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(1) Jérôme, Praefat. m ho mil. Origenis in Ezech., édit. Bàehrens, Leipzig, 1925,
p. 318 : «... ut scias Origenis opuscula in omnem Scripturam esse triplicia. Primum eius
opus Excerpta sunt, quae graece σχόλια nuncupantur, in quibus ea, quae sibi videbantur
obscura aut habere aliquid difïicultatis, summatim breviterque perstrinxit. Secundum
homeliticum genus, de quo et praesens interpretatio est. Tertium quod ipse inscripsit
τόμους, nos volumina possumus nuncupare, in quo opéré tota ingenii sui vela spirantibus»
ventis dédit et reccdens a terra in medium pelagus aufugit. מ
LA LITTERATURE PAÏRISTIQUE. 211
(1) Qu’il soit bien entendu que nous nous bornons ici à une étude d’histoire de l’exégèse.
Nombreux ont été les moralistes et les écrivains spirituels qui onf employé la même
méthode. Iis restent en dehors de notre perspective. Bien des collections comportent en
même temps des questions scripturaires et des questions morales ou ascétiques : noos
laisserons de côté ces dernières.
(2) Nous possédons, sous le nom d’Aristote, un recueil de προβλήματα en trente-huit
titres, où sont traitées des questions d’histoire naturelle et aussi de musique et de poésie.
Ce recueil peut contenir des parties authentiques ; il a certainement été complété par bien
d’autres auteurs ou copistes.
(3) Dans le De ptantatione Noe, Philon consacre un très long développement à ce
ζήτημα, dont l’étude a été faite par Arnim, Quellenstudien zu Philo, dans Kirssling et
WiLAMOwiTZ, Philolog. Unters., t. XI, Berlin, 1888, p. 101140־. Cf. E. Bréaier, Les idées
philosophiques et religieuses de Philon d'Alexanlrie, Paris, 1908, p. 257-259.
212 REVUE BIBLIQUE.
La méthode des apories était courante dans les écoles (3). Il était
naturel qu’elle fût employée par les commentateurs des livres saints
dans les mêmes conditions qu’elle l’était par les exégètes d’Homère
ou d’Aristote.
Philon.
Le premier, à notre connaissance, qui l’ait utilisée ici est Philon
d’Alexandrie. Dans le catalogue de ses œuvres, Eusèbe de Césarée
déclare en effet : « 11 a d’abord expliqué avec suite et ordre le
récit delà Genèse dans un ouvrage intitulé Allégorie des lois saintes;
(1) Porphyre, Vie de Plotin, XIII; trad. Bréhier, Plotin, Ennéades, t. I, p. 15; Paris,
1924. .
(2) E. Bréhier, La philosophie de Plotin, Paris, 1928; p. 17. Un excellent exemple de
la méthode des questions est le huitième traité de la seconde Ennéade. Il s’agit de savoir
pourquoi les objets éloignés paraissent plus petits, et que, à une grande distance,
ils paraissent être à un intervalle peu considérable. Plotin indique cinq solutions de ce
problème, et fait suivre de réponses les quatre explications qu’il rejette. Il est d'ailleurs
curieux qu’il adopte la quatrième solution. « Tout se passe <|0mme s’il lisait ou se faisait
lire un de ces προβλήματα rédigés par les commentateurs d’Aristote, en y ajoutant au fur et
à mesure ses propres réflexions. » E. Bréhier, Plotin, Ennéades, t. II, Paris, 1924, p. 97.
(3) Rappelons encore l'ouvrage de Séhèque, Quaestionum naturalium libri YIII.
LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 213
%
Septante ignorer !,exact emploi des prépositions tel que le fixent les
règles impératives de l’école.
La plupart du temps, Philon propose du texte sacré une double
interprétation : il commence par donner le sens littéral ; puis il
indique le sens allégorique ou spirituel. Il écrit, par exemple, dans
les Questions sur ΓExode : « En donnant maintenant à la multitude
le nom d’Église (ou d’assemblée), l’Écriture emploie un terme appro-
prié... Car c’est au moment où la multitude s’unit suivant un accord
unanime et se convertit afin de rendre grâces pour la sortie d’Égypte,
qu’elle n’est plus appelée multitude ou nation, ou peuple, mais Église.
