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Sujet : La notion de classe sociale est-elle encore pertinente pour analyser la société française

Introduction. Le concept de classe sociale date de la fin du 18 ème La société d’ordres a disparu et il n’y
a donc plus de groupe social défini de manière « officielle ».La démocratie au sens de Tocqueville
suppose l’égalité des conditions donc l’égalité des chances, des droits et de considération, il existe
néanmoins des inégalités de fait. C’est dorénavant au sociologue de reconnaître et de délimiter les
groupes, et les classes sociales sont des groupes informels, qui contrairement aux castes ou aux ordres
n’ont aucune existence légale. Par classes sociales, les sociologues entendent des groupes sociaux unis
par des conditions économiques similaires et parfois portés à la mobilisation politique pour défendre
leurs intérêts. Ce vocable à forte connotation marxiste, constitué au contact de la Révolution
industrielle, a-t-il perdu toute acuité dans le monde actuel ? Dans une première partie, on montrera
certaines évolutions des sociétés contemporaines semblent rendre la notion de classe au sens marxiste
obsolète Néanmoins, ainsi que nous le verrons dans une deuxième partie, des logiques de distinction
sociales demeurent et se renouvellent, qui peuvent donner une nouvelle actualité à une analyse en
termes de classes sociales.

Première partie - Les classes sociales, une notion qui semble dépassée

1.1 La conscience de classe s’affaiblit

1) Marx développe une approche réaliste des classes sociales et affirme qu’un groupe social devient
une classe sociale quand il rassemble deux dimensions :

- des individus présentent des caractéristiques communes : façon de penser, mode de vie, activité
économique

- la classe sociale ne devient acteur qu’à partir du moment où ses membres prennent conscience de
leur unité, de leur communauté d’intérêt et de leur séparation d’avec les autres classes. Elle peut alors
s’organiser et mener des actions collectives, afin de défendre ses intérêts

2.2 . Or le sentiment d’appartenance donc la conscience de classe, diminue. Le sentiment


d’appartenance à une classe sociale est déterminant dans une approche marxiste de la notion de
classe sociale. Son absence pourrait donc laisser à penser à un fort amoindrissement d’une analyse
de la structure sociale en termes de classes sociales, pour laisser place à une vision plus
nominaliste. Les divers sondages d’opinion montrent que sur une longue période, le sentiment
d’appartenance à une classe sociale recule constamment, passant de 63 % en 1966 à 54 % en 2001,
même s’il y a un retour de ce sentiment en 2010. En effet, 1982, parmi ceux qui déclarent avoir le
sentiment d’appartenir à une classe sociale, 33 % mentionnent la classe ouvrière ou les ouvriers
comme classe d’appartenance. Ils ne sont plus que 9 % en 2010. (document 2) Or, se déclarer
appartenir à la classe moyenne ne semble pas refléter une réelle conscience de classe. Dans la
conception nominaliste des classes sociales , la classe sociale est le fruit d’une simple
classification. Elle regroupe des individus qui ont des caractéristiques communes. La question ne
se pose pas ici de savoir si les individus ont ou non un sentiment d’appartenance, ce qui peut donc
convenir pour cette évolution au contraire d’une acception marxiste.

1.2. La moyennisation s’oppose à une analyse marxiste des classes sociales

La conscience de classe est le moteur de la lutte des classes, qui va déterminer le changement social.
Le conflit est donc central dans la vision marxienne : il a une origine économique, l’inégalité permise
par l’extorsion de la plus-value. L’évolution de la société capitaliste est donc la polarisation : elle tend
vers deux classes antagonistes. (Présenter les deux classes, avec possession des moyens de production
ou force de travail) La bourgeoisie est une classe dominante qui conditionne l’émergence du
prolétariat par l’extorsion de la plus-value qui est donc une exploitation. Or, l’évolution des sociétés
occidentales contemporaines, comme la France va à l’encontre de cette analyse. On assiste depuis 50
ans à un processus de moyennisation, ce qu’Henri Mendras résume par l’expression « la société prend
du ventre », toupie… La moyennisation désigne…Ainsi en 1982, les cadres représentent 7% des actifs
pour 18% en 2012. De même les PI augmentent de 5 points sur cette période. (document 1)

Baisse des inégalités…

1.3 Un brouillage des frontières entre les groupes sociaux ?

- Age et génération. Pour Louis Chauvel, le conflit de générations a pris le pas sur le conflit de
classes : les vieilles générations cumulent les avantages tandis que les jeunes connaissent la précarité
au travail et des conditions de vie moins favorables

- La montée de l’individualisme. Dans la société antérieure, l’individu était plus dépendant de son
groupe social d’origine. Dans la société actuelle, l’individu ne se voit plus imposer son réseau social
mais vit au cœur de multiples réseaux. Il a du mal à s’identifier à un groupe social particulier et
revendique sa « singularité» à l’intérieur de son groupe social. Les logiques « affinitaires » (musicales,
sportives, sexuelles ou religieuses) vont expliquer les opinions et les comportements au détriment des
milieux sociaux.

