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des récits de vengeance mis en scène dans ces textes s’explique par le
fait qu'ils servent les intérêts variés des auteurs et de leur public. Ils
se font l'écho des nombreux débats qui opposèrent les chrétiens du
Moyen Âge à propos de l'origine du mal, de la sainteté, de la morale,
et plus généralement de la sotériologie et de l’eschatologie. Au-delà
des traités de théologie, la Bible, avec ses ambiguïtés et ses contra
dictions, nécessitait aussi une exégèse par l'exemple, une exégèse ha
giographique sans cesse renouvelée, qui dut s'adapter à la lente évo
lution de la société tout en influençant elle-même cette évolution.
Anne-Marie Helvétius
PHILIPPE BUC
LA VENGEANCE DE DIEU
DE L’EXÉGÈSE PATRISTIQUE À LA RÉFORME
ECCLÉSIASTIQUE ET À LA PREMIÈRE CROISADE
*
* Je remercie ici pour leur aide Luc Ferrier et Guy Lobrichon, et pour ses
commentaires Jay Rubenstein. Son Guibert of Nogent : Portait of a Médiéval
Mind, New York, 2002, relie Guibert l'exégète à Guibert l'historiographe auteur
des Dei Gesta per Francos. Il est probable que je n'aurais pas pensé sans ce livre à
mettre en rapport patristique et croisade. Je tiens aussi à saluer, entre autres très
grands anciens dont je suis capable de percevoir l’influence fondatrice, Carl Erd
mann et Ernst Bernheim.
1C. Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Stuttgart, 1935,
trad, américaine, The formation of the idea of crusade, Princeton, 1977, p. 20-21.
Voir aussi ibid., p. 26, n. 62, commentant Annales Fuldenses, Continuatio Ratis-
bonensis 891, éd. Fr. Kurze, Hanovre, 1891 (M.G.H., Scriptores rer. Germ, in us.
schol., [6]), p. 120. Pour une critique, voir M. McCormick, Liturgie et guerre, des
Carolingiens à la première croisade, dans «Militia Christi» e Crociata nei secoli XI-
XIII. Atti della undecima Settimana internationale di studio, Mendola, 28 agos-
to-1 settembre 1989, Milan, 1992 {Miscellanea del Centro di studi medioevali, 30),
p. 211-240, ici p. 236; et, apparentées, les remarques de H. Keller, «Machabaeo-
rum pugnae». Zum Stellenwert eines biblischen Vorbilds in Widukinds Deutung der
ottonischen Königsherrschaft, dans Id. et N. Staubach (éd.), Iconologia sacra. My
thos, Bildkunst und Dichtung in der Religions- und Sozialgeschichte Alteuropas.
Festschrift für Karl Hauck zum 75. Geburtstag, Berlin, 1994 (Arbeiten zur
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7 Voir, par exemple, Jérôme, in Eph. 6.12, P.L., XXVI, col. 580ab (cité fidèle
ment par Hraban Maur, in eodem, P.L., CXII, col. 469bc) : «L'Apôtre a compris
de manière plus haute ces batailles et combats singuliers (...) et a senti un
combat spirituel dans ce combat charnel, dans lequel les combattants furent soit
vaincus soit l’emportèrent; [il a senti] que les satrapes de chaque localité indi
quaient des puissances de l'autre monde, et quant aux rois de chaque nation,
qu'ils étaient des images de ceux qu’on appelle ici les régents du monde et des té
nèbres. Enfin, que les mauvais hommes [de ces récits] désignent les mauvaises
entités spirituelles dans les [sphères] célestes. Et il nous semble que l’Apôtre nous
dit avec d’autres mot ce qui suit : Ô Éphésiens, ce que vous avez entendu raconter
au sujet des guerres d'Israël contre les nations (...) semble certes signifier la chair
et le sang, mais si vous voulez savoir en vérité, comprenez que toutes ces choses
leur arrivèrent en figure. Elles furent écrites pour nous, vers qui se sont hâté les
fins des temps, afin que nous comprenions par leur biais que le combat contre la
chair et le sang ne nous appartient pas; mais [nous appartient] celui contre cer
taines puissances invisibles, contre les régents des ténèbres qui pèsent sur ce
monde et frappent les hommes de l’erreur d'une foi fausse (incredulitas), et
contre les mauvaises entités spirituelles qui habitent les [sphères] célestes».
8 Au sujet de cette tension et ses effets sur l'exégèse, voir l'ouvrage fonda
mental de Gerard Caspary, Politics and exegesis. Origen and the Two Swords, Ber
keley, 1979.
’Haymon d’Auxerre, in Apoc. 12.14, P.L., CXVIII, col. 1090bc (conformé
ment aux conventions d’époque, je souligne le texte biblique commenté) : Ubi ali
tur per tempus et tempora et dimidium temporis a facie serpentis. (...) In hujus
mulieris figura olim populum Israeliticum columna nubis praecedebat per diem, et
columna ignis per noctem. In nube quippe blandimentum amoris, in igne autem
terror exprimitur timoris [cf. Exod. 13.22]. Per has quippe duas columnas duo si
gnificantur Testamenta. Per nubem in die, Novum significatur Testamentum, in
quo non vindicta peccantium, sed misericordiae lenitas ostensa est. Unde est : Ne
mo te condemnavit, mulier [Joan. 8.10]. Per ignem vero in nocte, Vetus Testa
mentum intelligftur, quod supplicium peccantibus minatur. Unde est : Si quis hoc
vel illud fecerit, morte moriatur.
LA VENGEANCE DE DIEU 455
geance dans le temps de l’Église. Car le schème binaire, bien que do
minant, admet une variante fondamentale (une mutation, devrait-on
dire), qui est, quant à elle, structurée de manière ternaire. En effet,
une troisième plage temporelle fait retrouver le Dieu vengeur et jus
ticier du premier âge10*. Il s’agit du temps de la fin, un temps ouvert
par les conversions massives au christianisme; un temps centré sur
la venue de l'Antéchrist, les persécutions qu'il mène et les apostasies
qui s’ensuivent. Un temps, pour finir, qui est clôturé par le Jugement
Dernier. C’est alors que les anges sépareront le bon grain de l'ivraie,
le blé de la paille, les brebis des chèvres. Livre sans pitié que l’Apoca
lypse de Jean! Le visionnaire y voit les martyrs gisants sous l’autel
demander rétribution, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre dé
vorer les impies, le sang des pécheurs couler à flot. Entre le second
âge et cette époque finale peut ainsi s'instaurer une dialectique
comparable à celle qui opère entre Ancienne et Nouvelle Dispensa
tion11. Les luttes de l’Église deviennent alors les longues prémices du
conflit final et, comme ce dernier, elles participent à la fois de la
lettre et de l’esprit. Selon ces deux schèmes - mais avec une intensité
plus forte dans le second (triadique) que dans le premier (dya-
dique) - la vengeance est justifiée et nécessaire. L’âge présent est
donc un temps où coexistent la vengeance et la miséricorde, un
temps de guerres qui sont à la fois chamelles et spirituelles.
Ne pensons pas que ces constructions dialectiques aient été
conçues sans douleurs ni tensions. Augustin doit ainsi expliquer ce
qu'est devenu l’appel évangélique au pardon sous le cruel éclairage
que l’Apocalypse jette à rebours sur le présent. «Le juste se réjouira
quand il verra la vengeance [s’exercer] sur les impies», dans la me
10 Cf. par ex. Haymon d’Auxerre, in Apoc. 11.18, P.L., 118, col. 1078bc : Et ad
venit ira tua et tempus mortuorum judicari (...) Duos Domini adventus compre
hendunt : Primum scilicet humilem et occultum, quando surgens a mortuis mun
dum sibi substravit. Secundum vero excelsum et manifestum, quando impiis iras-
cetur, et servos suos vindicabit. Ou Augustin, Enarrationes in Psalmos, in Psal.