A ce moment donc, ils ne s’assemblent et ne s’unissent pas seule-
ment de corps, mais aussi d’esprit, afin de sacrifier d’un seul cœur
et d’une seule âme... Pourquoi Dieu donne-t-il l’ordre de marquer
de sang le seuil et les montants des portes de toutes les maisons?.,
car c’est ce qui exprime la lettre. Suivant l’esprit, notre âme est
tripartite : le cœur est semblable au seuil, la passion à la maison, la
raison aux deux montants de la porte (1). »
De même un peu plus loin : « L’Écriture ordonne d’offrir la
chair rôtie de la victime pascale... Elle demande d’offrir dés pains
azymes et des herbes amères avec le dit sacrifice. Le pain azyme
est le signe de la précipitation et de la hâte; les herbes amères
celui de la vie pénible, remplie d’afflictions, qu’ils avaient menée
dans la servitude. Cela, suivant la lettre. Suivant l’esprit, voici ce
qu’il faut remarquer : les herbes amères signifient l’exode spirituel,
par lequel on passe des désirs à l’apathie, de la méchanceté à la
vertu... Nous mangeons 1les pains azymes avec les herbes amères
«en désirant la pénitence (2). »
Il n’est pas nécessaire d’insister davantage. On remarque sans
*peine que les explications spirituelles sont relativement faciles à saisir
et que d’ordinaire elles se superposent au sens littéral. Sans doute,
il arrive que Philon rejette, un peu dédaigneusement, ce dernier :
« Quant à ceux qui recherchent la signification littérale des lettres
divines, écrit-il, qu’ils pensent comme il leur plaît et se laissent
guider par leur opinion propre. Pour nous, nous y cherchons le
sens spirituel (3). » Un tel dédain est assez rare; et, de ce point de
vue, les Quaestiones se distinguent du tout au tout du commen-
iaire allégorique de la Genèse (4). Dans ce dernier ouvrage, Philon1
(1) Quaest. et solut. in Exod.y I, 1012 ;־p. 456-457
(2) Id., I, 15; p. 458-459.
(3) Quaest. et solut. in Genes., II, 79; p. 163.
{k) Soas ce nom, nous entendons non seulement les Allégories des saintes lois, mais
216 REVUE BIBLIQUE.
l’ensemble des livres qui commentent la Genèse. Cf. L. Massebieau, Le classement des
œuvres de Philon, p. 10 ss.
(1) Quaest. et solut. in Genes., I, 3341 ;־p. 23-27. Dans les Questions sur VExode% un
remarquera entre autres celles qui se rapportent à la construction de l’arche d’alliance et
des autres objets du culte. Les moindres détails sontיchacun l’objet d’un problème
nouveau, dont Philon se croit obligé de donner la solution. Quaest. et solut. in Exod., Il,
48124 ;־p. 504-548.
(2) Tout le monde est d’accord pour reconnaître que le De opificio mundi ne fait pas
partie du commentaire allégorique, mais de l’exposition de la loi, qui a un tout autre but
et suit une autre méthode. Cf. L. Massebieau, Le classement des œuvres de Philon, p. 36.
LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 2η
(1) liest vraisemblable que les Juifs possédaient déjà des recueils de Testimonia qu’ils
utilisaient dans leurs controverses contre les païens. Saint Paul a pu faire usage d’un de
ces recueils. Cf. R. Draguet, Saint Paul et les recueils juifs de Testimonia, dans
Revue d’hist. eccles., t. XXVII, 1931, p. 1 sqq. Sur l'origine de ces florilèges et leutr
premier emploi dans le christianisme, cf. Rendel Harris, Testimonies, Cambridge, 1916;
A. p’Alès, Testimonia et Logia, dans Recherches de Science religieuse, 1917, t. VIII,
p. 308326־.
1& 18 REVUE BIBLIQUE.
initiantur et indurantur in hanc haeresim. nara hae sunt Antithesis Mareionis, id est
contrariae oppo!>itiones, quae conantur discordiam evangelii, cum lege commit-
tere, ut ex. diversitate sententiarum utriusque testamenti diversitateta quoque
argumententur deorum (1). »
(1) Id., ibid., II, 2528 ;־p. 369375 ;־IV, 20, p. 486; V, 5, p. 585. Cf. Origène, In Genes,
hom., IV, 6; VIII, 8.
(2; Tertullien, Advers. Marcion., I, 6; p. 297 : « alteram iudicem, ferum, bellipoten-
tem, aiterum mitem, placîdum et tantummodo bonum atque optimum. » Cf. Irénée,
Advers. Haeres., III, 24, 2; IV, 40, 2; Origène, In Ierem., hom., I, 16; XII, 4; édit״
Klostermann, p. 14 et 91.
