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Citations « brutes » :

« Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres, qu’à la fin nous nous déguisons à nous-
mêmes. »
François de La Rochefoucauld, Maximes

« Personne ne parle en notre présence comme il parle en notre absence. L’union qui est entre les
hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie »
Blaise Pascal, Pensées

"Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés"


François de La Rochefoucauld, Maximes

« La transparence est le masque du secret. En convoquant en apparence la franchise, elle stimule la


tromperie et la ruse. »
Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie du secret d’État.

« Le mensonge vole, et la vérité ne le suit qu’en boitant, de telle sorte que lorsque les hommes en
arrivent à ouvrir les yeux, c’est un quart d’heure trop tard. La farce est finie, et le conte a produit
son effet. » Jonathan Swift

« Une règle d’or : ne pas juger les hommes sur leurs opinions, mais sur ce que leurs opinions font
d’eux » Lichtenberg

« Dans la main-mise sur les faibles, l’intelligence et l’analyse sont reines : il faut connaître les
ressorts de la machine humaine pour agir sur elle » Laurent Versini

« il faut (...) se souvenir que le désir de vérité peut aussi cacher le mensonge, et que bien des vérités
dont on nous informe en quantité sont aussi des demi-mensonges. » Pascal Engel

« Savoir faire le tri entre les vérités qui ne sont pas au service de la vérité et celles qui le sont c’est
aussi une manière de résister aux vices de la fausseté dont le mensonge n’est qu’un aspect parmi
d’autres. » Pascal Engel

Textes à résumer + citations à discuter :

E. Plenel
« Jamais le “pouvoir” politique n’a aussi peu mérité son nom. Jamais la “puissance
publique” n’aura à ce point démissionné devant des enjeux vitaux, pour aujourd’hui et pour demain.
» Visant l’impéritie et l’impuissance de ceux qui nous gouvernent face à l’urgence climatique, ces
phrases inaugurales du Manifeste contre l’impuissance publique (Tracts Gallimard, 2022) du
philosophe Dominique Bourg et de l’historien Johann Chapoutot s’appliquent parfaitement à leur
attitude face à la dégradation accélérée et catastrophique de notre système d’information. Nul
hasard. Car, en s’arcboutant sur les périls qui menacent le vivant, ce Manifeste pose la question
centrale d’une écologie de la politique capable, en se dressant à la hauteur de ce défi, d’enrayer le
dérèglement démocratique qui précipite cette catastrophe. La démocratie ne saurait en effet se
réduire à l’élection de représentants qui peuvent, au contraire, la ruiner si leur pouvoir n’est pas
contrôlé et s’il n’est pas contrebalancé. Elle exige une délibération collective dont le ressort est la
connaissance : connaître la réalité dans sa complexité, savoir ce qui nous arrive, comprendre ce qui
se passe, en somme éclairer le présent afin d’y voir clair. Les États généraux (présidentiels) de
l’information En d’autres termes, une démocratie vivante est d’abord une démocratie informée.
C’est cet enjeu qui motive et mobilise les États généraux de la presse indépendante, bien au-delà de
questions professionnelles ou corporatistes. Organisés à l’initiative du Fonds pour une presse libre
(FPL) et rassemblant plus de cent médias, organisations et collectifs – dont évidemment Mediapart
–, ils promeuvent 59 propositions élaborées et discutées collectivement afin de libérer l’information
des trois maux qui l’entravent, la corrompent et l’asservissent en France : la mainmise de
milliardaires étrangers au métier d’informer ; les pressions des pouvoirs étatiques et des intérêts
politiques ; l’avènement au cœur de l’espace public de médias de la haine. Qu’il s’agisse de la
concentration, de l’actionnariat et des droits des rédactions (16 propositions), de renforcer le droit à
l’information (14 propositions), de lutter contre la précarisation des journalistes (15 propositions)
ou des aides publiques à la presse (14 propositions), toutes ces réformes ambitieuses convergent
vers un seul et même but : restaurer la liberté, l’intégrité et la vitalité d’un journalisme d’intérêt
public. C’est-à-dire d’un journalisme qui informe, et non pas d’un journalisme qui commente. D’un
journalisme qui apporte des connaissances et des savoirs, et non pas d’un journalisme qui assène
des opinions et des préjugés. « Le Fonds pour une presse libre entend promouvoir un journalisme de
faits, écrit son président, François Bonnet (cofondateur et ancien directeur éditorial de Mediapart),
en conclusion des propositions des États généraux. Établir des faits par une information vérifiée,
honnête, hiérarchisée et contextualisée est la mission première d’un journalisme indépendant. Le
journaliste Robert Ezra Park, qui allait fonder l’école de sociologie de Chicago au début XX siècle,
l’a écrit de manière fulgurante : “Ce sont les informations plutôt que les commentaires qui font
l’opinion. Un journaliste en possession de faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste
qui se contente de tonitruer en chaire, aussi éloquent soit-il.” »
Organisés depuis l’Élysée dans une grande opacité, les États généraux (présidentiels) de
l’information, auxquels l’initiative du FPL répond, témoignent de la longue durée française de
défiance politique et étatique vis-à-vis de ce journalisme indépendant. Par leur conception même, ils
disent une conception appauvrie, rabougrie et nécrosée, de la démocratie, dont la réforme ô
combien urgente et nécessaire d’un contre-pouvoir primordial – le droit d’être informé librement –
est ainsi placée entre les mains du seul président de la République, décisionnaire en dernier ressort,
selon son bon vouloir et sans aucune procédure qui le contraigne. Il y a un an, dans leur appel à
refonder l’action publique, les universitaires Dominique Bourg et Johann Chapoutot ne cachaient
pas leur haute colère face à ce discrédit de notre idéal démocratique par ceux-là même qui en ont la
charge : « Par manque d’imagination et d’empathie, par leur bêtise et leur inculture, par leur
incapacité à projeter et à se projeter, par leur cynisme et leur médiocrité, nos “gouvernants” sabotent
un régime démocratique déjà fragile et abîmé. Leur rôle serait de servir l’intérêt général et non de
voler au secours des intérêts particuliers qui les financent, qui les conseillent et les influencent. » Le
symbole le plus manifeste de ce sabotage réside dans ce qu’est devenu notre débat public, où la
dictature des opinions s’impose à la démocratie des informations. Par leur inaction, leur
complaisance ou leur complicité, visà-vis des milliardaires qui sont devenus maîtres du paysage
médiatique, les pouvoirs en place et leur personnel politique ont donné la main à cette décadence.
Non seulement en les laissant conquérir et régner sans freins ni limites, mais en accompagnant cette
déchéance par leur propre surenchère, où la vérité des faits devient relative face à des opinions qui
ne s’autorisent que d’elles-mêmes. »
E. Plenel

