôle respectif
de chacune des personnes trinitaires dans la création et la sanctification.
(DIT Petrs TA,
(5) Ad Serap.,I, 23; t. XX VI, col. 585 AB.
(6) Ibid., I, 31; ob 605 A. Ailleurs, De incarn., 8; t. XXV, col. 109 C,
c'est le Logos seul qui se prépare son corps au sein de la Vierge. Texte
cité plus loin,p. 215-216.
212 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

Unissant de la sorte la nature humaine au Logos, l'Esprit


unissait en même temps à celui-ci l'humanité, voire la création
entière : |
C’est donc dans l'Esprit que le Logos glorifie la création et,
en la défiant et adoptant (Beomot@y xai vionot&v) (1), la con-
duit au Père. Mais celui qui unit la création au Logos ne sau-
rait faire partie du créé, ni celui qui confère à la création la
qualité filiale être étranger au Fils. S'il en était ainsi, il fau-
drait chercher un autre esprit, pour que, en lui, le premier fût
uni au Logos. Ce qui est absurde. L'Esprit ne fait dès lors pas
partie des choses créées; mais il est propre à la divinité du Père,
et, en lui, le Logos déifie les créatures (2).

Ainsi la divinisation de l’homme se présente comme un don


de toute la Trinité : venant du Père comme de la source de
tout bien, elle nous est directement conférée par le Logos, mais
dans le Saint-Esprit :

Ce.que l'Esprit distribue à chacun vient du Père par le Fils.


C'est pourquoi ce qui est donné par le Fils dans l'Esprit est
une grâce du Père (3).

_ Bref, nous sommes divinisés par l’union intime à l’Esprit-


Saint qui nous unit au Fils de Dieu et, à travers celui-ci, au
Père.

IV

À prendre au pied de la lettre les textes où il expose sa


théorie physique de la divinisation, d’aueuns ont prétendu que
saint Athanase concentre toute l’œuvre rédemptrice dans l’acte
même de l’Incarnation et qu'il voit dans notre déification le
résultat d’un processus pour ainsi dire mécanique, savoir du
«contact physique du divin et de l’humain en Jésus-Christ» (4).
Telle est, en effet, la conception que Harnack prête à notre
docteur (5).

(1) Ces deux termes sont ici manifestement synonymes.


(2) Ad Serap., I, 25; t XX VI, col. 589 B.
(3) Ibid., I, 30; col. 600 B.
(4) J. RIVIÈRE, op. cit., p. 147.
(5) A. HARNACK, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. II, 4 édit, p.
160-161,
Das)

SYNTHÈSES DOCTRINALES : ATHANASE 213

Rien n’empêche de reconnaître que, dans son ardeur à prou-


ver la divinité du Sauveur par l’efficience de l’Incarnation,
mal servi par un réalisme générique de provenance platoni-
cienne, l’évêque d'Alexandrie se soit livré à des spéculations
qui, c’est le moins qu’on puisse dire, appellent des correctifs.
De ces derniers, il fournit, du reste, lui-même les éléments
essentiels.
C’est ainsi que — faisant en cela écho à la tradition —
Athanase reconnaît à la vie humaine du Christ (1) une certaine
valeur rédemptrice, en ce sens qu’elle complétait l’efficacité de
l’Incarnation. Afin de nous délivrer parfaitement de nos fai-
blesses naturelles, le Logos incarné les assume lui-même; pour
diviniser la vie humaine dans ses diverses étapes, il la vécut
personnellement (2).
En cet ordre d'idées, notre docteur réserve à la mort du
Christ une place à part dans l’œuvre du salut comme moyen
d’expier nos péchés, de satisfaire à notre place à la loi de mort
portée par Dieu au paradis et de nous rendre de la sorte l’in-
corruptibilité perdue (3). Maïs il ne fait pas la synthèse de ces
diverses données avec le rôle déifiant de l’Incarnation.

En ce qui concerne la déification « mécanique », toute la


doctrine morale et plus encore la vie même du saint évêque
prouvent que pareille conception plus ou moins magique lui a
été étrangère. En effet, de même que, malgré son réalisme,
Athanase reconnaît à tout homme une autonomie morale pleine
et entière, de même sa théorie physique de la divinisation ne
l’empêche pas de subordonner à l’effort personnel la déification
de l'individu.

(1) Étant donnée sa tournure d'esprit et sa préoccupation dominante


— la défense de la parfaite divinité du Christ — on comprend que la vie
humaine de Jésus n'ait guère retenu l'attention de saint Athanase, on
pourrait dire : des Alexandrins en général. k
(2) C£ Contra arian., III, 33, cité plus haut, p. 207-208; aibid., 53;
t. XXVI, col. 433 C-436 A.
(3) De incarn, 69; t. XXVI, col. 105 C-112 B. Voir plus loin,
p. 215, où un extrait de ce passage est cité. Cf. J. RIVIÈRE, Le dogme de
la Rédemption. Essai d'étude historique, p. 151; Ip, Le dogme de
la Rédemption. Étude théologique, 3° édit., Paris 1931, p. 94-95 ; J. TIXE-
RONT, op. cit., t. II, p. 149-152.
En effet, d’après lui, +. 1 sont déifiés,
. pour devenir chrétien, la foi et une conversion sérieuse sont
indispensables (1). Du reste, Harnack lui-même porcs que
l’idée athanasienne de la divinisation « n’est pas entiere ont ;
naturaliste », qu’elle comporte «« également une rénovation de.ee
l’être intime de l’homme » (2). ee re FES
Cependant ce changement intérieur, y compris foi, ne fait
pas encore le chrétien : il faut recevoir le baptême. Ce n est ae
que par ce rite que l’homme est « unià la divinité» (3), régé
néré et renouvelé « dans son état d’iimage » (4), rendu fils de
Dieu pour l'avenir (5) et ainsi déifié Æ
Mais la sainteté baptismale peut se perdre (6). As 4 nn
conserver, il faut imiter sans défaillance la vertu et la perfec-
tion que le Christ, notre modèle, possède de par sa nature
divine (7). RS
Pratiquement, la déification du ed est done avant tout
l'œuvre du Logos incarné et de son Esprit, auxquels revient :
l’initiative sur tout la ligne (8) ; mais elle est en même temps me:
Je fruit de l’ activité morale de l’homme.

V
Bien que notre docteur ne fasse nulle part:1’analyse du con-
cept de déification, les développements qu’il consacre au fait ets
aux modalités de celle-ci one d’en découvrir les princi-
paux éléments. ce RS

D) Cf. De incarn., 30; t. XXV, col. 148 B; 50-51; _col. 185-188, EE,
(2) A. HARNACK, op. cit. t. II, p. 162. , CR ne
(3) Contra arian., IL, 41; t. XXVL, col. 233 B. à
(4) De incarn., ve t. XXV, col. 120 D, Cf. Ad Berap., D Re 4 te
col. 581-584. Fe
(5) Contra arian., I, 34; t. XX VI, col. sa A. Cf. ibid, 33; col. 80-81;
Ad Serap., I, 19; col. 573 C-576 A.
(6) Ibid., III, 25; col. 376 C. c : LT
(7) Ibid, III, 18-22; col. 360-369. ns - RE
Saint eee semble avoir vu dans l’Eucharistie un moyen pour con- ;
server et affermir la grâce de la déification. Maïs, comme les passages où
il en parle (voir STRAETER, 09. cit, p. 184-191) sont très obscurs, il rest
préférable de ne pas en faire état. ee
(8) Cf. De incarn., 50-51: t. XXV, col. 185-188. #
" lu nettement n les Pères Rue saint has |
identifie divinisation et filiation divine. Il emploie comme syno-
nymes les termes feonouiv et viomoueiy, qui expriment l’assi-
_milation et l’union intime du chrétien à Dieu dues àla présence
à en lui du Logos et de son Esprit. Assimilation, non identifica-
tion, précise l évêque d'Alexandrie; car l’homme déifié est fils
_ de Dieu par adoption, par grâce seulement ;jamais il ne pourra
ur fils par nature comme le Logos incarné :

Un seul est Fils par nature; nous autres, nous devenons éga-
lement fils, non toutefois comme lui par nature et en vérité,
_mais selon la grâcede celui qui nous appelle. Tout en étant
DRE dE “hommes terrestres, nous sommes appelés dicux, non pas
S comme le Dieu véritable ou son Logos, mais comme l’a voulu
Dieu qui DE a conféré cette grâce (SRE

re qui : déifie l’homme . fait de lui un fils de Dieu, c’est son


“union avec Ja Trinité. Grâce primordiale qui implique une
- série d’ autres bienfaits, tels qu’une « vie céleste », un « pouvoir
sur les démons », le don précieux entre tous de « la gnose du
. Père et de son Logos » (2), enfin l’incorruptibilité. Sur celle-ci
ee| docteur insiste tout particulièrement:

Bien qu’il soit puissant ct le démiurge de l’univers, [le Logos]


s'est préparé à lui-même, dans la Vierge, le corps comme un
-_ temple et se l’est approprié comme un instrument {8pyavov),
pour se manifester et pour habiter en Jui. Tirant ainsi des
nôtres un corps semblable (xd @y Aperépuy rù épotoy Aafuv)
4 et comme nous étions tous soumis à la corruption de la mort, le
livrant pour tous à la mort, il l’offrit au Père. Tout cela, il
Je fit par amour pour les hommes, afin que, tous mourant en
lui, fût brisée la loi de corruption portée contre les hommes,
comme ayant épuisé son pouvoir de prise sur les hommes sem-
_blables [à lui]. Les hommes retournés à la corruption, il les
ramène ainsi à l’incorruptibilité et les rappelle de la mort à

«) Cobr. arian., HE, 19 ; t. XX VI, col. 361 C-364 A. Cf. ibid., 24-25;
col. 373-376; De decret., 31; t. XXV, col. 473 CD.
(2) Epist. ad.epise. Ægvpt. et Lib. 1; t. XXV, col. 540 A.
. 216 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

la vie, par l’appropriation du corps et la grâce de la résurrec-


tion détruisant la mort en eux, comme une paille dans le feu (1).

Plus d’une fois, saint Athanase parle de la défaite et de


l’impuissance de la mort, voire même de « sa mort » (2), en des
termes très expressifs :
Pour sûr, étant donné que le Sauveur universel est mort
pour nous, nous, les fidèles dans le (Christ, nous ne mourrons
plus maintenant comme autrefois selon la menace de la loi;
car cette condamnation a cessé (3).

Comme il l'explique lui-même dans la suite de ce texte, l'évê-


que d'Alexandrie entend dire par là que, pour le disciple du
Christ, la mort n’est qu’une dissolution passagère et que, de
ce fait, elle a perdu sa terreur (4). En d’autres termes, le
chrétien est tellement sûr de son incorruptibilité qu'il la pos-
sède pour ainsi dire dès maintenant.
Ainsi, dans le chrétien déifié, l’état originel de l’humanité,
avec son union à Dieu, sa connaissance de Dieu et son immor-
talité, se trouve magnifiquement restauré et cela d’une façon
plus stable qu’au début. Cette restauration est particulièrement
parfaite chez ceux qui, par la fuite du monde et par la prati-
que de la virginité, s’adonnent à une vie tout en Dieu (5). Il ne
leur manque plus que le paradis; mais un jour celui-ci sera
avantageusement remplacé par le royaume céleste.

VI
Au ciel, en effet, dont les portes ont été rouvertes par le
Christ ressuscité (6), la divinisation du chrétien trouvera son
couronnement.
(1) De incarn., 8: t. XXV, col. 109 CD. Cf. Contra arian., III, 33;
t. XX VI, col. 393-396. |
(2) JTbid., 27 ; col. 141 C.
(3) Ibid., 21; col. 132 C.
(4) Ibid., 27; col. 141 D.
(5) C’est l’idéal monastique que saint Athanase célèbre dans sa Vie de
saint Antoine, appelée à exercer une si profonde influence tant en Orient
qu’en Occident. Avec saint Méthode, notre docteur voit dans la virginité
une vertu spécifiquement chrétienne. Cf. De incarn., 51; t. XXV, col.
185 D-188 A; Vita sancti Anton., 79: t. XXVI, col. 953. Voir STRAETER,
op. cit., p. 180.
(6) Contra arian., I, 41; t. XXVI, col. 97 B. Cf. Æpist. heortast., V, 3;
t. XXV, col. 1380 D-1381 A,
x

SYNTHÈSES DOCTRINALES : ATHANASE PAL

Après « la seconde épiphanie du Christ parmi nous, glorieuse


celle-ci et vraiment divine » (1), aura lieu la résurrection. Le
même corps que nous avons porté durant notre vie terrestre
ressuscitera pour s’unir de nouveau à notre âme (2). Le corps
du juste sera semblable à celui du Christ glorieux, savoir im-
mortel et impassible.

De mortel, il est devenu immortel; étant psychique, il est


devenu pneumatique et, né de la terre, il a franchi les portes
célestes (3).

Mais comment l’incorruptibilité des corps ressuscités est-elle


obtenue? Par une transformation physique de ia chair humaine,
comme le pense M. Bornhäuser (4) ? Sans nul doute, encore que
pareil changement semble avoir été conçu par notre docteur
comme un simple effet de la présence et de la connaissance du
Logos, dons que le ressuscité possède d’une manière inamissible
et qui lui assurent une stabilité dans l’être telle que la corrup-
tion n’y trouve plus aucune prise.
Cette explication est suggérée par deux opinions de saint
Athanase qui se complètent. D’après la première, s’il avait
conservé la similitude divine par la contemplation de Dieu,
Adam «aurait émoussé la corruptibilité naturelle et serait
resté incorruptible » (5). D’après la seconde, cette qualité vien-
drait à certains autres êtres de leur connaissance du Logos :
Ni le soleil, ni la lune, ni les cieux, ni les astres, ni l’eau,
ni l’éther ne se sont écartés de l’ordre; mais, grâce à la con-
naissance du Logos, leur démiurge et roi, ils restent tels qu’ils
ont été créés (6).

Il va sans dire que, dans les ressuscités, l’incorruptibilité


s'accompagne de l’impassibilité, l’une et l’autre étant des con-

(1) De incarn., 56; t. XXV, col. 196 AB.


(2) Cf. Vita s. Anton., 91; t. XXVI, col. 972 B.
(3) Ad Æpict., 9; t. XX VI, col. 1065 B. Cf. Contra arian., III, 34;
col. 397 AB; III, 33; col. 393-396.
(4) K. BoRNHAEUSER, Die Vergottungslehre des Athanasius und Johan-
nes Damascenus, Gütersloh, 1903, p. 43-44.
(5) De incarn., 4; t. XXV, col. 104 C.
(6) Ibid., 43; col. 172 BC : ’Apéhet oùy Atos, où gen, OÙx oùpavds, où
rà dorpa, oÙy Udwp, oùx aiôho raphhhaëay Thy Tééiv, GAN elddres Tûv ÉauToy
. Énuoupydv nai Pasthéa Adyov, pévoustv De YEYOVa SL,
; :APOGÉE

ditions indispensables de la « éternelle:


_ maison de Dieu où règnent «la concorde » parfaite 2, Ja :
« joie suprême et l’exaltation » (3). E RS A
__ L’assimilation de l’homme entier à l’Homme-Dieu obus: FE
l’union la plus intime avee le Logos et, par lui, avec toute la F3
Trinité dans la félicité céleste, telle est, d’après Athanase, da
déification parfaite et définitive du chrétien.
*

| +

Ce qui est particulier à saint Athanase au ie de la divini- FA


sation du chrétien, c’est que pour en expliquer 1 es modalités, VE
sans renier l’intellectualisme de l'École d'Alexandrie, is est
inspiré moins de la gnose de Clément et d’Origène que de da
conception de saint Irénée. Cependant, en enrichissant celle-ci Eu
de nombreux éléments empruntés à celle-là, en la développant Le
au moyen d’une idée philosophique — le concept réaliste de. ES
la nature humaine — le patriarche d'Alexandrie, non seule Re
ment l’a marquée du sceau de sa puissante personnalité, mais
l’a élevée à la hauteur ie une véritable théorie, d’une synthèse
doctrinale. 4 : F : qe : AA

(1) Cf. Epist. heortast., XIV, 2; t. XXV, 1419 Le PA EE AC


(2) Ibid, IX, 8; col. 1395 AB. | F Hot
(3) Ibid., I, 10; col. 1366 B. Cf. XIX, 8: col. 1429 A. Dane, ses écrits
proprement théologiques, Athanase fait à peine allusion au bonheur céleste. - .
Dans ses lettres festales où pascales, au contraire, il en parle assez sou
vent, mais en passant, sans jamais traiter ex professo ce point de doctrine, |
CHAPITRE II

GRANDES SYNTHÈSES DOCTRINALES


2 Fe ae — SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE :
_ Après saint Athanase, saint Grégoire de Nyse est le témoin
par excellence de la doctrine grecque de la divinisation. Dans
_ son Discours catéchétique, «vraie petite somme théologi-
que» (1), destinée aux maîtres chrétiens, le plus spéculatif des
__ Pères grecs du IV* siècle, non seulement lui donne sa forme la
_ plus systématique et la plus philosophique, mais en fait l’uni-
_ que base de sa sotériologie. Toutefois, l’exposé un peu som-
de maire du Discours a besoin d’être complété par l’enseignement
contenu dans les autres écrits du saint, notamment, en ce qui
_ concerne notre sujet, dans sa petite anthropologie intitulée De
_hominis opificio.
Plus que tout autre Père, l’évêque de Nysse se montre pré-
= occupé — surtout lorsqu'il s’adresse aux gentils — d’appuyer
NET
é
les vérités de la foi sur ce qu’il appelle les « notions commu-
nes» | (æoivai évvorat) (2), qui sont des principes empruntés
2;.des préférence au néoplatonisme et au stoïcisme et dont il fait
_ comme le cadre de sa philosophie religieuse. Les idées directri-
ces qui dominent la conception grégorienne de la théopoièse
sont notamment celle de la transcendance du « Très-Haut
4

(1) F. CaYRÉ, Précis de patrologie, t. I, Paris, 1927, p. 415.


(2) GREG. Nyss., Orat. cât., V; P. G., t. XLV, col. 20 D. Une édition
__ critique du discours avec traduction française a été publiée, dans la collec-
3 __ tion Textes et documents, par L. MÉRIDIER, Grégoire de Nysse, Discours
_ catéchétique, Paris, 1908. Là où il y a divergence entre le texte de l'édition
É _ Migne et celui de M. Méridier, nous suivons ce dernier, d'autant que le
premier est souvent manifestement fautif. ,
Fe Pour établir la traduction des extraits que nous citons, nous nous
"os sommes aidé de celle de M. Méridier.
GREEN
LE Le
ER . ë
; tn Ses

220 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

qui est inaccessible en raison de l’élévation de sa nature » (1)


et celle de sa bonté. Conformément à sa haute idée de « l’Être
qui possède l'existence de par sa propre nature» (2), saint
Grégoire proclame, comme la règle suprême de notre croyance,
que rien n’y doit «être contraire à l’idée qu’il faut se faire
de Dieu » (3). Or il serait indigne de Dieu qui est «la nature
du bien » (4), et même « au-dessus de tout bien » (5), de penser
qu'il ait créé pour un autre motif que celui de manifester sa
sagesse et sa bonté, notamment à l’égard de l’homme qu’il a
appelé à le connaître et à devenir son ami pour partager son
bonheur (6). Indigne de Dieu aussi d’admettre que le mal qui
éloigne l’homme de sa fin vienne du créateur; que l’Être
. même ne finirait pas par vaincre le mal qui n’a pas d'existence
propre (7) ; enfin, que la sagesse divine ne triompherait pas de
la folie humaine :

Il est, en effet, impossible que ce qui change soit plus fort


et plus durable que ce qui est toujours égal à lui-même et soli-
dement affermi dans le bien (8).

Ces principes font déjà prévoir que, dans sa conception de


l’état originel, le docteur de Nysse dépassera encore l’idéalisme
de saint Athanase.

(1) Zbid., XX VII; col. 72 B.


(2) De vita Moys. ; t. XLIV, col. 333 AB :Tù dv, dTtf aûrod pÜoet vd elvat Eyes.
Définition, qui semble s'inspirer d’Aristote, Metaph., XII (A), 6: 1071 b,
19-20. Cf. Endre v. IvANKA, Vom Platonismus zur Theorie der Mystik,
dans Scholastik, t. XI, 1936, p. 163-195. Sur le concept de Dieu d’après
Grégoire, voir Jean BAYER, Gregors von Nyssa Gottesbegriff, Giessen,
1935.
(3) Or. cat., XX VII; t. XL, col. 72 D. Cf. IX: col. 40 D; XVI; col.
49 C; XX; col. 57 A.
Règle déjà énoncée par Origène. Voir E. DE FAYE, Origène, t. III, p.
46-49.
(4) De an. et res.; t. XLVI, col. 93 B.
(6) De hom. opif, XVI; t. XLIV, col. 184 A : Bsdc. avr &yaBoë…..
étéxetva &v. Cette formule rappelle Plotin. Cf. J. BAYER, op. cit., p. 29-30.
(6) Cf. De vita Moys.; t. XLIV, col. 429 CD.
(7) Or. cat., VIT; t. XLV, col. 32 C. Cf. XXI; col. 60 AB.
(8) De hom. opif., XXI; t. XLIV, col. 201 BC.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : GRÉGOIRE DE NYSSE 221

I
-_ Le Logos a créé l’homme « dans la surabondance de son
amour, afin de le rendre participant des biens divins » (1).
La PRE même de l’homme a été conçue par notre docteur
_ d’une façon très originale, qui ñe fut pas sans influence sur sa
doctrine de la déification. D’après lui — il a soin de prévenir
le lecteur qu’il émet une simple hypothèse —

dans la première création, par la divine providence et puissance,


toute l'humanité à été comprise. Toute la plénitude du genre
humain { 6hoy 70 fc àybpwrérnros rfowus) a été enfermée
comme en un seul corps par la puissance providente du
Dieu de V’univers. C’est ce qu’enseigne le récit lorsqu'il dit que
Dieu à fait l’homme et qu’il l’a fait à l’image de Dieu. Toute
la nature donc, tänt celle des premiers que celle des derniers,
est une seule image de celui qui est (2).

Cette humanité idéale— qui semble n’avoir existé que dans


la pensée divine — possédait la parfaite ressemblance avec
Dieu, au point de n'être pas sexuée, «la différence sexuelle
étaut étrangère à la nature divine » (3). Sans le péché, l’homme
PECT
AP
n’aurait pas eu besoin du mariage pour se multiplier; il se
serait propagé à la manière mystérieuse des anges (4). Maïs,
prévoyant que l’homme abuserait de sa liberté et perdraïit ainsi
la vie angélique, ne voulant pas que «restât incomplète la
foule des âmes humaines », Dieu « implanta au genre humain,
à la place du noble mode angélique de propagation, celui des
brutes et des animaux sans raison >» (5). Aïnsi nos premiers
parents ont été créés sexués.
Pour cette raison, la ressemblance divine que l’homme idéal
— manifestement calqué sur « l’homme à l’image », « l’homme

(1) Or. cat, V; t. XELW, col. 21 A.


(2) De hom. opif.. XVI; t. XLIV, col. 185 BC. Cf. XXII, col. 204-209.
(3) Ibid. ; col. 181B, 185 D.
(4) I bia, XVII ; col. 189 A. Grégoire tient pour certain que les anges se
propagent; mais il s’avoue incapable de dire comment.
(5) Ibid.; col. 189 CD. Cf. F. Hrcr, Des hl. Gregor von Nyssa Lehre vom
Menschen, Cologne, 1890, p. 16-19.

Let
A
générique » de Philon (4) — ee diunere parfaite
subi un obscureissement dans l’homme historique. Celui-ci
garde cependant l’état d'image divine, puisqu'il participe Jui
aussi, bien qu’à un degré moindre, aux perfections divines:

Dieu... n’a pas montré à moitié Le puissance de sa bonté en


accordant tel de ses biens et en en refusant par jalousie la
participation à tel autre. Au contraire, la perfection de la bonté
consiste en ceci: d’une part, à faire passer l’homme du non-
être à l’existence, d'autre part, à le doter richement de biens.
Or, comme la liste des perfections [divines] prises individuelle-
ment est longue, il n’est pas facile de les énumérer. C’est pour-
quoi le récit [biblique] résume tout en une parole compréhensive
lorsqu'il dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Cela
revient, en effet, à dire que Dieu a rendu la nature humaine
partierpante de tout bien. Si done la divinité est la plénitude .
des biens et l’homme son image, c’est par la possession de tout
bien que l’image a la similitude (rày ôuotérntæ) avec l’archétype.
Ainsi il y a en nous toute espèce de beauté, toute vertu et
sagesse, et tout ce qui peut être conçu de parfait (2).

Mais toute participation suppose «une affinité avec l’objet -


participé » (3). Or la divinité est essentiellement «esprit et
raison » (voDs mal Adyos) (4). Ces perfections devaient dès lors
être accordées à l’homme avant tout autre bien :

Le créateur. a donné à la nature humaine les autres biens


par libéralité (x puotimlac). Du voüc, au contraire, et de l’in-
telligence on ne peut dire à proprement parler qu’il les a
donnés, mais qu’il les a partagés ( wetédwxe ), en conférant à
l’image la gloire qui est propre à sa nature (5).

() Voir plus haut,p. 89-90. Of. A. SLOMKOWSKI, L'état primitif de


l’homme dans la tradition de l'Église avant saint Augustin, Paris, 1928, se
p. 16, 106-108; R. ARNOU, Platonisme des Pères, dans Dictionnaire de
théol. cath., t. XII, col. 2346-2347. os
(2) De hom. opif., XVI; col. 184 AB. Ces développements rappellent \
certains passages de saint Méthode (cf. plus haut, p. 192- 194) dont Gré-
goire semble du reste s'inspirer souvent. #
(3) Or. cat, V; t. XLWV, col. 21 D.
(4) De re opif., V; t. XLIV, col. 137 B.
(5) Ibid., IX ; col. 149 B. En tant que « propriété spécifique de la nature 3
humaine », le voÿs ne pouvait être refuséà l’homme. Ad».* Apollin. XX! #7
Celui qui à fait l’homme en vue de la participation à ses
< “propres biens. ne pouvait le priver. du plus beau et du plus
précieux des ibiens, je parle de la grâce (xéorroc) (2) de l’indé-
pendance et de la liberté. En effet, si quelque nécessité dominait
la vie humaine, l’image serait mensongère sur ce point, étant
altérée par quelque chose de dissemblable de l’archétype. Com-
_ ment appeler image de la nature souveraine l’être assujetti et
asservi à des nécessités. Ce qui a été assimilé en tout point au
__ divin devait absolument posséder dans sa nature l'autonomie et
l’indépendance, pour que la participation aux biens fût le prix
de la vertu (3).

+ Inhérentes à la nature humaine, l'intelligence et la volonté


libre constituent dès lors une ressemblance primordiale de
l’homme avec Dieu, ressemblance inamissible et en quelque
4 sorte fondement de la similitude ultérieure que, par pure libé-
_ ralité, Dieu a ajoutée à la première. En effet, comparable à un
-1 peintre qui donne au portrait exactement les traits et les cou-
_ leurs de l'original, E créateur a orné son image de sa propre

| la cars M ue la béatitude, ee de tout mal


et tous les dons de ce genre, par lesquels la ressemblance avec
le divin ( mpôc rù Oeïtov épolwows) est imprimée aux hommes.
C'est de fleurs de ce genre que le Démiurge de sa propre image
a marqué notre nature (4).

. XL, col, 1169 AB. Cf. De hom. opif, VIII; t. XLIV, col. 145 C; De
virginit., XII: t. XLVI, col. 369 B. Dans ces deux derniers textes, l'homme
est défini hoyurèv Eüov.
_ (4) Tbid., XI; col. 161 CD.
_ (2) Le fait que notre docteur appelle le libre arbitre une grâce et qu ’ail-
see par exemple, De wirginit., XII; t. XLVI, col. 372 BC; De an. ct
àres.; t. XLVI, col. 148À, 369PB, il qualifie l’état originel considéré dans
son ensemble de « conforme à la nature» (xavtà œuüotv), montre combien
il est difficile de trouver chez lui nos catégories de naturel et de surna-
turel. Cf. TIxXERONT, op. cit., t. IL, p. 139.
(3) Or. cût., V; t. XLV, col. 24 CD. AR
(4) De hom. opif., V; t XLIV, col. 187 AB. RES à
224 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

Parmi ces privilèges, les uns se rapportent au corps de


l’homme, les autres à son âme.
Le corps, dont la station droite, orientée vers le ciel, indique
déjà la dignité royale de l’homme et sa domination sur Les
autres êtres terrestres (1), a reçu le don précieux entre tous
de l’immortalité,

L’éternité étant également un des biens inhérents à la nature


divine, il fallait absolument que la constitution de notre mature
n’en fût point dépourvue, mais possédât en elle-même l’immor-
talité, afin que, par la puissance qui est en elle, elle connût
ce qui est au-dessus d'elle et désirât l’éternité divine (2).

Puisque saint Grégoire est fermement convaineu de l’incor-


ruptibilité naturelle de l’âme (3), il pense ici manifestement à
l’immortalité corporelle. Cela ressort encore du fait qu'il attri-
bue à nos premiers parents l’exemption de tout ce qui conduit
à la mort : |
Dans la première vie, dont Dieu lui-même avait été le dé-
miurge, il n'y avait, comme il convient, ni vieillesse, ni enfance,
ni les souffrances provenant des maladies multiples, ni aucune
autre misère corporelle (4).

Par suite de cette « impassibilité corporelle » (ämdfleux Toù


gwuatos), l’homme paraît n’avoir pas eu besoin de nourriture
matérielle; car les fruits du paradis, mentionnés dans le récit
biblique, doivent être entendus en un sens spirituel (5). En
tout cas, Adam était exempt de passions déréglées ; en d’autres
termes, il possédait l’impassibilité éthique qui est « apparentée
à la pureté et dans laquelle réside sans conteste la Hhéati-
tude » (6).

() Ibid, NII-VIIT; col. 140 D-149 A.


(2) Or. cat., V; t. XLVW; col. 21 D.
(3) Cf. De an. et res.; t. XLVI, col. 18 sq. Voir F HILT, op. cit.,
p. 34-35. De virginit., XIT; t. XLVI, col. 369 D, notre docteur écrit, en
outre; que « Dieu n’a pas créé la mort». Cf. In Cant. cant., hom. XII;
t. XLIV, col. 1020 C.
(4) Ibid.; col. 148 A. Cf. De virginit., XIL; col. 369 B.
(5) Cf. Or. cat., V; t. XLV, col. 24 A; De hom. opif., XIX ; t. XLIV,
col. 196 CD. Ces deux passages sont caractéristiques de l’exégèse allégoriste
de Grégoire.
(6) Tbid., XXXV; col. 92 B. Cf. VI; col, 25-29; De virginit, XII; t.
XLVI, col. 369 sq.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : GRÉGOIRE DE NYSSE 229

Bref, « avant la transgression, l’homme était semblable aux


anges » (1). Il jouissait non seulement « de la société des puis-
sances angéliques » (2), mais du commerce intime avec son
créateur, voire de la vision de Dieu. :

Non encore revêtu des peaux de la mortalité (3), le premier


homme voyait en toute liberté la face de Dieu; il ne jugeait pas
encore le bien par le goût et la vue, mais jouissait uniquement
du Seigneur (4).

La condition originelle de nos premiers parents était dès


lors on ne peut plus élevée et heureuse : en eux la nature hu-
maine était vraiment « assimilée à la dignité souveraine » (5),
donc déifiée, « dans la mesure du possible » (6).
Ce que cette dernière réserve insinue, l’évêque de Nysse l’ex-
pose plus d’une fois avec toute la clarté désirable. « L'homme
est une copie (uiunux) (7) de la nature divine» (8), il parti-
cipe « aux propriétésde la divinité » ; maïs jamais il ne pourra
obtenir «l'identité de nature» (Tiy tâs pÜoews luornra) (9)
avec Dieu. L’archétype, l’« incréé », est «immuable par na-
ture », alors que l’image, le «créé», «tenant d’un change-
ment son existence, est soumise à l’altération et ne reste pas
tout à fait dans l’être » (10).

() De hom. opif., XVII; t. XLIV, col. 189 B. IL va sans dire que,


d’après Grégoire, nos premiers parents étaient exempts de désirs sexuels.
(2) In ps, VI; t. XLVI, col. 508 BC:
(3) Ici encore l'influence de Méthode est visible. Cf. plus haut, p. 194.
(4) De virginit., XII: t. XLVI, col. 373 C. Grégoire semble avoir admis
que, durant leur séjour au paradis, nos premiers parents ne se servaient
pas de leurs corps. En ce qui concerne leur « vision de Dieu face à face »,
voir encore Or. cat, VI: t. XLV, col. 29 BC; De beatit., or. IIT; t.
XLIV, col. 1225 D-1228 A.
(5) Or. cat., VI; t. XLV, col. 28 B.
(6) De hom. opif, XII; t. XLIV, col. 161 C.
(7) Expression que l’on rencontre, en un sens analogue, déjà chez Philon
et chez Plotin. Grégoire semble ici s'inspirer de ce dernier. Voir H. WILLMS,
Eixwv. Hine begriffsgeschichtliche Untersuchung zum Platonismus, T° par-
tie : Philo von Alexandreia, Munster-en-Wesph., 1935, p. 8, 14-24, 56;
ARNOU, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, p. 123.
(8) Or. cat., XXI; t. XLV, col. 57 D. Cf. De hom. opif., XVI; t. XLIV,
col. 184 C.
(9) De an. et res.; t. XLVI, col. 41 C.
(10) De hom. opif., XVI; t. XLVI, col. 184 D, combiné avec Or. cat.,
XXI: t. XLV, col. 57 D. Pour ce dernier texte, nous suivons l'édition
MÉRIDIER, op. cit, p. 102.
Aussi, cédant à sa tendance innée au Dr trom
au surplus par la jalousie de la puissance angélique « chargée €
de maintenir et de gouverner la sphère terrestre » (1), l’homme
a péché et s’est détaché de Dieu. Devenu ainsi «son propre de
meurtrier» (2), il est déchu de l’état déiforme dans lequel Le
l’amour divin l’ avait créé.
« |

II À ETES

« La manducation » du fruit défendu « est devenue pour les.


hommes la mère de la mort » (3). Assurément Adam n’est pas. 2
mort sur-le-champ; mais il est tombé dans un état terrestre 2
et animal (4) et son corps a été enveloppé de mortalité (5).
Celle-ci, avec la perte de l’impassibilité et les autres maux qui
en résultent (6), n’est, du reste, qu’un remède au péché; ear
la mort permettra à Dieu de dissoudre la partie sensible de
l’être humain, afin d’en éliminer le mal qui y est entré par le
péché et de la restituer par la résurrection dans sa forme pri
mitive. 2
Mais, si la mort corporelle n’a pas immédiatement suivi la
faute d'Adam, la mort spirituelle fut instantanée. Elle consiste.
en effet, dans «la séparation de l’âme d’avee la vie vérita-
ble» (7), c’est-à-dire d’avece Dieu (8). Du eoup, l’homme a
(1) Or. cat, VI; t. XLV, col. 28 A-D. Les « puissances angéliques»
qui coopèrent à l’organisation et au gouvernement de l’univers rappellent es
les serviteurs du démiurge dont il est question dans le Timée, 40-41. Me
(2) Ibid.; col. 29 B. ITS
(3) De hom. opif., XX; t. XLIV, col. 200 D. : \
(4) Voir J.-B. AUFHAUSER, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa, ra Ë
Munich, 1910, p. 80-82; K. Horz, Amphilochius von Ikonium, Leipzig,PA AUES,
1904, p. 202. é A
(@) Or. cat, VIII; t. XLW, col. 33 B-D. Adoptant l’exégèse de AE ;
Méthode, notre docteur interprète ainsi le texte génésiaque d’après lequel
«le Seigneur revêtit les premiers hommes de tuniques de peau ». . TRS
(6) Ibid.; col. 36 C-37 C. Cf. ibid., V; col. 24 B-D. Au VIII° chapitre
de sa Grande catéchèse, saint Grégoire présente la mort comme un remède
au péché inventé après la chute originelle. En plusieurs autres “endroits
du même ouvrage (exempli gratia : XIII; col. 45 A; XVI; col. 52B;
XXXIIT; col. 84 A), la mort apparaît comme naturelleà l’être humain,
puisque «la naissance et la mort caractérisent la nature nes De
(7) Ibid.; col. 36 B. RE:
(8) De infant. qui praemat. abrip.: t. XLNI, col. 173 D-176 A. CL
Adv. Apoll., LIV ; t. XLV, col. 1256 CD. .
quiFe était propre par ane ee on. aTE Aro os.. 3
eixovos TAY XAeUv “e pour se transformer en la turpitude du
péché » (2).
_ En écrivant que l’homme «a cessé d’être l’image du Dieu
EE & CHR » (8), notre docteur voudrait-il dire qu'il a été
‘4 privéde son intelligence et de sa liberté, perfections dans
me _ lesquelles il voyait pourtant une première ressemblance divi-
ne ? On dirait que Grégoire a prévu cette difficulté, car il a
S soin d’ ajouter cette explication: «en tombant dans la boue du
. péché », l’homme a obscurci «la beauté déiforme de son âme,
5 _ imitation du prototype, comme le fer est moirci par la
ë re » (4). Cette beauté n’a pas entièrement disparu : elle
_ n’est qu'oblitérée et cachée par la souillure du mal ou de la
_éhair. SES AEEr
Par cette restrietion, Grégoire entend sans doute maintenir
dans l’homme déchu les facultés supérieures mentionnées tout
ae l'heure et faire consister l’obscurcissement de l’image divine
surtout dans la perte de l’incorruptibilité corporelle et de
J'impassiilité.

Mais: comme se la parabole évangélique la femme cherche


Er drachme perdue, de même nous devons récupérer « l’image
: du roi qui n’est pas absolument perdue, mais cachée sous les
ordures » du péché. À nous de « restituer la divine image dans
sa splendeur primitive » (5).
Est-ce à dire que l’homme pouvait se sauver par lui-même ?
Est-ce que, logique avee sa maxime d’après laquelle le bien
doit nécessairement triompher du mal, Grégoire aurait reconnu
Fer nature humaine, restée bonne dans son fond même après
.% a faute d'Adam, le our de se relever par ses propres

_@ Or cat, VI; t. XLW, col. 29 C. Cf In Ouh, cant., hom. VIII;


t. XLIV, col. 944 D-945 A : en péchant « l’homme a déposé la forme divi-
ne ( rù Beïov elôoç) ».
AP De virginit, XIL: t. XLVI, col. 372 B. C’est l’un des textes qui
‘4montrent que, pour né potre la nature d'Adam innocent était la véritable
_ nature humaine. Même conception chez Basile. Cf. plus loin, p. 240.
(8) Ibid.
(4) Ibid. Cf. De beatit., or. VI; t. XLIV, col, 1272 AC.
! (5) Ibid.; col. 372D, 373 AC.
228 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

moyens ? I1 était trop foncièrement chrétien pour ne pas pro-


elamer avec la tradition ecclésiastique la nécessité d’un Ré-
dempteur qui ne pouvait être que Dieu :

À qui convenait le relèvement de celui qui était tombé, le


rappel de celui qui s’était perdu, la direction de celui qui s’était
égaré ? À qui, sinon au maître absolu de la nature ? A celui-là
seul, en effet, qui à l’origine avait donné la vie, il était possible
et il convenait tout à la fois (duvarôv Âv, xai mptroy äua) de
ramener également la vie perdue (1).

III

À n’en pas douter, Dieu aurait pu sauver l’homme tout «en


restant dans l’äpatheia » et sans « quitter les hauteurs de sa
gloire » par un simple décret de sa volonté (2), Mais il a
choisi le «long détour » qui comportait l’incarnation de son
monogène et cela pour diverses raisons dont voici la prinei-
pale :
[Dieu] s’est mélangé à notre nature afin que, grâce à son
mélange avec le divin, notre nature devînt divine (3).

Le Dieu qui s’est manifesté s’est mélangé à la nature péris-


sable, afin que, par sa participation à la divinité, l'humanité
fût divinisée en même temps (suvarobewbf + &ybpwrivoy) (4).

Sur la réalité de ce mélange déifiant, saint Grégoire s’ex-


plique avec plus de détails dans son Contra Eunomium :

Nous disons que le Dieu Monogène, qui par lui-même a créé


l’univers or une de ses œuvre, savoir la nature humaine,
s'étant ruée vers le mal, était tombée dans la corruption de la
mort — par lui-même l’a de nouveau élevée à la vie immor-
telle et cela par l’homme auquel il cohabitait, en assumant en

(1)- Or. cat., VIII; t. XLV, col. 40 C. Cf. Contra Hunom., XII; t. XLWV,
col. 889 B; Adv. Apoll., LI; t. XLV, col. 1245 B.
(2) Ibid., XV ; col. 48 BC,
(3) Ibid, XXV ; col. 65 D. Les convenances de l’Incarnation sont expo-
sées aux chapitres XV-XXV.
(4) Ibid, XXXVIT; col. 97 B. A la place de la leçon suvarobewpnôñ
k de l'édition MIGNE, manifestement fautive (cf. XXXV: col. 85 D-88 A),
nous adoptons, d'après MÉRIDIER, op. cit., p. 182, celle de cuvaroeubf.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : GRÉGOIRE DE NYS$SE 229

lui-même toute l'humanité (6Xov ävandBovre TpÔS ÉQUTOY T0


&vbpwnuvoy). Il a mêlé sa puissance vivifiante à la nature mor-
telle et périssable et, par l’union avec lui, il a changé notre mor-
talité en grâce et en force de vie. Et c’est en cela que nous disons
consister le mystère selon la chair du Seigneur : l’immuable
prend demeure dans le muable, afin que, en changeant au mieux
et en délivrant l’élément inférieur de la malice qui s'était mêlée
à la nature muable, il extermine le mal dans la mature, le con-
sumant en lui-même (1).

Assumée par le Logos dans l’Incarnation, là nature humaine


a été réellement déifiée. Le dernier texte indique, en outre,
comment.
Quel est donc, au juste, le vrai sens de ce passage qui rappelle
de si près les textes analogues de saint Athanase étudiés plus
haut (2) ? Les avis sont partagés. Les uns n’y voient que « des
images réalistes » choisies pour décrire «le lien mis par l’In-
carnation entre le genre humain et le Verbe incarné » (3). Lies
autres, au contraire, estiment qu’en fonction d’une conception
réaliste d’origine platonicienne de l’essence générique, Grégoire
aurait effectivement admis que le Logos a assumé « la nature
humaine. l’humanité dans sa totalité (das ganze Menschli-
che) » (4).
Or le saint docteur fournit lui-même les éléments nécessaires
pour dirimer ce débat. En effet, dans le Quod non sint tres di,
où, répondant aux difficultés présentées par Ablabius, il s’ef-

(1) Contra Eunom., V; t. XLV, col. 700 CD. Cf. col. 708; Or. cat.
XVI; t. XLV, col. 52 (dans ce passage, notre divinisation est attribuée
à la fois à l’Incarnation et à la Résurrection) ; In Cant. cant., hom. IT;
t. XLIV, col. 801 A; Adv. Apoll, XVI; t. XLV, col. 1153 A-C; In Chr.
resurr., or. L; t. XLVI, col. 601 B.
(2) Voir Lins haut, p. 206-208.
(3) R. ARNOU, Le platonisme des Pères, col. 2347. K. Holl, op. cit., p.
222-295, tout en reconnaissant que l’évêque de Nysse fait preuve d’un réa-
lisme excessif lorsqu'il veut établir l’unicité de l'essence divine, se refuse
à admettre que ce réalisme ait joué dans la conception grégorienne de
l’Incarnation. Grégoire se représenterait l'humanité comme une à la suite
de se idées sur la puissance divine et sur la Providence.
(4) A. HARNACK, op. cit., t. II, p. 166, à la suite de Herrmann, Gre-
gorü Nysseni sententiae de salute adipiscenda, Halle, 1875, p. 16-27 et de
Ritschl, Die christl. Lehre von der Rechtfertigung und Versühnung, 2°
édit, Bonn, 1882, p. 12-14. Parmi les catholiques, l'interprétation réaliste
et admise par F. Hilt, op. cit., p. 68,
Urostésets, Grégoire précise sa conceptionde l'essence généri-
É AE TOME
que. ;
Il écrit en substance : « Il faut confesser un seul Dieu selon de
le témoignage de l'Écriture», et non pas trois dieux, parce
que l’oùsta des trois personnes est unique (1). Comme est uni-
que aussi l'essence humaine; car dans les différents hommes,
«tels que Pierre, Jacques et Jean, il n’y a qu’un seul hom-
me » (2). Si néanmoins l’Écriture « permet de parler des hom-
mes au pluriel, c’est que, par cette figure de langage, per- Le
sonne n’est amené à supposer une foule d’humanités (xAñ0os
PE } ï | È y 2 =

ävlowrotitwy), ni à penser qu’une multitude de natures hu-


maines (roA Ads dprponoes pôsetc) soit désignée parce que le mot
nature est prononcé au pluriel » (3). Même doctrine dans le +7
communibus notionibus (4). >
En face d’assertions aussi nettes aucun doute n‘et plus dE
possible : l’évêque de Nysse conçoit l’essence générique à la ma-
nière d’une réalité concrète, comme une sorte de nature uni-
verselle dont les individus ne seraient que des hyposta-
ses différenciées par leurs « propriétés» (lèrorntes ) (6). En
quoi, évidemment, il a le tort de confondre essence abstraite et
essence concrète; mais il a raison d'affirmer que l'essence di-
vine est nécessairement unique et concrète (6).
D'ailleurs, le réalisme excessif de Grégoire de Nysse est un

(1) Quia non sint tres di; t. XIV, col. 117-120.