(3) Tertullien, Advers. Marcion., I, 8; p. 300. L’Évangile de Marcion est essentiellement
celui du Dieu nouveau et étranger. Cf. Harnack, op. cit., 118120־.
(4) Harnack, op. cit., p. 256*313*־, a groupé tous les témoignages anciens qui semblent
se rapporter aux Antithèses; il n’est pas sûr qu’il n'ait pas cité trop de textes. 11 semble,
en tout cas, assez vain d’essayer de reconstruire le plan exact de l’ouvrage de Marcion. Au
plus peut-on retrouver les arguments qui y étaient employés.
(5) Rhodon, ap. Eusèbe, H. E., V, 13, 6.
(6) Pseüdo-Tertlllien, Advers. omn. haeres., 6; édit. Kroymanv, p. 224. C’est sans
doute aux Sytlogismes qu’EusÈBE veut faire allusion en écrivant : « ״Ο γέ τοι ,Απελλής ουτος
μυρία κατά του Μωυσέως ήσέβησεν νόμου, διά πλειόνων συγγραμμάτων τού; θείου; βλασφημήσα;
λόγους, εις ε)εγχόν τε, ώς γε δή έδοκει και άνατροπήν αυτών ου μικράν πεποιημένος σπουδήν. »
Μ. E., V, 13, 9 ; édit. Schwartz, p. 458.
220 REVUE BIBLIQUE.
« Pleriqae enîm, quorum auctor Apelles, sicut habes in XXXVII[ tomo eius
has quaestiones proponunt : Quomodo lignum vitae plus operari videtur ad vitam
quam iasufflatio Dei? Deinde : Si hominem non perfectum fecit Deus, unusquisque
.autem per industrial propriam perfectionem sibi virtutis adsciscit, nonne videtur
plus sibi homo acquirere quam ei Deus contulit? Tertium obiciunt : Etsi homo non
gustaverat mortem, utique quam non gustaverat, scire non poterat. Ergo si non
gustaverat, nesciebat; si nesciebat, timere non poterat. Frustra igitur Deus mortem
pro terrore obiecit, quam homines non timebant (1). »
« Rursns faciunt alias quaestiones hoc modo : Non semper malum est non
obedire praecepto. Si enim bonum est praeceptum, honesta est obeditio; quod si
improbum praeceptum, non obedire utile; ergo non semper malum est non obedire
praecepto, sed bono praecepto non obedire improbum est. Bonum autem est opera-
torium cognitionis boni et mali lignum, quando quidem Deus et bonum et malum
novit. Denique ait : Ecce Adam factus est tanquam unus nostrum. Si igitur bonum
«st scientiam habere boni et mali, bona antem est quam etiam Deus habet, videtur
qui interdicit earn hominibus non recte interdicere. Idque proponunt (2). »
« Alia quaestio : Qui non cognoscit bonum et malum, nihil a parvulo distat;
parvuli autem apud iustum iudicem nulla est culpa. Iustus autem operator mundi
nunquam parvulum vocasset in culpam propter quod non cognoverat bonum et
malum, quia parvulus sine ullo est crimine praevaricationis et culpae (3). »
« Herum quaestiones serunt : Qui nescit, inquiunt, bonum et malum, ne ipsum
quidem novit esse malum non servarc mandatum, nec ipsum bonum novit, quod est
obedire malo. Et ideo, quia non noverat, venia, inquiunt, dignus fuit qui non
obedivit, non condemnatione (4). »
« Iterum alia quaestio subrepit, unde mors accideret Adae, utrum a natura ligni
eiusmodi an vero a Deo. Si naturae ligni hoc adscribimus, videtur ligni huius fructus
vivificandi insufilationi Dei praestare, siquidem quem vivificaverat insulflatio, fructus
huius ligni traxit ad mortem. Aut si Deum operatorem mortis esse memoramus,
dicunt, quod gemina cum opinione accusamus, quod aut ita immitis, ut noluerit
ignoscere cum posset, aut si ignoscere non potuerit, videatur infirmus (5). »
« Iterum quaestio. Sciebat praevaricaturum Deus Adam mandata sua an nescie-
bat? Si nesciebat, non est ista divinae potestatis assertio; si autem sciebat, et
dans les chaînes : « έπηπόρουν τινές, εΐ δυνατό» ή τηλικαύτη κιβωτός χωρήσαι κάν το πολλοστ'ον
μδριον των επί γης πάντων ζφων. Και μάλιστα ,Απελλής, ό του Μαρκίωνος γνώριμος και γενόμενος
Ιτέρας αίρέσεως παρ’ εκείνον πατήρ, άθετεϊν βουλόμενος ώ; ούχ άγια τά Μωυσέως συγγράμματα
τούτο έπαπορήσας επιφέρει, τό· ψευδής άρα ό μύθος* οΰκ άρα έκ θεοΰ ή γραφή. »
(1) Ambroise, De paradiso, V, 28.
