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LA FABRIQUE
DE NOS SERVITUDES
1. Georges Canguilhem écrit : « inutile de relever l’usage, c’est-à-dire l’abus, d’expressions non
pertinentes telles que cerveau conscient, machine consciente, cerveau artificiel, ou intelligence
artificielle. », « Le cerveau et la pensée », in Georges Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Paris,
Albin Michel, 1993, p. 21.
2. Le sinologue Jean-François Billeter évoque cette ignorance délibérée des savants : « ce dont les
savants n’ont pas conscience, c’est que la raison abstraite qu’ils manient avec tant de succès résulte de
l’application au monde physique d’une forme d’abstraction qui a son origine dans la relation marchande
et qui entretient avec elle un indissoluble lien. » in Chine trois fois muette, Paris, Allia, 2000, p. 18
(version originale publiée en 1991).
3. Magnifique formule de Gilles Deleuze et de Félix Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie ?,
Paris, Minuit, 2005, p. 202.
4. Bertolt Brecht écrit : « le fascisme traite la pensée comme un comportement. Ce qui fait d’elle un
acte au sens juridique, le cas échéant criminel, et passible de sanctions appropriées. », Écrits sur la
politique et la société, Paris, L’Arche, 1970, p. 130 (version originale publiée en 1967).
5. Viviane Forrester, L’Horreur économique, Paris, Fayard, 1996.
6. Selon la formule de George Orwell dans 1984 : « War is peace. Freedom is slavery. »
7. Norbert Elias, La Solitude des mourants, Paris, Christian Bourgois, 1988 (version originale publiée
en 1982), p. 38.
8. Le concept d’habitus a été conceptualisé par Pierre Bourdieu comme « schème de pensée »,
« schème de conduite », il signifie à l’origine « mode d’être ou d’agir », « manière de se comporter ». Il est
la traduction latine d’un terme employé par Aristote pour désigner les facultés acquises.
9. Sigmund Freud, « Psychologie collective et analyse du Moi » in Essais de psychanalyse, Paris, Payot,
1981 (version originale publiée en 1921), p. 123-217.
10. Simone Pierranni, Red Miror. L’avenir s’écrit en Chine, Caen, C&F Éditions, 2021 (version
originale publiée en 2020).
11. Nicholas Negroponte, L’Homme numérique, Robert Laffont, 1995, p. 281.
12. Toute l’œuvre de Pierre Bourdieu atteste de cette haine du néolibéralisme pour les sciences
sociales qui analysent les conditions sociales de production des connaissances et mettent à nu les mirages
de l’« objectivisme ».
PREMIÈRE PARTIE
« Avec le temps, ça a été de plus en plus contrôlé. Plus les années ont
passé, plus le format de ce qui marchait, en termes d’audience, s’est
développé et rigidifié. Tout s’est bureaucratisé, hiérarchisé et, comme dans
toute industrie, la pression sur la production s’est fortement
intensifiée. La tendance est à la réduction des équipes et à la
multiplication des manageurs qui, pour justifier leur position, se doivent
d’intervenir dans tous les domaines, du scénario au casting. Dans les
années 1960, ils ne vous disaient pas quel acteur vous deviez engager. »
Nous sommes entrés dans des sociétés d’information. Nous n’en finissons
pas d’être informés. Pour Gilles Deleuze, l’information est « un ensemble de
mots d’ordre », un « communiqué » qui nous dit « ce que nous sommes tenus
de croire 1 ». C’est dire que nous sommes constamment contrôlés, influencés,
manipulés. Nous sommes sans cesse inclus dans des programmes qui
fonctionnent à la manière des gens placés sur les autoroutes : « en faisant des
autoroutes, vous multipliez des moyens de contrôle. Je ne dis pas que cela soit
ça le but unique de l’autoroute, mais des gens peuvent tourner à l’infini et sans
être du tout enfermés, tout en étant parfaitement contrôlés. 2 » L’enclos est le
lieu même des sociétés de la norme, des sociétés de contrôle. Non
l’enfermement dans l’espace des sociétés disciplinaires (prisons, hôpitaux,
écoles, usines…), mais un enfermement dans l’abstraction des chiffres, des
diagnostics, des races, des classes, des palmarès. Cet enfermement est d’autant
plus perfide et insidieux que ses « murs » algorithmiques sont instables et
liquides. Nous sommes dans l’obligation de « bouger » pour pouvoir suivre les
traces des normes qui les mesurent et fluctuent constamment, et en même
temps placés dans l’immobilité pérenne des assignations aliénantes. Pour
exemple, les universités continuent désespérément à se normaliser pour
apparaître en bonne place au classement de Shanghai, et de ce fait
s’immobilisent et obstruent leur devenir. Elles renoncent à leur singularité, à
l’originalité de leurs projets pédagogiques pour rejoindre le troupeau et le
concert uniforme de ses bêlements. Ce qui est d’autant plus étonnant que par
ailleurs foisonnent de nombreuses analyses qui en reconnaissent l’absurdité 3.
Ces « sociétés de contrôle » se sont épanouies, développées, étendues,
épaissies, de manière à la fois concentrée et diffuse. Les contrôles dans le
télétravail et l’enseignement à distance via le minitel, anticipés par Gilles
Deleuze, ont explosé avec la prolifération des interconnexions numériques. La
pandémie de Covid-19 aidant, nos sociétés ont accédé à la condition d’un
humain numérique, habitant un logement digital, implanté dans une ville
« intelligente », nourri par des services à la personne via Internet, formé par des
cours en ligne, voué au télétravail, administré par Pôle emploi pendant les
périodes de chômage, libertin en diable sur les sites de rencontres, dans
l’attente d’une dématérialisation définitive recueillie par les urnes funéraires
numériques de Facebook. Ces vies gouvernées par des ordinateurs à l’abri
desquels se cachent des puissances financières qui n’ont jamais été élues, mais
qui décident, ce sont les nôtres à présent, à quelques nuances près. Dans ce
« mode d’être de l’ordre 4 » nous sommes invités à nous comporter comme
nous le prescrivent « objectivement » les informations et surtout, sans avoir à
les comprendre. La particularité d’une information est de réduire l’incertitude
du monde et non de communiquer un sens. Elle est anxiolytique. À l’image
des ordinateurs pour lesquels la signification d’un message se réduit à la
combinaison de son code, de sa syntaxe, nous n’avons qu’à suivre les
procédures pour nous orienter 5.
Ce monde intrinsèquement modulable à l’infini est élastique, transcende
les normes et convertit tous les objets, formes, sons, couleurs en bits. Ces
nouvelles molécules de l’univers numérique sont sans forme et sans poids,
anges de l’intelligence artificielle, elles se convertissent et se transportent à
l’infini des multimédias. La réalité elle-même subit un processus de
métamorphose, les signifiants qui la désignent sont restés les mêmes, mais les
significations ont changé de fond en comble. L’amitié est un lien sur Facebook,
l’amour la consultation sur un site de rencontre sur lequel on match, aller au
travail consiste à ouvrir son ordinateur dans son lit, faire ses courses se réduit à
envoyer au supermarché la liste des produits désirés et à livrer, visiter un musée
ou un appartement procède de la promenade virtuelle. Nous sommes entrés
dans une phase de « chaos épistémique 6 » créé par l’incorporation des
algorithmes dans les choses, les pensées et les corps. Leur pouvoir de prédation
de nos données intimes, de stockage de nos traces et de nos profils, de
sophistication des techniques de contrôle et de normalisation installe un
« capitalisme de surveillance 7 ». La gouvernance numérique et technocratique
exercée par ce capitalisme financier et numérique a fait exploser les contre-
pouvoirs traditionnels des sociétés démocratiques. De haut en bas, la chaîne
d’esclavage des autocraties numériques installe ses automatismes et son
quadrillage normatif et de contrôle. C’est au cœur des métiers 8 que les radars
de nos servitudes sont installés au nom de la modernité, de l’efficacité
économique, de la performance comportementale, voire au nom de la
« science ». Tels les héros de Nous autres, nous incorporons aisément en nous-
mêmes des métronomes invisibles qui scandent les moments de nos existences
9
et orientent nos choix . Non seulement les technologies tendent à envahir le
champ de la médecine somatique de multiples façons pour mieux réparer nos
corps (e-médecine, dossier médical informatisé, consultations auprès de start-
up algorithmiques faisant de la relation humaine avec un praticien un luxe
réservé aux plus riches…), mais la psychiatrie elle-même commence à se
convertir à la condition d’un patient et d’un soignant numériques pour mieux
réhabiliter les âmes. Les métiers se coulent dans le numérique et en épousent
l’esprit, l’éthique.
Par exemple, la prolifération d’« agents conversationnels », psychiatres ou
psychologues virtuels, prenant en charge les « pathologies mentales » comme
les addictions et les troubles du sommeil est symptomatique de cette nouvelle
culture numérique des métiers : « les agents conversationnels sont des
personnages informatiques avec une apparence graphique humaine, qui
permettent d’engager un dialogue en face à face, à travers des modalités
verbales (types de discours) ou non verbales (posture, gestes, intonations de
voix…). 10 » Nul doute que nous perdons en relation incarnée ce que nous
gagnons en informations numériques. Gageons que ces agents
conversationnels, au contraire de leurs doublures humaines, éviteront les
lapsus, les dérapages de la voix, les troubles des affects, les vicissitudes des
contre-transferts et les vulnérabilités humaines des thérapeutes par lesquelles,
bien souvent, se font, au cours des psychothérapies, le partage des émotions.
