Vous êtes sur la page 1sur 233

Pour une histoire franco-algérienne

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE1 (P01 ,NOIR)


Sous la direction de
Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier

Pour une histoire


franco-algérienne
En finir avec les pressions officielles
et les lobbies de mémoire

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE3 (P01 ,NOIR)


Cet ouvrage propose une mise en perspective des actes du colloque
de Lyon tenu à l’École normale supérieure Lettres et sciences
humaines les 20, 21 et 22 juin 2006 sur le thème : « Pour une
histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des
lobbies de mémoire. Le cas de l’histoire franco-algérienne. »
Coordination scientifique : Frédéric Abécassis, Gilbert Meynier ;
coordination et communication : Afifa Zenati ; secrétariat : Ferouze
Guitoun.
L’intégralité des actes du colloque est disponible à l’adresse suivante :
<http://colloque-algerie.ens-lsh.fr>.

S i vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit de vous
abonner gratuitement à notre lettre d’information bimensuelle par courriel, à partir de
notre site

www.editionsladecouverte.fr

où vous retrouverez l’ensemble de notre catalogue.

ISBN 978-2-7071-5454-5
Cet ouvrage est publié sous licence Creative Commons, selon les modalités indi-
quées à la page suivante : <http//creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/>.

© Éditions La Découverte, Paris, 2008.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE4 (P01 ,NOIR)


Introduction

Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier*

P lus de quarante ans après l’indépendance de 1962, l’histoire de


l’Algérie coloniale ou de la colonisation en Algérie suscite
encore des débats passionnés. La guerre d’Algérie et la décolonisation
expliquent cette passion qu’on ne retrouve pas pour la Tunisie ou le
Maroc, a fortiori pour l’Indochine, l’Afrique noire ou Madagascar. En
effet, la décolonisation de l’Algérie a eu lieu dans le sang, la guerre, la
douleur et la fuite éperdue des « pieds-noirs » en 1962.
De ce fait, passion, amertume, rancœur et rancune, mythification
et aussi mystification caractérisent encore trop souvent les approches
actuelles de cette histoire. Il faut donc les éviter et regarder ce passé
franco-algérien qui divise. Objectivement certes, mais de quelle objec-
tivité s’agit-il ? Celle des archives, des documents, sans doute. Il faut
accepter de regarder les faits en face, même et surtout quand ils
baignent dans le sang des hommes. Aujourd’hui encore, on assiste à
une tentative — « révisionniste » si l’on veut — de défigurer, voire de
dénaturer les recherches historiques entreprises depuis le milieu du

* Avec la collaboration, pour la partie historiographique, dans la partie « Rendre la


parole à l’histoire », d’André Nouschi et de Yann Scioldo-Zurcher.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE5 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

XXe siècle en France et ailleurs. Sans prendre la peine de revenir aux


archives et aux documents, ces tentatives s’insèrent dans un courant
singulier, celui de présenter une Algérie coloniale où régnaient une
certaine fraternité et une bonne entente entre les différents groupes
qui constituaient la société coloniale 1 . En symétrie parfaite, un
discours de victimisation, stigmatisant la « politique génocidaire de la
France en Algérie » a fleuri de l’autre côté de la Méditerranée, tant le
pouvoir algérien s’enferme dans un discours de diabolisation de la
colonisation. Tous ces bons apôtres, tous ces mémorialistes des deux
bords tournent le dos aux réalités vécues durant la colonisation de
l’Algérie.
On aurait pu penser que, quarante-cinq ans après l’indépendance
de l’Algérie, la sérénité dont tentent de faire preuve les historiens
s’imposerait. C’est compter sans les duretés d’aujourd’hui qui s’entre-
mêlent avec des ressentiments d’hier. Il y a des passés qui ne passent
pas. Ils ne passent pas parce que, de manière nullement désintéressée,
des lobbies de mémoire continuent à attiser la braise des divers senti-
ments et ressentiments. Les États, de leur côté, ne jouent pas décisi-
vement la carte de la clarification et de la sérénité. Si l’ambassadeur
de France en Algérie a eu à Sétif, en février 2005, des mots justes pour
évoquer le drame du Constantinois de mai 1945, les élus de la nation
ont accouché en France, au même moment, de la loi du 23 février
2005. En son article 4, cette loi édictait que « les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française
outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
De telles directives sont de nature à provoquer des rebondisse-
ments en risquant de légitimer les groupes de mémoire de la nostalgie
coloniale ; et, en répons, symétriquement, des réactions de la part du
pouvoir d’État algérien et des groupes de mémoire qui entonnent sans
nuances et sans discernement les allégations de ce même pouvoir.
Est-il besoin de dire fermement que l’historien n’est pas un juge qui
aurait à se prononcer sur ce qui aurait été négatif et ce qui aurait été
positif : l’une et l’autre de ces catégories sont étrangères à sa démarche.
Et un historien qui se respecte aurait naturellement, aussi, protesté

1 Cf. par exemple l’interview de Roger Hanin dans Le Figaro du 17 mars 2007 (supplé-
ment TV), qui parle encore de « fraternité » à propos de l’Algérie coloniale mais recon-
naît aussi le « racisme ».

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE6 (P01 ,NOIR)


Introduction

tout autant s’il lui avait été enjoint d’enseigner le « rôle négatif de la
présence française outre-mer » : ni l’enseignant ni le chercheur n’ont à
se soumettre à une injonction normative, d’où qu’elle vienne.
Alerté par les vagues suscitées par cet article 4, le pouvoir politique
français a décidé de l’abroger. Cette décision d’apaisement, cepen-
dant, dit bien la particularité du contexte français : ce n’est pas tant
le pouvoir politique qui pèse directement sur les historiens que les
groupes organisés défendant telle ou telle mémoire contre telle autre,
et qu’il laisse agir. Rejouant la guerre, ces groupes somment les histo-
riens d’adhérer à leur vision du passé, vision qu’ils n’acceptent pas de
voir soumise à la critique, relativisée, voire démentie. De son côté, le
pouvoir d’État algérien tend à monopoliser l’écriture et l’enseigne-
ment de l’histoire. Les Archives nationales algériennes dépendent de la
présidence. Les chercheurs n’y accèdent que sur autorisation spéciale.
Et le ministère algérien de l’Éducation s’accommode encore de l’utili-
sation de manuels d’histoire conçus dans les années 1970 et 1980,
qui continuent à abreuver les élèves algériens de contre-vérités et
d’héroïsme de commande. Légèrement toilettés depuis peu, ils n’en
restent pas moins trop souvent encore une caricature d’histoire.

Rendre la parole à l’histoire :


esquisse d’historiographie

Dans l’historiographie de l’Algérie coloniale, il faut distinguer deux


temps : le premier jusqu’en 1945, le second après 1945. Avant 1945,
cette histoire était tributaire des chercheurs français qui faisaient géné-
ralement l’apologie de la colonisation. Le meilleur exemple est sans
doute Augustin Bernard, à la fois historien et géographe ; historien
quand il rédige, dans L’Histoire des colonies françaises de Gabriel Hano-
taux et Alfred Martineau, le volume sur l’Afrique du Nord ; géographe
quand Paul Vidal de La Blache lui confie, dans la Géographie universelle,
la rédaction des parties traitant de l’Afrique du Nord et de l’Afrique
de l’Ouest. Les deux livres se complètent et lui donnent l’occasion de
rédiger une histoire et un tableau à la gloire de la colonisation fran-
çaise. Maître des études sur l’Algérie, on retrouve son nom jusque dans
les manuels à l’usage des écoles primaires. Mais Augustin Bernard est
aussi l’un des conseillers du gouvernement français, puisqu’on le

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE7 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

retrouve dans la Commission interministérielle des affaires musul-


manes créée en 1911, et comme chroniqueur dans le Bulletin du Comité
de l’Afrique française, sous des pseudonymes différents.
De ce point de vue et dans cette lignée, il faut citer un autre histo-
rien de l’époque, Georges Hardy, qui élargit sa vision et replace
l’Algérie dans l’ensemble de la colonisation française et européenne ;
et aussi Émile-Félix Gautier. Dans une perspective voisine, mais plus
nuancée, il faut citer les chapitres de Georges Yver dans l’Histoire de
l’Algérie pour la période moderne et contemporaine ; fondamentale-
ment cependant, il ne s’écarte pas d’une vision coloniale tradition-
nelle : la colonisation française a fait entrer l’Algérie dans la voie du
progrès et son bilan est largement positif. La seule divergence à cet
ensemble d’approches est l’Histoire de l’Afrique du Nord de Charles-
André Julien, publiée en 1931 avec une préface de Stéphane Gsell,
professeur au Collège de France.
Après 1945, grâce au travail de Marcel Émerit, nommé professeur
d’histoire contemporaine à l’université d’Alger, quelque chose a
changé dans l’historiographie de l’Algérie coloniale. Spécialisé dans
l’histoire rurale de la Roumanie, il publie en 1941 un ouvrage neuf,
Les Saint-Simoniens en Algérie. À partir des archives de l’Arsenal, Émerit
ouvre une voie nouvelle dans l’histoire traditionnelle de l’Algérie colo-
niale. Apparaissent au premier plan l’empereur Napoléon III et son
entourage saint-simonien, ouvert à la modernité ; parmi eux, Ismaël
Urbain, Frédéric Lacroix, François-Barthélemy Arlès-Dufour, des géné-
raux. Le livre renouvelle de fond en comble l’histoire du Second
Empire en Algérie. 1941 était-il le bon moment pour cet ouvrage, très
neuf, qui faisait de Napoléon III l’initiateur ouvert d’une autre
Algérie ? À la fin de la guerre, Émerit tient une position à part à
l’université d’Alger, car il souhaite renouveler l’étude de l’Algérie colo-
niale grâce à de nombreuses recherches dont témoignent les mémoires
de DES, les thèses en histoire économique, en histoire sociale, cultu-
relle et, bien sûr, politique.
Étiqueté à gauche, voire proche des communistes, Marcel Émerit
publie en 1951 un livre important, L’Algérie à l’époque de ‘Abd el Kader.
Le titre (provocateur ?) indique bien que l’auteur a pris un autre point
de vue que celui du colonisateur. Fouineur d’archives, il découvre de
nombreux documents qui mettent en lumière le rôle des confréries,
celui des villes moyennes comme Mascara, l’action menée par l’émir.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE8 (P01 ,NOIR)


Introduction

Quoique non arabisant et non islamisant, Émerit a bien vu le poids


déterminant de l’islam et de la langue arabe dans l’histoire de l’Algérie
contemporaine. Il avait perçu que l’histoire de la colonisation n’était
pas l’histoire de l’Algérie et n’en constituait qu’une partie. Il manquait
l’autre, tout aussi importante, celle des Algériens. Histoire écono-
mique, sociale, culturelle, politique aussi, qui exigeait un autre regard.
Or nous étions loin du compte dans les années 1950, car personne
— hélas ! — parmi les historiens français ne pouvait dire comment
élucider les problèmes de l’Algérie algérienne, en histoire écono-
mique, sociale ou culturelle. Le seul guide à l’époque était un
géographe parisien, Jean Dresch, dont le regard attentif avait décelé
l’ampleur des problèmes que posaient le Maghreb et les Maghrébins
au milieu du XX e siècle, et bien sûr avant. Dans cette nouvelle
approche, malgré les textes administratifs, l’Algérie n’était pas la
France ; son passé, sa culture, son histoire en étaient radicalement
différents, puisqu’elle n’avait vécu dans l’orbite française que depuis
1830, soit donc un peu plus d’un siècle sur plusieurs millénaires
d’histoire. Ce rappel à l’évidence a-t-il suffi à convaincre d’abord les
historiens, ensuite les administratifs que le regard devait être inversé ?
Rien n’est moins sûr. L’autre novation découle de la guerre d’Algérie,
qui tend à occulter toute l’histoire antérieure pour certains historiens
(comme si l’histoire du pays commençait avec 1954), qui ont investi
toutes leurs réflexions sur ce fait et en ont fait une grille de lecture
non seulement pour l’histoire de l’Algérie, mais aussi pour celle de la
France et de la colonisation en général.
En effet, les années qui suivirent l’indépendance ne furent pas
particulièrement propices à une réflexion sur la longue histoire de
l’Algérie. Tandis que l’anthropologie et la sociologie analysaient les
conséquences de la guerre sur la société algérienne, avec notamment
les travaux de Germaine Tillion, Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad,
les chercheurs en histoire restaient confinés dans un dommageable
isolement. La publication en 1964 du célèbre manuel de Charles-
Robert Ageron 2 sur l’histoire de l’Algérie coloniale, sans cesse réactua-
lisé depuis, ne changea pas la donne et il fallut attendre la
décennie 1970 pour que l’histoire politique de l’Algérie coloniale

2 Charles-Robert AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, PUF, « Que sais-je ? », Paris,


1964.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE9 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

refasse surface. Des groupes de recherche furent constitués à Paris et


dans le sud de la France et les travaux de doctorants incluaient
désormais, à juste titre, la guerre d’indépendance. Autour du groupe de
Jussieu tout d’abord, puis avec le Groupe d’étude et de recherche sur
le Maghreb (GERM), l’Association de recherche pour un dictionnaire
biographique de l’Algérie (ARDBA) et les travaux menés à l’Institut
d’histoire du temps présent (IHTP), l’Algérie revint sur le devant de la
scène, mais la guerre devint la principale préoccupation de la plupart
des historiens spécialisés dans l’histoire du Maghreb. Avec l’ouverture
progressive des archives militaires, elle finit même par se constituer
en champ de recherche autonome et se pencha prioritairement sur les
questions qui hantaient la mémoire collective française.
Par ailleurs, à partir des années 1930, des historiens algériens
prirent l’histoire de leur pays à bras-le-corps. Parmi eux, deux nova-
teurs, Tewfiq al Madani et Moubarak al Mili, qui publièrent en langue
arabe leur façon de voir. Vingt ans plus tard, Mahfoud Kaddache, un
pur produit de l’université française d’Alger, présenta d’abord une
analyse fine de la Casbah d’Alger, ensuite un tableau de la vie poli-
tique à Alger dans l’entre-deux-guerres ; enfin, après l’indépendance
de l’Algérie, une histoire du nationalisme algérien, une somme qui fit
un point quasi exhaustif sur cette question. Ces travaux, tous rédigés
et publiés d’abord en langue française, sont de qualité et d’une grande
probité. L’arrivée des historiens algériens aux côtés des historiens
français ou étrangers fut le gage d’un retournement dans l’historiogra-
phie de l’Algérie. Étant convenu, faut-il le dire, que cette histoire doit
obéir aux critères de la recherche à partir d’archives, de documents et
non à celui de contraintes idéologiques ou politiques comme elles ont
été ou sont pratiquées, hélas, dans certains États.
C’est pour rendre la parole à une histoire se voulant scientifique,
mais tenant compte, aussi, du contexte social de sa production qu’a
été conçu et organisé à Lyon, en juin 2006, avec des partenaires scien-
tifiques et associatifs, un colloque sur le thème : « Pour une histoire
critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de
mémoire, le cas de l’histoire franco-algérienne. »

10

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE10 (P01 ,NOIR)


Introduction

Le colloque de Lyon :
pour une histoire franco-algérienne

Cet ouvrage se donne pour objectif de faire le bilan de ce colloque.


Celui-ci a été organisé par l’École normale supérieure Lettres et
sciences humaines et il s’est tenu à Lyon du 20 au 22 juin 2006 3. Ses
actes ont fait l’objet d’une publication intégrale en ligne (<http/
/colloque-algerie.ens-lsh.fr/>) : sur ce site, on peut accéder d’une part à

3 Porté par un groupe d’historiens de l’Algérie et du fait colonial désireux de répondre à


une demande d’un public enseignant et associatif, dont Gilles Boyer (IUFM de Lyon),
Benoît Falaize (INRP) et Gilbert Meynier furent initialement les porteurs, le colloque
n’aurait pu avoir lieu sans le vouloir et l’encouragement chaleureux d’Olivier Faron,
directeur de l’École normale supérieure Lettres et sciences humaines, et sans les
conseils avisés de Jean-Claude Zancarini, alors directeur adjoint à la recherche. Il a été
placé sous la présidence d’honneur de Charles-Robert Ageron, professeur émérite à
l’université de Paris-XII-Val-de-Marne, dont l’état de santé ne lui a pas permis d’y parti-
ciper. Il a été piloté, en collaboration avec le comité scientifique, par un comité d’orga-
nisation coordonné par Gilbert Meynier et Frédéric Abécassis, composé de collègues de
l’INRP, de l’IUFM de Lyon, de membres associatifs et d’élèves de l’ENS Lettres et
sciences humaines. Il doit beaucoup, de ce point de vue, à l’équipe de l’ENS, principa-
lement à Afifa Zenati, chargée de la valorisation de la recherche, ainsi qu’à Férouze
Guitoun, qui en a assuré le secrétariat.
Ce colloque a bénéficié de soutiens institutionnels très nombreux. Du côté des parte-
naires scientifiques : le Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA), les
Instituts d’études politiques de Lyon et d’Aix-en-Provence, l’institut Charles-André-
Julien (Nice), l’Institut de documentation et d’études sur l’histoire du Maghreb
(IDEHM, Nice), l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), l’Institut univer-
sitaire de formation des maîtres (IUFM) de Lyon, le Centre d’histoire de la résistance et
de la déportation (CHRD, Lyon), le Groupe de recherche et d’études sur le Maghreb et
le Moyen-Orient (GREMMO, Lyon), le Centre d’histoire sociale du XXe siècle (CHS,
Paris), l’université de Nancy-II et la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme
(MMSH, Aix-en-Provence).
Du côté des partenariats associatifs, il a bénéficié de la participation de l’association
France-Algérie, du Cercle des Algériens et Franco-Algériens en Rhône-Alpes (CARA), de
l’association Coup de soleil et de Coup de soleil en Rhône-Alpes, de la Cimade, et de la
Cimade Rhône-Alpes, de la Chaire lyonnaise de droits de l’homme, de l’association
Harkis et droits de l’homme, de la section lyonnaise du Cercle des entrepreneurs et
industriels algériens de France (CEINAF), ainsi que de l’ensemble musical arabo-
andalou de Lyon « El Fergania » (ma’lûf de Constantine).
D’un point de vue plus institutionnel, il a enfin obtenu le soutien du Fonds d’action
et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), devenu
depuis l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSÉ), de
la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, de la Fondation maison des sciences de
l’homme, de la Ville de Lyon, de la Région Rhône-Alpes, du ministère délégué à
l’Enseignement supérieur et à la Recherche et du ministère des Affaires étrangères.

11

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE11 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

l’enregistrement vidéo de chaque communication et des différentes


sessions, d’autre part à l’édition scientifique, assurée par un comité
éditorial, des contributions des quelque soixante-quinze intervenants
à ces journées. Plusieurs textes, centrés sur les questions d’enseigne-
ment, ont déjà été réunis dans un recueil édité par l’INRP 4. Le présent
ouvrage de synthèse vient compléter ce dispositif d’édition classique
en restituant au grand public, à la communauté scientifique et aux
partenaires associatifs, tant Français qu’Algériens, le sens de notre
démarche et les principaux acquis du colloque.
Cet ouvrage se veut d’abord une table d’orientation permettant de
se repérer dans les actes en ligne, d’accéder directement aux informa-
tions recherchées et de mettre en perspective les communications les
unes par rapport aux autres. Mais il témoigne surtout d’un désir de
répondre au triple contrat scientifique, littéraire et politique que
Jacques Rancière assignait à l’histoire 5 . La manière dont il a été
élaboré 6 en fait une réflexion collective et polyphonique sur les acquis
de la discipline historique concernant l’histoire franco-algérienne, sur
les apports du colloque de Lyon à la connaissance de cette histoire, sur
les méthodes suivies et les difficultés rencontrées dans l’élaboration
de ce savoir, sur les questions en suspens et les chantiers de recherche
à venir ; en bref, une démarche concertée pour faire avancer la
connaissance, pour poser les premiers jalons d’une « narration lisible
pour tous et enseignable à tous d’une histoire commune 7 ».
Le projet de colloque, à l’origine, est né en France du mouvement
de protestation du collectif d’historiens qui s’est constitué contre la loi
du 23 février 2005, notamment en son article 4. Il se fondait sur l’idée

4 France-Algérie, leçons d’histoire. De l’enseignement en situation coloniale à l’enseignement du


fait colonial, textes réunis et mis en perspective historique sous la direction de Benoît
FALAIZE, par Frédéric ABÉCASSIS, Gilles BOYER, Gilbert MEYNIER et Michelle ZANCARINI-
FOURNEL, INRP, Lyon, 2007.
5 Jacques RANCIÈRE, Les Mots de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Seuil, Paris, 1992.
6 Dès que la majorité des textes a été réunie, plusieurs participants au colloque ont été
sollicités pour élaborer, partie par partie, les différents chapitres de cette synthèse. Les
seize collaborateurs de cet ouvrage y ont tous contribué. Des relectures mutuelles ont
été organisées à l’intérieur des équipes et entre elles, une relecture finale ayant été
assurée par des collègues historiens — Mohammed Harbi, Jean-Charles Jauffret,
Michelle Zancarini-Fournel — et des partenaires associatifs — Pierrette Meynier
(Cimade Rhône-Alpes), Zohra Perret-Madani (France-Algérie Rhône-Alpes), Mohamed
Tayebi (CARA), Jacques Walter (Cimade Rhône-Alpes).
7 Jacques RANCIÈRE, Les Mots de l’histoire, op. cit.

12

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE12 (P01 ,NOIR)


Introduction

que la recherche et l’enseignement devaient rester libres de toute


injonction politique. Il visait ainsi à promouvoir l’« histoire des histo-
riens », laquelle reste souvent confinée dans les cercles restreints de
l’université et autres instituts de recherche ; cela pour mettre à la
disposition du public une histoire s’efforçant d’être honnête. Les
historiens, même s’ils sont reconnus dans leur spécialité par le micro-
cosme universitaire, peinent à faire entendre leur voix sur des sujets
brûlants, et qui brûlent encore.
Le colloque entendait enfin poser sur les bases du savoir la ques-
tion de la création d’une Fondation franco-algérienne pour l’histoire.
La publication de cette synthèse s’inscrit dans un contexte politique
nouveau, issu de l’élection présidentielle du 6 mai 2007. Elle inter-
vient au moment où la création d’une Fondation pour la mémoire de
la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie, prévue par la
loi du 23 février 2005 en son article 3, est annoncée. Si l’on ne peut
que se réjouir que les recherches historiques sur le Maghreb disposent
d’un lieu supplémentaire et espérer qu’elles y trouvent un regain
nouveau, il convient néanmoins de rappeler qu’une fondation pour la
mémoire n’est pas une fondation pour l’histoire.
Ce n’est pas l’indépendance de la profession qui est en cause.
L’expérience de l’organisation du colloque de Lyon montre que
celle-ci n’est jamais acquise et reste toujours à construire, et cela de
façon nécessairement imparfaite, parce que l’histoire demeure une
science du compromis. Ce qui est en jeu, c’est sans doute ce que Pierre
Vidal-Naquet exprimait, dans une définition laconique de l’histoire
qu’il livrait, en forme de testament, dans une introduction au
colloque : l’histoire consiste à « établir des faits, avec leurs
connexions », et à « construire des ensembles ». Cette construction-là
est éminemment problématique et suppose de jouer sur différentes
focales. La guerre d’Algérie ne saurait être déconnectée de l’ensemble
de la période coloniale, pas plus que celle-ci ne saurait s’abstraire de
l’histoire de l’Algérie ottomane ou de celle de la France républicaine.
L’histoire d’une guerre, et des combats qui lui sont contemporains,
avec sa brutalité, sa violence, ses lâchetés, ses trahisons, mais aussi ses
pages d’héroïsme et ses ambiguïtés, ne saurait être confondue avec un
hommage rendu aux seuls combattants — a fortiori lorsqu’il ne s’agit
que des combattants d’un seul camp.

13

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE13 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Dans un contexte où s’affrontent, sur le sujet sensible de l’histoire


franco-algérienne, les porte-parole de groupes de mémoire adverses,
ainsi que des pressions ou injonctions mémorielles des deux côtés de
la Méditerranée, le colloque de Lyon s’est proposé, pour assainir et
apaiser le débat, de rendre la parole à l’histoire. Ont donc été invités
surtout des historiens, algériens et français, mais provenant aussi
d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de Hongrie, d’Italie ou de Pales-
tine 8… Il ne faut pas oublier que, en France comme en Algérie, le
débat n’en finit pas de s’étioler dans l’entropie franco-française,
algéro-algérienne et algéro-française. Il existe pourtant d’éminents
savants, arabes, anglais, allemands ou italiens qui n’ont que rarement
droit de cité dans le paysage audiovisuel tant algérien que français, et
qui sont même souvent inconnus de bien des Algériens et de bien des
Français : le colloque de Lyon s’est voulu un carrefour international de
la recherche historique.
Il a aussi été conçu pour aborder la moyenne et la courte durée.
Ses concepteurs n’ont pas voulu le limiter aux aspects politiques, de
manière à embrasser aussi bien l’économie que les migrations, le poids
des structures sociales et des mentalités, voire de l’inconscient. Mais il
a aussi voulu parler d’histoire politique, d’histoire militaire, de la colo-
nisation, des résistances à la colonisation et du nationalisme ; et
encore de culture, de littérature et d’art. Cet élargissement des perspec-
tives et de l’horizon national des intervenants repose sur la conviction
que seule une histoire élaborée en partenariat, fondée sur l’échange et
le dialogue multilatéral, est susceptible d’améliorer les relations inter-
nationales, en particulier entre l’Algérie et la France.
Bien entendu, il n’est pas question, pour l’historien, de nier les
violences et les atrocités du passé colonial français. Mais, même si ce
fut dans la brutalité de l’aménagement inédit d’un îlot capitaliste à
soubassement national français, même si ce fut sur fond de spolia-
tions et d’une « clochardisation » (Germaine Tillion) à grande échelle,
les Algériens purent trouver, certes dans le trouble et la culpabilité,
dans le contact avec l’entreprise coloniale française, le vecteur de
désirs ; de ces désirs que connaissent tous les humains originaires

8 On trouvera en annexe la liste des intervenants et leur origine institutionnelle. On


trouvera également celle des membres des comités scientifique et d’organisation, ainsi
que du comité éditorial.

14

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE14 (P01 ,NOIR)


Introduction

d’univers cloisonnés et avides de humer les vents frais de l’extérieur.


Est-il besoin d’ajouter que cela n’excuse en rien les dérives révision-
nistes, au sens « nostalgérique » vulgaire du terme, qui tentent, de
manière souvent médiatique et parfois fracassante, de s’emparer du
devant de la scène, en symétrie consubstantielle avec les « historiens »
culpabilisants de la victimisation ?
Il n’était pas question pour autant de faire l’impasse sur les
violences bien réelles qui ont été commises sous l’étendard du Front de
libération nationale (FLN). Mais le FLN ne fut en rien monolithique,
et son histoire mérite mieux que des règlements de compte a poste-
riori ; et, en tout cas, pas de surfer sur une vague victimisante où tels
lobbies de mémoire imposeraient à l’opinion leurs interprétations à
sens unique, verrouillées une fois pour toutes. Les pesanteurs de tels
lobbies, ainsi que les injonctions des histoires officielles, ne peuvent
qu’aiguiser l’esprit critique de l’historien : ne doit-il pas en perma-
nence se demander à quoi il doit être attentif pour énoncer ses vérités
— les vérités de l’histoire scientifique ? Le colloque de Lyon s’est donc
voulu, à la fois, une défense et une illustration du métier d’historien,
de l’autonomie des chercheurs et des enseignants, en même temps que
de la fonction sociale/éducative de l’historien.
Le colloque s’est ainsi proposé de dresser un bilan scientifique de
l’état du savoir ; il a eu pour dessein de le faire connaître. Il a souhaité
donner la parole à ceux des historiens dont ses promoteurs pensent
qu’ils servent le mieux l’histoire, loin des chroniques officielles et des
leaders de mémoires, loin des « historiens » idéologues et des mémo-
rialistes de combat. Avec, pour axe principal, l’histoire franco-algé-
rienne de 1830 à nos jours, mais sans se priver d’aller chercher ailleurs
les éléments d’un comparatisme. Et en faisant appel ici et là à d’autres
spécialités que l’histoire pour comprendre et éclairer : par exemple sur
ce qu’est une histoire officielle, ou une pression officielle sur l’histoire,
par les textes qui l’instaurent ou encore par l’analyse littéraire
d’œuvres que l’historien ne peut sous-estimer.
Touchant à l’histoire franco-algérienne, ce colloque a eu pour
ambition de donner la parole à des historiens n’ayant pas envie d’être
plus longtemps confinés dans une tour d’ivoire universitaire et répu-
gnant à laisser plus longtemps la parole aux seuls groupes de mémoire
affrontés et à leurs seuls « historiens » patentés. Et pas davantage aux
pressions officielles de nostalgie coloniale ni aux injonctions de

15

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE15 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

l’histoire algérienne officielle. Nous nous sommes efforcés dans ce


livre d’élaborer des textes qui soient aussi accessibles que possible à un
public de non-spécialistes. D’où le glossaire des termes arabes cités en
italiques figurant dans les annexes.

Organisation, public et partenariats

Ce colloque était porté par une double ambition de valorisation et


d’impulsion de recherches. Que ce soit en France ou en Algérie,
l’histoire franco-algérienne fait partie intégrante des programmes de
l’enseignement primaire et secondaire. C’est la raison pour laquelle
l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) et l’Institut
universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Lyon ont été intime-
ment associés à son organisation. Et parce qu’il entendait laisser la
démarche historienne prendre résolument le pas sur les enjeux mémo-
riels, le colloque s’est entouré de partenaires scientifiques, au premier
rang desquels, à Lyon, le LARHRA (Laboratoire de recherche historique
Rhône-Alpes) et le GREMMO (Groupe de recherche et d’études sur le
Maghreb et le Moyen-Orient).
Le public que ce colloque visait ? Au premier chef, un public
d’étudiants, enseignants et enseignants-chercheurs, voués à se
retrouver dans une même démarche d’ordre scientifique. Mais, dans
l’engagement civique qui était le sien, il concernait également le
milieu associatif régional impliqué dans les questions d’immigration
et d’intégration citoyenne. Historiens et « société civile » se sont
retrouvés sur l’idée que, pour promouvoir une citoyenneté commune,
une vision sereine de l’histoire était indispensable. En effet, ce n’est
pas en ancrant les acteurs sociaux et politiques, quels qu’ils soient,
dans le blocage des mythes, construits sur le passé ou sur l’actualité,
que l’on promeut l’intégration citoyenne apaisée, aussi bien dans le
cas des enfants de l’immigration algérienne que dans celui des enfants
du rapatriement, sans oublier celui des harkis.
Outre que notre colloque a choisi d’accorder à ces aspects une place
de choix, il a ambitionné de traiter sans tabous le plus grand nombre
possible de sujets touchant à l’histoire franco-algérienne, de manière
à fixer les éléments d’un savoir historique partagé. Comme l’a si bien
écrit naguère le grand islamologue Jacques Berque, lui-même issu

16

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE16 (P01 ,NOIR)


Introduction

d’Algérie : « La France et l’Algérie ? On ne s’est pas entrelacés pendant


cent trente ans sans que cela ne descende très profondément dans les
âmes et dans les corps. » Le comité d’organisation s’est tout particuliè-
rement investi dans cette tâche, pour que le colloque soit une occasion
parmi d’autres de faire de l’École normale supérieure Lettres et sciences
humaines un lieu de rencontre, d’échanges et de débats.
De novembre 2005 à juin 2006, ce comité est demeuré ouvert, à
chacune de ses réunions, aux associations désireuses soit de
s’informer, soit de contribuer par une aide financière ou matérielle à
cette démarche d’écriture collective de l’histoire et de diffusion des
savoirs. Il s’est aussi fortement divisé, lorsque le site Web du colloque
a été ouvert au public et qu’il s’est agi de savoir s’il convenait de
répondre ou non à des procès d’intention faits aux organisateurs, à des
pressions exercées sur le comité scientifique pour que soit invité tel
ou tel intervenant, à une pétition doublée d’une assignation en justice
(évidemment classée sans suite) demandant l’annulation pure et
simple du colloque et laissant planer des menaces de perturbation des
débats, voire des menaces physiques à l’encontre de tel collègue. Tout
en restant à l’écoute de personnes ou de groupes mémoriels soucieux
de ne pas voir leur histoire travestie et de ne pas se sentir mis en accu-
sation, le comité d’organisation s’est alors donné pour règle de ne pas
répondre à ces attaques lorsqu’elles demeuraient anonymes ou viru-
lentes au point de relever de la tentative d’intimidation. Il a tout mis
en œuvre pour que, comme souvent lorsqu’il s’agit de l’histoire
franco-algérienne, l’expression de mémoires souffrantes ne vienne pas
prendre le pas sur l’analyse rationnelle ni sur le dialogue.
Deux moments forts du colloque ont ainsi été réservés à une
rencontre avec les partenaires associatifs et à un débat avec le public.
Une première rencontre consacrée à la discussion lors d’un forum des
associations — on en trouvera le compte rendu en fin d’ouvrage —,
une seconde laissant la place à l’émotion transmuée en art, avec le
concert de ma’lûf de Constantine offert par Mohamed-Tahar El Hadj
Fergani et les musiciens de l’association El Fergania. Art du moment
partagé, du vouloir-être ensemble et du temps qui s’écoule, la musique
a pris, dans ce contexte et le temps d’une soirée, la dimension d’une
véritable métaphore de l’histoire.
Pour en revenir aux réalités historiques, sur le moyen terme,
l’initiative dont ce colloque a découlé se donne des objectifs concrets

17

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE17 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

comme, par exemple, la conception d’ouvrages historiques, de vulgari-


sation et/ou de recherche élaborés dans un partenariat franco-algé-
rien, ou la constitution d’une commission mixte d’historiens algériens
et français en vue de la réécriture concertée des manuels d’histoire de
part et d’autre de la Méditerranée. En 2006, exorcisant leur sanglant
passé commun, des Allemands et des Français sont parvenus à édifier
ensemble un manuel d’histoire commun au nom de l’histoire sans
frontières, Geschichte ohne Grenzen. À quand une concertation d’une
pareille ampleur entre historiens algériens et français pour aboutir à
un manuel d’histoire commun : histoire sans frontières, târîkh bilâ
hudud ?
Parmi les invités au colloque, Djamel Boulebier (université
Mentouri de Constantine) est décédé le 30 avril 2006 ; un mois après le
colloque, Pierre Vidal-Naquet est décédé le 28 juillet 2006 ; onze mois
après, Claude Liauzu (professeur émérite à l’université Denis-Diderot-
Paris-VII) est décédé le 23 mai 2007. Les organisateurs du colloque,
avec l’expression de leur émotion, adressent à Patricia Boulebier,
Geneviève Vidal-Naquet et Josette Liauzu leur affectueux hommage.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE18 (P01 ,NOIR)


1
Formes et processus de colonisation

Jacques Frémeaux et Ahmed Henni

L es deux premières demi-journées du colloque visaient à inscrire


l’histoire franco-algérienne dans un temps long, dépassant le
cadre événementiel trop étroit de la construction du mouvement
national algérien (voir infra, chapitre 3) et de la guerre d’indépendance
(chapitre 4). De ce point de vue, le nombre de communications consa-
crées à cet épisode fondateur de l’Algérie contemporaine souligne un
déséquilibre historiographique, que le cinquième et dernier chapitre,
centré sur les migrations et la pérennité des liens entre la France et
l’Algérie, peine à compenser. En amont de la prise d’Alger, les éléments
de rupture et de continuité entre la période coloniale et la période
ottomane mériteraient, eux aussi, d’être davantage revisités et appro-
fondis qu’ils ne le furent lors de ce colloque.
Dans la construction de celui-ci, la ligne de partage entre un
premier moment consacré aux formes et aux processus de coloni-
sation (chapitre 1) et un second aux sociétés coloniales qui en
sont le produit (chapitre 2) renvoyait à une « évolution lourde »
marquant, pour Daniel Rivet, le passage de la colonisation au colonia-
lisme : « Car, au début, il y a la colonisation et son projet à la fois

19

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE19 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

marchand 1, civilisateur et gros de la volonté d’accroissement de la


puissance étatique de la France. Et, à la fin, il y a le colonialisme, qui
ferme toutes les écoutilles au peuple vaincu et jamais promu, et n’a
plus pour finalité que de reproduire à l’identique la distribution des
rangs et des richesses, assignant à chacun une place une fois pour
toutes sur le critère de l’appartenance ethnico-confessionnelle 2. » Les
différentes contributions montrent que c’est à vitesse accélérée que
cette évolution s’est faite en Algérie. À la question qui traverse le
deuxième tiers du XIXe siècle et qui oppose l’Algérie royaume arabe,
conforme à la dynamique générale des nationalités qui anime
l’Europe, et l’Algérie colonie française, la réponse apportée est sans
équivoque, avant même les années 1870.
C’est la raison pour laquelle, à la démarche chronologique
esquissée dans l’organisation des sessions, les auteurs de ce chapitre
ont préféré une démarche thématique, soulignant la continuité et la
cohérence rétrospective des logiques coloniales : poids et partialité
d’une administration directe induisant l’ethnicisation de la société ;
violence de l’irruption d’un capitalisme colonial dont on retiendra
surtout l’entreprise de destruction fort peu — ou fort tardivement —
créatrice ; transfert du pouvoir du politique à l’armée, conduite à
assumer un rôle de fabrique sociale qui n’était pas le sien. Toutes ces
données pèsent de tout leur poids sur la construction de l’État algé-
rien. Elles préparent et annoncent les conflits d’après l’indépendance.

1 Bien qu’elle ait eu souvent un caractère « marchand », la colonisation a été multi-


forme. Selon les lieux et les époques, elle a pu être aussi bien « esclavagiste » que
« marchande » ou « financière ». Dans le cas particulier de l’Algérie, il conviendrait de
distinguer précisément les époques : de 1830 à 1870-1880, lors de la mise en place des
systèmes de commandement coloniaux, elle a été davantage militaro-foncière que
marchande.
2 Daniel RIVET, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette Littératures, Paris, 2002,
p. 14.

20

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE20 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

Les modes de l’administration coloniale


et leurs effets

Quand la corruption en Algérie fragilise la IIIe République


Dans sa contribution, Didier Guignard dresse un historique de la
mise en place de l’administration coloniale en Algérie entre 1880
et 1914. Il en rappelle les principales phases : si « les débuts de l’admi-
nistration française en Algérie remontent à 1830 » et si « le régime mili-
taire des “bureaux arabes” s’applique progressivement à l’ensemble du
pays conquis », « c’est cependant le régime civil, après 1870, qui encadre
durablement le quotidien des Algériens ». Au nom de l’assimilation, les
services algériens sont alors rattachés aux différents ministères pari-
siens (1881), ce qui aggrave la dispersion des responsabilités et rend
plus difficile le contrôle de l’administration. Les sujets algériens sont
partout soumis au régime de l’« indigénat », c’est-à-dire à une liste
d’infractions et de peines spéciales approuvée par le Parlement en 1881,
qui conditionne leur lieu de résidence, leurs déplacements, leurs contri-
butions (réquisitions, gardes, « impôts arabes ») et leur parole.
Ce qui intéresse davantage Didier Guignard, « c’est la crise du
régime républicain » qui a suivi 3 . Elle a pour moteur, dans les
années 1890, la multiplication des scandales d’abus de pouvoir dans
la colonie qui impliquent des fonctionnaires français et algériens, des
auxiliaires et des candidats au pouvoir local. Ces scandales contra-
rient la genèse administrative : près de trois cents affaires 4 de corrup-
tion et de violence, entre 1880 et 1914, contredisent bruyamment le
discours civilisateur des républicains, d’autant plus que trois sur quatre
sont traitées par les autorités sur une période de quinze années seule-
ment (1888-1903).

3 Il entend par « crise » la fragilisation durable du régime républicain qui doit répondre
de ses contradictions (entre principes libéraux et domination coloniale) face à l’indi-
gnation suscitée par les « scandales algériens » de 1891 à 1903.
4 Il entend par « affaire » un cas d’abus de pouvoir documenté impliquant un fonction-
naire, un auxiliaire de l’État ou un candidat aux fonctions publiques. Cela ne présup-
pose aucunement du bruit donné à l’événement dans la presse locale ou nationale. La
seule condition est la réalité des faits, établis par l’enquête parlementaire, financière,
administrative ou judiciaire.

21

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE21 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Pour la période 1880-1914, dix-neuf fonctionnaires seulement sont


condamnés par les tribunaux pour abus de pouvoir, mais les sanc-
tions administratives sont beaucoup plus nombreuses : quatre-vingt-
seize suspensions par arrêté préfectoral, quarante-quatre suspensions
sur décret du ministre de l’Intérieur, quatre-vingts révocations et
trente-neuf dissolutions de conseils municipaux par décret présiden-
tiel, enfin cent vingt-cinq annulations d’élections municipales,
partielles ou totales, sur arrêt du Conseil d’État. D’autres sanctions
échappent au décompte, parce que l’archive fait défaut pour les
renseigner.
Le secrétaire général du gouvernement d’Alger avoue ainsi son
impuissance dans une note datée de 1906 : « Nous sommes malheu-
reusement fondés à affirmer que si on devait révoquer tous les maires
d’Algérie qui falsifient les états de recensement pour faire bénéficier
leur commune d’un supplément d’octroi de mer ou tous ceux qui nous
fournissent de faux décomptes de frais d’hospitalisation dans le but de
voir augmenter les subventions que la colonie leur alloue, les révoca-
tions seraient nombreuses 5. »
À cela s’ajoute le quota presque ordinaire d’élus corrompus. Le
maire de Ténès, par exemple, a bâti sa fortune en pratiquant l’usure
auprès de pèlerins musulmans et de fellahs dépourvus de semences, en
détournant 3 000 francs de subventions destinées aux indigents et en
taxant les cafés maures 6.
La tentation réside d’abord dans le quasi-droit d’abuser. La frontière
du permis est brouillée par la légitimation dans la colonie de ce qui, en
métropole, serait considéré comme un abus. La mainmise sur une partie
importante des ressources autochtones (terres, forêts, eau, sous-sol, trou-
peaux, argent) respecte la loi ; de même que l’encadrement et le contrôle
de la population « indigène » (amendes collectives, facilités d’emprison-
nement, internement). La diffusion en Algérie de la procédure française
favorise aussi les abus du fait de son coût et de son incompréhension
par beaucoup de colonisés. Dès lors, le passage à des abus illégaux est
souvent insensible chez des fonctionnaires habitués aux lois d’excep-
tion dans l’administration des biens et des personnes. La tentation

5 Note de juillet 1906, Centre des archives nationales d’Algérie (CANA), fonds « Intérieur
et Beaux-Arts » (IBA) du gouvernement général, carton nº 36.
6 CANA, IBA, nº 1856.

22

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE22 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

d’abuser gît encore dans la définition du droit, plus incertaine en Algérie


qu’en France. Depuis 1830, le droit colonial est produit avec des
logiques de domination très différentes, sans la moindre codification.
À la fin du siècle, c’est un imbroglio de droits réservés : « musulman »,
« français », « spécial » à l’Algérie, « commun » avec la métropole, alors
que le cloisonnement total des personnes et des biens est impossible.
Les affaires permettent aussi de suivre les flux d’argent, licites ou
illicites. La colonie se caractérise par des besoins énormes pour
financer le chantier colonial et faire face aux catastrophes, plus ou
moins naturelles : sécheresse, invasion de criquets, phylloxéra,
épidémie et famine. Or les fonctionnaires locaux obtiennent et dépen-
sent plus facilement qu’en France l’argent public par le biais d’une
fiscalité originale (« impôts arabes », taxes spéciales, nombreuses
exemptions pour les contribuables européens) et par la distribution
massive de subventions, de secours ou d’emprunts (cf. infra l’étude
d’Ahmed Henni). Jusqu’en 1891, le Parlement vote les budgets algé-
riens sans même les discuter, et l’inspection des Finances ne dispose
pas de moyens d’investigation suffisants dans la colonie 7. La lourdeur
des « impôts arabes » est ainsi aggravée par des cas fréquents de
violence et de concussion de la part des percepteurs français ou algé-
riens. L’examen des comptabilités municipales révèle des taxations
abusives sur l’abattage, sur les marchés, sur les gourbis isolés, etc., ainsi
que l’ampleur des détournements, surtout par le biais de travaux
fictifs. La distribution des secours privilégie les clients par rapport aux
sinistrés ou aux affamés. La main-d’œuvre algérienne réquisitionnée
dans la lutte contre les criquets ou « secourue » dans des chantiers de
charité doit se contenter de 10 à 30 centimes journaliers, quand elle
est payée. Les largesses des départements et des communes, suren-
dettés, vont ailleurs : dans les rémunérations des employés munici-
paux (premiers clients), dans des travaux qui n’intéressent que la
minorité des électeurs, ou directement dans la poche des élus et de
leurs complices.
La longue impunité des fonctionnaires modèle les comportements
de l’ensemble. Ainsi, la genèse administrative des années 1880-1914
aboutit à une violence ordinaire, c’est-à-dire à des abus de pouvoir

7 Emmanuel CHADEAU, Les Inspecteurs des finances au XIXe siècle (1850-1914). Profil social et
rôle économique, Economica, Paris, 1986.

23

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE23 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

généralisés, quotidiens et impunis, qui s’enracinent en Algérie en


même temps que la République. L’extraordinaire est relégué à un
moment de crise (1891-1903), quand ces abus étaient dénoncés,
recherchés et en partie sanctionnés. Le scandale met en lumière les
fortes contradictions du régime républicain en situation coloniale. Ces
contradictions le corrompent 8 durablement car, au début du XXe siècle,
le gouvernement se contente d’enrayer le processus de découverte des
abus.

L’ethnicisation de la fiscalité coloniale


Sur un autre plan, largement corrélé au premier, Ahmed Henni
détaille les aspects de la fiscalité coloniale entre 1830 et 1918, en
mettant en lumière son caractère ethnique. Pour lui, l’un des éléments
décisifs ayant conduit à la « fracture » communautariste est l’ethnici-
sation de la fiscalité. Le poids des prélèvements fiscaux, dits officiel-
lement et juridiquement « impôts arabes », supportés exclusivement
par les Algériens de souche locale, leur usage discriminatoire au béné-
fice des colons européens nous conduisent, certes, à une réflexion sur
le rôle de l’État colonial comme appareil de transfert des richesses
d’une ethnie à une autre, mais aussi, tout en s’appuyant sur cette
lecture matérialiste, à écarter toute explication historique procédant
de la lutte des classes telle qu’a pu laborieusement tenter de l’écrire
une histoire militante.
La fiscalité coloniale et le rôle joué par les notabilités tradition-
nelles dans la collecte des impôts arabes ont été à n’en pas douter une
cause majeure de l’ethnicisation du mouvement indépendantiste et
de l’irruption de la masse des paysans sans terre dans la concrétisa-
tion d’une dynamique guévariste avant l’heure, malgré l’émergence
entre 1918 et 1954 d’un embryon de paysannerie moyenne musul-
mane 9. En 1843, les impôts arabes, exclusivement assis sur la paysan-
nerie locale (musulmane), représentent déjà 50 % des rentrées fiscales.

8 Au sens où Montesquieu l’entend, comme la « corruption » d’une pomme, son pourris-


sement.
9 Pour des développements détaillés sur l’émergence quantitative du sous-prolétariat
musulman et de la paysannerie musulmane moyenne, se reporter à l’article d’Ahmed
HENNI, « La naissance d’une classe moyenne paysanne musulmane après la Première
Guerre mondiale », Revue française d’histoire d’outre-mer, juin 1996.

24

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE24 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

Ils sont finalement officialisés par les ordonnances du 15 avril 1845 et


du 2 janvier 1846 10.
L’absence de règles fiscales élémentaires (universalité, déclaration,
contrôle) provoque aussi bien un communautarisme objectif qu’une
dynamique économique séparée ou un mode de gestion social et poli-
tique distinct par communauté. Elle entrave à n’en pas douter tout
devenir individuel aussi bien chez les colons que chez les Algériens. Le
sénateur Rouire observe en 1908 que si les 2 500 000 hectares cultivés
par les « Arabes » rapportent 17 millions de francs au Trésor public, les
994 000 hectares cultivés par les colons ne lui rapportent rien 11. Bref,
la fiscalité contredit toute apparition d’une culture civile et civique
dans les deux « communautés ». Mieux : elle a pu développer le senti-
ment d’une appartenance « identitaire » fondée, des deux côtés, sur le
seul communautarisme.
En imposant différemment colons et fellahs, le système fiscal
nourrit une différenciation communautariste que va aiguiser l’usage
même des recettes fiscales. Sur un plan purement comptable, on peut
avancer sans hésitation que ce sont les fellahs qui ont financé les
dépenses d’une colonisation agricole faite à leurs dépens. Le total de
ces dépenses s’élève jusqu’en 1900 à 173 millions de francs. Or les
seules « contributions de guerre » et « amendes » ont, durant la même
période, rapporté 111,5 millions. À cela s’ajoutent les contributions
fiscales ordinaires et régulières directes et indirectes qui, entre 1830
et 1900, rapportent, bon an mal an, 25 millions en moyenne.
L’essentiel des recettes provient soit des impôts directs sur les
fellahs (à noter le montant élevé des rachats de corvées), soit indirec-
tement de la consommation qui dépend, elle, de la démographie, dès
lors qu’il s’agit de produits courants comme le tabac, le café, l’huile et

10 Ordonnances royales de Louis-Philippe. La colonie n’ayant pas, jusqu’en 1897, de


budget propre, toutes les mesures fiscales sont arrêtées par Paris. La loi de finances de
1845 institue des « rattachements budgétaires », décidant que, à partir de 1846, toutes
les dépenses et recettes d’Algérie seront rattachées au budget de l’État français. Ce
« rattachement » est supprimé en 1896. Dès lors, il semble très difficile de connaître
entre 1830 et 1896 la ventilation exacte des recettes et dépenses en Algérie, celles-ci
n’apparaissant souvent que dans une seule ligne dans le budget parisien. Mieux : les
décrets du 26 août 1881 font éclater ces recettes entre les divers ministères parisiens,
de telle sorte que la fiscalité en Algérie devient dès lors un dédale ténébreux.
11 ROUIRE (sénateur), « Les indigènes algériens », Revue des deux mondes, 15 janvier-1er avril
1909, p. 410-441 et p. 615-649.

25

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE25 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

le sucre. Cette communautarisation pourrait ne pas avoir de consé-


quences discriminantes si les dépenses devaient bénéficier aux
« payeurs ». Or ce n’est pas le cas. L’analyse des dépenses moyennes de
l’État par « communauté » au cours des années 1901-1905 montre une
disproportion flagrante de ces dépenses selon qu’elles ont pour bénéfi-
ciaires les colons ou les indigènes. En matière de subventions au culte,
d’instruction publique, de justice ou d’assistance publique, les colons
sont, dans ces années, destinataires de 70 % à 90 % des dépenses de
l’État pour une population environ six fois moins importante. La
disproportion observée demeure tout au long de la période coloniale,
comme le montrent les données prélevées par sondage en 1926 et
en 1930.
L’analyse de la fiscalité et de la politique budgétaire coloniales en
matière de dépenses fait ressortir que, entre 1830 et 1918, un principe
de communautarisation a été mis en place en Algérie, installant pour
une longue période une pratique d’administration séparée sur des
bases ethniques. La « communauté indigène », composée essentielle-
ment d’agro-pasteurs, si elle a été la première à contribuer aux finances
publiques, a été la dernière servie.

Le poids de l’héritage ottoman et les méthodes de confiscation coloniales


Les textes de Didier Guignard et Ahmed Henni sur le mode d’admi-
nistration de la colonie montrent également que l’État français a
souvent reproduit l’organisation héritée des janissaires gouvernant la
Régence d’avant 1830. Fatima-Zohra Guechi, analysant dans sa
communication le passage du beylik ottoman à la province coloniale
dans le cas de Constantine au XIXe siècle, apporte des éléments pouvant
éclairer cette gouvernance.
Elle montre qu’il a fallu plus de sept ans après le débarquement
français et la capitulation d’Alger pour que les militaires entrent dans
la ville 12. Ahmed bey était le petit-fils d’Ahmed bey Turki (le Turc),

12 Abdelkrim B ADJADJA , La Bataille de Constantine 1836-1837, Imprimerie El Baath,


Constantine, 1984 ; Charles-André JULIEN, Histoire de l’Algérie contemporaine. 1, La
conquête et les débuts de la colonisation 1827-1871, PUF, Paris, 1979 ; Jean FIORINI,
Constantine, le tournant de la conquête, Éditions du Cosmogone, Lyon, 2000 ; A. BERTHIER
et J. CHIVE, Constantine, son passé, son centenaire, Imprimerie Braham, Constantine,
1937.

26

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE26 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

donc un fils de kouloughli (kulughlî) 13. Face à l’intervention coloniale


à Alger, il prit les devants et se prépara à la résistance. Il recomposa
son « gouvernement », introduisit plus de gens du pays. Le poids de
l’héritage ottoman en matière de gestion administrative, somme toute
réussie vue du centre, inclinait à confier les responsabilités à ceux des
anciens chefs qui acceptaient de se rallier et de collaborer, en tant que
vassaux.
Douze ans après la prise de la ville en 1837, plus aucun poste de
commandement, même secondaire, n’était aux mains des enfants du
pays. Cela représentait une transition vers un gouvernement plus
direct et plus en phase avec l’assimilation, entendue par les colons et
pour les colons. Quand le décret de 1854 crée des majlis (conseils), on
y retrouve des qâdi(s) (Benbadis, Ben Azzuz) provenant de vieilles
familles. On reconnaît la force de l’islam et son imbrication dans les
institutions et l’on applique la « séparation du temporel et du
spirituel ».
Cette tentative pour revisiter le passage du beylik ottoman à la
province coloniale montre que beaucoup de questions d’histoire poli-
tique et militaire sont maintenant suffisamment connues. Cepen-
dant, dès qu’on aborde l’histoire sociale et institutionnelle au niveau
local, les difficultés resurgissent. Une démarche prosopographique
— rendant compte de la personnalité et de l’itinéraire des acteurs —
permettrait d’éclairer dans le détail la part de chacun et la part des
groupes de métiers dans la nouvelle configuration introduite par le
pouvoir colonial.
L’administration française s’est essentiellement préoccupée de
s’assurer un régime des terres favorable à l’État colonial, terres pouvant
servir de réserves foncières à concéder aux futurs colons. Tahar Khal-
foune décrit les procédés juridiques qui ont permis à l’État colonial de
s’accaparer des terres des natifs. En ce sens, l’Algérie fut le champ
d’expérimentation favori des théories du domaine.
Fortement marquée par les droits coutumier et islamique sous la
régence turque, l’organisation de la propriété foncière connaît, à partir
de 1830, des changements substantiels ; le régime foncier s’imprègne

13 Fatima-Zohra GUECHI, Qaçantina, fî ‘ahdi Salâh Bay, bay al bayat, Média-Plus, Constan-
tine, 2005 ; Fatiha LOUALICH, Al haiyyât al ijtimâ ‘iyya wa fi baylik al gharb, magister,
Alger, 1994.

27

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE27 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

forcément du type d’organisation politique que l’État français met en


œuvre en Algérie. Ce n’est qu’avec la colonisation française que la
summa divisio 14 domaine public/domaine privé a vu le jour, à la faveur
de la loi du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété foncière
en Algérie. Par « domanialisation », il convient d’entendre les tech-
niques juridiques et le processus par lesquels les pouvoirs publics ont
procédé pour s’approprier peu à peu les biens en Algérie. Pour ce faire,
l’administration a recouru essentiellement à des méthodes de cessions
forcées telles que le séquestre, l’expropriation et le cantonnement.
Quant aux modes d’acquisition de droit privé, comme le rachat, c’est
la colonisation dite libre qui les a adoptés, mais tardivement.
En déclarant réunis au domaine tous les biens du dey et des beys,
les terres de parcours, les biens des déportés et des fondations pieuses,
l’arrêté du maréchal Bertrand Clauzel du 8 septembre 1830 peut être
considéré comme le point de départ du processus de « domanialisa-
tion » de la propriété en Algérie. L’ordonnance du 1er octobre 1844 a
aboli la règle d’inaliénabilité protégeant les biens habûs pour faciliter
leur acquisition par les Européens. L’ordonnance du 21 juillet 1846,
prescrivant le recensement général des titres de propriété rurale, a
rangé dans le domaine de l’État les biens sans maître ou dont les titres
de propriété ont été considérés comme insuffisants. L’ordonnance du
13 avril 1943 modifie et complète la législation applicable en Algérie
au domaine de l’État et de l’Algérie et au domaine public national 15.
Parmi les techniques les plus utilisées figure au premier rang le
séquestre, entendu comme la « mainmise de l’État sur les biens
meubles et immeubles d’une collectivité ou d’un individu », selon la
définition de l’ordonnance du 31 octobre 1845. Aux termes de cette
ordonnance et de la loi du 17 juillet 1874, le séquestre est une sanction
prise à l’encontre des indigènes qui ont commis des actes malveil-
lants contre les Européens ou contre les tribus soumises à la France, ou
coupables d’assistance à l’ennemi ou d’intelligence avec lui.
C’est aussi à l’expropriation qu’il fut très souvent fait appel ; elle a
concerné en effet toutes les terres riches situées autour des périmètres

14 Expression latine signifiant que rien n’échappe à cette classification qui recouvre
l’ensemble des biens : l’un des deux termes, domaine public ou domaine privé,
s’applique nécessairement à tous les biens publics.
15 Journal officiel, 30 avril 1943, p. 303.

28

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE28 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

de colonisation. Elle a été entérinée et reprise par l’ordonnance du


1er octobre 1844 et par la loi du 16 juin 1851, qui ont consacré parmi
les raisons d’expropriation d’autres causes que celles prévues par les
lois métropolitaines, tels la fondation de villages, hameaux et villes,
l’établissement d’ouvrages de défense et de lieux de campement, la
construction de fontaines, d’aqueducs et, enfin, l’ouverture de routes
et de chemins, de canaux de dessèchement ou d’irrigation 16.
L’ordonnance du 21 juillet 1846 est venue consolider les disposi-
tions de l’ordonnance du 1er octobre 1844. L’expropriation ou la
confiscation ne relève plus de la compétence des tribunaux, mais de
celle de l’administration ; elle donne à celle-ci compétence à déclarer
l’expropriation pour cause d’utilité publique de toute terre jugée
nécessaire à l’implantation coloniale 17. Le séquestre et l’expropriation
n’étaient pas exclusifs d’autres techniques que l’administration a
mobilisées pour accroître la contenance du domaine, comme le
cantonnement qui a procuré à l’administration domaniale une quan-
tité non négligeable de biens immobiliers. En posant le principe du
droit de nue-propriété de l’État sur les terres ‘arch(s), la loi du 16 juin
1851 peut être considérée comme le signe avant-coureur de la théorie
du cantonnement. En une douzaine d’années de mise en œuvre, les
opérations de cantonnement ont porté sur une étendue de
531 387 hectares dont 134 489 hectares, constitués des meilleures
terres, ont été versés au domaine de l’État 18.
Les techniques juridiques du droit domanial mobilisées pendant
toute la période de la colonisation apparaissent ainsi comme le type
même de normes d’une législation de nature colonialiste, puisque des
situations juridiques ont été conçues à la faveur d’une domination
coloniale. Le droit domanial édifié a contribué aussi à couvrir la spolia-
tion de l’habit de la légalité. Ce décalage est d’autant plus incompré-
hensible que la Constitution de 1848 précise dans son article 109 que
« l’Algérie est un territoire français » et que, à ce titre, elle est placée
sous le régime de cette Constitution. Par conséquent, la propriété en

16 Sur ces méthodes, cf. Charles-Robert AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, PUF,
Paris, 1974, p. 23 ; Youcef D JEBARI , « L’accaparement des terres par les pouvoirs
publics », in La France et l’Algérie : bilan et controverses, OPU, Alger, 1995, p. 84.
17 Ahmed RAHMANI, Les Biens publics en droit algérien, Éditions internationales, Alger,
1996, p. 31.
18 Youcef DJEBARI, « L’accaparement des terres par les pouvoirs publics », loc. cit., p. 83.

29

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H4--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE29 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Algérie devait obéir au même régime juridique que celui prévalant en


métropole. Tel n’a pourtant pas été le cas. La réputation de l’Algérie
d’être le champ favori d’expérimentation des conceptions domaniales
n’est pas usurpée.

Résistances en Algérie et au Maroc


Cette première série de textes se conclut par l’étude de Daniel
Rivet, qui esquisse les grands traits de ce que pourrait être une histoire
comparée de l’administration coloniale en Algérie et au Maroc. Dans
chacun des deux espaces, il voit aussi bien des « caractéristiques
communes produisant des effets d’homologie » que des « dissem-
blances significatives ».
Un premier dénominateur commun entre ces deux histoires de
colonisation fut la violence qui entacha la conquête coloniale. Les
formes de résistance furent comparables : barrage étatique à la pénétra-
tion étrangère, levées en masse pantribales, convulsions confrériques
sur fond de mahdisme et, bien sûr, essais de guerre protonationales
conduits par deux émirs, ‘Abd el Kader et ‘Abd el Krim, mais avec des
moyens militaires et des ressources symboliques décalées pour le
leader du mouvement rifain, en phase avec l’après-Première Guerre
mondiale. Dans les deux pays, le sens des résistances est le même :
rejeter à la mer le « roumî », cet envahisseur chrétien qui déferle pério-
diquement au Maghreb depuis la fin de la reconquista ibérique. Bref,
une sorte de patriotisme confessionnel trempé dans une culture du
jihâd spécifique au Maghreb à l’époque moderne.
Les Français entrèrent de force en Algérie et au Maroc. Ils en furent
délogés par la force et au Maroc autant qu’en Algérie, quoi qu’en
rapporte une version euphémisée de la décolonisation de l’empire des
chérifs alaouites. Bien sûr, l’explosion des violences citadines puis
rurales qui secoua le Maroc à partir de 1953 ne revêtit pas la même
intensité que celle qui déferla sur l’Algérie entre 1954 et 1957. Il
n’empêche : le terrorisme urbain commença au Maroc après la déposi-
tion de Mohammed V et la forme de riposte coloniale qu’il appela
procéda de cette guerre dans la foule qui atteignit un paroxysme à
Alger début 1957. À Casablanca, l’ambiance était au déferlement
compulsionnel de peur haineuse après les bombes qui ensanglantèrent
Mers es-Sultan le 14 juillet 1955 et qui préfiguraient celles d’Alger en

30

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE30 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

1957. Quant à l’armée de libération du Maroc, qui s’ossifiait à partir


de la zone espagnole, elle s’essaya à synchroniser ses opérations dans
le Maroc du Nord-Est avec l’ALN algérienne et elle ne consentit à se
dissoudre, en mars 1956, qu’avec une énorme réticence sous l’objurga-
tion du roi avec l’appui de l’armée ex-coloniale.
Il n’est pas interdit de conjecturer que le rétablissement sur le trône
in extremis du sultan Mohammed V a court-circuité une formidable
révolte contre l’ordre colonial susceptible de donner la main à l’insur-
rection algérienne. Dans les deux cas également, le mouvement des
foules est amorcé, encadré, amplifié par des partis-nation en puis-
sance entre lesquels on discerne d’étroites correspondances. En parti-
culier entre le PPA-MTLD et le parti de l’Istiqlal dans sa déclinaison
populaire à partir de la fin des années 1940. Par ailleurs, au Maroc
autant qu’en Algérie, l’explosion d’un nationalisme plébéien virulent
et xénophobe durcit et extrêmise les populations européennes.
Au commencement et à la fin de la colonisation il y a des violences
symétriques, donc comparables. Il faut ajouter à cela une dépossession
foncière des indigènes qui, certes, n’atteint pas les mêmes propor-
tions au Maroc (1 million d’hectares livrés aux colons) qu’en Algérie
(2,7 millions d’hectares).
Les politiques de peuplement européen et d’encadrement des indi-
gènes ont également un air de famille. On veut enraciner une coloni-
sation peuplante pour tenir la terre. Largement comparables sont,
également, les politiques de maintien à leur place des « musulmans »,
vocable piégé qui enferme dans le communautarisme les colonisés,
mais qui correspond aussi, faut-il le souligner, à leur attente. Sans
doute la « politique indigène » est-elle plus compliquée à définir et à
pratiquer en Algérie qu’au Maroc. De sorte qu’il ne faut pas s’abuser
sur les mots légués par l’administration coloniale pour différencier
l’Algérie française et le Maroc chérifien sous protectorat.
En premier lieu, le protectorat n’a pas eu à inventer la fiction d’un
« empire chérifien ». L’Algérie française, elle, trouble l’affirmation de
soi des Algériens. Alors que le nationalisme marocain s’infuse sur
place, c’est en France, dans l’émigration, que l’Étoile nord-africaine,
avec Messali Hadj, revendique, en 1926 pour la première fois,
l’exigence de la nation. Il faut un détour par la métropole pour se
découvrir algérien sans mélange. Et l’élucidation de cette question
identitaire va s’opérer au prix d’un combat contre soi et non

31

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE31 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

seulement contre l’autre. Son coût psychique et affectif sera beaucoup


plus élevé que pour les Marocains.
C’est que, en deuxième lieu, la colonisation dura cent trente-deux
ans en Algérie et quarante-quatre ans au Maroc. De plus, il n’est pas
indifférent que la colonisation du Maroc ait été si tardive et, en
l’occurrence, postérieure au XIXe siècle. La colonisation de l’Algérie s’est
faite en plusieurs fois, le Maroc colonial a été lancé une fois pour
toutes par Lyautey. Il ne sera jamais l’objet de ces rêveries, de ces
constructions fantasmagoriques forgées par les utopistes du XIXe siècle
et les républicains positivistes qui leur succèdent.
En troisième lieu, il faut noter l’effort des initiateurs du protectorat
et de ses techniciens pour démarquer le Maroc, seulement sous perfu-
sion de la France, de l’Algérie, complètement sous transfusion de la
métropole.
En dernier lieu, il y a bien une différence d’ambiance historique
entre les deux pays à la fin de l’ère coloniale, qui résume ce qui vient
d’être mis en exergue. C’est une question d’atmosphère, de sensibilité
des témoins au microclimat. Daniel Rivet s’appuie ici sur un témoi-
gnage oral. En 1997, le général Pierre Rondot, successeur de Robert
Montagne au CHEAM (Centre des hautes études d’administration
musulmane, devenu Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie
modernes), lui faisait part de son étonnement à découvrir, après le
Maroc à la fin de la guerre du Rif, l’Algérie qui lui paraissait au
diapason d’une sous-préfecture du Midi méditerranéen : la province et
tout l’ennui qu’elle sécrète alors. Les gens à la sortie de la messe, au
café, dans la rue : étriqués, fripés, surannés, sans panache. La France
petite-bourgeoise malthusienne tercio-républicaine.
Au Maroc, au contraire, on trouve le mouvement et non la stagna-
tion, le brassage entre gens de tous horizons, de toute condition, de
l’espace pour l’exercice de l’imagination créatrice. L’Algérie : un pays
déjà fait, mal fait et qui stagne. Le Maroc : un pays à faire, en train de
se rajeunir et de prendre son essor. Sa conclusion est sans appel :
« À aucun observateur contemporain lucide, français, maghrébin ou
étranger au couple antagoniste franco-maghrébin, il n’a pu échapper
que l’Algérie était un ratage historique et le Maroc une expérience de
colonisation au bilan mitigé, en demi-teintes. […] Le cas de l’Algérie
française ressort bien d’une pathologie du mal colonial. Celui du

32

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE32 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

Maroc sous protectorat anticiperait plutôt sur les désillusions de la


coopération. »

Exploitation et valorisation économique

Les mesures administratives, foncières et fiscales provoquent au


début une paupérisation de la population indigène, sinon des famines
comme le montre André Nouschi, mais permettent ensuite d’entre-
prendre une valorisation de la colonie à laquelle ne s’associent que
timidement les populations locales, comme le décrit Hubert Bonin,
cependant que Hartmut Elsenhans s’interroge sur les visées écono-
miques réelles de l’État français.