(2) Ibid.:; col. 132 B.
(3) Ibid. :;col. 132 D.
(4) Cf. De commun. notion. ; t. XLV, col. 184 À, 185 AB: En ce dernier
endroit on lit : To xorvèy yäp ts oùolac onualvertd dvbpwmos, xat oùx lütxdv
tebswnov, [lañhou pépe eireiv, à BapvéBa. Plus haut l’auteur écrit : « Pierre,
Paul et Barnabé sont, quantà l’essencé « homme », un seul homme (rare ee
To dvôpwros, els &vipuroc), et en ce même sens, selon l'essence « homme »,
ils ne peuvent être plusieurs (xal xartà to abro Toûro, xatà vd &vôpumos, ToAhoù
où GÜvavrat elvai), Nous les appelons plusieurs par sus de langage, non au
sens propre (xaraypnoruxüc, —xal où wuplus); mais les sages ne sauraient
préférer un langage abusifà l‘expression propre ».
(5) Quia non sint tres di; col. 120 B. È
(6) Cf. Gaston IsAYE, L'unité de l'opération Hidine, dans les écrits tri Les
nitaires de saint Grégoire de Nysse, dans Recherches de science religieuse,
t. XXVII, 1937, p. 422-439,
fait historique es ne en plus reconnu ou H donble tout
aussi incontestable que ce réalisme est à la base de sa théorie :
__ physique de la déification. C’est grâce à lui, en effet, que ICS
__ saint pouvait, toutà la fois, affirmer l’individualité de la na- à
_ ture humaïne du Christ et soutenir que, dans son incarnation, :
le Logos a assumé «la » nature humaine, l’humanité entière,
en la déifiant par cette assomption. HS
Bref, esquissée par Irénée et développée par Athanase, la
+ conception physique de la divinisation atteint avec Grégoire
de Nysse son expression la plus achevée,

IV

De ce chef, naturellement, Harnack répète à l'adresse de


l’évêque de Nysse le reproche qu'il a déjà fait à saint Athanase
de concevoir la déification «comme un processus strictement
- physique » (2). Reproche tout aussi exagéré dans ce deuxième
cas que dans le premier.
En est vrai que, dans une mesure notablement plus large que
_ le patriarche d'Alexandrie, Grégoire fait de la conception phy-
siquele fond de ses spéculations sur la Rédemption. Assuré-
s- ment il n’ignore pas la doctrine traditionnelle du salut par la
Pi mort du Christ, puisqu'il y fait de courtes allusions (3); mais
jamais il n’y rattache formellement notre déification. Néan-
moins, à l exemple d’Athanase, notre docteur subordonne la di-
vinisation individuelle, non seulement à l’effort moral du su-
jet, notamment à sa libre « acceptation du message » évangé-

_ (1) Cf. Th. pe RÉGNON, Études de théologie positive sur la sainte Tri-
nité, t. I, Paris, 1892, p. 376-380; J. TIXERONT, op. cit., t. II, p. 86-87;
FE F. CAYRÉ, op. cit, t. I, p. 425; P. Goper, Grégoire de Nysse, dans
Dictionnaires de théol. cath., t. VI, col. 1851; O. BARDENHEWER, Ge-
ï schichte der altkirchlichen Literatur, t. III, Fribourg-en-Br., nt p. 212.
(2) A. HARNACK, 0p. cit., t. II, p. 166.
(3) Cf. Or. cat., XVI: t. XLV, col. 52. La mort du Christ y apparaît
_ comme une condition ou une occasion plutôt que comme un moyen de notre
salut, en tant qu’elle permet au Sauveur d’unir sens facon définitive ce
qu’elle avait séparé.
Pour les allusions contenues dans les autres écrits de Grégoire, consulter
J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d'étude historique, p. 156-
159. À noter que le De occursu Domini est postérieur à l’évêque de Nysse.
_ Cf.O. BARDENHEWER, 0p. cit, t. III, p. 208.
232 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

lique (1) et à son renoncement au péché (2), mais aussi à la


réception du baptême et de l’Eucharistie.
Imitation de la mort et de la résurrection du Sauveur (3),
par «la présence de la puissance divine, [le baptême] fait
passer à l’incorruptibilité ce qui a pris naïssance dans la na-
ture corruptible » (4). C’est dire que « le salut... se réalise par
la purification dans l’eau. Or quiconque aura été purifié parti-
cipera à la pureté; mais la pureté véritable c’est la divinité ».
Ainsi le bien qui résulte du baptême est apparenté au di-
vin (5) : le baptisé recoit Dieu et celui-ci est en lui. Uni au
Christ par la régénération spirituelle, l’homme devient fils de
Dieu. « Après s'être dépouillé de lui-même, il revêt la nature
divine (Thy Belay èmevôvetar œUouy) » (6).
Cependant, puisqu'ils sont composés d’une âme et d’un
corps,
ceux qui sont en voie de salut doivent nécessairement s’unir par
l’une et l’autre au guide qui conduit vers la vie. Or, une fois
mêlée à celui-ci par la foi, l'âme y trouve le point de départ de
son salut. En effet, l’union à la vie comporte la participation
à la vie. Le corps, au contraire, participe au Sauveur et se mêle
à lui d’une autre façon (7).

Après avoir goûté au mal, qui, tel un poison pénétrant dans


le corps tout entier, a dissous notre nature, « nous avions néces-
sairement besoin de ce qui en réunit les éléments séparés » (8).
Le remède qu’il nous faut,

c’est précisément ce corps qui s’est révélé plus fort que la mort
et qui à été pour nous le commencement de la vie. Comme un
peu de levain, selon la parole de l’Apôtre, s’assimile toute la
pâte, ainsi le corps rendu immortel par Dieu, une fois entré
dans le nôtre, le transforme et le change tout «entier en lui-
même, en sa propre nature (mpôs ty Éauroÿ quoi).

() Ibid, XXXI; col. 77 BC. Cf. XXX : col. 76 C-77 B.


(2) De inst. christ. ; t. XLVI, col. 292 A.
(3) Ibid.
(4) Tbid., XXXIIT; col. 84 D. Cf. XXXIV : col. 86.
(5) Ibid, XXXVI; col. 92 D-93 A.
(6) Contra Hunom., IIT; t. XLV, col. 609 À éombiné avec Or. cat.
XLV ; col. 104 B.
(7) Or. cat, XXXVII; t. XL, col. 98 AB.
(8) Ibid. k
PA

_ SYNTHÈSES DOCTRINALES : GRÉGOIRE DE NYSSE Don

Pour nous permettre de participer à son corps « élevé à la


dignité divine », le Christ à institué l’Eucharistie, au moyen
de laquelle il s’insère comme une semence dans le corps des
croyants. Par cette union il les rend participants de l’incorrup-
tibilité, en d’autres termes, il les déifie (1).

Pour contestable que soit cette théorie qui assigne au bapté-


me le rôle de déifier l’âme (2) et à l’Eucharistie celui d’im-
mortaliser le corps, elle a l’avantage de montrer à quel point
Grégoire est préoccupé de faire bénéficier la chair humaine de
l’opération divinisatrice du Verbe incarné. Elle montre aussi
que pratiquement le saint docteur voyait dans la déification le
résultat à la fois de l’action divine et de l’effort humain.

Parmi des perfections divines auxquelles le chrétien parti-


cipe, l’évêque de Nysse — comme du restela plupart des Pères
grecs — accorde la première place à l’incorruptibilité. Aussi
est-ce en elle qu’il semble voir l’élément primordial de notre
divimisation.
Mais l’immortalité elle-même n’est, pour lui, qu’un effet de
notre union à Dieu. De même que la déchéance de l’homme a
été une suite de sa séparation d’avec Dieu, de même son réta-
blissement s’opère par son retour au créateur. Grâce à son as-
somption par le Logos, la nature humaïne est remplie de forces
divines, guérie et immortalisée,
Uni au Verbe, le chrétien entre en communion également
avec les deux autres personnes divines qui sont inséparables
du Logos (3). Ainsi toute la Trinité habite dans le juste (4).

(1) Ibid.: col. 93 B-97 B. Cf. F. Hit, op. cit., p. 204-218. L'idée an-
cienne d’après laquelle le pain eucharistique est un péppaxov ris dfavaclæs
se trouve ainsi incorporée dans la doctrine grégorienne de la divinisation.
(2) Cependant, d’après Or. cat, XXXIIT; col. 84D — cité p. 232 —
c’est le baptême qui «fait passer à l’incorruptibilité la nature corrup-
tible », c’est-à-dire le corps humain.
(3) Or. cat., II-IIT; t. XLV, col. 17-20.
(4) De beatit., or. IV; t. XLIV, col. 1248 A. Cf. De instit. ehrist.; t.
XLVI, col. 296 C.
Par ie pratique progressive de la verts don du chré jen
avec Dieu doit sans cèsse croître en intensité jusqu ’à l°extase. ré
Dans son «ascension constante vers Dieu » (1), l’âme trouve
dans sa virginité un secours, sinon indispensable, du moins
inestimable. C’est qu’elle dégage l’âme « de tout ce qui lui est Z
étranger » et la ramène « à ce qui lui est propre età ce qui est
conforme à sa nature » (2), de sorte que «la beauté de l'âme
réapparaît » et, avec elle, l’image divine dans sa pureté origi-
nelle. En se contemplant elle- même, l’âme ainsi purifiée < voit
sans cesse le Bien immatériel » (3). %
Mais, non contente de cette connaissance médiate et analogi-
que de Dieu (4),à la suite de Moïse dont la vie symbolise l’as-
cension de l’homme vers Dieu:6), l’âme qui s'efforce de gra-
_vir «la montagne de la fhéognosie » (6), s'élève, passagèrement
du moins, aux cimes de la contemplation (7). Dans cette vi-
sion de Dieu elle ne se sert ni de ses sens, ni même de son intel-
ligence (8).

(1) In Cant. cant., hom. XII; t. KLIV, col 1025 D : à &rausros mpès
adTov |0edv] ropelx. :
(2) De virginit., XII; t. XLVI, col. 372C. Comme Platon et ou
Plotin, notre docteur conçoit la purification de l’âme comme une déposition
de ce qui lui est étranger et, dès lors, comme un retour de l'âme à elle-
même, à son état naturel. À
Avec saint Méthode, il voit dans la virginité SE de la perfection /
chrétienne. /
(3) Ibid. On retrouve chez saint Grégoire les images chères àPlotin de
Jâme miroir de Dieu qui, pour refléter son image, doit être pur: de l'œil
de l’âme qui, pour voir Dieu, doit être sain. =
(4) Il y a controverse sur la question de savoir si la «vue» de Dieu à
laquelle, d’après Grégoire, l'âme peut s’élévér dès cette vie est une connais-
sance médiate ou immédiate. Voir F. Dreramp, Die Gotteslehre des heili-
gen Gregor von Nyssa, Munster-en-Westph., 1896, p. 90-101; H. Kocx,
Das mystische Schauen beim h. Gregor von Nyssa, dans Theologische
Quartalschrift, t. LXXX, 1898, p. 397-420; J. SricLMayr, Die Schrift |
des Rl. Gregor von Nyssa « Ueber die Unsterblichkeit », dans Leitschrift
für Assese und Mystik, t. II, 1927, p. 346- 347 ; E. v. IVANKA, loc. cît., p.
163-195. PA PAS
Il nous semble que l’évêque de Nysse admet à la fois une connaissance
médiate (cf. De virginit., XII; t. XLVI, col. 372 C [texte cité plus haut];
De Veatit., or. VI; t. XLIV, col. 1269 CD, 1272 BC; voirre op. cit.
p. 38-44) ” une saisie mystique.
(5) L'influence de Philon est ici manifeste.
(6) De vita Moys.; t. XLIV, col. 372 D.
(7) Ibid.; col. 373 C.
(8) Ibid.; col. 373 D. Cf. col. 376 D-377 A.
« ue en esprit par la puissance 1 Pephit sortant pour en
_ ainsi dire d° elle-même, ravie en extase bienheureuse, [l'âme]
voit la Beauté inconcevable et incompréhensible» (1). Elle
_ «touche le Logos par une sorte de contact incorporel et spiri-
_tuei » (2). « Collée au Seigneur, elle devient un seul esprit avec
lui, d’après la parole de l’Apôtre » (3). Alors, avec l'épouse
_ du Cantique des cantiques, elle peut dire: «Je suis à mon
bien- aimé et mon bien-aimé est à moi» (4). Union extatique
_qui-est un véritable enivrement de l’âme, mais «une ivresse
divine et sobre» (el xat ynpdAros néfn) (5).
de Cependant cette saisie mystique est loin d’être une compré-
“hension de Dicu. Même dans l’ extase, « voir » Dieu, c’est « ne
_ pas le voir » : il reste à la fois « dans la lumière et dans l’ob-
securité », parce qu'il est vu sans être compris (6).
FLE
(SE
dar
ie
san Toujours est-il que, « sorti de soi-même et dégagé du monde
matériel », le mystique « retourne en quelque façon par l’im-
RARE passibilité au paradis», c’est à dire qu’il retrouve les perfec-
tions de l’état originel, qu’il est « assimilé à Dieu » ( épouwets
To (eo) (7), autant qu'il est possible en ce monde. En d’autres
termes, il atteint au plus haut degré de la déification.
f À

VI |
Cependant l’union inséparable avec Dieu, le don de l’incor-
_ ruptibilité effective sont « réservées pour le temps à venir » (8).
Lorsque le nombre des âmes prédéterminé par Dieu aura été
atteint, l’univers tout entier sera transformé en un instant. La
trompette retentira dont «le son éveillera comme du sommeil

:i © De virginit., X: t. XLVI, col. 361 B. Cf. col. 368 D.


(2) In Cant. cant., hom. I; t. XLIV, col. 780 D : Eovt Gé:TiK al don
TÂs Luyhs, h &rrouévn Toô h6you, Bué tivos dowpétTou xai vonths ÊTApS ÉVEPYOU-
2 évn.…

= (3) Tbid. : col. 772 D. Ce texte se réfère à Æph., IV, 4.


(4) Ibid., hom. XV; col. 1093 CD.
(5) Ibid., hom. X ; col. 989 B-992 A. Cf. In Chr. ascens.; t. XLVI, col.
692 B. Voir plus haut, p. 92 (Philon), p. 182 (Origène).
2=(6) De vita Moys. : t. XLAV, col. 376 O-377 C. Cf. De beatit., or. SVI
_ t. XLIV, col. 1263 BC. Voir Koox, loc. cit., p. 406-408.
. (7) In C'ant. cant., hom. I; t. XLIV, col. 772 D-773 A.
- (8) Or. cat., XXXV; t. XLV, col. 88 D:

Peu à
236 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

la partie décédée du genre humain; la partie encore en vie, au


contraire, sera subitement changée en vue de l’incorruptibilité
à l'exemple de ceux qui l'ont été par la résurrection » (1). Ou-
tre l’immortalité, la nature humaine recevra en partage «la
gloire, l'honneur, la puissance et la perfection totale, de telle
sorte que sa vie ne sera plus soumise aux conditions physiques,
mais changée en un état spirituel et impassible » (2). Saint
irégoire semble même avoir admis que le corps ressuscité sera
asexué, done tel que Dieu l’avait primitivement conçu (3).
Bref, le corps glorieux sera « orné de qualités divines » (4).
Ceux qui se sont purifiés dès cette vie entreront de suite dans
« la possession des biens qui sont en Dieu » (5), savoir la « vie
éternelle, le royaume des cieux, un bonheur et une joie sans
fin » (6).
Mais un jour, après « une guérison. qui ne $aurait se faire
sans douleurs » (7), tous les êtres raisonnables, les démons y
compris (8), auront part à cette déification suprême et défini-
tive des justes. Ce sera «l’apocatastase », le rétablissement
«dans l’état bienheureux, divin et exempt de toute afflic-
tion » (9). Alors « Dieu sera tout en tous» (10), et de l’en-
semble de la création purifiée et ramenée à lui s’élèvera «un
concert d’action de grâces » (11).

# |
LE

La divinisation comme terme du salut chrétien est donc deve-


nue chez Grégoire de Nysse le nœud de toute sa théologie,

(1) De hom. opif., XXII; t. XLIV, col. 205 D-208 A.


(2) De an. et res.; t XLVI, col. 156 A, 157 A. Cf. Or. cat, XNI;
t. XLV, col. 52 BC.
(G) De mort.; t. XLVI, col. 533 A. Cf. F. Hizr, op. cit., p. 231-236.
(4) De an. et res.; t. XLNI, col. 157 A.
ne Ibid. ; col. 152 A. Cf. col. 156 B-D; Or. cat, XXXV:; t. XL, col.
15
(6) In suam ordin.; t. XLVI, col. 553 A.
(7) De an. et res.; t. XLVI, col. 160 BC. Cf. col. 92 AB (dans l’autre
la purification s’opère par le feu de la honte et du remords) ; 97
sq. :
(8) Cf. Or. cat., VIII, XXVI, XXXV.:
(9) Tbid., XXXV; t. LV, col. 92 AB.
(10) De an. ct res.; t. XLVI, col. 104 A. Cf. I Cor., XV, 28.
(11) Or. cat, XXVI; t. XLV, col. 69 B.
SYNTHÈSES DOCTRINALES : GRÉGOIRE DE, NYSSE LopT

qui commande en grande partie ses vues sur l’homme et sur


l’œuvre rédemptrice du Logos incarné.
Ce qui déifie c’est l’union de la nature humaine avec la divi-
nité établie par l’Incarnation et scellée par la résurrection.
Cette union est étendue aux individus orâce au baptême et à
l’Eucharistie et portée par l’extase au maximum d'intensité
qu’elle puisse atteindre ici-bas.
Dans sa conception de l’extase déifiante notre docteur est
visiblement influencé par la gnose unitive de son maître Ori-
gène, mais aussi par le mysticisme de Philon et de Plotin (1).
A la suite de ces derniers il admet, en effet, que l’union exta-
tique s’accomplit, non par le voÿs, comme le pense Origène,
mais en dehors ou au-dessus du voÿs, au moyen d’un mysté-
rieux contact d'ordre spirituel. Sa foi chrétienne l’a cepen- -
dant préservé du danger de suivre Plotin jusqu’au bout et de
concevoir avec celui-ci l’union mystique comme une absorption
de l’homme par Dieu.
Assurément, telles assertions de Grégoire — à vrai dire d’une
- hardiesse excessive — semblent aller dans cette direction. C’est
ainsi qu'il parle d’un « mélange de l’âme humaine au divin »
(Tüs dvlponime duyñc à mpos To Beioy dvdxpasts) (2) pour ca-
ractériser l’union extatique. Or le terme d’avaxpacts « désigne
dans l’usage commun le mélange des liquides et la diminution
de leurs propriétés l’un par l’autre » (8). Mais les impropriétés
de langage de ce genre doivent s’interpréter à la lumière de
l’enseignement général de l’évêque de Nysse qui est franche-
ment opposé à toute sorte de panthéisme (4).
Il est, dès lors, permis de saluer en Grégoire de Nysse l’un
des initiateurs de la mystique chrétienne. Dans l’évolution que

(1) Sur la dépendance de l’évêque de Nysse par rapportà Philon et à


Plotin, voir surtout H. KocH, loc. cit.
(2) In Cant. cant., hom. I; t. XLVI, col. 772 A. Cf. De an. et res.; t.
XLVI, col. 93 C, où l’auteur dit de l’âme unie avec Dieu au ciel : mpos-
gÜerai ve To aûr® [sc. 0e@] xaù ouvavaxtpvatat.
(3) P. GoDET, loc. cit., col. 1851.
(4) Au passage Or. cat., XXV ; t. XLV, col. 65 D — cité par Harnack,
op. cit, t. IL, p. 168-169, pour motiver le reproche de panthéisme qu'il
élève contre Grégoire — on peut opposer Contra Hunom., IV; t. XLV, col.
628 D, où tout émanatisme panthéiste se trouve formellement rejeté. Cf.
J. BAYER, op. cit., p. 56-65.
. CHAPITRE : III

de,

ATTESTATIONS OCCASIONNELLES e.

Ce Le = ÉCOLE D’ALEXANDRIE De

>
SÈeS “autres grands ncens du IV® siècle qui représentent.
l'école d Alexandrie ou s’y rattachent sont d’accord avec Atha-
ae.nase et Grégoire de Nysse pour voir dans la divinisation la.
fleur du salut chrétien. Cependant, à la différence de ceux-ci,
chez lesquels cette doctrine s’épanouit en larges synthèses,
| ceux-là parlent de la déification en termes explicites, maïs
_d’ une façon occasionnelle seulement et sans utiliser la théorie
à phsiqe, 2 A
*
/
{

É
___ $ 1. — Saint Basile
z-;F:
Homme d'action pius que de spéculation, préoccupé avant
tout de la lutte contre l’arianisme, saint Basile n’hésite pas à
_laire sienne l’idée déjà traditionnelle de la divinisation; mais,
_ dans l emploi de la terminologie qui est spéciale à ce home il
semble faire preuve d’une certaine réserve. Ce qui s explique
_peut- être par le fait qu’il s’agit d’un vocabulaire non scriptu-
Dee raire.
__ À son tour, l’éévêque de Césarée place la fin de l’homme Ja
son assimilationà Dieu : « Nous assimiler à Dieu, autant qu'il
Re _est possible à la nature humaine, voilà ce qui nous est propo- FE
2_ sé» (1). Destinée sublime, mais fondée dans l’essence même de EE
l’homme. En effet, en tant qu ‘image de Dieu par son intelli-
=

(1) Basrz, De Spir. 8. I, 2; t. XXXIL, col. 69 B ;


240 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE FMI

gence et sa liberté (1), celui-ci porte en lui le désir naturel de


ce qui est beau. «Or ce qui est proprement beau et digne
d’amour c’est le bien, Mais Dieu est bon. Donc, en tendant
vers le bien, tous les êtres recherchent Dieu » (2). Aussi la con-
templation de Dieu, l’union intime avec lui sont-elles «la fin
bienheureuse » de l’homme (3). :
Tels étaient précisément les biens dont jouissaient nos pre-
miers parents avant leur faute, savoir «l'intimité avec Dieu
et l’union avec lui par la charité » (à moosedoela vod (leo, xain
Ôuù This dydTNs GUyApeELX) (4) :

Il y eut un temps, où Adam vivait en haut, non quant au


lieu, mais par l’élévation de son esprit; lorsque, nouvellement
animé, contemplant le ciel, ravi de ce qu'il voyait, 1l était trans-
porté d'amour pour son bienfaiteur, qui l'avait gratifié de la
jouissance d’une vie éternelle et placé dans les délices d’un.
paradis; qui lui avait donné une principauté semblable à celle
des anges, la faculté de vivre comme les archanges et d'entendre
la voix divine. En plus de tout cela, il jouissait sous la protec-
tion de Dieu des biens divins (5).

Adam n’a pas persévéré dans cet état de divinisation :


« Bientôt rassasié de tous ses biens, devenu insolent dans sa sa-
tiété », il s’est séparé de Dieu, «se donnant aïnsi à lui-même
la mort » (6). En outre, son âme « a été viciée pour s'être dé-
tournée de ce qui lui était naturel » (7).
Afin de pouvoir de nouveau s’approcher de Dieu, l’homme
devait se purifier de la souillure du péché et, «en revenant à
la beauté native (mods 50 x pÜseus xdAAos èrave)foyTa), par

() Cf. Hom. quod Deus non est auct. mal, 6; t. XXXI, col. 344 B:
Hom. in ps. XLVIII, 8; t. XXIX, col. 449 BC; Reg. fus, II, 3: t.
XXXI, col. 913 B.
(2) Reg. fus., II, 1: t. XXXI, col. 912 A.
(3) De Spir. $., VIIL, 18; t. XX XII, col. 100 C, combiné avec XVI, 38
et XIX, 49; col. 137 C et 157 À, où il est dit que la vie bienheureuse des
anges consiste dans la vision de la face du Père céleste et dans la fami-
liarité avec Dieu. Cf. Hom. in ps. XXXIII, 7: t. XXIX, col. 368-369.
(4): Hom. quod Deus, 6: t. XXXI, col. 344 B.
(5) Ibid., T; col. 344 C.
(6) IZbid.; col. 344 D-345 A.
(7) Ibid., 6; col. 344 B : sxaxtiôn 03 à Luyt, TAPATPATEÏSA TOÙ HATE Oo.
ATTESTATIONS OUCASIONNELLES : CAPPADOCIENS 241

la pureté rendre pour ainsi dire à l’image royale sa forme


primitive» (1).
Incapable de récupérer par lui-même la ressemblance divine
perdue (2), il a besoin d’un sauveur qui dépasse sa nature, qui
soit, «non un simple homme, mais un Homme-Dieu ». Bref, il
lui faut le Verbe, le Fils de Dieu incarné, « qui seul peut offrir
à Dieu une expiation pour nous tous » (3) et « déifier le genre
humain » (4).
L'œuvre déifiante, accomplie par le Christ grâce surtout à
sa passion et sa mort (5), est continuée et achevée par le Saint-
Esprit, dont le rôle consiste, en général, à parfaire tout ce que
le Père opère par le Fils (6).
L'Esprit divin perfectionne l’âme qui s’en est rendue digne
en se purifiant entièrement. Il se communique à elle dans la
mesure de sa foi et de sa capacité, tout en infusant à chacune
la grâce suffisante. En l’élevant à une vie toute céleste, il déifie
l’âme :
Comme le soleil, lorsqu'il rencontre un œil pur, [l’'Esprit-
Saint] te montrera en lui-même l’image de l’Invisible. Dans la
béatifiante contemplation de cette image, tu verras l’imeffable
beauté de l’Archétype. Par lui se fait l’ascension des cœurs, la
direction des faibles, l'achèvement des progressants. C’est lui
qui, en resplendissant dans ceux qui se sont purifiés de toute
souillure, les rend spirituels (nveuuarixoüc) par la commu-
mion avec lui. Et comme les corps brillants et diaphanes, lors-
qu’un rayon les touche, deviennent à leur tour resplendissants
et émettent un autre éclat, de même les âmes qui portent
(1) De Spir. $S., IX, 23; t. XXXII, col. 109 A.
(2) Hom. in ps. XLVIII, 3; t. XXIX, col. 440 A.
(3) Ibid., 4; col. 440 BC.
(4) Texte emprunté à un résumé de foi, conservé en latin seulement,
attribué à Basile et Grégoire de Nazianze; t. XXX, col. 834 A.
On pourrait voir une allusion à la théorie physique de la déification dans
- le texte suivant de saint Basile : « Comment le fruit de l’Incarnation nous
serait-il parvenu, si, par son union avee la divinité, notre corps n’était pas
devenu plus fort que la domination de la mort ?» Æp. COLXII, 1; t.
XXXII, col. 973 BC. Mais il semble douteux que l'union à la divinité
qui nous rend immortels soit ici conçue comme un effet de l’Incarnation
comme telle.
(5) Cf. J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d'étude histo-
rique, p. 172-174.
(6) De Spir. S., XVI, 38; t. XXXII, col. 136-140.
APOGÉE DE LA DO
l'Esprit (ai en dt illuminées Lee
} l'Esprit, non
seulement deviennent spirituelles elles-mêmes, mais déversent
Des
aussi la grâce sur d’autres. De là vient la prescience des choses #.

futures, l'intelligence des mystères, la découverte de ce qui est


caché, la distribution des dons, la vie céleste, les chœurs avec les 5%

anges, la joie sans fin, la persévérance en Dieu, la ressemblance


avec Dieu et, enfin, comble des choses désirables, la déification
(Bedv yevécha) (D) LS :

Plus loin, dans le même traité De Spiritu Sancto, a doc-


teur précise :dans le processus de notre divinisation l'Esprit
divin « joue le rôle de forme». A propos de la formule tra-
ditionnelle &y Iveipart, Basile écrit en effet:

Plus je médite eette simple et courte syllable « dans », LE


je lui découvre des sens multiples et variés, dont chacun trouve
son application au Saint-Esprit: On dit quela forme (eidoc)
est dans la matière ( ÜAn }), la puissance dans ce qui la reçoit,
la dispostion dans ce qui en est affecté et ainsi de suite. Done,
en tant qu'il perfectionne la créature raisonnable, … le Saint-
Esprit joue le rôle de forme (rdv +05 elôous Adyov Eréyet).Car F3
quiconque ne vit plus selon la chair, mais est mû par l'Esprit
de Dieu, quiconque est appelé fils de Dieu et rendu conforme
à l’image du Fils de Dieu, est dit spirituel (2).

. Dans ce passage — que Petau n’a pas manqué de relever (3) |


— utilisant la terminologie aristotélicienne, Basile dit claire-
ment que l’Esprit divim habite substantiellement en nous et
constitue par lui-même la cause formelle de notre adoption ns
vine, de notre déification. NE
Devenus « fils de Dieu », les justes « sont dignes d’être qua-
lifiés de dieux » (4). « Mais, si l’homme est appelé dieu, comme
c’est le cas dans le texte : « J'ai dit, vous êtes des dieux » (5),
cela so fait par grâce... Car Dieu seul est Dieu par essence. En

(1) Ibid, IX, 22-23; col. 108 C-109 C. Pour la traduction de ce pas-
sage, nous nous sommes inspiré d'É. AMANN, Le dogme catholique dons
les Pères de l'Église, Paris, 1922, p. 176-177. d
(2) Tbid., XXVI, 61; col. 180 BC. |
(3) Cf. Peru, Dogmata theologica. De Trin., 1 VIIL, c. v, 14: édit.
FourNIALS, Paris, 1865, t. III, p. 475-476.
(4) Hom. in ps. VII, 4; t. XXIX, col. 237 B. Cf. Contra Bunom., II, 4;
t. XXIX, col. 580 B : « Les parfaits en vertus sont dignes de recevoir le k
4
2
qualificatif de dieu (tñs où 8eoû rpoonyoplac hEluvrat) ». s
(5) Ps. LXXXII, 6. E,


-
è ATTESTATIONS OGCASIONNELLES : . CAPPADOCIENS
disant seul, je désigne de de Die sainte et incréée » (1).
Alors que l’Esprit-Saint qui « déifie les autres» (to étépous
Gcororody) possède la déité par nature, l’homme «déifié par
grâce » (0 yäpurt Beorotouuevos) continue à « appartenir à la
nature soumise au changement qui, par négligence, aban-
donne parfois le bien » (2). Au contact avec l'Esprit divin,
l’âme est cependant en quelque sorte transformée en Dieu, un
peu comme le fer, placé au milieu du feu, par le contact le plus
intime avec lui, devient igné. Sans cesser d'être du fer, il
«reçoit en lui-même toute la nature du feu, se change en feu
quant à la couleur et quant à l’activité » (3).
Parmi les biens dont la participation divinise l’homme, l’évé-
que de Césarée semble avoir placé au premier rang la stabilité
dans l'être. D’après lui, « ceux qui, parla foi, ne sont pas unis
à Dieu, l’Être véritable », mais s’abandonnent au mensonge de
l’idolâtrie, « sont appelés inexistants » par l’Écriture. De ceux,
au contraire, qui, par la gnose, sont unis à Celui qui est, elle:
dit qu'ils «sont» au sens le plus fort de ce terme (4). C'est
qu’ils possèdent une existence semblable à celle de Dieu, étant
assurés de la vie éternelle, de l’immortalité bienheureuse (5).
_Le bonheur céleste consistera dans «la contemplation des
choses qui existent véritablement » (6), en premier lieu de « la
_ face du Père qui est dans des cieux » (7). Cette vision affermira
à jamais les élus dans le bien et dans la félicité (8). Après la

@) Æp. VIII, 3; t. XXXII, col. 249 C.


_(2) Contra Eunom., LIT, 5; t. XXIX, col. 665 BC.
(3) Zbid.; ILE, 2; col. 660 B. Employée par Basile pour illustrer l’action
du Saint-Esprit dans les anges, cette comparaison est évidemment appli-
cable également aux âmes déifiées par l'Esprit.
(4) Ibid, II, 19; col. 612 BC. Basile fait allusion à la suseription de
: Trépître aux Éphésiens qu'il a lue sous cette forme : vois dylois obatv, vai
miotoïis &v X. I. N'ayant pas remarqué qu’il s’agit d’une lettre circulaire et
que, après odstv, devait être intercalé le nom de l’église dans laquelle elle
- était lue — par exemple, «à Éphèse », comme porte notre texte actuel,
ou « à Laodicée », comme lisait Marcion (cf. F. PRAT, op. cût., t. I, p. 8-9;
! .

-Æ. MaANGENOT, Éphésiens (Épître aux), dans Dictionnaire de théol. cath.,


t. V, col. 170-179) — notre docteur prend le mot os au sens absolu,
métaphysique.
(5) Serm. asc., 1; t. XXXI, col. 872 A.
(6) Bp. VIII, 12; t. XXXII, col. 265 C.
_ (7) De Spir. 8. XVT, 38; t XXXII, col. 137 C.
(8) Tbid., XIX, 49; col. 157 A. En cet endroit, Basile parle des anges;
- mais ce qu'il y dits ‘applique également aux élus,
244 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

résurrection transformé « d'animal en spirituel » (1), le corps


lui aussi aura part à la divinisation.

$ 2. — Saint Grégoire de Nazianze

Identique pour le fond à celle de Basile, la conception de la


divinisation qui se reflète dans les écrits de saint Grégoire de
Nazianze est peut-être un peu plus poussée. Car, loin d’imiter
la réserve de son ami, Grégoire fait montre d’une véritable
prédilection pour la terminologie de la fhéopoièse.
Ayant subi l'influence de l’école d'Alexandrie, d’Origène
notamment, dans une mesure plus large que Basile, le « théo-
logien » parmi les Cappadociens insiste davantage sur la
parenté entre Dieu, le Noûs péyas (2) ét le yoùs humain. Assu-
rément, Grégoire ne craint pas d’appeler à l’occasion l’homme
entier, ce Cooy Aoyixoy (3), ce « composé de poussière et de
souffle », une «image de l’immortel» (4). Mais, précisant sa
pensée, il écrit ailleurs que « la chair est de beaucoup inférieure
à ce qui est selon l’image » (5) et que c’est dans l’âme que nous
portons «l’image du Dieu souverain » (6), dans cette âme
« divine et incorruptible », qui est « un souffle de Dieu » (7),
« un esprit (mvedua) émané de la divinité invisible », voire « une
parcelle divine » (8). |
À en juger d’après un certain nombre de passages, notre
docteur ne semble voir dans l’âme (du-y1) que « la nature vivi-
fiante qui porte » la vie et à laquelle «ont été mélangés À0Y05

(1) Ibid, XXVILI, 69; col. 197 A.


(2) GREG. Naz, Poem. dogm., V, 2 (le chiffre romain est celui du
poème ; le chiffre arabe indique le verset) : t. XXX VII, col. 424. Cf. Poem.
moral., X, 651; col. 727.
(3) Or. XXXII, 9; t XXXVI, col. 184 C.
(4) Poem. dogm., VIII, 74-75: t. XXX VII, col. 452.
(5) Ibid., X, 33; col. 467.
(6) Poem. moral, X, 111-114: col. 688.
(7) Poem. dogm., VIII, 1-3; col. 446-447. Cf. Poem. moral. I, 156; col.
534 ;\ XIV, 76; col. 761.
(8) Jbid., 70-77; col. 452 : L'homme porte en lui Bstay motpav. Cf. Poem.
moral., X, 135 ; col. 690 ;Poem. de seipso, LXXX VIII, 158-163; col. 1441 ;
Or, de amore pauper., T; t. XXXV, col. 865 C.
SX

ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : CAPPADOCIENS 245

et vobs» (1). À tel point qu'il se demande si l’âme qui « nous


vient d’en haut » est tout entière « une émanation divine » (feba
Tis uetapoon), ou bien seulement «le voÿs, chef et pilote de
l’âme » (2), ce vos qui est « une vue intérieure et illimitée » (3).
Visiblement c’est dans la vosoë duyx, c’est-à-dire dans le vods,
que, sinon exclusivement, du moins principalement, Grégoire
place l’image divine (4).
Plusieurs expressions employées ici par notre D er —
qui est en même temps poète — ressemblent au langage émana-
titste des néoplatoniciens (5). Cependant la doctrine générale
de l’évêque de Nazianze met évidemment en garde contre la
tentation de presser ces images poétiques. Il enseigne, en effet,
formellement qu’en dehors de la Trinité il ne saurait y avoir
d’émanations divines : « En disant Dieu, je dis Père et Fils et
Saint-Esprit, la déité ne se répandant point au-delà de ces
trois personnes, afin que nous n’introduisions pas une foule de
dieux » (6). C’est dire que, par son langage hardi, il n’entend
nullement affirmer la consubstantialité, mais simplement une
parenté entre le Noÿs divin et le yoùs humain : « Les natures
intellectuelles et saisissables par le vods seulement sont appa-
rentées à la divinité» (7).
En raison de cette parenté, «bien que liée à un élément
inférieur », L'âme tend vers Dieu (8). Aussi n’a-t-elle qu’« une
seule tâche naturelle (Ëv épyoy abtf œusuxoy) : s'élever en haut
et s’unir à Dieu, avoir toujours le regard entièrement tourné
vers çe qui lui est apparenté, en servant le moins possible les
passions du corps, qui va vers la terre et tire en bas » (9).
Vie idéale qui était celle d'Adam innocent, « déifié par sa

(1) Poem. moral, XXXIV, 23-24; col. 947.


(2), Ibid., X, 59-62; col. 685.
(3) Ibid, XXXIV, 27; col. 947.
(4) Or. XXXVIIL, 11: t. XXXVI, col. 321 CD.
(5) Voir plus haut, p. 61, ce qui est dit de l'émanation de l'âme uni-
verselle et des âmes particulières d’après Plotin. Celui-ci appelle les âmes
des « parcelles » (uofpas) venues de Dieu. Ann., V, 1, 1; édit. É BRÉHIER,
t. V, p. 15, IL. 1-3.
(6) Or. XL, 4; t. XXXVI, col. 628 C.
(7) Ibid., 6; col. 629 C.
(8) Or. ET, 17; t. XXXV, col. 425 C. 1
(9) Poem. moral., X, 59-67; t. XXX VII, col. 685,
propension vers Dieu» (Tñ roùs edy veuser | deoguevey) AE 9
C’est que notre premier père, parfaitement instruit des se- Me
crets de l’univers visible, était en cutre un « myste du monde.
intelligible » (2), voire même «un myste brillant de Dieu et
des choses divines » (uustns te feod felwy ve paetvos) (3).
Est-ce à dire que Grégoire attribue à Adam la vision de Dieu,
comme d’aucuns l’ont pensé (4) ? Le premier des passages cités
à l’instant permet peut-être de trancher cette question.
L'auteur y donne à notre premier père fraîchement créé,
parmi d’autres qualificatifs, les suivants : « voyant de la créa-
tion visible, initié de la création intelligible » (ëxomrnstaséoutñs
xrloeuws, HUSTNS TAG voouuÉYne ). Or on se rappelle que, dans
le langage des mystères, est nommé «myste » celui qui a été
initié aux « petits mystères », tandis que le titre de « voyant »
est réservé au candidat dont l'initiation a été achevée par les
«grands mystères » (5). Il semble dès lors probable que notre
orateur se soit servi de cette terminologie précise, bien connue
de ses auditeurs, pour insinuer que, s’il était un « voyant » par
rapport à la création visible, Adam n'avait, au contraire, reçu
qu’une première initiation à la connaissance de Dieu et du
monde intelligible, la Gewpta, la contemplation de Dieu ne
devant lui échoir qu'après l'éprouré victorieusement subie, à
titre de récompense.
Cette exégèse est confirmée par à de fait que Grégoire place la
faute originelle dans le désir prématuré d'Adam, encore trop
simple et trop avide, de jouir de la Üewpta, allégoriquement
désignée par «l'arbre de la gnose » (6). La vision de Dieu ne
faisait donc pas partie de la déification primitive. :
Par sa désobéissance, le premier homme est déchu de sa per-

(1)--Or. XXXVIII, 11; t XXXVI, col. 324 A. C£ Or: XLV, 7; col.


632 B. Or. XLV, 39 2e une reproduction de Or. ATIEL 7-13, avec
quelques légères modifications.
(2) Ibid.
(3) Poem. moral, I, 161; t. XXXVII, col. 535.
(4) A. SLOMKOWSKT, op. cit, p. 77, traduit le dernier passage cité :
« Adam contemplait Dieu et était initié aux choses divines ».
(5) Voir plus haut, p. 19.
(6) Or. XXXVIII, 12: t. XXXVI, col. 324 BC. À noter be
tion allégorique de l’« rte de la connaissance du bien et du mal » de Gen.
II, 9.
MS Vases FE NUE

Se
Lu ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : CAPPADOCIENS |
A LT

_ fection initiale, puisqu'il «s’est séparé de l’arbre de vie, du


paradis et de Dieu ; il à été revêtu de tuniques de peau, qui
signifient peut-être la chair plus grossière, mortelle et réni-
tente» (1).
Pour extirper le péché et ramener l’homme à la ressemblance
divine originelle, Dieu usa d’abord de moyens divers, tels que
la parole, la Loi, les prophètes et les calamités. Mais, devenue
de plus en plus aiguë, notamment à la suite de l’idolâtrie, la
maladie réclamait un remède plus puissant.

- Ce remède fut le Logos même de Dieu. L’éternel, l’invisible,


_ lincompréhensible, l'immatériel, le principe du principe, la
lumière de la lumière, la source de la vie et de l’immortalité,
l'empreinte de l’archétype, le sceau ( sppæyis )immobile, l’image
parfaitement ressemblante, terme et logos du Père (6 roÿ Iarpds
Üpos xai )6yos), va vers sa propre image et porte la chair
à cause de la chair, se mêle à une âme douée de raison à
cause de mon âme, et, purifiant le semblable par le semblable,
devient homme en toutes choses, hormis le péché. J'avais par-
ticipé à l’image et je ne l’ai pas conservée. Il participe À ma
chair, afin de sauver l’image et d’immortaliser la chair. Il éta-
blt une seconde communauté beaucoup plus magnifique que
la première. L'état présent est plus divin que le précédent et
plus sublime pour ceux qui sont doués de raison (2).

De prime abord on croirait entendre dans ce texte un écho


de la théorie physique de la divinisation. Mais l’évêque de
Nazianze y veut surtout montrer contre les apollinaristes que,
pour nous sauver, le Logos a dû assumer la nature humaine
complète, corps et âme ; «car ce qui n’est pas assumé n'est
pas guéri, cela seul étant sauvé qui est uni à Dieu» (3).

(1) Tbid., col. 324 C. Cf. Poem. dogm., VIII, 105-118; t. XXX VII, col.
454-455. L'influence de l'exégèse. origéniste est ici visible. Cf. plus haut,
p. 194, n. 6. Mais, comme il n’admet pas la préexistence des âmes, Grégoire
fait subir à l’opinion du maître une modification importante : les tuniques
de peau ne signifient pas la chair tout court — comme Origène l’a pensé —
mais un alourdissement de la chair que nos premiers parents possédaient
déjà.
(2) Ibid., 13; col. 325; répété Or. XLV, 9; col. 633 B-636 A. Cf. Poem.
moral., I, 117 sq; t. XXXVII, col. 531 sq.
(8) Æp. CI; t. XXXVIL, col. 181: To yap ômpéohnmtov Gfepéreuto
ü 0 Évutat T@ Be@, Toro al swbertat. Ce principe sotériologique revient
souvent chez Grégoire.
248 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

L'’Irearnation est une cause éloignée de la Rédemption, en tant


qu'elle permet au Sauveur de donner en rançon corps pour
corns, âme pour âme (1) ; le salut lui-même est dès lors direc-
tement réalisé par la passion et la mort du Christ (2). Les
fruits en sont appliqués à l'individu par « la régénération spi-
rituelle » que, par son Esprit, le Seigneur opère dans l’homme
qui s’y prête (3).
C’est que, depuis l’Ascension, le Saint-Esprit est présent
dans les justes, «non plus par sa vertu seulement (èveoyels)
comme autrefois, mais par son essence (obstwdws), s’il est
permis de parler aïnsi » (4). Il divinise le fidèle, en manifestant
de la sorte sa parfaite divinité :

Si l'Esprit est du même ordre que moi, comment me déifie-t-


il, ou comment peut-il munir à la divinité (5) ?
Si l'Esprit ne doit pas être adoré, comment me divinise-t-1l
(coi) par le baptême (6) ?
Si l’Esprit-Saint n’est pas Dieu, qu’il soit déifié d’abord lui-
même et qu’il me déifie ensuite, moi son égal (7).

Cependant, nous ne recevons dès cette vie que les prémices


de la féwots pleine et définitive, qui, dans l’au-delà, sera le prix
d’une vie conforme à la vraie philosophie (8) :

Devenir dieu, un dieu fait, il est vrai { 6edc erôc uév), mais
rempli de la lumière suprême, dont ici-bas nous ne goûtons que

(1) Cf. par exemple Poem. dogm., X, 5-9; t. XXXVII, col. 465:
« Lorsque Dieu s’est fait homme, l’homme est devenu dieu.…, pour que,
restaurant par ce qu’il a assumé ce qu'il avait donné, il levât toute la
condamnation et tuât l’homicide par celui qui est mort ».
(2). Voir J. RIVIÈRE, op. cit., p. 174-179. La même idée s'affirme souvent -
dans les poèmes, par exemple : Poem. dogm., IT, 1-2, 75 sq.; t. XXX VII,
col. 401, 407; VI, 75-78; col. 435-436; IX, 75-84: col. 462-465 ; Poem.
moral, I, 162 sq.; col. 535 sq.
(3) Or. XLI, 14; t. XXXVI, col. 448 B.
(4) Ibid., 11; col. 444 C.
(6) Or. XXXI (theol. V), 4; col. 137B : El tétauror uet” éuoù [rù Ilveÿ-
pa], müç EUÈ motet 0edv; À Tôc suvérrer OedTnrt ;
(6) Tbid., 28; col. 165 A. Cf. 29: col. 168 A.
(7) Or. XXXIV,-12; col. 252 C : Ei ph 0eùçs vo Hyebua &ytov, Bewriru
TpOTOV, xai oÙtw Üsoutu je Tdv OUéTULov.
(8) Cf. Or. XXI, 2; t. XXXV, col: 1084 C.
Ÿ ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : CAPPADOCIENS 249

les prémices, et encore avee modicité : telle sera la récompense


de tes peines (1).

Plus d’une fois, Grégoire s'excuse de la hardiesse de son


langage par des formules telles que: « si j'ose parler ainsi » (2),
pour bien marquer que, même déifié, l’homme ne saurait
jamais franchir la barrière qui le sépare de la Trinité (3).
Loin d'être une identification, la divinisation n’est qu'une
assimilation. En s’unissant l’âme aussi intimement que pos-
sible, Dieu lui communique sa propre vie : «la contempla-
tion de la sainte et royale Trinité qui se mélange tout. entière
au voÿs entier » (4) et, par là, sa propre félicité ; car «c’est
dans la connaissance que consiste la béatitude » (vo YOvaL par
xaor0vns) (5).
La déification s’étendra enfin au corps ressuscité :

Comme, en raison de leur union naturelle, l'âme participait


aux tribulations du corps, de même elle lui communiquera aussi
ses jouissances, après l’avoir entièrement résorbé en elle-même
(do eis Éautiy dvalwcaca) et après être devenue un seul être
avec lui, savoir esprit et dieu, le mortel et le caduc ayant
été engloutis par la vie (6).

Concluons : Basile et Grégoire de Nazianze sont incontesta-


blement des témoins de la doctrine de la divinisation. Ils ne sau-
raient pourtant être rangés parmi les représentants de la théorie
physique (7). Mais on s’attendrait à voir réapparaître celle-ci

(1) Poem. moral., X, 140-143; t. XXXVII, col. 690. Cf. ibid., 97-99;
col. 454 : Au dernier jour, l’homme partira d'ici «un dieu vers Dieu ».
(2) Or., XI, 5: t. XXXV, col. 887 C. Cf. Or:, XIV, 23; col. 888 A.
(3) Of. Or. XXII, 11; t. XXXV, col. 1164 AB.
(4) Or. XVI, 9; col. 945 C.
(5) Or. XXIII, 11; col. 1164 B
(6) Or. VII, 21; col. 784 A.
(7) La même constatation s'impose pour plusieurs autres Pères du IV*
siècle, ainsi pour Eusèbe de Césarée et saint Cyrille de Jérusalem.
In ps. LXXXI, 6; P. G., t. XXIII, col. 988 B, Eusèbe explique que le
Dieu qui vient au milieu des juges est le Fils de Dieu qui, imitant la
générosité (&vwfovia) du Père, communique à tous sa divinité et les appelle
tous dieux et fils du Très-Haut. Ailleurs il insiste fortement sur la dis-
_tinction entre le vrai Fils de Dieu et la multitude de ceux qui sont appelés
«par surnom (ér{xAny) fils et dieux ». De eccl. theol., I, 10; édit, E,
APOGÉE DE LA DO

chez le dernier chef important . hier d'Alexandrie,


d'autant que Didyme a été l’un des disciples immédiats d’Atha-
nase et placé par. lui àà la tête de la célèbre école. ENS El

$ 3. — Didyme l'Aveugle ee nee”

C'est surtout en théologien de la Trinité, plus exactement du PON


CD
EE
Saint-Esprit, que Didyme (1) parle de la divinisation. Il la rat-
tache, comme du reste le salut en général, à 1’œuvre du Christ, |
non pas, toutefois, à son [ncarnation comme telle, mais à sa O

mort (2). C’est dire que la conception physique de la déification 4


lui.est étrangère et que, sur ce point, il estne près de Basile
que d’Athanase, ; < 2
En ce qui concerne la divinisation effective de chaque fidèle,
_ Didyme l’attribue de préférence à L'Esprit divin. Suivantla
méthode déjà traditionnelle, il tire argument de l’action déi-
fiante de l'Esprit pour affirmer sa divinité : ; #2
Dne

Comment, Haute les hérétiques, est-il pas Dieu, celui qui


nous déifie (6 mäç Oeomoroüy) (3) ?
Si, par le baptême, ensemble avec Dieu le Père et son Fils, le
SaintHE nous ramène à ie première; cten se com-
de ati

Es TÂS ae œiTioY Apuiv ae xal Toû “bess se i-


éottv) (4) et si aucune créature ne possède le pouvoir d’adop-

KLOSTERMANN (Corpus de Berlin, Husebius, t. IV), Leipzig, 1906, p. 69.


