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Mgr Henri DELASSUS

BoetetiF ei) Tfjéologie

LA MISSION POSTHUME
DE LA

BIENHEUREUSE JEANNE D'ARC


ET LE

RÉGNE SOCIAL
DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

i e
.Société jBaint'Hiioiwtin, Dcflelée, D é Broutocr et C
41, R u e d u Metz, L I L L E
Imprimeurs de l'Évêché et des Facultés Catholiques de Lille
Biblio!èque Saint Libère

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NIHIL OBSTAT :
însulis, die 27 Norembris 1913.
H. QUILLIKT, a. t. d.,
Librorum censor.

IMPRIMATUR :

Insulis, die '28 Novembris lSItt.


•f ALEXIFS-ARMANDUS,
tipiscopus Insulensis clectus
Administrator Apostolicus.
O Hem, Fili T>& Vtoi
VENI

IN PERFECTIONE VIARUM TUABUM

ET REGNA

IN PLE NITU D I N E VIRTUTIS TU/K

u i e n t i 0 et precîbtisf B . tfoannœ û e B r c

DOMINARE OMNI A D V E R S E POTESTATI

SPIRITU TUO

AD GLORIAM PATRIS
INTRODUCTION

« Nous ne sommes qu'à l'aube des jours qui ver-


ront s'accomplir, indéfiniment, sa mission. »
Qui a prononcé cet oracle ?
M. Gabriel Hanotaux, de VAcadémie française.
Ce sont les dernières paroles de son livre JEANNE
D'ARC. Un peu plus haut, après avoir rappelé en quel-
ques mots ce qu'elle a réalisé avant sa mort et ce
quelle a réalisé après sa mort, il s'était demandé :
« Mais n'a-t-elle pas fait quelque chose d'infiniment
au-dessus de toute réalisation matérielle ? »
Et sa réponse était :
(Oui), « en reforgeant Vâme française de son
temps et de tous les temps », elle a fait quelque
chose d'infiniment au-dessus de toute réalisation ma-
térielle.
Jeanne d'Arc s'est acqins cette double gloire :
Elle a rendu la France à elle-même, par ses pro-
pres victoires et par celles remportées après sa mort
sous son impulsion.
Elle a reforgé Vâme de la France, en ranimant en
elle le sentiment de ses destinées providentielles et
VNf INTRODUCTION

en raffermissant la constitution qui lui permet de les


poursuivre.
Elle a fait cela de son temps, et elle Va fait, com-
me dit M. Hunotaux, pour tous les temps.
Elle est appelée à faire plus.
Sa résurrection de nos jours, dans une gloire toute
nouvelle, qui attire les regards de fous, Français et
étrangers, catholiques et infidèles, nous avertit que
sa mission n'est point finie, qu'elle embrasse notre
âge, aussi bien que les temps passés.
Sous ajouterons, avec M. Ilanotaux, et les temps a
venir, quoique notre pensée s'écarte ici de la sienne.
Jeanne d'Arc fut donnée à la France pour mettre
fin à la guerre de Cent ans. Elle réapparaît après cent
ans d ' u n e Révolution qui a bouleversé la France et
le monde.
Ne peut-on croire qu'elle revient à la fin de cette
perturbation pour rendre an monde ébranlé son as-
siette ?
Peut-elle le faire? et comment?
En redisant les enseignements qu'elle a donnés à
ses contemporains; mais, celte fois, du haut du trône
de gloire qui vient de lui être dressé, qui la met en
vue à tout l'univers et donne à sa voix un éclat et
une autorité qui commandent Vattention de tous les
peuples.
Tons ont besoin de l'entendre, car la Révolution
a porté partouhlc désordre ; et partout ce désordre
a le même principe la négation des droiis de Dieu,
et partout il a produit les mêmes conséquences. Elles
INTRODUCTION IX

se décèlent en tous pays par les craquements qui


éclatent sans cesse et qui révèlent partout un travail
de ruine, sapant tous les fondements de la société.
L'un des hommes qui ont le plus profondément
considéré Vétat actuel du monde, le dominicain alle-
mand Albert Weiss, a écrit dans son Apologie d u
C h r i s t i a n i s m e a u p o i n t d e vue des m œ u r s et de la
1
civilisation : « Ce 'combat gigantesque qui a mis
aux prises le monde entier et qui a si longtemps tenu
les esprits en suspens, n'est pas encore terminé. Au
contraire, à l'heure actuelle, il est, selon l'expres-
sion reçue, engagé sur toute la ligne. Jamais, l'armée
des combattants ne fut aussi nombreuse, jamais le
matériel de guerre ne fut aussi complet et jamais
non plus l'acharnement ne fut aussi vif. Comparées
à cet immense conflit, les batailles intellectuelles,
d'autrefois nous produisent la même impression que
les escarmouches devant Troie et les combats sin-
guliers dans le S c h a h n a m e h ou dans la N i b e l u n g e n . . .
Tout est mis en doute; tout s'en va à la dérive; tout
est remué pêle-mêle... Notre civilisation entière est
sous l'étoile du Darwinisme... La morale philoso-
phique est entraînée dans le même courant d'idées
que l'histoire... L* esthétique semble aller en quelque
sorte plus loin encore que la philosophie morale...
Bref tout est renversé de fond en comble. C'est une
confusion générale. Le monde ne croit plus à au-
cune vérité...
1. N e u f volumes in-8°. Traduction française par M. l'abbé
Collin, avec la collaboration de M. M i g y . Paris et Lyon,
Delhomme e t Briguet, éditeurs.
X INTRODUCTION

» Un livre bien connu de Max Nordan et qui s'est


répandu dans des proportions incroyables, rend par-
faitement la pensée de notre époque. Il démolit tout
avec ce seul mot, m e n s o n g e : mensonge religieux,
mensonge monarchique, mensonge aristocratique,
mensonge politique, mensonge économique... Nous
vivons au milieu d'une corruption d'idées et de
moeurs dont le petit nombre seulement peut mesurer
l'étendue, et en face du désastre général, les mieux
intentionnés eux-mêmes fnnt preuve d'un aveugle-
ment cl d'une médiocrité qui semblent incompré-
hensibles à qui voit le fond des choses. »
El ailleurs : « Il ne s'agit pas seulement de la
y
liible et de Vaulel, mais il s agit du trône et de la
société, de toute espèce de science, de Vécole, de
l'éducation, du mariage, de la famille, de fart, des
mœurs publiques et privées, bref, il s'agit du main-
tien de la Civilisation tout entière et de la Culture
dans te présent et dans l'avenir. Tout ce que le chris-
tianisme a sauvé et fondé dans un travail de dix siè-
cles, il faut non seulement le séparer de lui, mais
l'exterminer avec lui. ï*a lutte n ' a plus seulement en
vue la rupture avec le surnaturel, mais la ruine du
surnaturel et du naturel en même temps. Ce que
liakonnine avait prédit, à savoir ta révolution so-
ciale, politique et économique, la destruction uni-
verselle et le rétablissement de la difformité, de
l'amorphie, en toutes choses, est déjà presqn'un fait
accompli. Shellmien appelle notre situation « une
perturbation de Véquilibre universel, laquelle me-
INTRODUCTION XI

nace continuellement de nous faire retomber dans le


chaos et de dissoudre la société. »
Ce tableau est bien sombre, et cependant lorsque
quelque soulèvement populaire ou quelque guerre,
comme celle du Japon ou celle des Balkans, forcent
le monde à ouvrir les yeux et à prêter l'oreille, n'est-
il pas vrai qu'il se sent pris d'épouvante? Un im-
mense désordre sorial se prépare avec l'organisation
universelle en syndicats de guerre. D'autre part, per-
sonne ne peut douter que les rivalités, non seule-
ment européennes, mais mondiales, doivent, à un
jour plus ou moins prochain, éclater en violences,
violences que l'organisation gigantesque des armées
modernes fait prévoir inouïes jnsqulci dans les fas-
tes de Vhumanilé.
Dans le P r o b l è m e de l ' H e u r e p r é s e n t e , je suis allé
à la découverte de ce « fond des choses », dont parle
9
le P. Weiss, et j ai donné comme mol explicatif de
ce terrifiant état de la société : la conjuration anti-
chrétienne, l'insurrection contre Dieu et contre son
Christ.
Il y a trois quarts de siècle, M. Gnizot s'accusait
ainsi d'en avoir posé le principe, lui et ses amis :
« Nous nous sommes crus les sages, les prudents,
les politiques; n o u s avons m é c o n n u non seulement
les limites de notre puissance, mais les droits de la
puissance souveraine q u i g o u v e r n e le m o n d e ; nous
n'avons pas tenu compte des lois éternelles que Dieu
nous a faites, et nous avons formellement prétendu
mettre a leur place, et partout, nos propres lois...
XII INTRODUCTION

Hâtons-nous de sortir des ornières où Vesprit révo-


lutionnaire nous a jetés; elles nous mèneraient tou-
jours aux mêmes abîmes. Déjà l'anarchie frappe à
nos portes. »
// ne fut point entendu. On ne retourna point en
arrière. Loin de là. Nous sommes toujours sur le
chemin de Vabime, et d'année en année, de jour en
jour, nous nous rapprochons du gouffre. Les droits
de la Puissance souveraine qui gouverne le monde
sont plus méconnus que jamais; les lois éternelles
que Dieu nous a faites sont de plus en plus mépri-
sées ; et celles que nous leur substituons ouvrent
mille avenues à l'anarchie qui alors devait encore
se contenter de frapper à nos portes.
D'ailleurs Guizot, l'esprit obscurci par les préju-
gés protestants, ne pouvait voir et ne pouvait dire
ou le salut devait être cherché. Dans les premiers
jours de 1879, un sorialisle, — c était la signature
qu'il se donnait dans la Révolution française, •— se
montrait plus éclairé. « Le monde moderne, disait-
il, est placé dans celle alternative : on l'achèvement
de la Révolution française, ou le retour pur et sim-
ple au christianisme du moyen âge. »
L'achèvement de la Révolution française, ce serait
le complet et définitif triomphe de Vhumanisme, qui
fait disparaître Dieu du monde et qui rend l'homme
animal en le déifiant. C'est à cela que nous allons.
Mais c'est aussi cela qui fera reculer d'horreur et
d'épouvante, lorsque les conséquences de celle doc-
trine se seront traduites dans les faits; c'est cela qui
INTRODUCTION XIII-

portera les yeux vers le retour pur et simple au chris-


tianisme du moyen âge.
Déjà, nous le verrons, aux jours de Jeanne d'Arc
le christianisme s'était obscurci dans les esprits,
avait perdu de son empire sur les volontés et com-
mençait à disparaître des institutions. La sainte Pu-
celle s'employa tout entière à en restaurer la pure
notion au point dévoue social. Elle se fit le prédica-
teur inlassable de la souveraine royauté de Notre-
Seigneiîr Jésus-Christ, Roi des rois, et tout particu-
lièrement suzerain des rois de France, fils aînés de
son Eglise.

Elle prêcha, elle prêchera de nouveau cette vérité


en laquelle seule est le salut de la France, de la chré-
tienté et du monde.
C'est ce que ce livre veut dire. Puisse-t-il persua-
der !
Après la publication des ouvrages : La Conjuration
a n t i c h r é t i e n n e et Vérités sociales et E r r e u r s d é m o -
r r a l i q u e s , qui exposent l'état actuel de la société et
ses causes, j'avais exprimé le vœu de pouvoir donner
comme couronnement à cette œuvre, les conditions
d'une rénovation de la société chrétienne.
Cette rénovation, disais-je, ne peut être que le
fruit de la restauration de T A U T O R I T É ; l'autorité de
Dieu sur son œuvre, particulièrement sur les créa-
tures intelligentes; l'autorité de Notre-Seigneur Jé-
sus-Christ, le nouvel Adam, sur l'humanité qu'il a
rachetée par son sang et dont il est le Seigneur par
XIV INTRODUCTION

sa personnalité divine; l'autorité de l'Eglise sur les


peuples qu'elle a dotés de la civilisation chrétienne
et qui se précipiteront dans ses bras sous la pression
de la détresse où va les jeter le progrès de la civili-
sation moderne; Vautorité des familles prineières
sur les nations qu elles ont faites; l'autorité du père
dans sa famille et celle des ancêtres sur les généra-
tions dont ils ont été le principe.
Le programme était vaste, trop vaste jiour être
rempli A Vàge où je suis arrivé.
Ce livre appelle du moins Vattention sur Vessen-
tiel. Il montrera la liienheureuse Jeanne d'Are en-
voyée par Dieu pour restaurer dans l'esprit de ses
contejnporains et restaurer, avec une autorité pins
grande encore, dans nos esprits Vidée de la souverai-
neté absolue de W'ofre-Seigneur Jésus-Christ sur tous
les peuples et particulièrement sur la France qu'il
favorise et honore d'une particulière dileclion.
Veuille la Bienheureuse Pucelle bénir et l'intention
qui Va dicté et la lecture qui pourra en être faite t
P o u r la c o m p o s i t i o n de ce l h r c , nous avons en
fréquemment recours au g r a n d ouxrage q u ' a publié
sur la SAIINTK PIMJKLLE, le II. I'. Ayroles (sept volu­
mes g r a n d i n - 8 ° ) , (pie le Pape Léon XIII a qualifié
officiellement « le principal (émoin de Jeanne d ' A r c ,
Test i s prœcipuus ».
Aous awons aussi t r o u \ é aide et lumière d a n s l'ou­
vrage de M. Godefroid k u r t h , Les origines de la civi-
lisation moderne; d a n s celui d u II. P . Weiss, L'Apo-
logie du chrislianisîne an point de vue des mœurs
et de la civilisation; d a n s VHistoire de lioniface Mil
et de son siècle, par Don Louis Tost i ; et clans l'His-
toire civile et religieuse des Papes, par G. Audisio.
Les t r a d u c t i o n s de la Sainte E c r i t u r e sont prises
d a n s La Sainte Bible d"après les textes originaux,
publiée p a r L a b b ć A. (i ram p o u et éditée p a r la So­
ciété de Saint-Jean 1'Ewangelisto.
Les t r a d u c t i o n s des p s a u m e s s o n t tirées des Psau­
mes d'après l'Hébreu, p a r le professeur E. P a n n i e r ,
édités p a r René Giard.
I
LA ROYAUTÉ D I V I N E

M
La Mis<ïon de la B Jeanne d'Arc
1

LE CHRIST, ROI DES ROIS.

CHAPITRE I

JÉSUS, DIEU CRÉATEUR, ROI D E S CRÉATURES,

L a s u p r ê m e et u n i v e r s e l l e r o y a u t é a p p a r t i e n t à J é .
sus-Christ, Noire-Seigneur, p r e m i è r e m e n t en sa qualité
de C r é a t e u r ; c a r il est le C r é a t e u r et p a r consé­
quent le souverain Maître d e t o u t ce qui est au ciel
et s u r la terre.

.•lu commencement était le Verbe,


et le Verbe était en Dieu,
et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement en Dieu.
Tout a été fait par Lui, et sans Lui n'a été fait rien
de ce qui existe.

Et le Verbe s'est fait chair,


et il a habité parmi nous.
Et nous avons vu sa gloire,
4 LA ROYAUTÉ DIVINE

gloire comme celle qu'un fils unique tient de


1
son père .

L ' A p ô t r e J e a n confirma dans la p r e m i è r e d e ses


E p î t r e s c e qu'il dit, sous la dictée d u Saint-Esprit,
a u p r e m i e r c h a p i t r e de son Evangile.

« Ce que nous avons vu de nos yeux et ce que 7ious


avons louche du Verbe de 17c, — car la Vie a été
manifestée, — la Vie éternelle qui était dans le sein
du Père, — et nous Vavons vue, et nous lui rendons
témoignage. — Ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez
en communion avec nous, et que notre commerce
soit avec le Père et avec san Fils Jésus-Christ*. »

Jésus-Christ, c e t h o m m e q u e les Apôtres o n t vu


et entendu, vivant encore après sa mort, ils lui r e n ­
d e n t c e témoignage, fonde s u r les œ u v r e s q u i o n t
manifesté sa divinité, qu'il est la Vie éternelle, le
Verbe de Dieu, p a r qui tout a été fait, q u ' à L u i
s'appliquent c e s paroles d u Psalmistę :

IM lerre est à Yahveh* avec ce qu'elle renferme,


lv monde avec ceux qui Vhabitent.
Car c'est Lui qui Va affermie par-dessus les mers,
l
il l'a établie par-dessus les jlein*es .

L à est le titre primordial d e Jésus au souve­


rain d o m a i n e s u r toutes les c r é a t u r e s et tout parti­
culièrement s u r r i m m a n i l é qu'il a épousée en se
faisant « c h a i r » en p r e n a n t n o t r e c h a i r d a n s le
9

sein d e la B. Vierge Marie.


1. .Tonu. I, 1-14.
2. 1 .Joan. 1-4.
3 . N o m du S e i g n e u r chez l e s Hébreux.
4 . Vs. XXIII.
LE CHRIST, ROI DES ROIS 5

Le m o n d e est s o n œ u v r e ; le m o n d e l u i a p p a r t i e n t
d o n c c o m m e la s t a t u e a p p a r t i e n t a n sculpteur. Que
dis-je? Il a d o n n é a u m o n d e e t à tout c e q u i le
p e u p l e plus q u e la figure : il a d o n n é la substance,
et celte s u b s t a n c e r e p o s e s u r l'essence q u i est aussi
do Lui. T o u t e c r é a t u r e tient d o n c de Lui tout ce
qu'elle est. Qui n e c o m p r e n d q u ' u n tel o u v r i e r a
sur l ' œ u v r e sortie d e ses m a i n s un d o m a i n e aussi
entier q u ' i n a l i é n a b l e ?
De plus, celte œ u v r e , il la conserve, il la maintient
d a n s r ê t r e . « Mon Dieu, d é c r i e le roi-prophète, con­
sidérant l'action c o n s e r v a t r i c e de Dieu, si vous d é ­
tournez v o t r e face de dessus vos œuvres, elles sont
d a n s l ' é p o u v a n t e ; si v o u s l e u r reprenez (votre) souf­
1
fle : elles e x p i r e n t et r e t o u r n e n t à leur p o u s s i è r e ».
C'est Lui encore q u i d o n n e à c h a c u n , selon la na­
ture qu'il lui a o c t r o y é e , le m o u v e m e n t et la vie
u ses différents degrés, depuis la végétation j u s q u ' à
l'intelligence, l ' a m o u r e t la volonté.
Enfin, il gouverne toutes c h o s e s et les m è n e avec
force et d o u c e u r a u x fins p o u r lesquelles il les a
créées.
Quoi titre a p p r o c h e d u sien? quel droit est com­
p a r a b l e à celui q u e L u i d o n n e sa divinité p o u r se
poser en souverain roi, en d o m i n a t e u r s u p r ê m e , et
exiger de t o u t e p e r s o n n e h u m a i n e , — p o u r ne p a r ­
ler q u e d e n o u s , — soumission, h o m m a g e et obéis­
sance? Et cela n o n pas seulement à titre individuel,
mais en t a n t q u e société, famille, nation, c a r l ' h o m m e
no vit p o i n t s e u l ; il est u n être essentiellement so­
ciable. Sa n a t u r e est telle qu'il n a î t en société et
qu'il n e peut vivre e n d e h o r s d'elle. C'est Dieu
qui l'a fait ê t r e ainsi et c o n s é q u e m e n t il le possède

1. P s . CIII, 29.
6 LA ROYAUTÉ DIVINE

c o m m e tel. T o u t e famille, t o u t e n a t i o n n a î t s o u s
son empire, doit y d e m e u r e r e t lui r e n d r e les de­
voirs qui lui sont dus c o m m e a u s o u v e r a i n Maître.

Taules les familles des nations se prosterneront


devant la face de Yahveh,
de ions les confins du monde on se tournera
vers Lui ;
Car c'est à Yahveh qu'appartient l'empire,
ł
et il est le dominateur des peuples .

Jésus-Christ, Homme-Dieu, < p a r q u i t o u t a été


fait et sans q u i n ' a été fait rien d e ce q u i existe »,
devait recevoir, dès son e n t r é e d a n s le m o n d e , l'in­
vestiture de cette souveraineté. Ht il l'a reçue.
Entendons-Le dire L u i - m ê m e p a r l a n t d e L u i - m ê m e :

Yahveli m'a dit : Tu es mon Fils,


c'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui :
Demande-moi
et je te donnerai les nations pour héritage
2
et pour domaine les extrémités de la terre .

Ce qu'il lui était dit d e faire h son e n t r é e d a n s


ce monde, le V e r b e fait c h a i r l'a fait :

Tu m'as donné des oreilles attentives, dit-il 5 s o n


Père,
C'est pourquoi, j'ai dit : Me voici ! Je viens,
avec le rouleau du livre qui est écrit pour moi :
O mmi Dieu, je mettrai mon plaisir à accomplir
ta volonté :
3
ta loi je la porte an fond de mes entrailles .
J. Vs. X X I , 2 8 .
2. Vs. II, 7-8.
3. Ps. X L , 8.
LE CHRIST, ROI DES ROTS 7

E t voici la signification faite a u x h o m m e s d e l'in­


vestiture q u i fut la suite d e l'adhésion d u Fils
à la volonté d u P è r e :

(Soumettez-vous) car c'est moi qui ai sacré mon


roi
sur Sion ma montagne
t sainte.
Maintenant donc comprenez, ô rois :
instruisez-vous, juges de la terre.
Servez Yahveh religieusement,
et tressaillez de crainte devant Lui \

« D i e u a d o n c établi h é r i t i e r de toutes choses, Jésus,


2
le Fils p a r q u i il a préé le m o n d e » .
Et c'est p o u r q u o i il a d r o i t au triple tribut d'ado­
ration, d ' a m o u r et d'obéissance, t r i b u t q u i lui est dû
p a r c h a c u n de n o u s , et aussi p a r toute c o m m u n a u t é
h u m a i n e , famille, cité, état. L i b r e C r é a t e u r de t o u s
les êtres, il est le m a î t r e a b s o l u d e tous.

CHAPITRE II

JÉSUS MÉDIATEUR, ROI PAR SON SACERDOCE.

L a s u p r ê m e et universelle r o y a u t é a p p a r t i e n t aussi
à Jésus-Christ en s a q u a l i t é do souverain Prêtre.
Roi d e tous les peuples, e n tant q u e Fils d e
Dieu, C r é a t e u r d e tous les h o m m e s et Providence
d e t o u t e s les familles h u m a i n e s , maisons et nations,
Notre-Seîgncur Jésus-Christ Test encore c o m m e Mé-

1. Vu. II, fi, 10. — 2. lli'lir., I, 2.


8 LA ROYAUTÉ DIVINE

diateur. « Il y a un seul Dieu et un seul Média­


t e u r e n t r e D i e u et les h o m m e s , l e Christ, Jésus, fait
ł
h o m m e * . — »« C'est p a r Lui q u e n o u s a v o n s ac­
2
cès a u 'Père » .
L e Fils d e Dieu s'est i n c a r n é d ' a b o r d p o u r glorifier
son P è r e et L u i r e n d r e au n o m d e toutes les c r é a -
t u r c s les d e v o i r s q u i L u i s o n t d u s .
Dieu a c r é é le m o n d e p o u r sa gloire, p o u r qu'il
y ait en d e h o r s de Lui et rejaillissant s u r L u i
u n reflet d e la gloire q u e Lxii d o n n e n t les P r o ­
cessions et Relations qui constituent l ' E t r e divin.
« Dieu se d o i t tout à Lui-même, dit Fénelon, et
3
n'a p u 'rien c r é e r q u e p o u r L u i » .
C'est p o u r q u o i toutes choses o n t été faites à s o n
image, image -se développant en b e a u t é , d u grain
d e p o u s s i è r e e t d u brin d ' h e r b e à l ' h o m m e e t à
l'ange; puis, p l u s haut encore, d e Tordre de la
n a t u r e à T o r d r e d e la grâce.
Capables d e c o n n a î t r e et d'aimer, les créatures in­
telligentes, anges et h o m m e s r e n d e n t gloire à Dieu,
non seulement, c o m m e les c r é a t u r e s inférieures p a r
l e u r être q u i est la réalisation d ' u n e idée divine,
m a i s e n c o r e p a r leur activité q u i s'élève j u s q u ' à
Dieu, ]>our le c o n n a î t r e , Taimcr et le servir eu fai­
s a n t ses volontés.
L'infinie dignité d e Dieu et s o n infinie Iwntó
réclamaient un h o m m a g e plus g r a n d q u e celui q u i
p e u t L u i ê t r e ainsi d o n n é : l'Etre nécessaire fai­
sant sortir d u néant Têtre c o n t i n g e n t devait recevoir
d e celui-ci u n e adoration d'une infinie h u m i l i t é ; la
créatiort, explosion, d é b o r d e m e n t d e l ' a m o u r éternel,
appelait en reconnaissance un a m o u r d'égale valeur.
Cet h o m m a g e , il n'est au p o u v o i r d ' a u c u n e créa-
1. J T i m . . U . fi. — 2. Epli.. II, 17. — ?>. L o t i r »
I I I , sur la r e l i g i o n .
LE CHRIST, ROI DES ROIS 9

t u r e d e le réaliser. Mais c e q u i n e p e u t être le fait


d e l ' h o m m e p e u t ê t r e a c c o m p l i p a r Celui qui est
1
d e la c o n d i t i o n d e D i e u . Aussi en e n t r a n t d a n s le
m o n d e , le Christ dit a u P è r e q u i est a u x cieux :
« Vous n'avez v o u l u ni sacrifices, ni o'blations, —
vous n e les avez p o i n t repousses, m a i s vous n e
les avez p o i n t t r o u v é s .en r a p p o r t avec v o t r e d i ­
gnité; — et c'est p o u r q u o i , vous m'avez formé u n
corps et -j'ai dit : Me voici » M.e voici p o u r v o u s
r e n d r e l ' h o n n e u r 'infini q u i vous appartient, q u e
je n e p o u v a i s v o u s r e n d r e là o ù j e suis en Vous,
mais q u i est en m o n p o u v o i r ici et m a i n t e n a n t q u e
j ' a i p r i s la conditipn d'esclave, et q u e la c r é a t u r e
q u i r é s u m e <en elle t o u t e s les autres est en m o i en
unité d e -personne a v e c la divinité.
Ainsi n o u s avons en Jésus, le Fils de Dieu fait
3
H o m m e , u n G r a n d P r ê t r e e x c e l l e n t . « Il n e s'est pas
a r r o g é la gloire d'être G r a n d - P r ê t r e , m a i s il l'a re­
çue de celui qui a d i t : « T u es m o n F i l s : T u es p r ê ­
t r e *pour -toujours » * « L e Seigneur l'a j u r é , et il
5
n e 's'en r e p e n t i r a p a s » . « L a loi avait institué
g r a n d s - p r ê t r e s des h o m m e s sujets à la faiblesse;
m a i s l a p a r o l e d u scrm.cn t i n t e r v e n u e a p r è s la Loi,
institua le -Fils q u i est a r r i v é à la perfection, p o u r
6
l'Eternité » - Les g r a n d s - p r ê t r e s h é b r e u x traver­
saient le t e m p l e t e r r e s t r e p o u r a r r i v e r au Saint des
Saints, ciu pied d e l'Arche, s y m b o l e de l a p r é s e n c e
d e Dieu : J é s u s , n o t r e Pontife, « a traversé les
7
cieux y , *pour -arriver j u s q u ' à Dieu m ê m e et s'as­
s e o i r à sa droite. Là « t o u j o u r s vivant il n e cesse
8
d ' i n t e r c é d e r *pour n o u s » .

1. P h i l i p . , II, G. — 2. IIÓbr., X , 5. — 3 . Hćbr., IV,


11. • -1. Ilébr., IV, 5-G. — 5. Hćbr., V I I , 2 1 . —
0. Ni'br., VII, 2 8 . — 7. Hćbr., IV, 1 4 . — 8. Hébr.,
VII, 25.
10 LA ROYAUTÉ DIVINE

Notre-Seigneur Jésus-Christ est ainsi l e Pontife s u ­


p r ê m e , r e n d a n t à Dieu, a u n o m de l'htimanité d o n t
il est m e m b r e , e t plus, a u n o m d e toutes les c r é a ­
t u r e s au c e n t r e desquelles il s'est placé, le culte
q u e l'univers lui doit : c u l t e d'adoration, d e l o u a n ­
ge, d'actions d e grâces et d ' a m o u r ; d ' a d o r a t i o n à
Dieu, d e louange à l'Infinie Perfection, d'action d e
grâces à la Bonté qui n o u s a fait ce q u e n o u s
s o m m e s , d ' a m o u r à la Fin d e r n i è r e d e toutes choses.
« Dieu n o u s a fait c o n n a î t r e le m y s t è r e d e s a vo­
lonté... qui est de réunir toutes choses en J é s u s -
Christ, celles qui sont d a n s les d e u x et celles q u i
l
sont s u r la terre . » Le Christ les récapitule en Lui,
selon le m o t d e saint Paul. Il les d o m i n e , il les m e u t ,
c o n n u e la tête domine eL m e u t les m e m b r e s : « lp.se
2
est va pal ror paris Ecclesiw » . L o r s d o n c q u e Dieu
r e g a r d e l e Christ, il voit l e m o n d e tout entier,* cl
lorsque le C h r i s t offre à Dieu son sacrifice d'atlo»-
r a t i o n , 'de louange, d'actions dp grâces et d ' a m o u r ,
il le Tait au n o m d e toute l a création, e t t o u t e la
création le Tait avec Lui. « Q u e p a r Lui, et a v e c
Lui, et ton Lui, t o u t h o n n e u r et t o u t e gloire soient
r e n d u s à Vous, Dieu le P è r e tout-puissant, en Limité
d u Sainfc-Rsprit, d a n s t o u s les siècles d e s siècles.
3
Amen » .

Un s a c e r d o c e si éminent confère à Celui q u i l'ex­


erce la r o y a u t é s u r ceux d o n t il est le Chef et
le Médiateur. Aussi est-il dit d u Christ que, p r ê ­
tre selon Tordre de Melchisédcch, il est roi d e
Salem, c'est-à-dire r o i d e j u s t i c e e t r o i d e paix.
Le souverain P r ê t r e a c c o m p l i t l'acte de justice p a r
excellence e n r e n d a n t u Dieu, a u n o m de toute la

l. Kj)h., I, 10. — 2. Col. I, 18. — 3. Au Canon


d e la M e s s e .
LE CHRIST, ROI DES ROIS 11

création, l e c u l t e q u i lui est d û e t p a r l'accom­


plissement d e ce d e v o i r il fait régner d a n s le m o n d e
l'ordre et la, paix.

C H A P I T R E III

JÉSUS RÉDEMPTEUR, ROI PAR DROIT DE RACHAT


ET DE CONQUÊTE.

A s a qualité d o C r é a t e u r et à celle d e souverain


P r ê t r e d e la c r é a t i o n , Notre-Seigneur Jésus-Christ
joint celle d e R é d e m p t e u r ; et p a r là il a j o u t e aux
titres p r é c é d e n t s qui l u i confèrent la r o y a u t é suprê­
me ceux q u e d o n n e n t le r a c h a t et la conquête.
Dans ^ E n c y c l i q u e Annum Sacrum, publiée p o u r la
consécration d u g e n r e h u m a i n au Sacré-Cœur,
Léon XIII a dit :
« Jésus-Christ c o m m a n d e n o n seulement en vertu
d'un droit n a t u r e l et c o m m e Fils d e Dieu, mais
e n c o r e en v e r t u d ' u n d r o i t acquis. Car « il n o u s
1
a a r r a c h é s d e la p u i s s a n c e des ténèbres et il s'est
2
livré lui-même p o u r l a R é d e m p t i o n de tous » .
3
» P a r l u i d o n c s o n t d e v e n u s u n « .peuple c o n q u i s »
n o n 'seulement les c a t h o l i q u e s et ceux q u i o n t reçu
régulièrement ie b a p t ê m e chrétien, mais t o u s les h o m ­
mes s a n s exception. Aussi est-ce avec r a i s o n q u e
saint Augustin d i t à ce sujet : « Vous c h e r c h e z ce
que Jésus-Christ a a c h e t é ! Voyez ce qu'il a d o n n é
et vous saurez ce qu'il a acheté. L e sang d u Christ

1. I Coloss., I, 13. — 2. I T i m . , II, 6. — 3. Pet.,


H, 9.
12 LA ROYAUTÉ DIVINE

est le prix. Quel objet p e u t a v o i r u n e telle v a l e u r I


Lequel? îsi ce n'est le m o n d e e n t i e r ? L e q u e l ? si c e
n'est t o u t e s les nations? C'est p o u r l'univers entier
q u e le Christ a payé un tel prix. *
L ' h o m m e était d é c h u d e sa dignité d'enfant d e
Dieu. L ' h o m m e était devenu F esclave de celui a u ­
quel il s'était livré eu obéissant à ses suggestions
à r e n c o n t r e des volontés divines. L e Fils de Dieu
fait H o m m e résolut de le délivrer, d e le racheter, il
se constitua s o n Rédempteur.
Isaïe avait p r é v u q u e le Messie satisferait p o u r
nous, qu'il acquitterait l a délie q u e n o u s avons con­
tractée p a r n o t r e offense et n o t r e révolte. Il avait
annoncé q u o Dieu, d e s o n c o n s e n t e m e n t , le c h a r ­
gerait de nos fautes, qu'il accepterait de p o r t e r n o s
iniquités et qu'ainsi n o u s serions guéris et r a c h e t é s
p a r son sang.

Il a été transpercé à cause de nos péchés,


brisé à cause de nos iniquités.
Le châtiment qui nous donne la paix a été sur Lui
et c'est par ses meurtrissures que nous avons
été guéris.
Semblable à l'agneau que Von mène à la tuerie,
et à la brebis muette devant ceux qui la tondent,
Il n'ouvre point la bouche.
Mais quand son âme aura offert le sacrifice expia-
toire,
Il verra une postérité, il vivra de longs jours,
et le dessein de Yahveh prospérera dans ses
1
mains .

L e sacrifice a été offert, et la postérité q u e J é ­


s u s s'est ainsi acquise et s u r laquelle il règne,

1. I s . , e h . LUI.
LE CHRIST, ROI DES ROIS 13

c'est la c h r é t i e n t é q u i d o i t s'étendre s u r t o u t l'uni­


v e r s et d u r e r j u s q u ' a u d e r n i e r j o u r .
f Vous n'êtes p l u s à vous-mêmes, dit l'Apôtre, par­
lant a u x Corinthiens, et en eux à n o u s tous, c a r
1
vous avez été r a c h e t é s à g r a n d prix » . « Sachez
que v o u s avez été affranchis, n o n p a r des choses
périssables, 'de l'argent o u d e l'or, mais p a r u n sang
précieux, celui d e l'Agneau sans défaut et sans tache,
le sang de Jésus-Christ q u i a été désigné, dès avant
la 'création d u m o n d e et manifesté dans les d e r n i e r s
2
t e m p s à cause de n o u s » .
t L e Christ Jésus s'est a n é a n t i lui-même, en se
faisant obéissant j u s q u ' à la m o r t e t à la m o r t de
3
la c r o i x , r a c h e t a n t ainsi ceux qui s'étaient faits
esclaves 'par l e u r d é s o b é i s s a n c e . « Et c'est p o u r ­
quoi Dieu F a é m i n e m m e n t élevé. » « Il lui a donné
u n n o m q u i est au-dessus de t o u t n o m , afin q u ' a u
n o m de Jésus t o u t genou fléchisse dans les cicux,
s u r l a t e r r e et d a n s l e s enfers, et q u e toute l a n g u e
confesse à la gloire d e D i e u le P è r e q u e Jésus-Christ
4
est Seigneur » . Seigneur et Seigneur des seigneurs,
Roi et Roi des rois. « P a r c e qu'il s'est livré l u i -
5
m ê m e p o u r l a R é d e m p t i o n de tous » .
Au j o u r m ê m e où i l se r e n d i t à J é r u s a l e m p o u r
se livrer et o p é r e r c e t t e Rédemption, Notre-Seigneur
Jésus-Christ r e v e n d i q u a la dignité r o y a l e qu'il al­
lait p a r l a c o n q u é r i r . J u s q u e - l à , bien qu'il fût le
C r é a t e u r et le s o u v e r a i n P r ê t r e , il avait i m p o s é
silence à ceux qui voulaient l'acclamer roi, il avait
étouffé ce c r i c h a q u e fois q u ' o n avait voulu le p r o ­
duire.
(Aujourd'hui, il le laisse é c l a t e r ; bien plus, il
dit a u x P h a r i s i e n s , i r r i t é s d e l'entendre : « Si ces

1. I Cor., VI, 2 0 . — 2 . I P e t r . , I, 1 0 . — 3 . P h i l i p . .
II, G-T. — 4 . Hébr., 9 - 1 1 . — 5. I T i m . , X I , 6.
14 LA ROYAUTÉ DIVINE

foules se taisent, les pierres c l a m e r o n t » *. Il fallait


q u ' a v a n t d ' ê t r e attaché à l ' i n s t r u m e n t d e n o t r e R é ­
demption, fût proclamée la r o y a u t é qu'il allait c o n ­
q u é r i r p a r elle, et q u e cette p r o c l a m a t i o n fut faite p a r
le peuple juif, e u face d e s aigles r o m a i n e s .
L e p r o p h è t e Zacharie, o b s e r v e D o m Guéranger,
avait prédit cette ovation, p r é p a r é e de toute éter^
nité : « Tressaille d'allégresse, fille d e Sion, livre-
toi a u x t r a n s p o r t s d e l a joie, fille d e J é r u s a l e m ;
voici ton Roi q u i vient vers toi. Il s'avance v e r s
toi, m o n t é s u r l'ânesso et s u r le petit d e l'ânes-
2
se » . L e s saints P è r e s n o u s d o n n e n t la clef d u
mystère d e ces deux a n i m a u x . L ' à n e s s e figure l e
]>euplc juif q u i , dès l o n g t e m p s avait été placé s o u s
le 'joug d e l a l o i ; F a n o n « s u r lequel, d i t l ' E v a n ­
gile, ïnil h o m m e n'était e n c o r e m o n t é », r e p r é s e n t e
la 'gentilité q u e n u l n ' a v a i t d o m p t é e jusqu'alors..
C'est d o n c l ' h u m a n i t é t o u t entière, Juifs et Gentils,
d o n t le R é d e m p t e u r va p r e n d r e possession a p r è s
Favoir rachetée et a r r a c h é e des m a i n s d e Satan.
D a n s les t e m p s d e la n a i s s a n c e d e l ' E m m a n u e l ,
les Mages, p r e m i e r s d e s Gentils, étaient venus d u
fond d e r O r i e n t , c h e r c h a n t et d e m a n d a n t à J é r u ­
salem l e Roi d e s Juifs, afin d e lui r e n d r e leurs
h o m m a g e s et lui offrir l e u r s p r é s e n t s ; a u j o u r d ' h u i ,
c'est J é r u s a l e m elle-même q u i s e lève c o m m e u n
seul h o m m e p o u r aller a u - d e v a n t d e L u i et r e ­
c o n n a î t r e s a souveraineté.
L u i - m ê m e va la p r o c l a m e r en face des u n s et des
autres. Les Juifs a m è n e n t J é s u s au tribunal d u
r e p r é s e n t a n t d e la Gentilité. Pilatc l'interroge : « T u
<»s d o n c Roi? » — « T u le dis : J e suis roi et
j e suis venu d a n s le m o n d e j>our r e n d r e h o m m a g e
à la vérité » j n é c o n n u e j u s q u ' i c i ; car, jusqu'ici, l h u -

1. L u e , XIX, 40. - - li. Z a c h . , IX, 9.


LE CHRIST, ROI DES ROIS 15

manité n ' a p o i n t t e n u c o m p t e des titres d e Créateur


et de s o u v e r a i n P r ê t r e q u i m ' a p p a r t i e n n e n t et q u i
m e d o n n e n t d r o i t à e x e r c e r s u r elle u n e souveraineté
unique. Quelques h e u r e s p l u s t a r d Pilate se fera
le h é r a u t d e cette v é r i t é . Il p r o c l a m e r a la r o y a u t é de
Jésus d a n s t o u t e s les l a n g u e s parlées p a r les peu­
ples civilisés e t il affichera ce b a n s u r l a croix
m ê m e d u divin R é d e m p t e u r .
« Sa croix, dit Bossuet, c'est u n t r ô n e . » L ' a r t
chrétien a r e p r é s e n t é le Christ glorieux s u r sa croix.
Aussitôt a p r è s la conversion d e Constantin il p a r a î t
comme le v a i n q u e u r d u m o n d e . Dans les premières
basiliques, o n peignait u n g r a n d Christ a u x projwr-
lions colossales et d a n s l'altitude de la majesté. S u r
la croix, Notrc-Seigneur était r e p r é s e n t é v ê t u d ' u n e
r o b e ï'oyale et p o r t a n t l a c o u r o n n e . E n tête d e ses
capitulaires, C h a r l e m a g n e écrivit : Régnante Domino
nostro Jesn Christo in perpetnum. Noire-Seigneur
Jésus-Christ r é g n a n t a j a m a i s .
c Quand je serai élevé de terre, avait dit le divin
Rédempteur, j ' a t t i r e r a i t o u s les h o m m e s à moi *.
Cette attraction, il n ' a cessé d e l'exercer et il
l'exercera j u s q u ' à l a fin d u m o n d e . « D i e u n o u s
a fait c o n n a î t r e le m y s t è r e d e sa volonté q u i est de
réunir toutes choses eri Jésus-Christ, celles q u i sont
dans les cieux et celles q u i s o n t s u r la t e r r e » 2.
Dans les ejeux, il n ' y a p l u s d e résistance, c'est la
consommation d a n s l ' a m o u r . H é l a s ! il n'en est point
de m ê m e s u r n o t r e t e r r e , m ê m e après le bienfait
de l a Rédemption. L e p r o p h è t e - r o i l'avait prévu.
11 avait vu d a n s t o u t l e c o u r s des âges, les n a t i o n s
s'agiter en t u m u l t e p o u r s e c o u e r le joug léger d u
Roi pacifique, et d a n s c e t t e volonté perverse, m é -

J. J o a u . , X I I , 52. — 2. Epli., I, 10.


16 LA ROYAUTÉ DIVINE

dilant s a n s cesse de vains c o m p l o t s . II a v a i t v u les


r o i s de la t e r r e se r é u n i r et les princes t e n i r c o n ­
seil e n s e m b l e contre Yahveh et c o n t r e s o n Christ.
Il les avait e n t e n d u s se d i r e les u n s aux a u t r e s :
Jirisons l e u r s chaînes et rejetons l e u r s liens loin
d e 'nous.
Mais un a u t r e spectacle s'était p r é s e n t é en m ê m e
temps aux j'en x de David.

Celui qui trône dans les vieux se rit d'eux,


Adonaï* les tourne en dérision.
Aussi il leur répondra dans sa fureur
et les frappera d'épouvante dans son courroux ~.
Voici Voracle de Yahveh à mou Seigneur :
Assieds-toi à m a droite
pendant que je réduirai tes ennemis
(à devenir) Vescabeau de tes pieds.
Yahveh étendra (bien loin) de Sion ton sceptre
puissant,
3
lu domineras jusqu'au milieu de tes ennemis .

Cet o r a c l e n o u s trace l'histoire d u m o n d e depuis


ïc j o u r o ù s'est accomplie la R é d e m p t i o n j u s q u ' à
celui d u t r i o m p h e final. Jésus-Christ, r o i accepté
et r o i r é p r o u v é , est le signe s u r lequel l ' h u m a n i t é
s'est p a r t a g é e et demeure p a r t a g é e en deux c o u r a n t s
do sentiments, d e doctrines e t d ' œ u v r e s en o p p o ­
sition les u n s avec l e s a u t r e s .
T o u t e l'histoire d e l'Eglise se p o u r s u i t c o m m e
un g r a n d fleuve d'eau vive qui a pris sa s o u r c e d a n s
le C œ u r d u Sauveur a u m o m e n t o ù il fut o u v e r t
p o u r n o u s s u r la croix. Mais ses flots s o n t c o n s l a m -

1. A u t r e nom de Dieu ohez les Hébreux.


2. P s . I I .
3. P s . C X .
LE CHRIST, ROI DES ROIS 17

m e n t h e u r t é s p a r le c o u r a n t i m p i e des passions
et des e r r e u r s q u i c o u l e d a n s l e m ê m e lit, l e c a n a l
o u l ' h u m a n i t é fait fluer s o n histoire.
Nous o b s e r v e r o n s la m a r c h e d e ces c o u r a n t s , n o u s
dirons en quelle disposition n o u s les t r o u v o n s au­
j o u r d ' h u i , l u n en r e g a r d d e l'autre, e t ce q u e n o u s
devons en a u g u r e r p o u r l'avenir, p o u r l'état qui
doit succéder à l'état actuel, l a Révolution.
Mais a u p a r a v a n t n o u s d e v o n s n o u s faire u n e idée
plus précise d e ce q u ' e s t e n lui-même et de ce
que doit ê t r e p o u r n o u s le r o y a u m e d e Dieu, le
règne de Noire-Seigneur Jésus-Christ dont la sainte
Puccllc est venue r a p p e l e r l'idée, redire le devoir
de l'accepter de g r a n d c œ u r et d e n o u s y soumettre.

s c
La Mission de la B Jeanne d'Arc»
II

LA R O Y A U T É D U C H R I S T A N N O N C É E ,
A T T E N D U E ET E X P L I Q U É E ,

C H A P I T R E IV

PROPHÉTIES ET PRESSENTIMENTS.

1° PROPHÉTIES

Noire-Seigneur Jésus-Christ, C r é a t e u r d u genre


h u m a i n e n t a n t q u e Dieu, s o u v e r a i n P r ê t r e e n t a n t
q u ' I I o m m c - D i e u , et R é d e m p t e u r p a r l e sacrifice d e
la croix, est, à ce triple titre, n o t r e Roi.
C'est c o m m e Roi qu'il a été a n n o n c é . Il a été
a t t e n d u connue d e v a n t r é g n e r et g o u v e r n e r le m o n ­
de.
Sept cents ans avant son avènement, Dieu met s o u s
les y e u x d l s a ï c ce spectacle :
« J e r e g a r d a i dans la vision de la nuit, et s u r les
1
n u é e s vint c o m m e u n Fils d ' h o m m e ; il s'avan-

1. C'est sans doute par a l l u s i o n à ne p a s s a g e Que


Notre-Spijrncur J é s u s - C h r i s t s'est, attribué spécialement
l e titre de « F i l s de l'homme ».
ROYAUTÉ DU CHRIST ANNONCÉE 19

ça jusqu'au Vieillard (Dieu le Père), et on l'amena


devant Lui. E t il lui fut d o n n é domination, gloire
et r è g n e ; et tous les peuples, n a t i o n s et langues
1
le servirent » .
Un p e u a p r è s Dieu fit e n t e n d r e ces paroles au
même prophète :

Voici mon serviteur que je soutiendrai,


mon élu, en qui mon âme se complaît;
J'ai mis mon Esprit sur Lui :
il répandra la justice parmi les nations.
Il ne faiblira point et ne se laissera point abattre,
jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre,
Et les îles seront dans l'attrait de sa loi.
Ainsi parle Dieu Yahveh,
2
qui a créé les deux et les a déployés .

Déjà ce règne d e la justice, n o n seulement en


Israël, niais d a n s les îles des n a t i o n s avait été an­
noncée i\ David. Yahveh r a p p e l l e cette promesse à
Isaïe et lu confirme.

Par un pacte éternel, je vous accorderai


les grâces assurées à David,
Je L'ai établi (le Messie) témoin auprès des peu-
ples,
3
Prince et Dominateur des peuples .

La m ê m e p r o p h é t i e avait été dictée à J é r é m i e :

Il régnera en roi.
Les jours viennent, dit Yahveh,
ou je susciterai à David un germe juste;

— 2. I s . XLII, 1-5. — 3. Is.


20 LA ROYAUTÉ DIVINE

Et voici le nom dont on l'appellera :


Yahveh, notre justice

Ezécliicl, s o u s la m ê m e i n s p i r a t i o n , a n n o n ç a l e s
m ê m e s choses :

Je leur susciterai (à mes brebis) un seul Pasteur


qui les fera paître,
2
mon serviteur David ;
C'est lui qui les paîtra,
Et c'est lui qui sera leur Pasteur.
Moi, Yahveh, je serai leur Dieu,
cl mon serviteur, David, sera prince au milieu
d'elles \

Et voici quel sera p o u r les peuples le r é s u l t a t d e


cette i n t e r v e n t i o n divine :
c J e l e u r d o n n e r a i u n seul c œ u r ; j e m e t t r a i au
d e d a n s d'eux u n esprit n o u v e a u , -et j ' ô t e r a i d e l e u r
c h a i r le c œ u r de pierre, et je l e u r d o n n e r a i u n
c œ u r d e chair, afin qu'ils suivent m e s o r d o n n a n c e s
et qu'ils g a r d e n t m e s lois et les p r a t i q u e n t ; et
4
ils «seront m o n p e u p l e ; et moi j e serai l e u r Dieu » .
L o r s q u e l'ange Gabriel vint a n n o n c e r à D a n i e l
*lo t e m p s m a r q u e p o u r les miséricordes divines, a u
n o m d e Christ donné à Celui q u i devait ê t r e e n ­
voyé, il joignit l a q u a l i t é do C H E F . Il a n n o n ç a
u n p e r s o n n a g e q u i serait, s p é c i a l e m e n t le Prêtre,
5
mais vn m ê m e temps le Chef, le Roi .
E t l o r s q u e Daniel vint e x p l i q u e r à N a b u c h o d o n o s o r
le bouge q u i l'avait t r o u b l é , il lui dit : « Le Dieu
du ciel suscitera un royaume, qui ne sera jamais

1. J ć r . X X I I I , 5 - 6 . — 2. David, figure d u Christ.


f

— 3. Kzéeh., X X X I V , 2 3 - 2 1 . — 4. Ezéch. XXXIV, 23-


24. — 5 . Daniel, I X , 2 5 .
ROYAUTÉ DU CHRIST ATTENDUE 21

détruit et dont la d o m i n a t i o n ne passera point à


un a u t r e p e u p l e ; il b r i s e r a e t a n é a n t i r a t o u s ces
royaumes-là, (les q u a t r e e m p i r e s qui o n t précédé celui
de Jésus-Christ) et l u i - m ê m e subsistera à jamais,
selon ce q u e t u as v u q u ' u n e p i e r r e s'est détachée
1
de la m o n t a g n e s a n s m a i n e t qu'elle a brisé le
fer, l'airain, l'argile, l'argent et l'or » 2.
Toutes ces p r o p h é t i e s étaient contenues en germe
dans le proto^cvangile d o n n é p a r Dieu à n o s pre­
m i e r s p a r e n t s , a p r è s l e u r c h u t e , avant qu'il les
chassât d u P a r a d i s T e r r e s t r e . L ' h u m a n i t é avait porté
p a r t o u t a v e c elle l'espérance qu'elle contenait.

2° PRESSENTIMENTS

Cette espérance s e r a n i m a lorsque la religion païen­


ne, pépinière des vices publics d o n t ses dieux don­
naient l'exemple aux peuples, eut achevé d'ébranler
les fondements de T o r d r e social. Telle était la situa­
tion d u m o n d e a u m o m e n t o ù Auguste fermait p o u r
la troisième fois les p o r t e s d u t e m p l e d e J a n u s : la
corruption d e l ' e m p i r e avait a t t e i n t s o n point le
plus élevé.
3
Ce 'n'est p a s s e u l e m e n t l ' a m e r J u v é n a l q u i p o r t e
ce jugement s u r s o n é p o q u e , il est e x p r i m é p a r
4
T a c i t e , et Tite-Live tient le m ê m e langage d a n s
l'introduction d e son Histoire : « N o u s ne p o u v o n s
plus s u p p o r t e r n o s vices et les r e m è d e s n o u s sont
5 1
aussi i n s u p p o r t a b l e s » .
Dans cette extrémité, S é n è q u e disait : « P e r s o n n e

1. E m b l è m e d u Messie d e s c e n d u d u ciel.
2. D a n . , II, 44-45.
3. Omne i n p r x c i p i t i v i t i u m s t e t i t , I, 1 4 9 .
4. Corruptissimo saeculo, H i s t , 2, 3T.
5. Nec v i t i a nostra» n e c r e m e d i a pati p o s s u m u s .
22 LA ROYAUTÉ DIVINE

n'est assez fort p o u r se t i r e r l u i - m ê m e d u m a r é ­


cage d a n s lequel n o u s s o m m e s t o m b é s . N o u s avons
besoin d e q u e l q u ' u n d e p l u s fort qtû n o u s t e n d e
la m a i n et n o u s sauve » *. Mais pouvait-on esi>érer
ce S a u v e u r ? < Ah! s'écrie Cicéron, q u e l l e j o i e ce
serait p o u r le m o n d e , s'il p o u v a i t voir u n j o u r l a
Vertu parfaite d'une m a n i è r e vivante! Mais il n ' y
2
faut p a s penser » .
On y pensait ccDendant. L e s p r o p h é t i e s d e s p r e ­
m i e r s j o u r s r e p r e n a i e n t c o u r s . D e p u i s les t e m p s
les p l u s anciens, dit Suétone, t o u t l'Orient était
plein d u b r u i t de celte a n t i q u e et c o n s t a n t e o p i ­
nion, qu'il était dans les destinées q u e , vers cette
é p o q u e , o n allait w i r s o r t i r d e J u d é e ceux q u i r é ­
3
giraient l ' u n i v e r s . ' (l'était, dit Tacite, la c o n v i c ­
4
tion de plusieurs . T o u t le m o n d e c o n n a î t les
vers sibyllins de Virgile : « Il est venu cet âge
prédit p a r la Sibylle; l'âge d'or r e n a î t d a n s le
m o n d e entier. L e g r a n d o r d r e des siècles é p u i s é s
r e c o m m e n c e . Déjà revient As troc et avec elle le
règne d e S a t u r n e ; déjà d u h a u t des c i e u x d e s c e n d
u n e r a c e nouvelle. H e u r e u x t e m p s ! Les d e r n i è r e s
t r a c e s de ses ruines, s'il e n reste encore, s e r o n t
effacées p o u r toujours et affranchiront Ja t e r r e d ' u n e
éternelle frayeur. * Sénèquc tenait le m ê m e langage :
« L'ancien o r d r e revient, c h a q u e être va de n o u v e a u
renaître, la terre va voir paraître u n h o m m e d o n t
la n a i s s a n c e sera d u e à une faveur d i v i n e /» <\
Le Désiré des nations p a r u t a u t e m p s et a u lieu
marqués.

1. Ep. f 5 3 . 2.
2. ( V o r o . Fhi
t 5, 2 1 , G9.
3. S U Ô I O Ï I . Vcspastan. 4.
4. T a c i t e , NisL. 5, 1 3 . Pluribus persuasio inerat.
5. Seiieca. Qua?st. naL. 3, 3 0 , 7, 8.
ROYAUTÉ DU CHRIST EXPLIQUÉE 23

Et aussitôt s a i n t Jean-Baptiste ia présenta c o m m e


devant m e t t r e fin à l'attente universelle : t Faites
pénitence, c a r le r o y a u m e des cieux a p p r o c h e . »
Son a v è n e m e n t p a r t a g e le c o u r s d u m o n d e et
sa royauté est la clef d e l'histoire h u m a i n e . C'est elle
qui en explicite les vicissitudes p a r l'incessant com­
bat qui s'est livré a u t o u r d'elle. Mais a v a n t d e p r é ­
senter le tableau d e ses péripéties, n o u s devons dire
quel genre d e r o y a u t é Notre-Scigncur Jésus-Christ
devait exercer s u r la terre.

CHAPITRE V

IDÉE QUE L'ON SE FAISAIT ET CELLE QUE

L'ON D E V A I T S E FAIRE DU ROI A VENIR.

À l'épnqne o ù le Fils de Dieu fait H o m m e fit son


apparition p a r m i n o u s , les Gentils apj>claient plus
ou moins explicitement de l e u r s vœux, le r e t o u r
de l'Age d ' o r ; et les Juifs attendaient le r o y a u m e
de Dieu q u ' a v a i e n t a n n o n c é leurs p r o p h è t e s et q u e
les prophéties l e u r s faisaient espérer.
P o u r la p l u p a r t , e t m ê m e d ' u n e façon générale,
ceux-ci se faisaient d e ce r o y a u m e u n e conception
politique. L e Messie devait, d'après l e u r s imagina­
tions, ê t r e u n r o i t e m p o r e l d o n t la gloire efface­
rait celle d e David et d e S a l o m o n et d o n t la m u n i ­
ficence comblerait d e bienfaits tous les fils d'Abra­
ham selon la chair.
Les Apôtres partageaient eux-mêmes cette illusion.
Tandis que Jésus m o n t a i t à J é r u s a l e m , avertissant les
La Mission de lu B** Jeanne d'Arc. 3 bis
24 LA ROYAUTÉ DIVINE

D o u z e q u ' i l allait ê t r e livré a u x princes d e s p r ê t r e s ; e t


q u l l serait c o n d a m n é à m o r t , flagellé et crucifié, n o u s
v o y o n s la m è r e de deux d ' e n t r e e u x s ' a p p r o c h e r
d e L u i p o u r Lui d e m a n d e r q u e l q u e chose. « Q u e
voulez-vous? leur dit-il.- — O r d o n n e z q u e nies deux
fils soient assis l'un à v o t r e droite, l ' a u t r e à v o t r e
g a u c h e , d a n s votre r o y a u m e . -> Les a u t r e s Apôtres,
a y a n t e n t e n d u cela, furent indignés c o n t r e les deux
frères, (//est que, partageant l e u r e r r e u r , ils n o u r ­
rissaient ainsi d a n s leur c œ u r cette naïve a m b i t i o n .
Notre-Seigncur tenta encore u n e fois d e les désil­
l u s i o n n e r : « Vous savez q u e les ehefs des nations
leur c o m m a n d e n t en maîtres, et q u e les g r a n d s exer­
cent l'empire s u r elles. / / n'en sera pas ainsi p a r m i
v o u s ; mais q u i c o n q u e veut être g r a n d p a r m i vous,
qu'il se fasse votre serviteur, r t q u i c o n q u e veut
être le p r e m i e r p a r m i vous, qu'il se fasse v o t r e
esclave. C/esl ainsi que le Fils de l homme csl venu,
non polir cire servi, mais pour serair et d o n n e r sa
vie p o u r la rédemption d'un g r a n d n o m b r e »
Le divin S a u v e u r ne d o n n a point u n e a u t r e idée
do sa r o y a u t é à Pilale l o r s q u e celui-ci lui . dit :
« Vous êtes d o n c m i ? » J é s u s répondit : « Vous l'a­
vez dit, oui, j e suis roi. » Mais il ajouta : « Mon
r o y a u m e n'est point d e ce m o n d e sou o r i g i n e
n'est p a s d e la terre, m a i s d u ciel. Il est p a r
conséquent d ' u n e tout a u t r e n a t u r e q u e les r o y a u t é s
qui p r e n n e n t leur pouvoir et son exercice des cons­
titutions do co monde. Voyez. J e n'ai p o i n t c o m m e
les rois temporels d'armée à mou service. Si m o n
r o y a u m e était de ce m o n d e , mes sujets ne m a n q u e ­
r a i e n t p a s d e e o m b a l l r c p o u r e m p ê c h e r q u e je ne
t o m b e e n t r e les mains des Juifs. César n ' a rien

1. Mat. XX, 21-28.


ROYAUTÉ DU CHRIST EXPLIQUÉE 25

à craindre, m a r o y a u t é est d ' u n t o u t a u t r e genre q u e


la sienne.
C'est bien ce q u e les E c r i t u r e s avaient m a r q u é ,
et les Apôtres, m o i n s e n c o r e q u e les autres Juifs,
n'auraient d û s e t r o m p e r .

Les expressions « r o y a u m e d u Christ », c r o y a u m e


do Dieu », « r o y a u m e des cieux » n e se lisent point
dans l'Ancien T e s t a m e n t ; mais, n o u s l'avons déjà
vu, l'idée qu'elles e x p r i m e n t s'y r e n c o n t r e fréquem­
ment. Nous a v o n s e n t e n d u Isaïe n o u s d i r e q u e le
Messie r é p a n d r a la justice p a r m i les nations. Il
ne faiblira point, il no se laissera point a b a t t r e
jusqu'à qu'il ait établi la j u s t i c e s u r la terre. »
Jérémie n'a p o i n t p a r l é a u t r e m e n t :
« Voici le n o m d o n t on l'appellera : « Yahveh, n o ­
tre justice. >
Et Ezechiel :
« Ils g a r d e r o n t m e s lois c l les pratiqueront. »
Partout la Sainte E c r i t u r e p r é s e n t e c e règne, n o n
comme le règne de l a force, m a i s d e la justice :

Le peuple qui marchait dans les ténèbres


verra une grande lumière.
Et sur ceux qui habitaient le pays de Vombre de
la mort
la lumière resplendira...
Car u n enfant n o u s est n é ,
un fils nous est donné;
L'empire a été posé sur ses épaules
et on le nomme le Conseiller a d m i r a b l e ,
Dieu fort , Père éternel, P r i n c e de paix :
Pour étendre Vempire
et donner une paix s a n s fin
au trône d e David et à sa r o y a u t é ,
pour rétablir et l'affermir
26 LA ROYAUTÉ DIVINE

p a r le d r o i t et p a r la justice,
l
dès maintenant et à toujours .
Un rameau sortira du tronc de Jessé
et de ses racines croîtra un rejeton.
Sur Lui reposera l'esprit de Yahveh,
Esprit de sagesse et d'intelligence,
Esprit de conseil et de force,
Esprit de connaissance cl de crainte de Yahveh,
Il ne jugera point sur ce qui paraîtra aux yeux
cl il ne prononcera point sur ce qui frappera ses
oreilles ~.

Il jugera les petits arec justice et fera droit aux


humbles de la terre.
]l frappera la terre de la verge de sa bouche, et par
le souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
La justice ceindra ses flancs et la fidélité sera la
ceinture de ses reins...
Et il arrivera en ce jour-là : la racine de Jessé,
élevée comme un étendard pour les peuples, sera re-
cherchée par les nations cl son séjour sera glorieux \
Tressaille de joie, fille dc Sion ! pousse des cris
d'allégresse, fille de Jérusalem !
Voici que ton Hoi vient à toi;
Il est juste et protégé de Dieu, humble et monté
sur un âne cl sur un poulain, petit d'une ânesse.
11 parlera de paix aux nations : sa domination
s'étendra d'une mer à Vautre, du fleuve jusqu'aux
A
extrémités de la terre .
() Dieu, donne au Hoi tes jugements
cl la justice au Vils du Hoi !

j . Is. IX, 1, 5, 6.
2. Js. X I , 1-3.
3 . 1s. XI.
4 . Zuch. IX, 9-10.
ROYAUTÉ DU CHRIST EXPLIQUÉE 27

Qu'il gouverne ton peuple avec droiture,


et les malheureux avec équité !
Les montagnes apporteront (alors) la paix aux
peuples
ainsi que les collines par le (règne du droit)
Il rendra justice aux malheureux et aux humbles t

il sauvera les enfants du pauvre


et il écrasera l'oppresseur.
En ses jours fleuriront la justice
et une paix profonde jusqu'à ce que la lune
cesse (de briller).
Tous les rois de la terre se prosterneront devant
Lui;
2
tontes les nations le serviront .

Si Ton r a p p r o c h a tous les textes d e l'Evangile


où il est p a r l e d u r o y a u m e du Christ, d u r o y a u m e
3
de Dieu, du r o y a u m e des c i e u x , on v e r r a que

1. Le** m o n t a g n e s et les collines, c ' e s t - à - d i r e le< prin-


ces et les grands.
2. IV. LXXI.
3. L'expression Kègne de D i e u ou Règne des cieux
(dans la période qui suivit l'exil, le mot cieux et le
mot Dieu sont souvent pris l'un pour l'autre) si souvent
employés par N o t r e - S e i g n e u r J é s u s - C h r i s t d é s i g n e évi-
demment Tère n o u v e l l e inaugurée par le Messie.
(Ju'élail. pxarloment, d'après Notrc-Scignour, c e rè-
gne de D i e u qui d e v a i t remplacer l'ancienne théocratie
d'Israël? D'après certains p a s s a g e s d e s évangiles, c'est
ce qui sera établi après le j u g e m e n t général ; d'après
d'autres c'est ce que le Messie a inauguré sur l a terre;
le plus grand nombre a d m e t t e n t c e t t e double interpré-
tation.
Les apôtres, interprètes inspirés d e s paroles de N o t r e -
Scigncur, sont p l u s précis d a n s leurs prédications : L e
règne de Dieu, c'est l a n o u v e l l e alliance, les relations
nouvelles établies entre J é s u s - C h r i s t e t les h o m m e s , re-
lations c o m m e n c é e s dès m a i n t e n a n t par la foi et c o n -
28 LA ROYAUTÉ DIVINE

Notre-Scigneur Jésus-Christ a toujours p r é s e n t é s o n


r è g n e d e m ê m e façon : a m e n e r les h o m m e s p a r
lo r è g n e d e l a justice s u r la t e r r e h la gloire et
à la b é a t i t u d e du r o y a u m e céleste.
C e r t a i n s d e ces textes se r a p p o r t e n t à la disposi­
tion d a m e q u e ce règne r e q u i e r t et à la transfor­
mation spirituelle q u i le caractérise e n c h a q u e dis­
ciple d u Christ. Il en est q u i visent l'assemblée
t r i o m p h a n t » des élus. P o u r la p l u p a r t , ils s'appli­
q u e n t à u n e société p a r laquelle Dieu a d é t e r m i n é
q u e son règne serait établi ici-bas. Cette société
" c e s t la .sainle Eglise qui, p e u a peu, c o m m e n o u s
le v e r r o n s , et à travers des difficultés s a n s cesse r e ­
nouvelées, travaille à d o l e r les sociétés civiles d e
lois et d'institutions conformes à la loi de Dieu,
favorisant, p a r conséquent, la sanctification des â m e s ,
et p r é p a r a n t la Jérusalem céleste, « le t a b e r n a c l e d e
Dieu avec les hommes, o u il h a b i t e r a avec eux et
o ù ils s e r o n t sou peuple *

L e règne de Noire-Seigneur Jésus-Christ, tel que


Dieu le veut et tel «pie. nos v œ u x rap]x*llent n'a
d o n c rien d e c o m m u n avec ce q u e l'étrange lan­
gage d u j o u r a appelé « le cléricalisme. »
C'est le règne du droit, d e la justice et, par
suite, do la paix dans l'observation des lois di­
vines.
Lo cléricalisme, é p o u v a n t a i ! d e nos j o u r s , c'est
sommées à la fin des temps par l a béatitude é t e r n e l l e ;
•Jésus e s t roi : il est entré pnr la résurrection en. p o s -
session d e sa royauté, ses sujets combattent, sur la
terre contre les ennemis de son règne et d u règne d e
son Père, bc règne s'établit d a n s le monde pnr une
série d e victoires sur len impies et les oppresseurs d e s
7
fidèles. (Voir, ILnvuc Apo Oijéiique, i\o du 15 avril 1 0 0 7 ,
p. G7).
1. Ap. XXL
ROYAUTÉ DU CHRIST EXPLIQUÉE 29

ce q u e les J u i f s voulaient, ce q u e les Apô­


tres eux-mêmes espéraient. Et, c'est pourquoi, No-
tre-Seigneur l e u r d o n n a cette leçon d'avoir à se
faire les s e r v i t e u r s d e tous, au lieu de son­
ger à d o m i n e r , et de se p r é p a r e r à toutes les per­
sécutions p o u r la c o n q u ê t e des â m e s et r é t a b l i s ­
sement d u r o y a u m e . Ce n'est p l u s à Hérode, c'est
à tous les rois qui se succéderont chez les divers
peuples j u s q u ' à l a fin d u m o n d e , que la Sainte
Eglise redit c h a q u e a n n é e en la fete de l'Epipha­
nie: « Cruel Hérode, que c r a i n s - t u de l'arrivée d'un
Dieu q u i vient r é g n e r ? Il n e r a v i t pas les scer>-
tres m o r t e l s Celui q u i d o n n e les r o y a u m e s céles­
tes. »
Les Apôtres se faisaient difficilement à cette idée
d'un r o y a u m e n o n temporel. Ils ne c o m p r e n a i e n t
pas, et Noire-Seigneur saisissait toutes les occasions
pour leur o u v r i r rinlelliijenre.
Lorsqu'ils firent au divin Maître celte d e m a n d e :
Apprenez-nous à prier. Il l e u r dit : Vous prierez
ainsi : « N o t r e P è r e qui êtes aux d e u x , q u e vo­
tre n o m soit sanctifié; que votre règne a r r i v e ; q u e
votre volonté soit faite s u r la t e r r e c o m m e au
ciel. »
Que votre règne a r r i v e ! Ce doit être le p r e m i e r
et le d e r n i e r objet de nos prières. Mais ce règne, ce
n'est point l'empire, la d o m i n a t i o n ; c'est la réa­
lisation de la volonté d e Dieu s u r la terre avec
la dcïcililé et l ' a m o u r e u x empressement qu'elle trou­
ve au ciel : ce à q u o i devraient c o n t r i b u e r non seu­
lement toute â m e fidèle à Dieu, mais les lois civiles
et les institutions sociales. L o r s q u e cela sera, la
terre r é a l i s e r a le r o y a u m e d u Christ, c'est-à-dire,
le r o y a u m e de Dieu, p r é p a r a n t le r o y a u m e des cieux.
30 LA ROYAUTÉ DIVINE

CIIAPITHE VI

L'ÉTABLISSEMENT D U ROYAUME D E DIEU SUR LA

TERRE NE SERA PAS L'ŒUVRE D'UN JOUR.

Le r o y a u m e -de Dieu a existé s u r la terre, au P a ­


r a d i s "terrestre. ('/est l'Age d ' o r dont, lous les anciens
peuples if>ul conservé le souvenir, en en e m p o r t a n t
Pi mage avec eux dans l e u r s émigrations les p l u s
lointaines. Il a été détruit p a r le péché. P a r sa déso­
béissance aux o r d r e s divins cl s a c o n d e s c e n d a n c e
a u x suggestions de Satan, l ' h o m m e s'est a r r a c h é
a u t a n t qu'il était en lui à l'empire d e Dieu et s'est
placé sous le joug de Lucifer. Celui-ci exerça des
lors s u r le genre h u m a i n Un e m p i r e s e m b l a b l e à
celui qu'il vxerec a u x enfers s u r ceux qui l'ont
suivi d a n s s o n a]>oslusi<>. S u r la terre a u s s i bien
q u ' a u x enfers t il règne et r é g n e r a s u r tous les e n ­
3
fants d ' o r g u e i l . » Le g e n r e h u m a i n t o u t entier, à
l'exception des fils d ' A b r a h a m , lui éleva des temples,
lui dressa des autels, lui r e n d i t u n culte impie. E t
combien de fois le peuple dépositaire de la p r o m e s s e
se laissa-l-H, lui-même, e n t r a î n e r à le s e r v i r !
Le R é d e m p t e u r p r o m i s a u x p r e m i e r s jours vinl
au (< mps m a r q u é p a r la sagesse divine. Le r o ­
y a u m e d e Dieu allait-il Cire établi i n s t a n t a n é m e n t
à l ' h e u r e de son apparition au milieu d e nous, o u
du m o i n s à l'heure où s'accomplirait le sacrifice
d'expiation? Il eu avait été ainsi au ciel. U n seul
acte, celui p a r lequel les anges, s o u s la c o n d u i t e
de Tarchango saint Michel se p o r t è r e n t vers Dieu

1. Dernière parole de D i e u à J o b .
ROYAUTÉ DU CHRXST EXPLIQUÉE 31

par tui élan d ' a m o u r s u r n a t u r e l constitua le r o y a u m e


des cieux. Il n ' e n pouvait ê t r e d e m ê m e ici-bas.
L'homme est d ' u n e n a t u r e a u t r e q u e celle d e l'ange :
il est soumis a u t e m p s et t o u t ce qui l e concerne
doit passer p a r des d é v e l o p p e m e n t s successifs. Il
ne pouvait se faire q u e d ' u n e extrémité à l'autre,
la face de l a t e r r e l û t i n s t a n t a n é m e n t transfor­
mée. L'Evangile devait êlrc p r é s e n t é aux peuples de
contrée en contrée, et les peuples devaient l'accepter
d'abord, puis y conformer l e u r s m œ u r s . Le règne
de Dieu s'établit a u fur et à m e s u r e q u e les m œ u r s
deviennent c h r é t i e n n e s .
C'est ce q u e Xotre-Scigneur o p p o s a aux curiosités
des Pharisiens et aux impatiences des Apôtres.
Les P h a r i s i e n s vinrent un j o u r lui poser celte ques­
tion : « Q u a n d v i e n d r a le r o y a u m e de Dieu? » Il
leur répondit : « L a venue du r o y a u m e d e Dieu
n'est pas un sujet d'observation. On ne dira point :
U est ici, ou : Il est là , c o m m e s'il apparaissait
tout à c o u p visible d a n s sa perfection. Ce ne peut
être un d e ces faits q u i a t t i r e n t soudain l'attention,
qui se passent d e façon à p o u v o i r être observés,
Non vvnit cum observatione, ainsi q u e les P h a r i ­
siens se Tétaient imaginé. Ils concevaient le r o y a u m e
des cieux c o m m e u n e révolution q u i éclate à son
j o u r et dont le P r o p h è t e p o u v a i t m a r q u e r le m o ­
ment. D a n s l e u r pensée, il devait s o r t i r d ' u n e vic­
toire qui les délivrerait d u j o u g des Romains et
croître p a r une série d'événements q u i établiraient
leur d o m i n a t i o n s u r t o u s les peuples. Le r o y a u m e
de Dieu n'est rien d e cela, dit Notre-Scigneur, c'est
quelque chose qui « est au milieu d e v o u s », c'est
ce q u e Jean-Raptistc a n n o n c e (Luc, XVI).
Au c o u r s de sa prédication, J é s u s n e cessa de p a r ­
ler du r o y a u m e de Dieu. Il fallait qu'il en fût ainsi
LA ROYAUTÉ DIVINE

c a r l'établissement d u r o y a u m e de Dieu d a n s le
m o n d e était sa mission, n o n d ' u n j o u r , c o m m e l ' œ u ­
v r e d e la Rédemption, m a i s celle qui devait être c o n ­
t i n u é e d a n s t o u t e la suite du temps : il fallait d o n c
q u e J é s u s fît c o n n a î t r e ce qu'il devait être et com­
m e n t il s'instituerait et s e développerait.
Cet enseignement, Noire-Seigneur le d o n n a s u r ­
1
tout en paraboles, c est-à-dire en allégories, qu'il
j e t a i t d a n s les esprits, laissai]! au t e m p s d'en déve­
l o p p e r les leçons.
D a n s son enseignement le divin Maître eut cons­
t a m m e n t r e c o u r s aux figures, aux images, a u x p a r a ­
boles. Il employa cette m é t h o d e d'instruction j u s ­
q u ' a u d e r n i e r m o m e n t de sa vie. C'est ainsi q u e ,
m o n t a n t a u Calvaire, la croix s u r les épaules, il
p r é s e n t a aux femmes de J é r u s a l e m q u i le s u i v a i e n t
avec d o u l e u r la comparaison de l ' a r b r e vert el de
l ' a r b r e sec. Même a p r è s s o n Ascension, a p p a r a i s ­
sant à saint Paul, il lui r e p r o c h a d e « r e g i m b e r
c o n t r e l'aiguillon. »

C H A P I T R E VII

DES PARABOLES DONNENT A ENTENDRE

LE MODE DE DÉVELOPPEMENT D U ROYAUME

DU CHRIST.

D a n s la deuxième année de sa vie p u b l i q u e , le


1
divin Maître p r o n o n ç a h u i t p a r a b o l e s p a r lcs-

1. L e s paraboles rapportées daïis lr-s é v a n g i l e s , se pré-


s e n t e n t comme en trois g r o u p e s . Un premier groupe
PARABOLES EXPLICATIVES DU ROYAUME 33

quelles il v o u l u t faire c o m p r e n d r e ce qu'est, ce


que sera l e r o y a u m e d e Dieu d o n t il avait d é j à
parlé.
« L'enseignement direct q u e n o u s recueillons d e
la série entière d e ces h u i t paraboles, dit le P .
Coleridge, a c e r t a i n e m e n t u n r a p p o r t avec la récep­
tion q u e la d i v i n e semence d e la P a r o l e doit ren­
contrer a u p r è s d e s h o m m e s en général. Elles sont
des p r o p h é t i e s positives et des descriptions de ce
x
qui devait a r r i v e r d a n s le r o y a u m e de l'Evangile » .
Les cinq p r e m i è r e s furent adressées au peuple et
plus ou m o i n s expliquées ensuite aux Apôtres en
particulier. Ce s o n t les p a r a b o l e s du semeur, d e
la semence q u i croit lentement, d u grain de sé­
nevé, du levain, de l'ivraie. T r o i s autres, celles d u
trésor, d e la p e r l e et d u filet, furent adressées aux
seuls Apôtres, p a r c e qu'elles avaient p o u r fin, n o n
plus le r o y a u m e de Dieu considéré en lui-même,
mais la m a n i è r e d o n t les o u v r i e r s de l'Evangile
devaient travailler p o u r r é t a b l i r d a n s le monde.

1° PARABOLE DU SEMEUR

c E n ces jours-là, d i s e n t l e s Evangélistes, Jésus

est formé d e s h u i t paraboles concernant le royaume


des c i e u x . J é s u s l e s prononça sur l e s bords du lac
de Génésareth, d a n s l a deuxième année de son ministère.
Un deuxième groupe se compose de celles prononcées
la troi s ième année, à l'appui d e cert ai nés instructions
particulières. L e troisième groupe comprend les para-
boles prononcées l a dernière s e m a i n e de l a vie d u
divin Sauveur. E l l e s se rapportent à l a réprobation du
peuple juif et au dernier a\vnomonfc du F i l s do l'homme.
1. D u haut de l a chaire, lo clergé fait de cos paraboles
des applications personnelles. Mais e l l e s ont un sens plus
étendu, relatif à l'histoire de l a prédication évangélique.
LA ROYAUTÉ DIVINE

sortit d e ia maison et c o m m e n ç a d e n o u v e a u à ensei­


g n e r s u r le b o r d de la m e r . Il se r a s s e m b l a a u t o u r
d e L u i , d e s villes voisines, u n e si g r a n d e m u l ­
t i t u d e qu'il m o n t a s u r u n e b a r q u e , la foule se
p r e s s a n t s u r le rivage. Il leur enseigna b e a u c o u p
l
de choses en paraboles - .
« E c o u t e z : Un s e m e u r sortit p o u r s e m e r s o n grain.
Et p e n d a n t qu'il sen'iait, une partie de la s e m e n c e
t o m b a le long du c h e m i n ; or, elle fut foulée a u x
pieds, et les oiseaux d u ciel v i n r e n t la m a n g e r ,
l ' n e a u t r e p a r t i e tomba s u r des e n d r o i t s pierreux, o ù
il y avait peu d e t e r r e ; elle leva aussitôt, p a r c e q u e
la t e r r e avait p e u de p r o f o n d e u r ; m a i s le soleil
é t a n t venu, l'herbe fut b r û l é e et se d e s s é c h a , p a r c e
qu'elle n'avait ni racines, ni. humidité. U n e a u t r e
p a r t i e l o m b a p a r m i les épines, et les épines g r a n ­
d i r e n t et r é t o u f l e r e n t et elle ne d o n n a p a s d e fruit.
U n e a u t r e enfiu lomba d a n s u n e b o n n e t e r r e e t
elle d o n n a son fruit e t les grains r e n d i r e n t l'un
Ironie, H u î t r e soixante, l ' a u t r e cent p o u r u n . »
« La semence, c'est Ja p a r o l e de Dieu • dît N o t r c -
Seigueur à ses Apolrcs, lorsqu'ils lui d e m a n d è r e n t
d'expliquer celle p a r a b o l e
P l u s tard, après sa r é s u r r e c t i o n , il devait l e u r
c o m m a n d e r d'aller jeter cette semence s u r t o u t e
r é t e n d u e d u c h a m p t e r r e s t r e : « T o u t e puissance m ' a
été donnée au ciel et sur la t e r r e ; allez d o n c , ensei­
gnez toutes les nations... Je suis m o i - m ê m e avec
3
vous j u s q u ' à la consommation des siècles » ,
Le royaume, des cieux doit ê t r e fondé, n o n p a r
les a r m e s , mais p a r la parole. Celle p a r o l e doit
être p o l i c e à tous les peuples, semée d a n s toutes
les contrées du monde p a r les Apôtres et les a u t r e s
I. Malt., X I I I ; .Mare. IV.; L., VIII. - 2 . Mntfc»
X I I I ; Mare, I V : L MVIII. - Mail., XXVIII.
PARABOLES EXPLICATIVES DU ROYAUME 85

missionnaires q u i l e u r s u c c é d e r o n t j u s q u ' à ce q u e
la plénitude des n a t i o n s ait été évangélisée.
Mais Apôtres et missionnaires n e devaient point
trouver p a r t o u t le m ô m e sol, des terrains également
bons, des c h a m p s s e m b l a b l c m e u t libres ou p r é p a r é s
à leur c u l t u r e ; a u s s i Notre-Seigncur signale-t-il q u a ­
tre résultats différents d'un m ê m e ensemencement.
Dans le jjremier cas, la s e m e n c e n ' a m ô m e p a s
pu rester s u r le terrain. D a n s l e second, elle a
germé et s'est ensuite desséchée. D a n s le troisième,
elle a poussé e n h e r b e , m a i s elle a été étouffée.
C'est d a n s le q u a t r i è m e seulement qu'elle est ve­
nue en m a t u r i t é et a p r o d u i t le fruit q u ' o n en atten­
dait. Les causes d'insuccès d a n s les trois p r e m i e r s
cas ont é l é d i v e r s e s ; et si n o u s avions à faire
ici Thistoiro d e 1 evangélisation, n o u s p o u r r i o n s dire
comment la p a r o l e de Dieu a été s e m é e et le sort
qu'elle a subi chez les Juifs, chez les Africains,
chez les Anglo-Saxons, chez les O r i e n t a u x et chez
les L a t i n s ; plus r é c e m m e n t , chez les races nègres de
l'Afrique, chez les Chinois, chez les J a p o n a i s , chez
les Arméniens cl les Océaniens.
Il est d e s p e u p l e s à q u i la p a r o l e d e Dieu est
portée m a i s q u i n e la comprennent pas. C'est Notre-
Seigneur lui-môme q u i se s e r t d e ce t e r m e . Ils
ne la reçoivent p a s plus d a n s le c œ u r q u e le che­
min d u r c i n ' o u v r e son sol p o u r accueillir la se­
mence : les préjugés intellectuels, les h a b i t u d e s m o ­
rales les tiennent fermés a u x m y s t è r e s divins. D'au­
tres peuples s o n t légers et frivoles, la doctrine c h r é ­
tienne l e u r p l a î t c o m m e u n e n o u v e a u t é ; « ils la r e ­
çoivent d ' a b o r d a v e c joie m a i s « la tribulation
et la p e r s é c u t i o n s u r v e n a n t à cause d e la Parole,
ils se scandalisent aussitôt et s'éloignent ». Il n'y
avait chez eux q u ' u n c h r i s t i a n i s m e de surface.
86 LA ROYAUTÉ DIVINE

D ' a u t r e s peuples, a p r è s a v o i r vécu q u e l q u e t e m p s


e n c h r é t i e n s , o n t laissé « les sollicitudes d u siècle,
la t r o m p e r i e des richesses, les plaisirs d e la vie
et les a u t r e s convoitises c r o î t r e chez eux et étouffer
lo sens chrétien, d e s s é c h e r la vie c h r é t i e n n e , c o m ­
m e les épines font du blé en h e r b e . Hnfin il est
d e s p e u p l e s q u i « ayant é c o u t é la P a r o l e avec u n
c œ u r b o n et fidèle la reçoivent, la c o m p r e n n e n t
et la retiennent. Ceux-là p r o d u i r o n t d u fruit dans
la patience >, le mot g r e c d i t : en t e n a n t ferme s a n s
so laisser é b r a n l e r p a r rien.
C(?s peuples p r o d u i s e n t les u n s p l u s , les a u t r e s
m o i n s en fruits d e sainteté, trente, soixante, c e n t ;
c a r îl y a aussi e n t r e e u x des différences d e dis­
positions, selon q u e la d o c t r i n e c h r é t i e n n e a p é n é ­
t r é p l u s o u m o i n s a v a n t d a n s l e u r s institutions,
l e u r s lots -et leurs c o u t u m e s .

2° PARABOLE DU BON GRAIN ET DE LIVRAIE

« Il p r o p o s a au p e u p l e u n e a u t r e p a r a b o l e en ces
tonnes :
« Lo r o y a u m e des cieux est s e m b l a b l e à u n h o m ­
m e qui avait semé d u b o n grain d a n s s o n c h a m p .
Mais tandis q u e ses gens d o r m a i e n t , s o n e n n e m i
vint, s e m a d e l'ivraie a u milieu d u f r o m e n t et
s'en alla. L o r s q u e l ' h e r b e eut poussé, l'ivraie pa­
r u t aussi » i.
R a p p r o c h o n s Tune d e l ' a u t r e d a n s n o t r e esprit,
c o m m e elles le furent d a n s le d i s c o u r s d u divin
Maître, cette parabole et la précédente. Elles n o u s
offrent une v u e complète des c o n d i t i o n s auxquelles
r e n s e i g n e m e n t évnntfélique doit se c o n f o r m e r p o u r
se p r o p a g e r d a n s le m o n d e , et elles n o u s expliquent
1. M a l t . , XIII.
PARABOLES EXPLICATIVES DU ROYAUME 37

les principes d u g o u v e r n e m e n t divin avec u n e clarté


d'autant p l u s g r a n d e q u e Notre-Seigneur a p r i s lui-
même la peine d e les expliquer.
Daiis la p a r a b o l e d u s e m e u r , l'Homme-Dieu avait
montré qu'il connaissait d'avance la perte d ' u n e bon­
ne partie d e l a semence qu'il était venu jeter ici-
bas et déjà i l avait i n d i q u é la p a r t qui doit ê t r e
imputée a u d é m o n d a n s cette p e r t e : « L e méchant,
Satan, vient -et enlève la p a r o l e qui avait été se­
mée d a n s les c œ u r s , d e p e u r q u ' e n c r o y a n t ils
ne soient s a u v é s ». Satan fait p l u s qu'étouffer la
vérité d a n s les c œ u r s , il s è m e l ' e r r e u r d a n s le
c h a m p d u P è r e d e famille. C'est ce q u e Jésus dit ici.
Aujourd'hui c o m m e t o u j o u r s les m i n i s t r e s d e l ' e r r e u r
se pressent s u r les p a s ues A p ô t r e s de la vérité.
Il n'est p a s u n e des missions catholiques o ù les
protestants n e jettent leurs bibles, ne construisent
leurs écoles et n'élèvent leurs temples p o u r y faire
leurs prêches. L e s Gnostiques a u x premiers siècles,
les Ariens et ceux q u i s u i v i r e n t étaient v e n u s d e
mémo jeter l e u r i v r a i e l à o ù les Apôtres avaient
semé le froment. Ainsi chez n o u s , s i Dieu n'avait
suscité Clovis c o n t r e les Ariens, la F r a n c e catholique
n'aurait p u n a î t r e .
La p a r a b o l e n o u s dit q u e c'est p e n d a n t le som­
meil du c u l t i v a t e u r q u e l'ennemi vint semer l'ivraie
dans son c h a m p . Hélas ! L ' h i s t o i r e n e n o u s dit que
trop q u e les influences m a u v a i s e s q u i se r é p a n d e n t
dans TEglise, le plus s o u v e n t , n e se propagent q u e
par le défaut d e vigilance d e ses chefs.

3o PARABOLE DE LA SEMENCE QUI CROÎT SPONTANÉMENT

Jésus dit e n c o r e : « Il e n est d u r o y a u m e d e Dieu


comme d ' u n h o m m e q u i a jeté d e la semence en
s e
La Mission de la B Jeanne d'Arc. 4
38 LA ROYAUTÉ DIVINE

t e r r e . Qu'il d o r m e o u q u ' i l s e lève, d e n u i t et d e


j o u r l a s e m e n c e g e r m e et c r o î t s a n s q u ' i l y pense.
C a r la t e r r e p r o d u i t d ' e l l e - m ê m e d ' a b o r d l ' h e r b e ,
e n s u i t e l'épi, p u i s l a g r a i n e q u i r e m p l i t l ' é p i ; et
l o r s q u e lo fruit est p a r v e n u à s a m a t u r i t é , il y met
l a faucille : c'est la m o i s s o n K
L e d i v i n S a u v e u r appelle ici l'attention s u r u n
point q u ' i l avait laissé de côté d a n s les p r é c é d e n t e s
p a r a b o l e s : la croissance s p o n t a n é e d e la» s e m e n c e .
Le r o y a u m e d e Dieu se développe s u r t o u t p a r la
p u i s s a n c e innée q u e Dieu a mise d a n s s a d o c t r i n e
et les forces d'intelligence et de volonté q u ' i l a m i ­
ses d a n s r a m e h u m a i n e secondée p a r sa grace. Isaîc
avait ainsi p r é l u d é à ces p a r o l e s d u divin Maître :
« C o m m e la pluie et la neige descendent d u ciel et
n ' y r e t o u r n e n t pas, q u ' e l l e s n ' a i e n t a b r e u v é et fé­
c o n d é la t e r r e et n'aient d o n n é à l ' h o m m e lo p a i n
p o u r se n o u r r i r : ainsi la p a r o l e qui s o r t d e m a
b o u c h e , n e r e v i e n d r a p a s vers moi s a n s fruit; s a n s
a v o i r exécuté ce que j ' a i voulu et a c c o m p l i ce p o u r
2
q u o i je l'ai envoyée » .
R e m a r q u o n s qu'ici c o m m e p r é c é d e m m e n t Dieu r é ­
c l a m e p o u r l'extension de son r o y a u m e u n s e m e u r
d e sa parole. « Comment croiront-ils, d e m a n d e saint
P a u l , s'ils n ' o n t point entendu p a r l e r ? E t c o m m e n t
3
e n t e n d r o n t - i l s parler, si p e r s o n n e ne l e u r p r ê c h e ! » .
t Mais si P a u l plante, si A|K>IIon ai-rose, c'est Dieu
4
q u i d o n n e la croissance » . L ' h o m m e r e m p l i t son
rôle et Dieu le sien q u i est le plus efficace. N o t r c -
Seigneur Jésus-Christ a été le s e m e u r a u x j o u r s d e
sa vie mortelle et il s'en est allé, c o m m e d i t la p a r a ­
bole. Ce n'est p a s q u ' i l soil v r a i m e n t absent, puis­
qu'il a p r o m i s d'être avec son Eglise j u s q u ' à la oon-

1. Mr., IV, 2CÏ-20. — 2. I s . , LV, 1 0 - 1 1 . — 3 . R o m . ,


X, 1 1 - 1 5 . — 4. 1 Cor., I I I , G.
PARABOLES EXPLICATIVES DU ROYAUME 89

sommation d e s siècles; m a i s il a r e t i r é sa p e r s o n n e
visible, et il laisse l ' œ u v r e q u ' i l a commencée se
poursuivre d a n s tout l'univers, sous sa conduite
et s a p r o t e c t i o n j u s q u ' à l ' h e u r e o ù les desseins de.
Dieu s u r la r a c e h u m a i n e soient pleinement réalisés.

4«> PARABOLE DU GRAIN DE SÉNEVÉ

€ Jésus l e u r p r o p o s a e n c o r e u n e a u t r e parabole.
Il leur d i t :
« A q u o i c o m p a r e r o n s - n o u s le r o y a u m e d e Dieu
et p a r quelle p a r a b o l e le r e p r é s e n t e r o n s - n o u s ? Le
r o y a u m e d e Dieu est s e m b l a b l e à u n grain de sé­
nevé q u ' u n h o m m e p r î t e t s e m a dans son c h a m p .
Ce grain, q u a n d o n le sème, est bien u n e des
plus petites d e toutes l e s s e m e n c e s q u i sont sur la
terre. Mais a p r è s qu'il a élé semé, il croît, s'élève
1
plus h a u t q u e les a u t r e s p l a n t e s ; il devient un
arbre et p o u s s e d e s i g r a n d e s b r a n c h e s q u e les
oiseaux d u ciel p e u v e n t s'y p e r c h e r et se r e p o s e r
2
sous son o m b r e » . '
Après la p a r a b o l e d u grain d e blé q u i fructifie
quand il est d é p o s é d a n s la t e r r e c o m m e fructifia la
parole d e D i e u dès q u e l l e fut p r è c h é e d a n s le m o n ­
de, celle d u g r a i n d e sénevé vient d i r e j u s q u ' o ù s'élève
cl s'étend, d a n s sa croissance, le r o y a u m e fondé p a r
cette parole, sortie un j o u r d e la b o u c h e de celui
qui paraissait n'être q u ' u n p a u v r e Juif. N o u s n ' a v o n s
qu'à jeter les y e u x s u r le m o n d e p o u r voir à quel
point s'est justifié ce symbole, s a n s préjuger de c e
que lui r é s e r v e n t les t e m p s à v e n i r si magnifique­
ment célébrés p a r les p r o p h è t e s .

1. Lo s é n e v é en Syrie est ua arbre.


2. M a i l . , M e , ibidem.
40 LA ROYAUTÉ DIVINE

5o LA PARABOLE DU LEVAIN

L a p a r a b o l e d u levain d a n s la p â t e vient e n ­
suite d i r e c o m m e n t ce p r o g r è s devait s e faire.
ç L e r o y a u m e des cieux est s e m b l a b l e a u levain
q u ' u n e femme a pris et mêle d a n s trois m e s u r e s d e
farine, j u s q u ' à ce q u e la p â t e soit t o u t e levée »
(S. Marc, ibid).
La p a r a b o l o d u g r a i n d e sénevé a servi à N o -
tre-Seigneur à a n n o n c e r la p l a c e i m m e n s e q u e l'Eglise
d e v a i t o c c u p e r d a n s le m o n d e et r é t e n d u e d e sa d o ­
m i n a t i o n . P a r celle d u levain il m a r q u e la puis­
s a n c e d'assimilation e t d e t r a n s f o r m a t i o n q u e l'E­
vangile a u r a s u r les esprits, s o n influence s u r la
m a r c h e d e l'univers.
Cela est figuré p a r le c h a n g e m e n t q u e le levain
fait s u b i r à u n e masse d e pâle. La p à t c r e s t e p â t e ;
m a i s elle a é t é p é n é t r é e p a r un ferment d o n t l'ac­
tion se fait sentir d a n s toute r e t e n d u e d u pétrin.
L a fermentation qu'il o p è r e se r é p a n d d a n s la m a s s e
entière et fait c h a n g e r la qualité de tout ce que
le p é t r i n contient.
Los trois m e s u r e s de farine sont les trois races
d ' h o m m e s q u i o n t e u p o u r père les trois, fils d e
Noe. T o u t e s les trois doivent être atteintes, p é n é ­
trées, transformées p a r le levain évangélique p o u r
no faire q u ' u n seul peuple, u n s e u l t r o u p e a u s o u s
u n m ê m e Pasteur, un seul r o y a u m e g o u v e r n é p a r le
,
Roi i m m o r t e l d e s siècles .

1. N o t r e - S c i g n e u r prononça a u sujet d u r o y a u m e trois


a u t r e s paraboles, a v o n s - n o u s d i t : celle du trésor, c e l l e
d o la p e r l e e t celle d u f i l e t . C e l l e s - c i , i l l e s d i t n o n
p l u s sur le rivage de l a mer et en s'adressant à t o u t
l e p e u p l e , mais à l a maison et devant ses s e u l s apôtres;
ROYAUTÉ DU CHRIST ANNONCÉE 41

C H A P I T R E VIII

DERNIÈRES PRÉCISIONS SUR LE ROYAUME

DE DIEU.

Les p a r a b o l e s n o u s o n t fait voir ce q u e sera le


r o y a u m e de Dieu, le r o y a u m e d u Christ tel qu'il a
été a n n o n c é et p r é s e n t é p a r Notre-Seigneur lui-même
non seulement à ses apôtres, m a i s a u p u b l i c ; et, p a r
conséquent, c o m m e n t n o u s d e v o n s le c o m p r e n d r e .
C'est u n r o y a u m e q u i e m b r a s s e r a toute la t e r r e
et dont la d u r é e s e r a j u s q u ' à la fin des temps.
Il c o m m e n c e r a si petitement, q u e son principe p e u t
justement ê t r e c o m p a r é à u n g r a i n d e blé o u à u n
grain de sénevé. Dans s o n d é v e l o p p e m e n t il r e n c o n ­
trera toutes s o r t e s d'obstacles : obstacles de la p a r t
des p e u p l e s d o n t il v o u d r a faire la c o n q u ê t e ; les
uns seront m a l p r é p a r é s à lo recevoir, d ' a u t r e s n e
pourront so faire à Lui. Ceux-ci après s'y être faits
se laisseront e n v a h i r p a r l'esprit contraire et s'en
d é t a c h e r o n t Ceux-là p e r s é v é r e r o n t , m a i s avec des
succès différents, v e n a n t soit d u m a n q u e de solli­
citude de l e u r s chefs, soit d e s entreprises de l'en­
nemi.
N'est-ce point, tracée d ' a v a n c e en raccourci, toute
rixistoire d e l'Eglise?

c'est qu'elles n e parlaient p l u s d u royaume considéré


en l u i - m ê m e , m a i s d e l a manière d o n t les ouvriers de
l'Evangile d o i v e n t travailler p o u r l e constituer. Le
royaume d u c i e l d o i t être o b t e n u par de grands sacri-
fices, d e l a part d e c e u x qui s o n t chargés de l'établir :
condition i m p o s é e a u trésor pour être trouvé, à l a perle
pour être a c h e t é e , à l a pêche pour être abondante.
42 TA ROYAUTÉ DIVINE

La c o n q u ê t e d u i n o n d e p o u r r é t a b l i s s e m e n t d u
r o y a u m e se fera p a r u n e d o c t r i n e : « L a semence,
c'est l a p a r o l e d e Dieu. » d e t t e d o c t r i n e agira a u
sein d e r b u m a n i l é c o n n u e le levain agit a u sein
do la pale. lîllc modifiera les Ames, t r a n s f o r m e r a
les m œ u r s , p é n é t r e r a d e son e s p r i t les lois et les
institutions et fera d e la r a c e d W d a m , la r a c e d u
Christ, l a chrétienté.
Cela doit ê t r e et cela sera, p u i s q u e r i I o m m e - D i e u
n o u s a Tait un c o m m a n d e m e n t d e le d e m a n d e r et q u e
1
cola est effectivement d e m a n d é tous les jours , d e
t o u s les p o i n t s do la terre, à des degrés d e fer­
v e u r différents, s a n s d o u t e , m a i s q u i vont j u s q u ' a u x
plus a r d e n t s s o u p i r s q u e Famé h u m a i n e , secondée p a r
la grâce, puisse p r o d u i r e . Cela sera a u s s i p a r c e «pie le
m ê m e Jésus, ayant la puissance d e Dieu, n o u s a fait
celle p r o m e s s e : « En vérité, on vérité, je v o u s le
dis : si v o u s demandez q u e l q u e c h o s e e n mon n o m ,
mon P è r e v o u s le d o n n e r a . * Le r è g n e d e Dieu s u r
la terre, le règne d u Christ est d e m a n d é , il sera
accordé. Il Va été, il Test, n o u s a v o n s cet cs]>oir,
cette confiance qu'il le sera plus e x l e n s i v e m e n l et
plus parfaitement qu'il ne l'a été j u s q u ' i c i .

Noire-Seigneur a d o n c donné, sous le voile d e la


parabole, à ses a p ô t r e s et à la m u l t i t u d e , une r é ­
p o n s e pércmptoiire à la grande question q u i préoc­
c u p a i t tous ](\s e s p r i t s à s a venue on ce m o n d e .
P a s plus q u e les a u t r e s Juifs, les Apôtres ne le
c o m p r i r e n t j u s q u ' à la réception d e PLsprit-Sainl. Mal­
gré ce qui l e u r avait été dit, q u e le r o y a u m e d e
Dieu n e devait p a s ê t r e semblable à l'un d e ces
faits qui <so prêtent à l'observation, qui se produi­
sent subitement, c'était toujours ainsi q u ' i l s se le
représentaient. D u r a n t les q u a r a n t e jours qui sui-
DERNIÈRES PRÉCISIONS 48

virent s a r é s u r r e c t i o n , d a n s les n o m b r e u x e n t r e ­
tiens qu'il e u t a v e c eux, Notro-Seigneur r e p a r l a .sou­
vent d u r o y a u m e d e Dieu *. Il le fit encore, a v a n t d e
se s é p a r e r définitivement d'eux, a u j o u r d e l'Ascen­
sion.
Il vint d a n s lo cénacle o u ils étaient r a s s e m b l é s
et se m i l à. table avec e u x : P e n d a n t le repas, il l e u r
r e c o m m a n d a de n e p a s s'éloigner d e Jérusalem, mais
d'attendre ce q u e le P è r e avait p r o m i s . Ce q u e
le Père a v a i t p r o m i s p a r l a voix des p r o p h è t e s ,
c'était, a v e c l'effusion d e l'Esprit-Saint, la conver­
sion d ' I s r a ë l et l e r é t a b l i s s e m e n t d a n s son ancien­
2
ne s p l e n d e u r d u t r o n c d e D a v i d . Oubliant ce qu'il
leur avait dit de la s e m e n c e d u blé, d u grain d e
sénevé, d u levain, t o u t e s choses qui no croissent
ou qui n ' o p è r e n t q u e peu à peu, ils d e m a n d è r e n t :
« Est-il v e n u le t e m p s o ù v o u s rétablirez le r o y a u m e
d'Israël? » Noire-Seigneur r é p o n d i t : « Ce n'est pas
à vous de c o n n a î t r e les t e m p s et les m o m e n t s q u e
Dieu a fixés de sa p r o p r e a u t o r i t é . ,» Après avoir
ainsi calmé l e u r curiosité, il v o u l u t les a m e n e r d e
nouveau à e n t e n d r e q u e le t e m p s qu'ils appelaient
de leurs v œ u x n'était p a s p r o c h e , qu'il lie viendrait
qu'après u n e longue suite d e travaux. « Vous m e
rendrez, dit-il, témoignage à J é r u s a l e m , d a n s t o u t e
la Judée, d a n s la Samarie et j u s q u ' a u x extrémités d e
la terre Accomplir u n e telle mission no p o u v a i t
être l ' œ u v r e des seuls Apôtres, ils n e pouvaient q u e
la c o m m e n c e r et la laisser à p o u r s u i v r e p a r leurs
successeurs. S e m e r P Evangile j u s q u ' a u x extrémités
de la t e r r e et lui p e r m e t t r e d e ]>orler des fruits, —
ce qui est p r o p r e m e n t r é t a b l i s s e m e n t d u r o y a u m e
de Dieu, — ce n'était d o n c pas l'affaire d'un j o u r .
Notre-Scigneur le leur fit e n t e n d r e . E t do fait, voici

2. Osée, Amos, Isaïe, Ezechiel.


44 LA ROYAUTÉ DIVINE

dix-neuf siècles q u e l ' œ u v r e est c o m m e n c é e , et elle


n ' e s t p o i n t achevée.
Si s a i n t P i e r r e n e le c o m p r i t p o i n t a u j o u r d e
l'Ascension, il e n eut l'intelligence l o r s q u e l'Esprit-
Saint lui fut envoyé. Dans s a s e c o n d e E p î t r e c a t h o ­
l i q u e , c'est-à-dire adressée a t o u t e l'Eglise « p o u r
r a p p e l e r les choises annoncées d ' a v a n c e p a r les saints
P r o p h è t e s », il a soin de dire : « Il est u n e chose,
bieix-aimés, q u e v o u s n e devez p a s ignorer, c'est
q u e , p o u r le Seigneur, u n j o u r est c o m m e mille
a n s et mille a n s c o m m e un j o u r » i.
L ' a c h è v e m e n t d u r o y a u m e d u C h r i s t s e fera a u x
j o u r s fixés d a n s les décrets d e l'éternelle Sagesse.
Le c o u r s d e s a n n é e s q u i y mènent p e u t n o u s p a r a î ­
t r e l o n g ; p o u r Dieu, il n'est point s e u l e m e n t court, il
est n u l . Nihil est diuturnum in quo est aliquid ex-
trcmum, dit saint Augustin; et omnia sœculorum
s patia si œternitati intemeratœ comparcntur, non
2
cxigua exislimanda esse sed nulla .

1. K , IJI, 8. — 2. D© civ. Dci, L i b . , X I I , c a p . X I I .


III

LA R É A L I S A T I O N D U R O Y A U M E D E D I E U
A P P E L É E PAR LES V Œ U X D E L'ÉGLISE.

C H A P I T R E IX

LES VŒUX D E L'ÉGLISE E N AVENT ET A NOËL.

Le r o y a u m e d e Dieu a é t é le point central de la


prédication d e Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est
venu, dit-il, p o u r l'annoncer, et cette « b o n n e n o u ­
velle » constitue l'Evangile.
C'est aussi le point c e n t r a l d e s a mission. T o u t
dans s a vie est conçu e t o r d o n n é e n raison d u
R o y a u m e ; tout, j u s q u ' à sa m o r t p a r l'effusion d u
sang d e la Nouvelle A l l i a n c e ; tout, j u s q u ' à la mish
sion des disciples envoyés a n n o n c e r à toute c r é a t u r e
l'Evangile d u r o y a u m e .
La réalisation devait ê t r e e t est e n effet le point
central d e la vie de l'Eglise. S o n histoire est l'his­
toire d e l'extension d u r o y a u m e de Dieu s u r la
terre. T o u s ses v œ u x appellent s o n achèvement : sa
46 LA ROYAUTÉ DIVINE

liturgie est le d é v e l o p p e m e n t p e r p é t u e l d e cette p r i è ­


re : Que votre règne arrive!
T o u s los ans, d ' u n b o u t à l ' a u t r e d e Tannée, l'E­
glise n e cesse d e p r o c l a m e r la R o y a u t é d u Fils de
Dieu fait H o m m e , Médiateur et R é d e m p t e u r d u genre
h u m a i n et aussi d e d e m a n d e r l'accroissement et le
perfectionnement d e son r o y a u m e .

1» EN A VENT

Dès les p r e m i e r s j o u r s d e T a n n é e ecclésiastique,


le saint office débute p a r cet invitaloirc : « lie-
yem venîurum Dominum, vc.nilc adore nuis. Le Roi
qui doit venir, le Seigneur, venez, a d o r o n s - L e . »
La sainte Eglise qui n o u s fait celle invitation voit
venir le Fils d e l ' H o m m e s u r los n u é e s d u ciel,
n o n e n c o r e j x m r j u g e r les m o r t e l s , m a i s p o u r r é ­
g n e r ; p o u r r é g n e r n o n seulement s u r les aines prises
individuellement, niais s u r tous les p e u p l e s , s u r tou­
tes les t r i b u s et s u r toutes les l a n g u e s d e l'univers :
c Aspicicbam in visu nociis et ecce in nubibus cœli
Filins IIominis xnmiebat; et datant est ci regnum
et honor; et omnis pojftlius, tribus et lingua servient.
ci. J e regardais d a n s la vision de la nuit, et voici le
Fils d e r i l o m m c q u i venait d a n s les n u é e s du
ciel; et il lui fut d o n n é le r o y a u m e et Thonnour.
E t tous les peuples, tribus et langues lui seront
soumis ». Et p l u s loin : « /;/ reynabil Dominas
super omnes gentes... dominubitur usque ad terrni-
nos orbis terrarum... et adorabnnt omnes reyes, om-
nes génies seraient Ei ! Intuamini quantus sit iste
qui inyreditnr ad saluandas gentes. L e Seigneur r é ­
gnera s u r toutes les n a t i o n s ; il d o m i n e r a j u s q u ' a u x
d e r n i e r s confins des terres, et tous les rois l'ado-
ADVENIAT REGNUM ! 47

reront et t o u s les peuples le serviront... O h ! voyez


combien il est g r a n d celui q u i vient p o u r s a u v e r
toutes les n a t i o n s ! »

Des la p r e m i è r e s e m a i n e d e TAvent le r o y a u m e
que le Fils d e l ' H o m m e v i e n d r a fonder est ainsi dé­
crit p a r le p r o p h è t e Isaie : « S u r le s o m m e t d e s
monts sera fondée la Montagne d e la maison d u Sei­
gneur; et elle s'élèvera a u - d e s s u s de toutes las col­
lines, et t o u t e s les n a t i o n s y a c c o u r o n t en foule. Et
les peuples i r o n t en g r a n d n o m b r e , et ils d i r o n t : Ve­
nez, et m o n t o n s à la Montagne d u Seigneur et à la
Maison d u Dieu de J a c o b , e t il n o u s enseignera ses
voies et n o u s m a r c h e r o n s d a n s ses sentiers, c a r la
loi sortira d c Sion, et le Verbe d u Seigneur de J é r u ­
salem. »
Chaque j o u r d e l'Avent, l'Eglise redit ces paroles
si avenantes d u P r o p h è t e , i\ l'office des L a u d e s :
t Venez, m o n t o n s à la Montagne d u Seigneur p. L e
royaume d u Christ est ici figuré p a r une m o n t a g n e
attirant les r e g a r d s d e tous, accessible ù tous, et
vers laquelle tous les p e u p l e s se p o r t e n t ; et aussi
à. une m a i s o n bâtie s u r cette m o n t a g n e o ù ils s'abri­
tent : m a i s o n o ù le Roi fera r e t e n t i r son Verbe, en­
seignant les voies o ù ils d e v r o n t m a r c h e r p o u r
arriver a u salut, f o r m u l a n t les lois qui d e v r o n t
le leur p r o c u r e r . Telle est bien la r o y a u t é d e J é s u s -
Christ, telle q u ' e l l e s'est présentée à n o u s jusqu'ici.

A la s e c o n d e semaine, l e m ê m e P r o p h è t e vient
nous d é c r i r e le g o u v e r n e m e n t d u roi a n n o n c é :
« Il n e j u g e r a p o i n t s u r le r a p p o r t des yeux, et il
ne c o n d a m n e r a p a s s u r u n o u ï - d i r e ; mais il j u g e r a
les p a u v r e s d a n s la justice et se déclarera le juste
vengeur des h u m b l e s d e l a terre. Il frappera la
48 LA ROYAUTÉ DIVINE

t e r r e p a r la v e r g e d o s a b o u c h e , e t il t u e r a l'im­
p i e j>ar le souffle d e s o n â m e . E t la j u s t i c e s e r a
la c e i n t u r e d e s e s reins, e t l a fidélité s o n b a u ­
drier. »
A cette a n n o n c e s i pleine d e si c o n s o l a n t e s p r o ­
messes, l'Eglise r é p o n d p a r ce v œ u , ce s o u p i r :
« Envoyez, Seigneur, l'Agneau qui doit r é g n e r s u r la
terre. »

En l a troisième semaine vient celle p r o m e s s e :


« E n ce jour-là, o n c h a n t e r a ce c a n t i q u e en la
(erre d e J u d é e : « -Sion est la ville d e n o i r e force :
le S a u v e u r e n s e r a l a m u r a i l l e e t le r e m p a r t . Ou­
vrez les portes e t q u ' u n peuple j u s t e y entre, un
p e u p l e o b s e r v a t e u r d e la vérité. >

A la q u a t r i è m e semaine est c o m p l è t e le tableau


tracé ù la s e c o n d e du règne d u divin Roi : i 11
n ' a u r a point acception de p e r s o n n e ; il n e b r i s e r a
point lo r o s e a u déjà éclaté, et il n'éteindra point
la m e c h e q u i fume e n c o r e : il r e n d r a justice se­
lon la vérité; il a n n o n c e r a la justice a u x nations » i.
La g r a n d e p r i è r e du temps d e l'Avent est celle-ci :
« Envoyez l'Agneau q u i doit régner, Emittc Agnum
dominatorem terrœ, q u i doit se s o u m e t t r e toute l a
terre, tous ses habitants. »
Inutile d o r e m a r q u e r q u e toutes ces prières et
toutes ces p r o p h é t i e s restent d a n s la b o u c h e de la
sainte Eglise a u futur. Elles font d o n c a u t r e c h o s e
que c o m m é m o r e r les soupirs des P a t r i a r c h e s appe­
lant la naissance d u Messie, elles e x p r i m e n t des v œ u x ,
des prières p o u r l'achèvement d e sou œ u v r e .

1. I s . , nhnp. X L XIV. XVI.


ADVENIAT REGNUM ! 49

2° A NOËL

Après les q u a t r e s e m a i n e s d e l'Avent, image des


quatre millénaires d e l ' a t t e n t e d u divin Messie, vient
dans la sainte liturgie la c o m m é m o r a t i o n d e s o n
avènement.
L ' a r c h a n g e Gabriel q u i é t a i t v e n u d e m a n d e r à la
Vierge Marie son c o n s e n t e m e n t à l'Incarnation avait
dit : « L e Seigneur-Dieu l u i d o n n e r a le t r ô n e d e
David, son père, et il R É G N E R A éternellement s u r la
maison de J a c o b , et S O N R È G N E N ' A U R A PAS D E F I N » . 1

Dès la veille d e Noël le p r e m i e r mot q u i s o r t


du coeur d e l'Eglise est u n e a c c l a m a t i o n au Roi : « L e
Roi pacifique d o n t t o u t e l a t e r r e désire voir la
face; le Roi pacifique, glorifié au-dessus de t o u s les
rois du m o n d e entier! »
A Laudes, l ' I ^ m n e adresse à t o u s les h o m m e s cette
invitation : <v D u point o ù le soleil se lève j u s ­
qu'aux limites d e la terre, c h a n t o n s le C H R I S T - R O I ,
né de la Vierge Marie. »
A la m e s s e d u j o u r , c'est e n c o r e la r o y a u t é d u
Christ q u e l'Introït a n n o n c e a u x fidèles venus p o u r
l'adorer. « U n enfant n o u s est né. Il porte s u r s o n
épaule la m a r q u e d e l a r o y a u t é , qu'il possède com­
me Dieu a v a n t t o u s les t e m p s , qu'il c o n q u e r r a com­
me H o m m e p a r la Croix Rédemptrice. Puis, d a n s
Tépître qu'elle n o u s lit, l'Eglise n o u s fait e n t e n d r e
les paroles de Dieu lui-même, relatées p a r l'Apôtre
saint P a u l : t Dieu d i t a son Eils: t Votre trône,
ô Dieu, d e m e u r e d a n s les siècles des siècles : le
sceptre d e l'équité est l e s c e p t r e d e votre e m ­
pire. Vous aimez la justice et v o u s haïssez Pini-

1. Luc, I, 32-33.
50 LA ROYAUTE DIVINE

q u i t é : c'est p o u r cela, ô Dieu! q u e v o t r e Dieu v o u s


a s a c r é d ' u n e fonction d e joie, a u - d e s s u s d e t o u s
ceux q u i p a r t i c i p e r o n t à v o t r e gloire. » t

C'est le Seigneur d e s s e i g n e u r s q u i est né, le


Roi q u i fera rejaillir s a gloire s u r les r o i s q u i ,
s o u s son i n s p i r a t i o n et sa c o n d u i t e , é t a b l i s s a n t sa
loi au milieu des peuples, feront r é g n e r p a r elle la
justice et l'équité.

Il est bien r e m a r q u a b l e q u e Dieu, le s o u v e r a i n


m a î l r o d e s é v é n e m e n t s a choisi la féto de Noël
p o u r faire n a î t r e le r o y a u m e des F r a n c s , p o u r i n a u ­
g u r e r e n la j>ersonnc d e Clovis la p r e m i è r e m o n a r c h i e
c a t h o l i q u e ; puis, il a choisi ce m ê m e j o u r p o u r i n a u ­
g u r e r en la jwrsoiine de C h a r l e m a g n e le saint e m ­
pire romain. Le souvenir de ce double événement
a d o n n é lieu à u n e c é r é m o n i e instituée p o u r h o ­
n o r e r , e n cette nuit d e Noël, la p u i s s a n c e r o y a l e
de r Ê m m u i i u e l . Son Vicaire, le Pontife s u p r ê m e ,
bénit en s o n n o m u n e épée et u n c a s q u e destinés
à q u e l q u e g u e r r i e r catholique qui a bien m é r i t é d e
la chrétienté. « Cette épée, dit l e g r a n d c a r d i n a l Polus,
est d o n n é e à un prince q u e le Vicaire d u Christ
veut h o n o r e r , a u n o m d u Christ lui-même qui est R o i ;
car l'Ange dit à Marie : « Dieu l u i d o n n e r a le t r ô n e
do David, s o n jicre ». C'est d e lui seul q u e vient
la puissance d u glaive, c a r Dieu dit à C y r u s : c J e
l'ai ceint d c Pépée », et lo Psalmistę d î t a u Christ:
t Ceignez-vous du glaive, ô p r i n c e très vaillant! »
ÀDVENIAT REGNUM ! 51

CHAPITRE X

LES VŒUX DE L'ÉGLISE A L'EPIPHANIE

ET AU TEMPS DE PAQUES,

3° EN LA FÊTE DE L'EPIPHANIE

L'ange avait dit à Marie : « Le Seigneur-Dieu don­


nera à l'Enfant q u i n a î t r a d e v o u s le t r ô n e d e Da­
vid, s o n père, et il r é g n e r a éternellement s u r la
maison d o J a c o b . »
Ces p a r o l e s n e devaient pas ê t r e entendues d a n s
un s e n s restreint, c o m m e si le S a u v e u r d u m o n d e
ne devait ê t r e q u e le r o i des Juifs. J a c o b devait
dilater ses tentes et le g e n r e h u m a i n tout e n t i e r
devait ê t r e invité, en y e n t r a n t , à venir se p l a c e r
sous le s c e p t r e d u R o i d e s rois.
C'est ce q u e n o u s r e d i t c h a q u e a n n é e la fête d e
l'Epiphanie.
Son n o m q u i signifie « manifestation » i n d i q u e
assez q u elle est c o n s a c r é e à h o n o r e r l'apparition
parmi n o u s d u Dieu fait H o m m e et p a r conséquent
du roi d e L'humanité.
En l ' E p i p h a n i e se fait la manifestation d e la r o y a u ­
té d u Christ a u x r e p r é s e n t a n t s d e s n a t i o n s v e n u s
l'adorer d a n s son b e r c e a u .
Dans tous les c h a n t s d e cette octave, o n e n t e n d
les b a t t e m e n t s d u c œ u r de l a s a i n t e Eglise qui
tressaille d e joie à la pensée, d a n s l'espoir, n o u s
pourrions d i r e d a n s la certitude, que tous les rois
de la ferre a d o r e r o n t l e g r a n d Roi et que toutes
les n a t i o n s lui s e r o n t assujetties : Adorabunt eum
omnes reges terrœ; omnes gentes seraient ei. Aussi
52 LA ROYAUTÉ DIVINE

cette fête est-elle appelée v u l g a i r e m e n t t la fête d e s


rois. »
L e s Mages, p a r t i s d e l'Orient, s o u s la c o n d u i t e d e
l'Etoile, v i e n n e n t d é p o s e r a u x pieds d e l'Enfant divin
le p r e m i e r t r i b u t d e s n a t i o n s à l e u r s o u v e r a i n ; ils
viennent r e n d r e h o m m a g e e n l e u r n o m à sa r o y a u ­
t é ; au vu d ' H é r o d c et de J é r u s a l e m , ils viennent r e ­
c o n n a î t r e officiellement la r o y a u t é universelle d e
Celui q u i est déjà, p a r d r o i t d e naissance, r o i d e s
Juifs.
E n t e n d o n s , dès les p r e m i è r e s Vêpres, les r o i s m a ­
ges, à l a v u e d e l'étoile, se d i r e les u n s a u x a u t r e s :
c iVoilà le signe d u g r a n d R o i ; a l l o n s à s a r e c h e r ­
che et bffrons-lui en présent, l'or, l'encens e t la m y r ­
r h e , i»
« P a r ces présents mystiques ils firent c o n n a î t r e ,
dit saint Grégoire le Grand, celui q u ' i l s a d o r a i e n t :
p a r l o r , 'ils déclaraient qu'il est R o i ; p a r l'encens,
qu'il est D i e u ; p a r la m y r r h e qu'il est m o r t e l Et
il ajoute : « Il y a des h é r é t i q u e s q u i croient à sa
divinité, m a i s q u i n ' a d m e t t e n t p o i n t qu'il est r o i en
tous lieux. Ceux-là sans d o u t e lui offrent l'encens,
x
mais ils n e veulent pus l u i offrir aussi l'or » . De
ces hérétiques, i l en est encore. Ils p o r t e n t a u j o u r ­
d'hui le n o m d e c a t h o l i q u e s l i b é r a u x .
L ' h y m n e dit à I l é r o d e ce q u e 'tous les rois a u r a i e n t
d û e n t e n d r e . S'ils avaient p r ê t é l'oreille, a u c u n n e
se serait j a m a i s soulevé c o n t r e l e Christ qui, s'il
a voulu être roi, n'a point v o u l u l'être à leur façon:
« Cruel I l é r o d e , que crains-tu de l'arrivée d ' u n Dieu
q u i vient r é g n e r ? Il ne r a v i t pas les sceptres m o r t e l s ,
lui qui d o n n e les royaumes célestes. »
L e p r e m i e r c h a n t d e la messe p r o c l a m e l'arrivée
d u g r a n d Roi : » Il est v e n u le s o u v e r a i n S e i g n e u r ;

1. Sermon X sur l'Epiphanie.


ADVENIAT REGNUM ! 53

il tient d a n s s a m a i n l e règne, la p u i s s a n c e et l'em­


pire. »
Comme é p î t r e est lu le s o i x a n t i è m e chapitre d'I-
saïe. Il a n n o n c e l a formation d u r o y a u m e que l'En­
fant, a d o r é p a r les Mages, va se c o n s t i t u e r :
c Lève-toi, J é r u s a l e m ; sois i l l u m i n é e ; c a r ta lu­
mière est v e n u e e t la gloire d u Seigneur est levée
sur toi. L e s n a t i o n s m a r c h e r o n t à ta lumière, et
les rois à l a s p l e n d e u r de ta c l a r t é naissante. Lève les
yeux, c o n s i d è r e a u t o u r d e toi, et vois : T o u s ceux-
ci que t u vois rassemblés, s o n t v e n u s p o u r toi.
Ton c œ u r s e r a d a n s l'admiration, et il se dilatera
en ce j o u r , o ù la m u l t i t u d e d e s n a t i o n s q u i habitent
les b o r d s d e la m e r se t o u r n e r a v e r s loi, q u a n d
la force d e s gentils v i e n d r a à toi. »
Serait-il possible d e m i e u x enseigner que les h o m ­
mages d e s Mages au Christ-Roi sont les prémices
de ceux q u ' a p p o r t e r o n t successivement toutes les
nations appelées à e n t r e r d a n s l'Eglise?
Aussi d a n s t o u t cet office l'Eglise n e cesse d'ex­
horter les n a t i o n s à s u i v r e l'exemple des Mages.
« Les Mages, dit saint Ildefonse furent les a m ­
bassadeurs et les r e p r é s e n t a n t s de t o u t e la gentilité :
ils vinrent a u n o m d e t o u s l e s r o i s et sujets /à
Bethléem o ù David r e ç u t d e S a m u e l l'onction royale,
adorer Jésus-Clirist enfant, Roi des rois et Domina­
teur des d o m i n a t e u r s .

Dès co j o u r d e l ' E p i p h a n i e o n t commencé les con­


quêtes q u i , p e u à peu, f o r m è r e n t le royaume d u
Christ. « O Roi d e s siècles, s'écrie D o m Guéranger,
du fond d e r O r i e n t infidèle, v o u s appelez les pré­
mices d e cette gentilité qui v a d é s o r m a i s former vo­
tre héritage. Bientôt v o t r e u n i o n avec elle sera
proclamée s u r la croix, d u h a u t d e laquelle, tour-

1. Hom.,< I de Epiph.
K
La Mission de la B Jeanne d'Arc. 5
54 LA ROYAUTÉ DIVINE

n a n t le d o s à l'ingrate J é r u s a l e m , v o u s é t e n d r e z les
b r a s v e r s la m u l t i t u d e d e s p e u p l e s . »
« David avait été i n o n d é d e s p r e s s e n t i m e n t s d e ee
g r a n d j o u r , dit encore D o m G u é r a n g c r . A c h a q u e pa­
ge, il célèbre la Royauté d e s o n F i l s selon l a c h a i r ;
il n o u s lo m o n t r e a r m é d u s c e p t r e , ceint d e l'épée,
s a c r é p a r le P è r e des siècles, é t e n d a n t sa d o m i n a t i o n
d u n e m e r à l ' a u t r e ; p u i s il a m è n e à ses pieds les
rois de Tharsis et des îles lointaines, les rois d'Ara-
bie et de Saba, les princes d'Ethiopie.
» Croissez, Roi des rois. Assez longtemps, Rome
p a ï e n n e s'est c r u e éternelle. Il est temps q u e le
trono d o la force cède l a p l a c e a u t r ô n e d e la
charité, q u e la R o m e nouvelle s'élève sur l'ancienne. »
N o u s v e r r o n s que Dieu a fait n a î t r e J e a n n e d'Arc
la p r é d i c a t r i c e de la r o y a u t é de J é s u s e n cette fêle
de l ' E p i p h a n i e .

4" AU TEMPS PASCAL

L ' œ u v r e d e la Rédemption cl les suites qu'elle


devait a v o i r p o u r le genre h u m a i n sont admira­
blement rappelées, c h a q u e année, d a n s les offices
des s e m a i n e s d u temps pascal.
Les rites et ;lcs chants p r o p r e s à ces solennités m a r ­
q u e n t q u e p o u r l ' h u m a n i t é t o u t entière s'est ac­
complie a u x temps qu'ils r e m é m o r e n t la fin d'une
ère et l'inauguration d'un o r d r e nouveau. C'est le
calvaire, où l ' h u m a n i t é pécheressc r é p r o u v é e de
>

Dieu, passée s o u s le j o u g d e Satan, m e u r t avec


le C h r i s t ; et c'est le s é p u l c r e d'où sort avec le Christ
t r i o m p h a n t , m m h u m a n i t é r a c h e t é e , affranchie de
s o n esclavage, r e n d u e à l a liberté d e s enfants d e Dieu.
C h a q u e année, les foies d e P â q u e s v i e n n e n t ainsi m o n -
ADVENIAT RE GNU M ! 55

trer à t o u t e la chrétienté, c o m m e é t a n t t o u j o u r s
actuelle, l ' œ u v r e capitale d u Christ e t le droit q u i
en résulte p o u r L u i d e r é g n e r s u r nous.
Aussi cette saison d e l'année liturgique s'ouvre-t-
elle p a r la procession dite d e s R a m e a u x qui com­
mémore l'entrée t r i o m p h a l e d e Jésus-Roi d a n s la ville
do Jérusalem. L'Eglise s ' u n i t a u x acclamations dont
retentit l a cité de David : « H o s a n n a a u Fils de
David! Béni soit Celui q u i vient a u n o m d u Seigneur.
0 roi d ' I s r a ë l I H o s a n n a a u p l u s h a u t des cieux.
Salut, ô r o i d u m o n d e q u i venez p o u r n o u s r a ­
cheter! »
A la r e n t r é e d a n s l'église, la procession t r o u v e
les portes fermées et d e s voix éclatantes saluent
dans r i n l é r i e u r le Roi-Christ et R é d e m p t e u r : c Vous
êtes le Roi d'Israël, le n o b l e Fils d e David, jô
Roi qui venez a u n o m d u Seigneur. Gloire, l o u a n ­
ge et h o n n e u r soient à Vous, Roi-Christ, Rédemp­
teur ! »
Cinq j o u r s p l u s t a r d s e r a r a p p e l é d a n s l'office
l'inscription d e Pilate, placée au-dessus d e la tête
du Rédempteur, « Jésus d e N a z a r e t h , r o i des Juifs »,
inscription p r o c l a m a n t d e v a n t le monde, d a n s les
langues d e s trois peuples civilisés, l'indispensable
caractère d u Messie : sa r o y a u t é s u r t o u t le genre
humain.
56 LA ROYAUTÉ DlVItfE

C H A P I T R E XI

LES VŒUX DE L'ÉGLISE A LA FÊTE

DE L'ASCENSION.

5<j MiTE DIS I/ASCENSION.

N o t r c - S e i g n c u r a voulu, a v a n t d e q u i t t e r la terre,
établir l e s fondements d e la s o u v e r a i n e t é qu'il vou­
lait et qu'il devait e x e r c e r s u r le m o n d e : et c'est
aussi e n ce j o u r de l'Ascension q u e se sont a c c o m ­
plis les p r i n c i p a u x é v é n e m e n t s de la vie de J e a n n e
d'Arc, le h é r a u t de la r o y a u t é d e J é s u s .
Q u a r a n t e j o u r s a p r è s sa R é s u r r e c t i o n , les disci­
ples é t a i e n t r é u n i s d a n s le cénacle. J é s u s se rend
présent a u milieu d'eux et p a r t i c i p e à l e u r repas.
Puis, avec l'autorité q u i n a p p a r t i e n t à n u l autre,
il les envoie c o m m e ses m i n i s t r e s p r e n d r e , en son
n o m , possession d u m o n d e , d a n s toute s o n éten­
due. * « T o u t e puissance m a été d o n n é e a u ciel et
s u r la terre, allez d a n s le i n o n d e entier, prêchez
l'Evangile (nia loi) à t o u t e c r é a t u r e . » E t en m ê m e
temps, i l l e u r d o n n e les m o y e n s d e faire accueillir
avec confiance la loi évangélique, il l e u r confère le
1
p o u v o i r d'accréditer l e u r p a r o l e p a r les m i r a c l e s .
J a m a i s PIIonunc-Dicu n ' a affirmé, p l u s h a u t e m e n t
qu'en ce jo'ur, sa r o y a u t é , s a qualité d e s u p r ê m e
législateur, c Allez, enseignez toutes les nations, b a p ­
tisez-les, enseignez-leur à g a r d e r t o u t ce q u e j ' a i
c o m m a n d é ». Ce n'est pas tant aux i n d i v i d u s q u e le
Christ envoie ses a p ô t r e s e n p r o n o n ç a n t ces p a r o -

1. Marc XVI. I L cl. seq-


ADVENIAT REGNUM ! 57

les, q u ' a u x n a t i o n s : convertissez-les à m a doctrine,


soumettez-les à m e s lois. J a m a i s il n'a mieux p r o u v é
la p e r m a n e n c e d e sa p r é s e n c e au sein de son Eglise :
« Je suis avec vous tous les j o u r s j u s q u ' à la consom­
mation des siècles. » J a m a i s il n ' a mieux d i t qu'il se­
rait au milieu d'elles avec sa vertu divine : « T o u t e
puissance m ' a été d o n n é e a u ciel et s u r la terre. »
Cent vingt p e r s o n n e s se t r o u v a i e n t là réunies. Jésus
se lève, l'assistance tout e n t i è r e le suit j u s q u ' à la
montagne des Oliviers. L à J é s u s s'arrête. Il lève
les mains, se t o u r n e v e r s les siens et les bénit
tous. E t voici q u e ses pieds se d é t a c h e n t de la
terre et qu'il s'élève a u ciel. Ils lo suivent d u
regard, et b i e n t ô t une n u é e lo d é r o b a à leurs yeux.
Alors c o m m e n c e le s u b l i m e dialogue que l'oreille
do David avait e n t e n d u et recueilli mille ans au­
paravant :
« Princes, élevez vos p o r t e s ! P o r t e s éternelles, éle­
vez-vous; c'est le Roi d e gloire qui va entrer. Et
les anges d e m a n d e n t : « Quel est ce Roi de gloire?»
— «C'est le Seigneur», r é p o n d e n t les élus de la t e r r e
tirés p a r Lui des L i m b e s : nos p r e m i e r s parents,
les Patriarches, les P r o p h è t e s , les justes d e toute
race q u e q u a t r e mille a n s o n t p r é p a r é s p o u r ce
triomphe et q u ' i l fait e n t r e r avec Lui d a n s les
cieux : Cluisfus asœndens in altum captivant duxit
captiuitalem. « C'est le Seigneur fort et puissant,
lo Seigneur fort d a n s les c o m b a t s . » c Les gardiens
du ciel, dit saint Grégoire de Nysse, n e reconnaissent
point ce Dieu qui a r e v ê t u la r o b e abjecte d e n o ­
tre vie et dont les vêtements sont rouges p o u r avoir
passé p a r le pressoir d e l ' h u m a n i t é . C'est p o u r ­
quoi ils interrogent de n o u v e a u ceux q u i L'accom­
pagnent p a r ces paroles : t Quel est ce Roi de
gloire? i Or, o n n e réjwmd plus : « C'est le Sei-
58 LA ROYAUTÉ DIVINE

g n e u r fort e t puissant d a n s les c o m b a t s », mais :


t C'est le Seigneur des v e r t u s » q u i a o b t e n u l a prin­
c i p a u t é d u m o n d e , p a r c e q u ' i l a r é t a b l i t o u t e s choses
d a n s l e u r p r e m i e r étal : « C'est le Roi de gloire » K
Il e n t r e alors d a n s les cieux et le P è r e q u i est
a u ciel « dit a m o n S e i g n e u r : Assieds-toi à m a droi­
te j u s q u ' à ce q u e je fasse d e tes e n n e m i s l'escabeau
d e tes pieds. » .
J é s u s reçoit ainsi l ' i n v e s t i t u r e d u p o u v o i r r o y a l
s u r t o u t e s los n a t i o n s d e l a terre. « O Christ, s'é­
c r i e David, le Seigneur, v o t r e P è r e , fera s o r t i r de
Sion le s c e p t r e d e v o t r e force. C'est d e l à que
vous p a r t i r e z p o u r r é g n e r a u milieu d e vos enne­
mis. »
Jésus, Créateur, R é d e m p t e u r , S o u v e r a i n P r ê t r e est
bien le Roi d e s rois. L e s r o i s d e la t e r r e n e régnent
légitimement (pie p a r L u i ; telle est la g r a n d e vérité
quo la sainte Pucelle est v e n u e r a p p e l e r à ceux
q u i l'oubliaient. L ' a u t o r i t é d o n t ils jouissent n e vient
p a s d ' u n pacte social d o n t la s a n c t i o n n e serait
q u e d'ici-bas. L e s p e u p l e s n o s ' a p p a r t i e n n e n t pas
à eux-mêmes, ils sont à Lxii. Sa loi d o i t p l a n e r au-
d e s s u s d e toutes les lois h u m a i n e s , c o m m e leur
règle et l e u r m a î t r e s s e . Ils ont b e a u r e g i m b e r , il
faut qu'ils subissent ce joug. Ils o n t b e a u se dé­
c l a r e r e n n e m i s et s e révolter, ils finiront p a r être
tous s o u s s e s pieds, l ' h u m b l e escabeau, r e l e v a n t le
t r ô n e d u Roi d u ciel, de l a t e r r e et des enfers :
« 'Au n o m d o Jésus, tout genou doit fléchir, au
2
ciel, s u r la t e r r e eL d a n s l e s enfers » .
L a liturgio n e néglige p o i n t d e c é l é b r e r en la
fête d e l'Ascension cette universelle i x ^ a u t é . « Exal­
tez le Roi des rois, n o u s dit-elle, et dites une

1. Tract, de Arc. di.


2. PhiL, I I , 10.
ADVENIAT REGNUMI 59

hymne à Dieu. » — t Roi éternel et très h a u t , c h a n t e


l'hymne de Matines, R é d e m p t e u r des fidèles, ô Vous
qui avez r e m p o r t é e n d é t r u i s a n t l a m o r t u n tri­
omphe s o u v e r a i n e m e n t glorieux. Vous Vous élevez
au-dessus d e la région d e s astres, j u s q u ' à ce t r ô n e
d'où TOUS allez exercer l'universelle puissance q u e
le ciel, et n o n l ' h o m m e , v o u s a conférée. »
L'office d e ce j o u r se termine p a r cette o b s é -
cration : « O Roi d e gloire, Seigneur des armées,
qui, a u j o u r d ' h u i , êtes m o n t é t r i o m p h a n t au-dessus
de t o u s les cieux, n e n o u s laissez pas o r p h e l i n s ;
T
mais envo3 ez-nous l ' E s p r i t de vérité selon la p r o ­
messe d u P è r e , i C'est le règne d e la vérité d a n s
les âmes q u e p r é p a r e e t r e n d possible le règne
de Jésus s u r les n a t i o n s .

C H A P I T R E XII

LES V Œ U X DE L'ÉGLISE EN LA FÊTE-DIEU

ET EN LA FÊTE DU SACRÉ-CŒUR.

Go FÊTE DU TRÈS SAINT SACREMENT

« Le saint concile (de T r e n t e ) d é c l a r e très pieuse


et très sainte la c o u t u m e q u i s'est introduite d a n s
l'Eglise, d e consacrer, c h a q u e année, u n e fête spé­
ciale à célébrer en t o u t e s m a n i è r e s l'auguste Sa­
crement, c o m m e aussi d e le p o r t e r en procession
par les r u e s et places p u b l i q u e s avec p o m p e s et
honneurs. Il est bien j u s t e , e n effet, q u e soient
w
la Mission de la B Jeanne d'Arc. 5 bis
60 LA ROYAUTÉ DIVINE

é t a b l i s c e r t a i n s j o u r s o ù les c h r é t i e n s , p a r u n e dé­
m o n s t r a t i o n solennelle et t o u t e p a r t i c u l i è r e , témoi­
g n e n t l e u r g r a t i t u d e e t dévot s o u v e n i r e n v e r s le
c o m m u n Seigneur et Rédempteur p o u r l e bienfait
ineffable et divin q u e r e m e t s o u s nos y e u x la vic­
t o i r e e t le t r i o m p h e d e s a m o r t . »
L a Fêle-Dieu n e r e s s e m b l e p o i n t a u x précédentes,
Noël, E p i p h a n i e , P â q u e s , Ascension s o n t d e s com­
m é m o r a t i o n s , des solennités établies p o u r r a p p e l e r
le s o u v e n i r des p r i n c i p a u x actes d e l a vie d u divin
S a u v e u r et en r e c u e i l l i r les fruits. L a Fête-Dieu
est m o i n s u n s o u v e n i r q u ' u n t r i o m p h e , t r i o m p h e
d é c e r n é p a r la c h r é t i e n t é à s o n Roi; aussi ne fut-
elle instituée q u ' a u treizième siècle, c'est-à-dire à
l'époque o ù les peuples e u r e n t le s e n t i m e n t le plus
vif do la s o u v e r a i n e t é d u divin Maître et o ù les
lois et les institutions é t a i e n t arrivées à u n e plus
g r a n d e conformité avec Ja loi evangélique. C'est
p o u r q u o i le saint concile de T r e n t e d u t justifier
cette institution d'un c a r a c t è r e p a r t i c u l i e r c o n t r e les
r é c r i m i n a t i o n s des p r o t e s t a n t s .