Les dégâts du capitalisme colonial

Évoquant la crise des années 1866-1870, André Nouschi pose la


première question qui vient à l’esprit d’un historien : comment a-t-on
pu en arriver là ? La réponse réside, en priorité, dans la grande muta-
tion du système socioéconomique de l’Algérie. Avec les Français arrive
un capitalisme sans entraves et qui ne se pose aucune question sur la
légitimité des décisions qu’il prend ou qu’il impose. Or la guerre de
conquête a dévasté les campagnes algériennes. La crise dure quatre
longues années, de 1866 à 1870. La répétition de la sécheresse pendant
quatre années consécutives interdit de récupérer d’une année sur
l’autre. Ce phénomène se combine avec une invasion de sauterelles
qui ne laissent rien après leur passage.
L’Algérie connaît durant ces années une des crises les plus graves de
son histoire. Naguère, avant l’intrusion du capitalisme commercial, les
fellahs pouvaient compter sur les silos de réserve, les matmûr(s). Avec
la conquête, les fellahs les ont vidés pour vendre les surplus qui les
sauvaient jadis de la famine. Sous le Second Empire, le commerce des
céréales et des bêtes a augmenté d’une façon impressionnante, surtout
au moment de la guerre de Crimée, parce que le prix des grains sur
les marchés était élevé. Les matmûr(s) sont donc vides depuis long-
temps et les hommes ne peuvent plus compter que sur la récolte de
l’année. Le commerce les a rendus encore plus vulnérables que jadis.

33

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE33 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

S’ils veulent acheter des grains, le prix a augmenté d’une façon telle
qu’ils n’ont pas les ressources pour en acheter.
La dislocation de l’économie va encore plus loin quand l’adminis-
tration impose une nouvelle législation foncière à partir de 1844, dont
l’objectif essentiel est d’enlever les meilleures terres aux fellahs pour
les distribuer aux colons ou aux grandes sociétés (Société genevoise,
Société algérienne) : dans le Constantinois, plusieurs dizaines de
milliers d’hectares leur ont été ainsi pris. Les fellahs ont dû refluer sur
des sols moins riches et moins arrosés, donc plus sensibles à la
sécheresse.
La crise semble avoir peu, voire pas du tout, touché les Européens,
car leur nombre continue d’augmenter entre 1866 et 1872
(+ 27 127) 19 ; mais cette croissance est liée aux migrations (+ 31 050),
tandis que le mouvement naturel enregistre une perte de 3 923 habi-
tants sur une population de 227 000 habitants en 1866, soit donc
– 1,7 %. Nous sommes loin des – 20 % de la population algérienne/
musulmane : évaluée à 2 652 000 personnes en 1866, celle-ci fut
estimée à 2 125 000 en 1872. Mutilée dans ces proportions considé-
rables, qui ont pu atteindre 25 % dans certaines régions, celle-ci est
incapable de résister à la répression de l’insurrection lancée par
Mohammed el Moqrani au printemps 1871. Or l’analyse des causes
de cette révolte indique qu’elle a des liens avec la crise des
années 1866-1870. Plus grave encore, elle a montré les contradictions
d’un système économique et social qui a détruit les bases d’une
économie et d’une société traditionnelles sans les remplacer sérieuse-
ment. Le Royaume arabe n’est alors plus qu’une utopie.
Avec la contribution d’Hubert Bonin, ce constat des effets rava-
geurs du capitalisme cède la place à un questionnement symétrique.
En quoi les banques d’origine métropolitaine ont-elles contribué ou
non au processus de « développement » du pays ? S’agit-il d’une « mise
en valeur » impériale ou d’une « exploitation impérialiste » inhérente à
un colonialisme exploiteur ? L’auteur semble nettement pencher pour
la première formulation.
D’emblée, certes, il précise que si le mouvement long de croissance
de l’économie algérienne était compatible avec cet enracinement de la
banque moderne pendant la colonisation, les pesanteurs du système

19 Cf. Jacques BREIL, La Population en Algérie, La Documentation française, Paris, 1957.

34

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE34 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

de conquête et d’exploitation ont empêché la diffusion de l’économie


de marché moderne dans le tréfonds de la société autochtone, dans la
mesure où l’éclosion et le déploiement de bourgeoisies économiques
locales ont été enrayés par le processus de colonisation et du colonat
lui-même. Pour répondre à la question posée, il tente une histoire
« contrefactuelle » — qui imagine que la situation se serait déroulée
différemment si les cadres de cette évolution avaient été eux-mêmes
différents : y a-t-il jamais eu un marché de l’argent algérien, autoch-
tone, « musulman » — pour reprendre la caractérisation du colonisa-
teur — hors de l’emprise de l’économie coloniale ? La réponse qu’il
apporte est clairement négative.
L’Algérie manquait désespérément des cadres intellectuels et
surtout humains nécessaires pour alimenter une telle création. Un
banquier exigeait des garanties et seuls les colons étaient aptes à
fournir les gages nécessaires ; se posait en effet le problème du statut
juridique des terres collectives, qu’elles soient communales ou reli-
gieuses (habûs), et même du statut de la propriété individuelle des
paysans locaux, alors que la notion d’« individu » agissant en propre
au regard du droit manquait quelque peu de vigueur dans ces terri-
toires ultramarins ; ajoutons que le « Code de l’indigénat 20 » limitait
sensiblement la liberté de contracter au sein de la population de
souche. Le crédit agricole profitait ainsi surtout aux colons. C’est donc,
pour Hubert Bonin, l’absence d’une armature de négoce et de crédit
autochtone qui explique le triomphe des banques d’origine métropo-
litaine, leur prospérité et leurs superprofits.

L’opinion française et la fin de l’Algérie coloniale


La communication de Hartmut Elsenhans analyse au cours de la
période 1954-1962 les avatars de la « solution intermédiaire » entre
ordre et réformes. Il montre que la prolongation de la guerre d’Algérie
n’est pas due au poids déterminant des intérêts français dans ce pays.
Elle est due à l’inverse à une configuration dans laquelle leur faible
rôle, voire leur absence, permit une confusion de l’opinion n’ayant pu
être surmontée que lorsque les conséquences et les retombées de cette
guerre se firent sentir. En début de période, on avait l’impression que

20 Cf. Victor PIQUET, Les Réformes en Algérie et le statut des indigènes, E. Larose, Paris, 1919.

35

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE35 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

la France avait des droits sur l’Algérie, dont le droit d’y rester en raison
de l’œuvre accomplie. L’échiquier des forces du début de la guerre
comportait peut-être des intérêts économiques envisageant un avenir
avec les jeunes nationalistes, mais l’aile dynamique du néocolonia-
lisme demeurait très faible, tandis que la grande propriété terrienne ne
pouvait pas envisager un tel accord.
Cependant, de larges fractions de l’opinion française admettaient
que des réformes étaient nécessaires en Algérie : 47 % des personnes
interrogées par l’IFOP en 1956 considéraient que le rétablissement de
l’ordre devait s’accompagner de réformes, 30 % qu’il fallait d’abord
rétablir l’ordre 21. C’est parmi les industriels et les commerçants que le
préalable du rétablissement de l’ordre trouva le plus de soutien, et
parmi les ouvriers (26 %), les employés (30 %) et les paysans (26 %)
qu’il était le plus repoussé. Parmi les camps politiques du « centre »
(Section française de l’Internationale ouvrière-SFIO, radicaux, Mouve-
ment républicain populaire-MRP), le parallélisme entre ordre et
réformes avait une nette majorité, tandis que les partis de droite
étaient partagés (moitié pour l’ordre, moitié pour les réformes). Cette
répartition correspondait au vote récent à l’Assemblée nationale, où
les partis du « centre » avaient milité pour des réformes dans le cadre
français en Algérie.
Il existait donc une base politique en faveur des réformes, mais
pas au point de soutenir l’indépendance ou un processus menant
éventuellement à l’indépendance. On peut donc considérer que, en
août 1957, la grande majorité des Français, à l’exception des partisans
du Parti communiste français (PCF), était convaincue que la France
avait rempli sa mission civilisatrice dans les territoires d’outre-mer et
qu’elle avait acquis le droit d’y rester.
Les événements de mai 1958 ne changèrent pas définitivement
cette orientation en faveur d’une solution intermédiaire. En
août 1958, on demanda aux Français leur opinion sur l’intégration,
soit « que 9 millions de musulmans d’Algérie aient les mêmes droits
et les mêmes devoirs que les Français de la métropole 22 ». 52 % des
personnes interrogées trouvèrent que c’était une bonne chose, 21 %

21 IFOP NS114, 26 mars 1956, Q26.


22 IFOP S2950, 8 août 1958, Q8.

36

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE36 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

que c’était une mauvaise chose, mais seulement 40 % estimaient


l’intégration possible, contre 26 % estimant que c’était impossible 23.
L’épisode des barricades de janvier 1960 a joué un rôle essentiel
dans l’évolution de l’opinion. Dans les sondages, le poids des partisans
de la francisation tomba alors à 16 %, tandis que celui des partisans
d’un gouvernement des Algériens par eux-mêmes monta à 67 % 24.
À une question parallèle (« Envisageant l’avenir, le général de Gaulle a
parlé d’une Algérie algérienne liée à la France 25 »), 64 % des Français
considérèrent cette solution comme bonne et 10 % comme mauvaise,
26 % ne se prononçant pas.
L’Algérie n’était un marché qu’en apparence. Il était alimenté par
des rentes sur le blé et le vin algériens payées par la métropole et,
pendant la guerre d’Algérie, par les dépenses militaires. Ce n’était pas
un marché important pour l’industrie française moderne, mais un lieu
de repli pour ses branches les moins dynamiques. Si la France voulait
se moderniser, il lui fallait se lancer sur le marché mondial, à travers
l’entreprise européenne. De même, l’Algérie ne représentait guère une
source d’approvisionnement en matières premières (le blé et le vin
algériens bénéficiaient des mesures protectionnistes en faveur de la
colonisation européenne). Hartmut Elsenhans, en bonne logique,
conclut donc que l’intérêt de la France fut de quitter l’Algérie.

L’armée et la pratique coloniale

Jacques Frémeaux a analysé le rôle de l’armée française et ses atti-


tudes vis-à-vis de la politique coloniale et des conscrits algériens.
Belkacem Recham a approfondi le cas de ces conscrits, pendant la
Seconde Guerre mondiale notamment, cependant que Raphaëlle
Branche a évoqué un aspect méconnu de la politique militaire, celui
de la tentative d’installation des démobilisés en Algérie.

23 IFOP S2950, 8 juillet 1958, Q9.


24 IFOP S3360, 8 mars 1960, Q34.
25 IFOP S3360, 8 mars 1960, Q10.

37

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE37 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Le rôle central de l’armée dans la colonisation

En tentant de saisir, sur un peu plus d’un siècle, le modèle de domi-


nation que l’armée française a construit et les méthodes à partir
desquelles elle a imposé ou tenté d’imposer la « paix française », ce
sont les constantes militaires dans l’Algérie coloniale que Jacques
Frémeaux a mises en évidence. Le choix d’un débarquement plutôt
qu’une attaque par la mer donne le ton : dès 1830, la conquête d’Alger
est l’apanage de l’armée de terre et l’Algérie, une dépendance du
ministère de la Guerre. Elle le reste jusqu’en 1870. Et c’est surtout le
général Bugeaud qui fait de l’armée l’instrument unique chargé
d’assurer la sécurité de la colonie par l’écrasement de toutes les résis-
tances, et par la domination exclusive du drapeau français.
C’est aussi au cours de son gouvernorat que s’organise durablement
l’institution des bureaux arabes. L’armée d’Afrique semble alors offrir
le modèle d’une réussite exemplaire, réponse éclatante aux adver-
saires de la colonisation et aux critiques de l’« œuvre française » en
Algérie. Elle apparaît comme la contrepartie de tous les efforts,
humains et financiers, accomplis par la métropole pour mener la
conquête. Elle affirme un idéal de coexistence, en nivelant les hommes
de toutes origines sous une même règle et en fonction d’une seule
mission, tout en respectant certaines différences, en particulier
certains codes vestimentaires et certaines obligations religieuses. Par
certains côtés, elle peut apparaître comme une voie de promotion et
une garantie sociale pour les anciens combattants musulmans. Ces
résultats permettent trop souvent de passer sous silence des éléments
moins prometteurs ou plus inquiétants : l’inégal accès aux grades
d’officier, le refus de l’attribution de la citoyenneté aux anciens
combattants jusqu’en 1944, la surveillance particulière des unités
musulmanes jugées favorables à des mots d’ordre religieux ou nationa-
listes subversifs.
Lorsque se produisent les « événements » du 1er novembre 1954,
nul, au sein du personnel politique, ne paraît avoir sérieusement remis
en cause la solution militaire. Au contraire, l’appel à l’armée et son
engagement croissant dans la guerre amènent à privilégier de plus en
plus la « pacification » comme condition préliminaire à toute négocia-
tion. Le destin de l’armée et celui de l’Algérie apparaissent de nouveau
comme très fortement liés. De même que Bugeaud proclamait en 1845

38

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE38 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

que la « sécurité » constituait « le premier de tous les besoins, la source


de tous les progrès », Robert Lacoste, présentant son programme de
réformes, annonce : « Il n’est pas vrai que nous ayons à subordonner
à quoi que ce soit le rétablissement de la sécurité. C’est là un impératif
absolu 26. » Cette exigence conduit à donner à l’armée des responsa-
bilités accrues sur le terrain. En 1959, dans la plupart des arrondisse-
ments qui correspondent aux secteurs militaires (soixante-treize sur
soixante-seize), l’autorité militaire est seule responsable du maintien
de l’ordre.
Pas plus que lors de la conquête, les opérations militaires menées
sur le terrain ne paraissent constituer la solution unique. La sous-
administration paraît une des causes des progrès du FLN. Elle aban-
donne les campagnes aux agents de la « rébellion ». Elle manifeste le
désintérêt des gouvernements français successifs pour les masses
rurales. Elle empêche toute politique de promotion en matière de
santé, d’éducation ou de formation. Seule l’armée, grâce aux
ressources, notamment, de la masse de spécialistes que fournissent les
hommes du contingent, paraît fournir les moyens de remédier à ces
carences, au moins de manière transitoire. Les officiers des sections
d’administration spécialisée (SAS), affectés à environ sept cents centres
ruraux, fournissent le maillage administratif nécessaire à la reprise en
main. Les services de santé militaire assument des tâches d’hygiène
publique. Des soldats ouvrent ou rouvrent les écoles, d’autres assu-
ment des tâches d’animation sportive. S’ils sont avant tout attachés à
gagner la guerre, les cadres militaires souhaitent, par-delà les slogans,
une politique enfin généreuse de la France en matière de développe-
ment économique, de politique scolaire, médicale, mais aussi de
formation professionnelle et d’émancipation de la femme musulmane.
À l’instar de ceux de la conquête, ils sont loin de penser que la mission
exclusive de l’armée est d’être au service des intérêts des Français
d’Algérie, même s’ils ne leur refusent pas leur sympathie.

26 Thomas-Robert B UGEAUD , « Discours en réponse à une adresse présentée par les


notables civils à Alger, le 3 septembre 1845 », in Paul AZAN, Par l’épée et par la charrue,
écrits et discours de Bugeaud, PUF, Paris, 1948, p. 217 ; Robert L ACOSTE , « Exposé
prononcé devant l’Assemblée nationale le 8 mars 1956 », Mesures de pacification et de
réformes en Algérie, Services de l’information du ministre résidant en Algérie, s.d.
[1956], p. 6.

39

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE39 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Cet idéal n’est pas très différent de celui des « bureaux arabes » de
la conquête de l’Agérie et il bénéficie sans doute de moyens matériels
supérieurs. Mais il s’impose dans une forme de guerre très différente.
Il existe en effet une nette distinction entre les deux conflits. En 1840,
l’enjeu essentiel était le pouvoir. Il s’agissait non pas de détruire la
société algérienne, mais, bien au contraire, de forcer les notabilités
rurales à accepter la domination française. En 1960, l’enjeu essentiel
est l’ensemble du peuple algérien. Dans ces conditions, le modèle du
bureau arabe, adapté à un dialogue avec les notables, structure de plus
en plus vétuste de la société algérienne, se trouve largement dépassé. Il
faut ajouter à cela que les SAS n’ont pas, à l’inverse des bureaux arabes,
l’oreille du commandement.
L’armée française s’est ainsi trouvée par deux fois confrontée à des
problèmes qui la dépassaient, face à des États dépourvus de véritable
politique. Aussi bien en 1840 qu’en 1954, le gouvernement n’a pas de
politique algérienne. Sa seule réponse, dans les deux cas, est de trans-
férer l’affaire à l’armée. Celle-ci, très logiquement, réagit selon une
logique de force et subordonne la politique à l’usage de celle-ci. Ce
transfert brutal du pouvoir à l’armée a été critiqué, en son temps, par
Lyautey. Il en résultait un outil peu adapté à ses missions.

L’enrôlement des Nord-Africains dans l’armée française


Au-delà du rôle politique de l’armée, c’est aux conscrits nord-afri-
cains pendant la Seconde Guerre mondiale que s’est intéressé
Belkacem Recham. Dès 1830, les Français mirent sur pied un recrute-
ment de mercenaires autochtones par voie d’engagement. Les recrues
étaient versées à un corps appelé « zouaves ». Les régiments de zouaves
furent européanisés. Par l’ordonnance royale du 7 décembre 1841
furent créés les régiments de tirailleurs et de spahis où les indigènes
étaient admis à s’engager. Le général Faidherbe s’en inspira en 1857
pour former les premiers bataillons de tirailleurs sénégalais. Les
troupes nord-africaines furent utilisées pour défendre la métropole
elle-même, pour la première fois en 1870-1871 contre la Prusse, puis
lors des deux guerres mondiales.
La mobilisation en Afrique du Nord permit, de septembre 1939 à
juin 1940, de constituer pour le corps de bataille quatorze divisions
regroupant 340 000 hommes, avec un encadrement composé

40

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE40 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

essentiellement d’Européens et d’une troupe majoritairement indigène.


La débâcle de l’armée française en juin 1940 se solda par plus 85 000 tués
dont 5 400 Nord-Africains et 1 800 000 prisonniers dont, selon le gouver-
neur général de l’Algérie Yves Chatel, 90 000 musulmans : 60 000 Algé-
riens, 18 000 Marocains et 12 000 Tunisiens 27. La défaite de la France eut
pour conséquence également la démobilisation et la remise à la vie civile
de la majorité des militaires nord-africains dans un contexte social très
difficile. Ceux de confession juive furent chassés de l’armée et déchus
de la nationalité française après l’abrogation en octobre 1940 du décret
Crémieux qui la leur avait accordée en 1870.
Après le débarquement allié en Afrique du Nord en
novembre 1942, les trois colonies du Maghreb furent de nouveau
mises fortement à contribution pour reconstituer l’armée française et
participer aux combats pour la libération de la métropole. En Italie,
sous les ordres du général Alphonse Juin, le corps expéditionnaire
français, appelé détachement d’armée A, comprenait la troisième divi-
sion d’infanterie algérienne, la deuxième division d’infanterie maro-
caine, la quatrième division marocaine de montagne, la première
division motorisée d’infanterie (ex-Division française libre, DFL) et les
Tabors marocains. En Afrique du Nord, sous le commandement du
général Jean de Lattre de Tassigny, le détachement d’armée B était
constitué de la neuvième division d’infanterie coloniale, des première
et cinquième divisions blindées. La deuxième division blindée du
général Philippe Leclerc devait être armée plus tard.
Les besoins en cadres et en personnel qualifiés poussèrent le
commandement à mobiliser fortement les Français d’Afrique du Nord,
14 % selon le général de Gaulle 28, 16 % selon le général Juin, contre
1,6 % de la population indigène. Le chiffre le plus souvent avancé
concernant l’effectif des musulmans maghrébins dans l’armée fran-
çaise de 1944 est celui de 233 000 hommes. Jacques Frémeaux 29 estime
l’ensemble des troupes fournies par les trois pays d’Afrique du Nord de

27 Conférence tenue du 2 au 5 janvier 1941 à Alger sur les PG nord-africains, organisée


par le GG de l’Algérie, Archives du SHAT, 1P133.
28 Charles DE GAULLE, Mémoires de guerre, t. II, L’Unité (1942-1944), Plon, Paris, 1956, p. 47.
29 Jacques FRÉMEAUX, « La participation des contingents d’outre-mer aux opérations mili-
taires 1943-1944 », in INSTITUT D’HISTOIRE DES CONFLITS CONTEMPORAINS, colloque interna-
tional Les Armées françaises pendant la Seconde Guerre mondiale 1939-1945, Fondation
pour les études de défense nationale, Paris, 1986, p. 357.

41

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE41 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

200 000 à 250 000 musulmans entre 1943 et 1945, dont 120 000 à
150 000 pour la seule Algérie.
Les évaluations des pertes de l’armée française depuis la campagne
de Tunisie jusqu’à la capitulation allemande le 8 mai 1945 varient
entre 97 000 et 110 000 tués, blessés et disparus. Si on se fonde sur les
chiffres communiqués par le Service historique de l’armée de terre
(SHAT) 30, qui font apparaître un total de 97 715 tués et blessés pour
l’ensemble de l’armée française, dont 11 193 tués et 39 645 blessés
pour les musulmans, la proportion est de 52 %.
Ce fut en France, lors la Libération, que le moral du soldat
musulman fut durement atteint (malgré les sollicitations du comman-
dement), affecté par l’âpreté des combats, la fatigue et les conditions
climatiques. Après la bataille de Belfort du 14 au 28 novembre 1944,
on peut parler d’une véritable crise du moral parmi une partie des
combattants de la 1 re armée française. Les pertes très élevées, le
manque de renforts, que l’Outre-mer ne pouvait plus fournir et que les
Forces françaises de l’intérieur (FFI) ne fournissaient pas encore, eurent
raison des tirailleurs. Le général de Lattre lui-même s’en inquiétait en
novembre 1944 auprès du commissaire à la Guerre André Diethelm
en relevant que « ces hommes ont l’impression naissante qu’ils sont
abusivement exploités par la métropole, sentiment terriblement
dangereux 31 ». Un rapport de décembre 1944 relevait « une acrimonie
certaine avec les unités FFI qu’il [le tirailleur] rencontre au front. Des
réflexions désobligeantes sont faites 32 ». Européens comme indigènes
lors de la Libération se plaignaient de ne pas voir de soldats métropo-
litains à leurs côtés.
Ces discriminations et la méfiance du commandement étaient
amèrement ressenties. Déjà en 1915, le lieutenant Boukabouya, déser-
teur de l’armée française, avait publié depuis l’Allemagne un livre,
L’Islam dans l’armée française, dans lequel il dénonçait ces inégalités.
Ce malaise fut à l’origine de certaines mutineries pendant la Seconde

30 Paul-Marie DE LA GORCE, L’Empire écartelé, 1936-1946, Denoël, Paris, 1988, p. 496-497.


31 Anthony CLAYTON, France, Soldiers, and Africa, Brassey’s Defence Publishers, Londres,
1988, cité in Jean-Charles JAUFFRET (dir.), La Guerre d’Algérie par les documents, t. 1,
L’avertissement, 1943-1946, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, 1990,
p. 136.
32 DIA (Division d’infanterie de marine), état-major, 2e bureau, AMM (Affaires militaires
musulmanes), rapport technique, Archives du SHAT, 11P61.

42

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE42 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

Guerre mondiale, en particulier celle des tirailleurs algériens du régi-


ment de marche du Levant en formation (ex-5e RTA — régiment de
tirailleurs algériens) à Maison Carrée (banlieue d’Alger) le 25 janvier
1941 33, celle des tirailleurs sénégalais en cours de rapatriement à Thia-
roye (banlieue de Dakar), le 1er décembre 1944, et enfin celle des tirail-
leurs maghrébins, algériens pour la plupart, en instance de
rapatriement le 15 décembre 1944 à Versailles 34. Dans les trois rébel-
lions, les mutins revendiquaient les « mêmes droits que les Français ».
Des foyers du soldat indigène (les « Dar el-askri ») avaient déjà été
aménagés à partir de 1914-1918 dans les principales villes de France et
d’Afrique du Nord. L’ouverture de salles de prière dans les corps rece-
vant des indigènes devint une pratique de plus en plus courante. Le
commandement veillait tant bien que mal aux « menus musulmans »
et au respect des fêtes religieuses. Les instructions du ministère de la
Guerre recommandaient de veiller attentivement aux rites d’inhuma-
tion. Des exemplaires du Coran furent distribués dans toutes les unités
accueillant des musulmans. Les intendances s’attiraient souvent les
foudres du commandement pour avoir distribué des conserves de porc
ou contenant du saindoux. Beaucoup d’entre eux basculèrent définiti-
vement dans le camp nationaliste dès le lendemain de la guerre. La
fracture qui s’opéra au niveau de la société civile entre « Européens » et
« Musulmans » eut lieu aussi dans l’armée.

1956-1960 : l’installation de nouveaux colons en Algérie


Beaucoup d’acteurs toutefois n’en eurent pas clairement conscience,
et le mythe du soldat laboureur connut des avatars jusqu’à l’extrême fin
de la période coloniale. Raphaëlle Branche a consacré son intervention à
un nombre non négligeable de militaires français démobilisés installés
en Algérie entre janvier 1956 et juin 1960. Au cours de cette période,
près de neuf cents militaires démobilisés originaires de métropole se sont
installés dans le corps d’armée d’Oran et deux cents autres sont venus les
rejoindre jusqu’en décembre 1961. Entre des motivations individuelles,

33 Belkacem R ECHAM , Les Musulmans algériens de l’armée française (1919-1945),


L’Harmattan, Paris, 1996.
34 Thierry GODECHOT, « Prélude aux rébellions en Afrique du Nord : les mutineries des
soldats maghrébins, décembre 1944-mai 1945 », Revue historique des armées, 2002.

43

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE43 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

pudiquement — mais fermement — avancées, et ces statistiques d’instal-


lation, il est possible d’apercevoir la politique de séduction menée en
direction des militaires du contingent par les autorités françaises.
Officiellement, le désir de soutenir les militaires métropolitains qui
souhaiteraient s’établir en Algérie après leur démobilisation apparaît
dès la directive générale du ministre résidant du 18 août 1956. Dans
cette guerre de reconquête menée de plus en plus activement depuis
1956 et renforcée, sur le plan économique, par la mise en place du
plan de Constantine et les débuts de l’exploitation pétrolière, la France
est à la recherche d’une « main-d’œuvre qualifiée et hautement quali-
fiée 35 » qui lui permette de donner à l’ensemble de l’Algérie le visage
moderne et industriel qu’elle n’est pas parvenue à lui offrir en plus de
cent ans d’exploitation économique. Or « l’Algérie a besoin de cadres,
de techniciens, d’ouvriers qualifiés alors que les demandes concer-
nent presque exclusivement des emplois d’ouvriers sans qualification
et d’employés de bureau 36 ». Ce décalage est certainement le plus
important dysfonctionnement de la politique d’installation de
nouveaux colons, à quoi il faut ajouter le plus faible niveau de salaire
proposé en Algérie.
La difficulté pour un métropolitain de s’intégrer dans l’Algérie
coloniale en guerre paraît confirmée dans un rapport de la fin 1959
qui affirme que le « jeune démobilisé » croit ce pays « hostile, à tort
ou à raison, aux métropolitains 37 ». En juin 1960, le premier bureau
de l’état-major interarmes comptabilise toutefois 3 800 militaires du
contingent originaires de métropole « ayant déclaré se retirer en
Algérie » depuis le 1er janvier 1956.
L’essentiel demeure l’échec de cette politique d’installation de
nouveaux colons en Algérie. Échec économique, du fait de la pénurie
de logements et du déséquilibre du marché du travail ; échec poli-
tique surtout, dans la mesure où ces militaires démobilisés n’eurent
pas le temps de devenir un embryon de « troisième force » : goutte
d’eau à contre-courant d’une histoire dont la politique à marche

35 Circulaire de la sous-direction du travail (André Jacomet) du délégué général,


18 janvier 1960, SHAT, 1H 2564.
36 Réunion plénière du CAJA (Comité armée-jeunesse d’Algérie) avec bilan de l’action
dans les régions, 28 mars 1958, CAOM (Centre des archives d’Outre-mer), 13CAB42.
37 Rapport du général Durand, 17 octobre 1959, SHAT, 1H 2564.

44

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE44 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

forcée, souhaitée notamment par le plan de Constantine, n’a pas suffi


à inverser le cours.

Les conflits d’après l’indépendance

Une fois l’indépendance acquise, la violence ne s’arrête pas. Amar


Mohand Amer a expliqué le pourquoi des divisions dans les rangs
nationalistes, tandis que Werner Ruf a analysé les rapports du nouvel
État algérien à sa population à travers le prisme de la mémoire.
Pour Amar Mohand Amer, l’implosion du FLN historique à
l’été 1962 fut le résultat des nombreuses crises qui marquèrent
l’histoire du FLN, l’empêchant ainsi de construire un parti homogène
et idéologiquement structuré.
De 1954 à l’automne 1955 38, les maquisards de l’Armée de libéra-
tion nationale (ALN) durent s’organiser de manière autonome dans le
cadre de leurs cinq zones respectives. La dispersion des neuf dirigeants
historiques entre l’Algérie, le Maroc et l’Égypte priva le FLN, pendant
cette période, d’une direction et d’une organisation politique natio-
nales. L’assassinat de Ramdane Abbane, en décembre 1957, permit le
retour à une conception du pouvoir fondée sur les règles des allé-
geances régionales et des chefferies. À partir d’août 1957, le FLN fut
dirigé par les trois colonels les plus puissants de l’ALN : Belkacem
Krim, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Ben Tobbal (les « trois B »). La
prééminence des militaires sur le FLN devint la règle et dura jusqu’à la
libération par la France d’Ahmed Ben Bella au mois mars 1962, et bien
au-delà.
Au mois de décembre 1961, les membres de l’état-major général
(EMG), qui était en passe de supplanter les « trois B », se tournèrent
vers les leaders du FLN emprisonnés. Leur objectif était d’associer un
historique (en dehors de Krim) à leur projet de constituer une nouvelle
direction du FLN dont la base serait l’ALN des frontières. Ils déléguè-
rent, à ce sujet, Abdelaziz Bouteflika au château d’Aulnoy, où étaient
prisonniers les dirigeants arrêtés dans l’« avion de Ben Bella » le
22 octobre 1956, afin de sonder Boudiaf. Le refus de ce dernier fut
ferme et catégorique. La solution de rechange était Ben Bella, qui

38 Date de la prise en main effective par Ramdane Abbane du FLN en Algérie.

45

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE45 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

accepta. À partir de cette date, les rapports de forces au sein du FLN


évoluèrent au profit de la nouvelle alliance Ben Bella-EMG.
Le 22 juillet 1962, à Tlemcen, les partisans et alliés de Ben Bella,
qui s’étaient proclamés unilatéralement « membres majoritaires du
CNRA [Conseil national de la révolution algérienne] », prirent la déci-
sion d’imposer, à la hussarde 39, le bureau politique, qui avait été
contesté à Tripoli, et d’assumer leurs « responsabilités nationales 40 ».
Trois jours après, le 25 juillet, les troupes de l’ALN des frontières,
appuyées par les maquisards de la wilâya 1 et des dissidents de la
wilâya 2 (les commandants Si Larbi Berredjem et Rabah Belloucif),
investirent Constantine. La stratégie de l’affrontement décidée par Ben
Bella à Tlemcen aboutit à la reconnaissance, par ses adversaires, de
l’autorité du nouveau bureau politique.
La crise de l’été s’était soldée par l’arrivée de Ben Bella au pouvoir et
la marginalisation de ceux qui s’étaient opposés à lui. Trois ans après
l’indépendance, le régime de Ben Bella n’avait pas réussi à dépasser
ses contradictions. Une partie de ceux qui l’avaient soutenu pendant
l’été 1962 fut à son tour écartée des affaires de l’État, emprisonnée ou
mise en résidence surveillée. Le 19 juin 1965, le segment militaire, plus
homogène et plus solide, prit le pouvoir en Algérie.
En forme d’épilogue, la communication de Werner Ruf insiste sur
les continuités de l’antagonisme entre État et peuple en Algérie. Il ne
s’agit pas de répéter ici l’argument irrecevable selon lequel les colo-
nisés n’ont pas pu construire un État démocratique parce qu’ils n’ont
pas eu le temps d’« apprendre » la démocratie. À défaut d’une histoire,
les peuples ont leur propre mémoire, constituée de souvenirs
collectifs : l’« État » qu’avaient connu les Algériens avait été une struc-
ture violente, répressive, dirigée contre leurs intérêts, un appareil dans
lequel les « indigènes » n’avaient ni droits ni égalité devant le droit,
ni justice ni possibilité de participation politique. C’est cet État qui,
au terme de la lutte pour l’indépendance, leur avait même livré des
frontières territoriales dépassant de loin ce qu’avaient été les trois
départements du nord de l’« Algérie française ». De surcroît, cet

39 Des négociations entre les dirigeants des six wilâya(s), afin de trouver une solution à la
crise, se poursuivaient encore dans la région de Chélif (wilâya 4).
40 Résolution et proclamation du bureau politique du FLN du 22 juillet 1962 (cf. Ali
HAROUN, L’Été de la discorde, Algérie 1962, Casbah, Alger, 2000, p. 227-230).

46

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE46 (P01 ,NOIR)


Formes et processus de colonisation

appareil colonial n’avait guère tenu compte, lui non plus, des diver-
sités ethniques des sociétés colonisées, sauf dans les cas où il parais-
sait utile de les faire jouer les unes contre les autres. Cet « État » qu’ils
avaient connu n’avait été rien d’autre qu’une imposition étrangère
ayant pour but leur dépossession et leur exploitation.
En Algérie indépendante, la prise « réelle » du pouvoir n’a pas été
opérée par toutes les forces du mouvement national mais par un de ses
éléments, l’armée des frontières régie par l’EMG, et par la mise en place
d’un système de parti unique, dominé de fait par l’ALN. Cette prise
du pouvoir par une fraction du mouvement national a eu pour consé-
quence la création partisane d’une histoire 41 qui devait servir la légiti-
mation du groupe au pouvoir et qui devait, en même temps, produire
une image unitaire et monolithique présentant un peuple algérien
serrant les rangs derrière son leadership.
Cette production d’une histoire ne tenait pas compte notamment
de l’histoire complexe et du multiculturalisme de l’Algérie, des
séquelles des contradictions du colonialisme français, des forces et
courants différents qui ont formé le FLN, des groupes et forces sociales
qui n’ont pas fait partie du « front » national, de leurs motifs, de leurs
intérêts, de leurs buts politiques.
C’est à l’aune de ces prémices qu’apparaissent les déficits du
système algérien actuel. Ainsi, l’antagonisme qui existe entre l’État et
le peuple provient du fait que ce n’est pas du peuple que vient, dans
un débat libre, la production identitaire de la nation algérienne, mais
d’un régime autoritaire qui non seulement occupe le pouvoir et a pris
possession administrativement des moyens de production 42, mais
aussi produit une mémoire en discordance, voire en flagrante contra-
diction avec la réalité (et le passé) vécue par les Algériens eux-mêmes.
Entre justice et mémoire existe un lien intime. En Algérie, la
mémoire collective populaire n’a connu que l’arbitraire, l’exploitation
et l’absence de justice au sens formel autant qu’au sens moral du

41 Pour ne donner qu’un exemple, la résistance de ‘Abd el Kader, sujet central de l’histo-
riographie officielle, est sans doute un élément important dans l’histoire de l’Algérie,
mais ce n’est pas, tout court, l’histoire de l’Algérie.
42 Cf. Jacques RAFFINOT et Pierre JACQUEMONT, Le Capitalisme d’État algérien, François
Maspero, Paris, 1977.

47

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE47 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

terme 43. La justice partisane, qui était inconditionnellement au service


des colons et d’al hukûma (le gouvernement, l’autorité), a donc une
longue tradition d’injustice au double sens du terme. Elle fut un
facteur important contribuant à l’aliénation du peuple à ses
institutions.
Une justice indépendante, qui ne sera possible que dans une démo-
cratie réelle, est la condition absolue pour mettre un terme à l’antago-
nisme peuple-État et pour permettre un débat identitaire ouvert,
indispensable pour arriver à une mémoire dans laquelle la nation
puisse se retrouver et à laquelle elle pourra s’identifier. C’est en ce
sens que la justice est indispensable à la mémoire collective, elle-
même condition préalable à la cohésion de la nation. L’« enterrement
de l’histoire » qui consiste dans le refus, par le pouvoir actuel, de laisser
paraître au grand jour les crimes commis et de traduire leurs auteurs
devant une justice digne de ce nom ne peut être, tôt un tard, qu’une
« source de violences nouvelles et d’un déchirement encore plus aigu
d’une société algérienne déjà traumatisée ».

43 Cf. les contributions au volume La Justice en Algérie, 1830-1962, édité par l’Association
française pour l’histoire de la justice, Paris, 2005.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE48 (P01 ,NOIR)


2
Sociétés coloniales et traces de la colonisation

Frédéric Abécassis, Tahar Khalfoune et Daniel Rivet

L e volet du colloque consacré aux sociétés coloniales et aux


traces de la colonisation en Algérie s’inspire largement, dans sa
construction, de la réflexion devenue classique de Georges Balandier
sur la complexité de la situation coloniale et sur sa spécificité 1. Moda-
lité particulière de ce qu’on appelait déjà à l’époque « heurt des civili-
sations », il la définit ainsi : « La domination imposée par une minorité
étrangère, racialement (ou ethniquement) et culturellement diffé-
rente, au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle
dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement
inférieure ; cette domination entraînant la mise en rapport de civili-
sations radicalement hétérogènes : une civilisation à machinisme, à
économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’impo-
sant à des civilisations sans machinisme, à économie “arriérée”, à
rythme lent et radicalement “non chrétiennes” ; le caractère fonda-
mentalement antagoniste des relations existant entre ces deux sociétés

1 Georges BALANDIER, « La situation coloniale, approche théorique », Cahiers internatio-


naux de sociologie, vol. XI, 1951, p. 44-79. Cf. le dossier coordonné par Emmanuelle
SAADA, « Georges Balandier, lecture et relecture », Cahiers internationaux de sociologie,
vol. 110, 2001, p. 5-52.

49

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE49 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la


société colonisée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de
recourir non seulement à la “force”, mais encore à un système de
pseudo-justifications et de comportements stéréotypés. »
Ce « parti pris de totalité » supposait d’embrasser dans un même
regard la société coloniale et la société colonisée, mais aussi de tenter
de décliner toute la palette des héritages et des zones d’interférence.
C’est la raison pour laquelle, après l’étude des « minorités » et celle de
la « majorité », une large place a été consacrée à quelques scènes
sociales spécifiques, aux processus de transfert culturel et de construc-
tions identitaires. Enfin, à travers l’appareil scolaire, sa naissance et ses
avatars après l’indépendance, plusieurs communications ont abordé le
rapport complexe de la société algérienne à sa culture et au modèle de
l’État qui, de l’âge colonial à celui de l’indépendance, s’est progressi-
vement imposé.

Le clivage fondamental
entre « citoyens » et « sujets »

L’un des problèmes récurrents de ces éclairages sur la société algé-


rienne réside dans la difficulté à nommer les catégories et à désigner
les groupes sociaux, rarement réductibles à la manière dont les
pouvoirs les appréhendent comme à la manière dont ils peuvent se
désigner eux-mêmes. L’étude du droit colonial, aujourd’hui tombé en
désuétude, mais qui a pu constituer une discipline à part entière dans
nombre d’universités, révèle toutes les contradictions et les tâtonne-
ments du système. Si la colonisation française a pu faire acte de
« chirurgie sociale », induisant en Algérie des « sociopathologies »
durables, il convient de rappeler la prégnance de l’héritage ottoman
— et des traités capitulaires 2 — dans la définition, sur une base confes-
sionnelle, du statut personnel. Le transfert de sujétion opéré en 1834
et le sénatus-consulte de 1865, qui reconnaît la nationalité française
des populations indigènes d’Algérie, ne remettent pas en cause le fait
qu’elles relèvent de la « loi musulmane » ou de la « loi mosaïque » pour

2 Traités entre les États européens et l’Empire ottoman ayant, à partir de 1536, accordé
un statut privilégié aux étrangers dans l’Empire.

50

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE50 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

tout ce qui concerne le droit de la famille, du mariage et de la trans-


mission des patrimoines. Si la nationalité française est acquise à tous
dès cette date, l’accès à la citoyenneté, individuellement possible, est
subordonné à l’abandon de ce statut personnel. En pratique, celle-ci
est réservée dans un premier temps aux colons venus de France, avant
de s’élargir, dans des naturalisations collectives, aux Juifs d’Algérie
(1870), puis aux descendants d’immigrants européens (1889). En dépit
de réformes ponctuelles accordant une représentation et des droits
politiques à une petite élite « indigène », les « Musulmans » demeure-
ront, eux, collectivement exclus du droit de vote jusqu’en 1944 — et
jusqu’en 1958 pour les femmes.
Ce clivage fondamental entre « citoyens » et « sujets » 3, s’il a pu
habiter le langage courant et les pratiques quotidiennes de l’Algérie
coloniale, est rarement énoncé tel quel dans les textes législatifs et
réglementaires, qui lui préfèrent, pour désigner les actuels Algériens,
les termes « musulmans » et, plus souvent encore, « indigènes ».
Notion centrale du droit colonial, catégorie résiduelle de la modernité
fonctionnant dans le sens commun comme une antichambre de la
« civilisation », l’indigénat a pu prendre des formes diverses selon les
lieux et les époques. S’il a servi, dans l’Égypte sous occupation britan-
nique, de dispositif visant à construire une nationalité égyptienne en
excluant les « sujets locaux » ottomans de l’administration et de la
société politique, le « régime de l’indigénat » apparaît nettement plus
discriminatoire à l’encontre des « indigènes » en Algérie.
Héritier des pouvoirs exceptionnels conférés au commandement
militaire au cours de la conquête et progressivement étendus au
pouvoir civil, il trouve une forme juridique stable avec la loi du 28 juin
1881, qui dresse une liste des « infractions spéciales à l’indigénat »,
assortie des sanctions afférentes 4. La liste des infractions est certes
réduite en 1927, mais le régime restera en vigueur jusqu’en 1944, au
point d’être assimilé, par ses détracteurs, à un véritable code, ce que,
formellement, il ne sera jamais. Parce qu’il contrevient à des principes

3 Laure Blévis a justement signalé que ce couple se substituait, sur le territoire colonial,
au couple Français-étranger de métropole. Cf. Laure BLÉVIS, « La citoyenneté française
au miroir de la colonisation : étude des demandes de naturalisation des “sujets
français” en Algérie coloniale », Genèses, nº 53, décembre 2003, p. 25-47.
4 Cf. Isabelle MERLE, « De la “légalisation” de la violence en contexte colonial : le régime
de l’indigénat en question », Politix, décembre 2004 (L’État colonial).

51

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE51 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

aussi fondamentaux du droit français que l’égalité devant la loi, la


liberté de circulation et la séparation des pouvoirs administratif et
judiciaire, le régime de l’indigénat ne peut être conçu que comme un
régime d’exception, à vocation transitoire. Parce que, dans le but d’en
limiter tout l’arbitraire, il légalise la violence des agents subalternes
du maintien de l’ordre et ne fait en définitive que la légitimer, ce
« statut personnel de l’indigène » est au cœur des contradictions
sociales et politiques de l’Algérie contemporaine.

Des minorités désormais mieux connues

La nébuleuse complexe des « pieds-noirs »


Trois communications, au cours du colloque, ont porté sur la
minorité européenne d’Algérie. Celles de Valérie Esclangon-Morin et
de Yann Scioldo-Zurcher se sont attachées aux processus de construc-
tion identitaire consécutifs au repli plutôt qu’au « rapatriement » en
métropole après 1962. L’une et l’autre seront évoquées dans le dernier
chapitre consacré aux migrations croisées et aux constructions
mémorielles.
La troisième est coécrite par Fanny Colonna et Christelle Taraud.
Ces deux auteurs s’inspirent des travaux de Julia Clancy Smith, qui
prennent à contre-pied l’approche binaire consistant à traiter colons
européens et Algériens musulmans comme deux catégories construites
une fois pour toutes par le procès de colonisation et exclusives l’une
de l’autre. Bien au contraire, selon cette historienne, il n’y eut jamais
une seule communauté européenne, mais une mosaïque de groupes
porteurs de normes culturelles hétérogènes et se livrant à une querelle
inextinguible pour l’exercice du pouvoir. Elles sollicitent également
l’approche des Européens en Algérie par Pierre Bourdieu en termes de
« société à castes » avec des strates hiérarchisées. Mais qu’on soit en
présence de groupes sociaux dotés d’une relative fluidité ou bien de
strates étanchéifiées, l’essentiel serait l’origine des ancêtres qui pour-
suit le sujet colonial à travers la succession des générations. L’ascen-
dance la plus « chic », c’est de descendre d’une de ces familles
d’Alsaciens-Lorrains repliées en Algérie après 1870. L’appartenance la
moins flatteuse, c’est de provenir de Malte, ensuite d’Espagne. Les

52

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE52 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

machines à intégrer que furent l’école, l’armée et l’église auraient eu


en définitive moins d’efficacité que ne le donna à croire l’idéologie
exaltant l’Algérie française comme le creuset d’un melting pot d’un
peuple néolatin.
Fanny Colonna et Christelle Taraud rappellent en particulier que
les Espagnols ne se précipitèrent pas sur la nationalité française et que
l’Oranie resta un prolongement africain du monde ibérique. Elles se
posent alors la question : pourquoi n’y eut-il pas d’alliance entre les
hors-castes indigènes et les groupes subalternes de la société blanche
coloniale pour instaurer un monde où un homme égale une voix ?
Elles plaident pour passer à la microhistoire, la seule à même de tisser
la trame presque invisible des « petites guerres gagnées contre la
violence coloniale » par des Français et des Algériens. On ne peut que
souscrire à cette approche qui se refuse à voir la colonisation « comme
un bloc ».
Cette communication emporte moins la conviction du lecteur
lorsqu’elle soutient que les Français d’Algérie souffrent d’un double
déficit de légitimité : littéraire et historiographique. Quant à leur
présence en creux dans des œuvres de fiction, elles notent que l’Algérie
française n’a pas inspiré l’équivalent d’Autant en emporte le vent de
Margaret Mitchell, ni de Cités à la dérive de Stratis Tsirkas. C’est tout de
même passer trop vite sur Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy
(ses Mémoires d’un barbare, tellement plus toniques et topiques que les
Chevaux de soleil épinglés au passage), Marie Cardinal… S’agissant des
ouvrages à teneur scientifique où les Européens d’Algérie échappent au
schématisme grinçant d’un Pierre Bourdieu dans son « Que sais-je ? »
consacré à la sociologie de l’Algérie 5 ou aux notations aigres-douces
de Pierre Nora dans Les Français d’Algérie 6, on se doit de mettre en
traverse Le Maghreb entre deux guerres 7 de Jacques Berque et Les Ennemis
complémentaires 8 de Germaine Tillion. Jacques Berque avait pour les
« pieds-noirs » — dont il était — des oueds de tendre connivence ; et
Germaine Tillion est bien la seule avec lui durant la guerre d’indépen-
dance à considérer la minorité européenne comme un levain

5 Pierre BOURDIEU, Sociologie de l’Algérie, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2001.
6 Pierre NORA, Les Français d’Algérie, Julliard, Paris, 1961.
7 Jacques BERQUE, Le Maghreb entre deux guerres, Seuil, Paris, 1961.
8 Germaine TILLION, Les Ennemis complémentaires, Minuit, Paris, 1960.

53

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE53 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

irremplaçable pour faire monter la pâte d’une Algérie algérienne où


personne ne serait en trop.
On souscrira volontiers au constat final de ce texte décoiffant qui
fait réagir : que ces décennies sous le signe de la domination colo-
niale n’ont pas été vécues pour rien. Ce n’est pas à ce constat que
parvient Michèle Baussant 9 dans un ouvrage qui a renouvelé notre
connaissance de la minorité européenne d’Algérie. Son étude débute
par la description sociologique du pèlerinage annuel rendu à Notre-
Dame de Santa Cruz d’Oran rapatrié à Nîmes. Une fois par an, de
simples gens en majorité d’origine espagnole, repliés donc et non rapa-
triés en France, font « Oranîmes », c’est-à-dire qu’ils voguent l’espace
d’une journée dans un entre-deux imaginaire et flottent dans la fiction
du temps retrouvé. La Vierge de Santa Cruz, c’est leur vierge à eux,
inappropriable, inassimilable tant pour les Français que pour les Algé-
riens. Car ces pèlerins sont d’une espèce très spéciale. Ils ne peuvent
cultiver l’utopie d’un retour au pays des origines, à la différence des
Algériens en France ou des Irlandais aux États-Unis.
Remontant en arrière, archives et histoire orale à l’appui, Michèle
Baussant transporte son lecteur dans l’ambiance des romans de Jean
Pélegri pointant le dédoublement qui déchirait les Français d’Algérie :
« Un conscient souvent cassé et ravagé par la colonisation et un
inconscient qui appelle l’autre dans la nuit, quand personne ne
l’écoute. » Elle souligne le basculement des relations interethniques
qui s’opère à partir de 1945 lorsque l’accélération de l’exode rural fait
qu’on passe en ville de la relation interpersonnelle à l’anonymat : « Un
Arabe qui vient du djebel, il ne nous connaît pas, il nous tue. » Les
souvenirs d’enfance à Philippeville (Skikda) de Mohammed Harbi 10 et
l’étude de Djaffar Lesbet consacrée aux vieux citadins d’Alger 11
montrent également l’effroi que ces nouveaux venus issus des
entrailles de l’Algérie la plus archaïque inspirent aux citadins frottés de
contacts avec les Européens.
Michèle Baussant nous brosse ainsi un portrait de la communauté
européenne qui l’arrache aux notations folklorisantes entachant trop

9 Michèle BAUSSANT, Pieds-noirs, mémoires d’exil, Stock, Paris, 2002.


10 Mohammed HARBI, Une vie debout, mémoires politiques, t. 1, La Découverte, Paris, 2001.
11 Djaffar LESBET, « La Casbah d’Alger. Gestion de la salubrité », Les Annales de la recherche
urbaine, nº 33, p. 59-68.

54

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE54 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

d’études consacrées aux Français en Algérie. Elle montre combien cette


minorité coloniale a été fabriquée par la IIIe République. Les « pieds-
noirs » devaient faire de la France en Algérie. Ils ont été forgés pour
que l’Algérie devienne la fille aînée de la France et la culture de la
catholicité en serre néolatine fut l’un des ingrédients forts de cette
tentative de greffe d’une France sudiste en Afrique. Dans cette perspec-
tive, un « pied-noir », c’était un Français suradopté par la mère patrie,
surintégré, plus français que l’original en métropole. À ces Français de
synthèse — au nombre desquels il faut inclure nombre de Juifs algé-
riens —, on avait appris qu’il ne pouvait y avoir de salut en dehors de
la France. Ils ne furent absolument pas préparés à vivre dans une
Algérie algérienne telle que la comprenaient aussi bien Mouloud
Feraoun que Charles de Gaulle après 1958. Ainsi s’explique la violence
du traumatisme infligé par l’exode de 1962 et le ressentiment contre
la France, cette marâtre. Avec la France, comme les Jeunes Algériens
emblématisés par Ferhat Abbas, beaucoup d’entre eux vont entretenir
un rapport d’amour déçu, hormis ceux qui opèrent le rétablissement
et considèrent que désormais la France est leur pays et l’Algérie leur
terre natale et une minorité de femmes qui saisit, dans le rapatriement
en métropole, une chance pour échapper au machisme méditerra-
néen, qui, lui, est transconfessionnel.

La longue histoire des Juifs d’Algérie


La communication de Richard Ayoun consacrée aux Juifs d’Algérie
déroule le long film de leur présence en ce Maghreb médian depuis
l’occupation romaine. Ce spécialiste patenté de la question fait
ressortir la diversité de cette communauté qui, en 1830, juxtapose plus
qu’elle ne compénètre « porteurs de turbans » (les Judéo-Arabes),
« porteurs de capuches ou bérets » (les Juifs séfarades parlant le
castillan) et « Juifs francs », aussi appelés grana, habillés à l’euro-
péenne et qui sont des grands marchands banquiers originaires de
Livourne, jouissant de la protection du royaume de Piémont-Sardaigne
ou de France.
L’auteur fait bien ressortir les deux phases qui scandent l’histoire
des Juifs d’Algérie sous la domination française. Avant le décret
Crémieux qui naturalise en 1870 les Juifs en territoire civil, ces
derniers restent partagés face à l’enracinement colonial de la France,

55

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE55 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

entre la peur d’une forme nouvelle de reconquista annihilant leur


confession et ses franchises reconnues par les deys et l’attente d’une
émancipation les arrachant à une sujétion ne leur interdisant pas de
cohabiter avec les musulmans tant bien que mal. Après 1870, la franci-
sation des Juifs s’opère irrésistiblement, mais elle a pour contrepartie
d’exacerber un antijudaïsme d’inspiration catholique transporté par
les immigrants d’origine espagnole et d’engendrer un antisémitisme
fonctionnant comme une dérive de l’anticapitalisme. La conjonction
de ces deux courants fera de l’Algérie, entre la fin du XIXe siècle et 1943,
un terreau privilégié pour les leaders et les mouvances constitutives de
l’ultra-droite. De plus, le radicalisme colonial flirte avec cet antisémi-
tisme en ébullition : ce sont des radicaux antijuifs qui s’emparent de la
mairie de Constantine en 1896 et de celle d’Oran en 1897 avant l’élec-
tion au Parlement de quatre députés antijuifs en 1898, qui lance un
signal et offre un prétexte pour affirmer envers Paris un éphémère et
velléitaire autonomisme.
Richard Ayoun s’attache également à retracer les fluctuations des
rapports entre Juifs et musulmans. Il suit à la loupe les efforts des
croyants des deux bords attachés à préserver la concorde entre fils
d’Abraham, comme l’atteste la création en 1935 de l’Union des
croyants monothéistes. Il fait état des tentatives émanant des Algé-
riens des deux confessions entrés en politique pour alléger le climat
de plus en plus tendu qui altère les relations intercommunautaires :
des émeutes antijuives de Constantine en 1934 à l’incendie de la
grande synagogue d’Alger le 12 décembre 1960 qui marque, selon lui,
un point de non-retour dans la dégradation des rapports entre Juifs
— jusque-là demeurés pour beaucoup dans l’expectative — et
musulmans. In fine, il relève l’intervention de l’amiral Louis Kahn,
président de l’Alliance israélite universelle, auprès du général de
Gaulle pour que, en 1962, les Juifs d’Algérie repliés en France ne soient
pas traités comme une communauté à part, confessionnelle, mais assi-
milés à la catégorie des rapatriés.
Sur un sujet aussi passionnel, Richard Ayoun nous délivre un récit
circonstancié et équilibré. Depuis le colloque de Lyon, la synthèse de
Benjamin Stora consacrée aux Juifs d’Algérie à l’époque française 12

12 Benjamin STORA, Les Trois Exils : Juifs d’Algérie, Stock, Paris, 2006.

56

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE56 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

permet de reprendre le dossier, de le repenser en profondeur 13. La


francisation des quelque 150 000 Juifs algériens n’en reste pas moins
acquise : 90 % d’entre eux se replient en France après 1962, alors que
80 % des Juifs marocains et 50 % des Juifs tunisiens émigrent en Israël.
Nombre de Juifs d’origine algérienne se sont auto-analysés avec une
belle lucidité pour rendre compte du lien inconditionnel (Jean Daniel,
José Aboulker) les attachant à la France ou bien, au contraire, du senti-
ment d’être français en quelque sorte malgré eux au prix d’une déné-
gation de leur identité mêlée, disputée (Jacques Derrida, Daniel
Timsit). Mais ces membres d’une brillante élite qui atterrit à Paris ne
doivent pas masquer la permanence sur le très long siècle de l’Algérie
française du monde des artisans et des boutiquiers juifs, à propos
desquels on ne sait pas grand-chose. Sur les communautés de Tlemcen
ou de Miliana par exemple, il nous manque une monographie prati-
quant la think description à la manière de Lucette Valensi et Avram
Udovitch dans leur exemplaire monographie des Juifs de Djerba 14.

Pères blancs et Kabyles convertis


Autre minorité, mais celle-là infime, honteuse et par là même quasi
clandestine : celle des Kabyles convertis au christianisme par les Pères
blancs à laquelle s’attache la communication de Karima Dirèche-
Slimani. Celle-ci retrace les démarches entreprises par la Société des
missionnaires d’Afrique initiée par le cardinal Lavigerie à effet de
ramener au christianisme de leurs pères à l’époque romaine les Kabyles
soupçonnés d’être superficiellement islamisés. La tentative fait long
feu : quelques milliers de « conversions de la misère » seulement. Et
les convertis s’attardent dans un statut mal défini : un entre-deux
vexatoire de sous-citoyens. Ils sont chrétiens sans être français, indi-
gènes sans être musulmans. À partir de la conférence de Bou Nouh en

13 Pour aller plus loin, signalons encore la thèse de Geneviève DERMENJIAN, La Crise anti-
juive oranaise (1895-1905), l’antisémitisme dans l’Algérie coloniale, L’Harmattan, Paris,
1987 ; et le travail exhaustif de Jacques CANTIER consacré à L’Algérie sous le régime de
Vichy (Odile Jacob, Paris, 2002), qui étudie au plus près la si douloureuse traversée par
les Juifs algériens du moment vichyssois, d’autant plus humiliante pour eux que l’État
français leur retire la nationalité française acquise par le décret Crémieux.
14 Lucette VALENSI et Avram UDOVITCH, Juifs en terre d’islam. Les communautés de Djerba,
Éditions des Archives contemporaines, Paris, 1984.

57

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE57 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

juillet 1937, les Pères blancs changent complètement d’optique. Ils


entreprennent un travail d’inculturation du christianisme et
s’appuient sur le remarquable chantier scientifique que constitue le
Fichier de documentation berbère. Ils passent d’un catholicisme
d’affirmation triomphante à un catholicisme d’enfouissement : chris-
tianiser par l’exemple. En cela, ils anticipent sur la mutation que
l’Église catholique, néolatine à ses débuts, accomplira sur le tard :
passer à l’indigène.
L’auteur de cette communication très serrée s’interroge sur les
raisons de l’échec de cette tentative de christianisation en contexte
colonial. Pour ce faire, il ne suffit pas de consulter ce que le Coran dit
de l’apostat (murtadd). Il faut regarder du côté de la société locale (en
l’occurrence cinq tribus au cœur du Djurdjura). Les voisins des
convertis les considèrent comme déchus de leurs droits et devoirs
civiques : ils sont l’objet en quelque sorte d’une mort sociale symbo-
lique. Mais, paradoxalement, ils ne sont pas coupés de leurs attaches
familiales, ni exclus du marché matrimonial. Déchus civiquement,
mais pas retirés de la gens — du premier cercle de solidarité : l’allé-
geance tribale est-elle plus forte que l’appartenance religieuse ? Karima
Dirèche-Slimani ne s’attarde pas sur cette proposition, qui nécessite-
rait une analyse ethnologique. Elle souligne plutôt que la conversion
de membres occupant une position mineure dans le village kabyle
n’ébranle point la cohésion d’une société encore segmentaire.
Depuis 1962, on a fait justice de cette vision d’un islam kabyle
moins pur et, plus généralement, de la propension d’un islam berbé-
risé, donc neutralisé par le génie du lieu, à se conserver par-delà toutes
les invasions qui se succédèrent depuis l’époque romaine. Les récents
et remarquables travaux sur la Kabylie de Kamel Chachoua et de
Mohammed Salhi ont administré la preuve que la Kabylie ne consti-
tuait nullement une exception, mais qu’elle vivait au diapason de
l’islam maghrébin.

58

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE58 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

L’islam citadelle de l’algérianité


et la dynamique de la société colonisée

Instrumentalisation du fait islamique et réformisme musulman


Cet islam maghrébin, dont les caractéristiques s’accusent lors de la
grande crise des XIVe et XVe siècles 15, continue à envelopper le phéno-
mène de la croyance religieuse en Algérie. Mais une colonisation de
type frontal plus qu’oblique comme dans les protectorats contigus en
accuse les traits spécifiques : repliement défensif sur la religion comme
dernier abri de la nationalité vaincue, recherche dans les pratiques
confrériques d’une thérapie aux blessures infligées par la colonisa-
tion, réception du réformisme musulman vécu plus qu’ailleurs comme
un séisme culturel. Trois communications effleurent sur la pointe des
pieds cette thématique centrale pour la compréhension de l’Algérie au
XXe siècle.
Celle d’Abderrahim Sekfali traite des instituteurs indigènes et des
médersiens comme un binôme. Passons sur les instituteurs algériens
issus de la fameuse école normale de la Bouzaréa et attardons-nous
un peu sur les anciens élèves des trois médersas fondées au début du
Second Empire pour créer un « clergé musulman », ce qui est un para-
doxe s’agissant de l’islam (sunnite), religion sans prêtre ou pasteur
comme s’en enchantaient les philosophes des Lumières. En 1951, elles
sont transformées en collèges franco-musulmans et accueillent quatre
cent trente élèves. Grâce à la thèse monumentale de Charles-Robert
Ageron consacrée aux musulmans algériens et la France de 1870 à
1914 (rééditée en 2004 chez Bouchene) et aux travaux plus récents de
Sadek Sellam et Anna Bozzo, on connaît bien les tours et détours de la
politique musulmane de la France en Algérie et son invention d’un
islam gallican et concordataire au-delà de la loi de séparation de l’État
et de l’Église qui, opportunément, n’est pas appliquée en Algérie.
Les médersiens constituent un rouage clé de cette entreprise
d’instrumentalisation du fait islamique. Mais on sait très peu de chose

15 Cette crise, au Maghreb, constitue une césure enregistrée par tous les historiens. S’agis-
sant du religieux, elle se traduit par les grands mouvements maraboutiques levés
contre la Reconquista au XVe siècle. Le style religieux des Maghrébins se reformule à
cette époque et perdure jusqu’au XIXe siècle.

59

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE59 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

sur les anciens élèves des médersas en tant que corps professionnel
engendrant une culture d’établissement et une pratique profession-
nelle propre. Plus on creuse la question, plus on découvre qu’ils
n’étaient ni des clercs formés au rabais ni des relais dociles de l’admi-
nistration des cultes. Abderrahim Sekfali s’attache surtout à montrer
les passerelles qui existent entre les médersiens de la filière coloniale
et les oulémas (‘ulamâ’) réformistes. Des médersiens participent à des
cercles montés par les oulémistes et en assurent même la présidence,
comme c’est le cas pour « La vie de la jeunesse » à Mila ou la « médersa
El-Hayet » à Djidjelli.
La communication de Mostefa Haddad est un vibrant plaidoyer
pour exploiter le filon de la tradition orale porteuse de la mémoire
collective en s’appuyant sur le cas des Aurès. À lire de près les chants
de résistance cités, on pourrait en déduire qu’on est passé d’une repré-
sentation du monde purement religieuse à une vision profane de celui-
ci : du sacral à l’historique pour paraphraser Jacques Berque. Un poème
exaltant la résistance des Aith Sultan en 1844, où se réfugia le bey
Ahmed après la prise de Constantine, décline une vision théologique
de la conquête : « Les kuffâr défoncent la montagne. » On est dans le
face-à-face qui s’est noué depuis le XVe siècle : infidèles contre vrais
croyants. Après 1945, la cantilène se rapproche du chant nationaliste :
« Ô délégué ! Ô délégué ! Hammou Oussaïd est fait prisonnier ! Messali
Hadj vous adresse le salut, vous recommande de voter nationaliste. »
Mais, en réalité, la lutte nationaliste dans les Aurès procède du combat
sacré et la poésie berbère se rapproche du chant religieux national, le
nashîd.
L’intervention de Gilbert Grandguillaume porte sur l’arabisation
en Algérie des ‘ulamâ’ à nos jours. On ne retiendra pas ici l’historique
de l’arabisation de l’enseignement public et de l’administration pour-
suivie par rebonds saccadés depuis 1962, que l’auteur opère en bottes
de sept lieues, avec, pour toile de fond, au sein du FLN, le conflit récur-
rent entre « francophones » et « arabophones » et branches antago-
nistes de l’appareil d’État. On retiendra les notations sur la renaissance
de la langue arabe opérée au temps des oulémas réformistes.
L’audience des médersas réformistes qui enseignent la langue de la
nahda venue du Moyen-Orient est immense. L’impact de cette conver-
sion linguistique est considérable en milieu citadin. Il y a comme une
inversion de la légitimité au sein des familles. Désormais, ce sont les

60

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE60 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

enfants qui savent le vrai, le pur arabe et qui deviennent « gestion-


naires du ‘ilm » (le savoir, en particulier religieux). Cela va avoir un
effet immense sur les croyances et comportements religieux. Et puis,
le mouvement réformiste religieux (l’islâh) va éroder et, plus encore,
désagréger le substrat friable des croyances traditionnelles et leur véhi-
cule, la langue parlée populaire : l’« arabe du sûq », grommelle Ben
Badis, la figure centrale du mouvement réformiste.
Le talon d’Achille du colloque réside dans l’absence de communi-
cation sur le courant de l’islâh, les intervenants pressentis ayant fait
défaut. Celui-ci a été magistralement analysé en tant qu’institution
religieuse et mouvement éducatif par Ali Merad, dans sa thèse consa-
crée au réformisme musulman en Algérie 16. Des études ultérieures ont
saisi sa réception en Kabylie (Brahim Salhi), dans les Aurès 17, et insisté
sur sa diffusion comme code de base, faisant office de koyné, véritable
langue commune dans le mouvement national algérien (M’hammed
El Korso). Tous ces chercheurs constatent que le réformisme religieux
marque une brisure dans les conduites religieuses et qu’il opère une
disjonction avec la symbolique religieuse antérieure fondée sur un
alliage entre mysticisme (le tasawwuf) et savoir scripturaire (le ‘ilm). Le
phénomène religieux tenait du bricolage et s’ajustait au couple culture
scripturaire citadine/tradition orale rurale. Il épousait la diversité des
terroirs et des langues, comme il s’adaptait au binôme masculin/
féminin. Il n’y avait pas une manière homogénéisée de croire, mais
toute une gamme de styles religieux conflictuels et alternatifs et un
éventail de traditions d’incorporation du savoir (la pluralité des buyût
al-‘ilm ou « maisons de science »). Bref, l’islam en tant que croyance
connaissait une plasticité étonnante dont rendent compte pour le
Maghreb Jacques Berque 18 et pour l’Algérie Houari Touati 19. C’est
cette somme de spécificités que détruit le réformisme musulman, au

16 Ali MERAD, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse
et sociale, Mouton, Paris/La Haye, 1967 ; cf. aussi la thèse inédite d’Ahmed NADIR, Le
Mouvement réformiste algérien. Son rôle dans la formation de l’idéologie nationale, thèse de
3e cycle (dactylographiée), Paris, 1968.
17 Fanny COLONNA, Les Versets de l’invincibilité. Permanence et changements religieux dans
l’Algérie contemporaine, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris,
1995.
18 Jacques BERQUE, L’Intérieur du Maghreb, Gallimard, Paris, 1978.
19 Houari TOUATI, Entre Dieu et les hommes. Lettrés, saints et sorciers au Maghreb central
(XVIIIe siècle), Éditions de l’EHESS, Paris, 1994.