- Lahire énonce l’idée de l’homme pluriel, qui ne limite pas ses activités dans les domaines
traditionnels attendus selon sa catégorie sociale ; il dispose donc dans ses pratiques quotidiennes d’un
répertoire d’action étendu qu’il utilisera selon les expériences sociales du moment. Il peut alors avoir
un profil culturel « dissonant », se caractérisant par le fait de pratiquer une activité culturelle ou un
loisir « inattendu » par rapport à son milieu social d’origine.

II. Pourtant, des logiques de différenciation sociale persistent qui peuvent rendre pertinente
l’analyse par des classes sociales renouvelées

2.1 Les revenus et les conditions de vie restent disparates

De notables différences dans les conditions de vie subsistent du fait de revenus très différents selon
les groupes sociaux. Ainsi en 2011 les cadres ont un salaire mensuel net de 4302 euros ce qui est
presque trois fois supérieur au salaire moyen d’un ouvrier. On retrouve ces fortes inégalités pour
l’espérance de vie.

2.3 Les logiques de distinction sont toujours vivaces


2.4 Au-delà de l’eclectisme apparent les pratiques culturelles et de loisirs restent distinctes voire
distinctives entre les catégories sociales et cela n’est pas dû uniquement aux différences de revenu.
Les cadres sont beaucoup plus souvent de « gros lecteurs » que les autres catégories ce qui les
distingue et favorise la réussite scolaire de leurs enfants donc l’hérédité sociale symptôme de
classe sociale. Ainsi les cadres passent en moyenne 15h devant la télévision alors que pour les
ouvriers ce temps est de 25h en France en 2009. (document 3) Max Weber ajoute à l’analyse
marxiste la dimension plus symbolique du statut qui renvoie au prestige. Cette analyse wébérienne
de la stratification sociale semble plus adaptée pour décrire la société de consommation qu’est la
société française du début du 21ème siècle. Capital et disctinction. Les cadres maintiennent des
codes de la distinction culturelle, pratiquent le « bon goût » et parviennent à exclure les classes
populaires des consommations qu’ils définissent comme légitimes. En puisant dans les écrits de
Marx et de Weber, Pierre Bourdieu développe un espace social traversé par des rapports de
domination, dans lequel les classes sont réelles, inégalement dotées et relativement fermées. Au
delà d’une dimension économique, empruntée à Marx (le capital économique), Bourdieu accorde
une grande importance au capital culturel (certifié notamment par les titres scolaires, mais
également lié aux dispositions corporelles et à la familiarité vis-à-vis des biens culturels), au
capital social (réseau de relations), ainsi qu’au capital symbolique qui renvoie à la considération
que confère la possession des trois autres formes de capital. La hiérarchie sociale découle de la
distribution inégale de ces différents capitaux avec une dimension quantitative : les agents
fortement dotés constituent les classes dominantes ; mais aussi qualitative : selon la composition
du volume global de capital la position des individus varie. Il définit ainsi trois classes (classe
populaire, petite bourgeoisie, bourgeoisie dominante) liées à la possession de ces capitaux et à des
habitus et styles de vie spécifiques. C’est donc une approche multidimensionnelle de la classe qui
est développée.

2.3) Des rapports de domination plus que des conflits ouverts, et le rôle à part de la haute
bourgeoisie

Entre ces classes, le conflit n’est pas une nécessité mais il existe bien des rapports de domination et
des luttes, notamment pour le contrôle du capital culturel, enjeu majeur selon Bourdieu. Les classes
dominantes cherchent ainsi à imposer leur modèle culturel et leur vision du monde aux autres classes
par le biais de pratiques de distinction, pour cela elles doivent contrôler les institutions productrices de
légitimité comme l’école ou l’État. Il y a donc chez elles une stratégie consciente de reproduction. On
pourra ici faire le lien avec les analyses de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sur la classe
bourgeoise, dernière classe sociale marxiste en France selon eux.

