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(1988)
LE BARBARE
IMAGINAIRE
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Laënnec HURBON
LE BARBARE IMAGINAIRE.
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Courriels :
Laënnec HURBON
docteur en Théologie (Institut catholique de Paris) et en Sociologie (Sorbonne),
directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Université Quisqueya de Port-au-Prince Doyen
LE BARBARE IMAGINAIRE.
Le barbare imaginaire.
Quatrième de couverture
Sorciers, zombis
et cannibales en Haïti
COUVERTURE :
VILLE IMAGINAIRE
PRÉFÈTE DUFFAUT
COLLECTION MUSÉE D'ART HAÏTIEN
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 9
OUVRAGES
DU MÊME AUTEUR
À PARAITRE
LAËNNEC HURBON
LE BARBARE
IMAGINAIRE
[325]
Le barbare imaginaire.
Table des matières
Avant-Propos [i]
Introduction : La conquête des Amériques et la production de la barbarie [1]
[i]
Le barbare imaginaire.
AVANT-PROPOS
[iv]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 18
[1]
Le barbare imaginaire.
INTRODUCTION
LA CONQUÊTE DES AMÉRIQUES
ET LA PRODUCTION DE LA BARBARIE
[2]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 19
[3]
est offert à la reconversion du regard. Cette ville qui s’élève sur la mer
des Caraïbes entraîne toutes choses, même les paysages les plus
coutumiers de la vie quotidienne (la mer, les montagnes, les arbres, les
marchés, les édifices publics) dans une métamorphose incessante, sous
la seule intensité des couleurs. Et loin d’énoncer une identité retrouvée,
elle ouvre un abîme au cœur même de la société haïtienne par la
tentative de replacer et de réinscrire dans tous ses interstices ce que
cette société ne cesse en même temps de repousser et d’exorciser. Nous
voulons parler des dieux du vodou, ces forces de vie qui traversent tous
les êtres, les relient entre eux et les mettent en mouvement. Le peintre
les assume non pas comme l’objet de sa peinture, mais comme les
gardiens invisibles et les seuls voyants véritables de son œuvre.
On peut se demander si la peinture naïve ne se détache pas en réalité
sur le fond d’une amnésie, d’une perte irrémédiable. Quatre siècles se
sont écoulés depuis la conquête du Nouveau-Monde. On dirait qu’il a
fallu que le peintre, à l’instar de Térii, le récitant des parlers originels
Maori, que présente Victor Segalen dans Les Immémoriaux 4,
entreprenne un long voyage vers l’île natale, s’engage dans une
nouvelle initiation au cours de laquelle il se remet à l’écoute d’une
parole fondatrice, épurée des narrations accumulées sur elle par le
Conquérant, et revient peu à peu à la nudité. Mais, par là même, le
peintre naïf ne s’avoue-t-il pas inondé, traqué par le regard de
“l’autre” ? L’œuvre naïve comme utopie d’un recommencement du [5]
monde par-delà la Conquête des Amériques est sans doute une tentative
pour dépasser l’opposition du même et de l'autre. En vain chercherait-
on le côté transgressif ou subversif de cette peinture qui ne livre que les
traces d’un cheminement initiatique. Mais le peintre naïf haïtien creuse
en nous l’inquiétude et le trouble pour avoir disparu et du cœur de la
ville et des frontières. Car, dans la Ville imaginaire, il n’y a plus ni
Barbares ni Civilisés. Voulant se donner pour le seul monde
authentique, réel, le seul qui vaille la peine d’être édifié, la Ville
Imaginaire et, avec elle, la Vision vodou et la Scène du jugement
dernier qui toutes se déploient dans l’espace caraïbéen, ne nous livrent
pas un nouvel ordre du monde inversé, mais nous renvoient plutôt à
l’opposition partout opérante dans la vie sociale, culturelle et politique
4 Victor Segalen, Les Immémoriaux, paru pour la première fois en 1907, et rééd.
aux Editions du Seuil, Coll. Points, Paris, 1983.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 21
6 Nous reprenons ici les suggestions de David Brion Davis, dans l’épilogue à
son monumental ouvrage sur The Problem of Slavery in the Age of Revolution,
1770-1823, Cornell University Press, Ithaca and London, 2e Ed. 1976, p. 537-
564 : “Toussaint Louverture et la Phénoménologie de l’Esprit”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 24
serait peine perdue de se mettre sur ses traces. “Des gens sont venus des
frontières et ils disent qu’il n’y a point de barbares”. Mais, à la vérité,
peut-on échapper à une interrogation sur cette ellipse soudaine du
barbare ? Peut-on, à peu de frais, se croire quitte du Barbare, quand on
oublie l’histoire de sa barbarisation 17 et qu’on ne parle plus que de [14]
civilisations multiples ou diverses ? Ainsi, au moment même où l’on
découvre la puissance du langage dans la production des sociétés, on
s’avance vers une amnésie : le barbare n’est plus l’autre d’un autre, il
porterait seul le fardeau de la représentation de lui-même comme
barbare. Certes, Lévi-Strauss a su assigner à l’ethnologie moderne la
tâche de penser le rapport à “l’autre”, de combattre les préjugés de
supériorité raciale et culturelle, plus précisément de “concilier l’unité
de son objet avec la diversité, et souvent l’incomparabilité de ses
manifestations particulières” 18. Mais il devait reconnaître qu’au
moment où l’ethnologie te veut respectueuse des différences
culturelles, elle rencontre devant elle des peuples qui “accédant à
l’indépendance, ne semblaient, quant à eux, entretenir aucun doute sur
la supériorité de la culture occidentale, au moins par la bouche de leurs
dirigeants” 19. À relire l’histoire des retombées de l’anthropologie
occidentale, ailleurs qu’en Occident, dans le cadre historique particulier
d’Haïti, je me rends compte justement que demeure encore opérant à
travers la production intellectuelle haïtienne, comme à travers les
pratiques sociales et politiques, un dispositif de pensée organisé autour
du vieux couple barbare/civilisé. Il m’a donc fallu commencer par une
interrogation sur la pensée du thème de la barbarie dans les discours
anthropologiques et philosophiques. Est-ce un barbare à deux têtes,
logé à la fois à l’intérieur de l’Occident et à sa périphérie, qui se donne
à penser ? Ou plutôt, le mode de rencontre de l’Occident avec les
“autres” peuples récemment découverts au Nouveau-Monde ne
procède-t-il pas de l’annonce d’une fin des barbares, prise en charge par
le christianisme, les Lumières et la Bildung allemande, mais qui se
20 “Si les Mèdes n’existaient pas, écrit Régis Debray, il aurait fallu les inventer.
Peine perdue : une culture historique est cette invention même. Aussi bien se
bousculent-ils aux frontières, les Perses. Une culture vivante, quelle qu’elle
soit, peut se définir comme la création continue du Barbare” Critiques de la
raison politique, Paris, Gallimard, 1981.
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[18]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 33
[19]
Le barbare imaginaire.
Première partie
[20]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 34
[21]
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre I
GENÈSE DE LA BARBARIE
1. L’obsolescence du paradigme
barbare/civilisé
28 Ibid., p. 51.
29 Ibid., pp. 462-463.
30 S. Freud, Malaise dans la civilisation, op. cit., p. 107. Dans son ouvrage De
la horde à l’État, Essai de psychanalyse du lien social (Gallimard. Paris,
1983), Eugène Enriquez n’interroge pas l’utilisation par Freud de la notion de
civilisation. La définition célèbre que Freud a proposée de la civilisation
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 38
tous les cas, les hiérarchies sont ruinées. Seule la diversité retient
l’attention, alors qu’il n’y a pas si longtemps la classification des
sociétés entre civilisés et sauvages ou barbares, ou encore, comme dans
l’œuvre de Lévy-Bruhl, entre mentalité prélogique et mentalité logique
ou scientifique, allait encore de soi. Certes, avec Lévi-Strauss,
l’anthropologie se reconnaît désormais vouée à “remettre l’homme
entier en cause dans chacun de ses exemples particuliers ” 36, mais la
victoire sur l’ethnocentrisme est loin d’être vraiment acquise.
[29]
On a pu reprocher à Lévi-Strauss de n’avoir pas su éviter dans son
œuvre le ré-emploi d’un certain nombre d’oppositions, comme sociétés
à écriture ou sans écriture, sociétés chaudes/froides, complexes/
élémentaires, à histoire ou sans histoire, etc. Comment l’ethnologue
pourrait-il inventer en effet un langage neuf, vierge, délavé de toute
contamination par la tradition qu’il rejette ? Il est clair que pour Lévi-
Strauss, si barbare il y a, il serait plutôt le civilisé. Le paradigme
barbare/civilisé continuera à être opérant de manière souterraine,
surtout dans les discours et pratiques qui prétendent éviter la question
centrale, mais escarpée, du respect de l’altérité des cultures et de l’unité
de la condition humaine, posée par l’anthropologie moderne. En transit
comme le nomade, le barbare donnerait plutôt lieu à un chassé-croisé,
chaque fois qu’on tente de l’éliminer. Là où on le capte comme un être
réel, il glisse dans l’imaginaire et vice versa. S’il se dissipe dans la
barbarie interne à la civilisation elle-même, il conserve intacte, au
même moment, sa position au-delà des frontières. Il n’existerait
finalement qu’un barbare à deux têtes.
Curieusement, du XVIe au XVIIIe siècle, la tâche de production du
barbare, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est déjà inaugurée,
alors que le mot civilisation n’est pas encore apparu. Il ne sera employé,
ainsi que certains auteurs le pensent, que vers 1760, dans un texte de
Mirabeau, mais déjà il dispose d’une force d’autocritique 37 qui rend
46 Saint Augustin, Cité de Dieu, XV-23, XVI-8, voir aussi les remarques de F.
Tinland sur les célèbres visions de saint Antoine, L’homme sauvage, op. cit.,
p. 37.
47 Cf. Guy Turbet-Delof, L'Afrique barbaresque dans la littérature française
aux XVIe et XVIIe siècles, Genève, Librairie Droz, 1973, p. 29.
48 Ibid., p. 75.
49 Ibid., p. 73 et p. 93.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 46
stade plus avancé que celui des “barbares anthropophages” 58 que sont
les sauvages de l’Amérique. Ils “ne connaissent rien”, et en cela doivent
être situés sans doute à la même enseigne que la féodalité. Leur
ignorance conduit au despotisme et à la tyrannie, comme dans la
féodalité. En outre, leur décadence et leur dégradation dues au contact
avec les Conquistadores demeurent sans appel. Aujourd’hui les
Sauvages ne disposent en eux-mêmes d’aucun ressort pour s’échapper
de la barbarie. Privés des Lumières — que les philosophes, seuls “au-
dessus du peuple” peuvent diffuser — les Sauvages peuvent encore être
maintenus dans la religion. Dans tous les cas, celle-ci a la vertu
d’adoucir les mœurs.
On peut dire que pour l’essentiel, le même imaginaire de la barbarie
se retrouve chez presque tous les philosophes du XVIII e siècle. Même
chez Montesquieu, qui reste critique vis-à-vis de l’élitisme 59 de
Voltaire, non seulement les sauvages ont définitivement perdu leur
innocence, mais surtout ils n’ont pas de projet conscient qui est l’une
des caractéristiques des Lumières.
Un peu plus tard, le langage révolutionnaire se distinguera par un
emploi massif des énoncés sur la barbarie qui parcourent les œuvres
philosophiques et anthropologiques du XVIIIe siècle. On voit remonter,
comme le décrit remarquablement B. Backzo à propos du “complot
vandale” 60, toute la vieille thématique du barbare : ignorant, despote,
[39] assoiffé de sang, menaçant pour la civilisation et ses symboles que
sont les arts, les lettres et les monuments, cannibale, “anthropophage de
la culture” 61, faisant irruption dans les villes. Ainsi donc, “paysans
grossiers”, illettrés, canaille, bas- fond de la société, populace se situent
2. Le génie du christianisme
ou le barbare enchanté.
67 Ibid., p. 158.
68 Ibid., p. 150.
69 Ibid., p. 1.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 53
70 Ibid., p. 252. Benjamin Constant, dans son ouvrage De la religion, Paris 1824-
1831, est encore plus net sur le polythéisme : “Ainsi nous sommes, écrit-il,
proportion gardée, peut-être aussi corrompus que les Romains du temps de
Dioclétien ; mais notre corruption est moins révoltante, nos mœurs plus
douces, nos vices plus voilés, parce qu’il y a de moins le polythéisme devenu
licencieux, et l’esclavage toujours horrible”, pp. XLI-XLII.
71 Génie du christianisme, op. cit., T.II, pp. 242-253.
72 Ibid., p. 219.
73 Ibid., p. 138 et p. 139.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 54
74 Ibid., p. 151.
75 Pierre Reboul, “Introduction” au Génie du christianisme, T.I, op. cit., p. 13.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 55
Ce n’est pas ce qui nous importe ici. Nous cherchons plutôt à saisir
le nouvel espace mental en Occident, dans son rapport aux autres
peuples, que Le Génie du Christianisme présuppose. En 1800, soit deux
ans avant sa parution, naît la Société des observateurs de l’Homme, qui
se fixe pour objet l’étude des enfants, des sourds-muets, des aliénés et
des peuples dits non-civilisés. L’anthropologie sort alors de ses langes
et prétend aborder de face les Sauvages, en dehors des préjugés
théologiques ou philosophiques. De nouvelles sociétés d’anthropologie
ou d’ethnologie se multiplient en France comme en Allemagne. Le
Sauvage retient l’intérêt, comme un être doué de raison, mais d’une
raison encore dans l’enfance. On peut lui reconnaître désormais une
culture : la culture primitive adaptée à son état. Et tout ce qui paraissait
jusqu’ici irrationnel (polygamie, absence d’État, cannibalisme, magie)
s’explique scientifiquement : des lois président au développement des
civilisations, du stade primitif au plus évolué. Des chaires de
mythologies comparées, ou de religions comparées qui se fondent
durant la 2e moitié du XIXe siècle resteront toutes portées par une
même volonté de protéger la civilisation (occidentale) fondée sur la
raison, la science et la technique, de la contamination barbare que
constituent les mythologies des sociétés anciennes et sauvages, où l’on
assiste au débordement d’une imagination infantile, grossière et
absurde. Suivant de très près les théologiens, les anthropologues ont dû
même tracer une ligne de démarcation [46] entre la mythologie grecque
et celle des Sauvages récemment découverte au Nouveau-Monde. Elles
ont beau parler le même langage, elles ne se confondent pas pour
autant : les Grecs sont les témoins du passage à la philosophie, la raison
et la science, à ce titre leur mythologie choque moins ; leur scandale est
désamorcé. Quant aux mythologies des Sauvages, elles doivent être
dénoncées sans appel, assignées à la stricte condition de survivances,
venues d’un âge dépassé par l’humanité, et d’une langue encore toute
primitive 76. Mais la figure du Sauvage comme tel n’exerce déjà plus
de séduction à la fin du XIXe siècle. Ce sont ses mythologies
irrationnelles, ses religions en voie de dégradation, ses pratiques
immorales ou à tout le moins bizarres (cannibalisme, magie et
sorcellerie, polygamie, etc.) qui deviennent objet de curiosité
rationalité que seule l’activité scientifique peut procurer. Dans tous [49]
les cas, seule la civilisation détient le destin et le devenir du barbare.
Assigné aux frontières de la civilisation, le barbare est sa condition de
possibilité, le stade originaire, toujours dépassé, d’où s’élève la
civilisation.
Comme force d’entropie interne au processus même de civilisation,
le barbare est alors une figure insoutenable et devra être projeté encore
au-delà des frontières. C’est la leçon du fascisme et du stalinisme. À cet
égard, la critique menée par l’Ecole de Francfort des programmes de
révolutions conçus comme produits abstraits du social et destinés à le
contrôler comme on contrôlerait la nature, aboutit, à juste titre, à voir la
barbarie inscrite déjà dans la logique du développement de la
civilisation. Le barbare aurait bel et bien deux têtes, l’une qui plonge
au cœur même de la civilisation, dès lors qu’elle prétend dissoudre toute
altérité sur son pas- sage, l’autre qui est renvoyée ou maintenue au-delà
des frontières et qui se donne à voir dans les sauvages en général,
nouveaux Scythes, cannibales, sorciers et despotes. Leurs ombres se
projettent mutuellement l’une sur l’autre, au point que la
méconnaissance de l’une entraîne le resurgissement de l’autre, et vice-
versa. Comment donc l’élite haïtienne, la première d’un Tiers-Monde
en gestation, a-t-elle accueilli les théories anthropologiques élaborées
au XIXe siècle et qui ont été généralement dominées par le paradigme
barbare/civilisé ? Il est certain, en tous cas, qu’au moment où la
civilisation, identifiée à la modernité occidentale, voudrait désormais s
engager dans un solipsisme, l’héritage d’un imaginaire de la barbarie
ne saurait manquer d’avoir — ailleurs — de puissants effets.