61

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE61 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

prix d’un conflit intérieur à la société algérienne, déchirant. Celui-ci


promeut un type nouveau de croyant : le muslih, l’homme sans turban
ni chapelet, que plus rien ne distingue de l’homme moderne
qu’accomplit également le militant nationaliste 20.

Mouvement ouvrier et changement social


Le changement religieux ne capture pas toute la dynamique de la
société algérienne. Parce qu’on est en quête d’une généalogie de l’isla-
misme, on le met au premier plan aujourd’hui. Mais il ne doit pas
occulter l’éclosion d’un mouvement ouvrier qui agit en profondeur
dans la société algérienne sur sa façade méditerranéenne, où était
concentrée la quasi-totalité des industries et des chemins de fer.
N’est-ce pas en son sein que surgit et s’affirme le mouvement national
avant qu’un populisme en chasse un autre et que l’Étoile nord-afri-
caine, née en France dans l’ombre du Parti communiste français, se
transmue, en traversant la Méditerranée, en Parti du peuple algérien ?
Alors l’internationalisme prolétarien originel se colore subreptice-
ment de messianisme religieux et l’idée nationale absorbe principale-
ment l’effervescence des faubourgs.
L’intervention de René Gallissot procède à juste titre à une étude
comparée des mouvements ouvriers au Maghreb. Sans doute chacun
d’entre eux est-il conditionné par son insertion dans un espace
étatique en construction, mais tout ce qui fait irruption ici a un écho
là-bas : c’est ainsi que l’assassinat par une officine contre-terroriste de
Ferhat Hached, le dirigeant de l’Union générale des travailleurs tuni-
siens (UGTT, fondée après la Seconde Guerre mondiale), a un écho
retentissant à Casablanca et déclenche les journées d’émeutes des 7 et
8 décembre 1952, qui marquent au Maroc l’irruption des masses prolé-
tariennes dans le champ de la lutte nationale.
René Gallissot commence par illustrer le mouvement ouvrier au
Maghreb en détachant quatre de ses figures. En Tunisie, il retient
Mohammed Ali, le fondateur en 1924 de la Confédération générale

20 Sur cette révolution non silencieuse qui propage le feu de la polémique au sein des
foyers et fait tournoyer les bâtons autour des édifices maraboutiques honnis, on
consultera également l’article topique de Mohamed Hocine BENKHEÏRA, « La pensée
divise : Bachir Ibrahimi et la cassure dans l’Islam », Revue maghrébine d’études politiques
et religieuses, octobre 1988, p. 22-59.

62

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE62 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

tunisienne du travail (CGTT), et Tahar El Haddad, un zitounien


atypique compagnon de route du mouvement ouvrier et féministe
avant-gardiste. Au Maroc, il retrace le parcours de Michel Mazella, un
instituteur venu d’Oranie qui, de 1933 à son expulsion du royaume
chérifien en 1949 par la Résidence, sera à la fois un syndicaliste de
terrain et l’élément moteur de la construction par étapes du Parti
communiste marocain et de sa marocanisation. Pour l’Algérie, son
choix se porte sur Djilani Embarek, lui aussi un instituteur, qui amar-
rera les passerelles entre le Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD) et l’Union générale des travailleurs algériens
(UGTA), fournissant un cas exemplaire de commande politique d’un
syndicat d’encadrement par le parti-nation qui, dès 1962, se mue en
parti-État avant de se scléroser en État-parti.
Le profil et l’itinéraire de ces quatre hommes sont trop dissem-
blables pour être l’objet d’une mise en parallèle serrée et d’une typo-
logie comparée. Nos deux Tunisiens appartiennent à la génération des
années 1920 et ne lui survivront pas. Ils s’inspirent de la Russie des
Soviets et, plus encore, de l’Égypte en quête d’une modernité orien-
tale. Michel Mazella et Djilani Embarek peuvent être rapprochés :
encore que le premier resta un militant oppositionnel et rentra dans
le rang après son expulsion du Maroc, alors que le second devint un
homme d’appareil à partir de 1959 et un hiérarque du régime après
1962.
Lorsqu’il s’appuie sur les conclusions provisoires du Dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier : Maghreb 21, René Gallissot est beau-
coup plus convaincant, lui qui a été le metteur en œuvre, après le tome
portant sur le Maroc, du volume consacré à l’Algérie. Deux observa-
tions retiendront notre attention en particulier.
En premier lieu, la mise en perspective d’un mouvement ouvrier
qui décrit la même évolution transnationale. Il se noue dans des
métiers manuels bien circonscrits : typographes, tailleurs, cordon-
niers. Ici, René Gallissot aurait pu noter la présence de nombreux Juifs
partagés, tiraillés entre l’inscription dans une communauté confes-
sionnelle et l’appartenance de classe : ils ont été un ferment des luttes
sociales qui ne doit pas être occulté. Ensuite, le mouvement ouvrier est

21 René GALLISSOT (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : Maghreb, Éditions


de l’Atelier, « Le Maitron », Paris, 1998 et 2007.

63

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE63 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

porté par des luttes de masse à partir de 1919 et au lendemain de 1945


et il est aguerri par la répression, que durcit et amplifie la grande peur
des appareils d’État coloniaux. C’est le moment où opère le plus inten-
sément le « mixte colonial » et où le local de la Confédération générale
du travail (CGT) fait office de « maison commune ». Puis le mouve-
ment ouvrier se lézarde, travaillé par la « divergence nationale » selon
des modalités propres à chacune des trois entités entre lesquelles se
partage le Maghreb. Enfin, il finit par être résorbé dans les appendices
de l’État postcolonial, qui fabrique à tour de bras une idéologie solida-
riste et unanimiste fondée sur la religion de la nation.
En second lieu, l’accent porté sur l’importance de l’« intelligentsia
seconde ou subalterne » dans la construction du mouvement ouvrier.
On peut l’illustrer par des études de cas, comme celui de Tahar El
Haddad, acteur et intellectuel organique du mouvement ouvrier tuni-
sien naissant, archétype de l’intellectuel transfuge de son milieu
originel et portant à travers son drame personnel le souci du monde
nouveau qu’il pressent. Mais cette intelligentsia est plus souvent rotu-
rière que plébéienne déclassée et elle se recrute de manière préféren-
tielle dans les professions à statut : secrétaires de communes mixtes,
postiers, cheminots, instituteurs.
Sur ces métiers nouveaux qui émergent du fait de la création d’un
cadre bureaucratique et d’un outillage économique modernisateurs du
Maghreb, on en sait fort peu 22. Dans le secteur capitaliste privé de
tout écran de protection émerge un prolétariat minier et portuaire qui,
pour l’Algérie, n’a guère été analysé. Les dockers, en particulier, appel-
leraient une étude à part. De même, les ouvriers en tonnellerie qui
nous sont familiers à travers l’œuvre de Camus. Mais, en l’occurrence,
ne risque-t-on pas d’éplucher comme les pelures d’un oignon les diffé-
rentes couches constitutives de la société algérienne défaite et refaite
par le fait colonial ? Une vue d’ensemble ne s’impose-t-elle pas, qui ne
se limite pas à une succession de tableaux juxtaposant des flashs sans
scénario historique ?

22 Signalons le bel article d’Omar Carlier se livrant à une radioscopie des traminots
algérois des années 1930 en tant que groupe social médiateur et novateur (Omar
CARLIER, Le Mouvement social, nº 146, janvier-mars 1989, p. 61-89).

64

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE64 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

La Sociologie de l’Algérie 23 de Pierre Bourdieu manque son objet en


glissant de tableaux ethnographiques éblouissants d’intelligence scien-
tifique consacrés à la Kabylie, à l’Aurès et au M’zab, à une sociologie
un peu fourre-tout des restes, c’est-à-dire des sédentaires du Tell et des
semi-nomades des hauts plateaux. Son étude de concert avec Abdel-
malek Sayad consacrée aux ruraux « dépaysannisés » dans les camps
de regroupement monstrueux échafaudés par l’armée française lors de
la guerre d’indépendance 24 saisit avec force un moment tragique dans
l’histoire des populations rurales, mais non leur trajectoire entière
durant l’ère coloniale. Le Maghreb entre deux guerres de Jacques Berque
reste, à notre sens, l’approche la plus bouleversante de toutes les caté-
gories d’intelligibilité historique, la plus inventive pour comprendre
le drame colonial au Maghreb, mais cet ouvrage aérolithique est opéra-
toire seulement de 1919 à 1939. C’est lui qui, le premier, a introduit
l’histoire sociale pour comprendre le Maghreb contemporain. Pour
l’Algérie, l’œuvre d’Omar Carlier marche sur ses traces malgré son
élision surprenante des colons dans ses analyses 25.
Pour mesurer le changement social dans l’Algérie coloniale, le
second tome de Histoire de l’Algérie contemporaine, paru aux PUF en
1979 et qui est de la plume de Charles-Robert Ageron, reste la synthèse
la plus complète 26 : à vrai dire, une fresque historique peinte avec
une probité scientifique exemplaire. Pour interpréter cette métamor-
phose de la société, l’ouvrage de Jean-Claude Vatin 27 demeure un feu
d’artifice de schémas théoriques non pas plaqués sur, mais appliqués
à l’Algérie judicieusement et une relecture des écrits antérieurs d’une
force inégalée.

23 Pierre BOURDIEU, Sociologie de l’Algérie, op. cit.


24 Pierre BOURDIEU et Abdelmalek SAYAD, Le Déracinement. La crise de l’agriculture tradition-
nelle en Algérie, Minuit, Paris, 1964.
25 En témoignent ses recherches inventives et érudites sur les lieux de sociabilité et le
passage au politique des citadins des médinas et des faubourgs. De ses écrits dispersés
dans nombre de revues d’accès difficile, détachons ce petit bijou : « Le café maure,
sociabilité masculine et effervescence citoyenne (Algérie, XVIIIe-XXe siècle) », Annales.
ESC, nº 4, juillet-août 1990, p. 975-1004.
26 Ce volume traite de la période 1871-1954. Le premier tome (traitant de la période
1830-1871), écrit par Charles-André Julien (PUF, Paris, 1964), a pour sous-titre
Conquête et colonisation.
27 Jean-Claude VATIN, L’Algérie politique. Histoire et société, Presses de la Fondation natio-
nale des sciences politiques, Paris, 1974.

65

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE65 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Si le mouvement d’ensemble de la société si composite et éclatée


sous l’action du capitalisme colonial est à réexaminer à partir de ces
ouvrages qui commencent à dater, observons que l’analyse de l’Algérie
coloniale sous l’angle de l’histoire culturelle est beaucoup plus
avancée. Cela témoigne du fait que l’historiographie de l’Algérie
marche au même diapason que dans le reste du monde.

Les ambivalences de la modernité

Violence d’une acculturation ou processus de métissage culturel ?


Deux amples contributions, celle de Djamel Boulebier et celle d’Omar
Carlier, permettent de sortir de cette fausse alternative. Elles se
donnent pour ambition de décrire la manière dont la société algé-
rienne a assimilé, dans un contexte de domination coloniale, deux
objets majeurs de la modernité industrielle que sont le sport et la civili-
sation de l’image.

De l’acculturation de l’image…
Rappelant à quel point le monde musulman — et l’Empire
ottoman en particulier — avait manqué le tournant de l’imprimerie,
Omar Carlier inscrit sa réflexion dans la longue durée. Il montre au
contraire combien la reproduction de la figure humaine s’est progressi-
vement imposée dans les paysages urbains et les pratiques culturelles
algériennes, malgré l’interdit religieux qui pèse sur elle, strictement
respecté jusqu’à la fin du XIX e siècle dans la tradition islamique
maghrébine. L’article de Djamel Boulebier évoque, sur un temps plus
court, l’apparition de « sportsmen musulmans » à Constantine, dès
avant la Première Guerre mondiale. À travers le sport, il déroule tout le
parcours qui va des politiques et des pratiques assimilationnistes des
années 1870 à l’associationnisme du début du XXe siècle, mettant en
évidence les ressorts des constructions identitaires.
Et c’est bien là le paradoxe de ces deux communications, qui,
partant d’objets différents, semblent pourtant se répondre : d’un côté,
avec l’iconographie du vivant, une pratique théoriquement illégitime,
dont la diffusion semble aller de soi et s’opérer sans heurt, même si
les rythmes en sont variés d’une région à l’autre du Dâr al-islâm ; de

66

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE66 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

l’autre, avec le sport, une pratique à vocation universelle et égalitaire,


qui suscite très vite une cristallisation identitaire. Emblématiques des
tensions et des contradictions d’une modernité d’origine exogène,
l’une et l’autre nous invitent à réévaluer le rôle et la place du religieux
dans la culture et les identités collectives.
Le premier apport du texte d’Omar Carlier réside dans la tentative
de livrer une chronologie de la diffusion de cette culture de l’image.
L’invention de la photographie coïncide avec les débuts de la
conquête de l’Algérie, mais le regard orientaliste et la production
d’images exotiques destinées à un public métropolitain ont largement
précédé la période coloniale. Qu’elle soit d’origine turque ou euro-
péenne, l’image reproduisant le vivant est un produit d’importation.
Dès la fin du XVIIIe siècle, gravures, peintures, sculptures, lithographies
ou dessins font déjà partie d’un univers familier aux Européens. La
création de L’Illustration en 1843 offre une tribune supplémentaire à la
célébration de la geste coloniale. Ces formes de représentation restent
en revanche inédites pour les Algériens, et l’on devine à quel point
elles ont pu paraître agressives : les statues du duc d’Orléans ou du
général Bugeaud, érigées sur de nouvelles places publiques dans la ville
moderne face à la Casbah, témoignent avec orgueil de la victoire des
conquérants. Pour l’œil indigène, elles sont à la fois une humiliation
et un défi lancé à Dieu.
C’est, explique Omar Carlier, de façon subliminale et en
synchronie avec les villes de métropole que l’image moderne
commence à prendre racine en Algérie : si les premiers studios de
photographie installés à Alger sous le Second Empire restent discrets
ou éphémères, la IIIe République commence à diffuser, avec la départe-
mentalisation du territoire algérien, la monnaie et les timbres-poste
dans tout le pays. L’exposition du public à l’effigie des têtes
couronnées ou à leurs motifs allégoriques va de pair avec l’essor d’une
nouvelle économie des échanges. Et c’est dans le décor urbain de la
Belle Époque que celle-ci commence à prendre une dimension
massive : presse illustrée, carte postale, affiches de réclame, de théâtre
ou d’opéra apparaissent dans les kiosques, dans les vitrines éclairées à
l’électricité, sur les colonnes publicitaires ou sur les piliers des rues à
arcades. Dans les cafés, les hôtels, les salles d’attente des médecins, des
avocats ou des coiffeurs, des revues illustrées contribuent à familiariser
le public avec ces nouvelles formes de représentation du vivant.

67

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE67 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Au tournant du siècle, avec un certain retard par rapport à Tunis,


Istanbul, Alexandrie ou Le Caire, le monde des images a fait une entrée
discrète dans quelques échoppes et cafés de la médina. Comme dans
le domaine sportif, une nouvelle génération de « Jeunes Algériens » a
entrepris de s’approprier les attributs de la modernité : anciens élèves
des écoles françaises, colporteurs kabyles, commerçants et artisans de
Tlemcen et de Constantine installés à Tunis ou familiers des exposi-
tions universelles contribuent à incorporer cette culture nouvelle, en
l’acclimatant à l’Algérie. Les pèlerins, passés par les capitales d’Orient,
apportent à l’image photographique la caution religieuse conférée par
leur statut de Hâjj. De fait, d’Al Azhar à la Khaldûniyya de Tunis, une
génération d’intellectuels réformateurs intègre sans réserve l’usage du
vêtement européen en même temps que celui de la photographie.
La Première Guerre mondiale accélère le mouvement et opère un
changement d’échelle. Ce n’est pas seulement le désenclavement des
régions et des milieux sociaux qui joue son rôle et rend les Algériens
« plus disponibles » à devenir des « consommateurs d’images ». Une
offre nouvelle se développe avec l’essor de la presse illustrée et l’avène-
ment du cinéma, tandis que les progrès, aussi limités soient-ils, de la
scolarisation suscitent et renforcent la demande d’images. La dyna-
mique associative, la joute électorale ou le militantisme politique
travaillent dans ce sens, et des portraits de leaders nationalistes du
monde musulman (Mustapha Kemal, ‘Abd el Krim ou l’émir Khaled)
circulent dès le début des années 1920 comme autant d’icônes laissant
entrevoir la possibilité de combats victorieux.
La crise des années 1930 marque l’avènement des masses sur la
scène urbaine algérienne. Cantonnées au rôle d’objets ou de figurants
lors des fêtes du centenaire, elles se réapproprient cette culture
moderne de l’image pour devenir les acteurs d’une histoire qui se
donne en spectacle, dès les émeutes de 1933. De façon significative,
le Congrès musulman de juin 1936 se tient au cinéma Majestic de
Bab el-Oued. Contemporain des actualités cinématographiques, de la
publicité, du disque, de la bande dessinée et des films égyptiens qui
diffusent et fabriquent une culture arabe populaire, ce premier accès à
la politique des Algériens — et parmi eux les oulémas (‘ulamâ’) — non
seulement ne récuse pas l’image, mais passe résolument par elle.
L’avènement, en 1936 à Oran et en 1937 à Alger, d’une presse illustrée
progressiste au public « mixte » est le signe, pour Omar Carlier, que

68

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE68 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

« l’Algérie musulmane, au moins en ville, […] est entrée dans la culture


de masse de l’image ».
C’est dans les années du combat pour l’indépendance qu’Omar
Carlier décèle une nouvelle rupture : jusqu’aux années 1950 en effet,
l’accès à la photographie tend à se banaliser, mais passe forcément par
la médiation technique de l’autre. À la différence de l’Égypte, la situa-
tion coloniale semble avoir bloqué, pour les Algériens, l’appropriation
des moyens de production visuels. Si un peintre, Mohammed Racim,
a su, dans l’effervescence des années 1920, replacer l’« image de
l’homme produite de main d’homme au cœur de la représentation du
monde », l’accès des Algériens au métier de photographe est tardif.
Quelques photographes exercent en plein air, dès avant la Seconde
Guerre mondiale. Le caractère ambulant du métier permet de
répondre, jusque dans les petits centres ruraux, à une demande
nouvelle de papiers d’identité suscitée par l’administration. L’indépen-
dance en maintiendra l’usage. C’est alors la reprise par les assistants
algériens de studios laissés par les Européens qui donne à la profession
ses lieux d’exercice et une nouvelle visibilité. De même, contrairement
au renouveau du théâtre qui a lieu dès les années 1920, il faut attendre
la guerre d’indépendance pour voir émerger une génération de techni-
ciens et de cinéastes susceptibles de renvoyer à leurs compatriotes une
image d’eux-mêmes.
Deux moments achèvent de ponctuer cette périodisation : les
années 1980 voient l’électricité et la parabole terminer le quadrillage
télévisuel du pays ; la décennie noire des années 1990 consacre l’utili-
sation de la caméra vidéo, aussi bien par les maquis terroristes que par
la société villageoise pour célébrer ses mariages.
À ce film chronologique d’une mutation de grande ampleur
advenue à une société dans son rapport à la représentation du vivant,
Omar Carlier ajoute quelques arrêts sur image qui laissent entrevoir
toutes les ambivalences de l’appropriation et toutes les pistes ouvertes
vers une histoire des usages de la photographie en Algérie. Une
distance considérable sépare l’acte d’être payé pour servir de modèle à
un photographe européen pour un tableau exotique, une scène de
genre ou une carte postale érotique et celui de franchir le seuil d’un
studio et d’y commander une image de soi en en payant le prix.
Ce passage de l’objet photographié au sujet de portrait a lieu dans
les années 1890 pour une petite minorité d’Algériens. Le cercle s’élargit

69

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE69 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

peu à peu à un ensemble de couches moyennes en voie de promotion


sociale, dans les métiers « modernes », dans la jeunesse sportive. Le
costume « traditionnel » fait, dans un premier temps, figure d’objet
de transition, échappant à la logique classificatoire dominante,
« transform[ant] le sujet indigène en interlocuteur citoyen ». Dans la
composition des portraits s’expriment progressivement de nouvelles
attentes : détachement et individuation du sujet, jeu sur les statuts
personnels, affirmation d’une demande féminine dans une attention
portée à la cellule familiale, au couple ou à l’enfant nouveau-né. Le
portrait de groupe traduit, dans des photos qui sont faites pour être
affichées, et non conservées sur soi ou dans un album, une nouvelle
sociabilité associative. Salle de théâtre ou de concert, café sportif
deviennent autant de lieux où se montrent des sujets modernes.

… au sport vecteur d’émancipation


Le sport est appréhendé par Djamel Boulebier comme vecteur
d’émancipation sous un double aspect : l’appropriation par les « indi-
gènes » d’Algérie des pratiques gymniques et sportives introduit
d’abord un nouveau rapport au corps ; caractérisée par une logique
d’accomplissement individuel, cette pratique nouvelle contribue à
faire émerger la question de l’individu par rapport à son groupe de
base. Le sport participe par ailleurs d’une forme moderne de regroupe-
ment et de mobilisation dans des associations, qualifiée au cours de
l’article de « laïcisante » au sens où elle échappe à « la mosquée et [à]
ses serviteurs légitimes ». Qu’il s’agisse de ceux qui le pratiquent, de
leurs entraîneurs, des dirigeants de clubs, des journalistes ou d’un
« public sportif », le sport concourt à la fabrication d’un collectif et
d’un espace de positions sociales. Au cours d’une période contempo-
raine de l’émergence en métropole d’un mouvement associatif institu-
tionnalisé par la loi de 1901, il témoigne de nouvelles logiques
d’affiliation. Plusieurs travaux universitaires algériens ont insisté sur le
rôle du sport dans la cristallisation d’une identité nationale ; plus rares
sont ceux qui ont mis l’accent sur la mutation du rapport de l’individu
au groupe que cela supposait.
La chronologie proposée par Djamel Boulebier est très proche de
celle d’Omar Carlier. Elle met l’accent sur ce mouvement d’institution-
nalisation d’une pratique sportive « musulmane » à Constantine, dès

70

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE70 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

avant la Première Guerre mondiale. Les archives de la wilâya et un


dépouillement systématique de la presse coloniale permettent de
distinguer deux périodes autour de la charnière de 1908. Elles attes-
tent, dès la fin du XIXe siècle (1886-1908), l’« adhésion timide » de
quelques figures musulmanes aux premières sociétés gymniques ou
sportives européennes. À l’instar de l’école et de la médecine fran-
çaises, la pratique sportive suscite bien des réticences. Djamel Boule-
bier souligne le rôle de l’institution militaire, encore sous le choc de
la défaite de 1870, dans l’intégration d’éléments autochtones à des
activités de tir, de gymnastique, en particulier dans les petits centres
coloniaux comme Souk-Ahras ou Jemmapes (Azzaba). En ville, où
dominent à la fois un parti colonial hostile à toute assimilation et des
notabilités rétives à l’innovation, c’est dans l’enceinte du lycée
construit en 1876 que de rares musulmans s’initient à la gymnas-
tique. Mais il faut attendre l’extrême fin du siècle pour voir quel-
ques-uns d’entre eux figurer au palmarès de fin d’année.
En dehors de l’armée et de l’école, c’est au sein de sociétés spor-
tives fondées par les Européens qu’émergent les premiers « cham-
pions » sportifs musulmans. Ces nouveaux conquérants d’une gloire
éphémère campent autant de figures de l’assignation pesant sur les
indigènes : ils n’ont guère laissé de trace autre que leur prénom dans la
presse coloniale, comme s’ils étaient sans filiation, venus de nulle part.
Et les sports où ils excellent — course à pied, course de fond, cyclisme
sur route, boxe — participent d’une éthique de l’effort, de la souf-
france et de l’endurance appelée à une longue postérité dans les sports
dominés du Sud.
C’est dans les premières années du siècle qu’on assiste en ville au
développement de spectacles à caractère sportif. Comme en banlieue
parisienne à la même époque, rivalités et défis font office de cataly-
seurs des identités de faubourgs nouvellement urbanisés, mais aussi
de villes ou de régions entières. Le cinquième concours fédéral des
sociétés de gymnastique de l’Algérie et de la Tunisie est organisé par
La Constantinoise en 1906. C’est l’occasion pour la ville d’accueillir le
gymnaste algérois Omar Benmahmoud Ali Raïs, ancien militaire,
fondateur en 1895 de « L’avant-garde vit au grand air ». Avec une
bonne dizaine d’années d’avance sur Constantine, cette association
est, pour Djamel Boulebier, « la première organisation musulmane

71

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE71 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

autonome » en vue de la pratique d’activités physiques gymniques et


de préparation militaire.
Ce désir d’émancipation par l’affirmation de soi dans le champ
sportif se manifeste aussi dans les bourgades et centres coloniaux du
département, où les sociétés sportives n’hésitent pas à compléter
l’élément européen en s’ouvrant à de jeunes musulmans. Il se
prolonge, en métropole, dans les performances d’athlètes issus de
l’émigration algérienne. L’un d’eux, El Ouafi, offrira d’ailleurs à la
France sa première médaille d’or en marathon aux jeux Olympiques
d’Amsterdam en 1928. Mais, pour Djamel Boulebier, la rupture qui
intervient à partir de 1908 n’est pas seulement d’ordre quantitatif.
Coïncidant avec l’affirmation d’une nouvelle génération de notables,
qui prend ailleurs la figure des « Jeunes Turcs », elle réside surtout dans
l’émergence de cet « associationnisme musulman autonome », dont il
décrit la généalogie.
De rares notables municipaux musulmans, comme Mustapha
Bensouiki, avaient fait leur entrée dans les instances dirigeantes de
clubs sportifs dès les années 1905-1906. Un pas supplémentaire est
franchi en 1908 avec la fondation d’un cercle culturel se présentant à
la fois comme une œuvre de bienfaisance et une société d’études litté-
raires et scientifiques en vue de la revalorisation de la langue arabe.
Le cercle Salah Bey ouvre un nouveau champ à ces notables
musulmans ayant pris acte de la donne coloniale, en demande d’accul-
turation sans pour autant y laisser leur âme. Il inaugure à Constantine
un associationnisme moderne réinscrit dans une tradition islamique.
L’un de ses conférenciers va jusqu’à rappeler que « l’islam n’était nulle-
ment opposé à la constitution de sociétés et que le Prophète avait sans
cesse invité les musulmans à se grouper ».
Djamel Boulebier relève dans le sillage de ce cercle une floraison
d’associations sportives dont la titulature se réfère explicitement
à l’islam : « Le Progrès musulman », qui fusionne en 1911 avec
« L’Union sportive constantinoise » ; « L’Essor islamique », fondée en
septembre 1911 à la Bourse du travail, qui, à la différence de la
première, semble ne s’adresser qu’à des musulmans ; « L’Ikbal Émanci-
pation », connue par quelques communiqués à partir de 1911 ; enfin,
en 1917, « L’Étoile club musulman constantinois » (ECMC). Cette
dernière, née en pleine guerre, est portée par les notables de la ville les
plus favorables à l’innovation et par des autorités coloniales sommées

72

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE72 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

de répondre par une certaine ouverture au « loyalisme des indi-


gènes ». De fait, pour la première fois, des sportifs musulmans sont
associés à un embryon de pouvoir sportif régional qui se met alors en
place. La visibilité nouvelle de ce « microcosme sportif musulman » se
construit sur le mode de la performance et de l’exploit : en football,
avec l’ECMC qui remporte en 1917 le championnat d’Afrique du Nord
contre l’Union sportive de Montpensier ; en saut à la perche ou dans
des disciplines d’athlétisme plus techniques, jusque-là chasse gardée
des Européens. La compétition contribue à fabriquer un public et accé-
lère la diffusion de nouvelles pratiques sportives au-delà des limites de
la ville. Un club sportif comme l’ECMC, qui œuvre beaucoup dans ce
sens, se trouve ainsi investi à l’extérieur d’un rôle de représentation de
sa région.
La contribution de Djamel Boulebier n’est pas exempte d’une
certaine ambiguïté, dans l’usage qu’elle fait du terme « musulman ».
Lorsqu’il l’oppose, dans le défi sportif, à celui de « roumî », ou lorsqu’il
présuppose un soutien sans faille d’un public « musulman » à « ses »
champions, on n’est pas loin de la naturalisation de catégories qui
sont autant celles de l’administration coloniale que celles du sens
commun. Le terme est employé de préférence à celui d’« Arabe »,
d’« indigène », de « local » ou d’« autochtone » : leurs connotations
péjoratives résonnent encore aujourd’hui. Mais, tout comme celui
d’« Algérien », soigneusement évité, il comporte une grande part de
construction rétrospective.
Ce texte riche ouvre pourtant vers d’autres lectures, et c’est peut-
être ce testament que l’on aura à cœur de retenir, Djamel Boulebier
étant prématurément décédé quelques semaines avant de présenter sa
communication à Lyon. Son texte souligne d’abord que, dans la
floraison des associations sportives de la première décennie du
XX e siècle, des appellations se référant explicitement à l’islam
coexistent avec d’autres, davantage ancrées dans l’appropriation
symbolique d’un lieu : « L’Étoile sportive de Biskra », « Le Club sportif
constantinois », club « musulman » fondé en 1926, rival de « L’Aigle
sportif constantinois », fréquenté essentiellement par des Européens
ou des israélites. La bannière n’est pas forcément communautaire et,
réciproquement, la dénomination communautaire ne doit pas forcé-
ment se lire comme un signe d’affiliation univoque. Pour Djamel
Boulebier, elle « relève du registre de l’incantation pour un renouveau

73

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE73 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

musulman, mais à partir des paradigmes propres à l’épistémé 28 occi-


dental ». En d’autres termes, et c’est l’une des conclusions fortes de sa
contribution, le club sportif, le bar ou le café européen qui lui servent
de siège introduisent une nouvelle sociabilité. Ces espaces nouvelle-
ment investis deviennent autant de lieux d’une « mixité sociospatiale
possible » à défaut d’être avérée, d’un nouveau temps des loisirs qui
fait son apparition dans des villes profondément remodelées : un
« temps de l’apéritif » commence à exister, « moment important de la
geste sportive qui réunit autour d’un verre une nouvelle communauté
imaginée : celle du dimanche sportif ».
Une histoire sociale du monde associatif et des professions liées à
la modernité technicienne dans l’Algérie coloniale reste largement à
faire. En même temps que la culture de l’image, et de façon somme
toute très dialectique, la pratique sportive a contribué à faire émerger
une nouvelle vision de soi et de l’autre.

Culture(s), identité(s) et modèle de l’État

Près d’un demi-siècle après la fin de la guerre de libération, la


centralité de la question franco-algérienne ne fait aucun doute tant le
passé colonial et le présent incertain pèsent de tout leur poids sur la
construction de l’Algérie, mais aussi, à ne pas se méprendre, sur celle
de la France. Les empreintes de ce passé douloureux sur l’Algérie
encore aujourd’hui sont incontestables. Très souvent, c’est bien à
travers et parfois en opposition à la France que l’Algérie s’édifie, et
c’est l’héritage de la relation à la France qui fait sa spécificité par
rapport à d’autres pays du monde arabe et d’Afrique, pour reprendre
une approche inspirée par Jean-Robert Henry 29.
Mais on aurait bien tort de sous-estimer son impact sur la France.
Ces incidences peuvent être facilement repérées à un triple niveau au
moins. Sur le plan politique et sécuritaire d’abord. Qu’on se rappelle
que c’est bien pour sortir de la crise algérienne que la France s’est dotée

28 En grec : savoir.
29 Jean-Robert HENRY, « L’héritage du rapport avec la France », in COLLECTIF CONTRE LA
VIOLENCE EN ALGÉRIE, La Crise algérienne : enjeux et évolution, Mario Mella, Villeurbanne,
1998, p. 90.

74

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE74 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

des institutions politiques de la Ve République. Plus près de nous, est-il


besoin de préciser que la France est le premier pays étranger affecté par
les retombées de la violence en Algérie ? Qu’il suffise d’évoquer ici, en
particulier, le détournement tragique de l’Airbus de la compagnie Air
France en décembre 1994, qui a failli devenir une affaire interne à la
France. Sur le plan sociétal ensuite ; que l’on songe tout à la fois au
nombre de plus en plus important de binationaux, à l’émigration algé-
rienne des « trente glorieuses » et aux problèmes soulevés par le durcis-
sement de la gestion des flux migratoires ou encore à la place de
l’islam devenu la deuxième religion de France. Sur le plan de l’histoire
enfin, et c’est bien là que le bât blesse, car les plaies risquent à tout
moment de s’envenimer. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les
questions brûlantes des harkis, des pieds-noirs, de la torture… ou
encore la fameuse et récente loi du 23 février 2005 reconnaissant le
rôle positif de la présence française notamment en Afrique du Nord,
et dont l’article 4, pris sous un véritable feu croisé, a fini par être
abrogé 30. Ce sont bien là des questions qui font rebondir des débats
trop souvent orageux et jamais véritablement clos.

L’impact des politiques scolaires coloniales


Mais l’intensité de cette relation, oscillant depuis 1962 entre
tensions et détentes, tient avant tout à des raisons fondamentalement
historiques, liées évidemment à la colonisation et à la pénétration de
l’école et du modèle culturel français en Algérie. Une lecture attentive
des communications d’Aïssa Kadri, d’Abderrahim Sekfali et de
l’ouvrage de Fanny Colonna 31 sur les politiques scolaires coloniales
montre que toutes les données disponibles nourrissent un même
constat. Malgré l’extension des lois Ferry 32 à l’Algérie 33 et surtout les
efforts notables mais tardifs de scolarisation à partir de 1958, les
résultats apparaissent bien dérisoires. D’un côté, Abderrahim Sekfali

30 Un décret du ministre de l’Éducation abrogeant le deuxième alinéa de l’article 4 de la


loi du 23 février 2005 a été publié le jeudi 16 février 2006 au Journal officiel.
31 Fanny COLONNA, Instituteurs algériens, 1885-1959, OPU, Alger, 1975.
32 Il s’agit des lois sur la gratuité de l’école de 1881, l’instruction obligatoire de mars 1882
et de l’organisation et la laïcité de l’enseignement primaire d’octobre 1886.
33 Selon Aïssa Kadri, ces lois dites lois Ferry ont été transposées en Algérie par les décrets
du 13 février 1883 et du 18 octobre 1892.

75

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE75 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

relève que les structures éducatives autochtones (zâwiya(s) et


« médersas » [madrasa(s)]), même si elles faisaient partie du paysage
éducatif, étaient très marginalisées ; et, de l’autre, Aïssa Kadri rappelle
que l’écrasante majorité de la population musulmane à la veille de
l’indépendance était analphabète. Constat déjà ancien dont Fanny
Colonna ne fait que prendre acte lorsqu’elle observe que l’école en
Algérie ne peut être considérée comme l’un des bouleversements les
plus importants apportés par la colonisation 34.
Le très faible taux de scolarisation n’est évidemment en rien le
produit d’un quelconque déterminisme. Les politiques scolaires colo-
niales ont été prises très tôt en tenailles entre deux logiques antago-
niques : la diffusion des valeurs culturelles auxquelles la France reste
très attachée ne peut naturellement aboutir que par la scolarisation,
mais celle-ci est en même temps susceptible d’« éveiller les consciences
et [de] courir le risque de mettre en cause le rapport colonial », précise
Aïssa Kadri. La réponse de l’impératrice Catherine de Russie à un
gouverneur de Moscou — citée opportunément par Djamel Boule-
bier — résume parfaitement cette arrière-pensée : « Du jour où nos
paysans voudraient s’éclairer, ni vous ni moi ne resterons à nos
places. » On ne comprend pas grand-chose à la politique coloniale en
matière d’éducation si l’on ne tient pas compte de cet arrière-plan.
L’idée de discrimination était donc, en quelque sorte, incluse dans le
système tel un ver dans le fruit. En clair, une formule résume fort bien
l’attitude de l’administration : la scolarisation était aussi difficile à
accepter dans le sens d’une démocratisation qu’impossible à écarter,
car indissociable du projet de colonisation et indispensable à ses
intérêts.
Deux exemples, empruntés l’un à la médecine et l’autre à l’ensei-
gnement, le montrent à suffisance. L’école de médecine d’Alger créée
en 1857 répondait avant tout, rappelle Aïssa Kadri, aux besoins de
santé de l’armée, de la population européenne et de formation des
médecins indispensables à la conquête militaire. La communication
de Benoît Falaize, consacrée au Journal des instituteurs de l’Afrique du
Nord (JIAN) — qui est, en quelque sorte, le prolongement du Journal
des instituteurs (JDI) que publient les éditions Nathan en métropole
depuis 1854 à destination des maîtres d’école —, fait bien ressortir la

34 Fanny COLONNA, Les Versets de l’invincibilité, op. cit., p. 197.

76

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE76 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

dimension à géométrie variable d’une « vision de la France en terre


maghrébine distincte de celle proposée par les maîtres et écoles de la
métropole ». La présentation qui y est faite de la France, de l’islam et le
choix des personnages à glorifier ou à dénigrer participent bel et bien,
selon Benoît Falaize, d’une entreprise de justification de la
colonisation.
Incontestablement, c’est bien cette contradiction fondamentale
qui est l’élément explicatif central des errements, des hésitations et
des obstacles de la scolarisation. Comme dans le domaine sportif et
médical, tout ce qui est entrepris par la colonisation est perçu par les
autochtones comme une entreprise d’altération de leur identité.
Quand il arrive de temps à autre qu’une minorité de musulmans soit
associée à des responsabilités sportives locales, cela se fait souvent
dans un rapport politique, non de citoyens libres, mais sous la tutelle
paternaliste de certains représentants politiques, précise Djamel
Boulebier.

École sinistrée et arabisation au rabais dans l’Algérie indépendante


Malgré le passage d’une école majoritairement destinée aux écoliers
européens à une massification de l’école durant les années 1950 et
début 1960, la démocratisation de l’enseignement a été incontestable-
ment l’œuvre des politiques scolaires mises en place au lendemain de
l’indépendance. En effet, celle-ci était porteuse de grands espoirs sur
le plan éducatif ; les Algériens tenaient à tout prix à donner à leurs
enfants ce dont ils avaient été privés pendant longtemps par la coloni-
sation. Mais les efforts méritoires en faveur de la démocratisation de
l’école (près d’un quart du budget national y est affecté annuellement)
n’ont pas été suivis d’un travail de perfectionnement des méthodes et
des contenus des enseignements, explique Gilbert Grandguillaume.
Pour des raisons idéologique et identitaire, le système éducatif, sur
lequel reposent tant d’espoirs déçus, est bien en crise. Tous ceux qui
s’y sont penchés s’accordent sur le même constat d’échec ; il est l’un
des secteurs qui cristallisent les critiques les plus acerbes. Le président
Boudiaf n’avait pas hésité à qualifier l’école de « sinistrée » et à reporter
sine die l’application de la loi sur la généralisation de la langue arabe.
À son tour, le sociologue Lahouari Addi constate que la situation
linguistique est caractérisée par une profonde diglossie : le fossé entre

77

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE77 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

la langue parlée dans la communication quotidienne et la langue


utilisée dans les activités publiques officielles est tel que « la langue
écrite n’est pas parlée et la langue parlée n’est pas écrite 35 ». Système
dans lequel, souligne encore Youcef Nacib, les enfants sont très tôt
pris au piège « dans un enseignement religieux où la vengeance divine
prend le pas sur sa clémence, où le jugement dernier comminatoire,
l’enfer, le châtiment, l’impureté de la femme et la guerre sainte consti-
tuent des points d’ancrage balisant leur identité 36 ».
Ainsi, le système éducatif est devenu l’un des vecteurs les plus puis-
sants aussi bien de l’intégrisme, dont l’origine est largement institu-
tionnelle — et au premier rang figure l’école —, que de l’échec : des
milliers de collégiens, lycéens et étudiants sont jetés chaque année
dans la rue, livrés à toutes sortes de tentations, y compris le terro-
risme. Jamais un secteur n’a été autant décrié sans, paradoxalement,
faire l’objet d’aucune réforme profonde. Or une étude réalisée en 1998
par le Centre national d’études et d’analyses pour la planification
(CENEAP) 37 montrait que 76,6 % des personnes interrogées souhai-
taient un changement du système éducatif, jugé inefficace. Boudalia
Greffou, auteur d’un livre passionnant sur l’école algérienne 38, a
conclu que les méthodes d’enseignement utilisées par le système
éducatif sont largement inadaptées.
L’« idéologisation » excessive de l’enseignement et une politique
d’arabisation au rabais ont permis, avec le concours non négligeable
des coopérants venus du Moyen-Orient, l’ancrage des courants de
pensée à la fois panislamistes et panarabistes. Pour les inspirateurs de
la politique linguistique, il s’agit, à travers la généralisation de la
langue arabe, d’imposer l’unité linguistique en faisant disparaître à
terme le berbère, l’arabe dialectal ainsi que la langue française. Très
imprégné de la pensée des ‘ulamâ’ sur l’identité et la nation qui se
résume trop souvent à la célèbre formule de Ben Badis — « L’Algérie
ma patrie, l’arabe ma langue et l’islam ma religion » —, le FLN a
imposé une conception figée et très appauvrie de l’identité fondée sur
la langue et la religion, faisant ainsi table rase des différences

35 Lahouari ADDI, L’Algérie et la démocratie, La Découverte, Paris, 1994, p. 211.


36 Youcef NACIB, « Anthropologie de la violence », Confluences Méditerranée, nº 11, 1994,
p. 81.
37 Étude rendue publique par le quotidien Le Matin, 16 juin 1998.
38 Boudalia GREFFOU, L’École algérienne de Ben Badis à Pavlov, Laphomic, Alger, 1989.

78

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE78 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

cultuelles, culturelles et linguistiques pourtant très présentes à diffé-


rents niveaux de la structure sociale. Les efforts pédagogiques d’Ernest
Renan pour relativiser le rôle de la race, de la religion, de la langue
dans la définition d’une nation n’ont visiblement pas eu d’effets sur
l’Algérie qui n’entend pas se défaire, pour l’instant du moins, de la
fatalité ethnique, linguistique et religieuse.

Une culture nationale composite et conflictuelle


Or les réflexions de Richard Ayoun, de Khaoula Taleb-Ibrahimi, de
Gilbert Grandguillaume et enfin de Mostefa Haddad viennent nous
rappeler, à fort juste titre, combien ce pays bénéficie d’un profond
enracinement historique et combien il est riche de sa diversité cultu-
relle et surtout de la puissance de sa tradition orale. Mais l’histoire
officielle — écrite avec une grande hache — occulte des pans entiers
de son passé plusieurs fois millénaire. Des royaumes berbères antiques
aux empires carthaginois, romain, vandale ou byzantin en passant par
les conquêtes islamo-arabes et la domination ottomane jusqu’à la
colonisation française du XIX e siècle, ces différents apports ont
contribué à des degrés divers à façonner l’Algérie d’aujourd’hui 39.
La question de simple bon sens qui mérite dès lors d’être posée est
pourquoi l’Algérie indépendante a-t-elle renié d’importants fragments
de son histoire ? Pourquoi ce choix de séquences ? Peut-on d’ailleurs
choisir son passé quand on connaît toute la difficulté d’être maître de
son présent et de son avenir ? L’Algérie est peut-être l’un des rares pays
dont le rapport à son histoire soit aussi conflictuel ; qu’il s’agisse
d’ailleurs de son histoire récente, celle du mouvement nationaliste et
de la guerre de libération, ou de son passé lointain de la période antéis-
lamique, l’Algérie a beaucoup de mal à assumer tout son passé avec ses
moments d’ombre et de gloire. L’enseignement de son histoire est non
seulement limité à la colonisation dans un but de glorification de la
guerre d’indépendance et des héros décédés (Werner Ruf), mais il est
paradoxalement plus présent dans les manuels scolaires marocains que
dans les documents éducatifs algériens, où il n’occupe qu’une place

39 Cf. Gilbert MEYNIER, L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’islam, La


Découverte, Paris, 2007.

79

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE79 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

insignifiante, la priorité étant accordée à l’histoire des pays du Moyen-


Orient (Gilbert Grandguillaume) 40.
Néanmoins, n’est-ce pas la France coloniale qui, en accordant dès
le 24 octobre 1870 la naturalisation collective exclusivement aux Juifs
(cf. Richard Ayoun) par le fameux décret du ministre de la Justice
Adolphe Crémieux, a privé l’Algérie de l’une de ses minorités reli-
gieuse et culturelle ? Le président de la République Abdelaziz Boute-
flika n’a-t-il d’ailleurs pas reconnu en 1999 « le rôle des Juifs [de
Constantine] dans la préservation du patrimoine commun : coutumes,
vêtements, art culinaire et vie artistique 41 » ? La colonisation n’a-t-elle
pas inauguré, pour ainsi dire, la politique de mutilation de l’identité
algérienne ? Après 1962, c’est dans la précipitation et l’irréflexion que
le travail de reconstruction de l’identité algérienne décimée a été
entrepris. Le champ social et culturel était alors livré à un « immense
bricolage idéologique par une mythologisation outrée de la personna-
lité arabo-islamique 42 ». Dans un élan légitime mais improvisé de
réappropriation identitaire, le FLN a proclamé dès l’indépendance
l’arabe « langue nationale et officielle » et l’islam « religion de l’État ».
La doctrine de l’État en l’espèce est dès lors définitivement fixée, et
elle ne s’est depuis jamais démentie, même si on a pu récemment
observer une timide évolution à la suite de la reconnaissance au
berbère du statut de langue nationale. Ce statut, il convient de le souli-
gner, est le fruit d’une longue et âpre lutte du Mouvement culturel
berbère (MCB) depuis la décennie 1970 et du récent mouvement des
‘arch de 2001, qui a été l’objet d’une répression sanglante puisque cent
vingt-six jeunes ont été assassinés par la gendarmerie. Toutefois,
l’islam et la langue arabe demeurent officiellement les références
constantes et exclusives de l’identité des Algériens.
La toile de fond des problèmes complexes et parfois dramatiques
auxquels l’Algérie est confrontée — dont le point d’orgue est la
violence qui continue de l’ensanglanter — est, à la base, identitaire.

40 Cf. Mohamed GHALEM et Hassan REMAOUN, Comment on enseigne l’histoire en Algérie,


CRASC, Oran, 1995.
41 Discours prononcé à l’occasion de la commémoration du 2500e anniversaire de la ville
de Constantine (l’antique Cirta, capitale du royaume numide des Massyles, dès avant
Massinissa).
42 Mohamed ARKOUN, « La grande rupture avec la modernité », Le Monde diplomatique-
Manière de voir, novembre 1994, p. 40.

80

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE80 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

L’âpreté des polémiques que suscitent régulièrement la question des


langues, la place de l’islam et du berbère dans les institutions, lève le
voile sur les difficultés de la société à s’accepter comme elle est, comme
elle vit et respire tous les jours. Les débats auxquels donnent très
souvent lieu les différents textes sur l’arabisation problématisent
l’image que la société cherche à se donner d’elle-même. C’est en cela
que la réflexion de Gilbert Grandguillaume est pertinente lorsqu’il
souligne l’extrême difficulté de l’Algérie à « prendre possession d’elle-
même 43 ». Ce profond malaise se traduit en particulier par une situa-
tion marquée par une diversité culturelle désordonnée, résultat de
l’histoire mouvementée de l’Algérie, caractérisée par une grande diver-
sité des situations sociologiques, politiques et administratives.
Sur le système tribal et communautaire de la période précoloniale
se sont greffés l’organisation politico-administrative de la colonisa-
tion, puis l’avènement de l’État postcolonial dont la construction est,
en quelque sorte, une combinaison de références diverses : les unes
sont locales, les autres sont puisées à la fois de l’Occident (URSS,
France, Yougoslavie) et des pays arabo-musulmans, en particulier
l’Égypte. Cette élaboration hybride a entraîné un syncrétisme
culturel 44 qui fusionne plusieurs éléments hétérogènes (la charî’a isla-
mique, le droit coutumier, les cultures arabe, méditerranéenne, fran-
çaise, turque, socialiste…). L’expression politique et culturelle de cette
construction syncrétique 45 s’est parfaitement illustrée lors du mouve-
ment national au sein du courant politique dominant des années 1930
et 1940 — le PPA-MTLD —, « qui emprunte à la tradition jacobine
française, au socialisme universel et à l’islam politique 46 ».
C’est ainsi que le nationalisme algérien a pu être, selon la formule
d’Ali El Kenz, « tout à la fois arabiste, islamiste, socialiste, laïcisant,
archaïque par bien des côtés, mais moderniste par d’autres 47 ». Cet
aspect composite de la culture en Algérie n’a cependant rien de paci-
fique ; il est conflictuel parce qu’il est composé d’éléments divers

43 Gilbert GRANDGUILLAUME, « Comment a-t-on pu en arriver là ? », Esprit, janvier 1995,


p. 12-34.
44 Tahar KHALFOUNE, Le Domaine public en droit algérien : réalité et fiction, L’Harmattan,
coll. « Logiques juridiques », 1994, p. 410-416.
45 Ali EL KENZ, Au fil de la crise, Bouchene, Alger, 1993, p. 37.
46 Benjamin STORA, « Absence et surabondance de mémoire », Esprit, janvier 1995, p. 64.
47 Ali EL KENZ, Au fil de la crise, op. cit.

81

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE81 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

juxtaposés et non fondus, puisés dans des systèmes idéologiques diffé-


rents et même contradictoires. Les divers éléments culturels qui le
structurent ne s’insèrent pas harmonieusement dans un tout homo-
gène. Très souvent, les uns et les autres se croisent sans se connaître,
se côtoient dans l’ignorance mutuelle quand ils ne sont pas carré-
ment opposés, parce que les élites et, à un degré moindre, la société
doutent profondément de leur identité et des valeurs vers lesquelles
elles doivent tendre 48.
Ces problèmes culturels complexes soulèvent une question institu-
tionnelle préalable et fondamentale, celle de l’édification de l’État
algérien tant attendu ; car c’est bien à lui que revient la lourde tâche
de prendre en charge les multiples et urgentes difficultés de l’Algérie
indépendante, à commencer par l’important chantier de l’éducation.
À l’indépendance, l’héritage institutionnel et culturel français, marqué
par une forte tradition jacobine 49, est venu renforcer une construction
fortement centralisatrice de l’État naissant. Les structures et formes
étatiques de la France transposées en Algérie sont aussitôt renforcées
par les pratiques des nouveaux dirigeants qui traduisent, en quelque
sorte, un véritable hymne à l’unité et une profonde répulsion de tout
ce qui peut signifier pluralité 50. L’idéologie étatiste va, dès lors, singu-
lariser parfaitement l’expérience algérienne de développement, si bien
que certains auteurs n’hésiteront pas à parler d’« hymne à l’État 51 » et
d’autres d’« État démiurge 52 » ou encore d’« État prométhéen 53 » pour
décrire une situation tout à fait particulière où le rôle de l’État est
omnipotent. Le culte de l’État est le résultat d’un triple héritage : le

48 Gilles MANCERON, Algérie : comprendre la crise, Complexe, Bruxelles, 1996, p. 22.


49 Jean-Robert HENRY, « L’héritage du rapport avec la France », loc. cit., p. 90. Gilbert
Grandguillaume souligne à son tour : « Il est important de noter que c’est ce modèle
jacobin français de nation qui a été et reste à l’œuvre en Algérie… » (« Langues et
nation : le cas de l’Algérie », in Gilbert M EYNIER (dir.), L’Algérie contemporaine,
L’Harmattan, Paris, 2000, p. 91).
50 Ahmed DAHMANI, L’Algérie à l’épreuve. Économie politique des réformes de 1980-1997,
Casbah, Alger, 1999, p. 17.
51 Jean LECA et Jean-Claude VATIN, L’Algérie politique. Institutions et régime, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1975.
52 Gauthier DE VILLERS, L’État démiurge : le cas algérien, L’Harmattan, Paris, 1987.
53 Jocelyne CESARI, « L’État de droit en Algérie : quels acteurs et quelles stratégies ? », in
Ahmed MAHIOU (dir.), L’État de droit dans le monde arabe, Éditions du CNRS, Paris, 1997,
p. 257.

82

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE82 (P01 ,NOIR)


Sociétés coloniales et traces de la colonisation

nationalisme arabo-musulman et le socialisme des ex-pays de l’Est 54,


auxquels il conviendrait d’associer le jacobinisme français reçu en
legs 55.
La structure de l’État est totalement organisée selon le modèle de
l’État-nation, poussé jusqu’à la caricature. En plus de son organisa-
tion ultra-jacobine qui est souvent source de lenteur et même d’immo-
bilisme, l’État est en butte à une double difficulté au moins. Les
pratiques néopatrimoniales 56, d’une part, rendent la frontière entre
public et privé peu étanche : il y a une telle confusion dans le domaine
économique entre ces deux sphères que la gestion des biens publics
est souvent entourée d’une grande opacité. Ce brouillage des sphères
publique et privée joue au bénéfice des personnes publiques qui, en
contrôlant les utilités des biens publics, favorisent leur utilisation à
des fins privatives illicites. D’autre part, comme l’a si bien relevé
Werner Ruf, il existe une grande méfiance des citoyens à l’égard de
l’État, conséquence des colonisations successives que l’Algérie a
connues au fil des siècles, mais aussi de son incapacité à se constituer
en État stable et organisé 57. De l’État beylik spoliateur de la régence
d’Alger en passant par l’État colonial profondément injuste jusqu’à
l’État arbitraire de la récente période post-indépendance 58, tous ont
largement contribué à ternir aux yeux des citoyens l’image positive
que l’on a très souvent de l’État et de ses différentes missions d’intérêt
général.

54 Smaïl GOUMEZIANE, Le Mal algérien. Économie politique d’une transition inachevée, Fayard,
Paris, 1994, p. 23.
55 Ahmed DAHMANI, L’Algérie à l’épreuve, op. cit., p. 218.
56 Lahouari ADDI, « Forme néopatrimoniale de l’État et secteur public en Algérie »,
Annuaire de l’Afrique du Nord, tome XXVI, 1987.
57 Thierry MICHALON, « L’Algérie des cousins », Le Monde diplomatique, novembre 1994,
p. 16-17.
58 Gilles MANCERON, « Aux extrêmes de l’Afrique », in Algérie : comprendre la crise, op. cit.,
p. 24.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE83 (P01 ,NOIR)


3
La question nationale algérienne :
enjeux et conflits

Gilbert Grandguillaume et Jean-Pierre Peyroulou

L ’une des dernières leçons d’histoire de Pierre Vidal-Naquet,


prononcée à l’occasion du colloque de Lyon 1, trouve une appli-
cation directe dans la manière dont on peut appréhender la question
nationale algérienne. Pierre Vidal-Naquet s’engagea, en historien et en
citoyen, dans son temps. Il le fit, au nom de la recherche de la vérité et
du refus du relativisme, contre le négationnisme et contre la torture.
Historien du monde grec, il consacra une partie des dernières années
de sa vie à tenter de faire comprendre ce qui distingue la mémoire de
l’histoire.

Mémoire et histoire, la « méthode Vidal-Naquet »

Dans cet entretien, recueilli quelques semaines avant sa mort, il


revenait sur ce qui distinguait la mémoire de l’histoire à propos de
l’un de ses combats d’historien et de citoyen — la défense de Maurice

1 La communication de Pierre Vidal-Naquet et ses propos introductifs au colloque, dans


lesquels il distingue l’histoire de la mémoire, sont en ligne sur le site du colloque.

85

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE85 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Audin. Ce jeune mathématicien algérois, militant pour l’indépen-


dance de l’Algérie, fut arrêté et assassiné par les parachutistes au cours
de la bataille d’Alger en 1957. Les autorités françaises, défiant la vérité
et la justice, s’acharnèrent à le porter disparu. Vidal-Naquet expliquait
à ce propos que, à la différence du mémorialiste, attaché à collecter des
faits et des hommes du passé et à cultiver leur souvenir, le travail de
l’historien consistait à construire des « ensembles ». Si les mathéma-
tiques s’intéressent à des objets souvent infinis, l’histoire se porte sur
des objets finis et inscrits dans le temps. Mais, comme toute discipline
s’inscrivant dans une démarche rigoureuse, l’histoire rassemble diffé-
rents objets ou éléments, disposant d’un certain nombre de propriétés,
formant un ensemble et qui sont liés entre eux par un certain nombre
de relations. Autant le mémorialiste s’intéressera à un homme ou à
un événement indépendamment de tous les autres, pour lui-même,
autant l’historien examinera ces objets dans leur relation d’apparte-
nance à un ensemble.
Cette démarche implique de dépasser la simple présentation inau-
gurale et introductive du cadre historique, pour envisager un fait ou
un homme dans ses relations avec tous les autres éléments faisant
partie de l’ensemble. C’est ce que fit Pierre Vidal-Naquet dans L’Affaire
Audin. L’objet de ce livre publié en 1958, c’était ce jeune intellectuel
anticolonialiste dans lequel Pierre Vidal-Naquet pouvait se recon-
naître, mais qui était aussi différent de lui — Audin était en effet
communiste, ce que n’était pas Vidal-Naquet. L’ensemble, c’était la
guerre « révolutionnaire » pratiquée par l’armée en Algérie et couverte
par la raison d’État. Pour s’élever contre le crime, pour démonter le
secret et le mensonge insupportables entourant l’assassinat de Maurice
Audin en 1957, il fallait examiner la guerre « révolutionnaire » menée
par les parachutistes en Algérie et, plus précisément, au cours de la
bataille d’Alger.
Mais l’historien fait aussi le chemin inverse : partir de l’ensemble
pour aller vers les objets. L’ensemble, pour nous, ici, c’est la question
nationale algérienne, les enjeux et les conflits qu’elle engendra. Le
mémorialiste nous présentera, selon le souvenir qu’il souhaite perpé-
tuer et transmettre, les faits et les hommes relatifs à ce sujet. Ces
derniers ne seront pas les mêmes selon les différents endroits où il se
placera. Zighout Youssef, le dirigeant des maquis du Nord-Constan-
tinois en 1955-1956, est pour les uns un héros, pour les autres un

86

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE86 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

tueur. Le mémorialiste produira une mémoire qui sera différente des


autres. Ces mémoires entreront en concurrence, maintiendront les
plaies ouvertes longtemps avant que le temps et l’oubli n’accomplis-
sent leur œuvre salutaire ; elles encombreront l’avenir, du moins
proche, exciteront les haines et finalement contribueront à rendre le
passé inintelligible.
La mémoire, voilà l’ennemi, du moins pour l’historien — quand
celui-ci est occupé par son seul rôle dans la cité : l’élaboration d’un
savoir. L’historien tentera au contraire de chercher les relations qui
animent l’ensemble. Il rassemblera les faits, les hommes, les idées,
disposant de propriétés communes et différentes, dans des sous-
ensembles qu’il créera, et tâchera d’en saisir les règles d’utilisation, ce
que Maurice Audin comme tous les mathématiciens — et d’ailleurs
tous les collégiens qui pratiquent depuis les années d’après-guerre
d’Algérie (qui sont aussi celles des mathématiques modernes) la
théorie des ensembles sans le savoir — appellent les axiomes. À la
différence des opérations logiques élémentaires mises en évidence par
la théorie des ensembles — Zighout Youssef est un héros ou un tueur,
ou encore Zighout Youssef est un héros et un tueur (on peut remplacer
Zighout Youssef par le capitaine Aussaresses si l’on préfère) —, l’opéra-
tion historique n’est pas qu’une affaire de logique et de relation. Elle
dépend de l’existence et de la disponibilité de matériaux (les archives,
les témoignages oraux, etc.), variables selon les époques et les pays
(France et Algérie). L’opération historique dépend aussi des questions
mises en œuvre par l’historien et du récit qu’il compose.
Cela fait de l’histoire non pas un produit forcément plus vrai que la
mémoire, mais une substance plus concentrée, plus transformée, plus
critique — y compris des mémoires concurrentes —, plus élaborée, en
un mot plus pensée. Elle met en discussion des questions, apporte des
réponses, avoue son incompréhension et rassemble par conséquent
ceux qui veulent faire l’effort de démontrer leurs propositions,
d’exprimer les points de convergence et de divergence, permettant à la
connaissance historique de progresser.
Si l’on veut bien partir de la méthode à laquelle nous invitait Pierre
Vidal-Naquet, nous réfléchirons à l’ensemble — la question nationale
algérienne — en regroupant ses enjeux autour de trois sous-
ensembles : enjeux algériens, enjeux français, enjeux internationaux.
Ils montreront que la nation algérienne n’est certainement pas ce

87

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE87 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

peuple indivis s’éveillant et se rassemblant au son de quelques explo-


sions à minuit un jour de Toussaint, mais une construction politique,
sociale et mentale qui s’effectua en réaction à la puissance coloniale et,
comme pour bien d’autres nations, dans la guerre. Car il faut recon-
naître que la légende d’une nation abstraite répondant unanimement
présente le 1er novembre 1954 fut bien utile à l’armée des frontières
qui s’empara du pouvoir en 1962 et, plus ouvertement encore en 1965,
à la bureaucratie du nouvel État.

Enjeux algériens

Aux origines du 1er novembre 1954


Les positions acquises dans l’Algérie nouvelle à partir de 1962 par
les élites politiques et militaires se légitimèrent par la référence à la
guerre dont elles étaient issues. Le régime consacra un nationalisme
tout entier contenu dans le FLN et dont l’acte de naissance était la
thawra (insurrection) du 1er novembre 1954. Une histoire officielle,
présentant un peuple abstrait uni autour du FLN, une petite galerie
de martyrs et quelques chefs militaires, s’édifia pour les besoins idéolo-
giques de l’Algérie des colonels sous Boumediene, puis des généraux
sous Chadli. Cette histoire justifiait l’existence d’un État autoritaire
modelant une société qui retourna dans les années 1980 son exaspé-
ration contre lui au moyen de la violence.
C’est ainsi que se construisit une représentation monolithique du
nationalisme algérien, identifié au FLN, très éloignée de sa diversité et
de la réalité des courants qui portèrent de façon très différente la ques-
tion nationale. Il fallut absolument taire les autres tendances (PPA,
UDMA, PCA) pour justifier celle qui avait mené la guerre contre la
France dès 1954, puis l’avait gagnée ; et, par conséquent, créer dès les
origines une histoire légitimant l’État et donnant sa vision — unani-
miste et arabiste — de la nation nouvelle. L’histoire fabriqua du coup
un avenir où la démocratie n’avait pas de place.
C’est ainsi que Benjamin Stora, s’attachant au retour de la figure de
Messali Hadj dans l’histoire et l’actualité algériennes après une absence
d’une trentaine d’années, peut écrire à propos de l’histoire officielle
algérienne que « le passé ne sert plus à l’édification du présent pour

88

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE88 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

élargir le champ des possibles, mais recouvre le présent pour faire


disparaître le futur ». En effet, Messali Hadj, le fondateur de l’Étoile
nord-africaine en 1926, puis du Parti du peuple algérien (PPA) en 1937,
incarna jusqu’en 1954 un nationalisme intransigeant, mais aussi, à
partir de 1953, un nationalisme incapable de résoudre les divisions
du PPA et de passer à l’action armée dont il revendiquait pourtant la
nécessité. Comme le montre Jean-Charles Jauffret, la crise du PPA-
MTLD, qu’il observe à travers les services de renseignements français,
entre d’un côté l’élite des partisans de la voie électoraliste, dominant
le comité central du parti — que l’on désigna pour cette raison par le
terme « centralistes » —, et d’un autre côté les plébéiens, partisans du
recours à la voie insurrectionnelle, rassemblés autour de Messali Hadj,
paralysa le PPA. L’occultation du rôle de Messali Hadj dans l’histoire
du nationalisme algérien s’explique par son refus obstiné de rejoindre
le FLN qui, en Algérie comme en métropole, fit la guerre à ses
partisans.
Le retour de Messali Hadj dans l’histoire algérienne s’effectua en
deux temps, d’abord dans le champ académique, puis dans la société.
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Messali Hadj fit
l’objet des premières études historiques (Mohammed Harbi, Mahfoud
Kaddache, Benjamin Stora) en France et en Algérie. Mais ce fut la
révolte de la jeunesse contre le régime et sur laquelle l’armée tira, en
octobre 1988, et l’ouverture démocratique des années 1989-1991 qui
conduisirent à de nombreuses prises de parole politiques, alors qu’on
assistait à la fin du parti unique, à l’émergence de nouvelles forma-
tions politiques et à des questionnements sur une histoire nationale
de laquelle l’État n’avait plus l’absolu monopole. En se révoltant, la
jeunesse entendait, entre autres choses, s’approprier une histoire
qu’elle ignorait. Entre le coup d’État du mois de janvier 1992 et
l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, à un moment où
la guerre civile déchirait les Algériens et remettait en cause la nation, la
figure de Messali Hadj continua, dans les incompréhensions de la
guerre, à occuper une place dans l’actualité, à travers la presse. La
nécessité de trouver de nouvelles figures alternatives s’imposait « à un
moment où s’épuis[ai]ent les légitimations du pouvoir par recours
incessant à la référence de la guerre d’indépendance », écrit Benjamin
Stora.

