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EE PAT

HEersi0iCcisme
“4 pères de l’Église
de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie

Patristica Sorbonensia 1
collection dirigée par H.-I. Marrou

Aux Éditions du Seuil, Paris


LA
Theology Library

. SCHOOL OF THEOLOGY
AT CLAREMONT
, California
LE STOICISME
DES PÈRES DE L'ÉGLISE
PATRISTICA SORBONENSIA
COLLECTION DIRIGÉE PAR H.-I. MARROU

À
Le Stoïcisme des Pères de l'Eglise
de Clément de Rome à Clément d'Alexandrie
PAR MICHEL SPANNEUT

2
Origène
et la fonction révélatrice du Verbe incarné
PAR MARGUERITE HARL

3
Introduction à l’étude de Grégoire Palamas
PAR JEAN MEYENDORFF

4
Education et culture dans l’Occident barbare
VIe-VIIIe siècles
PAR PIERRE RICHÉ

5
Les « Képhalaia gnostica >» d’Evagre le Pontique
et l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et chez les Syriens
PAR ANTOINE GUILLAUMONT

6
La notion d’Alliance dans le judaisme
aux abords de l’ère chrétienne
PAR ANNIE JAUBERT

7
Etude sur les « Stromates » de Clément d'Alexandrie
PAR ANDRÉ MÉHAT

8
Les Ariens d'Occident
335-430
PAR MICHEL MESLIN
MICHEL SPANNEUT
AA

LE ‘STOÏICISME
DES PÈRES DE L'ÉGLISE.
DE CLÉMENT DE ROME
A CLÉMENT D'’ALEXANDRIE

NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET AUGMENTÉE

ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris- VI:
DU MÊME AUTEUR

Recherches
sur les Ecrits d’'Eustathe d’Antioche

avec une édition nouvelle des


fragments dogmatiques et exégétiques.
(Fascicule LV des Mémoires et Travaux
des Facultés Catholiques de Lille, 1948)

Tertullien
et les premiers moralistes
africains
(sous presse)

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction


réservés pour tous les pays.
Copyright 1957 by Editions du Seuil.
PRÉFACE A LA NOUVELLE ÉDITION

« Qui parle du stoïcisme des Pères ? Serait-ce qu’il n’existe


pas ?.» (p. 33). La question date de 1955 et la réponse apportée
par cette thèse n’a pas été contestée dans son ensemble : « Le
Stoïcisme des Pères est une profonde réalité » (p. 434). Cepen-
dant, les remarques des critiques, les progrès de la recherche
et la réflexion personnelle ont permis de préciser certaines
positions. La présente réédition fournit l’occasion d’une oppor-
tune mise au point1.
Le problème du stoïcisme des Pères Fr se concevoir
de deux manières. Attentif aux intermédiaires, on retracerait
l’histoire de quelques thèmes ou textes précis, pour en établir
la tradition, du fabricant à l’usager chrétien. Malgré quelques
concessions passagères (p. 107-111; 262-265), ce n’est pas
l'optique choisie : les philologues de l’histoire l’ont regretté.
L’intention dominante a été de rechercher, dans les textes
patristiques, les traces, nettes ou vagues, des thèses auxquelles
les stoïciens ont laissé leur nom, même s'ils n’en sont ni les
auteurs, ni les derniers porteurs non-chrétiens (p. 75-76).
Cette deuxième conception entraiînait un double risque. D’abord
on pouvait confondre parallélisme (p. 62-63) et influence. Ainsi
l'admiration que les Pères entretiennent pour le monde rappelle
évidemment l’optimisme d’un Cléanthe, mais elle peut être aussi
bien d’inspiration biblique. Pour parer à ce premier danger,
il fallait exiger du texte patristique la marque propre de la Stoa.:
si l’ordre cosmique se traduit en Gtoixnou, Biaxéounoic, éuévoux….
elle relève de la philosophie (p. 363-364). Mais là surgit la
deuxième difficulté : selon quels critères accorder le label
stoïcien à telle ou telle thèse philosophique ? Par ëéxemple,

1. Le texte a dû être respecté dans sa mise en page. Cependant, de nom-


breuses corrections et quelques additions de détail ont pu être apportées. La
bibliographie a été légèrement augmentée. Un index rerum a envahi quelques
pages disponibles. Enfin, M. MarRoUu a poussé l’amour de la retractatio
jusqu’à sacrifier sa préface à cette mise au point.

11
faut-il, en définitive, attribuer les conceptions justiniennes du
logos, en particulier du logos spermatikos, au stoïcisme ou aux
développements du Moyen Platonisme ? ? De même la distinction
logos endiathetos et prophorikos ? Tentation d'enrichir le Por-
tique aux dépens, soit de la tradition judéo-chrétienne 8, soit
des autres philosophies. Ma partialité (p. 423) n’y a-t-elle pas
trop cédé ?

Il s’agit là de quelques contestations limitées. Mais il est


évident qu’une thèse sur le stoïcisme des Pères, dans son
ensemble, est dépendante d’une bonne compréhension et du
stoïcisme et des Pères. Ma connaissance du système stoïcien
s’appuyait alors trop fortement sur M. Pohlenz qui, malgré la
diversité et la qualité de ses recherches, n’avait étudié Posi-
donius que secondairement et voyait son Panétius à travers
Cicéron. Après les travaux du Père Van Straaten 4 et de Made-
moiselle M. Laffranque 5, on hésite bien plus à revendiquer pour
ces philosophes la propriété de telle ou telle particularité. Cepen-
dant, ces erreurs de paternité, habituellement reléguées dans les
bas de page, ne compromettent pas les conclusions de la recherche
dans l’optique où elle se situe : les thèses discutées appartiennent
bien à l'héritage stoïcien, mais dans l’indivis. Sur d’autres points,
les thèses elles-mêmes ont été insuffisamment comprises. Par
exemple, j'ai facilement, malgré d’explicites réserves (p. 351;
p. 358, n. 55), rapproché de l’évolutionnisme la conception
cyclique de l’histoire. Pourtant le manque de rigueur est ici
encore sans conséquence : aucun Père n’adopte cette cosmo-
gonie, D’autre part, les travaux de S. Sambursky 6, en creusant
les notions stoiciennes de corps et de pneuma, ont rendu-moins
étranges le « matérialisme » universel et le mélange total. Mais
il est bien probable que Tertullien, quand il se fourvoyait en
ce domaine, en avait déjà perdu la clé. L’approfondissement

2, J. DAntÉrou, Message évangélique et culture hellénistique aux Il° et


Ille siècles, Paris, 1961, résume la question d’après Andresen et Holte (p. 45).
Ce travail a le mérite d’insister sur le « Moyen-platonisme chrétien »
(p. 103-122), un heureux complément à ma thèse.
3. Dans son Message évangélique le Père Daniélou a raison de rester
sensible à l’héritage judéo-chrétien, qu’il avait étudié pour la période pré-
cédente : Théologie du Judéo-christianisme, Paris, 1958. C’est un correctif
nécessaire.
4. Panétius, sa vie, ses écrits et sa doctrine avec une édition des fragments,
Amsterdam, 1946. J’aurais dû le consulter.
5. Poseidonios d’Apamée, Paris, 1964. L’auteur atténue les positions de
K. Reinhardt; en particulier la « sympathie » n’est plus l’apanage de
Posidonius.
6. The physical world of the Greeks, Londres, 1956; Physics of the Stoics,
Londres, 1959. Voir aussi J. CHRISTENSEN, An Essay on the Unity of Stoic
Philosophy, Copenhague, 1962. Le corps, au lieu d’être conçu en notions de
matière, est traduit en « champ » énergétique. E. WEï1, indépendamment de

12
du stoïcisme permet d'améliorer l’exposé de la thèse, mais n’en
modifie pas les positions.
Et les progrès de la patristique ? Sur: un point précis, les
bases semblaient se dérober. R. M. Grant, dès 1954, voulait
dépouiller Athénagore du De resurrectione 7, exploité quatre-
vingts fois dans mon texte. Cependant, cette tentative a été
contestée encore tout récemment par L.W. Barnard, qui, en
s'appuyant sur l'identité des citations vétéro-testamentaires,
conclut que le traité est « de la même main » que la Legatio
et donc d’AthénagoreS., Adhuc sub judice lis est, En revanche,
il faut certainement prendre en considération l’importante étude,
déjà mentionnée, que R. Holte a consacrée au logos spermatikos
justinien®, pour attribuer la notion, par-delà la terminologie,
à l'influence du Moyen Platonisme. Sur le stoicisme des Pères
dans son ensemble, il n’a paru qu’un bref article de J. C. Garcia
Borrôn. Sous le titre « Les Stoïciens et Platon dans l’œuvre des
Apologistes du 11° siècle » 10, l’auteur se contente de décrire
sommairement la position de “oaine Pères à l’égard des philo-
sophes grecs. W. Richardson apporte quelques détails nouveaux
en étudiant les termes et les thèses de Chrysippe chez Clément
d'Alexandrie 11, Enfin, une enquête personnelle sur l'influence
d'Epictète 12 et des recherches en cours sur la patience et sur
la morale africaine des premiers siècles m’ont permis de repérer
quelques autres traces stoïciennes, en particulier autour des
notions d’impassibilité, de nature, de raison et de liberté 18,
Après cette autocritique, déjà discrètement apologétique, me:
permettra-t-on de mentionner deux services que cette thèse peut
rendre, sans l’avoir cherché ? D’abord elle montre, à travers les
réactions que provoque le gnosticisme, l’importance dè la place
qu’occupe ce mouvement de pensée dans le monde chrétien des

ces travaux, aboutit à la même conclusion et propose le terme de.« corpora-


lisme » (Remarques sur le « matérialisme » des stoïciens, dans les Mélanges
A. Koyré, t. IL, L'aventure de l'Esprit, Paris, 1964, p. 556-572). Il faudrait
établir ici toute la bibhographie récente du stoïcisme.
7. Athenagoras or Pseudo-Athenagoras, in Harvard Theological Review, 47,
1954, p. 121-129.
8. The Old Testament and the authorship of Athenagoras, « De resurrec-
tione », in Journal of Theological Studies, n. s., 18, 1967, p. 432-433.
9. Logos Spermatikos, Christianity and Ancient Philosophy according to
St. Justin’s Apologies, in Studia Theologica, 12, 1958, p. 109-168. G. Andresen
a restitué l’expression à Philon.
10. Los estoicos y Platôn, en la obra de los apologetas del s. II. ITelenismo
y crislianismo, in Convivium (Barcelone), 17-18, 1964, p. 49-62.
11. The basis of Ethics : Chrysippus and Clement of Alexandria, in
Studia Patristica, t. IX (Texte und Untersuchungen, 94), Berlin, 1966, p. 87-97.
12. Epiktet, in Reallex. für Antike und Christ, col. 599-681. Epictète, in
Dict. de Spirit, col. 830-833.
13. 11 faudrait citer ici de nombreux travaux patristiques. Quelques titres
ont été insérés dans les notes de cetle réédition, d'autres signalés dans lPaddlitif
bibliographique (p. 446). Mais il a fallu s’adapter à l’espace libre.

13)
premiers siècles. Depuis, les recherches en cette matière ont
considérablement progressé 14. Ce que mon travail révélait en
négatif, les spécialistes le prouvent en positif et au centuple. Les
théologiens également profitent parfois des précisions de termi-
nologie et de doctrine qu’apporte le « Stoïcisme des Pères ».
Peut-on, par exemple, saisir les conceptions trinitaires et christo-
logiques de Tertullien, si l’on ignore la portée de son voca-
bulaire et son anthropologie 15 ?

J'aurais dû, au goût de certains, « montrer la révélation évan-


gélique aux prises avec la pensée païenne, plus précisément
sous sa forme stoïcienne, pour affirmer par rapport à elle son
irréductible transcendance, en dénoncer les aberrations… mar-
quer dans cette lutte gigantesque, qui se joue à Rome, à Lyon,
à Athènes, à Carthage, à Alexandrie, les réussites et les échecs
des premiers penseurs chrétiens 16 ». Je ne l’ai point tenté. Le
sujet invitait à rechercher les rencontres, plutôt que les affron-
tements; mes goûts peut-être aussi. Alors j'ai découvert, par-delà
leurs attaques, chez ces premiers écrivains, même chez un
Tertullien, « une sorte d’humanisme chrétien » (p. 434), qui
ne peut que réjouir l'Eglise d’aujourd’hui, dans son immense
effort de sympathie. Par là, comme par sa longue quête d’un
courant philosophique, le « Stoïcisme des Pères » n'est-il pas
« une contribution positive... à l'élaboration de la culture vivante
des hommes de notre temps » 17 ?

14. Voici quelques titres importants et récents : H.-Ch. Puecm, Gnostische


Evangelien und verwandte Dokumente, dans E. HENNECKE-W. SCHNEEMELCHER,
Neutestamentliche Apokryphen in deutscher Uebersetzung, t. I, Evangelien,
Tubingue, 1959, p. 158-271. R. M. GRANT, La Gnose et les origines chrétiennes,
trad. J.-H. Marrou, Paris, 1964. R. Mel. Wizson, The Gnostic Problem, À Study
in the Relations betwebn Hellenistic Judaism and Gnostic Heresy, Londres,
1958. H. Jonas, Gnosis und Spätantiker Geist, 1" partie, Die mythologische
Gnosis, 3° édit., Gôttingen, 1964; 2 partie, 1, Von der Mythologie zur
mystischen Philosophie, Gôttingen, 1954; The Gnostic Religion, The Message
of the Alien God and the Beginnings of Christianity, 2° édit., Boston, 1963.
G. VAN GRONINGEN, First century Gnosticism, Its origins and motifs, Leyde,
1967. U. Brancmi, Le origini dello Gnosticismo, The origins of Gnosticism,
Colloquium of Messina (1966), édited by - (Suppl. to Numen, XII), Leyde, 1967.
S. PÉTREMENT, Le colloque de Messine et le problème du gnosticisme, in Revue
de Métaph. et de Morale, 72, 1967, p. 344-373. Enfin, quelques mises au point
bibliographiques récentes : S. Scauzz, Die Bedeutung neuer Gnosisfunde für
die-neutestamentliche Wissenschaft, in Theol. Rundschau, 26, 1960, p. 209-266;
301-334. S. GivERSEN, Nag Hammadi Bibliography 1948-1963, in Studia Theolo-
gica, 17, 1963, p. 139-187. R. HaaRDT, Zwanzig Jahre Erforschung der Koptisch -
Gnostischen Schriften von Nag Hammadi, in Theologie und Philosophie, 42,
1967, p. 380-401.
15. D'ailleurs, le stoïcisme est désormais directement invoqué pour éclairer
l‘apollinarisme et le nestorianisme.
16. Ch. Jour NET, in Nova et Vetera, 1958, p. 69.
17. H.-1. Marrotv, derniers mofs de la présentation des Patristica Sorbo-
nensia, qu’il donnait en tête du Sfoïcisme des Pères, 1re édit., p. 11.

14
SOMMAIRE

Éréfate nd la nouvelle, éditions CS 2. Se TT

INTRODUCTION

I. NATURE DU STOÏCISME. . . . NP PME ODA TLE Lt Eco


Vue générale - Un double monisme.

II. DIMENSIONS. DU. STOÏCISME . . . : st EN Cl rate 28


En philosophie - En religion - En Duval - Conclusion.

ET. STOICISME ET CHRISTIANISME 2... . 0 penis 32


Une question - Le stoïcisme des Pères.

PREMIÈRE PARTIE : LE PROBLÈME GÉNÉRAL

I. LE STOÏCISME ET LA PENSÉE PHILOSOPHIQUE


AUTOUR DU Il: SIÈCLE

I. LE MILIEU PHILOSOPHIQUE ET RELIGIEUX , . . . . . . 31

A. Éclectisme, . . . DÉPOT PME MAS


Auteurs et écrits - Guides liftéraires,

B. Religiosité. . . . - : SRET Le NA
Tendance générale - Lés sad ae cette tetidaués)

II. LE GNOSTICISME . . . 1H AD
Essence du gnosticisme - Canoe prie de Dieu et dé sad -
Conception de l’homme - Le gnosticisme, NÉE dre

III. LE STOÏCISME AUTOUR DU II° SIÈCLE . . . . . . . . . 47

A. Enseignement et propagande . . . . . a
Enseignement théorique - Enseignement obiatre:
SOMMAIRE

B. Influence générale. 50
Le stoïcisme, philosophie-type - Sa diffusion - Pénétration
dans la culture commune - Invasion de tous les domaines.

Conclusion. 53

II. LE STOÏCISME ET LA PENSÉE CHRÉTIENNE


LE PROBLÈME DE L'INFLUENCE SUR LES PÈRES

. ÉTAT DE LA QUESTION
A. Hellénisme et christianisme.
1. Les parallèles : Les parallèles et En solutions -
Wendland et Ivanka .
2. Histoire des ee Problèmes intellectuels - ‘Rites
et croyances . : AU
3. Histoire de la pensée : Philosophie - Dogme.

B. Stoïicisme et christianisme
1. Les parallèles : La série - Quelques pin sien
sants. .
2. Histoire du sioïcisme: Histoire générale - “Histoire
d’une doctrine - L’époque romaine et le problème de
l'influence - Conclusion. re
3. Histoire du dogme : Clément de Rome et Justin - Ter-
tullien, Minucius Félix et Clément d’Alexandrie -
Conclusion. . NH PMR RS INR ARE

. LE PROBLÈME PRÉCIS
»
A. Le domaine
Ni toute la pensée stoïcienne - Ni toute la pensée chré-
tienne - Avant 230.
B. Précision sur l’expression : influence stoïcienne 74
Stoïcisme - Influence.

Conclusion . ti

III. LE STOÏCISME ET LA PENSÉE CHRÉTIENNE


LES PÈRES DE L'ÉGLISE, TÉMOINS DU STOÏCISME

LE STOÏCISME ANTIQUE : LES PERSONNALITÉS 79


Les témoins - Les Stoïciens selon les Pères : Zénon - Les
disciples de Zénon - Chrysippe et la fin du stoïcisme ancien -
Le moyen stoïcisme.

JT. LE STOÏCISME ANTIQUE : LES THÈSES 85

A. Sur Dieu, 85
La théologie his - L'interpistation due des
dieux - Unité et nature de Dieu - Dieu dans le monde.

16
SOMMAIRE

B. Sur le monde É 90
Cosmogonie et principes premiers - L’évolutionnisme cos-
mique - La conflagration finale - La loi du monde : fata-
lité et providence. ;
C. Sur l’homme et ses activités. 95
Nature de l’âme - Génération - Survie - La fin morale de
l’homme - La vie vertueuse - Le Sage - L'activité intel-
lectuelle.

III. LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE. 101

A. Critique. RE EE TR ST 101
Attaques - Attitude morale du philosophe - Idées du phi-
losophe.

B. Témoignage positif 106


En général - Clément témoin de Musonius.

Conclusion . 112

IV. VALEUR HISTORIQUE DE LA DOCUMENTATION 112

A. Une documentation précieuse. 112


Valeur de confirmation - Les Pères, source. unique - Le
cas de Zénon.
B. Une documentation sérieuse RENE SA E À 116
Valeur générale du témoignage

- Valeur textuelle - Thèses
fausses : objections et réponses - Faiblesses réelles -
Justification - L'exemple du Peri Kosmou.

CONCLUSION 126

DEUXIÈME PARTIE : L'HOMME

IV. LE COMPOSÉ HUMAIN

I. DES STOÏCIENS AUX PÈRES . . . . . . 133


La nature de l’âme - Les parties de l’âme.

II. CHEZ LES APOLOGISTES DU II° SIÈCLE

1. Des origines à Justin : Affirmations isolées - La tricho-


tomie de JUSHN 500 Rte tien sel ent TI
2. Tatien et Athénagore : La question chez Tatien - Deux
esprits chez Tatien - Conclusion sur Tatien - Unité de
l’âme chez Athénagore - Une objection dans la Supplique.
3. La psychologie d’frénée : Le problème - Réponse : deux
arties dans l’homme - L'âme ct l'Esprit : leurs relations-
pe nature de l’Âme : un système matérialiste - Une théorie 143
de la participation - Sous le signe de Punité. 4 .

17
SOMMAIRE
III. CHEZ TERTULLIEN AE) PE UT NT nr PE deàcent
1. L'homme, corps et âme : son unité : Définition de l’homme
- Les deux parties - Les affirmations de l’unité - Précisions
sur l’unité de l’homme. . . . . . . . . . . +. . .
2. Précisions sur l’âme : ses facultés : L’âme et l’esprit divin
- L'esprit divin dans l’âme - Le souffle de vie dans l’âme -
L’animus dans l’âme - L’hègemonikon dans l’âme.
3. Précisions sur l’âme : ses qualités : Immortelle, mais pas-
sible - Une et simple - Corporelle - Matérialisme psycho-
Togiquers tn ere AS NE PET Etre TDR te
Conclusion
IV.= CHEZ CLÉMENT D’ALEXANDRIE .
1. Le problème du composé humain : L’homme en trois
parties - Même thèse dans les Exc. ex Theodoto - Objec-
tions RTS NES MR Re MR IR AUS CITES fe Dr Er Le
2. Précisions sur l'âme : Les parties de l’âme - L’hègemo-
nikon - Matérialisme psychologique Te le te
ConclnS ones et

V. LA GÉNÉRATION ET L’HÉRÉDITÉ
LES QUESTIONS MÉDICALES

I CHEZ LES STOÏCIENS . 177


II. CHEZ LES APOLOGISTES DES DEUX PREMIERS SIÈCLES . 179
Justin - Athénagore - Irénée.
ITI. CHEZ TERTULLIEN CO LL AE Pt emetARE AU rt 2 NS ME ee UE RU) 181
1. Génération : Chez Tertuilien en général - Dans le De anima
- L'animation immédiate - Simultanéité du corps et de
l’âme - Communauté du sexe . DU ARS PRE 181
MODES HONNARÉTEAHES TR NU 0e en le 187
3. Développement de l'embryon : Développement général -
Développement phasique de l’âme embryonnaire - Déve-
loppement moral de l'âme - Influences subies par l’âme. 188
IV. CHEZ CLÉMENT D’ALEXANDRIE . 191
Un texte essentiel - Sperme, sang et lait - La constitution de
on ryon - La question de l’âme humaine - Progrès de
’âme.
Conclusion

. PHYSIOLOGIE ET QUESTIONS MÉDICALES


L'importance de la médecine - La thérapeutique: le bain -
Le métabolisme alimentaire - Autour du pneuma.
CONCINSIONLES NS Ps DAME NET Oo UE

VI. LES ACTIVITÉS DE L'HOMME


LA CONNAISSANCE

. CHEZ LES STOÏCIENS. 204


La connaissance sensorielle - La connaissance intellectuelle.
II. ATHÉNAGORE SR TR CE RROATS
EMEME Lt | 206
La connaissance par le noûs - La connaissance physique et
par consécution - La connaissance sensorielle.

18
SOMMAIRE

III. TERTULLIEN . 210


1. Autour de la « ATOS >à : aire et éstligere - Fe
sensualisme - Le travail de la sensualitas - La commu-
nauté du sensus - Les sensus communes . . 211
2. Autour de la « diuinitas » : L’extase - Le sommeil et le
rêve - Variété des rêves - La divination . 9 216

IV. CLÉMENT D’ALEXANDRIE 222


Noûs et Aisthèsis - Une théorie sensualité 9 -La science -
Ennoia physique et prolèpsis - Connaissance extra-sensorielle
- Sommeil et rêve.
Conclusion 230

VII. LES ACTIVITÉS DE L'HOMME


LA VIE MORALE

I. PROBLÈMES DE MORALE THÉORIQUE . 231


1. Instincts et passions : Chez les Stotvtens - Athénagre -
Tertullien - Clément d'Alexandrie 232
9 Le libre arbitre : Chez les Stoïciens - De Justin à ‘Irénée =
Les Philosophoumena - L'Eglise d’Afrique - Bardesane -
Clément d’Alexandrie - Le problème grâce et liberté. 235
. L'action vertueuse : Des Stoïciens aux Pères - Autarcie de
la vertu - Apathie et intellectualisme chez Justin, Athé-
nagore et Irénée - L’intellectualisme moral de Clément -
Apathie et pitié- Soumission au logos et à la nature. . 241
4. Loi naturelle et universalisme : Loi ee — - Egalité
humaine et cosmopolitisme . 253
II. MORALE PRATIQUE ET DIATRIBE 258
1. La diatribe: L'objet - Les fins du mariage - Le Sage. 258
2. Influence textuelle : Cyprien, Minucius Félix et Sénèque -
Une source possible: le De Pope de at. - DE
ment et Epictète . . . TRES à ; 262

CONCIUSION 266

TROISIÈME PARTIE : DIEU

VIII. LE PROBLÈME DE DIEU


I. LES PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU,

A. Le problème de la connaissance de Dieu conne


sable ou inconnaissable ?.
Le problème - Inconnaissable - Cohhéfésablé aan une
certaine mesure - Moyens de connaissance.
B. La connaissance naturelle de Dieu. 274
1. Les deux moyens naturels de connaitre Dien : ‘Athé-
nagore - Tertullien. 275
2. La connaissance immédiate de Dieu :! Irénée - Tertullien
- Clément d’Alexandrie . 277
3. La connaissance Fm les œuvres : En général -- Le éas
de Tertullien - L’argument de l’ordre du monde. . 280

19
SOMMAIRE

C. Connaissance naturelle et surnaturelle 285


Faiblesse de la connaissance naturelle - Unité des deux
connaissances.

II. LA NATURE DE DIEU : SON ESSENCE . 288

A. e Matériel ou spirituel. nas LPS 288


Tendance générale : la spiritualité divine - L’hésitation
sr pagore - Le matérialisme de Tertullien - Le cas de
iton.

B. Passibilité ou impassibilité . 291


Tertullien - La tendance générale.

C. La rationalité de Dieu . 293


Conclusion . 294

IX. DIEU ET LE VERBE

. LE LOGOS EN LUI-MÊME : SA NATURE. 296


Une puissance rationnelle - Le Verbe dans l’espace et le
temps - Manifestable - Corporéité - Conclusion.

II. LE LOGOS EN DIEU : PROBLÈME TRINITAIRE 301


A. Expansion divine . PNR A: ES El 302
Dans le plan trinitaire - Une théorie de l’Incarnation.

B. Sacramentum oeconomiae. HAT A E à 304


Le problème trinitaire en général - Le problème chez
Tertullien - La solution de Tertullien - La Trinité che
Hippolyte - Conclusion.

@} . Le Verbe et son Père : logos endiathelos ct pro-


phorikos SES CE ARE 70 oil, 310
Des Stoïciens aux Pères - La théorie chez Tertullien -
Ébauche de la théorie avant Tertullien - Théophile et la
terminologie stoïcienne - Le Verbe, voix de Dieu - Con-
clusion.

III. LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ : £OGOS ET LOGOI SPERMATIKO! . 316


Les textes de Justin - La théorie de Justin - Le logos uni-
versel dans l’humanité - Le logos et la grâce - Les fonctions
du logos chez Clément d’Alexandrie - Conclusion. 323

X. DIEU ET LE MONDE

I L'ACTIVITÉ DIVINE : LA PROVIDENCE . . - 325


A. Fonction de Dieu en général 325
SOMMAIRE

B. La Providence . DE PL A A a IE AE CU 326
Le problème - Providence universelle - Générale ou par-
ticulière - Directe ou indirecte - Le rôle cosmique des
anges chez Athénagore - Le rôle unifiant de la Providence
chez Clément d’Alexandrie.

II. LES ACTIVITÉS DES PERSONNES DIVINES ET LE MONDE . 331


Logos et pneuma - Les attributs trinitaires : le rôle de
VEsprit-Saint, /

Ii. L’ANIMISME CHEZ LES PÈRES 334


A. La théorie du preuma cosmique . RC RE 334
1. Chez Tatien : Unité de matière et de preuma - Le
pneuma du tout n’est pas Dieu . . . . . . . . . 335
2. Chez Théophile d’Antioche : La théorie animiste - Ce
pneuma n’est pas Dieu . . . . . . - ; 337
B. Traces secondaires d’animisme ARS 339
Irénée et Tertullien - Hippolyte - Novatien - Le concor-
disme de Clément.

IV. LE LOGOS RAISON DU MONDE 342


Chez Minucius Félix - Chez Clément d’Alexandrie.

CONCLUSION 344

QUATRIÈME PARTIE : LE MONDE

XI. LE MONDE. SON HISTOIRE. SA VALEUR

I, HISTOIRE DU MONDE 350

A. Sa constitution . 350
1iGhez les StOICienS e MC pi ee MINES ES EU 350
2. Chez les Pères : Le Verbe et la création - La cosmo-
gonie - Précisions sur les quatre éléments - Divisions
des êtres - Les incorporels : le temps et le lieu.

B. L'évolution du monde et la conflagration finale.


Chez les Stoïciens - L’ekpurésis chez les Pères - L'évolution
circulaire - Le renouvellement périodique de la nature.

II. L'HYMNE AU MONDE. 362


A. Conception optimiste du monde matériel 364
1. Objections et exceptions : Sur la matière - Sur le corps
Den nel AnLe | ei eee NS 364
2, Réponse aux objections : Tatien - Tertullien - Clément
d'Alexandrie - Clément humaniste - Clément philo-
sophe optimiste . . . . . . SAT US 366
21
SOMMAIRE
B. Splendeur du monde. ; LUE PENTE À 371
1. Beauté du monde : Tertullien - Sur e saintes Théo-
phanies . . 371
2. Ordre et harmonie : ‘Clément de Rome -_ Aristide, Justin
et Athénagore - Théophile d’Antioche - Irénée -L'Eglise
d’Afrique et Novatien - Clément d'Alexandrie . . . 372
3. Harmonie et mal physique : L’harmonie du tout -
L’harmonie des contraires . VRAIS 377
C. ADO HIME et RENE : l’homme, centre
du monde . SC LE ; 380
Chez les Stoïciens - Note NL - Athénagore - Justin
et Théophile - Tertullien - Minucius Félix - Novatien et
Clément.
Conclusion . 384

XII. L'UNITÉ DU MONDE

I. AFFIRMATIONS . 387
To Pan: Vniuersitas - L'image du corps, emplois divers -
Le corps du monde.

II. L'UNITÉ DU MONDE DANS LE MATÉRIALISME UNIVERSEL 391

A. Le matérialisme chez Tertullien 391


Les principes de Tertullien - Application des principes :
nature des anges - Portée de ces principes - Origine de
ce stoïcisme.

. La tendance matérialiste chez les Pères . 394


La conception de l'esprit : anges et démons - Les rela-
tions corps-esprit.

II. L'UNITÉ DU MONDE PAR ENCHAÎNEMENT UNIVERSEL . 397

A. Des Stoïciens aux Pères . . . . . . . 397


La cohésion du monde - Le déterminisme causal - Déter-
minisme et liberté - Conclusion.

Le déterminisme chez les Pères : L’enchaînement


dans le temps ; 400
D’Aristide à Tatien - L’enchaînementt phy sique ae Athé-
nagore - L’homme et la loi du cosmos chez Athénagore -
L’enchaînement rationnel chez Tertullien - L’enchaîne-
ment ph . ue chez Clément - Tendance au fatalisme
astral - atalisme astral de Bardesane.

. La cohésion des êtres chez les Pères : L’enchaîne-


ment dans l’espace 410
La thèse stoïcienne - L'idée de a nathte Late ‘Athé-
RAR et Clément - La connexion universelle dans l’Eglise
d'Afrique - Novatien et l’unité par conspiration - Saint
Cyprien et le vieillissement cosmique - Macrocosme et
microcosme,

22
SOMMAIRE

IV. L'UNITÉ DANS LE CHRIST : LA RÉDEMPTION COSMIQUE . 417


Ebauche de la théorie - La A reeHe chez Irénée - La
rédemption cosmique dans la tradition hippolytienne.

CONCLUSION 421

CONCLUSION

I. LA PART DU STOÏCISME , 423


A. Selon les Pères. . TER RAR IN TRS LE s 423
Pères Apostoliques et premiers Anlagiétes - De Tatien
à Irénée - L’Église d’Afrique et Novatien - Clément
d'Alexandrie.
B. Selon les domaines de la pensée so 426
Vue sur Dieu - Sur le monde - Sur l’homme.

II. L'ORIGINE DE CETTE TENDANCE. . . . 428


A. Les destinataires . HARCOPRETE TR SOS NES AE DIU 4 428
Le rationalisme des déHnétaines païens - Le platonisme
des destinataires hérétiques.
B. Les auteurs RE de 2 ASE 431
Culture et spécialisation - L'émblance.

III. PORTÉE DE CE STOÏCISME, « 432


Terminologie et transposition - Concordisme - Adaptations
- Adoptions - Imprégnation - Le sérieux de ce stoïcisme -
Dans l’histoire de la pensée chrétienne.

BIBLIOGRAPHIE 435

TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES .

TABLE DES CITATIONS PROFANES D'AUTEURS ANCIENS 469

INDEX CRERUME. T0 Re ma dat eee Dee ete doradstedlen M Use . 475


INTRODUCTION

Max Pohlenz, l’un des meilleurs connaisseurs du monde grec,


qu’il convient de citer au seuil de cette étude, est venu rappeler
opportunément, par son livre Die Stoa1, la place qu’occupe le
stoïcisme dans l’histoire de la philosophie. Il a revendiqué
l'indépendance pour ce courant de pensée, souligné que son rôle :
fut prépondérant pendant un demi-millénaire et prouvé qu’au
cours de cette longue carrière il est resté fidèle à lui-même. En
un mot, il a établi que le stoïcisme est un vaste mouvement intel-
lectuel, qui peut prendre rang en face du platonisme et se définir
comme lui.

I. NATURE DU STOÏCISME

Vue générale, Platon avait surtout souligné la dis-


tinction entre le monde des Idées,
des vraies réalités, et le monde de la matière, des apparences
sensibles. Les premiers Stoïciens, bien qu’ils fussent peut-être
des Barbares, sont partis d’une tendance qui, pour être contraire,
n’en est pas moins, elle aussi, foncièrement hellénique. Les Grecs,
étrangers à la notion judaïque de la création ex nihilo, font tout
remonter à une matière indéfinie, d’où sortent les dieux, l’homme
et le cosmos. De là, entre les êtres, une parenté universelle, qui
exclut l’idée de la transcendance divine et le besoin d’une révé-
lation surnaturelle. Zénon, Cléanthe, Chrysippe, se sont emparés

1. Die Stoa, Geschichte einer geistigen Bewegung, Gôttingen, 1948. Ce


volume d’exposé, que nous appellerons t. I, est suivi d’un tome II, Erläute-
rungen, Gôttingen, 1949.

25
INTRODUCTION

de cette vieille notion grecque de l’unité cosmique. L'univers est


essentiellement pour eux un tout homogène, auquel l’homme est
solidement chevillé. Le monde est vivant comme l’homme, ou
plus exactement l’homme est vivant comme le grand Tout dont
il est une parcelle, et son âme n’est qu’un prolongement de l’âme
du monde. Entre le cosmos et lui règne, au sens propre du mot,
l’harmonie, la sympathie. L’âme cosmique 2, qui est aussi provi-
dence intelligente et bienveillante encore qu’absolue, dirige de
l’intérieur cette vivante unité et montre une condescendance
particulière pour l’homme, plus proche d’elle qu’aucun être.
L’homme, de son côté, pour son bien et celui de l’univers, tend
à inscrire dans le Tout, le plus intégralement possible, sa pensée
et son action. C’est le souci de sa logique et l'effort de sa
morale 3.

Un double monisme. Monisme. C’est bien la tendance


dominante de tout le système stoiï-
cien et le logos en est la pierre angulaire 4. Mais ce logos, qui
à l’état pur est Dieu, qui à un degré inférieur constitue l’âme
humaine et qui se répand enfin à travers tout l’univers en logoi
spermatikoi pour donner à chaque être son tonos, est à la fois
une force rationnelle et un corps matériel. Force rationnelle qui
pénètre tout et guide tout par son principe intrinsèque, preuma
cosmique qui procède avec ordre à la naissance du Tout, loi
nécessaire et fatale, mais intelligente, qui régit tout et s’impose
à tout, même à l’homme, providence interne qui arrange de tout

2. Platon a parlé également de l’âme du monde, mais c'était chez lui une
vue dialectique plus qu’une conception biologique de l’univers (J. MoREAu,
L'âme du monde, de Platon aux Stoïciens, Paris, 1939, p. 43, 47, 50, 52 et
passim). La notion aurait évolué en passant par Aristote (ibid., p. 140-141),
qui voit dans la physis, force intelligente, un principe immanent du mou-
yement, mais ne la confond pas avec Dieu qui reste cause première. J. BAUDRY,
Le problème de l’origine et de l’éternité du monde dans la philosophie grecque,
de Platon à l’ère chrétienne, Paris, 1931, voit aussi l’âme du monde chez
Platon comme un mouvement raisonnable qui dirige et enveloppe (p. 67-72).
De toute façon, cette âme du monde n’appartient pas au monde des Idées et
le Logos-Dieu est transcendant au monde visible.
3. « Chaque chose du Cosmos, dit E. ELorpuy, doit servir l’homme dans
ses besoins matériels. L’homme doit apporter à l’ensemble du Cosmos le
service de sa contemplation et de son émulation » (Die Sozialphilosophie der
Stoa, Leipzig, 1936, p. 18). La parenté de l’être humain avec le monde cause
et signifle le lien qui unit l’éthique et la logique à la physique.
4. Empruntée à Héraclite, la théorie du Logos, quoi qu’on en dise, est
inconnue
de Platon lui-même. Elle ne lui a été attribuée que sur la foi
d’œuvres apocryphes ou par la confusion du platonisme avec le néo-plato-
nisme. Cependant, Platon et Aristote ont pu apporter des éléments utilisés
dans cette philosophie du Logos (J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité,
des Origines à saint Augustin, t. I, Les Origines du dogme de la Trinité, Paris,
1919, p. 43-46). Pour une étude plus détaillée, cf. J. LEBRETON, Les Théories
du Logos au début de l'ère chrétienne, Paris, 1906 (Extrait des Etudes, 1906
et les travaux cités infra, p. 295-296, n. 2 et 3. ÿ

20
NATURE DU STOÏCISME

un monde idéal, le logos enveloppe tout dans les filets d’une


raison universelle : le monisme stoïcien peut apparaître comme
un rationalisme intégral 5.
Cependant ce logos est lui-même matière, ou plus précisément
corps 6. Il est associé au feu, même à l’état le plus pur. Dieu,
l’âme, la nature, toute cette force agissante qui pénètre l’univers
est corporelle. Tout est corporel, sous peine de n’être pas, et
l'esprit, le pneuma, est plus essentiellement corporel qu'aucun
être matériel, puisqu'il est actif par nature et que l’activité est
liée à la corporëéité. Si les Stoïciens mettent le logos infiniment
au-dessus de ce que nous appelons matière 7 et en sont venus
tardivement, avec leur mépris habituel des nuances, à opposer
violemment corps et âme et à dégager Dieu du cosmos, ils n’ont
jamais renié, pas même Sénèque, Marc-Aurèle ou Epictète, cette
espèce de matérialisme, cette corporéité universelle, qui n’est
que l’autre face du monisme rationaliste 8.
Telle est l’orientation générale de cette philosophie qui vécut
cinq cents ans. Cinq cents ans de règne, on pourrait dire d’hégé-
monie… Et. quelle survie ! Si le système a moins de vogue au
Moyen Age®, il connaît une recrudescence exceptionnelle à
l’époque de la Renaissance — qu’il nous suffise de citer Juste
Lipse 10 —, se maintient pendant les XVII° et XVIII* siècles, et se
retrouve encore aujourd’hui, au moins sous son aspect moral 11..

5. « Aucune autre philosophie en ce sens ne peut être plus spiritualiste


que le stoïcisme », dit E. Ecorpuy, Die Sozialphilosophie der Stoa, Leipzig,
1936, p. 21.
6. Sur cette distinction et sur la nature de ce matérialisme, cf. infra,
p. 393.
7. J. BAUDRY a raison de souligner, dans une certaine mesure, que « le
stoïcisme n’est point un monisme panthéistique » (Le problème de l’origine
et de l’éternité du monde.…., p: 233). Dieu n’est pas la matière et il survit au
monde. « Les Stoïciens ne sont pas panthéistes, puisque les êtres se distinguent
de leur cause. Zénon et Chrysippe ont sauvegardé le dualisme, mais de
leur dualisme matérialiste au monisme matérialiste, il n’y a qu’un pas »
(p. 247).
8. J. Moreau, soulignant la continuité du stoïcisme avec le platonisme,
fait cette remarque piquante : « Le stoïcisme, à partir de prémisses emprun-
tées à une dialectique dualiste, aboutit donc, à travers un matérialisme
physiologique, à un monisme spiritualiste » (L'âme du monde.…, p. 173).
9. L’œuvre d’un Martin de Braga, au VIe siècle, est fort imprégnée de
Sénèque (cf. A. Lrieroocue, Les idées morales de saint Martin de Braga, in
Mélanges de Sc. Relig., 11, 2, 1954, p. 133-146, avec la bibliographie de l’ar-
ticle). Sénèque, Epictète et Marc-Aurèle gardent une certaine place pendant
tout le Moyen Age (E. GiLson, L'Esprit de la philosophie médiévale, Paris
1932, t. I, p. 196; t. II, p. 219). L’auteur du Manuel semble cependant éton-
namment négligé.
10. Deux de ses ouvrages sont proprement stoïciens : De Constantia libri
duo, qui alloquium praecipue continent in publicis malis (1583) et Manuduc-
tionis ad stoicam philosophiam libri tres, L. Annaeo Senecae aliisque scripto-
ribus illustrandis (1604). I1 a certainement beaucoup contribué au regain du
stoïcisme.
11. Cette survivance depuis le Moyen Age jusqu’à nos jours a été souvent
signalée. M. POHLENZ en donne un rapide aperçu (Die Stoa, I, p. 465-473), où

27
INTRODUCTION

II. DIMENSIONS DU STOÏCISME

Cette considération nous donne une première idée du stoïcisme


et de ses dimensions. Mais un examen plus attentif montre que
le stoïcisme n’est pas seulement un système antique qui a laissé

il est assez attentif au XVIII: siècle. R. M. WeEnLey, Sfoicism and its influence,
our Debt to Greece and Rome, Londres, 1925, y consacre 35 pages (p. 139-174)
et insiste spécialement sur le XIXe siècle (p. 159-174). Le XVIe siècle a été
étudié par L. ZANTA, La Renaissance du Stoïcisme au XVIe siècle, dans la coll.
Biblioth. Litt. de la Renaissance, II, 5, Paris, 1914, et la personnalité de
Du Vair, en particulier, par P. MEsNARD, Du Vair et le Néo-stoicisme, in Rev.
d'Histoire de la Philos., 2, 1928, p. 142-166. Sur ce dernier, cf. encore G. Du
Vair, The moral philosophy of the Stoicks, englished by Th. James (in 1598).
Edited with an introduction by R. Kirk : Le néo-stoïcisme en Angleterre aux
XVIe et XVII siècles, New-Brunswick, 1951. Sur les XVI° et XVII siècles, cf.
M. J. Gonzacez-HapBA, Seneca en la espiritualidad española de los siglos XVI
y XVII, in Rev. Filos., 11, 1952, p. 287-302. Enfin, le XVIIe siècle fait actuel-
lement l’objet d’une série d’études du Père JULIEN EYMARD D’ANGERS. En voici
la liste, aimablement communiquée par l’auteur. Le stoicisme en France dans
la première moitié du XVIIe siècle : les origines (1575-1616), in Etudes Fran-
ciscaines, nouv. sér., 2, 1951, p. 287-298; 389-410; 3, 1952, p. 5-20; 133-154.
Sénèque et le stoïcisme chez les capucins français du XVII siècle : Zacharie
de Lisieux et Léandre de Dijon, ibid., 1, 1950, p. 337-353. Sénèque et le stoi-
cisme dans l’œuvre de Jacques d’Autun, capucin (1649, 1669), ibid., 5, 1954,
p. 45-64. Du stoïcisme chrétien à l’humanisme chrétien : les « Diversités »
de J. P. Camus (1609-1618), Meaux, 1952. Sénèque et Le stoïicisme dans l’œuvre
de Georges d'Amiens, capucin (+1661), in Collectanea Franciscana, 20, 1950,
p. 335-366. Sénèque et le stoïcisme dans l’œuvre du P. Yves de Paris, O. F. M.
Cap. (1590-1678), ibid., 21, 1951, p. 45-88. Le P. Sébastien de Senlis, O. F. M.
Cap. et le stoïcisme chrétien (1620-1647), ibid., 22, 1952, p. 286-318. Le stoi-
cisme, Epictète et Sénèque dans le développement du monde, d’après les
œuvres de Pascal Rapine de Sainte-Marie, récollet (1655-1673), ibid., 24, 1954,
P. 229-264. Le stoïcisme dans le Traité « De l’usage des passions » de l’Ora-
torien J. F. Senault, 1641, in Rev. des Sc. Relig., 25, 1951, p. 40-68. Sénèque et
le stoïcisme dans « La Cour Sainte » du jésuite Nicolas Caussin, ibid., 28,
1954, p. 258-285. Le stoïcisme chez les jésuités français du XVIIe siècle :
E. Binet (1569-1639) et R. Ceriziers (1603-1662), in Mélanges de Sc. Relig., 10,
2, 1953, p. 239-262. Sénèque et le stoïcisme dans le Traité « De l’ordre de la
vie et des mœurs » de Julien Hayneuve, S. J. (1639), in Rech. de Sc. Relig., 41,
1953, p. 380-405. Sfcïcisme et libertinage dans l’œuvre de Fr. La Mothe le
Vayer, in Rev. des Sc. Humaines, fasc. 75, 1954, p. 259-284. Sénèque et le stoï-
cisme, dans l’œuvre de F. Garasse, S. J. (1624-1625), in Rev. de l’Université
d'Ottawa, 24, 1954, p. 280-298. Sénèque, Epictète et le stoïcisme, dans l’œuvre
de René Descartes, in Rev. de Théol. et de Philos., 4, 1954, p. 169-196. Sénèque,
Epictète et le stoïcisme, dans l’œuvre d’un humaniste chrétien : le Carme
Léon de Saint-Jean (1600-1671), in Ephemerides Carmeliticae, 5, 1951-1954,
p. 476-490. Le stoïcisme d’après l’ « Hurnanitas Theologica » de Pierre Lesca-
lopier, S. J. (1660), in Bull. de Litt. Eccl., 46, 1955,p. 23-36; 147-161. Etudes
sur le stoïcisme du XVIIe siècle : L’ « Epictète chrétien » de Jean-Marie de
Bordeaux, tertiaire de S. François, in Rev. d’Asc. et de Mys., 31, 1955, p. 174-
197. Sénèque et le stoïcisme dans l’œuvre du cordelier J. du Bosc (1632, 1643,
1645), in XVIIe siècle, fasc. 29, 1955, p. 353-377. Le stoïcisme dans l’œuvre
de J. L. Guez de Balzac, in Rev. des Sc. Humaines, fasc. 83, 1956, p. 269-300.

28
DIMENSIONS DU STOÏCISME

des traces susceptibles d’être inventoriées par l'historien. Il


exprime une attitude de l’homme devant le monde, qui se reflète
dans ses positions philosophiques évidemment, mais aussi dans
ses idées religieuses, et même dans ses théories physiques. Le
stoïcisme appartient à la philosophia perennis 1, Il constitue une
masse intellectuelle, qui est toujours sur le chemin du penseur,
dans tous les domaines. Pour ou contre.

En Philosophie. Les Stoïciens placent l’homme dans


le cosmos, mais dans un cosmos où
il est parfaitement à l’aise. Lui, le vivant intelligent, est intégré
dans un monde tout entier pénétré d’intelligence et d’ordre supé-
rieur, un monde essentiellement logique, où tout conspire à une
même fin et fait naturellement le bonheur de l’être doué de logos.
Cette Weltanschauung, foncièrement optimiste, n’est pas indif-
férente aux systèmes philosophiques modernes ?. Par exemple,
on souligne volontiers aujourd’hui le fragique ou l'absurde de
l'existence et l’on exalte la notion de révolte 3. Cette attitude peut
se concevoir dans une perspective platonicienne de tendance
dualiste et de transcendance divine, où l’univers sensible s’oppose
à Dieu. Le stoïcisme au contraire, où l’homme ne fait qu’un avec
le monde et avec Dieu en un Tout rationnel, l’écarte absolument.
La pensée stoïcienne peut ainsi fournir comme une ligne de
partage des philosophies,

En Religion. . Elle dicte aussi une attitude reli-


gieuse. Avant même de devenir,
à la fin de son histoire, essentiell ement une morale ouverte sur
le divin, elle établit entre Dieu, l’homme et le monde une conti-
nuité physique et par là une intimité, N'est-ce pas une réponse

1. C’est précisément le titre d’un article de E. Ecorpuy, Mision de la Estoa


en la filosofia perenne, in Revista de Filosofia, Madrid, Año 6, 1947, p. 5-56.
I1 en sera question plus loin.
2. Un livre comme celui de D. DuBarre, L’optimisme devant le monde,
Paris, 1949, entre dans cette perspective.
3. On peut citer Malraux, Anouilh, Aragon, Sartre, Bernanos, malgré la note
d’espérance chrétienne; A. Camus, dont toute l’œuvre révèle la même tendance,
en a donné l’incarnation idéale dans L'Homme révolté, Paris, 1951. Le critique
R. M. AzréRËs voit même dans le héros prométhéen la création typique de la
littérature contemporaine, littérature de malheur. C’est l’objet de La Révolte
des écrivains d’aujourd’hui, Paris, 1949, repris secondairement dans L’Aven-
ture intellectuelle du XX° siècle, 1900-1950, Paris, 1950 et dans Les Hommes
traqués, essai, Paris, 1953. Le même auteur donnait au Figaro littéraire du
28 juin 1952 un article sur la philosophie contemporaine sous le titre signif-
catif : L'homme et le cosmos.

29
INTRODUCTION

au problème posé par l’humanisme ? Et la solution apportée par


certains penseurs chrétiens se rapproche des positions stoi-
ciennes, L'étude de la continuité âme-homme-monde, avec l’inci-
dence du péché qui relâche le lien, constitue un thème central
du livre de J. Mouroux, Le sens chrétien de l’homme #, La ques-
tion que pose A. Frank-Duquesne dans le sous-titre de son
curieux ouvrage Cosmos et Gloire5: « dans quelle mesure
l'univers physique a-t-il part à la Chute, à la Rédemption et à la
Gloire finale ? » est résolue parallèlement au stoïcisme. L'auteur
y établit la thèse d’un monisme chrétien qui ne peut pas ne pas
évoquer le monisme d’il y a vingt-trois siècles. Il montre que
l’homme est le lien entre le monde et Dieu 6. Il se fait l’apôtre
d’une théologie cosmique 7 et cueille à cet effet une gerbe mer-
veilleuse de textes scripturaires ou liturgiques à tendance
moniste. Il croit même, d’un point de vue purement chrétien,
pouvoir « estimer qu'une intelligence — mens quaedam — va de
pair avec chaque créature matérielle, qu’une conscience, … de
nature peut-être inconnue pour nous, surveille, guide, protège...
le moindre brin d’herbe » 8,
Dans cette spiritualité, qui se veut chrétienne, on retrouve
jusqu’à la terminologie stoïcienne :

Physiquement nous appartenons donc à l'univers, sans aucune res-


triction. Par rapport à la nature qui nous environne, dans l’espace
et dans le temps, la vie physique est continue: il n’y a, sous cet
angle-là, pas de règne proprement hominien.
En ce sens, l’homme est un microcosme, un condensé d’univers; car,
dit S. Grégoire le Grand, « il a quelque chose de chacune des créatures ;
c’est pourquoi l’homme est, en quelque sorte, toute créature, et par lui,
en lui, toute la création inférieure reçoit la prédication chrétienne »
(Off. Ascension, 9° lecon des Nocturnes). L'homme, résume Bossuet,
« ramasse en lui-même l’univers »; outre sa beauté purement physique,
sa forme corporelle possède une valeur universelle, une signification
cosmique qui en fait la noblesse ?.

Dans la perspective rédemptrice, l’auteur donne la contre-


épreuve de ses positions : « le monde doit devenir en fait, parce
qu’il l'est déjà en principe, en quelque sorte le corps dilaté de
lhumanité, son macrosome, c’est-à-dire l’homme répandu et

. Dans la collection Théologie, Paris, 1948.


+ Paris, 1947,
. Ibid., surtout p. 63-69.
. Ibid., p. 51.
. Ibid., p. 113-114; cf. p. 129.
. Ibid., p. 27-28. Plus loin (p. 184), l’auteur signale la thèse
se
SOI
chez saint
Thomas : « Comme le dit S. Thomas, on peut qualifier l’homme
de micro-
cosme (De ueritate, qu. 5, art. 8). »

30
DIMENSIiONS DU STOÏCISME
communiqué » 10, N'est-ce pas précisément une tendance de la
sotériologie moderne, que cette insistance sur la portée cosmique
de la Rédemption ? 11.

_ En Physique. Les physiciens aussi, parfois appa-


remment à leur insu, marchent
parallèlement aux théories fondamentales du stoïcisme. Des
œuvres de vulgarisation s’en font l’écho. G. L.-S. Mercier, dans
La vie de l'Univers 12, ramène tout à une énergie, à une vie
universelle : « la vie anime tout l’univers, dans son ensemble et
ses parties » 13, Evoquant l’autonomie relative de l’atome, « qui,
mutilé, se régénère lui-même », il poursuit : « Ceci permet déjà
d'affirmer. qu’il n’y a pas de limite inféricure à la vie, et que.
toutes les cloisons qu’on a cherché à édifier entre le monde
vivant et le monde inorganique sont arbitraires et dépourvues
d’objectivité » 14, L'auteur souligne « l'unité de processus naturel
tout au long de cette féerique promenade qui aboutit par paliers
successifs à la spiritualité divine, placée au sommet de l'édifice
et non plus dans les sous-sols » 15,
Un autre contemporain, René Bertrand, qui se sert de certaines
données grecques, mais ne nomme pas une fois les Stoïciens,
écrit un livre dont le titre suffit à évoquer le stoïcisme : L’uni-
vers, cette unité 16, Sans mentionner la sympathie antique, nom
propre de cette parenté entre les êtres, il semble la décalquer,
la traduire en langage moderne : « toutes les choses de ce monde
sont prises dans les liens de connexion de l’inflexible unité » 17.
ll précise : « il est permis de penser que l’univers tout entier est
soumis à des lois de connexion générale dont la marche du
destin, la ronde des électrons, et le parcours des astres ne sont
que des symptômes » 18, Dans « l’unité de la matière », il peut
« concevoir ensuite les liens de sympathie, les cheminements
secrets qu’elle suppose » 19.

10. Cosmus et Gloire, Paris, 1947, p. 5.


11. Cette tendance se manifeste dans l’intérêt que l’on porte à certains
versets de saint Paul (Rm., 13, 9; Ep., 1, 10-21; Col., 1, 20), à la thèse de la
récapitulation chez saint Irénée (cf. infra, ch. XII). Elle se révèle dans certains
travaux du P. Daniélou, dans l’étude du Père A. HamMAN, Le mystère du
Salut, Paris, 1954. Elle s’exprime avec éclat dans la poésie d’un P. CLauDer,
qui est un monisme baptisé, surtout dans Les Grandes Odes. Elle est au cœur
des grandes visions physiques et métaphysiques de TEILHARD DE CHARDIN,
Le phénomène humain, Paris, 1955; Hymne de l'Univers, Paris, 1961.
12. La vie de l’univers, essai de philosophie scientifique, Paris, 1946.
13. 1bid., .p. 252.
14. Ibid., p. 285.
15. Ibid., p. 315.
16. L'univers, celte unité, Paris, 1950.
17. Ibid., p. 236.
18. Ibid., p. 184.
19. Ibid, p. 183.
31
INTRODUCTION

Conclusion. Qu'importe la valeur ou le bien-


fondé de ces théories philoso-
phiques, religieuses, scientifiques ! Elles existent et nous ne
pouvons nous empêcher de voir se dresser dans leur ombre,
parfois en contraste ou en réplique, les thèses stoïciennes. Le
stoïcisme est présent partout, comme Hermès à la croisée des
chemins : on n’y échappe pas. En un sens, il n’existe au fond que
deux philosophies : d’une part, la philosophie unitive, qui associe
Dieu, l’homme et le monde et néglige de distinguer l’esprit de la
matière; d'autre part, la philosophie divisive, si l’on peut dire,
qui oppose à Dieu la matière et écartèle l’homme entre les deux.
On a reconnu la philosophie stoïcienne et son monisme, très
rigoureux à l’origine, en face du platonisme avec son dualisme
qu’accentuent les disciples, vrais ou faux, de Platon 2, Loin
d’être un mouvement indifférent à notre pensée, le stoïcisme
apparaît comme le type de la philosophie de l’unité, de l’unité
non seulement originelle à la manière de Platon, mais actuelle.
Il englobe dans ses vastes dimensions tout courant de pensée
qui maintient le monisme cosmique. On mesure ainsi la portée
de l'influence qu’il a pu exercer.

III. STOÏCISME ET CHRISTIANISME

Une question. Dès lors se pose une question :


quelle fut la rencontre de ce grand
mouvement de pensée avec le christianisme ? Pour y répondre,
on songe peut-être à certaines thèses assez vieilles qui rappro-
chent le stoïcisme tardif du christianisme biblique. Mais on ne

20. Il faut noter une bonne fois que platonisme ne signifie pas nécessai-
rement doctrine propre à Platon ou caractéristique de sa pensée. L’œuvre de
Platon, dans sa richesse, contient des éléments très divers et révèle une évo-
lution. De plus, les Platoniciens se sont emparés de certaines positions du
maître, qu’ils ont souvent durcies, en particulier de cette espèce de dualisme,
qu’ils accordent parfois tant bien que mal avec l’idée d’unité. Le R. P. Fesru-
GIÈRE a montré merveilleusement cette variété du platonisme dans La Révé-
lation d’Hermès Trismégiste, t. Il, Le Dieu Cosmique, 2% éd., Paris, 1949,
ch. v, Platon, Le Timée et les Lois, surtout p. 93, 110, 131, 141, 145. À la
tendance dualiste du platonisme peuvent se rattacher, avec beaucoup de
réserves, le gnosticisme, le manichéisme et même, en passant par l’augusti-
nisme, le jansénisme. Pour le gnosticisme et le manichéisme, cf. la thèse très

32
STOÏCISME ET CHRISTIANISME

voit surgir aucune étude globale sur les liens qui unissent cette
philosophie et la théologie chrétienne des premiers siècles. Si
l'on pousse la curiosité jusqu’à tourner les pages des grands
répertoires de la pensée religieuse, la surprise s'aggrave. Ces
Dictionnaires et Encyclopédies n’offrent, sur la philosophie stoi-
cienne, que des études superficielles, rapides et fragmentaires,
incapables de satisfaire l’historien de la pensée, pour peu qu’il
soit averti du problème, Seul le monumental Dictionnaire de
Théologie Catholique de Vacant-Mangenot-Amann épargne au
chercheur cette déception. et pour cause ! C’est que le mot
« stoïcisme » n’y a pas reçu droit de cité 1. Les noms des grands
maitres de la Stoa n’y figurent pas davantage. Sénèque, Musonius,
Epictète et Marc-Aurèle, si souvent rapprochés du christianisme
depuis un siècle, y sont inconnus. Quand on songe que le même
dictionnaire consacre au Platonisme des Pères, sous la signature
de R. Arnou, un article substantiel de 134 colonnes, on est vrai-
ment surpris.

Le Stoïcisme des Pères. Le contraste est d’ailleurs signifi-


catif. Le Platonisme des Pères, voilà
une formule désormais familière aux historiens et pleinement
agréée dans tous les milieux. Qui parle du Stoïcisme des Pères ?
Serait-ce qu’il n’existe pas ? On ne peut accepter cette réponse:
I1 faut le dire : trop penché sur le platonisme, on n’a guère
étudié la survie du stoïcisme aux premiers siècles de notre ère,
en particulier chez les écrivains ecclésiastiques. On a bien
examiné la parenté entre le message évangélique et la philoso-
phie stoïcienne. On a posé — et trop souvent — la question des
rapports de saint Paul avec Sénèque et le Portique. Au contraire,
on ne s’est guère occupé de l'influence du stoïcisme ambiant sur
l'élaboration de la théologie chrétienne chez les Pères de l'Eglise.
Le présent travail voudrait contribuer à combler cette lacune.
Réalisé avec des moyens de fortune, en des conditions pénibles,
dans la province de la province, pourra-t-il y satisfaire? L’auteur
a, certes, l’avantage d’avoir été initié jadis à la science patristique
par un érudit méthodique et sûr, M. l'abbé M. Richard, chef de
la section grecque de l’Institut de Recherche et d'Histoire des
Textes. Dans l’élaboration de cette thèse, il a profité du vaste

discutée de S. PÉTREMENT, Essai sur le dualisme chez Platon, les Gnostiques


et les Manichéens, Paris, 1947, surtout p. 129-304. Sur la tradition platoni-
cienne au Moyen Age, ses apparitions sporadiques, nombreuses et variées,
cf. R. KurBansky, The Continuity of the Platonic Tradition during the middle
ages, I, Outlines of a Corpus Platonicum Medii Aeui, 2° édit., Londres, 1950.

1. À vrai dire, c’est cette constatation précise qui a déclenché les présentes
recherches.

33
INTRODUCTION

savoir et de la sollicitude encourageante d’un grand ami des


Pères, M. H.-I. Marrou, qu’il assure de sa reconnaissance aussi
cordiale que respectueuse. Mais la difficulté de la matière, la dis-
tance, spatiale en particulier, qui séparait le disciple du maître,
ont pu fausser l'influence bienfaisante ou la réduire à l’état de
grâce suffisante. Telle quelle cette étude présente un double avan-
tage : d’abord elle signale à l'historien de la pensée philosophique
ou religieuse un vaste domaine insuffisamment exploré; ensuite,
parce qu’elle touche à tout et piétine les plates-bandes de cent
spécialistes, elle offre une proie facile à la critique !

Hazebrouck (Nord), Petit Séminaire, 1°* juin 1955.


PREMIÈRE PARTIE

LE PROBLÈME GÉNÉRAL
CHAPITRE PREMIER

LE STOÏCISME
ET LA PENSÉE PHILOSOPHIQUE
AUTOUR DU lIlI° SIÈCLE

I. LE MILIEU PHILOSOPHIQUE ET RELIGIEUX

Le christianisme est né en un temps où le monde gréco-romain


éprouvait un profond besoin religieux. Cette religiosité — «€ la
seconde religiosité >» — est vraiment la caractéristique la plus
marquante de cette époque. Toutes les philosophies ont pris une
teinte théologique et mystique: elles veulent être montée vers
Dieu jusqu’à la saisie, jusqu’au contact divin. Mais dans ce rap-
prochement par les sommets, les doctrines se sont rencontrées;
elles ont perdu leur pureté. Il s’est opéré une vaste contaminatio
de tous les systèmes. C’est la ruine de l’orthodoxie en faveur
d’une espèce de syncrétisme. Religiosité, éclectisme, telles sont
peut-être les deux marques les plus profondes de la pensée
autour du Il° siècle. Sans prétendre le moins du monde faire
l’histoire de l’époque 1, il est utile de souligner ces deux ten-.
dances capitales.

1. On la trouvera dans tous les Manuels d’Histoire de la Philosophie.


L'étude la plus précise se lit peut-être dans le livre déjà cité de M. PoxLenz,
Die Stoa…, qui consacre une IVe partie — cent pages exactement — aux
courants contemporains du stoicisme romain : le judaïsme, la gnose et l’her-
métisme, le néo-pythagorisme et le néo-platonisme, le christianisme enfin, et
dans M. P. NiLsson, Geschichte…., cité à la note suivante.

37
LE STOÏCISME DU I SIÈCLE

A. L'ÉCLECTISME

« Le génie n’a qu’un siècle. » Le monde grec en offre la


meilleure illustration. Avec l’ère classique, évidemment plus
longue que notre période classique, s’achève à jamais la généra-
tion des génies. Il ne se lève plus de grandes personnalités et
Rome tente vainement d’assurer la relève de la pensée. Désor-
mais le penseur, ou celui qui se veut tel, vit du passé. Si les
écoles subsistent avec leurs rivalités, elles sont incapables d’édi-
fier un système ou même de sauvegarder l'intégrité de leur héri-
tage 2. Tous les écrits de ce temps révèlent ce déclin de l’esprit
créateur,

Auteurs et écrits. Philosophes et rhéteurs vivent d’em-


prunts divers,souvent mal accordés.
Cicéron est un témoin idéal de l’époque : tous les systèmes ont
trouvé refuge dans sa vaste synthèse philosophique. Que dire des
hommes dont la personnalité est moindre ? On peut les citer
au hasard, parce qu’il n’y a pas d’exceptions : un Lucien de
Samosate, qui se moque de toutes les philosophies 8, un Plu-
tarque, qui pourfend les Stoïciens et inconsciemment en porte la
livrée, un Maxime de Tyr, que son critique récent appelle préci-
sément « Platonicien éclectique » 4, Celse5, Numénius d’Apa-
mée 6, Albinos 7, etc. Et dans le monde latin, les deux Pline,
Apulée, Aulu-Gelle, qui se dérobent à toute étiquette. Les progrès
de l’histoire révèlent sans cesse plus clairement cet aspect de la

2. Le R. P. FEsTuGièRe explique trop bien cette naissance de l’éclectisme


pour que nous osions y revenir, ceci dans l’ensemble admirable de sa Révé-
lation d’Hermès Trismégiste, mais surtout t. II, Le Dieu Cosmique, IVe partie,
Le dogmatisme éclectique, ch. x11, Les origines de l’éclectisme, Paris, 1949.
M. P. Nicsson, Geschichte der Griechischen Religion, t. II, Die hellenistische
und rômische Zeit, Munich, 1950, souligne le vieillissement de la pensée
(p. 308-309, en particulier).
3. M. CAsTER, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris, 1937.
4. G. Soury, Aperçus de philosophie religieuse chez Maxime de Tyr, Plato-
nicien éclectique. La prière, la divination, le problème du mal, Paris, 1942.
5. Sur Celse, voir en dernier lieu C. ANDRESON, Logos und Nomos, die
Polemik des Kelsos wider das Christentum, in Arbeiten zum Kirchenge-
schichte. 30 (1955).
6. H.-( 4. Puecn, Numénius d’Apamée et les théologies orientales au second
siècle, in Annuaire de l’Institut de Philosophie et d'Histoire Orientales, t. I,
1933-1934 (Mélanges Bidez), Bruxelles, 1934, p. 745-778. Il souligne que son
platonisme est marqué d’orientalisme (p. 770, cf. 778) et de gnosticisme (p. 775).
7. R.-E. Wirr, Albinos and the history of the middle platonism, Cambridge,
1937. Après avoir souligné les diverses influences, l’auteur note l’éclectisme,
p. 114, par exemple. Pour le texte, cf. P. Louis, Albinos, Epitome, Paris, 1945.