[50]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 59
[51]
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre II
L’HÉRITAGE
DE LA BARBARIE
[52]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 60
[53]
Poliakov, Le racisme, Paris, Séghers, 1976, surtout les pp. 69-81 : “Racisme
et politique, Théories anthropologiques du XIXe siècle” ; Wiliam B. Cohen,
Français et Africain : Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880, tr.
Garnier, Gallimard, Paris, 1980, en particulier les pp. 295-362, sur “Le
racisme scientifique” au XIXe siècle ; Colette Guillaumin, L'idéologie
raciste : genèse et langage actuel, Mouton, 1972.
80 Toute la stratégie des puissances esclavagistes et coloniales entre 1804 et
1825 dans les Caraïbes et en Amérique latine, se fondait sur la nécessité
d’isoler Haïti au plan économique et politique, voir les détails dans l’ouvrage
de David B. Davis, The Problem of Slavery in the Age of Revolution, Cornell
Univ. Press, Ithaca and London, 2e éd., 1976.
81 Sir Spencer St John, Haïti ou la république noire, Plon, 1886. Nous
reviendrons plus loin sur le succès de cet ouvrage en Grande Bretagne, en
France et aux États-Unis.
82 Gustave d’Alaux, L’empereur Soulouque et son empire, Paris, Michel Lévy,
1856.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 62
87 Ibid.
88 Ibid., p. 438.
89 Ibid.
90 Ibid., p. 277.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 65
102 L.J. Janvier, La République d’Haïti et ses visiteurs, op. cit., p. 57.
103 Sur le XIXe siècle haïtien, on consultera les études de Gil Martinez, “De
l’ambiguïté du nationalisme bourgeois”, dans Nouvelle optique : Recherches
haïtiennes et caraïbéennes, Montréal, janvier-mars 1973, n. 9, pp. 1-32, et de
Benoît Joachim, surtout son ouvrage Les racines du sous-développement en
Haïti, Port-au-Prince, Imp. Henri Deschamps, 1979; plus récemment l’article
de Patrick Bellegarde-Smith, “Haitian Social thought in Nineteenth Century
Class Formation and Westernization”, dans Caribbean Studies, vol. 20, n. 1,
mars 1980, pp. 5-33.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 69
104 Cf. Rémy Bastien, “Vodou and Politics in Haiti”, in Religion and Politics in
Haiti, Washington D.C., 1966, p. 63.
105 Anténor Firmin, De l’égalité des races, op. cit., p. XII.
106 Ibid., p. VIII-IX.
107 Ibid., p. 212.
108 Ibid.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 70
113 Voir W.B. Cohen, Français et Africains..., op. cit., p. 308 ; également Le
Nègre Romantique, Paris, Payot, 1972, de Léon-François Hoffmann.
114 Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1944, p. 318, sq.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 72
116 Concept utilisé par Gunnar Myrdal, dans The Challenge of World Poverty. A
World anti-Poverty, Programme in outline, Harmondsworth, 1971, repris par
Mats Lundhal, dans Peasants and Poverty, A Study of Haiti, Croom Helm
Ltd, London, 1979, p. 358ss.
117 Un porte-parole du régime duvaliériste, s’adressait en ces termes aux
opposants, en 1962 : “Nous ferons un Himalaya de cadavres si l’on vient à
attaquer Duvalier, le sang coulera en Haïti comme jamais il n’a coulé”, cit.
par Bernard Diederich et A. Burt, dans Papadoc et les Tontonmacoutes, trad.
Paris, Albin Michel, 1971, p. 203. Comparer ce passage aux propos du
Président Salomon, en 1884 : “Dans le travail que j entreprends pour
consolider le pouvoir de ma race (c’est nous qui soulignons), si je venais à en
être distrait par une insurrection quelconque, le pays deviendrait le théâtre de
la plus horrible tragédie que l’esprit humain puisse imaginer et dont vous
serez les seuls acteurs. Ma prévoyance me dit qu’il faut un siècle
d’hécatombes pour laver le crime du Pont-Rouge” cit. par Alain Turnier, Avec
Merisier Jeannis, Une Tranche de vie jacmélienne et nationale, Port-au-
Prince, Impr Le Natal, 1982 pp. 159-160.
118 Pour une analyse du discours duvaliériste, voir notre ouvr. Culture et dictature
en Haïti ..., op. cit.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 75
119 François Duvalier, “En quoi l’état d’âme du Noir se différencie-t-il de celui
du Blanc", in Le Nouvelliste, 30 décembre 1935, 3 janvier 1936, repris dans
Eléments d’une doctrine T.I. 3e éd., coll. Œuvres essentielles, Port-au-Prince,
1968, p. 49.
120 Pour de plus amples informations sur l’importance du thème de leader noir
dans les débats politiques en Haïti, voir 1946-1976. Trente ans de pouvoir
noir en Haïti. L'explosion de 1946, de C. Hector, C. Moise et E. Ollivier,
Montréal, Ed. Collectif Paroles, 1976 ; également Micheline Labelle,
Idéologie de couleur et classes en Haïti, Presses de l’Université de Montréal,
1978 ; David Nicholls, From Dessalines to Duvalier : Race, Color and
National Indépendance in Haiti, Cambridge Univ. Press, 1979.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 76
121 Voir notre article : “Les Intellectuels et la politique en Haïti” dans Caré, Paris,
Ed. Caribéennes. Mai 1984, p. 46-73, d’où nous reprenons ici seulement un
extrait.
122 Ulrich Fleischmann, Écrivain et société en Haïti, Centre de recherches
Caraïbes, Fonds St Jacques, Martinique, 1976, p. 12, et pour de plus amples
informations, voir son ouvrage Ideyoloji ak Reyalite nan literati Ayisyen, Tr.
Jeannot Hilaire de l’allemand, Idéologie und Wirklichkeit in der Literatur
Haiti (Coloquium Verlag), Berlin, 1969, Genève, 1981.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 77
la capitale. “Bien qu’il eût chez lui une bibliothèque bondée de gros et
beaux livres, son bagage intellectuel n’était que fort léger. En
grammaire, il avait retenu, entre autres règles, celles concernant Amour,
Délice et Orgue, et [75] le participe entre deux “que” ...” 127. Eliézer
accumule donc les livres comme autant de signes et d’insignes, puis se
met à parler français, la langue-symbole de civilisation, sans aucune
considération pour le contenu de ses discours. Par là, il se conforme aux
pratiques sociales ordinaires, et à l’image ordinaire du politicien,
parlant français devant un peuple créolophone unilingue. On semble
reprocher à Eliézer de se contenter “d’imiter l’élite”, mais on oublie
qu’il imite ceux qui, de leur côté, imitent déjà en s’emparant des
emblèmes de la civilisation.
L’identité haïtienne est ainsi toujours vécue sous le régime de
“l’autre”, présent sous les espèces de l’élite intellectuelle. Entre celle-
ci et l’Occidental, l’écriture servirait de passerelle, c’est-à-dire de
signifiant de la civilisation. On peut comprendre les raisons cachées,
inavouables, de l’expulsion des questions relatives au cannibalisme, à
la sorcellerie ou au despotisme. Il faudra qu’un voile pudique soit jeté
sur ces phénomènes. Au XIXe siècle, la dénégation de l’existence même
du vodou dans le pays permet à l’avance une réfutation des détracteurs
de la race noire. Avec la rupture annoncée par la négritude, au début de
ce siècle, le vodou peut être reconnu, mais il est purifié de tous les
signes de la barbarie que sont le cannibalisme et la sorcellerie. Monde
de l’oralité, de l’analphabétisme, il apparaît dans une liaison essentielle
avec un bas niveau de civilisation, une sorte de stade primitif, appelé à
être dépassé. Il nous faut donc chercher les visages successifs que prend
le barbare de l’esclavage à nos jours à travers discours et récits sur le
cannibalisme, la sorcellerie et la zombification, cet étrange halo
constitué autour du vodou et que l’élite haïtienne s’est évertuée sans fin
à exorciser.
[76]
[77]
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre III
LES VISAGES
DE LA BARBARIE
[78]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 81
[79]
Un vocabulaire flou
128 Jean Kerboull, Le Vaudou, magie ou religion, Paris, Ed. Robert Laffont, 1973,
p. 121 : “Les crimes des sectes, s’ils ne sont pas plutôt les phantasmes
d’imaginations malades et des fruits de l’auto-intoxication, n’ont rien à voir
avec le Vaudou familial orthodoxe, sont isolés et anormaux, attribuables à des
“monstres sociologiques”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 83
129 Voir Jeanne Favret, Les mots, la mort, Les sorts, Paris, Gallimard, 1977,
spécialement pp. 20-24 : “Quand la parole, c’est la guerre”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 84
délivrés de leur sort sont censés avoir goûté le sel ou un aliment salé
quelconque, qui les ramène à la vie consciente et leur permet
d’échapper des mains de [84] leurs “criminels” propriétaires. On a
l’impression que l’empire des producteurs de zombis s’élargit
aujourd’hui. Des psychiatres et pasteurs, des prêtres, des instituteurs
estiment souvent que des mesures rigoureuses devraient être prises pour
empêcher l’action des “malfaiteurs”. C’est dire l’ampleur du débat,
mais aussi les obscurités qui planent sur le phénomène. Mais porter le
soupçon sur les opinions et thèses les plus diverses qui circulent sur les
sorciers et les zombis suppose qu’on remonte à l’histoire elle-même de
la production de ces opinions et thèses. On commencera donc par
mettre au jour toutes les strates des discours superposés sur ce
phénomène de la période esclavagiste à nos jours.
1. L’esclave sorcier
130 P. Jean-Baptiste Dutertre, Histoire générale des Antilles habitées par les
Français Paris 1966, T. II, pp. 364-369.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 86
pouvoir absolu sur les autres par ce moyen” 134, comme si l’on ne
pouvait plus distinguer ce qui est de l’ordre de l’ignorance, de la débilité
mentale, et ce qui relève de l’activité délibérée de sorcellerie. S’il est
encore possible à la fin du XVIIe siècle, que chaque colon ou chaque
missionnaire punisse lui- même les nègres pris pour sorciers — on sait
par exemple que le Père Labat reconnaît avoir dû battre un sorcier
jusqu’à ce que mort s’ensuive 135 — les magistrats essaient d’intervenir
le plus possible dans l’incertitude qu’ils étaient en face de ces actes
tantôt réels, tantôt imaginaires. Dans une lettre au Ministre écrite le 3
septembre 1727, on apprend par exemple que certains maîtres “se
donnent la licence de faire mourir (les nègres sorciers) de leur propre
autorité”, mais qu’il ne convient “en aucune façon que les maîtres se
fassent une justice aussi sévère, quand même le crime de sortilège serait
aussi réel qu’il paraît imaginaire” 136... On peut saisir à travers cette
lettre, que les pouvoirs en Métropole ne voient plus en la sorcellerie de
quoi s’affoler. Mais telle n’est pas la situation dans les îles : colons et
gérants ne sauront plus bientôt comment juguler ce mal rampant qu’est
la multitude de pratiques “superstitieuses” allant de toutes les teintes,
des procédés thérapeutiques aux sortilèges meurtriers.
[87]
En effet, les rumeurs d’empoisonnement par le moyen des plantes
ou des rites magiques se développent. Depuis les terrifiantes pratiques
de Makandal, esclave qui passait en 1757 pour disposer du pouvoir de
disparaître ou de se métamorphoser, jusqu’au fameux Don Pedro qui, à
la même époque, savait semer la terreur jusque parmi les esclaves, on
se doute’ comme le disait Moreau de Saint Méry, “qu’il est un grand
nombre de nègres qui acquièrent un pouvoir absolu” 137. Désormais, les
noms de Makandal et de Don Pedro servent à désigner les pratiques de
sorcellerie, et cela dès le XVIIIe siècle. La peur du marronnage semble
peu à peu rejoindre la peur de la sorcellerie. C’est qu’on n en est déjà
plus a la vision du diable partout présent chez les infidèles et les païens.
2. Le paysan délinquant
138 Paris, Arch. Nat. Colonies, F5, A 28. Voir les analyses de Antoine Gisler,
L’esclavage aux Antilles françaises (XVIIe-XIXe siècles). Contribution au
problème de l'esclavage, Fribourg, Suisse, 1965, p. 185 ; également, G.
Debien, Les esclaves aux Antilles françaises (XVIIe-XVIIIe siècles), Basse-
Terre et Fort-de-France, 1974, pp. 288-291.
139 Jean Fouchard, Les Marrons de la Liberté, Paris, Ed. de l’Ecole, p. 458 ;
Moreau de Saint Méry, op. cit. T. II, p. 629-631.
140 Cf. par ex. Th. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, 1843-1847 ; L.J.
Janvier, Les Constitutions d’Haïti, tome I, Paris 1886 ; “Les chefs des
insurgés eurent recours au fétichisme, s’en servirent comme moyen
politique”, et encore : “Les croyances africaines furent un excellent
instrument de cohésion pour les initiés, leurs mots de passe, leurs gestes de
reconnaissance des signes de ralliement...” p. 281.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 89
141 Cf. Beaubrun Ardouin, Etudes sur l’Histoire d’Haïti, 1860, T.V. p. 51 :
“Comme homme éclairé, il (Toussaint) fit sentir à ses frères que, quoiqu’ils
descendent des Africains et doivent s’honorer de cette origine, ils doivent
aussi s’affranchir de toutes les grossières superstitions, notamment du
Vaudou, parce que, si elles existent en Afrique, plongée dans une profonde
ignorance, ce n’est pas une raison pour adopter de telles croyances qui
dégradent l’homme et l’abrutissent, et qui ne peuvent que le faire mépriser”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 90
milieu des bandes d’Acaau qu’il édifiait par ses neuvaines à la Vierge,
qu’il maîtrisait par son crédit bien notoire auprès du dieu vodou” 145.
On peut donc déjà remarquer que la sorcellerie anthropophagique est
imputée aux milieux populaires : gueux des villes, paysans. Mais en
[91] même temps, on attribue au pouvoir établi des connivences avec
le vodou ou avec des prêtres-vodou. C’est le cas de Christophe dans le
nord. C’est aussi le cas de Soulouque, au service duquel, signale
Madiou, un oungan dénommé Frère Joseph, mettra ses connaissances
du vodou. Cette fois, plus rien n’empêchera le développement des
rumeurs sur les pratiques du vodou qui font la longue ou courte durée
d’un chef d’État au pouvoir. Après le départ de Boyer en 1843, on
apprendra qu’il avait caché au palais une “poupée” ayant pour mission
de persécuter tous ses successeurs. En 1850, Soulouque, de son côté,
doit se faire sacrer Empereur, grâce aux apparitions fréquentes de la
Vierge sur un palmier. La Vierge, disait-on, portait un enfant dans ses
bras, qui ne serait autre que Soulouque. Ou encore sur une feuille du
palmier, on a vu dessiné le portrait de la Vierge enveloppée d’un
manteau et portant une couronne sur la tête, ce serait encore Soulouque,
Empereur. Il n’y aura bientôt plus de possibilités d’endiguer les
rumeurs. Soulouque est tenu pour un obsédé des “esprits” du vodou, lui
qui se croyait persécuter par des sortilèges et qui organisait au Palais
même, ou au cimetière, des cérémonies en l’honneur des “esprits”.
147 Les manuels d’histoire d’Haïti en font le récit, voir par exemple Dorsainvil,
J.C. et Frères de l’Instruction Chrétienne, Manuel d’Histoire d’Haïti, Port-au-
Prince, 1949.
