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DU
NIVERNAIS ET DU MORVAN
CONTES MERVEILLEUX DES PROVINCES DE FRANCE
DÉJA PARUS :
A. MILLIEN et P. DELARUE : Nivernais et Morvan.
Geneviève MASSIGNON : Brière, Vendée, Angoumois.
A L'IMPRESSION :
EN PRÉPARATION :
C O N T E S
DU
NIVERNAIS ET DU MORVAN
COUVERTURE ET ILLUSTRATIONS
d'ARSÈNE LECOQ
PRÉSENTATION DE LA COLLECTION
Gédéon Huet, qui fut l'un des derniers grands spécialistes français du Conte
populaire, estimait que « l'une des manifestations les plus remarquables de l'acti-
vité scientifique du siècle dernier a été l'investigation, entreprise dans les pays
les plus divers, des traditions populaires, particulièrement de la partie la plus
belle et la plus intéressante, les contes qui vivent dans la mémoire des
peuples » (1).
Les recherches se sont poursuivies dans le monde entier jusqu'à nos jours,
et l'inventaire des contes populaires est loin d'être achevé, même en Europe où
des collections importantes apportent chaque année de nouveaux documents qui
bouleversent les fragiles constructions de théoriciens trop pressés; même dans
les pays qui parlent notre langue, provinces de la métropole et vieilles colonies
d'outre-mer, où des enquêtes trop peu connues ne cessent d'enrichir notre con-
naissance du conte français.
En Bretagne et dans les provinces de l'Ouest, dans les Alpes, les Pyrénées
et çà et là dans toute la France; au-delà de l'Atlantique, au Canada, dans
les îlots français oufranco-canadiens des U.S. A., en Louisiane et dans les Antilles,
des prospecteurs qualifiés ont recueilli récemment et recueillent encore ce qui
subsiste de nos contes traditionnels, condamnés par notre civilisation mécanisée
à une proche et totale disparition ; et si, parmi les versions recueillies, beaucoup
sont altérées, il en est de très belles, qui n'ont pas subi l'influence de plus en plus
envahissante de l'imprimé, il en est qui sont de purs joyaux de cet inimitable style
oral particulier aux bons conteurs.
A plusieurs reprises, des enquêtes intéressantes, dont les résultats ne sont
(1) Revue de l'Histoire des religions (1916), pp. 1-50 : G. HUET. Authenticité
et valeur de la tradition populaire.
que très partiellement publiés, furent menées p a r des chercheurs avec le concours
de maîtres et d'élèves de l'enseignement primaire ou d'étudiants de facultés.
D'excellents folkloristes avaient déjà, dans le dernier tiers du siècle précédent,
rassemblé des documents d'une valeur capitale, que la maladie ou la mort ne
leur a pas permis de publier. Inaccessibles au spécialiste comme à l'ami de notre
littérature orale demeurent les contes colligés p a r Victor Smith en Velay, Vivarais
et Forez entre 1870 et 1876, p a r Achille Millien en Nivernais entre 1874 et 1895,
par Félix Arnaudin dans les Landes avant 1887, p a r Oscar Havard en Ille-et-
Vilaine avant 1900... (2).
Ainsi, à l'heure où, pour un recueil sincère, paraissent tant de compilations
et de démarquages qui ne donnent pas leurs sources, tant d'arrangements litté-
raires au travers desquels on ne reconnaît plus la voix populaire, tant de recueils
de contes de telle ou telle province où se mêlent le conte authentique, la légende,
l'anecdote, la chronique pseudo-historique et le récit fabriqué, une part impor-
tante de notre patrimoine traditionnel, relevée avec toutes les garanties souhai-
tables d'authenticité, reste ensevelie dans des archives de musée, des bibliothèques
privées, des collections particulières.