Mon psy est une « machine », nul doute que je n’ai plus à craindre ses désirs, à
m’interroger sur ses pensées, à me défier de ses intentions.
Plus ambitieux encore est le « parcours de soins innovant dédié aux
personnes avec troubles bipolaires 11 ». Ce projet d’expérimentation Passport
BP, porté par la Fondation FondaMental qui rassemble tout le gratin de la
néopsychiatrie « neuro-économique », soutenu par des start-up et des
industries de santé, avec la bénédiction de l’ex-ministre de la Santé, Agnès
Buzyn, prend pour objectifs d’« améliorer le pronostic psychiatrique et
somatique des patients [bipolaires], leur qualité de vie et leur satisfaction tout
en améliorant la performance médico-économique du système de santé. 12 »
Pour qui connaît un tant soit peu les mots-clés des discours neuro-
économiques à la mode, tout y est : le traitement des données par outils
numériques, le suivi des indicateurs de détérioration des comportements (avec
l’application MentalWise, qui n’est, ni plus ni moins, qu’un système de
télésurveillance des patients), l’assimilation des souffrances psychiques à des
troubles du comportement sans autres significations que les autres désordres
physiologiques (cardiaques, respiratoires, diabétiques…), les références à la
psychoéducation et aux remédiations cognitives et… le modèle économique de
gestion des soins associant l’efficacité des acteurs, la satisfaction des usagers et
l’intéressement des actionnaires. Au motif de faire progresser la rationalité
« scientifique » de la psychiatrie et celle des industries de l’intelligence
artificielle, des modes de prises en charge dignes des sociétés totalitaires
s’installent au cœur même du traitement et du suivi des souffrances psychiques
et sociales. Le suivi numérique des informations est venu remplacer le soin plus
que jamais menacé 13. La machine informatique remplace vite la relation
clinique avec des soignants dont le privilège sera réservé aux plus riches 14.
Après avoir réduit les symptômes psychiatriques – que la psychanalyse
approchait comme des « blessures de mémoire » –, à la notion « trouble », de…
troubles du comportement 15, la néopsychiatrie fait un pas de plus, elle les
convertit en données purement numériques. La parole a été passée à la
moulinette de la machine algorithmique et le « parcours de soin » devient un
suivi de dossier. Non seulement les souffrances psychiques deviennent des
pathologies comme les autres, les psys des médecins comme les autres, mais les
patients eux-mêmes se voient réduits à des profils biostatistiques que l’on peut
suivre administrativement toute leur vie, à défaut de les écouter et de les
comprendre !
Mais, il n’y a pas que les patients qui sont ainsi transformés. Pour parvenir
à cette révolution symbolique, la gouvernance technocratique du ministère de
la Santé s’assure de la conversion des professionnels et de leurs actes au langage
numérique. Les soignants se doivent de savoir que le mieux qu’ils aient à faire
est de se convertir au numérique, radicalement. C’est la modernité et
l’innovation qui l’exigent. Au moment où je termine cet ouvrage, le ministre
des Solidarités et de la Santé, le Dr Olivier Véran, déclare : « il est urgent de
refonder notre santé publique et d’installer une culture moderne et innovante
pour toujours mieux accompagner nos concitoyens en tirant les enseignements
de la crise sanitaire. » Ce « communiqué » procède autant d’une information
sur les intentions du ministre que de la transmission de « mots d’ordre » aux
professionnels. Il contient l’essentiel des « valeurs » dont se prévaut le
capitalisme numérique : « santé publique », « culture moderne », « innovante »
(à voir !), « enseignements de la crise » (on croit rêver). Ce « communiqué »
suit de quelques semaines une série de textes de « droit mou » (rapports à
l’IGAS, à la Cour des comptes, arrêtés 16 divers et variés…) modifiant de
manière indirecte et insidieuse la prise en charge des patients en souffrances
psychiques et sociales. Les files d’attente des établissements de soins
pédopsychiatriques étant engorgées, le gouvernement tente d’externaliser vers
les praticiens libéraux la prise en charge des enfants. Les établissements sont
invités à se transformer en plateformes de services d’orientation et les praticiens
en opérateurs techniques assurant des prises en charge courtes et standardisées
sans ajustement singulier à chaque cas. En même temps, ces praticiens se
voient de plus en plus contraints à des protocoles techniques, leurs actes
prolétarisés et leur mise en œuvre professionnelle contrôlée et « ubérisée ». On
se tromperait lourdement à croire que c’est l’amour de la science qui conduit
les technocrates de la santé à préférer les médiations neurocognitives à la
psychanalyse. C’est tout simplement parce qu’ils parlent la même langue
numérique et que le savoir neurocognitif se dissout plus facilement dans la
rationalité pratico-formelle que la psychanalyse.
Les plateformes sont à la mode dans les textes ministériels, il en pousse
partout, elles sont mises « à toutes les sauces dans les circulaires des agences
régionales de santé – quand on ne veut pas reconnaître qu’on ferme un service
17
d’accueil ou de soin, on dit qu’on crée une plateforme. » La plateforme est
devenue l’arme de destruction massive des métiers et du goût pour le savoir
clinique. Le soignant idéal est une sorte de machine dont les technocrates du
ministère de la Santé programment les logiciels. Afin de s’assurer qu’il ne dévie
pas de l’autoroute où on l’a enfermé, il demeure sous surveillance sa vie durant.
Un projet d’ordonnance fixe le cadre d’un nouveau dispositif 18 de
« certification périodique des professionnels de santé », qu’ils soient libéraux ou
salariés. Ce projet les assujettirait tous les six ans à un contrôle des
connaissances et des compétences par les Ordres professionnels et un échec à
cette évaluation pourrait s’accompagner de sanctions administratives et
financières. Une sorte de « contrôle technique » en somme, analogue à celui
des voitures.
L’idéal de l’homme-machine est de faire en sorte que rien n’arrive qui n’ait
été prévu par son programme, ses « experts », ses « courtiers » en propagande
commerciale ou industrielle. Nous y sommes ou presque. Nous pourrions
écrire, comme D-503 dans Nous autres, « manifestement même chez nous, la
solidification, la cristallisation de la vie ne sont pas encore terminées et
quelques marches sont encore à franchir pour arriver à l’idéal. L’idéal, c’est
19
clair, sera atteint lorsque rien n’arrivera plus ». Tel l’Empereur de Chine qui
préféra, un temps, l’oiseau automate au rossignol vivant, parce qu’« avec le vrai
rossignol on ne peut jamais prévoir ce qui va suivre, tandis que chez l’oiseau
artificiel tout est déterminé 20 », nous avons lâché la proie du vivant pour
l’ombre des algorithmes.
1. Ibid.
2. Michel Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, Tome III, Paris, Gallimard, 1994.
3. Yves Gingras, « Du mauvais usage de faux indicateurs », Revue d’histoire moderne et contemporaine,
o
n 55-4bis, 2008, p. 67-79. Ce numéro de la revue est consacré à « la fièvre de l’évaluation ».
4. Michel de Certeau, Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Paris, Folio Gallimard, 1987,
p. 23.
5. Depuis les débuts de la théorie de l’information, celle-ci est définie comme la mesure de
l’incertitude définie par sa probabilité. Un événement prévu est un élément qui n’apporte aucune
information. Notre monde organisé par la gestion probabiliste des informations devient paradoxalement
sans intérêt ; ses événements n’apportent aucune information… nouvelle.
6. Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2020.
7. Ibid.
8. Roland Gori, Barbara Cassin, Christian Laval, L’Appel des appels. Pour une insurrection des
consciences, Paris, Les Milles et Une nuits, 2009 ; Roland Gori, La Fabrique des imposteurs, Paris, Actes
Sud, 2015 (première édition parue en 2013).
9. « La beauté d’un mécanisme réside dans son rythme précis et toujours égal, pareil à celui d’un
pendule. Mais vous, qui avez été nourris dès votre enfance du système Taylor, n’avez-vous pas la précision
du pendule ? Seulement, le mécanisme n’a pas d’imagination. Avez-vous jamais vu un sourire rêveur
recouvrir le cylindre d’une pompe pendant son travail ? », Eugène Zamiatine, Nous autres, Paris,
Gallimard, 1972 (version originale publiée en 1920), p. 170.
10. Lucy Dupuy, « Place et acceptabilité des agents conversationnels dans le cadre de la prise en
charge des pathologies mentales et du sommeil » in Actes du colloque « La relation de soin à l’épreuve de
l’intelligence artificielle », Bordeaux, Erena, 22 novembre 2019.
11. « Un parcours de soins innovant dédié aux personnes avec troubles bipolaires », Fondation
FondaMental, 27 septembre 2019.
12. Ibid.
13. Marie José Del Volgo, Le Soin menacé, Chronique d’une catastrophe humaine annoncée, Vulaines-
sur-Seine, Éditions du Croquant, 2021.
14. Cathy O’Neil, Algorithmes, La bombe à retardement, Paris, Les Arènes, 2018 (version originale
publiée en 2016).
