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1
A Marie-Louise Dedieu.
2
François-Xavier De Meyer.
L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la
transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour
cette vie, reponsabilité pour l’autre ; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses
entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairée par le
visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poème dans son ensemble ; si Dieu, maître des
existences humaines, y consent.
3
Remerciements :
4
Sommaire.
5
Transition II : ........................................................................................................................................ 56
L’origine fragmentée comme outil stylistique et scorie au sein de La Légende des siècles. ................. 57
Esthétique du bégaiement créateur. .................................................................................................. 58
Le bégaiement et l’origine. ............................................................................................................ 58
Les figures de répétition. ............................................................................................................... 61
La cyclicité de l’écriture hugolienne............................................................................................... 62
Puissance de la parole poétique dans La Légende. ........................................................................... 65
La métaphore maxima. ................................................................................................................. 65
Analyse de la foule et du peuple. ................................................................................................... 67
Echos et repentirs hugoliens dans La Légende des siècles. ............................................................... 70
La question du repentir.................................................................................................................. 71
Les échos des poèmes. ................................................................................................................... 73
La fragmentation des poèmes. ...................................................................................................... 74
Conclusion :............................................................................................................................................ 78
Bibliographie. ........................................................................................................................................ 82
Annexe. .................................................................................................................................................. 85
6
L
Intrroduction :
« Un poète est un monde enfermé dans un homme1 ». Victor Hugo résume ainsi sa
propre démarche de démiurge. Le monde que crée Victor Hugo est un endroit tourmenté et
torturé, où les pires atrocités sont parfois représentées. Cette avalanche de massacres et de
tueries laisse, à première vue, la place au chaos et au désordre. L’histoire des hommes est
décrite dans toute sa noirceur par le bal des infanticides, des fratricides et des parricides.
Pourtant, parfois discrètement, il subsiste toujours une lueur d’espoir. C’est cette clarté
vacillante, mais persistante qui éclaire paradoxalement La Légende des siècles, que nous
allons étudier. Cette clarté nous la nommons « origine ». En effet, les premiers poèmes de
l’ouvrage, que sont « Hymne » ou « Le Sacre de la Femme », ouvrent un espace de paix et de
quiétude. Cet espace est une vision mythique de la genèse du monde, où les êtres vivent en
paix. Le temps est suspendu dans ce jardin d’Eden, car il est le spectacle d’un monde parfait.
Puis, quand vient la faute de Caïn, le temps arrive et la fuite du fratricide devient le reflet de la
fuite du temps. L’histoire des hommes se révèle alors atroce, mais, dans le jardin idyllique, il
subsiste toujours des scories. L’origine, qui semble bannie par le mal, se dissémine à travers
le texte et tente d’indiquer un chemin pour reconstruire le paradis perdu. Ainsi la citation de
Hugo : « C’est de l’histoire écoutée aux portes de la légende2 » expose le caractère mythique
du projet hugolien de reconstruire l’humanité, non pas par l’appréhension du temps humain,
mais bien plutôt par l’irruption d’une force qui navigue dans plusieurs temporalités.
Cette citation de la préface de 1859 est significative pour comprendre la pensée hugolienne.
De plus, il faut la mettre en perspective avec « le grand fil mystérieux du labyrinthe humain,
le Progrès3 ». La légende et le progrès, encore une antithèse, la légende étant l’instrument
épique d’une explication originelle du monde, tandis que le progrès semble indiquer
l’entéléchie humaine et parfaite, dépourvue d’une pensée magique de l’origine. De même, à la
vue du nom de la première série de La Légende : Les Petites épopées, comment concilier un
genre profondément marqué par ce qui tient de l’irréalisable pour le commun des mortels et le
progrès hugolien qui pousse l’humanité entière vers l’absolu ? Il serait alors envisageable de
1
Hugo Victor, La Légende des siècles, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 1950, p.586.
2
L-S, p.5.
3
L-S, p.4.
7
considérer qu’effectivement la légende et l’épopée vont dans le sens d’une origine mythique
et magique du monde, alors que le progrès s’oppose à cette dynamique et tend au contraire
vers une modernité débarrassée des fatras fantastiques des mythes. Nous allons essayer de
proposer une interprétation nouvelle de La Légende sur ce paradoxe. En effet, pour Hugo ces
trois domaines : la légende, l’épopée et le progrès se rejoignent dans le concept d’origine
fragmentée. Le plus souvent, comme le rappelle Claude Millet, l’épopée renvoie à la question
du mythe et la légende aux écritures hagiographiques4 (ex : La Légende dorée). Il y aurait
donc d’un côté les histoires païennes et de l’autre les histoires religieuses. Hugo, qui n’eut
jamais peur des contraires, regroupe ces deux termes sous le même dispositif : le légendaire. Il
ne faut pas confondre, de ce fait, la légende et ce qui est de l’ordre du légendaire. Pour Claude
Millet, « la légende rentre avec le mythe dans le dispositif légendaire5 ». C’est-à-dire dans ce
qui vise à éclaircir les mystères du monde. Nous allons donc tenter de montrer comment le
ressassement perpétuel de l’origine édénique se trouve à la fois dans le légendaire et à la fois
dans la dynamique du progrès. Il faudra donc observer si l’origine du progrès est également
un progrès vers l’origine. Mais, il est déjà clair que l’origine en elle-même provient d’une
vision mythique des commencements, toutefois cela n’empêche pas pour autant la possibilité
d’une soudure avec le progrès : « Le légendaire n’est pas un genre ; c’est un dispositif. Un
dispositif poétique de mise en relation, ou plutôt de soudure, du mythe et de l’Histoire, de la
religion et de la politique, avec pour horizon la fondation de la communauté dans son unité6 ».
« Le mur des siècles7 » s’est effondré, il s’agit pour le poète de rebâtir cette ancienne
Babel, mais d’une manière positive. L’origine qui est, par définition, unique au
commencement se retrouve paradoxalement morcelée. Il faut reconstruire, néanmoins, il n’est
pas nécessaire de descendre à la carrière pour tailler de nouveaux blocs, il faut assembler de
nouveaux ces anciennes roches solidaires. L’origine s’appuie sur des fondements anciens,
mythologiques, bibliques. Le mur s’est également effrité, parfois des blocs ont malgré tout
disparu, il faut alors rebâtir en restant fidèle à l’esprit de la légende. Puis, l’édifice doit se
poursuivre dans l’épopée des hommes avec ses larmes et ses joies. Pourtant, jamais sur ce pan
de mur, on n’oublie les points de repères originels, et chaque fois que le mur semble
s’affaisser par la folie des hommes, un contrefort de l’origine est accolé pour soutenir
l’édifice. Ces contreforts, ce sont les héros de La Légende des Siècles, mais pas seulement, on
4
Millet Claude, Le Légendaire au XIXème siècle, Presses universitaires de France, Paris, 1997, voir p.6.
5
Ibid. p.6.
6
Ibid. p.6.
7
L-S, p.8.
8
trouve aussi l’enfant, le pauvre, le peuple, et même la technique qui sont autant de rappels de
l’origine, définie dans les premières pages de l’ouvrage poétique (nous y reviendrons). Ces
points de repères apparaissent donc régulièrement et participent de la fragmentation de
l’origine. L’origine fragmentée sera de nouveau une origine complète à la fin du recueil, et
contrairement à ce que l’on pourrait croire même le poème « Abîme », aux accents
eschatologiques est un appel aux « temps fabuleux des commencements8 ».
Le temps hugolien n’est donc pas une ligne droite, ce n’est pas un cycle fermé, c’est le
retour de la quiétude des premiers temps au côté de principes forts comme le pardon ou la
conversion. En réalité, le projet de Hugo est de fondre le passé, le présent, et le futur dans une
même utopie, en d’autres termes, mêler le mythique, l’humanité et l’histoire. La question de
la temporalité est ainsi primordiale et organisatrice de La Légende. Il est vrai que Hugo utilise
le temps du mythe, le temps de Dieu et le temps des hommes pour parachever son projet pour
l’humanité, mais il fait embrasser ces stratifications temporelles dans un cadre spatial lui aussi
significatif. Il faut noter ainsi l’importance des tours, des antres, des ponts… A l’intérieur de
ce cadre se trouvent des multitudes de symboles de cette même réflexion sur le temps, qui
sont eux aussi des points d’appui de l’origine, que nous définirons dans la première partie. La
temporalité, le progrès et ce qui est « Hors des temps », c’est-à-dire le mythe ; autant de
concepts qui s’opposent, mais qui semblent, sous la plume de Hugo se reconstruire dans un
idéal de l’origine.
Le choix de l’origine n’est pas réactionnaire, il n’est pas une lamentation sur un
paradis perdu, c’est bien au contraire un défi lancé à l’humanité pour que celle-ci se
transcende et retrouve son Age d’Or. Ainsi même si les épisodes sanglants sont légions, ils
sont tous étranglés par le filigrane de l’idéal. L’origine est d’abord une quiétude des premiers
temps, un apaisement, une communion avec la Nature, et l’alliance improbable de l’âme et de
la matière :
8
Eliade Mircea, Aspects du mythe, Gallimard, Folio essais, Paris, 1963, p.16.
9
Qui s’évanouissaient dans le grand cri joyeux
Des eaux, des monts, des bois, de la terre et des cieux9 !
Il s’agit pour Hugo de partir à nouveau à la conquête de l’Eden dans une alliance entre
paix et jubilations, mais ce faisant il invite, non pas des élus, mais tous les hommes dans une
grande fresque épique. Le présent mémoire propose d’étudier ce mouvement quasi-divin, son
évolution dans l’espace et le temps par le concept de l’origine. Nous pensons cette étude
comme un regard neuf sur La Légende, car bien trop souvent Hugo fut enfermé dans un
carcan historique et politique, oubliant ainsi qu’il avait pour modèles (parmi tant d’autres
certes) Saint-Jean de Patmos pour l’eschatologique et Homère pour le mythe. Hugo est un
homme du monde, par conséquent il est indissociable de l’Histoire des hommes, mais il
incarne par-dessus tout le penseur de l’idée de monde. Et c’est ici qu’il reste à éclairer
« l’alphabet des grandes lettres d’ombre10 » !
Même si l’histoire ne doit pas être la seule lueur d’analyse, il convient néanmoins de
replacer la Légende des siècles dans un contexte donné. Nous précisons que pour les dates et
péripéties historiques indiquées nous allons utiliser l’ouvrage de Philippe Van Tieghen11. En
1851, Victor Hugo fut obligé de partir en Belgique, puisqu’il était menacé par l’avènement de
Napoléon III, en 1852 il s’exilait à Marine-Terrace sur l’île anglo-normande de Jersey, où il
demeura avec sa famille pendant trois ans. Hugo, durant cette période, est ainsi initié à l’art
des tables tournantes par Delphine Gay, ce qui explique peut-être cette vision hallucinée du
monde que l’on retrouve dans La Fin de Satan, Dieu et La Légende des siècles. En effet, Dieu
et la Fin de Satan sont en quelque sorte une conclusion de l’œuvre poétique hugolienne, mais
Hugo le souligne bien :
Plus tard, nous le croyons, lorsque plusieurs autres parties de ce livre auront été publiées, on apercevra le lien
qui, dans la conception, rattache La Légende des siècles à deux autres poèmes, presque terminés à cette heure,
et qui en sont, l’un le dénoûment, l’autre le couronnement ; La Fin de Satan, et Dieu12.
Toutefois, Hugo n’a pas commencé par l’origine de l’histoire de ce grand tout, il a commencé
par la fin le « dénoûment » et le « couronnement ». Déjà, il montrait que la conclusion n’est
qu’un commencement. Il faut relativiser ce point de vue, en 1856 Hugo a publié Les
Contemplations, et s’est installé à Guernesey. La consécration est là, car avec l’argent gagné
par les ventes, l’auteur a pu s’offrir ce lieu qui résume, à lui seul toute la pensée hugolienne :
9
L-S, p.20.
10
Hugo Victor, Œuvres poétiques I. Les Contemplations, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1967,
p.513.
11
Van Tieghen Philippe, Victor Hugo un génie sans frontières. Dictionnaire de sa vie et de son œuvre, Librairie
Larousse, Paris, 1985.
12
L-S, p.6.
10
Hauteville-House. En 1857, son éditeur, Hetzel, craignait les poèmes métaphysiques de Dieu
et La Fin de Satan et a commandé à Hugo Les Petites épopées qui sont les premières
fondations de La Légende des siècles. La Légende est en réalité une trilogie, avec trois dates
de publication bien distinctes, 1859 pour la première série, 1877 pour la deuxième série et
1883 pour la série complémentaire. De 1859 à 1883, de nombreux évènements se sont
déroulés dans la vie du poète, la mort de Mme Hugo en 1868, la mort de Charles Hugo,
l’internement d’Adèle en 1872, la mort de François-Victor en 1873, jusqu'à la mort d’une de
ses plus belles conquêtes Juliette Drouet. Le doigt sinistre de la mort se posait alors sur la
famille Hugo, mais Victor n’abandonnait pas pour autant son œuvre. Il continuait son travail
poétique et a « ajouté des êtres à notre univers13 ». Une question demeure, Hugo avec
l’édition de 1883, a-t-il lui-même ordonné les poèmes de cette parution complète ? En 1878, il
est atteint d’une congestion cérébrale et par conséquent très affaibli. Hetzel ou Meurice (son
exécuteur testamentaire) ont-ils aidé ou fait ce travail à la place de Hugo ? Les deux
hypothèses sont défendues. Il nous semble qu’au regard de sa vie, Hugo s’est toujours acharné
malgré la mort, la maladie, les échecs et comme l’expose Van Tieghen :
Cette même année [1883], Hugo procède, pour une nouvelle édition complète, à la réorganisation de l’ordre des
poèmes des trois séries, en les classant selon l’ordre chronologique approximatif des faits, des époques
auxquelles ils se rapportent sans tenir compte de l’ordre de publication, ni à plus forte raison l’ordre de
rédaction. Cette nouvelle disposition, si elle peut se justifier par l’intention du poète de montrer l’évolution de la
conscience humaine au cours des siècles, offre l’inconvénient de juxtaposer des textes de techniques et
d’orientation très différents14.
Les trois légendes forment un tout, nous citerons donc les poèmes de ces trois œuvres et plus
optimiste que Van Tieghen, nous tenterons de montrer en quoi cet ensemble a une certaine
cohérence.
La Légende des siècles est donc elle-même une œuvre de l’origine d’un projet d’une
humanité réconciliée, mais cette origine est construite à rebours : en portant du fruit elle
explique une pensée pour l’humanité, par le concept même à l’initiative de sa création. De
cette réflexion se dégage trois questions : dans une œuvre marquée par un temps paradoxal, à,
la fois mythique, biblique, historique et par conséquent humain, que signifie la thématique de
l’origine fragmentée mise en relation avec la temporalité ? En effet, une origine semble
indiquer un temps figé sur l’instant de la genèse du monde, alors peut-on exactement la mettre
en relation avec le temps ? Puis, comment fondre par le biais d’un concept attaché au passé,
parfois fantasmé, une pensée littéraire du progrès ? Enfin, peut-on retrouver dans le vers
13
Guillemmin Henri, Victor Hugo par lui-même, Editions du seuil, 1951, Paris, p.41.
14
Van Tieghen Philippe, Victor Hugo un génie sans frontières, Op.cit, p.142.
11
hugolien cette même idée d’un lien du progrès et de l’origine fragmentée ? De même, peut-on
dans les scories du texte trouver des restes de l’évocation de l’origine. De ces trois questions,
on peut déduire trois axes de réflexion : nous étudierons tout d’abord l’origine fragmentée
dans La Légende des siècles, en tant qu’elle est liée à une temporalité particulière. Puis il faut
envisager l’origine fragmentée comme origine du progrès et progrès vers l’origine.
Finalement, il faudra également observer comment le style hugolien et ces scories sont au
service de cette pensée spécifique.
Pour effectuer cette étude nous utiliserons comme édition de référence : La Légende
des siècles dans la bibliothèque de la Pléiade, qui a l’avantage d’être fiable dans l’agencement
des poèmes dans l’édition ne varietur. De plus dans cette édition, les appendices et la
classification des poèmes selon les séries sont visibles, ce qui nous a été utile dans la
construction de notre troisième partie et de notre annexe.
15
Actes du colloque de la Sorbonne, Victor Hugo La Légende des siècles « Hors de la terre et des temps » Agnès
Spiquel, Presses de l’université Paris Sorbonne, 2002, p.247.
12
« Hymne » de la deuxième série de La Légende des siècles, qui expose justement ce calme et
cette tranquillité des origines :
Cette terre est un lieu paisible et divin, certes habité par les hommes, mais elle revêt
néanmoins un aspect temporel particulier, puisqu’elle fixe une cohabitation des hommes et
d’une origine fabuleuse. L’anaphore en « elle » esquisse une terre omniprésente et
bienfaisante, qui offre un havre de paix, figuré ici par le « lit de mousse ». Cet âge d’or, on le
distingue encore mieux dans « Le Sacre de la femme », qui lui pour le coup se situe
directement dans l’âge édénique :
Le point de départ de l’origine hugolienne se manifeste ici, le temps est suspendu et l’entrée
dans le monde des hommes n’est pas encore effective. La fragmentation de celle-ci n’a, en
revanche, pas encore eu lieu. Comme l’ « Eden démesuré », la grandeur et l’imagination
confèrent à ces premiers poèmes un vertige pour le lecteur, c’est ce même vertige qui nous
place dans une vision extatique des commencements et qui suspend l’appréhension de la
temporalité :
Dans tous ses poèmes cosmogoniques, et dans plus d’un poème de La Légende des Siècles (sic), il y a une sorte
de vertige de l’imagination qui fait vaciller le cerveau du lecteur : le tremblement des cordes de la lyre du poète
se communique à notre pensée qui s’effare18.
16
L-S, p.15.
17
L-S, p.21.
18
Berret Paul, La Légende des siècles de Victor Hugo (étude et analyse), Mellottée, Paris, 1935, p.53.
13
c’est ici le fonctionnement du monde qui est évoqué plutôt que la mise en marche d’une
temporalité et d’une histoire mythique. En quelque sorte le Temps est en retrait mais la durée
existe bel et bien :
Cet autre extrait permet aussi de montrer que les hommes, en tout cas dans « Hymne », ne
sont pas exclus de cette quiétude. De même Adam et Ève bien qu’ils soient des personnages
mythiques, sont le premier homme et la première femme, en d’autres termes tant que ce temps
suspendu est maintenu, l’alliance entre la paix et les hommes ne peut être bouleversée. Il
convient de parler d’un contrat cosmogonique entre le Dieu hugolien et les hommes. En
définitive, dans cet espace, l’immanence et la transcendance sont paradoxalement unifiées
dans un non-temps.
Un contraste apparaît alors avec plus de force, ces deux poèmes paraissent s’opposer à
la deuxième préface de 1877, « La Vision d’où est sorti ce livre », qui se place dans une veine
plus catastrophique « Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel20 .» Cette pensée de
l’écroulement, comment faut-il la comprendre alors que la quiétude édénique est le départ de
ces deux séries ? Une première réponse est apporté par Judith Wulf : « Il s’agit d’une structure
très courante chez Hugo qui consiste à inscrire en filigrane, de manière négative, ce qui pour
lui est le plus important21 ». Paul Lafargue un des détracteurs de Victor Hugo et contemporain
de ce-dernier, écrivait quant à lui « Une étrange fatalité pesa sur Victor Hugo ; toute sa vie, il
fut condamné à dire et à écrire le contraire de ce qu’il pensait et ressentait22 ». Nous
pencherons plutôt pour la première option, mais la pique cinglante de Lafargue peut susciter
une interrogation : l’apparente rupture entre « La Vision » et les poèmes édéniques est-elle
porteuse de sens ? Se profile à l’horizon la thématique de la chute originelle, qui est plus
l’œuvre de Caïn que d’Eve dans La Légende, car le péché originel chrétien est déplacé sur le
fratricide. Encore une fois, il s’agit de ne pas souiller ce temps suspendu et béni. Mais, si le
projet hugolien doit par la force des choses s’inscrire dans le temps, il faut le laisser s’écouler
19
L-S, p.15.