À propos du même verset, saint Cyrille observe à son tour que les saïnts
sont dits des dieux, mais qu'ils n’ont pas été « engendrés » tels comme le
Fils de Dieu. Celui-ci est Yids ouotudce, dvapyoc, tandis que les chrétiens
sont fils pour avoir été promus de la servitude à la grâce de l’adop- Æ
tion. Catech. XI, Ad illum., 4; P. G., t. XXXII, col. 693-696. Cf. Pro
catech., 6; col. 344-345. "
(1) Bien que né avant les Cappadociens, Didyme leur a survécu et a
subi leur influence. Voir G. BArDpy, Didyme l'Aveugle, Paris, 1910, 2 232.
C’est pourquoi nous le placons après les Cappadociens.
(2) Cf. Jean Lerpozpr, Didymus der Blinde, dans Texte und Untersu-
chungen, nouv. série, t. XIV, 3, 1905, p. 78-79, 83: G. BARDY, op. cit, AS
p. 138-141. test
(3) Dipym., De Trinit., IL, 25; t. XXXIX, col. 748 D. ë
(4) Cf. In psalm.; col. 1481 C, où Didyme écrit que tout saint est un |
dieu par la participation au Dieu-Logos. HE
4
ET et de défier F Porter ):
| comment a ee 1
Dieu G) ? ne SL Er

pars ce dernier passage, Didyme semble identifier l’ adoption


FE avec la déïfication, qu’il présente comme un retour à la
ressemblance divine originelle (2), tous ces effets étant dus
à notre union avec Dieu. LPS
_Didyme revient souvent sur la vertu déifiante de cette union.
ë ne taE le psaume CXVI, 11: « Tout homme est men- |
teur 3%, il écrit : ES
_

Sont appelés hommes ceux qui sont encore dominés par les
passions humaines. Celui, au contraire, qui s’est déjà élevé au-
dessus des désirs charnels et qui, à cause de la perfection de son |
_voÿs , s’est approché de la condition des anges, lorsqu'on parle
d'hommes, manifestement se distingue des autres. Est en
effet
véridique celui qui dit: « J’ai dit, vous êtes des dieux».
Sur-
_ tout, si pareille appellation convient à d’autres encore
qu'à
Éd Or est également « fils du Très-Haut » quiconque, pour
être intimement uni avec Dieu par la vertu, ne meurt pas
comme un homme, ayant en lui le Dieu vivant (3).

| "A propos du texte classique de la IT° Épître de saint Pierre, I,


4, notre docteur explique que la participation à la nature divine
dont parle l’apôtre est l’union de l’homme avec le pe et le
4 Fils, opérée par la foi du baptême (4).
_ Ainsi inaugurée, l’union déifiante avec Dieu doit être inten-
_ sifiée par la pratique de la vertu (5), surtout de la vertu par
— excellence : la gnose (6) ; car la gnose parfaite « unit et mélange

_@ De Trinit., III, 2; col. 801 D-804 A. Le terme « déifier >» ou ses me.
ie sé rencontrent encore ibid., II, 14; col. 716 A; III, 16; col
_ 868 BC; In psalm.: col. 1553 D, ete. rer
(2) Cf. ibid., II, 12; col. 680 AB; In psalm.; col. 1505 C.
(3) In psalm.; col. 1553 D. Cf. col. 1477 D, où l’auteur parle de ceux
qui sont « déifiés selon la vertu » (Toïs ar” Gperhy Oeorounbetoiv).
(4) De Trinit. I, 15; col. 304 B. Cf. II, 1, 12, 14; col. 453 A, 688 A,
716 A. Dans ce dernier passage, l’auteur dit du baptême qu’il «nous.
_immortalise et nous déifie » (2raflavatoi xai ärobeot Apäs).
(5) In psalm.; col. 1477 D, cité tout à l'heure. ;
_(6) Inne ; col. 1624 A. Cf. BARDY, 0p. cit, p. 156-160.
202 . APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

celui qui connaît à celui qui est connu» (1), au point que
l’âme qui la possède devient l’ « épouse » du Christ (2).

L'incorruptibilité, dans laquelle consiste l'élément principal


de notre divinisation, nous est assurée dès cette vie grâce à
l’inhabitation de la Trinité dans nos âmes (3); mais elle ne
deviendra effective que dans l’autre monde. Après la dissolu-
tion de « cette maison du corps épais, l’âme se transporte vers
la région céleste, appelée maison éternelle, non faite de mains
d'homme ». Elle reprendra toutefois son corps, qui deviendra
« céleste » et « spirituel ». En effet, à la résurrection, « lorsque
nous revêtirons l’immortalité, la vie ne détruira pas notre tente,
mais l’absorbera, la qualité découlant de la vie étant devenue
plus forte que ce qui nous rend mortels » (4). Aïnsi nous serons
-déifiés corps et âme.

C3
+

Les Pères qui incarnent au IV® siècle le mouvement doctrinal


appelé école d'Alexandrie témoignent tous de l’existence et de
la vitalité dans l’Église grecque de l’idée d’après laquelle le
chrétien est déifié. Ils ont également ceci de commun qu'ils
s'intéressent à cette idée moins pour elle:même qu’en tant
qu’elle leur fournit des arguments en faveur de la divinité du
Logos et du Saint-Esprit. Tous, enfin, voient dans l’union avee
Dieu, établie par le baptême et perfectionnée par la gnose, la
condition indispensable de la divinisation qu’ils conçoivent
avant tout comme un retour à l’incorruptibilité originelle.
Cet idéal de la déification est également attesté, bien que
d’une manière équivalente seulement, par les représentants de
l’école d’Antioche.

() In psalm.; col. 1624 B. L'influence d'Origène se manifeste clairement


dans ce passage ainsi que dans ceux qui se rapportent à la gnose.
(2) In proverb. ; col. 1628 B.
(3) Sur cette inhabitation de la Trinité en nous, voir Th. SCHERMANN,
Die Gottheit des Heiligen Geistes, Fribourg-en- Br., 1901, p. 210-217.
(4) In IT Cor.; col. 1704 A-D. Cf. In Iud.: col. 1818 C.
CHapitTre IV

ATTESTATIONS OCCASIONNELLES
Il. — ÉCOLE D'ANTIOCHE
Le mysticisme intellectualiste et l’allégorisme des Alexan-
drins, nous l’avons vu, ont grandement favorisé le développe-
ment de la doctrine de la divinisation : le moralisme et le litté-
ralisme des Antiochiens ne les disposaient guère à entrer dans
ces vues. Néanmoins le thème de la fhéopoièse se retrouve chez
ces derniers pour le fond essentiel sous les analogies bibliques
de la ressemblance et de la filiation divines.

$ 1. — Saint Jean Chrysostome


Moraliste et directeur d’âmes plus que théologien et théori-
cien, saint Jean Chrysostome ne cesse de prêcher aux fidèles
d’Antioche et de Constantinople un idéal de perfection. Cet
idéal n’est autre que le retour à l’état de ressemblance divine
dans lequel Adam a été créé, retour rendu possible par le
Christ.
L

Comme les Alexandrins, Chrysostome s'arrête longuement à


l'expression biblique « faire selon l’image » pour lui demander,
ainsi qu’au contexte, des précisions sur la perfection originelle
de notre premier père. En quoi il s’inspire, semble-t-il, de pré-
férence de son maître Diodore de Tarse (1).

-(1) À en juger, du moins, d’après un fragment de Diodore sur Gen.,


I, 26, reproduit dans P.-G., t. XXXIII, col. 1564 C-1565 À, et d’après le
témoignage de Théodoret de Cyr, In Gen., 1; P. G., t. LXXX, col. 108 C-
109 A.
D'après Jean, cette formule signifie que. Dieu a établi
l’homme maître de tout ee qui existe sur la terre; que rien A ;

de ce qui est dans le monde ne lui est supérieur et que tout est
placé sous sa domination (1). Toutefois, il ne s’agit pas d’une
« dignité d'essence » (odotas GElax), mais d’une « similitude de
domination ». En effet, l’Écriture ne dit pas «selon l’image
de la forme», mais « selon la raison de la domination » ; c’est
pourquoi elle ajoute : « Et qu'ils dominent... » (2).
Combinant I Cor., XI, 7 : « L'homme ne doit pas se couvrir
la tête, parce qu'il est l’image de Dieu, tandis que la femme
est la gloire de l’homme», avec Gen. T, 26, notre orateur
montre que seul l’homme està l’image, lui seul étant fait pour
commander, alors que la femme doit lui être soumise (3). Mais
celle-ci participe à la domination de l’homme (4) ainsi qu’à sa
dignité (5). |
Jusqu'à leur péché, Adam et Êve « ans dans à paradis
comme des anges; ils ne brûlaient pas de désirs; ils n'étaient
point assiégés par d’autres passions, ni soumis aux nécessités
de la nature. Créés tout à fait incorruptibles et immortels, ils
n'avaient pas besoin non plus de l'enveloppe des |vête-
ments » (6). C’est que «la guerre des passions n’avait pas
encore éclaté » (7) et que «les membres du corps étaient au
service des énergies de l’âme et soumis à sa volonté » (8). Nos
premiers parents «ne savaient pas qu'ils étaient nus; aussi
n'’étaient-ils pas nus; car la gloire d’en haut les couvrait plus
que tout vêtement » (9). à

() Ioan. CHrys., In cap. I bo. hom. VIII, 3: t. LIII, col. HR CT


Ad popul. antioch., hom. VII, 2; t. XLIX, col. 93.
(2) Ibid., hom. IX, 2; col. 78. Cf. hom. X, 8; col. 85. Exégèse dirigée
contre les anthropomorphites. À noter le souci d'interpréter le texte sacré
par lui-même.
(3) Ibid., hom. VIII, 4; col. 78.
(4) Ibid, hom. X, 4; col. $6.
(5) IZbid., hom. XVI, 2; col. 127. Cf. hom. XVI, 4: col. 130.
(6) Tbid., hom. XV, 4; col. 123. Cf. hom. XVI, 4; col. 130; Ad popul.
_antioch., ho D,QPRE END DiD: htc)donAle
(7) De paenit., V, 1; t. XLIX, col. 307. Cf. In cap. I Gen., hom. XV,
4; t. LIII, col. 124, où il est dit qu’Adam était « comme un ange terres-
tre» (dyyehos étiyer 0). La même expression revient fréquemment, verbi
gratia, ibid, hom. XVI, 1; col. 126; XVI, 6; col. 1383.
(8) In cap. I Gen., hom. XII, 5: col. 108. ?
(9) Ibid, hom. XVI, 5; col. 131.
; es : ANTIOCHIENS
HAN

En outre, Adam a été gratifié d’une « ineffable sagesse et


du charisme de la prophétie » (1). Mais le plus précieux des
bienfaits qu'il ait reçus était l'intimité avec son créateur :

Il jouissait d’un commerce intime avec Dieu et faisait ses


- délices de la confiance {rapénsix )en lui. Et tandis que les anges
tremblaient, que les Chérubins et les Séraphins n’osaient même
pas le regarder en face, lui conversait avec Dieu comme un ami
avec son ami (2).

La domination sur la terre, l’impassibilité, l’immortalité et


l’amitié divine, tels sont les principaux éléments de la ressem-
blance divine dont Adam a été primitivement orné. Et, dans le
plan divin, cette perfection me devait être que «le prélude
magnifique, le portique splendide et le commencement qui con-
_ duit à une vie meïlleure » encore (3).
_ On le voit, en ce qui concerne l’état d’innocence, notre doc-
teur ne s’écarte guère du courant traditionnel. Tout en se.
tenant plus près de l’Écriture et tout en étant moins intellec-
tualiste, son optimisme le cède à peine à celui des Alexandrins.

Trompés par l’espoir fallacieux de parvenir à la plus haute


dignité, nos premiers parents ont transgressé le précepte divin.
Sur le champ « ïls ont été privés de la gloire qui les entourait »
et chassés du paradis; ils ont perdu, en outre, la vie angélique,
la bienveillance de Dieu, la familiarité avec lui, la rapénsta,

_ (1) Zbid.: col. 132. Cf. hom. XIV, 5; col. 116-117; hom. XV, 3-4; col.
122-124. « Peu de Pères grecs ont insisté avec autant de force que l’arche-
vêque de Constantinople sur la sagesse d'Adam». A. GAUDEL, Péché
originel, dans Dictionnaire de théol. cath., t. XII, col. 351.
(2) Ibid. Le terme déjà souvent rencontré de ræfénsix exprime l’assu-
rance que donne la conviction d’être en grâce auprès de Dieu. Dans son
étude sur Saint Jean Chrysostome, maître de perfection chrétienne, Paris,
1934, M. Louis Meyer y voit «le signe le plus constant d’un état surna-
turel avancé » (p. 182, 111-112, 197). Constamment l’auteur — dont le
livre n’est pas sans mérite — prête à Chrysostome nos catégories de nature
et de surnature. Ce faisant, ne s’expose-t-il pas lui-mêmeà la critique qu'il
adresse à un historien, d’après lequel Chrysostome placerait la perfection
dans l’amour de Dieu : « Cette interprétation de la pensée du grand ora-
teur gree nous semble commandée plutôt par la théologie actuelle que par
les textes de Chrysostome » ?
(3) Hom. IIT dicta prues. imper., 1; t. LXIIT, col. 474. Cf. In ps.
CXXX VE; ct. LV, col. 401.
? 18
256 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

l'immortalité et ont été couverts de honte et de misères (1).


C'est que, «en devenant mortel, le corps reçut nécessairement
aussi la concupiscence, la passion, la tristesse et toutes les
autres faiblesses » (2).
Mais, bien que la désobéissanee d'Adam fût complète, « dans
son amour pour les hommes, vainquant. nos offenses par sa
bonté, Dieu ne lui a pas enlevé tout l’honneur, ni privé Adam
de toute domination», puisqu'il lui a laissé le pouvoir sur les
animaux qui lui «sont nécessaires et utiles » (3). L'homme a
donc gardé l’état d'image, partiellement du moins (4). La res-
semblance divine, au contraire, a disparu. Mais elle peut être
reconquise. C’est là précisément le but de toute notre activité,
l’idéal que nous devons poursuivre sans jamais nous lasser (5).

Lun

Comment et par quels moyens réaliser cette tâche ?


Lorsqu'il parle en moraliste soucieux de défendre le libre
arbitre et d’exciter ses auditeurs à l'effort personnel, saint
Jean exalte la liberté humaine comme si, grâce à la raison qui
la guide, elle était toute-puissante dans le domaine moral (6).

(1) In cap. I Gen., hom. XVI; t. LIII, col. 125-134.


(2) In Rom., hom. XIIL, 1; t. LX, col. 507. À noter le lien établi ici
entre l’incorruptibilité et l’impassibilité.
(3) In cap. I Gen., hom. IX, 5; t. LIII, col. 79. Un peu plus haut,
dans la même homélie, Jean reconnaît à l’homme, « cet étonnant animal,
raisonnable et animé» (hom. VII, 6; col. 68), la faculté de dompter
même des lions (hom. IX, 2; col. 78). Ce qui montre qu’au fond il voit
dans la domination sur les animaux, qui constitue l’état d'image, un effet
de la raison humaine. Mais nulle part, sauf erreur, il ne présente celle-ci
comme l'élément qui nous rend semblables à Dieu. Est-ce là une manifes-
tation de l’anti-intellectualisme des Antiochiens ?
(4 Cf. ibid., hom. IX, 4; col. 79. Certaines assertions contraires ne doi-
vent pas être prises au pied de la lettre. Cf. ibid, hom. XXIII, 5; col.
203; Daem. non gub. mund., I, 2; t. XLIX, col. 247. Ainsi l’exagération
est manifeste quand l’orateur déclare, dans ce dernier passage, que « tout
ce qu'il possédait, l’homme l'a perdu » par le péché.
(5) Cf. ibid., hom. IX, 2: col. 78.
(6) Cf. ibid. En cet endroit, Jean déclare que les vertus, dont la de
nous rend semblables à Dieu, sont conformesà la nature humaine. 1bid.,
hom. XI, 4; col. 95, il dit que « Dieu nous a donné une raison qui suffit
et qui est capable, si nous voulons nous y appliquer un peu, de maîtriser
chacune des passions qui naissent en nous », Notre docteur a manifestement
Li
ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : ANTIOCHIENS ADI

Mais, complétant l’enseignement du moraliste, l’exégète met


fortement en relief la faiblesse de la nature humaine laissée
à elle-même et la nécessité d’une rédemption opérée par Dieu.
C’est ainsi que, dans sa XI° homélie sur saint Jean, il s’écrie :

Elle était, en effet, tombée véritablement, tombée d’une incu-


rable chute, notre nature, et il lui fallait cette main puissante
et elle seule. Car il n’y avait pas d'autre possibilité de la rele-
ver, si celui qui l’avait faite au début ne lui tendait la main (1).

La Loi ancienne avec ses sacrifices « qui n’enlevaient pas la


souillure de l’âme, mais concernaient encore le corps », ayant
été incapable d'opérer cette restauration (2), le Logos divin
«a pris notre chair, uniquement par amour, par pitié pour
uous » (3), afin de mourir pour nous, de nous délivrer de tous
les maux et de nous faire participer à ses biens (4).
Le premier de ces biens et la source de tous les autres c’est
la filiation divine à laquelle le chrétien participe par adop-
tion :

[Le Logos] s’est fait fils de l’homme, tout en étant vrai Fils
de Dieu, afin de faire des fils de l’homme des enfants de Dieu (5).

N'est-ce pas le pendant de la parole d’Athanase : « Le Logos


de Dieu s’est fait homme, pour faire de nous des dieux » ?
L'adoption divine est subordonnée à la régénération baptis-
male (6), qui nous unit et nous assimile au Fils naturel de

subi l'influence de la morale stoïcienne. Cf. L. MEYER, op. cît., p. 108-118;


G. BarDy, Jean Chrysostome, dans Dictionnaire de théol. cath., t. VIIT,
col. 678-679.
(1) In Ioan., hom. XI, 2; t. LIX, col. 80. Cf. L. MEYER, 0p. cit., p. 80-
82, 118-120, 186-190.
(2) In Hebr., hom. XV, 2; t. LXIII, col. 119-120.
(3) Ibid., hom.V, 1; col. 47.
(4) Cf. In Gal, hom. IV, 1; t. LXI, col. 657. Ce qui nous sauve c’est
la mort du Christ dont l’incarnation n’est qu’une condition. Cf. In cap:
I Gen., hom. III, 4: t. LIII, col. 57. Voir J. Rivière, Le dogme de la
Rédemption. Essai d'étude historique, p. 180-186.
(5) InsToan., hom. XI, 1; t. LIX, col. 79.
(6) Cf. Ad illum. catech., I, 3; t. XLIX, col. 227 : Le bain de régéné-
ration «ne nettoie pas seulement le vase, mais le refond de nouveau tota-
lement » : Zn Coloss., hom. VII, 3; t. LXII, col. 346; In Tit., hom, V, 3;
t. LXII, col. 692,
Dieu, au point de nous transformer en ‘Je ésus- Christ. … propo ee
de Gal. IT, 27 : « Vous tous qui avez été: ‘baptisés dans le
Christ, vous avez revêtu le Christ », renforçant encore le réa- | à
lisme de son maître préféré, Jean écrit: |

Si Jésus-Christ est le Fils de Dieu, et si tu las revêtu, ayant


le Fils en toi et étant assimilé à lui, tu as été élevé à une seule
et même parenté, une seule et même forme... Vous êtes tous dans 2 <
le Christ Jésus, c’est-à-dire vous n’avez qu’une seule forme, une
seule figure, celle de Jésus-Christ (1). ture , LT

Cette assimilation est encore accentuée par la communion


eucharistique. Dans un passage pathétique, le «docteur de
l’Eucharistie » fait dire au Christ lui-même:
Pour toi j'ai été couvert de coups et de crachats, je me suis
dépouillé de ma gloire, j'ai quitté mon Père et je suis venu à
toi, toi qui me haïssais, me fuyais et ne voulais même pas enten- |
dre mon nom. Je t'ai poursuivi, j'ai couru sur tes traces, afin
de te tenir, je t'ai uni et lié à moi. « Mange-moi, ai-je dit, et
boïis-moi ». N'est-ce pas assez que je possède au ciel tes prémi-
ces (2) ? Cela n’assouvit-il pas le désir ? Je suis descendu
encore sur la terre, non seulement pour me mélanger à toi,
mais pour m’enlacer en toi; je suis mangé, je suis mis en pièces,
afin que soient profonds le mélange, la fusion, l’union. Les cho-
ses que l’on unit demeurent chacune en elle-même; moi, je forme pe,
comme un seul tissu avec toi (ouvvoatvopal 501). Je ne veux.
plus rien entre nous deux: Je veux que les deux soient un (320 #i

Lorsqu'il explique la nécessité de cette union corporelle, hô-


tre docteur se rencontre avec Grégoire de Nysse. D’après lui, A
la partie matérielle de notre être, vidée de la vie et vouée à la.

(1) In Gal, comment, IX, 5; t. LXI, col. 656. Parfois Chrysostome


attribue à la foi seule l’union au Christ; mais dans sa pensée la foi est
inséparable du baptême. Cf. In Hebr., hom. VL, 25t. LXIEL col-56: é
(2) C'est-à-dire son corps ressuscité.
(3) In Tim., hom. XV, 4: t. LXII, col. 586. Of. In Maine home
LXXXII, 5; t. LVIII, col. 744; In I Cor, hom. VIII, 4; t. LXI, col
72-83, etc. Voir A. NAEGELE, Die Eucharistielehre des hl. Johannes Chry-
sostomus, Fribourg-en-Br., 1900, p. 232-303. Il va sans dire que « l’ultra-
réalisme » de Jean — l'expression est de P. Pourrat, La théologie sacra-
mentaire, Paris, 1910, p. 8 — appelle des correctifs. Ce qui dans la com-
munion est broyé ce n’est pas le Christ, mais les espèces eucharistiques.
corps pur et de vie, pour ds capable € a.vie Pre Da
nelle. L’Eucharistie est done avant tout un papuaxoy àfavaslas,
qui nous rend le don paradisiaque de l’immortalité COrpo-
- relle (D).
Non moins précieux, toutefois, sont les effets que produit la
communion dans la partie supérieure de notre être.

[Lesang eucharistique] ravive en nous la fleur de l’image


royale jee il est le salut de nos âmes; par lui, l'âme est purifiée,
embellie, enflammée ; par lui, notre voüs devient plus brillant
Pre). que le feu, notre âme plus magnifique que l’or. Ce sang a été
versé et nous a ouvert le ciel. Supposons comme possible que
quelqu'un plonge dans l'or fondu sa main ou sa langue; il
l'aurait subitement :dorée. Aussi grands, voire même plus grands
encore sont les effets que produisent sur l’âme les dons pré-
‘sents (2). is

Grâce à notre union, à notre assimilation au Christ, nous <


_ sommes devenus fils de Dieu (3). Mais il ne s’agit pas d’une F2
> filiation naturelle comme celle du Logos, qui est le résultat |
_ d'une génération « selon la substance ». La nôtre est due à une
_ génération «selon la dignité et la ie », elle est l’effet d’une
adoption (4).
ve _ L’Ancien Testament, il est vrai, connaissait déjà une sorte
| de filiation divine, Mais
>

_ elle était un honneur verbal; ici la réalité s ’ajoute. Au sujet


de la première il est écrit : « J’ai dit, vous êtes tous des dieux
Let des fils du Très-Haut » (5). Au sujet de la seconde, au con-

oo Cf. P I Cor., hom. XXIV ; 6 EXT, col. 201;In Eph., hom. III, 4;
” + LXIT, col. 28.
(2) In Ioan., hom. XLVI, 3; t. LIX, col. 261-262. In Hebr., hom. XVI,
Lie t. LXIII, col. 125, notre orateur dit que le sang du Christ se mélange
à l'essence même de l’âme, «la rend forte et pure et la conduit à une
ineffable beauté». Ailleurs, In Æph., hom. LIL, 4; t. LXII, col. 28, il

à4:
neu
cu n'hésite pas à déclarer que le corps du Seigneur «se dissout complètement
en l'âme» (els éxelvny [puyhv] 6A6xAnpos dvahbetat).
-(8) Cf. In Gal., comment., IV, 1; t. LXI, col. 65. 124
_ (4) In Ioan., hom. III, 2 et hom. XXV, t. LIX, col. 39 et 154, -
RCEUr ee
6) Ps. EXREIE GE
260 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

traire : «Ils sont nés de Dieu » (1). Comment et de quelle


manière ? Par le bain de régénération et par la rénovation de
V’'Esprit-Saint. Et ceux-là, après avoir été appelés fils, avaient
encore un esprit de servitude; car ils ont été ainsi honorés de
cette appellation tout en restant esclaves. Nous, au contraire,
devenus libres, nous avons alors reçu cet honneur, non quant
au nom, mais quant à la réalité... C’est que, engendrés de nou-
veau, l’on pourrait dire reformés (&vaororyeiwbévres), nous avons
été ainsi appelés fils (2).

Dans ce passage, Chrysostome cite le célèbre verset 6 du


psaume LXXXII, mais pour l’appliquer — contrairement aux
autres Pères — exclusivement aux juifs et non aux chrétiens.
On dirait qu'il évite à dessein de parler de divinisation, pour
s’en tenir à l’image de la filiation dont il s'efforce, du reste,
de mettre en valeur toute sa richesse.

III

Fils adoptif de Dieu, doté d’une vie nouvelle, animé par


l’Esprit-Saint, le chrétien est à même de pratiquer toutes les
vertus. Aussi doit-il rendre toujours plus parfaite sa ressem-
blance avec Dieu.
Dans sa jeunesse, saint Jean semble avoir placé cet idéal de
perfection supérieure dans une vie angélique. Par là, il en-
tend une vie de solitude, de détachement des choses de ce monde
et d’ascèse ; bref, une existence virginale (3) aussi indépendante
que possible des conditions de la vie corporelle et entièrement
consacrée à l’amour et à la louange de Dieu. C’est manifeste-
ment l’idéal monastique alors en vogue en Syrie (4).
Plus tard, chez Chrysostome devenu prêtre et évêque, l'idéal
de 1” « angélisation », sans disparaître totalement, est progres-

(1) Joan., I, 15.


(2) In Ioan., hom. XIV, 2: t. LIX, col. 98.
(3) Cf. In Gal, comment., V, 6; t. LXI, col. 674. Avec Grégoire de
Nysse, notre moraliste estime que, sans le péché, la virginité aurait été
l’état normal de l'humanité. Voir A. MouLaRD, Saint Jean Chrysostome,
le défenseur du mariage et l'apôtre’ de la virginité, Paris, 1923, p. 65.
(4) Sur le retour à la vie angélique, voir L, MEYER, 0p. cit, p. 199-206.
ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : ANTIOCHIENS 261

sivement supplanté par un autre. Le but à atteindre reste tou-


jours l’assimilation à Dieu :
Voici le comble de la vertu la plus haute et ce qui fait par-
venir au sommet même des biens : se rendre semblable à Dieu
autant qu’il nous est possible (ro mods eûv Guouwbvar, xark rô
&yxwpoüy Auiv) (1).

Mais le moyen d’y parvenir a changé : ce n’est plus la fuite


du monde, c’est la pratique des vertus, de la charité notam-
ment, qui est «la racine des biens, la parfaite maîtresse de la
philosophie » (2). C’est elle, surtout,

qui rapproche de Dieu; toutes les autres vertus lui sont infé-
rieures, étant toutes propres aux hommes, tels que les combats
que nous livrons à la concupiscence, la guerre que nous sou-
tenons contre l’intempérance, l’avarice ou la colère. Aimer, au
contraire, nous est commun avec Dieu (3).

Aimer qui? Dieu, sans aucun doute; mais notre orateur


pense surtout à l’amour du prochain. « C’est dans l’imitation
de l’amour divin pour les hommes, observe M. Meyer, que saint
Jean place la perfection chrétienne » (4). On comprend, dès
lors, que notre orateur insiste avec tant de force sur la « pitié
compatissante », comme « le moyen de nous égaler à Dieu » (5),
pitié qui se manifeste dans l’aumône spirituelle plus que dans
le don matériel (6).

Toutefois, bien que l’imitation de l’art divin de la charité (7)


soit le moyen le plus puissant de nous assimiler à Dieu, elle
ne saurait constituer l'élément essentiel de cette ressemblance.

(1) In ps. CXXXIV, 7; t. LV, col. 398. Cf. In Matth., hom. LII, 4;
t. LVIII, col. 528.
(2) In Gal., comment., V, 6; t. LXI, col. 674. Pour notre auteur, la
vraie philosophie est la pratique de la vertu chrétienne. Cf. L, MEYER, op.
cit., p. 186-192.
(3) De laudib. s. Pauli, IIL; t. L, col. 483. Cf. In illud : Domine, non
est in via eius, 4; t. LVI, col. 159.
(4) L. MEYER, op. cit, p. 210-215.
(5) In II Tim., hom. VI, 3; t. LXII, col. 633-634 : Toùrd cri, à é-
to0Ùo0ar Ouvéuelx té Bei, SAseïv xat olutelpetv,
(6) In cap. I Gen., hom. IIE, 4; t. LIIL, col. 37.
(7) Cf. In Matth, hom. LII, 4; t. LVIII, col. 525,
En effet, dans «la vraie vie après Ja ie » , auciel
la résurrection, la compassion et la charité apostolique mexIis" > ;
teront plus; l’immortalité, l’impassibilité et l’union à Dieu, au. a
contraire, deviendront parfaites et définitives. Aussi est-ce ! à
grâce à ces dons que l’élu sera semblable à cette «nature in-
destructible et immuable », à cette « gloire invariable et inalté-
rable » qu'est Dieu (2).
CES 7

Er résumé, bien que nous n’ayons trouvé dans son œuvre


immense aueun texte où le patriarche de Constantinople fît He

usage de la terminologie de la divinisation, les principaux élé-


ments de cette doctrine se retrouvent chez lui. Malgré de nom-
breux points de contact avec ses prédécesseurs, avec Basile sur-
tout, Chrysostome se distingue nettement des Alexandrins et
des Cappadociens tant par la tournure de son esprit que par :
la manière de son exposé. Il se montre, en effet, plus attaché
au langage concret de l’Écriture et moins ouvert aux abstrac-
tions d’ordre spéculatif. à
Cette différence entre les deux écoles deviendra Ts sensi-
ble encore chez le représentant le plus caractéristique de 1 école
d’Antioche.

$ 2. — Théodore de Mopsueste à. Fos

C'est encore à l’état implicite seulement que l’idée de déifi-


cation est contenue dans l'œuvre très vaste de l’évêque de Mop-
sueste (3). Celui que, jusqu’à nos jours, les Nestoriens de Syrie

(1) De consol. mort., I, 7; t. LVI, col. 299.


(2) In Rom., hom. IIL, 4; t. LX, col. 415.
(3) Ce qui reste de Ponsre de Théodore est see en grande none 4
dans P. G., t. LXVI, col. 124-1020.
Le commentaire sur les Épîtres de saint Paul autres que celles aux
Romains, aux Corinthiens et aux Hébreux, ainsi que les fragments dog-
matiques seront cités d’après H. B. SWETE,- Theodori episc. Mopsuesteni in
epistolas B. Pauli commentarii,2 vol. Cambridge, 1880 et 1882.
Depuis, M. A. Mingana a publié la traduction syriaque accompagnée
d’une traduction anglaise des commentaires de Théodore : a) sur le Credo
nicéen (dans la collection Woodbrooke Studies, t. V, Cambridge, 1932) :
b) sur la Prière du Seigneur, ainsi que c) les catéchèses sur le baptême
et l’Eucharistie (ibid, t. VI, Cambridge, 1933). Nous citerons MINGANA,
ÉViou-t. VE, .
re
comme l’« ou », e ’est-à- dre É4eo. par
exesllence (1), préconise lui aussi 1 x déal traditionnel de l’assi-
a milation de l’homme à Dieu grâce à l’immortalité que le Christ A
a mise à notre portée. Mais sur l’économie du salut, sur le rôle
de l’homme dans l'univers et sur celui des deux Adam Théo-
dore a des vues personnelles qui ne sont pas restées sans me
_ fluence sur saconception de la ressemblance et de la filiation
_divines. î

I
Toûs, les Pre étudiés jusqu ’à présent conçoivent la divini- è
AS en fonction d’un plan divin du salut à trois étapes. Ils
_ distinguent, en effet, l’état originel, l’état actuel et l’état futur ES.
de l’humanité. Chez tous on rencontre, en outre, l’idée fonda-
mentale d’après laquelle l’état primitif, considéré comme idéal,
a été rétabli par l’œuvre rédemptrice du Christ. On vient de
le voir, c’est nettement la perspective de saint Jean Chrysos-
tome.
Son ami Théodore, au contraire, à de l’économie “à salut
une conception très différente. Pour lui, l’histoire de l’hu-
manité ne comporte que deux grandes phases ou, comme il dit,
deux « catastases » (2).

Il n'y a qu’un seul Dieu tant de l’Ancien que du Nouveau


Testament, le Seigneur et créateur de toutes choses, qui, en vue
d’une fin unique, a disposé l’autre [catastase] aussi bien que
celle-ci. Ayant depuis toujours décidé de réaliser la catastase
future — dont il a manifesté le commencement dans l’économie
selon le Seigneur Christ (3) — il jugea néanmoins nécessaire
de nous placer d’abord dans celle-ci, la présente, dis-je, pour
nous transférer ensuite, plus tard, dans l’autre par la résur-
rection des morts; afin que, par la comparaison, nous puissions
mieux saisir la als des biens promis (4).

_(1) Cf. O. BARDENHEWER, op. cit, t. III, p. 318.


(2) Karaotésets, c’est-à-dire états ou conditions. |
(3) Par «l’économie » Théodore entend pour ainsi dire toute la vie du
_ Christ, de la naissance à la passion. Cf. MINGANA, t. V, c. 6, p. 3, se
| (4) Tarop. Mops., În Tonam ; t. LXVI, col. 517 C.
264 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE
Modifiant l’idée d’après laquelle l’homme est un microcosme,
notre docteur le présente comme le lien et le centre de l’uni-
vers.

Voulant faire de l’univers un seul cosmos et résumer en un


seul être toute la création, qui se compose de natures si diverses :
mortelles et immortelles, raisonnables et privées de raison, visi-
bles et invisibles, Dieu a constitué l’homme comme un lien de
toutes choses. C’est pourquoi il a tout ramené à son usage, afin
que la création entière soit unie en lui et qu'il soit pour elle un
gage manifeste d'amitié (1).

C’est par là précisément que l’homme est l’image de Dieu :

Le démiurge de la création a fait le monde entier, l’ornant


d'œuvres variées. Mais, en dernier lieu, il y introduisit l’homme
comme sa propre image, afin que la création entière apparût
-comme astreinte au service de l’homme (2).

A en croire Théodoret, notre exégète aurait rejeté comme ri-


dicule l’opinion d’après laquelle l’homme serait l’image de Dieu
en raison de son pouvoir de domination ou de son intelligence,
puisque ces avantages lui sont communs avec de nombreux au-
tres êtres, telles que les puissances invisibles, bonnes ou mauvai-
ses. Ce qui est certain c’est que, pour Théodore, l’homme est
l’image de Dieu parce qu’il est comme le centre de l’univers
auquel toutes les autres créatures se rapportent, de sorte que,
tout en faisant partie du monde, il y tient pour ainsi dire la
place de Dieu (3).

(1) D’après THEODORET., In Gen., I; t. LXXX, col. 109 A. La même


conception est exprimée par Théodore : In Rom., VIII, 9; col. 824 C:
In Eph., 1, 10; SWETE, t. I, p. 128-129.
(2) Tuxoporer., op. cit.; col. 109 AB. Cf. MINGANA, t. VI, c. 2, p. 21 :
« Notre Seigneur Dieu fit l’homme de poussière à son image et l’honora de
nombreux autres dons. Il l’honora spécialement en l’appelant son image ;
d'où l’homme seul devint digne d’être appelé dieu et fils de Dieu». On ne
saurait dire avec certitude si, dans ce texte, Théodore fait allusion à Ps.
LXXXII, 6 ou au Christ.
(8) 7bid.;"col 112 113 "A CE TNA DorNER, T'heodori Mopsuesteni doc-
trina de Imagine Dei, Kænigsberg, 1844, p. 11: Henri Kiaw, Theodor von
Mopsuestia und Junilius Africanus als Exegeten, Fribourg-en-Br., 1880,
p, 711-172.
à
dD

ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : ANTIOCHIENS 265

Nos premiers parents étaient cependant appelés à une des-


tinée plus haute encore. Dieu promit, en effet, de leur conférer,
après une épreuve victorieusement soutenue, la stabilité dans
le bien et l’imcorruptibilité. Dans ce but, il leur donna un pré-
cepte en l’imposant sous peine de mort. |
_ A vrai dire, promesse et menace n'étaient que des procédés
pédagogiques dont Dieu se servait, d’une part pour prévenir
le reproche « de n’avoir pas donné l’immortalité dès le début »,
de l’autre afin de fournir à l’homme l’occasion de faire l’expé-
rience de sa faiblesse et de l’utilité de sa mortalité. Dieu savait,
en effet, que les premiers hommes n’observeraient pas son pré-
cepte. De plus, il prévoyait que, doués d’immortalité, « ils au-
raient cru plus facilement encore devenir des dieux (eïva (eol)
par la désobéissance », et « recevoir la dignité divine (750 ras
eornros dElwua)». Il prévoyait aussi que «la ferme posses-
sion de l’immortalité aurait engendré chez eux l’audace et la
persistance dans le péché ». Pour toutes ces raisons «il était
dans leur intérêt que, le corps une fois dissous par la mort, le
péché fût dissous en même temps ». En prévision de quoi, le
créateur «a préparé l’homme à la vie mortelle », ainsi qu'il
résulte de la différenciation des sexes (1).
Mais l’assujettissement à la mort entraîne pour l’homme la
soumission au changement, la versatilité, qui rendait possible
une chute d'Adam (2). Celle-ci ne devait pas tarder à se pro-
duire. Trompés par le démon (3), nos premiers parents, « tout
récemment appelés à la vie », aussi innocents qu'inexpérimen-
tés (4), ont transgressé le commandement divin. A la suite de
cette faute, tout en restant pourla nature humaine une simple
fatalité, la mort a revêtu un caractère pénal (5).

(1) In Gen., III: t. LXVI, col. 640 C-641 A. Cf. In Gal. IE, 15-16;
SWETE, t. I, p. 25-32.
(2) Cf. In Gal, IX, 15-16; SWETE, t. I, p. 26; In Ep, I, 10; ibid.,
p. 126; In Rom., VIL, 14; t. LXVI, col. 813 B : « Par suite de sa mor-
talité, l'homme a un penchant très fort pour le péché ».
(3) MINGANA, t. V, c. 5, p. 56.
(4) Cf. In Gen., III, 7; t. LXVI, col. 640 AB. Pour l’Interprète,
l’état d’innocence ne semble avoir duré que quelques heures. Cf. Fragm.
dogm.; col. 1006, 1011. Voir DORNER, 0p. cit, p. 21.
(5) Voir KIEN, op. cit., p. 173-177.
D'autres conséquences néfastes S y:‘ajoutèrent, Me
du cosmos fut brisée:
l

Lorsque, nn sa transgression, boue devint mortel par


suite de sa désobéissance, l'âme a été, comme de juste, séparée
ue du corps et le lien de la nature constitué par l’homme a été
rompu (1). RARE ê ; | Le

Les natures spirituelles se sont détournées de L'hopas pé-. :


= cheur (2), qui s’enfonça toujours davantage dans le mal (3).
ne Ainsi «nous sommes devenus mortels par Je. péché » (4) et pé- 4=ch
. cheurs par la mortalité qui entraîne la mutabilité (5). ne
En somme, pour l’Interprète, J’histoire d'Adam est l’exem-
ple type du sort commun à tous les mortels. L'Apôtre, dit-il 2
en propres termes, «s’en sert pour décrire notre commune na-
ture » (6). De même qu’à Adam, la loi est donnéeàses dés ns
dants pour qu'ils apprennentà à discerner le bien du malet à
connaître à la fois leurs forces et leurs faiblesses. Dans cette
perspective, l’expérience originelle apparaît comme un simple
épisode de l’histoire de l'humanité; l’état primitif s’insère :dans
la condition actuelle de hu ie où dominent le péché et la
mort. ESS D
Ayant cessé d’être le lien du monde et d’y tenir la place de

Dieu, l’homme pécheur a perdu l’état d'image : « Par notre

(1) In Rom. VIIXL 19; t. LXVI, col. 825 B. Cf. In Eph., 1, 10;
SWETE, t. I, p. 129-131; In Col. n 16; SWETE, t. I, p. 267- 269 ;MINGANA, ;
REV sc lp 21 s
(2) Ibid. se PES
(3) Ibid, VII, 14, 17-18; col. 813 BC. Cf. In ph. ÏT,107 SEE, ee
& L'p AT, 5:
(4) In Col. I, 16; SWETE, t. I, p. 268. Of. In Rom., V, 18; t. LXNI,
col. 797 A. Pour notre exégète, la mort est la peine des péchés personnels.
Voir A. GAUDEL, loc. cit., col. 356; ne op. cit., t. IT, p. 209- 210; ;
KIHN, op. cit., p. 176- 178.
3
(5) Cf. MinGana, t. V, e. 5, p. 56 : « 1e péché est entré dans le monde
par l’homme et la mort y est entrée par le péché. Si le péché n'avait
pas été aboli, nous serions nécessairement restés dans la mortalité et nous
aurions péché dans notre mutabilité; et lorsque nous péchons, nous sôm-
VECtAb
mes sous la punition et, par voie de conséquence, le pouvoir de la mort
restera nécessairement ». Cf. ibid., t. VI, c. 2, p. 21. à ÿ 15 VOIE
(6) 7n Rom., VII, 7-8: t. LXVI, col. 809 B-812 B : Êrodslyuart xéyomn- ne
vai [6 Araroh<] vois mepl tv Abu... Toïs où ’Adau els GmoderEtw XÉYPNTAL | 7
TOY HOLVOV. SÉS ie :
_ négligence nous avons perdu l’honneur de ie image > Di Se
en échange, nous avons « accepté et complété l’image du dé- eu
# =

IT

_ Laissé à lui-même, l’homme n'aurait pu se relever de sa mi-


_sère ni récupérer l’état d’image divine, moins encore parve-
mir à l’immortalité. Assurément, Dieu lui avait donné la Loi.
_ Celle-ci lui faisait connaître ce qu’il devait aimer et ce qu’il
devait haïr; mais elle ne pouvait délivrer l’homme du péché.
Elle avait pour rôle de préparer l’humanité à l’arrivée du
Sauvkeur (3).
Ce n’est que par Je Christ que le ut nous est venu:

Don Christ Dieu a « restauré », ou mieux « nn ».


toutes choses, tant celles qui sont dans les cieux que celles qui
sont sur la terre, en faisant par lui comme une rénovation et une
£ réintégration universelle de toute la création. En rendant son
“7 _ corps eonaptble et impassible par la résurrection et en.
. l’unissant à l’être incorruptible de son âme de telle sorte qu’il
ne puisse plus en être séparé corruptible, il a manifestement
© fait don à toute la création d’un lien d'amitié (4).
axjs
Far

__ Ceci en vertu de Dieu le Verbe qui habite dans le Christ (5)


; comme dans un temple (6) et fait de lui à la fois le type et
É l’agent de notre immortalisation.
__ Assumé par le Logos dès sa conception miraculeuse, resté
D ‘innocent grâce à cette union morale seulement mais indissolu-
ble (), l’homme Jésus est l’image visible de la divinité invi-
L ee

% SC. Mixcans, t. VI, c. 2, p. 20.


(2) Zbid.; p. 21.
EvO)ACr, Fe Rom., VII 14; V,13; X, 14-15: t. LX VI, col. 813 B, 776 B-
797 B, 845 C-847 D; In Gal. II, 15; III, 23-24; ns t. I, p. 28-29,
© 51-55, :
_ (4) In Hph., I, 10; Swrere, t. I, p. 130. Cf. In Col. I, 16: ibid., p. 268-
271:
(5) Ibid.
(6) Cf. Minaana, t. V, c. 6, p. 66.
(7) Voir surtout De incarn., VIL; SWETE, t. II, p. 293.298 : Hein
_ t V, ce. 8, p. 87-90. Sur la christologie de Théodore voir É. AMANN, La
* doctrine christologique de Théodore de Mopsueste, dans Revue des sciences
-22 ;
_ rel., t. XIV, 1934, p. 161-190 ; TIXERONT, 0p. cit., t. III, 8° édit., p. 14
% PR vu côte, D. es
268 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

sible (1). I1 possède la filiation adoptive d’une façon unique, de


sorte qu’à bon droit il est appelé Dieu. « Au baptême, il reçut
l’inhabitation de l'Esprit », dans la force duquel il accomplit
tout ce qui était nécessaire pour notre salut (2). Toujours en
sa qualité d'homme, «le Seigneur subit finalement la mort en
tant que tribut de la nature» (3), maïs en vue de notre ré-
demption. Comme le Christ était sans péché, Satan lui avait
«infligé une mort injuste par lés mains des juifs ». Aussi fut-
il obligé de lâcher sa proie. Le Sauveur « ressuscita de la mort
par la vertu du Saint-Esprit, devint digne d’une vie nouvelle,
dans laquelle les désirs de l’âme sont immuables, et fit le corps
immortel et incorruptible » (4). C’est dire qu'avec la résurrec-
tion la catastase présente prit fin pour l’homme Jésus : son
union définitive au Logos entraîna pour son corps l’incorrupti-
bilité et l’impassibilité, pour son âme l’affermissement dans le
bien, pour sa nature tout entière l’ascension au ciel et la prise
de séance à la droite du Père, en d’autres termes, le transfert
dans la catastase future (5). | \
Aïnsi donc, d’après Théodore, l’union du Verbe avec l’homme
Jésus a connu une intensification continue, au baptême notam-
ment, à la résurrection et à l’ascension du Seigneur. Ces res-
serrements ont eu pour effet une transformation radicale de
l’Assumptus Homo, transformation qui est une véritable « di-
vinisation progressive » (6), bien que cette expression ne se
rencontre pas sous la plume de notre auteur.