Après avoir résumé le texte précédent (de 800 mots environ) en 100 mots, ± 10 %, vous vous
demanderez, en vous appuyant sur votre lecture des œuvres :
quels sont les dangers relatifs aux situations « où la vérité des faits devient relative face à des
opinions qui ne s’autorisent que d’elles-mêmes. »

E. Plenel

« Le Fonds pour une Presse Libre entend promouvoir un journalisme de faits », écrit son
président, François Bonnet (cofondateur et ancien directeur éditorial de Mediapart), en conclusion
des propositions des États généraux. « Établir des faits par une information vérifiée, honnête,
hiérarchisée et contextualisée est la mission première d’un journalisme indépendant ». Le
journaliste Robert Ezra Park, qui allait fonder l’école de sociologie de Chicago au début XX siècle,
l’a écrit de manière fulgurante : “Ce sont les informations plutôt que les commentaires qui font
l’opinion. Un journaliste en possession de faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste
qui se contente de tonitruer en chaire, aussi éloquent soit-il.” »
Organisés depuis l’Élysée dans une grande opacité, les États généraux (présidentiels) de
l’information, auxquels l’initiative du FPL répond, témoignent de la longue durée française de
défiance politique et étatique vis-à-vis de ce journalisme indépendant. Par leur conception même, ils
disent une conception appauvrie, rabougrie et nécrosée, de la démocratie, dont la réforme ô
combien urgente et nécessaire d’un contre-pouvoir primordial – le droit d’être informé librement –
est ainsi placée entre les mains du seul président de la République, décisionnaire en dernier ressort,
selon son bon vouloir et sans aucune procédure qui le contraigne. Il y a un an, dans leur appel à
refonder l’action publique, les universitaires Dominique Bourg et Johann Chapoutot ne cachaient
pas leur haute colère face à ce discrédit de notre idéal démocratique par ceux-là même qui en ont la
charge : « Par manque d’imagination et d’empathie, par leur bêtise et leur inculture, par leur
incapacité à projeter et à se projeter, par leur cynisme et leur médiocrité, nos “gouvernants” sabotent
un régime démocratique déjà fragile et abîmé. Leur rôle serait de servir l’intérêt général et non de
voler au secours des intérêts particuliers qui les financent, qui les conseillent et les influencent. » Le
symbole le plus manifeste de ce sabotage réside dans ce qu’est devenu notre débat public, où la
dictature des opinions s’impose à la démocratie des informations. Par leur inaction, leur
complaisance ou leur complicité, vis-à-vis des milliardaires qui sont devenus maîtres du paysage
médiatique, les pouvoirs en place et leur personnel politique ont donné la main à cette décadence.
Non seulement en les laissant conquérir et régner sans freins ni limites, mais en accompagnant cette
déchéance par leur propre surenchère, où la vérité des faits devient relative face à des opinions qui
ne s’autorisent que d’elles-mêmes. « Au lieu d’affronter l’essentiel », écrivent encore Bourg et
Chapoutot, « ils amusent la galerie par des polémiques stupides, des punchlines indignes ou des
propositions insensées. Être plongé au quotidien dans un tel bruit, dans une telle suite de mots
incohérents, de décisions absurdes et d’inactions coupables est plus qu’éprouvant. L’espace public
est saturé par ces sottises et les commentaires sans fin qu’ils engendrent, pendant qu’un scandale
chasse l’autre. » Or, soulignent-ils, c’est précisément ce qu’attendent les ennemis radicaux de la
démocratie et de l’égalité des droits qui la fonde.
« Noyer les gens dans la merde » (sic), recommandait ainsi l’Américain Steve Bannon,
idéologue et stratège trumpiste prisé par l’extrême droite française. Version scatologique de l’écran
de fumée dont l’objectif ultime est d’égarer le public, afin qu’il n’y voie plus clair ou, plutôt, plus
rien, et dès lors ne sache plus quoi faire ni quoi dire. Qu’il soit littéralement perdu et, par
conséquent, impuissant et malléable. L’enjeu n’est donc pas seulement de défendre un minimum de
dignité dans un débat public qui, de nos jours, manque terriblement de tenue. Il est surtout de
remettre sur ses bases une démocratie à la dérive en défendant l’exigence d’une information libre et
indépendante. Ce combat suppose d’affronter sans barguigner cette spécificité française qu’est
l’avènement, grâce à l’indifférence des pouvoirs publics et au laxisme des autorités de régulation,
de médias de masse, radio et télévision, qui sont, en vérité, des médias de la haine. Indifférent aux
nombreuses amendes que lui signifie l’Arcom, qui a succédé au CSA, le groupe audiovisuel de
Vincent Bolloré profite librement d’un bien public – des canaux audiovisuels hertziens – pour
diffuser des opinions qui portent atteinte aux principes fondamentaux de la Constitution française et
des déclarations des droits humains dont elle se réclame. La cinquième des 59 propositions des
États généraux de la presse indépendante, qui toutefois n’a pas fait l’unanimité des participants, met
à ce sujet les pieds dans le plat : « Les conventions passées par l’Arcom pour l’attribution de
fréquences TNT publiques et en accès libre doivent interdire la transformation d’une chaîne
d’information en une chaîne d’opinion et obliger à un réel pluralisme au sein de ces chaînes. » La
liberté de dire, de tout dire, y compris le pire et l’abject, est ainsi devenue le cheval de Troie d’un
assaut contre le droit de savoir. Autrement dit, autant un média en kiosque ou en ligne que l’on va
choisir d’acheter ou de consulter peut se revendiquer de ses opinions, quitte à en répondre devant la
justice s’il enfreint la loi, autant un média de masse en libre accès et diffusion peut devenir d’une
opinion univoque et partiale. »