148 J. Verschueren, Panorama d’Haïti, T. III, Le Culte du vaudou en Haïti.
Ophiolatrie et animisme, Paris, Lethielleux, 1948, donne des détails sur les
rapports entre les chefs d'État haïtiens et le vodou.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 93
149 James Franklin, The Present State of Hayti, London, 1826, p. 393 ss. Sur la
situation de l’Église en Haïti, pendant la première moitié du XIXe siècle, voir
surtout: Cabon, Notes sur l’histoire religieuse d’Haïti, op. cit.; Charles Malo,
Histoire d’Haïti depuis sa découverte jusqu’en 1824, Paris, 1825; John
Candler, Brief Notices of Hayti, London, 1842; J. B. Piolet, La France au
dehors. Les Missions catholiques françaises au XIX e siècle, Armand Colin,
1901-1903, voir T. VI, sur Haïti.
150 W. Harvey, Sketches of Haiti: from the expulsion of the French to the Death
of Christophe, London, 1827, p. 309 ss.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 94
151 William B. Cohen, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs
1530-1880, op. Cit., en donne quelques-uns, pp. 356-359.
152 Gustave d’Alaux, L’Empereur Soulouque et son empire, Paris, 1856, p. 1.
153 Ibid., p. 26.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 95
157 Spencer Saint John, Hayti or the Black Republic, London, 1884, p. XIII.
158 Ibid., p. 182.
159 Cité par Verschueren, Panorama de la République d'Haiti, op. cit., T. III, pp.
233-234.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 97
3. Le bandit cannibale
nous promène, avec lui, dans diverses régions d’Haïti, toutes livrées au
culte du serpent, cette “superstition dégradante et grotesque” 160 des
Noirs originaires d’Afrique. Ce culte, explique-t-il, comporte deux
types de sacrifices : celui des volailles et celui des humains ou “cabrits
sans cornes”. Mais d’un côté “l’idée des masses ne s’élève pas au-
dessus du serpent qui représente pour elles leur dieu”, de l’autre, le
nègre haïtien est un sauvage qui se croit obligé d’honorer son dieu en
lui offrant des sacrifices humains, et en mangeant lui-même de la chair
humaine : “Haïti est le seul pays... où une superstition contaminée par
de telles horreurs existe”. Aussi, le nègre ne peut pas gouverner son
propre frère noir avec succès sans tyrannie... ” 161.
Cette thèse toute simple — à savoir que le vodou est un haut lieu de
pratiques cannibaliques, donc de la sauvagerie et de la tyrannie des
Noirs livrés à eux-mêmes — résume les divers discours que des auteurs
américains ont diffusés en Haïti, à la veille de l’occupation américaine.
Bien entendu, si ces ouvrages livrent en dernière instance plus de
renseignements sur les auteurs que sur la société haïtienne elle-même,
[100] il reste que les énoncés ne sont pas dépourvus d’effet dans la
pratique politique que les occupants vont bientôt instaurer dans le pays.
Prichard voyait Port-au-Prince comme une “étrange greffe de
parisianisme et de sauvagerie” où le “Blanc n’a pas de droit” 162, mais
où, désormais, avec l’occupation, il est couronné Roi. Et c’est le titre
— qui vient attester le travail du fantasme américain sur le vodou et/ou
le cannibalisme haïtien — que choisit un “marine” américain pour
raconter son expérience de commandant de district sous l’occupation :
Le Roi Blanc de la Gonâve, avec le sous- titre, Le culte du vaudou en
160 Hesketh Prichard, Where Black rules white. A joumey across and about Hayti,
London et New-York, 1910, p. 79.
161 Ibid., p. 102.
162 Ibid., p. 49 et 50 ; Voir aussi p. 107 : “Vaudoux is cannibalism in the second
stage. In the first instance a savage eats human flesh as an extreme form of
triumph over an enemy. So the appetite grows until this good is prefered to
any other. The next stage follows naturally. The man, wishing to propitiate
his good, offers him that which he himself most prizes. Add to this sacrifices
the mysteries and traditions of the ages, you have the Vaudoux of today”. De
même, p. 110 “It would seem that the perpetuation of a cult so degrading must
have its source deep in the character of the race. Yet you find that these
undoubted cannibals can on occasion be both kindhearted and hospitable.
Perhaps the root of ail lies in the ignorance”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 99
d’État à des taux élevés vont à leur tour pousser tous les autres
gouvernements à l’augmentation de taxes aux produits agricoles, la
crise mondiale qui s’annonce avec la pénurie de produits d’importance,
l’absence d’une politique industrielle pouvant absorber la couche de
paysans déruralisés, viennent aiguiser les luttes sociales. La ville et les
classes privilégiées ne sont plus protégées : la masse des paysans en
exode vers la ville devient la grande menace. Aussi le pays sera-t-il
encore parcouru par des rumeurs de sorcellerie : comme par hasard, elle
est le lot des pauvres et des paysans. La sorcellerie c’est la délinquance,
le banditisme paysan. Pourtant, les préjugés de l’occupant américain
sont ressentis comme une attaque lancée contre la société haïtienne tout
entière, d’autant plus qu’ils tournent autour de la thématique raciale. Le
nationalisme qui s’éveille dans la capitale et dans les villes de province
saura-t-il produire une réponse ajustée à la situation ?
Entre les années 1920 et 1930, le vodou était encore tenu dans les
milieux intellectuels haïtiens pour une superstition apparentée à
“l’Afrique ténébreuse”, dont les paysans ne sont pas encore délivrés
(Dantès Bellegarde) 172, ou pour une névrose, une hystérie ou une
épilepsie (Dorsainvil, Audain) 173. Pourtant tous ces auteurs sont
préoccupés de défendre l’image d’Haïti aux yeux de l’étranger, contre
la néfaste propagande des occupants et des touristes- chroniqueurs
américains. Au moment où la voix de Jean Price-Mars s’élève pour
déclarer le vodou comme une religion à part entière, et une des sources
de la culture nationale, [105] elle apparaît d’abord bien solitaire. Peu à
peu, répondant à son appel, plusieurs écrivains se regroupent pour
former le célèbre courant littéraire de la Négritude (appelé encore en
Haïti “école indigéniste”) : ils se donnent comme objectif la défense des
valeurs de la culture haïtienne. Mais ils ne parviendront pas à empêcher
que quelques années plus tard, en 1941, soit mise en œuvre la plus
grande machine d’inquisition contre le vodou. On pouvait d’ailleurs
constater aussi une absence de jonction entre les intellectuels et les
masses paysannes en révolte, vers les années 1915-1920. Habitués à
servir seulement de masse de manœuvre dans les compétitions
politiques qui se déroulent dans les villes et surtout dans la capitale, les
paysans ont été pratiquement livrés à eux- mêmes. On dirait que la lutte
qu’ils ont menée contre l’occupant avec des leaders sortis de leur rang
comme Charlemagne Péralte ou Benoît Batraville était considérée
comme extérieure et quelque peu lointaine pour les citadins et les
intellectuels. Non point que le nationalisme ait été faible, mais tout se
passe comme s’il allait de soi que la paysannerie forme un monde
séparé. C’est dans cette perspective qu’il conviendra de saisir le
problème de la pénalisation du vodou, conçu comme sorcellerie
(anthropophagie ou production de zombis).
Cependant, après les ouvrages de Melville Herskovits, Life in a
Haitian valley (1937), et de Alfred Métraux, Le Vaudou haïtien (1958),
il ne semble pas qu’il y ait eu de progrès dans l’approche du problème
des sorciers et zombis en Haïti. Les travaux de l’école ethnologique de
Port-au-Prince 174 ont présenté des données précieuses sur le système
de croyance en général, mais rien de spécial sur la sorcellerie.
L’ouvrage de Métraux fait le point sur l’ensemble des [106] pratiques,
des récits et légendes qui forment le monde de la sorcellerie, mais ne
dépasse pas au niveau théorique l’œuvre de Melville Herskovits. Pour
la première fois, contestant, avec Jean Price-Mars, les études
fantaisistes et à base raciste des auteurs américains, Herskovits réinscrit
dans le cadre du vodou les pratiques et croyances de la sorcellerie, et
souligne le caractère flou de la distinction entre magie et religion, entre
magie noire et magie blanche. Il rappelle enfin comment l’image du
diable 175 n’est jamais totalement négative dans la culture africaine et
négro-américaine, et ainsi montre à l’œuvre une logique culturelle
spécifique.
Chez la plupart des auteurs haïtiens, en revanche, le problème des
sorciers et zombis semble être réglé d’avance : il n’aurait été une
obsession que pour des étrangers, et ce serait renforcer les préjugés sur
le vodou que de porter une trop grande attention à la sorcellerie. L’étude
176 W. Apollon. Le Vodou un espace pour les "voix”, Paris, Ed. Galilée, 1976, p.
89.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 105
[108]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 106
[109]
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre IV
LA CHASSE AU BARBARE
[110]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 107
[111]
1. De la lettre à la pratique
177 Cf. Lucien Paytraud : L’Esclavage aux Antilles françaises avant 1789 d'après
des documents inédits des Archives nationales, Paris, Libr. Hachette, 1899,
voir surtout le ch. II du L. II, p. 178 ss.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 108
les villes, les bourgs et sur les habitations”, par des punitions
corporelles 178 et la prison.
Quelques années plus tard, Dessalines décide de nettoyer les foyers
de pratique du vodou, en faisant fusiller certains adeptes.
C’est surtout avec le gouvernement de Boyer et son Code Rural de
1826, que la répression de la paysannerie sera la plus violente, dans le
même dessein d’un contrôle efficace et de la continuité d’une
production agricole tournée vers l’exportation. Les pratiques du vodou
devenues alors “pratiques superstitieuses”, causées par l’ignorance,
peuvent être utilisées par des politiciens, et comme telles méritent d’être
réprimées. Mais cette alliance entre le vodou et la politique ne semble
pas connaître une grande fortune sous la longue présidence de Boyer
(1818-1843). La tâche de “pacification” des masses paysannes souvent
en révolte à cette époque, nécessite encore une surveillance accrue.
L’une des activités des vodouisants étant de produire la mort par des
moyens magiques, il faudra que le Code Pénal précise ce que nous
pourrions appeler le délit de sorcellerie ou de production de zombis.
L’article 246 du Code Pénal promulgué le 11 août 1835 précise :
“Est aussi qualifié attentat à la vie d’une personne, par
empoisonnement, l’emploi qui sera fait contre elle de substances [113]
qui sans donner la mort, auront produit un effet léthargique plus ou
moins prolongé, de quelque manière que ces substances aient été
employées et quelles qu’en aient été les suites.
Si par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée,
l’attentat sera qualifié d’assassinat” 179.
Ce texte sera repris par tous les autres gouvernements qui ne se font
pas faute de rappeler par des circulaires, l’interdiction qui frappe de
telles pratiques. Pour nombre d’auteurs étrangers, comme nous l’avons
vu plus haut, cet article du Code Pénal fournirait la preuve de
l’existence réelle en Haïti de zombis, à partir de pratiques visant à
L’Article 406 :
L’Article 407 :
L’Article 406 est, bien entendu, tiré du Code Pénal français, et l’on
voit les difficultés qu’il y aurait en Haïti à employer ces “individus
condamnés” dans des “prisons maritimes” [115] ou dans des “travaux
de la marine”. Mais ce qui retient l’attention, c’est la condamnation
massive qui est portée contre toutes les pratiques du vodou, défini
comme lieu de production des sortilèges, et d’entretien de la population
dans l’esprit de fétichisme et de superstition”.
Il ne suffit pas de dire que ces articles visent la sauvegarde d une
façade de “civilisation”, pour éviter le “dénigrement” d’Haïti aux yeux
de l’étranger, ni que de toute façon le vodou a toujours été plus ou
moins toléré par les hommes politiques qui recherchent leur propre
protection contre les “faiseurs de sortilèges”. Il s’agit avant tout, à la
fois d’éloigner le monde paysan du monde urbain-civilisé, et de
renvoyer le vodou tout entier sur le registre de la sorcellerie, déjà
redoutée par le paysan. Plus celui-ci envahit la scène urbaine, plus les
rumeurs de sorcellerie augmentent. Il en a été ainsi en 1843 avec les
révoltes paysannes, et plus rien ne pourra désormais mettre fin à ces
rumeurs. Le vodou tout entier réduit a la sorcellerie, c’est le paysan
renvoyé à ses propres terreurs et tenu seul responsable de ses
“malheurs”.
Quelques années plus tard, Faustin Soulouque, Empereur d’Haïti,
passera pour l’un des grands adeptes du vodou, mais lui non plus ne
pourra s’empêcher de pénaliser les pratiques trop ostensibles du vodou
dans les villes. Il faut attendre l’accession à la Présidence de Fabre
Geffrard en 1860 pour voir se développer, avec toute l’obsession qu’on
car ils sont l’un et l’autre ; mais l’anthropophagie n’est chez eux que le
résultat de l’idolâtrie ; or détruisez la cause, vous détruisez l’effet.
... Le vaudou ... n’est pas simplement une secte..., c’est plutôt un culte.
Ce culte barbare nous a été anciennement importé de quelque coin de
l’Afrique, par la traite.
Détruisez le culte, avons-nous dit, et vous détruisez l’anthropophagie
qui en est la conséquence...”
183 On trouvera des détails sur la lutte contre le vodou à la fin du XIX e siècle dans
l’ouvrage de Marc Péan, L’illusion héroïque, T.I., 1890-1902, Imp.
Deschamps, Port-au-Prince, 1977, pp. 123-143.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 114
184 Sur l’interdiction du vodou par les occupants américains, voir encore K.
Millet, Les Paysans haïtiens et l’occupation américaine 1915-1930, op. cit.,
p. 67-70 ; également des auteurs comme Mabel Steedman, Unknown Wordl :
Haiti, London 1939 2e ed. ; Arthur C. Millspaugh, Haiti under American
Control 1915-1930, Boston, Mass., 1931 ; également parmi les sources du
gouvernement américain, en particulier Inquiry into occupation and
administration of Haiti and Santo Domingo ; Hearing before a Select
Committee on Haiti and Santo Domingo, United States Senate, 77th
Congress, first and second sessions, 2 vol., Washington, Government
Printing, 1921-1922, p. 517 par ex. de ce rapport, le Général Butler parle des
Haïtiens “qui portent des souliers” et qui vont troubler “la classe qui ne porte
pas de souliers” “par des stupidités vodou” ; ainsi “ceux-là deviennent
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 116
capables des plus horribles atrocités : ils sont cannibales. Ils ont mangé le foie
d’un marine” ; voir les commentaires suggestifs de R. Gaillard, dans Les
Blancs débarquent, T.V., Hinche mise en croix, op. cit., p. 112.
185 J. Dryden Kuser, Haiti, its dawn of Progress after Years in a Night of
Revolution, Boston, 1921, pp. 56-57.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 117
Ce sont les propos du sens commun, répandus dans une large partie
de la petite-bourgeoisie des villes, qui sont ici repris. Cet “homme
paysan”, aux “instincts mauvais de sa nature”, a donc besoin de passer
par une œuvre de civilisation. Il symbolise tout le mal du pays. La
grande campagne antisuperstitieuse de 1941 peut donc être déclenchée.
Selon certains missionnaires, la demande a dû provenir du peuple lui-
même. Tout prouve plutôt que cette campagne n’aurait pas été possible
sans la pénalisation traditionnelle du vodou et la diabolisation de ce
culte. Le procès même de pénalisation se soutient de cette diabolisation.
Mais que les [126] “esprits” du vodou soient définis comme “démons”,
que les rites soient désignés comme service de Satan dans les
catéchismes en vigueur, dans les cantiques et les prédications des
églises, cela fait partie du discours traditionnel du christianisme en
Haïti, d’un discours aussi vieux que l’esclavage, et qui présuppose une
barbarie inhérente à l’être de l’homme paysan haïtien, chez qui les
traces de l’Afrique sont encore toutes visibles. Ce discours ne paraît
guère susciter d’inquiétude particulière, quand il s’adresse seulement
au monde paysan et aux classes populaires des villes. Dès lors qu’il
accable la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, il devient dangereux.