Conclusion. Marx développe une approche réaliste des classes sociales avec la conscience de classe
qui est le moteur de la lutte des classes, le conflit étant un élément central du rapport entre les classes
lié au processus d’exploitation d’une classe par l’autre. Or, en France, la conscience de classe est
aujourd’hui peu visible, le sentiment d’appartenance diminue, la conflictualité et les inégalités sont en
baisse. La question se pose donc de savoir s’il n’y a aurait pas un brouillage des frontières entre les
groupes sociaux. Différents éléments de différenciation prendraient le dessus sur les différences de
classes telles que l’âge et génération. La montée de l’individualisme ferait de l’individu un homme
pluriel, traversé par plusieurs appartenances. Pourtant, des logiques de différenciation sociale
persistent. Les revenus et les conditions de vie restent disparates. L’analyse wébérienne de la
stratification sociale pourrait semblée plus adaptée pour décrire la société française du début du 21 ème
siècle : la classe sociale est le fruit d’une simple classification. Elle regroupe des individus qui ont des
caractéristiques communes. La question ne se pose pas ici de savoir les individus ont ou non un
sentiment d’appartenance Cependant, Les logiques de distinction sont toujours vivaces notamment en
termes de culture. Pierre Bourdieu présente par exemple un espace social traversé par des rapports de
domination, dans lequel les classes sont réelles. Il est possible de détecter de nouvelles logiques de
séparation, de conflictualité qui laisse présager le retour d’oppositions sur la base de nouveaux critères
de différenciation. La spirale de Chauvel laisse d’ailleurs ouvertes les possibilités d’évolution de la
société française.
Dissertation s’appuyant sur un dossier documentaire

Il est demandé au candidat :

 de répondre à la question posée par le sujet ;


 de construire une argumentation à partir d'une problématique qu'il devra élaborer ;
 de mobiliser des connaissances et des informations pertinentes pour traiter le sujet, notamment celles
figurant dans le dossier ;
 de rédiger en utilisant le vocabulaire économique et social spécifique et approprié à la question, en
organisant le développement sous la forme d'un plan cohérent qui ménage l'équilibre des parties

Il sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation.

SUJET

Ce sujet comporte quatre documents

L'analyse en termes de classes sociales est-elle pertinente pour rendre compte de la


structure sociale ?

DOCUMENT 1

Évolution de fa composition de l'emploi selon les catégories socioprofessionnelles

Champ : France métropolitaine, individus de plus de 15 ans.


Source: INSEE, 2014.
DOCUMENT 2
L'évolution du sentiment d'appartenance à une classe sociale en France de 1982 à 2010

1982 1985 1993 1998 2001 2010


Avez-vous le sentiment d'appartenir à une classe sociale ?
(part des réponses obtenues en %)
Oui 63 60 58 60 54 65
Non 37 35 40 39 45 34
Laquelle ?
(part de l'ensemble des réponses affirmatives à la première question en %)
Les classes
31 32 39 42 51 58
moyennes
La classe ouvrière,
33 29 19 21 17 9
les ouvriers

Source : TNS-SOFRES, 2010.

Champ : Enquête menée par téléphone auprès d'un échantillon de 1504 personnes
représentatif de la population de nationalité française de 18 ans et plus.
DOCUMENT 3

Temps hebdomadaire consacré aux écrans selon le sexe, l'âge, le niveau de diplôme(1) et
le milieu social, en France en 2008

Source : Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.

(1) Élèves et étudiants exclus.


(2) Temps passé devant les programmes télévisés en direct.
(3) Temps passé devant un ordinateur ou une console de jeux et à regarder des vidéos,
quelque soit l'écran.
(4) CEP : Certificat d'études primaires sanctionnant jusqu'en 1989 la fin de la scolarité
primaire élémentaire.
(5) CAP : Certificat d'aptitude professionnelle permettant à son titulaire de disposer d'une
spécialité d'ouvrier ou d'employé.
(6) BEPC Brevet d'études du premier cycle, remplacé par le Diplôme national du brevet
aujourd'hui.
DOCUMENT 4

Salaires mensuels nets(1) selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle en 2011 en


France (en euros)

Écart entre
hommes et
Hommes Femmes Ensemble
femmes en
%
Cadres(2) 4302 3362 3988 -21,8
Professions intermédiaires 2309 2011 2182 -12,9
Employés 1649 1515 1554 -8,1
Ouvriers 1680 1398 1635 -16,8
Ensemble 2312 1865 2130 -19,3

Champ : Salariés du secteur privé et des entreprises publiques, rémunérations pour un temps
plein.

Source : INSEE, 2014.

(1) Salaire net : salaire perçu par le salarié.


(2) Les chefs d'entreprise salariés sont ici compris dans le groupe des cadres.

Note de lecture: en 2011 en France, les femmes cadres perçoivent en moyenne un salaire
mensuel net inférieur de 21,8% à celui des hommes cadres.

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