38
LE MILIEU PHILOSOPHIQUE
réalité : nulle part on ne trouve plus, autour du Il° siècle, un
système philosophique à l’état pur 8, moins encore une pensée
créatrice.
Certains hommes et certaines œuvres sont encore plus révé-
lateurs de cette faiblesse. Philon mêle à son judaïsme des éléments
de toute provenance. « C’est le bon élève nourri de lieux com-
muns, dit le R. P. Festugière. Toute occasion lui sert de prétexte
pour répéter avec monotonie d’édifiantes banalités. Mais il n’a
aucun souci d’être conséquent avec lui-même » ?. Cette même
absence de cohérence logique transparaît dans le Peri Kosmou
du pseudo-Aristote 19, et surtout dans le Corpus Hermeticum., Le
Corpus rassemblé sous le nom d’Hermès Trismégiste et composé
entre 100 et 300, bien qu’il soit essentiellement religieux et secon-
dairement philosophique, est un témoin excellent de ce grand
imbroglio de systèmes. On y trouve des parcelles de toutes les
philosophies. On y est tour à tour optimiste et pessimiste, moniste
et dualiste. Les différents discours ne s’accordent aucunement
entre eux, ce qui est encore compréhensible, mais même à l’inté-
rieur d’un discours unique des éléments contradictoires ont
pénétré. L’idée d’un système homogène est passée nettement au
second plan.

Genres littéraires.
Au contraire, il apparaît des genres
nouveaux, typiques de l’éclectisme.
Sans doute la rhétorique a pris le pas sur la pensée; on développe
un thème pour le plaisir de l’éloquence ou de la discussion et
c’est déjà une terrible nouveauté, qui fait le succès de la diatribe.
Mais l’impuissance d’une pensée personnelle se réfugie aussi

8. On constate de même que la philosophie d’Alexandrie est plus éclectique


que platonicienne. C’est la position de J. SALAVERRI, La filosofla en la escuela
Alejandrina, in Gregorianum, 10, 1934, p. 485-499. On trouve la même note
dans les études sur Clément d’Alexandrie ou sur Origène, par exemple
E. DE Faye, Clément d'Alexandrie, Etude sur les rapports du christianisme
et de la philosophie grecque au Ile siècle, 2° édit., Paris, 1906. Origène, sa vie,
son œuvre, sa pensée, 3 vol., Paris, 1923-1928, dont le tome II est consacré
au milieu philosophique. J. DantIÉLOu, Origène, Paris, 1948, dont le ch. 1v
a pour titre : Origène et le milieu philosophique (Livre Ier, p. 85-108).
9. La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 519. H. A. Wozrson, qui est
moins sévère pour la personnalité de Philon, souligne cependant, au sujet des
divisions de l’âme, que Philon adopte tour à tour les théories platoniciennes,
aristotéliciennes et stoïciennes (Philo, Foundations of religious philosophy
in Judaism, Christianity and Islam, Cambridge, Mass., t. 1, p. 389). E. VANDER-
LINDEN fait bien une exception pour la théorie de la connaissance, qu’il juge
unifiée (Les divers modes de connaissance de Dieu selon Philon d'Alexandrie,
in Mélanges de Sc. Relig., 4, 3, 1947, p. 303-304). Mais H. A. Wozrson note que
même là il y a mélange de terminologie stoïcienne et de théories platoni-
ciennes (Philo…., t. II, p. 7). P. BoyANCÉ reproche au P. Festugière de voir
des lieux communs partout et de négliger les particularités (Le Dieu Cosmique,
in Rev. des Et. Grecq., 64, 1951, p. 304-305). Il l’accuse, en particulier, de
méconnaître la personnalité de Philon (ibid., p. 305-307).
10. Avec son mélange d’aristotélisme antistoïcien et de stoïcisme.

x 39
LE STOÎCISME DU Il° SIÈCLE M.
dans la science de seconde main. « Nous sommes... à l’âge des
manuels scolaires », dit le P. Festugière 11, Ces livres de vulgari-
sation exposent les divers systèmes et présentent une foule de
lieux communs parfois contradictoires, souvent inconscients de
leur origine. La doxographie avec ses recueils de sentences 12
triomphe. On en vient même au répertoire, qui groupe des textes
autour d’un mot ou d’une idée, comme les Pères dans les flori-
lèges exégétiques rassembleront les interprétations de leurs pré-
décesseurs autour des versets successifs de lEcriture. Ces
ouvrages, fruits de l’éclectisme, ne pouvaient que ramener à
l’éclectisme. Ils fournissent à la pensée paresseuse ou incapable
une pâture hétéroclite très bien venue.
Il résulte de ce siècle de médiocrité une espèce de philosophie
commune, où tous les systèmes se mêlent sans distinction. Cette
koinè est une rapsodie de lieux communs qu’étale « tout indi-
vidu qui a participé à la ra«delax grecque », nous dirions : € qui
a fait ses classes » 13. Les diverses théories sont broyées au
creuset de cette philosophie de culture et ne parviennent qu’à
travers ce mélange au citoyen du monde hellénique.

B. LA RELIGIOSITÉ

Cette philosophie présente, par rapport à l’époque classique,


un caractère propre : son orientation morale et religieuse.
L'homme du monde hellénistique, durement secoué dans ses
assises politiques, est incapable de se tenir dans le ciel serein
de la pensée désintéressée. Au milieu de l’incertitude extérieure,
il cherche un havre de paix au fond de lui-même et croit le
découvrir dans une doctrine qui permet de triompher des vicis-
situdes du temps; une doctrine qui dicte une manière de vivre

11. La Révélation d’IHermés Trismégiste, t. II, p. X, cf. p. 344.


12. Les Pères font allusion à ces recueils de sentences. Athénagore dit qu’il
se sert de 54%ar (Leqg., NI). Hippolyte, au contraire, prétend les écarter, tout
en reconnaissant qu’ils constituent le seul moyen de s’initier « à la sagesse
de ce siècle » (Noel., IX, éd. NAUTIN, 251, 3-4). La plupart en font usage sans
le dire. R. M. GRANT a fortement souligné cette manière de faire chez Irénée
et les Pères antérieurs (Irenaeus and hellenistic culture, in Harvard Theolog.
review, 42, 1949, p. 41-52). Que dire d’un Clément d’Alexandrie (cf. R. B. Tor-
LINTON, Clement of Alexandria, a study in christian liberalism, t. I, Londres,
1914, p. 149-177)? ou d’un Tertullien (WasziNk, p. 21*-47*, surtout p. 21*-38*)?
On retrouve l’usage des répertoires ct encyclopédies (celle du stoïcien Héro-
phile) chez un Origène (R. Capiou, Dictionnaires antiques dans l’œuvre
d’Origène, in Rev, des Etudes Grecq., 45, 1932, p. 271-285; l’auteur montre
l’importance de cette pratique à l’époque et précise qu’il s’agit surtout de
dictionnaires d’inspiration stoïcienne ou aristotélicienne).
13. R. P. FesTUGIÈRE, La Révélation d'Ilermès Trismégiste, t. II, p. 243.

40
LE MILIEU PHILOSOPHIQUE
et rapproche de Dieu; une mystique qui sauve 14 Un Numénius
d’Apamée en est un exemple. Ce Platonicien « transposa dans
l’intemporel, dit son biographe, la succession et tout l'arbitraire
des événements d’ici-bas 15 ». Il aspire à un contact divin qui
serait paix et repos, au-delà du monde 16,

Tendance générale. Au-delà du monde. Evidemment,


on n’abandonne pas la science de
l’univers. Loin de là. Les questions naturelles constituent même
un domaine préféré pour le chercheur. Mais on est incapable
désormais de s’en tenir aux données rationnelles. La physique
devient métaphysique et la philosophie théologie. Dépassement
ou évasion, on s’empresse de quitter les réalités visibles, ou, si
l’on y reste, c’est pour y chercher une présence divine. « Le
monde, dit le P. Festugière, n’est pas tant étudié pour lui-même,
que comme un moyen d’aller à Dieu, de reconnaître la provi-
dence et le gouvernement de Dieu. C’est là le thème constant de
la philosophie populaire à l’époque gréco-romaine. Et cette phi-
losophie populaire a régné sans changement depuis le début de
l’ère chrétienne jusqu’à la fin des Antonins. Elle est identique
chez Sénèque et chez Pline, chez Epictète et chez Maxime de Tyr,
chez Philon et dans les traités monistes du Trismégiste 17 ». Cette
évolution s’est faite, en particulier, dans le milieu d’Alexandrie,
où le rationalisme semble mourir au profit d’une pensée reli-
gicuse et contemplative 18.
La tendance mystique se révèle partout; d’abord en philo-
sophie, et l’on pourrait rappeier tous les auteurs cités plus haut
pour l’éclectisme. On retrouve la même atmosphère dans les
développements de la littérature sibylline 19, Elle produit un
renouveau des mystères dont Clément d’Alexandrie se fait l'écho.

14. « Misère et mysticisme sont des faits connexes, l’un appelle, exige
l’autre », dit le P. FESTUGIÈRE, Cadre de la mystique hellénistique dans les
Mélanges M. Goguel, Aux sources de la Tradition chrétienne, Neuchâtel-
Paris, 1950, p. 84.
15. H.-Cn. Purcn, Numénius d’Apamée et les théologies orientales...;p. 766.
16. Ibid., p. 774. « C’est un platonisme appuyé sur une sorte de gnosti-
cisme », dit l’auteur plus loin, p. 778.
17. La Révélation d’Ilermés Trismégisle, t. II, p. 478-479.
18. G. LazzAT1, Introduzione allo studio di Clemente Alessandrino, Milan,
1939, p. 41-50, étudie le milieu et explique Clément comme une réponse à
l’appel mystique du monde grec (p. 60), où l’on met la philosophie au second
plan (p. 50, cf. p. 70-71).
19. À. Kurress, Sibyllinische Weissagungen, texte et trad., Munich, 1951. Le
texte offre un mélange de judaïsme, d’hellénisme et d’hcrmétisme, essentiel-
lement religicux.

41
LE STOÏCISME DU Il SIÈCLE
Elle donne un regain de vigueur à la médecine magique. L’hermé-
tisme est le reflet exact de cette science secrète de contact avec
Dieu où entrent philosophie, théologie, astrologie, médecine,
alchimie, en un mot toute science qui peut se teinter de religion.

Les aspects Cet état d’esprit a été excellemment


de cette tendance. étudié par le P. Festugière, qui à
résumé son savoir de spécialiste en
un bref article. Il y distingue trois tendances qu’il ramène fina-
lement à deux. Parmi les hommes, dit-il, les uns, affectés par la
déficience des êtres, cherchent un être hypercosmique, un prin-
cipe suressentiel; c’est la tendance qu’illustra Plotin. Les autres
sont frappés par le désordre d’ici-bas. Tantôt ils jugent mauvais
le seul monde sublunaire et envisagent comme idéal de contem-
pler l’ordre des astres, c’est la mystique astrale; tantôt le monde
leur apparaît foncièrement mauvais : il faut le dépasser totale-
ment par un salut libérateur. Le moyen en est généralement une
connaissance privilégiée acquise par la magie ou l'initiation,
entretenue par une purification que l’homme accomplit grâce au
Saluov népeSpos. Nous sommes dans le gnosticisme. Enfin, cer-
tains semblent comme inverser le problème. Ils trouvent dans la
vision de Dieu et la connaissance de ses oracles un moyen qui
permet le passage à la science ou à l’action. En somme, conclut
le Père, « il n’y a que deux mystiques, l’une de sagesse ou théo-
rétique, l’autre de salut ou hiératique. Dans la première, c’est
encore l’homme qui agit, par sa raison divine; dans la deuxième,
Dieu lui-même est l’acteur et offre à l’homme le salut 20 ». On
peut ajouter : d’un côté comme de l’autre, la vision de Dieu
occupe la première place. L'époque est dominée par le désir
d'atteindre Dieu.

II. LE GNOSTICISME

On peut dire que cette tendance religieuse culmine dans le


gnosticisme, ce vaste mouvement dont on découvre aujourd’hui
les vraies dimensions 1, On sait qu’il ne faut pas réduire ce phé-
nomène considérable à une hérésie chrétienne; il déborde le fait:

20. Cadre de la mystique hellénistique, dans les Mélanges M. Goguel, Aux


sources de la Tradition chrétienne, Neuchâtel-Paris, 1950, p. 74-85.
1. Les récentes découvertes ont permis une vue plus juste. L’intérêt de ces
découvertes a été signalé par J. Doressr, Trois livres gnostiques inédits :

42
LE GNOSTICISME

chrétien, comme il déborde le monde hellénique ?. Malgré cette


extension, sa vitalité est telle qu’on ne peut étudier aucune philo-
sophie de l’époque sans en tenir compte, sans y apporter une
profonde attention. La pensée chrétienne en est particulièrement
marquée, en négatif ou en positif, depuis le Nouveau Testament
jusqu’à Clément d’Alexandrie. Après la lutte ouverte contre le
gnosticisme, ce qui est le fait surtout d’Irénée, de Tertullien et
d’Hippolyte, avec Clément on tente de canaliser le mouvement,
de le saisir dans sa racine pour le baptiser sous la forme d’une
gnose chrétienne. Le gnosticisme est certainement un fait capital
dans l’histoire du christianisme des premiers siècles 8.

Essence du gnosticisme. La gnose est née d’une expérience


humaine. « L'homme est un Dieu
tombé qui se souvient des cieux. » Le gnostique a pris conscience
plus qu’aucun autre de cette grandeur ancienne et de cette
déchéance. Il a ressenti douloureusement la pauvreté de sa condi-

Evangile des Egyptiens, Epître d’Eugnoste, Sagesse de Jésus-Christ, in Vigiliae


Christianae, 2, 1948, p. 137-160. Une Bibliothèque gnostique copte, in La Nou-
velle Clio, 1, 1949, p. 59-70. J. Doresse et Toco Mina, Nouveaux textes gnos-
tiques coptes découverts en Haute-Egypte, La bibliothèque de Chenosbokion,
in Vigiliae Christianae, 3, 1949, p. 129-141. Toco M1NA, Le papyrus gnostique
du Musée Copte, in Vigiliae Christianae, 2, 1948, p. 129-136. H.-CH. PUECH en
a fait le point dans un important article : Les nouveaux écrits gnostiques
découverts en Haute-Egypte, premier inventaire et essai d’identification, dans
les Coptic Studies in honor of W. E. Crum, Boston, U. S. A. Byzantine
Institute, 1950, p. 91-154. Sur la doctrine même, il faut signaler l’étude
massive de F. M. M. SaAcNarp, La gnose Valentinienne et le témoignage de
saint Irénée, Paris, 1947, et son édition des Extraits de Théodote, coll. Sources
Chrétiennes, Paris, 1948. Nous avons aussi une riche série d’articles de
G. Quispez, The original doctrine of Valentine, in Vigiliae Christianae, 1,
1947, p. 43-73. La conception de l’homme dans la gnose valentinienne, in
Eranos Jahrbuch 1947, t. XV, Der Mensch, 1re partie, Zurich, 1948, p. 249-256.
L'homme gnostique (La doctrine de Basilide), in Eranos Jahrbuckh 1948, t. XNI,
Der Mensch, 2° partie, Zurich, 1949, p. 89-139. La lettre de Ptolémée à Flora,
in Vigilite Christianae, 2, 1948, p. 17-56. Même titre, Sources Chrétiennes,
Paris, 1949. Il a donné aussi une belle synthèse : Gnosis als Weltreligion,
Zurich, 1951, H.-CH. Puecx et G. QuisPez ont commencé la publication d’une
étude doctrinale, avec bibliographie en tête, sur Le quatrième écrit gnostique
du Codex Jung, in Vigiliae Christianae, 9, 2, 1955, p. 65-102 (sans suite). Enfin
en collaboration : H.-CH. Puecx, G. Quispez, W. C. Van Unix et F, L. Cross,
A newly recovered Papyrus : The Jung Codex, Three studies, Londres, 1955.
Devant ces travaux, les études de W. BousseT, Hauptprobleme der Gnosis,
Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament, 10,
Gôttingen, 1907, et de E. De FAye, Gnostiques et Gnosticisme, étude critique
des documents du gnosticisme chrétien aux II° et IIIe siècles, Paris, 1913,
ont vieilli, mais elles restent souvent intéressantes.
2. Ce fait, de plus en plus souligné, est bien résumé par G. QuisPez, Gnosis
als Weltreligion.…, p. 5-12. Le problème est aussi souvent signalé par
H.-CH. Puecx, Les nouveaux écrits gnostiques.…., p. 100, 142-145, 153-154.
3. La théologie de l’époque apparaît comme un anti-gnosticisme, une théo-
logie de réaction, même celle de Clément d’Alexandrie, un peu comme la
théologie catholique de la Contre-Réforme.

43
LE STOÏCISME DU I SIÈCLE
tion actuelle. Le monde visible est loin de le rassurer. Dans son
trouble et son insécurité, il lui semble mauvais. Il ne peut plus
être l'effet et le reflet d’un être intelligent. Comme en revanche
on ne peut mettre en doute la bonté essentielle de Dieu, on le
situe dans un lointain inaccessible, dans une transcendance quasi
absolue, étrangère à notre misère d’ici-bas. Cependant, on ne
reste pas découragé dans cette solitude malheureuse. On comble
la distance par des intermédiaires, qui contribueront à la
remontée de l’homme. On espère un salut#, qu’on attend de
soi, ou de Dieu et de sa révélation purifiante, en tout cas d’une
science supérieure 5. Alors l’homme, déjà partiellement purifié
dans l’ascétisme ici-bas, définitivement glorifié, « acquerra la
vision pure dans les noces sacrées de l’Esprit6 ». Il rentrera
dans l'unité divine. Telle est la mystique qui a jailli « de
l’angoisse inhérente à la condition humaine 7 ».

Conception de Dieu Le gnosticisme comporte donc une


et du monde. théorie de Dieu, du monde et de
l’homme. Dieu est considéré comme
indifférent à ce cosmos qui lui est ennemi. Il est la lumière qui
brille hors des perspectives du monde, d’un monde qui n’est que
ténèbres. Il est l’absolu qui dans son oisiveté sacrée n’est cause
de rien. La causalité est aux mains d’un démiurge, dieu législa-
teur de l’Ancien Testament, ou dieu féminin qui double le dieu
suprême comme auteur de la création, ou même antidieu. Cepen-
dant ces dieux secondaires et les archontes intermédiaires, y
compris le Sauveur, dérivent du Dieu bon par émanation, si
bien que le monothéisme n’est pas radicalement écarté 8.

4. L’idée de salut est « le centre de gravité du système », selon l’expression


de F. M. M. Sagnard.
5. « Un savoir capable de rendre compte à l’homme de sa situation actuelle
dans le monde, en lui dévoilant du même coup son essence authentique, et,
par là, de le délivrer de l'esclavage et de l’erreur où le maintient sa con-
dition terrestre, ou, pour le dire en bref, une connaissance qui apporte
et assure à celui qui l’acquiert le Salut, qui est par elle-même Salut », dit
H.-Cu. Puecn, Les nouveaux écrits gnostiques…., p. 99-100.
6. « Avec le fiancé, le Christ, td xäv de la pensée valentinienne », poursuit
G. QuisPez au sujet de la gnose valentinienne, La conception de l’homme dans
la gnose valentinienne.…., p. 251.
7. L'expression est de H.-Cx. Puecx, Le manichéisme, son fondateur, sa
doctrine, Paris, 1949, p. 70, cf. p. 73. G. QuisPez dit aussi : « La gnose est la
projection mythique de l’expérience personnelle » (Gnosis als Weltreligion.….,
p. 17). Cette dernière phrase souligne que les théories ont été traduites en
mythes. La mythologie est un aspect remarquable du gnosticisme, mais elle
est sans intérêt pour notre propos. Il n’en sera pas question.
8. W. Bousser, Hauptprobleme der Gnosis…., p. 106-107. E. DE FAYE est de
son avis sur ce point (Gnostiques et gnosticisme...).

44
LE GNOSTICISME
Le dualisme est plus prononcé dans l’opposition Dieu-monde.
Le démiurge n’est pas toujours essentiellement mauvais ?, si bien
que le désordre du monde n’est pas toujours absolu. Cependant
la matière est vraiment considérée avec défiance, sinon avec
mépris, qu’elle s’appelle univers ou corps humain. Il existe. une
réelle opposition entre le Dieu qui est vüc, doublé du monde
intelligible d’une part, et le monde sensible d’autre part, où
l'esprit déchu est emprisonné,

Conception de l’homme.
Ce dualisme s'exprime surtout dans
l'anthropologie. L'homme est origi-
nellement bon et beau, de par son voÿç consubstantiel à Dieu.
Mais par ses chutes successives, il s’est dégradé jusqu’à voir ce
voüe, étincelle divine, rivé à un corps de chair, qui lui est
étranger, au milieu du monde et du temps également étrangers.
L'élément proprement surnaturel 10 est en lutte permanente avec
le composé humain victime des passions. L'homme est divisé
aussi dans ses facultés naturelles. L'intelligence est isolée dans
une situation privilégiée. Totalement indépendante du corps et
des sens, elle atteint Dieu par des visions, inconnues des percep-
‘tions extérieures et de notre démarche logique. Le monde, loin
d’être un tremplin, est un obstacle qu’il faut surmonter ou éviter
pour monter jusqu’à Dieu. Le corps et les sens sont inévitable-
ment orientés vers la matière, tandis que l'Esprit éprouve la
nostalgie de Dieu. L’âme est sans cesse partagée et déchirée
entre le haut et le bas. Le gnosticisme est « un christianisme
tragique 11 ».

Le gnosticisme, Lutte et brisure, c’est la marque de


antistoicisme. cette religion. Brisure, d’abord avec
le monde et son histoire temporelle.
L'univers ne sert plus ni à la gloire de Dieu, ni au salut de
l’homme, Il n’y a plus harmonie entre Dieu et le monde, entre
le monde et l’homme, mais choix pénible entre Dieu et le monde,

9. Par exemple dans la Lettre de Ptolémée à Flora.


10. « Semence supérieure qui crée une vraie nature spirituelle au sein de
l'élément psychique d’ici-bas », dit F. M. M. SAGNARD au sujet du voÿç dans
le système de Valentin (La gnose valentinienne…., p. 139).
11. Cette excellente expression est de G. Quispez : « La mystique valen-
tinienne oppose la nature à la grâce, la psyche immanent (sic) au pneuma
transcendant, et le monde à Dieu. Elle est en effet un christianisme tragique »
(La conception de l’homme dans la gnose valentinienne.…., p. 286).

45
hotel
LE STOÏCISME DU II SIÈCLE
entre le monde ou l'Esprit. Le gnosticisme est anticosmique ou
acosmique 12, Et ce rejet de la matière se répète dans le composé
humain, où la part cosmique est délaissée, sans promesse
d’au-delà : le salut, s’il se réalise, ne concerne ni tout l’homme,
ni tout homme. Il y a déchirure dans l’homme jusque dans l’âme
humaine. L’atmosphère est donc nettement antimoniste et l’on
peut ajouter antirationnelle, Plotin et le néo-platonisme, tout en
s’'échappant du monde, restent dans la ligne de la raison et
l’homme fait lui-même le chemin jusqu’à Dieu. La gnose vise à
un au-delà exclusivement mystique obtenu par des moyens plutôt
surnaturels.
Le gnosticisme apparaît ainsi clairement comme un antistoi-
cisme 13. Sans doute le stoïcisme est une philosophie religieuse
et même mystique. Sans doute encore des éléments stoïciens ont
pénétré dans le gnosticisme 14, Mais l'atmosphère est toute diffé-
rente. Le stoïcisme reste relativement optimiste devant le monde
rationnel et unifié, Le monde est pénétré par Dieu, qui en est la
cause immanente et universelle. Cette causalité s'étend à
l’homme, qui, par la connaissance, œuvre de ses sens, la retrouve
dans le clair miroir qu’est l’univers. Sur tous ces points, le gnos-
ticisme semble avoir pris le contre-pied du stoïcisme. Il est plutôt
dans la ligne d’un certain platonisme. Assurément, il ne continue
pas la philosophie de Platon 15. Il ne se confond pas même avec
le néo-platonisme. Mais on y retrouve la même tendance à diviser

12. H.-Cu. Puec, La gnose et le temps, in Eranos Jahrbuch 1951, t. XX,


Zurich, 1952, p. 84-85. C’est la note dégagée spécialement par l'étude de
H. Jonas, Gnosis und spätantiker Geist, Gôttingen, 1934.
13. L’idée se trouve exprimée — indirectement et dans une autre perspec-
tive, mais clairement — dans un article de E. BrRéÉmIER, La Cosmologie
stoïcienne à la fin du paganisme, in Revue de l'Histoire des Religions,
82e année, 64, 1911, p. 1-20, surtout p. 19-20 où l’auteur présente l’adhésion
à la cosmologie stoïcienne comme un moyen d’échapper au mysticisme
gnostique.
14. Déjà Tertullien disait que Marcion était amateur de philosophie stoi-
cienne (Praescr. haer., XXX, CSEL 70, 36, 1-2). G. VERBEKE signale l’influence
du stoïcisme dans les théories du pneuma, semence et logos (L'évolution de
la doctrine du pneuma du stoïcisme à S. Augustin, étude philosophique, Paris-
Louvain, p. 295-297, cf, p. 297-306), dans celles des principes originels,
incorporels et sans forme (p. 288-293). F. M. M. SAGNARD rappelle ces rappro-
chements (La gnose valentinienne…, p. 579-585) et souligne la liaison pneuma-
vie commune aux deux systèmes (p. 241, n. 1). Dès 1880, E. WADSTEIN avait
fait le rapprochement gnosticisme-stoïcisme (Ueber den Einfluss des Stoi-
zismus auf die älteste christliche Lehrbildung, historisch-kritiker Versuch,
in Theologische Studien und Kritiken, 53, 1880, p. 587-665). I1 y avait
consacré 30 pages substantielles (p. 600-630). :
15. La thèse de S. PÉTREMENT, Essai sur le dualisme chez Platon, les
Gnostiques et les Manichéens, Paris, 1947, qui voulait retrouver un dualisme
de type déjà gnostique dans les œuvres de Platon, a généralement été accueillie
avec réserve, avons-nous dit.

46
LE STOÏCISME DU II° SIÈCLE

l’homme et l’univers, à mépriser la connaissance sensible et ses


objets au profit de l’intellect, Beaucoup d’éléments y sont
empruntés au platonisme figé et conventionnel 16, au pseudo-pla-
tonisme pourrait-on dire, qui allait bientôt faire fortune 17.
L’atmosphère est assez voisine du platonisme religieux de
l’époque.

III. LE STOÏCISME AUTOUR DU lII° SIÈCLE

Le stoïcisme qui survécut dans ce milieu philosophique et


religieux en fut profondément marqué. Malgré sa volonté de
sauvegarder l’unité cosmique, malgré sa profession de foi moniste
fidèlement observée 1, il laissa se creuser un fossé entre le monde
et l’âme, entre le monde et Dieu. De la force intelligente qui
mène le cosmos, avec Marc-Aurèle il souligna davantage l’aspect
transcendant et absolu, parfois même les mystérieux caprices :
« Ou fatalité du destin et ordre inflexible, ou providence acces-
sible à la pitié, ou chaos livré au hasard sans direction 2. » Il ne
ferma plus les yeux sur le mal qui règne en lui et autour de lui.
L’individu s’exalta moins comme centre du monde et le Sage
devint plus humain, plus inquiet dans la conquête de la sérénité.
Moins optimiste, le Stoïcien chercha lui aussi un art de vivre,
une morale de salut. La logique et la physique passèrent au

16. J. MEIFORT a noté, au sujet de Clément d’Alexandrie, que Platon est


connu à travers la philosophie contemporaine et méconnu dans ses œuvres
(Der Platonismus bei Clemens Alexandrinus, Tubingue, 1928). J. LEBRETON
parle exactement dans les mêmes termes du platonisme de Justin au sujet
de Dial., IV, 1 (Histoire du dogme de la Trinité, t. II, De saint Clément à
saint Irénée, 5° éd., Paris, 1928, p. 412, n. 1).
17. Tertullien disait déjà que Valentin était un disciple de Platon (Praescr.
haer., XXX, CSEL 70, 36, 1-2). G. QuisPpez l’a souligné pour Basilide dans
L'homme gnostique… A, J. FESTUGIÈRE l’a clairement montré au sujet du
gnosticisme dualiste que combat Tertullien dans le De anima (La Révélation
d’Hermès Trismégiste, t. III, Les doctrines de l’âme, Paris, 1953, p. 4-5, 25,
67-68, 101, ou bien La composition et l’esprit du « De anima » de Tertullien,
in Rev. des Sc. Philos. et Théol., 33, 1949, p. 129-161, article tout entier
dominé par cette idée). Il est remarquable que cet historien dans sa Révé-
lation.…., t. III, p. 62, établit aussi un parallèle d’opposition entre le Stoïcien
et le Gnostique.
1. Même Marc-Aurèle reste moniste déclaré : « Un, en effet, est le
monde fait de toutes choses, dit-il, un le dieu à travers toutes choses, une la
substance, une la loi, une la raison commune à tous les êtres » (Ad seips.,
VII, 9). « Une est la lumière du soleil. Une l’essence commune... Un le
souffle vital Une l’âme intelligente. » (XII, 30). « Considère souvent la
cohésion de tous les êtres dans le monde la conspiration et l’unité de
la matière » (VI, 38).
2. Ad seips., XII, 14.

47
LE STOÏCISME DU II° SIÈCLE

second rang. Cependant les positions ne changèrent guère; les


dogmes et les théories furent maintenus, parfois tempérés, parfois
aussi renforcés, chez Epictète par exemple, par un retour à la
rigueur antique. Le stoïcisme, comme toutes les philosophies,
subit le contrecoup de l’histoire, mais il resta relativement fidèle
à sa tradition 3, grâce à son enseignement solide, et joua, avant
de disparaître soudain, un rôle important dans le monde gréco-
romain.

A. ENSEIGNEMENT ET PROPAGANDE

Le stoïcisme, d’un côté participait à l’organisation générale de


l’enseignement, d’autre part avait ses méthodes propres. Au
sommet de l'édifice, se dressait l’unique école officielle de la
secte, celle d'Athènes, fondée vers 300 avant J.-C. et publique-
ment subventionnée, depuis Marc-Aurèle, par le fisc impérial 4,
comme les trois autres chaires, consacrées au platonisme, à
l’aristotélisme et à l’épicurisme, Il semble qu’un système analogue
de quatre chaires fonctionnait à Alexandrie, mais financé par le
budget municipal. L'enseignement privé, qui existait partout
ailleurs, avait aussi ses maîtres, qui, comme Epictète, propa-
geaient la doctrine en leur nom personnel. Enfin des philosophes
itinérants enseignaient un stoïcisme populaire.

L'enseignement L'enseignement spécialisé s’adres-


théorique. sait à l’élite, qui, après avoir par-
couru le cycle des études secon-
daires, avait acquis quelques notions générales d’histoire de la
philosophie en des Manuels élémentaires, puis avait suivi un
cours sur la doctrine propre de l’école; peut-être même pre-
nait-on « de la sorte successivement contact avec les quatre
grandes traditions de la philosophie hellénistique 5 ». La leçon
revêtait des formes très variées. Tantôt, comme chez Musonius,
elle se faisait discours solennel et conférence publique; tantôt
elle prenait l’allure de causerie spirituelle ou de conversation

3. C’est l’avis du dernier historien du stoïcisme, M. PonLenz, Die Stoa, I.


On trouvera là un exposé magistral de la pensée stoïcienne à cette époque et
des influences qu’elle a subies. Nous n’essaierons pas d’en retracer l’histoire.
Même tendance à souligner la fidélité du stoicisme chez L. EpersTEIx, The
Meaning of Stoicism, Cambridge-Mass., Londres, 1966.

4. Sur ces questions, cf. H.-I. Marnou, llistoire de l’éducation dans l’Anti-
quité, Paris, 1948, p. 292 et p. 534, n. 53.
5. H.-I. MarRou, Histoire de l’éducation.…, p. 286.

48
LE STOÏCISME DU II SIÈCLE
intime entre maître et élèves à la manière d’Epictète. Tantôt
encore elle devenait cercle d’études avec Cornutus. Mais sa forme
la plus scolaire et la plus officielle, qui allait s’imposer pendant
quinze et même vingt siècles, était le commentaire de texte.
On lisait et expliquait les œuvres de base du système et par là
on maintenait la doctrine des anciens. Epictète, par exemple,
choisissait les textes de Zénon, Cléanthe, et surtout Chrysippe, le
classique de l’école. I1 y ajoutait les écrits des disciples les plus
fidèles, tels Antipater et Archidème. Posidonius et Panétius ne
trouvaient grâce que devant un Sénèque. Mais avec ce dernier,
nous débordons les cadres traditionnels de l’enseignement
théorique.

L'enseignement Sénèque est avant tout un éduca-


populaire. teur, un « directeur d’âmes ». Par
ses lettres et ses traités, il propo-
sait à ses destinataires un idéal essentiellement moral, centré
sur la notion de beneficium et incarné fictivement dans le Sage 6.
La note pratique caractérise surtout les conférences que don-
naient les prédicateurs populaires. A la manière des Cyniques,
dont on n’arrivait plus à les distinguer 7, ces « frères mendiants
de l’antiquité 8 » allaient de place en place, de carrefour en
carrefour, inquiéter les âmes en semant la bonne parole. Epictète
rapporte lui-même qu’il avait d’abord tâté de cette méthode et
qu’il en était très « friand », bien que l’accueil reçu ne fût pas
toujours agréable ?. L’objet de ces conférences de propagande se
réduisait à des lieux communs moralisants, traités avec toutes
les ressources de la rhétorique populaire 19: le vrai bien, la
vertu, la tranquillité de l’âme, la liberté, la sagesse, le boire et
le manger, les habits, les meubles. A ces thèmes cyniques, les
missionnaires donnaient une vague couleur stoïcienne. Cette
« école prêcheuse 11 » exerçait une influence directe, moins pro-

6. A. GUILLEMIN, Sénèque, directeur d’'âmes, 1, L’Idéal, in Revue des Eludes


Latines, 30, 1952, p. 202-219; II, Son activité pratique, ibid., 31, 1955,
p. 215-244; III, Les Théories Littéraires, ibid., 32, 1954, p. 250-274.
7. D. R. Dupzey, À Ilistory of Cynism from Diogenes to the 6th century
A. D., Londres, 1937, souligne l'influence du cynisme sur le stoicisme des
deux premiers siècles après J.-C. (p. 187-199), doctrines ct méthodes. Dès le
premier siècle, « stoïciens et cyniques sont pratiquement indistinguables,
à la fois dans leur raisonnement et dans leur propagande » (p. 137). Les
chapitres vu-ix sont consacrés tout entiers à l’époque ici étudiée.
8. L’expression est de FR. ViIsLENEUVE, Etudes de littérature latine,
Montpellier, 1947, p. 114.
9. Dissert,, II, 12, 25.
10. Philosophes ct sophistes se méêlaient, cf. H.-I. Marrou, Histoire de
l’éducation.., p. 289.
11. L'expression est de A. OLTRAMARE, Les origines de la diatribe romaine,
Genève, 1926, p. 10, dont ce paragraphe est inspiré.

49
LE STOÏCISME DU Il° SIÈCLE

fonde que l’enseignement des maîtres; mais, d’une part, elle fit
des doctrines stoïciennes une vraie philosophie populaire;
d’autre part, elle transforma le stoïcisme lui-même, par l’inter-
médiaire d’un auteur comme Sénèque, qui introduisit les thèmes
des propagandistes dans les cadres du système traditionnel. « La
doctrine du Portique, dont il se réclamait, dit A. Oltramare, a
été renouvelée par cette réintégration de tous les éléments diatri-
biques qui pouvaient y être admis 12, »

B. INFLUENCE GÉNÉRALE

Le stoicisme, Par ses méthodes, par la valeur


philosophie-type. sérieuse de ses penseurs, par son
adaptation à l’époque, le stoïcisme
obtenait un succès exceptionnel. Dans le monde en désarroi qui
cherchait son salut, la morale stoïcienne, qui intériorisait l’acte
et plaçait l’homme au-dessus des événements et des vicissitudes
du destin, trouvait audience et attirait la faveur sur tout le sys-
tème. Le stoïcisme était devenu la philosophie prépondérante et
en quelque sorte la philosophie-type dans tous les domaines.
« Comme le Portique, dit K. Prümm, développant un mot de
P. Wendland, est en somme l'expression adéquate de l’époque
hellénistique, nous pouvons aussi considérer sa théologie comme
le type du concept de Dieu chez l’homme cultivé de l’époque 18. »
Le Stoiïcien apparaissait ainsi comme le modèle, l’image symbo-
lique du penseur contemporain. Quand Horace s’en prend aux
moralistes missionnaires, il choisit un Stoïcien pour incarner
le personnage, le néophyte Damasippe fier de son maître Ster-
tinius 14, Le philosophe d’Aulu-Gelle est souvent aussi un Stoi-
cien, par son nom, par ses théories ou par les auteurs qu’il se
plaît à citer 15, L'œuvre satirique de Lucien permet la même
constatation. « Elle contient une majorité imposante de Stoi-

12. Les origines de la diatribe romaine, Genève, 1926, p. 295. L'auteur


montre bien dans ce livre que la diatribe a influencé toute la littérature de
l’époque. :
A Der christliche Glaube und die altheidnische Welt, t. I, Leipzig, 1935,
p. 79.
14. C’est l’objet de la satire 3 du livre IL (cf. II, 7), qui dépeint très
exactement le philosophe ambulant et en rapporte une diatribe in exlenso.
Pour les rapports d’Horace et de la diatribe stoïcienne, cf. A. OLTRAMARE,
Les origines de la diatribe romaine, p. 127-135. Dans un autre domaine,
A. PuecH constate dans le même sens que la théorie de la connaissance
exposée par le vieillard dans le Dialogue de Justin « peut en somme se
ramener au stoïcisme » (Les Apologistes grecs du II° siècle de notre ère,
Paris, 1912, p. 127). è
15. Noct. Att., I, 2; IX, 2; VI, 2; XI, 5; XVII, 1, ctc.

50
LE STOÏCISME DU I! SIÈCLE

ciens », dit M. Caster 16, C’est neuf fois sur dix au Stoïcien que
Lucien s’attaque, quand il dénonce les systèmes. Pour ce grand
témoin, toute la philosophie « se polarise autour du Stoïcien
dévot et de l’Epicurien incrédule 17 ». Le premier est vraiment
l’'incarnation de la philosophie, au point que les deux mots:
stoïcisme et philosophie se recouvrent à peu près.

Sa diffusion. Ces faits disent assez la diffusion


du stoïicisme. Tous les historiens
qui ont étudié l’époque reconnaissent cette emprise du système.
M. Caster, le spécialiste de Lucien, dit qu’au Il° siècle les Stoi-
ciens « avaient pâti de la politique, et leur influence sur le droit
n’était pas très forte encore, mais sur les individus ils exerçaient
une puissante attraction. Leur nombre était considérable et
s’accrut encore, à l’avènement de Marc-Aurèle, par la mode et la
flatterie 18 ». G. Verbeke, qui étudia l’évolution historique de la
notion de pneuma, partage son avis : « Au Il° siècle de l’ère
chrétienne…., plus encore que la philosophie platonicienne, le
stoïcisme a gagné des couches étendues de la population de
l'Empire Romain 19. » Ils sont unanimes à accorder aux Stoïciens
la première place dans la philosophie de l’époque et ne font en
cela que suivre l’avis de Juste-Lipse qui notait déjà : plures fuisse
qui stoicam sectam sectarentur quam qui aliam quamcumque.

Pénétration On constate de même que le stoi-


dans la culture commune. cisme a envahi toute la culture
populaire. Les manuels et les réper-
toires sont bourrés de thèses stoïciennes, telles la religion du
monde 2, l’ordre de l’univers, la Providence cosmique, la sym-
pathie, l’âme parcelle du tout 21, Autant que les cercles aristo-
cratiques de Rome, les milieux populaires en furent pénétrés.
C’est ainsi que le théâtre d’un Publilius Syrus, le mimographe le

16. Lucien et la pensée religieuse.., p. 16, cf. p. 109.


17. Ibid., p. 11-12.
18. Ibid., p. 12.
19. L’évolution de la doctrine du pneuma..., p. 428. Un autre historien porte .
le même jugement pour le Ier siècle : « Après avoir été probablement la
grande foi du monde hellénique, le stoïicisme devenait une croyance quasi
universelle du monde romain du Ier siècle », dit M. BARzIN, La signification
du stoïcisme, in Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales
et politiques de l’Académie Royale de Belgique, 35, 1949, p. 98. Cf. encore
FR. VILLENEUVE, Etudes de Littérature Latine, Montpellier, 1947, p. 110.
20. À. J. FESTUGIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 343.
21. Ibid., p. X, n. 1. E. BRÉHIER note de même quelques thèses d’origine
stoïicienne répandues dans toute la culture de l’époque. Mais il se refuse à
y voir une « tradition philosophique proprement dite » (La cosmologie
stoïcienne.…., p. 2).

A
LE STOÏCISME DU II SIÈCLE

plus célèbre de l’époque, est émaillé de sentences stoïciennes 22.


La terminologie de l’école est entrée dans le vocabulaire usuel.
« Au Il° siècle, dit G. Bardy, il est devenu presque impossible
de parler de Dieu, de la création, de la Providence, des passions,
sans recourir aux termes que les fondateurs du Portique ont
consacrés 28, »

Invasion Par ce détour de la culture, plus


de tous les domaines. que par influence directe, le stoi-
cisme pénétrait toute la vie intel-
lectuelle de l’époque, le droit et les institutions sans doute, en la
personne de Papinien, Paul et Ulpien 24, la philologie certaine-
ment 2; les sciences naturelles, l’alchimie et la médecine chez
un Galien, qui avoue qu’en son temps « on remplirait toute une
bibliothèque des œuvres médicales des Stoïciens ?6 ». Que dire de
la logique et de la morale 27, où les Stoïciens sont spécialisés ?
Toute la littérature porte le sceau de la Stou : Perse, Dion Chry-
sostome, Pline le Jeune, Horace et ses Epitres, Juvénal et la
satire, Quintilien et la pédagogie, Tacite et l’histoire 28, Aelius
Aristide et la sophistique 2. La littérature prophétique en est
marquée %, À la faveur de l’éclectisme, le stoïcisme a pris place
dans les autres systèmes philosophiques. Les Platoniciens lui
empruntent beaucoup d’éléments 31, Le Sceptique Sextus Empi-
ricus ne lui en doit pas moins. Les Péripatéticiens, qui prennent

22. Souligné par Fr. ViLLENEUVS, Etudes de Littérature latine, p. 111-114.


23. Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, coll. Sources Chrétiennes,
Paris, 1943, p. 22.
24. M. PouLrexz, Die Stoa, 1, p. 359. FR. VILLENEUVE, Etudes de Littérature
latine, p. 123-124. Le fait est parfois contesté. Il existe une étude de CASTRO
CoRREIA, O Estoicismo no direito romano, Sño Paulo, 1950.
25. M. PonLe\z, Die Begründung der abendländischen Sprachlehre durch
die Stoa, in Nachrichten der Ges. Wiss. zu Gôttingen, Philolog.-Hist. Klasse,
Fachgruppe TI, Baud III, 6, 1939, p. 152-198.
26. Cité par E. BRÉHIER, Chrysippe et l’ancien stoïcisme, nouv. éd., Paris,
1951, p. 161.
27. Pour la morale, cf. C. MARTHA, Les moralistes sous l’Empire Romain,
Philosophes et poètes, Paris, 1872.
28. P. GRENADE, Le pseudo-épicurisme de Tacite, in Revue des Etudes
Anciennes, 55, 1953, p. 36-57.
29. « Le fond de sa doctrine est évidemment conforme à la théologie
stoïcienne », dit A. BouLANGER, Aelius Aristide et la Sophistique dans la
province d’Asie au Ile siècle de notre ère, Paris, 1923, p. 194. L’auteur y parle
du « stoïcisme éclectique et pratique ».
30. On y trouve, par exemple, un exposé précis de l’éxrüouwot, éd.
A. Kurress, Sibyllinische Weissagungen, Munich, 1951, p. 120, v. 175-182.
31. Il faut rappeler ici l’excellent chapitre I de E. IvanxA, Hellenisches
und Christliches im frühbyzantinischen Geistleben, Vienne, 1948, où Pauteur
montre la rencontre du platonisme et du stoïcisme : la Stoa subit le contre-
coup du spiritualisme, mais dicte son monisme. On peut rappeler le stoïcisme
d’un Alhinos (R. E. Wrrr, Albinos and the history of the middle platonism,
Cambridge, 1937, p. 10-13).

52
LE STOÏCISME DU Il° SIÈCLE

le stoïicisme comme antimodèle, y puisent néanmoins 32, Cette


influence se poursuit, quand, au III° siècle, des courants nou-
veaux envahissent le monde, avec le judaïsme hellénique, issu
de Philon, avec la gnose et l’hermétisme, avec le néo-pythago-
risme et le néo-platonisme 58. Tous les genres littéraires et tous
les domaines de la pensée ont subi l’influence du stoïcisme.

Conclusion. Telle est la position du stoïcisme


aux deux premiers siècles de notre
ère. Comme école il a perdu de sa vitalité, mais il n’en garde
pas moins jusqu’en 250 environ, date à laquelle il s’éclipse
soudain, une place prépondérante et unique dans le milieu phi-
losophique et religieux des deux premiers siècles après J.-C. 84.
Or c’est à cette époque que la doctrine du Christ, aux mains
d'hommes cultivés, s’est développée en un système de pensée
logiquement établi. La pensée chrétienne a-t-elle échappé à
l'influence universelle du Portique ? L’exception serait surpre-
nante. Quand les écrivains ecclésiastiques, à partir du message
évangélique, ont constitué, en face de la philosophie païenne,
un corps de doctrine sur Dieu, et même sur l’homme et sur le
monde, quelle que fût l’originalité de leurs croyances, ils ont
dû pour le moins, peut-être involontairement, se servir, dans
l’exposé, du langage et des matériaux existants. Consciemment
ou inconsciemment, ils ont subi le stoïcisme.

32. M. Poucenz, Die Stoa, 1, p. 355-359.


33. Ibid., p. 368-399.
34. Justin semble cependant accorder la première place aux Platoniciens
(Dial., II, 6).

53
CHAPITRE DEUXIÈME

LE STOÏCISME ET LA PENSÉE CHRÉTIENNE


LE PROBLÈME DE L'INFLUENCE SUR LES PÈRES

Le problème des rapports entre stoïcisme et christianisme est


multiple, double au moins. On peut établir une comparaison
entre la philosophie stoïcienne et le message évangélique propre-
ment religieux. Mais on peut aussi étudier les relations de la
Stoa avec la pensée des Pères, qui se fait progressivement philo-
sophie chrétienne. Alors que la deuxième question appelle une
étude positive et précise, la première peut se réduire à un rap-
prochement théorique des doctrines. Les deux questions relèvent
d’un problème beaucoup plus vaste et souvent traité : Hellénisme
et Christianisme. Un examen bibliographique de ce problème
permettra d’établir l’état de la question et de préciser en consé-
quence l’objet du présent travail.

I. ÉTAT DE LA QUESTION

A. HELLÉNISME ET CHRISTIANISME

Le problème des rapports entre l’hellénisme et le christia-


nisme a été placé dans des perspectives variées. Tantôt on
l’aborde directement sous forme d’un parallèle qui met les deux
mondes intellectuels face à face, tantôt on le traite sous l’angle
de l’histoire, soit histoire des religions, soit encore histoire de
la pensée, philosophie ou dogme.

54
ÉTAT DE LA QUESTION

1. LES PARALLÈLES

Les parallèles Dès 1535, G. Budé publiait à Paris


et leurs solutions. un opuscule intitulé De transitu
Hellenismi ad Christianismum.
Malgré son goût pour l’antiquité, l’humaniste chrétien était trop
préoccupé de marquer la supériorité du christianisme pour poser
la question d’une influence philosophique. I1 lançait cependant
l’idée d’un rapprochement théorique entre les deux courants de
pensée. Depuis, le problème a toujours eu la faveur des intel-
lectuels 1, et des études innombrables ont paru sur la question
pour la trancher dans tous les sens 2. Tantôt on a dégagé l’origi-

1. Cf. en dernier lieu la conférence (8 sept. 1954) par M. DE GANDILLAC:


Connaissance de l’homme. Philosophie grecque, La rencontre de l’hellénisme
et du christianisme et l’article de R. FLACELIÈRE, Morale grecque et morale
néotestamentaire, in Morale chrétienne et requêtes contemporaines (Cahiers de
l'Actualité Religieuse), Tournai-Paris, 1954, p. 85-109.
2. Voici une liste alphabétique de travaux consacrés aux relations de
l’hellénisme avec le christianisme. La plupart ont été consultés, souvent sans
profit.
ALLEVI (L.), Ellenismo e cristianesimo, Milan, 1934.
BAUER (A.), Von Griechentum zum Christentum, in Wissenschaft und Bildung =

(Leipzig), 78, 1910.


BEvAN (E. R.), Hellenism and Christianity, Londres, 1921.
BRÉRIER (E.), Hellénisme et Christianisme aux premiers siècles de notre ère,
in Revue Philos. de la France et de l'étranger, 52° année, 103, 1927, p. 5-35.
CARLINI (A.), Filosofi cristiani e teologi pagani, in Studium (Giugno), 46, 6,
1950, p. 305-311.
DoBscHUETZz (E. VON), Griechentum und Christéentum, in Das Christentum, 5.
Einzeldarstellungs- Wissenschaft und Bildung (Leipzig), 50, 1908.
Dopp (C. H.), Hellenism and Christianity, dans Harvard Tercentenary Publi-
cations, Independance, Convergence and Borrowing in Institutions, Thought
and Art, Cambridge, Mass., 1937, p. 109-131.
Fucas (H.), Die frühe christliche Kirche und die antike Bildung, in Die
Antike, Zeitschrift für Kunst und Kultur des klassischen Altertums (Berlin-
Leipzig), 5, 1929, p. 107-119.
GiLzsoN (E.), Le Christianisme et la tradition philosophique, in Les Sciences
philosophiques et théologiques, 2, 1941-1942, p. 249-266,
Heinricr (C. F. G.), Hellenismus had Christentum, in Biblische Zeit- und
Streitfragen (Berlin), 5, 8, 1909.
HERTLING (F. von), Christentum und griechische Philosophie, in Philoso-
phisches Jahrbuch (Fulda), 14, 1901, p. 1-15.
JeNTscH (C.), Hellenentum und Christentum, Leipzig, 1903.
Lazzarr (G.), Ellenismo e Cristianesimo, il primo capitolo dell’Apologia di
Aristide, in La Scuola Cattolica (Milan), 66, 1938, p. 35-51.
Nock (A. D.), Early gentile Christianity and its hellenistic Background, dans
Rawlinson, Essays on the Trinity and the Incarnation, 3 éd., Londres-
New-York, 1933.
PATSCBACHER (H.), Hellenismus und Christentum, in Theologie und Glaube,
21, 1929, p. 693-709.
PoLenz (M.), Die Antike und das frühe Christentum, in Antike und Abend-
land, 53, 1945.
PREIsKER (H.), Griechentum und Evangelium, in Archiv für Religions-
gewissenschaft (Leipzig), 35, 1-2, 1938, p. 93-114.

55
LE STOÏCISME ET LES PÈRES
nalité du christianisme, avec H. Preisker, Fr. von G. Hertling ou
M. E. Gilson 3, avec R. Jolivet ou L. Laberthonnière 4. Tantôt,
avec A. Bauer, ou C. Jentsch, on a vu dans le christianisme le
résultat d’une évolution philosophique ou le fruit d’un certain
syncrétisme. Aucune de ces études n’apporte de renseignements
précis sur l’influence positive que la philosophie a pu exercer
sur la pensée chrétienne.

Wendiland I1 faut signaler à part pour leur


et Ivanka.
importance un travail déjà ancien
de P. Wendland et une œuvre récente de E. Ivanka. P. Wendland,
en dehors de ses études sur Clément d’Alexandrie, est l’auteur
d’un livre de base sur les relations du christianisme avec l’hellé-
nisme : Die hellenistisch-rômische Kultur in ihren Beziehungen
zu Judentum und Christentum, die urchristlichen Literatur-
formen 5. Comme le titre l'indique, le livre est axé sur l’hellé-
nisme, envisagé dans ses relations, en particulier, avec le
judaïsme (p. 187-211) et avec le christianisme (p. 211-256). Il sou-
ligne plutôt les parallélismes qu’il ne recherche les influences.
L'étude de E. Ivanka 5 examine un aspect particulier du même
problème. L'auteur cherche surtout dans les hérésies (arianisme,
nestorianisme, monophysisme) la présence de la pensée hellé-
nique 7, Son travail abonde en vues neuves et audacieuses, mais

SALAvERRI (J.), La fllosofia en la Escuola Alejandrina, in Gregorianum, 10,


1934, p. 485-499.
STEMPLINGER (E.), Hellenisches im Christentum, in Neue Jahrb. für das Klass.
. Altertum, 21° ann., 42, 1918, p. 81-89.
WENDLAND (P.), Hellenismus und Christentum, Leipzig, 1902.
I1 faut ajouter les études de valeur que groupe FR. DoELGER dans Antike
und Christentum, Kultur und religionsgeschichtliche Studien, Munich-en-W.,
revue continuée malgré la mort du fondateur.
3. Dans l’article cité, il montre admirablement l’évolution de la pensée
chrétienne quand elle passe de l’influence de Platon à celle d’Aristote. Il faut
aussi mentionner la note que E. GiLzsoN, dans L’Esprit de la philosophie
médiévale, t. I, Paris, 1932, consacre aux relations du christianisme avec la
philosophie, sous le titre : Notes bibliographiques pour servir à l’histoire de
la notion de philosophie chrétienne (p. 297-324).
4. R. JoLiverT, Essai sur les rapports entre la pensée grecque et la pensée
‘ chrétienne, Aristote et saint Thomas ou l’idée de création, Plotin et saint
Augustin ou le problème du mal, Paris, 1931. L. LABERTHONNIÈRE, Le réalisme
chrétien et l’idéalisme grec, Paris, 1904.
5. 2° et 3e édition, Tubingue, 1912, dans Lietzmanns Handbuch zum Neuen
Testament, t. 1, 2-3. L'édition de 1907 ne comporte pas le dernier chapitre qui
justifie le sous-titre.
6. Hellenisches und Christliches im frühbyzantinischen Geitstleben, Vienne,
1948.
7. Par là l’auteur poursuit un point de vue familier aux Pères, à Tertullien
par exemple, qui dresse une liste d’hérésies issues de positions philosophiques
(Praescr. haer., VII) et y dit : « Ipsae denique haerceses a philosophia subor-
nantur », ibid., CSEL 70, 9, 5-6; cf. XLIII..., 55, 1-3; Apol., XLNII, 9; Marc., I,
13, CSEL 47, 307, 3; V, 19..., 645, 9; Anima, XVIII, 3-4, 12; XXIIL, 1-6; Hermog.,

56
ÉTAT DE LA QUESTION
il ne remonte pas au-delà de l’origénisme et néglige, de ce fait,
un vaste domaine de la pensée chrétienne.
En somme, les parallèles établis entre l’hellénisme et le chris-
tianisme n’abordent même pas le problème de l'influence
stoïcienne.

2. HISTOIRE DES RELIGIONS

Problèmes intellectuels. Si nous passons à l’histoire des reli-


gions proprement dite, à laquelle
ces études touchaient souvent, nous rencontrons des thèses de
grande envergure. Certains travaux historiques de Classen,
Geffcken, Harnack considèrent « l’entrée du christianisme dans
le monde 8 ». D’autres historiens examinent surtout sa rencontre
avec une culture et une civilisation, qui, selon eux, ont préparé
le christianisme et même le contiennent déjà, ou, au contraire,
aux yeux de certains, s’y opposent. Entre beaucoup de noms#,
il faut citer R. Bultmann, Das Urchristentum im Rahmen der
antiken Religionen 1, qui rattache le christianisme au judaïsme,
dont il ne serait qu’une branche secondaire, et C. N. Cochrane,

VIII, CSEL 47, 135, 14 : « Haereticorum patriarchae, philosophi » (Anima,


III, 1). Même position chez Irénée (Haer., Il, xvirx, 2, HARVEY I, p. 289) et
dans le Prologue des Philosophoumena. J. H. WaAsziNK signale une vieille
monographie sur ce point (De Anima, Amsterdam, 1947, p. 115), composée
par Ern. Sal. Cyprianus, sous le titre : Diatribe, qua expenditur illud
Tertulliani : haereticorum patriarchae philosophi, Helmstedt, 1699.
8. W. CLassen, Eintritt des Christentums in die Welt, der Sieg des Christen-
tams auf dem Hintergrunde der untergehenden antiken Kultur, Gotha, 1930.
J. GErrCKEN, Das Christentum im Kampf und Ausgleich mit der griechisch-
rômischen Welt, 3 éd., Leipzig, 1920, coll. Natur und Geisteswelt, 54; cf. Der
Ausgang des griechisch-rômischen Heidentums, in Neue Jahrb. für klass.
Altertum, 41, 1918, p. 193-224.
A. HARNACK, Mission und Ausbreitung des Christentums in den an drei
Jahrhunderten, 2 vol.,; 4° éd., Leipzig, 1924.
9. Mentionnons quelques travaux au hasard. D’abord deux études qui sou-
lignent le conflit, sans pour autant dégager l’originalité du christianisme:
A. Causse, Essai sur le conflit du christianisme primitif et de la civilisation,
Paris, 1920. L. ROUGIER, Celse ou le conflit de la civilisation antique et du
christianisme primitif, Paris, 1926.
D’autres travaux montrent la continuité hellénisme - christianisme :
HazripAy (W. R.), The pagan background of early christianity, Londres, 1926.
LuBrinsky (S.), Die Entstehung des Christentums aus der antiken Kultur,
Iéna, 1910. PFLRIDERER (O.), Die Vorbereitung des Christentums in der grie-
chischen Philosophie, 2, Religionsgeschichtliche Volksbücher, 3° série, 1,
Tubingue, 1912. Ruessez (H.), Dic providentielle Bedeutung der griechischen
Philosophie im Lichte des Christentums, dans les Aufsätze zur Geschichte
der Antike und des Christentums (Berlin), 1937, p. 50-62.
Parmi les travaux qui dégagent l'originalité du christianisme, signalons :
Kirrez (G.), Die Religionsgeschichte und das Urchristentum, Gütersloh, 1931.
Kreëns (E.), Das religionsgeschichtliche Problem des Urchristentums,
Münster-cn-W., 1913.
10. Dans la collection Erasmus Bibliothek, Zurich, 1949.

57
LE STOÎCISME ET LES PÈRES

Christianity and classical culture, a study of thought and action


from Augustus to Augustine 11, qui s'intéresse plutôt à la philo-
sophie politique des grands auteurs du temps et au problème de
l'empire chrétien du IV° siècle.

Rites et croyances. D’autres auteurs s’attachent plus


directement aux pratiques et aux
croyances religieuses, généralement pour signaler des rappro-
chements. L'étude de T. Zielinski, La Sibylle, trois essais sur la
religion et le christianisme 12, examine les mystères et voit
partout des parentés, C’est la note très accentuée des travaux
de C. Clemen 13, la tendance plus nuancée de K. Holl14 et de
E. Hatch 15, L’étude de ce dernier, remarquable pour l’époque
où elle fut entreprise, porte autant sur la philosophie que sur
les rites. Elle est remplie de rapprochements ingénieux, à peine
forcés. G. Murray voit aussi dans le christianisme une suite
normale de l’antiquité : « Tous les principaux articles de la foi
chrétienne et les pratiques, dit-il, étaient déjà latents dans la
religion antique 16. >» A. D. Nock soutient la même thèse avec
plus de discrétion dans son livre Conversion 17, Il y montre que
le christianisme « unissait le sacramentalisme et la philosophie
de l’époque 18 >» et que par le fait même son dogme était faci-
lement acceptable : « De l’ancien qui n’était pas aboli, du
nouveau qui n’était pas incompréhensible 19, » En sens contraire
exactement, K. Prümm, également très attaché aux rites, essaie
de dégager la nouveauté radicale des croyances chrétiennes 20.

11. Oxford, 1944.


12. Dans la collection Christianisme de P. L. Couchoud, Paris, 1924.
13. Der Einfluss der Mysterienreligionen auf das älteste Christentum, Giessen,
1913. Religionsgeschichtliche Erklärung des Neuen Testament, die Abhängigkeit
des ältesten Christentums von nichtjudischen Religionen und philosophischen
Systemen, 2° éd., Giessen, 1924, consulté en traduction anglaise sous le titre
Primitive Christianity and its non-jewish sources, Edimbourg, 1912. Der
Einfluss des Christentums auf andere Religionen, Leipzig, 1933. Rappelons
que cet auteur a composé une bibliographie de l’histoire des religions portant
sur les années 1914-1922.
14. Urchristentum und Religionsgeschichte, Gütersloh, 1925.
15. E. Harcx et A. M. FaArRBAIRA, The influence of greek ideas and usages
upon the christian Church, Londres-Edimbourg, 1890.
16. Stoic, christian and humanist, 2° éd., Londres, 1943, p. 76. La première
partie de ce travail a pour titre : Pagan religion and philosophy at the time
of Christ, p. 19-87. C’est pour ce motif que le livre figure ici.
17. Conversion, the Old and the New in religion from Alexander the Great
to Augustine of Hippo, Oxford, 1933.
18. Ibid., p. 211.
19.-Ibid., p. 253. On retrouve la même note dans le travail en deux vol.
de C. SCHNEIDER, Geistesgeschichte des antiken Christentums, Munich, 1954,
pour qui le christianisme n’est que l’accomplissement de l’hellénisme. Cette
abondante étude a paru trop tard pour que noùs ayons pu l'utiliser.
20. C’est l’objet même de Christentum als Neuheïtserlebnis, Durchblick
durch die christlich-antike Begegnung, Fribourg-en-Br., 1939. I1 y revient

58
ÉTAT DE LA QUESTION

I faut signaler enfin, débordant le plan chrétien, les travaux


actuels de deux maîtres qui contribuent sérieusement à notre
connaissance de la religion hellénistique, M. P. Nilsson 21 et
Mircéa Eliade 22.
Tous ces travaux ?* donnent une idée de l'intérêt que porte
l’histoire des religions à la rencontre de l’hellénisme avec le
christianisme, mais, par définition, nous renseignent très peu
sur l'influence philosophique qu’a pu subir la pensée chrétienne
dans son élaboration, moins encore sur l’influence stoïcienne.

3. HISTOIRE DE LA PENSÉE

Philosophie. L'histoire de la philosophie se


devait de signaler le problème,
sinon de le résoudre. Evidemment tous les manuels consacrent
une section à la philosophie chrétienne, qu’on admette ou rejette
l'expression 24, Cependant cette étude reste bien vague, exception

sans cesse dans son œuvre immense qui se répète beaucoup : Jellenistisch-
rômische Geistesstrômungen und Kulte, Fribourg-en-Br., 1943. Religions-
geschichtliches Handbuch für den Raum der altchristlichen Umwelt, Fribourg-
_en-Br., 1943 (921 pages). Der christliche Glaube und die altheidnische Welt,
Leipzig, 1935, 2 volumes de 506 et 532 pages. Jntroductio in res religiosas
hellenisticae aetatis (pro manuscr.), Valkenburg, 1932.
21. Geschichte der griechischen Religion, t. II, Die hellenistiche und
rômische Zeit, Munich, 1950, dans un ensemble intitulé Zandbuch der Alter-
tumswissenschaft, sect. V, II partie, t. II.
22. Traité d’histoire des religions, Paris, 1949. Le mythe de l’éternel retour,
archétypes et répétilion, Paris, 1949.
23. On pourrait aligner beaucoup d’autres titres. Ajoutons seulement
E. Carr», trad. H. Willman, Die Entwicklung der Theologie in der griechischen
Philosophie, Halle, 1909, dont le dernier chapitre est consacré à l’influence
sur le christianisme, mais n’apporte rien.
24. Le contrôle a été fait pour :
E. BRÉHIER, Histoire de la philosophie, t. 1, L’Antiquité et le Moyen Age, 2,
Période hellénistique et romaine, Paris, 1945.
H. Enr, Die Grundlegung der abendländischen Philosophie, griechische und
christlich-griechische Philosophie, Bonn, 1934, dans Die Philosophie, ihre
Geschichte und ihre Systematik de Th. Steinbüchel, section I ; cf. aussi
G. KarkA et H. Eisz, Der Ausklang der antiken Philosophie und das
Erwachsen einer neuen Zeit, Munich, 1928, dans la Geschichte der Philo-
sophie in Einzeldarstellungen, IL, 9.
E. Gison, La philosophie au Moyen-Age, des origines patristiques à la fin
du XIVe siècle, 2° éd., Paris, 1944; cf. aussi E. GILSON et PH. BOEMNER, Die
Geschichte der christlichen Philosophie, I, Die Geschichte der patristischen
Philosophie, Paderborn, 1936.
H. Meyer, Geschichte der abendländischen Weltanschauung, t. II, vom Urchris-
tentum bis zu Augustin, Wurtzbourg, 1947.
A. Rivaup, Histoire de la Philosophie, t. 1, Des origines à la Scolastique,
Paris, 1948, coll. Logos, Introduction aux études philosophiques.
B. RoMEYyER, La philosophie chrétienne jusqu’à Descartes, t. I, Des origines
aux Alexandrins, Paris, 1935.
M. pe Wuer, Histoire de la philosophie médiévale, t. I, Des origines jusqu’à
la fin du XIIe siècle, 6° éd., Louvain, 1934.

59
LE STOÏCISME ET LES PÈRES

faite peut-être pour l’histoire de Ueberweg, dont les chapitres


consacrés à l’époque hellénistique sont une mine de renseigne-
ments épars 25.