(2) Id., ibid., VI, 30.
(3) Id., ibid., VI, 31.
(4) Id., ibid., VI, 32.
(5) Id., ibid., VII, 35.
222 REVUE BIBLIQUE.
uihilominus scieas negîigenda manda vit, non est Dei aliquid superfluum praecipere;
superfluum autem praecepit protoplasto illi A.dae, quod eum ooverat minime serva-
turum; nihil autem Deus superfluum facit; ergo non est scriptura a Deo. Hoc enina»
obiciunt qui vêtus non recipiunt testameutum et has interserunt quaestiones (1). »׳
« Iterum hinc aliam faciunt quaestionem, ut ad invicem mandat! eius, quod
diximns in hominis opinione consislere, hanc ipsam opinionem impressam a Den·
nobis tanquam prescription divinae legis accusent. Noverat, inquiunt, horainem
peceaturum, qui créa vit eum et has opiniones boni et mali impressit, an non
noverat? Ut si dixeris quia non noverat, alienum a maiestate Dei sentias; si autem
dixeris, quia sciens Deus peceaturum hominem, communes tarnen opiniones ei boni
et maii impressit, ut propter admixtionem raalorum vitae perpetuitatem servare non
posset, sicut in illo non preasagum futuri, ita in hoc non bonum Deum significare
videris. Atque hinc argumentantur, quia non est creatura hominisaDeo facta. Nam,
sicut supra ostendimus eos dicere quod non est mandatum Dei, sic et hic dicunt :
Non ergo creatura hominis a Deo, quia Deus malum non facit; homo autem opinio-
nem abcepit mali, dum a malis praecipitur abstinere. Hoc autem genere aliam
bonum Drum, alium operatorem hominis conantur asserere (2). »
« Dicunt : quomodo bonus Deus qui non solum passus est introire in hune mundum
malitiam, sed etiam in tantam confusionem venire permisit (3)? »
Origène.
Regensburg, 1930, p. 64-66. Sur la logique stoïcienne, on verra les deux articles de
V. Brochard, dans Étude de philosophie ancienne et de philosophie moderne, Paris,
4912, p. 220251־.
(1) Il peut se faire que quelques syllogismes des Artémonites nous aient été conservés #
par Novatien, De Trinit., XXX; édit. Y. Fausset, Cambridge, 1909, p. 113 : « Qui autem
hominem tantummodo Christum esse contendunt, ex diverso sic colligunt : si alter pater,
alter est lilius, pater autem Deus et Christus Deus, non ergo unus Deus, sed duo Dii
jntroducuntur pariter, pater et fiiius; ac si unus Deus, consequenter homo Christus, ut
merito pater sit Deus unus. » Ce raisonnement n’a d’ailleurs rien à voir avec l’Ecriture.
(2) Sur les scholies d’Origène, voir les renseignements groupés par R. Devreesse, art.
Chaînes exégétiques grecques, dans le Supplément du Dictionnaire de la Bible, t. !,
Paris, 1928, col. 11061198 ,1170־1107, 1120־1121, 1169־.
(3) Origène, In Matth, comment., t. XII, 15; P. G., XIII, 1017 : « ή μέν ούν έπαπόρησις
δοκεΐ μοι είναι γενναιότατη, λύσις δ’αΰτη; αναντίρρητος ζητηθήτω, ήν ό εύρίσκων, εάν η πισπκω-
τέρα τών Οφ* ήμών λεχθησομένων ώς ύπομετρίων, είς μέσον φερέτω. »
(4) Origène, In Matth, comment., t. XIII, 2; P. G., XIII, 1902.
LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 225
blême des rapports entre Élie et Jean est longuement repris dans le
Commentaire sur saint Jean : « Qui donc, parmi ceux qui entendent
Jésus dire de Jean : Si vous voulez comprendre, c’est lui qui est Élie,
ne se demandera pas comment à ceux qui l’interrogent : Es-tu Élie,
Jean répond : je ne le suis pas? » Là-dessus, Origène propose plu-
sieurs réponses, entre autres, celle d’un maître orthodoxe qui refuse
de croire à la métempsychose et qui fait appel, pour résoudre la
difficulté, à la parole de l’ange : « U marchera dans l'esprit et la puis-
sance d'Élie (Luc, 1, 9) (t). Une discussion fictive s'engage alors entre
les deux interprètes, et le vocabulaire employé dans tout le passage
est celui des apories et des solutions (2).
