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Laurent MORLIER

LA
BULLE DE PAUL IV
Cum ex apostolatus

dans la crise actuelle

Éditions D F T
 

B
EAUCOUP de catholiques sedevacantistes font
état de cette Bulle du pape Paul IV comme
argumentaire majeur à leur position, en ci-
tant notamment son § 6. La question importante à se
poser est de savoir si cette Bulle de 1559 est encore
en vigueur dans la loi de l’Église à l’heure actuelle et
notamment pour nos derniers siècles. Il ne suffit pas
d’exhumer une authentique Bulle de 1559 annoncée
comme « valable à perpétuité » (tant qu’un autre
pape ne modifie pas ses prescriptions par un autre
document !), pour être sûr d’avoir trouvé le docu-
ment référent permettant d’asseoir sa position avec
certitude. Or, la réponse n’est pas douteuse…
 

 
Sceau en plomb d’une Bulle de Paul IV 
 
 
 

ISBN 978‐2‐37110‐027‐5 
4,50 EUR
LA BULLE DE PAUL IV
Cum ex apostolatus
dans la crise actuelle

Le texte intégral de cette Bulle (1559) latin-français,


peut se consulter ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cum_ex_apostolatus_officio
Beaucoup de catholiques sedevacantistes font état de cette
Bulle du pape Paul IV, comme argumentaire majeur à leur po-
sition, en citant notamment son § 6 qui dit ceci :

« § 6. De plus, si jamais un jour il apparaissait qu’un évêque,


faisant même fonction d’archevêque, de patriarche ou de pri-
mat ; qu’un cardinal de l’Église Romaine, même légat ; qu’un
SOUVERAIN PONTIFE LUI-MÊME, avant sa promotion et
élévation au cardinalat ou au souverain pontificat, déviant de
la foi catholique, est tombé en quelque hérésie, sa promotion
ou élévation, même si elle a eu lieu dans la concorde et avec
l’assentiment unanime de tous les cardinaux, est NULLE,
SANS VALEUR, NON AVENUE. Son entrée en charge, consé-
cration, gouvernement, administration, tout devra être tenu
pour ILLÉGITIME.
S’il s’agit du souverain Pontife, on ne pourra prétendre que
son intronisation, adoration (agenouillement devant lui),
l’obéissance à lui jurée, le cours d’une durée quelle qu’elle soit
(de son règne), que tout cela a invalidé ou peut invalider son
pontificat ; celui-ci ne peut être tenu pour légitime JAMAIS ET
EN AUCUN DE SES ACTES.
De tels hommes, promus évêques, archevêques, patriarches,
primats, cardinaux ou SOUVERAIN PONTIFE, ne peuvent
être censés avoir reçu ou pouvoir recevoir AUCUN DROIT
d’administration, ni dans le domaine spirituel, ni dans le do-
maine temporel. Tous leurs dits, faits, et gestes, leur adminis-
tration et tous ses effets, tout est dénué de valeur et ne confère,
par conséquent, aucune autorité, aucun droit à personne.
Et que soient privées les personnes ainsi promues, sans qu’il
soit besoin d’une déclaration expresse, de toute dignité, juri-
diction, honneur, titre, autorité, office et pouvoir, et qu’il soit
permis (“liceatque”) au contraire à ceux qui sont promus à ces
charges (d’exercer leur office), si auparavant ils n’auraient
pas dévié dans la foi, ni n’auraient été hérétiques, ni ne se-
raient tombés dans le schisme, que ce soit en y poussant ou en
le commettant.

2
Le but du pape Paul IV, à la veille de mourir, était ici
d’inscrire dans les textes de l’Église qu’aucun hérétique avéré
(hérésie formelle) ne pouvait légalement occuper le trône de
Pierre, et il pensait ainsi empêcher (naïvement ?) ce qu’an-
nonçait la prophétie de Daniel, comme il l’explicite en son § 1 :

§ 1. Nous considérons la situation actuelle assez grave et dan-


gereuse pour que le Pontife Romain, Vicaire de Dieu et de
Notre Seigneur Jésus-Christ sur terre, revêtu de la plénitude
du pouvoir sur les nations et les royaumes, juge de tous les
hommes et ne pouvant être jugé par personne en ce monde,
puisse toutefois être contredit s’il dévie de la Foi catholique.
Et, puisque là où le danger s’étend, là aussi il devient plus pro-
fond, il faut y veiller avec plus de diligence de telle sorte que
des pseudo-prophètes ou des hommes revêtus d’une juridiction
séculière ne puissent prendre misérablement dans leurs actes
les âmes des gens simples, entraîner avec eux à la perdition et
à la damnation éternelle des peuples innombrables soumis à
leur soin et à leur autorité, soit spirituelle, soit temporelle. Et,
pour que nous puissions ne jamais voir dans le lieu-Saint
l’abomination de la désolation prédite par le Prophète Daniel,
nous voulons autant que nous le pourrons avec l’aide de Dieu
et selon notre charge pastorale, capturer les renards occupés
à saccager la vigne du Seigneur et écarter les loups des berge-
ries, afin de ne pas sembler être comme les chiens muets, im-
puissants à aboyer, pour ne pas nous perdre avec les mauvais
serviteurs et ne pas être assimilé à un mercenaire.

Il confia d’ailleurs à l’un de ses proches : « Pour vous dire la


vérité, nous avons voulu nous opposer aux dangers qui mena-
çaient le dernier conclave et prendre de notre vivant des pré-
cautions, afin que le diable n’asseye pas à l’avenir un des siens
sur le Siège de saint Pierre.1 »

1 Cf. Louis PASTOR, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen Âge. Paris

1932, t. XIV, p. 234. Précisons d’ores et déjà que cet historien considérait

3
Malgré ce beau préambule, et cette intention droite (mais
personne ne peut empêcher les prophéties scripturaires de
s’accomplir !), la question importante à se poser est de savoir si
cette Bulle de 1559 est encore en vigueur dans la loi de l’Église
à l’heure actuelle et notamment pour nos derniers siècles. Il ne
suffit pas d’exhumer une authentique Bulle de 1559 annoncée
comme « valable à perpétuité » (tant qu’un autre pape ne mo-
difie pas ses prescriptions par un autre document !), pour être
sûr d’avoir trouvé le document référent pour asseoir sa position
avec certitude. Or, la réponse n’est pas douteuse…
En effet, le document pontifical qui régit une élection Ponti-
ficale est, pour les élections de Jean XXIII et Paul VI, la Consti-
tution du pape PIE XII (1945) Vacantis apostolicæ Sedis, qui
doit “être utilisée SEULE” (intro.) et ce qui est confirmé par le
droit canon 1917, Can. 160 entre autres : « L’élection du Souve-
rain Pontife est régie UNIQUEMENT par la Constitution... »
(donc alors seule en vigueur).
Pour bien préciser ici l’intention du pape Pie XII, voici le
Préambule à sa Constitution :
« Nos prédécesseurs eurent toujours à cœur, dans le cours
des siècles, d’établir et de prescrire les mesures concernant les
règles qui régissent la vacance du Siège apostolique et l’élection
du Pontife romain. En conséquence, ils se sont efforcés
d’apporter une vigilante sollicitude et de pourvoir par des
règles salutaires à une affaire d’Église de la plus haute impor-
tance, et dont Dieu leur a remis le soin, à savoir : à l’élection du
successeur de saint Pierre, Prince des apôtres, dont le rôle est
de tenir sur cette terre la place de Jésus-Christ, Notre-Seigneur
et Sauveur, et de paître et conduire comme Pasteur et Chef su-
prême tout le troupeau du Seigneur.
« Comme il était souhaitable que ces lois relatives à
l’élection du Pontife romain, dont le nombre avait augmenté
avec le temps, fussent désormais rassemblées en un seul do-

cette Bulle comme seulement disciplinaire, et non dogmatique ; de même


que l’auteur Joseph Chantrel, cité ci-après note 11. Lire aussi la note 34 qui
donne d’autres précisions.

4
cument, et comme quelques-unes, par les changements inter-
venus, avaient cessé d’être appropriées aux circonstances parti-
culières, Pie X, Notre prédécesseur de pieuse mémoire, décida
dans un sage dessein, il y a quarante ans, d’en faire un tri op-
portun et de les rassembler en publiant la célèbre constitution
Vacante Sede Apostolica, le 25 décembre 1904.
« Cependant Pie XI, de récente mémoire, crut nécessaire de
modifier certains chapitres de cette constitution, comme sem-
blaient l’exiger des considérations fondées sur les réalités et les
circonstances. Et Nous avons pensé Nous-même que, pour la
même raison, il fallait réformer d’autres points. C’est pourquoi,
après mûr examen, avec une pleine connaissance et dans la
plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous avons résolu de
publier et de promulguer cette constitution, qui est la même
que celle de Pie X, de sainte mémoire, mais remaniée sur bien
des points, “ pour qu’elle soit utilisée seule — Nous em-
ployons les termes de ce même prédécesseur — par le Sacré
Collège des cardinaux, durant la vacance du Siège romain de
Pierre et dans l’élection du Pontife romain ”, et en consé-
quence d’abroger la constitution Vacante Sede Apostolica, telle
qu’elle avait été édictée par Pie X, Notre prédécesseur. »
Cette Constitution abroge aussi clairement toutes les
autres dispositions antérieures des autres Papes :
« Nonobstant, dans la mesure où ce serait nécessaire, les
constitutions et ordonnances apostoliques promulguées par les
pontifes romains, Nos prédécesseurs ; Nous déclarons, comme
ci-dessus, abrogés tous et chacun de ces documents
apostoliques. Nonobstant également toutes autres choses
contraires même dignes de mention et dérogation individuelles
et très spéciales. Nul n’aura le droit d’enfreindre ou de contre-
carrer par une audace téméraire cette constitution portant Nos
ordonnances, abrogations, décisions, censures, admoni-
tions, interdictions, préceptes, volontés. Si quelqu’un osait le
tenter, il encourra, qu’il le sache, l’indignation du Dieu tout-
puissant et des bienheureux apôtres Pierre et Paul. » (Pie XII,
8 décembre 1945, AAS 1946 pp. 65-99.)

5
Pie XII précise aussi que seuls les cardinaux canonique-
ment déposés ou dont la démission a été acceptée par le Souve-
rain-Pontife, sont exclus du Conclave (n°36) :
« 34. Aucun cardinal ne peut d’aucune manière être exclu
de l’élection active et passive [droit de vote et éligibilité] du
Souverain Pontife sous le prétexte ou par le motif de
n’importe quelle excommunication [cuiuslibet excom-
municationis, en latin : TOUTE excommunication, AAS 1946 p.
76], suspense, interdit ou autre empêchement ecclésiastique.
Nous suspendons ces censures seulement pour cette élection ;
elles conserveront leurs effets pour tout le reste. » (Vacantis
Apostolicæ Sedis, 1945, Titre II, chap. I)
« Toute excommunication » vise donc toutes les causes
d’excommunication. La pratique de l’Église est d’ailleurs que
TOUS LES CARDINAUX (sauf ceux visés au n°36) sont convo-
qués au conclave, et on ne leur demande pas à l’entrée s’ils sont
francs-maçons, gays, modernistes, hérétiques, schismatiques,
libertins, assassins, satanistes, schizophrène, etc, etc. Puisque
selon la constitution très claire ci-dessus, ça ne remet pas en
cause leur pouvoir d’élire et d’être élu :
« 35. Dès qu’un cardinal de la Sainte Église romaine a été
créé et publié en consistoire, il possède AUSSITÔT la voix et le
droit d’élire le pontife, » [= C’est clair !]
« 36. Les cardinaux canoniquement déposés ou ceux
qui, avec le consentement du Pontife romain, ont renoncé à
la dignité cardinalice, n’ont aucun droit pour l’élection. Bien
plus, pendant la vacance du Siège, le Sacré Collège lui-même ne
peut rétablir et habiliter même pour voter les cardinaux qui ont
été privés par le pape du droit de voter ou déposés par lui.2 »
Pie XII explique pourquoi ces dispositions sont édictées, en
levant aussi la nullité d’une éventuelle élection simoniaque au
n°92 :
« 92. Le crime de simonie est abominable, en regard tant du
droit divin que du droit humain. Comme c’est un fait bien

2 Boniface VIII, De schismaticis, 5, 3, in Sext. ; Pie IX, lettre Quamquam,

29 septembre 1867.