Après avoir résumé le texte précédent (de 800 mots environ) en 100 mots, ± 10 %, vous vous
demanderez si à la lecture des œuvres, il faut donner raison à l’affirmation suivante :
« La liberté de dire, de tout dire (...) est (...) le cheval de Troie d’un assaut contre le droit de savoir »

C. Viktorovitch

« Selon une idée couramment répandue, persuader s’opposerait à convaincre. Dans un cas comme
dans l’autre il s’agirait d’une activité permettant de faire adhérer les individus aux propositions que
nous leur soumettons. Mais alors que la conviction y parviendrait par le biais d’arguments et
d’informations, la persuasion aurait elle recours aux affects et aux passions. Convaincre serait le
domaine de la raison, persuader celui des émotions. L’une serait rigoureuse, l’autre fallacieuse.
La distinction entre convaincre et persuader n’est, au fond, que l’avatar d’une idée aussi
vieille que la philosophie elle-même : le dualisme entre raison et émotions.
Platon déjà, dans son Phèdre, comparait l’âme à un chariot tiré par deux chevaux ailés. L’un
paisible et docile : la volonté ; l’autre fougueux et rebelle : les passions. Quant au cocher, il est notre
raison. S’il ne tenait qu’à lui, il chercherait à s’élever vers le beau, le vrai, le bien. Mais il est gêné
par le cheval-passions, qui tire sans cesse l’attelage vers d’épéhémères et futiles plaisirs terrestres.
Descartes, lui, opposait l’âme, siège de la raison, au corps, lieu des passions et des sentiments. Les
stoïciens, et notamment Epictète, considéraient de leur côté les passions comme des égarements,
empêchant de prêter l’oreille à la raison. Certes, confessons-le : ces trois philosophies sont, en
réalité, moins tranchées sur ces questions que ne le suggère cette succincte présentation. Il
n’empêche que d’une manière ou d’une autre, elles en viennent toutes à opposer, en nous,
l’émotionnel au rationnel. (.../…)
En 1994, le neurologue Antonio Damasio publie un ouvrage important : L’erreur de
Descartes. Il y rapporte le cas de plusieurs patients souffrant d’un type de lésions cérébrales bien
spécifique – en l’occurence dans le cortex préfrontal ventromédian. Les conséquences en sont
surprenantes. Alors que ces individus conservent leur habileté intellectuelle, ils perdent tout ou
partie de leurs capacités à ressentir des émotions. Les voilà devenus malgré eux, d’authentiques
homo economicus. Des êtres parfaitement rationnels, dont les raisonnements ne peuvent être
contaminés par les affects. Or, que constate Damasio ? Dans les faits, c’est tout le contraire qui se
produit. La capacité de ces patients à prendre des décisions est gravement perturbée. Ils ne
parviennent plus à agir conformément à leur propre intérêt, sont incapables de faire des choix
logiques et judicieux, voire de s’organiser au quotidien, au point que Damasio parle d’une forme de
« sociopathie ». Ce qui est passionnant, c’est la conclusion qu’il en tire. D’après lui, il est illusoire
de prétendre séparer émotions et raison. L’une ne va pas sans l’autre. Nos affects sont indissociables
de notre capacité à prendre des décisions. Dans tout calcul rationnel, il y a une part d’émotionnel.
Ou, comme il le dit lui-même : « l’expression et la perception des émotions font sans doute partie
intégrante des mécanismes de la faculté de raisonnement. »
Du point de vue de la rhétorique, ces résultats constituent un apport fondamental. Ils
démontrent que le pathos n’est pas un simple outil, mobilisé de temps à autre par l’orateur pour
parvenir à ses fins. Il est, au-delà, une dimension intrinsèque de la conviction. A des degrés divers
bien sûr, sous des formes et avec des implications différentes (…). Mais même l’argumentation la
plus aride s’accompagne au fond, au fond, d’une réaction émotionnelle : l’intérêt, l’ennui, la
surprise, la satisfaction, l’excitation…En retour, ces affects viennent interagir avec la prise de
décision. Il semble donc bien qu’il soit impossible d’emporter l’adhésion sans, dans le même temps,
susciter des émotions.