Un autre problème est posé par la déclaration de Jésus : Vous
ne connaissez ni moi ni mon Père (loan. יvin, 19). « Si, déclare
Origène, c’était aux mêmes personnages que s’adressait la parole :
Vous savez d’où je suis, et celle : Vous ne connaissez ni moi ni
mon Père, il semblerait qu’il y eût contradiction entre les deux
assertions. Mais les mots : Vous me connaissez, sont dits à quelques
Hierosolymitains ;... les mots : Vous 11e me connaissez pas sont adressés
à des pharisiens... D’ailleurs aux uns comme aux autres, il est af-
firmé qu’ils ne connaissent pas le Père... On fera bien alors de
rechercher comment, si est vraie la parole : si vous me connaissiez
vous connaîtriez mon Père, les Hierosolymitains à qui il dit : Vous
me connaissez, ne connaissent pas le Père. La difficulté (απορία)
relative à ce passage est encore accrue par Jean qui dit en *on Épltre
catholique : Quiconque renie le Père, renie aussi le Fils (3). » Voilà
la question indiquée, avec ses complications. La suite du dévelop-
pement indique la réponse que propose l’exégète.
Plus loin, Jésus demande aux Juifs : « Si je dis la vérité, pourquoi
ne me croyez-vous pas (loan., vin, 46). » On pourrait dire, note
Origène : nous ne croyons pas parce que nous ne voyons pas de
(1) La même exégèse est reprise par saint Grégoire le Grand, Horn, in EvangVII :
\1 Sed cum ex lectione alia Redemptoris nostri sentenlia ad mentem reducifur, ex huius
iectionis verbis nobis quaestio valde irnplexa generatur. Alio quippe in loco inquisitus a
discipulis Dominus de Eliae adventu, respondit : Elias iam venit et non cognoverunt eum,
sed fecerunt in eum quaecumque voluerunt; et, si vultis scire, loannes ipse est Elias. Quid
«st hoc, fratres carissimi, quia quod Veritas affirmai, hoc propheta Veritatis negat? Valde
namque inter se diversa sunt : ipse est, et : non sum. Quomodo ergo propheta veritatis
est, si eiusdem Veritatis sermonibus concors non est? Sed si subliliter veritas ipsa requi-
ratur, hoc quod inter se contrarium sonat, quomodo contrarium non sit invenitur. Ad
Zachariam namque de Ioanne Angelus dicit : Ipse praecedet ante ilium in spiritu et virtute
Eliae.)) (P. L., LXXVI, 10991100)־.
(2) Origène, In loan, comment.,VI, 62 ss. ; édit. Preuschen, p. 119 ss.
(3) Origène, In loan, comment., XIX, 1, 15 ;־édit. Preuschen, p. 298299־.
REVUE BIBLIQUE 1932. — T. XLI. 15
23$ REVUE BIBLIQUE
quelle manière ce qu’il dit est la vérité (1). Cette remarque est
ensuite développée, et l’exégète déclare qu’il se préoccupe assez׳
peu de la réponse que les auditeurs de Jésus ont réellement faite
à sa question.
Ce n’est pas seulement dans les commentaires qu’Origène pose des-
problèmes et suggère des réponses; il le fait aussi dans les homélies.
Le procédé a quelque chose de vivant et maintient le contact entre
l’orateur et ses auditeurs : « Le lecteur attentif de FÉcriture pour-
rait rechercher (2) comment le Sauveur déclare : je ne suis pas venu
apporter la paix sur la terre, mais le glaive, tandis qu’à présent
les anges chantent à sa nativité : Paix sur la terre. Ailleurs encore,״
il dit lui-même : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix; ce
n’est pas comme ce monde donne la paix que je vous donne la paix.
Qu’il voie donc, ce que nous supposons,, s’il peut résoudre la question.
S’il était écrit : paix sur la terre, et que la déclaration s’achevât
là-dessus, la question serait justement posée. Mais ce qui est ajouté^
c’estrà-dire les mots qui suivent le mot paix : aux hommes de
bonne volonté, résout la difficulté. La paix que le Seigneur ne
donne pas sur la terre n’est pas la paix de bonne volonté (3). »
Il s’agit ici encore comme dans deux dçts exemples que nous
avons empruntés à l’Évangile de Jean, d’une* contradiction apparente
entre textes évangéliques; et naturellement ces difficultés, une fois-
soulevées, exigeaient une solution. On ne croira pas qu’elle était le
fait d’auditeurs spécialement curieux, ou de lecteurs attentifs : nous^
avons affaire ici à un simple procédé, que le christianisme ai
recueilli dans les écoles de rhéteurs (4).