20
L-S, p.14.
21
Wulf Judith, La Légende des siècles de Victor Hugo, Atlande, Paris, 2001, p.60.
22
Lafargue Paul, La Légende de Victor Hugo, Mille et une nuits, Paris, 2001, p.35.
14
et perdre l’origine unie : « La catastrophe est la conséquence fatale de la vieillesse et de la
décrépitude du Monde23 ».
Cette première apparition du mal, dans une de ses versions les plus terribles est le coup
d’envoi d’une propagation qui va se diffuser dans toute La Légende : « Les méchants portent à
l’humanité une haine générale, absolue, et, au fond, désintéressée. Ils sont animés par la
volonté de corrompre, de dépraver, d’avilir (…).Par là, les méchants hugoliens sont
23
Eliade Mircea, Aspects du mythe, Gallimard, Folio essais, Paris, 1963, p.80.
24
Berret Paul, La Légende des siècles de Victor Hugo, Op.cit, p.96.
25
L-S, p.15.
26
L-S, p.19.
27
L-S, p.25.
28
L-S, p.26.
15
véritablement sataniques29 ». Hugo va comme Dieu apposer une marque sur le front de Caïn,
sauf qu’à l’inverse de la Bible, cette marque sera l’expression du mal. La marque va
s’imprégner dans le comportement des Hommes et dans de nombreux poèmes. Dans
« L’Aigle du casque », Angus et Tiphaine se disputent le pouvoir. Angus le plus jeune perd
rapidement l’avantage et s’enfuit, mais Tiphaine ivre de bruits, de carnages et de sang le
poursuit pour le mettre à mort :
Dans le premier vers de notre extrait, l’indicatif présent utilisé pour les trois verbes donne
l’impression d’une brutalité. La rapidité du vers est en rupture avec ce qui se passe réellement.
Le mal semble alors détruire tout sur son passage avec une vivacité terrible. Les exemples
sont légions dans l’ouvrage comme : « Kanut » dans « Le Parricide », « Ratbert » qui tue la
petite « Isora », « Zim-Zizimi », « Gaïffer-Jorge duc d’Aquitaine » ou encore le « Sultan
Mourad » ce-dernier est particulièrement habile dans l’inventivité du massacre :
Le premier vers de l’extrait est bâti sur l’antithèse entre la sainteté et le crime. Cette antithèse
à l’ironie mordante souligne que le mal est dissimulé derrière un masque du bien. La même
idée de « brutalité » rapide est exprimée dans le dernier vers par la métaphore des têtes qui
volent comme des oiseaux. On voit alors apparaitre une concurrence, entre deux
représentations du temps qui sont, de fait qualitativement décrites, le temps suspendu de
l’origine est bon, la fuite historique engendre, quant à elle, le mal. On discerne alors une
tension entre ces deux acceptions du temps. Pourtant, faut-il pour autant croire que ces deux
temporalités ne peuvent s’interpénétrer ?
29
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, José Corti, Paris, 1968, p.271.
30
L-S, p.302.
31
L-S, p.278.
16
Une tension entre l’origine et l’histoire humaine.
Ainsi il semble s’établir un conflit entre le Temps historique et le Temps de l’origine.
L’histoire des hommes tend à se fracasser comme des flots tumultueux sur le roc des premiers
instants du monde. De même, le Mal advient par des comportements despotiques des princes,
des rois, des hautes figures du clergé. Êtres humains avec une personnalité extraordinaire qui
s’exprime dans les massacres, les crimes et dans les assassinats. Cependant, parfois,
l’impression que l’origine est elle-même pervertie par tant d’ignominies, souligne l’existence
de cette tension. Dans le poème « Gaïffer-Jorge, duc d’Aquitaine », Gaïffer est un tyran qui
est décrit en ces termes :
Dans la mystique chrétienne, le fait de renverser une croix est signe d’adoration du diable,
dans ce poème le même processus est à l’œuvre, comme une origine inversée.Ainsi, le mal
n’engendre que le mal, et les racines du duc d’Aquitaine se ramifient dans ce qu’il y a de plus
terrible. L’enfer est absent des premiers poèmes de La Légende, ce qui nous fait dire que le
temps historique et les errements humains ont bâti cette origine parallèle et néfaste. Ce
32
L-S, p.384.
33
L-S, p.383.
34
L-S, p.385.
17
parachèvement maléfique démontre que dans la lutte temporelle entre le temps primordial et
le temps humain, l’origine bienfaisante perd parfois la bataille. En effet, cette descente qui se
veut retour vers ce qui constitue l’être, n’est en réalité qu’une plongée désastreuse.
On peut, toutefois, contrebalancer cette défaite par un autre poème qui lui produit
exactement l’effet inverse. Le poème « Le Titan », ce-dernier est enchaîné dans les enfers
sous la terre après la défaite contre les Dieux de l’Olympe, présentés comme des despotes,
encore une fois « tout le mal possible est là divin35 ». Le monde et le titan subissent le joug de
ces tyrans. Pourtant avant leur conquête fatale, la Terre ressemblait étrangement au Temps
primordial : « Tout était beauté, fête, amour, blancheur, printemps36 ». Ce Titan va donc se
libérer et creuser jusqu’à reparaître sur la Terre. Dans son cheminement, il va pouvoir
contempler les racines de la terre, si bien qu’au moment de son apparition : « Il avait dans les
yeux l’éternité profonde37 ». Le Titan est un autochtone, au sens premier. Il sort de la terre
chargé d’une vision de l’origine des choses, d’où son regard d’éternité.
Il est clair qu’au sein de La Légende des siècles, une lutte s’installe entre l’origine
bienfaisante d’un ancien Eden et l’origine du mal introduit dans le temps historique par le
crime paradoxalement fondateur de Caïn. Malgré l’aspect statique de l’origine par la
suspension du temps, le fait qu’une lutte s’installe entraîne une mise en mouvement qui
pousse à une aspiration au progrès. Elle faisait dire à Jean Gaudon « la dictature du temps se
concrétise naturellement par le mouvement dans lequel le poète lui-même est inexorablement
entraîné » et d’ajouter « l’obscurité de l’histoire, l’infini du temps sont liés pour Hugo à la
verticalité. Verticalité signifie naturellement profondeur et hauteur : la perspective
progressiste, optimiste, l’exige38 ».
35
L-S, p.51.
36
L-S, p.51.
37
L-S, p.62.
38
Gaudon Jean, Victor Hugo. Le Temps de la contemplation, Flammarion, Paris, 1969, p.292.
18
discrets et éparpillés dans La Légende des siècles, mais ils sont des ouvreurs de voies. De ce
fait, l’origine va devenir fragmentée. Il faut conserver l’espoir malgré les épreuves : « Chaque
poème du recueil constitue un drame autonome et séparé où se joue dans un premier temps le
triomphe du mal dans toute son horreur, et dans un second temps l’affirmation, inattendue et
hautement probable du bien39 ».
Que disent alors les pierres dans La Légende ? Prenons tout d’abord un exemple, dans
« Les Sept merveilles du monde », l’introduction du poème expose l’importance de la
participation humaine dans le cycle de l’origine :
39
Actes du colloque international de Copenhague, L’œuvre de Victor Hugo entre fragments et œuvre totale,
« Totalisation et fragmentation dans La Légende des siècles de Victor Hugo (première série), Roman Myriam,
ed. Hans Peter Lund, Etudes romanes, Copenhague, 2003, p.68.
40
L-S, p.14.
41
Luc, 19,40.
19
On ne voyait marcher la foule aux bruits sans nombre,
Mais on sentait que l’homme écoutait dans cette ombre.
Qui donc parlait ? C’étaient des monuments pensifs
Debout sur l’onde humaine ainsi que des récifs,
Calmes, et chacun d’eux semblait un personnage
Vivant, et se rendant lui-même témoignage
Nulle rumeur n’osait à ces voix se mêler,
Et le vent se taisait pour les laisser parler,
Et le flot apaisait ses mystérieux râles.
Un soleil vague au loin dorait les frontons pâles
Les astres commençaient à se faire entrevoir
Dans l’assombrissement religieux du soir42.
La quiétude est aussi à l’œuvre ici, le monument fonctionne alors comme un symbole
d’éternité, il s’en suit une longue prosopopée des sept merveilles du monde. Mais avant
d’analyser les dires de ces merveilles, posons-nous la question de l’utilité de la prosopopée
dans ce poème, pourquoi faire parler des monuments ? La prosopopée par définition est l’art
de faire parler quelqu’un ou quelque chose qui n’a plus ou pas la parole : les morts, les lois, et
ici les monuments. Mais faire parler une personne ou une chose qui n’est pas là, n’est-ce pas
le plus souvent dire également que cette personne ou cette chose est dans un autre temps ? Les
monuments sont bien présents, mais leurs paroles se situent dans un ailleurs mythique. Faire
parler un mort, n’est-ce pas convoquer l’éternité d’une mémoire ? De même faire parler un
monument inerte, n’est-ce pas placer l’inanimé dans le temps mythique ou historique, pour
justement lui donner la vie ? La prosopopée ramène elle aussi à l’arrêt du temps, d’ailleurs
voici ce que déclare « Le Temple d’Ephèse » :
Tous les monuments convoqués règnent de cette manière sur le temps, notons encore dans la
septième merveille à savoir les pyramides, où la pyramide de Chéops déclare « Je suis
l’éternité44 ».
Le cadre architectural est toujours en rapport avec l’origine chez Victor Hugo dans La
Légende des siècles, même quand celle-ci n’est pas directement mise en avant dans un poème,
prenons le célèbre poème « Eviradnus », où Hugo nous raconte que selon la coutume de
Lusace, toute personne prétendant au titre de Marquis doit passer une nuit dans la tour de ses
ancêtres. C’est le cas de la Marquise Mahaud qui est accompagnée de deux tristes sires
Sigismond et Ladislas, qui se font passer pour ses amis alors qu’ils convoitent ses titres et que
42
L-S, p.173.
43
L-S, p.175.
44
L-S, p.190.
20
l’idée de tuer la prétendante ne les rebute pas. Eviradnus, chevalier errant viendra sauver la
marquise et tuera les deux bandits. C’est donc à l’intérieur de la tour de Corbus que va se
dénouer l’intrigue du poème. Surtout qu’en ces lieux-mêmes se trouve une galerie de
personnages qui nous font rallier l’aspect mythique de l’origine. Ce lieu n’est pas sans nous
rappeler Don Ruy Gomez dans Hernani défendant l’honneur de ses ancêtres, ou encore
Magnus des Burgraves qui retourne les tableaux de ses ancêtres à cause de ses héritiers qui se
complaisent dans la débauche et le parjure. On retrouve ce symbole hugolien à travers ces
vers :
Pierre Laforgue a quant à lui relevé un détail confortant l’importance de l’origine des choses
et sa fragmentation dans l’œuvre. En effet, ce-dernier voit dans la section la salle à manger du
poème « Eviradnus » une référence directe à l’agencement d’Hauteville-House la maison de
l’exil à Guernesey qu’il avait achetée en mai 1856. Hugo écrivait alors la première série de La
Légende des siècles, dont fait partie ce poème. Voici ce que Pierre Laforgue écrit :
Il faudrait relire ici toute cette section d’Eviradnus, la salle à manger, tant Hugo semble avoir pris de plaisir à
transposer ainsi dans ce poème l’assemblement de Hauteville-House, auquel il a déjà consacré beaucoup de
temps et en consacrera encore beaucoup46.
Ainsi le lieu originel de l’écriture est également diffusé dans le récit, fragmenté. L’évocation
de l’architecture du lieu est diluée dans les poèmes pour créer des symboles de l’origine
mythique et permet la mise en place de point de repères dans la fuite historique du temps.
Pierre Laforgue écrit encore : « Ce n’est pas, en effet, de biais que Hauteville-House éclaire
l’œuvre de Hugo ; elle est bien plutôt au centre de l’œuvre, comme le lieu modèle de la
création47 ».
Il existe donc un contraste entre la ruine du mur des siècles et sa reconstruction dans le
reste du recueil. Malgré cela, Hugo envisageait cette œuvre comme un monument en lui-
même « un péristyle est un édifice48 ». La ruine apparente du mur des siècles enclenche
toutefois la réflexion entre le sujet historique et son rapport au monde : «La ruine est comme
45
L-S, p.245.
46
Laforgue Pierre, Victor Hugo et La Légende des siècles, Paradigme, Orléans, 1997, p.245.
47
Ibid. p.58.
48
L-S, p.3.
21
le chaînon privilégié entre le contemplateur et le mouvement des êtres et des choses 49».
Maintenant, que nous avons envisagé le décor, il faut étudier les personnages qui évoluent à
l’intérieur de cet espace significatif. A fortiori dans la figure de l’enfant et de l’aïeul, qui
constituent comme les tenants et les aboutissants de la vie humaine.
Mais puisque la récitation rituelle du mythe cosmogonique implique la réactualisation de cet évènement
primordial, il s’ensuit que celui pour qui on le récite est magiquement projeté au « commencement du monde »,
il devient un contemporain de la cosmogonie50.
La force de l’origine est justement qu’elle ne s’impose pas de front avec la fuite historique,
elle s’insinue et se dissémine par des fragments dans des figures représentatives et rappelle
tout au long du recueil, la quiétude édénique. L’évocation de l’origine a donc sa place tout au
long du recueil et pas seulement au début de celui-ci.
Revenons à nos deux figures, l’enfant chez Hugo, tient une place prépondérante dans
de nombreuses œuvres : Gavroche dans Les Misérables, la petite Dea dans L’Homme qui rit,
ainsi que Georgette, Jehan Frollo dans Notre-Dame-de Paris, René-Jean, et Gros-Alain dans
Quatrevingt-Treize, en réalité tous ces enfants sont des murmures de paix et de quiétude :
Le murmure de l’enfant, c’est plus et moins que la parole ; ce ne dont pas des notes, et c’est un chant ; ce ne
sont pas des syllabes, et c’est un langage ; ce murmure a eu son commencement dans le ciel et n’aura pas sa fin
sur la terre ; il est d’avant la naissance, et il continue, c’est une suite. Ce bégaiement se compose de ce que
l’enfant disait quand il était ange et de ce qu’il dira quand il sera homme ; le berceau a un Hier de même que la
tombe a un Demain ; ce demain et cet hier amalgament dans ce gazouillement obscur leur double inconnu ; et
rien ne prouve Dieu, l’éternité, la responsabilité, la dualité du destin, comme cette ombre formidable dans cette
âme rose51.
49
Mortier Roland, La Poétique des ruines en France, ses origines, ses variations de la Renaissance à Victor Hugo,
Droz, Genève, 1974, p.215.
50
Eliade Mircea, Le Sacré et le profane, Gallimard, Folio essais, Paris, 1965, p.75.
51
Hugo Victor, Quatrevingt-treize, Librairie Générale Française (LGF), Les Classiques de Poche, Paris, 2001,
p.371.
22
Dans le ciel et savaient ce que la terre ignore.
O Jeanne ! Georges ! voix dont j’ai le cœur saisi !
Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi.
(…)
Ils trébuchent, encore ivres du paradis52.
Ces exemples montrent que la pensée sur l’enfance, chez Victor Hugo, n’est pas juste une
admiration déraisonnée, l’enfant est à la fois mythifié dans son origine, et exhaussé dans son
avenir. L’enfant condense le temps et nous le verrons par la suite donne tout son sens à la
notion de Progrès. La Légende des siècles ne fait pas exception à cette figure particulière
qu’est l’enfant. Mais dans ce recueil, où la pensée de l’origine est mise en tension avec la fuite
du temps, la place de l’enfant est d’autant plus significative. Dans un très bel ouvrage qui se
nomme Lorsque l’enfant paraît… Victor Hugo et l’enfance, Fanny Deschamps, conférencière
au musée Victor Hugo à Villequier, déclare :
Dans Les Petites Epopées, Hugo présente un enfant rêveur, le plus souvent auréolé, qui contemple puis
communie et se confond avec la nature. Cette relation en fait, au-delà d’un modèle d’héroïsme est un avatar du
progrès par sa transfiguration dans un hors-temps à la fois mythique et mystique 53.
La figure du vieillard, lui aussi vu en tant que souvenir du temps des origines, est
disséminée à travers tout le recueil de La Légende des siècles. S’il devait y avoir un modèle
52
Hugo Victor, Œuvres poétiques III. L’Art d’être grand-père, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1974, p.583.
53
Deschamps Fanny, « L’enfant dans les Petites Epopées de Victor Hugo ». Lorsque l’enfant paraît … Victor
Hugo et l’enfance, dir. Poirel Evelyne, Somogy Editions d’art, Paris, 2002, p.95.
54
L-S, p.437.
55
Deschamps Fanny, « L’enfant dans les Petites Epopées de Victor Hugo », Op.cit, p.91.
56
L-S, p.529.
23
canonique, qui explique d’ailleurs, une différence entre les jeunes hommes (qui ne sont pas
enfants) et l’aïeul, ce serait celui de « Booz endormi ». En effet, Booz, personnage biblique,
qui n’a jamais eu d’enfants et qui est au crépuscule (du soir) de sa vie, se voit exaucer lui et sa
nouvelle femme Ruth, par Dieu. Ce vœu étant précisément d’avoir une descendance. Une
grande paix encore une fois se dégage de cet épisode :
Les deux premiers vers du second quatrain sont fondamentaux. Ils expriment très exactement
le trajet de l’humanité pour retrouver l’origine. Le vieil homme revient vers « la source
première », c’est-à-dire d’un lieu mythique, génésiaque, mais il était auparavant dans le temps
humain, ce sont les « jours changeants ». Hugo décrit un trajet qui part de l’origine, qui passe
ensuite par la fuite du temps, pour finalement revenir vers l’origine dans un suspens du temps,
ce sont « les jours éternels ». L’importance du choix des mots, dans cet extrait, est
déterminante, en termes de temporalité. La flamme, certes, brille et représente le dynamisme
de la jeunesse, mais elle vacille et peut disparaître. La lumière, au contraire malgré la nuit,
persiste toujours, elle fait passer l’aïeul de la fuite du temps à l’éternité, aux « jours éternels ».
A l’inverse de l’enfant, toutefois, l’ancêtre a rempli une vie parfaitement terrestre, mais il
demeure comme nous l’avons dit un symbole d’éternité. En tout cas, comme l’enfant, le
vieillard est un catalyseur de différentes temporalités, qui célèbrent les commencements du
monde. Mais le plus troublant pour ces deux symboles est le moment où l’enfant et le vieillard
se rencontrent.
Nous allons pour illustrer cette rencontre, étudier un des poèmes les plus bouleversants
de La Légende des siècles, qui se nomme « Petit Paul ». Commençons, par rappeler que nous
nous situons dans une section bien précise : « Dans la section Les Petits de La Légende, la
famille est toujours marquée par un deuil, un parent absent. La petite de Question sociale, est
57
L-S, p.34.
24
de mère putative et de père inconnu, l’enfant de Guerre civile et Petit Paul sont orphelins58 ».
Paul a perdu sa mère et est élevé par son grand-père :
On voit bien ici, une certaine continuité dans cet espace du jardin (encore un !) entre l’enfant
et le vieillard qui sont dans une osmose, hors du temps, et Hugo a cette belle image du grand-
père qui aide le petit à apprendre à marcher « chancelant lui-même, il aide à chanceler60 ».