Il nous faut toutefois reconnaître qu’il subsiste, ici, une forme d’ambiguïté. Dans le langage
courant, quand on parle d’« appel aux émotions », c’est généralement pour faire référence à des
procédés beaucoup plus explicites. Un discours politique déversant la peur, un spot publicitaire
inondant de désir, une campagne humanitaire submergeant sous la honte : voilà ce que l’on a
coutume de désigner sous le terme de pathos. De ce point de vue, il est effectivement nécessaire de
tracer une distinction claire entre deux éléments : d’une part la dimension émotionnelle qui est
inhérente à la prise de décision, et que l’on retrouve donc dans toute entreprise de conviction ;
d’autre part, les émotions qui sont sciemment suscitées par les oratrices et les orateurs. Ce sont elles
qui nous feraient irrémédiablement basculer du côté obscur de la « persuasion ». Or, nous voudrions
défendre l’idée inverse. Non seulement émouvoir un auditoire ne nous semble pas, en soi,
critiquable. Mais cela nous paraît même, parfois, nécessaire.
Commençons par rappeler des évidences : les êtres humains ne sont pas des machines. Nous
ne percevons pas le monde avec le regard surplomant d’un ordinateur. La réalité elle-même ne se
réduit pas à une suite de données alignées dans un tableau. Pour comprendre ce qui nous entoure,
notre raison ne suffit pas. Nous avons aussi besoin de nos émotions.
2 septembre 2015. le monde entier découvre, horrifié, la photo d’un corps échoué sur une
plage de Turquie. Celui d’un petit garçon en tee-shirt rouge et pantalon bleu, le visage enfoui dans
le sable, les cheveux encore léchés par les vagues. Il s’agit d’Alan Kurdi, trois ans. Fuyant la guerre
civile en Syrie, sa famille a tenté de gagner l’Europe en traversant la Méditerranée sur un bateau
pneumatique. Le navire de fortune a fait naufrage. Seul le père en a réchappé. Déchirant, le cliché
est massivement partagé sur les réseaux sociaux. Dans les jours qui suivent, sous la pression des
opinions publiques, les pays de l’Union européenne se résolvent à prendre une série de mesures
favorisant l’acceuil des réfugiés. Soyons clairs. Que ces décisions aient été bonnes ou mauvaises,
appropriées ou démesurées, nécessaires ou délétères, est ici hors de propos. De la même manière, le
fait que les Etats concernés aient largement fait marche arrière par la suite n’est pas la question. Ce
qui importe, c’est de remarquer qu’une seule image a suffi pour provoquer une réaction
internationale. Pourtant la situation n’est pas nouvelle. Depuis le début de l’année 2015,
l’aggravation du conflit syrien avait poussé des milliers de migrants à tenter de rejoindre l’Europe.
On estime que plus de 2500 hommes, femmes et enfants avaient déjà trouvé la mort, engloutis par
les flots. Les associations humanitaires tentaient d’alerter les peuples et les gouvernements
européens sur l’ampleur du drame. En vain. Malgré les arguments, les preuves, les chiffres, rien n’y
faisait. Les corps s’accumulaient. Jusqu’à cette photo. Alors que la raison semblait ne pas avoir de
prise, c’est une émotion mondiale qui, un temps, a fait bouger les lignes.
Quoiqu’on en pense sur le fond, du point de vue de la rhétorique, cet exemple est riche
d’enseignement. Il nous montre que, pour emporter l’adhésion, s’adresser à la raison n’est pas
toujours suffisant. Lorsqu’une situation nous est trop étrangère, elle nous devient inconcevable. Les
données, les statistiques et même les faits ne sauraient épuiser la réalité dans toute sa complexité.
Comprendre rationnellement est une chose. Réaliser pleinement en est une autre. Comme l’a montré
Alain Damasio, pour forger notre jugement, nous avons besoin à la fois de notre intellect et de nos
affects. Sans quoi nous ne sommes que des monstres froids. Voilà pourquoi il ne serait ni juste ni
judicieux de rejeter en bloc les émotions du côté de la persuasion et de la manipulation. Parfois
émouvoir notre auditoire est utile si nous voulons lui permettre de prendre conscience de la
situation que nous évoquons. »