6
établi qu’il est absolument réprouvé dans l’élection du Pontife
romain, ainsi Nous aussi le réprouvons et le condamnons, et
Nous frappons ceux qui s’en rendent coupables de la peine
d’excommunication latæ sententiæ, en supprimant toutefois la
nullité de l’élection simoniaque (que Dieu daigne éloigner pa-
reille élection !) décrétée par Jules II (ou par tout autre décret
pontifical), pour ôter un prétexte d’attaquer la valeur de
l’élection du Pontife romain. »
Le Père Brian W. Harrison commente : « Si la loi de l’Église
exigeait qu’un cardinal soit libre de toute censure ecclésiastique
pour être éligible à la papauté, les électeurs ne pourraient avoir
aucune garantie qu’un candidat n’était de fait pas éligible à
cause d’un crime secret par lequel il aurait encouru
l’excommunication. Sans le réaliser, ils auraient contribué à
une élection invalide, dans laquelle le ‘pape’ qu’ils auraient élu
ne serait pas vraiment pape. L’invalidité de ses actes serait
alors une sorte de cancer spirituel, qui détruirait lentement de
l’intérieur les structures vitales de l’Église : les évêques nom-
més par lui n’auraient pas de droit véritable à gouverner leurs
diocèse respectifs ; aucune législation passée par lui n’aurait
force de loi ; et, en particulier, les cardinaux nommés par lui ne
pourraient validement élire un futur pape. Comment donc
pourrait-on avoir à nouveau un vrai pape ? Qui serait compé-
tent pour trancher la situation ? Au moment où le fait de cette
excommunication occulte serait révélé au grand jour, le chaos
qui s’en suivrait serait inimaginable. Personne ne pourrait sa-
voir de façon certaine qui aurait encore une autorité réelle dans
l’Église, et un schisme – probablement une série de schismes –
seraient presque inévitables. Pour cette situation catastro-
phique, les lois de l’Église ont donc prévu que, s’il est élu pape,
même un hérétique secret ou même un apostat pourrait effecti-
vement monter sur la Chaire de Pierre avec tous les droits de
juridiction sur l’Église universelle sur la terre.3 »

3 A Heretical Pope Would Govern The Church Illicitly But Validly, Liv-

ing Tradition, Mai 2000.

7
Chez les catholiques traditionalistes, on se félicite souvent
du célèbre veto de l’Autriche qui empêcha l’élection du cardinal
Rampolla (1903)4, supposément franc-maçon, mais ce qu’on
oublie de préciser, c’est que le pape saint Pie X justement élu à
sa place, s’empressa l’année suivante de modifier cette disposi-
tion et de supprimer à l’avenir une telle possible intervention
d’un pouvoir civil (fut-ce celui de l’empereur François-Joseph)
dans l’élection du Pontife Romain, et de supprimer aussi tout
empêchement ecclésiastique aux cardinaux pour l’élection Pon-
tificale, comme on vient de le voir. Ce que rappela et souligna à
son tour, avec force et gravité, dans sa Constitution de 1945, le
pape Pie XII, au n° 94 :
http://www.vatican.va/archive/aas/documents/AAS-38-1946-ocr.pdf
« 94. Quant à ce que Nos prédécesseurs, et notamment le
pape Pie X 5, ont édicté et interdit au sujet du veto civil ou
exclusive, comme on l’appelle, dans l’élection du Souverain
Pontife, pour écarter toute intervention extérieure et assurer
une pleine liberté dans l’élection du suprême Pasteur, Nous
renouvelons ici tout cela en tout point et entièrement, et Nous
voulons que cela soit confirmé. C’est pourquoi derechef, en ver-
tu de la sainte obéissance, sous la menace du jugement divin et
sous peine d’excommunication latæ sententiæ, Nous interdi-
sons à tous et à chacun des cardinaux de la Sainte Église ro-
maine, tant présents que futurs, et également au secrétaire du
Sacré Collège des cardinaux et à toutes les autres personnes
prenant part au conclave, d’accepter sous quelque prétexte que
ce soit, de n’importe quel pouvoir civil, la mission de proposer
un veto ou exclusive même sous forme d’un simple désir, et de
faire part de ce veto de quelque façon qu’il leur soit connu, soit
à tout le Collège des cardinaux réunis, soit à chacun des Pères
revêtus de la pourpre, soit par écrit, soit oralement, soit direc-
tement et de façon immédiate, soit indirectement et par inter-
4 On peut lire à ce sujet de F. Engel-Janosi : L’Autriche au conclave de
1903. Dans la Revue belge de philologie et d’histoire, tome 29, fasc. 4, 1951.
pp. 1119-1141. Téléchargeable ici : https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-
0818_1951_num_29_4_2116
5 Constitution Commissum Nobis, 20 janvier 1904.

8
médiaire, soit avant le conclave, soit pendant sa tenue. Nous
voulons que cette interdiction soit étendue à toutes les inter-
ventions, oppositions et autres procédés quels qu’ils soient, par
lesquels des pouvoirs civils, de n’importe quel degré et ordre,
voudraient s’immiscer dans l’élection du pontife. »
Il est clair que les papes Pie X et Pie XII entendent donner
aux cardinaux une liberté totale quant au choix de l’élu qu’ils
doivent seulement faire en conscience devant Dieu (au n°97,
Pie XII se borne à donner seulement quelques conseils aux
cardinaux, dans ce choix) ; et que rien ne peut plus être prétex-
té ensuite pour invalider l’élection, hormis ce qui est expressé-
ment indiqué dans la Constitution.
De ce fait, la Bulle de Paul IV (en son § 6) est hors
sujet dans la crise actuelle pour trois raisons :
— 1°/ elle n’est plus en vigueur pour l’élection du Pontife
Romain, selon la décision de Pie XII en 1945 indiquée ci-
dessus, qui l’a obrogée (AAS 1946, pp. 65 sv.) ; elle l’était déjà
du reste sous saint Pie X, puisque sa Constitution Vacante Sede
Apostolica sur l’élection du Pontife romain, datée du 25 dé-
cembre 1904, comportait déjà les dispositions reprises par le
pape Pie XII ; et le droit Canon de 1917 n’a pas repris non plus
les dispositions de cette Bulle pour l’élection du pontife ro-
main (notamment son fameux § 6) ; et « qu’aucun catholique
sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux
prescriptions des sources anciennes du Droit canonique » (Pie
XII, encyclique Mediator Dei, 1947).
— 2°/ Et même si elle l’était (par hypothèse) : l’hérésie for-
melle tant du cardinal Roncalli que du cardinal Montini, anté-
rieure à l’élection, est indémontrable. Il n’a jamais été poursui-
vi pour hérésie par une quelconque monition ou procès, etc... Il
n’a jamais été sanctionné par l’Autorité et est donc resté un
membre authentique de la Hiérarchie catholique. L’abbé Mon-
tini a même été fait évêque le 12 décembre 1954 à saint-Pierre
de Rome, sur la décision de Pie XII qui le plaça sur le presti-
gieux siège de Milan, le plus grand d’Italie... Venir nous dire
qu’il s’agissait là d’une sanction, ce serait comme de nommer

9
l’abbé Jacques GAILLOT, cardinal archevêque de Paris, pour le
sanctionner... Par ailleurs, même des cardinaux francs-maçons
peuvent validement élire et être élus (cf. ci-dessus, au n°34). Si
on s’en tient à la Constitution de Pie XII, SEULE, le § 34 parle
de « toute excommunication » (cuiuslibet excommunicationis,
en latin AAS 1946) traduit aussi par « n’importe quelle ex-
communication » : donc même un cardinal EXCOMMUNIÉ
pour cause d’hérésie, mais non déposé canoniquement,
et/ou dont la renonciation éventuelle n’aurait pas été acceptée
par le pape, serait, quand même pape validement et légitime-
ment s’il était élu dans un conclave par ailleurs régulier (sans
possibilité de faire appel à la Bulle de Paul IV, abrogée.)6
— 3°/ Enfin, le “consentement unanime de tous les cardi-
naux” indiqué par Paul IV dans sa Bulle, est très souvent mal
compris : Paul IV ne vise là que la désignation de l’élu, par les
cardinaux (conclave), pouvant même aller jusqu’à la cérémonie
d’intronisation et une « entrée en charge ». Par exemple, si
tous les cardinaux se mettaient d’accord d’élire un baptisé
préalablement condamné pour hérésie… Jusqu’à ce moment, le
« pape » pouvait encore être invalidé pour la raison d’hérésie
formelle (au temps où sa Bulle était encore en vigueur).7 Mais

6 « La bulle Cum ex apostolatus n’est pas autre chose qu’une lex inhabili-
tans, c’est-à-dire qu’elle déclare incapable (même rétroactivement)
d’accéder à toute charge civile et ecclésiastique, et incapable d’électorat actif
et passif, toute personne ayant été condamnée pour hérésie. Les termes
canoniques sont très clairs : on ne parle pas d’hérétiques au sens général,
mais on emploie trois verbes qui indiquent trois modalités de condamna-
tion juridique et publique : par flagrance de délit (deprehendentur), par
confession de la faute (confitebuntur), par procès avec discussion du cas et
preuve de l’hérésie (convincentur). L’histoire même de la bulle le dé-
montre : le Pape aurait voulu inhabiliter toute personne qui n’aurait été
qu’accusée d’hérésie, mais il dut renoncer en raison de l’opposition (lo-
gique) du Sacré Collège. » Cf. Pastor, Histoire des Papes, vol. VI.
7 Il est important de noter ici d’ailleurs que cette formulation « avec le

consentement unanime des cardinaux » n’est pas spécifique à la Bulle de


Paul IV. On la retrouve en effet dans la Bulle de Jules II citée par Pie XII
pour invalider une élection simoniaque ! Jules II écrit en effet, dans sa bulle
Cum tam divino (14 janvier 1503), concernant le crime de simonie : « 1.
Absolument nulle l’élection qui serait faite par simonie – même si elle ré-

10
ensuite, lorsque toute l’Église universelle (tous les évêques
résidentiels du monde pour le moins) reconnait l’élu comme
LE PAPE, l’élu est indubitablement PAPE sans contestation
possible ensuite : c’est “l’acceptation pacifique de l’Église uni-
verselle” et c’est un fait dogmatique qui engage de Foi (tous les
théologiens sont unanimes sur le sujet : notamment Billot,
Journet, Cajetan, Jean de Saint-Thomas, saint Alphonse de
Liguori, Dom Guéranger, etc.) D’ailleurs, si ce n’était pas le cas,
comment aurait-on la certitude autrement qu’un Pape est bien
Pape (un conclave pouvant être irrégulier) ? C’est l’indéfectibi-
lité de l’Église qui est en jeu.
Paul IV ne vise donc absolument pas, dans sa Bulle,
L’ACCEPTATION PACIFIQUE DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE.
Qui vient après, en dernier ressort, lorsque tous les évêques
résidentiels du monde entier acceptent pacifiquement cette
élection, ou plus largement « toute l’Église » selon can. 223
(élection faite par les cardinaux). Acceptation veut bien dire
qu’on accepte une élection faite par d’autres, sans qu’on ait eu
un rôle actif. C’est d’ailleurs ce que dit aussi le cardinal Jour-
net : « Une élection, fût-elle même l’élection du Pape, peut être
invalide ou douteuse ; dans la ligne de Jean-de-Saint-Thomas,
le même Journet nous le rappelle (L’élection du Pape. — V. Va-
lidité et certitude de l’élection). “L’Église – écrit Journet – pos-
sède le droit d’élire le pape, et donc le droit de connaître avec
certitude l’élu. Tant que persiste le doute sur l’élection [qui

sulte du consentement unanime de tous les cardinaux (vel omnium Cardi-


nalium unanimi concordia). » (nullité abolie par Pie XII) Cette formulation
indique donc clairement que les cardinaux, même dans la concorde et
l’unanimité ne sont pas au-dessus des lois édictées par le pape, et donc
qu’un conclave peut-être irrégulier et l’élection ainsi produite “absolument
nulle” s’il ne respecte pas les prescriptions du Pontife Romain, celles alors
en vigueur. Mais, encore une fois, il ne faut pas confondre cette concorde
entre les cardinaux qui, dans ce cas de figure n’ont rien d’infaillible (seul
un conclave régulier est infaillible, quand il respecte strictement la Consti-
tution Pontificale ad hoc), et l’acceptation pacifique de l’Église universelle,
qui, elle, nous assure ensuite infailliblement que le pape ainsi reconnu est
véritablement pape. Au nom, cette fois, de l’indéfectibilité de l’Église (cf. Pie
IX, Encyclique Etsi Multa, 1873). Cf. note 38 pour d’autres précisions.