(1) Cf. In Col. I, 15; Swere, t. I, p. 261-263. Notre exégète rejette


formellement l’idée traditionnelle d’après laquelle le Logos comme tel a
raison d'image par rapport au Père. Pour lui, c’est l’homme Jésus qui est
image. Sur ce point, Théodore se rencontre avec Marcel d’Ancyre. Voir
Euses., Contra Marcell., IL, 3; P. G., t. XXIV, col. 805.
(2) In I Tim., IIX, 16; Swere, €. IL, p. 136-137. Cf. MINGaNA, t. VE, c.
4, p. 66-67. «
(3) Fragm. dogm.; t. LXVI, col. 1010 A. Cf. In Phil, IL 8; SWETE, t.
I, p. 221 : « Sustinebat enim mortem et nolens, secundum dudum positum
terminum naturae » ; MINGANA, t. V, c. 5, p. 53, 61: c. 6, p. 66: t. VI, c. 2,
bp. 19, et pass.
(4) MiINGaNA, t. V, c. 5, p. 61. Cf. ibid., p. 68-69. Plus d’une fois, Théo-
dore fait allusion à un débat contradictoire qui aurait eu lieu au tribunal
de Dieu entre Jésus mis à mort et Satan. Of. ibid., t. VI, c. 2, p. 22, 29-30;
t. V, c. 5, p. 60.
(5) Sur l'ascension du Seigneur voir MINGANA,:t. V, ec. 7, p. 76-78. Cf.
t. VI, c. 2, p. 19, où il est dit que rien de mortel n’entre dans le ciel.
(6) L'expression est de M. Kihn, op. cit, p. 181.
ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : ANTIOCHIENS 269

Mais celui-ci ne cesse de proclamer que «les événements qui


se sont passés autour du Christ étaient les prémices de notre
salut »; en d’autres termes, ce qui est arrivé au Sauveur se
reproduit pour chacun de ses fidèles (1). « Par son union avec
notre nature », le Fils de Dicu est devenu pour nous « un gage
de notre propre participation » à sa gloire (2). L’homme Jésus,
de son côté, grâce à son « union intime avec la nature divine »,
est devenu «un instrument pour conférer l’immortalité à
d’autres » (3). C’est que, «avec le Christ crucifié, a été cru-
cifiée pour ainsi dire toute notre nature sujette à la mort et,
toute, elle est ressuscitée avec lui » (4). La vertu de la résurrec-
tion du Seigneur, « faite pour nous », est telle que « nous ob-
tenons tous une résurrection semblable » (5), suivie d’une as-
cension (6).

III

Toutefois, la communauté de nature avec Jésus glorifié ne


suffit pas pour nous assurer ces bienfaits « qui dépassent la
nature humaine » (7). Il nous faut autant que possible con-
former notre vie à la sienne qui «est devenue notre modè-
le » (8).
Cette assimilation s’opère surtout par le baptême, « renais-
sance spirituelle », qui d’«une manière ineffable» unit au
Christ ceux qui croient en lui et se détournent du mal (9).
En effet, « dans le baptême nous mourrons et nous ressuscitons
avec lui d’une façon symbolique; nous nous efforçons ensuite

(1) In I Tim., III, 16; SWETE, t. IL, p. 137.


(2). MINGANA, t. V, ce. 2, p. 20.
(3) Zbid., t. VI, c. 5, p. 75.
(4) In Rom., VI, 6; t. LXVI, col. 801 B. Cf. In Col., II, 14; SWETE,
t. I, p. 289.
(5) In Phil, III, 10: SWETE, t. I, p. 237.
(6) MINGANA, t. VI, c. 2, p. 19-20.
(7) Tbid., t. V, c. 6, p. 67.
(8) Ibid.; p. 69. En ce qui concerne la catastase présente, il est bien
établi pour Théodore que gratia data naturam non immutat. Cf. KIEN,
op. cit., p. 184.
(9) In Eph., V, 32: SWETE, t. I, p. 187, combiné avec MINGANA, t. VI,
c. 3, p. 35-48. Cf. In Rom., VI, 17; t. LXVI, col. 804 CD; In I Tim., AIT,
2; SWETE, t. IL, p. 107-108. D’après ce dernier texte, l'efficacité du baptême
dépendrait de la foi du sujet.
APOGÉE DE LA D!

de vivre selon sa loi dans l'espoir des biens fie que nouk
comptons partager avec lui à la résurrection » APT MERE
Dès cette vie, par la grâce de Dieu conférée dans le‘baptême, ss
nous récupérons l’honneur d’être l’image du créateur Ib} Nous
recevons, en outre, l’Esprit-Saint (3), appelé « Esprit de
vie», parce qu'il est «l’agent de la vie immortelle» en
nous (4). Ce même Esprit fait de nous des fils de Dieu et nous .
pousse à donner à Dieu le nom de père (5) ; non pas, certes, des.
fils par nature comme le Monogène, mais des fils « par grâce »,
-à l’exemple de l’homme Jésus (6). Au fond, l’adoption n’est
autre chose que le don de l’immortalité, puisque, pour saint
Paul, être fils de Dieu équivaut à être immortel (7).
Appliquant aux baptisés le verset 6 du psaume LXX XII :
« J'ai dit, vous êtes des dieux et fils du Très-Haut tous », iden-
tifiant, avec l’auteur sacré, les expressions « être des dieux»
et «être fils de Dieu» (8), Théodore montre que l'adoption
conférée par le Christ et l’Esprit-Saint est infiniment supé- Le
rieure à celle de l'Ancien Testament, précisément parce que les
juifs sont restés mortels, alors que les chrétiens « seront trans-
formés en une nature immortelle et incorruptible » (9). Toute-
fois, même en cet endroit où l’on s’y attendrait le plus, notre RE
exégète ne parle pas de divinisation. Ë
En attendant que l’incorruptibilité promise nous oi etfee-
tivement donnée, « nous occupons une situation intermédiaire
entre la vie présente et la vie future », puisque nous restons
mortels, soumis à la versatilité et exposés
au péché (10). C’est
(1) MiNGanNa, t. V, c. 6, p. 70. Volontiers l’Interprète s'arrête à la mys_
tique baptismale de saint Paul. Voir notamment ses catéchèses sur le bap- Lo.
tême, MINGANA, t. VI, c. 2-4, p. 16-70, ainsi que In Rom., VI, 17; t. 1
PRO
VE Éa -
col. 804 CD; 7n Gal, II, 15-16; SWETE, t. I, p. 30 : Baptisma Form
habet mortis et resurrectionis Christi. >
(2) Cf ibid., t. VI, c. 2, p.30.
(3) In I Tim., III, 6; SWETE, t. II, p. 112. ST SE
(4) In Rom., VIII, 2; t. LXVI, col. 817 C. l'A EN ENCR
(5) Ibid, VIII, 15; col. 821 D. Cf. col. 824 B. mes
(6) MInGaNA, t. V, c. 5, p. 51. Of. De incarn., XII; t. LXVI, col. 985. Cia
(7) In Rom., VIII, 19; t. LXVI, col. 825 CD : rhv vioBnotav tv dBava-
géav xakdv, émeuôh viüv elvar voulter Oeod rô àbavärous efvat. Of. In Gal., A, ;
26; SWETE, t. I, p. 55-56.
(8) Ibid.
(9) MINGANA, t. VI, c. 4, p. 66. Cf. ibid., e. 2, p. 21.
(10) In Gal, II, 15-16; SWeTe, t. I, p. 30-31. | | ETES
que notre flicationee est encore D ou D. Néanmoins, |
- bien que persiste l’inelination au péché, nous pouvons former :
notre vie à l'instar de l'existence future (2). D'autant plus
que, dans les dons eucharistiques, nous possédons, avec un re-
_ mède d’immortalité corporelle, une nourriture spirituelle
: adaptée àà la vie nouvelle reçue dans le baptême (3).
_ Pour le juste, la mort ne sera qu'un «long sommeil» qui
_ durera jusqu’à la résurrection (4). Alors aura lieu « cette
_ naissance par la grâce, d’après laquelle, à la résurrection, nous
naissons tous à la vie future », savoir à l’immortalité de nos
corps et à l’immutabilité de nos âmes, à la justice parfaite,
voire même à l’impeccabilité (5). Autrement dit, notre adop-
tion et notre translation dans le règne du Christ deviendront
parfaites (6). |
> Inséparablement unis au Christ glorieux et, en lui, à Dieu
| luimême, en Dieu, unis également à nos semblables et à toute
la création (7), «nous jouirons d’une parfaite liberté et d’un
bonheur complet » (8). Aïnsi « le lien de l’univers » sera réta-
_bhi et rendu à jamais indissoluble : l'harmonie (grhta) de la
on restera alors indestructible (9).
UM
RPO

#+
ee
PR
A
() In Rom. VIII, 15; t. LXVI, col. 826 A.
MANS
DR ) In Tit., IL, 13-14; SW&TE, t. II, p. 250. Cf. In Rom., VI, 12-15;
t. LXVI, col. 802 C-804 B.
à : (3) Cf. MINGANA, t. VI, c. 5 (catéchèse sur l’Eucharistie et la liturgie),
_ p.71-128. On y trouve la conception déjà souvent rencontrée d’après laquelle
Je corps du Christ, rendu immortel « par la vertu de l'Esprit vivifiant », est
devenu capable « de conférer l’immortalité également à d’autres ».
(4) Ibid., t. VI, ec. 4, p. 51.
(5) In Gal. IV, 24; SWEre, t. I, p. 77-79. Cf. ibid., II, 15-16; p. 28-31;
In Rom., IX, 32-33; t. LXVI, col. $44 CD ; MINGANA, t. VI, c. 5, p. 71-72.
(6) In Rom. VIII, 19; t. LXVI, col. 825 D. Cf. In Col. I, 13; SWETE,
t. I, p. 259- 260: MINGaNA, t. V, c. 7, p. 76-78; t. VI, e. 4, p. 69. La résur-
rection est appelée par notre auteur une « seconde naissance », la première
étant le baptême. Théodore distingue du reste également une double naïs-
+ sance naturelle : la première «du mâle dans la forme de la semence hu-
_
W"] maine », l’autre de la femme.
bé 2
re
AS (7) In Eph., I, 13-14, 22-23; SWETE, t. I, p. 134, 140-142 (en ce dernier
_ endroit, il est surtout question du corps mystique du Christ). Cf. In Col.
III, 14; SWETE, t. I, p. 308.
(8) MiINGANA, t. V, c. 7, p. 78.
11722 (9) In Rom. VIII, 19; t. LXVI, col. 825 OC. Cf. In Eph., I, 10; SWETE,
=. t I, p. 128- 191; In Col. I, 16; ibid., p. 267-269.
19
212 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

%k
k 4

Au total, sous le couvert de la filiation divine le thème de la


déification occupe dans les écrits de l’évêque de Mopsueste une
place considérable. Mais, pour être élaboré en fonctions de vues
personnelles qui, sur des points fondamentaux, s’écartent des
conceptions traditionnelles, ce thème apparaît complètement
défiguré.
Alors que tous les Pères antérieurs présentent la divinisation
du chrétien comme une restauration de l’état originel, notre
auteur y voit l'inauguration d’une catastase entièrement nou-
velle. C’est que son littéralisme et son naturalisme ne lui ont
pas permis de découvrir dans le réeit de la Genèse l’élévation
de nos premiers parents à une perfection supérieure à la na-
ture, ni, par conséquent, de mesurer toute la profondeur, toute
la portée de leur chute.
En ce qui concerne l’agent de notre déification, l’écart n’est
pas moins grand. Assurément, avec la tradition, Théodore rat-
tache le bienfait de l’immortalité au Christ. Mais, parce qu'à
ses yeux les deux matures du Christ sont également deux per-
sonnes (1), il admet une divinisation progressive de l’homme
Jésus qui rendrait ce dernier capable de déifier ceux qui s’unis-
sent à lui.
C’est donc une véritable déformation que Théodore a fait su-
bir au thème traditionnel de la divinisation. Toutefois, comme
cette altération ainsi que les erreurs qui en sont la cause ne
parurent pas de son vivant, il n’est pas étonnant que ses vues
aient pu être reprises en bonne partie par le dernier grand
représentant de l’école d’Antioche : Théodoret de Cyr.

(1) Théodore ne pouvait concevoir une nature humaine complète qui ne


fût en même temps une personne. Sur ce point, il semble avoir subi l’in-
fluence des notions aristotéliciennes de nature et de personne.
S'il est malaisé de prouver cette dépendance d’une facon directe, il est
incontestable que notre auteur s'inspire parfois d'Aristote. C’est ainsi que
— Harnack l’a déjà vu (Dogmengeschichte, t. II, 4° édit., 1909, p. 349) —
dans sa catéchèse sur le Credo nicéen, il emploie la catégorie aristotéli-
cienne du secundum quid. Voici le passage en cause, d’après SWETE, t. IL,
p. 323 : « Omnia enim quaecumque secundum aliquid duo sunt et secun-
dum aliquid unum, non interimunt per unitatem utriusque divisionem ».
On retrouve ce texte dans MINGANA, t, V, c. 5, p. 90, lignes 4-8,
%\:

ATTESTATIONS OCCASIONNELLES : ANTIOCHIENS 273

$ 3. — Théodoret de Cyr
Penseur peu original, mais grand savant et compilateur re-
marquable, l’évêque de Cyr se montre plus respectueux de la
tradition que son maître Théodore. On ne sera, dès lors, pas
surpris de rencontrer dans ses écrits, non seulement l’idée, mais
aussi la terminologie de la fhéopoièse.
Assurément, sur la ressemblance divine de nos premiers pa-
rents, sur la perte et la restauration de cette similitude il
n'hésite pas à faire siennes les hardiesses de Théodore ; mais
il adoucit le naturalisme de celui-ci en accueillant plus d'’élé-
ments traditionnels.
Au sujet de l’état d'image divine que la Bible reconnaît
au premier homme, notre exégète fait une sorte de synthèse
de tout ce qui a été dit avant lui. L’homme est une image de
Dieu, écrit-il en substance, parce qu'il résume la création qui
est tout entière à son service; parce que, à l’exemple de Dieu,
il exerce un. pouvoir de domination sur les choses terrestres ;
parce qu'il erée, lui aussi, bien que non sans matière, instru-
ments et efforts ; parce qu'il règne et juge, etc. Dans l’homme
c’est notamment le voùs invisible, doué d'intelligence et de
puissance, qui est à l’image du créateur (1) et qui est « déi-
forme » (2).
Pour Théodoret, être qualifié d'image de Dieu équivaut à
être nommé dieu : « Ainsi l'homme a été nommé également
dieu, puisqu'il a été appelé une image de Dieu» par saint
Paul (8). « Mais, alors que le Dieu de l’univers possède la na-

(1) Voir notamment THEODORET, Quaest. in Gen. interrog. XX; t.


LXXX, col. 104-108: De incarn. Dom., XV; parmi les œuvres de saint
Cyrille d'Alexandrie, t. LXXV, col. 1445 B. Cet écrit est certainement d’ins-
piration antiochienne, De bonnes raisons permettent de l’attribuer à Théo-
doret. Voir Albert EHRHARDT, Die Cyrill von Alexandrien eugeschriebene
Sehrift Iepi vs voù Kuplou évaipwmfoews ein Werk Theodorets von
Cyrus, Tubingue, 1888. Cf. O. BARDENHEWER, 0p. Cit., t. IV, 1924, p. 47,
226-227.
(2) Quaest. in EHrod., interrog. IX; t. LXXX, col. 232 B. La «nature
To Beoetdé. |
raisonnable » y est appelée
(3) Théodoret cite Z Cor., XI, 7 : « L'homme ne doit pas se couvrir la
tête, parce qu’il est l’image de la gloire de Dieu ».
tant qu ie en à le nom du étant privé de esC 0:
se » (1). Ù Re re |
Cependant, dans le même ouvrage, ou auteur insinue que ;
nos premiers parents ont été gratifiés d’une ressemblance di--
vine supérieure au simple état d'image donné avec la nature.
Il écrit, en effet, que, formé de terre, l’homme à été« élevé a
une nature de beaucoup meilleure » et que, pour ne pas avoir
gardé le commandement divin, il est retourné « à Sa mature4
antérieure » (2). Le : ce
Théodoret ne précise pas en quoi consistait cette élévation.
Sans doute, ailleurs il affirme que, sans le péché, les premiers
hommes «n'auraient pas reçu la mort en punition de leur :
faute et que, n'étant pas mortels, ils auraient été exempts de
la corruption » (3). Mais veut-il dire par là qu'Adam et Êve
étaient déjà en possession de l’immortalité, où simplement — à.ee
A
la suite de son maître Théodore — qu'ils l’auraient reçue S ils :
avaient obéi ? Les ne ne permettent pas de trancher cette 5
question: à Re.

« En voulant devenir dieu, Adam a perdu l’état d'image de


Dieu » (4) ;mais le Logos incarné a « restauré sa re image A
LA
détruite par le péché » (5). LR ; à 2
Pour décrire l’œuvre salvifique du Christ, Fo « Cyr
emprunte sans scrupule à ses devanciers des formules où se
rencontre la terminologie de la divinisation. C’est aïnsi qu'il
cite la parole de saint Athanase d’après laquelle l’homme n’au-
rait pas été déifié, si le Logos ne s’était pas fait chair (6). A
propos de Z Tim., IL, 5 : «Car il n’y a qu’un seulDieu, un.
#

(1) Quaest. in Gen., interrog. XX; t. LXXX, col. 105 D-108 A.


(2) Ibid., interrog. XXXVII: col. 137 A. à 12
(3) In ps. L, 7; t. LXXX, col. 1244 C-1245 A. e
(4) De incarn. Dom, XXXIV: t. LXXV, col. 1477 A. £ PO
ro
(5) Ibid., VIIT; col. 1425C. ; “à
(6) Cf. Hhadeies IL; t LXXXIII, col. 177 CD. Il va sans dire que, : #
pas plus que Théodore, notre exégèse n’est pErÉRRE de la théorie physique .
de la déification. e Fe
À noter que Théodoret emploie couramment le terme de Peomoteïy pour 2
désigner l'acte d’idolâtrie. C’est ainsi qu’il écrit que les juifs ont «déifié» 4
le veau d'or. Quaest. in Gen., interrog. IL; t. LXXX, col. “ AOF. Fo =
col. 77A, 160 A. Ù à
.es à la suite de Grégoire de Ne
LA

| Il HR en effet, aussi en tant qu’homme et encore main-


tenant, pour mon salut. C’est qu’il est avec le corps qu'il a $
assumé afin de me faire dieu (£uç ày ui rotion 0eéy) par la vertu ei
Ù de son incarnation, bien qu’il ne soit plus aperçu selon ER. F
chair... @. Ne
E
E- Notre exégète n’a, di reste, pas manqué de relever que, dans
2lÉcriture, Dieu lui-même honore des hommes, des saints sur-
tout, non seulement du titre de « fils de Dieu », mais aussi de
_ celui de «dieux» (2), appellations qu’il considère comme sy-
_ nonymes (3). Due

4
> tien comme analogue à celle de l’homme Jésus (4) ; il la fait
_ consister essentiellement dans l’immortalité et l’impassibilité,
E conditions indispensables de la « vie spirituelle » qi attend les
4 justes après la résurrection (5).
_ C'est ce qui résulte avec évidence d’un passage du De incar-
2 _natione Domini, où l’évêque de Cyr ie à Notre-Seigneur le
langage suivant :
4
#= ë . os nature :assumée a obtenu la résurrection, grâce à l’inha-
À : bitation de la déité et à son union avec elle, et, après avoir
_ déposé la corruptibilité et les passions, elle a été promise à
Vincorruptibilité et à l’immortalité. De même vous autres, vous
_ serez délivrés de la dure servitude de la mort et, après avoir
déposé la corruptibilité avec les passions, vous revêtirez l’im-
pr (6).

; #1) Ibid.; col. 192 C-193 A.


5 (2) Cf. Ep. CXLVI; t. EX SEL, col. 1397 C-1401 DB; In ps. LXXXTI;
Le dt LXXX, col. 1528 B-1529 C.
— (3) Cf. In ps. LAXXXI, 6; t. LXXX, col. 1529 A, où l’auteur prête
à Yahweh ces paroles : «Je vous ai donc honorés et vous ai fait partici-
_ per de mon propre nom et vous ai appelés mes fils ».
(4) Sur la christologie de Théodoret, voir TIXERONT, op. cit., t. III, &
édit., p. 99-108. :
LU®
4 (5) Ep. CXLVI; t. LXXXIII, col. 1405 C. =
(6) De incarn. Dom., XXVIIT; t. LXXV, col. 1468 D.
276 APOGÉE DE LA DOCTRINE GRECQUE

Même doctrine dans l’Eranistes. Après avoir assumé la na-


ture humaine, le créateur « l’a conservée pure de tout péché et
l’a rendue libre de la tyrannie du démon ». Comme le corps
du Seigneur a été injustement saisi par la mort, Dieu «a
d’abord ressuscité ce qui a été détenu contrairement à la loi;
ensuite il a promis da libération également à ceux qui ont été
subjugués à bon droit » (1).
Inutile d’allonger notre exposé. Ce qui précède montre suf-
fisamment que, si par son langage et par quelques vues d’im-
portance secondaire Théodoret se rapproche de la tradition, sa
conception de la divinisation ne diffère pas essentiellement de
celle de son maître.

En somme, le thème fondamental de la divinisation était bien


connu à Antioche; maïs il y a subi des variations conformé-
ment aux tendances locales. Voilà pourquoi les conceptions res-
pectives des Antiochiens n’ont rien de commun avec da théorie
« qui, s'inspirant d’un réalisme outré, imagine que le simple
contact physique du Verbe avec la nature humaine, considérée
comme un tout, suffirait à expliquer le rachat de celle-ci » (2).
Une déification, au contraire, conçue comme le fruit de la pas-
sion du Sauveur, était dans la ligne de leur pensée.
À ce point de vue, on peut ranger saint Jean Chrysostome à
côté de saint Basile. Mais les deux autres, Théodore et Théodo-
ret, entrent difficilement dans les cadres traditionnels : ils ap-
paraissent comme des isolés, dont les vues sur la divinisation
se trouvent irrémédiablement compromises par une christologie
erronée.
Somme toute, le climat doctrinal de l’école d’Antioche n’était
pas très favorable à la théopoièse. À Alexandrie, au contraire,
à la même époque — première moitié du V®° siècle — celle-ci
a connu une véritable renaissance dans le domaine théologique
avant de s'épanouir, à la fin du V® siècle et probablement dans
la patrie même des Antiochiens, en une mystique de la divini-
sation,

(1) Eranistes, IIT; t. LXXXIII, col. 245 C.


(2) É. AMANN, loc. cit., p. 171. L'auteur ne parle que de Théodore; mais
ce qu'il dit vaut également pour les autres Antiochiens.
TROISIÈME PARTIE

PÉRIODE DE CONSOLIDATION

CHAPITRE PREMIER

THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION :
SAINT CYRILLE D’ALEXANDRIE
Avec Cyrille, la gloire et l'influence de l’école d'Alexandrie
ainsi que du siège patriarcal de cette ville atteignent leur point
culminant. Évêque de 412 à 444, ïl « reste, avec Origène, le
plus puissant théologien qu’ait possédé l’Église grecque, et,
avec saint Athanase, le docteur dont l'autorité fut la plus dé-
cisive pour la définition de la doctrine chrétienne » (1).
Défenseur victorieux, contre Nestorius, du dogme de l’unité
du Christ, Cyrille est devenu célèbre surtout comme docteur de
- l’Incarnation. Or — comme du reste tous les Alexandrins — il
expose « l’œuvre salvifique du Christ en partant du Logos di-
vin » (2), Conçue comme une déification, cette œuvre suppose
évidemment la divinité du Sauveur; et ainsi chaque nouvelle
affirmation de celle-ci fait progresser l’idée de la divinisation.
On peut faire la même constatation au sujet du Saint-Esprit,
dont la divinité a été également défendue par notre docteur.
Dans ces conditions, et compte tenu du culte de la tradition
qu il possède à un degré éminent (3), on ne sera pas surpris de

(1) TIXERONT, op. Cût., t. III, p. 2-3.


(2) Édouard Werer, Die Heilslehre des hl. Cyrillus von Alexandrien,
Mayence, 1905, p. 108.
(3) Cf. ibid, p. 5-6.
trouver dans le volumineux héritage dtérdiee de
éléments d’une théologie de la divinisation. =
Le cadre général de sa doctrine est sensiblement le
que chez saint Athanase, dont notre auteurs inspire du reste
de préférence (1). Dans le vaste domaine de l'être Cyrille di =
ë “à tingue, à son tour, « deux natures » : la nature incréée, «ü
corruptible et indestructible par essence (éplaproy #où dvoAe-
Apoy odstwèws) » (2),et la nature créée, « nécessairement sujetteÉs4
à da corruption» (3) et au retour à son origine qui est. le 18
néant (4). A = Er
Toute la création doit son existence au Logos. Celni- ei la
‘conserve également et la soutient, «en se mêlant pour ainsi
dire aux êtres qui, de par leur propre nature, ne possèdent ; à
pas une durée éternelle: il devient leur vie, afin que dure et.
vive ce qui est devenu, chaque être selon la propre essence de
sa nature, conformémentà la parole de l'évangéliste : Ce qui “
a été fait, en lui était vie» (5). C’est ainsi que l’homme, à |
cause duquel l’univers a été créé (6), tient d’une participation _ :
au Logos, non seulement l'être, mais aussi l'intelligence (7).
On reconnaît ici la théorie du Logos créateur et conservateur
du cosmos traditionnelle dans l’école d'Alexandrie, CR NES
Il va sans dire que notre docteur, non seulement place Ja se
fin de l’homme dans sa participation à l’incorruptibilité bien-
heureuse de Dieu, mais en conçoit la réalisation suivant Je a
schéma Ent consacré par la tradition.
& ES
EN A
FRERE À

(1) Cf. O. BARDENHEWER, 02. cit, t. IV, p. 31 + FER


(2) Cyricr. ALEx.,, In Ioan., I, 14; t. LXXIII, col. 160 B. Cf. De |
Trinit., dial. VIL; t. LXXV, col. 1081 D. On s’attendrait à trouver à côté
d’ épÜaptos l’épithète &yéwmros. Or, dans le même ouvrage, dial. IL; col. se
713-785, Cyrille expose longuement — à la suite des Cappadociens — que
ce dernier terme ne saurait convenir à la nature divine comme telle, mais
uniquement au Père, dont l’« agennésie » est une propriété personnelle.
Cf. Thesaur., ass. XXXI: t. LXXV, col. 44 sq. S SEE
(3) Hom. pasch. XV; t. LXXVIL col 744 A. CR SSSR
(4) In Ioan, I, 4; t. LXXIII, col. 88 B. Cf. XIV, 20; col. 277À |
(5) Ibid., I, 3-4; col. 85 D-88 A. Of. I, 7; col. 93 A. A noter, dansla
citation du IV*° Évangile, la ponctuation différente de la nôtre. >
(6) Glaph. in Gen. I, 2; t. LXIX, col. 20 À. DUEe
(7) In Ioan., I, 7; t. LXXIIL, col. 93 C. Cf. Hubert DU dd. Le
problème de Dieu he Cyrille d'Aléxandrie, dans Recherches de science
relig., t. XXVII, 1937, p. 564-567.
Au sujet de l’état originel, Cyrille reproduit, avee quelques
modifications d’importance secondaire, les vues PURES de
son milieu.
_ D’après lui, « Dieu a créé toutes choses dans l’aphthar-
ci > (D), done également l’homme. Cependant celui-ci ne te-
nait pas l’’incorruptibilité de sa nature propre, mais «du Dieu
in. orruptible et indestructible par essence » qui l'avait rendu
_« participant de Sa propre nature. En effet, il souffla sur son
visage un souffie de vie, e’est-à-dire l'Esprit du Fils. Car
_ c’est lui Ja vie, avec le Père, contenant toutes choses dans
_ l'existence. » Ce souffle divin n’est done point l’âme, comme
| d’aucuns l'ont pensé, mais l’Esprit-Saint que le créateur a
‘imprimé, «comme un sceau de sa propre nature », à l’homme
_ «arrivé déjà à la propriété de sa nature parfaite, composé de
_ ses deux éléments : l'âme... et le corps » (2).
2e) ‘est dire que l’immortalité dont jouissait notre premier
père n'était pas un effet de cette participation au Verbe à la-
_ quelle il devait son existence et qu’il partageait,à un degré
supérieur :bien entendu, avec les autres créatures, mais qu’elle
résultait d’une communication
‘de l'Esprit divin surajoutée à
la nature déjà pleinement constituée.
= Établi dans une vie incorruptible, Adam menait une exis-
_tence sainte dans le paradis de délices : «son voÿs était tout
entier et toujours à la vision divine (#y Beontians ) >; SON COS
était dans l’harmonie et le calme, sans aucune mauvaise vo- .
lupté, parce qu’il n’y avait pas en lui «le tumulte de mou- :
É or déplacés » (3).
S ‘ Grâce à cette magnifique dotation, le premier homme était
_ «un être vivant vraiment beau et très semblable à Dieu (feoet-

(1) Ibid, I, 9; col. 145 A.


| (2) Zbid., XIV, 20; t. LXXIV, col. 277 A-D. Cf. Glaph. in Gen., I;
t LXIX, col. 20 BC; De Trinit., dial. IV; t. LXXV, col. 908.
(3) In Rom., V, 18; t. LXXIV, col. 789 A. Cyrille paraît avoir senti
qu’en attribuant à Adam une perfection absolue on rend sa chute inex-
_plicable. Aussi admet-il la présence en Adam innoncent de mouvements
charnels (/n I Cor., XV, 44-45; t. LXXIV, col. 908 D-909 C), mais entiè- ù
Re rement dominés par le vos Cote Julian., IT; t. LXXVI, col. 637 CO). er
280 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Séoruroy), l'empreinte de la gloire suprême et l’image de la


puissance divine sur la terre » (1). Adam possédait le caractère
d'image divine à des titres divers (2) : «Il est dit fait dans
l’image (ëv eixdw) de Dieu en tant qu’animal raisonnable, en-
clin à la vertu (pAäperoy) et préposé aux choses terrestres » (3).
Mais c’est uniquement dans l’âme qu’il faut chercher la res-
semblance divine de l’homme et non dans son corps, comme le
font les anthropomorphites (4).
« Cependant, la partie la plus glorieuse de sa similitude avec
le Dieu-créateur consistait dans l’incorruptibilité et dans l’in-
destructibilité » que l’homme avait reçues avec le don spécial
de l'Esprit. Par celui-ci, en effet, « il a été formé à l’exemple
de la beauté archétype et perfectionnéà l’image du créateur,
soutenu en vue de toute espèce de vertus par la force de l’Es-
prit qui habitait en lui» (5).
Cyrille distingue, par conséquent, en Adam une double res-
semblance divine : l’une donnée avec sa nature raisonnable et
libre ; l’autre due à la présence en lui du Saint-Esprit. Celle-ci
est de beaucoup supérieure à celle-là, parce qu’elle fait partici-
per l’homme à l’incorruptibilité qui est une propriété essen-
tielle de la nature divine.
Pour le fond, Cyrille reprend donc la distinction de saint
Irénée, mais avec cette différence qu'il affirme énergiquement
la parfaite synonymie des termes bibliques elxwyet opolwsus(6).
Adam, dont la nature non encore parfaitement spirituali-
(7) était muable, s’est laissé circonvenir par le démon,
« l'inventeur du péché » (8). Par suite de sa désobéissance, « il
fut rejeté et tomba hors de Dieu et de l'union avec le Fils

(1) Glaph. in Gen., 1; t. LXIX, col. 20 BC,


(2) In Ioan., XIV, 20; t. LXXIV, col. 277 A.
(3) Adw. anthropomorph., ep. ad Colosyr.; t. LXXVI, col. 1069-1072.
Cf. In IToan., XIV, 20: t. LXXIV, col. 277 D.
(4) Ibid., III; col. 1081 D-1084 A. Cf. col. 1068.
(6) In Ioan., XIV, 20; t. LXXIV, col. 277 A-D. Cf. In Matth, XXIV,
51: t. LXXII, col. 445 C.
(6) Cette synonymie, supposée dans les textes allégués à l'instant,
est formellement prouvée par Cyrille dans Adw. anthropomorph., V ;
t. LXXVI, col. 1085 B-1088 C.
(7) De recta. fide ad regin., or. II, 43; t. LXXVI, col. 1396 B. Of. In
Hebr., VII, 27; t. LXXIV, col. 975 C. Voir aussi plus haut, p. 279, n. 8.
(8) In Rom., V, 12; t. LXXIV, col. 784 B. Cf, Gaph. in Gen. I;
t, LXIX, col. 20 D-21 A.
NX *

THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION 281

opérée par l'Esprit » (1). La perte de l'Esprit lui fit perdre


tout ce qu'il ne possédait pas « de son propre fond» (otxo-
(ey ) (2) ou « par essence » (3). En d’autres termes, il fut privé
de l’incorruptibilité (4) et, par là, de sa ressemblance divine su-
périeure (5). Aussitôt réapparut la corruptibilité congénitale
de la nature humaine avec son lugubre cortège : l’impuissance,
la laideur, la tyrannie des instincts rebelles, c’est-à-dire la
concupiscence (6). Cependant, «aucun dommage n’a été causé
à la nature» (7).

LE

Issus d’Adam après qu’il était devenu corruptible, tous ses


- descendants naissent mortels comme lui, c’est-à-dire privés de
la ressemblance divine supérieure, de l’äplaosia (8). Abandon-
nés à eux-mêmes, ils auraient été impuissants à récupérer l’im-
mortalité perdue.

L’homme sur la terre, subjugué par la mort, comment devait-


il ( Eder ) retourner à l’incorruptibilité ? Il était nécessaire de
rendre à la chair mourante la participation à la puissance vivi-
fiante de Dieu. Or la puissance vivifiante de Dieu le Père est le
Logos monogène. C’est donc celui-ci qu’il nous envoya comme
sauveur et libérateur, et il devint chair. Non qu’il ait subi
aucune modification ni aucun changement en ce qu'il n’était
pas; il ne cessa non plus d’être Logos. Mais, né selon la chair
d'une femme, il s’est approprié le corps [pris] d’elle, afin de

(1) De Trinit, dial. IV; t. LXXV, col. 908 D.


(2) Ibid.: col. 1016 A. Cf. In Toan., VII, 39; t. LXXII, col. 753 C.
(3) Cf. De recta fid. ad reg., or. II, 43; t. LXXVI, col. 1396 B, où
il est dit que la «nature engendrée» (œüsi yevvnrh) ne possède pas
{ l’immutabilité «par essence» (oüstwd@s).,
(4) Adw. anthropomorph., VIII ; t. LXXVI, col. 1092 AB.
(5) Ibid, X; col. 1096. -
(6) In Rom., V, 3-12, 18-19; t. LXXIV, col. 781 D-789 B. Cf. In I
Cor., XV, 42; t. LXXIV, col. 908 B; Contra Jul., IT; t. LXXVI, col.
641 BC. Voir Ed. WEIGr, op. cit, p. 37-39.
(7) De Trinit., dial I; t. LXXV, col. 676 A.
(8) Voir encore In Rom., V, 18; t. LXXIV, col. 788 C-789 B, où notre
auteur précise que tous les hommes ont été constitués pécheurs, non parce
qu’«ils ont transgressé avec Adam, car ils n’existaient pas encore, mais
parce qu'ils sont de sa nature, laquelle est tombée sous la loi du péché »,
s'implanter lui-même en nous par une union indissoluble 0
nous rendre plus forts que la mort et la corruption. I a revêtu 54
notre chair, afin de la ressusciter de la mort et. de frayer ainsi
le chemin du retour à V'incorruptibilité à la chair pe s'était
livrée à la mort (1).

Pour Cyrille, la Rédemption est donc essentiellement <res-


tauration de l'antique beauté de la nature >. (rù apyaioy vas
PUSEUWS AYAXOUTAMEVOL xaXos), élévation « à cause du Christ à
la dignité au-dessus de la nature » (sis 70 Urto pÜau äSlwua ),
savoir la filiation divine adoptive, qui nous vaut les. titres de
fils de Dieu, voire même de dieu, selon le psaume LXXXII (2).
_« Cette déification, observe le P. Mahé, est un dogme si com-
mun et si universellement admis que Cyrille d’Alexandrie
— comme du reste tous les pères du IV® siècle — part de là
pour prouver la divinité du Saint-Esprit » (3) ; nous pouvons
ajouter : et celle du Logos incarné (4). |
Que Cyrille, si attaché à la doctrine des « saints Pères », à
celle d’Athanase et des grands Cappadociens en particulier,
reprenne le thème de la divinisation, on pouvait s’y atten- à
dre a priori. Aussi tout l'intérêt se concentre-t-il sur la ques-
tion de savoir comment il conçoit le processus de la déification es
du chrétien.
En maints endroits de son œuvre, l’évêque d'Alexandrie
re-
prend pour son compte la conception physique chère à son
grand prédécesseur. |

(4) In Luc. V, 19; t. EXXIL col. 908 D-909 A. Cf. In Toan., XIV,
5-6; t. LXXIV, col. 192 B; De Trinit., dial. V; t. LXXV, col. 968 CD.
Cyrille subordonne la nécessité de l'Incarnation au fait du peche Voir
J. RIVIÈRE, op. cit., p. 188.
(2) In Ioan., I, ‘12: t. LXXIII, col. 153 B. Dans ce texte, le terme.
de püo ae d’abord la natureà l’état originel, puis la nature déchue.
Ailleurs Cyrille écrit : « Pour être appelés dieux, nous ne sommes pas :
élevés au-dessus de notre nature, toute chose restant dans sa nature pro-
pre ». De Trinit., dial. IV ; t. LXXV, col. 888 A-889 B. Cf. col. 908 CD;
In Ioan., I, 9; t. LXXIII, col. 128 C. Ces textes montrent que, chez notre
auteur, le mot pÜots est équivoque et qu’il est loin d’avoir le sens technique
\
de nature par oppositionà surnature qu'il recevra plus tard. À
(3) Joseph Man, La sanctification d'après saint Cyrille d'Alexandrie,
dans Revue d'histoire ecclés., t. X, 1909, p. 38.
(4) Cf, par exemple, Thesaur., ass. XX; t LXXV, col. 284, 383 -0
« Si le Logos de Dieu est une créature, comment sommes-nous unis à Dieu
et déifiés (Geoxotoüus0x) par l’union avec lui ? »
j AD; LSson onu sur ne en nous l’avons din en-
_ tendu -poser en principe que seule une participation
à la puis- |
LS sance vivifiante de Dieu qu'est le Logos pouvai
t rendre à
: l’homme r'incorruptibilité perdue (1). Or c’est dans
l’Incarna-
tion que s’est opérée cette communication de vie
divine qui.
déifie la nature humaine.
L

é Étant vie par nature (Cu xarà œüotv), [le Logos de Dieu]
, s’approprie un corps sujet à la corruption, afin de détruire
la puissance de la mortalité [qui se trouve] en lui et
Qu
ç de le
LA

1
e transformer en vue de l'incorruptibilité. Comme le fer, mis
CPAS
en
és Se contact intime avec le feu, prend immédiatement la couleur de
celui-ci, de même la nature de la chair, après avoir reçu en
Fr * elle le Logos divin, incorruptible ct vivifiant, ne resta plus dans
EE
RP
Le même condition, mais devint exempte de la corruption (2).

Liimage du rendu igné par le feu montre clairement que,


er la pensée de notre auteur, il s agit d’une déification par
|contact.

Ce x ainsi déifié, c’est la nature humaine tout entière s;


- Afin de He de la corruption et de la mort celui qui avait
été condamné par l’antique malédiction, il s’est fait homme, s’in-
_sérant pour ainsi dire lui-même à notre nature, étant vie par.
mature. Ainsi ont été vaineues la force de la mort et la puis-
sance de la corruption introduites en nous; et comme la nature
divine est absolument exempte de la propension au péché, il
_ mous a portés par sa propre chair. En lui, en effet, nous étions
one tous, en tant qu'il est apparu homme, afin de modifier les mem-
2e _ bres qui sont sur la terre, c’est-à-dire les passions de la chair (3).

Le réalisme générique d’un Athanase et d’un Grégoire de


_Nysse, qui réapparaît ici, s'affirme ailleurs avec netteté :
_ Lorsque le Logos s’est fait homme, il avait en lui toute la
nature, afin de la restaurer tout entière en la rétablissant dans
Vétat primitif (4).

L (1) Plus haut, p. 281-282. 3


: (2) Hom. pasch., XVII: t. LXXVII, col. 785 D-788 A. Chez Basile
< nous ayons déjà rencontré la comparaison du fer et du feu, mais dans
un contexte différent. Voir plus haut, p. 243.
(3) In Joan, XVI, 6-7: t. LXXIV, col. 432 AB. Cf. De Trinit., dial.
I; t LXXV, col. 692 sq.; De incarn. Unigen.; ibid., col. 1212 D-1213 C.
Pr (4) Ibid. VII, 39: t. LXXXIII, col. 753 C.
. 284 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Bien que riche, il est devenu pauvre, nous procurant ses pro-
pres richesses, et, par la chair qu’il s’est unie, nous ayant tous
en lui-même (1).
Nous tous, nous étions, en effet, dans le Christ, et la nature
commune de l'humanité revit en lui (2).

Bref, avec Athanase et Grégoire de Nysse, Cyrille forme le


groupe des plus brillants représentants de la conception phy-
sique de la divinisation. Aussi n'est-il pas téméraire de penser
que c’est dans cette conception surtout que le grand lutteur a
puisé le zèle infatigable avec lequel il a défendu l’unité du
Christ. D’après lui, en effet, notre sauveur devait être à la
fois Dieu parfait et homme complet : Dieu, pour diviniser (3) ;
homme, afin qu’en lui fût déifiée la nature humaine entière;
car «ce qui n’a pas été assumé n’a pas été sauvé» (4). En
quoi se manifeste une fois de plus l’interdépendance de la so-
tériologie et de la christologie.

Non pas que Cyrille oublie le rôle salutaire du sacrifice du


Christ. Assurément, pas plus que ses devanciers il ne rattache
la déification directement à la mort du Sauveur, comme il l’at-
tribue formellement à l’Incarnation. Mais il le fait équivalem-
ment, en présentant très souvent cette mort comme la cause de
la destruction de notre mort (5) et la source de notre vie nou-
velle. Voici quelques textes particulièrement expressifs :

(1) Adv. Nestor., T; t. LXXVI, col. 17 A. Cf. Hom. pasch., XNI, 2;


t. LXX VII, col. 733 D-736 A.
(2) In Ioan., I, 14; t. LXXIII, col. 161 C : Ildvres yàp nuev èv Xptor,
xai TÔ xowôy Tic àYPowrérnros els aûrèv dvaBrot rpôowroy. Nous traduisons
Tpôcwroy par nature. Cf. A. Mrcmer, Hypostase, dans Dictionnaire de
théol. cath., t. VII, col. 388-389.
Sur le réalisme cyrillien, voir L. JANSSENS, Notre filiation divine d’après
saint Cyrille d'Alexandrie, dans Ephemerides theologicae Lovanienses, t.
XV, 1958, p. 233-278. L'auteur écrit, p. 288: : « Pour Cyrille, comme pour
les Pères grecs du quatrième siècle (Athanase, les Cappadociens), la subs-
tance, dont l’unité numérique fait les hommes consubstantiels entre eux
et le Christ consubstantiel à nous en tant qu'homme, est la chair. D’après
eux, la consubtantialité, comme son origine — c’est-à-dire la génération —
le prouve, est l’unité numérique, non pas de la substance seconde, mais
de la substance concrète ».
(3) Cf. Thesaur., ass. XV ; t. LXXV, col. 284 B.
(4) In Toan., XII, 27; t. LXXIV, col. 89 D. Cf. De incan. Unigen.:
t. LXXV, col. 1213 D.
(5) Ce sont les effets négatifs surtout de la Rédemption que Cyrille
rattache à la mort du Christ.
THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION 285 .

Si [le Christ] n’était pas mort pour nous, nous n’aurions pas
été sauvés, la domination de la mort n'aurait pas été ibrisée
(1).
Le Logos s’est fait chair et habitait parmi nous uniquement
pour subir la mort de la chair et triompher par là des prinei-
pautés et des puissanecs, et réduire à néant celui-là même qui
tenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire Satan; pour enlever
la corruption, chasser avec elle également le péché qui nous
tyrannise, rendre ainsi inopérante l'antique malédiction que
subit la nature de l’homme en Adam comme dans le principe
(énapyñ) du genre et dans la racine première (2).
La mort du Christ est devenu eomme la racine de la vie, la
destruction de la corruption, la suppression du péché et la fin
dela colère (3).
La mort n'aurait pas pu être détruite d’une autre façon, si
le Sauveur n'était pas mort; il en est de même pour chacune
des affections (raôv) de la chair (4).

Dans son ardeur à magmnifier l'efficacité de la mort du Christ,


Cyrille va jusqu’à affirmer que, sans elle, « le mystère de l’éco-
nomie selon la chair », savoir l’Incarnation, aurait été « inutile
poui: nous » (5).
_ En face de telles assertions, on se demande si, en les écrivant,
le patriarche d'Alexandrie n’avait pas complètement perdu de
vue sa théorie physique. ;
Le fait est que, pour interpréter l'œuvre déifiante du Sau-
veur, Cyrille a recours, suivant les besoins ou les convenances
du moment, tantôt à l’Incarnation comme telle, tantôt à la
Passion, sans toutefois se demander comment ces deux points
de vue peuvent se concilier.