Clément Viktorovitch, Le pouvoir rhétorique. Apprendre à convaincre et décrypter les discours, Le


Seuil, 2021

Vous résumerez ce texte en 100 mots, ± 10 %, puis vous expliquerez et discuterez la citation
suivante, en vous appuyant sur votre lecture des œuvres :

« il ne serait ni juste ni judicieux de rejeter en bloc les émotions du côté de la persuasion et de la


manipulation. Parfois émouvoir notre auditoire est utile si nous voulons lui permettre de
prendre conscience de la situation que nous évoquons. »

Luc-Thomas Somme

« La possibilité du mensonge est donnée avec la conscience même, dont elle mesure
ensemble la grandeur et la bassesse. » Cette remarque liminaire de Vladimir Jankélévitch situe
d’emblée la paradoxologie inhérente au mensonge. Celui-ci n’a de consistance que parce que son
sujet est un être capable de vérité et de liberté ; il est un signe en creux de la liberté d’une
conscience humaine (...) adulte. Dans La Métaphysique des mœurs, Kant fait cette observation : « Il
est remarquable que la Bible date le premier crime par lequel le mal est entré dans le monde, non du
fratricide (de Caïn), mais du premier mensonge (parce que la nature même s’élève contre ce crime)
et qu’elle désigne le menteur du début et le père des mensonges comme l’auteur de tout mal. »
L’interdit divin de porter un faux témoignage a été entendu et étendu par un important courant de la
Tradition comme une prohibition stricte de tout mensonge, comme une exigence de droiture et de
justice personnelles. Ne pas mentir n’est en effet qu’une expression indirecte d’un devoir du
locuteur. Ce qu’on attend de lui, au fond, n’est pas tant de dire ou de ne pas dire, ceci ou cela, mais
d’être vrai. Ne pas mentir est une condition de possibilité de cet « être vrai », mais, inversement,
l’homme n’est capable d’être vrai que parce qu’il est capable de mentir, ou plus exactement de
connaître s’il dit vrai ou non. Quoi qu’il en soit de l’exactitude de ce que dit un perroquet, il ne
saurait ainsi pas plus mentir que dire la vérité, par défaut de connaissance et d’intention. Il apparaît
ainsi, en première approche, que le mensonge contient à la fois une fausseté matérielle et objective
– un énoncé inexact – et une fausseté formelle et subjective – l’intention de tromper. Il consisterait à
dire quelque chose de faux alors qu’on le sait tel. Les choses ne sont pourtant pas si simples. Ne
ment en effet que celui qui manque à une vérité qu’il connaît, sinon il y a erreur et non pas
mensonge. Celui qui dit le faux en le croyant vrai ne ment donc pas. Celui qui dit le vrai en le
croyant faux ment-il ? Il le semble bien. En disant quelque chose de vrai, il ne dit pas la vérité, il
n’est du moins pas vrai, alors même que sa parole ne manque pas d’exactitude. Allons encore plus
loin : dire le vrai qu’on sait être tel n’est-il pas le cas apparemment le plus simple et le plus moral
de coïncidence entre vérité du locuteur et vérité de la locution ? Pourtant, est-ce si simple et si
moral, si, moi, bien portant, je te dis, à toi, malade, que tu vas mourir dans quelques jours ou
quelques semaines ? Toute vérité n’est pas bonne à dire, proclame le bon sens populaire. Il vaudrait
donc mieux parfois pouvoir se taire. Oui, mais ce n’est pas possible quand le silence a déjà le sens
d’une réponse. « Docteur, je ne vais pas mourir, n’est-ce pas ? » « Docteur, pensez-vous qu’il
gardera des séquelles ? » « Hébergez-vous un immigré clandestin ? » Autant de questions,
auxquelles une réponse exacte peut être inopportune et le mutisme d’une éloquence complice. Dire
la vérité peut faire mal et peut faire du mal. On peut même l’utiliser pour cela. Jankélévitch range
cette manipulation de la vérité dans la catégorie de la « sincérité diabolique » . Si la vérité peut bien
se montrer mensongère, inversement le mensonge ne dit-il pas, au rebours de son intention même,
indirectement, sinon le vrai, du moins du vrai, contrefait certes, mais tout de même en cela partitif ?
« On ment bien avec la bouche », dit Nietzsche, « mais avec le museau qu’on fait on dit la vérité
quand même » : « c’est la vérité du mensonge, écrit Jankélévitch, aussi inéluctable que
l’authenticité de l’illusion, l’intelligibilité de l’absurde ou l’ordre du désordre, la vérité obligatoire
sans cesse régénérée par-dessous les ruses qui l’altèrent. » Car le mensonge, non moins que la
vérité, suppose une relation, qu’il pervertit mais qu’il signe aussi, renvoyant trompeur et trompé à
une commune responsabilité. La question morale de la vérité et du mensonge requiert ainsi, comme
l’a bien vu Jankélévitch, la prise en compte de trois variables : l’intention, la réalité objective et le
rapport entre conviction et parole. »
(.../…)

Luc-Thomas Somme, « La vérité du mensonge », Revue d’éthique et de théologie morale (2005)

Résumer le texte suivant (d’environ 800 mots) en 100 mots ± 10 %


(→ résumé à rendre par écrit le jour de la colle)

Puis discuter le passage suivant, en mobilisant les œuvres au programme :


« le mensonge, non moins que la vérité, suppose une relation, qu’il pervertit mais qu’il signe
aussi, renvoyant trompeur et trompé à une commune responsabilité. »