11
peut comporter des irrégularités rendant l’élection invalide,
selon la Constitution de Pie XII elle-même] et que le consen-
tement tacite de l’Église universelle n’est pas venu
remédier aux vices possibles de l’élection, il n’y a pas de
pape, papa dubius, papa nullus. En effet, fait remarquer Jean-
de-Saint-Thomas, tant que l’élection pacifique et certaine n’est
pas manifeste, l’élection est censée durer encore” (p. 978). Tou-
tefois, toute incertitude sur la VALIDITÉ de l’élection est dissi-
pée par l’ACCEPTATION pacifique de l’élection faite par
l’Église universelle : “L’acceptation pacifique de l’Église
universelle s’unissant actuellement à tel élu comme au chef
auquel elle se soumet, est un acte où l’Église engage sa desti-
née. C’est donc un acte de soi infaillible, et il est immédiate-
ment connaissable comme tel. (Conséquemment et médiate-
ment, il apparaîtra que toutes les conditions prérequises à la
validité de l’élection ont été réalisées).” (pp. 977-978) »
ACCEPTATION se traduit aussi parfois par ASSENTIMENT
= « Acte par lequel on acquiesce (expressément ou tacitement)
à une opinion, une proposition. Synonymes : accord, approba-
tion, consentement. » Or, les cardinaux n’ont pas à ACCEPTER
leur propre acte d’élection… C’est l’Église universelle qui
donne cette acceptation, ce consentement tacite, et qui donne
par là un signe, une assurance, que l’élection en amont était
légitime. Les sedevacantistes confondent, « l’accord unanime
de tous les cardinaux » (Bulle de Paul IV) et « l’acceptation pa-
cifique de l’Église universelle », alors que les seuls cardinaux ne
représentent pas, ne sont pas, eux seuls, l’Église universelle.
Les encycliques par exemple, qui sont adressées à l’Église uni-
verselle, commencent toujours par la formule classique : « À
tous Nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats, Arche-
vêques et Evêques du monde catholique, en grâce et commu-
nion avec le Siège Apostolique. » Prétendre que Paul IV a en-
seigné dans sa Bulle que même un pape accepté pacifiquement
par l’Église universelle, ne serait possiblement néanmoins pas
vrai pape, relève clairement d’une erreur de lecture du texte.
Ce qui est important ici, et ce qui est à souligner, c’est de no-
ter qu’à l’été 1963, PAUL VI a bien bénéficié de cette pacifica

12
universalis ecclesiæ adhesio, puisqu’à l’époque l’Église
catholique était bien à Rome (vrais cardinaux, vraie hiérarchie)
et que l’ensemble des catholiques adhérait officiellement à la
doctrine traditionnelle encore intouchée (unité de Foi, de litur-
gie, de sacrements). Ce point, est indiscutable et indubitable.
PAUL VI a été reconnu pacifiquement par l’Église uni-
verselle (toute la hiérarchie) comme le Souverain
Pontife à l’été 1963, sans aucune exception ! Le nier re-
vient à faire un déni de réalité... et à se priver de lumières cer-
taines sur la crise de l’Église, puisqu’on nie un fait dogmatique,
et qu’on part donc forcément de travers. La question de Vatican
II (fin 1965) et des problèmes postérieurs (1969) qui se posent
doivent s’analyser avec cette donnée certaine. « On doit tenir
fermement comme absolument certain et entièrement hors de
doute que l’adhésion de l’Église universelle [à l’élection faite
par le conclave] sera toujours et à elle seule le signe infaillible
de la légitimité de la personne du pape et donc aussi de toutes
les conditions requises pour la légitimité proprement dite… »
écrit (entre autres) on ne peut plus clairement le cardinal Louis
Billot (Cf. De Ecclesia Christi, 1900, Q. 14, th. 29 III, n°950).
Par ailleurs, il faudrait noter qu’on ne juge pas de la légitimi-
té d’un pape en se permettant d’analyser, de comparer ou de
juger son enseignement magistériel. Le pape est « immédiate-
ment vrai pape » dès son acceptation (Pie XII), et avant même
d’avoir enseigné quoique ce soit. La hiérarchie est constituée :
« dans le souverain pontificat, directement par droit divin,
moyennant élection légitime et acceptation de l’élection. »
(Can. 109, 219) La légitimité d’une élection ressort seulement
du respect strict des prescriptions de la Constitution sur
l’élection du Pontife Romain (celle de Pie XII en l’occurrence ;
Canon 160).
***
Cet exposé est d’ailleurs confirmé par un universitaire, dans une
analyse récente (2019), qu’on peut lire en intégralité à partir du
lien indiqué, et dont voici le passage relatif à la Bulle de Paul IV :
[…] Ainsi quand il s’agit de justifier l’emploi de la bulle Cum
ex apostolatus de Paul IV, qui écarte notamment les cardinaux

13
hérétiques de l’élection pontificale, tant active que passive, et
frappe de nullité l’élection du pontife hérétique.
Il fait [Maxence Hecquard 8] de cette bulle un texte infail-
lible, « valide perpétuellement » (p. 29), non abrogé et dont les
dispositions sont « valables à perpétuité » (p. 31), « toujours en
vigueur » (pp. 34, 35, 156) et ce malgré les dispositions expli-
cites de saint Pie X, dans la bulle Vacante Sede Apostolica du
25 décembre 1904. Ce dernier rend aux cardinaux leur
voix active et passive dans l’élection du souverain pon-
tife, interdisant qu’aucun d’entre eux en soit privé
« sous le prétexte et à cause de n’importe quelle excommunica-
tion, interdit ou empêchement, ou autre cause relevant de
l’Église » (§ 29) 9. Cette suspension provisoire de toute censure,
durant le temps de l’élection, remonte en fait bien plus haut.
Clément V, par la constitution Ne Romani (Clem. 1, 3, 2) fut
le premier à l’édicter, et elle fut reprise par Pie IV et Gré-
goire XV. Intégrée explicitement dans le Code de droit cano-
nique de 1917 (can. 241), elle sera confirmée par Pie XII en
1945 (const. Vacantis Apostolicæ Sedis, § 34). L’actuelle légi-
slation canonique (const. Universi dominici gregis, § 35, de
Jean-Paul II de 1996, modifiée par le motu proprio Normas
nonnullas de Benoît XVI de 2013) conserve cette suspension de
toute censure ecclésiastique frappant un cardinal pendant la
durée du conclave. Nonobstant tous ces textes, M. Hec-
quard juge de façon laconique la proposition selon laquelle
« l’éventuelle hérésie d’un cardinal ne saurait l’empêcher d’être
élevé à la dignité pontificale » : « Cette objection n’est pas sé-
rieuse » (p. 169).
Enfin, il est à noter que Pie X, dans la préface de sa constitu-
tion, loue les « lois très sages » de ses prédécesseurs apportant
« un soin vigilant et une réflexion pleine de zèle » au sujet de
l’élection pontificale, sans mentionner aucunement le texte ni

8 Dans son livre La crise de l’autorité dans l’Église - Les papes de Vati-
can II sont-ils légitimes ? — Pierre Guillaume De Roux éditeur, 2019. 25 €
9 Documents pontificaux de Sa Sainteté saint Pie X, s. l., Publications du

Courrier de Rome, 1993, t. 1 : 1903-1908, p. 229. Il s’agit du § 34 pour


l’édition latine disponible sur le site du Vatican.

14
le nom de Paul IV. La constitution de Pie XII renvoie aux textes
de Clément V, Pie IV, Grégoire XV, Clément XII, Pie X et de
quelques autres, mais ne réfère pas à la bulle Cum ex apostola-
tus, qui ne fut qu’un hapax canonique. De toutes façons, elle fut
abrogée par le can. 6, 6° du Code de droit canonique de 1917 au
titre des « lois disciplinaires […] qui ne sont reprises dans le
Code ni explicitement ni implicitement » et qui perdent de ce
fait toute valeur.
Tout ceci est fâcheux pour la discipline instaurée par la bulle
Cum ex apostolatus, véritable pierre d’angle du sédévacan-
tisme. La thèse centrale de l’auteur est portée par ce texte, telle
que résumée dans ce sophisme : « Si Vatican II est hérétique
[ce qu’il postule], tous les ‘papes’ y ayant adhéré avant leur
élection sont par hypothèse hérétiques. Leur élection est donc
nulle en soi » (p. 148)10. Ce syllogisme implique la nullité de
l’élection pour cause d’hérésie, nullité qui n’est plus une dispo-
sition du droit positif, au moins depuis 1904. Aussi l’auteur
cherche par tous moyens à réintroduire ce texte dans la légalité
pio-bénédictine. D’une part, il y voit un texte infaillible, de
droit divin,11 ce qui constitue l’erreur méthodologique de pren-
dre pour le faillible pour l’infaillible sur laquelle nous revien-
drons plus loin. D’autre part, il argue d’une reprise partielle de
certaines dispositions dans six canons du Code de 1917 (p. 32).
Cela est contre-productif, car si le législateur a connu ce texte,
10 Pour les « ‛papes’ ayant produit Vatican II », la chose est plus simple,
leur « affiliation à des sectes acatholiques » les disqualifie par avance (p. 148).
11 Même un ouvrage ancien prenant la défense de la Bulle de Paul IV

dans les polémiques précédant le dogme de l’Infaillibilité Pontificale, admet


volontiers que : « Dans toute la Bulle de Paul IV, il n’est question que des
peines à appliquer aux hérétiques et aux schismatiques ; il n’y a pas une
seule définition en matière de foi ou de mœurs ; il ne s’agit absolument que
du pouvoir juridictionnel du Pape : pourquoi, encore une fois s’en servir
contre l’infaillibilité doctrinale du Souverain Pontife ? » (Paul IV et la ty-
rannie papale par Joseph Chantrel, 1818-1884. Édition de 1870. Paris, Vic-
tor Palmé éditeur, pp. 73-74.) Livre téléchargeable sur Books.Google. Voir
également l’ouvrage du Cardinal Hergenröther mentionné note 37. Et celui
de Mgr Joseph Fessler, La vraie et la fausse infaillibilité des papes, Plon
1873, p. 105-106 (approuvé par Pie IX). Unanimes : https://pdf.lu/EK8K
Cf. aussi : www.liberius.net/articles/Une_bulle_de_Paul_IV_et_la_tyrannie_pontificale.pdf

15
en a repris certains aspects et l’a volontairement intégré aux
sources (publiées par la suite), c’est qu’il entendait explicite-
ment ne retenir que ces dispositions, et non les autres 12.
L’élément central de la démonstration, le can. 188, 4° ayant
trait à la renonciation tacite de tout clerc apostat, rendant va-
cant son office « ipso facto sans aucune déclaration », est
quant à lui révélateur d’une nouvelle erreur de méthode, con-
fondant le juridique et le théologique. […]
Cyrille Dounot (Université d’Auvergne)
https://www.academia.edu/39254728/Le_s%C3%A9d%C3%A9vacantisme
***
Quelques précisions importantes pour finir cette mise au
point. Certains sedevacantistes, comme on vient de le voir ci-
dessus, persistent à nous dire que cette Bulle est toujours en
vigueur en arguant que les dispositions de cette Bulle sont de
droit divin et donc intouchables, imprescriptibles (notamment
la prescription qu’un hérétique formel avant son élection,
même cardinal, ne pourrait être pape). Comme nous l’avons vu,
cette interprétation est clairement contredite par la Constitu-
tion de Pie X (1904) et Pie XII (1945) : puisque cette Constitu-
tion qui doit être utilisée SEULE (prescription confirmée au
Canon 160), et qui ne rappelle pourtant pas cette disposition,
indique en revanche clairement au n°36 quels sont les cardi-
naux exclus du conclave (deux seuls cas) et ajoute au n°34
qu’aucun autre cardinal ne peut être exclu « d’aucune ma-
nière », même au prétexte ou par le motif de « n’importe quelle
excommunication » [cuiuslibet excommunicationis, en latin :
TOUTE excommunication, AAS 1946] ! Comment peut-on être
plus clair, quand on sait que l’une des causes majeures

12 La question rhétorique (procédé fort prisé de l’auteur) « Comment

prétendre que le Code ne reprend pas une constitution qu’il cite à de mul-
tiples reprises comme source de ses dispositions ? » (p. 33) est, encore une
fois, sophistique : certaines dispositions sont reprises, d’autres délaissées,
voilà tout… Rappelons tout de même que la bulle Cum ex apostolatus oc-
cupe six pages du Bullaire, cf. FR. GAUDE, Bullarium diplomatum et privile-
giorum sanctorum Romanorum Pontificum, t. 6, Turin, Dalmazzo, 1860, p.
551-556.

16
d’une excommunication (du latin ecclésiastique ex-
communicare : « exclut de la communion des fidèles », can.
2257) est précisément l’hérésie 13 ? Si l’on suit l’interpréta-
tion sedevacantiste (car c’en est une, et fausse), nous sommes
obligés de déduire que Pie X et Pie XII piétinent le droit di-
vin !? On nous dira : mais Pie XII ne défend pas expressément
non plus qu’une femme devienne pape, ou un mineur… Erreur :
pour que l’élection soit valide, si l’élu était un laïc, il doit rece-
voir ensuite les saints Ordres et de cette prescription, on déduit
que l’élu doit forcément être un homme, baptisé, et apte/volon-
taire à recevoir le sacre épiscopal (et ce n’est pas aux fidèles de
juger de cette aptitude, mais au Sacré Collège) : « 107. Si l’élu
n’est pas encore prêtre ou évêque, il sera ordonné et consacré
par le doyen du Sacré Collège des cardinaux qui se sert alors du
pallium.14 » Nous sommes là dans l’hypothèse d’un élu non

13 Précisons en citant ne serait-ce que deux canons : « Can. 985. Sont ir-
réguliers par délit : 1° Les apostats, les hérétiques, les schismatiques. » Ca-
non précisé par : « Can. 2314. § 1 Tous les apostats de la foi chrétienne, tous
les hérétiques ou schismatiques et chacun d’eux : 1° Encourent par le fait
même une excommunication. » Précisons aussi que c’est le pape seul qui
juge les cardinaux et les évêques (Canon 1557 et Canon 2227 §1 et 2). — Du
reste le lien entre excommunication et hérésie est si fort que : « Si
quelqu’un par endurcissement, croupit pendant un an dans son excommu-
nication, il est suspect d’hérésie. » (Can. 2340 § 1) Donc, quel que soit la
cause de l’excommunication et son degré de gravité, elle se transforme
automatiquement en suspicion d’hérésie, si cela dure plus d’un an… sans
autre jugement que le temps qui passe… Alors, quand Pie XII vise « toute
excommunication », il intègre forcément le délit d’hérésie, directement ou
indirectement ! Dire le contraire en cherchant des échappatoires spécieuses
relève de la malhonnêteté intellectuelle.
14 « Si un laïc était élu pape, il ne pourrait accepter l’élection qu’à condi-

tion d’être apte à recevoir l’ordination et disposé à se faire ordonner ; le


pouvoir d’enseigner et de gouverner, ainsi que le charisme de l’infaillibilité,
lui seraient accordés dès l’instant de son acceptation, même avant son ordi-
nation. » (Pie XII, Allocution au deuxième Congrès mondial de l’apostolat
des laïcs, 5 octobre 1957). — « Apte » : c’est de cette prescription que des
canonistes écrivent que ne sont pas éligibles les hérétiques, apostats ou
schismatiques (cf. Naz ; Maroto et Coronata, Institutiones Iuris Canonici,
1921 et 1950). Parce qu’a priori de telles personnes ne pourraient pas rece-
voir ensuite le sacre épiscopal, selon le Canon 985, 1°. Mais il faut souligner