« CHIUSTOI-REGEM ADOUKMVS DOMINANTEM GËNTI-


nus. A d o r o n s le C I I I U S T - R O I , Seigneur des nations »,
telle est l'invitation q u e la sainte Eglise n e se con­
tente p a s d'adresser a u clergé et a u x fidèles, réu­
nis a u x pieds d e s s a i n t s autels, a u d é b u t de cette
fête, m a i s qu'elle fait r e t e n t i r d a n s les r u e s et sur
les places p u b l i q u e s , c C h a n t e ton S a u v e u r , 6 Sivin!
P a r d e s h y m n e s et d e s c a n t i q u e s célèbre ton C H E F
et ton PASTEUR. »

J u s q u ' à ces d e r n i e r s t e m p s la F r a n c e déclarait,


e n ce j o u r , d u n e c o m m u n e voix, d a n s ses q u a r a n t e
mille paroisses, q u e l l e a d o r e le s o u v e r a i n Maître de
ADVENIAT REGNUM ! 61

toutes choses, qu'elle s e s o u m e t avec a m o u r à son


bienfaisant e m p i r e . L'allégresse était d a n s les âmes,
les maisons s e revêtaient d e blanches tentures o u
de riches d r a p e r i e s , le feuillage et les fleurs ta­
pissaient les r u e s et les places publiques, des mil­
liers d'oriflammes l e u r faisaient u n e voûte q u i t r a n s ­
formait la cité entière e n église a u x i n n o m b r a b l e s
nefs. D a n s cette universelle acclamation, la nation
était représentée p a r les dépositaires de l'autorité, les
magistrats; p a r l'élite d e ses jeunes h o m m e s , les
soldats; p a r s o n espérance, les petits enfants fai­
saient cortège a u divin Roi et lui disaient q u e
la race des F r a n c s e s t tout à Lui, q u e l l e le r e ­
mercie d e l'avoir faite c e qu'elle est, qu'elle l'aime.
Ainsi en était-il chez tous los a u t r e s peuples de la
chrétienté.
« Représentons-nous, c o m m e d a n s u n vaste tableau,
dit le P. F a b e r , l'aspect q u e l'Eglise universelle
offre en ce j o u r a u x y e u x d e Dieu. Avec quelle
joie n e devons-nous p a s c o n t e m p l e r cette brillante
et immense n u é e de gloire q u e l'Eglise fait à cette
heure m o n t e r v e r s L u i . D a n s ce c o n c o u r s d e peu­
ples, la c o u l e u r des visages et la diversité des lan­
gues n e sont q u e d e nouvelles p r e u v e s de l'unité
do cette foi q u e t o u s se réjouissent d e professer p a r
la voix d u magnifique rituel de Rome. S u r com­
bien d'autels, d e s t r u c t u r e diverse, tous p a r e s des
fleurs les p l u s s u a v e s et resplendissants d e lu­
mière, au milieu d e s n u a g e s d'encens, a u son des
chants sacrés et e n p r é s e n c e d ' u n e m u l t i t u d e p r o s ­
ternée et recueillie, le saint S a c r e m e n t est succes­
sivement élevé p o u r r e c e v o i r l ' h o m m a g e et les ado­
rations des fidèles et d e s c e n d r e p o u r les bénir! Dans
lo monde entier, les d o u c e s tiédeurs d u p r i n t e m p s
sont animées p a r les c h a n t s d'allégresse. L e P a p e
62 LA ROYAUTÉ DIVINE

s u r s o n t r o n c et la p e t i t e fille d a n s son village, les


religieux cloîtrés et les e r m i t e s solitaires, les évo-
q u e s , les dignitaires e t les p r é d i c a t e u r s , les e m p e ­
r e u r s , les r o i s e t les princes, tous sont a u j o u r d ' h u i
remplLs do l a pensée d u 1res s a i n t S a c r e m e n t et
v i e n n e n t r e n d r e h o m m a g e a u Roi D É S ROTS, tandis
q u e les cloches font r e t e n t i r au loin l e u r j o y e u x
carillon, q u e le canon é b r a n l e les échos des Andes
et d e s Apennins et q u e les navires pavoises de
b r i l l a n t e s c o u l e u r s d o n n e n t a u x b o r d s d e l a m e r un
air de féle. »
Après n o s désastres d e 1870-1871, M. B l a n c de
Snint-Bonet jetait ce cri d e d o u l e u r et d ' é p o u v a n t e :
c L a F r a n c e t r a v a i l l e d e p u i s un siècle à évincer
d e t o u t e s n o s institutions Celui à q u i elle doit Tol­
biac, Poitiers, Bouvînes et Denain, c'est-à-dire Ce­
lui à q u i elle doit s a civilisation, s o n territoire, son
existence! P o u r lui m a r q u e r t o u t e sa h a i n e , p o u r
lui faire l'injure de Fexpulser des m u r s de nos
villes, elle excite d e p u i s 1830, line presse odieuse
à g u e t t e r l ' é p o q u e d e la fête d e co c C h r i s t qui
aime les F r a n c s ! i» Et il c o n c l u a i t : « E t la F r a n c e
d e m a n d e la cause de s e s m a l h e u r s ! »
Cette F r a n c e , ce n'est point la v r a i e F r a n c e , la
F r a n c e d'hier, et — r i e n n e p o u r r a e n a r r a c h e r
l'espoir d e n o s c œ u r s — la F r a n c e d e demain. La
sainte Puccllc, n o u s le m o n t r e r o n s p l u s loin, a s u r g i
de n o s j o u r s avec son a u r é o l e d e sainte, p o u r n o u s
r a m e n e r a u pied du t r ô n e du Roi des rois et so­
cialement roi d e F r a n c e .

7° FÊTE DU SACRÉ-CŒUR

L a fête d u Sacré-Cœur vient d'ailleurs n o u s con­


firmer dans les]>érance d e voir la F r a n c e et le monde
ADVENIAT REGtflHl ! 63

par la F r a n c e d o n n e r bientôt, aux v œ u x qu'ex­


priment toutes ces fêtes, u n e réalisation p l u s p a r ­
faite q u e celle qu'ils o n t e u e jusqu'ici.
En ces d e r n i e r s temps, cette nouvelle fête a été
instituée à la d e m a n d e d u divin Roi l u i - m ê m e ; c'est
la fête d e Pespérance, espérance q u e l'heure est
venue d u r è g n e d e J é s u s s u r l'humanité, gagnée
à Lui p a r les c h a r m e s d e son divin C œ u r et l'at­
trait d e son a m o u r .
L'office est plein d e cette promesse q u e ce règne
va a r r i v e r à s a perfection.
La messe, d a n s s o n Introït, n o u s a p p o r t e cette
assurance : c L e Seigneur a u r a pitié d e n o u s selon
la m u l t i t u d e d e s e s m i s é r i c o r d e s ; c a r ce n'est point
d'après s o n c œ u r q u ' i l n o u s a humiliés, e t il n'a
point rejeté les fils d e s h o m m e s . »
Isaïe n o u s dit d a n s l ' E p i t r e ce q u e n o u s au­
rons à faire, ce q u e n o u s ferons l o r s q u e le j o u r d e
ces miséricordes a u r a brillé :

Louez le Seigneur,
invoquez son nom,
Publiez parmi les peuples ses grandes œuvres,
Proclamez que son nom est élevé.
Chantez le Seigneur,
car il a fait des choses magnifiques;
Que cela soit connu dans toute la terre !
Pousse des cris, tressaille d'allégresse,
habitant de Sion,
Car le Saint d'Israël est grand au milieu de toi !

Les leçons des Matines e m p r u n t e n t a u m ê m e p r o ­


phète la description des choses magnifiques, des
biens précieux qui découleront s u r la société du
règne d u Sacré-Cœur, a n n o n c é à la Bienheureuse
64 LA ROYAUTÉ DIVINE

Moniale d e P a r a y , p a r J é s u s l u i - m ê m e , a l o r s qu'il
lui d e m a n d a i t l'institution d e cette fête. Vingt fois,
il lui dit : « J e r é g n e r a i m a l g r é m e s e n n e m i s . »
Cette p r o m e s s e n o u s d o n n e d o n c l'espoir q u ' a p r è s
un effort prolongé d u r a n t dix-neuf siècles a p r è s des
luttes incessantes, n o u s s e r i o n s enfin s u r lo p o i n t
d ' o b t e n i r le r è g n e d e Notre-Seigneur Jésus-Christ,
c'est-à-dire un é t a l social o ù l a v o l o n t é d e D i e u se­
rait plus religieusement observée, état qui serait
j u s t e m e n t a p p e l é le r è g n e d e J é s u s et qui ferait d e la
t e r r e entière son r o y a u m e . Adocnial rcynuin iuum!
L a suinte Pucellc, n o u s essayerons de le d é m o n ­
trer, serait d a n s les desseins de Dieu, le p r é c u r s e u r ,
le p r é d i c a t e u r , r i n s t a u r a l e u r d e ce règne t e m p o r e l
et ce serait là la mission p r i n c i p a l e q u i l u i a u r a i t
été d o n n é e , celle q u e l l e n e devait a c c o m p l i r q u ' a p r è s
sa mort, longtemps a p r è s sa m o r t , a u x j o u r s d e sa
canonisation.
II

LES COMMENCEMENTS
DE LA

CIVILISATION C H R É T I E N N E
I

CIVILISATION CONTRE CIVILISATION

C H A P I T R E XIII

LA GRISE D U MONDE.

Au l e n d e m a i n d e s o n e n t r é e t r i o m p h a l e à J é r u s a ­
lem, Jésus r e t o u r n a i t le soir à Béthanie. Des Gen­
tils, venus d a n s l a ville sainte p o u r les fêtes d e
Pâques q u i é t a i e n t p r o c h e s , s ' a p p r o c h è r e n t d e Philippe
et lui d i r e n t : « Seigneur, n o u s v o u d r i o n s voir Jésus. »
Philippe alla le d i r e à André, A n d r é et Philippe
le dirent à J é s u s . C'était la p r e m i è r e fois q u e des
païens, désireux d u salut, se présentaient a u Sau­
veur. Jésus l e u r r é p o n d i t : t L ' h e u r e est venue o ù le
Fils do l ' H o m m e doit ê t r e glorifié » p a r sa r é s u r ­
rection, puis p a r la p r o p a g a t i o n d e l'Evangile d a n s
le m o n d e entier.
Mais p o u r p r o d u i r e ce fruit, il faut d'abord q u e
lo grain m e u r e . L ' h e u r e d e cette m o r t est p r o ­
che. Jésus la voit venir et, l i v r a n t son h u m a n i t é à
l'effroi naturel qu'il va subir de n o u v e a u au jardin
68 COMMENCEMENTS DE LA CIVILIS\TÏON CHRETIENNE

des Olives, il s'écrie : « Mon â m e est t r o u b l é e !


Père, délivrez-moi de celte h e u r e », l ' h e u r e de m a
passion et de m a m o r t ! « Mais, a joutc-t-il, se
p a r l a n t à L u i - m ê m e , c'est p o u r cela que je suis a r ­
rivé à celle h e u r e . Père, glorifiez voire n o m ! » Et
une voix vient du ciel : « J e l'ai glorifié, — a u x
j o u r s du b a p t ê m e et de la t r a n s f i g u r a t i o n ; — et je
le glorifierai encore, ( p a r la Résurrection, l'Ascension
et r i n t r o n i s a t i o n a la droite du Père). L a foule
q u i était là, disciples, Juifs, Gentils, e n t e n d i r e n t cotte
voix puissante c o m m e u n c o u p d e t o n n e r r e . « Ce
n'est p a s p o u r moi, dit Jésus, q u e celte voix s'est
fait e n t e n d r e , m a i s p o u r vous », p o u r d o n n e r la
sanction d'en Haut à ce q u e je vais v o u s dire :
« ("est maintenant (pie le j u g e m e n t (ou l a crise su­
p r ê m e ( K O K J K T sans article) d u m o n d e a l i e u ; c'est
m a i n t e n a n t q u e le P r i n c e d e ce m o n d e s e r a jelé
d e h o r s >.
S a t a n était devenu le mai Ire d u m o n d e p a r la
faute d e nos p r e m i e r s p a r e n t s . Cette faute va être
r é p a r é e q u a t r e j o u r s plus tard, le vendredi-saint. P a r
le fait m ê m e , l'empire d e Satan va ê t r e d é t r u i t d a n s
son principe : Lucifer n ' a u r a plus s u r l ' h u m a n i t é
l'empire qu'elle lui avait conféré p a r son p é c h é ; la
d o m i n a t i o n qu'il exerçait sur elle r e c u l e r a d e j o u r en
j o u r devant les progrès d e l'évangélisalion : elle éten­
d r a de plus en plus les bienfaits d e la r é d e m p ­
tion q u e l'Evangile a p p o r t e r a aux peuples. « El moi,
c o n t i n u e Jésus, quand j ' a u r a i élé élevé de la t e r r e »
p a r la crucifixion, c j ' a t l i r e n i tous les h o m m e s a
m o i », sans violence, (ainsi q u e l'indique le verbe
tlwTfù) p a r u n e pression m o r a l e qui n e gênera
point la liberté et qui pou à peu fera d e moi le
c e n t r e vivant d e l'univers.
Cette scène, ces paroles o u v r e n t devant nos yeux
CÎVlLISAflON CONTRE CIVILISATION 69

toute la s u i t e d e s siècles : la croissance continue d u


royaumo d e Dieu, la décroissance continue d e r e m -
pire d e Satan.
« C'est m a i n t e n a n t l a crise d u m o n d e ». On voit
ici les deux v e r s a n t s de l'histoire q u i a son som­
met au Calvaire.
Le p r e m i e r d e ces versants a s o n point de dé­
part h o r s d e n o t r e m o n d e : d a n s le ciel.
Nous voyons là l'Archange s a i n t Michel q u i sera
l'inspirateur et le guide d e la s a i n t e Pucelle, lutter
contre Lucifer : d e u x chefs d ' a r m é e à la tète de leurs
troupes. Quelle e s t la cause d e cette g u e r r e ? L'or­
gueil. L ' i n n o m b r a b l e m u l t i t u d e des anges est ap-
IÏOICC à c o n t e m p l e r Dieu face à face, à p é n é t r e r d a n s
sa vie intime, à y p a r t i c i p e r . C'est p a r le Fils de
Ditu, mais p a r le F i l s d e Dieu fait H o m m e , q u e
cette glorification e t cette b é a t i t u d e doivent s'ac­
complir.
* Satan frémit à r i d é e de se p r o s t e r n e r devant
une c r é a t u r e d e n a t u r e inférieure à la sienne, à
l'idée s u r t o u t d e r e c e v o i r l u i - m ê m e d e cette n a t u r e
si étrangement privilégiée, un s u r c r o i t actuel d e
lumière, d e science, d e mérite et u n e augmentation
éternelle d e gloire e t de b é a t i t u d e » (Cardinal Pie).
Son orgueil s e révolte. Il n e se s o u m e t t r a point
au Christ; s e j u g e a n t blessé d a n s l a dignité d e
sa condition native, il se r e t r a n c h e r a d a n s les droits
et les exigences d e T o r d r e n a t u r e l et v o u d r a gar­
der le p r e m i e r r a n g , q u e ï H o m m e - D i e u est appelé
à prendre.
t Qui est c o m m e Dieu? c, m ô m e fait H o m m e ,
lui crie l ' a r c h a n g e s a i n t Michel. Ce m o t t e r r a s s e
Lucifer et s a révolte le précipite d e s h a u t e u r s des
cieux d a n s les a b î m e s infernaux.
Dieu créa l ' h o m m e . P a r sa n a t u r e à la fois spi-
70 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

r i t u e l l e e t naturelle, l ' h o m m e - était i n f é r i e u r a u x


p u r s e s p r i t s et placé au-dessous d'eux d a n s la hié­
r a r c h i e d e s êtres. Or, c'est u n e loi d e l a n a t u r e
universelle q u e les êlres inférieurs, d ' u n e perfection
m o i n d r e , sont s u b o r d o n n é s à ceux q u i s o n t d ' u n e
n a t u r e p l u s élevée. S a i n t T h o m a s a p p e l l e prœlatio
cette s u p r é m a t i e qui n'est p a s seulement d e dignité,
m a i s d'autorité et de puissance.
Cette prélation a p p a r t e n a i t s u r t o u t e la création au
p l u s s u b l i m e d e t o u s les anges, à celui q u i avait
r e ç u le n o m d e Lucifer. Placé a u p r e m i e r r a n g il
r e c e v a i t les p r e m i e r s fl o l s d u fleuve d e lu mière
et d e vie q u i découle d e Dieu, et q u i d e lui se
r é p a n d a i e n t d a n s les s p h è r e s inférieures d e l a créa­
tion.
Il e û t b i e n voulu c o n s e r v e r , a p r è s sa révolte, la
p r é l a t u r e q u i lo r e n d a i t si glorieux et c'est p o u r la
m a m tenir en sa possession qu'il livra bataille, et
factiim est privlium magnum in cœlo.
Mais p a r suilc d u p é c h é q u e lui et ses disciples
venaient d e c o m m e t t r e , u n e nouvelle distinction s'était
établie e n t r e les p u r s e s p r i t s : les u n s d e m e u r a i e n t
surnaluralisés, les a u t r e s n e l'étaient p l u s . Or, le
s u r n a t u r e l de gloire faisait e n t r e r les p r e m i e r s d a n s
une région inaccessible a u x seconds, l e u r d o n n a i t u n e
dignité et des prérogatives auxquelles ceux-ci n e pou­
vaient plus atteindre.
L ' h o m m e , a u j o u r m ê m e d e s a création, était e n r i ­
chi d e la grâce sanctifiante qui le plaçait dans
T o r d r e s u r n a t u r e l et le s o u s t r a y a i t à la d o m i n a t i o n
d e Fange déchu.
Satan résolut de la ressaisir, et il n'y réussit que
trop.
Inutile d e redire ici l a tentation et la chute.
Q u i c o n q u e se livre a u péché, dit s a i n t Jean, est
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 71

l'esclave d u i>échc (VIII, 34); et q u i c o n q u e prête


l'oreille à S a t a n t o m b e sous sa s u p r é m a t i e dont la
grâce Pavait e x e m p t é . Lucifer a y a n t séduit l ' h o m m e
put exercer s u r la t e r r e u n e m p i r e semblable à ce­
lui qu'il avait c o n s e r v é a u x enfers s u r ceux q u i
l'avaient suivi d a n s son apostasie. « Il d o m i n a s u r
1
les enfants d ' o r g u e i l »

C H A P I T R E XIV

LA CRISE DU MONDE (Suite).

De fait, j u s q u ' à l ' a v è n e m e n t d e Notre^Seigneur


Jésus-Christ, le genre h u m a i n t o u t entier, à l'excep­
tion d ' u n tout petit peuple dépositaire d e l a p r o ­
messe, fut et d e m e u r a s o u s l'empire d e Satan. Il se
fit élever des temples, d r e s s e r des autels s u r t o u s
les lieux de la t e r r e e t s'y fit r e n d r e u n culte
impie. A u j o u r d ' h u i encore, p a r t o u t o ù l'Evangile
n'a point été p r ê c h é , p a r t o u t o ù l'Hôto divin d u
tabernacle n ' a p o i n t pris possession d u pays, L u ­
cifer et ses d é m o n s r é g n e n t t o u j o u r s . Missionnaires
et voyageurs y s o n t t o u s les j o u r s t é m o i n s des ma­
nifestations d i a b o l i q u e s les p l u s étranges.
Lucifer n'ignorait p o i n t q u e s o n e m p i r e n e serait
pas éternel. Il avait e n t e n d u la p r o m e s s e faite à
nos p r e m i e r s p a r e n t s a u m o m e n t m ê m e o ù Dieu
leur infligeait le c h â t i m e n t mérité.
Attentif, il v i t les prodiges qui signalaient la nais-

1. Dernière parole de D i e u à Job»


72 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

s a u c e d e l'Enfant d e Bethléem. Il e n t e n d i t les b o n s


anges s a l u e r son berceau, glorifier Dieu et a n n o n c e r
la p a i x à la terre. L'inquiétude le saisit l o r s q u e
d e s r o i s s o r t i r e n t de s o n e m p i r e , guidés p a r u n e
éloile qu'ils n e connaissaient point, e t qu'ils se
m i r e n t à la r e c h e r c h e d u Roi, le t r o u v è r e n t et firent
h o m m a g e do l'or à s a s o u v e r a i n e t é e t d e l'encens
à s a divinité.
C e p e n d a n t retable d e Bethléem, l ' h u m b l e atelier
d e N a z a r e t h , les t r e n t e années d e vie l a p l u s obs­
c u r e d a n s la soumission et l'obéissance à u n ou­
v r i e r e t à u n e p a u v r e femme n e lui p a r u r e n t point
a n n o n c e r lo Puissant q u i a u r a i t la force d e renver­
ser son empire.
Mais voici q u e J e a n a n n o n c e q u e le r o y a u m e de
Dieu est p r o c h e et q u e tandis q u ' a u J o u r d a i n , une
c o l o m b e descend du ciel s u r la tête d e J é s u s , u n e
voix se fait e n t e n d r e : « Celui-ci est m o n Fils bien-
a i m é ». L'inquiétude d e Satan s'accroît, m a i s il se
fait celle question : s'il est le Fils, c o m m e n t et pour­
quoi s'abaisse-l-il à d e m a n d e r le b a p t ê m e d e J e a n ?
D a n s la perplexité q u i le t o r t u r a i t , S a t a n prit
u n e résolution qui, pensait-il, devait y m è t r e fin.
Il interrogea J é s u s l u i - m ê m e et l'évangile d u pre­
m i e r d i m a n c h e d e C a r ê m e n o u s d i t c o m m e n t il s'y
prit.
Après s o n b a p t ê m e Jésus s'était r e t i r é a u désert,
s e p r é p a r a n t à la p r é d i c a t i o n d e l'Evangile p a r qua­
r a n t e j o u r s d'abstinence d e toute n o u r r i t u r e . Le
v o y a n t pressé p a r la faim, selon la faiblesse de
la c h a i r qu'il avait prise, Satan s ' a p p r o c h a d e lui:
« 1 7 / cxjilorarct uirtim vere Filins D c i esset », dit
Suarez, c o m m e n t a n t saint T h o m a s , « p o u r voir s'il
était vraiment Fils d e Dieu »
1. Art. I, cora. IL
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 73

Sa p r e m i è r e p a r o l e manifesta sa p e n s é e r < Si tu
es le Fils d e Dieu... » montre-le en changeant ces
pierres en pain. L a r é p o n s e d e J é s u s exprime son
respect p o u r s o n P è r e et laisse le tentateur d a n s
l'ignorance r e l a t i v e m e n t à s a P e r s o n n e . Satan ne
se décourage p o i n t : il essaie d ' u n e seconde ten­
tation, mais q u i déjà t r a h i t visiblement son t r o u b l e .
Comme il l'avait fait la p r e m i è r e fois, Jésus la
dissipa d'un m o t tiré d e s Saintes Ecritures. Satan
comprit qu'il s e r a i t inutile d e c o n t i n u e r à pousser
ses tentatives d a n s le m ê m e sens. Aussi, à la troi­
sième, il n e dit p l u s c o m m e aux d e u x précédentes :
« Si vous êtes le Fils d e Dieu... » Laissant cette
question à l a q u e l l e il sait qu'il n e s e r a point r é ­
pondu, il p o u r s u i t u n a u t r e dessein.

Depuis la c a t a s t r o p h e d u P a r a d i s terrestre, il r é ­
gnait en m a î t r e , avons-nous dit, s u r l'humanité avi­
lie et dégradée; m a i s il t r e m b l a i t p o u r son e m p i r e
toutes les fois qu'il se r a p p e l a i t la prédiction d u
Seigneur : U n e f e m m e et s o n Fils t'écraseront la
tête. Il a vu J é s u s e n t r e r d a n s la c a r r i è r e de façon
tout extraordinaire, et il le voit m a i n t e n a n t com­
mencer son œ u v r e q u i p e u t a v o i r s u r le c o u r s
du monde et la d i r e c t i o n d u genre h u m a i n une in­
fluence qu'il n e p e u t estimer. Il se dit que, p o u r con­
server son e m p i r e , il d o i t s ' e m p a r e r d e cette force. Il
opère un prestige q u i fait voir à J é s u s , comme en
un tableau, les r o y a u m e s d u m o n d e et leur gloire;
et il dit : J e te d o n n e r a i toute celte puissance et la
gloire de ces empires, c a r cela m'a été livré, cela
est m a possession, si tu te p r o s t e r n e s et m ' a d o ­
res. En d'autres t e r m e s : j e te d o n n e r a i le gouver­
nement de l'univers, sous m a s u z e r a i n e t é si tu m e
prêles foi et h o m m a g e .
e
La Mission de la B* Jeanne d'Arc. 6
74 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

« Retire-toi, Satan, dit Jésus, c a r il est écrit: tu


a d o r e r a s le Seigneur ton Dieu et tu n e s e r v i r a s que
L u i seul. »
Satan saisit la force d e cette p a r o l e et la puissance
d e celui q u i la p r o n o n c e . Il se retire, résolu ^
d é f e n d r e pied à pied son d o m a i n e C'est ce qu'il
fit, c'est ce qu'il fait, c'est ce qu'il fera j u s q u ' a u
j o u r o ù retentira enfin s u r la t e r r e ce c r i de triom­
p h e : « Alléluia! c a r il r è g n e le Seigneur n o t r e Dieu,
le T o u t - P u i s s a n t ! Réjouissons-nous, tressaillons d'al-
légicsse et r e n d o n s - l u i gloire p. « Voici le taber­
nacle d e Dieu avec les h o m m e s : il h a b i t e r a avec eux;
et ils seront son peuple, cl l u i - m ê m e il s e r a le Dieu
1
avec eux, il sera l e u r Dieu » .

C H A P I T R E XV

LE ROYAUME DE DIEU DOIT ÊTRE CONQUIS.

Mors et vifa diwlto oonflïxere mirando. L a mort


et la vie se s o n t livrés s u r le c a l v a i r e u n com­
bat auquel les anges assistaient pleins d'admiration
et q u i tenait l'enfer en suspens. D a n s ce combat
PAuteur do la vie p a r a î t vaincu, il m e u r t ; mais
d a n s sa m o r t il n'a cessé d e vivre et sa mort
m ê m e est le t r i o m p h e p a r lequel il i n a u g u r e r a son
règne.
L a r a n ç o n a été p a y é e , la R é d e m p t i o n est ac­
c o m p l i e ; le p é c h é est ôté et le p r i n c e de ce mon­
d e est vaincu. Son règne est fini d a n s sa c a u s e et son

1. Ap. c h . X I X e t XXI.
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 75

principe, m a i s il reste à c o n q u é r i r pied à pied le ter­


ritoire s u r lequel il avait é t e n d u sa domination.
C'est le magnum prœlium qui va se poursuivre sur
la terre d a n s les conditions o ù il s'était livré au
ciel, c'est-à-dire, la grâce de Dieu et la liberté d e
l'homme s ' o p p o s a n t a u x s é d u c t i o n s de l'enfer.

Ce duel a p o u r p r e m i e r c h a m p c h a q u e âme lut­


tant contre son t e n t a t e u r . L a R é d e m p t i o n est u n i ­
verselle, le divin S a u v e u r a m é r i t é le salut de tous
les h o m m e s , niais l a justification doit continuer
à dépendre de la volonté de c h a c u n . Les mérites
du Christ no s e r o n t a p p l i q u é s a u x individus qu'avec
leur assentiment et l e u r coopération à la grâce. Le
surnaturel, r e d e v e n u l ' a p a n a g e de l ' h u m a n i t é doit,
comme a u p r e m i e r j o u r , être accepté p a r c h a c u n
de ses m e m b r e s . Avant cette acceptation, présumée
dans les enfants des familles chrétiennes, effective
chez les adultes, le fils d'Adam est encore sous le
joug de Satan, et délivré, il y r e n t r e soit p a r le
renoncement volontaire à Tétai d e grâce, en com­
mettant des actes c o n t r a i r e s à l a morale, qui lui
font p e r d r e l ' a m i t i é de Dieu, soit p a r la répudiation
de sa foi c h r é t i e n n e qui le fait r e n t r e r dans l'in­
fidélité. C'est la loi qui a éLé p r o m u l g u é e au com­
mencement a u ciel c o m m e s u r la t e r r e . Elle n'a p o i n t
changé, elle n ' a p u c h a n g e r avec la Rédemption.
La nouvelle s o u r c e de vie q u e l a lance du soldat a
fait couler d u C œ u r de J é s u s e n croix est ouverte
à tous, mais elle ne d o n n e ses e a u x qu'à ceux qui
s'approchent p o u r les recevoir.

Ce q u i est v r a i p o u r les individus, l'est p o u r les


peuples. Appelées p a r la voix des Apôtres et de leurs
successeurs, les n a t i o n s se r e n d i r e n t les unes après
les autres à celte s o u r c e et u n i e s p a r la foi d a n a
76 COMMENCEMENTS DE LA. C I V I L I S A T I O N CHRÉTIENNE

l e c o r p s m y s t i q u e d u Christ, elles f o r m è r e n t la c h r é ­
tienté.
Mais Satan n ' a b a n d o n n a p o i n t l a pensée, l a vo­
l o n t é de les r e c o n q u é r i r , c l il peut y travailler grâce
a u x complicités qu'il sait se c r é e r au sein d e s
n a t i o n s . Inimicilias panam inter scinen tuum et se-
men illiuS) avait-il été dit a u c o m m e n c e m e n t . Cet
o r a c l e n e cesse de s'accomplir : les deux r a c e s sont
t o u j o u r s a u x prises et elles forment a u sein d e la
c h r é t i e n t é les d e u x cités décrites p a r s a i n t Augus­
tin.
L o m o t h é b r e u e m p l o y é p a r la Genèse p o u r m a r ­
q u e r les a t t a q u e s de Satan et de sa r a c e contre
la race d u Christ désigne bien les d e u x espèces
d ' a s s a u t q u e l'Eglise- n ' a cessé d ' a v o i r à subir, les
d e u x g r a n d s obstacles q u i se dressent s u r l a voie
t r i o m p h a l e d u v a i n q u e u r d u calvaire m a r c h a n t à
la prise d e possession d e son r o y a u m e : les persé­
c u t i o n s et les hérésies : l e s persécutions d e l'ennemi
d u d e h o r s , les hérésies de l ' e n n e m i d u d e d a n s .
Décrire celte m a r c h e , faire c o n n a î t r e ces obsta­
cles a u fur et à m e s u r e qu'ils se présentent, ce se­
r a i t e n t r e p r e n d r e d e faire l'histoire des dix-neuf
siècles écoulés depuis q u ' a été p r o n o n c é e cette pa­
role : « Confiditc. Princeps hujus mundi cjicieiur
foras. Ego uici mundum. — Confiance ! Le prince
de ce m o n d e sera mis d e h o r s . J ' a i vaincu le m o n d e . >
Ce n'est point ici le lieu.
Il est nécessaire cependant d'en t r a c e r en r a c c o u r c i
le tableau avant de p o u v o i r exposer la principale
mission de l a Bienheureuse Pucellc, celle réservée
a u x j o u r s d e sa canonisation, conforme a u x p a r o l e s
et a u x acles de sa vie mortelle.
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 77

C H A P I T R E XVI

IDÉE F O N D A M E N T A L E DU ROYAUME DU CHRIST

OU D E L A C I V I L I S A T I O N CHRÉTIENNE.

Le règne d e Dieu d a n s la société c'est l'esprit de


l'Evangile g o u v e r n a n t les peuples, informant leurs
institutions, l e u r s lois et l e u r s m œ u r s . E n u n mot,
c'est la civilisation chrétienne substituée à l a civi­
lisation p a ï e n n e .
L'antiquité n ' a v a i t p a s u n e civilisation véritable
car elle i g n o r a i t la p e n s é e q u e D i e u avait e u e en
appelant F h c m m e à Vcxistencc. E l l e n e connaissait
point le b u t d e la vie h u m a i n e et p a r suite, ignorant
la fin d e la société, elle n e p o u v a i t aider à l'attein­
dre, ce qui est le p r o p r e cle la civilisation.
Notre-Seigncur Jésus-Christ n o u s a a p p r i s q u e la
courte vie d o n t il n o u s est d o n n é d e j o u i r ici-bas
n'est pas la v r a i e vie, celle p o u r laquelle n o u s avons
été créés. Il en est u n e a u t r e d o n t n o u s devons j o u i r
éternellement. L a vie présente e s t la p r é p a r a t i o n à
cette vie éternelle, q u i n e s e r a r i e n moins q u ' u n e
participation à l a vie divine p a r t o u t e l'assemblée
des saints.
La c o m m u n a u t é imparfaite q u e constituent ici-
bas entre les h o m m e s les diverses sociétés n'est q u ' u n e
ébauche de F u n i t é parfaite et indestructible q u i se
forme peu à p e u d a n s les cieux p a r l'adjonction j o u r ­
nalière d a n s le sein d e Dieu d e t o u s ceux q u i quittent
ce monde p a r é s d e la g r â c e sanctifiante, riches des
vertus qu'ils o n t acquises a u x c o m b a t s d e ce monde.
Les œ u v r e s civilisatrices des peuples les plus d o ­
ciles à l'impulsion de la P r o v i d e n c e , les sacrifices
78 COMMENCEMENTS D E LA. C I V I L I S A T I O N CHRÉTIENNE

des Ames les plus généreuses, les g r a n d e s actions


d e s esprits les p l u s illustres contribuent, avec les
efforts les plus insignifiants d e s plus h u m b l e s , à
perfectionner d e j o u r en j o u r l ' o r n e m e n t d e la cité
future. Quiconque accomplit sa t a c h e terrestre, si
m o d e s t e qu'elle soit, en union avec le Seigneur, a p ­
p a r t i e n d r a non seulement p a r sa p e r s o n n e ïnais p a r
ses œ u v r e s a ce r o y a u m e de Dieu d o n t l a société
d'ici-bas n'est q u ' u n c o m m e n c e m e n t , u n e ébauche.
C'est d'ailleurs ainsi q u e le divin Maître l'a présenté
d a n s l'Evangile.
II suit d e là q u e la fin dernière d e t o u t e activité
h u m a i n e , aussi bien celle des E t a t s q u e celle d e s
individus n'est a u t r e q u e celle vers laquelle n o t r e
destinée religieuse n o u s guide. Sans doute, la fin
immédiate et directe des sociétés civiles est l e bien
c o m m u n temporel. Or, le bien temporel, c'est la
sécurité de T E t a l ; la santé, l'intégrité, la liberté des
p e r s o n n e s ; la possession d e s biens m a t é r i e l s qui
r e n d e n t l a vie possible et agréable, et e n c o r e la
science en tant qu'elle perfectionne l'intelligence
et p r o c u r e l a puissance s u r la m a t i è r e .
Mais les biens de la vie p r é s e n t e n e sont point
T
suffisants. A o/i satiatur ocnlns visu, s'écria saint
1
P a u l à la suite d e l ' E c c I é s i a s t c , nec auris auditu
implciur. L'exiJérience générale q u o t i d i e n n e et l'aveu
d u genre h u m a i n m o n t r e n t q u e les b i e n s temporels
n e peuvent c o m b l e r les désirs d e l a m e . Elle aspire
aux biens s u p é r i e u r s q u e p r o c u r e n t la m o r a l e et la
religion. De là, il suit, p r e m i è r e m e n t , q u e l e bien
teinjïorcl ne doit pas cinjwcher lo bien éternel, ni
l ' o r d r e civil, Tordre religieux. Mais c e r a p p o r t négatif
q u i consiste d a n s la non opposition à l ' o r d r e moral
cl u l'ordre religieux, n'est p a s la seule obligation de

1. I s . , 8.
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 79

la société civile; elle doit d e plus a i d e r à l'acquisition


des biens spirituels a u m o i n s d a n s les limites o ù
son concours est nécessaire. Car t o u t doit être su­
bordonné à la fin d e r n i è r e de l ' h o m m e par cela seul
qu'elle est la fin dernière.
Il n'est d o n c p a s laissé au bon plaisir de l'Etat de
favoriser o u d e n e p a s favoriser l'acquisition des
biens spirituels. Il viole son devoir s'il se tient neu­
tre à l'égard d e s intérêts religieux d e ses sujets et
surtout s'il s ' y oppose. L ' E t a t chrétien doit s u r ­
veiller l'exécution d e la loi d e D i e u d'où dépend le
salut des â m e s et le salut du m o n d e .
Cette fonction s u b l i m e à l a q u e l l e il s'adonne, à
cause d e Dieu, lui vaut d'être r e v ê t u de son autorité
pour faire e x é c u t e r ses volontés. C'est une fonction
religieuse qu'il assume, et en r e t o u r il reçoit u n e
part du r e s p e c t et d e l'obéissance d u s à Dieu lui-
même.
Outre l ' h o n n e u r il t r o u v e en cette conduite sa
sécurité. L a s é c u r i t é vraie et solide n'est ni dans
les armes n i d a n s la p r u d e n c e politique, mais d a n s
l'ordre voulu d e Dieu, établi p a r Dieu.
Donc, en r é s u m é et c o m m e conclusion, si la fin
immédiate et d i r e c t e des sociétés civiles est le bien
commun t e m p o r e l , sa fin complète va au delà. L e
bien temporel d o i t être s u b o r d o n n é au bien spiri­
tuel dans la société c o m m e d a n s l'individu, p a r la
raison que la fin immédiate est nécessairement su­
bordonnée à la fin dernière. C'est p o u r q u o i l ' o r d r e
civil en n e s'opposant point à T o r d r e religieux, e n
ne mettant point obstacle à son action et à son effi­
cacité, en lui p r ê t a n t au c o n t r a i r e aide et appui,
en p r o c u r a n t à l'Eglise les secours dont elle a
besoin, a c c o m p l i t son devoir q u i est de ne point
ignorer que l ' h o m m e a u n e â m e immortelle, et q u e
80 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE •

cette â m e n e doit point être entravée d a n s sa m a r c h e


vers ses destinées éternelles : ce qui s e r a i t le leser
d a n s les droits les plus précieux.
Ces n o t i o n s étaient nécessaires p o u r se faire une
j u s t e idée d e ce q u e doit ê t r e le r è g n e de Dieu ici-
b a s , ce q u e doit être la civilisation c h r é t i e n n e : elle
doit p r o c u r e r le bien c o m m u n t e m p o r e l et en m ê m e
t e m p s favoriser l'acquisition d e s biens éternels.
L a plus vaste et la plus belle d e toutes les sociétés
antiques s'achevait p a r les d e r n i è r e s déceptions qu'a­
vait causées au genre h u m a i n l'ignorance d o ses des­
tinées éternelles, l o r s q u e le christianisme a p p o r t a au
inonde la solution l u m i n e u s e et manifeste du p r o b l è m e
social : L'homme est [ait pour l'Etat; le citoyen est
fait pour la patrie, avait dit l'antiquité. L'homme
est fait pour Dieu, r é p o n d i t le christianisme.
L e paganisme, i g n o r a n t la n a t u r e d e l ' h o m m e et
sa destinée supérieure, n'envisageait e n lui q u e le
citoyen«/ en face d e la cité et disait avec raison à
son point de vue : L ' h o m m e est fait p o u r l'Etat, la
p a r t i e p o u r le tout, l'individu q u i passe p o u r la
société qui lui survit.
Il n'était a u c u n c i t o y e n qui eût u n e existence mo­
r a l e n o n d é t e r m i n é e p a r les intérêts o u les capri­
ces d e l'Etat. L e but d e l'existence était a t t e i n t dès
q u ' o n avait c o n t r i b u é à la g r a n d e u r de la patrie.
On disparaissait ensuite d a n s le gouffre d u tombeau,
d a n s la m o r t .
Celle conception d e la vie h u m a i n e e t d e l a so­
ciété h u m a i n e explique la République d u « divin »
Platon. Cette r é p u b l i q u e ignore le droit d e l'hom­
m e à la vie,: m o r t ù l'enfant m a l venu, m o r t au
m a l a d e . Elle voit d a n s la famille un o r g a n i s m e inu­
tile et m ê m e gênant, p a r c e qu'elle c o n s t i t u e u n e
société particulière a y a n t des i n t é r ê t s distincts de
CIVILISATION CONTRE CIVILISATION 81

ceux d e la société publique. L a p r o p r i é t é individuelle


est un a u t r e o b s t a c l e à l a vie c o m m u n e , la République
s'en d é b a r r a s s e e n p r o c l a m a n t la c o m m u n a u t é des
biens. L a poésie est e x p a t r i é e p a r c e qu'elle constitue
une force l i b r e q u e l ' E t a t n e peut s u b j u g u e r ni as­
servir.
P o u r Aristote aussi c'est u n axiome q u e le citoyen
appartient à l'Etat. Les p a r e n t s q u i o n t le droit
de tuer l e u r enfant n ' o n t p a s celui d e l'élever, c'est
l'Etat qui est le g r a n d et u n i q u e é d u c a t e u r .
N'est-ce point à cela encore, à tout cela aussi,
que tend n o t r e R é p u b l i q u e , depuis qu'elle a divorcé
avec l'Eglise, a v e c Dieu?
Notrc-Seigneur Jésus-Christ est v e n u dire : Ren-
dez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est
à Dieu. Celte p a r o l e contenait la p l u s grande révo­
lution q u i se soit p r o d u i t e d a n s les annales d u
monde. Elle reconnaissait à l'Etat les droits qui
découlent de sa fin p r o p r e ; elle p r o c l a m a i t d'autre
part les droits d e Dieu s u r l ' h o m m e et l'obligation
où est l ' E t a t de les respecter.
Parce q u e n o u s a v o n s des devoirs imprescripti­
bles e n v e r s Dieu et u n e destinée personnelle a n t é ­
rieure e t s u p é r i e u r e à celle de l a collectivité, l'Etat
ne peut plus r e v e n d i q u e r s u r n o u s les droits qu'il
s'arrogeait d a n s l'antiquité p a ï e n n e . L ' h o m m e m o r a l
ne relève q u e d e sa conscience et d e Dieu, et l a
mesure d e sa d é p e n d a n c e à r e g a r d de Dieu est la
mesure d e son i n d é p e n d a n c e vis-à-vis d e César. E n
proclamant d a n s le m o n d e les d r o i t s d e Dieu s u r
l'homme, l'Evangile y introduisit e n m ê m e temps
les droits de l ' h o m m e a u r e g a r d d e l'Etat.
La révolution, qu'appelait la parole du Christ, n e
se fit point du j o u r a u l e n d e m a i n . Elle n'est point
82 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

achevée a u j o u r d ' h u i a p r è s dix-neuf siècles. U n re­


g a r d r a p i d e sur les e n t r a v e s qu'elle a rencontrées,
le c h e m i n qu'elle a p a r c o u r u , le point o ù elle est
arrivée, n o u s d i r a quelle est, à l ' h e u r e actuelle, la
mission que la sainte Pueelle est a p p e l é e à ac­
c o m p l i r de nos j o u r s .
II

LES E S S A I S D E CIVILISATION
CHRÉTIENNE A ROME.

C H A P I T R E XVII

LE R O Y A U M E DE DIEU DANS LES AMES

ET DANS LES FAMILLES.

Le r o y a u m e d e Dieu c o m m e n ç a d è s les premiers


jours d e la prédication evangélique. T o u t h o m m e
qui accueillait la Bonne Nouvelle, q u i ouvrait le
champ de son c œ u r à l a Bonne S e m e n c e et aidait
par sa bonne volonté à sa germination, tout chrétien
qui conformait sa vie à la loi evangélique était un
homme n o u v e a u . Il avait des pensées et des senti­
ments autres q u e les sentiments et les pensées d e
ceux qui l'entouraient, et sa m a n i è r e d'être et d e
vivre était toute différente. Les familles formées p a r
ces h o m m e s n o u v e a u x n e se distinguaient pas moins
que les individus qui les composaient. L'union d e
r h o m m e et de la femme était d a n s ces familles in­
dissoluble et inviolable. L ' é p o u s e était traitée avec
respect, c o m m e cohéritière de la grace qui donne
84 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

l a vie éternelle K L'enfant était u n e â m e confiée par


l a P r o v i d e n c e au p è r e et à la m è r e q u i devaient un
j o u r r e n d r e compte d e son é d u c a t i o n a u Souverain
Juge. L'esclave était un frère appelé a u x mômes des­
tinées q u e ses maîtres. On était loin des conceptions
do Platon et d'Aristote et d e t o u t e l'institution fami­
liale et sociale en vigueur d e p u i s t a n t d e siècles.
La régénération de l'individu et celle d e la fa­
mille appelaient celle d e la société. L a résistance fut
d'une violence inouïe et d u r a n t trois siècles fit cou­
ler le sang a flots. « C'était un spectacle d e t o u t point
2
e x t r a o r d i n a i r e , dit M. K u r l h , que celui d e la so­
ciété r o m a i n e . Héritière d e toutes les civilisa lions,
elle avait r é u n i et fécondé les c o n q u ê t e s d e chacune
d'elles. L'Orient lui avait légué ses traditions de
p o u v o i r a b s o l u ; la Grèce, le trésor de sa pensée phi­
l o s o p h i q u e et les merveilles de son a r t , l'Occident
b a r b a r e une inépuisable r é s e r v e d ' h o m m e s . Cet en­
semble de ressources était m a i n t e n u p a r la vigueur
du génie r o m a i n , o r g a n i s a t e u r e t d o m i n a t e u r par
excellence... R o m e semblait avoir p r i s possession de
la terre p o u r toujours. P a r t o u t on r e t r o u v a i t l'œu­
vre de ses m a i n s . T o u t e s les n a t i o n s d e la terre
venaient s'asseoir s u r les g r a d i n s d e son Colyséc qui
avait 80.000 sièges e t de son Cirque q u i en comp­
tait 360.000. L e s R o m a i n s considéraient l'Empire
c o m m e une société qui e m b r a s s a i t tous les peuples
de la terre, et d a n s les appellations officielles ils
saluaient leurs e m p e r e u r s du titre de p r i n c e s du
genre h u m a i n cl de m a î t r e s du m o n d e ».
C'est d a n s cette ville, a u siège d e c e t e m p i r e q u e
se rendit Pierre, le p a u v r e p ê c h e u r d e Galilée, pour
en faire la conquête a u n o m d e s o n Maître qui vc-

1. I Pet.. I I I - 7 .
2. Les origines de la Civilisation moderno, t. I, p. 1-2.
ESSAI D E CIVILISATION CHRÉTIENNE A ROME 85

liait de r e m o n t e r a u ciel, et p a r t i r d e là p o u r sou­


mettre le m o n d e à son empire. Il fut saisi, crucifié,
et ses disciples p a r millions furent sacrifiés s u r
rautel de Rome, Etat-Dieu. Mais c h a q u e goutte de
sang chrétien était une s e m e n c e q u i produisait au
centuple.
Le règne d e Dieu s'établissait ainsi d a n s les âmes
et dans les familles, il devait s'établir d a n s l'Etat
pour vivifier la société tout entière.
(l'était bien ce q u e s'était p r o p o s é Pierre, docile
aux enseignements d e son divin Maître. Lorsqu'il en­
tra timidement d a n s la ville impériale, plus d'un
regard de m é p r i s l o m b a sans d o u t e s u r lui. Cet
homme qui j>ortait d a n s ses vêtements les livrées
de la pauvreté, q u i n'avait d ' a u t r e soutien q u ' u n
bfdon de voyageur, qui portait tout son bien sous
son bras, avait d a n s la tête celte folle pensée, «—
folle, au dire de la sagesse h u m a i n e : — transformer
de fond en c o m b l e T o r d r e dos c h o s e s q u e protégeait
une puissance gigantesque. Il voulait c h a n g e r la reli­
gion et purifier l a m o r a l e ; asseoir s u r d'autres ba­
ses la société, l'Etat et la famille; d o n n e r aux hom­
mes un nouveau m o d e de p e n s e r et de vivre complè­
tement différent d e ee q u i était d e p u i s d e longs siè­
cles. Tout cela il voulait l'obtenir n o n p a r les agisse­
ments d u n e société secrète et p a r u n boulevcrse^
ment clandestinement p r é p a r é , m a i s ouvertement, pu­
bliquement, à la face d u m o n d e entier qui s'insur­
gerait contre lui, c o n t r e ceux q u i l'éoouteraient et
contre leur œ u v r e .
Quoi de plus insensé? q u o i de p l u s impossible?
Et pourtant cette impossibilité se réalisa et cette
folie était sagesse.
A la fin du troisième siècle, la foi de Jésus-Christ
était répandue d a n s tout le m o n d e civilisé; le royau-
COMMENCEMENTS DE LA. CIVILISATION CHRÉTIENNE

m e d e Dieu d a n s les â m e s avait p é n é t r é d a n s toutes


les provinces de l ' E m p i r e r o m a i n e t avait mémo
franchi ses frontières. Des c o m m u n a u t é s chrétiennes
vivaient d a n s la p l u p a r t des cités, o r g a n i s é e s s u r le
type que les Apôtres avaient t r a n s m i s a u x évoques.
Des c o r r e s p o n d a n c e s s'échangeaient e n t r e les Egli­
ses les plus éloignées : elles se s o u t e n a i e n t mutuelle­
m e n t dans les épreuves de la persécution, elles se dé­
nonçaient les e r r e u r s des n o v a t e u r s p o u r s'en dé­
fendre r é c i p r o q u e m e n t . C h a c u n e p r e n a i t sa p a r t de la
vie d e l'Eglise universelle d o n t le foyer était l'Eglise
de Rome, tête et m o d è l e d e toutes les autres.
C e p e n d a n t la situation faite à l'Eglise dans la
société païenne était t o u j o u r s p r é c a i r e et doulou­
reuse. Elle ne jouissait d ' a u c u n e existence légale.
Son organisation p r o p r e et sa h i é r a r c h i e restaient
toujours sous l'action des lois qui i n t e r d i s a i e n t tout
ce qui voulait être i n d é p e n d a n t d e l'Etat. Elle était
considérée c o m m e séditieuse p a r le fait de son
existence m ê m e cl traitée c o m m e telle.
Cependant, a u lieu de l'affaiblir, la persécution la
faisait grandir. Le s a n g des m a r t y r s était u n e se­
mence qui faisait n a î t r e de n o u v e a u x c h r é t i e n s , com­
m e le dit p o é t i q u e m e n t Terlullien.
L a lettre d u P a p e Corneille en 251 n o u s informe
q u ' à cette d a t e les chrétiens étaient de* 30 à 40
mille s u r 900.000 h a b i t a n t s q u e R o m e c o m p t a i t alors.
E n 312, ils pouvaient être d e 70 à 73 mille. Ils ap-
partenaient à toutes les conditions d e la société,
c o m m e le m o n t r e n t les épi ta plies des catacombes.
Dieu jugea l ' h e u r e venue de r é c o m p e n s e r la con­
stance de ses fidèles cl d ' o u v n r p o u r le m o n d e une
ère nouvelle.
ESSAI D E C I V I L I S A T I O N ' C H R É T I E N N E A ROME 87

C H A P I T R E XVIII

L'ENTRÉE DU CHRIST DANS LA CITÉ.

Les premières années d u q u a t r i è m e siècle sont


marquées p a r u n r e d o u b l e m e n t d e violences contre le
christianisme. L ' e m p i r e païen r é u n i t toutes ses for­
ces pour accabler et a n é a n t i r l'Eglise. Il la prend
corps a corps, c o m m e d a n s un duel.
La dernière des persécutions avait ensanglanté la
terre. L'édit de 301 n e laissait p l u s a u x chrétiens,
laïques ou p r ê t r e s , q u e l'alternative de l'apostasie
ou de la mort. Les r ê n e s de l'empire étaient tombées
en 303 aux m a i n s du féroce Galère. Maxence, fils d e
Maximien-IIcrcule et Constantin, fils de Constance
Chlore, r é c l a m è r e n t l e u r s d r o i t s à l ' e m p i r e Maxi­
mien vainquit Galère et s'installa e n souverain à R o ­
me; mais il vit Constantin, son rival, venir lui dis­
puter l'empire et R o m e m ê m e . Su m è r e Hélène était
chrétienne et d'assez g r a n d e v e r t u p o u r être après
su mort placée s u r les autels. Constantin avait r e ç u
d'elle ses p r e m i è r e s l u m i è r e s s u r le christianisme.
C'est dans ces dispositions q u ' a p p e l é p a r les Romains
pour les protéger c o n t r e la c r u a u t é d e Maximien, il
se résolut à f r a n c h i r les Alpes, bien q u e son a r m é e
fût de moitié inférieure en n o m b r e à colle d e son
adversaire. I n q u i e t s u r l'issue de s a campagne il se
souvint d u Dieu d e sa m è r e et i m p l o r a son secours.
Un jour, s u r l ' h e u r e d e midi, c o m m e lui-même l'assu­
ra plus tard, s o u s la foi d u serment, à l'historien
Eusèbe, une croix lui a p p a r u t au-dessus du soleil
avec celte inscription : P A U C E S I G N E , T U V A I N C R A S .
Toute l'armée fut témoin de ce p h é n o m è n e . P u i s
88 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

le Christ vint lui p r é s e n t e r le m ô m e signe d a n s


u n songe, lui o r d o n n a n t d'en r e p r o d u i r e l'image et de
la faire p o r t e r d e v a n t ses t r o u p e s . C o n s t a n t i n fit
aussitôt exécuter u n e c r o i x formée p a r u n e longue
l a n c e s u r laquelle était fixée une pièce transversale,
et au lieu de l'aigle d e J u p i t e r il fit m e t t r e u n e cou­
r o n n e avec les deux initiales g r e c q u e s : X. P., du
n o m d e Jésus-Christ, entrelacées.
Sous la protection de c e signe, C o n s t a n t i n r e p o u s s a
p l u s i e u r s fois les t r o u p e s ennemies d a n s la H a u t e -
Italie et p u t a r r i v e r j u s q u ' à R o m e . L à d e v a i e n t être
décidés la situation d u c h r i s t i a n i s m e et le s o r t du
m o n d e . Maxcnce fut b a t t u au p o n t Milvius et Cons­
tantin fut r e ç u à R o m e avec des joies indescrip­
tibles. L ' a n n é e suivante, 313, il p u b l i a à Milan un
édit q u i n o n seulement p e r m e t t a i t a u x c h r é t i e n s le
l i b r e exercice d e leur religion, mais l e u r r e n d a i t les
biens d o n t l'Eglise avait été dépouillée et a s s u r a i t à
celle-ci u n e existence légale. Un a u t r e édit affran­
chit les p r ê t r e s d e s c h a r g e s p u b l i q u e s afin qu'ils
n e fussent point d é t o u r n e s d u culte d û à Dieu. Le
vieux palais d u L a t r a n fut d o n n é a u P a p e Melchiade
p o u r devenir s a d e m e u r e , lo siège de l'administration
ecclésiastique et la p r e m i è r e c a t h é d r a l e d e la chré­
tienté. D a n s l a p r e m i è r e p a r t i e d e l'édit c'est la
liberté d e conscience et d u culte q u i est r e c o n n u e aux
c h r é t i e n s ; d a n s la seconde, c'est l'existence d e la
sociélé chrétienne, de l'Eglise, avec son droit
d e vie sociale p r o p r e , qui est p r o c l a m é e p a r tous
les mois q u i peuvent la désigner : Corpus, convcnli-
culunu ccclcsia. Son d o m a i n e collectif est n e t t e m e n t
m i s à part d e la p r o p r i é t é individuelle. L'Eglise
acquérait vis-à-vis d e l ' E t a t la p e r s o n n a l i t é m o r a l e
et civile qui, après q u a t o r z e siècles, vient do lui
être enlevée e n F r a n c e .
ESSAX D E C I V I L I S A T I O N C H R É T I E N N E A R O M E 89

Dès cette é p o q u e a p p a r a î t en pleine lumière la


primauté de l'Eglise d e Rome. Son évêque no r e s ­
treint pas s o n action à son t r o u p e a u i m m é d i a t ; elle
rayonne s u r t o u t e la catholicité aidée p a r l'empe­
reur. Divers é v é n e m e n t s d u r è g n e d e Constantin l e
montrent bien : l e s c h i s m e des donatistes, la lutte
contre r a r i a n i s m e . L e s 2, 3 et 4 /octobre d o l'an
313, le palais d e L a t r a n voit p o u r l a p r e m i è r e fois
un concile d'évêques s o u s la p r é s i d e n c e d u P a p e ;
puis en 321 et 325 est r é u n i le p r e m i e r concile général
de Nicée c o n t r e l'arianisme. D e s i m p l e s prêtres, Vic­
tor et Vincent, y o n t l a p r é s é a n c e s u r tous les évo-
ques; p a r c e q u ' i l s sont les r e p r é s e n t a n t s d u Pape,
ils y tiennent sa place.
On voit en t o u t cela le c o m m e n c e m e n t d u règne
social de Notre-Seigncur Jésus-Christ d a n s le monde.

C H A P I T R E XIX

ROME S'EFFORCE DE SE CHRISTIANISER.

Rome en r a s s e m b l a n t tous les peuples avait servi


d'instrument à d e s desseins q u i lui é t a i e n t cachés :
le monde pacifié sous la loi r o m a i n e allait e n t r e r
avec Constantin d a n s la voie de ses véritables desti­
nées.
Aussitôt a p r è s s a conversion, Constantin appela les
évoques, les ministres d e Jésus-Christ, souverain Roi,
à siéger d a n s les conseils d e l ' E m p e r e u r ; on le vit
s'asseoir h u m b l e et attentif, s u r u n tabouret, a u
milieu des P è r e s d u Concile d e Nicéo et revendi­
quer le titre <Y évoque du dehors.
ie
Li Mission de la B Jeanne d'Arc. f
.90 COMMENCEMENTS DE \L\ CIVILISATION CHRÉTIENNE

Sous T h é o d o s e - l e - G r a n d la t r a n s f o r m a t i o n appa­
r u t d a n s t o u t SOJI éclat. Au lieu d e d e v o i r u n e partie
de leur prestige à l ' E m p e r e u r c o m m e s o u s Constan­
tin, les évéques s e m b l a i e n t a u c o n t r a i r e l u i c o m m u ­
n i q u e r le leur, e t p e n d a n t qu'il l e u r o u v r a i t toutes
g r a n d e s les portes de son palais, e u x n e craignirent
pas de lui fermer celles d e l'Eglise c o m m e à u n sim­
ple fidèle, j u s q u ' à ce qu'il eut fait p é n i t e n c e d e ses
fautes.
D a n s toutes les choses q u i n ' é t a i e n t p a s d u do­
maine de la conscience, l'Eglise avait à l'égard des
cm]fcrcurs lu soumission la plus r e s p e c t u e u s e , voire
la plus h u m b l e ; niais elle savait être le représentant
de Dieu, le ministre d e Dieu, le l i e u t e n a n t d e Jésus-
Christ d a n s T o r d r e des c h o s e s spirituelles. L e s em­
pereurs d e l e u r côté n e s e c o n t e n t a i e n t p o i n t d e fa­
voriser le clergé : d e l'exempter des p r i n c i p a l e s char­
ges civiques, d e s fonctions m u n i c i p a l e s , d e s servi­
tudes jKTsonnelles, d e l'investir d ' a t t r i b u t i o n s publi­
ques, du l'élever p e u à peu à u n e condition q u i en
Taisait une d e s a u t o r i t é s d e l ' E t a t ; ils s'occupaient
aussi de t r a n s f o r m e r l a législation e t d ' y introduire
l'esprit c h r é t i e n ; c e q u i est p r o p r e m e n t le vrai si­
gne, le c a r a c t è r e spécial d u r è g n e d e Dieu d a n s la
société.
L'Eglise avait tiré d e s p a r o l e s d u divin Maîtr'e tous
les cléments d u n e civilisation a u t r e q u e celle qui
avait régi les n a t i o n s jusque-là. L e m o m e n t était venu
de les mettre a u j o u r , d e leur p e r m e t t r e d'agir. Pour
cela, l'Eglise et l'Etal devaient se d o n n e r u n e main
fraternelle d a n s Ja pensée d e travailler d e concert
au b o n h e u r d u genre h u m a i n . L'Eglise fit tout ce
qu'elle p u t p o u r réaliser cet idéal i n a u g u r e par
Constantin.
Les lois q u i étaient en contradiction manifeste
ESSAI DE CIVILISATION CHRÉTIENNE A ROME 91

avec les exigences d u c h r i s t i a n i s m e t o m b è r e n t d'a­


bord, par exemple, les sévères dispositions contre
le célibat q u i m e t t a i e n t des e n t r a v e s au libre exer­
cice de la vie m o n a s t i q u e et sacerdotale. Le d i m a n c h e
devint un j o u r d e r e p o s légal. Les grandes fêtes
chrétiennes, Noël et P â q u e s , furent prises p o u r da­
tes des vacances publiques. L a f u r e u r des spectacles
dut faire r e l â c h e le j o u r d e la Résurrection.
A cause d e la sainteté d u c a r ê m e , les procès crimi­
nels furent s u s p e n d u s p e n d a n t ce t e m p s de j e û n e e t
d'expiation. Le législateur se p r é o c c u p a de la pureté
des mœurs, « p a r respect, dit le c o d e Théodosien,
1
pour la sainteté d u logis de l'âme h u m a i n e » . L'es­
prit de d o u c e u r d e l'Evangile p a s s e aussi dans les
lois : l'autorité paternelle p e r d son d r o i t de vie et
de mort, le régime des prisons est amélioré, les pri­
sonniers sont placés sous la p r o t e c t i o n d u prêtre,
riiomme de lu miséricorde. Il fut défendu d e m a r ­
quer d'un stigmate la figure des c o n d a m n é s aux mi-»
nés, car c e l a i t « souiller cette face h u m a i n e qui a
2
été moulée à l'image d e la b e a u t é c é l e s t e . ' L e s
combats de gladiateurs furent abolis, g r a n d triomphe
sur la passion p r é d o m i n a n t e de la société païenne.
Un nouveau m o d e d'affranchissement des esclaves
fut introduit : il se ïit désormais d a n s l'Eglise en pré­
sence de Tevêque.
L'ère des conciles s'ouvre avec 1 è r e de Constantin.
Il y en eut d a n s t o u t e s les régions d u monde., L a
plupart des i n s t i t u t i o n s chrétiennes s o n t sorties d u
travail i n i n t e r r o m p u d e ces assemblées ecclésiasti­
ques. En p a r c o u r a n t les gigantesques recueils d a n s
lesquels l'Eglise a enregistré leurs actes, il semble
qu'on pénètre d a n s les ateliers de la civilisation. Pas

1. IX, VII, G.
2. Codo T h ć o d o s i e n , I X , X L , 2 .
92 COMMENCEMENTS DE LA. CIVILISATION CHRÉTIENNE

u n e question m o r a l e et religieuse q u i n ' y soit débat­


tue, pas u n i n t é r ê t social qui n ' y soit l'objet d'un
e x a m e n approfondi. L e s c a n o n s se m u l t i p l i a i e n t ré­
glant les détails d e la vie de la société d ' a p r è s les
lois de la justice et d e la c h a r i t é .
Le P a p e e t les conciles p r o v i n c i a u x maintenaient
les institutions ecclésiastiques au milieu d e l'anar­
chie de cette é p o q u e ; ils veillaient à ce q u e la so­
ciété c h r é t i e n n e se d é v e l o p p â t c o n f o r m é m e n t aux
institutions et a u x traditions de l'Eglise.
Moins d'un siècle a p r è s la c o n v e r s i o n d e Cons­
tantin, Theodose II p r o m u l g u a le code théodosien
et cent ans plus l a r d J u s l i n i e n codifia le code ro­
main. Ces d e u x codes, le p r e m i e r en Orient, le se­
cond en Occident, o n t régi l ' E u r o p e j u s q u ' à l'avène­
ment des t e m p s m o d e r n e s . E n e x a m i n a n t les compi­
lations qui les composent, il est facile d e v o i r l'in-
ilucncc <pie le c h r i s t i a n i s m e a exercée s u r leurs ré­
d a c t e u r s . Le p r e m i e r contient les lois d e Théodose
le Grand et d e Valenlinien, ces deux e s p r i t s chrétiens.
Il fui d'ailleurs d u en g r a n d e p a r t i e à l'inspiration
de sainte P u l c h é r i c , s œ u r de l ' e m p e r e u r .
Le code juslinien est moins p é n é t r é q u e lo code
théodosien des influences d u c h r i s t i a n i s m e . Il suffit
cependant d'y j e t e r les y e u x p o u r v o i r combien il
diffère des règles j u r i d i q u e s exposées p a r les juris­
consultes des trois p r e m i e r s siècles d e l'empire. Non
seulement il est p r o m u l g u e sous les auspices d e Dieu,
Deo auctore, et a u n o m de N o t r c - S c i g n e u r Jésus-
Christ, in nominc Domini nostri Jem Christie n o n seu­
lement la « divine P r o v i d e n c e » et la « souveraine
Trinité » s'y manifestent, m a i s l'action d u christia­
nisme s'y m o n t r e présente p a r u n e r é v o l u t i o n pro­
fonde d a n s les p r i n c i p e s d i r e c t e u r s d u d r o i t civil.
Ces principes entièrement n o u v e a u x , puisés dans
ESSAI DE CIVILISATION CHRÉTIENNE A ROME 93

les enseignements des Pères de l'Eglise, o n t "conduit


à des solutions opposées à celles q u ' a u r a i e n t dû
amener l'évolution n a t u r e l l e d u d r o i t r o m a i n clas­
sique. La n o u v e l l e notion de la vie prêchéo par la
doctrine c h r é t i e n n e , et le nouvel idéal social q u i e n
était sorti avait i n s p i r é au législateur de nouveaux
motifs p o u r le règlement des i n t é r ê t s : la piété, la
douceur, la protection des faibles, l'avantage d'au-
trui. Justinien r e t o uche légèrement les textes tra­
ditionnels qu'il compile, soit en c o r r i g e a n t une solu­
tion, soit en a j o u t a n t a u x modèles, classiques des pe­
tites phrases d e ce genre : Mais il est mieux..., Il est
préférable..., Plus bienveillant.,., Plus doux..., Plus
juste..., Plus sûr..., Plus humain..Plus équitable
qui témoignent discrètement de la r é v o l u t i o n morale
accomplie p a r le Christ et ses disciples.
Le christianisme c o n s e r v a , sans en p e r d r e une
parcelle, tout ce qui avait été p r a t i q u é j u s q u ' a l o r s
rn fait de b i e n et de d r o i t et le déclara p r o p r i é t é
x
permanente d e l ' h u m a n i t é . Mais la nouvelle reli­
gion apporta d a n s cette t e r r e a n t i q u e u n trésor
inestimable de semences s u r n a t u r e l l e s telles qu'en
les voyant germer, on pouvait d i r e que c'étaient des
semences c o m p l è t e m e n t nouvelles et d'un o r d r e à
part, celles a n n o n c é e s p a r les p a r a b o l e s d u Christ,
celles qui devaient se développer en civilisation
chrétienne et constituer le r o y a u m e de Dieu*

1. Justin, ApoL, II, 13.


94 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

C H A P I T R E XX

L'OBSTACLE RADICAL A LA CHRISTIANISATION

DE ROME.

Cependant l ' E m p i r e n e sut p a s se d é b a r r a s s e r des


œ u v r e s de m o r t q u i le minaient. Malgré t o u s ces actes
q u i témoignaient de sa b o n n e volonté, a u fond, il
resta païen avec des e m p e r e u r s c h r é t i e n s , dc*s po­
pulations chrétiennes et malgré u n e législation qui
se christianisait de j o u r en j o u r .
Il est de la plus h a u t e i m p o r t a n c e d e bien se rendre
c o m p t e d e lu n a t u r e d u vice q u i a n é a n t i t toutes les
espérances q u e les règnes cle Constantin le Grand et
dc Thóodose le Grand avaient fait c o n c e v o i r et qui
obligea la divine P r o v i d e n c e à s ' a r m e r des bar­
bares p o u r a n é a n t i r l'empire i n a m e n d a b l e et à sus­
citer Clovîs p o u r fonder s u r c e s r u i n e s l'empire
des F r a n c s , c a r c'est le m ê m e vice q u i , à partir
d u XIVc siècle, d e l ' é p o q u e d e J e a n n e d'Arc, a fait
r é t r o g r a d e r le règne d e Dieu s u r la société, c'est le
môme vice q u i est l ' â m e de la Révolution.

L'empire r o m a i n a p r è s la c o n v e r s i o n d e Cons­
tantin p r i t les d e h o r s d u christianisme, il ne laissa
l>as p é n é t r e r j u s q u ' à son c œ u r ce qui en est l'esprit:
la souveraineté d e Notrc-Seigneur Jésus-Christ, Roi
des rois.
Le vieux principe païen était la divinité de l'Etat
cl c o m m e c o r o l l a i r e l ' o m n i p o t e n c e illimitée d u sou­
verain. L'Etat était dieu, et dieu était le prince a
q u i l'Etat avait délégué sa puissance. La formule
ESSAI DE C I V I L I S A T I O N C H R É T I E N N E A ROME 95

Romœ et Augusto, à Rome et à l'Auguste, dédicace


de certains temples, n'avait p a s d ' a u t r e sens que
le suivant : A l'État q u i est un d i e u e t à celui qui
est un être sacré p a r c e qu'il le r e p r é s e n t e . A Rome
et à l'Auguste les citoyens n o n s e u l e m e n t prêtaient
serment de fidélité, m a i s ils l e u r devaient des sacri­
fices. L'empereur était l ' h o m m e e n q u i résidait la
sainteté, la divinité de l'Etat. L e t e r m e Augustus
appartenait à l a langue religieuse d e Rome, il n e
s'appliquait q u ' a u x dieux o u a u x objets q u i partici­
paient de la divinité. T o u t e s les provinces, toutes les
cités avaient des t e m p l e s et des autels consacrés h
tous les e m p e r e u r s l'un a p r è s l ' a u t r e . Il y avait
«ne loi — loi d e majesté — q u i p e r m e t t a i t de p u n i r
de mort q u i c o n q u e c o m m e t t r a i t e n v e r s l'empereur
le crime d'impiété.
La parole d e Notre-Seigncur Jésus-Christ : « Ren­
dez à César ce q u i est à César et à P i e u ce q u i
est à Dieu », avait affranchi l e s c h r é t i e n s d e ce
culte et de cette servitude. Ce fut T u n e des causes
de la persécution sanglante et n o n l ' u n e des moin­
dres.
La pensée d e l a société c h r é t i e n n e était, en m a ­
tière de gouvernement, q u e la religion fut h o r s des
mains de l'Etat. Elle n e l'obtint point. Apres com­
me avant la conversion d e s e m p e r e u r s a u christia­
nisme, l'idée de la divinité de l'Etat, et, c o m m e
corollaire, celle de l'omnipotence illimitée des sou­
verains ne cessèrent d e diriger la vie d e la société
politique. L ' e m p e r e u r est t o u j o u r s d i e u ; il n e cesse
de faire retentir ses constitutions d u t i t r e sacrilège
que prenaient ses p r é d é c e s s e u r s ; il étend les q u a ­
lificatifs de sacré et d e divin à t o u t c e q u i a r a p ­
port à sa personne. L e s formules traditionnelles n e
perdent pas l e u r sens p r e m i e r et le p o u v o i r absolu
se
] * Mission de la B Jeanne d'Arc. 7 bis
96 COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

q u e les Césars s ' a t t r i b u e n t e n p a r o l e s est bien une


réalité à leurs y e u x , l e u r conversion a u christianisme
n e doit pas a v o i r p o u r r é s u l t a t de le d i m i n u e r . Ils
n e d o u t e n t pas q u ' i l s aient s u r la religion nouvelle
les d r o i t s qu'ils avaient s u r l ' a n c i e n n e . Ils avaient
été autrefois les pontifes s u p r ê m e s d e celle-là, ils
veulent le r e s t e r d o celle-ci. « Ma volonté tient lieu
de canons », r é p o n d a i t naïvement C o n s t a n c e aux pré­
lats q u i i n v o q u a i e n t les lois d e l'Eglise p o u r n e pas
s o u s c r i r e à u n e loi urgente. Saint J e a n Chrysostomc,
le P a p e Martin Ier le s a v a n t et s a i n t confesseur
?

Maxime et b e a u c o u p d ' a u t r e s g r a n d s et s a i n t s per­


sonnages surent p a r expérience q u e ces paroles :
t N o t r e divinité o r d o n n e . . . N o t r e p a r o l e divine le
veut ainsi... Tel est T o r d r e divin q u e n o u s adressons,
etc. n'étaient p o i n t de vaines formules. Ils payèrent
p a r les coups, l'exil et la m o r t la p r o c l a m a t i o n de
la vérité p r ê c h é e ' p a r saint P a u l : « Le p r i n c e est
ministre de Dieu p o u r le bien. »

P a r une c o n s é q u e n c e bien logique, la n o t i o n d'une


société spirituelle, i n d é p e n d a n t e de l ' a u t o r i t é impé­
riale et s ' a d m i n i s t r a n t elle-même p a r institution di­
vine était i n c o m p r é h e n s i b l e p o u r le v r a i Romain et
p o u r les e m p e r e u r s qui succédèrent à Constantin.
L'Eglise p o u r eux faisait p a r t i de l ' E t a t e t p a r consé­
quent était sous l e u r s o r d r e s : ils-s'indignaient qu'elle
n e voulût pas le r e c o n n a î t r e . Ils s'imposaient à clic
c o m m e des p a p e s laïques. Ils n o m m è r e n t et dépo­
sèrent des évoques, ils créèrent des p a t r i a r c a t s , ils
convoquèrent des conciles, ils firent signer par
force des formules fabriquées sous l e u r s auspices,
ils publièrent d e s symboles qu'ils i m p o s è r e n t aux
peuples c o m m e règles de foi.
L'Eglise n e p o u v a i t accepter u n e telle servitude
ESSAI D E C I V I L I S A T I O N C H R E T I E N N E A R O M E 97

et Dieu n e le v o u l u t pas. L a P r o v i d e n c e , p o u r n e
point laisser se " consolider et se p e r p é t u e r une telle
déviation, un tel travestissement d e l ' œ u v r e du Christ
appela les B a r b a r e s p o u r fonder avec eux une so­
ciété nouvelle Elle l e u r o r d o n n a d e d é t r u i r e et leur
donna de r e c o n s t r u i r e .

Je sifflerai et je les rassemblerai,


car je les ai rachetés.
El ils se multiplieront
quand je les aurai semés parmi les peuples,
et il ne se trouvera pas assez d'espace pour eux.
Je les fortifierai en Yahveh
1
et ils marcheront en mon nom, dit Yahveh .

CHAPITRE XXI

LA R U I N E DE L'EMPIRE ROMAIN.

La conviction q u e l ' e m p i r e r o m a i n était éternel,


qu'il durerait a u t a n t q u e le m o n d e était universelle.
Les chrétiens l a p a r t a g e a i e n t aussi bien q u e les
païens. Elle s'affermit chez eux à p a r t i r d u j o u r
où le Labarum victorieux flotta a u s o m m e t d u
Capitole. On n e concevait pas u n é t a t social a u t r e
que celui qui existait.
Lorsque l'empire é p o u v a n t é assista à la prise d e
Rome par Alaric, saint Augustin vint lui dire qu'il
n'avait pas, c o m m e le c r o y a i e n t ses fidèles, reçu la
mission de réaliser la fin d e l ' h u m a n i t é . Il composa

1. Jérém,, X , 8-12.
9^ COMMENCEMENTS DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE

son livre de la C I T É DE D I K U . p o u r e n s e i g n e r à ses


c o n t e m p o r a i n s que la Cite de Dieu i n a u g u r é e p a r
le Christ, reconstituait-, en d e h o r s de l ' E m p i r e , une
c o m m u n a u t é h u m a i n e plus vaste, plus d u r a b l e , plus
parfaite, dont la loi était établie par Dieu lui-même.
P o u r la cité des h o m m e s , d o n t l ' E m p i r e était l a réa­
lisation, sa mission était close; il p o u v a i t p é r i r sans
q u e l'humanité fût e n t r a î n é e d a n s sa r u i n e : les bar­
bares étaient là p o u r c o m m e n c e r l ' œ u v r e d e l'ave­
nir.
J o s e p h de Maislrc a dit de m ê m e : « Il fallait que
r e m pire r o m a i n disparût. Putréfié j u s q u e d a n s ses
d e r n i è r e s fibres, il n'était plus digne d e recevoir la
greffe divine. Mais le r o b u s t e - sauvageon d u nord
s'avançait, et t a n d i s qu'il foulerait aux pieds l'ancien­
ne domination, les P a p e s devaient s ' e m p a r e r de lui,
et, sans j a m a i s cesser de le caresser o u d e le com­
battre, en faire à la fin ce q u e l'on n ' a v a i t jamais
vu d a n s l'univers. »
Ce n'est point le lieu d e redire les cris d e détresse
pousses de t o u s les côtés à celte h e u r e tragique en­
tre t o u t e s ; m a i s e n t e n d o n s le p r o t e s t a n t Guizot ren­
d r e h o m m a g e à l ' œ u v r e de l'Eglise d a n s s o n His­
toire de la civilisation d e l ' E u r o p e :
* Il est évident qu'il fallait u n e société fortement
organisée, fortement gouvernée, p o u r l u t t e r contre
u n pareil désastre, p o u r sortir victorieuse d'un Ici
o u r a g a n . Je ne crois p a s t r o p dire en affirmant qu'à
la fin d u q u a t r i è m e et au c o m m e n c e m e n t d u cinquiè­
m e siècle, c'est l'Eglise c h r é t i e n n e q u i a sauvé le
christianisme, c'est l'Eglise, avec ses institutions,
ses magistrats, son jxuivoir, q u i s'est défendue vi­
g o u r e u s e m e n t contre la dissolution i n t é r i e u r e de l'em­
p i r e romain, c o n t r e l a b a r b a r i e , qui a c o n q u i s les
b a r b a r e s , qui est d e v e n u e le lien, lo moyen, lo
ESSAI D E C I V I L I S A T I O N CHRÉTIENNE A ROME 99

principe d e civilisation e n t r e le m o n d e r o m a i n e t
le monde b a r b a r e . . . Si l'Eglise c h r é t i e n n e n'avait p a s
existé, le m o n d e entier a u r a i t été l i v r é à la p u r e
force matérielle. »
« L'univers romain s'écroule, » écrivait saint J é r ô ­
1
m e . Les frontières d u Tigre et d e l ' E u p h r a t e étaient
menacées p a r les Perses, les Ibères, les Arméniens;
toute r i l l y r i e et les T h r a c e s é t a i e n t ravagées p a r
les Goths, les H u n s et les Alains; les frontières d u
Rhin et du D a n u b e étaient a t t a q u é e s p a r les peuples
de la Germanie, les Allemands, les F r a n c s et les Suè-
ves. Ces peuples, destinés à e x é c u t e r la justice d e
Dieu contre l ' e m p i r e d e Rome, a r r i v a i e n t l'un s u r
l'autre du fond d e l'Asie.
Une formidable a v a l a n c h e t o m b a s u r la Gaule,
où elle se p a r t a g e a en deux masses, d o n t Tune roula
jusqu'au delà de l'Apennin, tandis q u e l'autre se pré­
cipitait sur l'Espagne et d e là s u r l'Afrique, si bien
qu'après cette d o u b l e invasion, il n e restait plus,
en Occident, q u e des l a m b e a u x d e provinces r o ­
maines qui n e fussent pas a u x m a i n s des barbares.
Ils venaient a v e c leurs familles et l e u r s dieux pren­
dre possession d e s terres et des foyers. L a Gaule
avait été dépecée p a r p l u s i e u r s n a t i o n s . A côte des
Visigoths, les B u r g o n d e s o c c u p a i e n t la belle vallée
du Rhône avec les h a u t e s r é g i o n s alpestres. Les
/Mamans s'étaient r é p a n d u s de ce c ô t é d u R h i n d a n s
les plaines d e l'Alsace. Les F r a n c s s'étaient établis
sur le c o u r s inférieur d e s t r o i s g r a n d s fleuves des
Pays-Bas, le Rhin, la Meuse et l'Escaut.
L'Eglise avait fait la conquête d e la p l u p a r t de ces
barbares avant q u ' e u x - m ê m e s eussent conquis l'Em­
pire. La foi catholique était au IVc siècle celle d e s
Goths, des Burgondes, des Vandales et des L o m b a r d s .

1. Ei>. 35.
100 COMMENCEMENTS DE LA. CIVILISATION CHRÉTIENNE

Mais l ' a r i a n i s m e avait passé d e b o n n e h e u r e c o m m e


Vhomme ennemi à travers les m o i s s o n s q u e l'Evan­
gile faisait lever p a r m i eux et les a v a i t r e n d u s inca­
pables d e s e r v i r a u x desseins d e la P r o v i d e n c e p o u r
la r é g é n é r a t i o n d u m o n d e .
L a v e r t u s u r n a t u r e l l e d e l'Eglise est d a n s le dogme
fondamental d e l ' I n c a r n a t i o n . L ' a r i a n i s m e en fai­
s a n t d u Christ u n e c r é a t u r e , enlevait a u c h r i s t i a n i s m e
son caractère divin et le stérilisait. L e s chrétiens,
sectaires d e r a r i a n i s m e , n e furent p l u s d a n s l'Eglise
q u e des m e m b r e s l a n g u i s s a n t s et a t r o p h i é s . De là
l'avortement d e s L o m b a r d s et d e t o u s ceux qui
s u c c o m b è r e n t l ' u n a p r è s l'autre s o u s l'action d u mal
o r g a n i q u e d o n t l ' a r i a n i s m e les avait infectés.
Dieu q u i , c o m m e dit saint Paul, a fait s o r t i r d'un
seul t o u t le genre h u m a i n et q u i lui a d o n n e le globe
tout entier p o u r d e m e u r e , a aussi d é t e r m i n é le temps
de l'apparition de c h a q u e p e u p l e et lui a marqué
l
le lieu d e son é t a b l i s s e m e n t , jeta a l o r s son regard
s u r les F r a n c s p o u r en faire ses serviteurs. Il dé­
créta « d'établir l e u r empire, p o u r s e r v i r d'instru­
ment à ses divines volontés d a n s le m o n d e et y éta­
blir son règne p a r la défense et le t r i o m p h e de la
2
Sainte Eglise » .
L'histoire de celte p r i s e d e possession est merveil­
leuse e n t r e toutes, il est nécessaire d e la raconter
avec q u e l q u e détail.

] . Aot. XVII, 26. — 2. M i s s e l du IX* siècle.


III
LA CIVILISATION
CHRÉTIENNE EN FRANCE
I

COMMENCEMENTS DU ROYAUME
DE DIEU EN FRANGE.

C H A P I T R E XXII

NAISSANCE D U ROYAUME D E S FRANGS.

L'extension prodigieuse q u ' a v a i t p r i s e en quelques


années le petit royaume des Saliens l'avait mis en
contact avec tous les p e u p l e s q u i se partageaient la
Gaule. Grâce à la c o n q u ê t e d e V e r d u n et d'une par-
tic de la Belgique première» il était devenu le voisin
des Mamans, et u n e l u t t e avec c e t t e nation belli­
queuse était i m m i n e n t e . Elle éclata en 496, la quin­
zième année d u règne de Clovis. S e n t a n t l'importan­
ce de lenjeu et c o n n a i s s a n t la v a l e u r de l'adversaire,
Clovis y avait engagé t o u t e s ses forces. Les F r a n c s
fléchirent et u n e d é b a n d a d e était imminente, dit
1
M. K u r t h . Clovis q u i c o m b a t t a i t à la tête des siens
ne pouvait p l u s les r a m e n e r à l'assaut. Alors s u r
le point de périr, a b a n d o n n é d e ses dieux qu'il avait

1. Clovis, p . 316.
104 LA CIVILISATION" CHRÉTIENNE EN FRANCE

i n v o q u é s vainement, il vit s u r g i r d e sa mémoire,


remplie des entretiens de Clotildc, la figure d u Christ,
v a i n q u e u r d e la mort, lui avait-elle dit, et le prince
d u siècle futur. 11 p o u s s a vers Lui c e cri : « Dieu
d e Clotildc, secours-moi d a n s m a détresse et je croi­
rai en loi. » À ce cri, la fortune d u c o m b a t fut brus­
q u e m e n t intervertie. L ' a r m é e f r a n q u e r e v i e n t à la
charge, les M a m a n s plient à leur t o u r , l e u r roi
s u c c o m b e d a n s la mêlée.
La j o u r n é e du P o n t Milvius avait clos les annales
d u inonde antique, celle-ci o u v r e les a n n a l e s du mon­
de m o d e r n e .
Le p r e m i e r soin d e Clotildc fut d e m a n d e r saint
R e m i p o u r p r é p a r e r Clovis au b a p t ê m e . U n e inquié­
tude s'éleva d a n s le c œ u r du roi. Qu'allaient dire ses
a n l r u s l i o n s ? Liés à sa p e r s o n n e p a r le lien sacré du
serment, obligés envers lui au d é v o u e m e n t le plus
absolu, ils ne pouvaient r e s t e r les a d o r a t e u r s de
W o d a n , alors qu'il allait être le fidèle d e Jésus-
Christ. Mais à peine l e u r adrcssa-l-il la p a r o l e que,
d'une seule voix ils s'écrièrent qu'ils abandonnaient
leurs d i e u x m o r t e l s et qu'ils p r e n a i e n t p o u r maître
le Dieu i m m o r t e l , q u e l e u r p r ê c h a i t Remi. P o u r le
reste de l'armée, elle n'eut pas à se p r o n o n c e r . De­
puis la c o n q u ê t e d e la Gaule r o m a i n e elle compre­
nait au m o i n s a u t a n t de chrétiens q u e de païens.
Le j o u r du b a p t ê m e d e Clovis et de ses hommes
fut fixé à la Nativité du divin R é d e m p t e u r .
La nuit de Noël, en Tan 196, - n o u s dit Raronius,
t r a n s m e t t a n t la tradition conservée p a r Ilincmar,
Surins, Marlot et autres, — « d a n s la chapelle du
palais dédiée à saint P i e r r e , saint Remi, Clovis et
sainte Clotildc é t a i e n t assis, e n t o u r é s des clercs qui
avaient a c c o m p a g n é le Pontife, et des officiers du
Roi et de la R e i n e Le prélat d o n n a i t a u Roi des en-
LA PRÉDILECTION DE DIEU SUR ELLE 105

seignements salutaires et lui i n c u l q u a i t les c o m m a n ­


dements évangéliques. P o u r confirmer la prédication
du saint évoque, Dieu v o u l u t m o n t r e r visiblement
ce qu'il dit à t o u s les fidèles : « Q u a n d deux ou trois
sont assemblés en m o n n o m , j e s u i s au milieu
d'eux. »
> Tout à c o u p , en effet, une a b o n d a n t e lumière,
plus éclatante q u e celle d u soleil, r e m p l i t toute l'a
chapelle et Ton entendit e n m ê m e t e m p s ces pa­
roles :
» LA PAIX SOIT AVEC v o u s . C ' E S T MOI, NE CRAIGNEZ
RIKN : DEMEUREZ DANS MON AMOUR.
* Puis, a p r è s ces paroles, la l u m i è r e d i s p a r u t et
une odeur d ' u n e i n c r o y a b l e suavité e m b a u m a le pa­
lais, afin de p r o u v e r avec évidence q u e l'Auteur
de la lumière, d e la paix et de la d o u c e u r y était
venu, car, r é v o q u e excepté, a u c u n des assistants
n'avait pu le voir, p a r c e q u ' i l s é t a i e n t éblouis p a r
l'éclat de la l u m i è r e . Sa s p l e n d e u r p é n é t r a le saint
Pontife, et la l u m i è r e q u ' i l r a y o n n a i t illuminait le
palais avec plus d'éclat q u e les flambeaux qui l'éclai­
raient...
> Un miracle digne des t e m p s apostoliques, p o u r
me servir des expressions d ' H o r m i s d a s , succéda à
cette apparition, c o m m e le r a p p o r t e n t Aimoin et
Hincmar, évêque de R e i m s ; j e v e u x p a r l e r de l'am­
poule du saint c h r o m e a p p o r t é e d u ciel p a r u n e
colombe, et- qui** servit à s a c r e r Clovis et, à son
1
exemple, tous les r o i s d e F r a n c e , ses s u c c e s s e u r s » .

1. Voici ce que raconte Hincmar : « On é t a i t au b a p -


tistère; le clore qui portait le chrême, arrêté par l a
foule, no put parvenir jusqu'aux f o n t s b a p t i s m a u x ; le
chrême allait manquer. Saint Kemi se m i t a u s s i t ô t e u
pruVos, et voici que, tout à coup, une colombe plus
blanche que la n e i g e apparut, portant dans son bec
une ampoule p l e i n e d'un chrême sacré, dont le v é n é -
106 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

P a r m i les défenseurs d e J e a n n e d'Arc a u procès


d e réhabilitation se distingua u n des p l u s saints évo-
q u e s q u e l'Eglise d e F r a n c e ait v u s d a n s les six
o u sept d e r n i e r s siècles, Elic d e B o u r d e i l l e s . Dans
son Mémoire il m o n t r e ainsi le s e n t i m e n t q u e Ton
avait à l'époque de la B i e n h e u r e u s e , d u b a p t ê m e de
Clovis et des obligations qu'il i m p o s e à l a France
et ix ses rois/:
« Les mérites de l a très s a i n t e e t merveilleuse
Clotildc, les p r i è r e s et les enseignements d o celte
l u m i è r e d u m o n d e , q u i est saint R e m y , convertirent
Clovis à lu foi. Il r e ç u t m i r a c u l e u s e m e n t le bap­
tême des m a i n s d e saint Remy. Il était a u baptis­
t è r e ; et le c h r ê m e faisant défaut, ô merveille! ô
ineffable c o n d e s c e n d a n c e d e la m i s é r i c o r d e de Dieu!
voilà q u ' u n e colombe a p p a r a î t p o r t a n t d a n s son
1
bec une a m p o u l e r e m p l i e d e chrême . Le Pontife
s'en sert p o u r o i n d r e le roi, et le vase s a i n t conservé
d a n s l'église de R e i m s fournit le c h r ê m e p o u r le

rab le évê(jue versa le c o n t e n u d a n s l e s fouts baptis-


maux ; à l'instant, so répandit une odeur plus suave
que tous les parfums qu'on a v a i t é p a n c h é s . »
T e l l e était, d è s l o IXo siècle, l a t r a d i t i o n rémoise.
Au sacre do n o s rois los f o n c t i o n s é t a i e n t faites avec
un chrême préparé sur l a p a t è n e d'or d u c a l i c e de saint
Itemi, a u q u e l ou a j o u t a i t une larme d u baume contenu
dans la S a i n t e - A m p o u l e , tirée à l'aide d'une aiguille
d'or.
L a Sainte A m p o u l e fut brisée le 8 octobre 1 7 9 3 , par
Philippe Riïhl, d é p u t é du l i a s - R h i n , sur l e socle de la
stal ue de L o u i s XV", place R o y a l e . Mais l a vcillo du
jour où sa dcsl ructiou fut décidée, M M. Sera i ne et
Ph. llourclle. ainsi que l e c o n s t a t e un -procès-verbal
authentique, tirèrent, à l'aide de l'ai'iniille d'or, le plus
qu'ils purent du baume miraculeux, FonlVrinèrout. dans
d u papier et le conservèrent. Ces f r a g m e n t s permirent
d e reconstituer l a s a i n t e Ampoule, qui fut employée
comme autrefois pour le sacre de Charles X .
LA PRÉDILECTION" D E D I E U S U R .ELLE 107

sacre des r o i s ses s u c c e s s e u r s ; m é m o r i a l p e r m a n e n t


à travers les âges, laissé à la m a i s o n d e F r a n c e ,
pour que ce pieux, h u m b l e et indélébile souvenir
la fasse r e n o u v e l e r d a n s la r é s o l u t i o n d e n e pas
offenser l e Seigneur son Dieu q u i Ta h o n o r é d ' u n
signe d e sa p a r t i c u l i è r e alliance; p o u r qu'elle soit
sans cesse sous s a main, p r o m p t e à l e servir, à
servir son Eglise, à r é v é r e r et à défendre ses m i ­
nistres. »
Mais r e p r e n o n s le r é c i t de B a r o n i u s .
C Par ces éclatants prodiges, p o u r s u i t le grand
historien d e TEglise, Dieu v o u l u t manifester clai­
rement d e q u e l poids (qiianiœ molis erat) était la
conversion d u r o i d e s F r a n c s et d e s o n peuple, *
baronius ajoute :
« Instruit de l a voie d e Dieu, l e r o i entra avec
la courageuse n a t i o n d e s F r a n c s p a r l a porte d e l a
lumière éternelle. Elle crut au Christ et devint u n e
ł
nation sainte, u n p e u p l e d acquisition afin q u ' e n
elle fût annoncée la puissance d e C E L U I qui les appela
1
des ténèbres a son a d m i r a b l e l u m i è r e * .
C'est une légende, dira-t-on; m a i s Dieu ne peut-
il faire des p r o d i g e s ? N'avait-il point u n e r a i s o n
suffisante d'en faire p o u r c o n s a c r e r et engager à
son service le p e u p l e d o n t il v o u l a i t faire son b r a s
droit? Et enfin, c o m m e n t n i e r u n prodige r a c o n t é
par de graves e t saints h i s t o r i e n s , implicitement
affirmé \mr le témoignage d u p a p e H o r m i s d a s q u i
écrit à. saint R e m i q u e des m i r a c l e s égaux à ceux
des temps apostoliques éclatèrent en F r a n c e , con­
firmés par la Sainte Ampoule et le d o n d e guérir
les écrouelles! Ajoutons q u e ce témoignage fut pour
ainsi dire scellé p a r le Christ .lui-incme, lorsqu'il

1. T. VI, p . 4 C 4 . Année 400, XVIII.


108 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

appela plus t a r d le r o i d e F r a n c e : « Je fils aîné de


son C œ u r sacré ».
« À d a t e r de là, dit Mgr Pie, u n e g r a n d e nation,
une a u t r e tribu d e J u d a c o m m e n ç a d a n s le monde.
Les pontifes d e l i o m c , d'accord avec les évêques de
Gaule, n e s'y m é p r i r e n t point. A t r a v e r s l'obscu­
rité profonde q u i l e u r avait si l o n g t e m p s et si
d o u l o u r e u s e m e n t voilé le m y s t è r e d e l'avenir, ils
saluèrent a u s s i t ô t l'astre n o u v e a u q u i s e levait en
Occident, et ils c o n ç u r e n t des présages q u i n'étaient
point t r o m p e u r s . »
Un historien, d e ceux q u i sont les m o i n s disposés
à voir d a n s les é v é n e m e n t s h u m a i n s l'intervention
divine, M. T h . Lavalléc, a dit également :
« La conversion de Clovis fut u n i m m e n s e évé­
n e m e n t ; elle c o m m e n ç a la g r a n d e u r des F r a n c s et
d e la Gaule. Dès ce moment, ce pays devient le cen-
tre du catholicisme, de la civilisation et du progrès.
Dès ce moment, il prend la magistrature de F Occident
qu'il n'a pas cessé d'exercer. »
Les p a p e s e t l e s évêques e n t r e v i r e n t dès les pre­
miers j o u r s cette glorieuse c a r r i è r e e t la prophéti­
sèrent.
Le pape Anastase II écrivit à Clovis :
« Nous l o u o n s Dieu q u i a tiré de l a puissance
des ténèbres un si g r a n d p r i n c e , A F I N D E POURVOIR
L ' E < ; L I S E D'UN DÉFENSEUR, et l'a o r n é d u casque
d u s a l u t p o u r c o m b a t t r e ses p e r n i c i e u x adversai­
res. Courage d o n c , c h e r et glorieux fils, afin d'atti­
r e r s u r votre sérénissime p e r s o n n e et s u r votre
r o y a u m e la protection céleste d u Dieu tout-puissant;
qu'il o r d o n n e à ses anges de vous g a r d e r dans
toutes vos voies, et v o u s d o n n e p a r t o u t lu victoire
s u r vos ennemis »

1. Nous devons dire que la lettre du pape Anastase II


LA P R É D I L E C T I O N D E D I E U S U R E L L E 109

< El saint R e m i , a v a n t d e m o u r i r , dit Baronius,


inspiré p a r l'Esprit-Saint, à l a façon des patriar­
ches, d o b n a à l a F r a n c e u n e b é n é d i c t i o n consignée
dans son testament, confirmée p a r la signature des
évëques (saint Vaast, s a i n t Medard, saint L o u p , etc.),
et dont voici les t e r m e s :
« Si mon Seigneur Jésus-Christ daigne écouter
la prière q u e j e fais c h a q u e j o u r p o u r la maison
royale, afin q u ' e l l e persévère d a n s la voie o ù j ' a i
dirigé Clovis P O U R L ' A C C R O I S S E M E N T D E L A S A I N T E
E G L I S E D E D I E U , puissent les b é n é d i c t i o n s q u e l'Es­
prit-Saint a versées s u r sa tête p a r m a main péche­
resse s'accroître p a r ce m ê m e E s p r i t s u r la tête
de ses successeurs! Que de lui s o r t e n t des rois et des
empereurs qui feront la volonté du Seigneur pour
F accroissement de la Sainte Eglise et q u i seront, p a r
sa puissance, c o n f i r m é s et fortifiés d a n s la j u s t i c e !
Puissent-ils c h a q u e j o u r a u g m e n t e r l e u r r o y a u m e ,
le conserver et mériter de r é g n e r éternellement avec
le Seigneur d a n s la J é r u s a l e m céleste! »
Saint Avitus, évêque d e Vienne, q u i n'avait p u
assister au b a p t ê m e d e Clovis, l u i écrivit aussi u n e
lettre « o ù l'on n e sait, dit M. Godefroid Kurth, ce
qu'il faut a d m i r e r le plus, d e l'élévation d u lan­
gage, de la justesse d u c o u p d'oeil o u d e l'inspiration
sublime de la pensée » : t . . . D e t o u t e v o t r e anti­
que généalogie, v o u s n'avez r i e n v o u l u conserver
que votre noblesse, et v o u s avez v o u l u q u e votre
descendance fît c o m m e n c e r à vous toutes les gloires

à Clovis, bien q u e n e portant a u c u n caractère intime d e


supposition ( e l l e e s t d'ailleurs trop courte pour offrir
beaucoup de prise à l a c r i t i q u e ) , d o i t être tenue pour
suspecte à cause de sa provenance. E l l e est, en effet,
rapportée par le savant J é r ô m e Viguier, auteur de plu­
sieurs documents fabriqués. (Voir Clovis, par M. Gode-
froid Kurth.)
e
La Mission de la B ' Jeanne d'Arc. 8
110 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

q u i o r n e n t u n e h a u t e naissance. Vos a ï e u x vous ont


p r é p a r é de grandes d e s t i n é e s ; v o u s avez v o u l u en
p r é p a r e r d e plus g r a n d e s à ceux q u i viendraient
a p r è s vous... P u i s q u e Dieu, grâce à vous, va faire
de votre peuple le sien tout à fait, e h b i e n ! offrez
u n e partie d u trésor d e foi qui r e m p l i t v o t r e cœur
à ces peuples assis au delà de vous, et q u i , vivant
d a n s leur ignorance n a t u r e l l e , n ' o n t p a s encore été
c o r r o m p u s p a r les doctrines p e r v e r s e s (rarianisine);
n e craignez pas d e l e u r e n v o y e r des a m b a s s a d e u r s
et plaidez a u p r è s d'eux la cause d e Dieu q u i a tout
fait p o u r la vôtre. »
('/est, dit M. K u r t h , le p r o g r a m m e d u p e u p l e franc
q u i est ici formulé. P o u r qui, à q u a t o r z e siècles
de distance, voit se d é r o u l e r d a n s l e passé le rôle
historique de ce peuple, alors e n v e l o p p é d a n s les
ténèbres d e l'avenir, il semble q u ' o n entende un
Voyant d'autrefois p r é d i r e la mission d ' u n peuple
d'élus. L a n a t i o n f r a n q u e s'est c h a r g é e , p e n d a n t des
siècles, d e r é a l i s e r le p r o g r a m m e d'Avitus : elle a
porté l'Evangile aux peuples païens, et, a r m é e à la
fois de la croix et de l'épée, elle a m é r i t é que ses
travaux fussent i n s c r i t s dans l'histoire sous ce litre:
A
GESTA DEI PEU FIIANCOS .

Un poète i n c o n n u a inscrit eu tétc d e la loi sali-


q u e l ' h y m n e d e la nativité de ce g r a n d peuple :
« Vive le Christ q u i aime les F r a n c s ! qu'il garde leur
royaume, qu'il r e m p l i s s e leurs chefs d e la lumière
de la grâce, qu'il protège l e u r a r m é e , qu'il leur
accorde l'énergie de la Foi, qu'il l e u r concède pnr
sa clémence, l u i le Seigneur des seigneurs, la joie
de la paix et des j o u r s pleins de félicitéI Car cette
nation est celle qui, b r a v e et vaillante, a secoué
de ses épaules le j o u g très d u r des R o m a i n s , et c e 4

1. Clovis, p. 355.
VOCATION D E LA FRANCE 111

eux, les F r a n c s qui, a p r è s a v o i r professé la foi et


reçu le b a p t ê m e , o n t enchâssé d a n s Tor et dans les
pierres précieuses les c o r p s des saints m a r t y r s , q u e
les Romains avaient brfilés p a r l e feu, mutilés p a r le
fer ou livrés a u x d e n t s des bêtes féroces. » Ces
paroles, dit M. K u r t h , sont le c o m m e n t a i r e le plus
éloquent et le p l u s clair du g r a n d acte du 23 dé­
cembre 490.

CHAPITRE XXIII

LA VOCATION DE LA FRANCE.

Tous les historiens sont d'accord p o u r considé­


rer Clovis c o m m e le f o n d a t e u r de l'unité française.
Avant lui, les F r a n c s étaient p l u t ô t c a m p e s qu'éta­
blis sur les t e r r e s c o n q u i s e s , l e u r d o m i n a t i o n ne
s'exerçait que d a n s des limites indécises, marquées
par leurs i n c u r s i o n s .
Clovis a n é a n t i t c e qui r e s t a i t d a n s les Gaules
de domination r o m a i n e , r é u n i t t o u s les F r a n c s sous
sa loi et o p p o s a u n e b a r r i è r e a u x invasions. Les
(lallo-Romains, déjà chrétiens, le r e g a r d è r e n t c o m m e
un libérateur; son a u t o r i t é fut r e c o n n u e du Rhin
à l'Océan et s'étendit bientôt j u s q u ' a u x Pyrénées.
La nation française était fondée.
A considérer ses origines que n o u s venons d e
rappeler, puis le rôle qu'elle a tenu d a n s l'histoire,
— Cluvis bat les Ariens, Charles-Martel les Arabes,
Charlcmagne les L o m b a r d s , Monlfort écrase les Albi­
geois, b s Guise et la Sainte Ligue t r i o m p h e n t du p r o -
112 LA. CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

testantismc, et a u j o u r d ' h u i p a r m i les missionnaires,


c e s o n t c e u x q u i s o n t sortis d u c œ u r d e la Fran­
c e q u i poussent le p l u s l o i n les c o n q u ê t e s de
l'Eglise d a n s les p a y s infidèles : il est bien vrai ce
m o t de l'histoire Gęsta Dci per Francos, — à consi­
d é r e r tout cela, o n p e u t a f f i r m e r qu'elle a une
vocation c h r é t i e n n e , c'esl-a-dire, q u ' e l l e est provi­
dentiellement destinée à m a i n t e n i r et à défendre
p a r m i l e s n a t i o n s l'existence e t les d r o i t s d e l'E­
glise, à établir d a n s le m o n d e le r è g n e d u Roi des
r o i s , N o t r e - S e i g n e u r Jésus-Christ.
€ La g r a n d e u r h i s t o r i q u e d u p e u p l e franc, dit
M. K u r t h , vient tout e n t i è r e d u c h o i x fait de ce
peuple p a r la volonté t r a n s c e n d a n t e q u i a créé le
m o n d e m o d e r n e . A l ' a u r o r e de ce m o n d e il a été
a p p e l é et il a r é p o n d u à F appel. Il a m i s sa main
dans la m a i n d e TEglisc c a t h o l i q u e , il a été son
disciple et p l u s t a r d son énergique défenseur, et il
a reyu de ses mains le flambeau de la vie p o u r le
1
p o r t e r à travers les n a t i o n s » .

1. On sait l a d o c t r i n e d e Claude Bernard sur l a vie :


« Co qui est e s s e n t i e l l e m e n t du d o m a i n e d e l a Vie,
c e qui n'appartient ni à la physique, ni à l a chimie,
ni à rien autre chose, c'est l'idée directrice d e cette
é v o l u t i o n v i t a l e . . . D a n s t o u t germe v i v a n t , il y a une
idée créatrice qui s e développe et se m a n i f e s t e par l'or-
g a n i s a t i o n . P e n d a n t toute s a durée, l'être v i v a n t reste
sous l'influence d e c e t t e môme force vitale créatrice, et
l a mort arrive lorsqu'elle ne peut plus se réaliser...
C'est toujours c e t t e même idée vitale qui conserve l'être
e n r e c o n s t i t u a n t les parties v i v a n t e s , désorganisées
par l'exercice ou détruites par l e s a c c i d e n t s e t l e s mala-
d i e s . . . » (Voir Y Introduction à la médecine expérimen-
tale, chez M. Levé, 17, rue C a s s e t t e . ;
M. l'abbé d e P a s c a l a constaté ave" quelle surprenante
exactitude cette formule s'applique a u x grandeurs et aux
décadences d e s n a t i o n s . Passez de l'ordre de l a biologie
dans l'ordre de l'histoire, e t lisez ceci : « U n peuple,
VOCATION DE LA FRANCE 118

Nous avons e n t e n d u ci-dessus les paroles adres­


sées à Clovis p a r saint Rémi, p a r le pape Anastase
et par* saint Àvitus. La mission q u e ces saints p e r ­
sonnages d é c l a r è r e n t ê t r e celle de la F r a n c e fut
confirmée et r e n o u v e l é e p a r L é o n III c o u r o n n a n t
Charlcmagnc, p a r Grégoire IX p a r l a n t à saint Louis
et de nos j o u r s , p o u r n e p o i n t en c i t e r d'autres, p a r
Léon XIII.
c Le Fils de Dieu, dit Grégoire IX, dont le m o n d e
entier exécute les lois e t a u x désirs duquel les
armées célestes s'empressent d'obéir, a établi s u r la
terre divers r o y a u m e s et divers g o u v e r n e m e n t s p o u r
l'accomplissement des célestes conseils. Mais com­
me autrefois, e n t r e les t r i b u s d'Israël, la tribu d e
Juda reçut des privilèges t o u t p a r t i c u l i e r s , ainsi le
royaume de F r a n c e a été d i s t i n g u é e n t r e tous les
peuples de la t e r r e p a r u n e p r é r o g a t i v e d ' h o n n e u r
et de grâce.
» De m ê m e q u e cette t r i b u n'imita j a m a i s les
autres dans l e u r apostasie, m a i s vainquit, au c o n ­
traire, en m a i n t s c o m b a t s , l e s infidèles, ainsi le

c'est une création c o n t i n u é e . Ce qui e s t essentiellement


du domaine d e ce peuple, c e qui n'appartient à aucun
autre, c'est Vidée directrice d e s o n é v o l u t i o n nationale...
Dans tout p e u p l e vivant, i l y a u n e idée créatrice qui
se développe- e t se m a n i f e s t e par l'organisation. P e n -
dant toute s a durée, c e peuple reste sous l'influence
de cette morne force nationale créatrice, et s a mort
arrive, lorsqu'elle n e peut plus se réaliser... C'est t o u -
jours cette m ê m e idée nationale qui conserve ce peuple,
on reconstituant l e s parties v i v a n t e s , désorganisées par
îes abus ou détruite** par les a c c i d e n t s extérieurs e t l e s
révolutions... » I l n'y a pas d a n s c e t t e série d'affirma-
lions une vérité qui ne soit d'observation historique, de
même qu'il n'y a v a i t pas une vérité, d a n s la série des
affirmations d e Bernard, qui n o fût d'expérience biolo-
gique. Ce n'est qu'un p a r a l l é l i s m e , mais de quelle
portée !
114 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

r o y a u m e de F r a n c e n e p u t j a m a i s être é b r a n l é dans
s o n d é v o u e m e n t à Dieu et à L F g l i s e ; j a m a i s il n'a
laissé p é r i r dans s o n sein l a l i b e r t é ecclésiastique;
j a m a i s il n ' a souffert «fin; la foi c h r é t i e n n e perdit
s o n énergie p r o p r e ; bien plus, p o u r la c o n s e r v a t i o n
d e c e s biens, r o i s et p e u p l e s n ' o n t p a s hésité à
s'exposer à toutes s o r t e s de d a n g e r s et u verser leur
sang.
» Il est d o n c manifeste q u e c e r o y a u m e béni de
Dieu a été choiri p a r n o t r e R é d e m p t e u r p o u r être
l'exécuteur spécial de ses divines volontés. Jésus-
Christ Ta pris en sa possession c o m m e u n c a r q u o i s
d ' o ù il tire f r é q u e m m e n t des flèches choisies, qu'il
l a n c e avec la force irrésistible de s o n b r a s , j>our
la p r o t e c t i o n de la l i b e r l é cl de la foi de l'Kglisc,
le c h â t i m e n t des impies et la défense de la juslicc »
Avant Grégoire IX, I f o n o r i u s TIF avail a p p e l é la
F r a n c e * Je m u r i n e x p u g n a b l e de la e h r é l i e n l é »;
I n n o c e n t Ï1I avait dit : « l x s t r i o m p h e s de la Fran­
ce s o n t les t r i o m p h e s d u Siège a p o s t o l i q u e »; cl
Alexandre III : « La F r a n c e est u n r o y a u m e béni
de Dieu d o n t l'exalta lion est i n s é p a r a b l e d e colle
du Saint-Siège ».
P o u r a b r é g e r , venons-en a Léon XIII q u i résu­
m e ainsi n o t r e h i s t o i r e : « L a très n o b l e nation
française, p o u r les g r a n d e s c h o s e s qu'elle a accom­
plies dans la paix et d a n s la g u e r r e , s'est acquis
e n v e r s l'Fglise c a t h o l i q u e des mérites et des litres
à u n e r e c o n n a i s s a n c e i m m o r t e l l e et à u n e gloire
q u i n e s'éteindra jamais ». —• « A m e s u r e q u e l l e
progressait dans la foi c h r é t i e n n e , o n la voyait
mouler graduellement à celle g r a n d e u r morale
q u e l l e atteignit c o m m e puissance p o l i t i q u e et mili-

1. Labl e. Collection des Covcils, t. X I V . p. 2GG.


VOCATION D E LA F R A N C E 115

taire. > — « De t o u t t e m p s , la Providence s'est


piu ii confier a u x b r a s vaillants de la F r a n c e la
défense de l'Eglise, et q u a n d elle la voyait s'ac­
quitter fidèlement de sa mission, elle n e m a n q u a i t
pas de la r é c o m p e n s e r p a r u n e augmentation de
gloire et de p r o s p é r i t é . À b ! n o u s le demandons au
Ciel avec i n s t a n c e , puisse la F r a n c e d'aujourd'hui,
par sa foi religieuse, se m o n t r e r digne de la F r a n c e
du passé! Puisse-t-cllc r e s t e r fidèle a u x grandes tra­
1
ditions de son histoire , et travailler ainsi à sa véri­
1
table g r a n d e u r ! » .
Fidèle, clic l'est toujours, elle, m a l g r é ses gouver­
nants actuels. Mgr Pcnon le constatait avec une fier­
té pleine d'espérance d a n s le p a n é g y r i q u e de la Bien­
heureuse, p r o n o n c é à Orléans, aux fêtes de 1913.
• Même l o r s q u ' e l l e o u b l i a i t plus o u moins dans
ses agitations i n t é r i e u r e s ses t r a d i t i o n s chrétiennes,
la France est r e s t é e fidèle au d e h o r s à celle mis­
sion providentielle si bien identifiée avec tous ses
intérêts, q u ' à défaut de l a foi, l'instinct national
a suffi p o u r m a i n t e n i r d a n s cette voie ses h o m m e s
d'Etat. Aux j o u r s les plus s a n g l a n t s de n o s discor­
des, lorsque le culte catholique était proscrit s u r
le sol français, la Convention elle-même, protégée
par cet instinct d u p a t r i o t i s m e c o n t r e la logique de
l'impiélé, o r d o n n a i t à ses consuls e t à ses agents
à l'étranger de protéger é n e r g i q u e m e n t , dans les
régions lointaines, les m i s s i o n n a i r e s catholiques,
parce que c'est là p a r t o u t la clientèle de la F r a n c e .
» Celle fidélité séculaire, cette fraternité tradition­
nelle de n o s officiers, de n o s m a r i n s et d e nos sol­
dats avec n o s apôtres, n o t r e é p o q u e les a vues et

1. Enoyc. Noh'disshna Gał larum pen.?. — E n c y c . An


milieu des sollicitudes. — Discours aux pèlerins français,
S mai 1 8 8 1 .
116 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

les voit e n c o r e s'affirmer avec éclat. N o s rivaux


e u x - m ê m e s le c o n s t a t e n t . U n g o u v e r n e u r anglais
p r o c l a m a i t , il y a q u e l q u e s a n n é e s , d a n s l'île de
Malte cette gloire h i s t o r i q u e de n o t r e p a y s en des
t e r m e s q u i devraient faire réfléchir t o u s les vrais
F r a n ç a i s et faire r o u g i r les p r e s c r i p t e u r s e t les
s e c t a i r e s : « C'est le p r o t e c t o r a t religieux de la
» F r a n c e , disait-il, q u i fait e n c o r e d'elle la pre-
» m i è r e n a t i o n du m o n d e ».
» Et il avait bien r a i s o n de le d i r e . Tous les
instincts d e P â m e h u m a i n e le p r o c l a m e n t haute­
ment : Au-dessus des p e u p l e s m a r c h a n d s c o m m e les
P h é n i c i e n s de l'antiquité, au-dessus m ê m e des peu­
ples p u r e m e n t d o m i n a t e u r s c o m m e le peuple roi
d e la vieille Rome, à qui son poète disait : « Tu
regere imperia populos, Romane, memento, Romain,
souviens-toi q u e tu es fait p o u r c o m m a n d e r aux
n a t i o n s », s'élèvera t o u j o u r s le p e u p l e , q u i sans
négliger les intérêts de son c o m m e r c e , s a n s dédai­
gner le n o b l e et légitime o r g u e i l a t t a c h é au pres­
tige des a r m e s , a u r a p o u r idéal s u p é r i e u r l'exten­
s i o n et la défense d e la civilisation c h r é t i e n n e , la
s e u l e vraie.
» C'est l'idéal que n o u s a tracé le p r o p h è t e et qui
s'est réalisé à n o t r e é p o q u e p l u s q u e j a m a i s . < Vous
direz a u x peuples e n c h a î n é s : Secouez l e s chaînes
d e l'esclavage, dices his qui vi net i sunt : exile ».
E t n o s soldats, a p r è s a v o i r d é t r u i t en Algérie le der­
n i e r r e p a i r e de la b a r b a r i e s u r les c ô t e s méditerra­
n é e n n e s , abolissaient n a g u è r e au D a h o m e y les héta-
combes humaines.
« Vous direz à ceux qui s o n t d a n s les ténèbres :
o u v r e z vos yeux a la l u m i è r e : Et his qui in tene-
bris sunt, révéla mi ni ». F t s u r le sol d e la France
n a i s s e n t et grandissent, avec des légions d e pré-
VOCATION DE LA FRANCE 117

très et de religieuses missionnaires, les plus gran­


des œuvres d'apostolat : la Propagation de la foi,
création d'une o u v r i è r e , h u m b l e é m u l e de J e a n n e
d'Arc; l'œuvre antiesclavagiste, création du cardi­
nal Lavigerie, q u i a été u n des p l u s grands civi­
lisateurs du m o n d e c o n t e m p o r a i n .
» Que sont allées faire n o s troupes françaises en
conquérant à la p a t r i e le T o n k i n , a r r o s é du sang
de nos missionnaires, l a Tunisie, o ù est mort saint
Louis, Madagascar, l'île immense s u r laquelle Riche­
lieu avait jeté l e dévolu de n o t r e p a y s et q u ' o n
appelait dès l o r s la F r a n c e o r i e n t a l e , o ù saint Vin­
cent de Paul avait envoyé ses p l u s c h e r s enfants
auxquels, la veille de son d é p a r t p o u r le ciel, il
adressait sa d e r n i è r e l e t t r e ? E t a u j o u r d ' h u i , pour­
quoi la F r a n c e va-t-elle a c h e v e r a u M a r o c sa con­
quête africaine?
» Partout n o s officiers et n o s soldats, e n o u v r a n t
des voies n o u v e l l e s à n o t r e i n d u s t r i e et à notre
commence, o u v r e n t aussi des voies plus larges et
plus sûres au zèle de n o s m i s s i o n n a i r e s et à la
lumière c a t h o l i q u e . E t voyez c o m m e d a n s ces con­
quêtes c o n t e m p o r a i n e s se r é u n i s s e n t , à travers l e
temps et l'espace, en v e r t u d e n o t r e mission na­
tionale, les gloires les plus diverses d e la p a t r i e :
saint Louis, Richelieu, Vincent de P a u l , la vaillance
de nos soldats, et flottant au-dessus d e ces grandes
choses l e s o u v e n i r de J e a n n e d'Arc, n'est-ce pas
toute la F r a n c e ?
» Jésus! Maria! — A h ! ces n o m s sacrés gravés
sur l'étendard d e la g r a n d e h é r o ï n e jetés par elle
au dernier m o m e n t , n o n s e u l e m e n t c o m m e u n e su­
prême p r i è r e vers le ciel, mais c o m m e u n e suprê­
me bénédiction, u n e s u p r ê m e r e c o m m a n d a t i o n à la
France, la F r a n c e les i n v o q u e r a de plus en plus.
118 LA CIVILISATION CHRETIENNE EN FRANCE

E n glorifiant s o n i n c o m p a r a b l e l i b é r a t r i c e , elle se
laissera i m p r é g n e r de t o u s les s e n t i m e n t s d e son
c œ u r ; elle lui dira, n e s é p a r a n t p l u s j a m a i s son
p a t r i o t i s m e de sa foi : « T o n p e u p l e , c'est mon
peuple, populus luus, populus meus ; e t t o n Dieu
sera toujours m o n Dieu, Dens tmis, Dens meus. »

CHAPITRE XXIV

LA FRANGE ACGEPTE SA MISSION.

Dès les p r e m i e r s j o u r s . la F r a n c e c o m p r i t ce que


Dieu demandait d e l i e . Kile le témoigna d ' a b o r d d.uis
1
la loi saliquc d o n t voici h p r e m i e r p r o l o g u e :
' L'illustre iTalion des Francs, constituée pktr la
main tic Dieu, forle dans la g u e r r e , ferme d a n s los
traités de paix, p r o r o n d e d a n s le conseil, d ' u n e nob!c
s t a t u r e , d ' u n e b e a u t é p r i m i l i v e de s a n g et d e forme,
pleine de c o u r a g e , de p r o m p t i t u d e et d'élan, con-
vertie récemment à la foi ctlholùpic et exemple (Vhé-
résie; lorsqu'elle était e n c o r e d a n s l'étal barbare,
c h e r c h a n t la science sons l'inspiration de Dieu, dési­
r a n t la justice et g a r d a n t la piété selon ses mœurs,
dicta la loi snliqur p a r l'organe des g r a n d s , ses
chefs élus p a r m i p l u s i e u r s , d u n o m de Wisogast,
l'odognst, Salegast, Wodogast, lesquels, d a n s trois
assemblées réunies aux lieux appelés Sa'achrm, Bo-
tlorhcn et Widcchcm* a p r è s a v o i r discuté soigneuse­
m e n t les origines de toutes les causes et traité de
LA FRANCE ACCEPTE SA MISSION llfl

chacune en p a r t i c u l i e r , d é c r é t è r e n t le jugement sui­


vant.
» Mais dès que, "par la grace de Dieu, le roi des
Francs, grand et invincible, Clovis, eût reçu le b a p -
h'mc catholique, c e q u i ne c o n v e n a i t plus dans le
pacte fut l u c i d e m e n t c o r r i g é tant p a r le roi vain­
queur que p a r C h i l d e b e r t et Clo taire. « V I V E L E
» C I Ï I U S T Q U I A I M E L E S F R A N C S »! Que le Seigneur
Jésus-Christ g a r d e l e u r r o y a u m e et remplisse les
chefs de sa l u m i è r e et de sa g r â c e ; qu'il protège
leur armée, s o u t i e n n e l e u r foi et a c c o r d e à leur
piété la joie, le b o n h e u r , la paix et la durée de
leur domination!
> C'est cette r a c e d ' h o m m e s , en effet qui, peu
nombreuse e n c o r e , mais vaillante et forte, secoua
dans les c o m b a t s et rejeta de sa tête le j o u g si d u r
des Romains; ce s o n t les F r a n c s qui, après l e u r
admission au b a p t ê m e , r e c h e r c h è r e n t et couvrirent
d'or et de p i e r r e s précieuses les c o r p s des saints
martyrs que 1rs R o m a i n s avaient m u t i l é s par le
fer, livrés a u x flammes ou jetés aux bêtes féroces
pour être dévorés. »
Vn peu p l u s tard, l'Eglise de F r a n c e demanda,
dans l o b l a t i o n m ê m e du saint sacrifice, la grâce
pour les F r a n ç a i s de t o u j o u r s faire les œ u v r e s que
sa vocation lui i m p o s e :
« Dieu tout-puissant e t éternel, qui, p o u r servir
d'instrument à votre divine volonté clans le mon­
de, et pour le t r i o m p h e et la défense d e votre sainte
Eglise, avez établi l'empire des F r a n c s , éclairez tou­
jours et p a r t o u t l e u r s fils de vos divines lumières,
afin qu'ils voient ce qu'ils doivent faire p o u r éta­
blir votre règne d a n s le m o n d e , et q u e , persévérant
dans la charité et d a n s la force, ils réalisent ce qu'ils
120 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

a u r o n t vu devoir faire. P a r N o t r e - S e i g n e u r Jésus-


Ł
Christ... » .
Ce n'est pas seulement au saint autel q u e l a Fran­
ce p o r t a i t ce s e n t i m e n t i n n é de sa s u b l i m e mission.
D a n s l u n e de ses c h a n s o n s de geste, elle se glori­
fiait de ce que Dieu bût fait c o u r o n n e r p a r les
anges son p r e m i e r roi p o u r être son sergent.

L e premier roi dé F r a n c e fit D i e i x par s o n command,


Couronner à ses a n g e s d i g n e m e n t e n c h a n t a n t .
P u i s l e c o m m a n d a ê t r e e n terre son s e r g e n t .

D a n s le m y s t è r e d'Orléans, elle-même se définis­


sait ainsi :

C'est le royaume qui soutient


Chrétienté et. l a m a i n t i e n t !

L ' u n de ses dictons m a r q u a i t la nécessité de Pu-


n i o n du sacerdoce et du r o i , ou, c o m m e on dit
a u j o u r d ' h u i , d e l'Eglise et de PEtat, p o u r l'accom­
plissement de celte mission, et les m a l h e u r s qui
r é s u l t e r a i e n t de l e u r s é p a r a t i o n :

Mariage en d e bons devis,


D e l'Eglise e t do fleurs de l i s ,
Quand l'un d e l'autre partira,
Chacun d'eux s'en ressentira.

H é l a s ! a u j o u r d ' h u i n o u s n e n o u s r e s s e n t o n s que
t r o p de ce divorce : P E t a t aussi bien q u e l'Eglise
de F r a n c e !
Les m o n n a i e s q u e les r o i s faisaient graver, et
q u e le peuple avait j o u r n e l l e m e n t e n m a i n s , étaient
faites, n o u s le v e r r o n s plus loin, a v e c l'intention
m a r q u é e de m a i n t e n i r d a n s le p u b l i c l a pensée du
1. Cette prière e s t tirée d'un missel du ÏX« siècle,
qu'on fait remonter jusqu'au V i l e s i è c l e , ( l ) o m Pitra,
Histoire de saint Léger, Introduction, p. X X I I .
LA FRANCE ACCEPTE SA MISSION 121

rôle dévolu à la F r a n c e et de le p o r t e r à en r e n d r e
grâces au divin Roi.
Tels sont nos o r i g i n e s , n o s t r a d i t i o n s , les litres de
noblesse qui n o u s m i r e n t à la tête des nations.
Dès ses p r e m i e r s j o u r s , la F r a n c e remplit le rôle
qui lui avait été ainsi assigné. L e s E t a t s b a r b a r e s
qui s'étaient fondés a u x dépens de l ' E m p i r e r o m a i n
professaient tous r a r i a n i s m e et l ' e m p i r e d'Orient
suivait les e r r e u r s d'Eutycliès. L e s P a p e s t o u r n è ­
rent leur r e g a r d a v e c confiance et a m o u r vers la
nation française; cette confiance n e fut pas t r o m ­
pée; aussi le P a p e Anastase conféra à ses chefs
le titre de rois très chrétiens, la F r a n c e p u t être
appelée la F i l l e aînée de l'Eglise, e t l'histoire a
proclamé les Gestes de Dieu par la France.
De fait l'Eglise d a n s sa c o u r s e à t r a v e r s les siè­
cles, a r e n c o n t r é t r o i s p r i n c i p a u x a d v e r s a i r e s : l'a­
rianisme, r i s l a m i s m e et le p r o t e s t a n t i s m e .
L'arianisme était favorisé p a r les fils de Cons­
tantin et il s ' i m p l a n t a p a r m i les c o n q u é r a n t s b a r ­
bares de l ' E m p i r e r o m a i n . L'épée victorieuse de Clo­
vis lui porta un c o u p d o n t il ne s'est j a m a i s relevé.
e e
Aux VII e t V I I I siècles M a h o m e t e t ses succes­
seurs poursuivirent le n o m c h r é t i e n a v e c fureur et
fondèrent un e m p i r e q u i semblait d e v o i r a b s o r b e r
tous les autres. L'épée des F r a n c s , m a n i é e p a r Char­
les Martel s'abattit s u r les A r a b e s d a n s les c h a m p s
de Poitiers et m i t fin à l e u r s c o n q u ê t e s . Plus tard
celte même épée dans les m a i n s de Godefroy de
Bouillon, de saint L o u i s et enfin de Charles X com­
battit le fanatisme m u s u l m a n j u s q u ' a u x rivages d'A­
frique et d'Asie.
e
Au XVI siècle, le p r o t e s t a n t i s m e se m o n t r a aussi
militant que l a v a i t été r i s l a m i s m e . L e d a n g e r fut
grand en F r a n c e . Mais bientôt une ligue, où entré-
122 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

r e n t clergé, grands et peuple, s'organisa p o u r la


d é f e n s e ; la foi fut sauvegardée chez n o u s , et l'Eglise
p u t c o n s e r v e r les r o y a u m e s qui lui avaient été tou­
j o u r s les p l u s fidcL'S.
De n o s j o u r s , la F r a n c e r é v o l u t i o n n a i r e s'esl in­
s u r g é e c o n t r e Dieu et c o n t r e s o n Christ et s'est faïle
l ' a p ô t r e du libéralisme, c'est-à-dire de l'affranchis­
s e m e n t du joug divin, d a n s les d e u x m o n d e s ; mais
Pie IX, Léon XIII et Pie X n ' o n t pas cessé de met­
t r e en elle leur confiance et d o b a s e r s u r elle l'espoir
d ' u n e r é n o v a t i o n universelle, de t o u t et e n tous.
Ce l i v r e n'a d'autre b u t q u e de p r o p a g e r c e t t e con­
fiance en disant ce s u r q u o i elle s'appuie.
Cette pensée, n o u s oserions presque d i r e celle
conviction est partagée p a r tous les p e u p l e s , et cela,
m a l g r é l'état de d é g r a d a t i o n o ù n o t r e apostasie nous
a plongés.
E n t r e autres preuves d o n n é e s d a n s l e livre Le
Problème de Vhcure présente, citons les notes de
voyage de M. Buigny d'IIuyencc, p u b l i é e s en 18ÏJ0
s o u s c e titre De Paris en Transsytvanie. Il y raconte
une e n t r e v u e qu'il eut à F r i r e d avec M. Lonkay,
r é d a c t e u r d u Magyar Allant, le g r a n d j o u r n a l ca­
t h o l i q u e de la H o n g r i e , q u i lui dit : « Au milieu
des événements politiques de n o t r e é p o q u e q u e mon
métier de publiciste m e force à é t u d i e r tous les
j o u r s , il y a deux points que j e ne p e r d s j a m a i s de
vue, la P a p a u t é et la FYance.
» La F r a n c e m'a t o u j o u r s p a r u le p a y s choisi
d e Dieu p o u r défendre les droits d e s o n Eglise;
je vois tantes les nations chrétienne* compter sur
elle et attendre d'elle le saint... J e i v d o u t c la lutte
q u e vous aurez tôt o u l a r d à s o u t e n i r c o n t r e l'Alle­
magne. La guerre e n t r e l'empire a l l e m a n d et la
F r a n c e est d u n e nécessité inévitable... La lutte sera
LA FRANCE ACCEPTE SA MISSION 123

terrible. Ce s e r a u n duel à mort. Si l a F r a n c e avait


un chef, se disant c o m m e saint L o u i s « le sergent
du Christ », j e n e c r a i n d r a i s rien p o u r elle... Mais
Ja France a c h a s s e Dieu de ses lois! Ce crime a été
imité par d ' a u t r e s n a t i o n s c a t h o l i q u e s . C'est s o n
reniement national, et j e me d e m a n d e si Dieu ne
reniera pas lui aussi c e u x q u i l'ont p u b l i q u e m e n t
renié ».
Au j o u r de la Béatification de J e a n n e d'Arc, Pie X
nous a donné l ' a s s u r a n c e q u e Dieu n o u s tendrait
les mains et que n o u s r e v i e n d r i o n s à Lui et q u e
nous r e p r e n d r i o n s la suite de l ' œ u v r e qu'il nous
a été donné d'exercer d a n s le m o n d e , dès le j o u r
de notre naissance. Puissions-nous m é r i t e r d'être
irrévocablement fidèles à n o t r e vocation, attachés
à notre mission : « Seigneur, fais-nous revenir à
toi et nous r e v i e n d r o n s . D o n n e - n o u s d e nouveaux
jours comme ceux d'autrefois ». Ainsi priait Jéré-
mîc à la fin de ses l a m e n t a t i o n s . Ainsi devons-nous
prier aujourd'hui, le c œ u r plein d u s o u v e n i r des
bontés du Seigneur à n o t r e égard et des nobles œu­
vres de nos pères. E t le Christ qui aime les F r a n c s en­
verra saint P i e r r e n o u s r e d i r e ce qu'il n o u s a déjà
dit par la voix d ' E t i e n n e II :
« Aux h o m m e s très excellents Pépin, Caries et Car-
loman, aux évoques, abbés, ducs, comtes, à toutes
les armées et à tous les peuples des F r a n c s :
» Moi. Pierre, o r d o n n é de Dieu p o u r éclairer le
monde, je vous ai choisis p o u r mes fils adoptifs, afin
de défendre c o n t r e l e u r s ennemis la cité de Home,
le peuple que Dieu nia confié et le lieu où je rcjïosc
selon lu chair. Je vous appelle d o n c à délivrer PE-
glisc de Dieu qui me fut r e c o m m a n d é e d ' E n - I I a u t ;
et je vous presse, p a r c e qu'elle souffre de grandes
afflictions et des o p p r e s s i o n s extrêmes... Je vous
124 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

p r i e e t j e vous c o n j u r e , c o m m e si j ' é t a i s présent


d e v a n t v o u s ; c a r . selon la promesse reçue de Notre-
Seignenr et Rédempteur, je distingue le peuple des
Francs entre toutes les nations... P r ê t e z a u x Romains,
prêtez à vos frères t o u t l ' a p p u i de vos forces, afin
q u e m o i , P i e r r e , vous couvrant de mon patronage en
ce monde et dans l'autre, j e v o u s dresse d e s tentes
x
dans le r o y a u m e de Dieu > .

CHAPITRE XXV

DE CLOVIS A CHAR LE MAGNE.

Les fondements d u r o y a u m e du Christ s o n t posés


d e la m a i n de Dieu, l'édifice s'élôvera-t-il sans en­
c o m b r e ? Non, certes. Q u a n d m ê m e l'histoire ne
serait p o i n t l à p o u r n o u s informer, il f a u d r a i t tout
i g n o r e r d u j e u laissé p a r Dieu à l a liberté humaine
et d e l'état d e d é c h é a n c e o ù se t r o u v e l ' h u m a n i t é
p o u r se faire cette illusion.
Le sol d e la F r a n c e était o c c u p é p a r les Gau­
lois, p a r les R o m a i n s et p a r les F r a n c s l o r s q u e Dieu
jeta les y e u x s u r elle et la p r i t à son service. Les
c o r r u p t i o n s diverses q u ' a p p o r t è r e n t a v e c eux les
d i v e r s peuples q u i formaient l'agglomération gallo-
r o m a i n e et franque o p p o s è r e n t résistance à l'éta-

1. Ozanam en publiant c e t t e lettre a d i t : « La cri-


tique moderne ne permet p l u s de considérer c e t t e lettre
c o m m e une supercherie religieuse, ni même comme une
vaine prosopopée. » Etudes germaniques^ t. II, p . 250,
DE CLOVIS A CHARLEMAGNE 125

blissement d e son règne p a r m i eux. Aussi l'ennoblis­


sement qtoral et le p r o g r è s social n e p u t se déve­
lopper que p e u à peu.
Si nous réfléchissons à ce q u ' é t a i e n t les F r a n c s ,
à ce qu'étaient l e s R o m a i n s q u i étaient venus se
mêler aux Celtes, et à ce q u ' é t a i e n t les Gaulois; si
nous c o m p a r o n s les c a r a c t è r e s d e cette p o p u l a t i o n
avec ceux des h o m m e s q u i n o u s sont dépeints dans
la chanson d e R o l a n d et d a n s r h i s t o i r e des croisa­
des, nous devons bien r e c o n n a î t r e q u e l ' œ u v r e ac­
complie p a r l'Eglise est v r a i m e n t grandiose. Rien
ne démontre plus c l a i r e m e n t c e q u ' e l l e seule p e u t
réaliser que la t r a n s f o r m a t i o n des figures d e Clovis
et de B r u n c h a u t en celles d'un saint B e r n a r d , d'un
saint Louis, d ' u n e sainte Elisabeth. Chose d'autant
plus merveilleuse q u e l'Eglise p a r u t d e v o i r être elle-
même submergée p a r les b a r b a r e s et succomber sous
les assauts q u e l e u r s p a s s i o n s lui livraient. Si le
cluistianisine n'est pas d e ce m o n d e , il vit et agit
dans le monde, il doit p a r c o n s é q u e n t se servir
d'instruments q u i sont n o n s e u l e m e n t d a n s le mon­
de, mais de ce m o n d e . L e r e c r u t e m e n t d e son sa­
cerdoce n e p o u v a i t se faire q u e d a n s l e milieu o ù
l'Eglise vivait. Elle se p r é m u n i t p a r le célibat. Les
barbares s'arrêtèrent d e v a n t l'obligation d u n e chas­
teté perpétuelle. Ils n ' e n t r è r e n t q u ' e n fort petit n o m ­
bre, pendant les p r e m i è r e s générations, d a n s la hié­
rarchie ecclésiastique,- ce n e fut q u e p l u s tard qu'ils
envahirent le s a n c t u a i r e . Elle fut aussi défendue p a r
les Pontifes r o m a i n s se faisant o b é i r p a r t o u t et n e
dépendant de p e r s o n n e . D u h a u t d u t r ô n e pontifical
ils veillaient à la sécurité d e la société chrétienne
et à l'intégrité de ses lois. On en appelait au P a p e
lorsqu'il se p r o d u i s a i t q u e l q u e violation des canons
ou quelque attentat à la liberté et aux lois d e l'Eglise.
La Mission de ln Bss Jeanne d'Arc. 9
126 LA CIVILISATION C H R É T I E N N E EN FRANCE

Après l a conversion d e s F r a n c s était v e n u e celle


des Anglo-saxons. E n t r e ces d e u x c o n q u ê t e s se place,
d i t M, Kurth, u n e l o n g u e série de t r i o m p h e s i>our
l'Eglise c a t h o l i q u e . L ' a r i a u i s m e s'affaiblit et finit
p a r d i s p a r a î t r e . Les U u r g o n d e s de Gaule, les Suèves
d ' E s p a g n e r e t o u r n e n t à l a foi d e l e u r s ancêtres. En
587, ce fut le t o u r d u g r a n d r o y a u m e d e s Visigoths
de faire a m e n d e h o n o r a b l e a u x pieds d u Verbe
éternel. L a r e n t r é e des L o m b a r d s au sein de l'unité
c a t h o l i q u e eut l i e u v e r s l e m ê m e temps. Cet essor
de l'Eglise au Vie siècle est un des p h é n o m è n e s les
plus saisissants de l'histoire. E n m o i n s d ' u n siècle
toute la scène du m o n d e a été renouvelée. L'Egli­
se d e b o u t s u r les r u i n e s d e la b a r b a r i e e t de la
civilisation païenne 'est m a i n t e n a n t l i b r e d e for­
mer, d ' a p r è s son idéal à elle, les sociétés q u i recon­
naissent son autorité.
Ce n'est point à d i r e q u e les G e r m a i n s baptisés
n e conservent, g é n é r a l e m e n t p a r l a n t , u n c œ u r et
un esprit pleins des infirmités h é r é d i t a i r e s de la
b a r b a r i e . Les r e n d r e v r a i m e n t chrétiens fut cl ne
put ê t r e que l'œuvre de plusieurs siècles. Le fruit
ne vient q u ' a p r è s la semence. L a g e r m i n a t i o n de la
civilisation c h r é t i e n n e d e v a i t être en r a p p o r t avec
l'histoire d e l ' h u m a n i t é q u i a d e m a n d é q u a t r e mille
ans p o u r préixirer l ' a v è n e m e n t du Messie.