L’aïeul vient à mourir, Paul est élevé alors par sa belle-mère, marâtre sans compassion. Paul
s’enfuit alors et meurt de froid dans la neige. Mais quel fut le chemin de sa fuite ? Claude
Millet commente en disant : « Pour échapper à la violence domestique, cet enfant martyr tente
de trouver refuge auprès de la tombe de son grand-père, et meurt dans la neige, accroché aux
grilles du cimetière61 ». Nous voyons ici, l’image des deux allégories temporelles, méprisées
par les hommes et qui tentent de se retrouver, dans l’espoir d’atteindre le bonheur premier qui
se compose de l’innocence, de la quiétude et de la paix. On ne peut s’empêcher de citer cette
fin tragique :
58
Millet Claude, « 1877 La Question de l’enfant». Lorsque l’enfant paraît … Victor Hugo et l’enfance, dir. Poirel
Evelyne, Somogy Editions d’art, Paris, 2002, p.106.
59
L-S, pp.702-703.
60
L-S, p.703.
61
Millet Claude, « 1877 La Question de l’enfant », Op.cit, p.109.
62
L-S, p.708.
25
Ce schéma tragique, il se trouve lui aussi, fragmenté, disséminé dans plusieurs contextes et
histoires de La Légende des siècles. Dans « L’Italie de Ratbert » : Isora (une jeune fille
orpheline) et le Marquis Fabrice d’Albenga (un vieillard qui s’occupe d’elle) sont tous les
deux tués par l’ordre de Ratbert, un despote, héritier de Caïn : « Le porte-glaive fit, n’étant
qu’un misérable, / Tomber sur l’enfant mort la tête vénérable63.» L’origine, à la fois
innocence et quiétude, est niée par la figure du despote, d’où une forte tension entre les
symboles d’origine et les tyrans durant toute la Légende. On pourrait ainsi parler d’une mise
en scène implicite de La Légende des siècles, l’origine tente de refaire surface dans l’histoire
des hommes, pour les ramener vers un bonheur des premiers temps. Comme le disait Mircea
Eliade « Ce Temps destructeur était le Temps profane, la durée proprement dite : il fallait
l’abolir, pour réintégrer le moment mythique où le monde était venu à l’existence, baignant
dans un temps pur, fort et sacré64. »
Enfin, un dernier poème mérite notre attention, « Welf Castellan d’Osbor » réunit les
trois symboles temporels, dont nous avons parlé, à savoir une figure d’architecture
spécifique : un pont, une orpheline, un vieil homme : Welf. Des nobles ainsi que le pape
tentent de ramener Welf sous leur bannière, celui-ci refuse ne voulant pas être le bras armé du
meurtre et du crime. Son attrait pour le cosmos, n’est pas sans rappeler l’espace édénique du
début du recueil : « J’ai sous ma garde un coin de paradis sauvage65. » Une mendiante vient
alors, petite fille sans ressource, Welf alors abaisse le pont-levis de sa tour, et est capturé par
les nobles qui se tenaient en embuscade. Tout ce poème fonctionne, comme si ces trois
images de l’origine ne pouvaient être dissociées, Welf comme vieillard refusant la barbarie
des hommes, la mendiante comme l’innocence, et le pont comme point de réunion entre ces
deux représentations de l’origine, dispersées dans l’histoire. L’aïeul et l’enfant, la plupart du
temps lorsqu’ils apparaissent sont des cariatides de l’origine. Désormais, il faut voir comment
la création du mythe, chez Hugo, permet cette vision particulière de la question temporelle au
sein du recueil.
26
certains de ceux-ci éclairent bien la temporalité particulière de La Légende des siècles. Nous
allons ainsi poursuivre cette réflexion, en décrivant, Hugo comme poète primitif et son
admiration pour les astres.
C’est là tout l’intérêt du poème « Abîme » qui est loin de n’être qu’une apocalypse
délirante, si la vision des étoiles et des planètes n’était qu’une pure description de l’infini dans
les cieux, elle serait de l’ordre de la théologie, or pour Albouy c’est justement le mythe qui
permet l’unification des hommes et du cosmos :
A l’utilisation des astres comme des éléments du merveilleux, on pourrait rattacher encore, dans La Légende, le
poème Abîme. On y retrouve au fond, le thème de « l’infini dans les cieux », mais traité d’une manière toute
nouvelle. Le voyage astral de l’âme est remplacé par une sorte de chœur cosmique où apparaissent par ordre de
grandeur, l’Homme, la Terre, Saturne, le Soleil, Sirius, Aldébaran, Arcturus, la Comète, Septentrion, le
Zodiaque, la Voix Lactée les Nébuleuses, l’Infini, qui, tour à tour se glorifient et s’apostrophent avec hauteur ;
puis Dieu parle, et tout cela s’efface ; la mise en œuvre du thème de l’infini dans les cieux n’est plus descriptive,
mais dramatique ; elle est devenue mythologique71.
66
C’est une des raisons qui nous poussent à utiliser les travaux de Mircea Eliade, car que ce soit dans Aspects
du mythe, ou dans Le Sacré et le profane, un des principes fondateurs de l’auteur est d’étudier les croyances
primitives.
67
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, Op.cit, p.11.
68
Renouvier Charles, Victor Hugo le philosophe, Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.378.
69
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo Op.cit, p.109.
70
Ibid. p.118.
71
Ibid. p.409.
27
Si l’on rompt cette chaîne entre l’homme et l’univers, le monde perd son sens. Tout nous
ramène vers la fusion entre l’origine et l’être humain. La suspension du temps par le mythe est
le moyen pour Hugo d’acheminer l’homme peccable vers un après, qui était déjà contenu dans
l’avant. Toutefois, l’aspect « dramatique » de cette vision astrale est paradoxal. En effet, le
dramatique implique une action et ne s’inclut donc pas dans un suspens du temps. Sauf que la
stratégie littéraire n’est pas celle du prédicateur, par l’éclatement des exemples on parvient à
reconstruire une parole fragmentée qui s’organise petit à petit dans le récit. La logique du
poème « Abîme » est d’ailleurs exprimée par Hugo lui-même, si on ôte un maillon de la
chaîne qui part de l’homme à Dieu, alors le sens du monde est aboli :
L’homme est solidaire avec la planète, la planète est solidaire avec le soleil, le soleil est solidaire avec l’étoile,
l’étoile est solidaire avec la nébuleuse, la nébuleuse groupe stellaire, est solidaire avec l’infini. Otez un terme de
cette formule le polynôme se désorganise… la création n’a plus de sens dans le cosmos et la démocratie n’a plus
de sens sur la terre72.
Il est visible que la confrontation des différents temps pose problème. La solution
d’Hugo ? Fusionner les temps.
Cet extrait d’ « Inferi » a peut-être comme modèle justement la visite de Dante aux enfers, par
cette catabase nous descendons dans le lieu qui par essence est l’antre du mal. L’air qui est
principe de vie est corrompu. L’eau elle aussi nécessaire à l’existence expose le spectacle des
72
Ibid. p.398.
73
L-S, p.468.
28
mondes livrés aux abysses. Les symboles de l’origine y sont donc inexistants, de même dans
« La Vision de Dante » :
Jamais dans toute La Légende Hugo ne fut aussi terrible dans le portrait de l’humanité
torturée. Les enfants, pourtant représentation de l’origine, sont mutilés, les femmes fouettées.
Dans ce mal absolu où trouver la quiétude originelle et fabuleuse du monde ? Il faut ici voir
l’ensemble des poèmes, et observer les réponses qu’ils s’adressent entre eux. Ainsi, toujours
dans cette troisième série le poème « Océan » propose certes une envolée vers le progrès mais
aussi un ressac de l’origine :
La Babel écroulée du mur des siècles enfin reconstruite. Les langues n’opposent plus et les
hommes sont unis. Le chaos est chassé par l’édifice positif, les hommes sont pardonnés et la
paix revient. Cette paix primordiale c’est celle de l’origine édénique du monde. Alors que
Hugo pourrait enfermer l’humanité dans l’horreur, qu’il décrit fort bien par ailleurs, dans un
optimisme forcené, il montre que la paix est toujours possible. La nécessité du temps fabuleux
des premiers instants mythiques du monde n’est pas une simple lubie poétique, à l’inverse sa
dissémination ou sa fragmentation dans La Légende des siècles est une sorte de nouvelle
alliance entre les hommes et le monde.
Le monde mythique et idyllique fut séparé des hommes par la faute première du
meurtre du frère, néanmoins l’humanité continue de peupler le monde. Or cette humanité
ravagée est prise en quelque sorte en pitié par cet univers. Le destin des hommes et du monde
semble lié à cette résilience de l’origine : « A travers l’analogie du social et du physique, des
évènements et des phénomènes se révèle le fait que l’histoire des hommes ne peut se dissocier
en dernière instance du devenir de l’univers76. » Il s’agit pour Hugo de créer le pont qui puisse
relier ces deux mondes. Pour cela, il va utiliser un ciment mythique qui devrait faire se
74
L-S, p.665.
75
L-S, p.549.
76
Colloque de Cerisy, Hugo le fabuleux, « une écriture de l’immanence. », Gohin Yves, Seghers, Paris, 1985,
p.23.
29
rejoindre l’immanence du monde des hommes, et une certaine transcendance du monde de
l’origine. Ainsi comme le dit Pierre Albouy le mythe hugolien est « soumis à cette puissance
particulière qu’à l’imagination de Hugo, de rendre concret l’abstrait et le fluide ou le gazeux
compact et solide77. »
Par le mythe, Hugo va procéder à la fusion des temps, cette tentative hardie a pour
réceptacle la mythologie et pour adjuvant l’épopée et la légende. Il fallait bien toutes ces
armes pour plier les lois temporelles qui régissent le monde. Dans le sens où le passé, le
présent et le futur ne sont plus considérés comme des temporalités à part, les unes par rapport
aux autres, mais, comme une même dynamique visant à reconstruire l’Eden.
77
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, Op.cit, p.106.
30
nom d’un démon biblique, est la démonstration que tout progrès technique ne signifie pas la
réussite de l’entreprise humaine. « Pleine Mer » est de ce fait le préliminaire de « Plein
ciel » : « Au reste Pleine Mer n’était qu’un prologue, une manière de fond de décor aux
teintes sombres, destiné à faire saillir au premier plan la lumineuse silhouette du ballon
Lumière, apothéose du progrès78 .» Il est vrai que lorsqu’ on lit ce poème l’aspect terrible du
monstre-machine provoque l’effroi :
Vision monstrueuse qui dépasse de sa stature les plus grandes constructions, le Léviathan est
ici la représentation d’une Babel négative, qui contraste avec la Babel positive d’ « Océan ».
Toutefois, cette double image de Babel dans la première série et la troisième montre une
nouvelle fois une parenté des séries.
« Plein-ciel » au contraire est un hymne au Progrès et une envolée vers les astres. De
ce fait, on pourrait croire que l’origine fabuleuse du monde est oubliée pour ne voir que le
produit de l’intelligence humaine parvenant à voler. Et c’est ici où nous divergeons avec
l’analyse de Paul Berret. Il évoque l’ « abolition de la laideur du passé80 » et dresse une
opposition entre le passé et l’avenir. Cette idée n’est absolument pas erronée, mais elle rend
compte, seulement, du temps humain. En effet, lorsque que le poème commence par l’envolée
de l’aéroscaphe, l’humanité s’arrache à ses pires crimes. Malgré cela, l’origine fabuleuse du
monde, elle, demeure dans l’image de la Babel positive : « Faisant à l’homme avec le ciel une
cité ». Cette envolée est en réalité le parachèvement de la reconstruction d’une humanité
mythique qui se retrouve dans la paix et la lumière du commencement.
78
Berret Paul, La Philosophie de Victor Hugo (1854-1859) et deux mythes de La Légende des siècles : Le Satyre-
Pleine mer- Plein ciel, Henri Paulin éditions, Paris, 1910, p.109.
79
L-S, pp.714-715.
80
Berret Paul, La philosophie de Victor Hugo, Op.cit, p.111.
31
armes hugoliennes pour rendre cette fusion possible sont l’épopée et la légende. Voici une
définition assez longue mais précise de l’épopée :
Pour comprendre ce qu’ « épopée » veut signifier, un bref détour par les langues anciennes est utile, en
particulier du côté des racines grecques. Le terme d’épopée vient du grec épopoiia, qui désigne la composition,
la création (poièsis, qui donne « poésie » en français) d’un récit en vers (épos). L’épos a pour signification, au
singulier la parole, et au pluriel l’épopée, c’est-à-dire un long poème en vers célébrant un héros ou un grand
fait, mêlant histoire et légende. […] Les termes d’épos et d’épopée se situent sur un continuum l’épos étant du
côté de l’oral, voire du « primitif », et l’épopée de ce qui est lettré, du littéraire, voire de toute la tradition
européenne aristotélicienne81.
Les points communs avec Hugo sont nombreux : on voit la confluence entre le primitif et
l’artistique, entre la parole et l’action. L’épopée condense ainsi plusieurs aspects de La
Légende des siècles, dont un central qui est le mélange de l’histoire et de la légende, ce qui
signifie, en d’autres termes que l’épopée fusionne les temps primordiaux et le temps de la
réalité. Toutefois, cette définition de l’épopée n’adhère pas tout à fait la pensée de Hugo.
Celui-ci envisage plus l’épopée, non pas comme la mise en avant d’un héros ou d’une action,
mais bien plutôt, comme la transformation mythique de l’humanité. En ce sens, là ou l’épopée
est spécifiquement hugolienne, c’est dans son côté humanitaire.
C’est dans l’aspect légendaire que Hugo demeure le plus en accord avec la tradition :
Le terme de « légende » qu’il donne pour titre à son recueil désigne au XIXème siècle les récits chrétiens et la
poésie populaire, ainsi que les chansons et les ballades, notion complémentaire, à l’époque, de celle de
« mythe » qui évoque les fables païennes, comme le rappelle Claude Millet (Le Légendaire au XIXème siècle,
199782).
Ainsi se demander, si on trouve plus d’épopée ou de légende dans cette œuvre hugolienne n’a
pas grand intérêt, ce qu’on peut constater en revanche c’est l’extraordinaire métissage de ces
genres à l’intérieur de l’ouvrage. On trouve les légendes chrétiennes, les ballades, les
chansons populaires, mais aussi le caractère épique de l’épopée ainsi que l’alexandrin, son
vers par excellence. Sans oublier l’histoire des hommes qui accompagne ces deux termes. Ce
Capharnaüm de genres provoque naturellement cette fusion du temps, ces trois forces
s’interpénètrent et se complètent dans le mythe. En effet, les deux dénominateurs communs à
ces trois aspects de La Légende, sont l’humanité et le mythe. L’humanité car elle doit
retrouver son paradis perdu, tout en étant à l’œuvre dans un monde qui subit la fuite du temps,
et le mythe comme liaison entre les genres. Dans le sens où la mythification permet à
l’histoire par les grands faits et grands personnages réels d’entrer dans l’épopée et dans la
légende, et à l’inverse l’épopée et la légende nécessitent des héros humains car ce n’est plus
81
Labarthe Judith, L’Epopée, Armand Colin, Paris, 2006, p.13.
82
Labarthe Judith, L’Epopée, Op.cit, p.263.
32
seulement l’individu exceptionnel que l’on veut mettre en avant mais toute l’humanité. Les
deux poèmes que nous avons analysés plus haut, à savoir « Pleine Mer » et « Plein Ciel »,
obéissent à cette logique somme toute novatrice du métissage des genres :
Ces mythes expriment justement la foi en la démocratie et l’avenir des sciences, mythologie propre au XIXème
siècle. Ils comportent des traits des grandes fables de la mythologie populaire, fruits de la rencontre d’une
philosophie moderne et « primitive » ; ils acquièrent la fonction de prophéties eschatologiques83.
Nous avons déjà dressé des ponts entre le travail d’Eliade et de Hugo, mais cette
pensée est-elle aussi en adéquation avec La Légende des siècles ? Charles Baudouin a
remarqué que : « L’abîme demeure, chez Hugo, une des expressions favorites du mystère
cosmique » qui marque l’ « association de l’abîme et du ventre maternel86 ». Il est légitime de
penser alors que le poème « Abîme » ne sacre pas la fin de toutes choses, mais qu’au contraire
une nouvelle genèse est possible par la puissance symbolique du nom de ce-dernier. De cette
manière, il est intéressant aussi de constater que « La Trompette du jugement » se situe dans
une section « Hors du temps » alors qu’ « Abîme » est une section à elle seule. L’eschatologie
83
Labarthe Judith, L’épopée Op.cit, p.266.
84
L-S, p.746.
85
Eliade Mircea, Aspects du mythe, Op.cit, p.81.
86
Baudouin Charles, La Pschycanalyse de Victor Hugo, Imago, Paris, 2008, p.67.
33
prépare donc une potentielle recréation, en ce sens, la reconstruction de la Babel positive peut
être envisagée comme une réussite.
Cela dit, dans le poème de « La Trompette du jugement », on peut trouver des indices
qui donnent espoir dans le devenir de l’humanité. Le jugement dernier qui arrive, n’est pas
seulement signe de l’apocalypse, des morts et des enfers, c’est aussi pour les justes et les
petits, l’accès au paradis. Ainsi, dans une œuvre qui ne cesse de rechercher l’origine, le fait
pour l’humanité sauvée de retrouver la présence divine, ce n’est pas changer de monde, mais
bien au contraire c’est retrouver l’Eden primordial. L’origine encadre La Légende des siècles,
du début à la fin, de l’alpha à l’oméga. Sa fragmentation que l’on peut penser chaotique se
reconstitue implicitement à la fin du recueil.
Enfin, il faut aussi noter que cette volonté de réorganisation, ne respecte pas seulement
l’ordre du début et de la fin du monde. Dans La Légende, un poème en particulier, expose une
refondation nécessaire de l’espace. Ce poème est « Le Satyre », il possède une place centrale
dans le recueil, c’est un pivot de cette œuvre. En un sens, si ce poème à une place si
fondamentale, dans la reconstruction de l’origine, alors les poèmes qui concluent La Légende
peuvent eux aussi apparaître selon la même logique. Ainsi quand Louis Aguettant écrit à
propos de la première série : « L’ensemble Pleine Mer et Plein Ciel constitue, en effet, avec
La Trompette du jugement, la conclusion de La Légende87. » On peut noter deux choses, la
première c’est qu’Aguettant n’écrit qu’à propos de la première série, donc nous pouvons
ajouter à cette liste « Abîme » qui est la conclusion de la deuxième série. Le second aspect est
que, certes ces poèmes sonnent la fin du livre, mais pas de la pensée qui existe dans ce livre.
En clair, si on suit la logique de Hugo, une autre histoire va arriver. C’est en tout cas ce que
semble indiquer le poème du « Satyre » avant les poèmes de conclusion. Puis, entre
parenthèses, c’est une extraordinaire vision de l’œuvre littéraire que nous livre Hugo, puisque
le sens de l’ensemble de cette œuvre dépasse la fin graphique de l’ouvrage. Mais revenons-en
au « Satyre », pour Pierre Laforgue : « La parole du Satyre refait le monde, elle le répète et le
réorganise, dans la mesure où elle le fait passer de l’état de réalité à l’état de réel, en se faisant
elle-même chant88. » Dans son chant, « le Satyre », parvient donc à recréer le monde, et en
creux expose le pouvoir de la poésie : « Ce chant fait la preuve du pouvoir même de la poésie,
celle-ci conçue comme création et recréation du monde89.» « Le Satyre » face aux Dieux
87
Aguettant Louis, Lecture de La Légende des siècles de Victor Hugo, L’Harmattan, Paris, 2010, p.162.
88
Laforgue Pierre, commente La Légende des siècles, Gallimard, Paris, 2008, p.151.
89
Ibid. p.150.
34
olympiens, qui sont ici figures de la tyrannie plutôt que de la paix divine, sont dépassés par ce
flot qui met en branle l’univers :
Le Satyre devient un Titan, dans sa bouche et dans sa poitrine, il semble contenir le monde
pour sa nouvelle organisation. En réalité ce qui menace le plus le Satyre est le silence, l’arrêt
de la parole créatrice, et c’est justement là que l’origine mythique est encore déterminante.