17
encore membre de la hiérarchie… Dans le cas contraire, il est
évident que tout membre constitué de la hiérarchie (ici, les
cardinaux) « non canoniquement déposé » et/ou n’ayant pas
démissionné, est forcément éligible, de plein droit, à la papau-
té ! (selon la Constitution de Pie XII et le droit Canon.)
Enfin et pour finir, et pour faire aussi l’économie de polé-
miques inutiles, parce que sans fondement, il faut surtout rete-
nir que dans la crise actuelle de l’Église, force est de cons-
tater que les cardinaux Roncalli et Montini, avant leur éléva-
tion au souverain Pontificat, n’ont jamais été condamnés
et reconnus comme hérétiques (pertinaciter, canon 1325
§2) par une autorité légitime15 ! C’est bien pourquoi nous
écrivons que cette Bulle est, de toutes manières, hors sujet,
même si, par pure hypothèse, elle était encore en vigueur !
D’autres sedevacantistes écrivent encore que même l’hérésie
occulte (donc non manifestée publiquement) ou l’apostasie oc-
culte (inscription incognito à une secte maçonnique par
exemple) suffit à déchoir ipso facto les membres concernés de
la hiérarchie sans aucune déclaration, du fait de leur excom-
munication ipso facto ! Et que ces membres sont de ce fait iné-
ligibles à la papauté, et une telle chose serait de droit divin. Si
tel était le cas, on peut imaginer quelle pétaudière deviendrait
l’Église catholique, avec une hiérarchie possiblement fausse,
illégitime et invalide, sans même que cela soit manifesté par
l’autorité, et donc invisible extérieurement ! De plus, ces choses

qu’il ne s’agit là que d’hérétiques, apostats ou schismatiques, avérés et per-


tinaces (cet état —“délit”— n’étant pas immuable, la chose est néanmoins
laissée à l’appréciation des cardinaux) ; et que cela ne vise que des laïcs ou
des prêtres, puisque non encore ordonnés/sacrés.
15 « Un des grands dangers de la situation d’anarchie en laquelle nous

nous trouvons est celui de se substituer à l’autorité légitime pour porter des
jugements qui n’appartiennent qu’à elle : affirmer catégoriquement l’hérésie
formelle d’une personne, ou son exclusion du Corps mystique de Jésus-
Christ. J’entends par catégoriquement le fait d’afficher plus qu’une convic-
tion personnelle, le fait d’affirmer une certitude qui s’imposerait à la face de
l’Église et qui déterminerait des actions ou décisions “canoniques”. » (Abbé
Hervé Belmont, Notre-Dame de la sainte Espérance, juillet 2019, n°353, p.
13.) — Au sens du canon 1325 §2, il n’y a pas d’hérétique sans la pertinacité.

18
seraient donc laissées à la libre appréciation des simples fidèles
ou prêtres, donc sans aucune fiabilité (seul le pape est juge de
la doctrine, et aussi juge de la hiérarchie : can. 1557, 2227 §1) !
Rappelons donc ce principe important de théologie enseigné
par deux grands théologiens :
« La communion hiérarchique n’est point, comme l’ordre,
absolument inamissible. Le clerc peut mériter de la perdre, et
par un juste jugement de l’Église il peut être retranché de sa
hiérarchie. Comme nous l’avons déjà indiqué, ce jugement
peut enlever la communion des degrés supérieurs en laissant
intacte celle des degrés inférieurs. L’évêque peut être réduit à la
communion du prêtre ou du ministre, le prêtre à celle des
ordres inférieurs, et tous les clercs à la communion laïque.
Mais toutefois la communion hiérarchique, qui n’est point
inamissible, est donnée et reçue à perpétuité par sa nature
même, et ce n’est que par la rigueur d’un jugement et
contre son institution, troublée par l’indignité et la faute du
sujet, qu’elle peut être perdue. Enfin, le titre lui-même est tou-
jours conféré sans limite de temps, encore qu’il puisse être reti-
ré, comme la communion hiérarchique, par la sentence du
juge, et que même, absolument, le sujet puisse en être dégagé
par l’autorité supérieure, comme on le voit dans les cas de dé-
mission ou de résignation ; dans ces cas, en effet, le clerc, qui
ne se peut ôter à lui-même son titre ni rompre le lien qui l’unit
à son Église, ne perd ce titre que par l’intervention de l’autorité
du supérieur, qui seul peut briser ce lien. Telle est donc la
stabilité de notre hiérarchie. Elle admet comme trois de-
grés : le caractère de l’ordre est absolument inamissible ; la
communion hiérarchique dans l’Église universelle persiste
tant que le sujet n’en est pas déclaré indigne ; le titre
dans l’Église particulière est lui-même constitué sans terme ni
limite de durée, et il persévère tant que la sentence du juge
ou la disposition du supérieur ne le fait pas cesser.16 »

16 Dom A. Gréa, De l’Église et de sa divine constitution. Victor Palmé éd.,

imprimatur 1885, p. 114. Réédition Casterman 1965, 1978 (avec annota-


tions), chap. X.

19
On remarquera que le mot juge/jugement revient ici cinq
fois pour démontrer que, sans cela, la communion hiérar-
chique persiste… Et une note ajoute : « la privation de la
communion [hiérarchique] est la déposition ».
Le même auteur y revient un peu plus loin dans son texte :
« L’autorité de l’évêque a des racines plus profondes ; elle est
fondée non plus seulement dans le droit positif et arbitraire du
législateur, mais dans la nature des choses, ou plutôt dans le
sacrement divin de la hiérarchie. Elle est inaliénable comme
celle du père dans la famille ; il est seul à la posséder, et, encore
qu’il en puisse déléguer l’exercice, il n’en peut partager la subs-
tance. Elle ne lui est point donnée pour un temps déterminé, et
le lien sacré qu’elle établit entre lui et son église ne peut être
rompu que par la mort ou par un acte souverain du
chef des évêques, ainsi que nous l’avons vu en son lieu : car
c’est au chef des évêques, et à lui seul, qu’il appartient de
rendre légitime et efficace la renonciation qu’un évêque
fait de son titre [selon le canon 430 §1, sur la vacance du Siège
épiscopal, il ne peut exister de renonciation expresse ou tacite
sans accord du pape], ou d’enlever par sa sentence à un
indigne le gouvernement de son peuple. » (Dom Gréa,
ibid., Livre III, chap. II).
« Mais la plupart des théologiens pensent, avec Cajetan, que,
puisque de tels hérétiques n’ont pas extériorisé leur hérésie, et
que l’Église ne juge pas des actes tout intérieurs, mais n’atteint
l’intérieur qu’en raison de l’extérieur, il faut tenir : 1° que les
hérétiques occultes ne sont pas ipso facto excommuniés ; 2°
qu’à plus forte raison, ils ne perdent pas ipso facto leurs pou-
voirs juridictionnels. L’Église leur ayant conféré ces pouvoirs
par une délégation extérieure, ils subsisteront tant qu’elle ne
les aura pas révoqués extérieurement par une sentence.
Telle est la pensée commune.17 »
« En vertu des pouvoirs juridictionnels, qui ne sont touchés
ni par le péché occulte d’hérésie, ni par le délit manifeste
d’hérésie, tant qu’une sentence n’est pas intervenue, ces héré-

17 Cardinal Charles Journet, L’Église du Verbe incarné, p. 1725 et p. 1727.

20
tiques peuvent encore s’acquitter validement de leurs fonctions
ministérielles.17 »
PIE XII, dans sa Constitution, ne fait donc que reprendre “la
pensée commune”, et déclare donc que tous les cardinaux peu-
vent élire et être élus, sauf ceux “canoniquement déposés” ou
ayant démissionné (avec acceptation du pape). Donc indubita-
blement et clairement, visiblement et publiquement exclus,
révoqués. Il est donc tout à fait clair qu’un membre hérétique
occulte ou même hérétique publique (avant que la pertinacité
ne soit établie par l’Autorité légitime), peut rester membre de
la hiérarchie, et être malgré tout le canal de la Grâce, puisque la
mission lui a été donnée par l’Église (le pape), tant qu’elle n’est
pas publiquement retirée. Si c’est le pape lui-même qui par
exemple était franc-maçon, c’est au Christ de le transformer et
d’accomplir ses promesses relatives à PIERRE, sans pour au-
tant remettre en cause la légitimité de son Pontificat...
Qu’on ne vienne pas répondre qu’il s’agit là d’une opinion de
théologiens, puisque ceci est confirmé par le Droit Canon, Can.
2227 § 2 : « À moins d’être expressément nommés, les car-
dinaux ne sont compris sous aucune loi pénale, ni les
évêques sous les peines ‘latæ sententiæ’ [ipso facto] de sus-
pense ou d’interdit. »
D’ailleurs, n’oublions pas l’histoire et l’exemple de saint
PIERRE apôtre, consigné dans les quatre Évangiles 18 ! Les se-
devacantistes nous disent que ce qui est prescrit dans la Bulle
de Paul IV est de droit divin, donc imprescriptible, intouchable,
valable pour toute époque et donc qu’aucun pape ne peut revoir
une prescription de droit divin (comme par exemple l’eau pour
le baptême). Donc, que ceux qui ont dévié de la foi et sont tom-
bés dans l’hérésie ou l’apostasie publique (Canon 188/4°)
avant leur élévation au souverain Pontificat, ne peuvent pas
devenir papes… Et que tout est invalide, même si tous les car-
dinaux élisent un tel individu « avec l’accord unanime de tous
les cardinaux »… Nous n’inventons rien, comme on peut le lire

18 Matthieu, chap. XXVI, 39, 69-75 ; Marc XIV, 30, 66-72 ; Luc XXII, 34,
56-62 ; Jean XIII, 38.

21
ici : « Bulle Cum ex apostolatus (15 février 1559), d’après la-
quelle l’élection d’un homme qui aurait, ne fût-ce qu’une fois,
erré en matière de foi avant l’élection, ne pouvait être va-
lide. Déclaration ex cathedra, irréformable et immuable. »
(souligné par l’auteur, Clément Lécuyer, février 2013.) Mais,
dans ce cas, SAINT PIERRE lui-même qui était Apôtre et qui a
apostasié publiquement avec serment, n’est-il pas concerné par
cette prescription de droit divin 19 ? Dans ce cas, saint PIERRE
ayant apostasié publiquement de sa foi en Jésus le Christ,
AVANT son élévation au souverain Pontificat, ne pouvait donc
être pape légitime et valide… Et donc, toute la suite est fausse
et l’Église s’effondre dès son institution même ! À noter aussi
que saint Pierre était Apôtre AVANT son reniement/apostasie
publique, et qu’il l’est demeuré aussi APRÈS, bien-sûr avec du
repentir et une conversion, mais comme quoi son office ne lui a
pas été retiré pour autant ipso facto irrémédiablement et sans
jugement disciplinaire de l’Autorité suprême… De quoi médi-
ter !
***
Revenons justement sur le Canon 188, 4°, sur lequel cer-
tains sedevacantistes s’appuient, pour affirmer qu’un clerc qui
tomberait dans l’hérésie publiquement perdrait de plein droit
et ipso facto son office quel qu’il soit, et ceci sans déclaration.
Et qu’il ne s’agirait pas là d’une peine, mais d’une renonciation
tacite, automatique, donc sans jugement… L’application large
de ce canon fait qu’à leurs yeux toute la hiérarchie de l’Église
dite conciliaire, hérétique selon eux depuis Vatican II (mais

19 « Le mode d’élection à la papauté n’est pas fixé par le droit divin. Le

premier pape, saint Pierre, fut choisi par le fondateur même de l’Église ;
mais on ne trouve ensuite, ni dans l’Écriture sainte, ni dans la tradition,
aucune prescription de Notre-Seigneur à cet égard. D’ailleurs, si Jésus-
Christ en avait précisé lui-même la forme, elle n’aurait pas varié à travers
les siècles, comme on le constate. Il a donc laissé à l’Église, et surtout à son
pasteur suprême, le soin de régler ce point essentiel de discipline ecclésias-
tique, et d’y introduire toutes les modifications que les vicissitudes des
temps exigeraient dans la suite. — Cf. Suarez, Bouix… » (Dictionnaire de
théologie catholique, à Élection des papes I.)