C’est ce qui, sans doute, explique la fin hâtive de la campagne
antisuperstitieuse, dite campagne des “Rejetés”. Chaque haïtien devait
en effet, prononcer à l’Église, le serment de rejeter définitivement toute
pratique et croyance- vodou. Dans un ouvrage publié en 1974, le
Président Lescot 187, qui avait donné alors à l’Église le plus ferme appui
à cette campagne, soutient que prêtres et évêques ont outrepassé leurs
droits. Mais c’est encore lui qui maintenait ferme la loi sur la
prohibition du vodou, à laquelle il ajoutait la suppression de la pratique
culturelle populaire que représentait le carnaval. En 1946, ce régime
politique devait succomber sous l’assaut d’une série de protestations
venues de presque tous les intellectuels et de toutes les couches sociales
des villes. Sans doute, pouvait-on voir là l’un des effets du courant de
la négritude en lutte contre les avatars de l’occupation américaine que
représentent en particulier les régimes de Vincent et de Lescot. Dans
tous les cas, une certaine accalmie intervient désormais dans la lutte des
pouvoirs publics contre le vodou. Mais du côté des églises, rien n’aura
changé dans le discours de diabolisation de ce culte, du moins jusqu’à
[127] l’accession au pouvoir de Duvalier en 1957. Car celui-ci, en partie
en réaction contre le catholicisme, a choisi d’instrumentaliser le plus
possible le vodou, mais sans changer son statut, pour légitimer une
présidence à vie héréditaire. Ce sera sans peine que de nouveau, comme
au XIXe siècle, une partie de l’opposition à son régime parlera du règne
des “forces du mal” qui s’établit avec Duvalier. C’est donc aussi dans
2. L’incertitude du régime
de la pénalisation
[132]
Une fois qu’on a rangé l’esclavage au Nouveau- Monde sous la
rubrique de l’accumulation primitive, on le voit ordinairement détaché
de tout rapport avec la construction de l’État moderne. Celle-ci
s’opérerait d’abord en Occident, puis se projetterait ailleurs. Or la
pensée de l’État, au moment de la conquête du monde par l’Occident,
c’est la pensée que rien ne peut exister en dehors de lui. L’État tiendrait
là sa force d’attraction auprès de celui qui tenterait de se dérober à son
emprise. C’est que, du moins tel que la théorie hégélienne le concevait,
l’État apparaissait comme rédemption véritable pour le maître comme
pour l’esclave, la raison d’être de leur lutte, et la raison tout court. Il
semble, en fait, que dès le XVIIe siècle l’État moderne se donne, de
manière enfin nette, pour la marque de civilisation, pour ce qui permet
à l’homme de sortir de la nature et de l’animalité. On sait que cette
perspective a eu un si grand succès que nombre d’anthropologues se
sentaient, il n’y a pas si longtemps, obligés de montrer que les peuples
non-occidentaux disposaient, avec le monothéisme, d’un système
étatique quelconque, ou à tout le moins aspiraient à l’État 193. Ce qui
semble fonctionner ici, c’est l’évidence que désormais nulle part on ne
peut se passer de l’État. Or, si l’État implique aujourd’hui à l’échelle
mondiale une nouvelle signification du rapport à “l’autre”, cela se
donne à voir en gros plan au XVIIe siècle, dans le cadre même de
l’esclavage.
192 Nous reprenons ici quelques extraits de l’article que nous avons écrit sur État
et religion au XVIIe siècle face à l’esclavage au Nouveau-Monde” dans
Peuples iterranéens, N° 27-28, 1984, pp. 39-56.
193 Problématique critiquée récemment par Pierre Clastres, La Société contre
l’État, Paris, Ed. de Minuit, 1974 ; Voir aussi l’art, de Marcel Gauchet, “La
dette du sens et les racines de l’État-Politique de la religion primitive” dans
la revue LIBRE, petite bibl. Payot, 77-2, p. 27 “Il n’y a pas l’État dans les
sociétés primitives. Mais il y a sa possibilité, que la société s’emploie
précisément à conjurer”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 125
l’esclavage au XVIIe siècle, voir en part, dans l’ouvrage de 1966, The problem
of slavery, ibid, p. 91 ss. Les discussions sur l’esclavage en Amérique ont été
dominées par le code justinien (p. 108). Voir aussi les réflexions de Pierre
Legendre sur les bases fondatrices des États modernes : “Ainsi les maîtres du
discours juridique ont-ils répété d’âge en âge et jusqu’à l’approche de l’ère
industrialiste, l’axiome d’une légitimité de leur science, en s’affichant les
descendants des Géants, ces jurisconsultes fameux de la Rome antique dont
l’Empereur Justinien devait transmettre les doctrines à tout l’Occident”.
L‘Amour du censeur, essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Ed. du Seuil, 1974,
p. 104.
198 Antoine Gisler, L’esclavage aux Antilles françaises, op. cit.
199 D. B. Davis, The Problem of Slavery in Western Culture, op. cit.
200 Eugène Genovese, Économie politique de l’esclavage, tr. N. Barbier, Paris,
Maspéro, 1979.
201 Cf. La périodisation proposée par Léon Poliakov, dans son ouvrage sur Le
Racisme, Ed. Seghers, 1976 ; également son art. “Brève histoire des
hiérarchies raciales” dans la revue Le Genre humain, N° 1. La Science face
au racisme, Fayard 1981, pp. 70-82.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 127
202 Par Ex. Michel de Certeau, L’écriture de l’Histoire, op. cit., pp. 162-167 ; ou
Etienne Thuau, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, A.
Colin, 1966.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 128
Mais on sait que les esclaves noirs, une fois affranchis, n’ont pas obtenu
automatiquement tous les droits civiques. Barbares, les Noirs
américains devaient le rester longtemps encore à travers les préjugés
diffusés dans les écoles et dans la presse sur “les tares raciales
africaines” qui n’ont pas eu le temps de disparaître, malgré deux siècles
d’esclavage. En outre, chaque État colonisateur, à la fin du siècle
dernier, ne s’est-il pas cru obligé de justifier sa présence dans les
sociétés non-occidentales à partir de la nécessité sacrée de répandre les
bienfaits de la civilisation ? C’est que, dans la pensée dominante en
Occident, une opposition structurale s’était établie entre un état dit de
nature dans lequel se trouveraient des peuples “sauvages et primitifs”,
et la nature de l’État moderne comme moyen d’échapper à la barbarie.
Précisément, le Léviathan de Hobbes 203, considéré comme une
œuvre diabolique et donc réprouvé par la plupart [137] des écrivains du
XVIIe siècle, n’a fait que prendre la mesure de l’événement que
représente l’avènement de l’État moderne. Hobbes situe le débat
exactement au point qui nous intéresse ici : à la jonction de l’esclavage
et de la naissance de l’État moderne comme pur arbitraire, qui ne doit
sa nécessité qu’à lui-même et en lui-même. Le caractère absolu de la
domination du maître sur l’esclave débouche pour Hobbes sur le
caractère absolu de l’État, en sorte que défendre l’esclavage et défendre
l’État deviennent une seule et même chose. On aurait tort de considérer
la pensée de Hobbes comme complètement insolite en son temps pour
avoir présenté l’État sous un jour aussi violent. À la vérité d’autres
204 Voir le long développement de David B. Davis, The Problem of slavery, op.
cit. Ch. 11 et 12, p. 333-390 ; une note des Principes de la philosophie du
droit, op. cit. de Hegel, est ici suggestive : “lorsque naguère on traitait au
congrès américain de l’abolition de l’esclavage des nègres, une dignité des
provinces du sud fit cette réplique pertinente “Accordez-nous les nègres, nous
vous accordons les quakers”. Ce n’est que la force qu’il a par ailleurs qui
permet à l’État de supporter, et de négliger de telles anomalies...” note 1 p.
290. C’est qu’en fait la critique de l’esclavage entreprise par les Quakers
atteignait l’État lui-même.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 130
205 Moses I. Finley, Mythe, Mémoire, Histoire, Flammarion, Paris. 1981, p. 57.
206 Cf. Claude Lefort, “L’image du corps et le totalitarisme”, dans
Confrontation : L‘État cellulaire, Cahiers 2, Aubier automne 1979, pp. 9-20;
et surtout les ouvrages dans lesquels il développe ces mêmes analyses : Les
formes de l’histoire, Gallimard; Un homme en trop, Réflexions sur "Archipel
du Goulag", Seuil, 1976; L’invention démocratique, les limites de la
domination totalitaire. Fayard, 1981.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 131
effectivement, mais pour recueillir d’une autre main et rabattre sur lui-
même le sacré qu’il avait commencé par chasser. Au contraire, les
cultures dites “archaïques” travaillent presque partout, comme l’ont
montré Pierre Clastres, et plus récemment Luc de Heusch, à renvoyer
le pouvoir politique dans un “ailleurs” monstrueux, c’est-à-dire dans
l’ordre de la sorcellerie, et donc à maintenir une méfiance constante vis-
à-vis de l’État 207.
En Haïti, c’est le fantasme de la civilisation qui semble prédominer
puisque autrement la chasse au barbare que permet la pénalisation du
vodou resterait inexplicable. Mais la civilisation sera théâtralisée, à
défaut de pouvoir vraiment se réaliser. Ainsi le rôle assigné par l’État
haïtien à l’Église catholique, dans le cadre du Concordat signé avec le
Vatican en 1860, est celui d’un appareil destiné à produire un discours
inquisiteur contre le vodou, mais sans devoir vraiment aboutir à son
éradication.
Concrètement, le vodou continue à faire des irruptions sporadiques,
chroniques même sur les scènes d’où il est chassé. A la limite, si le
vodou venait à disparaître pour de vrai, l’État haïtien s’abolirait lui-
même. Il est par exemple symptomatique qu’en aucun cas l’on ne soit
parvenu en Haïti à renvoyer les manifestations du vodou sur le registre
de la folie. On a pu organiser des chasses aux cérémonies-vodou, des
scènes d’autodafé, emprisonner des oungan, condamner des “sorciers”
déclarés tels, diaboliser le champ vodou tout [142] entier. Mais la thèse
de la possession par les “esprits” comme une crise d’hystérie n’a guère
eu de succès : elle a pu être battue en brèche non seulement par les
ethnologues étrangers, mais par toute l’école d’ethnologie haïtienne. Le
vodou apparaissant aujourd’hui finalement comme une religion, et
comme la religion des masses paysannes, on ne peut plus le tenir pour
un champ de développement de la folie. Dans les pratiques médicales
en Haïti, il est admis depuis longtemps, même de manière cachée, que
des malades mentaux trouvent la guérison et voient disparaître leurs
207 Voir l’article de Luc de Heusch sur “Les Droits de l’Homme comme objet de
réflexion anthropologique”, in La Pensée et les hommes, revue mensuelle de
philosophie et de morale laïques, 1982-1983, p. 141 : avec un sage
pressentiment des dangers du despotisme que la royauté sacrée contient en
germe, la société archaïque décrète que le pouvoir est maudit, étranger à sa
propre logique, qu’il lui est extérieur et que sa transcendance se situe dans un
ailleurs redoutable”.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 133
[144]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 135
[145]
Le barbare imaginaire.
Deuxième partie
[145]
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre V
DU FANTASME AU FESTIN :
LE RÉCIT CANNIBALE
[146]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 137
[147]
213 Voir Norman Cohn, op. cit., les chapitres II et III sur “La diabolisation des
hérétiques médiévaux” et “Quelques aperçus sur l’idée du diable et de ses
pouvoirs”, pp. 53-100.
214 Voir l’avant-propos de Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas, op. cit., de
Robert Muchembled : “Satan ou les Hommes ? La chasse aux sorcières et ses
causes”, pp. 15-39, excellent résumé des débats en cours sur la sorcellerie à
la fin du Moyen-Age ; sur les mêmes hypothèses, voir aussi J. Delumeau, Le
Catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, Nouvelle Clio, 1971 ; et La Peur
en Occident. XIVe — XVIIIe siècles, Paris, Fayard 1978.
215 Jacques le Goff, dans son récent ouvrage, La Naissance du purgatoire, Paris,
Gallimard 1981, écrit justement : ‘‘Dans le domaine dogmatique et
théologique, c’est aussi entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIIe
siècle que le purgatoire est définitivement intronisé dans la doctrine de
l’Église Catholique, contre les Grecs au concile de Florence (1439), contre
les protestants au concile de Trente (1562)”, p. 483.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 140
Casas, le cannibalisme est une donnée première, qui fait partie des
“preuves” de la “vie sauvage” des Indiens.
Tous les écrits postérieurs des chroniqueurs et des voyageurs, en
particulier les célèbres textes de Théodore de Bry 219, de H. Benzoni,
ou de Jean de Léry, donnent à penser que le cannibalisme est resté une
hantise puissante dans la vision que les Européens ont de l’Indien.
L’analyse structurale de l’iconographie de la fin du XVI e siècle
présentée par Bernadette Bûcher montre à l’œuvre l’importance du
motif de cannibalisme dans ce qu’elle appelle “la formation même de
cette mythologie du Conquérant” 220. Les gravures illustrant la
conquête établissent continuellement un réseau de correspondances
entre la représentation physique des [152] Indiens (les Tupinamba) et
leur activité rituelle anthropophagique. Sur cette base, Théodore de Bry
présente les Indiens comme un peuple en dégénérescence, placé au
début de la création, et dont seule la théologie de la chute originelle
peut rendre compte. Cette réintégration de l’Indien dans l’ordre du
monde tel qu’il est conçu au Moyen-Age revient à faire correspondre
l’Indien à la représentation qu’on a en Europe de la sorcière. Pour
Benzoni également, les “idoles” des Indiens sont données directement
comme figurant le diable zoomorphe et androgyne du Moyen-Age.
Finalement, même là où les Espagnols sont tenus pour tyranniques, on
ne continue pas moins à penser que les Indiens demeurent idolâtres, et
donc qu’ils portent en eux la tendance au cannibalisme. De ce fait, ils
ne trouvent leur salut que par la conquête civilisatrice. L’accusation de
cannibalisme avait eu tellement d’échos dans le public européen que
Montaigne, dans ses Essais, dut lui consacrer plusieurs pages. “Nous
appelons contre nature ce qui est contre la coutume”, disait-il. Dans ce
célèbre chapitre sur les cannibales, Montaigne rappelait que l’Européen
ne disposait d’autre point de vue pour distinguer la vérité et la raison
que ses propres coutumes. Cette thèse espérait ainsi creuser une entaille
profonde dans les préjugés émis sur les mœurs dites “cannibales” des
Indiens. La rupture avec l’ethnocentrisme n’a pu cependant connaître
que les interrogations de Arens demeurent légitimes, mais qu’il n’y a pas lieu
de penser que le cannibalisme n’a jamais été pratiqué nulle part.
224 Ainsi par exemple, Paul Shankman, dans son article “le rôti et le bouilli :
Lévi-Strauss”, “Theory of cannibalism”, American Anthropologiste vol. 71,
N° 1, fév. 1969, p 54-69, reconnaît que les données sur le cannibalisme sont
peu sûres, mais que cela n’empêche pas de faire la critique des théories, une
fois que les précautions sont prises. Là-dessus, l’auteur a pu présenter un
tableau de 60 cas de cannibalisme, tous choisis comme par hasard dans le
Pacifique, l’Australie, l’Afrique et dans le monde amérindien.
225 W. Arens, The man-eating myth. , op. cit., p. 28.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 144
226 Robert A. Myers, “Island Carib cannibalism”, op. cit., pp. 161-164.
227 Voir l’introduction de Frank Lestringant à l’ouvrage de André Thévet sur Les
singularités de la France antarctique. Le Brésil des cannibales au XVI e siècle,
Ed. La Découverte, Paris 1983, p. 19.
Voir également de Lestringant l’article “Catholiques et cannibales Le
thème du cannibalisme dans le discours protestant au temps des guerres de
religion”, dans Pratiques et discours alimentaires à la Renaissance, Actes du
Colloque de Tours, 1979, sous la direction de J. Cl. Margolin et R. Sauzet,
Paris, Maisonneuve et Larose, 1982, p. 233 ss.
228 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard 1975, pp. 243-
244.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 145
229 Pierre Clastres, Chronique dis Indiens Guayaki, Paris, Plon, 1972, pp. 231-
232.
230 Ibid., p 229
231 Cette littérature est vaste. Il est impossible ici d’en faire état. Toutefois
signalons quelques titres récurrents pour donner une idée de l’obsession du
cannibalisme dans l’anthropologie durant la 2e moitié du XIXe siècle : C.
Vogt, “Anthropophagie et sacrifices humains” (Congrès international
d’anthropologie, Paris 1873) ; Girard de Rialle “De l’anthropophagie. Etude
d’ethnologie comparée” “Association française pour l’avancement des
sciences, séance du 26 août 1874) ; Letourneau, “Sur l’anthropophagie en
Amérique” (Société d’anthropologie de Paris, séance du 15 décembre 1887) ;
Ollivier Beauregard : “L’anthropophagie à Madagascar” in Bulletin de la
Société d’anthropologie de Paris, séance du 15 mars 1888 etc...