L a lutte e n t r e les ténèbres et la l u m i è r e ne fut


1
nulle p a r t aussi manifeste q u e chez les Francs.
Placés a u centre de l ' E u r o p e et confinant à tous
les ]>cuplcs b a r b a r e s et civilisés d o n t les destinées
remplissent les annales d u m o y e n âge naissant, ils
sont mêlés à tout ce q u i se passe d a n s la chrétienté
et y p r e n n e n t le rôle principal. C'est chez eux que
se d é b a t t e n t et se r é s o l v e n t tous les p r o b l è m e s so­
ciaux d e ce temps.
DE CLOVIS A CHARLEMAGNE 127

Le septième siècle c o n t i n u e l ' œ u v r e d u sixième.


« Il s'ouyre, dit D o m P i t r a , s o u s l'un d e ces r a r e s
pontifes d o n t le r è g n e se m e s u r e p a r des siècles.
Grégoire le Grand a m i s h a u t e m e n t la m a i n s u r son
époque. Le m o u v e m e n t i m p r i m é p a r son b r a s puis­
sant remue p r o f o n d é m e n t les Gaules. Arnulf, Cuni-
bert, Ouen, Eloi, L é o d é g a r m e t t e n t au front d u
Franc une o n c t i o n r o y a l e et s a c e r d o t a l e q u e rien
n'effacera... Et c o m m e a r r h e s d e ce sacre national,
deux rois, t r o i s r e i n e s , u n e foule do mérovingiens
sont envoyés a u x t a b e r n a c l e s éternels escortés d ' u n e
triomphale légion d'âmes sanctifiées p a r les lis nais­
x
sants de la F r a n c e . » .
> La reine sainte B a t h i l d e réunit a u t o u r d'elle un
sénat d'évêques. T o u t d a n s les Actes les plus im­
portants que n o u s connaissons tend à l'exaltation du
règne de Dieu p a r la g r a n d e u r d e la F r a n c e a u
dedans et au d e h o r s . L'ère sociale du c h r i s t i a n i s m e
2
commence » . « A s s u r é m e n t ce ciel a ses ta­
ches; mais q u ' o n veuille bien se r e p o r t e r au point
de départ, et q u ' o n dise c o m m e n t avec de pareils
éléments il a été possible, sans un secours divin,
d'arriver en quelques j o u r s à ces m y r i a d e s de saints
qui couronnent le septième siècle; en quelques a n ­
nées a un C h a r l e m a g n e ; en quelques générations
à ce peuple de saint Louis, enthousiaste, artiste
et poète, se j o u a n t de la matière, du temps et de
l'espace; spiritualisant les éléments e t condensant
les idées; se dégageant d e sa glèbe p o u r vivre p a r
sa foi d a n s la s p h è r e des esprits, p o u r h a b i t e r dans
les symboles et se familiariser avec les vues mysti­
ques les plus déliées; et plus poète m ê m e et plus
artistique que ses imagiers, ses maçons et ses tail-
leurs de pierres vives, faisant d'une figure, une pa-

1 et 2. Histoire de salut Léger. Introduction.


128 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

r o l e ; d'un fail, u n e p a r a b o l e ; d ' u n tableau, u n livre;


d ' u n édifice, u n e épopée. C'est l ' œ u v r e d e s papes,
des évoques, des moines, c'est s u r t o u t l ' œ u v r e des
saints >
Le peu q u i n o u s r e s t e des objets d ' a r t d e cette
é p o q u e , ses églises et ses livres m o n t r e n t q u e ce
tafcîcau n'a rien d'exagéré.

CHAPITRE XXVI

CHARLEMAGNE

L a richesse e t l ' o p u l e n c e d e la civilisation anti­


q u e n'existent plus, au h u i t i è m e siècle. Mais les
moines c o m m u n i q u e n t l e u r p r o p r e dignité a u tra­
vail q u i est la s o u r c e d e toutes les richesses. Les
t h e r m e s e t les a m p h i t h é â t r e s sont en r u i n e s , maïs
les h o s p i c e s et les x é n o d o c h i e s s'élèvent et Ton soi­
gne les m a l h e u r e u x avec l'argent q u ' o n dépensait
à les faire p é r i r ou à s'entre-tuer. L e s écoles des
r h é t e u r s sont fermées, m a i s les écoles des monas­
tères et d e s cathédrales s'ouvrent et c e u x qui en
sortent n e s a v e n t pas s e u l e m e n t l o u e r la* vertu, ils
o n t a p p r i s à la p r a t i q u e r . L'éclat de la vie muni­
cipale a disparu, mais le c h a r m e de la vie monas­
tique attire d e s milliers d â m e s et les m o u tiers sont
les asiles d e la liberté h u m a i n e et chrétienne. En
un m o l ù c h a q u e désastre d e la civilisation maté­
rielle de l'ancien m o n d e a r é p o n d u u n progrès de

t. I)<im Pilra, Histoire de saint Léger, Introduction,


XXVII.
CHARLEMAGNE 129

la civilisation m o r a l e et celle-ci refera celle-là en


des conditions meilleures. E n attendant, u n e c h a î n e
continue d'esprits distingués se c h a r g e de t r a n s ­
mettre le savoir a n t i q u e aux générations modernes.
e e
Cassiodore, au V I siècle; Isidore de Séville, au V I I ;
Bèdc le Vénérable, au V i l l e , sont les m a î t r e s et les
précurseurs d'Àlcuin. Àlcuin ,a p o u r disciples Adal­
bert, Aldric, Sigulf l e Vieux. Amalric e t Adalard
décident que r e n s e i g n e m e n t sera d o n n é gratuitement
et que les m a î t r e s n e r e c e v r o n t q u e ce qui leur sera
offert spontanément, d e sorte q u e les serfs peuvent
désormais devenir l e s r i v a u x des h o m m e s libres
sur le terrain de l'instruction, et p a r là ou r e m p l i r
les charges a d m i n i s t r a t i v e s o u militaires, o u en­
trer dans les O r d r e s religieux o n la h i é r a r c h i e ecclé­
siastique. C'est ainsi q u e Ton vit sous Louis le Dé­
bonnaire, Ebbon, « fils de g a r d i e n d e chèvres »,
devenir a r c h e v ê q u e d e Reims. E n m ê m e temps nais­
sait une l i t t é r a t u r e n o u v e l l e , la l i t t é r a t u r e c h r é ­
tienne dont -saint Grégoire le Grand d o n n e les m o ­
dèles.
De quelque «côté q u ' o n envisage la société d u
e
IX siècle, o n l a voit se dégager victorieusement d u
chaos pour i n a u g u r e r l ' è r e d e la civilisation c h r é ­
tienne. Sous l a c o n d u i t e de Charlcmagne, l ' E u r o p e
chrétienne lutte avec u n e infatigable vigueur p o u r
la conquête d e s b i e n s s u p é r i e u r s d e l'a vie sociale.
« La vie de Charlemagne, dit M. d e Laurentie,
est quelque c h o s e de merveilleux : c'est l ' i n t r o d u c ­
tion publique du ^Christianisme dans la politique;
c'est la p r e m i è r e p é r i o d e de la civilisation m o d e r n e ;
c'est quelque a u t r e c h o s e encore : c'est l'action p r o ­
pre, individuelle, personnelle .de la F r a n c e d a n s
le renouvellement d u . v i e u x monde, du m o n d e païen,
du monde r o m a i n , d u m o n d e b a r b a r e . Gcsta Dei per
130 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

Francos. - Comme sous Clovis, c o m m e p l u s tard


sous saint Louis, la F r a n c e sous C h a r l e m a g u c trace
les voies à la civilisation c h r é t i e n n e .
Le t r a i t dinstinctif d e C h a i i e m a g n e est d'avoir été
une force i n t c l l i g e n t e . a u service de l'Eglise. Tout
ce q u ' i l a fait d e grand, il l'a fait s o u s son inspira­
tion o u à son exemple. « II se m o n t r a , d i t Bossuet,
très chrétien d'ans t o u t e s s e s œ u v r e s . »
Ses œ u v r e s sont ses c o n q u ê t e s , sa législation et
la création d u saint E m p i r e r o m a i n .
« Les c o n q u ê t e s d e C h a r l e m a g n e , dit encore Bos­
suet, furent la d i l a t a t i o n d u r è g n e de Dieu. » Ce
qu'il s'est p r o p o s é d a n s ses c a m p a g n e s a été de
faire le c h a m p l i b r e à l'Eglise, afin q u e celle-ci
p û t é t e n d r e le règne du Christ. T r e n t e - d e u x années
d u r a n t , les Saxons païens firent au christianisme
u n e g u e r r e q u ' o n ne s a u r a i t c o m p a r e r q u ' à la lutte
de Carthage c o n t r e R o m e . D i x - h u i t Fois, Charlema­
gne dut déployer t o u t e sa p u i s s a n c e c o n t r e eux, et
e n c o r e l e u r force n e fut p a s brisée. S'ils n'avaient
a p p r i s p a r les messagers d e la foi, q u e le grand
r o i introduisit chez e u x p a r la force des armes, à
c o n s i d é r e r la religion n o n p a s c o m m e u n e puis­
sance e n n e m i e , m a i s c o m m e u n e p u i s s a n c e pleine
dc grace, Tépée de C h a r l e m a g n e n e les eût p a s sub­
j u g u é s ; c o m m e lui-même d'ailleurs ne les eût sans
doute p o i n t c o m b a t t u s , s'il n ' e û t eu cette fin de
1
salut p o u r eux devant les y e u x . A peine ces peuples
eurent-ils c o n n u la vérité c h r é t i e n n e et c o m p r i s la
vertu du christianisme qu'ils l e p r a t i q u è r e n t avec
une conviction et u n e fidélité qui r a p p e l l e n t les jours
les p l u s glorieux des p r e m i e r s siècles. Apres quel­
ques dizaines d'années, ils d o n n è r e n t le p o è m e d'Ile-
1. Charlemagne alla jusqu'à rendre le haplème ohlitn-
toire pour les vaincus. lin cela il excéda. (V fut l'erreur do
l'homme d'Ëlat, non le fanatisme du sergent du Christ
CHARLEMAGNE 131

liand, la plus grande épopée chrétienne. P a r t o u t ,


dans ce chant, c o m m e p l u s t a r d sur les lèvres de
Jeanne d'Arc, le Christ « ce Fils u n i q u e et chéri d e
Dieu, le gardien du oiel y a p p a r a î t c o m m e le
GKAXD noi et le C H E F D E L ' H U M A N I T É t o u t e n t i è r e a p ­
pelée à la liberté des enfants d e Dieu.
C'est pour CE résultat, s u p é r i e u r , infiniment su­
périeur à tout C E q u ' a u c u n c o n q u é r a n t s'est j a m a i s
proposé, que d u r a n t u n règne d e p r è s de cinquante
ans, Charlemagne SIE p r é c i p i t e t o u r à t o u r v e r s
loulcs les frontières de son i m m e n s e e m p i r e . « 11
élargit ainsi, dit L é o n Gauthier, le cercle c h r é t i e n ;
il ménage un i m m e n s e espace o ù les prêtres et les
moines peuvent l i b r e m e n t p r ê c h e r l'Evangile d e Dieu,
où les saints p e u v e n t l i b r e m e n t offrir à l ' h u m a ­
nité les types l u m i n e u x d e toutes les v e r t u s , o ù
les docteurs p e u v e n t l i b r e m e n t b â t i r le n o b l e édi­
fice de la théologie, o ù les â m e s enfin peuvent ê t r e
facilement *ct l i b r e m e n t sauvées. »
La noblesse d u b u t q u ' i l p o u r s u i t n e laisse au­
cune place à l'orgueil d a n s son c œ u r . « Cet h o m m e ,
dit Dom Guéranger, q u i t e n a i t en sa m a i n n a n seu­
lement la F r a n c e , m a i s e n c o r e la Catalogne, la Na­
varre et l'Aragon; la F l a n d r e , la Hollande et la F r i ­
se; les provinces de la W e s t p h a l i e et d e l a Saxe*,
jusqu'à l'Elbe; la F r a n c o n i e , la Souabe, la ï h u -
ringe et l a S u i s s e ; les d e u x P a n n o n i c s , c'est-à-dire
l'Autriche et l a H o n g r i e , l a Dace, la Bohême, P i s -
trie, la Liburnie, la D a l m a t i e e t j u s q u ' à P E s c l a v o n i e ;
enfin toute l'Italie j u s q u ' à la Calabre inférieure, cet
homme, disons-nous, était le m ê m e q u i s'intitulait
ainsi dans ses capitulaires : « Moi, Charles, par la
grâce de D i e u et le d o n d e sa miséricorde, roi et
gouverneur d u r o y a u m e des F r a n ç a i s , dévot dé­
fenseur d e l a Sainte Eglise d e D i e u et s a n h u m b l e
champion. >
I*a Mission de la B" Jeanne d'Arc. g bis
132 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

N o u r r i , dès le c o m m e n c e m e n t d e son règne, de


L'étude du D r o i t canon et faisant d e la Ciii de Dieu
sa l e c t u r e favorite, C h a r l e m a g n c avait toujours de­
vant les yeux l'idéal du, g o u v e r n e m e n t chrétien et
c'est à le r é a l i s e r a u t a n t q u e possible q u e vise
toute sa législation. Les c a p i t u l a i r e s d a n s lesquels
il c o n s a c r e ses r é f o r m e s d a n s T o r d r e m o r a l et intel­
lectuel n e sont a n t r e c h o s e q u e des délibérations
conciliaires appliquées à la société civile.
Il n o u s reste 65 capitu'laircs de C h a r l e m a g n e com­
p r e n a n t e n s e m b l e o n z e cent c i n q u a n t e et ufti capitula
o u articles. Guizot, d a n s son Histoire d e la civilisa­
tion, les a ainsi groupés : 87 de législation morale,
relatifs a u x devoirs d.e la c o n s c i e n c e et a u déve­
l o p p e m e n t intellectuel d e l ' h o m m e ; 85 de législation
religieuse, c o n c e r n a n t les affaires ecclésiastiques et
les r a p p o r t s du clergé a v e c les fidèles; 305 d e législa­
tion c a n o n i q u e p o r t a n t r è g l e m e n t en m a t i è r e de
discipline et d e foi et qui figurent d a n s les collec­
tions d e s conciles; 273 d e législation politique, em­
brassant les diverses b r a n c h e s de l'administration :
130 de législation p é n a l e ; 110 d e législation civile;
73 de législation d o m e s t i q u e ; et enfin 12 d e législa­
tion de circonstance. Ainsi l e s deux cinquièmes des
p r e s c r i p t i o n s édictées p a r C h a r l e m a g n e s'adressaient
aux b e s o i n s religieux et m o r a u x d e l ' h u m a n i t é , ten­
daient à l'affermissement du règne du Christ dans
les finies et d a n s la société. Guizot c o n c l u t : «Char­
lemagnc m a r q u e la limite à l a q u e l l e est enfin con­
s o m m é e la dissolution d e l'ancien m o n d e romain
et b a r b a r e vi où c o m m e n c e la formation du monde
nouveau. » Il donna l'impulsion à toute l'organisa­
tion du m o y e n Age. Sous lui le r o y a u m e des Francs
devint le c e n t r e politique et intellectuel d e l'Occi­
dent.
CHARLEMAGNE 133

C H A P I T R E XXVII

L'INSTITUTION DU SAINT EMPIRE ROMAIN

La nuit d u 25 d é c e m b r e d e Tan 800 d e m e u r e r a


toujours u n e des d a t e s m é m o r a b l e s d e l'histoire
universelle.
Il parut au P a p e L é o n I I I q u ' i l serait d i g n e d e
la majesté d e l'Eglise d'élever le r a n g de s o n d é ­
fenseur a u - d e s s u s de t o u t e s les dignités h u m a i n e s .
Et c'est p o u r q u b i , d a n s c e t t e nuit, il posa la cou­
ronne impériale s u r le front d e Charlemagne. C'était
la poser, s u r le front d'un h o m m e si grand, dit
J. de Maistre, que la g r a n d e u r a p é n é t r e son n o m .
La signification politique de c e titre, E m p e r e u r ,
paraît avoir laissé le grand, m o n a r q u e indifférent
ou même incrédule, m a i s il se p é n é t r a profondément
de sa significaiion religieuse. Après que le sénat et
le peuple r o m a i n e u r e n t crié p a r trois fois : « A Char­
les, très pieux, a u g u s t e , c o u r o n n é de D i e u ; au g r a n d
et pacifique e m p e r c u ï des R o m a i n s , longue vie et
victoire », Charlemagne p r ê t a ce s e r m e n t : « Au
nom du Christ, moi, Charles, je m'engage devant
Dieu et son apôtre P i e r r e , à protéger et à défendre
cetlc Sainte Eglise r o m a i n e , m o v e n n a n t l'aide d ' E n -
Haut, a u t a n t q u e je s a u r a i e t p o u r r a i . »
Dans le capitularc Aquense, il dit : « Que c h a c u n
veuille se c o n s e r v e r d a n s le service d e Dieu. L e
seigneur e m p e r e u r est établi p o u r être, après Dieu
et les saints, l e u r gardien et l e u r défenseur. »
Après son élévation à la dignité impériale, Char­
lemagne se fit p r ê t e r p a r ses sujets u n n o u v e a u ser­
ment el il le motiva ainsi: < Primant et imusquisque et
personna pro pria se in sancto Dci servitio secundum
134 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

Dei prœceptum et sccundum sponsionem suam plent-


ter conseruare studeat. Afin que, tout d'abord, cha­
cun, d e sa p r o p r e p e r s o n n e , s ' a p p l i q u e à se mainte­
n i r p l e i n e m e n t dans le saint service de Dieu. » Lui-
m ê m e p r ê c h a d'exemple en r e d o u b l a n t d e zèle et
d'activité p o u r le bien p u b l i c envisagé chrétienne­
ment.
L a n o t i o n d u P a p e et d e l ' E m p e r e u r était désor­
mais lucide et complète d a n s t o u s les esprits. L'em­
p e r e u r a p p a r a i s s a i t d a n s le m o n d e c o m m e lo dé­
fenseur a r m é de la vérité d é s a r m é e et le P a p e comme
le p r é d i c a t e u r i n d é p e n d a n t de la vérité souveraine.
P o u r r e n d r e cette i n d é p e n d a n c e plus certaine et
plus d u r a b l e , Charlemagne c o n f i r m a n t et complétant
ce q u ' a v a i t fait s o n père, j u g e a qu'il était nécessaire
de d o n n e r au Souverain Pontife un véritable royau­
me, afin q u e ce gardien d e la d o c t r i n e n'ait à rece­
v o i r d ' a u c u n a u t r e roi une hospitalité périlleuse pour
sa liberté.
E n ceignant s u r la tète d u r o i de F r a n c e le dia­
d è m e i m p é r i a l , la P a p a u t é plaçait s u r le front du
peuple français lui-même le signe honorifique de
sa dignité suprême. Elle a c h e v a i t d ' u n e manière
solennelle sous les voûtes d u L a t r a n l ' œ u v r e com­
mencée t r o i s c e n t s années a u p a r a v a n t d a n s le bap­
tistère d e Reims. Elle d o n n a i t en m ê m e temps son
véritable c a r a c t è r e au r é g i m e social chrétien dont
la F r a n c e était le r e p r é s e n t a n t d a n s le m o n d e . A ce
point d e vue, o n peut dire q u e lo c o u r o n n e m e n t de
Charlemagne était l'acte de naissance do la civili­
sation chrétienne. Il existait enfin u n e société dont
le Christ était le chef r e p r é s e n t é p a r ses d e u x vicai­
res le P a p e et l ' E m p e r e u r .
Le 28 j a n v i e r 1914, il y a u r a o n z e cents a n s que
ce g r a n d h o m m e e x p i r a i t d a n s son palais d'Aix-la-
CHARLEMAGNE 135

Chapelle. Vêtu d u cilice q u ' i l n'avait j a m a i s quitté,


mais .paré des insignes impériaux, il était non cou­
ché dans un cercueil, m a i s majestueusement assis
sur un trône de m a r b r e r e c o u v e r t de lames d'or.
Quelques a n n é e s après, un i l l u s t r e prélat, R a b a n
Maur, a r c h e v ê q u e d e Mayence, inscrivait son n o m
dans son martyrologe. E n 1165, p e n d a n t les fêtes
de Noël, F r é d é r i c Barbcroussie fit r e n d r e le décret
de sa canonisation p a r F Antipape Pascal III. L e
siège apostolique, sans v o u l o i r a p p r o u v e r u n e p r o -
eédure irrégulière, ni la r e c o m m e n c e r dans les for­
mes, puisqu'on n e le lui a j a m a i s demandé, a cru d e ­
voir respecter ce culte d a n s tous les lieux o ù il fut
établi. Avant l'époque d e l a R é f o r m e , le n o m d u
Ricnheurcux C h a r l e m a g n e se t r o u v a i t s u r le calen­
drier d'un g r a n d n o m b r e d e n o s Eglises de F r a n c e .
Plus de trente Eglises e n Allemagne célèbrent e n c o r e
aujourd'hui la fête d u g r a n d e m p e r e u r .
< Son culte, dit Benoît X I V , s'est p r a t i q u é à la
connaissance de tant de pontifes légitimes qui l'ont
toléré et m a i n t e n u p e n d a n t u n e si l o n g u e suite d e
siècles qu'il n e lui m a n q u e , ainsi qu'il paraît, a u ­
cune des c o n d i t i o n s r e q u i s e s p o u r la validité d u culte
cans les églises particulières »
On sait q u e la B i e n h e u r e u s e J e a n n e d'Arc fit
appel à l'efficacité de s o n intercession a u p r è s de
Dieu pour convaincre C h a r l e s VII de l'authenticité
de sa mission. « Gentil D a u p h i n , lui dit-elle à Chi­
non, pourquoi ne me croyez-vous ? J e vous dis
que Dieu a pitié de vous, d e votre r o y a u m e et de
votre peuple, c a r saint L o u i s et C h a r l e m a g n e sont
à genoux devant Lui en faisant prière p o u r vous. >

1. De servorwm Dei canonizaiione* 1. I, rap. IX,


num. 4.
II

D É V E L O P P E M E N T D E LA C I V I L I S A T I O N
C H R É T I E N N E EN FRANCE-

CHAPITRE XXVIII

LES CAPÉTIENS.

Dans s o n livre L'Ancienne Fixtnce, Le Roi, M.


F u u c k - B r c n t a i i o 'dit :
« P a r m o n a r c h i e française n o u s n ' e n t e n d o n s ni
colle d e s Mérovingiens, ni celle des Carolingiens,
mais la M o n a r c h i e q u i est s o r t i e du fond d e la na­
tion avec l'avènement de H u g u e s Capcl, produite
p a r les causes m ê m e s qui, d a n s le c o u r a n t des VIII«
2
et IX» siècles, ont fait la société française. La Mo­
narchie mérovingienne n'a exercé q u ' u n e souverai­
neté d e c o n q u é r a n t s , s a n s a c t i o n s u r la masse du
peuple avec laquelle elle n ' a g u è r e p r i s c o n t a c t ; la
Monarchie carolingienne a été u n e r o y a u t é militaire,
un g o u v e r n e m e n t de c o n q u é r a n t s intérieurs, si l'on
jKMil s'exprimer ainsi, — ce q u i en explique la ra­
pide extension, l'éclat et la fragilité; la Monarchie
LES CAPÉTIENS 137

capétienne, a u c o n t r a i r e , a c o o r d o n n é les éléments


vitaux d u pays, éléments d o n t elle s'est elle-même
formée ».
On ne peut o u b l i e r les deux p r e m i è r e s races de
nos rois. C'est p a r Clovis et les merveilleuses cir­
constances de son sacre que le r o i de F r a n c e ac­
quit ce caractère de vicaire de Dieu, de sergent du
Christ qui. dit saint Grégoirc-lc-Grand, le plaçait
autant au-dessus des a u t r e s m o n a r q u e s que les au­
tres monarques étaient eux-mêmes au-dessus des par­
1
ticuliers .
On ne peut non plus o u b l i e r les p r e m i e r s Carolin­
giens qui ont fait r e c u l e r l'invasion s a r r a s i n c et
refleurir la civilisation. Mais il est vrai de dire q u e
le roi mérovingien et le roi carolingien n ' o n t été
que les p r é c u r s e u r s du r o i capétien. Celui-ci est p o u r
ainsi dire le r o i c o n s u b s t a n t i c l à la F r a n c e , en lui
s'incarnent le génie et les intérêts de la nation.
11 surgit parmi les d é s o r d r e s effroyables q u e p r o ­
e
duisirent d u r a n t les V I I I et IX° siècles les inva­
sions barbares et les ravages plus terribles encore
qu'engendrèrent les luttes en tous lieux répétées,
d individu à individu, de famille à famille, de loca­
lité à localité. Il s'éleva c o m m e croît toute chose
naturelle. Le travail de la reconstitution sociale se
fit autour de la s j u l e force constituée qui subsistât
encore : la famille. Le père de famille organise la
défense des siens. Il voit ses parents se g r o u p e r
au (oui- de lui ; la mesmie se constitue, les étran­
gers viennent s'y r a t t a c h e r , et la" mesmic produit
le fief. Le père de famille devient le Seigneur féo-

1. Quanta cwteros homilie* regla dignltas antecerfif,


trtnfa c<etrrarum grntium régna reput noatri profecto cul-
won exeellit. (Saint Grégoire le Graad. Epist. lib. VI,
Caput VI.)
138 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

d a l . R e t r a n c h é d a n s s o n d o n j o n , il p r o t è g e tous
c e u x q u i se s o n t placés sous s o n p a t r o n a g e . Le
fief est un petit E t a t en m i n i a t u r e , m u n i de tous
l e s o r g a n e s nécessaires à u n e e x i s t e n c e complète
et i n d é p e n d a n t e , a v e c s o n a r m é e , s a c o u t u m e , son
b a n qui est l ' o r d o n n a n c e d u seigneur, s o n tribunal.
E n ÎÎ87, l'un de ces b a r o n s féodaux a r r i v é a u som­
met de la h i é r a r c h i e féodale fut p r o c l a m é roi.
Gcrl)crl f o r m u l e l a pensée d e t o u s : « L o l h a i r c n'est
r o i de F r a n c e que de n o m . L e r o i d e fait est
1
Hugues . »
P l a c é au-dessus des mille et mille g r o u p e s locaux,
familles, seigneuries, villes et c o m m u n a u t é s qui se
p a r t a g e n t le r o y a u m e , le roi est r e c o n n u connue
r a u l o r i t é c o m m u n e , susceptible p a r c o n s é q u e n t d'in­
tervenir d a n s les différends qui se p r o d u i s a i e n t en­
tre eux et de les faire s ' a c c o r d e r p o u r le bien géné-

1. C'est une erreur de faire remonter l'avènement,


à l a Couronne R o y a l e , d e l a F a m i l l e d e s Ducs de
France, s e u l e m e n t à H u g u e s Capct e t à 1*87.
H u g u e s Capct avait d e s d r o i t s et d e s t i t r e s valables
à l a Couronne d e France, m ê m e a v a n t q u e l'assemblée
d o Sentis, l ' E l e c t i o n d e N o y o n , le Sacre d e Reims, les
eussent fixés définitivement sur sa tète et d a n s s a Maison.
IL é t a i t p e t i t - f i l s et p e t i t - n e v e u m a s c u l i n et Héritier
do Robert 1er t d'Eudes, t o u s d e u x R o i s d e France
e

et tous d e u x Sacrés, e t d'Arnould, roi d'Aquitaine.


I l é t a i t en p o s s e s s i o n personnelle, e t d e droit et de
f a i t , de presque toute l a France, puisqu'il é t a i t déjà :
D u c d e F r a n c e , D u c d e N c u s t r i e , D u c d e Bourgogne,
Comte de Paris, Comte d'Orléans, Comte d'Anjou, Comte
d e P o i t i e r s , Comte fle Tours, Comte d u Maine, Comte
d u Perche, Comte d e Chartres, Comte d e E l o i s , Comte
d e Gatinais, Comte d'Amiens, e t c . , e t c .
D e p u i s 8G0, s e s anrètrcs, qui avaient p r o t é g é l'Eglise
e t d é f e n d u v i c t o r i e u s e m e n t l a F r a n c e c o n t r e les Nor-
m a n d s e t les Germains, et préservé Paris d e leurs in-
vasions, possédaient e t g o u v e r n a i e n t c e s i m m e n s e s ter-
ritoires.
LES CAPÉTIENS 139

rai. « Dès q u e l e r o i est c o u r o n n é , écrit Abbon


e
(X siècle), il r é c l a m e à tous ses sujets le serment
de fidélité de p e u r q u e la discorde n e se produise
par quelque p o i n t d u r o y a u m e ». Bodin dira plus
tard ; c Le p r i n c e doit a c c o r d e r ses sujets les u n s
aux autres et t o u s e n s e m b l e avec soi ».

Ce rôle de justicier est le p r e m i e r caractère de


la royauté capétienne, vrai type de la r o y a u t é c h r é ­
tienne, telle d u m o i n s qu'elle a p p a r u t dans ses plus
hautes tendances et d a n s q u e l q u e s - u n s de ses repré­
sentants. Le r o i est le m a g i s t r a t suprême. On le
voit sans cesse s u r les r o u t e s , p o r t a n t heaume, cuis­
sard et haubert. Les i n n o m b r a b l e s g r o u p e s féodaux
sont en lutte : e n t r e p r i s e s , représailles, vengeances.
Entre eux le p e u p l e est écrase. « Vers le r o i dit ;

Raval Claber (Xle siècle), on voit affluer les mul­


titudes éplorées. Elles a r r i v e n t à l u i ; elles cou­
vrent la plaine de leur f o u r m i l l e m e n t ; elles tendent
vers le ciel l e u r s b r a s i n n o m b r a b l e s , e n c r i a n t avec
désespoir: Paix! P a i x ! » Le r o i i m p o s e la paix p a r
ses armes d ' a b o r d ; p u i s p a r son a s c e n d a n t moral
il promulgue et il fait o b s e r v e r « la Quarantaine
de Roi », qui exige q u a r a n t e j o u r d'intervalle e n t r e
la déclaration des hostilités et la p r i s e d'armes. Vien­
nent ensuite les « institutions de paix », que les
rois superposent à l e u r action militaire. Les pre­
mières o r d o n n a n c e s des rois c o n t r e ' le droit de
e
guerre privée s o n t du c o m m e n c e m e n t du X I I siè­
cle; elles se succèdent j u s q u ' a u règne d e saint Louis.
e
La monarchie a r r i v e ainsi a u X I I I siècle à porter
son autorité si h a u t q u e c h a c u n , j u s q u e dans les
provinces les plus éloignées, la r e g a r d e avec affec­
tion et respect.

L'archevêque de Reims, A d a l b é r o n , a p p u y a n t la
140 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

c a n d i d a t u r e de H u g u e s Capct, avait dit : Vous aurez


en lui un père ». E t il a j o u t a i t : q u o i q u ' u n a-t-il
j a m a i s invoqué en vain son p a t r o n a g e ? » L a parole
de r é v o q u e s'est réalisée, n o n s e u l e m e n t p o u r Hu­
gues Capct, m a i s p o u r ses s u c c e s s e u r s . De nos
j o u r s , u n professeur d e l'Ecole d e s C h a r t e s par­
c o u r a n t du r e g a r d t o u t e n o t r e h i s t o i r e a pu
dire : « L ' a u t o r i t é du roi était celle d u père de
famille ». Il était le chef de la g r a n d e famille fran­
çaise a laquelle il c o m m a n d a i t c o m m e à sa miison.
11 s'imposait le devoir de veiller m ê m e s u r les in­
térêts p a r t i c u l i e r s de ses sujets c o m m e u n père sur
ceux de ses enfants. Le p r e m i e r d e v o i r d u père est
d ' a s s u r e r la sécurité de ses enfants. L e r o i chasse les
pillards étrangers du r o y a u m c . I . e s s u c c e s s e u r s d'Hu­
gues Capot s e r o n t c e u x qui t o u j o u r s o n t chassé les
l o u p s de tous cotés, c o m m e s ' e x p r i m e R o n s a r d dan?
le bel h o m m a g e qu'il l e u r r e n d . Q u a n d il a pu
poser la lance et l'épéc, le Iloi n ' e n c o n t i n u e pas
m o i n s h d i s t r i b u e r la justice, :\ r e m p l i r sa fonction
naturelle qui est selon l'excellente définition d e liorlin
t d ' a c c o r d e r ses sujets les u n s aux a u t r e s et tous
ensemble avec soi ». N o s rois renflaient personnelle­
m e n t la justice à t o u s c e u x qui venaient la récla­
m e r p r è s d e u x . Les p r e m i e r s d ' e n t r e e u x , Hugues
i r
Capct, .Robcrl-ie-Picux, H e n r i 1«", P h i l i p p e I , Louis-
le-Cros déclarent en t e r m e s précis q u e le monar­
que n ' o c c u p e le t r ô n e que p o u r r e n d r e la j u s t i c e :
« N o u s n'avons d e raison d'êltv, dit H u g u e s Capct,
q u e si n o u s r e n d o n s justice h t o u s e t p a r tous les
moyens », e t s u r son sceau a p p a r a î t la main de
justice. T o u s ses descendants c o m p r i r e n t ainsi leur
magistrature. « La justice est la r a c i n e et le fruit
de ton office », écrit Eudes d e Blois a u roi Robert.
« Garde à c h a c u n son d r o i t », s e r a la d e r n i è r e re-
LES CAPÉTIENS 141

commandation d e Louis-le-Gros m o u r a n t à son fils


aine et la, d e r n i è r e p a r o l e d e P h i l i p p e Auguste à
Louis VIII. Avant eux, P h i l i p p e 1er avait fait à son
sacre ce s e r m e n t r e n o u v e l é p a r ses successeurs ù
leur avènement de « c o n s e r v e r à c h a c u n la justice
qui lui est due, d e faire d r o i t à t o u s , et mettre le
peuple en possession de ses d r o i t s légitimes ».
Cette tradition n e se p e r d i t j a m a i s d a n s la famille
royale. « Le r o i est 1 a p a i s e u r », dit saint Louis. Une
miniature du livre d ' h e u r e s d u d u c de Berry nous
montre le p e u p l e venant c h e r c h e r p r è s de lui la
justice sous l e c h ê n e de Vincennes et dans le Ver-
ger royal de la cité. « Vetu d ' u n e c o t e de camelot,
d'un suroot d e tiretainc s a n s m a n c h e s , un manteau
de ccndal n o i r a u t o u r d u c o u , t r è s bien peigné et
sans coiffe, u n c h a p e a u de p a o n b l a n c sur sa tete ;

raconte Jo in ville, il faisait é t e n d r e des tapis p o u r


nous asseoir a u t o u r d e lui, e t t o u t le peuple q u i
avait affaire p a r devant lui se t e n a i t e n t o u r ». Une
miniature d e Loïse Liedet, c o n s e r v é e à la biblio­
thèque de PArsenal, n o u s r e p r é s e n t e Charles V d a n s
le même office, assis sous le p é r i s t y l e de sa de­
meure et les p l a i d e u r s d i s c u t a n t d e v a n t lui.
Tous les s u c c e s s e u r s de saint L o u i s o n t entendu
ses Enseignements : « Cher fils, s'il avient que tu
viennes à r é g n e r p o u r v o i s q u e tu a i e s ce que a
Roi appartient, c'est-à-dire q u e lu sois juste, q u e
tu ne déclines ni n e dévies de justice p o u r nulle chose
1
qui puisse avenir. S'il avient qfu a u c u n e querelle,
qui soit m u e e n t r e r i c h e et p a u v r e , vienne devant
toi, soutiens p l u s le p a u v r e que le r i c h e et, q u a n d
tu entendras la vérité, l e u r fais droit. »
M. Funck-Brentano n o u s m o n t r e p a r des exem­
ples accumulés combien le roi, le p è r e vivait en
communion avec ses sujets, avec ses enfants.
142 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

E n t r a i t chez l e s o u v e r a i n q u i voulait, était ad­


mise près d e lui toute p e r s o n n e q u i a v a i t une grâce
a solliciter. « Chez les* r o i s de F r a n c e , disail à la
e
fin du X I siècle Guilbert de Nogent, o n trouve tou­
j o u r s u n e naturelle simplicité; ils s o n t p a r m i leurs
sujets c o m m e l ' u n d'eux ». « S'il est u n caractère
singulier, en celte m o n a r c h i e , é c r i t L o u i s XIV lui-
même, e n ses m é m o i r e s , c'est l'accès l i b r e et facile
des sujets a u p r i n c e »; et d a n s ses fameuses
i n s t r u c t i o n s p o u r le D a u p h i n : « J e d o n n a i à tous
m e s sujets, s a n s distinction, la l i b e r t é d e s'adres­
s e r à moi, à t o u t e h e u r e , de vive voix et p a r pla­
ce ts ».
De fait, les sujets de Louis XIV allaient en toute
liberté c h e r c h e r la justice du Roi à Versailles. II
recevait, c h a q u e semaine, d a n s l a g r a n d e galerie, « les
plus pauvres, les plus m a l vêtus » et il examinait
lui-même tous l e u i s placets.
Dans c e m o m e n t , les princes d u sang q u i se trou­
vaient à la C o u r se g r o u p a i e n t a u p r è s d u Roi. Les
b o n n e s gens jKissaient devant lui à la q u e u e leu-
leu, et lui r e m e t t a i e n t e n p r o p r e s m a i n s un placet
où l e u r affaire était exposée. Ces p l a c c t s étaient dé­
posés p a r le m o n a r q u e s u r une t a b l e q u i se trou­
vait p r è s d e s o n fauteuil et ensuite, examinés par
lui en séance de Conseil, c o m m e e n témoigne la
mention « lu a u Roi » quo n o u s t r o u v o n s s u r nom­
b r e d'entre eux.. Cette c é r é m o n i e a v a i t généralement
lieu à Versailles, dans la g r a n d e galerie. Le nombre
des placels d e v i e n d r a si g r a n d q u e le Roi devra
les recevoir deux fois p a r s e m a i n e .
Louis XV, t r o u b l é d a n s ses faiblesses, disait un
j o u r à Choiseul : « Dieu me fera miséricorde, car
j e crois fermement q u e les m é r i t e s d e saint Louis
s'étendent à ses descendants et q u e n u l Roi de sa
LES CAPÉTIENS 143

race ne peut être d a m n é , pourvu qu'il ne se permette


ni injustice, envers ses sujets ni dureté envers les
petites yens ».
Tous les g r a n d s aclcs de l a vie d u R o i se dérou­
lent en public, n o t a m m e n t la n a i s s a n c e et la mort.
Le roi ou son fils t o m b e n t - i l s m a l a d e s , les portes
de la c h a m b r e s'ouvrent : ils d o i v e n t être malades
en public. Des délégations p o p u l a i r e s n o n seulement
viennent p r e n d r e d e l e u r s nouvelles, m a i s sont ad­
mises à leur chevet. L e roi s'éteignait sous les yeux
de son peuple, c o m m e u n p è r e e n t o u r é de ses en­
fants.
Le roi, qu'il s'appelle Louis IX, Louis XI o u
Louis XIV, p o r t e , e n d e h o r s des cérémonies, où
il sait se p a r e r d ' a t o u r s traditionnels, des vête­
ments c o m m u n s et simples. La t e n u e de Louis XVI
eût convenu au plus o b s c u r d e ses sujets.
< L'homme n e sait point a d m i r e r ce qu'il voit tous
les jours, dit J o s e p h de Maistre. Au lieu de célé­
brer notre m o n a r c h i e qui est u n miracle, nous
l'appelons despotisme ». D e s p o t i s m e ! c'est la flétris*
sure que la Révolution a v o u l u i m p r i m e r sur la
face de nos r o i s , c e s t le cri d o n t elle a couvert
le déclic de l a guillotine qui t r a n c h a la tetc de
Louis XVI. Le d e s p o t i s m e a régné p a r t o u t où n ' a
point triomphé l'esprit du Roi Jésus-Christ : « Vous
m'appelez Maître et Seigneur, et vous faites bien,
car je le s u i s ; si d o n c je v o u s ai lavé les pieds,
moi Seigneur et Maître, vous devez aussi vous laver
les pieds les u n s les a u t r e s . Car je vous ai donné
l'exemple afin q u e ce q u e j ' a i fait ù votre égard
vous le fassiez vous-mêmes. C'est ainsi que le
Fils de l'homme est venu n o n p o u r être servi mais
pour servir ». Que cette p a r o l e soit devenue l'idée
directrice de la m o n a r c h i e c h r é t i e n n e et tout spé-
144 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

étalement de la m o n a r c h i e française, c e s t l e grand


miracle de l'histoire de l ' h u m a n i t é . L ' h o m m e en sa
qualité d'être à la fois m o r a l et c o r r o m p u , juste
d a n s s o n intelligence et p e r v e r s d a n s sa volonté,
d o i t n é c e s s a i r e m e n t être g o u v e r n é . II l'a été toujours
et p a r t o u t ; et t o u j o u r s et p a r t o u t l ' h o m m e qui a
tenu en m a i n s les r ê n e s du g o u v e r n e m e n t a plus
o u m o i n s réalisé le p o r t r a i t q u ' e n t r a c e la Sainte
E c r i t u r e : « I l p r e n d r a vos enfants p o u r conduire
ses c h a r i o t s ; il p r e n d r a les u n s p o u r l a b o u r e r ses
c h a m p s et les a u t r e s p o u r lui f a b r i q u e r des armes:
il en fera des officiers et des soldats. Il fera de
vos filles des parfumeuses et des cuisinières à son
usage. Il p r e n d r a p o u r lui et p o u r les siens ce quil
y a de m e i l l e u r dans vos c h a m p s , il p r e n d r a la
d î m e de vos t r o u p e a u x , et vous serez ses esclaves ».
Le r o i chrétien est tout a u t r e q u e le t y r a n dont
le p o r t r a i t e s t a i n s i trace. Il se fait le serviteur de
ses sujets.
« J a m a i s , observe d e Maislre, les n a t i o n s antiques
n ' o n t d o u t é , p a s plus que les n a t i o n s infidèles n'en
doutent a u j o u r d ' h u i , que le d r o i t d e vie et de mort
n ' a p p a r t î n t d i r e c t e m e n t aux s o u v e r a i n s . Il est inu­
tile de p r o u v e r cette vérité, qui est écrite en let­
tres de sang s u r toutes les pages d e l'histoire. >
D a n s la chrétienté, le roi a u n e a u t r e notion de
son pouvoir. « L e s P a p e s o n t élevé la jeunesse de la
m o n a r c h i e e u r o p é e n n e . Ils l'ont faite, au pied de
la lettre, c o m m e Fénclon fit le d u c de Bourgogne.
L'effort continuel de l'Eglise, d i r i g é p a r le Sou­
verain Pontife, a fait de la m o n a r c h i e ce qu'on
n'avait j a m a i s vu, et ce q u ' o n n e v e r r a j a m a i s par­
tout où celte a u t o r i t é sera m é c o n n u e . »
LES CAPÉTIENS 145

CHAPITRE XXIX

LES CAPÉTIENS
(suite )

U R -second a t t r i b u t q u i dislingue la dynastie c a ­


pétienne d e toutes celles qui o n t régné ou qui r é ­
gnent en E u r o p e , c'est s o n c a r a c t è r e d e nationalité.
Seule elle j o u i t tle ce privilège essentiel d'être na­
tionale : vraiment e t p u r e m e n t n a t i o n a l e , parce qu'el­
le tient au pays p a r ses p l u s p r o f o n d e s racines. Elle
n'est pas v e n u e d u d e h o r s , c o m m e les familles
royales de tant d'autres n a t i o n s . Elle a g e r m é s u r
notre sol; elle s'y est élevée, elle s'y est épanouie
en rovaulé.
Elle est nationale aussi, p a r c e que c'est elle qui
a fait la nation française. A Clovis n o u s devons
le catholicisme qui est l ' a m c de la F r a n c e et la
première assise politique du r o y a u m e de F r a n c e .
Charlemagne le continue, et élève à un plus h a u t d e ­
gré de force et de gloire l a d o u b l e tradition du pou­
voir central e t de l'esprit c a t h o l i q u e . Mais ni l'un
ni l'autre n ' a r r i v e n t à protéger l e u r œ u v r e . Sans
doute la tradition catholique est m a i n t e n u e par la
perpétuité de l'Eglise et la fidélité que nos rois lui
gardent; mais l'unité politique est profondément at­
teinte par les partages e n t r e les fils des rois et l'ins­
titution de la féodalité. Hugues C a p e t vient, et lui et
ses successeurs bâtissent l'édifice national et lui
donnent une c o h é r e n c e et u n e solidité inébranlable,
tout en le faisant r e p o s e r s u r les assises profondes
posées par Clovis et p a r C h a r l e m a g n e .
La Mission de la lise J e u n e d'Arc. 10
146 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

Sous les Capétiens, l ' I l e - d e - F r a n c e , ce n o y a u , s'est


ainsi développé :
Le Berry a été réuni L'Orléanais réuni sous
e r
sons Philippe 1 en. 1100 Louis X I I e n . , . 1498
La Normandie ré unie L'Angoumois réuni
sons Philippe-Au- sous François I en.e r
1515
guste en 1204 Le Nivernais réuni
La Touraine réunie B O U S François I " en. 1517
flous Philippe-Au- Le Bourbonnais réuni
guste en . . . . 1204 sous François I en.e r
1527
Le Languedoc rôt mi La Marche réunie sous
sous saint Loui» en . 1229 e r
François 1 en . . 1527
La Champagne réunie Le Limousin réuni
sous Philippe le Bel sous François I en.w
1527
en 1284 La Gascogne réunie
Le Lyonnais réuni sous Henri IV en . 1589
sous Philippe le Bet Le Béarn réuni sous
en 1310 Henri I V en . . . 1589
Le Dauphiué réuni Le Comté de F o i x
sons Philippe VI en. 1346 réuni sous Henri I V
Le Poitou réuni sous en 1589
Charles V eu . . . 1372 L'Auvergne réunie sous
Aunis et Saintouge Louis X I I I en. . . 1610
réunis sous Char- L'Artois réuni sous
les V eu 1373 Louis X I I I en. . . 1640
La Guyenne renne La Flandre réunie P O U S
sous Charles V I I I Louis X I V en. . . 1668
en 1453 Le Koussillon réuni
La Picardie réunie sous sous Louis X I V en . 1669
LouUXIen . . . 1477 La Franche-Comté réu-
La Bourgogne réunie nie sous Louis X I V
sous Louis X I en . 1477 en. . . . . . . 1678
L'Anjou réuni sous La Lorraine réunie
Louis X I en . . . 1481 sous Louis X V en . 1766
La Provence réunie L'île de Corse achetée
POUH Louis X I en 1*181 aux Génois sous
Le Maine réuni sous Louis X V en . . . 1768
Lonis XI en . . . 1481 L'Algérie conduise sous
La Bretagne réunie Charles X e n , . . 1830
«ou»Charles VII en. 1491

« I / h i s t o i r c de mes ancêtres, a dil eu toute vérité


le comte d e C h a m b o r d , est l ' h i s l o i r a d e la gran-
LES CAPÉTIENS 147

(leur progressive d e l a F r a n c e . > E t le socialiste


Amourrette n ' a p o i n t p a r l é a u t r e m e n t : « Citoyens,
en vous a r a c o n t é q u e nos r o i s étaient des monstres.
Regardez, l e u r œ u v r e , c'est l a F r a n c e . » Œ u v r e dif­
ficile, celle d e faire un p a y s u n et homogène gou­
verné par u n m ê m e p o u v o i r , uni p a r la c o m m u n a u t é
d'intérêts et de droits, é t e n d u à ses limites n a t u ­
relles de la mer, des m o n t a g n e s et des fleuves, et cela
malgré les m o r c e l l e m e n t s d e territoire, les rivalités
de pouvoir et d'intérêts, les divisions de race et de
langue et u n e m u l t i t u d e d e s o u v e r a i n e t é s locales.
C'est p a r c e q u e l l e se fit s t r i c t e m e n t héréditaire
que la dynastie capétienne p u t a c c o m p l i r ce g r a n d
ouvrage. Le p r e m i e r soin d e H u g u e s Capet fut d'as­
surer le t r ô n e à son fils en le faisant élire dès 987.
Ses successeurs suivirent cette politique, et depuis
Robert le P i e u x j u s q u ' à P h i l i p p e Auguste, chacun des
premiers r o i s capétiens fut associé au Irône du vi­
vant même de s o n père.
La divine P r o v i d e n c e vint a d m i r a b l e m e n t en aide
à l'effort de la d y n a s t i e p o u r faire la F r a n c e u n e ;
non seulement elle l'a m a i n t e n u e d a n s la suite des
siècles, mais elle a p o u r v u à ce q u e l a t r a n s m i s ­
sion du p o u v o i r s'y fit d ' u n e m a n i è r e régulière sans
compétitions et sans secousses ; bien plus, elle fit
que durant p l u s de t r o i s siècles, on vit en F r a n c e
le fils ainé d u r o i lui s u c c é d e r s u r le trône et q u e
jamais, d a n s la transmission de la- c o u r o n n e de père
en fils, la question d'exclusion p o u r incapacité ne
se posât. L a c o n t i n u i t é de l ' œ u v r e r o y a l e fut ainsi
assurée d u r a n t plus de t r o i s siècles p a r l'existence
d'un fils aîné apte au g o u v e r n e m e n t , placé là c o m m e
à dessein, p o u r recueillir s a n s i n t e r r u p t i o n , paisi­
blement et s û r e m e n t l'héritage p a t e r n e l et la pen­
sée à la fois d y n a s t i q u e et nationale. A u c u n e a u t r e
148 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

histoire d ' a u c u n peuple n e présente cet ensemble


de faits providentiels.
Voyez rAngleterre : six d y n a s t i e s de r o i s s'y suc­
cèdent en t r o i s siècles; la F r a n c e n'en a q u ' u n e en
huit cent c i n q u a n t e ans. A u p a r a v a n t il y avait eu
d a n s l ' e m p i r e franc d e u x l o n g u e s successions de
rois, qui ne r e p r é s e n t e n t q u e deux d y n a s t i e s en cinq
cents a n s ; et il est r e m a r q u a b l e q u e la nouvelle
dynastie vint se s o u d e r deux fois à l'ancienne pur
mariage, d e s o r t e que, c o m m e l a r e m a r q u é M. Ar­
t h u r L o l h , la liguée de n o s rois r e m o n t e ù Charle­
magne et d e lui à Clovis et q u e Ton peut dire avec
vérité qu'il îfy a eu en F r a n c e , d a n s l'espace de
q u a t o r z e siècles, q u ' u n e famille, q u ' u n e dynastie
r o y a l e d e p u i s le baptistère d e Clovis j u s q u ' à Fécha-
faud de L o u i s XVI. Aucun a u t r e E t a t n e p e u t pré­
senter un tel p h é n o m è n e . Celle c o n t i n u i t é , néces­
saire p o u r la constitution du r o y a u m e de France,
ne 1 était p a s m o i n s p o u r m a i n t e n i r à travers les
siècles ce q u e Ton a appelé « l i d é e vi laïc ». L'idée
vitale de la nation française c'est-à-dire le senti­
ment p r o f o n d de la vocation à laquelle elle a clé
appelée, de la mission qui lui fut signifiée au bap­
tême de Clovis, c l que J é s u s , le vrai roi d e France,
c o m m e dit J e a n n e d'Arc, voulait réaliser p a r ses lieu­
tenants.

J. d e Mnistre a fait u n e a u t r e r e m a r q u e . * On croit


( p r u n e famille est royale p a r c e qu'elle règne; au
T
c o n t r a i r e , elle règne p a r c e qu elle est royale. Cne
famille n e p e u t régner q u e p a r c e qu'elle a plus de
vie, plus d'esprit royal, en u n m o t p l u s d e ce qui
rend une famille plus faite p o u r régner. Il m'a
t o u j o u r s p a r u infiniment p r o b a b l e q u e les familles
véritablement royales sont n a t u r e l l e s et diffèrent
LES CAPÉTIENS

des autres c o m m e u n a r b r e diffère d'un arbuste.


11 ne faudrait d o n c point s ' é t o n n e r d e t r o u v e r d a n s
une famille r o y a l e p l u s d e vie c o m m u n e q u e d a n s
toute autre. Q u a n d o n lit l ' h i s t o i r e , on serait tenté
de croire q u e la m o r t violente est naturelle aux prin­
ces. N'est-ce pus une c h o s e d é p l o r a b l e q u e d a n s ces
derniers temps, o n ait pu d i r e e n c o r e : si, d a n s u n
espace d e deux siècles, o n t r o u v e en F r a n c e dix m o ­
narques o u d a u p h i n s , t r o i s sont assassinés, trois meu­
rent d'une mort s e c r è t e m e n t p r é p a r é e , et le dernier
périt sur Péchafaud. Et c e p e n d a n t , p r e n o n s u n ter­
me moyen, 30, e n t r e les deux n o m b r e s 27 et 33, fixés
pour la durée de la vie c o m m u n e et le n o m b r e 20,
évidemment t r o p bas, eovnme c h a c u n peut s'en con­
vaincre p a r soi-même, p o u r le règne commun euro­
péen; je d e m a n d e c o m m e n t il est passible q u e les
vies soient de 30 ans seulement, et les règnes de 22,
à 2T), si les p r i n c e s (j'entends les princes chrétiens)
n'avaient plus de vie c o m m u n e que les autres hoftn-
mcs. En F r a n c e , le règne c o m m u n , calculé p e n d a n t
trois cents ans est d e vingt-cinq ans. En Angle­
terre, les règnes, q u i étaient d e p l u s de vingt-trois
ans avant lu Réforme, n e sont p l u s q u e d e dix-sept
ans depuis celle époque ». J. de Maistrc termine ce
chapitre p a r cette réflexion : *. On n e saurait troip
approfondir Tinfluence d e la religion s u r lu d u r é e
des règnes et s u r celle des dynasties. » C'est parce
que la d y n a s t i e c a p é t i e n n e a été, c o m m e noais le
verrons, la plus religieuse, la plus chrétienne q u e
Dieu lui a accordé les privilèges q u e no«us venons
de dire.
Un h o m m e a q u i l ' é r u d i t i o n française est r e d e ­
vable de travaux h i s t o r i q u e s et géographiques q u i
manquèrent d a n s n o t r e é p o q u e , M. Auguste Lon-
çnon. a rendu aux capétiens ce témoignage: * ... Ces
IffO LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

résultats n ' a u r a i e n t pu être a t t e i n t s (le m a i n t i e n et


le d é v e l o p p e m e n t d e l'unité nationale) si la maison
royale d e F r a n c e n e s'était p a s distinguée, entre
toutes les m a i s o n s royales d u m o n d e chrétien, par
la s c r u p u l e u s e h o n n ê t e t é , n o n s e u l e m e n t de ses chefs
d o n t q u e l q u e s - u n s furent m ê m e ries s a i n t s : Ro­
bert II, L o u i s VII et L o u i s IX *, m a i s aussi par
celle d e la p l u p a r t des p r i n c e s des fleurs de lis,
e
c o m m e on appelait a u X I V et a u XV<* .siècle, les
princes issus des b r a n c h e s collatérales d e la dynas­
tie capétienne. Sans d o u t e , o n p e u t citer p a r m i les
chefs de la maison de F r a n c e , c'est-à-dire p a r m i nos
rois, q u e l q u e s p r i n c e s jx>ur lesquels le b u t à attein­
d r e légitimait les m o y e n s e m p l o y é s : j e veux parler
de P h i l i p p e le Bel et d e L o u i s XI. Mais ce n e sont
là q u e des exceptions. Les r o i s c a p é t i e n s de la
b r a n c h e directe furent en g é n é r a l d e fort honnê­
tes gens, et ils le furent aussi bien au p o i n t d e vue
i
privé q u ' a u p o i n t de vue public, La maison cù]x ~
tienne c o m m a n d a i t le respect m ê m e de ses ennemi*.
Il est t r o p vrai que P h i l i p p e le Bel c o m p r o m i t un
m o m e n t la vieille r é p u t a t i o n de p r o b i t é q u i était
Tune d e s m e i l l e u r e s parties du p a t r i m o i n e moral de
sa race. Mais ce n e fut là q u ' u n e éclipse passagère
que fit bientôt oublier la c o n d u i t e toute chevale­
resque, t r o p c h e v a l e r e s q u e m ê m e des deux pre­
miers r o i s de la maison d e Vatois. Quel contraste
avec les deux dynasties royales q u i se succèdent
s u r le t r ô n e d'Angleterre qu'elles occupèrent de
lOfifi à 1 1 8 5 ! »

i
1. S e l o n le ^ témoijrnapre de Pi( VII on peut njnutrr
Louis X V I , sans compter c e u x qui, h o m m e s et îommw,
n'occupaient point le trône, m a i s ćtaiont de cetfe fa­
mille qui, au milieu de t o u t e s les séductions mondains*,
a donné x>lus de saints au ciel que nulle a u t r e .
LES CAPÉTIENS 151

CHAPITRE XXX

LES CAPÉTIENS (suite)

Etablir et faire r é g n e r la paix, constituer la F r a n ­


ce, telles sont les d e u x p r e m i è r e s œ u v r e s qu'a
accomplies la dynaslie c a p é t i e n n e et p o u r lesquel­
les elle a reçu de Dieu d e si éminentes prérogatives.
Elle eut une troisième mission, d ' o r d r e supérieur :
faire régner e n F r a n c e N o t r e - S c i g n e u r J é s u s - C h r i s t ;
mieux que cela établir son règne d a n s le m o n d e .
La Bienheureuse Pucelle est venue le rappeler à
Charles VII a p r è s lui a v o i r r e n d u son r o y a u m e .
En vue d e cette mission, le r o i d e F r a n c e était cons­
titué, p a r le sacre, F É V Ê Q U E D U D E H O R S , c'est-à-
dire, celui h q u i était confiée l'administration exté-
rieure des églises de la F r a n c e d a n s leurs intérêts
du temps. Les a u t e u r s c o n t e m p o r a i n s , les moins sus­
pects comme M. L u c h a i r c , insistent sur ce qu'ils
appellent le caractère « ecclésiastique », que le sacre
conférait à la r o v a u t é française.
Le sacre d e ses rois a été longtemps un privilège
1
réservé à la F r a n c e . A u c u n e m p e r e u r romain, ni
Constantin, ni Théodose n ' o n t reçu de l'Eglise cette
consécration religieuse. Q u a n d le m o m e n t vint o ù
la Providence v o u l u t a v o i r des r o i s p r o t e c t e u r s d u
Saint-Siège et p r o p a g a t e u r s d e la Foi, elle suggéra
à saint Remi c o m m e à un n o u v e a u Samuel la pen­
sée de sacrer p a r Ponction sainte le fondateur de la

1. Ce ne fut que p l u s tard que l'Espagne v o u l u t


avoir, elle aussi, u n roi o i n t d e l'huile sainte. L'An-
gleterre, puis les autres n a t i o n s de l'Europe exprimèrent
ensuite le même désir.
152 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

m o n a r c h i e française. A c h a q u e r e n o u v e l l e m e n t de rè­
gne, le s a c r e du n o u v e a u roi vint c o n f i r m e r le carac­
tère i m p r i m é à la m o n a r c h i e française, sceller à
nouveau l'alliance, si souvent notariée, p o u r ainsi
dire, p a r les S o u v e r a i n s Pontifes e n t r e le Christ et
la F r a n c e . P a r le sacre, dit la liturgie, les rois de
F r a n c e sont faits les l i e u t e n a n t s d u Christ a u dehors.
Au droit temporel, t e r r e s t r e , h u m a i n , q u e nos rois
tenaient d e la constitution du r o y a u m e , d e l e u r nais­
sance, venait s'adjoindre u n e c e r t a i n e participation
au droit divin dont Jésus-Christ est la source et
l'Eglise le c a n a l . Ils recevaient un d r o i t supérieur
au droit h u m a i n , afin de m e t t r e les lois civiles en
h a r m o n i e avec l'Evangile et d ' a i d e r l'Eglise à propa­
ger la foi et la m o r a l e c h r é t i e n n e s : ce q u i est pro­
p r e m e n t élablîr d a n s le m o n d e le règne du divin Ré­
dempteur.
U n e t r a d i t i o n qui se r a t t a c h a i t au baptême de
Clovis p a r saint Remi voulait q u e le sacre eut lieu h
Reims et p a r les mains de l'archevêque. La céré­
monie avait lieu un d i m a n c h e ou Tune des grandes
fêtes d e l'année. Le r o y a u m e tout entier s'y prépa­
rait p a r des prières publiques. Le roi p o u r s'y dis­
poser d e m a n d a i t à r e c e v o i r le s a c r e m e n t de péni­
tence et j e û n a i t les trois j o u r s précédents. C'était
pendant Toblation du Saint Sacrifice q u e le roi était
sacre, c o m m e sont conférés les suints Ordres.
L ' a r c h e v ê q u e adressait d ' a b o r d à Dieu cette ad­
mirable p r i è r e :
« Dieu tout-puissant cl éternel, q u i gouvernez le
ciel, q u i avez créé la terre. Roi des rois, Seigneur
des seigneurs, q u i réglez le sort des Anges et des
h o m m e s . . . écoutez nos t r è s h u m b l e s prières et ré­
pandez vos a b o n d a n t e s bénédictions s u r votre servi­
teur Louis, q u e n o u s élisons, avec nos ferventes
LES CAPÉTIENS

supplications p o u r le r o i d e ce r o y a u m e , afin que,


confirmé d a n s la fidélité d ' A b r a h a m , soutenu p a r la
mansuétude de Moïse, m u n i de la force de Josué,
grand par riiuniilité de David, o r n é de la sagesse
de Salomon, il vous complaise en toutes choses, qu'il
marche d'un pas ferme et s û r d a n s le sentier de la
sagesse; qu'il pourvoie a u x besoins des églises de
son royaume et des p o p u l a t i o n s q u i en 'dépendent,
qu'il en soit le m o n i t e u r , le défenseur et l'instruc­
teur, et qu'il exerce avec force, c o n t r e tous ses enne­
mis visibles et invisibles, l'autorité royale q u i vient
de TOUS... q u e toujours m u n i d u casque et d u bou­
clier invincible d e votre protection, et couvert p a r
les armées célestes, il t r i o m p h e heureusement, et
selon nos souhaits, de tous ses e n n e m i s ; qu'il im­
pose le respect d e sa p u i s s a n c e a u x infidèles et q u e
par ses vertus, q u i r a c c o m p a g n e r o n t clans les com­
bats, il recueille avec j o i e les fruits d e la paix.
Ornez-le aussi de toutes celles d o n t vous avez décoré
vos antiques s e r v i t e u r s ; honorez-le d e bénédictions
abondantes; établissez-le glorieusement d a n s le gou­
vernement de son r o y a u m e et r é p a n d e z s u r lui l'onc­
tion et la grace d u Saint-Esprit, p a r Xotre-Seigneur
Jésus-Christ qui, p a r la v e r t u d e la Croix a subju­
gué l'Enfer, détruit l'empire d u d é m o n et est monté
victorieux au ciel, à qui a p p a r t i e n t toute puissance,
la domination et la victoire, et q u i est la gloire
des humbles, la vie et le salut des peuples. »
Puis s'adressant au p r i n c e il disait :
« Comme a u j o u r d ' h u i , excellent prince, vous allez
recevoir fonction sainte et les insignes de la r o y a u t é
par nos mains, et c o m m e (quoique indigne) n o u s te­
nons la place d u Christ, n o t r e Sauveur, il est b o n
que nous vous avertissions d e la c h a r g e q u e v o u s
allez prendre. Cette place est illustre, m a i s pleine
15-1 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

de d a n g e r s , de t r a v a u x et d e sollicitudes. Considérez
q u e t o u t p o u v o i r vient d u S e i g n e u r Dieu, par qui
les rois régnent et les législateurs décrètent des lois
justes, et q u e v o u s aussi v o u s a u r e z à r e n d r e oomplc
à Dieu du t r o u p e a u q u i v o u s est confié.
» Et d ' a b o r d , gardez la piété, r e n d e z u n culte à
Dieu, v o t r e Seigneur, d e t o u t v o t r e e s p r i t et d'un
c œ u r p u r . Défendez constamment et contre tous la
religion chrétienne et la foi catholique, q u e v o u s avez
professées d e p u i s voire b e r c e a u . Rendez aux pré­
lats et a u x a u t r e s p r ê t r e s l ' h o n n e u r q u i l e u r est dû.
Administrez invariablement la justice, s a n s laquelle
a u c u n e société ne peut d u r e r longtemps, en récom­
pensant les bons et en c h â t i a n t les m é c h a n t s . Défen­
dez c o n t r e t o u t e oppression les veuves, les orphelins,
les p a u v r e s , les faibles. Montrez-vous avec u n e dignité
royale, d o u x , affable, plein de bénignité p o u r ceux
q u i v o u s a p p r o c h e n t . Conduisez-vous d e telle sorte
que v o u s paraissiez régner non d a n s votre intérêt,
mais d a n s Yintfirct du peuple entier, et attendez non
de la t e r r e , mais du Ciel, la r é c o m p e n s e de vos
bienfaits. »
Le p r i n c e p r o m e t t a i t d e défendre la foi catho­
lique, le t e m p o r e l des églises confiées à sa garde
et de faire justice à tous. « A son c o u r o n n e m e n t , di­
sait Sugcr des le XIIc siècle, le r o i délaisse la milice
séculière et il ceint le glaive ecclésiastique p o u r la
punition des méchants. > L e p e u p l e acceptait cette
promesse. Le Pontife d e m a n d a i t alors au peuple
s'il v o u l a i t se s o u m e t t r e à ce p r i n c e et obéir à
ses o r d r e s ; et ce n'était q u ' a p r è s la r é p o n s e una­
nime d u clergé, d e l'aristocratie et du peuple que
l'évêque procédait au c o u r o n n e m e n t . Le roi revê­
tait successivement les insignes r o y a u x d o n t l'ab­
b a y e d e Saint-Denis avait la garde et q u e portaient
LES CAPÉTIENS 155

avec solennité les p r i n c i p a u x seigneurs, suivant la


condition de l e u r fief : la c o u r o n n e , l'épée, le scep­
tre et les é p e r o n s .
L'épée q u i était r e m i s e a u n o u v e a u roi, c'était
l'épée de C h a r l e m a g n e , Tépée q u e le P a p e Adrien
lui avait d o n n é e à son p r e m i e r pèlerinage à R o m e ;
la couronne que le prélat c o n s é c r a t e u r tenait de ses
deux mains p o u r la p o s e r s u r la tête de l'oint royal
dt à laquelle t o u c h a i e n t en même temps, les b r a s
étendus, les o n z e a u t r e s p a i r s laïques et ecclésiasti­
ques, les plus g r a n d s p e r s o n n a g e s du r o y a u m e , c'était
la couronne de C h a r l e m a g n e , « c o u r o n n e d e gloire
et de justice % corona gloriœ atqne jastiliœ.
Le sceptre et la « Main d e j u s t i c e », q u e l'ar­
chevêque r e m e t t a i t au r o i , c o m m e emblèmes com­
plémentaires de la dignité r o y a l e , n'avait pas u n e
aussi haute et aussi illustre origine. Ils n'en avaient
pas moins passé, au sacre de Louis XVI, ainsi que
nous l'avons observé, p a r les m a i n s de plus de gé­
nérations de rois de la m ê m e dynastie, que n'en
compte l'Angleterre avec toutes les siennes.
La tradition d e c h a c u n d e ces insignes était ac­
compagnée d e prières, les p l u s t o u c h a n t e s et les
plus instructives. Elles faisaient de ces insignes
des symboles d'un pouvoir presque a u t a n t spirituel
désormais que temporel.
Le roi de F r a n c e était s a c r é avec le Saint-Chrême,
la plus noble des Huiles Saintes, celle q u i est em­
ployée au sacre des évêques. L o r s q u e d'autres rois
demandèrent à l'Eglise d e les s a c r e r e u x aussi, elle
ne voulut l e u r a p p l i q u e r q u e l'Huile d e s catéchu­
mènes. Le sacre de la Sainte-Ampoule donnait au
roi de F r a n c e la p r é é m i n e n c e s u r t o u s les autres
rois, prééminence r e c o n n u e et acceptée; il faisait
K>(» IA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

du r o i saliquc le roi très chrétien n o n seulement


d a n s son r o y a u m e , mais s u r toute la terre.
Le r o i était oint a la téte d ' a b o r d , c o m m e révo-
que, p o u r m o n t r e r q u e de m ê m e q u e l'évoque a
la p r e m i è r e dignité d a n s le clergé, le roi de France
avait la prééminence s u r tous les souverains. Il
était o i n t aux mains, c o n n u e le p r ê t r e , non pour
le ministère de l'autel, m a i s p o u r la force à exercer
contre les e n n e m i s d e l'Eglise et de son peuple, et
aussi p o u r l e u r conférer le don des guérisons. Il
était o i n t aux épaules « p o u r p o r t e r le faix des
affaires, et d e la paix, et d e la g u e r r e . ? Il é t a i t oint
aux c o u d e s r p o u r les r e n d r e invincibles à ses e n i r
mis. »
L'onction sainte ainsi p r a t i q u é e faisait L E ROI.
On sait q u e J e a n n e d'Arc n ' a j a m a i s appelé Char­
les VII q u e « gentil d a u p h i n * a v a n t q u ' e l l e l'eût
mené s a c r e r à Reims.
L'onction sainte d o n n a i t la p e r s o n n e du roi à la
F r a n c e , de telle sorte q u e le roi a p p a r t e n a i t p l u s au
p a y s qu'il ne s'appartenait à lui-même. Après les
Etals d e l'Eglise, c'est en F r a n c e q u e la royauté
était la plus dégagée des liens terrestres, la plus
spiritualisée, peut-on dire. Le roi était plus vérita­
blement le père de sou peuple q u e d e ses propres
enfants. Il devait sacrifier ceux-ci à celui-là, et il
savait le faire, c o m m e les tables de m a r b r e d e Ver­
sailles en font foi. Ou plutôt ses enfants n'étaient
plus à lui, c'étaient les R fils de F r a n c e -.
P o u r nos pères, en vertu du sacre, le roi élait non
seulement le fils de saint Louis, l'héritier de ceux
q u i avaient fondé, m a i n t e n u , r e s t a u r é la pairie, c'était
" l'oint d u Seigneur . c Nul ne doit d o u t e r , "dit
l'auteur d u Songe, que le roi de F r a n c e n e prenne
spéciale grâce d u Saint-Esprit p a r la s a i n t e onc-
LES CAPÉTIENS 157

tion. » Cette onction faisait p l u s q u ' a t t e s t e r l'origine


divine de l'autorité s o c i a l e ; elle était p l u s q u ' u n
appel à l'assistance' d i v i n e s u r l a p e r s o n n e r o y a l e
et aux grâces d'état, elle r a t t a c h a i t le p o u v o i r ter­
restre à la suzeraineté de Noire-Seigneur Jésus-Christ,
elle voulait l'imprégner de son esprit, et l'introduire
dans la sphère où Dieu gouverne les âmes.
Le grand consacré est Jésus-Christ : la divinité
est le b a u m e versé au p l u s profond de son être,
clic le fait Hoi. c o m m e n o u s P a v o n s vu au commen­
cement de celle étude, en m ê m e temps que prêtre
et prophète. T o u t e c o m m u n i c a t i o n de sa vie el de
sa vertu est j u s t e m e n t m a r q u é e p a r l'onction : au
baptême, à la confirmation, à l'ordination sacerdo­
tale, et aussi — dislance gardée e.itrc un s a c r e m e n t
et un simple s a c r a m e n t a l , — a u sacre royal. Les
formules du rituel pontifical font expressément foi
de cette relation de l'onction r o y a l e avec l'onction
divine de Jésus-Christ.
Ainsi l'onction royale d o n n a i t au roi une sorte
de titre sacerdotal, u n certain c a r a c t è r e de sain­
teté, non sans doute d e cette sainteté qui r e n d
l'homme capable de v o i r Dieu tel qu'il est d a n s les
splendeurs éternelles; m a i s d e celle q u i établit des
rapports particuliers e n t r e Dieu et telle o u telle
de ses créatures. « L e r o i est l e m i n i s t r e de
Dieu », dit M. L u c h a i r e d a n s son Histoire (les Ins­
titutions m o n a r c h i q u e s d e la F r a n c e sous les p r e ­
miers capétiens; et M. F r a n t z F u n c k - B r e n t a n o ex­
prime aussi le s e n t i m e n t universel lorsqu'il dit :
f La fonction royale est une mission divine. Dieu
lui-même a placé le roi p a r m i les h o m m e s p o u r les
maintenir en justice et en paix. » C'est saint T h o -
mas d'Aquiu q u i a qualifié ces r a p p o r t s e n t r e Dieu
et nos rois de ce n o m : s a i n t e t é ; et il d o n n e en p r e u v e
J58 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

d e s o n existence c e q u i s'est passé a u b a p t ê m e de


Clovis e t q u i s'est r e n o u v e l é d e siècle e n siècle jus­
q u ' à n o s j o u r s : le p o u v o i r conféré à n o s rois de
g u é r i r les écrouellcs : « N o u s t r o u v o n s , dit-il, une
preuve d e cette sainteté d a n s les gestes des Francs
et d u B i e n h e u r e u x Remi. N o u s les t r o u v o n s dans
la sainte Ampoule a p p o r t é e d ' E n - H a u t p a r une co­
lombe p o u r servir au sacre d e Clovis et d e ses suc­
cesseurs et d a n s les signes, p r o d i g e s et diverses cures
opérés p a r e u x (De Regiminc principuin, II, XVI).
Il est i n c o n t e s t a b l e q u e les r o i s d e F r a n c e o n t lou­
ché les m a l a d e s affectés de scrofules. L ' h i s t o i r e abon­
d e en p r e u v e s confessant c e fait. Il est également
incontestable q u e de n o m b r e u x témoins, d o n t l'au­
torité est au-dessus de t o u t e suspicion, attestent la
guérisou d e s ecrouelles p a r le t o u c h e r r o y a l , jus-
1
q u e s et y c o m p r i s le t o u c h e r d e Charles X .
Cela étant, o n conçoit c o m m e n t cl p o u r q u o i , ce
qui p r é d o m i n a i t d a n s l'esprit de la sainte Pucelle,
c'était l a pensée d u sacre. C o n d u i r e le Dauphin à
Reims p o u r y r e c e v o i r s o n sacre, c'est ce quelle
a n n o n ç a à tous c o m m e é t a n t l'un des principaux
objets d e s a mission. J u s q u ' à ce j o u r , elle n'appela
Charles VII q u e « le gentil D a u p h i n »; n o n pus
qu'elle eût l'intention de le faire r e c o n n a î t r e roi par
le s a c r e ; elle n e d o u t a i t p a s d e son d r o i t royal.
Mais p a r ce sacramcntal elle voulait faire d e celui
en q u i le d r o i t était, l ' h o m m e de Dieu, l e sergent
de Dieu, le lieutenant du « Fils d e Marie, > souve­
rain Roi.
Cette d i g n i t é en q u e l q u e s o r t e s a c e r d o t a l e que le

1. Voir Du toucher des ecrouelles par les rois de


France. Lecture faite à l'Académie d e Heims par l'abbr
Cerf, Reims, 1 8 0 7 , in-8<>. Voir aussi Le Problème de
Vhmre présente* chapitre LXIII.
LES CAPÉTIENS

sacre conférait au Roi de F r a n c e le faisait désigner


sous le n o m de Roi des rois.
Le c h r o n i q u e u r anglais Matthieu P a r i s n o u s le
montre siégeant au-dessus des rois, a y a n t le roi
d'Angleterre à sa droite, le r o i d e N a v a r r e à sa gau­
che et il r a p p e l l e le Roi des rois de la terre tant à
cause de la céleste o n c t i o n , q u e d e l a supériorité de
son armée. « In majori Rcyia Templi comederunt
sic ordinaiii Dominus Rex Francorum, qui T E R R E S -
TIUUM REX AEGUM est, tum pvopter ejus cœlesiem
undionem, et militiœ eminentiam in medio sedebat,
d Dominus Rex Angliœ a dextris, et Dominus Rex
Sauarrce a sinistro... >» Ailleurs, il dit e n c o r e : c Le
roi de France est de t o u s les r o i s d e la t e r r e le plus
élevé en dignité et le plus r i c h e . Dominus Rex F ran-
corum Rcguin terrenoruin Altissimus et ditissimus... »
Nicolas de lirai, d a n s son poème, Gesta Ludovici
1 7 / / , dit aussi en p a r l a n t de Philippe-Auguste : R E X
AEtii'M MUNDi venerabilis ilte Philippins; et Octa-
visse de Saiul-Gélair, p a r l a n t d e Charles VII, s'ex­
prime ainsi :

En grand triomphe et parfaite excellence,


En bruit, en Vor d'honneur victorieux,
Le Roy D E S R O I S entra dedans Florence!

Citons encore J. Bodel, les Saunes, v. 3 :

//fl corone de France doit estre si avant


Que toutes autres doivent estre à lui apandant
De la loi chrétienne, qui en Dieu tout créant.
Le premier roi de France fist Deus, par soncommant,
Coroner à ses angles (anges), dignement en clmnlant;
Puis le commanda estre en terre son serjant,
Tenir droite justice et la loi mettre avant.
LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

CHAPITRE XXXI

LE RÈGNE D E SAINT LOUIS

Lu plus belle fleur q u ' a i l p r o d u i t e la tige capé­


tienne est, sans contredit, lo roi Louis IX, chrétien
j u s q u ' à la sainteté, h u m a i n j u s q u ' a u génie, royal
et simple, é n e r g i q u e et e x e r ç a n t « la seigneurie des
cœurs, y
De C h a r l e m a g n e à saint L o u i s il y ia q u a t r e siè­
cles. L e r a p i d e d é m e m b r e m e n t de l ' e m p i r e caro­
lingien n'avait pas détruit l ' œ u v r e de son fondateur
en ce qu'elle avait d'essentiel. Mais d e nouvelles
h o r d e s b a r b a r e s . Hongrois, N o r m a n d s , Sarrasins,
vont, viennent e t reviennent, a c c u m u l a n t partout
les ruines. L ' a n a r c h i e est la suile de ces invasions.
C e p e n d a n t au milieu m ê m e de l ' a n a r c h i e féodale
et des d é s o r d r e s qu'elle produisit, l'autorité de la
vérité p r e c h é e p a r le Christ e t celle de la loi im­
posée p a r le Christ allait e n croissant de siècle
en siècle, unissant les peuples d a n s l'unité de foi
cl de m œ u r s sous la houlette de l é v é q u e de Rome.
L ' a n a r c h i e avait forcé l'Eglise, avant les capétiens,
d ' a s s u m e r la charge des offices publics. A partir
e
du X I I siècle, clic a b a n d o n n e au pouvoir temporel
l'administration civile cl économique, et s'applique
plus u n i q u e m e n t à l'aire régner Dieu sur la terre,
c'est-à-dire la justice, la paix, l ' a m o u r fraternel,
la vie de foi et la vie de pénitence, émanation de
la croix du divin Sauveur.
Sous l'action des idées évaugéliques q u e le clergé
i m p r i m e d a n s les Ames, le régime politique, le régime
é c o n o m i q u e , les formes sociales, se christianisent
SAINT LOUIS IGI
dc plus en plus. L'esclavc-propriété a d i s p a r u le
serf-propriétaire a p p a r a î t , la famille se consolide
dans les basses classes, à l ' a n a r c h i e féodale succède
l'organisation féodale-; les usages se fixent, le droit
s'élabore, la h i é r a r c h i e se précisa, les institutions
de paix se systématisent protégées p a r les rois et
par les Papes. L'esprit de justice, d e liberté et de
paix se r é p a n d d e p l u s e n plus d a n s les foules.

1. C'est l'un dos p l u s grands bienfaits que lo règne


go'ial d e N o t r o - S e i g n e u r a i t apporté à l'nuinanité.
* L esclavage, d i t M. F u s l e l de Coulanges, a été c o m -
mun à toutes les sociétés a n c i e n n e s . IL a été i n d é p e n -
dant do toutes les i n s t i t u t i o n s e t d e s formes de g o u -
vernement. 11 a eu l a m ê m e vigueur a u milieu du
despotisme, et a u m i l i e u d e l a liberté, d a n s les sociétés
aristocratiques et dans les s o c i é t é s démocratiques. »
L'invasion germanique ^ p . 8 2 .
Si l'on veut bien comprendre l a c o n d i t i o n d e l'esclave,
il faut partir d e c e t t e i d é e q u ' a v a i e n t les s o c i é t é s a n ­
ciennes et q u e l ' e s p r i t d e l'Evangile n o u s fait» j u g e r
monstrueuse : *c à savoir que le m ê m e droit de propriété
qui sVxerce s u r un meuble, pouvait aussi s'exercer sur
des personne*. L'esclave est, p a r essence, un h o m m e qui,
au lieu de s'appartenir à l u i - m ê m e , est soumis au
uroił tic propriété d'un autre h o m m e ». Les m ê m e s ar­
ticles de droit qui s'appliquent à l a propriété de l a
lerro, s'appliquent au^si à c e t t e propriété qu'est l'esclave.
Comme la terre i l est propriété h é r é d i t a i r e ; il passe
de père en fils, d e parent e n parent. I l peut être
léjrué, donné eu dot, v e n d u e t vendu par les m ê m e s
formalités que la vente d e l a t e r r e . Le maître a sur
lui, en principe e t e n droit, le m ê m e pouvoir que sur
tout a u t r e o b j e t m e u b l e : il p e u t le p r ê t e r , le louer,
le céder eu usufruit, le m e t t r e e u g a g e , l'hypothéquer.
L'esclave n'est pas une personne. Tar suite l'esclave
lie compte pas dans la c i t é , e t c o m m e l'état de famille
était étroitement lié à l'état d e c i t o y e n , l'esclave n'avait
pas les droits de l a f a m i l l e : pour lui point de mariage
légalement reconnu e t s o n fils appartenait à s o n m a î t r e .
Voilà l'état de chose général qui disparut peu à peu
dans la société cliré.Icmic, dans lo royaume du Clirisl.
LA MIVOIUII DC U LISE JEANNE D A I L ] TI
162 LA CIVILISATION CHRETIENNE EN FRANCE

De son côté, le g o u v e r n e m e n t d e l'Eglise, suivant


l'impulsion qui lui a été d o n n é e p a r Grégoire VII,
achève de s'organiser d e façon à r e m p l i r d a n s toute
son étendue, d a n s la chrétien lé, le rôle q u e lui COIIT
fère sa souveraineté spirituelle, q u e n o u s exposerons
et e x p l i q u e r o n s , l o r s q u e n o u s a u r o n s la douleur
de le voir a t t a q u é et m i n é p a r u n fils de saint Louis.

Le règne d e ce saint r o i fut l e p l u s h a u t point


q u ' a i t atteint, dans' le passé, la civilisation chré­
tienne, l'apogée de ce q u i a été vu jusqu'ici du
règne de Dieu sur l a t e r r e . Boniface VIII d a n s la
Bulle de canonisation peint ainsi le saint r o i :
c Ne n u i s a n t à p e r s o n n e , n e faisant i n j u r e à qui
q u e ce soit, se g a r d a n t de t o u t e violence, il a respecUS
et o b s e r v é d e toutes ses forces les limites d e la
justice e t n ' a j a m a i s a b a n d o n n é le s e n t i e r d e l'équité.
Il a r é p r i m é p a r le glaive des c h â t i m e n t s mérités les
coupables desseins des m é c h a n t s , b r i s a n t l e u r s com­
plots, m e t t a n t un frein à l e u r a u d a c e . Il a été un
zélateur a r d e n t d e la paix, u n fervent a m a t e u r de
la c o n c o r d e , le p r o m o t e u r plein d e sollicitude de
r u n i t é . E t c'est p o u r q u o i d a n s le t e m p s de son heu­
reux g o u v e r n e m e n t , les flots étaient calmes d e toutes
parts, t o u t e s les causes n u i s i b l e s enlevées, l'aurore
d'une d o u c e tranquillité brilla s u r les h a b i t a n t s de
son r o y a u m e et la j o y e u s e sérénité d e la prospérité
sourit à l e u r s vœux. »
Les historiens, môme les moins chrétiens, n e par­
l e n t , pas a u t r e m e n t d u saint r o i . T o u s reconnaissent
qu'il a é t e n d u la r e n o m m é e de lu F r a n c e jusqu'aux
extrémités d u m o n d e , a u g m e n t é son r o y a u m e de
plusieurs provinces, doté ses peuples d e lois sages
et justes, multiplié les m o n u m e n t s des arts, préside
à un m o u v e m e n t intellectuel d o n t les n o m s de saint
SAINT LOUIS 163

Thomas d'Àquin, de saint B o n a v e n t u r e , d'Albert le


Grand disent suffisamment la s p l e n d e u r . Le grand
amour qu'il avait p o u r son peuple, parut, dit Join-
ville, à ces p a r o l e s q u ' i l tint à son fils aîné pen­
dant sa grande maladie : « Beau fils, je te p r i e q u e
tu te fasse a i m e r d u p e u p l e d e ton r o y a u m e : car
vraiment j ' a i m e r a i m i e u x q u ' u n Ecossais vint d'Ecos­
se et gouvernât le p e u p l e bien et loyalement q u e
tu le gouvernasse mal aperteinent. » T o u s les sou­
verains le révéraient. Il j o u a a u p r è s d e u x le r ô l e
d'apaiseur q u e ses p r é d é c e s s e u r s s'étaient appliqués
à exercer a u p r è s de l e u r s sujets. Ils l'avaient vu
se prononcer c o n t r e lui-même à Abbcville d a n s ses
démêlés avec l'Angleterre, refuser, p o u r ne pas bles­
ser ce qu'il c r o y a i t ê t r e le d r o i t d ' a u t r u i , u n e cou­
ronne que le P a p e lui offrait en Italie, et eu Egypte
subir dans la p r i s o n de c r u e l s supplices plutôt q u e
de prêter u n s e r m e n t qu'il c r o y a i t ne pas pouvoir
tenir. Mais sa g r a n d e passion fut l ' a m o u r du Christ,
i Vous voyez, dit-il à ses fils avant de p a r t i r p o u r
la seconde croisade, c o m m e n t pour la cause du
Christ je n ' é p a r g n e point m a vieillesse et c o m m e n t
j'ai résisté a la désolation de t o u s ceux q u i m e sont
chers... J'ai voulu vous d i r e c e s choses afin q u ' a p r è s
ma mort, et lorsque vous, m o n fils P h i l i p p e , vous
serez monté sur le trône, vous n'épargniez rien pour
le Christ et pour la défense de son Eglise. »
« Pendant q u e t o u s é t a i e n t en l a r m e s ( a u t o u r d e
son lit de m o r t ) , dit Guillaume de Nangis, il disait
d'une "voix affaiblie : « Seigneur, gardez notre peu-
ple et SANCTIFIEZ-LE », et il r é p é t a i t sans cesse la
même prière. » T o u t e sa vie il avait placé la gloire
et l'intérêt de D i e u à la tête de toutes ses a c t i o n s ;
il avait tout mesuré à la loi d e Dieu e t à l'utilité
de ses sujets.
LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

Son règne, dit Voltaire, r e n d i t la F r a n c e « la plus


noble n a t i o n » d e la c h r é t i e n t é . Que no serions-
n o u s pas, si n o u s avions m a r c h é d ' u n pas persévè­
rent d a n s la voie qu'il n o u s a v a i t t r a c é e ? Que serait
la chrétienté, que serait le m o n d e si, d a n s les siè­
cles qui ont suivi, le r è g n e de Dieu avait continué
à se développer en F r a n c e , c l ailleurs p a r l'action
de la F r a n c e ?

Au XII* siècle et d a n s la p r e m i è r e moitié d u XIII*,


la volonté de progresser a u x l u m i è r e s d e la foi
est si g r a n d e , l'esprit de f r a t e r n i t é est si profond
q u ' u n s y s t è m e social s'ébauche o ù T o r d r e tend à
s'établir d e plus en plus s u r les b a s e s suivantes,
fournies p a r l a Révélation :
L e C r é a t e u r a i m p o s é à l a c r é a t u r e u n e fin que
l'Eglise n o u s a fait c o n n a î t r e et q u ' e l l e n o u s aide
à p o u r s u i v r e : la société politique et la société éco­
n o m i q u e doivent, non pas p r o c u r e r , mais favoriser
le règne d e Dieu d a n s les aines et d a n s la société.
Ni s e i g n e u r s , ni rois n e d o i v e n t o u b l i e r d a n s leurs
édits, d a n s leurs statuts la fin s u p é r i e u r e de toute
l'œuvre h u m a i n e . Le P a p e , chef de l'Eglise, est
AC n a t u r e l g a r a n t du d r o i t ; les évêques e t les abbés
en sont les m i n i s t r e s locaux. L e s d r o i t s des honi-
Mies sont fondés s u r les d r o i t s , imprescriptibles
de Dieu. L ' e m p e r e u r , les rois et les d u c s sont char­
gés de m a i n t e n i r la paix e t d e c h â t i e r ceux qui
la troublent.
M. Guizot, t o u t protestant q u ' i l était, a bien saisi
le p r i n c i p e d e vie q u i a n i m a i t l e m o y e n âge, « la
théologie fournissait a l o r s a u m o n d e européen le
sang q u i coulait d a n s ses veines. » Elle lui don­
nait aussi le plan a r c h i t e c t u r a l selon lequel il cons­
truisait la société. Du h a u t en b a s d e l'édifice une
h i é r a r c h i e semblable à celle q u e saint Denys l'aréo-
SAINT LOUIS 165

pagite n o u s fait a d m i r e r d a n s la création céleste e t


terrestre, e n c a d r a i t les h o m m e s et leurs associa­
tions.
Un religieux allemand, le d o m i n i c a i n Weiss, d a n s
son g r a n d o u v r a g e : Apologie du christianisme au
point de vue de la civilisation \ décrit ainsi l'organi­
sation sociale qu'avait c o n ç u e , q u e réalisait jusqu'à
un certain p o i n t , l'esprit q u i a n i m a i t ce siècle d e
1
foi. Tout ce qu'on l i r a ici est pris textuellement d a n s
les auteurs d u t e m p s auxquels le P. Weiss ren­
voie.
Le ciel e t l a t e r r e n e f o r m e n t ensemble q u ' u n
seul r o y a u m e féodal, indivisible. C'est là le principe
suprême de t o u t e la m a n i è r e de penser e t d'agir au
moyen âge.
Dieu est le Roi de ce royaume h o m o g è n e ; il est le
Seigneur impérial. Il est n o n seulement l'empereur
des âmes, m a i s aussi le S e i g n e u r le plus h a u t q u i
soit sur la t e r r e : l ' e m p e r e u r 'de t o u s les e m p e r e u r s
dans le m o n d e visible, l ' e m p e r e u r de tous les rois,
le roi de tous les e m p e r e u r s . Ces d é n o m i n a t i o n s
sont spécialement a t t r i b u é e s a u Seigneur Jésus-Christ
qui a porté n o t r e n a t u r e h u m a i n e d a n s l'unité d e
personne avec la n a t u r e divine.
Marie porte d e plein d r o i t les titres de son Fils.
Elle est h o n o r é e c o m m e l a Mère d e l ' E m p e r e u r
étemel, c o m m e l'Impératrice, la Princesse du r o y a u ­
me céleste et terrestre, la S u p é r i e u r e d e toutes les
troupes angéliques, la R e i n e de toutes les créa­
tures.
Dans ce r o y a u m e q u i e m b r a s s e l e ciel et la terre,
les Apôtres sont les douze princes, les comtes
ou barons s u p r ê m e s et les c o m p a g n o n s d'armes du

1. Traduction française, t. V, p . 526 et suiv.


llîlî h\ CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FR\NCR

Seigneur, les défenseurs et les protecteurs de la


chrétienté.
Les -saints sont les b a r o n s i n f é r i e u r s d a n s c e royau­
me g u e r r i e r o ù FEglisc m i l i t a n t e l u t t e c o n t r e les
Puissances infernales et s'efforce d ' é t e n d r e le do­
maine d u Christ.
Les anges r e n v e r s e n t d e v a n t les chevaliers du
Christ t o u t ce q u e ceux-ci rencontrent d e mortel
et d e d a n g e r e u x . L e u r chef est Michel, le chevalier
b a n n c r c l du Ciel.
Ces i m a g e s chevaleresques inspirent la pensée et
la vie tout e n t i è r e : le t e r r e s t r e et le céleste se corn-
pénètrent, et l u n et l ' a u t r e p a r t e n t également de
l'idée féodale. N o u s s o m m e s t o u s les vassaux de
Dieu. T o u t ce q u e n o u s a v o n s n o u s la possédons
c o m m e fiefs d e Dieu. Kt c'est p o u r q u o i la fidélité,
l'accomplissement d e s obligations du vassal envers
Dieu et e n v e r s les s u p é r i e u r s terrestres, est la plus
h a u t e d e s v e r t u s sociales, l'idée fondamentale de
tous les d e v o i r s de la vie p u b l i q u e . C h a q u e chrétien
est né p o u r cire un c o m p a g n o n d ' a r m e s du Fils
d u lîoi du ciel, qui déjà, étant enfant, a commencé
à lutter p o u r n o u s c o m m e u n vaillant guerrier.
Son service est le vrai service d ' a m o u r . La lutte
p o u r Lui et d'après ses c o m m a n d e m e n t s est la vraie
lutte d ' h o n n e u r . Malédiction et h o n t e p o u r celui
qui hésite à r é p a n d r e son sang d a n s ce service.
Celui q u i veut gagner le ciel c o m m o d é m e n t n'est
pas reçu p a r le Seigneur. La religieuse elle-même, dans
sa cellule, veut lutter p o u r Lui, en chevalier, de
toutes ses forces. C'est p o u r q u o i elle prie le Sei­
gneur d e la revêtir d e l ' a r m u r e sainte.
De tels sentiments ennoblissaient l'homme sous
tous les r a p p o r t s . U y avait, à crlU* époque, une
SAINT LOUIS 167

morale pour ainsi dire, chevaleresque, très différen­


l
te de notre m a n i è r e d e concevoir l a vie sociale .

Sans doute t o u t n'était p a s parfait au moyen âge


et il n'y avait pas q u e des saints d a n s cette société
chrétienne. Mais l ' a t m o s p h è r e q u e créaient les idées
que nous v e n o n s d'exposer exerçait sur les m œ u r s
sociales et les m œ u r s privées u n e puissance sou­
vent déterminante. B e a u c o u p d ' i n d i v i d u s n'étaient
pas meilleurs q u e les pires de leurs descendants
actuels; mais se m o n t r a i e n t - i l s tels en public, ils
étaient excommuniés p a r la c o u t u m e et la conscien­
ce de tous. S'ils c h e r c h a i e n t à passer o u t r e , ils pou­
vaient s'attendre à ê t r e r e p o u s s é s d e l e u r famille,
de leur corporation o u de l e u r classe.
L e s peuples se s o u m e t t e n t a u x lois p a r devoir d e
conscience lorsqu'ils sont c o n v a i n c u s qu'elles pren­
nent leur origine d a n s la volonté d u Maître des con­
sciences. Dieu n o t r e C r é a t e u r et n o t r e Juge. Au
moyen âge, l a théologie, ou la p e n s é e et la volonté
de Dieu, était l a m e d u droit, des lois, des institu­
tions et d e l'Etat lui-même. E l c'est p o u r q u o i ré­
gnait dans le monde un e s p r i t q u i a p p o r t a i t d e la
Ionique en tout, qui faisait agir e n s e m b l e et condui­
sait avec une force s u p é r i e u r e à l'unité. L'autorité
considérait sa puissance c o m m e u n écoulement de
l'ordre divin ; les peuples étaient formés à r e m ­
plir les obligations de la vie p u b l i q u e c o m m e étant
ries obligations i c n v c r s Dieu. Le droit et la loi,
l'Etat et la .société, le p r i n c e et les sujets se TON­
naient au service d e Dieu.
« Rien ne n o u s est m o i n s c o n n u q u e les temps
chrétiens du m o y e n âgie, dit l e P. Weiss. N o u s vivons

1. L'auteur donne plus de 4 0 références à d e s auteurs


du moyen âge, qui justifient, t o u t e s ses assertions.
LA Mi«ion à~ la Bse Jeanne d'Arc " his
168 LA. CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

d a n s u n e i g n o r a n c e hontieuse, d a n s des préjugés plus


h o n t e u x e n c o r e e n c e q u i c o n c e r n e l a foi et la
m a n i è r e d e vivuc d e nos pères. C'est à la Reforme
q u e ï i o u s d e v o n s cfcla », la R é f o r m e q u i a fait de
r h i s t o i r c line c o n s p i r a t i o n c o n t r e la vérité. On se
dégage m a i n t e n a n t de ces préjugés. On étudie et
Ton voit q u e l a conception d u m o y e n âge a mis
la société s u r la voie d e l'état le plus h e u r e u x qui
se puisse imaginer, vu l a condition actuelle de
l'humanité.

C H A P I T R E XXXII

LE RÈGNE DE SAINT LOUIS (svife).

Il ne f a u d r a i t point croire q u e la sociélé, ainsi or­


ganisée d ' a p r è s les idées chrétiennes, t r o u v â t en elles
un obstacle à son progrès intellectuel et matériel et
à son b i e n - ê t r e temporel.
L e règne de saint Louis est le règne, non de la
liberté, c o m m e de nos j o u r s , m a i s des libertés :
« L a conception française ( d u droit populaire), dit
M. Augustin Cochin, est p o s i i v e , réaliste, organique.
C'est bien à la nation entière q u e s'adresse le Roi.
mais à la nation telle qu'elle se trouve organisée,
encadrée, avec ses hiérarchies diverses, ses divisions
naturelles, ses chefs actuels, quelles que soient d'ail­
leurs la n a t u r e ou l'origine de leur autorité : la rare
aussi bien que le suffrage, les o r d r e s de l'Eglise
c o m m e les charges de l'Etat, en un m o l toutes les
valeurs sociales, prises s u r le fait, à l'œuvre et
telles quelles... Il est n a t u r e l q u e cette nation toute
SAINT LOUIS 169

constituée se c o m p o r t e a u t r e m e n t q u ' u n e foule inor­


ganique de votants. L e Roi lui r e c o n n a î t un r ô l e
actif, positif, que nos d é m o c r a t i e s n e songeraient pas
à donner aux masses électorales. Elle est capable
d'initiative, rédige elle-même ses doléances, désigne
ses porte-paroles si elle e n a besoin et les suit
pas à p a s ; le m a n d a t impératif est de règle ici.
Par ce coté, l'ancien droit p o p u l a i r e dépasse de bien
loin nos démocraties... E n s o m m e , l a liberté fran­
çaise, telle q u e - la concevait le m o y e n âge, fait
la plus grande p a r t à la s o u v e r a i n e t é populaire puis­
qu'elle lui attribue un rôle actif, positif, direct, mais
à la condition d'ignorer l'individu et de ne s'adres­
ser qu'à des c o r p s o r g a n i s é s ».
La conception d é m o c r a t i q u e — importée d'Angle­
terre — est d i a m é t r a l e m e n t opposée. Elle t r a n s ­
forma la nation en une « poussière d'atomes poli­
tiques >. Au peuple t r a d i t i o n n e l l e m e n t organisé, elle
substitua un peuple d'électeurs « qui n'est plus
capable d'initiative ». qui l'est « tout au plus d'as­
sentiment ». et qui doit se laisser m e n e r p a r « des
politiciens do métier ».

La culture de l'esprit pénétra, à cette époque, d a n s


toutes les classes de la société. La science et les
arts se développèrent d a n s un élan puissant et fe-
rond. De solides bases d'instruction sont posées
dans les écoles élémentaires et secondaires, et les
Universités p r e n n e n t mie i m p o r t a n c e que rien j u s ­
que-là n'avait fait pressentir. L'art, plus encore que
la science, s'épanouit, féconde p a r la religion et la
sympathie populaire. Il o r n e les églises, les cités,
les foyers domestiques des œ u v r e s les plus nobles.

En même temps que les efforts les plus généreux


sont tentée p o u r le progrès de l'instruction populaire
170 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

des sciences et des arts, la d o c t r i n e d e l'Eglise


s u r le m é r i t e des b o n n e s œ u v r e s fait éclore de
toutes p a r t s de n o m b r e u s e s œ u v r e s d e miséricorde.
Des institutions charitables s'appliquent au soula­
gement d e toutes les misères h u m a i n e s : orpheli­
nats, h ô p i t a u x , établissements d e providence, hôtel­
leries p o u r les voyageurs et les pèlerins pauvres,
c Au t e m p s du papisme, dit L u t h e r , tout le monde
était miséricordieux ci d é b o n n a i r e , o n d o n n a i t joyeu­
sement des deux m a i n s et avec \inc g r a n d e dé­
votion. Les a u m ô n e s , les fondations, les legs pieu-
vaient >.

J a m a i s la parole de Montesquieu ne s e s t mieux


vérifiée : c La religion c h r é t i e n n e qui semble n'avoir
d ' a u t r e objet que la félicité d e l ' a u t r e vie, fait en­
core n o t r e b o n h e u r en celle-ci ». M. de Tocquc-
ville d o n n e ainsi l'explication de ce fait : « Dans
les siècles de foi on place le b u t final de la vie
après la vie. Les h o m m e s de ces temps-là s'accoutu­
ment à r é p r i m e r mille petits désirs passagers pour
mieux a r r i v e r à satisfaire ce grand et permanent
désir qui les t o u r m e n t e ; l o r s q u ' i l s veulent s'occu­
per des choses d e la terre, ces h a b i t u d e s se re­
trouvent. Ils fixent volontiers à l e u r s actions d'ici-
bas un b u t général et certain, vers lequel tous leurs
efforts se dirigent. Ils ont des desseins arrêtés qu'ils
ne se lassent point de p o u r s u i v r e . Ceci explique
p o u r q u o i les peuples religieux o n t souvent accompli
des choses si durables. Il se trouvait qu'en s'occu-
pant de l'autre monde, ils avaient rencontré le
grand secret d e réussir en celui-ci. »
c Cherchez d'abord le r o v a u m e de Dieu et sa
justice, a dit Noire-Seigneur, cl le reste vous sera
d o n n é p a r surcroît. »
Le m o y e n âge a c o m p r i s cette divine parole cl
SAINT LOUIS 171

c'est sur elle qu'il a réglé son activité : aussi a-t-il


été l ' u n , des t e m p s l e s p l u s p r o s p è r e s .
M. Siméon Luce, d a n s son histoire de Bertrand
Du Gucsclin, m o n t r e avec une s u r a b o n d a n c e de preu­
ves, toutes puisées a u x sources, q u ' a u moment ou
éclata la guerre de cent a n s (1337 à 1433). c'est-
à dire à l'heure où la société recueillait tout le fruit
de la civilisation chrétienne, d o n t elle commençait
à s'écarter, la F r a n c e était d a n s un état de prospérité
qu'elle atteint a peine a u j o u r d ' h u i . On trouve des
écoles j u s q u e d a n s les villages; d a n s les F l a n d r e s
on se p r é o c c u p e de faire a p p r e n d r e les langues
vivantes aux enfants q u ' o n destine a u commerce. Le
bien-Otre matériel est tel que d a n s tous les inven­
taires de l'époque faits chez des paysans, on trouve
une broche p o u r les rôtis. L e s défrichements qu'on
opéra alors avaient multiplie les paysans libres.
De nouvelles formes d'exploitation d e la culture
apparaissent et se p r o p a g e n t .
« Un p a y s a n du XHIe siècle, dit M. Coville, profes­
seur à l'Université de l ' E t a t ( L y o n ) , revenant d a n s
une ferme n o r m a n d e , a u milieu d u X I X siècle,e

avant l'usage des m a c h i n e s agricoles, n'aurait eu


qu'une médiocre surprise.
» La N o r m a n d i e n'était p a s le se\d pays où
l'agriculture prospérât. Il n o u s est resté des docu­
ments très curieux sur les d o m a i n e s d'un grand p r o ­
priétaire de l'Artois d u r a n t le p r e m i e r q u a r t d u
XIV* siècle... T o u s les détails qu'ils n o u s fournis­
sent donnent l'impression d ' u n e culture active, bien
dirigée. Le r e n d e m e n t d u blé était voisin d e ce qu'il
est aujourd'hui... Le bétail était a b o n d a n t . Les jar­
dins étaient soignés. Les fermes étaient bien pourvues
de matériel. L a « maîsnie » formée des gardes,
valets et servantes à gages, vivait sur le d o m a i n e ;
172 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

aux salaires, aux c courtoisies » o u gratifications


bénévoles d u propriétaire, s'ajoutent d ' a u t r e s avan­
tages : les d r o i t s d'usage soit à l a forêt seigneuriale,
soit a u x c o m m u n s de la paroisse, le glanage qui est
c o m m e u n d r o i t des pauvres, diverses tolérances qui
aident les ménages à vivre. Des institutions d'as­
sistance, « tables des p a u v r e s » ou b u r e a u x de cha­
rité, h ô p i t a u x o ù les femmes vont faire l e u r s couches,
confréries, distributions d e vivres ou d e vêtements,
existent m ê m e d a n s les villages.
» Au Midi, d a n s les e n v i r o n s d e Moutauban, par
exemple, la culture est également p r o s p è r e . L e ma­
tériel agricole est aussi c o m p l e t q u ' e n Normandie
ou en Picardie, le personnel aussi n o m b r e u x . Le vin.
très protégé contre l a . c o n c u r r e n c e des p a y s voi­
sins, se vend bien. Les vignes, les vergers sont bien
entrelcnus, les récoltes de fruits a b o n d a n t e s . Les
bergers, chevriers, bouviers, reçoivent des gages suf­
fisants en argent, en vêlements, e n n o u r r i t u r e . . . L'im­
pression est analogue p o u r l a p l u p a r t des pays de
France. »
L a condition des ouvriers en ville n'était p a s moins
l
b o n n e . C o m m e les nobles c o m p o s a i e n t la ehcval-

1. Dans son p e t i t livre i n t i t u l é : « Lo Droit à la


Paresse », a u x pages 30 et 31, l e s o c i a l i s t e Paul La-
fargue a écrit ceci :
« Sous l'Ancien Régime les lois d c l'Kglise garan-
tissaient a u x travailleurs q u a t r e - v i n g t - d i x jours de repos
( c i n q u a n t e - d e u x dimanches et t r e n t e - h u i t jours fériés),
pendant lesquels il était strictement défendu de travailler.
C'était le grand crime d u Catholicisme, l a cause princi-
pale de l'irréligion <lc l a bourgeo'sie industrielle et com-
merçante. Sous la Révolution* dès qu'elle fut maîtresse,
elle abolit les jours fériés e t r e m p l a ç a l a semaine de
sept jours par celle d e dix, afin que le P e u p l e n'eût plus
qu'un jour de repos sur d i x . Elle affranchit les ou-
vriers du jonn de l'Eglise pour wiiiux les soumettre au
\OUQ du travail. »
SAINT LOUIS 173

lerie, les m a r c h a n d s , les bourgeois, les artisans e"t


les ouvriers formaient e n t r e eux des confréries et
des corporations.
e
La corporation au X I I I siècle est parvenue à sa
complète organisation. « Elle constitue u n e puis­
sance morale, i n d é p e n d a n t e de l'Etat j u s q u ' à un cer­
tain point, n o m m a n t ses chefs, réglant ses statuts
et les faisant seulement h o m o l o g u e r p a r l'autorité
publique, c a p a b l e de v e n d r e et d'acquérir, exerçant
une sorte de juridiction professionnelle... Elle pos­
sède des r e v e n u s c o m p o s é s de loyers, de cens, d e
rentes, de droits de réception, d'amendes, etc. ; et
lorsque ces revenus ne suffisent p a s à ses besoins,
elle peut o b t e n i r l'autorisation de s'imposer. Ses
dépenses ont p o u r objet r c n l r e l i c n d'une maison
commune, la r é t r i b u t i o n d ' u n conseil administratif,
des services religieux e t différentes cérémonies, des
repas, des œ u v r e s pies i n d é p e n d a n t e s d e celles de
la confrérie, c a r la c h a r i t é se glisse p a r t o u t . Non
seulement la c o r p o r a t i o n a u n e vie civile, une exis­
tence intime, m a i s elle p r e n d p a r t d a n s b e a u c o u p
de villes à l'administration m u n i c i p a l e ; elle contri­
bue à l'élection des m a g i s t r a t s locaux, et très sou­
vent le peuple vole p a r c o r p s de métiers. »
L'ouvrier n'est pas u n être i s o l é ; il est protégé
par sa c o r p o r a t i o n ; il a sa place, son influence, sa
considération d a n s la s o c i é t é ; il peut parvenir aux
honneurs de sa c o m p a g n i e ; il a p e n d a n t sa vie
et après sa m o r t les s e c o u r s d e l'amitié et de la
religion. S'il a d u talent, d e la conduite, de la persé­
vérance, il p e u t sortir assez aisément de sa condi­
tion et devenir p a t r o n à son t o u r .
Au moyen âge, il n'y avait p a s de prolétaires : le
mot était aussi inconnu q u e la chose : il y avait
des a r t û a n s , des ouvriers, h o n o r a b l e s et 'honorés,
174 LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE

qui t r o u v a i e n t d a n s la c o r p o r a t i o n u n e nouvelle
famille où ils puisaient à la fois la connaissance
et l ' a m o u r de leur métier, le r e s p e c t d e leurs
patrons, de b o n s exemples, e t d e continuels en­
c o u r a g e m e n t s au bien et à la vertu.
Au moyen âge, la p o p u l a t i o n atteignit un chiffre
1res élevé. P o u r u n t e r r i t o i r e q u i r e p r é s e n t a i t à peu
près la moitié du r o y a u m e , on c o m p t a i t , e n 1328,
vingt-quatre mille cent c i n q u a n t e p a r o i s s e s ; deux
millions q u a t r e cent onze mille cent quarante-neuf
feux, ce qui d o n n a i t p o u r l a F r a n c e 20 à 22 mil­
lions d'habitants, soit une densité de 38 à i l ha­
bitants p a r kilomètre-carré. Cinq d é p a r t e m e n t s de
nos j o u r s n'ont p a s encore a t t e i n t la densité moyenne
de cette é p o q u e .

P a r t o u t le moyen âge n o u s m o n t r e l a joie de


vivre, d e t t e joie, on la t r o u v a i t d ' a b o r d dans le
culte de Dieu. « Noël et P â q u e s , a écrit Fustel
de Coulanges, étaient alors les g r a n d e s joies de l'exis­
tence h u m a i n e ». Apres les devoirs religieux et
le travail, on était au plaisir, aux passe-temps et
aux c h a n t s . Les meilleurs p r i n c e s favorisaient ces
divertissements. Saint Louis fait distribuer d'un seul
coup 2.000 livres a des c h a n t e u r s , s o m m e assu­
rément considérable p o u r cette époque. Les poèmes
religieux et les poèmes profanes sont pleins d'ins­
t r u m e n t s à cordes, de t r o m p e t t e s , d e flûtes, de har­
pes, de t a m b o u r s , de m ê m e que les ouvrages en
prose sont remplis de d e s c r i p t i o n s de fêtes in­
nombrables.
« Les fêtes religieuses et profanes du moyen âge,
dit un savant qui est c e r t a i n e m e n t à l'abri de tout
1
soupçon de partialité pour celle é p o q u e , portaient

1. Maurer. Gesch. der FrohrUiœfe, 11, 190, 197.


SAINT LOUIS 17")

l'empreinte d ' u n e vie v r a i m e n t p o é t i q u e ; tout y


était pleirj, d'une joie élevée... Il faut qu'on ait
perdu tout sens c o m m u n p o u r p r é f é r e r nos joies
à ces anciens plaisirs. P a r t o u t ou Ton jette un
regard sur les fêtes, s u r les foires, quelle joie
franche et quelle sainteté, c o m m e dit la Chronique
de Frankcnherg! C'est bien l'un des traits les plus
caractéristiques du m o y e n âge : sa gaîté, son h u ­
mour. Même d a n s la r e p r é s e n t a t i o n des mystères on
n'avait pas craint d ' i n t r o d u i r e l'élément comique.
Les scènes les plus sérieuses étaient souvent r a p ­
prochées de dialogues où soldats, colporteurs, juifs,
charlatans, venaient exciter la risée publique. C'était
ordinairement le démon qui était c h a r g é malgré lui
de faire éclaler les rires. On y voyait Lucifer déses­
péré de voir sa puissance r e s t r e i n t e p a r l'œuvre de
la Rédemption, e n t r e r d a n s d e violentes colères,
frémir de rage en se v o y a n t c o n t r a i n t d'avouer que
Jésus-Christ est Dieu, qu'il est ressuscité, qu'il est
le souverain Roi du ciel e t de la terre.
Les plaisanteries satiriques d a n s les mystères,
les poèmes et m ê m e les livres de piété de celte épo­
que, au sujet des m e m b r e s d u clergé étaient sou­
vent d'une hardiesse qui n o u s étonne. Si l'Eglise
du moyen âge eût voulu les r é p r i m r , sa grande a u -
lorilé lui eût r e n d u l ' e n t r e p r i s e facile, mais elle
était bien éloignée d'un pareil dessein. D ' a b o r d si les
vues et les imperfections des personnes étaient
ridiculisés, l'Eglise elle-même et les choses de la
foi étaient toujours respectées. « C'est le christia­
nisme, dit Jansseu qui. p o u r la p r e m i è r e fois, a
donné à l'esprit h u m a i n la c i d r e connaissance d e
ses grandeurs et de ses faiblesses, aussi bien q u e
du rapport qui existe e n t r e sa l i b e r t é et les lois
éternelles de Dieu. C'est d o n c le christianisme qui
17B LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EX EU\XCE

a forme le c e n t r e i n é b r a n l a b l e a u t o u r d u q u e l peut
se m o u v o i r l ' h u m o u r . Aussi l'Eglise le favorisait,
elle lui laissait, p o u r ainsi dire, m o n t e r la garde
a u p r è s d e s c h o s e s saintes, c o m m e si elle e û t aimé
que l ' h o m m e fut souvent r a p p e l é au souvenir de
tout ce qui sépare du divin sa n a t u r e infime
et b o r n é e . L a raillerie malicieuse et spirituelle, qui
s'étalait non seulemenl sur le IhéAtrc, m a i s sur les
portails des églises, les gargouilles, les piliers, les
lutrins, les stalles, tout cela attestait à sa manière
une a r d e n t e soîT pour la vérité, u n e conviction pro­
fonde de toutes les vanités d e la terre et ce conti­
nuel c o m b a t e n t r e le bien et le mal qui se livre
toujours et p a r t o u t d a n s l ' a m e h u m a i n e aussi bien
que sur la scène du m o n d e .
S'il y a j a m a i s en une é p o q u e d o n t on peut dire
qu'elle a pris au sérieux les efforts p o u r faire un
h o m m e complet et pour a r r i v e r à la véritable huma­
nité, ce fut bien le m o y e u ûg'\ Xous ne disons
pas que celte époque a réalisé cet idéal ou l'ait at­
teint; m a i s c'est déjà un g r a n d h o n n e u r pour elle
de l'avoir mieux entrevu et d'avoir, plus qu'aucune
autre, a s p i r é d'une m a n i è r e consciente à sa réali­
sation.
Ce qui a d o n n é au m o y e u Age cetle supériorité,
c'est la puissance s u r n a t u r e l l e de l'autorité divine,
c'est la foi c o m m u n e , le m ê m e culte de Dieu, le
même a m o u r p o u r Lui. l ' a t t a c h e m e n t à la même di­
rection p a r l'Eglise de Dieu. T o u t e la vie du moyen
âge est l'histoire des efforts q u e l'humanité a
faits sous la conduite de l'Eglise p o u r rendre le
naturel et le s u r n a t u r e l d'accord s u r la terre.
rn

RETOUR EN ARRIERE

CHAPITHE XXXIII

RENAISSANCE DU CLSARISME

Noire-Seigneur J é s u s - C h r i s t a y a n t accompli le r a ­
chat du genre h u m a i n retint p o u r Lui la dignité pre­
mière et incommunicable du souverain Pontificat
et de la royauté suprême, m a i s il institua u n Vicaire,
investi de la plénitude d e ses pouvoirs : Pontife et
roi, Jésus-Christ confia à P i e r r e et i ses succes­
seurs, les Papes, l'empire d e la t e r r e et du ciel :
« Tout ce que vous lierez s u r l a t e r r e sera lié dans
les cieux et tout ce q u e vous délierez s u r l a t e r r e
sera délié dans les cieux. »
Ainsi investi de l'autorité d u Christ, P i e r r e se r e n ­
dit à Rome, centre de l ' h u m a n i t é entenébrée d a n s
le paganisme et courbée sous le j o u g d e la force.
Pierre vint p o u r y établir le règne de l a vérité
et de la justice.
Ce règne a trouvé sou p r i n c i p e d a n s la sépara-
178 RETOUR EN ARRIÈRE

tion d e s pouvoirs p r o m u l g u é e p a r J é s u s - C h r i s t et
ainsi exjiosée p a r le P a p e Gélase à la fin d u cinquiè­
m e siècle : « L'origine de la s é p a r a t i o n d e s pou­
voirs spirituel et temjx>rel doit ê t r e c h e r c h é e dans
T o r d r e m ê m e établi p a r le divin F o n d a t e u r de l'Egli­
se. Songeant à la faiblesse h u m a i n e , il a p r i s soin
q u e les d e u x Puissances fussent séparées, et que
c h a c u n e d e m e u r â t d a n s le d o m a i n e p a r t i c u l i e r qui lui
a été a t t r i b u é . Les princes c h r é t i e n s doivent se ser­
vir d u s a c e r d o c e d a n s les choses q u i se r a p p o r t e n t
au salut. Les p r ê t r e s de l e u r côté doivent s'en
r a p p o r t e r à ce q u e les princes o n t établi d a n s tout
ce qui se tient a u x événements temporels ; en sorte
que le soldat d e Dieu ne s'immisce pas d a n s les cho­
ses de ce m o n d e , et q u e le s o u v e r a i n temporel ne
porte j a m a i s la parole d a n s les questions religieuses.
L o r s q u e les d e u x pouvoirs s o n t ainsi partagés, il
doit être p o u r v u à ce q u e ni l ' u n ni l'autre ne
puisse s'attribuer une puissance p r é p o n d é r a n t e et à
ce q u e c h a c u n reste fidèle ù la mission qui lui a
élé confiée. »
De saint P i e r r e à saint Léon III, o u si vous
voulez, de N é r o n à C h a r l e m a g n e , deux époques
s'étaient é c o u l é e s ; celle du m a r t y r e el celle de la
régénération civile. Au t e m p s du m a r t y r e , an temps
îles c a t a c o m b e s , l'Eglise, c o n n u e une plante dnnl
on c o u p e les b r a n c h e s , c o n c e n t r a sa vie dafts le
tronc et p o u s s a cle plus profondes racines. A l'épo­
que suivante, Constantin célébra la r é d e m p t i o n civile
tic la croix, el la rroix r é p o n d a n t à ce bienfait
p a r la régénération civile d u m o n d e , commença
d e christianiser les m œ u r s , les codes et toutes les
institutions.
Deux a u t r e s époques suivirent. De saint Léon III
à saint Léon IX (de l'an 793 à 1054;, ce fut une
RENAISSANCE DU CESARISME 17«

époque d'alternatives : alternatives d a n s les r a p ­


ports entre l'Eglise et l ' E m p i r e ; alternatives de gloi­
re, de médiocrité et parfois de misère. Vint ensuite
de Léon IX à Boniface VIII ( d e 1054 à 1294),
une époque féconde en éléments d e restauration
et de progrès p o u r l a société c h r é t i e n n e . Ces deux
époques ont un c a r a c t è r e c o m m u n ; c'est la consé-
cration du pouvoir politique par la religion. Nous
avons exposé s o m m a i r e m e n t ce mouvement p r o ­
gressif. Nous voici à la c i n q u i è m e époque. Verrons-
nous l'ivraie étouffée e t l a b o n n e semence con­
tinuer à p r e n d r e de plus p u i s s a n t s développements?
Hélas! non. Ce que n o u s a u r o n s à constater, c'est
la naissance du césarisme a l l e m a n d ; puis l'inva­
sion en F r a n c e de ce c é s a r i s m e qui, a p r è s bien des*
alternatives, devait aboutir à la déclaration de 1682,
à la constitution civile du clergé et à la sépa­
ration de l'Eglise et d e l ' E t a l .
Ainsi que l'a dit le P a p e Gélase aux premiers em­
pereurs chrétiens, le pouvoir spirituel subsiste p a r
lui-même, il est e n t i è r e m e n t i n d é p e n d a n t de l'Etat,
car l'Eglise renferme en elle-même tous les moyens
d'atteindre son b u t ; c e p e n d a n t elle est nécessaire­
ment dans un continuel échange de r a p p o r t s avec le
pouvoir temporel qui possède également, dans les
choses de son ressort, une a u t o r i t é souveraine auto­
nome, que l'Eglise doit r e c o n n a î t r e et respecter.
La première dérogation à cet o r d r e fut le fait d e
Constantin lui-même. Il avait p r o d u i t au g r a n d j o u r
la religion cachée dans les c a t a c o m b e s , il avait élevé
des églises et les avait enrichies, il avait d o n n é à
la société chrétienne ce q u e n o u s a p p e l o n s mainte­
nant la personnalité civile; et voici qu'il m e t la main
dans les affaires d'Arius! Autant, p e n d a n t son séjour
à Rome, il s'était m o n t r é s o u m i s et d é v o u é à la
180 KETOrn EN ARRIÈRE

vraie foi, a u t a n t à Constantin©pic, t r o m p é p a r les


évêques et les p r ê t r e s ariens, il lui fil d u mal en
rapiHîlant d e l'exil Arius et ses p a r t i s a n s , en exi­
l a n t le g r a n d Aîhauasc, e u d o n n a n t exécution aux
sentences d o c t r i n a l e s des Ariens, sans a v o i r demandé
le sentiment d u P a p e Sylvestre.
L ' u s u r p a t i o n d u p o u v o i r ecclésiastique s'agrandit
o u t r e m e s u r e sous ses successeurs. Les définitions
d o g m a t i q u e s d e Constance, d e Valons, d'iléraclius,
de Zenon exciteraient le r i r e , si le souvenir des
âmes a u x q u e l l e s elles d o n n è r e n t la m o r t n'appelait
les larmes.
Malgré ces entraves, la P a p a u t é n e cessa de
poursuivre la mission que le Divin Maître lui avait
confiée.
Monseigneur Herteaud m i l un j o u r ces paroles
sur les lèvres du Souverain Pontife : « Seigneur,
» voilà dix-neuf cents a n s q u e j e suis debout,
» j ' a i c o u r u partout, cuenrvi; j ' a i couru à travers
» les b a r b a r e s , à travers les civilisés, à travers (ou-
» les les ignorances, toutes les méchancetés, tous
» les despotisme:*. Où est l'iniquité qu'ils me re-
» p r o c h e n l ; q u a n d est-ce que j ' a i enseigné Terreur
> et mal i n d i q u é la r o u t e ? J'ai couru sans iniquité,
» sine iniquilate cucurri. J e n'ai pas seulement
ł
» couru, j'ai dirigé, cucurri et direxi. J a i marché
» à l e u r tète, le premier f r a p p é p a r Satan, mais nié-
» p r i s a n t ses coups et d é j o u a n t ses trames. J'ai
> frayé la Voie à nies frais, et q u i c o n q u e m'a suivi
» n ' a p a s m a r c h é d a n s les ténèbres, car vous
» m'avez investi de l u m i è r e , ô Dieu! J e la porte
> c o m m e un fardeau g l o r i e u x ; j e suis le portefaix
> de la l u m i è r e éternelle, bajulus lucis. >
Ces magnifiques p a r o l e s disent bien ce que la
P a p a u t é a clé hier d a n s le m o n d e , ce qu'elle est
RENAISSANCE DU CÉSARISME 181

aujourd'hui, ce qu'elle s e r a d e m a i n . C'est surtout


ce qu'elle fut d a n s les douze p r e m i e r s siècles où
elle élail mieux écoutée et plus docilement suivie.
Alors, dit L. Veuillol, « l'Eglise r o m a i n e est la g r a n ­
de puissance qui fonde, q u i c o m b a t , qui enseigne,
qui corrige, qui gouverne. T o u t e s les âmes fortes,
tous les g r a n d s cœurs, tous les b o n s esprits sont
les siens; elle les a enfantés, elle les a élevés,
elle les i n s p i r e ; ils lui obéissent et ils l'aiment,
et ils e n t r e p r e n n e n t et accomplissent, p o u r l ' a m o u r
d'elle, l'œuvre sublime d o n t elle a seule l'instinct
suprême et persévérant. Il s'agissait de rassembler,
d'assouplir, de c o o r d o n n e r , d e fondre les éléments
barbares, poussés de tous côtés p a r la colère divine
sur le cadavre de l'empire, e t de d o n n e r au m o n d e
une force j e u n e et i m m o r t e l l e qui serait la r é p u ­
blique chrétienne. »
Léon III c o u r o n n a n t C h a r l e m a g n e avait créé u n e
magistrature nouvelle, à la fois sacrée et civile, le
SAINT EMPIRE ROMAIN. Le S a i n t - E m p i r e avait p o u r
fondement la foi en Jésus-Christ, s o u v e r a i n Roi des
rois, et dans son Vicaire à qui il a d o n n é de paître
les agneaux et les brebis. Cette institution avait p o u r
but de protéger la religion a u - d e d a n s contre ses per­
turbateurs et a u - d e h o r s c o n t r e la b a r b a r i e païenne
T
et musulmane; ef, m o j e n n a n t l'accord parfait e n t r e
les deux chefs, le chef militaire et le chef sacerdo­
tal, d'organiser et civiliser tous les éléments de la
société nouvelle. L ' e m p i r e n ' a b s o r b a i t pas toute sou­
veraineté et les nationalités devaient avoir leur vie
propre et i n d é p e n d a n t e ; seulement, p o u r la défense
comme p o u r l'attaque, elles avaient u n centre et
dans ce centre un principe d'action c o m m u n .
Un empire d e ce genre, e m p i r e inoral, devait ê t r e
électif, et c o m m e e m p i r e s a c r é le choix d u sujet
La Mission de la Bue Jeanne d'Arc. 12
182 RETOUR EN ARRIERE

devait a p p a r t e n i r à la p l u s h a u t e a u t o r i t é sacrée, au
Pontife r o m a i n . C'est p o u r q u o i C h a r l e m a g n e fut élu
p a r Léon III, Louis le Pieux p a r E t i e n n e IV, Lo-
Ihaire p a r Pascal I<* Louis II p a r Léon IV et ainsi
tles autres. A u c u n des r o i s F r a n c s n e se donna le
titre d ' E m p e r e u r avant d ' a v o i r r e ç u la consécra­
tion pontificale. « N o u s n o u s faisons u n devoir,
écrivait L o u i s II, e m p e r e u r d ' O c c i d e n t à Basile l*',
le Macédonien, e m p e r e u r d'Orient, d e défendre et de
glorifier la Mère d e toutes les Eglises, celle d e qui
n o t r e d y n a s t i e a r e ç u l ' a u t o r i t é royale et puis l'au­
torité i m p é r i a l e . Car on n ' a j a m a i s a p p e l é empereurs,
que des princes qui avaient r e ç u la mission du Pon­
tife r o m a i n
P a r cette institution, a u c u n e s o u v e r a i n e t é n'était
éteinte ni abaissée : les Papes, les e m p e r e u r s et les
rois restaient c o m m e t o u j o u r s s o u v e r a i n s d e leurs
p r o p r e s Etats. Mais le P a p e et l ' e m p e r e u r avaient
le devoir d e g a r a n t i r la paix, l'union et l'harmonie à
tout le peuple chrétien, afin q u e l'Evangile devint
plus q u e j a m a i s le code des n a t i o n s , afin q u e l'Etat
chrétien consolidât de j o u r e n j o u r le sol s u r lequel
l'Eglise r é p a n d la s e m e n c e d e s vérités révélées el
des p r é c e p t e s divins.
Quelle p l u s noble, q u e l l e p l u s h a u t e pensée l'es­
prit h u m a i n a-t-il pu c o n c e v o i r ? Que serait aujour­
d'hui le m o n d e si p e n d a n t les onze siècles main­
tenant écoulés elle avait été p e r s é v é r a m m e n l main­
tenue cl fidèlement observée !
RENAISSANCE DU CÉSARISME 188

CHAPITRE XXXIV

RENAISSANCE DU CÉSARISME (suite.)

Pour voir ce qui a u r a i t d u être au lendemain


de la mort de saint Louis et ce qui sera, espérons-le,
après les temps m a u v a i s q u e n o u s traversons, après
les châtiments q u ' a p p e l l e n t s u r n o u s les crimes de
nos pères et les nôtres, c o n t r e Dieu, contre son Christ
et la Sainte Eglise, ce qui sera lorsque le m o n d e
désabusé a c c l a m e r a la r o y a u t é de Noire-Seigneur
Jésus-Christ et se r a n g e r a de n o u v e a u sous l'au­
torité de son Vicaire, e x a m i n o n s de plus près la con­
ception que le moyen âge s'était faite des r a p p o r t s
de l'Eglise et de l'Etat.
La prédication évangélique avait révélé Dieu à
l'homme et r i i o i n m e à l u i - m ê m e : Dieu et son éter­
nité, sa providence, sa b o n t é et sa j u s t i c e ; l'homme
et sa dignité originelle, son innocence primiave, sa
rhutc et sa r é d e m p t i o n ; p a r suite, sa félicité et sa
misère; ses destinées présentes et futures.
Sur ces fondements n a q u i t l a civilisation chré­
tienne. La famille h u m a i n e , se t o u r n a n t vers le
ciel, d'où elle vient et où elle tend, c o m m e n ç a à
s'écrier dans un t r a n s p o r t d ' a m o u r : N O T R E P È R B
QUI ÊTES AUX C I E U X !
Kien ne devait e m p ê c h e r son élan vers lui, et
c'est pourquoi le divin Maître avait posé cetto loi
qui devait m e t t r e fin à l'absolutisme païen, et p r o ­
curer aux chrétiens la liberté des enfants de Dieu ;
* A César ce qui est à César, e t à Dieu ce qui
est à Dieu t . Le p a g a n i s m e avait confondu l'âme
et le corps, l'empire avait unifié César et Dieu.
181 RETOUR EN ARRIÈRE

P i e r r e p o r t a n t au i n o n d e la p a r o l e qu'il avait re­


cueillie de la b o u c h e du Christ n e les s é p a r a pas,
mais les distingua : H o n n e u r s c l obéissance aux
rois, m a i s c o m m e ministres de Dieu, en considéra
tion et p a r c r a i n t e d e Dieu. A Dieu l'obéissance
x
absolue et l ' h o n n e u r s u p r ê m e o u l ' a d o r a t i o n . Les
relations politiques e n t r e princes et peuples se consti­
tuèrent sur ce p r i n c i p e qui r e n d a i t les â m e s et les
n a t i o n s libres d e la vraie liberté, celle qui est dite :
« liberté des enfants d e Dieu ».
« L a victoire du c h r i s t i a n i s m e m a r q u e la fin de
la société antique, dit M. Euslel de Couianges. Avec
la religion nouvelle, eu effet, le gouvernement de
l'Etal est t r a n s f o r m é d a n s sou essence. Dans les
vieux âges, la religion et l'Etat n e faisaient qu'un,
et le m ê m e code réglait les relations e n t r e les
h o m m e s et les devoirs envers les d i e u x de la cité.
Mais J é s u s - C h r i s t sépare la religion du gouverne­
ment, Jésus-Christ distingue n e t t e m e n t Dieu de l'Etat
en disant : « Rendez à César ce qui est à César
et a Dieu ce qui est à Dieu. -» C'est ce principe,
alors nouveau, qui a changé les conditions d u gou­
2
vernement » .
e
D a n s la Civilisation au V siècle, sixième leçon, —
laquelle a p o u r titre Le Droit, — O z a n a m avait aussi
mis le d r o i t r o m a i n en p a r a l l è l e avec le droit
chrétien et m o n t r é la s u p é r i o r i t é du second sur le
p r e m i e r : * L e droit païen enseigne la souveraineté
absolue de l'Etat, non p a s seulement s u r les biens,
sur la vie, m a i s sur les âmes, s u r les consciences..*
Ce droit place le prince au-dessus des lois : princept
leyibus solutus, déclarent les jurisconsultes. » Le
droit chrétien dit : « C'est une p a r o l e digne de la

1. 1 S. Pierre. 11, 1345.


2. L a Cité antique, pages et 463.
RENAISSANCE DU CÉSARISME 185

majesté d'un prince que d e se dire lié p a r les lois. »


Ce même droit « ne tolère point non plus les p r é ­
tendons de la souveraineté impériale au domaine des
consciences : il professe qu'il faut obéir à Dieu
plutôt qu'aux h o m m e s . Mais, en m ê m e temps, les
chrétiens prient p o u r ceu/x q u i les persécutent. »
Dans cette m ê m e leçon sixième. Ozanam indique,
d'une phrase, et la qualité m a î t r e s s e et le vice ra­
dical du d r o i t r o m a i n : « L e droit r o m a i n de la
période classique, modifié p a r la j u r i s p r u d e n c e des
Antonins, est b e a u c o m m e le Colisée : c'est un
monument a d m i r a b l e , m a i s o n y jette les h o m m e s
1
aux l i o n s ».
Saint T h o m a s d'Aquin, d a n s une lettre adressée
à Hugues II de Lusignan, m a r q u e le point de d é ­
veloppement auquel était arrivé, au XIIIc siècle,
dans les esprits et d a n s l e s institutions, le p r i n ­
cipe posé p a r le divin Maître et p r o m u l g u é p a r son
Vicaire : « La science politique doit être ordonnée
à la fin s u p r ê m e des h o m m e s , c'est-à-dire à la
recherche et à la conquête de la suprême "béati­
tude. El c'est p o u r q u o i vu q u e la vertu naturelle
ne saurait conduire à celte fin, les gouvernements
laïques qui ont à p r o c u r e r celle-là, doivent être
subordonnés au gouvernement de l'Eglise instituée
par Jésus-Christ, qui, seule, est c a p a b l e de c o m m u ­
niquer celle-ci. Les rois sont soumis aux p r ê t r e s
en tout ce qui touche au salut des âmes. L'autorité
religieuse domine ainsi la société sans l'absorber,
comme la grâce d o m i n e la n a t u r e sans la détruire. >
Voilà c o m m e n t le m o y e n âge avait compris cl
réalisé l'alliance d u s a c e r d o c e et d e l'empire : d u
sacerdoce i n t e r p r è t e de la justice, et de l'empire

1. La Civilisation au V« siècle, t. I, pp. 2 1 0 , 2 4 9 , 2 5 5 .


186 RETOUR EN ARRIÈRE

dépositaire d e la force p o u r faire o b s e r v e r l a jus­


tice. Car, c o m m e l'a o b s e r v é Pascal, < la justice sans
la force est contredite, p a r c e qu'il y a toujours des
m é c h a n t s ; et la force s a n s la justice est accusée.
Il faut d o n c u n i r la justice à la force et faire par
là que ce q u i est j u s t e soit fort et q u e ce qui
est fort soit j u s t e . »
Au m o y e n âge l'empire r e c o n n a i s s a i t à l'Eglise lo
droit de d é c i d e r toute question d e justice, et l'es­
prit public i m p o s a i t a u x s o u v e r a i n s le devoir d'obéir
aux décisions de l'Eglise et de lui p r ê t e r main-forte
p o u r l'exécution de ses sentences définitives.
Nous disons, « sentence définitive ». Joinville nous
r a p p o r t e une réponse fort i n t é r e s s a n t e (pie le roi
saint Louis fit un j o u r au clergé de son royaume.
« T o n s les p r é l a t s d e F r a n c e lui m a n d è r e n t qu'ils
voulaient lui parler, et le roi alla au palais pour
les ouïr. L'évoque Guy d ' A u x e r r e dît : « Sire, ces
seigneurs qui sont ici, a r c h e v ê q u e s et évèques. m'ont
dit que je vous dise que la c h r é t i e n t é périt entre
vos mains. L e roi se signa et dit : « Or, dites-moi
c o m m e n t cela se fait ». Il s'agissait d'excommuniés
qui ne d o n n a i e n t point salisfaction à l'Eglise. On
demandait qu'ils y fussent c o n t r a i n t s p a r la saisie
de l e u r s biens. Le roi répondit qu'il la commanderait
volontiers p o u r ceux dont on lui d o n n e r a i t la cer­
titude qu'ils eussent tort. L ' é v ê q u e dit que les
prélats ne le feraient à aucun prix, qu'ils lui contes­
taient la juridiction de leurs œ u v r e s . Sur cela, le
roi leur d o n n a l'exemple du comte d e Bretagne. Ex­
communié p a r les prélats de Bretagne, il avait plaidé
sept ans c o n t r e eux ; et le P a p e les avait con­
d a m n é s tous. « Donc, conclu! le roi, si j'eusse
contraint le comte de Bretagne de se faire absoudre,
en d o n n a n t aux évèques la satisfaction qu'ils exi-
RENAISSANCE DU CÉSARISME 187

geaient. j ' e u s s e p é c h é c o n t r e Dieu et contre lui. »


Alors les p r é l a t s se résignèrent ».