22
pourtant vraie et légitime avant), est déchue ipso jure et ipso
facto ! Que dit donc précisément ce Canon 188, 4°, qui a un
rapport d’ailleurs avec la Bulle de Paul IV puisqu’elle est citée
en note (dans l’éd. Gaspari, à simple titre indicatif, sans carac-
tère officiel, cf. note 37), précisément pour ce Canon ? :
« En vertu de la renonciation tacite admise ipso jure, sont
vacants ‘ipso facto’ et sans aucune déclaration, quelque office
que ce soit si le clerc : […] 4° Apostasie publiquement la foi ca-
tholique. » (Traduction française tirée du Traité de Droit Ca-
nonique publié sous la direction de Raoul Naz.)
Tout d’abord, premier constat : il ne vise que l’ « apostasie
publique de la foi catholique », qui est donc constitutive d’une
renonciation tacite. Or, le terme apostat est défini ainsi par un
autre article du droit Canon (1917) : « Can. 1325 § 2. Toute per-
sonne qui après avoir reçu le baptême et tout en conservant le
nom de chrétien, nie opiniâtrement (pertinaciter) quelqu’une
des vérités de la foi divine et catholique qui doivent être crues,
ou en doute, est hérétique ; si elle s’éloigne totalement de la
foi chrétienne, elle est apostat ; si enfin elle refuse de se
soumettre au Souverain Pontife et de rester en communion
avec les membres de l’Église qui lui sont soumis, elle est schis-
matique. » Précisons ici que l’inscription à une secte maçon-
nique est considérée comme représentant un acte d’apostasie,
selon Journet (et Can. 2314 §1, 3° qui l’indique expressément).
Mais il convient néanmoins d’ajouter que le texte latin du
canon 188, 4° (seule langue ayant valeur officielle et probante)
n’utilise ni le terme « apostasie » ni le terme « hérésie », mais
vise la défection (defecerit), l’abandon, publique de la foi ca-
tholique : « 4° A fide catholica publice defecerit. » (du latin
deficio : se séparer, se détacher, déserter, abandonner, quit-
ter…). Certains traduisent en français par ce mot et c’est plus
juste, même si l’apostasie est le mot qui se rapproche le plus du
sens. Pour simple comparaison, le Can. 194 CIC/1983 traduit
bien le même mot defecerit par « la personne qui a publique-
ment abandonné la foi catholique ou la communion de
l’Église » (qui a fide catholica aut a communione Ecclesiæ pu-
blice defecerit). Cet abandon doit être suffisamment patent et

23
clair pour tout le monde, donc notoire et public, et inclut la
volonté conjointe de renonciation (tacite). Tel un clerc qui dé-
froque pour se marier apparait à tous comme ayant renoncé à
son état et l’avoir quitté. Un curé par exemple qui annoncerait
à ses fidèles, publiquement, être devenu « Témoin de Jého-
vah » ou être devenu bouddhiste, ou musulman, etc. perdrait
ipso jure et ipso facto et sans déclaration son office, en applica-
tion de ce canon 188, 4°.
Le canoniste Naz indique, s’agissant du canon 188, que « Le
clerc qui a publiquement renié la foi catholique est présumé
renoncer à tous ses offices ecclésiastiques. » De même, le
Chanoine Bargilliat, (Droits et Devoirs des curés, p. 30) pré-
cise-t-il, « La renonciation tacite (c. 188) est la conséquence
d’un fait qui implique la démission. » Le canon 188
s’applique donc au clerc qui publiquement défaillait de la foi
catholique, c’est-à-dire renonçait totalement à celle-ci, en
l’abandonnant clairement. Il ne s’agit pas d’une peine mais
d’une renonciation automatique comme conséquence inévi-
table d’un fait patent et public.
Le clerc qui adhère donc publiquement à une autre religion,
par exemple (secte maçonnique ou autre), est concerné, mais
certainement pas le clerc qui tout en n’abandonnant pas la foi
catholique ou ne manifestant pas son intention d’abandonner
cette foi, se trompe, de bonne ou mauvaise foi, même publi-
quement, sur un point de doctrine (hérésie matérielle pu-
blique). Ce n’est pas suffisant. Certes une grave hérésie sur un
point dogmatique de la foi peut constituer une apostasie (si elle
se traduit par une adhésion à une secte hérétique), mais c’est à
analyser plus finement. Jamais l’Église n’a jugé les choses au-
trement ! Par ailleurs, pour bien montrer que ce constat n’est
pas laissé à la libre appréciation des fidèles, pour qu’une perte
d’office telle que décrite au canon 188, 4° soit urgée, il doit y
avoir obligatoirement une déclaration de l’autorité le signifiant
expressément (cf. Canon 151) : « Un office vacant de droit, mais
illégitimement occupé par quelqu’un, peut être conféré, à con-
dition qu’il y ait eu une déclaration dûment faite d’après
les règles canoniques, constatant la possession illégitime et

24
que les lettres de collation mentionnent cette déclaration. 20 »
Voilà pour l’interprétation correcte de ce canon 188, 4°.
Arrêtons-nous justement sur ce terme defecerit très impor-
tant pour comprendre le sens exact du Canon 188, 4° et éviter
ainsi une erreur de sens ou d’interprétation, et surtout
d’application pratique… Comme nous venons de le préciser, ce
terme a un sens précis qui manifeste un acte libre et volontaire
d’abandon public, une désertion, et la traduction la mieux
adaptée est effectivement le terme apostasie. Pour comprendre
pourquoi l’hérésie seule même publique ne rend pas compte de
ce sens, développons le sujet :
Pour justifier leur interprétation, certains sedevacantistes ci-
tent souvent Léon XIII dans son encyclique Satis Cognitum
(1896) : « Celui qui, même sur un seul point, refuse son
assentiment aux vérités divinement révélées, très réellement
abdique tout à fait la foi, puisqu’il refuse de se soumettre à
Dieu en tant qu’il est la souveraine vérité et le motif propre de
foi. » (devant Dieu mais non devant l’Église : cf. canon 1325 §2)
Mais, comme on le lit clairement, Léon XIII vise ici
l’hérétique formel (« celui qui refuse… ») donc, celui qui, après
monitions, conformément à ce qui est prescrit au droit Canon,
s’obstine dans son hérésie. Il ne s’agit donc pas ici d’une héré-
sie matérielle publique, mais de celui qui a été condamné pour
hérésie(s)… Comme le rappelle à juste titre l’abbé Hervé Bel-
mont : « C’est la négation pertinace [pertinaciter, donc avec
monitions préalables] d’une vérité de foi qui fait l’hérétique,
non un péché d’une autre nature, si grave qu’on le suppose. »
Donc, la citation de Léon XIII est déjà ici hors sujet et citée
abusivement pour tordre le sens exact du Canon 188, 4°. C’est
mélanger le théologique et le juridique… Car le Canon 188
n’émet pas de jugement ni de condamnation, mais prend seu-
lement acte d’un fait ou d’une situation qui s’avère incompa-
tible avec l’office concerné… Or, ce fait n’est pas l’hérésie, ni

20 Ce canon (CDC 1917) démontre le principe général selon lequel

l’autorité compétente doit reconnaître légalement que l’office est vacant. Cf.
Raoul Naz : art. “Offices Ecclésiastiques” in Dictionnaire de Droit Cano-
nique, Paris ; Letouzey et Ané, 1957, Tome VI, col. 1086 & 1087.

25
même le schisme, mais plutôt l’apostasie, c’est-à-dire précisé-
ment l’abandon total de la foi catholique manifesté pu-
bliquement (« 4° A fide catholica publice defecerit. »).
Commençons donc par bien expliquer en détail la différence
entre “hérésie” et “apostasie” pour éviter toute confusion dans
les esprits, et conséquemment une application erronée ensuite
à des situations en réalité non visées par ce canon :
« Le terme apostasie (du grec apostasia : défection, aban-
don) désigne l’abandon volontaire et public d’une reli-
gion. Il s’emploie tant pour les diverses confessions chré-
tiennes que pour le judaïsme et l’islam. En des temps où cer-
tains catholiques demandent à être radiés de la liste des bapti-
sés, où le mot “débaptisation” est apparu dans la langue fran-
çaise et où les évêques s’inquiètent de “l’apostasie silencieuse”
de leurs ouailles, il semble utile de préciser quelle était la posi-
tion de l’Église catholique à l’égard de l’abandon du catholi-
cisme, sous l’Ancien Régime. Je présenterai ici l’apostasie telle
qu’elle était définie dans la théologie catholique et le droit ca-
nonique après le concile de Trente (1563). Rappelons que du-
rant cette période, dans les États catholiques, l’absence de
toute affiliation religieuse était pratiquement inconcevable, de
même que l’idée d’un État qui aurait été neutre en matière reli-
gieuse. […]
« Cette présentation se fonde sur trois auteurs du XVII e
siècle : le jésuite espagnol Juan Azor (1535-1603), auteur d’une
vaste somme de théologie morale 21, le juriste italien Antonio
Ricciullo (1582-1643), qui fut archevêque de Cosenza et
l’auteur d’un Traité du droit des personnes qui se trouvent
hors de l’Église catholique 22, et le jurisconsulte Prospero Fari-
nacci (1554-1618), italien lui aussi, spécialiste de droit pénal et

21 Juan Azor, Institutionum moralium, in quibus universae questiones

ad conscientiam recte aut prave factorum pertinentes tractantur, pars


prima, Parisiis, apud Michaelem Sonnium, via Iacobea sub scuto Basiliensi,
1602, livre 8, chap. 21, col. 1247.
22 Antonio Ricciullo, Tractatus de jure personarum extra Ecclesiæ gre-

mium existentium [1622], Romae, sumptibus Io. Angeli Ruffinello et Angeli


Manni, 1623, livre 6, chap. 1, 2 et 3, p. 516-522.

26
auteur d’un Traité de l’hérésie.23 Considérés comme des clas-
siques et largement repris par leurs collègues jusqu’au XVIIIe
siècle, ces trois auteurs sont représentatifs des positions de
l’Église sur l’apostasie.
« Les trois sortes d’apostasie
« Le texte de référence au XVIIe siècle restait le passage que
le théologien dominicain Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, avait
consacré à l’apostasie dans la Somme théologique (IIa-IIae,
question 12), après avoir traité de l’infidélité (q. 10) et de
l’hérésie (q. 11). Thomas d’Aquin expliquait tout d’abord la dif-
férence entre l’apostat et l’infidèle, puis il se demandait si les
sujets d’un prince qui devient apostat sont encore tenus de lui
obéir. Au passage, il différenciait trois sortes d’apostasie :
l’apostasie de la foi, qui éloigne l’individu de toute possibilité
de salut ; l’apostasie de l’état clérical qui concerne les prêtres,
et l’apostasie des vœux de religion pour les moines. C’est au
XIIIe siècle, en effet, que les moines fugitifs et vagabonds fu-
rent qualifiés d’apostats et que la désobéissance envers
l’autorité du supérieur fut désormais assimilée à une rébel-
lion.24
« Au XVIIe siècle, cette triple signification du terme “aposta-
sie” est bien établie. Après avoir rappelé que le mot apostasia
est emprunté au grec, nos auteurs en donnent une définition et
des synonymes. Selon Azor, “l’apostat est celui qui abandonne
son état de vie précédent, qu’il professait publiquement et avait
reçu par une profession solennelle”, il est celui qui trahit le lien
qui l’attachait à Dieu en abandonnant la foi, ou les ordres sa-
crés, ou l’obéissance envers ses supérieurs. C’est un déser-
teur, un transfuge (desertor, transfuga) ; son acte est une dé-
fection, une rébellion (defectio, rebellio).

23 Prospero Farinacci, Tractatus de haeresi […], Antwerpiae, apud Ioan-

nem Keerbergium, 1616, question 183, p. 105-113.


24 Laurent Mayali, « Du vagabondage à l’apostasie. Le fugitif dans la so-

ciété médiévale », dans Dieter Simon, Religiöse Devianz. Untersuchen zu


sozialen, rechtlichen und theologischen Reaktionen auf religiöse Abwei-
chung im westlichen und östlichen Mittelalter, Frankfurt am Main, V.
Klostermann 1990.