15. Il est du plus haut comique que l’un des plus fervents promoteurs du TDAH (Trouble de
l’Attention avec ou sans Hyperactivité), Léon Eisenberg, quelques mois avant sa mort, avoue au Spiegel
que ce diagnostic est l’exemple même de « maladie fabriquée » en réponse à la demande des laboratoires
pharmaceutiques et des parents légitimement anxieux.
16. Voir les débats suscités par un arrêté du 10 mars 2021 très contesté par les psychologues
cliniciens qui ont déposé plusieurs recours en Conseil d’État.
17. Yann Diener, « Loin du rivage », Charlie Hebdo no 1500, 21 avril 2021.
18. Loan Tranthimy, « La certification périodique obligatoire pour tous les médecins ? Ce projet
d’ordonnance qui inquiète fortement les syndicats », Le Quotidien du médecin, 21 juin 2021.
19. Eugène Zamiatine, Nous autres, op. cit., p. 35.
20. Hans Christian Andersen, Le Rossignol de l’Empereur de Chine, Paris, Gallimard Jeunesse, 1979
(version originale publiée en 1837), p. 32.
Des élèves alignés et des cerveaux en ligne
1. David Graeber, Bullshit Jobs, Paris, Poche+/Les Liens qui libèrent, 2019 (version originale publiée
en 2018).
2. Robert Linn, « Assessments an Accountability », Educational Researcher, 29 (2), p. 4-16.
3. Maya Beauvallet, Les Stratégies absurdes, Comment faire pire en croyant faire mieux, Paris, Seuil,
2009, p. 65.
4. L’expérience de la « cohorte Mincome », qui préfigure le « revenu de base universel » et consiste à
donner sans contrepartie à des « pauvres » de l’argent, a pourtant révélé les effets positifs de ce type de
révolution sociale : les performances scolaires des enfants de ces familles « aidées » s’améliorent, comme
leur santé physique et mentale. Lire à ce sujet Rutger Bregman, Utopies Réalistes. En finir avec la pauvreté,
Paris, Seuil, 2017 (version originale publiée en 2016), et aussi l’ensemble des travaux d’Esther Duflo,
notamment Le Développement humain. Lutte contre la pauvreté, Paris, Seuil, 2010 ; et avec Abhijit
V. Banerjee, Repenser la pauvreté, Paris, Seuil, 2012 (version originale publiée en 2011).
5. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, Paris, Minuit, 1970.
6. Michel Blay et Christian Laval, Neuropédagogie. Le cerveau au centre de l’école, Paris, Tschann &
Cie, 2019.
7. L’Institut Montaigne est un think tank néolibéral qui fait beaucoup parler de lui ces derniers
temps. Il se donne pour but depuis le début des années 2000 d’élaborer des propositions concrètes au
service de l’efficacité de l’action publique, du renforcement de la cohésion sociale, de l’amélioration de la
compétitivité et de l’assainissement des finances publiques de la France. Bref, un « vidangeur » des
services publics chargé de proposer des réformes conformes à l’idéologie néolibérale.
8. Jean-Michel Blanquer, L’École de demain. Propositions pour une Éducation nationale rénovée, Paris,
Odile Jacob, 2016, p. 25.
9. Frederic Winslow Taylor, Principes d’organisation scientifique, Paris, Dunod, 1927 (version
originale publiée en 1908).
10. Roland Gori, La Nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, Paris, Les Liens qui
Libèrent, 2018.
11. Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte Poche, 2015 (première édition
parue en 2013), p. 13 ; voir aussi notre ouvrage de 2008 (Roland Gori, Marie-José Del Volgo, Exilés de
l’intime, réédition en 2020 aux Liens qui Libèrent) où nous nommions « homme neuro-économique »
cette fiction anthropologique qui hante nos imaginaires sociaux et qui prend ses marques dans le
développement d’une science nouvelle, la neuroéconomie, située au croisement des sciences
économiques, essentiellement expérimentales, et des neurosciences.
12. Édouard Glissant, Le Discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p. 14.
13. Louise Vallée, « Bac de philosophie : la colère des enseignants face à une numérisation “absurde”
des copies », Le Monde, 23 juin 2021.
14. Michel Bouton, « La correction numérisée des copies du bac philo dénature le travail du
professeur », Le Figaro, 29 juin 2021.
15. « Ça suffit ! Prenons la parole ! », Communiqué de l’Association française pour l’enseignement
du français (AFEF), 26 mai 2021.
16. Jean-Yves Mas et Guy Dreux, « L’école sous contrôle continu », AOC, 9 septembre 2021.
17. Marie Piquemal, « Enquête Éducation nationale : silence, Blanquer avance dans l’indifférence »,
Libération, 7 juin 2021.
18. Le communiqué du 8 octobre 2021 de l’Association des professeurs de philosophie de
l’enseignement public proteste contre la menace de sa suppression.
19. Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 40.
Nos enfants sont-ils des « sauvages »
de l’Aveyron ?
1. Certaines recherches après les mémoires du Dr Itard ont remis en question l’état sauvage de
Victor en présupposant qu’il fut peut-être un enfant abandonné et maltraité. Il ne m’appartient pas ici de
prendre parti car ce qui m’intéresse plus particulièrement dans ce cas c’est la conception instrumentale du
langage que Jean Itard met en œuvre dans sa pédagogie. Dans le cas de Victor et quelle que puisse être la
composante légendaire de son histoire, il s’est trouvé privé de ce commerce social avec d’autres humains
qui constitue le lieu de l’Autre dans le langage. Chaque époque s’est emparée de l’histoire de Victor pour
tenter de répondre aux questions qui étaient les leurs à ce moment-là.
2. Jean Itard, Mémoire sur les premiers développements de Victor de l’Aveyron (1801) ; Rapport sur les
nouveaux développements de Victor de l’Aveyron (1806 ; imprimé en 1807), édition numérique, 2003.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 21-22.
6. Ibid., p. 23.
7. Ibid., p. 27
8. Ibid.
9. Octave Mannoni, op. cit., p. 194.
10. Octave Mannoni, op. cit., p. 195.
11. François Truffaut, L’Enfant sauvage, film de 83 minutes, Les Films du carrosse, 1970.
12. Jean-Paul Le Chanois, L’École Buissonnière, film de 110 minutes, CGCF et UGC, 1949.
13. J’aurais pu prendre l’exemple de l’école de Summerhill dans laquelle la liberté s’avère essentielle
pour éviter de former « un être qui accepte tout statu quo – une bonne chose pour une société qui a
besoin de mornes bureaucrates, de boutiquiers et d’habitués de trains de banlieue – une société qui, pour
tout dire, repose sur les épaules rabougries du pauvre petit conformiste apeuré. » in Alexander S. Neill,
Libres enfants de Summerhill, Paris, Maspéro, 1970 (version originale publiée en 1960), p. 28.
14. Conrad Stein, Effet d’offrande, situation de danger. Une difficulté majeure de la psychanalyse, Paris,
Études freudiennes (version originale publiée en 1988).
LA DÉMOCRATIE
DES « COUPS DE COUDE »
1. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. Comment inspirer la bonne décision, Paris, Vuibert, 2010
(version originale publiée en 2008).
2. Jean-Léon Beauvois, Traité de la servitude libérale, Paris, Dunod, 1994 ; Robert-Vincent Joule et
Jean-Léon Beauvois, La Soumission librement consentie, Paris, PUF, 1998.
3. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. Comment inspirer la bonne décision, op. cit.
4. Henri Bergeron, Patrick Castel, Sophie Dubuisson-Quellier, Jeanne Lazarus, Étienne Nouguès et
Olivier Pilmis, Le Biais comportementaliste, Paris, Presse de Sciences Po, 2018.
5. Édouard Glissant, Le Discours antillais, Paris, Gallimard Folio, 1997, p. 553.
6. Jean-Léon Beauvois, Traité de la servitude libérale, op. cit. ; Robert-Vincent Joule, Jean-Léon
Beauvois, La Soumission librement consentie, op. cit.
7. Collectif, Le Biais comportementaliste, op. cit.
8. Daniel Ho, « Fudging the Nudge : Information Disclosure and Restaurant Grading », The Yale
Law Journal, 122 (3), 2012, p. 574-688.
9. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. Comment inspirer la bonne décision, op. cit.
10. Collectif, Le Biais comportementaliste, op. cit.
11. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris,
Gallimard, 2004, p. 232.
12. Roland Gori, La Nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, op. cit.
13. Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, Paris, Hautes études, EHESS, Gallimard,
Seuil, 2008 (première édition parue en 1983), p. 4-5.
14. Frédéric Gros exprime clairement notre devoir de révolte contre cette violence symbolique des
manipulations sociales actuelles : « À l’heure où les décisions des « experts » s’enorgueillissent d’être le
résultat de statistiques synonymes et glacées, désobéir, c’est une déclaration d’humanité. » in Désobéir,
Albin Michel/ Flammarion, Paris, 2017, p. 19. À ce système de pensée technocratique, administratif,
planifié et intransigeant, nous nous devons d’opposer le tremblement de la pensée de l’imprédictible et de
l’inattendu.
15. Barbara Cassin (dir.), Derrière les grilles. Sortons du tout-évaluation, Paris, Mille et Une Nuits,
2014.