89

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE89 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Le dernier acte du retour de Messali Hadj s’accomplit pendant l’été


1999, quand l’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene,
Abdelaziz Bouteflika, lança sa politique de réconciliation nationale
censée clore la guerre civile dont les violences avaient délégitimé l’État
et les fondements idéologiques issus de la guerre d’indépendance sur
lesquels il reposait. La politique de Bouteflika devait par conséquent
s’accompagner d’un réinvestissement du nationalisme dans le dessein
de relégitimer un État corrompu et n’ayant pu protéger la vie de ses
administrés — l’islamisme, du moins sa version décadente salafiste, ne
pouvant pas être une idéologie de substitution puisqu’elle était celle de
ses ennemis. Cela se fit à travers la figure de Messali Hadj. L’aéroport
de Tlemcen, sa ville natale, fut alors baptisé de son nom.
L’autre grande figure du nationalisme, Ferhat Abbas, ne fit pas
l’objet d’une telle occultation. Le notable sétifien incarna pourtant un
nationalisme modéré, fédéraliste et légaliste, à travers les deux organi-
sations dont il fut le chef, les Amis du manifeste et de la liberté (AML)
de 1944 à 1945 et l’Union démocratique du manifeste algérien
(UDMA) de 1946 à 1956, ce dernier bien éloigné de celui du FLN. Mais,
à la différence de Messali Hadj, Abbas se rallia au FLN et devint sa
principale tête d’affiche, comme président du premier Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA). Ce qui montrait bien
que les divergences profondes ne portaient pas sur des questions idéo-
logiques, mais sur des questions de personnes et de clientèles. Le FLN
pouvait tolérer des différences doctrinales en son sein mais certaine-
ment pas des organisations concurrentes susceptibles de remettre en
cause le fondement unanimiste de la revendication nationale dont il
était porteur et qui modela une nation largement née de la guerre.
C’est finalement l’un des aspects qu’aborde Gilbert Meynier.
Répondant en neuf points à la question « Pourquoi le 1er novembre
1954 ? », l’historien du FLN distingue plusieurs causalités. Les unes
s’inscrivent dans le temps long de la colonisation : la violence de la
conquête, la dépossession foncière qui affecta plus d’un tiers des terres
cultivables (2,9 millions d’hectares sur 7 millions), le « dépérissement
culturel » de la société algérienne que ne compensa pas la scolarisation
entreprise par la France (en 1954, selon les chiffres officiels français,
14,7 % des enfants algériens étaient scolarisés), alors que, en doctrine,
la France en faisait le principal outil de l’assimilation. Cette sous-scola-
risation favorisa le repli sur la religion et les mœurs. Enfin, il fallait

90

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE90 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

compter avec la discrimination que le Code de l’indigénat formalisa


dans la loi de 1881 et qui perdura de fait jusqu’en 1944.
Toutefois, le 1er novembre ne fut pas seulement une réaction par
la violence à celle de la colonisation. D’autres causalités jouèrent dans
le déclenchement de la guerre. Même s’il n’était pas inscrit dans ses
gènes, le 1er novembre 1954 participa de l’enracinement progressif de
la revendication nationale dans la société algérienne. La nation algé-
rienne n’était pas une malheureuse épuisée par la colonisation. La
revendication nationale fut une construction. Elle fut préparée par le
« catéchisme anticolonial » forgé depuis le début du siècle. Né dans
l’immigration, le nationalisme trouva auprès de certaines élites algé-
riennes, que la colonisation refusait d’intégrer politiquement tout en
les privant du pouvoir qu’elles possédaient sur la société paysanne, les
moyens de prospérer. Mais le 1er novembre 1954 fut aussi la résolu-
tion apportée par une minorité radicale — le Comité révolutionnaire
d’unité et d’action (CRUA), les Comités des six puis des neuf — aux
divisions internes du PPA-MTLD qui paralysaient la principale forma-
tion nationaliste : opposition entre les arabistes et les berbéristes en
1949, entre les électoralistes (les centralistes) et les partisans d’une
l’insurrection qui ne venait jamais (les messalistes). En effet, les centra-
listes, dont la principale figure était Ben Khedda, se rallièrent au FLN
au début de l’année 1955, ce que ne fit jamais Messali Hadj : malgré
la mise sur pied d’une organisation rivale du FLN, le Mouvement
national algérien (MNA), il espérait qu’un compromis avec la France
serait trouvé.
Dans cet inventaire des pluralités du nationalisme algérien, le
colloque n’aborda qu’indirectement le mouvement des AML de Ferhat
Abbas dont sortit, en 1946, l’UDMA. Jean-Pierre Peyroulou le fit par
l’intermédiaire d’une analyse du fonctionnement du système colo-
nial, à l’échelle locale, à travers ses deux principaux représentants dans
l’arrondissement de Guelma, dans le département de Constantine, les
deux conseillers généraux et délégués financiers : Louis Lavie pour le
collège européen, Smaïl Lakhdari pour le collège musulman. Malgré
tout ce qui les séparait, ces deux élus et leur clientèle respective étaient
d’accord avec les pouvoirs publics français pour empêcher l’émer-
gence d’élus nationalistes modérés, capables de faire prévaloir une
solution de compromis entre l’indépendance pure et simple et le statu

91

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE91 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

quo colonial. Le fédéralisme, socle du Manifeste du peuple algérien


d’Abbas, représentait ce compromis historique. Il échoua en 1945.
En l’occurrence, à Guelma, ce compromis pouvait être porté par
un prospère commerçant de la ville, citoyen français musulman,
Mohammed Reggui. Il était soutenu par Abbas pour être le candidat
des AML aux élections de la fin de l’année 1945. Smaïl Lakhdari se
débarrassa de ce concurrent avec la complicité des pouvoirs publics
français à l’occasion des suites du 8 mai 1945. On comprend à travers
cette analyse microhistorique ce que constituaient les « blocages colo-
niaux » qui furent l’une des causes, selon Gilbert Meynier, du déclen-
chement du 1 er novembre 1954. Ces blocages rendirent en effet
impossible l’émergence d’élites algériennes progressistes capables de
porter une revendication nationale fédérale, d’assurer une médiation
entre les idées nationalistes et une paysannerie misérable dominée par
des référents religieux et communautaires, qui aurait été susceptible
de rechercher un compromis avec les Français d’Algérie libéraux et la
métropole. Ces événements de Guelma montrèrent finalement l’inca-
pacité du système colonial à se réformer de l’intérieur pour accepter
un compromis historique et une nouvelle donne au lendemain de la
guerre.

Les ambiguïtés de la voie légaliste et électorale dans la lutte de libération


Le Parti communiste algérien (PCA) ne fit au colloque l’objet
d’aucune communication. Il ne fut abordé qu’à travers l’étude
comparée du mouvement ouvrier au Maghreb par René Gallissot. Si
l’on comprend que l’attention des chercheurs ne se tourne plus
aujourd’hui, comme dans les années 1960 et 1970, vers les relations
entre le nationalisme et le communisme en Algérie, on pouvait espérer
en revanche que le PCA fût étudié pour son rôle dans la diffusion
d’une culture politique, de pratiques militantes politiques et syndi-
cales auprès des nationalistes, pour sa participation à la sédimentation
des identités politiques.
Car ce n’est pas un des moindres paradoxes apparents, comme l’a
évoqué Jean-Pierre Peyroulou, que de voir localement des militants
communistes fréquenter la médersa réformiste. De même qu’il exista
des « curés rouges » dans la France des années 1950 et 1960, il y eut des
communistes islahistes, qui peuvent apparaître comme de véritables

92

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE92 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

ovnis politiques, mais pour des raisons très différentes des curés
rouges. En Algérie, les identités politiques s’additionnent souvent dans
les trajectoires personnelles, sans que les anciennes soient soustraites
aux plus récentes. Cette superposition résulte des formes de la politi-
sation des Algériens qui s’effectua, par strates rapprochées et succes-
sives, entre 1919 et 1954. C’est ce qui produit parfois un millefeuille
assez baroque et étrange pour celui qui étudie les appartenances poli-
tiques algériennes avec les yeux du politiste européen.
La période des années 1930 fut capitale dans l’histoire politique
algérienne. Dans Le Maghreb entre deux guerres, Jacques Berque la
qualifia de « seuil » ou de « nouaison ». Se posèrent alors d’un côté les
questions de l’assimilation et des droits politiques des Algériens et de
l’autre côté celle d’un avenir séparé de la France. La Fédération des
élus du département de Constantine fut créée et présidée par
Mohammed Salah Bendjelloul le 29 juin 1930. Elle fut souvent réduite
au courant assimilationniste algérien. Le projet Blum-Viollette suscita,
il est vrai, auprès des libéraux algériens appartenant à une élite algé-
rienne francisée, l’espoir que l’heure était enfin arrivée de l’obtention
de la citoyenneté sans renoncement au statut personnel. Or, comme
on le sait, le projet Blum-Viollette fut abandonné 2.
On reste souvent sur cet échec du projet réformateur et assimilation-
niste qu’incarnait la Fédération des élus. L’organisation de Mohammed
Salah Bendjelloul fut cependant capitale dans l’histoire politique algé-
rienne. Elle joua en effet un rôle essentiel dans l’apprentissage des codes
de l’action politique, en particulier dans le domaine électoral et, par
conséquent, dans la politisation des Algériens. La communication de
Julien Fromage montre que cette organisation de notables francisés,
appartenant au monde des professions libérales (médecins, avocats…),
dominée par la figure de Bendjelloul, familiarisa les Algériens avec la
politique en créant le débat, des formes de socialisation et en contri-
buant à l’émergence d’une opinion algérienne. Un mouvement struc-
turé mettait en réseau plus d’un millier d’élus. Omar Carlier avait
montré comment les lieux de sociabilité (cafés, associations) furent des

2 En 1936, le Front populaire eut pour projet de donner la citoyenneté française à une
vingtaine de milliers d’Algériens. Le projet de loi, devant les rodomontades hostiles du
lobby colonial, ne fut jamais présenté à la Chambre des députés.

93

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE93 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

lieux de la politique nationaliste 3. Poursuivant ses analyses, Julien


Fromage montre que les troupes scoutes et les clubs sportifs furent les
piliers du djelloulisme à Constantine.
Les fédéralistes furent des pédagogues du politique. Comme
l’écrivit le 11 juin 1936 le cousin de Bendjelloul, Ben Badis, dans
L’Entente — que cite Julien Fromage —, « la Fédération des élus apprit
aux Algériens à se servir du bulletin de vote et à penser politique-
ment ». Les élections au Conseil général et aux Délégations finan-
cières en 1934 constituèrent sur ce plan un tournant. La Fédération
partit à la conquête des urnes avec les méthodes du parti moderne :
choix collégial du candidat, profession de foi, mise sur pied de comités
de soutien dans chaque circonscription, recours à la presse, tracts en
français et en arabe, voyages de Bendjelloul pour soutenir les candidats
de la Fédération dans les circonscriptions, soirées musicales. La partici-
pation aux institutions et l’acceptation des règles du jeu politique
professionnalisèrent la politique algérienne.
Toutefois, en dépit de l’élu francisé et assimilationniste, portant le
costume européen, interlocuteur des élus européens et des pouvoirs
publics, réapparaissait, dans le quotidien de l’action fédérale, l’homme
fort maghrébin prenant la posture de l’opposant aux pouvoirs colo-
niaux. Bendjelloul tint tête à l’administration fiscale, dénonça la
répression après les émeutes antijuives de Constantine du mois
d’août 1934, rassembla ses partisans dans le cimetière — qui devient
alors l’un des lieux de la politique nationale — pour honorer les
martyrs avec des accents assez proches de Barrès et de Péguy. En éver-
gète mais aussi en homme sensible à la souffrance et à la pauvreté, il
distribua généreusement du pain et de la viande. La presse djellouliste,
L’Entente, installa même en 1938 des questions de société assez inat-
tendues dans le débat public, par exemple sur le port du voile. Par ces
moyens, « les élus de la Fédération œuvrèrent à l’ouverture de l’espace
social sur le national », conclut Julien Fromage.
Jean-Pierre Peyroulou aborde aussi cette professionnalisation de la
vie politique musulmane à travers l’examen du cas de Smaïl Lakhdari,
élu local de la Fédération puis parlementaire, qui constitua autour de
lui un large système clientéliste, fondé sur les liens familiaux, les

3 Omar CARLIER, Entre nation et Jihâd. Histoire sociale des radicalismes algériens, Presses de
Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1995.

94

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE94 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

allégeances et, dans une moindre mesure, les liens confrériques, lui
permettant de distribuer des prébendes et de contrôler en partie la
police, le ravitaillement, le débouché des productions céréalières et
l’accès au crédit des Algériens dans la région de Guelma. Aussi
étaient-ils en position d’entretenir avec les pouvoirs publics algériens
et métropolitains un commerce politique instable, utilisant la dramati-
sation et le chantage, mais durable et fondé sur un échange d’intérêts.
Comme le montre Jean-Charles Jauffret, le trucage des urnes ne ruina
pas les espoirs des nationalistes de participer aux élections. Il faut recon-
naître que les élections avaient bien des attraits quand la grâce adminis-
trative se posait sur un prétendant. Même le PPA-MTLD ne renonça pas à
se prêter aux comédies électorales du second collège 4. Entre deux vagues
répressives, les élus apprécièrent les attraits de leurs mandats. Il fut donc
difficile de les faire renoncer à la profession d’élu du peuple. Les nationa-
listes du MTLD profitèrent de la bienveillance d’un maire éclairé comme
le très libéral Jacques Chevalier, à Alger. D’ailleurs, ils prirent suffisam-
ment goût à leurs mandats électifs pour dégager au sein du comité
central du MTLD une majorité s’opposant à Messali Hadj sur la ques-
tion, justement, des moyens d’accéder au pouvoir. Ils privilégièrent la
voie légaliste et électorale jusqu’à leur arrestation par la police, après le
1er novembre 1954, qui les conduisit, puisque la France ne voulait pas de
ces hommes de compromis, à embrasser le FLN.

Le rôle du contexte international : décolonisation et émergence


du tiers monde
Le contexte international fut certainement le principal moteur de
l’évolution de la mobilisation nationale. Au lendemain de la Première
Guerre mondiale, comme le souligne Julien Fromage, la Fédération
ouvrit les Algériens à la politique internationale et contribua ainsi à
faire tomber cet écran entre les Algériens et le monde que constituait
la colonisation. La Palestine, la Turquie d’Atatürk, mais aussi les Indes
britanniques où agissait Gandhi pénétrèrent les consciences en

4 À toutes les élections locales ou nationales, les Musulmans d’Algérie votaient dans un
collège séparé des Français d’Algérie et des Musulmans ayant acquis la citoyenneté
française par naturalisation ou par application de l’ordonnance du 8 mars 1944
octroyant la citoyenneté pleine et entière à une élite musulmane sans renoncer au
statut personnel.

95

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE95 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Algérie. Le Manifeste du peuple algérien, que l’on peut considérer


comme l’acte de naissance de la nation algérienne, fut présenté aux
autorités françaises par Ferhat Abbas au mois de février 1943, peu après
le débarquement anglo-américain en Algérie en novembre 1942 et la
défaite de l’armée allemande à Stalingrad, à un moment donc où les
rapports de forces dans le monde changeaient au profit des Alliés et où
l’avenir de l’Algérie se présentait de façon incertaine. Par conséquent,
le champ des possibles s’élargissait pour les chefs nationalistes.
La mobilisation nationaliste s’accentua très fortement entre les
mois de février, date de la conférence de Yalta, et d’avril 1945, quand
s’ouvrit la conférence de San Francisco qui reprit les termes émanci-
pateurs de la Charte de l’Atlantique, comme l’évoque Jean-Pierre
Peyroulou. Entre 1945 et 1954, la mobilisation nationaliste algé-
rienne apparaît encore plus indexée sur l’évolution de la décolonisa-
tion dans le monde. Jean-Charles Jauffret observe ce mouvement en
suivant les services de renseignement prenant le pouls de l’opinion
algérienne après chaque événement lié à l’émancipation des peuples
colonisés. La Direction de surveillance du territoire (DST), le Service
de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), les
Services de liaisons nord-africains (SLNA) et la Police des renseigne-
ments généraux (PRG) observèrent à chaque grand événement inter-
national une augmentation du rythme de la mobilisation nationaliste.
Si l’indépendance de l’Indonésie eut un faible écho en 1949, en
revanche, l’installation d’une délégation du PPA-MTLD, menée par
Ben Bella, Aït-Ahmed et Khider dans l’Égypte de Nasser, dynamisa la
mobilisation nationaliste, qui disposa désormais d’un relais essentiel
international et d’une caisse de résonance dans le monde arabe et dans
le tiers monde. L’agitation nationaliste et la répression qu’elle
rencontra en Tunisie en 1952 et surtout au Maroc, en 1953, lors de la
déposition de Mohammed Ben Youssef, et la mort du syndicaliste
Ferhat Hached finirent par accélérer le mouvement. L’entrée des deux
protectorats maghrébins dans la séquence franchement anticoloniale
et violente radicalisa le mouvement nationaliste à partir d’octobre
1953. Reprenant le titre d’une des parties du recueil documentaire
qu’il a dirigé 5, Jean-Charles Jauffret estime que, entre octobre 1953 et

5 Jean-Charles JAUFFRET, La Guerre d’Algérie par les documents, t. 2, Les Portes de la guerre,
1946-1954, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, 1988.

96

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE96 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

octobre 1954, l’Algérie se trouvait non pas dans les portes de fer mais
dans celles de la guerre d’indépendance. En effet, le nombre
d’attentats — sans qu’ils soient suivis de mort d’hommes — s’éleva à
cinquante-trois entre octobre 1953 et octobre 1954 (dont onze contre
des représentants des forces de l’ordre et neuf contre des civils français
ou algériens), commis en particulier sur la frontière algéro-tunisienne
et dans les Aurès.
C’étaient certainement des « signes avant-coureurs » du
1er novembre 1954. Ces chiffres n’en demeurent pas moins bien infé-
rieurs à ceux que l’on trouve, pour une période récente, en une année
en Corse 6, sans que l’on puisse en conclure que l’île de Beauté est en
guerre. Mais il est vrai que bien des violences ne parvenaient pas à la
connaissance des services de police en Algérie, en particulier dans les
régions de l’intérieur qui échappaient à l’administration française.
Cette corrélation entre les pics de violence et les événements interna-
tionaux apparaît davantage pendant la guerre.
C’est ce que montre un événement aussi capital et méconnu que
l’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois, menée par
des paysans encadrés par l’ALN de la wilâya 2. À la suite d’Yves Cour-
rière, de Charles-Robert Ageron et de Gilbert Meynier, Claire Mauss-
Copeaux connecte la violence des insurgés à l’anniversaire de la
déposition du sultan du Maroc, Mohammed V. Les solidarités inter-
maghrébines et arabes jouèrent un rôle essentiel après la Seconde
Guerre mondiale dans la mobilisation nationaliste en Algérie, avant
que l’on assiste à l’élargissement des soutiens aux autres continents
ou bien dans le cadre de l’ONU pendant la guerre d’indépendance.
Elles permirent une expression plus forte de la revendication natio-
nale. Dans l’île du Couchant au temps de la décolonisation, comme
dans la Grande-Bretagne et l’Europe du poète et prédicateur anglais
du XVIIe siècle John Donne, « no man is an island, entire of itself. Every
man is a piece of the continent » (« personne n’est une île isolée, chaque
homme est un fragment du continent »). L’Algérie suivit tardivement
le mouvement de décolonisation. Elle renonça à voir le monde à

6 Selon le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la Corse,


entre 1975 et 1989, le nombre d’attentats contre les personnes n’a été inférieur à deux
cents que pour la seule année 1989. Entre 1987 et 1997, la moyenne annuelle des
homicides en Corse est de trente et un.

97

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE97 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

travers les yeux de la France le 1er novembre 1954. « And therefore never
send to know for whom the bell tolls, it tolls for thee 7 » (« aussi ne
demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi »).

1945-1955 : la question de la violence


La question des moyens pour faire aboutir la revendication natio-
nale, la violence ou l’action pacifique légale, fut au centre des débats
dans le mouvement national. Si l’on prend la séquence 1945-1955
— correspondant à la période de basculement de cette question —
qu’abordent les communications, on observe qu’elle fut davantage
tranchée par les faits et les polarisations induites par la guerre que par
les idées elles-mêmes, et qu’elle ne le fut pas complètement avant le
mois d’août 1955.
Sur les violences qui affectèrent le Nord-Constantinois en mai et
juin 1945, se distinguent, à travers les communications de Boucif
Mekhaled et de Jean-Pierre Peyroulou, deux approches d’un événe-
ment qui autorise aujourd’hui en Algérie tous les mensonges. Boucif
Mekhaled retient du 8 mai 1945 sa dimension événementielle et
répressive. Des manifestations nationalistes des AML et du PPA, de
nature pacifique, furent réprimées très violemment par l’armée, les
forces de police et les milices de colons. Il résulta de la disproportion
des forces un bilan très inégal que Boucif Mekhaled, en historien scru-
puleux, refuse de chiffrer : du côté français cent deux morts — un
chiffre sans discussion —, du côté algérien entre 1 200 selon le gouver-
nement français — chiffre sous-estimé — et 60 000 selon un docu-
ment publié dans le journal égyptien El Ikhwan en 1946. La répression
provoqua une grande émotion et une réaction de solidarité dans la
population algérienne, y compris à l’ouest du pays : le 17 septembre
1946 en gare d’Oran, huit cents personnes attendaient quinze
orphelins de Chevreul, une commune de la région de Sétif, devant être
accueillis dans des familles.

7 John DONNE, Méditation XVII.

98

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE98 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

La communication de Jean-Pierre Peyroulou 8 vise un but différent.


Il utilise les ressources de la microhistoire et de la monographie, appli-
quées aux événements de Guelma en mai-juin 1945, et considère que
les violences sont un moyen d’étudier le système colonial dans une
de ses dimensions essentielles, le clientélisme politique qui se nourrit
et alimenta en retour les polarisations des deux communautés euro-
péenne et algérienne. (Dans les conditions locales et générales de
1944-1945, il favorisa les radicalisations internes dans chaque commu-
nauté et la violence.) Il montre enfin l’exceptionnelle intensité de la
mobilisation nationaliste qui reposait sur une adhésion collective aux
AML de la ville arabe et des douars et sur les jeunes générations
acquises en bloc au PPA.
La manifestation du 8 mai à Guelma fut d’ailleurs une manifesta-
tion de jeunes gens, encadrés par les jeunes militants et scouts du PPA
qui maîtrisaient d’ailleurs beaucoup plus les codes sociaux et culturels
de la manifestation que les ruraux de la fin du cortège à Sétif, dont la
culture politique ne relevait pas du nationalisme, mais de référents
religieux. C’est ce qui explique en partie qu’il y eut des émeutes à
Sétif le matin du 8 mai, tandis qu’il n’y en eut aucune à Guelma en
fin d’après-midi. Cela prouve que, contrairement à ce que pensait
l’opinion française en Algérie et à ce qu’affirme une certaine histoire
en Algérie, l’option de la violence n’était pas acquise le 8 mai 1945
dans le mouvement national, y compris dans le PPA, qui eut toujours
dans le discours un projet insurrectionnel, mais ne le mit jamais en
pratique, et certainement pas le 8 mai 1945.
Pour être convaincu de ce hiatus entre le discours et la pratique au
sein du PPA, il suffit de suivre l’histoire de l’Organisation spéciale (OS),
une structure paramilitaire qu’accepta de constituer sur l’insistance de
jeunes militants, du bout des lèvres et sans aucun soutien, le PPA-
MTLD, en 1947, comme le dit Gilbert Meynier. Le but était de préparer
une insurrection, mais le projet rencontra l’hostilité de la majorité de
la direction, qui laissa d’ailleurs tomber l’OS en 1950 et 1951. En 1953,
trois ans après l’arrestation d’une partie des militants de l’OS, et alors

8 Elle s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus large : Jean-Pierre PEYROULOU, Guelma,
8 mai 1945. Une subversion européenne dans le département de Constantine, Algérie fran-
çaise. Le système colonial à l’épreuve des réformes politiques et du nationalisme, 3 vol., thèse
de doctorat, EHESS, 2007.

99

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE99 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

que Messali Hadj relançait l’idée d’une insurrection, « la voie du


compromis avec la fraction libérale de la puissance coloniale » faisait
toujours débat au PPA-MTLD, selon Jean-Charles Jauffret. Les partisans
de l’action directe ne l’emportèrent d’ailleurs pas tant après le
1er novembre. L’événement ne donna pas lieu à une communication.
Bien qu’assurément capital dans l’histoire algérienne et française, il
ne constitue plus un aimant polarisant les historiens. Toutefois,

le colloque est resté globalement campé sur la césure du 1er novembre.


Elle marque en effet l’entrée de la revendication nationale dans une
ère nouvelle, de confrontation armée avec la France.
Mais il fallut attendre près d’une année pour que la paysannerie
s’emparât, de gré et de force, de la revendication nationale en atta-
quant à Philippeville (Skikda), à Guelma, à Constantine et à Aïn-
Abid, les 20 et 21 août 1955, des civils français et des membres des
forces de l’ordre, puis en subissant la répression militaire et civile. Cet
événement fit basculer les Algériens du Nord-Constantinois dans la
guerre, les indécis du mouvement national dans l’usage de la violence
et dans le camp du FLN — et les Français, dont Claire Mauss-Copeaux
a recueilli les témoignages, trop meurtris par la violence des insurgés,
comme à El Halia, à l’est de Philippeville, dans la répression à
outrance. Après la phase de formation de la revendication nationale
entre 1919 et 1943, puis celle de mobilisation électorale et celle
d’ouverture sur le monde arabe et maghrébin de 1943 à 1954, et enfin
après la séquence terroriste de 1954 en liaison avec Le Caire, Tunis et
Rabat, et sa suite localisée aux Aurès, la revendication nationale algé-
rienne entrait en août 1955 dans une quatrième phase, cette fois fran-
chement insurrectionnelle et générale.
Recueillant les témoignages d’appelés français « s’arrêt[ant] sur le
seuil de l’indicible », Claire Mauss-Copeaux évoque « cette répression
injuste et barbare dont ils ont été les acteurs. Dirigés par leurs chefs,
ils ont raflé et massacré de nombreux innocents, en toute connais-
sance de cause », comme les soldats et les paysans de Zighout Youssef
le firent à El Halia, près de Philippeville — massacre que Claire Mauss-
Copeaux qualifie de « surévénement » au regard d’une surabondante
mémoire pied-noir. Le jugement d’Albert Camus n’a pas vieilli. Le
28 octobre 1955, il écrivait dans L’Express : « Déjà depuis le 20 août, il
n’y a plus d’innocents en Algérie, sauf ceux, d’où qu’ils viennent, qui

100

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE100 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

meurent. En dehors d’eux, il n’y a que des culpabilités dont la diffé-


rence est que l’une est très ancienne, l’autre toute récente. Telle est
sans doute la loi de l’histoire. Quand l’opprimé prend les armes au
nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice. Mais il peut
avancer plus ou moins et, si telle est la loi de l’histoire, c’est en tout
cas la loi de l’esprit que, sans cesser de réclamer justice pour l’opprimé,
il ne puisse l’approuver dans l’injustice au-delà de certaines limites.
Les massacres de civils, outre qu’ils relancent les forces d’oppression,
dépassent justement ces limites et il est urgent que tous le reconnais-
sent clairement 9. »

Les enjeux et les conflits français

Le basculement de l’opinion française contre la guerre d’Algérie


La guerre d’Algérie fut un phénomène multiforme. Elle divisa
profondément les Français, questionna les fondements de la nation
française, entraîna des crises politiques majeures, un changement de
régime, une crise militaire de premier plan et fut une guerre civile
entre 1960 et 1962 dans les métropoles algériennes (semaine des barri-
cades du 24 janvier au 1er février 1960, putsch des généraux des
22-25 avril 1961, Organisation armée secrète en 1961 et 1962). Les
publications sont nombreuses sur ces questions 10. Le colloque apporte
sur certains points des éclairages confirmant à leur façon une
tendance : l’opinion française, au début favorable à l’Algérie française,
devint progressivement favorable à l’indépendance.
L’évolution fut lente. Elle suivit dans l’ensemble l’inflexion du
général de Gaulle, qui comprit les risques que faisait courir la poursuite

9 Albert CAMUS, Les Raisons de l’adversaire, in Essais, Gallimard, « Bibliothèque de la


Pléiade », Paris, p. 979.
10 Sauf sur l’OAS. Cette dernière a fait davantage l’objet d’études journalistiques et de
récits d’acteurs que de travaux historiques — qu’il n’est pas lieu de citer ici —, faute
d’un accès direct aux sources. En effet, si un assez grand libéralisme règne en matière
d’accès aux archives soumises à dérogation pour la guerre d’Algérie, en particulier
concernant les archives civiles, les demandes de dérogation concernant les documents
relatifs à l’OAS et à la fin de la guerre font encore l’objet de réponses très frileuses, en
particulier de la part des archives militaires et du Quai d’Orsay, ce qui alimente, du
coup, bien des fantasmes et des légendes noires stupides sur cette question.

101

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE101 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

de la guerre, la présence d’une armée politisée et d’une minorité euro-


péenne liée à elle. Ce n’était pas l’avenir de la colonie qui intéressait
les métropolitains, mais la menace potentielle que représentait la
poursuite de la guerre. Quand l’opinion française sentit que la guerre
d’Algérie portait des risques éminents pour l’unité nationale et la paix
même sur le territoire métropolitain, elle devint favorable à l’indépen-
dance de l’Algérie. La question n’était pas pour elle l’Algérie, mais la
France. Aussi la résistance à la guerre d’Algérie fut-elle relativement
modeste.
Bernard Deschamps a suivi l’émergence d’une résistance à la guerre
d’Algérie dans le département du Gard, traditionnellement protestant
et majoritairement de gauche. Le changement d’une opinion indiffé-
rente à une résistance à la guerre s’y est manifesté par l’opposition
des mères au rappel de leurs fils comme militaires en Algérie, par
l’action d’élus, souvent des « anciens résistants d’ascendance céve-
nole », et la présence de mineurs algériens dans le bassin houiller des
Cévennes. Il souligne la figure emblématique de Marc Sagnier, jeune
ouvrier communiste d’Aigues-Mortes, qui écrivit au président de la
République, au mois de mai 1958, « son refus de faire la guerre à un
peuple qui lutte pour son indépendance » et contribua à mobiliser
ainsi l’opinion locale.
Dans une thèse consacrée en 2007 à un aspect de la résistance à la
guerre, l’insoumission, le refus d’obéissance, la désertion, Tramor
Quemeneur conclut sur des chiffres supérieurs aux « estimations
jusqu’ici avancées 11 ». Selon lui, il y eut 10 831 insoumis, 886 déser-
teurs, 420 objecteurs de conscience, soit un total de 12 000 réfractaires
à la guerre sur 1 200 000 appelés qui participèrent à la guerre, ce qui
« porte la désobéissance à 1 % des soldats », une proportion « compa-
rable à d’autres conflits, notamment la guerre du Viêt-nam ». La publi-
cation en 2008 de l’enquête départementale sur la guerre d’Algérie 12
sur le territoire métropolitain apportera certainement des

11 Tramor QUEMENEUR, Une guerre sans « non » ? Insoumissions, refus d’obéissance et déser-
tions de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), thèse de doctorat,
université de Paris-VIII, 2007, vol. 4, p. 1038 (un ouvrage tiré de cette thèse est à
paraître à l’automne 2008, à La Découverte).
12 Dans le cadre de l’IHTP, enquête conduite sous la direction de Raphaëlle Branche et
Sylvie Thénault.

102

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE102 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

informations sur la diversité des formes que prit la résistance à la


guerre dans les régions françaises.
En attendant, il faut s’en remettre aux estimations de l’historien
britannique Martin Evans, qui mena une enquête entre 1989 et 1995
auprès de ceux qui participèrent à ce courant de « résistance » active à
la guerre en s’engageant aux côtés du FLN. Le premier constat qu’il fait
est la difficulté d’en estimer l’importance : près de 4 000 selon Alister
Horne, moins de 500 selon Aline Charby, une estimation probable se
situant entre 500 et 1 000. Faible sur le plan numérique, cette mino-
rité n’en fut pas moins active. La gauche se manifesta surtout en
1961-1962, période marquée par l’éclosion de l’Organisation armée
secrète (OAS).
En France, la sensibilité reste vive sur cette question. Elle oppose,
depuis lors, le Parti communiste français au Front national et, plus
globalement, la gauche et la droite. Martin Evans souligne le fait que
ceux qui s’engagèrent auprès des Algériens en guerre le firent souvent
au nom des idéaux de la Résistance. Pour autant, l’opposition à la
guerre d’Algérie ne peut pas être vue, à travers quelques figures,
comme l’héritière de la Résistance. Faut-il rappeler que des résistants et
des compagnons du général de Gaulle non seulement considérèrent
longtemps l’Algérie comme une terre française, mais aussi rejoignirent
l’OAS ?
Quatre motivations générales apparaissent dans ces entretiens,
selon Martin Evans : « La mémoire et l’importance de la résistance
antinazie, l’impact des idées, l’expérience directe et les motivations
politiques. » La Résistance engendra en effet un code moral transcen-
dant les divisions politiques et les appartenances sociales. Aline
Charby, Gérard Chaliand, Pierre Descheemaeker et Gérard Spitzer,
comme d’autres, affirmèrent leurs convictions face à des appareils poli-
tiques hostiles comme le PCF ou face à des milieux familiaux rétifs.
L’usage de l’expression « résistance française à la guerre d’Algérie » par
Martin Evans, pour évoquer l’engagement aux côtés du FLN dans les
réseaux de « porteurs de valise » par exemple, n’est-elle pas de nature
à entraîner une certaine confusion entre, d’une part, la Résistance
française au nazisme et à l’occupation allemande entre 1940 et 1944
et, d’autre part, l’engagement des hommes et des femmes pendant la
guerre d’indépendance algérienne aux côtés du FLN ? En effet, si la
question du communisme et de la guerre froide constitue bien une

103

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE103 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

première rupture dans la Résistance, la question de la guerre d’Algérie


en représenta une seconde, comme le montre le chemin contraire de
nombreuses trajectoires personnelles.
Toutefois, la question des engagements fut largement déterminée
par la chronologie de la guerre et par les incertitudes que fit planer le
général de Gaulle sur sa politique algérienne.

De Gaulle, entre « Algérie française » et « Algérie algérienne »


La seule force politique hostile à la guerre fut le Parti communiste
français, même s’il fut souvent très timoré. C’est en communistes que
Henri Alleg et Maurice Audin s’engagèrent en faveur de l’indépen-
dance algérienne. Cette attitude ne fut pas celle de Pierre Vidal-
Naquet. L’historien de la Grèce antique s’engagea pour obtenir la
vérité sur la mort de Maurice Audin et contre la torture. C’était au
nom des principes constitutifs de la France, au nom de la justice, que,
en 1958, il fit paraître l’ouvrage sur la mort d’Audin, étranglé par le
lieutenant Charbonnier en 1957. Sa position était celle d’un dreyfu-
sard. C’est pourquoi, quand L’Affaire Audin parut en pleine crise de
mai 1958, Pierre Vidal-Naquet accompagna son démontage de
l’affaire, et plus largement le système des disparitions que produisait la
pratique des assignations à résidence opérée en masse par l’armée et
les pouvoirs civils, par un texte de Jean Jaurès sur l’affaire Dreyfus. Le
parallèle ne tenait pas seulement dans le titre, dans le procès (il y eut
en effet à Rennes un procès trois ans après la mort d’Audin, où compa-
rurent les chefs de la 10e division parachutiste). Audin était mort,
Dreyfus était vivant, la différence est de taille, même si ce dernier resta
longtemps au bagne ; mais les fondements de la République étaient en
jeu dans le cas des deux hommes.
Si la question de l’attitude du général de Gaulle envers l’Algérie a
cessé de passionner les historiens français, elle intéresse toujours les
historiens britanniques et allemands. L’historien britannique Julian
Jackson souligne que les opinions sont encore à ce jour divisées sur ce
que pensait de Gaulle, « prince de l’équivoque » et « maître de l’ambi-
guïté ». Pour les uns, il aurait cru à l’Algérie française ; pour d’autres, il
aurait été convaincu de l’inéluctabilité de l’indépendance. L’opinion
la plus probable est que sa pensée évolua au contact des réalités et des
opportunités. Constatant l’évolution du monde et l’inéluctabilité de la

104

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE104 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

décolonisation, il perçut que l’avenir de la France se jouait en Europe.


La question algérienne représentait un obstacle pour ce grand dessein.
De Gaulle ne crut jamais à l’intégration. Il le dit à son ministre
Alain Peyrefitte en mars 1959 de façon assez croustillante, comme le
rappelle Julian Jackson : « Les musulmans, vous êtes allés les voir ?
Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous
voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’inté-
gration ont une cervelle de colibri. Essayez d’intégrer de l’huile et du
vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront
de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français.
Vous croyez que le corps français peut absorber 10 millions de
musulmans, qui demain seront 20 millions et après-demain 40 ? Si
nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie
étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de
venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement
plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-
Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées 13. »
Ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, qu’on cite Alain Peyre-
fitte citant de Gaulle, mais on ne s’en lasse pas. La séparation de
l’Algérie et de la France ne s’imposa pas au général de Gaulle tout de
suite après son retour au pouvoir. Jusqu’en 1960, il tenta en effet de
trouver une troisième voie, entre l’intégration et l’indépendance : une
association étroite entre l’Algérie et la France, en s’appuyant dans ce
but sur une victoire militaire sur le terrain et sur l’interposition d’une
« troisième force » entre le FLN et le pouvoir français. À partir de 1960,
il admit l’existence d’une « Algérie algérienne » et ouvrit des négocia-
tions au cours desquelles les négociateurs français lâchèrent progressi-
vement les atouts que de Gaulle entendait conserver en Algérie : le
statut des Européens et le Sahara (terre pétrolière et lieu d’expérimen-
tation de l’arme nucléaire française). Il fut impatient d’en finir avec la
question algérienne pour passer à une autre politique, plus ouverte sur
le monde.
Julian Jackson estime que la solution aurait pu intervenir plus tôt
et épargner quatre années de guerre. Il n’est pas le seul, mais on ne
refait pas l’histoire. Selon lui, l’argument de la pédagogie nécessaire
pour faire admettre aux Français l’indépendance de l’Algérie n’est

13 Alain PEYREFITTE, C’était De Gaulle, Éditions de Fallois/Fayard, Paris, 1994.

105

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE105 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

guère valable pour expliquer les petits pas du général de Gaulle.


L’opinion métropolitaine était acquise à cette solution dès le mois de
février 1959. Quant aux pieds-noirs et à l’armée, jamais ils ne le furent.
Comme en 1940, le génie du Général fut dans cette affaire de trans-
former une défaite dans les faits en une victoire dans les mots, en
ouvrant à son pays de nouveaux horizons en Europe et dans les rela-
tions internationales : politique d’indépendance nationale par rapport
aux États-Unis, amélioration des relations avec l’URSS et la Chine,
retour en grâce de la France auprès des pays arabes.
La question du Sahara entre 1957 et 1962 est certainement un bon
poste d’observation de la politique française en Algérie à la fin des
années 1950 et au début des années 1960, à un moment où les
économies occidentales commençaient à tourner au tout-pétrole. Le
pétrole fut découvert au Sahara en 1956. En janvier 1957 fut créée
l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) pour le déve-
loppement économique et la promotion sociale de cette région, orga-
nisée en deux départements français en 1957. Des investissements
intensifs furent réalisés. Quand il fut acquis à l’idée d’une Algérie indé-
pendante au printemps 1961, de Gaulle espéra encore ménager un
statut spécial pour le Sahara pour des raisons à la fois énergétiques et
militaires, en particulier atomiques, un objectif difficile à défendre
dans les négociations avec le FLN qui considérait le territoire de
l’Algérie comme indivis.
Après quelques garanties, de Gaulle renonça à en faire trop long-
temps une pomme de discorde entre le FLN et la France. L’enjeu de la
maîtrise des ressources énergétiques sahariennes ne faisait pas l’unani-
mité. De prétendus experts brillaient par leur lucidité. Gavés de
« cartiérisme » (l’idéologie simpliste promue par le journaliste
Raymond Cartier), ils prédisaient : « Dans dix ans, le Sahara conti-
nuera à coûter plus cher qu’il ne rapportera », rapporte Frédéric
Médard. Mais de Gaulle se moquait des experts et des spécialistes qui
savent tout mais ne comprennent rien. L’OCRS disparut logiquement
lors de l’indépendance de l’Algérie ; les hydrocarbures prospérèrent au
point de représenter la quasi-totalité de la valeur des exportations
algériennes.
La guerre d’Algérie marque une rupture historique en France : d’un
côté, la fin du rêve impérial né au XIXe siècle, la consécration d’une
France au rang de puissance moyenne, mais aussi, de l’autre côté, la

106

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE106 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

modernisation économique et sociale, l’accélération de la croissance


économique, l’intégration européenne et la possibilité d’améliorer
après 1962 sa politique arabe et de prendre ses distances avec les
États-Unis dans le cadre du bloc occidental. La France ne perdit donc
pas au change.
L’historien allemand Frank Renken s’est intéressé aux aspects inté-
rieurs de la guerre. Elle conduisit le pays au bord de la guerre civile.
Cette guerre déniée par le pouvoir fut omniprésente dans la société.
Renken estime que l’« amnésie personnelle devenue collective » fut le
« résultat d’une stratégie inspirée par des raisons politico-idéolo-
giques » et non le « produit d’une succession de traumatismes indivi-
duels » face à un tabou décrété par le pouvoir. La défaite en Algérie
déchira le gaullisme. Selon Frank Renken, il ne put se reconstituer, dès
la crise de mai 1958, que sur la base du culte fondateur du de Gaulle
de 1940. Quant à la gauche (PCF et SFIO), la défaillance de sa politique
la conduisit à se réfugier dans le mutisme sur ce sujet après 1958.
La crise algérienne affecta tous les groupes socioculturels. Ils y
réagirent à partir de leurs intérêts, de leur culture politique, mais aussi
de l’expérience du traumatisme que constitua dans l’armée la défaite
de Diên Biên Phu et la perte de l’Indochine en 1954. Alain Ruscio en
étudie trois groupes qui furent au premier plan : les hommes poli-
tiques, les militaires, les intellectuels français, de la guerre d’Indo-
chine à la guerre d’Algérie. La guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie
présentent de nombreux points communs. La première se termina en
1954, quand la seconde commença. Les politiques qui les conduisi-
rent, les militaires qui les menèrent, les intellectuels qui les commen-
tèrent furent les mêmes et souvent se situèrent sur les mêmes
positions : approbation ou réprobation. D’où la question : quelles
leçons a-t-on tirées de la première pour juger de la seconde ? L’expé-
rience de l’Indochine a-t-elle permis de mieux comprendre l’explosion
algérienne ? Oui, si l’on considère l’intensité des débats ; non, si l’on
envisage les pratiques, estime Alain Ruscio, qui écrit : « La guerre fran-
çaise d’Indochine a peut-être été une répétition générale de la guerre
d’Algérie. Si l’on retient cette expression, il faut alors convenir que les
Français n’étaient pas tout à fait prêts pour la première… »

107

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE107 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Les enjeux et les conflits internationaux

L’ambiguïté du jeu de la République fédérale d’Allemagne


Si la guerre d’indépendance fut gagnée par le FLN, ce ne fut pas sur
le plan militaire. Au lendemain du plan Challe, en 1960, les maquis
de l’ALN ne constituaient plus une force. L’armée française, à la suite
de la politique de regroupements et de zones interdites, contrôlait la
plus grande partie de la population algérienne. Au Maroc et en
Tunisie, en revanche, l’ALN des frontières augmentait sa puissance
dans la perspective d’entrer en Algérie une fois l’indépendance
acquise. Cette dernière fut le résultat de l’action politique et diploma-
tique du FLN dans le monde, qui élargit progressivement le cercle des
soutiens : les pays arabes, puis les pays asiatiques récemment indépen-
dants et les pays d’Amérique latine, ensuite les pays socialistes et,
enfin, les pays occidentaux. En retour, la question algérienne
compliqua souvent les relations diplomatiques entre la France et ces
pays. Le colloque en a donné deux exemples de nature différente.
Le premier concerne les relations à ce sujet de la République fédé-
rale d’Allemagne (RFA) avec son principal partenaire dans la construc-
tion européenne, la France. C’est à partir de l’étude de certaines
archives diplomatiques que Nassima Bougherara-Souidi s’est intéressée
à l’impact de la question algérienne sur ces relations. À la différence
de la documentation diplomatique habituelle, ces archives transmet-
tent un réel « du clandestin et de l’officieux » et une histoire parallèle
à l’histoire officielle.
La guerre d’Algérie plaça l’Allemagne fédérale dans une position
difficile. Elle fut prise en étau entre l’alliance franco-allemande et ses
exigences nationales propres. Même si l’Allemagne considérait la poli-
tique algérienne de la France dépassée comme toute situation colo-
niale et nocive à l’élaboration d’une politique européenne, son
ancrage dans le bloc atlantique et son alliance avec la France l’empê-
chaient de l’affirmer. Cette alliance était en effet le pilier de la recons-
truction allemande. Elle se doublait de quelques intérêts communs,
tels que la mise en œuvre du nucléaire au Sahara (Reggane). Mais
l’Allemagne fédérale devait en même temps faire face à la République
démocratique allemande (RDA). Depuis 1955, sa politique, résumée
dans la doctrine Hallstein, visait prioritairement sa réunification et

108

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE108 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

donc sa reconnaissance comme la seule représentante de l’Allemagne.


Elle devait par conséquent empêcher toute reconnaissance diploma-
tique de la RDA par d’autres pays, tels les pays africains ou arabes qui
auraient pu être sensibles à une politique colonialiste. Cette double
exigence contraignit l’Allemagne de l’Ouest à adopter une politique
prudente et ambiguë durant toute la guerre d’Algérie, que résument
parfaitement les propos tenus par le chancelier chrétien-démocrate
Konrad Adenauer au député social-démocrate Hans-Jürgen Wisch-
neswski, qui menait avec le FLN une diplomatie parallèle : « Je sais que
vous avez des amis algériens. Sachez une chose : je ne les aiderai pas,
mais je ne les gênerai pas. Pourvu qu’il n’y ait pas d’attentats et surtout
qu’ils soient discrets avec leurs valises. »
De cette injonction contradictoire, l’Allemagne s’est sortie par
différents procédés. L’un fut de jouer sur la distinction entre la poli-
tique fédérale et celle des Länder : les aides apportées par ceux-ci au
FLN ne dépendaient pas en principe des autorités fédérales ; elles
pouvaient s’en démarquer en prétextant leur impossibilité d’y inter-
venir. Une autre échappatoire fut fournie par la distinction entre
initiative privée et action publique. L’industrie allemande en pleine
expansion développait ses marchés, y compris ses marchés d’armes,
en toute indépendance du pouvoir fédéral. Mais, à partir de 1958, le
Parti social-démocrate allemand (SPD) soulagea les autorités fédérales
de l’inconfort de leur situation. L’action pro-FLN du SPD, parti se
situant dans l’opposition à la démocratie chrétienne au pouvoir à
Bonn, n’engageait pas officiellement la RFA. Ce fut ainsi une véritable
« politique extérieure parallèle et complémentaire » que développa le
député Hans-Jürgen Wischnewski. Il se posa en interlocuteur « officiel-
lement officieux », pour reprendre sa formule, du FLN et du GPRA, ce
qui permit à l’Allemagne d’occuper une position privilégiée auprès de
l’Algérie.
En Europe, plusieurs pays aidèrent le FLN, notamment la Suisse et
la Belgique. Mais l’Allemagne fédérale devint rapidement pour le FLN
un véritable sanctuaire, où ses agents pouvaient séjourner en toute
sécurité, une base logistique où ses fonds pouvaient transiter librement
et d’où des livraisons d’armes, par des voies détournées, pouvaient être
acheminées.
Ce soutien, bien connu des services secrets français, engendra des
tensions officielles entre la France et l’Allemagne : protestations

109

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE109 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

officielles, demandes d’explication, pressions diplomatiques, relations


dans lesquelles le conseiller aux Affaires françaises et secrétaire d’État
Paul Frank joua un rôle décisif.
Derrière cette scène officielle, des affrontements plus directs se
produisirent. Face à l’aide importante fournie au FLN par une Alle-
magne qui feignait de l’ignorer, des actions furent engagées par le
contre-espionnage français, sur lesquelles on mit l’étiquette d’un
prétendu groupe extrémiste civil, la « Main rouge » (une pure création
du SDECE), mais aussi par des agents, attachés militaires dans les
services diplomatiques, tel le colonel Marcel Mercier en Suisse.
Plusieurs attentats visèrent des livraisons d’armes. Des « neutralisa-
tions » de personnalités algériennes furent mises en œuvre, y compris
sur le territoire de la RFA : l’assassinat de Me Mohammed Ameziane
Aït-Ahcène, en novembre 1958, dans lequel fut impliqué le directeur
de la Sûreté nationale, provoqua des protestations officielles. Une
autre mesure fortement décriée fut l’arraisonnement de navires alle-
mands par la marine française pour intercepter des livraisons d’armes.
Ces actions trouvaient un appui dans le personnel politique français
attaché à l’Algérie française, en particulier auprès de Michel Debré, le
Premier ministre du général de Gaulle.
L’action du SPD en faveur du FLN traduisit le sentiment d’une
grande partie de l’opinion allemande acquise à la cause algérienne :
Jeunes socialistes, syndicats, Églises, associations caritatives, mouve-
ments d’étudiants, soutenus par les médias. Le personnage clé de ces
actions fut le social-démocrate Hans-Jürgen Wischnewski, membre du
SPD depuis 1946, député au Bundestag depuis 1957, secrétaire du puis-
sant syndicat IG Metall, président fédéral des Jeunes socialistes, prési-
dent du SPD de Cologne.
L’Allemagne devint progressivement une terre d’accueil et de
transit pour les militants algériens et une base arrière pour leur action.
Dès 1957, deux dirigeants du FLN, Ahmed Francis, expulsé de
Belgique, et Abderrahmane Kiouane, y trouvèrent refuge. Des motions
du SPD favorables à la cause algérienne furent transmises en 1958 au
gouvernement fédéral. À Cologne, en 1958, le Comité de la Fédéra-
tion de France du FLN put se réunir durant une semaine avec les chefs
de wilâya(s). Un « cercle de travail des amis de l’Algérie » publia et
diffusa largement un « Mémorandum du Gouvernement provisoire de
la République algérienne ». Des délégations du syndicat algérien,

110

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE110 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

l’UGTA, s’installèrent à Cologne et à Düsseldorf, tandis que, à Bonn,


une représentation du FLN bénéficia de la couverture de la mission
diplomatique tunisienne. À Cologne, Hans-Jürgen Wischnewski,
protégé par son immunité parlementaire, créa avec l’aide des syndicats
un bureau d’aide aux réfugiés algériens. Il organisa dans les locaux du
SPD une rencontre entre l’ambassadeur du GPRA et les représentants
du FLN en Europe, tandis que son compte bancaire servit de dépôt de
fonds. En échange, il obtint du FLN que le GPRA ne reconnût pas la
RDA, et défendit cette cause auprès du conseiller aux Affaires fran-
çaises Paul Frank.
L’évolution de la politique française face à la revendication de
l’indépendance algérienne a renforcé la coopération algéro-allemande.
Des membres de la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate d’Alle-
magne-Union chrétienne-sociale) et du SPD agirent de concert dans
l’intérêt de l’État allemand. Hans-Jürgen Wischnewski dirigea la délé-
gation allemande, à Alger, le 3 juillet 1962. Il rencontra Ben Bella en
novembre 1963. Le champion allemand de la cause algérienne assura
à la RFA que l’Algérie ne reconnaîtrait pas la RDA et obtint pour son
pays une place privilégiée auprès du nouvel État algérien.

Les « démocraties populaires » et la question algérienne

Le second apport du colloque sur les enjeux internationaux, dû à


László Nagy, porte sur la position face à la guerre d’indépendance algé-
rienne des « démocraties populaires » du bloc de l’Est, en particulier
de la Hongrie. Dans leur attitude vis-à-vis de la question algérienne,
les pays de l’Est furent d’abord déterminés par la position de l’URSS.
D’abord hostile à toute forme de nationalisme, Moscou adopta à partir
du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS),
en février 1956, une position de soutien aux mouvements de libéra-
tion nationale. Cette politique avait plusieurs avantages pour Nikita
Khrouchtchev. Elle n’était pas contradictoire avec la politique de
coexistence pacifique telle qu’elle était définie en 1956 par le chef de
l’URSS, puisque les États-Unis n’avaient pas de colonies. Elle permet-
tait de donner des gages à une partie de la bureaucratie soviétique, qui
voyait d’un mauvais œil la nouvelle politique de Khrouchtchev et qui
finit d’ailleurs par l’écarter en 1964. Enfin, elle était de nature à mettre

111

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE111 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

en difficulté les puissances impériales alliées des États-Unis. C’est dans


ce contexte que l’on peut comprendre la politique de la Hongrie.
Le soutien de la Hongrie à l’émancipation du Maghreb se manifesta
dès le 28 mai 1954, date de la première émission de Radio Budapest
en direction du Maghreb, « La voix de l’indépendance nationale et de
la paix ». Comme « La voix des Arabes » du Caire, cette émission en
langue arabe diffusait des informations sur les luttes armées dans les
trois pays du Maghreb. Sa création revint en partie aux communistes
maghrébins, notamment à William Sportisse, l’un des dirigeants du
Parti communiste algérien. Les négociations furent menées avec le
Parti communiste hongrois, par l’intermédiaire du PCF. La décision
fut prise à Moscou. Les informations étaient transmises par le PCF à
la légation de Hongrie à Paris, qui les acheminait à Budapest où elles
étaient traduites en arabe dialectal et diffusées le lendemain matin.
L’émission comportait trois tranches de trente minutes, très suivies au
Maghreb.
À partir de novembre 1954, les autorités françaises s’émurent de
cette propagande. En février 1955, une protestation officielle fut trans-
mise au ministère hongrois des Affaires étrangères. Les pressions fran-
çaises et, en particulier, la menace de refuser l’entrée de la Hongrie à
l’ONU aboutirent en octobre 1955 à la suppression de l’émission.
L’équipe de rédaction, dirigée par William Sportisse, quitta la Hongrie
en décembre 1955 pour rallier l’action clandestine en Algérie.
Outre la redéfinition de la politique soviétique envers les États-Unis
dans le sens de la coexistence pacifique, l’année 1956 fut marquée par
deux crises majeures : la guerre de Suez et l’insurrection de Budapest.
Le rôle de l’URSS dans l’interruption de l’opération franco-britan-
nique de Suez impressionna favorablement le FLN, bien que ce pays
n’eût pas encore pris position en faveur de l’indépendance algé-
rienne. Cherchant le soutien de Moscou, le FLN ne réagit pas à l’écra-
sement de l’insurrection de Budapest par l’Armée rouge, à la différence
du président tunisien Bourguiba, qui condamna la répression sovié-
tique et participa au Comité des cinq constitué par l’ONU pour
enquêter sur ces événements. Après l’élimination de Imre Nagy et la
« normalisation » du pays, le nouveau gouvernement hongrois imposé
par Moscou adopta, comme les autres pays de l’Est, une position favo-
rable à l’indépendance algérienne dans les débats de l’ONU. À partir de
1958, il organisa une aide matérielle aux Algériens réfugiés en Tunisie

112

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE112 (P01 ,NOIR)


La question nationale algérienne : enjeux et conflits

et au Maroc par l’intermédiaire de la Croix-Rouge hongroise. Moscou


fit ainsi jouer par Budapest le rôle qu’il hésitait à afficher ouvertement.
Le 19 septembre 1958, la constitution du GPRA mit les pays
communistes dans l’embarras. Dès le 20 septembre, le ministre
français des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, avertit que
la reconnaissance du GPRA entraînerait la rupture des relations diplo-
matiques avec la France. De ce fait, ni l’URSS ni les démocraties popu-
laires, à la différence des pays socialistes asiatiques, ne le reconnurent.
Au demeurant, ces pays entretinrent de bonnes relations avec le FLN.
Il considéra d’ailleurs cette attitude comme une reconnaissance de
facto du GPRA. Les démocraties populaires apportèrent au FLN une
aide régulière, essentiellement humanitaire et culturelle dans le cas de
la Hongrie. Toutefois, la contribution des pays de l’Est et de l’URSS
s’arrêta là.
La communication de László Nagy montre en somme une diplo-
matie soviétique prudente envers l’Algérie. L’URSS ne reconnut le
GPRA qu’à l’ouverture de la conférence d’Évian, le 7 mars 1962. En
somme, à peine trois mois avant la France elle-même ! Entre la France
ayant acquis la bombe atomique et un hypothétique GPRA, la poli-
tique étrangère de l’URSS fut réaliste et conforme à ses intérêts. Elle ne
fut finalement pas si différente de celle des États-Unis, qui ménagè-
rent sur le fond leur allié français, même s’ils purent à certains
moments tenter d’influencer la France dans ses affaires algériennes au
nom de l’efficacité de l’Alliance atlantique, tandis que l’URSS cher-
chait à l’affaiblir.
Ces travaux s’ajoutent à ceux dont nous disposons déjà sur les rela-
tions des grands pays avec la France sur cette question algérienne.
Nous avons une certaine connaissance à ce sujet sur les pays occiden-
taux, les pays socialistes, les deux autres pays maghrébins et l’Égypte.
Mais ces questions restent pensées dans le cadre du schéma bipolaire
de la guerre froide, dans une perspective Est-Ouest. Concernant les
pays asiatiques et la majorité des pays arabes, les connaissances sont
maigres et inexistantes pour des raisons bien comprises (langue,
intérêt pour ce sujet, accès aux sources). Or le décentrement des
problématiques apporte de l’air dans une histoire franco-algérienne
confinée. Si l’on sait que l’Algérie acquit l’indépendance davantage
grâce à l’action diplomatique du FLN qu’à la lutte armée, il nous
manque en revanche un travail qui s’attacherait à montrer ce que la

113

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE113 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

guerre d’Algérie et l’accès de ce pays à l’indépendance changèrent dans


les rapports Nord-Sud. La guerre eut un très grand retentissement chez
les peuples du Sud ; le combat des Algériens apparut comme héroïque,
Alger devint rapidement après 1962 l’une des capitales politiques du
tiers monde, avec Delhi, Le Caire et La Havane. L’Algérie joua, sur le
plan du passage d’une logique Est-Ouest à une logique Nord-Sud et sur
le réveil de l’islam comme force politique des peuples musulmans du
Sud, un rôle qu’il conviendrait d’apprécier plus finement.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE114 (P01 ,NOIR)


4
La guerre d’indépendance des Algériens

Gilbert Meynier et Guy Pervillé

L e colloque a présenté un très grand nombre de communica-


tions, dont ce chapitre présente un échantillon consacré à la
guerre de 1954-1962. Les unes complètent des recherches passées déjà
importantes, ou les résument, alors que d’autres présentent la synthèse
d’une enquête nouvelle, déjà publiée ou encore en cours. Toutes
s’inscrivent dans une historiographie déjà abondante et riche, dont
nous avons tenté de retracer l’évolution et les apports dans plusieurs
essais de synthèse, notamment l’article de Guy Pervillé, « L’historio-
graphie de la guerre d’Algérie en France, entre mémoire et histoire 1 »,
et la bibliographie très complète publiée par Gilbert Meynier dans son
Histoire intérieure du FLN 2.

1 Guy PERVILLÉ, « L’historiographie de la guerre d’Algérie en France, entre mémoire et


histoire », Historiens et Géographes, nº 388, octobre 2004, p. 225-236. Cet article fait
partie d’un dossier sur la guerre d’Algérie présenté par Jean-Charles Jauffret. Cf. les
contributions de Guy Pervillé et les références du dossier sur le site Web <http/
/guy.perville.free.fr>.
2 Gilbert MEYNIER, Histoire intérieure du FLN, Fayard, Paris, 2002, p. 747-774, commenté
dans son introduction au livre de Hartmut ELSENHANS, La Guerre d’Algérie 1954-1962. La
transition d’une France à l’autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud, Paris,
1999.

115

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE115 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Les sujets traités dans ce groupe de communications se rangent en


plusieurs ensembles cohérents. D’abord la Fédération de France du
FLN, abordée par Mohammed Harbi sous l’angle de la microhistoire,
et par Jim House et Neil MacMaster dans tous les aspects de son affron-
tement avec la Préfecture de police de Paris. Puis la guerre d’indépen-
dance menée par le FLN en Algérie, qui est étudiée par Dalila
Aït-El-Djoudi dans le cadre de la wilâya 3 (Kabylie), par Ouanassa Siari-

Rouina (Oran) 3. Et trois aspects de la guerre de reconquête coloniale


française, présentés par André-Paul Comor (le haut commandement),
Michel Cornaton (les camps de regroupement) et François-Xavier
Hautreux (les harkis). Enfin, d’autres sujets sont traités d’une manière
plus originale. Deux études sur les femmes dans l’ALN ou dans la
guerre, l’une menée suivant la méthode historique par Ryme Seferd-
jeli, l’autre d’une manière plus littéraire, en combinant des témoi-
gnages, des travaux historiques (notamment ceux de Djamila Danièle
Amrane Minne) et des romans, par Zineb Ali-Benali. Et deux autres
études portant sur la mémoire de la guerre, l’une à partir des œuvres
littéraires algériennes francophones par Charles Bonn, et l’autre
combinant la recherche sociologique et l’utilisation de sources de
presse par Abdelhafid Hammouche. Ainsi, ces travaux sont en majorité
des recherches historiques utilisant, comme il est aujourd’hui habi-
tuel, des sources écrites (archives et publications) et des sources orales
en proportions variables suivant les sujets. Seules les trois dernières se
distinguent nettement par l’originalité de leurs démarches.
Le colloque de Lyon a fait le point sur plusieurs aspects de la guerre
de 1954-1962 : guerre de reconquête coloniale politiquement perdue
versus guerre de libération nationale. Truisme : une guerre, ce sont deux
camps affrontés. Cela est envisagé dans des perspectives souvent neuves
(première partie de ce chapitre). Mais des faits s’insèrent qui témoignent
conjoncturellement de la complexité des intrigues (deuxième partie).
Existèrent aussi des acteurs qui ne firent pas bon ménage avec la dicho-
tomie visible. Il fut des Français pour se définir hors du franco-colonial.

3 Une étude comparée des six wilâya(s) a été présentée par Gilbert Meynier dans sa
communication au colloque Militaires et guérillas dans la guerre d’Algérie (Jean-Charles
JAUFFRET et Maurice VAÏSSE (dir.), Complexe, Bruxelles, 2001, p. 151-173) et dans son
livre Histoire intérieure du FLN, op. cit., 2002, p. 383-390.

116

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE116 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

Et des Algériens furent aussi mus par des logiques autres que coloniales
ou anticoloniales, qui ressortissent à la longue durée (troisième partie).
Enfin, la guerre n’exista, post bellum, que dans les représentations qui en
furent construites (quatrième partie).

La guerre : deux camps affrontés

La guerre de l’ALN : le colonialisme, l’ennemi intime


Pour Dalila Aït-El-Djoudi analysant la wilâya 3 (W 3) (Kabylie),
l’affrontement avec la France coloniale est le quotidien de l’Armée de
libération nationale (ALN). Elle veut harceler l’ennemi, l’apeurer, le
démoraliser ; et aussi le « désendoctriner » par la guerre psychologique.
D’où le rappel des valeurs et de l’honneur de la France, la titillation de
la mauvaise conscience humanitaire des soldats, l’insistance sur
l’absence d’êtres chers, l’exaltation de la quille, l’auto-exaltation
(« Nous sommes partout ! »), l’exploitation de photos de villages
incendiés, de vols de bétail, de viols ; parfois le discrédit : les bidasses
sont représentés comme des « soldats parfumés », des « soldats
femmes ». Mais diverses sont les situations et les politiques conduites.
L’ALN n’a, pour les prisonniers, ni les moyens d’une structure carcérale
ni une réglementation homogène. Non sans des contradictions que
l’on retrouve aussi du côté français, les junûd sont ici exhortés à traiter
humainement les prisonniers pour amadouer l’opinion publique inter-
nationale, mais aussi invités à pratiquer la loi du talion. En W 3, il y eut
des exécutions après jugement par un tribunal militaire, des mises à
mort de harkis et de légionnaires. Côté français, officiellement pas de
guerre, donc pas de prisonniers de guerre, mais des centres de tri et de
transit. Pour les Algériens, un point sensible est le traitement de leurs
compatriotes prisonniers et morts. D’où, parfois, des directives huma-
nitaires, mais une pratique qui l’est souvent peu. Des prisonniers sont
tués en représailles, d’autres libérés, apprêtés pour être présentables.
Dans l’Aurès-Nememcha (W 1), qu’étudie Ouanassa Siari-Tengour
pour la période 1954-1956, c’est la mobilisation armée dans une situa-
tion plombée par l’ampleur des « nettoyages » de l’armée française. La
vie des maquis dépend des aléas d’une guerre que, selon les modèles
décalés de Lyautey, le général Parlange tente d’adapter in situ. Les

117

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE117 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

premiers maquisards provenaient du PPA-MTLD, mais pas forcément de


l’OS 4. L’éclatement, à l’été 1954, du PPA-MTLD fit place au FLN, qui
l’emporta sur le MNA messaliste rival. Sous l’égide du FLN-ALN, malgré
les consignes du congrès du FLN de la Soummam (août 1956), la
consommation de tabac fut maintes fois sanctionnée par l’ablation du
nez des fumeurs.
Ces injonctions « nationales » furent promulguées par deux chefs :
Mostefa Ben Boulaïd, un des neuf « chefs historiques » du FLN, arrêté
en février 1955, évadé en novembre et tué par un poste de radio piégé
abandonné par les Français en mars 1956 ; et Bachir Chihani, de février à
octobre 1955. On essaya à l’ALN de taire la mort de Ben Boulaïd. Mais sa
disparition favorisa en W 1 le chaos entre seigneurs de la guerre rivaux.
La répression française, conduite par le général Ducournau, fut la toile
de fond de ces drames fratricides ; cela dans le contexte des pouvoirs
spéciaux obtenus par Guy Mollet le 12 mars.
La guerre marqua aussi Oran, analysé par Karim Rouina. Début
1956, des manifestations inspirées par le FLN furent organisées face aux
pieds-noirs protestant contre la nomination, pour succéder à Jacques
Soustelle, du général Georges Catroux. Au printemps, l’Oranie
s’embrasa ; une reprise en main suivit : postes de garde, zone de protec-
tion autour de l’aéroport, luttes contre les incendies de dépôts d’alfa et
de crin. Mais les outils de production furent généralement épargnés.
À partir de l’été, la terreur, instaurée par l’exécution des « traîtres »
— élus algériens notamment —, voulut secouer la léthargie des frères.
Des Européens et des Juifs furent aussi abattus. Les sabotages des dépôts
d’armes et d’essence et des conduites d’eau alimentant la ville créèrent
une psychose. Pourtant, par comparaison avec d’autres régions
d’Algérie, l’Oranie des plaines et des villes resta plutôt tranquille : la
transition par Oran des armes destinées au FLN requérait le calme.
Furent interdits l’alcool, les cigarettes, les jeux et les fêtes religieuses.
Des mutilations furent prescrites pour subjuguer les Algériens. Des lieux
publics furent la cible d’attentats. La peur et l’insécurité s’installèrent.
Les armes utilisées : pistolets, bombes artisanales, grenades, armes
blanches. Les attentats étaient surtout organisés le samedi — l’attention
s’y relâchait — après surveillance et guet. Les violences diminuèrent en
1957, dès lors que l’autorité du FLN fut mieux établie.

4 Organisation spéciale : structure paramilitaire du MTLD.

118

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE118 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

L’organisation fut très tôt à la fois horizontale — géographique —


et verticale — selon la fonction. Les zones recoupaient celles du dispo-
sitif militaire français. Oran relevait de la 544 (W 5, zone 4, région 4).
En 1962, il y eut une zone autonome d’Oran, calquée sur celle d’Alger.
Des refuges étaient aménagés. Les réseaux cherchaient appui dans des
secteurs réputés à gauche comme les chemins de fer. Ils étaient réguliè-
rement démantelés — ceux des fidâ’iyyûn 5 ne duraient pas plus de
trois mois — puis recomposés. Pour prix de leur engagement, le FLN
délivrait des bons (bayânât) aux fidâ’iyyûn, réputés pour leur héroïsme.
Être fida’iyy, c’était être croyant — la ferveur patriotique valait foi —
et aussi d’origine populaire. L’affrontement tranché entre deux camps
ennemis se retrouve en France.