27
« L’apostasie de foi n’est donc pas ce que l’on pourrait
appeler aujourd’hui “la perte de la foi”, une évolution de la
conscience dans laquelle se désagrège une foi en Dieu reçue
bien souvent dans l’enfance, et qui peut se traduire par un arrêt
silencieux de la pratique religieuse. L’apostasie est définie
comme une rupture publique avec la foi et avec l’Église
catholique. Ricciullo, comme plusieurs de ses prédécesseurs,
illustre sa définition par des exemples de gestes transgressifs :
l’apostat est “celui qui se joint à des réunions sacrilèges”, sacri-
fie aux idoles, conclut un pacte avec le démon. “Le chrétien qui
adore le tombeau de Mahomet est un apostat”, rappelle-il
d’après un exemple que l’on trouve déjà chez Thomas d’Aquin.
Farinacci rappelle que le terme “apostat” était appliqué aux
déserteurs de l’armée impériale romaine et ajoute : “L’apostat
de la foi est celui qui abandonne complètement la foi chré-
tienne et, étant chrétien, se fait juif ou Turc.”
« Apostasie et hérésie
« L’apostasie est-elle la même chose que l’hérésie ? Il s’agit
en premier lieu de déterminer le type de péché que constitue
l’apostasie : c’est ici le domaine du confesseur, de la cons-
cience, du for intérieur — et il s’agit aussi de déterminer quel
est le tribunal (ce qu’on appelle le for externe) qui doit juger
l’apostat et quelles sont les sanctions que celui-ci encourt, sa-
chant que l’hérésie était pour l’Église un crime qui relevait des
tribunaux d’Inquisition.
« Pour Azor, l’apostasie est bien un péché différent de
l’hérésie, mais il s’agit d’une différence de degré, et non de na-
ture, car apostasie et hérésie sont toutes deux des “erreurs
contre la foi”. Si l’hérétique ne refuse la foi catholique qu’en
partie, l’apostat l’abandonne en totalité. Il arrive ainsi, dit-il,
que l’apostat passe au paganisme, au judaïsme ou à l’islam,
alors que l’hérétique ne devient ni païen, ni juif, ni mu-
sulman. Ricciullo aussi précise la différence entre les deux
notions : le chrétien qui refuse plusieurs articles de foi de
l’Église mais qui conserve “un reste de foi chrétienne” et conti-
nue à se désigner comme chrétien est considéré comme un
hérétique, et non comme un apostat. L’apostasie est carac-

28
térisée par une séparation complète de la foi catho-
lique. Enfin, celui qui passe d’une religion non-chrétienne à
une autre ne peut être considéré comme un apostat, puisqu’il
n’a jamais été chrétien. Farinacci, quant à lui, considère
l’apostasie comme une circonstance aggravante de l’hérésie.
C’est le même jugement que portait le franciscain Alonso de
Castro (v. 1495-1558), auteur d’un traité sur La juste punition
des hérétiques (1547) qui restait une référence au XVIIe siècle :
“L’apostasie est comme une espèce d’infidélité renfermée sous
le nom d’hérétique. Ainsi tout apostat est hérétique, mais tout
hérétique n’est pas apostat.25 ” De toutes façons, souligne Fari-
nacci, l’apostasie doit être punie comme l’hérésie, et toutes les
normes juridiques concernant le châtiment des hérétiques
s’appliquent également aux apostats. Ainsi, il existe bien une
différence dans le rapport à l’Église et à la foi chrétienne :
l’apostat abandonne le christianisme tandis que
l’hérétique continue à s’en réclamer. Mais pour le droit
canonique, l’apostat relève de la même juridiction
(l’Inquisition) et encourt les mêmes peines que l’hérétique : la
peine capitale, à moins qu’il ne fasse pénitence pour être ré-
concilié avec l’Eglise.
« L’importance des apparences
« L’individu qui n’a pas été baptisé selon les règles et qui
passe à une autre religion est-il considéré comme un apostat ?
Ricciullo, qui pose cette question délicate, examine trois cas de
figure. Si l’individu est au courant de la nullité de son baptême
et qu’il ne se préoccupe pas de se faire baptiser selon les règles,
il ne peut pas être considéré comme un chrétien, il reste exté-
rieur à l’Église. Dans ce cas, s’il passe d’une religion à une autre
(Ricciullo dit “une mauvaise secte”, c’est le vocabulaire
qu’emploient les auteurs catholiques au XVIIe siècle pour dési-
gner les religions non-chrétiennes), l’Église n’est en rien con-
cernée. Deuxième cas de figure : si l’individu ignore que son

25 Jean Hermant, Histoire des hérésies […] avec un traité qui résout plu-

sieurs questions générales touchant l’hérésie, traduit du latin d’Alphonse


de Castro, t. 1, Rouen, Jean-Baptiste Besigne, 1712, p. 151.

29
baptême présente un défaut – il se croit donc baptisé en bonne
et due forme – et qu’il abandonne le christianisme, alors oui, il
faut le considérer comme un apostat et le punir comme tel
puisque, dans les faits, rien ne le différencie des autres chré-
tiens. Le troisième cas est plus compliqué. L’individu sait que
son baptême n’est pas valide, mais il a toujours négligé de se
faire baptiser dans les règles ; et pourtant, il se dit chrétien et la
société le considère comme tel. À la suite d’Alonso de Castro,
Ricciullo emploie la distinction du for interne et du for externe
pour résoudre la question. Cet individu, du point de vue de la
conscience, ne peut pas être considéré comme un chrétien, ce
qui veut dire que, du point de vue moral, il n’est pas considéré
comme un pécheur. Mais pourtant, il encourt les mêmes peines
que les autres apostats puisqu’il se présente comme un chrétien
aux yeux de la société “car en la matière, l’opinion importe plus
que la vérité” souligne Ricciullo. Et celui-ci ajoute qu’il ne doit
pas être permis de se donner le nom de chrétien, tout en pré-
tendant échapper aux punitions qu’encourent les transgres-
seurs de la foi chrétienne. Autrement dit, il appartiendra au
tribunal de l’Inquisition de condamner l’imposteur.
« Par son caractère public, l’apostasie faisait scandale, défi
lancé à l’Église dans sa prétention au monopole de la vérité et
du salut. Ne pouvant lire dans les consciences, l’Église devait
s’en remettre au repérage des gestes par lesquels l’apostat ma-
nifestait sa rupture avec la foi chrétienne et son adhésion à
une autre religion. Le châtiment ne visait pas la perte de la
foi, mais la manifestation de cette rupture qui pouvait heurter
les chrétiens restés fidèles, ou constituer pour eux un exemple
de désobéissance envers l’Église. »26
Revenons, après ces précisions indispensables, au Canon
188, 4°. Et venons-en maintenant au plus important. En
effet, il faut insister avant tout sur le fait très important que ce
canon 188, 4° ne s’applique pas aux évêques, titulaires
d’un Siège épiscopal ! En vertu du Canon 430 (CDC 1917), qui
26 Isabelle Poutrin, L’apostasie, désertion de la foi (catholicisme, XVIIe-

XXe s.), 2014. https://pocram.hypotheses.org/276

30
légifère que : « §1 Le siège épiscopal devient vacant : par la
mort de l’évêque, par sa renonciation acceptée par le Pontife
romain, par sa translation ou par la privation du siège intimée
à l’évêque. » (= 4 causes seulement admises : article repris tel
quel dans le NCDC 1983 = Canon 416.)
C’est déjà ce que précisait Dom Gréa dans la citation repro-
duite plus haut, ou encore ce que sous entendait le canon 2227
§2 également cité. La seule « renonciation tacite » admise pour
les évêques est celle liée à un transfert de Siège (translation)
décidée par le souverain Pontife : la renonciation à l’ancien
Siège est tacite lorsque le dit évêque prend possession du nou-
veau Siège !
Ajoutons ici, à ce qui est déjà très clair, l’analyse du Diction-
naire de Théologie Catholique (D.T.C. Letouzey & Ané) :
DTC (art. Démission) : « Sans doute, c’est un principe que
chacun peut renoncer à son droit, mais à condition de ne pas
nuire à autrui en négligeant un devoir corrélatif de ce droit. À
cause du lien tout spécial qui rattache l’évêque à son Église,
lien assimilé à un mariage spirituel, une pareille désertion se-
rait particulièrement grave. L’évêque ne peut donc JAMAIS
abandonner son siège sans la permission expresse du souverain
pontife, et cela même pour entrer en religion, malgré les facili-
tés spéciales que la loi reconnaît aux autres bénéficiers dans ce
cas exceptionnel [canon 188, 1°]. »
DTC (article Évêques. « Questions théologiques et cano-
niques. IV. Vacation de la juridiction épiscopale ») : « La vaca-
tion de la juridiction épiscopale peut procéder simplement de
la sentence du juge et de la disposition du supérieur ecclésias-
tique, lorsque, pour des causes graves, l’autorité ecclésiastique
prive l’évêque du bénéfice qu’il possède, ou bien du fait du
bénéficier lui-même, c’est-à-dire du consentement de l’évêque.
[DONC :] 1° Par sentence du juge. […] 2° Par le consentement
même de l’évêque. — Cette vacation peut s’effectuer dans
deux cas bien distincts : la démission du titulaire et sa
translation à un autre évêché. — 1. Démission. — La dé-
mission, ou renonciation, […] doit être acceptée par
l’autorité supérieure [le pape]. — 2. Translation. — La

31
translation se définit : le changement d’un bénéficier d’une
Église à une autre, effectué par ministère de l’autorité supé-
rieure, et pour une cause raisonnable. [Seul cas admis pour les
évêques de renonciation tacite]. »
Écrire donc que les évêques résidentiels sont déchus ipso
jure et ipso facto sans déclaration ni jugement au motif que de
simples fidèles ou autres membres de l’Église sans autorité ju-
gent ou estiment qu’ils sont hérétiques et/ou apostats, c’est
tromper les catholiques, car ce mode d’analyse n’existe pas
dans le droit de l’Église ! Aucun évêque catholique ne perd son
Siège légitimement conféré par un vrai pape, de cette manière !
Tout acte d’hérésie et/ou d’apostasie, de schisme, doit donc
être jugé par l’autorité légitime seule compétente (can. 1557, et
2227), tel que décrit par le canon suivant :
« Can. 2314, § 1. Tous les apostats de la foi chrétienne, tous
les hérétiques ou schismatiques et chacun d’eux :
« 1° Encourent par le fait même une excommunication ;
« 2° Si après monition, ils ne viennent pas à résipiscence,
qu’on les prive de tout bénéfice, dignité, pension, office ou
autre charge, s’ils en avaient dans l’Église, et qu’on les déclare
infâmes ; après deux monitions, ceux qui sont clercs doivent
être déposés. [Donc, pas de perte d’office ipso facto.]
« 3° S’ils ont donné leur nom à une secte non catholique ou y
ont publiquement adhéré [=apostasie], ils sont infâmes par le fait
même ; en tenant compte de la prescription du Can. 188, 4°,
que les clercs, après une monition inefficace, soient dégradés. »
On l’aura compris, il s’agit cette fois ici d’une peine, donc
d’un jugement de l’autorité, et non plus d’une simple « renon-
ciation » expresse ou tacite, laquelle d’ailleurs ne juge pas
l’individu ou le clerc en question, mais lui fait perdre seulement
son office quand ce qui est précisément décrit au canon 188 (8
cas) se produit.27 Et c’est l’apostasie publique seule pour le 4°.

27 « Si par exemple ce Curé contracte un “mariage civil”, son “officium


devient ipso facto et sans aucune déclaration vacant, par renonciation ta-
cite” (canon 188, 5°). C’est-à-dire que, sans aucune procédure canonique,
les paroissiens doivent tenir que ce prêtre, “civilement marié”, n’est plus
leur Curé. Il a annihilé, pour lui, l’officium dont il était investi. Mais il pos-

32
Mais redisons qu’un simple clerc donc qui n’entend pas du
tout abandonner la foi catholique, mais la discute ou la cor-
rompt sur un point de doctrine, pour différentes raisons, ou se
trompe de bonne ou mauvaise foi, même publiquement (héré-
sie matérielle publique) n’est pas visé par le Canon 188, 4°. Il
doit faire l’objet d’une procédure pénale, le cas échéant, avec
monitions, etc., et l’office doit lui être retiré (canon 1347 §3).
Le Canon 188, 4°, ne peut donc très clairement s’appliquer
qu’aux clercs (hors évêques titulaires d’un Siège épiscopal légi-
timement conféré) que si cette « défection publique de la foi
catholique » se présente comme une réelle et effective renon-
ciation, un abandon volontaire de la foi catholique pour em-
brasser une autre religion (=apostasie), dont le constat est éta-
bli ensuite par l’autorité compétente (canon 151).28
Or, si nous avons bien vu un grand nombre de clercs défro-
quer et abandonner leur office d’eux-mêmes d’ailleurs, après
Vatican II, où sont les évêques et cardinaux ayant réellement

sède encore “illégitimement” le munus [et pour autant l’officium (canon


151)], jusqu’à ce qu’un procès canonique, dans lequel l’Église juge au nom
du Christ, le lui ait retiré. » (Mgr Guérard des Lauriers, avril 1988, Sodali-
tium n°16.)
28 Dans un document récent du Vatican (2006), répondant à la question

de savoir précisément ce qu’est un “acte formel de défection de l’Église ca-


tholique” (actus formalis defectionis ab Ecclesia catholica), il est intéres-
sant de noter que la réponse donnée est conforme à ce que venons d’exposer
(même si le cas n’est pas tout à fait le même) : « Pour que l’abandon de
l’Église catholique puisse être validement configuré comme un véritable
actus formalis defectionis ab Ecclesia, avec effet quant aux exceptions pré-
vues dans les canons visés, il doit se concrétiser ainsi : a) la décision inté-
rieure de sortir de l’Église catholique ; b) la mise en acte et la manifestation
extérieure de cette décision ; c) la réception de cette décision par l’autorité
ecclésiastique compétente. » — « D’autre part ni l’hérésie formelle ni, en-
core moins, l’hérésie matérielle, le schisme ou l’apostasie ne constituent à
eux seuls un acte formel de défection, à moins de se concrétiser extérieure-
ment et d’être manifestés comme il se doit à l’autorité ecclésiastique. » — Il
est aussi précisé que l’ancienne législation canonique reconnaissait la défec-
tion par d’autres modalités « c’est-à-dire basées sur des comportements
d’abandon “notoire” ou simplement “public” de la foi. »
http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/intrptxt/docume
nts/rc_pc_intrptxt_doc_20060313_actus-formalis_fr.html

33
renoncé (démission acceptée) et donc abandonné leur office ?
Et/Ou quand ont-ils été révoqués par l’autorité légitime, en
application du canon 430 §1 ? Il ne s’agit pas d’établir de soi-
même que là, oui, tel évêque ou cardinal a été hérétique publi-
quement (constat qui déjà, s’il repose sur une analyse privée et
pour des cas ambigus, non confirmée par l’autorité compétente
et légitime, ne s’impose pas canoniquement) ; encore faut-il
établir la pertinacité et qu’elle s’accompagne d’une privation
pénale ou d’une révocation, opérée par l’autorité légitime. Et
cette perte du Siège épiscopal ne peut se faire que par une pro-
cédure pénale (monitions, etc.), comme c’est expressément
confirmé aux Canons 430 §1 et 2314, à défaut d’une renoncia-
tion acceptée par le pape. Car, pour la hiérarchie (cardinaux,
évêques), il faut une condamnation nominative (cf. Canon 2227
§2 déjà cité). Or, c’est bien ici ce qui nous intéresse.
Et cette disposition très claire du Droit n’est pas une législa-
tion récente puisqu’on la retrouve également dans le Droit an-
cien, dans le célèbre et antique Décret de Gratien (recueil de
canons de toutes sortes, où est ramassé l’ancien Droit qui était
en usage dans l’Église jusqu’au milieu du XIIe siècle, base en-
suite du Corpus juris canonici – Corpus de droit canonique –
promulgué par le pape Grégoire XIII en 1582 et en usage
jusqu’en 1917), tel que le résume l’abbé J.-F. André, docteur en
Droit Canonique : « La septième [cause] montre en deux ques-
tions qu’on ne doit pas donner un successeur à un évêque ou à
un bénéficier vivant, hors le cas d’une résignation vo-
lontaire [acceptée par le pape] ou d’une condamna-
tion juridique.29 » Autrement dit, pour les membres de la
hiérarchie, il n’existe pas et ne peut exister de « renonciation
tacite ipso facto, ipso jure »... Même en cas d’hérésie ou de tout
autre grave faute ! Le droit ancien et actuel (Canon 430) reste
donc le même sur cette question. Pour s’en convaincre définiti-

29 Somme théorique et pratique de tout le droit canonique, par l’Abbé J.-


F. André, Docteur en Droit Canonique et curé du Diocèse d’Avignon. Im-
primatur 1868. Approbation de S. E le Cardinal BERARDI, Rome 24 mars
1868. L. Guérin & Cie, imprimeurs-éditeurs. 3e édition, Paris, Bloud et Bar-
ral, chap. préliminaire p. 12.