D’autre fois, la question est provoquée non par la discordance de
deux textes, mais par la seule obscurité du passage commenté.
Origène explique le verset de saint Luc ; lorsque furent accomplis les^
jours de leur purification [Luc, 11, 21) et il s’étonne : « De leur purl·״
fication? De qui? s’il était écrit : de sa purification, c’est-à-dire de
celle de Marie, qui avait enfanté, aucun problème ne serait soulevé,
et nous dirions sans hésiter que Marie, appartenant à la race humaine,
a eu besoin d’être purifiée après son enfantement. Mais, puisqu’il1 2 * 4
(1) Orisène, In loan. comment., XX, 32, 283-284; édit Preüschen, p. 36a.
(2) Le texte grec de ce passage parte simplement : άλλα ζητήσει τις άν έν τφ τοπψ__
Saint Jérôme, dans la traduction, développe : « Diligens scripturae lector inquirat... »
(Si) 0R1eir1B, In Luc., hom, XIII; édit. Rauer, Leipzig, 1930; p. 90.
(4) Cf. P. Wendland, Die hellenistisch-römische Kultur in ihren Beziehungen zu
Judentum und Christentum, Tubingue, 1007, p. 41 s. ; Norden, Die antike Kunstpro
Leipzig, 1909.
IA LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 22ΠΓ
est écrit : les jours de leur purification, cela ne semble pas s’ap-
pliquer a une seule personne, mais à deux ou à plusieurs. Alors, Jésus
a-t-il eu besoin de purification? a-t-il été impur, ou souillé de quelque
tache? Peut-être paraltrai-je parler avec témérité, mais je suis pressé
par !,autorité de TÉcriture. Vois ce qui est écrit dans Job : Personne
n’est pur de souillure, pas même si sa vie n'est que d’un jour (1). »
Origène conclut de ce texte et de passages empruntés à Isaïe et à
Zacharie, que le Sauveur devait lui aussi être purifié; et il profite de
!,occasion pour traiter à nouveau un problème souvent discuté, dit-ilr
parmi les frères, celui du baptême des enfants.
Une autre question est soulevée par la prophétie de Jean : La
hache est posée à la racine des arbres (Luc, m, 9). Si la consom-
mation des choses était proche, si la fin des temps arrivait, il n*y
aurait pas de problème. Je dirais, affirme Origène, que Jean a
prophétisé au moment où sa prédication s’accomplissait. Mais en fait,
il s’est écoulé tant de siècles, tant d’innombrables années ont passé
depuis ce temps jusqu’à présent que nous devons nous demander
comment le prophète a pu dire que la hache est posée à la racine des
arbres (2). La solution du problème est d’ailleurs simple : il s’agit ici
du seul peuple Juif, qui était en effet proche de sa destruclion et
de sa ruine au temps du prophète.
Les exemples que nous venons de citer suffisent amplement à
montrer l’usage que faisait Origène de la question ou de la difficulté‘
dans ses explications de l’Écriture. Les problèmes qu’il résout élaient
souvent réels : les hérétiques, et parfois aussi les partisans de l’inter*־
prétation littérale soulevaient des objections qu’il avait Je devoir dé
réfuter. En d’autres cas, nous l’avons dit, l’exégète se contente
d’utiliser une méthode courante de son temps : c’eât lui-même qui
imagine la question, à laquelle il s’efforce de répondre.
Jamais d’ailleurs, Origène n’a rédigé un ouvrage entier sous forme
de questions et de réponses : aussi n’avôns-nôus pas à insister
davantage sur ses procédés exégétiques.
variées (1). On disait par exemple que l’un des deux Évangélistes
nous donnait la lignée du Christ en tant que roi, l’autre cellé du
Christ en tant que prêtre. L’Africain n’a pas assez de sévérité pour
les tenants d’une telle explication : si l’intention de ses auteurs qui
est d’honorer Jésus peut être bonne, ils n’en sont pas moins coupables
de chercher à !’honorer par un mensonge et de tourner les paroles
de l’Évangile à n’être plus qu’un hymne sans signification. Lui-
même explique le désaccord apparent des évangélistes en faisant
intervenir l’institution du lévirat, et en déclarant que, des auteurs
inspirés, l’un nous a conservé l’ascendance de Jésus selon la nature
et l’autre la même ascendance selon la loi (2).