24.8-10, éd. E. Dekkers et J. Fraipont, Turnhout, 1956 (CCSL, 38), p. 138-139 :
Dulcis et rectus dominus. Dulcis est dominus, quandoquidem et peccantes et im
pios ita miseratus est, ut omnia priora donarit; sed etiam rectus est dominus, qui
post misericordiam uocationis et ueniae, quae habet gratiam sine meritis, digna ul
timo judicio merita requiret. (...) Universae viae Domini misericordia et veritas
(...) duo adventus filii dei, unus miserantis, alter judicantis. La paire miséricorde-
justice passe dans le petit miroir des princes de la Cité de Dieu 5, 24, éd. B. Dom-
bart et A. Kalb, Turnhout, 1955 (CCSL, 47), p. 160, où la justice ou rectitude est
appelée vindicta.
” Voir B. McGinn, The Apocalyptic imagination in the Middle Ages, dans
J. A. Aertsen et M. Pickavé (éd.), Ende und Vollendung. Eschatologische Perspek
tiven im Mittelalter, Berlin, 2002, p. 79-94, ici p. 81, s'appuyant sur O. Cullmann,
Christ and time, Londres, 1962, ici p. 144-148. Lorsqu'il s’agit du haut Moyen Âge,
McGinn me semble tirer la dialectique vers une eschatologie réalisée, et dans un
sens qui atténue la prégnance et la pression de la Fin sur les mentalités.
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14 Haymon d'Auxerre, in Apoc. 6.10, P.L., CXVÜI, col. 1030cd : Voce magna
dicentes : Usquequo, Domine, sanctus et verus non judicas et non vindicas san
guinem nostrum de his qui habitant in terra? Quaestio oritur in hoc loco, cur
sancti jam cum Domino manentes, vindictam de inimicis expetant, cum Dominus
in Evangelio dicat : «Diligite inimicos vestros, et orate pro persequentibus et ca-
lumniantibus vos [Matt. 5.44]»? Sed sciendum quia illi sancti jam in conspectu
Creatoris sui consistentes, vident voluntatem illius, et ideo ab ipso accipiunt, quod
eum velle facere noverunt, et de ipso bibunt quod ab ipso sitiunt. Petunt autem vin
dictam de inimicis duobus modis, et hoc causa charitatis, ut scilicet qui ad vitam
aeternam praedestinati sunt, convertantur a malo ad bonum. Qui vero praesciente
Deo damnandi sunt, moriantur et peccare desistant, ut post hoc minorem poenam
in inferno habeant, ubi unusquisque secundum qualitatem operum sustinebit ma
gnitudinem poenarum. Quod petere utique charitatis est et misericordiae.
15 Bède, in Luc. 23.34, éd. D. Hurst, Turnhout, 1960 (CCSL, 120), p. 402-403
(suivi par la Glose) : Quia Lucas per vituli typum sacerdotium Christi scribere dis
posuit recte apud Deum Dominus et pro persecutoribus suis jure sacerdotis inter
cedit et eodem munere latroni confttenti paradisi januam pandit. Bède suit peut-
être Ambroise, Expositio in Lucam 10, 129 (in Luc. 23.34-43), éd. M. Adriaen,
Turnhout, 1957 (CCSL, 14), p. 383 : Lucas autem conpetere evidenter adseruit la
troni veniam sacerdotali intercessione donatam et Judaeis persequentibus eodem
munere indulgentiam postulatam. Le même Ambroise parle un peu avant de la
royauté du Christ, Expositio 10, 108 (in Luc. 23.11), p. 376 : Pulchre ascensurus
crucem regalia vestimenta deposuit [cf. Mare. 15.20, «exuerunt illum purpuram»],
ut scias quasi hominem passum esse, non quasi deum regem, etsi utrumque chris-
tus, quasi hominem tamen, non quasi deum cruci esse suffixum.
16 Cf. Ph. Bue, Pouvoir royal et commentaires de la Bible (1150-1350), dans An
nales ESC, 40, 1989, p. 691-713; Id„ L’ambiguïté du Livre... cité n. 6, p. 45-47.
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17 Willibald, Vita Bonifacii 11, 35-12, 38, P.L., LXXXIX, col. 627c-630c.
18 Les formules valent la citation, Vita 11, 37, P.L., LXXXIX, col. 130a : Vitae
dispendium mortis, recepto talione, perceperunt, quia omnipotens mundi conditor
ac reformator ulcisci se voluit de inimicis, et fusum per se sanctorum sanguinem
consuetae misericordiae zelo puniri, ac diu protelatam idolorum cultoribus iram,
novo recentis malitiae furore permotus, publice ostendere. Étant donné les conver
sions qui s’ensuivent, il est tentant de mettre en rapport l’expression misericor
diae zelo puniri avec la formule prédestinatrice d’Augustin, «pardonnant (ignos
cens) miséricordieusement, vengeant justement, et de même vengeant miséricor
dieusement et pardonnant avec justice»; cf. De Genesi ad litteram 11, 11, éd.
J. Zycha, Vienne, 1894 (CSEL, 28 : 3-1), p. 344 : Praevidet bonos futuros et creat,
praevidet malos futuros et creat, se ipsum ad fruendum praebens bonis, multa mu
nerum suorum largiens et malis, misericorditer ignoscens, juste ulciscens, item que
misericorditer ulciscens, juste ignoscens, nihil metuens de cujusquam malitia, nihil
indigens de cujusquam justitia, nihil sibi consulens nec de operibus bonorum et bo
nis consulens etiam de poenis malorum.
LA VENGEANCE DE DIEU 459
19 Le texte semble dire que les pueri subissent eux aussi le martyre. Bonifiace
leur offre un dépassement de leur ordre, les conjoignant ainsi à ses frères les
clercs. Ce qui était nonnalement attendu d'eux, le combat vengeur, est réalisé par
d'autres membres de leur statut ecclésiologique, Yordo des bellatores.
20 M. McCormick, Liturgie et guerre... cité n. 1, par ex. p. 220-222.
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21 Comme l’a montré Heinz Schreckenberg dans une longue série cumulative
de travaux sur l'influence de Josèphe, auxquels nous empruntons ici beaucoup.
Signalons le plus récent, Jewish historiography and iconography in early and me
dieval Christianity, Minneapolis, 1992. Luc 19.41-44, prophétie de la destruction
de la ville, était lu le neuvième, dixième, ou onzième dimanche après la Pente
côte, cf. S. K. Wright, The Vengeance of our Lord : medieval dramatizations of the
destruction ofJerusalem, Toronto 1989 (PIMS Studies and texts, 89), p. 23 et n. 54.
22 Éd. V. Ussani, Vienne, 1932 (CSEL, 66). Voir H. Schreckenberg, Jewish
historiography..., p. 71-73; S. K. Wright, Vengeance..., p. 22.
23 Fulgentius Mythographus, De aetatibus mundi et hominis 14, éd. R. Helm,
Leipzig, 1970, p. 129-179, ici p. 177 : 14 et suiv. : Nam Vespasianus Judaicae vin
dex nequitiae, quem suae Christus injuriae elegerat vindicem, ipse Israheliticam
cladem finem usque perduxit et nequaquam jam ultra de captivitatis ergastulum re
dituram perenni exulatu damnavit. L’idée est déjà présente chez Paul Orose, His
toriarum adversum paganos libri VII, 7, 3, 8, éd. H.-P. Amaud-Lindet, III, Paris,
1991, p. 22 (notre traduction) : «Titus, que la justice de Dieu avait élu (prdina-
tum) pour venger le sang du Seigneur Jésus-Christ».
24 Voir plus bas, à la n. 38.
25 A. Becker, Franks Casket. Zu den Bildern und Inschriften des Runenkät
schens von Auzon, Regensbourg, 1973, p. 63-71 (reproduction dans H. Schrec
kenberg, Jewish Historiography... cité n. 21, fig. 13). Les autres côtés représentent
- parmi les motifs qui sont clairement identifiables - les rois mages, Romulus et
Rémus, et l’histoire du forgeron Wieland.