Dogme. L'histoire du dogme et la patristique


ont souvent pris pour objet la philo-
sophie des Pères. Il ne faut pas omettre les travaux proprement
dogmatiques de certains patrologues particulièrement sensibles
aux questions philosophiques. La magistrale Histoire du dogme
de la Trinité de J. Lebreton 26, malheureusement inachevée,
replace la théologie dans un vaste cadre idéologique. Les études
de A. Puech 27 et de J. Geffcken 28 sont également à l’affût des
influences helléniques subies par les Apologistes. Mais depuis
longtemps des auteurs se sont attaqués directement à la pensée des
écrivains ecclésiastiques et en ont tenté une synthèse. Dès 1859,
R. Ehlers consacrait une thèse à la philosophie des Apologistes 2?
et J. Hüber étudiait « la philosophie des Pères de l'Eglise 30 »,
A. Stôckl31, CL Bäumker 32, et, tout récemment encore, H. A.
Wolfson #33 ont continué cette tradition. D’autres historiens.
s’attachent de préférence à une doctrine particulière ou à la
philosophie d’un écrivain. K. Emmel étudie la doctrine de l’ani-
mation chez les Pères 34. M. Heinze établit l’histoire du Logos 85
et ce point fait l’objet de travaux nombreux 36. Fr. Andres se

25. Fr. Ueberwegs Grundriss der Geschichte der Philosophie, 1'e partie,
K. PRAECHTER, Die Philosophie des Altertums, 12° éd., Berlin, 1926; 2 partie,
B. GEYER, Die patristische und scholastische Philosophie, 11° éd., Berlin, 1928.
26. Histoire du Dogme de la Trinité des Origines à saint Augustin, t. I,
Les Origines du dogme de la Trinité, Paris, 1919; t. II, De saint Clément à
saint Irénée, Paris, 1928.
27. Les Apologistes grecs du Ile siècle de notre ère, Paris, 1912.
28. Zwei grischische Apologeten, Leipzig-Berlin, 1917. Cet auteur a exagéré
les influences philosophiques. Il a souvent été combattu.
29. De vi ac potestate quam philosophia antiqua, in prima platonica et
stoica, in doctrina Apologetarum saeculi Ili habuerunt, Gôttingen, 1859 (non
consulté).
30. Die Philosophie der Kirchenväter, Munich, 1859 (non consulté).
31. Geschichte der christlichen Philosophie zur Zeit der Kirchenväter,
Mayence, 1891. Ë
_ 32. CL. BÂumxer étudie la philosophie patristique, en particulier, dans ses
Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Münster-en-W.
33. The Philosophy of the Church Fathers, t. 1, Faith, Trinity, Incarnation,
Cambridge, Mass., 1956. L’auteur n’examine avec attention que deux points de
comparaison avec le stoïicisme : la théorie de l’assentiment et celle des
mélanges.
34. Das Fortleben der antiken Lehren von der Beseelung bei den Kirchenvä-
tern, Borna-Leipzig, 1918 (non consulté).
35. Die Lehre vom Logos in der griechischen Philosophie, Oldenbourg, 1872.
36. Signalons A. AaLr, Der Logos, Geschichte seiner Entwicklung in der
griechischen Philosophie und der christlichen Literatur, 2 vol., Leipzig, 1896-
1899. KeNNEDY ANeT, La notion du Logos dans la philosophie grecque, dans
saint Jean et dans les Apologistes, Lausanne, 1874, À. W. ARGyLe, The

60
ÉTAT DE LA QUESTION
spécialise dans la démonologie 37. M. Pohlenz compose une œuvre
désormais classique sur la colère divine 38, Certains Pères ont
eu la faveur : Clément de Rome et Tertullien 3%, Justin dont on
souligne le platonisme 4°, Athénagore qui se voit consacrer trois
« philosophies » #1, Hippolyte #2 et surtout Clément d’Alexandrie
dont on soupèse sans fin l’hellénisme 43, Les travaux en ce
domaine sont innombrables. O. Perler a eu l’heureuse idée de
dresser un catalogue choisi des études les plus récentes consa-
crées à la philosophie des Pères #4,
Ce conspectus sommaire des travaux qui ont trait aux rapports

Influence of the Logos doctrine on christian Thoughf, dans les Studies in


History and Religion présentées au Dr. H. W. Robinson par E. A. Payne,
Londres-Redhill, 1942, p. 127-142. Les travaux de M. J. Lagrange et J. Lebreton
seront cités et utilisés plus loin, en tête du ch. XII.
37. Die Engellehre der griechischen Apologeten des 2. Jahrhunderts und ihr
Verhältnis zur griechisch-rômischen Dämonologie, Paderborn, 1914, coll.
Forschungen zur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte, t. XII, fasc. 3.
Cf. Die Engel- und Dämonenlehre des Klemens von Alexandrien, in Rômischer
Quartalschrift (Fribourg-en-Br.), 34, 1926.
38. Vom Zorne Gottes, eine Studie über den Einfluss der griechischen Phi-
losophie auf das alte Christentum, Gôttingen, 1909, coll. Forschungen zur
Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament, 12.
39. Ces études, consacrées en fait au stoïcisme de Clément et de Tertullien,
seront examinées plus loin.
40. Puisque le platonisme ne nous intéresse que secondairement, signalons
entre beaucoup d’autres : J. M. PrArETTIsCn, Der Einfluss Platos auf die
Theologie Justins des Martyrers, eine dogmengeschichtliche Untersuchung nebst
einen Anhang über die Komposition der Apologien Justins, Paderborn, 1910,
coll. Forschungen zur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte, t. X,
fasc. 1. On y trouve d’ailleurs une bibliographie. Il faut y ajouter maintenant
C. ANDRESEN, Justin und der mittlere Platonismus, in Zeitschrift für die
Neutestamentliche Wiss. und die Kunde der älteren Kirche, 44, 1952-1953,
p. 157-197; l’auteur montre qu’en son stoïcisme comme en son platonisme
Justin est un philosophe d’école du platonisme moyen.
41. H. A. Lucrs, The Philosophy of Athenagoras, its sources and value,
Washington, 1936 (non consulté). L. RICHTER, Philosophisches in der Gottes-
und Logoslehre des Apologeten Athenagoras von Athen, Leipzig, 1905.
F. ScuuEBriNG, Die Philosophie des Athenagoras, Berlin, 1882.
42, G. P. STrINoPuLos, Hippolyts philosophische Anschauungen, Leipzig,
1903.
43. M. J. DasKkaLakis, Die eklektischen Anschauungen des Clemens von
Alexandria und seine Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig,
1908. E. pe FAyE, Clément d’Alexandrie, Etude sur les rapports du christia-
nisme et de la philosophie grecque au II° siècle, 2° éd., Paris, 1906, dans la
Bibliothèque des Hautes Etudes, Sciences Religieuses, 12. J. MetrorT, Der
Platonismus bei Clemens Alexandrinus, Tubingue, 1928, coll. Heidelberger
Abhandlungen zur Philosophie und ihre Geschichte. C. MErRK, Clemens Alexan-
drinus in seiner Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig, 1879.
M. Poucenz, Klemens von Alexandreia und sein hellenisches Christentum, in
Nachrichten von der Ak. der Wiss. in Gôttingen, Phil.-Hist. Klasse, Fachgr. 5,
N. F., Bd IL, 5, 1943, n° 3, p. 103-180. R. E. WrrT, The Hellenism of Clement of
Alexandria, in The Classical Quarterly, 25, 1931, p. 195-204. W. VOELKER,
Der wahre Gnostiker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-Leipzig, 1952.
44. Patristische Philosophie, dans les Bibliographische Einführungen in das
Studium der Philosophie de I. M. Bochenski, t. XVIII, Berne, 1950.

61
LE STOÏCISME ET LES PÈRES
de l’hellénisme avec la pensée chrétienne n’apporte que très peu
de renseignements sur l'influence stoïcienne. Redisons-le : on
s'intéresse beaucoup plus au platonisme qu’au stoïcisme et, dans
les études générales où l’on s’occupe de philosophie, c’est du
système de Platon que l’on s’inquiète.

B. STOÏCISME ET CHRISTIANISME

Il serait pourtant bien faux de croire que la parenté du stoi-


cisme avec le christianisme a passé inaperçue : Stoïci qui nostro
dogmati in plerisque concordant, disait déjà saint Jérôme #5 et,
depuis, l’on a consacré bien des travaux au rapprochement des
deux morales ou même des deux théologies. Les historiens du
stoïcisme et les historiens du christianisme n’ont pas toujours
été insensibles non plus à la rencontre des deux pensées. Mais
ont-ils bien posé la question d’influence ?

1. LES PARALLÈLES

La série. J. C. F. Meyer a donné dès 1823 le


goût du rapprochement stoïcisme-
christianisme en une étude détaillée et intelligente 46. L’auteur,
qui dégage surtout l'originalité du christianisme, voit par
exemple l’incompatibilité de l’apatheia avec la charité chré-
tienne 47, Depuis, les travaux ont pullulé. En voici, dans l’ordre
alphabétique, un catalogue choisi, avec un mot de commentaire.

CHOLLET (A.), La morale chrétienne en face de la morale stoïcienne,


Paris, 1898. L'auteur souligne l'originalité du christianisme dans
le domaine de la morale.
ELonpuy (E.), Estoicismo y Cristianismo, in Estudios Eclesiasticos, 18,
70, 1944, p. 375-411. L'auteur montre que le stoïcisme a préparé le
christianisme, en proclamant l’universalité de la sagesse; en amé-
liorant moralement la vie privée, la vie personnelle par le culte de
la solitude enrichissante, la vie familiale par la revalorisation du
mariage; en apportant une conception de la patience et de la mort
qui prépare au martyre. Sur ce dernier point, il rapproche les Pères et
Sénèque (p. 391-398). Puis il explique la dissolution rapide du
stoïcisme,

45. In Isaiam, IV, 11, PL XXIV, 147 D.


46. Commentatio in qua doctrina stoicorum ethica cum christiana compa-
ratur, Gôttingen, 1823, 232 pages. La question du Logos n’y est pas posée.
47. Ibid., p. 224 et passim.

62
ÉTAT. DE LA QUESTION

FEINE (P.), Stoizismus und Christentum, in Theologisches Literatur-


blatt, 26, 1905, p. 65-69, 73-80, 89-92, 97-102. Cet article est surtout
biblique.
FRANKE (K.), Sfoicismus und Christentum, eine religionsphilosophische
Abhandlung, Breslau, 1876. En douze pages, l’auteur montre dans le
christianisme une réponse originale aux besoins moraux exprimés
par le stoiïcisme.
GREEVEN (H.), Das Hauptproblem der Sozialethik in der neueren Stoa
und im Urchristentum, Gütersloh, 1935, coll. Neutestamentliche For-
schungen, 3° sér., fasc. 4, C’est une étude philosophique de la morale,
qui ne s’inquiète pas d’influence positive et ne s’occupe aucunement
des Pères de l'Eglise.
LErPoLDT (J.), Christentum und Stoizismus, in Zeitschrift für Kirchen-
geschichte, 27, 1906, p. 129-165. L’auteur compare intelligemment le
stoïcisme avec l’Evangile, les écrits des Apôtres et les œuvres des
Pères.
PREISKER (H.), Geist und Leben, das Telos-Ethos des Urchristentums,
Gütersloh, 1933. Mensch und Schicksal in der Rômischen Stoa und
in Neuen Testament, zugleich ein Beitrag zur Methode religions-
geschichtliches Arbeit, in Forschungen und Forschritte (Berlin), 25,
1949, p. 274-276. Le livre est très judicieux et veut dégager à la fois
la parenté et l’originalité essentielle du christianisme devant le stoi-
cisme. Il s’étend jusqu'aux Pères Apostoliques. Le bref article est
conçu dans le même esprit, mais oppose finalement deux conceptions
de la personnalité, l’une fermée sur soi et qui triomphe par la raison,
l’autre qui s’accomplit dans un au-delà, avec autrui.
STEFANINI (A.), Il problema morale nello stoicismo e nel cristianesimo,
Turin, 1926 (non consulté),
STEGEMAN (V.), Christentum und Stoizismus in Kampf um die geistigen
Lebenswerte im 2. Jahrhundert nach Christus, in Die Welt als
Geschichte, Stuttgart, 1941, p. 295-330. L’auteur oppose deux con-
ceptions de la mort, qui est fait unique et personnel chez le chrétien,
loi cosmique et universelle chez le Stoïcien.
SToB (R.), Sfoicism and Christianity, in Classical Journal, 30, 1935,
p. 217-224. Excellent article sur Dieu, sa nature, sa providence, sur
l’homme et son retour à Dieu, où l’auteur souligne la différence de
doctrine derrière une apparente ressemblance.
TALAMO (S.), Les origines du christianisme et la philosophie stoi-
cienne, in Annales de Philos. Chrétienne, 55° année, nouv. sér., 11
(109), 1884-1885, p. 481-490; 12 (110), 1885, p. 1-16 (Education litté-
raire et scientifique des fondateurs de la religion chrétienne. Méthode
et critérium de la morale stoïcienne et de la morale chrétienne);
p. 271-285 (le surnaturel de la morale chrétienne et la philosophie
stoïcienne); p. 334-347 (l’idée de Dieu, postulat suprême de l’ordre
moral, dans le christianisme et dans la philosophie stoïcienne).
Article intelligent, qui veut montrer surtout l’originalité et la supé-
riorité de la morale chrétienne devant les doctrines stoïciennes.

Ces parallèles présentent tous les mêmes caractères. Ils s’occu-


pent, sauf le très bref article de R. Stob, presque exclusivement
de questions morales. Ils établissent des comparaisons beaucoup
plus qu’ils ne cherchent les traces d’une influence positive du

63
LE STOÏCISME ET LES PÈRES
stoïcisme. Du fait même, ils ne s'inquiètent guère des Pères de
l'Eglise 48, mais de la doctrine du Christ telle qu’elle s’exprime
dans l’Ecriture Sainte.
La même remarque s’applique a fortiori à deux séries de paral-
lèles d’objet limité, que nous avons laissés intentionnellement de
côté : les rapprochements Epictète ou Marc-Aurèle avec le Nou-
veau Testament 4, Sénèque avec saint Paul 5, que nous écartons
définitivement, et la comparaison entre le Sage et le Saint 51,
dont il sera question plus loin. Ces études comparées laisseraient-
elles donc intact le problème de l’influence du stoïcisme sur la
doctrine des Pères ?

48. I1 faut faire une légère exception pour J. LEIPOLDT, qui y consacre une
partie de son article (p. 153-164), pour H. PREISKER, qui étend ses rappro-
chements aux Pères Apostoliques, et pour E. ELorDuY, qui cite quelques
écrivains ecclésiastiques sur un point particulier.
49. Tu. ZABN, Der stoiker Epiktel und sein Verhältnis zum Christentum,
2° éd., Erlangen-Leipzig, 1895. K. KutPER, Epictetus en de christlijke Moraal,
Versl. en Mededeel. der Kon. Akad. van Wetenschappen, Letterkunde, 4° sér.,
7e part., Amsterdam, 1906. A. BONHOEFFER, Epiktet und das Neue Testament,
Giessen, 1911. M. J. LAGRANGE, La philosophie religieuse d’Epictète et le
christianisme, in Rev. Biblique, nouv. sér., 9, 1912, p. 5-21, 192-212. DouGras
S. SxaRP, Epictetus and the New Testament, Londres, 1914. Il convient d’ajouter
ici la bonne étude comparative de A. J. FESTUGIÈRE, Saint Paul et Marc-Aurèle,
Excursus D, dans L’Idéal religieux des Grecs et l'Evangile, Paris, 1932, p. 264-
280, parue sous le titre Sagesse et christianisme, in Rev. Biblique, 40° année,
1931, p. 401-415.
50. C’est là une vieille question qui fait l’objet d’une bibliographie abon-
dante. On y a vu d’abord une influence du christianisme sur le paganisme,
cf. A. FLEURY, Saint Paul et Sénèque, recherches sur les rapports du philo-
sophe avec l’apôtre et sur l’inflltration du christianisme naissant à travers le
paganisme, 2 vol., Paris, 1853; H. BARREAU, Quae vis fuerit christianae
doctrinae apud Senecam, Persium et nonnullos hujusce aetatis stoicos, Dijon,
1854. Par la suite on apporta plutôt au problème la solution inverse, cf.
CH. AUBERTIN, Sénèque et saint Paul, étude sur les rapports supposés entre le
philosophe et l’apôtre, 3° éd., Paris, 1872; L. BERNARD DE SAINT-AFFRIQUE,
Sénèque a-t-il été chrétien ? Etude sur les rapports du stoïcisme et du chris-
lianisme, Uhèse pour le bâce. en théologie de Montauban, 1884. La
question connaît un regain d'actualité: A. JAGU, Sain{ Paul et le stoïcisme,
in Rev. des Se. Relig, 32, 1958, p. 225-250; H. DoErRGENs, Seneca im
Gegensatz zu Paulus, ein Bericht über Th. Schreiners gleichnahmige
Arbeit, in Zeitschrift für kathol. Theologie, 64, 1940, p. 14-26; M. POHLENZ,
Paulus und die Stoa, in Zeitschrift für die Neutestam. Wissensch., 42, 1949,
p. 69-104. On s’est même réintéressé récemment à l’échange de lettres entre
Sénèque et saint Paul qui constitue le point de départ de la question.
A. MOomiGriANO fait remonter cette correspondance pseudépigraphique au
IVe siècle. Le Moyen-Age aurait accepté l’authenticité des lettres, mais n’aurait
cru au christianisme de Sénèque qu’à partir du XIVe siècle (Note sulla
leggenda del cristianesimo di Seneca, in Riv. Storica Italiana, 62, 1950,
p. 325-344); cf. aussi A. Kurress, Zu dem apocryphen Briefwechsel zwischen
dem Philosophen Seneca und dem Apostel Paulus, in Aevum, 26, 1952, p. 42-48.
51. J. BALDWIN BROWN, Sfoics and saints, Glasgow, 1893. A. BREMOND,
Le moine et le stoïcien, le stoïcisme et la philosophie du désert, in Revue
d’Ascét. et de Mystique, 8, 1927, p. 26-40. A. J. FESTUGIÈèRE, Le Sage et le
Saint, in La Vie intellectuelle, 27, 1934, p. 390-408. E. GRAMMONT, Le stoïcien
et le chrétien, thèse pour le baccalauréat en théologie de la Faculté protestante
de Montauban, 1858.

64
ÉTAT DE LA QUESTION

Quelques parallèles Il faut signaler au moins deux


enrichissants. exceptions. La première est cons-
tituée par un article déjà ancien,
mais qui mérite pleinement d’être relu : E. Wadstein, Ueber den
Einfluss des Stoizismus auf die älteste christliche Lehrbildung,
historisch-kritischer Versuch 52. Cette étude, consacrée toute
entière à la pensée chrétienne des trois premiers siècles, laisse
la morale au second plan et n’en signale pas moins de nombreux
rapprochements, aujourd’hui généralement admis.
L'autre étude est constituée par un gros livre de J. Stelzen-
berger : Die Beziehungen der frühchristlichen Sittenlehre zur
Ethik der Stoa, eine moralgeschichtliche Studie 53. L’auteur
examine méthodiquement tous les points de la morale dans
le stoïcisme et dans le christianisme, signale volontiers les
influences philosophiques et s’occupe très spécialement des Pères
de l'Eglise. C’est une étude capitale qui permet de dire que le
problème de l’influence du stoïcisme sur les Pères est résolu
dans le domaine de la morale 54.
Enfin, dans le domaine de la logique, les travaux de E. Elor-
duy 5 constituent un point de départ très intéressant pour une
recherche positive. Mais l’auteur jusqu'ici s’est contenté de
montrer que la logique stoïcienne était précieuse par son réalisme
pour le développement de la théologie chrétienne. En dehors de
saint Augustin, il n’a guère recherché l'influence effectivement
exercée.

2. HISTOIRE DU STOÏCISME

L'histoire du stoïcisme doit nous apporter des renseignements


meilleurs, d'autant plus que ce mouvement n’a pas manqué d’his-
toriens. Les uns ont suivi la secte dans l’ensemble de son histoire,
d’autres ont étudié la vie et la survie de certaines doctrines
particulières, d’autres enfin ont consacré leurs recherches à
l'étape romaine du mouvement et ont posé expressément le pro-
bième de l’influence.

52. In Theol. Studien und Kritiken, 53, 1880, p. 587-665. Il étudie l’influence
sur les gnostiques (p. 600-630), les orthodoxes (p. 630-646) et spécialement
Tertullien (p. 647-663).
53. Munich, 1933, xx-525 pages.
54. Evidemment cela n’exclut pas les approfondissements et la possibilité
de nombreuses études sur des points secondaires, comme la vertu de patience,
l’idée de désertion morale. etc.
55. La Logica de la Estoa, in Revista de fllosofla, 3, 1944, p. 1-65, 221-265.
Mission de la Estoa en la fllosofla perenne, in Revista de filosofia, 6, 1947,
p. 5-56.

65
LE STOÏCISME ET LES PÈRES

Histoire générale. Parmi les historiens qui ont étudié


le mouvement stoïcien,il faut signa-
ler 56 R. Lafon 57, E. Bevan 58, de Jong 5, G. Murray 60... Mais ces
auteurs ne posent guère la question des relations avec le chris-
tianisme. P. Barth, däns son histoire revue par A. Güdecke-
meyer 61, consacre au contraire toute une partie à l’influence
posthume du stoïcisme jusqu’à la philosophie moderne (p. 253-
349). Les Pères y ont une petite part. Il examine successivement
le cas des Apologistes (p. 269-274); des dogmatiques avec Clément
(p. 275-280); puis il passe à Origène, Augustin, Boëèce. Mais cette
étude est peu organisée et peu critique. M. Pohlenz marque un
progrès important 62. Il a consacré cinquante pages, doublées de
notes et de références qui figurent au deuxième volume, à l’étude
des tendances stoïciennes chez les Pères. C’est le chapitre le
plus original de cette œuvre magistrale. Cependant l’ensemble
reste forcément sommaire et réduit à une série de notations,
rangées dans l’ordre chronologique. Il n’y a pas là non plus
d’exposé systématique et synthétique du stoïcisme des Pères.

Histoire d’une doctrine.


Les historiens qui ont examiné
l’évolution d’un point de doctrine
dans l’histoire du système ont pu donner des indications pré-
cieuses 63, Déjà, en 1878, H. A. Winckler publiait sous le titre
Der Stoicismus, eine Wurzel des Christentums, ein Beitrag zur
Geschichte des Stoicismus %, une étude de 63 pages qui a pour
objet essentiel le Logos. Il veut y prouver que « les pierres pro-
venant de la Sfoa poikilè ont contribué à édifier l'Eglise du
Christ 65 » et montre la transposition de certaines notions stoï-
ciennes dans la philosophie chrétienne 6. Beaucoup plus solide
est l’étude de H. Meyer : Geschichte der Lehre von den Keim-

56. À. ScnmEkeLz, Die Philosophie der Mittleren Stoa, Berlin, 1892, ne


s’occupe pas de notre époque!
57. Les Stoïciens, Paris, 1922.
58. Stoïciens et Sceptiques, trad. L. Baudelot, Paris, 1927.
59. Die Stoa, Amsterdam, 1937.
60. The stoic philosophy, dans Stoic, christian and humanist, Londres,
1943, p. 89-118.
61. Die Stoa, Stuttgart, 1946.
62. Die Stoa, Geschichte einer geistigen Bewegqung, Gôttingen, 1948; au t. II,
Erläuterungen, Gôttingen, 1949, on trouvera une bibliographie générale du
stoïcisme (p. 5-8).
63. Faut-il signaler L. SrmiN, Die psychologie der Stoa, Berlin, 1886?
L'étude, limitée à la psychologie, a vieilli.
64. Dissertation inaugurale de la Faculté de Leipzig, 1878. Titre ct sous-titre
sont parfois intervertis ou isolés.
65. Ibid., p. 58.
66. Jbid., p. 24-58. Les arguments sont souvent contestables.

66
ÉTAT DE LA QUESTION

kräften von der Stoa bis zum Ausgang der Patristik 87, qui
examine attentivement la notion de logos spermatikos chez les
Pères, surtout chez saint Justin et chez saint Augustin. L'étude
que G. Verbeke a donnée du Pneuma 8 précise, avec une éru-
dition plus vaste, une notion plus fondamentale du stoïcisme,
fortement liée avec le christianisme. La littérature chrétienne
y occupe un volumineux chapitre 6 où les Pères se voient
attribuer exactement cent pages. C’est actuellement la contri-
bution la plus précieuse, sur un point précis, au problème de
l'influence du stoïcisme sur la pensée des Pères. Enfin, il faut
signaler l’étude très philosophique et personnelle de E. Elorduy,
Die Sozialphilosophie der Stoa ©, qui tient compte également des
Pères, en particulier de saint Augustin, et se place plus qu'aucune
autre sur le plan métaphysique, malgré le titre de l’œuvre.

L'époque romaine et le Contre toute attente, les historiens


problème de l'influence. du stoïcisme romain sont dans
l’ensemble très décevants pour le
problème qui nous préoccupe. En 1827, le bon M. Villemain, dans
son article : De la philosophie stoïque et du christianisme dans
le siècle des Antonins 1, montre éloquemment la parenté des
empereurs avec le christianisme et tout au long de l’exposé
caresse le rêve : ah ! s’ils avaient compris ! Vingt-cinq ans plus
tard, F. Roubiou étudie « l’influence du stoïcisme à l’époque des
Flaviens et des Antonins 72 » sur les mœurs, la vie de famille,
la morale, la législation, la jurisprudence. Quel programme|!
Mais sa thèse — moralisante et démodée — ne fait que gémir
sur les effets néfastes de cette doctrine, qu’il reconnaît pourtant
belle sur certains points et influencée par le christianisme.

67. Bonn, 1914.


68. L'évolution de la doctrine du pneuma, du stoïcisme à saint Augustin,
étude philosophique, dans la Bibliothèque de l’Institut supérieur de Philo-
sophie de Louvain, Paris-Louvain, 1945.
69. P. 387-510. M. Marrou lui reproche de n’avoir pas suffisamment tenu
compte de la notion juive de souffle dans les Septante (Antiquité Classique,
14, 1954, p. 415-418). G. VERBEKE ne consacre que quelques pages au livre de
la Sagesse, précisément hellénisé. L’esprit biblique, la ruah traduite preuma,
a été mieux étudié, depuis, par Cr. TRESMONTANT. Il a montré surtout que
l'esprit dans la Bible s’oppose à la chair, comme l’ordre surnaturel à l’ordre
de la nature. Il ne s’agit pas d’un dualisme anthropologique, puisque le mot
chair recouvre à peu près l’ensemble du corps et de l’âme (Essai sur la
pensée hébraïque, coll. Lectio divina, 12, Paris, 1953, p. 88-109).
70. In Philologus, Supplementband 28, 3, Leipzig, p. 88-109.
71. Dans les Nouveaux mélanges historiques et littéraires, Paris, 1827,
p. 273-292.
72. De l’influence du stoïcisme à l’époque des Flaviens et des Anionins,
Rennes, 1852.

67
LE STOÏCISME ET LES PÈRES
L'étude de P. Montée, Le stoïcisme à Rome "3, un peu postérieure,
est encore un exposé anodin, purement descriptif. Il faut
attendre l’année 1911 et E. V. Arnold avec son Roman Stoicism ‘4,
pour que trois pages soient consacrées à l’influence du stoïcisme
sur la pensée chrétienne 75.
Cependant quelques auteurs avaient déjà posé directement la
question. Dès 1863, J. Dourif dissertait Du stoïcisme et du chris-
tianisme considérés dans leurs rapports, leurs différences et
l'influence respective qu’ils ont exercée sur les mœurs T6. Il y
chantait « le bienfait inappréciable du christianisme » et notait
l'influence du message évangélique sur Epictète, Marc-Aurèle et
Sénèque. D’une tout autre veine est le travail, beaucoup plus
récent, de R. M. Wenley, Stoicism and its influence, our debt to
Greece and Rome T7. Mais l’auteur, pendant plus de cent pages,
expose l’histoire et les dogmes du stoïcisme, pour consacrer
cinquante pages à son influence, des origines au XX° siècle, et
six pages seulement au christianisme latin (p. 132-139). C’est dire
que l'influence sur les Pères est très négligée.
P. G. Chappuis y consacre plus de place, comme le sujet même
de sa thèse l’indique : La Destinée de l’homme, de l'influence du
stoïcisme sur la pensée chrétienne primitive "8, Il affronte direc-
tement le problème des relations. Après une introduction qui
rappelle l’essence du stoïcisme (p. 7-32), il étudie dans une
première partie les influences en matière métaphysique : l’idée
‘de Dieu, providence et prédestination (p. 51-70), le Saint-Esprit
et l’âme du monde (p. 71-88), le Logos et le Verbe (p. 88-106),
la fin du monde et la conflagration universelle (p. 107-111). Ces
points cependant ne sont pas examinés en eux-mêmes, mais
« considérés comme le fondement de la morale », et l’auteur
s’attache ensuite uniquement « au domaine d'élection du
stoicisme ». L'ensemble constitue un essai intéressant, mais
peu sûr,

73. Paris, 1865.


74. Roman Stoicism, being lectures of the history of the Stoic philosophy
with special reference to its development within the Roman Empire, Cam-
bridge, 1911. ï
75. FR. VILLENEUVE, dans un bon article daté de 1942 et paru dans ses
Etudes de Littérature latine, Montpellier, 1947, p. 99-125, sous le titre Rome
et le stoïcisme, étudie sérieusement l’influence du stoïcisme dans tous les
domaines, mais n’examine pas du tout son contact avec le christianisme.
76. Paris, 1863. Il faut en rapprocher pour la date et le titre J. H. BRYANT,
The mutual influence of christianity and the Stoic School, Londres, 1866 (non
consulté).
77. Londres, 1925 (consulté indirectement).
78. Paris, 1926.

68
ÉTAT DE LA QUESTION
f

Conclusion. L'histoire du stoïcisme et de son


influence apporte donc des rensei-
gnements précieux pour l’étude des traces stoïciennes dans la
pensée chrétienne. Dans le domaine moral en particulier, les
travaux abondent et le livre de J. Stelzenberger constitue déjà
une excellente synthèse. Mais les autres domaines n’ont pas
encore été beaucoup explorés et les éléments acquis sont épar-
pillés de toute part, soit dans de brefs articles comme ceux de
R. Stob, E. Wadstein, E. Elorduy, soit dans des études philo-
sophiques comme la thèse de G. Verbeke sur le Pneuma, soit
enfin dans de vastes ensembles consacrés à l’histoire du stoïcisme
comme le livre de M. Pohlenz. Les historiens du stoïcisme n’ont
pas jusqu'ici étudié expressément la survie du stoïcisme dans
la pensée chrétienne.

3. HISTOIRE DU DOGME

Les patrologues non plus ! Cependant toutes les patrologies,


à l’une ou l’autre de leurs notices, signalent une influence stoi-
cienne. Bien mieux, quelques Pères, comme Clément de Rome et
Justin, Tertullien, Minucius Félix et même Clément d’Alexandrie,
se sont vu consacrer des monographies, parfois remarquables,
très averties sur la question.

Clément de Rome Le stoïcisme de Clément de Rome


et Justin. est étudié par G. Bardy, qui en
a montré le vocabulaire philoso-
phique 7? Depuis, l’étude de L. Sanders sur l’hellénisme de
Clément a élargi le problème &, Ce dernier cherche à travers
toute l’épître contexture, thèmes, mots, genre littéraire stoïciens.
Il voit en Clément un interprète hellénique et surtout stoïcien
de saint Paul, mais sa tendance a été freinée par les critiques, en
particulier par une brève étude de W. C. Van Unnik 81, Saint
Justin, à côté des travaux où l’on établit son platonisme, a fait

79. Expressions stoïciennes dans la la Clementis, in Recherches de Science


Relig., 12, 1922, p. 73-85. L
80. L’hellénisme de saint Clément de Rome et le Paulinisme, Louvain, 1943,
coll, Studia Hellenistica, 2.
81. Is I. Clement 20 purely Stoic? îin Vigiliae Christianae, 4, 1950,
p. 181-189.

69
LE STOÎCISME ET LES PÈRES

l’objet de deux études où l’on veut retrouver son stoïcisme.


C. Clemen avait étudié assez étrangement son eudémonisme
stoïco-chrétien 82. G. Bardy, dans une voie beaucoup plus clas-
sique, a examiné son vocabulaire 83,

Tertullien, Minucius Félix Tertullien offre naturellement une


et Clément bibliographie très riche. Certaines
d'Alexandrie.
études veulent embrasser toute sa
pensée philosophique, comme celles de G. Schelowsky 84 et de
C. de L. Shortt 85, Un article de J. Leblanc tente de préciser son
matérialisme 86, pour le mettre au compte du tempérament
africain. G. Bonfiglioli 87 et Fr. Seyr 88 étudient le stoïcisme de
sa psychologie pour chercher plutôt à le réduire, mais G. Rauch
examine l'influence du Portique sur l’œuvre entière # et l’étale
assez généreusement. Peut-on ne pas rappeler enfin au sujet de
Tertullien les travaux de J. Lortz © ou de G. Esser ?1 et surtout
l'édition du De anima établie par J. H. Waszink ®2, dont l’intro-
duction et les notes critiques constituent une véritable étude sur
l'influence philosophique subie par Tertullien ?
La philosophie de Minucius Félix a été étudiée plusieurs fois
aussi. R. Kühn a présenté l’apologiste comme un philosophe
stoïcien, familier de Sénèque, seulement chrétien débutant 93,
F. X. Bürger a essayé d’y démarquer des textes de Sénèque °* et
R. Beutler, dans son étude brève (85 pages), mais très dense,
y cherche les traces de Posidonius ‘5,

82. Die religionsphilosophische Bedeutung des stoich-christlichen Eudämo-


nismus in Justins Apologie, Leipzig, 1890.
83. Saint Justin et la philosophie stoïcienne, in Recherches de Science
Relig., 13, 1923, p. 491-510; 14, 1924, p. 33-45.
84. Der Apologet Tertullianus in seinem Verhältnis zu der griechisch-
rômischen Philosophie, Leipzig, 1901.
85. The influence of Philosophy on the mind of Tertullian, Londres, 1933.
L'influence y est étudiée directement p. 37-48.
86. Le matérialisme de Tertullien, in Annales de Philosophie Chrétienne,
73 année, 3° série, 2-146, 1903, p. 415-424.
87. La psicologia di Tertulliano nei suoi rapporti colla psicologia stoica, in
Riv. Fil., 8, 1905 (non consulté).
88. Die Seclen- und Erkenntnislehre Tertullians und die Stoa, in Comm.
Vindobon., 3, 1937, p. 51-74.
89. Der Einfluss der stoischen Philosophie auf die Lehrbildung Tertullians,
Halle, 1890.
90. Tertullian als Apologet, 2 vol., Münster-en-W., 1927-1928.
91. Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893.
92. Quinti Septimi Florentis Tertulliani de Anima, Amsterdam, 1947, un vol.
in-8° de xzix-651 pages.
93. Der Octavius des Minucius Felix, eine heidnisch-philosophische Auffas-
sung von Christentum, Leipzig, 1882.
94. Ueber das Verhältnis des Minucius Felix zu dem Philosophen Seneca,
Munich, 1904. Cette dissertation inaugurale a paru dans son texte complet
(non consulté) sous le titre : Minucius Felix und Seneca, Munich, 1904.
95. Philosophie und Apologie bei Minucius Felix, Weida-en-Th., 1936.

70
ÉTAT DE LA QUESTION

Enfin chez Clément d’Alexandrie, on a étudié plutôt le plato-


nisme. Cependant on y a recherché avec succès les idées et les
mots de Musonius : c’est la thèse de P. Wendland 96, corrigée ou
du moins précisée par Ch. P. Parker ?7, De plus, M. Pohlenz, en
caractérisant l’hellénisme de l’auteur, a bien délimité la part du
stoïcisme 98,
À ces études il faut ajouter le travail précieux de Th. Rüther,
conçu dans une autre perspective : Die sittliche Forderung der
Apatheia in den beiden ersten christlichen Jahrhunderten und
bei Klemens von Alexandrien %, C’est en somme l’histoire d’une
notion stoïcienne au sein du christianisme primitif, Toutes ces
recherches mettent une pâture abondante et parfois choisie à la
disposition de l’historien qui s’attache à la survie du stoïcisme
dans le christianisme.

Conclusion. Le bilan de cet examen ? Evidem-


ment le sujet offre une riche litté-
rature. Si les travaux généraux sur la pensée grecque considèrent
très peu le stoïcisme dans ses relations avec le christianisme, en
revanche il existe de nombreuses études directement consacrées
à ce sujet. Ces études présentent cependant quelques particu-
larités. D’abord l’immense majorité a pour objet des questions
morales. On n’aborde que rarement le domaine de la logique, de
la physique ou de ce que nous appelons la théologie. Ensuite une
bonne partie des études dans le plan historique s’en tient à la
doctrine biblique et ne fait pas porter son enquête sur la pensée
des Pères. L’influence du stoïcisme ambiant sur la théologie en
formation n’est examinée que dans quelques histoires du stoi-
cisme — et trop secondairement — ou dans les monographies
consacrées à certains Pères — et trop fragmentairement. On n’a
jamais étudié systématiquement la part qui revient au stoïcisme
dans l’élaboration de la pensée chrétienne. Il n’existe aucune
étude globale qui permette de mesurer à sa juste valeur ce qu’il
faudrait appeler le Stoïcisme des Pères.

96. Questiones Musonianae, de Musonio stoico Clementis Alexandrini alio-


rumque auctore, Berlin, 1886. L'auteur s’est lui-même repris in Theologische
Literaturzeitung, 13, 1898, p. 652-657 et dans un appendice des Beïträge zur
Geschichte der griechischen Philosophie und Religion de P. WENDLAND et
O. KerN, Berlin, 1895, p. 68-73.
97. Musonius in Clement, in Harvard Studies in classical Philology, 12,
1901, p. 191-200.
98. Dans l’étude citée plus haut Klemens von Alexandreia und sein helle-
nisches Christentum, in Nachr. von der Ak. der Wissensch. in Gôttingen,
Philol.-Hist. K1., Fachgr. 5, N. F., Bd I, 5, 1943, n° 3, p. 103-180.
99. Avec en sous-titre : Ein Beitrag zur Geschichte des christlichen Vollkom-
menheitsbegriffes, Fribourg, 1949.

71
LE STOÏCISME ET LES PÈRES

IL LE PROBIÈME PRÉCIS

Une synthèse ! Telle est l’audacieuse ambition du présent


travail. Pour réduire la témérité de l’entreprise, il faut lui tracer
des limites : circonscrire exactement le domaine à explorer et
préciser la question.

A. LE DOMAINE

Ni toute la pensée Il n’y a pas lieu de suivre le stoï-


stoïcienne. cisme dans l’histoire de toutes ses
thèses. D’abord puisque le problème
moral a été souvent abordé: et qu’il a été traité dans son
ensemble par J. Stelzenberger, l’éthique ne sera étudiée ici que
secondairement. Elle aurait même été écartée totalement, si cette
négligence ne risquait de fausser notre connaissance générale
de l'influence stoïcienne sur les Pères et n’empêchait l’essai de
synthèse. La logique également restera au second plan, mais
pour une tout autre raison. Elle n’a fait encore l’objet d’aucune
étude patristique 2? et le domaine en est si broussailleux qu’on
n'ose s’y aventurer. La logique formelle en particulier, qui n’est
accessible qu’aux spécialistes, sera complètement négligée.
Comme elle ne concerne que le mode d’expression et de raison-
nement, elle n’est pas indispensable pour une étude des influences
stoïciennes sur la pensée chrétienne. Au contraire, dans la mesure
où la logique est liée à la physique, comme dans le stoïcisme, elle

1. Aux études citées plus haut on peut ajouter secondairement : O. PERLER,


Das vierte Makkabäerbuch, Ignatius von Antiochien und die älteste Martyrer-
berichte, in Riv. di Archeologia cristiana (Cité du Vatican), 25, 1949,
p. 47-72, qui étudie l’influence stoïcienne chez Ignace, et E. F. Brucx, Ethics
as Law : Saint Paul, the Fathers of the Church and the « Cheerful giver »
in Roman Law, in Traditio, 2, 1944, p. 97-121.
2. A. Virieux-REYMoND, La logique et l’épistémologie des Stoïciens, leurs |
rapports avec la logique d’Aristote, la logistique et la pensée contemporaine,
Chambéry, s. d. (1949), n’aborde parmi les Pères que saint Augustin. La même
remarque a été faite pour les articles de E. Elorduy, qui offrent cependant
‘ des aperçus intéressants. Le livre récent de B. Mares, Stoic Logic, Berkeley-|
Los Angeles, 1953, malgré l’intérêt qu’il présente et ses plongées dans les
théories modernes (p. 19-26), ne considère pas du tout les Pères de l'Eglise. |

72
|
LE PROBLÈME PRÉCIS

aura sa place dans l’exposé, Mais le domaine propre de ce travail


sera l’anthropologie,la physique et la théodicée, avec les trois
thèmes qui constituent le centre de la pensée religieuse au
JI!° siècle : Dieu, l’homme et le monde.

Ni toute la pensée Il n’est pas question évidemment de


chrétienne. considérer tout le domaine reli-
gieux où le stoïicisme a pu exercer
son influence. Il ne s’agira même pas de toute la pensée chré-
tienne. La bibliographie a montré que le problème de l'influence
du stoïcisme sur l’essence du message chrétien à été traité fré-
quemment et résolu contradictoirement. Le texte de l’Ecriture
et le dogme chrétien, au sens strict du mot, seront donc laissés
intentionnellement de côté, pour éviter une querelle sans issue.
Il reste le domaine de la théologie, au sens large du mot, toute
la conception chrétienne des grands problèmes élaborés aux
premiers siècles de notre ère. Là encore, il faut se restreindre.
Certains mouvements de pensée en marge du christianisme, cer-
taines déviations à l’intérieur du. christianisme ne seront
mentionnés qu’accidentellement, bien qu’on y découvre du stoi-
cisme, rien qu’à travers l’exposé que nous en donnent les héré-
siologues de l’époque. Il sera question uniquement de la pensée
des écrivains ecclésiastiques qu’on appelle traditionnellement
Pères de l'Eglise.

Avant 230. Même alors il faut se limiter dans


le plan de la durée. Certes, le stoi-
cisme poursuit son influence très loin et jusqu’à nos jours, comme
nous l’avons vu. Mais l’année 230 a paru, pour beaucoup de
raisons, un terminus ad quem intéressant. D’abord elle corres-
pond à peu près à la fin du stoïcisme déclaré, autonome. Ensuite
cette limitation allège une besogne déjà difficile. Par là, on évite
la masse de l’œuvre origénienne, qui suffirait à une thèse — peut-
être décevante — sur l'influence stoïcienne. On évite aussi
l’action, mystérieuse et très mêlée, de Plotin, qui ne put s’exercer
avant 2503, Voilà les raisons toutes pratiques qui, a priori,
invitaient à limiter cette étude à l’année 230.

3. Cette date de 230, qui a l’avantage d’éliminer Origène, sera entendue


largement. Minucius Félix sera inclus dans les limites sans discussion; de
même Novatien, et son ennemi saint Cyprien, qui est si proche de Tertullien
et de Clément d’Alexandrie, Lactance en est malheurusement exclu. 11 présen-
terait beaucoup d’intérêt, puisqu’il est remonté, dans son De opificio Dei,
au-delà de Cicéron pour ses sources stoïciennes, comme vient de le montrer
E. von IvanxA, Die sloische Anthropologie in der lateinischen Literatur, in
Anzeiger der Oesterr. Akad. der Wissensch., Phil.-Hist. Klasse, 87, 1950,
p. 178-192.

73
LE STOÏCISME ET LES PÈRES
À l'expérience se sont révélées des raisons plus sérieuses. La
période ainsi définie, de Clément de Rome à Clément d’Alexan-
drie, offre une réelle unité, Elle est, si l’on peut dire, théologique
plutôt que christologique. Quel patrologue novice n’en a pas été
frappé, voire intrigué, à la lecture ? On dirait que certains écrits
évitent superstitieusement le nom du Christ. C’est que les Pères
Apologistes, qui donnent le ton à la pensée chrétienne del’époque,
ont présenté leur christianisme aux philosophes de leur milieu,
dans la langue de leur milieu. Ils ont développé de préférence
les thèses qui pouvaient trouver audience, le monothéisme et les
questions de théodicée plus que les dogmes proprement chrétiens.
L’argumentation, comme les thèses, inspirée du contexte histo-
rique, est plus philosophique que biblique. En un mot, cette
littérature chrétienne, fortement marquée par la philosophie du
fait des circonstances, offre un terrain de choix pour l’enquête
proposée.
Il y a plus, mais cette dernière raison ne peut être qu’évoquée
maintenant. Sans doute se dégagera-t-elle au terme de ce travail.
Il nous semble bien en définitive que la philosophie où baignent
les écrivains ecclésiastiques jusqu’en 230 est plutôt stoïcienne.
Autour de 230, on le sait, le dualisme platonicien pénètre la
pensée chrétienne. On devient défiant de la matière, du monde,
du corps humain. Au contraire, jusqu’en 230, dans une atmo-
sphère d’optimisme, on voit surtout l’unité de l’homme et du
tout. Même chez un écrivain comme Clément, généralement rangé
parmi les Platoniciens, on trouve pour le monde de la matière
peu d’expressions méprisantes, L’année 230 apparaîtrait ainsi
comme une date charnière de la pensée chrétienne. Jusque-là
elle évoluerait dans une atmosphère stoïcienne. A partir de 230,
le dualisme, dans une certaine mesure inhérent au christianisme,
deviendrait dominant sous l'influence néo-platonicienne :
Le stoïcisme des Pères avant 230, ou, pour être plus expressif,
de Clément de Rome à Clément d'Alexandrie, Dieu, l'homme et
le monde, tel est le sujet,

B. PRÉCISION SUR L'EXPRESSION


INFLUENCE STOÏCIENNE

Ce travail a donc pour objet d’étudier les prolongements,


l'influence, si l’on veut, de quelques thèses stoïciennes, sur la
pensée des Pères de l'Eglise avant 230. Influence stoïcienne, il.
faut encore préciser ces mots.
|
74 |
|
LE PROBLÈME PRÉCIS

Stoïcisme. On pourra dire souvent, et on a pu


appelée
dire déjà, que telle idée,
ici stoïcienne, se trouve chez Platon ou chez Aristote
et n’est
pas due aux Stoïciens. C’est un fait que le stoïcisme, à l’origine,
emprunte ses éléments à tous les systèmes, comme par la suite
il se mêle à tous les systèmes. En ce sens, il n’y a peut-être pas
d’idées qui soient proprement stoïciennes. On pourra parfois
dire encore que telle tendance, qualifiée ici de stoïcienne, se
retrouve parfaitement dans la Bible et qu’il ne faut pas lui
chercher d’ascendance étrangère. Cette objection est compliquée
du fait qu’il existe entre les livres sapientiaux de la Bible et le
stoïcisme une certaine parenté souvent signalée. L'origine orien-
tale des maîtres de la Sfoa, d’une part #, le milieu hellénistique
où furent rédigés certains livres de la Bible, d’autre part 5, créent
un problème de frontières où il faut bien prendre son parti.
Est donc ici considérée comme stoïcienne, une idée à laquelle
le stoïcisme a donné son lustre. Cette idée peut se trouver
secondairement dans la Bible, mais la pensée purement chré-
tienne ne l’a jamais exprimée avec une particulière insistance,
tandis que le stoïcisme en a fait son bien, Cette idée peut se
lire chez Platon, mais les Platoniciens ne l'ont pas exploitée,
alors que les Stoïciens s’en sont fait une thèse essentielle, Sera
appelée stoïcienne une idée qui appartient à l’essence du sys-
tème, à ses tendances fondamentales 6, en un mot une thèse que
la tradition antique ou moderne, scolaire, littéraire ou philo-
sophique considère généralement comme stoïcienne, parce
qu’elle porte le cachet de l’école; quel qu’en soit l’inventeur, les
Stoïciens en ont pris le brevet.
+

Influence, Le mot influence doit être aussi


précisé. Puisque les premiers siè-
cles avant ou après J.-C. sont essentiellement des siècles d’éclec-
tisme, certains éléments dits stoïciens se sont mêlés à cette koiné
philosophique mentionnée plus haut. Ils ne survivent que par là,
et c’est par ce biais que les écrivains de l’époque les connaissent.

4. M. POHLENz, qui a étudié autrefois les relations du stoïcisme avec la


pensée sémitique, en particulier chez Zénon (Stoa und Semitismus, in Neue
Jahrb. für Wissenschaft und Jugendbildung, 2, 1926, p. 256-270), admet
toujours l’influence orientale sur le stoïcisme (Die Stoa, I, p. 69). Cumont-
Bidez insistent sur cette influence, que le P. FESTUGIÈRE aurait plutôt tendance
à limiter (La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. IL, p. 266, n. 1).
5. G. VERBEKE a précisé le problème en ce qui concerne le pneuma, dans
le livre de la Sagesse en particulier, mais en négligeant un peu les anté-.
cédents bibliques (L’évolution…., p. 389-410). Cf. supra, p. 67, n. 69.
6. De ce fait, on laissera tomber ou on se contentera de signaler sans
insistance les thèses que tel Père doit peut-être à tel Stoïcien (Tertullien à
Sénèque, par ex.), plutôt qu’au stoïcisme proprement dit.

75
LE STOÏCISME ET LES PÈRES

Or, nos écrivains ecclésiastiques n’échappaient pas plus à leur


monde que nos contemporains à la civilisation occidentale, qu’un
étudiant du XIX° siècle au kantisme ou qu’un ouvrier militant
du XX° siècle à la pensée marxiste. Il n’est pas nécessaire pour
cela qu’ils aient lu Marx, Kant ou Zénon. L'action de ces philo-
sophes est partout diffuse et opère par une espèce d’osmose 7.
Que l'influence soit indirecte et confuse, ce n’en est pas moins
une influence.
Le mot influence stoïcienne est donc entendu au sens large.
Peu importe que les thèmes aient passé par des systèmes éclec-
tiques, même par des philosophies à étiquette non stoïcienne ou
peut-être par des personnalités comme Philon. Ce travail ne
veut pas être une recherche de sources. Il n’a pas pour objet
d'établir des filiations, ni pour ambition de délivrer des certi-
ficats de paternité. Ce jeu, toujours dangereux, devient propre-
ment une gageure quand il s’agit des premiers siècles après J .-C. 8.
Le but de ces recherches est de signaler la présence et la portée
des thèses stoïciennes chez les écrivains ecclésiastiques sans
s'inquiéter des intermédiaires qui les ont transmises.
- Cette influence comporte beaucoup de formes et-de degrés. Elle
peut consister uniquement dans le vocabulaire et ce mode n’est
pas négligeable ?. Elle peut être dans les idées parfois, en dépit
des mots, parfois même en dépit de thèses toutes différentes
présentées dans le contexte. Elle peut résider à la fois dans le
mot et dans l’idée, et même alors il est dangereux de parler
d'emprunt. Il n’y a peut-être pas adoption voulue d’un système,
mais imprégnation inconsciente et non moins profonde. Enfin,
s’il y a adoption d’un système, il faudrait savoir encore s’il ne
s’agit pas d’un argument ad hominem, pour flatter ou, au
contraire, ruiner le destinataire de l’œuvre. Est-on stoïcien par
opportunité et par calcul ? ou l’est-on par eonviction ? Quel est
le sérieux de ce stoïcisme ?

7. Ce mot qui vient spontanément aux lèvres a été employé par H.-I. MARRoOu,
Histoire de l'éducation dans l’Antiquité, Paris, 1948, p. 442. 11 y renvoie à
H. DAVENSON (H.-I. Marrou), Fondements d’une culture chrétienne, Paris,
1934, p. 82-83; 57-68. E. BRÉHIER parle d’une « transfusion des images stoï-
ciennes dans la conscience de l’époque » (La cosmologie stoïcienne à la fin
du paganisme, in Revue de l'Histoire des Religions, 32° année, 64, 1911, p. 2).
Le mot « transfusion » traduit très bien aussi cette pénétration inconsciente
des idées. L
8. À. J. FEsTUGIÈRE l’affirme nettement au sujet des écrits hermétiques,
exactement contemporains de l’époque ici étudiée : « Cette recherche ne sera
pas proprement une recherche de sources. À la date où paraissent nos écrits,
il serait vain de vouloir rapporter à tel ou tel ouvrage particulier ce qui est
devenu un lieu commun dans les écoles de sagesse » (La Révélation d’IHermès
Trismégiste, t. 11, p. 54). Cependant cette étude des sources est possible dans
certains cas particuliers (Tertullien, par ex.).
9. G. VERBEkE, L’Evolution de la doctrine du pneuma.…., p. 233-236, résout
ainsi l’aspect stoïcien du livre de la Sagesse.

76
LE PROBLÈME PRÉCIS

Conclusion. Cette étude ne prétend pas être


exhaustive. Malgré ses limites, elle
doit permettre cependant une vue générale sur le stoïcisme des
Pères. Elle dégagera les points où cette philosophie a été le plus
influente, le degré de cette influence et son importance globale.
Alors apparaîtra peut-être une autre conclusion. Il y avait encore,
aux premiers siècles après J.-C., un stoïcisme officiel, qu’on
appelle parfois néo-stoïcisme, celui d’Epictète et de Marc-Aurèle,
devenu surtout une morale religieuse. Il existait en même temps
un stoïcisme de culture; enseigné, à titre purement théorique,
à côté d’autres systèmes, il gardait assez fidèlement les thèses
originelles de la Stoa. Enfin, il y avait le stoïcisme populaire, le
stoïcisme de la rue, réduit à une morale, un stoïcisme non pas
évolué, mais décanté. Ces trois stoïcismes ne se recouvrent pas
plus que le néo-kantisme et les dernières formes du kantisme ne
recouvrent le kantisme universitaire ou le kantisme pratique.
Cette étude voudrait préciser la nature du stoicisme que les Pères
ont connu.

77
CHAPITRE TROISIÈME

LE STOÏCISME ET LA PENSÉE CHRÉTIENNE


LES PÈRES DE L'ÉGLISE
TÉMOINS DU STOÏCISME

Indépendamment de l'influence qu’ils ont pu subir, les Pères


de l'Eglise, aussi bien que les écrivains païens, restent des
témoins de la pensée contemporaine. Comme Dion Cassius, Aulu-
Gelle, Apulée, Maxime de Tyr, comme Lucien surtout, ils ont été
amenés à parler du stoïcisme et des Stoïciens dans leurs ouvrages.
Ne serait-il pas intéressant de recueillir leur témoignage ?
I1 faut avouer que nous sommes assez surpris, quand nous
passons de Lucien aux Pères, et même assez déçus. Naturellement,
on ne peut espérer de Tatien ou d’Athénagore une documentation
comparable à celle du lettré de Samosate. Mais un écrivain
comme Clément, observateur attentif et malicieux des mœurs de
son époque, aurait pu s’attacher à décrire la vie intellectuelle de
ses contemporains et nous fournir des renseignements précieux.
Or son œuvre est vague en ce domaine; a fortiori celle des autres
Pères. Aucun écrivain ecclésiastique n'offre consciemment un
tableau précis des courants de pensée autour du Il° siècle.
Cependant, s’ils sont peu loquaces sur la philosophie de leur
époque, ne croyons pas qu’ils ignorent les systèmes, le stoïicisme
en particulier. Les Pères Apostoliques exceptés, tous les écrivains
ecclésiastiques en parlent. Ils nous donnent des renseignements
nombreux. Parfois même ils nous apportent des extraits qui ne
nous sont parvenus par aucune autre voie. Mais alors il s’agit
surtout du stoïcisme ancien, qui s’enseigne dans les écoles et se
lit dans les manuels, du stoïcisme de culture.

78
LES PERSONNALITÉS

I. LE STOÏCISME ANTIQUE.
LES PERSONNALITÉS

Les Témoins. Les Pères de l'Eglise nous ren-


seignent abondamment sur le stoi-
cisme ancien, autant sur les personnalités que sur les thèses, au
moins à partir du III° siècle. Les Apologistes proprement dits
sont encore discrets. Justin est vague sur les Stoïciens. Il les cite
globalement pour vanter leurs principes moraux, mais ne
rapporte que le nom... d’Héraclite rapproché du contemporain
Musonius 1, Tatien, son disciple, paraît ne connaître que Zénon ?,
qu’il cite deux fois. Athénagore n’en nomme aucun, alors qu’il est
assez averti sur les doctrines de l'Ecole. Avec Théophile
d’Antioche, nous trouvons quelques précisions, ou prétendues
précisions, au sujet des Stoïciens anciens, Zénon, Diogène et
Cléanthe 3, de Chrysippe # et d’Aratos 5, Enfin saint Irénée est
d’un silence étonnant. Il ne donne pas un nom et ne parle même
pas des Stoïciens quand il fait un exposé en règle de la philo-
sophie antique au sujet des éléments premiers.
En généra avec le III° siècle les données se précisent. Ter-
tullien sait que les Stoïciens doivent leur nom au portique (stoa)
où ils enseignaient 6, et c’est là une notion que nous retrouvons
ailleurs, chez Irénée par exemple 7 et dans les Philosophoumena,
qui précisent même qu’il s’agit de la stoa poikilè où Zénon pro-
fessait et rapprochent cette dénomination de celle des disciples
d’Aristote, qui s'appellent péripatéticiens parce qu’ils se pro-
menaient dans le jardin du Lycée8. Tertullien donne bien

1. I1 Apol., VII, 1. Il est curieux de constater que les œuvres pseudo-


justiniennes : Discours aux Grecs, Exhortation aux Grecs, De la Monarchie,
essentiellement philosophiques, parlent longuement des premiers philosophes
naturalistes, de Platon et d’Aristote, mais ne disent pas un mot d’aucun
Stoïcien, ni du système.
2. Orat., III.
3. Autol., II, 5.
4. Ibid., II, 8.
5. Ibid., IL, 8.
6. Apol., III, 6; cf. Marc., V, 19, CSEL 47, 645, 13; Praescr. haer., VII, CSEL
70, 10, 35; Test. an., I, 6, CSEL 20, 135, 22.
7. Haer., Il, xvurt, 4, HARVEY I, p. 295.
8. Refut., I, 20, 7. On trouve encore une allusion à la Poikilè dans Clément
d’Alexandrie (Str., IV, 121, 6). Le renseignement précis est donné dans Diogène
Laërce, VII 5; cf. le prooimion.

79
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
d’autrés renseignements. Il parle souvent de Zénon, Chrysippe et
Cléanthe, mais ne nomme au contraire qu’une seule fois Posi-
donius et Panétius. L'auteur de l’Octauius, que l’on sait proche
de Tertullien, avec Zénon, Chrysippe et Cléanthe qu’il associe
deux fois, nomme Diogène de Babylone et Ariston le Stoïcien,
qu’il rapproche de Xénophon. Il signale, à côté, Théophraste, leur
ennemi, mais il connaît leur position : Théophraste, Zénon, Chry-
sippe, Cléanthe, fort peu d’accord entre eux, dit-il. Pour chacun
il donne une précision sur sa doctrine ?. Hippolyte 1° se contente
de remarques générales, mais très pertinentes. Il juge que les
Stoïciens ont fait progresser la philosophie dans le sens syllo-
gistique. Il expose leur doctrine, mais ne mentionne que les
maîtres, Chrysippe et Zénon 11, auxquels on peut ajouter Aratos.
Clément est d’une précision beaucoup plus grande, qui dépasse
même celle de Tertullien. Il connaît les thèses stoïciennes et sa
documentation est abondante sur Zénon, Chrysippe et Cléanthe.
Il est le mieux renseigné des Pères antérieurs à Origène.

Les Stoïciens On peut dresser ainsi un catalogue


selon les Pères : Zénon. des personnalités stoïciennes vues
par les Pères des premiers siècles,
un palmarès plutôt. En tête figure, avec de très nombreuses men-
tions, Zénon de Citium, dont nous apprenons le rôle et la
doctrine. Il est le représentant type du stoïcisme, selon les
Philosophoumena1?; il a donné à la doctrine, avec l’aide de
‘ Chrysippe, ses définitions et sa forme définitive 18, Il est le fon-
dateur de la secte, ajoute Clément 14, qui établit sa généalogie
philosophique au chapitre xiv du livre I‘ des Stromates, consacré
à l’histoire de la philosophie. L’Alexandrin le rattache à Thalès
de Milet, en passant successivement par Cratès, Polémon, Xéno-
crate, Speusippe, Platon, Socrate, Archélaüs, Anaxagore et Anaxi-
mandre, et lui donne pour continuateurs Cléanthe et Chrysippe 15.

9. Minucius Félix, XIX, 9-13. Ce chapitre est une petite histoire de la philo-
sophie composée à partir de notions empruntées à Cicéron, mais orientées
dans le sens concordiste.
10. Sans vouloir pour autant prendre position dans la discussion que pro-
voque la thèse de M. Nautin, nous continuerons à mettre au compte d’Hippo-
lyte le corpus des œuvres communément rassemblé sous son nom.
11. Refut., 1, 20-21.
12. 1bid., I, en-tête 5.
19-01b1di, 1; 21,1:
14. Str., V, 76, 1; I, 64, 1.
15. Str., 1, 63, 2-64, 1. Cette filiation n’est pas tout à fait celle de Diogène
Laërce, prooimion, 14, qui, dans la branche stoïcienne, de Cratès passe à
Diogène, Antisthène, Socrate, et ajoute Anaximène entre Anaxagore et Anaxi-
mandre. Le stoicisme y est bien lié au cynisme, mais indépendant de Platon.
Chez Clément, qui semble entreméler la généalogie de la Stoa avec celle de
l’Académie, il est en dépendance de Platon. Ce rapprochement des écoles se

80
LES PERSONNALITÉS

Fidèle à ce pedigree, il appelle Zénon « un tenant de Platon 16 »,


compagnon de Leucippe, précise de son côté Hippolyte 17,
Les tendances doctrinales et la méthode du fondateur de la
secte sont également connues. Clément dit un mot de sa péda-
gogie. Selon les Stoïciens, Zénon, le premier, initia les amateurs
progressivement par une espèce de symbolisme qui se rapproche
des religions à mystères 18, L’Alexandrin donne un échantillon
de son enseignement, en nous rapportant dix lignes qui nous
décrivent le jeune homme modèle 1?, Il connaît son austérité et
signale les railleries des comiques sur le rigorisme alimentaire
du maître 2, renseiÿnement que confirme peut-être Tertullien,
quand il caractérise l’homme du terme de uigor 21, Il nous cite
une de ses boutades pleines de bon sens réaliste : mieux vaut
voir un Indien dans les flammes qu’une démonstration sur le
ponos 22, Enfin il mentionne son livre Sur la République 3, et
rapporte son opinion sur le souverain bien 24 et sur l’amitié qui
unit tous les gens de bien 2. Théophile lui impute, en même
temps qu’à Diogène et Cléanthe, de vouloir qu’on mange de la

trouve chez Antiochus d’Ascalon (M. PoLenz, Die Stoa, I, p. 249-250). Voici
les deux arbres généalogiques face à face. Ë
Diogène Laërce Clément

Thalès. Thalès.
Anaximandre. Anaximandre.
Anaximène.
Anaxagore. Anaxagore.
Archélaüs. Archélaüs.
Socrate. Socrate.
Platon (Anc. Acad.). Antisthène. Platon.
Speusippe. Speusippe.
Xénocrate. Diogène le cynique. Xénocrate.
Polémon. : ; Polémorn.
Crantor-Cratès. Cratès de Thèbes. Cratès.
Arcésilaüs. Zénon de Citium. Zénon.
(Moy. Acad). Cléanthe. Cléanthe.
Lacydès (Nouv. Acad.). Chrysippe. Chrysippe.

Il apparaît dans cette comparaison que Clément a confondu le Cratès de


l’Académie avec le cynique de même nom. Clément rapproche aussi les Stoi-
ciens d’Héraclite (Str., V, 9, 3; cf. 105, 1).
16. Str., V, 95, 2,
17. Refut., I, 12.
18. Str., V, 58, 2.
19. Paed., III, 74, 3-4.
20. Str., II, 121, 3.
21. Anima, Il, 2.
22. Str., II, 125, 1. Clément explique cette pensée en rappelant ailleurs
l’héroïque mépris de la mort dont se glorifient les Hindous (Str., III, 60, 2;
IV, 17, 3).
23. Ibid., V, 76, 1.
24. Ibid., IX, 129, 1.
25. Ibid.; V, 95, 2.

81
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOICISME

chair humaine, que les enfants eux-mêmes égorgent et dévorent


leurs parents et que celui qui refuserait un pareil aliment soit
lui-même dévoré 26, doctrine précise, mais étrange. Minucius
Félix, mieux avisé, expose sa théorie du principe originel et son
interprétation physique des dieux mythologiques 27. Tertullien
donne d’autres précisions sur l’enseignement du maître 28 et en
cite quelques lignes 2. Mais il ajoute en revanche une note sur-
prenante : « Il aspirait à la tyrannie chez les Priéniens 3%, »
Sans doute a-t-il confondu notre Zénon avec l’un des sept autres
personnages du même nom, célèbres dans l’antiquité 31,

Les disciples de Zénon. Les disciples de Zénon connaissent


aussi une certaine faveur. Ariston
obtient trois mentions, une dans l’Octfauius 32, les deux autres
dans les Stromates 83. Une fois, il y est accompagné très naturel-
lement de Hérille 34 Est-ce le même Ariston que cite longuement
Théophile au sujet de Dieu et de la providence 35 ? Tertullien
rapporte une opinion d’un autre disciple de Zénon, Apollo-
phanes, dont on ne connaît en tout que cinq fragments #6.
Minucius Félix, enfin, nomme Persée de Citium, l’ami de Zénon
vieillissant 37,
Cléanthe est évidemment le plus célèbre des disciples. Men-
tionné sans faveur par Théophile 88, il est nommé dans l’Octauius,
qui signale sa conception de Dieu, comme disciple de Zénon #?.
Tertullien rapporte sa théorie du preuma cosmique 4 et de la
corporéité de l’âme qui explique l’hérédité 41. Hermias donne

26. Autol., III, 5.


27. Oct., XIX, 10; 1}.
28. Anima, V, 3; XIV, 2; Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 7; Nat., IL, 2, 18; 4, 10;
dans ce dernier écrit le texte porte la première fois Zenon, la deuxième fois
Zeno; faut-il distinguer deux personnages avec Borleffs, ou les confondre
avec Haïidenthaller ? Praescr. haer., VII, CSEL 70, 9, 12-13; Pall., V, 4, où
Epicure rejoint Zénon.
29. Apol., XXI, 10; Anima, V, 3.
30. Apol., XLVI, 13.
31. Diogène Laërce, dans sa notice sur Zénon le Stoïcien, dit en effet qu’ « il
y eut huit Zénons » (VII, 35).
32. Oct., XIX, 13.
33. Str., I, 108, 1; 1, 129, 6. Clément en rapporte encore trois textes cachés
sous l’anonymat : Str., II, 141, 4; I, 97, 2-98, 3; Paed., II, 81, 5.
34. Str., XI, 129, 7.
35. Autot., Il, 7.
36. Anima, XIV, 2. Le fragment en question est cité dans ARNIM, SVF I,
405, p. 90. L’ensemble des fragments de cet auteur n’occupe qu’une demi-page.
37. Oct., XXI, 2.
38. Autol., III, 5.
39. Oct., XIX 10.
" 40, Apol., XXI, 10.
41. Anima, V, 4; XXV, 9.

82
LES PERSONNALITÉS
un exposé sérieux de sa cosmogonie 42, Clément d'Alexandrie est
beaucoup plus précis que ses prédécesseurs sur « Cléanthe de
Pédase, philosophe de la Stoa 48 ». Il le présente comme s’affir-
mant disciple de Zénon#. Avec Archidème, dit-il, Cléanthe
appelle les cathegorèmata des lecta 45. 11 cite de Cléanthe onze
vers extraits d’un poème moral #$ et quatre vers.d’une poétique 41,
Il rapporte son opinion sur la fin de l’action humaine #8, sur
lPâme du porc 4 et sur le soleil qu’on appelle plectre « parce
qu’il mène la lumière dans sa course harmonieuse 50 », Il signale
aussi son deuxième livre Sur le plaisir 51, Il va jusqu’à reprocher
aux Grecs de ne pas connaître ses écrits : « Mais ces auteurs
n’ont pas lu Cléanthe 52. >» Excès de sollicitude !

Chrysippe et la fin Chrysippe, le classique du stoi-


du stoïcisme ancien. cisme, est un penseur très connu
également, mais pas toujours à son
avantage. Minucius Félix mentionne ses théories sur Dieu et ses
interprétations physiques de la mythologie 53. C’est le témoi-
gnage le plus précis. Tertullien le nomme souvent, mais une fois
pour le ridiculiser 54, Théophile en rapporte une opinion 55, mais
le considère comme un radoteur 56. Les Philosophoumena, en
revanche, en font le type du Stoïcien, comme de Zénon 57, un des
fondateurs du système 58, et Clément vante la dialectique 5 du
« successeur de Cléanthe 60 »,

42. Irr., VII.


43. Protr., 72, 1.
44. Str., VI, 57, 3; 167, 2.
45. Ibid., VIII, 26, 4.
46. Protr., 72, 2; Str., V, 110, 2-3. Le texte offre une légère variante dans la
citation des Stromates : il y manque trois mots, en plein vers, par rapport
au Protreptique. Mais Eusèbe qui cite à son tour ces vers (Prep. Euang., XIII,
13, PG XXI, 1121 C) rapporte le:texte complet, bien qu’il reproduise dans
l’ensemble les Stromates. ARNIM en conclut que les Stromates portaient origi- ,
nellementle même texte que le Protreptique (SVF I, 557, p. 126-127). I1 met à
part (560, p. 128) les deux derniers vers de la citation dans le Protreptique,
parce qu’ils sont sans rapport avec les vers précédents et sont détachés. dans-
la citation des Stromates, V, 111, 1.
47. Str., V, 17, 6.
48. Ibid., II, 129, 1.
49: Ibid., VII, 33, 3.
50. Ibid., V, 48, 1.
51. Ibid., II, 131, 3.
52. Ibid., V, 48, 1.
53. Oct., XIX, 11.
54. Anima, VI, 8.
55. Autol., II, 4.
56. Ibid., II, 8.
57. Refut., I, en-tête, 5.
58. Refut., I, 21, 1.
59. Str., VII, 101, 4.
60. 1bid., I, 64, 1.