La solution était ingénieuse : la meilleure preuve en est qu’elle a
traversé les siècles. Aujourd’hui encore, nombreux sont les exégètes
qui, à la suite de plusieurs Pères, croient pouvoir rester fidèles au
principe posé jadis par Jules Africain (3).
Ensèbe de Césarée.
(1) Origène ln Luc. hom. XXVIII ; édit. Bauer, p. 172 : « Et tarnen non aeque ab
evangelistis nativilatis eius ordo parratur, quae res nonnullos plurimum conturbavit. »
(2) Cf. A. Puech, Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. II, Paris, 1928,
p. 470.
(3) Cf. M. J. Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris 1921, p. 120126־.
(4) Jérôme, De vir. inlust., Si, édit. Richardson (Γ. U., XIV, 1), Leipzig, 1896, p. 43; In
Matth. commentI, 16; P. L., XXVI, 23, B : « Super hoc et Africanus temporum scriptor
et Eusebius Caesariensis in libris διαφωνίας ευαγγελίων plenius dis pu ta runt. »
(5) Eusèbe, Demonslr. Evang., VII, 3, 18; édit. Heikel, p. 340 : « έν τω πρώτω των εις
τήν γενεαλογίαν του σωτήρος ημών ζητημάτων καί λύσεων; Praefat. ad Marin., P. G., XXII,
937 A : « των έν τοις θεόπνευστοι; εύαγγελίοις περί τήν αρχήν άπορουμένων ζητημάτων καί λύσεων
β ׳πεπονηκώς ήδηπρότερον συγγράμματα πάρειμι νυν τα μέσα παρελθών επί τά προς τφ τέ)ει τών
αυτών πάντοτε τοΐς πασιν ζητούμενα. On retrouve, dans le cours de l'ouvrage ces mêmes
expressions techniques, par exemple Quaest. 2 ad Marin., 4; P. G., XXII, 945 :
«Αύτη μεν ούν μία λύσις άν γίνοιτο τών κατά τον τόπον άπορουμένων.
Nous venons de voir les Quaestiones citées dans la Démonstration évangélique.
Inversement, la Démonstration est citée dans les Quaestiones; Quaest. 1 ad Stephan., 7;
P. G., XXII, 912 A : « ώσπερ ούν συνεστήσαμεν έν ταΐς εύαγγελικαις άποδείξεσι. ״On conclut de
là qu’Eusèbe écrivit les questions en même temps que la Démonstration, c’est-à-dire entre
LA. LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 229
(1) 11. Schenkl, S. Ambrosii... Expositio Evangelii secundum Lucam, Vienne, 1902,
p. v.
(2) Ambroise, Eccposüio Eoang. Lucae, III, 50; édit. Schenkl, p. 137.
(3) Eusèbe, Quaest. Evang. ad Stephan., XVI, 3; P. 6’., XXII, 936 C.
(4) Jérôme, In Matth, comment. Prolog., P. L., XXVI, 20 : « Salisque miror, Eusebi
dilectissime, in Romam subilo navigaturus, banc tibi a me qua*i citarciam dari volueris,
ut Matthaeum breviter cxponens, verbis stringerem, sensibus dilalarem... Tu in duabus
bebdomadibus, imminente iam Pascha et spirantibus ventis dictare me cogis... »
(5) Jérôme, In Matth, comment., Prolog., P. L., XXVI, 20 : « Legisse me faleor ante annos
plurimos in Mattliieum Origenis viginti quinque volumina, et toliJem eins homilias,
commaticumque interpretationis genus; et Theophili Anliocbenae urbis episcopi commen-
LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE. 233
droit à figurer dans cette liste. Mais il est mentionné plus loin, à
propos de la généalogie du Sauveur (1), avec Jules Africain, que,,
vraisemblablement Jérôme ne connaît que par lui.
Ce n’est pas le lieu d’insister longuement sur les ressemblances·
et les différences qui existent entre le commentaire de Jérôme et les
questions d’Eusèbe. Notons seulement quelques points : pour expliquer
l’omission par saint Matthieu des noms d’Ochozias et de ses deux
successeurs, Jérôme fait appel à une damnalio memoriae : « Verum
quia evangelislae propositum erat très tessaresdecades in diverso
temporum statu ponere et Ioram generi se miscuerat impiissimae
Iezabel, idcirco usque ad tertiam generationem eins memoria toi-
litur (2). » Il déclare que, bien que simplement fiancés, Marie et
Joseph pouvaient être appelés des époux, conformément à l’usage
courant (4). Il estime que Joseph fut seul à connaître le mystère de la
conception virginale (k). Ailleurs, il se range, sans le dire, à l’opi-
nion d’Eusèbe, et l’on peut être assuré qu il lui doit beaucoup de
fines remarques.