La guerre et la répression en France : l’occultation officielle


Jim House et Neil MacMaster font un bilan du 17 octobre 1961 à
Paris 6. Pourquoi une telle violence, et pourquoi son enfouissement si
longtemps après les faits ? Pourquoi les résurgences de mémoires
depuis les années 1970, puis l’histoire offensive militante (Jean-Luc
Einaudi 7) contre l’histoire défensive positiviste (Jean-Paul Brunet 8) ?
Le nombre des victimes — ni les archives ni les témoignages ne
peuvent fournir de bilan chiffré global — est aujourd’hui une problé-
matique à dépasser : quid du système répressif et des stratégies d’occul-
tation, quid de l’amont et de l’aval du 17 octobre ? De la répression, des
antécédents marquent les liens colonie-métropole, qui aboutissent au
paroxysme d’une violence anti-algérienne, selon un système de terreur
d’État non réductible en soi au système colonial, mais dont la théorie
postcoloniale énonce qu’il est rationalisé dans ce système : il y aurait,
dans cette optique, prévalence d’oppositions binaires essentielles entre
colonisateur et colonisé, ayant survécu intemporellement aux indé-
pendances. Il est vrai que des modèles répressifs ont fleuri en colonie,
aptes à être utilisés ailleurs, et vice versa (cf. l’itinéraire d’un Papon).
L’Algérie, au XIXe siècle, avait connu la responsabilité et les représailles

5 Volontaires se sacrifiant pour commettre les attentats.


6 Voir également la traduction de leur livre : Jim HOUSE et Neil MACMASTER, Paris 1961.
Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, Paris, 2008.
7 Jean-Luc EINAUDI, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961, essai, Média-Plus, Paris, 1994.
8 Jean-Paul BRUNET, Police contre FLN. Le drame d’octobre 1961, Flammarion, Paris, 1999.

119

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE119 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

collectives, le Maroc du milieu du XXe, la lutte en milieu urbain, le


Kenya et l’Indochine, la guerre « révolutionnaire ».
Mais métropole n’est pas colonie : le contexte juridique est diffé-
rent, l’opinion publique moins hostile aux Algériens. Il y eut aussi
des différences entre Paris et hors de Paris, des distorsions entre déci-
deurs — le garde des Sceaux Michelet face au Premier ministre Debré,
le parquet face à la police judicaire — et des tensions au sein de la
Préfecture de police. Les années 1950 virent un apogée répressif sur
fond de décolonisation violente, qui dépassa le cadre colonial,
nonobstant la continuité de savoir-faire policier (fichages, procédures
de surveillance). L’impératif de maintien de l’ordre aboutit à
Charonne, « massacre non planifié » 9, mais possible quel que soit le
régime politique.
Il existe aussi une pratique rodée d’occultation officielle : informa-
tions judiciaires contre X, destruction de documents compromet-
tants, commissions d’enquête de diversion, diffusion de versions
mensongères manipulant l’opinion, criminalisation de la protesta-
tion, autocensure de la presse. Dans les documents s’étale un discours
d’autorité, du gouvernement, de parlementaires et d’une bonne partie
de la presse. Systématique fut l’occultation des responsabilités. Jim
House et Neil MacMaster proposent un éclairage comparatiste (cas
britannique, portugais) sur la violence d’État et le transfert du
personnel des colonies vers la métropole. En France, la police fut peu
touchée, à la différence de l’action sociale en charge des bidonvilles. Il
reste des zones d’ombre : quid des tensions entre de Gaulle et Debré,
pour peu que ces tensions aient été déterminantes ? Toujours est-il que
la fracture essentielle de la guerre fut marquée par nombre de points
aveugles des histoires nationales.

Parmi les oubliés de l’histoire : camps de regroupement et harkis


Les camps de regroupement, examinés par Michel Cornaton,
proviennent des « zones d’insécurité » de l’Aurès de 1954-1955 : pour
isoler les « rebelles », un quadrillage systématique fut conçu, on multi-
plia les postes militaires. Puis ce furent les « zones interdites », d’où les

9 Alain DEWERPE, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État,
Gallimard, Paris, 2006.

120

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE120 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

populations furent évacuées une fois leurs mechtas incendiées. Elles


furent entassées dans des gourbis précaires au pied des massifs, leurs
troupeaux vendus. La misère fut terrible. De 1955 à 1957, les zones
interdites furent étendues à toute l’Algérie. L’ALN les occupait mais
descendait souvent la nuit dans les piedmonts où les déplacés étaient
pris entre deux feux. À partir de 1957, le commandement français
voulut reconquérir, non le terrain, mais les populations, à la maoïste,
afin que les maquisards ne se sentent plus comme des poissons dans
l’eau, pour les affamer et les soustraire à leur société. Pour cela, il fallait
les regrouper afin d’en faire la « pâte à modeler des officines d’action
psychologique ».
Les premiers camps de l’Aurès datent du général Parlange (1955).
Muni de pouvoirs exceptionnels, il maintint les zones interdites, mais
en se préoccupant du sort des habitants, dans un processus de
conquête des âmes à la Lyautey : des centres d’accueil étaient prévus.
Pourtant, les regroupements d’après 1957 eurent assez peu à voir avec
ses conceptions. 1957-1958 voit la mise en place des barrages fronta-
liers ; 1959, l’offensive Challe. Maquisards et paysans sont souvent
torturés et abattus sans discernement. Ratissages meurtriers et calcina-
tions de mechtas multiplient les regroupements de la misère. Pour-
tant, en novembre 1959, le délégué général Paul Delouvrier créa un
organisme d’inspection, confié à Parlange, corrélé avec l’encadrement
paternalisé des sections d’administration spécialisée (SAS). Le juriste
militant du FLN Mohamed Bedjaoui, lui, dénonce le « génocide », la
« déportation », l’« univers concentrationnaire hallucinant ».
Michel Cornaton réfute l’image avancée par Paul Delouvrier des
camps de regroupement « châteaux forts » protecteurs, refuges pour
les populations : la grande majorité fut regroupée sous la contrainte.
À la suite de Sylvie Thénault 10, il distingue les cas où les villageois
furent expulsés à la hâte au cours d’opérations de « nettoyage » d’une
zone, puis livrés à eux-mêmes sans relogement ni moyens de subsis-
tance prévus, des cas de regroupements concertés décidés à l’avance,
avec prise en charge des humains après leur évacuation. Michel

10 Sylvie THÉNAULT, « Préface », in Michel ROCARD, Rapport sur les camps de regroupement et
autres textes sur la guerre d’Algérie, Mille et une nuits, Paris, 2003, p. 110. Le rapport
Rocard de 1959 avait été reproduit dans : Pierre VIDAL-NAQUET, La Raison d’État, Minuit,
Paris, 1962.

121

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE121 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Cornaton critique le classique de Bourdieu et Sayad 11 : ignorant le


temps, « enquêteur sur le vif, un peu pressé » conduisant « une obser-
vation rapide à fleur de peau » (Braudel), le sociologue serait de peu de
secours pour l’historien. Pour Michel Cornaton, les regroupements de
la colonisation et ceux de la décolonisation furent relativement diffé-
rents. Or, pour Bourdieu et Sayad, à « situations identiques » répondi-
rent des « mesures semblables ». Pour Michel Cornaton, au XIXe siècle,
c’est par le déracinement et les cantonnements qu’était recherchée la
sécurité militaire en soi. La guerre de conquête visait à disloquer les
structures anciennes pour établir la colonisation ; en 1954-1962, en
temps de guerre contre-révolutionnaire 12, le regroupement sert à
contrôler une région et sa population. Et les préoccupations des offi-
ciers français furent bien différentes : un Parlange, dans l’Aurès, fut
décalé, ainsi que l’écrivit Jacques Berque à Michel Cornaton : « J’ai
bien connu Parlange, pasticheur honnête et borné de l’esprit lyautéen,
et incapable de voir qu’entre les Aurès de 1954 et le Moyen Atlas de
1914 s’intercalait l’évolution du monde. »
Il n’empêche que le livre de Bourdieu et Sayad fit date sur le déraci-
nement sous contrainte et la rupture avec l’univers de la terre
— consommée peu après en Algérie indépendante. Le problème des
regroupés y fut ignoré ; officiellement, ils n’existaient plus, ils étaient
censés avoir quitté les camps alors qu’ils constituèrent souvent la
matrice de néovillages : avec quelques infrastructures supplémentaires,
ils comptèrent maintes fois au nombre des « villages socialistes de la
révolution algérienne ». De leur côté, les chercheurs français s’en sont
peu préoccupés, malgré le livre de Grégor Mathias sur les SAS 13.
Officiellement, on a dénombré 2 392 centres en 1961 et
2 157 000 personnes « regroupées » en 1960. Pour Michel Cornaton,
le chiffre le plus plausible est, pour 1961, 2 350 000, soit 28 % de la
population algérienne, plus 1 175 000 « recasés » ou « resserrés ». Au
total, 3 250 000 personnes durent quitter leur domicile : 40 % des
Algériens. Au secrétariat social d’Alger, on produisit des évaluations

11 Pierre BOURDIEU et Abdelmalek SAYAD, Le Déracinement. La crise de l’agriculture tradition-


nelle en Algérie, op. cit., 1964.
12 Si la guerre contre-révolutionnaire fut sanglante, elle n’en avait pas pour autant pour
objectif l’« extermination d’une population ». On ne saurait souscrire sans contresens
à cette appréciation, placée en conclusion de la communication de Michel Cornaton.
13 Grégor MATHIAS, Les SAS en Algérie, L’Harmattan, Paris, 1998.

122

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE122 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

qui corroborent ces estimations. Le président Ben Khedda a parlé de


2 500 000 regroupés — il fut un des rares dirigeants algériens à s’être
soucié de leur sort.
Pendant des années, les harkis, selon François-Xavier Hautreux,
n’ont guère plus attiré l’attention. Suite à la tradition des goums, on
range sous cette dénomination plusieurs catégories : il y eut les
groupes mobiles de protection rurale (GMPR), rebaptisés groupes
mobiles de sécurité (GMS), goums civils chargés de la surveillance des
campagnes, recrutés surtout parmi les anciens combattants, qui ne
furent pas plus de 12 000. Les mokhazenis 14 — parmi eux, 15 %
d’Européens — formèrent la garde rapprochée des SAS. Quant aux
groupes d’autodéfense (GAD), gardes ruraux armés en principe béné-
voles, ils participèrent à des opérations moyennant quelque rémuné-
ration, mais surtout à des tâches politico-administratives. Sauf
exception, ils ne prirent pas les armes volontairement et bénévole-
ment pour se protéger du FLN, et servirent toujours près d’un poste
français. Souvent, ils bénéficièrent de distributions de vivres ou
d’embauches dans des chantiers SAS. Les « aassès » (‘âsâs : guetteur),
enfin, recrutés en fin de guerre (5 000 à 6 000 en 1961), financés sur
budget militaire, eurent des missions statiques : patrouilles, protec-
tion de fermes, garde de récoltes et de voies ferrées. En 1961, ils furent
transformés en harkis.
Les harkis proprement dits 15 furent des soldats de seconde zone,
licenciables sans préavis. Leur emploi, nanti sur budget civil, varia
selon les lieux et les situations. Leurs contrats, journaliers, devinrent
à la fin 1961 des contrats d’un, trois et six mois. Aucun contrôle exact
des crédits consacrés aux harkis n’est possible : les effectifs « harkis »
des archives correspondent aux sommes dépensées pour l’entretien
d’un nombre d’hommes incertain, non à un décompte précis. Les
« crédits harkis » étaient aussi utilisés pour les GAD, des centres
d’éducation civique et même pour constituer diverses caisses noires
alimentant, par exemple, les maquis anti-FLN : ils faisaient fonc-
tionner une vraie économie de guerre. Les harkis furent les plus
nombreux des supplétifs : peut-être 60 000 en 1960 — combattants,

14 Littéralement, les hommes du makhzan (l’appareil du pouvoir d’État) : gendarmes,


miliciens.
15 En arabe régulier, harakiyy : homme engagé dans un mouvement armé.

123

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE123 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

mais aussi employés aux tâches les plus diverses. L’engagement dans
les harkis dispensait les jeunes du service militaire. Des hommes âgés,
recrutés « pour services rendus », avaient des fonctions de garde
(« harkis territoriaux »). Dans les commandos, unités d’élite créés en
1957, au total 6 000 harkis (10 % du total) renforçaient des unités
régulières en 1960. Les supplétifs étaient des ruraux peu instruits.
Jusqu’à fin 1956 (nomination du général Salan), leur organisation fut
assez improvisée. Puis leur nombre fut accru. Les harkis, puis les GMPR
passèrent sous contrôle militaire. Le commandement de Challe (fin
1958-avril 1960) voit l’apogée des effectifs. Ils s’amenuisèrent ensuite
dès lors que la solution politique se profila et que la question de leur
devenir se posa.
Les chiffrages globaux sont difficiles à établir. Le chiffre reven-
diqué par l’armée française pour début 1960 est de 120 000 supplétifs
— il doit plutôt être de 100 000. Pour toute la guerre, deux notes
parlent, l’une de 200 000, l’autre de 400 000 hommes : chiffres figés
invérifiables, correspondant à une conception classique de la guerre :
un homme engagé est définitivement marqué par cet engagement. Or,
de 1954 à 1962, des harkis ou des GAD peuvent fort bien entretenir
des relations avec le FLN. Un homme peut être harki en 1957 et ne
plus l’être en 1962.

Torture et violences, les corps en souffrance


Au-delà de la mise en place des lignes d’affrontement, la guerre,
c’est aussi la violence et la souffrance. La contrainte brutale est ce qui
poigne « les femmes et leur corps », qu’étudie Zineb Ali-Benali. Il y a
rupture avec les formes de vie traditionnelles des femmes : dans les
maquis, ou à Alger à l’hiver 1957, elles vivent des situations naguère
inimaginables : comment voir dans le mujâhid, avant l’homme, le
compagnon de lutte de la mujâhida ? Il fallut bien inventer un autre
quotidien de relations aux hommes. Après la guerre, le militantisme fit
long feu. Les promiscuités mixtes des caches de la Casbah redevinrent
impensables. Fit retour ce corps qui « fait trébucher », régi au combat
par un code d’exception.
Il n’existe pas d’histoire des corps en souffrance. Les travaux de
Frantz Fanon sont restés sans suite, sinon comme cliché officiel. La
gestion des corps, « invisibilisés », renvoie à une longue pratique de

124

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE124 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

violence coloniale. Heureusement, il y a les grands textes d’Assia


Djebar, sans lesquels on ne peut définitivement plus parler des
femmes. Il y a ce qui est fait pour abattre — le viol —, ce qui permet
de continuer à vivre, et ce corps, nécessaire pour que reste la voix qui
conte et raconte, entre présent et passé 16, les mots qui en estompent la
brutalité, dans le secret du tête-à-tête. La langue dit par le détour : le
mal ne doit pas atteindre la tribu.
La mémoire de la violence faite aux femmes est d’abord celle de
leur corps. Toute femme qui connaît la guerre connaîtra le viol, qu’elle
le subisse ou non : le corps des femmes a un savoir ancien transmis par
l’histoire du pays conquis. Le corps inscrit la mémoire dans l’espace
de l’écoute, dans l’absence de l’écoute, et dans la peur devant cette
écoute. Même si elle n’a pas stricto sensu subi le viol, Charifa, bergère
de treize ans, dit : « J’ai subi la France », c’est-à-dire la blessure (jirâh,
qarh) ou plutôt le dommage (khasâra) — la peine du dam. Un viol
non dit est un viol « avalé » : occultation de l’événement, enferme-
ment dans le silence. Au corps de se débrouiller avec ce qu’il aura subi.
Empêchement de la mémoire, aussi, dans le livre de Louisette Ighi-
lahriz 17. Le silence est rompu par celles qui ont fait silence : « Au bout
de tant d’années, parler de la torture me délivre et me soulage. » Livrée
à Graziani, son tortionnaire, dépossédée de son corps par les blessures
qui la clouent au lit et par la torture, elle résiste grâce à son corps qui la
tire vers le réel, vers la vie. Quand mourir, c’est sortir de l’échange
imposé, elle inverse les rôles. Après l’oubli remonte la parole. « Ils
m’ont mise nue comme ma mère m’a créée et j’ai hurlé comme une
louve » (en fait une chacale), a confié Liamna à sa parente Zineb Ali-
Benali. Entre la dénudation et le cri, l’« espace du corps nu, qui
remonte à son origine, au moment de sa création ».
L’affrontement violent est au cœur des réflexions de Charles Bonn
sur le roman maghrébin de langue française vu par la théorie postco-
loniale. Envisageant l’histoire et le devenir des sociétés colonisées à
l’aune du traumatisme de la colonisation, celle-ci met en scène, selon
une esthétique théâtralisée de la rupture, une relation binaire entre
l’ex-« centre colonial » et la « périphérie » ; l’entrée en écriture

16 Assia DJEBAR, L’Amour, la fantasia, Lattès, Paris, 1985.


17 Louisette IGHILAHRIZ, Algérienne, récit recueilli par Anne Nivat, Fayard/Calmann-Lévy,
Paris, 2001.

125

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE125 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

francophone est tragique et rappelle le supplice que la mère a subi. La


rupture du Nedjma de Yacine Kateb (1956) se fait contre un modèle
français — même s’il a davantage lu Faulkner et Joyce. À la fin de son
Polygone étoilé (1966), l’« entrée dans la gueule du loup » — la langue
française —, « seconde rupture du lien ombilical », souligne le drame
de sa mère : rupture plus profonde que la rupture politique. Elle est la
mort même d’une tradition où la mère est l’intériorité la plus secrète,
la plus indicible. Et, dans La Colline oubliée de Mouloud Mammeri
(1952), il y a les fils arrachés à la mère pour servir à la guerre des
Français. Supplice de la mère, aussi, dans La Répudiation (1969) de
Rachid Boudjedra. Dans les années 1970 survient enfin la véritable
« rupture avec l’impérialisme ». Selon une scénographie binaire, elle
est exhibée en système.
Les réflexions de Deleuze et Guattari sur le modèle romanesque
importé, sur la rupture au sens de la théorie postcoloniale 18 se sont
imposées. Même un franc-tireur comme Yacine Kateb se rallia un
temps au discours d’exclusion du FLN à l’encontre de Camus. La
« renaissance fulgurante » du roman maghrébin francophone a lieu sur
fond de rupture politique où s’inscrit toute création à partir des
années 1970 : la subversion est centrale dans la revue marocaine
Souffles. Pour Mohammed Khaïr-Eddine, il s’agit de « subvertir cette
langue de l’intérieur ». Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre
(1961), avait parlé du « style heurté de l’intellectuel colonisé » : l’écri-
ture rocailleuse, l’opacité rebelle revendiquée par la périphérie s’oppo-
serait à la lisibilité, donnée comme marque du centre colonial.
Abdelhafid Hammouche, lui, traite de la torture. Il rappelle les
articles et les livres d’André Mandouze, de Claude Bourdet, d’Albert
Memmi, d’Henri Alleg, de Pierre Vidal-Naquet, de Frantz Fanon, etc.,
le film de Bertrand Tavernier La Guerre sans nom (1992), le film docu-
mentaire de Patrick Rotman L’Ennemi intime (2002). À partir de 2000
se multiplient témoignages et prises de position : l’article du Monde du
20 juin 2000, le livre de Louisette Ighilahriz, puis l’enquête de Florence
Beaugé 19, les regrets du général Massu, le « tissu de mensonges » du
général Bigeard ; en 2001, le livre de responsabilité assumée, sans émoi

18 Jean-Marc MOURA, Littératures francophones et théorie postcoloniale, PUF, Paris, 1999.


19 Florence BEAUGÉ, Une guerre sans gloire. Histoire d’une enquête, Calmann-Lévy, Paris,
2005.

126

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE126 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

ni regrets, du général Aussaresses 20 ; puis la mise en accusation du


général Schmitt, l’affaire du poignard et la mise en cause du lieutenant
Jean-Marie Le Pen, le témoignage de Mohammed Garne, « Français par
le crime ». Fait inédit : la mise en cause de l’armée comme institution :
à la différence du putsch d’avril 1961, la torture et les viols n’avaient
pas été vus comme de vraies transgressions, bien que la torture eût été
inscrite dans la logique coloniale.
La guerre ne se réduisit pourtant pas à la visibilité de l’affronte-

La guerre dans la conjoncture :


complexité des intrigues, porosité des fronts

Failles à la Fédération de France du FLN


Examinant l’« affaire Mourad », Mohammed Harbi a rappelé que la
guerre fut aussi une guerre de renseignements et de manipulations : il
y eut des contre-maquis, le maquis messaliste de Bellounis, les services
français excitant la psychose du colonel Amirouche en W 3, et la vague
de purges consécutive. Cela se fond mal dans la version héroïsée de
l’histoire qui a cours en Algérie officielle. Mohammed Harbi a étudié le
cas, dans la Fédération de France (FF) du FLN, d’un permanent,
Abdallah Younsi (« Mourad »). Emprisonné dix mois en 1957-1958,
retourné par la DST, il devint une taupe des services français. En
juillet 1959, il est chef de la région Sud (Marseille), en juin 1961 de la
région Centre (Lyon). En 1959-1961, le réseau marseillais du FLN passa
sous le contrôle de la DST. D’où une répression policière, étendue
ensuite à Lyon, surtout après le 17 octobre 1961. Au premier trimestre
1962, la DST saisit à Paris 543 millions d’anciens francs provenant de
Lyon. À Paris, le FLN fait des recoupements : les saisies de fonds ont
invariablement lieu dans des locaux connus de Mourad, toujours à
Paris, jamais à Lyon ; et il mène la grande vie.
Le 14 mars 1962, il demande sa mise en disponibilité au prétexte de
rejoindre son épouse en Tunisie. À son retour à la mi-mai, il est
démasqué par les enquêteurs du comité fédéral, conduits par Amar

20 Paul AUSSARESSES, Services spéciaux. Algérie 1955-1957, Perrin, Paris, 2001.

127

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE127 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Ladlani et Ali Haroun. Malgré une tentative de suicide le 19 mai,


l’enquête progresse et son procès a lieu. Il doit y affronter les déclarations
de vingt-trois témoins à charge. Il louvoie, tente de gagner du temps,
mais, bribe par bribe, finit par avouer ses contacts, les missions qui lui
ont été confiées, il reconnaît les détournements de fonds, mais minimise
le fait d’avoir suborné des épouses de détenus algériens. Finalement, le
28 juin, il est condamné à mort et exécuté. Quarante-quatre ans plus
tard, Mohand Akli Benyounès, coordonnateur de la FF, dira : « C’est un
diable, il aurait pu devenir ministre s’il avait vécu. »
Dans cette affaire, il y eut manque de vigilance à la direction de la
FF : les informations provenant de l’organisation FLN des prisons
furent ignorées. Les responsables craignaient de renouveler leur préci-
pitation lors de l’affaire Safi Boudissa : ce dirigeant de l’Amicale géné-
rale des travailleurs algériens avait été contacté par la DST ; il en avait
averti la direction de la FF. Bien qu’innocent, il avait été soupçonné et
évacué en Tunisie.
En France toujours, d’après Jim House et Neil MacMaster, le
17 octobre 1961 a pour contexte une fin de guerre dans une FF dont
ils soulignent le flottement organisationnel. L’intensification, dans
l’été 1961, des assassinats de policiers français attisant leur haine anti-
algérienne au risque d’un retour de bâton, une plus grande auto-
nomie fut laissée aux groupes armés de la FF, dans un contexte de
profil bas du GPRA (deux publications sur la répression furent
annulées) et de marginalisation politique de la FF. Pour Mohammed
Harbi, la FF, même administrée autoritairement, devait tenir compte
d’une base algérienne immigrée plus proche que ne l’était le GPRA,
basé à Tunis. Y eut-il un lien entre formes de contrôle FLN et modalités
de la répression française ? Une étude s’impose sur le contrôle de la FF
sur les Algériens de France. Et quid du rôle des femmes, des micro-
résistances de quartiers, de bidonvilles, quid des trajectoires migra-
toires et des raisons de l’émigration ? Quid enfin de la vision des gens
sur leur vie en France au regard de l’Algérie ?

Les femmes au maquis : une figure d’émancipation ?


Dans son étude, Ryme Seferdjeli montre que le mariage détermina
la présence des femmes au maquis : l’ALN en codifia l’institution. Elle
imposa une séparation des sexes, plus marquée même que dans la

128

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE128 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

société algérienne. Le salut du combat était premier : les femmes


étaient réputées perturber les hommes et les en distraire. Ainsi que
l’avait déjà souligné Djamila Danièle Amrane Minne 21, elles occupent
des emplois communément assignés aux femmes — infirmières, cuisi-
nières, blanchisseuses, ravaudeuses de hardes, assistantes sociales,
éducatrices. Au total, il y eut très peu de femmes au maquis. Leurs
résidences : les infirmeries ou les villages voisins des maquis. Au moins
dans la zone 3 de la W 3, « jamais une femme n’a couché au maquis ».
À l’exception de la W 2 (Constantinois) et de quelques cas en W 4
(Algérois) et W 5 (Oranie), elles furent retirées des maquis en
1957-1958 et envoyées en Tunisie ou au Maroc. Le mariage, d’abord
interdit, fut autorisé par le congrès de la Soummam, selon une stricte
moralité. En W 3 était requise l’autorisation préalable du comité de
zone, et, à partir du grade de sergent, du comité de wilâya. Les mêmes
règles étaient théoriquement appliquées aux deux sexes. Mais le
maquisard se mariant hors de l’institution ALN risquait la peine de
mort.
L’abstinence sexuelle était problématique. Les junûd disaient
amèrement : « Si nous touchons à une femme, nous sommes fusillés. »
Et les élites étaient favorisées — mariage de la future historienne
Danièle Minne avec le dentiste Ali Amrane, demande d’autorisation
de mariage de la doctoresse Nafissa Hamoud avec le docteur Mostafa
Laliam… Cette requête fit déborder la coupe en W 3 : le 22 octobre
1957, Amirouche décréta le renvoi des femmes du maquis. En règle
générale, elles n’y demeurèrent pas. Même mariées, elles ne vécurent
ni avec leur mari ni au voisinage d’autres hommes. On put demander
aux filles de se marier, l’ALN se chargeant de la négociation avec les
familles. Ce fut en W 1 la condition posée pour rester au maquis.
Les femmes au maquis ? Le colonel Ali Kafi (W 2) avoua : « C’est
un problème auquel nous n’avons trouvé de solution que par le
mariage. » Mais les conditions furent variables ici et là. Longtemps
interdit en W 2, il fut soumis à autorisation en W 3. En W 4, il fut
permis, puis recommandé, enfin interdit en 1959 après le renvoi des
femmes du maquis. Mais il y aurait derechef été autorisé en 1960.

21 Djamila Danièle AMRANE MINNE, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, Paris, 1991 ;
Des femmes dans la guerre, Karthala, Paris, 1994, rééd. ; La Guerre d’Algérie (1954-1962).
Femmes au combat, Rahma, Alger, 1993.

129

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE129 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Dans les W 2, W 3 et W 5, il fut autorisé en 1959-1960 ; mais les jeunes


mariées durent quitter le maquis. Dès 1957, des infirmières le ralliant
alors qu’elles n’étaient pas mariées avaient été refoulées.

Maquis, les conflits internes


Confronté aux soldats français, montre Dalila Aït-El-Djoudi, l’ALN
veut leur démontrer que sa cause est juste. Elle joue sur la connivence
en anticolonialisme : refuser d’être les instruments des gros colons,
du gros et gras Robert Lacoste. Mais la violence de l’armée française
était pour l’ALN la meilleure des propagandes. Tactiquement, des
donnant-donnant : un comportement digne de la France épargnera
des représailles. En W 3, des notes de service tendent à limiter et mora-
liser la violence des actions. Il y eut même des cas d’accords tacites
entre unités de l’ALN et responsables de postes français, voire de (rares)
tentatives de fraternisation. Même l’inflexible Amirouche fut capable
d’attentions et interdit des exécutions.
Pour Ouanassa Siari-Tengour, dans l’Aurès 22 rivalisaient les préten-
tions de plusieurs chefs : le chef historique de 1954 Mostefa Ben
Boulaïd — et son propre frère Omar Ben Boulaïd —, Bachir Chihani,
Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Hadj Lakhdar Abidi. Après l’emprison-
nement, en février 1955, de Mostefa Ben Boulaïd, se posa le problème
de sa succession. Chihani s’effaça bien devant Omar Ben Boulaïd.
Mais, les autres chefs le refusant majoritairement, un arrangement fut
tenté : à côté d’un chef en titre honorifique, Omar Ben Boulaïd, devait
agir son « second », Bachir Chihani, tous deux liés en une théorique
collégialité. Le compromis ne tint pas : Chihani continua à
commander, Omar Ben Boulaïd récusa son statut honorifique. D’où
la fragmentation et le chaos qui s’ensuivirent. Cela avec, en arrière-
plan, la proximité de la frontière tunisienne, enjeu majeur du robinet
d’armes. Dans l’été 1955, Bachir Chihani destitua Omar Ben Boulaïd
et ses séides. En octobre, c’est le rassemblement des chefs à Djorf, dans
les Nememcha, d’où, encerclés par les troupes françaises, les Algériens
ne se dégagèrent qu’au prix de lourdes pertes. Le 23 octobre eut lieu
l’exécution de Bachir Chihani, pour laquelle les raisons avancées

22 Cf. Mohammed Larbi MADACI, Les Tamiseurs de sable. Aurès-Nemencha, 1954-1959,


ANEP, Alger, 2001.

130

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE130 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

divergent : au prétexte de ses incartades sexuelles ? Ou pour détourne-


ments de fonds ? En tous les cas, les chefs subsistants ne formèrent pas
de bloc homogène.
En novembre eut lieu le retour sur la scène aurésienne de Mostefa
Ben Boulaïd, évadé de la prison de Constantine. Son autorité lui valut
une adhésion unanime apparente. Il apprit, atterré, l’exécution de
Chihani et dut lutter pour recouvrer l’autorité suprême. L’interdiction
du tabac n’étant souvent pas respectée par les donneurs d’ordres eux-
mêmes, il suspendit à ce motif le chef de la zone de Souk-Ahras. La
W 1 avait-elle retrouvé un chef incontesté ? La réunion de Nara,
convoquée à cet effet, ne se tint jamais : Mostefa Ben Boulaïd fut tué le
23 mars 1956.
La course entre prétendants et le chaos reprirent. Un précaire
« Comité des douze » se constitua, gravitant autour de trois pôles
rivaux — Omar Ben Boulaïd, Abbas Laghrour, Adjel Adjoul. Mais le
clan d’Omar Ben Boulaïd entend s’arroger le pouvoir. Adjel Adjoul et
Abbas Laghrour, suspectés d’avoir décidé de l’exécution de Chihani,
furent en fait coupés des « douze », et Hadj Lakhdar Abidi fut mis en
retrait. Bref, la confusion et l’instabilité régnaient et elles perdurèrent
jusqu’en 1959-1960 : Hadj Lakhdar Abidi, nommé par la direction du
FLN colonel de la W 1, parvint à établir son autorité sur l’Aurès-
Nememcha. Entre-temps, Adjel Adjoul, isolé et assailli par ses rivaux,
s’était rendu aux Français (novembre 1956), Abbas Laghrour avait été
jugé en Tunisie par l’exécutif du FLN, condamné à mort et exécuté
(février 1957) et Omar Ben Boulaïd s’était enfui au même moment en
Europe, condamné à mort par contumace.
À Oran (Karim Rouina), le combat du FLN a aussi ses arrière-cours.
Des vengeances privées sont camouflées en actions fidâ (sacrifice,
rançon). En 1961-1962, l’anarchie se prête à des règlements de compte
personnels, surtout pour motifs financiers, et à d’âpres rivalités :
chaque zone de la W 5, parfois chaque région eut ses propres collec-
teurs de fonds, voire des groupes des W 3 et W 4. Même chez les
commissaires politiques, on constate une formation politique nulle,
une immaturité idéologique et un faible niveau d’instruction. L’enga-
gement était nourri de misère sociale, de racisme et de répression. De
l’actualité, ils retiennent quelques noms dont ils s’affublent :
Khrouchtchev, MacMillan, Kennedy ; tel autre se dénomme
l’« homme à la hache ».

131

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE131 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

1 350 fidâ’iyyûn décomptés par Karim Rouina à Oran de 1954 à


1961, cela représente 0,79 % de la population. En comptant aussi le
nizâm (l’organisation : agents de liaison, collecteurs de fonds, refuges),
on atteint 5 400 (3,17 %) — fin 1954, ils étaient une centaine. Dans la
tranche d’âge des 18-24 ans, 50,26 % ont participé au FLN de 1954 à
1961, et 12,6 % à des actions terroristes. Le terrorisme a donc recruté
un jeune sur neuf, mais le nizâm la moitié : même sans soulèvement
armé de masse, les Algériens, surtout les jeunes, se sont bien reconnus
dans le FLN. Mais il serait éclairant d’affiner ces comptabilités selon les
périodes de la guerre.
Les massacres d’Européens, à raison de centaines de morts, le
5 juillet 1962, s’expliquent par une entreprise de l’armée des frontières
— donc de l’EMG de Boumediene — ayant pour dessein de démontrer
que le FLN local, lié au GPRA, ne tenait pas ses troupes : il devait pour
cela être subordonné aux directives de l’EMG, soucieux de déconsi-
dérer un GPRA dont, dans la course au pouvoir, était ainsi mise en
évidence l’incapacité à maintenir l’ordre.

L’armée française aux avant-postes de la lutte politique


Au sommet de la décision militaire française étudiée par André-
Paul Comor, s’impose d’emblée le règne des chefs militaires : le général
en chef en Algérie et les états-majors. Le comité des chefs d’état-major
est le centre de décision suprême sous la responsabilité du chef d’état-
major général. Le général Ély occupe ce poste capital de 1953 à 1961.
En politique prévaut l’instabilité ; à Alger, les chefs militaires se succè-
dent. Ceux de l’armée de terre détiennent les postes clés et ils adop-
tent une ligne de conduite invariable : à partir du soulèvement du
Constantinois du 20 août 1955, place aux théoriciens et praticiens de
la « guerre révolutionnaire ». De 1954 à 1956, l’initiative revient à la
10e région militaire (Algérie). Dès fin 1954, au Comité supérieur des
forces armées présidé par le général Kœnig, ministre de la Défense,
prévaut une politique d’assimilation de l’Algérie à la France dans un
monde bipolaire où l’Algérie est vue comme un maillon fort du dispo-
sitif français en Europe. Le nationalisme algérien, lui, n’est pas pris en
compte.
Au début, avec le général Cherrière à Alger, la tactique est de
montrer sa force au cours de vastes tournées de police. Mais ses

132

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE132 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

subordonnés ont des initiatives de terrain plus musclées. Le général


Lorillot le remplace en juillet 1955 pour appliquer les directives d’un
Soustelle soucieux de ménager les populations et de limiter les préro-
gatives des militaires. Mais le général Allard, commandant la division
de Constantine, impose de facto le pouvoir militaire avec l’approba-
tion de Kœnig et du ministre de l’Intérieur Maurice Bourgès-
Maunoury. L’insurrection constantinoise du 20 août 1955 renforce
cette orientation : Jacques Soustelle laisse les mains libres à l’armée.
La nomination à Alger, début 1956, de Robert Lacoste comme ministre
résidant, puis du général Salan à la tête de la 10e région fin 1956, est
ponctuée de déclarations musclées. Maurice Bourgès-Maunoury,
ministre de la Défense, et Max Lejeune, secrétaire d’État aux Forces
armées chargé de l’Algérie, disent miser sur une armée de métier
— pourquoi, alors, avoir eu recours aux rappelés, peut-on se
demander ? Cette ligne est renforcée par les événements, notamment
l’arraisonnement de l’avion de la délégation extérieure du FLN le
22 octobre 1956.
Officier métropolitain controversé, Paul Ély entend combattre les
dérives des « centurions ». Menaçant de démissionner, il obtient en
juillet 1956 le titre d’inspecteur général des forces armées. Accaparé
par le dossier égyptien, il délaisse l’Algérie, mais il est rattrapé par la
« bataille d’Alger », totalement confiée à Massu. Les prises de position
du général de Bollardière contre la torture lui font couvrir ses subor-
donnés. Au printemps 1957, insatisfait de Salan, Ély décide d’assumer
la direction militaire de la guerre. Il se rallie à l’« arme psychologique »
comme pare-feu à la « guerre révolutionnaire ». Sur le terrain, le poids
de l’armée est accru. En juillet, il fait accepter la création d’un « comité
de guerre » rassemblant les trois responsables politiques de la direc-
tion de la guerre : Maurice Bourgès-Maunoury (président du Conseil
en juin), André Morice (ministre de la Défense) et Robert Lacoste. Il
approuve la directive Lacoste sur le droit de poursuite en Tunisie et
au Maroc. Mais des divergences existent entre Salan et Lacoste, et la
mésentente règne entre Ély et son ministre, Chaban-Delmas — il a
succédé à Morice dans le gouvernement Gaillard (novembre 1957). Le
fossé se creuse entre pouvoir politique et armée. Avant même la crise
de Sakiet (février 1958), Ély déplore le manque de résolution à Alger ;
mais, faute de mieux, il se résout à y maintenir Salan.

133

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE133 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

L’armée est reprise en main par de Gaulle en 1958 ; avec son


ministre de la Défense, Pierre Guillaumat, il veut être le chef poli-
tique de la guerre. L’indiquent la nomination à Alger du tandem poli-
tico-militaire Delouvrier-Challe et l’offre de « paix des braves ». Ély
défend encore la « solution française », mais ses prérogatives dimi-
nuent. Il reste circonspect après le discours de de Gaulle sur l’autodé-
termination du 16 septembre 1959. Mais la situation est
particulièrement tendue avec le chef de l’État. La nomination de Pierre
Messmer à la place de Pierre Guillaumat en février 1960 accentue la
reprise en main d’Alger par Paris. La sortie de guerre est désormais
décidée à l’Élysée. Ély se résigne à expliquer aux généraux d’Algérie
que « la page est tournée ». L’épilogue, c’est la fin de l’ordre militaire
en France. Début 1959, déjà, une réforme profonde du haut comman-
dement est confiée par le chef de l’État à son chef d’état-major particu-
lier, le général Jean Olié. La direction politique triomphe : dès lors, la
mission du haut commandement se limite à la préparation et à la
gestion des forces.
Mais, au-delà des intrigues de la conjoncture, opèrent aussi d’autres
logiques que celles du seul affrontement en cours.

Au-delà (en deçà ?) de l’affrontement

Français au-delà (en deçà ?) du franco-colonial


On rappellera pour mémoire l’engagement anticolonialiste de
certains Français — y compris d’Algérie — et les cas de conscience qui
se posèrent dans l’armée française. Et Zineb Ali-Benali a rappelé que
pour Louisette Ighilahriz , il y eut un fil conducteur : retrouver le
docteur Richaud, ce médecin militaire qui l’avait sauvée de la torture.
À propos du 17 octobre 1961, Jim House et Neil MacMaster invi-
tent à étudier les relations entre nationalisme algérien et gauche fran-
çaise, communiste ou non. Après Marcel Péju, ils distinguent la
« gauche respectueuse » de la « gauche irrespectueuse ». Face à la bana-
lisation de la violence anti-algérienne, il y eut faiblesse de cette
dernière. Dans les syndicats, il y eut des tensions entre communistes et
non-communistes, ne recoupant pas nettement un clivage sur le colo-
nialisme. À la CFTC, l’opposition entre l’Union de la région parisienne

134

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE134 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

et la confédération affaiblit l’engagement face à la répression. Les


tensions de la guerre froide nuisirent à une mobilisation unitaire, de
même que la tonalité de réactions défensives — l’« antifascisme », si
redondant depuis mai 1958. Les Algériens, même s’ils suscitaient la
sympathie, étaient davantage sentis comme des victimes que comme
des acteurs politiques.
D’octobre 1961 à Charonne (8 février 1962), il y eut continuité de
violences policières. D’où une recomposition politique sous l’étendard
de l’antifascisme. Le paysage politique à gauche se fit moins éclaté et
la mobilisation bien plus forte. Cela dit, nombre d’historiens s’accor-
dent à ne pas mettre les deux événements sur le même plan, tant du
point de vue des faits eux-mêmes que de leur mémoire : dans un cas,
les victimes furent algériennes et, dans l’autre, françaises et commu-
nistes. Pour Jim House et Neil MacMaster, le drame du 17 octobre fut
marginalisé, enfoui même dans le discours de la gauche respectueuse
et plus encore peut-être dans celui de l’« irrespectueuse ». Resta ancrée
dans l’opinion l’indifférence, voire l’hostilité à l’égard des Algériens.
Certes, les assassinats de policiers ont joué un rôle conjoncturelle-
ment déterminant, mais pas eux seuls : la violence était structurelle-
ment inscrite dans une histoire plus que séculaire. Ce sont donc des
minoritaires qui furent les principaux porteurs de mémoire français
d’octobre. Les historiens doivent faire l’histoire de la mémoire en
interrogeant les militants de toute la palette de la gauche, les immigrés
algériens témoins et leurs descendants ; il faudra prendre en compte
aussi l’opinion moyenne, à distance des engagements. Ces mémoires
de guerre diverses sont à traiter comme autant de documents histo-
riques. Et l’historien doit rappeler que ces événements eurent aussi
pour toile de fond, d’une part, les luttes de pouvoir au sommet du
FLN, d’autre part les péripéties de la négociation algéro-française.
Pour Abdelhafid Hammouche, on est maintenant en France dans
la « régénération ». Sont rendues publiques les pratiques naguère les
plus enfouies (la torture, le viol) mettant en cause l’armée. Sont pour-
suivis des engagements de justice du temps de guerre afin d’assainir
l’espace public et d’instaurer un véritable esprit démocratique, chez
les personnes et groupes sur lesquels pèse encore la guerre, Un
Raymond Cloarec est symptomatique de cette tendance, en tant
qu’ex-sous-officier tiraillé entre sa subordination antérieure au général
Maurice Schmitt et sa soif d’honorer le devoir de vérité.

135

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE135 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Aujourd’hui, nommer et dénoncer la torture peut-il faire évoluer


les rapports franco-algériens ? Oui, si d’une part ils ne se réduisent pas
aux seuls calculs des pouvoirs d’État et sont une prise de conscience
de nouvelles générations dégagées des obsessions de 1954-1962, d’un
« temps de catharsis » (Florence Beaugé) advenu. On ajoutera d’autre
part qu’il faut également prendre en compte les pieds-noirs. Le degré
de violence auquel ils furent exposés fut certes sans commune mesure
avec celle endurée par les Algériens — et celle des Français de France
fut aussi sans commune mesure avec la leur —, mais leur souffrance
fut réelle. La sanglante fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962 et les
massacres d’Oran du 5 juillet — épisode fondateur d’une mémoire
pied-noire — font aussi partie de cette histoire.
De son côté, pour Louisette Ighilahriz, la France n’eut jamais les
traits d’un Massu ni d’un Bigeard, mais ceux de son sauveur, le docteur
Richaud. Abdelhafid Hammouche cite le militant FLN Ahmed Bachali,
à qui son père, naturalisé français en 1936, lança : « Ne mets pas dans
le même sac le peuple français et ceux qui ont sali son honneur. Un
jour tu comprendras. » Pour Abdelhafid Hammouche, l’aspiration
citoyenne à dire le lien commun s’exprime par la condamnation
globale de la colonisation et de la torture. Rappelons que, s’il prend
évidemment en compte la torture, l’historien examine la colonisation
comme fait historique global, jusqu’au cas des pieds-noirs anticolonia-
listes. La guerre de 1954-1962 fut un choc d’une telle ampleur qu’elle
put aussi susciter le dépassement des deux camps opposés, et des soli-
darités inédites.
En France, enfin, il y a les originaires d’Algérie et leurs enfants,
devenus français, autant que les Français dits « de souche ». Suivons
la généalogie de l’engagement associatif à Lyon : d’abord l’Amicale
des Algériens en Europe, courroie de transmission de l’administration
consulaire algérienne, qui vise au maintien du lien avec l’Algérie. Puis,
en 1983, a lieu la Marche des beurs, impulsée à Lyon, et des associa-
tions comme la Lyonnaise NomadeS (adresse : « Chez Zoubida
Gonzales » [sic]), fondée par le président régional de SOS Racisme. La
redélimitation symbolique par l’appropriation de soi permet l’affirma-
tion d’un partage de l’identité et de l’égalité, entre « enfants
d’immigrés » et autres Français. Fin des années 1980, c’est l’associa-
tion du quartier Kamarov de Vénissieux qui se voue au soutien
scolaire, à l’animation et aux loisirs. Les références aux cultures

136

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE136 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

d’origine sont désormais secondes. La perspective du « retour » a vécu.


Les prises de position se font jour dans l’espace public. Sans nier les
ascendances, un cap est passé qui implique le dénouement de la rela-
tion coloniale, via la conjonction avec les militants, historiens, journa-
listes qui ont œuvré pour que le débat sur la torture ait lieu, renouant
avec les valeurs humanistes de ceux qui ont aidé leurs parents et
concouru à leur rendre leur dignité, à eux et à leurs descendants.
Les Algériens du temps de guerre, de leur côté, furent mus aussi par

Algériens au-delà (en deçà ?) du rapport colonial


Mohammed Harbi, examinant la Fédération de France du FLN,
parle, pour les Algériens de France, de « mouvement communau-
taire » conduit par un « système militarisé » : « Adaptation réaliste aux
conditions sociales et politiques de l’Algérie, […] réaction à l’éparpil-
lement des forces et au manque de cohésion de la société. » Les mili-
tants chevronnés du PPA-MTLD, une fois arrêtés, furent remplacés par
des parachutés FLN obéissants et autoritaires. Le critère de la convic-
tion politique s’effondra. Ce qui comptait désormais, c’était « l’accès
aux positions de pouvoir et aux bénéfices qui lui sont joints, ouvert à
tous les aventuriers et à toutes les manipulations. L’affaire Mourad en
est l’exemple parfait ». De son côté, Michel Cornaton remarque que
les regroupés des camps n’ont guère préoccupé la direction du FLN.
Leur sort fut entouré après 1962 du « mépris incommensurable pour
les paysans et la ruralité » des responsables algériens, d’où ils tiraient
pourtant leurs origines ; quand même ils ne les considérèrent pas
comme de quasi-collabos.
Pour Ryme Seferdjeli, il n’y eut pas que les impératifs du combat
qui motivèrent la politique matrimoniale de l’ALN. Les mujâhidât
étaient jeunes, leur présence posait problème : elles avaient un statut
de femmes « disponibles » pour le mariage : « À travers le souci de
marier les jeunes filles au maquis, on voit bien que l’ALN se fait donc
véritablement la garante des valeurs traditionnelles d’une société algé-
rienne conservatrice. La femme est patriote, certes, mais elle se doit
néanmoins d’être dotée d’un tuteur légal. » Le mariage fut aussi
contrôle de la sexualité des hommes, remède à l’homosexualité. Et le
Coran (24/32-33) ne recommandait-il pas le mariage, ne

137

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE137 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

déconseillait-il pas fortement le célibat ? Or on constate que le journal


du FLN, El Moudjahid, déplorait l’état de mariage qui empêchait de
devenir des mujâhidat, la honte qu’il relevait chez elles de ne pouvoir
agir comme les mujâhidûn : loin de la réalité des maquis, dans le
journal, « une construction mythique […] qui repose sur l’image de la
jeune fille mujâhida célibataire et asexuée et sur l’acceptation dans
l’ALN du statut de célibataires des jeunes mujâhidât, représentait une
véritable rupture avec la tradition ».
Si le FLN-ALN put de facto entériner la tradition, il eut des
tendances progressistes : peu de mariages forcés, un frein mis aux répu-
diations, souvent la prescription de requérir le consentement de la
femme à son mariage, la fixation à seize ans de l’âge minimum et une
différence d’âge maximum de quinze ans entre les époux. Malgré le
poids de ressourcements réactionnaires ultérieurs, rien ne fut plus
jamais comme avant. Existèrent aussi d’autres facteurs que le mariage
pour déterminer le rôle des femmes au maquis : il faut examiner les
divers statuts militants des femmes, procéder à des approches locales,
comparer les wilâya(s) qui avaient chacune des caractéristiques
spécifiques.
C’est en W 1 que la configuration nationale de l’encadrement allait
le moins de soi. Entre autres clivages, ici et là, celui entre berbéro-
phones et arabophones existait bel et bien. Les décisions unificatrices
du congrès de la Soummam heurtèrent les ambitions rivales et la
prégnance du régionalisme, quand, en réaction, elles ne les aggravè-
rent pas. En 1955, pour reprendre la main contre Bachir Chihani,
Omar Ben Boulaïd fit distribuer des tracts l’accusant de traîtrise.
Chihani, vrai chef national, rédigea pour les commissaires politiques
qu’il institua un code de la révolution insistant sur le couple nizâm-
idâra (administration-direction). L’appartenance tribale n’eut pas
toujours le dernier mot, même si un Mostefa Ben Boulaïd ou un Bachir
Chihani vécurent dans l’angoisse du régionalisme. L’un et l’autre
disparus, le congrès de la Soummam se tint sans représentants de la
W 1.
Le morcellement reflète la base sociale de la résistance. Ne faut-il
pas aussi relier la fragmentation en relations de clientèles à une
manière d’être des sociétés méditerranéennes ? Et encore évaluer les
rapports de forces proprement politiques, apprécier les relations
entre imaginaire politique et religion, analyser les raisons de la

138

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE138 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

prédominance militaire dans la résistance algérienne ? On a pu


avancer comme explication au succès rencontré à partir de 1959 par le
colonel Hadj Lakhdar Abidi dans l’unification de l’Aurès-Nememcha
le fait que, sous son égide, il y eut un processus d’incorporation dans
la bureaucratie de l’appareil militaire FLN des chefs maquisards de la
W 1. L’état de discorde antérieur céda devant les capacités intégratrices
du FLN, par l’aptitude des chefs de bande à être reconvertis en bureau-
crates sous l’impulsion du centre 23.
Pour François-Xavier Hautreux, la définition de ce que furent les
harkis requiert nombre de nuances, au vu de la diversité des situa-
tions et des moments, et des évolutions dans le temps. L’autorité
morale et politique incontestable du FLN sur le peuple algérien a
comporté bien des entre-deux. Certes, il y eut la stratégie violente d’un
Amirouche pour éradiquer le messalisme et s’imposer aux popula-
tions, et la multiplication réactionnelle des GAD en Basse Soummam
en 1956-1957. Mais d’autres chefs de l’ALN surent négocier et
persuader. Et le FLN portait le flambeau du nationalisme. Dans le
Constantinois, vieille terre numide de l’irrédentisme, les militants,
tous messalistes avant le FLN, se retrouvèrent tous frontistes sans état
d’âme dès la fin 1954.
Dans les réflexions de Zineb Ali-Benali sur le corps des femmes, on
perçoit que la violence coloniale fait suite à une longue généalogie de
violences. La brutale guerre de conquête coloniale fut plus marquée
dans les mémoires conscientes par la nouveauté inouïe qu’elle porta
— choc exogène qui fit passer au second plan de la mémoire des trau-
matismes endogènes immémoriaux. D’après les travaux d’historiens
et spécialistes des sociétés méditerranéennes, d’Henri-Irénée Marrou
et Fernand Braudel à Germaine Tillion, l’espace public — celui des
hommes — met les femmes de côté et les condamne au silence.
Dans la littérature maghrébine francophone, les préoccupations ne
furent pas que corrélées au colonial-postcolonial. Les frustrations
sexuelles indicibles de la mère sont centrales chez Tahar Ben Jelloun
dès son premier roman, Harrouda (1973). La théorie postcoloniale qui
ne voit que la dimension politique binaire d’affirmation du colonisé
face au centre colonial paraît au moins schématique à Charles Bonn.
Quant au « style heurté de l’intellectuel colonisé », quid du classicisme

23 Gilbert MEYNIER, Histoire intérieure du FLN, op. cit., 2002.

139

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE139 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

mesuré de l’écriture de Mouloud Feraoun, quid de la grande lisibilité


de Mohammed Dib ? Yacine Kateb a dit dans un premier temps avec
enthousiasme les apports d’Albert Camus. Chez Mouloud Feraoun, qui
a lu Montaigne, Rousseau, Daudet et Dickens, nulle scénographie
revendicative.
Plus concrètement, et même implicitement (voire, pourra-t-on
soutenir, par projection sur le « centre colonial »), les cibles sont les
pouvoirs corrompus des nouveaux régimes indépendants : là, nous
sommes dans le postcolonial au sens premier — ce qui est postérieur à
la colonisation. Et les écrivains maghrébins recherchent bien dans le
« centre colonial » la considération de la modernité de leur écriture ;
d’où, sous Houari Boumediene (président de l’Algérie de 1965 à 1978),
au plus fort de la politique d’arabisation, les célébrations officielles de
l’écriture « transparente » et « authentique » par les écrivains franco-
phones, sur fond de parti unique, de célébration de « nos valeurs » et
d’engagement tiers-mondiste permettant d’évacuer les réalités
concrètes de l’Algérie indépendante, tout en bâtissant la posture tapa-
geuse de l’expiation de leur francophonie fautive face à une arabisa-
tion hyperboliquement prônée et célébrée.
Malek Haddad puis Rachid Boudjedra furent des responsables clés
de la censure officielle. Et l’insistance sur le sacrifice de la mère ne
s’inscrit-elle pas en creux du triomphe du père, ce père dont Charles
Bonn ne parle pas, qui dit la loi communautaire figurée par un FLN
qui fut d’abord une manière de fraternité de guerriers ? Tels écrivains,
pressés de dénoncer plus explicitement les pouvoirs en place, répon-
dent que leur subversion — leur écriture — n’est pas récupérable. Mais,
chez Yacine Kateb, la singularité de l’écriture ne relève pas d’un
discours collectif de rupture. Plutôt que d’une rupture avec l’ordre du
discours colonial, il vaudrait mieux parler d’une césure, qui, opérant
un démarquage avec le groupe communautaire, caractérise la moder-
nité littéraire et artistique. L’écriture de Mohammed Dib est d’emblée
moderne. Jamais il n’eut besoin de ruptures théâtrales, ou de l’opacité
rebelle du topos 24 postcolonial. Cela même alors que des écrivains de
la génération de Mohammed Dib et de Mouloud Feraoun étaient réel-
lement confrontés à une situation de dépendance coloniale. Chez
Yacine Kateb ou chez Assia Djebar, l’important est le rapport de

24 En grec : opinion commune, lieu commun.

140

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE140 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

l’écrivain avec l’écriture, non la théâtralisation de l’écriture face au


« centre colonial ». Et qu’en est-il de Tahar Ouettar, ou d’Abdelhamid
Benhadouga ? Des écrivains arabophones eurent-ils à faire de leur côté
le « sacrifice de la mère » ?
Depuis les années 1980, l’écriture est plus transparente, à distance
de la modernité démonstrative engagée des années 1970. Chez Rachid
Mimouni (Le Fleuve détourné, 1982 ; Tombeza, 1984), « la réalité triviale
se fait elle-même écriture ». Advient enfin la « littérature de
l’urgence » : plus de témoignages bruts que de textes retravaillant la
violence comme objet littéraire. À l’écriture partagée au sein d’un
groupe communautaire se substitue la dissémination des écritures et
des thèmes abordés. Multiplication des éditeurs aussi : autant de symp-
tômes de la postmodernité. On la trouve chez Driss Chraïbi dès Un
ami viendra vous voir (1966) et, dans les années 1980 et 1990, dans les
romans « nordiques » de Mohammed Dib. Neuf, le thème de l’émigra-
tion apparaît tardivement. Dans Topographie idéale pour une agression
caractérisée de Rachid Boudjedra (1975), elle est encore support de
rupture. La ghurba (l’exil) n’est qu’un argument du Habel, de
Mohammed Dib — il y a rupture, mais avec le frère resté au pays. Dès
la Marche des beurs (1983), la question politique n’est plus inscrite
dans le postcolonial. Avec Azouz Begag s’affirme en littérature une
périphérie non coloniale.
Dès lors, les discours identitaires convenus ne fonctionnent plus.
Dans les années 1990, avec la violence aveugle, il y a pour Charles
Bonn retour à un tragique où « le réel récuse toute signification »
(l’historien, lui, s’efforce obstinément de conférer une signification au
réel qu’il construit). Cela est perceptible chez Rachid Boudjedra, Abd
El Kader Djemaï, Mohammed Kacimi, Nina Bouraoui, Boualem Sansal,
Malika Mokeddem ; ou bien sûr Yasmina Khadra, à l’origine officier
hors normes issu du système algérien. Expatrié au Mexique, puis accli-
maté en Provence, il a été nommé en 2007 directeur du Centre culturel
algérien de Paris. Il est l’auteur, notamment, d’un récit juste et sensible
comme L’Écrivain (2000). Mais, avec La Part du mort (2004), la confu-
sion violente qui brouille les cartes serait-elle advenue comme genre
littéraire ? Apparaissent aussi des genres réputés plus futiles — le
roman policier, mais aussi le roman politique, du même Yasmina
Khadra, l’humour (la série — inégale — des inspecteurs Ali de Driss
Chraïbi).

141

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE141 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Les adeptes du postcolonial en sont à découvrir aujourd’hui Frantz


Fanon avec ravissement, alors que Les Damnés de la Terre date de 1961.
Et, précisera l’historien, Frantz Fanon, qui ne voyait de traumatismes
qu’inscrits dans le système de violence coloniale, et en aucun cas
provenant de la société qu’il observait, ne s’inscrivait-il pas déjà dans
une dichotomie de type simplificateur manichéen fleurant avant la
lettre le postcolonial ? Osera-t-on pour finir résumer ainsi l’argument
de Charles Bonn : « Prends le postcolonial et tords-lui son cou » ?
N’y aurait-il pas aussi de nos jours projection de duretés et de mal-
être du présent sur le passé ? Le pouvoir algérien a coutume de
renvoyer ses propres responsabilités à des causalités coloniales et de
confisquer sous surveillance l’histoire de la guerre de libération. Le
rappel incessant de l’ennemi colonial fait partie de ses modes de légiti-
mation. Et sera-t-il indécent de suggérer que, peut-être même encore
aujourd’hui, dans l’espace mental algérien, il y a une part variable de
français ? Abdelhafid Hammouche note, chez Boualem Sansal, l’articu-
lation de bribes de ses langues maternelles — l’arabe, mais aussi le
français. Il y a donc les faits du passé, les héritages complexes du passé,
et il y a leur mémoire, qui s’enchevêtre avec le présent.

Représentations du passé : jeux,


rejeux et enjeux de mémoires
Zineb Ali-Benali écrit, à propos de Louisette Ighilahriz, que, après
la commotion subie à la suite des actes du tortionnaire Graziani, la
« machine à fabriquer de l’oubli » fut lancée à la demande de la mère,
enfermée avec elle : « Bon, tu gardes pour toi ; surtout ne raconte rien
à personne. Tu me promets… Tu es vivante, c’est l’essentiel. » De
même, Jim House et Neil MacMaster disent le silence des Algériens
sur le 17 octobre, des années 1960 à la fin des années 1970, silence
un moment rompu après mai 1968 et le Mouvement des travailleurs
arabes.
Le silence même est objet d’histoire, et aussi la sortie du silence.
Puis la parole remonte de la « mémoire souterraine » (Benjamin Stora)
après deux décennies. L’enquête détaillée sur l’événement est entre-
prise à coups d’interviews dans des associations de descendants de
contemporains des faits. Des demandes de reconnaissance des acteurs

142

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE142 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

algériens d’octobre 1961 sont adressées aux États, tant algérien que
français, sur le rôle de la FF du FLN. Jusque-là, il y avait eu peur d’en
parler, peur de n’être pas écouté : il n’existait aucune prise en charge
mémorielle, y compris par l’officielle Amicale des Algériens en Europe,
qui ignorait l’événement. Peu d’Algériens avaient témoigné sur la
guerre dans l’émigration/immigration. Et dire la souffrance dépend
aussi du contexte politique, économique et social.
Malgré les obstacles, le recours à l’histoire orale s’est imposé, faci-
lité par les enquêtes orales militantes entreprises par Jean-Luc Einaudi
et par des originaires d’Algérie. Aujourd’hui, le déni d’octobre 1961 est
moins patent. Le rôle des témoignages s’est élargi, leur statut a changé.
Il y a désormais médiatisation et socialisation dans l’espace politique
français, et même quelques avancées sur la place des femmes, long-
temps oubliées. Et les descendants veulent savoir. La différence entre
générations a aussi joué. Les jeunes sont tributaires de la « mémoire
empruntée » (Maurice Halbwachs) à leurs aînés : ce sont eux qui sont
les moteurs de la demande mémorielle, mais ils ont besoin des acteurs.
Ce militantisme mémoriel pose la question de la transmission, du
risque de décontextualisation, et des débordements en victimisation et
ethnicisation, avec le risque de « mémoire manipulée » (Paul Ricœur).
À l’historien de traquer les manipulations, de situer les Algériens
comme acteurs autant que comme victimes, d’interroger l’espace entre
passé et présent, d’expliquer pourquoi les représentations d’un événe-
ment le constituent comme important, pour qui et pour quels
groupes. Il doit s’interroger sur le postcolonial, sur les retours mémo-
riels au colonial, en questionnant aussi les mal-être actuels qui les acti-
vent. Sur le 17 octobre, il n’y eut pas de passage direct de la mémoire
à l’histoire, mais démultiplication et complexification du travail de
mémoire. Le champ historien doit voir large. Il lui faut analyser sur la
longue durée et sur un plan général les pratiques répressives et leurs
traces — en littérature, en peinture, dans l’opéra, d’Une journée d’Ivan
Denissovitch de Soljenitsyne à la Tosca de Puccini, en passant par le
Tres de Mayo de Goya… Mais le regard historien doit respecter, tout en
tentant de l’expliquer, la part d’inexplicabilité et d’incommunicabilité
propre à toute violence.
Quant aux harkis, François-Xavier Hautreux rappelle que, pour le
bachagha Boualem, ils furent « français par le sang versé ». Là, le natio-
nalisme algérien est nié, vu comme inspiré à une majorité par un FLN

143

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE143 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

perçu comme une minorité. Image corrélative : celle de combattants


abandonnés par le pouvoir gaulliste. Pour le pouvoir algérien, ils sont
ravalés au rang des traîtres.
Leur entrée dans le champ historique a d’abord été dominée par la
question de leur massacre en 1962. Sur ce point, le champ mémoriel
fut envahissant, parfois au détriment d’une étude historique de ce
qu’ils furent pendant la guerre. Chez ceux qui les avaient commandés
et aimés, le registre de la culpabilité implicite le disputa à l’indigna-
tion. Le général Maurice Faivre se fit ainsi en 1995 l’avocat de ces
« soldats sacrifiés 25 ». Auparavant, Mohand Hamoumou avait soutenu
en 1991 une thèse fondée sur des témoignages oraux 26, qui fit de lui
le porte-parole universitaire de la communauté harkie — il insistait
sur les massacres et l’abandon par la France (cent cinquante pages sur
trois cent cinquante). L’accent était mis sur un engagement entrepris,
davantage que pour la France, contre un FLN à la violence consubstan-
tielle. Était aussi stigmatisé le refus français de défendre une popula-
tion désarmée ; d’où les massacres : 150 000 morts ? 70 000 ? bien
moins ? S’il y eut à coup sûr des milliers de morts, les évaluations chif-
frées produites à ce jour sont avancées sans preuve tangible. Nombre
de chiffres relèvent de cette inflation victimisante dont, symétrique-
ment, l’histoire officielle algérienne fait usage pour le chiffre des morts
algériens de 1954-1962, une fois pour toutes fixé à 1,5 million quand
les historiens le divisent de quatre à six fois.
Guy Pervillé s’est à son tour intéressé aux harkis dans des articles
de L’Histoire de 1987 à 1999. Charles-Robert Ageron, dans plusieurs
articles de la revue Vingtième Siècle, de 1994 à 2000, a contesté les
chiffres produits ; lui aussi a fait retour sur la guerre et s’est penché
sur les enjeux mémoriels. Il y a controverse, à nouveau, lors des crispa-
tions excitées par la loi du 23 février 2005. Si les polémiques perdu-
rent, on doit s’en tenir à l’histoire. Début 1961, tenus pour « peu
compromis » aux yeux du FLN, les GAD furent dissous sans mesure
de protection ou de reconversion. Courant 1961, les engagements de
harkis dans l’armée régulière furent encouragés, les mokhazenis, peu

25 Maurice FAIVRE, Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie. Des soldats sacrifiés,
L’Harmattan, Paris, 1995.
26 D’où est tiré : Mohand HAMOUMOU, Et ils sont devenus harkis, Fayard, Paris, 1993.

144

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE144 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

adaptés aux missions d’aide administrative des SAS, massivement


licenciés.
Après les accords d’Évian fut posé le « problème des supplétifs ».
Un plan de « rapatriement » des plus menacés fut entrevu, un accueil
dans des bases françaises envisagé. Cela n’empêcha pas contre eux de
nombreuses rétorsions sanglantes.
Dès lors, le terme « harki » changea de sens. Il tendit à désigner
toute personne menacée par le FLN en raison de son passé pendant la
guerre. En Algérie, le mot « harki » fut figé en « ennemi de la révolu-
tion algérienne ». Et la « question harkie » persista. Aujourd’hui,
malgré les avancées de l’histoire, le vocable « harki » renvoie encore à
une « définition […] essentiellement fabriquée par les pouvoirs poli-
tiques et les porteurs de mémoire, tant en Algérie qu’en France » (Fran-
çois-Xavier Hautreux).