LA VENGEANCE DE DIEU 461
ger leurs propres enfants. Une femme aurait ainsi immolé son nour
risson puis l'aurait rôti, répandant un fumet affolant à travers toute
la ville affamée. La tradition exégétique chrétienne connaît cette an
thropophage sous le nom de Marie; elle fit de l'épisode un des signes
principaux de la vengeance divine26. Jérôme commente dans ce sens
Jérémie :
«Et je détruirai les plans de Juda et de Jérusalem en ce lieu, et je
les ferai chuter par l’épée à la vue de leurs ennemis et dans la main de
ceux qui cherchent [à leur enlever] leur vie. Et je donnerai leurs ca
davres en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre, et je met
trai cette ville dans la stupeur et dans les sifflements. Toute personne
qui la traversera sera stupéfaite et sifflera devant toutes ses plaies. Et
je les nourrirai des chairs de leurs fils et des chairs de leurs filles, et
chacun mangera la chair de son ami dans ce siège et ce manque [de
nourriture] dans lequel les enfermeront leurs ennemis, eux et ceux
qui cherchent [à leur enlever] leur vie».
Bien que nous sachions que ces choses arrivèrent aussi au peuple
[d'Israël] lors de la captivité babylonienne, elles réfèrent plus pleine
ment (plenius) à l'époque du Sauveur, quand ils furent assiégés par
Vespasien et par Titus, et quand leur ville tomba en cendres pour l’é-
temité sous Hadrien. Ainsi, ceux qui avaient offert leurs fils aux
idoles furent ensuite forcés par la pression de la faim à transformer
leur usage - à en faire [leur propre] nourriture, et les chairs de tous
furent données aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. Ainsi, ceux
qui abusèrent des dons de Dieu pour l'impiété, et qui immolèrent aux
idoles [le huit de] leurs propres viscères, firent de leurs ventres le
tombeau de leurs enfants27.
33 Historiarum adversum paganos libri VII, 7, 9, 8-9, éd. citée n. 23, III, p. 39-
40 (notre traduction) : «Les empereurs Vespasien et Titus, faisant un triomphe
magnifique des juifs, entrèrent dans la Ville. Ce fut un beau triomphe, sans pré
cédent pour tous les mortels parmi les 320 triomphes qui avaient eu lieu depuis
la fondation de la Ville jusqu’à ce temps, car on pouvait y voir un père et un fils
transportés dans un même char triomphal, ramenant une victoire sur ceux qui
avaient offensé le Père et le Fils. Immédiatement, ayant maté toutes les guerres et
séditions, domestiques comme extérieures, ils déclarèrent que la paix [régnait]
dans tout le globe et ordonnèrent que, pour la sixième fois depuis la fondation de
la Ville, les doubles portes de Janus fussent barrées, fermant l’accès [au Temple].
Il n'était en effet que justice que les mêmes honneurs soient rendus à la ven
geance de la Passion du Seigneur qui avaient été attribués à la Nativité [sous Au
guste]».
34 Historiarum adversum paganos libri VII, 7, 9, 5, éd. citée n. 23, m, p. 39.
35 Pour Bède, in Marc. 13.1-2, éd. D. Hurst, Turnhout, 1960 (CCSL, 120),
p. 595, l'Ancienne Loi ayant été surpassée (umbra et typo cessante), si les nou
veaux convertis voyaient perdurer le Temple et les rites jadis institués par Dieu,
ils y trouveraient une cause de rechute ad camale (...) judaismum. Il est donc lo
gique que Dieu ait fait détruire l’édifice.
36 Haymon, in Isa. 63.3, P.L., CXVI, col. 1054d : «Le jour de la vengance
contre les démons et les Juifs fut dans mon cœur, comprenez quand je pendais
sur la croix pâtissant de tels [tourments]. L'année de ma rédemption arrive, c’est
à dire, l’année ou temps de la rédemption de l'espèce humaine. (...) La passion du
Seigneur contint en elle en second lieu la punition des démons, des Juifs réprou-
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vés, de tous les infidèles, et les récompenses des justes. (...) En effet, alors que le
Seigneur pendait sur la croix, souffrant pour nous la passion, il y avait dans son
cœur qu’il damnerait les démons en enfer, et livrerait les Juifs aux mains des Ro
mains». Voir tout le développement, in Isa. 63.3-6, P.L., CXVI, col. 1054a-1061a.
Haymon achève (1059d-1061a) : «Bien que ces prophéties aient été accomplies en
partie avant la venue du Seigneur, elles ont toutes été accomplies après la passion
du Seigneur. Et elles sont accomplies chaque jour aussi longtemps que reste sur
eux la malédiction qu’ils ont appelée sur eux-mêmes en disant : “Que son sang
soit sur nous et sur nos fils" [Matt. 27], En effet, aussi longtemps qu’ils demeure
ront dans la sénilité de la Loi et ne recevront pas la vérité de l'Evangile, ce peuple
ne sera jamais appelé peuple de Dieu, comme le chrétien est nommé d'après le
Christ».
37 Voir en dernier lieu M.-Th. Fögen, Römische Rechtsgeschichten. Über Urs
prung und Evolution eines sozialen Systems, Göttingen, 2002 (Veröffentlichungen
des Max-Planck-lnstituts für Geschichte, 172), p. 21-22, 61 et suiv. L’auteur ne voit
cependant pas la circularité de sa grille d'interprétation («kein Recht ohne Un
recht»). Elle s’inspire en effet en partie de René Girard, La. violence et le sacré, qui
postule l’universalité d'une fonction fondatrice de la violence dite sacrificielle.
Fögen, à travers lui, est donc redevable des schèmes providentiels chrétiens (bien
peu universels!) qui inspirent la lecture girardienne des tragédies fondatrices de
ï’Antiquité classique. Sur le cercle vicieux que constitue parfois pour les médié
vistes l’utilisation de R. Girard, je me permets de renvoyer à Ph. Bue, Anthropolo
gie et Histoire : à propos d’un ouvrage récent, David Nirenberg, Communities of
violence. Persecution of minorities in the Middle Ages (Princeton, 1996), dans An
nales HSS, 53, 1998, p. 1243-1249.
38 Tite-Live, Ab urbe condita 3, 48, 5, éd. J. Bayet, III, Paris, 1969, p. 73-74 :
«Hoc te uno quo possum, ait, modo, filia in libertatem vindico». Pectus deinde
puellae transfigit, respectansque ad tribunal, « Te, inquit, Appi, tumque caput san
guine hoc consecro».
LA VENGEANCE DE DIEU 465
privilège, celui d'être vengé par Dieu. Titus et Vespasien, pour Jo
sèphe, oscillaient entre deux rôles, celui de nouveaux Cyrus, oints du
Seigneur, aidant Israël à se réformer en détruisant les factieux, et ce
lui, plus séculier, de princes prédestinés à la monarchie universelle
dans le cadre de la succession des empires rêvée par Daniel. D’in
fluentes versions du récit les transforment en chrétiens39. C’est ajou
ter encore une pierre à la christianisation de l’empire. Et c'est aussi
offrir un modèle de comportement aux princes et grands aristo
crates d’Occident.