16. Les nègres « marrons » étaient les esclaves parvenus à s’évader de la propriété de leurs maîtres au
risque de leurs vies ou d’être abominablement mutilés. Il existait des communautés de « marrons »
réfugiées sur les cimes (c’est l’étymologie du mot espagnol cimarron, « vivant sur les cimes », qui a donné
« marron »). Plus généralement le marronnage a fini par désigner le retour à « l’état sauvage » des hommes
et des animaux.
17. Roland Gori, thèse pour le doctorat de troisième cycle en psychologie de l’université de Paris X
Nanterre sous la direction du professeur Didier Anzieu, Validité des critères linguistiques en psychologie
clinique, 1969.
18. Roland Gori, thèse de doctorat d’État ès Lettres et Sciences Humaines de l’université de Paris X
Nanterre sous la direction des professeurs Didier Anzieu et Jean Maisonneuve, L’Acte de parole. Recherches
cliniques et psychanalytiques, 1979.
19. Roland Gori, La Fabrique des imposteurs, op. cit.
20. Ibid.
21. Philippe Forest, L’Université en première ligne. À l’heure de la dictature numérique, Paris, Tracts,
Gallimard, 2020, p. 31.
22. Carpetbagger (littéralement « celui qui porte un sac en tapis », traduisible par « profiteur » ou
« opportuniste ») est un terme péjoratif désignant un individu originaire du Nord des États-Unis venu
s’installer dans le Sud après la guerre de Sécession pour profiter de la situation confuse du pays. Ils se
transformaient en profiteurs de guerre, opportunistes, sans foi ni loi, et ils étaient caricaturés comme
arrivant dans le Sud avec leurs affaires emballées dans des sacs (bags) faits de la matière dont on fabriquait
les tapisseries ou tapis (carpet).
23. Roland Gori, La Nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, op. cit.
24. Michel Foucault, Dits et Écrits, op. cit. ; Michel Blay et Christian Laval, Neuropédagogie. Le
cerveau au centre de l’école, Paris, Tschann & Cie, 2019.
25. Pierre Delort, Le Big Data, Paris, PUF, 2015, p. 73.
26. Pierre Birnbaum, Où va l’État ? Essai sur les nouvelles élites du pouvoir, Paris, Seuil, 2018.
27. Hermann Heller, « Libéralisme autoritaire » in Grégoire Chamayou, Du libéralisme autoritaire.
Carl Schmitt, Hermann Heller, Paris, Zones, 2020, p. 123-139.
28. En géologie, une pseudomorphose désigne le processus physico-chimique par lequel la forme
d’un minéral est conservée, alors que sa substance chimique initiale a été remplacée par une autre, par
exemple tel fragment de pyrite s’est transformé en limonite tout en gardant sa forme initiale de pyrite. Ce
processus est une excellente image pour décrire ce qui se produit dans le champ de la culture, des
institutions sociales, des pratiques éthiques, du langage du droit et des mœurs et des principes politiques.
29. Frédéric Pierru, « Quand les décideurs découvrent la “consultocratie” à la française », AOC,
6 juillet 2021.
Habitus clivé et capitalisme néolibéral
Le terme d’habitus est la traduction latine du mot grec hexis, employé par
Aristote pour désigner l’« acquis » et les « facultés ». C’est un concept
important, un intermédiaire psychologique entre les techniques corporelles et
les modes de vie d’une société. L’habitus est cette sorte de sens pratique qui
permet aux individus de s’adapter aux situations de manière infraconsciente,
quasi immédiate, comme un joueur de tennis qui, sur un court, se positionne
automatiquement et se soumet aux règles du jeu sans avoir à y penser. Les jeux
sociaux sont des jeux qui se font oublier en tant que tels par le pouvoir de ce
que Pierre Bourdieu nomme l’illusio. C’est-à-dire un « rapport quasi enchanté »
au jeu qui fait de l’acteur social un joueur qui est d’emblée immergé, échauffé,
« dans le coup ». Cela provient des habitus qu’il a pu acquérir au cours de son
histoire, de ses expériences au premier rang desquelles la famille et l’école. Ce
sont ces habitus, ces capacités à générer à l’infini des représentations du monde
et de lui-même, des schèmes d’actions et de classifications, qui lui permettent
de s’orienter dans le champ social. Cette capacité procède de l’intériorisation,
de l’incorporation psychique de structures sociales établissant une complicité
ontologique du sujet avec les attentes collectives du champ dans lequel il se
trouve. Pierre Bourdieu montre avec précision, à partir de l’étude des paysans
du Béarn confrontés aux manières des villes, comment l’incorporation des
structures sociales ne passe pas par la conscience, mais par la façon de tenir et
de porter le corps. C’est dans cette incorporation des mœurs que s’enracine
l’habitus qui guide l’ajustement instantané des pratiques individuelles et
collectives à l’ordre social. Cette manière pratique d’éprouver et d’exprimer les
valeurs sociales et normatives acquises au cours du temps s’agrège en système,
systèmes individuels et collectifs. Au cours de l’histoire d’un individu, d’un
groupe ou d’une société se forment parfois des décalages qui peuvent aller
jusqu’à des tensions et des contradictions douloureuses. Les habitus se trouvent
alors contrariés par les nouvelles exigences sociales, soumis à des phénomènes
comme « l’hystérésis 1 ». Les individus doivent alors réajuster leurs schèmes
d’action et de jugement. Dans les moments de crise et de transition que Pierre
Bourdieu a parfaitement décrits apparaît ce phénomène autant social que
psychologique des « habitus clivés ou déchirés ». Pierre Bourdieu, à partir de
ses travaux sur les travailleurs algériens, a montré le décalage entre des
dispositions héritées de traditions et le mode de production capitaliste imposé
par le colonialisme, par exemple. Don Quichotte luttant contre les moulins à
vent est l’exemple romanesque d’un habitus clivé en détresse au moment où la
culture renonce à ses idéaux de chevalerie. L’habitus clivé est à l’œuvre dans les
moments de changement qui contraignent à adopter de nouvelles conduites,
ou encore lorsqu’un individu est déchiré par des dispositions éthiques et
culturelles en provenance de deux champs. C’est exactement ce que j’ai eu
l’occasion de rencontrer au cours des débats et des témoignages du collectif
Appel des appels. Ce clivage des habitus s’est produit dans le monde des
métiers de l’éducation, du soin, de l’information, de la recherche, de la justice,
du travail social, au moment de l’évaluation de leurs pratiques professionnelles
en particulier et de leur participation au management qu’ils subissent. Pierre
Bourdieu montre que l’habitus contrarié peut devenir le lieu et le moteur de
forces explosives capables de déboucher sur de la violence et du ressentiment.
Nombreuses sont aujourd’hui les manifestations des professionnels qui
attestent de la pertinence de cette analyse. Dès lors, ne peut-on penser que c’est
au cœur des métiers que se trouve aujourd’hui le potentiel révolutionnaire ?
C’est en tout cas un potentiel qu’il faut identifier et réveiller, sans quoi nous
irons vers un totalitarisme des normes… et des impostures.
Je ne vais pas reprendre ici ce que j’ai longuement développé dans La
Fabrique des imposteurs, mais les évaluations qui réduisent la valeur d’un service
rendu au public en termes purement quantitatifs, formels, immédiats et cadrés
par des scores et des standards ont heurté violemment l’éthique des métiers des
professionnels concernés. Enseigner n’est pas seulement produire des
pourcentages de réussites aux examens ou accroître le nombre de mentions
« très bien » au baccalauréat. C’est aussi prendre le risque d’accompagner les
plus fragiles des élèves en difficulté et risquer de baisser son score de
production de succès. Soigner n’est pas seulement produire des actes tarifés en
vue d’augmenter le score financier du pôle médico-chirurgical. Faire de la
recherche n’est pas seulement répondre à des appels d’offres (de ce qui est à la
mode) en vue de publications dans des revues à fort impact factor. Informer
n’est pas augmenter son taux d’audience pour satisfaire les actionnaires des
médias.
2
En 1928, Robert E. Park , de l’école de Chicago de sociologie américaine,
publiait l’article « L’homme marginal ». Il n’y parle pas d’un individu qui vit
dans la marge des deux cultures et des deux sociétés, mais d’un individu qui vit
sur la marge. En évoquant les migrations, il élabore le concept de l’homme
marginal comme étant celui qui est sur la marge, à la fois dans sa culture, dans
sa langue et dans une société d’accueil sans parvenir vraiment à en faire partie.
Il est à la fois dans la société d’accueil, invité à l’assimilation, une assimilation
relative puisqu’il reste toujours l’homme de la société, de la langue, de la
culture d’où il provient. Cette tension est porteuse de douleurs comme de
créativité, elle détient la violence et la fécondité des périodes tragiques.
Philosophe et sociologue allemand de la fin du XIXe siècle, Georg Simmel 3 avait
déjà noté cette position privilégiée de l’étranger qui lui permet de percevoir
dans son expérience et dans sa chair les manières de voir et de faire des
communautés d’accueil. Cette position de l’immigré est, d’un autre point de
vue, celle du créateur, de l’artiste, mais aussi des sujets qui vivent dans la
tragédie des époques de transition culturelle. Les uns comme les autres
contractent malgré eux un débit d’invention, une dette dont il leur faut
s’acquitter pour survivre, pour vivre de manière créative en inventant un
nouveau langage.