Remarques pour un débat

Il n’est pas possible, ni utile, de discuter de nouveau toutes ces


communications. Reprenons seulement certains points de trois d’entre
elles qui appellent particulièrement la discussion.
Le texte de Jim House et Neil MacMaster résume les apports très
riches de leur livre précité sur le 17 octobre 1961. Il se présente comme
un dépassement du conflit entre les deux principaux auteurs anté-
rieurs, Jean-Luc Einaudi et Jean-Paul Brunet. Il a le très grand mérite de
remettre l’affrontement entre la FF du FLN et la Préfecture de police
de Paris dans une perspective historique, en retraçant ses étapes depuis
l’ouverture des négociations entre le gouvernement français et le FLN
à Évian le 20 mai 1961, et en montrant comment les deux adversaires
n’ont pas vraiment réussi à s’entendre pour respecter une trêve,
jusqu’à la relance d’une offensive systématique contre la police par
les commandos FLN de Paris à la fin août, qui provoqua des mesures
de rétorsion radicales de la part du préfet de police Maurice Papon.
Pour celui-ci, l’organisation d’une manifestation non violente par la FF
du FLN fut l’occasion de remporter une victoire supposée décisive par
sa violence meurtrière avant et pendant la nuit du 17 octobre 1961 ;
mais, peu après, la reprise des négociations secrètes entre le GPRA et le
gouvernement français fit oublier cet épisode sanglant dont le bilan ne

145

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE145 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

fut qu’une partie de celui de la période (plus de cent vingt morts en


septembre et octobre ?).
Cette analyse paraît néanmoins sous-estimer l’importance des
événements directement liés à la négociation. Faute de documents, la
présentation de la politique française qui cherchait une alternative à
son échec sans choisir définitivement une autre option paraît au
moins incomplète (notamment sur les relations du Premier ministre
Michel Debré avec le ministre de la Justice Edmond Michelet et avec le
président de la République). Et, plus encore, celle des débats à la tête
du FLN, qui passe sous silence le conflit entre l’état-major général de
l’ALN (EMG), dirigé par le colonel Boumediene, et le GPRA ouvert le
15 juillet 1961. Ce dernier n’a trouvé qu’une solution apparente lors
du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) de la fin août
avec l’éviction de Ferhat Abbas et la nomination de Benyoucef Ben
Khedda à la présidence du GPRA, Belkacem Krim prenant le ministère
de l’Intérieur et donc la direction de la FF. Sachant que l’offensive de la
FF contre la police parisienne a commencé juste à la fin de la réunion
du CNRA, que Boumediene venait justement de la quitter pour se
rendre en Allemagne, mais que, à la direction de ladite FF à Cologne,
on disait ignorer les causes de cette offensive, on ne peut que se poser
des questions sur les origines de cette décision. D’autre part, l’appel à
une nouvelle procédure de négociation accélérée lancé au gouverne-
ment français par Ben Khedda une semaine après la manifestation du
17 octobre 1961 pourrait avoir été le véritable but de cette
manifestation.
Cette interprétation peut être discutée. En effet, les agissements
d’une FF qui avait comme interlocuteurs privilégiés les trois colonels
(Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Ben Tobbal et Belkacem Krim : les
« 3 B ») du GPRA posaient des problèmes à celui-ci : le ministre des
Affaires étrangères Saâd Dahlab l’a dit expressément à son adjoint
Mohammed Harbi. Le colonel Ben Tobbal avait été averti par la FF de
la manifestation et avait donné son accord. Mais il n’est pas certain
que, en dehors des 3 B, on en ait discuté ni que leurs collègues civils en
aient été avertis : l’ensemble du GPRA n’était donc pas forcément
informé de toutes les décisions prises par la FF. Par ailleurs, l’enchaîne-
ment des faits depuis l’été 1961 ne peut s’expliquer sans la volonté de
quelques-uns de ses dirigeants de se placer en vue de la course au
pouvoir par une surenchère conçue pour plaire aux 3 B ; et l’appareil

146

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE146 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

du FLN avait formé en France non des militants, mais des guerriers,
guère à même de concevoir une politique en dehors d’une stratégie
d’affrontement et d’expédients. La déclaration de Benyoucef Ben
Khedda aurait donc été un appel à renouer une négociation dont il
pouvait craindre que les initiatives activistes de la FF les aient compro-
mises, dans un contexte où, de surcroît, l’EMG œuvrait à discréditer le
GPRA comme bradeur et capitulard. De son côté, la FF n’était pas un
bloc homogène : ce qui était décidé par les uns pouvait être ignoré par
d’autres.
L’exposé de Karim Rouina, résumant les principaux apports de sa
thèse inédite sur la guerre de libération nationale à Oran et Sidi Bel-
Abbès, soutenue à Montpellier en 1980 27, est particulièrement riche et
dépourvu de langue de bois. On peut néanmoins regretter l’absence
de toute périodisation, qui pourrait laisser croire que le FLN-ALN a
mené son action d’une manière continue de 1954 à 1962. Au
contraire, les informations publiées dans Le Monde et les archives du
Service historique de l’armée de terre (SHAT) de Vincennes (dossier
1H 3130) permettent de la périodiser en quatre étapes très différentes.
Après une lente ascension du début 1956 au début 1957, le terrorisme
a décliné irrégulièrement jusqu’en septembre 1958 (mois marqué par
une nette reprise). Puis il est resté presque nul pendant deux ans, avant
de reprendre dans le dernier trimestre 1960 (surtout en décembre). Il
a ensuite fortement augmenté en 1961, mais les statistiques officielles
françaises distinguent alors le terrorisme du FLN et le « contre-terro-
risme » de l’OAS. Contrairement à bien des idées reçues, si l’OAS a été
dès mai 1961 responsable du plus grand nombre d’attentats (la plupart
au plastic), le terrorisme FLN a été responsable d’un plus grand
nombre de victimes, aussi bien européennes qu’algériennes, jusqu’en
janvier 1962, et c’est seulement à partir de février 1962 que le terro-
risme OAS en a fait davantage que son adversaire.
La communication d’Abdelhafid Hammouche a fait débat entre les
auteurs de ce chapitre. Pour l’un, c’est le travail d’un sociologue direc-
tement engagé dans la vie des immigrés algériens et des Français

27 Karim Miloud ROUINA, Essai d’étude comparative de la guerre d’indépendance de l’Algérie de


1954-1962 à travers deux villes : Oran, Sidi-Bel-Abbès, thèse dirigée par André Martel,
université de Montpellier-III, 1980. Cf. notamment les témoignages révélateurs sur la
journée du 5 juillet 1962 à Oran.

147

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE147 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

d’origine algérienne qu’il étudie à Lyon, et qui veut pratiquer une sorte
d’histoire immédiate des faits par rapport auxquels il prend position.
C’est pourquoi elle porte les marques de la situation dans laquelle il
est impliqué. L’analyse du conflit mémoriel déclenché depuis le
20 juin 2000 par les articles de Florence Beaugé dans Le Monde est
bien documentée, mais à partir de sources unilatérales 28, et elle passe
sous silence le contexte lié au terrorisme. Pour l’autre, quelque horrible
qu’il ait pu être, les raisons historiques du terrorisme sont faciles à
analyser : il fut bien l’arme extrême des opprimés désespérés.
La deuxième partie de son texte fait rebondir le débat. Si la
démarche consistant à « participer à l’espace public pour articuler
passé et présent » est nuancée, elle reprend néanmoins certaines idées
martelées depuis des années en Algérie par la Fondation du 8 mai 1945
et par la propagande officielle. L’exigence de « repentance » est au
cœur de ce débat : pour ceux qui y sont hostiles, des formules telles
que la « condamnation globale de la colonisation et de la torture qui
l’incarne », ou bien « une demande de réparation dans l’enceinte judi-
ciaire pour établir un statut digne et établir une nouvelle relation avec
la société française », ou encore « une cristallisation sur l’armée mise
en accusation et l’État dont on attend la repentance avant une ouver-
ture sur l’ensemble de la société française », supposent que les accords
d’Évian, qui étaient fondés sur l’amnistie réciproque des deux adver-
saires devenus partenaires, ne sont plus valables.
Or, désavouer ces accords, c’est logiquement revenir à l’état de
guerre antérieur. L’argument reste léger pour ceux qui seraient favo-
rables, non pas à une quelconque « repentance », le terme relevant de
la sphère religieuse, mais à une reconnaissance de responsabilité de la
puissance publique française. Celle-ci concernerait bien sûr au premier
chef les Algériens pour les traumatismes provoqués par le système
colonial et tous ceux qui ont soutenu leur combat, mais elle devrait
aussi englober les Français embrigadés dans les guerres coloniales, les
souffrances des pieds-noirs — agents et, in fine, fusibles de ce
système — et des harkis, enrôlés dans un guêpier qu’ils ne maîtrisaient
pas.

28 Pour un point de vue plus large, cf. notamment l’article de Guy PERVILLÉ, « La revendi-
cation algérienne de repentance unilatérale de la France » (Némésis. Revue d’analyse juri-
dique et politique, nº 5, 2004, p. 103-140) et sa communication au présent colloque.

148

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE148 (P01 ,NOIR)


La guerre d’indépendance des Algériens

Pour conclure, quels horizons ouvrir à la recherche sur la guerre


de 1954-1962 au lendemain du colloque de Lyon ? Il est difficile de
proposer en peu de mots des perspectives précises. Quelques pistes ont
déjà été signalées 29. L’essentiel est d’élargir les perspectives des histo-
riens au-delà des limites imposées par les idéologies partisanes ou
étatiques et autres ping-pongs mémoriels, afin de leur permettre de
situer les sujets traités dans une vision globale qui tienne compte des
comportements de tous les camps en présence. Il faut également situer
les événements dans plusieurs échelles de temps, en les rapportant à
la profondeur du passé, colonial mais aussi précolonial, ainsi qu’à des
aboutissements récents qui peuvent en modifier le sens. À cet égard,
la communication de Charles Bonn a le grand mérite d’attirer notre
attention sur la « violence aveugle qui sévit en Algérie depuis plus de
dix ans », même si l’histoire ne peut accepter l’idée que celle-ci puisse
être « l’inexplicable absolu, la ruine du sens que voudrait conférer au
réel un discours quel qu’il soit ». Au contraire, l’histoire doit persister
plus que jamais dans la recherche : comprendre et expliquer est son
objectif.

29 Guy PERVILLÉ, « La guerre d’Algérie revisitée : zones d’ombre, points aveugles », in Anny
DAYAN-ROSENMAN et Lucette VALENSI (dir.), La Guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imagi-
naire, Bouchene, Saint-Denis, 2004, p. 225-233 (et sur le site de Guy Pervillé,
<guy.perville.free.fr>).

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE149 (P01 ,NOIR)


5
Migration, culture et représentations

Benoît Falaize, Anne-Marie Granet-Abisset


et Françoise Lantheaume

L a fabrique de l’histoire de l’Algérie coloniale et de l’histoire des


liens qui unissent la France et l’Algérie depuis bientôt deux
cents ans s’organise autour de plusieurs pôles de préoccupations, de
recherches et de pratiques sociales. Le premier est lié à la science telle
qu’elle se construit, et vise à produire des connaissances fiables. La
construction des savoirs, hors des enjeux de mémoire, répond à des
impératifs de rigueur et de validation au sein de la communauté scien-
tifique. Le deuxième pôle renvoie à la question de la traduction des
acquis scientifiques et donc à l’analyse des catégories ainsi créées, au
vocabulaire spécifique utilisé. Enfin vient l’école, lieu social de trans-
mission des savoirs, dans des réinterprétations nombreuses et de
nature variée, en fonction des conditions, du contexte et des modalités
de l’enseignement. Il y a là une chaîne de traduction de la science à la
politique et à la pratique professionnelle, et des interactions entre ces
diverses dimensions.
Placé en fin de colloque, le thème « Migration, culture et représen-
tations » visait à rendre compte de ce travail d’écriture de l’histoire,
de la construction des savoirs savants à sa transmission à un public
scolaire. Du point de vue de l’articulation entre construction

151

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE151 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

historienne et enjeux de mémoire, catégorisation et transmission


scolaire, la guerre d’Algérie semble avoir eu un destin semblable à celui
de la période de Vichy dans la société française : une période de pres-
cription et de travail de deuil suivie, depuis le début des années 1990,
d’une période d’active redécouverte de ce conflit constituant un
moment central de la décolonisation française. Le tout au regard
d’enjeux qui sont la conséquence des relations franco-algériennes 1.
Celui de la question identitaire (de l’histoire, de son écriture, de l’école

Les tensions mémorielles


dans l’écriture de l’histoire

La place et le rôle de l’historien en question


La mise en récit du passé est au cœur des pratiques de l’historien,
qu’il les formalise, les conceptualise ou tout simplement les pratique
dans l’exercice de son métier. Cette fabrication du récit historien doit
se faire selon les normes et les méthodes de la discipline telle qu’elle a
été mise en place au cours du XIXe siècle, déclinée par l’école métho-
dique et, en réaction mais toujours selon les mêmes exigences, par
l’école des Annales 2. Pourtant, l’histoire, discipline sociale par excel-
lence et bien commun de la société, n’est pas vue comme le privilège
ou l’émanation des seuls historiens académiques. Elle a même été
longtemps le pré carré des érudits qui racontaient les hauts faits de
leur pays, qu’il s’agisse de leur territoire local ou de la nation. Elle a
surtout été un outil de communication des pouvoirs successifs dans
leur volonté de construire une représentation qui puisse les légitimer
sur le moment et pour la postérité. Depuis que l’histoire s’écrit ou se
raconte, elle partage la fonction de rapporter les exploits, les hauts
faits mais aussi les événements et les expériences des élites au pouvoir :

1 Sur l’ensemble de ce thème, on consultera avec profit le dossier réalisé sous la direction
de Robert FRANK dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, nº 85, 2007. On pourra
aussi consulter le dossier établi par François DOSSE (dir.), Enseigner l’histoire de l’immigra-
tion, Centre de ressources ville-école-intégration, Montrouge, 2007.
2 Christian DELACROIX, François DOSSE et Patrick GARCIA, Les Courants historiques en France,
XIXe-XXe siècles, Armand Colin, Paris, 2005.

152

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE152 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

l’histoire devient alors le récit commun que doivent s’approprier les


populations qui en dépendent.
Les débats épistémologiques et méthodologiques comme les reven-
dications de scientificité qui traversent périodiquement la discipline 3
autour des binômes subjectivité-objectivité, vérité-réalité, faits-repré-
sentations croisent toujours peu ou prou la question de l’indépen-
dance de l’historien vis-à-vis du pouvoir, des institutions… et de
lui-même : bref de sa place, de son rôle et de son métier.
S’interroger sur la place et le rôle de l’historien, c’est se demander
quel passé transmettre : derrière cette question, c’est la connaissance à
la fois de ce passé et des usages que l’on veut en faire qui est en cause.
C’est aussi redire la responsabilité de l’historien tant dans la fabrication
de la connaissance de ce passé que dans sa transmission. Responsabilité
scientifique et responsabilité humaine, qui obligent à revenir aux fonde-
ments de notre métier : soumettre à la critique les sources quelle que
soit leur nature (écrite, iconographique, orale), remettre en contexte les
faits, les actes, les attitudes des individus et des groupes, leurs représen-
tations, les comportements comme les productions humaines, au rang
desquelles les lois. Au final, c’est analyser les traces et les trous, les dits et
les non-dits des individus comme de la société pour en faire un objet de
savoir. Rappelons aussi la nécessaire rigueur comme l’honnêteté intel-
lectuelle dans les présupposés et les attendus qui doivent présider aux
analyses proposées pour ne pas tomber dans l’incantation, la désigna-
tion et la formulation de modèles orientés, ce qu’ont rappelé avec force
Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet dans leur critique de l’ouvrage
Coloniser, Exterminer d’Olivier Le Cour Grandmaison 4.

3 Ibid. ; François DOSSE, L’Histoire en miettes, des Annales à la nouvelle histoire, La Décou-
verte, Paris, 2005 ; Michel DE CERTEAU, L’Écriture de l’histoire, Gallimard, Paris, 1975 ;
Gérard NOIRIEL, Sur la crise de l’histoire, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », Paris, 2005 ;
François BÉDARIDA (dir.), L’Histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, Éditions
de la MSH, Paris, 1995 ; Roger CHARTIER, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et
inquiétudes, Albin Michel, coll. « Histoire », Paris, 1998 ; Emmanuel LE ROY LADURIE, Le
Territoire de l’historien, Gallimard, Paris, 1973 ; François BÉDARIDA, Histoire, critique et
responsabilité, Complexe, Paris, 2003 ; Marc FERRO, L’Histoire sous surveillance, Galli-
mard, coll. « Folio-Histoire », Paris, 1987 ; Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Seuil,
coll. « Points-Histoire », Paris, 1979 ; Krzysztof P OMIAN , Sur l’histoire, Gallimard,
coll. « Folio-Histoire », Paris, 1999.
4 Olivier LE COUR GRANDMAISON, Coloniser, Exterminer, Fayard, Paris, 2005 ; critique parue
dans Esprit, décembre 2005.

153

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE153 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Toutes ces questions prennent un tour très aigu en fonction du


contexte et des sujets. Comment en effet traiter de thèmes éminem-
ment difficiles, conflictuels, douloureux, aux enjeux lourds du point
de vue politique, économique, culturel et social, concernant tant les
rapports entre les pays que les relations entre les individus ? Comment
faire lorsque les éléments à aborder rencontrent un autisme social
renvoyant lui-même aux relations complexes qu’une société entretient
avec son passé ? Ces difficultés sont exacerbées s’agissant des sujets
contemporains, de l’histoire du temps proche en raison de la présence
directe ou indirecte des acteurs qui pèsent sur le débat et sur le récit à
transmettre. C’est justement dans ce type de contexte ou sur des sujets
de cette nature que la crainte d’une instrumentalisation de l’histoire et
les tensions avec la corporation des historiens s’exacerbent.
En choisissant de traiter d’une manière globale, dans toutes leurs
implications, de la colonisation et de la décolonisation à partir du cas
franco-algérien, ce colloque a voulu aborder un sujet compliqué et
encore douloureux pour les deux parties. Il l’a fait dans une perspec-
tive affichée d’exemplarité dans la réflexion disciplinaire face à la
prégnance mémorielle des décennies 1990-2000, se traduisant par une
production législative renouvelée et orientée. Il s’est voulu comme une
forme de réponse aux lois récentes (depuis 1999 et surtout 2005) qui
ont suscité des débats vifs, des prises de position tranchées et des
craintes partagées d’une officialisation de l’histoire 5. Ces questions
ont traversé un certain nombre de communications 6, qui justement
avaient été rassemblées au sein d’une session intitulée « Une histoire
idéologique ? ». Elles avaient été regroupées dans la perspective de
s’interroger sur la question de l’écriture d’une histoire difficile alors
même que les différentes lois, celle de février 2005 en particulier, se
proposaient d’indiquer dans quel sens dire cette histoire. Il s’agissait
de se confronter au triptyque histoire-mémoire-droit ou justice, ou
bien, pour reprendre en l’adaptant une expression chère à Pierre
Laborie, d’aborder la question d’une « histoire sous surveillance », que

5 Cf. Romain BERTRAND, Mémoires d’empire : la controverse autour du « fait colonial »,


Éditions du Croquant, Paris, 2006.
6 Celles de Guy Pervillé, Nicola Labanca, Claude Liauzu, Yann Scioldo-Zurcher, mais
aussi, apportant l’éclairage indispensable du juriste, celle de Thierry Le Bars.

154

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE154 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

celle-ci soit le fait de la mémoire et des porteurs de mémoire, du poli-


tique-législateur, ou encore des groupes de pression.

Histoire et mémoire : deux registres distincts et complémentaires


Cette réflexion intervient dans un contexte qui a vu la mémoire
envahir le débat à tous les niveaux (politique, législatif, social et
médiatique) et devenir la base légitimant le récit historique au nom
du fameux « devoir de mémoire ». Pourtant, lorsqu’il avait exprimé
cette idée, au retour des camps de concentration, Primo Levi 7 voulait
que l’on se souvienne de cette période singulièrement ignominieuse
et alors indicible de l’histoire : celle de la négation même de l’homme
dans l’expérience concentrationnaire, pour ne pas assister à sa repro-
duction ; c’était aussi pour témoigner pour ceux qui n’avaient pu
revenir et pour leur rendre hommage. Depuis, à force d’être utilisée et
médiatisée, cette expression a été dévoyée. Ses objectifs se sont dilués
ou du moins sont devenus flous, faisant perdre à cette expression de sa
force et de son sens.
La conséquence est que l’on assiste aujourd’hui à une sorte de
« tyrannie de la mémoire », à des usages de celle-ci qui deviennent des
« mésusages » malgré des principes affichés, cohérents et honorables 8.
Il y a surtout une confusion et un mélange des genres qui sont préju-
diciables à l’expression d’un véritable récit historien : mélange entre
le témoignage qui rapporte une expérience et une conception des
choses et la construction d’une mémoire commune par un groupe sur
un aspect du passé, mélange entre histoire et mémoire.
Depuis les années 1970 où la mémoire, par le recours au témoi-
gnage des acteurs, a été convoquée par certains historiens pour la

7 À la suite de ceux qui avaient déjà formulé cette idée à défaut de l’exprimer explici-
tement ainsi, notamment les combattants de la Première Guerre mondiale.
8 Philippe JOUTARD, tribune de la revue L’Histoire, « La tyrannie de la mémoire », nº 221,
mai 1998, p. 98 ; Philippe JOUTARD, « Mémoire, une passion française : l’histoire », in
André BURGUIÈRE et Jacques REVEL (dir.), Histoire de la France, vol. 3, Choix culturels et
mémoire, Seuil, coll. « Points-Histoire », Paris, 2000, p. 301-394. Dans le même ordre
d’idées, citons la création d’une « Délégation à la mémoire et à l’information » au sein
du ministère des Anciens Combattants ; mais aussi Marie-Claire LAVABRE, « Usages et
mésusages de la mémoire », Critique internationale, nº 7, avril 2000, p. 37-48.

155

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE155 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

connaissance et l’écriture du passé 9, sa fonction et son usage en


histoire n’ont cessé de revenir dans le débat des historiens. Le plus
souvent, ce témoignage a été utilisé comme source pour des sujets ou
des périodes qui, pensait-on, n’avaient pas laissé d’archives écrites ou
qui n’étaient pas encore communicables. Ce n’est pas un hasard si les
recherches sur la Seconde Guerre mondiale, que ce soit pour la Résis-
tance ou la déportation, ont suscité le recours au témoignage, ce qui a
10

quement, il en a été de même pour la guerre d’Algérie 11 ou pour les


sujets du temps présent. Si la méfiance à l’égard des témoins a toujours
été forte 12, la mémoire comme objet d’études est entrée dans le champ
de l’histoire pour différents sujets, sans susciter la même réticence ; à
côté de la production pléthorique des ouvrages qui font de près ou de
loin allusion à la mémoire, on se contentera de citer le fondateur Les
Lieux de mémoire de Pierre Nora 13, qui pourtant n’abordait qu’un type
de mémoire, et l’incontournable La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli de Paul
Ricœur 14.
Les termes du débat restent centrés sur les oppositions entre
mémoire et histoire et l’on ne compte plus les colloques, séminaires,
publications, au cours des années qui viennent de s’écouler, qui poin-
tent l’opposition dialectique entre les deux termes, surtout lorsque
doit être pris en compte le témoignage 15. Actuellement, on assiste à

9 Un des ouvrages pionniers est la thèse de Philippe JOUTARD, La Légende des camisards.
Une sensibilité au passé, Gallimard, Paris, 1977 ; et Ces voix qui nous viennent du passé,
Hachette, Paris, 1983.
10 Cf. entre autres, dans une bibliographie très nourrie sur la période (résistance et dépor-
tation), les travaux de Pierre Laborie, Henry Rousso, Annette Wieviorka, Robert Frank,
Jean-Marie Guillon, H. R. Kedward, Raul Hilberg ; et, pour une synthèse sur la Résis-
tance, Laurent D OUZOU , La Résistance française : une histoire périlleuse, Seuil,
coll. « Points-Histoire », série « Histoire en débats », Paris, 2005.
11 Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte,
Paris, 1991 ; Benjamin STORA, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme
anti-arabe, La Découverte, Paris, 1999 ; Raphaëlle BRANCHE, La Torture et l’armée pendant
la guerre d’Algérie, 1954-1962, Gallimard, Paris, 2001.
12 Cf. par exemple les diatribes les plus virulentes de Pierre Goubert dans Historiens et
Géographes, 1978.
13 Pierre NORA (dir.), Les Lieux de mémoire, 3 vol., Gallimard, Paris, 1986-1999.
14 Paul RICŒUR, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Seuil, Paris, 2000.
15 Cf. en particulier Tzvetan TODOROV, Les Abus de la mémoire, Arléa, Paris, 1998. Cf. aussi
les mises au point de Guy Pervillé (voir supra, chapitre 4).

156

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE156 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

une évolution qui semble pernicieuse pour l’histoire comme pour la


mémoire.
D’un côté, il y a, de façon classique, les témoins acteurs « qui ne se
retrouvent pas 16 » dans l’histoire telle qu’elle est écrite, remettant en
cause le travail des historiens, allant parfois jusqu’à leur dénier, eux qui
n’ont pas vécu les faits, de pouvoir savoir, de pouvoir comprendre. Plus
récemment, ces acteurs s’impliquent de plus en plus fortement dans
cette quête mémorielle pour revendiquer une place sociale et une relec-
ture du passé qui doit légitimer leur existence. C’est cette évolution qu’a
dénoncée très largement Claude Liauzu tout au long de sa communi-
cation. Il y pourfend en particulier « les témoins, les acteurs, les mili-
tants et les politiciens qui revendiquent un droit à faire de l’histoire […],
qui en arrivent même parfois à rejeter les travaux des historiens quand
ils ne correspondent pas à leurs intérêts ou leur idéologie ».
Il reprend aussi les propos du Comité de vigilance face aux usages
publics de l’histoire (CVUH), créé en 2005, qui, dit-il, « dénonce les
entrepreneurs de mémoire, l’information-spectacle et l’obsession de
l’audimat [qui] poussent constamment à la surenchère, valorisant les
provocateurs et les amuseurs publics, au détriment des historiens qui
ont réalisé des recherches approfondies, prenant en compte la
complexité du réel ». Pour autant, il dénonce les historiens ou certains
chercheurs en sciences humaines qui se font les porte-parole de ces
acteurs au nom de principes qui n’ont plus rien de scientifique mais
qui correspondent à des enjeux idéologiques, voire personnels. C’est
aussi ce que rappelle Nicola Labanca dans sa communication à propos
des historiens italiens : « Les historiens de l’expansion européenne ont
en général toujours fait profession d’écrire des histoires sans idéologie
[…], sans préjugés. En réalité, nous savons que, jusque dans le Beau
pays [Belpaese], les “historiens coloniaux” — les historiens qui écrivi-
rent l’histoire de l’expansion européenne au temps où elle était en
cours — étaient des historiens desquels l’adjectif “coloniaux” quali-
fiait non seulement leur objet d’étude, mais bien plutôt leur propre
approche, leurs propres préjugés, leur propre idéologie. »

16 Pierre LABORIE, « L’historien sous surveillance », Esprit, janvier 1994, p. 36-49 ; Laurent
DOUZOU, « Appel à témoin, témoins en appel », in Anne-Marie GRANET-ABISSET et Bruno
BENOÎT (dir.), Imaginaire et représentations en histoire, Bulletin du centre Pierre-Léon, nº 1-2,
1997.

157

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE157 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

D’un autre côté, sans doute en raison de cette prégnance mémo-


rielle et du poids revendicatif des acteurs, de plus en plus d’historiens
affirment, sans que cela soit une boutade, que l’histoire ne pourra vrai-
ment se faire que lorsque les témoins auront tous disparu, n’empê-
chant plus les historiens d’historiciser et de construire leur objet à
partir des seules archives écrites. Outre le fait que les archives écrites
sont elles-mêmes subjectives, car reflétant un discours produit en fonc-
tion de logiques et de biais qui tiennent aux contextes et aux person-
nalités, c’est poser le problème de manière réductrice et dangereuse.
Il convient en effet non pas tant d’opposer la mémoire à l’histoire
que de rappeler leurs niveaux et leurs registres respectifs et complémen-
taires dans l’écriture du passé 17. Dire cela, c’est insister sur la fabrica-
tion du récit, une démarche qui incombe aussi bien aux historiens dans
l’exercice de leur discipline qu’aux témoins dans l’expression de leur
mémoire. Seuls diffèrent les objectifs, les cadres et les fonctions de cette
construction. Il faut également distinguer le témoignage source, expres-
sion du souvenir et parole de témoin, et la mémoire, élaboration d’un
récit sur le passé et dont le fonctionnement devient objet d’études.
Quoi qu’il en soit du témoignage ou de la mémoire, travailler avec
le récit mémoriel n’est pas simple, puisque s’ajoute à la complexité de
toute source la présence d’un témoin, acteur direct ou transmetteur
des faits qu’il évoque et dont il se sent le garant. C’est d’autant plus
compliqué qu’il s’agit d’une histoire douloureuse, d’événements diffi-
ciles aux conséquences lourdes pour les territoires dans lesquels ils se
sont déroulés et pour leurs populations 18. Il faut alors nécessairement
revenir aux fondements de la discipline et de la science, pour garantir
l’indépendance intellectuelle du chercheur et sa compétence, gage de
la fiabilité de son travail. Claude Liauzu renvoie pour ce faire aux
directions rappelées par Henri-Irénée Marrou et Marc Bloch,
conscients des enjeux de la mémoire et de l’histoire, et des exigences
du travail historique qui « n’est pas l’évocation d’un passé mort, mais
une expérience vivante dans laquelle l’historien engage la vocation
de sa propre destinée ». Dire cela, c’est aussi rappeler que la mémoire

17 Sur une autre thématique, cf. aussi Anne-Marie GRANET-ABISSET, Fabriquer une histoire des
sociétés alpines. Récit, patrimoine, territoire, PUG, Grenoble, 2008.
18 S’agissant de la période de la Seconde Guerre mondiale, cf. aussi Anne-Marie GRANET-
ABISSET, « Les usages de la mémoire en territoire délicat : quand l’histoire s’en mêle »,
actes de la journée d’études, CHRD, Lyon, 2007.

158

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE158 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

comme l’histoire sont soumises à des objectifs divers qui peuvent ou


veulent orienter le contenu pour des usages sociaux définis. La situa-
tion actuelle, toujours selon Claude Liauzu, voit s’emboîter ou
s’opposer la mémoire nationale officielle, des mémoires sociales et la
mémoire des minorités.

L’« invention » des pieds-noirs


Parmi les minorités, il y eut les Européens d’Algérie, étudiés par
Valérie Esclangon-Morin, décisivement devenus des « Français
d’Algérie » à partir de la loi de naturalisation automatique de 1889.
Alors que, au XIXe siècle, nombre d’entre eux étaient encore installés à
la campagne comme petits colons ayant bénéficié de lots de coloni-
sation et comprenaient encore souvent l’arabe, l’évolution vers un
capitalisme foncier concentré orienta un nombre croissant d’entre eux
vers les villes. Ils s’y étaient déjà, à vrai dire, largement regroupés ; et
ils y furent un temps majoritaires — à Oran — ou presque — à Alger,
voire à Bône/Annaba, mais jamais à Constantine. Se sentant, sociale-
ment et institutionnellement, maîtres de l’espace urbain, ils y eurent
leurs quartiers petits-blancs à eux, d’origine principalement méditer-
ranéenne/espagnole (Bab-El-Oued à Alger, Eckmuhl à Oran…). Dans
chaque ville de l’Algérie coloniale, il y eut un quartier européen, séparé
des quartiers « indigènes ». La connaissance de l’arabe se perdit.
L’aboutissement politique de cette situation sociale, ce fut la création
des « deux collèges » instaurés par le statut de 1947, supprimés en 1958
au profit d’une citoyenneté unique qui ne fit guère illusion : il n’y eut
jamais en Algérie de symbiose avec les « indigènes ».
La littérature a enregistré cette situation, de la « nouvelle race » du
chantre de l’« Afrique latine » de Louis Bertrand au « peuple nouveau »
d’Albert Camus. Et même un écrivain comme Gabriel Audisio, qui
évolua par la suite, exalta en 1935 La Jeunesse de la Méditerranée. Certes,
un Emmanuel Roblès ou un Max-Pol Fouchet, dans le « groupe
d’Alger », vivaient en égal partenariat avec leurs amis algériens, mais
c’était dans un milieu hors normes d’écrivains et d’artistes. Toutefois,
dans l’ensemble, le fantasme d’origines plongeant dans l’Empire
romain ou, corrélativement, dans un creuset méditerranéen généra-
teur de « fusion des races » fonctionna en figure métonymique d’une
identité imaginée. Cette identité, que des Anglo-Saxons qualifieraient

159

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE159 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

de « créole », la barrière coloniale la disjoignait radicalement des Algé-


riens du cru. Mais un sentiment complexe de différence/identifica-
tion marquait, par rapport aux Français de l’Hexagone, ceux qui se
nommaient il y a un siècle encore les « Algériens ». Ils ne se dénomme-
ront définitivement comme groupe social, les « pieds-noirs », qu’avec
le naufrage de l’Algérie coloniale : symptomatiquement, par inversion
valorisante d’une expression tenue au départ pour péjorative.
D’une part, ils regimbèrent contre l’assimilation à la France — en
témoigna la crise « antijuive » de 1898, largement corrélée à des prurits
autonomistes. Cela fut suivi de la loi conférant à l’Algérie la personna-
lité civile et l’autonomie budgétaire, et de la création des « assemblées
algériennes » — les Délégations financières et le Conseil supérieur.
D’autre part, ils se voulaient des Français, voire des super-Français : la
domination coloniale française garantissait leur statut et leurs privi-
lèges relatifs face à une masse algérienne qui les précarisait et les mena-
çait à terme. Il y avait sans doute le prestige de la Grande Nation ; mais
aussi, comme le soulignent Fanny Colonna et Christelle Taraud, un
attachement aux origines extrafrançaises souvent plus marqué qu’on a
pu le croire. D’une manière ou d’une autre, il y eut en tout cas bien des
procédures de conjuration chez ces minoritaires.
Et pourtant, on a souvent donné en modèle l’Algérie comme
« colonie de peuplement ». Après la catastrophe de 1868, étudiée par
André Nouschi, à partir du dernier quart du XIXe siècle, la revanche des
berceaux algérienne ne cesse d’accuser leur caractère de minoritaires
— dominateurs mais minoritaires : ne sentirent-ils pas inconsciemment
plus tôt qu’on ne le croit que, dans la logique du système colonial, leur
départ était à terme programmé ? Sauf pour eux à s’engager résolument
dans l’abattage de la barrière coloniale qui les constituait structurelle-
ment. Mais envisager même de l’abaisser était vu comme suicidaire,
même s’il exista des Français d’Algérie hors normes et, parmi eux, de vrais
anticolonialistes : que l’on pense à un Victor Spielmann (1866-1938), qui
fut salué à sa mort par le chaykh Ben Badis comme l’« ange gardien du
peuple algérien », et à bien d’autres. De tels cas n’empêchèrent pas les
Européens d’Algérie de se forger ce qu’Eric Hobsbawm et Terence Ranger
appellent une invention of tradition, et ce que le jeune historien britan-
nique James MacDougall dénomme invention of authenticity.
En témoigne l’un de ces mythes des origines, si longtemps vivace
dans les mémoires de gauche de part et d’autre de la Méditerranée :

160

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE160 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

celui des colons révolutionnaires de 1848 qu’évoque Yvette Katan et


qu’elle a décisivement étudiés dans un article approfondi 19. C’est bien
à la IIe République, en 1848, que revient la décision politique d’assi-
miler l’Algérie à la France et d’y implanter massivement des colons
français au détriment d’Algériens voués à la spoliation, et promis,
selon les vues du temps, sinon à la disparition, du moins à la dégéné-
rescence. Le contexte était la suite de la grave crise agraire qui affama
l’Europe en 1846, et dont la révolution de février 1848 à Paris fut un
prolongement politique, précédant de peu le « printemps des
peuples » en Europe. L’Algérie, qui avait été, avec la Tunisie, le
« grenier de Rome », aiguisa les appétits coloniaux et fut dès lors envi-
sagée comme un possible recours agricole. Le général Lamoricière, qui
avait été peu auparavant l’un des artisans de la soumission sanglante
des Algériens — il avait reçu la reddition de l’émir ‘Abd el Kader le
23 décembre 1847 — et qui venait d’écraser dans le sang les révolu-
tionnaires parisiens en juin 1848, fit voter en septembre par l’Assem-
blée nationale un crédit de 50 millions de francs or. Objectif : la
création en Algérie de quarante-deux villages de colonisation.
Or, peu après, alors même que des milliers de provinciaux s’étaient
porté candidats, ce furent pour l’essentiel des Parisiens qui furent
envoyés en Algérie. D’où l’idée longtemps enracinée jusqu’à nos jours,
y compris chez certains historiens, que le gouvernement français s’était
débarrassé de dangereux quarante-huitards qu’il préférait savoir campés
outre-Méditerranée. Certes, que des révolutionnaires européens puis-
sent se transformer en colons, être pris dans le système colonial au point
d’en devenir les agents in situ n’a rien d’inimaginable ; René Gallissot,
entre autres, a analysé les ressorts de ce qu’il a dénommé le « socialisme
colonial ». Yvette Katan, elle, s’est efforcée d’y voir clair pour cerner une
réalité qui se révéla en fait assez éloignée du mythe.

La mémoire douloureuse des pieds-noirs


De son côté, Yann Scioldo-Zurcher a abordé l’écriture d’une histoire
orientée portée plus largement par le récit et la mémoire du groupe
social pied-noir. Pour lui, s’interroger sur l’existence d’une vision des

19 Yvette KATAN, « Les colons de 1848 en Algérie », Revue d’histoire moderne et contempo-
raine, vol. XXXI, avril-juin 1984.

161

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE161 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

rapports franco-algériens particulière à ce groupe, c’est tenter de


comprendre comment cette vision spécifique a pu s’imposer au point de
nourrir une version officielle validée par l’article 4 de la loi du 23 février
2005 (qui voulait imposer par la loi l’idée du « rôle positif de la présence
française outre-mer, notamment en Afrique du Nord »). À partir d’une
série de sources — les correspondances, des émissions télévisées (dont
Cinq colonnes à la une) des années 1960 et le cadre législatif —, il met
en exergue les motifs narratifs qui construisent la mémoire et l’identité
pieds-noirs. Ils sont peu ou prou ceux que l’on peut recueillir lors des
enquêtes réalisées auprès d’anciens rapatriés 20.
Les correspondances privées étudiées par Yann Scioldo-Zurcher
sont en effet une source passionnante dans sa nature et ses spécifi-
cités 21. En ce sens, elle se rapproche de la mémoire-témoignage, même
si elle est contemporaine des situations et des événements évoqués. Ses
analyses font ressortir les thèmes classiques de la mémoire pied-noir.
Parmi ceux-ci, les dates repères et fondatrices, les raisons de la coloni-
sation, l’Algérie, un pays ingrat qui n’a dû son développement qu’au
travail acharné des pieds-noirs, la proximité et la connaissance intime
de l’Algérie et de sa situation, l’arrachement à la terre lors de l’indé-
pendance, l’exil forcé vers la métropole et l’impossible retour, l’accueil
difficile en France après le voyage sur des bateaux surchargés, en ayant
dû tout laisser. Des motifs spécifiques apparaissent dans les correspon-
dances, notamment la vision stigmatisant les populations d’Algérie,
déniant à ces dernières une culture, critiquant de manière acerbe
l’islam, sans parler des propos xénophobes et racistes. Yann Scioldo-
Zurcher montre comment les médias, notamment certaines émissions
de télévision, ont contribué à diffuser une image positive des rapatriés,
insistant sur leur intégration et utilisant le même récit, celui de leur
apport à la modernisation du territoire.
D’après Valérie Esclangon-Morin, la guerre d’indépendance algé-
rienne de 1954-1962 aurait, dans la douleur, engagé les Européens
d’Algérie à redéfinir leur identité : majoritairement français ils
étaient au final, français ils seraient à jamais. La proche perspective de

20 Cf. en particulier les enquêtes réalisées pour l’exposition « D’Isère et d’Algérie », Musée
dauphinois de Grenoble, 2004 ; Michèle BAUSSANT, Pieds-noirs, mémoires d’exils, Stock,
Paris, 2002 ; Éric SAVARÈSE, L’Invention des pieds-noirs, Séguier, Biarritz, 2002 ; et Algérie,
la guerre des mémoires, Non Lieu, Paris, 2007.
21 Même si l’on aimerait mieux savoir le contexte et le cadre précis de leur rédaction.

162

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE162 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

l’indépendance d’une Algérie aux mains des « Arabes » comportait le


risque de faire nationalement d’eux des étrangers sur leur sol natal. Il
y en eut parmi eux — peu à vrai dire — pour accepter l’irrémédiable et
se vouloir des Algériens. Mais ils eurent à compter avec les préventions
que leur valait leur passé et avec la norme communautariste forma-
lisée par un islam social et érigée en norme officielle. La loi sur la
nationalité de 1963, édictant qu’il suffisait de s’appeler Mohammed
pour être algérien, requérait en revanche qu’ils fassent expressément la
demande de la nationalité algérienne. Certains s’y résolurent, d’autres
non : il y eut des pieds-noirs qui, aux heures de la lutte, avaient rejoint
le FLN et qui s’y refusèrent : la nationalité algérienne, ils estimaient
l’avoir de droit.
Apatriés en France, les Français d’Algérie devinrent officiellement
des « rapatriés », souvent mal accueillis dans le pré carré hexagonal,
comme boucs émissaires de la cruelle guerre de 1954-1962. Nombre
d’entre ces désormais pieds-noirs acceptèrent difficilement ce doulou-
reux transfert, même s’ils purent arguer de leur déracinement pour
revendiquer des réparations. D’après Valérie Esclangon-Morin, à un
moment où fleurissaient en France des identités reconstruites se réfé-
rant à un passé et à des cultures idéalisés au moment même où, triste-
ment, leurs langues dépérissaient irrémédiablement (breton,
occitan…), les pieds-noirs se mirent à l’unisson. Ils s’inscrivirent dans
ce mouvement avec leur mémoire douloureuse toute fraîche, volon-
tiers imperméable à une vue critique de leur passé. Par la célébration
de cérémonies mémorielles, la flamme du souvenir est entretenue par
nombre d’associations, même si la grande diversité de celles-ci
témoigne de nuances, voire de clivages au sein d’un groupe social
parfois trop souvent vu comme indifférencié. D’après Yann Scioldo-
Zurcher, cette mémoire, entretenue par le biais de ces associations,
tend à oublier le cadre législatif redondant (plus de quatre cents textes
de lois) et les aides distribuées durant des décennies pour ne retenir
que l’histoire d’un exil, d’un abandon et d’une trahison.
Au-delà de ce seul constat, il est important pour l’historien
d’analyser toutes ces paroles, quel qu’en soit le support. Au moment
où il parle, le témoin relit sa vie, relit ses actes et ceux des groupes dans
lesquels il s’insère, devenant ainsi leur porte-parole et leur porte-
mémoire. Il produit un récit avec son lot normal d’oublis, d’erreurs,
de silences, de mythes. Consciemment ou inconsciemment,

163

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE163 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

volontairement ou involontairement, il trie dans ses souvenirs, livrant


autant de traces du passé que de trous, posant surtout à l’historien
des énigmes compliquées. Car le témoin ne se contente pas d’évoquer
des faits. Il rapporte son expérience qu’il considère comme spécifique,
évoquant sa réalité vécue — ou qu’il aurait voulu vivre — avec son
opinion et rapportant sa vérité. En procédant ainsi, il dépasse son cas
personnel. En parlant de lui, il parle aussi des autres, de ceux dont il
se sent proche par le réseau familial, professionnel, social, culturel, de
ceux dont il partage l’identité.
Pourtant, plus qu’à une confusion des mémoires, on assiste à leur
juxtaposition, à un jeu d’emboîtement des mémoires individuelles
dans la mémoire collective 22 à qualifier plutôt de « commune ». En
acceptant de raconter, le témoin fixe le souvenir, construit sa propre
mémoire autant que celle de son groupe de référence. Il se forge ainsi
une existence. Une des fonctions essentielles de la mémoire est en effet
de négocier le temps, passé et présent, dans une projection vers un
devenir individuel et surtout collectif. À défaut de légitimer, cela
explique les postures différentes et les variations dans le récit. En effet,
chaque témoignage, tout en livrant des données générales, produit
toujours des nuances, des contradictions, exprime des positions parti-
culières. Ce sont justement ces discordances, ces éléments différents
qui permettent de relire les autres témoignages, d’interroger le discours
commun ou général, le discours que l’on peut qualifier parfois de
discours officiel du groupe. Mais ces variations sont aussi tributaires du
moment où le témoin parle, d’où la nécessité de toujours contextua-
liser ces récits pour les utiliser dans toute la force de leur expression :
apport factuel mais surtout conception de la manière d’agir, de penser
et d’être des témoins. Cette expression peut être fleuve, saturée autant
que silencieuse. Deux formes, deux niveaux de récit qu’il faut inter-
roger dès lors que l’on veut comprendre l’histoire d’un territoire et les
comportements passés et présents des sociétés qui y vivent.
Pour faire la part entre le mythe et la réalité et, sans les rejeter,
voir ce que les mythes nous enseignent, il incombe à l’historien de
s’appuyer sur tous les matériaux disponibles. Parmi eux, dans les

22 Selon la définition qu’en a donnée Maurice HALBWACHS, La Mémoire collective, Albin


Michel, Paris, rééd. 1997 ; et Les Cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, rééd.
1994.

164

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE164 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

sociétés de l’écrit, les archives restent incontournables. C’est à elles


que Yvette Katan a eu recours pour conclure au sujet des quarante-
huitards colons. Elle s’est plongée tant dans les considérables archives
d’Outre-mer d’Aix-en-Provence (notamment les cotes F80) que dans
les archives de la préfecture de la Seine (cotes VD6). À l’inverse des
mythes, ce que révèle cet « océan de documents », c’est que ne furent
sélectionnés parmi les candidats colons que des gens sûrs, et surtout
pas des « enragés des barricades ». Au surplus, ceux qui avaient en
charge d’encadrer les villages de colonisation étaient des officiers, pour
le moins peu suspects de se laisser gagner par les penchants perni-
cieux prêtés à ces Parisiens colons. Ils sont certes parfois désignés dans
les rapports comme des « énervés de la capitale ». Mais il est aussi
indiqué que, par ces personnages supposés avoir pu être « infiltrés »
par des idées communistes, « le travail en commun a été refusé ».
Mais, tout comme l’expérience des « soldats laboureurs » de
Bugeaud n’avait guère été concluante, celle de 1848 ne le fut pas
davantage. Ils regimbèrent contre l’encadrement militaire qui les régis-
sait, ils se plaignirent de leur abandon et de leur dénuement. Au bout
de deux ans, un tiers d’entre eux avait disparu, du fait de décès, mais
aussi de nombreux départs. On avait à Paris d’ores et déjà tenté de
substituer aux « Parisiens » de vrais agriculteurs du terroir. Mais, en
définitive, ceux-ci ne réussirent dans l’immédiat guère mieux que
ceux-là. Il a fallu attendre le Second Empire et, plus encore, la
IIIe République pour que des moyens considérables soient affectés à
une entreprise de colonisation qui finit par accaparer près des deux
cinquièmes des superficies cultivables, les meilleures d’entre elles. Et
pourtant, ces colons de 1848 ont bien existé, ils ont été des acteurs de
l’histoire des Européens d’Algérie et ont contribué à sédimenter la
mémoire pied-noir, même s’ils ne sont pas consciemment au cœur de
ses mythes centraux.

La concurrence des mémoires et les mythes de la « colonisation positive »


Pendant de nombreuses années, les pieds-noirs ont nourri, à partir
de la mémoire dominante du groupe, une contre-histoire, gardée pour
l’entre-soi, ayant le sentiment de ne pas être compris ou entendus.
Cela était aussi une manière de légitimer l’histoire d’un échec et le
refus de la fin de l’Algérie française. Le contexte mémoriel général

165

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE165 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

insistant depuis les années 1990 sur les victimes a été utilisé et
alimenté par les rapatriés demandant une relecture de l’histoire par
une prise en compte de leur mémoire. Pour ce faire, ils se sont appuyés
sur des groupes de pression actifs, un certain nombre de groupes et
d’hommes politiques et sur la législation qui a placé depuis les
années 1990 la mémoire comme base du droit et de l’histoire, engen-
drant une concurrence mémorielle que tous les intervenants à cette
session ont jugé malsaine. « Si l’on parvient à établir de façon convain-
cante que tel groupe a été victime d’injustice dans le passé, cela lui
ouvre dans le présent une ligne de crédit inépuisable 23… »
Sur cette question de la concurrence des mémoires, la communi-
cation de Guy Pervillé a procédé à une relecture attentive des poli-
tiques mémorielles de la France et de l’Algérie. Il montre comment
elles ont joué respectivement à l’intérieur de chaque pays, dans la
construction des regards réciproques, et ont pesé sur les relations entre
les deux États comme entre leurs populations. Plus encore que les dits
ou les trop-pleins mémoriels, ce sont surtout les autismes et les
amnésies respectifs qui doivent être étudiés dans leurs manifestations
en creux comme dans les conséquences qu’ils peuvent engendrer. On
le sait, les silences sont une forme de récit 24 qui peut produire des
malentendus difficiles à gérer.
Toujours selon Guy Pervillé, après avoir suivi des politiques mémo-
rielles antagonistes — silence sur la guerre d’Algérie en France et
hypercommémoration de la « guerre de libération nationale » en
Algérie —, les deux pays se sont rapprochés à partir des années 1990.
Chez les Algériens émerge une revendication forte de faire reconnaître
par les autorités françaises la répression de la révolte de mai 1945
comme « crime contre l’humanité » ; une revendication de repen-
tance qui s’inscrit dans un contexte où l’État français se livre à une
série d’actes de reconnaissance, notamment vis-à-vis de la commu-
nauté juive (cf. la reconnaissance de la responsabilité de l’État français
de Vichy dans la traque et l’arrestation des Juifs durant la Seconde
Guerre mondiale avec la déclaration de Jacques Chirac en 1995). De
manière très précise, en décortiquant l’ensemble du contexte législatif,

23 Tzvetan TODOROV, Les Abus de la mémoire, op. cit., p. 56-57.


24 Cf. Pierre LABORIE, Les Français des années troubles. De la guerre d’Espagne à la Libération,
Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

166

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE166 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

Guy Pervillé montre comment la loi de février 2005 s’explique aussi


— mais pas seulement — par le projet de 2003 d’un traité d’amitié
franco-algérien, un traité qui se voulait dans la lignée du traité franco-
allemand de 1963, pour sceller une réconciliation et une relecture
apaisée du conflit entre les deux pays.
Cette démarche de mise en perspective par la comparaison avec la
politique mémorielle italienne de la colonisation et l’écriture de
l’histoire coloniale en Italie est l’objet du texte de Nicola Labanca.
Pour lui, l’Italie tient sa spécificité dans la brièveté de son parcours
colonial et dans la précocité de sa décolonisation. Il montre que l’on
est dans une construction idéologique majeure qui fait de la politique
coloniale fasciste une politique conduite avec « bonhomie » (selon les
propos même de Benedetto Croce), par des Italiens « braves gens », se
comportant autrement que les autres colonisateurs européens. Il
montre surtout comment jusqu’aux années 1980 perdure cette
manière issue de la période fasciste de reconstruire une histoire offi-
cielle de la colonisation qui nie les camps, les exactions et les violences
meurtrières, valorisant seulement la Libye comme une terre de peuple-
ment pour les populations italiennes modestes. Exception faite de
quelques travaux très contestés par l’histoire officielle dans les
années 1970 (Battaglia, Del Boca, Rochat), il faut attendre les années
très récentes pour que des travaux indépendants et rigoureux s’atta-
quent à cette période et remettent en cause cette lecture de l’histoire.
Ils le font avec beaucoup de difficultés et sans réel impact dans la
conscience commune italienne. Avec un ton quelque peu provoca-
teur, Nicola Labanca explique que, en Italie, point n’est utile de faire
voter une loi de février 2005, tant les mythes d’une colonisation diffé-
rente et, pourrait-on dire, « positive » ont la vie dure, portés qu’ils sont
par les politiques, les groupes de pression, les médias et la recherche
frileuse des historiens dans ce domaine.
Avec sa position distanciée vis-à-vis des sujets sensibles traités dans le
colloque (les rapports franco-algériens), Nicola Labanca pointe très fine-
ment la thématique au cœur de cette session et plus largement nous
incite à nous interroger sur l’écriture de l’histoire. Si les historiens français
se sont mobilisés face à la menace du retour d’une histoire imposée 25,

25 Rappelons les séries de pétitions : celle lancée dès 2005 contre la loi de février 2005 à
l’instigation entre autres de Claude Liauzu et Gilbert Meynier, et celle lancée en 2006,

167

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE167 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

officielle, il n’en demeure pas moins qu’il leur faut également réfléchir à
leurs propres présupposés pour ne pas écrire une histoire idéologique,
même si elle n’est pas officielle. C’est là que l’on retrouve le contexte
législatif récent qui, directement ou indirectement, pose également ces
questions.

À distance des juges : renouer le lien dialectique entre mémoire et histoire


S’ajoute en effet une difficulté supplémentaire, celle de faire
dépendre l’écriture de l’histoire de la législation ou encore de lier
l’historien au juge. Une imbrication dénoncée déjà en 1995, entre
autres, par Madeleine Rebérioux lors du jugement à l’encontre de
Bernard Lewis que rappelle Guy Pervillé : « Il est temps que les histo-
riens disent ce qu’ils pensent des conditions dans lesquelles ils enten-
dent exercer leur métier. Fragile, discutable, toujours remis sur le
chantier — nouvelles sources, nouvelles questions —, tel est le travail
de l’historien. N’y mêlons pas dame Justice : elle non plus n’a rien à y
gagner 26. » Quelques années auparavant, Madeleine Rebérioux avait
dénoncé la loi Gayssot. Elle lui paraissait confondre de manière malen-
contreuse les fonctions de juge et d’historien : « Les génocides peuvent
et doivent être “pensés”, comparés et, dans la mesure du possible,
expliqués. Les mots doivent être pesés, les erreurs de mémoire recti-
fiées. Expliquer le crime, lui donner sa dimension historique,
comparer le génocide nazi à d’autres crimes contre l’humanité, c’est le
combattre. C’est ainsi — et non par la répression — que l’on forme des
esprits libres 27. »
C’est cette position que défend Guy Pervillé, qui voit dans cette
confusion, ou dans le recours aux juges pour dire l’histoire, un aveu de
faillite de la discipline. On se souvient des débats importants qui ont
traversé la communauté historienne lors du procès Papon où les histo-
riens placés en position d’experts étaient sommés de venir témoigner

à l’initiative de dix-neuf historiens, relayée par le magazine L’Histoire, contre


l’ensemble de la législation mémorielle, suscitant de vifs débats au sein de la commu-
nauté historienne.
26 Madeleine REBÉRIOUX, « Les Arméniens, le juge et l’historien », L’Histoire, nº 192,
octobre 1995, p. 98.
27 Ibid., p. 94.

168

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE168 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

pour la justice 28. Bon nombre d’entre eux ont alors rappelé le statut et
la fonction de la connaissance selon le cadre de son énonciation. On a
aussi rappelé à cette occasion le statut de l’historien qui ne doit être
ni juge ni politique, ni porte-parole 29. Guy Pervillé relit dans cette
perspective l’ensemble des lois qui, depuis les années 1990, ont amené
progressivement à une dépossession de la manière de dire le passé par
les historiens, concurrencés qu’ils sont par le législateur. Au nom de
communautés et des groupes de pression respectifs, ce dernier fait
adopter des lois mémorielles qui n’ont pas seulement un effet incanta-
toire mais, pour certaines, un effet prescripteur.
La lecture croisée du texte du juriste Thierry Le Bars avec celui de
Guy Pervillé est stimulante et éclairante pour comprendre les enjeux
qui ont présidé à leur mise en place. Le regard et l’analyse du juriste
sont fondamentaux pour comprendre l’incidence d’une loi au sens
juridique du terme ; pour savoir si une loi correspond réellement à ce
pour quoi elle est faite, c’est-à-dire fixer un cadre normatif, ou si elle
se contente d’adopter des postures incantatoires, avec les dangers
d’une réelle instrumentalisation par ceux pour qui elle est établie. Les
deux auteurs soulignent comment toutes ces lois, qui s’expliquent
chacune par un contexte précis et légitime 30, entrent en résonance
les unes avec les autres dans un effet d’entraînement, où intervien-
nent très fortement la concurrence des mémoires qui devient celle des
victimes et la prégnance mémorielle déjà soulignée : une prégnance
d’autant plus affichée et revendicative qu’elle a longtemps été passée
sous silence ou qu’elle trouve une justification pour d’autres usages et
d’autres enjeux. Ils en décrivent les effets induits, pour ne pas dire
pervers, pour l’écriture de l’histoire. En prenant les exemples des
attaques portées contre Edgar Morin, Bernard Lewis et Olivier Pétré-
Grenouillau, Guy Pervillé explique comment cette législation autorise

28 Yann THOMAS, « La vérité, le temps, le juge et l’historien », Le Débat, nº 102, 1998,


p. 17-36, comme l’ensemble du dossier, Vérité judiciaire, vérité historique, Le Débat,
nº 102, novembre-décembre 1998 ; Jean-Noël JEANNENEY, Le Passé dans le prétoire.
L’historien, le juge et le journaliste, Seuil, Paris, 1998 ; Daniel BENSAÏD, Qui est le juge ? Pour
en finir avec le tribunal de l’histoire, Fayard, Paris, 1999.
29 Cf. aussi ce que dit François Bédarida à propos de la responsabilité de l’historien expert
dans Histoire, critique et responsabilité, op. cit., 2003.
30 Par exemple, pour la loi Gayssot, le contexte du négationnisme, en partie universitaire
d’ailleurs.

169

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE169 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

certains groupes à attaquer l’histoire au nom de la mémoire. Selon lui,


c’est la liberté même des historiens qui est ainsi menacée. C’est surtout
la liberté de ce qu’ils ont à écrire et à transmettre qui peut devenir
obérée. Leur récit deviendrait alors prisonnier d’enjeux multiples et
variés. Au final, cela aboutirait à la négation même de ce qui fait
l’histoire dans toute sa complexité et la prudence avec laquelle il faut
l’écrire.
Quoi qu’il en soit, ces lois ont au moins obligé les historiens à réaf-
firmer leur profession et leur professionnalisme. On le sait, le travail
d’analyse n’est ni limpide ni facile. C’est même un travail très exigeant
qui passe par la nécessaire confrontation des mémoires entre elles, par
la confrontation entre toutes les formes de mémoire, qu’elles soient
écrites, iconographiques ou matérielles, c’est-à-dire toutes les produc-
tions humaines qui racontent nos sociétés. Cela exige une analyse
critique des discours, par une mise en perspective et en contexte de
toutes ces mémoires, par une mise à distance qui est méthodologique
plus que temporelle. Rappelons aussi, comme le fait entre autres
François Bédarida, les deux paradigmes qui président à nos travaux et
doivent nous guider : le principe de réalité, c’est-à-dire de relativité, et
l’exigence ou le principe de vérité ou, en tout cas, une tension vers
cette vérité. On peut ajouter le principe d’honnêteté, dans la manière
dont on travaille.
Une tâche ardue, qui va avec le doute scientifique qui anime les
historiens. Pour reprendre une expression d’Antoine Prost 31, il faut
rappeler que « l’historien dit vrai, mais que ses vérités ne sont pas
absolues ». S’il peut comme citoyen embrasser ces postures, lorsqu’il
fait son métier l’historien n’est pas là pour prendre position, porter
des jugements de valeur, encore moins des condamnations. Son travail
doit permettre de comprendre ou faire comprendre — ce qui ne veut
pas dire justifier — les événements qui ont eu lieu, les comportements
des individus et des groupes qu’il étudie. Dans nos sociétés qui sont
devenues celles de la preuve et de la garantie, on demande souvent aux
historiens de chercher des explications et, de plus en plus, de dire les
responsabilités et de désigner les responsables. Cette posture nouvelle

31 Antoine PROST, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, Paris, 1996.

170

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE170 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

oblige à réaffirmer avec force nos positionnements 32. Dans tous les
cas, l’historien doit toujours rester modeste dans ses conclusions.
Il reste que, sur la question des rapports entre mémoire, histoire et
justice, et plus spécifiquement à propos des rapports franco-algériens,
on peut se demander, comme le fait Raphaëlle Branche, si l’on est
enfin entré dans une lecture apaisée de cette histoire à la fois longue et
récente 33.
Recourir à la comparaison est un moyen salutaire pour mettre à
distance, montrer l’importance de la contextualisation et éviter les
anachronismes 34 ; elle permet également de relativiser et ouvre parfois
l’analyse sur un sens nouveau. Ces comparaisons, qu’elles soient dans
l’espace ou dans le temps, suscitent des questions très mobilisatrices,
essentielles pour éviter de penser qu’il s’agit à chaque fois d’un phéno-
mène exceptionnel ou au contraire normalisé. On a tout à gagner,
avec les précautions nécessaires, à interroger son sujet à partir
d’autres 35.
Dans une perspective comparatiste, s’agissant de ces mémoires
douloureuses, les expériences conduites par les comités « justice,
équité et réconciliation » en Afrique du Sud et au Maroc 36 sont
passionnantes par leur déroulement, les éléments obtenus et les ques-
tions qu’elles posent. Lors des commissions ont été recueillies les
paroles des acteurs victimes ou, en leur absence, celles de leurs
proches. Les historiens ont eu pour tâche de redonner du contexte,
d’expliquer, d’éclairer et d’analyser ces paroles, bref de donner du

32 François BÉDARIDA, « L’historien régisseur du temps ? Savoir et responsabilité », Revue


historique, nº 249, 1995 ; ou encore « Les responsabilités de l’historien “expert” », in
Jean BOUTIER et Dominique JULIA (dir.), Passés recomposés. Champs et chantiers de
l’histoire, Autrement, coll. « Mutations », nº 150-151, janvier 1995, p. 136-144.
33 Raphaëlle BRANCHE, La Guerre d’Algérie, une histoire apaisée ?, Seuil, coll. « Points-
Histoire », Paris, 2005.
34 C’est ce que fait Gérard Noiriel à propos de l’immigration, cf. plus loin.
35 Cf. par exemple la très belle analyse de Robert Frank pour les « années noires » : « La
mémoire empoisonnée », in François BÉDARIDA et Jean-Pierre AZÉMA (dir.), La France des
années noires. De l’occupation à la Libération, t. 2, Seuil, Paris, 1993, p. 483-514. Cf. aussi
Pierre LABORIE, Les Français des années troubles, op. cit.
36 Cf. à ce propos les travaux de Bogumil JEWSIEWICKI et Jocelyn LÉTOURNEAU (dir.),
L’Histoire en partage. Usages et mises en discours du passé, L’Harmattan, Paris, 1996. Cf.
aussi les résultats du séminaire virtuel organisé par Jamaâ Baïda, Rabat, 30-31 octobre
2007, chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire,
<www.anamnesis.fl.ulaval.ca>.

171

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE171 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

sens ; au final, ils disposent à présent de matériaux conservés et


archivés pour écrire l’histoire de cette période délicate. Ces démarches
et leurs résultats ne sont pas parfaits. De plus, même s’ils ont été
encadrés par le pouvoir, ils ont eu le très grand mérite de permettre à
des populations exclues et victimes de renouer le fil d’une histoire qui
redevient commune et de recommencer à penser un avenir plus
apaisé : comme un lien renoué entre mémoire et histoire.

Construction et usage des catégories

Or renouer, c’est mettre des mots pour le dire ; c’est donc nommer.
La façon de nommer, de classer, est un des moyens utilisés par les
hommes pour dire le réel, évaluer ce qui vaut et ce qui ne vaut pas,
établir ce qu’il faut traiter comme ceci ou comme cela. Construire des
catégories repose sur une nomenclature, des procédures, des objets ;
c’est un processus historique et social. L’usage de ces catégories contri-
buant à stabiliser le social est bien souvent hétérogène. C’est à décrire
ce processus et son sens que se sont attachés Gérard Noiriel et Thierry
Le Bars dans leurs communications. Dans le domaine de l’immigration
pour le premier, dans celui des lois mémorielles pour le second.
L’objet d’étude n’est pas nouveau, ni pour l’un ni pour l’autre, et
il a donné lieu à d’autres travaux de la part d’autres historiens ou
sociologues (Omar Carlier, Jacqueline Costa-Lascoux, Gilbert Meynier,
Abdelmalek Sayad, Émile Témime, etc.). Tous s’accordent sur le fait
que la construction de catégories mobilise des acteurs dans diverses
sphères de la société (politique, administrative, juridique, scientifique,
sociale…), s’ancre dans le processus historique, donne forme au social.
Les catégories sont aussi des ressources pour l’action.