C’est précisément ce dont témoignent, au tournant du millé
naire, trois textes : la fameuse Encyclique de Sergius IV, la Vie de
Maïeul par Odilon de Cluny4041 et les Gesta Conradi de Wipon. On peut
les relier - cela a déjà été fait pour les deux premiers - à la genèse de
l’idée de croisade. Le premier document, qui selon Hans-Martin
Schaller est bien à dater du début du XIe siècle, appelle les chrétiens
à imiter Titus et Vespasien et à marcher sur Jérusalem pour venger
les déprédations que les musulmans ont perpétrées à Jérusalem4*. Le
second texte, la Vita Maiolis, met en rapport les exploits de Titus et
de Vespasien avec le nettoyage des bandes musulmanes qu’opéra
Guillaume le Libérateur en Provence :
De même qu'après la Passion du Christ les Juifs ont été exilés par
les Siens, de même à la suite de la capture de Son serviteur et très fi
dèle familier Maïeul, les Sarrasins ont été expulsés hors des frontières
chrétiennes. Et de même que le Seigneur exécuta Sa vengeance sur
les Juifs par les princes des Romains Titus et Vespasien, de même II
fit tomber le joug des Sarrasins des épaules des Chrétiens par [l’inter
médiaire de] Guillaume, le plus illustre des hommes et prince très
chrétien.
Comme le dit excellemment Jean Flori, qui relie la Vie de Maïeul
à l'Encyclique de Sergius, ce passage documente la possibilité d’un
«glissement» où les musulmans prennent la place des Juifs. Et l'on
trouve ici l’association sémantique entre «vengeance» et «récupéra
tion» d’une possession comme lors de la croisade. Odilon poursuit
en effet : «et II arracha puissamment par la force à leur domination
tyrannique de nombreuses régions et terres dont ils avaient pris pos
session contre le droit»42. Quant à l’œuvre de Wipon, elle rapporte
comment Conrad II
debout dans les marais jusqu'aux cuisses, exhortait ses soldats à se
battre, et combattait lui aussi [en personne]. Les païens une fois vain
cus, il les massacra avec la plus grande dureté, à cause d'une de leurs
superstitions innommables. On raconte en effet qu'il arriva que les
païens se moquent de manière scélérate d'une effigie en bois de Notre
Seigneur Jésus Christ crucifié, qui était en leur possession. Il lui cra
chèrent dessus, la giflèrent, pour finir par lui enlever les yeux et lui
couper les mains et les pieds. L’empereur vengea ces faits en prenant
un très grand nombre parmi les captifs païens pour cette seule effigie
du Christ, et de la même manière les mutila et les anéantit par des
morts variées.
Wipon ajoute que le poème en vers, rapportant les actions
dignes de louanges du Salien, l’appelle le «vengeur de la Foi» et «le
compare à Titus et à Vespasien, qui pour venger le Seigneur ven
42 Odilon, Vita Maioli Cluniacensis 3, 14, Æ4SS Maii II, 11, col. 689-690 :
[Maiolus] vero divinitus absolutus, ad postremum pecuniis monasterii sui redemp
tus, de manibus illorum Domino protegente evasit illeesus; et ejus injusta captio, ex
pulsionis illorum et perpetuae perditionis fuit occasio. Sicut vero post passionem
Christi, Judæi sunt a suis exulati; ita post captionem servi illius et fidelissimi ejus
famuli Majoli, Saraceni a finibus Christianorum sunt expulsi. Et sicut per Titum et
Vespasianum Romanorum Principes Dominus de Judaeis vindicta exercuit, ita per
Wilelmum illustrissimum virum et Christianissimum Principem; meritis beati Ma
joli, jugum Saracenorum ab humeris Christianorum deposuit; et multa terrarum
spatia, ab eis injuste possessa, ab eorum tyrannica dominatione, potenti virtute eri
puit. J. Flori, Une ou plusieurs «premières croisade»?... cité n. 3, p. 16 et n. 59, et
Id., La préparation spirituelle... cité n. 40, p. 187, note le rapport entre vengeance
et juste revendication {vindicatio) des terres usurpées par les musulmans chez
Baudri de Dol/Bourgueil. On remarquera aussi Raymond d’Aguilers, p. 151 : In
hac eadem die apostolorum filii Deo et patribus urbem et patriam vendicaverunt.
LA VENGEANCE DE DIEU 467
43 Wipon, Gesta Chuonradi, 33, éd. H. Bresslau, Hanovre, 1915, réed. 1977
(M.G.H., Scriptores rer. Germ, in us. schol., 61), p. 53 :14 : Multum enim laboravit
Chuonradus imperator prius et tunc in gente Sclavorum, unde quidam de nostris
quoddam breviarium versifice fecit, quod postea imperatori praesentavit. Ibi legitur,
qualiter imperator interdum in paludibus usque femora stabat, pugnans ipse et ex
hortaris milites, ut pugnarent, et victis paganis nimis acriter trucidabat eos pro qua
dam superstitione illorum nefandissima. Nam fertur, ut quodam tempore effigiem
ligneam crucifixi Domini nostri Jesu Christi scelerato ludubrio habuissent pagani et
in eam spuerent, atque colaphis caederent; ad extremum oculos eruebant, manus et
pedes truncabant. Haec ulciscens imperator de captis paganis maximam multi
tudinem pro una effigie Christi simili modo truncavit et varia morte delevit. Idcirco
in eisdem versibus Caesar ultor fidei vocatur, et Romanis principibus Tito et Vespa
siano comparatur, qui in ultionem Domini triginta Judaeos pro uno nummo
commutaverant, cum Judaei Christum pro totidem denariis vendiderint.
44 Pour les bouffées d'eschatologie sous Conrad II, voir maintenant B. Ar
nold, Eschatological imagination and the program of Roman imperial and eccle
siastical renewal at the end of the tenth century, dans R. Landes et al., The Apoca
lyptic Year 1000. Religious expectation and social change, 950-1050, Oxford, 2003,
p. 271-287, en particulier 281-282.
45 Voir le texte traduit supra, note 36.
46 Voir A. Dupront, Le mythe de croisade, rééd. Paris, 1997, III, p. 1347,1357-
1358.
47 Traduction anglaise du récit hébreu de Salomon ben Simson dans R. Cha-
zan, European Jewry and the First Crusade, Berkeley, 1987, p. 248. Discussion
dans F. Lotter, Tod oder Taufe... cité n. 5, et J. Riley-Smith, The First Crusade and
468 PHILIPPE BUC
the persecution of the Jews, dans W. J. Sheils (éd.), Persecution and toleration, Ox
ford, 1984 {Studies in Church History, 21), p. 51-72.
48 Pour les exégètes, la Vengeance de Notre-Seigneur et les guerres des Mac
cabées étaient reliées, mais de manière toute particulière, par une fausse typo
logie juive. Voir Hraban, in 1 Mac. 2.1sq., P.L., CIX, col. 1140cd (qui cite presque
mot à mot Jérôme, in Dan. 11.32, éd. F. Glorie, Turnhout, 1964 [CCSL, 75A],
p. 923, repris par la Glose) : Quanta Judaei ab Antiocho passi sint, praesens histo
ria Machabeorum refert, et triumphi eorum testimonio sunt, qui pro custodia legis
dei flammas et gladios, et servitutem ac rapinas, et poenas ultimas sustinerunt,
quae futura sub Antichristo, nemo est qui dubitet, multis resistentibus potentiae
ejus et in diversa fugientibus. Quae Hebraei in ultima eversione templi, quae sub
Vespasiano et Tito accidit, interpretantur, fuisse de populo plurimos qui scirent Do
minum suum et pro custodia legis interfecti sunt.
49 H. Keller, «Machabaeorum pugnae»... cité n. 1; J. Dunbabin, The Macca
bees as exemplars in the tenth and eleventh centuries, dans K. Walsh et D. Wood,
The Bible in the medieval world. Essays in memory of Beryl Smalley, Oxford, 1985,
p. 35-41. Voir déjà Sedulius Scotus, De rectoribus Christianis, cap. 15, P.L., CHI,
318cd, ou éd. S. Hellmann, Sedulius Scotus, Munich, 1906 (Quellen und Untersu
chungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 1-1), p. 67 : 4-17, où les Macca
bées fournissent un exemple de victoire contre des ennemis plus nombreux ob
tenue par la foi et la prière à Dieu (impliquant sans doute le jeûne), avant le
combat, ou (comparaison que l’auteur lui-même ne veut pas trop pousser); An
nales de Fulda' 867 (866), éd. Fr. Kurze, Hanovre, 1891 (M.G.H., Scriptores rer.