L'éditeur, qui eut l'idée de la collection « Contes merveilleux des Provinces
de France » (3) inaugurée par le présent ouvrage, et moi-même, chargé d'en
assumer la direction, avons voulu que les récits choisis pour composer nos
recueils fussent de préférence puisés à ces sources ignorées ou méconnues. Et la
rédaction des différents volumes a été confiée à des « collecteurs » qui, ayant fait
« sur le terrain » la quête des contes, seront appelés à présenter le meilleur de
leurs propres récoltes ou de celles de chercheurs disparus.
Pour répondre à des degrés de curiosité différents, chaque série provinciale
ou régionale se présentera en une double édition :
— Une édition courante qui, avec les textes des contes, donnera une
introduction précisant les circonstances de l'enquête, la région explorée, la nature
et la valeur des documents recueillis, la manière des conteurs qui les ont fournis,
et d'autres points qui varieront selon les zones prospectées ou les manuscrits
utilisés.
— Une édition annotée qui, à la reproduction intégrale de l'édition ordi-
naire, ajoutera un commentaire folklorique pour chacun des contes publiés;
ce commentaire résumera les autres versions recueillies par l'enquêteur, dira les
Nous souhaitons que nos recueils apparaissent, non comme des collections
de fleurs séchées, encloses dans un herbier où elles auraient perdu leurs couleurs,
mais, dans la mesure du possible, comme de simples bouquets qui auraient conservé
la fraîcheur des vivantes floraisons encore fixées au sol natal. « J ' a i m e à savoir
d'où viennent les jolies fleurs que l'on me donne à respirer » a écrit quelque p a r t
Emile Henriot, à propos d'un recueil de contes (5). Cette curiosité légitime est,
en effet, celle de maint lecteur et plus particulièrement de celui qui habite la
région dont on lui présente un florilège ; comme elle est celle du folkloriste qui
voit dans l'indication des sources une précision nécessaire, un gage de la sincérité
du collecteur et un moyen de contrôle. A la suite de chacune des versions publiées
sont indiquées le nom, l'âge et le pays du narrateur, la date de la notation, et
parfois d'autres indications sur la provenance du récit ; ces informations, com-
plétant celles qui sont données dans l'Introduction particulière à chaque volume,
permettront de replacer le conte dans le milieu physique et humain où il f u t
recueilli.
Les textes publiés reproduisent aussi fidèlement que possible la parole des
conteurs. Les retouches apportées parfois aux textes enregistrés ou sténographiés
ne portent que sur des traits accessoires, réduction, p a r exemple, du nombre
des « alors », des « qu'il dit », des « et puis » qui reviennent constamment dans
les récits de certains conteurs et qui, supportables à l'audition, eussent importuné
le lecteur. Dans le cas des contes notés en un parler local particulier, l'adaptation
française est calquée sur le texte relevé, et une version caractéristique est publiée
sous la forme originale, avec la traduction française en regard (6). Pour les
contes reproduits d'après les manuscrits de folkloristes disparus, l'introduction
signale la manière dont furent établis les textes. Dans ces manuscrits se trouvent
souvent des cahiers où les conteurs eux-mêmes ont consigné leur répertoire à la
demande de l'enquêteur. Mais, il f a u t bien le reconnaître, presque toujours,
embarrassés de leur plume, ils perdent leur naturel, abandonnent le style oral,
D a n s l a série de nos volumes, comme c'est le cas dans toutes les collections
semblables, il a r r i v e r a que le même conte se retrouve plusieurs fois sous des vêtures
(11) Voir avec leurs commentaires les versions de Cendrillon très différentes
les unes des autres publiées dans nos recueils du Nivernais et Morvan, n° 5,
la Cendrillon ; de l'Ouest, La Pouillouse; des Pyrénées, la Pitcendras Charassas.
(12) Voir avec leurs commentaires les versions de Barbe-Bleue publiées
dans les recueils de l'Ouest, le Père Jacques; des Pyrénées, La pigeonnette blanche;
de Berry et Poitou, Barbe-bleue.