C’est, en effet, en passant par le mythe que la parole peut perdurer :
La parole humaine est constamment menacée par le silence. Il y a pourtant une parole qui n’est pas susceptible
d’être absorbée par le silence, c’est le mythe. Car le mythe est, étymologiquement, parole ; mais à la différence
du logos, qui est la parole organisée, rationnelle le muthos, lui est parole de l’origine, détentrice des vérités
éternelles, et pour cela, le silence n’a pas de prise sur elle 91.
Le Satyre crée un nouveau monde, mais il ne peut le faire que par le biais du mythe qui est
logiquement un renvoi à l’origine. Pierre Laforgue considère d’ailleurs le « mythe en tant que
parole de l’origine92 .» La refondation et la conclusion dans les poèmes de La Légende des
siècles ne se font pas sans la présence implicite ou explicite de l’origine. Et ainsi, Hugo
consacre ce qu’il disait dans « Fonction du poète » :
Transition.
L’origine fragmentée dans La Légende de siècles induit une temporalité qui évolue
sous la dynamique de la dissémination et de la reconstruction. Par la faute de Caïn, l’homme a
90
L-S, p.429.
91
Laforgue Pierre, commente La Légende des siècles, Op.cit, pp.152-153.
92
Ibid. p.159.
93
Hugo Victor, Œuvres poétiques I. Avant l’exil. Les Rayons et les Ombres, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,
Paris, 1964, p.1031.
35
perdu sa place dans la quiétude édénique et est rentré dans la course folle du temps de
l’histoire. Sauf qu’en quelque sorte, l’origine n’a pas abandonné l’humanité, elle s’est
incarnée dans des figures de l’enfance ou de l’aïeul, dans des monuments à l’épreuve du
temps. Ces indications portent à croire qu’une reconstruction du paradis perdu est possible.
L’humanité en tant que fautive, aura néanmoins une plus grande place dans cette nouvelle
alliance entre les hommes et l’origine. L’essentiel est donc de fusionner les temps pour se
faire rencontrer à nouveau la paix des premiers moments du monde et l’humanité.
Ceci étant dit, par l’analyse de la temporalité et la place de l’origine fragmentée, nous
avons exposé les rouages de cette œuvre, il faut maintenant évoquer l’énergie qui met en
action cette machinerie : Le Progrès.
36
l’époque de l’écriture de La Légende, de tous types de religions institutionnelles, va mettre en
œuvre ces principes d’une manière différente dans les poèmes de l’ouvrage. En effet, nul
besoin des dogmes, mais nécessité de l’exemple.
L’expiation, en premier lieu, est un principe qui peut paraitre troublant chez Hugo, car
elle induit la souffrance d’un homme pour le pardon de ses fautes. Victor Hugo, homme de
paix et qui a horreur du sang versé, n’est pas la personne parfaite, à première vue pour voir les
gens souffrir. Or comme le rappelle Charles Renouvier, l’idée d’expiation est « dominante94 »
dans La Légende des siècles. Il est vrai que de nombreux personnages maléfiques vont être
condamnés aux supplices les plus terribles : Caïn à jamais soumis au regard de Dieu, Ratbert
décapité par un ange, Kanut avec son linceul blanc teinté de taches de sang, Zim-Zizimi
emporté par la nuit, autant de châtiments qui ne garantissent pas forcément le pardon. Alors,
pourquoi ? Pourquoi une si grande propension à la paix et autant de supplices ? En réalité
derrière ces hommes, c’est le mal qui est visé. Toutes ces expiations sont des avertissements,
des chemins à ne pas suivre. Un poème d’ailleurs montre un châtiment infini, qui empêche le
retour au paradis, donc au lieu originel : Le Parricide. Ce poème raconte l’histoire de Kanut,
qui pour accéder plus rapidement au trône, tua son père. Au moment de sa propre mort après
maintes conquêtes et de nombreux combats glorieux, tout le monde considérait Kanut comme
un grand roi. Après sa mise au tombeau, il se réveilla et tenta de gagner le paradis, cependant
à chaque pas qu’il faisait une goutte de sang tombait sur le manteau qu’il avait taillé dans les
flancs de la montagne Swano, et finalement :
94
Renouvier Charles, Victor Hugo le philosophe, Op.cit, p.306.
95
L-S, p.138.
37
Le châtié ne peut être accueilli dans le lieu de l’origine, c’est le fardeau de sa faute. C’est
d’ailleurs pour cela que Kanut fuit devant l’aurore, car, souvenons-nous, dans la première
série de La Légende (dont Le Parricide fait aussi partie), la première chose qui est là, ce qui
est proprement la matrice de toutes choses c’est l’aurore : « L’aurore apparaissait96 ». Michel
Butor a très bien remarqué dans ce poème l’importance de la ponctuation, des virgules et des
points-virgules qui obligent Kanut à cette course désespérée vers un châtiment perpétuel :
Dans ce texte, on remarquera l’abondance des points-virgules, ce qui rend le texte haletant. La phrase n’arrive
pas à se terminer pour nous permettre une vraie respiration. Les virgules précisent les articulations à l’intérieur
de la grammaire, les points-virgules nous disent qu’il pourrait y avoir un point, mais qu’il ne faut pas le
marquer, qu’il faut continuer à courir. La vie de Kanut a été sans répit. Même la mort ne pourra lui apporter la
guérison d’un point final. Son errance continuera dans l’éternité comme celle du Juif errant jusqu’à la
consommation des siècles97.
L’expiation fonde en contrepoint, un principe simple mais cher à Hugo, celui d’éviter de
verser le sang et de se complaire dans le mal, car ceux qui se vautrent dans l’ignominie seront
châtiés. Ainsi Hugo expose ce qui ne convient pas pour la refondation de l’origine.
Pourtant, parmi les êtres maléfiques, on ne trouve pas que des suppliciés. La
rédemption est aussi possible, c’est-à-dire le rachat de ses fautes par des actes de bien. Nous
allons retrouver un de ces personnages terribles. Et ce génie du mal, ce personnage terrible
c’est le Sultan Mourad, puisque comme nous l’avons vu il tua les propres membres de sa
famille. Après que lui aussi a commis de nombreuses exactions, un évènement déterminant
survient. Un porc qui est dans l’islam un aliment impur et une bête interdite, qui provoque le
dégout et le mépris, est en train d’agoniser, Mourad a pitié du pauvre animal et l’aide à
mourir. Puis, Mourad vient lui-même à la mort, lors du jugement la balance de la justice
penche en faveur du sultan pour qui les portes de l’Eden sont de nouveau ouvertes :
96
L-S, p.18.
97
Butor Michel, Hugo pages choisies, Libella, Paris, 2016, p.27.
98
L-S, pp.284-285.
38
La rédemption de Mourad intervient par la pitié que celui-ci a eue envers un animal
éminemment méprisable. Le pardon de la faute permet au Sultan de gagner à nouveau le lieu
idyllique. Cette thématique du pardon n’est cependant pas un épiphénomène de la sagesse
hugolienne. En effet, la purification du sultan Mourad signifie que le pardon est possible,
même pour les personnes complètement sataniques, les ailes du démon se transforment ainsi
en ailes d’ange. Pour Hugo, même le pire des êtres est capable d’un sursaut de tendresse et
d’amour, ce qui revient à dire que le bien peut l’emporter. Au milieu de ces figures
despotiques Mourad fait donc exception, car il est le germe de l’espoir dans un champ
d’ivraie. En ce sens : « Mourad sauvé, c’est Satan pardonné99 ». Cette image de la rédemption
pour tous, fut poursuivie par Hugo dans La Fin de Satan et Dieu, puisque le mal absolu fut
pardonné et que l’Ange liberté déploya ses ailes. La rédemption est donc le deuxième principe
fondateur relié à l’origine que nous pouvons dégager. Mais, s’il y a rédemption et expiation
dans La Légende, c’est aussi parce que la conversion de l’humanité au bien fondamental est à
l’œuvre.
99
Actes du colloque de la Sorbonne, Victor Hugo La Légende des siècles (première série), « Dieu dans La
Légende des siècles » Huet-Brichard Marie Catherine, Op.cit, p.146.
100
L-S, p.26.
101
L-S, pp.1148-1149.
39
longue suite de figures despotiques et maléfiques. Pourtant, on oublie peut-être trop
rapidement le geste de Dieu, dans « Puissance égale bonté », celui-ci va prendre l’objet créé
par le mal, l’araignée, pour la transformer en soleil, cette source de lumière qui rappelle
l’aurore des premiers temps. C’est donc la possibilité même d’une conversion du mal en bien.
D’ailleurs au début du poème, Dieu demande à Iblis s’il désire le pardon : « Veux-tu ta
grâce102 ? ». L’assemblage des poèmes nous indique donc que l’humanité n’est pas
condamnée, mais qu’elle peut, comme l’araignée, être convertie au bien, à la lumière. La
conversion est précisément, le fait d’être ramené vers ce qui est décrit comme le foyer divin,
c’est un retour vers la lumière. Bref, ce principe encore une fois ramène à l’origine. C’est « le
miracle d’une métamorphose éblouissante103 » qui apparaît aux derniers vers comme un
formidable signe d’espoir : « Car Dieu, de l’araignée, avait fait le soleil104. »
Ces principes plutôt religieux se conjuguent également avec une vision plus païenne,
de contemplation de la nature.
102
L-S, p.26.
103
Brunel Pierre, La Légende des siècles (Première série, 1859). Fonctions du poème, Editions du temps, Paris,
2001, p.136.
104
Ibid. p.29.
105
Detalle Anny, Mythes, Merveilleux et Légendes, dans la poésie française de 1840 à 1860, Librairie. C.
Klincksieck, Paris, 1976, p.379.
40
C’était la fin d’un jour d’orage, et l’occident
Changeait l’ondée en flamme en son brasier ardent ;
Près d’une ornière, au bord de la flaque de pluie,
Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie ;
Grave, il songeait ; l’horreur contemplait la splendeur106.
106
L-S, p.655.
107
Brunel Pierre, La Légende des siècles, Op.cit, p.74.
41
Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon108.
C’est par le biais de la Nature, et ici, plus particulièrement des animaux, que l’enfant parvient
à effectuer la séparation entre le bien et le mal. Il rentre ainsi dans la sagesse, en observant la
pitié suprême (pour reprendre le titre d’un poème hugolien), de l’âne idiot, pour le crapaud
laid. Pierre Laforgue déclare justement en ce sens : « Du même coup Le Crapaud raconte une
expérience originelle d’ordre ontologique et éthique, où le Moi se dévoile à lui-même et fait le
choix existentiel fondamental du Bien contre le Mal109. » La contemplation extatique du
Cosmos enclenche une réminiscence de la première distinction des valeurs. Toutefois, il faut
aussi noter l’ambigüité du rôle de la Nature dans La Légende.
Tour à tour images, emblèmes, symboles, allégories et personnages fabuleux ou réalistes, arrachés aux mythes,
replacés dans la nature et re-symbolisés, les animaux des Petites Epopées par la mobilité de leur statut comme
par les intermittences de leurs apparitions participent de l’énergie « spiralaire » propre au recueil110.
Il est vrai que nous avons constaté, comment dans le poème Le Crapaud, Hugo reconstruit la
situation primordiale de séparation des valeurs, comme une nouvelle aurore. Olivier Bara
souligne néanmoins, que les animaux ne sont pas toujours des symboles positifs : « le Mal
historique se dit, dans la récurrence exaspérante des images d’une animalité féroce ou
carnassière, venimeuse, ou parasite111. » Mais par la suite Olivier Bara, ajoute fort justement :
« à terme l’assimilation angoissante du Mal humain à un mal naturel, s’oppose le
surgissement spectaculaire des personnages-animaux […] qui viennent trouer la trame étale et
opaque du Mal pour rappeler les hommes à l’humanité112 », derrière cette apparente
ambivalence on trouve en réalité une « visée didactique et dénonciatrice113. » La Nature agit
comme le miroir de la dynamique de reconstruction des hommes par l’origine, avec son lot de
combats et d’atrocités, mais aussi avec ses figures d’appui. De ce fait, le retour à la Nature, est
108
L-S, p.658.
109
Laforgue Pierre, Victor Hugo et La Légende des siècles, Op.cit, p.174.
110
Bara Olivier, Le Bestiaire des Petites Epopées, ou l’alphabet du Progrès, communication Groupe Hugo Paris-
Diderot, Paris, 2015, p.1.
111
Ibid. p.2.
112
Ibid. p.2.
113
Ibid. p.2.
42
un retour à l’origine, mais dans une expression de la sagesse vraiment profonde : « Par la voix
des bêtes, elle [la nature] peut initier l’homme au mystère de la Pitié et de l’Amour114 ».
La Nature est donc bonne conseillère dans l’optique d’une sagesse permettant un
retour vers l’idéal de l’origine. Cette fonction d’indicatrice, est concomitante avec l’idée de
Progrès, car elle donne la capacité de s’affranchir du mal pour retrouver la paix des premiers
temps. Un poème en particulier expose à la fois l’ambigüité de la nature, et son aspect positif
« Les Raisons du Momotombo ». Le Momotombo est un volcan d’Amérique centrale, qui
comme ses semblables, doit être baptisé pour parer d’éventuels tremblements de terre et des
éruptions. Or le volcan refuse, et préfère s’en remettre à l’ancienne divinité qui habitait en
son sein, divinité éminemment maléfique, dont il reconnaît d’ailleurs les torts :
Car pour ce colosse, au vu des atrocités commises par « Le saint-office116 », l’autre nom de
l’inquisition, il n’était pas nécessaire de se convertir à une autre divinité, si la nouvelle
perpétue la souffrance et la terreur. De ce fait, la confrontation entre la complaisance envers
une ancienne divinité sordide et une nouvelle encore plus horrible, fait naître l’interrogation
sur la reproduction du schéma du mal par les hommes. Le désir de s’échapper de cette spirale
maléfique est donc inscrit en contrepoint du poème, et fait du Momotombo un exemple de
sagesse.
La nature est utilisée de manière troublante, dans La Légende, tantôt, terrifiante, tantôt
bienveillante, elle est le miroir de la course des hommes pour retrouver l’origine de paix et de
quiétude. Si, elle demeure parfois inquiétante, c’est qu’elle est finalement l’amorce d’une
réflexion sur les principes fondateurs de l’humanité. En outre, la nature, le cosmos sont les
réservoirs les plus anciens à disposition des hommes, c’est un réservoir d’images et
d’exemples quasi-intemporels, qui permettent à Hugo d’élaborer une sagesse originelle.
Le rôle de la lumière.
114
Ibid. p.6.
115
L-S, p.444.
116
L-S, p.445.
43
La lumière dans la Légende des siècles revêt une place centrale, notamment dans les
poèmes génésiaques comme « Hymne à la terre », ou « Le Sacre de la femme », Robert
Couffignal a dit à ce propos : « Dans Le Sacre de la Femme, tout n’est donc que lumière, et
par conséquent- ou conjointement- tout n’est qu’innocence, et tout n’est que bonheur117 ». La
lumière se trouve dans la matrice de la création et se diffuse partout dans le recueil. Robert
Couffignal, cite à juste titre ce vers de « La Rose de l’infante » : « Et le profond jardin
rayonnant et fleuri118 ». On discerne aisément la référence au jardin d’Eden baignant dans la
lumière. Ces rayons ne sont pas seulement rappel de l’origine, ils sont aussi symboles de
Progrès. C’est dans un poème où la lumière tient tout son rôle que l’on remarque cette
alliance de la lumière comme origine et comme progrès : « L’Echafaud ». On connaît la
répugnance de Hugo pour la guillotine, ou pour la peine de mort. Ainsi, dans Le Dernier Jour
d’un condamné, ou dans Quatrevingts-Treize, quand la guillotine parvient à l’horizon :
Sur la place, devant l’église, un groupe ahuri, les yeux en l’air, regardait quelque chose descendre par la route
vers le village du haut d’une colline. C’était un chariot à quatre roues trainé par cinq chevaux attelés de
chaînes. Sur le chariot on distinguait un entassement qui ressemblait à un monceau de longues solives au milieu
desquelles il y avait on ne sait quoi d’informe ; c’était recouvert d’une grande bâche, qui avait l’air d’un linceul.
[…] Le chariot semblait noir, l’attelage semblait noir, les cavalier semblaient noir. Le matin blêmissait
derrière. Cela entra dans le village et se dirigea vers la place. […]
-Qu’est-ce que c’est que ça ?
-C’est la guillotine qui passe119.
Hugo, le poète qui dit tout, Dieu, les astres, l’avant, l’après, n’arrive pas, même si la technique
est employée à dessein, à dire le nom de « guillotine », le narrateur doit attendre qu’un
personnage prenne le mot en charge. On le voit, par l’utilisation des mots comme « cela,
quelque chose ». En outre, la lumière est complètement absente, tout est plongé dans
l’obscurité. Toutefois, dans « L’Echafaud », le poète va en quelque sorte prendre sa revanche
sur ce sombre outil de mort. En effet, on assiste à une nouvelle métamorphose du sang des
victimes par la lumière. Le poème débute par la vision d’une tache pourpre sur le couperet de
la guillotine :
117
Couffignal Robert, « aux premiers jours du monde… » La paraphrase poétique de la Genèse de Hugo à
Supervielle, Lettres modernes Minard, Paris, 1970, pp.47-48.
118
Ibid. p.50.
119
Hugo Victor, Quatrevingt-treize, Librairie Générale Française (LGF), Op.cit, pp.390-391.
120
L-S, p.451.
44
A mesure qu'au fond du firmament obscur
L'obscurité croissait comme un effrayant mur,
L'échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres,
S'emplissait de noirceur et devenait ténèbres121 ;
On distingue, pourtant, toujours la tache sur la lame, puis tout à coup monte un astre dans le
ciel de la nuit :
La lumière, qualifiée d’éternelle, devient à la fois évocation de l’origine et du Progrès, car elle
remémore les poèmes génésiaques, mais porte le regard plus haut, vers les étoiles. La goutte
de sang, versée par les hommes ne résiste pas à la lumière de l’astre. Dans cette lumière
astrale réside la valeur hugolienne par excellence, la liberté des hommes, face au mal, à la
barbarie, aux crimes :
Désormais, dans les châtiments, dans les Contemplations, dans La Légende des siècles, La Fin de Satan, ou
Dieu, la liberté prend valeur de rédemption, devient lumière agissante en quête du moment ultime où elle doit se
perdre dans la grande lumière reconstituée de la Fin des temps123.
C’est justement par le biais de la liberté que l’origine et le Progrès se retrouvent, car dans les
deux cas, ces repères permettent à l’homme d’abandonner le Mal, hérité de Caïn. La liberté
qui n’est pas la licence absolue, la liberté hugolienne est avant tout l’action qui ne cause de
mal à personne. Victor Hugo est, en réalité, un adolescent aux cheveux blancs, adolescent car
il avait gardé de sa jeunesse un sens aigu de la justice pour les plus faibles, aux cheveux
blancs parce qu’il a accumulé de l’expérience et de la sagesse. L’origine du progrès est le
progrès vers l’origine, car dans la lumière de La Légende, la persistance du bonheur de
l’humanité est continue.
121
L-S, p.451.
122
L-S, p.452.
123
Anny Detalle, Mythes, Merveilleux et Légendes, Op.cit, p.360.
45
Nous avons évoqué, jusqu’à maintenant, l’origine et le progrès, comme les rouages et
la dynamique du rachat de l’humanité, or dans La Légende des siècles, il semble bien
également que le Progrès s’intègre aussi dans un plan divin.