idem

« Dans son petit écrit de 1797 intitulé Sur un prétendu droit de mentir par humanité, Kant
polémique avec Benjamin Constant. Celui-ci, dans Des réactions politiques, lui reproche
l’affirmation d’un devoir absolu et illimité de dire la vérité, qu’il voit comme destructeur du lien
social : « Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris de manière absolue et
isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences directes
qu’a tirées de ce premier principe un philosophe allemand qui va jusqu’à prétendre qu’envers des
assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre
maison, le mensonge serait un crime. » Benjamin Constant met en corrélation le supposé devoir de
dire la vérité avec un droit à l’entendre dire : « Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ?
L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond
aux droits des autres. Là où il n’y a pas de droit, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un
devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. »
Cette réduction de la vérité à sa composante sociale est du reste déjà présente chez Grotius et
Puffendorf. Selon cette logique, je ne mens en parlant contre la vérité qu’à l’égard de ceux à qui je
la dois. Du point de vue de Kant, en revanche, je ne dois pas la vérité seulement à l’autre, à qui je
parle, mais je me la dois non moins à moi-même, ou, pour le dire autrement, à l’humanité,
commune en moi, à moi et à l’autre : « la véracité dans les déclarations que l’on ne peut pas éviter
est un devoir formel de l’homme à l’égard de chacun, quelle que soit l’importance du dommage qui
peut en résulter pour lui ou pour un autre. Et bien que je ne commette pas d’injustice envers celui
qui me contraint injustement à une déclaration quand je la falsifie, je commets cependant par une
telle falsification qui, pour cette raison, peut elle aussi être appelée mensonge – quoique dans un
sens qui n’est pas celui des juristes – une injustice dans la partie la plus essentielle du devoir en
général : c’est-à-dire que, pour autant que cela dépend d’elle, mon action a pour effet que des
déclarations en général ne trouvent pas de créance, et que, par conséquent, tous les droits qui sont
fondés sur des contrats tombent également et perdent leur force : ce qui constitue une injustice à
l’encontre de l’humanité en général ». On l’aura compris : Kant retourne au passage l’argument de
Benjamin Constant : ce qui « rendrait toute société impossible », ce ne serait pas de dire toujours la
vérité, mais, en s’autorisant à mentir, de ruiner la confiance nécessaire entre les interlocuteurs. La
prohibition du mensonge est donc absolue : « c’est donc un commandement de la raison sacré,
absolument impératif et que ne peut limiter aucune convenance : que d’être véridique (honnête)
dans toutes ses affirmations ». Cela vaut toujours, en toute circonstance, même s’il en résulte un
dommage pour autrui : « en réalité tout homme n’a pas seulement un droit à la véracité, mais il en a
même le devoir le plus strict dans les déclarations qu’il ne peut éviter, même si cette véracité peut
lui nuire ou nuire à un autre. Ce n’est donc pas proprement lui-même qui nuit à celui qui en subit les
conséquences, mais c’est un accident qui est la cause de ce dommage. Car ici il n’est pas libre de
choisir, parce que la véracité (s’il est obligé de parler) est un devoir absolu ». En outre, la thèse de
Benjamin Constant recèle une difficulté : la société, l’humanité devraient-elles être divisées entre
ceux qui ont droit à la vérité et ceux qui n’y ont pas droit ? Et si tel est le cas, à qui appartiendra-t-il
le soin d’opérer cette division ? Comment éviter que celui à qui, en raison des circonstances, il en
coûte de dire la vérité, ne s’exonère trop facilement de ce devoir ? Par conséquent, « le ”philosophe
allemand“ n’acceptera donc pas comme principe la proposition que ”dire la vérité n’est un devoir
qu’envers ceux qui ont droit à la vérité“ ; en premier lieu, parce que sa formulation est imprécise
dans la mesure où la vérité n’est pas un bien qu’on possède et sur lequel un droit serait reconnu à
l’un tandis qu’il serait refusé à l’autre ; ensuite et avant tout, parce que le devoir de véracité (en tant
qu’il n’est question ici que de lui) ne fait aucune distinction entre les personnes à l’égard de qui on
pourrait avoir ce devoir et celles à l’égard de qui on pourrait aussi s’en dispenser, mais constitue un
devoir absolu dont la validité s’étend à toutes les relations. »

Luc-Thomas Somme, « La vérité du mensonge », Revue d’éthique et de théologie morale (2005)

Résumer le texte suivant (d’environ 800 mots) en 100 mots ± 10 %


(→ résumé à rendre par écrit le jour de la colle)

Puis discuter le passage suivant, en mobilisant les œuvres au programme :

« Dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. »

idem

« L’interdiction rigoureuse du mensonge jusque dans les occasions où il apparaîtrait le plus