Germ, in us. schol., [7]), p. 66 : Ruotbertus Karoli regis cornes apud Ligurim flu
vium contra Nordmannos fortiter dimicans occiditur, alter quodammodo nostris
temporibus Machabeus; cujus proelia, quae cum Brittonibus et Nordmannis gessit,
si per omnia scripta fuissent, Machabei gestis aequiperari potuissent. La Vie de Wil
frid d'York fait du roi saxon Egfrith - mais seulement tant qu'il obéit le prêtre de
Dieu, car il finira mal - un nouveau David et un nouveau Judas Maccabée, «atta
quant avec la petite armée du peuple de Dieu l'énorme adversaire [pieté] et de
plus invisible» - Vita Wilfridi episcopi Eboracensis, 19 (M.G.H., Scriptores rer. Me-
rov., 6), p. 214. Citons le Latin, car il est peu clair : Nam, quo audito, rex Ecgfridus,
humilis in populis suis, magnanimus in hostes, statim equitatui exercito praepara
to, tarda molimina nesciens, sicut Judas Machabeus in Deum confidens, parva ma
nu populi Dei contra inhormem et supra invisibilem hostem cum Beomhaeth auda
ci subregulo invasit stragemque inmensam populi subruit, duo flumina cadaveribus
mortuorum replentes, ita, quod mirum dictum est, ut, supra siccis pedibus ambu
lantes, fugientium turbam occidentes persequebantur; et in servitutem redacti, po
puli usque ad diem occisionis regis subjecti jugo captivitatis iacebant. Les traduc
teurs anglais n'ont rien proposé de satisfaisant, le inhormem et supra invisibilem
hostem devenant «l'ennemi très nombreux et de plus caché», cf. J. F. Webb et
D. H. Farmer, The Age of Bede, Harmondsworth, 1965, 1983, p. 126; et C. Albert-
son, Anglo-Saxon saints and heroes, New York, 1967, p. 118-119 et n. 75.
50 C’est ainsi que les comprend - au sens mystique aussi - Hraban Maur, in
1 Macc. 2.6, P.L., CIX, col. 1143a (repris par la Glose) : Hi viderunt mala quae fie-
LA VENGEANCE DE DIEU 469
bant in populo Juda et Hierusalem, etc. Quia isti utique scandala diversa quae ab
iniquis in ecclesia Dei perpetuo [ingeruntur] condolendo agnoscunt, mucrone spiri
tuali vindicare gestiunt, semetipsos hostiam ponere ac pro suorum salute morti tra
dere non metuunt.
s’Bède, in Apoc. 6.10 (CCSL, 121A), p. 301 : 77-78 (cf. P.L., XCIII, col. 148a) :
Sub ara occisos, id est, sub testificatione nominis Christi, sicut de Machabeis dic
tum est, «Sub testamento Dei ceciderunt» [cf. 2 Macc. 7.36].
52 Pseudo-Bède, De libro Psalmorum. Voir les argumenta in Psal. 55, P.L.,
XCHI, col. 774c : Machabaeorum supplicatio, quando in ultionem legis conju
rantes tam praevaricatores cives quam etiam hostes expugnare tentabant. Aliter vox
Christi ad Patrem; in Psal. 108, P.L., XCHI, col. 1029cd : Sub Machabaeorum per
sona canitur, deplorantium quae ab exteris et domesticis adversa pertulerunt, pos-
tulantiumque ultionem in eos qui Antiochum vel Demetrium reges in eorum odia
falsa criminatione succenderant, quique venalem fecerant sacerdotii dignitatem;
quod non tantum excluso Onia factum est, sed per omne tempus deinceps quo Ju
daea Machabaeis est proeliantibus liberata. Aliter vox Christi ad Patrem de Judaeis.
53 Pour citer Hraban Maur, in 1 Macc. 2.70, P.L., CIX, col. 1148a.
M Wipon en fait, ainsi que David, Salomon et Gidéon, un modèle du service à
la rem publicam : Gesta Chuonradi, préface, éd. H. Bresslau, p. 5.
55H. Keller, «Machabaeorum pugnae»... cité n. 1, p. 431-432, a souligné
comment l’horizontalité des alliances dépeintes dans les deux livres bibliques des
Maccabées allait bien avec la culture politique de l’aristocratie de l'Allemagne du
Xe siècle. Le modèle est relevé par Guibert de Nogent dans la version qu'il donne
470 PHILIPPE BUC
diversas species dogmatum in populo Dei lucere debuerunt, sive per metum, sive
per cupiditatem terrenam de ordine suo praecipitavit. Tollit ergo mensam proposi
tionis ac vasa ejus quando Scripturas sacras cum iniqua interpretatione confundere
per haereticos satagit, et eos qui in meditatione legis Dei, velut vasa mensae Dei ac
panes propositionis commanere videbantur, astutia nequitiae suae corrumpere at
que in errorem seducere contendit.
59 Hraban, in 2 Macc. 9.1, P.L., CIX, col. 1241a (repris presque mot à mot par
la Glose) : [Eodem tempore Antiochus inhoneste revertebatur.] Mystice autem os
tendit quod persecutores Christianorum pro malefactis suis atque injusticiae operi
bus quae gesserant in futuro justam a Domino penorum recepturos sint retributio
nem; et qui hic conturbare fidelium corda non metuebat, in extrema ultione inter
nis doloribus sera poenitentia cruciari.
60 Par ex., Hraban, in 1 Macc. 3.11, P.L., CIX, col. 1149d-1150a, repris par la
Glose. Certains tombent, d’autres fuient (ce qui veut dire que ces Juifs se conver
tissent); Judas Maccabée s'empare de leurs armes, comprenons, «les disciples du
Christ convertissent à un usage spirituel toutes les cérémonies de la Loi qu’ils [les
Juifs] employaient selon la chair».
" Hraban, in 2 Macc. 8.12, P.L., CIX, col. I240cd (repris mot à mot par la
Glose) : Judas autem [ubi comperit, indicavit his qui secum erant Judaeis Nica
noris adventum]. (...) Judas cum septem milibus contra Nicanorem et socios ejus
confligit ac vincit, quia per septiformis gratiam spiritus populus ecclesiae cum rec
toribus suis vincit hostes universos; nec de eo unquam victoriam capit Judaeus,
sive paganus, seu haereticus, vel schismaticus, sive ullus hypocritarum aut ne
quam, imo ipse cum rege suo vincente tropheum gloriae possidebit in aeternum.
Pour une variante, identifiant implicitement païen et idolâtre, cf. Hraban, in
1 Mac. 5.1, P.L., CIX, col. 1163bc, où les gentes in circuitu sont les idolâtres, les
Juifs, les hérétiques et schismatiques (repris par la Glose). Les divers groupes
d’adversaires peuvent aussi signifier aussi les puissants de ce monde, ou la triade
des tres ordines persecutorum (...) paganos, haereticos et falsos christianos (Hra
ban, P.L., CIX, col. 1152a). L'expression mÙ(it)es Christi apparaît souvent, du dé
but jusqu'à la fin des deux livres des Maccabées, par ex., sur 1 Macc. 4.27, ou sur
2 Macc. 11.6 (où Judas demande avec des pleurs l'aide divine contre ses ennemis,
quin potius a militibus Christi qui humillimus precibus supernum quaerunt auxi
lium, fugatur atque prosternitur) - Hraban, P.L., CIX, col. 1244bc (repris par la
Glose). A l’inverse cependant, les guerriers aux armes brillantes deviennent l’in
carnation et les dicta et exempla divins (Hraban, in eodem). Les victoires ultimes
des Maccabées deviennent, selon la prophétie de Daniel ici citée, la pierre qui
écrase tous les empires et le royame étemel dont jouiront les élus. Chez Hraban,
qui affectionne l’expression, il s'agit de guerres radicalement différentes, des no
va bella (terme repris du Livre des Juges) contre les vices où l'on «rend le bien
pour le mal», et l'on brise les portes des mauvais esprits que sont les hérétiques et
les pervers, voir in Judic. 5.8, P.L., CVIII, cok 1141ac.