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 146
232 Paul Descamps : “le cannibalisme, ses causes et ses modalités”, in : Revue
d’Anthropologie, T. XXXV, 1925, p. 332.
233 Ewald Volhard, Kannibalismus, Stuttgart, Streckerund Schrôder Verlag, p.
XIII.
234 Roland Villeneuve, Histoire du cannibalisme, Paris, le livre du dub du
Libraire, 1965, p. 8.
235 Ibid., p. 216.
236 Ibid., p. 47.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 147
237 Ray Tannahill: A History of the cannibal complex. Flesh and blood, London,
Abacus Ed. 1976, p. 18.
238 Ibid., p. 156.
239 W. Arens, The man-eating myth, op. cit. p. 98-116, se livre à un réexamen
critique de l’hypothèse du cannibalisme chez les Fore.
240 Sur le cannibalisme en général chez les Fore, voir aussi Robert Glasse :
“Cannibalisme et kuru chez les Fore de la Nouvelle-Guinée” in : L’Homme,
VIII, 3, 1968 ; Lyle B. Steadman et Charles F. Merbs : “Kuru and
cannibalism” in : American Anthropologist, vol. 84, N° 3, sept. 1982, pp. 61
-627 : les manifestations du kuru comme le tremblement des pieds, de la tête,
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 148
Mau est pour une large part une mystification” 244. On voit bien que la
révision de la [162] documentation sur le cannibalisme ou les pratiques
de “cruauté” et de “sauvagerie” allouées aux groupes qu’on veut
persécuter peut être instructive. Les récits publiés par Leakey et Leigh
sur les cérémonies des Mau-Mau, ou par les quotidiens britanniques,
n’ont rien eu à envier à ceux publiés au Moyen-Age par les Inquisiteurs
sur les sabbats des sorciers, ni à ceux publiés par les nazis sur les Juifs
qu’ils voulaient exterminer. Le même procédé est à l’œuvre, nous
l’avons vu, dans les récits des lieutenants américains sur le
cannibalisme des Cacos, paysans haïtiens révoltés contre l’occupation
américaine dans les années 1920-1930. Les descriptions des
administrateurs coloniaux sur les Mau-Mau recoupent, presque points
par points, à deux siècles de distance, et les récits des colons français
pendant la guerre de l’indépendance haïtienne sur la cruauté des
“Nègres révoltés”, et les récits des Américains sur le cannibalisme des
Cacos. Il y a, pour le moins, matière à soupçon dans la documentation
sur le cannibalisme. Récemment, en 1976, alors que les travaux
africanistes sont fort nombreux et répandus, un nouvel ouvrage prétend
faire état des pratiques cannibaliques bien “réelles” auxquelles se
livreraient toutes les tribus de l’Afrique Noire. Pour avoir vécu dans
certains pays d’Afrique, l’auteur soutient qu’il présente un témoignage
“authentique” et des “faits authentiques tirés de documents formels”.
Pour lui, les sociétés d’hommes-panthères, d’hommes-léopards, sont
bien des groupes qui ont pour activité essentielle réelle de dévorer des
êtres humains, au cours de réunions nocturnes 245. Les bandes de
“sorciers animaux”, dit-il, ne connaissent qu’une loi : “se procurer de
la chair et du sang humain ; elles agissent sous le couvert d’un animal :
le fétiche (qui) est, partout, invariablement, une divinité tyrannique
qu’il convient d’alimenter périodiquement en chair et en sang
humains...”. “Ces [163] fameux “faits”, nous avertit l’auteur, dépassent
parfois en horreur les limites les plus reculées de la barbarie” 246. Il
faudrait, ajoute-t-il, laisser le travail du temps s’opérer en Afrique : ils
ne sont entrés que “hier dans l’orbite d’une civilisation imprégnée de
vingt siècles de préceptes chrétiens”.
2. Le cannibalisme
et le fantasme de la barbarie
Il se pourrait fort bien finalement qu’on ait beau mettre les pieds
dans le plat des cannibales, et que celui-ci soit vide. Mais je ne crois
pas qu’il le soit tout à fait, car dans le débat sur le cannibalisme, si l’on
reste souvent sur sa faim, il a fallu, d’une manière ou d’une autre, être
mis en appétit. D’abord par ses propres fantasmes, car c’est bien à ce
niveau que le cannibalisme se donne à voir par celui qui en parle. Mon
point de vue n’est pas que le phénomène n’aurait aucune existence
réelle. On sait que des pratiques cannibaliques rituelles ont bel et bien
été attestées ici et là, ou encore que dans des circonstances
exceptionnelles certains groupes d’individus ont pu se livrer au
cannibalisme. Mais il reste certain que le nombre de peuples pendant
longtemps présumés cannibales diminue au fur et à mesure que leur
système culturel est mieux connu. Pour ce qui concerne les sociétés
africaines, missionnaires et administrateurs coloniaux prenaient
souvent magie et sorcellerie pour des pratiques de cannibalisme. Quoi
qu’il en soit, celui-ci apparaît toujours lié dans la plupart des récits à
des fantasmes : et du côté de l’observateur, et du côté de l’observé. Plus
on prend le cannibalisme pour une pratique réelle, plus intervient
l’imaginaire. Les possibilités de malentendu sont donc énormes,
d’autant plus qu’il est impossible d’isoler le phénomène de l’ensemble
culturel où il se manifeste. Il en est de même, on le sait, pour tous les
autres faits culturels. [164] Mais la propension à isoler le cannibalisme
de la culture d’une société donnée semble être une tentation de
l’observateur. Il est vrai que, comme la sorcellerie, le cannibalisme se
prête à cette mise à l’écart qui le projette comme un élément isolable.
Là où des sociétés disent pratiquer le cannibalisme réel, elles en font en
même temps une pratique réprouvée, du moins sur le plan imaginaire.
À l’inverse, là où elles refusent toute connivence avec cette pratique
dans la réalité, elles s’en repaissent dans leurs propres mythes. En sorte
que même là où le phénomène se donne à observer, il est dénié
constamment. Ce que Marc Augé disait avec justesse à propos du
cannibalisme en Afrique est parfaitement applicable à propos de tout
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 152
249 P. Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 229 : “Pour les
Iroïangi, la chose ne faisait pas de doute : les Aché qui nomadisaient au nord-
est de leur propre territoire étaient des cannibales. Quant aux Aché Gatu, ils
formulaient la même accusation à l’égard d’une autre tribu...”.
250 Voir Marshal Sahlins, “L’apothéose du capitaine Cook”, in La fonction
symbolique, op. cit., p. 324.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 154
254 “Le cannibalisme consiste à manger chez soi, à manger le même et à nier ainsi
la règle qui veut qu’on mange ce qui n’est pas le même. Au fond, on pourrait
dire que tout cannibalisme n’est qu’endo-cannibalisme” écrit R. Guidieri,
“Pères et fils” in : Nouvelle Revue de Psychanalyse, op. cit. p. 109.
255 Georges Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard,
1972, p. 144.
256 René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, rech. avec J.
M. Oug-hourlian et G. Lefort, Paris, Grasset 1978 ; la violence et le sacré,
Paris, Grasset 1972 ; voir la critique de Luc de Heusch, “L’évangile selon
Saint Girard” in : Le Monde, 25 juin 1982.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 156
[170]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 157
[171]
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre VI
LES SORCIERS
DE LA LIBERTÉ
ROLAND BARTHES
“Introduction à l’analyse structurale des
récits” in Communications, 1966, Ed. du
Seuil, 1981, p. 33.
[172]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 158
[173]
257 L’étude de William B. Cohen, Français et Africains. Les Noirs dans le regard
des Blancs 1530-1880, tr. C. Garnier, Paris, Gallimard, 1980, surtout pp. 40-
47, rend fort bien compte de cette situation. De même Léon-François
Hoffmann, dans son remarquable travail sur Le Nègre romantique.
Personnage littéraire et obsession collective, Paris, Payot 1973, souligne
cette même absence d’intérêt pour l’Afrique dans la littérature au XVIe siècle
et jusqu’au début du XVIIe siècle, p. 19-23. Sur la conception de l’Afrique
dans l’Occident médiéval, voir l’étude pionnière de François de Medeiros,
L’Occident et l’Afrique (XIIIe—XVe siècle), Paris, Karthala, 1985.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 159
mâchoires. Parfois aussi, la bête sait se mettre à parler : “je t’en supplie, j’ai
des enfants, je n’ai pas eu le temps de faire quelque chose pour eux ; ne me
tue pas”.
L’individu qui tue le bœuf peut faire un pacte secret avec toi, et te
donner de l’argent pour que tu ne racontes pas ce qui se passe. Il arrive donc
qu’on mange de la viande sans savoir ce qu’on mange. Tu manges des gens
comme toi. Il y a des gens qui savent que la viande n’est pas bonne, ils ne
la mangeront pas. Au vu même de sa couleur, ils le savent. Après avoir lavé
la viande, ils la mettent dans la chaudière, ils voient qu’elle produit de
l’écume. Ils comprennent qu’il faut la jeter.
Au temps de Papadoc (Duvalier-père), les sociétés secrètes étaient plus
dangereuses, plus terribles : elles opéraient ouvertement.
On dit que les chanpwèl protègent des gens. Ce n’est pas vrai. Ils ne
peuvent te protéger, puisqu’il s’agit de quelque chose qui se passe la nuit.
Les chanpwèl ne sortent pas ouvertement pour que tout le monde les voie.
Il y a toujours des gens de la ville parmi les chanpwèl. Les malheureux n’en
font pas partie. Une société secrète est exigeante : si tu n’as pas d’argent,
elle peut prendre ta vie en échange. On dit qu’il y a des gens [179] qui
donnent leurs bras, leurs jambes, ou un enfant. On dit ça, et cela se fait
vraiment. Je connais une voisine qui avait besoin d’argent et qui aimait aller
en consultation chez le bòkò. Un jour celui-ci lui dit : “prends la plus belle
poulette que tu trouves devant ta porte, et apporte-la moi”. Pendant qu’elle
était chez le bòkò et qu’elle terminait la cérémonie, à la maison, sa fille
ressentait peu à peu un malaise et mourait. C’était donc elle que sa mère
sacrifiait sans le savoir. A son arrivée à la maison, elle n’arrêtait pas de
pleurer, elle disait qu’elle cherchait la vie, mais que plutôt elle la détruisait.
J’ai entendu ça et ça se fait vraiment. Le bòkò avait agi de telle manière
que tous les autres enfants de cette dame devaient mourir. Plus ses enfants
meurent, plus elle a de l’argent. Des amis lui avaient dit de ne plus faire
d’enfants, et de ne plus les allaiter au cas où elle en aurait. Le bòkò lui avait
donné quelque chose à boire, pour que tous les enfants qu’elle allaiterait
soient empoisonnés. Son dernier enfant avait été placé chez sa sœur à
Verrettes. Mais il ne devait plus prendre aucun contact avec sa mère, même
pas regarder sa photo. Un jour, la mère rencontre un groupe de catholiques
qui font de l’apostolat. Elle déballe devant eux tout ce qu’elle savait faire
chez le bòkò, toutes les drôles de choses. Elle fait ensuite chercher le curé.
Elle dit qu’elle ne veut plus faire du mal, elle achète de l’essence et met le
feu à tout ce qui évoquait le vodou chez elle”.
261 Willy Apollon. Le Vodou, un espace pour les voix, op. cit.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 166
est dit que les sorciers rendent un culte au diable, ils ne peuvent que
s’engager dans des activités rituelles opposées à celles des prêtres.
L’activité sorcière consiste à boire du sang et à manger la chair
humaine : celui donc qui ose boire du sang, laisse entrer en lui “le
diable” qui ne peut, tôt ou tard que le dévorer, lui et les siens. Le sang,
comme dans de nombreuses tribus d’Afrique noire, est pour le
vodouisant le siège de l’esprit. La référence aux croyances catholiques
de transformation en corps et en sang de Jésus- Christ du pain et du vin,
n’est pas purement analogique : elle vient renforcer tout le système de
croyances dans les pratiques anthropophagiques, tout le système de
pouvoirs sorciers, qui consiste, par la succion du sang, à dévorer l’âme
de l’individu.
c’est sous son régime que les chanpwèl circulent ouvertement la nuit,
comme le signale le récit. Retenons aussi que de toute façon, les mêmes
qui attribuent de tels pouvoirs au Président en exercice, se voient
parfois obligés d’imaginer la confrontation de l’opposant avec le
régime de Duvalier sur la même base de la sorcellerie. Notre
informatrice nous a largement entretenu sur l’incroyable audace d’un
kamokin (tel est le nom donné par le régime à tous les opposants, qui
par le fait même de leur position d’opposant, n’ont plus droit à la vie,
ni à la nationalité haïtienne comme telle), qui n’a pu se tirer de la
persécution des tontons-macoutes, que grâce [190] à ses capacités de se
transformer en fumée, en vent, en animal, ou de se transporter d’un lieu
à l’autre, sans que personne ne puisse s’en apercevoir.
Le problème n’est pas, on le pressent bien, qu’on soit en présence
de “fantaisies” auxquelles s’adonnerait une population crédule et
ignorante. Imaginaire du pouvoir et pouvoir de l’imaginaire se donnent
plutôt d’un seul coup, en sorte que c’est le réel qui viendrait à
s’évanouir, là où cet imaginaire ferait défaut. Dans le discours de notre
informatrice, l’imaginaire n’est précisément pas une expression
distordue du réel.
Sans nul doute, un membre de la société des chanpwèl ne se
reconnaîtrait pas tout à fait dans le récit que nous venons de commenter.
Selon Rachel Beauvoir l’association se considère comme un groupe
d’initiés liés entre eux par un pacte secret et protecteurs des intérêts du
village : elle serait préposée à la lutte contre le vol, contre l’adultère, et
à la solution de différends entre les habitants du village ou entre les
membres chanpwèl, comme une sorte de tribunal. Toutefois, pour se
faire respecter et craindre, ils laissent courir des rumeurs sur leur
pouvoir de sorcellerie. Cependant, cette perspective ne rend pas encore
compte de la problématique de l’imaginaire telle qu’elle apparaît non
seulement dans le discours des vodouisants non-chanpwèl, mais aussi
avec la même force dans celui des membres de l’association. Le récit
de notre informatrice nous offre un mélange de croyances héritées de
l’Afrique et de la sorcellerie européenne appliquée par les colons et les
missionnaires au vodou. Messe noire, invocation du diable, repas
cannibaliques, métamorphoses en animaux, sont des pratiques qu’on
imputait aux sorciers et aux sorcières en Europe au Moyen-Age. Aussi
les bandes de chanpwèl représentent pour notre informatrice une
association de malfaiteurs dont le seul but est de semer la terreur dans
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 172
le [191] village. Pourtant, et c’est cela qui donne plus à penser, les
chanpwèl ne se trouvent point embarrassés à s’attribuer le pouvoir
d’invulnérabilité contre toute sorcellerie, et donc le pouvoir sorcier
proprement dit, comme celui de métamorphoser soi-même ou les autres
en animaux, de provoquer à distance des maladies ou des malheurs
divers (perte du travail, divorce, etc...). Les chanpwèl intérioriseraient
à leur tour l’imputation de sorcellerie qui leur est faite et qu’ils se
laissent faire. En outre, elles revendiquent le pouvoir de réduire un
individu à l’état de zombi. Il y aurait, m’a dit un oungan chanpwèl, des
spécialistes dont les noms sont tenus en secret et qui sont préposés à
“passer” un individu à la zombification. Certes, cette pratique se donne
pour une condamnation que les chanpwèl décident après délibération
entre eux lors de leurs séances nocturnes. Mais ils signalent que cette
condamnation extrême frappe ceux qui dénigrent l’association et ceux
qu’un membre chanpwèl vient “vendre” à l’association. L’on se rend
compte que la figure du chanpwèl, demeure liée, en Haïti, à un
imaginaire, sans doute venu de l’héritage africain, mais non moins
enraciné dans le langage de la diabolisation du vodou (et donc de la
barbarisation du Noir), apparu dès les premiers moments de la Traite,
et qui ne cesse d’avoir des effets dans les pratiques et les discours des
vodouisants eux- mêmes. Il nous faut nous en expliquer davantage, en
replaçant la sorcellerie dans le champ des pratiques du vodou en
général. Mais auparavant, que se passe-t-il du côté des ensorcelés, et
surtout de ceux du genre bien particulier qu’on appelle zombis ?
vois pas. Mon père avait sur sa plantation [194] des travailleurs qui avaient
leurs zombis, et pouvaient terminer en un quart d’heure une tâche qui
demanderait une journée. Il donnait à ces travailleurs leurs repas dans des
gamelles en calebasse. Mais ils les reversaient dans des paquets de feuilles
de bananier. Us frappaient des mains et les zombis venaient prendre leur
nourriture. L’un de ces travailleurs s’était converti et était venu expliquer à
mon père comment il faisait.