Hugo expose les contradictions des religions, parfois, la figure de l’ecclésiastique est
assimilée à celle du tyran, dans « L’Italie de Ratbert », l’évêque Afranus est l’allié objectif du
tyran. Mais, si nous reprenons, notre analyse du Progrès et de l’origine, ce n’est pas tant ces
détails qui importent, puisqu’en fin de compte ils ne sont que plus révélateurs de l’appétence
de certains hommes pour le mal, mais c’est en revanche bien plus la question du dogme qui
est centrale. Le dogme est une vérité qui pourrait très bien participer à la pensée de l’origine
hugolienne. Or pour Hugo, l’origine fragmentée reconstitue avec la dynamique du Progrès, un
nouvel Eden. Ce nouvel Eden n’est ni complètement différent, par les principes fondateurs,
les repères originels, la paix et la quiétude, ni complètement identique, par le rôle joué par les
hommes qui reconstruisent malgré tout ce nouveau paradis, par la technique comme
l’aéroscaphe de « Plein Ciel » par exemple. Le dogme, au contraire ne se fragmente pas, il se
fige dans l’histoire, il ne laisse pas la possibilité à l’humanité de se réinventer pour Hugo. Le
Progrès ne peut donc s’assimiler à cette vision du monde, car, là où l’origine accompagne les
hommes pour leur salut et les amène logiquement à progresser, le dogme les enferme dans un
124
L-S, p.623.
46
statisme forcené. Le dogme ne rentre donc pas dans la définition de l’origine et enraye la
dynamique du progrès.
Néanmoins, la question du divin reste omniprésente chez Hugo, et pas seulement dans
La Légende, rappelons nous le fameux vers « Car le mot c’est le Verbe et le Verbe c’est
Dieu125 » ou toujours dans Les Contemplations, « Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le
Verbe 126». Le travail poétique se confond donc avec la recherche de l’existence de Dieu. Le
Verbe est un principe organisateur, démiurgique, nous y reviendrons.
S’il ne faut pas voir chez Hugo, la présence d’un Dieu de religion, il est, à notre sens,
un second écueil qui est de penser l’idée de Dieu comme une simple interrogation de la part
de l’auteur. Une des conclusions inachevées de l’œuvre hugolienne est le long poème Dieu.
Cette recherche est certes un tâtonnement, mais elle est indissociable de La Légende. En effet
la dernière personne à avoir la parole est Dieu, alors que dans le fiat lux du début de l’ouvrage
sa présence est aussi palpable. Ainsi, même si la question divine est problématique chez
Hugo, elle n’en demeure pas moins une constante originelle.
L’épanchement divin.
L’influence divine dans La Légende des siècles, se répand d’une manière discrète.
Néanmoins les actions divines sont nombreuses dans le recueil. On peut penser à la
décapitation de Ratbert par un ange, le jugement du sultan Mourad ou même au poème « Le
Titan » quand ce-dernier déclare « O dieux, il est un Dieu127 ! ». Dieu semble même présent
dans la forme que prennent les poèmes ; ceux de la série complémentaire, c’est-à-dire de 1883
sont parfois à rapprocher du format de la prière :
Le gouffre métaphore de Dieu est ici principe de la création même d’où sortent l’humanité et
les astres. Il n’est donc pas interdit de dire que dans La Légende, on observe aussi une
dynamique allant de Dieu à Dieu. Ainsi comme le dit fort justement Marie-Catherine Huet-
Brichard : « Dans cette perspective, Dieu se définit comme le devenir de l’Histoire, englobant
125
Hugo Victor, Œuvres poétiques I. Les Contemplations, Op.cit, p.503.
126
Ibid. p.802.
127
L-S, p.63.
128
L-S, p.733.
47
les notions de lumière et de progrès129. » La discrétion de l’intervention divine est notable.
Cependant comme le remarque Claude Rétat, le Dieu hugolien est « un Dieu soluble, et dilué,
et non fracassant, qui circule dans le texte130 ». Tout fonctionne comme si la figure divine
s’infiltrait dans le monde des hommes, un peu à la manière de l’origine fragmentée.
D’ailleurs, l’origine en elle-même peut se rapprocher d’un processus divin, puisque une
interrogation pour le coup très humaine vient à l’esprit quand on suit la dynamique de
l’origine qui est : Pourquoi ? Pourquoi assiste-t-on à une diffusion de symboles des premiers
temps du monde ? En outre, depuis le début de notre étude, nous parlons de l’origine
quasiment comme d’une figure pensante et organisatrice du recueil, mais derrière cette
personnification semble en réalité se dissimuler un plan divin. Et si comme nous le pensons,
le Progrès est aussi un avènement de l’homme vers Dieu, alors le divin est le moyen terme
pour définir l’alliance paradoxale entre les forces originelles et les forces du progrès. En
somme, l’éloignement de l’homme par rapport aux premiers temps divins se résorbe par le
progrès, qui sous l’influence de Dieu, amasse les briques de l’origine pour reconstruire une
Babel positive. Paul Berret déclarait à ce sujet :
Ainsi tout progresse et en même temps s’élève vers Dieu qui, d’une part, est l’univers et l’âme de l’univers et de
l’autre, non seulement le témoin conscient des chutes et des ascensions, mais encore la volonté qui dirige les
ascensions et peut les hâter par des métamorphoses subites et précipitées131.
En ce sens, les repères originels autant que le progrès poussent l’homme vers Dieu, le mythe
biblique de Babel s’inverse, comme si Dieu attendait les hommes pour un nouveau monde.
Souvenons-nous des dernières paroles de La Légende, « Je n’aurais qu’à souffler, et tout serait
de l’ombre132. » Mais il n’a pas soufflé, il laisse aux êtres humains la possibilité d’atteindre le
nouvel Eden. Le souffle qui détruit est anti-démiurgique, il force l’homme à rester dans
l’erreur. Le fait que Dieu ne veuille pas détruire le monde indique la possibilité de progresser
vers l’idéal sans craindre la colère d’un Dieu vengeur.
Les rapports de Hugo avec la Bible sont, de ce fait, assez intéressants. Elle est une
grande source d’inspiration dans La Légende, avec La Genèse, le Christ ou Saint-Jean de
Patmos. Les influences bibliques permettent à Hugo, de conjuguer à la fois la poésie, la
sagesse, et le projet humain : « Son rapport à la bible fait partie de son activité. Parce qu’il n’a
jamais séparé le poème, l’éthique, et le politique. […] Il y a chez lui un missionisme (sic), qui
129
« Dieu dans La Légende des siècles », Huet-Brichard Marie Catherine, Op.cit, p.147.
130
Rétat Claude, X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo à partir de l’exil, CNRS Editions, Paris, 1999, p.9.
131
Berret Paul, La Légende des siècles de Victor Hugo, Op.cit, p.46.
132
L-S, p.746.
48
rejoint son messianisme.133» Il faut, dans cette optique se remémorer le poème d’inspiration
biblique qu’est « La Conscience ». Quand les fils du premier fratricide cherchent à protéger
leur père d’un regard divin incarné par un œil dans les cieux, Tubalcaïn bâtit une ville, et sur
la porte de cette ville on peut lire : « Défense à Dieu d’entrer134. » De cette inscription, on
peut déduire deux choses, la première étant que ce désir d’absence du divin est l’une des
causes de la fuite du temps et de l’entrée dans l’histoire ténébreuse des hommes, la seconde ne
peut se penser qu’en écho avec « Le Sacre de la femme » dans lequel la tradition du péché
originel n’est pas attribuée à Eve, ni même évoquée. Ce qui signifie, en outre, que l’espace
édénique est conservé comme purement divin alors que le meurtre de Caïn révèle l’oubli de
Dieu.
La présence de Dieu n’est pas toujours évidente dans La Légende, à cause des
évènements terribles qui y sont décrits, mais cette persistance indique malgré tout un espoir
pour l’humanité. De plus, comme nous l’avons observé, plusieurs mouvements sont à l’œuvre
dans l’ouvrage, et c’est justement dans cette amplitude de mouvements que l’importance du
Dieu hugolien est essentielle.
Le mouvement divin.
C’est en réalité dans les dynamiques qui joignent l’origine et le progrès pour fonder un
nouvel Eden que la présence de Dieu est caractéristique de l’œuvre hugolienne. Claude Rétat
disait à ce propos :
C’est pourquoi il n’est pas possible de décrire le divin chez Hugo comme s’il s’agissait d’un objet purement
conceptuel (une notion de Dieu). Il serait dans la perception d’un mouvement, mieux, il est perçu (comme un
mouvement) par le mouvement, par l’exercice du mouvement que le sujet trouve en lui-même, par la conscience
du poète d’être un « marcheur », quelqu’un qui sème et qui souffle, diffuseur et conquérant dans l’ordre de
l’esprit et du verbe135.
Ce mouvement divin, qui est un souffle porteur dans La Légende, montre que dans l’évolution
du monde, la figure divine fait progresser les hommes. Et là où le concept de Dieu peut être
archaïque et tombé dans l’obscurantisme, Hugo le transforme pour en faire le moteur
implicite du progrès. Le progrès forme dorénavant une boucle, car il part de Dieu pour revenir
à Dieu.
Il faut cependant bien insister sur le fait que ce retour ne sera pas identique à celui du
début de la Légende. Aussi il est moins pertinent de parler d’une énergie cyclique propre à
133
Victor Hugo et la bible, Partie I Meschonic Henri, dir. Laurent Franck, Maisonneuve et Larose, Paris, 2001,
pp.9-10.
134
L-S, p.26.
135
Rétat Claude, X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo, Op.cit, p.10.
49
l’ouvrage, que, d’une énergie spiralaire ascendante : « Le progrès fait boucle -l’astre revient-
mais cette boucle est une spirale ascendante à l’infini136. » Dans cette spirale, on discerne des
places précises. L’origine est ce qui permet la durabilité, la pérennité de l’édifice, elle se
diffuse par ailleurs dans la spirale comme un relai inévitable. Le progrès est la force qui
permet l’ascension de la spirale. A l’intérieur des cercles incomplets que dessine cette spirale
se trouve l’histoire des hommes avec les figures despotiques, les massacres, et les gémonies.
Enfin, pour qu’un tel mouvement soit possible, il fallait une cause première et absolue,
présente aux premières lueurs, comme aux futures lumières, et cette force c’est Dieu. Le
mouvement est ainsi au cœur de La Légende, car il peut être considéré comme la condition
essentielle à toute existence. On comprend alors que ce Deus absconditus, c’est-à-dire, ce
Dieu caché, n’est pas une simple décoration pour rentrer dans les cadres convenus de l’époque
de Hugo. C’est au contraire une vision novatrice du divin qui est donnée.
Course folle de l’homme qui jamais n’atteint le sacré, mais qui gagne sa dignité en roulant sa
pierre. On pourrait ajouter, qu’il y a une parenté entre l’homme et Dieu, puisque les deux, à
136
Millet Claude, Victor Hugo La Légende des siècles, PUF, Paris, 2001, p.14.
137
Rétat Claude, X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo, Op.cit, p.45.
138
L-S, p.551.
50
respectivement, s’impliquent dans un mouvement essentiel. Ce faisant Hugo reproduit un
dogme, qui est que l’homme fut créé à l’image de Dieu.
On retrouve à ce second niveau les caractéristiques du fragment romantique : autonomie et clôture sur soi d’un
morceau, qui reste néanmoins solidaire d’une totalité qu’il désigne ; conception organique de l’œuvre en
filigrane : la mesure de toute chose reste le visage humain que les poèmes ont pour vocation de dessiner. La
Légende des siècles est un fragment constitué de fragments139.
Les poèmes seraient des fragments à l’intérieur d’un fragment qu’est l’œuvre. Or ce que
démontre Myriam Roman, c’est justement cette présence d’une totalité dans un ensemble qui
paraît, à première vue, éclaté. Cette totalité est inachevée, dans le sens où les poèmes exposent
des situations qui entrainent la nécessité d’un autre fragment, ce qui n’empêche pas un
processus de totalisation. Les massacres, les crimes, obligent, au fond, la poursuite du Progrès
tant que celui-ci n’aboutit pas au rétablissement d’un nouvel Eden. Ce faisant, Hugo expose
139
Roman Myriam, « Totalisation et fragmentation dans La Légende des siècles de Victor Hugo (première
série) », Op.cit, p.60.
51
la vision d’un devenir et non d’un état, ce qui prouve une nouvelle fois, que malgré le mal
terrestre, un changement est toujours possible :
La conséquence pourtant, d’une totalité appréhendée sur le mode du fragment, c’est de donner à voir une
totalité inachevée et fragile, qui existe comme horizon et projet de l’œuvre idéale bien plus que comme
réalisation effective. Plutôt que de totalité, il faudrait peut-être dans le romantisme et dans La Légende des
siècles, d’un effort de totalisation, qui met l’accent sur un processus et un devenir, et non sur un état.
Heureusement d’ailleurs, puisqu’atteindre la totalité serait quitter la poésie pour entrer dans un Système,
puisque l’on figerait alors l’œuvre dans un monument dogmatique et totalitaire alors que Hugo ne cesse de
prôner, l’envol, la liberté et l’ouverture140.
L’origine se devait alors d’être fragmentée pour ne pas être un dogme, mais au contraire une
chance de retrouver la paix. Ici, nous pouvons affiner, la signification de l’origine fragmentée.
Elle pourrait être, finalement, tout ce qui permet à l’homme d’entreprendre le progrès et qui
est à la fois fondamentalement et primordialement, la réminiscence fondamentale et
primordiale du Bien.
Myriam Roman situe son analyse dans la première série, mais pour l’ensemble de La
Légende cette analyse reste valable. Il demeure un lien de parenté entre les poèmes des
différentes séries, qui conservent malgré tout leur autonomie. Une cohérence est visible dans
ces fragments : la figure de l’enfant par exemple traverse le recueil, que se soit dans « Le Petit
Roi de Galice » (I), « Petit Paul(II) », ou dans « Regardez-les jouer(III)». La figure du
progrès en lui-même, avec « Plein-Ciel (I) », « Le Titan (II ») et « Océan (III) » et il y en
aurait bien d’autres. Ce qui importe ici, c’est d’observer que l’héritage de l’origine et de la
sagesse est une projection qui ne s’interrompt pas dans l’ouvrage. Cet héritage n’est pas un
fardeau, c’est au contraire son caractère fragmentaire qui est une aide bénéfique. Ces
fragments sont autant de leçons d’une sagesse qui se construit petit à petit. Le fardeau serait
réel, si ces valeurs servaient à la gloire des despotes. Or elle vise simplement le bien commun.
En 1859, c’était la dissociation de la France, par essence républicaine, et de la société du Second Empire qui
conférait au texte un fonctionnement critique. En 1877, c’est la dissociation, à l’intérieur de la France
républicaine, des vainqueurs et des vaincus de la Commune, qui fait de La Légende, fondamentalement, une
œuvre de désordre et de subversion141.
140
Ibid. p.67.
141
Millet Claude, Victor Hugo La Légende des siècles, Op.cit, p.14.
52
Mais elle ajoute plus loin que la Nouvelle série (II), n’abandonne pas Les Petites
Epopées mais participe au contraire à « une exploration plus radicale de leur principe142. » Les
thèmes des différents poèmes varient autour de La Légende, mais les principes fondamentaux
demeurent un fil directeur, une constante. Il n’est donc pas exact de dire que l’association des
trois séries est totalement hétéroclite. L’importance de l’héritage des différentes situations des
poèmes permet une projection dans un avenir radieux de l’humanité, et donne une cohérence à
l’œuvre dans son entièreté. Le caractère fragmenté de La Légende peut être symbolisé par le
mythe de Babel. En effet, ces fragments sont les blocs d’une origine perdue qui cherche à se
reconstruire après sa chute.
Le motif de Babel.
Dans La Légende, le motif de Babel est double, cette tour peut être soit « ascendante »,
soit « descendante », pour reprendre les termes de Ludmila Charles-Wurtz :
Or, on trouve deux types de représentation de Babel dans l’œuvre poétique hugolienne : les Babels ascendantes,
conformes en cela au mythe biblique, et qui sont des métaphores des astres, du ciel, de l’infini divin ; et les
Babels descendantes, avatar hugolien des neuf cercles de L’Enfer de Dante, qui sont des métaphores de la
misère humaine143.
La Babel ascendante est fondamentalement positive, elle insiste sur les progrès des êtres
humains vers le nouvel Eden, elle s’intègre parfaitement dans l’énergie spiralaire et divine.
Pourtant, cette Babel bénéfique pour l’humanité, ne peut se comprendre que dans son exact
inverse : La Babel descendante. Cet édifice négatif résulte des pires atrocités humaines mais
comme le rappelle Michel Butor : « Les mots tombent, frappent, dénudent. Ce n’est qu’en
écaillant la surface du faux livre, qu’en la soumettant au bombardement de la grêle des vers
noirs, que l’on peut mettre en évidence le mouvement ascensionnel du blanc de la page 144. »
En ce sens, l’aspiration vers l’absolu ne peut s’appréhender qu’avec l’existence des pires
évènements. De ce fait, un paradoxe hugolien est souligné, les tentatives de constructions
positives sont, en quelque sorte, toujours écroulées par de mauvais bâtisseurs. Cette
« association oxymorique de l’édification et de la ruine145 » expose bien une volonté de
s’émanciper du Mal, qui est pourtant constant. Sauf que ce paradoxe fait preuve de cohérence.
Hugo, ne construit pas son œuvre en un circuit fermé. Il faut construire, reconstruire, et sans
cesse recommencer, car la ruine est un limon fertile :
142
Ibid. p.33.
143
L’œil de Hugo, « Image, imaginaire et pensée de Babel », Charles-Wurtz Ludmila, dir. P. Georgel, Editions des
cendres, Paris, 2004, p.5.
144
Butor Michel, Babel en creux, La Nouvelle Revue française n°113, Ier mai 1962, p.884.
145
Charles-Wurtz Ludmila, « Image, imaginaire et pensée de Babel », Op.cit, p.2.
53
Tout livre achevé, fermé, plein est ainsi un masque, une façade ; le livre véritable, le livre juste est
nécessairement lui-même ruine ; ce que le poète propose ne peut-être qu’un ensemble de fragments s’écartant
les uns des autres, laissant découvrir entre eux tout ce qu’eux ne peuvent point dire146.
C’est justement dans le chaos des ruines, qu’une nouvelle aspiration est réalisable, puisqu’en
réalité chaque tentative de reconstruction est un pas nouveau vers l’absolu. L’intérêt du
recueil est qu’il n’a pas de fin en lui-même. Comme dans l’histoire de Babel, à chaque
tentative vient un effondrement, qui est signifiant. Le caractère fragmentaire de l’œuvre ne
fait que traduire davantage le mythe de Babel, puisque chaque poème est une ruine positive
qui interagit dans un avant et dans un après. Le fait de rejouer la mise en place de l’origine,
sous plusieurs angles, permet à celle-ci d’être envisagée selon plusieurs valeurs. Plutôt que de
ruine, on pourrait aussi parler d’agrandissement de la tour par des situations variées.
Il ne faut donc pas considérer, ce mouvement comme une sorte de vision pessimiste
de la part de Hugo. Certes, il a bien conscience à travers les poèmes de La Légende, de la
souffrance inhérente au monde, mais ce qui importe fondamentalement, c’est que l’homme a
toujours la possibilité d’essayer. En d’autres termes, cette superposition de ruines ascendantes
affirme la liberté des hommes. Un poème de la série complémentaire reprend le mythe de
Babel dans le sens symbolique. Ce poème décrit la discussion d’un passant et de Dieu face à
un tas de pierres où l’on distingue des ossements, ceux d’un martyr lapidé. Le passant en
question connaissait le martyr comme un personnage sage :
Mais, le passant ne comprend pas pourquoi Dieu laisse ce genre de personne extraordinaire se
faire tuer de la sorte. Et finalement, cet homme superbe enfoui sous ces pierres, représente un
édifice détruit. En effet, grâce à son rapport intime avec Dieu, le mage pouvait faire grandir
les hommes vers l’idéal de paix :
Il est clair que Hugo fait ici référence au travail du poète, mais ce qui passe peut être inaperçu,
à cause de cette évidence, c’est la réponse de Dieu :
146
Butor Michel, Babel en creux, Op.cit, p.884.
147
L-S, p.524.
148
L-S, p.524.
54
Et puis ce lapidé sert encore à ceci :
C’est qu’il te fait songer. L’homme passe obscurci
Par la nuit, par l’hiver, par l’ombre, et par son âme,
Car il met de la cendre où j’ai mis de la flamme149 ;
Cette déclaration divine paraît dure à première vue, mais elle indique aussi une continuité.