Hélas! l'institution si a d m i r a b l e , spéculativement,


du saint E m p i r e r o m a i n fut t r o p tôt dépravée.
Aux j o u r s de saint Louis, d e p u i s un siècle, déjà
un mal r o n g e u r m i n a i t la civilisation chrétienne.
A partir d e la m o r t de C h a r l e m a g n e , l'empire d e ­
meura, dans la r a c e d e s Carolingiens, l'espace d e
soixante-quatorze ans. P r i n c e s médiocres, ce fut l e u r
faute si le S a i n t - E m p i r e r o m a i n passa d e F r a n c e e n
Allemagne p o u r p e r d r e là s o n esprit primitif. E n
962 le Pape posa la c o u r o n n e i m p é r i a l e s u r la tête
d'Othon I^r, A b a n d o n n a n t les vues de Charlemagne
les empereurs allemands v o u l u r e n t faire d e la cou­
ronne impériale un m o y e n de d o m i n a t i o n univer­
selle et p o u r cela s'efforcèrent de briser les e n t r a ­
ves que l'Eglise j a l o u s e d e son i n d é p e n d a n c e l e u r
imposait. H e n r i IV, H e n r i V, F r é d é r i c Barberoussc
et Frédéric II n'envisagèrent plus la puissance poli­
tique d'après l'idée que s'en était faite la chrétienté
occidentale. Ils r é p u d i è r e n t plus h a u t e m e n t encore
que leurs prédécesseurs l'idée c h r é t i e n n e p o u r y
substituer l'idée païenne de l'ancien césarisme. H e n r i
IV ne s'appuya q u e sur la force brutale, F r é ­
déric Barberousse p r é t e n d i t r e v e n d i q u e r des droits,
"il promulgua le code q u e ses jurisconsultes b o ­
lonais avaient tiré de l'arsenal d e s lois de Byzance
et qui attribuaient aux princes d a n s l'ordre spirituel
comme dans Tordre temporel u n p o u v o i r absolu,
affirmant q u e l ' e m p e r e u r doit s'affranchir d e toute
loi, attendu q u e lui-môme est la s o u r c e du droit. Fré­
déric II alla j u s q u ' à faire appel à l'opinion et à
proclamer q u e sa c a u s e était celle d e tous les sou­
verains. Enfin ils créèrent des a n t i p a p e s et assumé-
188 RETOUR EN ARRIÈRE

rent d e v a n t D i e u et d e v a n t les h o m m e s l a responsa­


bilité d u t r o u b l e et d u d é s o r d r e q u i s'ensuivirent.
L'opposition qu'ils r e n c o n t r è r e n t d a n s les Papes,
défenseurs de la liberté d e l'Eglise, d e la liberté
des p e u p l e s et de la liberté des â m e s les i r r i t a contre
le Saint-Siège et les poussa à d é c o n s i d é r e r l a Pa­
p a u t é a u x y e u x de l e u r s peuples et à lui faire la
guerre : l e s gibelins devinrent ainsi de perpétuels et
r e d o u t a b l e s e n n e m i s de l'Eglise.
Les deux F r é d é r i c n e c r a i g n i r e n t pas d e se dire
la loi vivante. Ce n'était pas u n e v a i n e formule.
D'après les légistes d e Bologne, B a r b e r o u s s e était
Punique p r o p r i é t a i r e d u m o n d e : les rois d e France,
d'Espagne, d'Angleterre ne devaient c i r e regardés
q u e c o m m e des lieutenants d e l ' e m p e r e u r . Barbe­
r o u s s e travailla à réaliser les théories bolonaises.
Il n e réussit pas, mais F r é d é r i c II r e c o m m e n ç a l'essai
s u r de n o u v e l l e s données.
A p a r t i r d u XII** siècle, l'école de Bologne, à la­
quelle affluaient de tous les p a y s d e l ' E u r o p e d'in­
n o m b r a b l e s étudiants, remplit les esprits, pour le
droit r o m a i n d'un respect, poussé si loin qu'on pou­
vait l'appeler une sorte d'idolâtrie.
Le d r o i t r o m a i n , enseignaient les jurisconsultes
de Bologne s u r n o m m é s les glossateurs, renferme l'ex­
position logique des vérités d é m o n t r é e s p a r la raison
naturelle : il est applicable p a r c o n s é q u e n t h itous
les temps et à tous les peuples. Il est « la raison
écrite r, sa d o c t r i n e fait loi, non s e u l e m e n t dans les
contestations privées, mais d a n s toutes les questions
j u r i d i q u e s a y a n t trait à la vie p u b l i q u e .
Or le 'droit r o m a i n , sur le point essentiel, est en
opposition avec les principes d u d r o i t chrétien.
La loi des Etats chrétiens s u p p o s e a v a n t tout un
o r d r e de choses s u p é r i e u r et s u r n a t u r e l , envisage
RENAISSANCE DU CÉSARISME 189

le droit c o m m e d é c o u l a n t d e Dieu même. Il n'est


pas seulement u n e règle établie p a r les h o m m e s p o u r
leur propre avantage, c'est u n e manifestation de la
volonté d e Dieu, c'est u n e disposition divine, ayant
sa source en Dieu m ê m e C r é a t e u r et en Jésus-Christ
Rédempteur. Si l'Etat n ' a p a s p o u r mission de
procurer le salut, il a celle d e p r o c u r e r le bien
temporel de telle sorte q u e le citoyen jouisse de
la liberté essentielle au chrétien, c'est-à-dire la fa­
culté 'de diriger sa vie d ' a p r è s les préceptes de la
Révélation divine et selon les lois de la m o r a l e évan-
gélique. Le guider en cela, lui p r o c u r e r les m o y e n s
d'atteindre cette fin, c'est l ' œ u v r e de l'Eglise.
LElat ne peut y m e t t r e d ' e n t r a v e s . S'il le veut,
sil l'essaie il doit trouver d a n s le Vicaire de Jésus-
Christ, d a n s l ' h o m m e m u n i d e ses pouvoirs d i ­
vins un m o n i t e u r d'abord, un o p p o s a n t ensuite.
Les e m p e r e u r s allemands, stylés p a r les légistes,
se firent d u d r o i t païen u n e a r m e p o u r c o m b a t t r e
le droit tel (pie l'Eglise l'envisageait. Aussi bien
que les glossaires, l'Eglise p r o c l a m e l'existence d'un
droit universel, i m m u a b l e , a p p r o p r i é à tous les h o m ­
mes. Mais ce d r o i t elle ne le r e c o n n a î t pas d a n s
le droit r o m a i n b o r n é a u x choses d e ce m o n d e ;
elle déclare que Dieu l'a révélé d a n s la Sainte
Kcrilurc. C'est p o u r q u o i elle s'opposa avec énergie
aux princes q u i prétendaient se servir du d r o i t
romain p o u r anéantir T o r d r e établi p a r le d r o i t
chrétien, qui voulaient q u e le d o m a i n e ecclésiastique
leur fût assujetti c o m m e le d o m a i n e politique et
civil. C'est ce (pie un g r a n d n o m b r e de j u r i s t e s sou­
tenaient : la s u p r é m a t i e religieuse a p p a r t i e n t d e
droit aux princes chrétiens et à l'exemple d e s
empereurs r o m a i n s ils p o u v a i e n t et devaient don­
ner aux choses religieuses leur forme et leur mesure,
190 RETOUR EN ARRIÈRE

établir et d é p o s e r les évêques, d i s p o s e r des biens


de l'Eglise p o u r l e u r p r o p r e a v a n t a g e o u les intérêts
d u peuple.
Bientôt ces idées se r é p a n d i r e n t en F r a n c e .
N o u s devons n o u s a r r ê t e r à cette l u t t e pour la
prééminence engagée p a r le p o u v o i r civil contre le
pouvoir ecclésiastique, c a r de l'Allemagne elle pas­
sa chez nous, et la principale mission de Jeanne
d'Arc, celle d o n t elle doit, n o u s semble-t-il, re­
p r e n d r e l'exercice a p r è s sa c a n o n i s a t i o n , est d'y
m e t t r e fin, e n faisant r e c o n n a î t r e l a r o y a u t é suré-
m'incnte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de
Dieu, Fils de Marie et l ' a u t o r i t é d o n t il a investi
son fonde de pouvoirs, le P a p e , son Vicaire.
T
Deux professeurs de rt niversité de P a r i s , dans les
e
premières a n n é e s du X I V siècle, peuvent être eon*
sidérés c o m m e les types de l'opposition faite en
F r a n c e au droit chrétien. L e u r s œ u v r e s sont celles
q u i ont eu le p l u s de retentissement p a r m i les ou­
vrages dirigés contre l'autorité des P a p e s : Marsiglio
de P a d o u e et J e a n de J a n d u n . Le p r e m i e r , dans son
livre Defensor pacis, pose en p r i n c i p e la souverai­
neté d u peuple. (Test le peuple q u i possède le pou-
voir législatif el l'exerce p a r l ' i n t e r m é d i a i r e des re­
présentants élus et d'un jxnivoir exécutif; si celui-ci
dépasse ces pouvoirs le peuple a le droit d e le dé­
poser, c o m m e il a eu le droit d e l'élever. Ces idées
ne s o n t pas restées lettre m o r t e . C'est le régime
dont nous a doté la Révolution. L e u r doctrine sur
la constitution de l'Eglise est aussi radicale. T/Krri-
ture Sainte est le fondement u n i q u e d e la foi. L'in­
terprétation qui lui est d o n n é e p a r l'Eglise n'est
pas nécessairenVent vraie. Une r é u n i o n d'hommes
doués d'un esprit judicieux, tels ceux qui compo­
sent I T n i v e r s i t é de Paris, p é n è t r e mieux le sens
RENAISSANCE DU CES A RI SM E 191

de l'Ecriture Sainte q u e la Curie r o m a i n e . E n c a s


de doute, la solution a p p a r t i e n t n o n a u Pape, mais
au Concile général c o n v o q u é p a r l'Etat et c o m p r e ­
nant des m e m b r e s laïques élus p a r les communes. L a
primauté du P a p e n'est fondée ni sur le droit divin
ni sur l'Ecriture. Le P a p e n'a d o n c d'autorité q u e
celle qui lui est déléguée p a r le concile et par la
législation d e l'Etat. A l ' e m p e r e u r a p p a r t i e n t la con­
vocation d u concile et la direction de ses travaux. Il
a le droit de j u g e r et de p u n i r les prêtres, les évê­
ques et le P a p e lui-même. L ' E t a t est tout. De même,
la commune est tout, elle a le d r o i t d'élection, d'ins­
tallation et de déposition des curés. L'Eglise n'a lo
droit, ni de Légiférer, ni de juger, ni de posséder.
Tout cela sera effectué p a r la constitution civile
du clergé. « Les doctrines de ce livre, dit Pastor à
qui nous e m p r u n t o n s cette analyse, calquées s u r
celles de l'antiquité n ' o n t été mises en pratique que
par la grande Révolution. Le titre de « génie nais­
sant de la Révolution m o d e r n e » a p p a r t i e n t de droit
à Marsiglio de P a d o u e .
Ainsi fut remise en h o n n e u r , p a r les partisans de
Philippe le Rcl, la notion a n t i q u e d e l'Etal païen,
devant lequel tout droit, divin et h u m a i n disparait.
L'autorité du P a p e sortit de ces thèses cl des luttes
qui suivirent, bien ébranlée a u x yeux des meilleurs
chrétiens. L'opinion publique au sujet de Tautorité
que Notre-Scigneur J é s u s - C h r i s t a conférée à son
Vicaire ne fut plus, après P h i l i p p e le Bel, ce qu'elle
avait été au temps de saint L o u i s . De l'un à l'autre
il n'y avait p o u r t a n t eu que soixante ans d'intervalle.
L'erreur et le mal, une fois déchaînés, font vile
leur chemin.
Dos les p r e m i e r s pas d a n s cette voie, Boniface
VIII voulut se m e t t r e à la traverse, m a i s il ne trouva
192 RETOUR EN ARRIÈRE

plus les t e m p s de Grégoire VII o u d'Innocent III.


Il ne put, m a l g r é toute son énergie, e m p ê c h e r la
décadence de faire les p r e m i e r s p a s d a n s la voie du
recul qui devait nous m e n e r o ù n o u s sommes.
Nous avons l'espoir d'un r e l è v e m e n t prochain.
Nous avons Pespoir que la P a p a u t é r e p r e n d r a son
r a n g à la tète de la civilisation c h r é t i e n n e . Nous
a t t e n d o n s cela de la m i s é r i c o r d e divine dont les
desseins se s o n t révélés en ces d e r n i e r s temps
d'une façon qui laisse peu de place au d o u t e ; nous
l'attendons de la mission que Dieu, n o u s scmble-t-il,
a d o n n é à J e a n n e d'Arc d ' a c c o m p l i r a p r è s fea ca­
nonisation.

CHAPITRE XXXV

PHILIPPE-LE-BEL ET BONIFACE VIIL

L'ancien e n n e m i ne larda d o n c p a s à semer Ter­


r e u r au sein d e celte d y n a s t i e c a p é t i e n n e qui venait
de d o n n e r saint Louis en exemple à t o u s les sou­
verains. Philippe-le-Hel, son pelit-fils, lui aussi, à
l'exemple des e m p e r e u r s d'Allemagne, revendiqua
c o m m e un privilège divin, Tahsoluc liberté de Ions
ses actes, à Tenconlre du P a p e qui revendiquait
lui, au nom de Jésus-Christ, roi des rois, le droit
de contrôler, au point de vue d e la m o r a l e chré­
tienne, les faits et gestes d u m o n a r q u e aussi bien
que ceux de tout fidèle. Pcut-il y a v o i r deux mo­
rales, une p o u r les princes, une a u t r e pour le peu­
p l e ? Les actes du prince chrétien, ceux-là sur­
tout qui intéressent le salut des â m e s et la paix
PHILIPPE-LE-BEL ET BONI FACE Vin 198

publique n e doivent-ils pas ê t r e c o n f o r m e s à la loi


de Dieu'^nc peuvent-ils, ne doivent-ils pus être en­
couragés ou êlre r é p r i m é s p a r celui qui est le dépo­
sitaire de l'autorité du Christ, n o t r e Créateur, notre
Rédempteur, n o t r e Sauveur. Maître el Seigneur?
Le devoir mit Bonifacc VIII d a n s la nécessité
de rappeler ces vérités à P h i l i p p e IV, l'orgueil du
prince ne lui p e r m i t point de subir ces r e m o n t r a n c e s .
Né en 1277, Philippe m o n t a s u r le trône à l'âge
de 17 ans. Si j e u n e encore, il é p r o u v a l'ivresse du
pouvoir, accrue p a r les a d u l a t i o n s des courtisans.
Il avait aussi la soif dc l o r , il r a p i n a s u r son peuple,
falsifia les m o n n a i e s et d é v o r a la substance des égli­
ses en violant les d r o i t s de tous.
lionifacc était né dans les p r e m i è r e s années du
e
XIII siècle, peut-être m ê m e s o u s le ]>ontificat d'In­
nocent III. Sa jeunesse vit la l u t t e de l'Eglise con­
tre Frédéric II ; sa maturité, le b e a u règne de saint
Louis; sa vieillesse, la translation en France de la
lutte entre le sacerdoce et l'empire, à laquelle il
devait prendre une si d o u l o u r e u s e , m a i s si glo­
rieuse part.
Dès son élévation a u t r ô n e pontifical, il écrivît
au roi de F r a n c e , Philippe-le-Bcl, u n e lettre qui
témoigne de l ' a m o u r que le Pontife portait au m o ­
narque depuis la légation qu'il avait exercée en
France et quelles bienveillantes dispositions il n o u r ­
rissait à son égard.
De fait, il se hâta de canoniser saint Louis, l'aïeul
du roi; puis il fit tout le ]>ossible p o u r conférer la
couronne i m p é r i a l e a s o n frère, Charles de Valois.
Mais dans la profession de foi p r o n o n c é e à l'occa­
sion de son élévation a u Pontificat s u p r ê m e , il avait
pris envers le P r i n c e des Apôtres cet engagement
solennel : « Au n o m de la sainte et indivisible Tri-
194 RETOUR EN ARRIÈRE

niié, Tan 1294 d e l ' I n c a r n a t i o n d u Seigneur, moi,


Benoît Cajétan, c a r d i n a l - p r ê t r e , c h o i s i p a r la grace
de Dieu p o u r être le' ministre d e c e siège apostoli­
q u e , j e vous p r o m e t s b i e n h e u r e u x P i e r r e , à cpii Jé­
sus-Christ, c r é a t e u r et r é d e m p t e u r de tous les hom­
mes a confié les clefs du r o y a u m e céleste pour lier
et délier dans le ciel et s u r la t e r r e , et j e promets à
votre sainte Eglise, laquelle j ' e n t r e p r e n d s aujour­
d'hui de g o u v e r n e r sous votre p r o t e c t i o n , que, du­
r a n t celle m a l h e u r e u s e vie, je n e l ' a b a n d o n n e r a i ja­
mais p o u r q u e l q u e cause et q u e l q u e d a n g e r que ce
soit; mais q u e j u s q u ' à l'effusion d e m o n sang et
j u s q u ' à la m o r t , j ' e m p l o i e r a i toute m a force à gar­
der la d r o i t e et vraie foi que j ' a i t r o u v é e d a n s votre
sainte Eglise, Jésus-Christ qui en est l'auteur, l'ayant
transmise p a r vous et p a r le b i e n h e u r e u x apùlrc
saint P a u l et p a r vos successeurs, j u s q u ' à moi qui
n e suis que néant. »
On verra à quel point Boniface fut fidèle à ce ser­
ment : ce fut vraiment j u s q u ' à la m o r t qu'il lutta
p o u r la défense de l'Eglise, de sa liberté et de ses
droits.
Il n ' e n t r e pus dans le p l a n de c e livre d e raconter
les diverses p h a s e s de ce l o n g c o m b a t . N o t r e but
est de m o n t r e r c o m b i e n était nécessaire l'interven­
tion de la Sainte Puce]le p o u r v e n i r rappeler aux
rois de E r a n c e la mission de la Pille a î n é e de l'E­
glise, sa particulière dépendance à l'égard du Roi
des rois, et les devoirs qui en r é s u l t e n t p o u r eux.
Au fond d e toutes les questions de fait e n t r e Phi­
lippe et Boniface, a p p a r a î t l ' a n t a g o n i s m e entre l'in­
dépendance des princes dans l e u r s Etats, et ce pou­
voir m o d é r a t e u r exercé depuis des siècles p a r les
Papes, p o u r r e t e n i r ou r a m e n e r le gouvernement
des s o u v e r a i n s a u x principes de la justice.
PHILIPPE-LE-BEL ET BONIFACE VIII li)5

Dans la constitution Clericis laicos\ le P a p e aver­


tit le roi des plaintes qui lui a r r i v a i e n t de toutes
parts au sujet des exactions q u e ses officiers exer­
çaient contre les églises de F r a n c e . L a défense de la
propriété s a c r é e affermissait les droits de la p r o ­
priété laïque, fixait une limite au p o u v o i r des sou­
verains et soutenait les franchises populaires éta­
blies à l'instar de celles des églises. Le P a p e d'ail­
leurs ne faisait pas u n e c o n s t i t u t i o n nouvelle, il
confirmait les sentences n o m b r e u s e s et solennelles
publiées avant lui p a r les conciles et les Papes.
1
Les décisions de la session XIX* du troisième con­
cile de L a t r a n e t X L I V e d u q u a t r i è m e concile d e
même nom étaient admises d a n s les r o y a u m e s chré­
tiens el spécialement en F r a n c e . E n les rappelant,
le Pape ne p r o n o n ç a i t aucun m o t a y a n t trait di­
rectement à la F r a n c e : il rappelait les principes
pour chacun et p o u r tous. Ce qui n ' e m p ê c h a point
Philippe de s'emporter. Il r é p o n d i t p a r u n édit in­
juste el outrageant. A cet édit le P a p e opposa la
Bulle Ineffabilis, chef-d'œuvre d e paternelle dignité.
Guillaume de Nogaret fut chargé, d a n s les d e r n i e r s
jours de l'année 1300 d'aller c o m m u n i q u e r au Pape
un traité d'alliance conclu avec Albert d'Autriche.
II profita de l'occasion p o u r e x a l t e r son maître,
donner des avis au Souverain Pontife et m ê m e
blâmer sa c o n d u i t e . P i e r r e Flolle, l ' h o m m e diabo­
lique, comme r a p p e l l e Noël Alexandre, poussa plus
loin encore l'insolence, et c o m m e le P a p e lui fai­
sait entendre qu'il avait en m a i n le glaive p o u r l a
défense des d r o i t s spirituels et t e m p o r e l s des égli­
ses, Flotte r é p o n d i t : « F o r t bien, Saint-Père, mais
votre glaive est de papier, tandis q u e celui de mon
roi a la pointe très acérée ».

Le Pape a d r e s s a à P h i l i p p e la Bulle Ausculta fili


196 RETOUR EN ARRIÈRE

d a n s laquelle il r e p r o c h a i t a u roi, s u r . u n ton, tou­


j o u r s paternel, la violation des l i b e r t é s d e l'Eglise,
ses u s u r p a t i o n s sur les biens d u clergé, ses abus
d a n s r u d i u i u i s t r a t i o n d u r o y a u m e , a b u s qu'il avait
p o r t é s au point d'altérer les m o n n a i e s , enfin l'op­
pression qu'il exerçait s u r ses sujets séculiers :
« Ecoutez, très c h e r fils, le p r é c e p t e du P è r e ; incli­
nez l'oreille de votre c œ u r à la d o c t r i n e du maître
qui tient la place de Celui qui est M a î t r e et Seigneur...
C'est à vous q u e s'exprime n o t r e a m o u r paternel,
c'est à vous q u e l'Eglise, la t e n d r e Mère ouvre son
c œ u r . . . Rentrez dans la voie qui m è n e à Dieu et
d o n t vous vous êtes écarté à l'instigation de con­
seillers pervers. Ne vous laissez pas s u r t o u t per­
s u a d e r que vous n'avcK point de s u p é r i e u r el que
vous n'êtes pas soumis au chef de la hiérarchie
ecclésiastique ».
Il est incontestable que Honifacc aimait la France,
on en a la p r e u v e d a n s cette c o n s t a n t e sollicitude
a r é p r i m e r a u t o u r d'elle ses ennemis, en exhortant
tantôt E d o u a r d , roi d'Angleterre, tantôt Adolphe de
Nassau à d é p o s e r les a r m e s et à n e pas inquiéter
la F r a n c e , en r e v e n d i q u a n t avec c o n s t a n c e la Sicile
p o u r Charles d e Valois, en manifestant le désir de
l'élever à la c h a r g e i m p é r i a l e ; et l o r s q u e Philippe
cul à lutter c o n t r e les Anglais, les Flamands, et
autres, Boniface vint e n c o r e à son secours.
Que le roi fut e n t o u r é de conseillers j>ervers, Henri
Martin, l'un des interprètes les p l u s accrédités de la
pensée libérale n'hésite point à le r e c o n n a î t r e : «Le
(roi, dit-il, r é u u i t a u t o u r de lui t o u t ce qu'il y
avait de plus subtil, de p l u s ambitieux et de moin*
scrupuleux p a r m i les d o c t e u r s du m o n a r c h i s m e . C'é­
taient Flotte et Nogarct, c'étaient les deux frères, le
P o r t i e r d e Marigny, d o n t le plus c é l è b r e , Engucr-
PHILIPPE-LE-BEL ET BONIFACE VIII 197

rand, eut d e p u i s une si g r a n d e puissance et u n e


si tragique fin ».
On sait l'accueil q u e P h i l i p p e est accusé d'avoir
fait à la Bulle Ausculta fili. Nous? devons dire q u e
la science h i s t o r i q u e conteste actuellement ce qui
a été c r u jusqu'ici s u r le témoignage de certains
chroniqueurs. P h i l i p p e n e fit p o i n t b r û l e r cette bulle
en grand a p p a r a t sous les yeux d u peuple de P a r i s ;
mais à la bulle a u t h e n t i q u e il en fit substituer une
autre plus b r è v e , qu'il rendit p u b l i q u e et o ù les
déclarations d u Pontife étaient exagérées à dessein
et présentées s o u s la forme la p l u s brutale et la
plus injurieuse p o u r le roi.
Cej>endant le P a p e , avec u n e perspicacité qui n e
se trompait p o i n t , voyant c e q u e les paroles et les
actes de P h i l i p p e devaient a m e n e r d a n s u n avenir
plus ou m o i n s p r o c h a i n , s'efforçait de conjurer la
rupture. « Ce que Dieu a joint (l'Eglise et l'Etat),
disait-il dans le consistoire t e n u au mois d'août
1302*, que l ' h o m m e n e le s é p a r e point ». Et il
rappelait l'union de la F r a n c e a l'Eglise romaine,
il rappelait q u e cette u n i o n avait c o m m e n c é avec
le règne de Clovis et que saint R e m i avait fait cette
prédiction q u e le r o i et le r o y a u m e de F r a n c e se­
raient h e u r e u x t a n t qu'ils d e m e u r e r a i e n t unis à l'E­
glise mais qu'ils périraient dès qu'ils viendraient à
se séparer. H é l a s ! cette sanction fut exécutée s u r

1. La doctrine exposée d a n s ce consistoire par le


cardinal de P o r t o et par le Pape est c e l l e - c i : « Nous
n'ignorons pas qu'il y a sur l a terre d e u x puissances
ordonnées de D i e u : qui pourrait d o n c nous croire assez
dénué d'intelligence pour vouloir réunir ces deux pou-
voirs dans le Souverain P o n t i f e et n'en faire qu'un seul.
Non, assurément non, l a p a s s i o n d u pouvoir ne nous
domine pas a u point de nous le faire ravir à aucun prin-
ce. Mais, de l e u r côté, l e s rois n e p e u v e n t nier qu'ils
sont soumis a u P o n t i f e romain à r a i s o n du péché ».
LA MISSION DE LA BSE JEANNE D'ARC. 13
198 RETOUR EN ARRIÈRE

P h i l i p p e , s u r sa fa mille et aussi s u r le peuple de


France.
Car P h i l i p p e n e fut point seul c o u p a b l e : peuple,
noblesse, cierge, plus ou m o i n s t r o m p é s , le sou­
tinrent dans sa révolle. Après avoir, p a r celte fraude,
la substitution d ' u n e bulle a p o c r y p h e à la bulle
authentique, excité l'opinion contre le Pape, Phi­
lippe convoqua à P a r i s les P r é l a t s et les nobles
du r o y a u m e avec les députés des villes.
Cette assemblée m é m o r a b l e à p l u s d'un litre —
elle est dite la p r e m i è r e r é u n i o n en F r a n c e des
Etals Généraux — eut lieu le 10 avril 1302 dans
l'église de N o t r e - D a m e à Paris.
Un des légistes de Philippe, P i e r r e F l o t t e porta
la jKirole au n o m du roi, c h a r g é d'interpréter la
Huile, d o n t il eut soin de ne pas lire le texte. II
t e r m i n a p a r ces p a r o l e s : t N o u s vous p r i o n s donc,
c o m m e m a î t r e et c o m m e ami de n o u s aider à dé­
fendre les libertés du r o y a u m e et celles d e l'Eglise.
Nous n'hésiterons JXIS, s'il le faut, à sacrifier dans
ce d o u b l e but, n o s biens, n o t r e vie, et a u besoin
celle de n o s enfants ».
Les nobles écrivirent une l e t t r e collective, ofi ils
s'élevaient h a u t e m e n t c o n t r e les p r é t e n t i o n s du Saint-
Siège. U n e lettre analogue fut p r é s e n t é e à la signa­
ture des députés des villes. L'une e t l ' a u t r e furent
envoyées, n o n a u Pape, mais a u x Cardinaux, que
le roi se flattait de gagner aussi à ses intérêts. Les
prélats adressèrent à Honifacc u n e l e t t r e embarras­
sée, où, en définitive, ils se décidaient p o u r le roi
c o n t r e le Pape. Ils la t e r m i n a i e n t p a r ces mots :
f C'est u n e r u p t u r e c o m p l è t e q u i se p r é p a r e en ce
m o m e n t entre le r o y a u m e et l'Eglise, et d u n e ma­
nière générale entre le peuple et le clergé. Nous fai­
sons d o n c h u m b l e m e n t appel à v o t r e prudence. En
PHILIPPE-LE-BEL ET BONI FACE VIII 199

retirant l'injonction q u e vous n o u s avez transmise


(se rendre a R o m e p o u r assister au Concile qui
devait examiner t o u t e celte affaire), v o u s agirez p o u r
notre sûreté (Philippe faisait défense d e s'y ren­
dre), et vous conserverez e n t r e l'Eglise el le royau­
me une union qui s e m b l e s u r le point d e se r o m p r e ».
boniface adressa aux évoques une lettre où il
leur r e p r o c h a i t l e u r faiblesse. Un c e r t a i n n o m b r e
de prélats se r e n d i r e n t a R o m e malgré la défense
du roi, le roi o r d o n n a de saisir l e u r temporel.
Le Pape p u b l i a alors la Bulle Unam sanctam,
renouvelant la doctrine p r o c l a m é e p a r Grégoire Y1I
el Innocent I I I K
Le 12 m a r s 1303, P h i l i p p e r é u n i t u n e autre as­
semblée de b a r o n s et de p r é l a t s ; et u n a u t r e de ses
dévoués légistes, Guillaume de Nogaret, d e m a n d a et
obtint de p o r l e r c o n t r e Boniface les accusations de
simonie et d'hérésie. Il supplia le roi, d a n s l'inté­
rêt de l'Eglise, de se c o n c e r t e r avec les cardinaux,
les évoques et les souverains de l ' E u r o p e pour réu­
nir un concile général qui jugerait Boniface et or­
donnerait, s'il y avait lieu, d'élire u n a u t r e Souve­
rain Pontife. P h i l i p p e voulait i m i t e r les e m p e r e u r s

1. Cette bulle p e u t se résumer ainsi : « L'Eglise est


une ; formant u n corps u n et m y s t i q u e , e l l e ne peut
avoir plus d'un c h e f ; c e seul chef e s t Jésus-Chrisfc,
et par lui, Pierre et ses successeurs, c ' e s t - à - d i r e les
Papes. Ces vérités s o n t d e f o i . I l y a d e u x puissances
dans l'Eglise, l a p u i s s a n c e spirituelle et la puissance
temporelle, figurées par l e s deux g l a i v e s que les Apôtres
présentèrent à J é s u s - C h r i s t en lui d i s a n t : Voici deux
glaives, etc. » Le glaive matériel d o i t être employé
ponr l'Eglise, le glaive spirituel par l ' E g l i s e ; le second
est dans l a m a i n d u prêtre e t le premier d a n s l a main
U
du roi, mais s o u s l a d i r e c t i o n 4 P a p e ; en consé-
quence, le glaive matériel est s o u m i s au g l a i v e spirituel
et la puissance temporelle au pouvoir spirituel.
200 RETOUR EN ARRIÈRE

allemands j u s q u ' a u b o u t et susciter c o m m e eux des


antipapes.
Le 13 juin, il r é u n i t de n o u v e a u a u Louvre en
sa présence les seigneurs et les prélats (celle fois
plus n o m b r e u x ) , et un a u t r e de ses m i n i s t r e s , Guil­
l a u m e Duplessi, r e p r i t et développa la requête de
Nogaret, priant de n o u v e a u le roi de se faire le
défenseur de l'Eglise et, à ce titre, d e provoquer
la r é u n i o n d'un concile qui déclarerait Boniface in­
digne d u pontificat et s'occuperait des moyens de
lui choisir un successeur.
P h i l i p p e déclara qu'il consentait d a n s l'intérêt de
la foi à la requête qui lui était présentée et il in­
vita ses b a r o n s et les évêques à y c o n s e n t i r avec
lui. Los seigneurs s'empressèrent de d o n n e r leur
adhésion. Les évêques, a p r è s en voir délibéré, refu­
s è r e n t de figurer c o m m e partie d a n s l'accusation,
mais ils a d m i r e n t la convocation du concile, parce
que, disaient-ils, ils étaienl p e r s u a d é s (pic dans un
concile général éclaterait à t o u s les y e u x l'inno­
cence du Pontife, d é p e n d a n t ils écrivirent au Pape,
témoignant qu'ils prêtaient foi, j u s q u ' à un certain
point, a u x injustes a c c u s a t i o n s de P h i l i p p e contre
lui. * ("est alors, écrit l'historien p r o l e s t a n t Gene­
vois Sismondi, c'est alors que p o u r la première
fois la nation et le clergé s ' é b r a n l è r e n t pour dé­
fendre les libertés d e l'Eglise gallicane. Avides de
servitude, ils a p p e l è r e n t liberté le d r o i t de sacri­
fier j u s q u ' à l e u r conscience aux c a p r i c e s de leun
l
maître » .
Au lendemain d e cette assemblée, des agents du
roi furent envoyés d a n s toutes les c o n t r é e s de la
F r a n c e , p o u r recueillir et a u besoin p o u r contrain-

1. Histoire du liépubl. Ual., t. IV, c. 24.


PHILIPPE-LE-BEL ET BONIFACE VIII 201

dre les adhésions du clergé, de la noblesse, et des


villes à la convocation du concile. Il n'y eut d'oppo­
sition n i ' d e la p a r t des seigneurs, ni d e la p a r t des
communes; le clergé ne se r e n d i t pas aussi p r o m p -
tcment, mais enfin il consentit, à quelques excep­
tions près.
Philippe ne se c o n t e n t a pas de l'adhésion de la
France, il c h e r c h a à o b t e n i r celle des autres Etats
et écrivit dans ce b u t a u x seigneurs et aux prélats
de Navarre, d'Espagne, de P o r t u g a l et aux cités
d'Italie.

C H A P I T R E XXXVI

PHILIPPE-LE-BEL E T BONIFACE VIII (Ha faute).

Dans le temps où se passaient les faits relatés ci-


dessus, étaient r é p a n d u s p a r t o u t des écrits dans les­
quels était discutée la question des r a p p o r t s entre
le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.
Pu légiste français, Pierre Du Bois, avait adressé
à Philippe un m é m o i r e o ù il lui conseillait d'ou­
vrir des négociations avec le P a p e , en vue de se
substituer à lui p o u r le t e m p o r e l du Saint-Siège.
II voulait q u e le Pontife a b a n d o n n â t a u roi la suze­
raineté des r o y a u m e s feudataircs d e l'Eglise romai­
ne, qu'il lui t r a n s m î t tous les d r o i t s temporels d u
Pape en Italie avec le g o u v e r n e m e n t de Rome, e l
qu'en échange de cet a b a n d o n il consentit à rece­
voir une pension annuelle équivalente a la s o m m e
des revenus, q u ' à titres divers, il tirait des Etats
de la catholicité. « Le P è r e des fidèles, disait-il,
en raison du c a r a c t è r e de sainteté d o n t il est revêtu,
202 RETOUR EN ARRIÈRE

doit a s p i r e r u n i q u e m e n t à l a gloire d e p a r d o n n e r ,
v a q u e r à la l e c t u r e et à l'oraison, r e n d r e a u nom
de l'Eglise des j u g e m e n t s équitables, veiller enfin
au s a l u t des â m e s que Dieu lui a confiées. Si donc
il d é p e n d de lui de c o n s e r v e r ses r e s s o u r c e s ordi­
naires sans être d é t o u r n é d u soin des â m e s qui doit
(seul lui convenir, et q u e n é a n m o i n s il refuse un
si g r a n d avantage, n ' e n c o u r r a i t - i l pas la réproba­
tion de t o u s p o u r sa c u p i d i t é , s o n orgueil et sa
téméraire présomption? »
On voit q u e les s c r i b e s d e N a p o l é o n III et de
Victor E m m a n u e l n e p e u v e n t s ' a t t r i b u e r le mé­
rite de l'invention.
Rien n e p u t é b r a n l e r l a fermeté de Boniface.
« N o u s n e souffrirons pas, dit-il, d a n s une Bulle,
que cel exemple détestable soit d o n n e au m o n d e ; cl
notre justice saura, en t e m p s et lieu, a t t e i n d r e les
c o u p a b l e s ( 1 5 a o û t 1303). » Le 8 s e p t e m b r e , il frap­
pa le roi d ' e x c o m m u n i c a t i o n et délia ses vassaux
du s e r m e n t de fidélité.
« "La Providence, dit J o s e p h de Maistrc, avait
confié au<x P a p e s l'éducation de la souverafticté
e u r o p é e n n e . Ils Pont faite, au pied de la lettre,
c o m m e Fénclon fit le d u c de Bourgogne. Mais
c o m m e n t élever sans p u n i r ? De l à tant de chocs,
tant d'attaques, quelquefois t r o p h u m a i n e s , et tant
de résistances Téroces. Mais le principe divin n'était
pas m o i n s toujours agissant et toujours recon-
n a i s s a b l c ; il Pétait s u r t o u t p a r ce merveilleux ca­
ractère q u e j ' a i déjà indiqué, mais qui ne saurait
être t r o p r e m a r q u é , savoir : que toute action des
Papes contre les souverains tournait au profit de
la souveraineté. *
L'acte du P a p e déliant les sujets d u serment de
fidélité laissait subsister tous les droits, siuoh du
PHILIPPE-LE-BEL ET BONIFACE VIII 208

prince puni, du m o i n s d e sa famille, d e sa race,


de la dynastie. Aujourd'hui que les P a p e s se sont
vu ravir le d r o i t de p u n i r les souverains, le peuple
a fait sienne cette faculté, il l'exerce à tort et à
travers, cruellement et radicalement.
« Le s e r m e n t de fidélité s a n s restriction exposait
les hommes, dit J o s e p h de Maislre, à toutes les
horreurs de la tyrannie, et la résistance sans règle
les exposait à toutes celles d e l ' a n a r c h i e . L a dispense
de ce serment, p r o n o n c é e p a r la souveraineté spi­
rituelle, pouvait très bien se p r é s e n t e r à la pensée
humaine c o m m e l'unique m o y e n de contenir l'auto­
rité temporelle, sans effacer son caractère. Il n'était
pas absurde de penser que, p o u r être délié d u ser­
ment de fidélité il n ' y avait pas d ' a u t r e autorité
roinpélentc que celle de ce h a u t pouvoir spirituel,
unique sur la t e r r e et d o n t les prérogatives sublimes
1
forment une portion de la r é v é l a t i o n .
Les représailles de P h i l i p p e furent vraiment c fé­
roces ». Le P a p e s'était r e t i r é à Anagni, lieu de
sa naissance. Nogaret et Sciarra Colonna vinrent
l'y assiéger le 8 s e p t e m b r e 1303. L e u r s soldats
mirent le feu à la c a t h é d r a l e et se firent ainsi
un passage p o u r e n t r e r a u palais. Le P a p e enten­
dant briser les portes, dit aux deux c a r d i n a u x qui
se trouvaient près de lui : « J e veux m o u r i r en Sou­
verain Pontife. Il se revêtit des o r n e m e n t s ponti­
ficaux, plaça la tiare s u r sa tête, p r i t les saintes
clefs, pressa la croix s u r son c œ u r et s'assit sur
son trône. Nogaret l ' a r r a c h a de son t r ô n e et le

1. On peut encore observer que l a d é p o s i t i o n a b -


solue et sans retour p o s s i b l e d'un prince temporel —
ce que les Papes ne faisaient p o i n t - - ne serait pas plus
une révolution que la mort d e ee même souverain, p u i s -
que la famille royale aurait conservé ses droits.
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc. M bis
204 RETOUR EN ARRIÈRE

m e n a ç a de le faire c o n d u i r e lié et g a r r o t t é à Lyon


p o u r y être jugé et déposé. Le P a p e répondit :
« Voici m a tôle, voici m o n cou ; j ' a i soif de la morl
p o u r la foi de Jésus-Christ et p o u r l'Eglise ». Une
vertu s u r h u m a i n e brillait d a n s ses yeux, éclatait
d a n s ses paroles. Nogarel paraissait a t t e r r é , mais
Colonna accabla le Pontife d'injures et eut Paudace
de le frapper à la figure avec son gantelet. Pendant
les trois j o u r s que d u r a le pillage de Péglise et du
palais, Boniface ne se plia à a u c u n e concession et
ne p r i t a u c u n e n o u r r i t u r e , soit tristesse, soit que
ses geôliers, voulant sa mort, lui en refusassent.
Les h a b i t a n t s d'Anagni v i n r e n t le délivrer. Le Pape
étant venu en h a u t des degrés du palais, abattu et
épuisé, m a i s la sérénité s u r le visage, p r o n o n ç a des
p a r o l e s de paix el de clémence, p a r d o n n a n t a ceux
qui l'avaient trahi et à ceux qui l a v a i e n t outragé et
fait p r i s o n n i e r . L e s R o m a i n s lui e n v o y è r e n t une
escorte de q u a t r e cents cavaliers p o u r le ramener
d a n s l e u r ville; il y fut r e ç u en t r i o m p h a t e u r . Mais
l'effort qu'il avail fait p o u r g a r d e r en face de ses
e n n e m i s la m a j e s t é pontificale, ajoutée au poids de
l'Age, avait b r i s é les r e s s o r t s de son aine et la vi­
gueur de son corps. R e n t r é à R o m e le 25 sep­
t e m b r e , il e x p i r a i t le 8 o c t o b r e 1303.
La h a i n e d e Philippe n e fut point apaisée p a r cette
m o r t . Il .alla à Poitiers, en juin 1300 d e m a n d e r au
P a p e Clément, successeur de Boniface, de déterrer
le c o r p s du Pontife cl d e le b r û l e r publiquement 1
PHÏLIPPE-LE-BEL. — SON CHATIMENT 205

C H A P I T R E XXXVII

PHILIPPE-LE-BEL — SON CHATIMENT.

« Tout prince, dit J o s e p h d e Maistre, qui, n é


dans la lumière, la m é p r i s e r a ou s'efforcera de
l'éteindre, et qui s u r t o u t o s e r a p o r t e r la main sur
le Souverain Pontife o u l'affliger sans mesure, peut
compter sur un c h â t i m e n t temporel et visible. Règne
court, désastres h u m i l i a n t s , m o r t violente et hon­
teuse, mauvais r e n o m p e n d a n t sa vie et mémoire
flétrie après sa m o r t , c'est le sort qui l'attend en
plus ou en moins. De J u l i e n à Philippe-le-Bel, les
exemples sont écrits p a r t o u t ».
Après son e x c o m m u n i c a t i o n , P h i l i p p e le Bel, très
troublé, avait quitté la Cour et s'était retiré au châ­
teau de Vauvert qu'il venait de bâtir, p o u r ne pas se
montrer au peuple d o n t il sentait la m u e t t e désap­
probation ; et le peuple, considérant avec crainte
retlc demeure r o y a l e , d o n n a le nom de « rue d'En­
fer » au sentier qui reliait le c h â t e a u à la poterne
Saint-Jacques, qui, j u s q u ' a l o r s était c o n n u e sous le
nom de voie Vauvert. L o r s q u e P h i l i p p e a b a n d o n n a
ce château, le bruit c o u r u t q u e le Vauvert était
hanté. Dès lors, q u a n d o n voulut p a r l e r d u n e ex­
cursion périlleuse on disait : « aller a u diable Vau­
vert ». Mauvais r e n o m p e n d a n t la vie, p r e m i e r châ­
timent. Philippe e n e u t d ' a u t r e s à subir.
« Je n'ai j a m a i s vu d a n s la Bible ni d a n s aucun
livre, avait dit à saint Louis u n simple cordelier,
qu'un r o y a u m e ou u n e seigneurie quelconque ait
passé d'une m a i s o n à u n e a u t r e , sinon p a r défaut
de justice * (Joinvillc). Le déni de justice fait
206 RETOUR EN. ARRIÈRE

au P a p e fil passer le r o y a u m e des Capétiens directs,


su|HprimĆK p a r l a vengeance divine, à la branche
des Valois, c o m m e elle p a s s e r a plus lard d e s Valois
aux Bourbons, à cause s a n s doute de leurs faiblesses
v i s a vis des protestants.
Il laissait trois fils p a r v e n u s à Page d ' h o m m e et
non m o i n s r e m a r q u a b l e s q u e l e u r père p a r la vi­
gueur de l e u r t e m p é r a m e n t . Le p r e m i e r m o u r u t à
l'âge de vingt-six ans, laissant un fils posthume
qui ne vécut que cinq j o u r s . Le second m o u r u t âgé
de vingt-huit a n s a p r è s avoir vu son fils expirer
a v a n t lui. Le troisième Char] cs-le-Bel avait déjà
p e r d u ses deux fils, l o r s q u e d a n s sa t r e n t i è m e an­
née il t o m b a m a l a d e à Vincennes et s u c c o m b a après
de longues, souffrances.
lui fin, Philippe-le-Bel fut frappé l u i - m ê m e . Ce
p r i n c e dont le s u r n o m r a p p e l l e P a d m i r a l i o n où
ses c o n t e m p o r a i n s étaient de sa belle el forte cons­
titution, m o u r u t dans la force de l'âge à quarante
six a n s . D a n s ses d e r n i e r s j o u r s il avait vu le peuple
a p p a u v r i p a r les i m p ô t s el p a r l'altération de la
m o n n a i e se r e m u e r t u m u l t u e u s e m e n t t a n d i s que les
g r a n d s s'irritaient de l'affaiblissement de leur puis
sauce. Au d e h o r s les F l a m a n d s s'enhardissaient in­
s o l e m m e n t d'une trêve h o n t e u s e p o u r lui. KnTin un
cri de malédiction et d ' h o r r e u r s'élevait contre lui
du sang (pie sa c r u a u t é avait fait v e r s e r dans le
rovaume.

L'esprit du m a l h e u r e u x prince s'obscurcit. Mais


le c h â l i m e n t ne faisait q u e c o m m e n c e r : les in­
famies de sa maison allaient l'accabler de honte
et de douleur. On lui dévoila les adultères des épou­
ses de ses trois fils. Des j u g e m e n t s publics cl
solennels étalèrent à la face du m o n d e les igno-
PHILIPPE-LE-BEL. — SON CHATIMENT 207

minies d e sa famille. La p e u r des m o r t s , les soup­


çons inspirés p a r les vivants, l'infamie des siens
lui brisèrent l'urne frappée de P a n a l h è m e . Chacun
le voyait d é p é r i r et on s'en d e m a n d a i t la cause. :
ni plaie, ni fièvre ; des a p p a r e n c e s saines et des
effets mortels. P h i l i p p e m o u r u t de celte m o r t d e
t aine que c a u s e n t les c h â t i m e n t s mystérieux dis­
penses par le ciel. Ainsi s'accomplissait la menace
que Dieu fit e n t e n d r e dès les c o m m e n c e m e n t s p a r
la voix de Moïse : « Le Seigneur est lent a la co­
lère et riche en b o n t é . Il p a r d o n n e le péché, mais il
punit l'iniquité des p è r e s sur les enfants j u s q u ' à
la troisième e l à la q u a t r i è m e génération ».

Les c o n t e m p o r a i n s r a c o n t e n t q u e l'an 1303, un


courrier t r a v e r s a n t la ville d e Mauricnnc annonça
la captivité d e Boniface VIII p a r les Français.
L'évoque de cette ville, e n r é p u t a t i o n de sainteté,
dit en présence d'un g r a n d n o m b r e de personnes :
c Cette nouvelle va d o n n e r bien de la joie au roi
de France, m a i s cetle joie se t e r m i n e r a p a r un long
deuil : car en p u n i t i o n de cet excès, un m é m o r a b l e
jugement de Dieu f o n d r a s u r lui et s u r sa posté­
rité » 1 .
Ce j u g e m e n t est m é m o r a b l e en effet. Avec P h i ­
lippe et son fils prit fin le privilège d o n t la P r o ­
vidence avait fait j o u i r les Capétiens. P o u r la pre­
mière fois l'héritier direct m a n q u a et le droit royal
passa à une a u t r e b r a n c h e , au prix de quelles
difficultés, de quels troubles, d e quelles calamités,
nous aurons à le dire.
C'est ici le lieu de r a p p e l e r la prophétie de
saint Iïemi.

1. Jean ViJlani, 1. IX, chap. (»5; S. Antonin, tit. X?„ chap.


VIII, § 2 1 ; Raynald, an. 1303, n° 43.
208 RETOUR EN ARRIÈRE

« Que le p r é s e n t T e s t a m e n t que j ' a i écrit p o u r jêtre


g a r d é respectueusement i n t a c t p a r m e s succes­
seurs, les évoques de Reims, m e s frères, maintenu
et défendu p a r les rois d e F r a n c e , m e s très chers
fils, q u e j ' a i consacrés au Seigneur, d a n s le b a p ­
tême, p a r le bienfait de Jésus-Christ et la coopéra­
tion de fa grace d u Saint-Esprit, o b t i e n n e de leur
protection à tout j a m a i s u n e force inviolable et per­
pétuelle d a n s toutes ses dispositions... Si quelque
j o u r .l'un des m e m b r e s d e cette famille royale,
tant de fois c o n s a c r é e au Seigneur p a r m e s béné­
dictions, r e n d a n t le m a l p o u r le bien, usurpe, ra­
vage ou détruit les églises de Dieu et s'en déclare
l'ennemi ou le persécuteur, que les évoques pro­
n o n c e n t contre lui la sentence p r o n o n c é e p a r le roi
p r o p h è t e sous ('inspiration du m ê m e E s p r i t qui ani­
me a u j o u r d ' h u i (es évoques : Parce qu'il a aimé la
malédiction, la malédiction r e t o m b e r a sur lui, parce
qu'il a rejeté in bénédiction, la bénédiction lui sera
refusée... q u e ses j o u r s soient a b r é g é s cl qu'un
a u t r e exerce l'autorité r o y a l e >. Ces m e n a c e s du fon­
d a t e u r de la m o n a r c h i e c h r é t i e n n e , Roniface avait
eu soin de les r a p p e l e r à Philippe. H é l a s ! il n'en
tint aucun c o m p t e .
N o u s avons déjà o b s e r v é q u e P h i l i p p e no fut
point seul coupable.
Non seulement les Légistes avaient fourni au roi
les s o p h i s m e s sur l e s q u e l s il a p p u y a i t sa révolte,
mais les trois o r d r e s de T E t a l , n o u s Pavons vu.
avaient soutenu P h i l i p p e d a n s sa révolte contre le
Saint-Siège. La nation fut rhnliéc avec lui. Elle eut
à subir la g u e r r e de cent ans à laquelle donna occa­
sion la fille m ê m e de Philippe el elle serait passée
sous la domination d e s Anglais si Dieu, dans sa
miséricorde, ne lui avait e n v o y é la sain le Puccllc.
LE CHATIMENT 209

Un des m e i l l e u r s h i s t o r i e n s d e Charles VII, J u -


vénal des U r s i n s r a c o n t e que, d a n s un conseil
dont son P è r e , le seigneur d e Prainel, faisait p a r ­
tie, l'on se mit à r e c h e r c h e r la cause des mal­
heurs du p a y s . O r l'un des assistants dit : « qu'il
avait vu p l u s i e u r s histoires, et que toutes les fois que
les Papes et les rois d e F r a n c e avaient été unis en­
semble en b o n n e a m o u r , le r o y a u m e de F r a n c e
avait été en b o n n e p r o s p é r i t é ; et il se doutait que
les e x c o m m u n i c a t i o n s et malédictions que fit le
Pape Boniface h u i t i è m e sur Philippe le Bel j u s q u ' à
la cinquième génération ne fussent cause des mal­
heurs et calamités q u e l'on voyait. Laquelle chose
fut fort pesée et considérée p a r ceux de l'assem­
blée* »,
Plie méritait d e l'être et le mérite toujours gran­
dement.

C H A P I T R E XXXVIII

LES P A P E S A A V I G N O N — L E G R A N D SCHISVÎE

Aux responsabilités que n o u s venons de dire, la


France en ajouta u n e a u t r e .
La supplique a d r e s s é e à Philippe-le-Bel p a r les
Etals généraux, où se trouvaient vingt-cinq évoques,
lui demandait de c o n v o q u e r un Concile, en sa qua­
lité de défenseur de l a Sainte Eglise el de la foi
catholique, el d'en a p p e l e r de Boniface VIII au
vrai el légitime p a p e futur. C'était non seulement
une aggravation dm p é c h é national m a i s m ê m e

1. Collection Miehauû. T. I L p. 482.


210 RETOUR EN ARRIÈRE

une m e n a c e de schisme. Peu a p r è s il éclata (1378 à


142!*). ( '/est l'épreuve la plus terrible q u ' a i t tra­
versée l'Eglise catholique. Ou vit deux p a p e s et à
un m o m e n t trois, placés en m ê m e t e m p s sur le
Saint-Siège, de m a n i è r e que, d u r a n t c i n q u a n t e ans,
il fut difficile de distinguer lequel avait été le plus
c a n o n i q u e . Il y eut des saints que l'Eglise canonisa
également, bien qu'ils eussent o p i n é diversement,
ceux-ci s'élnnl placés sous u n e o b é d i e n c e , ceux-là
sous l ' a u t r e . N o u s qui Sommes à m ê m e d'étudier le
c a r a c t è r e des evénclnenls postérieurs, n o u s pou­
vons m a l a i s é m e n t n o u s faire u n e idée de la difficulté
ou m ê m e d e l'impossibilité o ù se t r o u v a i e n t les
c o n t e m p o r a i n s d e r e c o n n a î t r e c u i r e les prétendants
le P a p e légitime. Ce fut l a translation matérielle du
siège pontifical d e R o m e à Avignon qui fut la cause
p r e m i è r e de ce long d é c h i r e m e n t , d u r a n t lequel
Wicler, soutenu de sou salollile Jean lluss, pul semer
une hérésie c o n t e n a n t le germe de toutes les héré­
sies m o d e r n e s . Dans sou livre. Le Triuloyue, il éleva
à la raison individuelle le trône où il s'assit Je
p r e m i e r , p o u r léguer sa place a L u t h e r .
L e s u c c e s s e u r d e Boniface VIII fut un saint,
Benoît XI, mais il n e r é g n a que q u e l q u e s jnois.
Boniface avait été le d e r n i e r type des papes an­
ciens, possédant, au n o m de Jésus-Christ, la direc­
tion générale des e m p i r e s . Sous saint Benoît XI, com­
mença, p o u r les Souverains Pontifes, P è r e de la
séparation de la politique d'avec la d o c t r i n e chré­
tienne, o r d r e d e choses qui subsiste e n c o r e aujour­
d'hui, avec les aggravations que le c o u r s des siècles,
la perversion des idées cl la m é c h a n c e t é d e s hommes
y ont successivement a p p o r t é e s .
Boniface VIII avait i n t r é p i d e m e n t lutté p o u r main­
tenir la constitution c h r é t i e n n e d e la société telle
LE CHATIMENT 211

qu'elle s'était m o n t r é e d a n s les siècles précédents,


La mauvaise volonté des p r i n c e s força ses succes­
seurs, non p a s à r e c o n n a î t r e que cette constitution
fût condamnable, d û t ê t r e changée, m a i s à tolérer
un nouvel état d e choses. Le Saint-Siège ne cessa^,
même en ces d e r n i e r s temps, p a r les Encycliques
de Léon XIII, d e s o u t e n i r les vrais principes, les
principes s a l u t a i r e s à la société civile aussi bien
qu'à la société religieuse, m a i s il cessa de pouvoir
les imposer : l a force temporelle n ' é t a n t pas de son
ressort et celle-ci se s é p a r a n t de lui.
Le séjour des P a p e s à Avignon contribua b e a u ­
coup à cette s é p a r a t i o n funeste. L e s traditions les
plus sacrées, les faits d'une h i s t o i r e plus que dix
fois séculaire s e m b l a i e n t avoir créé e n t r e la dignité
du chef de l'Eglise et sa résidence à R o m e u n lien
indissoluble : au onzième, au douzième et au trei­
zième siècles, il ne fut venu à l'idée de personne
qu'un Pape p û t fixer sa résidence en d e h o r s de
la Ville éternelle p o u r toute la d u r é e d e son pontifi­
cat. Quand ils virent les P a p e s à Avignon, les sou­
verains n ' é c o u t è r e n t plus volontiers des Pontifes
qui paraissaient t r o p soumis à l'influence française.
L'indépendance de ceux-ci ne p a r a i s s a i t plus e l d'ail­
leurs n'était plus complète, d a n s les matières qui
touchaient à la p o l i t i q u e ; et ceux q u i avaient in­
térêt à la n i e r avaient p o u r eux les apparences.
Le successeur d e Rcnoît XI fut R e r t r a n d de Goth.
arrhevêque de B o r d e a u x qui p r i t le n o m de Clé­
ment V et qui fixa le séjour de la c o u r pontificale
à Avignon, ville qui a p p a r t e n a i t alors au Saint-Siège.
Il avait été du n o m b r e des prélats qui osèrent en
1302 braver l e s défenses de Philippe-le-Bel, en se
rendant au Concile que le P a p e avait convoqué à
Rome, et qui refusèrent leur souscription aux pour-
212 RETOUR EN ARRIÈRE

suites sacrilèges c o n t r e le chef de l'Eglise q u e Phi­


lippe exigea du clergé.
R e d o u t a n t d'une p a r t q u e son i n d é p e n d a n c e , au
point de vue du g o u v e r n e m e n t de PEglise ne fût
c o m p r o m i s e au milieu des luttes intestines qui dé­
c h i r a i e n t PKnlie; cédant, d ' a u t r e part, à la pression
exercée sur lui p a r le roi d e F r a n c e , il resta
d a n s son pays, et ne m i t j a m a i s le pied d a n s la ville
éternelle.
B e r t r a n d de Goth était à Poitiers au moment
de son élection, il se fit c o u r o n n e r à L y o n , On vit
Philippe-le-Bol m a r c h e r à côté du P a p e et tenir la
b r i d e de son cheval, c o m m e s'il e u t voulu, a p r è s les
tragiques événements qui étaient e n c o r e d a n s toutes
les mémoires, i n a r q u e r p a r ce public h o m m a g e sa
soumission au Siège apostolique. Ce n'était qu'une
feinte déférence, car il d e m a n d a aussitôt au Pontife
de c o n d a m n e r la m é m o i r e de Boniface. Clément V
s'y r e f u s a ; mais, sur un a u t r e point, il céda aux
suggestions qui lui étaient faites, et fixa son séjour à
Avignon, se niellant ainsi en q u e l q u e sorte à la
discrétion de Philippe. Son successeur, J e a n XXII,
originaire de Cahors, fut aussi c o u r o n n é à Lyon
et prit également sa résidence à Avignon. C'est de
ces deux règnes que c o m m e n ç a p o u r la papauté ce
long exil que les Italiens ont i m p r o p r e m e n t appelé
la captivité de Babylonc. Ils en étaient bien cause,
en partie du moins, c a r ils avaient r e n d u le séjour
de Rome quasi impossible par l e u r s divisions in­
testines.
Clément V peupla le Sacré Collège, p o u r les deux
tiers, de c a r d i n a u x f r a n ç a i s ; cl ainsi e n t o u r é s d'un
collège de c a r d i n a u x c o m p o s é en g r a n d e partie det
c o m p a t r i o t e s , les Papes d'Avignon i m p r i m è r e n t au
g o u v e r n e m e n t de PKgli.se un c a r a c t è r e j u s q u ' à un
LE CHATIMENT 213

certain point français, p a r conséquent en contradic­


tion avec le p r i n c i p e d'universalité qui est le p r o p r e
de l'Eglise et de la p a p a u t é . Ce c a r a c t è r e d'univer­
salité n'avait p a s été l a m o i n s i m p o r t a n t e des causes
morales auxquelles les g r a n d s papes d u m o y e n âge
avaient dû leur p u i s s a n c e et l e u r influence à peu
près illimitée. L'élection successive d e sept papes
français et la t r a n s f o r m a t i o n d u S. Collège com­
posé en majorité de c a r d i n a u x français affaiblirent
la confiance universellement a c c o r d é e au chef com­
mun des fidèles, elle éveilla chez les a u t r e s nalions
un sentiment de défiance p o u r un gouvernement de
l'Eglise inspiré p a r des tendances françaises. De
là résulta u n r e l â c h e m e n t d a n s les liens qui unis­
saient au Saint-Siège les diverses provinces ecclé­
siastiques.
À un a u t r e p o i n t d e vue, le p r i n c i p e païen de
l'intérêt national se substitua à la loi du Christ.
De là les g u e r r e s fratricides e n t r e n a t i o n s chré­
tiennes el les a r m e m e n t s sous lesquels l ' E u r o p e suc­
combe a u j o u r d ' h u i . Au m o y e n âge, en dépit d e
guerres accidentelles, il y avait e n t r e les nations
baptisées un lien qui e n faisait une famille, la
chrétienté. La loi d u Christ était r e c o n n u e comme
règle des r a p p o r t s de peuple h p e u p l e : Aujourd'hui
règne seule la loi d u plus fort, e t les peuples
f
s'épuisent à se s u r p a s s e r e n h o m m e s d e guerre e
en matériel de c o m b a t .
Il faut c e p e n d a n t r e n d r e la justice qu'ils mé­
ritent aux i m m e n s e s services r e n d u s p a r les Papes
français sur le t e r r a i n de la p r o p a g a t i o n de la foi.
Ils reculèrent c o n s i d é r a b l e m e n t les limites du d o ­
maine sur lequel s'exerçait P a p o s l o l a t catholique.
Sainte Catherine de Sienne fut suscitée p o u r porter
remède à l'état de choses créé p a r le schisme. Elle
214 RETOUR EN ARRIÈRE

n'eut point d e r e p o s j u s q u ' à ce qu'elle e û t vu l'œu-


vre d e Philippe-le-Bel détruite s a n s r e t o u r .
Le 11 n o v e m b r e 1417, le cardinal Otto Colonna
fut p r o c l a m é p a p e sous le n o m de Martin V. La
r e s t a u r a t i o n de l'unité de l'Eglise fut saluée par un
i m m e n s e cri d'allégresse, c De joie, dit u n e relation
de ce temps, les h o m m e s avaient p r e s q u e perdu
la parole ». El un adversaire a c h a r n é d e la Papauté,
Gregorovius, fait cet aveu : « Un r o y a u m e temporel
y eût s u c c o m b é ; m a i s l'organisation du royaume
spirituel était si merveilleuse, l'idée d e l a Papauté
si indestructible, que cette scission, l a plus grave
1
de toutes, n e fil q u ' e n d é m o n t r e r l'indivisibilité .
E n déconsidérant la p a p a u l é , le séjour des Papes
à Avignon d o n n a n a i s s a n c e a u x d o c t r i n e s dites gal­
licanes, p r é p a r a les voies au p r o t e s t a n t i s m e et eut
p o u r terme la Révolution.

A peine donc la civilisation c h r é t i e n n e avait-elle


m o n t r é ce d o n t elle est c a p a b l e q u e c o m m e n ç a con­
tre la nécessaire d o m i n a t i o n d e Dieu et d e son Christ
s u r la vie sociale la révolte qui nous a conduits où
n o u s s o m m e s . Telles furent les d é p l o r a b l e s suites
du despotisme d e Philippe-le-Bel, d e l a g u e r r e qu'il
fit à Boniface VIII et des d o c t r i n e s professées par
ses légistes et ses docteurs. L a s é p a r a t i o n d e l'Eglise
et de l'Etat, la laïcisation, n o n s e u l e m e n t d u pouvoir
m a i s de la société, et, p a r suite l a g u e r r e faite aux
aines, à l'Eglise el à Dieu sont les suites naturelles
des principes posés p a r eux.
L a vague idée de l'Etat a pris la place d u prince.
Une divinité i m p e r s o n n e l l e a r e m p l a c é l e Dieu per­
sonnel ; un Etat abstrait, panthéislique, broie les
consciences c o m m e le faisait le César r o m a i n , mais
1. T. VI: p. 520, 3' édition.
LE CHATIMENT 215

avec la r e s p o n s a b i l i t é en m o i n s : n o u s sommes
retombés d a n s l a situation faite au m o n d e par Satan
avant la venue d e Jésus-Christ, si c e n'est plus bas.
Non seulement l ' E t a t m o d e r n e n'est plus régi p a r
aucune loi religieuse, mais il ne c o n n a î t même p a s
la loi morale : il s'est fait le m a î t r e s u p r ê m e et uni­
que de tout d r o i t . Il a c o n c e n t r é e n lui toutes les
forces de l a société et toutes ses activités : l'éduca­
tion de la jeunesse, le soin des indigents, la p r é ­
voyance p o u r les vieillards, la constitution de la
famille, la t r a n s m i s s i o n d e son héritage, et même
l'administration d u culte, s'il eût pu s'en e m p a r e r
par les cultuelles. T o u t cela est venu successive­
ment accroître son o m n i p o t e n c e . Ce que Caligula
désira vainement voir est devenu u n e réalité : la so­
ciété est t o u t e en u n e seule tête : le p o u v o i r civil qui
est tout. La franc-maçonnerie, la juiveric et Satan qui
conspirent contre ce q u i reste d e la civilisation chré­
tienne, peuvent a b a t t r e celte tête d ' u n seul coup.
Leurs chefs, le p o u v o i r occulte q u i les mène, se
flattent de pouvoir le faire, et bientôt.
IV

LES R E P R E S A I L L E S DIVINES.

C H A P I T R E XXXIX

LA GUERRE DE CENT ANS.

La race de celui qui avail mis a u développement


de la civilisation chrétienne P a r r ê t q u e nous su­
bissons encore n'était pas e n t i è r e m e n t éteinte : il
restait une fille d e qui la postérité fut l'un des plus
terribles fléaux dont Dieu ail c h â t i é la France
oublieuse d e ses bienfaits et de la mission qu'elle
en avait reçue. C'était Isabelle de F r a n c e , épouse et
m e u r t r i è r e d ' E d o u a r d II roi d'Angleterre.
A l a m o r t de son frère C h a r l e s IV, elle vit
Philippe d e Valois, p r e n d r e c o m m e p r e m i e r prince
du sang, le titre de roi, être r e c o n n u et sacré. Isa­
belle prétendit succéder à son frère et transmettre
ses droits à son fils E d o u a r d III. Ce fut l'origine de
la guerre de cent a n s qui m i t la F r a n c e à deux
doigts de sa p e r t e a p r è s avoir o c c a s i o n n é une série
d e m a l h e u r s telle q u ' o n peut dire q u ' a u c u n de ceux
qui peuvent frapper les-peuples n e n o u s fut épargné :
LE CHATIMENT 217

défaites, luttes intestines, d é m e n c e royale, épidémies


se succédèrent à l'envi.
Après quelques succès contre l'Anglais, les par­
tisans des Valois sont écrasés à Crécy. Puis Jean II
est battu et fait p r i s o n n i e r à Poitiers. Charles V
aidé de Dugucsclin soutient P h o n n c u r du n o m fran­
çais; mais avec Charles VI vient la défaite d'Azin-
court et le traite de T r o y e s qui enregistra la des­
truction de la tradition française s u r l a transmission
du pouvoir royal.
Ce traité d o n n a la couronne de F r a n c e au roi
d'Angleterre, H e n r i V, qui devait a t t e n d r e la m o r t
de Charles VI p o u r p r e n d r e le titre d e roi, mais
qui recevait i m m é d i a t e m e n t le d r o i t d'exercer le
pouvoir : « Aussitôt a p r è s le décès de Charles VI,
étuil-il dit, cl p o u r toujours, tous nos sujets seront
les hommes liges de n o t r e c h e r fils, le roi d'An­
gleterre et de ses héritiers. Ils l'accepteront pour
leur véritable seigneur, le t i e n d r o n t p o u r vrai roi
de France, sans a u c u n e contradiction, difficulté o u
opposition. Ils lui obéiront el n ' o b é i r o n t à aucun
autre >. C'est ce que l'on fit signer a u p a u v r e roi
fou, et cela fut ratifié p a r le P a r l e m e n t !
Cet acte était nul de plein droit, d e p a r la consti­
tution française. « Les rois de F r a n c e , dit un vieux
jurisconsulte, de L ' I I o m m e a u , n e sont héritiers de
la couronne, et la succession du r o y a u m e de France
n'est pas héréditaire ni paternelle, m a i s légale et
statutaire, de sorte que les rois de F r a n c e sont sim­
plement successeurs à la c o u r o n n e p a r vertu de la
loy et coustume générale de F r a n c e . . . »
De là cette conséquence que le roi n'est en rien
maître de la c o u r o n n e , qu'il ne peut en disposer,
désigner son successeur p a r acte e n t r e vifs ou p a r
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc. 14
218 RETOUR EN ARRIÈRE

testament, ni d é s h é r i t e r ou é c a r t e r le successeur
désigné p a r la c o u t u m e n a t i o n a l e .
C h a r l e s VI, d a n s ce trailé, agit « au dommage,
dit du Tillet, cl totale évcrsiou de la c o u r o n n e dont
il n'était qu'administrateur, et n o n s e i g n e u r ou pro­
priétaire, et q u a n d il oust le plus clair et sain enten­
dement du m o n d e , il n'en eust peu p r i v e r ledit sieur.
D a u p h i n son fils, auquel il devoit e s c h o i r s a n s titre
d'hoirie, p a r quoi exhcrediatîon, confiscation o u indi­
gnité n ' y pouvoient avoir lieu p o u r c r i m e ou cas
que ce feust. ('ar, en F r a n c e , le r o y n e peut oster
à son fils ou plus ladite c o u r o n n e , s'il ne lui oste
la vie : encore luy mort, elle v i e n d r a à ses des­
c e n d a i s masles s'il e n a ».
Mais le Christ « qui a i m e la F r a n c e » ne con­
tresigna pas cette déchéance. Il suscitera Jeanne
d'Arc.

Au lieu de faire d'un m ê m e c œ u r face à l'étranger,


Bourguignons et A r m a g n a c s luttent l'un contre l'au­
tre. Bourgogne r é p a n d t r a î t r e u s e m e n t le sang d'Or­
léans. Orléans se venge p a r l'assassinat dans le
guet-à-pens d e Montcreau. « P a r t o u t , dit l'anna­
liste de Saint-Dcuis, les F r a n ç a i s guidés p a r le diable,
s'injuriaient l'un l ' a u t r e : « Toi, tu es un Bourgui­
gnon, tu tiens p o u r le duc de B o u r g o g n e ; toi, pour
le Dauphin, lu es un A r m a g n a c ».
L a F r a n c e avait suscité trois P a p e s d a n s l'Eglise,
trois partis la déchirent. P o u r s o u t e n i r le schisme,
la F r a n c e avait m i s aux prises les u n s a v e c les autres
les soutiens n a t u r e l s de la P a p a u t é , les princes de
l'Eglise, les c a r d i n a u x : les soutiens naturels de
la royauté, les princes du sang se c o m b a t t e n t à
o u t r a n c e . Bouleversant la constitution monarchique
donnée p a r Jésus-Christ à son Eglise, elle avait voulu
LE CHATIMENT 219

y introduire u n e s o r t e de d é m o c r a t i e qui se m o n t r a
à l'œuvre à C o n s t a n c e e t à Bâle ; les fureurs dé­
magogiques d é c h a î n é e s à P a r i s y produisent des scè­
nes de c a r n a g e . L ' a n a r c h i e régna d a n s presque
toutes les p a r t i e s du r o y a u m e .
Cependant PAnglais avance toujours, les villes
et les provinces a r r i v e n t sous sa domination : H a r -
fleur après C a l a i s ; la Bretagne et l'Anjou veulent
rester neutres ; Caen, Bayeux, toute la Basse-Nor­
mandie capitulent, R o u e n s u c c o m b e , P a r i s lui-même
ouvre ses p o r t e s .
La guerre, e l s u r t o u t u n e telle g u e r r e : guerre e n t r e
les enfants d ' u n e m ê m e patrie, a l o r s qu'elle est
assiégée, envahie, ravagée p a r l'étranger, ne va point
sans de cruels désastres et des ravages qui r é ­
duisent le p a y s à l'indigence e t à la détresse.
« Je ne crois mie q u e depuis Clovis, dit le
journal d'un bourgeois de P a r i s (1409-1445) il y
eut eu pareille désolation. T o u s les m a u x que l'on
pourrait penser o u dire, ont été c o m m i s au r o y a u m e
de France ».
Et Eustachę D e s c h a m p s (vers 1400) fait parler
ainsi la F r a n c e :

Lasse, lasse, chétive et égarée,


Pauvre d'amis, défaillante de seigneurs,
Qui jadis fut partout si renommée,
Riche d'avoir, franche et digne d'honneur,
Qui aujourd'hui suis si pleine de pleurs,
Serve en tout cas et presque anéantie
Droit me défaut, sur moi règne rigueur.

• J'ai vu, dit le c h r o n i q u e u r Basin ( M 12-1491) les


plaines de la C h a m p a g n e , d e la Bauce, de la Brie,
du Gâtinais, d u p a y s d e C h a r t r e s et d e Dreux, du
220 RETOUR EN ARRIÈRE

Maine cl du Perche, du Vcxin français et normand,


du Benuvaisis, d u p a y s de Caux, d e p u i s la. Seine
j u s q u ' à Amiens el Abbeville, les c o n t r é e s de Senlis,
de Soissons et d u Valois j u s q u ' à L a o n cl au-delà,
vers le Ilninaul, entièrement désolées, incultes, sans
habitants, remplies de ronces cl d'épines. Ou n'osait
cultiver que les terres situées a u p r è s des villes
cl des châteaux-forts : la sentinelle placée au haut
des (ours agitait la cloche d ' a l a r m e ou sonnait le
cor, dès qu'elle apercevait au loin une Iroupc d'enne­
mis, et aussitôt ceux qui travaillaient d a n s les
a h a m p s ou d a n s les vignobles se h â t a i e n t de cher­
c h e r un asile d e r r i è r e les m u r s des châteaux-forts ».
Il dit e n c o r e :
« E n cette a n n é e 1122, vers l ' E p i p h a n i e , Je duc
de Bourgogne vint à P a r i s el y a m e n a force gens
d ' a r m e s qui r a v a g è r e n t les e n v i r o n s de la ville.
Ils ne laissaient rien d e r r i è r e eux. L e s Armagnacs,
de leur coté, e n t r e P a r i s el Orléans, commettaient
r
plus de c r i m e s que n'en commircn t j a m a i s t3 rans
s a r r a s i n s . On n e pouvait plus l a b o u r e r el semer.
Quand on s'en plaignait, les B o u r g u i g n o n s comme
les Anglais et les Armagnacs n'en faisaient que rire
et en faisaient pire q u e j a m a i s . Aussi les labou­
r e u r s s'enfuirent, a b a n d o n n a n t f e m m e s et enfants
c o m m e des désespérés. « Que ferons-nous, disaient-
ils les u n s aux a u t r e s , m e t t o n s tout en les mains
du diable, q u ' i m p o r t e P a v e n i r ? A u t a n t vaut faire
le mal que le bien. F a i s o n s donc d u pis q u e nous
pourrons. >
« Sur b e a u c o u p de points, dit l'historien de Char­
les VII, M. de Beaucourt, les m o i s s o n n e u r s ne pou­
vaient r e n t r e r leurs récoltes, ni les voituriers cir­
culer sur les c h e m i n s s a n s a v o i r u n e escorte. Les
gens d ' a r m e s o c c u p a n t les g a r n i s o n s qui auraient
LE CHATIMENT 221

dû proléger les p o p u l a t i o n s r u r a l e s , empêchaient


souvent loulc culture et r é p a n d a i e n t autour d'eux
la terreur. Q u a n d les pillards ne trouvaient plus rien
ils mettaient le feu aux villages. T r o p souvent les
malheureux p a y s a n s qui, fuyant l'incendie et la
raine, a r r i v a i e n t « à g r a n d s t r o u p e a u x » devant
les villes, s'en vovaient refuser r e n t r é e . . .
» Livrée depuis de longues années à des rivalités
implacables, a u x invasions anglaises, aux courses et
aux ravages des gens de guerre de tous les partis, la
France était c o m m e épuisée et anéantie... A Paris,
cent mille p e r s o n n e s périrent e n quelques mois :
on en était venu à jclcr les m o r t s pêle-méle dans de
larges fosses « arrangez c o m m e lars, cl puis un
peu pouldrcz p a r dessus de terre ». Les loups péné­
traient toutes les nuits dans la ville et y faisaient
d'affreux ravages. De la L o i r e à la Somme, la
culture fut p e n d a n t de longues a n n é e s interrompue.
Plus de c o m m e r c e , plus de culte même, car les
églises étaient b r û l é e s ou dévastées ».
Quel c o n t r a s t e avec ce que la F r a n c e était un
siècle et demi a u p a r a v a n t , à la m o r t d e saint L o u i s !
En 1429, vivait à R o m e à la C o u r de Martin V
un ecclésiastique qui, p a r Paccent avec lequel il
raconte les m a l h e u r s d e la F r a n c e , révèle sa q u a ­
lité de F r a n ç a i s . Il écrivit d a n s les p r e m i e r s mois
de cette a n n é e un abrégé de l'histoire d u m o n d e
Bremarhun historialc, d o n t on connaît sept exem­
plaires m a n u s c r i t s . Voici en q u e l s ternies il parle
de la F r a n c e à cette é p o q u e : « Sous le pontificat
de ce P a p e (Martin V) la fleur et le lis du monde,
le r o y a u m e d e France, le r o y a u m e le plus opulent
entre les plus o p u l e n t s , devant lequel Puni vers s'in­
clinait, a été jeté bas p a r le t y r a n Henri, cet enva­
hisseur, cet injuste d é t e n t e u r de l'Angleterre elle-
222 RETOUR EN ARRIÈRE

m ê m e . Tel est s o n é t a t q u ' o n n e p e u t p a s en croire


ses yeux, q u a n d ils n o u s m o n t r e n t à quel état d'hu­
miliation en est m o m e n t a n é m e n t r é d u i t u n royaume
autrefois si h a u t , si puissant q u e la l o u a n g e peut à
peine l'exprimer. »
Vraiment, c o m m e le dit la s a i n t e Pucelle, il y
avait g r a n d e pitié au r o y a u m e d e F r a n c e .

CHAPITRE X L

APPEL A LA MISÉRICORDE

L a chrétienté t o u t entière c o m p a t i s s a i t a u x dou­


l e u r s de son aînée.
R o b e r t Cybole, s a v a n t théologien, c h a r g é d'in­
former p o u r le procès d e r é h a b i l i t a t i o n de Jeanne, a
livré son travail le 2 janvier 1152 (1 153 nouveau
style). 11 y dit : « Le b o u l e v e r s e m e n t d e la France
est une source d'offenses c o n t r e Dieu, de m a u x pour
le peuple chrétien entier. Telle est l a place que la
F r a n c e o c c u p e d a n s la r é p u b l i q u e c h r é t i e n n e , tel est
son prestige et sa gloire, qu'il est appelé t r è s chré­
tien, s u r n o m qu'il doit à l'éclat que, p a r la grâce
de Dieu, conservait d a n s son sein la d o c t r i n e de la
foi, le culte d u d e v o i r ; qu'il doit aussi à la défense
d u vsiège apostolique p o u r le s e c o u r s et la protection
d u q u e l les rois cl le peuple de F r a n c e furent toujours
debout, fiiarnnt semper accincii ».
Cel étal de la F r a n c e donnait à PKuroitt. qui était
témoin d e ce d é p l o r a b l e changement, une impression
p r o f o n d e des j u g e m e n t s d e Dieu s u r les peuples in-
APPEL A LA MISÉRICORDE 228

grats et infidèles. C e p e n d a n t p e r s o n n e ne croyait q u e


cette justice d û t être inexorable et q u e l'heure e û t
sonné de la disparition de la F r a n c e d u milieu des
peuples. •
Elie de Bourdelles, l'un des p l u s saints évêques
que la F r a n c e ait p r o d u i t s en ces six ou sept der­
niers siècles, s'écriait : « Q u o i d o n c ! Pouvons-nous
penser que Dieu a délaissé u n e nation distinguée
par tant d e prérogatives I Loin de n o u s u n e telle
pensée. C o m m e u n v r a i père, il P a sévèrement châ­
tiée, mais il ne Pa p a s a b a n d o n n é e . Aussi pouvons-
nous, selon moi, penser p i e u s e m e n t que le Dieu
tout-puissant q u i frappe et guérit, humilie et r e ­
dresse, qui n ' a b a n d o n n e pas ceux qui espèrent en
Lui aura été t o u c h é p a r les m é r i t e s d e tant de saints
rois de F r a n c e et s u r t o u t de s a i n t Louis. »
Cet espoir était d ' a u t a n t m i e u x fonde q u e Pon
priait. Si les m é c h a n t s multipliaient les crimes, l'ar­
dente p r i è r e des justes faisait contre-poids et devait
l'emporter.
L'annaliste d e Saint-Denis, en c o m m e n ç a n t le récit
des événements de l'année 1419, écrivait : « -Il était
à craindre, a u dire des gens sages, q u e la France,
cette m è r e si douce, n e s u c c o m b â t s o u s le poids
d'angoisses intolérables, si le T o u t - P u i s s a n t ne dai­
gnait exaucer s e s plaintes du h a u t des cieux. Aussi
on eut r e c o u r s aux a r m e s spirituelles : chaque se­
maine o n faisait des processions générales, on c h a n ­
tait de pieuses litanies, et Ton célébrait des messes
solennelles. »
Dans son effroyable déchéance, se sentant incapa­
ble de se s a u v e r lui-même, le D a u p h i n gardait sa foi
au Dieu de Clovis, de C h a r l e m a g n e et d e saint Louis,
et sa confiance en la T r è s Sainte Vierge.
Le mystère d'Orléans c o m p o s é peut-être dès 1439,
224 RETOUR EN ARRIÈRE

en tout cas a v a n t 1470 est, dit M. H a n o t a u x , t un


décalque respectueux et en s o m m e exact de ce
q u e les c o n t e m p o r a i n s r e c o n n a i s s a i e n t o u adoptaient
c o m m e réel. » N o t r e - D a m e y intercède auprès du
Christ p o u r qu'il secoure le r o y a u m e d e F r a n c e :

O chicr fils ! très dévotement


Et très affectueusement,
Je nous requiers tant que je puis :

O mon fils! doucement vous prie


Que ce fait ne souffrez mie,
De notre bon roy cn'stien,
Qui perde ainsi la seigneurie
De France et noble monarchie,
Qui est si noble terrien.
C/est le royaume que tout soutient
Chresfienté et la maintient
Par la voire divine essence,
Piul antre n'y doit avoir rien.
Au. roy Charles lny appartient
Quil est droit héritier de France.

« Le roi ne cessait, dit la C h r o n i q u e d e Tournay,


de r e q u é r i r le s e c o u r s et l'aide de Dieu, mandant
souvent a u x collèges d e s églises-cathédrales de son
r o y a u m e d e faire des processions, d ' e x h o r t e r le |x?u-
plc à s'amender, de p r i e r p o u r lui et s o n royaume,
considérant et r u m i n a n t en sa m é m o i r e q u e maux
de guerre, mortalité et famine s o n t les verges avec
lesquelles Dieu punit les e n o r m i l é s des peuples ou
des princes. » Voici e n t r e autres ce qu'il écrivait :
c A mes amis et féaux l e s gens d e n o t r e Conseil
d u D a u p h i n é , « ... Faiclcs savoir a u x gens de IT-s-
glise, nobles et autres de n o s l r e pays d u Dauphiné,
APPEL A LA MISÉRICORDE 225

en les e x h o r t a n s d e faire des prières, processions


et oraisons e n v e r s Dieu, afin qu'il lui playsc relaxer
sa main d'ulcéon (de vengeance) et relever n o t r e
peuple de la misère et captivité q u e longuement il
a souffert, et q u e le puyssions s o u s la mcyn d e sa
bénigne clémence m a i n t e n i r et g o u v e r n e r en b o n n e
paix, union, justice et tranquillité. » (

Le mystère d ' O r l é a n s fait ainsi p r i e r le roi :

0 Dieu, très digne el glorieux,


Puissant, éternel roy des cieulx,
Je vous pry, ayez souvenance
De moy desplaisant, soucieux
Quand je regarde de mes yeulx
Mon royaume qui est en doubtance.

Jhésus, si je vous ai méfait,


Et que envers vous ai forfait,
Vous requiers pardon humblement.

Hélas ! ayez compassion


Par la votre rédemption !

Le prince C h a r l e s d'Orléans, blessé et fait pri­


sonnier à l a bataille d'Azincourt, p r i a i t ainsi d u ­
rant ses vingt-cinq a n s de captivité :
* Notre-Dame, priez p o u r la F r a n c e !
> Jadis, o n n e n o m m a i t , p a r t o u s p a y s , la F r a n c e
que « le trésor d e noblesse >.
> Chacun t r o u v a i t en elle la Bonté, l'Honneur, la
Loyauté, la Science, la Courtoisie, le Sens et la
Prouesse. T o u s les a u t r e s peuples prenaient plaisir
à la suivre. Kt m a i n t e n a n t , j ' a i g r a n d e déplaisance
à te voir subir t a n t d e d o u l e u r s , ô très chrétien, ô
franc r o y a u m e de F r a n c e !
RETOUR EN ARRIÈRE

» Sais-tu d'où vient ton mal, à v r a i parler, et


p o u r q u o i tu es a u j o u r d ' h u i en t r i s t e s s e ? E h bien! je
vais ł c l e d i r e , et j e crois, p a r là, m ' a c q u i t t e r avec
toi. Ecoute, et tu feras sagesse. Ce q u i t'a perdue,
c'est t o n g r a n d orgueil, c'est ta g l o u t o n n e r i e , ta pa­
resse, ta convoitise, ton mépris de l a justice et cette
l u x u r e s u r t o u t , qui a b o n d e et s u r a b o n d e en toi.
Voilà ce qui a forcé Dieu à te p u n i r , ô très chré­
tien, 6 franc r o y a u m e d e F r a n c e !
» Ne v a pas c e p e n d a n t désespérer : c a r Dieu est
très l a r g e m e n t plein d e m i s é r i c o r d e . Va vers lui,
va l u i d e m a n d e r ta grâce. Car Dieu a déjà, il y >a
longtemps, 'pris d e s engagements avec toi. P o u r avo­
cate, c h o i s i s Humilité, et Dieu s e r a t r è s joyeux de
te guérir. Mets e n t i è r e m e n t ta confiance en Lui ;
s'il a voulu m o u r i r en croix, c'est p o u r tous les
h o m m e s , c'est en i>articulicr p o u r toi, ô très chré­
tien, ô franc r o y a u m e d e F r a n c e !
» L a C o u r d e R o m e t'appelle son b r a s droit : car
tu Pas bien s o u v e n t tirée d e détresse. E t p o u r t'en
r e m e r c i e r , les P a p e s te font asseoir, seule entre
toutes, à l e u r d r o i t e . E t ainsi feront-ils toujours
tant q u e ce sera justice. C'est p o u r q u o i tu dois for­
tement p l e u r e r et gémir, q u a n d tu d é p l a i s à Dieu qui
a tant fait p o u r toi et q u e tu d e v r a i s t a n t aimer, Ô
très chrétien, ô franc r o y a u m e d e F r a n c e I
» Dieu a les b r a s o u v e r t s p o u r t'embrasser, ô
France, el le voici tout prAt a oublier la vie péche­
resse. D e m a n d e p a r d o n , et N o t r e - D a m e te va venir
aider hien v i t e ; Notre-Dame, ta très p u i s s a n t e Reine,
Notre-Dame qui est ton cri de g u e r r e et q u e tu re­
connais p o u r maîtresse. T o u s l e s saints, d o n t les
c o r p s r e p o s e n t en t e r r e française, vont, avec» la
Vierge, a c c o u r i r à ta défense. Mais n e reste pas
APPEL A LA MISÉRICORDE 227

endormi d a n s t o n péché, ô t r è s chrétien, ô franc


royaume d e F r a n c e !
» Notre-Dame, priez p o u r l a F r a n c e ! »
Mais voici q u i est enooi^e p l u s digne d'attention.
Le P. Alfred D e s c h a m p s , de la C o m p a g n i e de Jésus,
en retraçant l e s annales d u culte d e saint Martial
de Lftnoges, l ' u n d e s p r o t e c t e u r s de la nation fran­
çaise, a été a m e n é à r a p p r o c h e r la mission d e Jean­
ne d'Arc des p r i è r e s p u b l i q u e s adressées à l'illustre
apôtre a u m o m e n t d e l a p l u s g r a n d e détresse de la
France.
t E n 1423, l a situation s e m b l a i t d e plus en plus
désespérée. De nouvelles défaites é p r o u v é e s pendant
la première a n n é e d e son règne, avaient enlevé à
Charles VII j u s q u ' a u m o i n d r e r e s t e d e confiance!
L'échec funeste d e Gravant p r é p a r a i t l e désastre
de Verneuil. L a F r a n c e agonisait.
» C'est a l o r s q u e P a b b é d e Saint-Martial annonça,
au milieu de cette a n n é e m ê m e u n e e x t r a o r d i n a i r e
ostension d u chef de PApôtre q u i devait avoir lieu
Tannée suivante, en 1424. Le texte d e cet appel n o u s
a été conservé p a r B o n a v c n t u r e d e Saint-Amable.
Le prélat trace un tableau d o u l o u r e u x des m a l h e u r s
du temps. Il r a p p e l l e e n s u i t e la condition essentielle
de la guérison de ces terribles m a u x , le r e m è d e
traditionnel d a n s les é p r e u v e s de la F r a n c e : « Or,
parce qu'au t e m p s d e Postension générale du chef
glorieux de saint Martial, a p ô t r e , la clémence divine
a coutume d ' o p é r e r très souvent, à son h o n n e u r ,
de beaux et très g r a n d s miracles..., p e r s u a d é par les
instantes prières d e divers seigneurs, tant ecclésias­
tiques que .séculiers, d e g r a n d e estime et considéra­
tion, nous .avons o r d o n n é de faire u n p générale
ostension de ,oe glorieux chef pour obtenir les choses
susdites de Dieu, p a r I n t e r c e s s i o n d u saint. »
228 RETOUR EN ARRIÈRE

Des i n d u l g e n c e s exceptionnelles furent accordées


à cette occasion. D e s c o u r r i e r s s p é c i a u x allaient
p o r t e r d a n s t o u t e s les c o u r s du" r o y a u m e , et jusqu'à
l'étranger, la convocation de l'abbé d e Saint-Martial.
Au j o u r ifixé d ' i n n o m b r a b l e s pèlerins accoururent
à Limoges, et .par la p r i è r e en c o m m u n , p a r leurs
offrandes, p a r J c u r s sacrifices expiatoires s'efforcè­
rent d ' a t t e n d r i r l a m i s é r i c o r d e divine. Ce fut une
manifestation nationale. .Or q u e l q u e s j o u r s après,
q u e l q u e s s e m a i n e s a u plus, les Vois se faisaient'en­
t e n d r e p o u r .la p r e m i è r e fous à J e a n n e d'Arc. Le
salut paraissai/t A l'horizon.
En effet, l e pèlerinage s'ouvrit le 8 j u i n 1121; Jean­
ne était a l o r s d a n s sa treizième a n n é e , et c'est à ce
m o m e n t de .sa vie, d'après les piièccs de son pro­
cès, q u e les saintes c o m m e n c è r e n t à se manifester
à elle, quasi hora meridiana, temporc œstivo, vers
midi, d a n s .la saison d'été. Si l'on veut p r e n d r e à la
lettre celte i n d i c a t i o n : temporc wstino, c'est dans
les j o u r s q u i suivirent le 20 j u i n q u e sa mission
lui fut donnée.
Il est p r o b a b l e q u e p a r m i les s e i g n e u r s séculiers
qui d e m a n d è r e n t l o s t c n s i o n des r e l i q u e s , il y en
eut q u i agirent au n o m d e Charles VII lui-même; car
ce prince était venu, q u a t r e ans a u p a r a v a n t , prier
s u r le t o m b e a u d u saint avec u n e ferveur inusitée,
il y avait ensuite e n v o y é la r e i n e Marie d'Anjou,
sa femme, et il y revint en" p e r s o n n e au mois de
m a r s 1139, p o u r r e n d r e grâces de ses victoires.
Le roi priait, la F r a n c e priait, l ' é t r a n g e r priait,
Aux yeux du ciel se renouvelait le spectacle que les
enfants d'Israël avaient d o n n é l o r s q u e Ilolophcrnc
a p r è s avoir ravagé toute FAsi? o c c i d e n t a l e vint as­
siéger llétbulie. Le g r a n d pré Ire Kliacin parcourut
tout le pays d'Israël, el il s'adressa au peuple en
APPEL A LA MISÉRICORDE 229

disant : « S a c h e z q u e le Seigneur exaucera vos sup­


plications, si v o u s persévérez d a n s le j e û n e et la
prière en sa présence. » Et t o u t l e peuple invoqua
le Seigneur avec g r a n d e instance. D ' u n c œ u r una­
nime ils c r i è r e n t vers le Seigneur, Dieu d'Israël,
afin qu'il ne p e r m i t pas q u e l e u r s enfants devinssent
la proie d'un v a i n q u e u r , q u e l e u r s villes fussent li­
vrées à la d e s t r u c t i o n et l e u r s a n c t u a i r e profané, et
qu'eux-mêmes fussent u n objet d ' o p p r o b r e p a r m i
les nations.
Dieu suscita J u d i t h . Elle releva les courages et
bientôt elle p u t dire : « Dieu a signalé s a puis­
sance en faveur d'Israël. II n'a p o i n t a b a n d o n n é ceux
qui espéraient en Lui. P a r moi, s a servante, il a
accompli ses p r o m e s s e s de miséricorde. Vous tous,
chantez ses l o u a n g e s , c a r il est bon, car sa miséri­
corde d u r e à j a m a i s . »
Le même repentir, la m ê m e p r i è r e obtinrent la
même miséricorde.
La sainte Pucelle fut donnée à la F r a n c e p o u r sa
délivrance cl son salut, c o m m e l'avait été Judith .pour
le «salut d'Israël.
IV
LE DON DE D I E U
J E A N N E D'ARC
I

LES D É B U T S D E LA B I E N H E U R E U S E
J E A N N E D'ARC.

CHAPITRE XLI

J E A N N E LA PUCELLE

La France et le r o i se sont frappés la poitrine et


ont crié : Miséricorde! Dieu va se s o u v e n i r d e son
alliance :

47 mes fils abandonnent ma loi


el ne marchent pas selon mes ordonnances,
S'ils violent mes préceptes
el n'observent pas mes commandements ;
Je punirai de la verge leurs transgressions,
el par des coups leurs iniquités.
Mais je ne leur retirerai pas pour cela ma favew
el ne mentirai pas à ma fidélité;
Je ne violerai pas mon alliance,
et ne changerai pas la parole sortie de mes lè-
l
iwes .
1. Ps. LXXXLX.
La MisMjn de la Bse Jeanne d'Arc. 15
234 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

R a p p e l a n t ces p r o m e s s e s faites p a r Dieu à David


1
en faveur de son peuple, B a r o n i u s dit qu'elles ont
élé renouvelées à saint R e m y en faveur de la France.
Le don de l a sainte Pucelle est bien fait p o u r nous
convaincre q u e ce r a p p r o c h e m e n t n ' e s t point le
vain fruit d ' u n e imagination p r é s o m p t u e u s e .
Appelée p a r la p r i è r e , l ' h e u r e d e l a miséricorde
ne se fit d o n c plus a t t e n d r e .

Dans une effusion de ma colère, je t'ai caché an


moment mon visage,
Pour un instant je Vai abandonné ;
Mais avec un amour éternel j'ai en compassion de
toi,
et avec une grande miséricorde je te rassem-
2
blerai -

Ilour r e n d r e cette miséricorde p l u s éclatante, Dieu


la c o n c e n t r e en une i>crsonne, d o n t il fait son seul
et u n i q u e i n s t r u m e n t ; et cette p e r s o n n e , c e n'est
point lo vaillant Dunois, ni l'audacieux Xaiutrailles,
ni le r u d e L a I l i r e , n i l ' i m p é t u e u x Alençon. Ces
h o m m e s d'épée p o u r r a i e n t voler à Dieu sa gloire;
et l a F r a n c e , c r o y a n t qu'ils o n t t o u t fait, aurait pu
ne pas r e n d r e à Dieu d e dignes a c t i o n s de grâces. Il
fallait un d e ces i n s t r u m e n t s infimes qui, par leur
infirmité môme, exaltent la force d u brasi divin.
Aux j o u r s de détresse d'Israël, Dieu a b a i s s a son re­
gard vers un o b s c u r p a y s a n de la t r i b u d e Manassé.
(iédéon v a n n a i t le blé de son p è r e , l o r s q u ' u n ange
vint le t r o u v e r e t l u i dit : « Le Seigneur est avec
loi : m a r c h e d a n s l a force d o n t tu s e r a s revêtu. Sa­
che que c'est Lui qui t ' e n v o i e ; tu délivreras Is­
raël. »

1. Annales ecclésiastiques, an 514, n» XXVI.


2. Is. LIV, 7-8.
SES VOIX 285

En faveur d e la F r a n c e , Dieu fit un prodige sem­


blable, o u plutôt bien plus é t o n n a n t . Quel instrument
choisit-il p o u r o p é r e r son s a l u t ? Une enfant, une
jeune fille de treize ans, qui n e sait ni À ni B,
née dans un o b s c u r h a m e a u , d ' u n simple labou­
reur, qui a i m e r a i t m i e u x « faire jeter sa fille à
l'eau » que de lui voir p r e n d r e les a r m e s : telle est
l'élue que Dieu d o n n e à la F r a n c e p o u r lever Pana-
thème.
Les réponses q u ' e l l e fit a u x théologiens chargés
de l'examiner à Poitiers et celles q u ' e l l e d o n n a à
ses juges à Italien en n o u s i n s t r u i s a n t d e sa voca­
tion, sont bien faites p o u r d é c o n c e r t e r la sagesse
1
humaine .
« Je suis n é e à D o m r e m y . — Mon père s'appelle
Jacques d'Arc, m a m è r e Isabelle. — D a n s mon pays
on m'appelait J c h a n n c t t c el e n F r a n c e J e h a n n e . On
me nommait aussi. d'Arc ou R o m m e e , p a r c e que dans
mon pays les filles p o r t e n t le s u r n o m de leur mère.
* J'ai été baptisée à D o m r e m y . — De ma m è r e
j'en appris le Pater, Y Ave et le Credo.
> J'étais d a n s m a treizième a n n é e q u a n d j ' e u s
une voix v e n a n t d e Dieu p o u r m e gouverner. L a
première fois j ' e u s g r a n d i>eur, et la Voix vint à
moi sur l ' h e u r e d u midi, en été, d a n s le j a r d i n d e
mon père. J'avais j e û n é le j o u r p r é c é d e n t . La Voix
était à d r o i t e d u côté de l'église. C'était une noble
Voix, je suis a s s u r é e q u e l l e m'était envoyée de p a r
Dion. La troisième fois q u e je l'entendis, je connus
que c'était la Voix d ' u n ange. J ' e n t e n d s r a r e m e n t
mes Voix sans clarté et celte c l a r t é est très grande.

1. Toutes los paroles ici rapportées sont prises mot


pour mot dans (juicherat. Le double procès, et dans
J.-B. Ayrolles, La vraie Jeanne d'Arc, qui eux-mêmes
les ont tirées d e s a c t e s a u t h e n t i q u e s du procès.
286 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

i C'est saint Michel qui est v e n u l e premier. À


sa p r e m i è r e a p p a r i t i o n , j ' é t a i s j e u n e enfant et j'eus
peur. J e J e vis p l u s i e u r s fois a v a n t d e savoir que
c'était saint Michel. J e l'ai vu d e v a n t m e s yeux. H
n é l a i t pas seul, mais a c c o m p a g n é des anges du ciel.
Je les a i vus d e s yeux d e m o n corps; aussi bien que
je vous vois, et q u a n d ils s'éloignaient j e pleurais et
j ' a u r a i s bien v o u l u q u ' i l s m ' e m p o r t a s s e n t avec eux.
> Quand il vint à moi, saint Michel dit q u e sainte
Catherine et sainte Marguerite v i e n d r a i e n t aussi et
q u e j'agisse p a r l e u r s conseils; qu'elles étaient or­
d o n n é e s p o u r m e c o n d u i r e et m e c o n s e i l l e r sur ce
q u e j ' a u r a i s à faire, que je c r u s s e c e qu'elles me
diraient, q u e c'était p a r le c o m m a n d e m e n t de Notre-
Seigneur.
» C o m m e je gardais les a n i m a u x , l a Voix me dit
q u e Dieu avait g r a n d e pitié d u p e u p l e de France,
qu'il fallait que je m e r e n d i s s e en F r a n c e . En enten­
dant cela j e me mis à pleurer. La Voix reprit : « Va
h Vaucouleurs, tu y trouveras u n capitaine qui te
m è n e r a s a n s e n c o m b r e en F r a n c e et a u Roi. Ne ba­
lance pas. >
» jJe crois aussi f e r m e m e n t les dits et faits de
saint Michel q u i m'est a p p a r u q u e je c r o i s q u e Notre-
Seigneur Jésus-Christ a souffert m o r t et passion pour
nous. Et ce qui meut à le croire, c'est le bon con­
seil, le confort et la b o n n e d o c t r i n e qu*il n ' a cessé
de me donner,
» Cette Voix m ' a t o u j o u r s bien g a r d é e et je l'ai
bien comprise. S u r toutes c h o s e s elle m'enseignait
à m e bien c o n d u i r e , à fréquenter l'église.
» Ricntôt, c o m m e l'avait a n n o n c é s a i n t Michel,
sainte C a t h e r i n e e t s a i n t e Marguerite se joignirent à
lui.
» Elles p o r t a i e n t d e belles, r i c h e s et précieuses
SES VOIX 237

couronnes. J e sais q u e ce sont s a i n t e Catherine et


sainte Marguerite, et j e les d i s t i n g u e bien Tune d e
Vautre. Et ce p a r la m a n i è r e d o n t elles m e saluent,
et aussi p a r c e qu'elles se n o m m e n t à moi. Après
leur parlement, je baise la t e r r e o ù ils o n t (saint Mi­
chel, les anges et les saintes) reposé. J e n e sais l e u r
faire si g r a n d e r é v é r e n c e qu'il l e u r appartient. Je
les ai accolées (embrassées) toutes les deux.
» La Voix (de saint Michel) m e disait aussi qu'il
fallait venir e n F r a n c e : « Jl faut q u e t u ailles e n
France i», disait-elle. Mon p è r e n ' e n sut rien. E t
quand la Voix m e disait : « Va en F r a n c e », encore
ne pouvais-je d u r e r o ù j'étais. Elle m e disait aussi
que je ferais l e v e r le siège d ' O r l é a n s , et q u e j ' a i l l e
trouver R o b e r t d e B a u d r i o o u r t , c a p i t a i n e de Vau-
couleurs, q u i m e baillerait d e s gens et m e ferait
conduire. Et m o i je disais : J e s u i s u n e p a u v r e
fille qui ne s a u r a i t ni c h e v a u c h e r , ni guerroyer,
» Depuis le m o m e n t où j ' a p p r i s q u e j e devais
venir en F r a n c e , je pris peu d e p a r t a u x jeux et
promenades, l e m o i n s q u e j e pus.
» Quand j ' é t a i s encore a v e c m e s p è r e et m è r e
il nie fut dit p l u s i e u r s fois p a r m a m è r e que mon
père disait a v o i r s o n g é que, a v e c les gens d'armes,
s'en irait J e h a n n e , sa fille; et moin p è r e et m a m è r e
avaient grand.'cure d e m e bien g a r d e r et ils m e te­
naient en g r a n d e sujétion. Moi, j e l e u r obéissais en
toute chose. Ma m è r e m e disait e n c o r e avoir ouï
mon père dire à m e s frères i: « Si j e c r o y a i s qu'ad­
vint la ebofse q u e j ' a i s o n g é d'elle, je trouvais q u e
vous la noyassiez, et si v o u s n e le faisiez, je la
noierais moi-même. » Il y avait p l u s d e deux ans
que j'avais oiuï m e s Voix, q u a n d m o n p è r e me parla
comme je viens d e le dire.
238 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

» J'allai (à Burey-la-Côte) chez m o n oncle, et


je lui dis q u e j e voiulais d e m e u r e r q u e l q u e temps
d a n s sa maison. J'y fus l'espace de h u i t j o u r s . »
* Le h u i t i è m e j o u r elle dévoila sa mission à son
parent :
~ N'a-t-oiu pas a n n o n c é q u e l a F r a n c e perdue
p a r une femme serait ensuite sauvée p a r u n e femme?
— C'est vrai, o;u l'a a n n o n c é .
— N'a-t-om p a s ajouté q u e cette femme serait une
pucelle d e s Marches d e L o r r a i n e ?
— On l'a dit encore.
— E h b i e n ! cette pucelle, c'est m o i , m e s Voix me
l'ont a n n o n c é .
» Je dis aussi qu'il m e fallait a l l e r à Vaucouleurs.
Mon oncle m ' y mena.

Quand j e fus un Chalel de V a u c o u l e u r s , je con­


n u s R o h e r t d e Jîaudrieourt, q u e o n e q u e s ne vis
a u p a r a v a n t . La Voix me dit : C'est lui.
— Mcssjrc, j e viens d e la p a r t de mo.u Seigneur,
afin q u e v o u s mandiez au D a u p h i n d e bien se tenir,
de ne pas engager de bataille avec ses ennemis, parce
q u e mon S e i g n e u r lui d o n n e r a s e c o u r s après la mi-
carême. Le r o y a u m e ne r e g a r d e pas lo Dauphin,
mais il r e g a r d e m o n Seigneur. C e p e n d a n t mon Sei­
gneur veut q u e la D a u p h i n devienne r o i et qu'il tien­
ne ce r o y a u m e on c o m m a n d e . I! s e r a . r o i malgré ses
ennemis, et m o i jo le c o n d u i r a i à ( S o u sacre.
— Qui est l'on Seigneur ?
— C'est le Roi d u ciel.
- - Cette fille d é r a i s o n n e , dit R a u d r i c o u r t à Du­
r a n d Luxart en éclatant de r i r e . Ce q u e vo;us devez
faire, c'est d e la r a m o n e r à soin p è r e avec de bons
soufflets,
» Je dis à Baudrieoiurt : Il faut q u e j'aille C D
S E S VOIX 239

France. P a r d e u x fois il refusa et me r e p o u s s a ; à


la tierce, il m'accueillit et m e bailla des gens. D e
ce, la Voîix m'avait avisée. »

Avant ainsi oîbé'i à T o r d r e d'En-IIaut, J e a n n e r&-


tourna à J 3 o m r e m y vers le 15 mai 1428. Peu après
elle d e m a n d a à r e t o u r n e r ù Burey-Ia-Côïe, afin d e
donner des soins à sa p a r e n t e qui venait d ê t r e
mère, sans l e u r r i e n d'ire de p l u s .
« En toiutes choses, j,e l e u r ai bien obéi, excepté
en ce p a r l e m e n t ; mes Voix s'en r a p p o r t a i e n t à moî
de le dire a moin p è r e et à i i n a m è r e ou d e m ' e n
taire, mais d e p u i s je l e u r en ai écrit el ils m'oint
pardonné. P u i s q u e Dieu le c o m m a n d a i t , il le con­
venait faire. Eussé-jc eu cent pères et cent mères,
cussé-je été fille de r o i , Dieu le commandait, je
rerais partie. »

Durant L a x a r t la ooiiiduisil de n o u v e a u à Vau-


conlcurs.
« Capitaine Messïre, scachez q u e Dieu, depuis au­
cun temps e n ça, m'a plusieurs foïs fait scavoir e t
commandé q u e j ' a l l a s s e vers le gentil Dauphin, q u i
drwi être et est vrai r o i d e F r a n c e el qu'il me bail­
lât des gens d ' a r m e s et que j e lèverois le siège
d'Orléans et le m è n e r a i s s a c r e r à Reims. »
Ltaudri court resta sourd à ce second appel. Du­
(

rand Laxart et q u e l q u e s h o m m e s d e Vaucouleurs


résolurent de c o n d u i r e J e a n n e au D a u p h i n . A Saint-
Nirolas-dc-Sept-Fons J e a n n e se m i t en prières, puis
clic dit : * Ce n'est p a s chose h o n n ê t e que je parte
ainsi. R e t o u r n o n s à Vaucouleurs. »
Elle fut r e ç u e el hébergée chez un c h a r r o n Henri
Le Rover qui plus t a r d fit celte déposition :
« Elle me disait souvent : Il faut q u e j'aille vers
I.a M U'-ion de in ftse Jennne d'Arc. 15 liis
240 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

le gentil D a u p h i n . C'est la volonté d e m o n Seîgneur


le Hoi du ciel q u e j ' a i l l e vers lui, dussé-je m'user
les jambes j u s q u ' a u x genoux. C'est d e l a part du
Roi d u ciel q u e j e m e s u i s ainsi présentée. Et, croyez-
le bien, j'ira'i. »
À Jean d e N o v e l a n p o n l , dit J e a n de Metz : « Il faut
q u ' a v a n t la mi-carême je sois d e v e r s le Dauphin,
dussé-je laisser mes jambes s u r le c h e m i n . Nul au
m o n d e , ni rois, n£ ducs, ni fille de roi d'Ecosse, ne
peuvent r e c o u v r e r le r o y a u m e d e F r a n c e ; ij n'y a
d e s e c o u r s q u e , d e moi. P o u r t a n t j ' a i m e r a i s mieux
filer a u p r è s d e m a p a u v r e mère, c a r c e n'est point
mon état. Mai,s il faut q u e je le fasse, p a r c e que mou
Seigneur le veut.
— Et q u i est v o t r e S e i g n e u r ?
— C'est Dieu. »
Jean de Metz lui « b â i l l a sa fo;i * qu'il la mène-
r a i l au rt>i.
Le vieux d u c d e L o r r a i n e q u i était m a l a d e la fit
venir pensant q u ' e l l e le guérirait. « Il se gouvernail
mal : il ne guérirait pas s'il ne s'amendait , el elle
l'engagea fort à r e p r e n d r e sa b o n n e é|KHisc. Reve­
n u e h V a u c o u l e u r s B a u d i ï c o u r t lui e n v o y a un prê­
tre p o u r l'exorciser. Elle se mit à g e n o u x et lui
dit : « Messire, v o u s devez savoir si l'esprit malin
habite en moi, p u i s q u e v o u s m'avez e n t e n d u e en con­
fession. » Le p r ê t r e se relira.

Le 12 février 1420, elle se p r é s e n t a d'elle-même


devant Baudrioourt :
« En n o m Dieu, v o u s tardez t r o p à m'envoyer.
A u j o u r d ' h u i le gentil D a u p h i n a eu p r è s d'Orléans
g r a n d d o m m a g e *. Et e n c o r e sera-t-il taillé d e lavoir

1. Kilo a v a i t connu par ses voix la b a t a i l l e de Rou-


vray, d i t e « journée d e s Harengs », à l'heure même
où «die se l i v r a i t .
SES VOIX 241

bien plus g r a n d si v o u s ne m ' e n v o y e z bientôt vers


lui. >
Baudri,cou.rt s'informa, r e c o n n u t qu'elle avait dit
vrai et céda enfin aux d é s i r s d e J e a n n e .
« Quand je d u s p a r t i r p o u r aller a mon roi, m e s
Voix me d i r e n t : « Va h a r d i m e n t , q u a n d tu. s e r a s
devers le roi,, il a u r a b o n signe d e te recevoir et
croire. » •
» A la fin, je p a r t i s d e V a u c o u l e u r s en hab'its
d'homme. J ' a v a i s une épée q u e R o b e r t de B a u d r i -
eourt m'avait remise, m a i s n u l l e a u t r e arme. U n
chevalier, un é c u y e r et q u a t r e s e r v i t e u r s m'accom­
pagnaient. R o b e r t d e B a u d r i c o u r t fit j u r e r à ceux
qui étaient avec moi d e m e bien et s û r e m e n t c o n ­
duire. Il me dit à m o i , : « Va! » Et a u d é p a r t : « Va,
va, et ad'vienne q u e p o u r r a . ^
Elle, à ses c o n d u c t e u r s . : « En n o m Dieu, menez-
moi vers le gentil D a u p h i n , et n e faites d o u t e q u e
ni vous, ni moi, n ' a u r o n s a u c u n empêchement. —
Je ne crains p a s les h o m m e s d o n n e s . Mon c h e m i n
est tracé. Si l e s e n n e m i s se présentent, moi, j ' a i
mon Seigneur q u i s a u r a m ' o u v r i r la voie p o u r arri­
ver au D a u p h i n , c a r je suis née p o u r l e sauver. —
N'ayez peur, mies frères d u P a r a d i s et mon Sei­
gneur Dieu m ' o n t dit déjà depuis q u a t r e ou cinq ans.
qu'il me fallait g u e r r o y e r p o u r r e c o n q u e r r e le royau­
me de F r a n c e . — J'agis p a r c o m m a n d e m e n t . Vous
verrez à Chinon, c o m m e le D a u p h i n n o u s fera bon
visage.
* Je vins v e r s m o n roi sans e m p ê c h e m e n t . Arrivée
à Sainte-Catherinte-d'e-Ficrbois, j ' e n v o y a i au Chàtel
dc Chinon où lors était le roi. J'écrivis à mon roi
des lettres en lesquelles je lui d e m a n d a i d'entrer
dans la ville o ù il se trouvait. J'avais fait u n voya­
ge de cent c i n q u a n t e lieues, et je savais b e a u c o u p
242 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

d e b o n n e s choses p o u r lui. J'ai mis, il m e semble


d a n s ces lettres, q u e j e r e c o n n a î t r a i s m o n roi entre
tous les a u t r e s .
» Je vins en cette ville vers m'idi el m e logeai
en une hôtellerie. Après d î n e r j'allai au ChAtel trou­
ver le roi. »

Dès q u e Ton c o n n u t l'arrivée d e J e a n n e à Chinon


et sa présentation au roi, d e t o u t e la F r a n c e monta
vers Dieu u n e h y m n e d e r e c o n n a i s s a n c e . Clergé
et fidèles multipliaient p o u r elle les o r a i s o n s et les
prières. La Rochelle, Montpellier, O r l é a n s faisaient
des processions, érigeaient des chapelles où on en­
tendait p o u r elle des messes. Les juges d e Rouen
lui en firent grief: t On a célébré p o u r vous services,
messes, dit o r a i s o n s . Je n'en sais rien, répondit-
elle; «'ils ont fait c é l é b r e r servîces et oraisons, ils
ne l'ont fait p a r mon c o m m a n d e m e n t ; et s'ils ont
prié p o u r moi, m'est avis qu'ils n'ont point mal fait. »

C H A P I T R E XLII

LE 3 P R E U V E S QU'ELLE DONNA DE SA MISSION.

On a v u au c h a p i t r e précédent d a n s quelles con­


ditions de simplicité et de foi la P u c e l l c obéit à
ses Voix et se h t présenter au r o i p o u r d e m a n d e r et
o b t e n i r d e lui cette cboise a b s o l u m e n t renversante
qu'il lui confiai a elle, .pauvre petite paysanne, le
c o m m a n d e m e n t général de son a r m é e . L a plus élé­
m e n t a i r e sagesse c o m m a n d a i t de ne l ' é c o u l e r que
PREUVES DE SA MISSION 243

si elle d o n n a i t des p r e u v e s évidentes qu'elle était


vraiment l ' e n v o v é e de Dieu.
liaudricourt n'avait p o i n t m a n q u é de faire con­
naître ce q u i l'avait décidé à p e r m e t t r e à Jeanne
de se r e n d r e à Chinon et à lui faire escorte. On
savait sa c o u r s e de cent c i n q u a n t e lieues dans u n
pays p a r c o u r u en toMis sens p a r les gens de guerre
des deux armées, bandits de la p i r e espèce, et en
grande p a r t i e a u p o u v o i r de l ' e n n e m i qui tenait les
passages d e s rivières. On savait q u e l l e avait an­
noncé avec la plus formelle a s s u r a n c e qu'elle ferait
cette équipée s a n s être n u l l e m e n t inquiétée.

Son entrée d a n s le Chalcl, l e 9 o u 10 mars 1429,


fut marquée p a r un prodige. C o m m e elle en franchis­
sait le seuil, u.n h o m m e d ' a r m e s d e m a n d a : « Est-ce
la Pucelle? Kt s u r fa repon.se affirmative il blas­
phéma et railla grossièrement la virginité de la
sainte. En n o m Dieu, lui dit-elle, t u le renies el
tu es si près de l a m o r t ! Une h e u r e a p r è s cet hom­
me tombait d a n s la rivière el se noyait.
La porle du c h â t e a u lui est o u v e r t e . Elle de­
mande à être présentée au roi. Elle est i n t r o d u i s
dans la g r a n d e salle.
« Il y avait, dit-elle, plus de t r o i s cents c h e ­
valiers et de c i n q u a n t e torches, s a n s c o m p t e r la lu­
mière spirituelle ? (qui accompagnait d'ordinaire les
révélations qui lui étaient faites).
Elle d e m a n d e a p a r l e r au roi. On lui montre le
comte de Clcrmont « feignant q u e c'est lo roi ».
Mais clic dit t a n t ô t q u e ce n'était pas le roi, qu'elle
le connaîtrait bien, si elle Te voyait, bien q u e o n e q u e s
ne l'eût vu. Et après on lui fit venir un éefuyer,
feignant que c e l a i t le ro-i; mais elle c o n n u t bien que
ce n'était pas lui. Et tantôt a p r è s le r o i saillit d'une
244 JEANNE D'ARC, DON DE DIETT

c h a m b r e ; et tantôt q u ' e l l e le vit, elle alla droit à


lui 'et, s'arrètant à la l o n g u e u r d ' u n e lance, elle ôta
son c h a p e r o n et fit l e s révérences d'usage, comme
si clic eût vécu c o n s t a m m e n t à la cour. — Ma voix,
dit-elle plus tard à ses juges, me le fit connaître.
— Dieu v o u s d o n n e b o n n e vie, gentil roi, dit-
elle.
— Mais je n e suis p a s l e roi, répondit C h a r l e s VII.
Le roi le voilà. Et il désignait un d e s s e i g n e u p
présents. '
— lin n o m "Dieu, gentil p r i n c e , vous Tètes et non
un a u t r e
Le roi lui d e m a n d e s o n nom.
« (ïentil 'Dauphin, j ' a i n o m J e h a n ne la Pucellc,
et vous m a n d e le Hoi des cieux (pic vous serez sacré
et c o u r o n n é d a n s la ville de Reims et serez lieute­
nant du Roi des cieux q u i est Roi de F r a n c e .
» T r è s illustre seigneur, je suis venue et suis
envoyée de p a r Dieu p o u r d o n n e r secours a u royau­
me et à vous. VA vous m a n d e le Roi des cieux par
moi q u e vous serez son l i e u t e n a n t à lui, q u i est Roi
2
de brance » .

1. Chronique de Jean Chartier.


2. Le mystère d'Orléans rend ainsi CQ dialogue :
LA PUOBLLB.
Vous estes cil que je queroye (celui que je
Vray roy de F r a n c e par s u s terre [cherchais,
Dieu vous a eu en souvenance
D'une prière d'un tel jour,
Que luy fiste en révérence,
Dont il vous a pris en amour.
LH ROY.
Fille, je suis très fort joyeux
De vos paroles, douce araye.
PREUVES DE SA MISSION 245

Charles VII, iie p r e n a n t a u c u n e décision, la fît


conduire dans la T o u r d e C o u l d r a y et mettre sous
la protection d e Guillaume Bellicr et de sa femme.
Là il envoya des m e m b r e s de son Conseil pour in­
terroger Jeanne.
« J'ai deux chosos en m a n d a t de la p a r t du Roi des
deux : faire lever le siège d'Orléans et mener le
Dauphin à Reims, p o u r qu'il y soit sacré et cou­
ronné.
Elle ajouta : « C'est au D a u p h i n q u e j ' a i à par­
ler, à lui seul je d i r a i tout.

Reçue de nouveau en audience elle dit :


• (ientil D a u p h i n , p o u r q u o i n e m e croyez-vous
pas? Je TOUS dis q u e Dieu a pitié de vous, de votre
royaume et de v o t r e peuple, car saint Louis et saint
Charlem'agnc sont à g e n o u x devant lui, faisant prière
pour vous. Et je vous dirai, s'il v o u s plaît, telle
chose, qu'elle v o u s d o n n e r a à c o n n a î t r e que vous
me devez croire.
- Sire, si je v o u s dis ïtjs choses si secrètes qu'il
n'y a que Dieu et vous qui l e s sachiez, croirez-vous
bien que je suis envoyée p a r Dieu?
> Noble seigneur, Dieu le Créateur m ' a fait com­
mander p a r la Vierge Marie sa m è r e et p a r Madame
sainte Catherine et M a d a m e sainte Marguerite, ami
que jetais aux c h a m p s g a r d a n t les a g n e a u x de mon
père, que je laissasse t o u t là et qu'en diligence, j e
vinsse vers v o u s p o u r TOUS révélpr les m o y e n s p a r
lesquels vous p a r v i e n d r e z à être c o u r o n n é de la
couronne d e F r a n c e , et mettrez vos adversaires h o r s
de votre royaumie. Et m'a été c o m m a n d é p a r Notre-
Seigncur quje nulle p e r s o n n e a u t r e q u e v o u s n e sa­
che ce q u e j ' a i à v o u s dire. >
Le roi s'étant tiré ù part, J e a n n e l u i dit •
246 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

c Sire, n'avez-vous p a s bi;en m é m o i r e q u e je jour


d e lu Toussaint d e r n i è r e , v o u s é t a n t en la chapelle
d u Chûtel de Loches, en v o t r e oriuloïrc, tout seul,
v o u s fîtes trois r e q u ê t e s à Dieu? *
Le r o i r é p o n d i t qu'il s'en souvenait très bien.
« 'lit si je v o u s dis les trois r e q u ê t e s q u e vous fîtes,
croirez-vous bien à m e s paroles?
» La p r e m i è r e r e q u ê t e q u e vous files à Dieu fut
que, si v o u s n'étiez v r a i h é r i t i e r d u r o y a u m e tic
F r a n c e , ce fût le bon p l a i s i r de Dieu de v o u s ôter
le courage de travailler à r e c o u v r e r ledit royaume,
d e vous g a r d e r lu vie s a u v e et un refuge en Ecosse
ou en Espagne.
> La seconde r e q u ê t e fut que v o u s p r i â t e s Dieu,
s£ les grandes adversités et t r i b u l a t i o n s q u e le pau­
vre peuple de F r a n c e souffrait et avait souffert si
l o n g t e m p s procédaient (te votre péché et q u e vous en
fussiez cause, qu,c ce fut «on plaisir d'en relever
le peuple et q u e vous seul fussiez p u n i et portassiez
pénitence soit p a r m o r t o u tiplle a u t r e peine qu'il
lui plairait.
» La troisième r e q u ê t e fut que, si le péché du
peuple fut cause des dites adversités, c e fût son
plaisir de p a r d o n n e r au dit p e u p l e et mettre le
r o y a u m e h o r s des t r i b u l a t i o n s a u x q u e l l e s il était de­
puis d o u z e ans et plus
Alors J e a n n e élevant la voix :
« Moi je te dis d-e la part de Mcssirc q u e tu es
2
vrai h é r i t i e r d e F r a n c e et fils du r o i » .
Ces p a r o l e s furent e n t e n d u e s des assistants. Et le
roi leur dit que J c h a n n c lui ava'îl révélé des cho­
ses secrètes qui n'étant sucs et ne p o u v a n t être sues

1. QmVIiemt, t. TV, p p . 2 5 8 , 259.


2. Quicherat, t. III, p. 1 0 2 .
PREUVES DE SA MISSION 247

que de Dieu, ce q u i lui d o n n a i t g r a n d e confiance en


elle K
Alain C h a r t i e r r a p p o r t e que C h a r l e s VII fut tout
rayonnant lorsqu'il eut e n t e n d u ces paroles, « o n
eût dit qu'il venait d'être visité p a r le Saint-Es­
prit. > '
Comme l'observe j u d i c i e u s e m e n t H e n r i Martin, le
secret révélé au r o i est un des p o i n t s capitaux d u
divin poème. L a loi salique en recevait la p l u s écla­
tante confirmation. Le ciel faisait c o n n a î t r e par un
miracle celui q u i devait en bénéficier, et il allait
par une suite de m i r a c l e s le m e t t r e en possession
de son droit. E n d e h o r s de la r a c e d e David, jamais
dynastie n'a reçu u n e pareille consécration.

Charles VII ne p o u v a i t pas ne pas être convaincu.


Cependant, p o u r agir en toute p r u d e n c e et en
toute sagesse, a v a n t de m e t t r e J e a n n e en besogne
il voulut, s u r le conseil de l ' a r c h e v ê q u e d ' E m b r u n ,
Charles de (îélu, faire e x a m i n e r p a r u n e commission
de théologiens et de cunonistes les dits faits et p r o ­
messes de la Pucelle. Us se r é u n i r e n t au n o m b r e
de dix, à Poitiers, vers le milieu do m a r s 1420,
sous la présidence d ' h o n n e u r de Régnald de Char­
tres, a r c h e v ê q u e "de Reims. J e a n n e y fut conduite
avec une escorte d ' h o m m e s . « E n n o m Dieu, dit-
elle, je sais q u e j ' y a u r a i bien à faire, mais Messire

1. Henri Martin l u i - m ê m e , qui s'applique à dépouiller


de tout caractère miraculeux l a révélation de Jeanne
roconniut ceci : « Il y a ici un fait incontestable* c'est
que Jeanne dit au roi des paroles qui firent sur lui une
impression extraordinaire... Il est é g a l e m e n t hors de
doute que les paroles do J e a n n e concernaient la. légiti-
mité de la n a i s s a n c e du roi et se rapportaient à la prière
prononcée m e n t a l e m e n t par Charles ». (.Jeanne d'Arc,
Eclaircissements, II.)
248 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

m ' a i d e r a ; o r allons d e p a r Dieu. » C h a r l e s VII


se r e n d i t également à P o i t i e r s qui était le lieu où
siégeait la C o u r d u P a r l e m e n t .
Le Livre de Poitiers a disparu. N o u s n ' a v o n s que
q u e l q u e s fragments d e l'interrogatoire d e J e a n n e et
d e ses r é p o n s e s q u e p a r l e procès de réhabilitation.
N o u s savons par là qu'elle fit aux commissaires qua-
l.e p r o p h é t i e s :
1« Les Anglais s e r o n t battus, le siège d'Orléans
1
sera levé.
2° Le r o i sera sacré à Reims et c o u r o n n é dans le
c o u r a n t d e l'été.
3° L a ville de P a r i s r e n t r e r a en l'obéissance du
roi.
4° Le duc d'Orléans, — alors p r i s o n n i e r , — sera
r e n d u à la liberté et r e v i e n d r a d'Angleterre.
L'un des commissaires, Guillaume Aymeri, lui dit:
« J e h a n n c v o u s prétendez q u e c'est le plaisir de
Dieu q u e les Anglais s'en aiAcnt en leur p a y s et vous
d e m a n d e z des gens d ' a r m e s . Si cela est, il n e faut
pas d e gens d'armes, c a r le seul plaisir de Dieu peut
les déconfir et les faire aller en leur p a y s . »
Elle répondit : « E n n o m l)ieu, les gens d'armes
batailleront el Dieu d o n n e r a la victoire. »
Interrogée p o u r q u o i elle n'appelait C h a r l e s VII
q u e le D a u p h i n , elle r e p o n d i t :
« J e n e lui d o n n e r a i le titre de roi q u ' a p r è s qu'il
a u r a été sacré et c o u r o n n é à Reims où j ' a i mission
de le conduire. &
C o m m e on lui d e m a n d a i t un signe elle répondit :
« En nom Dieu, je ne suis pas venue p o u r faire
signe; m a ï s menez-moi à Orléans, et je v o u s mon­
t r e r a i les signes de ce p o u r q u o i je suis envoyée. Le
signe q u e Dieu m'a d o n n é , c'est d e faire lever lo
siège d e cette ville, e t d e faire s a c r e r le roi à
PREUVES DE SA MISSION 249

Reims. Qu'on m e d o n n e le n o m b r e d ' h o m m e s q u e


Ton voudra, et j e n e d o u t e p a s q u e ainsi n e soit
fait.
» Je suis lasse d e tant d'interrogatoires. On m'em­
pêche de faire c e p o u r q u o i j e suis envoyée; il est
temps, il est u r g e n t de besogner, le m o m e n t d'agir
est venu.
» Y a-t-il ici d u p a p i e r et de l'encre, car il faut
d'abord q u e j ' é c r i v e a u x Anglais et les s o m m e de se
retirer : telle est la volonté d e Dieu. »
Et elle dicta l ' a d m i r a b l e lettre q u i n e fut envoyée
que plus t a r d et o ù elle leur a d r e s s e cette fière
sommation : « R o y d'Angleterre et vous... L a P u -
celle est ci v e n u e p o u r r é c l a m e r l e sang royal...
N'ayez point en vostre opinion, c a r v o u s ne tendrez
point le r o y a u m e d e F r a n c e de Dieu, l e Roy d u ciel,
filz de sainte M a r i e ; ainz le t e n d r a l e roi Charles,
vray h é r i t i e r ; car Dieu le Roy du ciel le veult, et lui
est révélé p a r la Pucelle... Et a u x h o r i o n s verra-t-on
qui ara meilleu d r o i t de Dieu d u ciel o u d e vous.
» Si vous lui faictes raison, e n c o r e p o u r r e z venir
en sa compagnie, l'ou q u e les F r a n c h o i s feront le
plus bel fait q u e o n e q u e s fu fait p o u r la c h r e s -
tienté. » I !
La commission n ' a y a n t t r o u v é en J e a n n e q u ' h u ­
milité et vertu, d é c l a r a q u e , vu son insistance à don­
ner pour signe l a d é l i v r a n c e d'Orléans, il convenait
que le roi a c c e p t â t son a i d e ; c a r à la r e p o u s s e r o n
s'exposerait à aller à r e n c o n t r e d e la volonté di­
vine.
Aussitôt C h a r l e s VII forma la m a i s o n militaire
de Jeanne et p o u r v u t à son é q u i p e m e n t Elle avait
l'épée qui lui avait été d o n n é e à Vaucouleurs, mais
elle en e n v o y a c h e r c h e r une a u t r e qu'elle dit être
dans l'église d e Sainte-Catherine-de-Fierbois, derrière
250 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

l'autel. « Je sais p a r m e s Voix, dit-elle, q u ' e l l e était


là. » On l'y trouva c o u v e r t e de rouille.
L a d é c o u v e r t e de cette épée fut r e g a r d é e par le
« b o n peuple > el p a r les bourgeois des < bonnes
villes » c o m m e un signe tangible et d i v i n q u e le
salut du r o y a u m e était p r o c h e et tous c r u r e n t en la
Pucelle envoyée de Dieu.

CHAPITRE XLIII

LES SIGNES DONT DIEU ACCRÉDITA SA MISSION

Dans le peuple et dans le clergé et m ê m e h o r s de


F r a n c e , on se disait les signes qui avaient accompa­
gné la naissance de la Pucelle et les p r o p h é t i e s qui
en avaient été faites.
P l u s i e u r s voyaient la prédiction de Tannée où elle
serait donnée à la Franco désespérée d a n s ces vers
du Vénérable P>odo, un saint d o c t e u r anglais dont le
n o m est inscrit au c a l e n d r i e r liturgique el dont l'E­
glise fait la fête c h a q u e année.
!
ut CnM VI Cul A bis, 1er soplem se s o c i a b u n l ,
Gał toru m putli taum nmni b**Ua /rtrabnnt,
Ecr.c bmnt brlla, lune FEU VKXITXA PUEÏ.Î-.V.
M29 est l'année où J e a n n e se mit à l ' œ u v r e qui
lui était imposée p a r ses Voix.
Le g r a n d inquisiteur Jean Rréhal, c h a r g é pnr la
commission apostolique du p r o c è s de réhabilitation
de J e a n n e publia sous le n o m de livcollcvtio le plus
c o m p l e t des Mémoires insérés dans l ' i n s t r u m e n t du

1. 100+1000+5+1+151 + 1 5 1 + 2 1 1429.
PREUVES DE SA MISSION 251

procès vengeur. Il y rappelle la p r o p h é t i e d e Bède,


puis il dit : c On r a c o n t e qu a v a n t l'arrivée de la
Pucelle, un habile astrologue de Sienne, du nom de
Jean Monlalein avait écrit a u r o i n o t r e sire, les
paroles suivantes : Votre victoire s e r a dans l e con­
seil d u n e vierge; poursuivez votre t r i o m p h e sans
interruptions j u s q u ' à la ville de P a r i s .

> Merlin, p r o p h è t e anglais, c o n t i n u e Jean Bréhal,


a écrit les s t r o p h e s suivantes: « Du bois Chenu sor-
» tira la Pucelle q u i a p p o r t e r a le r e m è d e aux bles-
» sures. Dès qu'elle a u r a a b o r d é les forteresses, de
» son souffle, elle d e s s é c h e r a les sources d u mal. Des
» ruisseaux de l a r m e s c o u l e r o n t de ses y e u x ; elle
» remplira l'île d'une h o r r i b l e c l a m e u r ».
t Cette p r o p h é t i e d o n n e d'abord le lieu d'origine
de la Pucelle, le bois Chenu, ex nentori oarnuto elimi-
nabitur. Elimiimbifur, c'est-à-dire, on la verra naî­
tre près de la lisière de ce bois. Or, d e la p o r t e
de la maison paternelle d e J e a n n e o n voit le bois
Chenu ainsi qu'il est dit a u p r o c è s . — Le remède
aux blessures du royaume abattu a c o m m e n c é à être
apporté p a r J e a n n e q u i Ta r e n d u à la santé lors­
que, au c o m m e n c e m e n t de sa légation elle vint
vers le roi et les g r a n d s de la F r a n c e (arces); o u
bien lorsque, au milieu des p r é l a t s et des docteurs
remplis de sagesse, elle subit à P o i t i e r s un long et
rigoureux e x a m e n ; o u encore lorsque, les armes à
la main et pleine d'intrépidité, elle a t t a q u a les prin­
cipales villes du r o y a u m e (anglo-bourguignon), leurs
forteresses, c o m m e à Orléans et à P a r i s ; ou peut-
être lorsque, avec les g r a n d s et avec u n e a r m é e
nombreuse, elle c o n d u i s i t avec tant d e b o n h e u r , au
milieu des ennemis, le roi à Reims p o u r l'y faire cou­
ronner. Par son souffle^ c'est-à-dire p a r ses véhé-
252 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

m e n t e s o b j u r g a t i o n s , elle desséchera les sources du


mal, lançant les a r t i s a n s de trahison, les privant
de s o n amitié el de sa faveur. — Des larmes de com-
passion couleront par rnissaanx de ses yeux. KIIc
p l e u r e r a c o n s t a m m e n t s u r les m a u x du royaume
et des Français, très c o m p a t i s s a n t e p o u r les pau­
vres et m ê m e p o u r les ennemis humiliés. Elle
remplira llle dune affreuse clameur. Le b r u i t de
sa r e n o m m é e victorieuse bouleversa la nation an­
glaise tout entière, qui c r a i n d r a d'engager la bataille
s o u s ses yeux ».
Le reste de la p r o p h é t i e de Merlin caractérise le
j e u n e roi d'Angleterre el la joie de la Normandie
lorsqu'elle sera délivrée.
Le digne fils de saint D o m i n i q u e fait suivre celle
p r o p h é t i e el son explication de ces observations :
« Il n e faul pas e n t i è r e m e n t d é d a i g n e r ces vati­
c i n a t i o n s ; les prophéties de ce Merlin ne sont pas
s a n s r e n o m . Sigebert a écrit : « Merlin a dévoilé
bien des choses o b s c u r e s . Le Saint-Hsprit est bien
le m a î t r e de révéler ses s e r r e l s à q u i il lui plaît;
ainsi qu'il Ta fait p a r la Sibylle, p a r IJalaam et
semblables p e r s o n n a g e s ».

Voici une a u t r e p r o p h é t i e également r a p p o r t é e et


coin montée par le g r a n d inquisiteur, J e a n Hréhal.
C'est celle d'Kngélidc. fille du r o i de Hongrie :
« O lis insigne, a r r o s é pur les princes, le semeur
te plaça d a n s un délectable verger, au milieu dé­
vastes c a m p a g n e s . Sans oesse fleurs et roses d'un
merveilleux parfum te forment ceinture,
> Le lis est dans la s t u p e u r , le verger dans l'ef­
froi. Des a n i m a u x divers, les u n s étrangers, les
a u t r e s n o u r r i s dans le verger, s'amusaiit cornes à
c o r n e s , o n t presque suffoqué le lis. II s'étiole par
PREUVES DE SA MISSION 253

sa propre r o s é e ; o n le resserre, o n lui a r r a c h e u n e


à une ses r a c i n e s ; ils c r o i e n t l ' a n é a n t i r de leur
souffle d'aspic.
t Mais voici la Vierge o r i g i n a i r e d u lieu d'où se
rq>andit le b r u t a l venin. Elle est distinguée p a r un
petit signe rouge q u i émerge d e r r i è r e son oreille
droite. Son p a r l e r est l e n t ; son cou est court. P a r
elle ils seront ignominieusement b a n n i s d u verger;
elle donnera a u x lis des c o u r a n t s rafraîchissants;
elle chassera le s e r p e n t ; elle m o n t r e r a o ù est le
venin. Par elle le gardien d u lis, Charles, fils de
Charles sera c o n s a c r é à Reims d'un l a u r i e r fait d'une
main non mortelle.
» Autour se s o u m e t t r o n t des voisins t u r b u l e n t s ;
le peuple criera : « Vive le lis, loin la b r u t e (le
léopard); fleurisse le verger ». Et le lis fleurira pen­
dant longtemps ».
Le verger, explique Hréhal, c e s t la F r a n c e ; le lis,
son roi ; les bêtes étrangères, les Anglais ; celles
nourries dans le verger, les fauteurs de guerre ci­
vile. Le savant d o m i n i c a i n ne va guère plus loin
dans son explication. N e peut-on point a j o u t e r que
le Semeur qui plaça le lis dans le délectable verger,
c'est Dieu; q u e les fleurs et les r o s e s d'un mer­
veilleux p a r f u m qui font a u lis u n e ceinture, ce
sont nos g r a n d s h o m m e s et nos g r a n d s saints.
c Le lis s'étiole p a r sa p r o p r e rosée », n'est-ce
point Philippe-le-Bcl qui p a r ses pensées de révolte
contre le Souverain Pontife tarit la sève qui donne
au lis sa b e a u t é et sa v i g u e u r ? Mais J e a n n e vient,
par ses instructions à Charles VII sur la r o y a u t é su­
prême du Christ, elle « d o n n e r a au lis d e s c o u r a n t s
rafraîchissants. « Fontes irriguos dieto lilio adunan-
do ». « Elle m o n t r e où est le venin, elle chasse le
serpent », et « le lis refleurira p e n d a n t longtemps ».
La Mission de la B«se Je.inne d'Arc. 16
254 JEANNE D'AHC, DON DE DIET*

Quicherat a relevé d a n s u n e Histoire des astrolo*


f/ues, écrite p a r Simon P h a r e s et qui se trouve à la
Ribliothèque nationale (in 7, 487;, la p h r a s e qui suit:
* E n v i r o n ce temps fut à Genève m a î t r e Guillaume
Rarbier. d o c t e u r en médecine et grand aslrologien.
Celui-ci prédit en son j e u n e âge l'exil des Anglais
et le relèvement du roi de F r a n c e , qui fut chose assez
(fort) à émerveiller, attendu q u e l l e fut a u moyen
d u n e simple pucelle ».

Maître Jean Harbin, un des plus célèbres avo­


cats du temps de J e a n n e fit sa déposition à Paris
s u r la cause de J e a n n e d'Arc le 30 avril 1156. Il y
d i t : « Jeanne fut dirigée p o u r y être examinée, sur
Poitiers où je me trouvais alors. A ces délibérations
assistait un professeur de théologie, d u n o m de maî­
t r e Jean Erault. 11 r a c o n t a avoir autrefois entendu
une certaine Marie d'Avignon qui était venue trou­
ver le r o i et lui avait prédit que le r o y a u m e aurait
b e a u c o u p à souffrir el passerait p a r bien des cala­
mités. Elle ajoutait avoir eu b e a u c o u p de visions
s u r la désolation du r o y a u m e de F r a n c e . Dans une
e n t r e autres, de n o m b r e u s e s a r m u r e s lui avaient clé
présentées. Effrayée, Marie craignait d'être contrainte
de s'en revêtir. U lui fut r é p o n d u de ne pas craindre;
q u e ces a r m e s n'étaient pas p o u r elle, mais pour
une Vierge qui viendrait a p r è s e l l e ; elle porterait
ces a r m u r e s et délivrerait le r o y a u m e de ses enne­
mis. E r a u l t disait c r o i r e fermement q u e J e a n n e élait
la Vierge dont parlait Marie d'Avignon ».