III

Avec les Pères antérieurs, notre docteur enseigne que, pour


s'approprier la déification opérée par le Verbe incarné, toute
(1) Glaph. in Erod., II, 2; t. LXIX, col. 437 B.
(2) In Rom., V, 38; t. LXXIV, col. 781 D.
(3) In Hebr., II, 14; t. LXXIV, col. 965 B.
(4) In Ioan., XII, 27; t. LXXIV, col. 92 D. Cf. ibid, XX, 19-20; col.
705 D, où la destruction de la mort est attribuée à la résurrection du
Christ: Apol. contra orient., anath. XII, t. LXXVI, col. 381 C. Sur les
effets de la mort du Christ, voir J. RIVIÈRE, op. cit., p. 190-201.
(5) In I Cor., XV, 12; t. LXXIV, col. 897 A.
personne humaine doit s’unir à celui-ci para foi (À),par -
sincère conversion du cœur (2), et, notamment, par Île:bapt 4
Ce dernier rite est indispensable; car «la gnose parfaite et!
véritable » du Christ, «la pleine participation à lui » ne s’ob-
tiennent que par «la grâce du baptême et l’illumination dés
l'Esprit » (8). L'’initiation chrétienne fait de nous desi
images de
l’archétype qui est le Fils naturel de Dieu et, pue là, des fils
adoptifs de Dieu (4). Son action s'étendà la fois sur l’âme et.
sur le corps. - :

Puisque l’homme est composé et non simple par nature, puis-


qu’il est un mélange de deux éléments: un <orps sensible. de
une âme spirituelle, il lui fallait également un double traitement,
qui fût en quelque sorte homogène avec chacune des deux par-
ties. Or par l'Esprit est sanctifié l'esprit de l’homme, par l’eau,
sanctifiée elle-même, le corps. Car, de même que l’eau versée -
dans des récipients et exposée aux rayons du feu s’approprie EUR
la puissance de celui-ci, de même l’eau sensible, élevée par a *
vertu de l'Esprit à une puissance divine et ineffable, sanctifie
à son tour ceux auxquels elle est appliquée (5). ES

Aüïlleurs notre haie donne quelques précisions s


sur eette
double « sanctification » : ! Far

(1) Cf. In Ioan., VI, 47: t. pc col. 560 A, où la foi est ter « Le +
porte et la voie [qui conduisent]à la vie, le retour de la corruption à 3
l’incorruptibilité ». Ibid, VI, 70; col. 629 A; In Luc., V, 5; + ER ch
col. 832 B. Voir WEïrG@z, 0p. cit., p. 129-136. VE
(2) Cf. ibid, VII, 11; col. 649 C; XV, 1: t. LXXIV, col. 344 CD; ni 52
Luc., XIX, 2; t. LXXII, col. 865 C. a ‘ LICE
(2) Glaph. in Exod., IL: t. LXIX, col. 432 A. HE ET
(4) In Rom., I, 3; t. LXXIV, col. 776 A. Sur notre filiation divine
d'après saint Cyrille, voir L. JANSSENS, loc. cit.
(5) In Ioan., LIT, 5; t. LXXIII, col. 244 D-245 A. L'idée d’après laquelle,
par la bénédiction, l’eau baptismale est remplie de la vertu du Saint-Esprit
se manifeste nettement chez saint Basile qui écrit : « Si l’eau baptismale ,
possède en elle quelque grâce, elle ne la tient pas de sa propre nature, mais.
de la présence de l'Esprit (èx vis vo Iveüpatos tapouslas) ». De Spir. S.,
XV ; t. XXXII, col. 132 A. Dans la formule de bénédiction
des fonts ee
tismaux que donne l’'Euchologe de Sérapion, on demande à Dieu de «rem-
plir les eaux de l’Esprit-Saint », Funk, Didascalia et constitutiones apost., 4
t. II, p. 180-182. Les anciens sacramentaires, encore en usage, contiennent È
une formule analogue : Descendat in hanc plenitudinem fontis virtus Spiri- Re:
tus tui (ou Sancti). Voir L. DUOHESNE, Origines du culte chrétien, 5° édit, : : à
Paris, 1920, p. 330. va
L'eau baptismale] nous purifie de rue oral
de sorte
que:nous devenons un temple saint de Dieu et communiquons
de.
à sa divine nature ie la participation au Saint--Esprit (1).
: D.
S Ut L'action déifiante du baptême s’ajoute celle de la com-
à _ munion eucharistique ::

+ purification qui est dans l’Esprit est portée à son achève-


ment (reheirat) par la sanctification que met en nous le corps
de notre Sauveur parent l'énergie du Logos qui habite en
$ lui @

= ins que, dans le baptême, c’est l’âme surtout qui est rem-
\ plie de vie divine, la communion a pour effet spécial de vivifier
4 er le corps.
| , <

| La chair du Sauveur est devenue vivifiante en tant qu’unie


5 __ à la vie par nature, savoir au Logos de Dieu; lorsque nous y:
bete 5 goûtons, nous avons la vie en nous, unis à elle nous aussi,
x _ comme elle est unie au Logos qui habite en elle. C’est pourquoi
: nous lisons que, pour ressusciter les morts, le Sauveur n’a pas
ï opéré par la parole seule ou par des ordres dignes d’un Dieu,
mais qu’à cet effet il s’est servi de préférence de sa sainte chair,
comme d’une coopératrice, afin de montrer qu’elle était devenue
comme un seul être avec lui, le corps étant, en vérité, son pro-
AIS nee pre PUR et non celui d’un autre (3).

ne avoir Allégus, à titre d’exemple, la résurrection de la


_ fille de Jaïre (Me., V, 35-37) et celle du jeune homme de Naïm
ie 13-17), Cyrille continue :

@ In Luc., XXII, 8; t. LXXII, col. 904. Cf. Glaph. in ue JET DS


LXIX, col. 29 C; Glaph. in Num., De vacca rufa; ibid., col. 625 C. Lane
À noter aue, d’après Cyrille, c’est le baptême qui confère l'Esprit. La EX
- chrismation qui faisait partie de l'initiation chrétienne, n’est, pour lui,
qu’un symbole du don de l'Esprit déjà obtenu. Cf. In Is, XXV, 6-7: t.
LXX, col. 651 D. Dans son commentaire sur Joël, notre auteur mentionne,
en passant, « l’usage de l'huile qui sert pour le perfectionnement (mpôç te-
ciwaw) de ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ par le baptême». >:
In Toël., II, 21-24: t. LXXI, col. 373 B. Weigl, op. cit, p. 169-171,
_et Tixeront, op. cit. t. III, p. 229, estiment qu'il s’agit là du sacrement Fer
de confirmation. Rien n’est moins certain, puisque cette allusion vague “
n'établit aueun rapport entre l’onction et la collation de l’Esprit.
(2) In Matth. VIII, 15; t. LXXII, col. 389 C. RSR
(3) In IToan., VI, 54; t. LXXIII, col. 577 B-580 A. ; : Es
7 20 KR

NX
288 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Si le corrompu est vivifié par simple contact ( Ô1à povñs 4oñc)


avec la chair sacrée, comment ne recevrions-nous pas avec plus
de fruit l’eulogie vivifiante (1), puisque nous en mangeons ? Car
elle transformera en son propre bien, savoir l’incorruptibilité,
ceux qui ont participé à elle. Et ne t’étonne point de cela,
ni n’en cherche le comment à la manière des juifs ( toudaix&s ).
Pense plutôt à l’eau qui, froide par nature, quand elle est
versée dans une marmite et mise en contact avec le feu, oublie
presque sa propre nature et passe dans l’énergie du vainqueur
(ais shy ToÙ vevtenxétos Évépyetay &ropour& ). De la même manière,
nous autres, bien que corruptibles à cause de la nature de la
chair, délivrés de notre propre faïblesse par le mélange (1à
uiéer) [avec la vie véritable], nous sommes restaurés vers ce
qui est le propre de cette eulogie, savoir la vie. Il fallait, en
effet, non seulement que l’âme fût recréée par le Saint-Esprit
en vue de la nouveauté de vie, maïs aussi que ce corps lourd
et terrestre fût sanctifié par une participation plus tangible
( raxurépas xatalhews ) et homogène et appelé ainsi à lin-
corruptibilité (2).

Ce passage met bien en relief la vertu déifiante que notre


docteur attribue à l’Eucharistie par rapport à la chair du
chrétien. En outre, il a l’avantage de montrer que Cyrille
applique à la communion le principe d’après lequel c’est le
contact avec le Verbe qui déifie. Le Logos « élève, sanctifie,
glorifie et divinise (eoxotodou ) la nature [humaine] dans le
Christ en premier lieu (év rowreo Xetsto ) » (3). Aïnsi déi-
fiée, la chair du Christ divinise ensuite la chair de ceux qui,
par la communion eucharistique, s’unissent à elle (4). Le rap-

(1) L’Eucharistie est appelée h Gwomouôcedoyia. Plus loin, col. 581 C,


se rencontre l'expression À puotixh eüloyla, qui revient fréquemment.
Cf. In Toan, XVII, 3; t. LXXIV, col. 488 A; Glaph. in Num., De vacca
rufa; t. LXIX, col. 625 C; Adw. anthropomorph., ep. ad Calosyr.; t.
LXXVI, col. 1073.
(2) In Ioan., VI, 54; t. LXXIIL, col. 577 B-580 A. Cf. ibid.; col. 581, où
il est dit que, « par sa propre chair, Notre-Seigneur cache en nous la vie et
met en nous comme un germe de l’incorruptibilité qui détruit toute la
corruption qui est en nous». Voir encore ibid, VI, 35; col. 520 D-521 A.
(83) Thesaur., ass. XX; t. LXXV, col. 333 C. |
(4) Voir encore In Ioan., VI, 64; t. LXXIII, col. 601 C-605 A: Hp.
XVII, anathem. XI; t. LXXVII, col. 121 CD: É. WEIGI, op. cit, D.
203-220.
THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION 289

port qui s'établit entre le Sauveur et le communiant est eom-


parable à l’inhabitation du Logos dans la nature humaine qu'il
a assumée.
Une différence essentielle existe pourtant entre ces deux mo-
des d’union. En tant que £vwste œustxf, le second aboutit — se-
lon la formule préférée de Cyrille que, sans le savoir, il tenait
d’Apollinaire — à la pla pÜots Toù eoû Aoyou TETADXWLÉYN (L),
à l’unique nature incarnée du Dieu Logos. De la communion
eucharistique, au contraire, ne résulte qu’une £Évuots syeruxr,
une union par relation, une inhabitation qui, bien que « physi-
que » elle aussi, mais dans un autre sens (2), laisse intactes les
deux personnes unies (3).
La conception que le patriarche d'Alexandrie se fait du bap-
tême et de l’Eucharistie comme moyens de notre déification
ressemble tellement à celle de Grégoire de Nysse, qu’il paraît
difficile d'expliquer cette parenté autrement que par une dépen-
dance directe. |

IV

Le chrétien est donc divinisé corps et âme par le Logos


incarné et son Esprit. Est-ce à dire que Dieu le Père n’a pas de
part dans l’œuvre de notre sanctification ? Nullement. A l’occa-
- sion, Cyrille précise que notre salut est opéré conjointement par
les trois personnes de la Trinité.
C'est ainsi qu’à propos de Jean, XV, 1 : « Je suis la vraie
vigne, et mon Père est le vigneron », il écrit :

Pour quelle raison done appelle-t-il vigneron son Père ?


C’est que le Père n’est ni oisif ni inactif à notre égard, pen-
dant que, dans le Saint-Esprit, le Fils nous nourrit et nous
maintient dans le bien. Notre rétablissement est comme l’œuvre
de toute la sainte et consubstantielle Trinité, et c’est à travers

(1) Pour les références, voir J. MAÉ, Cyrille d'Alexandrie, dans Dic-
tionnaire de théol. cath., t. III, col. 2513. Cf. TIXERONT, 0p. cit., t. III,
p. 60-75; A. Gauper, La théologie de l’« Assumptus Homo », dans Revue
des sciences religieuses, t. XVII, 1937, p. 64-90.
(2) Union physique, par opposition à union morale.
(3) C£. Apol, contra Theodor., anathem. TIT; t. LXXVI, col. 408 C, où
«physique » est opposé à « non-réel et schétique », ce qui révèle une fois
de.plus l’imprécision du langage cyrillien.
CONSOLIDATION DE LA DOC

toute la ne divine que FT dans tout ce qui se Née par


elle, la volonté et la puissance. Pour cette raison, notre salut
est vraiment l’teuvre de l’unique déité. Et, bien qu’à chaque
personne semble être attribué quelque chose de ce qui est fait àà <
notre égard ou opéré dans la créature, nous ne ‘€royons pas
moins que tout est du Père par le Fils dans Esprit (révra tort
rap ToÙ Harpos 8U Yioÿ èv Ilveüuart). Tu seras done toutà
fait dans le vrai en pensant que le Père nous nourrit dans la
piété par le Fils dans l'Esprit : de même il fait fonction de
vigneron, c’est-à-dire il observe, surveille et a soin de notre réta-
blissement par le Fils dans l'Esprit (1).

Notre docteur énonce ici avec vigueur le grand prineipe de


théologie trinitaire, trop souvent oublié, d’après lequel. toute 2
action divine ad extra est commune à toute la Trinité. Mais.
d'innombrables textes obligent d’admettre que Cyrille a vu
dans la sanctification, dans la divinisation du chrétien une
œuvre qui appartient au Saint-Esprit «à un titre spécial, qui 55.
ne convient pas aux deux autres personnes » (2). A-t-il songé à
une propriété ou à une simple, appropriation ? Ignorant cette
distinction, notre théologien ne pouvait s’en servir pour pré-
ciser sa pensée. È
Le P. Mahé semble avoir vu juste, lorsqu'il explique cette ;
doctrine — qui est aussi celle de Basile — par « trois raisons,
basées toutes les trois sur la conception grecque de la Trinité ».
is
C'est que, pour les Grecs, le Saint-Esprit «est le lien, le trait.
d’union qui rattache nos âmes au Fils et au Père »; «l’image
du Fils» qui, «en s’imprimant dans nos âmes, les reforme à
l’image du Fils et, par suite, à l’image du Père»; enfin, «la
vertu sanctificatrice de la divinité », en ce sens que «la saine.:
teté est aussi essentielle au Saint-Esprit que la Paternité au
Père et la Filiation au Fils» (3). RE £ :
Puisque l’Esprit-Saint est lui-même la « forme» de otre “2e
divinisation — idée rencontrée chez saint Basile déjà — tout $

(1) In Ioan., XV, 1: t. LXXIV, col. 333 D-336 B. Cf. ibid., VI, 45: …
t. LXXIIL, col. 556 B-D. x a.
(2) J. MAHÉ, La sanctification d'après saint Cyrille d'Al, dans Revue 4
d'hist. ecclés., t. X, 1909, p. 480: 475-479. Cf. PETAU. op. cit, t. III, p.
445-450, 454, 485.
(3) Loc. cit. , É
:
ï.
__ synthèse ussa Fos sur jeto individuelle.
Dans son Thesaurus, après avoir rappelé que le Saint-Esprit
| sanctifie les esprits célestes, notre théologien continue : ’
Fa

Cette même puissance sanctificatrice, qui procède physique-


ment du Père, qui perfectionne les imparfaits, nous disons
qu’elle est l’Esprit-Saint. Et il est manifestement superflu que
la créature soit sanctifiée par quelque intermédiaire, puisque
la philanthropie de Dieu ne dédaigne pas de se pencher jus-
2 qu'aux plus petits des êtres et de les sanctifier par le Saint-
Er à Esprit, tous étant son œuvre... Si l’Esprit-Saint n’opère pas
- ME. en nous par lui-même \( ædroupyet ), s’il n’est pas par nature ce
que nous entendons [de lui], si c’est par participation qu’il est
zempli de sainteté de la part de l’essence divine, et s’il ne fait
que nous transmettre la grâce qui lui a été donnée, il est mani-
Re este que la grâce du Saint-Esprit nous est admimistrée
par une
créature, ce qui n’est pas vrai. Car par Moïse ou par des
anges est la Loi; par notre Sauveur, au contraire, la grâce et
la vérité. C’est done par lui-même que l'Esprit agit en nous,
RES nous sanctifiant vraiment, nous unissant à lui par le contact
À is - avec lui (£voüv uäs Éaur@ dux rûç Tpds abtd ouvayelac) et nous
rendant participants dela ne divine (1).

| Dans un passage du VII* dialogue sur la Trinité — texte


_quin’a ‘pas pe à Petau (2) — Cyrille est pe ni
2 encore: (3).

% A. Ne disons-nous pas que sur terre l’homme a été fabriqué


Ar de Dieu ?
Re Fe e Assurément.
a . Ce qui nous confère l'image divine et nous imprime, à
; . ns d'un sceau, la beauté supraterrestre (T0 Ünepxéoprioy
#4N\oc) nest-ce pas l'Esprit ?
x B. Maïs non comme Dieu, dit-il, comme ministre de la grâce
. : divine seulement.

à è (1) Thesaur., ass. XXXIIT; t. LXXV, col. 597 A-C.


: - (2) Cf. PETAU, 0p. cûit., t. III, p. 462-463. à
(3) Dans la citation qui suit, la lettre A désigne l’auteur lui-même, la
lettre B introduit l'interlocuteur imaginaire, 5
À

292 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

À. Ce n’est done pas lui-même, mais la grâce qui, par lui,


nous est imprimée?
B. Il semble.
À. Il faudrait done appeler l’homme image de la grâce plutôt
qu'image de Dieu. Mais lorsqu'il a été établi dans lêtre il a
été formé semblable à Dieu, le souffle de vie lui ayant été
insufflé. Après avoir perdu sa sainteté..., il n’a pas été rappelé
à la beauté primitive et antique d’une autre façon qu’au début.
Le Christ, en effet, souffla sur les saints apôtres en disant:
« Recevez [l] Esprit-Saint ».… $Si la grâce conférée par lui
était séparée de l’essence de l'Esprit, pourquoi le bienheureux
Moïse ne dit-il pas clairement qu'après avoir produit l'être
. vivant le démiurge de l’univers lui a insufflé la grâce par le
souffle de vie ? Et le Christ [pourquoi ne nous dit-il pas] à
nous : Recevez la grâce par le ministère du Saint-Esprit ? Or
le premier dit : Souffle de vie; c’est que la nature de la déité
est vie véritable; s’il est vrai qu’en elle nous vivons, nous nous
mouvons et nous sommes. La voix du Sauveur dit à son tour :
Esprit-Saint; ce même Esprit qu’il fait en vérité habiter et
qu’il introduit dans les âmes des croyants, par qui et en qui
il les change dans la forme primitive, c’est-à-dire en lui, en
sa propre ressemblance au moyen de la sanctification, nous
renouvelant de la sorte vers l’archétype de l’image, savoir le
caractère du Père... le Fils. Mais la similitude (émoiwotis ) par-
faite et physique du Fils est l'Esprit. Configurés à celui-ci par
la sanctification, nous sommes façonnés à l’exemple de la forme
(ropp) même de Dieu. Voilà ce que nous enseigne la parole
de l’Apôtre : « Mes enfants, s’écrie-t-il, que j’engendre de nou-
veau, jusqu'à ce que soit formé le Christ en vous ». Or il est
formé par l’Esprit qui, par lui-même, nous restaure selon Dieu.
Puis done que nous sommes formés selon le Christ, que lui-
même est bien gravé et reproduit en nous par l'Esprit, comme
par quelqu'un qui lui est physiquement semblable (%s dt’ épotou
ouatx@s To Ilveüuaros ), l'Esprit est Dieu, lui qui rend sem-
blable à Dieu, non comme par une grâce ministérielle, mais
comme en se donnant lui-même (1) au juste en participation
de la nature divine.
B. Je n’ai rien à reprendre dans ce qui vient d’être dit.
À. Nous sommes appelés et nous sommes temples de Dieu et
même dieux. Pourquoi donc % Interroge les adversaires, si

(1) Le £auré du texte doit de toute évidence être changé en éaurt,


THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION 293

effectivement nous ne participons qu’à une grâce nue et


privée
d’hypostase (einep ècuèv &kn0&s due Xal GYUTOGTÉETOU Xdouros
méroyot ) % Mais il n’en est pas ainsi. Car nous sommes des
tem-
ples de l’Esprit qui existe et subsiste ;à eause de lui, nous sommes
également appelés dieux, en tant que, par notre union à lui, nous
sommes entrés en communion avec la divine et ineffable nature.
Si l'Esprit qui nous déifie (deorotoëy) par lui-même est vrai-
ment étranger et séparé quant à l'essence de la nature divine,
nous avons été frustrés de notre espérance, nous parant de je
ne sais quelle vaine gloire. Comment, en effet, serions-nous
alors encore des dieux et des temples de Dieu, d’après l’Écri-
ture, par l’Esprit qui est en nous ? Car ce qui est privé d’être
Dieu, comment conférerait-il cette qualité à d’autres ? Mais
nous sommes réellement des temples et des dieux. L'Esprit
divin n’est donc pas d’une essence différente de celle de Dieu
(étepoÿatov pds Oeév) (1).

Ce qui, dans ce texte, préoccupe notre auteur, c’est la démons-


tration de la pleine divinité du Saint-Esprit. Le processus de
notre divinisation ne l’intéresse qu’en tant qu'il est susceptible
de lui servir d’arme efficace contre les pneumatomaques. Or
ceux-ci admettaient avec tous les fidèles que la sanctification
que procure le christianisme est une déification. Partant de cette
conviction commune, Cyrille argumente ainsi : C’est l'Esprit
qui par lui-même nous divinise. Mais rien de créé ne saurait le
faire. Donc l’Esprit est vraiment Dieu. Pour donner à ce raiï-
sonnement le maximum de force probante, notre théologien
exclut de l’action déifiante tout intermédiaire, toute grâce qui
agirait séparément de la personne de l’Esprit-Saint et serait
ainsi « vide et privée d’hypostase ».
Le patriarche d'Alexandrie n’élimine pas nécessairement par
là toute possibilité d’une grâce qui, tout en étant inséparable
de la troisième personne trinitaire, en serait distincte, c’est-à-
dire une grâce créée (2). Plusieurs de ses développements sem-
blent même en supposer l’existence.

(1j De Trinit., dial. VIT; t. LXXV, col. 1088 B-1089 D. Cf. col. 905 A.
(2) C’est, croyons-nous, en ce sens qu'il faut comprendre le P. Mahé,
lorsqu'il écrit, à propos du texte cité plus haut : « Ce que Cyrille repousse
ici, c'est une grâce qui serait distincte et séparée du Saint-Esprit », c’est-
à-dire, à la fois distincte et séparée. Voir J. MAHÉ, La sanctification
d'après saint Cyrille d'Alexandrie, loc. cit., p. 485.
En effet, pour Cyrille, l’hôte divin de Da. ie n'y est
pas inactif : par sa présence substantielle il opère en elle une
profonde transformation. Déjà les comparaisons que ne doc-
teur emploie pour décrire l'intimité de notre unionà l'Esprit
— celle du fer rougi par le feu, surtout — les métaphores sous
lesquelles l’artion de l'Esprit est présentée — celles de refor-
mation, de recréation, par exemple (1) — sont FR
sur ce point.
Mais ces allusions se précisent, ne. Cyrille exalte les
merveilleux effets que produit en nous le Saint-Esprit. Celui-ci
«nous fait conformes au Christ, savoir par la qualité [qui est]
dans la sanctification (Ô1à vis êv Pacte mouoTnTos ) » (2) ;
de telle sorte que le Christ « est gravé et reproduit en nous » (3).
Le même Esprit, « par la sanctification et la justice, introduit
en nous une certaine conformation divine ( Gelay Tiva uôo=
vwsty) » (4), nous imprime un sceau (5), et nous « fait passer à
une autre état » (els étépav vuvè pellornouv Etuy) (6).
Impossible d'identifier toutes ces conséquences de notre sanc-
tification avec la personne même de l’Esprit divin, qui, en effet,
ne saurait être une « forme », une « qualité », un habitus de
notre âme. [Il ne semble, dès lors, pas excessif de conclure que
Cyrille admet, à côté de la grâce incréée du Saint-Esprit sub-
stantiellement présent dans le chrétien, une grâce créée, dis-
tincte mais inséparable de la première (7). Il faut, toutefois,
reconnaître que, sur cette question, la pensée de notre théolo-
gien est loin d’être d’une clarté et d’une fermeté absolues, et
ce n’est que sous le bénéfice de cette réserve que Cyrille mérite
le titre du docteur par excellence de la grâce sanctifiante qui
lui a été décerné (8).

(1) Cf. Éd WEïcr, op. cit, p. 183-184.


(2) Hom. pasch., X; t. LXXVII, col. 617 D.
(3) De Trinit., dial. VII, cité plus haut, p. 292.
(4) In Is, XLIV, 21-22: t. LXX, col. 936 B. Cf. De Trinit., dial. VI;
t. LXXV, col. 1013 D.
(5) De recta fide ad regin., or. IL; t. LXXVI, col. 1384 D.
(6) In Ioan., XVI, 6-7; t. LXXIV, col. 433 CD. Le mot ÉëwK signifie
habitus, manière d'être.
(7) In Rom., III, 21; t. LXXIV, col. 780 À, Cyrille parle d’une « grâce
justifiante » (ôtxatoüoa ydpu). Mais cette expression paraît désigner l’en-
semble des dons divins qui opèrent notre justification.
(8) Verbi gratia par K. Cayré, Précis, t. II, p. 33. Sur la doctrine
cyrilienne de la grâce, voir PErAU, op. cit., t. III, p. 482-483; éd. WEïcr,
THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION
y

Bien que la conception eyrillienne de la déification soit très


_complexe, il n’est pas difficile de discerner parmi les multiples
éléments qui la composent ceux qui sont essentiels et comme la
source des autres. :
De toute évidence, c’est dans la présence substantielle en
nous de l’Esprit divin et, par lui, de toute la Trinité que notre
docteur voit la cause formelle de notre déification. L’inhabita-
tion äu Dieu trinea pour effet de transfigurer notre nature
— sans toutefois en changer le fond (1) — au point de la
rendre semblable à la nature incréée. Cette transformation est
l’élément secondaire de notre divinisation et il est permis de
reconnaître en elle notre grâce sanctifiante.
Voilà la double source d’où découlent tous nos autres privi-
lèges : pour l’âme, une beauté et une dignité « au-dessus de la
créature » (2), une conformité spéciale avec le Christ (3), cause
de la fraternité par rapport à lui (4) et de la filiation adoptive
par rapport au Père (5); pour le corps, l’incorruptibilité et
_ l’impassibilité, en germe du moins, dues à la présence en lui
du Christ eucharistique.
Cependant, durant cette vie, notre déification reste amissi-
D ble (6) et perfectible (7). Aussi doit-elle sans cesse gagner en
intensité, de sorte que, pour Cyrille, « la rédemption de l’hom-
me individuel est un processus ininterrompu de divinisa-
tion » (8).
op. cit, p. 176-202. Les thèses de ce dernier auteur ont été reprises, avec
un sens critique et historique plus affiné, par le P. Mahé, loc. cit., p.
467-485.
(1) Cf. De Trinit., dial. I; È LXXV, col. 676 B.
(2) Ibid, dial. IV; col. 905 A.
(3) Outre les textes déjà cités, voir encore In Is, LXVI, 18-19; t.
LXX, col. 1445 C.
(4) Hom. pasch., XXIV ; t. LXX VIE, col. 897 B. Cf. In I Cor., XV, “a
t. LXXIV, col. 101 C. L'âme déifiée devient même l’épouse du Christ:
Matth., XII, 8; t. LXII, col. 436C; De adorat., VIIT; t. LXVIII, dL.
541 BC.
(5) Hom. pasch., X ; t. EXXVII, col. 620 AB. Sur la grâce qui déifie,
voir Éd. WEIGz, op. cit., p. 221-239. La conformité avec le Christ comme
fondement de notre filiation divine est bien mise en relief par L. Janssens,
loc. cit.
(6) Cf. In Ioan., XVI, 16-17; t. LXXIV, col. 536 A-C.
(7) Cf. In II Cor, III, 18; t. LXXIV, col. 932 BC.
(8) WEIGz, op. cit, p. 259.
296 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Celle-ci atteindra sa perfection ultime après la parousie et


la résurrection (1), lorsque l’union des élus au Seigneur sera
indissoluble. Alors notre esprit (vods) sera rempli d’« une cer-
taine lumière divine et ineffable » (2) et, devant « la gnose plus
éclatante » qui nous sera donnée, celle d’ici-bas s’effacera,
comme les étoiles devant le soleil (3). Libérés de toutes les en-
traves, «sans avoir besoin d'aucune figure, ni énigme, ni pa-
rabole », «nous verrons face à face notre Roï et Dieu » (4).
Et cette « parfaite gnose de Dieu » (5), qui est « une sorte de
connaissance divine » (6), nous comblera de délices.
Le corps ressuscité aura lui aussi sa part de bonheur. Il sera
spiritualisé, «c’est-à-dire, il ne regardera plus que les choses
de l’esprit »; il déposera la corruptibilité avec toutes ses autres
infirmités (7). Ses membres «participeront à la vie et à la
gloire du Christ; car celui-ci transformera le corps de notre
humilité, en le rendant conforme à son corps glorieux » (8).
Déifié pour toujours dans son âme et dans son corps, l’élu
partagera l’éternité bienheureuse avec le Christ glorifié.

L%

Parmi les nombreux titres honorifiques dont Cyrille a été


comblé par l’admiration de la postérité, celui de «sceau des

(1) Adv. anthropomorph., XNI; t. LXXVI, col. 1104 C-1105 B. Cf.


In Malach., IV, 2-3; t. LXXII, col. 360 A. D’après Cyrille, la résurrection
s'étend certainement à tous ceux qui ont appartenu au Christ. Cf. In I
Cor., XV, 12; t. LXXIV, col. 896 C-904 C. Au sujet des autres, il ne se
prononce pas nettement. Il estime, en outre, qu'avant le retour « du juge
de tous et la résurrection des morts», «il est absurde de penser qu’à
quelques-uns a déjà été faite rétribution de leurs œuvres mauvaises ou
bonnes ». Adv. anthropomorph., XVI; t. LXX VI, col. 1105 A. Après être
sorties des corps, les Âmes des justes «iraient dans les mains du Père de
l'univers ». In Ioan., XIX, 30; t. LXXIV, col. 669 AB.
(2) In Malach., IV, 2-3; t. LXXII, col. 360 A.
(3) Ibid.; col. 360 C.
(4) In Ioan., XVI, 25; t. LXXIV, col. 464 B, combiné avec Glaph. in
Exod., IT; t. LXIX, col. 432 D.
(5) In Ioan., XIV, 21; t. LXXIV, vol. 284 C.
(6) Glaph. in Æxod., IL; t. LXIX, col. 429 A.
(7) In Luc., N, 27; t. LXXII, col. 892 C.
(8) In I Cor. NI, 15; t. LXXIV, col. 872 A. Cf. Hom. pasch., X: t.
LXX VII, col. 625 CD. La glorification des élus apparaît comme l'œuvre -
exclusive du Christ.
THÉOLOGIE DE LA DIVINISATION 297

Pères» (ñ spoayis TwY matéowy) est sans conteste l’un des


mieux choisis (1). Sans doute, il lui a été décerné par Ana-
stase le Sinaïte à l’occasion de sa doctrine trinitaire; mais il
ne lui convient pas moins du point de vue qui nous occupe.
La doctrine de la divinisation chez Cyrille d'Alexandrie se
présente, en effet, comme la somme de tout ce que les Pères
antérieurs ont écrit sur ce thème. Il est vrai que, réceptif plus
que personnel et pénétrant, notre théologien n’a pas cherché à
organiser les matériaux préparés par ses prédécesseurs en une
synthèse parfaitement cohérente et équilibrée. Du moins a-t-il
le mérite d’avoir esquissé une théologie de la déification indi-
viduelle opérée par le Logos incarné et son Esprit. Il ne man-
quait plus au plein développement de ce thème qu’une mysti-
que de la divinisation.

(1) ANAST: SIN., Viae dux, T7; P. G., t. LXXXIX, col. 113,
CHapirre IL

ON
MYSTIQUE DE LA DIVINISATI fe ° EAP

St = Le pseudo-Benys = : h: p È LA

« Les noms de Be Cyrille, écrit M. Tixe- Rs.


ront, ferment en quelque sorte la liste des grands écrivains de Re 2
l’Église grecque: la veine littéraire est épuisée, et l’âge _com-
+
_ mence d’une théologie moins éloquente, mais plus subtile » (D).
Du V* au VIT siècle, on se contente de vivre des trésors aceu- > S
mulés par les « Pères », ainsi qu’en témoignent d’ ne E
florilèges dogmatiques (2), dans lesquels se poursuivent les con-
troverses christologiques cu continuent à dominer l pensée
théologique. 380
Mais voici qu’au début du Vr- siècle paraît pour la première ee
fois dans l’histoire, et cela dans des milieux monophysites, une
œuvre peu étendue, mais d’une singularité et d’une hardiesse :
__ sans exemple (3). L'auteur, qui préfère à la dispute peexposé
serein de la vérité (4), se donne lui-même pour un! disciple im-
médiat de saint Paul (5) et suggère assez clairement qu "I est -
identique avec le Denys l’Aréopagite des Actes, XVII, 34 (6).
Rarement fiction littéraire a connu un suecès aussi complet De

(1) TIKERONT, op. cit., t. IL, p. 4.-


(2) Cf. O. BARDENHEWER, op. cûît., t. IV, p. 89.
(3) Cf. ibid, p. 282-289.
(4) Cf. Dans AREOP., Ep. VII, 1: t. TI, col. 1080. ; &
(5) De div. nom. II, 11; t. III, col. 649 D. Cf. IIL, 2; VII 1;
col. 681 A, 865 C. * Re ASE PS É
(6) Cf. Hp. VII, 3; t. IIL, col. 1081. : Tr RCI SECTE
Le

MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 299 :

et durable, Si, de nos jours, l’accord s’est fait au sujet du ca-


ractère pseudépigraphique du Corpus dionysianum, il n’a pas
encore été possible de lui arracher le secret de son auteur. La
composition en est généralement datée de la fin du V° siècle
ou du commencement du VI: (1).
, Quelque passionnantes que soient ces questions d'auteur et
de date, pour nous elles ne sont que secondaires. C’est que les
écrits dionysiens nous intéressent ici en tant qu'ils représentent
une tentative de grande envergure, unique en son genre,en vue
d'interpréter le message chrétien à l’aide de la philosophie néo-
platonicienne, d’établir une théologie mystique digne du chris-
tianisme et capable de concurrencer la mystique des Plotin et
des Proclus (2). Or on a vu que celle-ci est une mystique de la
déification (3). Il en est de même de la mystique du pseudo-
Aréopagite.
Mais, pour comprendre cette dernière, il est indispensable
de connaître, dans ses grandes lignes du moins, la synthèse
théologique qui lui sert de cadre.

Toute la théologie de notre mystique est dominée par une


idée de Dieu des plus pures et des plus sublimes. Infiniment
au-dessus de tout ce que l’homme péut concevoir, l’Être su-
prême est la source de tout bien, de toute beauté, de l’unité et
de l’ordre dans l’univers. Avec une égale force — on est tenté

(1) Cf. O. BARDENHEWER, 09. cit, t. IV, p. 289-296: Joseph STIGLMAYR,


Des heiligen Dionysius Areopagita angebliche Schriften über die beiden
Hierarchien (dans Bibliothek der Kirchenväter), Munich, 1911, p. XXI-
XXV; P. Goper, Denys l’Aréopagite (le Pseudo-), dans Dictionnaire de
théologie cath., t. IV, col. 430-433. Dans un article sur Denys le Mystique
et la beouxyla, dans Revue des sciences philosophiques et théologiques,
t. XXV, 1936, p. 1-75, le P. Ceslas Pera, se basant sur des considérations
d’ordre doctrinal, s’est efforcé d'établir que le Corpus dionysianum fut com-
_ posé en Asie Mineure dans la seconde moitié du IV® siècle. A elle seule,
la méthode employée par cet auteur ne saurait donner un résultat déf-
nitif. C’est également l'avis de M. Bardy, Chronique d'histoire des origines
chrétiennes, dans Revue Apologétique, t. LXVI, 1938, p. 112-115.
(2) Cf. Ep. VII, 2; col. 1080 AB, où l’auteur se défend contre le repro-
che de se servir d’une manière impie contre les Grecs de leur propre sagesse.
(3) Voir plus haut, p. 63-66, 68.
300 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

d'écrire : avec une égale exagération — l’auteur affirme et la


transcendance et l’immanence divines.
\

Dieu excède toute parole et toute connaïssance, il dépasse


absolument tout esprit (voÿc) et toute essence, parce qu’il saisit,
embrasse, étreint et pénètre toutes choses, tout en étant lui-
même totalement incompréhensible, n’offrant de prise ni aux
sens, ni à l’imagination, ni à l’opinion, ni à un nom, ni à une
description, ni à l’attouchement, ni à l’entendement... La déité
suressentielle n’a pas de nom; elle est au-dessus de tout nom...
On ne saurait ni exprimer ni concevoir ce qu'est l’Un (rû Ev),
l’inconnaissable (+0 &yvworov), le super-substantiel (rùd ÿTepoi-
siov), le bien en soi (rù xürodyalov) (1).

Précisément parce qu'il est le bien en soi, c’est-à-dire par


bonté, Dieu a créé le monde intelligible et le monde sensible.

De même que notre soleil, sans réflexion ni délibération


aucune, mais du seul fait de son existence illumine tout ce qui
est susceptible de recevoir sa lumière, et cela dans la mesure
propre à chaque nature, de même le Bien — qui dépasse le
soleil aussi éminemment que l'original, par cela seul qu’il est,
dépasse une pâle image — répand d’une manière analogue sur
tous les êtres les rayons de la bonté totale. C’est à ces rayons
que doivent leur existence toutes les essences, puissances et
vertus intelligibles et intelligentes; grâce à eux, elles possèdent
l’existence et une vie indéfectible et inaltérable, affranchies
qu’elles sont de toute corruption, de la mort, de la matière et de
la génération, exemptes aussi de l’instabilité, de la décadence et
de tout autre changement. Incorporelles et immatérielles, elles
sont intelligibles; comme esprits (v6es ), elles sont surhumaine-
ment (Ürepxoouiwc) intelligentes, éclairées au sujet des raisons
propres des choses, et elles transmettent de nouveau leurs biens
à leurs semblables (2).

(1) De div. nom., I, 5; col. 593 AB. Pour établir la traduction des
extraits que nous citons, nous nous sommes inspiré de DarBoy, Saint
Denys l’Aréopagite, Paris, 1932, dont la traduction est, toutefois, plutôt
une paraphrase. Celle du P. Stiglmayr en langue allemande, au contraire,
est d’une fidélité exemplaire; mais elle ne donne que les deux hiérarchies.
(2) Tbid., IV, 1; col. 693 B-696 A. Cf. IV, 4: col. 697 CD, où le soleil
est appelé un «écho (ärfynux) du Bien ». Sur l’emploi du soleil comme
image de la bonté divine dans la philosophie grecque, voir Hugo Kook,
MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 301

Après ces vénérables et saintes intelligences, les âmes et tous


les biens des âmes existent à cause de la bonté surabondante (1).

C'est encore à la bonté divine que doivent leur existence « les


âmes irraisonnables ou les animaux», «toutes les plantes »,
ainsi que « les natures privées d'âme et de vie» (2).
Assurément, la comparaison souvent employée du soleil ainsi
que des images et des expressions analogues ne laissent pas
d’avoir un relent émanatiste assez prononcé, marque de leur
provenance néoplatonicienne (3). Mais plus d’une fois, et avec
toute la netteté désirable, Denys affirme le dogme de la créa-
tion et la transcendance absolue du créateur. C’est ainsi qu'il
écrit :

L’éternel est principe et fin de tout ce qui existe : principe


en tant que cause; fin, parce que les êtres sont faits pour lui.
Il est le terme de toutes choses, l’infinité de toute infinité et
le sommet par éminence des opposés (méoutos ÜTepoyixs Tov
&s &vrixetuévwv)! Car, dans son unité, il possède à l’avance
(ryoéyet) et a fait subsister tous les êtres, présent à tous et
partout, et cela selon son unité et sa parfaite identité; il se
penche vers les créatures, tout en restant en lui-même. Il est
en repos et en mouvement; sans commencement, ni milieu, ni
fin; n’existant en aucun des êtres et n'étant aucun des êtres (4).

L'action créatrice et illuminatrice de Dieu — ce que notre


mystique aime à appeler la « sortie » de Dieu — s’exerce selon
une loi de gradation. Elle atteint d’abord la nature incorpo-
relle, la «hiérarchie invisible et céleste» (5), distribuée en

Pseudo-Dionysius Areopagita in seinen Beziehungen sum Neoplatonismus


und Mysterienwesen, Mayenee, 1900, p. 236-242.
Il va sans dire que, telle qu’elle est présentée par Denys dans le passage
cité, la comparaison du soleil compromet la liberté de l’acte créateur.
(1) Ibid., IV, 2; col. 696 BC.
(2) Ibid.; col. 696 CD. Cf. De coel. hier., IV, 1-2; t. II, col. 177 B-
180 B. : è
(3) Voir encore ibid, V, 10; col. 825 B; XIIT, 2; col. 977 C-980 A;
De eccl. hier, IV, 10: t. IIX, col. 481 CD. Cf. H. KoCH, 0p. cit., p. 194-
195: H. F. MuEzLer, Dionysios. Proklos. Plotinos, Munster-en-Westph.,
1918, p. 40-47.
(4) Ibid., V, 10; col. 825 B. Cf. IT, 10-11; col. 648 C-652 A; VIII, 2;
col. 889 D ; De coel. hier., XIII, 4; col. 8304 B-D.
(5) De cccl. hier., I, 2; col. 373 À.
trois triades de trois ordres chacune. êe neuf chœurs angéli
ques — classification dont Denys est l’auteur — sont subor- 5
donnés entre eux de telle sorte que « les ordres inférieurs des
essences célestes sont instruits des choses divines par les ordres
supérieurs, alors que les plus élevées de toutes sont illuminées ne
et initiées, autant que ne Das la divinité suprême ee ea
même » (1). ;
A travers le monde angélique la ns divine passe à. la :
hiérarchie humaine ou ecclésiastique (2). À son tour, celle-ci, er
c'est-à-dire l’Église, comprend trois hiérarchies de trois ordres :ae
la triade des consécrateurs : évêques, appelés « hiérarques »
(isodoyar), prêtres (isosis) et diacres (Xeurouoyot) (8); celle Fa
des initiés :moines (uovayot ou fepareutal), fidèles ( leods Aude), re
catéchumènes, « énergumènes » et pénitents (4) — ces trois der-
nières catégories considérées comme un seul groupe; enfinla
triade des rites sacrés:baptême, chrismation Cr) ei
eucharistie ou synaxe (5). ;

Le rayonnement de la bonté infinie déborde donc sur tous


les êtres, mais avec une intensité plus ou moins grande, selon
que la créature se trouve plus ou moins rapprochée du foyer À
divin, selon qu’elle est plus ou moins réceptive aussi. Ce mys-
térieux courant de lumière et d'énergie qui, se dégradant, passe
à travers toute la création, à partir des êtres les plus élevés
jusqu'aux plus infimes, remonte de nouveau à sa source : c’est
le retour à Dieu, grâce auquel s’achève le célèbre eyele éternel. F4

On nomme Dieu aimable et bien-aimé parce qu’il est beau


et bon; on le nomme aussi amour et dilcction, en tant qu'il est.
une puissance qui attire et entraîne les êtres vers lui, la seule
beauté et bonté essentielles, et qui est pour ainsi dire à A

(1) De coel. hier, VIL. 3: col. 209 À /Of XITL 35 co 301 CN


304 B. | re
(2) Cf. De eccl. hier, V, 1, 4 (le second chiffre romain, plus petit »
que le premier, indique : partie du chapitre là où il y en a) ; col. 504 C-
505 A; De coel. hier., IV, 2, XIIL, 3-4: col. 18 B, 301 B-305 CHATS
(3) Zbid., V, x, 5-7: col. 505 A-509 A.
(4) Ibid, VI, 1, 1-3: col. 529-533A
(5) did, IT-ITT: col. 392 A-445 C. Cf. A I; 1; col. re PS A €
et v,
IT, 8; col. 516 A:-C.
YSTIQUE
DE LA DIVINISATION
és suprême et un deu d'amour (éporixy x{moiv), simple, se mou-
vant lui-même (aroxlvarov), doué d'une activité propre, pré-
existant dans le bien, et, du bien, débordant sur les êtres,
pour retourner de nouveau au bien. En quoi apparaît
excellemment que le saint amour est sans fin ni commencement,
comme un cycle éternel (&fôtoç xÿxhoç) : à cause du bien, [à
partir] du bien (èx cœyaoÿ), dans le bien et vers le bien, se
, mouvant dans une imperturbable révolution, sans sortir de lui-
même, procédant toujours, restant et revenant (1).

Ainsi donc le retour de tous les êtres au créateur (2), du


multiple à l’Un, est la grande doi qui régit l’univers. Il est no-
tamment la raison d’être des hiérarchies; car «le but de la
hiérarchie est l’assimilation et l’union à Dieu, dans la mesure
du possible (n xoûs fev, &s Eptiuros, &pouolwsts te xa Évwars) » (3).
Cette assimilation est une véritable divinisation.
C’est ce que Denys expose en propres termes dans sa Hié-
rarchie ecclésiastique :
Le principe de la hiérarchie est la source de la vie, la bonté
essentielle, la cause unique de l’univers, la Trinité qui dans sa
bonté confèreà toutes choses l'être et la perfection. Cette béa-
- titude suprême, qui est au-dessus de tout (mévrwy èréxeiva) (4),
la triple monade qui existe réellement, a conçu le projet,
incompréhensible pour nous mais connu d'elle-même, de sauver
les natures intelligentes, tant les nôtres que celles au-dessus de
nous. Maïs ce salut ne peut se réaliser, si ceux qui doivent être
sauvés ne sont pas déifiés (un eouuéyuy 16Y cwlouévwv).
1
(1) De div. nom., IV, 14; col. 712 C-713 A. La même conception s’ex-
prime un peu plus loin, IV, 17; col. 713 D : «Il existe une seule puis-
sance simple qui, par elle-même, établit une certaine harmonie unitive à
partir du Bien jusqu’au dernier des êtres, et de celui-ci remonte de nou-
veau par la même route à travers les êtres vers le Bien, accomplissant
d'elle-même, en elle-même et sur elle-même son mouvement circulaire
_(ävaxvxloÏca) et se repliant toujours sur elle-même de la même manière ».
Voir encore ibid., IV, 4: col. 697 B-700 C; De coel. hier., I, 1; col.
120 B-121 A. À remarquer le langage paradoxal qu’affectionne l’auteur,
. quand il parle de Dieu, principe et fin du monde.
(2) On a vu que cette idée d’un retour de toutes les créatures à Dieu
joue déjà un grand rôle dans la pensée d’Origène et de Grégoire de Nysse.
(3) De coel. hier., III, 2; col. 165 A. Cf. De eccl. hier., II, 1; col. 392 A.
(4) Expression chère aux néoplatoniciens. Voir plus haut. De 60. Cf.
H. Kooun, op. cit., p. 212, 250-251.
21
304 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

La déification (0£wsts), à son tour, est l’assimilation et l'union


à Dieu dans la mesure du possible (1).

Un peu plus loin, notre auteur résume aïnsi sa pensée :


Nous disons done que, dans sa divine bonté, la suprême béa-
titude, la déité par nature (#% ooer0eérnc), le principe de la
déification (ñ% &pxù tûs Oewcewc), de qui reçoivent la divinisation
tous ceux qui sont déifiés, a établi la hiérarchie en vue du salut
et de la déification de toutes les essences raisonnables et spi-
rituelles (2).

On voit avec quelle habileté Denys sait combiner l’ancien


thème de la féwst avec sa nouvelle théorie des hiérarchies. Il
ne cesse de répéter que la divinisation par l’union assimilatrice
à Dieu est la fin dernière des hiérarchies, voire même de toute
la création ainsi que de la Rédemption. Si bien qu’on a pu
dire à bon droit que « l’étroite union de l’homme avec Dieu, la
déification de l’homme, est le pivot de la théologie du pseudo-
Denys » (3). :
Évidemment, en coulant l’idée traditionnelle dans le moule
de sa conception hiéraichique de la création, notre auteur l’a
marquée du sceau de son génie.

IT

L'agent suprême de la divinisation, « le principe et l'essence


de toute hiérarchie, sanctification et théurgie », c’est Jésus, le
« vo9s divin et suressentiel ». Il illumine d’une façon plus
éclatante et plus spirituelle les bienheureux esprits qui sont :
supérieurs à nous (4), alors que, se conformant à notre nature,
il nous instruit au moyen d’«une foule de symboles sensibles
grâce auxquels nous sommes élevés, selon nos capacités, vers la
déification uniforme (èr tv évoendn Géwoty), vers Dieu et une
vertu divine » (5). >
(1) De eccl. hier., I, 3; col. 373 C-376 A. Of. De coel. hier, III, 1-2,
VII, 2; col. 164 D-165 C, 208-209 A.
(2) Ibid, I, 4; col. 376 B.
3) P. GoDET, loc. cit., col. 434.
(4) De eccl. hicr., I, 1: col. 372 A.
(5) Ibid., I, 2; col. 373 À. Cf. I, 4; col. 376 BC.
MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 305

Mais, en ce qui concerne l’humanité, l’action déifiante du


Christ n’est qu’une restauration. Par le Sauveur, la nature
humaine récupère « les biens divins qu’au début elle avait in-
sensément perdus. : la vie divine et orientée vers le ciel, dont
elle était volontairement déchue », pour avoir « misérablement
échangé la mortalité contre l'éternité » (1).
Sans s’y attarder, le doctor hierarchicus touche à plusieurs
reprises au problème des modalités suivant lesquelles le Christ
a opéré notre divinisation. C’est ainsi que, dans sa Hiérarchie
ecclésiastique, il écrit à propos de l’Incarnation :

La philanthropie illimitée de la bonté suprême... a réellement


assumé toutes nos faiblesses, hormis le péché, et, s’unissant à
notre bassesse, tout en conservant sans confusion ni altération
aucune la condition de sa propre nature, elle nous a gratifiés,
comme des parents, de la communauté avec elle et nous a ren-
dus participants de ses propres biens (2).