Différences et similitudes des migrations « coloniales » et « étrangères »


La comparaison développée par Gérard Noiriel entre immigration
algérienne et immigration italienne en France sous la IIIe République
répond à un double projet : réinterroger de façon critique les précé-
dents travaux de l’auteur qui ont valorisé les points communs de
toutes les immigrations en France et sous-estimé, selon ses détrac-
teurs, le poids des migrations coloniales, d’une part ; ouvrir un débat

172

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE172 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

concernant l’« exemplarité » de l’immigration algérienne selon la


thèse défendue par Abdelmalek Sayad, d’autre part. Exemplarité
entendue au sens wébérien de « type », l’immigration algérienne
constituant la stylisation de toutes les immigrations, leur quintessence
brûlante. Gérard Noiriel met en question à la fois la mise en équiva-
lence des deux immigrations (coloniale et étrangère) et la fabrication
implicite d’une hiérarchie des victimes que la logique de l’exemplarité
entraînerait. Il défend l’intérêt pour l’historien d’étudier les migrations
de façon comparative pour mieux comprendre l’évolution de l’immi-
gration et de la société française.
La catégorisation juridique est un autre moyen d’agir sur le réel.
En l’occurrence, selon Thierry Le Bars, il s’agit, à travers des lois
récentes aux portées normatives diverses, d’une intrusion de la loi
dans la définition de la vérité historique. L’étude des diverses lois
mémorielles votées depuis quinze ans en France sert d’illustration à ce
phénomène.
L’approche sociohistorique du discours proposée par Gérard
Noiriel permet de mettre au jour des évolutions communes aux migra-
tions coloniales — ici algérienne — et à l’immigration italienne, mais
aussi de nettes différences. Il conçoit « la colonisation et l’immigra-
tion comme deux formes de domination différentes ». Par exemple, la
différence de statut juridique pèse lourd entre les Algériens, à qui les
autorités françaises ne voulaient surtout pas reconnaître un statut
d’immigré qui aurait signifié l’existence d’un État algérien, et les
Italiens venant d’un État en conflit avec la France et vus, à ce titre,
comme une source de désordre. La qualification d’immigré est alors
réservée à l’immigration étrangère. De ce fait, le respect de la conven-
tion de Rome (1924) et de sa définition juridique de la catégorie
« immigré » ainsi que la situation impériale de la France entraînent
des conséquences juridiques autant que pratiques quant à la façon de
compter et traiter les migrants.
La question du déplacement de populations algériennes vers ce qui
est alors la métropole prend racine et forme pendant la Première
Guerre mondiale, qualifiée de « moment fondateur » par Gérard
Noiriel. Le souci de pallier le déficit de soldats et de main-d’œuvre
conduit le gouvernement français à faire appel aux « coloniaux ». Des
migrations coloniales sont donc organisées sous l’égide de l’armée.
C’est dans le cadre de cette militarisation que sont construits les outils

173

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE173 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

nécessaires (carte d’identité, organisations bureaucratiques, organisme


patronal, etc.) du recrutement et de l’encadrement de la main-
d’œuvre algérienne. La conséquence en est que les uns — les
Italiens —, bien que surveillés par le biais de la carte d’identité, puis du
permis de séjour et du passeport, sont libres de leurs mouvements et
bénéficient de contrats de travail, tandis que les autres — les Algé-
riens — sont réquisitionnés par l’armée et placés sous la coupe d’orga-
nismes spécifiques. La vague de xénophobie qui déferle au début de la
guerre prend comme objet les Allemands et les Italiens, mais les Algé-
riens ne sont pas englobés dans la catégorie « travailleurs étrangers ».
Après la Première Guerre mondiale, les lobbies catholiques et nata-
listes associés à des experts (juristes, politistes) tiennent le haut du pavé.
Aussi les immigrés recherchés sont-ils de préférence catholiques et euro-
péens. Désormais, explique Gérard Noiriel, « le patronat a la haute main
sur le recrutement », qui ne concerne plus que la main-d’œuvre étran-
gère, les travailleurs coloniaux ayant, dans un premier temps, été rapa-
triés. C’est dans ce contexte que s’agrège un corpus idéologique assez
hétéroclite provenant de porte-parole issus de la sphère scientifique
autant que de la sphère politique, aboutissant à une conception dans
laquelle s’intriquent question nationale, question « raciale » et ques-
tion sociale. Ainsi, Edgar Bérillon, neurologue de l’école de Nancy
fondateur à la fin du XIXe siècle de la Société de pathologie comparée,
invente une distinction abondamment reprise ensuite entre « races infé-
rieures » et « races antagonistes ». Les Algériens faisaient partie des
premières, les Italiens et les Allemands des secondes.
Au plan international, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
et la notion de « minorité ethnique » font leur apparition à la même
époque. Ils nourrissent les revendications nationales et donnent des
arguments au « milieu indigéniste » qui se constitue autour de Louis
Massignon, professeur au Collège de France, et du juriste Norbert
Gomar. Leur anticommunisme leur fait rejeter l’apport de l’immigra-
tion italienne, perçue comme très politisée et unie (membres des
« minorités nationales […] difficilement réductibles »), et ils préfèrent
les Algériens aux populations de l’Indochine décrétées « inassimi-
lables », au nom du renforcement de la « cohésion de l’empire ».
Nombre d’Algériens reviennent en France où, comme ressortissants
français, ils peuvent théoriquement circuler librement bien que la
surveillance policière ne faiblit pas, stimulée par les campagnes de

174

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE174 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

presse contre les « sidis ». Les immigrants algériens sont définis et


utilisés comme des migrants temporaires très mobiles, alors que les
politiques publiques visent à stabiliser les Polonais et les Italiens censés
repeupler la France.
Les politiques des années 1930 sont indécises. La nouveauté est la
contribution des sciences humaines au débat public par la voix,
notamment, de l’historien Charles-André Julien ou du géographe
Georges Mauco. C’est finalement Mussolini qui, rappelant les Italiens
au pays, fait basculer le choix français du côté d’un appel à la main-
d’œuvre algérienne. Dans un contexte de reconstruction économique,
ce sont les secteurs d’emplois les plus répulsifs pour les travailleurs de
l’Hexagone (agriculture, sidérurgie…) qui sont réservés aux immigrés
de toutes catégories. Désormais, au moment où la France devient le
premier pays d’immigration, les services de la police et du ministère du
Travail se disputent la responsabilité de la mise en œuvre de la poli-
tique d’immigration. Ces luttes intestines ne sont pas sans effet sur les
décisions prises.
Après la Seconde Guerre mondiale, le même lobby nataliste et
catholique reprend son action, mais la Pologne devient communiste
et la concurrence que se font les pays européens en matière d’immigra-
tion fait que les émigrants italiens préfèrent d’autres destinations.
Aussi le débat public entre immigration algérienne et immigration
européenne tourne-t-il court et les partisans de la première peuvent
prendre l’avantage. Dans le même temps, le mouvement vers l’Hexa-
gone d’Algériens, désormais citoyens, se confirme. Ils entrent, en prin-
cipe, dans la catégorie des migrants régionaux et, à ce titre, bénéficient
des mêmes droits et devoirs que des Corses ou Bretons partis travailler
dans une autre région. Mais les controverses se poursuivent entre les
ministères (particulièrement entre ministère de la Population et minis-
tère du Travail), au sein de la Commission interministérielle d’immi-
gration ; elles opposent les partisans de telle ou telle immigration. La
population algérienne est alors volontiers présentée comme s’inté-
grant mieux que la population italienne, celle-ci étant perçue comme
un germe de dissidence dans le tissu national. La proximité de la
guerre explique ces craintes.
Sollicités jusque dans les villages, encadrés au plan médical et poli-
cier, les Algériens sont dirigés vers les métiers dont la pénibilité et
les faibles salaires font fuir les autochtones à un moment où la

175

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE175 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

reconstruction multiplie les opportunités d’emplois. La lutte entre


services ministériels et Office de l’immigration fait encore rage au
début des années 1950 ; mais, au-delà du combat pour un pouvoir sur
une zone d’action politique et administrative, ce sont divers groupes
d’acteurs et des définitions différentes de l’« immigré » qui s’opposent.
Au total, Gérard Noiriel en fait la démonstration, il y a bien eu un
traitement différent entre migrations coloniales et immigration
italienne pendant toute la période. Il montre aussi le poids de la
conjoncture internationale. L’articulation étroite entre situations
nationale, internationale, économique, politique et sociale permet de
comprendre l’évolution de la définition des différentes catégories
permettant à l’État, aux médias et à la population de parler de l’immi-
gration et des immigrés, le tout dans un contexte de controverses
publiques continues. Les argumentaires de diverses natures (ceux des
hygiénistes et ceux du patronat, par exemple, autant que ceux des
experts) concourent à nourrir le débat jusqu’à une stabilisation, finale-
ment assez précaire, de telle ou telle catégorie ou dénomination.
L’histoire de l’immigration sous la IIIe République montre, selon
Gérard Noiriel, le lent travail de transformation des anciens colonisés
en nouveaux étrangers. La nomenclature utilisée par l’administration, la
presse et les élus souligne cette évolution et le lien entre dimensions
politique et sociale. Dans son ouvrage se proposant de faire la somme
des connaissances sur l’histoire de l’immigration en France 37, il affirme
que l’immigration a rendu possible l’intégration nationale de la classe
ouvrière et l’ascension sociale d’une partie de la population laborieuse.
En effet, la place des classes dangereuses est progressivement occupée
par les immigrés, qui effectuent les travaux que ne veulent plus faire
les ouvriers français métropolitains. La guerre d’Algérie et la perception
des Algériens comme une population « à risque » conduisent ensuite
les autorités françaises à se tourner à nouveau vers l’immigration euro-
péenne (portugaise particulièrement). C’est à ce moment-là, selon lui,
« que se fixe le discours opposant l’“intégration réussie” des anciens
immigrants européens et l’“intégration difficile”, voire impossible, de
l’immigration postcoloniale » et que se construit ce qui devient le
« problème de l’immigration ».

37 Gérard NOIRIEL, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Gallimard, Paris,
2005.

176

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE176 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

L’« invention du problème de l’immigration » est ainsi mise au jour


par Gérard Noiriel comme un processus lié à la IIIe République, au
moment où s’effectue la restructuration de l’espace public autour de
trois pôles (la politique, le journalisme, la science). L’immigration
italienne, objet de bien des stéréotypes sur la « race antagoniste », a
coexisté avec l’immigration algérienne avant de lui laisser la place.
Avec la guerre d’Algérie, cette dernière va supporter le cumul des
stéréotypes des « races antagonistes » et des « races inférieures ».
La démarche comparatiste et l’analyse des discours publics, à partir
d’une approche sociohistorique, révèlent tout leur intérêt pour
déconstruire ce qui semblait aller de soi autour de l’idée de « creuset »
français. Cependant, la construction des catégories semble ici le fait
des seuls groupes dominants, du fait d’une analyse des discours publics
qu’ils produisent. Gérard Noiriel est ainsi fidèle à Pierre Bourdieu et à
sa sociologie de la domination. Les catégories forgées dans l’espace
public sont le seul fait d’une élite fournissant des argumentaires prêts
à l’utilisation par des populations qui en feraient un usage déjà tout
tracé. Cela correspond à une conception descendante du social et de
l’élaboration des ressources argumentaires potentiellement mobilisées
par les acteurs. Cette perspective, aussi riche soit-elle, ne sous-estime-
t-elle pas une approche « par en bas » et le rôle des interactions pour
mettre à l’épreuve, transformer des catégories existantes ou en créer de
nouvelles ? Ce travail est esquissé par Gérard Noiriel dans son ouvrage
Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècles) 38.

Les lois mémorielles et l’histoire


Avec Thierry Le Bars, la période étudiée est plus récente et l’objet
plus limité, mais il est aussi question de la définition de catégories,
dans la sphère politique et juridique cette fois, à propos des lois dites
mémorielles. L’approche juridico-historique porte sur l’examen de la
normativité différentielle de ces lois votées par le Parlement français
entre 1990 et 2005. Il rappelle que le rôle du législateur est de produire
des normes et des qualifications juridiques, mais que toutes les normes
n’ont pas la même valeur juridique et ont des contenus différents

38 Gérard NOIRIEL, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècles). Discours


publics, humiliations privées, Fayard, Paris, 2007.

177

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE177 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

selon qu’elles sont impératives, prohibitives ou permissives. Cepen-


dant, et c’est le premier constat fait à propos des lois mémorielles fran-
çaises, elles n’ont pour la plupart aucune portée normative.
En effet, selon Thierry Le Bars, on peut distinguer plusieurs types
de lois mémorielles. Le premier englobe celles qui n’ont qu’une portée
symbolique. Dans cette catégorie se trouvent les lois de commémora-
tion, comme celle établissant, en 1999, la reconnaissance de l’expres-
sion « guerre d’Algérie » — qui n’a rien changé au régime des anciens
combattants d’Afrique du Nord. On peut estimer qu’elle a une « quali-
fication neutre ». De même, l’article premier de la loi Taubira (2001)
reconnaît que l’esclavage est un crime contre l’humanité — mais les
auteurs des crimes visés étant morts, ils ne peuvent être poursuivis. En
revanche, ces lois répondent à une forte demande sociale de recon-
naissance symbolique.
Un cas de figure assez proche correspond à la loi du 29 janvier 2001
sur le génocide arménien, qui reconnaît cette qualification de géno-
cide, mais sans en tirer de conséquences normatives : aucune sanction
n’est envisagée. Cependant, cette loi diffère de celles à seule portée
symbolique par son affirmation d’un fait (« l’extermination d’un
grand nombre d’Arméniens par les autorités ottomanes, pendant la
Première Guerre mondiale ») auquel est dorénavant attribuée une
valeur légale. Ainsi, elle instaure une histoire officielle et constitue une
intrusion du politique dans le domaine scientifique.
La loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et
contribution nationale en faveur des Français rapatriés » appartient en
partie à la catégorie des lois symboliques, dans la mesure où elle
affiche une reconnaissance symbolique (« la Nation exprime sa recon-
naissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre
accomplie par la France dans les anciens départements français
d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les
territoires placés antérieurement sous la souveraineté française »), sans
présenter aucune qualification juridique, contrairement à ce qui est le
rôle du législateur. Cependant, comme la loi Taubira, mais de façon
aggravée (la loi Taubira préservait la liberté des chercheurs), elle porte
une dimension normative puisqu’elle veut imposer une prise en
compte d’un contenu précis dans la recherche et les programmes
scolaires : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le
rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique

178

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE178 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de


l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle
ils ont droit. » Dans ce cas, il y a empiétement sur le pouvoir exécutif
dont dépend la définition des programmes (comme dans la loi
Taubira) et, en plus, adresse d’un « ordre précis » aux auteurs de
programmes et aux enseignants. On est bien dans l’imposition d’une
histoire officielle, puisqu’il n’est pas seulement prescrit d’en parler
comme à propos de l’esclavage, mais il est également expliqué
comment on doit en parler. Raisons qui ont justifié la suppression de
l’alinéa incriminé à la suite d’une campagne d’opinion conduite
notamment par des historiens.
Le dernier type de loi mémorielle correspond à la loi Gayssot du
13 juillet 1990 (nº 90-615), dont Thierry Le Bars présente les buts et la
portée ainsi : « Réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe et
dont l’article 9 insère un article 24 bis dans la loi du 29 juillet 1881 sur
la liberté de la presse. Ce texte incrimine la contestation de certains
crimes contre l’humanité. Pour dire les choses simplement, sont visés
les crimes contre l’humanité commis par les nazis et leurs alliés euro-
péens avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale. La portée de la
loi Gayssot est, sur ce point, sans commune mesure avec celle des lois
qui, ultérieurement, se sont prononcées sur l’histoire. Contrairement à
la loi de 2005, elle ne s’est pas prononcée directement sur une ques-
tion historique. Mais, indirectement, elle pose une version officielle
de l’histoire en incriminant pénalement la contestation publique de
certains faits. » C’est la seule loi qui ait à ce jour une réelle portée
normative, puisque des sanctions pénales sont prévues pour les
contrevenants. Une portée normative concernant également une
façon de dire l’histoire.
À partir de l’étude des lois mémorielles de ces quinze dernières
années, Thierry Le Bars en arrive à la conclusion qu’il existe une
« nette tendance du législateur contemporain à vouloir dire l’histoire
en donnant une version officielle d’un événement historique ».
L’approche juridique permet de comprendre la portée différente de ces
lois en relation avec une absence, ou pas, de normativité. Elle montre
aussi à quel point le législateur sort volontiers de son rôle en utilisant
la loi comme un instrument politique au service de la reconnaissance
de segments de la population et pour imposer de fait une histoire offi-
cielle. Les débats encore vifs, y compris entre historiens, sur l’utilité de

179

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE179 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

ces lois soulignent le fait que l’approche juridique ne peut être seule
convoquée pour donner sens à l’usage que fait le législateur de son
pouvoir, mais elle permet de mieux saisir les enjeux de normativité des
lois votées par la représentation nationale. Une étude, à peine évoquée
par Thierry Le Bars, de la fabrication de ces lois serait utile pour mieux
saisir les forces sociales et politiques en jeu, leurs argumentaires, les
compromis auxquels ces lois ont donné lieu.
Ainsi, le travail de catégorisation dont le droit participe, bien que sa
contribution ait longtemps été sous-estimée par les historiens, est révé-
lateur de la façon dont des discours, des actes, des objets construisent
un réel, le stabilisent, à travers des controverses dont l’étude permet de
saisir les dynamiques sociales, politiques, mémorielles en jeu. Ces
mêmes processus se retrouvent dans le domaine de la transmission
scolaire, les ressources produites dans la sphère politico-juridique et
savante pouvant être mobilisées dans celles de l’enseignement.

La question de la transmission scolaire

De ce fait, la place laissée à la question scolaire durant le colloque


de Lyon, sans pour autant être nouvelle, n’en reste pas moins rare.
Elle témoigne d’une volonté affirmée de traiter d’un seul tenant la
dimension historienne jusques et y compris dans sa dimension de
transmission. Le choix des organisateurs était de ne pas laisser l’école
dans le champ clos de débats pédagogiques, renvoyés à une margina-
lité scientifique. L’école est partie prenante de l’idéologie et des
pratiques sociales, et constitue une des entrées majeures de la réflexion
portant sur les usages sociaux de la science historique. C’est du reste
autour d’elle que se sont polarisés les débats mémoriels de 2005 après
la volonté du législateur de vanter les points positifs de la colonisation.
Or, trop souvent, l’école est victime du sens commun, y compris
là où on ne l’attend pas. Trop souvent, les préjugés font dire que
l’école n’enseigne pas assez ceci, ou pas assez cela, sans véritable
examen du réel scolaire, objet complexe s’il en est. L’analyse des
programmes d’enseignement donne accès à la manière dont une
société, un État définit la façon dont il entend dire l’histoire natio-
nale, mais leur interprétation dans les manuels et outils scolaires
donne à voir une autre forme de prescription et de traduction de

180

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE180 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

savoirs académiques ou mémoriels. Les diverses approches des livres


scolaires sont l’expression autant de la volonté de prendre en compte
le programme officiel que de la façon dont l’édition les interprète dans
le cadre de multiples contraintes éditoriales. Mais il est encore un autre
niveau d’interprétation : les pratiques quotidiennes, celles qui s’inscri-
vent dans l’intimité des classes et qui peuvent faire preuve d’une
grande autonomie, tant à l’égard des programmes que des manuels
eux-mêmes. En ce sens, dire la réalité d’un enseignement, c’est assuré-
ment prendre en compte l’ensemble de ces usages.
De fait, les études concernant l’enseignement de la guerre d’Algérie
sont peu nombreuses. C’est le cas de celles qui s’attachent soit aux
programmes d’histoire, soit à la façon dont les manuels d’histoire
abordent cette question. Les analyses se rejoignent souvent pour
relever l’absence de cette question au programme d’histoire ou s’inté-
ressent, depuis qu’elle est inscrite au programme, à la manière dont
les manuels la traitent, d’un point de vue aussi bien qualitatif que
quantitatif. La question de l’occultation de la guerre d’Algérie dans
l’enseignement est encore débattue : déjà discutée lors d’un colloque
de 1992 39, elle a été à nouveau soulevée lors du plus récent colloque
de 2001 40. Les avis exprimés étaient ici encore partagés : alors que
certains ont demandé si les programmes permettent l’enseignement
de ces questions, l’institution s’est défendue de toute volonté
d’occultation.
L’analyse menée par Guy Pervillé 41 en 1986 révèle une rupture
avec les manuels antérieurs à la guerre et aux programmes de 1959, qui
avaient tendance à présenter l’œuvre coloniale de la France sans esprit
critique. En 1986, tous les manuels admettent sans réserve l’indépen-
dance de l’Algérie et estiment que ce conflit a pour cause principale
les fautes commises du côté français. Mais, selon Guy Pervillé, ces

39 La Guerre d’Algérie dans l’enseignement en France et en Algérie, textes rassemblés par


Abdeljalil LAAMIRIE, Jean-Michel LE DAIN, Gilles MANCERON et al., Centre national de
documentation pédagogique/Ligue de l’enseignement/Institut du monde arabe, Paris,
1993.
40 Apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain, « Les actes de la
DESCO », Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Versailles,
2002.
41 Guy PERVILLÉ, « La guerre d’Algérie dans les manuels », Historiens et Géographes, nº 308,
1986.

181

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE181 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

manuels peuvent être critiqués sur leur manière de présenter les causes
et le déroulement de la guerre ainsi que les responsabilités de la France
dans celle-ci. On remarque une tendance assez nette au fatalisme
historique (pour expliquer la guerre et son aboutissement, on part de
ce qui est advenu et on remonte la chaîne des causes, donnant ainsi
l’impression que l’on veut faire oublier certains faits). On n’échappe
que rarement à la tentation du manichéisme, à la tendance à penser la
guerre sur le modèle de la Seconde Guerre mondiale avec d’un côté
les résistants, de l’autre les collaborateurs. Ainsi, les « gros colons »,
les « pieds-noirs » ou l’OAS tiennent le mauvais rôle de cette histoire,
où ils font figure de boucs émissaires. Il n’y a pourtant aucune raison,
remarque Guy Pervillé, pour que tous les conflits de notre siècle soient
pensés à partir d’un modèle unique. On observe aussi un certain
« européocentrisme » qui conduit à sous-estimer le problème culturel
— des langues et des religions — ou à escamoter l’histoire du FLN.
Hubert Tison, un des responsables de l’Association des professeurs
d’histoire-géographie (APHG), propose une explication à ces
tendances : peut-être a-t-on pensé que ces programmes étaient faits
pour des élèves français et que l’Algérie ne devait guère les intéresser.
Mais il ajoute qu’« il ne faut pas oublier les besoins des élèves algériens
qui ne sont pas en nombre négligeable dans nos lycées, ni ceux des
“Français musulmans” qui, autant que les Algériens nés en France, ont
besoin de se situer, par rapport aux deux nations 42 ».
Lors du colloque de Lyon, trois communications ont rendu compte
avec plus de précision encore de l’histoire enseignée, celles de Lydia
Aït Saadi et de Françoise Lantheaume autour des programmes et
manuels scolaires algériens et français, et celle de Gilles Boyer et Véro-
nique Stacchetti, plus ancrée dans les questions des pratiques de classe.

Algérie et France : une lecture critique des manuels scolaires


L’intérêt majeur de la contribution de Lydia Aït Saadi fut de
montrer comment l’histoire prescrite algérienne est une histoire
d’État. Réinvestissant les réflexions de Suzanne Citron sur le Mythe
national 43, Lydia Aït Saadi analyse comment l’État entend puiser sa

42 Ibid.
43 Suzanne CITRON, Le Mythe national, Éditions ouvrières, Paris, 1987.

182

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE182 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

légitimé dans l’enseignement qu’il prescrit sur la guerre de libération


nationale. C’est tout un travail d’appropriation du discours historique
officiel dont témoigne l’analyse des manuels scolaires algériens à
laquelle elle se livre. Une écriture scolaire qui se fait au risque d’une
réécriture de l’histoire et, partant, d’une délégitimation de l’historio-
graphie comme de l’histoire enseignée. Une histoire sous surveillance
en somme. Abdelmalek Sayad avait évoqué cette capture officielle de

expliquer ce phénomène par la notion d’aliénation 44. Incontestable-


ment, l’histoire présentée dans les manuels algériens n’est pas « désa-
liénée », c’est-à-dire qu’elle n’est pas écrite hors du contexte
idéologique qui l’a vu naître.
En regardant deux dimensions importantes de la production édito-
riale algérienne à destination des classes, les figures présentées et
l’iconographie (d’où la violence n’est pas absente, loin s’en faut,
parfois très tôt et notamment en classe de neuvième, dans un corpus
très riche), Lydia Aït Saadi repère une rupture autour des
années 1988-1992, date d’entrée en vigueur de nouveaux manuels.
Depuis l’indépendance, dans le livre d’école, de l’école primaire à la
classe terminale, la vision de l’histoire nationale et de sa lutte d’indé-
pendance est manichéenne. Des couples sont omniprésents, distin-
guant les oppresseurs des opprimés, opposant la répression à la
résistance, la force brutale au courage. Peu de figures, voire aucune,
des pionniers de la « révolution nationale » : pas de mention de
Boudiaf, Ben Bella, Aït-Ahmed ni de Khider. Seul le peuple, véritable
héros, et, avec lui, les martyrs sont présentés pour l’édification de
l’élève. Dépassant les ajustements politiques de l’histoire algérienne,
de 1962 à nos jours, et les reconfigurations partisanes, le « peuple algé-
rien » est le lieu de l’unité qui se veut consensus.
Pourtant, Lydia Aït Saadi a aussi montré les évolutions d’une écri-
ture scolaire. À partir des manuels de 1992, dans un contexte sociétal
marqué par les événements d’octobre 45 et l’introduction du

44 Abdelmalek SAYAD, Histoire et recherche identitaire, Bouchene, Saint-Denis, 2000.


45 En octobre 1988, des manifestations de jeunes, notamment à Alger, furent réprimées
dans le sang par l’armée. Il y eut plusieurs centaines de morts. Le pouvoir algérien
tenta alors de s’engager dans une politique de réformes. Une nouvelle Constitution fut
adoptée en 1989 et le pluripartisme fut institué. Cette courte période d’embellie fut

183

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE183 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

pluripartisme, l’État produit des manuels scolaires (le secteur privé n’a
pas sa place alors dans l’édition scolaire) qui intègrent des figures
historiques du mouvement nationaliste. Ferhat Abbas, Messali Hadj
ou encore les docteurs Belkacem Bentami et Mohammed Salah Bend-
jelloul sont présents, même si, pour ces derniers, comme pour Abbas,
le terme « assimilationniste » est connoté péjorativement. De manière
générale, Lydia Aït Saadi insiste sur ce qu’avait déjà bien perçu
Mohammed Harbi 46 dans ses réflexions sur l’idéologie du régime algé-
rien, à savoir la présence et la persistance, dans l’édition scolaire, des
trois mythes de l’État, repérables concrètement par les figures et les
documents proposés aux élèves : le fait que 1945 correspond à un
moment de table rase, avec Sétif comme pivot explicatif ; le fait que
le peuple est pensé comme homogène ; et enfin le fait que la révolu-
tion a été faite par les paysans. Cette histoire enseignée, écrite dans
les ouvrages scolaires destinés à la jeunesse algérienne, fait, selon Lydia
Aït Saadi, que les élèves sont engagés dans un « système affectif
immense », faisant d’eux les porteurs de l’idéal national.
Cette écriture scolaire d’État, la France l’a connue jusqu’aux
années 1960, si l’on suit la communication de Françoise Lantheaume.
En effet, elle montre dans ses travaux 47 comment les manuels scolaires
et les programmes passent, en France, d’une tradition patrimoniale de
la transmission des œuvres des ancêtres, y compris l’œuvre coloniale,
à la définition d’une transmission patrimoniale articulée au projet de
développement de l’esprit critique. Cette évolution s’est opérée autour
des années 1960-1980, sous l’effet de plusieurs facteurs qu’évoque avec
précision Françoise Lantheaume dans sa communication.
Jusqu’aux années 1960, la colonisation et la subordination de
l’Algérie par la France étaient justifiées par l’histoire scolaire.
Programmes, manuels scolaires et pratiques effectives de classe étaient
alors, massivement, à l’unisson, au nom du progrès de l’humanité,
pour exalter la « plus grande France » dans ses territoires coloniaux.
L’adéquation entre la colonisation et la République allait de soi, à

marquée notamment par le gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche


(1989-1991).
46 Mohammed HARBI, 1954, la guerre commence en Algérie, Complexe, Bruxelles, 1998.
47 Françoise LANTHEAUME, « Enseigner l’histoire de la guerre d’Algérie : entre critique et
relativisme, une mission impossible ? », in Claude LIAUZU (dir.), Tensions méditerra-
néennes, Cahiers Confluences Méditerranée, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 231-265.

184

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE184 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

l’heure où le rôle civilisateur de la France républicaine était revendiqué


par les personnages les plus en vue de la République, de Jules Ferry à
Paul Bert. Françoise Lantheaume montre comment l’histoire militaire,
politique et événementielle était au service d’une idée de la France
présente partout dans le monde, surtout au Maghreb et surtout en
Algérie, où l’idéal assimilationniste était porté au plus haut.
Pourtant, dans le contexte des décolonisations et de l’esprit de
Bandung, une évolution notable se fait jour autour des années 1960,
au moment des « programmes Braudel » (1957), dont la dimension
civilisationnelle est très forte, contre les tenants d’une histoire tradi-
tionnelle et événementielle. Le renouvellement historiographique de
l’école des Annales entraîne une remise en cause du déroulement
linéaire et mythologique des leçons d’histoire, au profit d’une écri-
ture de l’histoire scolaire plus critique. Le choc de la décolonisation et
la condamnation de la France par les instances internationales pour
la torture et la répression en terre algérienne provoqueront un réamé-
nagement de ce que l’on pouvait dire en classe sur les relations franco-
algériennes. D’abord au bénéfice d’une historiographie renouvelée
(Charles-André Julien, André Nouschi, Charles-Robert Ageron, Annie
Rey-Goldzeiguer, Gilbert Meynier, Benjamin Stora…), ensuite du fait
des doutes d’une France « rétrécie » territorialement sur sa mission et
son rang dans le monde ; enfin parce que le renouvellement du public
scolaire, surtout à partir des regroupements familiaux des années 1970,
allait provoquer une demande sociale plus encline au réexamen de
l’histoire nationale.
De ce point de vue, les années 1980 ouvrent une ère où les manuels
scolaires s’attachent à « refroidir une question chaude ». Principale-
ment de trois manières. Françoise Lantheaume dresse le bilan de la
production éditoriale en histoire et peut ainsi dessiner un paysage
conforme à un autre idéal, moral celui-là, où les droits de l’homme
constituent l’horizon d’attente. D’abord, un changement d’échelle a
lieu. Quittant l’événementiel et le récit mythique, héroïque autant
qu’irénique de la colonisation algérienne, les manuels changent
d’échelle (avec les programmes), en privilégiant une approche plus
globale, plus mondiale, où la colonisation française en Algérie n’est
qu’un cas de colonisation parmi d’autres. Ensuite, l’euphémisation de
la violence coloniale, de la conquête et de la répression, à l’opposé de
ce que présentait Lydia Aït Saadi pour les manuels algériens, est venue

185

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE185 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

atténuer, par occultation, le regard critique que les élèves auraient pu


avoir si les auteurs et éditeurs de manuels, dont Françoise Lantheaume
montre l’évolution et ses effets, avaient mobilisé les travaux histo-
riques pourtant disponibles. A contrario du corpus de Lydia Aït Saadi,
les images violentes sont rares, le récit de la conquête absent ou
presque, la présentation dans les pages de cours est très factuelle, géné-
rale et neutre. En revanche, enfin, la décolonisation est présentée
comme un événement porteur de violences mises en équivalence entre
les deux belligérants, tandis que la part des manuels consacrée aux
documents porte la partie la plus « chaude » et controversée de cette
histoire. Ce refroidissement s’accompagne d’une moralisation du
regard porté sur la guerre en général, tentant ainsi d’atténuer la
tension entre logique patrimoniale et logique critique par un mélange
de relativisation et de moralisme.

Dans la pratique scolaire, les risques des conflits de mémoire


Ce qu’ont apporté Gilles Boyer et Véronique Stacchetti à cette
lecture critique et historicisée de Lydia Aït Saadi et Françoise
Lantheaume, c’est un regard sur les pratiques scolaires, issu d’enquêtes
menées dans le cadre de l’IUFM de Lyon et de l’INRP. En faisant le
point sur les programmes, ils ont indiqué à chaque fois la place précise
que les relations franco-algériennes occupent dans les prescriptions
officielles actuelles. Ils ont montré également que, depuis 2002, l’école
primaire aussi, comme en Algérie, avait cette question au programme.
Mais c’est bien une autre question que Gilles Boyer et Véronique
Stacchetti ont abordée, et qui affleure sans cesse dès lors qu’on entend
réfléchir sur le statut scolaire de la guerre d’Algérie ou des relations
coloniales. Enseignants et élèves sont les acteurs principaux de la scène
pédagogique, où s’organisent des apprentissages à la fois scolaires,
historiques, politiques et moraux. La place réservée dans les
programmes à la colonisation et à la décolonisation est-elle suffi-
sante ? L’indigence de la formation initiale et continue des ensei-
gnants sur cette période historique n’est-elle pas un obstacle à la
conduite de cet enseignement ? La guerre d’Algérie est, parmi d’autres,
un objet délicat pour l’enseignement de l’histoire : « Il y a là, signalait
Françoise Lantheaume, une difficulté essentielle pour l’enseignement
de l’histoire : comment répondre à sa mission d’intégration dans une

186

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE186 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

communauté qui s’accorde sur un certain nombre de principes


(égalité, justice, par exemple) et de valeurs (respect de la personne,
tolérance…), alors que ceux-ci ont été bafoués à certaines périodes de
son histoire ? Comment promouvoir, par l’enseignement de l’histoire,
l’unité d’une communauté nationale alors que certaines fractures sont
encore assez présentes ? » Autrement dit, comment parler de Sétif le
8 mai 1945 au moment où, en cours, on apprend avec les élèves les
événements de la Libération ?
La cécité républicaine et les contradictions dont étaient porteuses
les élites politiques de la IIIe et de la IVe République constituent une
réelle et tenace difficulté pédagogique. « L’enseignement de l’histoire
de la guerre d’Algérie pose aussi le problème de la relation entre
histoire, mémoire et fonction sociale de l’enseignement de l’histoire. Il
se trouve au cœur d’interrogations sur la conception de la nation et
de sa forme politique française, l’État-nation, sur le rapport au tiers
monde, sur la relation entre critique des savoirs et enseignement
critique, et, enfin, au cœur de questions éthiques. Ces dernières sont
étroitement liées aux fondements de notre société et à la conception
de l’homme qu’elle promeut. Or ceux-ci ont été déstabilisés par
l’instauration du système colonial, dont une des caractéristiques est
l’inégalité entre les hommes ; et, lors de la guerre d’Algérie, par des
pratiques telles que la torture 48 », rappelle Françoise Lantheaume.
Les récentes enquêtes de l’INRP, dont celle menée par Gilles Boyer
et Véronique Stacchetti, montrent, si l’on en juge d’après les représen-
tations majoritaires des enseignants concernant la guerre d’Algérie,
que la société française a bien du mal à assumer son histoire colo-
niale : les professeurs doivent enseigner des aspects contestables de la
colonisation peu conformes aux valeurs de la République et des droits
de l’homme ; difficulté résolue dans la pratique par une tendance,
pointée par Françoise Lantheaume, à remplacer l’approche historique
par un point de vue moral.
D’après Gilles Boyer et Véronique Stacchetti, l’enseignement de
l’histoire de la guerre d’Algérie oscille entre deux dérives potentielles :
celle d’une mémoire qui oublierait l’histoire et celle d’une histoire qui
tuerait la mémoire. Comment l’école doit-elle se situer entre l’écoute

48 Françoise LANTHEAUME, Effet établissement et transmission des savoirs. Exemple de l’ensei-


gnement de l’histoire de la guerre d’Algérie, mémoire de DEA, université de Lyon-II, 1997.

187

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE187 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

des mémoires individuelles et la transmission du savoir ? Jusqu’où


peut-elle aller dans la prise en charge des mémoires individuelles ?
Quels témoins inviter dans un collège et dans un lycée ? Tous les
témoins sont-ils crédibles, c’est-à-dire dignes d’intérêt ?
Leur communication insiste sur trois points. Le premier prend acte
d’une difficulté proprement sémantique : « algérien », « musulman »,
« français », voilà autant de catégories qui avaient une signification qui
n’est plus la même aujourd’hui, malgré la permanence du mot. Histo-
riciser les catégories, faire face aux malentendus, les prévenir, savoir
les lever font partie des tâches et difficultés rencontrées par les profes-
seurs. Si Lydia Aït Saadi a montré une écriture de l’histoire sous
contraintes, indiscutablement, les enseignants décrits par Gilles Boyer
et Véronique Stacchetti vivent leur métier sous contrainte, une
contrainte sociale. Le deuxième point réside dans le choix de la problé-
matique à adopter pour préparer et faire le cours. Indiscutablement,
semblent-ils dire, enseigner au lycée « permet d’envisager des problé-
matiques plus élaborées rendant davantage compte de la complexité
du sujet ». Enfin, dernier facteur de difficulté ressentie par les ensei-
gnants : l’auditoire. Les élèves s’expriment, revendiquent une
mémoire parfois, croient assurément le faire sans en maîtriser le
contenu.
De nombreux témoignages recueillis par Gilles Boyer et Véronique
Stacchetti évoquent cette réappropriation d’une mémoire algérienne
dans le cadre d’un cours d’histoire. Dans plusieurs entretiens, deux
cultures historiques apparaissent ; deux cultures qui forment vite deux
passions qui s’exposent et se défient, différentes sans être potentiel-
lement opposées, même si l’enseignant peut les considérer ainsi. Pour
le professeur, l’enjeu de mémoire principal, c’est la déportation et
l’extermination des Juifs d’Europe, là où, pour certains élèves, c’est
l’Algérie et la lutte d’indépendance, sans que, manifestement, rien ne
soit fait, historiquement, pour réunir ces deux moments historiques.
La question des héros émerge au cours des entretiens sous une forme
soulignant comment les débats menés en classe peuvent être parfois
caricaturaux : « nous » avons les résistants ; « ils » ont les acteurs de la
lutte d’indépendance algérienne.
Pourtant, une autre enquête, parallèle à celle que présentaient
Gilles Boyer et Véronique Stacchetti, indiquait que, avec le temps, les
conditions de l’enseignement de la guerre d’Algérie paraissent plus

188

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE188 (P01 ,NOIR)


Migration, culture et représentations

favorables 49. Ainsi, le fait que les élèves n’aient plus de parents en âge
d’avoir été appelés en Algérie semble limiter les hésitations des ensei-
gnants à traiter ces questions. On pouvait voir dans ce constat fait lors
du colloque « Apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb
contemporain » (2001) l’indice que les mémoires jouent un rôle essen-
tiel, mais jamais réellement explicite, dans l’enseignement. Et il ne
fait pas de doute que les enseignants en ont appelé et continuent d’en
appeler à leur propre mémoire, à la mémoire de la société et des diffé-
rents groupes sociaux pour les partager avec leurs élèves : faisant de
l’histoire, ils utilisent la mémoire de leurs élèves, celle transmise par
leur famille ainsi que leur propre mémoire.
Pourtant, la distance que le temps a établie depuis avec ce passé n’a
pas, loin de là, éliminé la présence des mémoires parfois conflictuelles
et antagonistes : lors du colloque de 2001, on constate encore que la
guerre d’Algérie peut être un sujet difficile à étudier avec certains
élèves, notamment les élèves français d’origine maghrébine 50. Voici
les conclusions tenues à ce sujet dans un atelier de ce colloque : « Il
faut d’abord éviter qu’un “eux” et “nous” s’installe dès que se mani-
feste un décalage entre le discours de l’enseignant et les propos tenus
dans les familles. Le “eux” serait le monde enseignant, éloigné des
réalités, qui raconterait l’histoire de la guerre d’Algérie avec une vision
coloniale, “nous” serait les élèves, persuadés a priori que le discours
familial est une vérité immuable. Accepter cet écartèlement en classe
équivaut à une démission 51. »
Chez les élèves, la diversité de mémoires de la guerre existe et
soulève également un certain nombre de questions. Benjamin Stora,
qui a travaillé à la restitution des mémoires plurielles dans le cadre de
sa recherche d’historien, a analysé les différentes étapes que ces
mémoires ont traversées. Ses analyses relatives à la mémoire véhi-
culée par les enfants issus de l’immigration maghrébine permettent de
mieux comprendre leurs réactions. « Face à la communauté pied-noir
recréée dans l’exil, se présente une autre mémoire qui affleure dans
les années 1980. […] Quels rapports les jeunes issus de l’immigration

49 Laurence CORBEL, Benoît FALAIZE et alii, Entre mémoire et savoir. L’enseignement de la


Shoah et des guerres de décolonisation, INRP, Paris, 2003.
50 Apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain, op. cit.
51 Ibid., p. 186.

189

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE189 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

entretiennent-ils avec la guerre, livrée entre 1954 et 1962 ? Ils oscil-


lent entre deux pôles : une relation d’indifférence apparente avec cette
guerre ; un lien passionnel avec elle qui représente en quelque sorte
un moyen d’exister, de se “ressourcer” à l’intérieur de la société fran-
çaise. Ainsi, après un temps de latence relativement long, un réveil de
la mémoire s’opère 52. »
Les enseignants peuvent redouter que des tensions s’expriment
dans leurs classes où se côtoient les petits-enfants des soldats du
contingent, des « pieds-noirs », des « Français musulmans » de
l’époque, des harkis, tous porteurs de mémoires familiales différentes
et parfois conflictuelles. Mais, là encore, n’est-ce pas la mission de
l’école telle qu’elle est souvent présentée, comme n’ayant pas à obéir
à l’injonction d’un devoir de mémoire pas plus qu’à celle d’une
volonté commémorative ? Sa vocation est celle d’une mise à distance,
d’une élucidation raisonnée. L’enseignement ne peut pas être destiné
à la formation de tel ou tel public d’élèves avec des contenus qui
seraient spécifiques ; si l’on enseigne aujourd’hui la guerre d’Algérie (et
la colonisation), c’est parce que ces sujets sont des savoirs de portée
universelle.
C’est donc bien la question de l’identité qui est au cœur des débats
sur l’enseignement des relations entre la France et l’Algérie : identités
des élèves souvent ; identités des professeurs (question encore peu
étudiée) ; identité de la nation, de la France. Dans la prise en compte
des questions migratoires et de leurs représentations, dans la défini-
tion et l’usage des catégories, dans la transmission scolaire, se joue,
s’actualise et se définit l’identité française en prise avec son passé. Au
moment où se fabrique sous nos yeux l’histoire des relations franco-
algériennes, c’est le statut des élèves porteurs d’une histoire familiale
liée à l’exil et à l’immigration issue du monde colonial qui se dit sans
se dire 53 ; c’est aussi la conception du rôle de l’État dans une poli-
tique de reconnaissance — qui sourd sous un « devoir de mémoire »
prescrit — qui est en cause, tant dans les représentations de l’autre
que dans la catégorisation qui en est faite ou dans les contenus
d’enseignement.

52 Cf. Benjamin STORA, Le Transfert d’une mémoire, op. cit., p. 77 sq.


53 Benoît FALAIZE (dir.), avec Olivier ABSALON et Pascal MÉRIAUX, Enseigner l’histoire de
l’immigration à l’école, rapport de recherche, INRP, Paris, 2007.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE190 (P01 ,NOIR)


6
Les défis de la demande sociale d’histoire

Cécile Armand et Jacques Walter

M ené par le journaliste Emmanuel Laurentin, le « forum des


associations » réuni le 21 juin 2006 rassemblait cinq asso-
ciations : Coup de soleil, France Algérie, Harkis et droits de l’homme,
la Cimade et le Cercle des Algériens et Franco-Algériens en Rhône-
Alpes (CARA). Comme l’a rappelé Emmanuel Laurentin dans son
introduction, ce colloque a été organisé en réponse à une demande
sociale réelle, dans un contexte particulièrement mouvementé. Dès
l’annonce du colloque, le comité d’organisation a affronté des contes-
tations, des accusations et des menaces émanant de « lobbies de
mémoire ». Les organisateurs ont rappelé les précautions qu’ils ont
prises : aucune association présente au forum n’a été officiellement
invitée, le comité d’organisation est toujours resté ouvert à la partici-
pation ou au contrôle de personnes extérieures. La persévérance a fina-
lement porté ses fruits : Emmanuel Laurentin s’est réjoui qu’un tel
colloque soit aujourd’hui possible, ce qui n’eût pas été le cas dans un
passé encore récent.

191

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE191 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

« Donnez-nous des mots


pour apaiser nos maux »
Ce forum a également été l’occasion de renouveler la question
lancinante des rapports entre la mémoire et l’histoire : autour de cette
question se sont ainsi retrouvés témoins et historiens, ceux qui vivent
l’histoire et ceux qui l’écrivent. Dans un premier temps, les associa-
tions ont présenté leurs activités respectives et ont exprimé un certain
nombre d’attentes à l’égard de la communauté scientifique. Dans un
second temps, un débat s’est instauré avec les historiens et ensei-
gnants, qui ont tenté de répondre à cet appel.
Les activités et les intérêts des associations représentées étaient fort
différents. L’association Coup de soleil (Georges Morin), fondée en
1985 dans un contexte xénophobe, réunit des Maghrébins et des
pieds-noirs, des « immigrés » et des « rapatriés », des gens d’Algérie,
du Maroc et de Tunisie pour réhabiliter la mémoire, éradiquer les
discriminations et promouvoir l’égalité des chances. L’association
France Algérie (Zohra Perret-Madani pour la région Rhône-Alpes)
œuvre depuis 1963 au développement de la coopération franco-algé-
rienne et des relations amicales entre les deux pays. Harkis et droits
de l’homme (Fatima Besnaci-Lancou), rebaptisée en 2002, lutte pour
la réhabilitation des harkis et la reconnaissance de leurs droits. La
Cimade (Jacques Walter), fondée dès 1939-1940, est chargée d’accom-
pagner et de défendre les migrants et demandeurs d’asile en France et
au-delà. Enfin, le CARA (Mohamed Tayebi) se donne pour but depuis
1987 de tisser des liens entre Algériens de France et du monde et de
promouvoir une solidarité franco-algérienne.
Malgré cette diversité d’intérêts, toutes les associations s’enten-
dent globalement sur les missions qui leur incombent. Elles se pensent
comme des espaces où circulent librement les personnes et les idées,
où peuvent se confronter sans tabou des mémoires divergentes : algé-
riennes, françaises, pieds-noirs, métropolitaines ou harkies. En période
de sursaut mémoriel et politique, ces associations ont souvent à jouer
un rôle de « tampon » entre des intérêts contradictoires. L’enjeu est
de construire un savoir-vivre ensemble et de faire coexister des iden-
tités différentes. Il s’agit également de faciliter l’« intégration » ou
plutôt le mieux-vivre des témoins et descendants de témoins, pour qui
cette mémoire pèse encore sur le quotidien.

192

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE192 (P01 ,NOIR)


Les défis de la demande sociale d’histoire

Toutes les associations partagent aussi une commune méfiance à


l’égard des « lobbies de mémoire ». Elles refusent d’ailleurs d’endosser
cette appellation, puisque, à mille lieues de faire pression sur l’histoire
pour la couler dans le moule de mémoires et d’intérêts subjectifs, elles
ont lancé à la communauté scientifique un appel à la fois enthou-
siaste et inquiet. Elles ont exprimé les mêmes attentes, les mêmes
espoirs, le même optimisme à l’égard de l’histoire et des historiens :
une soif de vérité, une exigence de scientificité qui, seules, peuvent
pacifier les mémoires, désarmer l’histoire officielle et en traquer les
mensonges, les silences ou les imprécisions. Une histoire « thérapeu-
tique » pour guérir une mémoire douloureuse et perpétuée de généra-
tion en génération, une histoire pour mettre fin à cette transmission
de la douleur. Concilier passé subjectif et histoire « objective », bâtir
une mémoire tournant le dos aux rancœurs, à la haine et à la guerre,
une mémoire permettant de vivre au présent et de se tourner vers
l’avenir : telles sont les tâches que les associations entendent mener
de pair avec les historiens. « Donnez-nous des mots pour apaiser nos
maux », tel est l’appel lancé aux historiens par notre amie psychana-
lyste Zohra Perret-Madani.
Dans un second temps, le débat avec les historiens et enseignants a
permis d’approfondir les questions déjà abordées, notamment celle du
rôle social de l’historien et des défis que pose l’écriture d’une histoire
confrontée à la mémoire encore vive des témoins.

Pour une « histoire apaisée »

À l’appel de la société civile, les historiens ont d’emblée répondu


par un aveu de modestie. Ils ont rappelé combien leur savoir et leur
pouvoir sont limités. L’historien n’a pas de réponses toutes faites, ni
de remèdes préconçus pour soulager la douleur mémorielle : il propose
seulement des « clés générales » de compréhension. Une historienne a
insisté sur l’idée que l’histoire est lacunaire, à l’image des archives qui
la nourrissent. En ce sens, l’historien est aussi un fabricant de
mémoire : ce n’est pas parce qu’il est écrit que son discours est supé-
rieur à la mémoire orale. Histoire et mémoire sont plutôt complémen-
taires : pour s’écrire, le savoir a besoin de se confronter aux mémoires,
aux témoignages, aux récits de vie collectés par certaines associations,

193

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE193 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

autant de matériaux vivants qui doivent retenir l’attention de l’histo-


rien. Les témoins souhaitent à juste titre que leur histoire « serve aux
historiens », notamment en les aidant à « tordre le cou aux idées
reçues ».
Un participant fait aussi remarquer que les témoins et les associa-
tions, sans être des « lobbies de mémoire », sont un peu des
« aiguillons » de l’histoire. En effet, la mémoire fait surgir et défriche
des champs historiographiques oubliés, qui sans elle seraient peut-
être restés inconnus des historiens. Toutefois, l’historien doit aussi se
méfier de cette mémoire vivante et mouvante. Elle est toujours une
reconstruction, sujette à d’incessantes recompositions que le scienti-
fique se doit en premier lieu de « déconstruire ». Mais l’histoire ne doit
pas pour autant se substituer à la mémoire : la communauté scienti-
fique présente est unanime sur ce point. La science ne peut remplacer
le vécu, la douleur, les émotions et les passions des survivants. « Même
l’historien le plus talentueux ne peut raconter ma vie. […] C’est ma
mémoire », souligne la porte-parole de Harkis et droits de l’homme.
Par ailleurs, la confiance que la société civile place dans l’histoire
ne doit pas faire oublier que le discours scientifique est loin d’être
monolithique. Outre les divergences d’une science sociale à l’autre,
l’histoire elle-même est une discipline plurielle, animée par des
tendances contradictoires. Cette complexité n’est pas sans dérouter
associations et témoins en quête d’une histoire fédératrice, suscep-
tible de pacifier les débats, d’élaborer une mémoire consensuelle en
vue d’atteindre une « histoire apaisée ». Les participants ont alors été
conduits à s’interroger sur la diffusion et l’enseignement de l’histoire.
Comment rendre accessibles au grand public le discours scientifique
et ses nuances ? Historiens et associations ont ainsi appelé à la
méfiance face aux discours simplificateurs et caricaturaux, notam-
ment de ceux qui se présentent comme les porte-parole d’une
« pseudo-communauté ». L’enseignement de l’histoire dans les établis-
sements scolaires est également un exercice difficile : les enseignants
présents ont souligné que la discipline est sans cesse sous pression,
sous la menace de lobbies de mémoire et des remous politiques au
présent. À cela s’ajoute la mixité des classes : comment s’y prendre
lorsque l’enseignant se retrouve face à des élèves appartenant à des
groupes d’origines et de cultures différentes, qui ont « hérité » de
mémoires contradictoires ?

194

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE194 (P01 ,NOIR)


Les défis de la demande sociale d’histoire

Ce forum témoigne donc qu’une « histoire apaisée » est possible,


mais non pas au sens où toutes les contradictions et les divergences
de mémoire seraient abolies et fondues dans un discours monoli-
thique. Une participante soulignait d’ailleurs qu’une telle histoire ne
serait peut-être pas souhaitable. Ce qui a vu le jour lors de ce forum,
c’est bien davantage un débat fondé sur l’échange, l’écoute et le
respect mutuels, afin de démêler l’entrelacs de mémoires opposées.
C’est une grande avancée si l’on songe aux conditions dans lesquelles
ce colloque a été organisé. Les associations ont placé de nombreux
espoirs dans l’histoire : appel à sa rigueur scientifique contre les
reconstructions trompeuses et les « lobbies de mémoire », espoir dans
les vertus thérapeutiques du savoir, capable de panser les plaies de la
mémoire. Lors de ce forum, les historiens ont donc été tirés de leur
tour d’ivoire : au travers des associations présentes, la société civile les
encourage à secouer la poussière des archives pour se tourner eux aussi
vers le présent et l’avenir.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE195 (P01 ,NOIR)


Conclusion
L’histoire franco-algérienne :
un chantier toujours ouvert

Pierre Sorlin

L es conclusions du colloque interviendront peu à peu, à mesure


que les participants et d’autres chercheurs prendront connais-
sance de l’ensemble des travaux. Il n’est pourtant pas inutile de tenter
ici un bilan provisoire qui mette en évidence les aspects novateurs de
cette rencontre et en souligne quelques acquis. Le pari pouvait sembler
risqué : Afifa Zenati, Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier ont eu le
courage de lancer cette entreprise, il convient d’abord de les remer-
cier. Le déroulement des trois journées de travail leur a donné raison,
non seulement les débats ont été sérieux et sereins, mais, contraire-
ment aux craintes qui s’étaient exprimées dans les semaines précé-
dentes, aucun incident notable ne les a troublés.
Tout est parti en février 2005 d’une maladroite initiative législative
destinée à satisfaire les nostalgiques de la colonisation et à leur faire
accepter le « traité d’amitié » algéro-français alors en gestation (et qui
ne verra jamais le jour) : alors même que le Parlement n’a pas voca-
tion à réglementer l’enseignement de l’histoire, un article de loi préco-
nisant la reconnaissance du « rôle positif de la présence française
outre-mer, notamment en Afrique du Nord » a provoqué une large
réaction d’où est sortie l’idée d’une mise au point scientifique sur le

197

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE197 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

fait colonial. Le projet a ensuite évolué, il a pris une dimension consi-


dérable, mais on ne peut ignorer ses origines : le texte incriminé, bien
que voté à la sauvette par une poignée de députés, a ravivé une bles-
sure non cicatrisée. Si la guerre d’indépendance algérienne appartient
au passé, la mémoire de la guerre reste douloureuse. Il s’agit pourtant
d’une mémoire en grande partie indirecte, plus artificiellement trans-
mise et maintenue que proprement vécue ; deux générations sont nées
et ont grandi depuis 1962, leurs « souvenirs » se réduisent à ce que

Une histoire et des mémoires

Le colloque se voulait — et il a été — une réflexion historique,


mais l’historien ne peut faire l’économie de la mémoire, il doit en
tenir compte, dans les termes où elle se manifeste aujourd’hui, à la fois
parce qu’elle pèse sur les débats et parce qu’elle remplit une fonction
historique ; et même parce qu’elle peut tenir lieu de document.
La mémoire de la lutte contre la colonisation est fondatrice pour
les Algériens, elle marque une origine, la naissance d’un État indépen-
dant. Elle rend en même temps difficile une prise en compte du passé
dans son épaisseur séculaire : cent trente-deux ans de domination
française relèguent dans l’ombre trois cents ans de présence ottomane
qui ont marqué une quinzaine de générations et ont laissé des traces
peu visibles mais profondes. L’histoire récente, douloureuse, violente
masque une lente évolution antérieure. À plusieurs reprises, durant le
colloque, on a évoqué l’importance d’une périodisation de l’époque
coloniale à la fois utile et dangereuse, puisqu’elle ne prend pas en
compte la durée sans événement, le long terme.
La mémoire des Français risque d’être aussi leurrante : la fin de la
colonisation, les huit années dramatiques qui ont secoué leur pays,
changé ses institutions et failli le conduire à la guerre civile consti-
tuent, pour beaucoup, un souvenir-écran, et la fixation sur un événe-
ment, les polémiques qui surgissent à propos de l’indépendance
empêchent de s’interroger sur les sources très antérieures d’une perte
d’influence mondiale.
Brouillés, incertains, les souvenirs n’en jouent pas moins un rôle
central dans la reconstitution des faits, ils comblent les lacunes d’une

198

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE198 (P01 ,NOIR)


Conclusion

documentation écrite dont une grande partie n’est pas encore acces-
sible et ils obligent à prendre en considération l’action ou le point de
vue d’acteurs qui n’ont d’autre instrument que leur parole pour se
manifester, qu’il s’agisse de militaires des deux camps, de civils, de
personnes déplacées et regroupées dans des camps, de rapatriés, de
femmes impliquées dans la lutte et ensuite renvoyées à leurs tâches
domestiques. Un grand nombre de communications, en l’absence
d’autres sources, se sont fondées sur des témoignages oraux.
Les mémoires ont leur chronologie propre. Certains, fortement
engagés dans le combat, se sont exprimés très tôt pour faire
comprendre leurs motivations, révéler leurs initiatives quand elles
étaient restées secrètes, rectifier des erreurs. Les témoignages qu’on
recueille maintenant ne sont pas aussi spontanés, ils interviennent en
réponse à des enquêtes, ce sont les historiens qui les cherchent et les
mettent en forme. On évoque à leur propos la « libération de la
parole » provoquée par un film comme La Guerre sans nom, réalisé en
1992 par Bertrand Tavernier, ou par des récits tels que celui de Loui-
sette Ighilahriz, mais on ne saurait ignorer les effets de mode, l’achar-
nement des chaînes de télévision à récolter des déclarations qui ne
coûtent rien et remplissent les programmes, la multiplication des sites
Web où se mêlent données incontestables et fantasmes. Le colloque a
bien mis en relief les précautions dont le chercheur doit s’entourer :
— se rappeler que toute mémoire se fabrique. Le cas des pieds-
noirs est à cet égard significatif. Plusieurs générations de Français
d’Algérie s’étaient constitué une mémoire de la conquête et de la mise
en valeur auxquelles elles n’avaient pas participé, mais dont elles se
sentaient héritières. Lors du rapatriement, ces souvenirs induits ont
servi aux médias et aux responsables politiques pour faire accepter
l’arrivée de personnes qui ne se sentaient pas de lien avec la métro-
pole et, relayés par des voix officielles, ils ont pris une consistance plus
forte, ils sont devenus indiscutables ;
— se souvenir que toute mémoire tend à se fixer sur des événe-
ments précis, faciles à évoquer, aux dépens de ce qui fait la complexité
des situations historiques. Ainsi le drame du 20 août 1955 à Constan-
tine est-il raconté comme quelque chose de totalement inattendu,
rupture radicale avec un passé de cohabitation harmonieuse, fin d’une
symbiose, alors que de nombreux indices montrent comment l’inquié-
tude s’était développée, était devenue quasi permanente durant les

199

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE199 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

mois précédents et laissait prévoir une explosion ; et que, par consé-


quent, les souvenirs ne sont utilisables que de manière collective,
comme traces non pas de faits avérés, mais d’interprétations et de
convictions partagées.
Ces réserves étant admises, les souvenirs de groupes se révèlent
d’une grande richesse. On retiendra seulement deux des nombreux
cas étudiés durant le colloque. Celui d’abord, extrêmement ambigu,
difficile à assumer intégralement, des Algériens enrôlés dans l’armée
française. Leur mobilisation au service d’une guerre qui ne les concer-
nait pas, dont les enjeux leur échappaient, a été un arrachement à leur
milieu, mais aussi l’occasion de quitter une famille parfois pesante. Ils
se sont intégrés à un corps dont ils ont apprécié la force et l’efficacité,
ils se sont initiés à des techniques qu’ils auraient ignorées s’ils étaient
restés chez eux, tout en se sachant épiés et en constatant à quel point
jouait, chez leurs chefs et leurs camarades, une discrimination parfaite-
ment affichée. L’armée française leur a fourni les bases d’une organi-
sation capable de s’opposer à cette même armée, leur expérience
passée est une réalité non comptabilisable, vécue contradictoirement.
Un autre exemple est celui des femmes combattantes, qui parlent
volontiers de leurs années de clandestinité. Filles promises au même
destin que leur mère, elles ont, à un moment donné, fait un choix
auquel rien ne les avait préparées, elles ont dû prendre en main et leur
personne et leurs actes, au nom de valeurs qui n’étaient pas celles de
la famille. Même si, par la suite, nombre d’entre elles ont été
contraintes de rentrer dans le rang, elles ont découvert des intérêts
nouveaux, inédits, liés à l’affirmation d’un sentiment national.

Des voies qui restent à explorer

Reprenant l’histoire du couple algéro-français depuis la conquête,


le colloque a fourni l’occasion d’une relecture de documents connus,
déjà utilisés, qui ont été envisagés non pour ce qu’ils expriment, pour
leur contenu littéral, mais pour les questions nouvelles qu’ils autori-
sent à poser.
Les textes législatifs ou réglementaires servent, en théorie, à fixer
un état du droit, ils disent ce qui, désormais, sera la règle. Replacés
dans leur contexte, ils révèlent parfois de profondes incertitudes. La loi

200

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE200 (P01 ,NOIR)


Conclusion

du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété foncière en Algérie


semble faite pour lever la confusion et les chevauchements résultant
d’une accumulation de statuts fonciers particuliers hérités des périodes
préottomane et ottomane. En fait, sa rédaction trop claire et les
distinctions rigides qu’elle établit mettent en évidence l’embarras du
colonisateur qui, ne parvenant pas à comprendre comment un bien
peut être à la fois approprié et sans propriétaire, collectif et privé, croit
contourner l’obstacle en l’ignorant. Inversement, la loi de 1889 sur la
naturalisation reconnaît l’hétérogénéité du peuplement européen,
mais elle intéresse moins par les solutions qu’elle propose que par
l’accueil qui lui est fait : peu d’immigrés acceptèrent la citoyenneté
qui leur était offerte, manifestant peut-être, par leur indifférence, leur
résistance à la francisation. La réglementation concernant l’Algérie
coloniale a été un tourbillon de textes souvent abolis avant même
d’entrer en application. L’exégèse juridique en est décevante, mais les
analyses politiques développées durant le colloque montrent qu’on
parvient à en tirer une meilleure connaissance du système de domina-
tion et de ses failles.
Les questions financières ont été pendant longtemps traitées de
façon rapide. La confiscation des terres réputées sans propriétaire ou
appartenant à des éléments insoumis est assez connue : on sait
comment l’État a mis la main sur les biens à vocation économique
pour en revendre une part, les faire entrer dans un circuit d’échange
et favoriser la colonisation. Le système fiscal en vigueur n’avait pas
été examiné avec autant de précision et le colloque a souligné la
rigueur des prélèvements sur les indigènes effectués en maintenant le
système ottoman et en confiant la collecte aux notables locaux qui,
perçus comme des agents de la colonisation, n’ont pas pu nouer une
alliance avec les paysans exploités. On savait également que les colons
étaient les véritables bénéficiaires de la vente de produits agricoles,
mais on ignorait à quoi ces gains étaient employés. L’étude des
encours des banques et de leurs investissements a mis au jour une fuite
des capitaux vers la métropole et une stricte limitation des dépenses
d’infrastructure en Algérie même.
Le colloque a rajeuni le travail sur les sources. Il a également
montré, en filigrane, et sans qu’assez de temps leur ait été consacré, la
richesse de certains fonds. La musique mériterait ainsi un triple effort.
Il faudrait d’abord voir comment des chants traditionnels ont permis

201

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE201 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

de construire une mythique épopée de la résistance remontant aux


révoltes du XIXe siècle et culminant avec le combat pour l’indépen-
dance. Il serait important d’approfondir le rôle joué par les ethno-
logues dans la conservation de mélodies anciennes, mais aussi dans la
confiscation et le détournement d’instruments vers l’Europe. Il
faudrait enfin s’attacher aux échanges musicaux avec l’extérieur, à
l’introduction des disques et de la radio, à la constitution d’un réper-
toire folklorique occidentalisé dès l’entre-deux-guerres.
La fonction des images commence à peine à être entrevue. Celles-ci
ont pourtant créé une dissymétrie supplémentaire entre les commu-
nautés : les Européens, seuls à posséder un matériel qui restait coûteux
avant l’indépendance, traitèrent les indigènes comme objets photogra-
phiques ; dans une culture hostile à toute forme de représentation,
quels effets produisirent les nombreuses vues de fêtes, de marchés, de
femmes plus ou moins dévoilées étalées en ville et offertes aux
touristes ? Ici encore, les contaminations ont été fortes, les mujâhidûn
(« moudjahidines ») et même les jeunes combattantes n’hésitèrent pas,
après l’indépendance, à se faire photographier dans des poses imitées
de celles des soldats français.

Les traces profondes


de cent trente-deux ans de vies croisées

On touche là à l’un des principaux enseignements du colloque.


Formellement, les deux communautés s’ignoraient, leurs relations
étaient faites d’une méfiance et d’un enfermement sur soi réci-
proques. Mais cent trente ans de cohabitation conflictuelle ne lais-
sent-ils pas nécessairement des traces ? Quels renvois, quelles
imitations, quelles correspondances se sont développés ? À plusieurs
reprises, des intervenants ont mis en garde contre les notions géné-
rales simplistes telles que « les Français », « les Européens », « les Algé-
riens », abstractions qui cachent une profonde diversité. Toutefois, la
colonisation, œuvre d’une puissance centralisée, soucieuse d’uniformi-
sation, a créé entre la France et l’Algérie une communauté de régle-
mentation renforcée par un encadrement juridique et policier rigide et
par un même système politique. Les institutions ont duré, elles ont
marqué l’un et l’autre groupe.

202

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE202 (P01 ,NOIR)


Conclusion

Les effets d’une loi dont il a déjà été question, celle du 18 juin
1851, montrent comment un simple texte, entré en vigueur de part et
d’autre de la Méditerranée, y entraîna des conséquences différentes
mais également profondes. La loi, à l’origine, concernait la seule
Algérie, mais elle était applicable en France où l’on avait volontaire-
ment laissé dans le vague les questions relatives à la propriété du sous-
sol ; ainsi, par le biais de la colonie, les mines et les rivières
entrèrent-elles dans le domaine de l’État. Le souci des métropolitains
de faciliter au maximum la circulation des biens avait conduit à distin-
guer le domaine public, inaliénable, du domaine national, dont l’État
n’était que le gérant provisoire. Dans la colonie, les biens de droit
collectif, habûs ou ‘arch, ne pouvaient être publics ; ils entraient par
définition dans le domaine national, ce qui les rendit vendables.
Si les effets produits par la réglementation sont faciles à mesurer,
ceux liés à l’évolution des mœurs ne sont pas aussi évidents, bien que
certains indices les laissent entrevoir. La IIIe République était, à ses
débuts, un régime peu corrompu, non par vertu mais parce qu’une
sévère opposition entre droite et gauche entraînait une surveillance
réciproque. En Algérie, au contraire, avec un corps électoral très étroit,
peu sensible aux questions de principe, échanges de faveurs et trafics
de voix n’étaient pas rares, les mêmes familles accaparaient les fonc-
tions électives, leur permanence leur assurait une influence durable et
la multiplication des « affaires » depuis les dernières décennies du
XIXe siècle révèle une « algérisation » de la vie parlementaire française.
Pour les Algériens comme pour les Européens, la définition de soi
comportait une référence à l’autre. Les Algériens ne pouvaient ignorer
des modes de pensée et des coutumes qui leur étaient étrangers mais
qui, imposés par les dominants, faisaient figure de modèles. Deux
aperçus d’une cohabitation ambiguë ont été proposés au sujet, l’un,
des pratiques corporelles — vêtement, distraction, activités spor-
tives —, l’autre, de l’engagement militaire. Dans les milieux algériens
aisés, l’imitation a joué à la fois comme manifestation de bonne
volonté, destinée à se faire accepter par les colons, et comme voie
d’accès à une modernité qui permettrait de défier les Européens sur
leur propre terrain, voire aussi ces ancêtres dont Yacine Kateb a dit
qu’ils « redoubl[ai]ent de férocité ».
Le détournement des modes européennes a été un défi aux Français
(vêtement mixte, costume croisé et chéchia) et un moyen de rendre

203

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE203 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

manifeste un changement sans soumission (femmes en habits euro-


péens). La présence des Français a précipité le déclin de jeux, céré-
monies et spectacles traditionnels ; et elle a engendré une
auto-affirmation à travers des activités encore peu courantes chez les
colonisateurs (course à pied, cyclisme, football). La militarisation
entraînée par la guerre a comporté elle aussi refus, échange et mimé-
tisme. Formation populaire clandestine affrontant des troupes régu-
lières qui affirmaient leur présence dans la vie quotidienne, l’ALN s’est
ainsi voulue une contre-armée. Militairement, elle fonctionna cepen-
dant comme l’armée française dont elle avait appris les méthodes, les
deux camps ayant tenté de comprendre — et de réemployer à leur
avantage — les techniques de leur vis-à-vis.
C’est dire que les dominants, tout en n’acceptant pas de le recon-
naître, ont beaucoup appris des Algériens. Les Européens de l’Algérie
coloniale ne formaient pas davantage une société que ces derniers :
conflits d’autorité et statuts économiques les divisaient et les moins
fortunés se jugeaient proches des indigènes à cause de la mixité
géographique, tout en ne cachant pas leur condescendance, voire leur
mépris à leur égard. Peut-être le lien le plus fort unissant les Français
d’Algérie était-il l’éloignement par rapport aux métropolitains, tous se
sentant fiers d’un passé imaginaire marqué par la conquête d’une
« terre aride » transformée en « riche province ». Parfois, un vague
autonomisme s’est fait jour, quand on a songé sous la monarchie de
Juillet à une couronne confiée au duc d’Aumale, puis quand les antisé-
mites ont régné sur Alger à la fin du XIXe siècle et dénoncé une métro-
pole « enjuivée ». Mais cela n’est jamais allé au-delà d’une
gesticulation inutile, parce que le système né d’une complicité objec-
tive entre producteurs agricoles et responsables politiques n’en laissait
pas le loisir : la rente terrienne était garantie par l’accès réservé au
marché métropolitain et rendait possible une accumulation finan-
cière mise à l’abri dans les banques d’outre-Méditerranée. Et aussi
parce que, à la différence des États-Unis, voire d’Israël, les colons n’ont
jamais constitué de nation créole, comme le rapport démographique
l’indique assez.
Le plus surprenant est la schizophrénie qui habita les Européens
d’Algérie de 1945 à 1954 : les événements du 8 mai 1945 suscitèrent
dans leurs rangs une anxiété qui s’atténua sans jamais disparaître, des
milices d’autodéfense furent constituées, les rapports de police

204

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE204 (P01 ,NOIR)


Conclusion

signalèrent régulièrement des mouvements de panique. Cette peur fut


cependant sans effet réel. Le meurtre de trois soldats français en pleine
rue d’Isly, en été 1954, prit ainsi les allures d’un fait divers et le
1er novembre, en un sens prévu, fut considéré comme une surprise,
une rupture inattendue et injuste.
La métropole, quels qu’aient pu être ses liens structurels avec les
pieds-noirs, ne fut pas moins inconséquente, car les signes avant-
coureurs de la révolte y furent également à la fois perçus et ignorés.
L’Algérie, depuis la Première Guerre mondiale, était pourtant devenue
plus présente : une partie du contingent faisait son service outre-mer,
les travailleurs algériens, permanents ou saisonniers, étaient
nombreux en France. Dans les départements du Midi, ces immigrés
avaient contribué au renouveau des cultures d’oliviers et à l’améliora-
tion des rendements viticoles. Dans le Nord, en Lorraine et dans le
Massif central, où les mineurs algériens vivaient au contact de leurs
camarades français, la solidarité du fond, le danger et la résistance aux
petits chefs avaient créé des liens qui se concrétisaient dans une large
adhésion à la CGT.
Pourquoi ces fortes attaches n’ont-elles pas débordé le plan indivi-
duel ? Il reste beaucoup à faire aux historiens pour le comprendre. Au
moins les sondages présentés au colloque ont-ils ouvert quelques
pistes. Les premières enquêtes, en 1938, ont en effet révélé une grande
indifférence : pour les métropolitains, l’Algérie est loin et n’intéresse
pas. Et en août 1957, de 70 % à 80 % des métropolitains, toutes
opinions confondues (à l’exception des communistes), soutiennent
l’action de la France en Algérie : après la défaite de Diên Biên Phu en
mai 1954, il ne reste plus d’autre pilier à la grandeur et à la mission
civilisatrice.