83
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
De l’ancien stoïcisme, les Pères connaissent encore quelques
personnages secondaires, Aratos est signalé par Théophile 61, par
Hippolyte, qui en rapporte les allégories astronomiques 62 et le
cite à travers un écrit Pérate où il est traité d’ignorant 63. Enfin,
il est longuement cité par Clément d’Alexandrie 64. Diogène de
Babylone est connu également de Théophile 65, de Minucius
Félix 66 et de Clément 67, Dans l’œuvre de ce dernier apparaît
encore Antipater le Stoïcien 68, dont Clément connaît trois livres
sur le mot de Platon : le seul bien, c’est l’honnête 62. Archidème,
enfin, y est mentionné deux fois ©. Tous les grands noms de
l’ancien stoïcisme ont défilé.

Le moyen stoicisme.
Le moyen stoïcisme connaît beau-
coup moins de faveur. Tertullien
signale sans précision les maîtres Posidonius et Panétius, au sujet
des divisions de l’âme 71, Clément rapporte leur opinion sur le
souverain bien72, C’est tout 73. Parmi les écrivains anciens
d'influence stoïcienne, Tertullien nomme, une dizaine de fois,
surtout dans l’Ad nationes, Varron T4, que connaît aussi l’auteur
du Protreptique 5, On peut ajouter un certain Denys le Stoïcien,
cité par Cicéron 76, qui régnait à Athènes vers 50 avant J.-C. 77.

61. Autol., II, 8.


62. Refut., IV, 6, 3; IV, 46, 6-48, 14.
63. Ibid., V, 16, 15-16.
64. À travers les Actes des Apôtres, dans Str., I, 91, 5; directement ibid.
V, 48, 2; V, 101, 2-3; Protr., 73, 2.
65. Autol., III, 5.
66. Oct., XIX, 12.
67. Str., II, 129, 1. Le nom de Diogène y est cependant une conjecture de
STAEHLIN, suivie par ARNIM, SVF IIL, 45, p. 219. Le nom existe, en revanche,
dans l’Ad nationes de Tertullien (II, 2, 10; 1, 10, 43); mais de quel Diogène
s'agit-il ?
68. Str., II, 129, 2.
69. Ibid., V, 97, 6.
70. Ibid., II, 129, 3; VIII, 26, 4.
71. Anima, XIV, 2.
72. Str., II, 129, 4. Ces textes sont reproduits dans M. vAN STRAATEN,
Panaetii Rhodii fragmenta, Leiden, 1952, p. 28, n° 85 et p. 33, n° 96, avec
un autre texte de Lactance et un d’Ambroise. Sur 165 fragments, ce sont les
seuls que rapportent les Pères.
73. Soulignons au passage la discrétion des Pères sur.Posidonius, à qui les
historiens modernes prêtent souvent une influence très large et très profonde.
74. Nat., I, 10, 17; I, 10, 43; IX, 2, 19; IX, 3, 7; IX, 3, 113 IL, 5, 2; IL, 8, 63 IL,
9, 3; IL, 12, 5; Il, 13, 1 (?). Tertullien analyse expressément les Res diuinae
de Varron (Nat., II, 2, 19). Le stoicisme de l’auteur romain est évident; cf. par
exemple H. DAHLMANN, Varro und die hellenistische Sprachtheorie, Berlin, |
1932 (Problemata, 5). |
75. Clément, Protr., 46, 4. |
76. Tusc., II, 26.
77. Tertullien, Nat., II, 2, 14; 14, 1.

64
LES THÈSES

Ce catalogue est fastidieux, mais il a semblé nécessaire.


Il permet de se faire une première idée de la documentation des
Pères sur le stoïcisme, de sa richesse, de sa valeur et surtout des
personnalités auxquelles elle se rapporte : elle s’intéresse beau-
coup plus au stoïcisme ancien qu’à Posidonius et Panétius. La
suite précisera ces aperçus.

II. LE STOÏCISME ANTIQUE.


LES THÈSES

Les Pères n’ont jamais donné un exposé suivi de la philosophie


stoïcienne. Très souvent ils nous rapportent une opinion au
passage, parmi d’autres opinions de philosophes. Leurs citations
paraissent parfois même inconscientes, surtout en logique et en
morale, où l’on voit utilisées, sans indication d’origine, les défi-
nitions stoiciennes. Dans le dernier cas peut-on dire qu’il y ait
document sur le stoïcisme ? D’autres fois les écrivains ecclé-
siastiques exposent ex professo, avec précision, l'opinion des
Stoïciens en quelque point de leur système. Athénagore rapporte
leur physique1, Tertullien leur psychologie?, Hippolyte leur
théologie et leur physique 8, enfin Clément d’Alexandrie leurs
définitions de la fin dernière 4. Des allusions passagères, comme
de ces exposés systématiques, se dégage l’idée que les Pères se
faisaient de quelques thèses stoïciennes sur Dieu, sur le monde,
sur l’homme et ses activités.

A. SUR DIEU

La théologie tripartite. Les Pères ont été amenés à rappeler


l’enseignement des Stoïciens sur
Dieu en lui-même et dans ses relations avec le monde, Tertullien,
Minucius Félix et Clément d'Alexandrie sont les plus avertis sur
la conception stoïcienne de la nature divine. Tertullien, à deux

1. Leg., NI.
2. Anima, XIV, 2+3.
3. Refut., I, 21. Hippolyte n’est-il pas l’auteur d’un traité Contre les Grecs
et Platon ou de l'univers ?
4. Str., II, 129, 1-10.

85
mdLE
-
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOICISME
reprises, une fois d’après Denys le Stoïcien5, une autre fois,
avec plus de précision, d’après les Res diuinae de Varron qu’il
nomme, rapporte une idée chère au système depuis Panétius:
le triple aspect de la théologie grecque f. Il appelle la divinité
successivement physique, songeant aux dieux des philosophes,
forces naturelles personnifiées, établis sur conjecture; mythique,
désignant les dieux des poètes enseignés par les fables; poli-
tique ou gentile, visant les cultes adoptés par les peuples 7. Par
la suite il réfute chaque catégorie de dieux, en précisant chacun
des trois mots-clés 8,

L'interprétation Les Pères s’attachent surtout au


physique des dieux. premier aspect de la théologie
païenne illustrée par les Stoïciens,
parce qu’ils y découvrent un aveu de l’unicité divine. Tertullien
rapporte une interprétation physique des noms divins, où Jupiter
devient la substance ignée, Vesta le feu, Junon-Héra l'air, les
Muses l’eau... ?. Minucius Félix présente avec la même précision
l'interprétation allégorique des noms divins, ou, si l’on veut,
cette réduction des dieux à des phénomènes naturels. Il l’attribue
nommément à Cléanthe, Zénon, Chrysippe et Diogène de Baby-
lone. Par là, il montre que « tous en viennent à l’unité de la
Providence », les phénomènes divers n’étant que les activités et
les aspects d’un même dieu 1°, Athénagore tire la même conclu-
sion des mêmes considérations : « Les Stoiciens prétendent que
Zeus est la matière bouillonnante, Héra l’air, à juger du mot
articulé deux fois de suite, Poseidon la matière liquide. Il en est
d’autres qui donnent d’autres interprétations naturelles 11, »
« Bien qu’ils changent leurs appellations, dit-il encore, selon les
aspects différents de la matière où pénètre, selon eux, le souffle

5. Nat., IX, 2, 14.


6. Ce thème se retrouve chez Aèce (Placita, 1, 6, 9), chez Cicéron, chez
Plutarque.… Sur le sujet, cf. J. PÉPIN, Mythe et Allégorie, Paris, 1958,
p. 276-392.
7. Nat., Il, 1, 9-12. Selon Tertullien encore, Varron divise aussi les dieux
en certi, incerti et electi (Nat., II, 9, 3) où l’on retrouve les trois catégories
classiques, et Denys parle de dieux natiui et facti (Nat., IX, 14, 1). Sur les
termes pubtxal, ousixal et &\Anyoptxai appliqués aux traditions ({otopiat) par
Aristide (Apol., XIII, 7), cf. un article très intéressant et presque convaincant
de W. DEN BoEr, Hermeneutic problems in early christian Literature, in
Vigiliae Christianae, 1, 1947, p. 150-167. L’auteur dit qu’Aristide ne confond
pas physique et allégorique. Il examine ensuite le terme wououxwtepov chez
Tatien (Orat., XXI, c. fin.) et montre qu’il a un sens différent.
8. Cette théologie tripartite très célèbre est passée ensuite chez Eusèbe
(Prep. Euang., IV, Prooem., PG XXI, 229 AB), chez saint Augustin qui
l’attribue à Varron et, par-delà, à Quintus Mucius Scaeuola (Ciu. Dei, IV, 27,
éd. C. C., p. 120-122; VI, 5, p. 170-172).
9. Marc., I, 13. CSEL 47, 307, 19-21.
16. Oct., XIX, 10-12, cf. alinéa suivant.
11. Leg., XXII. Sur le sujet, cf. J. PÉPIN, Mythe et Allégorie..., p. 393-413.

86
LES THÈSES

de Dieu et qu’ils multiplient les noms de la divinité, en fait ils


honorent le Dieu unique 12, > Clément d’Alexandrie signale aussi
le système de Cléanthe, qui enseigne « non une théogonie poé-
tique, mais une théologie réaliste 18 ». Il note que les Stoïciens
« ont échangé le nom de Dieu contre celui de nature, indigne-
ment, puisque la nature s’étend aux plantes, aux herbes, aux
arbres et aux pierres 14 »,

Unité et nature de Dieu.


Sur l’unité de Dieu et sa nature
chez les Stoïciens, l’Octauius fournit
un texte long et précis qui mérite d’être cité :

10. .….Cléanthe, en effet, donne le titre de Dieu à la mens, tantôt à


l’animus, tantôt à l’aether, la plupart du temps à la ratio; Zénon, son
maître, à la loi naturelle et divine, et il veut tantôt l’éther, tantôt la
raison comme principe de tout. Le même penseur, en voyant en Junon
l’air, en Jupiter le ciel, en Neptune la mer, le feu en Vulcain, et en
montrant que les autres dieux du peuple pareillement sont des élé-
ments, souligne gravement et réfute l’erreur populaire.
11. Chrysippe est presque dans le même cas. La force divine ration-
nelle, la nature et le monde, en même temps aussi la nécessité fatale,
il les croit dieu, et il imite Zénon en interprétant
physiquement les
poèmes d’Hésiode, Homère et Orphée.
12. Diogène de Babylone aussi a pour enseignement d’exposer et de
démontrer que la génération de Jupiter, la naissance de Minerve et
autres histoires de ce genre sont des noms de choses plutôt que des
divinités,
13. Xénophon, le disciple de Socrate, dit que la forme du vrai Dieu
ne peut se voir et qu’elle ne doit pas se chercher. Ariston de Chios dit
qu’on ne peut pas la saisir du tout. Tous deux ont senti la majesté
divine dans leur désespoir de la comprendre #,

On voit dans ce texte, avec l’explication naturaliste des dieux


populaires, toutes les opinions stoïciennes sur l’essence de Dieu:
raison, loi naturelle et divine, éther, nature rationnelle, force
divine, destin inévitable. On y retrouve surtout la théorie du
Dieu Logos et Pneuma.
Tertullien rapporte plus brièvement les mêmes thèses:

Vos philosophes sont aussi d’accord pour dire que c’est le logos, c’est-
à-dire la parole et la raison, qui est l’auteur de l’univers. Zénon le
désigne comme l'artisan qui a tout formé et tout disposé; il dit qu’on

12. Leg., N1; cf. XVI,


13. Protr., 72, 1.
14. Str., II, 101, 1. Un excellent texte de Lactance précise cette idée : « At
isti uno naturae nomine duas res diuersissimas comprehendunt, deum et
mundum, artificem et opus, dicuntque alterum sine altero nihil posse, tam-
quam natura sit deus mundo permixtus » (Diu. inst., VII, 3, PL VI, 741 A).
15. Oct., XIX, 10-13.

87
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏICISME

l’appelle aussi destin, Dieu, âme de Jupiter, nécessité de toutes choses.


Cléanthe réunit tout cela pour l’attribuer à l'esprit, qui circule, dit-il,
à travers tout l’univers “,

L'esprit, le pneuma, c’est-à-dire en fait un corps. Tertullien


sait parfaitement que le Dieu des Stoïciens est corporel 17. Il est
feu, d’après Zénon et Varronis. L'Octauius prête à Zénon la
théorie du Dieu éther 19. Clément est très précis en ce domaine.
Dieu, pour nos philosophes, dit-il, est, « de même que l’âme, un
corps et un esprit de par sa nature ». Il est présent dans la
matière 2, « Il est un corps qui pénètre à travers la plus vile
matière 21 » et il cite à ce sujet le poète Aratos 22.
Aux yeux du même Père, les Stoïciens ont humanisé Dieu.
Ils lui ont prêté des sens, particulièrement la vue et l’ouïe,
pour qu’il puisse saisir 2, comme s’il n’y avait que les sens
humains pour connaître. Ils commettent « le blasphème impie »
d'attribuer à l’homme et à la divinité la même vertu?4, En
revanche, Zénon refuse toute image et tout temple à la divinité,
parce que rien n’est digne des dieux 25, Clément cite encore par
deux fois une dizaine de vers de Cléanthe, qui multipliaient les
épithètes sur Dieu, mais sans préciser sa nature 26, Enfin, der-
nière note qui a trait à la théologie, selon Tertullien, Chrysippe
rejette l’existence de démons mauvais ?7,

Dieu dans le monde. Les textes rapportés ont fait sou-


vent allusion aux relations de Dieu
avec le monde: Pour les Stoïciens, disait Clément, « Dieu est
répandu dans toute la substance ?8 », « à travers toute la
matière, même la plus vile2 ». C’est bien là une thèse stoi-
cienne 30, fréquemment évoquée par les Pères. Tatien rapporte

16. Apol., XXI, 10, trad. WALTZING.


17. Ibid., XLVIL, 6.
18. Nat., II, 2, 18. Cf. Hippolyte, Refut., I, 21, 1; I, 3, 1; l’auteur dans ce
dernier texte rapproche les Stoiciens d’Empédocle et de la théorie d’un Dieu
feu, pour en venir à l’éxrüpuots.
19. Oct., XIX, 10.
20. Str., V, 89, 2-3.
21. Ibid., 1, 51, 1; Protr., 66, 3.
22. Protr., 73, 2.
23. Str., NII, 37, 1. Peut-être l’auteur confond-il Stoïciens et Epicuriens.
24. Str., NII, 88, 5; M, 135, 3; VI, 114, 5.
25. Ibid., V, 76, 1.
26. Protr., 72, 2; Str., V, 110, 2.
27. Test. an., III, 1, CSEL 20, 137, 21-22.
28. Str., V, 89, 3.
29. Protr., 66, 3 (Gwxetv); cf. Str., I, 51, 1.
30. ArNIM, SVF II, 1028-1048, p: 306-309.

88
LES THÈSES

l’opinion de Zénon en ce domaine : « Dieu sera présent dans les


cloaques, dans les vers, dans l’homme infâme 81, >» Théophile,
exposant les systèmes des philosophes, dit sans nommer les
Stoïciens : « D’autres professent que Dieu est le souffle circu-
lant dans tout 32. » Athénagore les réfute nommément et parle
de leur théorie du « souffle de Dieu qui circule à travers la
matière 38 ». Tertullien, qui rapporte la pensée de Cléanthe sur
« le souffle circulant à travers tout l’univers 34 », note la pré-
cision de Zénon : Dieu pénètre la matière tout en étant diffé-
rent. Il rappelle à deux reprises l’image même qu’employait la
Stoa : « Il dit qu’il passe à travers elle comme le miel à travers
les rayons 35, >» La Satire d’Hermias le rejoint : « L’âme pénètre
à travers tout l’univers et nous sommes animés en y parti-
cipant 56. »
Mais Athénagore nous offre des textes de beaucoup plus vaste
envergure. En une page bourrée d’allusions et de citations, il
apporte, en même temps qu’une interprétation physique des
dieux païens, que nous connaissons à travers l’Octauius, une
théorie cosmogonique :

Ceux de la Stoa…, bien qu’ils changent leurs appellations, en fait


honorent le Dieu unique. I1 y a en effet le Dieu feu artiste marchant
sur la route pour la génération de l’univers, embrassant en lui absolu-
ment tous les logoi spermatikoi, moyennant lesquels chaque chose
apparaît selon le destin; et (il y a) son esprit qui s’avance à travèrs
tout l’univers; soit le Dieu unique, selon eux, qui s’appelle Zeus du
point de vue du bouillonnement de la matière, Héra du point de vue
de l’air, et se nomme ainsi de suite selon chaque partie de la matière
qu’il pénètre *,

Il y revient longuement plus loin pour une réfutation :

Quant aux Stoïciens, on peut argumenter ainsi avec eux : si vous


reconnaissez un seul Dieu suprême, éternel, incréé; si vous dites qu’il
existe autant de corps différents que la matière peut subir de change-
ments, et que le souffle de Dieu qui circule dans la matière, selon les
altérations de celle-ci, prend des noms différents, il s’ensuit que les
formes de la matière seront corps de Dieu. Quand les éléments se

31. Orat., III.


32. Autol., II, 4 : xd Ôv'Ühou xEwpnrès rEÜpa.
33. Leg., XXII; cf. VI.
34. Apol., XXI, 10.
35. « Eum per illam tamquam mel per fauos transisse dicit » (Nat., IL, 4,
10). Cf. Hermog., XLIV, CSEL 47, 173, 16-17 : « Deum sic per materiam decu-
currisse, quomodo mel per fauos. »
36. Irr., VII.
37. Leg., VI.

89

me
©See
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
corrompent selon l’éxrüpusx, fatalement, les noms se corrompent avec
les formes, l’esprit de Dieu restant seul. Ces corps, … qui croira que : ce
sont des dieux# ?

Une telle conception de Dieu implique une conception ani-


miste du monde, qui n’a pas échappé au regard des Pères.
« De là aussi Varron, dit Tertullien, a fait du feu l’âme du.
monde, de sorte que dans le monde le feu gouverne tout, de la
même manière que l’âme en nous #9. »

B. SUR LE MONDE

Cosmogonie Dieu, dans les textes d’Athénagore,


et principes premiers. est présenté comme le feu artiste
qui façonne le monde. Nous retrou-
vons ici la cosmogonie stoïcienne., Clément d’Alexandrie nous
rapporte la même citation célèbre en l’appliquant à la nature 40.
La force créatrice est donc un feu actif, qui agit sans doute sur
la matière initiale « indéterminée et sans forme » dont il parle
ailleurs 41, Mais Clément ne fait pas le rapprochement entre
principe actif et principe passif. L’auteur des Philosophoumena
est exactement dans le même cas. Il place lui aussi, « comme
principe de tout, un dieu, un corps le plus pur, dont la Provi-
dence pénètre toutes les choses #2 », et ailleurs il attribue aux
Stoïciens la thèse qui présente comme source de tout un prin-
cipe unique et indéfini : la matière indéterminée et changeable
en tout, qui par ses changements donne feu, air, eau, terre #5.
Ces deux auteurs rapportent la cosmogonie en pièces détachées,
sans en avoir saisi l'articulation. Athénagore au contraire l’a

38. Leg., XXII, cf. XVI. La même réfutation se lit chez Origène, Contra
Celsum, III, 75, éd. KorrscHAU, 1, 267, 3-19. Sur la polyonymie du Dieu
suprême, liée à ses effets multiples, cf. une série de références et de textes
dans La Révélation d’Iermès Trismégisle, du P. FESTUGIÈRE, t. III, Les Doc-
trines de l’Ame, Paris, 1953, p. 160-162.
39. Nat., II, 2, 19. Cf. II, 3, 7 où Tertullien attribue au même Varron que
« le ciel et les astres sont des êtres animés » (cf. II, 3, 11). On trouve éparses
ailleurs quelques autres marques de cette conception animiste du monde
stoïcien. D’après Clément, le Stoïcien appelle le soleil « un flambeau intel-
ligent qui vient des eaux de la mer » (Str., VIIL 4, 3). De l’avis de Cléanthe,
le pourceau a une âme en guise de sel afin que sa chair ne se corrompe pas
(ibid, NII, 33, 3), citation qui traduit aussi une conception optimiste et
téléologique de l'univers.
40. Str., V, 100, 4.
41. Ibid., 89, 5-6.
42. Refut., I, 21, 1.
43. Ibid., X, 6, 4.

90
LES THÈSES
comprise. Il parle d’un « double principe » — il ne dit pas deux
principes — « l’un actif et commençant selon la Providence »,
« l’autre passif et changeant selon la matière 44 ». On reconnaît,
gauchement présenté, le principe unique à deux faces de
l’orthodoxie stoïcienne et sa théorie de l’évolution continuelle.
La Satire d’Hermias met au compte de Cléanthe la même
cosmogonie évolutionniste : « Cléanthe, sortant la tête de son
puits 45..., m’annonce que les vrais principes, c’est Dieu et la
matière 46; que la terre se change en eau, l’eau en air, l’air (en
feu et que le feu ou bien) est porté en haut, ou bien s’avance
à la périphérie de la terre; que l’âme pénètre à travers tout
Punivers et que nous sommes animés en y participant 47. »
Tertullien attribue à Zénon la théorie que le monde est fait
d’air et d’éther, matière à ses yeux indigne des dieux #8.
L'Octauius dit plus curieusement : « L’opinion constante des
Stoïciens » n'est-elle pas que l’eau douce des fontaines ou celle
de la mer est principe de vie pour l’univers 4# ? Athénagore
semble imputer la même théorie aux Stoïciens dans le contexte
très orthodoxe cité plus haut. Après leur avoir attribué nommé-
ment certaines thèses, il parle de dieux « sortis
de l’eau » et
« d’eau principe de toutes choses 50 », Mais l’eau joue effecti-
vement un rôle primordial dans certaines théories du Portique 51.

L'évolutionnisme Tous les textes qui parlent des


cosmique. principes premiers notent en même
temps leurs changements successifs
et continus, qui constituent l’organisation progressive du monde.
Selon les Pères, la conception stoïcienne de l’univers est dominée
par l’idée d’évolution, qu’on trouve partout signalée. Clément
d'Alexandrie est ici plus précis que tous. Il fait appel à Héra-
clite d’Ephèse qui dit le monde feu ct il rapporte son métabo-
lisme cosmique, où le feu devient mer, et la mer, à moitié terre,
à moitié tourbillon, changement qui se fait par la puissance.
« Il dit par la puissance, parce que, par le Verbe-Dieu qui dirige

44. Leg., XIX.


45. Pour comprendre cette allusion, cf. Diogène Laërce, VII, 5, 2.
46. Tertullien attribue une opinion semblable à Zénon : « Et ubi materia
cum deo aequatur, Zenonis disciplina est » (Pracscr. haer., VII, CSEL 70,
9, 12-13).
47. Irr., VII. Le texte entre parenthèses () est une conjecture d’ARNIM,
SVF I, 495, p. 111 en note.
48. Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 7; cf. V, 19.., 645, 13 : « La matière (dont
parle Marcion), avec laquelle le Créateur partage les honneurs de la divinité,
vient du Portique. »
49. Oct., XXXIV, 2.
50. Leg., XIX. Mais l’auteur, dans ce passage, parle-t-il encore des Stoïciens,
ou est-il passé, sans le dire, à une autre catégorie de philosophes ?
51. ARNIM, SVF II, 580-581, p. 179-180.

91
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

tout, le feu est transformé dans l’air en humidité qui joue le


rôle de semence dans la diakosmésis, ce qui s’appelle mer. De
celle-ci, à leur tour, sortent terre, ciel et tout ce qui y est contenu.
Comment à nouveau il est repris et redevenu feu, il le montre
clairement ainsi : la mer se répand et se mesure dans le même
logos qu’elle avait avant de devenir terre, et ainsi de suite au
sujet des autres éléments. » Et Clément ajoute: « Les plus
habiles des Stoïciens enseignent des théories semblables sur la
dioikèsis du monde 52. » On trouve presque la même précision
dans le traité pseudo-justinien De Resurrectione. I insiste sur les
quatre éléments qu’il nomme 68 et qu’il définit, selon les Stoiïciens,
comme le point de départ de l’univers 54 Il explique même la
théorie stoïcienne par l’exemple du corps humain qui se cons-
titue € par le mélange des quatre éléments », puis se dissout,
mais « laisse aux quatre éléments la possibilité de prendre à
nouveau le même mélange composé, et, grâce au Dieu qui les
pénètre, de constituer le corps constitué auparavant 566 ». Il en
tire argument en faveur de la résurrection.

La conflagration finale. Le monde stoïcien, « où tout est


plein et rien n’est vide », où « tout
est corps et le corps circule à travers le corps 56 », sans doute
par le mélange total auquel faisait déjà allusion Clément d’Alexan-
drie 57, ce monde avec ses êtres hiérarchisés 58, s’achèvera donc
par une conflagration, un embrasement universel, suivi d’un
recommencement identique. Cette thèse stoïcienne est l’une des
plus fortement affirmées par les Pères. Justin est on ne peut plus
précis. Il parle d’éternel retour avec identité complète 52. La
conflagration se fait « selon une loi de transformation réci-

52. Str., V, 104, 1-105, 1. Cette évolution progressive et régressive est éga-
lement attribuée à Héraclite par Philon, De aet. mundi, 108-111.
53. K. Horz, Fragmente vornicänischer Kirchenväter aus den Sacra Parallela,
Leipzig, 1899, n° 107, p. 42, 1. 175.
54. Ibid., 1. 180-181; 1. 201.
55. Ibid., 1. 201-206. On y remarque l’expression stoïcienne : le dieu qui
pénètre (ôrAxovtos) à travers la matière, cf. ibid., 1. 180-181.
56. Refut., 1, 21.
57. Les Stojiciens enseignaient la compénétration totale des corps, la
ARAt ôt6Awv (ARNIM, SVF II, 463-481, p. 151-158). Or, d’après Tertullien,
Chrysippe aurait rejeté cette théorie : « (Chrysippus)… duo in unum corpora
negauit » (Anima, VI, 8). A. D’ALÈS essaie de justifier Tertullien et tente une
explication toute différente de ce texte : « Tertullien a vraisemblablement en
vue l’opinion stoïcienne mentionnée An., 25, laquelle contestait l’animation
du fœtus dans le sein maternel » (La théologie de Tertullien, Paris, 1905,
p. 116, n. 1). J. H. WasziNK écarte cette explication et doute même que le
sujet (sous-entendu) de la phrase soit Chrysippe (p. 144).
58. Quelques allusions à cette hiérarchie : pierre, plante, âme, intelligence,
dans Clément, Str., VIII, 10, 4-8.
59. Dial., I, 5; I Apol., XIX, 5; XX, 1-2.

92
LES THÈSES
proque de toutes choses 5 ». Dieu ainsi se résout en feu et « le
même » reparaît ensuite 61. Tatien, son disciple, signale aussi
lembrasement cyclique avec retour identique : « Les mêmes
hommes dans les mêmes destinées, c’est-à-dire Anytos et Mélite
pour être accusateurs, Busiris pour égorger ses hôtes et Héraclès
pour reprendre ses combats 62. » De même Athénagore : « Ceux
de la Stoa disent que tout sera consumé et recommencera, le
monde prenant un autre commencement 68, » L’Octauius va
jusqu’à dire abusivement : c’est « l’opinion constante des Stoi-
ciens », que le monde « cessera d’être par la violence du feu,
qu’il doit s’embraser quand il aura perdu son humidité 64 ». On y
revient sans cesse dans les Philosophoumena. L'auteur signale
que c’est l’opinion « de Pythagore et de ceux de la Stoa, qui ont
pris leurs leçons chez les Egyptiens 6% ». Il mentionne que cette
conflagration se retrouve chez les Juifs 66, « Il y aura éxrüpootc
et xdOapoic de cet univers, soit en totalité, soit en partie, ajoute-t-il,
et ils disent qu’il se purifie partie par partie. Et cette espèce de
conception et de génération d’un autre être par suite de là, ils,
Pappellent xéfaæpois> ou &véoraox67. Ailleurs, il rapproche les
Stoïciens d’'Empédocle : tout est feu de feu et se dissoudra en feu.
« À cette croyance, les Stoïciens à peu près donnent leur assen-
timent, quand ils attendent l’ekpurôsis 68, » Clément d’Alexandrie,
enfin, est encore dans la même ligne, À ses yeux, pour les Stoiï-
ciens, le monde est un genéton ®%, qui évolue et s’achève dans
l’ekpurôsis, c’est-à-dire la résurrection 7, C’est vraiment la thèse
la pius souvent attribuée aux Stoïciens.

La loi du monde: Ce monde qui se renouvelle dans


fatalité et providence. une identité totale obéit à une loi
absolue, qui est Dieu en quelque
sorte, l’eluæpuévn. Justin rappelle cette thèse stoïcienne et lui
oppose le libre arbitre 71. Saint Irénée souligne que, pour les

60. 11 Apol., VII, 3; cf. 1 Apol., XX, 1; 2; 4.


61. I Apol., XX, 2.
62. Orat., Il; cf. VI, init.
63. Leg., XIX; cf. XXII.
64. Minucius Félix, XXXIV, 2.
65. Refut., IX, 27, 3.
66. Ibid., IX, 28, 5; IX, 30, 8.
67. Refut., I, 21, 4-5.
68. Ibid., 1, 3.
69. Str., V, 92, 4.
70. Ibid., V, 9, 43 cf. V, 105, 1. Le premier de ces deux textes est très précis.
Il rapporte qu’Héraclite enseignait la katharsis, appelée par les Stoïciens
ekpurôsis, xaf'ov —xai Tùv lôlws Totôv, àvasrhoechat Boymatitouauv. Tous les
termes sont techniques. Hippolyte parlait aussi de katharsis, ekpurôsis et
anastasis.
71. 11 Apol., VIL, 4.

93
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
=
Stoïciens, « Dieu lui-même est esclave de cette nécessité 72 ».
Les Philosophouména apportent quelques précisions sur l’Hei-
marmenè des Stoïciens :

Eux aussi affirmaient Ja conformité de tout à l’Heimarmenè et ils se


servaient de l’exemple suivant : comme un chien attaché à un chariot,
s’il veut suivre, est traîné et suit, faisant ce qui est libre en même
temps par une nécessité comparable à l’Heimarmenè, mais, s’il ne veut
pas suivre, de toute façon sera forcé, la même chose en quelque sorte
aussi se passe pour les hommes, Même s’ils ne veulent pas suivre, ils
seront forcés de toute façon à s’avancer vers ce qui est fixé par le
destin ”,

La conciliation entre la nécessité et la liberté est très célèbre


chez les Stoïciens.
Cette nécessité, sous une autre forme, est providence. Mais on
est surpris de voir rapporter si peu de textes sur ce point essen-
tiel de la doctrine stoïcienne. Théophile, dont le témoignage
n’est pas une garantie, cite cependant un texte très précis
d’Ariston :

Courage ! Dieu a l’habitude de secourir tous ceux qui en sont dignes;


et de tels, puissamment. S'il n’y a pas une certaine prééminence
réservée à ceux qui vivent comme il faut, pourquoi davantage craindre
Dieu ? — C’est qu’on dirait bien le cas : je ne vois que trop les par-
tisans d’une vie dominée par la piété maladroits en affaires, tandis que
ceux pour qui rien d’autre n’existe que leur seule utilité personnelle,
ceux-là ont une situation plus brillante que la nôtre, présentement.
— Mais il faut voir en avant et attendre de pied ferme le renverse-
_ ment de toutes choses. Il n’en va pas, en effet, selon cette croyance qui
prévaut chez certains, croyance pernicieuse qui ne saurait guider la
vie, d’après laquelle le mouvement se meut pour ainsi dire lui-même,
et tout se dirige au petit bonheur. Les méchants, sans doute, décident
de l’ordre de ces ressources selon leur sens propre. Mais il y a aussi
une prééminence pour ceux qui mènent une vie pieuse, et pour les
méchants — comme il convient — une déchéance. En dehors de la
providence, il ne se passe quoi que ce soit ‘4,

Les Philosophoumena mettent au compte de Chrysippe et de


Zénon une conception cosmique de la providence, dont la note
stoïcienne nous est beaucoup plus familière : Dieu « étant le
corps le plus pur, dit l’auteur, sa providence pénètre à travers
toutes choses 75 »,

72. Haer., II, Xvinx, 4, HARVEY I, p. 295.


73. Refut., I, 21, 2.
74. Autol., III, 7, trad. SENDER.
75. Refut., I, 21, 1,

94
LES THÈSES

C. SUR L'HOMME ET SES ACTIVITÉS

Il est curieux de constater que les Pères mentionnent explici-


tement peu de thèses stoïciennes sur la nature de l’homme et
même sur ses activités intellectuelles et morales. C’est pourtant
l’un des domaines où l'influence du Portique est le plus sensible,
Les seuls auteurs qui soient abondants et quelquefois très précis
sont Tertullien et Clément.

Nature de l’âme. Les remarques portent surtout sur :


l’âme. Les Philosophoumena, en
cxposant le stoicisme, notent : « Ils disent que l’âme est immor-
telle, qu’elle est un corps, qu’elle provient du refroidissement,à
la surface, de l’air ambiant ( xepu6Ëeuwc ), et qu’elle s’appelle quyñ
pour ce motif. Ils reconnaissent même la métemsomatose, les
âmes étant individuées 76, » La Satire d'Hermias, quand elle
étudie ce qu’est l’âme, dit : « Démocrite vous répond : c’est du
feu; les Stoïciens, une substance aérienne, d’autres, une intel-
ligence 77, »
Tertullien apporte en cette matière des précisions où il faut
citer les textes mêmes, tant ils sont importants. Voici, par
exemple, un excellent exposé de la corporéité de l’âme :
2. …J’invoque encore les Stoïciens, qui, en déclarant que l’âme est
un esprit, presque avec nous, puisque le souffle et l’esprit sont rap-
prochés l’un de l’autre, n’en persuaderont pas moins aisément que
lPâme est un corps.
3. Enfin Zénon, en définissant l’âme un esprit qui a été semé avec
(le corps), raisonne de cette manière : ce qui, dit-il, en se retirant,
cause la mort de l’animal, est un corps; or l’esprit semé avec (le
corps), en se retirant, cause la mort de l’animal; donc l’esprit semé
avec lui est un corps.
4. Cléanthe veut même que la ressemblance passe des pères aux
enfants, non seulement dans les linéaments du corps, mais dans les
marques de l’âme, oui, à la manière du miroir qui reflète les mœurs,
les facultés ct les affections; que l’âme est susceptible de la ressem-
blance et de la dissemblance du corps; par conséquent qu’elle est un
corps soumis à la ressemblance et à la dissemblance ®,
5. De plus, les affections des êtres corporels et incorporels ne com-
muniquent pas entre elles. Or l’âme sympathise avec le corps. A-t-il

76. Refut., 1, 21, 3. Tertullien attribue aux Stoïciens la même opinion de


l’âme appelée psychè par refroidissement, Anima, XXV, 2; 6-7 (cité infra);
cf. XXVI, 3. Pour d’autres témoignages stoïciens, cf. ARNIM, SVF II, 806, p. 222.
LE À PR
78. Anima, XXV, 9.

95
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

reçu quelque coup, quelque blessure, quelque plaie ? Elle en souffre.


Le corps de son côté souffre avec l’âme. Est-elle troublée par le chagrin,
par l'inquiétude, par l’amour ? Il devient malade avec elle, en perdant
de sa vigueur commune (?); il atteste sa pudeur ou sa crainte par la
rougeur et par la pâleur; l’âme est donc un corps, puisqu’elle participe
aux affections corporelles,
6. Mais voici que Chrysippe tend la main à Cléanthe, en établissant
qu’il est tout à fait impossible que les êtres corporels soient aban-
donnés par les êtres incorporels, parce qu’ils ne sont pas en contact
avec eux. De là, l’adage de Lucrèce : « Rien ne peut toucher, ni être
touché, à moins que ce ne soit un corps. » Or, que l’âme abandonne le
corps, il est atteint de mort. Donc l’âme est un corps, puisqu'elle ne
pourra abandonner le corps, si elle n’est pas corporelle ?.

Tertullien explique, avec les Stoïciens, comment les arts et les


sciences sont la nourriture de l’âme corporelle à : ils sont aussi
corporels; et cet argument vient après une explication tirée de
Soranus, « savant auteur de la médecine méthodique », qui, dans
ses livres sur l’âme, se rangeait lui-même parmi les Stoïciens 81.
Tertullien ne s’en tient pas là. Il dresse un tableau détaillé des
diverses opinions sur les parties de l’âme, tableau parfois surpre-
nant. En voici la substance. Zénon divise l’âme en trois parties,
Panétius en six, Soranus en sept, Chrysippe en huit, Apollo-
phanes en neuf, certains Stoïciens en douze (ou dix) 82, et Posi-
donius même en quatorze et, par subdivision, en dix-sept, avec
deux principes, l’hègemonikon et le logikon 83.
Sur l’activité de l’âme, il donne des précisions également.
Il rapporte la théorie des Stoïciens sur les sens et leur crédibilité
relative : « Les Stoïciens, avec plus de mesure (qu’Héraclite,
Dioclès, Empédocle et Platon), ne reprochaient pas à tous les
sens, ni toujours, de mentir 84, » Il parle du sommeil : « Les Stoiï-
ciens voient dans le sommeil l’affaiblissement de la vigueur des
sens 85.» Il connaît leur opinion sur le rêve : « Les Stoïciens
aiment mieux dire que Dieu, très provident, outre le secours des
arts et des sciences divinatoires, communique encore en plus,
pour l'instruction de l’homme, les songes, comme l'assistance

79. Anima, V, 2-6.


80. Ibid., VI, 7.
81. M. PouLenz, Die Stoa, I, p. 362.
82. Variante des éditions Mesnart et Gelenius.
83. Anima, XIV, 2-3. Némésius d’Emèse étudie aussi les divisions de l’âme
chez les Stoïciens. Il y trouve .également six parties, semble-t-il, d’après
Panétius, mais huit d’après Zénon (Nat. hom., XV, PG XL, 669 A). Ce dernier
chiffre est confirmé par Jamblique dans son traité sur l’âme (Stobée, I, 49, 34,
éd. WacasmuTH, 369, 6-9). Pour la discussion du texte de Tertullien, cf.
M. Poxzrenz, Die Stoa, II, p. 112, ou J. H. WasziNk, De Anima.…., p. 210-215.
Pour une vue plus large, cf. K. SCHINDLER, Die stoische Lehre von den
Seelenteilen und Seelenvermôgen, insbesondere bei Panaitios und Poseidonios,
und A Verwendung bei Cicero, Munich, 1934 ; notre texte y est étudié
p. 59-61.
84. Ibid., XVII, 4.
‘85. Ibid., XLIIL, 2.

96
LES THÈSES
particulière d’un oracle naturel 86, » Dans toutes ces questions
est présent le problème des relations de l’âme et du corps, sur
lequel Clément apporte un petit complément — contradictoire —
à notre information stoiïcienne: « L’âme ne subit aucune influence
du corps; la maladie ne mène pas à la méchanceté et la santé
ne mène pas à la vertu 87. » Mais c’est l’aspect moral de la
question.

Génération. Un autre point où Tertullien est


très précis — nous l’avons déjà vu
au passage —, c’est la théorie stoïcienne de la génération humaine
et du rôle qu’y joue l’âme, théorie à laquelle d’ailleurs il s’oppose:
Ils prétendent que l’âme n’est pas conçue dans l’utérus, que sa cons-
titution et sa production ne sont pas simultanées avec la formation
de la chair, mais que, l’accouchement une fois opéré, elle est imposée
de l’extérieur à l’enfant non encore vivant. D’ailleurs la semence,
enfermée, par suite du rapprochement, dans les parties féminines, et
mise en branle d’un mouvement naturel, entrerait dans la constitution
de la seule substance charnelle. Celle-ci, mise au jour toute fumante
au sortir de la fournaise qu’est l’utérus et amollie sous l'effet de la
chaleur, comme un fer tout en feu immergé à l’instant dans l’eau
froide, frappée par la fraîcheur de l'air, y puiserait son caractère
animé et émettrait un bruit de voix. C’est l’avis des Stoïciens, avec
Enésidème, parfois de Platon lui-même *,.

Tertullien révèle ici une documentation très précise, cependant


discutable dans son interprétation.

Survie, Sur la survie de l’âme chez les Stoi-


ciens, les Pères sont bien moins
renseignés. Clément d’Alexandrie dit qu’ils s’en faisaient un pro-
blème %. Tertullien est encore une fois le plus précis; il faudrait
dire le moins vague. Il rapporte les opinions diverses sur le
séjour de l’âme après la mort : « Ceux qui lui accordent une
durée de quelque temps depuis sa sortie jusqu’à la conflagration
de l’univers, tels que les Stoïciens, ne placent dans les demeures
supérieures que leurs âmes, c’est-à-dire les âmes des sages. »
Elles sont emportées « suivant les Stoïciens dans la lune », « dans
les environs de la lune, avec les Endymions 20 »; et Tertullien
souligne que personne n’a jamais admis la résurrection de la
chair ?1,

86. Anima, XLVI, 11. J


87. Str., IV, 19, 1.
88. Anima, XXV, 2; cf. XXVI, 2; 38.
89. Str., V, 105, 1.
90. Anima, LIV, 1-2; 3; LV, 4.
91. Marc., V, 19, CSEL 47, 645, 14-15.

97
En
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
La fin morale Les Pères, et tout particulièrement
de l’homme, le moraliste Clément d’Alcxandrie,
connaissent aussi la fin que les Stoi-
ciens proposent à l’homme comme sa règle souveraine. Clément
rapporte un passage de Cléanthe, qui, dans son Il° livre sur le
plaisir, cite un mot de Socrate à propos du juste et de l’utile ®?.
Il sait que pour les Stoïciens la bonne action est conforme à la
raison #3. Enfin, et surtout, il sait que le terme de toute la morale
stoïcienne est la conformité à la nature, qui est Dieu en défini-
tive : « Les Stoïciens déclarent : vivre conformément à la nature
est le terme de la philosophie 94. »
Mais il nous apporte sur la définition du souverain bien un
document exceptionnel qu’il faut citer pour sa précision :
A nouveau Zénon le Stoïcien juge que le terme, c’est de vivre selon
la vertu; Cléanthe, de vivre conformément à la nature. Diogène jugeait
que le terme consiste à être bien raisonnable, attitude qui, expliquait-il,
revient à choisir ce qui est selon la nature. Antipater, son ami, sup-
pose que le terme consiste à choisir continuellement et indéfectible-
ment ce qui est selon la nature et écarter ce qui est contre la nature.
Archidème, de son côté, exposait ainsi la fin : vivre en choisissant,
parmi les objets conformes à la nature, ce qu’il y a de plus important
et de plus propre, dans l’impuissance de passer outre. Là-dessus,
Panétius encore déclarait que la fin est de vivre selon les tendances
à nous données par la nature; au-dessus de tous, Posidonius, de vivre
en contemplant la vérité et l’ordre de l’univers et en s’y préparant
soi-même dans la mesure du possible, en ne se laissant conduire en
rien par la partie illogique de l’âme. Certains Stoïciens plus récents
transmirent ceci : vivre conséquemment à la disposition de l’homme.
Pourquoi te parler d’Ariston ? Celui-là disait que la fin est l’indiffé-
rence, mais ce qui est indifférent laisse tout bonnement indifférent %,
Livrerai-je au public l’opinion d’Hérille ? Il propose, comme fin, de
vivre selon la science *,

Et l’auteur, en passant à l’Académie, examine les autres systèmes.

La vie vertueuse. Les Pères nous donnent bien


d’autres précisions sur la concep-
tion de la vertu chez les Stoïciens. L'action bonne s’appelle
Kathèkon ou Prosékon et Clément nous la définit exactement 97.
Elle est convenance, car le beau et le bien se confondent 8.

92. Str., II, 131, 3.


93. Paed., I, 102, 2.
94. Str., V, 95, 1; cf. II, 101, 1.
95. Il est curicux de voir cette opinion (avec sa conséquence) attribuée par
Justin aux Cyniques : « Il est impossible pour un Cynique, qui place la fin
dernière dans l’indifférent, de connaître un autre bien que l'indifférence »
(II Apol., II, 7).
96. Str., II, 129, 1-8.
97, Paed., 1, 102, 2.
98. Str., V, 97, 2.

98
LES THÈSES

A côté se rangent les actions indifférentes, comme de se marier


ou d’avoir des enfants %, d’être en bonne santé ou malade 100,
On peut les réaliser ou non: elles échappent à la moralité.
Au contraire toute faute est interdite et grave, car toutes les
fautes sont égales 101, La femme doit participer à l'effort vertueux
et dominer les plaisirs comme l’homme 102, En recherchant cette
sagesse, on change son âme et on se tourne vers le divin 103,
La vertu nous élève jusque-là, puisqu'elle est commune aux
hommes et aux dieux 104,
On comprend dès lors que la vertu suffise au bonheur de
l’homme. Clément connaît cette position stoïcienne. Il a lu, dans
les livres d’Antipater, l’autarcie de la vertu et « d’autres dogmes
stoïciens 105 », Il a rencontré chez Cléanthe, qu’il cite longue-
ment, la morale du mépris de l'opinion 196, et, sur ce point,
Tertullien le complète par la thèse d’un Stoïcien récent : il.
connaît les leçons de Sénèque sur la patience devant la souffrance
et la mort 107, Justin, qui connaissait aussi cette morale du bien
et du mal 18, la trouvait digne d’admiration sur beaucoup de
points 109,

Le Sage. La réussite parfaite de la veriu


s’incarne dans le Sage, si soumis au
logos qu’il « ne peut même remuer le doigt au hasard 110 5, « Le
Sage seul est proclamé par les philosophes roi, législateur, stra-
tège, juste, pieux et cher aux dieux 111, » « A lui seul reviennent
la royauté, le sacerdoce, la prophétie, la législation, la richesse,
la vraie beauté, la noblesse, la liberté », mais il est bien difficile à
trouver 112, Et, selon Tatien, Zénon reconnaissait déjà que les
méchants sont plus nombreux que les justes et voyait en Dieu
l’auteur de ce mal 113,
Dans le domaine moral, les Pères nous donnent encore une

99. Str., II, 138, 5.


100. Ibid., IV, 19, 1.
101. Cyprien, Ep., LV, xvi, 1, éd. L. BAyARD, p. 141.
102. Str., IV, 60, 3; cf. Paed., 1, 10, 1.
103. Str., IV, 28, 1.
104. Ibid., VII, 88, 5; cf. II, 135, 3; VI, 114, 5.
105. Ibid., V, 97, 6.
106. Ibid., V, 110, 2-111, 1.
107. Apol., L, 14.
108. II Apol., VII, 6-8.
109. Zbid., VIII, 1.
110. Paed., II, 90, 2.
111. Str., I, 168, 4.
112. Ibid., II, 19, 4.
113. Orat., III.

99
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

foule de théories secondaires éparpillées, attribuées parfois nom-


mément à leurs auteurs 114 Il faut aussi mentionner d’innom-
brables définitions, qui apparaissent surtout dans l’œuvre de
Clément. Mais l’auteur en signale rarement l’origine et les utilise
comme siennes 115,

L'activité J1 faut faire la même remarque en


intellectuelle. ce qui concerne l’activité intellec-
tuelle de l’homme, point sur lequel
les Stromates nous fournissent une documentation exceptionnel-
lement riche. Ils apportent plusieurs précisions sur la logique
stoïcienne 116 et toute l’œuvre fourmille de définitions. Au livre V,
par exemple, Clément énumère une série de modes de raisonne-
ment très spécialisés 117, Le livre VIII, en particulier, est un flori-
lège de citations, souvent empruntées à la logique du Portique,
à Chrysippe surtout 118, On y définit successivement le nom, la
démonstration et le syllogisme; le signifié et le mot; le genre,
l'espèce et la différence. Clément étudie les cas grammaticaux,
selon les Stoïciens 112. Il réfute le pyrrhonisme par une page
entière de Chrysippe 12. Il s’attarde longuement aux différentes
espèces de causes, qu’il divise à la mode stoïcienne, en étudie les
effets réciproques et les jeux multiples 121, alors qu’au livre I il
avait déjà abordé le sujet 12, Il apporte là une documentation
précieuse sur laquelle les historiens s'appuient 128, mais il faut

114. Rappelons les paradoxes d’allure cynique rapportés par Théophile


d’Antioche, où les Stoiciens recommandent l’anthropophagie, l’inceste et
l’homosexualité (Autol., III, 5-6). Tertullien impute aux Stoïciens la théorie
du quies divinisé (Pall., V, 4). Clément attribue à Zénon la croyance que tous
les hommes de bien se chérissent mutuellement, avons-nous dit, avec une
certaine conception de la charité (Str., V, 95, 2). I1 honore les Stoïciens d’une
certaine théorie sur le ciel, seule cité véritable, et définit à cette occasion
la cité terrestre (ibid., IV, 172, 2). I1 connaît leur définition du xañxov (Paed.,
I, 102, 2).
115. Clément, selon l’édition STAEHLIN, cite 115 fois les Stoïciens en matière
morale. ARNIM a recueilli ces citations au t. III de ses SVF. Par ex. Str., II,
41, 2-42, 2; 79, 5; 101, 3. On peut encore compléter les références de ARNIM;
par ex. SVF YII, 266, p. 65, se retrouve partiellement dans Paed., I, 64, 1.
116..11s citent nommément la logique stoïcienne (Str., II, 54, 5).
117. Str., V, 11, 6.
118. 11 semble qu’on ne puisse parler ici d’influence. L’auteur rapporte des
matériaux bruts, des notes de travail.
119. Str., VIII, 25, 5.
120. Ibid., VIII, 15, 2-16, 3.
121. Ibid., VIII, 1x.
122. Ibid., 1, 82-84; 97, 1-2.
123. Par exemple, ces textes de Clément servent pour l’étude de la cause
chez les Stoïciens, à M. PonLenz, Grundfragen der stoischen Philosophie, in
Abh. der Gesellsch. der Wissensch., zu Gôtt., Philolog.-Hist. Klasse, II, 26,
1940, p. 104-112; à O. Rierx, Grundbegriffe der stoischen Ethik, eine traditions-
geschichtliche Untersuchung, Berlin, 1933, p. 134-168; à W. ERNST, De Cle-

100
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

bien noter qu’elle serait inutilisable, si nous n’avions pas de ren-


seignements parallèles : dans tout ce livre VIII, aucun Stoiïcien
n’est désigné nommément, sauf une fois Cléanthe et Archidème,
et l'Ecole n’est mentionnée globalement que trois fois, encore
pour des points de détail 124,

II. LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

A. LA CRITIQUE

Attaques. Sans les désigner nommément, les


Pères ont souvent attaqué les philo-
sophes contemporains et leur ont fait, à peu près tous, les mêmes
griefs. Tertullien, en une page célèbre, où il songe autant aux
penseurs anciens qu’aux personnalités de son temps, rapproche
le philosophe du chrétien et compare leur sort. Il décrit le crédit
du premier, qui, malgré son impudence, se voit « récompensé
par des statues et des traitements ! ». Or, que font les philo-
sophes ? « Raïlleurs et contempteurs, ils simulent la vérité en
ennemis et la corrompent en la simulant, parce qu’ils ne courent
qu’après la gloire 2. » La conclusion est connue :
Aussi bien quelle ressemblance y a-t-il entre un philosophe et un
chrétien ? Entre un disciple de la Grèce et un disciple du ciel ? Entre
celui qui travaille pour la gloire et celui qui travaille pour la vie ?
Entre celui qui n’agit qu’avec de belles paroles et celui qui accomplit

mentis Alexandrini Stromatum libro VIII. qui fertur, Gôttingen, 1910, p. 40-46.
On peut rappeler d’autres travaux consacrés à ce livre VIIL : J. vON ARNIM,
De octavo Clementis Stromateorum libro, Rostock, 1894 (non consulté), et
C. De WEDEL, Symbola ad Clementis Alexandrini Stromatum librum VIII.
interpretandum, Berlin, 1905. Ce dernier dégage la part du stoïcisme, dans
les sources (p. 10-14, 16, 21, 22, 26) et dans les idées (p. 37-42).
124. L'œuvre de Clément, selon STAEHLIN, cite 27 fois les Stoïciens en matière
de logique. Or le nom de Chrysippe n’y figure que 2 fois et en dehors de
toute annonce de citation. On voit ici une étude possible : les Pères témoins
de la logique stoïcienne autour du Il* siècle. Le travail a été réalisé pour le
IVe siècle par J. DE GHELLINCK, Quelques appréciations de la dialectique et
d’Aristote durant les conflits trinitaires du IV* siècle, in Revue d’Hist. Eccl.,
26, 1930, p. 5-42, surtout p. 26-29 avec les notes, où l’auteur cite son étude
sur Chrysippe et la logique stoïcienne chez les Pères du IV* siècle, dans
Festgabe J. Geyser zum 60. Geburtstag, Ratisbonne, 1929.

1. Apol., XLVI, 4.
2r1Did-; 71:

101
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

de belles actions ? Entre celui qui édifie et celui qui détruit, entre un
corrupteur de la vérité et celui qui la rétablit dans la pureté, enfin
celui qui en est le voleur et celui qui en est le gardien® ?

Orgueil, vain bavardage, contradiction entre la doctrine et la


vie, teis sont les griefs de Tertullien et ceux de tous les Pères.

Attitude morale Clément d'Alexandrie, qui avoue sa


du philosophe, faveur pour la pensée antique, est
plein-de mépris « pour les philo-
sophes récents de la Grèce », où il ne trouve que « bavardage
inutile 4 ». Plus précisément, il reproche à leur morale de
s’émietter en cas de conscience, et de ne pas apporter « une
doctrine générale unique », valable « pour toute la vie5 ».
Saint Cyprien, son quasi-contemporain, dénonce leur sans-gêne
affecté et la prétention de leur habit, le manteau sans tunique,
qui laisse la poitrine à demi nue 6, alors qu’on étale une fausse
sagesse et une fausse patience, faite d’orgueil et de complaisance
en soi 7. Plus loin, il compare le chrétien avec le philosophe :
« Nous ne sommes pas philosophes en paroles, mais en actes; la
sagesse que nous produisons n’est pas dans l’habit, mais dans la
vérité; nous avons conscience des vertus plutôt que de les étaler;
ce n’est pas notre éloquence qui est grande, mais notre vie 8. »
Dans une lettre, il condamne même la prétention de cette philo-
sophie trop dure ®. Minucius Félix partage ces opinions jusque
dans l’expression. Il méprise « les sourcils des philosophes » et
poursuit : « La sagesse que nous produisons n’est pas dans l’habit,
mais dans l'esprit; ce n’est pas notre éloquence qui est grande,
mais notre vie; nous sommes fiers de posséder un bien que des
gens ont recherché d’un suprême effort sans pouvoir le
découvrir 10, »
Une page de bonne venue en la matière, c’est celle où Tatien

3. Apol., XLVI, 18, trad. WALTZING.


4. Str., VIIL 1, 2.
5. Protr., 113, 1.
6. On sait qu’on peut trouver une description détaillée du manteau du
philosophe dans le De pallio de Tertullien, en particulier ch. v, 1-3.
D. vAN BERCHEM a donné récemment une explication plausible de cette œuvre
difficile. Tertullien symboliserait, en quittant la toge pour le pallium, non
une prétention philosophique, mais une rupture avec Rome et sa tradition
(Le « de pallio » de Tertullien et le conflit du christianisme et de l’Empire,
in Museum Helveticum, 1, 1, 1944, p. 100-114). A. GERLO en avait donné un
commentaire abondant, mais très peu philosophique (Q. S. F1. Tertullianus,
de Pallio, kritische uitgave met vertaling en commentaar, t. II, Commentaar,
Wetteren, 1940).
7. Bon. pat., I, CSEL III, 1, 397, 13-398, 17.
8. Ibid., III, CSEL III, 1, 398, 18-22.
9. Ep., LV, xvi, 1, éd. BAYARD, p. 141.
10. Oct., XXXVIII, 5-6.

102
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
s’en prend aux philosophes, pour stigmatiser leur mauvaise foi.
L’abstinence ? « Vos philosophes sont si loin de se soumettre à
cette discipline, qu’il en est qui reçoivent de l’empereur six cents
pièces d’or par an, sans utilité, pour ne pas même laisser pousser
leur barbe gratuitement 11, » Avec plus de verve encore, il
reprend :

Quelles sont donc les grandes et admirables actions de vos philo-


sophes ? Ils négligent de couvrir une de leurs épaules, laissent pendre
une longue chevelure, cultivent leur barbe et portent des ongles de
bêtes fauves #. Alors qu’ils disent n’avoir besoin de rien, nouveaux
Protées, ils recourent au tanneur pour faire leur besace, au tisserand
pour leurs habits, au tourneur pour leur bâton, au riche et au cui-
sinier pour satisfaire leur gourmandise #,

Il oppose les contradictions de leurs systèmes à l’unité de


la foi :
Dans l’ignorance où vous êtes de Dieu, vous vous combattez jusqu’à
vous détruire les uns les autres. C’est pourquoi, tous, tant que vous
êtes, vous n'êtes rien, et quoique vous vous assimiliez les mots, vous
n'êtes que des aveugles qui dissertent avec des sourds. À quoi bon
ces instruments de construction dans vos mains, puisque vous ne
savez pas construire ? À quoi bon ces discours dans vos bouches,
puisque vous êtes si loin de l’action ? Vous vous laissez également
enfler par la prospérité et abattre par le malheur. Votre attitude est
contraire à la raison : vous paradez en public et vous reléguez dans
les coins vos doctrines

Il leur reproche jusqu’à leur langue recherchée, icur atticisme


et leurs discussions vides aux dépens de la vie: « Tandis que
vous cherchez ce qu’est Dieu, vous ignorez ce qui se passe en
vous-mêmes, et, en regardant le ciel avec extase, vous tombez
dans des précipices 15, » « A quoi bon le vocabulaire attique,
dit-il plus loin, les sorites des philosophies, la vraisemblance
des syllogismes, les dimensions de la terre, la position des astres,
le cours du soleil. 16, » Voilà vraiment une attaque directe et
précise. Et parmi les victimes, on peut souvent reconnaître le
philosophe cynico-stoïque, maître de la diatribe.
Par ces reproches mêmes, nos auteurs se rangent parmi les
écrivains de leur temps. En opposant la vraie philosophie — la
leur — à la prétention ridicule des faux philosophes, ils ne font :
qu’adopter un lieu commun. Il fait l’objet d’une œuvre d’Aelius

11. Orat., XIX, c. init,


12. Clément, en humaniste, dénonce aussi cet aspect sauvage et malpropre
(cheveux, vêtements, ongles) chez les serviteurs des idoles (Protr., 91, 1).
13. Orat., XXV, init.
14. Ibid., XXVI, c. fin.
15. Ibid., init.
16. Ibid., XXVII, fin.

103
LES PÈRES, TÉMOINS DU. STOÏCISME
Aristide, Plaidoyer pour les quatre, qui est la plus violente satire
17.
contre les prétendus philosophes, leur sottise et leur orgeuil
de Pruse, Lucien 18. Aulu-Gel le
On le retrouve chez Apulée, Dion
fréquemment. Hérode Atticus, raconte-t-il, voit « un
y revient
personnage, pallium, longs cheveux, barbe descendant presque
jusqu’au pubis, qui lui demande de l'argent pour du pain. Alors
Hérode lui demanda qui il était. Mais lui, prenant un air et un
ton de reproche, se dit philosophe et ajouta même qu’il s’étonnait:
pourquoi croyait-il devoir demander ce qu’il voyait ? Je vois, dit
Hérode, une barbe et un pallium, je ne vois pas encore de philo-
sophe 19 ». Lui aussi leur reproche leur bavardage et leur vantar-
dise 2, « Ces gens, dit-il, prétendent philosopher et forgent de
vaines ombres de mots », affirment ne rien désirer et ne man-
quent de rien 21. Nos Pères sont bien à l’unisson de leur contem-
porains pour dénoncer la prétention philosophique de leur
époque.

Idées du philosophe. Mais cette polémique nous ren-


seigne très peu sur les idées. Alors
que Tatien reconnaît plusieurs fois avoir été formé dans les écoles
des philosophes 22 et même avoir été professeur de philosophie 33,
jamais il ne nous décrit nommément le stoïcisme, comme le fait
Lucien de Samosate. Clément, dont on croit connaître le maître
en stoïcisme 24, est encore plus vague. Un seul écrivain de
l’époque fait mention de son expérience stoïcienne. C’est Justin,
lui qui porta toute sa vie le titre de philosophe ?5, avec le man-

17. A. BOULANGER, Aelius Aristide et la sophistique dans la Province d'Asie


au Ile siècle de notre ère, Paris, 1923, p. 250-256.
18. Ibid., p. 263, avec la n. 1, où l’on trouvera des références.
19. Noct. Att,, IX, 2. 20. Ibid., I, 2.
. Ibid. NII, 24, 2. Epictète aussi dénonce souvent la prétention du philo-
sophe. à
22, Orat., XLII; cf. XXIX; XXVI. A. Puecx croit que Tatien était Stoicien
avant sa conversion (Recherches sur le Discours aux Grecs de Tatien..., Paris,
1903, p. 90-105).
23. Orat., XXAN, init. : « J'ai enseigné vos doctrines. »
94. Clément se dit le disciple de Pantène (Eclog. Prophet., 56, 2). Or Eusèbe
dit au sujet de Pantène : « Il était sorti de l’école philosophique de ceux
qu'on appelle Stoïciens » (H. E., V, 10, PG XX, 456 A; cf. Jérôme, Vir. Ill,
XXXVI, PL XXXIII, 652 A). Sur le rôle du maître on peut consulter G. BARDY,
Aux origines de l'Ecole d'Alexandrie, in Recherches de Science Relig., 27, 1937,
p. 65-90, surtout p. 66-78, ou les travaux de HARNACK, OU encore, avec beaucoup
de circonspection, W. BOUSSET, Jüdisch-christlicher Schulbetrieb in Alexandria
und Rom, Gôttingen, 1911, dont le tome II est consacré à Clément d’Alexandrie.
Sur l’Ecole d’Alexandrie, en dehors des ouvrages déjà cités, on peut voir
G. BarDy, Pour l’histoire de l'Ecole d'Alexandrie, in Vivre et penser,
Recherches d’Exégèse et d'Histoire, 2e série, 1942, p. 80-109, ou J. SALAVERRI,
La filosofia en la Escuela Alejandrina, in Gregorianum, 10, 1934, p. 485-499,
où encore l’excellent travail de R. Caprou, La jeunesse d’Origène, Histoire de
l'Ecole d'Alexandrie au début du III° siècle, Paris, 1936.
25, Dial., I, 2.

104
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
teau ?6, et continua son enseignement à la mode des philo-
sophes 27, Il nous raconte sa formation, qui est bien celle d’un
citoyen cultivé du Il° siècle. Il nous en décrit les étapes 28,
Il fréquenta successivement les Stoïciens, les Péripatéticiens, les
Pythagoriciens, les Platoniciens; mais, alors qu’il est assez précis
sur les trois dernières écoles 29, il se contente d’un mot rapide
sur son maître stoïcien : « Après un certain temps passé auprès
de lui, comme je n’ayais rien ajouté à mes connaissances sur
Dieu (il ne le connaissait pas lui-même et il disait que cette
science n’est pas nécessaire), je le quittai pour un autre #0, »
Cette remarque, qui s’oppose plutôt au témoignage de Tatien,
semble indiquer que ces philosophes, tentés peut-être par l’agnos-
ticisme, préféraient à la métaphysique la morale et l’action. C’est
l’impression que laissent aussi les autres témoins de l’époque 31,
Cette critique de la philosophie stoïcienne rejoint partiel-
lement celle de Lucien. Les Pères, comme Lucien, dénoncent
l’hypertrophie de la logique et l’orgueil moral chez ce philo-
sophe mâtiné de Cynique et de Sophiste; mais, contrairement à
Lucien, ils font silence sur la religiosité du Stoiïcien 32, sur sa
foi en la Providence et dans les oracles qui en sont l’expression.
Leur position respective explique très bien cette différence.
Lucien rencontre là « un genre d’esprit qui a le don de l’exas-
pérer » et il ne manque pas une occasion de le dénoncer 33; les
Pères, au contraire, ne pouvaient éprouver que de la sympathie
pour cette religiosité du III° siècle, mais n’avaient pas intérêt
à la signaler.

26. Dial., IX, 2; Jérôme, Vir. Ill, XXIII, PL XXII, 642 B; Eusèbe, H. E.,
IV, 11, PG XX, 330 C. É
27. I1 séjourna deux fois à Rome. Il y recevait ses disciples « au-dessus des
bains de Timothée » (Act. lustin., III). C’est ainsi qu’éclata sa querelle avec
Crescens le cynique.
28. G. BArRDY, après A. Puecn, Les Apologistes grecs du II° siècle de
notre ère, Paris, 1912, p. 48-49, signale qu’il y a là comme un genre littéraire
qui permet un certain arrangement des faits (La conversion au christia-
nisme durant les premiers siècles, collection Théologie, Paris, 1949, p. 127-133).
C’est l’expression symbolique d’une quête insatisfaite de la vérité.
29. Dial., II, 3-6; cf. IL, 1.
30. Dial., II, 3 (trad. ARCHAMBAULT).
31. Carnéade reprochait déjà aux Stoïciens de « ne rien entendre à la
théologie » (Nat. deor., III, 44), et Théophile dit de son côté : « certains
philosophes du Portique ne reconnaissent aucun dieu, ou, s’ils en recon-
naissent un, c’est un être qui ne s’occupe d’autre chose que de lui-même »
(Autol., II, 4). Mais il ne s’agit sans doute pas des contemporains. L’impor-
tance accordée à la morale n’avait pu qu’aggraver le désintéressement à
l'égard de la théologie. G. Barpy écrit : « Le stoïcisme, du temps de Justin,
n’est plus qu’un moralisme agnostique » (Saint Justin et la philosophie
stoïcienne, in Recherches de Science Relig., 13, 1923, p. 495).
32. Pour être exact, il faut dire que Lucien ne révèle cette religiosité qu’en
l’attaquant sans cesse; lui non plus ne signale pas ex professo l’évolution de
la philosophie stoïcienne (M. CastEr, Lucien et la pensée religieuse de son
temps, Paris, 1937, p. 116-117).
33. Ibid., p. 29.

105
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

B. LE TÉMOIGNAGE POSITIF

En général. Il est cependant un point sur lequel


À les Pères apportent un témoignage
s est
irénique et positif : la morale contemporaine. Musoniu
avec faveur par Justin, pour avoir, avec les Stoïciens,
nommé
au
€ établi en morale des principes justes » et les avoir suivis
prix de la vie 34 Sénèque se voit mobilisé au service de Tertul-
à son
lien 3%. L’Africain invoque son témoignage en prononçant
Seneca saepe noster 36, » Il cite son
sujet le mot célèbre : «
les semence s de génie innées en l’homm e dès la
opinion sur
naissance 37, sur la fin de l’homme : « Avec la mort tout finit,
jusqu’à la mort elle-même 38. » Il nomme de lui un traité Sur les
choses fortuites, qui est une exhortation « à supporter la douleur
et la mort 3% ». Tertullien — avec saint Cyprien # — signale
encore le médecin Soranus, « très savant auteur de médecine
méthodique 41 », si pénétré de stoïcisme qu’il mérite d’être cité
ici 4, Il connaît les quatre volumes qu’il composa sur l’âme #$.
Il en signale les idées principales : que l’âme est corporelle et
mortelle 44, se nourrit de matières corporelles 45, qu’elle est faite
de sept parties 4 et comprend l’hègemonikon 41. Il ajoute deux
détails : Soranus rejetait le rôle de l’Incube dans le sommeil 48
et pratiquait la vivisection avec une relative douceur #?. Enfin,
les Pères ont nommé, parmi d’autres empereurs, Marc-Aurèle,
mais sans guère s'attacher à ses théories philosophiques 52.