( l o b e i t Thibault, écuy*r de l'écurie d u roi de l'Yan­


ce, avait été interrogé p r é c é d e m m e n t le 5 avril .
« J'ai entendu, dit-il, Sire Monseigneur d e Castres,
a l o r s confesseur du roi, affirmer qu'il avait vu des
PREUVES DE SA MISSION 255

écrits dans lesquels on a n n o n ç a i t q u ' u n e Puceile


viendrait et porterait secours au roi. J'ai entendu
de la bouche du dit seigneur confesseur et d autres
docteurs que l e u r c r o y a n c e était q u e J e a n n e était
divinement envoyée, q u e l l e était celle dont parlail
la prophétie ».

Les informations p o u r le procès de réhabilita­


tion commencèrent p a r le comte de Dunois qui avait
reçu renvoyée du ciel à Orléans en qualité de lieu­
tenant général du r o i p o u r le fait de la guerre. Dans
sa déposition, Tune des p l u s précieuses, il dit que
Suffolk était p r i s o n n i e r depuis quinze j o u r s quand
il lui fut remis un papier s u r lequel étaient écrits
quatre vers a n n o n ç a n t q u ' u n e Vierge viendrait
du bois Chenu, qu'elle c h e v a u c h e r a i t s u r le dos
des guerriers a r m é s de Tare et l e u r ferait la guerre.
Au procès de R o u e n cette p r o p h é t i e fut citée à
l'accusée, qui. tout en disant ne l'avoir connue que
depuis sa venue en F r a n c e , avoua qu'il y avait dans
sou pays un bois Chenu qui se voyait de la porte
de sa maison de son père.

Il n'y a pas lieu de s'étonner de ces prédictions.


Combien de saints d o n t la venue en ce monde a
été annoncée! Mais, c o m m e le r e m a r q u e le P. Ay-
rolles, il n'est a u c u n p e r s o n n a g e d u N o u v e a u Tes­
tament qui eût élé désigné d'avance à l'attention
du monde p a r a u t a n t de voix que J e a n n e d'Arc et
surtout des voix si claires et si intelligibles.
Il n'y a pas n o n plus à o b j e c t e r q u e ces p r é ­
dictions o n t été faites p a r des p e r s o n n a g e s qui ne
sont point r é p u t é s p a r l e u r sainteté.
Saint T h o m a s d'Aquin (2* 2"« q. 172, art. 4) o b ­
serve que la sainteté n'est point r e q u i s e p o u r la
256 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

p r o p h é t i e . Il invoque les paroles de Notre-Seigneur


à ceux qui lui disaient : « N ' a v o n s - n o u s p a s pro­
phétisé en votre n o m ? » Le divin Maître n e nie pas
le fait, e l cependant il ne les r e c o n n a î t p a s pour
1
s i e n s : « Je ne vous ai j a m a i s c o n n u s », dit-il .
L'Evangile déclare q u e Caïphe, tout i m p i e qu'il
était, prophétisa lorsqu'il dit que Jésus devait mou­
rir, « n o n seulement p o u r l a nation j u i v e , mais
aussi p o u r r é u n i r e n un seul c o r p s les enfants
2
de Dieu qui sont dispersés » . Saint T h o m a s d'Aquin
fait r e m a r q u e r que l a p r o p h é t i e est u n d o n qui
peut être a c c o r d é g r a t u i t e m e n t p o u r l'utilité des
autres, m ê m e à ceux q u i ne jouissent p o i n t de la
grâce sanctifiante.

Sans doute, ces p r o p h é t i e s n'étaient p o i n t toutes


c o n n u e s de t o u s et p a r t i c u l i è r e m e n t d u roi lors­
qu'elle se présenta devant lui, mais il est certain
q u e les plus i m p o r t a n t e s et les plus claires étaient
r é p a n d u e s d a n s le public, n o n s e u l e m e n t en France
mais à l'étranger.
A ces p r o p h é t i e s venait se j o i n d r e le récit des
merveilles qui avaient éclaté à la naissance de la
Pucelle, récit qui lui aussi avait «franchi n o s fron­
tières.
L ' u n des g r a n d s p e r s o n n a g e s de la c o u r de Char­
les VII, le conseiller et c h a m b e l l a n du r o i , Perce-
val de lioulainvilliers, écrivit le 21 j u i n 1125), à
Philippe-Marie Visconli, d u c de Milan, le p r i n c e alors
le plus puissant de l'Italie, étroitement uni au parti
a r m a g n a c , une lettre qui n o u s a c o n s e r v é le témoi­
gnage de celte joie insolite. Il a n n o n ç a i t au duc

1. S. MatUiiiMi, VII, 22-21.


2. S. J e a n , X I , 5 1 .
PREUVES DE SA MISSION 257

que la Pucelle et le roi étaient s u r le chemin de


Reims. Et voici c o m m e n t sa lettre débutait :
« Illustrissime et magnifique prince et m o n très
honorable Seigneur. — Les esprits cultivés et éle­
vés aiment à s a v o i r le n o u v e a u . Voilà jxmrquoi,
magnifique prince, s a c h a n t ce qui est d û à votre
sérénité, a vos mérites, c o n n a i s s a n t l'objet de vos
nobles désirs, de vos r e c h e r c h e s , j ' a i cru devoir
vous exposer les g r a n d e s merveilles s u r v e n u e s ré­
cemment à n o t r e roi de F r a n c e et à son r o y a u m e .
» Déjà, je pense, a été p o r t é e à vos oreilles la
renommée d'une j e u n e fille, q u e le ciel, ainsi que
nous le c r o y o n s pieusement, n o u s a divinement en­
voyée.
» Elle est n é e dans u n petit village d u nom de
Domremy, au baillagc de Hassigny, en deçà et s u r
les confins du r o v a u m e de F r a n c e , aux b o r d s de la
rivière de la Meuse, près de la L o r r a i n e .
» Les a u t e u r s de ses j o u r s sont n o t o i r e m e n t des
personnes aussi j u s t e s q u e simples.
» C'est dans la nuit des Epiphanies, q u a n d les
chrétiens se r e m é m o r e n t d a n s la joie les actes du
Christ, qu'elle est venue à la l u m i è r e d e cette vie
mortelle.
y Et c h o s e merveilleuse, les h a b i t a n t s du lieu
furent saisis d'une joie inconcevable. Ignorant la
naissance de la j e u n e fille ils c o u r e n t les uns chez
les autres, se d e m a n d a n t ce q u i est s u r v e n u de nou­
veau. Qu'ajouter? L e s c o q s , c o m m e h é r a u t s de cetle
nouvelle joie, éclatent en c h a n t s q u ' o n n e leur con­
naissait p a s ; ils se b a t t e n t les flancs de leurs ailes,
et presque pendant d e u x h e u r e s o n les entend p r o ­
nostiquer le b o n h e u r de celte nouvelle naissance».
258 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

Suit l'histoire de J e a n n e d'Arc et de ses ex­


ploits i.
Ce q u e Perceval de Boulainvillicrs a ainsi ra­
c o n t é au d u c d e Milan est confirmé p a r de nom­
b r e u x témoignages c o n t e m p o r a i n s . T h o m a s s i n , dans
son Registre Dclphinal, dit : « De sa naissance
plusieurs choses merveilleuses ont été dites comme
vraies ». E b c r h a r d de Windecken, secrétaire de
Sigismond, dit la m ê m e chose.
La naissance de J e a n n e d'Arc, p a r la joie qu'elle
r é p a n d i t ainsi aux a l e n t o u r s , p r é s e n t e une ressem­
b l a n c e bien r e m a r q u a b l e avec les naissances divi­
n e m e n t privilégiées de saint Jean-Baptiste cl de No-
tre-Seigneur lui-même. Le motif de celle ressem­
b l a n c e fut sans doute que la sainte Pucelle était
c h a r g é e d ' a p l a n i r les voies au Lhrist-Koi p o u r son
r e t o u r au « suint r o y a u m e de F r a n c e comme
saint Jean-Iîaplisle avail été chargé d ' a p l a n i r 1rs
voies au divTu Agneau. Sa mission était d e rap­
peler au m o n d e la r o y a u t é universelle du Christ,
c o m m e celle de Jcau-Itaptistc avail élé d'annoncer
q u e le r o y a u m e de Dieu était proche.
Dieu ne se contenta pas de m c l l r c lu joie au cœur
des habitants de D o m r e m y , c o m m e il l'avait mis mi
cu'iir des h a b i t a n t s de Helhléem, il fil n a î t r e le sainte
Pucelle on la fêle de l'Epiphanie, au j o u r de la
manifestation des d r o i t s de l ' E m m a n u e l s u r les rois
el s u r les nations qu'elle avail mission d e rappeler
2
aux chrétiens oublieux el i n g r a t s .

1. Voir la Vraie Joannn tVArr^ par Ayrolles.


2. M e s t bien remarquable que le décret d'héroïriié
des vertus de l a Bienheureuse J e a n n e , qui devait êtr<?
promulgue en septembre 1 0 0 3 et dut être ajourné à
cnuse de la mort de béou X I I I et do l'élection de
Pie X , le fui lo (5 janvier HMM, toujours en c e l l e môme
fête de l'Epiphanie, comme si la divine Providence eût
PREUVES DE SA MISSION 259

voulu, qu'ici encore, l a m i s s i o n de l a P u c e l l e , a u sujet


<b Notre-Seigneur J é s u s - C h r i s t , fût m a n i f e s t é e . L e d é -
cret lui-même s e m b l e indiquer ce m y s t é r i e u x rapport :
« Ce jour, d i t - i l , o ù l e D i e u Sauveur se m a n i f e s t a aux
nations par une é t o i l e , vit a u s s i n a î t r e l a Vénérable
Servante de D i e u DESTINÉE A ÊTRE UN JOUR COMME
LA FLAMME BRILLANTE DANS LA JÉRUSALEM TERRES­
TRE ET DANS LA JERUSALEM CÉLESTE ». N ' e s t - i l point
permis de voir, d a n s ces paroles d u Souverain Pontife,
l'annonça qu'une fois p o r t é e sur les a u t e l s , Jeanne
d'Arc rayonnerait sur t o u t e l a S a i n t e E g l i s e efc sur le
monde entier, p o u r y faire é c l a t e r l a vérité signifiée
dans le mystère de l'Epiphanie : l a r o y a u t é sociale de
Notre-Scigneur J é s u * - C h r i s t .
II

L'ŒUVRE MERVEILLEUSE

CHAPITRE XLIV

L'ENTRÉE E N CAMPAGNE ET LE SIÈGE

D'ORLÉANS

J e a n n e se fit faire à Poitiers u n é t e n d a r d d'azur


s u r l e q u e l était peint u n « coulcm » b l a n c tenant
en s o n b e c une b a n d e r o l l c p o r t a n t ces m o t s : c De
la p a r t du r o y du ciel ».
Mais « p a r c o m m a n d e m e n t de Dieu » elle dut en
p r e n d r e u n a u t r e . Voici la description qu'elle en
fit à c e u x qui s étaient faits ses juges :
€ J'avais une b a n n i è r e au c h a m p semé de lis. Il
y était figuré Noire-Seigneur p o r t a n t le inonde avec
deux anges, u n de c h a q u e côté. Elle était blanche,
en toile blanche dite boucassin. Les franges étaient
de soie. Les n o m s Jhésus-Maria v étaient inscrits
p a r côté. J'aimais bien m o n épée, mais j ' a i m a i s plus,
q u a r a u t c fois plus, m o n étendard. T o u t l'étendard
était c o m m a n d é d e p a r Noire-Seigneur, p a r les voix
LE SIÈGE D'ORLÉANS

de sainte Catherine et d e sainte Marguerite qui me


dirent : « P r e n d s l'étendard de p a r le roi d u ciel.
Prends-le h a r d i m e n t et Dieu t'aidera ».
Ainsi équipée, J e a n n e p a r t i t e n g u e r r e .
Le pain m a n q u a i t à Orléans. On e n t r e p r i t de ra­
vitailler la ville assiégée. H o m m e s et vivres se réu­
nirent à Blois et J e a n n e s'y r e n d i t le 21 ou 22
avril 1429. Son p r e m i e r soin fut de faire savoir
à ces pillards, qui m a u g r é a i e n t de se voir mettre
sous la conduite d'une femme : « qu'ils se missent
en état d'être en l a g r â c e de D i e u ; q u e s'ils sont
en hou état, avec l'aide de Dieu, ils obtiendront
la victoire ».
Le convoi de vivres é t a n t p r ê t le 23 avril, Jeanne
se mit en m a r c h e vers Orléans au c h a n t du Vwii
Creator. Le 29 elle atteignit Chécy. Dunois qui com­
mandait d a n s Orléans la poignée de ses défenseurs
vint au devant d'elle. « Est-ce vous, lui cria-t-elle,
qui avez conseillé de m e faire venir p a r ce côté-ci
(par la rive gauche de la L o i r e cl non par celui
où étaient Talbot et les Anglais)? »
Dunois r é p o n d i t qu'il n'avait pas semble possible
à lui et à s o n conseil de résister a u x Anglais.
— En n o m Dieu, le conseil de m o n Seigneur est
plus sage que le vôtre. L e s vivres fussent entrés sans
passer p a r la rivière.
Les eaux de la L o i r e étaient basses et le vent
contraire.
< N'ayez crainte, dit-elle, attendez u n petit ins­
tant. E n n o m Dieu, le vent c h a n g e r a , et t o u t en­
trera sans q u e p e r s o n n e y fasse empêchement. »
La c r u e vint, la rivière c o u l a « à plain chantier »
et le vent devint favorable.

Christophe d ' H a r c o u r t lui demanda un jour de


262 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

dire en présence du roi la m a n i è r e d o n t s o n conseil


lui parlait. Le roi joignit ses instances à celles de
de s o n conseiller. « Quand je s u i s peinée, dit-elle,
de ce q u e Ton ne croit pas ce q u e je dis d e la part
de Dieu, je me retire à l'écart et j e prie. Alors j'en­
tends la Voix qui me dit : « Fille de Dieu, va, va,
va, je serai ton aide, va! » E n e n t e n d a n t cette voix,
je ressens une très grande j o i e et j e voudrais ê t r e tou­
j o u r s dans cet état ».

J e a n n e e n t r a à Orléans le vendredi 29 avril 1429


à huit h e u r e s du soir. La ville était assiégée de­
puis le 12 o c t o b r e 1128. L e s Anglais, n o m b r e u x ,
bien p o u r v u s d'artillerie et de p o u d r e , bien garnis
de vivres, l'avaient ceinturée (te bastilles reliées en­
tre elles p u r des c h e m i n s c o u v e r t s . Ils n'avaient
a u c u n d o u t e s u r l'issue d u siège, et la c h u t e de
celle ville, c'était celle du r o y a u m e tout entier.
J e a n n e m o n t é e sur un cheval blanc, faisant porter
son é t e n d a r d devant elle, e n t o u r é e des plus vail­
lants gens de guerre, vit venir au-devant (relie
bourgeois et bourgeoises, p o r t a n t des torches, don­
nant des signes de joie, c o m m e s i s avaient vu Dieu
1
descendre p a r m i e u x . « Enfin, s'écriaient-ils, nous
allons être, p a r le moyen de la Pucelle, délivrés de
nos ennemis ». E t ils la regardaient « m o u l t affec­
tueusement et se sentaient déjà tout réconfortés ».
Le lendemain, 30 avril, la Pucelle fil a u x An­
glais une p r e m i è r e s o m m a t i o n , ils r é p o n d i r e n t par
des m o q u e r i e s et des i n j u r e s : « Vachère, ribaude,
tu seras a r s e f brûlée). »
e r
Le d i m a n c h e 1 mai, elle r e n o u v e l a sa somma­
tion.
Le m a r d i . Tète de l'Invention d e la Sainte-Croix,
1. .TournaI «lu siège d'Orléans.
LE SIÈGE D'ORLÉANS 263

elle assista à la procession. L o r s q u ' o n r e n t r a i t à


la cathédrale, u n d o c t e u r , « très sage h o m m e »,
messire Jean Mascon, s ' a p p r o c h a d'elle et lui dit .
« Croyez-vous vraiment q u e le siège soit levé? —
En nom Dieu, oui, j e le crois. — P o u r t a n t , ils sont
bien fortifies et ce s e r a grande affaire de les
meltre dehors. — Il n'est rien d'impossible à Dieu *,
rcpliqua-t-elle.
Le 4 mai elle enleva la bastille Saint-Loup.
Le 5 mai, fête de l'Ascension fut c o n s a c r é à la
prière. Jeanne reçut la c o m m u n i o n et fit publier
que n u l n'allât le l e n d e m a i n à l'assaut sans s'être
présenté A confesse. Il fut fait c o m m e elle Pavait
ordonné.
La bastille des Augustins élait la plus forte, elle
fut attaquée le 6 mai. Les Français furent repous­
ses. Jeanne r a m e n a ses gens au feu, planta son
étendard sur le fossé et cria : c Allons hardiment,
en nom Dieu. N ' e n doutez pas, la place est n ô t r e ».
La bastille fut prise et livrée aux flammes.
Restait la bastille des Tourelles ou du P o n t : « P a r
mon martin, dit J e a n n e , j ' a u r a i demain les t o u r s
de la bastille du Pont ».
Lorsqu'elle r e n t r a en ville, o n lui fit c o n n a î t r e
que Us capitaines avaient tenu conseil et r e c o n n u
que les Français étaient t r o p peu n o m b r e u x p o u r
tenter l'attaque, qu'il fallait attendre le secours du
roi.
« Vous avez été à votre c o n s e i l ; j ' a i ĆLĆ au mien.
Et croyez que le conseil de m o n Seigneur s'ac­
complira el tiendra, a u lieu que le vôtre périra ».
Puis se t o u r n a n t vers son chapelain, elle dit : c De­
main vous vous lèverez encore plus malin q u e vous
ne Pavez fait a u j o u r d ' h u i . Vous aurez soin de vous
tenir près de moi, c a r J ' a u r a i à exécuter la plu*
26* JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

difficile besogne q u e j ' a i e j a m a i s eue. Demain


il s o r t i r a du sang de m o n c o r p s à la h a u t e u r de
ma p o i t r i n e ».

Le samedi 7 , Jeanne d'Arc entendit la messe,


« reçut en moult grande dévotion le précieux corps
de Jésus-Christ », puis m o n t a à cheval. Son hole
voulut l ' a r r ê t e r p o u r lui faire m a n g e r u n e alose. « En
n o m Dieu, gardez-la p o u r c e soir à souper. Nous
1
repasserons le p o n t et r a m è n e r o n s u n Godon qui
en m a n g e r a sa part ».
La p o r t e de Bourgogne était fermée, h e r s e levée.
Le sire de (îaucourt, c h a r g é d e faire exécuter les
o r d r e s des chefs militaires, fit c o n n a î t r e la consi­
gne à J e a n n e qui arrivait au g a l o p : « Nul ne doit
a u j o u r d ' h u i s o r t i r d'Orléans. — Vous êtes un vilain
h o m m e , q u e vous le vouliez o u non, les gens de
guerre v a u d r o n t el gagneront c o m m e ils ont gagné.
Eu n o m Dieu, je ferai ce q u e j ' a i d i t Qui m'aimera
me suivra ». J e a n n e d u t défendre G a u c o u r l conlrj
les h o m m e s d ' a r m e s e t les bourgeois qui la sui­
vaient. La p o r t e fut o u v e r t e , les F r a n ç a i s passè­
rent la L o i r e et se p o r t è r e n t c o n t r e les Tourelles.
« Ayez b o n c œ u r , l e u r cria J e a n n e et b o n espoir;
vous a u r e z la bastille bien brief ».
L ' a t t a q u e c o m m e n ç a vers dix h e u r e s . J e a n n e fut
blessée a u c o u par une flèche ,comme elle l'avait
prédit. On l'emporta. On mit u n e c o m p r e s s e d'huile
d'olive s u r la blessure. Les Anglais, v o y a n t Jeanne
h o r s de combal, avaient r e p r i s c œ u r , et repoussé
les F r a n ç a i s . Les chefs de ceux-ci voulurent re­
mettre l'assaut au lendemain. J e a n n e revint au feu
et dit à D a n o i s : « Ne vous retirerez pas, en nom
Dieu, vous entrerez bien brief d e d a n s , n'ayez doute ».

1. Sobriquet donné .aux Anglais.


LE SIÈGE D'ORLÉANS .265

La Pucelle alla p r i e r à l'écart l'espace d'un demi-


quart d'heure ; puis se levant : « Ah ! m o n étendard,
mon é t e n d a r d ! cria-t-elle ». Les F r a n ç a i s accouru­
rent à elle. Elle s ' a p p r o c h a d u fossé et dit à Guy de
Cailly : « Donnez-vous de g a r d e q u a n d la queue
de mon étendard t o u c h e r a le m u r d u boulevard ».
— Jeanne, la queue y touche. — Dedans, enfants.
En nom Dieu, ils sont n ô t r e s .
L'assaut fut donné. Les F r a n ç a i s franchirent fos­
sés et murailles c o m m e p a r « miracle de Dieu »
et mirent le feu aux tourelles. L a Pucelle r e n t r a
à Orléans « p a r le p o n t ».
Ix; dimanche 8, les Anglais semblaient se pré­
parer au c o m b a t ; ceutX d ' O r l é a n s voulaient sortir
de la ville : « N'attaquez pas, dit Jeanne. Si les An­
glais attaquent les p r e m i e r s , défendez-vous hardi­
ment ; n'ayez point p e u r et vous les aurez ».
Elle fit avancer les p r ê t r e s et célébrer la messe.
Puis elle l e u r dit : « Regardez si les Anglais tour­
nent vers vous le visage ou le dos ».
Ils tournaient le dos et s'en allaient.
« Eh bien! laissez-les p a r t i r . Et n o u s allons re­
mercier Dieu, c a r c'est a u j o u r d ' h u i d i m a n c h e ».
Et la Pucelle, c h e v a u c h a n t l'étendard en main
au milieu de ses gens, r e n t r a en ville.
Orléans était délivré.
« Il y eut g r a n d e e x a l t a t i o n chez tout le peuple et
merveilleuse l o u a n g e a u x vaillants défenseurs e! sur­
tout à J e a n n e la Pucelle. E t elle dit : « C e n'est
pas moi, c'est Dieu qu'il faut remercier. »
« Et Ton fit procession p o u r regracier Notrc-Sei-
gneur ».
* Orléans délivré, J e a n n e dit à Charles VII : « Gen­
til dauphin, meltez-moi en besogne, c a r je ne du­
rerai gueres, une a n n é e pas b e a u c o u p plus.
266 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

» Gentil sire, venez p r e n d r e votre n o b l e sacre à


Reims : j e suis fort aiguillonnée q u e vous y alliez;
là vous recevrez votre sacre et Ton v e r r a q u e vous
êtes le vrai roi.
Et à l'armée : « P a r m o n m a r t i n , j e conduirai
le gentil roi Charles et sa c o m p a g n i e a u d i t lieu de
Reims, s û r e m e n t el sans d é b o u r b i e r (sans empêche­
ment) et là vous le verrez c o u r o n n e r
Cela dit, elle c o u r t à de nouvelles victoires à Jar-
geau. à Raugency, à P a t a y . Suffolk et Talbot, les
deux g r a n d s capitaines de l'armée anglaise, tombent
aux m a i n s de ses soldats. Auxerre d e m a n d e une
trêve. T r o y e s et Chalons font l e u r soumission : tout
cela en h u i t j o u r s !
* Quand o n lui disait, d é p o s e Paquerel au procès
de réhabilitation, que « on n e vit j a m a i s fait pa­
reil à celui q u e vous accomplissez », elle réjxm-
dait : « Mon Seigneur a un livre s u r lequel ne lit
a u c u n c l e r c quelque parfait qu'il soit en cléricatu-
r c ».
La voici à Reims. Cette ville venait de renou­
veler son s e r m e n t de fidélité à l'Anglais, lui donner
avis de la m a r c h e en a v a n t de Charles VII et lui
d e m a n d e r d ' a r r ê t e r sa course, elle était excellem­
ment bien défendue, Charles VII redoutait une ré­
sistance invincible.
- « N'ayez crainte, gentil d a u p h i n , les bour­
geois viendront au devant de vous. Avant que vous
soyez sous les m u r s de leur ville, ils feront leur
soumission.
- Mais s'ils résistaient, n o u s n'avons ni artillerie
suffisante, ni machine de g u e r r e à m e n e r un siège.
- N ' i m p o r t e ! marchez t o u j o u r s et ne faites doute.
Si vous voulez agir h a r d i m e n t , vous serez bientôt
m a î t r e de loul le r o y a u m e . »
LE SACRE 267

Le 16 juillet au matin, les notables bourgeois de


Reims vinrent r e m e t t r e les clefs d e la ville « es
mains de Charles VII ».
Le soir m ê m e Charles et la Pucelle e n t r è r e n t dans
la ville du sacre.
Les habitants vinrent au devant de l e u r seigneur,
bannières déployées, en c h a n t a n t Noël ! N o ë l ! a u
roi de France. Les Anglais se hâtèrent d e sortir p a r
la porte opix>sée.
Le lendemain, d i m a n c h e , 17 juillet 1129, Charles
VII fut sacré. Les dames de Reims avaient passé la
nuit à p r é p a r e r les o r n e m e n t s .

CIIA1TUHE XLV

LE SACRE

A chaque r e n o u v e l l e m e n t de règne, le s a c r e ve­


nait sceller à n o u v e a u l'alliance contractée e n t r e le
Christ et la F r a n c e . C'était selon la belle et saisis­
sante parole d'Etienne P a s q u i e r « une d e ces com­
munes polices qui sont c o m m e mitoyennes e n t r e le
roy et le peuple, et d'où despend la g r a n d e u r de la
France. »
Par le sacre, n o s r o i s recevaient un droit de
souveraineté «supérieur a u droit h u m a i n qu'ils te­
naient d e l a naissance et d e la constitution nationale.
Ce droit d ' o r d r e s u p é r i e u r l e u r était conféré afin
< qu'ils m i s s e n t les lois civiles en h a r m o n i e avec
l'Evangile e t afin qu'ils aidassent l'Eglise à p r o p a ­
ger le règne d e Dieu. » C o m m e n t ils r e m p l i r e n t ce
268 JEANNE D'ARC, DON DE DIEU

devoir, les faits d u m o y e n âge sont là p o u r le dire,


non p o i n t tels qu'ils s o n t présentés d a n s les ma­
nuels et chez la p l u p a r t de n o s historiens, jusqu'à
ces d e r n i e r s temps, mais tels que l'histoire véridi-
que c o m m e n c e à le dire de n o s j o u r s .
N o u s «vous le récit d u sacre écrit au sortir de la
c é r é m o n i e p a r trois seigneurs angevins à la reine
Marie d'Anjou et à sa m è r e Yolande.
« N o s s o u v e r a i n e s et très r e d o u t é e s Daines, qu'il
plaise à v o u s de savoir q u e h i e r le roi arriva en la
ville <le Reims, o ù il t r o u v a t o u t e obéissance plé-
nière, «et a u j o u r d ' h u i il a été s a c r é et c o u r o n n é ; cela
a été m o u l t belle chose à voir le bel m y s t è r e ; car
il a été aussi solennel, toutes choses o n t été trou­
vées appointées aussi bien c o n v e n a b l e m e n t jxnir
faire la chose, soit c o u r o n n e et h a b i t s r o y a u x el au­
tres choses à ce nécessaires, c o m m e si Ton eût
m a n d é « n an a u p a r a v a n t ; et il y a eu t a n t de gens
que c'est c h o s e infinie à écrire, et aussi la grande
joie q u e c h a c u n y avait.
» Mcsscigncurs les d u c s d'AIenyon, le comte de
G e r m o n t , le comte de Vendôme, les seigneurs de
Laval, le seigneur de la T r é m o u i l l e y ont été en
habits r o y a u x , et m o n s e i g n e u r d'Alcnçou a fait le roi
chevalier. Les dessusdits r e p r é s e n t a i e n t les pairs
de F r a n c e , monseigneur d'Albret a tenu l'épée devant
le roi d u r a n t ledit mystère.
» T o u s les pairs de l'Eglise y étaient avec leurs
crosses et mitres, mcsscigncurs de Reims, d e Chà-
lons qui sont p a i r s ; cl au lieu des a u t r e s les éveques
de Séez et d'Orléans et deux a u t r e s p r é l a t s (les évo-
ques d c L a o n et dc Troyes). C'est Monseigneur de
Reims q u i a fait le m y s t è r e el le sacre q u i lui ap­
partient.
» P o u r aller q u é r i r la sainte Ampoule eu l'abbaye
Lfi SACRE 209

de Saint-Remy et p o u r r a p p o r t e r en la g r a n d e
église de Notre-Dame, o ù a été fait le sacre, furent
ordonnés le m a r é c h a l de Boussac, les seigneurs d e
Rais, (iravelle, et l'Amiral avec l e u r s q u a t r e ban­
nières, a r m é s d e toutes pièces, à cheval, bien ac­
compagnés, p o u r c o n d u i r e l ' a b b é d u d i t lieu q u i por­
tait ladite a m p o u l e , et ils e n t r è r e n t à cheval d a n s
ladite église, et ils d e s c e n d i r e n t à l'entrée d u c h œ u r .
Le service a d u r é d e p u i s neuf h e u r e s j u s q u ' à deux
heures; et à l ' h e u r e q u e le r o i fut sacré, et aussi
quand o n lui assit la c o u r o n n e s u r la tête, tout h o m ­
me cria : « Noël! » et les t r o m p â t e s s o n n è r e n t en
telle manière qu'il semblait q u e les voûtes d e l'église
dussent fendre.
> Et d u r a n t ledit mystère, la Pucelle s'est toujours
tenue joignant d u roi, t e n a n t s o n é t e n d a r d en sa
main; et était m o u l t belle chose d e voir les belles
manières que faisait le r o i et aussi la Pucelle. »
A ce récit si simple et si é m o u v a n t d a n s sa sim­
plicité, ajoutons ces lignes tirées de la Chronique
de la Pucelle :
« Et là était présente J e a n n e la Pucelle tenant
son étendard en sa main, laquelle en effet était
1
cause dudit sacre et c o u r o n n e m e n t . L a sainte Am­
poule fut r a p p o r t é e et c o n d u i t e p a r les dessusdits
en laditte abbaye.
> Et qui eût vu la Pucelle accoler (embrasser) le
roi à genoux p a r les j a m b e s , et baiser le pied, pleu­
rant à chaudes l a r m e s en a u r a i t eu pitié (attendrisse­
ment); et elle p r o v o q u a i t p l u s i e u r s à p l e u r e r en di­
sant : « Gentil roi, ores (à cette heure) est exécuté

1. Dans l'interrogatoire d u 17 mars 1 4 3 1 , ses juges


demandèrent : « Pourquoi l ' a - t - o n porté (l'étendard) à
l'église, lui, et n o n autre? — Il avait été à l a peine
c'était bien raison qu'il fut à l'honneur. »
La Mission de 1« Bse Jeanne d'Arc. 17
270 JEANNE D'ARC» DON DE DIEU

le plaisir de Dieu qui voulait q u e (vous) vinssiez à


Reims recevoir votre digne sacre, en m o n t r a n t que
vous êtes vrai r o i et celui a u q u e l l e r o y a u m e doit
l
appartenir » .

On sait la suite. J e a n n e livrée à l'ennemi par la


t i a h i s o n s'offre à Dieu c o m m e une hostie pure et
consacre sa mission p a r le b a p t ê m e d u sang. Pour
elle c o m m e p o u r le R é d e m p t e u r la m o r t a été la
g r a n d e victoire. « Je sais bien, avait-elle dit, que
les Anglais me feront m o u r i r , croj*ant après ma
m o r t gagner le r o y a u m e d e F r a n c e ; m a i s quand
ils seraient cent mille Godons plus qu'ils n e sont à
présent, ils n ' a u r o n t pas le r o y a u m e . Ecoutez bien :
avant sept ans, ils laisseront un plus g r a n d gage que
devant Orléans (la ville de P a r i s o ù Charles VII
entra t r i o m p h a l e m e n t sept ans a p r è s le sacre) et
finiront p a r p e r d r e t o u t e la F r a n c e . J e dis cela, afin
que q u a n d ce s e r a advenu, on ait m é m o i r e que je
l'ai dit. * Ht six ans après, en l - Œ , Paris, ce « plus
grand gage », tombait aux m a i n s de Charles VII; et en
1558, la b a n n i è r e de F r a n c e flottait s u r les m u r s de
Calais, et les Anglais n e devaient p l u s j a m a i s possé­
der un p o u c e d e la t e r r e française.
L ' a n a t h è m e ]x>rté c o n t r e la F r a n c e a u x jours de
Philippc-le-]Jel était enfin levé. La F r a n c e était ren­
due à elle-même, elle p o u v a i t r e p r e n d r e le cours
de ses nobles destinées.

1. I.f.s mémos paroles pont rapportées dans le Journal


du siàyo d'Orléans.
SON GÉNIE MILITAIRE 271

CHAPITRE XLVI

LE G É N I E M I L I T A I R E DE LA SAINTE PUCELLE

Depuis 1 8 8 9 , h u i t officiers o n t publié des études


sur la carrière militaire de J e a n n e d'Arc : le capi­
taine P. Marin, en 1 8 8 9 et 1 8 9 0 ; le capitaine d e Pi-
modan, en 1 8 9 1 ; le général Davout, en 1 8 9 2 ; le gé­
néral russe Dragomiroff, en 1 8 9 8 ; le capitaine Cham­
pion, en 1 9 0 1 ; le général Canonge, en 1 9 0 3 ; le com­
mandant V . . . , en 1 9 0 6 ; le général Le Maître en 1 9 0 8 .
Le caractère spécial d'un de ces o u v r a g e s n e com­
portant pas de profession de foi, on d e m e u r e en
présence de sept officiers d o n t cinq croient ferme­
ment à la mission s u r n a t u r e l l e de J e a n n e et l'ont
déclaré sans ambiguïté. E l de fait, celte carrière mi­
litaire est d'un caractère si merveilleux qu'à elle
seule, en d e h o r s de tout ce que n o u s avons déjà vu,
elle suffirait à m o n t r e r d a n s la Pucelle I'ENYOYÉE
DE DIEU.

Le p r o g r a m m e qu'elle s'est fixé est ferme d a n s


son ensemble, et complexe d a n s les détails : faire
lever le siège d'Orléans investi depuis plus d e six
mois p a r les Anglais, q u i e s c o m p t a i e n t avec impatien­
ce la prise de cette cité, i m p o r t a n t e p o u r eux puis-
quelle établissait la c o m m u n i c a t i o n e n t r e P a r i s alors
>

en leur possession, et le Midi de la F r a n c e ; puis il


fallait que l'armée royale s ' e m p a r â t des places occu­
pées p a r l'ennemi d a n s la H a u t e - L o i r e ; enfin, et
le terrain se t r o u v a n t d e v e n u libre, d a n s la direc­
tion du nord-est, p r e n d r e c o m m e point d e direction
Heims, o ù le Roi, suivant l ' a n t i q u e usage serait enfin
sacré. P o u r a r r i v e r ù ce résultat s u p r ê m e , il y
f
272 LE DON DE DIEU : JEANNE D ARC

avait e n c o r e à s o u m e t t r e t o u t le p a y s de la vallée
m o y e n n e d e la Seine o c c u p é en g r a n d e partie, par
les t r o u p e s d u d u c de Bourgogne, allié de l'Angle­
terre.
C o m m e n t , avec cpiel génie el sous quelle inspi­
ration cette j e u n e fille a c c o m p l i t - e l l e un pareil po-
l î n u a n i c ? Des militaires v o n t n o u s le dire.
Citons d ' a b o r d un passage des r e m a r q u a b l e s tra­
vaux d u c a p i t a i n e Paul Marin : « . . . C e q u i est clair,
c'est q u e sa p u i s s a n c e ne lui est v e n u e n i p a r l'exer­
cice d e la g u e r r e , ni p a r la l e c t u r e des campagnes
passées, ni p a r la c o n v e r s a t i o n des capitaines éprou­
vés. Et p u i s à q u o i bon c h e r c h e r la source de
celte science i\o. la g u e r r e ? Dieu confia à J e a n n e ces
d o n s p o u r q u ' e l l e put r é a l i s e r la mission, à la­
quelle s e s Voix Pavaient désignée. N'est-ce pas quel­
q u e chose q u e de savoir ce p o u r q u o i ? Est-il b e a u c o u p
de d o n s de Dieu, dont on puisse dire a u t a n t que de
ce d o n des a r m e s accordé à la P u c e l l e ? *

Le général Davoul, é c r i v a n t à M. J o s e p h Fabre


le 21 juin 18i)2, disait : Jeanne d'Arc a été bien
rnidcmnwnl suscitée par Dieu pour sauver la France.
Quand j ' é t a i s en garnison à O r l é a n s , j ' a i suivi Jeanne
pas à pas, s u r le terrain de ses i n a r c h e s el contre­
9
m a r c h e s , el j e suis a r r i v é à celle conclusion au elle
avait atfi en général consommé. » De fait, en quatre
mois, du 10 m a r s 1 J2S>. j o u r où elle a été présentée à
Charles VII, au "17 juillet de la m ê m e année, jour
du sacre, J e a n n e a a c c o m p l i l ' u n e des plus belles
épopées (pic rhi.sloire h u m a i n e puisse présenter à
notre a d m i r a t i o n . Le général D a v o u l ajoutait : « F n
pareil jugement présenté au p u b l i c d'aujourd'hui,
soulèverait s a n s doute bien des s o u r i r e s , et cepen­
d a n t il est, je emis, conforme à la Vérité. »
SON GÉNIE MILITAIRE 278

Le général L e Maître, d a n s la préface de son petit


livre : J E A N N E D ' A R C . Exposé des faits qui révèlent
sa mission providentielle, dit aussi : « Officier supé­
rieur, je m e t r o u v a i à O r l é a n s , s u r le t h é â t r e des
plus é t o n n a n t s exploits d e la P u c e l l e . Après avoir p a r ­
couru le t e r r a i n , pas à pas, j ' a c q u i s cette convic­
tion, q u e le p l u s g r a n d Génie n ' a u r a i t pu, ni fairs
exécuter, ni m ê m e , c o n c e v o i r ces attaques, qui, tou-
jours, d o n n a i e n t une victoire complète, et, d'avan-
ce, annoncée p a r J e a n n e . » J e m e décidai à décrire,
en traits r a p i d e s , l a vie de J e a n n e d'Arc p o u r dé­
montrer q u e sa mission, telle q u e la r a c o n t e l'his­
toire, ne pat s'accomplir que par des moyens SURNA­
TURELS, y
Le général F r é d é r i c C a n o n g e d o n n e ainsi son opi­
1
nion :
« Née le G j a n v i e r 1112, elle était Agée de moins
de 17 a n s et 4 mois, l o r s q u ' e l l e vint a Blois pour y
prendre le c o m m a n d e m e n t de l ' a r m é e . Son enfance
s'était écoulée à la c a m p a g n e , partagée e n t r e les
soins d u ménage, la p r i è r e et la surveillance d'un
petit troui>eau. Fille d e simples cultivateurs, elle
ne pouvait a v o i r q u e d e s r e l a t i o n s modestes qui ne
purent lui p r o c u r e r u n e i n s t r u c t i o n militaire a p p r é ­
ciable. N o n s e u l e m e n t elle n e reçut a u c u n e leçon sur
les choses d e la g u e r r e , m a i s ne s a c h a n t ni A ni R,
ni lire ni écrire, elle n e p u t s'initier p a r l'étude à
leur c o n n a i s s a n c e m ê m e superficielle. Bonne, sim­
2
ple, douce, pieuse et très c h a r i t a b l e elle paraissait
destinée a u x y e u x de t o u s ceux qui n'étaient pas au
courant d ' u n e lutte i n t é r i e u r e d e plusieurs années,
à vivre c o m m e une p a y s a n n e .

I. J e a n n e d'Arc guerrière, éfudo uiilituire a v e c cinq


partes ou p l a n s . P a g e s 1 0 3 - 1 2 7 .
lî. Voir l e s d é p o s i t i o n s d e s t é m o i n s au procès de
réhabilitation.
274 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC

» L e s voyages de N c u f c h â t e a u , T o u l , Vaucouleurs,
Burcy, Sermaize, N a n c y , faits à cheval, a v a i e n t don­
né à l a j e u n e fille u n e c e r t a i n e h a b i t u d e d e l'équi-
tation, m a i s n'avaient p u lui a p p r e n d r e à c o u r i r et
à m a n i e r la lance, ainsi q u ' e l l e le fit à C h i n o n sous
les y e u x d u D a u p h i n et d u d u c d'Alcnçon, avant
d'être e n v o y é e à Poitiers. Il est p r e s q u e i n u t i l e d'a­
j o u t e r q u e , a n t é r i e u r e m e n t a u siège d ' O r l é a n s , Jean­
ne n ' a v a i t p u a c q u é r i r a u c u n e e x p é r i e n c e d o la
guerre.
» A la fin de mai M30, a u m o m e n t où son rôle mi­
litaire se t e r m i n e d e v a n t C o m p i è g n c , elle comptait à
peine 18 a n s et 5 mois.
» Aucun des éléments é n u m é r é s ci-dessus ne per­
met d e c o m p r e n d r e c o m m e n t u n e j e u n e fille chez
l a q u e l l e la p r é p a r a t i o n fut n u l l e a p u j o u e r u n pa­
reil rôle militaire, qui d e m e u r e un fait u n i q u e , dans
une é p o p é e s u b l i m e dont t o u s les actes s o n t histori­
ques et q u ' a u c u n e légende n'a amplifiée. L'Age sur­
tout a u g m e n t e les difficultés d u p r o b l è m e q u i se dres­
se d e v a n t t o u t e p e r s o n n e de b o n n e foi. Ce n'est pas à
un Age aussi t e n d r e q u e Ton se révèle d ' e m b l é e par­
fait s o l d a t et général c o n s o m m é .
» Où t r o u v e r l'explication de ce p h é n o m è n e unique
d a n s l'histoire d u m o n d e ? O ù ? si ce n'est en écou­
tant J e a n n e s'en e x p l i q u e r e l l e - m ê m e . »
Le général F r é d é r i c C a n o n g c r a p p o r t e les paroles
d e J e a n n e q u i toutes d é c l a r e n t q u ' e l l e n'agissait
pas d'elle-même, mais s o u s l ' i n s p i r a t i o n et l'impul­
sion d e Dieu :
« Dès son arrivée à C h i n o n elle affirme qu'elle est
appelée de par Dieu a s a u v e r le r o y a u m e , à déli­
v r e r O r l é a n s , à m e n e r s a c r e r le D a u p h i n a Reims.
» Aux seigneurs et aux gens d'Eglise q u i la ques­
tionnent, elle r é p o n d : « J e suis ici d e p a r le Roi
SON GÉNIE MILITAIRE 275

des cieux. Il m ' a d o n n é des Voix et u n Conseil qui


me disent ce q u ' i l m e faut faire. »
» A Poitiers, ses r é p o n s e s p r o c è d e n t toutes de la
même conviction : c Vous êtes v e n u s p o u r m'inter-
roger, moi, q u i n e sais ni A n i B ; m a i s j e sais q u e
je viens de la part du Roi des cieux p o u r faire lever
le siège d ' O r l é a n s et m e n e r s a c r e r le D a u p h i n à
Reims. »
» De la s o m m a t i o n en règle q u ' e l l e adresse le
25 avril, de Blois, a u d u c d e Bedford : « J e suis
chef de guerre et envoyée par Dieu, le Roi d u ciel,
pour vous jeter h o r s d e t o u t e F r a n c e . >
Le général p o u r s u i t ces citations, inutile de les
reproduire t o u t e s ; d o n n o n s c e p e n d a n t e n c o r e celle-
ci :
' Le soir d u C m a i , l o r s q u ' u n chevalier vient
lui annoncer à O r l é a n s q u e les c a p i t a i n e s ont d é ­
cidé, après son Hépart, de s u r s e o i r à l'attaque des
Tourelles, j u s q u ' à l ' a r r i v é e des renforts attendus,
elle lui r é p o n d avec vivacité d e v a n t F r è r e Paquerel,
son a u m ô n i e r : « Vous avez été a votre conseil,
et moi aussi j ' a i été au m i e n . Or sachez q u e le Conseil
de mon Seigneur s ' a c c o m p l i r a et tiendra, taudis que
le vôtre sera vain. P a r m o n Martin, fmirai celte
bastille imprenable et j e r e n t r e r a i en ville p a r les
ponts. »
« Cette explication d e son œ u v r e donnée p a r
Jeanne elle-même « son conseil » est la seule a d ­
missible. » Le général C a n o n g e e x a m i n e les diverses
explications q u i o n t é t é données p a r ceux qui ne
veulent point se r a l l i e r à celte solution. Elles n'ex­
pliquent rien, p a s m ê m e l a plus sérieuse : « le sen­
timent de révolte p a t r i o t i q u e » ; son impuissance à
produire u n tel p r o d i g e est manifeste. « Notre
pays, dit-il, n o u s a f o u r n i r é c e m m e n t , h é l a s 1 u n e
La M i l i o n de la Bse Jeanne d*Arc. *7 l»s
276 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC

p r e u v e de relie i m p u i s s a n c e . E n 1429, le patrio­


tisme c o m m e n ç a i t a n a î t r e . En 1870, il était, on
peut l ' a d m e t t r e , plus éclairé, plus a r d e n t , plus ré­
p a n d u . On l'a vu à l ' œ u v r e n o b l e m e n t , héroïque­
m e n t p a r f o i s ; c e p e n d a n t il n'a p a s fait surgir chez
n o u s un libérateur, ce s a u v e u r q u e toujours le
peuple appelle de ses vœux el a t t e n d d a n s les jours
d'épreuve, de détresse. Si réellement ce patriotisme
a p r o d u i t u n m i r a c l e à son b e r c e a u , pourquoi le
p r o d i g e ne s'esl-il pas renouvelé alors q u e la France
était aux a b o i s ? . . .
» Non, les r a i s o n s h u m a i n e s alléguées n e permet­
tent p a s d ' e x p l i q u e r c o m m e n t J e a n n e p a r v i n t à rem­
porter, c o u p s u r coup, des victoires qui, toutes, né­
cessitaient r e m p l o i c o n s c i e n t des p r i n c i p e s appli­
q u é s p a r les g r a n d s capitaines.
» Si l'on admet, en principe, q u e Dieu a voulu
s a u v e r la F r a n c e en p e r d i t i o n et q u ' i l a choisi,
c o m m e i n s t r u m e n t de ses m y s t é r i e u x desseins, notre
h é r o ï n e , la l u m i è r e jaillit aussitôt. »

L e g é n é r a l C a n o n g e c o n c l u t ainsi son étude :


« N o u s mous s o m m e s b o r n é jusqu'ici à enregistrer
i m p a r t i a l e m e n t les faits. Le m o m e n t est v e n u d'en
d é g a g e r les e n s e i g n e m e n t s qu'ils c o m p o r t e n t el do
c h e r c h e r à d é t e r m i n e r le p o u r q u o i de s u c c è s aussi
c o n t i n u s et c o m p l e t s p e n d a n t toul le t e m p s où l'hé­
r o ï n e jouit de sa l i b e r t é d'action. Certes, s'il s'agis­
sait d'un soldat de profession, la c o n c l u s i o n serait
facile; o n n ' a u r a i t q u ' à le classer au p r e m i e r rang
des capitaines d o n t l'histoire a enregistré les hauts
faits... Chez J e a n n e , la c o n c e p t i o n et l'exécution mar­
chent d e pair. La c o n c e p t i o n a p o u r dominante
l'offensive a u d a c i e u s e et persévérai île, telle, en som­
me, q u ' o n l ' a d m e t d e p u i s Najwlćon, celle qui fixe
SON GÉNIE MILITAIRE 277

l'ennemi, s a n s lui laisser le temps d e se r e c o n n a î t r e ,


le brise m a t é r i e l l e m e n t et s u r t o u t moralement. L'exé­
cution est fougueuse niais p r o p o r t i o n n é e aux cir­
constances. Ainsi q u e Ta dit e x c e l l e m m e n t le général
Dragomiroff, J e a n n e a été à l a fois, « le plus sage
des conseillers et des capitaines, un logicien fécond
dans la dispute, u n m o r a l i s t e p r o f o n d é m e n t versé
dans la c o n n a i s s a n c e d u c œ u r h u m a i n . > Elle s'est
montrée tacticienne c o n s o m m é e dès le début et j u s ­
qu'à la fin de sa c a r r i è r e .
» Qu'elle ait p o s s é d é des q u a l i t é s de stratégiste,
cela est fort p r o b a b l e ; m a i s elle n ' a pas eu occasion
de les m o n t r e r au g r a n d j o u r de l'épreuve. Cela n'a
pas dépendu d'elle, m a i s du genre de guerre que les
circonstances lui i m p o s a i e n t . Cette réserve ne porte
aucune atteinte à son c o u p d'œil militaire, à son
esprit de décision, à s o n o p i n i â t r e t é admirable, en
un mot, à son génie. Elle laisse s u r t o u t h o r s d e
toute discussion sa puissante influence morale que
peu de g r a n d s capitaines, d'ailleurs, ont possédée
au même degré. Ils n e la p o s s é d è r e n t q u ' a p r è s Lavoir
méritée et gagnée peu à p e u p a r p l u s i e u r s années
de guerre et d e succès. L a P u c e l l e l'obtint d'em­
blée. L ' a s c e n d a n t qu'elle exerça s u r ses troupes n e
saurait ê t r e c o m p a r é à a u c u n a u t r e . . . Soldat, je
me déclare i n c a p a b l e de r é s o u d r e , h u m a i n e m e n t p a r ­
lant, le p r o b l è m e m i l i t a i r e de J e a n n e d'Arc. »
Ainsi p a r l e le g é n é r a l Canonge. iVest-ce point le
langage de la saine r a i s o n , et n e s'impose-t-il point
à tout h o m m e d é p o u r v u de préjugés ou qui ne r e ­
fuse point de se d é b a r r a s s e r de ceux q u i le tiennent?

De l'étude du général russe D r a g o m i r o w , ce « dia­


ble au c o r p s » d o n t l'action d é t e r m i n a a u t o u r de lui
de si fiers élans a u x j o u r s les p l u s é m o u v a n t s de la
278 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC

g u e r r e t u r c o - r u s s e , n o u s n e r e t i e n d r o n s q u e quelques
lignes.
Michelct a d o n n é de l ' e x t r a o r d i n a i r e victoire de
J e a n n e d'Arc cette explication « le b o n s e n s ». Ce
m o t suffoque le général et il en fait ainsi j u s t i c e :
« Le b o n sens a u r a i t suggéré ces d é m a r c h e s en
a p p a r e n c e d é s e s p é r é e s qu'elle tenta c o n t r e les An­
glais, c o n t r e des a r m é e s cent a n s invincibles, avec
des t r o u p e s q u i en t o u t e r e n c o n t r e a v a i e n t éprouvé
ce p o u v o i r v i c t o r i e u x ! Mais ce b o n s e n s préjuge
lui eût p l u t ô t conseillé le c o n t r a i r e , à savoir ce
qu'il p e r s u a d a i t j u s t e m e n t a u x favoris d e Charles VII
o u à ses e x p é r i m e n t é s capitaines et qu'il continua de
leur p e r s u a d e r l o n g t e m p s a p r è s q u e J e a n n e eut
fait v o i r q u e les Anglais n'étaient p a s tellement re­
d o u t a b l e s . . . Quelle p a r t le bon sens a-t-il d a n s tout
cela? Et n'est-ce pas enfin le m i r a c l e des miracles
q u ' u n e simple p a y s a n n e , a peine sortie d e l'adoles­
cence, vienne se m e t t r e a la tête des s o l d a t s d'alors,
mieux encore, des capitaines, t o u t pleins de leur or­
gueil n o b i l i a i r e et r i c h e s d e l e u r e x p é r i e n c e mili­
taire, qu'elle soit l e u r c h e f ? et quel c h e f ! »

CHAPITRE XLVII

LE GÉNIE MILITAIRE D E LA SAINTE PUCELLE


(suite)

Du sentiment de ces h o m m e s d e g u e r r e il con*


vient de r a p p r o c h e r celui d'un savant théologien.
Le Hénédiclin Dom H e n r i Lcclercq a consacré la
SON GÉNIE MILITAIRE 279

moitié du sixième volume, Les Martyrs, h Jeanne


d'Arc. D a n s VIntroduction de ce livre il soulève
cette très i n t é r e s s a n t e question, ou plutôt il for­
mule cette affirmation :
« Jeanne d'Arc occupe d a n s l'histoire h u m a i n e une
place unique. E t q u ' o n veuille bien songer à la force
de ce mot unique. P o u r lui d o n n e r sa mesure, son­
geons aux r e n c o n t r e s auxquelles . il peut s'appli­
quer. P a r t o u t n o u s d é c o u v r o n s des groupes plus ou
moins illustres, plus o u m o i n s n o m b r e u x : Martyres,
vierges, veuves, pénitentes, reines, princesses, gran­
des dames et f e m m e s d u peuple, contemplatives,
gardes-malades et éducalrices, elles sont légion. L'in­
tarissable sève de la grâce c h r é t i e n n e coule à flots
et s'épanche, diversifiant à l'infini les opérations
dans les âmes, m a i s les r e v ê t a n t toutes d'une splen­
deur qui tire de la m u l t i t u d e m ê m e qu'elle illumine
une grande p a r t de son éclat.
» Dans l'histoire e n t i è r e d u christianisme, deux
femmes s e u l e m e n t se p r é s e n t e n t à n o u s avec une
gloire, un c a r a c t è r e unique : la Vierge Marie et
Jeanne d'Arc : la V I E R G E - M È R E et la VIERGE GUER­
RIÈRE I N S P I R É E . N u l n e peut s o n g e r à instituer une
comparaison e n t r e la Mère d e Dieu et celle qui.
en aucune m a n i è r e , n ' a été élevée à u n e dignité de
même n a t u r e . Il n e s'agit d o n c p a s d ' e n t r e p r e n d r e
l'impossible, m a i s d e situer J e a n n e d'Arc à son
rang historique d a n s l ' h u m a n i t é . »
> L'histoire de l'Eglise n o u s m o n t r e n o m b r e de
« Vierges inspirées », de vierges chrétiennes, favo­
risées de c o m m u n i c a t i o n s s u r n a t u r e l l e s les plus re­
levées et les plus a u t h e n t i q u e s . Elles ont un trait
commun, la profession religieuse vouée, p o u r le plus
grand n o m b r e d ' e n t r e elles. J e a n n e d ' A r c n'est point
nonne, elle n e p o r t e ni guimpe, ni robe de bure,
ł
280 LE DON DE DIEU : JEANNE D ARC

niais une cuirasse, des c h a u s s e s et u n c a s q u e ; elle


prie, veille et j e u n e , tandis qu'elle m è n e des gens
de g u e r r e , m o n t e à l'assaut et livre d e s batailles;
elle règle ses actions d ' a p r è s des commandements
dont le c a r a c t è r e s u r n a t u r e l s'offre à n o u s dans des
c o n d i t i o n s u n i q u e s de vérification el d e certitude. »
N o u s avons e n t e n d u ci-dessus d e s h o m m e s de
guerre de n o i r e t e m p s n o n seulement e x p r i m e r leur
a d m i r a t i o n p o u r le génie militaire d o n t J e a n n e d'Arc
a fait p r e u v e avant c o m m e a p r è s le s a c r e d e Reims,
mais c o n c l u r e e x p r e s s é m e n t q u e l'explication sur­
naturelle d o n n é e p a r J e a n n e e l l e - m ê m e à son œu­
vre est la seule admissible. D o m II. L e c l e r c q rap­
p o r t e les témoignages c o n f o r m e s d e i c o n t e m p o r a i n s
de la Pucelle.
T
*. l n dominicain, frère I s a m b a r d de l a Pierre, qui
assista J e a n n e le j o u r de son supplice, a déposé que
« p a r m i les n o m b r e u x p r o p o s de J e a n n e en son pro­
cès, je r e m a r q u a i , dit-il, ceux qu'elle tenait sur
le r o y a u m e et sur ta guerre. Elle semblait alors
inspirer, /far l'Esprit-Saint ». * II y a, dit Dom
Leclercq, d a n s ces quelques paroles, a u x q u e l l e s per­
sonne ne semble avoir p r i s garde, u n e curieuse in­
dication au point de vue des o p é r a t i o n s surnaturel­
les d a n s l'intelligence h u m a i n e . P o u r lui donner
quelque chose de sa valeur, recueillons d'autres
témoignages c o n t e m p o r a i n s .
- Et d ' a b o r d celui d'un m a î t r e : D u n o i s . « En ar­
rivant devant Troyes, J e a n n e vint a u c a m p , dressa
la tente p r è s du fossé et fit si merveilleuses dili­
gences que tant n'en a u r a i e n t pu faire d e u x ou trois
h o m m e s de guerre des plus e x p é r i m e n t é s et des plus
fameux. Elle besogna tellement p e n d a n t cette nuit
que, le lendemain, la ville n'eut p a s d ' a u t r e s res­
sources que de se r e n d r e ».
SON GÉNIE MILITAIRE 281

» Le d u c d'Alcnçon, général en chef : « Dans le


fait de la g u e r r e , J e a n n e était fort experte, tant
pour m a n i e r la lance que p o u r r a s s e m b l e r une ar­
mée, o r d o n n e r un c o m b a t et faire usage de l'artil­
lerie. T o u s s'émerveillaient d e voir que dans les
choses militaires, elle agit avec a u t a n t de sagesse
el de p r é v o y a n c e q u e si elle e û t été un capitaine
ayant fait la g u e r r e p e n d a n t vingt ou trenie a n s .
C'était s u r t o u t au m a n i e m e n t d e l'artillerie q u e l l e
s'entendait ».
» Nous p o u r r i o n s , ajoute Dom IL Leclercq, citer
d'autres témoignages ; ceux de S i m o n Charles, d e
l
Pierre Milel, d'Aignan Viole , de T h i b a u l d d'Arma­
gnac, el m ê m e celui d'un c h a n o i n e , Roberl de
Fareiaux »... Mais c'est Dunois, un témoin ocu­
laire, qui a galopé botte à b o t t e a v e c Jeanne, qui
Va entendue d a n s le conseil e l vue sur le terrain,
Dunois qui a eu à s u r m o n t e r ses p r o p r e s préven­
tions contre la jeune fille qu'il faut entendre :
« Les faits e t gestes de .Jeanne d a n s la guerre, dé­
pose-t-il au p r o c è s de réhabilitation, me semblent
procéder, non d'industrie h u m a i n e , m a i s de conseil
divin. Ce que je vais dire expliquera m a créance ».
Et il r a c o n t e n o m b r e de faits p o u r prouver son dire.
Dom IL Leclercq conclut : « P a r m i tant d'ou­
vrages inspirés p a r l ' e x t r a o r d i n a i r e j e u n e fille, très
peu se sont a t t a c h é s à faire r e s s o r t i r l'importance
sans égale de la vie d e J e a n n e d'Arc au point de
vue des o p é r a t i o n s s u r n a t u r e l l e s d a n s l'intelligence
humaine... L a possibilité m ê m e d e l'initiation mira-

1. Maître A i g n a n V i o l e s'exprime a i n s i : « Jeanne


était aussi exporte que possible d a n s l'art d'ordouner
une a n n é e en bataille, et uaeme un c a p i t a i n e nourri et
élevé dans 3a guerre n'aurait su montrer tant d'habileté;
de quoi \ea capitaines é t a i e n t singulièrement émer-
veillé* ».
282 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC

culeuse de l'intelligence en m a t i è r e d ' a r t militaire


n ' a pas été indiquée, ni s o u p ç o n n é e , peut-être, par
l ' a u t e u r d'un livre devenu classique s u r la Mystique
divine, M. le c h a n o i n e Ribet ».
Celte élude se fera n é c e s s a i r e m e n t et t a n d i s que
les s a v a n t s s c r u t e r o n t ce m y s t è r e qui l e u r donnera
de l'action de Dieu sur la Pucelle u n e connaissance
plus approfondie, la multitude, i n c r o y a n t s aussi bien
q u e c r o y a n t s , fixera, avec u n é l o n n c n i c n t de plus
en plus grand, son r e g a r d s u r celle q u e des h o m m e s
de guerre, tels q u e ceux que n o u s a v o n s cités, lui
présentent c o m m e un prodige inexplicable.
III

L'ŒUVRE STABLE

C H A P I T R E XLVIII

L'AME D E LA F R A N C E REFORGÉE.

Par la glorieuse c a m p a g n e de 1129 et surtout par


le sacre de C h a r l e s VII, la d o m i n a t i o n étrangère en
France avait été frappée à m o r t . Quoique n ' a y a n t
pu être atteint q u e plus tard, le plein résultat pour
lequel J e a n n e avait c o m b a t t u ne faisait plus doute, il
était obtenu e n principe, et d e fait à moitié ac­
compli. « J e a n n e , dit M. H a n o t a u x , a p a r c o u r u tout
la royaume, d e N a n c y à P o i t i e r s , d e La Charité à
Rouen, p o u r poser p a r t o u t les j a l o n s de la prochaine
délivrance. Ce qui était F r a n c e , elle Ta mis sous sa
sauvegarde. Celte fille des Marches d e Lorraine a
longé le rivage de la mer, de Saint-Valéry à Dieppe,
fare à l'Angleterre, c o m m e si elle voulait relever
elle-même les frontières des deux r o v a u m e s ».
Quoi de plus a d m i r a b l e q u e le spectacle de cette
petite paysanne, a r r a c h a n t e n q u e l q u e s mois un
royaume tel q u e la F r a n c e à u n p e u p l e victorieux
qui en regardait la possession c o m m e assurée I Pareil
284 LE DON DE DIEU : JEANNE D ARC

fait 1 1 a t r o u v é q u ' u n e fois place d a n s les annales


humaines.
J e a n de Sèvres, d a n s son Inventaire panerai de
VHistoire de France, 1.VJ9, a p r è s avoir dit qu'elle
servit la Krańce un an, constate q u e p a r ce court
service, clic laisse u n e m é m o i r e de louange im­
mortelle p o u r avoir été uu tant et utile instrument
p o u r la délivrance de n o t r e p a t r i e l o r s q u ' e l l e esloit
au b o r d d e sa ruine ». Ce q u e la Pucelle a fait
t r i o m p h e r d ' a b o r d , c'est d o n c l ' u n i t é et l'indépen­
dance française personnifiées d a n s l'héritier direct
et légitime d e la dynastie c a p é t i e n n e .
Quelque g r a n d , q u e l q u e i n c o m p a r a b l e d a n s l'his­
toire q u e fut ce service, il en est d ' a u t r e s plus grands
cl qui appellent une r e c o n n a i s s a n c e p l u s profonde.
M. I l a n o l a u x i n d i q u e le p r e m i e r , — car il en est
d ' a u t r e s — l o r s q u e m o n t r a n t « J e a n n e d'Arc et
le rôle de la F r a n c e d a n s le m o n d e » il dit :
« Mais n'a-t-ellc p a s fait q u e l q u e c h o s e d'infiniment
au-dessus de toute réalisation m a t é r i e l l e EN HKI-OH-
GEANT l / A M E FRANÇAISE DE SON T E M P S HT I)K TOUS
L E S TKMPS? »
T a n d i s q u e sa main écrivait ces lignes. M. Hanotaux
avait-il «dans sa tète la pleine vision de ce qu'elles
n o u s «disent a nous, enfants d e la F r a n c e catholique?
Oui, la F r a n c e a u n e Ame, et la sainte Pucelle
f
l'a « reforgée ». — « Dieu, dit l A p ô t r e saint Paul,
qui a fait s o r t i r d'un seul tout le genre humain,
et qui lui a d o n n é le globe e n t i e r p o u r demeure, a
d é t e r m i n é te temps de l ' a p p a r i t i o n d e c h a q u e peuple
et lui a m a r q u é le lieu de son établissement. »
Rappelant celle parole, le c a r d i n a l P i e la fait suivre
de celte o b s e r v a t i o n : « Certes Je naturalisme
politique, c o m m e le fatalisme h i s t o r i q u e trou­
vent ici u» terrible c o n t r a d i c t e u r . Au jugement du
L'AME DE LA FRANCE KEF0RGÉE 285

Docteur des n a t i o n s , l a Providence a fixé l'heure


de chacune d'elles, a assigné leurs frontières, déter­
miné l e u r rôle, réglé leur d u r é e et l e u r p a r t (Tac-
lion dans l ' œ u v r e générale, et elle les jugera un j o u r
selon qu'elles a u r o n t plus o u m o i n s coopéré au b u t
pour lequel elles o n t été posées ».

Qu'est l ' â m e de la F r a n c e ? Qu'est-ce qui la ca­


ractérise? Qu'est-ce qui a été en n o u s le germe
fécond de toute n o t r e vie n a t i o n a l e ? Joseph d e
Maislre va n o u s le d i r e .
c II y a d a n s le g o u v c r n e m e n l national et dans
les idées n a t i o n a l e s d u peuple français, je ne sais
quel élément théocratique et religieux qui se retrouve
toujours. Le F r a n ç a i s a besoin de la religion plus
que tout a u t r e h o m m e ; s'il e n m a n q u e , il n'est pas
seulement affaibli, il est mutilé. Voyez son histoire.
Au gouvernement des Druides qui pouvaient tout, a
succédé celui des évêques qui furent c o n s t a m m e n t b

mais bien plus dans l'antiquité q u e d e nos j o u r s


• les conseillers d u roi en tous ses conseils ». Les
évêques, c'est Gibbon qui l'observe, ont fail le
royaume de F r a n c e : rien n'est plus vrai. Les
évêques ont construit celte m o n a r c h i e comme les
abeilles construisent u n e r u c h e . L e s druides chré-
tiens, si je p u i s m ' e x p r i m e r ainsi, y jouaient le
premier role. Les formes avaient changé, mais tou­
jours on retrouve la m ê m e n a t i o n . Le sang teuton
qui s'y mêla p a r la conquête assez pour donner
sou nom à la F r a n c e , d i s p a r u t presqu'cntiôrement à
la bataille de F o n l e n o i (841), et n e laissa que des
Gaulois. La preuve s'en trouve d a n s la langue.
L'élément teuloniquc est à peine sensible dans la
langue française...
» L'élément romain, naturalisé d a n s les Gaules,
286 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC

s ' a c c o r d a fort bien avec le d r u i d i s m e q u e le chris­


tianisme dépouilla de ses e r r e u r s et d e sa férocité,
en laissant subsister u n e c e r t a i n e r a c i n e qui était
b o n n e ; et d e tous ces cléments il résulta une nation
e x t r a o r d i n a i r e , destinée à j o u e r un rôle étonnant
parmi l e s a u t r e s , el s u r t o u t à se t r o u v e r à la tête
du s y s t è m e religieux e n E u r o p e .
» Le c h r i s t i a n i s m e pénétra de b o n n e heure les
F r a n ç a i s avec une facilité cpii ne pouvait être que
le r é s u l t a i d ' u n e affinité particulière. L'Eglise gal­
licane n ' e u t p r e s q u e pas d ' e n f a n c e ; p o u r ainsi dire,
en naissant, elle se trouva la p r e m i è r e d e s Eglises
nationales e l le plus ferme a p p u i de l'unité.
» Les F r a n ç a i s c u r e n t l ' h o n n e u r u n i q u e , et dont
ils n'ont p a s été à b e a u c o u p p r è s assez orgueilleux,
celui d ' a v o i r constitué ( h u m a i n e m e n t ) l'Eglise ca­
tholique d a n s le monde, e n élevant son auguste
chef au r a n g i n d i s p e n s a b l e m e n l dû à ses fonctions
divines, el sans lequel il n'eût été q u ' u n patriarche de
Constanlinople, déplorable jouet des sultans chrétiens
et des a u t o c r a t e s m u s u l m a n s ».
Sur ces dispositions naturelles el providentielles
vint se greffer l'appel d e Noire-Seigneur Jésus-Christ
au b a p t i s t è r e de Reims, appel auquel Francs, Gau­
lois ict r o m a i n s réjyondirent d ' u n m ê m e c œ u r pour
former celte nation qui, e n p r o c l a m a n t le Christ
dont elle s e sentait aimée, Vimt Chrislns qui amat
Fmneos, m a r c h e r a i t à la tête de la civilisation dont
le s e r m o n sur la montagne avait tracé le programme,
Cette civilisation était l'œuvre des p r ê t r e s qui avaient
prêché les enseignements du Christ, c'était l'œuvre
des rois qui les avaient fixés d a n s los institutions
nationales, c'était par-dessus tout l'œuvre de Dieu
qui avait prédestiné la F r a n c e à rétablissement
de son règne.
L'AME DE LA FRANCE REFORGÉE 287

* Eu vous, n o u s dit un j o u r le cardinal Mer-


millod, la cité h u m a i n e s ' h o n o r e d'une noble al­
liance avec la cité d i v i n e ; e n vous Tordre national
et l'ordre s u r n a t u r e l s'unissent et la t r a m e de votre
histoire resplendit d'une l u m i è r e d u ciel. Vous n e
pouvez vous s o u s t r a i r e à cette l u m i è r e sans r e n i e r
voire berceau, s a n s a b d i q u e r vos gloires, sans vous
condamner fatalement aux ténèbres, et j ' o s e le dire,
sans forfaire à vos a d m i r a b l e s destinées. Une â m e
peut m é c o n n a î t r e son b a p t ê m e , m a i s elle ne peut
l'anéantir; l'empreinte en est ineffaçable. Il en
l
est ainsi d'un peuple * .
Cette forfaiture, la F r a n c e de Philippe-lc-Bel s'en
rendit coupable. A force de sophismes, les légistes
parvinrent à voiler, aux yeux d u roi très chrétien,
t l'une des plus sublimes p r é r o g a t i v e s d e la F r a n c e ,
celle d e présider (humainement) le système reli­
gieux et d'être la protectrice h é r é d i t a i r e de l'unité
catholique. »
Mais, c o m m e le dit Christine d e Pisan, « Tan mil
quatre cent vingt-neuf, se reprit à luire le soleil. *
On vit a l o r s q u e v r a i m e n t le Christ aime les
Francs. Tandis q u e n o t r e nation était entrée d a n s
la voie de perdition, il fil pour elle ce que jamais
il ifa fait p o u r a u c u n e a u t r e : la proléger et la
maintenir, en tant que n a t i o n , p a r un miracle.
On le vit, et c'est la seule fois d a n s l'histoire du
christianisme, déléguer quelqu'un, — el quel délégué!
une paysanne de 17 a n s — p o u r défendre en son
nom, officiellement, un peuple c o n t r e un a u t r e peu­
ple, une dynastie contre une a u t r e dynastie. Les An­
glais étaient p o u r t a n t aussi b o n s catholiques que
nous. La mission authentique d e J e a n n e d'Arc est
la preuve d e la mission a u t h e n t i q u e de la France.

I. Panégyrique de Jeanne d'Arc, Orléans, 8 mai 1 8 6 3 .


288 LE DON DE DIEU : JEANNE D ' A R C

P o u r i n t e r v e n i r ainsi visiblement et d'une manière


si exceptionnelle, Dieu devait tenir à l'existence
de la F r a n c e c o m m e peuple a u t o n o m e ; il montrait
que d a n s sa pensée et d a n s la conduite de sa Pro­
vidence elle est un élément essentiel du plan mys­
térieux conçu p a r le s u p r ê m e a r b i t r e des destinées
de r b u m a n i l é . (l'est p o u r q u o i la sainte Pucelle
n'avait pas seulement p o u r m a n d a t de délivrer son
p a y s du joug de l'étranger, un m a n d a t d'ordre su­
périeur lui avail clé d o n n é , celui de faire reprendre
i\ la F r a n c e conscience de ce qu'elle est, de ce
que la grâce de Dieu Va faite, en d ' a u t r e s termes»
de re forger so n âme.
Elle ne m a n q u a pas p l u s à cette seconde mission
q u ' à la p r e m i è r e .

C H A P I T R E XLIX

L'AME D E LA FRANCE REFORGÉE (Suit*).

L a Sainte Pucelle n'a rien eu p l u s a c œ u r que de


c o m b a t t r e les idées p u r e m e n t nationalistes que le
r è g n e d e Philippe le Bel avait vues esc produire et
do r e n d r e à la F r a n c e le sentiment qu'elle était
la 'nation privilégiée d u Christ. C'est p o u r cela que
p a r l a n t d e sa patrie, qui est la n ô t r e , elle l'appe­
lait t o u j o u r s « le saint r o y a u m e ».
c Le 'saint r o y a u m e », elle l'appelait ainsi parce
q u e Noire-Seigneur Jésus-Christ s'est attribué la
F r a n c e c o m m e son d o m a i n e p r o p r e , celui qu'il s'est
spécialement réservé. Aussi se dit-elle au royal ser­
vice, non directement de Charles VII, mais de Jésus-
L'AME DE LA FRANGE REFORGÉE 289
1
Christ, s o n d r o i t u r i e r et s o u v e r a i n S e i g n e u r . Déjà
se rendant à Vaucouleurs p r è s de R o b e r t d e Beau-
dricourt elle avait dit à s o n guide, B e r t r a n d d e
Poulengy, qui r a p p o r t e ce p r o p o s sous la foi du
serinent d a n s sa déposition j u r i d i q u e , que « le royau­
me ne regardait pas le D a u p h i n , mais qu'il regar­
dait son Seigneur », c'est-à-dire Notre-Seigncur J é ­
sus-Christ; * cependant, ajoutait-elle, m o n Seigneur
veut que le D a u p h i n devienne r o i et tienne le
royaume en c o m m a n d e *. Jésus-Christ est le droi­
turier et souverain Seigneur, e x e r ç a n t la haute sou­
veraineté et étant la s o u r c e s u p r ê m e du droit, p a r ­
tout, mais spécialement en F r a n c e . Aussi est-ce à Lui
« le Fils de sainte Marie q u e les ennemis sont
2
sommés de « faire raison » . « Rendez-vous au Roi
du ciel et a u gentil r o i C h a r l e s » telle était, dit
Perce val de Cagny, la s o m m a t i o n q u e l l e adressait
aux villes et a u x places fortes ».
Devant p a s s e r p a r T r o y e s p o u r se r e n d r e à Reims
en vue du sacre, J e a n n e écrit aux h a b i t a n t s u n e
lettre où elle formule celte a s s u r a n c e : « J e vous
promets el certifie sur vos vies que nous entrerons
à l'aide de Dieu d a n s toutes les villes qui doivent
être au saint r o y a u m e . »
Après le sacre elle écrit de R e i m s au duc de Bour­
gogne : « P r i n c e de Bourgogne, j e vous prie, supplie
et requiers tant h u m b l e m e n t q u e r e q u é r i r vous puis,
que vous ne guerroyez p l u s au saint r o y a u m e d e
France, et faites retirer i n c o n t i n e n t et brièvement
vos gens qui sont en a u c u n e s places et forteresses
dudit saint r o y a u m e . . . T o u s ceux qui font la guerre
au dit saint r o y a u m e de F r a n c e font la g u e r r e a u roi

1. Lettre aux habitants de Troyes et lettre au roi


d'Angleterre.
2. Lettre aux Anglais.
La Mission de la Bst Jeanne d'Arc. z8
390 LE DON DE DIEU : JEANNE D*ARC

Jésus, roi du ciel et de tout le m o n d e , m o n droi-


turier e t souverain Seigneur ».
« Saint » est e n effet le r o y a u m e d e France par
ses o r i g i n e s surnaturelles q u e n o u s a v o n s relatées
et p a r ses destinées q u e les P a p e s o n t tant de fois
exprimées et qui se manifestent à tout instant dans
son histoire. C'est, c o m m e le dit l e P a p e Grégoi­
r e IX, « le carquois que le Dieu i n c a r n é s'est j>assé
a u t o u r des r e i n s et d'où il tire ses flèches d'élec­
tion c o n t r e les ennemis d e l'Eglise ».

C e l a i t l'image de N o t r e - S c i g n e u r Jésus-Christ el
n o n . l e s insignes de Charles VII q u e J e a n n e avait
fait p e i n d r e s u r la b a n n i è r e q u i conduisait ses hom­
1
mes s u r le c h a m p de bataille ou à l ' a s s a u t . Le
souverain roi y était r e p r é s e n t e assis sur les nuées,
tenant l e m o n d e d'une m a i n et de l'autre bénissant
le lis, figure de la F r a n c e , q u ' u n ange lui pré­
sentait. Rien, déclara-l-elle, ne s'y trouvait que
p a r le c o m m a n d e m e n t e x p r è s de Notre-Scigneur
q u i avait voulu meLlrc sur c e n o u v e a u l a b a r u m une
expression d e sa souveraineté sur le m o n d e et en
p a r t i c u l i e r s u r la F r a n c e présentée à sa bénédiction.
T h o m a s Basin affirme que « voir l'étendard que
J e a n n e p o r t a i t suffisait a u x Anglais p o u r qu'ils
n'eussent p l u s c o m m e a u p a r a v a n t force et cou­
rage d e résister, de b a n d e r l e u r arc, de l a n c e r leurs
traits c o n t r e l'ennemi, de le f r a p p e r de leur glaive**.

1. Outre un poiiuuu do c o m m a n d e m e n t orné d'une


A n n o n c i a t i o n , J e a n n e fit faire d e u x étendards, l'un re-
présentant le Sauveur ou croix, pour Jes prêtres <jui
a c c o m p a g n a i e n t son armée, l'autre pour e l l e - m ê m e . Etant
à Poitiers, elle avait fait peindre un étendard d'azur
portant un coulon, lequel t e n a i t en sou bec une ban-
d e l e t t e a v e c ces mots : « D e la part d u roi du einl ».
Ce n'était point celui que D i e u voulait, e l l e dut en
]trendre un autre, celui dont il est ici parlé.
l_\ Mémoiru pour le proco.s d e réhabilitation, p. 72.
L'A ME DE LA FRANCE REFORGÉE 291

La b a n n i è r e de J e a n n e , c'était Jésus-Christ, roi,


conduisant son a n n é e à l a bataille. Aussi les j n r o -
niqueurs ne cessent d ' o b s e r v e r q u e J e a n n e n e s'avan-
çail dans l'action q u ' a v e c sa b a n n i è r e et que la
bannière en m a i n s elle était c o m m e transformée.
Elle disait que son é t e n d a r d lui était q u a r a n t e fois
plus cher que son épée, et p o u r t a n t cette épée avait
été miraculeusement découverte s u r la révélation
qui lui en avait été Çaile.
Pourquoi, l'aimait-clle si a r d e m m e n t ? Parce qu'il
représentait a u x yeux d e t o u s l'objet de sa mission :
Jésus, roi du m o n d e , r e c o n q u é r a n t son r o y a u m e
de prédilection, la F r a n c e , et se manifestant a u
monde qu'il tient en sa m a i n c o m m e le roi des
nations, plus encore que des individus.
On sait le signe d o n n é p a r J e a n n e l o r s de la prise
des Tourelles à Orléans : la queue de l'étendard
touchant les murailles. C'était Jésus-Christ la livrant
aux soldats d e son envoyée. Aussi q u a n d elle en­
tendit : « J e a n n e la q u e u e y touche », elle cri,a :
« Tout est vôtre ». L e Dieu des a r m é e s leur livrait
l'invincible forteresse.
Au sacre, la b a n n i è r e q u i avait été à la peine était
à l ' h o n n e u r ; elle o m b r a g e a i t la tete du D a u p h i n .
C'était Jésus-Christ, l e Roi des rois de F r a n p e
r

intronisant le vassal, m i r a c u l e u s e m e n t tiré des mains


de ceux qui avaient p r é t e n d u lui r a v i r le fief.

La parole de 1A sainte Pucelle fut entendue. Ses


coitfeanporains e t d'autres venus a p r è s elle se mon­
trèrent pénétrés de r i d é e qu'elle avait r e s t a u r é e d a n s
les âmes à savoir que la Franice est spécialement
te Royaume du Christ et qu'elle doit se comporter
d'après cette vérité et celte conviction.
En 1449, R o b e r t Blondel, prêtre qui avait fui
292 LE DON DE DIEU : JEANNE D'AÏIC

la N o r m a n d i e p o u r é c h a p p e r à la domination an­
glaise, d a n s une e x h o r t a t i o n véhémente adressée à
Charles VII p o u r le p o u s s e r à e n t r e p r e n d r e la con­
1
q u ê t e d e la N o r m a n d i e , Oratio hislorialis lui rap­
pela la p e n s é e de J e a n n e s u r la F r a n c e : « De tous
les Etats policés, le plus excellent c'est le royaume
d e F r a n c e . La foi c h r é t i e n n e lui confère un éclat
sans pareil. La personne divine le dirige et Je
gouverne avec les t e m p é r a m e n t s d ' u n e souveraine
équité. L e corps vil p a r Laine, le r o y a u m e de France
p a r la vraie religion, la foi d u Christ e n est la
s u p r ê m e loi ».
Mathieu T h o m a s s i n n é à L y o n en 1391 fut em­
ployé p a r Charles VII d a n s l ' a d m i n i s t r a t i o n du Dau-
phiné. Il était m e m b r e d u présidial l o r s de l'ap­
parition d e la Pucelle. C h a r g é p a r L o u i s XI de
tenir les annales du r o y a u m e , il écrivit le Registre
Dclphinal conservé à la b i b l i o t h è q u e de Grenoble,
D a n s la longue éuuniéralion des privilèges du roi
de F r a n c e il m e t en tete ceux-ci : « L'Eglise univer­
selle c l tous les chrétiens appellent le roi de France
c très chrétien » comme chef de toute chrétienté.
— L e r o y a u m e a p o u r spécial protecteur, garde et
défendeur, le glorieux a r c h a n g e saint Michel. Depuis
que le roi Clovis fui fait très chrétien, les rois de
F r a n c e j a m a i s ne se d é p a r t i r e n t de la foi chrétienne,
ils ont r e m i s s u r leur siège plusieurs P a p e s qui
en avaient été chassés e l déboutés. »
Plus loin : « Sache un c h a c u n que Dieu a montré
el m o n t r e c h a q u e j o u r qu il a a i m é et aime le
r o y a u m e de F r a n c e . Il Ta spécialement élu pour
son p r o p r e héritage, e l pour, p a r le moyen de lui,
entretenir la sainte foi c a t h o l i q u e el la r e m e t t r e du
tout s u s ; el p o u r ce, Dieu n e veut pas le laisser

1, B i b l i o t h è q u e nationale, coie 13.838.


L'AME DE LA FRANCE RE FORGÉE 293

perdre. Mais s u r tous les signes d ' a m o u r que Dieu


a envoyés au r o y a u m e de F r a n c e , il n ' y en a point
eu de si grand, ni de si merveilleux c o m m e celui de
cette pucelle. »
Martin B e r r u y e r . évcque du Mans, l'un dos plus
dignes et des plus doctes évêques du temps de
Jeanne, dans le Mémoire qu'il adressa à la Com­
mission de réhabilitation dit aussi d e la F r a n c e :
« Ce r o y a u m e a eu à sa tête des rois très glorieux,
fidèles, pleins d e respect et d e d é v o u e m e n t p o u r
Dieu et p o u r la sainte Mère Eglise. Saint J é r ô m e
disait : « Seule la Gaule a été e x e m p t e des m o n s ­
tres de l'hérésie ». L'éloge a continué d'être mérilé,
puisque j u s q u ' à ce j o u r , la foi du Christ s'y est
maintenue s a n s altération, d'où le n o m de r o y a u ­
me très chrétien, de rois très chrétiens. »
I/Allemand Henri de G o r k u m , q u i publia un écrit
sur Jeanne d'Arc date de 1120. exprime l'opinion
alors c o m m u n e lorsqu'il dit d u peuple français q u il
est le nouveau peuple d'Israël. « Peuple d'Israël,
dit-il, est un n o m qui p e u t convenablement ê t r e
appliqué au p e u p l e d e F r a n c e ; il est notoire que
la foi et la p r a t i q u e d u c h r i s t i a n i s m e o n t t o u j o u r s
1
fleuri dans son sein » .
Ht le g r a n d inquisiteur Bréhal : « Maintenant que
la synagogue est enterrée, q u e la foi du Christ est
dans son éclat, que l'ancien peuple est dispersé en
punition de sa malice, Ton doit croire pieusement
que saint Michel est p r é p o s é à la conduite de la
chrétienté, el p r i n c i p a l e m e n t du r o y a u m e de F r a n c e ,
où, p a r la grâce de Dieu, la foi brille d'une p l u s
vive splendeur et où la sainte religion du Christ
conserve son plus profond e m p i r e ».

1. TPXIO édile par Quicherat.


294 LE DOK DE DIEU : JEAXXE D'ARC

Que de témoignages p o u r r a i e n t être ajoutés à


ceux-ci p o u r m o n t r e r l a puissance q u ' e x e r c è r e n t les
p a r o l e s et les h a u t s faits de la sainte Pucelle pour
reforger rame de la F r a n c e , p o u r r a m e n e r les Fran­
çais à la conception de la dignité à laquelle il a
plu à Dieu d'élever n o t r e n a t i o n .
Ce sentiment de r é m i n e n t e dignité d u peuple fran­
çais fut p a r t a g é p a r tous les p e u p l e s , et il per­
siste t o u j o u r s chez eux, m a l g r é n o t r e déchéance
actuelle, aussi lamentable que celle subie au XIV* siè­
cle. Il y a quelques années, en 1898, M. Brunetière,
a p r è s a v o i r visité l ' E u r o p e et l'Amérique en rap­
portait u n e impression qu'il e x p r i m a i t en ces ter­
mes d a n s u n e conférence d o n n é e à Besancon :
c P a r t o u t o ù j ' a i passé j ' a i p u c o n s t a t e r q u e le
catholicisme c'était la F r a n c e el q u e la F r a n c e c'é­
tait le catholicisme ».
II semble q u ' a u j o u r d ' h u i c o m m e au XI Vc siècle, la
F r a n c e ail p e r d u conscience de ce qu'elle est et
qu'elle ait définitivement r e n o n c é à être à la tête
du système religieux, c o m m e dit de Maislre. Les
nations é t r a n g è r e s ne pensent point a i n s i ; elles ne
croient pas q u e le rôle d e la F r a n c e dans le monde
soit t e r m i n e , q u e sa mission lui ail élé enlevée.
E t N. S. P . le Pape l u i - m ê m e n o u s a fait en­
tendre, au j o u r de la Béatification d e la sainte Pu­
celle que celle qui a été envoyée de Dieu pour
sauver l ' â m e de la F r a n c e , est a u j o u r d ' h u i entrée
d a n s la gloire p o u r l a sauver e n c o r e .
LA CONSTITUTION NATIONALE CONFIRMÉE 295

CHAPITRE L

LA C O N S T I T U T I O N NATIONALE CONFIRMÉE.

Le premier élément de la constitution française


est celui qu'elle a reçu de Dieu au b a p t ê m e de Clo­
vis et de ses F r a n c s : l'élément religieux, l'élément
catholique.
Le second est celui qu'elle a r e ç u du cours
des événements dirigés p a r la Providence divine de
façon plus sensible chez n o u s que p a r t o u t ailleurs.
Ce second élément, l'élément politique, avait été,
lui aussi, m i s en question, n o u s l'avons vu, à la
suite des c h â t i m e n t s que Philippe-le-Bel avait at­
tirés sur sa race. J e a n n e reçut d u ciel mission de
le retremper, lui aussi, de lui d o n n e r une force
nouvelle en lui a p p o r t a n t une sanction miraculeuse.
Jeanne a treize ans, elle p a î t les brebis de son
père, une clarlâ l'environne et u n e voix lui dit :
i Jeanne tu es dcslinée à un genre de vie tout dif­
férent; tu dois accomplir des actes merveilleux;
car lu es celle que le Roi du ciel a choisie pour
le relèvement du r o y a u m e des F r a n c s , pour le
service et la défense du roi Charles expulsé de
son domaine ».
En 1428 son h e u r e est venue, elle va a u château
de Vaucouleurs, elle se p r é s e n t e à Robert de Bau-
dricourt. Que lui dit-elle?
« Mcssire, je viens de la p a r t de m o n Seigneur...
Mon Seigneur vent que le Dauphin devienne roi...
Il sera roi malgré ses e n n e m i s , et moi je le conduirai
à son sacre ».
Elle n'est point crue.
29fi L E DON DE DIEU : J E A N N E D ' A R C

ElLe se représente peu a p r è s et dit :


« Capitaine messire, sachez que Dieu m ' a plu­
sieurs fois fait savoir et c o m m a n d é que j'allasse vers
le gentil Dauphin, qui doit être et esź vrai roi de
France, que je lèverais le siège d'Orléans et le mè­
nerais s a c r e r à Reims. »
En r o u l e p o u r Chinon, elle dit à J e a n de Metz
et à Bertrand d e Poulingy qui gardaient « crainte
et doute » sur le succès d u voyage : « si les enne­
mis se présentent, moi, j ' a i m o n Seigneur qui saura
m'ouvrir la voie pour a r r i v e r au Dauphin, car je
suis née pour le sauver ».
De Sainle-Calherine-en-Fierboïs. elle écrit à Char­
les VII : « Je reconnaîtrai m o n roi e n t r e tous les
a u t r e s ». On sait c o m m e n t elle justifia celte assu­
rance.
l
Elle a r r i v e à C h i n o n . Des m e m b r e s du conseil
du roi viennent s'enquérir de son but. Elle leur
répond :
« J'ai deux choses en m a n d a t de la p a r i du Hoi
des cieux : faire lever le siège d'Orléans el mener
le D a u p h i n à Reims p o u r qifiV // soîl sacré et
couronné ».
La voici devant le Dauphin, elle lui dit :
« Noble Seigneur, Dieu le Créateur m'a fait com­
m a n d e r p a r la Viergj Marie, sa Mère, et p a r madame
sainte Catherine cl m a d a m e sainte Marguerite, ainsi
qite j ' é t a i s aux c h a m p s , g a r d a n t les agneaux de mon
père, que j e laissasse toul là, et qu'en diligence je
vinsse vers vous pour vous révéler les moyens par
lesquels nous parviendrez à cire coumnné de la
couronne de France, et mettrez vos adversaires hors
de votre r o y a u m e ».

1. Los document s sont unanime q pour affirmer qii*»,


lorn de 1 'arrivéc de la Pueelle, le roi vivait très sain-
tement.
LA CONSTITUTION NATIONALE CONFIRMÉE 297

Que dit-elle e n c o r e ? « J e vous dis que Dieu a


pitié de vous, de votre r o y a u m e et de votre peuple,
car saint Louis et saint C h a r l e m a g n e sont à genoux
devant lui, faisant p r i è r e p o u r vous ».
Puis, elle fait au D a u p h i n , qui, à cause de Tin-
conduite de sa mère, avait c o n ç u des d o u t e s s u r
la légitimité d e sa naissance, et p a r conséquent s u r
son d r o i t a u trône, d o u t e s qu'il n'avait jamais com­
muniqués à p e r s o n n e , si ce n'est à Dieu, dans une
1
prière tout i n t i m e , cette révélation, la plus é t o n n a n t e
que r h i s t o i r e connaisse d a n s l'ordre des choses h u ­
maines : voilà ce que vous avez dit à Dieu et voilà
ce que Dieu m e c h a r g e d e vous r é p o n d r e . P u i s avec
l'autorité q u ' u n e telle révélation lui donne, elle dit
au fils de Charles VI : ^ Moi, je te dis, d e la part
de Messire, que tu es vrai héritier de F r a n c e et
fils de roi ». Vrai héritier du r o y a u m e de F r a n c e ,
2
parce que vrai fils d u ' d e r n i e r r o i .
Le P. Ayroles a r e m a r q u é le changement de ton
lorsque J e a n n e en vint à ces d e r n i e r s mo'.s. J u s q u e -
là, dans les paroles adressées au Dauphin, elle avait
employé le pluriel : s J e vous dis que Dieu a pitié
de vous, de votre r o y a u m e , d e votre peuple ». Ici.
elle luloic : < Je te dis, d e la p a r t de Messire. que
tu es vrai héritier de F r a n c e ». Ce J e te dis »
ne rappelle-l-il point Y Ego dico tibi du divin Maître.
Celni qui avait p r é p a r é P i e r r e au gouvernement
de son Fglise confiait au descendant de saint Louis

1. D'après quelques historiens d'Orléans, c'est devant


une imape de N o t r e - D a m e de pitié que le prince a u -
rait fait c e l t e prière. On sait que N o t r e - D a m e des D o u -
leurs faisait partie du m o n u m e n t commémorât if de la
Purelle élevé sur le pont d'Orléans.
2. Comme l'observe justement Henri Mari in, maigri-
ra haine de l'Eglise et s o n kantisme, le secret révélé*
rst un fies points capitaux du divin poème.
298 LK DON DE DIEU ; J E A N N E V
I) ARC

le gouverncmctil d u saint r o y a u m e , il le lui donnait


en eoinmendc, il l'établissait son lieutenant, son
vicaire au temporel près d e nous.
Après cet entretien avec le roi, elle est envoyée
à Poitiers a u p r è s des d o c t e u r s chargés d'examiner
quelle est sa mission et d'où elle lui vient. Là
aussi elle dit : « Je ne sais n i A ni B ; m a i s je sais
que je viens de la p a r t d u Roi des Cieux p o u r faire
lever le siège d'Orléans et m e n e r le D a u p h i n à
Reims, afin qu'il y soit couronné et sacré ».
Elle d e m a n d e du p a p i e r p o u r é c r i r e aux Anglais
et elle l e u r dit : « Elle (la Pucelle) est ci venue de
par Dieu pour réclamer le sang royal... N'ayez point
en votre opinion ; c a r vous n e tiendrez point le
r o y a u m e de F r a n c e de Dieu, le R o y du ciel, fils de
sainte M a r i e ; m[ais le tiendra le roi Charles, vrai
héritier, c a r Dieu le roi du ciel le veut ».
« R é c l a m e r le sang r o y a l ». J e a n Walerens, le
j e u n e c o m p a g n o n de la Pucelle, d a n s la déposition
1
qu'il fit au procès d e r é h a b i l i t a t i o n d i t : « P l u ­
sieurs fois je lui ai e n t e n d u d i r e qu'elle relèverait
la F r a n c e et le sang r o y a l ».
Après la délivrance d ' O r l é a n s elle dit au Dauphin :
« Gentil sire, p a r m o n m a r l i n , je vous m è n e r a i sû­
r e m e n t à Reims, et l à vous recevrez votre sacre et
l'on verra que vous êtes le vrai roi.
A Reims, a p r è s le sacre : Gentil roi, maintenant
est exécutée la volonté de Dieu qui voulait que vous
vinssiez à Reims, recevoir votre digne sacre, mon­
trant q u e vous êtes vrai roi et celui à qui le royau-
me doit appartenir ».
On conviendra qu'il est impossible d'exposer une
mission d e façon plus claire, plus affirmative, et,

1. Enquête de janvier 1455.


LA CONSTITUTION NATIONALE CONFIRMÉE 299

ajoulerons-nous, p l u s c o n v a i n c a n t e p o u r qui sait


que ces paroles sortent d e la b o u c h e d'une sainte
et d'une sainte inspirée.
Elle est envoyée p a r Dieu, elle p a r l e au n o m de
Dieu, et que dit-elle? « J e suis celle q u e le r o i du.
ciel a choisie p o u r le secours d u roi Charles, pour
le mener à Reims, afin qu'il soit sacré et couronné.
Mon Seigneur veut que le D a u p h i n ' devienne roi,
parce qu'il est le vrai r o i d e F r a n c e . J e suis venu de
par Dieu p o u r r é c l a m e r le sang royal, p o u r faire
'tenir le r o y a u m e au vrai héritier, à celui à qui
le royaume doit a p p a r t e n i r . Telle est la volonté d e
Dieu; révélation de cette volonté m ' a été faite et
j'ai éié choisie p o u r la faire exécuter.
Jamais m a n d a t n e fut d é c l a r é avec cette force
d'attestation; attestation sanctionnée p a r le miracle
de la vie la p l u s prodigieuse q u i soit.

Pour voir l ' o p p o r t u n i t é et c o m p r e n d r e la leçon


de celte intervention divine, il faut se r a p p e l e r les
circonstances a u milieu desquelles elle se produisit.
On se souvient du c h â t i m e n t infligé à la famille d e
Philippe-le-Bcl. Son fils aîné, Louis X le Hutin,
mourut a p r è s deux a n s d e règne. Il laissait une
fille et deux frères. D e p u i s l'origine, depuis neuf
siècles, sous les Mérovingiens et sous les Carolin­
giens comme sous les Capétiens, toujours l'héritier
mâle avait élé p r é p a r é p a r la P r o v i d e n c e p o u r p r e n ­
dre la place du défunt : la question de la succession
des femmes à la c o u r o n n e d e F r a n c e n e s'était p a s
encore posée. L'assemblée des barons, des prélats
et des bourgeois constata le fait et déclara q u e
t femme ne succède p a s à l a c o u r o n n e d e F r a n c e »,
ou comme dit plus t a r d le vieux légiste Loisel :
t Le r o y a u m e ne t o m b e point e n quenouille ores
300 LE DON DE DIEU : JEANNE D'ÂRC

q u e les femmes soient c a p a b l e s de tous a u t r e s fiefs».


P h i l i p p e V le Long, s e c o n d fils d e Philippe-le-Bel
fut d o n c r e c o n n u roi, e t l a fille d u défunt écartée
d u t r ô n e . Lui aussi m o u r u t s a n s laisser de fils. Son
frère, Charles-le-Bel, troisième fils de Philippe, lui
succéda. L a m ê m e m a l é d i c t i o n s'étendit s u r sa per­
sonne. Ce fut le d e r n i e r des Capétiens directs.
Deux candidats au trône se p r é s e n t è r e n t : Phi­
lippe d e Valois, neveu d e Philippe-le-Bel, p a r son
père, a u n o m de la loi salique, et E d o u a r d III d'An­
gleterre, au n o m du d r o i t féodal e u r o p é e n . Il était
fils d'Isabelle, et petit-fils d e Philippe-le-Bel, mais
p a r sa m è r e . E d o u a r d était d o n c p a r e n t plus proche,
m a i s il l'était p a r les femmes. Une nouvelle ques­
tion se posait : les mâles, p a r e n t s du roi par les
femmes, peuvent-ils succéder à la c o u r o n n e ? L'as­
semblée répondit encore n é g a t i v e m e n t ; et lorsque
la veuve de Charles-le-Bel a c c o u c h a d'une fille, Phi­
lippe de Valois fut p r o c l a m é roi. E d o u a r d III
accepl't d ' a b o r d cette décision, mais les Anglais ne
s'y m a i n t i n r e n t point et ce fui le p r e m i e r prétexte
de la g u e r r e de cent ans.
On r a t t a c h a a la loi salique la théorie sur la suc­
1
cession qui avait p r é v a l u e ; p a r ce Jicn on vou-
î . LA L O I S A L I Q U E . - La rala-rtion l a t i n e de la loi
salique fut promulguée par Clovis ava.ut. sa conversion
a u oliristia-nisme. c ' e s t - à - d i r e d o l'an 4X1 ;\ Tan 4'.Uï,
d a n s la, Toxaudrie. dans c e t t e p a r t i e nord d e la Bolfriquc,
e n t r e l ' E s c a u t et le B a s - U h i n , o ù J u l i e n p e r m i t aux
•Saliens d e r é s i d e r .
L a loi e s t précédée de doux prologues ajoutés après la
conversion d e (Movîs, un grand e t un petit, et suivie d'un
épiIogue. Le grand prologue, Crpna Vnwcornw, et le
récit qu'il contient est confirmé par un a u t r e prologue,
PIncuft atqnc convertit, plus simple par l'expression,
i d e n t i q u e par les faits, l e q u e l a c c o m p a g n e le grand
prologue flan» cinq des onze m a n u s c r i t s .
Quelques critiques ont cru pouvoir attribuer la pater-
LA CONSTITUTION NATIONALE CONFIRMÉE 801

lut déclarer que telle était Ja c o n s t i t u t i o n qui avait


régi de tout temps la n a t i o n , et ce fut chose heu­
reuse car, c o m m e le dit plus t a r d Claude Seyssel,
« la couronne tombant e u ligne féminine, elle aurait
pu venir au p o u v o i r d ' h o m m e s d'étrange nation, q u i
est chose dangereuse et pernicieuse. »

nité do cet admirable m o n u m e n t historique au compila-


teur du V i l l e s i è c l e . Le c a r a c t è r e môme d u document
ne laisse pas c e t t e h y p o t h è s e d e b o u t . Charlemajcne a
révisé la loi s a l i q u e . Il r e s t e de c e t t e loi revisée, lex
mendata, une cinquantaine d e manuscrits c o n n u s . L ' œ u -
vre de Charlemagne n'a p a s altéré c e l l e de Clovis, elle
y a seulement a j o u t é d e s d i s p o s i t i o n s nouvelles rendue?
nécessaires par l'état des m œ u r s et l e s i n t é r ê t s d e l'Eglise
et de la s o c i é t é .
Le grand p r o l o g u e est a p p e l é d a n s l'un des plus anciens
manuscrits Laus Francorum, e t c'est bien l e nom qu'il
mérite. Bien n'a été écrit qui s o i t p l u s à l'honneur d e
notre race. « On sent en l e lisant, dit M. Ginoulhiac
{Histoire générale du Droit français, 1 8 8 4 , p . 1 4 3 ) , qu'on
est encore à une époque v o i s i n e de l a conquête, sous
l'influence des victoires r é c e n t e s de Clovis et de la d é -
faite des R o m a i n s . C'est, a u surplus, ce que nous apprend
le rédacteur d u prologue l u i - m ê m e par c e s m o t s : Ad
catholicotm fidem XUFER conversa, qui indiquent pour sa
réduction une époque v o i s i n e # e l a conversion de Clovis
au catholicisme ».
On ne possède qu,e des t e x t e s l a t i n s de l a loi s a l i q u e ;
il est probable cependant q u e l a première rédaction en
a été faite en l a n g u e franque, mais c e t t e rédaction
a dû être orale et non é c r i t e . L e s F r a n c s , avant le
e
VIII siècle, n'avaient pas d e l a n g u e écrite, ("est là,
pour îe dire en passant, ce qui explique l a rareté des
documents relatifs à nos o r i g i n e s . Quand l'école h y -
percritique, avec son d é d a i n d e s traditions, rejette les
souvenirs les m i e u x établis, p a r ce seul argument qu'il
n'y a pas de d o c u m e n t s , e l l e oublie que les Francs
n'écrivaient pas, mais c o n s e r v a i e n t d*ms d e s c h a n t s l a
mémoire de leurs fondateurs e t des é v é n e m e n t s marquants
de leur vie n a t i o n a l e , (.'eux-là- s e u l s qui possédaient la
langue latine pouvaient f i x e r par r é c r i t u r e leur pensée,
et c'était alors le très p e t i t nombre.
302 LE DON DE D I E U : J E A N N E D'ARC

Une g r a n d e p a r t i e d e l a n a t i o n n e vit point ce dan­


ger ou, aveuglée par ses passions, n e voulut point
le v o i r ; tels le duc de Bourgogne et ses partisans,
telle r U n i v e r s i l é de P a r i s , etc. De là les complicités
que le roi d'Angleterre t r o u v a d a n s son entreprise de
conquérir noire pays.
Dieu se m o n t r a d'un a u t r e avis el il Je fit pré­
valoir : il fit dire p a r J e a n n e d'Arc, et il montra
p a r le fait, q u e sa volonté était non seulement que
la F r a n c e fût gouvernée p a r un roi, mais que ce
roi ne p o u v a i t être q u e le légitime, celui appelé
a u trône p a r la loi salique telle qu'elle fut inter­
prétée et appliquée lors de la disparition des capé­
tiens d i r e c t s . C'est à l'héritier d e Philippe-le-Long
et non au petit-fils d ' I s a b e l l e q u e J e a n n e est en­
v o y é e ; c'est à lui qu'elle d i t : « Vous êtes le vrai
roi ».
N e p o u r r a i t - o n dire q u e J e a n n e .est venue mettre
le sceau divin s u r la loi salique, c'est-à-dire sur la
constitution nationale telle qu'elle fut reconnue et
déclarée a l o r s ?

C H A P I T R E LI

L'UNION DU TRONE ET DE L'AUTEL


RECOMMANDÉE.

« L a r o y a u t é ê l ,1e s a c e r d o c e , a écrit saint Ber­


n a r d (Epist. 211), n e pouvaient ê t r e unis p a r des
liens plus doux el plus forts qu'ils Pont été en la
p e r s o n n e de Jésus-Christ, lequel né p r ê t r e et roi, est
UNION DU TRONE ET DE L'AUTEL 308

descendu des deux t r i b u s d e Lévi et d e J u d a . De


plus, il a réuni l'un e t l ' a u t r e d a n s sou c o r p s mys­
tique qui est le p e u p l e chrétien, d o n t il est le chef,
eu sorte que cette r a c e d ' h o m m e s est appelée p a r
l'Apotre la r a c e choisie, le r o y a l sacerdoce, et qu'en
un endroit tous les élus sont qualifiés de rois et
de prêtres. Que l ' h o m m e d o n c n e s é p a r e point ce
que Dieu a u n i ! qu'il accomplisse au c o n t r a i r e ce
que la loi de Dieu a s a n c t i o n n é ! Ceux qui sont
unis p a r leur institution, qu'ils soient pareillement
unis d e s p r i t et de c œ u r ; qu'ils s'entr'aident, qu'ils
s'appuient, qu'ils se d é f e n d e n t m u t u e l l e m e n t . « Le
frère aidant de frère, dit l'Ecriture, ils se consoleront
mutuellement ». Mais aussi s'ils se divisent et se
déchirent, ils t o m b e r o n t d a n s la désolation. A Dieu
ne plaise q u e j ' a p p r o u v e ceux qui p r é t e n d e n t que
la paix et la liberté de l'Eglise soient nuisibles aux
intérêts de l'empire, ou -que la p r o s p é r i t é et la
grandeur de l'empire soient contraires a u x intérêts
de l'Eglise! Un Dieu qui les a institués l'un et
l'autre, ne les a pas u n i s p o u r se détruire, mais p o u r
s'édifier réciproquement. »
Depuis 1814, rien n ' a été plus décrié que l'alliance
du trône e t de l'autel, ces d e u x b a s e s s u r lesquelles
repose la nation française q u e J e a n n e d'Arc, ins­
trument de Dieu, est v e n u e raffermir. Francs-Ma­
çons, libéraux radicaux et libéraux catholiques se
sont r e n c o n t r é s dans u n e m ê m e r é p r o b a t i o n , se sont
unis dans un m ê m e effort p o u r en i n s p i r e r au peu­
ple français une s o u v e r a i n e h o r r e u r .
lit cependant, n o u s v e n o n s de le r a p p e l e r , il y
a, comme a dit J. d e Maistrc, d a n s le gouverne­
ment naturel et dans les idées naliouales d u peu­
ple français j e n e sais quel élément théocratiquo
et religieux qui se r e t r o u v e t o u j o u r s ».
304 LE DON DE DIEU ; J E A N N E D'ARC

Les h i s t o r i e n s l e s p l u s récents ne p a r l e n t point


a u t r e m e n t . M. F r a n t z F u n c k - B r e n t a n o cite M. A.
Luchaire, peu suspect d'illusion s u r ce point, mais
qui a étudié avec soin le m o y e n âge français et qui
en r é s u m e ainsi la pensée : * L a r o y a u t é capétienne
est la r o y a u t é de c a r a c t è r e sacerdotal : le roi est
le m i n i s t r e de Dieu. La fonction r o y a l e csl une
fonction divine. Dieu l u i - m ê m e a placé les rois
parmi les h o m m e s p o u r les m a i n t e n i r en justice
et en paix ».
Les trouveras avaient r e c o n n u et c h a n t é ce carac­
tère d e la r o y a u t é française, qui la mettait au-
dessus de toutes les a u t r e s ;

La corone de France dvii estre si avant


Que toutes autres doivent estre à lui a pendant
De In loi cresti^nne, qui en Dieu sont créant.
Le premier roi dp Fiance fist Deus, par son commuât,
Coroner à ses angles (augeli), dignement en chunlanl;
Puis le commanda estfle en terre son sériant,
Tenir droite justice et la loi mettre avant.

C'est cet élément t h e o c r a l i q u c el religieux que les


F r a n ç a i s trouvèrent d a n s l e u r g o u v e r n e m e n t qui
avait fait l'Ame française si c h r é t i e n n e . « L'Ame
française p o r t e l ' e m p r e i n t e d u catholicisme, cela
n'est p a s .contestable ». Qui a dit c e l a ? M. Lucien
Airéal qui m e t toutes les religions s u r le m ê m e rang
et qui p a r a î t n'en a v o i r a u c u n e , d a n s son livre
Le sentiment religieux en France ( p . 27). lit M.
Léon Daudet, d a n s IJR Chemin de Damas : <• La
vérité csl que les F r a n ç a i s désaffectés du catholi­
cisme, qui .se croient le p l u s loin de la croyance de
leurs ancêtres, ne so:il s é p a r é s de celui-ci q u e par un
mince rideau, qu'ils p r e n n e n t p o u r un m u r blindé,..
UNION DU TRONE ET DE L'AUTEL 805

La cause d e l a Religion et celle d e la Race pa­


raissent c o m m e i n s é p a r a b l e s ». C'est ce qu'avait
observe de Maistre et qu'il avait e x p r i m é d'autre
façon : « Le F r a n ç a i s a besoin de la religion plus
que tout a u t r e h o m m e ; s'il en m a n q u e , il n'est p a s
seulement affaibli, il est mutilé ».
Ce t e m p é r a m e n t élait le p r o d u i t de l'union, treize
fois séculaire, du trône e t de l ' a u t e l ; union ensei­
gnée et voulue p a r l'Eglise c o m m e faisant p a r t i e
de sa doctrine. L a c i n q u a n t e - c i n q u i è m e des p r o ­
positions c o n d a m n é e s p a r le Syllabus d e Pie IX
est celle-ci : « L'Eglise doit être s é p a r é e d e l'Etat
et l'Etat de l'Eglise ».
Dans l'Encyclique Immortelle J)ei, Léon XIII pre­
nant l'affirmative a dit : « Il est nécessaire qu'il y
ait entre les deux Puissances un système de rap­
ports bien ordonnés, n o n s a n s analogie avec celui
qui clans l ' h o m m e constitue l'union de Pâme et
du corps. » E t dans l ' E n c y c l i q u e Praeclara graiulci-
tionis : « L a volonté divine d e m a n d e , c o m m e d'ail­
leurs le bien général des sociétés, que le pouvoir
civil s'harmonise avec le pouvoir ecclésiastique.
Ainsi, à l'Etal ses d r o i t s e t ses devoirs p r o p r e s ; à
l'Eglise, les s i e n s ; m a i s e n t r e l'un et l'autre, les liens
d'une étroite concorde ».
Citons encore l'Encyclique A^canum divinae sa-
yientlae : <: Q u a n d l ' a u t o r i t é civile s'accorde avec
le pouvoir sacré de l'Eglise d a n s u n e entente amicale,
cet accord p r o c u r e n é c e s s a i r e m e n t de g r a n d s avan­
tages aux deux P u i s s a n c e s . L a dignité d e l'Etat,
ea effet, s'en accroît, et tant que la religion lui
sert de guide, le g o u v e r n e m e n t reste toujours j u s ­
te; en m ê m e t e m p s cel a c c o r d p r o c u r e à l'Eglise
des secours de défense et d e p r o t e c t i o n qui sont à
l'avantage des fidèles ».
La Mission de la Use Jeanne d'Arc 19
306 L E DON DE D I E U : J E A N N E D ' A R C

L e s r o i s d e F r a n c e se c o n d u i s i r e n t v r a i m e n t com­
m e « les m i n i s t r e s d e Dieu p o u r m a i n t e n i r les
h o m m e s e n justice e t en p a i x ». Et c'est pourquoi
« l ' h a r m o n i e , l'étroite c o n c o r d e , l'entente amicale »,
régnaient, généralement p a r l a n t , e n t r e eux et les
S o u v e r a i n s Pontifes. I l s avaient d'eux-mêmes cl
les p e u p l e s avaient d'eux cette idée qu'ils remplis­
saient u n e fonction d o n t Dieu m ê m e les avait
investis.
« Ce c a r a c t è r e divin, dit M. F u n c k - B r e n t a n o après
avoir r a p p o r t é les p a r o l e s de M. A. L u c h a i r e , était
n a t u r e l l e m e n t transmis de génération en génération
p a r P o n c t i o n d u sacre. »
N o u s a v o n s décrit l a c é r é m o n i e du sacre, il faut
q u e n o u s e n disions ici l a h a u t e signification.
L e S a c r e est d ' a b o r d une attestation d e l'origine
divine de l ' a u t o r i t é sociale. C'est ce qu'il dit aux
peuples schismaliques, Russes et Anglais, aussi bien
qu'aux Français catholiques.
Il est de plus un appel de la bénédiction di­
vine s u r l a p u i s s a n c e r o y a l e et u n e p r i è r e d'assis­
tance s u r toute la d u r é e d u règne : p r i è r e et appel
c e r t a i n e m e n t efficaces l o r s q u ' i l s sont faits p a r un
vrai Pontife, u s a n t des p o u v o i r s q u e l'Eglise lui a
conférés, et qui p e u v e n t l'être aussi l o r s q u e le
prince, q u o i q u e s c h i s m a l i q u c , l'est de b o n n e foi
et que s a p r i è r e sort d'un c œ u r confiant e t pur.
Chez n o u s , e n F r a n c e , le sacre est plus q u e celte
attestation cL cette prière, il fait du roi « le lieute­
n a n t d e J é s u s - C h r i s t ».
D o m Ciérissac observe que le f o r m u l a i r e qui
fut très v r a i s e m b l a b l e m e n t e m p l o y é au sacre de
C h a r l e s VII, d e m a n d e au Dieu, Fils d e Dieu, Noire-
Seigneur Jésus-Christ qui a clé oint ofoo exulta-
tionis pme [ptirllcipibnx suis, avec l'huile de l'ai-
UNION DIT TRONE ET DE 1/AT'TET- 307

légresse e n t r e tous les r o i s ses frères \ de r é p a n d r e


lui-même s u r l a tèle d u roi e t j u s q u ' a u plus p r o ­
fond de son c œ u r son E s p r i t P a r a c l e t , afin qu'il
soit ainsi r e n d u c a p a b l e des Biens Invisibles, et
que, son règne temporel rempli selon les justes
règles, il règne é t e r n e l l e m e n t avec Celui qui, seul
impeccable et Roi des rois, vit avec le Père d a n s
l'unilé du S a i n t - E s p r i t .
» Les insignes r o y a u x , continue D o m Clérissac
deviennent, d a n s les f o r m u l e s p o u r l'imposition de
la couronne et la tradition du glaive et d u sceptre,
les symboles d'une p u i s s a n c e u n i q u e m e n t inspirée
et guidée p a r l a piété, d'un p o u v o i r qu'on dirait
presqu'aulanl spirituel d é s o r m a i s q u e temporel, en
sorte (pie ses exploits ne sont é n u m é r é s que sous l a
forme d'oeuvres d e foi, d e justice c h r é t i e n n e et de
miséricorde.
» C'est d o n c bien l ' h o m m e de Dieu, où l ' h o m m e
du Christ qui a p p a r a î t ou doit a p p a r a î t r e , à partir
du sacre, dans le roi. Il est d é s o r m a i s à sa manière
une image de l'Oint divin, un Christ temporel ».

Cette doctrine, la sainte Pucelle s'est c o n s t a m m e n t


appliquée à l'inculquer aux â m e s françaises, au­
tant p a r ses actes q u e p a r ses p a r o l e s .
C'est ainsi qu'elle n ' a p p e l l e le fils de Charles VI
que le •« gentil D a u p h i n », c'est-à-dire, l'héritier
2
désigné p a r le s a n g , si longtemps q u e l l e n e l'a

ï. Ps. X L I V , 8.
2. Le m o t gentil n'avait point alors, et surtout sur
les lèvres de J e a n n e d'Arc, la s i g n i f i c a t i o n qu'il a reçue
anjmird'lnri : « prac i eux ». Son sons étnil : l'homme
de la. race, celui qui est de l a race royale, lo d e s c e n d a n t
lépit i me de nos rois : pn.r conséquent le vrai Dauphin,
r h ć r i t i c r l e p i ł hue du trône.
808 L E DON DE D I E U JEANNE D'ARC

point m e n é à Reims e t qu'il n ' a point r e ç u l'onction


sainte.
« Elle appelait m o n dit Seigneur le D a u p h i n « le
gentil D a u p h i n », dit Mathieu T h o m a s s i n , et ainsi
elle l'appela j u s q u ' à ce qu'il fût c o u r o n n é . » Maître
F r a n ç o i s Garivel, conseiller général du roi, fut en­
t e n d u à O r l é a n s l e 7 m a r s d a n s sa d é p o s i t i o n ; il
dit s u r l a question q u i l u i e u a été a d r e s s é e : « On
d e m a n d a i t à J e a n n e p o u r q u o i elle a p p e l a i t le roi
d u n o m d e D a u p h i n et n e l ' a p p e l a i t p a s r o i . Ella
r é p o n d a i t qu'elle n e l ' a p p e l l e r a i t roi q u e lorsqu'il
aurait clé sacré et c o u r o n n é à Reims o ù elle en­
tendait le conduire. »
« S'il suffisait, ,a~t-on dit fort j u s t e m e n t , d'être le
fils d e saint Louis p o u r être le roi désigné, il
fallait, p o u r exercer les prérogatives royales, avoir
reçu a u front celle goutte d'huile qui constituait
p r e s q u ' u n s a c r e m e n t ». J u s q u e - l à , l'usage voulait
qu'il s'abstînt d e porter la c o u r o n n e et les autres in­
signes r o y a u x . L a n a i s s a n c e lui conférait le droit
de régner, il gouvernait, m a i s il n e p r e n a i t posses­
sion de son t r ô n e q u e le j o u r o ù Notrc-Seigneur
J é s u s - C h r i s t lui conférait p a r le s a c r e d a n s la ba­
silique de R e i m s l'investiture d e son r o y a u m e , du
r o y a u m e du Fils de Marie, Fils d e Dieu.
Telle était l a pensée q u e J e a n n e a v a i t mission
de «raviver.
R a p p e l o n s le .premier e x p o s é qu'elle fait de sa
mission. C'est à V a u c o u l e u r s ; elle dit à Bnudrî-
c o u r t : « L e D a u p h i n s e r a r o i m a l g r é ses enne­
m i s ; et moi j e le c o n d u i r a i a son sacre. L e royaume
n e r e g a r d e p a s le D a u p h i n , il r e g a r d e m o n Sei­
gneur, m a i s mon Seigneur veut que le Dauphin de­
vienne r o i et qu'il tienne ce r o y a u m e eu connnen-
dc. > E n c o m m e n d e , c'est-à-dire, en dépôt, commen-
UNION DU TRONE ET DE iAUTEL 309
1
dare: c o n f i e r . Le r o y a u m e n'était pas d o n n é a u
roi, il lui était confié c o m m e un d é p ô t sacré, p o u r
lo défendre et le g o u v e r n e r c o n f o r m é m e n t aux vues
et d'après les lois d e Celui qui restait « le d r o i -
turier Seigneur » et qui, a u décès, le confierait de
nouveau à l'héritier légitime, c o n f o r m é m e n t à la
loi que l u i - m ê m e avait s a n c t i o n n é e .
L'investiture d'un fief, la prise de possession d'une
oommende se faisait p a r u n e c é r é m o n i e symbolique.
L'hommage féodal a i m a i t à revêtir au Moyen-
Age des formes qui n o u s p a r a i s s e n t a u j o u r d ' h u i
singulières et bizarres, niais qui p a r leur singula­
rité même r e n d a i e n t p l u s sensible à tous la dépen­
dance et la s u b o r d i n a t i o n du vassal à l'égard de
sou suzerain. L a t r a n s m i s s i o n de la p r o p r i é t é ou
du pouvoir étaient symbolisées p a r le don d'une
motte de terre, d'un r a m e a u , d'un fétu de paille.
L'hommage, la d é c l a r a t i o n de d é p e n d a n c e et Ja
promesse de fidélité revêtaient aussi les formes les
plus étranges. L e vrai roi de F r a n c e , Jésus-Christ,
lorsqu'il voulut investir d e n o u v e a u la r a c e capé­
tienne dans la b r a n c h e des Valois, exigea d'elle u n
hommage bien digne d'attention. Il prit au d e r n i e r
rang de ces petits, de ces h u m b l e s , p o u r la p r o t e c ­
tion desquels il a p r i n c i p a l e m e n t établi la r o y a u ­
té chrétienne, u n e e n f a n t ; et p a r la force des évé­
nements il obligea Charles VII a se laisser con­
duire par la m a i n j u s q u ' à la basilique de Reims.
Jeanne lui fit t r a v e r s e r ainsi cent lieues d e pays
ennemi, au g r a n d é b a h i s s e m e n t de la chrétienté et
delà postérité, p o u r le m e t t r e en possession du fief.

1. A l'origine, du moins, ce mot « commende » était


le terme par lequel on désignait un bien d'église confié
à la parde, à la sollicitude d'un puissant qui devait la
dAfondre. La commende déffenc'ra et devint l'un des plus
criants abus que présente l'histoire ecclésiastique.
310 L E DON DE DIEU : J E A N N E DARC

Cela fut exigé de Charles VII, sous peine d e refus


de l'investissement du fief, au p o i n t q u e l'enfant a
pu dire : « Il n'y a de salut q u ' e n moi, ainsi le
veut m o n Seigneur ».
Le sacre était le s y m b o l e o r d i n a i r e et régulier qui
donnait Pinveslilure du r o y a u m e . Aussi, lorsque la
c é r é m o n i e du sacre d e C h a r l e s VII fut achevée, la
sainte Pucelle se mil à genoux devant le roi et lui
dit : « Gentil roi, ores est exécuté le plaisir de Dieu,
qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre
digne sacre, m o n t r a n t q u e vous êtes vrai roi et
celui à qui le r o y a u m e doit a p p a r t e n i r ». Kcce
x
constitua te Dominus super hœrcdilalem tnam .
En m ê m e temps que N o t r e - S c i g n e u r Jésus-Christ
investit le légitime héritier, celui-ci fait profession
d'entrer sous l'allégeance divine, de se soumettre
cl se s u b o r d o n n e r à la suzeraineté de Jésus-Christ,
ce qui est figuré p a r sa longue p r o s t r a t i o n sous les
invocations de la li lanie. Vient ensuite l'onction,
s y m b o l e de la grace d'étal qui a c c o m p a g n e r a l'oint,
le c h r i s t temporel, d a n s toutes ses d é m a r c h e s et
toutes ses œ u v r e s ; et la tradition du glaive avec
l'imposition de la couronne, symbojes de la trans­
mission d u pouvoir. C'est ainsi q u e les rois de
F r a n c e sont liés au Christ, souverain m a î t r e du ciel
et de la terre. Ils lui inféodent leur puissance, mais
c'est p o u r la voir devenir u n e licutenanec plus au­
guste que l e u r pouvoir h u m a i n , puisqu'ils devien­
nent, non seulement les c o o p é r a l e u r s de Dieu dans
l'œuvre de la Providence, mais de plus les coopéra -
tcurs du divin R é d e m p t e u r d a n s l ' œ u v r e de la ré­
génération des peuples cl de la sanctification des
aines.
L'idée d e la r o v a u t é française, de la constitution

1. U e * . . X, !.
ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 311

nationale, des r a p p o r t s de l'Eglise et de l'Etat que


vcs chapitres viennent de rappeler, est bien étran­
gère, bien opposée m ê m e a u x pensées du jour. Et
cependant, elle est fondée s u r le d r o i t divin, s u r
le fait historique el s u r la mission de la Bienheureuse
Jeanne d'Arc. Elle fut c h a r g é e de la r a p p e l e r à la
France, r e n d u e attentive p a r le miracle de s o n re­
lèvement p a r la plus débile des m a i n s ; et aujour­
d'hui que sa c a n o n i s a t i o n la fait a p p a r a î t r e au fir­
mament de l'Eglise, d u h a u t de sa gloire elle n o u s
redit avec plus d ' a u t o r i t é el, espérons-le, avec
une force de p e r s u a s i o n plus grande, les paroles
de salut, les paroles qui, seules, peuvent rasseoir
la cité é b r a n l é e j u s q u e d a n s ses s u h s t r u c t i o n s les
plus fondamentales,
("est au r e t o u r à ces idées que sont attachées
les promesses de p e r m a n e n c e faites d e p a r Dieu à
notre France et que n o u s allons exposer.

C H A P I T R E LU

LA PÉRENNITÉ PROMISE A LA FRANCE


DANS CES CONDITIONS.

Hier encore n o u s e n t e n d i o n s E d o u a r d D r u m o n t ,
celui que ses confrères en j o u r n a l i s m e appellent « le
prophète *, n o u s dire q u e le P a r l e m e n t a r i s m e con­
duisait 8a F r a n c e à s o n p r o p r e suicide. Combien
d'autres, en se plaçant à des points de vue divers,
et avec des sentiments différents, ont a n n o n c é com­
me prochaine la fin d e n o t r e p a y s ! Des livres o n t
î,îi Milion de la R*e Jeanne d'Arc. iQ his
RI 2 L E DON DE DIEU : J E A N N E D'ARC

m é m o traité ex-profcsso la question des symptô­


mes d e m o r t que la F r a n c e offre a l'œil d e l'obser­
vateur.
Qu'a p e n s é J e a n n e d'Arc de l'avenir d e l a France?
A-t-elle d i t quelque chose q u i puisse n o u s éclai­
r e r s u r ce point, n o u s faire c o n n a î t r e son sentiment
ou p l u t ô t l a pensée d e Dieu, p u i s q u ' e l l e n'a rien
dit ni rien voulu dire d'elle-même, m a i s être le
simple et fidèle écho des vues et des volontés divines?
D e v a n t ses juges elle a c o n s t a m m e n t et invaria­
b l e m e n t affirmé les g r a n d s desseins d e Dieu sur la
F r a n c e . Mais elle n e p o u v a i t l e u r d i r e tout ce qu'elle
savait. Aussi y a-t-il eu d a n s ses r é p o n s e s aux in­
t e r r o g a t o i r e s que lui firent s u b i r C a u c h o n et ses
assesseurs, u n e partie pleine d'obscurités voulues.
Elle avait j u r é d e « celer à h o m m e vivant » le
p l u s secret d e ce qu'elle avail reçu mission de dire
au roi. Ce plus secret, c'était d ' a b o r d l'assurance
qu'elle lui a p p o r t a i t qu'il é t a i t v r a i m e n t fils du
roi défunt el non un a d u l t é r i n . E d o u a r d III aurait
t r o u v é clans ce doute t r o p b e a u jeu. O u t r e cela, il
y avait eu entre le roi et elle d'autres communi­
cations qui devaient r e s t e r également secrètes. Les
juges le s o u p ç o n n a i e n t et la m i r e n t , d a n s plusieurs
séances, à la t o r t u r e p o u r lui a r r a c h e r ce qu'elle
no voulait point leur livrer.
I n t e r r o g a t o i r e du 21 f é v r i e r 1431 :
« Cette voix vous a-t-elle défendu d e dire tout?
— Sur ce point je n e vous e n r é p o n d r a i . J'ai eu
des révélations p o u r m o n roi que je ne vous dirai
pas.
— Mes voix m ' o n t dit certaines choses pour le
roi, n o n p o u r vous.
— J e ne vous dirai p o i n t tout, j e n'en ai point
congé. — Mon s e r m e n t (le s e r m e n t fait a u tribu­
nal) ne va pas jusque-là ».
ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 313

Interrogatoire d u 27 février :
t Volontiers j e d i r a i s u r m e s révélations ce que
mon Seigneur m e p e r m e t t r a ; q u a n t à ce qui est
des révélations t o u c h a n t le roi de F r a n c e , je n e dirai
rien sans le congé de m e s Voix.
— A m o n r o i j ' a i dit en u n e fois tout ce q u i
m'a été r é v é l é ; aussi etais-je envoyée vers lui. Ce
sont des révélations qui r e g a r d e n t la F r a n c e et n o n
ceux qui i n t e r r o g e n t »
Interrogatoire du 3 m a r s :
• Quant à vous dire t o u t ce q u e j e sais, j ' a i m e ­
rais mieux que vous m e fissiez c o u p e r la tête. Ce
qui touche a u procès, j e le dirai volontiers. »
Que vous a dit saint Michel la p r e m i è r e fois?
— Vous n ' a u r e z pas e n c o r e de r é p o n s e là-dessus
aujourd'hui. J'ai bien dit u n e fois à m o n roi tout
ce que m'a révélé saint Michel. Combien je voudrais
que vous eussiez u n e copie d u livre q u i est à Poi­
1
tiers, si cependant Dieu en était c o n t e n t ! »

1. Saint Michel, a n g e protecteur d e l a Sainte E g l i s e


est aussi le protecteur de l a France, comme il fut 1©
protecteur du peuple d e D i e u . E n c e t t e qualité, il lui
appartenait de diriger l a formation de l a s a i n t e Pucelle,
destinée par D i e u à relever l a France et par suite à
apporter un grand secours à l a chrétienté. S a i n t Thomas
enseigne qu'en ce qui regarde le gouvernement d u monde,
les esprits supérieurs v o i e n t d a n s l'essence divine des
mystères que ne peuvent pas y lire les Bienheureux
d'un degré inférieur dans l a gloire. Les premiers font
participer les seconds a u x connaissances plus hautes-
qu'ils possèdent^ et c e u x - c i peuvent être chargés de les
transmettre aux" h o m m e s . C'est ainsi que s a i n t Michel
qui apparut le premier à J e a n n e d'Arc, accompagné de
beaucoup d'anges, lui a n n o n ç a que sainte Catherine e t
sainte Marguerite seraient c o n s t i t u é e s s e s maîtresses..
« Quand saint Michel v i n t vers moi, il me dit que
sainte Catherine et sainte Marguerite viendraient, qu'elles
étaient ordonnées pour m e diriger et me conseiller
en ce que j'avais à faire. Il m e d i t de m e conduire
a u L E DON DE DIETT : J E A N N E D'ARC

Pressée p a r ses indignes juges d e l e u r faire une ré­


vélation complète, p o u r n e point m a n q u e r a son
s e r m e n t e l c e p e n d a n t r é p o n d r e à ceux qui tenaient
sa vie e n t r e leurs m a i n s , et p e u t - ê t r e aussi pour
faire p a r v e n i r j u s q u ' à n o u s s a n s qu'ils pussent en
a v o i r u n e idée nette, ce qu'il n o u s i m p o r t a i t de
c o n n a î t r e , elle exposa s y m b o l i q u e m e n t la promesse
do p é r e n n i t é d o n t elle était dépositaire et q u i était
à l'adresse de l a F r a n c e n o n moins q u ' à l'adresse
de n o s rois.
Ce fut surtout dans les i n t e r r o g a t o i r e s des 1«", 10,
1
12 et 13 m a r s 1 1 3 1 q u ' o n la m i t à b o u t pour

d'après leurs conseils, que tel éi.ait le commandement,


de N ô t r e - S e i g n e u r ».
Il e s t ii. remarquer que s a i n t Michel avait a c c l a m é dans
le ciel l a royauté du F i l s de Dieu fait Fïomme.
Charles V I I a donné à ses successeurs l'exemple de
la. reconnaissance envers s a i n t Michel. I l fit frapper
des m o n n a i e s d'or à. l'effigie de l'Archange, portant
d'une main une grande croix et de l'autre protégeant
l'écusson de F r a n c o . 'Louis X I institua l'ordre de Saint-
Michel, le plus célèbre d e s Ordres de Chevalerie mi-
ht a i r e .
1. L e 13 et le 23 janvier, les 13, 14, 15, 16, 1!»,
20 février, eurent lieu les s é a n c e s dest i nées surtout ;ï
c o n s t i t u e r le tribunal et à e n g a g e r le prétendu procès.
L'interrogatoire d e J e a n n e , c o m m e n c é le 21 février
se prolongea l e s 22, 21, 27 d u m ê m e m o i s ; i l continua
les lor, i o , 12, 13, 14, 15, 17, 24, 25 m a r s ; il
ne prit f i n q u e dans les derniers jours d e m a i .
Parfois, il y eut séance l e m a t i n et le soir. La captive
épuisée par s a dure prison, ses fers, l'insuffisance de
la nourriture, devait, chacun d e ces jours, tenir tête, du-
rant cinq ou six heures à l a m e u t e aussi perfide que
savante, aussi envenimée qu'hypocrite d e ses nombreux
interrogateurs, qui s'efforçaient de tirer de ses paroles
de quoi échnfnuder la s e n t e n c e d e - m o r t par le feu qu'ils
é t a i e n t résolus à prononcer contre e l l e . On lui fit
jurer c e n t fois de répondre s e l o n la vérité sur toutes les
q u e s t i o n s qui lui seront a d r e s s é e s . E l l e p r o t e s t e chaque
ELLE PROMET A LA FRANGE LA PÉRENNITÉ 815

lui arracher « le signe du roi » et la p r o m e s s e qu'il


contenait.
« Je vous ai toujours r é p o n d u que vous n e ti­
reriez j a m a i s cela de m a b o u c h e . Allez le lui de­
mander.
— Je vous ai déjà dit que je ne vous révélerai ja­
mais ce qui touche n o t r e roi. J e n e p a r l e r a i pas
de ce qui le r e g a r d e .
— Vous n e saurez cela de moi. Des choses q u e
j'ai promis de tenir secrètes, je n e vous dirai rien.
Je Tai p r o m i s e n tel lieu, que je n e le p o u r r a i s
dire sans m e p a r j u r e r ».