Dans le sens où, si le passant questionne le meurtre d’un sage alors il songe à partir du
sacrifice de cet homme. Ce qui signifie en réalité que le lapidé n’est pas mort en vain et
qu’une nouvelle approche de l’absolu peut commencer. L’effondrement des pierres sur le
prophète a provoqué une reconstruction de son message par l’intermédiaire du
questionnement du passant. Ainsi Hugo donne au supplicié un caractère originellement
babélique, puisque malgré la destruction temporaire de l’édifice, une nouvelle dynamique est
en marche.
Certes, les évènements de La Légende sont souvent terribles voire horribles, mais dans
chaque victoire apparente du mal, l’étincelle d’espoir de l’humanité subsiste et s’embrase à
nouveau. Babel n’est plus seulement un édifice néfaste, c’est aussi le symbole du renouveau
d’une humanité qui se cherche. Mais tout cela semble être d’une naïveté déconcertante.
149
L-S, p.526.
55
contre la Prusse, la guerre civile qu’est la Commune. Il fut concerné par les massacres et les
crimes engendrés par ces volontés guerrières et par des idéologies violentes. Tout ce qu’il
montre, c’est la possibilité de rassembler autour de principes forts, malgré les sensibilités
politiques ou culturelles divergentes.
Pour synthétiser nos propos, le fait que l’origine fragmentée et que le progrès
appartiennent à une dynamique divine montre tout simplement que l’avenir de l’humanité ne
se trouve pas seulement dans un passé mythique ou dans un oubli du passé. Cet avenir n’est
réalisable que dans la réunion de l’origine et du progrès. Hugo est lui-même d’ailleurs, le
produit de cette dynamique, par sa propre histoire. A ses débuts le jeune poète est admiratif de
l’ancien régime et des valeurs conservatrices, puis il migre petit à petit, vers le modernisme de
la Troisième République. Sauf que, contrairement à ce qu’on peut penser, et malgré certaines
critiques de la part de l’auteur lui-même sur des institutions conservatrices comme l’Eglise,
Hugo n’a jamais renié ses origines. Sa capacité mettre en branle l’univers par sa poésie vient
justement de la rencontre entre un passé glorieux et un avenir luxuriant. Cette naïveté provient
de la collision entre ces deux influences, car dans les deux cas il faut extraire l’essence qui
permettra de fonder une nouvelle humanité.
Il n’est pas anodin que Hugo, déjà tourné vers les idées républicaines bien avant 1877,
compose un poème sur la gloire de Jean Chouan, révolutionnaire vendéen, incarnation même
du conservatisme d’Ancien Régime. Ainsi pour Hugo peu importe la sensibilité politique tant
qu’on cherche ce qui est juste et bien. L’honnêteté naïve d’Hugo réside dans sa capacité à
discerner le bien partout où il se trouve.
Transition II :
Le progrès et l’origine sont ainsi deux forces qui se complètent dans le recueil. Le
progrès est lié sous de nombreux traits à des valeurs originelles, comme la paix ou le pardon.
La fragmentation de ces valeurs primitives est reconstituée par l’intermédiaire du progrès, ce
mouvement que l’on retrouve dans la vision du cosmos et dans le symbole de la lumière est
organisé par un être divin. Le mouvement part de Dieu, pour revenir à Dieu, mais sans que ce
dernier endosse une forme despotique et manipulatrice. Le divin hugolien propose des
solutions aux hommes, mais ce sont eux qui disposent de la possibilité de retrouver un nouvel
Eden. C’est pourquoi, l’origine du progrès est le progrès vers l’origine. En effet, tout indique
dans la dynamique du progrès une tentative de reconstruire les temps primordiaux, toutefois,
cette volonté ne peut être une copie exacte. La part de l’homme dans cette nouvelle
56
construction est bien plus importante que dans l’Eden, puisqu’ici ce sont les hommes qui
veulent retrouver ce monde enfoui. Babel devient alors un motif positif, puisque malgré tous
les échecs des hommes, la spirale ascendante se nourrit des ruines de ces essais. L’héritage
devient une projection pour construire le nouvel Eden. Et cette dynamique n’est pas sans
rappeler un poème des Contemplations :
Nous avons jusqu’à maintenant le sens que pouvait avoir l’origine fragmentée à
travers l’ouvrage, désormais, nous allons tenter de constater si ce concept se retrouve
également dans le style de l’auteur. Il semblerait donc que la poétique hugolienne soit aussi en
rapport avec l’origine.
Il faut préciser que nous cherchons ici des figures, ou des procédés stylistiques qui
traduisent les mêmes dynamiques que l’origine fragmentée. Nous serons donc attentifs, aux
répétitions, aux piétinements qui indiquent malgré tout une avancée, ainsi qu’à la diffusion de
phonèmes d’un même mot dans un poème, par exemple. Il ne s’agit donc pas tant de prouver
l’origine fragmentée à tout prix, mais d’observer quels mouvements, quels outils stylistiques
peuvent s’intégrer dans l’origine fragmentée. Enfin, nous étudierons aussi les repentirs
hugoliens afin de repérer des ajouts ou des retraits significatifs.
150
Hugo Victor, Les Contemplations, Op.cit, p.485.
57
Esthétique du bégaiement créateur.
Le bégaiement et l’origine.
Le bégaiement ne s’accole pas facilement au travail poétique, puisque par la rime où le
rythme, une certaine fluidité est de rigueur. Le fait de hacher sa parole reviendrait alors à être
dans l’incapacité de construire une poésie. En effet, la poésie, associée depuis le mythe
d’Orphée à la musique, se doit d’être harmonieuse ou mélodieuse. Hugo, pourtant, va utiliser
le bégaiement comme un outil stylistique. Le fait de ne pas pouvoir dire dans l’instant est
assimilable à un piétinement, pourtant à chaque arrêt, le vers hugolien redémarre dans une
plus forte tonalité. Cette habitude hugolienne se traduit dans le rythme des vers, et elle est en
adéquation avec la pensée de l’origine. En ce sens, qu’à l’image de la fragmentation de
l’origine, le rythme est d’abord très fluide, puis très découpé et de nouveau fluide. Ainsi à la
manière des débuts idylliques du monde, le vers se trouve dans un espace parfait, puis vient la
folie maléfique des hommes, et le vers se dissèque en piques comme autant de coups de
poignards. Enfin, l’origine revient et tente de renouveler cette fluidité première. Claude Millet
parlait justement de cette parole disséquée des trois séries : « On peut voir dans la sérialisation
de La Légende des siècles, une sorte de « bégaiement » de l’écriture de l’Histoire, chaque
série « répétant » la précédente, la recommençant, et ressassant les mêmes désastres, et
réaffirmant les mêmes espoirs151 ». Ce principe est d’ailleurs rappelé dans la préface de la
Nouvelle série « La Vision d’où est sorti ce livre » :
Si nous nous recentrons sur le rythme des vers, dans le poème « La Conscience » nous
sommes confrontés à deux symboles lourds de sens dans La Légende. D’une part, l’œil d’un
jugement divin qui est représentatif de l’origine, et, d’autre part, le fratricide Caïn qui ouvrit
le bal des figures terribles de l’ouvrage. Le jeu de la ponctuation et de la prise de parole des
personnages fonctionnent de telle sorte que le poème est découpé par la suite successive des
tentatives de fuite du meurtrier et de sa famille. A chaque fois que Caïn se croit en sécurité, ou
151
Millet Claude, Victor Hugo La Légende des siècles, Op.cit, p.80.
152
L-S, p.13.
58
qu’un de ses enfants lui demande s’il ne voit plus l’œil le rythme du poème s’arrête, pour
repartir :
Les interjections ou les interrogations brisent pour un temps la fuite, et marquent un arrêt dans
le vers. Dans l’extrait cité, le premier vers se divise en trois parties distinctes : tout d’abord le
cri de Caïn, puis le commentaire du narrateur, et enfin le geste du doigt. Même si la césure est
respectée, le nombre de signes de ponctuations force une déclamation saccadée. En effet, dans
l’ordre, on trouve un point d’exclamation, puis un point virgule, puis une virgule, et on peut
ajouter aussi la virgule qui termine le vers. Se faisant, comme l’a observé, Joëlle Gardes
Tamine, le vers hugolien expose une dissymétrie entre le rythme métrique et le rythme
linguistique154. Ainsi la césure conserve sa place conventionnelle, mais le rythme est
chaotique. Les vers, qui suivent le premier, se forgent sur une coupure nette par la césure sans
abondance de ponctuation. Le rythme linguistique et métrique se rejoignent pour un temps,
d’ailleurs la fluidité se retrouve par la multiplicité élégante des dentales du vers 4 à 7 de notre
extrait. Puis, vient de nouveau une interrogation de Tsilla, qui redécoupe le vers en trois
parties, suivie d’un vers classique avec une césure nette. Enfin, vient une nouvelle interjection
de Caïn qui rompt cette remise en marche. Il faut donc distinguer un jeu permanent entre des
élans et des arrêts qui provoquent ce bégaiement créateur. La parole est à la fois continue et
discontinue, mais elle ne se fige à aucun moment, ainsi comme le rappelle Catherine
Fromilhague :
Il n’est pas nécessaire que les discours directs soient longs et s’enchaînent pour qu’ils fondent une dramaturgie.
Hugo construit plusieurs poèmes sur le mode de la discontinuité ; quelques fragments de discours directs
jalonnent le poème, et mettent en place l’intrigue : bien qu’ils ne suivent pas ; ils restituent pourtant le muthos.
Ainsi, dans « La Conscience », la progression dramatique est assurée par les quelques phrases que prononcent
divers locuteurs. Parfois brèves –« Cachez-moi », « Vous ne voyez plus rien », « Non il est toujours là », etc. -,
153
L-S, p.25.
154
Actes du colloque de la Sorbonne, Victor Hugo La Légende des siècles, « Le vers de La Légende des siècles »
Gardes Tamine Joëlle. Op.cit, p.115.
59
ces répliques contiennent les principales péripéties et, tissant un dialogue entre les locuteurs, elles introduisent
un principe de continuité au sein de la discontinuité155.
L’horreur sacrée est bien plus qu’une belle formule, c’est un genre particulier de
l’écriture hugolienne. Elle expose une situation dramatique et terrible, en cela le caractère
horrifique est visible. Mais la sacralité provient des valeurs qui surgissent en contrepoint de ce
qui est décrit. En ce sens, si le profane, c’est-à-dire ce qui est de l’ordre du quotidien, se situe
dans les abjections des hommes, le sacré qui est l’extraordinaire, se trouve dans ces valeurs
qui apparaissent. Une nouvelle fois, ce mouvement qui nous plonge dans le tourment, pour
nous ramener vers le bien est en adéquation avec celui de l’origine. L’architecture du vers
hugolien s’en trouve profondément marquée.
C’est pour cette raison que l’alexandrin est parfois brisé dans la poétique hugolienne,
le rythme varie sans cesse :
Cette variation rythmique, cette souplesse du vers, conquises par la solidité architecturale de ce que l'on peut
bien considérer comme une sorte de voûte, sont au service de l'expressivité et d'une recherche du discontinu, de
la fragmentation , et cela dans les différents registres que présente La Légende des Siècles156.
Il existe donc une symbiose entre le fragmentaire et l’élan, dans le rythme de La Légende, en
concordance avec l’origine. Prenons un exemple avec le début du poème « Aymerillot » :
Le début de l’extrait est marqué sur les trois premiers vers par un rythme saccadé, en
particulier le vers 2 et 3, le pas pesant et las, véritable piétinement du chef de guerre revenant
155
Styles, genres, auteurs. I Ronsard, Corneille, Marivaux, Hugo, Aragon, « Voix des Petites Epopées : La
Légende des siècles, poème épique moderne ? », Fromilhague Catherine, Presses de l’université Paris-Sorbonne,
2001, p.115.
156
Aquien Michèle, « Victor Hugo et l'architecture du vers ». In: L'Information Grammaticale, N. 93, 2002, p.36.
157
L-S, p.143.
60
d’Espagne s’accorde bien avec le rythme de ces premiers vers. On remarque également une
déconnexion entre le sujet et les différents groupes qui lui sont attachés : « Charlemagne… /
Revient d’Espagne ; il a le cœur triste, il s’écrit » ou plus flagrant encore « Le Laboureur des
monts… / Est rentré chez lui, grave et calme, avec son chien ». La déstructuration est à
l’œuvre et le désordre semble régner pourtant une harmonie est aussi présente, le dernier vers
témoigne de cette recherche. Tout d’abord par la rime en [o] dans le premier hémistiche, qui
souligne le destin tragique des chefs de guerre, puis par le rejet du verbe « blanchissent » dans
le second hémistiche à cause de la césure qui est après « héros », ce qui ne fait qu’accentuer
davantage le chagrin dont est marquée la rentrée du roi.
Ainsi, deux traits stylistiques majeurs s’expriment dans La Légende, le premier est un
jeu sur la rythmique des vers qui ressemble parfaitement aux mouvements des interventions
de l’origine dans l’histoire. Le deuxième se trouve dans une harmonie, qui, elle aussi, malgré
le chaos apparent de certains vers persiste, pour donner au poème un éclat. Ces deux traits, qui
se complètent et se répondent, participent à un effet de bégaiement. Il fait cependant avancer
les poèmes. Dans le sens, où ce bégaiement accentue le tragique, l’histoire et l’apparition de
certaines valeurs. Toutefois, même si cela peut sembler très novateur pour Hugo, celui-ci ne
s’écarte pas vraiment de la tradition classique pour autant, puisque la césure n’est par exemple
jamais entre deux syllabes d’un même mot. Encore une fois, Hugo oscille entre tradition et
modernité :
Entre morcellement du vers brisé et maîtrise de la césure, l'esthétique complexe du vers de Hugo relève me
semble-t-il d'un art paradoxal, à la fois gothique dans son architecture, et moderne dans la résonance des effets
de voix et dans une recherche de la déstabilisation. La notion de vers en est à la fois exaltée et traversée 158.
Les procédés stylistiques, qui induisent une répétition dans La Légende, participent
également à l’effet de bégaiement du texte poétique. Les procédés qui marquent une répétition
sont souvent considérés comme les figures les plus simples à mettre en œuvre, toutefois Hugo
manie avec finesse l’agencement de ces figures de style. A l’image de la grande diversité de
ces procédés, Hugo place dans ses poèmes plusieurs types de répétitions. Judith Wulf a
justement repéré ces figures159, comme l’anadiplose : « Cambyse ne fait plus un mouvement ;
158
Aquien Michèle, « Victor Hugo et l'architecture du vers », p.38.
159
Voir : Wulf Judith, La Légende des siècles de Victor Hugo, Atlande, Paris, 2001.
61
il dort. / Il dort sans même voir qu’il pourrit160 », mais aussi l’épanalepse : « César vous
admet dans ses royaux repaires ; / César daigne oublier que vous avez pour père161 », ou
l’épanode : « Comme dormait Jacob, comme dormait Judith162 », et le polyptote : « En se
prostituant c’est moi qu’ils prostituent163 ». Bien évidemment, Hugo n’utilise pas ces figures
dans le simple but d’enjoliver les poèmes de La Légende, la répétition d’un mot ou d’un
groupe de mots indique une persistance, une continuité, de la parole poétique. Augustin
Pélissier disait à ce sujet que « la répétition ravive l’idée en reproduisant le mot 164 ». La
répétition est une amplification qui rappelle les messages profonds et fondamentaux des
poèmes, elle peut-être soit positive, soit négative. Cependant, toujours dans l’idée selon
laquelle, le mouvement engendré par le style est le reflet de celui que nous avons décrit pour
l’origine, la répétition enclenche une certaine résilience des idées à l’intérieur des poèmes. En
ce sens, la répétition participe dans La Légende d’une double manière. Premièrement, elle
ravive la flamme de l’origine :
160
L-S, p.271.
161
L-S, p.460.
162
L-S, p.34.
163
L-S, p.461.
164
Pélissier Augustin, Principes de rhétorique française, http://obvil.paris-
sorbonne.fr/corpus/ecole/pellissier_principes-de-rhetorique-francaise_1867/body-
4?q=r%C3%A9p%C3%A9tition#mark1, 1873, np.
165
L-S, p.15.
166
L-S, p.266.
62
La place des mots dans le recueil s’agence parfois de sorte que certaines rimes sont le
résultat d’un croisement de deux mots. Michel Aquien a repéré cet assemblage particulier :
Je la cite en entier pour le plaisir aussi de l'évolution phonique du couteau, qui passe par étau et cou : Mais
Eviradnus sent qu'on l'attaque en arrière, / Se tourne, empoigne et tord la lame meurtrière, / Et sa main
colossale étreint comme un étau/ Le cou de Ladislas qui lâche le couteau167/
L’ « évolution phonique » décrit les mots comme des blocs qui s’assemblent pour pousser le
poème de l’avant. Toutefois, puisque ces mots composés, sont le résultat du collage de deux
autres mots, cela signifie que l’on érige un nom à partir de ce qui a été déjà dit. En d’autres
termes, c’est la répétition de deux mots qui permet la création d’un seul. Certes, c’est une
nouvelle parole mais qui ne se bâtit pas sur du sable. A l’image des évènements qui
construisent la Babel positive, chère à Hugo, les mots à l’intérieur des poèmes sont aussi des
blocs liés pour faire avancer l’histoire. L’effet inverse est aussi observable dans « Booz
endormi » :
Ici, au contraire, les mots apparaîssent dégagés d’une forme plus brute, d’ « accablé » on tire
« blé », d’ « ordinaire » on tire « aire ». A l’intérieur des poèmes, on observe alors un jeu de
construction et de reconstruction, qui n’est pas sans rappeler les destructions et les
constructions successives du mur des siècles. L’architecture du vers coïncide avec un des
messages profonds de La Légende : rien n’est figé tant que l’idéal des hommes ne sera pas
atteint. Les mots circulent dans le texte, ils piétinent, ils avancent et reculent une nouvelle
fois, mais toujours dans le but de ne pas fixer l’humanité dans sa folie meurtrière. De ce fait,
Babel est à la fois un symbole et une manière d’écrire La Légende : « Mais Babel est
doublement métaphorique : elle figure aussi les étages constitutifs de texte, architecture faite
d’ouvertures hallucinantes, déchiquetées, béantes, tournées vers l’inconnu, contingentes au
mystère, associées, quoique arrêtées à un mouvement169. »
A ce titre, la diffusion des phonèmes dans le recueil est intéressante. Alfred Glauser
prend pour exemple le poème « Zim-Zizimi », la voyelle « i » très présente dans le texte :
« Le nom devait d’avance, par ses syllabes homogènes, figurer l’inanité que le poète voulait
167
Aquien Michèle, « Victor Hugo et l'architecture du vers », p.35.
168
L-S, p.33.
169
Glauser Alfred, La Poétique de Victor Hugo, A.G. Nizet, Paris, 1978, p.182.
63
exposer170. » Cette voyelle est d’ailleurs particulièrement présente dans le nom des villes
soumises par le despote « Byzance », « Tyr », « Baxile », « Mysore », « Trébizonde »,
« Scythie », « Ophir171 ». Le mal incarné par Zim se retrouve alors dans le nom même de ses
conquêtes. De cette manière, comme nous l’avions remarqué, la marque du mal demeure
vivace à l’intérieur du style. Alfred Glauser a remarqué également cette diffusion des
phonèmes172 dans les premières pages du « Petit roi de Galice ». Le « Ravin d’Ernula », lieu
sordide où est emprisonné le petit monarque. Ici, aussi les voyelles « u » et « a », se diffusent
à l’intérieur du texte :
La répartition des voyelles provoque une répétition phonique, qui n’est pas sans faire écho au
mal qui règne autour des infants. Ce lieu où le meurtre aurait pu avoir lieu est traversé lui
aussi par les constructions et les reconstructions. Le style de La Légende par ces répétitions,
ou ces bégaiements, mime le combat des forces qui s’y opposent.