34. 11 Apol., VIIL 1.


35. Apol., XII 6.
36. Anima, XX, 1.
37. Ibid., XX, 1.
38. Ibid., XLIL, 2; cf. Carn. Res., I, CSEL 47, 25, 14-15; III.…., 29, 5-6.
39. Apol., L, 14.
40. Ep., LXIX, xur, 1, éd. BAYARD, p. 249.
41. Anima, VI, 6.
42. Sur l’homme et son influence sur Tertullien, cf. J. H. VWasziNk, De
Anima.…, p. 22-44.
43. Anima, VI, 6.
-44. Ibid., VI, 6; VIIL 3.
45. Ibid., VI, 6-7.
46. Ibid., XIV, 2.
47. Ibid., XV, 3.
48. Ibid., XLIV, 2.
49. Ibid., XXV, 5.
50. I1 est nommé favorablement par Justin, dans l’adresse de sa Première
Apologie, et par Tertullien (Apol., V, 6; XXV, 5: Scap., IV, éd. BINDLEY,
p. 139, 4-140, 2).

106
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Est-ce tout ? Oui, en un sens. Les Pères ne signalent pas


d’autres Stoïciens contemporains. Cependant, il est un point où
ils sont si marqués par la pensée de l’époque, qu’il faut le
mentionner ici : c’est le domaine de la morale pratique. Nous
verrons plus loin combien leur éthique a subi, dans les thèses
comme dans la forme de l’exposé, l’influence stoïcienne, Mais il
y a parfois plus qu’une influence. Que ce mot puisse expliquer
encore les comparaisons possibles entre Sénèque et Cyprien,
Novatien, Tertullien ou Minucius Félix, les rapprochements
établis entre Epictète et Clément d’Alexandrie, on peut le sou-
tenir. Mais il ne peut recouvrir les emprunts textuels que fait
Clément à Musonius. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas tant
de thèses, dont l’Alexandrin s’inspire, que de notes, d’énuméra-
tions et de phrases toutes faites, qu’il retranscrit. Il pille le texte
de ce maître en véritable plagiaire, et, à ce titre, bien qu’il ne
nomme pas la source, il doit figurer ici comme témoin de
Musonius.

Clément, On a fait, entre ces deux auteurs,


témoin de Musonius. d’innombrables rapprochements,
depuis la thèse de P. Wendland 51.
I] suffit de retenir les plus probants, pour constater que Clément
mérite vraiment le titre de témoin 52. Le livre II du Pédagogue
s’ouvre par un chapitre consacré aux règles du manger. On y
rencontre une énumération d’aliments qui se retrouve à peu près
telle quelle chez Musonius 58, On dit de chaque côté qu’il ne faut
pas « flatter le gosier 54 >. La nourriture doit contribuer « à la
santé et à la force 55 », On en précise le but : non le plaisir, mais
le maintien de la vie 56. C’est dans le plan de Dieu, « qui a

51. P. WENDLAND (Questiones Musonianae, Dissert. philolog., Berlin, 1886)


en a étalé les emprunts avec trop de générosité (surtout, p. 22-34). I1 s’est un
peu repris par la suite in Theologische Literaturzeitung, 13, 1898, p. 653.
-C. P. PARKER, tout en invitant à la prudence, croit possible, avec Wendland,
de reconstituer le texte de Musonius à partir de Clément d’Alexandrie et il
se risque à « une restauration conjecturale de Musonius extraite du Pédagogue
II, 1 de Clément » (Musonius in Clement, in Harvard Studies in Classical
Philology, 12, 1901, p. 191-200).
52. Musonius sera cité d’après l’édition de O. HENSE, C. Musonii Ruf
reliquiae, Leipzig, 1905. Clément est lu naturellement dans l’édition de
O. STAEHLIN.
53. Paed., II, 15, 1, p. 164, 23-24 — Musonius, éd. HENSE, p. 95, 6-8.
54. Paed., IL, 9, 4, p. 160, 12 — Musonius, éd. HENSE, p. 97, 5 : thv xatérooiv
%o)axevetv, même expression où l’ordre des mots est simplement inversé.
55. Paed., I, 2, 1, p. 154, 17-18 — Musonius, éd. HENSE, p. 105, 5 : Üyetac
ve xai ioyüoc. ÿ
56. Paed., IX, 1, 4, p. 154, 13-14 : À vpown oùte oxomdc hôovh, Ünip Où Tic
évraü0æ ôtauovñs — Musonius, éd. HENSE, p. 102, 5-6 : toütois dlamovhs Évexæ
guméaiver tpéoeoôat, oùy hôovis.

107
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

à sa créature, à savoir l’homme, le boire et le manger,


donné
la
pour sa sauvegarde, non pour sa jouissance 57 ». Mais ici
si remarq uable qu’il convien t de mettre les
rencontre devient
textes face à face :

Paed., II, 5, 1, p. 156, 29-157, 2. Musonius, éd. HENSE, p. 103, 1-5.


où Yäp rou pemabñxaat rdv Bedv ÿrr Où mai 0 Bedc © mnomsa Tùv
mapasxEUdoat TÉ ÔnpLoUpyhpaTt, T Ÿ ävôpwrov Toû cwbecbar Xdpty,
avépéryp \éyu, cîta xai mot TO oùxi voû Hôesbar sira x ai rotd
govesbar pdéprv, oùxi ôè Toû h- TApESxEURGEV adtois, malo! TK
ôecôat av éxelfev pdhtata.

Or, « le corps, par nature, ne tire aucun profit de la magni-


ficence des mets » :

P., I, 5, 2, p. 157, 2-3. M., éd. H., p. 104, 4-5.


prôè wpehetobzr méouxey Tà cu pa- oùaudç worhkoupÉVY TOY GUBATUV
ra êx tic mohutehelaç TOv 6pupä- ên tic moutehciag Tüv 6pwupituv.
TV.

« La gourmandise n’est rien autre qu’une démesure dans


l'usage des mets », disent l’un et l’autre, et tout le contexte qui
encadre cette définition soutiendrait une comparaison.

P., Il, 12, 1, p. 162, 11-12. M. éd. H, p. 99, 13-14.


à yoüv Sboyayiæ oùdèv Etepôv ésTiV êpoyayia ôè oùëèv Érepôv Èsttv
À apetpia mepi xphorv ddou..… À dperpla mepi xpfotv Épou...

Et cette démesure est manifestement un mal :

P., IL, 11, 4, p. 162, 10-11. M., éd. H., p. 99, 15-100, 1.
ravrayÿ 0è xaxdY oÙox À ametpia ravraxod ôè xaxdv oÙca à auetpiæ
mepl tac Tpovdç péntota ÔLEhÉYXE- êv voi pdhrota ve Thv Éauths
tat énmtôelxvuTaæt oUoty.

« Les gourmands » sont « semblables aux porcs et aux chiens


par leur voracité, plutôt qu’à des hommes » :

P., II, 11, 4, p. 162, 4-5. M., éd. H., p. 100, 2-4.
touc totoÿtous Jaiv n xuaSÎv Ôx ThY roùdç ôdowdyou ävri àvôpürwv
AaGpôrnta päkloy À àvôpumotc daiv À xugly OmotouévOoUus ThV
d LOLWLÉVOUG. Aa6portnta.

57. Cf. Sénèque, Ep., CXIX, 15 : « Ut salui essemus, non ut delicati. »

108
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

nl y a un choix à faire « dans les mets ». Certains sont « très


nécessaires à l’homme, qui peut les consommer sans danger de
fièvre, parce qu’ils sont plus adaptés » :

P., II, 15, 3, p. 165, 5-7. M., éd. H., p. 95, 4-6.
Tov vap tot fpupätuv étitTnôerdtata Toëtwy Ô Toy fBpopdtTuv Ert-
osr aùrOBev ypobar
2 :
Ündpyer :
ôiyxa TnôstéTara pèv oîc aûTéBev yproba
RUPOÇ, Êmei rai Étvorpmôotepa. Üräépyer Ôlya mupés, Enei vai
ÉTOLHÉOTATA.

D’autres au contraire, surtout la « chair de bêtes », sont


déconseillés, et « leurs exhalaisons, étant troublantes, obscur-
cissent l’âme » : :
P., II, 11, 1, p. 161, 20-21. M., éd. H. p. 95, 10 et 13-14.
Onpiwv yap p&Nov Toûté ye, ral À Tv pévrot xpEWÔN, Tpowtv, Onprwôes-
dr'adrüv dvaluplacts Bohwôestépa Tépav dTECTvE…. Th yYäp
oÙoa éntoxotei th buy. àavabupiactv thv àr'adtic 0ohwôec-
Tépav -o)cayv émioxoteiv A Yuyñ.

Il y a entre ce premier chapitre du livre II du Pédagogue et le


chapitre de Musonius consacré à la nourriture un parallélisme
étonnant. Clément s’est servi copieusement de son prédécesseur.
L’exposé de Musonius sur l’ameublement a été pillé également.
Il est passé partiellement dans le chapitre 111 de Clément consacré
au même sujet.
Les mêmes objets sont désignés par les mêmes termes. Il
s’agit de « couvertures de couleur pourpre ou d’autres teintes
difficiles à obtenir 58 ». Il y est question de « coupes travaillées
dans l’or et l’argent 59 », Il existe des rencontres plus nettes.
Clément s’écrie : « Le lit d’ivoire ne procure un sommeil aucu-
nement plus agréable que le grabat; les peaux de bêtes sont très
suffisantes pour s’étendre, au point qu’on se passe de pourpre
et d’écarlate, » Mais Musonius l’avait précédé.

P., II, 37, 8, p. 179, 23-26. M. éd. H., p. 110, 9-12.


mai toù oxiuproôos oùôèv xaxiuw Toù pèv oxiproôos oùôèv xaxiw
TaApEYopévOU xaTAXAIGIV MAPEXOMÉVOU XaTAXALOLV AMV The
rs éhemavrivne xAlvne, vis ôè dpyvpis À Tic Éepavrivns xÀÏVNG,
gtoüpas ixavwrdtns oÙons ÜT- rûs Ôè cioUpac ixavwrétns oÙonç
eotpoobar, Gore ph Ôôeiobar drestpooôart, bore ph Betobar
ropoupiôwy À potvixiôwv. ropoup{ôos À wotvixiôoc.

58. Paed., I, 35, 3, p. 178, 12 — Musonius, éd. HENSsE, p. 110, 5 : otpwpvai


&houpyeis xal ŒAAWY Ypwpétwy Guaropisruwv.. L’expression ne fait que changer
de cas.
59. Paed., IL, 35, 1, p. 177, 22: ÉxTwUUATUY... Épyvplou xal ypuolou TenotnpLÉvuv
— Musonius, éd. HENSE, p. 110, ÉXTOUATA... Ypuooÿ xai dpyüpou
METOUNHÉVE.

109
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
Ce
Les meubles bon marché se prêtent plus facilement : «
qu'on acquiert sans difficulté, tout en s’en servant on le loue
facilement, on le garde aisément et on le partage facilement.
C’est un avantage. >» Musonius l'avait dit également.

P., IL, 38, 4, p. 180, 15-16. M. éd. H., p. 111, 8-10.


& ôè ai xrwpela ph xaherde xai & 5è uTopela uh xahenmds val
xpOpeEvor edxbhws ÉTatvopev, xal XpOmEvOr (EdxéAU) ÉTatvoUREv,
œu\dtromev fadiwe, al owwvoÜpEv xai gpukdtropev Ppablws Tata
edxbwe avtov, (&peivw). a peivo.

Certains passages du Peri Skeuôn de Musonius sont passés


dans d’autres chapitres de Clément, sur la parure par exemple :
« Combien n’est-il pas plus glorieux d’être un grand bienfaiteur
que d’être logé luxueusement ? Combien plus sage de dépenser
pour des hommes que de dépenser pour des pierres et de l’or ?
Combien plus avantageux de posséder des amis garnis que des
garnitures inanimées ? » C’est le texte de Clément, qui ne diffère
de Musonius que pour quelques détails.

P., II, 120, 6, p. 229, 21-25. M. éd. H., p. 108, 14-109, 7


row pv yap EUxhcÉGTEpOY TOÙ rhow pèv sûxheésTepov toÿ ro u-
molutehde oineiv ro mohodç ede p- tehÇ olxeiv td mohhodç evepyersiv;
yereiv; moow ÔÈ ouverwrepov To mésw Ôè xahoxäyabwrepoy Toù
eic Al(fouc na ypuoloy Tù elc àv- dvahlonerv els EUha nai ABous Tù
fpomous dvañlsreltv ; TOC ôè els avôpümouc âvahianeuw,; Técuw DE
doehtpuTepoy Toy GYÜxuv xospiwv boeltpotepov voù meplée6 Achat
td wihouc xextoôat nosuious; peydhnv olxiav Tè nexthobar
gthouçe TmoXXOÛS;

Un passage du Peri Skeuôn s’est glissé dans les pages consa-


crées aux vêtements, où Clément s’écrie : « Pourquoi donc pour-
suivez-vous les biens rares et précieux plutôt que ceux qui sont
communs et bon marché ? C’est que vous ignorez ce qui est
vraiment beau et vraiment bon; et plutôt que la réalité, les appa-
rences préoccupent les sots, qui, à l’égal des fous, s’imaginent
noir ce qui est blanc. » Clément n’a fait que retoucher légèrement
un texte de Musonius.

P., II, 115, 5, p. 226, 12-16. M., éd. H., p. 112, 4-9.
ri mot'obv dtwxete Ta omdvta xa té moz'odv Btwnetar tà omdvia rai
mohuteln pd Tv Ev pLéow xal TOY modutreh Tpù Tov Év péocy xal Tov
edTerüv; OTt œyvoeite Td Üvrus edtehdv; btt Gyvoeitar ta xahè
xaïdv xai To Ovruc àyaBov, vai xai Tayald, ral ävri Toy ovrov
avri Tov Üvrwy Ti 0oxoÙvTa Tapà rà Goxoüvra cmovôdbetat napa
Tois ävoñtrots omouôateraur, toîç ävoñtotc' bonsp Ôh “ai oi
où vois pepnvoouw Êt'ionç Tà ÀEUxà patvépevor ToXdxts Eux Tà pé-
üe

péhava wavrabovtat. Aava vommitouastv.

110
LA PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

_Le même chapitre de Clément a recueilli enfin un texte de


Musonius sur l'amour, où Clément s’est permis d’apporter une
précision : « Tout homme qui pèche, dit-il, commet un tort du
fait même, non pas tant à l’égard du voisin, s’il commet l’adul-
tère, qu’à l'égard de lui-même, parce qu’il est l’auteur d’un adul-
tère; mais de toute façon il se rend pire et moins estimable. Celui
qui pèche en effet, dans la mesure où il pèche, est pire et moins
estimable qu’il ne l'était. »

P., II, 100, 1, p. 217, 5-7. M. éd. H. p. 65, 7-10.


räc Ôè dç duapréver, xai &ôtnet Oç TAç Üotts Auapraver, xai SOL
edOUÇ, oÙy oÙtws Tv méÀas, dv met edBUG, ei ral nôéva Tüv TÉdaG,
HOUYEUTR, ç ÉœutTOv, Ütr pmemolyeuxev
GA Tévrwçs aÛTÈv yelpova àro- &AN aûTOY Ye Tévrwç Yelpovæ àro-
gaiver xal d&TipÔTEpov' © Y&p oaivwy xai &ripmétepov 6 yàp
ÉLapTévuv, Tap'Ücov Lapréver, &LaApTAvVUV, Tap'Üsov SLapraver,
Xelpwuyv xai d&ripôtepos aùtds yeipuyv xal dTipôTepoc® ivæ oùv…..
aÿÜtoÿ.

Ces rapprochements appellent deux remarques. On a pu noter


que tous les textes de Clément ici rapportés appartiennent au
livre II du Pédagogue et en grande majorité au chapitre 1,
quelques autres aux seuls chapitres 11, X et x. En dehors de
ces sections, on ne trouve guère de citations textuelles impor-
tantes @, D’autre part, Musonius n’apparaît ici que dans une
partie restreinte de son œuvre, consacrée à l’amour, à l’ameu-
blement et surtout à la nourriture. Evidemment, à travers toute
l'œuvre de Clément et de Musonius, d’autres rapprochements sont
possibles, qui révèlent une influence générale du moraliste
romain, mais l’essentiel des emprunts proprement dits est con-
tenu dans ces limites. Il y a là un problème qui mériterait une
étude attentive, même après les travaux de P. Wendland et de
ses successeurs.
Il suffit de noter ici que saint Clément d’Alexandrie est vrai-
ment dans le Pédagogue un témoin précis de Musonius, mais un
témoin qui utilise le texte en propriétaire, comme son bien
propre, sans jamais en mentionner l’auteur 61, Il est étonnamment
renseigné sur son maître, plus que sur aucun Stoïcien ancien,
mais il nous le dérobe.

60. Au livre I, ch. xx et 1v, ct passim, on reconnaît encore le texte de


Musonius, mais souvent la source a été retravaillée par souci d'originalité.
Là, Clément ne peut servir de témoin du stoïcisme, au sens strict : il en est
le bénéficiaire.
61. I1 ne citait pas l’auteur, parce que Musonius n’était pour lui ni une
autorité sur laquelle il s’appuyât, ni un adversaire qu’il combattit.

111
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

Conclusion. : Les Pères sont vraiment témoins du


stoïcisme, dans tous les domaines,
mais avec une particularité bien notée. Quand ils veulent officiel-
lement exposer le stoïcisme, ils se ravitaillent auprès des Stoi-
ciens anciens, comme les maîtres de leur époque; c’est le stoi-
cisme scolaire, qui comporte une physique et une logique, aussi
bien qu’une morale. Quand il s’agit, au contraire, de trouver
comme moralistes le ton de l’univers contemporain, ils cherchent
leur nourriture, au moins dans le cas de Clément, dans le monde
qui les entoure, mais citent les auteurs anonymement, ce qui
diminue considérablement la valeur de leur documentation.

IV. VALEUR HISTORIQUE DE LA DOCUMENTATION

_ Ce chapitre assez volumineux, où les citations ont cependant


été réduites aux pages les plus importantes, donne une idée de
la valeur documentaire des écrits ecclésiastiques antérieurs
à 230. Les Pères nous renseignent largement sur les personnalités
stoïciennes et sur leurs théories, fréquemment par des citations
littérales ou présentées comme telles. On ne peut douter de
l’abondance de cette documentation.
Mais deux questions se posent : cette documentation est-elle
précieuse ? Est-elle sérieuse ? Si nous n’avions pas ce témoignage
des Pères, notre connaissance du stoïcisme en serait-elle dimi-
nuée ? Ce témoignage est-il digne de foi ?

A. UNE DOCUMENTATION PRÉCIEUSE

A la première question, J. von Arnim a répondu par la collec-


tion de textes stoiciens qu’il a constituée. Il suffit de la parcourir
pour se rendre compte de la part importante qui revient aux
écrivains ecclésiastiques. L'auteur a lui-même souligné dans la
préface de son édition l'apport des Pères grecs, en particulier

112
VALEUR HISTORIQUE

de Clément et d’Origène 1. Mais la contribution n’est pas toujours


également précieuse. Tantôt les théories ou citations recoupent
des renseignements parvenus par une autre voie, parfois plus
respectable; tantôt les Pères sont les seuls témoins de ce qu’ils
rapportent.

Valeur de confirmation.
Souvent nos auteurs ne font que
confirmer d’autres témoignages.
Quand Athénagore 2 et Clément d’Alexandrie 3 nous disent que,
pour les Stoïciens, Dieu — ou la nature — est « le feu, qui à la
manière d’un artiste méthodiquement poursuit la création »,
nous le savions par Cicéron, par Galien, par Diogène Laërce et
par la plupart des anthologies philosophiques de l’antiquité 4.
Que Zénon ait identifié les dieux avec l’air et l’éther, comme le
veulent Tertullien 5 et Minucius Félix 6, avec la « loi naturelle »,
comme le prétend encore l’auteur de l’Octauius 7, Cicéron en
était témoin 8. L'interprétation physique des dieux, attribuée aux
Stoïciens par Athénagore ?, se retrouve presque dans les mêmes
termes chez Aèce 10, La théorie de la naissance de l’âme par
refroidissement au contact de l’air extérieur, signalée par Ter-
tullien 11 et par Hippolyte 12, est rapportée à Chrysippe par Plu-
tarque et par d’autres 18. On pourrait multiplier indéfiniment les
exemples de ces rencontres, en particulier autour des définitions
morales.
Dans ces cas, bien qu’il ne soit pas unique, le témoignage des
Pères n’est pas sans intérêt. Parfois, mais rarement, il peut
éc.airer le texte obscur d’une œuvre qui nous est parvenue :

1. SVF I, p. XLVI, ARNIM affirme que la documentation est faible au sujet


de Chrysippe. On peut noter qu’il n’a pas recueilli tous les renseignements
fournis par les Pères d’avant 230 sur les philosophes stoïciens.
2. Leg. NI.
3. Str., V, 100, 4.
4. Cicéron, Nat. deor., II, 57 = SVF I, 171, p. 44; Galien, Def. Med. 95,
371 — SVF I, 1133, p. 328; Diogène Laërce, VIX, 156 — SVF I, 171, p. 44;
Aèce, Placita, 1, 7, 33 = SVF II, 1027, p. 306; Stobée, I, 1, 29, éd. WaAcns-
MUTH, I], p. 37-38.
5. Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 7.
6.. Oct., XIX, 10.
7. Ibid.,
8. Nat. deor., I, 36, où Dieu est loi naturelle et éther; Acad., II, 126, où
il est éther.
9. Leg., VI.
10. Placita, I, 7, 33 — SVF II, 1027, p. 306.
11. Anima, XXV, 2; XXVI, 3.
12. Refut., 1, 21, 3.
13. De Stoic. repugn., 41, 1052 f-1053 a — SVF IX, 806, p. 222. D’autres
témoignages, SVF II, 804-808, p. 222-223.

113
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

Clément, sans le vouloir, rend ce service à Musonius, pour


quelques détails. D’autres fois le témoignage est exceptionnelle-
ment précis, comme celui d’Athénagore sur l'interprétation des
dieux. L'auteur y revient avec un luxe de détails 14. Parfois
encore le témoin groupe en une page des renseignements, qui
ailleurs se trouvent épars. C’est l’Octauius qui rassemble les opi-
nions des différents Stoïciens sur la nature de Dieu 15. C’est Ter-
tullien, qui dans le De anima apporte sur la psychologie stoi-
cienne une documentation rare, en particulier en ce qui con-
cerne la corporéité de l’âme 16, ses divisions 17, sa survie 18. C’est
Clément d’Alexandrie qui dresse le catalogue des diverses fins
proposées à l’activité humaine 19, La plupart de ces définitions
se retrouvent éparpillées de-ci de-là dans les textes anciens, mais
les Pères sont ici manifestement les témoins de documents
antiques disparus, plus précieux que les bribes de Placita qui
nous sont parvenues sous les noms de leurs auteurs.

Les Pères Parfois le témoignage des Pères est


source unique. unique et nous leur devons des ren-
seignements qui sans eux seraient
ignorés de l’histoire, qu’il s’agisse de textes ou de thèses. N'est-ce
pas Hippolyte — et le seul Hippolyte, si l’on peut se fier à Arnim
— qui rapporte cette tentative stoïcienne de conciliation entre
le destin et la liberté, illustrée par l’image du chien attaché
sous la charrette2, image devenue plus célèbre devant la pos-
térité que celle, attribuée à Chrysippe, du cylindre mis en
branle sur une pente ? Apollophanes doit au seul Tertullien 21
l'un des cinq renseignements que nous ayons sur son compte.
Persée de Citium est redevable à Minucius Félix 22 d’un service
.comparable. Clément d’Alexandrie 23 rapporte, sur les quatre
passions, une opinion très précise d’Ariston qu’on ne retrouve

14. Leg., V1; cf. XVI et XXII.


15. Oct., XIX, 10-13.
16. Anima, V, 1-6.
17. Ibid., XIV, 2-3.
18. Ibid., LIV-LV.
19. Str., II, 129, 1-8. Pour juger de l'intérêt de ce texte, on peut recourir
au tableau comparatif des doxographies sur le téhoç dressé par A. J. FESTU«
GiÈRe au sujet d’un exposé de Jamblique, dans La Révélation d’Hermès
Trismégiste, t. II, Les doctrines de l'âme, Paris, 1953, p. 261-262. Le cata-
logue de Clément est beaucoup plus détaillé, et d’une précision remarquable.
20. Refut., I, 21, 2.
21. Anima, XIV, 2.
22. Oct., XXI, 2.
23. Str., II, 108, 1.

114
VALEUR HISTORIQUE

pas ailleurs. Cléanthe, qui voit sa cosmogonie définie avec une


précision unique par Hermias ?#, doit encore à Clément de
laisser à la postérité, à côté de son Hymne à Zeus, une quinzaine
de vers, absolument ignorés dans les documents profanes 25.

Le cas de Zénon. Zénon est de tous les Stoiciens


celui qui doit le plus aux Pères, du
moins en ce qui concerne sa théologie. Sur les 25 fragments
qu’Arnim a recueillis en cette matière, 14 sont rapportés, exclu-
sivement ou en confirmation, par les Pères, 9 en particulier
par des écrivains antérieurs à 230. Plus précisément, Minucius
Félix est seul, ou du moins d’une précision unique, à rapporter
ses définitions de Dieu — avec Tertullien 26 — ou ses interpré-
tations physiques des dieux populaires 27. Tertullien est seul à
lui attribuer la comparaison de Dieu présent dans le monde
avec le miel logé dans les rayons 28, Si l’on jette un coup d’œil
sur la morale, Clément d’Alexandrie est seul à exposer l’opinion
de Zénon sur l’amitié universelle des gens vertueux 2?, seul à
mentionner sa boutade sur l’Hindou dans les flammes 30, Enfin,
il lui attribue une citation de dix lignes, où se trouve dépeint
le jeune homme modèle, un spécimen unique de l’enseignement
du maître 51,
Tous les philosophes stoïciens n’ont pas, à l’égard des Pères,
la dette contractée par Zénon, mais la plupart leur doivent
quelque chose de leur histoire 82,

24. Irr., VII,


25. 9 vers dans Str., V, 110, 3; cf. Protr., 72, 2.
2 vers dans Str., V, 111, 1 (fin de la citation précédente, Protr., 72, 2).
4 autres vers dans Str., V, 17, 6. R. P. CAsEy juge les 9 premiers vers
platoniciens, parce qu’ils identifient Dieu avec l’idée de Bien, et il déclare
l'attribution de Clément « certainement erronée », bien que l’Alexandrin ait
une bonne connaissance de Cléanthe (Clement of Alexandria and the begin-
nings of christian platonism, in The Harvard Theological Review, 18, 1925,
p. 49-50, n. 25).
26. Apol., XXI, 10.
27. Oct., XIX, 10.
28. Nat., IL, 4, 10; cf. Hermog., XLIV, CSEL 47, 173, 16-17.
29..Str.,.N,:95,.2.
30. Ibid., II, 125, 1.
31. Paed., IL, 74, 3-4. Ce texte est traduit et commenté par A. J. FESTUGIÈRE,
La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 292-293 avec notes.
32, On peut encore signaler que Tertullien, comme Augustin, donne un
apport sérieux pour la reconstitution du texte de Varron; cf. l’édition de
R. AcaxDp, M. Terenti Varronis Antiquitatum rerum divinarum libri 1, XIV,
XV, XVI, in Jahrbücher für klass. Philologie de A. Fleckeisen, Supplement-
band 24, Leipzig, 1898, livre I, fgt 1-6, p. 144-146. Mais nous sommes là en
marge du stoïcisme.

145
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

B. UNE DOCUMENTATION SÉRIEUSE

Valeur générale Ce témoignage est en général digne


du témoignage. de foi, autant que les témoignages
profanes. Nous avons déjà vu que
souvent les Pères ne font que confirmer des renseignements
que nous possédions ailleurs. Ces innombrables rencontres,
sans oublier celle de Clément avec Musonius, prouvent bien que
dans l’ensemble, même là où leur témoignage est solitaire, nos
écrivains peuvent être entendus. En voici une preuve de plus.
Il s’agit d’un texte qui expose une thèse très particulière. Clé-
ment d’Alexandrie y prête à Cléanthe l’opinion étrange que les
porcs ont une âme en guise de sel, afin que leur chair ne se
corrompe pas 33%. Or cette théorie est bien stoïcienne. Elle se
rencontre chez Philon, chez Plutarque et chez Varron 34. Elle
se lit à peu près dans les termes mêmes chez Cicéron : « L’âme,
dit-il, est donnée à ce bétail, en guise de sel, pour qu’il ne se
corrompe pas 35. » C’est une preuve de plus que les écrivains
des premiers siècles apportent un témoignage valable #6,
Il est peut-être plus sérieux que celui des siècles suivants,
du IV° par exemple. L’exposé du stoïcisme avec réfutation, que
donne Epiphane de Salamine dans le Panarion 37, est très infé-
rieur aux petits développements que nous avons cités. Il pré-
sente bien Dieu dans le monde « comme l’âme dans le corps »,
mais il l’appelle voic et dit que les Stoïciens « divisent l’unique
divinité en de nombreuses substances fragmentaires ». Il leur prête
la coéternité de Dieu et de la matière, l’omnipotence de l’eluæpuévyn
et de la yéveox. Autant de demi-vérités. Et il y mêle des erreurs
évidentes : il leur reproche d’enseigner la métempsychose. Ses
données biographiques sont surprenantes. Il place les Stoïciens
avant Platon, fait de Zénon le fils de Cléanthe, qui professa un

33. Str., VII, 33, 3.


34. Philon, De mundi opif., 66; Plutarque, Quaest. conuiu., V, 10, 3, 685 c;
Varron, Rer. rusticar., II, 4, 10.
35. De fin., V, 38. Cicéron met ailleurs cette théorie au compte de Chrysippe:
« sus uero quid habet praeter escam ? cui quidem ne putesceret animam
ipsam pro sale datam dicit esse Chrysippus » (Nat. deor., II, 160).
36. O. RieTH, commentant Clément, Str., II, 129, 4, souligne aussi, en com-
parant le témoignage de Clément avec le texte de Galien, que Clément est un
témoin « sain » (Grundbegriffe der stoischen Ethik, eine traditionsgeschicht-
liche Untersuchung, Problemata 9, Berlin, 1933, p. 163, n. 1).
37. Hérésie V, 1-3, éd. K. Hozr, Epiphanius, Ancoratus und Panarion, t. I,
Leipzig, 1915, p. 183-185. Cf. H. Diezs, Doxographi Graeci, Berlin, 1879, p. 588,
1, 4-19 (exposé sans réfutation).

116
VALEUR HISTORIQUE

temps à Rome; il émet l’hypothèse qu’il ait existé deux Zénons,


mais leur attribue la même doctrine 88. Epiphane était person-
nellement bien ignorant et ses sources bien mauvaises. Nos écri-
vains d’avant 230 sont mieux renseignés.
Nous en avons une autre preuve. C’est que parfois le témoin,
Clément d’Alexandrie en l’occurrence, nomme l’œuvre d’où est
extrait son texte, et cette œuvre se trouve connue par d’autres
voies. C’est ainsi que Clément mentionne le mept nokrelaxç de
Zénon, connu de Plutarque en particulier % et cité une quinzaine
de fois par les auteurs les plus variés. Il nomme de Cléanthe « un
IT: livre sur le plaisir 4 », cité par Cicéron #1 et mentionné par
Diogène Laërce #2, Il cite encore « la poétique de Cléanthe, philo-
sophe stoïcien 43 », où l’on reconnaît le mepi toù mouroù signalé
également par Diogène Laërce dans son catalogue des œuvres
de Cléanthe #4. On ne rencontre aucune erreur dans ces attri-
butions.

Valeur textuelle. Là où la citation peut être con-


trôlée, les Pères apparaïssent tou-
jours comme fournissant un texte convenable. Quand Tertullien,
à deux reprises, définit le sommeil comme « une détente de la
tension des sens 45 », il se rencontre mot pour mot avec Diogène
Laërce 46, Mais il y a des preuves plus convaincantes. Athénagore
rapporte une longue définition stoïcienne de Dieu artisan du
monde. Citons-le : El yap 6 uèv Gedc nüp rexvixdv 60& Badllov ri
yevéoeuc xéduov, ÉunepleAnpèc GTAVTUG TOUS onepuarixods A6Yyouc, xwB’obc
£xaora xaf’eluapuévnr yiyverou, Tù Sè nvebua œùrod Oinmer du GAOU TOÙ
xéouov… 47, Mais c’est là très exactement jusqu’au mot yiyver le
texte que rapportent aussi Aèce et Stobée 48, sauf que le mot
yevéoeus remplace l’incorrect yevéoe et que ämavraç est mis pour

38. I1 faudrait y ajouter le ton désagréable de la notice; la tendance au


dénigrement, surtout dans la réfutation ironique (V, 2-3) qui suit l’exposé
(V, 1). Dans l’hérésie VIe, consacrée aux Platoniciens, il mêle parfois le nom
de Zénon. On sait qu’ailleurs il confond continuellement Aristotéliciens et
disciples de Pythagore.
39. Str., V, 76, 1; cf. Plutarque, Quaest. conuiu., II, 6, 1, 653 e.
40, Str., IL, 131; 3.
41. Nat. deor., 1, 37.
42, VII, 175 et 87.
43. Str., V, 17, 6.
44. VII, 175. Diogène cite au même endroit, comme dernier titre de son
catalogue, un « livre des catégories ». C’est sans doute à cette œuvre que
renvoie Clément quand il attribue à Cléanthe (et à Archidème) l'opinion que
les catégories sont des lecta (Str., VIII, 26, 4).
45. « Resolutionem sensualis uigoris » (Anima, XLIII, 2; 5).
46. ’Exhvouévou voù aiofnrexoù tôvou (VIL, 158). Cf. Aèce, Placita, V, 23, 4.
47. Leg., VI.
48. Aèce, Placita, I, 7, 33; Stobée, I, 1, 29, éd. WacasMuTB, I, p. 37-38.

117
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
re révrac 4, Une citation de Clément d’Alexandrie permet un
rapprochement aussi remarquable. Il s’agit d’un fragment de
Zénon Sur la République, qui se retrouve chez Plutarque et chez
Origène, où l’auteur invite à ne pas bâtir de temples en l’hon-
neur des dieux 5°, Voici les trois textes face à face :

Str., V, 16, 1 (SVF I, C. Celsum, I, 5, éd. De Stoic. rep. 6,


264, p. 61). KorrscHau, I, 59, 4-6|1034 b (SVF I, 264,
(SVF I, 265, p. 62). p. 61).
iepé ve olxoëomeiv oôèv |iepg ve olzoôoueïv oùôèv |iepà eüv un oxoccueiv
Gehoer (epdv ykp ph ToXdOÙ Geaet” iepv Yàp iepov Yèp un Tohdoù
EtoY xl dytov o00ëv ph odôèv pi SEtov mai GyLoV oùx Éctiv:
vopsiterv oùôèv 8è mood votuiterv, où0è mo XXOÙ GELoy
AEtov nai Sytov oix006 uv al Gytov, olxoSbuwy te Ro
0000 pLwV
, 02
ëpyov ai Payatcuv. épyov xai Bavatcuv. Ô'épyov xai Pavaucwv ovdÉv
éott toÀhOÛ GEtov.

Ce rapprochement des fragments permet de constater que nous


avons affaire des trois côtés à un même texte. Plutarque a bou-
leversé quelque peu les mots, mais derrière le terme Séyux, qui
annonce la citation, peut-être prétend-il seulement rapporter
l’opinion de Zénon. Clément et Origène ont manifestement sous
les yeux la même source, mais Origène a coupé son texte, soit
intentionnellement, soit plutôt par distraction, au point de rendre
la phrase incorrecte. Clément, qui se vante précisément de rap-
porter la pensée « dans les termes mêmes », est visiblement le
bon témoin de cette opinion si célèbre de Zénon.

Thèses fausses. On aurait tort cependant de sures-


Objections et réponses. timer la valeur de cette documen-
tation et de l'utiliser sans discré-
tion. Elle a ses faiblesses, même chez les meilleurs témoins.
On voit, chez certains Pères, attribuées aux Stoïciens, des opi-
nions difficilement conciliables entre elles.
Tertullien est certainement un bon connaisseur du stoïcisme.
Nous avons pu constater la richesse et parfois l'intelligence de
sa documentation. Cependant, après avoir rapporté plusieurs fois
que Dieu, selon les Stoïciens, pénètre la matière 51, il dit que leur

49. ‘Exæsta, commun à Athénagore et Aèce (selon Plutarque), est remplacé


par &ravra chez Stobée. Les lignes qui précèdent la définition chez Athénagore
et les derniers mots cités ici se retrouvent aussi, mais pas textuellement,
dans Aèce, dont Athénagore se rapproche parfois plus que Stobée.
50. D’autres auteurs encore ont connu ce passage : Cassius Scepticus, d’après
Diogène Laërce, Théodoret, Epiphane, Stobée. Epiphane (cf. SVF I, 146, p. 40)
est même plus précis, soulignant que Dieu est dans le seul intellect humain.
Clément revient plusieurs fois à cette opinion sans citer Zénon (Str., VII,
28, 2; 29, 3).
51. Nat., II, 4, 10; Apol., XXI, 10; Hermog., XLIV, CSEL 47, 173, 16-17.

118
VALEUR HISTORIQUE

dieu est extérieur au monde 5? et précise même : « Les Stoïciens


déclarent qu’il est placé hors du monde, qu’il fait tourner cette
masse gigantesque de l’extérieur comme le potier tourne sa
roue », alors que, « pour les Platoniciens, il réside à l’intérieur
du monde, et, comme un pilote, il a son siège dans la machine
qu’il conduit 58. » Il est à croire que Tertullien lui-même ne
dominait pas le système. Il n’avait pas assimilé ses renseigne-
ments divers, ou du moins n’avait pas cherché à les coordonner 54.
Toutefois, sur ce point, il faut se garder de juger à la légère
et d’accuser les témoins. Le cas de Théophile d’Antioche nous
invite à la prudence. Cet auteur met au compte des Stoïciens des
opinions qui nous surprennent. Il affirme que Zénon, Diogène et
Cléanthe enseignaient l’anthropophagie 65, qu’ils ont rempli des
bibliothèques entières d’invitations à l’inceste et à l’homosexua-
lité 56. On se récrierait aussitôt : comment ! les Stoïciens ? Les
grands moralistes de l’antiquité, si souvent rapprochés du chris-
tianisme ! Mais certains Stoïciens, liés au Cynisme, ont pu effec-
tivement enseigner en un sens ces théories, au moins par goût
du paradoxe. Les griefs de Théophile se retrouvent en tout cas
chez des témoins profanes, comme Sextus Empiricus, Diogène
Laërce et Plutarque 57. Ce n’est donc pas Théophile qu’il faut
soupçonner. Il s’est fié aux documents dont il disposait. Il y a
plus surprenant encore, à juger superficiellement, « Quelques
philosophes du Portique (rc Xroäc), dit-il, nient totalement
l'existence de Dieu, ou, s’ils l’admettent, c’est pour dire qu’il ne
s'occupe que de lui. Sur ce point la sottise d’Epicure et de Chry-

52, Nat.) Il, 2,8.


33. Apol., XLVII, 7, trad. WALTZING.
54. Cependant ces textes ne sont peut-être pas contradictoires. Quand Ter-
tuilien rapporte que les Stoïciens rapprochaient dieu répandu dans la matière
du miel répandu dans les rayons, il interprète également cette comparaison
comme l'expression d’unc extériorité ou d’une distinction, plutôt que d’une
immanence. Il dit dans le contexte immédiat qui amène cette citation : « Ecce
enim Zeno quoque materiam mundialem a deco separat », Nat., II, 4, 10. On
reconnaît dans cette interprétation curieuse, la thèse qui se retrouve dans
Apol., XLVII. G. Essen, après CI. Bäumker dont il rapporte l’avis, avait déjà
noté le problème, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893, p. 31, n. 1.
G. RAucH suppose que Tertullien expose ici le stoïcisme d’après un Stoïcien
dissident comme Bocthos, qui enscignait cette doctrine, Der Einfluss der
stoischen Philosophie auf die Lehrbildung Tertullians, Halle, 1890, p. 43.
M. HAïIDENTIHALLER écarte cette justification trop bicnveillante pour Tertullien
et croit que l’auteur entend par dieu l’hégemonikon placé dans le ciel et qui
mènc le monde, Tertullians zweites Buch Ad Nationes und De Testim. Animae,
Paderborn, 1942, p. 66. R. M. GRANT explique Apol., XLVII, 6-7 et Ad nat.,
II, 2 par la contamination des sources (Two notes on Tertullian, in Vigiliae
Christianae, 5, 1951, p. 113-115).
55. Autol., IL, 5.
56. Autol., III, 6.
57. Sextus Empiricus, Hypotyposes, IX, 205 ;245-246; Adu. math., XI, 190-191.
Diogène Laërce, VII, 121; 188. Plutarque, Quaest. conuiu., III, 6, 1, 653 ec.
Cf. SVE I, 251-256, p. 59-60; II, 752, p. 213, ou encore Origène, C. Cels., IV, 45
(SVF III, 743, p. 185).

119

Ru
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
sippe est rendue tout à fait évidente 58, » L'erreur paraît si
étrange que Otto, dans son Corpus des Apologistes, a rejeté les
mots rñç Zroëç. Mais l'indication est bien dans les manuscrits
et Chrysippe est nommé précisément dans le contexte. D'ailleurs,
Justin ne vient-il pas donner confirmation, quand il dit que son
maître en stoïcisme « ne connaissait pas Dieu 5% » ? Oui, cette
affirmation a de quoi surprendre, quand on songe à l’éclat de la
théodicée stoïcienne et de ses thèses sur la Providence. Mais nous
savons aussi l’existence d’une tendance stoïcienne contraire:
Balbus, le Stoïcien du De natura deorum de Cicéron, dit lui-même
que les dieux s’occupent des grandes choses et négligent les
petites 6, Tertullien ne signale-t-il pas une théorie stoïcienne de
la tranquillité des dieux 61 ? Si l’on se souvient en outre de l’una-
nimité avec laquelle le I°" siècle met la morale au premier plan
aux dépens de la théologie, si l’on tient compte de la tendance
agnostique de certains Stoïciens, même anciens comme Ariston 62,
et, surtout, de l’aspect matérialiste de leur physique et de leur
doctrine de Dieu, on comprend très bien que des adversaires,
platoniciens par exemple, aient porté contre les Stoïciens les
accusations dont Théophile et Justin se font l’écho.
En somme, avant de juger les Pères, il faut se souvenir que
le stoïcisme, malgré son unité foncière, est multiple; que les Stoi-
ciens, surtout, sont divers dans leurs opinions. Que dire de
l’interprétation de ces opinions ?

Faiblesses réelles. Il reste cependant que Théophile, si


fortement marqué par le stoïcisme,
n’avait qu’une piètre connaissance du système. Dans la suite du
texte que nous venons d’examiner, il attribue à « d’autres »
qu'aux Stoïciens — à moins que ce ne soit à « d’autres » Stoi-
ciens — la théorie de Dieu « esprit qui circule en tout 68 ».
Ailleurs, quand il dresse son petit catalogue des philosophes, il va
jusqu’à omettre les Stoïciens 64.
Même un auteur comme Hippolyte, assez bien documenté sur
le stoïcisme pour nous en fournir un exposé précis, possédait
mal sa documentation. Au prologue de ses Philosophoumena,
il a rangé les Stoïciens, nommément Chrysippe et Zénon, parmi

58. Aulol., Il, 4,


59. Dial., XI, 3.
60. II, 167. Cf. supra, p. 105, n. 31.
°61. Praescr. haer., VII, CSEL 70, 9, 9.
62. Minucius Félix note justement son agnosticisme (XIX, 13). Donc les
Pères de l’époque pouvaient le connaître.
63. Aultol., IL, 4.
64. Ibid., HI, 2.

120
VALEUR HISTORIQUE

‘les Dialecticiens, à côté d’Aristote 65. Dans la suite du livre I, où


il trace l’histoire de la philosophie, il est fidèle à cette classif-
cation, En face des naturalistes comme Pythagore, Empédocle,
Héraclite, Parménide, Démocrite et bien d’autres, en face des
moralistes comme Socrate et Platon, il place les Dialecticiens
avec Aristote, avec les Stoïciens %6, avec Epicure, avec les Acadé-
miciens. Mais au livre X, l’auteur fait un nouvel exposé de la
philosophie grecque, où il rappelle les trois mêmes catégories de
philosophes. En fait, il ne parle que des naturalistes et il y range
cette fois les Stoïciens. C’est qu’il se sert maintenant d’un autre
document, une page de Sextus Empiricus 67, Il n’a pas essayé de
concilier ses deux sources: il y a puisé servilement et sans effort
de pensée personnelle.
Il existe des contradictions bien plus Dtabsaates Les Pères,
volontiers, vouent au diable un système qu’ils ont consciencieu-
sement pillé. C’est le cas de Théophile d’Antioche. Mais c’est
même le cas des deux écrivains chrétiens les plus érudits de
l’époque : Tertullien et Clément d’Alexandrie. Tertullien se
moque des croyants qui tirent leur vérité du Portique des Stoi-
ciens et non du Portique de Salomon : « Qu’y a-t-il de commun
entre Athènes et Jérusalem ? entre l’Académie et l'Eglise ? entre
l’hérétique et le chrétien ? Notre éducation à nous vient du Por-
tique de Salomon et c’est lui-même qui nous la livre : ce n’est
que de chercher le Seigneur dans la simplicité du cœur. Tant
pis pour ceux qui ont affiché un christianisme stoïcien, plato-
nicien, dialectique. Toute curiosité pour nous est inutile après
Jésus-Christ, toute recherche, après l’Evangile. Croyons et ne
désirons rien de plus 68. » Il oppose donc christianisme et stoi-
cisme et, pour vouer Marcion à la damnation, se contente de
prouver son stoïcisme 62. Mais le même Tertullien vante Sénèque
et l’accapare : « Seneca saepe noster 7. » Bien plus, il mêle à sa
doctrine personnelle de l’homme et de Dieu des théories propre-
ment stoïciennes.
Clément d'Alexandrie pose exactement le même problème. Son
œuvre révèle une culture exceptionnelle, Ne nomme-t-il pas près
de 600 auteurs 71 ? Ne mêle-t-il pas à son œuvre d’innombrables

65. Refut., I, en-tête, 5.


66. Refut., I, 21.
67. Adu. phys., I, 310-318.
68. Praescr. haer., NII, CSEL 70, 10, 33-11, 40.
69. « Où était alors Marcion.…, ce Stoïcien zélé ? » (Praescr. haer., XXX,
CSEL 70, 36, 1-2; cf. VII.., 9, 9-10; Marc., V, 19, CSEL 47, 645, 13).
70. Anima, XX, 1; cf. Apol., XII 6.
71. P. A. Scheck prétendait que Clément connaissait intimement 348 auteurs,
mais R. B. ToLLINTON, qui rapporte ce jugement (Clement of Alexandria, a
study in christian liberalism, t. 1, Londres, 1914, p. 157), le conteste et montre
que Clément, comme les écrivains de son temps, se servait de compilations

121
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

définitions stoïciennes rapportées littéralement ? Ne va-t-il pas


jusqu’à définir, comme nous le verrons, les notions platoni-
ciennes en termes stoïciens ? Il prend même à son compte bien
des principes du système et une bonne partie de la morale.
Et cependant, très paisiblement, il appelle le stoïcisme « la honte
de la philosophie 72 ».

Justification. Faut-il faire grief aux écrivains


ecclésiastiques de ces faiblesses et
de ces contradictions ? Evidemment, ils n’ont guère recouru aux
textes des auteurs qu’ils citent et leur science est souvent
empruntée aux manuels et aux doxographies de l’époque. Mais
est-on sûr qu’Epictète, philosophe professionnel, ait fait mieux ?
On juge qu’il a pu citer Zénon à travers des recueils de citations
et on le soupçonne d’avoir puisé ses textes de Chrysippe dans
des résumés 73. On se demande même si les œuvres de Zénon, et
celles de Cléanthe, autres que son Hymne à Zeus, existaient
encore ! A cette première circonstance atténuante, il faut ajouter
le problème des pseudépigraphies. On n’avait pas le même scru-
pule qu’aujourd’hui pour la paternité des œuvres, et des attri-
butions erronées rendaient trouble facilement l’origine des
diverses théories. Qu’on se rappelle, enfin, la tendance à l’éclec-
tisme qui caractérise l’époque. De plus en plus, les systèmes
s’entremêlent et les exposés les plus autorisés des philosophies
révèlent cette espèce de contaminatio T4. La tâche des Pères
était donc bien complexe, et, quand bien même ils auraient eu
un réel souci critique, il ne leur aurait pas été facile d’arriver
à des données sûres. Il ne faut pas juger leur érudition au
gabarit de la science contemporaine.

et de manuels (ibid., p. 149-177). R. P. CASEY juge néanmoins son érudition


plus forte que celle de certains païens contemporains, comme Plutarque
(Clement of Alexandria and the beginnings of christian platonism, in The
Harvard Theological Review, 18, 1925, p. 47).
72. Protr., 66, 3.
73. Cf. J. Souirmé, Epictète, dans la Collection des Universiiés :e France,
Paris, 1948, Entretiens, I, p. XXXIV-XxXV.
74. L’édition P. WENDLAND des Philosophoumena explique ainsi certaines
erreurs, par exemple l’attribution au système de Platon d’éléments aristoté-
liciens (juste milieu en vertu) et stoiciens (le mal accompagnement du bien)
(Refut., 1, 19, 23). L’auteur aurait consulté une source tardive du Ier siècle
avant ou après J.-C. (p. xx). R. E. Wirr explique de même l'attribution de
vues stoïciennes à Aristote par Clément. Cela « implique que Clément dépend
pour son information d’autorités tardives, elles-mêmes probablement inspirées
de Posidonius » (The Hellenism of Clement of Alexandria, in The Classical
Quarterly, 25, 1931, p. 195).

122
VALEUR HISTORIQUE

L'exemple Il existe un exemple célèbre de ces


du Peri Kosmou. confusions, en dehors du stoïcisme,
autour de l’aristotélisme. Avec un
ensemble étonnant, nos écrivains ecclésiastiques, du Il° au
VII° siècle, chargent Aristote de l’opinion que le monde est un
vivant composé, et surtout que la providence divine ne descend
pas jusqu’au monde sublunaire.
C'est le cas de Tatien déjà, qui reproche à Aristote de « mettre
une limite à la providence » et poursuit en « riant de ces gens
qui, aujourd’hui encore, prétendent suivre ses leçons : ils refusent
d'étendre les soins de la providence aux êtres sublunaires, tandis
qu’eux, qui se trouvent plus proches de terre que la lune et situés
en dessous de son orbite,se chargent de pourvoir à ce qui échappe
à la providence 75 »., Athénagore se fait la même idée de la doc-
trine péripatéticienne et apporte des précisions : « Aristote et
ses disciples introduisent un être unique, pareil à un vivant
composé, et le disent constitué d’une âme et d’un corps. Ils
pensent que son corps est l’éther, les astres errants et la sphère
des étoiles fixes, tout cela étant mû d’un mouvement circulaire;
l’âme, c’est la raison qui veille au mouvement du corps, et, sans
être mue elle-même, est cause du mouvement de celui-ci 76, »
Dans la suite du texte, il attribue clairement ces thèses au Stagi-
rite, qu’il distingue précisément de « ceux de la Stoa ». Ailleurs,
il impute expressément au même philosophe l’opinion, rapportée
par Tatien, que « les choses placées au-dessous du ciel sont
soustraites à la providence 77 ». On retrouve le même exposé au
I°* livre des Philosophourmena : Aristote « admet lui aussi que
les maux sont constitués par contrariété avec les biens et qu’ils
n'existent qu’au-dessous du cercle lunaire et non plus au-dessus
de la lune. Pour l’âme du monde, il la déclare immortelle... 78 ».
L’auteur y revient longuement en voulant dénoncer le péripaté-
tisme de la théologie de Basilide : « La partie de l’univers qui
s’étend de la terre à la lune est sans providence, sans gouverne-
ment: elle se contente de sa seule loi naturelle propre, mais la
partie au-delà de la lune est soumise parfaitement à l’ordre, à la
providence et au gouvernement jusqu’à la surface du ciel 7®. »
Clément y fait une allusion dans les Stromates #, et en parle
directement dans le Protreptique : « Le père de la secte, dit-il,

75. Orat., Il, c. med.


76. Leg., VI.
77. Ibid., XXV.
78. Refut., I, 20, 6.
79. Ibid., VII, 19, 2.
80. Str., V, 90, 3.

123
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME
faute d’avoir songé au Père de l’univers, pense que celui qu’on
appelle Hypatos est l’âme du tout; c’est-à-dire que, voyant Dieu
dans l’âme du cosmos, il se transperce lui-même. En effet, il
limite la providence précisément aux régions de la lune et juge
ensuite que le monde est Dieu : il se retourne contre lui-même,
définissant comme Dieu ce qui ne participe pas à Dieu 81. »
L'attribution de ces thèses au Stagirite continue par la suite chez
Origène, Eusèbe de Césarée, Grégoire de Nazianze, Epiphane et
Théodoret 82.
Cependant, on a constaté que ces doctrines ne se lisent pas
dans l’œuvre connue d’Aristote. Pour le Stagirite, Dieu ne fait
que se penser lui-même. La notion même de providence est
inconnue et, s’il y a plus de désordre au fur et à mesure qu’on
s’écarte du premier ciel, c’est parce que les mouvements sont
plus compliqués 8%, De même l’image d’un vivant composé, où
Dieu est l’âme du monde, « est fort loin de la Pensée qui se
pense transcendante au monde 84 » dans la théologie péripatéti-
cienne, Il y a donc là une erreur, mais une erreur qui se lit déjà
dans les Placita d’Aèce et se retrouve même DE les meilleurs
commentateurs du maître 55.
Or la précision de certaines théories rapportées nous permet
d’identifier le texte d’où elles sont tirées. La citation de Clément,
qui voit dans l’Hypatos l’âme du monde vivant et attribue à Dieu
cette providence partielle, se reconnaît facilement dans le Peri
Kosmou qui se donne précisément comme un écrit d’Aristote.
Ce traité, qui fait du monde un composé dont Dieu est l’âme, à
un endroit appelle Dieu Hypatos et enseigne aussi que la provi-
dence perd de sa puissance progressivement en s’étendant
jusqu’au monde plein de trouble 86, C’est là que nos auteurs, chré-
tiens ou païens, ont puisé leur prétendue connaissance du péri-
patétisme. Mais ce traité définit l’homme, Dieu et le monde dans
un esprit éclectique, qui harmonise des données aristotéliciennes

81. Protr., 66, 4.


82. Les références précises et les textes de ces derniers auteurs se trouvent
dans l’article du P. FESTUGIÈRE, Aristote dans la littérature grecque chré-
tienne jusqu’à Théodoret, Excursus C de L'idéal religieux des Grecs et
l'Evangile, Paris, 1932, p. 253-262. Les textes cités précédemment s’y lisent
p. 224-253 dans une traduction souvent utilisée ici.
83. Ibid., p. 225-226: « C’est un fait digne de remarque, dit le P. FESTUGIÈRE,
Aristote n’allie jarmais le mot de rpôvotx à Dieu » (p. 228).
84. Ibid., p. 222.
85. Ibid., p. 231-233; Placita, IL, 3, 4.
86. De mundo, VI, 397 b. Cette démonstration fait l’objet de l’article du
P. FEsTUGIÈRE ici utilisé, en particulier p. 226-233. Au sujet du texte de
Clément, l’historien dit que le mot hypatos « vaut une signature » (p. 251, n. 1).
11 faut signaler que pour l’auteur du Peri Kosmou tout relève de Dieu, même
le monde sublunaire. L’influence divine se fait seulement moins sentir dans
cette partie du monde et souffre le désordre.

124
VALEUR HISTORIQUE
avec des principes stoïciens, en imprégnant le tout d’une ten-
dance religieuse 87. Le P. Festugière y voit le produit de cette
Koinè spirituelle, évoquée plus haut. Pour ces raisons et pour
d’autres, il en abaisse la date jusqu’au début de notre ère 88.
A l’époque où le traité a été composé, comme à l’époque où nos
auteurs le citent, le brassage des philosophies est donc déjà si
profond que personne n’est capable de définir ou de reconnaître
l’aristotélisme authentique.
Cet exemple est significatif. D’abord il nous montre les réper-
cussions possibles d’une pseudépigraphie. Si les Pères imputent
unanimement à Aristote ces théories du monde ou de la provi-
dence, nous en savons une source certaine : le Peri Kosmou
faussement attribué au Stagirite, Cette pseudépigraphie célèbre
n’était certainement pas la seule. Ensuite, nous y trouvons un
exemple du mélange inextricable des doctrines. Dans cette con-
fusion éclectique, beaucoup d’idées versées au fonds commun ne
portaient pas d’étiquette. L'homme cultivé pouvait alors diffici-
lement se faire une connaissance exacte des différents systèmes
dans leurs limitations et leurs oppositions. En avait-on même le
souci ? On cherchait bien plus à se faire une philosophie qu’à
connaître des philosophes. Clément était de son temps quand il
déclarait : « J’appelle philosophie non pas celle des Stoïciens,
ni celle de Platon, ni celle d’Epicure, ni celle d’Aristote, mais
tout ce qui a été dit de bon dans chacune des sectes pour former
à la justice en même temps qu’à une science pieuse; c’est cet
ensemble éclectique que je nomme philosophie; mais tout ce
qu’ils ont falsifié en se l’appropriant en fait de raisonnement
humain, cela jamais je ne l’appellerai divin 8, » Aussi, là où nos
yeux de modernes voient des contradictions, peut-être les Pères
ne faisaient-ils que suivre la logique des meilleurs esprits de
leur temps.

87. Ce traité est étudié ibid., p. 226-228; mais le P. FESTUGIÈRE en a donné


unc version française partielle avec notes critiques dans sa Révélation
d'Ilermès Trismégisle, t. II, p. 460-477. Pour une étude plus large, cf.
W. Carezre, Die Schrift von der Welt, ein Beitrag zur Geschichte der grie-
chischen Popularphilosophie, Festschrift der klassisch-philolog. Gesellschaft
zu Hamburg, Leipzig, 1905, p. 529-568.
88. Le P. Fesrucièrr, qui l’avait d’abord placé au Ier siècle avant J.-C.
avec Zeller (L’'Idéal religieux, p. 226, n. 1), parle maintenant de 50 après
J.-C. (La Révélation d’Iermès Trismégisle, t. II, p. 479). Cependant.P. BoYANGÉ,
en rendant compte de cette étude du P. Festugière sous le titre : Le Dieu
cosmique, in Revue des Etudes Grecques, 64, 1951, p. 308, conteste un point
du raisonnement. Le R. P. range le traité dans la littérature isagogique
(manuels d’introduction) et en tire un argument supplémentaire pour en
retarder la date. P. Boyancé rejctte cette classification et la conséquence. Sans
oser pour autant attribuer le traité à Aristote, il signale une thèse en ce sens :
P. Gonrxr, Die philosophische Entwickelung des Aristoteles, coll. Kant-
studien, 1943, p. 393.
89. Str., 1, 37, 6.
125
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

CONCLUSION

Il resterait sans doute à dire l’opinion que les Pères se faisaient


de la philosophie, l'attitude qu’ils ont adoptée devant la sagesse.
Leur position sur ce point a beaucoup varié %. Généralement
hostiles d’abord, ils ont bientôt cherché un concordisme avan-
tageux. Clément d’Alexandrie illustre à merveille cette tendance
à la sympathie, Il a vu clairement que la littérature antique avait
pu être historiquement une préparation divine à la foi, une pro-
pédeutique, et qu’elle pouvait l’être en permanence ‘1. Philo-
- sophia, theologiae ancilla, c’est bien la théorie de Clément ®2.
Mais c’est là une autre question qui appellerait beaucoup de pré-
cisions, sans rien ajouter à la documentation sur le stoicisme,
que nous avons ici recherchée.
Cette documentation nous renseigne peu, en somme, sur le stoï-
cisme contemporain, directement. Les Pères jamais ne décrivent,
comme Lucien, cette philosophie populaire si célèbre aux pre-
miers siècles. Ils ne signalent pas l’évolution du stoïcisme, qui
aboutit à une philosophie religieuse de salut. On ne mentionne

90. Pour l'Eglise latine, le travail a été fait par G. L. ELLSPERMANN, The
Attitude of the early christian Latin writers toward pagan literature and
learning, Washington, 1949, simple collection de textes très connus, qui s'en
tient aux grands noms et n’approfondit aucunement la question. Pour latti-
tude générale de l’Eglise à l’égard de la culture profane, cf. G. Barpy, L'Eglise
et l’enseignement pendant les trois premiers siècles, in Revue de Science
Relig., 12, 1932, p. 1-28 (l’auteur étudie L'Eglise et l’enseignement au IV° siècle,
ibid., 14, 1934, p. 525-549; 15, 1935, p. 1-27), ou H. Fucus, Die frühe christliche
Kirche und die antike Bildung, in Die Antike, 5, 1929, p. 107-119. Pour Ter-
tullien en particulier, cf. J. LorTz, Vernunft und Offenbarung bei Tertullian,
in Der Katholik, année 93, 4° série, 11, 2, p. 124-140.
91. Cf. C. MERK, Clemens Alexandrinus in seiner Abhängigkeit von der grie-
chischen Philosophie, Leipzig, 1879, p. 2-16; H. Er, Die Stellung des Klemens
von Alexandrien zur griechischen Bildung, in Zeitschrift für Philosophie und
philosophische Kritik, 164, 1917, surtout p. 33-58; E. DE FAYE, De l'originalité
de la philosophie chrétienne de Clément d'Alexandrie, coll. Ecole pratique des
Hautes Etudes, Sect. de Sc. Relig., Annuaire 1919-1920, Paris, 1919, p. 1-20.
J. MetFORT a rassemblé les textes de Clément qui présentent la philosophie
comme une propédeutique (Der Platonismus bei Clemens Alexandrinus,
Tubingue, 1928, p. 7-8).
92. Sur cette thèse chez Philon, cf. H. A. WozrsoN, Philo, Foundations of
religious philosophy in Judaism, Christianity and Islam, Cambridge-Mass.,
1947, t. I, p. 143-155.

126
CONCLUSION

guère les auteurs stoïciens de l’époque. En morale, on les utilise


largement, Epictète et Musonius en particulier, mais on n'affiche
pas ses sources : pas une fois n’est nommé dans toute cette litté-
rature l’auteur si lu aux II° et III° siècles qu'était Epictète 98.
Est-ce à dire que leur témoignage est sans valeur sur le mouve-
ment stoiïcien ?
Non. La documentation des Pères est l’expression précise d’un
état de choses. Elle reflète à la perfection le milieu intellectuel
avec sa double philosophie, savante et populaire. Pour se faire
une idée du système philosophique, nos auteurs utilisaient les
textes dont pouvait disposer un auteur cultivé de la fin du
IT° siècle, un maître de philosophie. Les auteurs qu’ils exploitent
de leur propre aveu sont exactement ceux qu’on citait et com-
mentait dans les écoles de l’époque, les maîtres Zénon, Cléanthe
et Chrysippe, avec leurs disciples les plus fidèles, Antipater et
Archidème. Au contraire, Posidonius et Panétius, soupçonnés
d’hérésie sous le Portique, sont aussi volontiers passés sous
silence dans l’Eglise. Les Pères, comme Varron déjà °4, comme
Cicéron, comme Epictète, exposent donc le stoïcisme ancien, avec
ses thèses rigoureuses sur Dieu, l’âme et le monde, avec ses défi-
nitions innombrables, dont le stoïcisme populaire ne s’inquiétait
plus guère.
Il apparaît ainsi que les Pères sont bien les témoins d’un certain
stoïcisme du Il° siècle, le stoïcisme d'école. Ils ont fait leurs
classes et consulté leurs manuels. Quand ils s’appellent Justin ou
Clément, ils ont peut-être fréquenté des maîtres spécialisés. Mais,
de toute façon, ils n’ont pu s’y faire du stoïcisme qu’une image
figée, qui n’a pas la couleur du temps, celle que les commenta-
teurs d’Aristote, longtemps après la mort du stoïcisme, pré-
sentent comme système de la Stoa,
Cependant, à côté de cette connaissance théorique du stoi-
cisme, fruit de l’enseignement, ils ont aussi leur expérience du
stoïcisme vécu et populaire, En morale, ils ont été pénétrés par
l’ambiance philosophique à dominante stoïcienne et ils se font
l'écho de cette littérature de cas de conscience. Ils citent Sénèque
publiquement, vantent Musonius, et surtout exploitent les lieux
communs de la diatribe jusqu’à piller les auteurs dans leurs
textes.

93. A. et M. CRoIseT, Histoire de la littérature grecque, t. V, Paris, 1899,


p. 466. Marc-Aurèle pourtant avait lu Epictète (Ad seips., I, 7, 8). Il le cite.
Origène parle d’Epictète sympathiquement : il était lu par la masse, qui en
profitait moralement (C. Cels., VI, 2, éd. KogTscHAU, II, 71, 18-20).
94. E. ELorDuY signale aussi que Varron relève de l’ancienne Sfoa, non de
la Stoa moyenne, ceci au sujet d’une simple citation (Die Sozialphilosophie
der Stoa, Leipzig, 1936, p. 234-235).

127
LES PÈRES, TÉMOINS DU STOÏCISME

En somme, leur témoignage est complet et loyal. Si on le com-


pare à celui d’un Lucien de Samosate, on peut dire que le lettré
s’attache plus au stoïcisme pratique, les Pères au stoïcisme de
culture. L’atticiste, en observateur des mœurs, peint directement
le stoïcisme qu’il voit. Les Pères n’en donnent qu’un écho affaibli,
un témoignage discret. En revanche, les Pères étalent les doc-
trines du stoïcisme théorique, qui sont au second plan chez
Lucien, mais bien présentes, parce que notre classique, devant
la réalité, se souvient lui aussi de sa culture 95,

95. M. CAStTER note que Lucien a glissé, dans son portrait du Stoiïcien,
beaucoup de traits plus traditionnels qu’actuels (Lucien et la pensée,
p. 22 sqq; p. 107-109). Il ajoute expressément : « Comme témoin d’une
époque précise, Lucien est décevant » (ibid., p. 389).