(13) Voir texte et commentaire d'une version dans les Compléments donnés
à la fin de l'édition annotée des C. des Alpes, le caractère macabre du récit n'ayant
pas permis de l'inclure dans l'édition courante, qui doit pouvoir être lue par
les enfants.
vreaux, Ricochon, Le Petit Chaperon rouge, et quelques autres. La plupart
ont été des histoires que contaient des adultes à d'autres adultes, pour agré-
menter les longues veillées d'hiver, accompagner certains travaux sédentaires,
charmer les instants de repos des travailleurs ou les heures d'oisiveté des soldats,
des marins et des pêcheurs (14), et satisfaire chez tous le besoin d'évasion, de
poésie et de rêve. Et cependant, comme certaines œuvres de lettrés composées
pour les seules grandes personnes, Gulliver, Robinson Crusoé, don Quichotte
p a r exemple, mais pour des raisons plus nombreuses et plus complexes, ils sont
merveilleusement adaptés à la mentalité enfantine. La simplicité de leur forme,
le caractère primitif de leur poésie, la psychologie élémentaire qui les régit et
surtout leur inégalable fantaisie font que l'enfant pénètre d'emblée dans ce monde
enchanté qui f u t celui de la première humanité, et il s'y meut avec ravissement,
sans être choqué qu'un carrosse soit f a i t d'une citrouille, qu'un chat y porte des
bottes et la filleule d'une fée des pantoufles de verre. Ce serait une faute d'en
bouleverser la forme et d'adopter à son intention le style puéril et bêtifiant de
certaine littérature pour enfants, ou d'en transformer le contenu avec des arrière-
pensées pédagogiques ou moralisatrices.
Aux folkloristes, l'édition annotée fournira une nouvelle et abondante
documentation sur toutes les questions qui peuvent les intéresser : étude compa-
rative des thèmes, stylistique, systématique; part de l'apport individuel, de
l'apport collectif, et parfois de l'apport livresque p a r l'intermédiaire de la litté-
rature de colportage, etc... De certains rapprochements pourront jaillir des
aperçus nouveaux. Et c'est ici le lieu de signaler combien diffèrent les matériaux
rassemblés dans nos divers recueils sous leur présentation extérieure identique.
Celui du Nivernais et du Morvan contient des contes plus développés et, à part
quelques-uns, rédigés avec un souci d'exactitude qui s'applique davantage au
contenu qu'à la forme, comme faisaient les contemporains d'Achille Millien,
Luzel, Cosquin et Sébillot ; celui de l'Ouest (G. Massignon) nous restitue fidèle-
ment le langage enregistré des conteurs; celui des Alpes (Joisten) est composé
avec les plus caractéristiques des six cents versions sténographiées, dont l'ensemble
fournit, pour une région assez réduite, un inventaire quasi exhaustif d'une tra-
dition qui est en train de se décomposer et de mourir ; celui de Bas-Languedoc
et Gascogne (Perbosc-Cézerac) nous donne les formes les plus typiques du
pays occitan, alors que les versions originales du recueil des Pyrénées audoises
(Maugard) nous font pressentir la littérature orale de la proche Catalogne ;
celui de la Haute-Bretagne (A. de Félice) présente le répertoire de conteurs
qui sont porteurs d'une tradition encore vivante dans un milieu de vanniers;
celui du Haut-Languedoc et Lyonnais ( V. Smith) nous fait connaître quelques-
unes des versions les plus anciennes des contes de Perrault qui aient été recueillies
(14) Sur le rôle que jouent encore les conteurs pour accompagner le travail
des adultes ou agrémenter leurs instants de repos, voir les Introductions aux
C. de Haute-Bretagne et aux C. du Canada.
au cours de la grande enquête entreprise au siècle dernier ; et les recueils du
Canada français où se perpétue, élaborée, adaptée au milieu physique et humain
et parfois pénétrée d'influence irlandaise, la tradition orale de nos provinces de
l' Ouest, nous apporteront de grands contes enregistrés dont certains sont de
véritables chefs-d'œuvre de style parlé, dûs à des conteurs particulièrement
doués.
DE LA NUIT