472 PHILIPPE BUC
“ Hraban, in 1 Macc. 5.30-35, P.L., CIX, col. 1167bc. Voir aussi in 1 Macc.
5.44, P.L., CIX, col. 1169bc : Occupavit Judas ipsam civitatem et fanum succendit
igni cum omnibus qui erant in ipso; quando non solum machinationem omnem
erroris haereticorum atque persecutorum destruit, imo omnes qui in eo [sic P.L.,
ea?] confidunt Salvator noster igne justae comburit ultionis.
63 In 2 Macc. 12.13 et suiv., P.L., CÏX, coi. 1247b-1248b : Sicque inenarrabiles
caedes conficiebant hominum, non ut interitu aeterno funditus perirent, sed ut
mundo morientes Christo felicius viverent. Hujusmodi quoque Petro caedes in Acti
bus apostolorum [cf. Act. 10.11] jussus est conficere, quando vas illud mysticum
quatuor initiis submitti de coelo in terram in exstasi conspexerat, in quo erant om
nia quadrupedia et serpentia terrae, et volatilia coeli, et dictum est ei : Surge, Petre,
occide et manduca. Animalia ergo omnes gentes significabant erroribus immundas,
sed in nomine sanctae Trinitatis sacro baptismate mundandas, quae hominis ima
ginem relinquentes, per imitationem bestiarum et serpentium sumpsere figuras;
quas jubet vox illa coelestis Petro occidere et manducare, quia illum occidere in gen
tibus id quod fuerant, et facere eos id quod ipse erat praecipiebat. Qui enim mandu
cat cibum foris positum in suum corpus trajicit; praecepit ergo ut nationes per in
credulitatem ante fores positae, interfecta praetenta vita, societati Ecclesiae, quam
significat Petrus, inserantur. Cf. Ph. Bue, L'ambiguïté du Livre... cité n. 7, ch. 3.
44 In 1 Macc. 2.6, P.L., CIX, col. 1141bd : Hi viderunt mala quae fiebant in po
pulo Juda et Hierusalem, etc. Quia isti utique scandala diversa quae ab iniquis in
Ecclesia Dei perpetuo [ingeruntur] condolendo agnoscunt, mucrone spirituali vin
dicare gestiunt, semetipsos hostiam ponere ac pro suorum salute morti tradere non
metuunt.
65 Hraban, in 1 Macc. 9.37, P.L., CIX, coi. 1184cd : Sed Jonathas et Simon ul
cisci ea cupientes, sponsum qui duxit filiam unius de magnis principibus Cha-
naan in ambitione magna, cum omni suo apparatu et amicis suis subvertit atque
occidit : quando doctores sancti aliquos eorum quos toto nisu conspiciunt volupta-
LA VENGEANCE DE DIEU 473
tibus mundi inhiare et ad luxuriam proclives esse (quibus princeps hujus saeculi ad
decipiendum ardentes quoque in concupiscentia camis proponit ad societatem
suam eos pertrahendo) ab intentione prava eripiunt, atque in eis hoc quod nocivum
fuit et reluctans divinis mandatis mucrone divini verbi occidunt. Talis enim victo
ria bene hos condecet qui ex magistro coelesti didicerint diligere inimicos suos et be
nefacere his qui oderunt se; orare pro persequentibus et calumniantibus sibi, bene
dicere maledicentibus et non remaledicere. Qui eorum spolia accipiunt, quando to
tos nisus eorum in usum ecclesiasticum convertunt.
66 Hraban, in Esther 8.12, P.L., CIX, coi. 664ab : Constituta est (...) una ultio
nis dies, id est, tertia decima mensis duodecimi Adar. (...) Porro tempus quo haec
interfectio hostium fieri praecepta est, bene convenit mysterio hujus spiritualis in
ternecionis, nam duodecimus mensis Hebraeorum, hoc est Adar, non nisi novissi
mam aetatem saeculi, in quo hoc spirituale bellum per milites Christi maxime agi
tur, exprimit.
67 Hraban Maur, in Matt. 24.15 (CCCM, 174a), p. 622, reprenant Bède, in
Marc. 13.14-16 (CCCM, 120), p. 598.
474 PHILIPPE BUC
71 Voir J. Fried, Aufstieg aus dem Untergang. Apokalytische Denken und die
Entstehung der modernen Naturwissenschaft im Mittelalter, Munich, 2001, qui suit
R. Landes, Sur les traces du Millennium : la via negativa, dans Le Moyen Age, 99,
1993, p. 5-26.
72 Comme le montre élégamment J. Fried, Aufstieg aus dem Untergang...,
passim.
73 Les variantes dans le comportements s’expliquent ainsi en partie par des
«religiosités» différentes malgré une même «religion» institutionnelle, pour re
prendre la distinction proposée par G. I. Langmuir, History, religion, and anti
semitism, Berkeley, 1990, p. 160-162. Tant qu’on se pense sur le «chemin» (iter),
on peut se passer de vengeance, cf. Raymond, «liber», p. 38 : Cumque locus ul
tioni nobis offertur, placuit iter, non injuriarum vindicta.
74 La dualité du temps présent - où les prophéties de la venue du Messie sont
et réalisées et encore à réaliser - permet de concevoir tout acteur important de
l'histoire contemporaine comme un «petit messie» ou un «petit antéchrist». Je
reprends les termes de B. McGinn, The Apocalyptic imagination... cité n. 11, ici
p. 81 et 85-86. Mais voir déjà Bernheim, Zeitanschauungen... cité n. 70, p. 69-78.
476 PHILIPPE BUC
7S Cp. S. Gouguenheim, Les fausses terreurs de l’an mil : attente delà fin des
temps ou approfondissement de la foi?, Paris, 1999, p. 10 : «L’eschatologie leur
était quotidienne, mais non imminente», épinglé férocement par J. Fried dans
une longue note critique, Die Endzeit fest im Griff der Positivismus?, dans Histo
rische Zeitschrift, 275, 2002, p. 281-322.
74 Augustin, Ep. 199, 9, 25, éd. A. Godlbacher, Vienne, 1911 (CSEL, 57),
p. 265-266, cité ici dans la version qu'en donne Hraban Maur, in Matt. 34.14
(CCCM, 174A), p. 617 (texte fortement condensé dans la Glose). Cf. Rémi
d’Auxetre, P.L., CXXXI, col. 868c, qui reflète ici la difficulté ressentie par Augus
tin : Dominus multiplicibus verbis et destructionem Jerusalem, et persecutiones
Antichristi, nec non et signa sui adventus praedixit.
77 Jérôme, Commentarii in euangelium Matthaei, 4, in Matt. 24.24-25, éd.
D. Hurst et M. Adriaen, Turnhout, 1969 (CCSL, 77), p. 228 : 508-513 : Ecce prae
dixi vobis. Tripliciter ut ante jam dixi locus hic disserendus est aut de tempore obsi
dionis romanae aut de consummatione mundi aut de hereticorum contra ecclesiam
pugna et istiusmodi antichristis, qui sub opinione falsae scientiae contra Christum
dimicant.
LA VENGEANCE DE DIEU 477
« Bède, in Marc., P.L., XCH, col. 262c, ou CCSL, 120, p. 599 : 165-167 : par
tim (...) partim (...). Il est repris par la Glose sur le passage synoptique, Matt.
24.20 : Hçc autem omnia partim ad eversionem Judgorum, partim ad diem judicii
pertinent.