Elle ne devait p o i n t c e p e n d a n t être absolument


fermée à toute manifestation de ce qu'il nous im­
portait de savoir. Sur l e conseil d e ses voix, elle
emprunta le langage figuré des E c r i t u r e s . Elle se
servit de symboles c o m m e Noire-Seigneur en avait
donné l'exemple p o u r « qu'ainsi ils voient sans
voir, ils entendent sans c o m p r e n d r e ? *.
De plus, p o u r r o m p r e les chiens, si j e puis ainsi
dire, dans ses réponses, elle t r a n s p o r t a i t les juges
tantôt à Chinon, tantôt à Reims, a p p e l a n t leur atten­
tion sur sa p r e m i è r e e n t r e v u e avec le roi, puis tout
à coup sur le sacre e t mêlant, confondant ce qui
avait été visible aux y e u x de tous avec ce qui se
[lassait invisiblement p a r le ministère des anges.
Le symbole d o n t elle se servit est pris de la cou­
ronne royale déposée s u r la tète d e Charles VII p a r
l'évoque de Reims d a n s la cérémonie du sacre.

fois qu'elle ne répondra que sur ce qui regarde le


procès e t n o t a m m e n t que, d û t - o n lui couper l a tête, e l l e
ne dira rien qui pourra, entre leurs mains, servir d'arme
contre son roi.
1. Matth. X l IL 1 5 .
316 LE ï)0N DE DIEU : JEANNE D'ARC

c A ce qu'il m e semble, m o n r o i p r i t avec joie la


c o u r o n n e qu'il trouva à R e i m s . Il en usa de la sorte
p o u r p r e s s e r les choses à la r e q u ê t e de ceux de
Reims, afin de leur é p a r g n e r la charge des hommes
de guerre. S'il eût attendu, il a u r a i t eu u n e cou­
r o n n e mille fois plus riche. »
Ce d o n t elle parle ici, c'est la c o u r o n n e d e métal
qui fut employée d a n s la c é r é m o n i e d u s a c r e . Mais
d e cet objet matériel, elle p a s s e bientôt à ce qu'il
s y m b o l i s e : u n e a u t r e c o u r o n n e mille fois plus ri­
che.
Cette c o u r o n n e mille fois plus r i c h e q u e Char­
les VII r e ç u t dans u n e a u t r e occasion, était une
c o u r o n n e immatérielle, c a r J e a n n e , i n t e r r o g é e si elle
l'a vue, n e veut r é p o n d r e . < J e n e le s a u r a i s dire
sans me parjurer. »
Dire qu'elle; était invisible, c'eut été r é v é l e r qu'il
s'agissait de toute a u t r e chose q u e d'un diadème
de m é t a l .
La chose signifiée p a r cette c o u r o n n e surnaturelle,
elle l'appelle « le signe ». 11 est, dit-elle, bol et bien
h o n o r é et bien c r o y a b l e ; il est bon e l le p l u s riche
qui soit au m o n d e ».
— J'étais p r e s q u e t o u j o u r s en p r i è r e , afin que
Dieu e n v o y â t le signe d u r o i .
— Il est b o n à savoir qu'il d u r e r a j u s q u ' à mille
a n s et outre.
— Il est dans le t r é s o r d u roi. II d u r e r a mille ans
et o u t r e .
— Il n'est h o m m e qui saurait deviser aussi riche
chose c o m m e est le signe.
— C'est u n ange de p a r Dieu et n o n d e p a r autre
q u i bailla le signe à m o n r o i et j ' e n remerciai
m o u l t fois Notre-Seigneur.
— L'ange qui l'apportait vint de haut, j'entends
ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 817

qu'il venait p a r le c o m m a n d e m e n t d e Notre-Seigneur


Je dis à m o n roi : Sire, voilà v o t r e signe, prenez-le.
— La c o u r o n n e fut baillée à u n a r c h e v ê q u e , ce­
lui de Reims, à ce qu'il m e semble, en la présence
du roi. Ledit a r c h e v ê q u e la reçut et la bailla a u roi.
J'étais m o i - m ê m e présente. La c o u r o n n e fut mise
au t r é s o r du roi. »
« Vous a-t-il été dit o ù l'ange avait pris cette
couronne ?
— Elle a été a p p o r t é e de p a r D i e u ; il n'y a
orfèvre au m o n d e qui la sût faire si belle o u si
riche. Quant au lieu où il l'a prise, j e m'en r a p ­
porte à Dieu et j e ne sais p a s a u t r e m e n t o ù
elle fut prise. >
Jeanne, en r a p p e l a n t au cours de son interrogatoire
qu'elle avait j u r é de n e pas d i r e le signe, avertis­
sait le tribunal de n e p a s p r e n d r e ses paroles à la
lettre. Huit j o u r s a p r è s sa mort, un dominicain,
Jean ï o u t n i o u i l l é c , déclara, sous la foi d u serment ce
qui suit : « L e j o u r où la sentence fut r e n d u e contre
Jeanne, le m e r c r e d i , veille de l ' E u c h a r i s t i e d u Christ,
j ' a c c o m p a g n a i F r è r e Martin Ladvenu qui se rendit
le matin vers J e a n n e p o u r l'exhorter en vue du salut
de son â m e . Maître P i e r r e Maurice se trouvait déjà
auprès d'elle. J e l'entendis dire à F r è r e Martin L a d -
venu que J e a n n e avait a v o u é que ce qui regardait
la c o u r o n n e était u n e allégorie, q u ' e l l e - m ê m e était
l'ange ».
Il est d o n c certain q u e l'ange qui a p p o r t a le d o n
céleste figuré p a r u n e « c o u r o n n e » à Charles VII
n'était a u t r e que la Pucelle elle-même. Les d o c t e u r s
qui ont écrit p o u r sa réhabilitation o n t r é p é t é à
l'envi qu'elle pouvait très légitimement se dire l a n ­
ge de Dieu. Ange signifie envoyée, o r J e a n n e était
bien l'envoyée de Dieu. Elle le p o u v a i t d'autant
818 LE DON DE DIEU ; JEANNE D'ARC

plus j u s t e m e n t qu'au m o m e n t où elle révélait au


p r i n c e les secrets qu'elle était c h a r g é e d e lui trans­
mettre, ce n'était pas t a n t elle qui p a r l a i t q u e l'An­
ge a u q u e l elle servait d ' o r g a n e . Angélus Domini lo-
l
qnehutur in nu\ «disent les p r o p h è t e s .
Cette identification e x p l i q u e c o m m e n t elle a pu
d i r e d e v a n t ses juges q u e r a n g e qui avait apporté
la c o u r o n n e était m o n t é p a r les escaliers, avait mar­
ché d a n s la c h a m b r e , s'était incliné, avait fait la
r é v é r e n c e devant le roi.
P o u r avoir donc l'intelligence claire d e ce qu'elle
dit aux juges o b s c u r é m e n t e t sous le voile de l'al­
légorie, n o u s devons n o u s r e p o r t e r à Chinon, nous
r e n d r e p r é s e n t s h l'entretien qu'elle y cul avec le
r o i et a y a n t dans l'esprit les divers termes de l'al­
légorie, n o u s a p p l i q u e r à les t r a d u i r e en langage
c o u r a n t tel que celui q u ' e l l e tint a u r o i dans les
révélations qu'elle lui fit.
B r é h a l , ainsi que la p l u p a r t des a u t e u r s des
m é m o i r e s de ce temps, p a r l e c o m m e d ' u n e chose
n o t o i r e tle Ta révélation d e secrets des plus impor­
t a n t s d a n s cet entretien. « Il y eut, dit-il, des
choses p l u s secrètes que celles que n o u s venons
de dire. T o u t le m o n d e les a ignorées, et elles ne
sont c o n n u e s que du roi e t d e J e a n n e . Ces choses
plus secrètes, c'était tout d ' a b o r d la p r i è r e intime du
r o i a u sujet <lc sa filiation et Ja r é p o n s e q u e Jeanne
lui a p p o r t a i t de la p a r i d e D i e u ; c'était la con­
firmation p a r le m i r a c l e de la constitution poli­
tique de n o t r e p a y s ; m a i s c'était sans d o u t e aussi
la révélation des destinées d e la F r a n c e .
T h o m a s Basiu, éveque de Lisicux, n é la même
a n n é e que J e a n n e d'Arc, d a n s son Histoire de
Chartes VII, dit : « J e a n n e , a d m i s e en la pré-

1. Zudiarie, I - i : ï ; II-IL
ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 319

sence d u roi, e u t a v e c l e p r i n c e , à l'écart des té­


moins, un e n t r e t i e n de p l u s de deux h e u r e s . Charles
lui laissa d o n n e r sur le sujet d o n t elle l'entretenait
tous les détails qu'elle voulut e t l'interrogea à
son t o u r » \
De ce long entretien, les paroles de J e a n n e don­
nant les r é p o n s e s q u e n o u s venons d'entendre aux
interrogations qui lui furent faites, p e u v e n t n o u s
donner q u e l q u e idée d e ce qu'elle voulait signifier
par le don de la c o u r o n n e .
Ce don est é v i d e m m e n t fait à la F r a n c e et non à
la seule p e r s o n n e de Charles VII, puisqu'il doit
durer j u s q u ' à mille a n s et o u t r e .
Ce n'est point un objet matériel, m a i s une libé­
ralité divine, u n e dot, un privilège; c'est le d o n « te
plus riche qui soit a u m o n d e >; il est « b o n » et
source de b i e n s ; il est « bel et bien h o n o r e », ap­
pelant la c o n s i d é r a t i o n cl les louanges des autres na­
tions; il est « bien c r o y a b l e * enfin et son exis­
tence ne peut être niée, p u i s q u e ses effets se ma­
nifesteront de siècle en siècle, mille a n s et plus.
Il a été a p p o r t é p a r l'ange, p a r J e a n n e , qui l'avait
reçu d'en haut, a p r è s l'avoir sollicité de la bonté
divine : * J'étais p r e s q u e toujours en prière afin
que Dieu envoyât le signe du roi » ; et a p r è s l'avoir
reçu cl donné, elle ne se lassa p o i n t d'en r e n d r e

1. Outre les quelques personnages auxquels le secret


fut explicitement révélé plus tard, il y avait, à la
partie opposée à celle o ù lo roi et J e a n n e s'étaient re-
tiras, dans c e t t e salle très vaste, dnu! on peut encore
constater les dimensions, plus de trois c e n t s chevaliers.
Ils furent témoins de l'émotion du prince pendant oc
Iorifr entretien. « Le vi sa pro d u roi. dit Alain Charrier,
était tout rayonnant ». I l s l'eut eudirenfc répéter que
la Pucelle lui ava.it révélé des choses qui n'étaient
connues que do D i e u et de lui seul.
320 LE DON DE DIEU : JEANNE D ' A R C

grâces : « j ' e n r e m e r c i a i m o u l t d e fois Notre-Sei-


g n e u r ».
Ce privilège : il n'est p o i n t a u p o u v o i r d e l'hom­
me, a u p o u v o i r d ' u n e n a t i o n de s e l e conférer ù
elle-même. « Celte c o u r o n n e a été a p p o r t é e de par
D i e u ; il n ' y a orfèvre a u m o n d e q u i la s û t faire. »
Dieu, p o u r en d o t e r la F r a n c e , l'a f a b r i q u é e dans,
les conseils de son éternelle prédestination, le plus
i n s o n d a b l e des mystères de la P r o v i d e n c e , qui donne
à c h a q u e peuple c o m m e à c h a q u e h o m m e sa voca­
tion et sa mission. Dire a v e c J e a n n e d'Arc « qu'on
n'en sait pas le d e r n i e r m o t », « q u ' o n s'en rap­
p o r t e à Dieu », « que l'on n'en sait p a s p l u s long »,
c'est faire sous une a u t r e forme la r é p o n s e de l'A­
p ô t r e à la question de la prédestination. « O profon­
d e u r de la sagesse et de la science de Dieu! qui fut
1
son conseiller ! »
Il est à r e m a r q u e r q u e ces p a r o l e s révélatrices
de l'avenir de la F r a n c e ne nous sont point parve­
nues transmises de b o u c h e en b o u c h e . Elles ont été
recueillies p a r des officiers judiciaires aux gages des
futurs b o u r r e a u x de la sainte Pucelle el consignés
d a n s les actes du procès.

L a mission s u r n a t u r e l l e de J e a n n e est une ga­


r a n t i e de la mission e x c e p t i o n n e l l e m e n t providen­
tielle de la F r a n c e si s p l e n d i d e m e n t éclairée par
l'allégorie d e la suinte Pucelle. P o u r q u o i avoir ainsi
m i r a c u l e u s e m e n t p r é s e r v é et s e c o u r u n o t r e pays,
si Dieu n'avait pas sur lui, p o u r l'avenir, les grands
desseins q u e la parole d e J e a n n e n o u s révèle?
« Il n'y a j a m a i s eu de m o n a r c h i e , dit Le Bret,
qui ait si longtemps d u r é en sa splendeur, n'y qui
d a n s Testât où elle est à présent puisse se pro­
m e t t r e plus de gloire et de félicite que celle de la

1. Kom. XI, 33.


ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 321

France; car, b i e n q u e s a fortune a i t été souvent


agitée de furieuses t e m p ê t e s q u i lui o n t esté sou­
vent suscitées ou p a r l'envie de ses voisins ou p a r
la p r o p r e malice de ses peuples, toulesfois Dieu
l'a toujours relevée a u - d e s s u s de l'orage et Ta ren­
due plus p u i s s a n t e qu'elle n'esloit a u p a r a v a n t , si
qu'un signalé p e r s o n n a g e de ce siècle dit avec r a i s o n :
Magna regni iGfdlorujn fortuna, sed seniper in malis
major resurnexit.
> Nous devons e s p é r e r qu'elle n e p o u r r a j a m a i s
être ébranlée, tandis q u e les r o i s continueront à
maintenir eu son l u s t r e la religion, de c h é r i r leurs
peuples et de leur faire p a r t d e la félicité que Dieu
1
leur d o n n e » .
Guillaume de Nangis, d a n s la Chronique de Saint
Louis, expliquant le s y m b o l i s m e de l'écu de F r a n c e
qui porte trois fleurs d e lis, a dit de m ê m e :
« Puisque N o t r e P è r e Jésus-Christ veut espécial-
ment, sur tous a u t r e s r o y a u m e s , e n l u m i n e r le royau­
me de F r a n c e d e Foy, d e Sapieuce et d e Cheva­
lerie, li Roy s de F r a n c e a c c o u s l u m e r e n t en leurs
armes à p o r t e r la fleur de liz p a i n c t e p a r trois fuel-
lies, ainsi corne se ils dcissenl a tout le m o n d e : Foy,
Sapience e t Chevalerie sont, p a r la provision et p a r
la grace de Dieu, p l u s h a b o n d a m m e n t d a n s n o s t r e
royaume que e n ces a u l t r e s . L e s deux fuellies qui
sont oeles (ailes) signefient Sapience et Chevalerie
qui gardent e t deffendent l a tierce fuellie qui e s t
au milieu de elles, plus longue et plus h a u t e , p a r la­
quelle, Foi est e n t e n d u e et segneufiéc, car elle est
et doibt eslre gouvernée p a r Sapience et deffendue
par Chevalerie. T o u t corne ces trois grâces de Dieu
seront fermement et o r d è n e m e n t joincles ensemble
au royaume de F r a n c e , li r o y a u m e s e r a fort et

1. Traité de la souveraineté du Boy


y L. I t ch. I.
La Mission dc 1 \ Use Jeanne d'Arc 22
T
322 LE DON DE DIKl : JEANNE n^ARG

f e r m o ; et se il avient q u e elles soient ostées el


d e s s e u r é e s (séparées), le r o y a u m e c h e r r a en désola­
tion et e n d e s t r u i c m e n l ».

P o u r r e m p l i r la mission qu'il lui a confiée dès


son b a p l è m c , Dieu a d o n n é à la F r a n c e u n e Cons­
titution qui lui pcrmil d e r é p o n d r e à ses desseins et
de faire les œ u v r e s qu'il en attendait, d e t t e constitu­
tion, qui est devenue p o u r les a u t r e s peuples le
modèle dont ils se sont r a p p r o c h é s de l e u r mieux,
est d'une perfection telle q u ' « il n'est h o m m e qui
s a u r a i t deviser aussi r i c h e chose ». De fait on
ne t r o u v e r i e n de s e m b l a b l e d a n s l'hisloirc de
riiunianilé.
Elle existait, elle se t r o u v a p r o f o n d é m e n t ébranlée
p a r la faule de Philippe-le-Bel ; Dieu la restaura
p a r J e a n n e , el ainsi r e s t a u r é e , la fil r e m e t t r e en
m ê m e . t e m p s au roi e t à l ' a r c h e v ê q u e de Reims.
La constitution française, n o u s l'avons vu, a
un d o u b l e c a r a c t è r e , clic est à la fois religieuse et
politique e l c'est p o u r q u o i sa garde et son main­
tien s o n t confiés à l'Eglise e l à la r o y a u t é . « La
c o u r o n n e fut baillée à son a r c h e v ê q u e , celui de
R e i m s ( r é v o q u e du s a c r e ) , à ce qu'il m e semble,
en la présence du roi. Le dit a r c h e v ê q u e la reçut cl
la bailla au roi. J'étais m o i - m ê m e présente. La
c o u r o n n e fui mise au trésor d u roi ». Elle y est
j u s q u ' à mille ans et o u t r e , « si r r L E V E C X », ô
peuple de F r a n c e !
L'acquiescement de la volonté fut d e m a n d é à
Charles, par J e a n n e , c o m m e condition p r é a l a b l e pour
qu'il pût être sacré et c o u r o n n é .
L'acquiescement de la volonté n a t i o n a l e est né­
cessaire au maintien de la constitution française. Le
peuple de F r a n c e a voulu la rejeter il y a un siècle
ELLE PROMET A LA FRANCE LA PÉRENNITÉ 823

et plus. L a r é v o l u t i o n de cent a n s n ' e s t p a s sans


rapports avec l a g u e r r e de cent a n s . Aujourd'hui
comme aux j o u r s de l a sainte Pucelle la F r a n c e
est menacée de d i s p a r a î t r e ; le c h a n c r e révolution­
naire mine sou t e m p é r a m e n t et l a livre sans force
aux coups de ses e n n e m i s d u d e d a n s et du d e h o r s .
Dieu fera-t-il p o u r elle u n n o u v e a u m i r a c l e ? E t
si cette m i s é r i c o r d e lui est présentée, l'accueillera-
t-elle avec r e p e n t a n c e et r e c o n n a i s s a n c e , et repren-
dra-t-clle p o u r u n millier d'années le c o u r s d e ses
augustes destinées? Il s e m b l e q u e la r é p o n s e à ces
questions angoissantes n e p e u t p l u s tarder.
IV

LA P E N S É E ET L ' Œ U V R E D E LA D I V I N E
MESSAGÈRE
ONT-ELLES ÉTÉ RESPECTÉES ?

C H A P I T R E LUI

OPPOSITION DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS.

C o m m e n t les rois de F r a n c e , p o s t é r i e u r s à Char­


les VII ont-ils re^u r e n s e i g n e m e n t de la Sainte Pu­
celle? C o m m e n t les Valois et les R o u r b o n s qui suc­
cédèrent a u x p r e m i e r s Capétiens ont-ils accepté le
r e n o u v e l l e m e n t du pacte o r i g i n e l ? Y ont-ils é(é fi­
dèles? Ont-ils c o m p r i s ce rpie la sainte Pucelle était
venue l e u r d e m a n d e r de la p a r t de Dieu? Ont-ils
fait d e « l'évangile d e J e a n n e -> la règle de leur
c o n d u i t e et de leur g o u v e r n e m e n t ? Se sont-ils ef­
forcés d e réaliser en F r a n c e et de propager- par le
m o n d e le règne du * Fils de Marie, Fils de Dieu? *
- E n d e h o r s des défaillances personnelles, comme
il s'en trouve nécessairement d a n s u n e longue suite
d e princes, tenant les uns à la suite des autres le
OPPOSITION DE L'UNIVERSITÉ 825

gouvernail, m a i s avec des diversités inévitables de


caractère et d'intelligence; en d e h o r s aussi de la
pression d ' u n e aussi l o n g u e suite d'événements ve­
nant s'imposer avec l e u r s conséquences, et dont le
poids est parfois si l o u r d s u r les intelligences e t
sur les v o l o n t é s ; en d e h o r s enfin d e l'esprit d u
temps qui n'a p a s m o i n s d e force d ' e n t r a î n e m e n t ,
— esprit qui fut celui de la Renaissance puis de
la Réforme, — o n p e u t dire que les Valois et les
Bourbons o n t c o m p r i s c o m m e les capétiens directs
la signification du s a c r e et ce que d e m a n d a i t d'eux
la grace d'état qu'il l e u r c o n f é r a i t
De celle assertion, l'histoire fournit des preuves
nombreuses et sans cesse renouvelées.
Nous n'avons p a s à faire ici un cours d'histoire,
contentons-nous de signaler quelques faits généraux
et marquants.
Toujours nos rois se sont dits rois par la gracie
de Dieu, tradition qui n o u s a été rappelée par le
Comte de C h a m b o r d : « Il faut, a-t-il dit, en parlant
de la France, que Dieu y règne en m a î t r e p o u r que
je puisse y r e n t r e r en roi...
Non seulement la m o n a r c h i e française a toujours
fondé son a u t o r i t é s u r Dieu, mais elle a toujours
reconnu la foi catholique c o m m e étant la loi pre­
mière du r o y a u m e , toujours elle a défendu la cons­
cience de ses sujets c o n t r e l'hérésie.
Toujours nos rois o n t d i s t r i b u é la justice — ce
qui est leur principal a t t r i b u t , rex a recte judicando,
au nom de Dieu, sous le r e g a r d et p a r l'autorité du
Christ i.

1. Les princes étrangers, d i t L o y s d'Orléans {Les Ou-


vertures des Parlements) se font représenter en leurs
sceaux « superbement m o n t e z , l'cspée a u poing, sur
leurs grands chevaux e t faisant parade de leur vail-
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc =°
326 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

T o u j o u r s , devant l e u r s peuples, ils o n t fait cette


p r o c l a m a t i o n qu'ils n'étaient que les lieutenants du
C h r i s t ; -et ils l'ont faite de façon à la r e n d r e per­
pétuelle, se r e n o u v e l a n t t o u s les j o u r s et s'imposant
à t o u t i n s t a n t à l'attention d e tous les sujets sans
distinction d e rang. S u r les m o n n a i e s q u i sont en
tout 'temps, aux mains de tous, ils g r a v è r e n t que
le Christ a vaincu le césarisme païen, que c est Lui
qui règne, que c'est à L u i de faire les lois : Christm
vincit, Chrislus régnât, Christus impemt. Aussi Jo­
seph d e Maistre a-t-il p u d i r e que la Révolution,
qui est, d a n s son fond, l'insurrection contre la
r o y a u t é du Christ et m ê m e c o n t r e la souveraineté de
Dieu, ne sera terminée q u e l o r s q u e celte devise re­
p a r a î t r a s u r nos m o n n a i e s . Cette r e s t a u r a t i o n sera
en effet aux yeux de tous le signe manifeste que
c'en est fait du laïcisme et de l ' h u m a n i s m e et que
la civilisation chrétienne r e p r e n d sa m a r c h e .
Telle est l'idée que n o s r o i s se sont faite de leur
dignité et de l e u r a u t o r i t é . Q u a n t a u fait, si on
l'envisage de h a u t et d a n s l'ensemble, on peut dire
que l e u r conduite s'est réglée s u r ces principes.
Il y eut des défaillances, n o u s venons de le dire, et
il ne pouvait p a s n e p a s s'en p r o d u i r e . Mais ces dé­
faillances, q u e sont-elles, si o n les m e t en regard
de l'opposition formidable au règne d u Christ sur la
société q u e la Renaissance, puis la Réforme, puis
la Révolution n'ont cessé d e p r o d u i r e , de forti­
fier et 'de faire croître, des j o u r s de J e a n n e d'Arc
aux j o u r s où n o u s s o m m e s !

lunre » tandis que les s e u l s rois de F r a n c e s'y montrent


a s s i s , (ML longue robe semée d e fleurs d e lis e t tenant
leur main de j u s t i c e ; d e u x l i o n s sont c o u c h é s sous leurs
pieds ou ils figurent l a force et l a violence abattues par
l'équité que nos princes d i s p e n s e n t incessamment.
OPPOSITION DE L'UNIVERSITÉ 327

Cette opposition, n o u s l a voyons, dès le règne de


Charles VII, se personnifier d a n s l'Université de Paris
et dans le P a r l e m e n t .
L'Université de P a r i s qui avait tenu en E u r o p e u n e
place si g r a n d e e t si éclatante était dégénérée. Elle
avait pris fait et cause p o u r le B o u r g u i g n o n et p o u r
l'Anglais; jet c o m m e la mission de J e a n n e d'Arc con­
damnait s a c o n d u i t e e t ses déclarations, son or­
gueil blessé c o n ç u t c o n t r e la Pucelle la h a i n e la
plus violente. C'est elle qui, la p r e m i è r e voulut la
mort de l a sainte Pucelle. Cauchon était, c o m m e
le constate M. Wallon, l'organe le plus accrédité du
corps enseignant. Quicherat, m a l g r é toute l a faveur
dont il n e cesse d ' e n t o u r e r l'Université, ne peut
s'empêcher d e p o r t e r c o n t r e elle cet acte d'accu­
sation : « L'idée de faire s u c c o m b e r J e a n n e devant
l'Eglise s e produisit s p o n t a n é m e n t , n o n pas d a n s
les conseils du g o u v e r n e m e n t anglais, mais dans les
x
conciliabules d e l'Université » .
Dans ces dispositions e t a p r è s ce forfait, elle était
aussi éloignée que possible d ' a d o p t e r l'Evangile de
Jeanne sur la r o y a u t é sociale d e N . - S . Jésus-Christ
et l'autorité de s o n Vicaire.
Son orgueil aurait suffi, d'ailleurs, à lui faire r e ­
pousser la doctrine p r e c h é e p a r u n e enfant.
Elle r e v e n d i q u a i t p o u r elle l'hégémonie dans l'E­
glise.
Dans le Carlulaire d e l'Université, le P . Denifle
résume ainsi ce qu'elle p e n s a i t d'elle-même et ce
qu'elle voulait d u r a n t celte période : « Ses m a î t r e s
prétendaient que la voix universelle p r o c l a m a i t que
la vérité catholique avait établi son siège dans la
Faculté de théologie de P a r i s . . , L e s docteurs de
Paris ont p o u r mission p r i n c i p a l e de discerner ce

1. Aperçus nouveaux, p. 96-101.


328 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

qui esl vrai, ce qui est faux en m a t i è r e d e foi. Les


p r é l a t s sont chargés de m e t t r e en sentence ce qui »
été d i s c u t é cl d é t e r m i n e j K i r les d o c t e u r s . . . Par
suite il a p p a r t i e n t à l'Université d e P a r i s d'admo­
nester le Pape, les prélats, le roi, les p r i n c e s et les
fidèles ».
C'est à la science, pensait-elle, à déterminer le
vrai et le faux, le j u s t e el l'injuste. Or la science
est le privilège incontestable d e l'Université- de
Paris. Donc... Nos intellectuels o n t ressuscité ce
r a i s o n n e m e n t et s'adjugent, à leur tour, ce privi­
lège.
Or, on sait l'usage (pie l'Université fit, à celle épo
que, du pouvoir qu'elle s'adjugeait el du crédit
qu'on lui accordait.
C'est elle qui joua le p r e m i e r rôle au Concile de
Constance, d o n t la q u a t r i è m e session n'a point reçu
l ' a p p r o b a t i o n de Martin V, c l a u Concile d e Bàlc
d o n t les décrets o n t été rej êtes et c o n d a m n é s par
E u g è n e IV dans le concile de F l o r e n c e et p a r Léon X
d a n s celui de L a t r a n .
C'est elle qui a crée el mis au m o n d e le galli­
c a n i s m e . Dans VEjMsioia [xicis, les pouvoirs du
P a p e sont assimilés à ceux du r e c t e u r d e l'Univer­
sité. Le recteur tenait d'elle tous ses pouvoirs et
ne pouvait rien que p a r son c o n s e n t e m e n t ; le Pape,
lui aussi, devait tenir sou pouvoir de l'Eglise et
ne pouvait rien qu'elle n ' e û t a d m i s .
Grâce à son passé, grâce à l'éclat qu'elle avait
d o n n é à Paris, en ses b e a u x j o u r s , d a n s la chré­
tienté entière, elle jouissait d u n e g r a n d e autorité.
D ' a b o r d auprès d e ses s u p p ô t s qu'elle s'attachait
p a r des serments qui les liaient p o u r t o u t e leur vie.
Ils j u r a i e n t d'obéir au r e c t e u r et a u procureur de
l e u r nation, de q u e l q u e dignité q u ' e u x - m ê m e s fus-
OPPOSITION DE L'UNIVERSITÉ 329

sent p o u r v u s . Or, les plus h a u t s dignitaires de l'E­


glise de F r a n c e et m ê m e plusieurs P a p e s avaient
été ses élèves. Elle jouissait d'une semblable a u t o ­
rité auprès ides a u t r e s universités. La p l u p a r t avaient
été fondées s u r son modèle, o u m ê m e p a r ses maî­
tres; et elles se faisaient u n devoir d e la p r e n d r e
pour leur directrice.
Rien de plus opposé au règne social de Notre-Sei-
gneur que le gallicanisme, q u e l'Université de P a r i s
inventa. Il déniait à s o n Vicaire, d a n s T o r d r e spiri­
tuel, la puissance a b s o l u e d o n t il a été revêtu e n
la personne d e saint P i e r r e ; et d a n s T o r d r e tem­
porel, sous p r é t e x t e d e m a i n t e n i r u n e conception
de la souveraineté h é r i t é e d e Constantin et d e T h é o -
dose, il r e s t a u r a i t en réalité la c o n c e p t i o n païenne
de TEtat en s u b o r d o n n a n t le P a p e au r o i : « L o
moyen d e ce b o n g o u v e r n e m e n t (de l'Eglise), écrit
un gallican en 1551, était qu'en cedit r o y a u m e , les
juridictions 'ecclésiastique el temporelle étaient p a r
ensemble e o n c o r d a b l e m e n t a d m i n i s t r é e s sous et p a r
l'autorité desdils rois. » Appuyés s u r ce principe,
les Gallicans p r é t e n d a i e n t q u e la puissance d o n n é e
à saint P i e r r e et à l'Eglise, se b o r n e au spirituel el
ne s'étend, ni d i r e c t e m e n t , ni indirectement, s u r le
temporel. Cette e r r e u r , m a l g r é les oppositions, se
maintiendra de siècle e n siècle p o u r ê t r e enfin le
principe de la déclaration d e 1682, puis de la cons­
titution civile d u clergé, cl enfin de la s é p a r a t i o n
de l'Eglise et de l ' E t a t

Nos rois ne se laissèrent point e n t r a î n e r dans


cette voie, qui semblait favoriser leur puissance,
aussi loin qu'on aurait pu le c r a i n d r e . Plusieurs
prêtèrent Toreille a celle sirène. Ils avaient à c o m p ­
ter avec elle. P a r ses q u a t r e Facultés et ses quatre
880 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

•nations, l'Université était u n E t a t d a n s l'Etat; et


c o m m e le reconnaissent les a u t e u r s d u Cartulaire,
elle fut le g r a n d m o t e u r d e s é v é n e m e n t s politiques
1
au t e m p s de J e a n n e d ' A r c .
Elle voulait voir à ses pieds tous les o r d r e s de
l'Etat, i m p r i m e r à t o u s sa direction, l e s censurer,
les b l â m e r p u b l i q u e m e n t , intervenir en t o u t et par­
tout c o m m e «étant, clic, l'expression de la sagesse di­
vine et h u m a i n e .
Elle réussit à faire p r o m u l g u e r p a r Charles VII
la p r a g m a t i q u e sanction, recueil des règlements dres­
s é s p a r les P è r e s d u concile de Baie, r é p r o u v é s pur
E u g è n e IV. « Cet acte néfaste, est-il a u t r e chose, de­
m a n d e l'historien de C h a r l e s VII, M. d e Bcaucourt,
q u e le résidu des d o c t r i n e s des m a î t r e s parisiens? »
Mais L o u i s XI fit ce qu'il p u t p o u r a b o l i r la Prag­
m a t i q u e , r e c o n n a i s s a n t c qu'elle était attentatoire à
l ' a u t o r i t é du P a p e , qu'elle finirait p a r amener le
r e n v e r s e m e n t de l ' o r d r e et des lois, puisqu'elle em­
pêchait l e P a p e d ' e x e r c e r la s o u v e r a i n e puissance
e r
q u e Dieu lui a déférée »; et F r a n ç o i s I l'abolit
effectivement p a r le C o n c o r d a t d e 1515.
Le m a u v a i s esprit qui l'avait dictée n e disparut
p o i n t a v e c <oetto r é p r o b a t i o n . Il s e r p e n t a de siècle
en siècle. Sa d e r n i è r e manifestation e u t lieu à l'As­
s e m b l é e du iclergé e n 1682 o ù il s e formula dans
la fameuse * d é c l a r a t i o n » et ses q u a t r e articles.
L o u i s XIV iqui Pavait en q u e l q u e s o r t e exigée, re­
c o n n u t plus t a r d son e r r e u r . L e 14 s e p t e m b r e 1G93,
il écrivit n u P a p e I n n o c e n t XII : « J e suis bien
aiso de faire s a v o i r h V o t r e Sainteté q u e j ' a i donné
les o r d r e s nécessaires |x>ur q u e les choses contenues
d a n s m o n édit d u 22 m a r s 1G82 t o u c h a n t la dé-

l. CarLularium III, Introd. 6.


OPPOSITION DU PARLEMENT 331

claration faite p a r l e c l e r g é de F r a n c e , à quoi les


conjectures passées m ' a v a i e n t loblige, n e soient pas
observées ».

C H A P I T R E LIV

OPPOSITION DU PARLEMENT.

Le Parlement fut la seconde institution qui, p a r


ses doctrines, appelées gallicanisme parlementaire el
par son 'action, n e cessa d'agir, c o m m e l'Uni ver-
silé et avec elle, s u r nos rois, d a n s un sens contraire
a celui que J e a n n e d'Arc avait voulu faire prévaloir.
L'origine du P a r l e m e n t r e m o n t e aux p r e m i e r s
rois Capétiens. D é b o r d é p a r la multiplicité de sa
tâche, le roi avait délégué u n e partie de son auto­
rité à ses conseillers. Ils devinrent le Parlement.
II ne larda point à se faire le disciple de l'an­
tique droit romain, p l u s que d u droit canon. Il
voulut ressusciter César.
Aux Etats Généraux d e 1614, le Tiers-Etat, r e p r é ­
senté surtout p a r des jurisconsultes, manifesta l'in­
tention de faire déclarer c o m m e « loi fondamen­
tale du R o y a u m e la Souveraineté absolue d u Prince
sur les Ames c o m m e s u r les corps ».
Le cardinal d u P e r r o n , qui avait suivi la fortune
d'Henri IV, encore huguenot, qui était allé défendre à
Rome l'honneur et les droits du M o n a r q u e protes­
tant, se rendit à la C h a m b r e du T i e r s - E t a l et d i t :
« Au-dessus des intérêts t e m p o r e l s , il y a, d a n s u n e
sphère supérieure d ' a u t r e s biens. Si le Roi est le
bras de la société chrétienne, le P a p e en est la
332 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

conscience. Soustrait au magistère des Princes, com­


m e a u x passions des foules, le P a p e n r e ç u d e Dieu
le m a n d a t de veiller s u r les d r o i t s d e la vérité, sur
la c o n c o r d e des peuples, sur l'intégrité des mœurs,
s u r les i n t é r ê t s i m m u a b l e s de l'univers. » Henri IV
l ' a p p r o u v a el les juristes reculèrent.
Le P a r l e m e n t ne se contentait point de parler, il
agissait. On le vil refuser crédit aux Bulles ponti­
ficales si longtemps que lui, P a r l e m e n t , ne les
avait point enregistrées et citer devant lui les éve-
ques coupables d'avoir obéi à ce q u e ces Bulles
prescrivaient. Il alla m ê m e j u s q u ' à o r d o n n e r de
j e t e r à la Conciergerie les p o r t e u r s de la Bulle ro­
maine, bien plus, la faire d é c h i r e r p a r la main du
b o u r r e a u . On le vil o r d o n n e r p a r a r r ê t la levée des
c e n s u r e s ecclésiastiques, la révocation des mont-
loires, même ceux fulminés contre les clercs par
leur évèque, c o n t r e d e s religieux p a r l e u r s supérieurs,
frapper d ' a m e n d e s é n o r m e s ceux qui les pronon­
çaient e l casser de sa p r o p r e a u t o r i t é les sentences
et en déclarer l'abus. On le vit c o n d a m n e r par arrêt
à bailler des confesseurs, à d o n n e r la communion ou
la sépulture, se p r o n o n c e r sur la r é d a c t i o n des bré­
viaires et des missels, régler le n o m b r e , la durée
x
et l ' o r d r e des processions .
T o u t cela en vertu de la doctrine Césarienne qui
d o n n e toute puissance à l'empereur, au roi, dont
le P a r l e m e n t était le m i n i s t r e .
Mais ce ministre d a n s sou o u t r e c u i d a n c e se con­
sidérait bien c o m m e a y a n t pouvoir de commander
même à son m a î t r e .
M. F r a n z F u u e k - B r e n t a n o d o n n e ce fait en preuve
de la puissance qu'avait prise le P a r l e m e n t h Ven-

] . Tmbnrt de la Tour, Les origines du la Reforme,


I, 119.
OPPOSITION DU PARLEMENT 833

contre m ê m e de l a volonté royale. « Louis XI est


assurément, l'un des rois qui, a u jugement de l'his­
toire, auraient e x e r c é le pouvoir le plus absolu. P a r
l'intermédiaire d u cardinal d e la Balue, évêque
d'Evreux, il avait accordé à Pie II l'abolition de
la P r a g m a t i q u e de Charles VII. Un acte en fut
passé (1460) et le roi l'envoya à ses magistrats pour
l'enregistrer. Mais son p r o c u r e u r général au Parle­
ment de P a r i s , J e a n d e Saint-Romain, refusa de le
faire passer. Les efforts du Pape, qui lui faisaient
craindre une sentence d' excommunication, unis à
ceux du roi qui tantôt le m e n a ç a i t de destitution,
tantôt lui p r o m e t t a i t h o n n e u r s et récompenses, de­
meurèrent sans effet. L e p r o c u r e r général, r a p p o r t e
La Roche-Flavin, dit a b s o l u m e n t qu'il n'eu ferait
rien et n e consentirait j a m a i s . Et d e fait, la P r a g m a ­
tique sanction a d u r é longtemps depuis p a r la vertu
de ce bon personnage et j u s q u ' a u roi F r a n ç o i s I<* »,
Tandis qu'ils agissaient ainsi p o u r leur compte, ces
légistes pesaient sur l'esprit de nos rois en vue de
faire n a î t r e e n eux l ' a d m i r a t i o n et le désir de l'abso­
lutisme païen.
C'est le rôle que Nogaret avait pris près de P h i -
lippe-le-Bel. D ' a u t r e s s'en e m p a r è r e n t . Juvénal des
Ursins, g r a n d défenseur des libertés d e l'Eglise gal­
licane, f o r m u l a une s e n t e n c e q u i n'est p o i n t e r r o n é e ,
à p r e n d r e les t e r m e s e n eux-mêmes, lorsqu'il dit à
Charles VII : « Vous êtes le p r i n c e en votre r o y a u ­
me qui soit, a p r è s le P a p e , le b r a s droit de l'Eglise. »
Mais Le Maistre, a v o c a t d u roi sous Charles VIII
énonça, lui, l ' e r r e u r gallicane dans t o u t e sa c r u ­
dité, lorsqu'il dit en 1489, q u e « le s o u v e r a i n a s u r
son Eglise mon s e u l e m e n t une a u t o r i t é semblable à
celle du Pontife r o m a i n , mais u n e a u t o r i t é plus
grande, un p o u v o i r p r é p o n d é r a n t . E n cas d e oon-
334 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

flit, c'est a u m o n a r q u e q u e les p r é l a t s d o i v e n t sou­


mission p l u t ô t q u ' a u P a p e ». « Les JElals Généraux
l'ont proclamé, ajoutait-il, sous Charles VI en 1407 et
sous Charles VIII eu 1183. Le roi peut contraindre
les évoques à obéir à son c o m m a n d e m e n t , leur in­
terdire d e p r o n o n c e r a u c u n e c e n s u r e o u excommu­
nication, et en cas de conflit, c'est au m o n a r q u e que
les p r é l a t s doivent soumission plutôt q u ' a u Pape ».
N o s rois avaient le b o n sens, sens chrétien et
sens royal, de n e point se laisser t r o p endoctriner,
alors m ê m e que le P a r l e m e n t trouvait des com­
plicités d a n s le clergé.
Ce qui explique la c o n d e s c e n d a n c e d u r o i vis-à-
vis d u P a r l e m e n t d o n t n o u s venons de d o n n e r un
exemple frappant, c'est ceci :
L'un des g r a n d s c a r a c t è r e s de la m o n a r c h i e fran­
çaise a été le respect des * franchises ». Un étran­
ger, Dallinglon, va j u s q u ' à définir la F r a n c e une
« vivante démocratie ». « Chaque p a r t i e de l'Etal
a dit Montesquieu, était u n centre de puissance »;
et le P a r l e m e n t de P r o v e n c e déclarait : « Chaque
c o m m u n a u t é p a r m i n o u s est une famille qui se
gouverne elle-même, qui s'impose des lois, qui
veille à ses intérêts ». N o u s trouvons ce régime
j u s q u e d a n s les plus petites localités, à plus forte
r a i s o n d a n s les villes, les provinces, les corporations.
Cette a u t o n o m i e a p p a r t e n a i t à l'Eglise à un titre
plus élevé q u ' à aucune a u t r e société, puisque son
titre à elle repose non seulement sur un état de pos­
session, m a i s s u r une investiture d i r e c t e m e n t divine.
Nos rois avaient p a r conséquent, p o u r respecter
l'Eglise, sa liberté, son autorité, e t l a laisser se régir
elle-même, des raisons mille fois meilleures, des
obligations mille fois plus fortes que p o u r laisser
in lactés les coutumes de telle ou telle de leurs pro-
OPPOSITION DU PARLEMENT 335

vinces, de leurs villes, etc. Ils le faisaient, autant d u


moins que l ' a m b i a n c e et les contingences le leur per­
mettaient. On p e u t dire que, généralement parlant,
de Jeanne d'Arc à Louis XVI, il en fut ainsi, avec
des alternatives plus o u m o i n s m a r q u é e s d a n s u n
sens ou d a n s l'autre.
Ce serait c e p e n d a n t t r o m p e r ou se t r o m p e r que d e
dire ou croire que l a notion de la r o y a u t é fran­
çaise, telle qu'elle fut rappelée à Charles VII p a r la
sainte Pucelle a toujours été chez tous n o s princes
constamment p u r e d e tout alliage.
D'après l'enseignement qu'elle avait d o n n é ou r a p ­
pelé, le sacre, c e b a p t ê m e d u p o u v o i r r o y a l , faisait
du roi l ' h o m m e de Dieu, l ' h o m m e d u Christ, a u
sens féodal et chrétien.
Plusieurs de nos rois o n t été tentés d'y voir a u t r e
chose. L e u r s voisins, les rois schismatiques d'An­
gleterre e l aussi les Czars d e Russie, inauguraient
leur règne p a r u n e c é r é m o n i e religieuse imitée du
sacre des rois de F r a n c e , m a i s qui n ' e n a nullement
pris l'esprit. Là, les formules liturgiques sont dé­
pouillées de ce qui en fait u n h o m m a g e à la r o y a u t é
du Christ et à l a s u p r é m a t i e de l'Eglise. Le ser­
ment du prince jne se réfère q u ' à une forme de chris­
tianisme établie p a r les lois nationales, o ù le souve­
rain est, à la fois, r o i o u e m p e r e u r et p a p e . L e
sacre fait ainsi du p r i n c e u n e p e r s o n n e mixte, ajou­
tant à son droit royal u n c a r a c t è r e p u r e m e n t ecclé­
siastique qui le r e n d c a p a b l e de juridiction spiri­
tuelle.
Les rois de F r a n c e n ' o n t p a s tous été s o u r d s aux
légistes qui les poussaient à envisager, eux aussi,
les choses de cette façon.
1
t Certes, dit André D u c h e s n e les rois d e F r a n c e

1. AntitruiLez, édit. de 1609, p. 419-420.


336 L'ŒUVRE DE LA. B . PUCELLE TRAVERSÉE

n ' o n t j a m a i s été tenus p o u r p u r s laïcs, mais ornés


du sacerdoce et de la r o y a u t é tout ensemble. Pour
m o n t r e r qu'ils participent de la prêtrise, ils sont
pieusement oints c o m m e les prêtres, et ils usenl
m ê m e de la d a l m a l i q u e sous le m a n t e a u royal, afin
de témoigner le r a n g qu'ils tiennent en l'Eglise. <
N o u s a v o n s r a p p e l é ci-dessus les p a r o l e s de Jtt-
vcnal des U r s i n s et celles d e Le Maistre.
J a m a i s cependant n o s r o i s n ' a l l è r e n t si loin que
les princes qui, à la voix de Luther, se séparèrent de
la catholicité, p o u r se faire papes chez eux, et maî­
tres des consciences, p a r cela seul qu'ils étaient
rois, ce qui était le r e t o u r p u r et simple au Césa­
risme païen. Malgré les efforts les plus puissants
de l'enfer et de ses suppôts, les rois de Franco
ne suivirent point l'exemple de leurs voisins; ils
restèrent fidèles à l'Eglise, résistant à la tentation
séduisante que cet e x e m p l e leur présentait et re­
fusant les avantages t e m p o r e l s que les r o i s schisma-
tiques reliraient de leur défection.

CHAPITRE LV.

OPPOSITION DE L'ESPRIT PUBLIC.

La Renaissance a i n t r o d u i t d a n s la chrétienté un
esprit radicalement o p p o s é à l'esprit du chris­
tianisme.
La pensée fondamentale d u c h r i s t i a n i s m e était
arrivée au moyen lige à d o m i n e r les esprits et h
se d o n n e r un corps dans les institutions. Cette pen-
OPPOSITION DE L'ESPRIT PUBLIC 887

sée était : L ' h o m m e est s u r la t e r r e p o u r se p r é ­


parer à la Béatitude éternelle, p o u r se r e n d r e digne
du ciel auquel Dieu Ta destiné et d o n t Notre-Sei-
gueur Jésus-Christ l u i a r o u v e r t les p o r t e s ; il est
dans le temps, mais le t e m p s n e lui est d o n n é que
pour se disposer à l'éternité. L'effort de la vie pré­
sente doit donc se p o r t e r non a jouir, mais à
mériter.
La civilisation dite m o d e r n e , conçue p a r la Re
naissance a renversé cette notion. Elle détourne d u
ciel le regard de l ' h o m m e et le fixe sur les biens ter­
restres; elle lui dit d e s'en s a t u r e r a u t a n t qu'il
peut lui être d o n n é de le faire. Ce m o u v e m e n t r é t r o ­
grade vers l'idée que les païens s'étaient faite de la
vie était bien ce qui pouvait s'opposer le plus effi­
cacement au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ
qu'avait p r ê c h é J e a n n e d'Arc. A m e s u r e que la
vieille conception d u b u t et de l'emploi de n o t r e vie
rentra dans les e s p r i t s et s ' e m p a r a d e s cœurs, la
société chrétienne cessa d'être telle q u e l'avait vue
le XIIlc siècle. Elle se modifia profondément : le
point de vue que lui p r é s e n t è r e n t les h u m a n i s t e s
du XlVe siècle, changea p e u a p e u les m œ u r s , et sous
la pression des idées e t des nouvelles m a n i è r e s d e
vivre, les institutions se t r a n s f o r m è r e n t . Intellec­
tuels et artistes firent p r e n d r e à la société une di­
rection qui, peu à peu, se m o n t r a à l'opposé de la
civilisation chrétienne.
Dans cette m a r c h e désastreuse, la civilisation m o ­
derne rencontra l'Eglise qui m a i n t e n a i t la doctrine
du Christ. Au XVIe siècle, l ' h u m a n i s m e enfanta
et lança c o n t r e elle la Réforme. Au X V I I I e siècle
c'est Dieu l u i - m ê m e qu'il voulut écarter. P o u r at­
teindre le plus g r a n d b i e n - ê t r e temporel, désormais
l'unique b u t de la vie, l a civilisation m o d e r n e pro-
338 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

c l a m a nécessaires, d ' a b o r d l'indépendance de la rai­


son vis-à-vis de l a R é v é l a t i o n ; puis l'indépendance
de l a société civile vis-à-vis de l'Eglise, et enfin
l'indépendance d e la m o r a l e vis-à-vis d e l a loi de
Dieu. C est là que n o u s e n s o m m e s .
Nos rois résistèrent. L e s p r o t e s t a n t s l e u r firent
la g u e r r e . P o u r s é p a r e r d e sa Mère la fille aînée
de l'Eglise, ils usèrent a l t e r n a t i v e m e n t d e la ruse
et de l a f o r c e ; et ne p o u v a n t e n t r a î n e r n o s princes
d a n s l e u r s voies, ils s'efforcèrent d e s ' e m p a r e r du
gouvernement. Dieu n e l e p e r m i t point. Il y eut
des m o m e n t s critiques. Mais l'esprit n a t i o n a l , tou­
j o u r s catholique, finit p a r l ' e m p o r t e r . Les Guise
fussent très p r o b a b l e m e n t devenus rois d e France si
H e n r i III s'était fait protestant, o u si H e n r i IV ne
s'était p a s fait catholique. Dieu conserva à l a France
sa r a c e royale, c o m m e il l'avait fait une première
fois p a r l a mission d o n n é e à J e a n n e d'Arc. L'hé­
ritier d u trône, d'après la loi salique, élait Henri de
N a v a r r e , élève de Coliguy, chef des protestants, Dieu
c h a n g e a son c œ u r ; e t ses successeurs, Louis XIII
puis L o u i s XIV, raffermirent d a n s n o t r e p a y s la ci­
vilisation catholique.
C e p e n d a n t p a r l e m e n t a i r e s et gallicans n e désar­
m è r e n t point. L e u r s efforts combinés aboutirent à
la Déclaration de 1682, qui s o u s t r a y a i t le roi au
p o u v o i r indirect du Vicaire de Jésus-Christ. C'était
l a lacération de Pacte q u e Charles VII, engageant
ses héritiers, avait signé sous les yeux el la dictée
de J e a n n e d'Arc.

On devait aller plus loin.


E n m ê m e temps q u e l ' h u m a n i s m e naissait une
société secrète, qui devait i>eu à peu miner les
OPPOSITION DE L'ESPRIT PUBLIC 339

cinq parties d u m o n d e , d o n n a i t à R o m e les p r e ­


l
mières manifestations d e s o n existence .
Léon XIII a ainsi m a r q u é le b u t qu'elle poursuit:
c Le dessein s u p r ê m e de la F r a n c - M a ç o n n e r i e est
DE R U I N E R D E F O N D E N C O M B L E toute la discipline
religieuse et sociale qui est née des institutions
chrétiennes et de lui en S U B S T I T U E R U N E N O U V E L L E
façonnée à son idée, e t d o n t les principes fonda-
mentaux et les lois sont empruntées au natura-
lisme. »
Voici cinq siècles a u m o i n s qu'elle y travaille
et elle est sur le p o i n t d'aboutir. Il n e reste plus
des lois chrétiennes, des institutions chrétiennes, de
lout ce qui p e r m e t t a i t de dire Christus régnât^
Christus imperat, que des l a m b e a u x que le p r e m i e r
souffle de la révolution socialiste, fille d e la Révo­
lution politique el religieuse, achèvera d'emporter.
Lorsqu'on 1789, l a F r a n c - M a ç o n n e r i e fut par­
venue à s ' e m p a r e r du g o u v e r n e m e n t , son premier
soin fut, a p r è s avoir p r o m u l g u é la Déclaration des
droits de l ' h o m m e , de décréter l a Constitution civile
du Clergé.
Le roi Louis XVI y o p p o s a son veto et y mit sa
tète. P a r là, il sauva l'avenir.
Après bien des va-et-vient, a p r è s d e s restaura­
tions inintelligentes et inefficaces et a p r è s des révo­
lutions nées des principes mauvais conservés par les
rois restaurés, n o u s voici, sinon au fond de l'abîme,
du moins bien prêts de l'atteindre. L e dépositaire
de l'autorité, au lieu d ' ê t r e le ministre de Dieu, est
en révolte o u v e r t e c o n t r e lui, il emploie sa puis­
sance à le faire m é c o n n a î t r e , à nier j u s q u ' à son
existence, à étouffer sa pensée dans le c œ u r de l'en-

1. Voir Le problème de l'heure présente^ ou La con-


juration an tlohré tienne^ aux c h a p i t r e s sur la Franc-
Maçouncrie.
340 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

faut; et la société c r o u l e de toutes p a r t s dans l'a­


narchie.
C'esl d o n c au m o m e n t m ê m e où la p a r o l e de la
sainte Pucelle semblait devoir i m p r i m e r u n nouvel
élan et une impulsion définitive à la civilisation
chrétienne que le « Fils de Marie » n o u s avait ap­
portée d u ciel el à laquelle il lui a p p a r t i e n t de
présider, que c o m m e n ç a le m o u v e m e n t rétrograde
qui n o u s a a m e n é s où n o u s sommes.
La p a r o l e de l'Envoyée de Dieu n e devait-elle
être q u ' u n e vaine protestation contre ce qui allait
se passer, contre l ' h u m a n i s m e naissant, et contre
l ' h o m m e d e nos j o u r s s e c o u a n t le j o u g d u Christ,
s'affranchissant de l'autorité divine, se faisant à
l u i - m ê m e son m a î t r e e t son D i e u ? Ou bien cette
p a r o l e étail-clle mise e n réserve p o u r n e prendre
vie et vigueur que de n o s j o u r s a p r è s cinq siècles
d'attente? C'esl la question que n o i r e temps est
appelé à résoudre.
Dans Le Problème de Vheure présente, et aussi
dans la Conjuration antichrétienne, n o u s a v o n s défini
le laps des cinq siècles écoulés depuis la Renais­
sance j u s q u ' à nos j o u r s , « l ' h e u r e de la tentation
de la chrétienté ».
A r r ê t o n s - n o u s un i n s t a n t à cette considération.

CHAPITRE LVI.

LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ.

Dieu a fait l ' h o m m e , aussi bien que l'ange, libre,


m a î t r e de ses destinées. Il appelle la créature intel-
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 341

ligenle à la Béatitude éternelle, il faut qu'elle con­


sente à la recevoir et q u e l l e s'applique à la mériter.
Elle trouve en elle-même un obstacle à ce consen­
tement et à l'effort qui lui est d e m a n d é : son
orgueil.
L'orgueil de Lucifer, le prince de la hiérarchie
céleste, lui fit d i r e : je ne relèverai q u e d e moi-
même, je m e suffirai à m o i - m ê m e , j e n e veux
d'autre béatitude que celle q u e je puis tirer de m a
nature.
C'est au m ê m e s e n t i m e n t qu'Adam, le chef de
l'humanité, d o n n a accès eu sou c œ u r , sous la sug­
gestion de Satan.
}AX chrétienté, depuis la Renaissance, est sou­
mise à l'épreuve qu'a s u b i e le genre h u m a i n , qu'a­
vait subie la n a t u r e angélique.
La lenta lion, s o u r d e jusque-là, se présenta ou­
vertement au quatorzième siècle. La c h r é t i e n t é avait
alors fait assez d'expériences et pris assez de force
pour y résister, si elle le voulait. Depuis six siè­
cles, la tentation dure, se développe, el le conflit
qu'elle a suscité se fait de plus en plus angoissant.
L'homme baptisé veut secouer le j o u g du Christ,
il veut ne relever q u e d e lui-même, il déclare se
suffire à lui-même. « Vous serez c o m m e des dieux! >
Le mot dit au p r e m i e r j o u r p a r le t e n t a t e u r r e ­
tentit de nos j o u r s d ' u n b o u t d u m o n d e à l'autre.
•L'ivresse de l'indépendance s'est fait j o u r à la Re­
naissance, elle a éclaté dans les faits avec la Bé­
tonne, elle est devenue — avec la Révolution el
sa Déclaration des Droits d e l ' H o m m e à r e n c o n t r e
des Droits de Dieu s u r ses créatures, des droits
du Christ s u r ses rachetés, des droits du Pape
sur les baptisés, — l'effort gigantesque qui secoue
le inonde depuis plus d ' u n siècle.
La Mission de la B&e Jeanne d'Arc. 21
342 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

C'est contre le Pape, n o u s l'avons vu, que l'orgueil


h u m a i n a c o m m e n c e de se d r e s s e r au XIVe siècle;
c'esl que, plus de Pape, p l u s d e loi chrétienne, plus
de Chrisl, plus de Dieu. De fait, le siège d e la pa­
p a u t é est m e n é de front avec le siège de la doctrine
cl d e la m o r a l e chrétiennes, d e la divinité du Christ,
de l'existence m ê m e d'un Dieu personnel.
De m ê m e que du p r e m i e r au treizième siècle, nous
a v o n s assisté à une m a r c h e a s c e n d a n t e de la civi­
lisation chrétienne, du règne de N. S. Jésus-Christ
e
d a n s l a société; d u X1V« au XX , de J e a n n e d'Arc à
nous, n o u s sommes témoins d'un écroulement con­
tinu. Sans doute, d u r a n t ces siècles de démolitions,
n o u s avons vu des a r r ê t s d a n s la destruction, et
m ê m e n o u s avons assisté à des efforts d e restau­
ration, efforts d'une h e u r e , suivis de r u i n e s nou­
velles. Elle sont d'autant plus étendues et paraissent
plus i r r é p a r a b l e s , que la sape atteint de plus en
plus profondément les fondements de la société ci­
vile c o m m e de la société religieuse, t Le XIY*
siècle, a dit Tuine, a o u v e r t la m a r c h e , cl depuis,
c h a q u e siècle s'est occupe, d a n s l'ordre des idées,
de nouvelles conceptions, d a n s l'ordre politique, de
nouvelles institutions. Depuis ce temps-là, la socié­
té n ' a plus retrouvé sou guide d a n s l'Eglise et
l'Eglise son image d a n s la société ».
Au l e n d e m a i n de la publication de l'Encyclique
s u r l a Franc-Maçonnerie, le Bulletin de la Grande
Loge symbolique disait : « L'heure est venue d'opter
e n t r e T o r d r e ancien qui s'appuie s u r la Révélation
et l ' o r d r e nouveau qui n e r e c o n n a î t d ' a u t r e s fon­
d e m e n t s que la science cl la raison h u m a i n e . »
E l l ' o r a t e u r du Grand-Orient, au Couvent de 1902
disait : c L'effort doit être s u p r ê m e , p o u r faire
définitivement t r i o m p h e r celui-ci s u r celui-là. •
LA TENTATION DE LA CHRETIENTE 343

Des associations sont créées sur tous les points


du monde, — c o m m e nous l'avons m o n t r é dans le
Problème de Vheurt* présente; et depuis que ce
livre a été écrit, elles se sont multipliées encore et
se sont fortifiées, — p o u r a b a t t r e les b a r r i è r e s doc­
trinales, e n t r e les sectes aussi bien q u ' a u sein d u
catholicisme, el p r é p a r e r ce qu'ils appellent « la
religion de l'avenir », de son vrai nom, le p u r
naturalisme, ou mieux l ' h u m a n i s m e . In déification de
l'homme : Vous serez c o m m e des dieux! * Ce dont
l'homme a besoin en ce moment, a écrit M. A.
d'Eslienne dans la Revue moderniste internationale t

(mars 1010), ce n'est p l u s de confiance en un être


infini, mais de confiance d a n s sa n a t u r e capable
d'évoluer et de progresser à l'infini ».
Et M. Buisson : « L ' E t a t sans Dieu, Técolc sans
Dieu, le tribunal sans Dieu, c o m m e aussi la science
et la m o r a l e sans Dieu, c'est la vraie conception
d'une société h u m a i n e qui veut se fonder exclusive­
ment sur la n a t u r e h u m a i n e , sur ses p h é n o m è n e s et
sur ses lois ».
« Quel esl voire idéal, d e m a n d a i t un j o u r J a u r è s
à Jules F e r r y ? — N o t r e idéal, répondit celui-ci,
est d'organiser l ' h u m a n i t é sans Dieu. »
Cette conception est, en g r a n d e partie, réalisée.
Cet idéal va être atteint. L a sécularisation absolue
du gouvernement et des lois, du régime a d m i n i s t r a ­
tif et de r'économie sociale, de la politique interne
et des relations internationales, de la science et de
l'art, de la morale elle-même, en un mol, l'affran­
chissement complet à r e g a r d de l'Eglise, du Ré­
dempteur et de Dieu, c'est le fait d o m i n a n t de la
société nouvelle sortie d u cerveau des h u m a n i s t e s
de la Renaissance p o u r se réaliser d e nos jours.
Hélas ! n o m b r e de catholiques se rallient, sinon
344 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

à l'idée, au m o i n s a u fait, n o n sans d o u t e dans sa


brutalité, m a i s dans l'aspect qu'ils veulent lui faire
prendre.
Ils croient, ils disent que la société, auparavant
chrétienne, en tant q u e société, peut désormais
éliminer de la vie p u b l i q u e tout élément surnaturel
et se r e p l a c e r dans l e s c o n d i t i o n s d e ce qui est le
droit d e la n a t u r e . Ils v o n t m ê m e j u s q u ' à donner à
cette apostasie sociale ce n o m , souverainement in­
sultant au Christ et à son œ u v r e : le Progrès.

Cette tentation de six siècles finira-t-ellc par le


t r i o m p h e définitif de l ' h u m a n i s m e , p a r la déification
de l ' h u m a n i t é , traduite e n sécularisation absolue
de l a société, p o u r e m p l o y e r le m o l du j o u r ? En
faisant l ' h o m m e essentiellement sociable, Dieu a
fait de la société une chose nécessaire, et dès lors
il n'a p u vouloir q u e la s o c i é t é fût indépendant
de lui, p a s plus q u ' a u c u n e a u t r e d e ses créatures.
Et si la société achève d e se s o u s t r a i r e à son empire,
l a société périra.
« Se figurc-t-on, d e m a n d e le p r o t e s t a n t Guizot,
ce q u e deviendrait l ' h o m m e , les h o m m e s , l'Ame hu­
maine, si la religion y était effectivement abolie',
si l a foi religieuse e n disparaissait réellement?
J e n e veux pas m e r é p a n d r e en complaintes mo­
rales et en pressentiments sinistres; mais je n'hésite
pas à affirmer qu'il n ' y a point d'imagination qui
puisse se représenter, avec u n e vérité suffisante,
ce qui arriverait e n n o u s et a u t o u r d e nous, si la
place que tiennent les c r o y a n c e s chrétiennes se
trouvait tout à c o u p vide cl leur e m p i r e anéanti,
P e r s o n n e n e saurait d i r e à quel d e g r é d'abaissement
et d e dérèglement tomberai! l'humanité :.
VA Gladstone, un a u t r e h o m m e d'Klnt, également
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 345

protestant : « D u j o u r o ù le divorce entre Ta


pensée h u m a i n e et te christianisme sera consommé,
datera Virrémédiable c o m m e n c e m e n t d e la déca-
dence radicale de la civilisation d a n s le m o n d e >.
Cette décadence est c o m m e n c é e et m ê m e fort
avancée, les degrés d'abaissement ont été franchis
les u n s a p r è s les autres, le dérèglement est p a r ­
tout, déjà Ton peut d i r e q u ' a u lieu et place d e
l'ordre chrétien, l'anarchie règne, l'anarchie détruit.
C'est que l a négation politique et sociale de Dieu
entraîne nécessairement a p r è s elle toutes les vérités
et toutes les vertus, tous les devoirs et tous les
droits : Dieu disparaissant, l'être m o r a l n'existe plus.
Et alors quel d é c h a î n e m e n t des instincts de la
bête, d'une bête intelligente, qui m e t t r a son génie
au service de ses appétits, et à la c o n q u ê t e de ce
qui peut les s a t i s f a i r e ! « Si les classes populaires
s'ébranlent avant que le christianisme ait été r e ­
construit d a n s les esprits, disait le d é m o c r a t e , M.
de Tocqucville, l ' E u r o p e v e r r a des luttes effroyables,
auxquelles rien n e r e s s e m b l e ».
Et M. Blanc de Saint-Bonnet : « Depuis la fon­
dation du christianisme, on ne voit p a s d e cata­
clysme semblable à celui qui n o u s m e n a c e ».
Déjà les s y m p t ô m e s p r é m o n i t o i r e s se succèdent à
courts intervalles e n F r a n c e , en Angleterre, en Alle­
magne, d a n s toutes les régions de l ' E u r o p e et d e
l'Amérique. Rien n e p o u r r a a r r ê t e r les convoitises
déchaînées, et Dieu, d e s o n côté, ne peut laisser sans
châtiment u n e révolte qui n ' a d'autre ternie d e
comparaison que celle des m a u v a i s anges. L e pa­
ganisme l u i - m ê m e n ' a c o n n u rien de semblable. Il
avait laissé s'altérer d a n s l'esprit h u m a i n la notion
de la divinité, il n e s'est pas élevé c o n t r e Dieu.
Aussi les plus g r a n d s e s p r ï l s d u siècle dernier, d e
346 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

Maistre. de Bonald, Donoso Cortès, Blanc de Saint-


Bonnet, etc., s'accordent à dire : « L e monde ne
peut r e s t e r en cet état ». Ou il touche à sa fin, dans
la h a i n e de Dieu et de s o n Christ, que ranléchrisl
r e n d r a générale et s o u v e r a i n e m e n t violente ; ou il
est à la veille d u n e des plus g r a n d e s miséricordes
que Dieu ait jamais exercées s u r le monde.

CHAPITRE LVII.

LA TENTATION VA-T-ELLE PRENDRE FIN ?

l"n libre-penseur d'origine juive, Armand Ilaycns,


est arrivé, rien qu'en étudiant le fond de l'âme
conteni]w>raine à celle conclusion, que n o u s som­
3

mes l\ la veille d'une conversion. « A force, dit-


il, de s'être étudié si s a v a m m e n t d a n s ce siècle
d'observation et de critique, l ' h o m m e en viendra
au dégoût de l ' h o m m e cl r e t o u r n e r a à Dieu. C'est
ainsi q u e des siècles de piété seront restaurés et
l ' h u m a n i t é ne verra plus q u e Dieu et n'osera plus,
de l o n g t e m p s , se regarder. »
Le 27 n o v e m b r e 1911, le Souverain Pontife Pic X
s'adressant aux évoques de F r a n c e qu'il venait d'éle­
ver a la dignité cardinalice, leur dit :
c L e peuple qui a fait alliance avec Dieu aux
fonts b a p t i s m a u x de Reims S E C O N V E R T I R A E T RE-
T O I ' R N E R A \ SA P R E M I E R E V O C A T I O N . . . Los fautes HC
resteront jxes impunies; mais la fille de tant de
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 347

mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes


NE PÉRIRA PAS » *.

Non seulement la F r a n c e ne périra pas, mais le


même oracle a ainsi c o m p l é t é sa pensée :
« Un j o u r viendra, et Nous espérons qu'il ne
lardera guère, où la F r a n c e , c o m m e Saul s u r le
chemin ide Damas, s e r a enveloppée d'une lumière
céleste, où elle e n t e n d r a une voix qui lui répétera :
« Ma fille, p o u r q u o i m e persécutes-tu? » Et sur
sa réponse : - Qui es-tu, Seigneur? * la voix r é ­
pliquera : * Je suis J é s u s que tu persécutes. Il
t'est dur de regimber contre l'aiguillon . parce que
dans Ion obstination, tu te ruines toi-même. El
elle, frémissante et étonnée, dira : < Seigneur, que
1
voulez-vous q u e je fasse? Et lui : « Lève-toi el
lave-toi des souillures qui t'ont défigurée; réveille
dans ton sein les sentiments assoupis el le pacte de
notre alliance et va, fille p r e m i è r e - n é e de l'Eglise,
nation prédestinée, vase d'élection, va porter c o m m e
par le passé, mon n o m devant tous les peuples
et devant les rois de la t e r r e ».
Donc : châtiment, suivi de la conversion, el après
la conversion, reprise de l'apostolat a u p r è s des n a ­
tions. Ainsi a p a r l é l'oracle du Vatican.
Le châtiment, qui ne le p r e s s e n t ? qui ne le croit,
1. N . S. P . le Pape Pie X avait déjà donné les mêmes
espérances, sept ans auparavant, aux pèlerins de France»
venus à- Rome à l'occasion du cinquantenaire de l a défi-
nition d u d o g m e d e lTmrnnculćp-Cnnccplion • '< A votre
retour en France, emportez avec vous, non pas s e u ­
lement, l'espérance, mais l a certitude que N . S. J é s u s -
Christ, dans l'ineffable b o n t é d e son c œ u r miséricor-
dieux, sauvera votre patrie on la maintenant toujours
unie à PEprlise et. que. par l'intermédiaire de la Vierge
Immaculée, il fera se lever l'aurore d e jours meil-
leurs ». Que de paroles semblables ont été dites par
Pie I X e t par Léon X I I I !
La Mis*ion de la B«e Jeanne d'Arc. 21 bis
:}48 L'ŒUVRE DIS LA R. PUCELLE TRAVERSÉE

n o n seulement inévitable, m a i s nécessaire ? Nous


avons entendu des h o m m e s c o m m e Guizol, Gladstone,
Toequeville, etc., nous le p r é d i r e . Il est d e m a n d é par
Ja justice, de plus il est d a n s la nécessité des choses.
Une r e v u e anglaise, le Crusudcr, écrivait vers 1860 :
« L ' h e u r e est proche où la t y r a n n i e césarienne
( L a t y r a n n i e 'qui veut s o u m e t t r e les consciences)
sera dévorée p a r le socialisme qui ronge les sociétés
m o d e r n e s . A celle h e u r e , tous les pouvoirs ve­
n a n t de Dieu a u r o n t été brises p a r la Révolution, et
la secte, fille de salan, v o u d r a r é g n e r s u r le monde ».
P i e IX exprimait dans le m ê m e temps les mû­
mes pressentiments. « Bons et m é c h a n t s , écrivait-il
à Mgr Gaudenzi, évêque d e Vigcvano, b o n s et mé­
chants, s a n s distinction, s'attendent au terrible ca­
taclysme ». Il n'enveloppera point seulement la Fran­
ce, mais toutes les nations aussi c o u p a b l e s qu'elle,
plus coupables poul-èlre. « Combien de gros na­
vires d'Klat, continue Pie IX, c o m b i e n de royau­
mes, d'empires et de r é p u b l i q u e s n e seront plus
q u ' u n m o n c e a u d'épaves! » Mais après ces pronos­
tics effrayants, Pic IX faisait entrevoir le salut:
« Quand la nier se sera calmée, vous verrez la
b a r q u e d e P i e r r e poursuivre sa roule en toute sécu­
rité, plus glorieuse cl plus belle q u e jamais ».
Crusadcr avait la m ê m e e s p é r a n c e : « Alors, di­
sait-il, alors viendra l'inévitable réaction et la ré­
volte c o n t r e l'impiété el l'anarchie. Alors la jeu­
nesse de c h a q u e c o n t r é e où la Révolution a posé
le pied, s'écriera avec les Macchabées : « Mieux vaut
» m o u r i r en c o m b a t t a n t q u e d e voir la désolation
» d u sanctuaire », j e t a n t au vent tous les calculs
h u m a i n s , elle formera dans c h a q u e pays u n e pha­
lange d ' h o m m e s prêts à défendre j u s q u ' à la mort
les libertés conquises p a r la Croix, prêts à se réu-
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 849

nir sous ce s y m b o l e à leurs frères de toute race


et de t o u t e nationalité. Alors les femmes enver­
ront leurs fils et leurs époux au combat. Alors les
pères ceindront l'épée p o u r défendre la foi de leurs
enfants et la l i b e r t é d e leurs autels ».
Aux m ê m e s j o u r s , l a Civilta cattolica, d a n s un
article intitulé : La trêve européenne, r é p o n d a n t au
Times, parlait ainsi : « L o r d Disraeli a p é n é t r é avec
plus de perspicacité que le j o u r n a l i s t e d e L o n d r e s
les conséquences de la conjuration infernale ourdie
contre le Christ et son Eglise p a r la Franc-Maçon­
nerie assise au timon des Etals, Il a annoncé, d a n s
un avenir prochain, u n e crise universelle, qui n a î t r a
précisément d'une terrible réaction des peuples chré­
tiens c o n t r e la secte a n t i c h r é l i e n n e qui, a p r è s s'être
emparée du pouvoir, les déchire, les avilit, les pres­
sure et p r é t e n d les a b r u t i r . Cette crise a r r i v e r a tôt
ou tard, et Dieu seul c o n n a î t les m a s s a c r e s et les
ruines dont elle sera accompagnée. Mais on peut
prédire avec certitude que p a r son feu moral et
matériel, l ' E u r o p e sera purifiée et délivrée d e cet
incube d e civilisation mensongère qui la fait gémir
aujourd'hui d a n s la b a r b a r i e ».
Voici cinqtiante ans que ces paroles ont été dites
et le m o n d e roule toujours sur la m ê m e voie. On
s'en étonne. C'est que, c o m m e l'observe de Maistre,
s'il a p p a r t i e n t à l a r a i s o n d e prévoir les effets d a n s
leurs causes, c'est la fallacieuse imagination q u i
s'empresse de fixer le m o m e n t o ù ils doivent se
produire.
« Tôt ou t a r d », a fort bien dit la Civilta cat-
folian. L e r e l a r d ne d o n n e point l ' a s s u r a n c e que
la prévision était t r o m p e u s e , que la crise ne se
produira point, qu'elle n ' a u r a pas son effet. De fait,
depuis q u e la Civilta s'est ainsi exprimée, le m o n d e
350 L'ŒUVRE DE LA R. PUCELLE TRAVERSÉE

ii'csl-il pas c o n s t a m m e n t secoué, n'csl-il p a s dans


une continuelle a p p r é h e n s i o n de voir le sol social
se d é r o b e r sous Lui? « N o u s d a n s o n s s u r un vol­
can , ce m o t célèbre a été dit il y a quatre-vingts
a n s ; loin d e s'éteindre, le c r a t è r e vomit toujours
ses flammes menaçantes. L ' h e u r e de ta justice vien­
dra. Puisse la miséricorde, appelée p a r nos prières
et n o t r e pénitence, r e s t r e i n d r e son action ! Qu'elle
soit plus o u m o i n s rigoureuse, elle sera suivie, nous
venons de l'entendre affirmer p a r des voix bien di­
verses, d'un r e t o u r vers le bien.
Un siècle avant Hayons, cité plus haut, J. de
Maislre avait exprimé la m ê m e pensée en d'autres
termes : La dévolution étant complètement sutu-
nique, la c o n t r e r é v o l u t i o n sera angélique, ou il n'y
en a u r a point. Mais ceci n'est pas possible ». « Ja­
mais la Révolution n e sera t o t a l e m e n t éteinte que
par son p r i n c i p e c o n t r a i r e Kilo ne peut être
véritablement finie, tuée, exterminée que p a r le prin­
cipe c o n t r a i r e qu'il faul seulement délier (c'est tout
ce que l ' h o m m e peut faire), ensuite il agira tout
seul i-. ' La réaction d'ailleurs devant être égale
à l'action, n e vous pressez pas el songez que la
longueur m ê m e des maux vous a n n o n c e une contre-
révolution d o n t vous n'avez pas l'idée. »
Voici u n e a u t r e voix plus récente, p a r t i e , comme
colle de I[avens, du c a m p adverse. Au lendemain
de la publication de l'Encyclique du 28 décem­
b r e 1878, s u r le socialisme, le j o u r n a l Lu lirnohh
lion d o n n a cette leçon aux esprits illogiques qui
espèrent s o r t i r des dangers que r e n f e r m e la situa­
tion présente p a r d'autres m o y e n s q u e p a r l'aban­
don absolu des principes r é v o l u t i o n n a i r e s : • iVvsl
en cela q u ' é c l a t e la bêtise des c o n s e r v a t e u r s de l'or­
dre actuel qui, se réclamant d e 811, analhémalisent
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 351

et s'imaginent e n r a y e r le m o u v e m e n t qui e m p o r t e
le prolétariat vers son é m a n c i p a t i o n matérielle. Le
monde moderne est placé entre Vachèvement de la
Révolution française et un retour pur et simple an
christianisme du moyen âge ».
Ce r e t o u r a été p r é d i t au m o m e n t même où la
société c h r é t i e n n e s'écartait de la voir tracée p a r
l'Eglise.
Vers la fin d u XIV? siècle, peu de j o u r s avant la
naissance de la sainte Pucelle, et au moment ou les
humanistes de la Renaissance faisaient lever l'au­
rore de la civilisation m o d e r n e , sainte Catherine de
Sienne p r é d i t la longue infidélité des peuples chré­
tiens, les c h â t i m e n t s qu'elle attirerait et la miséri­
corde de Dieu qui n o u s e n ferait sortir.
Dans les premières a n n é e s de la guerre de Cent ans,
elle avait eu une révélation a u sujet de la F r a n c e .
Elle voyait saint Denys se j e t e r aux pieds de la Mère
de miséricorde et lui dire : • Ayez pitié de votre
royaume de F r a n c e qui est aussi le mien
Dans la suite d e la vision, la sainte voit Notre-
Dame, saint Denys, tous les saints dont la F r a n c e
garde les restes, t o m b e r a u x g e n o u x d e Xotre-Sei-
gneur. N o t r e - D a m e lui expose que p a r suite des
désordres de la guerre, les â m e s tombaient en en­
fer c o m m e les flocons de neige tombent sur la
terre en hiver. Notre-Seigneur r é p o n d qu'il veut
la paix p o u r le bien de la chrétienté. Il ajoute
que Î l o r s q u e les F r a n ç a i s a u r o n t conçu les sen­
timents d'une véritable h u m i l i t é , le r o v a u m e vien-
dra entre les mains du légitime héritier et 'ils o b ­
tiendront p o u r eux-mêmes u n e véritable paix ».
Lorsque J e a n n e d'Arc vint m e t t r e fin à cette
guerre, il fallut une véritable h u m i l i t é p o u r accepter
comme conductrice des a r m é e s une paysanne d e
352 L'ŒUVRE DE LA F. PUCELLE TRAVERSÉE

dix-scpl a n s el se s o u m e t t r e à sa d i r e c t i o n ; et cette
humilité a m e n a le salut.
Sainte C a t h e r i n e de Sienne fit d ' a u t r e s prédictions
relatives à son temps : la plus r e m a r q u a b l e est
celle d u G r a n d schisme d'occident. Raymond de
Capouc, «on confesseur, la v o y a n t accomplie, la lui
r a p p e l a l o r s q u ' e l l e alla à R o m e , s u r la demande du
p a p e Urbain VI. Elle s'en souvenait fort bien et
elle ajouta : « Comme je v o u s a i dit alors que ce
q u e vous avez à souffrir n'était q u e du lait et
d u miel, d e m ô m e je vous d i s q u e ce que vous
voyez à p r é s e n t n'est q u e j e u d'enfant en comparai­
son de ce qui s e r a ».
Que voyait-elle?
Elle voyait la longue désolation d e l'Eglise qui
allait c o m m e n c e r , et elle disait d a n s ses prières :
« Maintenant le m o n d e s'affaisse d a n s la mort et
m o n â m e n ' e n peut s u p p o r t e r le douloureux spec­
tacle. Quel m o y e n p r e n d r e z - v o u s , 'Seigneur, pour
le r a u i m c r ? Seigneur, vous avez d e s serviteurs que
vous ap]>clez vos c h r i s t s ; avec eux v o u s pouvez sau­
ver le m o n d e et lui r e n d r e la vie. D o n n e z - n o u s donc
des christs, afin qu'ils r é p a n d e n t l e u r vie pour le
saint du m o n d e dans les j e û n e s , les veilles et les
l a r m e s ». Interrogée p a r son confesseur s u r Fissuc
d e celle épreuve à laquelle l a c h r é t i e n t é allait être
soumise, elle répondit : « Ces t r i b u l a t i o n s et ces an­
goisses passées, Dieu purifiera la sainte Eglise cl
1
ressuscitera l'esprit de ses élus p a r u n moyeu qui
é c h a p p e à toute prévision h u m a i n e . Il y a u r a après
cela, d a n s l'Eglise d e Dieu, u n e r é f o r m e si corn-

1. C e t t e expression e s t à remarquer : « D i e u res-


suscitera l'esprit d e ses élus », c ' e s t - à - d i r e l'esprit du
christianisme, étouffé par l'esprit n a t u r a l i s t e qu'a souf-
flé l a R e n a i s s a n c e .
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 353

plèlc et u n r e n o u v e l l e m e n t si h e u r e u x des saints


pasteurs, qu'en y pensant, m o n esprit tressaille d a n s
le Seigneur.
» Ainsi que je vous l'ai dit souvent en d'autres oc­
casions, l'Epouse du Christ est m a i n t e n a n t comme
défigurée e l couverte de h a i l l o n s ; a l o r s elle deviendra
éclatante de beauté, elle s e r a ornée d e précieux
joyaux et c o u r o n n é e du d i a d è m e d e toutes les vertus.
La multitude des fidèles se réjouira de se voir dotée
de si saints pasteurs. De l e u r côté, les n a t i o n s éloi­
1
gnées d e l'Eglise, attirées p a r la bonne- odeur d e
Jésus-Christ, r e v i e n d r o n t a u bercail e t se conver­
tiront a u véritable P a s t e u r e t Evéque de leurs âmes.
Remerciez d o n c le Seigneur p o u r cette g r a n d e paix
qu'il d a i g n e r a r e n d r e àl*Eglise a p r è s cette tempête ».

C H A P I T R E LVIII

LES VOIES INSCRUTÀBLES DE LA PROVIDENCE.

Sainte Catherine de Sienne m o u r u t en 1380, la


Bienheureuse J e a n n e n a q u i t en 1112 et n o u s s o m m e s
en 1913.
Aux d e r n i e r s j o u r s d u XlVe siècle, sainte Cathe­
rine de Sienne voit le l o n g égarement des peuples
chrétiens, au c o m m e n c e m e n t du XVe la Bienheureuse
Jeanne d'Arc en m a r q u e le c a r a c t è r e saillant, com-

1. Cet eloisnement, c'est-à-dire les schismes et les


hm'sies du XV1« siècle, ne devait se produire (pie deux
siècles plus tard, elle en voyait le commencement et
la fin.
351 ï/ŒTVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

mmi a u x uulious qui r e s t e r o n t c a t h o l i q u e s ët à celles


qui v o n t devenir s c h i s m a t i q u e s ; toutes s'efforcent
de s e c o u e r le j o u g d u Christ, d e se soustraire ù
sa r o y a u t é et de dire à son Vicaire : N o u s ne re­
connaissons plus voire pouvoir soit d i r e c t soit in­
direct. N o u s voulons n o t r e liberté el n o t r e indé­
pendance.
Nous voyons a u j o u r d ' h u i o ù cela nous a conduit;
el ces m ê m e s saintes ont vu de leur temps, et l'ont
annoncée, la résurrection q u ' a p r è s celle longue pé­
riode de cinq siècles, le Vicaire d e Jésus-Christ vient
1
de n o u s m o n t r e r toute p r o c h e . Ce serait donc de
nos j o u r s (pie la miséricorde d e Dieu éclaterait sur
nous, que les peuples s c h i s m a t i q u e s rentreraient
d a n s le bercail, (pie les peuples restés catholiques
se r é g é n é r e r a i e n t p a r l'effort c o m m u n de saints
prêtres el de saints rois qui se déclareront lieute­
nants du Christ.
Qu'on n e s'étonne pas de ce r a p p r o c h e m e n t des
paroles d e sainte Catherine d e Sienne et d e celles
de Pie X ; et q u e le long e s i K i c e de temps qui les
s é p a r e n e se place j>as s u r n o s yeux c o m m e un
b a n d e a u qui n o u s e m p ê c h e de voir pi d'admirer
les voies de la Providence. Ne n o u s laissons pas
p e r s u a d e r que le règne .social du Christ, après avoir
été si l o n g t e m p s battu en b r è c h e et si profondément
sapé, ne peut plus se relever, q u e sa resta uni lion
est un rêve irréalisable, qu'il est insensé de l'at­
tendre, q u e l ' h o m m e d i s j K i r a i l r a d e ce m o n d e avant
de l'avoir vu et d'en avoir joui.
Ce qui est insensé, c'est que n o u s , êtres d'un jour,
n o u s m e s u r i o n s à notre a u n e l ' œ u v r e de Dieu.
Combien de siècles se sont écoulés d e la promesse
I . Voir ri-dessus, p.'ijro 1 fi. 1 r s p n r o l r s «le S. S.
Pie X .
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 355

du Messie à son a v è n e m e n t ? A tout le moins qua­


rante. Combien a-t-il fallu de temps pour que la
divinité d u Sauveur d u i n o n d e fût assez générale­
ment a d m i s e ? Trois cents ans de m a r t y r e , puis
deux cents ans de luttes intellectuelles. Combien
d'années l'idée chrétienne d e m a n d a - t - e l l e p o u r péné­
trer les institutions et les m œ u r s au point qu'elle at­
teignit sous le règne de saint L o u i s ? Un millénaire,
c Mille ans, Seigneur, sont à vos yeux comme le
jour d'hier qui n'est p l u s ; m o i n s encore, c o m m e
l'une des veilles de la nuit. Mais les années d e
1
riiomme sont un souffle sans consistance » .
Ne confondons pas l ' œ u v r e de la cité de Dieu
qui va d ' u n e éternité à l'autre et l ' œ u v r e du salut
de chacun de n o u s qui peut n ' a l l e r que d'un matin
à un soir et qui ne dépasse pas u n . s i è c l e . Cette
seconde œ u v r e s'encadre d a n s la p r e m i è r e et peut
s'y perfectionner, quel q u e soit le temps de paix
ou de trouble, de lumières o u d e ténèbres, d'édifi­
cation ou d e scandale q u i est offert à celle-ci, p a r
le cours que d o n n e n t h celle-là les passions des
hommes et les desseins d e Dieu.
Durant ces cinq h six siècles, m a l g r é le boulever­
sement des idées et des institutions, malgré la
corruption des m œ u r s , la terre n ' a p a s cessé d e
donner au ciel des saints, e t ils furent n o m b r e u x ,
el il y en eut de bien g r a n d s ; et c o m m e eux, les
méchants o n t c o n c o u r u et concourent encore à
l'exécution de la divine tragédie conçue p a r le
Tout-Bon, Tout-Sage et T o u t - P u i s s a n t qui toujours
règne s u r la t e r r e aussi bien que clans les cieux,
quoique diversement selon les diverses époques.
Il ne semble point t é m é r a i r e de penser q u ' a p r è s
cette d u r e et l o n g u e épreuve, la chrétienté cl le mon-

1. Ps., LXXXIX.
356 L'ŒUVRE DE LA B. PUCELLE TRAVERSÉE

de v o n t e n t r e r dans un a u t r e cycle, celui q u e sainte


C a t h e r i n e de Sienne et bien d ' a u t r e s v o y a n t s ont an­
noncé, celui que les p a r o l e s et les actes de Jeanne
d'Arc avaient p r é p a r é et qui semble suspendu, du
j o u r de son m a r t y r e à celui de sa canonisation : l'ère
de la r o y a u t é de Notre-Scigneur Jésus-Christ re­
c o n n u e p a r la F r a n c e e l p a r la F r a n c e prêchée à
toutes les nations.
Quelle sera la durée d e cette è r e ?
Qui peut le d i r e ?
C e p e n d a n t nous savons q u e Dieu a réglé toutes
1
choses a v e c mesure, avec n o m b r e et avec p o i d s .
O r il a e m p l o y é q u a r a n t e siècles à p r é p a r e r I'avè-
n e m e n t d u Fils de l ' h o m m e , cette p r é p a r a t i o n ne
semblerait-elle p a s d i s p r o p o r t i o n n é e si elle était
Pouverliire d'un règne qui n ' a u r a i t eu que quelques
années d e d u r é e ? les années d u gouvernement de
saint Louis, aussitôt suivies d ' u n e décadence qui
aboutirait, de nos j o u r s , a p r è s q u e l q u e s lueurs, à
l'apostasie universelle et à la fin d u m o n d e .
Un sentiment partagé p a r plusieurs d e ceux qui
ont essayé d'interpréter les révélations divines con­
signées d a n s les saintes Ecritures, les porte a croire
que le règne du Christ sur toutes les nations s'éten­
d r a sur de longs siècles. Kn d e h o r s m ê m e des pro­
phéties messianiques et de leur interprétation, des
esprits émiiients tels que J. d e Maislrc o n t pensé
que loin d'être a u x d e r n i e r s j o u r s du m o n d e , nous
n'étions encore qu'aux p r e m i e r s siècles de FKglisc.
Dans u n e lettre à Mme Swclchinc, il disait : * Lors­
que vos gens (schismaliqucs et protestants) parlent
des premiers siècles de PKglise, ils n'ont point d'idée
claire. Si nous devions vivre mille tfns, les quatre-
vingts qui sont aujourd'hui le m a x i m u m commun

l. Reg., XI, 21.


LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 357

seraient n o s p r e m i è r e s années. Qu'est-ce q u ' o n en­


tend p a r les p r e m i e r s siècles d'une Eglise qui doit
durer a u t a n t que le m o n d e ? etc., etc. Suivez cette
idée ».
Dans les Soirées de Saint-Pétersbourg reparaît
cette idée avec plus d e développement.
Adoptons cette supposition que nous s o m m e s aux
premiers siècles de l'Eglise, que tout ce qui s'est
passé depuis la Pentecôte j u s q u ' à n o s j o u r s a été
le prélude du règne d u divin R é d e m p t e u r sur toutes
les nations, n o u s a u r o n s l'intelligence de la m a r c h e
de la civilisation c h r é t i e n n e et de ses alternatives,
dont le tableau a été expose dans les pages précé­
dentes.
Durant les trois p r e m i e r s siècles, la chrétienté,
grain de sénevé piaillé p a r la m a i n du Christ, a
été arrosée p a r le sang des p r e m i e r s fidèles. Elle a
crû, elle s'est étendue, t r i o m p h a n t des difficultés
et des dispositions qu'elle rencontrait, c o n q u é r a n t
les peuples, les s o u m e t t a n t a u Christ, les informant
et les p é n é t r a n t p e u à p e u de son esprit.
Vint l'épreuve, vint l a tentation.
Elle avait eu lieu d a n s le ciel, elle avait eu lieu
au paradis l e r r e s t r e , l a c h r é t i e n t é aussi devait y
être soumise.
Partout elle se d é r o u l e d e la m ê m e manière.
Dieu ne s'impose pas. Il a fait libres les créatures
intelligentes'; avant d e se d o n n e r à elles, il se p r o ­
pose. C'est ainsi qu'il a traité les anges, c'est la con­
duite qu'il a tenue à l'égard de n o s p r e m i e r s p a r e n t s .
11 a offert a u x u n s c o m m e aux a u t r e s de les élever
& l'ordre surnaturel, de s'unir à e u x si intimement
qu'il les ferait participer à sa n a t u r e divine. Nos
premiers p a r e n t s , imitant Lucifer et les siens, eurent
l'orgueil de vouloir se suffire à e u x - m ê m e s et de
S58 L'ŒUVRE DE LA D. PUCELLE TRAVERSÉE

p o u v o i r se dire : Nous s e r o n s c o m m e des dieux!


C'est bien et* que Satan a soufflé à l'oreille des
nations chrétiennes au XIV'* siècle et ce qu'il a cher­
c h é depuis à faire p é n é t r e r de plus en plus en
elles. Cédant a ces suggestions, elles se sont af­
franchies, les unes p a r étapes successives, .les au­
tres d'un seul bond du j o u g d c TKglise, du joug
d u Christ, du j o u g d e Dieu lui-même.
La miséricorde qui a été faite à nos p r e m i e r s pa­
rents, n o u s est p r o m i s e : les pontifes, les saints,
la Vierge immaculée, n o u s en o u i d o n n é l'assu­
rance, el le Christ n o u s eu a r e m i s les a r r h e s par
le don de son Sacré Cœur.
S o m m e s - n o u s aux j o u r s où celle miséricorde va
é c l a t e r ? Le Vicaire de Jésus-Christ les a annon­
cés et e n m ê m e temps il a placé s u r les autels
Celle qui a formulé la loi des temps nouveaux, afin
q u e d e là elle puisse la p r o c l a m e r el faire retentir
sa voix j u s q u ' a u x exlréinilés du m o n d e .
J a m a i s l'heure n'a été plus propice à celte prédi­
cation. Le m o n d e s'unifie. Toutes les races humaines
a u j o u r d ' h u i se connaissent, sont en contact assidu;
tout événement, sur q u e l q u e point de la terre qu'il
se produise, retentit aussitôt s u r t o u s les autres,
et toute chose qui naît se propage avec la rapidité
de la foudre d'une e x t r é m i t é à l'autre d e l'univers.
Satan a cru pouvoir se servir de ces facilités
nouvelles p o u r ressaisir le genre humai!) cl rétablir
l'empire auquel il l'avait soumis cl m a i n t e n u de la
chute à la Rédemption. Il avait i n s p i r é aux Juifs,
a p r è s le déicide, avec la h a i n e du n o m chrétien,
l'espoir, l'ambition de s'assujettir toutes les nations.
Avec le concours d e s sociétés secrètes, ils firent la
révolution française; puis, h e u r e u x de leur succès, ils
r é p a n d i r e n t dans le m o n d e les idées qui avaient fait
LA TENTATION DE LA CHRÉTIENTÉ 359

notre ruine. Déjà, e n 1789, l'espoir était hautement


exprimé d'établir, s u r les r u i n e s d e toutes les mo­
narchies, u n e r é p u b l i q u e universelle avec une Con­
vention u n i q u e , faisant la loi à t o u t l'univers. Au
e
milieu du X I X siècle, ils voyaient l ' œ u v r e assez
avancée p o u r q u e l ' u n d e l e u r s chefs, Crémieux,
fondateur d e VAlliance Israélite Universelle, pût s'é­
crier dans un t r a n s p o r t d e joie : « C o m m e déjà
tout est changé p o u r n o u s ! et e n si p e u d e tempsI »
Nous avons l'espérance que ce n'est point la Ré­
publique universelle que p r é p a r e la révolution ma­
térielle cl m o r a l e qui se fait a u j o u r d ' h u i dans le
monde, m a i s la c h r é t i e n t é restaurée, la chrétienté
arrivant à sa perfection p a r le règne d u Christ,
accepté, accueilli avec gratitude et b o n h e u r p a r
toutes les nations : Unum ovile et unus Pastor.
Ce ne s o n t là, il est vrai, q u e des conjeclures.
Mais dans le silence de la Révélation, ne nous
est-il point p e r m i s de les faire?
C'est une vérité de foi que Dieu a créé l'univers
pour sa gloire, n o n seulement p o u r la gloire qu'il
reçoit du m o n d e de la n a t u r e , mais sur toul pour la
gloire que lui p r o c u r e le m o n d e de la grâce, en at­
tendant celle que lui d o n n e r a le m o n d e de la
gloire.
Or le m o n d e de la g r â c e r e p o s e sur le m o n d e de
la n a t u r e ; celui-ci est fait p o u r celui-là. Il y a
entre eux des r a p p o r t s nécessaires. J u s q u ' o ù doi­
vent aller ces r a p p o r t s au p o i n t de vue d u temps?
Qui le dira?
Le temps d e la grâce est inclus d a n s le temps
delà nature. L ' h o m m e n'est a p p a r u s u r la t e r r e p o u r
y recevoir le don de Dieu, si scires donum Dci, que
lorsque les éléments malériels sortis d u néant à
l'appel d e la voix créatrice avec les lois qui devaient
les a m e n e r à se combiner, à f o r m e r les c o r p s ce-
860 L'ŒUVRE DE LA B . PUCELLE TRAVERSÉE

lestes e t terrestres, furent a r r i v é s à l'état o ù nous


les voyons-
L e s s a v a n t s c o m p t e n t p a r [milliers les a n n é e s que la
n a t u r e a mis à s'organiser. Les anges, êtres simples,
ne d e m a n d e r o n t qu'un i n s t a n t p o u r être tout ce qu'ils
devaient être. Combien d ' a n n é e s exigera l'espèce hu­
m a i n e jK)ur a r r i v e r au t e n u e q u e Dieu lui a marque,
elle qui lient le milieu e n t r e la n a t u r e spirituelle
el la n a t u r e p u r e m e n t m a t é r i e l l e ? E n c o r e une fois,
qui p e u l le d i r e ?
Eu a t t e n d a n t , nous v o y o n s l ' a r m é e des cieux se
m o u v o i r . Le m o n d e des étoiles se t r a n s f o r m e cons­
t a m m e n t , la ligure des constellations se modifie,
elle n'est déjà plus la m ê m e q u ' a u temps des ber­
gers chaldéens. Et la p a r o l e de Xoire-Seigneur
p a r l a n t de la fin du m o n d e , « les étoiles tom­
b e r o n t du ciel ) peul-èlre i f a - l - e l l c voulu dire, dans
un langage accessible à ses auditeurs, q u ' à certain
m o m e n t , le mouvement cosmique s'accélérerait, les
astres précipileraienl leur chute. A quelle fin? L'A­
pôtre sainl Jean nous r é p o n d : pour la constitution
d'un nouveau ciel el d u n e nouvelle lerre, qui se­
ront les éternelles d e m e u r e s des ressuscites: . Kl je
vis un nouveau ciel cl une nouvelle terre, c a r le pre­
l
mier ciel el la p r e m i è r e lerre avaient d i s p a r u > .
Q u a n d viendra la fin? Quand sera complété le
n o m b r e des élus m a r q u é s p a r la divine prédesti­
n a t i o n ? Ce n o m b r e n'est point infini, il a un lenne,
c o m m e a eu un terme le n o m b r e des années ac­
cordées à la sanctification de la T. S. Vierge qui
ne pouvait a r r i v e r à une sainteté infinie, pas plus
qu'il ne peut y avoir un n o m b r e infini de saints.
On est d o n c certain q u e ce m o n d e a u r a une fin;

1. Apoc., X X I , 1.
LA TENTATION D E LA CHRÉTIENTÉ 361

mais il esl p e r m i s de croire que cette fin est


assez éloignée.
La parole de N o t r e Saint-Père le Pape dans sa
première Encyclique donne-t-elle une idée contrai­
re? <• Qui pèse ces choses a droit de craindre qu'une
telle perversion des esprits n e soit le commence­
ment des m a u x a t t e n d u s p o u r le m o m e n t suprême
et que le fils de perdition dont parle l'Apôtre n'ait
déjà fait son a p p a r i t i o n p a r m i nous. » R e m a r q u o n s
que celte p a r o l e ne .marque point nécessairement que,
dans la pensée du Souverain Pontife, n o u s soyons
arrivés à la fin des temps. Saint Grégoire-le-Orand et
d'autres ont p a r l é de m ê m e . C'esL que, comme le di­
sait déjà saint J e a n aux p r e m i e r s j o u r s de l'Eglise :
« Vous avez a p p r i s q u e l'anléchrist doit venir : il y
a maintenant plusieurs a n l ë c h r i s l s », c'est-à-dire des
hommes qui veulent a n é a n t i r l ' œ u v r e de la Rédemp­
tion. 11 y e n a eu dans tous les temps, el la conju­
ration a n t i c h r é l i e n n e qui de nos j o u r s s'étend d'un
bout du m o n d e à l'autre, p e r m e t de dire que jamais
l'anléchrisl n'a été plus visible et p l u s puissant.

Cette conjuration m a r q u c - t - c l l e la fin prochaine


du m o n d e ? Cela peut être el c'est la pensée d'un
grand n o m b r e . Ou n e marque-l-clle que la fin
de la tentation à laquelle la chrétienté est soumise?
Personne ne peut le dire avec certitude.
Nous aimons à r e p o s e r n o i r e c œ u r dans la con­
fiance que c'est la seconde h y p o t h è s e qui est la
vraie et que le règne de N. S. Jésus-Christ, que la
sainte Eglise d e m a n d e avec tant de solennité, chaque
année dans le cours de sa liturgie, q u e tant d'Ames
demandent c h a q u e j o u r depuis tant de siècles, sur
l'ordre dc N. S. Jésus-Chrisl l u i - m ê m e : Advcnial
rcfjnnm lutim, fiat voluntas tua, sicut in crrlo el in
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc. «
362 L'ŒUVRE DE LA n. PUCELLE TRAVERSÉE

ferra, vu r e p r e n d r e son cours, se c o n s t i t u e r dan?


un étal de perfection q u i n'a clé q u ' e n t r e v u au XIII**
siècle, c l peut-être d u r e r a u t a n t de t e m p s que de­
m a n d e l'évolution des a s t r e s p o u r la formation du
n o u v e a u ciel, éternelle d e m e u r e des élus.
V
LA R E N T R É E TRIOMPHANTE
DE LA S A I N T E PUCELLE
I

L'ŒUVRE D E J E A N N E D'ARC
EST-ELLE ACHEVÉE ?

C H A P I T R E LIX.

CE Q U ' E N P E N S A I E N T LA BIENHEUREUSE

ET SES CONTEMPORAINS.

Jeanne avait r e n d u au roi confiance en lui-mê­


me, elle avait r é p o n d u à l'inquiétude secrète q u i
le rongeait et qui n'était c o n n u e que de Dieu seul.
Elle avait c o n f i r m é le peuple de F r a n c e dans sa
fidélité à la loi constitutive de l'Etat c o n t r e la­
quelle luttait depuis tant d'années celte g u e r r e civile
et étrangère qui avait a m e n é la F r a n c e à deux doigls
de sa perte. Elle avait réconcilié les factions ad­
verses. Elle avait c h a s s é l'étranger. Elle avait as­
suré la poursuite des destinées de la fille aînée de
TKglise et de Dieu, en la préservant d.i schisme an­
glican, en lui permettant de d e m e u r e r le b r a s droit
de la p a p a u t é , le r e m p a r t du catholicisme en Eu­
rope el son h é r a u t d a n s les p a y s infidèles. Que
866 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA. S A I N T E PCCELT.E

de choses et que de g r a n d e s c h o s e s accomplies en


si peu de t e m p s et p a r un si faible instrument!
La mission q u e la Pucelle avait r e ç u e du ciel
était-elle achevée au lendemain du s a c r e de Char­
les VII? Qui p e u t le dire, si elle-même ne nous
en a i n f o r m é ? Elle seule a reçu les communications
du ciel, et c o n n u les desseins de Dieu s u r elle. De
fait, ce n'est que p a r les d é c l a r a t i o n s qu'elle en a
faites que ses conteni|H>rains ont su qu'elle était
c h a r g é e de d é l i v r e r Orléans et de m e n e r le roi à
Hcims p o u r y être sacré. A-t-elle m a r q u é que sa
mission s'étendait au d e l à ? Il le s e m b l e bien à la
voir p o u r s u i v r e l'Anglais dans ces a d m i r a b l e s cam­
pagnes de la H a u t e - L o i r e et de l'Ile-de-France,
aussi manifestement inspirées que celle p a r laquc'Ie
clic avait mené si r a p i d e m e n t T a n n é e française A
Orléans et à Hcims. Peut-être avait-elle reçu le pou
voir de délivrer c o m p l è t e m e n t le sol Français de la
présence de l'étranger et qu'elle l'eut fait, si elle
n'avait été c o n t r a r i é e el entravée d a n s l'exécution
de ses plans. Elle-même a insinué qu'elle l a v a i t clé.
La lettre qu'elle écrivit aux Anglais est pleine de
cette idée que sa mission est d'expulser totalement
l'envahisseur. Elle est envoyée, dit-elle, jxnir « re­
cevoir les clefs de toutes les villes de F r a n c e qu'ils
ont forcées et violées, pour les b o u t e r h o r s de toute
F r a n c e ».
Peut-être m ê m e ci\t-elle pu faire plus encore. Dans
cette même lettre aux Anglais elle dit : " Si vous lui
l a i d e s raison (à la Pucelle) encore pourrez-vous ve­
n i r en s(t campai y ne \]Q\\ q u e les Fraiichois feront
le plus bel fait qui o n e q u e s fut fait p o u r la dires,
tienté ».
Que voulait-elle dire? Les c o n t e m p o r a i n s oui pen­
sé (pic Jeanne faisait allusion ù la c o n q u ê t e de la
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 367
Terre-Sainte p a r l'action c o m m u n e de la France
et de l'Angleterre. Christine de Pisan s'est faite l'in­
terprète de cette persuasion d a n s ses stances.
Elle dit d ' a b o r d la joie qui s u c c é d a à la déso­
lation l o r s q u e Ton a p p r i t les h a u t s faits de la Pu­
celle :

Je, Christine qui ai plouré


Unze ans en abbaye close,
A rire bonnement de joie
Me prends.
L'an mille quatre cens vingt et neuf
Reprit a luire le soleil.
Or, fesons teste à nostre rog
Que très bien soit-il revenu.

Puis elle prédit que puisque Dieu a accompli les


merveilles qu'elle décrit, c'est qu'il réserve quel­
que grand fait à réaliser q u a n d le t e m p s sera venu :

En chrestienté et en VEglise
Sera jxir elle mis concorde.
Les mécréants dont on devise
Et les hérites (hérétiques) de vie orde (hon-
Dcsirnira; car ainsi Vaccorde [tcuse)
Prophétie qui Va prédit.
Des Sarrasins fera essart ( destruction )
En conquérant la Sainte Terre.

Ces sentiments, ces espérances étaient r é p a n d u s


en France et h o r s de F r a n c e . Une p e r s u a s i o n assez
générale était cpie Dieu ne faisait une telle misé­
ricorde en faveur de la nation française, qu'afin
de p r é p a r e r en clic l'instrument dont il voulait se
servir dans l'intérêt de la chrétienté et du monde.
De toutes les C h r o n i q u e s que les pays étrangers
;3fî# RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

à la querelle anglo-française n o u s o n t t r a n m i s e s sur


la Pucelle, il n'en est point de p l u s intéressante
q u e celle d'un n o b l e Vénitien, Morosini. C'est la cor­
r e s p o n d a n c e a d r e s s é e p a r lui à son p è r e au cours
m ê m e des événements et d'un lieu particulièrement
bien situé p o u r être parfaitement renseigné, Veni­
se. Il n ' y avait pas a l o r s de m e i l l e u r c e n t r e d'in­
formations q u e la r e i n e des m e r s ; les nouvelles lui
a r r i v a i e n t d e t o u l le m o n d e c o n n u tant p a r let­
tres q u e p a r récits o r a u x , elle a v a i t p a r t o u t des
c o m p t o i r s et des agents.
La c o r r e s p o n d a n c e d e Morosini a v e c s o n père a
ce c a r a c t è r e p a r t i c u l i e r cle n o u s faire saisir sur le
fait m ê m e l'impression p r o d u i t e d a n s la chrétienté
l
entière j>ar l'apparition de J e a n n e d ' A r c .
Dans la q u a t r i è m e de ses lettres il est dit que le
relèvement de la F r a n c e était d a n s l'opinion com­
m u n e la m o i n d r e p a r t i e de la mission de la Pu­
celle : * Il a été dit d e p u i s (depuis la délivrance
d'Orléans) que ladite demoiselle doit a c c o m p l i r deux
a u t r e s g r a n d s faits, a p r è s quoi elle doit mourir.
Que Dieu lui d o n n e aide, et, c o m m e o n le dit uni­
versellement qu'elle ne se démente p a s d u r a n t une
vie longue et pleine de b o n h e u r . Amen. »
L o r s q u e J e a n n e fut faite p r i s o n n i è r e à Com-
piègne, des prières, non seulement p u b l i q u e s , mais
liturgiques furent faites en l'"rance p o u r sa déli­
vrance afin q u elle p û t accomplir le reste de sa mis­
sion. Le clergé conqjosa, p o u r être dites à la messe,
des oraisons d a n s le genre de celles q u e les évê­
ques c o m m a n d e n t de dire dans les g r a n d e s néces-
cités publiques. La collecte se terminait ainsi : « Nous-
vous en s u p p l i o n s p a r l'intercession de la Hicn-

1. <"est le P. Ayroles qui a découvert et publia, aprè*


quatre siècles, ce d o c u m e n t do premier ordre.
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 3&9

heureuse Vierge Marie et de tous les saints, accor­


dez-nous de la voir, s a n s a u c u n mal, l i b r e de leur
puissance, a c c o m p l i r totalement tout ce que vous
lui avez p r e s c r i t p a r u n e seule et m ê m e mission ».
La secrète d e m a n d a i t également q u e la Pucelle pût
exécuter le reste de la mission qui lui avait été
donnée : « Que v o t r e sacro-sainte bénédiction des­
cende s u r cette oblation, qu'elle excite votre mira­
culeuse p u i s s a n c e ; q u ' à l'intercession de la Bien­
heureuse Vierge Marie elle délivre la Pucelle et
lui donne d'exécuter effectivement l ' œ u v r e que vous
lui avez c o m m a n d é e p a r un seul et m ô m e acte ».
Enfin a la p o s t e o m m u n i o n le p r ê t r e disait : « Ecou­
tez, Dieu tout-puissant, les prières de vos peuples.
Brisez les fers de la Pucelle, q u e voire miséri­
corde lui d o n n e d'accomplir le reste de sa mis­
x
sion s .
La pensée qui avait dicté ces prières dépassait-
elle l'espoir, le désir de l'entière délivrance du joug
anglais? c'était plus ce semble : on demandait q u e
la Pucelle put a c c o m p l i r tout ce qui lui avait été
commandé p a r u n seul et m ê m e acte, dans une
seule et m ê m e mission, c'est d o n c q u e l'on pensait
que le c o m m a n d e m e n t divin c o m p r e n a i t d a n s l'unité
de la volonté qui les prescrivait des choses diverses.
Tel était le s o i liment public. Mais quelle était
la jiensée de la P i e n h e u r e u s e ? On ne peut faire
que des conjectures plus ou moins plausibles, a p ­
puyées s u r des faits et des p a r o l e s qui ne sont
point assez explicites p o u r que n o u s puissions affir­
mer en toute sécurité.
Pans son i n t e r r o g a t o i r e d u 6 m a r s 1431, Jeanne
répondit à ses juges : « Quand je d u s p a r t i r pour
aller à mon roi, mes Voix me dirent : « Va hardi-

1. Kvangéliairo de la bibliothèque de Grenoble.


370 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA S A I N T E PUCELLE

m e n t ; q u a n d tu seras devers le r o i , il aura bon


signe de te r e c e v o i r et c r o i r e ».
Ou sait le signe q u e J e a n n e d o n n e à Charles VII
p o u r o b t e n i r de lui la direction de s o n a r m é e . Mais
ce signe n'était p o u r ainsi dire q u ' u n e entrée en
matière.
Au p r o c è s de réhabilitation, e m p i è t e de décembre
1155, l e dominicain P i e r r e Séguin, d a n s sa dépo­
sition, r a p p o r t a ces p a r o l e s de J e a n n e : « En nom
Dieu, je n e suis pas venue p o u r faire signe : mais
menez-moi a Orléans, et je vous m o n t r e r a i les si­
gnes de ce p o u r q u o i je suis envoyée. L e signe que
Dieu m'a d o n n é , c'esl de faire lever le siège de
cette, ville et de faire s a c r e r le r o i à Reims ».
Lever le siège d'Orléans et m e n e r s a c r e r le roi a
Reims, ce sont choses présentées, ici, p a r la Pucelle
elle-même, c o m m e des signes qui doivent donner
créance à la mission qu'elle doit a c c o m p l i r . L'objet
rte!, l'objet final de cette mission c'était donc
quelque chose de s u p é r i e u r à celte délivrance et
ii ce sacre.
Quel était-il? On ne voit d a n s la vie de Jeanne,
a p r è s ces deux g r a n d s événements, (pie la conti­
nuation pendant q u e l q u e temps e n c o r e de son ac­
tion guerrière, puis son cruel m a r t y r e en prison
et s u r l'échafaud. Ces deux faits n e demandaient
point de signe, et s u r t o u t de signe d ' u n e si grande
i m p o r t a n c e : la c o n t i n u a t i o n de sa vie militaire était
autorisée pur ses h a u t s faits p r é c é d e n t s el son mar­
tyre, s'im posant p a r lui-même, n ' a v a i t pas besoin
d'avoir été signifié p o u r être a c c e p t é comme fait
aussi réel qu'affligeant.
P o u r qui d o n c et pourquoi ces deux grands faits
la levée du siège et le sacre étaient-ils des signes? iNr
serait-ce point p o u r nous el p o u r ce qui reste à
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 371

accomplir p a r J e a n n e p o u r que soit achevée la mis­


sion dont le ciel l'a gratifiée ?
Rappelons-nous ce qu'elle écrivit aux Anglais :
1
« Si vous lui faites raison (à la Pucelle) encore iHUir-
rez-vous venir en sa compagnie l'où que les Fran-
chois feront le plus bel fait q u e o n e q u e s fui fait
pour la c h r e s t i e n t é ».
Etait-ce au t e m p s de sa vie morlellc que Jeanne
croyait p o u v o i r c o n d u i r e F r a n ç a i s et Aqglais à ce
fait d'armes h e u r e u x et glorieux e n t r e tous?
Ce n'est point à c r o i r e . Elle savait que sa vie
devait être c o u r t e , extrêmement c o u r t e . File avait
dit au Dauphin, a p r è s la délivrance d'Orléans, pres­
sée de c o m m e n c e r la c a m p a g n e de l'Ile de F r a n c e et
de la Loire : * Gentil Dauphin, mettez-moi en be­
sogne, car je ne d u r e r a i guère q u ' u n e année, pas
beaucoup plus ».
Dans l'interrogatoire du 10 m a r s 1131 elle dit
qu'au c o u r s de la seconde c a m p a g n e de l'Ile-de-
France en la semaine de Pâques, moi étant sur
les fossés de Melun, me fut dit par mes Voix que
je serai prise a v a n t la Saint-Jean, qu'ainsi fallait
qui fut fait, que je n e m'en ébahisse pas, mais
prisse tout en g r é et q u e Dieu m'aiderait. Ce m e
fut dit p a r plusieurs fois et c o m m e tous les jours.
lit je requérais à mes Voix que, q u a n d je serai
prise, je m o u r u s s e tantôt, sans long travail de pri­
son. Et elles me disaient : p r e n d s tout en gré, il faut
que ainsi soit fait ».
Durant cet Le m ê m e campagne, un malin q u e l l e
avait communié, d a n s l'église Saint-Jacques, elle s'ai>-
procha d'un g r o u p e d'enfants et l e u r dît : « M?s
bons amis, mes chers petits enfants, on m'a vendue
et trahie. Hieulol je serai livrée à la mort. Priez
Dieu p o u r moi, car je ne p mrr.ii plus servir le roi
372 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

l
ni le r o y a u m e d e F r a n c e » . E m m e n é e au châ­
teau de Margny elle dit : « J e crois, p u i s q u ' i l plaît à
Notrc-Seigneur, c'est le m i e u x q u e j e sois prise »
( I n t e r r o g a t o i r e d u 12 m a r s 1431).
A de b o n n e s gens qui étaient v e n u s l'interroger si
elle d u r e r a i t guères, elle avait r é p o n d u : « Tout
était au plaisir d e Dieu, et si certifia q u e s ï / lui
convenait mourir avant que ce pourquoi Dieu lavait
envoyée fût accompli, N O N O B S T A N T S A M O R T , tout ce
pourquoi elle était venue s'accomplirait. »
J e a n n e avait d o n c le s e n t i m e n t q u e Dieu lui avait
d o n n é une mission qui devait s ' é t e n d r e au delà
de ce qu'elle p o u r r a i t a c c o m p l i r d u r a n t sa vie mor­
telle. Ne p o u r r a i t - i l se faire, p a r exemple, que lors­
que sera venue l ' h e u r e de s o l u t i o n n e r définitivement
la question d'Orient, Anglais et F r a n ç a i s , sous l'ins­
piration, la conduite el le secours s u r n a t u r e l de
J e a n n e d'Arc, a c c o m p l i s s e n t de c o n c e r t « le plus
bel fait (pie oneques fut fait p o u r la chrestieuté? »
Ne p o u r r i o n s - n o u s être témoins de ce prodige, nous
qui assistons à « l'entente cordiale » des deux peu­
ples à l'heure oii tout le m o n d e sent m o n t e r l'orage
qui va bouleverser l'Orient, p o u r e n s u i t e boulever­
ser le m o n d e ?
« J e a n n e , dit à ce sujet le P. Ayrôles, n'a pas
accompli toule sa mission d u r a n t sa vie terrestre.
On c h e r c h e i n u t i l e m e n t la réalisation d e la prédic­
tion formulée dans la dernière p h r a s e de sa lettre
aux Anglais. »
Depuis cette é p o q u e les F r a n ç a i s n ' o n t pas accom­
pli, en faveur d e la chrétienté, u n fait aussi J>cau
que celui p a r lequel, sous la c o n d u i t e de Clovis, ils

1. Chronique d'Alain Bouchard qui d i t avoir entendu


ces paroles à Compiè^ne en 1 4 8 8 do deux vieillard»
qui étaient présents quand elle les prououva.
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 873

brisaient *à Vouillé la puissance de l'arianisme, que


celui p a r l e q u e l à la suite d e C h a r l e s Martel, ils
broyaient les h o r d e s m u s u l m a n e s débordées j u s ­
qu'à Poitiers e t à T o u r s ; rien d e p u i s n ' a égalé leurs
exploits c h r é t i e n s sous Pépin et Charlemagne alors
qu'ils r e n d a i e n t à la liberté le Vicaire de Jésus-
Christ et refoulaient Maures et Saxons. Depuis,
aucun de l e u r s exploits chrétiens n ' a égalé ceux
des croisades, d e Godefroy et d e saint L o u i s ; au­
cune de l e u r s victoires n ' a eu p o u r la chrétienté les
suites de celles d e Bouvines ou de Muret. Les g r a n ­
des j o u r n é e s c h r é t i e n n e s de l a F r a n c e , i n t e r r o m p u e s
lors de l ' a p p a r i t i o n de J e a n n e , n ' o n t p a s été recom­
mencées d e p u i s avec u n éclat c o m p a r a b l e à l'éclat
de celles qui viennent d'être r a p p e l é e s . Mais la
canonisation confère a u x saints u n e seconde mission,
quelquefois p l u s bienfaisante q u e la première. S'il
plaît au Saint-Esprit d'achever l ' œ u v r e de la ca­
f
nonisation de J e a n n e , p o u r q u o i n espércrions-nous
pas qu'alors sera pleinement réalisée la prophétie
qui vient d'être r a p p e l é e ?

Mais est-ce là t o u l e la mission p o s t h u m e d e J e a n n e


d'Arc? Non. On peut conjecturer que lorsque ee
« plus bel fait » viendra à se p r o d u i r e , cela aussi
servira de signe pour r e n d r e les peuples attentifs
el dociles à la g r a n d e œ u v r e que la Providence
divine lui a dévolue, œ u v r e i n c o m p a r a b l e m e n t su­
périeure à celles qu'elle a accomplies sous les yeux
de nos pères.
874 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA S A I N T E PUCELLE

CHAPITRE LX.

CE QU'ON EN PENSE AUJOURD'HUI.

A la fin du m a n u s c r i t 5970 de la b i b l i o t h è q u e na­


tionale i fonds l a t i n ) , l'un des e x e m p l a i r e s authen­
tiques du procès de réhabilitation, se trouve un
poème édité p a r Quicheral, c o m p o s é de fi02 hexa­
m è t r e s divisés en deux livres. D a n s l e p r e m i e r qui
c h a n t e l'enfance de la Pucelle, son a r r i v é e à Chinon
cl son admission p a r le roi, se lit un d i s c o u r s par
lequel la Voix r é p o n d aux objections de la Pucelle.
Son supplice y est indirectement a n n o n c é el aussi
les merveilles p l u s g r a n d e s que celles de son exis­
tence terrestre qu'il lui sera d o n n é d ' a c c o m p l i r lors­
qu'elle sera en possession de la gloire céleste.

O tlammis cœlo remvunda Piw.Ua,


... EL minuxlfi dabis majora fnturis
Teniporibus, quando vila jK>tirre secunda.
Celle e s p é r a n c e est partagée p a r les plus illustres
de nos c o n t e m p o r a i n s .
Le cardinal Pie, célébrant la canonisation de sainte
Germai ne, la b e r g è r e de P i h r a c , p r é s e n t a ù ses
a u d i t e u r s celle considération :
« Si les saints n'apparaissent pas fortuitement sur
la scène du inonde, ce n'est pas, non plus, le
h a s a r d qui, a p r è s leur m o r t , d é t e r m i n e l'époque
de leur glorification. Dans le ciel des élus, ainsi
qu'au firmament visible, c'esl sur un signal du
T r è s - H a u t , (pie les étoiles longtemps cachées el com­
me endormies d a n s un coin reculé de l'espace ac­
courent en criant : <: Nous voici », cl qu'elles com­
mencent de briller p o u r obéir à Celui qui les a
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 875

faites : STEÏXAE VOCATAE SUXT ET DIXERUNT : AD»


SUMUS, ET LUXERUXT El CUM JUCTXDITATE QUI FECIT
HJ-AS. Des r a p p o r t s secrets et p e r m a n e n t s ont été
établis e n t r e l'Eglise t r i o m p h a n t e et l'Eglise militante,
et quand Dieu n o u s desline a de nouveaux c o m b a t s
sur la terre, p r e s q u e t o u j o u r s il nous m o n t r e de
nouveaux alliés et de p u i s s a n t s défenseurs dans les
cieux: D E C ΠL O D I M I C A T U M E S T C O N T R A E O S ; S T E L L A E
MAXENTES IN ORDINE ET CURSIT SlO ADVERSIS SI-
SARAM P l K i X A V E R V X T . »

Mgr Mermillod, Mgr D u p a n l o u p et le cardinal Pie


ont pensé q u e la canonisation d e la sainte Pucelle
serait aussi p o u r elle le point d e d é p a r t d'une action
nouvelle et d'importance plus g r a n d e que celle ac­
complie a u x j o u r s de sa vie mortelle. Tous trois
fondent cette espérance sur le m é r i t e de son martyre.
< La mission de J e a n n e se terminait-elle à Reims?
demandait Mgr Mermillod. d a n s le panégyrique
qu'il p r o n o n ç a i t à Orléans en 18(53. Elle avait rendu
un r o y a u m e à son indépendance el un roi à sa sou­
veraineté; y avait-il e n c o r e p o u r elle d'autres de­
voirs que Dieu lui r é s e r v a i t ? J e ne sonde pas les
causes mystérieuses des d o u l e u r s de Jeanne d'Arc, je
ne vois q u ' u n e chose c'est q u e le Seigneur l'avait
réservée à une terrible expiation. L a même parole,
si effrayante qu'elle fût. p r o n o n c é e p a r le Maître,
devait avoir en elle son application : Xonne oporiuit
jnfi Christian et ita i ni naw in gloriam? »
« Dieu, a dit Mgr D u p a n l o u p d a n s le mémo senti­
ment, réserve aux élus des h a u t e s missions un rayon
suprême qui fait resplendir du d e r n i e r el sublime
éclat leur Ame el leur cause. L e s ouvriers des gran­
des rédemptions, c'est leur privilège de m a r c h e r à
un t r i o m p h a n t supplice, Jésus-Christ à leur tète,
la croix en main, victimes immolées comme lui et
87 ii RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA S A I N T E PUCEf.LE

c o m m e lui t r i o m p h a n t e s p a r la fécondité du sa­


crifice ».
Le cardinal Pie a pensé de m ê m e : Le christia­
nisme r e p o s e tout entier sur le d o g m e d e l'expiation,
de la r é d e m p t i o n p a r la d o u l e u r . L e Sauveur des
h o m m e s a p e u agi et b e a u c o u p s o u f f e r t ; l'Evangile
est concis s u r sa vie, prolixe s u r sa passion. Sa
g r a n d e œ u v r e , ç a clé d e m o u r i r ; c'est p a r sa mort
qu'il a vivifié le m o n d e . Or, si telle es! la pre­
mière loi m o r a l e du c h r i s t i a n i s m e que les disci­
ples continuent le m y s t è r e de ses d o u l e u r s ; et si,
p a r m i les enfants des h o m m e s , le ciel se choisit des
êtres privilégiés qu'il élève à la gloire d'être les
i n s t r u m e n t s e x t r a o r d i n a i r e s d e sa puissance et de
son a m o u r , ce n'est q u ' a u prix d e mille angoisses
qu'il a c c o r d e de telles faveurs. »
Le g r a n d o r a t e u r chrétien conclut : « Le bnptJmc
de sang est i n s é p a r a b l e de la mission divine >.
Il est i n t é r e s s a n t de r a p p r o c h e r d e ces prévisions
celles que M. Gabriel H a u o l a u x a d o n n é e s comme
conclusion à sou livre J E A N N E D ' A R C .
« L'Eglise a mis J e a n n e sur ses autels. Les pro­
cès-verbaux de l a commission des Rites pour l'ins­
truction du p r o c è s de béatification forment, après
cinq siècles, u n c o m p l é m e n t d'un intérêt et d'une
portée insignes, au procès de c o n d a m n a t i o n et au
procès de réhabilitation...
> J e a n n e d'Arc disparue, l ' h i s t o i r e s'empare de
ce que fut son existence, el elle la prolonge, comme
elle le fait, sans cesse, p o u r les m é m o i r e s indéfini­
ment lumineuses des g r a n d s h o m m e s : car l'orbite de
ceux-ci n e s'achève pas p a r l e u r c h u t e ; elle se
poursuit dans les espaces o b s c u r s d u souvenir, d'où
elles continuent a influer sur les destinées de l'hu­
manité. .. Les g r a n d s h o m m e s sont les pasteurs
SON* ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 877

dc r h u m a n i l é . Ils vivent, ils vivent toujours... Ils


servent d ' i n s t r u m e n t s à l ' h u m a n i t é : c'est pourquoi
ils c o n t i n u e n t à vivre, p a r c e q u e leurs exemples
causent des actes, c o m m e les sources créent des
courants. Une semence est i n c o m m e n s u r a b l e à l'ar­
bre qu'elle r e n f e r m e . . .
» J e a n n e est toujours vivante a u c œ u r et dans
l'esprit de la nation. Elle vit, elle vit m ê m e au delà
des frontières, et elle étend, c h a q u e jour, son em­
pire... (M. H a n o l a u x cite l'Angleterre, l'Ecosse, l'Al­
lemagne, la R u s s i e ) . Aucune nation m o d e r n e n'a dans
ses annales, une figure c o m p a r a b l e à celle de Jeanne
d'Arc, h é r o ï n e , sainte et m a r t y r e . . . L'apparition de
Jeanne d'Arc a quelque chose d e s u r h u m a i n et
participe du m y s t è r e : elle est c e r t a i n e m e n t placée
au-dessus du c o u r s o r d i n a i r e des choses, à la hau­
teur où la religion l'a mise, où la r a i s o n la main­
tient... N'est-il pas d é m o n t r é m a i n t e n a n t , que les
synthèses h i s t o r i q u e s et pratiques, groupées autour
de .Jeanne d'Arc, et qui se reflétaient en son âme,
pure comme le cristal, p r e n a i e n t r a c i n e au plus pro­
fond des s e n t i m e n t s h u m a i n s , tout en s'élançant
vers le d i v i n ? Une g r a n d e partie d e r h u m a n i l é vit
encore et vivra l o n g t e m p s à l e u r o m b r e . . .
» La p o r t é e e x t r a o r d i n a i r e de l'apparition de
Jeanne d'Arc s'affirme p a r ceci que la leçon de sa
vie et de sa m o r t n'est p a s épuisée : elle dure et
durera l o n g t e m p s encore. De m ê m e qu'il a fallu
trois ou q u a t r e siècles pour que la parole du
Christ perçât la c r o û t e des inattentions et des né­
gligences du m o n d e , de m ê m e l ' œ u v r e d e Jeanne
d'Arc ne se fera c o n n a î t r e que lentement... L a
pensée française, sauvée p a r elle, lui consacrera un
culte perpétuel d e souvenirs, d e r e c h e r c h e s et de
mété... Une telle exégèse est à ses origines, elle se
La Mission Je la Use Jeanne d'Arc 23
878 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCEI-LE

d é v e l o p p e r a b e a u c o u p au delà d e ce qu'il nous


est possible d e prévoir... N o u s n e s o m m e s qu'à
l'aube des j o u r s qui verront s ' a c c o m p l i r indéfini­
ment sa mission ».
Quelle était la pensée de M. G a b r i e l Hanotaux
lorsqu'il écrivait ces lignes? L e s p h r a s e s qui sont
intercalées e n t r e celles q u e n o u s a v o n s reproduites
m o n t r e n t qu'elle n'avait rien d e n e t . Elle ne pou­
vait avoir d e netteté. M. H a n o t a u x est un penseur,
et la vie de J e a n n e d'Arc, qu'il venait d'étudier, pose
un p r o b l è m e q u ' u n e s p r i t qui pense n e saurait élu­
der. Mais M. H a n o t a u x est un a g n o s t i q u e , un agnos­
tique inquiet, si l'on veut, qui c h e r c h e et donc qui
ne possède point.
Il place J e a n n e d'Arc au n o m b r e des grands
h o m m e s , p a t r o n s de r h u m a n i l é , g r a n d s après leur
m o r t c o m m e d u r a n t l e u r vie, d o n t la mémoire est
indéfiniment lumineuse, qui c o n t i n u e n t , après leur
c h u t e à influer s u r les destinées d e l'humanité à
laquelle ils servent d ' e n t r a î n e u r s , e t d o n t les exem­
ples causent des actes c o m m e les s o u r c e s causent
les c o u r a n t s .
Voilà ce q u e M. H a n o t a u x c o n s t a t e d a n s le pré­
sent, au sujet de ce « g r a n d h o m m e » Jeanne
d'Arc, non seulement en F r a n c e , niais dans toute
l ' E u r o p e . Il a u r a i t p u a j o u t e r ; j u s q u ' e n Amérique.
Mais quelle est cette l u m i è r e q u e J e a n n e répand,
quelle est celte influence qu'elle exerce, celte action
qu'elle produit, qu'elle e x e r c e r a e l qu'elle produira
d a n s un a v e n i r sans limites a s s i g n a b l e s ? Quel ar­
b r e d'une venue i n c o m m e n s u r a b l e s o r t i r a de la se­
m e n c e de sa p a r o l e ? M, H a n o t a u x n e peut le dire.
Il voit les b r a n c h e s de l'arbre s'élancer vers le divin,
mais il en ignore l'essence. M. Ifanoîaux uVst point
chrétien, n'est point catholique. Il est des choses
SON ŒUVRE N'EST POINT ACHEVÉE 879

qu'une Ame qui n ' e s L ' p a s éclairée p a r la foi peut


entrevoir, m a i s n e peut d i s c e r n e r e t p a r conséquent
ne peut définir. Ce qui se présente à ses yeux dans
ce vague lui a p p a r a î t cependant assez grandiose pour
qu'il puisse affirmer que cela se développera beau­
coup au delà de ce qu'il n o u s est possible de pré­
voir • el p o u r qu'il puisse a j o u t e r que « nous
ne sommes q u ' à l'aube dos j o u r s qui verront s'ac­
complir la mission de J e a n n e d'Arc ».
Le cardinal P a r o c c h i a mis plus en lumière la
pensée qui a dicté les d i s c o u r s de Mgr Dupanloup,
de Mgr Mermillod el de Mgr Pie.
Dans une conférence p r o n o n c é e à Rome le 17
janvier 18D5, l'émincut Vicaire de Léon XIII pronon­
ça ces paroles : ' Est-ce que, à la cathédrale de
Reims, l'œuvre d e J e a n n e d'Arc était a c h e v é e ? A ne
voir que la réalité extérieure des faits, la mission
delà Pucelle. p a r le fait m ê m e du sacre, était finie;
à ne voir que le succès et l'éclat du triomphe, la
page blanche de l'héroïque enfant se termine à
Reims. Mais si nous voulons a p p r o f o n d i r l'histoire
à la lumière de la foi, J e a n n e n'avait écrit à la lu­
mière du sacre que le prélude de son poème ; à
Reims s'ouvre la véritable épopée, car, plus féconde
a été pour la F r a n c e l'année du m a r t y r e d e J e a n n e
que l'année de son t r i o m p h e . . . J ' e s p è r e donc —- et
tous les amis de la civilisation chrétienne jxirta-
jent aette es.pémncc el ce vœu — q u e la Vénérable
Jeanne d'Arc o b t i e n d r a à la F r a n c e stabilité dans
l'ordre cl gloires nouvelles. Oui, le jour qui verra
leatrne sur les autels, ce jour marquera de nouvelles
gloires ponr la grande nation catholique, et d'un
hfmisplwre à Vautre éclatera ce cri d'allégresse :
i L E R È G N E D E D I E U S U R L A T E R R E 7id/e ses con-
quêtes ».
II

SA G L O R I F I C A T I O N

CHAPITRE LXI.

LA VIRGINITÉ ET LE MARTYRE.

L'ŒUVRE STARTdont In sainte Pucelle avait posé


les fondements aux j o u r s (Je sa vie mortelle n'a
point reyu jusqu'ici les d é v e l o p p e m e n t s qu'elle ap­
pelait : loin de là, elle n'a cessé, c o m m e nous l'a­
v o n s vu ci-dessus, d'être traversée et c o m b a t t u e ; et
même, à l'heure qu'il est, elle semble ruinée à
tout j a m a i s . Le m o d e r n i s m e , d a n s ses mille rami­
fications, sape les dernières assises d e la civilisa­
tion chrétienne ; cl le laîcisme, qui est en plein
t r i o m p h e , n'est a u t r e chose que la souveraineté de
l ' h o m m e s'élevant c o n t r e la s o u v e r a i n e t é de Dieu;
c'est la r o y a u t é du peuple s'élevant c o n t r e la royau­
té du * d r o i t u r i c r seigneur », l'éliminant partout
p o u r se substituer à elle en toutes choses.
Si Dieu a réellement d o n n é à la sainte Pucelle
de nous faire sortir d e cet état, il a du préparer nos
SA GLORIFICATION 881

cœurs à faire b o n accueil à ses enseignements, et


pour cela la glorifier et l a faire glorifier.
Il n'y a p o i n t m a n q u é . Et c'est p o u r q u o i il a
exalté la sainte Puoelle, d ' a b o r d p a r la virginité
et le m a r t y r e , puis p a r la réhabilitation, et enfin,
cspérons-le, p a r la canonisation c o m p l é t a n t la béa­
tification.
Dieu a voulu d o n n e r au H é r a u t de la royauté de
son Fils u n e gloire, q u ' o n peut dire unique. Il lui
a donné u n n o m qui la m e t d a n s u n r a n g à p a r t
parmi les a u t r e s saintes, un n o m qui la r a p p r o c h e
de la T. S . Vierge. Dès les p r e m i è r e s apparitions,
il lavait fait a p p e l e r p a r ses messagers, les anges
et les saints, L A P U C E L L E , simplement, comme Isaïc
avait dit s i m p l e m e n t la V I E R G E , lorsqu'il annonça
la Mère du divin Sauveur, la Mère de l'Hommc-
Dieu, roi d u ciel et de la terre. Instruite p a r ses
Voix, J e a n n e dit à son oncle D u r a n d Laxart : * La
Pucelle c'est moi », faisant allusion a u x prophé­
ties qui a n n o n ç a i e n t la délivrance p a r une Vierge.
Elle tient le m ê m e langage devant R o b e r t de Beau-
dricourt. Admise en la présence du roi, elle lui dit :
• Gentil Dauphin, j ' a i nom J e a n n e la Pucelle » ;
sa lettre aux Anglais p o r t e c o m m e signature : « De
par la Pucelle ». De môme au d u c de Bourgogne :
< Jeanne la Pucelle vous r e q u i e r t ». D a n s toutes
les circonstances solennelles, elle p r e n a i t ce nom
comme celui qui lui avait été d o n n é du ciel en
même temps (pie sa mission. Le 12 m a r s , les juges
de Rouen lui posèrent cette question : « Vos voix
vous ont-elles appelée : Fille de Dieu, fille de
l'Eglise, fille au g r a n d c œ u r ? — Avant le siègo
d'Orléans levé, répondit-elle el depuis, tous les jours,
quand elles m e parlent, elles m'ont appelée plusieurs
lois: Jeanne la Pucelle, fille de Dieu ». Tous les
882 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

d o c u m e n t s c o n t e m p o r a i n s attestent qu'elle était uni­


versellement c o n n u e sous ce n o m : la Pucelle. Ses
e n n e m i s le c o n s t a t a i e n t n o n s a n s dépit. Dans sa
citation, Cauchon écrit : « Une f e m m e du nom de
J e a n n e , c o m m u n é m e n t appelée la Pucelle ». D'Es-
livel d a n s son réquisitoire : « U n e femme dont te
n o m vulgaire est : la Pucelle ». D a n s les lettres de
TUniversité d e Paris, on lit : « Cette femme que
Ton n o m m e la Pucelle. — Celte femme q u e la voci­
fération p u b l i q u e appelle l a Pucelle ».
Celle qui d u ciel a reçu son n o m d e la Virginité
n V l elle point été désignée p a r cela même pour
une mission d e p r e m i e r o r d r e ? C'esl ce que Mgr
Pic, p r e n a n t le langage de saint Augustin, a eu soin
de m a r q u e r : « Dieu venait h n o u s cette fois en­
core p a r un c h e m i n virginal ». Il venait en Jeanne
et p a r J e a n n e , n o n plus, s a n s doute, p o u r nous don­
ner le Sauveur, m a i s p o u r n o u s d i r e ce que le
divin Sauveur doit ôlre p a r m i n o u s : le Roi des
1
rois et le Seigneur des s e i g n e u r s .
Dieu a voulu d o n n e r à la sainte Pucelle une autre
gloire, celle du m a r t y r e , cl c'est d a n s son martyre
que nous plaçons l'espoir d u n e vie nouvelle pour
elle el p o u r nous, espoir fondé s u r la parole de
Xoirc-Scigncur :
* Kn vérité, e n vérité, je vous le dis, si le grain

1. La P u c e l l e », tout court. c'est le vrai nom <li»


J e a n n e d'Arc. Il est à désirer que ce nom la Pucelk*.
non point comme on a pris l'habitude fie le dire trop
resf.rictivotnonr, la Pucelle fPOrlâavs^ 0.11*011 ne trouve
nulle part dans les d o c u m e n t s contemporains, mais sim-
plement LA V\H'VAAA\, lût d'un l i s i c o plus ordinaire.
On dirait «• la sainte Pucelle ». c o m m e on dit « h
Très S a i o l e Vierge »• Ce serait répondre aux intention*
do Mot re-tfeitfiiour manifestée** par s e s ajiges et x**
.saint**.
SA GLORIFICATION 383

de blé t o m b é e n t e r r e n e m e u r t pas, il demeure


x
seul; mais s'il m e u r t , il p o r t e b e a u c o u p de fruit » .
* C'est en p r é s e n c e des gentils qui lui furent pré­
sentés p a r P h i l i p p e et André, a p r è s la procession
des palmes, q u e Noire-Seigneur p r o n o n ç a ces pa­
roles. L e u r présence éveilla d a n s le c œ u r du di­
vin Agneau les fruits i m m e n s e s que le sacrifice
qu'il allait a c c o m p l i r à quelques j o u r s de là, fe­
rait naître au sein d e la gentilité, dans le monde
entier. « L ' h e u r e est venue où le Fils de l'homme
doit être glorifié ». E n effet c'est au j o u r de sa Pas­
sion que c o m m e n ç a sa glorification, c'est en elle
que fut p o s é le principe d e l a p r o p a g a t i o n de son
royaume et des fruits de salut qu'il devait produire.
Ce n'était p a s seulement de sou p r o p r e sacrifice
que parlait a l o r s le divin Maître, m a i s de celte loi
générale de son r o y a u m e qui exige le sacrifice de
ceux qu'il appelle à le p r o p a g e r .
La sainte Pucelle, venue en terre p o u r restaurer
la notion de la royauté, du Fils de Marie, Fils d e
Dieu, devait m o u r i r , devait faire le sacrifice de sa
vie pour o b t e n i r que cette notion a p p a r û t , a l'heure
marquée p a r la divine P r o v i d e n c e , dans le plein
éclat de sa vérité p o u r s'imposer aux esprits et péné­
trer dans l'ensemble d e la vie sociale.
« Il le fallait. Oportet! » dit u n j o u r Mgr Du-
2
panloup , p a r l a n t de cette m o r t aussi glorieuse
que nécessaire p o u r l'accomplissement des desseins
de Dieu sur elle et sur nous. # Klevons nos pensées.
Nous e n t r o n s ici d a n s des clartés nouvelles. Il
fallait que la sainte fût c o u r o n n é e d a n s le supplice.
Dieu réservait à la F r a n c e , p o u r sa libératrice,
cette gloire plus haute, il voulait d o n n e r à la fille

1. Joan., XII, 24.


2. Panégyrique prononcé le 8 mai 1869.
La Milion de la, B«;e Jeanne d'Arc. 23 bis
884 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

a î n é e de l'Eglise ( p o u r qu'elle p û t compléter sa


mission), u n e m a r t y r e p o r t a n t les stigmates de son
Fils. »
Quand j a m a i s plus frappante fut la ressemblance
d'une passion avec celle du divin Sauveur, que celle
de la sainte L i b é r a t r i c e ? libératrice n o n seulement
de la F r a n c e , mais de la chrétienté, c a r que fût-il
advenu si la F r a n c e avait suivi l'Angleterre dans
1
le s c h i s m e ?
C'est au J a r d i n des Olives q u e c o m m e n ç a la Pas­
sion de J é s u s ; celle de J e a n n e c o m m e n ç a dans sa
prison. File y fut détenue u n e a n n é e entière, t S'i-
maginc-t-on, d e m a n d e M. I l a n o t a u x , ses longs pour-
pensements s u r oe grabat ou les fers la tenaient
i m m o b i l e ? Avoir été oe qu'elle avait été, l'ange, le
messager, le porte-étendard el le porte-couronne;
a v o i r p a r c o u r u le c h e m i n qui m è n e de Vaucou­
leurs a Chinon et de Chinon à R e i m s ; avoir réalisé
l ' œ u v r e de Dieu sur la t e r r e ; être restée noble, pure,
vénérée du peuple après l'avoir servi, et venir à
Rouen p o u r la c o n d a m n a t i o n et la mort ! * Rien
d'autres pensées occupaient son esprit, plus con­
formes à celles que Notre-Seigneur exprimait dans
son agonie. « J ' a t t e n d s el appelle ce m a r t y r e , pour
la peine et adversité que je souffre en prison, et
n e sais si plus grand je souffrirai. Mais m'en a/-
tends à Notrc-Sciynrur >. « Mon P è r e , avait dit Jé-

1. Un a n g l a i s , Mgr trilles, évoque do Limy no, clan*


le panégyrique de Jeanne d'Are qu'il prononça à Orlean*
le 8 mai 1 8 5 7 , d i t : « Héroïne d'Orléans, vous avez
sauvé bien plus que l a France, ce s o n t toutes les na-
tions catholiques qu'a sauvées votre v i c t o i r e ! TCn dé-
gageant l a F r a n c e de la d o m i n a t i o n du roi d'Angle-
terre qui a l l a i t subir l'hérésie e t l'imposer à son peu-
ple, vous avez sauvé l a foi de Clovis pour la France et
pour les peuples qlio sa défection eut enirainés. »
SA GLORIFICATION 885

sus, non c o m m e j e veux, m a i s c o m m e vous voulez ».