L’habitus fournit une série de réponses enracinées dans les corps et
l’histoire des individus. Il participe de manière presque automatique au jeu
social entre les personnes et fonde le noyau de base des identifications sociales
au cœur de la subjectivité. Aujourd’hui, l’affrontement entre les deux types
d’habitus que je viens d’évoquer est très aigu pour les professionnels. Il s’inscrit
dans le droit, avec une préférence pour le droit « mou » des normes, avec une
violence symbolique à laquelle nous n’étions plus habitués. Cette violence qui
s’exerce dans les formes et par les formes modifie profondément la substance
des métiers. Le légal cache mal le libéralisme autoritaire dont il est le masque,
camouflant de plus en plus difficilement son caractère d’instrument de
domination sociale. Ce que nous trouvons au centre de cet affrontement n’est
pas sans rappeler les deux conceptions du sujet humain et du lien social du
début du XXe siècle. À l’aube de ce siècle qui allait être un des plus meurtriers,
des plus fratricides de l’histoire de l’humanité, un choc s’accomplissait entre ces
deux imaginaires. Deux imaginaires qui font aujourd’hui résurgence, pour le
meilleur et pour le pire. Peut-être parce que ces deux imaginaires innervent de
manière complémentaire toute société en transition : « Toutes les cultures ont
eu leur projection magico-mythique liée à une démarche rationnelle et
technique. Toutes les cultures sont de folie et de sagesse, de prose et de poésie.
Toutes les cultures sont de pulsion communautaire et de participation
individuelle. 4 »
1. L’hystérésis est la propriété d’un système physique de conserver un temps les effets d’une cause
qui a disparu, par exemple un matériau peut conserver des effets magnétiques dus à l’électricité qui l’a
traversé même lorsque le courant a été interrompu. Cette notion a été étendue aux champs de la
démographie, de l’économie et de la sociologie par exemple.
2. Robert E. Park, « Human Migration and the Marginal Man », American Journal of Sociology, 37,
6, 1928, p. 881-893.
3. Georg Simmel, Philosophie de la modernité 2, Paris, Payot, 1990 (version originale publiée en
1918).
4. Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, « Quand les murs tombent », Manifestes, Paris, La
Découverte/Institut du Tout-Monde, 2021 (première édition parue en 2007), p. 65.
NATURALISME ÉCONOMIQUE
OU DETTE SOCIALE
1. Claude Lefort, L’Invention démocratique, Paris, Fayard, 1994 (première édition parue en 1981).
2. Herbert Marcuse, Culture et société, Paris, Minuit, 1970.
3. Cf. Cornelius Castoriadis dans « Imaginaire politique grec et moderne », in La Montée de
l’insignifiance. Les carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1996.
4. Filippo Tommaso Marinetti, Contre Venise passéiste et autres textes, Payot et Rivages, Paris, 2015 ;
Xavier de Jarcy, Le Corbusier, un fascisme français, Paris, Albin Michel, 2015.
5. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, 2002 (première édition parue en 1966),
p. 117.
6. Walter Benjamin, « Théories du fascisme allemand » in Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000
(première édition parue en 1930), p. 198-215.
Concurrence ou justice sociale
Les idées de justice sociale et de solidarité ont nourri bien des initiatives des
radicaux-socialistes à la fin du XIXe siècle et connu une fortune certaine au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’esprit de Philadelphie 1 en mai
1944 exprime par la voie du Bureau international du travail dans une
déclaration que seule une justice sociale soucieuse de la protection des citoyens,
en matière d’éducation, de santé, de justice et de culture, peut préserver le
monde des luttes fratricides et contribuer à une paix durable. Cette exigence
rejoint bien des propositions historiques des humanistes à la veille des deux
guerres mondiales et après. Ce souci de justice sociale a contribué à la
fabrication des États-providence des démocraties occidentales. Les déclarations
et chartes (comme la Charte de La Havane en 1948) de cette période se
donnaient pour objectifs de subordonner les actions économiques et
financières à ces impératifs de justice sociale, de droits sociaux et de protections
sanitaires et culturelles des populations.
Comme le remarque Alain Supiot 2, ces principes de justice sociale se
diffractèrent différemment selon les champs nationaux. Les réformes
néolibérales de la décennie des années 1980 ont défait méticuleusement et
méthodiquement les institutions culturelles, sociales et politiques mises en
place lors de l’émergence de l’État-providence en démantelant les services
publics, les protections sociales et les droits du travail. La démocratie elle-
même s’est résolue à céder aux « forces du marché » le souci politique de
gestion des populations et des États, au point de les transformer en sortes de
start-up et d’aligner leurs fonctionnements sur un modèle de concurrence, de
compétition et de moins-disant social. J’ai analysé à plusieurs reprises cette
hybridation de nos institutions publiques avec les valeurs du secteur privé,
hybridation dont Emmanuel Macron est la parfaite incarnation 3 en France. Le
philosophe de la fin du XXe siècle Alfred Fouillée avait désigné ce courant de
pensée libéral par le terme de « naturalisme économique » et ce concept peut
être largement repris pour rendre compte des réformes néolibérales
contemporaines. Ce sont ces réformes néolibérales qui nous ont désarmés lors
des crises que nous avons connues dans ce début de XXIe siècle, nous laissant
socialement et sanitairement dénudés face à la pandémie et à ses conséquences.
Ce conflit entre les « naturalismes économiques » et les humanismes hante
e
depuis la fin du XIX siècle jusqu’à nos jours les politiques économiques et
sociales de l’Occident d’abord, de la planète ensuite. Il nous faut revenir aux
sources de ce conflit tel qu’il a pu se former politiquement à la fin du XIXe siècle
avec l’opposition des philosophies solidaristes et spencériennes.
Ces humanismes de la fin du XIXe siècle, de ce que Gérard Noiriel nomme
« la gauche sociale-humanitaire 4 », résultent en partie des liens tissés entre les
socialistes et une partie des radicaux favorisant, d’après lui, « l’émergence du
courant que l’on a appelé le “solidarisme”, terme inventé par le radical Léon
Bourgeois […]. Le but était d’adapter le Contrat social de Jean-Jacques
Rousseau aux réalités de la révolution industrielle, en mettant à profit
notamment les analyses de Durkheim sur la “solidarité organique”. 5 » Cette
« gauche sociale-humanitaire » s’est constituée au moment de l’affaire Dreyfus,
en opposition à la « droite nationale-sécuritaire », et elle est parvenue à
s’imposer avec ses mythes et son langage jusqu’à la fin du XXe siècle. C’est cette
gauche-là, qu’on le veuille ou non, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, qui
a saturé, en concurrence avec les courants marxistes, l’espace symbolique de la
politique, son langage et ses fictions en se matérialisant dans des actes
juridiques, économiques et sociaux. Cette « gauche sociale-humanitaire » se
créa comme un parti de masse grâce aux radicaux socialistes qui pour nombre
d’entre eux furent des francs-maçons, des militants de la Ligue des droits de
l’Homme (créée au siècle précédent, en 1898), des libres penseurs laïques très
actifs sur le territoire national par le relais d’associations et de cercles locaux. Il
convient d’insister sur cet imaginaire et ce langage innervant cette gauche
« sociale-humanitaire » qui, dès la fin du XIXe siècle, s’est emparée de ce qu’on
appelait alors « la question sociale ».
Cette gauche sociale-humanitaire, avec les concepts nucléaires forgés par les
solidaristes, avait les formes symboliques essentielles pour permettre à la société
de s’auto-organiser autour d’un nouvel imaginaire instituant. Comme l’a
montré le psychanalyste et économiste grec marxiste Cornelius Castoriadis, « il
y a en effet quelque chose de très important, de très étrange qui se déroule en
e e
Occident, à partir des XVI -XVII siècles, c’est la coexistence de deux
significations imaginaires nucléaires : d’un côté, le mouvement vers
l’autonomie, de l’autre, le capitalisme, en somme, et qui semblent plus ou
moins se rejoindre autour de l’idée de rationalité. 6 » Aujourd’hui comme hier,
toutes les politiques démocratiques se doivent d’affronter la mise en
concurrence de ces deux imaginaires. La technocratie actuelle constitue peut-
être un moyen d’esquiver cet affrontement en tentant de réduire le « vivant »
au « vrai » de la technique et en faisant croire que cette opération est évidente
et naturelle.
e
Au début du XX siècle, deux langages s’opposent, l’un en provenance de la
biologie, l’autre de la sociologie, l’un se réclamant de Charles Darwin, l’autre
d’Émile Durkheim. Comment concilier deux langages, celui qui fait de
l’homme un animal au sommet de l’évolution biologique et celui qui lui
reconnaît une dignité acquise par la culture et les lois sociales ? C’est là que
Spencer intervient.