inévitable, représentée par Augustin, Thomas d’Aquin et Kant, n’est cependant pas l’objet d’un
consensus. (.../...) On aurait tort de penser que les Pères soient unanimes autour de la position de
saint Augustin. Une autre tradition existe, de « Pères miséricordieux » : Clément d’Alexandrie,
Origène, Jean Chrysostome, Cassien, Hilaire, ce dernier écrivant par exemple : « il arrive que le
respect scrupuleux de la vérité soit difficile ; en certaines circonstances, le mensonge devient
nécessaire et la fausseté utile ; ainsi nous mentons pour cacher un homme à quelqu’un qui veut le
frapper, pour ne pas donner un témoignage qui ferait condamner un innocent, pour rassurer un
malade sur sa guérison.»
Dans les derniers siècles, surtout, se sont multipliées des prises de position en faveur du
caractère inévitable, voire nécessaire, du mensonge dans certains cas spéciaux. Schopenhauer
caractérise ainsi la nocivité du mensonge : « si le mensonge est illégitime, c’est pour cette unique
raison, et par suite à condition qu’il soit un instrument de tromperie, qu’il serve à violenter les gens
à l’aide de la loi des motifs. Or c’est ce qu’il fait ordinairement ». Si le mensonge est violence, il lui
emprunte sa qualification morale. Or l’usage de la force n’est pas toujours injuste : il existe une
légitime défense qui peut y recourir. Par conséquent, le mensonge est possible et nécessaire dans les
cas où, analogiquement, la violence serait permise : « puisque je peux, sans injustice, donc de plein
droit, repousser la violence par la violence, je peux de même, si la force me fait défaut, ou bien, si
elle ne me semble pas aussi bien de mise, recourir à la ruse. Donc, dans les cas où j’ai le droit d’en
appeler à la force, j’ai droit d’en appeler au mensonge également : ainsi contre des brigands, contre
des malfaiteurs de n’importe quelle espèce ; et de les attirer dans un piège. Et de même une
promesse arrachée de force ne lie point. Mais en réalité le droit de mentir va plus loin encore : ce
droit m’appartient contre toute question que j’ai n’ai pas autorisée, et qui concerne ma personne ou
celle des miens : une telle question est indiscrète ; ce n’est pas seulement en y répondant, c’est
même en l’écartant avec un ”je n’ai rien à dire“, formule déjà suffisante pour éveiller le soupçon,
que je m’exposerais à un danger. Le mensonge en de tels cas est l’arme défensive légitime, contre
une curiosité dont les motifs d’ordinaire ne sont pas bienveillants ».(...) Schopenhauer en appelle au
réalisme de l’expérience quotidienne (...) : il y voit une exigence de vérité, suggérant ainsi qu’une
prohibition théoriquement absolue du mensonge au nom d’un impérieux devoir de vérité risquerait
fort de n’être qu’hypocrisie démentie par d’inévitables entorses pratiques au principe ainsi révéré et
proclamé. Mieux vaudrait alors délimiter soigneusement mais, partant, reconnaître les occasions
légitimes de mensonge : « tel est l’unique moyen de faire cesser cette contradiction choquante entre
la morale telle qu’on la professe, et la morale telle qu’on la pratique tous les jours, même parmi les
hommes les plus sincères et les meilleurs ». La consistance éthique de cette analogie avec la
légitime défense et de cette thèse de l’autoprotection du menteur reste bien faible en regard des
impératifs, tant individuels que sociaux, de droiture et de vérité mis en valeur par les auteurs de la
ligne sévère.
La réflexion de Vladimir Jankélévitch sur la sincérité constitue une objection plus
troublante à la prohibition universelle du mensonge. Elle soutient, comme attitude éthique de fond,
la préférence pour l’autre, surtout en sa faiblesse, et par conséquent le primat de l’amour d’autrui
sur la préservation puriste de ma propre véracité. Le propos est étayé par deux exemples, déjà
évoqués par saint Augustin : faut-il dire la vérité, d’une part au malade qui va mourir et, d’autre
part, à ceux qui pourchassent, pour le tuer, celui qui s’est réfugié chez moi ? Quant au premier cas,
Jankélévitch affirme : « il ne faut pas que les hommes pauvres et seuls aient de la peine, ceci est
plus important que tout et même que la vérité. Il ne faut pas faire de la peine au mourant, fût-ce au
prix d’une entorse à la vérité ; non, il ne faut pas dire la vérité au mourant. (...) Le mensonge-par-
amour qui est survérité est paradoxalement plus vrai que la vérité vraie (…). C’est la vérité pure et
simple qui est dans bien des cas un mensonge. Un sage qui ment par bonté est donc plus
profondément véridique qu’un sophiste qui dit la vérité par méchanceté ! (...) Malheur aux brutes
qui disent toujours la vérité ! Malheur à ceux qui n’ont jamais menti ! ». Bien sûr, Jankélévitch ne
fait aucune apologie du mensonge ; il maintient qu’il faut toujours répugner à en user, mais observe
que la préservation des valeurs supérieures le rendent, de fait, parfois inévitable et nécessaire, en
sorte qu’à défaut de le vouloir en vraie liberté de choix, il faut se résigner à y consentir malgré soi :
« celui qui n’admet pas le principe du mensonge admettra en fait le fait du mensonge, par cette
bonne raison que la créature ne fait que ce qui est possible. (...) elle ne veut pas le mensonge
positivement ni directement ni transitivement : elle le veut sans le vouloir expressément ; elle le
veut avec répugnance, non pas d’une volonté ”ambivalente“ et déchirée, mais d’une nolonté
voulante, et pour ainsi dire la mort dans l’âme et à son corps défendant ; elle le veut en le
maudissant, et comme on veut un moindre mal ; et elle vomit ce qu’elle veut ; car elle veut à travers
lui autre chose dont il est le chemin : elle s’en sert donc comme d’un médiateur ; son intention vise
au-delà, plus haut et plus loin. Celui qui veut sincèrement la vérité (... ) consent au mensonge, ou
tout simplement s’y résigne».
Luc-Thomas Somme, « La vérité du mensonge », Revue d’éthique et de théologie morale (2005)

Résumer le texte suivant (d’environ 1000 mots) en 110 mots ± 10 %


(→ résumé à rendre par écrit le jour de la colle)

Puis discuter le passage suivant, en mobilisant les œuvres au programme :

« Celui qui veut sincèrement la vérité (... ) consent au mensonge, ou tout simplement s’y
résigne »

P. Breton

« Analyser la manipulation implique de compléter le terrain de la description par un point de vue