A Rouen c o m m e à J é r u s a l e m , le procès est conduit
par des h o m m e s de savoir et revêtus d'un caractère
sacerdotal. D ' u n côté c o m m e de l'autre, sous le
voile du zèle p o u r la foi se c a c h e la h a i n e la plus
x
h y p o c r i t e . L a sainte victime p l e u r e s u r Rouen
comme le S a u v e u r p l e u r a s u r J é r u s a l e m : « Rouen,
Rouen, j ' a i g r a n d p e u r q u e tu n'aies à souffrir de
ma m o r t ».
Judas se r e p r o d u i t d a n s L o y s e l e u r . Celui-ci s'est
insinué d a n s la confiance de l'accusée p o u r la
trahir c o m m e celui-là. Il serait facile d'établir u n
parallèle e n t r e les a c c u s a t i o n s portées devant les
deux t r i b u n a u x . Qu'il suffise d e r e m a r q u e r que
les P h a r i s i e n s a t t r i b u e n t à Beelzébuth les œuvres de
Jésus et que l'Université de P a r i s p r o n o n c e q u e
celles de J e a n n e sont les œ u v r e s d'Astaroth, Bélial,
et Béhémoth. Il avait été dit au divin Maître :
• Vous êtes un possédé du d é m o n », et devant Pilate
il lui est r e p r o c h é de séduire les foules. L'Université
déclare : « Cette femme est u n e invocatrice des
démons » ; et la sentence d e c o n d a m n a t i o n porte :
« Nous d é c l a r o n s que tu es une séductrice perni­
cieuse ».
Les Juifs se m e t t e n t en quête de faux témoi­
gnages; et C a u c h o n vomit des injures contre Gérard
Petit et Nicolas Bailly p a r c e qu'ils n ' a p p o r t e n t point
la fausse déposition qu'il voulait obtenir.

1. « Jamais» d i t Thomas de Quincy, depuis la créa-


tion de l a terre, i l n'y eut uu proces c o m m e relui-ci,
si on l'exposait d a n s t o u t e l a beauté d e l a défense e t
dans toute l a diabolique horreur d e l'attaque ». (Cité
par Hanotaux.)- Ce n'est pas assez pour elle d e 3 juges,
il y en a 0, a v e c i 1 assesseurs au premier interro-
gatoire, 4 8 a u second, 6 0 au troisième : une banSe
de loups acharnes sur la pauvre brebis.
386 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

Les Juifs c h e r c h e n t a p r e n d r e J é s u s a u piège de


ses p a r o l e s ; q u e d ' e m b û c h e s dressées a u cours des
i n t e r r o g a t o i r e s q u e l'on fait subir à la sainte PucelleI
Les j o u r s et les nuits qui o n t suivi la scène de
Sainl-Ouen, n e sont pas sans r e s s e m b l a n c e avec la
nuit passée chez Caîphe et les scènes d u prétoire.
A la p r e m i è r e a n n o n c e du supplice, Jeanne a
éprouvé un frémissement qui fait p e n s e r à l'agonie
du j a r d i n des Olives. Elle eut besoin d'être récon­
fortée jiar ses saintes, c o m m e J é s u s p a r l'ange.
Sur la croix sanglante du R é d e m p t e u r , les Juifs
avaient placé u n e inscription d é r i s o i r e ; sur la tête
d e J e a n n e , l'Anglais a placé u n e inscription infa­
mante.
Attachée à son poleau sur son calvaire, elle voit
les scribes cl les pharisiens b r a n l e r la têle, comme
naguère au pied d'e la croix : KIlc qui a délivré les
autres, qu'ell'e se sauve e l l e - m ê m e ! Mais la douce
victime se fait a p p o r t e r une croix, fixe les yeux sur
elle et son c œ u r se p o r t e vers le divin Sauveur
d a n s u n d e r n i e r et s u p r ê m e élan : J é s u s ! Comme
son J é s u s elle p a r d o n n e à tous le m a l qu'ils lui
ont fait et elle d e m a n d e à tous d e p r i e r pour elle.
J é s u s ! Jésus ! Jésus ! s'écria-t-elle, r e n d a n t ainsi
son â m e à celui à qui elle Pavait vouée. Tout était
consommé.
Le c e n t u r i o n qui avail p r o c é d é au crucifiement,
s'écrie : « Vraiment cet h o m m e était le Fils de
Dieu ». el le b o u r r e a u de J e a n n e , a p r è s avoir al­
l u m é le feu q u i devait la d é v o r e r vivante, court au
couvent des F r è r e s - P r ê c h e u r s et s'écrie : « Nous
s o m m e s p e r d u s : nous avons brillé u n e sainte ».
Un anglais qui avait a p p o r t é u n e fascine au bûcher
p o u r e n a t t i s e r la flamme a t t e s t a a v o i r vu s'envoler
du b û c h e r une colombe.
SA GLORIFICATION 387

« Non, a dit Mgr F r e p p e l , il n'est pas de page


qui r a p p e l l e mieux le d r a m e divin d u Calvaire;
sur ce visage transfiguré p a r le m a r t y r e , je trouve
un reflet de l ' a d o r a b l e victime d u Calvaire ».
Et le c a r d i n a l Pie : « P a r d o n n e z - m o i , mes frères,
si j'insiste s u r la conformité minutieuse des cir­
constances de sa m o r t avec celles du Sauveur :
la r e s s e m b l a n c e du disciple n ' e s t p a s une injure
pour le m a î t r e ».
C'est ainsi q u e Dieu, en vue de l'œuvre qu'il
voulait lui d o n n e r à a c c o m p l i r a p r è s sa mort, a
glorifié la sainte Pucelle. « C'est la loi, observe
Mgr D u p a n l o u p . On n'est un sauveur, une image
du Christ qu'a ce prix. Oportuit pali Christnm et ita
intrare in gloriom snam. Divin, mais terrible, opor-
tuit. Le Fils de Dieu lui-même devait passer p a r ce
chemin p o u r a c h e v e r le salut d u m o n d e et arriver
à la c o n s o m m a t i o n de sa gloire. C'est le rayon su­
prême que Dieu réserve aux élus des h a u t e s
missions »

CHAPITRE LXII.

LA RÉHABILITATION.

Le m a r t y r e d e la Pucelle fut p o u r elle le principe


(Tune seconde vie :
Ta mort sera ta vie>
2
a dit Chapelain dans son poème ; vie nouvelle,

1. Panégyrique déjà cité.


2. Livre I X .
388 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA SAINTE PUCELLE

n o n s e u l e m e n t au ciel o u il lui fit p r e n d r e nais­


sance c o m m e a u x a u t r e s saints, m a i s aussi sur
la t e r r e .
Glorifiée p a r Dieu d a n s son m a r t y r e , la sainte
Pucelle fut glorifiée ]>ar PKglise, d ' a b o r d d a n s le
procès de réhabilitation.
Aux yeux d e ses e n n e m i s e l m ê m e du vulgaire,
J e a n n e d'Arc était sortie de ce m o n d e p a r une porte
ignominieuse : livrée p a r des clercs au b r a s séculier
el c o n d a m n é e a Péchafaud cl a u b û c h e r comme
« criminelle inventrice de révélations divines, sé­
ductrice pernicieuse, convaincue d e superstition et
de b l a s p h è m e , de prévarication c o n t r e la loi di­
vine, etc., elc. »
L'université de P a r i s adressa, au l e n d e m a i n de
l'exécution, au P a p e et a u collège des cardinaux
une lettre a n n o n ç a n t q u ' u n e femmelette Onuliercula)
avait été prise d a n s le diocèse de Beauvais, accusée
de graves méfaits contre la foi, j u d i c i a i r e m e n t exa­
minée, convaincue el c o n d a m n é e . E n m ê m e temps
le roi d'Angleterre écrivait à tous les rois, princes,
ducs de la chrétienté, des lettres où l'œuvre de
J e a n n e d'Arc était e n t i è r e m e n t travestie el où ils
étaient priés d'inspirer a l e u r s peuples l'éloigne-
ment de ces c o u p a b l e s stiperslilions.
Hien, on le voit, n'était é p a r g n é p o u r faire (Te la
sainte Pucelle un objet de m é p r i s et d ' h o r r e u r au
m o n d e entier.
Mais Dieu veillait s u r sa servante, — Dieu, la Pa­
pauté el le roi.
Le 15 février M50, Charles VII d o n n a l'ordre h
son féal conseiller Houille d'ouvrir une enquête.
.Mais la justice royale se trouva incompétente, la
cause ayant été jugée p a r un tribunal ecclésias­
tique. Charles VII demanda l'intervention du Saint-
SA GLORIFICATION 389

Siège en 1452. Il fit en m ê m e temps agir la famille


de J e a n n e . J a c q u e s d'Arc était m o r t de douleur, pa­
raît-il, e n a p p r e n a n t le s u p p l i c e de sa fille. Sa mère,
Isabelle R o m é e , vint à Orléans, o ù elle fut reçue
dans la m é t a i r i e de Bagneaux, et le 10 juin 1455,
Calixte III n o m m a la commission chargée d'instruire
et « de r e n d r e e n d e r n i e r ressort u n e juste sentence ».
Le c a r d i n a l d'Estouteville c o m m e n ç a , au n o m du
Pape, le p r o c è s r é p a r a t e u r , et cela au grand déplaisir
de la nation anglaise qui croyait avoir mérite plus
d'égards p a r sa conduite d u r a n t le grand schisme
et la sédition d e Baie : elle avait d o n n é alors à
Rome des preuves multiples de sa fidélité.
Un j o u r d e n o v e m b r e 1455, la mère de Jeanne,
accompagnée d e plusieurs d a m e s orléanaises, sortit
de sa f e r m e et se rendit a P a r i s avec son fils, Pierre
du Lys. Dans l'église de N o t r e - D a m e , elle réclama de
Juvénal des Ursins, a r c h e v ê q u e de Reims, d'Alain
Chartres, évêque de P a r i s , de Robert de Longueil,
évêque de Coutances, la révision du procès de son
enfant. Etouffée p a r les larmes, elle ne p u t aller
au b o u t de sa supplique. Il fut décidé que, dix j o u r s
plus tard, les prélats c o n v o q u é s examineraient l'af­
faire à fond.
L'action était ouverte.
L'enquête se fit au lieu d'origine de Jeanne, à
Orléans, à P a r i s , à Rouen. Huit mois y furent e m ­
ployés. Cent dix-huit t é m o i n s furent e n t e n d u s et
déposèrent sous la foi du serment. Une é n o r m e
quantité de pièces fut ainsi recueillie. L o r s q u e les
matériaux destinés à p r é p a r e r la sentence eurent été
rassemblés, les e n q u ê t e u r s appelèrent à délibérer
avec eux les docteurs de la capitale, les plus en re­
nom de savoir et de vertu. P u i s ils se rendirent à
Rouen, r e c o m m e n c è r e n t l e u r travail, en faisant appel
390 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

aux lumières d e s d o c t e u r s de N o r m a n d i e . La sen­


tence put être r e n d u e le 7 juillet 1156. avec le
plus grand appareil, au cimetière de Snint-Oueu. Kilo
le fui le lendemain avec la m ê m e p o m p e sur le
lieu d u forfait, à la place du Vieux-Marché.
Les juges délégués c o m m e n c e n t p a r dire la source
d'où émanent leurs pouvoirs : le Siège Apostolique.
Ils exposent ensuite p a r quels t r a v a u x ils se sont
éclairés, les témoins qu'ils ont a p p e l é s et entendus,
les motifs qui servent de base à la sentence qu'ils
vont r e n d r e .
La sentence se terminait ainsi : « Nous décrétons
que lesdits procès el sentence d e J e a n n e , entachés
de dol, de calomnie, d'iniquité, d ' e r r e u r manifeste,
o n t été et sont nuls. Les cassons et destituons de
toute valeur. Kt déclarons q u e ladite Jeanne est
exempte desdites sentences, et, a u t a n t qifil en est
besoin, l'en délivrons totalement ». « P a r les pro­
cessions générales et les prédications qui suivirent
avec g r a n d e solennité et très dévotement, dit M.
Ilanotaux, l'abomination el l'iniquité du premier pro­
cès fut révélée hautemOnl au peuple tout entier. >
Le 20 juillet, l'évoque de C o u l a n c e s el Jean Bréal
se r e n d i r e n t à Orléans p o u r p r o c l a m e r dans celte
ville c o m m e à Houen la justification d e la Pucelle.
Des m o n u m e n t s c o m m é m o r a l i f s d e cette sentence
furent érigés d a n s Jes deux villes. Détruits par les
H u g u e n o t s et p a r les r é v o l u t i o n n a i r e s , ces monu­
ments furent relevés, et Ton sait qu'ils furent, lors
de nos d e r n i e r s désastres, l'objet des hommages
de l'envahisseur lui-même.
Un grave magistral, Louvct, historien d e Bcauvais.
a écrit que c o m m e suite à cette réhabilitation, Pana-
thème a été p r o n o n c é contre Cauchon et que Oalixte
III avait o r d o n n é de d é t e r r e r ses restes pour les
SA GLORIFICATION S91

Jeter à la voirie. Cette sentence, si elle fut pro­


noncée, n'a pas r e ç u d'exécution.

Le j u g e m e n t d e réhabilitation n e m i t point fin,


môme en F r a n c e , a u x s e n t i m e n t s d e h a i n e qui avaient
fait c o n d a m n e r J e a n n e au b û c h e r .
Nous a v o n s déjà cité ce j u g e m e n t de Quicherat,
quoique n a t u r e l l e m e n t favorable à l'ancienne Uni­
versité de P a r i s , d a n s ses Aperçus nouveaux sur
Jeanne d'Arc (p. 96-101) : « L'idée de faire succom­
ber Jeanne d e v a n t l'Eglise se produisit spontanément,
non pas d a n s les conseils du g o u v e r n e m e n t anglais,
mais d a n s l e s conciliabules de l'Université ?. Et
M. de Robillard de Beaurepairc d a n s ses Recherches
sur le procès de condamnai ion de Jeanne dArc a
écrit : « Le p r e m i e r c o u p qui fut dirigé contre la Pu­
celle vint de l'Université. * C'est elle q u i avait été
la grande c o u p a b l e , d a n s le c r i m e d e Rouen, cl
c'est à elle q u e doit être i m p u t é l'obscurcissement
que l'histoire d e J e a n n e a subi et qui n e s'est com­
plètement dissipé qu'en ces d e r n i e r s temps. Les his­
toriens j u s q u ' à nos j o u r s , n ' o n t présenté q u ' u n e li­
bératrice t r o n q u é e , fausse, inintelligible e n bien des
points. Sa vie à D o m r e m y était passée sous si­
lence, sa mission divine à O r l é a n s et à Reims dé­
figurée, son histoire à p a r t i r d u sacre pervertie. On
ne nous m o n t r a i t q u e la guerrière, et e n c o r e s Vf for­
çait-on de n a t u r a l i s e r les faits, là o ù l'intervention
divine se m o n t r a i t le plus évidemment.
Mais voici que sonne l ' h e u r e m a r q u é e p a r la vo­
lonté de Dieu. Un paléographe éminent. directeur
de l'Ecole des Charles, M. Quichorat, étudia le
Double-procès : le procès de c o n d a m n a t i o n et celui
do la réhabilitation, e t se fit un d e v o i r d e publier
l'un el l'autre. Il montra bien, d a n s ses Aperçus
392 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

nouveaux qu'il p a r t a g e a i t à l ' é g a r d d e l'Eglise les


préjugés m e s q u i n s e t h a i n e u x des h o m m e s de la
génération d e 1830. Les a m i s d e J e a n n e ne doivent
p a s lui être m o i n s r e c o n n a i s s a n t s p o u r le grand
n o m b r e de pièces qu'il a r e c h e r c h é e s , collectionnées
et publiées. II a ainsi m i s s u r la voie de travaux
nouveaux el fourni aux récents h i s t o r i e n s d e l à Pucelle
de très précieux éléments p o u r la j u s t e appréciation
de la femme la plus m e r v e i l l e u s e q u e connaisse
l'histoire.
Quicherat a c e p e n d a n t laissé de c ô t é des documents
très i m p o r t a n t s . Le P. Ayrolles les a p u b l i é s et l'on
peut voir s'ils m é r i t e n t le m é p r i s q u e Quicherat en
avait fait cl s'ils ne s o n t pas e x t r ê m e m e n t utiles
p o u r l ' h i s t o i r e de la Pucelle.
Grâce a ces d o c u m e n t s , l'histoire de Jeanne d'Arc
est m a i n t e n a n t e n t r é e d a n s une l u m i è r e qui vît>\\
d e j o u r en j o u r et qui se r é p a n d partout,
qui p é n è t r e d a n s toutes les classes de la so­
ciété. C'esl un des p h é n o m è n e s bien remarqua­
b l e d e n o t r e époque, a dit P a u l Bourget, que la
rentrée t r i o m p h a n t e de J e a n n e d'Arc d a n s la cons­
cience nationale ! Quand les h o m m e s de mon Age
étaient assis s u r les b a n c s d u collège, l'aventure de
la Bonne L o r r a i n e , qu'Anglais b r û l è r e n t a Houen »,
c o m m e c h a n t a i t Villon, ne se distinguait pas des
autres événements de l'histoire. On nous rappre­
nait c o m m e un fait lointain, s a n s analogie aucune
avec noire siècle, c o m m e un fait m o r t , pour ainsi
dire. On n o u s racontait bien qu'il restait beaucoup
d'obscurité a u t o u r de sa personne, el, par ce point,
sa c h r o n i q u e se perdait d a n s la légende. Que cette
c h r o n i q u e p u t se continuer, se prolonger en une
action contemporaine, q u e les enseignements tirés
de cette vie pussent s'appliquer à la France dont
SA GLORIFICATION 893

nous sommes, q u ' u n e x e m p l e p û t en être tiré p o u r


la guérison des m a u x dont le p a y s souffre, aucun
de nos m a î t r e s n e n o u s le disait, aucun ne le pensait.
* Voici c e p e n d a n t q u ' u n m o u v e m e n t inattendu se
produit d a n s les intelligences et les sensibilités.
La figure de J e a n n e , reculée autrefois dans les p r o ­
fondeurs du passé, s'est faite de n o u v e a u présente.
Elle n'est p l u s d a n s l'histoire, elle est d a n s la vie.
En même t e m p s que l'Eglise la m e t au rang des
Bienheureux, voici que ses s t a t u e s se dressent sur
nos places. Voici q u e les récits de son existence si
brève et si pleine se multiplient, les u n s hostiles,
les autres enthousiastes, a t t e n d a n t q u e sa mission
continue; elle d e m e u r e le ' signe de contradiction »
dont parle l'Ecriture, et, a u t o u r d'elle, on se b a t
encore c o n t r e et p o u r la F r a n c e . »
Sans doute, la libre-pensée n e se rend pas, elle
se torture p o u r expliquer J e a n n e naturellement. Elle
ne peut y réussir et les h o m m e s sensés, m ê m e parmi
ceux qui lui a p p a r t i e n n e n t , se rient de ses efforts. Un
écrivain qui tient le p r e m i e r r a n g p a r m i les criti­
ques littéraires, Sainte-Beuve, l i b r e - p e n s e u r bien avé­
ré, a écrit : « P a u v r e J e a n n e d ' A r c ! des historiens
de mérite, tels que Michèle t et H e n r i Martin (on
peut ajouter bien d'autres n o m s a ces noms), lui
doivent d'avoir fait des c h a p i t r e s bien systématiques
ET UN P E U F O C S ». P o u r q u o i fous? P a r c e q u e sys­
tématiques. E t en quoi systématiques? En ceci qu'ils
ont voulu r a c o n t e r l'histoire de la Pucelle en en
écartant l'élément s u r n a t u r e l et divin qui y éclate
à toutes les pages, de sa naissance à sa mort.
D'autres ne se sont point seulement m o n t r é s fous,
mais enragés. Le surnaturel qui se présente à tout
instant sous l e u r s yeux, les obsède, et les obsédant,
394 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

leur fait grincer les dents *. Déjà m ê m e a u temps de


J e a n n e . Etienne P a s q u c t disait a u p r o c è s de réhabili­
tation : c (Irand p i t i é ! J a m a i s p e r s o n n e ne sau­
va la F r a n c e si à p r o p o s , et si h e u r e u s e m e n t que
cette Pucelle, et j a m a i s m é m o i r e d e femme ne fut
2
si déchirée » . Aujourd'hui e n c o r e n o u s voyons do
ces furieux el de ces fous. J e a n n e , c'est Dieu venant
encore à n o u s p a r un c h e m i n virginal, pour redire
la belle e x p r e s s i o n du c a r d i n a l Pie ; Jeanne, c'est
la Pucelle ; c'est r e n v o y é e de Dieu et la servante
de Dieu, c o m m e elle se d i t ; c'est la fille de Dieu,
c o m m e les anges cl les saints la n o m m e n t . De là leur
haine. Je n e dis point leur aveuglement, mais l'aveu*
glement qu'ils voudraient faire s u b i r à leurs lecteurs.'

Mais la Providence a eu soin d e pourvoir l'his­


toire de J e a n n e et l'intervention divine dans cette
histoire de preuves irréfragables, mises aujourd'hui
à la portée de tous. • Chose a d m i r a b l e cl provi­
dentielle, r é v é n c n i c u t le plus e x t r a o r d i n a i r e , le plus
s u r n a t u r e l qui figure d a n s les a n n a l e s humaines
est en m ê m e temps le plus a u t h e n t i q u e et le plus
incontestable ! Ce n'est pas seulement la certitude

1. M. A u g u s t e Longnon. invité à dire le sentiment


des é m d i t s sur la. fa'; on dont. M. Tha.lamas envi suée
le rôle d e J e a n n e d'Arc, s'est a i n s i exprimé : « A dire
vrai, la doctrine du professeur d'histoire du lycée Charle-
magne n'a rien à démêler avec l a critique historique, et,
à nion avis, c'est faire peu d'honneur à c e t t e science que
d e l'invoquer pour justifier de pareilles al légat ion*... 11
n'y a pas, à proprement parier, il n'y eut, jamais depuis
cinq siècles et plus, de l é g e n d e de Jeanne d'Arc.
L'histoire e x i s t e seule, la plus b e l l e histoire du monde.
1
J e a n n e d'An n'est pas un « être fa.hu 1 eux * comme
Guillaume Tell, ni une « figure d e légende, vision ioY-nle
pour exalter l'amour du sol qu'elle reconquit ». * Elle
fut un personnage de pleine réalité historique ».
2. l'ivers, f. 398.
SA GLORIFICATION 395

historique, c'esl la certitude j u r i d i q u e qui garantit


jusqu'aux m o i n d r e s détails d e cette vie merveil­
leuse ». A u c u n p e r s o n n a g e h i s t o r i q u e n'est entré
dans la p o s t é r i t é , p o r t é p a r u n e semblable nuée de
témoins aussi bien i n f o r m é s et aussi irrécusables,
amis, ennemis, indifférents; a u c u n qui se soit révélé
lui-même d ' u n e m a n i è r e plus sincère et plus à
l'abri de toute méfiance.
A ceux q u i lui d e m a n d e n t a u j o u r d ' h u i le secret
de son œ u v r e , J e a n n e peut r é p é t e r ce qu'elle disait à
ses juges : « E h 1 lisez bien votre livre (leurs p r o ­
cès-verbaux), et vous le trouverez ». Rien de plus
incontestable et de mieux établi que ce qu'on lit
dans les actes des deux procès, celui de la condam­
nation et celui d e la r é h a b i l i t a t i o n ; rien d e plus
lumineux, l u m i n e u x de la l u m i è r e d u ciel en mê­
me temps q u e du témoignage h u m a i n .
Du haut de son b û c h e r , l a Pucelle avait fait cet
appel : < De m e s dits et faits, j e m ' e n r a p p o r t e à
Dieu et à N . S. P . le P a p e ». L a p a p a u t é a en­
tendu ce cri s u p r ê m e et y a fait d r o i t p a r le procès
de réhabilitation; Dieu y fait d r o i t de nos jours
par la béatification, et p r o c h a i n e m e n t , espérons-le,
par la canonisation.

C H A P I T R E LXIII.

LA BÉATIFICATION.

Depuis le 8 m a i 1869, j o u r où Mgr D u p a n l o u p


prononça le discours qui révéla, peut-on dire, au
public français la sainteté de l a Pucelle, q u e lui
396 R E N T R É E T R I O M P H A N T E D E LA SAINTE PUCELLE

avait fait c o n n a î t r e à l u i - m ê m e l ' é t u d e de son pro*


1
c e s , tous les panégyristes c r e u s è r e n t d e plus en
plus p r o f o n d é m e n t ce sujet et n o u s firent passer de
ravissement e n ravissement d e v a n t celte incompa­
r a b l e figure.
A ces sentiments, à ces voix, l a Sainte Eglise est
venue d o n n e r l a consécration d e son autorité, qui,
eu celle m a t i è r e , j o u i t d u d o n d e l'infaillibilité.
J e a n n e d'Arc est une sainte. N o n seulement elle
est sainte, elle est U N E S A I N T E , c'est-ù-dire, elle est
de celles et d e ceux q u e l'Eglise p l a c e s u r ses autels,
à deux fins : p o u r y r e c e v o i r les h o m m a g e s des
fidèles, et p o u r n o u s p o r t e r à la contemplation et
à Timitalion des vertus, qu'elles e l eux o n t pra­
tiquées à un d e g r é h é r o ï q u e .

1. Dès le l e n d e m a i n de s a m o r t , Joanno d'Arc fut


regardée c o m m e une s a i n t e . Le s a v a n t archiviste de la
Sctiio-Î n f é r i r m v , .M. <ie Jîrauivpa.ire, a. fit i l cott e re-
marque : « On n e f o n d e pour e l l e , m ê m e après sa
r é h a b i l i t a t i o n , ni m e s s e s ni ohits, c o m m e c e l a se faisait
pour t o u s l e s fidèles d é f u n t s ; o n n e priait pour son
1
ànw, uu la. priait. /> D è s le XV' si<VI<\ TidiV do faire
inscrire l'humble fille sur l e c a t a l o g u e officiel des
s a i n t s s e f a i t jour. Au XVII<\ u n orafrorien ne ornipnnit
pas d e s'écrier d a n s l'église S a i n t e - C r o i x d'Orléans:
€ P r o c l a m o n s - l a m i l l e fois b i e n h e u r e u s e , adressons-lui
n o s prières, i n v o q u o n s - l a d a n s n o s b e s o i n s . . . L ' E g l t a
qui l'honore, e n t e n d que nous l a réclamions comme
uue sainte ». ( P a n é g y r i q u e d e 1 6 7 2 , B i b l . n a t . ) . Le
8 mai 1 8 6 4 , l'abbé T h o m a s , m i s s i o n n a i r e apostolique»
apostrophait ainsi 3e peuple d'Angleterre : « A h ! du
m o i n s , n a t i o n d e l'Angleterre, j e t'invite à. conjurer,
dans une f i l i a l e prière, le Père c o m m u n des fidèles
d'écrire le n o m d e notre A n g e sur le saint livre dos
martyrs. Ah 1 je voudrais te c o n d a m n e r à tomber à
g e n o u x avec n o u s , avec l a F r a n c e , et à nous écrier
N
cnsomblo " Jeanne t/Wrr, priez ptHtr non.v > . Avant
Mgr Dupanloup, l'abbé Freppel, e n 1 * 6 7 , exprimait le
v œ u d e voir s a i n t e Jeanne e t s a i n t e G e n e v i è v e unies dam
une mémo vénération.
SA GLORIFICATION 897

Parmi les Bienheureuses, la Pucelle tient un


rang à part, p o u r attirer s u r elle plus q u e s u r les
autres les regards du peuple chrétien : ce qui était
utile, sinon nécessaire p o u r le b u t que Dieu s'était
proposé; p o r t e r les c œ u r s vers elle afin de les
rendre attentifs el dociles a u x g r a n d s enseignements
qu'il voulait n o u s d o n n e r p a r elle.
L'un des caractères particuliers q u e présente la
sainteté de J e a n n e d'Arc ce s o n t les points de r a p ­
prochement si n o m b r e u x et si frappants qu'ont les
principaux événements de sa vie avec ceux de la
Vie de Noire-Seigneur.
Nous avons dit les signes qui o n t accompagné sa
naissance et qui font p e n s e r à ceux qui o n t signalé la
Nativité du divin Sauveur. L é g e n d e ! dira-t-on. Les
examinateurs de Poitiers, que Ton n ' a pu p r e n d r e
pour des e s p r i t s faibles et crédules, n'en ont point
pensé ainsi, non plus que Ch. Gerson, à qui l'ad­
miration de ses c o n t e m p o r a i n s décerna le surnom
de « d o c t e u r très chrétien ». Il cite, parmi les
choses qui l'ont incité à croire à la mission de la
Pucelle, les circonstances de sa p r e m i è r e enfance,
« objet, dit-il, d'un e x a m e n long, approfondi, fait
par plusieurs ». Le m ê m e témoignage se lit dans
plusieurs chroniques, e n t r e a u t r e s celle de Tournai.
La joie s o u d a i n e que les h a b i t a n t s de D o m r e m y
éprouvèrent à l'heure de la n a i s s a n c e d e J e a n n e
s'harmonisa à merveille avec celle que ressentirent
dans les c h a m p s de Bethléem, les bergers auxquels il
lut dit : <' J e vous a n n o n c e une g r a n d e joie qui
sera celle de tout le peuple » ; elle devait devenir
aussi celle de tout le peuple d e F r a n c e , la joie
des concitoyens de J e a n n e .
L'Evangile r é s u m e la vie de J é s u s adolescent dans
ce mot : « Il l e u r était soumis ». J e a n n e a pu ré-
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc. 94
S98 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA SAINTE PUCELLE

s u m e r ainsi sa vie a u p r è s de ses p a r e n t s : « je leur


obéissais en tout, excepté a u p r o j e t de fiançailles
à Toul », dérogation u n i q u e q u i r a p p e l l e celle de
r K n f a n l - D i e u resté au T e m p l e et r é p o n d a n t aux ten­
d r e s r e p r o c h e s de sa Mère : « N e savez-vous pas
que je dois être aux œ u v r e s de m o n P è r e » ? C'était
aussi p o u r être aux œ u v r e s de s o n P è r e du ciel que
* la fille de Dieu » refusa, à Toul, d'obtempérer
aux vues de ses p a r e n t s .

Dans sa vie publique, N o t r e - S e i g n c u r n'a jamais


d o n n é d ' a u t r e explication ou justification de ses
actes que celle-ci : j ' a c c o m p l i s la mission que le
Père céleste m'a donnée. C'est a u s s i toute l'explica­
tion et toute la justification q u e la Pucelle donne de
sa c o n d u i t e et de son œ u v r e singulières el étranges
p o u r une j e u n e fille.
Cette c o n f o r m i t é de la volonté h u m a i n e à la vo­
lonté divine éclate dans tous les actes de 1'llonune-
Dieu, c o m m e d a n s tous les a c t e s de la Pucelle.
E n t r a n t en ce m o n d e , N o t r e - S e i g n e u r dit : Voici
x
que je viens, ô Dieu, p o u r faire votre volonté * .
Plus tard, il dira à la foule r é u n i e a u t o u r de Lui à
C a p h a r n a u m : « Je suis d e s c e n d u du ciel, non pour
faire m a volonté, mais la volonté de Celui qui m'a
2
envoyé » , el a ses apôtres, à la suite de son en­
trelien avec la Samaritaine : ' Ma n o u r r i t u r e est de
faire la volonté de Celui qui m ' a envoyé el d'ac­
3
complir son œ u v r e ».
J e a n n e a 12 ans. T n e voix du ciel lui dit : « Jean­
ne, tu es celle que le Hoi du ciel a choisie pour le
relèvement du r o y a u m e de F r a n c e (comme Jésus

1. P s . X X Ï X - 9 . — Ileb. X , 9.
2. J e a n , VI, 3 8 .
3 . J e a n , V, 3 0 .
SA GLORIFICATION

a été choisi p o u r le relèvement de l ' h u m a n i t é ; . Le


roi du ciel l'ordonne et le veut ; la volonté qui
1
s'accomplit d a n s le ciel s'accomplira sur la t e r r e
Elle obéit, r Eusse-je eu cent pères et cent mères,
2
Dieu le c o m m a n d a n t , je serais p a r t i e » .
« Il faut que j'aille vers le gentil d a u p h i n . C'est
la volonté de m o n Seigneur, le Roi du ciel, que
j'aille vers lui, dussé-je m ' u s e r les j a m b e s jusqu'aux
3
genoux » .
« J ' a i m e r a i s mieux filer a u p r è s de ma pauvre
mère. Mais il faut que je le fasse, p a r c e que mon
Seigneur le veut »
A son a r r i v é e à Vaucouleurs, le p r e m i e r m o t
quelle a d r e s s a à Baudricourt, est celui-ci : « Mes-
sire, je viens de la p a r t de m o u Seigneur, le Roi
5
du ciel » .
A la seconde entrevue avec Baudricourt, elle lui
dit : * Capitaine Messire, sachez q u e Dieu m'a fait
à sçavoir el c o m m a n d é que j ' a l l a s s e vers le gentil
Dauphin. >
Dans sa p r i è r e sacerdotale, Noire-Seigneur rend
grâces à son P è r e de ce q u e « ceux-ci (ses apô­
tres) ont connu q u e c'est Vous qui m'avez envoyé • °.
Jeanne se présente à C h a r l e s VII el les preuves
qu'elle lui d o n n e de sa mission font que le roi
y croit. C e p e n d a n t p o u r plus de s û r e t é il la fait
examiner p a r les d o c t e u r s d e Poitiers. « En nom
Dieu, dit-elle, je sais que j ' y a u r a i bien affaire,
mais Messire m ' a i d e r a ; et allons de p a r Dieu ».

1. Voir Quicherat, t. V, p. 11 !>.


2. Procès de condamnation. Interrogatoire du 12 mars.
3. Procès de réhabilitation, Déposition d'Henry le Koyer.
4. Déposition de J e a n d e Metz.
5. Procès d e réhabilitation. Déposition de Bertrand
de Boulangy.
0. Jean, X V I I . 2 5 .
400 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

L a c o m m i s s i o n déclare a u roi qu'il convient qu'il


accepte l'aide d e J e a n n e , « c a r à la r e p o u s s e r ou
s'exposerait à m é c o n n a î t r e le vouloir de Dieu ».
D a n s le d i s c o u r s apologétique qu'il adresse aux
juifs scandalisés d e l'avoir vu guérir un paralytique
le j o u r du sabbat, N o t r e - S e i g n c u r dit : « Je ne
puis rien faire de m o i - m ê m e . Selon q u e j'entends,
je j u g e ; et m o u jugement est j u s t e , p a r c e que je
ne c h e r c h e p a s à faire ma p r o p r e volonté, mais la
l
volonté de Celui qui m ' a envoyé * .
À ceux qui furent chargés de l a c o n d u i r e au roi.
4 2
J e a n n e dit : < J agis p a r c o m m a n d e m e n t . . Ce mot
r e n d c o m p t e de toute sa c a r r i è r e . Elle peut s'ap­
p r o p r i e r les p a r o l e s du divin Maître : - Je ne
c h e r c h e pas a faire nia volonté p r o p r e , mais la
volonté de celui qui m'a envoyé. J e ne puis rien
faire de m o i - m ê m e . Scion ce q u e j ' e n t e n d s , je juge
ce que j e dois faire ».
* J'accomplis, de tout mon pouvoir, dit-elle, le
c o m m a n d e m e n t de N o t r e - S e i g n c u r q u e mes voix
s
me transmettent, autant que je le sais entendre .
L a p r e m i è r e chose qu'elle fait, dès qu'elle reçoit
le c o m m a n d e m e n t de l ' a n n é e royale, c'esl de prendre
des h a b i t s d ' h o m m e , ce qui lui sera cruellement
r e p r o c h é el qui sera l'un des motifs de sa condam­
nation à mort. Aux dames, demoiselles et bour­
geoises qui l'interrogent à ce sujet, à Poitiers, chez
le président J e a n Hahulcuu, elle d o n n e celle raison
de convenance : Pour ce, dit-elle, que je dois
servir le gentil Dauphin eu a r m e s , il faut que je
prenne les habillements nécessaires à ce. El ainsi
q u a n d je serai entre les h o m m e s eu habit d'honi-

1. Déposition de Jean de Metz-


2. .Jeun, V, 'M).
3 . Interrogatoire du l a mars
SA GLORIFICATION 401

me, ils n ' a u r o n t pas concupiscence mauvaise h mon


sujet, et il m e semble q u e je conserverai mieux
1
ma virginité d e pensée et d e fait » .
Mais, à ses juges, elle d o n n e le motif décisif :
« Tout ce que j ' a i fait, je Tai fait p a r c o m m a n ­
dement de Notre-Scigneur. T o u t ce que j ' a i fait p a r
commandement de m o n Seigneur, je le crois bien
2
faire . S'il m e c o m m a n d a i t de p r e n d r e un a u t r e h a ­
bit, je le p r e n d r a i s , p o u r v u q u e ce fût p a r son
3
c o m m a n d e m e n t ». Et c o m m e ses misérables juges
insistaient : « Ne croyez-vous point pécher m o r ­
tellement en p o r t a n t l'habit viril? » Elle répondit :
* Puisque j e l e fais p a r le c o m m a n d e m e n t de n o t r e
Sire, je ne cuide (crois) point mal faire; quand il
plaira à Dieu de l'ordonner, je l'aurai tantôt quit­
4
té » . • J e n e laisserai point cet h a b i t sans le
congé de Notrc-Seigncur, d u t - o n m e t r a n c h e r la
tête; mais s'il plaît à Nolrc-Seigncur, il sera tan­
5
io t mis bas » .
Jamais J e a n n e n'a d o n n é d ' a u t r e motif de ses
actes que la volonté divine : < J e ire sais ni A
ni B ; mais je sais que je viens de la p a r t du Roi des
cieux p o u r faire lever le siège d'Orléans et mener
le Dauphin à Reims, afin qu'il y soit couronné et
sacré »
Dans sa l e t t r e aux Anglais, clic n'invoque point
d'autre motif de la sommation qu'elle leur adresse

1. Interrogatoire du 27 février.
2. Interrogatoire du 14 mars.
3. Séance du 2 s mars.
4. Trorès de réhabilitation. Déposition d" fînbert Thi-
bault.
f>, t'hronique do la- P u c e l l e .
0. Voir H - d e s s u s la parole d e N o t r e - S e i g n c u r aux
Juif*! : « Selon q u e j'entends, je jupe ».
402 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

q u e celui-ci. Dieu l'a c h a r g é e d e les expulser de


F r a n c e : « Roi d'Angleterre et vous... faites raison
au Roi du ciel ; rendez à la Pucelle, qui est cy
envoyée de p a r Dieu, le Roi du ciel, les clefs de
loutes les b o n n e s villes que vous avez prises el
violées en F r a n c e ».
Elle se fit faire une b a n n i è r e : * T o u t l'étendard,
dit-elle à ses juges, était c o m m a n d é de p a r Notre-
Seigneur, p a r les Voix de sainte C a t h e r i n e el de
sainte Marguerite qui m e d i r e n t : < P r e n d s l'éten­
d a r d de p a r le Roi du ciel. C'est p o u r ce qu'elles
me dirent que je fis faire celle figure de Notre-
Seigneur el des deux anges, el q u e je les fis peindre.
l
Le tout je le lis p a r le c o m m a n d e m e n t de Dieu » .
T o u s ses fails de guerre, elle les a c c o m p l i t d'après
les lumières qu'elle recevait d ' E n - H a u t . « Vous avez
été a votre conseil, dit-elle a u x chefs de T a n n é e ;
j'ai été au mien. Et croyez que le conseil de mon
Seigneur s'accomplira et tiendra ; au lieu que le
3
vôtre périra > . i . L ' h e u r e est b o n n e q u a n d Dieu
veut. Il faut besogner q u a n d Dieu veut. Besognons
3
cl Dieu besognera » .
Noire-Seigneur avail dit Lui aussi : « Celui qui
m'a envoyé est avec moi. el il n e m ' a pas laissé
seul p a r c e que je fais toujours ce qui lui plaît * *.
Après le sacre, elle se met h genoux devant le roi
el ce qu'elle lui dit est ceci, qui est la confirmation
de tout ce qu'elle avail dit p r é c é d e m m e n t : « (ientil
5
roi, ores est exécuté le plaisir de Dieu » .
Elle est faite prisonnière à Compiègue : « Si
1. "Interrogatoire du 17 mars.
2. Déposition de Paquorel.
l\. Déposition d'Aloiiçon.
7
4. Jean, A TU, 2!>.
T). Journal d u siège d'Orléans.
SA GLORIFICATION 403

j'eusse su l ' h e u r e et devoir ê t r e prise, je n'y serais


point allé volontiers. Toutefois, en la fin, j ' a u r a i s
fait selon le c o m m a n d e m e n t d e m e s voix, quel­
que chose qui dût m'en advenir... J e crois, puisqu'il
plait à Notre-Seigneur, c'est le mieux que je sois
prise » *.
Dans le l o n g supplice de son procès, comme dans
toute sa vie, elle se tient c o n s t a m m e n t unie à la
volonté divine : « Volontiers j e dirai sur mes r é ­
vélations ce que mon Seigneur m e permettra... Vous
pouvez m'interroger, je ne r é p o n d r a i pas sans en
avoir congé... Quand je fais requête à sainte Ca­
therine, elle el sainte Marguerite font aussitôt r e ­
quête à Notre-Seigneur ; êl puis d u c o m m a n d e m e n t
2
de Notre-Seigneur, elles me d o n n e n t la réponse » .

CHAP1TIΠLXIV

LA BÉATIFICATION (Suite).

Constamment unie de c œ u r et de volonté à son


Dieu, c o m m e son divin Maître Jésus, c o m m e Jésus
aussi J e a n n e sema sa c a r r i è r e de miracles et de
prophéties q u i lui d o n n a i e n t crédit a u p r è s de ses
contemporains, attestaient sa mission a u p r è s d'eux
et l'attestent toujours a u p r è s de n o u s . Ainsi les m i r a ­
cles de J é s u s confirmaient sa mission divine.
Dès son enfance, il lui a r r i v e de ne plus lou­
cher le sol. « J e a n n e ! J e a n n e ! lui crie un j o u r

1. Interrogatoire des 10 et 1 2 mara,


3. Interrogatoire de mars,
404 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

une de ses c o m p a g n e s , j e te vois voler, au dessus


de la terre ! » Arrivée à Vaucouleurs, elle recon­
naît R e a u d r i e o u r l avec qui elle n e s'est j a m a i s ren­
contrée. Arrivée à Chinon, à t r a v e r s mille dangers,
elle r e c o n n a î t Charles VII, qu'elle n ' a j a m a i s vu
non plus et qui se dissimule. A Sainte-Calhcriue-
dc-Fierbois, elle désigne, d e r r i è r e l'autel, l'endroit
précis où est enfouie la vieille épée d o n t elle veut
se servir, et l'épée sort de t e r r e à la place indiquée.
Sur la L o i r e u n vent violent a r r ê t e le convoi de
vivres destiné aux Orléanais : à sa voix le vent
t o u r n e et se m e t à pousser les b a t e a u x avec une
force irrésistible.
Au m o m e n t de l'assaut d e S a i n t - L o u p , avertie pnr
ses voix au milieu de la nuit, elle se lève précipi­
t a m m e n t , saute s u r le cheval d'un page, et se rend
au galop sur le lieu du combat, s a n s m ê m e en savoir
le chemin. Le m ê m e jour, veille d e l'Ascension, clic
a n n o n c e que le siège sera levé cinq j o u r s après
et qu'il ne restera plus a u c u n e n n e m i d e v a n t la ville,
ce qui se réalise ponctuellement.
Les officiers ne veulent p a s en tendre p a r l e r d'une
s o r t i e ; elle force les troupes à m a r c h e r a l'assaut
des Tourelles ; puis voyant la victoire longue à
venir, elle se relire à l'écart d a n s u n e vigne, prie
d u r a n t un d e m i q u a r t - d ' h e u r c , et, l o r s q u e les sol­
dats désespérés sont s u r le point d e b a t t r e en re­
traite, elle leur déclare que la bastille sera enlevée
ce j o u r - l à m ê m e ; ils r e p r e n n e n t l'offensive, et,
contre toute attente, l'événement lui d o n n e raison.
D'Orléans à Reims les prodiges n e se comptent pas.
Combien d ' a u t r e s paroles inspirées sorties de sa
b o u c h e se sont réalisées de point eu p o i n t !
Deaudricourt ne veut pas l'écouter, il résiste.
Alors elle lui révèle la défaite é p r o u v é e à Houvray,
SA GLORIFICATION 405

le jour m ê m e , p a r les t r o u p e s royales. Cette révéla­


tion et celle de la j o u r n é e des Harengs, qu'elle
communiqua également à B e a u d r i c o u r t pendant son
séjour à Vaucouleurs, firent u n e g r a n d e impression
sur l'esprit de ses e x a m i n a t e u r s à Chinon. A son
entrée d a n s le c h â t e a u elle est interpellée grossiè­
rement p a r u n h o m m e qui a c c o m p a g n e ses propos
d'un j u r e m e n t : « Ha, tu renies Dieu, lui dit-elle,
el tu es si p r è s de la m o r t ! » Moins d'une h e u r e
après, cet h o m m e tombait à P e a u et se noyait. La
scène de la reconnaissance d u roi est présente à
toutes les m é m o i r e s . Elle c o m p o r t e un double pro­
dige : l'affirmation de l'identité d e Charles VII,
la révélation du secret de sa p r i è r e m e n t a l e et de sa
légitimité, révélation qui d e m e u r e un des faits les
plus stupéfiants des annales de r h u m a n i l é , en môme
temps q u ' u n e des preuves les plus convaincantes
de la mission divine assignée à la Vierge de Dom­
remy.
Que d'autres p r o p h é t i e s ! C'est sa blessure, c'est la
mort de Glastale, c'est r e n t r é e des troiqies fran­
çaises dans Orléans, c'est la date de la r e n t r é e du roi
à Paris, c'est l'expulsion totale des Anglais, c'est sa
rupture, c'est son supplice. Ajoutons que comme
Jésus elle avait prédil sa m o r t . . .
A Lagny, le plus r a r e des prodiges, celui qu'il
n'est donné q u ' a u x plus g r a n d s saints d'opérer, la
1
résurrection d'un mort, s'accomplit à sa p r i è r e .
Les r a p p r o c h e m e n t s que n o u s venons de signaler
entre la vie de la sainte Pucelle et celte de Notre-

1. Tandis qun den une se rapprochait d e Paris, ollo


arriva à L;urny-sur-!Marnc dans los premiers jours d'avril..
En ret to oit ó une mère ] 11 e u rai t son c nfan t.
« L'enfant a v a i t trois jours. Il fut apport* à Lagny
(lovant, rima ire de N o t r e - D a m e ; et Ton me fut dit (pie
les pucclles d e la v i l l e é t a i e n t devant c e t t e i m a g e et que
406 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

Seigneur se s o n t e n c o r e a c c e n t u é s d a n s la prison
q u e l l e e u t à s u b i r , et d a n s s o n m a r t y r e . Nous en
a v o n s fait ci-dessus le tableau.
Ce n'est p o i n t s a n s un h a u t dessein q u e Dieu a
voulu établir cette conformité e n t r e le divin Rédemp­
teur et la sainte Libératrice, autrefois la libératrice
de l a F r a n c e e l bientôt s a n s d o u t e libératrice de la
chrétienté.
Il n'est p o i n t t é m é r a i r e de p e n s e r , puisque c'est
d e n o s j o u r s q u e ces choses s o n t devenues mani­
festes, que c'est pour nos j o u r s q u e Dieu les a
voulues.

CHAPITRE LXV

GLORIFICATION POPULAIRE DE LA SAINTE


PUCELLE.

« Ceux que Dieu a prédestinés, dil l'Apôtre saint


Paul, il les a aussi a p p e l é s ; el ceux qu'il a appelés,
il les a aussi justifiés; e l ceux qu'il a justifiés, il
1
les a glorifiés » .
Dieu qui avait prédestiné J e a n n e d \ \ r c pour
l'œuvre qu'il lui a d o n n é d ' a c c o m p l i r d u r a n t sa vie

30 v o u l u s s e y aller prier Dieu et N o t r e - D a m e , qu'ils


lui v o u l u s s e n t donner v i e .
» J'y allai et priai avec les a u t r e s .
» Et finalement il y apparut vie, et. il bailla troi?
f o i s ; e t puis fut baptisé, et t a n t ô t mourut, et fut en-
terré en terre sainte.
] . R o m VI If, 3 0 .
0
SA GLORIFICATION 407

mortelle, et aussi, sans doute, p o u r cette a u t r e


œuvre qu'il kii est d o n n é d'accomplir, croyons-
nous, de n o t r e temps, Ta d ' a b o r d a p p e l é e de façon
à bien fixer l'attention s u r e l l e ; d ' a b o r d p a r des
voix prophétiques, puis p a r l ' a r c h a n g e saint Michel,
le prince d e la milice céleste, et p a r les saintes qu'il
chargea de l'inspirer et d e la c o n d u i r e d a n s toutes
ses voies. Appelée, elle répondit en g r a n d e simpli­
cité de c œ u r et en parfaite générosité d'âme. Aussi
Dieu la justifia : il la combla de ses grâces, il l'orna
des admirables vertus q u e ses p r o c è s manifestent
et que ses panégyristes creusent â l'envi sans pou­
voir en t r o u v e r le fond; il en fit cette image d e
son Fils, si parfaite d a n s sa vie el d a n s sa mort,
qu'on n'en peut guère t r o u v e r d e semblable.
« Ceux qu'il a justifiés, dit e n c o r e rApôtre saint
Paul, et c'est son d e r n i e r mot, il les a glorifiés >.
Après la glorification que lui a donnée la sen­
tence de réhabilitation, est venue pour la sainte
Pucelle la s u p r ê m e glorification, celle qui élève sur
les autels, qui offre à la vénération d e l'univers,
qui présente à l'imitation p o u r ceux qui veulent as­
surer leur salut.
Cinquante mille pèlerins s'étaient r e n d u s à Rome,
pour assister à cette glorification p r e m i è r e et s'y
associer. Venus u n peu de partout, m a i s surtout des
provinces de F r a n c e , conduits p a r leurs évêques, au
nombre de soixante-sept.
De retour d a n s leurs villes épiscopalcs, tous les
évêques adressèrent à leurs diocésains des lettres
qui leur présentaient la Béatification d e J e a n n e d'Arc
comme un r a y o n d'espérance de salut, venu du ciel,
recueilli p a r Pie X cl projeté p a r son ministère
sur la France cl sur le m o n d e .
Des lors, la fêle de la Bienheureuse fut célébrée
partout avec u n saint e n t h o u s i a s m e .
408 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

Cet e n t h o u s i a s m e n'est p a s s e u l e m e n t le fait des


gens d'église, ce n'est m ê m e point p a r e u x qu'avait
été p r é p a r é ce qui en a été le principe, mais par
des laïques el des laïques i n c r o y a n t s .
Le régne de Louis XVIII vit éclore la savante
Keolc des Chartes, créée pour Pélude d u passé de
la patrie. C'est d'elle que jaillit le p r e m i e r rayon de
lumière projeté de nos j o u r s s u r la figure de la su­
blime Pucelle. Jules Quichcral, q u i en elaii l'un de»
élèves les plus brillants, et qui n'était pas un
catholique, tant s'en faut, ce qui devait, aux yeux
du public, le r e n d r e m o i n s suspect d e partialité,
e x h u m a cl publia les pièces a u t h e n t i q u e s du procès
de Rouen, puis celles du procès d e réhabilitation.
I / i m p r e s s i o n causée sur le m o n d e éclairé fui grande.
Les critiques m ê m e s de l'éditeur et les divagations
de Michclet el d'Henri Martin ne p u r e n t l'atténuer.
Vinrent a l o r s les travaux consciencieux de M.
Wallon el de M. Marins Sepel. suivis d'une foule
de livres el d'opuscules de vulgarisation. Le R. P.
Ayroles acheva d e Taire pleine l u m i è r e p a r la publi­
cation de d o c u m e n t s i n c o n n u s d e Quichcral el la
traduction de tous ceux découverts jusqu'ici.
Malgré la sourde opposition q u e les gouvernants
lui firent, l'admiration, l'enthousiasme populaire
s'exaltèrent d'année en année, manifestés sur les
places publiques où se dresse sa statue et qui, au
jour m a r q u é par l'Kglise pour sa fêle, se pavoisèrent
1
et retentirent d'acclamations en son h o n n e u r .

1. Le Cowiir do Jeamw dWrr n o u s fournit, des «Mo­


ments înrnnt est a b l e s pour juger d e l'extension qu'ont
prise ces f ê t e s . Pour colle de 191*5. la. permanence de
l'avenue d e 8 é g u r a reçu d e s m i l l i e r s d e lettres : près
do t rois rent s par jour pcnda.nl s i x s e m a i n e s . Elle
a fourni drapeaux, oriflammes, unissons, lanterne*,
guirlandes, a. d e s centaines de p a r o i s s e s ; plus de
SA GLORIFICATION 409

« Aucun p a r t i n'est étranger a J e a n n e d'Arc, di­


sait M. Maurice Barres au j o u r de sa fêle, en
celte année 15)13, el tous les p a r t i s ont besoin d'elle.
Pourquoi? P a r c e qu'elle est cette force mystérieuse,
celte force divine d'où jaillit l'espérance. La figure
de Jeanne d'Arc nous enseigne ù espérer, n'y eût-il
plus d'espérance. Sa vie r e h a u s s e n o s Ames, rem­
plit nos c œ u r s de pensées courageuses, de beautés
morales et de poésie. Qu'elle revienne au milieu de
nous, celle image puissante ! J a m a i s elle ne nous
fui plus nécessaire, j a m a i s elle n e fui appelée p a r
un vœu plus u n a n i m e de n o t r e n a t i o n ».
Il ajoutait : < L ' u n i v e r s e n t i e r lui dresse des
autels ».

trois cents d e m a n d e s trop t a r d i v e s n'ont pu rece-


voir s a t i s f a c t i o n . Sur le modèle d u Comité de Paris
et ii son i n s t i g a t i o n , plusieurs o r g a n i s a t i o n s diocésai-
nes se sont créées en c e t t e m ê m e année, à Bourges,
Sens. Valence, le Mans, Quimpcr. Soissons, la Roehe-
lîur-Yon. e t c . . .
A Paris, le c o r t è g e traditionnel d e s patriotes, orga-
nisé pa r 1 es roy; 11 i s tes de « 1 ' Aoti on França i se » reste,
constatent les « Débat s ». la plus important e des m a -
nifestations d e la journée. Soucieux d e faire de la fête
une fête n a t i o n a l e de concorde et d'union, les groupes
royalistes ont f a i t appel à tous d a n s l'oubli complet des
partis.. La j e u n e s s e des écoles a répondu avec un tel
enthousiasme à leur i n v i t a t i o n , que l e s manifestants
ont du marcher par rangs de cinq, et non plus de
quatre comme aux précédents, e o r t è g e s . S o i x a n t e grou-
pes sont venus a u rendez-vous, p l a c e Suint-Augus-
tin, porteurs c h a c u n d e trois couronnes blanches, une
pour chaque s t a t u e de l'héroïne, place S a i n t - A u g u s -
tin, rue (les P y r a m i d e s et boulevard S a i n t - M a r c e l . Kn
?ilence e l dans un ordre complet, le cortège, qui
Michel onna i t sur plus d'un kilomètre, s'est m i s en
marche vers la Madeleine et. l a p l a c e de la Con-
mnle, où t o u s .les chapeaux se sont soulevés devant la
ftatue de S t r a s b o u r g . La police, h o s t i l e aux camelots
(in roi, évalua ïi 2 0 . 0 0 0 ou 23.<)(>:) le nombre des
manifestants.
T
410 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE Pl CEM,E

Mgr Totichel l'avait c o n s t a t é a u p a r a v a n t : « Cet


événement religieux (la Béatification), avait-il dit
est une cause d'allégresse p o u r le m o n d e entier : en
Angleterre, en Italie, en Belgique, a u x Etats-Unis,
et j u s q u e d a n s la Chine et s u r les b o r d s des grands
lacs africains, il passionne les c a t h o l i q u e s . Nous le
savons p a r des nouvelles el d e s lettres qui nous
arrivent de ces lieux, séparés p a r la distance, les
intérêts, les langues, mais unis p a r le culte de la
plus idéale el la plus merveilleuse Vierge que le
m o n d e ail connu, n'était celle qui ne se compare
à aucune a u t r e .
AI. Maurice B a r r e s a p p o r t e à cette assertion son
témoignage : << En Angleterre, depuis un siècle, c'est
p o u r la victime de Bouen une è r e d'adoration cl
d ' a p o t h é o s e ; en Allemagne, il ify a pas une pièce
qui soulève a u t a n t d ' e n t h o u s i a s m e que la Jungfran
non Orléans, la J e a n n e d'Arc de Schiller. L'univers
est à genoux devant cette j e u n e fille française ».
P a r l a n t ainsi, AL Maurice B a r r é s ne faisait que
redire ce que le X1V« siècle avait déjà entendu. Le
dominicain Jean Nider avait dit a n procès de ré­
habilitation : < Tous les r o y a u m e s d e la chrétienté
étaient d a n s la stupeur devant J e a n n e d'Arc el ses
1
h a u t s faits: omnia chrisiianoriun régna stupebant ».
Ils le sont bien plus a u j o u r d ' h u i .
E t d ' a b o r d les Anglais, ('/est bien a u x bourreaux
qu'il a p p a r t i e n t de glorifier les p r e m i e r s leur victime.
Dès les p r e m i e r s j o u r s du XV* siècle, liiehard
Blondel, d a n s le poème qu'il dédia à la Pucelle.
avail e x p r i m é cet espoir : O Vierge, si le ciel
impatient à le posséder, l'oblige à dépouiller dans
le feu la poussière de la chair, afin que tu t'élèves
plus pure a u dessus des astres, o h ! alors les An*

1. Procès, t. IV, p. G03.


SA GLORIFICATION 411

glais vaincus et frémissants seront contraints de


te vénérer.
...F métis
Et licet invitis adevis venembilis Anglis,
Sed iibi conjunctae superîs, pia vota feremus,
Quae faulone Deo, faciès miranda mundo
Plurima...
La prophétie du vieux poète, vieille de plus de
quatre siècles, est en train d e s'accomplir. El c'est
de grand c œ u r que les Anglais e n t o u r e n t de leur
vénération la m a r t y r e de Rouen. M. Adolphe Sévin
a publié à Lille une b r o c h u r e Jeanne d'Arc dans
la littérature anglaise contemporaine, dédiée au car­
dinal Yaughan. N o u s y v o y o n s q u ' e n 1812, lord
Mahon publia une vie de J e a n n e d'Arc, o ù il se
montre juste p o u r la Pucelle d a n s l'appréciation
qu'il fait de son caractère. E n 1858, M. J o h n O'Hnyens,
juge de la C o u r s u p r ê m e d'Irlande, publia sur Jeanne
d'Arc une œ u v r e de h a u t e valeur. Miss P a r et miss
Manning ont e m p l o y é l e u r talent d'écrivain a faire
admirer J e a n n e d'Arc p a r la jeunesse. Le cadre du
livre de Mrs Charles (1879) est celui des Perses d'Es­
chyle. Le gallois Perci val suit J e a n n e dans toute sa
carrière militaire et t o m b e à genoux devant elle
pour avoir sauvé l'Angleterre en l'empêchant de se
perdre dans la guerre d e proie el de fondre dans le
continent en s'y r é p a n d a n t . Mrs F l o r e n c e Caddy a
publié en 1866 les Vestiges de Jeanne d'Arc, pieux
pèlerinage, qui a p o u r conclusion : * A ceux qui
sont fidèles j u s q u ' à la m o r t , est d o n n é e une cou­
ronne de vie La vie de J e a n n e d'Arc p a r lord
Gower est u n e œ u v r e de piété filiale. Sa m è r e avait
élevé à J e a n n e d a n s sa résidence une statue en
bronze; héritier des sentiments de la m è r e , le noble
auteur voulut, lui aussi, élever à l'objet d'un culte
412 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

si louchant un m o n u m e n t d u r a b l e . Le cardinal Moran


cl le II. I\ W y n d h a m se sont a t t a c h é s a montrer
dans leurs œ u v r e s la mission divine de Jeanne Tondre
s u r ses révélations.
Après les biographes, il faudrait faire comparaître
les panégyristes. Nous avons fait allusion ci-dessus
au discours p r o n o n c é p a r Mgr Gillis, vicaire ajM)S-
tolique d ' K d i m b o u r g .
M. Adolphe Sévin, d a n s la troisième partie de
sa b r o c h u r e , cite les témoignages des historiens an­
glais au c o u r s de leurs o u v r a g e s ; et dans la quatriè­
me, il fait c o n n a î t r e les {mêmes e l les pièœs de
t h é â t r e que les Anglais ont c o n s a c r é s à la sainte Pu­
celle.
Toutes ces publications ne furent point sans effet
s u r l'opinion au Royaume-Uni. M. de Reauriez a
m ê m e pu d i r e que des Anglicans mis ainsi en pré­
sence d u fait de Jeanne, inexplicable, humainement
parlant, ont o u v e r t les yeux à la vérité catholique.
D'autres manifestations bien significatives ont été
données du sentiment anglais actuel, entre autres,
celles-ci ; Une souscription p o p u l a i r e — 10 centi­
mes — a offert à la Rienheureusc u n e statue dans lu
cathédrale d e Westminster. Un des plus illustres
écrivains anglais, M. A n d r e w L a n g , quoique pro­
testant, a réfuté el fustige Anatole F r a n c e , l'émule
de Voltaire; e t c . .

Dans son livre, Jeanne tVArc cl Vopinion aile-


mamie, M. Georges Goyau n o u s fait entendre les
n o m b r e u x échos dont les p a y s d'Outre-Rhin ont
retenti en l ' h o n n e u r de J e a n n e d ' a r c , au cours des
cinq d e r n i e r s siècles. « De Schiller à Auguste-Guil­
laume Schlegel, de Schlegcl à Guido Gœrres, de
Guido G œ r r e s à Charles liasse, de Charles liasse a
SA GLOÏUFinATlON 413

Hermann Semmcg, l'Allemagne semble affecter une


sorte de coquetterie à l'endroit de la Pucelle ; et
celle coquetterie, parfois, d a n s l'expression dont
elle se p a r e , devient p r e s q u e offensante pour nous.
On dirait q u e l'Allemagne littéraire et savante, tou­
jours éprise de l'antique Velleda, p o r t e quelque envie
aux F r a n ç a i s , qui, p o u r installer u n e Vierge guer­
rière au chevet de leur nationalité, n'ont pas besoin
d'aller q u é r i r la prophélesse d'un paganisme dé­
funt, mais s i m p l e m e n t de feuilleter leur histoire n a - .
tiouale et c h r é t i e n n e ». On sait que pendant la
guerre, les Allemands r e n d i r e n t à la maison natale
de Jeanne les h o n n e u r s militaires.
En Amérique, Marc Twain a écrit : « J e a n n e d'Arc
est la merveille des siècles. N o u s pouvons com­
prendre c o m m e n t la future pêche est en puissance
dans une pelile amende, m a i s n o u s ne pouvons con­
cevoir la pêche née s p o n t a n é m e n t s a n s des mois
de lent développement et sans les effluves d u soleil.
Jeanne d'Arc sort tout équipée de sou h u m b l e mi­
lieu el de son o b s c u r village, elle n ' a rien vu, rien
lu. rien e n t e n d u . C'est cela qui n o u s stupéfie. Car
enfin on ne peut nier qu'elle ait élé un grand capi­
taine. Il y a e u de jeunes g é n é r a u x victorieux dans
l'histoire, m a i s tous avaient d é b u t é p a r des grades
inférieurs, et, e n tout cas, a u c u n n ' a été une jeune
fille. A seize ans, elle n ' a j a m a i s vu une armée. On
ne peut nier qu'elle n'ait été un grand capitaine,
ni que son e s p r i t n'ait eu d e merveilleuses res­
sources devant les fourbes et savantes questions
de ses juges et b o u r r e a u x . . . Si n o u s considérons
l'ensemble des circonstances, origine, jeunesse, sexe,
ignorance, p r e m i e r entourage, oppositions el obsta­
cles rencontrés, victoires militaires et triomphes de
l'esprit, il est facile de r e g a r d e r J e a n n e d'Arc
La Mission de la Use Jeanne d'Arc. 25
414 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA SAINTE PUCELLE

c o m m e la c r é a t u r e de b e a u c o u p l a p l u s extraordi­
n a i r e que la r a c e h u m a i n e ail j a m a i s produite ».
D a n s cette m ê m e Amérique, le professeur R.
B l a n c h a r d visitait, le 17 a o û t 1907, la bibliothèque
fondée p a r Carnegie à S y r a c u s e ( E t a t de New-
York) l o r s q u e son attention fut a t t i r é e d a n s les salles
de gauche, réservées aux enfants, p a r un cadre
consacré à J e a n n e d'Arc. Il r e n f e r m a i t les ima­
ges les plus diverses c o n c e r n a n t son histoire et
un r é s u m é d e cette histoire q u i se t e r m i n a i t ainsi :
« J e a n n e d'Arc, j e u n e fille française (a french girl}.
doit être c o n n u e et aimée de tous les américains
p a r c e que c'est e n elle que l ' a m o u r de la pairie a
trouvé sa plus h a u t e personnification *. On sait
que l'Amérique dédie à J e a n n e d'Arc une statue
colossale.
P a r t o u t les c œ u r s se p o r t e n t vers la sainte Pu­
celle. Les catholiques d'Athènes, lorsqu'ils ont cé­
lébré sa béatification, ont vu les schismatiques y
p r e n d r e part. Au Canada, à Québec, le gouverneur
général assistait, à côté de l'archevêque, aux offices
en l ' h o n n e u r d e la libératrice d e la vieille pa­
trie. À liuenos-Ayres et p a r t i c u l i è r e m e n t à Mexico
on a d o n n é une spéciale solennité aux fêles en
l ' h o n n e u r de la Bienheureuse. A T a u a n a r i v e , le vieil
et saint évêque Mgr Cazel a c é l é b r é l a messe, ponti­
ficale cl d u r a n t trois j o u r s les p a n é g y r i q u e s se sont
succédé, en français p o u r la colonie, en malgache
pour les indigènes.
Une j a p o n a i s e lettrée a public u n e vie de l'hé­
roïne, la p r o p o s a n t c o m m e m o d è l e aux jeunes filles
de cet e x t r ê m e Orient.
Toul n'est point arrivé à n o t r e connaissance et
l'espace nous m a n q u e p o u r d i r e tout ce que la
renommée n o u s a a p p r i s .
SA GLORIFICATION 415

Que peut signifier celle dévotion croissante, si


extraordinaire, des calholiques p o u r l'humble vierge
de DomremVj et cette a d m i r a t i o n des incroyants
eux-mêmes d a n s tous les p a y s du m o n d e ? Les en­
nemis de l'Eglise et de la m o n a r c h i e se le sont d e ­
mandé plusieurs fois avec s t u p e u r . Le fait est
éclatant c o m m e le soleil et r e n v e r s a n t comme un
miracle. P o u r q u o i ? "Si ce n'est p o u r r e n d r e attentif
aux oracles (fui sont sortis de la b o u c h e de la sainte
Pucelle et qui doivent régénérer le m o n d e .

CHAPITRE LXVI

POURQUOI GETTE GLORIFICATION


EXTRAORDINAIRE.

Nous est-il possible de préciser, de mettre eu lu­


mière ce s u r quoi l'agnosticisme de M. Gabriel Ha-
notaux projetait son o m b r e ? Nous csl-il possible de
le dégager de celle o m b r e et de m o n t r e r dans son
plein j o u r ce qui, d a n s le d e m i - j o u r où il le
voyait, le ravissait au point de m e t t r e sur ses lèvres
cette accumulation de t e r m e s admiralifs cl de sus­
citer dans son imagination les pronostics si pleins
de promesses qu'il nous a fait e n t e n d r e ?
Eclairés p a r t o u t ce qui précède, n o u s croyons
pouvoir le faire.
Parmi les saints, il en est b e a u c o u p dont lo vie
s'est écoulée d a n s l'obscurité, la simplicité, l'hu­
milité, le c œ u r à c œ u r avec Dieu el Dieu seul :
tels parmi les plus r é c e m m e n t présentés a notre
416 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA S A I N T E PUCELLE

culte et à n o t r e imitation, sainte G e r m a i n e Cousin


et saint B e n o î t - J o s e p h L a b r e .
Il en est (Huîtres qui, outre la mission d'édifica­
tion, ont reçu celle d'un enseignement à trans­
m e t t r e a u x générations à venir : tels les docteurs
de l'Eglise.
Cet enseignement a pu être un c o r p s de doctrine
consigné d a n s des livres, tel celui d e S. Thomas
d'Aquin ou de saint Alphonse de Liguori ou de
saint F r a n ç o i s de Sales ou de sainte Thérèse :
dogme ou morale, ou ascétisme o u mysticisme.
Il a pu ne consister, c o m m e celui d e Notre-Sei­
g n e u r Jésus-Christ, que d a n s des p a r o l e s brèves
et clairsemées, ou m ê m e s i m p l e m e n t d a n s des actes,
venant saisir rhumauiLé p o u r la m e t t r e ou la
r e m e t t r e s u r le c h e m i n du salut : tel saint Fran­
çois d'Assise. Telle aussi la sainte Pucelle. L'amant
de la pauvreté a eu p o u r mission d e r a m e n e r les
âmes au principe, au fond de la vie chrétienne.
Nous avons vu que l a sainte Pucelle a été char­
gée de r a m e n e r les peuples sous le sceptre de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, et de les r e p l a c e r ainsi dans
les voies de la civilisation c h r é t i c u n e .
(les derniers saints, ces d o c t e u r s p a r l'action ou
p a r des paroles qui sont des actes, s o n t toujours
doués de d o n s e x t r a o r d i n a i r e s qui appellent impé­
rieusement l'attention sur ce qu'ils disent ou font,
qui forcent le regard à se p o r t e r s u r eux, Forcille
à s'ouvrir à leurs oracles. Posuil in eis signum ver-
borum suorum
Lorsque le Seigneur envoya Moïse p o r t e r ses or­
dres à P h a r a o n , il lui d i t : « J e multiplierai mes si
2
gnes el mes prodiges d a n s la terre d'Egypte * , cl il

1. Ps., CIV, 27.


'J. Ex., VII, 3.
SA GLORIFICATION 417

les multiplia j u s q u ' a u j o u r où l'orgueil du tyran fut


Forcé de s'incliner. L o r s q u e N a b u c h o d o n o s o r écri­
vit à ses peuples p o u r l e u r a n n o n c e r le vrai Dieu
que Daniel lui avait révélé, il c o m m e n ç a par leur
dire les signes et les prodiges que ce Dieu avait
1
opérés d e v a n t lui p a r son p r o p h è t e . Noïre-Seigneur
constata la nécessité de ces prodiges c o m m e lettres
de créance, lorsqu'il dit à l'officier de C a p h a r n a ù r a :
« Si vous n e voyez des signes et des prodiges,
3
vous ne croyez point » ; el plus encore lorsque,
envoyant ses a p ô t r e s p r ê c h e r l'Evangile, il leur
donna le p o u v o i r d'imposer les m a i n s aux malades
et de les guérir, de c h a s s e r les d é m o n s , de p a r l e r
3
de nouvelles langues, etc. . L u i - m ê m e , que fit-il
pour m o n t r e r qu'il était v r a i m e n t l'Envoyé de Dieu?
Quand il eut achevé d e d o n n e r ses premières ins­
tructions h ses douze apôtres, il envoya à Jean-
Raptislc, d a n s sa prison, l'inspiration de déléguer
près de Lui deux de ses disciples p o u r lui faire
celte d e m a n d e : « Etes-vous Celui qui doit venir
ou devons-nous en a t t e n d r e un a u t r e ? » Et cela
afin d ' a m e n e r s u r ses lèvres celte réponse : « Allez
et rapportez à J e a n ce q u e vous entendez et ce
que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux
marchent, les lépreux sont guéris, les sourds en­
4
tendent, les m o r t s ressuscitent » .
Nous avons vu que Dieu n'a point m a n q u é de
pourvoir la sainte Pucelle de signes éclatants.
Il a fait de *sa vie un prodige, lissé de cent prodi
ges, qui ont a t t i r é et q u i - a t t i r e n t aujourd'hui plus
que jamais s u r elle l'attention de tous les peuples.

1. Daniel. TIL 0 9 - 1 0 0 .
2. Jean, IV, 4 8.
3. Marc, X V I , 1 7 .
4. i l a t t . , X I , 1-6,
418 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA B. PUCELLE

Puis, a p r è s l'avoir fait r e s p l e n d i r d u s u b l i m e éclat


que d o n n e le m a r t y r e , il a o u v e r t le ciel et n o u s
l'a m o n t r é e disposée à r é p a n d r e ses oracles sur nous
du h a u t d u trône, d u h a u t de la cithedva qu'il lui
a dressée d a n s la Gloire, en m ê m e temps qu'il
p r é p a r a i t les c œ u r s à accueillir son enseignement pur
l'admiration que causaient sa vie et ses œuvres.
Dieu a attendu cinq siècles |)our faire ce qui (aurait
pu être fait au lendemain du j o u r où sou Ame, co­
lombe toute b l a n c h e et toute pure, s'élança d u b û ­
cher vers les d e m e u r e s célestes. P o u r q u o i ce relard ?
si ce n'est p a r c e que n o u s n'étions pas In, cl que
c'était à nous, victimes d e la déviation qu'ont iu-
riii*ée à la chrétienté, la Renaissance, la Réforme
et la Révolution, qu'étaient destinés les lumières
cl les secours dont celte glorification devait cire,
dans la pensée de Dieu, le principe.
Dans le décret qui déclare que J e a n n e a prati­
qué toutes les vertus chrétiennes à un degré hé­
roïque, Léon XIII, qui avail choisi p o u r celte pro­
mulgation la fêle de l'Epiphanie, dit : « Ce joui,
où le Dieu Sauveur se manifesta aux n a t i o n s p a r une
étoile, vit aussi naître la Vénérable servante de
Dieu. Jeanne, appelée à être un j o u r une flamme
b r i l l a n t e non seulement d a n s la J é r u s a l e m céleste,
mais aussi d a n s la Jérusalem t e r r e s t r e ».
Cette flamme qui doit illuminer la J é r u s a l e m ter­
restre,* est a u j o u r d ' h u i placée p a r la main du Vi­
caire de Jésus-Christ sur le flambeau qui domine
le monde. Quelles clartés est-elle appelée à y répan­
d r e ? Celles-là m ê m e sorties d e ses lèvres aux
jours de sa vie mortelle, étincelle alors, aujourd'hui
déflagration venant illuminer les h a u t e u r s de l'ordre
social, en Ernnee d'abord, et de la chez lous les
peuples.
III

L ' ΠU V R E D E LA N O U V E L L E V I E

CHAPITRE LXVII

LA ROYAUTÉ DE NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST RAPPELÉE.

L a g r a n d e œ u v r e que la Pucelle est appelée^


croyons-nous, à opérer de nos jours, dans cette se­
conde vie q u e la canonisation lui donnera, s il plaît
à Dieu, est celle-ci : r e s t a u r e r d a n s les esprits la
dignité r o y a l e du Fils de Dieu fait H o m m e , et
lui r e n d r e sa place d a n s l a société. P a r là, elle
nous fera s o r t i r du n a t u r a l i s m e , de l'humanisme,
du laïcisme et nous replacera, p o u r nous y faire
progresser plus que j a m a i s , sur la voie de la ci­
vilisation chrétienne ouverte devant nous p a r Cons­
tantin, Clovis, C h a r l e m a g n e el saint Louis.
L o r s q u e le procès de canonisation n'était q u ' e n ­
trevu, en 1891, Mgr Pagis dit d a n s une Instruction
pastorale : « Les souvenirs renaissants de J e a n n e
d'Arc et l'enthousiasme qu'ils provoquent sont, à
T a MfeMon de In Rie Jeanne H'Arr. 25 b»s
420 RENTRÉ!? T R I O M P H A N T E D E LA R. PIJCEM-E

n o s yeux, des p h é n o m è n e s p r o v i d e n t i e l s ; nous


c r o y o n s q u e Dieu les suscite p o u r les o p p o s e r com­
m e un r e m è d e au m a l d o n t n o u s souffrons depuis
un siècle, et qui t u e r a i ! la F r a n c e , si la F r a n c e pou­
vait m o u r i r . Qu'est ce m a l ? L e S o u v e r a i n Pontife
l'a d é n o n c é bien des fois, n o t a m m e n t d a n s l'im­
mortelle encyclique Immortale Dci : c'est le Nalu-
ralisme... Au ]>oint de v u e politique, il fait naître
la discorde e n t r e l'Eglise et l'Etat. A c e l t e grande
e r r e u r , à ce mal do n o t r e é p o q u e , n o u s opposons
J e a n n e d'Arc : elle est le s y m b o l e le p l u s merveil­
leux, le plus éclatant, l e plus p o p u l a i r e du surna­
turel, de l'Alliance nécessaire e n t r e la F r a n c e et
l'Eglise. A r b o r e r le d r a p e a u d e J e a n n e d'Arc, c'est
r e m e t t r e en l u m i è r e et en h o n n e u r ces g r a n d e s idées
cpii o n t sauvé la F r a n c e et qui p e u v e n t la sauver
e n c o r e ».
Ce n'est point seulement en F r a n c e q u e le natura­
lisme règne et exerce ses ravages el ce n'est point
n o n plus en F r a n c e seulement, n o u s v e n o n s de le
voir, que les souvenirs de la merveilleuse Pucelle
renaissent el p r o v o q u e n t l'enthousiasme ; sou nom
est a u j o u r d ' h u i sur toutes les lèvres.
Les r e g a r d s qui se p o r lent sur J e a n n e d'Arc ne
peuvent se d é t a c h e r de la F r a n c e . Sans doute notre
altitude cl nos actes font t o m b e r a u j o u r d ' h u i notre
pairie en bien g r a n d e mésestime, m a i s le don qui
lui a été fait en la p e r s o n n e de J e a n n e soulève plus
q u e j a m a i s Pélonnemcnl cl fait s o u s c r i r e à la con­
clusion que Mathieu T h o m a s s i n a d o n n é e à son
Registre Delphintil : * Sache ung c h a c u n que Dieu
a m o n t r é el m o n t r e ung c h a q u e j o u r qu'il a aimé
et a i m e le r o y a u l m e de F r a n c e . . . Mais s u r lous les
signes d ' a m o u r que Dieu a envoyés au royaulme de
F r a n c e , il n'y en a point eu d e si g r a n d ni de si
merveilleux c o m m e de celte Pucelle ».
SON ENSEIGNEMENT 421

Ce signe d ' a m o u r i n c o m p a r a b l e , Dieu vient de le


remettre d a n s u n e l u m i è r e p l u s éclatante que jamais,
lumière qui, du Vatican, resplendit d a n s toutes les
régions d u m o n d e ; n'est-ce pas p a r c e que l'heure esl
venue d e r e n d r e le m o n d e attentif au ministère que
Jeanne est appelée à exercer a u p r è s des générations
présentes, ù l'initiative que la F r a n c e doit prendre
sous sa conduite. Ministère! q u e ce mot n'étonne
point, il est de J e a n n e elle-même. « Je l'ai entendue,
dit Percival d e Cugny, d a n s sa c h r o n i q u e , je l'ai
entendue p a r l a n t de son fait, dire : « C'est un minis­
tère ». Quel m i n i s t è r e ? Ministère de la Parole, de
la parole qui d o i t faire retentir p a r t o u t la déclaration
de Jésus à Pilate : « Oui, je suis roi ».
C'est en effet ce que la sainte Pucelle ne cesse
de dire : Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu
et Fils de la Vierge Marie, est le Roi des rois, le
Hoi des n a t i o n s c o m m e le Roi des individus et tout
particulièrement le Roi de la F r a n c e dont le sou­
verain est le p r e m i e r d e ses l i e u t e n a n t s .
Renouveler d a n s l'esprit des rois et des peuples,
rajeunir p a r sa parole, accréditer p a r le miracle
de sa vie et d e ses œ u v r e s la foi à l'Homme-Dieu,
souverain s u p r ê m e de la terre aussi bien que du
ciel fut, est e l s e r a le point c u l m i n a n t de sa mission.
Rien qu'elle ait p r ê c h é avec plus de force, plus de
constance, sous des formes plus variées. Elle a dit
aux peuples qui c o m m e n ç a i e n t à s'engager dans les
voies de l'apostasie, que Xotre-Scigneur Jésus-Christ
est le Souverain Maître et le s u p r ê m e législateur
des nations, de toutes, m a i s p r i n c i p a l e m e n t de celles
qui ont accepté son b a p t ê m e et sont ainsi devenues
l'apanage effectif de son a d o r a b l e h u m a n i t é .
Aujourd'hui q u e l'apostasie est arrivée a son ter­
me et va d o n n e r cours à ses plus terrible cons'é-
422 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA B. PUCELLE

quences, la Pucelle a p p a r a î t d a n s la gloire p o u r ren­


d r e à tous les p e u p l e s un service p l u s g r a n d que
celui qu'elle r e n d i t à la F r a n c e d u XI V« siècle.
Le m i r a c l e de sa vie terrestre d e v a i t d e v e n i r pour
n o u s le * signe » appelant sur elle les r e g a r d s pour
nous r e n d r e attentifs au ministère qu'elle d o il exercer
près du m o n d e m o d e r n e : celui de r a p p e l e r , de réla-
blir p o u r tous les siècles à venir celte vérité, cette
loi que les princes ne sont que les ministres de
Dieu p o u r le bien, des serviteurs responsables, à
qui il sera d e m a n d é c o m p t e de leur gestion par le
droiluriiT el souverain juge.
La r o y a u t é de Jésus, c'est la fin d u laïeisme, du
n a t u r a l i s m e , de l ' h u m a n i s m e . La r o y a u t é d e Jésus
c'est ce q n o n a cru p o u v o i r a p p e l e r T E V A N C I L K ni'.
LA P r c K L L E . Non pas (pie cette r o y a u t é ne fui con­
t e n u e d a n s le dépôt d e la Révélation. L'Ancien et
le N o u v e a u T e s t a m e n t en sont pleins, ainsi que
n o u s l'avons vu précédemment. Mais parce qui» au
moment où la chrétienté c o m m e n ç a i t à vouloir s'y
soustraire, J e a n n e est venue, d e p a r Dieu, en faire
une nouvelle p r o c l a m a t i o n c o n f i r m é e p a r les signes
les plus merveilleux. I/Kvangile d e la divinité de
Jésus-Chiisl fut e n t r a v é , fut c o m b a t t u p a r toutes
les puissances d e ce monde, il ne p u t s'imposer
q u ' a v e c le temps. Il en est d e m ê m e d e la reconnais­
sance de sa r o y a u t é . Voici cinq siècles q u o la P u -
celle l'a demandée*; voici deux siècles q u e le divin
roi en a a n n o n c é la réalisation : * Je régnerai mal­
gré m e s e n n e m i s ». Le t r i o m p h e d e l'humanisme,
ou p o u r p r e n d r e le mot du j o u r , le laïcisme, sous
toutes ses formes, son c o u r o n n e m e n t p a r la sépa­
ration d e nCglise cl de VKlal. p r é c i s é m e n t en
France, présentent cette réalisation c o m m e plus
éloignée, p l u s impossible (pie j a m a i s , et c'est cette
SON ENSEIGNEMENT 423

heure q u e Dieu* choisit p o u r béatifier le héraut d e


cette r o y a u t é .
Non, ce n ' e s t p a s s e u l e m e n t p o u r recevoir nos
h o m m a g e s q u e l a sainte P u c e l l e a été placée sur nos
aulels. Ces a u t e l s s e r o n t u n e c h a i r e d'où tomber»
r e n s e i g n e m e n t o p p o r t u n , celui d o n t l a chrétienté ,a
le plus b e s o i n d a n s l'étal de d é s o r d r e où elle est
t o m b é e ; celui q u e Dieu a m i s s u r les lèvres de
J e a n n e il 3 ' a c i n q siècles et d o n t il a réservé le
retentissement universel p o u r les j o u r s où la Re­
naissance, Ja R é f o r m e el la Révolution oui poussé la
société a u x b o r d s d'un a b î m e si o b s c u r et si p r o ­
fond qu'à son aspect, P â m e h u m a i n e , saisie d'effroi,
s'écriera : : Seigneur, s a u v e z - n o u s , nous péris­
sons! » Vous Oies n o i r e Dieu et n o i r e Rédempteur,
soyez n o i r e R o i !
La r o y a u t é d e Noire-Seigneur Jésus-Christ, telle
cpie la sainte Pucelle la prêche, telle qu'elle doit Cire,
n'admet ni limites, ni exception.
Elle s'étend d e l a t e r r e a u ciel, elle e m b r a s s e
toutes les n a t i o n s cl tons les m o n d e s . Tout a été as­
sujetti au Eils qui r a p p o r t e tout au Père, afin
1
que Dieu soit tout eu tous et eu t o u t e s c h o s e s .
C'est ainsi qu'il a été a n n o n c é p a r les P r o p h è t e s ;
c'est ainsi qu'il s'est affirmé l u i - m ê m e ; c'est ainsi
que les x\pôtres Pont p r ê c h e ; c'est ainsi q u e l'Eglise
Ta t o u j o u r s r e c o n n u et p r é s e n t é ; et c'est ce q u e
la Bienheureuse Pucelle a eu la mission d e redire au
monde de son t e m p s qui c o m m e n ç a i t à l'oublier,
et au m o n d e d ' a u j o u r d ' h u i qui l'a répudié.
Jusqu'aux j o u r s d e la révolution, les rois d e
France l'avaient r e c o n n u d'Age en âge d a n s la cé­
rémonie de l e u r sacre.

1. foluss.. T. il.
424 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA B . PUCELLE

Negant G a l l i , dit le P a p e P i e II, verum esse regem


qui hoc oleo non est delibutum. Telle est la tra­
dition que la sainte Pucelle n'a cessé d e rappeler,
tel est le p r o g r a m m e qu'elle n'a cessé d e formuler.
T o u t e s ses paroles, t o u t e sa c o n d u i t e mettent ce
fait en é v i d e n c e q u e d a n s sa p e n s é e , le principal
rte sa mission était de faire r e n t r e r d a n s les esprits
eL en particulier d a n s l'esprit du s o u v e r a i n celle
notion q u e le D a u p h i n , l'héritier d u t r ô n e doit être
sacré et q u e le roi q u i a r e ç u l e s a c r e est le vassal
d e Jésus-Christ, g o u v e r n a n t u n fief s a c r é au nom
et d ' a p r è s la loi d u suzerain.
J e a n n e est venue p o u r r a j e u n i r celte doctrine
capitale. P a r m i les traits qui la distinguent, aucun
n'est aussi essentiel, aussi c a r a c t é r i s t i q u e que cet
e n s e i g n e m e n t ; Siméon L u c e et Q u i c h e r a t se voient
forcés de le r e c o n n a î t r e . « Le n o m de Jésus, dit
Siméon Luce ne figure pas s e u l e m e n t en tête de
ses lellres, d a n s les plis de son é t e n d a r d , el jusque
sur l ' a n n e a u m y s t i q u e qu'elle p o r t e a u doigt : il est
s u r t o u t au plus profond d e son c œ u r . Elle ne se
b o r n e pas à a d o r e r J é s u s c o m m e son Dieu, elle
r e c o n n a î t e n lui le véritable roi de F r a n c e ». Kl
Quicherat : * Elle r e g a r d a i t la F r a n c e c o m m e le
r o y a u m e d e Jésus... Cette opinion d e la suzeraineté
de Dieu explique p o u r q u o i J e a n n e , à son arrivée
a u p r è s de Charles VII, l'engagea à faire la do­
nation, c'est-à-dire la r e c o m m a n d a t i o n d e son royau­
me à Dieu ».
Nos rois avaient déclaré sur l e u r s m o n n a i e s et les
inscriptions qu'ils y avaient gravées, ils avaient ma-
nifesté p a r leurs actes, tenir l e u r a u t o r i t é de Jésus-
Christ : « Rois p a r la grâce d e Dieu », se disaient-
ils, el ils portaient avec r e c o n n a i s s a n c e et fierté,
le titre d e t rois très chrétiens ». La Révolution
SON ENSEIGNEMENT 425

a r e n v e r s é cette notion en p l a ç a n t la souveraineté


dans le peuple, en faisan! des gouvernants les
délégués el les ministres du peuple, a u lieu et place
des délégués el des m i n i s t r e s de Jésus-Christ. Les
droits d u Souverain Seigneur n e sont pas p o u r
cela a n é a n t i s et ils ne peuvent l'être.
De m ê m e n e peuvent être a n é a n t i s les pouvoirs que
Notre-Seigneur Jésus-Christ a conférés à son Vicaire,
La p a p a u t é p e u t p e r d r e l'exercice du pouvoir indirect
qui est soumis à l'instabilité des choses h u m a i n e s ;
mais, en l u i - m ê m e , ce p o u v o i r est immuable ; il
ne peut ê t r e altéré d a n s sa n a t u r e p a r c e que des cir­
constances accidentelles en a r r ê t e n t transiloirement
l'action; il d u r e r a a u t a n t q u e l'Eglise, toujours
prête à r e p r e n d r e son influence légitime sur la
société civile, soit que la Providence l'ordonne, soit
que les m i s è r e s de l ' h u m a n i t é l'y invitent.
Et c'est p o u r q u o i a u j o u r d ' h u i , c o m m e autrefois,
le devoir des b o n s chrétiens est de proclamer ces
droits et de les défendre. H o n o r e r la Pucelle, c'esl
avant tout a d m e t t r e et professer les enseignements
dont elle est venue r a n i m e r le s o u v e n i r : Jésus-Christ
est le roi des r o i s ; toute autorilé vient de lui et doit
être exercée sous sa dépendance*; il est le droi-
lurier Seigneur, c'est-à-dire, en lui est la source
du droit.
Veuillent tous les dévols d e la s a i n t e Pucelle se
faire ainsi ses disciples et ses interprètes.
426 RENTRÉE TRIOMPHANTE DE LA B. PUCELLE

C H A P I T R E LXVIII.

LA ROYAUTÉ DE NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS CHRIST RESTAURÉE.

Un j o u r In sainte Pucelle, s:uis d o u t e inspirée de


Dieu, puisqu'elle a tant de fols a l a r m é devant se.;
juges n ' a v o i r rien fait q u e s u r s o n o r d r e et p a r révé­
lation, mit e n acte r e n s e i g n e m e n t qu'elle apportait
au roi, a la F r a n c e , au m o n d e .
Cet acte, n o u s eu t e n o n s le récit d e p l u s i e u r s té­
moins. Le d u c d'Alençon, a p r è s a v o i r p r ê t é ser­
ment le 11 mai 115(5 devant la c o m m i s s i o n d e réha­
bilitation a r e n d u ce témoignage :
« A l'arrivée d e J e a n n e a u p r è s du r o i , qui était
alors à Chinon, je me trouvais à S a i u l - F l o r c n l . Com­
me je chassais aux cailles, u n d e mes valets de
pied vint vers moi et m ' a n n o n ç a q u ' é t a i t venue
vers le roi une pucelle qui se d o n n a i t c o m m e en­
voyée par Dieu p o u r chasser les Anglais. Cela me
détermina à p a r t i r le l e n d e m a i n p o u r aller vers le
roi, à Chinon. J ' y trouvai J e a n n e en conversation
avec le roi. C o m m e j ' a p p r o c h a i s J e a n n e dit : < Vous,
soyez le très b i e n v e n u ; plus il y a u r a de réunis du
sang de F r a n c e , mieux ce sera ». L e lendemain
Jeanne vint fi la messe du r o i ; eu le voyant elle
s'inclina. Le r o i conduisit la Pucelle d a n s son appar­
tement. 11 r e t i n t le seigneur d e la Trémouîîle et
moi qui i>aiie et congédia les a u t r e s . J e a n n e fit au
roi plusieurs requeics ; l'une de ces requêtes fut
qu'il fît d o n a t i o n de son r o y a u m e au roi du ciel,
et q u ' a p r è s cette donation le roi d u ciel ferait pour
lui ce qu'il avait fait p o u r ses prédécesseurs et le
SON ENSEIGNEMENT 427

rétablirait d a n s l'état d'autrefois. I / e n t r e t i e n s e p r o ­


longea j u s q u ' a u d î n e r ».
Ce d e r n i e r m o t m o n t r e q u e le d u c d'Alençon n ' a
point v o u l u faire u n e n a r r a t i o n complète d u fait,
mais s e u l e m e n t l'indiquer. D'autres témoignages con­
firment le sien, tel celui d u trésorier de l'empereur
Sigismond, E b é r h a r d de W i n d e c k e n . Mais, grâce à
Dieu, n o u s avons d u fait un récit plus détaillé.
M. L e o p o l d Delisle a p u b l i é e n o c t o b r e 1885 dans
la Bibliothèque de l'Ecole des chartes un document
inconnu jusque-là, l'un des plus précieux que nous
possédions relativement à l'histoire de J e a n n e d'Arc.
Il gisait d a n s u n m a n u s c r i t de la bibliothèque d u
Vatican. Un ecclésiastique français, de la Cour d u
pa[)C Martin V, e n est l'auteur. Il écrivit eu 1421)
le Breviarium historiale (pie n o u s avons déjà cité.
A la fin de son travail il r a c o n t e les m a l h e u r s de
la F r a n c e avec le c œ u r d ' u n vrai F r a n ç a i s et ił
exprime le v œ u et l'espoir plus ardent d'en voir la
fin.
Peu a p r è s , a y a n t sans d o u t e pris quelque vacance
dans son p a y s et y a y a n t a p p r i s les hauts faits
de la Pucelle il reprit son m a n u s c r i t et y m i t
l'addition suivante, q u e M. L e o p o l d Delisle a co­
piée s u r le m a n u s c r i t et publiée : « U n e pucelle
nommée J e a n n e est entrée d a n s le r o y a u m e de
France j j u a n d le r o y a u m e était à la veille d'une
ruine c o m p l è t e et au m o m e n t o ù le sceptre de ce
royaume allait passer dans u n e m a i n étrangère.
i Celle j e u n e fille accomplit des actes plutôt di­
vins q u ' h u m a i n s ». Ici le récit d e ce q u e Jeanne
avait fail jusque-là el sa c o m p a r a i s o n avec les
femmes célèbres des juifs et des gentils : Débora.
Judith. F s ï h e r , Penlésilée qui vint au secours du
roi Priam.
426 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA B. PUCELLE

P u i s il dit : « Un j o u r , la P u c e l l e d e m a n d a au
roi d e lui faire u n présent. La p r i è r e fut agréée.
Elle d e m a n d a a l o r s c o m m e d o n le r o y a u m e de F r a n ­
ce lui-même. Le roi é t o n n é le l u i d o n n a a p r è s quel­
q u e s h é s i t a t i o n s et la j e u n e fille l'accepta. Elle
voulut m ê m e q u e Pacte en fut solennellement dressé
et lu p a r les q u a t r e s e c r é t a i r e s d u roi. L a c h a r t e
rédigée et récitée a h a u t e voix, le r o i resta un
peu é b a h i , l o r s q u e la j e u n e fille le m o n t r a n t dit à
l'assistance : « Voilà le plus p a u v r e c h e v a l i e r de son
r o y a u m e . » El a p r è s un peu d e temps, en présence
des m ê m e s notaires, d i s p o s a n t en m a î t r e s s e du
r o y a u m e de b r a n c e , eUe le r e m i t e n t r e les m a i n s du
Dieu t o u t - p u i s s a n t . Puis, au b o u t de q u e l q u e s au­
tres m o m e n t s , agissant au n o m de Dieu, elle inves­
tit le roi Charles du r o y a u m e d e F r a n c e ; et de
tout cela elle voulut q u ' u n acte solennel fût dressé
p a r écrit ».
Il serait bien peu sensé de c o n s i d é r e r un te! acte
c o m m e u n enfantillage.
Rien d e p l u s sérieux, rien d e plus grave. Jeanne
d e m a n d e d ' a b o r d a Charles VII u n acte de renon­
ciation, de r e n o n c i a t i o n a la r o y a u t é d o n t son aïeul
Philippe-lc-Bel s c i a i t r e n d u i n d i g n e p a r sa félonie
envers son suzerain, le s o u v e r a i n Roi, Jésus-Christ.
Cette renonciation se fait e n t r e les m a i n s d e Jeanne,
parce q u e J e a n n e était m a n d a t a i r e de Nolre-Sci-
gneur qui voulait qu'il n'y e û t d e salut que par clic.
Dépositaire du r o y a u m e de F r a n c e . J e a n n e le re­
met à Notre-Scigneur. Tanqiutm don'tri't regni Fra/i-
cia\ iltitd remisât Deo omnipoicntL dit le Chroni­
queur. Puis, s u r l'ordre d u ciel, elle investit le vassal
qui vient ainsi de m é r i t e r d ' ê t r e à nouveau mis
en possession des privilèges conférés à sa famille.
C'est d a n s ce c a d r e qu'il faut c o n s i d é r e r celle
SON ENSEIGNEMENT 429

action si a u d a c i e u s e et, de p r i m e a b o r d , si étrange


de la sainte Pucelle, d a n s ce cadre, c'est-à-dire e n t r e
la félonie de Philippe-le-Iîel et la miséricorde divine
qui v o u l a i t d o n n e r une nouvelle investiture à la
race de saint Louis. P h i l i p p e avait voulu secouer
le joug de s o n suzerain, le roi des r o i s ; il avait été
frappé, d a n s sa lignée, elle avait d i s p a r u misérable­
ment. A v a n t d'instituer l a b r a n c h e puînée de l'ar­
bre d y n a s t i q u e , le Roi de la F r a n c e et du ciel pose
ses conditions, il d e m a n d e q u e le pacte primitif soit
renouvelé, et ce pacte il le fait p r o p o s e r , il le fait
accepter, il le fait n o t a r i e r p a r la j e u n e fille qu'il
a choisie p o u r r e m e t t r e p a r des prodiges inouïs
en possession d u fief celui q u e désigne la loi consti­
tutionnelle d u pays.
Cet acte de la sainte Pucelle est, peut-on dire, le
phare p l a c é a u c e n t r e de n o t r e histoire p o u r en
éclairer toutes les p a r t i e s , p o u r n o u s donner l'in­
telligence des événements d o n t elle se compose, p o u r
justifier t o u t e la conduile de la P r o v i d e n c e à n o t r e
égard. N o s chutes si profondes, nos relèvements si
prompts et si puissants, s'expliquent les unes et les
autres p a r les vicissitudes de n o t r e fidélité, les alter­
natives de n o i r e loyalisme et de n o t r e félonie à
l'égard d e n o t r e souverain Seigneur, t le Fils d e
Sainte Marie » qui aime les F r a n c s .
Il a fait n a î t r e J e a n n e d'Arc, a u cours de noire
histoire, p o u r être avec u n e autorité manifeste le
héraut p a r l a n t et agissant d u dogme de la souve­
raineté de Notre-Seigncur Jésus-Christ, n o n seule-
ment s u r les â m e s , mais s u r les peuples et en parti­
culier s u r la n a t i o n française. Aussi, c o m m e l'observe
le P. Ayroles, les a p p e l l a t i o n s : « Mon Seigneur, Mes­
ure, Notre Sire, Notre-Seigneur et N o t r e Roi re­
viennent-elles aussi souvent s u r les lèvres et dans
430 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA B. PUCELLE

les l e t t r e s d e J e a n n e q u e le n o m de J é s u s d a n s les
E pitres de saint Paul. P o u r q u o i J é s u s ici. et là
Seigneur? ('/est q u e saint P a u l avait à p r é s e n t e r au
m o n d e le divin R é d e m p t e u r , le s a u v e u r des âmes
livrées à Lucifer p a r le p é c h é d'origine et mainte­
nues sous son e m p i r e p a r l'idolâtrie. J e a n n e , elle,
a p o u r mission cle faire r e s p l e n d i r l a r o y a u t é poli­
tique du Dieu incarné, de m o n t r e r en Jésus-Christ
aux peuples déjà chrétiens, l ' a u t e u r d e leur civili­
sation, l e u r législateur; de p r é s e n t e r l'Evangile comme
la loi f o n d a m e n t a l e qui s'impose également aux
g r a n d s el a u x petits et qui doit p é n é t r e r Tordre
politique e t civil aussi b i e n q u e l ' o r d r e domes­
tique et la conscience individuelle. C'est bien ce
qu'elle avait voisin s y m b o l i s e r s u r son étendard,
ou p l u t ô t ce que N o t r e - S e i g n e u r lui fit symboliser,
car cent fois elle dit q u e c'était p a r T o r d r e et sous
la direction de son Seigneur qu'il avait été confec­
t i o n n é , q u e toutes choses y avaient été disposées
d'après ses instructions. Elle n'avait tant d'amour
p o u r lui q u e p a r c e qu'il s y m b o l i s a i t la suprême
et universelle r o y a u t é du Christ assis s u r les nuages
et tenant le m o n d e d a n s sa main, en m ê m e temps
que sa r o y a u t é de prédilection s u r la F r a n c e qu'il
r a m e n a i t sous son e m p i r e en b é n i s s a n t les lis.

CHAPITRE LXIX.

QUELLE AUTORITE A CET ENSEIGNEMENT î

Les chapitres précédents n o u s o n t Tait connaître


la pensée de la suinte Pucelle s u r la vocation de
SON ENSEIGNEMENT 431

la F r a n c e , s u r sa c o n s t i t u t i o n , s u r sa d u r é e , s u r
l'alliance nécessaire d u t r ô n e et d e l'autel et s u r t o u t
sur Notre-Seigueur Jésus-Christ, roi des rois et, par­
ticulièrement, suzerain des r o i s d e F r a n c e .
Quel crédit faut-il a p p o r t e r à s e s p a r o l e s ?
Disons d ' a b o r d que son enseignement est r e n ­
seignement m ê m e de l'Eglise. Sans r e m o n t e r aux
actes des anciens Pontifes, c o n t e n t o n s - n o u s d e r a p ­
peler q u e l q u e s paroles de L é o n XIII : « Le pouvoir
public ne peut venir q u e d e Dieu. Dieu seul, en
effet, est le vrai et s o u v e r a i n Maître d e toutes cho­
ses : toutes, quelles q u e l l e s soient, doivent néces­
sairement lui être soumises et lui obéir : de telle
sorte q u e quiconque a le droit de commander ne
tient ce droit que de Dieu, C I I I S F SUPRÊME JJE TOUT » , 1

« Cette origine divine d e l'autorité h u m a i n e est


attestée d e la façon la p l u s claire en m a i n t s pas­
sages de l'Ancien T e s t a m e n t ; « Ccst par moi que
régnent les rois, par moi que les souverains corn-
mandent, que les arbitres des peu pies rendent la
justice . E l d a n s l'Evangile, q u a n d le g o u v e r n e u r
romain se vante devant Notre-Scigneur Jésus-Christ
du p o u v o i r qu'il a de l'acquitter o u d e le con­
damner, le S a u v e u r lui r é p o n d : « Tu n'aurais sur
moi aucune puissance, si celle que tu possèdes ne te
l'avait été donnée d'En-Haut On connaît rensei­
gnement s u b l i m e el décisif q u e saint P a u l donnait
aux Romains, bien qu'Us fussent soumis à des em­
pereurs païens : « Il n'y a d e p o u v o i r q u e celui
T
qui vient d e Dieu : A on est potestas nisi a Dec
D'où l'Apôtre a déduit, c o m m e u n e conséquence, que
< le souverain est le ministre d e Dieu : Dei minister
ta » K

1. Hneyclique Innnortale Dei.


2, L'ucyc. Diuturnwm.
432 R E N T R É E T R I O M P H A N T E O E LA R. PUCELLE

La B i e n h e u r e u s e Pucelle a-t-elle r e ç u d e Dieu la


mission de r a p p e l e r cet e n s e i g n e m e n t ?
T o u j o u r s elle a affirmé qu'elle était l'instrument
de Dieu, q u ' e l l e n e faisait, q u ' e l l e ne disait que ce
qui l u i était dit el c o m m a n d é p a r sss Voix, c'est-à-
dire p a r les anges et les saints q u e Dieu avait dé­
putés p r e s d'elle p o u r la guider et Téclairer.
E t c o m m e o n lui o b j e c t a i t qu'elle était victime
d'illusions, elle n e cessa d e r é c l a m e r s u r son fait
le j u g e m e n t de l'Eglise, ce qui lui fui a c c o r d é pour
sa justification el sa glorification, p a r les docteurs
de Poitiers d'abord, puis p a r le procès de réhabi­
litation el enfin p a r le d é c r e t d e Béatification.
L e 22 février 1131, elle r é p o n d à C a u c h o n : t Je
n'ai rien fait q u e p a r révélation. »
Le 21 : « Evoque, v o u s dites q u e v o u s êtes mon
juge, prenez g a r d e à ce q u e vous faites, car. en
vérité, j e suis envoyée de Dieu el vous vous met­
tez en g r a n d danger.
» Celte voix, (celle qui l'éclairé) *, vient de Dieu, je
le c r o i s aussi f e r m e m e n t q u e je crois à la foi chré­
tienne et que Notre-Seigneur n o u s a r a c h e t é des
peines de l'enfer. »
Le 2îl février : * Je ne suis venue q u e p a r Tor­
d r e d e Dieu. J'eusse mieux aimée être tirée à qua­
t r e chevaux (pic de venir e n F r a n c e s a n s la per­
mission de Dieu. »
e r
Le 1 m a r s : e Je ne sais rien que p a r révélation
ou p a r c o m m a n d e m e n t de Dieu.
Le 17 m a r s : < J ' a i m e mieux m o u r i r que de
r é v o q u e r ce que Notre-Seigneur m'a fait faire...
Que m e s réponses soient vues el examinées par les
c l e r c s ; et puis q u ' o n me dise .s'il y a q u e l q u e chose
1. <^ Sous lo Dom di» Voix, j'entonds aussi la clar-
té >•. (Paroles de J e a n n e d'Are u sos juges.)
SON ENSEIGNEMENT 433

contre l a foi c h r é t i e n n e . Si j ' a v a i s rien fait ou dit


que les clercs p u s s e n t d i r e être contre la foi chré­
tienne q u e N o t r e Sire a établie, j e n e le voudrais
soutenir, mais le b o u t e r a i s hors.
» Ce que j e requiers, c'est que vous m e meniez
devant N o t r e Saint P è r e le P a p e ; et p u i s j e r é p o n ­
drai d e v a n t lui t o u t ce q u e je devrai r é p o n d r e . »
Le 17 m a r s eut lieu l e seizième et d e r n i e r inter­
rogatoire.
Le s a m e d i 24 m a r s o n d o n n a l e c t u r e à l'accusée
du r é q u i s i t o i r e .
A l'article 17 relatif a u x p r o m e s s e s qu'elle avait
apportées a u r o i d ' a p r è s ses révélations, elle dit :
« Je confesse que j e p o r t a i des nouvelles de par
Dieu à mon roi; à s a v o i r q u e Notre Sire lui rendrait
son royaume, le ferait c o u r o n n e r à Reims et met­
trait h o r s ses a d v e r s a i r e s ».
Et à l'article 32 disant que ses révélations et vi­
sions n'étaient qu'esprit de mensonge et d'orgueil,
elle r é p o n d i t :
« J e le nie, ce que j ' a i fait, je l'ai fait p a r révé­
lation des saintes C a t h e r i n e et Marguerite el je le
soutiendrai j u s q u ' à la m o r t . »
Frère I s a m b a r d lui conseille d'en a p p e l e r a u Con­
cile l o r s assemblé à Baie.
« Je m e s o u m e t s a u Concile général actuellement
assemblé, dit-elle, et j ' e n appelle à s o n j u g e m e n t ».
Cauchon o r d o n n e a u greffier de n e p a s p o r t e r
au procès-verbal l'appel au Concile el la sainte dit:
« l i a i v o u s écrivez bien c e qui est c o n t r e moi
et vous n e voulez pas é c r i r e ce qui est p o u r moi *.
Aux a d m o n i t i o n s qui suivirent le réquisitoire, elle
dit : « J e m ' e n attends, de tout, à Dieu m o n créa­
teur; j e l'aime de t o u t m o n c œ u r . . . J e m'en attends
à mon j u g e ; c'est le r o i d u ciel et d e l a t e r r e ».
La Mission de la Bse Jeanne d'Arc. 36
434 RENTRÉE TRIOMPHANTE D E LA B . PUCELLE

V o y a n t s a c o n d a m n a t i o n d é c i d é e elle d i t : « Si
j e voyais l e feu a l l u m é , les b o u r r é e s f l a m b e r et le
b o u r r e a u p r ê t à b o u t e r le feu, et si j ' é t a i s dedans
le feu, j e n ' e n dirais a u t r e chose, et j e soutiendrais
ce q u e j ' a i dit au p r o c è s j u s q u ' à la m o r t ».
Au c i m e t i è r e de Saint-Ouen, i n t e r p e l l é e p a r Cau-
c h o n : c R é v o q u e z - v o u s les faits et dits qui sont
r é p r o u v é s p a r les clercs? »
t J e m ' e n r a p p o r t e à Dieu et a N o t r e Saint-Père
le P a p e ».
S o m m é e p a r trois fois, trois fois elle fait l a même
réponse.
Enfin s u r l e p o i n t d ' ê t r e c o n d u i t e a u supplice :
« Si j e disais q u e Dieu n e m ' a e n v o y é e , j e me
d a m n e r a i s ; Dieu aidant, j ' e s p è r e aller en j>aradis ».
A r r i v a n t s u r la place d u Vieux-Marché et voyant
r é e b a f a u d dressé : « Est-ce d o n c ici q u e j e dois
mourir? »
« Sainte-Trinité, ayez pitié de m o i !
» J e crois en vous, J é s u s , ayez pitié d e inoil
» O Marie, b e n o î t s s a i n t s et s a i n t e s d u Paradis,
protégez-moi, secourez-moi.
» Saint Michel, saint Gabriel, s a i n t e Catherine,
sainte Marguerite, soyez-moi e n a i d e ! »
B e a u c o u p de saints el de saintes o n t été favorisés
de c o m m u n i c a t i o n s célestes. P a r m i ceux q u i avaient
une mission à remplir, aucun, p e n s o n s - n o u s , ne s'est
p r é s e n t e avec un tel témoignage.
L'enseignement qu'elle a p p o r t a a u roi et à la
F r a n c e , a u n o m de Dieu, q u e l l e i n v o q u a i t chaque
fois q u e les paroles q u i allaient s o r t i r d e ses lèvres
avaient plus d ' i m p o r t a n c e cl q u e Dieu a cippuyé
p a r tant d ' œ u v r e s merveilleuses cl c o u r o n n é par
le m a r t y r e , n e pouvait d o n c se p r é s e n t e r avec une
plus persuasive autorité, a u t o r i t é q u i s'imposa au
r o i Charles VU, autorité q u i s'impose à nous.
IV

LE RÈGNE D E NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE LXX.

SON CARACTÈRE.

L e règne d e N o t r e - S c i g n e u r Jésus-Christ chez un


peuple, c'est d ' a b o r d la reconnaissance p a r ce peuple
que le Fils d e l a sainte Vierge Marie, Fils de Dieu
fait h o m m e , est d e d r o i t et doit ê t r e d e fait le Roi
de l a nation, d r o i t qu'il tient d# la Création dont
il est l'auteur, d e la R é d e m p t i o n qu'il a opérée p a r
l'effusion d e s o n sang, d e sa Médiation entre le
Père e t n o u s p o u r n o u s o b t e n i r l a vie éternelle.
C'est ensuite l a soumission, d a n s l ' o r d r e spirituel,
du souverain c o m m e d e s sujets, à celui q u e Notre-
Seigneur Jésus-Christ a institué son Vicaire e t entre
les m a i n s d e q u i il a r e m i s tous ses pouvoirs.
« Tout ce q u e vous lierez s u r la t e r r e sera lié
dans l e c i e l ; t o u t ce q u e vous délierez s u r la t e r r e
sera délié d a n s le eijel ».
4S6 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

C'est e n troisième lieu l'union d u Vicaire d e Jésus-


Christ et de son Sergent p o u r le b o n g o u v e r n e m e n t
d u peuple chrétien, la collaboration d u P a p e et d u
S o u v e r a i n d a n s l ' œ u v r e de p r o s p é r i t é t e m p o r e l l e et
d e p r é p a r a t i o n à la vie é t e m e l l e q u i est la fin de
la civilisation c h r é t i e n n e .
C'est la c o n c o r d a n c e de la loi divine c l d e la loi
h u m a i n e p o u r régler les m œ u r s , r é p r i m e r le mal,
favoriser le bien, faire r é g n e r le b o n o r d r e e t la paix.
Quoi d e plus b e a u et d e plus d é s i r a b l e que cet
e m p i r e d e la justice d a n s l ' h a r m o n i e d e tous les
éléments sociaux et la c o n c o r d e d e tous les m e m b r e s
d e la société, a p p l i q u é s c h a c u n à son r a n g a u triom­
phe d u bien en toutes c h o s e s !
C'est l'idéal que le m o y e u Age s'était p r o p o s é d'at­
teindre e t d o n t il poursuivit la réalisation jusqu'au
m o m e n t où les e m p e r e u r s d'Allemagne, suivis en
F r a n c e p a r Philippc-lc-Bci, s'efforcèrent d e rétablir
à l e u r profit le césarisme renouvelé d u paganisme,
et où la Renaissance s'efforça d e s u b s t i t u e r à la ci­
vilisation chrétienne la civilisation d i t e moderne,
c'est-à-dire l ' h u m a n i s m e , ou l ' h o m m e p r e n a n t en
lui-même sa fin d e r n i è r e .
Voilà ce que doit r é t a b l i r p a r m i n o u s l'enseigne­
ment d e la sainte Pucelle.
Puissc-l-cllc être e n t e n d u e ! P u i s s e n t les calamités
q u e n o u s p r é p a r e la civilisation m o d e r n e arrivée à
ses conséquences d e r n i è r e s , n o u s t o u r n e r vers elle
p o u r lui d e m a n d e r les conditions de n o t r e salut!
Elles ne sont autres, elles n e peuvent être autres
que le rétablissement d a n s la société du règne social
d e Notre-Scigneur Jésus-Christ que J e a n n e est venue
prêcher, qu'elle s'offre d e nous o b t e n i r , mainte­
n a n t que, p a r sa glorification, elle est établie mé­
d i a t r i c e e n t r e Dieu et nous, spécialement pour ce
SON CARACTÈRE 437

qui a été, p o u r ce q u i est l'objet d e sa mission


près d e n o u s .

« C o m m e n t , d e m a n d e le c a r d i n a l Manning, com­
m e n t a n t u n e p a r o l e des Saints-Livres, Jésus-Christ
régnera-t-il t e m p o r e l l e m e n t s u r la t e r r e dans sa
b e a u t é ? » E t il r é p o n d : « J é s u s - C h r i s t règne p a r
un h o m m e qu'il a désigné p o u r r é g n e r à sa place,
p o u r p a r l e r e n s o n n o m et p o u r e x e r c e r sa suprême
juridiction. Il a voulu se substituer u n Vicaire quand
il a dit : « T u es P i e r r e et s u r cette p i e r r e je bâtirai
mon Eglise e t les puissances d e l'enfer ne prévau­
dront p o i n t c o n t r e elle. A toi j e d o n n e r a i les clefs
du r o y a u m e des c i e u x ; tout ce q u e tu lieras sur la
terre sera lié d a n s les cieux, et tout ce que tu d é ­
lieras sur la t e r r e sera délié d a n s les cieux ». Il a
choisi et il a constitué un h o m m e q u i régnerait pour
Lui et tiendrait sa place. Ce q u e l q u ' u n est appelé
son Vicaire, p a r c e qu'il est dépositaire des clefs
c'est-à-dire des p o u v o i r s qui, p a r d r o i t d'autorité,
n'appartiennent q u ' à Jésus-Christ. »
Tel est le p r e m i e r principe constitutif du règne
social d e Notre-Seigneur Jésus-Christ : la recon­
naissance et l'exercice d e l'autorité que le divin Roi
a déposée en P i e r r e et ses successeurs légitimes.
Le second c'est l'acceptation d e son Evangile
comme règle d e s m œ u r s civiles aussi bien que des
mœurs individuelles. Jésus-Christ règne p a r la doc­
trine qu'il a prêchée, d o n t l'Eglise est dépositaire,
qu'elle c o n s e r v e intacte, qu'elle enseigne a u x foules
du h a u t de l a c h a i r e d e vérité, et a u x m a î t r e s d a n s
ses s é m i n a i r e s et ses Universités.
La théologie, la science d u Verbe i n c a r n é est de
fait c o m m e d e droit, d a n s le r o y a u m e d u Christ, la
reine d u savoir : c o m m e u n soleil lumineux, elle
436 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

éclaire toutes l e s sciences, en p a r t i c u l i e r l a philoso­


phie e t l'histoire, en les p r é s e r v a n t d e s é c a r t s hon­
teux *qui les d é s h o n o r e n t d e p u i s q u ' e l l e s n e veulent
plus l'écouter.
L à o ù le P a p e est écouté et l ' E v a n g i l e observée
J é s u s - C h r i s t r è g n e d a n s l ' E t a t : les i n s t i t u t i o n s ci­
viles y aident l ' h o m m e à faire s o n salut, ù se diri­
ger vers les t a b e r n a c l e s Eternels.
J é s u s - C h r i s t r è g n e d a n s les a r t s : il l e u r inspire
un idéal divin. C'est le Christ-Roi q u e chantent
les c h e f s - d ' œ u v r e d u m o y e n - â g e , ces inimitables
peintures, c e s statues r a y o n n a n t e s d ' u n e céleste beau­
té, ces c a t h é d r a l e s qui, a u j o u r d ' h u i e n c o r e , sont l'or­
gueil <des p a y s c a t h o l i q u e s .
J é s u s - C h r i s t règne s u r tous e t en tout, p a r l'in­
flexibilité d e la vérité s u r l'intelligence, p a r l'inflexi­
bilité d e la justice s u r la volonté, p a r l ' e m p i r e de la
loi klivinc s u r la conscience d e s h o m m e s : s u r ceux
qui croient, p o u r leur joie et leur s a l u t ; s u r ceux
qui n e veulent p a s croire, p o u r leur p é r i l présent et
leur c o n d a m n a t i o n à venir.
J é s u s - C h r i s t r è g n e p a r l'autorité qu'il exerce sur
les "princes. « Dieu est le Roi des rois, dit Bossuct.
C'est à lui qu'il a p p a r t i e n t d e les i n s t r u i r e et de
les régler c o m m e ses ministres. Ecoulez donc, Mon­
seigneur, les leçons qu'il leur d o n n e d a n s son Ecri­
ture, c l apprenez de Lui les règles et les exemples
s u r lesquels ils doivent f o r m e r l e u r conduite. Jésus-
Christ vous a p p r e n d r a p a r l u i - m ê m e et p a r ses Apô­
tres, tout ce qui fait les Etais h e u r e u x : son Evangile
r e n d les h o m m e s d ' a u t a n t plus p r o p r e s à être de
bons citoyens sur la terre, qu'il leur a p p r e n d par là
à se r e n d r e d i g n e s d e devenir citoyens du ciel ».
Jésus-Christ r è g n e p a r l'ordre qu'il établit dans
la société. L ' h o m m e a d'autant m o i n s la faculté de
L'UN DE SES BIENFAITS 439

t y r a n n i s e r d a n s un E t a t que Jésus-Christ y est


mieux écouté e t obéi. L a liberté h u m a i n e est d'au­
tant p l u s affranchie de toutes les servitudes poli­
tiques que le p e u p l e sert avec p l u s de fidélité Dieu
et les p o u v o i r s qu'il a établis p o u r gouverner en
son n o m .
C'est ainsi' q u e Jésus a régné. C'est ainsi qu'il
veut r é g n e r encore, qu'il régnera si r e n s e i g n e m e n t
de la sainte Pucelle est suivi c o m m e il doit l'être.
Nous e s p é r o n s qu'il en sera ainsi, p a r c e que cela
nous est p r o m i s . « J e régnerai, a dit le divin Cœur
à la B. Marguerile-Maric, m a l g r é m e s ennemis. »
Les e n n e m i s d e sa r o y a u l é n ' o n t j a m a i s manqué,
et de n o s j o u r s leur rage est i m p l a c a b l e . Mais c'est
surtout e n ces h e u r e s mauvaises q u e le Seigneur
a dit à m o n Seigneur : « Assieds-toi à m a droite
jusqu'à ce q u e j e fasse d e tes e n n e m i s l'escabeau de
tes pieds ». Ce q u i a été a n n o n c é sera et tout fait
prévoir q u e le m o m e n t a p p r o c h e o ù « Dieu exercera
son jugement p a r m i les n a t i o n s » rebelles, pour
ensuite les s a u v e r .

C H A P I T R E LXXI.

L'UN DE SES BIENFAITS.

On voit, p a r ce qui précède, quels bienfaits appor­


tera à l a société le règne d e Notre-Seigneur Jésus-
Christ; et ce - tableau n'est p o u r ainsi d i r e qu'un
crayon. Mais il est un de ces bienfaits s u r lequel
nous c r o y o n s d e v o i r n o u s arrêter, à c a u s e d e la
HO LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

situation d a n s l a q u e l l e n o u s a m i s e l e règne de
rhumnnisme.
Avant 1789, seule, « la milice » était levée de
force. Mais elle n'était q u ' u n a p p o i n t d e l'armée
active : c'était u n e réserve t e r r i t o r i a l e e t provinciale,
une troupe d e renfort cl d e s e c o n d e ligne, dis­
tincte, sédentaire, qui, h o r s le cas d e guerre, ne
m a r c h a i t pas. Elle ne s'assemblait q u e neuf jours
p a r a n ; depuis 1778, on n e r a s s e m b l a i t plus. En
1789, elle c o m p r e n a i t en tout 75.260 h o m m e s , cl
leurs noms, i n s c r i t s s u r des registres, étaient depuis
onze ans l e u r seul acte d e p r é s e n c e a u corps. Point
d'autres conscrits sous la M o n a r c h i e .
A côté de cette milice, toute T a n n é e p r o p r e m e n t
dite, toutes les t r o u p e s c réglées » é t a i e n t sous l'an­
cien régime, r e c r u t é e s p a r l'engagement libre; non
seulement les vingt-cinq r é g i m e n t s é t r a n g e r s , Suis­
ses, Irlandais, Allemands et Liégeois, mais encore
les cent q u a r a n l e - c i n q r é g i m e n t s français, 177.000
hommes.
P a r celle institution, le sujet g a r d a i t la première
et la plus précieuse de ses libertés, la posses­
sion de l u i - m ê m e el la disposition d e sou avenir,
Une convention tacite, i m m é m o r i a l e , acceptée par h
sujet cl p a r l'Etat, p r o c l a m a i t que, si l'Etat avait
droit sur les bourses, il n'avait p a s droit sur
les personnes.
La Révolution s'est d o n n é la r é p u t a t i o n d'avoir
c émancipé » les c i t o y e n s ! L'organisation de l'ar­
mée, sous l'ancien régime était conçue, n o u s venons
d e le voir, en vue de réduire au m i n i m u m les char­
ges militaires d u pays : constitution d'une armée
de métier, exclusivement formée de volontaires qui
pouvait être soutenue sur le territoire national, eu
cas d'extrême péril, p a r les milices provinciales.
L'UN DE SES BIENFAITS 441

Lu R é v o l u t i o n vint, et elle i m p o s a a u x Français,


et p a r voie d e c o n s é q u e n c e à l ' E u r o p e entière le
service militaire obligatoire; elle institua la cons­
cription, e t voici à quels excès l a conscription est
arrivée.

Il n ' y avait d o n c en F r a n c e , c o m m e en Europe,


que peu d e soldats, q u e l q u e s centaines de mille.
Aujourd'hui, e n E u r o p e , 18 millions de soldats a c ­
tuels ou éventuels, tous les adultes, m ê m e mariés,
même pères d e famille, appelés ou sujets à l'appel
pendant vingt ou vingt-cinq a n s de leur vie, c'est-
à-dire tant qu'ils sont valides. Autrefois, pour faire
le gros d u service en F r a n c e , point d e vies confis­
quées p a r décret, rien q u e des vies achetées p a r
contrat, et des vies a p p r o p r i é e s à cette besogne,
oisives ou nuisibles a i l l e u r s ; environ 150.000 vies d e
qualité secondaire, de valeur médiocre, que l'Etat
pouvait d é p e n s e r avec moins de regrets que les au­
tres et d o n t le sacrifice n'était p a s un dommage
grave p o u r la civilisation; aujourd'hui, pour faire
le m ê m e service en F r a n c e , 4 millions de vies
saisies p a r autorité, et, si elles se dérobent, saisies
par force; toutes ces vies, à p a r t i r de la vingtième
année, a p p l i q u é e s au m ê m e métier m a n u e l et meur­
trier, y c o m p r i s les plus i m p r o p r e s à celte beso­
gne et les m i e u x adaptées a u x a u t r e s emplois,
y compris ceux que Dieu appelle au ministère des
âmes et dont l'infidélité à leur vocation, si la caserne
la provoquait, serait une calamité p o u r la patrie
comme p o u r l'Eglise.
Telle est la condition actuelle des citoyens fran­
çais affranchis p a r la Déclaration des Droits de
l'homme !

Si o p p o r t u n i s t e qu'on soit, on ne peut pas n e


442 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

pas sentir à l ' h e u r e qu'il est, n o n s e u l e m e n t les


causes d e g u e r r e q u i se m a n i f e s t e n t p a r t o u t , mais
la fatalité e t l e vertige d e la g u e r r e q u i t r o u b l e toutes
les n a t i o n s . P e u t - ê t r e a u r a - t - c l l e éclaté a v a n t que
ce livre n e soit publié. P e r s o n n e n e la veut, et
c h a c u n m ê m e e n a l'effroi. Mais tout le monde,
depuis vingt a n s cl plus la sent v e n i r de p l u s e n plus
inévitable.
Au m o i s d e juillet 1013, l a C h a m b r e d e s Communes
dîsculail en troisième l e c t u r e le bill des finances.
Le ministre, M. L l y o d George, r é p o n d a n t à M.
C h a m b e r l a i n , r e c o n n u t la l o u r d e u r des charges du
c o n t r i b u a b l e . « Mais, disait-il, q u i o s e r a i t proposer
de r é d u i r e les dépenses qu'exigent l ' a n n é e et la ma­
r i n e ? Au lieu d e réduction, il n ' y a q u e des aug­
m e n t a t i o n s on perspective. E t la s u r e n c h è r e des
a r m e m e n t s a b o u t i r a à u n e c a t a s t r o p h e . Les popula­
tions écrasées e u a r r i v e r o n t a p r o t e s t e r p a r des
m o y e n s révolutionnaires. P e u d e gens se doutent
combien n o u s avons passé p r è s d e ce désastre
p e n d a n t T a n n é e écoulée. »
D a n s quelles conditions se p r é s e n t e la prochaine
g u e r r e ? Elle sera générale. T o u t e s les n a t i o n s se­
r o n t forcées d'y p r e n d r e p a r t . Aussi toutes s'y
préparent, m ê m e celles d é c l a r é e s n e u t r e s p a r l'ac­
cord des puissances, et toutes a r m e n t à outrance.
Toute la puissance que ses victoires ont donnée
à l'Allemagne, toutes les r e s s o u r c e s que lui pro­
cure son essor économique, elle les consacre à pré­
p a r e r la g u e r r e . wSon exemple s'impose aux autres
nations. L ' E u r o p e entière n'est plus q u ' u n e ca­
serne, les i n s t r u m e n t s d e m o r t et de destruction
sont c h a q u e j o u r perfectionnés cl multipliés. Grace
aux progrès d e la science, les engins de guerre sont
sans cesse r e n d u s plus m e u r t r i e r s . L a portée, la
L'UN DE SES BIENFAITS 443

rapidité e t la puissance des a r m e s nouvelles n'a


plus d e limites.
Le m o n d e n'a pas e n c o r e vu l a g u e r r e entre de
telles q u a n t i t é s d ' h o m m e s , r a s s e m b l é s p a r une m o ­
bilisation si savante, à l'aide d e voies d e c o m m u ­
nication si r a p i d e s et d i s p o s a n t d ' a r m e s si m e u r ­
trières.
M. T a i n e confirme ce q u e n o u s venons de dire :
c'est la D é c l a r a t i o n des D r o i t s d e l ' h o m m e qui n o u s Ą
conduits à celte extrémité. « C ' E S T TA R É V O L U T I O N , dit-
1
il, QUI L'A R E N D U SI LOURD ( l ' i m p ô t du sang ) ; aupara­
vant il était léger : car en principe il était volon­
taire. Contre celte p r a t i q u e et ce principe la théo­
rie d u c o n t r a t social a p r é v a l u ; on a déclaré le
peuple souverain.
» Or, t o u s les souverains sont militaires. E n s'ar-
rogeant l e u r s droits, le sujet s ' i m p o s e l e u r s devoirs.
De g u e r r e en guerre, l'institution s'est aggravée com­
me u n e c o n t a g i o n ; elle s'est p r o p a g é e d'Etat en
E t a t ; à p r é s e n t elle a gagné t o u t e l ' E u r o p e conti­
nentale et elle y règne avec s o n c o m p a g n o n natu­
rel, avec s o n frère j u m e a u , avec le suffrage u n i ­
versel. L ' u n m e t t a n t dans les m a i n s d e chaque
adulte u n bulletin de vote, l ' a u t r e m e t t a n t s u r lo
dos de c h a q u e a d u l t e un sac d e soldat, avec quelles
promesses de massacre et de b a n q u e r o u t e , avec quelle
déperdition de travail h u m a i n ! Tel est le fruit ter­
minal d u r é g i m e n o u v e a u ».
L ' h o m m e a v o u l u secouer l e j o u g de l'autorité,
de l'autorité qui r e c o n n a î t en Dieu son principe et
sa légitimité. Un joug mille fois plus pesant est
tombé s u r ses épaules.

Jeanne est appelée, n o u s l'avons vu, à r e s t a u r e r


l'autorité d u Christ-Roi et le r è g n e d u Christ r a -
4 4 4 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

m è n e r a l e d r o i t des g e n s : n o n s e u l e m e n t l e droit indi­


viduel, m a i s aussi le droit des gens international. Car
si le d r o i t n a t u r e l des gens est violenté p a r la cons­
cription — q u e la s u b s t i t u t i o n d e l a civilisation
m o d e r n e à l a civilisation c h r é t i e n n e a r e n d u e né­
cessaire, n o u s le r e c o n n a i s s o n s , — le d r o i t d e s gens
i n t e r n a t i o n a l est mis, lui, d a n s le p l u s parfait oubli.
Le g é n é r a l Maîtrot, ancien chef d'Etat-Major du
(>e c o r p s , disait Tan d e r n i e r d a n s le Correspondant,
c o m m e n t , d a n s l'état actuel, se p r o d u i r a i t la pre­
m i è r e a t t a q u e allemande. Il n ' y a pas d e doute
possible, cette a t t a q u e sera une attaque brusquée,
sans d é c l a r a t i o n d e guerre. De fait, d e p u i s la Révo­
lution, il n ' y a pas eu dix g u e r r e s précédées d e décla­
rations. D a n s 114 cas les hostilités o n t été com­
1
mencées s a n s aucun avis p r é a l a b l e . L e s t e m p s de la
chevalerie s o n t passés. Les n a t i o n s se jettent l'une
sur l'autre à l'improvislc o u n peu p r è s . Il importe
de gagner u n e avance, n e serait-ce que de douze
heures.
Sur les r u i n e s de demain, r u i n e s q u i se refu­
sent n o n seulement h t o u t calcul, m a i s à toute
imagination, J e a n n e d'Arc se lèvera p o u r rappe­
ler à la F r a n c e et aux a u t r e s peuples, r e n d u s atten­
tifs p a r l'extrémité de l e u r s m a u x el d e leur misère,
les lois d e la g u e r r e , i n c o n n u e s d e nos j o u r s comme
elles ne l'ont j a m a i s été d a n s le m o n d e . Car la Ré­
volution, son esprit c l ses institutions n o u s ont fait
t o m b e r au-dessous des païens,
Rome, p o u r ne p a r l e r q u e d'elle, a v a i t le collège
1. Lorsque Frédéric I I , a u XVIE[e s'emparait de
la Silosie sous lo seul prétexte que c e t t e province était
à s a convenance, cett e piraterie f i t d'abord scandale
en a t t e n d a n t qu'elle fît école. B i e n t ô t los partages de
la P o l o g n e prouvèrent que Ja nièt h n d o frédérieinnne
ne d é g o û t a i t pas las princes éuxuucip<'d de la loi divine.
L'UN DE SES BIENFAITS 445

des F é c i a u x .qui, au d i r e de V a r r o n , présidait a la


loyauté des relations i n t e r n a t i o n a l e s . Il n'avait pas
la décision d e la guerre. Ses a t t r i b u t i o n s étaient
de j u g e r , a p r è s i n f o r m a t i o n s et enquêtes, si la
guerre à e n t r e p r e n d r e était j u s t e , oui o u non, en
d autres t e r m e s s'il y avait u n e j u s t e cause. Il trans­
mettait s o n j u g e m e n t a u S é n a t et au peuple assem­
blé en c o m i c e s ; à eux a p p a r t e n a i t la décision.
Le c h r i s t i a n i s m e grava d a n s le c œ u r de ses fidè­
les et p a r l à d a n s r a m e des n a t i o n s ces préceptes
divins.
Homicide point ne seras.
Bien d'autrui ne convoiteras.
Le bien d'aulrui tu ne prendras.
Sans d o u t e les passions h u m a i n e s les firent sou­
vent violer, mais l'histoire de la chevalerie est là
pour dire à q u e l degré 'd'élévation m o r a l e et p a r
suite à q u e l respect des d r o i t s d'autrui, l'Eglise avait
porté les p e u p l e s c o m m e les individus. Quand ils
étaient violés, il y avait le r e c o u r s au P a p e q u i
avait en m a i n s les a r m e s spirituelles e t qui poli­
rait faire a p p e l a u x p r i n c e s et à l e u r force armée.
« Personne n e conteste, disait I n n o c e n t III et d'au­
tres avant l u i et a p r è s lui, q u e n o u s s o m m e s juges
en matière de péché >. Et q u a n d le P a p e avait jugé,
le droit p u b l i c d u m o y e n âge faisait le reste. L é o n XIII
a fait cette c o n s t a t a t i o n qui ne p e u t ê t r e démentie :
t L'Eglise a a d o u c i les n a t u r e s b a r b a r e s en leur
communiquant l ' a m o u r de la justice, e t elle les
a ainsi d é t o u r n é s de la férocité des h a b i t u d e s guer­
rières. A. t o u s elle a fait u n devoir d'observer la
justice et de n e pas e n t r e r e n l u t t e p o u r une cause
injuste ».
A. p a r t i r d u XIV* siècle, et s u r t o u t a u XVI% lors­
que l'édifice d e la chrétienté c o m m e n ç a à ê t r e ébran-
446 LE RÈGNE DE NOTRE-SÉIGNEUR JÉSUS-CHRIST

lé et p l u s e n c o r e l o r s q u ' i l fut d é t r u i t , o n vit so


d é v e l o p p e r la rivalité e n t r e n a t i o n s et le désir, la
volonté d e se s u p p l a n t e r per fas et nef as.
J e a n n e d'Arc, qui vint p r é c i s é m e n t à cette époque,
observa d a n s toute leur r i g u e u r les lois de la
g u e r r e telles que les avait établies l a civilisation
chrétienne. Elle les p r o m u l g u e r a d e nouveau, lors­
q u e les peuples dans leur détresse se t o u r n e r o n t vers
elle el p r e l e r o n l l'oreille à ses enseignements.
M. l ' a b b é Defourny p r o n o n ç a en 1887 au con­
grès c a t h o l i q u e d e Lille un d i s c o u r s d o n t le sujet
était : J E A N N E D ' A R C ET L E D R O I T D E S GENS, et où
il m o n t r a à quel point la s a i n t e P u c e l l e était péné­
t r é e des p r i n c i p e s d'équité c l d e j u s t i c e qui doi­
vent g o u v e r n e r les r a p p o r t s des p e u p l e s e n t r e eux.
Le d r o i t des gens, e n m a t i è r e d e guerre, dit l'ora­
teur, se r é d u i t à celle p r o p o s i t i o n : Défense d e ver­
ser le sang h u m a i n , sans justice et sttns jugeinent
}

et hors le eus de nécessité. « E n d a u t r e s termes, p o u r


faire la g u e r r e sans ê t r e h o m i c i d e , il faut d'abord
u n e j u s t e cause, u n e c a u s e j u r i d i q u e p o u r motiver
l'effusion d u sang : — c est l a justice. — Il faut
ensuite l a Déclaration de c e t t e j u s t e c a u s e , à l'adver­
saire, avec offre de paix, m o y e n n a n t satisfaction;
c'est le j u g e m e n t avec la signification, o u l a décla­
r a t i o n d e g u e r r e . — Il faut enfin le refus de l'ad­
versaire, cl l'impossibilité d e s'entendre avec lui,
ou d'en s o r t i r autrement, — c'est la nécessité. »
Ces règles, expression de la loi m o r a l e appliquée
aux peuples, o n t i n c o n t e s t a b l e m e n t p r é s i d é à la
conduite d e J e a n n e dans l a g u e r r e c o n t r e les An­
glais.
L a j u s t i c e do la cause qu'elle soutient lui osl assu­
r é e p a r ses voix, 1 1 s'agit de s a u v e g a r d e r l'existence
de la F r a n c e c o m m e n a t i o n , m e n a c é e p a r le Roi
L'UN D E 'SES BIENFAITS 447

d'Angleterre, et liée a u d r o i t r o y a l de Charles VII.