Un peu plus loin, dans le même traité, appliquant au mys-


tère de l’Incarnation la pensée fondamentale de son système,
savoir celle du repos de Dieu en lui-même (uoyi), de sa sortie
(ro0odo,), etde son retour (értstoopi), Denys s'exprime en ces
termes :

En se faisant homme par bonté et philanthropie, la nature


une, simple et cachée de Jésus, du Logos divin, s’est avancée
( tooskflue), sans subir aucune modification, vers le composé
et le visible, et a opéré heureusement notre communion unitive
avec elle-même, mariant d’une manière sublime notre bassesse
avec sa divine excellence, si toutefois nous nous unissons har-
monieusement à lui, comme des membres au corps, dans la
même vie immaculée et divine et ne devenons pas, après avoir
été tués par les passions corruptrices, inaptes au commerce avec
les membres divins et sains, incapables de partager leur vie (3).

(1) Zbid., III, 117, 11; col. 440 C-441 A. Cf. II, xt, 7; col. 436 CD;
De div. nom., VIII, 9; col. 897 AB. Avec la tradition, le pseudo-Aréopagite
distingue trois étapes dans l’histoire de notre salut.
(2) Ibid.; col. 441 AB.
(3) Ibid, III, 1x, 12; col. 444 AB. Cf. III, zx, 3; col. 429 A; Ep.
É
IV; col. 1072.
rieir de la Bin ion impression. qui se; précise D
sapprocher de la certitude, lorsque, dans le même écrit, or
cette phrase:

Dieu qui, dans sa bonté naturelle et favorable aux habitants


de la terre «et dans sa philanthropie, a daigné s’abaisser jus-
. qu'à nous, par Vunionà lui s’est assimilé à la manière du feu
ce qu’il s'était uni, dans la mcsure de son aptitude àà la déifica- :
tion DE HR er LINE

Il est vrai, ici, comme du reste dans beaucoup d’autres cas,


le elair-obscur solennel et séduisant que l’auteur affectionne ge
dans L'expression de sa pensée ne permet guère de conclure
d’une manière apodictique. Néanmoins l’ensemble du texte ee
notamment, l'emploi de la métaphore du feu, chère aux repré-
sentants de la conception physique (2), montrent assez claire :
ment que De fait allusion à cette théorie. 2e

2 Un auteur récent n’a pas hésité d'écrire que, chez Denys, |


«on ne trouve pas trace de l’idée centrale de la théologie pau-
linienne, savoir la HRédemption par le sang de Jésus
Christ S (3): ee est là une de manifeste, A Us

affirme tement ls a dlvirique de. mort P as


Ainsi, dans sa VIII lettre adressée au moine Démophile, |
s'inspirant de Jean, X, 11, notre docteur écrit, au sujet du
Christ, qu’il «donne son âme pour ceux qui le fuient» (4).
Plus loin, dans la même lettre, il cite I Jean, IT, 2 : « Lui-
même [le Christ] est la propitiation pour nos péchés » (5
Dans la célèbre vision de Carpus, racontée dans le même écrit,
le Seigneur qui apparaît se déclare « prêt à souffrir de nou-
veau pour le salut des hommes » (6). Toutes ces insinuation:

(1) Ibid, III, 1; col. 393 A. 3


(2) Nous avons déjà rencontré cette métaphore chez saint Cyrille
d'Alexandrie. Voir plus haut, p. 283. ne <a
(G) EH. F. MuELLER, op. cit., p. 36. FRS
(4) Ep. VIIL, 1: col. 1088 B. ere
(5) Tvid., 5; ee 1096 C.

_ Carpus, voir H. Kocn, 0p. Ch p. 18-27.


cd

’éclairént, enfin, à la lumière d’un passage de la Hiérarchie


ê _ ecclésiastique, où notre mystique commente l’usage de verser de
k Elite parfumée dans les fonts baptismaux en traçant une
À,
Lt,
croix. Voici son explication :

En versant en des jets ‘erueiformes le myron dans le baptis-


4 tère qui purifie, l’hiérarque fait voir aux yeux contemplatifs
| que, par la croix, Jésus est descendu jusque dans la mort
même, en vue de notre naissance de Dieu (ôrto ris Âu@y Osoyeve-
cias) et que, précisément par cette descente divine et vieto_
rieuse, il arrache par bonté ceux qui sont baptisés dans sa mort,
suivant la parole mystique ) , à cet antique gouffre de la mort
ps _pernicieuse et les renouvelle en vue d’une existence pleine de
; Dieu (#v0coç) et éternelle (2).
Hi: Ainsi donc, tout comme Cyrille d'Alexandrie, le pseudo-
: Aréopagite semble rattacher la Üéwous tantôt à l’Incarnation
comme telle, tantôt à la Passion du Christ. Mais tandis que le
:premier le fait avec cette netteté qui caractérise le champion de £
e l’orthodoxie, le second emploie des formules ondoyantes qui,
_ sans choquer personne, peuvent être acceptées de tous.

III

Avec toute la tradition, Denys enseigne que l’homme doit


_ coopérer à sa propre divinisation. Mais, en ce qui concerne les
die de cette coopération, sa pensée n’est guère plus fer-
me qu’au sujet des modalités de l’œuvre rédemptrice du Christ.
Ses écrits contiennent, en effet, la description de deux voies \
conduisant à l’union déifiante avee Dieu : l’une par l’amour
_ extatique, l’autre par les moyens de la hiérarchie ecclésiastique.
. Pas un mot sur les ue que ces voies peuvent avoir entre
elles.

ue _ Commençons par la voie de l’extase, puisqu'elle est décrite


dans les deux premiers en date des traités dionysiens : les

(1) £a « parole mystique » c’est Rom., VI, 3.


(2) De eccl. hier, IV, 10; col. 484 B,
308 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

Noms divins — le plus important de tous — et la Théologie


mystique (1).
Après avoir rappelé que l'Écriture emploie le terme d’amour
pour désigner Dieu, notre mystique magnifie — dans le De di-
vinis nominibus (2) — la vertu unitive de l’amour en général,
puis plus spécialement celle de cette « chose incompréhensible
pour la foule qu'’est la fusion produite par l’amour divin et un
(ro évatoy vo Belou xal évos Ecwros) » (8). C'est que l'amour
unit à Dieu en dehors de toute activité des sens, voire même de
l'intelligence :
Lorsque, par ses éncrgies spirituelles, notre âme se porte
vers les choses intelligibles, les sensations deviennent superflues;
comme aussi les puissances intellectuelles elles-mêmes [devien-
nent inutiles], lorsque l’âme, devenue déiforme, se précipite, en
des élans aveugles et par une union incompréhensible, dans les
rayons de la lumière inaccessible (4).

Union ineffable, 2 parce qu’elle s’opère dans l’extase :

L'amour divin est extatique; il ne permet pas à ceux qui


aiment d’être à eux-mêmes, mais à ceux qui sont aimés. De
là vient que le grand Paul, saisi de l'amour divin et de sa puis-
sance extatique, proféra cette parole divinement inspirée : « Je
vis, Ou mieux, ce n’est par moi, mais vit en moi [le] Christ » (5);
comme un vrai amant hors de lui-même et perdu en Dieu, selon
sa propre expression (6), ne vivant plus sa propre vie, mais
la vie souverainement chère du ibien-aiïmé (7).

Aussi est-ce par quelque chose en nous qui est supérieur au


voùs même que se réalise l’union extatique avec Dieu :

I] faut savoir que le voùs en nous a la faculté intellectuelle


(rhv Oüvauiw sis T0 vosiv), au moyen de laquelle il voit les

(1) Sur l’ordre chronologique des écrits dionysiens, voir ©. BARDEN-


HEWER, 0p. Cil., t. IV, p. 283-284.
(2) De div. nom., IV, 11-13; col. 708 B-712 B.
(3) Ibid, IV, 12; col. 709 C.
(4) Tbid., IV, 11; col. 708 D. Cf. I, 5; col. 598.
(5) Gal., II, 20, cité un peu librement.
(6) Allusion à II Cor., V, 13 : « Si nous sommes hors de nous (#éo
tapev), c’est pour Dieu (8e) ».
(7) De div. nom., IV, 13; col. 712 A,
- MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 309)

intelligibles; mais il possède également l'union qui dépasse la


nature du voüç{rhv dE Évooty Êrepalpousay t'y Toù voÿ pÜau) et par
laquelle il s'attache à ce qui est au-delà de lui-même ( 1’ ç cuv-
dnverar mpÔç TX Éméxetvx Éauroÿ ). C’est donc d’après cette
union que nous devons considérer les choses divines, non selon
nos moyens (où xa0” As), mais après être entièrement sortis de
nous-mêmes et devenus [la propriété] de Dieu (6kouç Oeoû yuy-
votévous) ; car il vaut mieux être à Dieu qu'à nous-mêmes
( xpetrrov ap elvar Ocoû, al ph Eaur@v) (1).

De cette incompréhensible union résulte «la gnose de Dieu


la plus divine qui s’obtient par ignorance » (à feutérn vod Ueo
vrOs, n 0 dyywolas Viwwsxouévn), lorsque le yoùs, «après
s'être retiré de toutes choses et après s'être abandonné lui-
même, est uni aux rayons translumineux par lesquels il est
éclairé dans l’insondable abîme de la sagesse » (2).
Le paradoxe de la gnose-ignorance, obtenue par l’union exta-
tique, revient, sous d’autres formules mais accentué encore,
dans le De mystica theologia.
Ce minuscule traité s’ouvre par une prière à la Trinité et
par une exhortation à Timothée — sans doute le disciple de
saint Paul auquel l'écrit est censé adressé — procédés litté-
raires qui permettent à l’auteur d’énoncer son thème d’une
façon originale :
Trinité supra-essentielle, très divine, souverainement bonne,
guide des chrétiens dans la théosophie (deocowlac ), dirige-nous
vers le sublime sommet des paroles mystiques qui échappe
à toute connaissance et surpasse toute lumière. Là, les simples,
parfaits et immuables mystères de la théologie sont voilés par
l’obscurité très lumineuse du silence plein d'enseignements
secrets : obscurité qui, tout en étant très profonde, rayonne
du plus vif éclat et qui, ne pouvant être ni saisie ni vue,
inonde de son étincelante beauté les esprits aveuglés ( robs
ävouudérous véaç). Telle était ma prière. Toi, à bien-aimé
(1) Ibid. VII, 1; col. 865 C-868 A. Voir dans H. KocH, op. cit., p.
158, un passage analogue de Proclus. Denys parle souvent de 1 union au-
dessus du vois » (ibid., VII, 3; col. 872 A) ou de «l'union qui surpasse
tout ce que peuvent et obtiennent notre raison et notre entendement ».
(ibid., I, 1; col. 585-588 A).
(2) Ibid., VIE, 3; col. 872 AB.
tions et les ne ne nes les a sen-
sibles et intelligibles, tout ce qui n ’est pas (1) et tout ce.
qui est, et en dehors de toute connaissance ( éyvésroc ) tends
autant que possible vers l’union avec celui qui est au-“dessus
de toute essence et de toute gnose, Car c’est par cette sortie
( éxoréoet ) irrésistible, absolue et nette de toi-même et de tout :
le reste qu’entièrement libre et dégagé tu t'élanceras vers le2e
rayon suressentiel de la divine obscurité GES

Avec Philon et Grégoire de Nysse, notre docteur voit dans


la montée de Moïse au Sinaï une image de l’ascension mystique
et il compare les phases de celle-ci aux do de celle-là. ei
x

Ce n’est pas sans raison qu'il est enjoint au divin Moïse de


se purifier d’abord lui-même, ensuite de se séparer des impurs;
toute la purification achevée, il cntend les trompettes polypho-
nes, voit des lumières nombreuses qui émettent des rayons purs
et innombrables; enfin, il laisse la multitude et, en la société
des prêtres choisis, monte au sommet de la divine montagne.
Mais là, il n’est pas encore avec Dieu ;; il contemple non pas
Dieu lui-même (car il est invisible), mais le lieu où il se tient
(3). Ce qui signifie, je pense, que les plus élevées et les ee
divines des choses que nous voyions et dont nous ayons l’in-
telligence sont comme des expressions symboliques (ÿrofertxous
rivag elvar Aéyous) de ce qui est au fond de celui
qui est au-
dessus de tout. Par ces manifestations est indiquée sa présence
(rapousix) (4) qui dépasse toute connaissance, qui plane
au-dessus des sommets doués d'intelligence de ses lieux très

(1) Cf. PLOTIN., Enn., N, 1, 2; édit. É. BRÉHIER, € F Ds 27 ligne ce


27, où la matière inerte (oûuax vempôv) est appelée ph Ov. $
(2) De myst. theol., I, 1; col. 997 B-1000 A. : FR
(3) Allusion à Ææode, XXIV, 10. Dans le texte hébreux on- lit : «Ils
virent le Dieu d'Israël ». Les Septante ont traduit : «Ils virent le lieu,
où se tenait le Dieu d'Israël». Denys se réfère évidemment à cette tra-
‘duction. VUS
(4) Denys veut faire entendre que, ns les manifestations Rad soit |
sensibles soit purement intelligibles, nous ne saisissons par Dieu tel. qu'il
. est en lui-même, mais une présence, une activité spéciale de Dieu.
Sur le rôle que joue le concept de Tapouaix dans les ne ne Ier:
chez Proclus, voir H. Kooë, op. cit., p. 174. :
s nte: a. Et alors [l’esprit] se ue de cene a vu et de
_ €e qui voit pour se plonger dans l'obscurité vraiment mystique
_ de l’ignorance, et, abandonnant toute investigation scientifique,
il entre en ce qui est absolument impalpable et invisible, tout
entierà celui qui est au-delà de tout (rä&çdy roù tévrwy réxetva),
n'appartenant à personne, ni à lui-même, ni à un autre, uni,
. en ce qu'il possède de plus noble (zxarx ro xpetrrov), à celui
= - qui est absolument inconnaissable par la cessation de toute
intellection (rñs réons yvôcewc dvevepynoia), mais puisant dans
cette ignorance une connaissance qui ne le voÿs (2).

Les textes qu’on vient de lire mettent en pleine lumière les ‘


_ traits caractéristiques de l’union à Dieu préconisée dans les
_ deux premiers traités de Denys. A la fois don divin et fruit de
_ l'effort humain, cette union est à la portée de tous les chrétiens.
_ Considérée en elle-même, elle est un contact direct entre Dieu
et l’âme, donc une union mystique au sens strict (3). Mais
_ puisqu elle se fait par da partie la plus noble de l’âme et que,
2 pour cette raison, elle est même au-dessus de voDs, l’union mys-
_ É tique dépasse toutes nos catégories de pensée, de telle sorte
qu’au regard de celles-ci la connaissance de Dieu qui résulte de
_l’extase apparaît comme ignorance, bienqu’elle soit la gnose Ja
_ plus sublime.
re Chose curieuse, comme moyens pour acquérir la « ie
phie » notre mystique n'indique que la prière (4) et l’ascèse.
CE Son silence par rapport au Christ et aux sacrements de l’Église
Pa semble étrange, même si l’on admet — ce qui est probable —
PUCES

4 de - (1) Par séjour de Dieu notre mystique paraît entendre le monde intel-
ligible dont les anges supérieurs sont comme les sommets intelligents. Cf.
+ H. Kocn, op. cit., p. 168.
(2) De myst. theol., I, 3; col. 1000 C-1001 A. Of. IT; col. 1025; III:
: col. 1033 BC; Ep. I; col. 1065. A noter que l’auteur discerne dans la mon-
tée de Moïse trois étapes qui correspondent à la triple voie de l’ascension
_ mystique, savoir la purification, l’illumination et l’union.
(3) On aura déjà remarqué que très souvent Denys emploie l'adiectié
__ « mystique » au sens de révélé, caché, mystérieux.
7 (4) Cf. De div. nom., III, 1; col. 680 BC, où l’auteur reconnaît Ÿ la.
prière la vertu d’unir immédiatement l’âme à Dieu. Sur la théorie diony-
#
# sienne de la prière et ses sources néoplatoniciennes, voir H. KocH, op. cit.,
p. 178-190. Sur la prière dans le platonisme en général, cf. R. ARNOU, Le
_platonisme des Pères, dans Dictionnaire de théologie cath., t. XII, col.
AT 0-2372. 5
312 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

que ses deux premiers écrits d’adressent exclusivement à des


chrétiens (1).
Serait-ce pour combler cette lacune que, dans le dernier de
ses traités, Denys trace une seconde voie qui, celle-là, mène à
l’union déifiante au moyen des ministres et des rites sacrés de
la hiérarchie ecclésiastique ?

IV

Une chose est certaine, c’est que dans la Hiérarchie ecclésias-


tique se dessine une voie qui conduit l’homme de la gentilité
au christianisme et jusqu’à l’union mystique avee Dieu qui
déifie. En voici les principales étapes : iei encore elles sont
au nombre de trois. :
Denys pose en principe que, pour s’unir à la vie très divine
de Jésus-Christ et pour devenir «participant de Dieu et des
choses divines », l’homme doit imiter le Sauveur (2). Seule-
ment, une imitation d’ordre purement moral — pour nécessaire
qu’elle soit (3) — ne saurait suffire : le recours aux rites sa-
crés de l'initiation chrétienne est de rigueur.
L'homme doit tout d’abord « mourir avec le Christ, c’est-à-
dire, en langage mystique, mourir au péché dans le bapté-
me» (4) pour renaître ensuite à «un mode d’être divin ».
Cette divine naissance est indispensable, puisqu'elle confère
« l'existence intimement unie à Dieu » (+0 Undoyety évléws) (5),
sans laquelle on ne peut rien connaître ni accomplir « des cho-
ses divinement révélées » (6).
Le propre du baptême est de purifier et d’illuminer. La
purification consiste à éliminer tous les obstacles qui s’oppo-
(1) Le silence de Denys par rapport aux rites sacramentels de l'Eglise
sera celui de presque tous les mystiques. C’est que, chez eux, le milieu
chrétien est sous-entendu.
(2) De ecel. hier., IX, xt, 12; col. 444 CD.
(3) L’adhésion «aux enseignements sacrés » ainsi qu’une vraie conver-
sion du cœur sont requises pour l’admission au baptême. Cf. ibid, II, 11;
col. 393-396. Voir Joseph STIGLMAYR, Assese und Mystik des s0g. Diony-
sius Areopagita, dans Scholastik, t. II, 1927, p. 185-188.
(4) De eccl. hier., IX, xx, 6-7; col. 404 AB.
(5) Ibid., II, 1; col. 392 B : vo elvar Belwe êociv à Beta yéwnsts. Un peu
plus haut, col. 392 A, le baptême est appelé une ävayévnsis ; souvent il
est qualifié de Oeoyevesla, exempli gratia : III, 11x, 6: IV, IL, SLOPVE
5; col. 432 C; 484 B; 505 B. Cf. H. RAHNER, Die Gottesgeburt, p. 377.
(6) Zbid. Cf. III, 1; col. 425 AB.
MYSTIQUE DE LA DIVINISATION | 318

sent à une participation de l’Un (xo £v), en premier lieu les


penchants déréglés qui, divisant l’homme, le mettent en contra-
diction avec l'unité divine. La « catharsis » est ainsi essentiel-
lement suppression de tout élément étranger, réduction de ce
qu'il y a de divisé en nous « en une monade déiforme et en une
unité qui imite celle de Dieu » (sis deoetôn poydda suvayouela ua
Geopuunroy Évwsty) (1). Enfin, l’illumination par les rayons du
soleil divin, qui nous fait saisir le sens spirituel caché sous le
langage symbolique de nos Saints Livres et nous révèle les vé-
rités profondes que couvrent les symboles de nos rites sacrés,
renforce, achève l’unité de l’âme, car la divine « lumière est
une et unifiante » (2),
Grâce à la purification et à l’illumination, l’«un» (£y) de
l’âme parvient à isoler. Or c’est par et dans son £y que l’es-
prit humain devenu « uniforme » (évostdns ), c’est-à-dire unifié
en lui-même, revenu à la pureté de sa forme, s’unit au Ev di-
vin pour en être rempli (3).
Cette union est l’effet propre de l’Eucharistie. Assurément,
tous les rites de l'initiation contribuent à « ramener notre vie
partagée à une déification uniforme (eis évostdn éwouy ) et à
nous procurer, par l’unification déiforme (Meoerdet suvrtuëer) (4)
de ce qui est divisé en nous, la communion et l’union avec
l’Un ». Mais, comme le nom le suggère déjà, c’est avant tout la
Synaxe, cette «initiation des initiations » (teketwy tehet) (5),
qui «achève notre communion et notre union au ‘Ey (ràv Toùs
To £y AUOY xotvwvLay xal sûvasry) » (6).

(1) De div. nom., I, 4; col. 589 C. Cf. IV, 9; col. 705 AB; De coel.
hier, III, 3; col. 165 D-168 A. La parenté étroite entre la xädapois dio-
nysienne et celle des néoplatoniciens saute aux yeux. Cf. STIGLHAYR, loc.
‘cit, p. 192-193.
(2) Ibid., IV, 6; col. 701 AB. Cf. De eccl. hier. IV, 11; V, 1, 6; col.
473-485; 505 C-508 B.
(3) Ibid. TE, 111, 5; col. 401 A-C, combiné avec IV, It, 3: col. 477 AB.
(4) A la suite de Proclus, notre mystique emploie les termes 6eos:èns et
évostdhs comme synonymes. Cf. H. KocH, op. cit., p. 169.
(5) A noter la prédilection de notre docteur pour le langage des mystères,
dont aucun autre écrivain ecclésiastique ne s’est servi dans une mesure
aussi large. Cf. H. Koon, op. cit., p. 92-134.
(6) De eccl. hier., III, 1; col. 424 C-425 B. À remarquer le jeu de mots
avec ouûvait. Cf. II, tr, 5; col. 401 A-C. Voir encore V, ï…, 8; col.
A la triple étape par laquelle l'âme s'élève à Dieu— éb
che de la via purgativa, iluminativa et unitiva de la mystique
postérieure (1) — correspond le triple ordre des ministres sa
crés, « qui se distinguent en un ordre qui purifie, un ordre qui a cos
illumine et un ordre qui perfectionne » (2). &;
Le perfectionnement n’est autre chose que la divinisation. à Fr
Après avoir été lui-même « initié aux choses divines et déifié» É
«fait | $
(velcobnvar xacx Tù Be cor xal Gewbiva), l'hiérarque
participer également ses inférieurs, selon la dignité de chacun, Le
à la sainte déification (tsoäs febosws) qu'il a lui-même reçue de Me

Dieu ( Meofey) » (8). Mais, dès que ses fonctions le lui permets
tent, il se retire dans son £v pour S ’unir à Dieu :
SE
RD
Läbre de nouveau et non retenu par les choses inférieures,
sans avoir subi aucune diminution, [le pontife] retourne au
principe qui lui est familier et, ayant fait son entrée spiri-
tuelle dans son Év à lui (etc rd £v Éauroÿ vospày rornséuevos etoodov),
il voit clairement les raisons uniformes des [rites] accomplis,
faisant ainsi du terme de sa descente vers les choses subal-
ternes un retour plus divin vers les choses suprêmes (4).

L'union à Dieu, la perfection ou la divinisation — expres-


sions identiques pour notre auteur — voilà le terme de la voie
hiérarchique. Or, puisque l’union déifiante se présente comme

504 BC, où l’auteur écrit que «la synaxe et la consécration du pépov


perfectionnent dans la connaissance et la science des actes théurgiques,
science par laquelle sont saintement consommées l’ascension unitive vers le
principe divin et la béatifiante union avec lui ». ù
(1) On a vu que Denys distingue assez nettement ces trois. étapes ou
voies; mais il n’en fait pas la théorie. Voir STIGLMAYR, loc. cit., p. 188-
205; H. Kocn, op. cit., p. 174-178. :
(2) De eccl. hier., V, 1, 3; col. 504 C. C’est surtout dans ce V* chapitre
qu’éclate le caractère factice de la hiérarchisation triadique dans laquelle
Denys d’obstine à presser l’organisation et la vie de l’Église. On a l’im-
pression qu’il voulait à tout prix couler le christianisme dans le moule
triadique mis à la mode par certains néoplatoniciens. Cf. H. Koon, op. cit.
p. 178; . ZELLER, Die Philosophie der Griechen, t. III, 2 partie,
Leipzig, 1903, p. 847-864. |
(3) Ibid., I, 2; col. 372 CD. ;
(4) Ibid, III, 1x, 83; col. 429 B. Dans ce | passage, Patent applique
_ d’une certaine façon à l’évêque son schéma du repos, de la sortie et LUE
retour. Voir encore VI, 111, 3; col. 477 AB.
l’ââme,. . hequelifcatif : sbque c°est dre que 1
deux voies dionysiennes aboutissent au même but.

V
Bien que traditionnelles pour le fond, les deux voies diony-
siennes de la divinisation — la voie hiérarchique surtout —
donnent l'impression du nouveau; moins peut-être à cause de Re
“leur cadre triadique qu’en raison de ce mystérieux £y de è
l'âme qui, chez Denys, se rencontre pour la première fois sous
une plume ecclésiastique. D'où vient ce concept et quelle en
est la signification exacte ? Là encore, on le devine, il s’agit
d’un emprunt fait au néoplatonisme, QE particulièrement à
Proclus. | F
Partant du vieux principe d’après lequel « le semblable est
partout connu par le semblable », ce philosophe — développant
2 idées esquissées déjà par Plotin (1) — pose en principe que
l’Un divin, qui est au-delà du Noûs (2), ne saurait être saisi
_ parl ’mtelligence humaine. Il admet, dès lors, dans l’âme l’exis-
tence d’un élément qui est, lui aussi, « supérieur au voÿs qui
est en elle », une sorte d’image ou de trace du “Ey suprême:
un £v humain, qui est comme la « fleur » ou le « sommet » de
_ notre essence, C’est « selon ce £y que nous sommes mis en Con-
tact arte avec le divin » (3). Pour être au-dessus je
-voÙs, le £v échappe à toute analyse (4).
L'identité du £ humain de Denys avec celui de Proclus

_ (1) Voir Pronn., Enn. LIL, vint, 9; V, 1, 1-8; VI, 1x, 4. Of. R. ARNOU,
loc- cit. col. 2282, 2381-2383.
(2) C'est-à-dire de la deuxième des trois hypostases LI nel
qui sont l’Un, l’Intelligence (Noûs) et l’Ame (Yuy4). Voir plus haut, p. 60-61.
(3) Voir les textes de Proelus dans H. Kook, op. cit., p.'154-156, 162 et
ZELLER, 0p. cit., p. 879-880. On sait que les mystiques parlent volontiers de
la pointe, de la cime, de l’âme, etc. Cf. STIGLMAYR, loc. cit., p. 192 ; ARNOU,
loc. cit., col. 2380.
(4) Pour la même raison, le £y humain ne saurait être «la pure cons-
cience de soi» (das reine Selbstbewusstsein) — comme le pensent Koch,
op. ‘cit., p. 154, et Zeller, op. cit., p. 879 — la conscience intellectuelle étant
une fonction de l'intelligence.

{
316 CONSCLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

saute aux yeux (1). En adoptant cette notion, le docteur hié-


rarchique ne pouvait pas ne pas avoir conscience d'innover, ce
qui, du reste — on l’a vu — ne l’effrayait pas. Mais de toute
évidence il ne se rendait pas compte de ce que le concept ainsi
emprunté par lui recelait d’incompatible avec l’anthropologie
traditionnelle (2).

L'analyse des deux voies dionysiennes achevée, se pose tout


naturellement le problème de leurs rapports réciproques. A
première vue, la voie de l’extase paraît être simplement la con-
tinuation de la voie hiérarchique. Mais il suffit de se rappeler
que l’une et l’autre aboutissent au même but pour écarter cette
hypothèse. Il semble plutôt qu’on soit en face de deux vues suc-
cessives de l’auteur. En tout cas, nulle part on ne voit celui-ci
tenter le moindre essai d'harmonisation. Au contraire, dans sa
Hiérarchie ecclésiastique — dans l'écrit, par conséquent, où
normalement pareille tentative aurait dû trouver place — ïl
écrit que «notre assimilation et notre union à Dieu s’obtien-
nent uniquement (uoyws), comme l'enseigne la parole divine,
par l’amour des très augustes commandements et par les ac-
_tions sacrées» (3).
Comment expliquer la différence notable qui sépare les deux
conceptions dionysiennes de la déification ? Peut-être par la
différence des points de vue auxquels l’auteur paraît s’être
successivement placé. On a l’impression, en effet, que, dans les
deux premiers traités, c’est surtout le philosophe chrétien qui
parle, pour montrer que le christianisme est une « théosophie »

(1) La parenté qui, en général, existe entre les œuvres de Denys et


celles de Proclus a été remarquée dès l’antiquité. Mais on l’a expliquée
par une dépendance de celui-ci par rapport à celui-là. C’est ce que fait,
par exemple, Maxime le Confesseur, Prolog. in op. s. Dionys.; P. G.,
ÉALV col 21 D:
(2) M. Koch, op. cit., p. 159, s'efforce de trouver au £v dionysien un
sens acceptable au point de vue chrétien. À l’en croire, Denys l'aurait
conçu « comme la somme des puissances de l’âme concentrées en un foyer
unique, comme la quintessence de ses puissances qui deviendrait toute-
fois Ünèp voùy Évoou ». Mais, quelque concentrée qu’on la suppose, on
ne voit pas comment la somme des facultés de l’âme pourrait devenir supé-
rieure à celle-ci.
(3) De eccl. hier. IT, 1; col. 392 A. Suit la citation de «la parole
divine », savoir JEAN, XIV, 23 : « Qui m’aime observera ma parole, et mon
Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons en lui notre demeure »,
*7

MYSTIQUE DE LA DIVINISATION *3E7

et une ascèse de la divinisation qui ne le cèdent en rien à celles


de la philosophie alors en vogue. Dans la Hiérarchie ecclésiasti-
que, au contraire, on croit entendre avant tout l’homme d "Égli-
se, soucieux de présenter cette dernière comme une institution
divinement établie pour conduire les hommes au salut, savoir
à l’union déifiante avec Dieu. Ceci dans le but d’évincer la
théurgie de Proclus.

Au cours de notre exposé nous avons signalé de nombreuses


particularités de la doctrine dionysienne sur la divinisation. Il
y en à pourtant une qui n’a pas encore retenu notre attention.
C'est que, à la différence de la grande majorité des Pères,
notre mystique ne semble pas placer dans l’immortalisation de
l’homme l’élément principal de sa déification. On a vu que,
pour lui, c’est avant tout l'unification de l'âme, sa réduction
au &y qui est en elle, qui la rend semblable au ‘Ey divin et par
là déiforme.
Mais on aurait tort d’en conclure que Denys n’attribue à
l’incorruptibilité aucun rôle dans le processus de notre divini-
sation. Il enseigne, au contraire, avee toute la tradition, que
celle-ci n’est consommée que par le don de l’immortalité bien:
heureuse dans l’au-delà.
Assurément, dès ici-bas, les baptisés mènent «une vie très
déiforme dans le Christ » (1) ; mais, «en ce monde, les saintes
âmes sont toujours exposées à des rechutes dans le mal». Ce
n’est qu'après la «sainte régénération» de la mort (2)
qu’« elles obtiendront l’affermissement très déiforme dans l’im-
mutabilité » d’une vie entièrement divine (3), dans «le sein
des patriarches », c’est-à-dire dans « les très divines et très béa-
tifñiantes demeures ». Le ciel recevra « tous ceux qui sont déifor-
mes en vue de leur éternelle et bienheureuse consommation »
par une «immortalité parfaitement exempte de tristesse et
inondée de lumière » (4).
A ce bonheur seront associés après la résurrection les corps
des élus :
(1) De eccl. hier., VIL, 1, 2; col. 553 BC.
(2) Ibid., VIL 1, 3; col. 556 B. A noter que, tout comme le baptême,
la mort est appelée une « sainte régénération ».
(3) Ibid, VII, 1, 1; col. 553 AB.
(4) Ibid, VII, 1x, 5; col. 560 BC.
Die la mystiquee néoplatoniienne, qui, en Pad Fo.
_ trouvé un apôtre dangereux pour l’Église. A cet effet, l’auteur
s'applique à couler dans les moules préparés par ce philosophe 5
Ja subst ance de la mystique chrétienne élaborée par les Alexan- .
drins et, notamment, par Grégoire de Nysse. Entreprise difficile
et périlleuse ! Aussi, sans vouloir mettre en donte le christia-
nisme et la bonne foi du pseudo-Aréopagite, tout en rendant | F
hommage à son effort qui ne manque pas de grandeur, devons-
nous reconnaître qu'il à fait la part trop belle au néoplato-
Histhe (AIR Me de CNRS
La voie mystique ne soutient qu’un rapport Tina et très :
vague avec la foi et la morale chrétiennes. C’est ainsi qu’on y.
chercherait en vain une allusion à la nécessité d’un médiateur
divin. Plus nettement marquée du sceau chrétien, sa ‘théorie :
ou de la divinisation se trouve compromise par ke
concept du £v humain qui en. constitue un élément essentiel. :
Du moins son sens chrétien a-t-il préservé Denys d’ un ue
plus dangereux encore que cachait le néoplatonisme, celui d’une
résorption panthéiste du £y de l’âme par le “Ey suprême. ‘On
se rappelle que, pour Plotin, l’âme en extase ne fait plus qu’un
avec Dieu, au point qu'alors l’homme « devient Dieu, ou plutôt,
il l’est » (éautoy 0eoy yeYouevoy, BAXAoY DE va) DE Notre ie :

(1) C'est-à-dire inscrits au registre des bantisie


(2) De eccl. hier, VII, 5 1;.coL 553 AB
(3) Cf. ibid., VII, ax, 9; cut 565 BC. S
(4) Cf. Fr. Aug. PREUSS, Ad Maximi Confessoris de Deo doctrine.
adnotationes, Schneeberg, 1894, p. 48 PEU
_ (5) PLOTIN., Ænn., VI, 1x, 10: édit. VOLKMANY, EALEEp: 522.592. Voie 3
plus haut, p. 65. es
\
ai nsi dire par une> correction nous n ceux qui sont par-
_ venus à l’union rie il écrit, en effet, non pas qu'ils sont
_ devenus Dieu, mais qu’ « ils sont entièrement devenus [la pro- (as

| piété] de Dieu» (dAous eod opPapEvaue) Che


_ Le pseudo- Aréopagite a exercé une influence qu’il est difficile :
:d’exagérer tant sur la théologie a — n'est-il pas
_ «l’auteur le plus souvent cité par saint Thomas (plus de 1700
. ce ? — que sur la ue de Cette se

Maxime «compte parmi les théologiens les plus pénétrants et


les mystiques les plus profonds que l’Église grecque ait pro-
duits » (5). De ses multiples écrits, dont aucun ne contient un
exposé systématique et complet de sa pensée, se dégage une soté-
riologie qu’on peut appeler une théologie et une Red de.
à divinisation.

ee«
« principe, er et fin de tous Le is. à. ns antérieur
: au Christ eston de la préparation de l’Incarnation, le temps
@ De div. nom., VII, Fe col. 868 A; texte cité Hire haut, p. 309.
(2) Marcel VILLER, La DR des premiers siècles chrétiens, Paris,
2 OU D 12
(8) In, Aux sources de la spiritualité de saint Maxime. Les œuvres
d'Évagre le Pontique, dans Revue d'ascétique et de mystique, t. XI, 1930,
p. 158 et op. cit, p. 137. Cf. V. GRUMEL, Maxime de Chrysopolis ou ‘s
Maxime le Confesseur, dans Dictionnaire de théol. cath., t. X, is 450. (Es
(4. Cf. Maxim. Conr, Mystag., XXIV ; t. XCI, col. 716 BC. à
65) 9. BARDENHEWER, Geschichte der altkirchlichen Literatur, MeV,
É Fribotirg-en-Brisga, 1932, p. 30. |
1220
320 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

postérieur au Christ est celui de la divinisation de l’hom-


me » (1). Cette dernière est donc la fin de la création aussi
bien que de l’Incarnation (2). Comme achèvement de l’œuvre
du démiurge, elle devait avoir celui-ci pour auteur :

Il fallait (#ôst), en vérité, que celui qui, par nature, était


le démiurge de l'essence des choses devint également l’auteur
de la déification par grâce des créatures (rñs xatà ydpuv aûroup-
yo... Pecsewc), pour que le collateur de l’être apparût égale-
ment comme le donateur du bien-être (ed elva) (3)

Dès sa formation, Adam a été « une image et une ressem-


blance de Dieu » à cause de son « âme raisonnable et spirituelle,
par laquelle surtout l’homme est et est appelé homme » (4). Cet
état d’image divine, l’homme ne le devait toutefois pas unique-
ment à sa nature raisonnable, mais aussiau « don gracieux de
l’incorruptibilité (&plapsia) » et de l’impassibilité (äräbewx),
en dehors duquel l’idéal de perfection, vo eù eïvat, ne peut se
concevoir. Notre premier père n'avait plus qu’à transformer
l’impassibilité en « immutabilité » (äroedla), afin de «devenir
dieu parla déification.. et de posséder par orâce (xarù YAoLY)
la même connaissance parfaite des choses que Dieu, à cause de
la transformation de l'intelligence et du sens en vue de la
divinisation (mods féwary ) » (5).
Mais, dès le premier moment de son existence (ua T® yevés-
for ), Adam s’est volontairement détourné de Dieu. Par sa

(1) K. JUESSEN, Maximus Confessor, dans Lexikon für Theologie und


Kirche, t. VII, col. 22.
(2) Cf. C'apit. quinq. cent, I, 42; t. XO, col. 1193: Æxpos. orat. domin. ;
t. XC, col. 873 D: Ep. XXIV:; t. XCLI, col. 609 C:; Ep. XLIIT; col. 640 C:
Ambig. lib.; t. XCT, col. 1084 C. Voir A. PREUSS, op: cit, p. 21-22.
(3) Ad Thalass., LX; t. XC, col. 624 D.
(4) Mystag., VI; t. XCI, col. 684 D.
(5) Ad Thalass., prolog.; t. XC, col. 257 D-260 A. Cf. Opusc. theol.,
Ad Marin. presbyt., T; t. XCI, col. 33 B-36 À. Voir M. Th. DISDIER, Les
fondements dogmatiques de la spiritualité de saint Mawime le Confesseur,
dans Échos d'Orient, t. XXXIV, 1930, p. 302-307.
Parfois Maxime distingue entre elxwv, image divine donnée avec la
nature humaine, et ôuolwois, ressemblance d'ordre moral acquise par l’ef-
fort personnel; par exemple De Car III, 25; t. XC, col. 1024. Mais
il n’applique jamais cette distinctionà Adam, sans doute parce que la
ressemblance divine supérieure avait été donnéeà celui-cià titre gracieux.
Hhci W-

MYSTIQUE DE LA DIVINISATION ; 821

désobéissance il a perdu l’immortalité et s’est impliqué dans


les passions, la douleur et la mort (1).
Une des suites funestes de la transgression du premier homme
a été la génération charnelle, souillée par la concupiscence con-
damnable (2), génération qui aboutit nécessairement à une
naissance dans le péché et à une existence soumise à la souf-
france et à la mort (3).

II

Seul le Logos pouvait délivrer l’humanité de toutes ses misè-


res. C’est ce que Maxime dit clairement dans un passage des
Quaestiones ad Thalassium (4) que M. Gaudel résume ainsi :
« Le seul moyen de nous arracher à la corruption de notre
entrée et de notre sortie de la vie, c'était que le Verbe incarné
purifiât l’une et l’autre par une conception à l’abri de la
concupiscence et par une mort qui ne fût point une dette con-
tractée par suite d’une génération naturelle, souillée par la
concupiscence. Tandis qu’en Adam, par la génération charnelle
_et concupiscente, nous avons trouvé la condamnation à la mort
de la nature, dans le Christ né d’une vierge la nature trouve
la condamnation du péché » (5).
Par sa génération immaculée, l’Homme-Dieu « a donné à la
nature une autre origine, celle de la seconde naissance du
- Saint-Esprit, conférant, par sa propre Incarnation, à la
nature la grâce qui dépasse la nature, savoir la déïfication (tx
Ts Ldlas sapxwseus, Thy Unèo œUsty ydpuy Üwpnoduevos TfpÜcer,
Ty Jéwotv) » (6). Par sa souffrance et sa mort imméritées,par sa

(i) Zbid., XLI; col. 405 C-409 A, combiné avec LXI, col. 628 A.
(2) Quest. et dub., III; t. XC, col. 788 AB. Avec Grégoire de Nysse,
notre auteur écrit en cet endroit que «le dessein primitif de Dieu fut que
ous ne naissions pas de la corruption par l’union charnelle ( ôtà yauou) ».
Cf. Ad Thalass., LXI; col. 632 C. Même conception dans- saint Jean
Damascène, De fide crth., II, 30; t. XCIV, col. 976 BF.
(3) Ad Thalass, LXI; t. XC, col. 628 sq. Of. Lib. ascet., 1; t. XC,
col. 912. Voir A. GAUDEL, Péché originel, dans Dictionnaire de théol. cath.,
t. XII, col. 429.
(4) Ibid.; col. 632-636.
(5) A. GAUDEL, loc. cit. col. 429.
(6) Ad Thalass., LXI, col. 632 AB. Cf. Cap. quinq. cent., I, 62; t. XC,
col. 1204, où l’auteur écrit qu’en s'incarnant le Logos a déifié l’homme qu'il
s’est uni et que, de ce fait, il a donné « à la nature des hommes la ferme
espérance de la déification, (rñs moôs éxbéwoiy éAxidos) ».
322
résurrection surtout, il a aboli notre mort et notre S0t
france (1). : =
Ce texte ne contient-il pas une allusion assez netteà la théorie US
physique de la divinisation, voire même un intéressant essai
de la juxtaposer à la doctrine traditionnelle du salut par la. :
mort du Christ ? Par malheur, l’ingénieuse synthèse de notre nsa
moine repose sur une conception discutable de la coneupis- Fe
cence et de son rôle dans la génération ainsi quede ses rap-
ports avec le péché d'Adam, conception qui visiblement se 2
rapproche de la doctrine augustinienne PA A e

Opposant avec ‘saint Paul à l’œuvre néfaste d'A l’œuvre


salutaire du Christ, Maxime semble parfois attribuer à celle-ci
le même genre d'efficacité qu’à celle-là (3). Mais, en de nom
_breux endroits de ses écrits, il enseigne formellement que le
salut chrétien, et partant la déification, présuppose :l? effort per Se
sonnel et l’emploi de certains rites..
C’est ainsi que, pour avoir part aux fruits de la Rédemption, ne
il faut « renaître du Christ selon la volonté dans l'Esprit par L
le bain de la régénération ». De plus, il est nécessaire de « gar-
der intactes et pures la grâce de l’innocence reçue dans le bap- |
tême (riy èv T6 Pantisuarydoty Ts avauaornolus) et la vertu de …
l’adoption mystique dans l'Esprit par la loi des commandements
évangéliques » (4). Car, si dans son amour Dieu est descendu
jusqu’à nous, il ne déifiera par sa grâce que ceux qui, en esprit,
montent vers lui (5). A cet effet, il faut que nous soyons des
«imitateurs exacts » du Christ (6), notre « modèle et exemple ».
Comme la volonté humaine du Sauveur « a été pleinement déi-
fiée» (Gihou vefléwro), parce qu’elle s'était parfaitement SOU.
mise à la volonté divine, ainsi en sera-t-il de nous-mêmes, si ë
nous imitons sa soumission à Dieu (7).
@) I bid. À noter que, chez Maxime, « l'idée de la répar ation de l'offense
faite à Dieu n ‘apparaît aucunement ». V. GRUMEL, loc. cit, col. 457. Le
(2) Cf. A. GAUDEL, loc. cit.
(3) Voir notamment Ad Thalass., LXI:; t. XO, a 632.
(4) Ibid. ; col. 636. C. Cf. Lib. ascet., 2-8: t. XC, col. 914 A-C.
(5) Opusc. theol., Ad Georg.: t. XCI, col. 57 AB.
(6) Lib. ascet., 34; t. XOC, col. 940 B.
(7) Opusc. theol., A4 Marin. diacon. ; t. XOI, col. 80 D. Cf. col. 81 D-4. pe
On voit la place que, dans sa docttiie de la divinisation, Maxime fait au
dogme des deux volontés dans le Christ, dont il a été «le champion
le
première es le fidèle s’exerce à la Rép “ com-
mandemorits divins et des vertus pour acquérir 1 ’impassibilité
Ê(rébeua). : c’est la vie active (ñ moaxtixr). Le second degré
_est celui de la gnose (yv@os) ou de la contemplation (Hswpla),
E ; elle-même habituellement subdivisée en deux phases (1). De la
sorte, le moine de Chrysopolis obtient une division tripartite de
la vie ALTEUÈRS qu'il décrit en ces termes:
L'esprit qui réussit on la [vie] pratique progresse vers
_la prudence (mpdç opéynow ); eelui que réussit dans la eon-
_ templation avance vers la gnose. A la première [vie]i
_ appartient d’amener celui qui lutte à la distinction entre Le
- vertu et le vice; à la deuxième, au contraire, [il appartient].
de conduire celui qui participe à cette distinction à la science
Re . des êtres incorporels et corporels. Mais est enfin jugé digne
: (xara£ioÿra:) de la grâce de la connaissance de Dieu (rs
Beokoyixñs xépur0s) celui qui, ayant dépassé par les ailes de
la charité tout ce qui vient d’être énuméré et s'étant fixé en
Dieu (ëv 0e yevéuevoc), appliquera son esprit, autant qu’il
est possible au voÿ humain, à l’étude de la science qui a Dieu
- pour cr (2).

Pour voir Dieu et D trésors qu’il renferme, il faut, dès lors,


«se purifier par la charité et la continence » : plus on se puri-
fie, mieux l’on verra Dieu (3). C’est que seul l’esprit détaché
= des choses terrestres est capable de s’adonner de façon continue
32e (èmeptordorws ) à la prière (4) qui, à son tour, « sépare le vods
de toutes les pensées, le place nu devant Dieu lui-même et
4e l’unit à lui» (5). Arrivéà ce « sommet de la prière », élevé
au-dessus de la chair et du monde, de voès devient «entière-
»
me “naiss » et L martyr. Voir TIXERONT, ne cit,t. III, p. 188. Pour
ce Jui, nier ce dogme, c’est rendre inexplicable la déification du chrétien.
_ Cf. P. PouraT, La spiritualité chrétienne, t. I, p. 475-476. .
PE _(4) Pour le détail de toutes ces divisions, voir M. VILLER, loc. cit.
; D. 162-166, où l’on trouve également les références aux écrits de Maxime.
(2): De carit., II, 26; t. XC, col. 992. Cf. Ad-Thalass., X, XXV; t. XC,
col. 288 B, 333 D-335 A.
(8) Ibid, IV, 72; col. 1065.
(4) Tbid., II, 1,3, 5; col. 984-986.
col. 929, où id
(5) Lib. ascet., 19; t XO, col. 925-928. Cf. ibid, 24:
cest dit que la « grâce de la prière unit (suvénwet) le vos à Dieu ».
324 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

ment immatériel et sans forme » (duAoy mévin xat &veldeoy


S
)(1) ;
« contemplant celui qui est simple, il devient lui aussi simple et
parfaitement semblable à la lumière (gwzoetèns) » (2) ; con-
versant avec Dieu, le voÿs nu devient, enfin, « déiiorme » (3).
Dans l'élan de la prière, il «est saisi (domayñvat) par da
lumière divine et infinie : il n’a plus la perception ni de lui-
même ni, en général, d’aucun être, sinon uniquement de celui
qui, par la charité, opère en lui une telle ilumination » (4).
Bref, «la prière du théologien (Geokoyixôs) » est «un
silence mystérieux » (äropntos ouÿ4) aboutissant à l’« union
qui dépasse pensée et gnose » (5). Et ceux qui « ont été mysti-
quement rendus dignes » de cette contemplation unitive repro-
duisent l’ «image qui imite parfaitement et sans défaillance
la divine beauté » (6), savoir le Logos. C’est dire qu’« ils reçoi-
vent de Dieu d’être des dieux » (èx eo to Aeot elvar AuBôvres) (7).
De toute évidence, la prière supérieure préconisée par Maxime
est une ascension de l’âme vers l’union extatique avec Dieu
calquée sur la voie mystique de Denys. Mais le disciple se montre
plus sobre et plus prudent que le maître. Assurément, chez
Maxime aussi, la rencontre extatique avec Dieu a lieu en dehors
de l’activité normale du voÿs:, celui-ci étant alors comme sub-
mergé par des torrents de lumière divine. Cependant, grâce à
sa sensibilité chrétienne plus éveillée, notre moine semble avoir
décelé le danger de panthéisme qu'impliquait le concept néopla-
tonicien du £y humain, émanant du ‘Ey divin et faisant retour
à lui. En tout cas, il fait l'impression de vouloir parer à ce
danger.