Herbert Spencer, philosophe et sociologue anglais, père du darwinisme
social, a construit un imaginaire social avec le langage de la sélection naturelle
et un système philosophique évolutionniste dont l’idée majeure est que tout
7
organisme, obéit à une « loi de l’évolution » inexorable fondée sur la
concurrence. L’individualisme politique de Herbert Spencer s’appuie sur son
organicisme : si la société n’est qu’un « organisme social » elle peut évoluer sur
le modèle de l’individu biologique appelé dans les sociétés les plus évoluées à
une « coopération volontaire ». Au sein de ces sociétés industrielles la division
du travail et des classes sociales n’est que le prolongement de la division
physiologique des fonctions. Partout et toujours, l’évolutionnisme d’Herbert
Spencer repose sur cette conception d’une conduite adaptée aux exigences du
milieu, sélectionnant les individus, les espèces et les sociétés les plus
compétitives dans un univers de concurrence absolue, de lutte générale pour
l’existence. L’adaptation devient le principe suprême du vivant qui se bâtit par
l’élimination et la destruction des inutiles et du superflu. La morale de Herbert
Spencer repose sur la nécessité d’améliorer les espèces, les races, les sociétés et
les individus par une concurrence débridée, une lutte à mort qu’il serait
nuisible d’entraver. L’État ne doit en aucune manière contrarier cette loi de la
concurrence en protégeant les « malingres », les « mal bâtis », les misérables et
les faibles. Leur destruction ne fait qu’obéir aux lois de la nature animale, de
sorte qu’un gouvernement qui essaye de lutter contre la misère et de protéger
les incapables ferait plus de mal que de bien.
Cette doctrine philosophique anticipe les principes économiques et
e
politiques de la révolution néolibérale de la deuxième moitié du XX siècle. Elle
n’aurait pas été désavouée par Margaret Thatcher, ancienne Première ministre
britannique et fer de lance de la destruction néolibérale de l’État social, qui
disait concevoir la pauvreté comme « une déficience personnelle. 8 » Ces
conceptions néolibérales de l’éthique 9 ont été réactualisées par les économistes
de l’École de Chicago. Dans la préface de son ouvrage Les Bases de la morale
évolutionniste, Herbert Spencer justifie ses choix politiques et moraux en se
prévalant de la « science » et en précisant qu’« il y a un pressant besoin d’établir
sur une base scientifique les règles de la conduite droite. 10 ». Son « idéologie
évolutionniste fonctionne comme autojustification des intérêts d’un type de
société, la société industrielle en conflit avec la société traditionnelle d’une part,
11
avec la revendication sociale d’autre part », nous explique le philosophe et
historien des sciences Georges Canguilhem. Encore aujourd’hui, c’est toujours
de la « science » redresseuse des conduites que se justifient les fabriques de
servitude. Ce système évolutionniste demeure l’idéal de toutes les philosophies
de l’histoire qui prônent « un optimisme sans conscience » inspirant les
idéologies conservatrices de l’ordre établi. C’est cet « optimisme sans
conscience » qui explique la violente réaction de Walter Benjamin rejetant le
« grossier optimisme » d’Herbert Spencer qu’il qualifie de « cervelle
12
monstrueusement rétrécie ».
Aujourd’hui, de nouveau, la tentation est grande de renouer avec ce
modèle évolutionniste « ripoliné » par l’idéologie neuroscientifique et la
prétention de certains économistes d’être de vrais « scientifiques ». La jonction
de ces deux idéologies érige la figure d’un homme neuroéconomique prêt à se
lancer dans l’arène de la concurrence, bardé du soutien des neuropédagogues et
autres adeptes du neurocoaching lui apprenant à gérer ses neuroémotions pour
parvenir à être un neuroleader, un winner. Dès 2008, nous annoncions
l’infusion de cette idéologie dans la civilisation actuelle avec Exilés de l’intime 13
et la construction d’une nouvelle figure anthropologique : le sujet
neuroéconomique. Cette culture est aujourd’hui largement installée et
reconnue. Achille Mbembe définit d’ailleurs le sujet neuroéconomique à la
perfection : « Sujet neuroéconomique absorbé par le double souci exclusif de
son animalité (la reproduction biologique de sa vie) et de sa choséité (la
jouissance des biens de ce monde), cet homme-chose, homme-machine,
homme-code et homme-flux cherche avant tout à réguler sa conduite en
fonction des normes du marché, n’hésitant pas à s’auto-instrumentaliser et à
14
instrumentaliser autrui pour optimaliser ses parts de jouissance. »
1. Expression reprise à Alain Supiot, dans L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au Marché
total, Seuil, 2010, pour qualifier l’atmosphère ambiante en 1944 au moment de la signature de la
déclaration internationale des droits à vocation universelle.
2. Alain Supiot, La Force d’une idée, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2019.
3. Roland Gori, La Nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, op. cit.
4. Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent ans à nos jours, Marseille,
Agone, 2018, p. 470.
5. Ibid.
6. Cornelius Castoriadis, Démocratie et relativisme. Débat avec le MAUSS, Paris, Mille et Une nuits,
2010, p. 67.
7. Herbert Spencer, Les Bases de la morale évolutionniste, Paris, Félix Alcan, 1905 (huitième édition).
8. Citée par Rutger Bregman, Utopies Réalistes. En finir avec la pauvreté, Paris, Seuil, 2017 (version
originale publiée en 2016), p. 59.
9. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit.
10. Ibid., p. 6.
11. Georges Canguilhem, Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie, Paris, Librairie
Philosophique J. Vrin, 1993 (première édition parue en 1988), p. 43.
12. Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie, Paris, L’Éclat, 2014, p. 20.
13. Roland Gori et Marie-José Del Volgo, Exilés de l’intime, op. cit.
14. Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, op. cit.
Naissance du principe de solidarité
1. Michel Blay et Christian Laval, Neuropédagogie. Le cerveau au centre de l’école, Paris, Tschann &
Cie, 2019.
2. Roland Gori, La Dignité de penser, Paris, Actes Sud, 2012 (première édition parue en 2011).
3. Roland Gori, Un monde sans esprit. La fabrique des terrorismes, Paris, Les Liens qui libèrent, 2017.
4. Pierre Bourdieu, Manet. Une révolution symbolique, Paris, Seuil, 2013, p. 13.
5. Xavier de Jarcy, Le Corbusier. Un fascisme français, Paris, Albin Michel, 2015 ; Roger-Pol Droit,
« Le Corbusier, un fascisme en béton », Les Échos, 2 avril 2015.
6. Guy Debord, Œuvres, Paris, Gallimard, p. 143-145.
7. Constant in Anselm Jappe, Béton. Arme de construction massive du capitalisme, Paris, L’Échappée,
2020, p. 80.
8. Anselm Jappe, Béton. Arme de construction massive du capitalisme, op. cit., p. 49.
9. Nous nous contenterons ici de cette formule d’Ignace Meyerson dans Les Fonctions psychologiques
et les œuvres, Paris, Albin Michel, 1995 (première édition parue en 1948) abondamment citée par Jean-
Pierre Vernant : « l’esprit est dans les œuvres ».
10. Xavier de Jarcy, Le Corbusier. Un fascisme français, Paris, Albin Michel, 2015.
11. Cité par Françoise Choay, L’Urbanisme, utopies et réalités, Paris, Seuil, 1965, p. 235.
12. Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Champs Flammarion, 2009 (première édition parue en
1923).
13. Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Champs Flammarion, 2011 (première édition parue en 1925).
14. Achille Mbembe, « Leçon inaugurale », op. cit.
15. Henri Lefebvre, Espace et politique, Paris, Economica, 2001, p. 143.
16. Antoine Picon, Smart cities : Théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur, Paris, Éditions B2,
2018 (première édition parue en 2013).
17. Xavier de Jarcy, Le Corbusier Un fascisme français, Paris, Albin Michel, 2015.
18. Patrick Marcolini, Le Mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle, Paris, L’Échappée,
2013.
19. Jean-Pierre Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 2007, (première édition parue
en 1962), p. 131-132.
20. Henri Lefebvre, La Production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000 (première édition parue en
1985), préface, p. 22.
21. Comme le suggère Victor Hugo dans un chapitre de Notre Dame de Paris, cité par Françoise
Choay dans L’Urbanisme, utopies et réalités, Seuil, Paris, 1965, p. 78.
22. Roland Gori, Un monde sans esprit, op. cit.
23. Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Paris, Folio, Gallimard, 2012.
24. Michel Foucault, Le Corps utopique, les hétérotopies, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 2009.
25. Patrick Marcolini, Le Mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle, Paris, L’Échappée,
2013.
26. Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, L’Intraitable beauté du monde, op. cit.
27. Stéphanie Roza est l’auteur d’un livre au titre évocateur à ce sujet : Comment l’utopie est devenue
un programme politique, Paris, Garnier, 2015. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, l’utopie évolue du
roman au projet politique. L’utopie est le rêve indispensable à la préparation des actions politiques du
jour. Ce sont les tenants des ordres existants qui ont fait de l’utopie le nom d’une rêverie irréalisable et
puérile.
28. Roland Gori, Et si l’effondrement avait déjà eu lieu. L’étrange défaite de nos croyances, Paris, Les
Liens qui Libèrent, 2020.
29. Philippe Sansonetti, Tempête parfaite. Chronique d’une pandémie annoncée, Paris, Seuil, 2020.
30. Charles Nicolle, Destin des maladies infectieuses, Paris, PUF, 2012 (première édition parue en
1933), p. 21.
31. Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997. À la vérité absolue et
universelle de la connaissance scientifique propre à l’imaginaire occidental, Édouard Glissant oppose la
pensée écologique et poétique de la culture de l’archipel, pensée tremblante et rhizomatique qui permet
aux particules vivantes d’entrer en relation les unes avec les autres. La littérature le dit, la physique
moderne le montre. C’est à cette révolution des imaginaires que cet essai invite.
32. Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, L’intraitable beauté du monde, op. cit., p. 17.
33. Anselm Jappe, Béton. Arme de construction massive du capitalisme, Paris, L’Échappée, 2020.
34. Gilles-Gaston Granger, Pensée formelle et sciences de l’homme, Paris, Aubier, 1960.
35. Aujourd’hui, les murs de nos impasses deviennent élastiques, comme se plait à le dire Richard
Martin, Directeur du Théâtre Toursky à Marseille.
Les nouvelles formes d’esclavage
1. La thèse du Dr Lucien Pierre Peytraud donne un panorama saisissant des crimes et des atrocités
commis sur les esclaves dans les Antilles françaises : L’Esclavage aux Antilles françaises (en particulier le
chapitre VI du Livre II sur « Police et châtiments concernant les esclaves »), Paris, Hachette, 2012
(première édition parue en 1877). C’est un voyage en Enfer dont il fait le récit.
2. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 1989.
3. Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte Poche, 2015 (première édition
parue en 2013), p. 16-17.
4. Gary S. Becker, Human capital : A theoretical and empirical analysis, University of Chicago Press,
1994 (première édition parue en 1964) et Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit.
5. Michel Foucault, Le Corps utopique, les hétérotopies, op. cit., p. 36.
6. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, op. cit., p. 219.
7. Gilles Deleuze, « Bartleby ou la formule » postface de l’ouvrage de Herman Melville, Bartleby,
Paris, Flammarion, 1989 (version originale parue en 1853).
8. Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que l’acte de création ? », Le Feu et le récit, Paris, Payot § Rivages,
2018 (version originale parue en 2014), p. 65-66.
9. Gilles Deleuze, « Bartleby ou la formule », op. cit., p . 75.
10. Ibid., p. 203.
11. Miguel Abensour, L’Homme est un animal utopique, Arles, Les Éditions de la Nuit, 2010.
12. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, op. cit., p. 488.
DEUXIÈME PARTIE
« Dans les vallées, les paysans mâchent des feuilles de mastala depuis
des siècles, on les appelle les “mangeurs d’étoiles”, en dialecte cujon. Cela
leur procure beaucoup de bonheur et de bien-être, cela compense leur
sous-alimentation, et on ne peut pas leur ôter ça, sans rien leur donner
d’autre à la place. »
1. Michel de Certeau, Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Paris, Folio Gallimard, 1987,
p. 23.
2. Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
3. « La langue sous contrôle ? », Cités no 86, Paris, PUF, 23 juin 2021.
4. Michel Foucault, Dits et écrits, op. cit.
5. L’espace de la Terre n’est pas le territoire ou l’étendue des arpenteurs ou des géographes, c’est
l’ensemble des trajectoires qui met les humains en relation avec le Tout-Monde. La langue est le sol du
vivant. Comment une fois encore ne pas rejoindre Édouard Glissant écrivant à propos des pensées
rhizomatiques : « Si tu tues la mer, tu tues l’humain. Si tu tues la plante, le fleuve, l’air, la montagne,
l’eau, tu tues l’humain qui est solidaire, n’est-ce pas ? Mais ça c’est une pensée écologique dérivée du
substrat poétique qui est le substrat de la participation du tout au tout. », in L’entretien du monde, Paris,
Presses Universitaires de Vincennes, 2018, p. 97.
6. Sandra Lucbert illustre parfaitement cette puissance du langage néolibéral de parvenir à soumettre
les populations par une naturalisation linguistique des énoncés économiques :
« LaDettePubliqueC’estMal » devenant le syntagme de toutes les opérations de destruction des biens
publics et des esprits : « tellement que le contingent de gendarmes est ici superfétatoire : le ligotage se fait
ailleurs – très en amont. La langue se charge du service d’ordre. Patrouilles intériorisées, insues – de celles
cependant que la littérature peut attaquer. », Le ministère des contes publics, Paris, Verdier, 2021, p. 21.
7. Michèle Riot-Sarcey, Le Procès de la liberté. op. cit.
8. George Orwell, Écrits politiques (1928-1949), Marseille, Agone, 2009, p. 165.
9. Le concept de « réel » a été introduit par Lacan pour rendre compte d’une nécessité structurale :
l’existence d’un point d’impasse et de butée de toute formalisation.
10. Voir à ce sujet Jean-Pierre Lebrun, La Perversion ordinaire, Paris, Flammarion, 2015 (première
édition parue en 2007).
11. John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970 (version originale parue en
1932).
12. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, op. cit., p. 201.
13. Les pathos formels (figures d’émotion), comme les nomme Carlo Ginzburg en référence à Aby
Warburg, historien de l’art, permettent de comprendre les racines antiques des images modernes, en
particulier en politique. Par exemple, la politique, celle de l’État comme celle des Églises, s’appuie sur le
pathosformel de la défiance généralisée, de la peur réciproque, qui transforme une masse amorphe,
apathique ou révoltée, en un corps de citoyens soumis à leur pouvoir de gouvernement. Cf. Carlo
Ginzburg, Peur révérence terreur. Quatre essais d’iconographie politique, Paris, Les Presses du réel, 2013.
Évolution de la notion de probabilité
1. Ian Hacking, L’Émergence de la probabilité, Paris, Seuil, 2002 (version originale parue en 1975),
p. 25.
2. Ibid., p. 116.
3. Pierre-François Moreau, Le Récit utopique. Droit naturel et roman de l’État, Paris, PUF, 1982.
L’inadéquation fondamentale
1. Le lecteur intéressé par les processus de créolisation des cultures guyanaises se reportera au film de
Xavier Gayan sur « Maitre Contout, mémoire de la Guyane ». Auxence Contout, né dans une famille
modeste en Guyane, a étudié les mathématiques à Paris et a consacré toute sa vie (jusqu’à ses 94 ans !) à
rassembler le patrimoine culturel créole (langues, danses, chants, carnavals, proverbes…) dont il a montré
la valeur de résistance à la privation des droits des esclaves venus d’Afrique et d’exploités venus de Chine,
d’Inde et des peuples amérindiens.
2. Jean-Luc Bonniol, « Au prisme de la créolisation. Tentative d’épuisement d’un concept », in
L’Homme. Revue française d’anthropologie, 207-208, juillet-décembre 2013, Paris, EHESS, p. 237-288.
3. Grégoire Chamayou, Du libéralisme autoritaire. Carl Schmitt, Hermann Heller, Paris, Zones,
2020.
4. Marie Cornu, Fabienne Orsi, Judith Rochfeld, Dictionnaire des biens communs, Paris, PUF, 2017.
5. Fabienne Orsi, « Elinor Ostrom et les faisceaux de droits : l’ouverture d’un nouvel espace pour
penser la propriété commune », Revue de la régulation, 14 | 2e semestre / Autumn 2013, mis en ligne le
14 février 2014.
6. Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 63.
7. Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in Marcel Mauss, Sociologie et
Anthropologie, Paris, PUF, 1973, p. 19-52.
8. Gilles Deleuze, Logique du sens, op. cit., p. 64.
9. Concept polynésien que l’on retrouve sous différents noms dans d’autres cultures pour désigner la
puissance spirituelle qui anime les échanges.
10. Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », op. cit., p. 49.
11. Gilles Deleuze, Logique du sens, op. cit., p. 64.
12. Patrick Chamoiseau, Le Conteur, la nuit et le palmier, Paris, Seuil, 2021, p. 79.
13. Édouard Glissant, Introduction à une poétique du divers, op. cit., p. 42.
La disette des mots :
condition de l’acte de création
1. Cette technique « consiste à retirer progressivement la matière qui entoure la forme à dégager –
technique qui implique que la matière ne soit pas tout à fait informe, mais possède en quelque sorte déjà
la forme qu’il s’agit de mettre au jour », nous explique le philosophe Baptiste Tochon-Danguy in « Per
forza di levare : matière et création dans la sculpture de Michel-Ange », Appareil, 10 décembre 2018.
2. Jean-Pierre Antoine, La Chair de l’oiseau. Vie imaginaire de Paolo Ucello, Paris, Gallimard, 1991,
p. 136.
3. Samuel Butler, Erewhone, Paris, Gallimard, 1981 (version originale parue en 1872).
4. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, op. cit.
5. Albert Camus, « Sur l’avenir de la tragédie », Œuvres Complètes III, Paris, La Pléiade, Gallimard,
2008 (première édition parue 1955), p. 1119.
6. Stéphane Mosès, Walter Benjamin et l’esprit de la modernité, Paris, Cerf, 2015, p. 84.
7. Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que l’acte de création ? », Le Feu et le récit, op. cit.
8. Bernard Maris, Houellebecq économiste, Paris, Flammarion, 2014.
9. Je me trouve, comme souvent, en sympathie avec Bernard Maris. Nous avions projeté d’écrire
ensemble un livre sur la dette pour les éditions Les Liens qui Libèrent, avant son effroyable assassinat en
janvier 2015.