Il y a même des couturières qui ont des zombis : ceux-ci vont attirer des
clients pour elle, comme si elle avait un aimant.
Il y a un élève qui n’était pas très intelligent ; sa mère s’est arrangée
pour mettre quelques zombis au bout de sa plume à écrire.
Pour moi, tous les zombis sont pareils.
Tous les morts sont à la même enseigne. Le zombi qu’on n’a pas pris
n’est presque rien, le corps est dans le cimetière et son âme est allée au ciel.
Un type de zombi différent des autres, c’est le mort qui avait trouvé la
mort par noyade, ou encore qui s’était pendu, ou qu’une voiture avait écrasé.
On peut expédier leur zombi sur quelqu’un : celui-là mourra, de la
même façon que la personne était morte. Il y a des morts dont on ne peut
pas prendre le corps. On se contente de leur prendre le zombi. Mais si une
partie du corps est là, on peut encore s’en servir.
Mais moi, je ne vois pas quelle importance à dire : tous les zombis ne
sont pas pareils”.
Je connais le cas d’une jeune femme haïtienne vivant aux Antilles, dont
un groupe de zombis s’est emparé. La jeune femme avait reçu un coup de
couteau au cours d’une altercation avec un voisin. Son propre mari avait été
attaqué par le même individu, et dut subir une intervention chirurgicale.
Mais après quelques semaines il guérit et ses blessures se sont refermées.
Pour la femme cependant, la guérison se faisait plus lente, au point que son
entourage commençait à exprimer une vive inquiétude. Certains amis sont
venus me dire que je dois, comme tout le monde, rendre visite à la jeune
femme. Quand je suis allé, j’ai été très surpris de trouver sa maison investie
d’au moins une quinzaine d’Haïtiens du quartier. Les uns buvaient du rhum,
d’autres pleuraient autour de la malade, étendue raide, les yeux livides, sur
un lit. Elle parlait [197] très peu et poussait de temps en temps quelques
cris. J’ai eu tellement peur que j’ai fait chercher tout de suite un médecin.
Après la consultation, il me dit qu’en principe les blessures sont refermées
et qu’en ce qui le concerne il ne comprend pas tout à fait ce qui se passe. À
la vérité, l’acceptation de la visite du médecin n’était qu’un signe de
politesse. J’apprends le lendemain que la jeune femme se trouvait déjà en
traitement. Un bòkò, membre de sa famille, était venu d’Haïti pour chasser
sept zombis qui avaient profité de sa blessure pour s’infiltrer dans son corps.
Chaque jour, des rites bien spéciaux devaient expulser un ou deux zombis.
Des amis me donnaient régulièrement de ses nouvelles : aujourd’hui, elle a
encore cinq zombis ; le lendemain, trois. Finalement, une dizaine de jours
plus tard, je trouvais la jeune femme rayonnante de santé.
le mort n’a pas d’autre issue que de s’en aller définitivement du monde
des vivants. Le zombi, lui, vit une disjonction impossible. En cela, il est
une menace radicale de subversion de l’ordre humain, par sa position
d’être intermédiaire entre la nature et la culture. En définitive, la
condition de zombi est tellement dangereuse que même si d’aventure il
est délivré et retrouve sa personnalité affective et intellectuelle, il est
encore craint par les siens et par l’entourage.
Peut-on dire que le phénomène zombi en Haïti est une production
de l’imaginaire ? Pour le code pénal, la production de zombi ne fait
aucun doute. Pour les ethnologues et les psychiatres haïtiens, la plupart
du temps, le débat est rapidement clos, quand ils disent : “Les zombis
existent, nous en avons rencontré”. Effectivement, on rencontre des
zombis en Haïti, le phénomène est irrécusable, et en même temps,
jamais on n’aura vu à ce point, au cœur du phénomène, la puissance de
l’imaginaire en travail.
mais ils mangent et travaillent. À vrai dire, cela correspond bien à l’idée
du zombi, âme capturée et servant de “garde”, c’est-à-dire de force
supplémentaire, comme les Iwa (ou esprits du vodou) qui reçoivent des
offrandes (volailles, boissons, etc...) en vue d’accomplir mieux leur rôle
de protecteurs. On peut acheter des Iwa, comme on achète des zombis.
Il y aurait donc un véritable marché de zombis en Haïti, car dès qu’un
grand propriétaire veut s’assurer une prospérité rapide, il n’a qu’à se
diriger chez le bòkò, producteur et non moins propriétaire de zombis.
Même des travailleurs agricoles tâchent de disposer de leurs propres
zombis : “mon père avait des gens habitant les mornes, dit notre
informatrice, qui venaient travailler avec lui : ces gens-là avaient des
zombis”. Toute source d’enrichissement semble à la limite provenir
[201] d’une traite obscure de zombis : “Si tu as de la terre, tu achètes
des zombis”. Des couturières et des élèves s’en procurent également.
On dirait qu’une véritable inflation de zombis se produit, mais qui
renvoie à la pléthore actuelle des associés des bandes de chanpwèl.
On reste donc frappé par cette tendance au glissement d un type de
zombi à l’autre, en sorte que l’imaginaire autour du phénomène zombi
ne cesse jamais de se montrer efficace.
Il serait trop facile de dire que les histoires de zombis sont toujours
à prendre cum grano salis. Non point qu’elles ne soient pas
excessivement sérieuses. Mais elles engagent cette liaison constante
entre l’imaginaire et le réel qui leur confère toute leur importance dans
la vie de l’individu comme de la collectivité. En 1918, on parle d’un
certain Joseph qui propose à l’usine de la Hasco neuf zombis en guise
de coupeurs de canne. Par mégarde, la femme de Joseph leur donne de
la nourriture contenant du sel. Ils se réveillent tous aussitôt de leur état
léthargique, courent à travers les montagnes et rejoignent leur village.
Identifiés par leurs parents, ils prennent encore la fuite, retrouvent leurs
tombes, grattent la terre, se font cette fois morts pour de vrai 266.
On reproche à des auteurs américains des années 1920, comme
Seabrook, friands d’histoires de zombis et de sorciers, d’en rajouter
dans les récits qu’ils ont livrés. Il est certain qu’ils en rajoutent, mais
tout laisse entendre que c’est sur la toile de fond des rumeurs déjà en
circulation sur les zombis. Celles-ci ont eu une telle efficacité, raconte
Seabrook, que de nombreuses personnes se sont réunies autour du
Ce qui nous frappe, c'est la reprise à la lettre des récits offerts par
ceux-là même qui revendiquent avoir été zombis, non seulement dans
les informations diffusées par la presse haïtienne, mais aussi dans les
tribunaux. Nous reproduisons ici in-extenso, la déclaration de Clervius
Narcisse, parue dans les minutes du Greffe du Tribunal de Paix de la
localité de l’Estère.
Voir document page suivante.
Tout d’abord, cette déclaration paraît tout à fait banale aux yeux du
pouvoir judiciaire, puisque, de toute façon, le
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 182
[204] [205]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 183
[206]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 184
[207]
code pénal reconnaît l’existence des pratiques de zombification,
comme traditionnelle dans le cadre du vodou. Ainsi le suppléant-juge
de Paix et le greffier peuvent, sans être troublés, recevoir la déclaration
de Clervius Narcisse “décédé le 3 mai 1962 et retourné en ce monde le
18 janvier 1980”, puis procéder à ce qu’ils appellent “l’interrogatoire
du Revenant.”
Narcisse raconte qu’il meurt en 1962, à la suite d’une courte maladie
à l’hôpital, mais que trois jours après son inhumation, il est réveillé par
le oungan, Joseph Jean, grâce à des potions magiques, puis ligoté et
emmené sur la propriété du oungan. Là, Narcisse trouve 251 zombis au
travail, et il est désigné comme leur “contrôleur”. Deux ans après, un
zombi particulièrement maltraité se révolte et au cours de sa querelle
avec le oungan, finit par le tuer d’un coup de hache sur la nuque. Cette
révolte devient contagieuse, au point que la femme de Joseph Jean
décide de donner de la nourriture salée à tous les autres zombis. Ceux-
ci sont libérés ; mais pour eux c’est une longue errance à travers tout le
pays, qui commence. De son côté, Narcisse reconnaît avoir été
transporté par la police à l’Asile du Cap-Haïtien, où il a pu recevoir des
soins. Une fois guéri, il part vivre dans la commune de Milot ; il se
donne un nouveau nom et se marie.
Comparons maintenant le récit de Narcisse à celui d’un zombi au
nom d’Obanis, tel que le Petit Samedi soir du 19 février 1982 le
rapporte. Censé être mort le 13 octobre 1977, Obanis est retrouvé,
seulement six ans après soit le 19 février 1982, à la suite d’une longue
errance. Il raconte que le jour il était transformé en bœuf par son
propriétaire et que, la nuit, il redevenait un être humain. Sa libération
est due, comme dans le cas de Narcisse, à l’intervention de la femme
du oungan. Celui-ci une fois mort, elle avait décidé de se débarrasser
de tous les zombis possédés par son mari. Faudra- t-il encore rapprocher
ces deux récits mentionnés plus haut [208] de l’histoire du célèbre
oungan à l’étrange nom de Rozanfè, passé pour un spécialiste en
production de zombis, et dont la mort a été l’occasion de la libération
de tous les zombis de son ounfò. Dans le récit de notre informatrice,
c’est à nouveau la femme du oungan qui choisit d’inviter les zombis à
partir rejoindre leurs familles.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 185
268 Maximilien Laroche relève, dans L‘Image comme écho, Montréal, Ed.
Nouvelle Optique, 1978, (pp. 179-206) l’importance du personnage du zombi
comme mythe réemployé fréquemment dans la littérature haïtienne. Voir
Frankétienne, Les Affres d’un défi, Port-au-Prince, 1978.
269 Cf. Pierre Bonnafé, “Objet magique, sorcellerie et fétichisme”, in : Nouvelle
Revue de Psychanalyse, N° 2, Automne 1970, p. 170.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 189
[215]
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre VII
L’INTERVENTION
DES ESPRITS
[216]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 191
[217]
277 Laura Levi Makarius, Le Sacré et la violation des interdits, Paris, Payot, 1974,
p. 239- 243. Sur le rôle de Legba en général, voir aussi Léo Frobénius,
Mythologie de l’Atlantide, Paris, 1949 ; M.J. Herskovitz, Dahomey, an
ancient West African Kingdom, 2 vol., op. cit. ; et surtout Roger Bastide, Le
Candomblé de Bahia (Rite Nago), La Haye, Mouton, 1958, p. 148 ss.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 199
les carrefours des villages, aux portails des ounfò et des habitations
rurales, comme le legba des Dahoméens 278.
Dans son enquête sur les métamorphoses de Legba et d’Eshu dans
les Amériques noires, Roger Bastide découvre que pour l’essentiel
l’identité de ces “esprits” est sauvegardée. Au Brésil par exemple, Eshu
est encore lié à la divination, en tant qu’interprète de la volonté des
orixa et des vodou. À Cuba, il est mis, comme en Haïti, en
correspondance avec Saint Pierre, et est gardien de la barrière qui
sépare le monde des humains de celui des “esprits”. Les liens entre
Legba et les pratiques de magie et de sorcellerie sont tellement forts
[227] qu’on tend parfois au Brésil à identifier Legba avec le diable. En
fait, souligne R. Bastide, ce dualisme n’a pas prévalu, car les membres
des candomblés le contestent. L’influence du christianisme qui a
répandu l’idée d’Eshu essentiellement diabolique a quand même
conduit certains adeptes à redouter le contact avec lui 279. Dans le cadre
du vodou haïtien, Legba n’a pas cependant un tel sort. Mais comme
maître des carrefours qui traditionnellement sont des hauts lieux de
pratiques de magie et sorcellerie, Legba doit donner au préalable son
autorisation à ces pratiques pour qu’elles opèrent avec efficacité...
Ce même rôle est rempli par le lwa qui s’appelle Baron- Samedi,
chef de file de la famille des Gédé (“esprits” des morts) vénéré par tout
vodouisant pour se défendre contre les mauvais sorts ou pour se venger
d’un ennemi. Les croix situées à l’entrée des cimetières sont les
résidences de Baron-Samedi.
Il y aurait donc des forces dangereuses prêtes à s’introduire dans le
vodou mais que le vodou tenterait continuellement de repousser vers
ses frontières.
Ni excroissance du vodou, ni abâtardissement du religieux sous
l’effet des angoisses et des peurs devant l’inconnu et l’inexplicable, la
280 Marc Augé, Théorie des pouvoirs et idéologie, op. cit., p. 104.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 201
283 Meyer Fortes, Oedipe et Job dans les religions ouest-africaines, Tr. R.
Renaud, Paris, Mime, 1974, p. 116.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 203
284 Pour plus de détails, voir Bernard Maupoil, La Géomanie à l’ancienne Côte
des esclaves, Paris, Institut d’Ethnologie, 1981, p. 378 ss.
285 Pierre Verger, “Notion de personne et lignée familiale chez les Yoruba”, in
La Notion de personne en Afrique Noire, coll. interne du C.N.R.S., Paris 1971,
Ed. du C.N.R.S., 1973, p. 66.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 204
[233]
[234]
telle ou telle démarche.
La pluralité des identités spirituelles (Iwa, petit bon ange, gros bon
ange) qui sont liées au destin de l’individu, lui permet de pouvoir vivre
sous des noms divers. Ainsi, on peut à la naissance recevoir un prénom
secret qui ne sera pas impunément divulgué en dehors de la famille. La
pratique courante des surnoms en Haïti est à rattacher à ce principe du
secret. On comprend dans ces conditions, pourquoi on garde une
certaine liberté par rapport aux actes d’état-civil (naissance, mariage) :
ceux-ci sont destinés à l’extérieur, c’est-à-dire à “l’étranger”, et on peut
alors assumer n’importe quel prénom. L’identité véritable doit rester
secrète, car connaître le prénom de l’individu, c’est en même temps
pouvoir exercer un maléfice contre lui. C’est que le prénom secret est
en relation étroite avec le petit bon ange.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 206
rencontres, soit avec des “esprits” mauvais, soit avec des forces
expédiées par des sorciers. [237] À la fin de ses fréquentes aventures,
il peut lui arriver de musarder sur le chemin du retour. Cette versatilité
du petit bon ange est aussi le point de vulnérabilité de l’individu. Que
ce soit donc à la naissance ou du vivant de l’individu, que ce soit au
moment du décès, on multiplie les activités de protection du petit bon
ange, contre sa capture éventuelle par des “sorciers”.
Une articulation entre différents principes spirituels qui suppose
bien un destin fixé à l’avance pour l’individu mais aussi la possibilité
d’acquisition de forces pour affronter les événements heureux ou
malheureux, ainsi se présente la théorie de la personnalité dans le
vodou. S’il n’est pas possible de modifier le destin comme tel, la
connaissance de celui- ci est donnée comme une tâche, une quête
mystique à proprement parler et met à l’abri du plus grand malheur qui
soit : celui d’être une entité à la dérive, pur jouet de forces inconnues.
On ne peut donc se contenter d’appliquer les strictes oppositions en
cours dans la tradition philosophique occidentale entre réel/ imaginaire,
sujet/ objet, nature/ surnature, individu/ collectivité. L’ordre des
puissances (de nature symbolique) tantôt bonnes, tantôt mauvaises,
représente une part du réel lui-même, et non une interprétation
idéologique après coup et l’individu ne se comprend pas comme entité
séparée et en opposition à la collectivité.
Chacun des principes spirituels correspond à une valeur de position
de l’individu dans la société. Ainsi, par exemple, c’est le lwa-rasin
(c’est-à-dire le lwa hérité de la famille) ou le lwa-met-tèt (le lwa attaché
à la direction de la vie entière, grâce à l’initiation) qui double le petit
bon ange et lui assure une protection. Cela signifie tout d’abord que le
petit bon ange est un principe spirituel qui n’a rien d’un ange gardien.