plus normatif, qui nous permettrait de distinguer, sur le plan des méthodes, le convaincre « légitime
» de celui qui ne le serait pas. La tâche est évidemment redoutable. L’époque n’accorde guère de
sympathie aux tentatives de distinction normative entre ce qui serait une méthode « légitime » et
celle qui ne le serait pas. Toute réflexion de ce type est souvent assimilée à une intention de censure.
La difficulté ne réside pourtant pas essentiellement là. La question est en effet plutôt de définir des
critères normatifs qui soient suffisamment précis sur le plan de la théorie comme sur celui de
l’analyse concrète des pratiques et qui par ailleurs aient des présupposés explicites. Par «
manipulatoire » on entendra ici, de manière plus générale, une action violente et contraignante, qui
prive de liberté ceux qui y sont soumis. Dans ce sens, elle est déshonorante et disqualifiante pour
celui qui met en œuvre de telles ressources, quelle que soit la cause défendue. Cette précision paraît
nécessaire au regard de l’emploi que font certains auteurs du terme « manipulation », dans le
contexte de relations humaines. Pour certains, tout serait manipulation, et il n’existerait aucune
référence possible à d’autres formes du convaincre. L’alternative serait entre violence physique et
manipulation, et, à tout prendre, selon un tel raisonnement, mieux vaudrait donc la manipulation.
Comment peut-on en effet renoncer à l’espoir de relations « libres et authentiques » entre les
hommes, d’autant que ceux-ci s’y livrent plus fréquemment qu’il n’y paraît ? Comment y renoncer
surtout quand on se place du point de vue de la démocratie, qui en fait une norme essentielle ?
Décrire les pratiques de manipulation n’a de sens que pour dessiner a contrario l’espace de
pratiques humaines souhaitables. C’est donc bien en un sens de normes dont il s‘agit ici. Nous
pouvons d’ailleurs être conforté dans cette approche par le fait que la plupart des travaux qui ont été
réalisés sur ces questions n’évitent pas, quelles que soient leurs déclarations de principe initiales, la
question d’une partition entre les méthodes légitimes et celles qui ne le sont pas. Comment peut-on
faire autrement sans prendre le risque de justifier toutes les méthodes qui permettent d’agir sur
autrui, c’est-à-dire de n’adopter qu’un point de vue cynique sur le monde ? La manipulation
s’appuie sur une stratégie centrale, parfois unique : la réduction la plus complète possible de la
liberté de l’auditoire de discuter ou de résister à ce qu’on lui propose. Cette stratégie doit être
invisible car son dévoilement indiquerait qu’il y a tentative de manipulation. Ce n’est pas tant le fait
qu’il y ait une stratégie, un calcul, qui spécifie la manipulation, que sa dissimulation aux yeux du
public. Les méthodes de manipulation avancent donc masquées, et c’est souvent comme cela qu’on
les reconnaît. Dans l’acte de manipulation, le message, dans sa dimension cognitive ou sa forme
affective, est conçu pour tromper, induire en erreur, faire croire ce qui n’est pas. Ce message est
donc toujours mensonger. À cette affirmation on pourrait objecter, dans le cas de la propagande
raciste, que, lorsque certains propagandistes d’extrême-droite défendent un tel point de vue, ils y
croient eux-mêmes. C’est à ce point précis qu’il est nécessaire d’introduire une distinction entre le
point de vue défendu (…) et les énoncés divers qui vont être construits et utilisés pour le défendre.
L’extrême-droite ne se contente pas de nous informer qu’elle est raciste et que ce serait bien – de
son point de vue – que nous le soyons aussi. Il y a manipulation parce qu’il y a fabrication d’un
message qui, lui, relève d’une stratégie du mensonge. Prenons l’exemple de la tentative de fonder le
racisme sur une base scientifique. Celui-ci a longtemps été présenté comme une « réalité
scientifique ». Cette affirmation qui suscite aujourd’hui, hélas, un intérêt renouvelé, convainc de
nombreuses personnes, qui auraient été plus résistantes autrement, de la légitimité d’un tel
sentiment. Or aucun dirigeant d’extrême-droite ne peut croire que le racisme est fondé
scientifiquement, puisqu’aucune preuve n’a jamais pu être fournie de ce point de vue malgré les
efforts de scientifiques acquis à cette cause (…). Tout au plus peuvent-ils croire qu’un jour ces
théories seront fondées scientifiquement et qu’ainsi leur croyance sera prouvée. Il y a donc un
décalage entre l’opinion réelle – le sentiment raciste auquel ils adhèrent – et le message –
manipulatoire – qu’ils proposent pour le défendre. Ce décalage s’observe partout où l’on construit
artificiellement un message en fonction uniquement de sa capacité à emporter coûte que coûte
l’adhésion de l’auditoire, qu’il s’agisse de la politique, de la communication ou de la publicité. Le
manipulateur ne croit pas ce qu’il dit, même s’il est certain de l’opinion qu’il défend. Le procédé
manipulatoire est également caractérisé par le fait qu’il intervient sur une résistance, une opposition,
ou, a minima, une non-acceptation immédiate de ce dont le manipulateur veut convaincre. Si tel
était le cas, il n’aurait pas besoin de mettre en oeuvre de tels procédés. Nous sommes bien dans la
dimension du convaincre, qui suppose, selon la jolie formule de Francis Goyet, qu’on ne prêche ni
dans le désert ni à des convertis. On ne cherche pas lorsqu’on manipule, à argumenter, c’est-à-dire à
échanger une parole, mais à l’imposer à quelqu’un qui n’y croit pas au départ. La manipulation
consiste à entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer
un comportement sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction. Tout est là, dans ce geste qui
se cache à lui-même comme manipulatoire. C’est là que réside sa violence essentielle. En effet à la
différence de la violence physique qui fonde une intercation effective, la violence psychologique ou
cognitive qu’implique la manipulation doit toute son efficacité à sa dissimulation. Aussi les
mécanismes techniques de construction du message manipulatoire relèvent-ils d’une double
préoccupation : identifier la résistance qui pourrait lui être opposée et masquer la démarche elle-
même. Là réside une différence essentielle avec l’argumentation, où l’on explique, en même temps
que l’on convainc, comment on s’y prend. La parole manipulatoire entretient de ce point de vue un
curieux rapport au silence : là où l’argumentation aménage des pauses qui sont autant de
respirations dans le dialogue et laisse à l’interlocuteur la possibilité de réfléchir, d’objecter,
d’accepter ou de refuser, la manipulation semble avoir comme caractéristique de traquer le silence
dans l’interaction afin d’emprisonner l’autre dans une séquence continue où il n’a pas d’autre choix
que de se rendre. »
Philippe Breton, La parole manipulée, La Découverte, 2020, p. 21-25

Après avoir résumé le texte vous discuterez la citation suivante :

« Décrire les pratiques de manipulation n’a de sens que pour dessiner a contrario l’espace de
pratiques humaines souhaitables. »
ou :
« Le manipulateur ne croit pas ce qu’il dit, même s’il est certain de l’opinion qu’il défend. »

ou encore :

« On ne cherche pas lorsqu’on manipule, à argumenter, c’est-à-dire à échanger une parole,


mais à l’imposer à quelqu’un qui n’y croit pas au départ. »

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