Un détail qui mérite de retenir l’attention est la citation que font
également saint Jérôme et Eusèbe d’un passage de la lettre aux
Éphésiens de saint Ignace d’Antioche (Éphes., xix, 1). Saint Jérôme
se contente de rappeler l’idée générale du texte : il se demande :
« Quare non de simptici virgine sed de desponsata concipitur? » Et
après avoir proposé différentes explications, il ajoute : «. Martyr
Ignatius etiam quartam addit causam cur a desponsata conceptus sit :
ut partus יinquiens, eins celaretur diabolo, dum eum putat non de
virgine sed de uxore generatum (5). » Le mot inquiens ne doit pas
nous faire illusion : la citation 11’est pas textuelle, et il est certain
que pas plus ici qu’ailleurs, dans le De viris par exemple, Jérôme ne
(1) Marc, XVI, 8. Sur l’élat de la question, cf. J. M. Lagrange, L’Évangile selon samt
Marc, Paris, 1911, p. 426 ss. Voici le texte d'Eusèbe, P. G., XXII, 937 : « τούτου διττή αν είη
ή λύσις* ό μεν γάρ το κεφάλαιο ׳αυτό, τήν τούτο φάσκουσαν περικοπή ׳άθετών είποι αν μή έν
άπασιν αυτήν φέρεσθαι τοΤς άντιγράφοις του κατά Μάρκον ευαγγελίου. Τα γούν ακριβή των
Αντιγράφων το τ0( ;־περιγράφει τής κατά τον Μάρκον Ιστορίας εν τοϊς λόγοις τού οφθέντος νεανίσκον
ταΐς γυναιξί... οίς επιλέγει* και άκούσχσαι εφυγον και οjofvi ούδεν είπον* έφοβούντο γάο. έν τοϋτφ γάρ
σχεδόν έ ׳άπασι τοις άντιγράφοις τού κατά Μάρκον ευαγγελίου περιγέγραπται το τέλος, τά δε έξης
σπανίω; έν τισιν, άλλ’ ούκ έν πάσι φεοόμενα περιττά άν είη, καί μάλιστα εϊπερ έχοιεν αντιλογίαν
τή των λοιπών ευαγγελιστών μαοτυρί!*. ταϋτα μεν ούν ειποι άν τις παραιτούμενο; και πάντη
ιάναιρών περιττόν ερώτημα, άλλο; βέ τι; ο ׳δ* ότιούν τολαών άδετειν των ότωτούν έν τή των
-ευαγγελίων γραφή φερομένων, διπλήν ειναί φησι τήν ά*άγνωσιν... מ
Saint Jérôme, dans la lettre 120, 3; P. X., XXII, 987, reprend !,argumentation d’Eusebe,
·«dont il s'inspire de toute évidence.
236 REVUE BIBLIQUE.
(A suivre.)
G. Bardy.
(1) Eüslbe, Quaest. Evang. ad Marin., II, 1; P. G., XXII, 941 : « λέλεκται δε- όψε του
σαββάτου, παρά του έρμηνεύσαντος τήν γραφήν ό μέν γαρ εύαγγε/ιστής Ματθαίος έβραιδί γλώτττβ
παρεδωκε το εύαγγελιον, ό δέ επί τήν έλλήνων φωνήν μεταβαλών αυτό τήν έπιφώσκουσαν ώραν εις
τήν κυριακήν ήμέραν όψε σαββάτων προσεϊπεν. » Ceci est une hypothèse, car Eusèbe n’a pas
vu lui-même le texte hébreu de l’Evangile de saint Matthieu.
(2) Eusèbe, Quaest. Evang. ad Marin., Ii, 5, P. G., XXII, 945 B. Eusebe regarde comme
parallèles Matth. XXVIII, 1 et loan. XX, 1 ; mais quand il s’agit de concilier l’apparente
contradiction, il offre au choix deux solutions, Tune qui admet l’identité des faits, l’autre-
qui distingue deux Marie-Madeleine, et par suite deux incidents.
(3) Saint Jérôme, dans la lettre 120 à Hedybia; édit. Hilderg, t. II, p. 470515־, s’inspirer
beaucoup d’Eusèbe. Nous aurons à revenir plus loin sur cette lettre.
(4) Isidore de Péluse, Epist., Il, 212.
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