Pistes à suivre…

Le colloque, avec quelque soixante-quinze communications, a


abordé un nombre considérable de thèmes et a négligé quelques
points importants, parfois parce que les investigations préalables
n’avaient pas encore été faites, plus souvent parce qu’aucun spécialiste
n’était disponible au moment prévu.

205

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE205 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

La lacune principale concerne la religion. L’Église romaine, aussi


fortement organisée et centralisatrice que la puissance colonisatrice, a
très tôt marqué sa présence en Algérie, où elle a élevé églises et cathé-
drales, ouvert des couvents et des écoles, acquis des terres. Une fois
dépassées les illusions sur le faible enracinement de l’islam et sur une
possible résurrection du christianisme antique, prêtres et religieux ont
renoncé à convertir la population locale. Ils ont souvent appris l’arabe,
mais les fidèles, eux, ont regardé avec dédain des pratiques cultuelles
peu formalisées, la révérence à l’égard de marabouts privés de statut,
les « superstitions ». L’islam algérien, qui n’a jamais été sérieusement
menacé, devint-il une ligne de résistance culturelle parce qu’il était
très profondément implanté dans l’ensemble des populations « indi-
gènes » ? À la prétention universaliste catholique, un autre mono-
théisme opposa en tout cas une résistance silencieuse et tenace. Quel
rôle cette ignorance réciproque joue-t-elle, aujourd’hui, dans le retour
en force d’une stricte pratique musulmane et dans la diffusion en
Europe d’un anti-islamisme qui n’hésite pas à s’afficher ?
Un autre point a été abordé trop latéralement : il s’agit de la condi-
tion féminine. On a bien vu la participation des femmes à la guerre
d’indépendance, mais on a peu parlé de leur retour ultérieur à la vie de
famille comme de leur situation pendant l’époque coloniale. Ici, on a
dû l’admettre, les documents sont rares ; la littérature offre quelques
aperçus, mais celles qui témoignent en écrivant parlent d’un monde
qu’elles ont en partie quitté.
Cette question nous ramène à notre point de départ, au texte qui
voulait imposer l’enseignement du « rôle positif de la présence fran-
çaise outre-mer ». Les auteurs de cet article (abrogé depuis) de la loi
de février 2005 pensaient aux hôpitaux, aux écoles, à l’enseignement
féminin, aux chemins de fer. On leur répondrait sans peine que,
jusqu’au début des années 1950, seule une minorité d’Algériens était
scolarisée, que les hôpitaux, peu nombreux, se concentraient dans les
villes, que la médiocrité d’un réseau ferré conçu pour servir les
exploitants agricoles coloniaux est l’un des handicaps de l’Algérie
contemporaine.
Mais le vrai problème n’est pas là. Le fameux texte tenait pour
évident le fait que la France a ouvert l’Algérie au monde moderne et lui
a ainsi rendu service. Or, sur quelles preuves les auteurs fondaient-ils
une telle certitude ? Même sans la colonisation française, l’Algérie

206

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE206 (P01 ,NOIR)


Conclusion

aurait été, à une autre époque de son histoire, entraînée vers la


mondialisation par le capitalisme industriel. À quel prix ? L’Égypte,
qui a dû subir la rivalité entre puissances impérialistes, mais qui n’a
jamais été « colonisée », s’est dotée très tôt d’une infrastructure
scolaire et sanitaire et d’un système de communication conçus en
fonction de ses propres besoins, non de ceux des seuls Européens.
Est-ce évident ? Et en quoi l’ouverture au capitalisme a-t-elle un « rôle
positif » ? Les rédacteurs du texte ont détourné maladroitement
l’attention du fait colonial vers la modernité, ils se sont félicités de ce
qu’une société « supérieure » soit venue en aide à une autre société
« attardée ». Un des mérites du colloque aura été de sortir de cette
problématique qui bloque le raisonnement pour chercher, dans une
collaboration entre spécialistes des deux pays, et d’autres pays, à
éclairer ce qui n’a rien à voir avec le progrès et concerne seulement
une meilleure intelligence du passé.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE207 (P01 ,NOIR)


Annexes

Annexe 1. Sommaire des actes du colloque 211


Annexe 2. Les comités du colloque et les intervenants 217
Annexe 3. Bibliographie abrégée des intervenants 223
Annexe 4. Glossaires 235

Index 239

Les auteurs 245

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE209 (P01 ,NOIR)


Annexe 1
Sommaire
des actes du colloque*

1. Formes et processus Pouvoirs d’État et États


de colonisation
Algérie française et Maroc sous
protectorat : bref essai d’histoire
Du beylik ottoman comparée, par Daniel Rivet.
au pouvoir français La minorité européenne d’Algérie
Constantine au XIXe siècle : du beylik (1830-1962) : inégalités entre
ottoman à la province coloniale, nationalités, résistances à la fran-
par Fatima-Zohra Guechi. cisation et conséquences sur les
La crise des années 1865-1870 en relations avec la majorité musul-
Algérie : dimensions et méca- mane, par Fanny Colonna et Chris-
nismes, par André Nouschi. telle Taraud.
La mise en place de l’administration Le Front de libération nationale à
coloniale en Algérie (1880-1914), l’été 1962 : le pourquoi d’une
par Didier Guignard. crise, par Amar Mohand Amer.
Justice et mémoire : continuités de L’Algérie, champ d’expérimentation
l’antagonisme entre État et favori de(s) théorie(s) du Domaine,
peuple en Algérie, par Werner Ruf. par Tahar Khalfoune.

* Toutes les communications au colloque de juin 2006 ont été publiées par l’ENS-LSH de
Lyon sur le site qui lui est consacré : <http://colloque-algerie.ens-lsh.fr>.

211

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE211 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Administrer, encadrer, réprimer Instituteurs et médersiens en Algérie


coloniale, par Abderrahim Sekfali.
Constantes militaires dans l’Algérie
Des hérauts de la colonisation aux
coloniale, par Jacques Frémeaux.
héros de la fraternité : l’histoire
Les militaires nord-africains dans
scolaire dans le Journal des institu-
l’armée française pendant la
teurs d’Afrique du Nord, par Benoît
Seconde Guerre mondiale, par
Falaize.
Belkacem Recham.
De nouveaux colons ? L’installation
des militaires français démobi- L’Algérie en mouvement
lisés en Algérie (1956-1962), par
Les mouvements ouvriers au
Raphaëlle Branche.
Maghreb : étude comparée, par
René Gallissot.
Le soubassement économique L’émergence de la culture moderne de
Les banques et l’Algérie : mise en l’image dans l’Algérie musulmane
valeur impériale ou exploitation contemporaine (1880-1980), par
impérialiste ?, par Hubert Bonin. Omar Carlier.
Le système fiscal colonial et la dyna- Constantine, sportsmen musulmans
mique d’identification commu- et nouvelles figures sociales de
nautariste en Algérie (1830-1918), l’émancipation à la veille de la
par Ahmed Henni. Première Guerre mondiale, par
Les transformations de la solution Djamel Boulebier.
intermédiaire (1954-1962), par
Hartmut Elsenhans. Culture et identité entre société
et État

2. Sociétés coloniales Tradition orale, mémoire collective.


et empreintes Quelques repères historiques
dans l’Algérie coloniale : le cas
de la colonisation
des Aurès et du pays chaoui, par
Mostefa Haddad.
Religions, savoirs
Les Algériens et leur(s) langue(s) de la
et statuts personnels
période coloniale à nos jours, par
Les Juifs d’Algérie. Au-delà des pres- Khaoula Taleb-Ibrahimi.
sions officielles et des lobbies de Histoire du système d’enseignement
mémoire, par Richard Ayoun. colonial en Algérie, par Aïssa
Quand les missionnaires rencontrent Kadri.
l’islam berbère : cécité coloniale L’arabisation en Algérie des ‘ulamâ’
et malentendus dans l’Algérie de à nos jours, par Gilbert Grand-
la fin du XIXe siècle, par Karima guillaume.
Dirèche-Slimani.

212

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE212 (P01 ,NOIR)


Annexes

3. De la construction Colonialisme
d’une identité nationale et anticolonialisme français
à la guerre d’indépendance, L’affaire Audin, par Pierre Vidal-
1930-1962 Naquet.
La résistance française à la guerre
d’Algérie, par Martin Evans.
Résistances anticoloniales Guerre d’Algérie et vie politique fran-
et nationalisme : l’avant-1954 çaise (1954-2005), par Frank
Renken.
La Fédération des élus des
Politiques, militaires, intellectuels
musulmans du département de
français. De la guerre d’Indo-
Constantine : à l’Est se lève la
chine à la guerre d’Algérie :
notabilité ? (1930-1943), par
continuités et ruptures, par Alain
Julien Fromage.
Ruscio.
Messali Hadj : le retour d’une figure,
Un cas : militants anticolonialistes
par Benjamin Stora.
dans le Gard (1954-1962), par
Pourquoi le 1er novembre 1954 ?, par
Bernard Deschamps.
Gilbert Meynier.

France, guerre d’Algérie


La guerre d’indépendance et enjeux internationaux
algérienne : prémices et débuts
(1945-1955) Le Sahara, 1957-1962 : mutation
administrative, économique et
La répression de mai 1945 dans sociologique ?, par Frédéric
le Constantinois, par Boucif Médard.
Mekhaled. Les rapports franco-allemands à
Le clientélisme : un pilier du système l’épreuve de la question algé-
colonial algérien. L’exemple d’un rienne (1955-1963) : l’installation
couple de notables guelmois et l’action des indépendantistes
avant le 8 mai 1945, par Jean- algériens en République fédérale
Pierre Peyroulou. d’Allemagne, par Nassima
Le nationalisme algérien vu par les Bougherara-Souidi.
services de renseignement La guerre de libération nationale
français : l’œil du cyclone (1946- algérienne et les pays de l’Est : le
1954), par Jean-Charles Jauffret. cas de la Hongrie, par László
Le 20 août 1955, interrogations à Nagy.
propos d’un événement, de ses De Gaulle et l’Algérie : grand dessein
sources et de ses représentations, ou adaptation empirique ?, par
par Claire Mauss-Copeaux. Julian Jackson.

213

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE213 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

4. La guerre d’indépendance Au-delà de la victimisation et de


des Algériens l’opprobre : les harkis, par Fran-
çois-Xavier Hautreux.

Résistances anticoloniales
Les traces de la guerre
et nationalisme : 1954-1962
Pour une contestation de la scéno-
Histoire d’une infiltration de la DST graphie binaire de la théorie
dans le FLN : l’affaire Mourad, postcoloniale par une prise en
par Mohammed Harbi. compte de l’ambiguïté tragique
Bilan du 17 octobre 1961, par Jim pour l’approche des littératures
House et Neil MacMaster. francophones du Maghreb, par
Les femmes dans l’Armée de libéra- Charles Bonn.
tion nationale : le mariage et/ou Les femmes et leurs corps dans la
l’action ?, par Ryme Seferdjeli. guerre : refus de mémoire et
traces littéraires, par Zineb
Ali-Benali.
La guerre d’indépendance Le débat sur la torture durant la
algérienne (1954-1962) guerre d’Algérie et l’engagement
associatif comme indices d’une
L’Armée de libération nationale face régénération de l’espace public
à l’armée française, par Dalila Aït (2000-2005), par Abdelhafid
El Djoudi. Hammouche.
Les dirigeants de l’Aurès-Nemencha
(1954-1957), par Ouanassa Siari-
Tengour.
5. Migrations, cultures
Radioscopie du Front de libération
et représentations :
nationale à Oran durant la guerre
de libération nationale, par Karim la pérennité des liens
Miloud Rouina.
Migrations croisées

Une guerre de reconquête coloniale Les colons de 1848, des proscrits ?


Un mythe tenace et récurrent,
Le haut commandement, la direc- par Yvette Katan.
tion et la conduite de la guerre Les Français d’Algérie, ou la constitu-
d’Algérie : Paris ou Alger ?, par tion d’une communauté française
André-Paul Comor. à partir d’une double migration,
Les camps de regroupement de par Valérie Esclangnon-Morin.
la guerre d’Algérie, par Michel Émigration coloniale et immigra-
Cornaton. tion étrangère. Pourquoi dire

214

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE214 (P01 ,NOIR)


Annexes

émigration pour les colonies et tismes culpabilisants, par Claude


immigration pour les autres ? Liauzu.
L’exemple des Algériens et des Un colonialismo diverso ? Les histo-
Italiens sous la IIIe République, riens italiens et le poids de l’idéo-
par Gérard Noiriel. logie coloniale, par Nicola
Labanca.

Histoire officielle,
histoire idéologique Quels savoirs transmettre ?

Histoire officielle et pressions offi- Le passé franco-algérien dans les


cielles françaises dans les textes : manuels algériens d’histoire, par
questions de droit, par Thierry Le Lydia Aït Saadi.
Bars. Les difficultés de la transmission
Existe-t-il une vision pied-noir de scolaire : le lien Algérie-France
l’histoire franco-algérienne ?, par dans les programmes d’histoire,
Yann Scioldo-Zurcher. les manuels et l’enseignement en
France-Algérie : groupes de pression France, par Françoise Lantheaume.
et histoire (1990-2005), par Guy Enseigner la guerre d’Algérie à
Pervillé. l’école : dépasser les enjeux de
L’histoire idéologique entre révision- mémoires ?, par Gilles Boyer et
nisme nostalgérique et schéma- Véronique Stacchetti.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE215 (P01 ,NOIR)


Annexe 2
Les comités du colloque
et les intervenants

Les comités

Coordination scientifique : Frédéric A BÉCASSIS , ENS Lettres et sciences


humaines, Lyon ; Gilbert MEYNIER, professeur émérite, université de Nancy-II,
Villeurbanne.
Comité scientifique : Charles-Robert AGERON, professeur émérite, université
de Paris-XII ; Richard AYOUN, Inalco, Paris ; Omar CARLIER, université de Paris-
VII ; Daho DJERBAL, université d’Alger ; Olivier FARON, directeur de l’ENS Lettres
et sciences humaines, Lyon ; Jacques FRÉMEAUX, université de Paris-IV ; Anne-
Marie GRANET-ABISSET, université de Grenoble-III ; Fatima-Zohra GUECHI, univer-
sité Mentouri, Constantine ; Mohammed HARBI, professeur émérite, université
de Paris-VIII ; Jean-Charles JAUFFRET, Institut d’études politiques d’Aix-
en-Provence ; Claude LIAUZU, professeur émérite, université de Paris-VII ;
Gilbert MEYNIER, professeur émérite, université de Nancy-II, Villeurbanne ;
Valérie MORIN, enseignante, Paris ; Gérard NOIRIEL, directeur d’études à l’EHESS,
Paris ; André NOUSCHI, professeur émérite, université de Nice ; Annie REY-GOLD-
ZEIGUER, professeure émérite, université de Reims ; Fouad SOUFI, archiviste et
historien, Alger ; Ouanassa SIARI-TENGOUR, université Mentouri, Constantine ;
Benjamin STORA, Inalco, Paris ; Sylvie THÉNAULT, chargée de recherche, CNRS-
IHTP, Paris ; Pierre VIDAL-NAQUET, directeur d’études à l’EHESS, Paris.

217

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE217 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Comité d’organisation : Frédéric ABÉCASSIS ; Gilles BOYER, IUFM, Lyon ; Omar


CARLIER ; Benoît FALAIZE, INRP, Lyon ; Jacques FRÉMEAUX ; Mohammed HARBI ;
Me Ugo IANNUCCI, chaire lyonnaise des droits de l’homme ; Claude LIAUZU ;
Gilbert MEYNIER ; Radia MOUSLI, CARA, Lyon ; Zohra PERRET-MADANI, France-
Algérie, Lyon-Paris ; Véronique STACCHETTI, professeure agrégée d’histoire,
INRP, Lyon ; Benjamin STORA, Inalco, Paris ; Mohamed TAYEBI, CARA, Lyon ;
Sylvie THÉNAULT ; Michel WILSON, Association Coup de soleil, Rhône-Alpes,
Lyon ; Afifa ZENATI, ENS Lettres et sciences humaines, Lyon.
Comité éditorial des actes en ligne : Frédéric ABÉCASSIS ; Raphaëlle BRANCHE,
université de Paris-I ; Gilles BOYER ; Benoît FALAIZE ; Julien FROMAGE, doctorant,
université de Paris-VII ; Gilbert GRANDGUILLAUME, EHESS, Paris ; Fatima-Zohra
GUECHI ; Gilbert MEYNIER ; Yann SCIOLDO-ZURCHER, EHESS, Paris ; Ouanassa SIARI-
TENGOUR ; Sylvie THÉNAULT.

Intervenant(e)s au colloque et président(e)s de séances 1

Frédéric ABÉCASSIS, maître de conférences, ENS Lettres et sciences humaines,


UMR 5190 LARHRA ; Dalila AÏT EL DJOUDI, docteur en histoire (université de
Montpellier-III) ; Lydia AÏT SAADI, doctorante en histoire, Institut national de
langues et civilisations orientales (Inalco) ; Zineb ALI-BENALI, maître de confé-
rences à l’université Vincennes-Saint-Denis-Paris ; Richard AYOUN, maître de
conférences à l’Inalco ; Raëd BADER, docteur en histoire, Maison méditerra-
néenne des sciences de l’homme (MMSH) ; Hubert BONIN, professeur à l’Institut
d’études politiques de Bordeaux ; Charles BONN, professeur à l’université
Lumière-Lyon-II ; Nassima B OUGHERARA -S OUIDI , maître de conférences à
l’université Stendhal-Grenoble-III ; Djamel BOULEBIER, chargé de cours au dépar-
tement de sociologie de l’université Mentouri (Constantine), chercheur associé
au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) ; Gilles
BOYER, Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Lyon ; Anna
BOZZO, professeure à l’université de Rome-III ; Raphaëlle BRANCHE, maître de
conférences à l’université de Panthéon-Sorbonne-Paris-I ; Omar CARLIER, profes-
seur à l’université Denis-Diderot-Paris-VII ; Fanny COLONNA, directrice d’études
à l’EHESS, Paris ; André-Paul COMOR, maître de conférences à l’Institut d’études

1 Un petit nombre d’invités au colloque n’ont pu finalement y participer. Quelques


autres invités qui n’ont pas été en mesure d’y participer ont cependant envoyé pour les
actes le texte de leur communication. Un petit nombre d’intervenants, invités au
colloque, y ont participé, mais n’ont pas été en mesure d’envoyer pour les actes le texte
de leur communication ou leur texte corrigé, ainsi que le leur demandait le comité
éditorial. Seuls ont été pris en compte, pour les actes en ligne et pour le présent livre,
les textes parvenus au comité éditorial.

218

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE218 (P01 ,NOIR)


Annexes

politiques d’Aix-en-Provence ; Michel C ORNATON , professeur émérite de


l’université Lumière-Lyon-II ; Bernard DESCHAMPS, historien, ancien député du
Gard ; Karima DIRÈCHE-SLIMANI, CNRS, MMSH, UMR TELEMME ; Daho DJERBAL,
professeur à l’université d’Alger ; Isabelle DORÉ-RIVÉ, directrice du Musée de la
résistance et de la déportation, Lyon ; Hartmut E LSENHANS , professeur à
l’Institut d’études politiques, université de Leipzig (Allemagne) ; Valérie
ESCLANGON-MORIN, docteure en histoire et professeure agrégée, université Denis-
Diderot-Paris-VII ; Martin EVANS, université de Portsmouth (Grande-Bretagne) ;
Benoît FALAIZE, chargé d’études et de recherche, Institut national de recherche
pédagogique, Lyon ; Jean-Pierre FREY, professeur à l’université de Paris-XII-Val-
de-Marne ; Jacques FRÉMEAUX, professeur à l’université Sorbonne-Paris-IV ;
Julien FROMAGE (Lyon), doctorant, université Denis-Diderot-Paris-VII ; René
GALLISSOT, professeur émérite de l’université Vincennes-Saint-Denis-Paris-VIII ;
Gilbert GRANDGUILLAUME, EHESS, Paris ; Anne-Marie GRANET-ABISSET, professeure
à l’université Pierre-Mendes-France, Grenoble, UMR 5190 LARHRA ; Fatima-
Zohra G UECHI , professeure à l’université Mentouri, Constantine ; Didier
G UIGNARD , doctorant, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme
(MMSH) ; Mostefa HADDAD, professeur à l’université Mentouri, Constantine ;
Abdelhafid HAMMOUCHE, maître de conférences à l’université Lumière-Lyon-II ;
Mohammed HARBI, professeur émérite de l’université Paris-VIII ; François-
Xavier HAUTREUX, doctorant, université Denis-Diderot-Paris-VII ; Ahmed HENNI,
professeur à l’université d’Artois ; Jim HOUSE, université de Leeds (Grande-
Bretagne) ; Julian JACKSON, professeur à l’université de Londres (Grande-
Bretagne) ; Jean-Charles JAUFFRET, professeur à l’Institut d’études politiques
d’Aix-en-Provence et à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III ; Aïssa KADRI,
professeur à l’université François-Rabelais, Tours ; Yvette KATAN, maître de
conférences émérite de l’université Panthéon-Sorbonne-Paris-I ; Tahar KHAL-
FOUNE, docteur en droit, chargé de cours à l’université Jean-Moulin-Lyon-III ;
Nicola L ABANCA , professeur à l’université de Sienne (Italie) ; Françoise
LANTHEAUME, chargée de recherche à l’INRP (UMR Éducation politique, INRP-
université Lumière-Lyon-II) ; Thierry LE BARS, professeur à l’université de Caen-
Basse-Normandie ; Claude L IAUZU , professeur émérite de l’université
Denis-Diderot-Paris-VII ; Seloua LUSTE-BOULBINA, Collège international de philo-
sophie ; Neil MACMASTER, université d’East Anglia (Grande-Bretagne) ; Gene-
viève M ASSARD -G UILBAUD , directrice d’études à l’EHESS, Paris ; Claire
MAUSS-COPEAUX, chargée de recherches au CNRS, Groupe de recherche et
d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), Lyon ; Boucif
MEKHALED, université d’Oran ; Frédéric MÉDARD, docteur en histoire, université
de Montpellier-III ; Gilbert MEYNIER, professeur émérite, université de Nancy-II,
Villeurbanne ; Amar MOHAND-AMER, doctorant, université Panthéon-Sorbonne-
Paris-I ; László NAGY, professeur à l’université de Szeged (Hongrie), département

219

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE219 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

d’histoire moderne et études méditerranéennes ; Gérard NOIRIEL, directeur


d’études à l’EHESS, Paris ; André NOUSCHI, professeur émérite de l’université de
Nice-Sophia Antipolis ; Guy PERVILLÉ, professeur à l’université Le Mirail-
Toulouse-II ; Jean-Pierre P EYROULOU , docteur en histoire, EHESS, Paris ;
Belkacem RECHAM, docteur en histoire, université Marc-Bloch-Strasbourg-II ;
Frank RENKEN, chercheur au centre Marc-Bloch à Berlin, collaborateur scienti-
fique du groupe Die Linke au Bundestag ; Annie REY-GOLDZEIGUER, professeure
émérite de l’université de Reims ; Daniel R IVET , professeur à l’université
Panthéon-Sorbonne-Paris-I ; Karim Miloud ROUINA, université d’Oran ; Werner
RUF, professeur émérite de l’université de Kassel (Allemagne) ; Alain RUSCIO,
historien, chercheur indépendant ; Yann SCIOLDO-ZURCHER, docteur en histoire,
EHESS, Paris ; Ryme SEFERDJELI, université d’Ottawa (Canada) ; Abderrahim
SEKFALI, professeur à l’université Mentouri, Constantine ; Ouanassa SIARI-
TENGOUR, université Mentouri, Constantine, et CRASC, Oran ; Pierre SORLIN,
professeur émérite de l’université Sorbonne Nouvelle-Paris-III ; Fouad SOUFI,
CRASC, Oran ; Véronique STACCHETTI, professeure agrégée au lycée Pierre-Bros-
solette, Villeurbanne, associée à l’INRP ; Benjamin STORA, professeur à l’Inalco ;
Christelle TARAUD, docteure en histoire, EHESS, Paris ; Khaoula TALEB-IBRAHIMI,
professeure de linguistique à l’université d’Alger ; Pierre VIDAL-NAQUET 2, direc-
teur d’études émérite de l’EHESS, Paris ; Michelle ZANCARINI-FOURNEL, profes-
seure à l’IUFM de Lyon, UMR 5190 LARHRA.

Intervenants au forum des associations

Fatima BESNACI-LANCOU, éditrice, Harkis et droits de l’homme, Paris ; Emma-


nuel LAURENTIN, producteur à Radio-France, France Culture, Paris ; Georges
MORIN, inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale, maire
adjoint de Glières (Isère), président de Coup de soleil ; Zohra PERRET-MADANI,
psychanalyste, France-Algérie Rhône-Alpes, Lyon ; Mohamed TAYEBI, cadre
(informatique), Cercle des Algériens et Franco-Algériens en Rhône-Alpes,
Lyon ; Jacques WALTER, pasteur retraité, Cimade, Lyon.

2 L’état de santé de Pierre Vidal-Naquet ne lui a pas permis de se déplacer à Lyon pour le
colloque. Il a tenu cependant à être présent par l’image : une équipe de l’École normale
supérieure, conduite par Frédéric Abécassis, est venue enregistrer sa communication à
son domicile parisien. La vidéo fut projetée dans l’amphithéâtre le 21 juin 2006.

220

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE220 (P01 ,NOIR)


Annexes

Intervenants au concert du 21 juin 2006

Mohamed-Tahar E L H ADJ F ERGANI et les musiciens de l’association El


Fergania, qui se présentait ainsi en 2006 : « Ensemble de musique arabo-anda-
louse, dont la spécialité est le ma’lûf de Constantine, El Fergania s’est constitué
en association pour porter un projet à vocation pédagogique : fonder une école
de musique à Lyon baptisée “Enfants de tous pays”, avec le parrainage de
chaykh Enrico Macias. Les “noubas”, suites musicales transmises de génération
en génération, dans une relation précieuse maître-élève, sont diffusées par des
familles de musiciens dont les Fergani de Constantine, d’où l’intitulé de
l’association.
« Ces trésors de l’Andalousie médiévale sont l’expression d’un raffinement
musical et poétique et doivent être préservés dans un apprentissage métho-
dique et rigoureux. Ouvrir une classe de ma’lûf à Lyon, c’est apporter une
postérité à un travail de préservation initié par des familles qui accueillent en
héritage ces vestiges du patrimoine culturel andalou. De nos jours, El Fergania
intervient par ses “nuits andalouses” pour apporter poésie lyrique et chantée à
un public qui rêve d’un âge d’or où tous se respectaient malgré leurs dissem-
blances. L’“amitié entre les peuples”, l’“égalité de tous devant la musique” sont
des thèmes auxquels l’association musicale et artistique apporte sa contribu-
tion. Un projet de création d’un opéra avec des arrangements musicaux tirés
des “noubas” du ma’lûf est en cours de réalisation : une sorte de Carmen de
Bizet à la mode arabo-andalouse. Pour plus de renseignements, consulter le site
de l’association : <www.constantine.free.fr>. »

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE221 (P01 ,NOIR)


Annexe 3
Bibliographie abrégée
des intervenants

Formes et processus de colonisation


Hubert BONIN, Un outre-mer bancaire méditerranéen. Histoire du Crédit foncier
d’Algérie et de Tunisie (1880-1997), Société française d’histoire d’outre-mer,
Saint-Denis, 2004.
—, av. Jean-François KLEIN (dir.), L’Esprit économique. Groupes de pression et
réseaux du patronat colonial en France et dans l’empire, SFHOM, Paris, 2008.
André-Paul COMOR, La Légion étrangère, PUF, Paris, 1992.
Jacques FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées, 1830-1930, Service historique de
l’armée de terre, Vincennes, 1993.
—, La France et l’Islam depuis 1789, PUF, Paris, 1991.
—, Le Monde arabe et la sécurité de la France depuis 1958, PUF, Paris, 1995.
—, La France et l’Algérie en guerre : 1830-1870, 1954-1962, Commission fran-
çaise d’histoire militaire, Economica/DL, Paris, 2002.
René GALLISSOT, L’Économie de l’Afrique du Nord, PUF, Paris, 1961.
—, L’Algérie précoloniale. Classes sociales en système précapitaliste. Mise en question
du monde féodal, CERM, nº 60, 1968.
Fatima-Zohra GUECHI, Constantine : une ville, des héritages, Média-Plus, Constan-
tine, 2004.
—, Qasantina fî ahdi hâj Ahmed bay al bayat, Média-Plus, Constantine, 2005.
Didier GUIGNARD, « Des maîtres de paroles en Algérie coloniale », Afrique et
Histoire, vol. 3, nº 1, 2005, p. 129-154.

223

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE223 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Ahmed HENNI, L’Agriculture coloniale en Algérie, thèse de doctorat d’État en


sciences économiques, université de Paris 1, 1975.
—, État, surplus et société en Algérie avant 1830, ENAL, Alger, 1986.
—, Économie de l’Algérie indépendante, ENAG, Alger, 1991.
—, Le Cheikh et le Patron. Usages de la modernité dans la reproduction de la tradi-
tion, OFUP, Alger, 1993.
Tahar K HALFOUNE , Le Domaine public en droit algérien : réalité et fiction,
L’Harmattan, Paris, 2004.
Claude LIAUZU, Empire du mal contre grand Satan. Treize siècles de culture de guerre
entre l’islam et l’Occident, Armand Colin, Paris, 2005.
—, av. Gilles MANCERON, La Colonisation, la Loi et l’Histoire, Syllepse, Paris, 2006.
—, Dictionnaire de la colonisation française, Larousse, Paris, 2007.
Lemnouar M EROUCHE , Recherches sur l’Algérie à l’époque ottomane, tome I,
Monnaies, prix et revenus, 1520-1830, Bouchene, Saint-Denis, 2002.
—, Recherches sur l’Algérie à l’époque ottomane, tome II, La Course, mythes et
réalités, Bouchene, Saint-Denis, 2007.
Gilbert M EYNIER , av. Charles-Robert A GERON , Jacques T HOBIE , Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, Histoire de la France coloniale, vol. 2 : 1914-1990,
Armand Colin, Paris, 1990.
—, L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’islam, La Découverte,
Paris, 2007 ; Barzakh, Alger, 2008.
André NOUSCHI, av. Yves LACOSTE et André PRENANT, L’Algérie, passé et présent,
Éditions sociales, Paris, 1960.
—, Enquête sur le niveau de vie des populations rurales constantinoises. De la
conquête jusqu’en 1919 : essai d’histoire économique et sociale, PUF, Paris,
1961.
—, La Naissance du nationalisme algérien, 1914-1954, Minuit, Paris, 1962.
—, Les Armes retournées. Colonisation et décolonisation françaises, Belin, Paris,
2005.
Guy PERVILLÉ, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette, Paris, 1991.
Belkacem RECHAM, Les Musulmans algériens dans l’armée française, 1919-1945,
L’Harmattan, Paris, 1996.
Annie REY-GOLDZEIGUER, Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III,
1861-1871, SNED, Alger, 1977.
—, av. Jean MEYER et Jean TARRADE, Histoire de la France coloniale, t. 1, Des origines
à 1914, Armand Colin, Paris, 1990.
Daniel RIVET, Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc, 1912-1925,
3 vol., L’Harmattan, Paris, 1996.
—, La Sociologie musulmane de Robert Montagne, Maisonneuve et Larose, Paris,
2000.
—, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette littératures, Paris, 2002.

224

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE224 (P01 ,NOIR)


Annexes

Werner RUF, av. M. CHERIF, H. MENSCHING, J. LE COZ et al., Introduction à l’Afrique


du Nord contemporaine, CREMS, CNRS, Aix-en-Provence, 1975.
—, Die algerische Tragîdie. Vom Zerbrechen des Staates einer zerrissenen Gesells-
chaft, Agenda-Verlag, Münster, 1997.
Benjamin STORA, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte, coll.
« Repères », Paris, 2004.

Sociétés coloniales et traces de la colonisation

Richard AYOUN, Les Juifs d’Algérie. 2 000 ans d’histoire, Lattès, Paris, 1982.
—, Un grand rabbin français au XIXe siècle, Mahir Charleville (1814-1888), Éditions
du Cerf, Paris, 1999.
Raëd BADER, Une Algérie noire ? Traite et esclaves noirs en Algérie coloniale :
1830-1906, thèse de doctorat d’histoire dirigée par Raoul Ilbert, université
de Provence, 2005.
Djamel Masri BOULEBIER, Urbanisation et développement ? Essai d’analyse de
l’espace urbain à Constantine, thèse dirigée par François Chazel, université
de Bordeaux-II, 1982.
Omar CARLIER, Lettrés, intellectuels et militants en Algérie, 1880-1950, OFUP,
Alger, 1988.
—, av. N. MAROUF, Espaces maghrébins. La force du local ? Hommage à Jacques
Berque, L’Harmattan, Paris, 1995.
Fanny COLONNA, Instituteurs algériens, 1883-1939, Presses de la Fondation natio-
nale des sciences politiques, Paris, 1975.
Karima DIRÈCHE-SLIMANI, Chrétiens de Kabylie (1873-1954). Une action mission-
naire dans l’Algérie coloniale, Bouchene, Saint-Denis, 2004.
Hartmut ELSENHANS, Algerien : Kolonial und Postcolonial Reformpolitikl, Stiftung
Deutsches ḃersee-Institut, Hambourg, 1977.
—, La Dette du tiers monde, PUF, Paris, 1984.
—, Une architecture européenne équilibrée. L’ouverture de l’Union européenne vers
l’Europe centrale et la Méditerranée, Publisud, Paris, 1999.
—, Développement, équité et extension du marché des masses. Une autre alternative,
le cas algérien : l’enjeu des PME industrielles, Publisud, Paris, 2000.
René GALLISSOT, Maghreb-Algérie, classe et nation. Libération nationale et guerre
d’Algérie, 2 vol., Arcantère, Paris, 1987.
— (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb, Algérie, enga-
gements sociaux et question nationale : de la colonisation à l’indépendance de
1830 à 1962 (Le Maitron), L’Atelier, Paris, 2006.
—, La République française et les indigènes. Algérie colonisée, Algérie algérienne,
1870-1962, L’Atelier, Paris, 2007.

225

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE225 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Gilbert GRANDGUILLAUME, Nédroma : l’évolution d’une médina, E. J. Brill, Leyde,


1976.
Mostefa HADDAD, L’Émergence de l’Algérie moderne. Le Constantinois (l’Est algé-
rien) entre les deux guerres ; essai d’histoire sociale et économique, 1919-1939,
2 vol. (t. 1, Modernistes, traditionalistes et opinion publique algérienne ; t. 2,
Les Pouvoirs publics face à la crise économique en crise et les conflits sociaux),
Mostefa Haddad, Batna, 2001.
Abdelhafidh HAMMOUCHE, Mariages et immigration. La famille algérienne en
France, PUL, Lyon, 1994.
—, Les Recompositions culturelles. Sociologie des dynamiques sociales en situation
migratoire, PUS, Strasbourg, 2007.
—, av. Gérard NEYRAND et Sahra MEKBOUL, Les Mariages forcés. Conflits culturels et
réponses sociales, La Découverte, Paris, 2008.
Ahmed HENNI, La Colonisation agraire et le sous-développement en Algérie, SNED,
Alger, 1981.
—, Société et production. Essai sur le capitalisme canonique, OFUP, Alger, 1992.
Aïssa KADRI, Le Droit à l’enseignement et l’enseignement du droit. Contribution à une
analyse des fonctions du système de l’enseignement supérieur algérien [micro-
forme], ANRT, Lille, 1993.
Yvette KATAN, Oujda. Une ville frontière du Maroc (1907-1956). Musulmans, juifs et
chrétiens en milieu colonial, L’Harmattan, Paris, 1990.
Claude LIAUZU, av. Gilbert MEYNIER, Maria SGROÏ DUFRESNE et Pierre SIGNOLES,
Enjeux urbains au Maghreb. Crise, pouvoirs et mouvements sociaux,
L’Harmattan, Paris, 1986.
—, Passeurs de rives : changements d’identité dans le Maghreb colonial,
L’Harmattan, Paris, 2000.
—, (dir.), Colonisation : droit d’inventaire, Armand Colin, Paris, 2004.
Gilbert MEYNIER, av. Claude LIAUZU, Maria SGROÏ DUFRESNE et Pierre SIGNOLES,
Enjeux urbains au Maghreb. Crise, pouvoirs et mouvements sociaux,
L’Harmattan, Paris, 1986.
—, av. Maurizio RUSSO (dir.), L’Europe et la Méditerranée. Stratégies politiques et
culturelles, XIXe et XXe siècles, L’Harmattan/Confluences méditerranée, Paris,
1999.
André NOUSCHI, L’Algérie amère, 1914-1994, Maison des sciences de l’homme,
Paris, 1995.
Guy PERVILLÉ, Les Étudiants algériens de l’université française, 1880-1962. Popu-
lisme et nationalisme chez les étudiants et intellectuels musulmans algériens de
formation française, Éditions du CNRS, Paris, 1984.
Annie REY-GOLDZEIGUER, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945. De Mers-
el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, Paris, 2002.

226

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE226 (P01 ,NOIR)


Annexes

Diane SAMBRON, La Politique d’émancipation du gouvernement français à l’égard


des femmes algériennes pendant la guerre d’Algérie, thèse dirigée par Jacques
Frémeaux, université de Paris-Sorbonne, 2005.
Abderrahim SEKFALI, L’Enseignement primaire dans le Constantinois (1890-1939),
thèse dirigée par Jean-Louis Miège, université de Provence, 1987.
Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La
Découverte, Paris, 1992 (La Découverte, « Poche/Essais », Paris, 2005)
—, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-arabe, La
Découverte, Paris, 1999.
Khaoula TALEB-IBRAHIMI, Les Algériens et leur(s) langue(s). Éléments pour une
approche sociolinguistique de la société algérienne, 2e éd., Hikma, Alger, 1997.
—, av. M. HADDAB et O. LARDJANE, Élites et questions identitaires en Algérie,
Casbah, Alger, 1997.
Christelle TARAUD, Prostitution et colonisation. Algérie, Tunisie, Maroc, 1830-1960,
ANRT, Lille, 2002.
—, Femmes d’Afrique du Nord. Cartes postales, 1885-1930, 2e édition, Bleu
autour, Saint-Pourçain, 2006.

La question nationale algérienne : enjeux et conflits

Nassima BOUGHERARA-SOUIDI, Les Rapports franco-allemands à l’épreuve de la ques-


tion algérienne, 1955-1963, P. Lang, Berne, 2006.
Omar CARLIER, Le Cri du révolté. Imache Amar, un itinéraire militant, ENAL, Alger,
1986.
—, Socialisation politique et acculturation à la modernité. Le cas du nationalisme
algérien, de l’ENA au FLN, 1926-1954, thèse de doctorat d’État, Institut
d’études politiques de Paris, 4 vol., 1994.
—, Entre nation et jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1995.
Jacques FRÉMEAUX, av. Daniel NORDMAN et Guy PERVILLÉ, Armées, guerre et poli-
tique en Afrique du Nord, XIVe-XVe siècles, Presses de l’ENS, Paris, 1979.
Mohammed HARBI, Aux origines du FLN. Contribution à l’histoire du populisme
révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, Paris, 1975.
—, L’Algérie et son destin : croyants ou citoyens, Arcantère, Paris, 1992.
René GALLISSOT, Populismes du tiers monde, L’Harmattan, Paris, 1997.
—, Mouvement ouvrier, communisme et nationalismes dans le monde arabe, Édit.
ouvrières, Paris, 1978.
Jean-Charles JAUFFRET, La Guerre d’Algérie par les documents, t. 1, L’Avertissement,
1943-1946, 1990 ; t. 2, Les Portes de la guerre. Des occasions manquées à

227

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE227 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

l’insurrection, 10 mars 1946-31 décembre 1954, Service historique de l’armée


de terre, Vincennes, 1998.
Claude LIAUZU, Aux origines du tiers-mondisme. Colonisés et anticolonialistes en
France 1919-1939, L’Harmattan, Paris, 1982.
—, Histoire de l’anticolonialisme en France, du XVIe siècle à nos jours, Armand
Colin, Paris, 2007.
Frédéric MÉDARD, av. Jean-Charles JAUFFRET, Technique et logistique en guerre
d’Algérie. L’armée française et son soutien, 1954-1962, Lavauzelle, Paris, 2002.
Boucif MEKHALED, Chroniques d’un massacre. 8 mai 1945 : Sétif, Guelma, Kherrata,
Syros/Au nom de la mémoire, Paris, 1995.
Gilbert MEYNIER, L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du
XXe siècle, Droz, Genève, 1981.
—, av. Ahmed KOULAKSSIS, L’Émir Khaled, premier zâ‘îm ? Identité algérienne et
colonialisme français, L’Harmattan, Paris, 1987.
László NAGY, La Naissance et le développement du mouvement de libération natio-
nale en Algérie, 1919-1947, Akadémiai, Budapest, 1989.
—, La Méditerranée vue de l’Europe centrale, université de Szeged, Szeged, 2000.
Guy PERVILLÉ, av. Daniel NORDMAN et Jacques FRÉMEAUX, Armées, guerre et poli-
tique en Afrique du Nord, XIXe-XXe siècles, Presses de l’ENS, Paris, 1977.
Jean-Pierre PEYROULOU, « Préface », in Marcel REGGUI, Les Massacres de Guelma.
Algérie, mai 1945, une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, suivi de
Un testament retrouvé, La Découverte, Paris, 2006 (La Découverte, « Poche/
Essais », Paris, 2008).
—, Guelma, 8 mai 1945. Une subversion européenne dans le département de
Constantine, Algérie française. Le système colonial à l’épreuve des réformes poli-
tiques et du nationalisme, 3 vol., thèse de doctorat, EHESS, 2007.
Alain RUSCIO, Les Communistes français et la guerre d’Indochine, 1944-1954,
L’Harmattan, Paris, 1985.
—, La Guerre française d’Indochine, 1945-1954, Complexe, Bruxelles, 1992.
Benjamin STORA, Messali Hadj, 1898-1974, Le Sycomore, Paris, 1982.
—, Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France, 1912-1992, Fayard,
Paris, 1992.
André NOUSCHI, La Naissance du nationalisme algérien, 1914-1954, Minuit, Paris,
1962.

La guerre d’indépendance des Algériens

Dalila AÏT EL DJOUDI, La Guerre d’Algérie vue par l’ALN, 1954-1962. L’armée fran-
çaise sous le regard des combattants algériens, Autrement, Paris, 2007.

228

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE228 (P01 ,NOIR)


Annexes

Zineb ALI-BENALI, Le Discours de l’essai de langue française en Algérie. Mises en crise


et possibles devenirs (1833-1962), thèse dirigée par Anne Roche, université
d’Aix-Marseille, 1998.
Raphaëlle BRANCHE, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962,
Gallimard, Paris, 2001.
—, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Seuil, Paris, 2005.
Tom CHARBIT, Les Harkis, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2006.
Fanny COLONNA, Aurès-Algérie 1954. Les fruits verts d’une révolution, Autrement,
Paris, 2005.
Michel CORNATON, Les Camps de regroupement de la guerre d’Algérie, 2e éd.,
L’Harmattan, Paris, 1998.
Bernard DESCHAMPS, Les Gardois contre la guerre d’Algérie, Le Temps des cerises,
Pantin, 2002.
—, Le Fichier Z. Essai d’histoire du FLN algérien dans le Gard, 1954-1962, Le
Temps des cerises, Pantin, 2004.
Martin EVANS, The Memory of Resistance. French Opposition to the Algerian War
(1954-1962), Berg/Oxford, New York, 1997.
—, The Algerian War and the French Army, 1954-1962. Experiences, Images, Testi-
monies, Palgrave, Houndmills/New York, 2002.
Harmut ELSENHANS, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition d’une France à
une autre : le passage de la IVe à la Ve République, Publisud, Paris, 1999.
Jacques FRÉMEAUX, av. Michèle BATTESTI, Sorties de guerre, CEHD, Vincennes, t. 1,
2005 ; t. 2, 2007.
René GALLISSOT (dir.), Les Accords d’Évian en conjoncture et en longue durée,
Karthala, Paris, 1997.
Mohammed HARBI, Le FLN, mirage et réalité, Jeune Afrique, Paris, 1980.
—, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune Afrique, Paris, 1981.
—, av. Gilbert MEYNIER, Le FLN, documents et histoire, 1954-1962, Fayard, Paris,
2004.
—, 1954, la guerre commence en Algérie, Complexe, Bruxelles, 1988.
—, Une vie debout, Mémoires politiques, t. 1, La Découverte, Paris, 2001.
—, av. Benjamin STORA (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie,
Robert Laffont, Paris, 2004.
François-Xavier HAUTREUX, « L’emploi des harkis pendant la guerre d’Algérie :
essai de périodisation », Vingtième siècle, 2006.
Julian JACKSON, De Gaulle : au-delà de la légende, Alvik, Paris, 2004.
Jean-Charles JAUFFRET, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences contrastées des
hommes du contingent, Autrement, Paris, 2000.
—, av. M. VAÏSSE (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Complexe,
Bruxelles, 2001.

229

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE229 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

—, av. Frédéric MÉDARD, Technique et logistique en guerre d’Algérie, Lavauzelle,


Paris, 2002.
—, av. Charles-Robert AGERON (dir), Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie,
Autrement, Paris, 2003.
—, Ces officiers qui ont dit non à la torture. Algérie 1954-1962, Autrement, Paris,
2005.
Jim HOUSE et Neil MACMASTER, Paris 1961. Algerians, State Terror, and Memory,
Oxford University Press, Oxford/New York, 2006 (traduction française :
Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, Paris,
2008).
Claire MAUSS-COPEAUX, Les Appelés en Algérie. La parole confisquée, Hachette
Littératures, Paris, 1999.
—, À travers le viseur. Images d’appelés en Algérie, 1955-1962, Aedelsa, Lyon,
2003.
Gilbert MEYNIER, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Fayard, Paris, 2002 ;
Casbah, Alger, 2003.
—, av. Mohammed HARBI, Le FLN, documents et histoire, 1954-1962, Fayard,
Paris, 2004 ; Casbah, Alger, 2004.
Guy PERVILLÉ, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, Picard, Paris,
2002.
—, av. Jean-Jacques JORDI, Alger, 1940-1962 : une ville en guerre, Autrement,
Paris, 1999.
—, Atlas de la guerre d’Algérie : de la conquête à l’indépendance, Autrement, Paris,
2003.
—, La Guerre d’Algérie 1954-1962, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2007.
Laure PITTI, Ouvriers algériens à Renault-Billancourt, de la guerre d’Algérie aux
grèves d’OS des années 1970. Contribution à l’histoire sociale et politique des
ouvriers étrangers en France, thèse dirigée par René Gallissot, université de
Paris-VIII, 2002.
—, « Catégorisations ethniques au travail », Histoire et mesure, vol. 20, nº 3-4.
Frank RENKEN, Frankreich im Schatten des Algerienkrieges. Die Fünfte Republik und
die Erinnerung an den letzten grossenKolonialkonflitk, V & R Unipress,
Göttingen, 2006.
—, av. C. KOHSER-SPOHN (dir.), Trauma Algerienkrieg. Zur Geschichte und Aufarbei-
tung eines tabuisierten Konflikts, Campus Verlag, Francfort/New York, 2006.
Karim Miloud ROUINA, Essai d’étude comparative de la guerre d’indépendance de
l’Algérie de 1954-1962 à travers deux villes : Oran, Sidi-Bel-Abbès, thèse dirigée
par André Martel, université de Montpellier-III, 1980.
Ryme SEFERDJELI, « Fight with us, women, and we will emancipate you ». France, the
FLN, and Women during the Algerian Decolonization War, 1954-1962, thèse

230

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE230 (P01 ,NOIR)


Annexes

dirigée par Robert Boyce, université de Londres, London School of


Economics, 2005.
—, « The French army and Muslim women during the Algerian war », Hawwa,
Journal of Women in the Middle East and Islamic World, vol. 3, nº 1, 2005,
p. 40-78.
Ouarda SIARI-TENGOUR, « Adjel Adjoul 1922-1993 : le combat inachevé », Insâ-
niyyât, nº 25-26, 2004.
—, « Dits et non-dits de quelques acteurs de la guerre d’Algérie », colloque
Wocmès, Mayence, 2002, in Savoirs historiques au Maghreb, construction et
usages, CRASC-Diraset, Oran/Tunis, 2006.
—, « Les premiers réseaux de la résistance à Tlemcen, 1954-1955 : logiques
d’un soulèvement », communication lors de l’hommage à Sidi Ahmed Inal,
Tlemcen, février 2006 (Insâniyyât, 2007).
Benjamin STORA, Histoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, coll. « Repères »,
Paris, 2004.
—, av. Mohammed HARBI (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de
l’amnésie, Robert Laffont, Paris, 2004.
Sylvie THÉNAUT, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La
Découverte, Paris, 2001 (La Découverte, « Poche/Essais », Paris, 2005).
—, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, Paris, 2005.
Pierre VIDAL-NAQUET, L’Affaire Audin, Minuit, Paris, 1958 (édition augmentée :
Minuit, Paris, 1989).
—, La Raison d’État, Minuit, Paris, 1962 (rééd. La Découverte, Paris, 2002).
—, La Torture dans la République. Essai d’histoire et de politique contemporaines,
1954-1962, Minuit, Paris, 1972.

Migration, culture et représentations : la pérennité des liens

Frédéric ABÉCASSIS et al., in Patrick CABANEL (dir.), Une France en Méditerranée.


Écoles, langue et culture française, XIXe-XXe siècles, CNRS, CREAPHIS, Paris,
2006.
Charles BONN, Le Roman algérien de langue française. Vers un espace de communi-
cation littéraire décolonisé ?, L’Harmattan/PUM, Paris/Montréal, 1985.
—, Kateb Yacine : Nedjma, PUF, Paris, 1990.
—, Anthologie de la littérature algérienne (1950-1987), Hachette, coll. « Le Livre
de poche », Paris, 1990.
Omar CARLIER, « Pour une histoire quantitative de l’immigration algérienne en
France dans l’entre-deux-guerres », in Jacqueline COSTA-LASCOUX et Émile
TÉMIME (dir.), Les Algériens en France. Genèse et devenir d’une migration,
Publisud, Paris, 1985.

231

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE231 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

Fanny COLONNA, Les Versets de l’invincibilité. Permanence et changements religieux


dans l’Algérie contemporaine, Presses de la Fondation nationale des sciences
politiques, Paris, 1995.
Karima DIRÈCHE-SLIMANI, Histoire de l’émigration kabyle en France au XXe siècle.
Réalités culturelles et politiques et réappropriations identitaires, L’Harmattan,
Paris, 1997.
Hartmut ELSENHANS, Migration und Wirtschaftsentwicklung, Campus Verlag,
Francfort/New York, 1978.

L’Harmattan, Paris, 2007.


Benoît FALAIZE, av. F. ABÉCASSIS, G. BOYER, G. MEYNIER et M. ZANCARINI-FOURNEL, La
France et l’Algérie : leçons d’histoire, « Éducation, histoire, mémoire », INRP,
Lyon, 2007.
Gilbert GRANDGUILLAUME, Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Maison-
neuve et Larose, Paris, 1983.
Mohammed HARBI, L’Islamisme dans tous ses états, Arcantère, Paris, 1991.
Ahmed HENNI, Le Syndrome islamiste et les mutations du capitalisme contemporain,
Non Lieu, Paris, 2008.
Yvette KATAN, « Les colons de 1848 en Algérie : mythes et réalités », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, nº 31, avril-juin 1984.
Nicola LABANCA, Storia dell’Italia coloniale, Fenice 2000, Milan, 1994.
—, Oltremare : storia dell’espansione coloniale italiana, Il Mulino, Bologne, 2002.
Françoise LANTHEAUME, L’Enseignement de l’histoire de la colonisation et de la déco-
lonisation de l’Algérie depuis les années 1930. État-nation, identité nationale,
critique et valeurs : essai de sociologie du curriculum, ANRT, Lille, 2002
Claude LIAUZU, L’Islam de l’Occident : la question de l’islam dans la conscience occi-
dentale, Arcantère, Paris, 1989.
—, Race et civilisation. L’autre dans la culture occidentale : anthologie, historique,
Syros, Paris, 1992.
—, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale, Complexe, Bruxelles,
1996.
—, La Société française face au racisme, Complexe, Bruxelles, 1999.
—, av. Josette LIAUZU, Quand on chantait les colonies, Syllepse, Paris, 2002.
—, Violence et colonisation. Pour en finir avec les guerres de mémoires, Syllepse,
Paris, 2003.
—, (dir.), Colonisation : droit d’inventaire, Armand Colin, Paris, 2004.
Neil MACMASTER, Colonial Migrants and Racism. Algerians in France, 1900-1962,
MacMillan/St Martin’s Press, Londres/New York, 1997.
Geneviève MASSARD-GUILBAUD, Des Algériens à Lyon. De la Grande Guerre au Front
populaire, L’Harmattan, Paris, 1995.

232

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE232 (P01 ,NOIR)


Annexes

Gilbert MEYNIER, av. Jean-Louis PLANCHE (dir.), Intelligentsias francisées (?) au


Maghreb colonial, Cahiers du GREMAMO, nº 7, Laboratoire Tiers monde/
Afrique, université de Paris-VII, Paris, 1990.
—, (dir.), L’Algérie contemporaine. Bilans et solutions pour sortir de la crise,
L’Harmattan/Le Forum IRTS de Lorraine, Paris, 2000.
Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de l’immigration (XIXe-XXe siècles),
Seuil, Paris, 1988.
—, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Gallimard, Paris,
2005.
—, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècles). Discours
publics, humiliations privées, Fayard, Paris, 2007.
Jean-Pierre PEYROULOU, av. Akram Belkaïd ELLYAS, L’Algérie en guerre civile,
Calmann-Lévy, Paris, 2002.
Yann SCIOLDO-ZURCHER, Devenir métropolitain. Politique d’intégration et parcours
comparés de rapatriés d’Algérie en métropole, 2 vol., thèse dirigée par Nancy
Green, EHESS, 2006.
Benjamin STORA, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-
arabe, La Découverte, Paris, 1999.
—, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, Paris,
1992 (La Découverte, « Poche/Essais », Paris, 2005).
Benjamin STORA et Émile TÉMIME (dir.), Immigrances. L’immigration en France au
XXe siècle, Hachette, Paris, 2007.
Pierre S ORLIN , La Société française, 2 vol. (t. 1 : 1840-1914, 1969 ; t. 2 :
1914-1968), Arthaud, Paris, 1971.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE233 (P01 ,NOIR)


Annexe 4
Glossaires

Glossaire fallâh (plur. fallahûn) : paysan, fellah.


des termes arabes cités fidâ : sacrifice, rançon.
fidâ’iyy (plur. fidâ’iyyûn) : partisan,
résistant (se sacrifiant) ; les
‘arch (terres) : terres collectives des « fedaiyn ».
tribus, aujourd’hui biens commu-
naux en Algérie. ghurba : exil, émigration, séparation,
dépaysement.
‘asâs : guetteur, « aassès ».
habûs (synonyme : waqf) : « habous »,
bay (ou bayk) : bey. bien de mainmorte, fondation
bayân : preuve, reçu (d’un versement pieuse.
financier). hâjj : pèlerin (terme connotant le
baylik : pouvoir d’État, « beylik ». respect).
bayt (plur. buiyût) al ‘ilm : littérale- hukûma : gouvernement, autorité.
ment, maison de la science, en idâra : administration, direction,
particulier religieuse. conduite (des affaires).
charî‘a : loi divine, loi islamique. ikhwân (plur. de akh) : frères,
charîf (plur. churafâ’) : noble d’ascen- compagnons.
dance prophétique, « chérif ». ‘ilm : connaissance, science, savoir
dâr (plur. diyâr) al ‘askariyy : foyer du (en particulier religieux).
soldat « indigène », « dar el askri ». iqbâl (« ikbal ») : bonne fortune,
day : dey. empressement, intérêt.
dâr al-islâm : la demeure de l’islam islâh : réforme, rénovation, rectifica-
(les pays musulmans). tion (en particulier religieuse).

235

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE235 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

islâhiyy : promoteur de l’islâh, réfor- sûq (plur. aswâq) : marché, bazar, foire,
mateur, « islahiste ». « souk ».
jihâd : combat sacré, guerre sainte, tasawwuf (cf. sûfiyy) : mysticisme,
djihad. « soufisme ».
jirâh (plur. de jurh) : blessures, plaies. thawra : coup de colère, insurrection,
jundiyy (plur. junûd) : soldat, guerrier. révolution.

kâfir (plur. kuffâr) : infidèle à Dieu, ‘ulamâ’ (plur. de ‘âlim) : savants,


notables de la cléricature musul-
impie, incroyant, mécréant.
mane citadine, « oulémas ».
khasâra : dommage, dégât, dam.
wilâya (plur. wilâyât) : région militaire
kulughlî (plur. klaghla) : « kouloughli » de l’ALN pendant la guerre de libéra-
(métis turco-algérien). tion, « wilaya » (plur. « wilayates ») ;
madrasa (plur. madâris) : école, dans l’Algérie indépendante : préfec-
« médersa ». ture, département.
majlis (plur. majâlis) : conseil, assem- zâwiya : centre religieux et d’ensei-
blée, séance, réunion. gnement d’une confrérie (tarîqa),
zaouïa.
makhzan : machinerie du pouvoir
d’État.
matmur (ar. class. matmura) : silo,
matamore.
Glossaire
mujâhid (plur. mujâhidûn) : combat- des principaux sigles
tant du jihâd, « moudjahid » (plur.
« moudjahidines »). ALN Armée de libération natio-
mujâhida (plur. mujâhidât) : combat- nale.
tante du jihâd, « moudjahida » AML Amis du manifeste et de la
(plur. « moudjahidates »). liberté.
mukhâziniyy : littéralement, agent CCE Comité de coordination et
du pouvoir central ; gendarme, d’exécution.
milicien, mokhazni.
CDU Christlich Demokratische
murtadd : apostat, renégat. Union (Union chrétienne-
muslih : réformé (cf. islâh). démocrate, Allemagne).
nahda : renaissance, renouveau. CFTC Confédération française des
travailleurs chrétiens.
nachîd (plur. anâchîd) : hymne, ode,
cantique. CGT Confédération générale du
travail.
nizâm : organisation civile du FLN
en Algérie, « OPA » (Organisation CGTT Confédération générale
politico-administrative). tunisienne du travail.
qâdî : juge musulman, cadi. CNRA Conseil national de la révo-
lution algérienne.
qarh (plur. qurûh) : plaie, abcès, ulcère.
CRUA Comité révolutionnaire
sharî‘a : cf. charî‘a. d’unité et d’action.
sharîf : cf. charîf. CSU Christlich Soziale Union
sûfiyy (plur. sufiyyûn) : mystique, (Union chrétienne-sociale,
« soufi ». Bavière, Allemagne).

236

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE236 (P01 ,NOIR)


Annexes

DST Direction de la surveillance SDECE Service de documentation


du territoire. extérieure et de contre-
EMG État-major général. espionnage.
FF-FLN Fédération de France du SED Sozialistische Einheitpartei
Front de libération natio- Deutschlands (Parti socia-
nale. liste unifié d’Allemagne,
RDA).
FLN Front de libération natio-
nale. SFIO Section française de l’Inter-
nationale ouvrière.
GAD Groupes d’autodéfense.
SHAT Service historique de
GMPR Groupes mobiles de protec- l’armée de terre.
tion rurale.
SLNA Services de liaisons nord-
GPRA Gouvernement provisoire africains.
de la République algé-
rienne. SPD Sozialdemokratische Partei
Deutschlands (Parti social-
MTLD Mouvement pour le démocrate allemand).
triomphe des libertés démo-
cratiques. UDMA Union démocratique du
manifeste algérien.
OAS Organisation armée secrète.
UGEMA Union générale des étu-
OS Organisation spéciale. diants musulmans algé-
PCA Parti communiste algérien. riens.
PCF Parti communiste français. UGTA Union générale des travail-
PPA Parti du peuple algérien. leurs algériens.
PRG Police des renseignements UGTT Union générale des travail-
généraux. leurs tunisiens.
SAS Sections d’administration W Wilâya.
spécialisée.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE237 (P01 ,NOIR)


Table

Introduction, par Frédéric Abécassis


et Gilbert Meynier 5

Rendre la parole à l’histoire : esquisse d’historiographie 7


Le colloque de Lyon : pour une histoire franco-algérienne 11
Organisation, public et partenariats 16

1 Formes et processus de colonisation,


par Jacques Frémeaux et Ahmed Henni 19

Les modes de l’administration coloniale et leurs effets 21


Quand la corruption en Algérie fragilise la IIIe République 21
L’ethnicisation de la fiscalité coloniale 24
Le poids de l’héritage ottoman et les méthodes
de confiscation coloniales 26
Résistances en Algérie et au Maroc 30
Exploitation et valorisation économique 33
Les dégâts du capitalisme colonial 33
L’opinion française et la fin de l’Algérie coloniale 35
L’armée et la pratique coloniale 37
Le rôle central de l’armée dans la colonisation 38

247

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE247 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

L’enrôlement des Nord-Africains dans l’armée française 40


1956-1960 : l’installation de nouveaux colons en Algérie 43
Les conflits d’après l’indépendance 45

2 Sociétés coloniales et traces de la colonisation,


par Frédéric Abécassis, Tahar Khalfoune
et Daniel Rivet 49
Le clivage fondamental entre « citoyens » et « sujets » 50
Des minorités désormais mieux connues 52
La nébuleuse complexe des « pieds-noirs » 52
La longue histoire des Juifs d’Algérie 55
Pères blancs et Kabyles convertis 57
L’islam citadelle de l’algérianité et la dynamique
de la société colonisée 59
Instrumentalisation du fait islamique
et réformisme musulman 59
Mouvement ouvrier et changement social 62
Les ambivalences de la modernité 66
De l’acculturation de l’image… 66
… au sport vecteur d’émancipation 70
Culture(s), identité(s) et modèle de l’État 74
L’impact des politiques scolaires coloniales 75
École sinistrée et arabisation au rabais
dans l’Algérie indépendante 77
Une culture nationale composite et conflictuelle 79

3 La question nationale algérienne : enjeux et conflits,


par Gilbert Grandguillaume et Jean-Pierre Peyroulou 85
Mémoire et histoire, la « méthode Vidal-Naquet » 85
Enjeux algériens 88
Aux origines du 1er novembre 1954 88
Les ambiguïtés de la voie légaliste et électorale
dans la lutte de libération 92
Le rôle du contexte international :
décolonisation et émergence du tiers monde 95
1945-1955 : la question de la violence 98
Les enjeux et les conflits français 101
Le basculement de l’opinion française
contre la guerre d’Algérie 101

248

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE248 (P01 ,NOIR)


Table

De Gaulle, entre « Algérie française »


et « Algérie algérienne » 104
Les enjeux et les conflits internationaux 108
L’ambiguïté du jeu de la République fédérale d’Allemagne 108
Les « démocraties populaires » et la question algérienne 111

4 La guerre d’indépendance des Algériens,


par Gilbert Meynier et Guy Pervillé 115
La guerre : deux camps affrontés 117
La guerre de l’ALN : le colonialisme, l’ennemi intime 117
La guerre et la répression en France :
l’occultation officielle 119
Parmi les oubliés de l’histoire :
camps de regroupement et harkis 120
Torture et violences, les corps en souffrance 124
La guerre dans la conjoncture : complexité des intrigues,
porosité des fronts 127
Failles à la Fédération de France du FLN 127
Les femmes au maquis : une figure d’émancipation ? 128
Maquis, les conflits internes 130
L’armée française aux avant-postes de la lutte politique 132
Au-delà (en deçà ?) de l’affrontement 134
Français au-delà (en deçà ?) du franco-colonial 134
Algériens au-delà (en deçà ?) du rapport colonial 137
Représentations du passé : jeux, rejeux et enjeux
de mémoires 142
Remarques pour un débat 145

5 Migration, culture et représentations,


par Benoît Falaize, Anne-Marie Granet-Abisset
et Françoise Lantheaume 151
Les tensions mémorielles dans l’écriture de l’histoire 152
La place et le rôle de l’historien en question 152
Histoire et mémoire : deux registres distincts
et complémentaires 155
L’« invention » des pieds-noirs 159
La mémoire douloureuse des pieds-noirs 161
La concurrence des mémoires et les mythes
de la « colonisation positive » 165

249

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE249 (P01 ,NOIR)


Pour une histoire franco-algérienne

À distance des juges : renouer le lien dialectique


entre mémoire et histoire 168
Construction et usage des catégories 172
Différences et similitudes des migrations « coloniales »
et « étrangères » 172
Les lois mémorielles et l’histoire 177
La question de la transmission scolaire 180
Algérie et France : une lecture critique
des manuels scolaires 182
Dans la pratique scolaire, les risques des conflits
de mémoire 186

6 Les défis de la demande sociale d’histoire,


par Cécile Armand et Jacques Walter 191
« Donnez-nous des mots pour apaiser nos maux » 192
Pour une « histoire apaisée » 193

Conclusion. L’histoire franco-algérienne :


un chantier toujours ouvert, par Pierre Sorlin 197
Une histoire et des mémoires 198
Des voies qui restent à explorer 200
Les traces profondes de cent trente-deux ans de vies croisées 202
Pistes à suivre… 205

Annexes 209
Annexe 1. Sommaire des actes du colloque 211
Annexe 2. Les comités du colloque et les intervenants 217
Annexe 3. Bibliographie abrégée des intervenants 223
Annexe 4. Glossaires 235
Glossaire des termes arabes 235
Glossaire des principaux sigles 236

Index 239

Les auteurs 245

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE250 (P01 ,NOIR)


Composition Facompo, Lisieux
Achevé d’imprimer en avril 2008
par Bussière Camedan Imprimeries
à Saint-Amand-Montrond
Dépôt légal : mai 2008
Numéro d’imprimeur :
Imprimé en France

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-10/4/2008 9H5--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/HORS-COL/POUR-HIS/AAGROUP.480-PAGE251 (P01 ,NOIR)

Vous aimerez peut-être aussi