(1) De carit., II, 61; t. XC, col. 1004.


(2) Ibid, III, 97; col. 1045.
(3) Lib. ascet., 24; t. XC, col. 929.
(4) De carit., II, 6; t. XC, col. 985 B. Cf. Dronys. AREop., De myst.
theol., I, 3; t. III, col. 1000 C-1001 A; cité plus haut, p. 311.
(5) Ad Thalass., XXV, schol. 14; t. XC, col. 340 BC. Bien que les
scolies qui accompagnent les Quaestiones ad Thalassium soient «d’un
auteur inconnu du XI° siècle », voir V. GRUMEL, loc. cit., col. 450, nous
croyons pouvoir les citer ici parce qu’elles sont manifestement conformes |
à la pensée de Maxime.
(6) Ibid., X; col. 288 D.
(7) De carit., I, 28; t. XC, col. 1189. Aux numéros 27 et 28, l'union
déifiante à Dieu est présentée comme un effet de la charité. Mais, au
fond, la charité parfaite se confond pour Maxime avec la prière supérieure.
L

MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 325

III

Dans les scolies que notre auteur a consacrées aux œuvres


du «divin Denys » (1), se manifeste plus clairement encore sa
constante préoccupation d’en éliminer tout ce qui choque
l’orthodoxie. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup
d’œil sur les scolies relatives aux passages aréopagitiques où fi-
gure le £y de l’âme.
On à vu que, sans hésitation, Maxime adopte l'expression
dionysienne « devenir un » (£v ylyvesflar ), pour désigner cette
simplification de l’âme qui est à la fois une condition et un
effet de l’union à Dieu : « En tendant vers Dieu, nous deve-
nons, au moyen de cette unité, un £y simple, un £y uniforme
(Ev duepèc,... Ev évoetdés) » (2). Mais là où le docteur hiérar-
chique parle de l’«un» humain comme de la partie la plus
noble de l’âme, supérieure au voùs même et siège du contact
mystique avec Dieu, notre confesseur ou bien passe cette notion
sous silence, ou bien l’écarte discrètement sous prétexte de
l’expliquer.
Aïnsi le passage de la Hiérarchie ecclésiastique cité plus
haut (3), où Denys parle de l’entrée spirituelle de l’hiérarque
« dans son y », est simplement laissé de côté par son commen-
tateur (4).
Dans le même écrit, le pseudo-Aréopagite dit que les hym-
nes et les lectures sacrées « remplissent en des contemplations
bienheureuses et spirituelles le évostdés des parfaits du ‘Ey
divin en l’unissant à lui» (5). Sous la plume de Maxime, ce
cvyuetdés devient «ce qui [est orienté] vers le “Ev [divin],
savoir le yoùs même qui voit le divin et dont Denys dit aussi

(1) Prolog. in op. s. Dionys.; t. IV, col. 20 A, 20 D. Denys est encore


appelé péyas (col. 16 A), répueyac (col. 17 B), éytos (col. 17 C), paxdpros
(col. 21 D). Saint Jean Damascène ne se montre, du reste, guère moins
enthousiaste pour notre mystique, puisqu'il le qualifie de Geios &vnp (De
imag., I, 11; t. XCIV, col. 1241 A), de 6eopôpos ai tà Oeta moAdS AtovÜatos
(De jide orth., III, 6; t. XCIV, col. 1005 A).
(2) In libr. de div. nom., I, 3; t. IV, col. 196 A.
(3) Plus haut, p. 514.
(4) In libr. de eccl. hier., IXT, 1x, 3; t. IV, col. 140 AB.
(5) De eccl. hier., IN, 111, 8; t. III, col. 477 AB, $
quail est uni au ‘Ey lui-même et qu’
5 ae remp d
avec lui» (1).

«union qui de la nature du voDs et par adie ou


est uni à ce qui est au-delà de lui » (2). La paraphrase de
Maxime explique qu'il s’agit de « 1’union du voès (Éywstv vod
vo5 ).… par laquelle ce dernier est haussé vers ce qui est au- delà
de lui-même, c’est-à-dire tend à la contemplation de Dieu » (3).
En identifiant ainsi, non sans habileté, le £ de l’âme avee Se
le voÿs, notre auteur vide ce concept de sa signification spéci
fiquement ion. Date il le rend . Pa

mutatis do. leie ua radiroe Ro. 1


Il n’en reste pas moins qu’en interprétant en un sens re
doxe la mystique dionysienne et en la rattachant plus étroite-
ment à l’ensemble de la doctrine de l’Église (4), Maxime a non ne Es
Leds assuré son succès, mais rendu le plus signalé service Re:
à la mystique chrétienne. k |
En définitive, malgré de nombreuses divergences 4 détail,
Denys et Maxime sont d’accord Poe voir dans la défication

(1) In libr. de eccl. hier., IV, tx, 8; t. IV, col, 156 A : To évoeudé
pnou To rpùs Tr Ev, Hyouv Tèv to Belov 6povra adTov voÿv, dv xal évoUsar Te de
TpÔs aÜTd Tù ÉV, xal This toutou drorAnpoüobat évüceuws. =
(2) De div. nom., VIL, 1; t. IIL, col. 865 C. Voir plus haut, p. 309.
(3) In libr. de div. nom., VII, 1; t. IV, col. 344 A. Cf. VII, 3; col.
353 À; In libr. de myst. theol., I, 3; col. 421 A.
(4) Ce progrès semble dû, en bonne partie du moins,à l'influence pré- -
pondérante d’Évagre le Pontique, auquel Maxime emprunte «la char-
pente de sa spiritualité ». Cf. M. Vie, loc. cit., p. 260. |
Dans ce qui nous reste des écrits d’Évagre, on trouve quelques traces ou
thème de la divinisation. Comme Origène et Grégoire de Nysse, Évre 1
voit dans la gnose, qu’il conçoit comme une union immédiate, mystique
à Dieu, le terme de la vie chrétienne. Cf. J. Morsescu, Edéypros 6 Iovrixôs, ne
_ Athènes, 1937, p. 142-144. Or, parmi ceux qui sont parvenus à cette …
union eéontemplative, il n’y a plus ni maîtres ni disciples, « mais tous
sont des dieux» (&hAà mivres Osol slow). Cent. IV, 51; édit. W. FRANKENBERG, |
Euagrius Ponticus, Berlin, 1912, p. 293. Aïlleurs il précise que le gnostique
ne devient pas dieu par nature,mais par grâce : le voüs favorisé de la
contemplation de la Trinité «est même appelé dieu par grâce étant devenu
l'image parfaite de son créateur ». Cent. V, 81; édit. FRANKENBERG, p. 355. à
Cf. Spirit. sentent, XXIV; P.G. t. XL, col. 1269 : Yuyh xafapà era É +
fedv, Beôs. & RC
MYSTIQUE DE LA DIVINISATION 327

par l’union mystique à Dieu le but de la création et de l’In-


carnation aussi bien que de l’activité morale de l’homme. S'il
est vrai — comme on l’admet communément (1) — que le Cor-
pus dionysianum a été composé en Syrie, il en faudrait con-
clure qu'au V* siècle l’idéal de la divinisation a fait des pro-
grès étonnants dans la patrie des grands Antiochiens. Dans
tous les cas, les écrits du pseudo-Aréopagite et du moine de
Chrysopolis prouvent que la doctrine et peut-être plus encore
la mystique de la fhéopoièse jouaient un rôle de tout premier
ordre dans la pensée théologique et la piété de l’Église grec-
que des VI‘ et VIT siècles (2).

(1) Cf. O. BARDENHEWER, Geschichte der altchristl. Literatur, t. IV,


p. 294.
(2) Chez Léonce de Byzance, « le théologien le plus remarquable » de la
première moitié du VI° siècle (cf. BARDENHEWER, 09. cit. t. V, p. 12),
on ne trouve pas la terminologie de la 0éwsiç. Il présente le salut comme
le recouvrement de la ressemblance et de la filiation divines; mais il ne
parle pas de divinisation, même pas au sujet de l'humanité assumée par
le Verbe. Peut-être pour ne pas fournir des armes à ses adversaires les
aphthartodocètes, pour lesquels «la chair du Sauveur, de par son union
avec le Verbe, était impassible et incorruptible ». V. GRUMEL, Léonce de
Bysance, dans Dictionnaire de théol. cath., t. IX, col. 420. Cf. In., La
sotériologie de Léonce de Byzance, dans Échos d'Orient, t. XL, 1937,
p. 385-397.
CHapiTRE III

TERME DE LA PATRISTIQUE GRECQUE :


SAINT JEAN DAMASCENE

Au VIII: siècle, l’iconoclasme vient s'associer au monothé-


lisme pour susciter dans l’Église d'Orient des polémiques pas-
sionnées. Dans l’ardeur de la lutte, les défenseurs du dogme
catholique de l’époque oublient trop souvent de s'élever à la
hauteur des principes qui le commandent. Heureusement la
théologie grecque va trouver un compilateur de premier or-
dre : saint Jean Damascène s’efforcera de résumer en un tout
plus ou moins systématique et complet la tradition doctrinale
de son Église, pour la transmettre, non seulement à l'Orient
— où la Source de la connaissance est restée le manuel elassi-
que de théologie dogmatique (1) —— mais aussi à l'Occident.
Il suffit de parcourir le chef d’œuvre du Damascène, son
Exposé de la foi orthodoxe, pour remarquer que l’enseignement
sur Dieu, la cosmologie et la christologie y tiennent de beau-
coup la plus grande place. A la sotériologie, au contraire, l’au-
teur n’a même pas jugé nécessaire de consacrer un chapitre
spécial. En recueillant les allusions qu'il y fait çà et là, on
arrive toutefois à reconstituer sa conception de la Rédemption
qui, du reste, n’a rien d’original. En cette matière Jean a plei-
nement réalisé son dessein de n'être qu’un écho des « meilleurs
des maîtres » antérieurs (2). Mais, en écho fidèle, il a réservé
une place importante au thème traditionnel de la divinisation.

(1) Cf. O. BARDENHEWER, op. Cut TE NE ND one


(2) Joan. Damasc., Dialect., prooem. ; P. G., t. XCIV, col, 524 C-525.
TERME DE LA PATRISTIQUE GRECQUE | 329

Comme on devait s’y attendre, le docteur de Damas présente


la déification du chrétien comme un retour à la perfection ori-
ginelle. Avec les représentants de l’école d'Alexandrie, il se
fait de l’état primitif une très haute idée, ainsi qu'il ressort
avec évidence des développements— contenus surtout dans le
deuxième livre de la Foi orthodoxe — qu'il consacre au para- :
dis. On y reconnaît une véritable mosaïque de citations tant
scripturaires que patristiques, ces dernières empruntées pour
la plupart aux Cappadociens, à Grégoire de Nazianze surtout,
le maître préféré de Jean.
Le Damascène distingue en Adam l’image et la ressemblance
divines : « 70 xat’ elxwy, écrit-il, signifie l'intelligence et le li-
bre arbitre (aôrefoüsuov) ; to dE xal” éuolwsty la ressemblance
de la vertu, autant qu’il est possible» (1). La ressemblance
divine était pour notre premier père un don de Dieu, l’effet
d’une «participation divine » qui consistait dans la contem-
plation du créateur.
Telle est la signification profonde que Jean découvre au ré-
cit paradisiaque. Après avoir rappelé que, parmi les Pères, les
uns avaient conçu le paradis comme sensible, les autres, au
contraire, comme purement spirituel (vontoy ), désireux de con-
cilier les deux points de vue, il propose l’opinion que voici :

L'homme ayant été créé à la fois sensible et spirituel, son


lieu de séjour très saint a été fait, lui aussi, à la fois sensible
et spirituel, présentant ainsi un double aspect. Dans son corps,
il habitait dans la très divine et très belle contrée, comme
nous venons de le raconter; dans son âme, au contraire, il
séjournait dans le lieu supérieur d’une beauté incomparable,
ayant pour demeure Dieu qui habitait en lui (Geûv Exwv oîxov +dy
Evouxoy) (2) et lui servait de vêtement splendide, revêtu qu’il était
de sa grâce ( xéoty ), jouissant et se nourrissant, tel un autre

(1) De fide orth., II, 12; t. XCIV, col. 920 B. Cf. IV, 14; col. 1108 AB.
Nous verrons que le Damascène ne reste pas toujours fidèle à cette dis-
tinction.
(2) D’après De fide orth., IV, 13; col. 1137 B, Adam axsit reçu le don
du Saint-Esprit qui habitait en lui.
dr. ce qui a été a à. droit arbre de v A
En effet, la suavité de la participation divine confère ?
à +
_ qui la perçoivent une vie non 1 interrompue par la ue @).
A

Ainsi, grâce à sa « communion avec Dieu » (2), où — comme


Jean s’exprime encore à la suite de Grégoire de Nazianze @
— «par sa propension vers Dieu, l’homme a été déifié
(Aeouuevoy ) ; déifié, toutefois, par une participation à la splen-
deur divine * non par une transformation en la divine <s-
| sence » (4). D’ après la citation précédente, cette participation
_ à la gloire de Dieu consistait dans nue ou lime
mortalité bienheureuse (5).
Non content de sa divinité participée, Ada se laissa séduire
« par l’espoir d’une divinité» de nature (6). Mal lui en prit:Ke

Trompé par le démon, auteur du péché, l’homme here


pas le précepte du créateur; il fut dépouillé de la grâce, privé ,
de la confiance rassurante en Dieu (4 mp Bey rapénaix RS
et enveloppé par l’aspérité d'une vie pénible; c’est ce que
signifient les feuilles de figuier. En outre, il fut entouré de à
choses mortes, savoir de la mortalité et de la lourdeur de late :
chair; ce qui signifie le vêtement de peau (7). Il fut chassé
du paradis selon la juste sentence de Dieu, condamné à la mort
et livré à la corruption. Mais le [Dieu] miséricordieux, qui lui=
avait donné l'être et l'avait gratifié du bien-être (ri sd elvat) )So
ne l’abandonna pas (0). mr

(1) De fide orth., II, 11; col. 916 BC. Cf. II, 30: col. 976 C-977 A. £
(2) Ibid, IV, 4; col. 1108 B. À
(3) Cf GREG. Naz, Or. XXXVIIT, Het “RXXVL col. 324 A. Voir |
plus haut, p. 246. À noter que le Damascène ajoute immédiatement une
précision concernant la nature de la déification d'Adam. LE te
(4) De fide orth., II, 12; col. 924 À.
(5) Cf. ibid, II, 11; col. 917 CD; II, 30; col. 977 BC; IV, 4;eo.
1108 B.
(6) Cf. GREG. Naz., Or. XXXIX, 13; t. XXXVI, col. 349 AB.
(7) Cf. Ip. Or. XXVIII, 12; t. XXXVI, col. 324 C. |
(8) Expression rencontrée déjà chez Maxime le Confesseur. Voir plus |
haut, p. 320.
(9) De fide orth. III, 1; col. 981, où Fe résume GREG. Na, Or. Ë
XXXVIIIL 18; t XXXVI, col. 325. C£. Contra Manich., 31: t. XOI
col. 1437 D, où le Damascène parle du grand péché que commet la créature de
qui a la prétention de « dépasser sa propre nature » et de devenir dieu :
chose impossible pour tout ce qui a un -commencement -(48 UvaTov te EU
uh dvapyoy eivar Beby). : &
à l’homme « neDu au bien dre:>On. Mais tousces
se sont révélés insuffisants.

IT

| hé >.
soumis à la mort, qui restaurât la nature humaine et ensei-
se Li son de « la voie : la ous qui Has de la

Dans les entrailles de sa SR le créateur ct de È


de notre genre est devenu semblable à nous, se faisant homme
en tout sauf le péché et s’unissant à notre nature. Puisqu’il
_ nous. avait communiqué sa propre image et son propre Esprit
, et que nous ne les avions point conservés (3), il a lui--même
x assumé notre pauvre ct faible nature, afin de nous purifier,
de nous rendre de nouveau incorruptibles et participants des
Fes. S8 propre divinité... ÿ
HER Par sa naissance ou incarnation, par son baptême, sa passion 4
et sa résurrection, il a donc délivré la nature du péché de notre
premier père, de la mort et de la corruption; il est devenu
le principe de la résurrection et s’est proposé lui-même comme É
. la voie, l'exemple et le modèle, afin que, marchant sur ses …
traces, nous devinssions par adoption (féce:) ce qu il est lui-
même par nature (oûoer ): fils et héritiers de Dieu et ses “
… cohéritiens. Il nous donna aussi, comme il dit, une seconde |
_ naissance, pour que, de même que naissant d'Adam nous sommes
à assimilés àà celui-ci, ayant hérité la malédiction et la corruption,
FAIRE
(4) Zbid.
(2) Ibid.
@) Le Damascène semble oublier ici la distinction. entre « image » ti
F « ressemblance » divines dont il a été question plus haut (p. 329). E
_ tout CR ce que Thomme va Des conservé c'était la ressemblance re

se une Fr de plus, Parti suivre saint Gréetire de Naziance (CE.Or


XXXVIIT, 13 et XLV, 9: t. XXXVI, col. 325 et 636 A). Or ce dernier Les
1efait pas la distinction en cause. Voir plus haut, p. 244- 2417. FRE
332 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

de même aussi, nés du Christ, nous devinssions semblables à


lui et héritiers de son incorruptibilité, de sa bénédiction et de -
sa gloire (1). |

Ce beau texte est comme un raccourei de la sotériologie du


Damascène, voire même de la sotériologie de l’Église grecque.
Il résume, en effet, à peu de chose près, les vues traditionnelles
sur l’œuvre salvifique du Christ (2). Le salut y est présenté,
négativement, comme une délivrance du péché et de la corrup-
tibilité, positivement, comme une adoption divine, une partici-
pation de l’immortalité glorieuse de Dieu, bref, une déifieation.
Le tout rattaché à la vie et à l’activité entière du Sauvéur, dont
les différentes étapes sont toutefois mises sur le même plan.
Mais ailleurs Jean attribue une efficacité rédemptrice spéciale
tantôt à l’Incarnation prise isolément, tantôt à la mort du
Christ.
Le plus souvent notre docteur ne mentionne comme cause de
notre Rédemption, que le sacrifice expiatoire de la eroix. C’est
dire que le réalisme traditionnel domine sa sotériologie. Voici,
à titre d’exemple, un passage particulièrement significatif :

Toutes les actions et tous les miracles du Christ sont grands,


divins et dignes d’admiration; mais la plus admirable de toutes
ces choses c’est la précieuse croix. Par rien d’autre, en effet,
la mort n’a été détruite, le péché de notre premier père effacé,
l’enfer dépouillé, la résurrection donnée... le retour à la félicité
originelle préparé, les portes du paradis rouvertes, notre nature
placée à la droite de Dieu; par rien d’autre nous ne sommes
devenus enfants et héritiers de Dieu, si ce n’est par la croix
de Notre-Seigneur Jésus-Christ (3).
Pas plus que ses devanciers, Jean ne fait usage de la termi-
nologie de la fhéopoièse lorsqu'il exalte la valeur rédemptrice

(1) De fide orth., IV, 13; col. 1137 A-C. Cf. IV, 4: col. 1108.
(2) 11 manque dans notre texte le thème de la défaite du démon, que
l'auteur développe toutefois ailleurs. À la suite de l’évêque de Nazianze,
il rejette la théorie des droits du démon pour ne retenir que celle de l’abus
du pouvoir. Cf. De fide orth., III, 1, 27: col. 981 C-984 A, 1096-1097.
(3) De fide orth. IV, 11; col. 1128 D-1129 A. Cf. III, 25, 27; col. 1093,
1096 BC; IV, 4, 9; col. 1108 C-1109 B, 1120 C-1121 A. Voir J. RIVIÈRE,
Le dogme de la Rédemption. Essai d'étude histor., p. 206-209; M. JUGIE,
Jean Damascène, dans Dictionnaire de théol. cath., t. VIII, col. 737.
TERME DE LA PATRISTIQUE GRECQUE 333
de la passion et de la résurrection de Notre-Seigneur. En re-
vanche, cette terminologie réapparaît dès qu'il se met à décrire
les bienfaits de l’Incarnation comme telle. En même temps
réapparaît le réalisme générique qui est à la base de la théorie
physique de la divinisation.

Dans la partie christologique de sa Foi orthodoxe où il se


montre préoccupé de défendre le dyophysisme, le Damascène
répète plus d’une fois cet axiome de Grégoire de Nazianze : « Ce
qui n’a pas été assumé n’a pas été guéri» (1). Il en conclut à-
la parfaite identité de la nature humaine dans le Christ et en
nous. Qu'il ait pensé à une identité absolue, numérique, c’est ce
qui sessort avec évidence des chapitres 3 et 6 de la III° partie
du même traité.
Après avoir rappelé que l’erreur des monophysites consistait
à identifier nature (æUo1y) et hypostase (Ürdorusty), notre au-
teur développe la conception catholique. II commence par po-
ser en principe que, dans les nombreuses et différentes hypo-
stases, il n’y à qu’une seule et même nature ou essence, telle
l’unique nature humaine dans tous les hommes (2). Non que
l’essence subsiste en soi (ñ oùsla GE xaf° éaurhv où Dolotarar) ;
elle n’existe que dans l’hypostase qui se définit « une ‘essence
avec les accidents » (obola uetù ouufBeBnxétwy) (3). Mais
« toute essence est commune aux hypostases qu’elle renferme et
l’on ne trouve pas de nature ou d’essence particulière et indi-
viduelle ; autrement il faudrait dire les mêmes hypostases à la
fois consubstantielles et d’essence différente, et la sainte Tri-
nitéà Ja fois consubstantielle et d’essence différente selon la
divinité. C’est dès lors la même nature que l’on voit dans cha-
. cune des hypostases » (4). Si, par conséquent, une hypostase
souffre, toute l’essence respective est dite souffrir dans une de

(1) Voir plus haut, p. 247.


(2) De fide orth. III, 3; col. 992 : uiav Toy avôporuwv pÜsty vauèv.. Toy
Thclotwy 1at Otapopuv ÜrogtTÉsewy piav oÜoLWY paHév.
(3) Zbid., III, 6; col. 1001 C-1004 A.
(4) Ibid.; col. 1008 AB : Iläox y&p oùcia xotvh arr Tüv ÜT” abris nepteyo-
uévuy Ütooticewv, at oÙx Éotiv eûpeiv ueptunv nai lot#Couoxv wüov, frot oùsia,
ênel dviÿun tés aûTis ÜTostioets xal Owoovsious 4a éteooovsious Aéyetv, al Ty
&yiav Totiôa xa Guooûatoy wa étepooüaroy xaTà Thy Bedrnra héyeuv. SH aÙrh voi.
VUv ŒUats V ÉxAoTy TOV ÜnooTiseuwv Pewpeirat.
. a de même espèce D celle
fre SEL)
Or, «par à pese avec la divinité > (ri
Fr ris

premier Discours apologétique contre ceux sn


on +
saintes images : É Te RS

Nous avons réellement été sanctifiés lorsque(de’ où


Logos est devenu chair, assimilé à nous en tout sauf e. péché
qu’il s’est mélangé à notre nature sans confusion et que, Sax
la changer (äueraBéruc), il 4; déifiéPoe la chair.
la ÉRnte e He

re de la divinisation.

(1) ITbid.; col. 1004 A.


(2) Ibid., III, 18; col. 1072 C.
(3) Ibid, III, 17; col. 1068 B-1069 B. Te chapitre est intitulé *
la déification ( Tefsoûar ) de la nature de la chair du Seigneur et Frsa
volonté ». Jean n'hésite pas d'écrire: à o4p£ vod xvptou rebeoofar Xéyerar, vi
“Aa 600606, ai eds yevéodat ; cela à la suite de Grégoire de Nazianze,
Or. XXXIX, 16 et XLV, 9: t. XXXVI, col. 353 Be et 633 D. De fide orth.,
IV, 9; col. 1125 A, notre auteur dit du corps du Christ : ti Bewoe Peé
Il conçoit cette déification comme une communication d'énergies di es,
qui, sans exempter la chair du Seigneur de la souffrance et de la mort —
. la simple +004 —la préservait de la dissolution définitive, not Btx-
@Bop4. Ibid., IT, 28; col. 1097-1100. se
En ce qui concerne le mot meptywpntss, léévêque de Ne l'a éme yé
le :Li oi pour une la DRE des natures dans le

297- 299. ne
(@ De imag., ‘I, 21; t. XOIV, col. 1253 AR La den Ta

de De fide or . III, 17ee à l'instant) et 4 De abs


_volunt., XXVIII, XLIV ; t. XCV, col. 161, 184.
(4), Jean distingue un double effet de la « seconde nais-
e > : L ; RARE
î

Puisque l’homme est double, [composé] d’une âme et d’un


_eorps, Dieu nous à donné aussi une double purification, savoir
par l’eau et l'Esprit. Par celle de l'Esprit, il renouvelle en
4

1) De fe the III, 11; col. 1021- 1024 A. Dans ce curieux passage,


n distingue trois sens du mot wüats. Ce terme peut signifier : a. «la
re considérée Vu Pewpla, qui ne subsiste pas en soi» ; b. la « nature
si dérée dans l'espèce et qui est commune à toutes les hypostases de
même espèce et les comprend (ouvirrousa ) »: c. la «nature considérée
Ans un individu (év dréuw Bewsouuéyn œüou) ‘et qui est identique à la
re considérée dans l'espèce ». Or le Logos n’a assumé ni la première ve
S trois natures — assomption qui n'aurait été qu'un simulacre d’in-
atic n — ni la deuxième — «car il n’a pas assumé toutes les hypo-
s» (où yäp TÂcas rdc Orootéoeu àvéhafiev) — «mais la nature dans |
dividu qui est identique à celle dans l’espèce ». |
La nature considérée dans l'espèce» et «la nature considérée dans
dividu » sont manifestement conçues par notre auteur comme concrètes.
;
n ti jues pour le fond, elles diffèrent néanmoins, puisque la première
comprend toutes les hypostases de poète. espèce », alors que la seconde
à quels expédients la négation de a
es dans une seule hypostase. On voità
la nature concrète individue lle réduit notre auteur.
(2) Ibid., IV, 13; col. 1137 A-C. Texte cité plus haut, D. 331-582.
(8) Cf. ibid, IV, 9; col. 1117-1125.
_ (4) Voir plus haut, p. 286-287.
336 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE
nous ce qui est selon l’image et la ressemblance (1); par celle
de l’eau, il purifie par la grâce de l'Esprit le corps du péché »

et le délivre de la corruptibilité (?0op&) (2), l’eau étant l’image


de la mort, l'Esprit conférant le gage de la vie (3).

Grâce au baptême, l'Esprit divin demeure dans les saints


dès leur vie terrestre (4) ; il restaure en eux la ressemblance
divine; bref, il les « déifie, sans être déifié » (Beoüv où n..
yoy) (5) lui-même, puisqu'il est vrai Dieu.
En nous unissant au Saint-Esprit, le rite baptismal nous
unit en même temps à toute la Trinité qui est inséparable
(äywpuoros) (6); il fait de nous des fils adoptifs et des héritiers
de Dieu en nous rendant « participants de sa propre divini-
té» (7), de sa propre nature (8).

A la vie nouvelle conférée dans le baptême il faut un aliment


approprié qui lui permette d’« atteindre la mesure de la per-
fection » (9). Cette nourriture n’est autre que «le pain de
l’autel, ainsi que le vin et l’eau qui, par l’invocation et la pré-
sence ([éntpoirnsu) du Saint-Esprit (10), sont merveilleuse-
ment (0repgu&s) changés dans le corps du Christ et son sang,
au point de ne plus être deux choses mais une seule et même
chose » (11).

(1) A noter la synonymie d'elxwv et de. ôuolusy qui trahit ici l'in-
fluence de Cyrille. Voir plus haut, p. 280.
(2) Le corps apparaît ici comme le siège du péché !
(3) De fide orth., IV, 9; col. 1121 A. Avec de nombreux Pères, le Damas-
cène -admet que «par la prière et l’invocation, l'Esprit-Saint vient dans
l’eau ».
Sur la double naissance, voir encore #bid., IV, 13; col. 1137 D.
(4) Cf. De imag., I, 19; col. 1249 CD. Après la mort des saints, écrit
Jean, «la grâce du Saint-Esprit reste indissolublement unie et à leurs
âmes et à leurs corps dans les tombes, ainsi qu'à leurs figures et saintes
images; non selon l'essence, toutefois, mais par la grâce et la vertu
(LAputr wat évepyela) ».
6) De fide orth., I, 8: col. 821 C.
(6) Zbid.. IV, 9; col. 1124 A.
(7) Tbid., IV, 13; col. 1137 BC. Cf. IV, 15: col. 1164 A.
(8) De imag., I, 4; col. 1236 B.
- (9) De fide orth., IV, 13: col. 1137 B.
(10) Allusion à l’épiclèse.
(1) De fide orth., IV, 13; col. 1144-1145. Ibid., col. 1141 À, la trans
formation eucharistique opérée par l'Esprit est comparée à l’action de
celui-ci dans l’Incarnation.
td TERME DE LA PATRISTIQUE GRECQUE 337

Les fruits de la communion eucharistique s'étendent au Corps


et à l’âme de ceux qui la « reçoivent avec foi et dignement ».
Ce sont la rémission des péchés, la sauvegarde pour l’âme et
le coïps, « l’incorruptibilité en vue de la jouissance de l’éter-
nelle béatitude » (1), voire même la participation à la divinité
de Jésus (2). C’est que le corps du Seigneur possède «une
vertu divine et vivificatrice » (3) ; on peut le comparer à un
charbon enflammé qui met en feu et s’assimile ainsi tout ce qui
entre en contact avec lui :
Approchons-nous de lui avee un désir ardent et, après avoir
croisé les mains, recevons le corps du crucifié. Après y avoir
appliqué les yeux, les lèvres et les fronts, prenons le charbon
divin, afin que le feu de notre désir, augmenté par l’ardeur du
charbon, consume nos péchés, illumine nos cœurs, et que, par
la participation au feu divin, nous soyons embrasés et déifiés
(Bewbduev) (4).

Ainsi chacun des deux grands mystères de l'initiation chré-


tienne déifie l’homme, mais plus spécialement l’Eucharistie.

Précaire et imparfaite durant cette vie, notre déification de-


viendra définitive après la mort, grâce à notre union alors in-
dissoluble à Dieu (5). L’incorruptibilité sera pleinement réalisée
après la résurrection (6). Mais l’äplaosia comme telle n’est
pas le bien suprême. Commune aux élus et aux réprouvés, elle
en est une simple condition. Le bonheur souverain consiste
dans la vie éternelle et glorieuse auprès de Dieu, vie qui ne
. sera accordée qu'aux saints (7).
Admis, enfin, à la vision (féx) qui les fera « participer spi-
rituellement.. de la divinité du Christ» (8) et devenus des

(1) Ibid. ; col. 1148.


(2) Ibid.; col. 1153 A. Cf. col. 1152 B, où il est dit que les commu-
niants «deviennent corps du Christ ». ï
(3) Ibid.; col. 1152 BC.
(4) Ibid.; col. 1149 AB. A noter les détails donnés dans ce texte sur
la manière de recevoir l'Eucharistie.
(5) Cf. Libellus de recta sentent., 1: t. XOIV, col. 1421 A; Contra
manich., 75: t XCIV. col. 1573 B; De octo spirit. nequitiae; t. XCV';
col. 93 D; De fide orth., IV, 15, 27; t. XCIV, col. 1164 C, 1221 B.
(6) De fide orth., IV, 27; col. 1220 A.
(7) Ibid.; col. 1228.
(8) Zbid., IV, 13; col. 1153 C.
338 CONSOLIDATION DE LA DOCTRINE GRECQUE

images achevées de Dieu, «les élus seront même des dieux


(fsoi ot Gytot) ». L’fcriture dit, en effet, « Dieu se tint au
milieu des dieux » — comme l'explique « le divin ( Getos) Gré-
goire» — pour distribuer les récompenses (1).

sa

En somme, avec la plupart des Pères grecs, saint Jean Da-


maseène voit dans la divinisation le sommet du salut. Sa con-
ception de la théopoièse ne présente guère de traits person-
nels. Sur un point, cependant, il dépasse ses maîtres. Beau-
couv plus nettement qu'eux, en effet, sans toutefois le dire for-
mellement, il distingue entre la déification de la nature et celle
des personnes humaines.
La œüsts commune à tous les hommes est déifiée une fois
pour toutes dans l’Incarnation, grâce au contact avec la divi-
nité. Les personnes, au contraire, doivent conquérir leur déifi-
cation par l’imitation du Christ. Cette assimilation suppose
l’effort moral guidé et soutenu par la doctrine, l’exemple et
la grâce du Sauveur ; elle est conditionnée par l’usage des rites
sacrés de l’Église au moyen desquels l’Esprit applique à l’in-
dividu les fruits de l’œuvre du Christ, notamment de sa mort
et de sa résurrection.
N'y a-t-il pas là, du moins à l’état d’ébauche, la première
synthèse qui harmonise la théorie physique de la divinisation
avec la doctrine traditionnelle de la mort rédemptrice du
Christ ?
En tout cas, l’œuvre du dernier des Pères témoigne claire-
ment de la vitalité dans l’Église grecque du VIII: siècle de
l’idéal chrétien de la Homo.

(1) De imag., I, 19; col. 1249 C. L'auteur se réfère à GREG. Naz, Or.
XXX, 4; t XXXVI, col. 108 C. Voir aussi De fide orth., IV, 15: col.
1164 AB, où les saints sont apelés « des dieux, des seigneurs et des rois»,
non toutefois par nature, mais par grâce.
CONCLUSION

De cette longue enquête ïl nous reste à condenser en une


synthèse finale les principaux résultats.

Dès l’antiquité, une certaine divinisation apparaît comme


l’idéal auquel aspirent les meilleurs d’entre les Grecs. Tout
naturellement, ils conçoivent cet idéal en fonction de leur no-
tion de la divinité. Aïnsi les anciens poètes, tels qu'Homère et
Hésiode, pour qui les dieux sont une sorte d'hommes immor-
tels, rêvent d’une existence heureuse, exempte de la souffrance
et de la mort, vie quasi-divine, qu'ils réservent toutefois à quel-
ques rares privilégiés.
Pour s’assurer une survie analogue, les adeptes des religions
à mystères s'efforcent de se concilier la faveur d’un dieu-sau-
veur en imitant par les rites d'initiation les vicissitudes de son
existence.
Dans la mesure où, grâce aux mystiques et aux philosophes,
se spiritualise d’idée de la divinité, la conception de la vie fu-
ture s’affine également. En fin de compte, on s'arrête à l’idéal
d’une assimilation, voire même d’une identification à Dieu de
la partie”la plus noble de l’âme, de l’élément spirituel ou divin
dans l’homme. |
Tout le long de cette évolution, la fin poursuivie reste iden-
tique pour le fond : c’est toujours la participation à l’immor-
talité bienheureuse de la divinité. Ce qui change, c’est la ma-
nière de se représenter la vie divine et par suite la vie divinisée
à laquelle on désire participer.
340 LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN

Très différent est l'idéal essentiellement religieux préconisé


dans les livres sacrés du peuple israélite. Leur monothéisme ri- .
gide et leur sentiment très vif de la transcendance divine 1m-
terdisent absolument aux Israélites d'envisager une déification
de l’homme. Tout au plus lui reconnaissent-ils une ressemblan-
ce avec son créateur.
Devenu par l’alliance le peuple élu, Israël se considère
comme le «fils» de Dieu, c’est-à-dire comme uni à Dieu par
un lien spécial d'appartenance et par une communauté d'’inté-
rêts. Les prophètes combattent vigoureusement le penchant du
peuple à ne voir dans sa filiation divine qu’un rapport exté-
rieur et uniquement basé sur la descendance d'Abraham. Ils
ne cessent de proclamer que seuls les vrais serviteurs de Yahweh,
les justes, auront part aux promesses divines, c’est-à-dire à la
restauration nationale qui inaugurera une alliance, une théo-
cratie nouvelle, où règneront une grande prospérité matérielle,
la justice et la paix éternelles.
Cette tendance vers l’individualisation de l’espérance reli-
gieuse est fortement accentuée par l’épreuve de l’exil. Dans
le judaïsme hellénique, elle aboutit à l’idée d’une filiation di-
vine résultant d’une assimilation morale, d’une participation
de l’homme à la Sagesse de Dieu. Il s’ensuit que la conception
collective de la rétribution, sans disparaître complètement, cède
peu à peu le pas à la conception individuelle aux perspectives
jusqu'alors insoupçonnées. La filiation divine exaltée par l’au-
teur de la Sagesse s'épanouira, en effet, pour le juste après la
mort en une vie heureuse et éternelle auprès de Dieu.
Ainsi, dans le dernier livre de l’Ancien Testament, l'idéal
juif de la filiation divine trouve son expression la plus pure et
la plus élevée. Tout en le rappelant par certains côtés, il laisse
loin derrière lui l’idéal de la divinisation proposé par la philo-
sophie grecque.
Chez Philon, le rapprochement des conceptions juive et grec-
que du salut s’accentue au point de devenir presque une iden-
tification. En effet, toute sa théosophie est une tentative de
grande envergure en vue de transformer la religion juive en
un «mystère » de la déification comparable aux mystères her-
métiques. Aussi est-il le premier juif qui parle nettement d’une
divinisation de l’homme,
CONCLUSION 341

Avec le christianisme apparaît une conception supérieure de


da filiation divine.
_ Dans les Synoptiques, Jésus infuse à la métaphore tradition-
nelle une âme nouvelle faite d'amour confiant pour Dieu, voire
_d’intimité avec lui. Pour devenir enfant du Père céleste, il
faut accomplir sa volonté, imiter sa perfection, son amour sur-
tout, et entrer dans le royaume fondé par son envoyé. Ce fai-
sant, on s’assure la vie éternelle dans le siècle à venir.
. Les germes contenus dans les évangiles synoptiques se déve-
loppent dans les Épîtres de saint Paul pour devenir la première
sotériologie chrétienne. Le Christ, Fils de Dieu incarné, a ré-
paré par sa mort et sa résurrection l’œuvre de péché et de
mort d'Adam et a établi une vie nouvelle. Pour renaître à
cette vie, qui n’est autre que da vie même du Christ et de son
Esprit, il est nécessaire de s’assimiler, de s’incorporer au Sau-
veur, en imitant mystiquement sa mort et sa résurrection à
l’aide des rites de l’initiation chrétienne. Pareille assimilation
transforme l’homme en fils adoptif de Dieu, en temple du
Saint-Esprit et en héritier du ciel. L'héritage céleste c’est la
vie éternelle pour l’homme tout entier, corps et âme, la société
de Jésus glorifié, la vision de Dieu face à face, done une parti-
cipation à la vie et à la gloire de Dieu.
Le même idéal s'affirme dans les écrits johanniques, sous
le couvert d’analogies différentes. En s’unissant à Jésus-Christ,
Logos de vie fait l’homme, le fidèle échappe aux ténèbres du
péché et de la mort pour entrer en communion avee la lumière
et la vie indéfectibles. Mais la vie et la filiation divines qu’il
possède dès ici-bas ne déploieront toute leur splendeur que
- dans le royaume de Dieu, c’est-à-dire au ciel.
C’est précisément ce bonheur céleste que l’auteur de la IT°
Épître de saint Pierre qualifie de participation à la nature di-
vine. Il ne manque plus que le mot déification.

II

En exploitant les données bibliques avec les ressources de


leur milieu, les Pères élaborent une doctrine de la divinisation.
À vrai dire, dans les écrits des Pères apostoliques, ce thème
n apparaît qu'à l’état virtuel. Saint Ignace est le seul qui
nca ne ne ñ pas _ Rue Mais, dès
III: siècle, la lutte contre le gnosticisme vaut à L'idé .
féwa un progrès substantiel. er:
Contre les gnostiques, qui réduisent la Rédemption à
simple redivinisation du germe divin caché dans les p
ques, seuls vrais chrétiens, les Apologistes défendent
_rance Den de d°ne a s'étendant à
à

d’un ae a Den es de ar HG te
l’homme immortalisé peut être appelé un dieu, il n’e
tant, pour Ps avecon qu'un « Dieu assumé >. ÿ

vie divine que nous possédons dès ce monde orâce à notre


au Christ et au Saint-Esprit. C’està 1 inhabitation duL
iede son Es en nous que nous devons notre Tres Ù

trine Gide et hatitanells Pod à |


ultérieur suivra les voies tracées par lui. de, :
Les initiateurs de l'école d'Alexandrie, ARS, ont?u

ss bee ils n'hésitent pas à


re de ce —
arme contre la gnose hérétique avec sa redivinisationmag
en lui opposant une gnose chrétienne de la ds
:
CONCLUSION x 348

À cette fin, Clément et Origène christianisent l'idéal grec


d’une assimilation de l’homme à Dieu au moyen de la connais-
_ sance et de l’ascèse, La vraie gnose, c’est la parfaite intelli-
gence de la doctrine céleste révélée par le Logos incarné. Elle
est à la fois un fruit de l’effort humain et une faveur divine.
En conférant au chrétien l’impassibilité, la sagesse, la charité,
voire la contemplation de l’Être suprême, la gnose l’assimile à
Dieu, qui possède par nature toutes ces perfections. Ce qui fait
direà Clément — qui le premier applique ce terme au chrétien
— que la gnose « déifie » l’homme.
Ici-bas cette déification atteint son point culminant dans
l’union extatique du gnostique avec Dieu. Aïnsi la gnose se
double d’une mystique de la divinisation. Mais, à la différence
des mystiques néoplatoniciens, nos mystiques chrétiens se gar-
dent bien de concevoir l’union déifiante de l’homme à Dieu,
fût-ce l’union parfaite dans l’au-delà, comme une identifica-
tion.
Employée de plus en plus, la terminologie de la fhéoporèse
deviendra classique.
Il n’en sera pas ainsi de la théorie trop intellectualiste des
premiers Alexandrins. Telle quelle, elle ne sera adoptée par
personne: mais, sous l'influence d’Origène surtout, les Pères
postérieurs accorderont à l'élément intellectuel une place de
choix dans leur doctrine de la divinisation. Cependant, chez
eux, c’est l’idée d’incorruptibilité, quelque peu négligée par
les Alexandrins, qui occupe de nouveau le premier plan.
Cette différence de perspective est déjà très sensible chez
saint Hippolyte et chez saint Méthode d’Olympe, qui tentent
d’harmoniser les données complexes fournies par la tradition
au sujet de la divinisation. Bien que modestes en eux-mêmes,
leurs essais de synthèse préparent l'épanouissement que con-
naîtra ce thème au grand siècle patristique, qui sera l’Àâge d’or
de la doctrine de la déification.