Enfin, Alfred Glauser a indiqué un même jeu sonore, par l’onomastique. Pour lui,
l’avenir de personnages est déjà indiqué par leurs propres noms, en particulier dans le poème-
chanson « La Chanson des aventuriers de la mer » : « Les noms propres contenaient le destin
170
Ibid. p.200.
171
L-S, De Byzance à Baxile : p.266. / De Mysore à Ophir : p.267. (Liste non exhaustive).
172
Glauser Alfred, La Poétique de Victor Hugo, Op.cit, voir p.210.
173
L-S, p.213.
64
des aventuriers de la mer174 ». Un passage en particulier expose le destin tragique de ces
navigateurs :
Le fait est que toutes ces sonorités, à la fois harmonieuses et dissonantes, désignent un
recyclage des mots. Cette réutilisation qui est un jeu d’assemblage, et de séparations, indique
un bégaiement dans le sens où invariablement la parole poétique se répète. Cependant,
malgré, cette répétition, le statisme est absent, la course vers le progrès continue, tout en
respectant la dynamique de l’origine. Plus que jamais, dans La Légende des siècles, le Verbe
est démiurgique.
La métaphore maxima.
174
Glauser Alfred, La Poétique de Victor Hugo, Op.cit, p.209.
175
L-S, p.446.
176
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, Op.cit, p.145.
177
L-S, p.691.
178
L-S, p.561.
65
exhaussées. Cette volonté de créer, quasiment, un nouveau mot à partir de deux, et de conférer
à cette expression une aura mythique supérieure est révélatrice de la prédominance mythique
du recueil. De cette manière, comme il y a eu une fusion des temps dans La Légende, on
trouve aussi une fusion des mots. Ce qui est d’autant plus intéressant est, que, justement, le
rapprochement s’effectue par un nom qui résulte soit d’un monde mythique, soit du monde
réel comme l’« hydre Océan ». Ce potentiel mythique des mots et leurs fusions est au service
du projet hugolien d’inscrire l’humanité dans un contexte temporel particulier. Pierre Albouy
a su repérer cette amplification toute hugolienne et traditionnelle. Pourtant, un important
procédé demeure parfois dans l’ombre de tous ces procédés. Hugo, connaît aussi l’art
d’amener le mot en lui-même pour que celui-ci résonne et prenne tout son sens.
En effet, Hugo, à côté de son talent habituel pour l’hyperbole et l’hypotypose, peut
faire reposer un de ses poèmes sur un mot qui terrassera tout à son évocation. Dans le poème
« Première rencontre du Christ avec le tombeau », un quatrain résulte de ce processus :
Jésus est confronté à la mort d’un de ses proches et le ressuscite. A priori, rien de très
atypique pour un poème de Victor Hugo. Hormis, bien sûr, le nom de la personne que Jésus
aimait : « Lazare ». La seule puissance de la voix parvient à relever un mort, parole divine,
mais surtout poétique, qui ébranle le poème lui-même. Ici, nul besoin du rythme, de briser le
vers, ou de jouer sur les sonorités, le mot seul est symbole de renouvellement, de
reconstruction.
179
L-S, p.39.
66
Hugo, alchimiste du verbe, transforme ce qui est couvert d’une gangue pour faire
apparaitre le bien. En tirant le « diamant du charbon180 », la conversion de l’humanité est déjà
présente dans l’écriture : « Si Hugo pense en images, celles-ci atteignent souvent la vision et
dès lors nommer les choses c’est les créer, les faire exister, c’est redonner au Verbe sa
fonction ontologique et démiurgique, c’est-à-dire celle qui retrouve l’essence des choses grâce
à la création du poète181. »
Une des dynamiques importantes que nous avons décrites, dans le va-et-vient entre
l’origine et le progrès est la conversion. Le choix des mots va être une nouvelle fois
déterminant. Dans le poème « Guerre civile », un père de famille est livré à la fureur de la
foule :
180
L-S, p.658.
181
Calais Etienne, Petit Bréviaire hugolien, Ellipses, Paris, 1996, p.55.
182
L-S, p.699.
67
Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille :
— C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens.
— Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens
Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ;
L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ;
Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! »
On voyait dans ses yeux un reste de fureur
Remuer vaguement comme une hydre échouée ;
Il marchait poursuivi par l’énorme huée,
Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui,
Des cadavres gisants, peut-être faits par lui.
Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ;
L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ;
Il était plus que pris, il était envahi.
Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï !
Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure183 !
L’homme est pris au piège, les mots frappent comme si on le battait, notamment par l’emploi
de mots de deux syllabes ou de monosyllabes, comme dans le vers « A l’arsenal ! Allons !
Viens ! Marche ! ». Les voix interpellent de tous les côtés, l’action avance au coup par coup,
d’une manière saccadée avec de nombreux dialogues. Une synecdoque traduit l’état d’esprit
de l’homme « L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche », le condamné est aussi
malveillant que la foule. Sauf que le peuple est de plus en plus déshumanisé, il se transforme
en une masse informe, plus définie par ses cris que par les hommes qui la composent, c’est
« l’énorme huée ». Le côté maléfique de l’homme est quant à lui souligné par la métaphore
de l « hydre échouée » ajoutant, de surcroit, un aspect mythique et démoniaque au condamné.
La haine de l’autre paraît envahir tout l’espace, le polyptote « Dieu ! comme il haïssait !
comme il était haï ! » indique cette saturation.
183
L-S, p.700.
68
Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin.
Toute la rue était pleine d’hommes sinistres.
À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres,
Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! »
Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis
Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme,
Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ;
Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu.
Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ?
Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! »
Quelques regards pensifs étaient fixés à terre,
Les poings ne tenaient plus l’homme si durement.
Un des plus furieux, entre tous inclément184
184
L-S, p.700.
69
Vous me fusillerez au détour de la rue,
Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue :
— Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié.
Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié.
Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage,
Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage,
Et s’en alla content, rassuré, sans effroi185.
Le dialogue, qui suit, installe plus fortement une esthétique de la simplicité, qui peut se
révéler tragique, notamment, quand on apprend que l’enfant a perdu sa mère. Mais l’instant le
plus dramatique est le pieux mensonge du père, pour épargner le spectacle de la mort à son
fils. Le réalisme de l’échange est d’ailleurs souligné par la présence de contre-rejets « Alors le
père / Parla » ou d’enjambements « Et l’enfant tendit au père son visage, / Et s’en alla
content, rassuré, sans effrois. » En effet, ces procédés stylistiques brisent la métrique
alexandrine, pour faire apparaître des phrases poétiques simples mais qui témoignent de la
volonté de faire apparaître l’innocence de l’enfant. Puis, vient la fin du poème :
Enfin, la foule et le peuple, qui se confondaient alors, vont se séparer pour laisser place au
pardon populaire. Par l’« immense frisson », la foule se change pour de bon en peuple, ce
changement conduit au pardon et à la vie.
185
L-S, pp.700-701.
186
L-S, p.701.
70
La question du repentir.
Nous allons étudier certaines corrections des vers que Hugo a effectuées, pour voir si
l’évolution stylistique tend à confirmer la dynamique de l’origine, où si même dans les
premiers écrits, on retrouve également cette pensée.
Tout d’abord dans l’appendice de La Légende des siècles, le ton est beaucoup plus
pessimiste et désigne moins la volonté de reconstruction de l’humanité, par exemple dans
« Départ de la caravane de Stamboul pour la Mecque ». Le poème décrit une masure qui est
prête à s’écrouler et dont toutes tentatives de reconstructions semblent inutiles :
L’architecture revêt une place importante comme symbole temporel, à la fois présente dans le
monde des hommes et ouverture sur l’éternité. Ici, nous voyons un portait d’une masure prête
à s’effondrer. Les éléments semblent combattre cette construction. La polysyndète en « Et »
fait que l’accumulation des tourments est complètement hyperbolique. Ce qui devrait être
porteur pour cette maison, ne l’est même plus, l’exemple des « madriers » rend bien compte
de cela. La critique des despotes est bien là, mais elle ne s’accorde que dans la vacuité de la
maison humaine. L’inachèvement du poème expose une dynamique brisée. Cette scorie ne
parvient donc pas à rendre compte de l’élan de l’origine. Toutefois, au sein même de ces
œuvres poétiques incomplètes, il se trouve toujours des caractéristiques frappantes du rappel
de l’origine.
L’art de l’hypotypose est une des signatures stylistiques du poète. Dans le poème « Le
Brahmine et le mage », la description de la vision du cosmos est saisissante :
187
L-S, p.750.
71
Le jour parut dorant les clochers et les tours.
Pendant que s’éteignait dans la cité vermeille
Quelque reste fumant des bûchers de la veille,
Il ouvrit sa fenêtre, et comme un autre eût fait,
Vieillard que le soleil doucement réchauffait,
Il respira l’air pur sur la blanche terrasse.
Ainsi ce roi cruel, le pire de sa race,
Pâle et sinistre, avec ses mains teintes de sang,
A l’heure où le matin se lève éblouissant,
Regardait ses jardins du haut du palais more ;
Et cet homme, croyant peut-être avoir encore
Droit de voir la nature et la clarté des cieux,
Tâchait de contenter ses misérables yeux188.
Le despote se retrouve face à la nature, dont la lumière paraît presque lui brûler les yeux. Le
lever du jour et le meurtrier sont face à face. Mais au lieu d’un affrontement, c’est, au
contraire, une absorption de l’homme dans la lumière du jour, à laquelle nous assistons. Le
champ sémantique de la blancheur et de la lumière symbolise la force de la nature confrontée
à cet homme. Pourtant, c’est dans la paix que le cosmos s’impose. Le tyran a les mains
tachées de sang, il a dressé des bûchers encore fumants. Mais, il ne résiste pas à la vision
extatique de la nature. Aussi, il est ramené par une douce force à la lumière première. Naguère
amateur des pires atrocités, il ne résiste pas à ce spectacle du monde. La nature est candide
dans deux sens : le premier étymologique, elle est vêtue d’une blancheur, le deuxième
courant, elle est pure et innocente. Une nouvelle fois, l’origine intervient face aux pires
ignominies.
De plus, les scories de La Légende présentent aussi des représentations d’un espace
génésiaque dans lequel plusieurs symboles de l’origine sont visibles, comme la présence du
divin, la lumière, l’enfance ou l’architecture. Dans le poème « Hospitalité », un roi accueille
des naufragées en décrivant, notamment, son royaume :
188
L-S, p.759.
189
L-S, p.762.
72
Il est clair que l’espace décrit par le roi est un lieu originel. Ce royaume est un lieu paisible et
le mystère représenté par l’autel est dévoilé par des enfants. L’invitation du roi est un appel à
intégrer le lieu de paix pour les naufragés. Tout est résumé par le verbe « Entrez ».
Toutefois, les poèmes de cet ouvrage ne sont pas seulement des unités autonomes
désignant tous un même objectif, à l’inverse les poèmes, les strophes et les vers se répondent.
Il existe certaines tournures de vers dans La Légende des siècles qui semblent se
répondre, parfois en adéquation ou en opposition. Ces échos interviennent le plus souvent
dans des poèmes significatifs où l’origine est fortement présente. Il faut néanmoins nuancer ce
propos, car si des tournures semblent faire écho, on ne peut être sûr des intentions de Hugo.
Cependant, devant certains vers la ressemblance est parfois troublante. Dans le poème « La
Conscience », après la première fuite, Caïn s’arrête avec sa famille. Ainsi, « Comme le soir
tombait, l’homme sombre arriva190 ». Le fratricide tentant de fuir la présence divine, se
complet alors dans l’obscurité. A l’inverse dans « Le Petit Roi de Galice », quand le petit
monarque, après avoir été délivré par Roland, s’enfuit pour retrouver son trône, on trouve le
vers suivant : « Comme le soir tombait, Compostelle apparut191. » L’obscurité arrive, mais au
lieu de s’enfoncer dans la nuit, le petit roi retourne dans son « paradis natal192 ». La
composition est tout de même saisissante. Ici, nous sommes confrontés à une similitude qui
provoque une opposition entre les deux vers. La fuite de l’origine est contrebalancée par le
retour vers le lieu paradisiaque qu’est Compostelle.
Il existe également des vers qui ont une certaine ressemblance et qui vont dans le même sens.
Dans « La Rose de l’infante », la petite princesse se situe dans un espace édénique. Comme
nous l’avons déjà évoqué, le jardin autour d’elle rayonne et fait apparaître l’infante comme un
190
L-S, p.25.
191
L-S, p.230.
192
L-S, p.230.
73
ange. Dans ce parc, la paix est si vivace que l’on peut observer le moment où les animaux
vont se désaltérer. Ainsi, nous sommes dans « Un parc, de clairs viviers, où les biches vont
boire193 ». Or dans « Booz endormi », il existe un vers assez proche « C’était l’heure
tranquille ou les lions vont boire194 ». Dans ces deux poèmes, nous sommes plongés dans des
espaces de paix et de tranquillité, qui sont soutenus par l’image des animaux qui se
désaltèrent. La similitude des vers vise ici le même objectif de quiétude.
La construction des vers de La Légende est par endroit semblable, soit les poèmes qui mettent
en place des figures de l’origine répondent en opposition avec la folie des hommes, soit les
deux constructions concourent à la même évocation de la quiétude. Dans tous les cas, ces
exemples nous montrent que l’origine est diffuse au sein même des vers. La fragmentation de
blocs versifiés, dans différents poèmes, montre bien que la dynamique de l’origine s’immisce
dans toutes les composantes du recueil, aussi bien dans la manière d’écrire que dans la
signification.
La Légende des siècles est un recueil sérié. Les trois séries ont été assemblées par la
suite en 1883, lors de l’édition ne varietur, ce qui signifie que l’ordre de cette édition est
définitive. Pourtant l’apparition de certains poèmes dans la version finale est en inadéquation
complète avec leurs places dans leurs séries respectives. Le tableau en annexe se compose de
l’apparition des poèmes de chaque série, puis dans la quatrième colonne, nous pouvons voir
l’assemblement final des poèmes. La fragmentation de différents poèmes dans le recueil du
final fait sens à de nombreuses reprises, montrant ainsi des significations nouvelles lorsqu’on
étudie un poème parmi ceux qui l’entourent.
193
L-S, p.437.
194
L-S, p.36.
74
Tous ces olympiens sont de la populace.
Ah ! certes, ces passants, que vous nommez les dieux,
Furent de fiers bandits sous le ciel radieux ;
Les montagnes, avec leurs bois et leurs vallées,
Sont de leur noir viol toutes échevelées,
Je le sais, et, resté presque seul maintenant,
Je suis par la grandeur de ma chute gênant ;
Non, je ne les crains pas ; et, quant à leurs approches,
Je les attends avec des roulements de roches,
Je les appelle gueux et voleurs, c'est leur nom,
Et ne veux pas savoir s'ils sont contents ou non195.
Les dieux olympiens dominent les hommes, le géant est ici un symbole de progrès car il
résiste à la volonté de domination des hommes. La résistance du géant témoigne de son rejet
de tout ce qui peut asservir. Dans l’édition définitive, « Paroles de géant » est encadré par
deux poèmes qui se nomment « Le Géant, aux dieux » et « Les Temps paniques ». Dans le
premier, nous assistons à une dispute entre le géant et les dieux.
Le géant refuse que les dieux envahissent l’espace naturel, qui est un lieu de l’origine. Les
dieux, pour le géant, saccageront tout sur leur passage et enlèveront son caractère sacré à la
nature. Le géant une nouvelle fois résiste malgré la tentative de corruption des dieux qui
veulent l’amener dans l’Olympe, qui est, en revanche, non un lieu sacré, mais un lieu de
195
L-S, p.47.
196
L-S, p.45.
75
séparation entre l’humanité et ces dieux tyranniques. Ce poème est donc celui qui vient avant
« Paroles de géant ». Celui qui vient après, « Les Temps paniques », exprime la domination
des dieux sur le monde. Nous rappelons que dans « Paroles de géant », le colosse est vaincu
par les dieux : « Je suis votre vaincu197 ». D’ailleurs les prophéties de destruction de la nature
se sont bien réalisées puisque :
Les champs
N'ont presque plus de fleurs, tant les dieux sont méchants ;
Les dieux semblent avoir cueilli toutes les roses.
Ils font la guerre à Pan, à l'être, au gouffre, aux choses ;
Ils ont mis de la nuit jusque dans l'œil du lynx ;
Ils ont pris l'ombre, ils ont fait avouer les sphinx,
Ils ont échoué l'hydre, éteint les ignivomes,
Et du sinistre enfer augmenté les fantômes,
Et, bouleversant tout, ondes, souffles, typhons,
Ils ont déconcerté les prodiges profonds.
La terre en proie aux dieux fut le champ de bataille ;
Ils ont frappé les fronts qui dépassaient leur taille,
Et détruit sans pitié, sans gloire, sans pudeur,
Hélas ! quiconque avait pour crime la grandeur198.
Les dieux détruisent petit à petit tout ce qui est grandiose sur terre. L’absence des gardiens de
la nature, c’est-à-dire des géants, pour les derniers restes de l’Eden, est désastreuse. Sauf que,
le dernier poème de la section « Le Titan » marque la revanche des géants et de la nature sur
ces dieux. Dans ce poème, on assiste à la remontée du titan emprisonné dans le tartare et qui
jaillit à la surface de la terre pour affronter ces divinités maléfiques. Ce même titan vient
également affirmer la puissance réelle du divin face à ces imposteurs : « O dieux, il est un
Dieu199 ! ».
197
L-S, p.46.
198
L-S, p.50.
199
L-S, p.61.
76
Le Satyre constitue, ainsi, le mythe titanique le plus complet. En lui s’unissent la valeur politique et la valeur
philosophique du double symbole du Titan, symbole de libération du Peuple […] et de l’ascension de tous les
êtres, de la brute à l’archange200.
La fragmentation de ce poème de la troisième série au sein de cette section est donc pleine de
sens, elle se comprend dans la préparation de l’affirmation de l’origine par son aspect naturel.
Elle renforce le message du titan et prépare sa victoire.
De même le poème « Quand le Cid fut entré dans le Généralife » est un poème de la
troisième série qui s’intègre dans une section où on ne trouve que des poèmes de la
deuxième : « De Ramire à Cosme de Médicis ». Dans ce poème, le Cid est décrit comme un
héros qui vient terrasser les despotes qui asservissent les hommes. Il est d’ailleurs intéressant
de voir dans ce poème comment l’homme remplace la punition divine, ce qui montre bien que
l’humanité à un plus grand rôle à jouer dans la reconstruction de l’Eden :
Une nouvelle fois, ce poème va servir de jonction. Le poème qui vient juste avant dans
l’édition définitive, « L’Hydre », est une démonstration de l’importance du mal que peuvent
produire les hommes, et comme toujours les rois ivres de pouvoir. Ainsi, nous assistons à une
scène quasi-comique où un héros tente de renverser un monstre. Lors de son arrivée devant
lui, l’hydre lui demande qui il désire combattre. Le héros répond qu’il veut tuer un monstre,
alors l’hydre lui indique que le seul monstre est le roi Ramire. Enfin, l’hydre comme si de rien
n’était, se recouche dans l’herbe. Dans le poème qui se situe juste après « Quand le Cid fut
entré dans le Généralife » : « Le Romancero du Cid », nous sommes confrontés à une
description en contrepoint du Roi et du Cid. Dans ce poème, le roi est décrit comme un
méchant, un soudard, un couard alors que le Cid est honnête et fidèle. Là encore, nous
pouvons distinguer une certaine logique qui s’accorde avec l’origine. En effet, « L’Hydre »
expose la supériorité dans le côté maléfique des tyrans, héritiers de Caïn. « Quand le Cid fut
entré dans le Généralife » quant à lui nous montre un héros qui vient accomplir une sorte de
volonté divine, qui souligne sa grandeur. Enfin, « Le Romancero du Cid » compare les deux
figures pour montrer en quoi le héros est un symbole de l’origine par les principes qu’il
représente alors que le roi est un descendant du mal.
200
Albouy Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, p.241.
201
L-S, p.87.