L'une n e p o u v a i t ê t r e s a u v é e s a n s l'autre. C'est ce
que c o m p r e n a i t a d m i r a b l e m e n t J e a n n e d'Arc : elle
voulait s a u v e r t o u t ensemble, n o u s l'avons vu, le
droit d u R o i et l e r o y a u m e , qui était, disait-elle,
en si grande pitié.
Quant à la notification d e la j u s t e cause, à la
déclaration j u r i d i q u e et p r o p r e m e n t dite de la guer­
re, avec offre de la p a i x m o y e n n a n t satisfaction,
Jeanne n ' a g a r d e d e l'oublier. Lisons d e n o u v e a u
le message q u ' e l l e a d r e s s e a u x chefs anglais :
« Roi d'Angleterre, et v o u s , d u c d e Bedford, qui
vous dites Régent d u r o y a u m e de F r a n c e , vous,
Guillaume de la F o u l e , c o m t e d e Suford, Jean,
sire d e T a l b o t , et vous, T h o m a s , s i r e d e d'Escales,
qui v o u s dites lieutenants d u dit d u c dc Bedford,
faites raison à Dieu du sang royal de France. Ren­
dez à l a Pucelle... les clefs des b o n n e s villes q u e
vous avez prises et violées en F r a n c e . Elle est
venue ici de p a r Dieu pour réclamer les droits du
sang royal. E l l e est toute prête à faire la paix si
vous voulez lui faire raison, (c'est-à-dire si v o u s
abandonnez l e t e r r i t o i r e d e l a F r a n c e , e n n o u s
indemnisant des m a u x q u e v o u s n o u s avez causés...)
Vous, d u c d e Bedford, la Pucelle TOUS p r i e et vous
supplie q u e vous ne v o u s fassiez d é t r u i r e . . . Si vous
lui faites raison, vous p o u r r e z e n c o r e venir en sa
compagnie, l à o ù les F r a n ç a i s feront le p l u s b e a u
fait d ' a r m e s q u i ait j a m a i s été a c c o m p l i p a r la
chrétienté... »
Telle est la d é c l a r a t i o n d e g u e r r e do J e a n n e
d'Arc, — elle n'est ni u n e p u r e formalité, ni une
sorte de b r a v a d e chevaleresque, — mais u n acte
sérieux, officiel, p o r t a n t affirmation d u d r o i t de la
nation française et de s o n r o ^ offrant la paix, et
4 4 8 LE RÈGNE DE NOTRE-SÉIGNEUR JÉSUS-CHRIST

invitant m ê m e l'Angleterre à s ' u n i r a v e c l a F r a n c e


d a n s u n e e n t r e p r i s e p l u s glorieuse, d a n s u n e croisade
c o m m u n e c o n t r e l ' e n n e m i s é c u l a i r e d u n o m chré­
tien.
On sait c o m m e n t fut accueilli le m e s s a g e de Jean­
ne : elle s'obstina, et u n e s e c o n d e et u n e troisième
fois, elle r é i t é r a sa d é c l a r a t i o n faisant lancer, a u
m o y e n d ' u n e flèche d a n s le c a m p e n n e m i , la lettre
de s o m m a t i o n qu'elle avait dictée à s o n chapelain
Tasquercl :
« A v o u s h o m m e s d'Angleterre q u i n'avez aucun
droit sur le royaume de France, le Roi d u ciel vous
m a n d e p a r m o i q u e v o u s laissiez vos bastilles et
vous en alliez d a n s v o t r e p a y s : o u s i n o n j e vous
en ferai u n tel haha qu'il en s e r a perpétuelle mé­
moire. Voilà ce que j e v o u s écris p o u r la troi­
sième et d e r n i è r e fois, et j e n e v o u s écrirai pas
d e v a n t a g e ». Les outrages les plus grossiers ré­
p o n d i r e n t à cette noble d é m a r c h e . J e a n n e tint pa­
r o l e et elle fit a u x Anglais an tel haha qu'il en fut
perpétuelle mémoire.
J u s t i c e d e la cause, d é c l a r a t i o n j u r i d i q u e de la
g u e r r e , refus de r e n n e m i d e faire raison, toutes les
c o n d i t i o n s d ' u n e j u s t e g u e r r e s o n t remplies.
De p l u s , a u milieu de la f u r e u r des combats,
J e a n n e r e s t a i n é b r a n l a b l c m c n t fidèle a u x préceptes
d u d r o i t des gens chrétien, qui c o m m a n d e d'ai­
m e r les e n n e m i s eux-mêmes, d e les é p a r g n e r au­
tant q u e possible, et de les t r a i t e r avec c h a r i t é après
la victoire.
Qui n'a été é m u des p l e u r s qu'elle verse s u r la
m o r t d u b r u t a l Glasdalc (Glacidas)? Qui n e sait
avec q u e l l e j o i e elle veillait à ce q u e les soldais
gardassent u n e exacte discipline, s'abstinssent de
tout excès, n e fissent a u c u n e violence a u x pauvres
L'UN DE SES BIENFAITS 449

gens? L a h a i n e n ' e n t r a j a m a i s d a n s cette g r a n d e


âme. Il faut citer ces belles et fières réponses o ù
Ton sent p a s s e r le souffle d ' u n c œ u r d e sainte et de
F r a n ç a i s e — « Sainte C a t h e r i n e et sainte Margue­
rite, lui dit le juge astucieux, haïssent donc les
Anglais? — Flics a i m e n t ce que Dieu aime et haïs­
sent ce qu'il hait. — Dieu hait-il les Anglais? —
De l ' a m o u r ou de la lutine que Dieu a envers les
Anglais, j e n e sais rien : mais j e sais bien qu'ils
seront t o u s b o u t é s h o r s de F r a n c e h o r m i s ceux
qui y m o u r r o n t ».
« G r a n d e leçon de vrai patriotisme, observe M. G.
de P a s c a l . L ' a m o u r de la pairie ne consiste p a s — p a s
plus que l ' a m o u r de la famille — d a n s la h a i n e
des a u tics, m a i s dans un a m o u r de préférence pour
celle patrie, t e r r e sacrée des lombes et des ber­
ceaux où s'enracinent n o s â m e s p a r mille liens
vivants et profonds, et pour la fonction que lui
délègue l'histoire, o r g a n e cl ministre de Dieu.
Que d e sang eût été é p a r g n é , si les exemples de
Jeanne d'Arc en cette m a t i è r e avaient été suivis
j u s q u ' à nos j o u r s ! Et combien il est à désirer q u e
son enseignement soit remis en h o n n e u r !
Il y a deux siècles, Leibniz, quoique protestant,
écrivait : «• Si les P a p e s r e p r e n a i e n t l'autorité qu'ils
avaient au temps de Nicolas 1«»" o u de Grégoire VII,
ce serait le m o y e n d'obtenir une paix perpétuelle
cl d e n o u s r a m e n e r à l à g e d'or. »

L* Mission de U Lse Jranne d'Arc. 27


450 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

C H A P I T R E LXXII.

L'HEURE DIT RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR


JESUS-CHRIST EST-ELLE PROCHE ?

Au c h a p i t r e cinquante-septième, n o u s n o u s s o m ­
mes d e m a n d é si la tentation d ' h u m a n i s m e , à laquelle
la c h r é t i e n t é s'est laissé s o u m e t t r e , allait bientôt
p r e n d r e fin. Une a u t r e question semblable se p r é ­
sente m a i n t e n a n t à notre légitime c u r i o s i t é : Le règne
de Notre-Seigncur va-l-il r e p r e n d r e son c o u r s , inter­
r o m p u p a r l a Renaissance et c e q u i s'ensuivit?
J. de Maistrc, c o n s i d é r a n t l'état d e la société con­
t e m p o r a i n e , constatait « l'affaiblissement général d e s
principes m o r a u x », « la divergence des opinions >,
« l ' é b r a n l e m e n t des souverainetés qui m a n q u e n t de
base ». EL il concluait : « E n p r é s e n c e d e l ' i m m e n ­
sité d e n o s b e s o i n s et d e l'inanité d e n o s m o y e n s ,
il m e semble q u e tout vrai p h i l o s o p h e doit o p t e r
e n t r e ces deux h y p o t h è s e s : o u qu'il va se f o r m e r
u n e nouvelle religion, o u q u e le c h r i s t i a n i s m e sera
rajeuni de quelque m a n i è r e e x t r a o r d i n a i r e . C'est
cintre ces deux suppositions qu'il faut choisir, sui­
vant le p a r l i q u ' o n a p r i s s u r la vérité d u christia­
n i s m e >.
J. de Maistrc exprimait celle pensée, écrivait ces
lignes d a u s ses Considérations s w la France, qui
furent publiées en 18M. Il y a juste un siècle.
Depuis, la divergence des opinions est allée à
l'infini: deux h o m m e s élevés d a n s le même milieu,
a y a n t rcyu la même éducation, ne peuvent plus se
r e n c o n t r e r sans se sen lir eu d i ^ e i i l i n i c n l sur une
EST-IL PROCHE ? 451

m u l t i t u d e d e choses, c a r ils n ' o n t plus, il n'y a


plus de points de repère communs.
E t q u e d i r e de l'affaiblissement des principes m o ­
r a u x ? On e n d é t r u i t le fondement m ê m e , Dieu et sa
loi, j u s q u e d a n s les écoles de la p r e m i è r e enfance.
P o u r m a i n t e n i r T o r d r e d a n s d e telles conditions, il
n ' y a plus que la force. Sans doute elle a maintenant
des agents s a n s n o m b r e , a r m é s d ' i n s t r u m e n t s d'une
puissance inouïe. Mais l'autorité qui s'est détachée
d e sa base, Dieu et sa loi, est ébranlée d a n s les es­
prits, et ainsi elle n e p o u r r a résister au choc des
convoitises surexcitées p a r l'étalage d u luxe et les
p r é d i c a t i o n s de la d é m o c r a t i e . Aussi il n'y a qu'une
voix p o u r r e c o n n a î t r e que n o u s s o m m e s en a n a r ­
chie. Anarchie et société sont choses absolument
opposées. L a société qui s'est laissée envahir p a r
l'anarchie n e peut t a r d e r à d i s p a r a î t r e . Et c o m m e
cet a n t a g o n i s m e se m o n t r e partout, il est vrai d e
d i r e que le m o n d e ne peut rester en cet état.
Se présente a l o r s à l'esprit n o n seulement des p h i ­
losophes, m a i s de tout h o m m e clairvoyant, l'alter­
native posée p a r J. de Maistre : ou il va se former
une nouvelle religion, o u le christianisme sera r a ­
j e u n i de q u e l q u e m a n i è r e e x t r a o r d i n a i r e ; car il faut
bien q u e le lien social soit r e n o u é à moins que n o u s
n e soj'ons à la fin d u m o n d e . Et le p r e m i e r des liens
sociaux, celui auquel se r a t t a c h e n t tous les autres,
c'est, ce ne p e u t être que la religion qui relie
l ' h o m m e h Dieu et les h o m m e s entre eux K Ce
lieu brisé, tout s'écroulera nécessairement.

1. Lo S septembre 1 7 0 0 . L e s troupes françaises sont


campées sar un d e s c^lés du Danube, les troupes autri-
chiennes de l'antre, et, parmi elles des Français aussi,
h é l a s ! un répriment de n o s é m i g r é s . C'est le m a t i n . On
célèbre au c a m p de Condé une me^se militaire. Ce spec-
452 LK RÈGNE DE NOTIIE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

Ils sont bien n o m b r e u x ceux qui, à l ' h e u r e actuel­


le, rêvent d ' u n e nouvelle religion, religion h u m a n i ­
taire, et d o n c universelle. D a n s le Problème de
l'heure présente, nous les a v o n s m o n t r e s à l'œuvre.
Depuis ils n'ont cessé d e se multiplier, d'élaborer
de n o u v e a u x systèmes, et d e p o r t e r la s o n d e en tous
lieux, e s p é r a n t découvrir des voies nouvelles vers
la paix el la prospérité.
P o u r nous, qui avons n o t r e conviction faite s u r
la vérité du christianisme, n o u s savons qu'il vivra
a u t a n t que les siècles.
P e s t e la question d e son r a j e u n i s s e m e n t .
J. de Maistrc ose dire q u e celle conjecture ne
sera r e p o u s s é e que p a r ces h o m m e s à c o u r t e vue,
qui n e croient possible que ce qu'ils voient. Mais
n e sont-ils p a s toujours déconcertés p a r les événe­
m e n t s ? « Quel h o m m e de l'antiquité eut pu pré­
voir le christianisme ? Kl quel h o m m e étranger
à celle religion eut pu. d a n s ses c o m m e n c e m e n t s ,
en prévoir le succès? Pline, c o m m e il csl prouvé
p a r sa fameuse lettre, n'avait pas la m o i n d r e idée
d e ce géant d o n t il ne voyait q u e l'enfance ».
Il faudrait donc, «ous peine d e n o u s classer
p a r m i les gens ù courte vue, c r o i r e qu'il se fait,
ou qu'il va se Taire u n r a j e u n i s s e m e n t d u christia-

t;u-le attire l'attention dos S a n s - ( ' u l o t t e s . Ils se pres-


sent l à - b a s , sur 1P. bord opposé d u f l e u v e . U n coup de
canon a n n o n c e lVlévidion. fustinei i w m e u t . un do ce*
s a n s - c u l o t t e s s'agenouille, puis u n second, puis dix,
puis cent-, et la bénédiction d u prêt ro d e s c e n d a la
fois sur les tôtos courbées d e s proscrits et d e s pres-
cripteurs, dos blancs et des bleus, réconciliés pour une
minuto dans ce qui fut la r e l i g i o n de leurs pères, — la
religion, ce qui relie — leurs pères, ce qui f a i t l a patrie,
— term pat rum — répétait toujours l'admirable Fu«lol
de C o û t a n t e s , (D'après les Mémoires de» P r a d e l d e Laniajrc,
un d e s officiers do l'armée de ( ' o n d e . )
EST-IL PROCHE ? 453

n i s m c . Alors vient la question : ce rajeunissement,


qu'est-ce que ce peut bien ê t r e ?
D e p u i s u n siècle n o u s s o m m e s en révolution, et
dès les p r e m i e r s j o u r s de ce bouleversement qui
a gagné toutes les n a t i o n s , m ê m e celles immobi-
bilisées d e p u i s les t e m p s les plus lointains, J . d e
Maistre disait : « Si l'on veut savoir le résultat
p r o b a b l e de la Révolution française, il suffit d'exa­
m i n e r e n q u o i toutes les factions se sont r é u n i e s ;
toutes o n t voulu l'avilissement, la destruction m ê m e
du c h r i s t i a n i s m e universel et de la m o n a r c h i e , d'où
il résulte que tous l e u r s efforts n ' a b o u t i r o n t qu'à
l'exallalion d u c h r i s t i a n i s m e et de la m o n a r c h i e ».
Le r a j e u n i s s e m e n t consisterai! donc en une exal­
tation d a n s les e s p r i t s et d a n s les institutions d u
c h r i s t i a n i s m e e l de l a m o n a r c h i e .
L a réalisation des vues de la saînle Pucelle :
c'csl-à-clire Notre-Seigneur Jésus-Christ r e c o n n u com­
me Roi des rois p a r les souverains, son évangile reçu
c o m m e loi des peuples, les m œ u r s cL les institutions
r e n t r a n t d a n s les yoies de la civilisation chré­
tienne, ce serait v r a i m e n t un rajeunissement. El ce
rajeunissement p o u r r a i t être le principe d'une exal­
tation plus h a u t e q u e celle qui fui atteinte aux
siècles de foi.
P o u v o n s - n o u s e s p é r e r ce p r o d i g e ? de tous les
prodiges le pins grand, p o u r qui connaît Tetat actuel
du m o n d e el ce qu'est la n a t u r e h u m a i n e déchue.
E t cependant, à la suite des p a r o l e s que n o u s
avons rapportées, J. de Maistre émellait déjà celle
opinion, quoique sous forme dubitative : « Savons-
nous si u n e grande révolution m o r a l e n'est p a s
commencée ». E h quoi 1 commencée, il y a déjà
nn siècle? C'est le p r o p r e du génie de s'élever a u -
dessus des conditions du temps el de voir les
454 LE RÈGNE DE NOTKE-SEIGNIXU JÉSUS-GIIRIST

g r a n d s m o u v e m e n t s dc I ' h u m a n U é d a n s l e u r s pre-
miers principes.
Kn 1802, Leon XIII, d a n s un d i s c o u r s a u x cardi­
naux, signalait ces c o m m e n c e m e n t s déjà p l u s visi­
bles : « Au milieu de tant de désillusions et d'un si
profond bouleversement d'idées et de m œ u r s , l'ins­
tinct m ê m e du salut c o m m u n avertit les peuples
de se s e r r e r p l u s é t r o i t e m e n t a u t o u r de l'Eglise qui
a d a n s ses m a i n s le m i n i s t è r e du salut, d ' a d h é r e r
à cette p i e r r e fondamentale, h o r s de laquelle la
justice et l ' o r d r e social ne s a u r a i e n t avoir de base. »
Depuis que ces p a r o l e s ont élé p r o n o n c é e s , le mal
s'est e n c o r e accru, m a i s il s e m b l e bien aussi que
« i'inslincl du salut » force, sinon la m a s s e d u peu-
pic, du m o i n s l'élite, à s'inquiéter, à c h e r c h e r , a
d e m a n d e r où se trouve la source des vérités qui
peuvent a r r ê t e r la société s u r la pente qui conduit à
l'abîme c l la r e m e t t r e s u r la voie d e la vraie civi­
lisation.
On sent, on voit que celte s o u r c e est au Vatican.
Les d e r n i e r s P a p e s n ' o n t cessé de p r o c l a m e r les vé­
rités qui doivent être le p r i n c i p e d e n o i r e salut. Et
si l'on étudie le Syllabus de Pie IX et les Encycli­
q u e s d e Léon XIII et d e Pic X, o n v e r r a q u e ces
vérités rappelées à la société c h r é t i e n n e ont leur
point de r a y o n n e m e n t d a n s l'autorité sociale d e No­
tre-Seigncur Jésus-Christ, précisément la vérité que
la sainte Pucelle a remise eu lumière, et sur la­
quelle la glorification d o n t elle j o u i t actuellement
appelle l'attention publique. De sorte qu'il semble
bien q u e l ' h e u r e est venue o ù ces vérités vont de
n o u v e a u s'imposer aux h o m m e s , régir la société
et la régénérer.
D a n s l'Encyclique Inscrufabili, Léon XIII disail :
« Si on contemple les œ u v r e s du Pontifical romain.
EST-IL PROCHE ? 455

que peut-il y avoir d e plus inique que d e nier com­


bien les Pontifes r o m a i n s o n t bien mérite de la
société civile ? N o s p r é d é c e s s e u r s voulant pourvoir
au b o n h e u r des peuples, n ' h é s i t è r e n t j a m a i s à s'ex­
poser à d'âpres difficultés : les yeux fixés au ciel,
ils n ' a b a i s s è r e n t point l e u r front d e v a n t les menaces
des m é c h a n t s , ils n e se laissèrent d é t o u r n e r de leur
devoir ni p a r les flatteries, n i p a r les promesses, ni
p a r les m e n a c e s ».
« Ce fut ce Siège Apostolique qui r a m a s s a les
restes de l'antique société détruite el les réunit e n ­
semble. Il fut le flambeau qui illumina la civilisa­
tion d e s t e m p s chrétiens, l'œuvre de salut au milieu
des t e m p ê t e s , le lien s a c r é de la concorde qui unit
entre elles des n a t i o n s éloignées et de m œ u r s d i ­
v e r s e s ; il fut enfin le c e n t r e c o m m u n où l'on venait
c h e r c h e r aussi bien les doctrines de la foi que les
auspices de la paix et les conseils des actes ac­
complis ».
C'est ce que n o u s avons constaté d a n s les p r e m i e r s
chapitres de ce livre, -c Plût au ciel, continue Léon
XIII, que cette a u t o r i t é salutaire n ' e û t j a m a i s été
négligée ou répudiée ! Le pouvoir civil n'eût pas
perdu celle auréole auguste et sacrée que la religion
lui avait d o n n é e ; on n ' a u r a i t pas vu s'allumer tant
de séditions et de guerres, t a n t d e r o y a u m e s autre­
fois florissants, tomber a u j o u r d ' h u i du faîte de la
prospérité ».
Quel q u e soit le d é s o r d r e actuel, ce q u e les Sou­
verains Pontifes o n t fait, ils le peuvent encore :
« Qu'on d o n n e libre essor à l e u r apostolat dont
la mission vient d'en haut, dit le mémo Léon XIII,
dans son discours aux Cardinaux (23 d é c e m b r e
18513), q u ' o n accueille, s a n s la suspecter, la parole
qu'il a p p o r t e , qu'on lui facilite l'accès d a n s l'âme
La Mi«*ion de ïa Rse Jeanne d'Arc * 07 liïs
456 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

d u citoyen, au foyer de l a famille, aussi b i e n que


d a n s le g o u v e r n e m e n t des E t a t s , et vous v e r r e z s'épa­
n o u i r s a n s efforts la t r a n q u i l l i t é de l ' o r d r e , aspira-
ration la plus vive, bien s u p r ê m e d e s p e u p l e s ».
P o u r que l'Autorité Apostolique puisse d e nouveau
p r o c u r e r ces biens a la société, il faut, d e toute né-
cessilé, q u e soient r e c o n n u s les p o u v o i r s qu'elle a
r e ç u s de son divin F o n d a t e u r et q u ' e l l e exerce en son
n o m : « Celui qui est le C r é a t e u r et a u s s i le Ré­
d e m p t e u r de la n a t u r e h u m a i n e , le Fils de Dieu, est
le Roi et le m a î t r e de l'univers et possède u n e sou­
veraine puissaucc s u r les h o m m e s soit p r i s sépa­
r é m e n t , soit réunis en société. L a loi du Christ doit
d o n c a v o i r u n e valeur telle, qu'elle serve à diriger
et à g o u v e r n e r non s e u l e m e n t la vie privée, mais
aussi la vie publique... P a r le maintien de l'Eglise so­
lennellement fondée p a r Lui, le Christ a voulu per­
pétuer la mission que L u i - m ê m e avait r e ç u e de son
Père. C'est d o n c à l'Eglise qu'il faut d e m a n d e r la loi
d u Christ. Elle est p o u r l ' h o m m e la voie, comme
Test le Christ, lui p a r sa n a t u r e , elle p a r la jmission
qui lui a été confiée et p a r la c o m m u n i e » l i o n de la
puissance divine. Il en résulte q u e q u i c o n q u e (indi­
vidu ou société) veut t e n d r e au salut h o r s d e l'Eglise
se t r o m p e de route et se livre à d'inutiles efforts »
En u n mol, il faul que J é s u s - C h r i s t règne cl que son
Evangile soit la loi des sociétés. (l'est ce que la
sainte Pucelle n'a cessé d e d i r e et de r é p é t e r :
L a société c o n t e m p o r a i n e entendra-t-el le de nos
j o u r s la voix de la sainte Pucelle q u i lui cric :
Jésus-Christ est le Roi des rots, le P a p e est son
Vicaire, le souverain sou Lieutenant, sa loi est la
loi s u p r ê m e d'où doivent d é c o u l e r celles q u e font
les législateurs.

1. Encyc. De Uhriaio ftedemplore.


EST-IL PROCHE ? 457

Pie X n o u s a d o n n é un n o u v e a u motif cle le


croire et de l'espérer.
Sa p r e m i è r e p a r o l e a élé : c Nous déclarons que
n o t r e b u t u n i q u e d a n s l'exercice d u Pontificat est de
tout restaurer dans le Christ, afin q u e le Christ
soit tout et en tout ».
« Nous é p r o u v o n s une sorte de terreur, ajoute-t-il,
à considérer les conditions funestes de l'humanité à
l ' h e u r e présente. P e u t - o n ignorer la m a l a d i e si p r o ­
fonde et si grave qui travaille, en ce moment, bien
plus que p a r le passé, la société h u m a i n e , et qui,
s'aggravant d e jour e n j o u r et la rongeant j u s ­
q u ' a u x moelles, l'entraîne à sa r u i n e ? Cette maladie,
vous la connaissez, c'est l'abandon de Dieu et
l'apostasie... Le r e t o u r des nations au respect de la
majesté et de la s o u v e r a i n e t é divine, quelques efforts
que n o u s fassions d'ailleurs p o u r le réaliser, n'ad­
viendra que p a r Jésus-Christ. Et c'est p o u r q u o i le
but vers lequel doivent converger Ions nos efforts,
c'est de RAMENER LK GENRE HUMAIN A L'EMPIRE DU
C H R I S T . . . Or, où esl la voie qui nous d o n n e accès
a u p r è s de J é s u s - C h r i s l ? Elle esl sous nos yeux, c'est
l'Eglise. Vous voyez donc, Vénérables Frères, quelle
œ u v r e n o u s est confiée, à Nous et a vous. Il s'agit
de r a m e n e r les sociétés h u m a i n e s , égarées loin de la
sagesse d u Christ, à l'obéissance de l'Eglise; l'Eglise,
à son tour, les s o u m e t t r a au Christ, et le Christ à
Dieu. S'il Nous est d o n n é , p a r la grace divine, d'ac­
c o m p l i r cette œuvre, n o u s a u r o n s la joie d'entendre
une grande voix disant du haut des deux ; Mainte-
nant, c'est le salut, et la vertu, et le royaume de
notre Dieu, et la puissance de son Christ ».
Restaurer la puissance d u Christ, la loi d u Christ,
le g o u v e r n e m e n t du Christ s u r les peuples, c'est bien,
disons-le e n c o r e une fois, ce qu'a voulu la sainte
458 LE RÈGNE DE NOTRE-SÉIGNEUR JÉSUS-CHRIST

Pucelle a u x j o u r s d e s a vie mortelle. A u x fêtes


d e sa Béatification, S. S. P i e X, s ' a d r e s s a n t a u x cin­
q u a n t e m i l l e pèlerins c o n d u i t s à R o m e p a r soixante-
sopt évoques p o u r assister à la glorification de la
Puoclle, l e u r disait : « N o u s n o u s réjouissons avec
vous, c a t h o l i q u e s b i c n - a i n i é s d e la F r a n c e , qui, fai­
sant écho à l'oracle de l'Eglise, c o m b a t t e z sous la
b a n n i è r e d e la vraie p a t r i o t e , J e a n n e d'Arc, où il
n o u s s e m b l e voir écrits ces d e u x m o t s : « R E L I G I O N
ET PATRIE ». Au-dessus d e l'un des P o r t i q u e s de
la Basilique, était u n e i n s c r i p t i o n o ù se lisait celle
invitation a u peuple d e F r a n c e : Joannem exora
ut Christi vcxillum ostendat ab alto... Fortiter ex-
clamamus: V I V A T R E X C I I I U S T U S IN A E T E R N U M .
Que le Christ vive eu n o s c œ u r s ! Qu'il règne
s u r n o t r e F r a n c e et p a r elle en tous p a y s ! Qu'il
gouverne tous les peuples p a r l'attrait de son c œ u r
et la loi de sou évangile! Et ce sera s u r tous le
r o y a u m e d e Dieu q u e les P a r a b o l e s évangéliques
nous o u i fait entrevoir, q u e la liturgie sacrée nous
fait d e m a n d e r c h a q u e a n n é e el e s p é r e r toujours.

C H A P I T R E LXXIII.

LA FRANCE APPELÉE A RESTAURER LE RÈGNE


DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.

Au c h a p i t r e cinquante-huitième n o u s avons rap­


p o r t é les p a r o l e s q u e S. S. Pie X adressa, le
29 n o v e m b r e 1911, aux C a r d i n a u x français qu'il v i ­
vait d e c r é e r : c Le peuple q u i a fait alliance avec
LA FRANCE APPELÉE A LE RESTAURER 4fl9

Dieu a u x fonts b a p t i s m a u x de Reims se conver­


tira et r e t o u r n e r a à sa p r e m i è r e vocation... Va, fille
p r e m i è r e née de l'Eglise, nation prédestinée, vase
d'élection, va p o r t e r , c o m m e p a r le passé, mon
n o m (c'est Jésus-Christ qui parie) devant tous les
peuples et devant les r o i s de la t e r r e ».
Ces paroles n'étaient point une nouveauté. Notre-
Seigneur Jésus-Christ lui-même en avail prononcé de
semblables de 1673 à 1675, puis en 168J, il y a bien­
tôt deux siècles et demi. C o m m e n o u s Pavons déjà
observé, il n'y a à s'étonner de ce long espace de
t e m p s q u e ceux qui mesurent la vie de r h u m a n i l é
à la brièveté de l e u r p r o p r e vie.

N'est-ce point u n e chose bien digne de considéra­


tion? Au quinzième siècle, la Bienheureuse Jeanne
d'Arc fait signer à Charles Vil l'acte p a r lequel il
r e c o n n a î t Notre-Seîgneur Jésus-Christ p o u r son su­
zerain. Deux cent q u a r a n t e - d e u x ans a p r è s , la Rien-
h e u r e u s e Marguerite-Marie est chargée p a r le divin
Roi de dire au roi d e F r a n c e qu'il lui est d e m a n d é de
consacrer à son divin C œ u r sa puissance cl son royau­
me. El voici q u ' a p r è s une nouvelle ' p é r i o d e de deux
cent trente et un ans, la sainte Pucelle est placée
s u r les autels pour, de là, dire avec plus d'autorité
que j a m a i s ; J é s u s est le Roi des rois, il esl plus
particulièrement le suzerain des rois ou des chefs
de F r a n c e .
e
Donc, au XVII siècle, Jésus découvrant a la Bien­
heureuse" Marguerite-Marie son c œ u r tout déchiré et
transpercé d e coups, lui dit : « Voilà les blessures
que je reçois de m o n peu/j/e choisi. Les autres se
contentent de frapper sur mon corps, ceux-ci at­
taquent m o n c œ u r q u i n'a j a m a i s cessé de les ai­
mer »; Noire-Seigneur ajoutait : * Mais m o n a m o u r
cédera enfin à m a juste colère p o u r chAlicr ces
46Ó LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

orgueilleux q u i m e m é p r i s e n t et n'affectionnent q u e
ce q u i m ' e s t c o n t r a i r e ». Ces m e n a c e s n e se sont
que trop réalisées! D ' a b o r d de 1789 à 1811, q u e
de sang r é p a n d u ! E t a p r è s d e n o u v e a u x avertis­
s e m e n t s en 1830 et en 1818, n o u v e a u c h â t i m e n t
en 1870-1871. Nous n e s o m m e s pas c o n v e r t i s ; de
nouveaux el plus g r a n d s o u t r a g e s a la souveraine
majesté de Dieu et de son Fils N o t r c - S e i g n c u r Jésus-
Christ o n t été commis, sont p e r p é t r é s c h a q u e j o u r
avec u n e insolence de plus en plus p r o v o c a t r i c e .
Aussi d e nouveaux c h a l i m c n l s nous sont-ils a n n o n c é s .
Toutefois, le peuple choisi ne s r r a p o i n t rejeté.
D a n s deux lettres adressées e n 1689 a l a Mère d e
Saumaise, la B i e n h e u r e u s e Marguerite-Marie fit con­
n a î t r e les g r a n d s desseins q u e le divin Sauveur
avail s u r la F r a n c e el qu'il lui avait révélés, « des­
seins qui n e peuvent cire exécutés, dit-elle, q u e p a r
sa Toute-Puissance qui p e u t tout ce qu'il veut ».
1
Ces g r a n d s desseins les v o i c i :
« F a i s savoir au fils a î n é de m o n Sacré-Cœur...
que m o n C œ u r a d o r a b l e veut t r i o m p h e r d u sien et,
p a r sou entremise, des g r a n d s de la terre. Il veut ré­
g n e r d a n s s o u palais, ê t r e peint s u r ses é t e n d a r d s cl
gravé d a n s ses a r m e s p o u r 1-cs r e n d r e victorieuses d e
ses e n n e m i s e n a b a t t a n t à ses pieds ces têtes orgueil­
leuses et s u p e r b e s p o u r le r e n d r e t r i o m p h a n t d e tous
2
les e n n e m i s d e la Sainte E g l i s e . » C'est bien le r o i
d u ciel qui parle en m a î t r e aux rois d u m o n d e , Lui,
le Roi des rois. Qui n e fait, d a n s son esprit, un
r a p p r o c h e m e n t , entre les p a r o l e s de la sainte Pucelle
à Charles VII et les p a r o l e s q u e Jésus met sur
les lèvres de l a Bienheureuse Marguerite-Marie ;
e n t r e l'acte que J e a n n e exigea de Charles VII el

1. Lottr.i X C V I I .
2. L o règne d u c œ u r de Jésus, 11, p. 109.
LA FRANCE APPELÉE A L E RESTAURER 461

l'acte q u e Notre-Seigneur Jésus-Christ exige d u fils


a î n é de son S a c r é - C œ u r ?

Ce m e s s a g e p o u r le roi d e F r a n c e fut d o n n e à
la B i e n h e u r e u s e Marguerite-Marie peu après la décla­
r a t i o n de 1G82 qui était c o m m e une sorte de ré­
volte c o n t r e l ' a u t o r i t é sacerdotale et l'autorité royale
de N o t r e - S e i g n e u r Jésus-Christ. De sorte q u e Ton
peut c r o i r e que, dans la p e n s é e et la volonté du
divin Sauveur, la r é n o v a t i o n sociale, le r e t o u r à la
civilisation c h r é t i e n n e q u i doit p r e n d r e son prin­
cipe d a n s son Sacré-Cœur, d e v r o n t être inaugures
p a r le roi de F r a n c e , en r e n o n ç a n t tout d ' a b o r d à
toute espèce d e gallicanisme.

Ce r o i était-il, ne pouvait-il ê t r e que Louis XIV?


N o u s n'avons pas à e n t r e r d a n s le d é b a t qui s'est élevé
sur celle question. Ce qui est certain, c'est (pic la
famille r o y a l e n'a j a m a i s refusé île souscrire a u
pacte qui lui était p r o p o s é et de mettre sa c o n ­
fiance d a n s l'observation de la clause qui y était
inscrite. On sait le vœu p a r lequel Louis XVI
consacra a u C œ u r sacré de Jésus sa personne, sa
famille, son peuple, p r o m e t t a n t d'ériger le s a n c t u a i r e
d e m a n d é , m a i s sa destinée à lui était d'expier les
fautes d e ses p è r e s et celles de la nation. Aupara­
vant, le D a u p h i n , fils de Louis XV, de concert avec
sa s œ u r , Marie-Louise de F r a n c e , et leur pieuse
mère, M a i n e Leczinska, fit élever u n autel au Sacre-
C œ u r d a n s la chapelle d u palais de Versailles. E t
plus tard, L o u i s XVIII, au témoignage de la Bien­
h e u r e u s e Madeleine Barat avait formé l e projet
d'exécuter le v œ u de son frère : « Il y a lieu d'es­
pérer, dit-elle, q u e Sa Majesté cédera aux désirs
do ses plus fidèles sujets, et qu'accomplissant le
vœu de L o u i s - XVI, il m e t t r a s o n r o y a u m e sous
462 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

la p r o t e c t i o n d u S a c r e - C œ u r *. O n sait l a r é p o n s e
q u e l e Comte de C h a m b o r d o p p o s a a u x p r o p o s i ­
tions q u i lui étaient faites d'un g o u v e r n e m e n t libé­
r a l : « P o u r q u e la F r a n c e soit sauvée, il faut q u e
Dieu y r e n t r e en m a î t r e , p o u r q u e j e p u i s s e r é g n e r
en r o i ». Ces paroles a u t o r i s e n t la p e n s é e que
s'il avait régne, il a u r a i t r e s t a u r é l ' a u t o r i t é royale
et l ' a u t o r i t é sacerdotale d u l u i s d e Dieu.
C'était le point p r i n c i p a l d u p r o g r a m m e tracé
p a r la sainte Pucelle et c o n s a c r é ] K i r la p a r o l e du
Roi des r o i s lui-même. Le reste n e vient q u ' e n se­
c o n d e ligne. Un temple doit ê t r e élevé e t l'image
d u Sucré-Cœur doit y ê t r e placée, mais p a r c e q u e
le r o i et tous les p o u v o i r s publics doivent venir y
faire h o m m a g e de l e u r a u t o r i t é à l'Autorité souve­
raine. L e Sacré-Cœur doit être peint s u r les éten­
d a r d s et gravé dans les a r m a s , mais c o m m e témoi­
gnage perpétuel de cet h o m m a g e et dc celta consé­
cration. B e a u c o u p n'ont vu d a n s la révélation de
Paray-le-Mouial (pie ce temple et ces étendards
et n'ont p a r l e d ' a u c u n e des c o n d i t i o n s posées p a r
Notre-Scigneur p o u r qu il r a m è n e la paix d a n s notre
société. La paix ne peut r é g n e r q u e d a n s Tordre.
L ' o r d r e est q u e Noire-Seigneur J é s u s - C h r i s t soit
r e c o n n u c o m m e étant le Roi des rois el le Seigneur
des Seigneurs, ainsi que l'a déclaré la sainte Pucelle.

Des deux lettres écrites p a r le B i e n h e u r e u s e Mar­


guerite-Mario, l ' u n e à la Mère de Saumaise, Je

1. Mois du Sacrc-('œur
y p a r 3U«rr do S ê g u r , oh.
X X X I I I . L a pensé»! d e L o u i s X Y I I I s ' a r r ê t a i t san*
d o u t e ii ne q u i uVtail- (pie la pn.Hie m a t é r i e l l e du m e s ­
s a g e : l ' é r e c t i o n d'un t e m p l e , d ' u n au t u l . l/essciif.irl,
le r o g n e s o c i a l d u Christ*, p o u v a i t - i ) y prn^er. dans
l ' é t a t d ' e s p r i t o ù los p h i l o s o p h e s d u XYJ11*' siècle
a v a i e n t m i s s e s oonteiniioraius?
LA FRANCE APPELÉE A LE RESTAURER 468

17 juin 1689 ^ Pailtrc au P . Croisct, le 15 septem­


bre, m ê m e année, il résuUe que les désirs el les
volontés e x p r i m é s p a r le divin Roi peuvent cire
ainsi r é s u m é s :
1° Il devra e n t r e r avec p o m p e et magnificence
dans la maison des princes et des rois et y régner;
2° Il veut c o m m e n c e r p a r établir son empire
en F r a n c e et d a n s le c œ u r du roi de France, par la
consécration que celui-ci fera de l u i - m ê m e au divin
Cœur;
3° II a choisi le roi de F r a n c e , p o u r relever, de­
vant les h o m m e s , les o p p r o b r e s qu'il a eus a souf­
frir;
4° Il veut, p a r l'entremise du roi de F r a n c e , triom­
p h e r d u c œ u r des g r a n d s de la terre.
Ce n'est d o n c p a s au seul roi de F r a n c e , mais aux
rois et aux princes q u e Notre-Seigneur s'adresse.
Tous doivent lui faire h o m m a g e de leur autorité,
p r e n d r e l'engagement de se servir de leur puissan­
ce p o u r l'exalter devant leurs peuples, (rloricux hom­
mage qui les exaltera, en jetant sur l e u r personne
royale un reflet de la majesté divine. S'il s'adresse
directement au roi de F r a n c e , c'est afin que ce mo­
n a r q u e , p a r l'influence de son exemple, entraîne les
autres nations sous l'étendard du Sacré-Cœur.
« D a n s cette chose, écrivait la Bienheureuse dans
cette m ê m e l e t l r e (104). tout pnruïl 1res difficile,
tant p o u r les grands obstacles que Satan se propose
d'y m e t t r e que p o u r toutes les autres difficultés ».
Les p r e m i è r e s de ces difficultés et les p l u s insurmon­
tables venaient du gallicanisme el du jansénisme qui
régnaient a l o r s souverainement. Kt p o u r ce qui est
des obstacles que Satan se p r é p a r a i t d\v mcllre,
la Bienheureuse n'en prévoyait sans d o u t e point la

1. Lettre 98.
4G4 L E RÈGNE DE NOTRE-SEIONETR JÉSUS-CIIRIST

g r a n d e u r . Elle n e p o u v a i t s e figurer ce q u e serait la


Révolution qu'il susciterait, r é v o l u t i o n p r o p r e m e n t
satanique.
« Maïs, ajoutait la B i e n h e u r e u s e , Dieu est au-
dessus do tout... Il faul a t t e n d r e avec patience,
c a r cet a d o r a b l e c œ u r s a u r a bien faire c h a q u e chose
en son t e m p s ».
Le t e m p s semble venu.
T h é o l o g i q u e m c n t le gallicanisme et le j a n s é n i s m e
sont m o r t s . P r a t i q u e m e n t le j a n s é n i s m e p e r d cha­
q u e j o u r du terrain, m a i s le gallicanisme est a r r i v é
à sa d e r n i è r e c o n s é q u e n c e , la s é p a r a t i o n d e l'E­
glise et de l'Etal. N o u s s o m m e s témoins des résul­
tats e x t é r i e u r s de la d é c l a r a t i o n de 1082. Ils avaient
été atteints p a r la constitution civile du clergé, ils
le sont, inoins violemment, mais p e u t - ê t r e d'une
façon plus efficace, p a r la loi de s é p a r a t i o n .
E t c'est p o u r q u o i les difficultés que la Bienheu­
r e u s e Marguerite-Marie prévoyait d e v o i r s"op]>oscr
à l'exécution des desseins du divin S a u v e u r parais­
sent p l u s i n s u r m o n t a b l e s que j a m a i s . Cependant,
a p r è s a v o i r dit q u e la toute-puissance divine pou­
vait seule en t r i o m p h e r , elle affirme m a i n t e s fois
q u e le divin C œ u r régnera m a l g r é tous ceux qui vou­
d r a i e n t s'y o p p o s e r cl (pie Satan d e m e u r e r a confus
avec t o u s ses a d h é r e n t s d'autant plus confus que
Dieu se servira, p o u r l'accomplissement d e ses vo­
lontés, des i n s t r u m e n t s les plus faibles, les p l u s misé­
rables, « tant p o u r aveugler et confondre le rai­
s o n n e m e n t humain (pic ]xnir faire voir sa puissance,
2
qui p e u t tout ce qu'il lui plaît - . « Il r é g n e r a ». La

1. L e t t r e X O I V .
2. LMIrc CIV.
LA FRANCE APPELÉE A LE RESTAURER 465

B i e n h e u r e u s e r é p è t e très souvent ces mots dans ses


lettres et ses a u t r e s écrits *.
La m ê m e p r o m e s s e a été renouvelée le 21 juin
1823 à u n e religieuse du couvent des Oiseaux, à
P a r i s , S œ u r Marie d e J é s u s ; « L a F r a n c e est tou­
j o u r s bien c h è r e à m o n divin C œ u r . J e p r é p a r e
toutes choses p o u r qu'elle lui soit consacrée, ( p a r
celui qui est qualifié p o u r p a r l e r au n o m de la n a ­
t i o n ) ; après quoi je lui réserve un déluge de grâces.
La F r a n c e sera consacrée à mon divin Cœur cl toute
la terre se r e s s e n t i r a des bénédictions que je répan­
drai sur elle. L a foi el la dévotion refleuriront
en F r a n c e p a r la bénédiction de m o n divin Cœur. »
Encore une fois, « cela ne peut être exécuté que
p a r la T o u l c - P u i s s a n c e qui peut tout ce qu'elle
veut ».
Cependant n o u s y pouvons q u e l q u e chose. C'est
de d e m a n d e r p a r n o s prières et n o s pénitences,
c o m m e n o u s e n a averti X o l r c - D a m c de Lourdes,
l'intervention de celle T o u t e - P u i s s a n c e . Cela, c'est
d a n s la possibilité de tous. Ceux q u i sont en situa­
tion d'éclairer les foules, prêtres et écrivains, o n t
de plus le devoir d e dégager la vérité chrétienne
de l ' e r r e u r révolutionnaire, el de p r é p a r e r ainsi les
voies a celui auquel le divin C œ u r confiera la grande
œ u v r e de la régénération sociale et religieuse. A ce
blasphème, c o n s t a m m e n t proféré depuis les ency­
clopédistes et m ê m e d e p u i s la Renaissance, « Nolu-
mus hune regnarc super nos ils d o i v e n t o p p o -

1. L e t t r e 3 8 , p . 7 0 ; — l e t t r e 5 8 , p. 1 1 3 ; — lettre
98, p . 1 9 8 ; — l e t t r e 1 1 1 , p. 2 1: — l e t t r e 51, p.
1 0 7 ; — l e t t r e 8 3 , p . Kï.'ï; — l e t t r e 9:*, p. 1 « 8 : —
lettre 9 5 , p. 1 9 2 ; — l e t t r e 1G, p. 1 1 9 ; — lettre 1 0 5 ,
p. 2 1 9 ; e t c . , e t c . V\<e et œuvres de la B. Marguerite-
Marie, t. I I .
4fi(5 LE RÈGNE I>E NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

s c r en tous lieux, h t o u t p r o p o s e t d e t o u t e s maniè­


r e s le m o t de suint P a u l : O P O R T E T ILLUM REGNARE.

C H A P I T R E LXXIV.

GA L L I A P ΠN I T E N S E T D E V O T A .

Plaise au Seigneur faire r e t e n t i r a u c œ u r d e la


F r a n c e l'exhortation qu'il i n s p i r a à A s a p h p o u r ra-
m e n e r à Lui le p e u p l e d'Israël.

O mon peuple, écoute mon enseignement,


prête l'oreille aux paroles de mes lèvres !
Je rais mwrir la bouche pour redire les saints can-
1iques f

publierai les leçons mystérieuses d'autrefois.


Ce que nous avons repris et retenu t

et ce que nous ont rapporté nos pères,


iïous ne le cèlerons point à leurs fils,
pour la génération nouvelle.
Aous redirons les louanges de Yaveh
et sa puissance et ses œuvres merveilleuses.
Car il établit u n e loi en J a c o b
et il inslilua u n e législation e n Israël,
El il commanda à nos pères
d'en instruire leurs enfants,
Pour qu'elle fût connue de la génération nouvelle
el que les fils qui en naîtraient
Vinssent en instruire leurs enfants à leur tour :
pour quils apprennent à mettre en Dieu leur
espérance
GA L U A. P ΠX I T E X S ET D E VOTA 467

Et que n'oubliant jamais ses œuvres,


ils restent fidèles à ses commandements :
Afin de ne point devenir comme leurs pères,
une race provocatrice el rebelle,
Une race au cœur inconstant
1
cl à Vesprit infidèle à Dieu .

Nous aussi n o u s avons été celte r a c e et nous le


s o m m e s e n c o r e . .Que d e chutes d a n s n o t r e histoire!
Mais m a l g r é ces faiblesses qui semblaient e m p o r t e r
le c o r p s entier de la F r a n c e , toujours l'esprit el le
c œ u r ont tenu bon, «et c'est p o u r q u o i Dieu a toujours
eu pitié d'elle et lui a toujours fait la miséricorde
qui, a u j o u r d ' h u i , n o u s esl p r o m i s e de nouveau.
Il n ' y a point de j o u r où Ton ne soit tenté d e
douter de l'exécution de celle p r o m e s s e . Nous som­
mes si c o u p a b l e s ! L'apostasie n'est p o i n t seulement
le fait de nos g o u v e r n a n t s . Nous, p e u p l e français,
nous leur avons d o n n é les pouvoirs nécessaires pour
perpétrer ce c r i m e q u i dépasse tout a u t r e c r i m e ;
puis n o u s a v o n s a p p r o u v é leur œ u v r e en renouvelant
leurs pouvoirs.
Quatre millions d'enfants s u r cinq s o r t e n t chaque
année de l'école, en F r a n c e , sans j a m a i s avoir en­
tendu p a r l e r de Dieu, ou s'ils o n t e n t e n d u son nom,
c'était d a n s un b l a s p h è m e . Cela aussi est n o t r e faute
à tous. Nous n ' a v o n s point fait à la loi de laïcité,
dès le principe, une opposition r a d i c a l e ; et depuis
nous avons d o n n é plein pouvoir à ceux qui l'ag­
gravent d ' a n n é e en a n n é e . Ces â m e s rachetées p a r
le sang d e Notre-Seigneur Jésus-Christ el ainsi
arrachées à son e m p i r e crient contre n o u s .
Et quoi e n c o r e ? Il y a le c r i m e qui a dù être

1. Ps. LXXVII.
4ł>8 I.K RKONK DE NOTRK-SKIONEUR JÉSUS-CHRIST

lavé une p r e m i è r e fois d a n s les eaux d u déluge :


« T o u l e c h a i r avail c o r r o m p u sa voie »
Fl ce crime est devenu si g é n é r a l ! Au lieu de
700.000 naissances (pic la F r a n c e c o m p t e acluelle-
mcnl c h a q u e année, elle devrait, d ' a p r è s les compil­
a t i o n s d'un économiste distingué, en p r o d u i r e au
inoins un million et d e m i . Que d'actes criminels
sous le voile m é m o du m a r i a g e révèle un tel écart!
lit il n'est que la manifestation sensible, p e u t - o n dire,
de l'immornlilc sous toutes ses formes, q u i règne
d a n s toutes les conditions et à tous les âges.
Kl cependant, malgré cela, quelle confiance en
elle-même, c o m m e si elle n'avait rien à c r a i n d r e !
Quelle présomption la F r a n c e n e continuc-l-ellc pas
à manifester aux yeux d u i n o n d e !
() won peuple, ne Vappuie pas sur tes richesses
El ne dis pas : u J'ai assez de biens
Pour satisfaire les désirs de mon cœur. »
El ne dis pas : « Oui sera mon maître? »
Car certainement le Seigneur te punira.
iSe dis point : « J'ai péché, et que m'cst-il arri-
\vé? u
dur si le Seigneur esl patient,
l\e sois pas sans crainte au sujet de l'expiation,
El n'ajoute pas péché à péché.
Ne. tarde pas à te convertir au Seigneur,
El ne diffère pas de jour en jour ;
Car la colère du Seigneur éclatera tout à coup,
1
Et au jour de la vengeance lu périras .
Celte d e r n i è r e menace, la m e n a c e de mort, ne
s'exécutera point, l'espérance n o u s en a été donnée,
m a i s l'annonce d u c h â t i m e n t ne n o u s a point été
cachée.

1. ISccli. V, 1-7.
GALLU PŒNITENS ET DEVOTA 469

Quelle en s e r a l a g r a v i t é ?
Cela d é p e n d d e n o t r e réponse a u x invitations
q u e la T r è s Sainte Vierge n o u s a adressées dans les
visites qu'elle a d a i g n é n o u s faire e n ces temps
mauvais : P R I È R E E T P É N I T E N C E !
Si n o u s Pécoutons, si n o u s n o u s r e n d o n s à son
exhortation, si n o u s n o u s r e p e n t o n s et si nous prions.
Une fois de plus n o u s e x p é r i m e n t e r o n s combien est
g r a n d e la m i s é r i c o r d e d e Dieu.
T o u r n o n s - n o u s d o n c vers le Seigneur et disons-
lui la prière q u ' À s a p h mettait s u r les lèvres d u peu­
ple d'Israël.

Pasteur d'Israël, prête Voreille


toi qui conduis Joseph comme un troupeau!
0 toi qui trônes sur les chérubins
fais paraître ta splendeur !
1 la vue d'Ephraïm et de Benjamin et de Manassé,
réveille ta puissance et viens nous secourir!
O E l o h i m , relève-nous
fais luire s u r n o u s ta face et n o u s s e r o n s sauvés!
1
O Yaveh Elohim Sabaoth ,
jusques à quand Virriteras-tu devant la prière
de ton peuple ?
Tu lui fais manger le pain des larmes
tu Vabreuves de pleurs à pleine mesure,
Ta fais de nous une proie que nos voisins se dis-
putent,
nous sommes la risée de nos ennemis !

1 . Seigneur, Dieu des armées, c'est-à-dire, premiè­


rement, Dieu des milices célestes, secondement, Dieu
des armées terrestres auxquelles le Seigneur donne
la victoire, ou qu'il mène à la défaite, selon les vues
de sa Providence.
L H Mission de la Bse Jeanne d'Arc. 28
470 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

O Elobini S a b a o t h , relève-nous,
fais luire s u r n o u s ta l'ace et n o u s s e r o n s sauvésI

1
Tu avais tire une vigne d'Egypte
el pour la planter lu avais chassé les nations.
Tu avais préparé le sol pour la recevoir,
elle y a jeté ses racines, el a couvert la terre :
Elle répandait son ombre jusque sur les monta-
gnes,
ses rameax ombrageaient les cèdres de Dieu,
Elle étendait ses branches jusqu'à la mer,
elle poussait ses rejetons jusqu'au grand fleuve.
Pouquoi donc as-tu renversé sa clôture
si bien que tous les passants la dépouillent,
Le sanglier de la foret la ravage
cl la bète des champs s'en repaît !

O Elohiiii S a b a o l b , reIe\e-nous,
lais luire s u r nous la face el n o u s s e r o n s sauvés!

Uelourne-toi donc et vois du haut du ciel,


regarde, viens visiter fa vigne
El ce rejeton que ta main a piaulé
el ce rameau dont toi-même lu as fait choix :
La voilà ravagée, dévorée par la flamme,
toul périt devant la colère de ta face ;
Mais étends la main sur l'homme de la droite,
sur le fds de l'homme que tu as élu !
Relève-nous et nous ne nous éloignerons plus de
toi,
rends-nous la vie et nous invoquerons ton nom!

1- J/aJlégorie de ia v i g n e pour d é s i g n e r le peuple élu


est c l a s s H p i e chez les prophètes : o n c o n n a î t le rhnnt
d e ia v i g n e d'Isaïe, V, 1-7, l'allégorie d e la vi^ue
d'Kzéehiel» X I X . e t c . , etc.
G A L U A PŒNITENS ET DEVOTA 471

O Yaveh E l o h i m S a b a o t h , relève-nous,
fais l u i r e s u r n o u s ta face et n o u s serons sau­
1
vés !

Dieu n o u s écoutera et a l o r s le c h a n t q u e David


adressa à Dieu d a n s sa r e c o n n a i s s a n c e montera d e
n o s c œ u r s s u r n o s lèvres.

J'ai tourné mon attente vers le Seigneur,


el il s'est abaissé vers moi,
et il a entendu ma voix :
Il m'a tiré de Vabîme mugissant
du bourbier fangeux.
Il a affermi ?nes pieds sur le roc,
il a rendu stable mes pas;
Et il a mis dans ma bouche un cantique nouveau,
un hymne à notre Dieu!
0 Seigneur, mon Dieu, vous avez multiplié en no-
tre faveur
vos prodiges et vos desseins bienveillants :
Nul n'est comparable à vous!
Oh! si je pouvais les redire et les publier!
mais pour les raconter leur nombre en est trop
2
grand .

Viendra alors le règne du Seigneur s u r la F r a n c e


et de la F r a n c e il se r é p a n d r a s u r le monde. Et
de louies les contrées de la terre s'élèvera ce cri
d'allégresse.

Il règne le Seigneur; il s'est revêtu de majesté,


le Seigneur s'est revêtu de majesté
8
et s'est ceint de puissance !

1. P s a u m e L X X I X .
2. P s . X X X I X .
3. P s . X C I I I .
472 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

Peuples, battez tous des mains,


acclame: ]>ien dans vos cris de jubilation :
Car le Seigneur est le très haut, le terrible,
le grand roi par toute la terre.
Dieu règne sur les tintions,
Dieu siège du haut de son trône saint.
L e s princes des peuples se réunissent
au peuple du Dieu d' \ braham.
Oui, ils se donnent à Dieu, ceux qui sont les bou-
cliers du monde,
Dieu esl souverainement grand \

C H A P I T R E LXXV.

PRÉLUDES DU RÉGNE DE NOTRE-SEIGNEUR


JÉSUS-CHRIST.

En 1870, le Concile du Vatican, a p r è s avoir défini


l'origine divine de la constitution m o n a r c h i q u e de
rEglise devail traiter des devoirs des sociétés h u m a i ­
nes envers l'Eglise et des droits de Dieu s u r ces so-
ciélés. Les événements l'en e m p ê c h è r e n t . Dieu ju­
geait que l'heure n'était pas venue.
Le 25 mai 18!)!). le Souverain Pontife Léon XIII
adressa aux P a t r i a r c h e s , P r i m a t s , A r c h e v ê q u e s Evê­
ques el autres O r d i n a i r e s en c o m m u n i o n avec le
Siège apostolique une lettre encyclique s u r la CONSÉ-
CRATION n u (SEVRÉ HUMAIN au C œ u r très s a c r é de Jé­
sus, « c o u r o n n e m e n t de tous les h o n n e u r s que Ton

1. Pu. XLVII,
PRÉLUDES DE CE RÈGNE 478

a c o u t u m e d e lui rendre, et dont il attendait, ajou-


ta-l-il. des fruits merveilleux et durables, t a n t p o u r
le n o m chrétien que p o u r la société universelle des
h o m m e s ».
E x p o s a n t les motifs d e cel acte, le Souverain Pon­
tife fait o b s e r v e r à toute la h i é r a r c h i e sacrée que :
i Ce général e t magnifique témoignage de soumis­
sion et d ' a m o u r convient tout à fait à Jésus-Christ,
car il est le Prince et le souverain Maître.
* Ce n'est pas en effet s e u l e m e n t s u r les nations
catholiques q u e s'étend son e m p i r e ; ce n'csl pas
non plus s e u l e m e n t s u r les h o m m e s purifiés dans
les eaux du b a p t ê m e et qui, à s'en tenir au droit,
a p p a r t i e n n e n t à l'Eglise, bien que des opinions e r r o ­
nées les s é p a r e n t o u q u e la d i s c o r d e les a r r a c h e à
son a m o u r . Mais le pouvoir d u Christ atteint aussi
tous ceux qui vivent en d e h o r s d e la foi chré­
tienne ».
Le g e n r e h u m a i n est donc t o u t entier sous la
puissance d e J é s u s - C h r i s t
Léon XIII d o n n e en preuves celles que nous
a v o n s exposées a u x p r e m i e r s c h a p i t r e s de ce livre.
Celui qui est le Fils u n i q u e de Dieu le Père, qui
a l a m ê m e s u b s t a n c e q u e lui, possède t o u t en com­
m u n avec Lui. Il a d o n c ainsi le p o u v o i r sou­
verain de toutes choses. Aussi a-t-il p u r é p o n d r e
à Pilate : < T u le dis, je suis r o i . et confirmer
l'universalité d e ce p o u v o i r p a r ces p a r o l e s adres­
sées aux a p ô t r e s : <. T o u t e puissance m'a été don­
née au ciel et s u r la terre ».
A ce d r o i t de naissance c o m m e Fils unique de
Dieu, Jésus-Christ joint un droit acquis. « Lui-même
nous a a r r a c h é s à la puissance des t é n è b r e s # ; lui-
nu'me s'est livré p o u r la r é d e m p t i o n d e tous . Non
seulement les catholiques, n o n s e u l e m e n t ceux qui
474 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

o n t r e ç u le b a p t ê m e c h r é t i e n , mais t o u s les hom­


m e s s a n s exception s o n t devenus p o u r lui * un
p e u p l e c o n q u i s ».
Mais à ce d o u b l e fondement d e sa puissance et
de son e m p i r e , le Christ n o u s p e r m e t avec bonté
d'ajouter, si cela n o u s plaît, la c o n s é c r a t i o n volon­
taire. U n ' o p p o s e pas le m o i n d r e refus à ce q u e nous
lui d o n n i o n s et lui c o n s a c r i o n s son b i e n , c o m m e si
n o u s en étions les m a î t r e s . N o n s e u l e m e n t il ne
le refuse pas, m a i s il le d e m a n d e : « Mon fils,
d o n n e - m o i ton c œ u r ».
« Cette c o n s é c r a t i o n q u ' à tous n o u s conseillons,
c o n t i n u e L é o n XIII, sera p o u r t o u s d ' u n grand
profit... Une telle c o n s é c r a t i o n a p p o r t e aussi aux
E t a t s l ' e s p é r a n c e d'un meilleur état d e choses. Elle
peut, e n fffet, é t a b l i r et r e n d r e p l u s étroits les
liens qui, d a n s l ' o r d r e n a t u r e l , unissent à Dieu les
affaires p u b l i q u e s >\
Elle était p a r t i c u l i è r e m e n t indiquée en ces der­
niers temps surtout. N o t r e Saint-Père le P a p e , lors­
qu'il n'était e n c o r e q u ' é v o q u e d e Mantoue, avait com­
pris cette o p p o r t u n i t é . L e 11 juin 1889, il disait dans
Tune de ses Lettres pastorales : * N o u s voulons, ô
divin Roi, q u e vous .soyez le Maître d e tout. Nous
reconnaissons et p u b l i o n s votre s o u v e r a i n empire
et votre droit absolu d e régner. N o u s reconnaissons
et p u b l i o n s vos d r o i t s s u r la société et n o u s dé­
sirons qu'ils soient solennellement r e c o n n u s de toute
la terre. »
Devenu cardinal et p a t r i a r c h e de Venise, il udivssa
un j o u r à des F r a n ç a i s , ces paroles r a p p o r t é e s par
M. Félix d e Rosnay : « N'est-ce pas p o u r protester
contre la méconnaissance de ses droits h la royauté
mondiale que le Sacré-Cœur est a p p a r u à la Bien­
h e u r e u s e Marguerite-Marie Alacoque, et qu'il a dit
PRÉLUDES DE CE RÈGNE 475

ces p a r o l e s si pleines d'espérances et d e réconfort :


« J e veux r é g n e r et j e r é g n e r a i malgré Satan et
tous ceux q u i voudraient s'y o p p o s e r »
Au c o n g r è s d e Venise, le futur P a p e dit encore :
« L e Christ est roi, et il i m p o r t e d e le r a p p e l e r
au t e m p s o ù n o u s sommes. Il est roi non seule­
ment des individus et des familles, mais des socié­
tés, des n a t i o n s et des peuples, e.t c o m m e tel, il doit
régner ».
Cela est plus nécessaire que j a m a i s , aujourd'hui,
que se d r e s s e plus h a u t le m u r élevé entre l'Eglise
et la sociélé civile, où d a n s la constitution et l'admi­
nistration des Etats, on ne c o m p t e p o u r rien l'au­
torité d u droit sacré et divin, o ù on a p o u r b u t d'en­
lever à la religion toute influence s u r le cours d e
la vie civile, d e faire d i s p a r a î t r e l a foi du Christ
d a n s la société, et si c'était possible d e chasser
Dieu lui-même de la terre. « L o r s q u e les esprits
s'enflent d ' u n tel orgueil, est-il s u r p r e n a n t q u e la
plus g r a n d e p a r t i e d u genre h u m a i n soit livrée à
des troubles politiques et ballottée p a r des flots qui
ne laissent p e r s o n n e à l'abri d e la crainte et d u
danger. Les m a u x i n n o m b r a b l e s q u i depuis long­
temps n o u s accablent, n o u s forcent à d e m a n d e r le
secours de c e l u i q u i seul a la p u i s s a n c e de les r e ­
pousser, Jésus-Christ, Fils u n i q u e d e Dieu \ II n ' y
a nul a u t r e n o m d o n n é a u x h o m m e s p a r lequel
n o u s puissions être sauvés.
» Il faut d o n c r e c o u r i r à Celui qui est « la Voie,
la Vérité et la Vie », r e c o n n a î t r e s a souveraine au­
torité et se r e p l a c e r sous elle. « L e s richesses de la
paix r e p a r a î t r o n t l o r s q u e t o u s r e c e v r o n t joyeuse­
ment l ' a u t o r i t é du Christ et s'y s o u m e t t r o n t , lors-

1. Vérité française, 5 et 6 août 1903.


La Mission de la Bse Jeanne d'Arc 28 bis
47*î Ï.E RÈGNE DE NOTHK-SKTGNEUR T
JKST S-CHRIST

q u e t o u t e langue confessera q u e le S e i g n e u r Jésus-


Christ est dans la gloire d e Dieu s o n P è r e ».
En a d r e s s a n t cette L e t t r e à t o u t le m o n d e catholi­
que, Léon XIII y. joignit u n e f o r m u l e de consécra­
tion a u S a c r é - C œ u r d e Jésus, e n j o i g n a n t de la réci­
ter d a n s l'église principale d e c h a q u e ville et dans
l'église de c h a q u e localité a p r è s t r o i s j o u r s d e prières
publiques.
La g r a n d e u r , l ' i m p o r t a n c e d e cet a c t e ont-elles
été c o m p r i s e s ? N o u s n'oserions l'affirmer a p r è s avoir
été t é m o i n d u peu d ' e m p r e s s e m e n t a v e c lequel on
s'y est p o r t é , du p e u de dévotion avec lequel il a été,
g é n é r a l e m e n t p a r l a n t , accompli.
Quoi qu'il en soit, Sa Sainteté Pic X, p a r décret
Urbis et Orbis, d u 22 a o û t 1906, o r d o n n a q u e cha­
q u e année, en la fête d u S a c r é - C œ u r de Jésus, cet
acte d e c o n s é c r a t i o n fût renouvelé, d a n s toutes les
églises paroissiales et a u t r e s églises, en présence du
T r è s Saint Sacrement présenté à l'adoration d u cler­
gé et des fidèles.
La consécration d u genre h u m a i n a u Sacré-Cœur
de Jésus est d o n c d e v e n u e d e n o s j o u r s un fait
universel et p e r m a n e n t . Cela n'a p u cire q u e par
u n e disposition divine, et la coïncidence d e ce fait
avec la c a n o n i s a t i o n de J e a n n e d ' A r c et la vul­
garisation d e s o n enseignement s u r la royauté du
Christ, fail espérer, et attendre une manifestation
de la miséricorde divine qui s u r p a s s e r a toute* celles
que l'histoire a enregistrées, si l'on excepte l'œuvre
de la Rédemption.

Cet espoir est encouragé, fortifié p a r c e qui se


passe actuellement.
Le 28 j u i n 1911, le Congrès e u c h a r i s t i q u e inter­
national t e n u à Madrid a formulé le v œ u suivant
PRŹLUDKS DE CE RÈGNK 477

r Que d é s o r m a i s dans tous les Congrès eucha­


ristiques, soient étudiés, d'une façon spéciale, les
m o y e n s d ' o r g a n i s e r le culte social et public de
Notre-Seigneur Jésus-Christ chez c h a q u e peuple, d e
m a n i è r e a faire r e c o n n a î t r e et p r o c l a m e r p a r cha­
c u n d'eux, la souveraineté q u i lui appartient s u r
t o u t e s les n a t i o n s
Deux m o i s plus tard, les évêques de Belgique,
d a n s u n e lettre pastorale collective, prescrivirent au
clergé e t a u x fidèles de réaliser sans retard le
vœu du congrès. La m ê m e a n n é e , le cardinal Mer­
cier, a u c o n g r è s des catholiques d u Nord à Lille, s'é­
criait : « L a F r a n c e , t e r r e des initiatives, fut la p r e ­
m i è r e à p r o c l a m e r la déchristianisation officielle des
Etats. Les a u t r e s nations suivent dans ce chemin
de l'apostasie. Que vos q u a t r e vingt-six diocèses et
vos trente mille paroisses, d a n s u n même a m o u r
p o u r Jésus-Christ, s'unissent e n u n e ligue catho­
lique de r é p a r a t i o n n a t i o n a l e ! Qu'elle serait belle
n o t r e p r o c l a m a t i o n des droits de Dieu! »
Au c o n g r e s diocésain de P a r i s qui s'ouvrit peu
a p r è s fut émis le vœu suivant :
« Il sera p r o c é d é le plus tôt possible, en France,
à l'organisation d'une Œ u v r e d'Adoration Répara­
trice Nationale, a y a n t p o u r o b j e t de r e n d r e à Notre-
Seigneur Jésus-Christ, Roi des Nations, le culte pu­
blie et social auquel il a droit d e la part de tous
les peuples, et de r e c o n n a î t r e ainsi les droits qui lui
a p p a r t i e n n e n t , p a r t i c u l i è r e m e n t s u r la F r a n c e
En exécution de ce vœu, le c a r d i n a l Amette écri­
vit a ses collègues les a r c h e v ê q u e s et évêques de
F r a n c e une lettre où il disait :
« Nulle a u t r e nation ne s e m b l e , en effet, avoir
plus de r a i s o n s d'offrir à Notre-Seigneur Jésus-Christ
cet h o m m a g e réjiaratcur. D'une p a r t , Notre-Seigneur
478 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

a des d r o i t s t o u t p a r t i c u l i e r s s u r l a F r a n c e , dont
11 avait fait la fille a î n é e d e s o n Eglise e t l'instru­
m e n t de ses œ u v r e s d a n s le m o n d e , et d ' a u t r e p a r t
la F r a n c e est peut-être la n a t i o n q u i , c o m m e telle
et officiellement, s'est le plus t o t a l e m e n t séparée
de Lui, qu'elle affecte d e ne plus m ê m e c o n n a î t r e ».
En conséquence d e ces actes a été exprimée la
pensée d e d o n n e r à l'adoration qui se célèbre cha­
que a n n é e d a n s nos diocèses u n c a r a c t è r e plus ex­
p r e s s é m e n t n a t i o n a l et r é p a r a t e u r . P o u r b i e n m a r ­
q u e r cette intention, on a p r o p o s é d ' a j o u t e r a l'acte
d ' a m e n d e h o n o r a b l e et d e consécration, q u i se récite
p a r t o u t , au j o u r d e l'adoration, q u e l q u e s p h r a s e s
r e c o n n a i s s a n t les d r o i t s de N o t r e - S e i g n e u r Jésus-
Christ sur la F r a n c e , Lui d e m a n d a n t p a r d o n de
l'apostasie officielle q u e nous déplorons, et L e sup­
pliant de rétablir son règne d a n s n o t r e p a y s p a r
la foi en sa d o c t r i n e et p a r l'obéissance à ses lois.
Cet appel fut entendu. P r e s q u e t o u s les évoques
de F r a n c e a d r e s s è r e n t à leurs ouailles des lettres
pastorales p r e s c r i v a n t q u e l'Adoration perpétuelle
se fasse d é s o r m a i s en union avec le s a n c t u a i r e de
M o n t m a r t r e , e t d a n s ce b u t nettement d é t e r m i n é de
r é p a r a t i o n n a t i o n a l e et d ' h o m m a g e a u Roi des rois.
Cet h o m m a g e deviendra peut-être international
d'ici peu de t e m p s . C'esl en effet ce qui a été
p r o p o s é au congrès eucharistique i n t e r n a t i o n a l tenu
d a n s la capitale de l'Autriche.
« En présence de la guerre déclarée à l'Eglise,
a u Saint-Siège, au sacerdoce, aux c o n g r é g a t i o n s reli­
gieuses et à l'éducation c h r é t i e n n e , o n a établi à
M o n t m a r t r e , sous le n o m d'Adoration perpétuelle
el universelle, u n e vaste union d e p r i è r e s entre les
diocèses, les vicariats apostoliques, les p r i n c i p a u x
sanctuaires, les paroisses, les s é m i n a i r e s , les coin-
QUE RËSTE-T-IL A FAIRE ? 479

m u n a u t é s religieuses, les écoles chrétiennes et les


œ u v r e s o u institutions catholiques du m o n d e en­
tier, afin d ' a t t i r e r la protection divine sur les grands
intérêts d e J é s u s en ce m o n d e e t d'obtenir son
r è g n e universel ».
Enfin, c o m m e dernier vœu exprimé, il y aurait
la fête d e la r o y a u t é de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Elle p o u r r a i t être célébrée p a r toutes les nations dans
le m ê m e s e n t i m e n t d ' h o m m a g e national et univer­
sel r e n d u p a r tous les peuples, a c c l a m a n t d'un m ê m e
c œ u r la souveraineté universelle d u Fils de Dieu
fait h o m m e , d u divin R é d e m p t e u r et du souverain
Prêtre.

CHAPITRE LXXVI.

QUE RESTE-T-IL A FAIRE ?

La consécration d u genre h u m a i n au Cœur Sacré


de Jésus, Souverain Maître d e toutes choses, Roi
des n a t i o n s et P r i n c e d e l ' h u m a n i t é en c h a c u n de
ses m e m b r e s , est donc chose faite. Elle a été opé­
rée en 1899, p a r Celui qui a été constitué le Pon­
tife s u p r ê m e .
A sa voix, au m o u v e m e n t d e son c œ u r se sont
associées toutes les Eglises Catholiques p a r leurs
évoques et l e u r s prêtres, siégeant au milieu de leurs
fidèles.
Depuis 1906, p a r Tordre de Pie X, cet acte ac­
compli p a r son prédécesseur, L é o n XIII, est r e ­
nouvelé c h a q u e a n n é e s u r t o u t e la surface d u monde.
T
480 LE RÈGNE OK NOTRE-SEIGNEUR JÉST S-CHRIST

Il faul c e p e n d a n t r e c o n n a î t r e qu'il n ' a pas eu,


à son principe, el qu'il n'a point, aux renouvelle­
ments annuels qui en sont faits, la m a j e s t é qu'il
c o m m a n d e . L e s peuples n e s'y sont point associés
avec l ' e n t h o u s i a s m e qu'il a u r a i t d û susciter, et le
clergé l u i - m ê m e s'y est porté, p e u t - o n dire, sans
élan.
P o u r q u o i cela?
Disons-le franchement.
C'est q u e cette consécration n'a été j u s q u ' i c i qu'un
acte de la société religieuse, s a n s le c o n c o u r s de
la société civile.
Même chez les catholiques, c'est le fidèle, fils
de l'Eglise, et n o n le citoyen, fils de la F r a n c e , qui
y a pris p a r t c o m m e tel.
Il y a là un défaut, c o n t r a i r e aux volontés expri­
mées p a r Noire-Seigneur à la B i e n h e u r e u s e Margue­
rite-Marie et aux enseignements d o n n é s p a r la sainte
Pucelle, c o n t r a i r e aussi à la n a t u r e des choses.
L o r s q u e la sainte Pucelle voulut q u e la F r a n c e re­
c o n n û t la suzeraineté d e Notre-Seigneur Jésus-Christ
et s'y s o u m î t d e nouveau, elle s'adressa au roi. C'est
le roi qui fit Pacte de vasselage qu'elle avait mis­
sion de lui d e m a n d e r .
L o r s q u e Notre-Seigneur Jésus-Christ v o u l u t la con­
sécration de la F r a n c e à son S a c r é - C œ u r , il ne de­
m a n d a point à la Bienheureuse Marguerite-Marie
d'exposer son désir au peuple d e F r a n c e , il lui
dit de s'adresser à son roi. C'est le souverain fpii
doit se p r o s t e r n e r devant le Symbole d e la Bonté di­
vine auquel un temple a u r a été é r i g é ; c'est le souve­
rain qui doit venir lui faire h o m m a g e en présence de
ses sujets, puis a r b o r e r devant eux et d e v a n t l'en­
nemi le signe permnnc.it de la vassalité q u e cet hom­
mage proclame.
QUE RŁSTE-T-IL A FAIRE? 481

Cela n ' a point été fait, n'a pu être fait jusqu'ici,


et c'est p o u r q u o i la Consécration au C œ u r Sacré
de J é s u s n ' a p:>int encore p r o d u i t les effets qu'elle
appelle, — et c'est p o u r cela aussi que le peuple
n'y a point pris l'intérêt qu'il devait y prendre, car
il n ' a t t a c h e d'ordinaire aux choses que l'importance
qu'il voit ses supérieurs y m e t t r e eux-mêmes.
Quand m ê m e il se fut p o r t é en foule dans les
églises, le c œ u r plein d'une sainte dévotion, la Con­
sécration n'eût point été p l e i n e m e n t ce qu'elle devait
être. Un acte produit p a r les membres, alors q u e
la tête, absente, n'a pu y présider, est un acte qui
m a n q u e de coordination et qui, p a r conséquent,
ne p r é s e n t e point la valeur qu'il doit avoir, qu'il
aurait eue sous l'inspiration et l'impulsion du chef.
Quelques m o t s de théologie, ou plutôt de philoso­
phie c h r é t i e n n e le feront c o m p r e n d r e .

La n a t u r e h u m a i n e diffère de celle des anges.


A chacun des anges Dieu a d o n n é une nature spéci­
fique, de telle sorte qu'ils se distinguent l'un de
l'autre, p a r leur essence el leur n a t u r e même.
Il n'en esl p a s ainsi des h o m m e s . Ils reçoivent
p a r la génération, sous les notes particulières qui ca­
ractérisent les races, les familles el les individus, une
humanité identique en tous. C'est ainsi que la n a t u r e
déchue d'Adam, père des h o m m e s , se retrouve en tous
ses descendants. Privé, p a r son péché, de la grace
qui complétait sa n a t u r e , il n e t r a n s m i t à ses en­
fants q u ' u n e n a t u r e n ' a y a n t p a s droit a la grâce.
Cela n'est point, si l'on peut p a r l e r ainsi, un ca­
price divin, l'effet d'une volonté arbitraire, mais la
conséquence de la génération qui ne donne à l'en­
gendré que ce que le g é n é r a t e u r possède.
482 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST

II y a d o n c e n t r e les h o m m e s u n e s o l i d a r i t é qui
n'existe p a s d a n s le m o n d e angélique.
Cette solidarité en Adam existe a u s s i en Jésus-
Christ, m a i s s u r un a u t r e fondement. A l ' h u m a n i t é
d é c h u e p a r la faute de son chef a été d o n n é , p a r
la miséricorde divine, u n a u t r e chef, d e q u i n o u s
p r o c é d o n s p a r une génération nouvelle, d a n s les
eaux du b a p t ê m e .
Ce chef, qui g a r d e la plénitude d u p o u v o i r sur
l ' h u m a n i t é rachetée, a voulu le diviser d a n s son
exercice.
Il s'est donné, d a n s l ' o r d r e des choses spirituelles,
un Vicaire a y a n t p o u v o i r de p a r l e r e t d'agir en son
n o m : c'esl le successeur de saint P i e r r e , c'est le
P a p e , P è r e d e l ' h u m a n i t é régénérée. C'était hier
Léon XIII, c'est a u j o u r d ' h u i Pie X.
Il s'est aussi donné, d a n s l ' o r d r e des choses tem­
porelles, des lieu tenants, les princes des nations.
Que toute Ame soit soumise aux a u t o r i t é s supé­
rieures, car il n'y a p o i n t d ' a u l o r i l é q u i n e vienne
de Dieu, et celles qui existent o n t été instituées p a r
Lui »
Au P a p e l'autorité spirituelle, a u x p r i n c e s l'au­
torité temporelle. L'Eglise a son chef, les nations
o n t leurs chefs. E u x aussi r e p r é s e n t e n t Dieu a u p r è s
d e leurs peuples et ils r e p r é s e n t e n t l e u r s peuples
a u p r è s de Dieu. C'est au nom de Dieu qu'ils exer­
cent l'autorité s u r les nations, et il l e u r a p p a r t i e n t de
p a r l e r à Dieu au nom de leurs sujets.
De la sorte, il est aisé d e c o m p r e n d r e :
1« Combien il convenait que la consécration au
C œ u r de Jésus fût faite collectivement, c o m m e l'a
voulu Léon XIII, et pas seulement individuellement.
2° Combien il convenait q u e cette consécration

1. Ad Rom., XIII, I.
QUE RESTE-T-IL A FAIRE ? 483

collective fût faite p a r les chefs de r h u m a n i l é cl p a r


les m e m b r e s , e n union avec e u x ; les chefs, c'est-
à-dire le P r i n c e spirituel, le P a p e , el les princes tem­
porels p r é p o s é s à la tôle des nations.
3« J u s q u ' à p r é s e n t ces d e r n i e r s n'y ont point p r i s
p a r t L ' A u t o r i t é religieuse a p r o n o n c é l'acte de con­
sécration d u genre h u m a i n au Souverain Roi, l'au­
torité politique et civile a négligé d'y joindre sa
voix et son c œ u r . Les p r i n c e s des peuples se sont
a b s t e n u s et s'abstiennent. E l c e p e n d a n t Notre-Sei­
g n e u r d a n s ses c o m m u n i c a t i o n s à la Bienheureuse
Marguerite-Marie a e x p r e s s é m e n t réclamé leur con­
c o u r s : « Il (le divin C œ u r ) désire entrer avec p o m ­
pe et magnificence d a n s la maison des princes et
des rois, p o u r y être h o n o r é autant qu'il a été
o u t r a g é ».
4° P o u r q u e l'acte de consécration prononcé en
1899, et r e n o u v e l é c h a q u e a n n é e au pied des autels,
soit achevé, p o u r qu'il ait d e v a n t Dieu toute sa va­
leur et tout son mérite, p o u r qu'il ait chez n o u s
loule son efficacité, il faul l'entente et la colla­
b o r a t i o n des deux a u t o r i t é s : de l'autorité spirituelle
résidant d a n s les Papes, el d e l'autorité temporelle
résidant d a n s les princes, investis de l'autorité ins­
tituée en Adam el restauré? d a n s le C h r i s t Tous les
princes d e la terre sont appelés à souscrire à la
donation faite p a r le chef de la société spirituelle.
Voilà ce qui reste à faire.
Et l'initiative, nous s e m b l e - L i t doit en être prise
p a r le chef, p a r le roi de F r a n c e , ("est au roi de
France que Notre-Seigneur s'adressa par r e n t r e -
mise d e J e a n n e d'Arc, lorsqu'il voulut faire recon­
naître à n o u v e a u sa souveraineté outragée p a r P h i -
lippe-le-Bel. C'esl également au roi de France qu'il
s'adresse p a r l'entremise de la B. Marguerite-Marie.
484 LE RÈGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

lorsqu'il exige la c o n s é c r a t i o n à son divin C œ u r :


« Fais-le savoir a u fils a î n é de m o n S a c r é - C œ u r ».
Il doit d o n n e r l ' e x e m p l e : aux a u t r e s d e l'imiter et
de le suivre.
Si ce désir de Notre-Seigneur esl e x a u c é , si les
c h e f s des peuples c o n s a c r e n t au Sacré C œ u r de Jésus
les nations auxquelles ils président, c o m m e les P a p e s
Léon XIII et P i e X l'ont fait el le font p o u r t o u t le
genre h u m a i n , fidèles et infidèles *, c'est l ' h u m a ­
in lé tout entière qui viendra faire h o m m a g e ù
l'Ilommc-Dicu. Roi des rois. Et a l o r s c'esl l'in­
fidélité d'Adam d é s a v o u é e ; c'est la R é d e m p t i o n ac­
c e p t é e ; c'est le règne du divin R é d e m p t e u r s u r loul
le genre h u m a i n i n a u g u r é p o u r être c o n t i n u é , a p r è s
r é p r e u v e de dix-neuf siècles el la tentation de cinq
siècles, le n o m b r e de j o u r s que toute créature
ignore et (pic < le Père a fixés de sa p r o p r e au-
torilé »
P o u r q u o i ce choix du roi de F r a n c e p o u r p r e n d r e
Tiniliative d'un acte qui doit e m b r a s s e r la terre
e n t i è r e ? Notre-Seigneur le dit : c'est le fils aîné.
A lui d ' e n t r a î n e r les puînés. Dans la p e r s o n n e de
Clovis, le roi d e F r a n c e a été le p r e m i e r à donner
sa nation au Christ, à la placer sous sa loi, à la
m e tire à son service : Gos la Dci per Francos. El
Jésus-Christ, p a r Ponction de la sainte a m p o u l e , a
élevé l'autorité du roi de F r a n c e a un o r d r e supé­
r i e u r à celui que les princes ont h é r i t é d u père du
genre h u m a i n . Grâce au sacre, le roi d e F r a n c e n'est
pas seulement le chef de son peuple c o m m e le sont
les autres princes, il esl le lieutenant du Roi des
r o i s ; c'est d o n c bien j u s t e m e n t si lui de préférence
1. \ o i r IM'jîcvc.liciiU' \\v Léon XIII du 2ii mai 1NU0
H, du Dén-î'l de f i e X du 22 a »iïl 11MMÎ.
2. A d o s des Apôtres, 1, 8.
QUE- R E S T E - T - I L A FAIRE? 485

à tout a u t r e q u e le Seigneur des seigneurs s'adresse


p o u r l'inviter à p r e n d r e l'initiative de ce qu'il veut
o b t e n i r d e tous.

C o m m u n i q u a n t à sa S u p é r i e u r e la révélation qui
lui avait été faite de ce divin dessein, la Bienheu­
reuse lui écrit : Vous aurez sujet, ma bonne Mère,
de rire d e m a simplicité à vous dire tout cela, x
Combien s e r o n t aussi tentés de rire à la lecture
de l'exposé qui en est fait i c i ! Comment croire que
la F r a n c e redeviendra m o n a r c h i q u e , que son r o i
d e m a n d e r a le sacre, q u e p a r le sacre il v o u d r a r e ­
c o n n a î t r e et déclarer qu'il est le ministre de J é s u s -
Christ p o u r le bien, el q u e son exemple e n t r a î n e r a
Jes p r i n c e s des autres n a l i o n s à r e c o n n a î t r e la su­
zeraineté de Nolrc-Seigneur Jésus-Christ el à s'y
soumettre !
F t cependant, la m ê m e voix a rendu cel oracle-:
* Il régnera, ce divin C œ u r , malgré tous ceux q u i
v o u d i o n l s'y opposer, et Satan d e m e u r e r a confus
avec tous ses adhérents > « Les g r a n d s desseins
t

peuvent ê t r e exécutés par la Toute-Puissance, qui


peut tout ce qu'elle veut
N'assislons-nous point déjà à des événements dont
la prédiction, il y a q u e l q u e s années seulement,
eût été accueillie par la risée p u b l i q u e ?
Un protestant, fils d'un a r c h e v ê q u e anglican, so.ti
d u schisme et devenu p r ê t r e catholique, vient de
publier un livre dont le d e r n i e r chapitre est inti­
t

tulé : L A R É S U R R E C T I O N . N o u s y lisons : « J a m a i s
il n'y a eu d ' é p o q u e où la dévotion.— et nous p a r l o n s
ici de la dévotion dans sa forme la plus pratique, ci
en ce qu'elle s'adresse à ce que le monde considère
c o m m e le c o m b l e de la folie catholique • nous
186 LE RÈGNE DE NOTRÉ-SEIGNiiUR JÉSUS-CHRIST

a v o n s n o m m é le Saint S a c r e m e n t d e l'autel — a
été plus intime et plus vive.
» Ceux qui étaient présents à L o n d r e s , il y a deux
ans, l o r s d u Congrès e u c h a r i s t i q u e , o n t c e r t a i n e m e n t
d û le r e m a r q u e r . Non s e u l e m e n t u n e foule immense
v e n u e d e tous les points d e l ' E u r o p e e n c o m b r a i t les
r u e s de la capilale (la capitale du p a y s , qui, il y a
q u e l q u e s a n n é e s encore, c o n d a m n a i t à la peine de
m o r t l e p r ê t r e q u i s e r a i t s u r p r i s à d i r e l a messe)
au point d'y r e n d r e la circulation p r e s q u e impos­
sible, m a i s la vieille Constitution anglaise en fut
elle-même p r o f o n d é m e n t troublée. Il est évident q u e
d ' a u t r e s sociétés a u r a i e n t p u e m b a r r a s s e r les hom­
m e s politiques d'alors et b l o q u e r la r u e Victoria,
niais je suis certain q u e nulle a u t r e n ' a u r a i t pu
soulever un tel sentiment d ' a m o u r et d ' a d o r a t i o n
d'une p a r i , de f u r e u r et d'angoisse de l ' a u t r e , à
1
l'occasion d ' u n e pelile chose loule b l a n c h e . . .
» Nous a t t i r o n s l'attention des lecteurs s u r ce fait
q u e le Congres e u c h a r i s t i q u e d e L o n d r e s en 1908,
f-elui de Cologne en 15)09, à la veille d u q u e l le
légat d u P a p e r e m o n t a le Rhin, s a l u é p a r le gron­
d e m e n t d u c a n o n et le carillon des cloches, et en­
fin le Congrès de Montréal en 1910, ( n o u s pouvons
ajouter a u j o u r d ' h u i celui de Madrid, celui de Vienne
el celui de R h o d e s , eu a t t e n d a n t celui d e Lourdes),
ont eu p o u r but, n o n d e discuter s u r le dogme
de l'Eucharistie, ni s u r la m a n i è r e d o n t il doit être
interprété, m a i s uniquement d e r e n d r e h o m m a g e à
celle vérité c a t h o l i q u e q u e Jésus-Christ, Dieu et
h o m m e , a pris d u pain pour en faire son corps.
Ces manifestations grandioses ont s e u l e m e n t voulu
affirmer que la n a t u r e h u m a i n e , née de Marie, cru-
1. Les fidèles savent ce que cache cette apparence; et
notre foi émeut les infidèles en bien ou en mal.
QUE RESTE-T-IL A FAIRE ? 487

cifiée a u Calvaire el ressuscitée le j o u r de Pâques,


il y a p r è s de deux mille a n s , est aujourd'hui p r é ­
sente sous la forme d ' u n e hostie a Londres, à Co­
logne, à Montréal et d a n s le m o n d e tout entier,
p a r t o u t o ù il y a une église catholique et un taber­
nacle. Une p é r i o d e où se r a s s e m b l e n t des congrès
si i m p o r t a n t s q u i parviennent à réunir, pour glo­
rifier ce dogme, des foules aussi considérables, et
d a n s ces foules, des h o m m e s d e science, des docteurs,
des p h i l o s o p h e s , des r e p r é s e n t a n t s d e la justice et
du b a r r e a u , des h o m m e s d'affaires el des m a r c h a n d s ,
aussi bien que des femmes, des enfants, et tous ceux
qui, p a r la p u r e t é native d e leur cœur, trouvent
Dieu s a n s effort et vont d i r e c t e m e n t à Lui, n'est
pas l'époque qu'il faut choisir p o u r affirmer la dé­
cadence de R o m e ».
N o u s ajouterons : elle n ' e s t p a s celle non plus
qu'il faut choisir p o u r déclarer impossible et ir­
réalisable la déclaration p u b l i q u e de l'universelle
r o y a u t é d u Fils d e Dieu fait H o m m e , puisque cet
H o m m e - D i e u sail se faire ainsi a d o r e r sur tous les
points d u globe, d a n s les capitales des plus grands
empires, m ê m e des e m p i r e s qui se sont séparés de
son Eglise; et cela, sous le voile des a p p a r e n c e s d'un
fragment d e p a i n .

Il y a q u e l q u e s mois, l'Allemagne fêtait le vingt-


c i n q u i è m e a n n i v e r s a i r e de l ' a v è n e m e n t de Guillau­
me II à r e m p i r e . Or, voici ce qu'écrivait h cette
occasion M. L é o n c e Bcaujcu,: « Sa Maison est loin
d'clre aimée. Elle ne jouit pas de celte vénération
dont les peuples e n t o u r a i e n t j a d i s n o t r e Maison ca­
pétienne. On r a p p e l l e les origines p e u édifiantes des
Hohenzollern. Il a fallu à Guillaume II un don
personnel p o u r devenir le s o u v e r a i n le plus po-
488 I-K R È G N E T)E N O T R É - S È I G N É U R JESUS-CHRIST

p u l a i r c (le m o l n'est p a s excessif) d u m o n d e entier ».


Quel esl ce d o n ? Le voici : « De tous les souve­
r a i n s qui régnent d a n s le inonde et qui participent
de la civilisation occidentale, Guillaume II est celui
qui a su p a r l e r le langage le plus r o y a l . C'esl ainsi
q u ' a u x yeux de l ' h u m a n i t é p r é s e n t e , il est devenu
le type du m o n a r q u e . »
Quel est ce langage, le plus r o y a l q u i soit, et
q u i a fait d e Guillaume II le type d u m o n a r q u e ? M.
Léonce Bcaujeu r é p o n d - : « C'est p a r la foi, l'élé­
vation, l'éloquence t o u t e religieuse avec laquelle il
a su p a r l e r de son autorité, d e s e s d e v o i r s envers
Dieu et envers son peuple, q u e G u i l l a u m e II a
réussi à devenir u n e des plus g r a n d e s figures du
temps présent. II no craint pas d'affirmer q u ' é t a n t
1
e m p e r e u r et roi, il est - l ' i n s t r u m e n t d u S e i g n e u r * .
Il p r o c l a m e bien h a u t qu'il tient sa c o u r o n n e « de
la grfice de Dieu ». Pour avoir dit ces choses bien
haut, avec fierté et avec ferveur, et p a r c e que ses
p a r o l e s r e n d e n t un son qui, chez les m o n a r q u e s
d e sa race, n'avait p a s encore été c i tendu, Guil­
l a u m e II a fini p a r r e p r é s e n t e r l'idée d e la .souve­
raineté a u x yeux des peuples. *
Guillaume II est protestant. Il n'a rien s u r quoi
puisse s'asseoir solidement sa foi chrétienne. Il rè­
gne s u r u n p e u p l e qui va de plus en p l u s rapidement
d u protestantisme libéral au n a t u r a l i s m e . Lui-même,
q u a n d il p a r l e des g r a n d s h o m m e s en qui Dieu
s'est révélé, ne m a n q u e j a m a i s de citer : Luther,
Kanl, Gœlhc, cl autres de même d o c t r i n e et de même
moralité. E l cependant, son langage frappe, parce
qu'il reste au fond des âmes les plus oublieuses
de ce qu'elles sont, de ce q u ' o n t été l e u r s pères, un

1. U dit même le valet de Dieu : Knecht Grottes.


QVK UESTK-T-IIi A FAIRE ? 489

point atavique s u r lequel r é s o n n e toute parole


chrétienne.
Qu'arriverait-il si u n e p a r o l e absolument c a t h o ­
lique, u n e p a r o l e à la J e a n n e d'Arc, sortait d u c œ u r ,
r é s o n n a i t s u r les lèvres d u r o i d e F r a n c e ?

Ces d e r n i è r e s pages étaient sous presse, lorsque


Y Osservatorc Romano publia u n discours prononcé à
Milan, p a r Mgr Anastasio Rossi, archevêque d'Udine,
à l'occasion d e la célébration d u centenaire de la
paix c o n s t a n t i n i e n n e .
Après avoir dit q u e redit d e Milan n e concéda p a s
à l'Eglise u n e simple tolérajice, m a i s lui octroya la
liberté, c'est-à-dire, la jouissance entière d e s m o y e n s
d e r e m p l i r sa mission et d'agir e n société parfaite
et i n d é p e n d a n t e , le prélat en vint à p a r l e r d e l a
condition faite actuellement à l a P a p a u t é . Il d i t
que. sans l ' i n d é p e n d a n c e du P a p e , la liberté d e
l'Eglise n ' e s t p a s m ê m e concevable, q u e p e n d a n t
plus d e mille a n s , cette i n d é p e n d a n c e se trouva a s ­
surée p a r le p r i n c i p a l civil d e s P a p e s . Elle n e l'est
pas p a r la loi dite des g a r a n t i e s . N e pourrait-elle
l'être p a r r i n t e r n a l i o n a l i t é d ' u n e loi des garanties
revue, corrigée et placée sous le contrôle d e s P u i s ­
sances, toutes plus ou moins intéressées a u maintien
de l a liberté pontificale?
Ces choses n e furent p a s dites explicitement, m a i s
plutôt suggérées à l'esprit d e s a u d i t e u r s et d e tous
ceux à q u i p a r v i e n d r a i t ce d i s c o u r s q u i eut u n g r a n d
retentissement.
Si, a p r è s l a crise politique et sociale, e u r o p é e n n e
et m o n d i a l e q u i s'annonce, les chefs d e s peuples e t
les p e u p l e s e u x - m ê m e s assagis, s'entendaient p o u r
réaliser u n tel projet, le P a p e p r e n d r a i t , p a r le
fait même, u n e situation q u i le m e t t r a i t d a n s un r a n g
La Mission tle la Bse Jeanne d'Arc. 29
490 LE RÈGNE D E NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

à p a r t , qui le p l a c e r a i t d a n s u n o r d r e s u p é r i e u r d e
s o u v e r a i n e t é . Il s e r a i t ainsi désigné p o u r r e m p l i r le
rôle d ' a r b i t r e e n t r e les n a t i o n s , et faire r é g n e r la
p a i x ; il p o u r r a i t r e p r e n d r e a u p r è s d e s P r i n c e s chré­
tiens l'exercice d u p o u v o i r i n d i r e c t q u i découle de
sa q u a l i t é de Vicaire d e Jésus-Christ et qui lui était
r e c o n n u au m o y e n Age; toutes choses qui con­
t r i b u e r a i e n t p u i s s a m m e n t à faire r e n t r e r la civilisa­
tion d a n s les voies q u e lui a o u v e r t e s le divin R é ­
dempteur.
Constantin c o n v o q u a un j o u r le p e u p l e r o m a i n
d a n s la basilique Ulpienne, il se p l a ç a d a n s l'abside
et a d r e s s a ces p a r o l e s à l'assemblée :
Les funestes divisions des e s p r i t s n e peuvent
avoir une h e u r e u s e fin, tant que n u l r a y o n d e la p u r e
l u m i è r e de la vérité n'a éclairé ceux q u ' e n v e l o p p e n t
les ténèbres d ' u n e ignorance p r o f o n d e . Il faut donc
ouvrir les yeux d e s â m e s . Que le Seigneur unique
cl vrai, qui règne d a n s les cieux, soil seul a d o r é ! . . »
Alors la voix d u p e u p l e éclata el fil entendre,
d u r a n t l'espace d e d e u x h e u r e s , ces a c c l a m a t i o n s :
< Le Dieu d e s c h r é t i e n s est le seul D i e u l »
Que les temples soient fermés et q u e les églises
s'ouvrent ! Celui qui h o n o r e le Christ t r i o m p h e r a
toujours de ses e n n e m i s .
Un j o u r v i e n d r a et, espérons-le, bientôt, où un
prince français d i r a l u i aussi :
t Les funestes divisions n e peuvent avoir une heu­
reuse fin tant q u e la p u r e l u m i è r e d e la vérité
n ' a u r a p a s éclairé les peuples. »
E l les peuples r é p o n d r o n t :
't Le Dieu d e s chrétiens est le seul Dieu ! »
Que" les loges soient fermées et q u e les églises
s'ouvrent !
EPILOGUE

E n t e r m i n a n t ce livre, j e m e dis à m o i - m ê m e :
c o m b i e n de ceux qui m e feront l'honneur de le
lire s'écrieront en le f e r m a n t : c'est un r ê v e ! Com­
m e n t c r o i r e q u e la F r a n c e s ' é p r e n d r a de nouveau
de l'idéal d u moyen âge, que de nouveau elle en
p o u r s u i v r a la réalisation et q u e les peuples l'ad­
m i r e r o n t d a n s celte p o u r s u i t e et la s u i v r o n t !
C o m m e n t serait-il possible que, de l'état où le
m o n d e est actuellement arrivé, il revienne j a m a i s
à d é c l a r e r la loi du Christ loi des nations, à le
r e c o n n a î t r e c o m m e le souverain roi des peuples et
à d é c l a r e r son Vicaire le definiteur infaillible du
bien et d u mal, n o n sculemen t p o u r la conduite
individuelle, mais m ê m e p o u r l'action politique des
peuples, à le déclarer le s u p r ê m e m o d é r a t e u r et l'ar­
bitre des n a t i o n s ?
Tout cela esl si loin de la pensée contemporaine
que c'est folie, seinble-t-il, d e l'espérer et s u r t o u t
de l ' a n n o n c e r .
Il faul r e c o n n a î t r e c e p e n d a n t que cette folie est
partagée. Il serait bien long d'en produire ici toutes
les p r e u v e s q u i p o u r r a i e n t être rassemblées. Bor­
n o n s - n o u s à ces quelques citations qui viendront
s'ajouter à celles produites au chapitre LXXII et
ailleurs.
Il v a un siècle, M. de B o n a l d écrivait : c L a
F r a n c e , l'aînée des nations révolutionnaires, sera la
p r e m i è r e à ressusciter o u à p é r i r >.
ÉPILOGUE

Rcssusciler o u périr, c'est aussi l'alternative qui


se posait le 4 j u i n d e cette a n n é e 1913 a u x yeux
d e M. Du Mesnil el qu'il présentait a u x lecteurs d u
Rappel : ' Il est t e m p s de songer à c o n s t r u i r e . Cet
effort d'organisation de la d é m o c r a t i e m o d e r n e d a n s
le c a d r e de la justice, les r é p u b l i c a i n s doivent le
réaliser o u p é r i r ».
Que la République, q u e la D é m o c r a t i e puissent
e m p ê c h e r cette m o r t el o p é r e r cette r é s u r r e c t i o n ,
peu, m ê m e p a r m i les révolutionnaires, le croient au­
j o u r d ' h u i . D a n s les p r e m i e r s j o u r s de j u i n 1879,
le journal La Révolution française, s o u s la signature
« un socialiste », mettait bien e n c o r e q u e l q u e espoir
en la démocratie, m a i s son regard, son e s p é r a n c e se
p o r t a i e n t aussi ailleurs : « L e m o n d e m o d e r n e est
placé d a n s celte alternative : o u l ' a c h è v e m e n t de la
Révolution française, ou un r e t o u r p u r et simple
au christianisme du m o v e n âge. »
D a n s son n u m é r o d'octobre 1908, la Réforme so-
ciale (page 497) disait : * Souvenons-nous, au milieu
des défaillances présentes, qu'il faut travailler sur­
tout p o u r l'avenir et P R É P A R E R U N É T A T C H R É T I E N .
R e m p l a ç o n s le cri : le cléricalisme est Vennemi!
sorti des a n t r e s ténébreux où le m a l p r é p a r e ses
complots, p a r cet autre, qui p o r t e avec lui la
force et la lumière, et qui doit être l a devise de
t o u s : « L ' E T A T C H R É T I E N , C'EST L E S A L U T ! »
Ce r e t o u r n ' e s t point toujours c o n s i d é r é c o m m e
bien effrayant. M. Copin Albaucclli racontait, il y
a quelques j o u r s , d a n s sa Bastille, q u ' a y a n t invité
Rochefort à u n b a n q u e t a n t i m a ç o n n i q u e il lui enten­
dit dire : « J ' a i m e r a i s mieux n ' i m p o r t e quoi qu'un
pareil régime ». Il lui d e m a n d a : « Même le cléri­
c a l i s m e ? ; E t Rochefort répondit : « Même le cléri­
calisme ».
Plus r é c e m m e n t M. Urbain Gohicr, p o s a n t de vaut
ÉPILOGUE 498

les lecteurs du Journal le problème de la décom­


position actuelle, formula l'angoissante question :
« Alors, c o m m e n t g u é r i r ? » Il ne trouva pas d ' a u t r e
r é p o n s e q u e celle-ci : < C o m m e n t g u é r i r ? p a r un
r e t o u r à la religion >.
M. O l l é - L a p r u n e , d a n s les Sources de la paix in-
tellectuelle, consignait cette observation qui est bien
plus vraie aujourd'hui :
« U n e r u m e u r court : la pensée moderne r e t o u r n e
a u Christ et le Christ va r e p r e n d r e l'empire. Plu­
sieurs travaillent h h â t e r le moment, et Ton se dit
q u e le j o u r où sera c o n s o m m é e cette restauration,
l'intelligence troublée r e t r o u v e r a la lumière et la
paix.
B l a n q u i lui-même, avait dit auparavant, dans son
Histoire de VEconomie politique en Europe :
« Malgré n o s essais n o m b r e u x de régénération poli­
tique, a u c u n e constitution h u m a i n e n e s t encore p a ­
reille à celle de l'Eglise. A u c u n pouvoir n'est en
m e s u r e d e se faire o b é i r c o m m e elle; le m a l h e u r
est qu'on n e sache pas d i g n e m e n t c o m m a n d e r en son
n o m (sic). II y a des questions d'économie politique
qui r e s t e r o n t insolubles t a n t qu'elle n'y m e t t r a p a s
la m a i n . L'instruction populaire, la répartition équi­
table des profils du travail, la r é f o r m e des prisons,
les p r o g r è s d e l'agriculture, et bien d'autres p r o ­
blèmes encore ne recevront d e solution complète q u e
p a r son intervention, et c'est justice. Elle seide peut,
en effet, bien résoudre les questions qu'elle a bien
posées. »
Ainsi c'est p o u r toutes les questions qui agitent
actuellement l ' h u m a n i t é que des h o m m e s c o m m e
Blanqui déclarent que l'Eglise seule peut d o n n e r une
solution. Mais elle n e le peut, reconnaît-il, que si
elle r e c o u v r e toute sa puissance d'autrefois, que si
elle r e p r e n d le c o m m a n d e m e n t , que si les peuples
494 ÉPILOGUE

se t o u r n e n t vers elle et lui c r i e n t Sauvez-nous,


n o u s périssons !
Ce m o u v e m e n t est-il possible? Le 12 avril 1903,
M. Léon Daudet, d a n s un article i n t i t u l é Le chemin
de Damas, affirmait qu'il est c o m m e n c é e t qu'il n e
fera q u e s'accélérer : t L a vérité est q u e les F r a n ­
çais d ' h é r é d i t é catholique, q u e les désaffectés d u
catholicisme qui se croient le p l u s loin d e la c r o y a n ­
ce d e l e u r s a n c ê t r e s , n e sont s é p a r é s d e celui-ci
q u e p a r u n m i n c e rideau, qu'ils p r e n n e n t p o u r un
m u r b l i n d é . . . Ce m i n c e r i d e a u , q u i s é p a r e d e la foi
les h o m m e s d e t e m p é r a m e n t catholique, n ' a j a m a i s
é t é plus flottant q u ' à n o t r e époque, o ù d ' u n e part, la
s u r a b o n d a n c e des notions, la suractivité intellec­
tuelle p r o v o q u e n t et nécessitent des crises d u sen­
sible, — o ù d ' a u t r e p a r t la cause de l a Religion et
celle de la Race a p p a r a i s s e n t c o m m e i n s é p a r a b l e s .
C'esl p o u r q u o i le c h e m i n de D a m a s n ' a j a m a i s été
plus fréquenté, p l u s c a r r o s s a b l e . J e p r é v o i s q u e b e a u ­
coup de nos c o n l e n q î o r a i n s s'y engageront en a u t o ­
mobile. L e goût effréné de la vilesse s'appliquera
m ê m e a la conversion. »
Ces m o u v e m e n t s individuels seront c o u r o n n é s p a r
un m o u v e m e u t d'ensemble. Blanc d e "Saint-Bonnet
le voit ainsi se f o r m e r : < Nous s o m m e s d a n s la
crise qui doit r é g é n é r e r la F r a n c e . L a Révolution
achève d e p r o d u i r e a u d e h o r s , p o u r la voir se dé­
truire, u n e race possédée d'orgueil et s u r laquelle
o n ne peut r i e n . Ni la raison, ni les lois, ni la c r a i n t e
n e p o u r r o n t faire revenir celte r a c e en q u e l q u e sorte
diabolique mêlée actuellement aux êtres sociaux.
C'est p o u r q u o i un triage inouï va se faire. Demain,
ceux qui tiennent à la vie vont être obligés d e
s'unir à ceux q u i défendent la f o i ; c a r ceux qui
d e m a n d e n t leur sang se rangeront o u v e r t e m e n t sous
ÉPILOGUE -495

le d r a p e a u de l'athéisme et d u carnage. Alors, tous


les partis n'en formeront que deux ; Fun désirant
que Dieu triomphe pour que la France existe, et
Vautre que la France périsse pour satisfaire la soif
de crime que Fenuie allume dans leur cœur. Mais,
au m o m e n t venu, Dieu f e n d r a les flots de la m e r
Rouge p o u r ouvrir un passage aux siens, puis, il
r e f e r m e r a ces flots s u r ceux q u i le maudissent, p o u r
en d é l i v r e r l'avenir.
» Que la F r a n c e se félicite ouvertement d'avoir
d a n s les desseins de Dieu, u n e place en quelque sorte
officielle et qu'elle ne soit p o i n t étonnée d ' e l l e - m ê m e !
C o m m e p a r ses saints, p a r ses rois, p a r ses g r a n d s
h o m m e s , p a r sa puissance au-dessus des a u t r e s
nations, p a r ses destinées et sa gloire, elle avait r e ç u
le plus d e faveurs d u Ciel, c'est elle, s a n s doute,
que Satan a demandé de passer au crible, et c'est
elle qui a été mise à l'épreuve d u g r a n d Mensonge...
Elle a été passée a u b l u t o i r d e l'erreur sociale,
p h i l o s o p h i q u e el religieuse la plus redoutable. Dieu
sans d o u t e a p e r m i s q u ' u n e lutte si terrible fût
offerte à la F r a n c e , c e r t a i n e m e n t parce qu'elle l'a
mérilée, m a i s aussi p a r c e qu'elle restait m o r a l e m e n t
la plus forte des n a t i o n s ; p a r c e que, fille aînée
de l'Eglise, c'est elle qui avait en apanage le plus
de dons, le plus de g r â c e s ; p a r c e qu'ayant accueilli
la Foi la première en Europe, elle saura la recouvrer
la première, et, par le mouvement prompt de son
généreux cœur, recourir la première à Dieu pour se
régénérer! Aussi, chacun c h e r c h e à s'expliquer le
m y s t è r e d e la F r a n c e . . .
» C'est e n F r a n c e que la Révolution, l'hérésie d u
présent, l'hérésie de l'orgueil social, a constitué son
p o u v o i r ; c l c'est n é a n m o i n s d e ce peuple que sort
la multitude des missionnaires, des s œ u r s de c h a -
496 ÉPILOGUE

rilé et des idées toutes vivantes qui l u t t e n t contre


cette Révolution. Voit-on q u e l q u e a u t r e p e u p l e épuisé
eL m i s p a r elle à l'état d e ruine, p u i s t o m b é d a n s
l'étrange condition o ù n o u s s o m m e s , q u i a u r a i t p u
é c h a p p e r c o m m e nous à la d i s p e r s i o n ? E h bien !
c'est la F r a n c e q u ' o n v e r r a se s o u s t r a i r e à sa p r o p r e
a n a r c h i e p o u r r é t a b l i r le P a p e d a n s s o u gouverne­
ment. Pleine, à celte h e u r e , de d é s o r d r e s , c'est elle
qui va r é t a b l i r l ' o r d r e p a r excellence e l s a u v e r h u ­
m a i n e m e n t l'Autorité s u r é m i n e n t e qui fait l ' o r d r e
d a n s les esprits et p o r t e l a r a i s o n de toute souve­
r a i n e t é s u r la t e r r e . Mais avouons, alors, q u e sans
cette mission providentielle, dès a u j o u r d ' h u i , la F r a n ­
ce est p e r d u e . Le m a l a p r i s de lelles forces qu'il
est impossible aux h o m m e s de sortir p a r e u x - m ê m e s
d e la situation d a n s laquelle ils se sont plongés ».
C'est la pensée des h o m m e s les plus clairvoyants
d u siècle d e r n i e r . Qu'il suffise de citer M. Charles
P é r i n : « L e s meilleures volontés ne v a i n c r o n t pas
l'impuissance et l'inertie générales causées p a r le
m o d e r n i s m e , à moins que Dieu ne leur apporte une
assistance inattendue ».
J o s e p h de Maistre : * J e ne doule n u l l e m e n t de
q u e l q u e événement e x t r a o r d i n a i r e » p o u r m e t t r e fin
à la situation présente.
M. d e Bonald : « L'imagination s'épuise en vain
à c h e r c h e r q u e l q u e moyen de salut. Il n ' y en a
aucun d a n s les forces h u m a i n e s , il faut que le ciel
intervienne ».
E l Pic IX : Cela doit se faire p a r un prodige qui
r e m p l i r a le m o n d e d'élonnement ».

Ce secours m i r a c u l e u x qui seul peut r e t i r e r la


F r a n c e de l'abîme, avec elle l ' E u r o p e d o n t elle est
la tête et avec l'Europe, le m o n d e d o n t l ' E u r o p e est
ÉPILOGUE 497

la vie, u n e sain le moniale, Anne-Calherine E m m e -


rich, q u i vivait au c o m m e n c e m e n t du siècle dernier,
Ta vu e t Ta décrit. B e a u c o u p d e nos lecteurs, croyons-
nous, la connaissent p a r la description qu'elle a faite
d e la P a s s i o n de Notre-Seigneur et même de toute
sa vie et d e celle de l a T. S. Vierge. L'Eglise
Ta déclarée Vénérable et s'occupe actuellement de
son p r o c è s de Béatification.
D o m Guéranger lui a r e n d u ce témoignage : c En
lisant ces visions qui p o r t e n t fréquemment la trace
d'une l u m i è r e s u r n a t u r e l l e , on n e peut s'empêcher
de r e c o n n a î t r e une action providentielle qui s'est
exercée s u r les contrées d e l ' E u r o p e où le n a t u r a ­
lisme a fait le plus de r a v a g e s . »
Dès le j o u r de sa p r e m i è r e Communion elle s*of-
frit à Dieu c o m m e victime p o u r l'Eglise. Sa vie
tout entière fut une expiation, la plus douloureuse
en m ê m e t e m p s que la plus reconnaissante et la
plus a i m a n t e . C'est d a n s ses souffrances m ê m e s q u e
Dieu lui m o n t r a i t l'état où l'esprit de îa Réforme et
d e la Révolution o n t fait t o m b e r l'Eglise, p o u r
l'exciter à r é p a r e r ; puis, p o u r consoler elle et nous,
il lui faisait c o n n a î t r e les miséricordes qu'il n o u s
p r é p a r a i t . « N o u s vivons, disait-elle, au sortir d e
ses extases, d a n s des t e m p s m a u v a i s . Je ne v o i s
de refuge nulle p a r t . U n épais b r o u i l l a r d d e p é ­
chés s'étend s u r le m o n d e entier, et je ne v o i s
partout... qu'indifférence » à cet état d e choses.
C'est de l'Allemagne q u e n o u s est venue la fausse
science en philosophie, en théologie, en Ecriture
Sainte, tout ce m o d e r n i s m e q u e Pie X a solen­
nellement c o n d a m n é d a n s l'Encyclique Pascendi.
Catherine E m m e r i c h le vit à ses débuts saisir l'es­
prit des étudiants e t m ê m e d e s ecclésiastiques et
elle priait et elle souffrait p o u r que les Evêques
498 ÉPILOGUE

e x e r ç a s s e n t le premier et le plus i m p o r t a n t de leurs


devoirs, celui de la vigilance qui est a t t a c h é à
leur nom même.
Elle voyait aussi l e s agissements d e s sociétés se­
crètes el suivait d u r e g a r d de son â m e s u r n a t u r e l l e -
m e n t illuminée l e u r s p r i n c i p a u x chefs d a n s leurs en­
treprises c o n t r e l'Eglise.
En juillet 1820, Dieu lui fit faire en esprit un
voyage d'un b o u t du m o n d e à l ' a u t r e p o u r lui en
m o n t r e r la délressc. « J e vis p a r t o u t , dit-elle, le
Irislc état de l ' h u m a n i t é et d e l'Eglise, sous la
f o r m e d ' o b s c u r i t é el d e froid à d i v e r s degrés d'in-
tcnsilé. Cà e t là se m o n t r a i e n t q u e l q u e s points
lumineux. » D a n s c h a q u e pays, elle vit les sièges
principaux d e l ' œ u v r e de perdition, et de ces foyers
de c o r r u p t i o n p a r t i r des c a n a u x e m p o i s o n n é s , pour
r é p a n d r e l'infection à travers la région. « Sans le
secours de Dieu, dit-elle, on n e p o u r r a i t c o n t e m p l e r
tant de misères el d ' a b o m i n a t i o n s s a n s en m o u r i r de
douleur ».
Elle voyait e n m ê m e t e m p s les p r i è r e s des saintes
â m e s s'élevant d e tous les points d e la terre et
exerçant sur elle leur action bienfaisante. « J'ai Vu,
dit-elle encore, le saint P è r e d a n s une g r a n d e tri-
bulalion e l u n e g r a n d e angoisse t o u c h a n t l'Eglise ».
Elle ajoute : « J e le vis e n t o u r é d e trahisons...
L a détresse d u saint P è r e et d e l'Eglise est si
g r a n d e q u ' o n d o i t i m p l o r e r Dieu j o u r et nuit ».
C'esl à cette é p o q u e que la f r a n c - m a ç o n n e r i e fut
reconstituée, que le c a r b o n a r i s m e fut créé et la Hau­
te-Vente instituée. Nous sommes, paraît-il, à la fin
de la puissance d'action que celte organisation
nouvelle a p r o c u r é e à la secte et elle serait sur
le point, peut-être m ê m e en train d e se trans­
former de nouveau pour agir s u r la société avec
ÉPILOGUE 49»

u n e p u i s s a n c e d'action renouvelée. Quoi qu'il e n soit,


voici ce q u e la Vénérable Catherine a vu et décrit
d e cette période qui va d e 1820 à nos j o u r s .
c J e vis l'Eglise de saint P i e r r e (c'est-à-dire
l'Eglise r o m a i n e , l'Eglise c a t h o l i q u e ) . Une certaine
q u a n t i t é d'homimes t r a v a i l l a i e n t à la renverser >.
e
On sait q u ' a u c o m m e n c e m e n t d u X I I I siècle, alors
qu'étaient posés les principes de ce que nous avons
appelé la t e n t a t i o n de la chrétienté, alors que les
e m p e r e u r s d'Allemagne, suivis p a r Philippe-le-Bel,
s'efforçaient de bouleverser la conslitulion chrétienne
des E t a t s et alors q u e l'hérésie sociale des Albi­
geois et l'hérésie doctrinale de J e a n Hus, p r é p a r a i e n t
les t e m p s m o d e r n e s , le P a p e I n n o c e n t III eut une
vision s y m b o l i q u e t o u t e semblable. Les murailles
de la b a s i l i q u e d e L a t r a n , m è r e et maîtresse d e tou­
tes les églises, lui p a r u r e n t s'entr'ouvrir. Saint D o m i ­
nique et saint F r a n ç o i s v i n r e n t la soutenir. Cathe­
rine E m m e r i c h dit avoir vu, elle aussi, à côté des dé­
molisseurs, des r e c o n s t r u c l e u r s . mais, dit-elle, peu
n o m b r e u x et peu actifs.
Elle ajoute : c Des lignes de manoeuvres occupés
au travail d e démolition s'étendent à travers le
m o n d e e n t i e r ; ces sectaires sont en g r a n d n o m b r e
et p a r m i eux il y a des a p o s t a t s . Ils détachent de
l'édifice d e gros m o r c e a u x . E n faisant leur travail
de destruction, ils s e m b l e n t suivre certaines p r e s ­
criptions et certaines règles. Ils p o r t e n t des tabliers
blancs, b r o d é s d'un r u b a n bleu et garnis de pio­
ches avec des truelles fichées d a n s leur ceinture.
Ils o n t d'ailleurs des vêtements de toute espèce (selon
les différents rites et les divers grades.)
» Il se trouve p a r m i eux d e s h o m m e s distingués
e n t r e les autres, g r a n d s el g r o s (cette apparence e x ­
térieure m a r q u e sans d o u t e l ' i m p o r t a n c e de la place
ÉPILOGUE

qu'ils o c c u p e n t d a n s l a secte) a v e c d e s u n i f o r m e s
et des croix, lesquels toutefois n e m e t t e n t p a s eux-
m ê m e s la m a i n à l ' o u v r a g e ; m a i s ils m a r q u e n t s u r
les m u r s '(de l a b a s i l i q u e V a t i c a n e ) , a v e c la truelle
ce qu'il faut d é m o l i r (les i n s t i t u t i o n s chrétiennes
q u e les lois m a ç o n n i q u e s p r é p a r é e s d a n s les loges
viennent d é t r u i r e l'une a p r è s l ' a u t r e ) . J e vis avec
h o r r e u r qu'il y avait aussi p a r m i e u x d e s p r ê t r e s
c a t h o l i q u e s . Souvent, q u a n d les d é m o l i s s e u r s n e
savaient p a s bien c o m m e n t s'y p r e n d r e , ils s'ap­
p r o c h a i e n t , p o u r s'en 'instruire, d ' u n d e s leurs q u i
a v a i t un g r a n d livre où avait été t r a c é t o u t le plan
à suivre p o u r l a destruction. Alors il m a r q u a i t d e
n o u v e a u , e x a c t e m e n t , avec la truelle, le p o i n t q u i
devait être a t t a q u é ; et b i e n t ô t u n q u a r t i e r d e p l u s
t o m b a i t sous 'leur m a r t e a u . L ' o p é r a t i o n allait t r a n ­
quillement son 'train et m a r c h a i t à c o u p sûr, m a i s
s a n s éveiller l ' a t t e n t i o n et sans bruit, les d é m o ­
lisseurs a y a n t l'œil 'au guet ».
Voilà ce que voyaiî une p a u v r e religieuse, complè­
t e m e n t isolée d u monde, et ce qu'écrivait sous sa
diclée, Clément B r c n t a n o , et cela en 1820, a l o r s q u e
publicislcs el m ê m e historiens ignoraient tout d e
la f r a n c - m a ç o n n e r i e . Pouvait-on m i e u x décrire à
l'avance ce d o n t nous s o m m e s t é m o i n s ? Pouvons-
n o u s n e pas ê t r e frappés d ' é l o n n e m e n t ? Et on le
serait bien plus si n o u s pouvions e n t r e r ici d a n s
le détail de ses visions *. P o u v o n s - n o u s n e pas nous
sentir disposés 'à p r ê t e r l'oreille a u m ê m e o r a c l e

1. La V. Catherine Emmerich a eu plusieurs his­


toriens, tous de son pays, l'Allemagne : le Dr Krobbe,
doyen de la cathédrale de Munster; le E. P. T h o m a s
Wepcner, ougustin, postulat our a u procès de sa Béatifi­
cation- le IL P. Schmœger, rédernptoriste. L'œuvre de ce
dernier comprend trois volumes in-8". Leurs livres ont
tons été traduits en français.
ÉPILOGUE 501

l o r s q u ' i l viendra n o u s a n n o n c e r le t r i o m p h e de
l'Eglise s u r la secte p a r l'intervention d e Marie?

L e s F r a n c s - M a ç o n s s ' a t t a q u e n t aux murailles d e


l'Eglise, m a i s en m ê m e t e m p s travaillent à l'inté­
r i e u r d ' a u t r e s démolisseurs p l u s malfaisants encore.
Le Syllabus d e Pie X e t s o n Encyclique s u r le
m o d e r n i s m e o n t m o n t r é o u ils en sont arrivés.
D a n s les h u i t p r e m i è r e s propositions que d e s
c a t h o l i q u e s , que d e s p r ê t r e s m ê m e s ont formulées
et enseignent d a n s des livres et d a n s des revues qui,
h é l a s ! n e sont point sans d e n o m b r e u x lecteurs,
l'autorité m ê m e des décisions doctrinales de l'Eglise
est a t t a q u é e . D a n s les onze qui suivent, IX à XIX,
est a n é a n t i e l'inspiration et Tinerrance d e l'Ecri­
ture Sainte. De XX à XXVI sont transformées, j u s ­
qu'à les d é t r u i r e , les notions de révélation, de foi el
de d o g m e . De XXVII à XXXVIII esl niée la d i ­
vinité d e Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa science,
sou expiation r é d e m p t r i c e , sa résurrection. Aux p r o ­
positions XXIX à LI vient l ' a t t a q u e contre les sacre­
m e n t s . Celles qui vont d e LU à LVII s'élèvent contre
l'Eglise, création h u m a i n e à laquelle Notre-Seigneur
n ' a u r a i t m ê m e p a s songé. Vient enfin de LVII à
LXV l'exposé d e l'évolulionisme, fondement intel­
lectuel d e tout ce q u i précède.
On le voit, rien ne doit r e s t e r debout. Ce n'est
plus u n e hérésie, c o m m e il e n a surgi d a n s les
siècles p r é c é d e n t s , c'est, ainsi q u e le dit Pie X
d a n s s o n a n x i é t é et sa d o u l e u r , « le r é s u m é et l e
s u c vénéneux d e toutes les hérésies, qui tend à
a n é a n t i r le c h r i s t i a n i s m e ». « T o u t e s ces e r r e u r s ,
a dit e n c o r e le Pape, d a n s le m ê m e consistoire, se
p r o p a g e n t d a n s <Les opuscules, des revues, des livres
ascétiques, et j u s q u e d a n s d e s r o m a n s ; elles s'en-
ÉPILOGUE

veloppent d e c e r t a i n s t e r m e s a m b i g u s , sous des


formes nébuleuses, afin d e p r e n d r e d a n s l e u r s lacets
les e s p r i t s q u i n e sont p a s s u r l e u r s g a r d e s ».
L a V. A n n e - C a t h e r i n e E m m e r i c h voyait d a n s les
r a n g s des h o m m e s ainsi appliqués à r e n v e r s e r l'édi­
fice divin, d e s p r ê t r e s et d e s religieux. L e Pape
d a n s son E n c y c l i q u e a c r u devoir p o r t e r s u r ce
point l'attention d u m o n d e c a t h o l i q u e . C'est que,
si l'action d u p r ê t r e p o u r le bien est infiniment plus
puissante q u e celle d u laïque, la p e r v e r s i o n des
idées, lorsqu'elle est p r o p a g é e p a r lui, produit
d a n s les e s p r i t s d e s résultats bien plus d é s a s t r e u x .
Au mois d e juillet de cette m ê m e a n n é e 1820, la
Vénérable dit : c J ' e u s de n o u v e a u la vision de
l'Eglise S a i n t - P i e r r e s a p é e suivant un plan for­
m é p a r la secte s e c r è t e . Mais j e vis aussi l e
secours a r r i v e r «au ' m o m e n t de la p l u s e x t r ê m e dé­
tresse >.
Plusieurs fois d é j à elle avait dit voir la T. S.
Vierge venir au s e c o u r s de l'Eglise et la c o u v r i r de
sa protection. La m ô m e année, fin d'octobre, l'état
d e l'Eglise c a t h o l i q u e lui fut d e n o u v e a u m o n t r é
sous l'image d e la basilique S a i n t - P i e r r e ; et la
g u e r r e qui lui est faite lui a p p a r u t sous les traits
que nous présente l'Apocalypse de s a i n t J e a n , que
la Vénérable ne connaissait point. A l a fin d e cette
vision, elle assista d e n o u v e a u à l'intervention de
la T. S. Vierge. Elle vit les t r a v a u x de la secte dé­
truits et tout son attirail b r û l é p a r l e b o u r r e a u sur
une place m a r q u é e d'infamie. Puis la b a s i l i q u e com­
plètement restaurée.
Après une a u t r e vision, elle dit c o m m e n t cette
r e s t a u r a t i o n serait e n t r e p r i s e p a r le clergé et les
b o n s fidèles, dès avant la d é r o u t e d e la franc-ma­
çonnerie, m a i s alors c avec peu de zèle ». Ces pré-
ÉPILOGUE 503

très et ces fidèles lui semblaient n'avoir ni confian­


ce, ni a r d e u r , ni méthode. « l i s travaillaient com­
m e s'ils i g n o r a i e n t c o m p l è t e m e n t de quoi il s'agis­
sait, et c'était déplorable ». N'est-ce point ce d o n t
n o u s s o m m e s a u j o u r d ' h u i les témoins attristés?
« Déjà toute la p a r t i e a n t é r i e u r e de l'église était
a b a t t u e , il n ' y restait p l u s d e b o u t que le sanctuaire
1
avec le S a i n t - S a c r e m e n t . J'étais accablée de tris­
tesse. Alors je vis une femme, pleine d e m a ­
jesté, s'avancer d a n s la g r a n d e place qui est d e ­
vant l'église. Elle avait un a m p l e m a n t e a u relevé
s u r les deux b r a s . Elle s'éleva d o u c e m e n t en l'air,
se p o s a s u r la coupole et étendit s u r l'église, d a n s
toute son étendue, son m a n t e a u qui semblait r a y o n ­
n e r d'or. Les d é m o l i s s e u r s venaient d e p r e n d r e u n
instant de r e p o s ; mais q u a n d ils voulurent se r e ­
m e t t r e à l ' œ u v r e , il l e u r fut a b s o l u m e n t i m p o s ­
sible d ' a p p r o c h e r de l'espace couvert p a r le m a n ­
teau.
» Cependant, ceux qui rebâtissaient se mirent à
travailler a l o r s avec une i n c r o v a b l e activité. Il vint
des ecclésiastiques et des séculiers, des h o m m e s d'un
très g r a n d âge, impotents, oubliés, puis des jeunes
gens forts et vigoureux, des femmes, des enfants, et
l'édifice fut bientôt r e s t a u r é entièrement. »

Il y a t r e n t e à q u a r a n t e ans, D o m Guéranger
écrivait d a n s la préface qu'il d o n n a à l'ouvrage d e
P. P o i r é : La triple ootfronne de la Vierge Marie :
c Si Dieu sauve le m o n d e , et il le sauvera, le salut
viendra p a r la Mère de Dieu. P a r elle, le Seigneur

1. « Le sanctuaire avec le S a i n t - S a c r e m e n t ». Cette


parole prononcée par l a V. Catherine Emmerich en
1820, n ' e s t - e l l e pas bien remarquable, aujourd'hui que
Pie X d o n n e une si forte i m p u l s i o n a u culte eucha-
ristique?
ÉPILOGUE

a extirpé les r o n c e s et des épines d e la gentilité;


p a r elle il a successivement t r i o m p h é d e toutes les
h é r é s i e s ; a u j o u r d ' h u i , p a r c e q u e le m a l est à
s o n comble, p a r c e q u e toutes les vérités, tous ies
devoirs, tous les droits sont m e n a c é s d'un naufrage
universel, est-ce u n e raison d e c r o i r e q u e Dieu
et son Eglise n e t r i o m p h e r o n t p a s e n c o r e u n e d e r ­
n i è r e fois? Il faut l'avouer, il y a m a t i è r e à u n e
g r a n d e et solennelle victoire ; et c'est p o u r cela
qu'il n o u s s e m b l e q u e Notre-Seigneur en a r é ­
s e r r é tout l ' h o n n e u r à M a r i e ; Dieu n e recule p a s
c o m m e les h o m m e s d e v a n t les obstacles. L o r s q u e
les t e m p s s e r o n t venus, la sereine et pacifique
Etoile des m e r s , Marie, se lèvera s u r cette m e r
orageuse des tempêtes politiques, et les flots tu­
multueux, étonnés d e réfléchir son d o u x éclat, r e ­
d e v i e n d r o n t calmes et soumis. Alors il n ' y a u r a
q u ' u n e voix d e r e c o n n a i s s a n c e m o n t a n t vers Celle
(fui, une fois encore, a u r a a p p a r u c o m m e le signe
d e paix a p r è s u n n o u v e a u déluge ».

N'oublions pas, toutefois, q u e si Dieu et la T r è s


Sainte Vierge Marie ne d e m a n d e n t q u ' à n o u s sau­
ver, Celui qui nous a d o n n é la l i b e r t é n e peut en d é ­
cliner le c o n c o u r s . Aussi n e p o u v o n s - n o u s être sau­
vés sans n o t r e c o o p é r a t i o n bien réelle, « Sx TU LE
VEUX », a dit la sainte Pucelle à Charles VII et en
sa p e r s o n n e à la F r a n c e à qui était p r o m i s e la pé­
rennité. C'est d o n c à n o u s d e h â t e r p a r n o s œ u v r e s
la miséricorde divine. L a condition à laquelle il sera
p e r m i s à la F r a n c e d e r e c o u v r e r s o n rôle n'est
p a s a u t r e q u e celle qui fut autrefois intimée p a r
Daniel à N a b u c h o d o n o s o r : « Ton règne te sera
r e n d u a p r è s q u e tu a u r a s r e c o n n u q u e ta puissance
n e vient p a s d e l ' h o m m e , m a i s de Dieu ». Ces m o t s
r é s u m e n t lout r e n s e i g n e m e n t d e la sainte Pucelle.
ÉPILOGUE 505

L o r s q u e la F r a n c e a u r a fait cet acte d'humilité


et de r e p e n t i r , et que Dieu, faisant éclater sur cl­
ic sa m i s é r i c o r d e , lui a u r a r e n d u d a n s le monde
le r a n g qu'il lui avait d ' a b o r d d o n n é , l'Eglise adres­
sera à toutes les nations l'invitation que David fai­
sait à son peuple, celle d'offrir a u Seigneur un im­
m e n s e c o n c e r t d'actions de grâces p o u r le salut
enfin a c c o r d é .

I. Chantez au Seigneur un cantique nouveau,


car il a opéré des merveilles :
Sa droite lui a donné la victoire
ainsi que son bras infiniment saint.
Le Seigneur a fait briller son salut,
il a révélé sa justice au regard des nations;

Il s'est souvenu de sa miséricorde et de sa fidélité


pour la maison d'Israël :
Et toutes les extrémités de ta terre ont contemplé
le salut de notre Dieu!

II. Acclamez donc le Seigneur j>ar toute la terre,


éclatez en jubilation et chantez,
Chantez le Seigneur sur la harfje,
mêlez la harpe à la voix des cantiques.
An son des trompettes et du sophar,
poussez des acclamations en présence du
Roi S E I G X E U R I.

1. P s . X C V I I .

La Mission de la H se Jeanne d'Arc. 30


TABLE D E S MATIÈRES

INTRODUCTION VII

LA ROYAUTÉ DIVINE

I. — Le Christ, Roi des Rois.


CHAPITRE T. — Jésus, Dieu Créateur. Roi des créatures . 3
» n . — Jésus médiateur, roi par son sacerdoce. . 7
> I I I . — Jésus rédempteur, roi par droit de rachat
et de conquête 11

IL — La royauté du Christ annoncée, attendue


et expliquée.
CHAPITRE i v . — Prophéties et pressentiments 18
» v. — Idée que Ton se faisait et celle que Ton
devait se faire du roi à venir . . . . 23
> v i . — L'établissement du royaume de Dieu sur la
terre ne sera pas l'œuvre d'un jour . , 30
» v i l . — Des paraboles donnent à entendre le mode
de développement du royaume du Christ 32
> VIII. — Dernièresprécisionssurleroyaumede Dieu. 41

III. — La réalisation du royaume de Dieu appelée


par les vœux de l'Eglise.
CHAPITRE i x . — Les vœux de l'église en Avent et à Noè'l . 45
> x. — L e s vœux de V Eglise à l'Epiphanie et au
temps de Pâques 51
» x i . — Les vœux de l'Eglise à la fête de l'Ascen-
sion 56
» x i i . — Les vœux de l'Eglise en la Fête-Dieu et
en la fête du S.-Cœur 59
TA LI LE DES MATIiniES

il

LES COMMENCEMENTS
DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE.

I. — Civilisation contre civilisation.


CHAPITRE xiii. — La crise du monde »57
» XIV. — L a crise du monde (suite) "I
» xv. — Le royaume de Dieu doit être conquis . 74
> xvi. — Idée fondamentale du royaume du Christ
ou de la civilisation chrétienne, . . 77

IL — Les essais de civilisation chrétienne à Rome.


CHAPITRE XVII. — Le royaume de Dieu dans les âmes et
dans les familles 83
7> x v i i i . — L'entrée du Christ dans la cité . . . 87
» x i x . — Rome s'efEorce de se christianiser. . . 89
» XX, — L'obstacle radical à la christianisation
de Rome 94
» x x i . — La ruine de l'empire romain . . . . 97

(Il

LA CIVILISATION CHRÉTIENNE EN FRANCE.

I. — Commencements du royaume de Dieu en France


CHAPITRE XXII, — Naissance du royaume des Francs . . 103
> xxiii, — La vocation de la France 111
» xxiv. — La France accepte sa mission . . . 118
» xxv. -- De Clovis à Charlemagne 124
ï> xxvi. — Charlemagne 128
» XXVII. — L'institution du saint Empireromaîn. . 133
TABLE DUS MATIKKES ,>0i)

I I . — Développement de la civilisation chrétienne


en France.
CHAPITRE XXVIII. — Les Capétiens 136
» XXIX. — L e s Capétiens (w?<fte) 145
» xxx. — Les Capétiens (suite) 151
» xxxi. — Le règne de saint Louis 160
» xxxii. — Le règne de saint: Louis (imite) . . 108

I I I . — Retour en arrière.
CHAPITRE x x x i i i . — Renaissance du Césarisme . . . . 177
» xxxiv. — Renaissance du Césarisme (mite) . 188
» xxxv. — Philippe-le-Bel et Boniface VIII, . 192
» xxxvi. — Philippe-le-Bel. — S a f a u t e . . . 201
» xxxvii. — Philippe-le-Bel. — Son châtiment . 20.")
2> XXXVIII. — Les Papes à Avignon. — Le grand
Schisme 209

IV. — Les représailles divines.


CHAPITRE x x x i x . — La guerre de Cent Ans 216
» XL. — Appel à la miséricorde 222

IV

LE DON DE DIEU : JEANNE D'ARC.

I. — Les débuts de la Bienheureuse Jeanne d'Arc.


CHAPITRE XLI. — Jeanne la Pucelle 283
» XLII. — Les preuves qu'elle donna de sa
mission 242
» XLIII. — Les signes dont Dieu accrédita sa
mission 250
TABLE DES MATIÈRES

II. — L œuvre merveilleuse.


CHAPITRE XLIV. — L'entrée en campagne et le siège d'Or­
léans 2(i0
» XLV. — Le Sacre 207
» XLVT. — Le génie militaire de la sainte Pucelle 271
& XLVII. — Le génie militaire de la sainte Pucelle
2 7 8
(suit*) "

III. — L'œuvre stable.


CHAPITRE XLVIII. — L a m e de la France rcCorgéo. . . . 283
» XLIX. — L'unie de la France reforgée (suite) . 288
£ L. — La constitution nationale confirmée . 295
> LI. — L'union du trône et de l'autel recom­
mandée 302
» L U . — La pérennité promise à la France d a n s
ces conditions 311

IV. — La pensée et l'œuvre de la divine messagère,


ont-elles été respectées ?
CHAPITRE LUI. — Opposition de l'Université de Paris . 324
» Liv. — Opposition du Parlement 331
» LV. — Opposition de l'esprit p u b l i c . . . . 33<>
> LVI. — La tentation de la chrétienté. . . . 340
» LVII. — La t e n t a t i o n va-t-elle prendre fin ? . 34f>
» LVIII. — Les voies inscrutables delà Providence 353

V
LA RENTRÉE TRIOMPHANTE
DE LA SAINTE PUCELLE.

I. — L'œuvre de Jeanne d'Arc est-elle achevée ?


CHAPITRE Lix. — Ce qu'en pensaient la Bienheureuse et
ses contemporains 3*ïr*
» LX. — Ce qu'on en pense aujourd'hui . . . 374
TABLE D E S MATIÈRES 511

II. — Sa glorification.
CHAPITRE LXI. — La virginité et le martyre 3S0
» L X I I . — La réhabilitation . , 387
» L X I I I . — La béatification 3!>5
» LXIV. — La béatification (xultè) 403
» L x v . — Glorification populaire de la sainte
Pucelle 40«
» LXVI. — Pourquoi cette glorification extraordi-
1
naire 415

III. — L'œuvre de sa nouvelle vie.


CHAPITRE LXVII, — La royauté de Notre-Seigneur Jésus-
Christ rappelée 419
» L X V I I I . — La royauté de Notre-Seigneur Jésus-
Christ restaurée 42C»
» LXIX. — Quelle autorité a cet enseignement ? . 430

IV. — Le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ.


CHAPITRE LXX. — Son caractère 435
» LXXL — L u n de ses bienfaits 439
> LXXII. — L'heure du règne de Notre-Seigneur
Jésus-Christ est-elle proche ? . . 450
» LXXIII. — La France appelée à restaurer le règne
de Xotre-Seigneur Jésus-Christ. . 458
» LXXIV. — Qallia pœnitenx et (levota 4lï*i
» LXXV. — Préludes du règne de Notre-Seigneur
Jéxiis-Christ 472
» LXXVI. — Que reste-t-ifà faire ? 479

ÉPILOGUE 491
u
IMPRIMÉ PAR DESCLÉS, DE BROU WER ET C

41, RUE DU METZ, LILLE. — 1388 ».

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