79 Voir Jérôme, in Dan. 11.21 (CCSL, 75A), p. 915, où la paire ex parte — in toto
correspond à in typis - in veritate : Ex parte (...) et quasi in umbra et imagine veri
tatis in Salomone (... sed) in Domino (...) perfectius.
80 Hraban Maur, in Matt. 24.20 (CCCM, 174A), p. 624-625, suivant Jérôme, in
Matt. 24.23 (CCSL, 77), p. 228 : 504-505. Exemple de plenius : Jérôme, in Hier.
19.7-9 (traduit plus haut, à la n. 28). Hraban l'applique au moins une douzaine de
fois dans son commentaire sur la même œuvre (Jérémie); Haymon, lui, aux petits
prophètes et à Isaïe. On trouve aussi chez ces deux auteurs l'expression, parlante,
de plenius atque perfectius.
•’ Jérôme explique, in Soph. 1.10, éd. M. Adriaen, Turnhout, 1970 (CCSL,
76A), p. 667, comment la typologie autorise une prophétie à double référent
(dans ce cas la captivité babylonienne et la victoire de Titus et Vespasien). Le pre
mier événement prophétisé appartient à la lettre (historia), et est en même temps
le «type» du second événement, qui est «parfait» (perfectae, comprenons, «final»,
mais aussi «plein»).
12 Cf. Haymon sur Isaïe, P.L., CXVL, col. 866d, 867c; sur les petits prophètes,
P.L., CXVH, col. 154cd (Mich. 4.4-7), 209d (Soph. 3.15), 244ab (Zach. 8.7). Hay
mon peut aussi établir cette correspondance hiérarchisée entre le temps ouvert
par le Nouveau Testament et le temps de la fin, voir sur les Épîtres de Paul, P.L.,
CXVH, col. 655d (quotidie sed plenius in die judicii), ou l'homélie 96, P.L., CXVII,
col. 555bc : Noverat et hoc sancta Dei ecclesia, sed longe melius et plenius in illa die
(...) quando perfectius cuncta quae scienda sunt scient (...).
478 PHILIPPE BUC
combat; ils deviennent une des multiples crises précédant la crise finale. Mais
c'est toujours la simonie qui va faire venir l'Antiochus mystique, comprenons,
l’Antéchrist.
87 Sur cette œuvre, voir en dernier lieu W. North, Polemics, apathy, and au
thorial initiative in Gregorian Rome. The curious case of Bruno of Segni, dans Has
kins Society Journal, 10, 2001, p. 113-125. On verra du même une thèse en docto
rat de l'Université de Californie à Berkeley (1998), intitulée In the shadows of Re
form : exegesis and the formation of a clerical elite in the works of Bruno, bishop of
Segni (1078/79-1123). Sur l'eschatologie de Grégoire VII, voir surtout K. J. Benz,
Eschatologie und Politik bei Gregor VIII., dans Studi gregoriani, 14, 1991, p. 1-20.
Le suivent, respectivement en accentuant l’eschatologie, T. Struve, Endzeitser
wartungen... cité n. 85, p. 214-217, et en l'atténuant, H. E. J. Cowdrey, Pope Gre
gory VII, Oxford, 1998, p. 530-534 : Grégoire pensait que l'Antéchrist lui-même
n’était pas loin de venir, mais n'identifie aucun de ses adversaires au grand Anté
christ. Us en sont plutôt les membres de ce dernier, des petits antéchrists, dont la
conversion reste toujours possible. Comme le remarque Struve, suivant le travail
fondamental d'Ernst Bernheim, au Moyen Âge les désordres de ce monde étaient
souvent lus à travers le prisme de l’eschatologie.
MP.L., CLXV, col. 1116-1118. Cf. N. Housley, Crusades against Christians :
their origins and early development, c. 1000-1216, dans P. W. Edbury (éd.), Crusade
and settlement, Cardiff, 1985, repr. dans T. F. Madden (éd.), The Crusades... cité
n. 2, p. 71-97, ici p. 73.
89 Landulf, Historia Mediolanensis, éd. G. H. Pertz, dans M.G.H., Scriptores,
vm, Hanovre, 1848, p. 83, cité et analysé par N. Housley, Crusades against Chris
tians..., p. 77.
90 Adversus simoniacos libri tres, 3,18, P.L., CXLLU, coi. 1168bc : [Ignis alta
ris] non defecit usque regnum Antiochi, qui procul dubio typus fuit Antichristi, cu
jus prophetae habentur haeretici; quorum sicut primi, sic et maximi, in utroque tes
tamento sunt SimoniacL Quod non solum ex aliis Scripturis, sed etiam ex Macha-
baeorum comprobatur gestis. Siquidem typus Antichristi, Antiochus sacerdotium
Judaeorum Jasoni, typum Simonis Magi praeferenti, vendidit primus. Le lien entre
les Maccabées comme type à réaliser et la simonie est déjà présent chez Liud-
prand de Crémone, Antapodosis, 4, 27-28, éd. P. Chiesa, Liudprandi Cremonensis
Opera omnia, Turnhout, 1998 (CCCM, 156), p. 114-115. Sur cet épisode, voir Ph.
480 PHILIPPE BUC
Bue, Dangereux rituel : de l'histoire médiévale aux sciences sociales, Paris, 2003,
p. 56-57.
91 Adversus simoniacos, 3, 18-19, P.L., CXUU, col. 1168d-1171c.
92 Je suis redevable de ce texte et de sa datation à Guy Lobrichon, que je re
mercie vivement. Bérengaud (?), in Apoc. 14.20, P.L., XVII, col. 898ac : Et exiit
sanguis de lacu usque ad frenos equorum per stadia mille sexcenta (...) Sanguis
ergo de lacu exivit, et mille sexcenta stadia occupavit; quia ea poena quae daemones
et omnes incredulos absorbebit, etiam falsos christianos, qui fidem visi sunt ha
buisse, sed opera fidei non habuerunt, iliaque abit : per equos vero falsi pastores Ec
clesiae designantur, qui officium regiminis non pro amore Dei, sed pro amore sae
culi suscipiunt : per fienos quibus equi reguntur, eorum falsa doctrina designatur.
Habent quidem falsi pastores doctrinam in ore, ne ab officio funditus alieni videan
tur : sed Pharisaeorum exemplum sequentes, dicunt et non faciunt. Et quia aliud
non possunt docere, nisi quod Evangelium loquitur, et in praedicatione sua annun
tiant peccatoribus quas poenas patientur, nisi corrigantur; usque ad equorum fre
nos sanguis pervenit, quia poenas quas peccatoribus minati sunt, nisi corrigeren
tur, ipsi quia vitia sua deserere noluerunt, experientur.
93 Encore que Humbert en voit une préfiguration sous Antiochus, vide supra,
aux notes 91-92.
94 Par ex., Bède, in Mare. 13.21-22, «Exurgent enim pseudochristi» (CCSL,
120), p. 600; nous citons la reprise par Hraban, in Matt. 24.11 (CCCM, 174A),
p. 615-616 : Quidam haec ad captivitatis Judaicae tempus referunt, ubi multi Chris
tos se esse dicentes deceptas post se catervas populi trahebant. (...) Melius de haere-
LA VENGEANCE DE DIEU 481
Christ sur Jérusalem. Ils annoncent une destruction bien sûr impu
tée aux péchés génériques des Juifs, et plus particulièrement à la
tendance à tuer les Prophètes que leur prête une lecture chrétienne
de l'Histoire sainte. Plus spécifiquement, cependant, la rétribution
exécutée par Titus et Vespasien découle de l'avarice des prêtres.