10. Bernard Maris, Houellebecq économiste, op. cit., p. 22-23.
11. Le « chat de Schrödinger » est une expérience de pensée imaginée en 1935 par le physicien
Schrödinger pour rendre compte des conséquences des découvertes de la physique quantique. Soit un
chat enfermé dans une boîte avec un flacon de gaz mortel pouvant être déclenché à partir d’un certain
seuil de radiations. À suivre l’interprétation selon laquelle ce n’est qu’au moment de la mesure (ici ouvrir
la boîte) que la réalité advient, par réduction du paquet d’ondes, il nous faudrait admettre que jusqu’à
l’ouverture de la boîte, le chat est à la fois mort et vivant. Ce serait la mesure qui, en perturbant le
système, ferait advenir une réalité déterminée jusque-là ouverte aux deux possibilités.
Tout est équivalent
1. Mouvement lancé par Carlo Petrini en Italie en 1986, la slow food promeut « l’écogastronomie »
et invite à repenser son rapport à l’alimentation, à consommer des produits sains pour soi et le reste du
vivant et surtout à prendre goût au goût et à la diversité et de l’alimentation.
2. Demain, César du meilleur film documentaire en 2016, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent
en 2015.
3. Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin Poche,
1992 (première édition parue en 1965), p. 11.
4. Ibid., p. 34.
5. Jacques Lacan, Encore, Paris, Seuil, 1975 (première édition parue en 1973), p. 108.
6. Ibid.
7. Saussure est le premier linguiste à rendre compte de la langue comme structure constituée de
signifiants faits de ressemblances et de différences formelles. Le sens, que Saussure préfère nommer valeur,
n’est plus au centre de la linguistique.
8. Pierre Bourdieu cité dans Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, Paris, CNRS
éditions, 2020, p. 36.
9. Roland Gori, La Preuve par la parole. Essai sur la causalité en psychanalyse, Paris, PUF, 1996.
10. La prétention d’un absolu de la connaissance se paye du prix fort en psychanalyse, celui de
s’éloigner de l’artiste, le plus à même de s’approcher de l’imaginaire du monde, du monde comme chaos.
11. Marcel Mauss, « Essai sur le don », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1997 (version
originale parue en 1950).
12. Claude Lefort, « L’échange et la lutte des hommes », Les Temps Modernes, no 64, 1951, p. 1402.
13. Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, Paris, EHESS, 2017 (première
édition parue en 1949).
14. Claude Lefort, « L’échange et la lutte des hommes », op. cit., p. 1402.
15. Claude Lévi-Strauss, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, in Marcel Mauss, Sociologie et
Anthropologie, Paris, PUF, 1973, p. 50.
16. Ibid.
17. Ibid. p. 36.
18. Ibid., p. 40.
19. Ibid., p. 45.
20. Claude Lefort, « L’échange et la lutte des hommes », op. cit., p. 1405.
21. Ibid., p. 1407.
22. Ibid., p. 1414.
23. Georg Lukács, Histoire et conscience de classe, Paris, Minuit, 1960.
24. Sylvain Piron, Généalogie de la morale économique, tome 2, op. cit.
25. Ibid., p. 242.
26. Georg Simmel, Philosophie de l’argent, Paris, PUF, 1987 (version originale parue en 1900).
27. Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, « Quand les murs tombent », op. cit.
LES AVENTURIERS DE L’UTOPIE
1. Roland Gori, Et si l’effondrement avait déjà eu lieu. L’étrange défaite de nos croyances, op. cit.
2. Stéphane Mosès, « L’idée d’origine chez Walter Benjamin », in Walter Benjamin et Paris, Paris,
Cerf, 1986, p. 815.
3. Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1978 (première édition parue en 1971).
4. Gérald Holton, L’Imagination scientifique, op. cit.
5. Barbara Cassin (dir.), Derrière les grilles. Sortons du tout-évaluation, Paris, Mille et Une Nuits,
2014.
6. Hervé Le Tellier, L’Anomalie, op. cit., p. 215.
En finir avec la simplification du monde
et le vide formulaire
1. Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent ans à nos jours, op. cit.
2. Roland Gori, Bernard Lubat, Charles Silvestre, Manifeste des œuvriers, Paris, Actes Sud, 2017.
3. Marie José Del Volgo, Le Soin menacé, Chronique d’une catastrophe humaine annoncée, op. cit.
4. Édouard Glissant, Le Discours antillais, op. cit., p. 640.
5. George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1985
(version originale parue en 1980).
6. « Extraits d’entretiens avec P.K. Dick , réalisés par Marcel Thaon et présentés par Patricia Thaon,
op. cit.
7. Philip K. Dick, Simulacres, Paris, Éditions 10/18 Poche, 2006 (version originale parue en 1964),
p. 71-72.
8. « Extraits d’entretiens avec P.K. Dick » réalisés par Marcel Thaon et présentés par Patricia Thaon,
op. cit., p. 100.
9. Jérôme Fourquet, L’Archipel français ? Naissance d’une nation multiple et divisée, Paris, Seuil, 2019.
10. Léon Bourgeois, Solidarité, Paris, Armand Colin, 1902, 3e édition, p. 11.
11. Frederich Nietszche, Naissance de la tragédie ou Héllénité et pessimisme, Paris, Œuvres
philosophiques complètes, Tome I, Gallimard, La Pléiade, 1977 (première édition 1872).
12. Benedetto Croce différencie le libéralisme comme conception morale et anthropologique à la
base d’une conception du monde orientée par la liberté et l’épanouissement de l’individu, du « libérisme »
conçu comme une exaltation de la concurrence économique.
13. Albert Camus, « Ni victimes ni bourreaux, la révolution travestie », 23 novembre 1946, À
Combat, Paris, Folio, Gallimard, 2002, p. 650-651.
LE RÉEL DES UTOPIES
1. Jacques Lacan, 1970, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991 (première édition parue en
1970), p. 176.
2. George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1985
(version originale parue en 1980).
3. Thomas Schauder, La Société de consumation, Clichy, Marie B, 2021.
4. Paul Feyerabend, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Paris,
Seuil, 1979 (version originale parue en 1975).
5. Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, Paris, Minuit, 1973. Je laisse aux historiens le soin de
vérifier l’exactitude de cette hypothèse que je ne reprends à mon compte que d’un point de vue figuré.
6. « Le discours utopique n’apparaît qu’au moment où, historiquement, se constitue le mode de
production capitaliste. », ibid., p. 253.
7. Point de vue qui envisage un « objet » dans ses dimensions biopsychosociales et qui n’est pas sans
poser des problèmes épistémologiques puisqu’il envisage un « objet » existant avant les points de vue qui
le font apparaître.
8. Gérald Holton avait, dès les années 1980, repéré cette controverse opposant, en psychologie
clinique, « les tenants d’une prédiction statistique (ou “actuarielle”) aux partisans d’une démarche
“clinique”. », op. cit., p. 10.
9. La mangrove est un écosystème de marais maritimes incluant un groupement de végétaux
spécifiques et abritant de nombreuses espèces animales. La structure de ses enracinements en rhizomes
donne une belle image de la pensée promue par Gilles Deleuze et que je reprends ici. La dégradation
inquiétante des mangroves dans le monde suite à nos modes de vie est une véritable catastrophe pour
notre biotope. Cet écosystème du mangrove contribue à la résilience de la vie face au productivisme et
aux crises écologiques. Mon livre veut montrer que cet espace du vivant reflète notre espace de pensée et
de jugement. La dégradation de l’un atteste la dégradation de l’autre.
10. L’intelligence artificielle ne devrait en aucune manière être bannie de ces flux de vie et de chaos,
d’ordre renouvelé et d’entropie reconnue, mais simplement elle ne serait plus le cache de nos dictatures et
de nos névroses. La programmation de ces artefacts est de notre responsabilité. Ce ne sont pas les
algorithmes qui décident, mais les valeurs de ceux qui les programment. Il n’y aura pas de robots
utilitaristes, de robots déontologistes, de robots vertueux, disposés à décider à notre place des principes
moraux à mettre en œuvre dans les situations critiques. Entre la technique et nous il faudra des pont-
levis. Lire à ce sujet Martin Gibert, Faire la morale aux robots. Une introduction à l’éthique des algorithmes,
Paris, Climats, Flammarion, 2021.
11. Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1932, p. 304.
12. Michel de Certeau, Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Paris, Folio, Gallimard, 1987,
p. 34.
13. Hervé Le Tellier, L’Anomalie, op. cit.
14. Jacques Lacan, La Relation d’objet, op. cit., p. 253.
15. Le paradoxe de Fermi est le nom donné à une question posée par le physicien Enrico Fermi dans
les années 1960 : pourquoi l’humanité n’a, jusqu’à présent, trouvé aucune trace de civilisations
extraterrestres dont la probabilité proviendrait de l’existence de systèmes planétaires plus âgés que le
nôtre ? D’où le paradoxe : s’il y a des représentants de ces civilisations, ils devraient être parmi nous. Dans
ce cas, comment se fait-il que nous ne le sachions pas ?
16. Hervé Le Tellier, L’Anomalie, op. cit., p. 166 et p. 169.
17. Édouard Glissant, Le Discours antillais, op. cit., p. 418.
18. Patrick Chamoiseau, Le Conteur, la nuit et le palmier, op. cit., p. 91.
REMERCIEMENTS
Je remercie Fabienne Orsi pour sa lecture des pages se référant aux travaux
d’Elinor Ostrom.