[238]
Il a toute l’apparence d’être ce que l’individu a de “propre”. Mais
précisément, ce “propre” appartient si peu à l’individu qu’il peut s’en
passer ; dans certaines occasions, le petit bon ange est extrait de
l’individu et déposé, pour protection, dans des bouteilles, ou des pots,
à l’intérieur d’un ounfo. De même, pendant l’épiphanie d’un lwa, le
petit bon ange s’efface et lui laisse la place. À la mort de l’individu, le
petit bon ange rejoint le monde des “esprits” sous les eaux, et l'idéal
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 209
pour l’individu est la transformation du petit bon ange, un peu plus tard,
en génie tutélaire à son tour 288.
Quant au gros bon ange, il fait partie, me dit un oungan, des
“accessoires” qui maintiennent l’individu en vie. Certes, perdre le gros
bon ange c’est mourir. Mais cette mort est moins redoutée que la
capture du petit bon ange qui conduirait l’individu à l’errance ou à une
vie dépourvue de significations, c’est-à-dire dégagée des liens sociaux
qu’assurent les lwa. Plus exactement, l’individu est toujours d’entrée
de jeu, subsumé sous son statut social. E. Ortigues a raison de souligner
que c’est là une conception théâtrale de la personnalité, car elle “inscrit
les impératifs sociaux dans le vocatif (le nom et le destin) de chaque
individu en effectuant la mise en scène juridico-rituelle de sa présence
dans la communauté” 289.
Attribuer une attitude nécessairement fataliste au vodouisant face au
lwa, ou tenir à priori tel lwa pour plus révolutionnaire que d’autres, ce
serait se laisser aller à son propre imaginaire sur le vodou, c’est-à-dire
interpréter le système de lwa comme un ordre purement idéologique.
Les [239] lwa constituent un système symbolique jamais clos sur lui-
même et toujours en transformation, avec lequel le vodouisant établit
les stratégies les plus diverses : il choisit tantôt le fatalisme, tantôt la
contestation, ou le doute, et même la provocation des lwa par le rire. Il
choisit aussi l’initiation mystique à la sagesse des lwa. Des
modifications et des ajustements continuels se manifestent dans le
panthéon vodou comme dans les attitudes rituelles. L’exigence de
créativité continuelle est toujours à l’œuvre. Mais l’ordre symbolique
des lwa dépossède l’individu de lui-même en se présentant comme le
seul garant de son existence. Autrement dit, toute dérogation au rapport
avec les lwa voue l’individu à l’individualité comme telle, c’est-à-dire
le rend vulnérable à une persécution en retour par les lwa ou par “les
autres”, les sorciers. À l’avance, en quelque sorte, c’est le mal qui est
compris comme émergence de l’individu hors de la position qui lui est
297 Luc de Heusch, Pourquoi l’épouser ?..., op. cit., pp. 250-253, sur la maladie
comme “signe de l’action intempestive des dieux”.
298 Ch. Preneuf et H. Baro : “L’homme qui fait pleurer les arbres”, art. cit., p.
450.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 216
300 Sur l’initiation en Afrique noire, voir la synthèse de L.V. Thomas, “Société
africaine et société mentale”, in Psychopathologie africaine, vol. Vol. N° 3,
1969, p. 373 ss. ; et dans son Anthropologie de la mort, op. cit., p. 444 ss.
301 W. Apollon, Le Vodou : espace pour les "voix”, op. cit.. p. 231.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 219
métaphoriques du petit bon ange qui est déposé dans un pot, appelé po-
tèt. Il s’agit de mettre à l’abri le petit bon ange pendant que de son côté
le lwa se lie de façon permanente à la tête du néophyte qui va se
transformer peu à peu en ounsi c’est-à-dire littéralement en l’épouse du
lwa.
Une cérémonie dite du boulé-zin, qui parfois précède la fin de
l’initiation, a pour but de passer le néophyte par l’épreuve du feu. Il
devra tremper la main gauche ou le pied gauche dans les flammes qui
sortent de pots enduits d’huile, servant à réchauffer les lwa et à
augmenter leur force.
On retrouve dans le rituel de l’initiation la pratique
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 222
[253]
Les différentes positions du petit bon ange, du gros bon ange et des IWA.
[254]
extrêmement délicate qui consiste à déplacer le petit bon ange et à le
confier à la garde du oungan qui ainsi obtient un pouvoir sans limite sur
le corps de son novice. La proximité de celui-ci avec la condition du
zombi, du moins pendant les premiers jours de la réclusion est sans nul
doute plus évidente. Car on devient zombi quand on est dépourvu de la
protection des Iwa et du petit bon ange. Le rite symétrique et inverse
de l’initiation s’appelle, on se souvient, désounen : il revient à
déposséder l’initié du Iwa lié à sa tête (par le lavé-tèt) et à son petit bon
ange, pour que ce dernier puisse suivre un itinéraire sûr qui le conduise
à devenir plus tard, par-delà la mort, un génie tutélaire au service de ses
descendants. A vrai dire, tout vodouisant est préoccupé de ce destin
post-mortem du petit bon ange. Il lui faut pour cela être assuré qu’à
aucun moment de sa vie, le petit bon ange ne soit livré au pouvoir d’un
“malfaiteur” quelconque, donc d’un sorcier. Au moment de la mort, le
petit bon ange connaît une excessive fragilité : il cherche, une fois
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 223
séparé du corps, à se fixer n’importe où, le plus tôt possible. Il est censé
rôder encore autour de la maison, sorciers ou oungan pouvant le
capturer soit pour en faire un zombi, “esprit” pouvant être expédié dans
le corps de quelqu’un d’autre (c’est le premier type de zombi dont
faisait état le récit commenté au chapitre 6), soit pour transformer le
mort lui-même en mort-vivant en chair et en os, c’est-à-dire en zombi
pouvant être soumis au travail comme esclave sur des plantations. Dans
le second cas, le malfaiteur va au cimetière déterrer le cadavre juste
après l’inhumation, puis le réveiller en le faisant suivre de son petit bon
ange ou plus exactement en le téléguidant par la bouteille dans laquelle
préalablement le petit bon ange a été déposé. Il existe différentes
méthodes pour soustraire le mort à un tel sort : par exemple coudre sa
bouche pour qu’il ne réponde pas à l’appel du “malfaiteur” qui l’attire
par son petit bon ange, ou tuer pour de vrai l’individu dont la mort est
supposée apparente. Dans tous les cas, une bonne partie des rites
mortuaires consiste [255] en général à produire une seconde mort au
mort, afin que la séparation des éléments de la personnalité individuelle
se produise en bon ordre et qu’en particulier le petit bon ange finisse
par partir de la maison.
Ainsi donc, dans l’initiation comme dans la possession et le mariage
mystique, l’action du lwa revient à se substituer au petit bon ange qui
doit alors s’écarter de la tête de l’individu. Cette mobilité du petit bon
ange est aussi sa fragilité. Toute opération de sorcellerie visera à voler
le petit bon ange (par quoi l’individu peut être transformé en zombi ou
en mort-vivant), ou à l’expulser en introduisant dans le corps de la
victime d’autres “esprits” : des âmes de morts ou des Iwa
particulièrement méchants, capables d’entraîner son dépérissement
progressif. En revanche, avoir son petit bon ange à l’état incontrôlé et
incontrôlable, ce serait l’exposer soit à des rencontres dangereuses avec
n’importe quel Iwa aux appétits insatiables, soit à une quête continuelle
de fixation sur n’importe quel autre individu.
Tout semble se passer comme si l’aventure du vodouisant
s’inscrivait entre la possibilité d’être en position de mangeur (au sens
où il peut être lui-même sorcier, donc dévorateur des autres au cas où il
n’accomplit pas la procédure de soumission (reconnaissance) au Iwa
garant du petit bon ange, et en position de mangé (au sens où il peut
être victime soit du Iwa aux appétits insatiables, soit d’un sorcier qui
pourrait subtiliser son petit bon ange non protégé ou y introduire un
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 224
[257]
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre VIII
LE DÉPLOIEMENT
DE LA SORCELLERIE
OU LE RETOUR DU MAÎTRE
Confession de sorcellerie à
Bregbo — Côte d’ivoire —
dans Prophétisme et Thérapeutique
(Paris, Ed. Hermann, 1975, p. 148)
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 226
[258]
[259]
1. De la magie à la sorcellerie :
une seule matrice
L’opposition wanga/baka
305 Aspect de la sorcellerie bien mis en relief par Jeanne Favret dans Les mots, la
mort, les sorts, op. cit., p. 39.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 230
[264]
Il arrive qu’avant même de consulter un oungan, on repère déjà le
sorcier. On lui remet alors directement le malade qu’on dit ensorcelé,
et le présumé sorcier est mis en demeure de le guérir.
Mais qui peut être accusé de sorcellerie dans le cadre des croyances
du vodou en Haïti ? En acceptant ici la formule de Marc Augé, à savoir
qu’il y a “toujours plus de soupçonnés que d’accusés”, je montrerai en
même temps les difficultés que soulève une interprétation de la
sorcellerie dans les seuls termes d’une idéologie de reproduction du
pouvoir politique.
On commence souvent par porter le soupçon sur la mère, quand il
s’agit d’un enfant en bas âge, présumé victime de sorcellerie. Dans le
récit que nous avons commenté au chapitre 6, une mère était censée
“manger” tous ses enfants l’un après l’autre, au point que les membres
de sa famille ont dû lui retirer la garde du dernier enfant. Les belles-
mères, mais aussi les femmes vieilles et célibataires, vivant seules dans
leur maison sont facilement aussi tenues pour des loups-garous. C’est
sans doute le soupçon jeté sur la mère qui conduit le oungan à orienter
ses investigations en faveur d’un ensorcelé d’abord sur les proches,
assimilés à la famille élargie, et sur les membres de la famille
maternelle. Les problèmes d’héritage, de jalousie, d’empiétement de
“l’autre” sur son propre espace sont parfois des occasions qui réveillent
le soupçon de sorcellerie au sein de la famille et dans le voisinage
immédiat. L’affection qu’une femme du voisinage peut manifester
envers un enfant ne doit jamais paraître excessive, la règle de
bienséance veut qu’on ne dit pas d’un enfant nouveau-né qu’il est très
beau : un loup-garou est censé toujours se montrer excessivement
affectueux. Mais très souvent, on croit que seule la mère de l’enfant dit
ensorcelé “ouvre [265] le passage” au loup-garou en lui opposant une
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 232
trop faible résistance 307. La certitude que la mère ne livrera pas son
enfant au loup-garou est obtenue parfois dans un rite qui consiste en un
dialogue entre la mère et la femme-sage, juste après l’accouchement,
au moment des bains de protection reçus par l’enfant. “Qui veut ce
petit” ? dit la sage-femme. Et la mère doit répondre : “c’est moi”. Sans
doute, peut-on voir ici un raccourci du rite du markiagu, accompli par
les Gourmantché de Haute Volta et que Michel Cartry a si bien
décrit 308. Au cours de ce rite, la sage-femme, représentant du lignage
de l’enfant, renonce à regarder le placenta avant que le père pose son
propre regard et dise le sexe de l’enfant. Autrement, celui-ci pourrait
être plus tard frappé de cécité : il serait victime d’une capture par la
mère, puisqu’aucune médiation n’existerait entre elle et l’enfant.
En Haïti, le petit bon ange du nouveau-né, on s’en souvient, connaît
une situation instable, et s’accroche au placenta jusqu’à ce que celui-ci
soit enterré ; mais, qui plus est, le petit bon ange attend de recevoir la
protection des Iwa, seuls capables de garantir à l’enfant la condition d’un
être humain à part entière. C’est donc pour cela que le nouveau-né
s’expose à la dévoration par la mère, dès lors que les Iwa viennent à faire
défaut comme termes séparateurs entre eux.
Le modèle du loup-garou étant la mère, on peut se demander si la
logique du rapport primordial à la mère n’est pas à l’œuvre dans le
regard tendre et affectueux, mais fascinant, que le loup-garou est censé
poser sur l’enfant. Beaucoup d’Haïtiens attribuent souvent au regard
des adultes sur les enfants un pouvoir dévorateur, et en sens inverse aux
enfants nés coiffés du pouvoir de détecter à l’avance les actes de
sorcellerie.
[266]
Pourquoi, cependant, est-ce fréquemment la femme, la première, à
laquelle on est enclin à attribuer le pouvoir de sorcellerie ? Sans doute,
peut-on rapporter à la phase de la relation pré-génitale orale de la
relation mère-enfant le fantasme de dévoration propre à la sorcellerie,
l’enfant dévorateur de la mère se voyant à son tour dévoré par elle.
Comme si l’activité de sorcellerie décollait souvent à partir d’un désir
307 Alfred Métraux rapporte cette information dans Le Vodou haïtien, op. cit., p.
268.
308 Michel Cartry, “Les yeux captifs”, in Systèmes de signes, op. cit., 79-110.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 233
309 Alfred Adler : “Le pouvoir et l’interdit. Aspects de la royauté sacrée chez les
Moundang du Tchad”, in Système de signes, op. cit., p. 39 ; Luc de Heusch,
“Pouvoir de la sorcellerie, sorcellerie du pouvoir”, art. cit., pp. 145-146 ; de
Heusch développe cette hypothèse dans plusieurs autres articles et ouvrages,
dont Le Roi ivre, ou l’origine de l’État, Gallimard, Paris 1972.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 235
312 Norman Cohn, Démonologie et sorcellerie au Moyen-Age, op. cit., pp. 150-
157.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 241
313 Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, op. cit., p.
577.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 242
314 R. Bastide signale que dans le cadre du caudomblé au Brésil, il existe une
société secrète qui s’appelle “la soirée des Egun” où l’on demeure prisonnier
de la loi du secret une fois que l’on devient adepte. Des assassinats sont
parfois attribués à la secte. Bastide a pu “vérifier que la peur des Egun est
extraordinairement forte, même en dehors des adeptes”, Le candomblé de
Bahia, op. cit., p. 121.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 243
315 Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, op. cit., pp.
578-589.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 244
ne concerne pas le monde rural auquel seules des bonnes œuvres sont
allouées. Or, dans un même moment, les ressources de l’État, pour
l’essentiel, la richesse des gros commerçants des bords de mer, les
moyens d’éducation des couches urbaines s’appuient sur la
dépossession continuelle des paysans 318 (petits propriétaires et salariés
agricoles) qui produisent les denrées principales d’exportation (le bois
de campèche, puis le café au XIXe siècle). Jusqu’au début du siècle,
cette paysannerie parvient, tant bien que mal, non pas à faire entendre
sa voix, mais à survivre. À partir de 1915, c’est-à-dire avec l’occupation
américaine, l’espace se centralise, les pratiques d’expropriation et de
contrainte à la corvée sont devenues plus violentes, en vue d’une
canalisation totale du commerce extérieur vers les États-Unis. Les villes
périclitent, le lakou [281] subit un émiettement progressif, et la pression
démographique aidant, l’exode rural s’inaugure. La capitale s’emplit de
centaines de milliers d’errants, sans abri et sans travail. Quelques
débouchés s’offrent : ce sont, vers les années 1930, les grandes
plantations de canne à sucre en République Dominicaine et à Cuba, où
les paysans sont conduits comme de nouveaux esclaves. L’on découvre
enfin que plus d’un million et demi de paysans ne reçoivent que 7% de
terre cultivables. Une parcellisation extrême de la propriété amène à un
système de subsistance. Des noyaux de résistance, comme des bourgs-
jardins 319, les compagnonnages, les circuits de vente-production
vivrière préférentiels, des marchés de trottoirs, s’établissent. Mais ils
n’évitent pas la famine. La tragédie des boat-people en route pour les
îles voisines dans l’espoir d’atteindre la Floride atteste qu’un point de
non-retour est atteint dans la crise de la paysannerie haïtienne 320.
L’ensemble des contrôles tissés autour de la paysannerie depuis
deux siècles, en continuité avec le système esclavagiste, rend compte
318 Pour une analyse du système d'exploitation des paysans, voir C. Girault, Le
commerce du café..., op. cit., et plus récemment le diagnostic sans concession
de Jacques Barros sur l’évolution économique et sociale du pays, dans Haiti,
de 1804 à nos jours, T. I et II, Ed. L’Harmattan, Paris, 1984.