III

Non qu'il faille s'attendreà trouver chez les Pères du IV*


et du V° siècle des traités spécialement consacrés à la divinisa-
tion : aucun écrivain eclésiastique ne l’a étudiée pour elle.
même. Mais on se tromperait lourdement si l’on conceluait de
344 | LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN :

ce fait que le thème de la déification n’est pour eux qu’un hors-


d'œuvre. Bien au contraire, chez presque tous les Grecs, ce
thème constitue comme.le cadre de leur sotériologie.
C'est qu'ils voient dans la divinisation le terme du salut, Ia
destinée suprême de l’homme. Le récit de la formation d'Adam .
et du paradis leur paraît formel sur ce point : fait à l’image
de Dieu, c’est-à-dire du Logos divin auquel il participe par le
voÿs, favorisé de l’amitié, voire même de la contemplation divine,
assimilé à Dieu grâce aux dons de l’impassibilité et de l’incor-
ruptibilité, notre premier père était en vérité un homme déifié.
Or Adam est le type parfait de l’humanité. Celle-ci était que
appelée à la divinisation.
Seulement la déiformité n’a été accordée à Adam qu’à titre
précaire et révocable, Par son obéissance ïl devait la rendre dé--
finitive. En fait, par sa révolte, il l’a perdue pour lui et pour
tous ses descendants.
‘ Peut-être l’homme déchu aurait-il pu récupérer par la péni-
tence la faveur divine; mais il était certainement impuissant
à se libérer par lui-même de la corruption et de la mortalité,
peines du péché. Dieu se devait cependant à lui-même de ne
pas abandonner son chef-d'œuvre et de ne pas laisser triompher
le démon. |
C’est pourquoi le Logos s’est incarné. En communiquant à
l’humanité des forces divines, il lui rend surabondamment la
vie déiforme et l’immortalité perdues. L'homme n’aura qu’à
s’unir au Christ et à son Esprit pour s’approprier ces bien-
faits.
Que le chrétien vive d’une vie divinisée, c’est là une vérité
universellement admise dès le IV® siècle ; non pas toutefois une
vérité purement spéculative et abstraite, mais une conviction
profonde, une idée-force qui fut peut-être le ressort le plus
puissant de la piété chrétienne de l’époque. La preuve en est
que, dans les luttes christologiques et trinitaires, les Pères par-
tent de cette donnée communément reçue pour défendre le
dogme.
C’est ainsi que, pour confondre les ariens, ut Athanase
oppose à ces négateurs de la divinité du Logos le fait de la
déification du chrétien. Car, dit-il, si le Sauveur n'était pas
Dieu, il ne pourrait nous diviniser.
CONCLUSION 345
<
Contre les appollinaristes qui refusent au Christ une âme hu-
maine, les Cappadociens, Grégoire de Nazianze en tête, ont re-
cours à un raisonnement analogue. Le chrétien, argumentent-
ils, est divinisé tout entier. Mais cette divinisation suppose,
outre la divinité du Sauveur, sa parfaite humanité, compre-
nant un corps et une âme, en vertu du principe sotériologique
d’après lequel cela seul est guéri qui est assumé par le Verbe.
Cette argumentation recoit sa forme la plus rigoureuse chez
les promoteurs de la théorie physique de la divinisation, chez
Athanase et Grégoire de Nysse surtout, qui appliquent à l’In-
carnation leur réalisme générique.
Ces docteurs concoiïvent toute nature ou essence concrète
comme numériquement une et commune à toutes les hypostases
de même espèce. Aïnsi la nature humaine concrète est unique et
commune à toutes les personnes. L'origine platonicienne de
ce réalisme n’est guère douteuse : on reconnaît sans peine dans
la nature générique concrète l’idée type du platonisme, mais
transposée du domaine ontologique dans le domain physique.
Chose curieuse nos auteurs semblent avoir été amenés à pa-
reille transposition par le dogme trinitaire; car c’est en par-
tant de l’unité de nature dans la trinité des personnes en
Dieu qu'iis concluent d’une manière générale à l’unicité de la
nature concrète à laquelle participeraient toutes les hypostases
de même espèce. Inutile de dire que, si le point de départ est
juste, la conclusion est manifestement fausse.
Appliqué à l’homme le réalisme générique explique parfai-
tement notre solidarité avec Adam pécheur : nous avons tous
part à la nature déchue en lui.
Le même réalisme éclaire surtout la théorie physique de la
déification dont il constitue comme la base philosophique : en
s’incarnant le Logos s’unit la nature humaine et la met en con-
tact avec sa divinité. Du coup, il remplit de forces divines, im-
mortalise, bref divinise cette nature et par là, en. un certain
sens, l'humanité entière, nous tous. C’est attribuer à l’Incar-
nation une sorte d'efficacité physique.
Néanmoins, aucuns des Pères n’a conclu de la théorie physi-
que à une déification automatique des individus. Instinetive-
* ment ils écartent, quand il s’agit de la nature divinisée, l’au-
tomatisme qu'ils font pourtant jouer dans le cas de la nature
déchue,
nier e Pères précise en effet,quen soient a
humaine Je Poe n’a … assumé et, par conséquent,

-vinisation de à % és à: ‘effort.moralda.suj
ie 1
l'usage des rites chrétiens. : =

D'après la foi chrétienne, le salut en. général, le ar ra


à la ressemblance divine et à l’immortalité en particulier, sont
ns effets de 18mort du Rue nue direee so re

. tisans à. la conceotiou ee ee. à une ee


_ contact de la nature humaine telle qu'ils 1 entendent, alors que
les autres ont en vue la divinisation individuelle, réalisée
médiatement par les rites sacrés à l’aide desquels VE
_ Saint nous applique la grâce, fruit de la Passion.

moitié du IV* sde à l’encontre de a


Contre ces négateurs de laArts du a les Ê

ee en ne eux aussi ab — une :


active dans ae nos ee a de se
es CONCLUSION : te 347

Cette action se manifeste tout d’abord dans le baptême. Rendu


présent dans l’eau baptismale par la bénédiction, l'Esprit pu-
_rifie le corps du baptisé et se communique à son âme pour la
faire participer à sa propre nature et la transformer en un
temple de Dieu. Que le Saint-Esprit soit présent dans le chré-
tien, non seulement par sa vertu, mais par son essence, saint
Irénée déjà l’a enseigné, suivi en cela, à partir du IV® siècle,
par tous les Grecs. Basile et Cyrille d'Alexandrie sont partieu-
lièrement formels sur ce point.
Les deux derniers docteurs insinuent, en outre, assez claire-
ment que, non content d’habiter substantiellement dans l’âme
_ juste, l’Hôte divin en devient en quelque sorte la « forme »,
produit en elle une « qualité» qui l’assimile au Christ. Dans
cette «conformation divine », qui apparaît comme une grâce
créée, distincte mais inséparable du Saint-Esprit, il est permis
de reconnaître notre grâce habituelle ou sanctifiante.
L'opération de l'Esprit divin s'étend jusqu’à l’Eucharistie
grâce à laquelle s’achève la divinisation individuelle. A lui, en
effet, les Pères, d’accord avec la liturgie, attribuent habituelle-
ment le changement du pain et du vin au corps et au ne du
Christ.
Cette mystérieuse conversion permet au Sauveur d'insérer
en nous sa propre chair comme un ferment d’incorruptibilité
destiné à détruire en nous toute corruption. Ainsi, par son
union avec la chair divinisée du Christ, notre propre chair est.
_ déifiée. C’est l’application à l’Eucharistie du principe de CE
déification par contact.
En dernière analyse, tous les Grecs concoivent la divinisation
individuelle en fonction de la doctrine réaliste du salut qui
met l'accent sur la mort salvifique du Christ et qui n’est
qu’une élaboration organique, donc légitime, des données bi-_
bliques.
La théorie physique, au contraire, dans la mesure où elle
attribue à l’Incarnation prise isolément la déification de la
nature humaine, conçue comme concrète et commune à toutes
les personnes, apparaît comme une spéculation discutable com-
me le principe qui en est la base.
343 LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN

Pour tous les docteurs grecs, la déification obtenue par l’ini-


tiation chrétienne doit être normalement le point de départ
d’une ascension constante vers une divinisation toujours plus
parfaite. Quelques-uns d’entre eux placent au terme de cette
ascension l’union extatique avee Dieu. Aïnsi naît la mystique
chrétienne. Préparée par les écrits pauliniens et johanniques,
esquissée par Origène et Grégoire de Nysse, elle attemt avec
Denys le Mystique son plein épanouissement.
Chez le pseudo-Aréopagite l'influence néoplatonicienne, déjà
très sensible chez ses deux prédécesseurs, est manifeste. Dans
la seconde moitié du V®° siècle, la mystique néoplatonicienne,
ranimée par Proclus, semble avoir connu un réel succès.
Convaincu qu’on n'’élimine que ce qu’on remplace, Denys ne
recule pas devant la tâche aussi difficile que délicate de la
christianiser. :
D'après Proclus, le but à atteindre c’est la déification, en
d’autres termes, l’union, voire l'identification à Dieu, l’Un su-
prême. Or, s’il est vrai que le semblable n’est connu que par
le semblable, il faut admettre que, pour pouvoir entrer en com-
munion avec Dieu, l’âme doit contenir un élément divin. Su-
périeure au vos, cette trace de l’Un divin, ce £y de l’âme est
comme la « fleur » de notre essence, la pointe par laquelle nous
pouvons entrer en contact avec le “Ey suprême. A condition,
toutefois, de dégager le £y qui est en nous de toute attache avec
la matière et les sens, de l’isoler même du vode, pour le rame-
ner à sa pureté et à son « uniformité » natives. |
Sans hésitation, Denys adopte cette théorie, Mais il se sépare
de Proclus quand il s’agit d’indiquer les chemins conduisant à
l’isolement du £v et à l’union extatique.
La première voie est celle de l'amour extatique, puissance uni-
tive par excellence. Après s'être libéré de toute entrave, l’« un »
de l’âme s’élance par un irrésistible élan d’amour dans la divine
obsecurité pour s’unir à l’Un qui est au-dessus de tout.
Moins directe, mais plus facile, est la voie des sacrements
chrétiens. Conçue en fonetion du schéma triadique de Pro-
elus, elle mène à la déification en trois étapes — purification,
CONCLUSION | é 349

illumination, union— à l’aide des trois ordres de ministres et


des trois ordres de rites sacrés dont dispose la hiérarchie ecclé-
siastique.
Mais quelque intime que puisse être l’union déifiante ainsi
réalisée, Denys ne l’identifie jamais à la fusion ou absorption
dont parlent les néoplatoniciens ; elle reste, au contraire, une
simple assimilation qui respecte la distance infinie entre eréa-
teur et créature,
Grâce à Maxime le Confesseur, qui interprète l’œuvre aréo-
_pagitique suivant les exigences d’une orthodoxie plus: raffinée,
Denys est devenu le père de la mystique chrétienne.

NL

Il résulte avec évidence de notre enquête qu’à partir du IV‘


siècle la doctrine de la divinisation est fondamentale pour la
plupart des Pères grecs. Elle forme comme le centre de leur
sotériologie : toute l'œuvre rédemptrice du Christ, de l’Incarna-
tion à la résurrection, ainsi que l’action du Saint-Esprit et de
l’Église qui continue cette œuvre, convergent vers la déification,
comme le terme de notre salut.
Mais qu’entendent-ils au juste par deéification ? S'agit-il là
d’une hyperbole aussi hardie que vide de sens, ou bien l’expres-
sion couvre-t-elle une réalité ?
De fait, aucun des Grecs qui emploient le terme Üéwots ou
ses équivalents n’en donne une définition. Mais cette impréci-
sion même leur permet d’abriter sous la terminologie à laquelle
ils ont recours une foule de choses, qui ne sont ni sur le même
plan ni de même nature. |
Sur un point, cependant, l’accord est parfait : la divinisa-
tion du chrétien n’est pas une identification avec Dieu ; elle
n’est qu’une assimilation, une restauration suréminente de la
ressemblance divine primitive. :
Cette assimilation implique certainement une conformité
d'ordre moral : le chrétien participe par grâce aux perfections
que Dieu possède par nature, telles que la sagesse, l’impassibi-
lité et la charité.
Il y a plus : au-dessus de la similitude morale les Pères en
discernent une autre beaucoup plus étroite, due à la présence
390 LA DIVINISATION DU CHRÉTIEN

et à l’activité du Saint-Esprit dans le juste. C’est que l'Esprit


transforme l’âme à l’image du Logos, Fils naturel de Dieu, fai-
sant ainsi du chrétien un fils adoptif de Dieu. Affectant, sem-
ble-t-il, l'essence même de l’âme, cette mystérieuse conforma-
tion n’est pas d'ordre moral seulement, mais d’ordre physique :
une véritable participation de la nature et de la vie divine.
Or, des perfections essentielles de la divinité, savoir l’agénésie
et l’incorruptibilité, seule cette dernière est communicable à
des créatures. Participer à la nature divine est donc avant tout
participer à l’incorruptibilité. On comprend, dès lors, que tous
les docteurs grecs insistent avec force sur cet aspect de la di-
vinisation, au point d'identifier souvent les termes déifier et
immortaliser.

Sans doute, l’immortalité effective nous sera accordée seu-


lement dans l'au-delà. Mais dès ce monde le chrétien possède
dans son assimilation au Christ et dans l’inhabitation en lui de
l’Esprit-Saint comme un germe de vie divine, qui, au ciel, s’épa-
nouira en une vie éternelle et bienheureuse auprès du Seigneur
glorieux et de Dieu. S’étendant enfin, après la résurrection,
au composé humain tout entier, la déification deviendra parfaite
et inamissible.

On peut done conclure sans exagération que la doctrine si


variée et si riche des Pères grecs sur la divinisation du chré-
tien contient, virtuellement du moins, et sous le couvert d’une
terminologie peu technique, l’essentiel de nos traités de la grâ-
ce sanctifiante. Mais précisément leur manière concrète et ima-
gée de concevoir et de décrire cette mystérieuse réalité a un
grand avantage, puisqu'elle permet d’en saisir plus facilement
les richesses et d’en vivre plus immédiatement. Pour s’en con-
vaincre, il suffit de lire le passage suivant emprunté à saint
Grégoire de Nysse :

L'homme, qui parmi les êtres ne compte pour rien, qui est
poussière, herbe, vanité, une fois adopté pour fils par le
Dieu de l’univers, devient le familier de cet Être d’une excel-
lence et d’une grandeur telles qu’on ne peut ni le voir, ni
l’entendre, ni le comprendre, Quelles actions de grâces dignes
d’une telle faveur pourrait-on trouver ? Par quelle parole, par
digne de . êls de Dieu, il aura en Le la été a
Père enrichi de tous les biens paternels. O munificence du Sei-
gneur très . Qu'ils sont grands les “ee des trésors |
ineffables @! a KES Re NUS
TABLE DES NOMS DE PERSONNES

Abel, 119-131. Athénagore, 19, 139-140.


Achamoth, 129-130, 132. Attis, 27-29.
Achelis, H., 188. Aufbhauser, J. B., 226.
Adam, 71-72, 98-99, 106, 118-119,
Bachelet (le), X., 146.
135, 141-142, 144-151, 152, 159,
Bardenhewer, O., 231, 263, 273,
161-162, 176-177, 182, 187-188,
278, 298, 299, 308, 319, 327, 328.
192-196, 200, 202-206, 224-227,
Bardy, G., 3, 87, 160, 166, 179, 184,
240, 245-246, 254-256, 265-266,
199,.250, 257, 299.
273-274, 279-281, 320-322, 329-
Bareille, G., 129.
330, 341, 344-345.
Barion, J., 61.
Alès (d’), A., 189. Barnabé (pseudo-), 117-118.
Alexandre d’Aphrodisias, 52. Barre (de la), A., 161-162, 165, 171,
Amann, É., 186, 189, 267, 276. 174.
Amos, 74. Barthoulot, J., 145, 147.
Anastase le Sinaïte, 297. Bartmann, B., 105, 152.
Anaxagore, 41. Basile (saint), 3-4, 239-244, 249,
Apollinaire, 289. 262, 276, 283, 286, 290, 347.
Apollonius de Tyane, 58. BatlroL Pl. 123:
Apulée, 26-27. Baur,-L.; VIL 137.
Aratus, 56, 141. Bayer, L., 220, 234, 237.
Aréopagite (pseudo-), voir Denys Berve, H., 5, 41-42.
(pseudo-). Bihlmeyer, K., 117.
Aristophane, 22. Boèce, 140.
Aristote, 6, 15, 19, 49-53, 55, 134, Boehm, A. 51.
1792002272; Bonsirven, J., 82-84, 86.
Arnim (von), H,, 56. Bonwetsch, N., 176, 191, 198.
Arnou, R., 62, 65, 67, 94, 181, 222, Bornhaeuser, K., VII, 217.
295-2297 9311, Bousset, W., 104, 109, 127.
Asclebius latin, 32, 30. Bréhier, É., 52, 58-62, 65-66, 87-89,
Athanase (saint), 201-218, 220, 170, 245.
229, 231, 238, 250, 274, 277, 283- Bremond, A. 4, 42, 46, 49-50, 57,
284, 344, 60, 67, 69.
304 TABLE DES NOMS DE PERSONNES °

Caïn, 131. Eibl, H., 41.


Capitaine, W., 130, 162, 170. Emocdocle 40- 41, 44.
Carpus, 306. Épictète, 56.
Casel, O., 105. Épicure, 54-55.
Cayré, F., 219, 231, 294. Ermoni, V., VII.
Cerfaux, L., 32, 128. Euripide, 23.
- Cléanthe, 56. Eusèbe de Césarée, 88, 249-250
Clément d'Alexandrie, 28, 159-175, Aer
177, 179, 182, 184-185, 197, 203, Évagre le Pontique, 326.
218, 343. Eve, 72, 182, 254.
Clément de Rome (saint), 118-121. Ezéchiel, 75, :78:4
Cohn-Wendland-Reïter, 87.
Faller, O. VII, 105-106, 173.
Colon,-J.-B., 101-104, 184. Farges, J., 196.
Condamin, A. 86.
Faye (0). Es 130, 165 167 169
Congar, M.-J., 155.
170. 3 °
Conybeare, F. C., 58.
Feldmann, EF. 82.
Corte (de), M., 49, 52.
Fans AJ 10,, 1922224 30
Croiset, M., 70.
37, 44, 46, 48-49, 52, 56-57,
Cumont, F., 25-27, 29, 30.
104, 174, 181.
Cybèle, 27-29,
Firmicus Maternus, 28- 29.
Cyrille d'Alexandrie, 115, 277-297,
Flacius Illyricus, 28.
298, 306-307, 335, 347. Fonck, A. 101, 169.
Cyrille de Jérusalem, 250.
Fonsegrise de VS VI:
Darboy, G., 300. Frankenberg, W., 326.
David, 76. Frey, J.-B., 83, 103.
Démocrite, 54. Fritz, G., 52.
Démophile, 306. Fruhstorfer, RSS72;
Dennefeld, L., 75, 77-78, 85-86. Funk, F.-X., 117, 1119/4127, 286.
Denys (pseudo-), 238, 298-319, 324- Gaudel, AÀ., 119, 150, 162, 177, 204,
327, 348-349. 255, 266, 289, 321.
Didyme l’Aveugle, 250-252. Geffken, J., 139. - à
Diekamp, F., 234. Gernet, L.-Boulanger, A., 5; 1 14,
Diels, H,, 59, 16-17, 20-22, 41-42, 47, 57.
Diès, A:, 41, 48, 204. Godet, P., 231, 237, 299, 304.
Dieterich, A., 27, 29. Gomperz, 42-43.
Diodore de Tarse, 253. Grégoire de Nazianze (saint), .
Diogène Laërce, 56-57. 244-250, 329-334, 338, 345. ë
Dionysios, 20-25. Grégoire de Nysse (saint), 4, 201,
Disdier, Th., 320. 219-238, 258, 260, 283-284, 289,
Dorner, J. A., 264-265. 303, 310, 318, 321, 326, 345, 348,
Drummond, M., 87. 350.
Duchesne, L., 286.
Grummel, V., 319, 322, 324, 397.
Ecclésiaste, 75. Harnack, A. VII, 133, 146, 212,
Ecclésiastique, 75. 214, 229, 231, 237: 270, 34000
Ebrbard, A., 130, 132, 273.7
Heigl, B., 27-28.
TABLE DES NOMS DE PERSONNES | Co
Heïinisch, P., 71-72. Justin (saint), 126, 133-136, 140,
Hemmer, H., 117. 143, 160.
Hempel,J., 71, 74, 78, 85, 86. Justinien. [, 181.
Héraclite, 41, 43, 55-56.
Héring, J., 161. Kammer, Ed., 6.
Herkenne, H., 76-77. KRars bel de
Hermas, 116, 125-127. Kautzsch, E., 83.
Hermès Trismégiste, 31-35. : Kiefer, O., 59.
Hérodote, 12, 18, 22-23, 25. Kihn, H., 264-266, 268-269.
Herrmann, 229. Kittel, G., 15.
Heschel, A., 86. \ Klebba, E., 149, 154, 158.
Hésiode, 9-12, 13, 39, 339. Kleinknecht, H., 15, 17, 37, 68.
HutE, 221,224 229, 233,236. Klostermann, E., 249-250.
Hippolyte (saint), 29, 186-191, 196, Koch} H. 68, 234-235, 237, 300-301,
200, 343. 303, 306, 309-316.
Holl, K., 226. Koenig, Ed., 71-72, 83.
Homère, 6-9, 12, 39, 42, 68, 80, 339. Krafta, G.-Eibl, H., 57.
Krakowski, Éd. 61, 65-67.
Ignace (saint), 122-125, 157, 341.
Imschoot (van), P., 79. Labriolle (de), F., 33, 58, 66-67.
Irénée (saint), 71, 143-159, 162, Lagrange, M.-J. 20-23, 28, 32-37,
172-173, 188-190, 193, 196, 200, 45:70 \87:-102. 2
206, 218, 342. Lange, H., VI, 110, 156.
Isaïe, 75. Lavedan, P., 21, 27-28. |
Isaye, G., 230. Lebreton, J., 76, 82-83, 87-89, 120,
Isis, 25-27. 122, 125-127, 134, 160, 166-167.
Ithurriague, J., 47-48. Leipoldt, J., 105, 250.
Ivanka (v.), E., 220, 234. - Leisegang, 129.
Lelong, A., 124, 126.
Jacquier, E., 102, 104. # -Léonce de Byzance, 327.
Jamblique, 67-68. Libanius, 3.
Janssens, L., 284, 286, 295. Lods, A. 86.
Jean (apôtre), 106-109, 110, 116, Loisy, A., 95, 133.
122, 124, 144, 170,. 306, 316, 341, Loofs, F., VII.
342, Lot-Borodine, M. VII.
Jean Chrysostome (saint), 3-4, 253- Louis, M,, 39, 43, 67-68.
262,1263;. 270. Luc (saint), 96-97.
Jean Damascène (saint), 115, 210,
- 321, 325, 328-338, 346. Mahé, J., 282, 289, 290, 293, 295.
Jean de Thessalonique, 191. Malachie, 203.
Jérémie, 74-75, 78. Mangenot, E., 243. :
Jérôme (saint), 183. Manoir (du), H., 278.
Job, 75, Mansi, 181, 191.
Jolivet,.R:, 62-63. Marc (saint), 96-97.
Juessen, K., 320. Marcel d’Ancyre, 268.
Jugie, M, 332. Marcion, 243.
Junker, H., 71-73. Matthieu (saint), 96-97, 103, -
306 TABLE DES NOMS DE PERSONNES

Maxime le Confesseur (saint), 316, Philon, 81-82, 86-94, 147, 161, 167,
319-327, 330, 349. 181, 202, 264, 209, 222, 237, 310,
Mazon, F., 9-10. 340. :
Méridier, L., 219, 225, 228. Philostrate, 58.
Mersch, E., 102, 121, 123. Pierre (saint), 109-111, 341.
Méthode d’Olympe (saint), 176, 186, Pindare, 12, 15-16.
191-200, 216, 222, 226, 234, 343. Platon, 15,:19,/23,,24 4950557
Meunier, M., 58. 66, 68, 97, 134, 161, 168-169, 174,
Meyer, L., 255, 257, 260-261. 181-182, 192-193, 198, 204, 226,
Michée, 74-75. 234.
Michel, A., 284. Plotin, 59-67, 91, 94, 180-181, 220,
Mingana, A., 262. 234, 237, 245, 299, 310, 315, 318.
Mithra, 29-30. Poimandrès, 33-35, 37, 48, 93, 109.
Moïse, 74, 91, 181, 234, 310, 311. Porphyre, 66-67.
Moisescu, J., 326. Pourrat, P., 258, 323,
Morice, H., 101. Prestige, G. L., 334.
Moulard, A., 260. Preuschen, 180.
Mueller, H. F., 301, 306. Preuss, A., 318, 320.
Proclus, 68, 299, 309, 310, 313,
Naegele, A,, 258. 315, 317-318, 348.
Nauck, 67. Pruemm, K., 14, 17, 21-23, 89, 103-
Nestorius, 277. 104.
Noetscher, F., 75, 80. Puech, A., 16, 32, 134, 136-137, 139:
Nourry (le), N., 162. Pythagore, 40, 68.
Origène, 29, 160, 174-185, 191-192, Rahner, H., 100, 180, 189, 197, 312.
194, 197, 199, 200, 203, 218, 220, Randenborg (van), G., 105.
237-238, 244, 247, 303, 326, 343, Régnon (de), Th,, 231.
348. Reïitzenstein, R., 27, 29, 32, 34, 36,
Orphée, 21-22, 68. 37, 48.
Osée, 74. Richard, L., VII, 151.
Osiris-Sérapis, 25-27, 29. Ritschl, 229.
Otto (von), Th., 133. Rivière, J., VI, VIL 98, 135, 143,
Otto, W. F., 8, 15. 144-145, 151, 178, 191, 212-213,
231, 241, 248, 257, 282, 285, 332.
Pantène, 160.
Parménide, 41. Rohde, E., 7-24, 27, 40, 43, 50, 52
Parthey, G., 61.
56.
Pascher, J., 87-88, 91-93. Ross, W. D., 50-51.
Paul (saint), 97-106, 107-110, 116, Rousselot, P., VI.
118, 124-125, 141, 144, 153, 158, Rufin, 192.
183, 194, 203, 270, 309 322, 241, Salomon, 76.
342, Sanday, W. 86.
Pell, A., 209. Scheck, Ad., 87.
Pera, C., 299. . Schermann, Th., 252,
Petau, 242, 290, 294. Schmidt, W., V, 72-73, 76.
Philolaos, 40, Schuetz, R., 78, 80,
289. 298. 393.
He E., 78, 80, 82, 103, 10
Turmel, J., 95, 156.
Ueberweg-Heinze, : 41.
Usener, H.,. 54-55.
Vaganay, L., 67, 84.
Valentin, 129-130.
Verfaillie,
C., 178.
Vernet, F., 151, 158.
Verrièle, A., 150.
Vigouroux, 277
_Viller, M. 319, 323, 326.
| Virey, Ph 20:
_ Vliet (van der), J., 26.
Volkmann, R, 60.

| Weber, S., 145.

138-139, < Na nl ie187. L


ius, 3. Wikenhauser, A., 100, 102- GiÉ
2Æ Théodore Le Mopsueste, 262-272, Willms, H,, 225, es
; 422277 6:00 + Windelband-Rothacker, 57, 59:77
doret CE 10)253, 264, Witmann, M., 51 ;
SET 2 Zacharie, 75.
|

eoo 140- 142, 342. Zeller, Ed., 39-44, 52, 56-58, 61,€
65, 68, 314-315. L'eEES
Ziegler, C., 28.
Zorell, Fr., 76.
TABLE DES PRINCIPAUX MOTS GRECS

&yevvnota, 125, 278. Evoe’ dns, 304, 313, 325-326.


&yévynros ou &yévnros, 43,51, 93, 129, Ééue 1094.
134-135, 141, 149, 192, 278. ètéxeiva, 60, 180, 220, 303, 309, 311:
&yvowcta, 309. ënioroop, 63, 305.
&lavacia, 85, 103, 117, 123, 270. érontetæ, 19.
&dävaros, 6, 7, 85, 190 ; +6 &Üdvarov, ênônrnc, 19, 246.
7188: todnrec0ar, 46, 65.
ähoyos, b6, 131.
dvéxoacts, 237.
avar)dcoetv, 188, 196, 249. 0x, 68, 169, 337.
arabe, 56, 169 sq., 224 sq., 320, Oéaua, 65, 310.
323. Beicôar, 65.
&rabnñs, 64, 161. feoyevecix, 307, 312.
_äntecdar, 90, 235. Ococ dc, 90, 273, 279, 313.
dv, 69, 235, 288. Oeomoueiv, 142, 163, 181, 190, 206;
&ePapoia, 72, 80, 85, 121 sq., 149 sq., 211 sq., 243, 250-251, 274, 282,
320, 337. 288, 293.
&pÜaoroc, 89, 93, 103, 122, 134, 278. Oeoroinouwc, 207.
Oeorria, 279.
yéveous, 36 (vonpd), 91 (Geurépa). Oeds Geutepoc, GI, 88; Osôc Oerés, 248.
yévynots, 312 (Bel). Oeodv, Oeoüctar, 34, 36, 228, 246, 248
y'ôouw, 34, 36-37, 117, 120, 131, 303, 314, 322, 330, 334, 336-337!
168, 181, 309, 311, 323. Oewplx, b5, 181, 246, 323, 330, 335.
béucis, 304, 313-314, 320 sq., 334.
cixwv, 33, 72, 130, 148 el passim.
siuapuévn, 32-34. xd0apoi, 45, 63.
#xoraotc, 05, 92, 310, xatéotaots, 263.
Ev (x6), 63-67, 300, 308 sq., 325 sq. xotvwvia, 179, 313,
ëvOcos, 21, 307, 312. wotwwvés, 109,
TABLE DES PRINCIPAUX MOTS GRECS : 399

Xéyos, chez les sloïciens, 56 ; chez -Opacu, 149.


= Philon, 88-91; chez saint Jean, oùctuôcc, 248, 278, 281.
106-107; chez les Apologistes,
135 sq. ; etc. ratyyevecia, 35, 99.
Kéyos tepés, 23, 93-94. rapousia, 310.
Xbyos dp06c, 160. raÿénoia, 255 sq., 330.
REptXWpNno, 334.
_ Héôn, 24 (aiwvioc), 92 (vnpdaroc), 182 rApwua, 129, 221.
(Bsia), 235. npdsuwrov, 230, 284.
uerdvora, 96, 119, 205.
poipa, 136 (0eo5), 244-245 (leia). covté, 39, 131.
povoetônc, 48, 129. cubuyia, 137-138.
uünous, 19. cüvaËrs, 313.
muoripra, 19, 178. cuvérretv, 248, 309, 315: 323, 335.
uüornc, 19, 28, 94, 246. cuvéoera, 240, 291, 334.
uuortxôc, 288, 310. suvaw, 207.
cuvuoatvecbar, 258.
voÿc, dans l’hermétlisme, 33-37; chez copayts, 89, 211,247, 297.
Anaxagore, 41; chez Platon et curnpla, 18, 32, 34.
Aristote, 44-52 ; chez Plotin, 61 :
chez Clément d'Alexandrie, 161 cher, 18, 22,315.
SU elc:
vos uéyas, 244. vic0ecia, 250, 270.
viomoteiv, 212.
éuouoücüat Os, 46, 235, 261. Ünéataats, 132, 333 3351
ôpolwots Dep, 46, 64, 130, 148 etpass.
ômoobotos, 130-131, 209, 333. pépraxov
2
dbavaclac, 123, 259,
TABLE DES MATIÈRES

ÉNLRODUCDION M er eeER PAT EU HER SES V- VIII


BIBLIOGRAPHIE NN SR RENE ee mL ET IX-XVIII

LIVRE PREMIER

LA PRÉPARATION
Importance respective des analogies helléniques
et des germes bibliques pour la genèse de la doc-
trine patristique de la divinisation ............. 3

PREMIÈRE PARTIE

ANALOGIES HÉLLÉNIQUES
CHAPITRE I. — La littérature........................... 5-17
Idéal hellénique d’une certaine assimilation à
Dieu, 5. — I. Homère : exemples de divinisation;
mythe de la « prairie élyséenne », 6-9. —— II. Hé-
siode : « démonisation >» de certains morts; les
«iles des bienheureux », 9-12. —— III « Héroïsa-
tion >» d'hommes illustres, 12-14. — IV. Culte des
morts, 14-15. — Caractère authentiquement hellé-
nique de la croyance à une divinisation de sim-
ples hommes, 15-17.
CnapiTRe Il, — Les mystères...................... ne 18-30
Notions générales, 18-19. —— I. Mystères d’Éleu-
sis, 20-21. —II. Mystères de Dionysos, 21-22. L’or-
phisme : origine et destinée divines de l’âme, 22-
24. — IIL. Mystères d’Isis, 25-27. — IV. Mystères
d’Attis, 27-29, —— V. Mystères de Mithra, 29-30. —
But commun : assurer une survie semblable à
l'existence des dieux, 30,

- TABLE DES MATIÈRES

CuarirRe IL. — L'hermétisme . : 31-38


Le Corpus hermeticum, 31-32. —— I. Le Poiman-
drès : redivinisation du voÿc après la mort de
- l’homme, 33-34. — IL. Le Libellus XIII : déifica-
tion par la gnose dès cette vie, 35. — III. Condi-
tions de la divinisation, 35-37. —— L’hermétisme
_ gnose de la déification, 37-38.

CuapitRe IV, — La philosophie de l’époque classique. 39-53


La philosophie et l’idéal hellénique de la divi-
nisation, 39. —— I. Premiers systèmes philosophi-
ques : tendances peu favorables, 39-41. — II. So-
AE crate : le bonheur dans la vertu, 41-43. —— III.
Platon : origine divine de l’âme; sa destinée:
assimilation et retour à Dieu, 43-49. — IV. Aris-
tote : assimilation à Dieu en cette vie par la con-
templation, 49-53,

CHAPITRE V. — La philosophie de l’époque hellénistique 54-69


Caractères généraux, 54. — I. Épicurisme : « vi-
vre comme un dieu parmi les hommes », 54-55. —
II. Stoïcisme : « suivre las dieux », 55-57. — III.
Néopythagorisme : assimilation à Dieu par la
vertu, 57-59. — IV. Plotin : esquisse de son sys-
tème, 59-61; origine divine et « descente» de
l’Ââme, 61-62 ; son ascension vers Dieu jusqu'à”
l’union extatique, 62-66; sa résorption dans l’Un,
67. —— V. Continuateurs de Plotin : Porphyre,
Jamblique, Proclus, 67-68. — En quel sens l’hel-
lénisme peut être considéré comme une prépara-
tion indirecte de l’Évangile, 68-69.

DEUXIÈME PARTIE

DONNÉES BIBLIQUES ET JUDAÏQUES


_ CHAPITRE I. — Ancien Testament. ......... Me RER. 70-81
I. Origines de l’humanité : la ressemblance di-
vine d'Adam; son rêve d’une déification totale,
71-72. — II. Alliance théocratique : la filiation di-
vine du peuple élu, 73-77. — III. Judaïsme tardif :
_ la filiation divine du juste d’après la Sagesse, 77-
80. — Rapports entre l’idéal juif et Pidéal grec, 81.
362 TABLE DES MATIÈRES ee
CuaAptrTRE Il. — Littérature juive extra-canonique..... 82-94
I. Apocryphes palestiniens : absence de toute
idée de divinisation, 82-84. —— II. Groupe bhellé-
nistique : espérance d’une participation à l’im-
mortalité de Dieu, 84-86. — III. Le syncrétisme
judéo-hellénique de Philon : idées maîtresses, 86-
89; «l’homme céleste », 89-90; l’homme « sensi-
ble » et sa ressemblance divine, 90; sa déification
par l’extase, 91-94. ,
CHAPITRE III. — Nouveau Testament.....:...... SUR 95-111
Nouveauté de la révélation chrétienne, 95. — = :
I. Enseignement de Jésus: filiation divine plus uni- |
verselle et plus intime, 96-97, — II. Saint Paul:
première systématisation de la doctrine du salut;
les deux Adam, 97-99; divinisation par l'union
mystique au Christ et à son Esprit, 100-103; assi- É
milation au Christ glorieux, 103; la mystique pau- ; peer
linienne et les mystères, 104-106. —- III. Saint GES
Jean : le Verbe incarné source de lumière et de
vie divines, 106-109. — IV. Saint Pierre : parti-
cipation à la nature divine, 109-111. — Le chris-
tianisme comble les aspirations juives et prétques
à la divinisation, 111.

LIVRE DEUXIÈME

DOCTRINE DES PÈRES GRECS


Vue d'ensemble 52e RES Re T5 Le

PREMIÈRE PARTIE

PÉRIODE DE FORMATION
CuapirRE I. — Ébauches primitives........... ........ 116-143
$ 1. — Pères apostoliques, 116-128.
Caractère général, 116. — I, Didachè et lettre
de Barnabé : espérance d’immortalité, 117-118. —
IT. Clément de Rome : l’homme « empreinte» de RATES
l’image de Dieu, 118-119; le christianisme « gnose | :
TABLE DES MATIÈRES

immortelle », 119-121. La IE épître de Clément:


participation à l’incorruptibilité divine, 121-122.
— III. Saint Ignace d’Antioche : mystique de la
divinisation sans le mot, 122-125. —— IV. Hermas :
déification de Jésus-Christ, 125-128.

2. — Gnose hérétique, 128-133.


Notion du gnosticisme, 128-129. — I. Théo gonie
et cosmogonie gnostiques, 129-130. — II. Sotério-
logie gnostique : distinction entre «image» et
< ressemblance » divines dans homme; entre hy-
liques, psychiques et pneumatiques, 130-131; redi-
vinisation de la « substance Spiele dans les
pneumatiques, 131-133.

3. — Apologistes, 133-143.
Effort en vue de pénétrer rationnellement la foi,
133-134. — I. Saint Justin : divinisation par le
don de l’incorruptibilité, 134-136. — II. Tatien:
assimilation à Dieu par l’immortalité, 136-139. —
III. — Athénagore : participation à la « perpé-
tuité » divine, 139-140. — IV. Théophile d’Antio-
che : l’homme appelé à devenir un <« dieu par as-
somption », 140-142. — Nature de la vie éternelle
offerte par le christianisme : immortalité partici-
pée, 142-143.

CuapitRe IL.— Premiers développements............ 144-185


St = Tradition chrétienne : Saint Irénée, 144-159.
I. Image et ressemblance divines en Adam, 144-
150. — II. Restauration par l’Incarnation de la
ressemblance perdue : esquisse d’une théorie phy-
sique de la divinisation, 150-152. — III. Action déi-
fiante du Saint-Esprit dans l'individu; ébauche de
la distinction entre grâce incréée et grâce créée,
153-157. — IV. Plein épanouissement de la ressem-
blance divine dans l’au-delà, 157-158. — Traits ca-
_ ractéristiques d’Irénée, 158-159.
2. — Gnose chrétienne : Clément d'Alexandrie, 159-174.
Opposition à la gnose hérétique sur le plan de la
divinisation, 159-161. — I. Le: yvoÿs humain image
du Logos, 161-163. — II. Principe de la déification
de l’homme : la gnose révélée par le Logos, 163-
164. — III. Accès à la gnose : la seconde naissance,
165-168. -— IV. Vertu déifiante de la gnose : en tant
364 TABLE DES MATIÈRES

que connaissance, impassibilité et charité, 168-171.


__ V. Achèvement de la déification après la résur-
rection, 172. — La conception de Clément compa-
rée à celle d’Irénée et à la gnose hermétique, 172-
174.
$ 3. —— Gnose chrétienne : Origène, 174-185.
I. Cadre de la gnose origéniste : préexistence et
chute des âmes, 175-176. -— II. L’image de Dieu en
Adam; sa vocation à la ressemblance divine, 176-
177. —— III. La déification fin de la pédagogie
divine, 177-179. — IV. Sa réalisation par la foi et
le baptôme, mais surtout par la gnose unitive, 179-
183. — Consommation de la déification à l’apoca-
tastase, 183-184. ——Appréciation, 184-185.
CuapirREe III. — Essais de synthèse .....:-............ 186-200
$ 1. — Saint Hippolyte, 186-191. ï
I. La divinisation but de la création et de la Ré-
demption, 186; sa nature : immortalité perdue par
Adam, rendue par le Christ, 187-189. —— IX. Condi-
tions subjectives de la déification; sa réalisation
parfaite au ciel, 189-190. — Comparaison entre la
doctrine d’Hippolyte et celle d’Irénée, 190-191.
$ 2.— Saint Méthode d'Olympe, 191-200.
Critique d’Origène, 191-192. — I. « Déiformité »
d'Adam grâce à sa nature intelligente et au don de
l’incorruptibilité,192-195. —— II. Bienfait de l’In-
carnation: elle ramène la nature humaine à l’im-
mortalité, la divinise, 195-197. — III. Déification
individuelle par l’imitation du Christ, par la prati-
que de la virginité surtout, 197-199. -— IV. Assi-
milation au Christ glorieux dans le siècle futur,
199-200. |

DEUXIÈME PARTIE

PÉRIODE D’'APOGÉE
CHAPITRE I. — Grandes synthèses doctrinales. 1. Saint
ATNANASE 405 SE RER 201-218
Le thème de la déification courant dans l’Église
d'Orient au IV° siècle, 201-202. —— I. Similitude
divine d'Adam due à l’inhabitation du Logos: elle
consiste surtout dans l’aphtharsia; détruite par la
LE 4e

TABLE DES MATIÈRES

faute originelle, elle est restaurée par le Verbe,


202-206. — II. Par l'Incarnation l’immortalité
rendue à la nature humaine : théorie physique de
Ja divinisation, 206-210. — III. Divinisation indi-
viduelle : rôle de l’Esprit-Saint, 211-212. —— IV.
_ Rôle de l’effort personnel, 212-214. — V. Éléments
constitutifs de la déification, 214-216. — VI. Son
épanouissement céleste, 216-218. |

_ CHAPITRE IL. — Grandes synthèses doctrinales. I. Saint


Grégolre de Nysse ..............:....: ... .,...1. 219-238
Témoin par excellence de la divinisation. Idées
directrices, 219-220. — I. L’humanité idéale, 221. En
Adam innocent, la nature humaine « assimilée à la
dignité souveraine >» grâce à l’impassibilité, 221-
226. — II. Perte de celle-ci par Adam; sa restitu-
tion par le Sauveur, 226-228. —— Til. Déification de
la nature humaine par l’'Incarnation : accentua-
tion de la théorie physique, 228-231. — IV. Pas de
divinisation magique de l'individu, 231-233.— V.
« Ascension constante vers Dieu» et extase déi-
fiante, 233-235. — VI. L’apocatastase ou le rétablisse-
ment dans l’état divin, 235-236. — Caractère de la
mystique de Grégoire, 237-238.

Cuapirre III. — Attestations occasionnelles. I. École


d'Alexandrie ................. DE Re 0 OURS D 239-252
$ 1. — Saint Basile, 239-244.
Adam jouissant «des biens divins»; le péché
l’en prive, 239-240. — La ressemblance divine
_ restituée par l’Homme-Dieu, 241. — Déification
individuelle constituée par la présence personnelle
de l'Esprit, 241-243. —_ Consolidée par la résurrec-
tion et la vision béatifique, 243-244.

8 2. — Saint Grégoire de Nazianze, 244-250.


Parenté entre le Noÿs divin et le vos humain, 244-
245, — Adam innocent « déifié par sa propension
vers Dieu»; sa déchéance, 245-247. — Œuvre du
Logos incarné : il établit un état plus divin que
celui du début, 247-248. — Les fruits de la Passion &

appliqués par l’action déifiante de l'Esprit, 248. —


Dans l'au-delà le chrétien sera <un dieu fait»,
248-250.
366 TABLE DES MATIÈRES

$ 3. — Didyme l’Aveugle, 250-252.


La vertu déifiante de l’Esprit-Saint prouve sa
divinité, 250. = En nous unissant à la Trinité,
‘ l'Esprit nous ramène à la ressemblance divine ori-
ginelle, 250-251. — Traits communs aux Alexan-
drins, 252. 5

Cuaptrre IV. — Attestations occasionnelles. II. École


d’Antioche ts ARTE PRE ER ENS EPA RE 253-216
$ 1. — Saint Jean Chrysostome, 253-262.
I. Image et ressemblance divines en Adam, 253-
255; perte de la ressemblance, 255-256. — II. Fin.
de l’Incarnation : les hommes rendus fils de Dieu,
256-257, moyennant l’union au Christ, 257-260. —
III. Assimilation progressive à Dieu par l’imitation
de « l’art divin de la charité », 260-261. — Au ciel,
achèvement de la ressemblance divine par le don
de l’immortalité, 262.
$ 2. __ Théodore de Mopsueste, 262-272.
I. Économie du salut répartie en deux « catas-
fases », 263. — L'homme image de Dieu comme
centre de l’univers, 264, appelé à l’incorruptibilité
dans la catastase future, 265. La chute d'Adam, ses.
suites et sa signification, 265-267. — II. « Rénova-
tion » par le Logos d’abord de l’homme Jésus, puis
des autres, 267-269. — III. Conditions subjectives
de cette rénovation : nous conformer au Christ,
269-270; ses effets : adoption divine et immortalité,
270-271. —— Le thème de la déification à l’état sim-
plement virtuel, 272,
3. — Théodoret de Cyr, 273-276.
Réapparition du thème de la divinisation avec
sa terminologie propre, mais dans le cadre soté-
riologique de Théodore, 273-276. — Comparaison
entre Alexandrins et Antiochiens, 276.

TROISIÈME PARTIE

PÉRIODE DE CONSOLIDATION
CHAPITRE I. — Théologie de la divinisation : Saint Cyrille
d'Alexandnie. 2.40 Meet 271-291
Importance de Cyrille, 277. Cadre général de sa
doctrine, 278. — I. Double similitude d'Adam, 279-
280; perte de la ressemblance supérieure, 281. ——
IT. Restauration de l’aphtharsia par l’Homme-Dieu,
TABLE DES MATIÈRES 367

281-282. Efficience de l’Incarnation : théorie phy-


sique de la divinisation, 282-284. Rôle de la Pas-
sion, 284-285. — III. Appropriation individuelle de
la divinisation : conditions générales, 285-289. —
IV. Part des trois personnes divines, 289-290. Rôle
spécial du Saint-Esprit : grâce incréée, 290-293,
grâce créée, 293-294, —— Éléments essentiels de la
divinisation, 295; sa perfection ultime, 296. — La
doctrine cyrillienne intègre les principaux élé-
ments de la tradition, 296-297.

Cuaprrre II. — Mystique de la divination.............. 298-327


$ 1. — Le pseudo-Denys, 298-319.
Le Corpus dionysianum, 298-299. — I. Principes
théologiques : transcendance et immanence de
Dieu, 299-300; sa bonté créatrice, 300-301; les hié-
rarchies, 301-302; le « cycle éternel », 302-303; la
déification, but des hiérarchies, 303-304. —— TI, Le
Logos agent suprême de la &ivinisation, 304; pour
l'humanité, celle-ci est une restauration, 305; ses
modalités, 305-307. — III. Contribution de l’hom-
‘ me : s'unir à Dieu. Deux possibilités. La voie de
l'amour extatique, 307-312. IV. La voie hiérar-
chique, 312-315. — V. Le £y de l’âme, siège du
contact déifiant, 315-316. Rapports entre les äeux
voies, 316-317. Consommation de la déification par
le don de j’immortalité bienheureuse, 317-318. —
Mystique dionysienne et mystique néoplatoni-
cienne,, 318-319.
* & 2. — Saint Maxime le Confesseur, 319-327.
Ï{. La divinisation de l’homme fin de la création
et de l’Incarnation, 319-320. L’image divine en
Adam; sa vocation à la déification, 320; suites de
sa défaillance, 320-321. — II. Délivrance de l’huma-
nité par l’iIncarnation et la Passion, 321-322. Coo-
pération nécessaire du sujet : monter vers Dieu,
322; étapes de cette ascension, 323; le « sommet
de la prière» ou l’union mystique, 323-324. —
- Interprétation orthodoxe de la mystique diony-
sienne, 325-327.

CHAPITRE II. — Terme de la patristique grecque : Saint


Jean: Damascèñné il...
2... eue a 328-338
Rôle de Jean, 328. — I. La divinité participée
d'Adam et sa perte, 330-331. — II. Réparation par
le Christ : valeur salvifique de sa Passion, 332-
H
HA

368 TABLE DES MATIÈRES

333; vertu déifiante de l’Incarnation, 333-334. —


II. Déification par l’Incarnation de la nature hu-
maine mais non. des personnes, 335; nécessité de
l’effort personnel en vue de la divinisation indi-
viduelle, 335-337; l’étape finale de celle-ci, 337-338.

CONCLUSION .. 339-351
TABLE DES NOMS DE PERSONNES .. 353-357
TABLE DES PRINCIPAUX MOTS GRECS .. 358-359
TABLE DES MATIÈRES ., 360-368
ERRATA

ve 32, note 2, ligne 8, lire : peut être au lieu de peut-être.


P: 45, note 11, lire : Eos &v.. cupneoupuévynà À Yu meta rouoütou
XAkOÙ.
51, note 7, lire : 4 au lieu de À.
51, note 8, lire : £aurod au lieu de anroëÿ.
56, ligne 2 d’en bas, biffer la virgule après maîtrise.
64, note 7, lire : Ce au lieu de C.
71, ligne 16, lire : émolootg au lieu de épotwot.
. 73, note 3, lire : Jos, I, 6; IL 1; etc.
. 90, ligne 1-2, lire odpévios au lieu de oûpdtoc.
TT
S'UTTUT
. 110, note 3, lire : susynuari(ôuevor au lieu de ovoynpart-
Comevor.
D: 122, note 4, lire : Cwnv au lieu de Co.
1 129, ligne 8 d’en bas, lire : forme une syzygie au lieu de
forme de syzygie.
. 175, note 3, lire : &yañéy au lieu de 4yab6.
. 192, note 4, ligne 1 : lire constitue au lieu de contsitue.
205, dernière ligne : lire intervint au lieu d’intervint.
209, note 5, lire : suce au lieu de œvost.
234, ligne 4, lire : la virginité au lieu de sa virginité.
248, note 5, lire : Ileüua au lieu de Mvyeüua.
248, note 7, lire : [{veüux au lieu de Hveüpua.
254, note 7, lire : èrtyeroç au lieu de ëèiyero.
260, ligne 15, lire : la richesse au lieu de sa richesse.
274, note 6, lire : notre exégète au lieu de notre exégèse.
310, note 4, ligne 2, lire : pas au lieu de par.
313, ligre 3 d’en bas, lire : reex@y au lieu de +tlstov.
314, note 2, ligne 3, lire : s’obstine au lieu de d’obstine.
. 325, note 1, ligne 4, lire : ävfo au lieu de &ynp.

TT
UT
TUN
. 341, ligne 12 d’en bas, lire : homme au lieu de l’homme.
THOUARS (DEUX-SÈVRES), IMPRIMERIE NOUVELLE, J. GAMON, Dr
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* BT761_. Gross, nr D 4611
Jules.
La divinisation du Chretien dapres les i

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Bivinisation..,

THEOLOGY LIBRARY
SCHOOL OF THEOLOGY AT CLAREMONT
CLAREMONT, CALIFORNIA

LA

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