34
vement, on citera encore Pie XII dans son encyclique du 29
juin 1958 : « aucune autorité autre que celle du Pasteur su-
prême, ne peut invalider l’institution canonique don-
née à un évêque ; aucune personne ou assemblée, de prêtres
ou de laïcs, ne peut s’arroger le droit de nommer des évêques
(canon 953).30 » Seul le pape légitime peut donc à la fois faire
ou défaire la hiérarchie, par un acte nominatif et public (for
externe), puisqu’à lui seul « a été confié par Notre-Seigneur
Jésus-Christ le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner
l’Église universelle » (ibidem, voir aussi Canons 218-219).
Dans le même ordre d’idée, le pape étant lui-même évêque
de Rome et ne pouvant en plus être jugé par personne (Canon
1556), il ne peut perdre son office de pape qu’en renonçant vo-
lontairement et librement à sa charge (Canon 221). Tant que le
pape légitime est VIVANT, même si l’exercice de son Pontificat
est empêché (que ce soit par emprisonnement, kidnapping,
maladie, relégation, exil forcé, persécutions, etc. ou même par
suite de son « inhabilité » ! « pas en possession de ses facultés
intellectuelles » selon Canon 317, « entravé à tel point que
l’évêque ne puisse pas même communiquer par lettres avec ses
diocésains » : cf. Canon 429-430), il est illégitime de lui donner
ou élire un successeur. C’est en ne respectant pas cette pres-
cription que le grand schisme d’Occident a pu naître, puisqu’à
Urbain VI qui venait d’être élu, et toujours vivant, les cardi-
naux ont changé d’avis et lors d’un conclave irrégulier ont élu

30 Encyclique Ad Apostolorum Principis. Cette encyclique a été publiée à

l’occasion des sacres schismatiques perpétrés en Chine communiste, mais


Pie XII ne se contente pas là d’une condamnation de circonstance : il re-
monte aux principes fondamentaux et permanents, qu’il expose avec une
clarté souveraine. C’est ainsi qu’il énonce trois points qui doivent clore toute
discussion : c’est la Constitution même de l’Église catholique qui réserve au
souverain Pontife l’édification du corps épiscopal : hors de là, il n’y a que
des intrus dépourvus de toute juridiction, de tout pouvoir de magistère,
dont les actes sont « gravement illicites, c’est-à-dire peccamineux et sacri-
lèges » ; il est impossible, comme le font les rebelles, d’invoquer la pratique
suivie en d’autres siècles pour prétendre justifier les sacres accomplis sans
mandat apostolique [sauf cas de nécessité] ; et « il est évident qu’on ne pour-
voit pas aux besoins spirituels des fidèles en violant les lois de l’Église. »

35
un autre pseudo pape…31
On voit donc par cet exposé complet et détaillé que le re-
cours au Canon 188, 4°, pour déclarer la hiérarchie de « l’Église
conciliaire » hérétique et donc entièrement apostate et donc
déchue ipso facto, sans déclaration ni jugement, de plein droit
(alors qu’elle n’abandonne pas du tout son office et se réclame
toujours de la religion catholique), est en fait bâti sur un
énorme contresens et une erreur manifeste, par méconnais-
sance (qu’on n’espère pas volontaire) du droit de l’Église en
vigueur et de sa Constitution divine. Autre erreur monumen-
tale indirecte mais supposée : l’Église catholique, dans
l’hypothèse sedevacantiste, aurait perdu d’un seul coup à Vati-
can II ipso jure et ipso facto toute sa hiérarchie authentique !
Ce qui est une atteinte grave à l’indéfectibilité !32

31 « Une abdication valide du Pape doit être un acte libre, d’où une dé-

mission forcée de la papauté serait nulle et non avenue, comme plus d’un
décret ecclésiastique l’a déclaré. » (Catholic Encyclopedia, Vol. 1, Abdica-
tion by William Henry Windsor Fanning, 1913). C’est pourquoi le pape Pie
XII, en 1943, avait rédigé en pleine liberté un écrit de renonciation, à utili-
ser dans l’éventualité où il aurait été enlevé et fait prisonnier par Hitler, en
préconisant aux cardinaux de se réfugier au Portugal pour y élire un succes-
seur. Pie VII également, avant de partir pour Paris en 1804, signa lui aussi
un acte de renonciation pour le cas où il aurait été fait prisonnier en France.
« Le droit canonique ne prévoit pas l’éventualité qu’un pape soit temporai-
rement ou définitivement inapte pour des raisons de santé, une tentative
d’assassinat ou une captivité ; de même, il n’indique pas quelle personne ou
quel organisme ou quel groupe a le pouvoir de certifier que le pape est tota-
lement empêché d’exercer ses fonctions. » (The Code of Canon Law Anno-
tated, Wilson & Lafleur, Montréal 1993, c. 335.) Il en résulte que dans un tel
cas, comme au temps de saint Pierre lorsqu’il était prisonnier, l’Église de-
vrait seulement ne pas « cesser d’adresser pour lui des prières à Dieu »
(Actes XII). Dans le droit de l’Église, pour un pape légitime, il n’existe pas
de déposition ou de perte d’office ipso facto, ipso jure, pour quelque cause
que ce soit. La souveraine juridiction est donnée ou retirée au Pontife ro-
main par un acte libre et volontaire de sa part : acceptation de l’élection
légitime (canon 109, 219), renonciation (canon 221). Cette législation
n’étant que le reflet du dogme et de la constitution divine de l’Église.
32 Cf. L’indéfectibilité de l’Église catholique romaine. Rappel doctrinal

important, par l’Ass. Pro Veritate. 20 pages (2020), 3 €. Disponible à nos


éditions.

36
Il faut donc le répéter : hormis le cas d’une privation pénale
ou d’une révocation nominative ou encore d’une renonciation
réelle (tacite comme on vient de le voir : seulement par transla-
tion d’un siège à un autre, ou expresse avec acceptation du
pape), la hiérarchie établie par un vrai pape demeure
avec toutes ses prérogatives. Raison d’être sans doute de la
grande angoisse de saint Pie X, dans l’encyclique Pascendi
(1907), qui dénonçait les ennemis qui s’infiltrent mais demeu-
rent à l’intérieur de l’Église (subversion par l’entrisme) : « les
artisans d’erreurs, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi
les ennemis déclarés. Ils se cachent et c’est un sujet
d’appréhension et d’angoisse très vives, dans le sein même et
au cœur de l’Église, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le
sont moins ouvertement. »… (« mettant leurs intentions à part,
dont le jugement est réservé à Dieu »)… « C’est du dedans
qu’ils trament sa ruine ; le danger est aujourd’hui presque aux
entrailles mêmes et aux veines de l’Église »… « Il leur importe
de rester au sein de l’Église pour y travailler et y modifier peu à
peu la conscience commune » (raison d’être du serment anti-
moderniste imposé à tout clerc, 1910)… Malheureusement, on
ne peut pas exclure d’office de l’Église ces ennemis, s’ils sont
membres de la hiérarchie, sans respecter strictement la loi de
l’Église en vigueur, concernant de tels cas. Ce serait autrement
pratiquer la révolution et l’anarchie. On doit seulement
s’écarter préventivement de tels pasteurs, les dénoncer, et lut-
ter sans faiblesse contre leurs erreurs objectives, en attendant
un jugement par l’autorité.33 Et on doit même refuser

33 On cite souvent ce passage du Nouveau-Testament pour justifier une


perte d’office ipso facto : « Si quelqu’un vous annonce un autre Évangile
que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème. » (Galates I, 7-9). Mais,
comme le souligne le Dictionnaire de théologie catholique, « l’anathème a
été confondu avec l’excommunication majeure » ou solennelle et répond
donc à ce qui est prévu pour de tels cas dans le code de Droit Canonique en
vigueur… Le Canon 2257 § 2, à propos de l’excommunication écrit : « On
l’appelle aussi anathème principalement si elle est infligée avec les solenni-
tés décrites dans le Pontifical romain. » Quant à l’anathème prévu au Ponti-
fical romain, celui-ci « distingue trois sortes d’excommunication auxquelles
répondent trois manières différentes d’absoudre : […] 3. l’anathème qui est

37
l’obéissance à un évêque qui nous apparait « hérétique ou
schismatique, et cela avant toute sentence. Pour les autres
crimes, même notoires, on ne peut lui refuser l’obéissance
qu’après la sentence de culpabilité.34 »
Notons d’ailleurs que la sainte Vierge, dans ses graves re-
proches au clergé ne tient pas un autre langage et ne les traite
pas de secte ou de faux évêques : « Les prêtres, ministres de
mon Fils, par leur mauvaise vie […] sont devenus des cloaques
d’impureté… […] Les CHEFS, les conducteurs du peuple de
Dieu ont négligé la prière et la pénitence, et le démon a obscur-
ci leurs intelligences ; ils sont devenus ces étoiles errantes que
le vieux diable traînera avec sa queue pour les faire périr. […]
Malheur aux Princes de l’Église qui ne seront occupés qu’à en-
tasser richesses sur richesses, qu’à sauvegarder leur autorité et
à dominer avec orgueil ! » Mais, dans ce même temps, « Le Vi-
caire de mon Fils aura beaucoup à souffrir, parce que pour un

l’excommunication solennelle, qu’on doit employer pour des fautes plus


graves. […] La cérémonie liturgique de l’anathème est très ancienne. […]
Outre les cérémonies actuelles du pontifical, on s’est servi parfois d’autres
rites et d’autres formules, en particulier de la récitation du psaume CVIII
dirigé contre le traître Judas et les autres ennemis du Sauveur, récitation à
laquelle il est fait allusion dans divers conciles. » — « Le terme anathème
eut dans l’Église chrétienne un sens analogue à celui qu’il avait dans
l’Écriture. Il signifia la séparation d’avec le Christ et, par suite,
l’excommunication ou la séparation d’avec son Église. […] sa signification a
peu varié dans le cours des âges. Dans les premiers siècles, l’anathème ne
sembla pas différer de l’excommunication. » (A. Vacant, D. T. C.) — Là en-
core, il faut donc redire que pour les clercs et les membres de la hiérarchie,
et les cardinaux, il ne saurait y avoir de perte d’office ipso facto sans, au
préalable, une ou plusieurs monitions nominatives… L’encyclique Pascendi
elle-même, tout en luttant sans faiblesse contre le modernisme et les mo-
dernistes, ne prévoit pas de perte d’office ipso facto, mais indique par
exemple pour celui qui oserait violer le serment anti-moderniste : « il de-
vrait être déféré immédiatement au tribunal du Saint-Office. »
34 Somme théorique & pratique de tout le droit canonique, par l’Abbé

Jean-François André (1809-1881), Docteur en Droit Canonique et curé du


Diocèse d’Avignon. Imprimatur 1868. Approbation de S. E. le cardinal BE-
RARDI, Rome 24 mars 1868. L. Guérin & Cie, imprimeurs-éditeurs. Tome 1.
Livre second, Titre XXVI, p. 370.