319 Georges Anglade, Atlas critique d’Haïti, op. cit. : “Une relecture de l’habitat :
les bourgs-jardins”, pp. 38-41 ; de même, son article “Sur la pertinence de
l’échelle de la régionalisation : le cas d’Haïti, in The Canadian Journal of
Regional Science, vol. VIII, été, 1985, pp. 135-154.
320 Voir les conclusions pessimistes de Mats Lundhal dans Peasants and
Poverty : a study of Haiti, op. cit., pp. 616-618 ; voir aussi notre article “La
fuite du peuple haïtien”, in Les Temps Modernes, sept. 1982.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 246
Réel et imaginaire
dans la production des zombis.
322 Norman Cohn, Démonologie et sorcellerie au Moyen Age, op. cit., p. 138-
147.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 249
ci est bien un individu drogué par une substance toxique qui réduit le
métabolisme au point d’entraîner la mort apparente. Les zombis,
ajoute-t-il, “sont des personnes bien connues dans la communauté...
Elles ont été alors enterrées et nous avons toutes les pièces...” 323 De
son côté, Gérard Saint Yves déclare que la zombification se produit
sous l’égide du régime duvaliériste au mépris du Code Pénal haïtien, et
devient même “l’institution haïtienne la plus puissante” 324.
On pressent les conséquences de telles interprétations du
phénomène-zombi : les oungan désorceleurs sont transformés en
ensorceleurs, et comme tels sont passibles des peines prévues par le
Code pénal. L’appel aux pratiques inquisitoriales contre le vodou se
donne ici comme témoignage de progressisme, en relançant les
préjugés diffusés au XIXe siècle par les récits des voyageurs européens
et américains sur les rapports essentiels entre vodou, sauvagerie,
cruauté et despotisme : le duvaliérisme, dictature sanguinaire, serait là,
avant la lettre, dans l’être même du vodouisant. Plus exactement, le
vodou demeurerait à la source du despotisme duvaliériste comme de la
production des zombis, parce qu’il abrite une population “bloquée, dit
Gérard Saint Yves, dans [286] un stade animiste” 325. Crédulité, délire,
folie caractérisent alors le vodou qui devient la porte ouverte à toutes
les bizarreries et à toutes les cruautés. Nature ou pure proximité à la
nature d’où la raison n’a pas encore émergé, le vodou devait être aussi
l’ordre cannibale et zombificateur. De là on déclarera que sa pratique,
par simple goût de la cruauté, draine un immense trafic de zombis du
Nord au Sud de l’île. Des journalistes affirment l’avoir “établi par
enquête”. Il a fallu pour cela être aveugle à la puissance de l’imaginaire
en travail dans la production des zombis, et se rendre sourd aux récits
offerts par les zombis en chair et en os. Mais l’imaginaire chassé par
une porte reparaît par une autre pour attribuer aux oungan les
connaissances les plus sophistiquées, dont celle de la dose exacte du
poison à administrer à la victime et du contrepoison qui la réveillera.
De même, on admettra que les zombis devront travailler 12 à 14 heures
par jour pendant de longues années, sur de vastes plantations, sans une
seule fois recevoir un aliment salé. Une pincée de sel les réveillerait. Ce
n’est pas le moindre exploit qu’on attribue aux oungan : pour se faire
obéir mécaniquement, ils parviennent à maintenir leurs victimes dans
un état conscient, disjoint de la volonté.
Mais surtout, que faire du mélange inextricable de réel et
d’imaginaire apparu dans les récits des zombis ? Opérer un choix entre
schizophrènes catatoniques et zombis réels ? La statistique elle-même
est handicapée. Les 250 zombis libérés en même temps que Narcisse,
se volatilisent sans laisser de traces. Il en était ainsi en 1941, lors de la
campagne antisuperstitieuse : de nombreux zombis, disait-on, se sont
échappés des cases des ounfò, saccagées par les gendarmes et les prêtres
catholiques. On pouvait effectivement voir des zombis en chair et en
os, d’autant plus que les ounfò servent [287] souvent d hôpitaux pour
des malades jugés souvent incurables, et pratiquement tenus pour morts
ou disparus. C’est pour cela qu’un zombi n’a aucune objection à se
laisser revendiquer par n’importe quelle famille. Le cas du zombi
Obanis Pierre est on ne peut plus éloquent. D’abord on découvre qu’il
s’appelle également André Val, la famille Val ayant déclaré qu’il a été
mis à l’asile à cause de ses l‘troubles mentaux”, puis qu’il a disparu.
Obanis Pierre devenu André Val “donne l’air d’avoir retrouvée 326
frères et sœurs du nom Sur ces entrefaites arrive la famille Pierre, avec
les mêmes prétentions sur le zombi comme étant l’un des siens, décède
et inhume dans la localité de Thomazeau située près de la capitale.
L’affaire de sorcellerie devait finalement rebondir entre les deux
familles, l’une soupçonnant l’autre d être l’auteur de ce cas de
zombification.
326 Voir le récit du Petit Samedi Soir, N° 44, Port-au-Prince 13-19 février 1982,
p. 9 : “Obanis Pierre est-il un zombi ?”
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 251
330 Carlo Ginzburg, Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires aux
XVIe et XVIIe siècles, Tr. G. Charuty, Flammarion, Paris, 1980, surtout pp.
161-215.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 253
331 Julio Caro Baroja, Les Sorcières et leur monde, op. cit., p. 131 ss.
332 Voir le récit de Francis Huxley sur le vodou, The Invisibles, London, Rupest
Hart-Davie, 1966, p.77.
333 E. Wade Davis, “The ethnobiology of the haitian zombi”, in Journal of
Ethnopharmacology, 9 (1983), 85-104 : cette thèse est développée plus
amplement dans le récit qu’il a publié : “The Snake and the Rainbow”, op.
cit.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 254
3. Le zombi
et l’idéal du maître-esclavagiste.
plantations. Pour Eric de Rosny, c’est sur toute la côte sud du Cameroun
qu’on rencontre la croyance dans le rapt possible du double d’un
individu pour le vendre ensuite à des sorciers 337. Les corps des
victimes restent encore dans leur lit, explique-t-il, elles sont
apparemment mortes, et la famille les enterre. Le sorcier ou gangan —
on peut remarquer la parenté linguistique avec le oungan ou gangan
d’Haïti — ramène la victime de la tombe à l’aide de gris-gris, puis le
destine au travail sur des plantations. Une société secrète de sorciers
appelée Ekong, dans laquelle on retrouvait des commerçants, des
notables, se livrait autrefois à cette pratique. Mais elle avait encore une
forme modérée. Aujourd’hui, dit-on, un plus grand nombre de petites
gens rejoint, cette société, et la rumeur de l’Ekong se répand avec une
force inhabituelle, au point qu’il devient difficile de compter le nombre
des victimes. Elles sont rassemblées sur une montagne, mais ne peuvent
les voir que les personnes nées coiffées et donc disposant d’une double
vue. Il arrive de temps en temps que l’une d’entre elles réussisse à
s’échapper. Eric de Rosny a pu voir un de ces revenants de la montagne
dont l’histoire nous ramène au cœur des récits de zombis haïtiens,
présumés rescapés des plantations 338. Le revenant en question est
censé être mort et enterré, il y a trente ans. Douala vendu à des
commerçants Haoussa, il tient aujourd’hui une petite boutique dans leur
marché. Interrogé par Eric de Rosny, il soutient qu’on raconte des
histoires à son sujet, mais que dès l’âge de sept ans, il était parti à
l’étranger, devenait musulman et voyageait de ville en ville. Pourtant
les amis Douala préféraient s’accrocher à la version du rapt par les
commerçants Haoussa. Mais non sans de profondes raisons, dont
précisément le légitime soupçon porté sur l’enrichissement rapide de
quelques-uns au milieu d’une [294] population réduite chaque jour
davantage à la misère. L’hypothèse que soutient Eric de Rosny, d’une
parenté entre la traite des esclaves et l’actualité de la croyance à
l’Ekong reçoit un appui supplémentaire dans le cadre des rapports
sociaux en Haïti, où les marques de l’esclavage sont encore toutes
brûlantes. L’économie de la dégradation dont nous parlions plus haut
se donne à voir dans le réel quotidien sous des traits déjà macabres.
Pratiquement, pourrait-on dire, la figure du zombi apparaît en filigrane
derrière la foule de domestiques, enfants donnés ou abandonnés à toutes
337 Eric de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, Plon, Paris 1981, pp. 89-101.
338 Ibid., pp. 415-417.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 257
339 Voir pour plus d’informations Jacques Barras, Haïti, de 1804 à nos jours, T.I,
op. cit., p. 89 ss : “Les effets de la précarité : un peuple en détresse".
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 258
Ceux qui ont des yeux pour ne pas voir cherchent et trouvent des
drogues et des produits toxiques. Le sorcier-cannibale semble bien être
à l’œuvre dans la structure même des rapports sociaux issus de
l’esclavage ou de l’économie de traite en Haïti : comme fantasme de la
barbarie projetée par le maître sur l’esclave, et dont le “maître” recueille
aujourd’hui tous les bénéfices à la fois dans les revendications et
confessions de sorcellerie et dans les récits de zombis.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 260
[297]
Le barbare imaginaire.
CONCLUSION
L’ALTERITÉ
ET LE PARADIGME DU LOGOS
[298]
[299]
“Tandis qu’ici la mort d’un nègre ne coûtait rien au trésor public : tant
qu’il y aurait des nègres pour faire des enfants — il y en avait, il y en aurait
toujours —, il ne manquerait pas de travailleurs pour apporter des briques
sur le sommet du Bonnet-de-l’Évêque” 342.
345 Hans-Peter Duerr, “Uber die Grenzen einer seriösen Völkerkunde — oder :
können Hexen fliegen”, in Grundfragen der Ethnologie, Beiträge zur
gegenwärtigen Theorie Diskussion, Dietrich Reimer Verlag, Berlin, 1980, pp.
323-334.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 264
357 Voir les réflexions de Philippe Laburthe-Toba sur la sorcellerie, dans son
ouvrage Initiations et sociétés secrétes au Cameroun, Essai sur la religion
Beti. Paris, Karthala, 1985, surtout les pp. 59-121.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 274
[316]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 275
[317]
Le barbare imaginaire.
GLOSSAIRE
Potèt (pots de tête) pot contenant cheveux, poils, ongles d'un initié
[318]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 277
[319]
Le barbare imaginaire.
INDEX GÉNÉRAL
Cannibalisme : 92, 97, 98 ss, 116, 147, Dévoration : 243, 246, 265, 271, 272,
152, 226, 272, 274-275, 290, 288.
301, 312. Dhormoys, P. : 96.
Caraïbes : 6, 150. Diable : 82, 85, 94, 149, 227, 240,
Candler, J. : 93. 290, 295.
Cartry, M. : 265. Dictature : 25
Carpentier, A. : 297. Diederich, B.: 69.
Casgha, J.H. : 7. Divination : 263.
Certeau (de) M. : 21, 26, 135, 155, Dieterlen, G. : 235.
308. Dorsainvil, J.C. : 92, 104.
Douillon, L. : 202, 283, 285.
[320]
Dupont-Bouchat, M.S. : 149.
Césaire, A. : 10, 27.
Chateaubriand, R. : 40ss Dutertre, P. : 33, 85, 153.
Classes sociales : 104, 142, 280. Duvalier, F. : 69, 70, 178, 189, 281
Clastres, P. : 132, 156, 165. Duchet, M. : 38, 54.
Comarmond, P. : 54. Duffaut, P. : 4, 17.
Cohn, N. : 48, 149, 274, 275, 285.
Cohen, W. : 54, 66, 94, 173. E
Colomb, C. : 151. Easwell, H.D.: 288.
Constant, B. : 43. Ecriture: 31, 72, 74, 304, 406—307.
Code - pénal : 83, 112ss, 285 rural : Enriquez, E. : 25.
111ss, 281. État : 6, 68-69, 117, 127ss, 279, 280,
Craige, J.H. : 102. 283, 315.
Créole (langue) : 59, 71, 280. Ethnopharmacologie : 283, 290-191.
Evolutionnisme : 26, 47-48, 63, 68.
D Evans-Pritchard, E. : 262, 275, 278.
Davis, D.B. : 7, 54, 133-134, 136-137. Exorcisme : 245, 295.
Davis, W. : I, 290.
Debray, R. : 15. F
Debien, G. : 218. Famille : 221, 229, 234, 264, 279.
Dépeignes, J. : 130. Fantasme : 163ss, 285.
Debbasch, Y. : 218. Favret, J. : 81, 175, 261.
Delacampagne, F. : 30, 305. Febvre, L. : 22 :
Deleuze, G. : 241. Fétiche : 10, 311.
Delorme, D. : 60. Feyerabend ; P. : 303.
Delumeau, J. : 149, 305. Finley, M.I. : 139.
Denis, L. : 225. Firmin, A. : 48, 55-59, 64, 65, 309
Dépestre, R. : 65. Fleischmann, V. : 71.
Descamps, P. : 157. Folie : 142, 242.
Dévereux, G. : 148, 243. Fortes, M. : 230.
Detienne, M. : 46, 304. Foucault, M. : 66.
Délinquance : 88, 93, 107. FouchardJ. : 88, 218.
Despotisme : 10, 38, 42, 43, 54, 173. Frankétienne : 212.
Franklin. J.: 93.
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 279
G I
Gadjduseck, C. : 159, 160. Individu : 227-246, 271-272, 296.
Gauchet, M. : 132. Initiation : 239, 246ss, 303.
Genovese, E.: 134. Inquisition : 32, 162, 284, 289.
Ginsburg, C.: 283. Interdit : 226, 267, 271.
Girard, R.: 168, 169.
Gisler, A.: 87, 134. J
Girault, C.: 280, 281. Janvier, L.J. : 55, 59-60, 62, 88, 309.
Ricceur, P. : 25. T
Romantisme : 45. Tannahill, R. : 158.
Romain, J.B. : 105. Tessonneau, A.L. : 236.
Rosny (de), E. : 293. Terrail, J.P. : 295.
Rousseau, J.J. : 39. Thévet, P. : 32, 54, 155.
Thomas, L.V.: 22, 249.
S Thuau, E.: 135.
Sabbat : 174, 289. Thucydide : 306.
Sacrifice : 247-248. Tinland, F.: 32-33.
Todorov, Z.: 9,151,
[323] Tonton-macoute : II, 129, 182, 189-
Sang ; 160, 162, 186, 235. 190, 269, 252, 282, 294.
Salas, J.C. : 151. Turbet-Delof, G. : 33-34.
Sahlins, M. : 165-166. Turnier, A.: 70.
Sarmiento, F. : 10. Tylor: 56.
Schoelcher, W.: 66, 134, 136. Valéry, P.: 23
Schmidt, W.: 44.
Seabrook, W-B. : 100-103, 201, 214 Vaval, D. : 73.
Segalen, V.:4. Verger, P. : 231.
Shankman, P.: 154. Verschueren, J. : 92-93, 97, 147, 181.
Shakespeare, F.: 11 Villeneuve, R. : 157.
Société secrète : 175ss, 226, 271, 274 Vincent, S. : 125.
Souquet-Basiège : 55. Vissière, J L. : 217.
Spengler, O.: 22-24. Volhard, E.: 157.
Saint John, S.: 55, 96-99, 113, 158, Voltaire : 37, 48, 150, 306.
179.
Saint Méry, M.: 86-88, 101, 113, 158, W
179. Wachel, N.: 13.
Saint Yves, G.: 285. Wallerstein, I.: 132-133.
Staden, H.: 154-155. Weber, M.: 27, 134.
Steadman, L.B.: 159. Williams, J.N.: 103.
Stagl, J. : 303. Wirkus, F.: 100-101.
Starobinski, J. : 22, 29. Wittgenstein, L. : 303.
Symbolique
— ordre : 228-229, 237-239, 242-244, Z
273, 314. Zempleni, A. : 232, 248.
[324]
Laënnec Hurbon, Le barbare imaginaire. (1988) 282
[325]
Avant-Propos[i]
Introduction : La conquête des Amériques et la production de la barbarie [1]
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE []
[327]
Sciences humaines
et religions
COLLECTION DIRIGEE PAR DANIELE HERVIEU-LEGER
[328]
Nouvelle série
Fin du texte