128
DEUXIÈME PARTIE

L'HOMME
CHAPITRE QUATRIÈME

LE COMPOSÉ HUMAIN

L'homme ! Les Pères se plaisent à souligner sa noblesse. « Et


toi, homme, dont le nom est si grand, si tu savais ce que tu es ! »,
s’écrie Tertullien 1. L’homme apparaît en effet à leurs yeux
comme la réussite de la création. Rares sont ceux qui le méses-
timent; peut-être Tatien est-il l’unique exception, quand il dit,
pour diminuer l’homme sans la grâce, que seule la voix articulée
le différencie de la bête2. Au contraire, Théophile d’Antioche
l’exalte pour étendre en quelque sorte la Trinité en une quater-
nité : « Dieu, Verbe, Sagesse, Homme 5. » Il précise que Dieu
créa tout par sa parole, mais fit l’homme de ses mains 4, idée
reprise par saint Irénée 5 et par Tertullien. « L'homme, dit ce
dernier, n’est pas réalisé par une parole impérative, mais par
une main amicale, au terme d’une parole flatteuse 8, » Minucius
Félix y voit le couronnement de la création, réalisant la variété
dans l’unité’7, dominé par la tête comme par une place forte,
avec ses yeux, ses sens... 8, debout face au ciel ®, et, par ces mots,
il exploite un thème extrêmement célèbre chez les philosophes

1. Apol., XLVIII, 9.
2. Orat., XV, med.
3. Autol., II, 15.
4. Ibid., II, 18.
5. Dem. p. «., 11, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 762. Il ne cache pas son admiration
pour l’homme : « Impossible de décrire toute la mélodie que constitue
l’homme, mélodie qui exige beaucoup de savoir » (Haer., V, 111, 2, HARVEY II,
p. 326). Ê
6. Marc., II, 4, CSEL 47, 338, 6-10. Clément d’Alexandrie souligne aussi que
Dieu a fait l’homme de sa propre main (Paed., I, 8, 1; 7, 1).
7. Oct., XVIII, 1.
8. Ibid., XVII, 11.
9. Ibid., XVII, 2.

131
LE COMPOSÉ HUMAIN :

les plus divers 10, remployé volontiers par les Pères 11, Clément
d’Alexandrie, après avoir montré toute la bienveillance que le
créateur étale dans son œuvre à cause de l’homme, présente Dieu
créant l’homme. « Jugeant que c’était là l’œuvre majeure, il
donna à l’âme sagesse et prudence pour sa direction; il combina
son corps de beauté et d'harmonie, et, pour les actions de l’huma-
nité, il inspira la droiture qui leur convient etle bon ordre qui
est sien 12, » Aussi doit-il « chérir naturellement, beaucoup plus
que le reste, l’homme, le vivant, le plus beau de ceux qu’il a
formés 13 », qui « contient en lui un philtre, c’est-à-dire ce qu’on
appelle souffle de Dieu 14 ». Il serait d’ailleurs faux de croire
que cette complaisance de Dieu, dans la pensée des Pères, s'arrête
à l’homme. L'homme est fait à l’image de Dieu, et, en définitive,
c’est à lui-même et à son Verbe que Dieu se donne. Tertullien,
dans une page où il montre Dieu penché amoureusement sur le
corps d'Adam, ajoute : « Dans tout ce que l'argile exprimait, il
voyait le Christ qui devait être homme, c’est-à-dire l’argile, et le
Verbe fait chair, c’est-à-dire alors la terre... Ce qu’il a fait, il l’a
fait à l’image de Dieu, qui est le Christ 15, »
Mais là n’est pas l’intérêt de la question. Il y a peu de philo-
sophie en tout cela. Or, c’est un fait curieux, combien les Pères
des premiers siècles se sont intéressés à l’anthropologie. Eux qui,
tout compte fait, ne se mêlaient guère de philosophie, sinon pour
un but apologétique, se sont unanimement préoccupés du pro-
blème de l’homme. La défense du dogme de la résurrection,
attaqué par les païens comme une superstition populaire, les
amenait à préciser l’idée qu’ils se faisaient de la nature humaine
et de sa destinée.

10. Les Stoïciens ont le plus exulté l’homme, en faisant de son âme, logos
relativement pur, un fragment de Dieu. Ils l’ont mis au-dessus de tous les
autres êtres dans leur admiration, Panétius en particulier (cf. M. PoHLexz,
Die Stoa, 1, p. 196), le considérant en quelque sorte comme autarcique et
transcendant.
11. Justin, { Apol., LV, 4; Cyprien, Demetr., XVI, CSEL IN, 1, 362, 16-24;
Clément d'Alexandrie, Paed., NI, 37, 1; Str., IV, 163, 1, etc. On retrouve le
même thème dans le Corpus Hermeticum. M. PELLEGRINO, dans son édition
de l’Octauius (Turin, 1947), donne une centaine de références aux philosophes
et aux Pères (p. 125-126) et renvoie à S. O. DicKERMANN, De aryumentis qui-
busdam apud Xenophontem, Platonem, Aristotelem obuiis e structura hominis
et animalium petitis, Diss. Halle, 1909. Cf. aussi M. PELLEGRINO, Sfudi sul-
l’antica apologetica, Rome, 1947, p. 22, n. 1-3.
12. Paed., 1, 6, 6.
13. Ibid., 1, 63, 1. Ce texte ct les lignes qui suivent, sur la sollicitude de
Dicu pour l’homme, sont inspirés de Chrysippe, cf. Anim, SVF I, 1116,
p. 323-324,
14. Paed., 1, 7, 3.
15. GCarn. Res., VI, CSEL A7, 9-17.

132
DES STOÎÏCIENS AUX PÈRES

I. DES STOÏCIENS AUX PÈRES

Pour les Platoniciens, le corps, dans l’homme, est essentielle-


ment au service d’autre chose, au service de l’âme, et souvent
un mauvais serviteur dont on se méfie. Les Stoïciens, en monistes
qui font de l’âme un corps 1, ont tendance à rapprocher le corps
de l’âme et à les considérer comme deux éléments qui se com-
plètent mutuellement. Fidèles à une tradition grecque?, ils
insistent sur l’unité du composé humain, surtout Panétius 8.
Même Posidonius et les derniers Stoïciens, qui, sous l’influence
platonicienne, sous-estiment le corps, ne renoncent pas à la thèse
de l’unité corps-âme. Tous soulignent à l’envi les relations qui
unissent les deux éléments 4,

La nature de l’âme. Pour eux l’âme est de l’air chaud


enflammé, qui parcourt le corps
tout entier. Ce souffle igné s’étend à travers tous les membres
par une xpäois &'6Awv, par un mélange parfait, qui lui permet de
tout pénétrer 5. Corporelle, l’âme se nourrit d'éléments matériels.
Chaude, elle donne au corps sa chaleur, mais aussi sa tension
(tévoc), et, par là, son unité. Le fonos est inégal d’un corps à
l’autre et, entre autres fonctions, détermine la force de résis-
tance aux attraits extérieurs. Si le {onos est puissant, le logos, qui
se confond à peu près avec lui, est souverain. Sinon, l’âme est
malade et subit la pression de l’extérieur, par les pathè, syno-
nyme de maladies.

Les parties de l’âme. Platon avait une conception dua-


liste de l’âme, ou du moins on a
interprété sa conception de cette manière à l’époque des Pères 6.
Il voyait dans l’homme, avec le corps, une fonction rationnelle

1. C’est la vieille tradition grecque, cf. FR. CuMonT, Lux Perpelua, Paris,
1949, p. 350; p. 4.
2. M. PoxLeNz, Der hellenische Mensch, Gôttingen, 1947, p. 15; p. 415-418.
3. M. PouLenz, Die Stoa, 1, p. 197-199.
4. Posidonius, mieux que personne, souligne l’action du corps sur l’âme et
définit le tempérament comme nous le faisons aujourd’hui (ibid., p. 226-227).
5. 1bid., p. 86. Cf. ARNIM, SVF IL, 467, p. 151-152.
6. Tertullien dit nettement qu’il divisait l’âme en deux parties (Anima,
XIV, 2)..« Plato bifariam partitur animam », dit-il encore, et il entre dans
le détail (ibid., XVI, 1-5).

133
LE COMPOSÉ HUMAIN

et supérieure, le vos, une fonction animale et inférieure, la


dvxn. La partie alogos était elle-même subdivisée en Ouwxév et
ërubvuunrixév . Les Stoïciens, tout en resserrant l’unité de l’âme,
y signalent généralement huit parties : ce sont les cinq sens, plus
la voix, la semence et l’yeuouxév, c’est-à-dire le vois platoni-
cien modifié, qui commande tout et fait l’union, doué qu’il est de
trois facultés, le pavraorixév, l’épunrixév et le ouyxéraberix6v7. Ces
parties ne sont pas des portions de l’âme, mais ses prolonge-
ments à travers le corps : elles ne suppriment pas son unité
foncière. Chrysippe maintint avec entêtement l’unité dominante
du logos 8. Plus tard, Posidonius et Panétius n’hésitèrent pas
à reconnaître dans l’âme une vie instinctive et irrationnelle,
à côté de la vie intelligente ®, faisant une concession au pla-
tonisme.
On remarque l’hésitation des Stoïciens, après celle de Platon,
et ces variations brouillent la question. Saint Paul introduit
encore dans ces données philosophiques un élément nouveau de
complication. Dans la l’° Epître aux Thessaloniciens, ch. v, v. 23,
il divise l’homme en oëua-Wuyn-rvedux . On pourrait croire qu’il
s’agit de la conception platonicienne, mais, comme l’a souligné
le P. Festugière 10, saint Paul entend non pas établir « une doc-
trine des parties de l’âme » comme Platon 11, mais définir tout
l’homme 12, Il profite de l’évolution philosophique, qui a vu de
plus en plus en l’âme l'intermédiaire entre le corps et le voüc 18,
En outre, fidèle à une tradition biblique, il appelle la partie supé-
rieure preuma et non plus noûs 14 et fait de ce preuma non pas
un élément physique de l’âme à la manière des philosophes,
mais « une communication de Dieu 15 »; et non pas encore une
manifestation naturelle de Dieu, mais « le Dieu atteint par le

7. M. Pourexz, Die Stoa, I, p. 87-90. ARNIM, SVF II, 827-832, p. 226.


8. M. PonLexz, Die Stoa, 1, p. 90-92.
9. Ibid., p. 198-199. I1 ne faut pas confondre cette division de l’âme avec
la conception tripartite de la nature humaine (corps-âme-pneuma), qui est
d’origine confuse et se rencontre à la fois chez saint Paul et en atmosphère
stoïcienne.
10. La division corps-âme-esprit de I Thess. V, 23 et la philosophie grecque,
article paru d’abord in Rech. de Sc. Rel., 20, 1930, p. 385-415, devenu
Excursus B de L’Idéal Religieux des Grecs et l'Evangile, Paris, 1932, p. 196-220,
que nous citons ici.
11. Ibid., p. 200.
12. Ibid., p. 202. HERRADE MEuL-KOE&NLEIN a montré depuis, plus clairement
encore, que chacun de ces termes désigne tout l’homme, en soulignant respec-
tivement un aspect de sa personnalité (L'homme selon l’Apôtre Paul, coll.
Cahiers Théologiques, 28, Neuchâtel-Paris, 1950).
13. L’Idéal Religieux.…., p. 203-208.
14. Ibid., p. 211-214.
15. Ibid., p. 217.

134
LES APOLOGISTES
voÿs est Dieu révélé, surnaturel 16 » ; c’est l’œuvre de la grâce 17,
Certains Pères ont manifestement été influencés par ce texte de
saint Paul. Il est d’autant plus difficile de retrouver le cadre
philosophique où s’insère leur anthropologie.
Cependant, l’ensemble de l’époque révèle nettement certaines
tendances dominantes. Autour du Il° siècle, tous les Pères, sans
mettre corps et âme sur pied d’égalité, les considèrent comme
éléments communs et complémentaires d’un composé. Jamais le
corps n’y est un étranger, sinon en des expressions corrigées
par le contexte. Jamais l’homme n’y est défini comme une âme
qui se sert d’un corps. Un aperçu historique permettra de s’en
rendre compte 18,

IL LE COMPOSÉ HUMAIN
CHEZ LES PÈRES APOLOGISTES DU II: SIÈCLE

1. DES ORIGINES A JUSTIN

Aflirmations isolées. Dès le début de la littérature ecclé-


siastique, il y a divergence dans
l'analyse de l’homme. Tandis que saint Ignace reprend la division
trichotomiste de la °° Epître aux Thessaloniciens en chair-âme-
esprit 1, Hermas semble opposer directement chair et esprit,

16. L’Idéal Religieux, p. 219.


17. En note (ibid., p. 220, n. 1), l’auteur signale loyalement que le P. Lebreton
atténue cette position. Il juge la thèse de saint Paul et celle de la philosophie
moins opposées. Au Il° siècle, le platonisme met aussi une parenté profonde
entre la partie supérieure de notre âme et Dieu.
18. Ce chapitre mettra à contribution la thèse, mentionnée plus haut, de
G. VERBEKE, L'évolution de la doctrine du Pneuma du stoïcisme à saint
Angustin, élude philosophique, Paris-Louvain, 1945. Elle sera citée sous
l’abréviation VERBEKE. Cette thèse avait cu pour précédent le travail très
sérieux de Fr. Ruescue, Das Seelenpneuma, seine Entwicklung von der
Hauchseele zur Geistseele, ein Beitrag zur Geschichte der antiken Pneuma-
lehre, coll. Studien zur Geschichte und Kultur des Altertums, XVII], 3,
Paderborn, 1933. Cette dernière étude ne s'arrêtait, parmi les Pères, qu'à
Origène (p. 40-48) et à saint Augustin (p. 58-78). G. Verbeke l’a approfondie
et complétée.

1. Philad., XI, 2.
LE COMPOSÉ HUMAIN
peut-être selon une autre tradition paulinienne?. L’apologie
A Diognète prend nettement cette dernière position et laisse appa-
raître une conception dichotomiste de l’homme, Quand elle
explique que les chrétiens dans le monde jouent le rôle de l’âme
dans le corps, elle précise, en un langage assez philosophique,
la position de ces deux parties de l'homme et attribue à l’âme
toutes les fonctions non charnelles, sans jamais faire appel à un
autre élément.
L'âme habite dans le corps et pourtant elle n’est pas du corps
Invisible, l’âme est retenue prisonnière dans un corps visible. La chair
déteste l’âme et lui fait la guerre, sans en avoir reçu du tort, parce
qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs. L’âme aime cette chair qui la
déteste, et ses membres. L’âme est enfermée dans le corps : c’est elle
pourtant qui maintient (ouvéye:) le corps. Immortelle, l’âme habite
dans une tente mortelle. L’âme devient meilleure en se mortifiant par
la faim et la soif...

Il n’y a pas là toutes les précisions d’une théorie d’école.


Cependant, le mot ovvéxe pour désigner la fonction de l’âme
laisse soupçonner une tendance stoïcienne, plus manifeste dans
une expression du contexte : « L’âme, dit l’auteur, est disséminée
(Éoraptar) à travers tous les membres du corps4. » Cette âme
répandue à travers tout le corps comme une semence, c’est bien,
jusque dans les termes, une thèse du Portique5. Avec Aris-
tide, nous retrouvons une division sans doute trichotomiste:
« L'homme est constitué des quatre éléments et d’âme et d’esprit...
et, sans une de ces parties, il n’existe pas 6. >» Mais l’affirmation
est isolée, comme toutes celles qui précèdent, et même, ici, le
texte est douteux dans sa tradition manuscrite.

La trichotomie Saint Justin présente une théorie


de Justin. curieuse sur l’homme. Il appelle
bien l’homme « un vivant raison-
nable7 », ce qui peut être une définition stoïcienne, mais on
cherchèrait vainement chez lui une conception de l’homme corps-
âme 8. Une fois, il explique que l’âme n’est pas toujours présente

2. Past. Simil., V, 6, 5-7.


3. Diogn., VI, 3-9, trad. MARROU.
4. Ibid., VI, 2.
5. Cf. le commentaire de H.-I. Marrou, À Diognète, coll. Sources Chré-
tiennes, Paris, 1951, p. 139. Ce texte exprime aussi une cosmologie dont il
sera question plus loin.
6. Diogn., VII, 1.
7. Dial., XCIII, 3.
8. Peut-être dans 1 Apol., VIII, 4; Dial., XIV, 1-2. Mais ces définitions ne
sont pas faites ex professo, et, à cause du contexte même, ne sont pas
probantes.

136
LES APOLOGISTES

au corps. Dieu veut cette union pour un temps, et, après, l’homme
n'existe plus, Dichotomie, dira-t-on; loin de là, l’auteur poursuit:
« De même aussi, lorsque l’âme doit cesser d’être, le Coriwxèv
nvedua s'éloigne d’elle et il n’y a plus d'âme ?. » Il y a donc une
anthropologie à trois degrés : le corps est animé par l’âme, qui
reçoit la vie de l’esprit vivifiant. L'âme humaine est engendrée et
corruptible 10, Elle ne dure qu’autant que Dieu le veut 11 et lui
départ l’esprit vivifiant, qui apparaît, malgré la terminologie
hellénique, peut-être stoïcienne 12, comme le souffle commu-
niqué au plasma d’Adam 18.
G. Verbeke rapproche ‘ces textes de la théorie de Plutarque
sur la double mort, mort:de l’homme, mort de l’âme 14, et met
en parallèle un fragment du traité justinien Sur la résurrection,
ch. x: « L’ârhe est dans le corps. Le corps inanimé ne vit pas,
n'existe plus quand l’âme l’a quitté. C’est. que le corps est la
maison de l’âme, mais l’âme est la maison du pneuma... Ces trois
principes seront sauvés chez ceux qui ont en Dieu une espé-
rance pure et une foi sans trouble 15. » Ces trois éléments
semblent bien être mis par l’auteur sur le même pied et cons-
tituer les trois parties de l’homme naturel, d’autant plus que la
troisième partie sera sauvée avec les deux autres chez les
croyants 16, C’est bien l’anthropologie trichotomiste du Dialogue
que nous retrouvons ici.
Cependant, c’est la seule fois en ce traité. Ailleurs, l’auteur
définit l’homme en termes nettement dichotomistes : « Qu'est-ce
donc que l’homme, sinon le vivant raisonnable composé d’âme
ct de corps17? » L’âme n’est pas l’homme, poursuit-il, mais
âme d'homme; le corps n’est pas l’homme, mais corps d’homme;
le composé est l’homme et ne fait qu’un 18. I1 insiste : « Le

9. Dial., VI, 2.
10, Dial, V, 4.
11. Dial., V, 3.
12. Cf. G. BARDY, Saint Justin et la philosophie stoïcienne, in Rech. de Sc.
Relig., 13, 1923, p. 505. Il s’agit peut-être de la Ewrtxh ôüvautç du feu intérieur,
qui pénètre et anime tout l’univers (cf. Cicéron, Nat. deor., II, 24-25).
13. Dial., XL, 1.
14. VERBEKE, p. 421-422.
15. K. Horz, Fragniente vornicänischer Kirchenvâter, Leipzig, 1899, n° 109,
p. 48. De l’expression olxoç yäp vo cüua Wuyñc, mveümaros ôè duyh olxos.
on peut rapprocher Platon, Tim. 30 b: Quyhv mèv év swpart, voüv d'év ti duyf.
L’ordre est exactement le même, mais l’auteur emploie pneuma au lieu de
noûs. Est-ce une raison suffisante pour y voir, avec J. M. PFAETTISCH, Der
Einfluss Plato auf die Theologie Justins des Martyrers…, Paderborn, 1910,
p. 119, une théorie stoïcienne et une influence certaine du Portique ?
16. Cf. VERBEKE, p. 422. L’auteur affirme qu’A. Puech a tort de rejeter
l’authenticité justinienne de cette œuvre sous prétexte qu’elle offre une
théorie psychologique opposée à Justin.
17. K. Hozz, n° 107, p. 45, 1. 283-284,
18. Ibid., 1. 285-289.
LE COMPOSÉ HUMAIN

tout, c’est-à-dire le corps et l’âme 19. » L’âme est sauvée, parce


qu’elle est « part de Dieu et souffle », « propre et parente 20 »,
mais le corps aussi, Et ce dernier participe à la résurrection 21,
parce qu’il est coresponsable du mal avec l’âme 22, dans la pro-
fonde unité du composé.

2, LES HÉSITATIONS DE TATIEN ET D’ATHÉNAGORE

La question chez Tutien. Tatien au premier abord s'oppose


à son maître Justin. Ne rejette-t-il
pas méchamment la définition de l’homme que celui-ci admettait:
« L'homme n’est pas, comme des croasseurs l’enseignent, un
vivant raisonnable, susceptible d’intelligence et de science ?8. »
Il s'attache surtout à ce qui élève l’homme au-dessus de lui-même.
Sans doute croit-il que « l’âme est le lien de la chair, tandis que
la chair est le contenant (oyettxh) de l’âme », et peut-être faut-il
trouver là le signe d’une dichotomie fondamentale, mais l’auteur
s’empresse d’ajouter que l’âme peut être un temple pour accueillir
Dieu par délégation de l'Esprit 24.

Deux esprits chez Tatien. Nos premiers parents avaient cette


participation divine, et les chré-
tiens l’ont encore. « Nous connaissons, dit-il, deux espèces diffé-
rentes d’esprits; l’une s’appelle l’âme; l’autre est supérieure à
l’âme, image et ressemblance de Dieu. L’une et l’autre se trou-
vaient chez les premiers hommes, de façon qu’ils fussent en
partie au-dessus de la matière. > L’auteur montre « cet esprit
matériel » présent dans les astres, les anges, les animaux, les
plantes, comme chez les hommes, malgré les différences 23.
Il s’agit donc de l'esprit universel, qui anime tout, l’homme
comme le reste, l’âme du monde individualisée 26. Cette âme est
rolvuephs et non uovouepñc. Elle est composée, au point d’être
visible par le moyen du corps 27. « Elle n’est que ténèbres » et,

19. K. Hozz, n° 107, p. 46, 1. 290-291.


20. Ibid., 1. 304-305.
21. Ibid., p. 44, 1. 235-250.
22. Ibid., p. 44, 1. 250 - p. 45, 1. 264. :
23. Noù xai értothuns dextuxov, Orat. XV, c. init. Au contraire, Athénagore
pecepie comme définition de l’homme : 6 ai voüv xai Àôvov ôerduevos (Res.,
).
24. Orat., XV, c. med.
25. Orat., XII.
26. J. FEUERSTEIN, Die Anthropologie Tatians und der übrigen griechischen
Apologeten des 2. Jahrhunderts mit einleitender Gottes- und Schôpfungslehre,
Münster-en-W., 1906, p. 65-66.
27. Orat., XV, init. Cette parole mystérieuse ne veut sans doute pas en dire
plus que le mot de Théophile d’Antioche : « L’âme dans l’homme ne se voit
pas, invisible qu’elle est aux hommes, mais par les mouvements du corps
on imagine l’âme » (Autol., I, 5).

138
LES APOLOGISTES
<« livrée à elle-même, s’abîme dans la matière et meurt avec la
chair ?8 », sans doute pour se perdre dans l’âme cosmique *.
Dans cette situation, on comprend que « l’homme ne soit supé-
rieur à la bête que par la parole articulée 50 ». Nous sommes en
plein stoïcisme.
Mais l’esprit hylique, que l’auteur appelle désormais l’âme, est
doublé de « l’esprit plus divin 81 » ou « esprit plus puissant 82 >.
Cet esprit se trouve « non pas chez tous les hommes », mais chez
ceux qui « vivent dans la justice », et les autres en profitent indi-
rectement 88. « Si (l’âme) possède la syzygie du divin, elle ne
manque plus d’aide. Elle monte vers les régions où la guide
PEsprit. Car la demeure de ce dernier est en haut, l’origine de
celle-là est en bas; l'esprit se fit compagnon de l’âme dès le début;
mais l'Esprit abandonna l’âme qui ne voulait pas le suivre; cette
dernière, possédant comme une étincelle de sa puissance, mais
incapable de voir les choses parfaites à cause delaséparation 34. »
Les données sont claires. L’âme de l’homme, qui peut descendre
et se diminuer, est aidée par l’esprit chargé de la sauver. « Ce
n’est pas l’âme qui vient d’elle-même sauver l’esprit, mais elle est
sauvée par lui %, » Il y a donc dans l’homme une partie maté-
rielle, faite de corps et d’âme (esprit matériel), et un élément
spirituel, si l’on peut dire, une habitation de l'Esprit dans
l’âme 36, Ces textes méritent quelques remarques. D’abord on les
sent dominés par l’idée de salut, et les thèses, comme le vocabu-
laire, exhalent un relent de gnosticisme. Mais surtout, on y
remarquera que l'Esprit n’est pas, comme chez saint Paul, lié à
l’homme, mais à l’âme seulement. Il y joue le rôle de l’hègemo-
nikon et n’est rien autre qu’un hègemonikon christianisé. Tatien
n’arrive pas à se dégager de la philosophie et reste à mi-chemin
entre le « trichotomisme stoïco-platonicien 37 » et le système de
la 7° Epître aux Thessaloniciens. Le pneuma, don divin introduit

28. Orat., XIII, c. med.


29. Cf. J. FEUERSTEIN, p. 82. Mais l’auteur avoue qu’il est dans le domaine
des hypothèses. Au sujet de ces tendances de Tatien, E. KLeBBA dit : « Il a
suivi si loin les Stoïciens et Philon, que l’accord avec la doctrine chrétienne
de la résurrection et du jugement se fait assez mal » (Die Anthropologie des
Rhl. Irenaeus.…, Münster-en-W., 1894, p. 108). Il souligne, en particulier, cette
force de la connaissance morale capable de dominer l'essence de l’âme.
30. Orat., XV.
31. Ibid., IV.
32. Ibid., VII, c. fin.
33. Ibid., XII, c. fin.
34. Ibid., c. med.
35. Ibid., c. init.
36. Ibid., XV; cf. XIII, c. med.
37. Ce terme est appliqué à Tatien par J. FEUERSTEIN, p. 93, qui remarque
très judicieusement la différence qui sépare Tatien de saint Paul (p. 94-95).
A. Puecx avait déjà noté que le pneuma joue ici le rôle de l’hégemonikon
stoïcien (Recherches sur le discours aux Grecs de Tatien.…., Paris 1903, p. 69).

139
LE COMPOSÉ HUMAIN

dans l’âme, sans être partie constitutive de l’homme, est bien


source de vie et de connaissance, disons de sanctification; mais
là encore Tatien reste dans la ligne d’une tradition philo-
sophique 58.

Conclusion sur Tatien. En somme, Tatien a tenté la fusion


de la psychologie chrétienne qui
insiste sur l'habitation du Saint-Esprit dans l’âme, avec la psy-
chologie stoïcienne, qui présente l’âme comme un souffle matériel
et mortel. ‘Il n’a presque rien perdu de cette dernière. Avec la
Stoa, il établit la communauté de l’âme humaine avec l’âme
du tout; il lui reconnaît même une atonia qui la relâche et la
rend moins pure, plus matérielle %. Mais la conciliation n’est
pas parfaite. « Comment, dit G. Verbeke, ce pneuma divin...
peut-il accorder à l’homme l’immortalité, alors que son principe
vital est un souffle matériel 4 ? » On pourrait répondre que Tatien
ne mettait pas cette distance entre le divin et le preuma matériel.
Comme nous le verrons, sa tendance au matérialisme universel
englobait l’esprit dans son monisme #1. Il reste qu’il n’a pas
tenté cette conciliation en profondeur. Il a ajouté à son stoïcisme
un élément chrétien à tendance gnostique. Il y a juxtaposition
de deux systèmes.

38. VERBEKE, p. 418 et 422. L’auteur ajoute : « Cette signification est restée
foncièrement la même dans la philosophie du Portique et dans la doctrine
des Ecoles Médicales à travers tout le cours de leur histoire. » Cependant,
il attribue la théorie de Tatien à la Bible : « Le souffle de vie de la Genèse
a donc été identifié par Tatien avec le pneuma paulinien qui est une partici-
pation à la vie divine*» (p. 419). I1 ne semble pas distinguer Tatien de
saint Paul.
39. Orat., XX, init. Le mot ävtovia est dans Epictète, Diss., II, 15, 4 avec
son antithétique edrov!a , II, 15, 8. Bien que liés à la théorie du tonos stoïcien,
ces mots ont valeur morale comme chez notre apologiste. Cf. ARNIM, SVF III,
471-473, p. 121-123. Nous retrouverons ces notions chez Justin, Tertullien et
Clément d’Alexandrie. Chez Justin, eürovwtepoc, 1 Apol., X, 5.
40. VERBEKE, p. 420.
41. Pour affirmer ce rapprochement entre l’âme et l’esprit, nous n’osons
invoquer le texte où Tatien dit que « les âmes dociles à la Sagesse attirent
à elles l’esprit œuyyevés » (Orat., XIIL, in fine). J. LEBRETON n’a peut-être pas
tort d’entendre non pas « l’esprit de même nature » (que l’âme), mais
« l’esprit de même nature » (que la Sagesse) et d’y voir une parenté Sagesse-
Esprit (Histoire du dogme de la Trinité, t. II, p. 491). A. Puecn adopte
cependant la première traduction (Recherches sur le discours aux Grecs de
Tatien.…, Paris, 1903, p. 126). De même J. FEUERSTEIN entend bien par
guyyevés que cet esprit intermédiaire entre Dieu et l’homme est de même
nature que l’âme, « als mit- und angeborenes, als verwandtes und innerlich
ähnliches pneuma » (Die Anthropologie Tatians…., p. 89). Cette dernière étude
mérite d’être consultée sur toutes ces questions.

140
LES APOLOGISTES

Unité de l’âme Avec Athénagore, nous avons affaire


chez Athénagore. à une position bien établie, solide-
ment équipée et souvent reprise, du
moins dans le traité De Resurrectione. La divisionde l’homme
en corps et âme est ici d’une netteté absolue. « Il existe, dit-il,
en corps et en âme #2 »; « L'homme fait de corps et d’âme est
double 43 »; « Il est composé de deux 44 », et l’opposition corps-
âme, corruptible-incorruptible, passible-impassible, revient plus
de trente fois. On sait d’ailleurs combien, dans ce traité sur la
résurrection, Athénagore défend l’unité des deux substances, leur
interaction mutuelle, « leur fin unique et commune », où les deux
éléments « concourent à une seule harmonie et à une même
sympathie », « une harmonie et sympathie unique » : « La nature
humaine entière dans sa généralité, dit-il, tient sa substance d’une
âme immortelle et du corps qui lui est harmonisé par naissance
et Dieu n’accorde une telle naissance ou cette vitalité, ou toute
cette durée de vie, ni à la substance de l’âme en elle-même, ni à
la substance du corps isolé, mais à l’homme dont l’unité est faite
des deux.#5. » La position de l’auteur du De Resurrectione ne
laisse aucun doute : quand par la suite il parle de voÿc, A6yoc,
xplou, il s’agit seulement d’attributs de cette âme unique : « Dieu
fit l'homme d’âme immortelle et de corps, dit-il, et lui adjoignit
un noûs et une loi innée pour sauver et garder ces dons, l’adap-
tant ainsi à une conduite sage et à une vie raisonnable 46, » Il
dit d’ailleurs « qu’un noûs-et-logos est donné aux hommes pour
discerner les vonté », mais, dans le même texte, quelques lignes
plus loin, il continue : « Ce qui reçut un noûs-et-logos, c’est
l’homme et non pas l’âme à part. Il faut donc que l’homme qui
existe par deux éléments demeure à jamais 47. >» Ce logos qu’il
reconnaît à tout homme dans sa Supplique #8, ce « logos natu-
rel 4 », avec sa xploic Aoyixh val aioBnrixn50 ou sa ppévnoc 51, n’est

42. Res., X, c. med.


43. Ibid., XNIII, c. med.
44. Ibid., XXN, init.; cf. XIL, c. fin.
45. Ibid., XV. L’âme apparaît aussi comme « naturellement éternelle »;
« l’homme, selon l’âme, a dès sa naissance une permanence inaltérable, mais,
selon son corps, il s’adjoint l’incorruptibilité par changement ». Il insiste
sur l’immortalité naturelle de l’âme : « Dieu fit l’homme d'âme immortelle
ct de corps » (Res., XIII; cf. XXIV, in fine). Ailleurs, il parle de la perma-
nence du corps selon sa nature propre ({bid., XV, fin.).
46. Res., XIII.
47. Ibid., XV.
48. Leg., XXIV, fin.
49. Res., XXV, c. fin.
50. 1bid., XV, bis; XXIV, ec. med.; fin.; XXV, c. fin.
51. Ibid., XV, c. fin.

141
LE COMPOSÉ HUMAIN

qu’une faculté de l’homme, son couronnement, et non une partie


de l’homme 52. L’anthropologie d’Athénagore est dichotomiste: il
veut souligner essentiellement l’unité de l’homme pour en
déduire la résurrection de la chair. On dirait, à voir son insis-
tance, qu’il combat quelque thèse gnostique hostile à la rémuné-
ration commune du corps et de l’âme.

Une objection Il existe cependant une objection


dans la Supplique. à cette solution absolue. C’est
qu’Athénagore, au moins une fois
dans la Supplique, semble se rapprocher de Tatien et adopter
la théorie du pneuma hylique. Il explique, dans un contexte tout
à fait platonicien, que l’âme, vouée à la contemplation de Dieu,
peut se diminuer. « Elle subit surtout cette (diminution), dit-il,
en acquérant et en se mêlant plus au preuma hylique, quand elle
quitte la vision des choses célestes et de leur auteur pour se
tourner vers le bas et les choses terrestres, en un mot, comme si
elle était devenue seulement sang et chair, au lieu de preuma
pur 58. » Pneuma hylique, pneuma pur, une âme qui peut se
spiritualiser ou se matérialiser… G. Verbèke, qui ne fait pas
mention du De Resurrectione, voit chez Athénagore, sous ces
termes, l'anthropologie à double preuma de Tatien, où l’homme
détiendrait, avec son pneuma psychique commun à toute la
création, un pneuma surnaturel 64 L’interprétation semble un
peu forcée. C’est un fait qu’Athénagore, ici, professe l’existence
d’un preuma hylique auquel l’âme peut participer. Mais il
n'entend pas apporter une conception de l’homme. Il resterait
à savoir comment il concilie son anthropologie avec cette théorie
du pneuma cosmique. Peut-être faut-il répondre qu’Athénagore,
comme beaucoup de ses contemporains, n’a pas lui-même con-
fronté ses positions différentes et successives.

52. Dans tous ces textes, âme traduit duxh. Dans un autre contexte, l’auteur
parle de pneuma, qu’il joint à aîpa, whéyma et yo, comme éléments de
l’homme qui profitent de la nourriture (ibid., VII). Pneuma désigne visi-
blement l’air présent dans le corps par le souffle et non une faculté
essentielle.
53. Leg., XXNII.
54. VERREKE, p. 416-417. L’auteur voit dans ce texte une opposition entre
mveüpa bhtuév et mveüpa »xabapôov. Pourtant il ne croit pas à deux réalités
juxtaposées : « Ce dernier cependant n’est pas. une réalité surajoutée au
pneuma psychique, mais plutôt une certaine manière d’être de celui-ci »
(p. 417). Cette réserve nous ramène presque, la terminologie mise à part, à la
position du De Resurrectione.

142
LES APOLOGISTES

3. LA PSYCHOLOGIE DE SAINT IRÉNÉE

On peut être surpris que la psychologie de saint Irénée n’ait


pas soulevé plus d’intérêt 56, Il n’y a pas l’ombre d’un doute:
Irénée est foncièrement dichotomiste et assez étrangement maté-
rialiste. Cependant, comme Tatien, il parle volontiers de la pré-
sence d’un esprit divin en l’homme.

Le problème. « L’homme est composé par nature,


dit-il, et consiste en corps et
âme 56, » « L'homme est un être vivant composé d’une âme et
d’un corps 57, » « Le souffle de vie, qui fut uni par Dieu au
plasma, anima l’homme et présenta l’homme comme animal
raisonnable 58, » Plus nettement encore, il parle de ceux qui
attendent « le salut de l’homme tout entier, c’est-à-dire de l’âme
et du corps 5? ». On ne peut être plus explicite, semble-t-il, et l’on
pourrait multiplier les textes où il n’est question que de corps et
d’âme 60, Il faut donc bien admettre que l’anthropologie fonda-
mentale d’Irénée est dichotomiste; mais le problème n’est pas
résolu pour autant.
En face de ces textes on peut en aligner d’autres, en apparence
aussi nettement trichotomistes., « I1 y a trois choses, dit-il, qui
constituent, comme nous l’avons montré, l’homme parfait, la
chair, l’âme et l’esprit. L’une sauve et donne figure, c’est l’esprit.
L’autre est unie et reçoit la forme, c’est la chair. Ce qui est entre
deux, c’est l’âme » qui peut suivre l’un ou l’autre 61, Ailleurs, il
dit : « L'organisme de chair précisément en soi n’est pas l’homme
parfait, mais le corps de l’homme et une partie de l’homme,
L'âme précisément en soi n’est pas l’homme davantage, mais
l’âme de l’homme et une partie de l’homme. Et l’esprit n’est pas.
l’homme : on l’appelle esprit et non pas homme, Mais le mélange

55. Rappelons la vieille étude de E. KLeB4A, Die Anthropologie des hl.


Irenaeus, Münster-en-W., 1894. Elle se signale par la tendance curicuse à
admettre largement l’influence de la philosophie sur les Pères, sauf à
l’écarter minutieusement d’Irénée.
56. Haer., II, xV, 3, HARVEY I, p. 282.
57. Dem. p. «., 2, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 757.
58. Haer., V, 1, 3, HARVEY IL, p. 317; cf. Dem. p. «., 11, GRAFFIN-NAU, PO 12,
p. 762.
59. Haer., V, xx, 1, HARVEY II, p. 378.
60. Haer., II, Liv, HARVEY I, p. 380; IV, praef., 3, HARVEY Il, p. 145 : « homo
est autem temperatio animae et carnis »; V, xx, 1, HARVEY II, p. 378; V, at,
2..., p. 326; Fragm. syr., XXVI, HARVEY IL, p. 455; Dem. p. a., 41, GRAFFIN-NAU,
PO 12, p. 776; 42..., p. 777; fragm. épars, XII, HARVEY II, p. 481.
61. Haer., V, 1x, 1, HARVEY Il, p. 342.

143
LE COMPOSÉ HUMAIN

et l'union de tout cela fait l’homme parfait », et l’auteur n’hésite


pas à reparler de ces « trois choses, à savoir l’âme, le corps et
l'esprit », que les « parfaits présentent à Dieu 62 ». Trichotomie?

Réponse : deux parties Deux remarques d’abord sur ces


dans l’homme. textes. On notera qu’Irénée dans
cette dernière citation, malgré la
symétrie des trois phrases, évite soigneusement de dire que
l'esprit « est une part de l’homme », comme il le dit du corps
et de l’âme. Ensuite on a pu noter qu’il s’agit, dans l’un et l’autre
texte, de la description non pas de l’homme, mais de l’homme
parfait. Et la remarque est capitale: chaque fois qu’irénée
attribue à l’homme l'esprit, il s’agit de l’homme constitué en
grâce. L’auteur s’inspire alors de saint Paul. Il commente expres-
sément le verset de la 7"° Epître aux Corinthiens, 5, 6 (« sapien-
tiam loquimur inter perfectos »), en ces termes : « Il appelle
parfaits ceux qui ont reçu l’Esprit de Dieu 65. » Et tous les déve-
loppements d’Irénée sont fidèles à cette distinction, surtout le
contexte : « Quand cet esprit mêlé à l’âme s’unit au plasma, à
cause de l’effusion de l'Esprit, l’homme est devenu spirituel et
parfait, » Au contraire, celui qui n’a pas l'Esprit dans son âme
est « vivant », mais « imparfait; il a l’image (de Dieu) dans son
plasma, mais il n’assume pas la ressemblance par l'Esprit 64 ».
« L'homme parfait est le mélange et l’union d’une âme assumant
l'Esprit du Père, (le tout) mêlé à la chair, qui a été façonnée
à l’image de Dieu 65, » Il est donc net qu’il ne s’agit plus ici
d’une partie de l’homme naturel, mais d’un don gratuit de Dieu,
qui n’est pas universel. La nature humaine en elle-même est
bien composée de deux éléments essentiels 66,

62. Haer., NV, VI, 1, p. 335.


63. Ibid., p. 333.
64. Ibid., p. 334. Il faut remarquer ici la fameuse gradation image-
ressemblance. On la retrouve chez Irénée, Haer., V, vi, 1, HARVEY IL, p. 333;
V, x, 3, p. 317; V, XVI, 1..., p. 368; Dem. p. &., 11, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 762;
cf. E. Kzegra, Die Anthropologie…, p. 22-26. Elle fut reprise par Tertullien,
Carn. Res., IX, CSEL 47, 37, 23-25; Bapt., V, CSEL 20, 206, 12 : « Imago in
effigie, similitudo in aeternitate censetur. » Puis par Clément d’Alexandrie,
Str., IL, 131, 6; Protr., 120, 4; Paed., I, 98, 2-3; 99, i, qui dit que seul le Christ
a réalisé le deuxième degré à la perfection. La même distinction se retrouve
chez les Gnostiques pour qui « le choïque » est selon l’image, maïs « le
psychique » selon la ressemblance (Exc. ex Theod., 54, 2; cf. 50, 1-2;
cf. Irénée, Haer., 1, 1, 10, Harvey I, p: 49). Pour Irénée, cf. E. PETERSON,,
L'homme image de Dieu chez saint Irénée, in Vie Sp., 100, 1959, p. 584-594.
Pour l’ensemble, Th. CameLor, La théologie de l’image de Dieu, in Revu. Sc.
‘Phil. Théol., 40, 1956, p. 443-471.
65. Haer., V, vi, 1, HARVEY II, p. 333.
66. E. KzeBBA aboutit à la même conclusion. Il affirme nettement la dicho-
tomie d’Irénée (Die Anthropologie, p. 100; p. 162 sq.). « Le pneuma, dit-il,
est la caractéristique de l’homme élevé au-dessus de la nature » (ibid., p. 181).

144
LES APOLOGISTES

L'âme et l'Esprit : Irénée a d’ailleurs précisé la place


leurs relations. de l’élément surnaturel, en l’oppo-
sant à l’âme, élément naturel, L’un
est souffle de vie, l’autre est « incomposé et simple 67 », Il précise
mieux encore, quand il oppose la création première, à base
d’afflatus, à la création seconde, à base de spiritus : « Autre chose
est le soufile de vie, qui rend l’homme animal, autre chose l'Esprit
vivifiant, qui le rend spirituel. » Là-dessus, il cite et commente le
texte d’Isaïe, xLn1, 5 : le prophète « dit que le souffle est donné
à tout peuple indifféremment qui existe sur la terre, mais l'Esprit
en propre à ceux qui foulent aux pieds les désirs terrestres »,
expression reprise par Tertullien 68. Puis il cite de nouveau Isaïe,
LvII, 16 : l’écrivain sacré « attribue l'Esprit en propre à Dieu,
qui l’a répandu au terme du temps sur l’humanité par adoption
filiale, mais (il attribue) le souffle à la création indifféremment
et l’appelle une œuvre (roimux) %® ». Ici, la pnoë est reliée au
souffle universel répandu non seulement dans tous les hommes,
mais même dans la création complète, tandis que l’Esprit est
synonyme de grâce rédemptrice, de vie sainte et éternelle 70,
Il faut donc considérer en tout homme deux éléments, l’un
charnel à proprement parler, qui le relie à la matière; l’autre
animal, qui le relie à l’âme universelle. Mais l’âme est capable de
recevoir en elle l'Esprit divin et seulement alors l’homme atteint
sa perfection. « Absolument tout homme, dit-il, confessera que
nous sommes un corps qui a été reçu de la terre et une âme qui
reçoit l’esprit de Dieu 71, >» Toujours avec la même philosophie
dichotomiste à la base, il écrit : « Notre substance, c’est-à-dire
l'union de l’âme et de la chair, assumant l’Esprit de Dieu, achève
l’homme spirituel 2. » « L'union d’une âme assumant l’Esprit
du Père, (le tout) mêlé à la chair », disait-il tout à l’heure #8.
Il est clair en tous ces textes que l’esprit n’est décidément pas une
part de l’homme, mais un supplément de l’âme qui n’entre pas en
ligne de compte. Comme il disait que l’âme est une partie de
l’homme, il dit aussi bien, sans changer la formule : « L’âme et

67. Haer., V, vur, 1, HARVEY Il, p. 337.


68. Anima, XI, 3.
69. Haer., V, xi1, 2, HARVEY Il, p. 350-351.
70. Haer., NV, 1x, 4, HARVEY Il, p. 344. Un Gnostique connu seulement
d’Hippolyte, l’hérétique Justin, qui dit aussi que l’homme est fait de corps,
d’âme qu’il tient de la femme et d’esprit qu’il tient d’Elohim (Refut., V, 26,
8-9; cf. X, 15, 5-7), prétend au contraire que cet esprit est présent dans tous
les hommes (ibid., V, 26, 21; 26, 25).
71. Haer., IIL, xxxt, 1, HARVEY IL, p. 121.
72. Ibid., V, vx, 1, p. 340.
73. Ibid., V, vi, 1, p. 333.

145
LE COMPOSÉ HUMAIN

l'esprit peuvent être une partie de l’homme 74. » Mais si, avec
les Gnostiques, on « considère uniquement l’esprit solitaire, alors
ce qui est tel n’est plus un homme spirituel, mais un esprit
d'homme ou un esprit de Dieu 75 ». Par cette ultime précision,
l’auteur révèle sa propre hésitation : l’esprit, loin d’être une com-
posante de l’homme, n’est même pas tout à fait de l’homme, mais
reste de Dieu. ;
D'ailleurs jamais l’auteur ne dit clairement que l'esprit est
objet de salut, avec la chair et l’âme 76, mais il répète souvent
qu’il sauve et donne forme 77. C’est par l’esprit que les corps
mortels ressuscitent et obtiennent la vie éternelle 78. Par là encore
il semble bien qu’il n’entre pas dans le composé humain comme
un élément, mais comme un supplément divin.

La nature de l’âme: L'âme chez Adam et Eve était


un système matérialiste.sainte. « Le souffle vivificateur ren-
dait l’homme semblable à Dieu » et
pas seulement image de Dieu ®. « Or, tant que ce souffle con-
servait son intensité et sa force, il mettait leur esprit et leur
pensée à l’abri du mal #0, » Mais, depuis, le sort des hommes a
changé 81, L'âme, « qui est entre ces deux choses », à savoir la
chair et l'esprit, « si elle suit l’esprit, est élevée par lui; mais,
si elle consent à la chair, elle tombe dans les désirs terrestres 82 ».
Dans ce dernier cas, « l’âme, s’abaissant à l’être inférieur et con-
descendant aux désirs terrestres, participe au nom que portent
ces choses 83 ». Ainsi se diminue l’homme, qui n’est plus que

74. Haer., V, vi, 1, p. 333.


75. Ibid., p. 334.
76. J. Gross donne cette portée à Haer., V, vi, 1 cité plus haut. 1l y voit
les trois éléments sauvés, donc l’esprit également. Il en profite pour dire que,
malgré Klebba, le spiritus hominis pouvait bien être une propriété de
l’homme, tout en admettant que les réprouvés en sont privés (La divini-
sation des chrétiens d'après les Pères Grecs, Paris, 1938, p. 181). Le sens
du texte discuté n’est pas clair et, quand bien même il faudrait l’entendre
ainsi, Irénée a défendu trop souvent la thèse contraire, pour qu’on tire
conclusion d’un seul texte.
77. Haer., V, 1x, 1, HARVEY II, p. 342.
78. Ibid., V, var, 2, Harvey Il, p. 338; cf. V, 1x, 4... p. 343; V, xn1, 5
p. 354.
79. Dem. p. a., 11, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 762.
80. Ibid., 14... p. 763.
81. Peut-être faudrait-il distinguer nettement ces deux états de l’homme :
état primitif et état de rédemption. « Ici et là, l’homme possède la vie,
dit A. SLomxowsxr.… Ce qui diffère, c’est le mode selon lequel cette vie est
donnée. Dans le premier cas, elle est due au soufle et c’est pourquoi elle fut
si fragile; dans le second cas, c’est l’Esprit qui en est la source » (L'Etat
primitif de l’homme dans la tradition de l'Eglise avant saint Augustin, Paris,
1928, p. 44). Notre état serait supérieur.
82. Haer., V, 1x, 1, HARVEY II, p. 342.
83. Ibid., V, xu1, 3, HARVEY II, p. 352.

146
LES APOLOGISTES

caro et sanguis 84, Si on comprend bien, l’âme peut se spiri-


tualiser ou se matérialiser. Irénée retrouve, avec le même texte
de saint Paul à la base, l’idée d’Athénagore et de Tatien : l’âme
peut rejoindre le pneuma hylique.
Mais Irénée précise mieux encore la nature de cette âme. Il
affirme bien que « les âmes sont incorporelles », mais il ajoute
une réserve : « Dans la mesure où on les compare aux corps
mortels 85, » En fait, il enseigne sur l’âme une théorie matéria-
liste. S’en prenant aux doctrines des Valentiniens sur le Sauveur,
d’après lesquelles le Sauveur, bien qu’il soit spirituel comme les
anges, descend dans une âme humaine pour être apte à recevoir
un Verbe parfait, il poursuit dans une discussion ad hominem :
« S’il est formé dans les hommes et dans les êtres animés de la
terre... il n’aura pas la ressemblance et l’apparence des anges,
mais des âmes dans lesquelles il se forme, comme l’eau eHyOYÉE
dans un vase aura la forme du vase même, et, si elle vient à s’y
congeler, aura l’apparence du récipient, dans lequel elle s’est
congelée, puisque les âmes elles-mêmes ont la figure du corps.
Si donc cette semence (divine) se façonne et prend forme ici,
elle sera figure d’homme, mais n’aura pas la forme des
anges 86 », L’idée est, on ne peut plus, stoïcienne : Les âmes ont
la forme du corps qui les contient. On pourrait encore croire
que l’auteur s'adapte à ses destinataires. Nullement ! La para-
bole de Lazare et du Mauvais Riche, le texte scripturaire classique
en cette matière, lui fait dire : « Le Seigneur a parfaitement
enseigné que les âmes demeurent sans passer de corps en corps,
mais qu’elles continuent à garder le caractère même du corps où
elles sont adaptées. » Il ajoute plus loin : « Elles ont la figure de
l’homme, au point même qu’elles sont reconnaissables 87, »
Ailleurs il dit, dans le même sens, que « l’âme est mêlée. au corps
et dispersée dans l’organisme entier 88 ».
Il n’affirme pas précisément en ces textes que l’âme est cor-
porelle, mais il établit un lien étroit entre le corps et l’âme, dans
le ton des Stoïciens. Peut-être obéit-il à la même tendance quand
il présente l’âme « gênée dans sa vélocité, dans la mesure où le
corps participe à son mouvement ». Elle est ralentie dans son
mouvement, comme l’artiste qui « trouve rapidement à part soi
son œuvre, mais s’attarde à l’exécuter sur son instrument 89 ».

84. C’est l’expression même d’Athénagore, Leg., XXVII, empruntée à


saint Paul 1. Co., 15, 50; cf. Haer., V, xIv, 2-3, HARVEY Il, p. 361-362.
85. Haer., V, vit, 1, HARVEY Il, p. 336-337.
86. Ibid., II, xxx1, 1, HARVEY I, p. 319.
87. Ibid., 11, Lv, HARVEY I, p. 381.
88. Ibid., II, L, HARVEY I, p. 376-377 : « In uniuersum membrum. »
89. Ibid., II, zrir, HARVEY I, p. 379.

147
LE COMPOSÉ HUMAIN

En tout cas, l’âme a bien la forme du corps, qui en est tout entier
pénétré. Et le sang constitue le lien entre le corps et l’âme %,
nouveau signe de cette tendance matérialiste 91,

Une théorie Cette âme est présentée en général


de la participation. comme immortelle, quand Irénée
pense ausouffle divin de l’origine ?2.
Ne dit-il pas en toutes lettres : « Ni l’âme n’est chose mortelle, ni
l'Esprit % » ? Cependant, les corps ne sont animés que « parce
qu’ils participent à l’âme % », qui, elle-même, participe à la vie.
« La vie, dit-il, n’est pas de nous, ni de notre nature; mais elle
est donnée selon la grâce de Dieu... Comme le corps animal n’est
pas en vérité lui-même l’âme, mais participe à l’âme, aussi long-
temps que Dieu le veut, ainsi l’âme, en vérité, n’est pas la vie non
plus, mais participe à la vie que Dieu lui accorde %. » Irénée
distingue donc expressément entre corps animé et âme, entre
âme et vie. En somme, il laisse entendre une âme commune à
laquelle participe tout être animé, sans doute ce souffle universel,
répandu par Dieu à l’origine sur la création entière. Tout semble
clair. Mais en réalité cette théorie de la participation est mal
accordée avec l’élément proprement surnaturel qu’Irénée intro-
duit en l’âme humaine comme source de vie éternelle. Comme
chez les auteurs précédents, on trouve, greffées sur un système de
base hellénique, des données chrétiennes bibliques, plutôt juxta-
posées que coordonnées.

Sous le signe de l’unité. On a pu remarquer qu’irénée, dans


cette théorie de la participation,
souligne l’unité de la vie. C’est encore une marque de son œuvre
et de son anthropologie. C’est bien le même Père qui vivifie tout
l’homme, dans sa vie animale comme dans sa vie surnaturelle,
pour le ressusciter dans cette même vie %, L’unité de l’homme
n’est donc pas rompue ! Loin de là ! Le spiritus, avons-nous dit,

90. Haer, NV, 1, 2, HARVEY I, p. 326 : « Copulatio animae ct corporis. »


91. E. KLeBBA conclut en sens inverse : « Nous pouvons donc dire : Irénée
s’est représenté l’âme incorporelle, mais n’a pas osé l’appeler ainsi tout
bonnement » (Die Anthropologie, p. 103). I1 interprète en ce sens les textes
allégués plus haut. Il y faut beaucoup de bonne volonté.
92. Haer., V, vit, 1, HARVEY ID p. 336-337; V, 1v…., p. 329.
93. Ibid., V, xu1, 3, HARVEY Il, p. 358; V, var, 1... p. 337. Le « souffle »
est « temporaire » (xpésxatpoc). Il peut partir et laisser « sans souffle »
(ärvouv) le corps qu’elle occupait, ibid., V, xr1, 2... p. 351.
94. Ibid., V, vu, 2..., p. 338.
95. Ibid., II, Lvr, 2, HARVEY 1, p. 383. Même expression dans Haer., V, v,
1, HARVEY IL, p. 330; V, 1v, p. 329.
96. Ibid, V, 1V, HARVEY II, p. 329.

148
LES APOLOGISTES

n’est pas une partie de l’homme, mais une espèce d’habitus sur-
naturel de l’âme unique. Irénée ne veut pas davantage que les
activités de l’âme fassent figure de parties. Elles ne sont que des
accidents qui modifient la substance : « Le noûs de l’homme, son
esprit et sa pensée, et le travail du noûs, et tout ce qui existe en
ce genre, ne sont pas quelque chose à côté de l’âme; ce sont des
mouvements et des activités de l’âme même, qui n’ont de sub-
stance qu’en l’âme °7, » Enfin, de cette âme unifiée, on ne peut
séparer le corps, qui en reçoit la vie. Il en est un élément essen-
tiel : « Si le Christ n’a pas reçu de l’homme la substance de la
chair, il n’est pas fait homme non plus #8. » Et il s’en prend conti-
nueHement à ceux qui isolent la chair ®?. Si étroite est l’union, que
la sainteté de l’âme rejaillit sur le corps : « La chair, dit-il, doit
être compénétrée par la puissance de l'Esprit » et par là elle
devient spirituelle 100, Communes sont aussi la résurrection et la
rémunération éternelle. Evidemment, Irénée combat dans tout son
livre les thèses de ceux qui veulent libérer l’âme et lui permettre
d’atteindre par ce moyen un salut auquel le corps n’a pas de part.
C’est l’hérésie gnostique qui explique l’insistance d’Irénée sur
l'unité de l’âme comme sur l’unité de l’homme. C’est peut-être en
définitive pour cette raison qu’au milieu des tiraillements et
malgré les concessions, il est resté fidèle à l’anthropologie dicho-
tomiste.
Quoi qu’il en soit, l’anthropologie de base chez Irénée est bien
hellénique. La division de l’homme en deux éléments complé-
mentaires étroitement unifiés, cette faveur accordée au corps, ce
matérialisme psychologique étonnant, cette association de l’âme
au souffle universel, laissent nettement deviner des soubassements
stoïciens. Cette affirmation peut surprendre. Irénée ne passe-t-il
pas pour un auteur fortement scripturaire et spirituel ? Pourtant
l'influence du Portique est indéniable.
Ce coup d’æil sur l’anthropologie du II° siècle permet de cons-
tater qu’en ce domaine l’influence platonicienne est plus réduite
qu’on ne serait tenté de le croire. On trouve presque partout une
division de l’homme en deux éléments complémentaires, corps et

97. Haer., I, xLv, HARVEY LI, p. 361.


98. Ibid., III, xxx1, 1, HARVEY II, p. 121; V, x1v, 1..., p. 361.
99. Ibid., NV, vi, 1..., p.. 333-335.
100. Fragm., VI, GRAFFIN-Nau, PO 12, p. 738-739, Ailleurs, il distingue une
sainteté de l’âme et une sainteté du corps. Parlant des deux éléments de
l’homme, il dit : « Comme de chaque côté peuvent provenir des chutes, on
distingue la sainteté du corps qui consiste dans la continence réprimant tous
les appétits honteux et proscrivant tous les actes mauvais, et la sainteté de
l’âme qui consiste dans l’intégrité de la foi en Dieu » (Dem. p. a., 2, GRAFFIN-
Nau, PO 12, p. 757; 41, p. 776.

149
LE COMPOSÉ HUMAIN ‘ , g

âme, sans autre distinction. Souvent les Pères ont juxtaposé à


l’âme un élément nouveau d’un autre ordre, qui trouve difficile-
ment sa place dans le plan philosophique. Mais cet élément n’est
pas davantage platonicien et n'empêche pas que la théorie de base
soit stoïcienne.

III. LE COMPOSÉ HUMAIN CHEZ TERTULLIEN

Avec Tertullien, auteur d’un De anima, nous trouvons des


matériaux abondants et des exposés en forme sur l’anthropo-
logie 2. Cependant, l’auteur n’est pas toujours en possession d’un
système qui soit bien le sien. Ses œuvres reflètent des influences
diverses, successives et mal coordonnées. De plus, presque tou-
jours, il plaide une cause ad hominem et ne cherche pas à établir
un système, ceci même dans le De anima, où il s’en prend au
dualisme platonicien pour réfuter les hérétiques 3. Ces deux
raisons font que l’interprétation de son œuvre n’est pas toujours
facile. Du moins les affirmations ne manquent pas, qui permettent
d’établir avec certitude et précision quelques points.

1. Se rapporter à l’édition de J. H. WasziNKk, Quinti Septimi Florentis


Tertulliani De Anima, edited with introduction and commentary, Amsterdam,
1947, qui est une mine de renseignements. Les sources sont étudiées en parti-
culier p. 21*-47*. Cet ouvrage sera cité désormais sous le simple titre
WASZINK.
2. G. ScHELOWSKY, Der Apologet Tertulliunus in seinem Verhältnis zu der
griechisch-rômischen Philosophie, diss., Leipzig, 1901, y a consacré un
chapitre intéressant (p. 45-62). FR. SEYR a étudié sérieusement ce point,
avec une tendance à réduire l’influence stoïcienne, dans Die Seelen- und
Erkenninislehre Tertullians und die Stoa, in Commentationes Vindobonenses,
3, Vienne, 1937, p. 51-74. Même tendance plus nuancée dans l’important
travail de G. Essen, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893, qui a tout
entier pour objet la psychologie de Tertullien. Dans G. RAucn, Der Einfluss
der stoischen Philosophie auf die Lehrbildung Tertullians, Halle, 1890, un
chapitre assez juste examine « l’influence de 12 philosophie stoïcienne sur
la psychologie de Tertullien » (p 25-37). Il faut ajouter enfin le travail plus
récent de H. KarPr, Probleme altchristlicher Anthropologie, Biblische Anthro-
pologie und philosophische Psychologie bei den Kirchenvâtern des dritten
Jahrhunderts, Gütersloh, 1950, qui consacre un important chapitre à Ter-
tullien (p. 42-80).
3. Sur les ennemis que vise Tertullien et les tendances générales de l’œuvre,
cf. À. J. FESTUGIÈRE, La composition et l’esprit du De anima de Tertullien,
in Rev. Sc. Philos. et Théol., 33, 1949, p. 129-161; p. 142 en particulier.
L'auteur signale que le but principal est de réfuter les hérésies dualistes

150
TERTULLIEN

1. L'HOMME CORPS ET AME : SON UNITÉ

Définition de l'homme. Tertullien a souvent défini l’homme


et toujours dans les mêmes termes
à travers toute son œuvre: « L'homme est un animal raisonnable...
capable d'intelligence et de science 4 », « un animal raisonnable
capable d’intellection et de science 5 ». C’est l’âme, « rationnelle,
capable d'intelligence et de science 6 », qui le rend raisonnable.
S’adressant à l’âme, Tertullien s’écrie : « Tu rends l’homme
raisonnable, très capable de connaissance (sensus) et de
science 7. » C’est la définition stoicienne attribuée à Chrysippe,
mais qui se trouve déjà chez Platon.

Les deux parties.


Animal rationale. Pour Tertullien,
cela veut dire corps et âme raison-
nable. On ne peut être plus nettement dichotomiste. Il reproche
à Valentin d’avoir cru à la trinitas hominis 8. « L'homme, dit-il,
n’est aucune autre substance que chair et âme®. » Si le Christ
est homme, malgré son origine divine, c’est qu’il est « chair et
âme 10 ». Caro atque anima, ces mots reviennent sans cesse pour

(p. 146, 161). Ces idées sont reprises dans la Révélation d’'Hermès Trismégiste,
t. III, Les Doctrines de l'âme, Paris, 1943, p. 4-5, 25, 67-68, 101, 103. Tertullien
dit explicitement : « Satis haereticos repercutiam, si argumentum Platonis
elidam » (Anima, XXIII, 6), après avoir appelé Platon « le fournisseur de
tous les hérétiques » (ibid., 5).
4. Anima, XVII, 11.
5. Marc., II, 4, CSEL 47, 338, 24-27.
6. Ibid., II, 8, CSEL 47, 346, 15-19.
7. Test. an., I, 5, CSEL 20, 135, 19-20. Minucius Félix dit de même que la
sagesse est naturelle à tous les hommes, qu’ils sont « rationis et sensus
capaces et habiles », que le « génie » est « engendré avec la formation même
de l'esprit » (XVI, 5).
8. Praescr. haer., VII, 3, CSEL 70, 9, 8.
9. Carn. Res., XLIX, CSEL 47, 102, 13-14.
10. Ibid., 101, 9-11; 19. Tertullien a toujours affirmé l’âme du Christ, cf.
Prax., XXX, CSEL 47, 287, 12-13; Fuga in pers., VII, PL IX, 111 AB; et surtout
Carn. Xti, XIII, CSEL 70, 224-225 : « Nous trouvons dans le Christ l’âme cet
la chair, exprimées en termes simples et nets, c’est-à-dire une âme âme et
une chair chair »; cf. XXIV, CSEL 70, 249, 31. Que Tertullien parle parfois
de « l’une et l’autre substance du Christ, la chair et l’esprit » (Carn. Xti, XVIII,
CSEL 70, 236, 37-41) ne constitue pas une objection. Tantôt il dit que le Verbe
a pris « les substances mêmes de l’homme, chair et âme » (Prax., XVI,
CSEL 47, 257, 7-8), tantôt qu’il y a deux substances dans le Christ : sermo-
deus et caro-homo (Prax., XXVII, CSEL 47, 281, 21-23; XXIX..., 285, 12 et
passim).

151
LE COMPOSÉ HUMAIN

définir l’homme 11, Facilement on précise que le corps vient du


limon et l’âme du soufile divin 12, l’un évoque la main de Dieu,
l’autre son souffle 13,

Les afjirmations Tertullien insiste beaucoup sur la


de l'unité. communauté que constituent ces
deux éléments disparates 14, L’idée
se trouvait dans le De Resurrectione d’Athénagore; il l’a reprise.
Il montre que le péché 15 est commun au corps et à l’âme; donc la
rédemption, le jugement, la résurrection le sont aussi 16, Son rai-
sonnement va plus loin et met en cause toute l’activité humaine.
Est-il un bien, dit-il, « dont l’âme puisse se nourrir sans passer
par la chair ? Eh quoi ! Par elle lui est fourni l’instrument de
tous ses sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Par
elle lui est infusée la puissance divine; elle n’achève rien sans la
parole, au moins tacitement préconçue; or, la parole vient de
l'organe de la chair... Tout le vivre appartient à la chair, au point
que ne plus vivre pour l’âme n’est rien autre que quitter la chair...
Ainsi la chair, tant qu’elle est prise pour l’aide et la servante de
l’âme, se trouve partager son sort et son héritage. Si elle partage
les choses temporelles, pourquoi pas également les choses éter-
nelles 17. ? », et la rétribution en particulier 18? Tertullien n’admet
vraiment aucune action qui soit propre à l’une des deux sub-
stances, car l’âme n’est jamais sans la chair. « Elle ne fait rien
sans elle, dit-il, puisque, sans elle, elle n’est pas 19. » Elle pense
et sent, mais ne peut rien réaliser sans le corps 2, Les pensées,
« même solitaires, même non amenées à leur effet par la chair »,
ne doivent pas être enlevées « à la collectivité de la chair (colle-

11. Prax., XXX, CSEL 47, 287, 12-13 : « Carnis et animae, id est hominis » ;
Marc., 1, 24, CSET, 47, 323, 28-324, 14; IV, 37... 548, 16-17; Carn. Res., Il,
CSEL 47, 26, 12-13; 28, 12; V…., 32, 22-23; X..., 39, 7; XIV... 43, 19-20: 43,
27-44, 1; XL..., 83, 5-10; XXXII..., 71, 26-27; XXXIV..., 74, 25; XXXV..., 76, 16;
Fuga in pers., VIII, PL XI, 111 AB; Scorp., VI, CSEL 20, 157, 24; IX..., 164, 7;
XIL..., 174, 5-6; XIII... 176, 1-3; Pud., XX, CSEL 20, 268, 17-18.
12. Marc., 1, 24, CSEL 47, 324, 8-14; V, 6... 591, 20-21.
13. Scorp., VI, CSEL 20, 158, 1; Carn. Res., NII, CSEL 47, 35, 16-17; IX..,
37, 23-25; Paen., II, 5.
14. G. Esser a bien noté cette insistance sur l’unité de l’homme et sur les
échanges entre le corps et l’âme (Die Seelenlehre Tertullians…., p. 199-209).
15. Marc., 1, 24, CSEL 47, 323, 29-324, 2; V, 10... 609, 2-8.
16. 1bid., I, 24 passim; Carn. res., XIV, CSEL 47, 44, 4-6; Paen., III, 3-7 :
le corps et l’âme « ne font qu’un ».
17. Carn. Res., VII, CSEL 47, 36, 7-21.
18. Anima, LVIII, 2.
19. Carn. Res., XV, CSEL 47, 44, 26-27; cf. Apol., XLNIIIL, 4; Test. An.,
IV, 6, CSEL 20, 138, 16-17; Marc., V, 11, CSEL 47, 615, 3-8; V, 12..., 617, 10-12;
Carn. Res., VIII, CSEL 47, 37, 4-5; XV..., 44, 7 sq; XVII... 47, 19 sq; XXXIII...,
73, 8; LVI.., 115, 15-16; Pud., XIII, CSEL 20, 246, 6-8. Cf. Minucius Félix,
XI, 7.
20. Carn. Res., XVII, CSEL 47, 48, 4-21.

152
TERTULLIEN

gium) », car « ce qui se fait dans le cœur se fait par l’âme, dans
la chair, avec la chair et par la chair. Tant il est vrai que même
la pensée sans réalisation et sans effet est un acte de la
chair 21 ». Et l’auteur rappelle que les pensées se traduisent par
le visage et par le corps 22. Quelle que soit la place de l’hëge-
monikon, la chair est tout entière « le cogitatorium de l’âme 23 ».
Toute activité, jusqu’à la simple pensée, est œuvre commune du
corps et de l’âme.