38
temps l’Église sera livrée à de grandes persécutions : ce sera le
temps des ténèbres ; l’Église aura une crise affreuse. » (La
Salette 1846) ; « Beaucoup de cardinaux, beaucoup d’évêques,
beaucoup de prêtres, marchent par le chemin de la perdi-
tion… » (Garabandal 1965).35
Il ne s’agit pas ici de nier les grands désordres doctrinaux
que l’on rencontre indubitablement dans l’Église officielle de-
puis les années conciliaires (et même avant !), et les problèmes
immenses qu’ils posent à la conscience catholique, mais de
comprendre que sur toutes les questions doctrinales, liées à la
légitimité de la hiérarchie, nous sommes tous (=Église ensei-
gnée) sans autorité dans l’Église (relire à ce sujet la note 15), et
on ne peut donc pas partir de son analyse personnelle, même
sérieuse et référencée, pour aboutir à une conclusion certaine
du genre “Paul VI est hérétique, DONC il n’est pas pape” (non
pas sur la base d’une CAUSE, bien établie juridiquement, mais
de ce qu’on juge ou analyse comme incompatible avec une véri-
table papauté : la nuance est de taille ! car on confond autre-
ment l’effet et la cause). La seule formule qui convienne est
d’affirmer que tel supposé pape est hérétique PARCE QU’il
n’est pas pape : encore faut-il être en mesure de démontrer
quelle est la cause juridiquement et canoniquement recevable
(la seule qui puisse s’imposer) qui aurait fait que son élection
dès l’origine était illégitime. Et de ne pas avoir en face une
preuve du contraire, comme dans le cas de Jean XXIII et du
pape Paul VI, avec l’acceptation pacifique de l’Église univer-
selle (1963) ! Parce que, dans ce cas de figure, c’est
l’indéfectibilité de l’Église qui est en jeu… Toute l’Église hiérar-
chique légitime sans exception (comme en 1958 et 1963) ne
pouvant s’unir à un pape qui n’en serait pas un… et ainsi faire
défection (cf. Jean de Saint-Thomas, Billot, Journet, Cajetan,
etc.) Pie IX, en 1873 dans l’encyclique Etsi Multa, juge en effet
cette supposition impie et « blasphématoire »36 .

35 Sur cette question, on lira : La Passion de l’Église et le Pasteur frappé,

64 p. 2018. 6 €. À nos éditions.


36 « …donnant un démenti au Saint-Esprit dont le Christ avait promis à

l’Église l’assistance éternelle, par une audace incroyable, ils soutiennent que

39
***
On a encore une dernière objection à résoudre, et non des
moindres : des sedevacantistes argumentent encore qu’à la fin
du § 6, la Bulle indique que même un élu a priori validement
promu au Souverain Pontificat (donc vrai pape) : « tombant
dans le schisme ou l’hérésie, qu’après son élection, » per-
drait aussi sa charge ipso facto, sans déclaration, etc… Ce ne
serait donc plus seulement « avant leur élévation au souverain
Pontificat » mais même après ! C’est effectivement la traduc-
tion française que l’on peut lire sur la plupart des sites internet,
mais elle est fausse car le texte latin ne dit pas une telle chose
(même Google traduction vous l’apprendra !), qui d’ailleurs
autrement (si c’était vrai) ferait de cette Bulle une proposition
potentiellement hérétique ! Un comble pour un pape tel que
Paul IV présenté comme le grand défenseur de la rectitude doc-
trinale et le pourfendeur des hérésies… Un pape validement élu
et donc légitime, ne peut en effet pas être hérétique dans son
Magistère et perdre de ce fait son Pontificat pour une telle rai-
son ! Citons d’ailleurs le cardinal Journet sur ce sujet :
« Comment le Pontificat, une fois validement possédé, peut-il se
perdre ? Au plus, de deux manières : a/ la première, — au fond, nous
l’allons voir, c’est l’UNIQUE manière — par évanouissement, par dispa-
rition du sujet lui-même : soit à la suite d’un événement inévitable (la
mort, ou cette espèce de mort qui serait la perte irrémédiable de la rai-
son), soit à la suite d’une libre renonciation au pontificat… […] b/ La se-
conde raison serait la déposition. Si déposition signifie, au sens propre,
destitution par une juridiction supérieure, il est évident que le pape,
ayant sur terre la plus haute juridiction spirituelle, ne pourra jamais, au
sens propre, être déposé. Quand donc on parlera de déposition du pape,
ce ne sera qu’au sens impropre. Deux cas sont ici à examiner : D’abord le
cas de la déposition d’un pape douteux. Mais le pape dont l’élection reste
douteuse n’étant point pape, il est évident qu’il ne s’agit pas alors, à pro-

le Pontife romain, aussi bien que tous les évêques ensemble, les prêtres
associés à eux dans l’unité de foi et de communion, sont tombés dans
l’hérésie en acquiesçant aux définitions du concile œcuménique du Vatican
et en les professant. C’est pourquoi ils nient aussi l’indéfectibilité de l’Église,
disant avec blasphème qu’elle a péri dans l’univers entier, et que par consé-
quent son Chef visible et les évêques ont fait défection. » (Pie IX)

40
prement parler, d’une déposition de pape. Ensuite le cas très débattu du
pape hérétique. Pour bien des théologiens, l’assistance que Jésus a pro-
mise aux successeurs de Pierre les empêchera non seulement d’enseigner
publiquement l’hérésie, mais encore de tomber, comme personnes pri-
vées, dans l’hérésie. Il n’y a pas, dès lors, à introduire de débat sur la dé-
position éventuelle d’un pape hérétique. La question est tranchée d’a-
vance. » (L’Église du Verbe incarné, la hiérarchie apostolique, p. 980).
Pour les latinistes, voici donc le texte latin en question, la
traduction erronée et une traduction corrigée proposée par un
latiniste chevronné. Il s’agit de la fin du § 6 que voici :
« sintque ipsi sic promoti, et assumpti, eo ipso absque ali-
qua desuper facienda declaratione, omni dignitate, loco, ho-
nore, titulo, auctoritate, officio, et potestate privati, liceatque
omnibus, et singulis sic promotis, et assumptis, si a fide antea
non deviassent, nec haeretici fuissent, neque schisma incurris-
sent, aut excitassent, vel commisissent. »
Après avoir prescrit qu’un homme tombé dans l’hérésie for-
melle AVANT son élection au pontificat ne pouvait être vrai
pape (invalidité d’une telle élection), Paul IV traite brièvement
dans le passage en question du cas de ceux qui ne sont pas
tombés dans l’hérésie avant la dite élection. Or, voici la tra-
duction fautive que l’on trouve sur internet :
« Ces hommes ainsi promus seront donc, sans besoin
d’aucune déclaration ultérieure, privés de toute dignité, place,
honneur, titre, autorité, fonction et pouvoir, même si tous et
chacun de ces hommes n’a dévié de la foi catholique, tombant
dans le schisme ou l’hérésie, qu’après son élection, soit en
suscitant soit en embrassant ces erreurs. »
Ainsi, selon cette traduction, un vrai pape tombant dans
l’hérésie perdrait de ce fait son pontificat ! Or, cette traduction
est gravement fausse et ce n’est guère surprenant. Voici la vraie
traduction, obtenue d’un théologien et bon latiniste (Benoît-
Dominique de La Soujeole) :
Traduction littérale : « et que soient privées les personnes
ainsi promues, sans qu’il soit besoin d’une déclaration ex-
presse, de toute dignité, juridiction, honneur, titre, autorité,
office et pouvoir, et qu’il soit permis (“liceatque”) au contraire
à ceux qui sont promus à ces charges (d’exercer leur office), si

41
auparavant ils n’auraient pas dévié dans la foi, ni n’auraient
été hérétiques, ni ne seraient tombés dans le schisme, que ce
soit en y poussant ou en le commettant. »

***
Il apparaît donc clairement que cette Bulle de Paul IV n’est
d’une part plus en vigueur pour l’élection du pontife romain,37
d’autre part qu’elle ne s’applique pas du tout à la crise présente,
et qu’encore en plus, elle a été mal comprise38 et qui plus est
37 Si cette Bulle a été rangée et utilisée comme source (fontes) dans la ré-
daction de quinze articles du droit canon 1917, aucun de ces canons
n’est relatif à l’élection d’un Pape, ceci faisant que même l’invalidation
d’une élection pontificale pour cause d’hérésie formelle antérieure, ne se
retrouve à aucun endroit du Code de droit canon, chose qui n’est d’ailleurs
pas surprenante puisqu’il est évidemment impossible que des règles disci-
plinaires prennent autorité sur le droit divin, par définition intemporel et
universel, dont relève l’élection pontificale. L’unique document sur lequel
doivent obligatoirement s’appuyer les cardinaux pour l’élection Pontificale,
est, comme nous l’avons amplement démontré la seule Constitution de Pie
XII (Can. 160), qui elle-même ne fait aucunement référence à cette Bulle de
1559. — Si elle est bien citée dans une note comme sources pour le Canon
188, 4°, il est important de noter : « Il est vrai qu’elle est mentionnée par
Gaspari dans les éditions spéciales où il a mis en bas de page quelques-unes
des sources du droit actuel dans le droit ancien. Mais cette indication est à
titre indicatif dans son édition, et n’a pas de caractère officiel. De plus Gas-
pari explique lui-même dans la préface que ces mentions sont à titre indica-
tif, et qu’il est fréquent que les lois aient changé, surtout les peines. C’est
pourquoi le DTC, à l’article hérésie dit : “Les peines fulminées dans les
droits antérieurs à la promulgation du code canonique n’ont qu’un intérêt
rétrospectif.” Et effectivement, la loi en cette matière a substantiellement
changé : la bulle Cum Ex Apostolatus est une loi pénale. Le canon 188, 4°
n’est pas une loi pénale mais une renonciation tacite. C’est un changement
substantiel. Il est donc clair que la bulle de Paul IV “non amplius viget” (n’a
plus force de loi). La nature de cette Bulle était disciplinaire, et même : pé-
nale. Le Cardinal Hergenröther explique magistralement et longuement la
question (Catholic Church and Christian State, Ed. Burns and Oates, 1876,
pp. 41 à 45.) » (abbé Damien Dutertre) Livre consultable sur w.archive.org
38 On lit en effet un peu partout que cette Bulle (même si elle n’a plus de

valeur juridique) envisage néanmoins que toute l’Église universelle pourrait


adhérer à un pape qui n’en serait pas un, réduisant ainsi à néant cette loi de
l’acceptation pacifique de l’Église universelle ! Or, la lecture attentionnée

42
mal traduite !… Difficile, de ce fait, d’y voir là « une lumière
dans les ténèbres conciliaires »…
Laurent MORLIER
1er août 2019, saint Pierre aux liens

du § 6 comme nous l’avons déjà explicité, n’évoque qu’un accord unanime


des seuls cardinaux, mais pas de l’Église universelle ! Le terme latin adora-
tionem désigne le rite d’adoration des cardinaux au nouveau pontife, suivi
du serment de fidélité et d’obéissance (obedientiam : obédience = “obéis-
sance d’un religieux à un supérieur hiérarchique”) qui est obligatoire. Cela
fait référence à la cérémonie qui se déroule dans la chapelle Sixtine juste
après l’élection du Pape, et durant laquelle les cardinaux lui prêtent obéis-
sance. Ce n’est pas parce qu’on y trouve aussi les termes omnium (tous), ou
concordia, & de unanimi omnium Cardinalium (avec l’accord unanime de
tous les cardinaux) qu’il faut sortir ces mots de leur contexte et les appliquer
faussement à toute l’Église universelle. C’est trahir le sens du texte et faus-
ser le sens de cette Bulle. On retrouve d’ailleurs cette même formulation
dans la Bulle Cum tam divino de Jules II (1505) invalidant une élection
simoniaque, cap. I (à la fin) : “per subsequentem ipsius intronizationem seu
temporis cursum aut etiam omnium Cardinalium præstatam obedientiam
ullo unquam tempore convalescat.” (même malgré une intronisation… et
même si tous les cardinaux lui prêtent obédience…) — Relire à ce sujet la
note 7. — Cette invalidation est restée en vigueur 400 ans dans l’Église
jusqu’à saint Pie X (1904) et Pie XII (1945), puisque leur nouvelle Constitu-
tion sur l’élection du Pontife romain, condamne bien sûr toujours les ac-
teurs d’une telle élection simoniaque, mais supprime la nullité d’une telle
élection « pour ôter un prétexte d’attaquer la valeur de l’élection du Pontife
romain » (Pie XII, au n°92). Parce que, oui, il y a, au niveau pratique, un
risque de schisme, si, par exemple la simonie, tout comme l’hérésie, n’est
pas bien assise et démontrée, ce qui entraînerait une grave division parmi
les évêques et les cardinaux, portant sur la légitimité de l’élu (pape dou-
teux), quasi insoluble… — Ajoutons pour finir que cette analyse est aussi
celle de Pietro-Maria PASSERINI (1597-1677), vicaire général des domini-
cains, éminent canoniste et théologien, qui a écrit un traité entier sur
l’élection du Souverain Pontife : Tractatus de electione summi pontificis
(1670). Il traite donc directement de cette question et explique que
“l’obéissance de tous” fait référence à la seule cérémonie d’obéissance des
cardinaux. Mais après l’acceptation par l’Église Universelle, dit-il, on ne
peut pas accuser l’élu pour des crimes précédant son pontificat. Cela ren-
drait tout pontificat douteux, car il suffirait de retrouver un crime jusque-là
inconnu. Billuart dit implicitement la même chose. Et les théologiens con-
firment cette interprétation en enseignant tous qu’un hérétique occulte peut
être élu et être pape. Cf. aussi Billot, De Ecclesia Christi, Q. 7, th. 11, n°435 sv.

43
ISBN 978-2-37110-027-5
Éditions D F T — BP 47033 — 35370 ARGENTRÉ DU PLESSIS (France)

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