C’est ce que veut Grégoire le Grand, qui parle explicitement de la
vente et de l'achat de l’Esprit Saint, et en fait la raison pour laquelle,
dans l'Évangile de Luc, le Christ, immédiatement après avoir pleuré
sur la ville, chasse les marchands du Temple95. Cette conception ex
plique en partie l'impact des accusations de simonie dans la seconde
moitié du XIe siècle. Et cet impact ne pouvait qu'allait croissant au
fur et à mesure que les conflits et la propagande créaient de nou
veaux scandales et enflammaient les esprits, laissant ainsi soup
çonner que la discessio finale était imminente96. Quant aux guerres
des Maccabées, elles peuvent, elles aussi, être tirées tant vers les tous
derniers jours que vers la Réforme de l’Église. L’utilisation qu'en fait
Humbert dans ce sens n'est pas surprenante au vu de la tradition
exégétique. Hraban, en effet, lisait déjà dans le même sens la purifi
cation des lieux saints et l'assaut contre la citadelle de Jérusalem, où
s’étaient retranchés les impies. Pour l'exégète carolingien, la purifi
cation maccabéenne signifie la réédification d’une église imma
culée97. Les prêtres, qu'ils soient hérétiques ou souillés par le péché,
ticis accipiendum, qui contra ecclesiam venientes christos se esse mentiuntur, quo
rum primus Simon Magus fuit, extremus autem ille major ceteris est Antichristus
(la Glose reprendra cette dernière phrase).
9î Grégoire le Grand, Homélies sur les Évangiles, 2.39.1, éd. R. Étaix, Turn
hout, 1999 (CCSL, 141), p. 381 : Eversionem quippe describens, sed vendentes et
ementes in templo feriens, in ipso effectu sui operis ostendit unde radix prodiit per
ditionis (...) per columbas (...) sancti spiritus donum accipitur. Sed vendentes et
ementes ex templo eliminat, quia vel eos qui pro munere impositionem manuum
tribuunt, vel eos qui donum spiritus emere nituntur damnat. Bède reprend ce
thème, in Luc. 19.45 {CCSL, 120), p. 347, suivi par la Glose : Per hoc innuens quod
ruina populi maxime ex sacerdotum culpa fuit, dum enim vendentes et ementes per
cutit, ostendens unde radix perditionis processit.
96 Pour l'importance de la simonie dans l’exégèse composée par les grégo
riens, voir I. S. Robinson, Political allegory... cité n. 5, p. 73-75, 86-87, 92-93.
Comme nous le savons maintenant, simonie et incontinence cléricale consi-
tuèrent le primum mobile de la Réforme.
97 Hraban, in 1 Macc. 4.41-42, P.L., CIX, col. 1158d-1159b : Tunc ordinavit Ju
das viros ut pugnarent adversus eos qui erant in arce, donec emundarent sancta,
etc. Apte dictum est quod ordinaverit Judas viros ut pugnarent adversus eos qui
erant in arce donec emundarent sancta, quia hoc ordinat Redemptor noster per
praedicatores suos, quatenus milites ipsius adversus eos qui inhabitabant in arce
superbiae, hoc est, homines inflationis spiritu elatos, vel in malignos spiritus super
bia tumentes instanter pugnent, donec corda electorum ab omni labe iniquitatis ex
purgent. Et elegerunt sacerdotes sine macula, voluntatem habentes in lege Dei, et
mundaverunt sancta, quia ejectis his de officio ecclesiastico qui erroris lepram vel
scelerum maculam in se habebant, voluntarios atque moribus probos in fide elege-
482 PHILIPPE BUC
101 Pour cette notion de «toile», voir Bue, L’ambiguïté du Livre... cité n. 6,
p. 40-42, «Grammaire de l'exégèse».
102 Je suis redevable ici des conseils de Luc Ferrier, comme de son article : La
couronne refusée de Godefroy de Bouillon : eschatologie et humiliation de la majes
té aux premiers temps du Royaume latin de Jérusalem, dans Le concile de Cler
mont... cité n. 5, p. 245-265. Ferrier démontre bien que Raymond d’Aguilers rap
porte des hésitations bien apocalyptiques face à l'éventuelle création d'un roi
dans une ville sainte où seul le Christ - ou l’Antéchrist - sont appelés à régner à la
fin des temps.
103 «Liber», p. 150-151 (Hill et Hill notent la référence à Apoc. 14.20) : Sed ad
templum Salomonis veniamus. Ubi suos ritus atque sollemnitates cantare solebant.
Sed quid ibi factum est? Si verum dicimus, fidem excedimus. Sed tantum sufficiat,
quod in templo et porticu Salomonis equitabatur in sanguine ad genua, et usque ad
frenos equorum, justo nimirum judicio <version B : justo miroque judicio>, ut lo
cus idem eorum sanguinem exciperet, quorum blasphemias in Deum tam longo
tempore pertulerat. Raymond, pensent certains, serait l’auteur de la lettre de Da
gobert archevêque de Pise, Raymond de Saint-Gilles, et Godefroy de Bouillon au
pape, laquelle utilise aussi l'expression (H. Hagenmeyer, Die Kreuzzugsbriefe aus
den Jahren 1088-1100, Innsbruck, 1901, p. 171) : in porticu Salomonis et in templo
ejus nostri equitabant in sanguine Saracenorum usque ad genua equorum.
104 Bède, Explanatio Apocalypsis, in Apoc. 14.20 (CCSL, 121A), p. 437 (cf. P.L.,
XCni, col. 177d) : Et exiit sanguis de lacu usque ad frenos equorum. Exiit ultio
usque ad rectores populorum; usque enim ad diabolum et ejus angelos novissimo
certamine exiit ultio sanguinis sanctorum effusi, sicut scriptum est, «In sanguine
peccasti, et sanguis te persequitur» [Ez. 35.6]». La Glose adapte : Exivit sanguis.
Etema pqna pro peccato, sanguis non vinum quod in cellario Dei ponitur, Usque
ad frenos. Id est usque ad ipsos rectores iniquorum puniendos, scilicet diabolos.
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sanguinem nostrum qui pro te effusus est (...)». Cp. Apoc. 6.10 : Et clamabant
voce magna dicentes, usquequo Domine sanctus et verus non judicas et vindicas
sanguinem nostrum de his qui habitant in terra?
”• Glose ordinaire (marginale) in Apoc. 6.6 : Bilibris tritici denario uno] Tri-
ticum perfectiores qui per tribulationem decocti sunt Deo cibus suavis. Ordeum mi
nores in eodem genere. (...) Per triticum intelligimus majores martires qui sunt bi
libres, habent enim praeter martirium opera et dilectionem Dei et proximi, vel fides
et opera. Per ordeum minores martires scilicet qui solam fidem habent Trinitatis
sine operibus et sine ulla dilectione, sed sola fide salvantur in sanguine. L'idée est
présente chez Haymon, P.L., CXVII, col. 126c et suiv. (tres autem bilibres hordei,
subiectos et simplices significant auditores). Voir aussi, vers 1100, Anselme de
Laon, P.L., CLXn, col. 1523d : perfectiores (...) non adeo perfecti.
109 Gesta Francorum, 4,11, p. 25 : sitientes atque aestuantes Tureorum sangui
nem.
uo La soif spirituelle est normale pour un pèlerin, voir Jérôme, Vita Paulae,
26, Æ4SS Jan. II, p. 714, rapportant le pèlerinage de la sainte femme à Jérusa
lem : ipsum corporis locum, in quo jacuerat, quasi sitiens aquas desideratas; cf.
ibid., p. 716, en Samarie : sitiensque et esuriens.
111 Les exégètes ne s'accordent pas : les deux cités sont-elles à identifier, ou
erre-t-on de Babylone à Jérusalem? Cf. Rémi d'Auxerre, P.L., CXXXI,
col. 696d-697c.
1,2 Augustin, Annotationes in Job liber unus 18, éd. J. Zycha, Vienne, 1895
(CSEL, 28 : 2), p. 547 : [Confortavit super eum sitiens] (...) Ut vincant eum [Anti
christum] esurientes et sitientes justitiam.
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Philippe Bue
RAYMOND VERDIER