Précisions sur Derrière cette insistance se fait jour


l'unité de l’homme. une théorie philosophique de
l'union étroite des deux éléments.
Tertullien souligne les relations mutuelles du corps et de l’âme
et voit l’existence de l’homme liée à leur communauté : « L'âme
par soi n’est pas l’homme, elle qui a été insérée après coup dans
le produit déjà appelé homme, et la chair sans l’âme n’est pas
l’homme, elle qui après l’exil du corps portera le titre de cadavre.
Ainsi le terme d'homme est la fibula, en quelque sorte, des deux
substances enlacées, et elles ne peuvent exister sous ce terme
qu’unies 24, » Cette communauté est d’autant plus profonde qu’elle
dérive chez nous, pas chez Adam, d’une origine commune et
simultanée 25. La chair et l’âme sont « semées, formées, produites
ensemble 26 », comme nous le verrons en étudiant la génération.
Il y a une association (contextus) de la chair et de l’âme qui
fonde la communauté des activités (operarum societatem) ?7.
Ce dernier mot a la faveur de Tertullien. Il admire « une telle
communauté (societatem) de l’âme et de la chair, un tel assem-

21. Carn. Res., XNV.…, 44, 14-22. Cependant ailleurs Tertullien diminue la
culpabilité du corps contre ceux qui le mépriseraient (Anima, XL, 2-4). Il admet
même que l’âme puisse commettre des péchés par pensée « sans l’association
du corps », sans l’attendre, pour justifier qu’elle soit punie sans attendre
la résurrection de la chair (Anima, LVIIIL, 6). Dans tout le De anima (surtout
ch. xxvux et xLix), il charge l’Ââme. Mais nous en savons parfaitement la
raison, si nous songeons à ses destinataires. Pour les Gnostiques, ce n’est
pas l’âme qui pèche. Libérée du corps, elle ne pèche plus. « C’est contre
cette doctrine, dit le P. FESTUGIÈRE, que s’élève Tertullien. Ici, comme partout,
ce sont les hérésies dualistes qu’il a en vue. Le péché est le fait de l’âme :
voilà le dogme chrétien » (La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 103)
et le Père ajoute : « Tertullien insiste sur le rôle et la responsabilité de
l’âme dans le péché. Non tamen suo nomine caro infamis (XI, 2) : ceci est
la contradiction directe de la doctrine dualiste » (ibid., p. 103). C’est dans
ce seul contexte que Tertullien veut donner à l’âme une relative indépendance.
22. Carn. Res., XV, CSEL 47, 45, 3-4.
23. Ibid., 44, 22-26.
24. Carn. Res., XL, CSEL 47, 83, 5-10. Fibula, copula, ce sont les termes
employés par Novatien pour désigner le rôle du Christ dans les deux natures.
Confibulat (Trin., XXII, Fausser, 86, 2); copulat (ibid., 86, 4).
25. Carn. Res., XLV, CSEL 47, 92, 3-8.
26. Ibid., XNI..., 46, 25-26.
27. Ibid., XV... 44, 7-10.

153
LE COMPOSÉ HUMAIN , ë
blage (concretionem) de substances sœurs ?8 ». Le lerme
societas revient souvent 2. Parfois frater est appliqué aux sub-
stances 30, Parfois encore le corps est un serviteur 31, un instru-.
ment, un vase #2... Malgré la faiblesse de ces images, Tertullien
ne renie en rien « l’unité de nature », où le corps est corespon-
sable, bien que l’âme joue le premier rôle 83.
Tertullien va jusqu’à établir, entre le corps et l’âme, une rela-
tion réciproque de quasi-égalité. « La chair, dit-il, est la maison
de l’âme, et l’âme, l'habitant de la chair 34. » Il dit que Dieu
« plaça » l’âme dans le corps, mais il se reprend : « La plaça ou
plutôt l’inséra et la mélangea à la chair. Si intime en vérité est
leur assemblage, que l’on peut se demander si la chair entoure
l’âme ou l’âme la chair 3 et si la chair obéit à l’âme ou l’âme à
la chair. Mais bien qu’il vaille mieux croire que l’âme est intro-
duite et tient le commandement en tant que plus proche de Dieu,
cet avantage aussi rejaillit en gloire sur le corps, qui contient
celle qui est plus proche de Dieu et la rend précisément capable
d’exercer le commandement 36, » Plusieurs fois est revenue l’idée
de mélange. Elle est la clé du problème. Tertullien semble bien
admettre le mélange et le mélange total, complet, entre le corps
et l’âme, par compénétration mutuelle, la pi£re &v'6Aov 37. Ici encore
il suit les Stoïciens 58 et cette théorie laisse deviner son matéria-
lisme psychologique.

28. Anima, LII, 3. <


29. Ibid., XXXVII, 5; XXXVIIL, 1; XL, 1; LVIIL, 4.
30. Carn. Res., LXIII, CSEL 47, 124, 21.
31. Anima, XL, 2, où ministerium doit s’entendre ainsi, cf. Marc., 1, 24,
CSEL 47, 323, 29-330, 1 : minister.
32. Tertullien dans le domaine des images est hésitant. Dans le De anima,
XL, contre les Gnostiques, il veut diminuer la responsabilité de la chair et
réduit son indépendance, Le corps est un serviteur (ministerium) et quel
serviteur ! Calix, instrumentum, suppellex (Anima, XL, 2-3). Il accepte aussi
le mot calix et uas, Marc., V, 10, CSEL 47, 609, 2-9. I1 accepte oryanum
(animae organo), Nat., I, 8, 5. Ailleurs, il rejette les mêmes mots : suppellex,
instrumentum, calix, parce qu’il veut défendre l’importance du corps pour
la résurrection (Carn. Res., XVI, CSEL 47, 46, 16-47, 9). On voit là un exemple
de la faiblesse de Tertullien dont les positions varient selon les destinataires.
33. Anima, XL, 4; LVIII, 6-7.
34. Anima, XXXVIIL, 4; cf. Carn. Res., XLVI, CSEL 47, 95, 12-13 : « Anima
inquilina est carnis. »
35. Il dit volontiers que l’âme « porte autour (circumfero) » son corps
(Anima, VIII, 3; IX, 7, que le corps en est rempli (Carn. Res., XLV, CSEL 47,
91, 26). Autour de la même idée, cf. Carn. Xti, XIII, CSEL 70, 225, 37; Carn.
Res., VII, CSEL 47, 36, 1-3; Marc., III, 11, CSEL 47, 393, 17; IV, 12..., 452, 23;
Martyr., 11, éd. BiNpLey, 111, 17. ‘
36. Carn. Res., VII, CSEL 47, 35, 27-36, 7.
37. Anima, VI, 8-9.
38. Selon lu philosophie grecque, les corps les uns par rapport aux autres
peuvent ou étre placés côte à côte (rapäfeaxç), ou constituer un mélange
(ui£is ou zpäatç). Mais les Stoïciens (ARNIM, SVF Il, 471, p. 153 et 463-481,
p. 151-158 passim) enseignent un mélange spécial, la xpäoiç ôt'6)ov ou 61’ 8)uv,
où des corps peuvent, malgré leur matérialité, se compénétrer complètement.
Clément d’Alcxandrie fait une allusion précise À ces distinctions en étudiant

154
ER TERTULLIEN

2. PRÉCISIONS SUR L’AME. SES FACULTÉS

Tertullien évoque volontiers au sujet de l’âme humaine son


origine première, le souffle de Dieu. Anima pour lui appelle
afflatus : « Anima per afflatum », dit-il #. J1 parle de la sub-
stance que Dieu a prise de Dieu lui-même 1, « de sa propre
substance 41», et il insiste : « Nous attribuons l’âme au souffle
de Dieu, non à la matière 42. » Il explique que Dieu « de ses mains
a bâti (la chair) à l’image de Dieu, de son souffle l’a animée à la
ressemblance de sa vitalité 4# », gradation déjà rencontrée chez
Irénée. Il fait allusion là au récit de la création. L’homme est
devenu « une âme vivante » par le souffle de Dieu, « l’air chaud
(uapor), qui a pour ainsi dire cuit le limon (pour lui donner)
une autre qualité », comme le feu fait l’argile du potier #4. Le
souffle de Dieu est donc ce qui donne forme à l’homme.

L'âme Ce souffle, qui constitue l’âme


et l'esprit divin. humaine, est-il Dieu lui-même ?
est-il le spiritus divin ? Tertullien
le met très haut. « Le souffle de Dieu, dit-il, est plus noble que
l'esprit matériel dont les anges sont constitués #5, » Cependant,
il dit nettement, après Irénée #6, que l’afflatus n’est pas le spiritus

un texte gnostique (Exc. ex Theod., 17, 1-3) et Hippolyte rapporte expressément


la thèse des Stoïciens, quand il signale les théories sur le monde (Refut.,
1, 21, 5) étudiées plus haut. C’est dire que les Pères connaissaient ce point.
Tertullien, en particulier, semble bien reprocher à Platon de nier que les
corps, comme les âmes, puissent se compénétrer, « s’accumuler en un »
(Anima, XXV, 8), autant dire qu’il l’admet personnellement, comme les textes
cités ci-dessus paraissent l’exiger. J. H. WaszINK souligne aussi avec quelle
ardeur l’auteur soutient que deux corps peuvent coexister à la même place,
et il juge probable l’application d’une théorie du mélange aux relations
corps-âme chez Tertullien (p. 176). I1 renvoie à G. Rauc, Der Einfluss….,
Halle, 1890, qui n’en parle que passagèrement et sans autres preuves. G. Esser
invoque également la xpäots Ôôv’ôhou pour le lien corps-âme à partir de
Hermog., XLI, mais « en un sens limité » (Die Seelenlehre…, p. 78, n. 1).
Cette même théorie a pu servir à Tertullien dans d’autres domaines; comme
nous verrons plus tard (ch. XII).
39. Marc., V, 6, CSEL 47, 591, 20-21.
40. Ibid., II, 5, CSEL 47, 340, 12-18.
41. Prax., V, CSEL 47, 234, 2-3.
42. Anima, III, 4.
43. Carn. Res., IX, CSEL 47, 37, 23-25.
44. Ibid., VII, CSEL 47, 35, 1-3; 9-10.
45. Marc., II, 8, CSEL 47, 345, 7-11.
46. Haer., V, xt, 2, HARVEY II, p. 350-351. On fait remonter cette distinction
à Philon, cf. G. QuisPez, De Bronnen van Tertullianus Adversus Marcionem,
Utrecht, 1943, p. 139-140; WaASzINK, p. 14*.

155
LE COMPOSÉ HUMAIN

divin 47, Sur cette base, il explique à Marcion que l’âme a pu


pécher. Il souligne d’abord que le texte grec de la Genèse porte,
pour désigner l’âme, afflatus et non spiritus, soit nvon et non
rveduæ. On aurait tort déjà de confondre l'Esprit et Dieu lui-
même; mais « l’afflatus est inférieur à l'Esprit; il en est comme
la brise légère, et, s’il vient de l’Esprit, il n’est pas Esprit #8 ».
Il est comme la brise par rapport au vent. Tertullien tente alors
une autre explication: le flatus n’est que l’image de l'Esprit,
comme l’homme est l’image de Dieu. « L’image est moindre que
la réalité et le souffle est inférieur à l’Esprit; il a bien les fameux
traits divins.…, mais même en ceux-ci il est l’image et ne (va) pas
jusqu’à la propriété de la divinité même #. » Nouvelle idée:
l’œuvre est inférieure à l’artisan; « c’est pourquoi le souffle fait
par l'Esprit ne sera justement pas l'Esprit 50 ». Dans un autre
contexte, il dit aussi de l’âme d’Adam « qu’elle est l’ombre de
l’âme (de Dieu), la brise de l'Esprit, l’œuvre de sa bouche 51 ».
Le souffle qui constitue l’âme n’est donc en aucun sens l'Esprit
divin. Il est flatus et non spiritus. Par cette distinction non stoi-
cienne, Tertullien écarte la communauté de l’âme avecle divin 52.

L'esprit divin Cependant cette position n'exclut


dans l'âme. pas toute présence de l’Esprit divin
dans l’âme. D’abord Tertullien
reconnait qu’Adam a eu, présent en lui, le spiritus qui lui per-
mettait de prophétiser, mais ce n’est là qu’une disposition spé-
ciale 58, Seul l’animale est inhérent à l’âme d’Adam, le reste est
accident. Et c’est bien la position permanente de Tertullien.
L'Esprit de Dieu est en l’homme, mais ce n’est qu’un accident
propre à.certains hommes et non pas un spiritale semen, qui cons-
titue une partie de l’âme, Il répète, après Irénée, que le flatus
est à ceux qui marchent sur la terre, entendons : tous les hommes;

47. Marc., II, 9, CSEL 47, 347, 15-19; cf. Anima, XXIV, 2. J. H. WASZINK
croit retrouver cette doctrine flatus-spiritus dans le De censu animae (cf.
De anima, XI, 2). Elle remonterait donc à la controverse de Tertullien avec
Hermogène (p. 14*).
48. Marc., Il, 9, CSEL 47, 345, 24 - 346, 4.
49. Ibid., 346, 7-19.
50. Ibid., 347, 7-8.
51. Carn. Res., VII, CSEL 47, 35, 25-26.
52. La distinction flatus-spiritus n’empêche pas Tertullien d’appeler parfois
l’âme spiritus (Anima, X, 9; Bapt., IV, CSEL 20, 204, 22-24 : « Spiritus.…
dominatur, caro famulatur. Tamen utrumque inter se communicant reatum,
spiritus ob imperium, caro ob ministerium » et passim). Il dit que les
mauvais plaisirs « in ipso spiritu et anima digeruntur » (Spect., XIII, CSEL 20,
16, 2-4), et retrouve même l'expression philosophique TVEÜRX GUHOUTOV
« Spiritus insitus corpori » (ibid., II, CSEL 20, 4, 1). Evidemment, il ne
l’appelle jamais « esprit divin ».
53. Anima, XXI, 2.

156
TERTULLIEN

le spiritus à ceux qui la foulent aux pieds 54. Il explique qu’au


baptême l’homme recouvre « ce spiritus de Dieu, qu’il avait reçu
jadis de son souffle, mais avait perdu ensuite par le péché 55 ».
C’est là un complément de l’âme et non une partie intégrante.
J1 dit à Marcion au sujet du baptème de Jésus : « S’il est obten-
tion de l’Esprit-Saint, comment conférer un Esprit, quand on
n’a pas auparavant conféré une âme ? Car l'Esprit est, en quelque
sorte, une addition (suffectura) à l’âme 56. » Il ne se contredit pas
quand il prétend que le corps et l’âme « ne valent rien par
eux-mêmes sans l'Esprit 57 », L'Esprit est un complément, mais
moralement nécessaire.

Le souffle de vie Cependant ce mot spiritus présente


dans l'âme. chez Tertullien un sens où il faut
voir une fonction de l’âme unique.
Le spiritus est parfois le substantif verbal de spirare, c’est la
rvon. Et Tertullien s’acharne à montrer que le spiritus de la
respiration et l’anima, ou souffle de vie et âme, se confondent :
vivre et respirer, c’est la même chose. On lui objecte l’existence
de vivants sans appareils respiratoires, ou inversement, mais rien
à ses yeux ne le démontre 58, Ailleurs, il invoque le sens commun
qui appelle âme toutes les fonctions vitales : on rend l’âme, on
fait des traités sur l'âme... Donc ce mot unique couvre l’ensemble
des activités 5%, Argument plus sérieux, il montre qu’à l’origine
il n’y a chez Adam qu’un seul geste de Dieu : le souffle créateur.
I n’y a donc pas en son âme de souffle exclusivement matériel 60.
D'ailleurs rien dans l’âme ne procède de la matière 61, Par ces
arguments, Tertullien fait du souffle vital une pure fonction de
l’âme et sauve l’unité de l’âme en même temps 62. Il rejoint ainsi
une vieille théorie stoïcienne et retrouve presque les termes
mêmes de Chrysippe 63.

54. Anima, XI, 3.


55. Bapt., V, CSEL 20, 206, 13-14.
56. Marc., 1, 28, CSEL 47, 330, 7-9.
57. Fuga in pers., VII, PL II, 111 AB.
58. Anima, X, en enticr.
59. Jbid., XIII.
60. Ibid., XXI, 3.
61. Ibid. En cette discussion, Tertullien vise Hermogène (et les Valenti-
niens), qui, pour garder le pneuma divin en l’homme à l’abri de tout péché,
faisaient provenir l’âme de la matière, tout en voyant dans le souffle divin
un accident (WaszINKk, p. 12*-13*).
62. Anima, XI, 6. :
63. Chrysippe dit : « Una certe re spiramus et uiuimus. Spiramus autem
naturali spiritu, ergo etiam uiuimus eodem spiritu. Viuimus autem anima :
naturalis igitur spiritus anima esse inuenitur » (ARNIM, SVF II, 879, p. 235).
Tertullien a pu retrouver cette théorie dans Soranus (Waszink, p. 182).

157
LE COMPOSÉ HUMAIN

L'animus dans l’âme. I1 recherche la même unité, en ré-


duisant aussi l’animus (et ses syno-
nymes) à n’être que des fonctions ou des états de l’âme. Appli-
quant à l’âme le mot inspiré de saint Paul : homo interior 64,
il explique que l’apôtre entend par là mentem atque animum.….. id
est non substantiam ipsam, sed substantiae saporem 65, Comme le
spiritus respiratoire, l’animus ou mens est un état de l’âme,
mieux, ce que nous appelons une disposition, pouvoir propre,
par lequel elle agit et pense, une fonction fondamentale, mais
non une substance, C’est le point de vue qu’il développe dans le
De anima: « En conséquence, par animus ou mens, si l’on
traduit ainsi de préférence le noûs des Grecs, nous n’entendons
rien autre qu’une faculté, née et semée avec l’âme, et qui lui est
naturellement propre; par quoi elle agit 66, par quoi elle réfléchit,
qu’elle possède en elle d'elle-même, au point qu’ellele meut avec
elle d'elle-même et paraît être mue par lui, telle une substance
par autre chose, comme le prétendent ceux qui voient même un
animus comme moteur de l’univers 67, » Plus nettement encore,
il écrit : « Nous appelons animus un supplément de l’âme, non
au sens d’un élément étranger à sa substance, mais au sens d’une
fonction de la substance 68, » À cet animus qui est passible, il
attribue les perceptions des sens, les pensées et les notions, toutes
choses qu’il appelle, avec Aristote, passiones 69, Les passiones
mêmes, ou plus précisément le Guuxév et l’ëmBvunrixév , termes
qu’il sait platoniciens, peuvent aussi, à son avis, être rationnels et
relever de l’animus 7, Quant à l’alogon, il n’est pas dans l’homme
par nature, maïs s'ajoute à la nature. Il n’y a vraiment dans
l’âme aucun élément qui échappe à l'unité. Et cette fois,
Tertullien ne cache aucunement la raison de son insistance:
les Gnostiques et les Valentiniens ont hérité de Platon une divi-
sion de l’âme qui oppose intellect et sens. « Voilà pourquoi
nous avons établi d’abord que l’animus n’est rien autre qu’un
pouvoir (suggestus) et un équipement (structus) de l’âme, et

64. Carn. Res., XL, CSEL 47, 83, 3-5: cf. XLIIL... 89, 16; XLIV.…., 90, 2.
65. Ibid., XL, CSEL 47, 83, 10-20. IL donne un tout autre sens à l’expression
homo interior dans Anima, IX, 7-8.
66. Les deux manuscrits de base portent ici non: quo non agit; mais
J. H. Waszink supprime la négation avec raison.
67. Anima, XII, 1.
68. Anima, XII, 6. Il emploie encore le mot instrumentum (ibid., XII, 3).
69. Ibid., XII, 3-4.
70. Ibid., XVI, 3.

158
TERTULLIEN

le spiritus rien d’étranger à ce qu'est l’âme par le souffle 71, »


4

Sa position, qui n’est pas éloignée du stoïcisme 72, lui est


dictée par son antiplatonisme.

L'hègemonikon Une dernière fonction, c’est l’hège-


dans l'âme. monikon, que Tertullien, avec
Ecriture, mais aussi avec Prota-
goras, Apollodore et d’autres, suivant une vieille conception 73,
place dans le cœur 74 C’est le terme stoïcien qu’il utilise et il
lui donne le sens qu’il avait dans la Stoa : « Le suprême degré,
dans l’âme, de vitalité et de sagesse 75. » Il n’en fait pas une part
de l’âme, mais « son degré le plus haut », son couronnement.
De plus, il lui attribue un double rôle et y voit « une force
rationnelle et vitale (sapientialem atque uitalem) », dont l’Ecri-
ture même à ses yeux témoigne abondamment 76. Il est par là
fidèle au système, qui range dans l’âme unique le souffle vital et
la raison. Le stoïcisme est toujours là 7.
En somme Tertullien, obsédé par le dualisme psychologique
de ses adversaires, qu’il juge platoniciens, écarte tout système
trichotomiste, esprit-âme-chair, et veut sauver dans tous les
domaines l’unité de l’âme. La peur du platonisme lui donne beau-
coup de sympathie pour le stoïcisme. L'œuvre révèle aussi une
influence d’Irénée. Nous retrouvons le même système : un afflatus
commun à tous et essentiel à la nature, un spiritus accident, qui
se confond avec la grâce et affecte l’âme sans être une partie de

71. Anima, XVIII, 5. Tout ce long chapitre du De anima est consacré à


l’unité animus-anima. Il en sera question au sujet des facultés cognitives de
l’homme (ch. VI). G. Esser a fort développé ce point de l’unité substantielle
de l’âme chez Tertullien. 11 étudic, en particulier, les relations âme-intellect
et multiplie les citations (Die Seelenlehre.…., p. 94-103). 11 souligne que cette
unité de l’âme est établie contre les Gnostiques (p. 147, 150-151), qu’il étudie
avec Hermogène assez longuement (p. 29-43). Sur animus-anima chez Tertullien,
cf. aussi AD. D’ALÈSs, T'erlullien Helléniste, in Rev. des Etudes Grecques, 50,
1937, qui consacre une note détaillée à cette question, p. 335-336, n. 4.
72. J, H. Waszink montre que Anima, XII, 6 est tiré de Soranus, qui « ici
encore suivait les Stoïciens » (p. 201), cf. K. ScmiNpLer, Die stoische Lehre
von der Seelentetlen und Seelenvermôgen..., Munich, 1934, qui souligne l’insis-
tance des Stoïciens sur l’unité de l’âme (p. 11-19).
73. R. B. Ontans, Origins of European Thought, Cambridge, 1951, pass.
74. Anima, XV, 4. Dans le De carn. Res., il ne prend pas position sur le
lieu de l’hègemonikon, qu’il appelle personnellement principalitas, « soit
dans le cerveau, soit dans l’intervalle des sourcils en leur milieu, soit partout
où les philosophes le veulent » (XV, CSEL 47, 44, 22-26). Dans le contexte
du De anima, il énumère une dizaine de positions différentes, avec les noms
précis des défenseurs (XV, 5). Cette question constitue un lieu commun à
l’époque. Sur le problème général, cf. WAszINK, p. 219-221.
75. Anima, XV, 1.
76. Anima, XV, 4; dans ce chapitre, Tertullien se souvient du Ps. 51 (50),
14. Avec la Vulgatc, il traduit fyepovxôv par principale, qw’il répète huit fois.
I1 cite même le verset 12 du psaume.
77. G. EsserR voit aussi, au sujet de l’hègemonikon, malgré les différences,
un lien « indéniable » de Tertullien avec la Sfoa (Die Scelenlehre.…., p. 117).

159
LE COMPOSÉ HUMAIN

l’homme. En maintenant certaines données stoïciennes, Tertullien


repousse toute tendance panthéiste et, du fait même, écarte le
monisme strict, qui exige un pneuma identique en l’homme, en
Dicu et dans le monde 8.

3. PRÉCISIONS SUR L’AME. LES QUALITÉS DE L’AME

Souvent Tertullien énumère les qualités de l’âme, surtout dans


son De anima. Il y dit une fois : Definimus animan dei flatu
natam, immortalem, corporalem, efjigiatam, substantia simplicem,
de suo sapientem, uarie procedentem, liberam arbitrii, accidentis
obnoxiam, per ingenia mutabilem, rationalem, dominatricem,
diuinatricem, ex una redundantem "?. Voilà un résumé explicite
et substantiel.

Immorlelle, JI1 signale des facultés sur lesquelles


mais passible. nous reviendrons, en particulier
l'intelligence et le libre arbitre.
Mais retenons aussitôt certains traits de l’âme, qui sont familiers
à Tertullien, D'abord l’âme est immortelle et cependant passible,
changeante. Il a souvent répété qu’elle est immortelle & et il
affirme en général qu’elle est plus proche, en tout ce qui lui est
est naturel, de Dieu que de la matière 81, Cependant, elle a com-
mencé & et Tertullien y rattache sa passibilité : « Immortelle
sans doute, et c’est le fait de sa divinité, cependant passible, et
c’est le fait de sa naissance 88, » Désigne-t-il par ces derniers
mots la communauté de l’âme avec le corps ou simplement son
accès à l’être ? En tout cas, il dit ailleurs « que l’âme seule ne
peut rien souffrir, sans une matière stable, à savoir la chair 84 ».

Une et simple. Une autre qualité, encore plus sou-


lignée, c’est l’unité de l’âme. Unité
d’origine d’abord, puisqu’il voit toutes les âmes « descendre d’une
seule », la première 8. Cette affirmation est importante,

78. J. STIER a fort insisté sur ce rejet du monisme, en montrant que le


flatus de l’homme n’est pas le pneuma stoïcien (Die Gottes- und Logoslehre
Tertullians, Gôttingen, 1899, p. 22-27),
79. Anima, XXII, 2.
80. Nat., II, 3, 8; Marc., II, 9, CSEL 47, 346, 16-18; Anima, XXXVIIL 6.
81. Anima, XXII, 1.
82. Ibid., IV, 1.
83. Ibid., XXIV, 2.
84. Apol., XLVIII, 4. 11 est curieux de noter qu'ici Tertullien ne songe pas
à lier la passibilité à la corporéité de l’âme même. Il éprouve le besoin de
lui adjoindre une matière pour justifier sa passibilité après la mort. Nous
verrons plus loin une position différente,
85. Anima, XXII, 2; XXVII, 9,

160
TERTULLIEN

puisqu'elle expliquera l’hérédité originelle. Mais il insiste surtout


sur l’unité substantielle de l’âme individuelle : substantiam sim-
plicem. Il multiplie les adjectifs quasi intraduisibles : singularis
alioquin et simplex et de suo tota est, non magis instructilis
aliunde quam diuisibilis ex se, quia nec dissolubilis 86, Quand,
par la suite, il examine « les parties de l’âme » selon les philo-
sophes, il se refuse à en faire « des membres d’une substance
animale », « des sections d’âme ». Ce ne sont « pas tant des
parties de l’âme que ses forces, ses énergies, ses activités », une
espèce d'économie interne (distributio) 87. Il fait appel à Straton,
Héraclite, Enésidème, et y voit avec eux les activités différentes
d’une âme unique, « qui, répandue dans le corps entier et partout
elle-même, comme le souffle dans les cavités de la flûte, jaillit
ainsi de manière variée dans les objets des sens, non pas tant
découpée que répartie 88 », Aussi peut-il insister sur son carac-
tère indivisible # et confondre dans l’âme unique la vie animale
et la vie rationnelle.

Corporelle. Corporalem, efjigiatam, dit encore


Tertullien. Et voici un point très
caractéristique de l’anthropologie et même de la métaphysique
de notre auteur. Il en est un défenseur acharné. Dans le De anima,
il a fait officiellement profession de ce matérialisme : « Cepen-
dant, sans infidélité, nous proclamons que tous les attributs
habituels, généralement reconnus à la corporéité, sont présents
également à l’âme, comme la manière d’être, comme la limitation,
comme les fameuses trois dimensions, j'entends longueur, lar-
geur et profondeur, par lesquelles les philosophes mesurent les
corps %, » Voilà une profession de foi précise. Il ne s’agit pas
d’un mot vaguement appliqué à l’âme. Malgré les objections, il
revendique pour l’âme une corporéité parfaite, avec tout ce que
cela comporte, jusqu’aux trois dimensions. Comme chez les Stoï-
ciens, il y à là plus qu’une image ?1.
Tertullien précise bien que le mot corpus ne désigne plus la
chair en l’homme, ni une matière de ce genre. Le terme a un
autre sens. Il s’agit même d’un corpus aliquod suae qualitatis ?2,

86. Anima, XIV, 1.


87. Ibid., XIV, 5.
88. Ibid., XIV, 5, cf. 3-41.
89. Ibid., LI, 5.
90. Ibid., IX, 1.
91. C'était déjà l’avis de E. WaADsTEIN, Ueber den Einflus des Stoizismus
auf die älteste christliche Lehrbildung, in Theologische Studien und Kritiken,
53, 1880, p. 648-651.
92. Marc., V, 15, CSEL 47, 629, 9-23; cf. Anima, IX, 1 : corpus propriae quali-
tatis et sui generis.

161
LE COMPOSÉ HUMAIN
« L'âme possède une espèce de corps propre %3. » Mais à cette
réserve près, il attribue souvent à l’âme cette corporéité, dans ses
divers ouvrages, plus ou moins discrètement %4, Dans le De carnis
Resurrectione la théorie est nettement formulée : « Pour notre
part, ici encore, nous déclarons l’âme corporelle, et, dans le
volume qui lui est consacré, nous l’avons prouvé : elle possède
son genre propre de consistance, qui lui permet de sentir et de
souffrir quelque chose #5, » Les philosophes ne lui donnent pas
raison en un sens, puisqu'ils jugent l’âme faite des substances
élémentaires, feu, eau, sang, souffle, air, lumière... 96, tandis qu’il
la fait descendre de Dieu, mais, avec eux, il range bien l’âme
dans cette matière universelle, telle qu’il l’a définie °7,
11 semble de temps en temps, après Tatien, appliquer à l’âme,
comme il convient aux corps, la théorie physique du +évos, selon
laquelle l’âme a plus ou moins de consistance et donc de vigueur,
suivant son degré de tension. Il connaît la thèse stoïcienne, qu’il
rapporte avec exactitude au sujet du sommeil : « Les Stoïciens
affirment que le sommeil est une détente de la vigueur des
sens %8, » Mais voici qu’il la prend à son compte et définit le
sommeil dans les mêmes termes %, Veut-il expliquer l’opinion qui
prête aux songes du matin plus de vérité, il suppose qu’à cette
heure « la vigueur des âmes déjà revient à la surface 100 », Enfin
il croit qu’à la mort, il se fait une détente et cette resolutio
allonge les nerfs 101, À la lumière de ces textes, peut-être faut-il
donner le même sens technique au mot uigor dans des expres-
sions moins claires. Tertullien, expliquant que le corps compatit
avec l’âme, écrit : « Qu'elle soit affligée de souci, d’angoisse,
d'amour, il partage son mal, par la diminution de la vigueur
dans l’union 102, » 11 semble bien dire qu’il se produit un affai-
blissement du fonos dans l’âme associée au corps. Au contraire,
pour justifier que l’âme ne change pas substantiellement avant le
moment précis de la mort, il affirme qu’il y a changement non
pas d’essence, mais d’activité, altération non de la vigueur, mais

93. Marc., V, 10, CSEL 47, 606, 25-607, 9.


94. Par exemple, Carn. Xti, XIL,-CSEL 70, 222, 37-39.
95. Carn. Res., XVII, CSEL 47, 47, 22-25; XXXIII..., 73, 6-14; XXXV..., 78,
16; LIII.., 110-111.
96. Anima, XXXII, 3.
97. F. SEyR affirme que l’âme, chez Tertullien, est corps, mais non matière.
C’est une précision utile que nous discuterons en exposant le matérialisme
de Tertullien, mais peut-on dire que par là sa conception de l’âme s’oppose
à celle des Stoïciens ? (Die Selen- und Erkenntnislehre…., p. 56-57).
98. Anima, XLIII, 2.
99. Ibid., XLIII, 5.
100. Zbid., XLVIII, 1.
101. JIbid., LI, 3.
102. Jbid., V, 5 : Coaegrescil per detrimentum socii uigoris. Le texte est
difficile et le mot socii, discuté, est parfois remplacé par la conjecture
sauctii,

162
TERTULLIEN

de l’agir 1%, Une théorie du tonos éclaire assez bien ces posi-
tions de Tertullien,
Autre signe de son matérialisme psychologique, il accepte, au
moins ad hominem, que les artes soient matérielles et soient la
nourriture matérielle de l’âme corporelle 104, Il admet que l’âme,
bien qu’elle ait sa nourriture propre 105, soit nourrie d’éléments
matériels ex causa necessitatis, sinon par convenance propre 19%,
Et ïil expose avec sympathie les thèses stoïciennes en ce
domaine 107,
Tertullien a tenté de prouver sa thèse, La preuve, comme
chez Irénée 108, c’est d’abord la parabole du Mauvais Riche dont,
l’âme est détenue dans un lieu et tourmentée dans ses membres.
Donc, d’après l’Ecriture, l’âme est localisée, passible, corpo-
relle 109, T1 y revient plus loin : « Ainsi le riche aux enfers a
une langue et le pauvre un doigt et Abraham un sein 110, » Et il
ajoute dans un autre traité : « Que déjà maintenant les âmes
sont tourmentées et chauffées aux enfers, bien que nues, bien
qu’éloignées de la chair, l’exemple de Lazare le prouvera 111, »
Mais une raison philosophique renforce sa démonstration. C’est
le principe stoïcien, qu’il adopte : nihil enim, si non corpus !?,
principe qui établit la corporéité de toute réalité 118, Une preuve
d’Ecriture et une preuve de raison, c’est une argumentation
qui reflète bien les méthodes de l’époque.
Tertullien répond aux objections de manière organisée au
chapitre vi du De anima. Que tout corps est mû, que l’âme ne
l’est pas 114, que l’âme n’est connue que par les puissances intel-
lectuelles 115, que l’âme se nourrit de substances incorpo-
relles 116, que l’âme ne pourrait coexister dans un autre
corps 117, Tertullien réfute ces objections, surtout platoni-
ciennes, point par point. Il répond à d’autres objections dans

103. Anima, LIIX, 3.


104. Ibid., VI, 7.
105. Ibid., XXXVIIL, 6.
106. Ibid., VI, 6; XXXVIII, 4.
107. Ibid., V, 2-6.
108. Haer., II, xxx1, 1, HARVEY I, p. 319.
109. Anima, VII, 1-3.
110. Ibid., IX, 8.
111. Carn. Res., XVII, CSEL 47, 47, 25-48, 1. On voit là une des raisons
pour lesquelles Tertullien tient tant à cette corporéité : elle explique la survie
de l’âme et son sort, en même temps que sa localisation, entre la mort et la
résurrection des corps. « Les incorporels n’ont pas de lieu propre », dit-il
ailleurs (Hermog., XLI, CSEL 47, 171, 16).
112. Anima, VII, 3.
113. Ce point sera précisé plus tard, quand nous étudierons le matérialisme
de Tertullien, au sujet du monde (ch. XII).
114. Anima, VI, 1-8.
115. Ibid., 4-5.
116. Jbid., 6-7.
117. Ibid., 8.

165
LE COMPOSÉ HUMAIN

le même traité : que l’âme n’a pas toutes les propriétés des
autres corps 118, que le corps augmente de poids après le départ
de l’âme 119, que l’âme est invisible 120, Aïlleurs, encore, il se
dit que ce « qui a corporéité propre se suffira pour la faculté
de-la passion et des sens, sans avoir besoin de la représen-
tation de la chair 121 >»; en d’autres termes, si l’âme est corps, à
quoi sert le corps ? Mais il répond : « Bien qu’elle ait un corps,
bien qu’elle ait des membres, ceux-ci (pour l’âme) ne suffisent
4
pas plus à sentir qu’à agir en perfection 122, »

Matérialisme Un corps, des membres, dit-il ici;


psychologique. plus haut, manière d’être, limita-
tion, trois dimensions 13, c’est-à-
dire le +pyf Siéorarov des Stoïciens. Tout cela veut dire que
Tertullien, malgré la réserve indiquée, donne une corporéité
complète à l’âme. En effet, il lui reconnaît, avec les dimensions,
une couleur 124, une figure corporelle 125, une grande ténuité 126,
une forme (efigies), et ce mot revient encore doublé de con-
ditio 27, Tertullien en parle de la manière la plus concrète.
€ L’âme, dit-il, décroît extérieurement avec le déclin de l’âge 128. »
. Quand les forces vitales déclinent, « nécessairement aussi l’âme,
qui perd peu à peu ses moyens, son domicile et son espace, peu
à peu elle-même forcée d’émigrer, est amenée à une réduction de
sa forme (efjigies) ». Bien qu’il ajoute encore qu’il s’agit d’une
apparence plutôt que d’une réalité, comme on dit que le cocher
baisse quand ses chevaux sont lassés, « parce que le paraître
se relâche, non pas l’être 12% », cependant dans tout le contexte,
il décrit cet affaiblissement en termes matériels; il y est question
d’une réduction progressive de l’âme jusqu’à être une pars
exigua 130, I] y parle de portions et de dimensions, lui le défen-
seur de l’unité, comme si on pouvait sectionner et mesurer
l’âme 131, On sent la même conception quand il réfute la métem-

118. Anima, VIII, 1-2.


119. Ibid., 3.
120. Ibid., 5; Carn. Xti, XI, CSEL 70, 219-220,
121. Carn. Res., XVII, CSEL 47, 48, 2-4.
122. Ibid., 19-21; cf. Apol., XLVIII, 4.
123. Anima, IX, 1.
124. Aerium ac lucidum (ibid., IX, 5; 4). Aerium traduit sans doute &epoetdhc,
épithète appliquée à Dieu par le Stoïcien Antipater de Tarse, cf. Diogène
Laërce, VII, 148.
125. Corporales lineas (Anima, IX, 3).
126. Ibid., IX, 6.
127. Apol., XLVIII, 3.
128. Anima, XXXI, 2.
129. Ibid., LIN, 8.
130. Ibid., 4.
131. Ibid., 2-4. L’âme d’Eve est une portio Adae (Anima, XXXVI, 4).

164
TERTULLIEN

somatose, en disant que les corps ne coïncideraient pas avec les


âmes lors des changements : « Mais l’âme humaine précisément,
de quelque étendue, de quelques dimensions qu’elle soit, que
fera-t-elle en des êtres animés beaucoup plus vastes ou plus
réduits ? Il faut bien que le corps soit tout entier rempli par
l’âme, et l’âme tout entière couverte par le corps. Or, comment
l’âme d’un homme remplira-t-elle un éléphant ? Comment, en
revanche, sera-t-elle couverte dans un cousin 182? » Pour la
même raison, il n’admet pas que les âmes survivent aux corps :
à la résurrection, elles ne sauraient plus y rentrer 188 |
Il va plus loin. Comme le laissait entendre sa réfutation de
la métemsomatose, il donne nettement à l’âme la forme du corps:
Maintenant, avec ta propre connaissance, conçois qu’il ne faut pas
attribuer à l’âme de l’homme d’autre forme que celle de l’homme, et
précisément du corps que chacune a porté autour (de soi) Songe en
effet à ceci : lorsque Dieu a insufflé à l’homme sur son visage le souffle
de vie et que l’homme fut devenu âme vivante, tout entier et partout,
à travers le visage aussitôt ce souffle a passé à l’intérieur et s’est
répandu dans tout l’espace du corps; en même temps, dense comme
il appartient à l’exhalaison divine, il s’est étendu à toute la surface
intérieure qu’il avait remplie dans sa densité et il s’est figé comme
dans un moule. 8. Ainsi donc la corporéité de l’âme a reçu sa solidité
de sa densité, tandis que sa forme s’est constituée selon son empreinte.
Et ce sera là l’homme intérieur, l’autre étant extérieur, unique en
deux aspects. Il possède, lui aussi, ses yeux et ses oreilles, par lesquels
le peuple aurait dû voir et entendre le maître. Il possède aussi d’autres
membres, dont il use dans ses pensées, dont il se sert dans ses rêves.
Dès l’origine, en effet, chez Adam, l’âme s’est formée et a pris figure
avec le corps. La semence a travaillé pour cette nature comme pour
toute substance *,

Ce texte est très précis. L’âme prend donc nettement la forme


intérieure du corps, qui est sa gaine 135, Elle constitue ainsi
l’homme intérieur, qui a ses membres aussi, ses articulations.
Et Tertullien prend à témoin les activités de l’âme quand le corps
n’est plus actif. Comment expliquer tous les mouvements de
l’âme qui rêve 136? [’âme alors doit bien avoir ses membres
propres à utiliser 137 !

Conclusion. Evidemment, il ne faut pas oublier


que Tertullien, dans le De anima,
d’où sont extraits la plupart de nos textes, lutte à la fois contre
ceux qui nient l’origine divine de l’âme et contre ceux qui

132. Anima, XXXII, 6.


133. Ibid., LVI, 6.
134. Ibid., IX, 7-8.
135. Carn. Res., IX, CSEL 47, 37, 30; Carn. Xti, XXIV, CSEL 70, 249, 29-31.
136. Anima, XLIX, 1.
137. Ibid, XLV, 1.

165
LE COMPOSÉ HUMAIN

veulent creuser le fossé entre le corps et l’âme. Il y a chez lui


une grande part de polémique et d'arguments ad hominem. Il y a
peut-être aussi des emprunts doxographiques mal assimilés, selon
la mode du temps. Cependant l’ensemble de l’œuvre n’en révèle
pas moins une théorie de la corporéité de l’âme toute stoi-
cienne 138, qui n’a jamais été poussée plus loin parmi les écri-
vains ecclésiastiques. « À ma connaissance, dit J. H. Waszink,
la conception purement matérialiste de la forme corporelle de
l’âme, qui est celle de Tertullien, est uniquement partagée par
son imitateur Vincentius Victor. Grégoire de Nysse, qui admetla
matérialité de l’âme jusqu’à un certain degré, est loin d’être
aussi conséquent que Tertullien 139, » Il semble que J. H. Waszink
néglige saint Irénée, Malgré sa brièveté, qui permet moins d’en
juger, ce Père est aussi radicalement matérialiste en ce qui con-
cerne la forme de l’âme que l’Apologiste africain 14, L’un et
l’autre sont de grands polémistes antignostiques, qui, pour lêtre
plus sûrement, se veulent antiplatoniciens à outrance.

IV. LE COMPOSÉ HUMAIN


CHEZ CLÉMENT D’ALEXANDRIE

Clément d’Alexandrie a violemment repoussé le matérialisme


stoïcien 1, on le sait. Il est d’autant plus curieux de constater
que, même chez lui, l’anthropologie stoïcienne a laissé des traces,
en particulier dans sa conception de l’âme. On y trouve un
mélange, assez peu homogène, de théories platoniciennes, stoï-
ciennes et pauliniennes.

138. G. EsseR, qui a plutôt tendance à minimiser le stoïcisme de Tertullien,


dit à ce sujet : « De ceci et des preuves qu’il apporte pour la corporéité de
l’âme — ce sont totalement les preuves stoïciennes, la seule preuve person-
nelle a sa source dans une fausse interprétation de l’Ecriture Sainte —, il
s’ensuit que dans cette question il est totalement appuyé sur le réalisme
de la Stoa » (Die Steelenlehre.., p. 66).
139. WaszinKk, p. 177. Pour Vincentius Victor, cf. saint Augustin, De anima
et eius origine, IV, 20, 33, PL XLIV, 543; IV, 14, 20..., 536-537; IV, 21, 34...
543-544,
140. I1 faudrait ajouter, dans le monde latin, à la liste des Pères qui se
font une conception dichotomiste de l’homme, Hippolyte (Cant. cant., IV, 2,
GCS I, 1'e moitié, p. 370, 1. 6; p. 371, 1. 3; Dan., IV, 56, 2; IV, 60, 2; cf. Refut.,
I, prol., vi). Il rejette le triple homme, spirituel, animal et terrestre (Fragm.
in Gen., GCS I, 2e partie, p. 52, 1. 5-10). On trouve cependant une division
trichotomiste dans Dan., II, 38, 5. Dans l’Homélie Pascale hippolytienne, il est
dit, au sujet d'Adam : « Le pneuma hègemonikon fut contenu dans un corps
d’homme » (47, 1).
1. E. DE FAye, Clément d'Alexandrie, Etude sur les rapports du christia-
nisme et de la philosophie grecque au II siècle, 2e éd., Paris, 1906, p. 127 sq.

166
CLÉMENT D'ALEXANDRIE

1. LE PROBLÈME DU COMPOSÉ HUMAIN

L'homme Clément cest habituellement consi-


en trois parties. déré comme un trichotomiste, d’in-
fluence platonicienne. Les textes nc
manquent pas, où il divise « l’animal raisonnable ? » en trois
parties. Commentant le verset de saint Matthieu, xvux, 20, où il
est question de « deux ou trois rassemblés au nom » du Christ, il
voit, entre autres choses, en ces deux ou trois, oùp£, duyn,
rvedux 3, Ailleurs, il oppose le pneuma charnel, qu’il appelle
pneuma corporel, à l’hègemonikon logique et moral #, pratique-
ment confondu avec le voÿc, dont il est question indéfiniment 5.
Dans le dernier texte, il parle clairement de deux esprits: +®
te mAaofévrr T& te hyeuovixé 6. Dans le contexte, il ajoute encore
l'esprit caractéristique du Saint-Esprit 7, car « le noûs, s’il est
pur et débarrassé de toute méchanceté, se trouve en quelque
sorte apte à recevoir la puissance divine 8 ». Ceci prouve bien
qu’il s’agit d’une authentique trichotomie, où l’élément propre-
ment surnaturel vient encore en surnombre, La seule hésitation
porte sur le nom à donner à la partie supérieure, qui est tour à
tour vodc, nveduæx, yeuovixôv, et qui sera encore Aoytorixév et
Aoytou6s.
On retrouve la même division quand Clément décrit le sort
de l’âme au cataclysme final. Il explique que Dieu sauvera ceux
qui se convertissent, Il poursuit : « Ensuite encore la partie
subtile (rd Aerrouspéotepov), l’âme, jamais ne pourra, de la part de
l’eau, qui est plus épaisse, souffrir quelque tourment, elle qui
l'emporte à cause de sa subtilité et de sa simplicité, par quoi elle
est appelée incorporelle. Mais la partie épaisse (rayvuepés) 9, qui

2. Paed., I, 100, 3.
3. Str., III, 68, 5. Saint Cyprien aboutit à la même conclusion en commen-
tant les mots du Pater : « Fiat uoluntas in caelo et in terra ». Il explique
que la volonté divine doit se réaliser dans tout l’homme, son corps qui vient
de la terre, son esprit qui vient du ciel, et il évoque, dans la ligne pauli-
nienne, la lutte qui oppose chair et esprit. Il ajoute qu’ainsi sera sauvée
lâme qui renaît par l’esprit (Dom. Orat., XVI, CSEL III 1, p. 278, 8-18).
Chair, âme, esprit, c’est peut-être la même division de l’homme.
4. Str., VI, 135, 1-136, 2. }
5. Cependant il distingue le logos du noûs quand il s’agit de modes de
connaissance (Str., II, 50, 1). Le logos perd alors, en quelque sorte, son sens
essentiel, pour désigner une activité, une fonction.
6. Str., VI, 136, 4. Cf. la division : r@ ve hyemovix® To te ÜÔnoxetpévo (ibid.,
134, 1).
7. Ibid., 134, 2.
8. Ibid., 1I, 42, 6.
9. Ce terme vxù mayumenés est employé dans une citation gnostique pour
désigner l’esprit hylique (Exc. ex Theod., 47, 3). On le retrouve avec ATTOMEPÉS
chez Buasilide. Ces termes sont familiers aux philosophes. Par exemple, le

167
LE COMPOSÉ HUMAIN

se trouve épaissie du fait du péché, elle, est rejetée avec l’esprit


charnel ( r& oxpxtx& nvebuar.) qui désire contre l’âme 10, » Soit
une âme incorporelle, toujours sauvée, et un élément corporel,
proche de l’esprit charnel, qui risque de s’épaissir dans le péché
et de se perdre, bien que Clément ne semble pas admettre que
l’on parle de deux âmes 11,

Même thèse Les Excerptaex Theodoto expriment


dans les Exc. ex Theodoto. les mêmes idées en un langage dif-
férent. Après avoir distingué trois
espèces d’hommes, les Choïques, les Psychiques, les Pneuma-
tiques 22, et dénombré « trois éléments incorporels en Adam 18 »,
l’auteur montre, dans le Christ, outre la présence de Dieu, un
élément pneumatique, que révèle sa croissance en sagesse, et un
élément psychique, qui conditionne son accroissement en taille 14.
Cet élément psychique, en soi invisible, dut revêtir un corps
(rù paivéuevov) 15, Soit encore une fois trois éléments. Mais dans
la même œuvre, l’auteur apporte des précisions, légèrement dis-
cordantes, sur la division de l’âme humaine. Dieu, explique-t-il,
pour créer l’hommeà son image, prit du limon de la terre, pour
faire « l’âme terrestre et matérielle, sans logos et consubstantielle
à celle de la bête > — petite note stoïcienne —, mais il y insuffla
aussi « un élément semblable à lui », « souffle de vie », « âme
vivante », « invisible et incorporelle 16 ». On retrouve nettement
une âme matérielle, commune à toute la création, chargée de la
génération, à côté d’une âme psychique, appelée parfois divine,
comme le pneuma lui-même, à cause de son origine 17, Soit les
deux ou trois parties de l’âme 18.

premier chez Zénon (Diogène Laërce, VII, 142); le deuxième chez Epicure
(ibid., X, 63) et Sextus Empir., Adu. math., VII, 374.
10. Str., VI, 52, 1-2.
11. Ibid., 11, 114, 2
12. Exc. ex Theod., 54, 2. Mais rappelons aussitôt combien il est difficile
de distinguer dans cet écrit la part des Gnostiques et celle de Clément.
13. Ibid., 55, 1.
14. Ibid., 61, 1-2.
15. Ibid., 59, 3-4; 62, 2.
16. Ibid., 50, 1-3.
17. Ibid., 51, 2-3.
18. En fait, il y a donc trois éléments dans l’âme, puisqu'elle comporte
encore un élément pneumatique (53, 2-54) « qui se juxtapose au pneuma
(humain), comme le pneuma (humain) est juxtaposé à l’âme » (17, 4).
A l’ensemble, il faut naturellement ajouter la chair visible (55, 1). Dans ce
contexte gnostique, les mots « âme divine » couvrent tantôt l’élément psy-
chique, tantôt l’élément pneumatique : Geia yap äpvow, dit l’auteur (55, 2).
Cf. éd. F. M. M. SacnaRD, Extraits de Théodote, coll. Sources Chrétiennes,
Paris, 1948, p. 164-169, ou l’étude du même, La Gnose Valentinienne et le
témoignage de saint Irénée, Paris, 1947, p. 528.

168
CLÉMENT D'ALEXANDRIE
Les Excerpta montrent encore que le psychique est dans le
choïque, « non pas partie par partie, mais présent tout entier
au tout, par une puissance indicible » de Dieu. Ils établissent
comme trois cercles concentriques : la chair, qui contient l’âme
matérielle, qui est elle-même le corps de l’âme divine 1?, idée que
nous avons rencontrée, exactement identique, dans le traité justi-
nien sur la résurrection.

Objections. Malgré les affirmations si nettes de


dichotomie ou de trichotomie psy-
chologique dans son œuvre, nombreux, très nombreux sont les
textes où Clément ne parle que de corps et d'âme : « L’homme, à
mon avis, dit-il, est semblable au Centaure des fables thessa-
liennes, composé de logique et d’alogos, d’âme et de corps 20. »
Il explique que « l’âme est reconnue comme la partie supérieure
de l’homme, le corps comme la partie inférieure... 21 », Le corps
et l’âme constituent la double beauté de l’homme 22. C’est bien
l’âme, et non quelque élément supérieur, que tue le péché 73,
comme c’est dans l’âme que loge la foi24 Souvent Clément
montre l’œuvre de sanctification et de rédemption s’appliquant
au corps et à l’âme 25. La mort est naturellement présentée aussi
comme séparation du corps d’avec l’âme 26. L’âme semble vrai-
ment constituer l’élément unique, qui avec le corps compose
l’homme. On retrouve la même anthropologie dichotomiste sous
une terminologie différente. Clément oppose sans cesse l’homme
raisonnable à l’animal privé de logos. C’est le logos qui distingue
l’homme 27, ou même l’expression (p0éyyoux) 28, Il est essentielle-
ment le « vivant raisonnable 2? », Et Clément reprend la défi-
nition, sans doute stoïcienne 30, « un vivant mortel, avec mains,

19. Exc. ex Theod., 51, 1-3.


20. Sir., IV, 9, 4; cf. 11, 2.
21. Ibid., IV, 164, 3.
22. Paed., III, 3, 3. Voici quelques autres textes opposant corps et âme :
Paed., II, 27, 2; 1, 6, 6; Str., III, 100, 6; 64, 1; IV, 60, 4; VII, 69, 1; Quis
diues, 34, 3.
23. Str., III, 63, 3.
24. Paed., I, 38, 1.
25. Sanctification : Paed., II, 20, 1; Str., V, 61, 3 (l’homme entier — corps
et âme, cf. 61, 5). Rédemption : Paed., 1, 6, 2; III, 98, 2; Str., III, 104, 4.
26. Str., IV, 12, 5; VII, 71, 3.
27. Ibid., II, 111, 2.
28. Protr., 104, 2.
29. Paed., I, 100, 3; II, 46, 2; II, 30, 3; Str., IIL, 7, 1; VI, 163, 2.
30. CL. MOoNDÉSERT, à qui nous empruntons cette série de références,
rapporte d’autres textes et conclut : « Tous ces textes se réfèrent à la déf-
nition stoïcienne bien connue de l’homme : EGov yepoaiov, mébov, Aoyuxôv »
(Vocabulaire de Clément d’Al. Le mot Xoyrxôç, in Rech. de Sc. Relig., 42, 1954,
p. 260).

169
LE COMPOSÉ THUMAIN

pieds et raison 81 ». Cependant il repousse expressément la thèse


stoïcienne de la xpäois &t'6Awv, qu’admettaient les Valentiniens 22.
En somme,on sent ia même difficulté que chez Tatien ou chez
saint Irénée., Clément ne sait que faire du pneuma supérieur de
l’homme, cette fine pointe de l’âme qu’atteint l'Esprit de Dieu.
De plus, il semble bienveillant à une thèse de l’unité psycholo-
gique, mais tantôt met au centre la uyxn, tantôt le logos. Son
anthropologie est tâtonnante et manque de cohérence.

2. PRÉCISIONS SUR L’AME

Les parties de l’âme. Volontiers Clément conçoit lPâme


à la mode platonicienne. Il l’appelle
tripartite 33 ou frigène et il énumère ces trois parties : T6 voepév,
5 8h Aoyioruxdv xadeïras…. To 8 Ouutxôv, Gnprédes Üv... moAdmoppov DÈ
rù émubuunrixdv xœi Tpirov 34, Les deux derniers éléments consti-
tuent ce qu’on appelle « la partie alogon de l’âme 35 », qui se
divise précisément en deux, le 6vués et l’éëmu@uuix 36, celle qui
concerne les plaisirs et poursuit la matière 37. L’auteur greffe
là-dessus la conception paulinienne de la chair en lutte :avec
l'esprit : le preuma sans raison ou âme somatique regimbe, parce
que « la chair désire contre l’esprit 88 ».
Cependant cette conception n’empêche pas Clément de décom-
poser l’âme à la mode stoïcienne, ou du moins avec une infra-
structure stoïcienne. Voulant arriver, pour des raisons mys-
tiques, à découvrir dix parties dans l’homme, parce que « la
décade contient l’homme 5% », il y compte « le corps et l’âme,
les cinq sens et le povnrixév, le onepuarixév et le Staxvonrixév ou
rveuuaruxév où tout ce qu’on veut comme nom #0 ». C’est exacte-
ment la division stoïcienne de l’âme en huit parties, dans l’ordre
traditionnel, avec une simple variante de terminologie 41, mais
il s’arrange artificiellement, en ajoutant le corps et l’âme, pour
arriver au chiffre de dix. Ailleurs, autour du même chiffre, qu’il

31. Str., VIII, 18, 6-7.


32. Exc. ex Theod., 17, 1.
33. Str., V, 80, 9.
34, Paed., III, 1, 2.
35. Str., VII, 32, 7.
36. Ibid., V, 53, 1.
37. Paed., III, 53, 2.
38. Str., VII, 79, 6; VI, 52, 1-2. J. Merrorr note très bien la transposition
paulinienne de la trichotomie platonicicnne (Der Platonismus bei Clemens
Alexandrinus, Tubingue, 1928, p. 25).
39. Str., II, 50, 3.
40. Ibid., 4.
41. Ainsi Aèce, Placita, IV, 4, 4, mais la dernière partie s’y appelle
hègemonikon, cf. ARNIM, SVF I, 143 sq., p. 39; II, 827-833, p. 226-227.

170
CLÉMENT D'ALEXANDRIE

trouve dans le cosmos et veut retrouver dans le microcosme qu’est


l’homme, il le divise autrement, mais sur la même base: les
cinq sens, le pownrxév et le oxepuatixév. Il y ajoute le rvevuarixèv
xata Thv nAgow, l’ hyeuonxdv tic duyñc, et enfin le Già Tic riorewc
npooyivémevoy &ylou nveduatos yapaxrnprorixèv iOlwux 42. Malgré les
adjonctions personnelles, on voit bien la même division stoi-
cienne sous-jacente. Dans la suite du texte, il se livre encore à
d’autres variations sur le chiffre dix, celles-ci par trop fantai-
sistes, cinq sens, deux pieds, deux mains, l’âme 43, On voit là
qu’on aurait tort de prêter à Clément une théorie personnelle en
la matière. Mais un fait certain, c’est que ce prétendu Platonicien
volontiers divise l’âme à la manière du Portique.

L’'hègemonikon. Clément fournit sur l’hégemonikon


des précisions, qui ne sont pas tout
à fait étrangères au stoïicisme. Sans doute pour lui cette faculté
supérieure est venue de l’extérieur : « L’âme est ajoutée, dit-il;
et surajouté l’hègemonikon, par quoi nous raisonnons, mais qui
n’est pas engendré selon l’évolution du sperme ##. >» Dieu insuffla
« l’âme raisonnable » par le visage. Mais aussitôt Clément en tire
une considération philosophique : « C’est là qu’est établi l’hège-
monikon 45. » Et volontiers il associe ces deux notions, tête et
hègemonikon 4, résolvant ainsi le problème de sa localisation,
qu’il sait être une question à la mode 47.

42. Str., VI, 134, 2. Ce dernier élément est proprement l’habitation du


Saint-Esprit. C’est de lui que Clément dit : « L’esprit n’est pas comme une
partie de Dieu en chacun de nous » (ibid., V, 88, 3). Il s’agit du même
pneuma quand il dit : le fornicateur « est délaissé par la raison comme
par l’esprit, étant mort » (Paed., II, 100, 1). C’est sans doute le même
pPneuma qui donne à l’âme l’immortalité, puisqu’elle est incorruptible non
par sa nature, mais par grâce (Fragm. in Ep. Petri 1 Cath., STAEGLIN IJI,
p. 203, 1. 20-22; p. 204, 1. 17-18). Pour ces hésitations autour du mot pneuma,
cf. VERBEKE, p. 435-436 ou J. D. FranGouis, Der Begriff des Geistes (nvedpx)
bei Clemens Alexandrinus, Borna-Leipzig, 1936. Malheureusement cette thèse
dIéna n’est imprimée que pour la partie qui considère le pnenuma comme
concept théologique.
43. Str., VI, 134, 3-135, 1.
44, Enetoxpiverar Gè t, Duyt, pal Tpocetaupivstat Tù TyEMLOYXOV, Atahoyuto-
peôa, où xat ThV toù omépuatos xatabohtv yevvmmevov (ibid., 135, 1). L’ori-
gine de l’âme ou de l’hègemonikon constitue un thèse classique des traités
de l’âme. Aèce (Placila, IV, 5, 11) attribue étrangement à Pythagore, Anaxa-
gore, Platon, Xénocrate et Cléanthe que le vos est introduit (eisxpivecdar) du
dehors (SVF 1, 523, p. 118). Cf. Philon, où se trouve le même problème avec
le même terme grec (De somn., I, 30-32). On le retrouve encore dans le traité
de l’âme de Jamblique (Stobée, I, 49, 41, éd. Wacasmurn, 1, 381, 1-18) ct
dans le traité de Porphyre sur l’animation de l’embryon (II, 1, éd. KALBFLEISCH,
p. 34, 11-25). Rappelons que ces deux traités sont traduits dans A. J. FEsTu-
GIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. III, p. 117-302).
45. Str., V, 94, 3-4.
46. Paed., II, 74, 3; Str., IV, 63, 5.
47. Str., VIII, 14, 4.
LE COMPOSÉ HUMAIN
A cette faculté, il attribue un rôle primordial, supérieur. Elle
« règne », mais seulement « quand elle commande aux désirs #8 » ;
elle « siège sur un trône inébranlable », mais « il faut qu’elle
commande aux passions 4 ». On voit là se dégager la fonction
morale qu’il départit à cette puissance : « Le logismos-hègemo-
nikon, restant infaillible et commandant à l’âme, est appelé son
pilote 59 », comme le vois est appelé pilote 5, Elle contient la
ppévnois 52, source de toute vie morale 58, Mais en même temps,
elle est source de connaissance « et connaît familièrement la
vérité 54 », comme nous le verrons plus loin. Et c’est bien la
même fonction qui assume le double rôle, car le noûs, qui n’en
est guère différent, chargé surtout de vérité, doit aussi « com-
. mander aux passions 55 »; l’hégemonikon, surtout moral, est
pourtant également « ce par quoi nous raisonnons 56 ». Clément
reconnaît donc à l’âme, malgré les notions et les termes qu’il
utilise, l’unité foncière que proclamaient les Stoïciens.
Mieux encore. Clément attribue à cette faculté dominante,
bien qu’il la mette, par son origine, en quelque sorte hors de
l’âme, un rôle unificateur, qui a de quoi surprendre. « L’âme
tripartite. est sauvée... parce que la force du logos qui nous est
donnée, tendue (obvrovos) et puissante, attire à elle et amène à
l'unité toute sa constitution (obtormuæ) 57 ». Au contraire, « quand
l’hègemonikon est instable, la puissance constitutive (n éxtix
Süvaus) n’est pas sauve 58 >. Nous sommes en philosophie et la
terminologie même est technique 5.
Clément reconnaît vraiment à l’hégemonikon cette fonction
vitale : « Nous disons donc que le logistikon-hègemonikon est
cause de la consistance du vivant, et même du fait que l’élément
sans logos soit animé et en fasse partie 5. » Il précise encore :
« La puissance vitale, en quoi est renfermée la faculté de se
nourrir et de s’accroître, de se mouvoir en somme, est la part
du pneuma charnel, qui est agile, qui partout procède par les
perceptions et par le reste du corps, qui est premier affecté par

48. Str., NI, 136, 1.


49. Fragm. 44, Protr. ad pat., STAEHLIN III, p. 221, 1. 22-23,
50. Str., II, 51, 6.
51. Paed., Il, 28, 3.
52. Protr., 98, 3.
53. Str., 1, 159, 3-4.
54. Ibid., I, 99, 3.
55. Fragm. 44, Protr. ad pal., STABHLIN III, p. 221, 1. 22-23,
56. Str., VI, 135, 1.
57. Ibid., NV, 80, 9.
58. Ibid., VI, 78, 2.
59. L’EEtç désigne chez les Stoiciens l’unité substantielle de l’être immobile,
qui résulte du tonos (SVF II, 715-716, p. 205).
60. Str., VI, 135, 2 : xd Aoytotuxdy voivuv xai hyemovixdv altuov elvai wauev ti
De té Cow, GA xai Toù #hoyov époç Euxsadat Te xai pLÔploy aÙThc
elvat.

172
CLÉMENT D'ALEXANDRIE
le corps. L’hègemonikon, de son côté, détient la puissance
d'option, avec, autour, la recherche, la connaissance et la gnose.
Mais l’attribution de tout à l’unité est réalisée par l’hégemonikon,
et, à cause de lui, l’homme vit et vit d’une certaine manière, Donc
par l'esprit somatique l’homme sent, désire, jouit, se fâche,
se nourrit, s'accroît. Mais surtout, dans les actions qui concernent
la connaissance et l'intelligence, c’est par lui qu’il procède, et,
quand il commande aux désirs, l’hègemonikon règne 61, »
L'aïoôno1. qui paraît l’opposé de cette fonction intellectuelle,
est cependant aussi liée à l’hègemonikon. Les sens y aboutissent,
puisqu'il est « l’entrée de l’âme pour les sens 62 ». De plus, la
sensation est pénétrée de logos. « Un cheval et un chien, dit
Clément, n’ont aucune idée du parfum, mais chez ceux qui ont
des sens plus pénétrés d’intelligence, on peut mieux blâmer
cette jouissance, quand ils cherchent des odeurs bonnes pour :
des filles 63. >» CI. Mondésert peut dire, en interprétant le Péda-
gogue : « En chaque homme, toutes les facultés, toutes les acti-
vités et les vertus, tous les sentiments sont sous l’influence de ce
rù Aoywxôv, c’est-à-dire imprégnés d'intelligence et d’esprit 64, »
Par ce détour, l’unité de l’âme sous l’autorité de l’hègemonikon
est rétablie.
Après avoir adopté la dichotomie psychologique des Platoni-
ciens et tout en distinguant, dans le texte même, d’une part un
pneuma charnel ou somatique, qui se confond avec la puissance
vitale et toute la vie affective, d’autre part un hègemonikon intel-
lectuel et moral, Clément revient à l’unification de l’âme sous
la domination de cette dernière faculté, puisqu'il lui attribue
l’existence même du vivant, l’animation de la partie alogique et
le contrôle des perceptions. C’est à cause de lui que l’homme
« vit et vit d’une certaine manière ». Cette unification de l’âme
autour de l’hégemonikon est une thèse bien stoïcienne, que nous
avons reconnue chez Tertullien. Pour les Stoïciens aussi le
pneuma est la source de toutes les manifestations de la vie et
l’hègemonikon, bien qu’il ne soit que l’une des huit parties de
l’âme, fait vraiment fonction de centre vital, point de départ et
terme du courant pneumatique 6. Il ne faut cependant pas

61. Str., VI, 135, 3-136, 1.


62. Ibid., V, 94, 3-4.
63. Paed., II, 64, 2. Ce texte est cité dans cette traduction par CL. Mon-
DÉSERT, Vocabulaire de Clément d'Alex. Le mot \oytxô<, in Rech. de Sc. Relig.,
42, 1954, p. 266, n. 3.
64. Ibid., p. 260.
65. Aèce attribue aux Stoïciens le même rôle unificateur de l’hègemonikon :
« Les Stoïciens disent que la partie la plus haute de l’âme, c’est l’hègemo-
nikon, source de représentations, d’assentiments, de sensations et d’instincts
(td motoüv rç vavragiac xai ouyraraléaers xxt alobrioers val 6pudçi. Et ils
l’appellent logismos » (Placita, IV, 21, 1).

173
LE COMPOSÉ HUMAIN

pousser le rapprochement trop loin. Clément a subi bien d’autres


influences, De plus, l’hègemonikon est toujours issu du souffle
de Dieu sur le visage de l’homme: il est le logos qui rend
l’homme semblable à Dieu 66.