77
La fragmentation de certains poèmes au sein de La Légende a donc du sens. Bien
souvent, l’ajout d’un nouveau poème dans une section permet d’établir des liens plus forts
entre les poèmes. De plus, cette nouvelle organisation, dans les deux exemples que nous
avons vus, résulte souvent d’une volonté de mieux exprimer l’origine ou au contraire de
mettre en avant des comportements qui s’en éloignent.
Conclusion :
L’origine fragmentée n’est pas un concept créé par Victor Hugo. Elle est néanmoins
un moyen d’expliquer cette œuvre hors du commun qu’est La Légende des siècles. Pièce
unique par ses dynamiques et ses significations, La Légende est un ouvrage qui ne laisse pas
indifférent. L’humanité tente d’y faire jour, la poursuite de l’Eden en est l’espoir. Nous avons
voulu, à travers cette étude, montrer comment cet espace magnifique irradie le texte. Malgré
les crimes horribles des despotes et des assassins, il se trouve toujours une place minuscule et
subtile pour cette présence. Le mur des siècles qui portait l’humanité s’était effondré, il fallait
le reconstruire avec ces blocs originels. Nulle part à travers les poèmes une fin nette est
visible. Toujours en construction, l’humanité bâtit une Babel positive, c’est bien cela son lot,
ainsi va sa grandeur. Dans La Légende, l’absolu est au commencement et il peut être à la
conclusion. Dans cette dynamique, une sagesse est proposée comme point de rassemblement.
Peu importe les idéologies, le pouvoir où la richesse, les Hommes doivent se rejoindre pour
poursuivre cet élan grandiose. Le progrès, dans cette optique, n’est pas une force
incontrôlable poussant l’humanité vers un avenir de sables mouvants. Le progrès est au
contraire tous les moyens mis en œuvre pour reconstituer cette origine. Le paradis retrouvé ne
sera pas le même, mais les pierres essentielles seront posées. La nouveauté vient du travail de
l’humanité. En effet, le premier jardin est crée par Dieu, le second est l’œuvre des hommes
sous le regard bienveillant du divin. Le style propre de La Légende vient s’intégrer dans cette
pensée de l’origine. Le rythme des vers, les figures de répétition dévoilent des poèmes qui
bégaient, qui piétinent, par moments, mais qui repartent toujours. Le Verbe est créateur, il
transforme la foule en peuple. Il enfle la métaphore pour que sons sens soit plus grand. Ce
dispositif vise à fondre le monde dans un même creuset pour que la quiétude, la paix et
l’innocence puissent être retrouvées. La réconciliation est le message implicite de La
78
Légende. Le plus vil des hommes peut être pardonné, s’il est capable d’une étincelle de pitié
pour ses semblables. Tout le monde participe à ce renouvellement : les petits, les vieillards,
les mendiants, les rois quand ils sont bons, les héros mais aussi la nature dans ses lueurs, les
monuments dans leur éternité. Dans cette réconciliation se dissimule une célébration de la vie
dans les principes les plus élémentaires, mais qui sont en eux-mêmes tellement fondateurs. Si
ces caractéristiques de La Légende apparaissent comme de bons sentiments simplistes, alors,
nous nous trompons sur la démarche hugolienne. Victor Hugo nous rappelle qu’en définitive
nous avons de nombreuses armes pour nous haïr, mais qu’il en existe de nombreuses autres
pour nous rassembler.
Ce que nous voulions apporter à l’étude de La Légende des siècles, c’est une vision
d’ensemble des trois séries, souvent traitées individuellement. Mais, surtout, nous voulions
montrer cette reconstruction dans un temps exceptionnel. Malgré l’écriture sériée de cet
ouvrage, les rouages profonds sont toujours identiques. Il faut bien voir ce que Hugo met en
marche, l’épopée prend l’univers et le met en branle. Nous voulions montrer que Hugo fait
bouger les siècles, les peuples et l’espace. Par le contenu titanesque du livre, Hugo meut
l’univers et en dévoile un mouvement sensible, voire intelligent.
Notre approche fut donc aussi teintée de philosophie, car La Légende n’est pas seulement une
œuvre littéraire. C’est un livre qui est fortement ressemblant, en certains points, avec la Bible.
L’image est peut-être un peu forte, mais nous pourrions presque imaginer des querelles
« théologiques » à propos de La Légende. A la place de querelles selon les versets,
l’affrontement se porterait sur certains poèmes ou sur le sens du message hugolien. Il y aurait
alors des exégètes de cette parole si extraordinaire. C’est un des autres points forts de
l’ouvrage, avoir une tonalité qui dépasse complètement les contingences et la vacuité, pour se
fondre dans un projet pour l’humanité. Toutefois, si cet aspect biblique est prégnant, il est
mêlé aussi avec un paganisme vivifiant. A l’exemple de la section du « Satyre » qui se
nomme « Seizième siècle. Renaissance. Paganisme ». La Légende des siècles est une œuvre
totale qui rejoue sa propre construction. L’origine fragmentée agit donc comme un principe
organisateur se mettant en place dans de multiples situations. L’étude de ce principe nous a
conduit à concilier et non à séparer.
Cependant, nous avons voulu éviter, ce qui à nos yeux est une analyse pertinente mais
grandement insuffisante : le rapport entre les poèmes, l’auteur, et son histoire personnelle. Il
est évident qu’un poète est influencé par les évènements qui se déroulent autour de lui, et,
79
qu’ils s’intègrent dans le travail d’écrivain d’un auteur engagé comme Victor Hugo. Mais à
trop vouloir traquer l’histoire dans une œuvre qui dépasse celle-ci, c’est peut-être oublier
l’aspect mythique, métaphysique et donc transcendant de l’œuvre hugolienne. Une expérience
toute simple peut s’effectuer pour comprendre précisément ce que nous voulons dire. Le
poème « La Conscience » présente un Caïn que l’on peut assimiler à Napoléon III coupable
du coup d’Etat contre les français, pour Hugo. Même si cette analyse semble juste, nous
mettons quiconque au défi de dire que ce qu’il va tirer de ce poème est la représentation
mythifiée de Napoléon III. L’interprétation historique ne résiste pas à la démonstration de la
déchéance du mal en lui-même. C’est cette condamnation du meurtre, du sang versé et du
châtiment provoqué qui a de l’effet sur nous, et non pas le personnage historique derrière la
figure de Caïn. Nous, lecteurs du XXIème siècle, nous avons peur devant cet évènement qui
dans certains esprits n’est qu’une fable. De cette peur, les lecteurs tirent alors une leçon qui
est l’exécration fondamentale du meurtre. Ce processus se nomme la catharsis. De chaque
poème de La Légende, on peut tirer une sagesse simple mais efficace dans la conquête de la
liberté et du bonheur. Nous voulions alors rendre hommage à cette sagesse, plutôt que de
repérer l’évènement historique qui a inspiré Hugo.
C’est pour cela qu’on ne peut pas lire La Légende comme une suite de fables. Il faut croire
que chaque situation s’est en quelque sorte « déroulée ». Victor Hugo fantasmait une
existence aux créations littéraires :
Enfin, ce mémoire fut l’occasion de témoigner d’une œuvre exceptionnelle qui nous a
marqué comme aucun autre livre n’a jamais pu le faire. Si parfois, nous avons manqué de
précision dans l’évolution de l’origine à travers La Légende des siècles, nous espérons avoir
donné envie de découvrir cette œuvre aux personnes qui liront ce mémoire. Victor Hugo fait
partie de ces poètes sur qui on pense avoir tout dit. Hugo est un « collectionneur
universel203 », dans le sens où il ne s’arrête jamais de ramasser ce qu’il trouve pour le
transformer. Ainsi, « Avec Victor Hugo, on oublie toujours quelque chose204 ».
202
L-S, p.587.
203
Besnier Patrick, L’ABCdaire de Victor Hugo, Flammarion, Paris, 2002, p.31.
204
Ibid.p.20.
80
Nous aimerions, pour conclure, évoquer une facette importante qui est à l’œuvre dans
La Légende. L’origine fragmentée nous montre un monde qui ne se réduit pas à une
matérialité moribonde. Le monde hugolien est un mystère. C’est justement la pensée profonde
que le monde dit quelque chose de plus, que ce que nous pouvons en voir, qui permet
l’existence de l’origine fragmentée. Voilà le message simple que nous pouvons laisser pour
résumer cette étude, ce qui faisait dire à Victor Hugo dans L’Homme qui rit : « Il y a dans
l’invisible d’obscures portes entrebâillées205 ».
205
Hugo Victor, L’Homme qui rit, Librairie Générale Française, Paris, 2002, p.111.
81
Bibliographie.
Corpus primaire :
- HUGO Victor, La Légende des siècles, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 1950. (édition de
référence)
- HUGO Victor, Œuvres poétiques I. Avant l’exil. Les Rayons et les Ombres, Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade, Paris, 1964.
- HUGO Victor, Œuvres poétiques II. Les Contemplations, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris,
1967.
- HUGO Victor, Œuvres poétiques III. L’Art d’être grand-père, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,
1974.
- HUGO Victor, Quatrevingt-treize, Librairie Générale Française (LGF), Les Classiques de Poche, Paris,
2001.
Corpus secondaire
Sur la vie de Hugo :
- BESNIER Patrick, L’ABCdaire de Victor Hugo, Flammarion, Paris, 2002.
- GUILLEMIN Henri, Victor Hugo par lui-même, Editions du seuil, Paris, 1951.
- LAFARGUE Paul, La Légende de Victor Hugo, Mille et une nuits, Paris, 2001.
- VAN TIEGHEN Philippe, Victor Hugo un génie sans frontières. Dictionnaire de sa vie et de son œuvre,
Librairie Larousse, Paris, 1985.
- MILLET Claude, Le Légendaire au XIXème siècle, Presses universitaires de France, Paris, 1997.
82
Sur l’Eden, l’enfance, et l’importance de l’architecture :
- COUFFIGNAL Robert, « aux premiers jours du monde… » La paraphrase poétique de la Genèse de
Hugo à Supervielle, Lettres modernes Minard, Paris, 1970.
- DESCHAMPS Fanny, « L’enfant dans les Petites Epopées de Victor Hugo ». Lorsque l’enfant paraît …
Victor Hugo et l’enfance, dir. Poirel Evelyne, Somogy Editions d’art, Paris, 2002.
- MILLET Claude, « 1877 La Question de l’enfant». Lorsque l’enfant paraît … Victor Hugo et l’enfance,
dir. Poirel Evelyne, Somogy Editions d’art, Paris, 2002.
- MORTIER Roland, La poétique des ruines en France, ses origines, ses variations de la Renaissance à
Victor Hugo, Droz, Genève, 1974.
- BUTOR Michel, Babel en creux, La Nouvelle Revue française n°113, Ier mai 1962.
- CHARLES-WURTZ Ludmila, L’œil de Hugo, « Image, imaginaire et pensée de Babel », dir. P. Georgel,
Editions des cendres, Paris, 2004.
- HUET-BRICHARD Marie Catherine, Victor Hugo La Légende des siècles (première série), Actes du
colloque de la Sorbonne « Dieu dans La Légende des siècles », Presses universitaire de Paris, Paris,
2002.
- MESCHONIC Henri, Victor Hugo et la bible, Partie I, dir. Laurent Franck, Maisonneuve et Larose,
Paris, 2001.
- RETAT Claude, X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo à partir de l’exil, CNRS Editions, Paris,
1999.
- SPIQUEL Agnès, Actes du colloque de la Sorbonne, Victor Hugo La Légende des siècles « Hors de la
terre et des -temps », Presses de l’université Paris Sorbonne, 2002.
- BERRET Paul, La philosophie de Victor Hugo (1854-1859) et deux mythes de La Légende des siècles :
Le Satyre- Pleine mer- Plein ciel, Henri Paulin éditions, Paris, 1910.
- AQUIEN Michèle, « Victor Hugo et l'architecture du vers ». In: L'Information Grammaticale, N. 93,
2002.
83
- FROMILHAGUE Catherine, Styles, genres, auteurs. I Ronsard, Corneille, Marivaux, Hugo, Aragon,
« Voix des Petites Epopées : La Légende des siècles, poème épique moderne ? », Presses de
l’université Paris-Sorbonne, 2001.
- GOHIN Yves, Hugo le fabuleux, Colloque de Cerisy, « une écriture de l’immanence. », Seghers, Paris,
1985.
- AGUETTANT Louis, Lecture de La Légende des siècles de Victor Hugo, L’Harmattan, Paris, 2010.
- ALBOUY Pierre, La Création mythologique chez Victor Hugo, José Corti, Paris, 1968.
- BERRET Paul, La Légende des siècles de Victor Hugo (étude et analyse), Mellottée, Paris, 1935.
- BRUNEL Pierre, La Légende des siècles (Première série, 1859). Fonctions du poème, Editions du
temps, Paris, 2001.
- LAFORGUE Pierre, Victor Hugo et La Légende des siècles, Paradigme, Orléans, 1997.
- MILLET Claude, Victor Hugo La Légende des siècles, PUF, Paris, 2001.
- ROMAN Myriam, Actes du colloque international de Copenhague, L’œuvre de Victor Hugo entre
fragments et œuvre totale, « Totalisation et fragmentation dans La Légende des siècles de Victor
Hugo (première série), ed. Hans Peter Lund, Etudes romanes, Copenhague, 2003.
- WULF Judith, La Légende des siècles de Victor Hugo, Atlande, Paris, 2001.
84
Annexe.
Poèmes de la première Poèmes de la nouvelle Poèmes de la série Ordre dans l’édition ne
série de 1859. série de 1877. complémentaire de 1883. varietur.
-Le Sacre de la femme -La Vision d’où est sorti -Je ne me sentais plus La Vision d'où est sorti ce
-La Conscience ce livre vivant livre
-Puissance égale bonté -La Terre -Les Grandes Lois -La Terre
-Les Lions -Suprématie -Voix basses dans les -Le Sacre de la femme
-Le Temple -Les Géants, aux Dieux ténèbres -La Conscience ;
-Booz endormi -Les Temps paniques -Je me penchai. -Puissance égale bonté
-Dieu invisible au -Le Titan -Mansuétude des anciens -Les Lions
philosophe -La Ville disparue juges -Le Temple
-Première rencontre du -Inscription - L’Échafaud -Booz endormi
Christ avec le tombeau -Cassandre -Inferi -Dieu invisible au
-Au lion d’Androclès -Les Trois Cents - Les Quatre jours philosophe
-L’An neuf de l’Hégire -Le Détroit de l’Euripe d’Elciis -Première rencontre du
-Mahomet -La Chanson de Sophocle -Les Paysans au bord de Christ avec le tombeau
-Le Cèdre à Salamine la mer -Suprématie
-Le Parricide -Les Bannis -Les Esprits -Le Géant, aux dieux
-Le Mariage de Roland -Aide offerte à Majorien -Le Bey outragé -Paroles de géant
-Aymerillot -L’Hydre -La Chanson des doreurs -Les Temps paniques
-Bivar - Le Romancero du Cid de proues -Le Titan
-Le Jour des rois -Le Roi de Perse -Ténèbres -La Ville disparue
-La terre a vu jadis -Les Deux mendiants -L’Amour -Inscription
-Le Petit Roi de Galice -Montfaucon -Rupture avec ce qui -Cassandre
-Éviradnus -Les Reîtres amoindrit -Les Trois Cent
-Zim-Zizimi -Le Comte Félibien -Les Paroles de mon -Le Détroit de l'Euripe
-1453 -Quelqu’un met le holà oncle -La Chanson de Sophocle
-Sultan Mourad -Le Cid exilé -Victorieux ou mort à Salamine
-L’Italie - Ratbert -Welf, Castellan d’Osbor -Le Cercle des tyrans -Les Bannis
-Le Satyre - Le Travail des captifs - Paroles de Géant -Aide offerte à Majorien
-La Rose de l’Infante -Homo duplex -Quand le Cid fut entré -L'Hydre
-Les Raisons du -Verset du Koran dans le Généralife -Quand le Cid fut entré
Momotombo -L’Aigle du casque - La Vision de Dante -Le Romancero du Cid
-La Chanson des -Les Sept merveilles du - Dieu fait les questions - Le Roi de Perse
Aventuriers de la Mer monde pour que l’enfant -Les Deux Mendiants
-Le Régiment du baron -L’Épopée du ver réponde - Montfaucon
Madruce -Le Poète au ver de terre -Océan -Les Reîtres
-Après la bataille -Clarté d’âmes -Ô Dieu, dont l’œuvre va - Le Comte Félibien
-Le Crapaud -Fleuves et poètes. plus loin que notre rêve -Quelqu'un met le holà
-Les Pauvres gens -Gaïffer-Jorge, duc -Au lion d'Androclès
-Paroles dans l’épreuve d’Aquitaine -L'An Neuf de l'Hégire
-Pleine Mer -Masferrer -Mahomet
-Plein Ciel -La Paternité -Le Cèdre
-La Trompette du -La Comète -Le Parricide
jugement. -Changement d’horizon - Le Mariage de Roland
-Le Groupe des Idylles -Aymerillot
-Tout le passé et tout -Bivar
l’avenir - Le Jour des rois
-Un poète est un monde -Le Cid exilé
-La Vérité -Les Sept Merveilles du
-Tout était vision monde
-Jean Chouan -L'Épopée du ver
-Le Cimetière d’Eylau -Le Poëte au ver de terre
-1851. Choix entre deux -La Terre a vu jadis
passants -Le Petit Roi de Galice
- Écrit en exil -Eviradnus
-La Colère du bronze -Zim-Zizimi
-France et âme -1453
85
-Dénoncé à celui qui -Sultan Mourad
chassa les vendeurs du -Le Bey outragé
Temple -La Chanson des doreurs
-Les Enterrements civils de proues
-Le Prisonnier -Le Travail des captifs
-Après les Fourches -Homo duplex
Caudines - Verset du Coran
-L’Élégie des fléaux -L'Aigle du casque
-Guerre civile -L'Italie - Ratbert
-Petit Paul -Welf, Castellan d'Osbor
-Fonction de l’enfant -Les Quatre Jours
-Question sociale d'Elciis
-Là-haut -Gaïffer-Jorge, duc
-Les Montagnes d'Aquitaine
-Le Temple -Masferrer
-À l’Homme - La Paternité
-Abîme -Le Satyre
-Je me penchai
-Clarté d'âmes
-Fleuves et poètes
-La Rose de l'Infante
- Les Raisons du
Momotombo
-La Chanson des
Aventuriers de la Mer
-Mansuétude des anciens
juges
-L'Échafaud
-Le régiment du baron
Madruce
-Inferi
-Le Cercle des tyrans
-Ténèbres
-Là-haut
-Le Groupe des Idylles
-Les Paysans au bord de
la mer
-Les Esprits
-L'Amour
-Désintéressement
-Océan
-À l'Homme
-Le Temple
-Tout le passé et tout
l'avenir
-Changement d'horizon
-La Comète
-Un poëte est un monde
-Le Retour de l'Empereur
-La Vérité, lumière
effrayée
-Tout était vision
- Jean Chouan
-Après la bataille
-Les Paroles de mon
oncle
-Le Cimetière d'Eylau
-1851 - choix entre deux
passants
-Écrit en exil
86
- La Colère du bronze
-France et âme
-Dénoncé à celui qui
chassa les vendeurs
-Les Enterrements civils
-Victorieux ou mort
-Le Prisonnier
-Après les fourches
caudines
-Paroles dans l'épreuve
-L'Élégie des fléaux
-Voix basses dans les
ténèbres
-Les Pauvres Gens
-Le Crapaud
-La Vision de Dante
-Les Grandes Lois
-Je ne me sentais plus
vivant
-Dieu fait les questions
- Rupture avec ce qui
amoindrit
- Guerre civile
-Petit Paul
-Fonction du l'enfant
-Question sociale
-Pleine mer
-Plein ciel
-Ô Dieu, dont l'œuvre va
plus loin que notre rêve
-La Trompette du
jugement
-Abîme
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