Matérialisme Clément est très hésitant sur l’es-


psychologique. sence de l’âme inférieure. Il semble
la concevoir comme matérielle,
d’après les noms mêmes qu’il lui donne : « Ame corporelle 67 »,
« pneuma corporel 68 >», « pneuma charnel 6 ». Dans le texte où
il décrit le châtiment des âmes, il envisage, à côté d’une âme
subtile, qui échappe au supplice, une autre partie qui peut être
engloutie par les eaux : « La partie dense, qui se trouve épaissie
du fait du péché et qui est rejetée avec le preuma charnel qui
désire contre l’âme 7 ». Matérialisme ? Cependant il dit aussi que
« les âmes sont invisibles, non seulement les âmes raisonnables,
mais même celles des vivants alogiques,et leurs corps jamais ne
deviennent des parties de leurs âmes, car ils sont les instru-
ments de celles dont ils sont le siège 71 ». C’est sans doute qu’il
s’agit d’une corporéité relative.
Les Excerpta ex Theodoto n’ont pas ces hésitations. Ils
affirment que « l’âme aussi est un corps. Comment les âmes
châtiées ressentiraient-elles, si elles n’étaient pas des corps ?.….
L’histoire de Lazare et du Riche montre que l’âme est corps en
membres corporels ». A partir du même texte évangélique,
l’auteur tire la même conclusion que Tertullien et Irénée ?2.
Ce dernier texte, d’après F. Sagnard, exprime bien la pensée
de Clément. De fait, notre auteur établit, entre l’âme et la nour-
riture corporelle, des rapports qui semblent exiger une concep-
tion matérielle. Il condamne l’usage de la viande et du vin, qui
alourdissent l’âme 73, les guirlandes de fleurs, qui l’efféminent par

66. CL. MonDÉserRT dégage parfaitement ce sens des mots }dyos et hoytréc
chez Clément d’Alexandrie, Vocabulaire, p. 261-263.
67. Str., VIL, 79, 6.
68. Ibid., VI, 136, 1.
69. Jbid., 135, 3; 136, 2.
70. Ibid., VI, 52, 1-2 : ci-dessus, p. 167-168.
71. Ibid., NI, 163, 2.
72. 14, 1-4. Saint Cyprien reprend le texte biblique, Ep., LIX, arr, 3, éd.
BaAyARD, p. 171. Il dit que le riche souffrira au feu de l’au-delà, surtout dans
sa bouche et dans sa langue, par où il a péché, mais il ne révèle pas de
théorie philosophique sur la corporéité de l'âme. Clément évoque ailleurs le
même texte (Paed., II, 105, 1), mais ne fait aucune considération sur la
survie.
73. Paed., 11, 11, 1; cf. 18, 3.

174
CLÉMENT D'ALEXANDRIE
les sensations 74, Il s'oppose au vin surtout, qui excite les mauvais
penchants et développe démesurément les parties et les seins,
jusqu’à aggraver « la blessure de l’âme 75 ». L’âme se corpora-
lise T6 — ji] veut dire se matérialise — par les vapeurs du vin 77.
Dans le contexte il veut que l’âme évite la boisson, « pour être
pure, sèche et lumineuse » et il cite le vieux principe d’Héraclite:
« L'âme sèche est la plus sage et la meilleure 78. » En un mot,
€ l’abus de nourriture engendre dans l’âme, le malaise, l’oubli et
la déraison 79 ».
Mais certains de ces textes semblent sous-entendre une théorie
du fonos. On sait que Clément connaissait cette explication de
la physique stoïcienne. Dans une étude philologique du terme
sphinx, il déclare : « Sphinx n’est pas le lien du tout et l’enve-
loppe du cosmos, au sens du poète Aratos, mais il pourrait bien
être le fonos pneumatique pénétrant (Stmxwv) et tenant ensemble
.ouvéxwv) le cosmos 8, » Ne s’en serait-il pas inspiré, après Ter-
tullien, dans ses considérations sur l’âme ? Il dit que le régime
alimentaire « ne doit pas faire baisser le tonos 81 », Il conseille
de ne pas « dissoudre le tonos de l’âme dans la bonne chère et
les relâchements que provoquent les boissons & ». Enfin, il
déconseille les bains chauds et fréquents, parce que leur humidité
pénètre les corps, « abat les facultés, et détend les tonoi phy-
siques, souvent même entraîne des affaiblissements et des dépres-
sions 88 ». La théorie évidemment a pris, plus que chez Tertul-
lien, une teinte morale, qui n’est d’ailleurs pas étrangère au stoi-
cisme, mais Clément, sans en voir peut-être toute la portée phy-
sique, continue à s’en servir.

14. Str., VII, 36, 3.


75. Paed., II, 20, 4-21, 1; 22, 2; 29, 2.
76. Zwparorotoumévr. Le même mot est appliqué à l’âme en un sens favo-
rable. L’âme « devient corps » par la foi qui est corps (Paed., I, 38, 1). Dans
le Corpus Hermeticum, VIII, 3, éd. Nocr-FESTUGiÈèRE, p. 88, il prend encore
un tout autre sens : « Le Père fit le tout en forme de corps (swparorotñozc). »
77. Au sujet des passions, il parle aussi des exhalaisons des désirs charnels
qui « assombrissent » ou « épaississent » la partie rationnelle de l’âme
(Str., IT, 115, 3-116, 1; III, 93, 2). Cf. aussi l’influence des vapeurs dans
l’extase (ibid., I, 135, 2), texte étudié plus tard (ch. VI).
78. Paed., II, 29, 3. Il cite le principe sous la forme : avt, ôè uyh Enpx
Sozuwrätr, xal Gpistr. Pour une discussion du texte, cf. J. Burner, L’aurore
de la philosophie grecque, trad. A. Reymond, Paris, 1919, p. 154-155, n. 4.
La même idée est reprise par Plutarque pour expliquer la divination prophé-
tique (cf. VERBEKE, p. 273-274).
79. Paed., II, 17, 3.
80. Str., V, 48, 2. Cf. ArNiM, SVF II, 318, p. 115; 407, p. 134.
81. Paed., II, 107, 2; cf. II, 111, 1, où l’expression peut signifier : baisser
le ton.
82. Fragm. 44, Protr. ad pat., STABALIN III, p. 222, 1. 23-24,
83. Paed., III, 46, 2.
LE COMPOSÉ HUMAIN .

Conclusion. En somme, les éléments stoïciens


sont très nombreux dans la psycho-
logie des Pères 84. D’abord, l’âme, pour aucun d’entre eux, n’est
l’homme. Si la tendance à mépriser le corps apparaît chez un
Tatien ou un Clément, comme nous le verrons plus tard, elle est
exception et n’a pas modifié leur conception de l’homme.
L'homme est toujours constitué de corps et d’âme. Cette âme
apparaît parfois double, mais nous avons vu que l’élément supé-
rieur est presque toujours, sauf dans certains textes de Clément,
une réalité surnaturelle, proprement chrétienne et non substan-
tielle; il n’est pas un élément du composé humain. Les Pères
dans l’ensemble divisent la nature humaine en deux; ils adoptent
l’anthropologie dichotomiste des Stoïciens. C’est le cas surtout
de Tertullien, qui, pour faire pièce aux Gnostiques platoniciens,
se range délibérément du côté du stoïcisme dans sa psychologie
et, après saint Irénée, autre antignostique notoire, glisse dans
un matérialisme surprenant, Même un auteur comme Clément,
qui emprunte plus volontiers à Platon sa division de l’âme,
révèle néanmoins l’emprise de la Stoa dans sa conception de la
nature de l’âme et de ses fonctions. Enfin, des auteurs très
divers, comme Tatien, Athénagore sans doute, Irénée, Tertul-
lien et peut-être Clément, ont tendance à trouver dans l’âme un
élément partagé avec la vie universelle, raccrochant ainsi
l’homme au cosmos. Toutes ces données montrent que l’anthro-
pologie stoïcienne a pénétré fortement la pensée des écrivains
ecclésiastiques. Cependant on remarquera au passage que les
plus grands défenseurs de l’unité de l’âme et de sa corporéité,
ceux qui inclinent le plus vers le Portique, ce sont les adver-
saires les plus acharnés du gnosticisme, de ce gnosticisme qu’ils
dénoncent comme l’héritage de Platon.

84. On aurait tort cependant de suivre P. BART, qui, après avoir consacré
cinq pages à l’ensemble du stoïcisme des Apologistes, déclare péremptoire-
ment : « Ce que les Apologètes savent en fait de psychologie est stoïcien »
(P. BART
- À. GOEDECKEMEYER, Die Stoa, 6° éd., Stuttgart, 1946, p. 273).

176
CHAPITRE CINQUIÈME

LA GÉNÉRATION ET L’HÉRÉDITÉ.
LES QUESTIONS MÉDICALES

I. CHEZ LES STOÏCIENS

Les théories de la génération et de l’hérédité ont été très


nombreuses et souvent ingénieuses, chez les philosophes, dès le
V° siècle, Il s’agissait de définir surtout la part relative de
l’homme et de la femme et d’expliquer le sexe, bientôt l’héré-
dité. Déjà Anaxagore attribuait à l’être masculin le principe
actif. Avec Leucippe et Démocrite, on affirme que la semence
vient de tout le corps et on explique par là l’hérédité. Avec Dio-
gène d’Apollonie au V° siècle, mais surtout au IV*° siècle, on
découvre que le sperme est un résidu du sang nourricier, trans-
formé et devenu subtil, chaud et écumeux 1. On voit là l’action
de la chaleur, que soulignait déjà Empédocle. Aristote admet
le passage du sang en semence, attribue à cette semence avec
son pneuma le rôle de forme et dit que le sang purifié de
l'utérus, sans être une semence active, apporte avec la chaleur
la matière et joue un rôle analogue à la semence masculine 2.
Les Stoïciens s'emparent de ce long héritage et, selon leur

1. Cette notion du sperme chaud et écumeux se retrouve dans toute la


médecine, cf. Hippocrate, De nat. pueri, 1, LiTTRÉ VII, 470-471 ; Galien,
De usu part., XIV, 9, 183 : « Le sperme est un pneuma et en quelque sorte
écumeux », une matière visqueuse « pleine de souffle vital »; cf. XIV,
10, 184. 2
2. Cet alinéa est un résumé rapide de E. Lesky, Die Zeugungs- und Verer-
bungslehren der Antike und ihr Nachwircken, in Ak. der Wissensch. und der
Liter., Abhandl. der Geistes- und Sozialwissensch. Klasse, 1950, 19, Wiesbaden,
1951, p. 1-159. On peut aussi trouver de nombreux renseignements dans
Fr. Rurscue, Blut, Leben und Seele.…., Paderborn, 1930, p. 1-240, ou dans
W. W. JARGER, Das mveüua im Lykeion, in Hermes, Zeitschr. für Class.
Philol., 48, 1913, p. 29-74.

7e
QUESTIONS MÉDICALES
pneumatologie, mettent en avant le rôle du pneuma, qui devient
souverain. Pour eux, l’homme tout entier est transmis par le
sperme, sang écumant, qui, avec son élément humide, comporte
essentiellement un pneuma et résime en lui toutes les puis-
sances physiques et morales du générateur 3, Ce sperme, seul
reproductif, fournit donc corps et âme. Cependant son preuma
semble entrer en composition avec une espèce de pneuma
féminin sans sperme“, si bien que le principe vital de
l'embryon provient en un sens des deux parents et que l’héré-
dité, même maternelle, s’explique facilement. Cette solution du
problème de l’hérédité est une des conquêtes du stoïcisme 5.
Puisque le principe vital est transmis avec le sperme, on
peut parler d’un pneuma oûpurov ou œquoixév. Cependant, dans
l'embryon, il n’est source encore que de vie végétative et joue
le rôle de physis 6. Avec la matière humide du sperme paternel,
il constitue le corps de l’enfant, nourri par le sang de la mère 7.
Plus tard, dans l’enfant, il entre en contact avec l’air extérieur,
qui le refroidit 8 et le purifie par le jeu de la respiration. Il se
fortifie aussi par les vapeurs du sang chaud. Il engendre la vie
instinctive, qui est dominante chez l’enfant, comme Panétius l’a
dégagé®. Mais un peu à la fois, ce preuma devient une âme
proprement dite avec sa vie personnelle. Les quatre instincts
sont alors dominés par la raison, qui leur donne, par le travail
de la owpostvn, leur orientation et crée l'unité de l’âme.
Au terme de l’évolution, le logos est constitué : l’enfant a qua-
torze ans environ10, En même temps le feu artiste contenu
dans le pneuma poursuit son rôle créateur et modèle le corps.

3. Ce point est controversé. Admis par M. PouLenz, Die Stoa, I, p. 86, il est
combattu par E. Lesky, p. 167. On retrouve cette théorie chez Hippocrate,
De nat. pueri, 1, LiITTRÉ VII, 470-471 : « Le sperme masculin vient de tout
l’humide du corps » ; III, LiTTRÉ VII, 474-475 : « Je dis que le sperme vient de
tout le corps, des parties solides comme des parties molles et de tout
l’humide du corps. »
4. On constate ici un certain flottement. E. Lesky réduit la femme à un rôle
purement passif (p. 168); de même M. Poncenz, Die Stoa, I, p. 86. Cependant
ce même auteur admet une espèce de pneuma et exsudat féminin (ibid.)
et J. H. WaAsziNK le fait entrer nettement en composition avec le preuma
du sperme masculin pour donner le pneuma unique de l’embryon (p. 344).
Sans doute le désir de résoudre le problème de l’hérédité poussait-il les
Stoïciens à grossir plutôt le rôle de la femme (E. Lesky, p. 170).
5. E. Lesky, p. 172.
6. D’où l’avortement est admissible : il n’y a pas meurtre d’homme;
cf. M. PoxLeNz, Der hellenische Mensch, Gôttingen, 1947, p. 384-385.
7. ARNIM, SVF 1, 128-129, p. 36; II, 741-747, p. 211-212.
8. Aucun Père n’a pris cette thèse à son compte. Au dire d’Hippolyte, les
Docètes en auraient gardé un reste. Il leur prête la théorie que les âmes
Le _ idées venues « des régions supérieures et refroidies » (Refut., VIII,
10, 1).
9. M. PouLenz, Die Stoa, I, p. 200-201.
10. Tel n’est pas l’avis de tous les Stoïciens. :D’abord les textes ne per.
mettent pas de déterminer l’âge avec précision. Il est question tantôt de

178
LES APOLOGISTES

Comme on le constate, il s’agit ici d’une théorie médicale,


plutôt que d’une position philosophique. Physique et médecine
se compénètrent déjà, et, par la suite, se compénétreront de
plus en plus dans les écoles médicales, en particulier dans
l’école pneumatique, qui est l’héritière, souvent infidèle, du stoi-
cisme 11, Il y a dans ces thèses médicales un mélange inextri-
cable de notions surtout aristotéliciennes et stoïciennes, souvent
encore empruntées à des philosophies plus anciennes.
C’est de cet éclectisme que les Pères se font l'écho. Il est
presque impossible de délimiter les thèses exactes qu'ils uti-
lisent. Mais il est remarquable qu’ils en font, à partir de Ter-
tullien, un usage très fréquent, pour s’en inspirer ou pour les
combattre.

II. CHEZ LES APOLOGISTES


DES DEUX PREMIERS SIÈCLES

Justin. Justin déjà donne quelques indica-


tions sur la génération. Il dit que
nous avons été « engendrés selon la nécessité, ignorants, d’une
substance humide, par l’union mutuelle des parents 1 ». Par ces
mots : « selon la nécessité », il entend sans doute les lois cos-
miques, où vient s'inscrire un jour cette génération charnelle.
En effet, pour montrer que Dieu a engendré librement le Christ
dans sa naissance humaine, il souligne sans cesse que le sauveur
« n’est pas une œuvre humaine, mais l’œuvre de la volonté de
celui qui l’a produit, le Père, Dieu de toutes choses 2 ». « Son
sang ne provient pas d’un sperme humain, mais de la volonté

14 ans, tantôt de « deuxième hebdomade », ce qui abaïisserait « l’âge de


raison » à 7 ans. WaszINK donne une quinzaine de références (p. 434). De plus,
Zénon considère qu’il y a 6p6ùç )6yos dès la naissance. Chrysippe juge qu’il
y a tabula rasa et que le travail des sensations pendant sept ans constitue
les premières notions, généralement fixes comme des cadres pour la pensée
(ibid., p. 56; 89-90).
11. On retrouve chez Hippocrate et Galien, par exemple, la plupart des
thèses ici exposées. Nous l’avons parfois noté au passage et l’occasion s’en
présentera souvent encore. ;

1. 1 Apol., LXI, 10.


2. Dial., LXI, 1; LIV, 2; LXXV, 4; LXXVI, 1; LXXXIV, 2.

179
QUESTIONS MÉDICALES.
de Dieu 5. » Il n’y a pas eu de commerce charnel 4. Que l’homme
ordinaire soit, en revanche, lié au développement vital du
cosmos, c’est une idée que nous retrouverons.

Athénagore. Athénagore disserte assez longuc-


ment sur la génération, mais sans
être plus précis. Lui aussi parle du « sperme humide » et ajoute :
« Dans cette goutte de sperme molle et homogène se trouve con-
tenu le principe de tant de facultés diverses, de toute cette masse
qui va croître et se développer : je veux dire les os, les nerfs. »
« Il faut d’abord répandre le sperme; puis celui-ci se développe
jusqu’à former successivement les divers membres 5. » En tout
cela aucun rôle n’est attribué à la femme. L’auteur dit seulement
que cet embryon est « dès le sein maternel un être vivant6 ».
L’affirmation la plus intéressante qu’il apporte est que « les
âmes n’ont pas en propre la capacité, à titre de père ou de mère,
d’engendrer des âmes; ce sont les hommes qui engendrent
d’autres hommes. La différence du masculin-féminin n’est pas
en elles, ni quelque organe pour le rapprochement, ni le désir
vers cette chose T ». La reproduction est donc le fait du corps ou
plutôt de l’homme, et non de l’âme qui n’a pas de sexe.

« Irénée ».
« Irénée » apporte une indication
encore plus précieuse, qui sera
reprise par Tertullien : la simultanéité des deux éléments dans
la génération. « L'âme, dit-il, n’est pas antérieure au corps dans
son existence; ni le corps avant elle dans sa formation, mais ces
deux éléments datent du même moment 8. » Telles sont les notes
bien vagues et diffuses qu’apportent sur la génération les Pères
antérieurs à Tertullien.

3. Dial., LXIII, 2; 1 Apol., XXXIL 9.


4. Dial., LXXXIV, 1-2. On sait qu’il y a là, sous-entendue, une interpré-
tation particulière ou même une variante de Jn., 1, 13. En tout cas, Justin,
comme Irénée (Haer., ALI, xvir, 1, HARVEY II, p. 83; XX, 2.…., p. 103) et
Tertullien (Carn. Xti, XIX, CSEL 70, 236, 1-8 où les variantes sont discutées ;
ef. XXIV), entend ce texte biblique de la naissance virginale du Christ. Sur
la question, cf. F. M. BRAUN, Qui ex Deo natus est (Jean, 1, 13), dans Aux
Sources de la Tradition Chrétienne, Mélanges M. Goguel, Neuchâtel-Paris,
1950, p. 11-31. L’auteur sc prononce pour l’interprétation ancienne d’Irénée
et de Tertullien.
5. Res., XVII, trad. J. RrvièRE.
6. Leg., XXXV circa fin.
7. Res., XXIII.
8. Fragm. Syr. ex cant. cant., XXVI, Hanvev Il, p. 455 (fgt très douteux).
lrénée, après Théophile d’'Antioche (Autol., II, 24) et avant Clément d'Alexan-
drie (Protr., 111, 1), suppose Adam enfant, au moins moralement : Dieu
fit Lhomme maître de la terre, dit-il, € mais Île maître, je veux dire
l’homme, était encore petit; c'était un enfant qui devait nécessairement
grandir pour atteindre sa perfection »., « T1 n’avait pas encore le parfait

150
TERTULLIEN

IT. CHEZ TERTULLIEN

Tertullien est en fait le premier à poser le problème de la


génération, auquel il ajoute la question de l’hérédité et du déve-
loppement humain. J. H. Waszink a examiné avec beaucoup de
soin le chapitre xxvI1 du De anima consacré à ces matières. Il a
voulu montrer en particulier que Tertullien, suivant Soranus de
près, a quitté ici la position qu’il tient ailleurs, soit dans l’Apolo-
geticum qui est antérieur au De anima, soit même dans le De.
carne Christi qui est postérieur ou pour le moins contemporain 1,
Tertullien, qui, dans l’ensemble, adopte le système d’une ren-
contre dans l’embryon entre un sperme masculin, qui donne
forme, et le sang féminin, qui fournit la matière, dans le De anima
avec Soranus réduirait la femme à n’être que le champ où l’on
sème la graine : elle n’apporte ni sperme, ni pneuma, ni matière
pour l’embryon, mais seulement sans doute sa nourriture, tandis
que l’homme produit prneuma et matière. C’est un stoïcisme qui
diminue encore le rôle de la femme.

1. LA GÉNÉRATION

La génération Il est évident que dans l’ensemble de


chez Tertullien en général. son œuvre Tertullien adopte en cette
matière des notions qui avaient
cours à son époque. D’abord, pour lui comme pour Clément
d’Alexandrie plus tard, le sang est la source de tout. Le sperme
masculin est du sang en ébullition ?, ce même sang qui dans la
femme se fait lait, quand la matrice subit le développement géni-
tal 3. « Le sang se développe en être humain », dit-il aussi 4. Et
ceci est lié logiquement avec le rapport qu’il établit entre le sang
et l’âme : « Sans âme, il n’y aura pas de sang 5 », et inversement

usage de ses facultés... » (Dem. p. a., 11-12, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 762-763).


E. KzreBs4a, Die Anthropologie, par enfance entend surtout le manque de
maturité intellectuelle (p. 41-42).
. WASZINK, p. 344-346.
. Carn. Xti, XIX, CSEL. 70, 237, 21-23.
. Ibid., XX..., 240, 41-241, 44; cf. XIX..., 237, 23-25.
D.
B& Apol., IX, 8. <
ot . Anima, XXV, 4. Il y a derrière ce problème scientifique un texte biblique
(Lv., 17, 11). On trouve la même question : « Est-ce que l’âme est le sang ? »,
avec une longue discussion où le sang est appelé « puissance vivifiante de
l’âme », dans Origène, Entretien d’Origène avec Héraclide et les évêques, ses
collègues, sur le Père, le Fils et l’âme, éd. J. SCHERER, Le Caire, 1949, p. 144,
1. 3-164, 1. 17; cf. Introduction, p. 69-74.

181
QUESTIONS MÉDICALES

il parle des bêtes étouffées qui n’ont pas perdu leur âme parce
que leur sang n’a pas été répandu. Il ne conçoit pas l’un sans
l’autre. C’est la vieille théorie du sperme hématogène admise par
Aristote.
La position est nette quand il s’agit de décrire le phénomène
de la génération. Selon Tertullien le sperme masculin est trans-
porté dans l'utérus, où il coagule le sang féminin pour faire
l'embryon 7. L'auteur nous révèle cette théorie surtout en négatif,
quand il veut écarter de la naissance du Christ toute interven-
tion masculine. Le Christ, dit-il, est né sans le semen uiri 8, sans
aucune intervention de la puissance masculine ?. Mais il précise.
Il n’a pas voulu « de la matière séminale, c’est-à-dire manifeste-
ment la chaleur du sang, qui se fait écume pour coaguler le sang
féminin® ». C’est donc que la semence de l’homme, du sang
chaud mis en ébullition, solidifie habituellement le sang de la
femme, comme la présure le lait, et que ce sang entre ainsi en
composition. Ailleurs il s’en prend à Marcion, encore au sujet
du Christ, et évoque pour lui « les impuretés des éléments de
la génération dans l’utérus, (à savoir) le liquide et le sang, la
coagulation repoussante de la chair, qui se nourrit pendant
neuf mois de cette même fange... 11 ». On retrouve bien l’idée que
Tertullien se fait de la génération commune : l’union du sperme
et du sang féminin se durcit en forme humaine par le coagulum.
Le Christ s’est passé du coagulum initial, en prenant la chair sans
la semence de l’homme, sans le concubitus 12, mais son corps
s’est solidifié comme un autre, dans le sein de la Vierge, quoi
qu’en pense Marcion. Il s’est soumis, « malgré l’absence de
semence, à la loi des substances corporelles issues du sang et du
liquide 18 ». Sang féminin et liquide séminal, telles sont les deux
matières que nous trouvons à l’origine de toute génération nor-
male 14, Dans la discussion autour du Christ, Tertullien, qui
exclut avec tant de soin de cette génération la semence mascu-

6. lei. adu. Psych., IV, CSEL 20, 278, 17-18.


7. Carn. Xti, IV, CSEL 70, 196, 4-5. Pour la coagulation, cf. Jb., 10, 10.
8. Ibid., XVI, CSEL 70, 231, 34-38; XVII... 232, 15-19; XVIII... 234, 12-14.
9. Ibid., XXII, CSEL 70, 247, 20-22.
10. Ibid., XIX, CSEL 70, 237, 20-23. Le mot calorem (chaleur) de ce texte
est une hypothèse de J. H. Waszink, appuyée sur de nombreux manuscrits,
pour colorem. La même hésitation se retrouve dans Apol., XLII, 4.
11. Carn. Xti, IV, CSEL 70, 196, 4-13; cf. 197, 18-20.
12. Ibid., XVI, CSEL 70, 231, 34-38; XIX..., 237, 26-238, 33.
13. Marc., IV, 21, CSEL 47, 490, 24-491, 2 : « Non uulua.. coagulatus et —
si non ex semine — tamen lege substantiae corporalis ex sanguine et humore. »
Le texte est un peu douteux autour de coagulatus, mais l’ensemble est clair.
14. Cette théorie semble se retrouver chez Hippolyte, avec celle de la coagu-
lation. L’homme est à ses yeux « engendré des sangs et du désir charnel »
(Refut., VI, 9, 2). Pour montrer la faiblesse de l’horoscope chaldéen, il étudie
longuement la marche du sperme masculin dans le réceptacle féminin. Sait-on
quand l’homme est conçu ? La fécondation — qu’il appelle coagulation —
peut être instantanée ou lente. Le sperme, pour arriver à la physis, doit

182
TERTULLIEN

line, jamais ne songe à diminuer le rôle féminin. Le Christ reçoit


la chair dans la matrice et l’opération de la mère est normale 15.
Pourrait-il l’admettre, si la femme apportait son preuma ? C’est
que dans la génération normale la femme se contente de fournir
le sang, la matière, mais l’homme donne la forme, sans doute
par le pneuma contenu dans la semence : spiritus insitus cor-
pori 16, C’est de l’Aristote 17,

La génération Le De anima réduit manifestement


dans le De anima. encore le rôle de la femme. Le sys-
tème présenté au chapitre XXVII
est explicite sur ce point. Citons-en l'essentiel.

4. Bien que nous proclamions une semence en deux espèces cor-


porelle et animale, nous les voulons cependant indivises et par là
placées en un même moment du temps...
5. Dans la fonction habituelle des sexes qui mêle mâle et femelle,
je veux dire dans le rapprochement commun, nous savons que l’âme
et le corps travaillent ensemble, l’âme par le désir, la chair par l’œuvre,
l’âme par l’instinct, la chair par l’acte. Donc par l’effort unique des
deux, dans la secousse de l’homme entier, bouillonne la semence de
l’homme entier, qui tient de la substance corporelle son liquide, de
la substance animale sa chaleur...
6. Enfin dans la fièvre même du plaisir extrême, par quoi le suc
générateur est émis, ne sentons-nous pas que s’échappe aussi quelque
chose de notre âme, au point que nous contractons langueur et affai-
blissement, en même temps que baisse de la vue ? Voilà la substance
animale, qui vient droit de la distillation de l’âme, comme ce suc est
la semence corporelle issue d’un dégagement de la chair.
7. Les débuts fournissent un exemple très fidèle. La chair en Adam
vient du limon. Qu'est-ce que le limon, sinon un liquide gras ?
Eh bien ! voilà le suc génital. L’âme vient du souffle de Dieu. Qu'est-ce
que le souffle de Dieu, sinon la vapeur de l’esprit# ? Eh bien ! voilà
le pneuma que nous émettons par ce suc.
8. Lors donc qu’au début deux (substances) diverses et séparées, le
limon et le souffle, ont constitué ensemble un seul homme, les deux
substances, confondues maintenant en un, ont mêlé aussi leurs
semences et ont par là fourni une forme à la propagation de l’espèce.

parcourir une certaine distance dans les organes féminins (ibid., IV, 3, 7).
Le sperme tantôt va droit son chemin, tantôt se disperse (ibid., 8). De plus,
la matière du sperme, selon certains médecins, d’abord en ébullition, subit
une transformation dont on ignore la durée (ibid., 9). Dans tout ce déve-
loppement, d’ailleurs emprunté à Sextus Empiricus, il n’est question que du
sperme masculin. La femme doit apporter simplement le sang. Même théorie
chez Clément d’Alexandrie (Paed., I, 48, 1) et toute une tradition (WaASszINKk,
p. 343).
15. Carn. Xti, XIX, CSEL 70, 238, 27-40; cf. XX-XXIII.
16. Spect., II, CSEL 20, 4, 1.
17. WASZINK, p. 342.
18. Vapor spiritus — pneuma, souffle inférieur à l’esprit, cf. Anima, XXIV,
2; Marc., IL, 9, CSEL 47, 346, 4-5; Carn. Res., VII, CSEL 47, 35, 1-3; 35, 9-10.
Voir la discussion au chapitre précédent.

183
QUESTIONS MÉDICALES
De là maintenant deux (substances), bien que diverses, s’écoulent
cependant unies ensemble, et, introduites ensemble dans leur terrain
et leur champ, ensemble produisent de deux substances un homme, en
qui à nouveau se trouve la semence propre de l’espèce *.

Le texte est parfaitement clair. Le sperme masculin est double.


11 provient de l’homme entier, comme chez Leucippe et Démo-
crite, comme chez les Stoïciens sans doute. ÏJ1 consiste en un
élément corporel et un élément psychique. Le premier, qui pro-
cède du corps, est humide. Le deuxième, qui provient d’une
décantation de l’âme, est chaud et d’essence aérienne, comme
l'âme même. Mais ces deux éléments sont étroitement associés
dans la semence mâle, au point d’être indivisibles. Donc le père
fournit les deux éléments nécessaires à la constitution d’un
embryon humain et les répand ensemble dans le champ qu'offre
la femme, sulco et aruo suo 2, Tertullien, qui suit consciencieu-
sement Soranus?2l, veut, comme toujours, une confirmation
biblique. I1 se tourne vers le récit de la Genèse : Adam n'est-il
pas fait de limon et de souffle, prototypes d’humor et calor ?
Il est cependant la source du genre humain 2? et transmet l’âme
avec la chair 23, C’est que la femme n’apporte pas sa part à la
formation de l'embryon. En somme, l’homme joue exactement le
rôle que lui attribuait le stoïcisme en général, mais la femme a
perdu ce qui pouvait lui rester d’activité dans la génération.

L'animation immédiate. D’autres données se dégagent de


ces textes. D’abord Tertullien,
comme Athénagore, croit ferme à l’animation immédiate de
l'embryon : il est interdit de tuer l'embryon dans l'utérus, alors
que le sang se développe encore en être humain.…., « tout fruit
est déjà dans le germe ?# ». Autre évidence : l’âme n’est pas

19. Anima, XXVII, 4-8.


20. L’idée est traditionnelle, mais Tertullien peut l’emprunter à Soranus
(NWAsziNKk, p. 346). Elle se retrouve dans Clément d’Alexandrie, Paed., IL, 83,
2; 91, 1; 92, 2; 102, 1. Elle était déjà discrètement dans Athénagore, qui
demandait le respect de la femme enceinte parce qu’on n’ensemence pas un
champ déjà ensemencé (Leg., XXXIII).
21. WASzIxk, p. 346.
22. Anima, XX, 6.
23. Ibid., XXXVI, 4.
24. Apol., IX, 8. Ce texte pose une intéressante question de droit : l’indépen-
dance de l’embryon et son droit à la vie. « C’est un homme déjà, ce qui doit
devenir un homme », dit Tertullien (ibid.), alors que pour les Romains
l'embryon n’est « qu’une partie de la femme ». La question est étudiée par
F. J. DoeLcEr, Antike und Christentum, Kultur- und religionsgeschichtliche
Studien, Münster-en-W., 4, 1, 1934, p. 1-61, sous le titre : Das Lebensrecht des
ungeborenen Kindes und die Fruchtabtreibung in der Bewertung der heidnis-
chen und christlichen Antike. Cf. ibid., 4, 4, p. 281 et ibid., 5, 1936, p. 225-231.
La position chrétienne a-t-elle influé sur le droit romain ? La question est
posée par E. J. JoxkeRs, La législation de Justinien et la protection de l'enfant
à naître, in Vigiliae Christianae, 1, 1947, p. 240-243.

184
TERTULLIEN
d’origine céleste et il repousse toutes ces inventions platoni-
ciennes 5, Elle ne provient pas d’ailleurs et il rejette la théorie
de l’ &véuvnoic 26. Il s’écarte même des Stoïciens 27, qui prétendent
que le corps est animé à la naissance, au premier souffle d’air
froid. La Bible « prouve en effet que l’âme est tirée de la semence,
puisqu’elle invite à la soigner, non pas de la première aspiration
du nouveau-né 28 ». La suite du texte semble même entendre que
la naissance de l’âme est l’œuvre du flatus contenu dans le
sperme ??, le produit de cette distillation de l’âme qui est source
de la semence de vie 3%, Tertullien, pour prouver l’animation
immédiate, invoque toutes sortes d'arguments de sens commun
autour de la grossesse, témoin de la vie de l’embryon 81, puis les
textes sacrés 82, en particulier ceux qui concernent Jean-Bap-
tiste et Jésus avant la naissance 83,

Simultanéité D'ailleurs, dans l’ensemble de son


du corps et de l'âme. œuvre, quelle que soit sa théorie de
l'embryon, Tertullien, comme Iré-
née, insiste sur l’origine simultanée du corps et de l’âme. Dans
le De testimonio animae, il n’a pas encore pris position et accepte
qu’on pense autrement #4, mais par la suite il revendique une
simultanéité absolue. Il attaque la thèse stoicienne, qui ne donne
l’âme à l’embryon qu'après la naissance, avons-nous dit #5, et
dans tout le chapitre xxvir du De anima, il démontre que la
semence de l’homme transmet à la fois les deux éléments : « Les
deux en même temps sont conçus et constitués et achevés, mis
au jour aussi; il n’intervient aucune distance dans la concep-
tion, qui introduise un ordre spatial 3. » Les astrologues ne tirent-

25. Anima, XXII, en entier.


26. Ibid., XXIV, en entier.
27. Ibid., XXV, 2.
28. Ibid., XXV, 9. Cette position de Tertullien paraît avoir été très célèbre.
Elle lui est attribuée (comme à d’autres) par le Dialogus sub nomine Hyero-
nimi et Augustini de origine animarum (Ep. XXXVI), 4, PL XXX, 262 C9
266 B, 270 D. L’auteur du dialogue y dénonce ce traducianisme qui sous-entend
l’âme mortelle et corporelle.
29. Anima, XXV, 9. C’est ainsi que WasziNx entend ce texte compliqué:
« genituram hominis… ad quam aeque pertinet si quid est flatus ». C’est le
flatus qui détermine l’horoscope de l’homme, lié cependant à la naissance de
l’âme (p. 335).
30. Anima, XXVIL 6.
31. Ibid., XXV, 3-6.
32. Jbid., XXVI, 2-3.
33. Ibid., XXVI, 4-5.
34. Test. an., I, 5, CSEL 20, 135, 18-19.
35. Anima, XXV, 2. Il y a peut-être là une incompréhension du stoicisme.
Tertullien a-t-il bien distingué le pneuma originel et l’âme définitive chez les
Stoïciens ?
36. Ibid., XXVIL, ïi.

185
QUESTIONS MÉDICALES

ils pas l’horoscope, qui concerne l’âme de l’homme, dès le début


de la conception 37 ? Il se répète ailleurs : « La chair, depuis le
début de la conception, est semée, formée, produite avec l’âme.
Elle est mêlée à elle dans toutes ses opérations #8. » Il y revient
plus tard, volontairement et consciemment, jouant sur les expres-
sions : le vieil homme et l’homme nouveau. Il n’y a pas d’anté-
riorité temporelle de l’un à l’autre, du corps à l’âme. « Le corps
et l’âme se font ensemble, sans calcul de temps, vu qu’ils sont
ensemble aussi semés dans l’utérus, ce que nous avons enseigné
dans le commentaire sur l’âme. Ils sont simultanés par le fœtus,
du même âge par la naissance. Ces deux hommes, du moins deux
par leur double substance, pas par l’âge, sont ainsi mis au jour
en un, et aucun n’est antérieur. Il est plus juste (de dire) que
nous sommes tout entiers vieux ou nouveaux #2. »
La mort évidemment ne rompt pas cette simultanéité 4, Elle
est la séparation d’avec le corps #1, selon la définition classique #2.
Or l’âme est indivisible, comme nous l’avons vu : « L’âme indi-
visible en tant qu’immortelle, force à croire la mort indivisible
également, survenant indivisiblement à l’âme, non pas en tant
qu’elle est immortelle, mais en tant qu’elle est indivisible #3, > La
‘ mort est donc totale et instantanée ou elle n’est pas #4, et, comme
elle rompt la contexture de deux éléments très unis, elle est
toujours violente 45.

Communauté du sexe,
Le sexe est reconnu aussi commun
au corps et à l’âme. Tertullien voit
là une garantie de plus pour la simultanéité des deux éléments
et ne s’en cache guère dans le chapitre qu’il consacre à la ques-
tion 46. C’est la fusion de la semence charnelle avec la semence
animale qui a pour résultat le sexe, si bien qu’on ne peut l’attri-
buer à aucune substance. « L'âme semée dans l’utérus en même
temps que la chair, en même temps qu’elle aussi reçoit son sexe,

37. Anima, XXVII, 9.


38. Carn. Res., XVI, CSEL 47, 46, 25-26.
39. Ibid., XLV, CSEL 47, 92, 3-8.
40. Tertullien dit bien que le mot mort ne convient qu’au corps qui a perdu
l’âme (Marc., V, 9, CSEL 47, 601, 21-24). Ce n’est qu’un rappel de l’immortalité
de l’âme.
41. Anima, NIL, 3 : diuortium corporis; XXVII, 2 : disiunctio corporis ani-
maeque; LI, 1 : discretio corporis animaeque; LI, 1 : separatio carnis atque
animae.
42. ARNIM, SVF II, 604, p. 185-186.
43. Anima, LI, 5.
44. Ibid., LI, 8.
45. Ibid., LIT, 3. Pourtant dans le même traité, en un texte déjà utilisé,
Tertullien semble parler d’un départ progressif de l’âme, d’une lente dimi-
nution de forme (Anima, LIII, 2-3).
46. Ibid., XXXVI, en entier.

186
TERTULLIEN

si bien en même temps que, comme source du sexe, on ne peut


retenir aucune des deux substances 47, » Il dit encore plus clai-
rement : « Les semences indivises des deux substances et leur
épanchement unique subissent l’incidence commune du sexe #8, »
Le sexe appartient donc au corps et à l’âme dès la conception.
Peut-être Tertullien rejoint-il Athénagore, qui écartait le sexe
de l’âme seule pour l’attribuer à l’homme #?, Il annonce Clément
d’Alexandrie 50,

2. QUESTION D’HÉRÉDITÉ

L'hérédité. Voici une autre question bien tran-


chée par Tertullien : l’hérédité.
L'âme étant matériellement transmise avec le sperme, l’héré-
dité se comprend aisément, comme dans le système stoïcien.
Tertullien explique que « le souffle de Dieu aurait animé » la
chair d’Eve, « si (le souffle reçu en Adam) n’avait pas été trans-
metteur (fradux) pour la femme, à partir d'Adam, de l’âme aussi
bien que de la chair 51 ». Ce traducianisme explique à la mode
stoicienne l’hérédité physique et morale. & D'où vient, dit-il,
je vous en prie, que nous reproduisons dans nos dons naturels
la ressemblance de nos parents jusque dans l’âme, suivant le
témoignage de Cléanthe, si nous ne sommes pas tirés aussi de la
semence de l’âme 52 ? » Ainsi s'explique aussi la transmission
du péché originel : le mal « par suite du péché d’origine (nous)
précède, étant naturel en quelque sorte 58 ». Bien qu’il y ait
toujours aussi quelques semences de bien 54,il est ainsi devenu
« une seconde nature 55 », transmise comme la première :

47. Anima, XXXVI, 2.


48. Ibid., 4. Tertullien évoque dans le contexte (ibid., 3) les Stoïciens.
WasziNk ne connaît aucun texte stoïcien en la matière. Mais les Stoïciens font
entrer plutôt le sexe dans le corps à la naissance (p. 419).
49. Res., XXIII.
50. Au contraire, le Corpus Hermeticum place le sexe dans le corps, qui le
communique à l’âme (Fragm. de Stobée, XXIV, 8-9, éd. FESTUGIÈRE, p. 54-55).
On voit qu’il s’agit encore d’une question débattue.
51. Anima, XXXVI, 4. Dans d’autres textes, le mot tradux a plutôt un sens
passif, comme rejeton; cf. Carn. Res., VII, CSEL 47, 34, 20-23; Anima, IX, 6 :
qua flatus et spiritus tradux; peut-être Scorp., IX, CSEL 20, 162, 28-29 : tradux
spiritus sancti, et Carn. Xti, XXII, CSEL 70, 244, 9-10. K. Karpp, Probleme alt-
christliche Anthropologie, biblische Anthropologie und philosophische Psycho-
logie bei den Kirchenvätern des dritten Jahrhunderts, Gütersloh, 1950, parlant
du traducianisme de Tertullien (p. 59-67), en conclut qu’il n’est pas explicite,
mais seulement une ébauche; il entend tradux spiritus dans le sens atténué
et imagé, comme « bouture », « pousse » du souffle divin. Il invite du fait
même à ne pas entendre la génération de l’âme de manière matérialiste.
52. Anima, XXV, 9.
53. Ibid., XLI, 1.
54. Ibid., 3,
55. Ibid., 1.

187
QUESTIONS MÉDICALES
« Livré pour cela à la mort, Satan alors rendit toute la race,
atteinte dans sa semence, transmetteuse aussi de sa damna-
tion 56, » Cela se comprend aisément, si « d’un seul homme »
descend, par une transmission quasi matérielle, « toute cette
cascade d’âmes 57 ».
De toute façon, l’hérédité pèse beaucoup sur le destin de l’en-
fant, Mais elle peut être bonne aussi bien que mauvaise. Tertul-
lien reconnaît l’existence d’une sainteté qui est « le fruit d’un
privilège de la semence autant que d’une méthode de forma-
tion 58 » et, au contraire, des cas où « le bien ne peut pas naître,
tant les semences sont corrompues %# ».

3, LE DÉVELOPPEMENT DE L’EMBRYON

Le développement général. Nouvelle curiosité ! Tertullien, avec


toute son époque $%, accorde un
intérêt spécial à l’embryologie. Il discute de la durée de la
portée 81, Il décrit tous les instruments de l’embryotomie de
son temps &. Tertullien adopte aussi la théorie que « le mâle
est formé plus hâtivement — Adam n'est-il pas le premier ? —,
la femme un peu plus lentement — Eve n'est-elle pas posté-
rieure ? Ainsi sa chair a été plus longtemps informe », bien
qu’elle fût déjà animée 63, C’est encore une théorie médicale cou-

56. Test. an., III, 2, CSEL 20, 138, 5-7.


57. Anima, XXVII, 9. Ceci résout la question du péché originel. Tertullien
peut croire facilement à l’universalité du péché héréditaire : tout homme,
dit-il, « à la porte même de sa naissance est pourvu d’un esprit mauvais »
(Anima, XXXIX, 1); ou mieux encore : « Toute âme est née en Adam, jusqu’à
ce qu’elle renaisse dans le Christ, impure jusqu’à ce qu’elle renaisse, péche-
resse parce qu’impure » (ibid., XL, 1). Cependant on sent des tâtonnements :
« Presque aucune naissance n’est pure, du moins chez les païens » (ibid.,
XXXIX, 3), ou encore : « l’esprit du monde » passa « à tout le genre humain,
du moins aux psychiques et aux hérétiques, qui ne perçoivent pas les choses
de Dieu » (Marc., IL, 2, CSEL 47, 335, 26-27). Ces textes semblent faire un sort
spécial aux enfants des chrétiens. 11 faut remarquer aussi que Tertullien ne
lie pas le baptême des enfants au péché originel, mais aux péchés personnels
(J. C. Dipier, Un cas typique de développement du dogme à propos du
baptême des enfants, in Mélanges de Sc. Relig., 9, 2, 1952, p. 197). Pour une
étude d’ensemble sur le péché originel, cf. N. P. WizLrams, The ideas of the
fall and original sin, À historical and critical study, 2° éd., Londres, 1929.
58. Anima, XXXIX, 4.
59. Pud., I, CSEL 20, 219, 8-12.
60. Un témoin de cet intérêt porté à l’embryologie, c’est le Corpus Herme-
ticum (Fragm. de Stobée, XV, éd. FESTUGIÈRE, p. 66-67; XXII, p. 91). L'éditeur
donne un très riche commentaire de ces textes, en particulier dans l’intro-
duction, p. LXXXVIII-XCVII; CXIX-CXXIII.
61. Anima, XXXVII, 3-4.
62. Ibid., XXV, 4-5. L’aspect médical de ces théories a été étudié rapide-
ment par P. DE LaBRiOLLe, La physiologie dans l’œuvre de Tertullien, in
Archives Générales de Médecine, 83, 1, 1906, p. 1317-1328.
63. Anima, XXXVI, 4.

188
TERTULLIEN

rante à l’époque 64 Devant Marcion, Tertullien décrit le dévelop-


pement de l’enfant en ses diverses étapes : « Solidifié… il est
tenu pour chair avant d’avoir forme; il est appelé pecus une
fois qu’il a figure... il est longtemps sans parole (infans), diffi-
cilement enfant, lentement homme... 65 » On peut trouver qu’il
néglige sa théorie de l’animation immédiate et totale, exposée
dans le De anima et ailleurs. Mais même dans son traité sur l’âme,
il semble distinguer une étape où le fœtus est un C&ov (pecus) 66,
qui prépare « la forme complète 87 » et ne prendrait le titre
d'homme que ce terme une fois atteint. Echo inconscient du
stoïcisme 68,

Le développement Il expose dans le De anima une


physique théorie bien plus précise et plus
de l’âme embryonnaire. curieuse sur l'accroissement de
l'embryon, de l’âme en particulier.
Voici son texte.
L

Voici un moment déjà que nous revendiquons la communauté de


la chair et de l’âme, depuis la rencontre des semences mêmes jusqu’à
l’achèvement de l’embryon. Semblablement maintenant nous la reven-
diquons pour les suites de la naissance. D’abord ne croissent-elles pas
ensemble, mais de manière différente selon la condition du genre,
la chair en mesures, l’âme en capacités, la chair en forme, l’âme en
connaissance. Pourtant il faut écarter que l’âme croisse en substance,
de peur qu’on ne la dise aussi capable de diminuer en substance et
qu’on ne la croie ainsi destinée à s’éteindre. Mais sa puissance, où se
trouvent contenues les propriétés naturelles innées, mises à part les
mesures de sa substance, dont elle a été pourvue par le souffle originel,
progresse peu à peu avec la chair .

Et il prend la comparaison d’une masse d’or ou d’argent. Il


peut y avoir « dilatation, mais non adjonction ». Elle peut se
développer « par extension, mais non par augmentation, bien
qu’il y ait aussi augmentation quand il y a extension. Elle peut
en effet augmenter en forme (habitu), elle ne le peut pas en
même temps dans son essence. (statu) 70 »,Il s’y ajoute un nouvel

64. On la trouve chez Galien, qui renvoie à Hippocrate. Ce dernier y revient


souvent : De nat. pueri, XVIII, LiTTRÉ VIL, 500; De epidem., II, 3° section, 17,
LirrRé V, 116; VI, 2 section, 25, LiTTRÉ V, 290. D’après ces textes, le corps
masculin est plus vite constitué, mais s’accroît ensuite plus lentement.
65. Marc., IV, 21, CSEL 47, 490, 24-491, 11.
66. Anima, XXV, 5.
67. Ibid., XXXVII, 2.
68. WasziNx, p. 425. Cependant ce texte peut s'entendre autrement : « Le
fœtus dans l’utérus est homme, dès l'instant où la forme est complète », dit-il.
I1 peut vouloir dire qu’il l’est tout de suite, l’âme jouant immédiatement son
rôle de forme.
69. Anima, XXXVII, 5.
70. Ibid., 6.

189
QUESTIONS MÉDICALES

habitus, même une nouvelle effigies. « C’est ainsi qu’il faut


entendre les accroissements de l’âme, non substantiua, sed prouo-
catiua 1, » L'image de la dilatation est celle qui semble le mieux
traduire, y compris son matérialisme, la pensée de Tertullien.

Le développement moral L'âme s’accroît en sensus, dit Ter-


de l’âme. tullien. Elle possède dès la nais-
sance intellect et sens 72; elle naît
avec tout son équipement (instructu) T3, mais ces ressources ne
sont pas visibles. Elles sont « en germe précisément implantées
et cachées pendant l’enfance ». Par la suite, ces facultés se déve-
loppent et s’enrichissent : « Nous concluons, dit-il, que tout ce
qui est naturel à l’âme y est inné, comme appartenant à sa subs-
tance, avec elle y progresse et va de l’avant, dès qu’elle-même est
venue à l’existence 74, »
C’est le progrès de l’âme. Tertullien établit un synchronisme
entre le corps et l’âme 75. Il affirme que cette dernière prend de
l’âge avec le corps et « décroiît extérieurement avec l’âge qui
recule T6 », Il peut ainsi consacrer tout un chapitre à la puberté
de l’âme 77. Il sent la contradiction possible :

Bien que nous ayons établi plus haut que sont innées, dans la
substance même de l’âme, toutes les capacités concernant le sens et
l'intellect, depuis l’origine naturelle de l’âme, mais que, peu à peu,
avec les étapes de l’âge, elles progressent et s’en tirent différemment
au milieu des circonstances, selon les méthodes, la formation, les lieux,
les puissances dominatrices; cependant en ce qui tend à la commu-
nauté de la chair et de l’âme mise en avant, nous disons aussi que
la puberté de l’âme vient avec celle du corps et qu’elles se révèlent
ensemble, celle-là par l’accroissement des sens, et celle-ci par le progrès
des membres, depuis la quatorzième année environ ®.

Ici, Tertullien, en faisant appel à Asclépiade, ou mieux à l’expé-


rience d'Adam et Eve , revient à une position stoïcienne camou-
flée : il fait de la quatorzième année une date charnière dans le
développement de l’homme, l’âge où l’homme acquiert la con-
naissance du bien et du mal.

71. Anima, XXXVII, 7.


72. Ibid., XIX, 6.
73. Ibid., 2.
74. Ibid., XX, 1.
75. Ibid., LVI, 5.
76. Ibid., XXXI, 2.
77. Ibid., XXXVNIII.
78. Ibid., 1.
79. 1bid:;,12.

190
CLÉMENT D'ALEXANDRIE

Les influences subies Tertullien, dans ce texte, fait allu-


par l’âme. sion à toutes les circonstances qui
différencient l’âme originellement
unique. C’est encore un thème qui lui est très cher et sur lequel
il est revenu souvent. Il en a fait l’objet du chapitre xx du
De anima, où il montre cette différenciation à partir du fétus.
Il nomme, comme facteurs, le lieu 8, la qualité du sang et de
l’éducation selon Empédocle, « les caractéristiques nationales si
connues 81 », la constitution du corps et l’état de santé, la forma-
tion 82, Enfin, il ajoute les puissances dominatrices, c’est-à-dire
Dieu ou le diable, ou bien, selon l’opinion commune, la Provi-
dence, le destin, la nécessité, la fortune, et le libre arbitre 88,
puissances qui semblent peser lourdement sur la vie de l’homme,
puisqu'il les signale trois fois 84, Mais toujours Tertullien sou-
ligne que les habitus des âmes différenciées par toutes ces causes,
« tout en paraissant être de la nature, n’en sont pas 8 », Ce ne
sont que les différences accidentelles subies par une substance
unique, qui par son origine a toujours même forme 8, Toutes
ces influences, celle du climat en particulier, sont familières
dans le monde gréco-latin, depuis Hippocrate, mais Panétius les
avait appliquées à l'individu et y avait vu très clairement des
composantes de la personnalité 87.

IV. LA GÉNÉRATION CHEZ CLÉMENT

Un texte essentiel. Clément est plus vague que Tertul-


lien, quand on cherche un système
dans son œuvre. Malgré certains éléments stoïciens, il semble
bien, comme l’auteur des Philosophoumena, comme Tertullien

80. Anima, XX, 2-3. I1 signale quelques différences liées au climat (ibid.,
XXV, 7). Cette influence est aussi un thème classique, cf. Corpus Hermeticum,
Fragm. de Stobée, XXIV, 14-15, éd. FESTUGIÈRE, p. 57-58.
81. Ibid., XX, 3.
82. Ibid., 4.
83. Ibid., 5.
84. Ibid., 4-5; XXIV, 4; XXXVIIL, 1; cf. XXXI, 2-5, où il insiste sur les cir-
constances de vie, l’âge, le corps et ses particularités. Cette différenciation est
même une objection à la métemsomatose : l’Ââme humaine ainsi différenciée
ne peut plus vivre chez l’animal (ibid., XXXII, 5).
85. Ibid., XXIV, 4.
86. Ibid., XX, 2; 0.
87. M. PouLrENz, Die Stoa, I, p. 201.

197
QUESTIONS MÉDICALES
hors du De anima, reconnaître dans l’ensemble que la femme
il
apporte la matière de l'embryon. Voici le texte le plus précis;
est tiré du Pédagogue, livre I, chapitre vi.

48, 1. La chair elle-même, avec le sang qui est en elle, payé de retour
en quelque sorte, reçoit du lait force et croissance. Naturellement aussi
le fruit conçu se façonne du fait que le sperme s’imprègne du résidu
pur laissé par la purification menstruelle. La puissance de ce sperme
coagule la substance du sang, comme la présure rend le lait consistant,
et réalise l’essence de la forme. Le mélange en effet est fécond, mais
l’excès tend à la stérilité.
2. N’est-il pas vrai que la semence, dans ce qui est désormais sa
terre, noyée par l’excès d’eau, est balayée, mais, faute d'humidité, se
dessèche, tandis qu’un milieu visqueux maintient la semence et la fait
germer ?
3. Certains supposent que le sperme du vivant est, pour l'essence,
l’écume (äspév) du sang. Ce sang, dans les secousses des enlacements,
s’enflamme de la chaleur naturelle à l’être mâle, se change en écume,
et se dépose dans les veines spermatiques. C’est de là que Diogène
d’Apollonie veut faire découler le nom d’Aphrodite?.

49, 1. Il ressort clairement de toutes ces considérations que le sang


constitue l’essence du corps humain. Bien plus, le contenu de l’utérus
d’abord a la consistance laiteuse d’un corps humide; ensuite cette
substance, convertie en sang, se fait chair; puis, se solidifiant dans la
matrice, sous l’influence du pneuma physique et chaud, sous l’influence
duquel se façonne l'embryon, elle s’anime.
2. Cependant même après l’accouchement, l’enfançon se nourrit
encore du même sang. Le lait qui coule a la substance du sang, et la
source de la nourriture, c’est le lait, qui révèle précisément chez la
femme l’enfantement réel et la maternité, et semble jouer le rôle d’un
philtre de bienveillance.

Sperme, sang et lait. Cette page est précise, bien qu’elle


ne soit pas lumineuse. Elle fait
allusion à toutes sortes de notions médicales célèbres, parfois
rencontrées déjà chez Tertullien. Clément insiste sur la qualité
du mélange sperme-sang, avec Galien2?. Il parle du sang qui
s’enflamme et devient écumeux dans le mouvement de la chair,
avec Hippocrate 3. 11 connaît, avec Aristote ou Galien, la chaleur

1. Aphrodite est rapprochée d’ävpév, ou écume. Ce rapprochement est fait


dans la Théogonie, v. 196-197.
2. Paed., 1, 48, 1. Cf. Galien, De natur. facult., II, 3, 83. Le texte est traduit
dans A. J. FESTUGIÈRE, Corpus flermeticum, Fragments de Stobée, I-XXIT,
Paris, 1954, p. XG-XcI.
3. Ibid., 48, 3. Cf. Hippocrate, De «nat. pueri, 1, LarTRÉ VII, 470-471.

192
CLÉMENT D’ALEXANDRIE

naturelle au mâle 4. Mais une des idées les plus nettement déga-
gées, c’est le lien qui existe entre le sang et le lait, entre le sang
et le sperme, |
Pour le lait aucune hésitation. Le contexte précise à plusieurs
reprises. Le sang « par une coction physique » se fait nourriture
pour l’enfant 5. Clément explique longuement le jeu du sang, qui,
de partout, afflue aux seins, quand la femme est enceinte, de
l'utérus en particulier, où les voies lui sont coupées 6. Dans la
transformation du sang en lait, il souligne le rôle du « souffle
chaud », « envoyé des artères génitales 7? », qui fait blanchir ce
sang et en change la qualité, sans altérer la substance 8. Il y a
un métabolisme complet : « Si donc, dit-il, le résultat de la nour-
riture se fait sang, et le sang se fait lait, le sang est donc la prépa-
ration du lait, comme le sperme l’est de l’homme et le pépin de
la vigne ?. »
Mais le sperme lui-même semble bien provenir également du
sang. Clément rapporte l’opinion que le sperme est du sang en
ébullition et en signale l’auteur : Diogène d’Apollonie. S’il ne se
prononce pas sur ce point, en tout cas il conclut que « le sang
constitue l’essence du corps humain ». Il dit ailleurs « qu’il est
trouvé premier engendré en l’homme, lui que certains ont osé
appeler justement substance de l’âme 10 ». Cette dernière cita-
tion évoque la théorie précise qui unit sang et pneuma, sang et
âme, Or, il existe un texte où Clément semble bien employer un
terme pour l’autre, Il parle de l’Eglise, « un homme composé de
beaucoup de membres ». Elle est faite, dit-il, de foi et d’espé-
rance, comme le Christ de chair et de sang, l’homme de corps
et d’âme. En effet, l’Eglise est composée « du corps qui est la
foi et de l’âme qui est l’espérance, comme le Seigneur de chair
et de sang. En réalité, le sang de la foi, c’est l’espérance, par quoi
la foi tient ensemble ( ouvéyerar), comme par l’âme., Mais si l’espé-
rance s’évapore comme un sang qui s'écoule, le corps vivant
de la foi s’affaiblitii ». Le sang joue manifestement dans

4. Paed., 1, 48, 3. Cf. Aristote, De anim. generat., II, 748 b; IV, 765 b. Galien
établit une thèse sur cette différence de la femelle plus froide, du mâle plus
chaud : le rôle respectif des deux parents dans la génération (De usu part.,
XIV, 6, 163-164). Clément y revient dans Paed., III, 19, 2 : les mâles « sont
par nature plus secs et plus chauds ». |
5. Paed., I, 39, 2. Cf. 44, 3; 49, 3.
6. Clément donne une théorie physiologique très précise de cet afflux du
lait, qui a pour base les rapports étroits qui unissent les mamelles à la
matrice, thèse qui se trouve chez Galien (De usu part., XIV, 8, 178).
7. Paed., 1, 39, 3-5. î
&. Ibid., 40, 1; 44, 3.
9. Ibid., 45, 1.
10. Ibid., 39, 2.
11. Ibid., 38, 3. Ce texte est commenté par Fr. Ruescne, Blut, Leben und
Seele.…., Paderborn, 1930, p. 402-404.

193
QUESTIONS MÉDICALES

cette symétrie le rôle de l’âme 2. Il y a tout lieu de croire qu’il


faut lui attribuer aussi le même rôle actif dans le sperme !1#.

La constitution Le texte cité plus haut apporte


de l'embryon. encore des précisions sur la cons-
titution de l’embryon. Le rôle de
l’homme y est assez clairement défini. Le sperme contient une
dunamis capable de coaguler le sang de la femme pour la fécon-
dation. Cette puissance, on l’apprend plus loin, est « un pneuma
physique et chaud 14 », qui donne à l'embryon forme et vie. Les
Eclogae Prophetarum confirment cette interprétation. Ils parlent
de « l’esprit qui est dans le sperme, conçu avec le façonnement »
de l'embryon 15, Il s’agit manifestement du preuma plastique dont
Clément parle ailleurs 16, le pneuma charnel ou somatique 17. On
reconnaît là un trait de la pneumatologie du Portique : une sub-
stance amorphe, pénétrée d’un pneuma chaud inné — selon la
‘terminologie même de l’école — qui donne forme à la matière,
comme en cosmogonie 18, Mais cette thèse n’en a pas moins une
marque nettement aristotélicienne : la puissance du sperme
donne forme 19, Clément dit expressément que « l’homme sim-
plement tel est façonné selon le plan du preuma qui lui est inné
(xar'iBéav...roù ouupuoic rvebuaroc). Car il n’est pas créé sans plan

12. 11 est possible qu’il faille l'entendre de même quand il dit que le
corps n’est rien autre qu’une « chair fertilisée par le sang » (Paed., I, 25, 2).
Il est curieux de constater que ce lien sang-esprit (aîua-nveÜua) revient sans
cesse dans l’homélie sur la Pâque attribuée à Méliton de Sade (p. 3, 10-13 :
n° 16; p. 5, 31-32 : n° 32; p. 7, 14-15 : n° 44; p. 9, 24-27 : n° 56). Les références
renvoient à l’édition C. BONNER, The Homily on the Passion, by Melito Bishop
of Sardes, and some fragments of the Apocryphal Ezechiel, coll. Studies and
Documents, 12, Londres-Philadelphie, 1940, mais notent, avec l’éditeur, la
page et la ligne du manuscrit. Cette remarque porte peut-être d’autant plus
que cette homélie offre, malgré son contenu, un caractère hellénique assez
prononcé (A. WirsrRAND, The Homily of Melito on the Passion, in Vigiliae
Christianae, 2, 1948, p. 201-223). On sait que P. NauTIN conteste l’attribution
à Méliton (Le dossier d’Hippolyte et de Méliton dans les florilèges dogmatiques
et chez les historiens modernes, coll. Patristica, 1, Paris, 1953, p. 53-56), que
maintenait E. Peterson (Pseudo-Cyprian, Aduersus Iudaeos und Melito von
Sardes, in Vigiliae Christianae, 6, 1952, p. 33-43).
13. Il est intéressant de retrouver cette théorie exactement, mais, avec une
insistance sur le feu digne d’Empédocle, chez l’hérétique Simon, au dire de
l’auteur des Philosophoumena : le feu, écrit-il, est principe de toute géné-
ration, mais « il subit un double changement; en effet, dit-il, chez l’homme,
le sang, qui, à l’image du feu, est constitué chaud et rouge, se change en
semence; chez la femme, ce même sang se change en lait » (Refui., VI, 17,
4-5) et il poursuit : l’un pour la génération, l’autre pour la nourriture.
14. Paed., 1, 49, 1.
15. Eclog. Proph., 50, 1.
16. Str., VI, 136, 4; 134, 2.
17. Ibid., 135, 1-136, 1.
18. VERREKE, p. 431.
19. Paed., 1, 48, 1.

194
CLÉMENT D'ALEXANDRIE
et sans forme dans l’atelier de la nature 2 ». On reconnaît trop
clairement le problème matière et forme pour qu’on ne fasse pas
appel à Aristote.
Cependant on voit mal l’origine de l’élément matériel. Sans
doute le sang de la femme, coagulé par le sperme, fournit un
matériau à l'embryon. On y retrouve la même comparaison que
chez Tertullien : le sperme joue avec le sang fémininle rôle de
la présure dans le lait. Si on lui imputait une théorie valenti-
nienne qu’il rapporte dans les Excerpta ex Theodoto, on pourrait
même croire que Clément prête à la femme un sperme égal à
celui de l’homme : « C’est que le mélange humain qui se fait dans
l'utérus, à partir de deux semences mêlées, aboutit à la naissance
d’un seul enfant 21, » Mais dans l’ensemble, Clément paraît tout
au contraire favoriser le rôle de l’homme aux dépens de la femme.
Bien loin que celle-ci fournisse un pneuma, elle est comparée à
un champ plus ou moins fécond selon son humidité, où doit
germer la semence, et Clément revient volontiers à cette compa-
raison 22, La femme serait-elle donc simplement un terrain pour
le sperme masculin ? On serait tenté de le croire. « Le dépôt
(xara6orñ) du sperme, dit Clément, contient en substance ce qui,
venu au jour à l’enfantement, est homme, Ce qui authentifie la
génération, ce ne sont pas les nombreuses rencontres charnelles,
mais l’accueil (ræpaSoyr) fait par la matrice, puisque le sperme se
façonne en embryon dans l'atelier de la nature 23. » Ici, comme
dans le De anima de Tertullien, l’élément mâle fournit en défi-
nitive tout l’embryon.

La question Toute différente est l’origine de


de l’âme humaine.l’âme. Elle est « ajoutée 24 », avons-
nous vu. Dans le même sens, les
Excerpta ex Theodoto disent que le nvedux et l’ëvpoonux chez
Adam, tous deux divins, sont propagés par l'intermédiaire

20. Str., IV, 150, 2.


21. Exc. ex Theod., 17, 2: ñ yoüv &vôpumlvn piëis À xatà yamov ëx Bveiv
HEHUYHÉVUY oneppdtuwv Évès yéveatv matôlou änotehet. Les deux spermes, c’est
la thèse de Galien. Cependant le texte n’est pas probant. Tertullien, qui
n’attribue jamais à la femme une semence, parle souvent de deux substances
au sujet de la seule semence masculine. ‘
22. Cette comparaison fait l’objet de Paed., II, 83, 1-4, où l’homme est
toujours le semeur et la femme le terrain; cf. ibid., 102, 1.
23. Str., II, 83, 1-2. Au sujet d’Eve, il dit même qu’elle a été enlevée au
corps de l’homme « pour accueillir le sperme » et être « une aide dans la
génération » (Paed., II, 19, 1 : eis Ünoôoyhv omépuatos.… yuvaïxa Bonôèv oùoav
tie Yevéseuc). Ces mots confirment notre interprétation du texte cité. Ailleurs,
Clément décrit le mouvement de l’utérus qui s’ouvre, pour recevoir le
sperme, et se ferme aussitôt (ibid., II, 92, 3).
24, Str., VI, 135, 1.

10F
QUESTIONS MÉDICALES
d'Adam, mais non par lui; seule la nature matérielle, avec
l'énergie hylique mêlée à la substance, relève de la semence et
de la génération 25. Cependant l’embryon semble bien être animé
dès le sein de la mère et posséder, au moins en puissance, senti-
ment et mouvement %. Les Eclogae Propheticae apportent la solu-
tion en faisant appel aux anges de la génération que connaissait
Tertullien27. « L'âme, dit le texte, entre dans la matrice, préparée,
par la purification (menstruelle), à la conception, et est intro-
duite par quelqu'un des anges chargés de la génération, qui
décide à l'avance le moment de la conception. Elle pousse la
femme à la rencontre, et, la semence une fois déposée, appri-
voise pour ainsi dire le preuma qui est dans la semence, et, par
là, s'associe au façonnement de l'embryon. » Cest en ce sens,
ajoute-t-il, que les femmes peuvent être déclarées stériles : € Il
n’y a pas introduction de l’âme, qui entraîne le dépôt du sperme
pour la réalisation de la conception et de la génération ?8. »
L'âme est donc apportée de l'extérieur, par une intervention
directe de Dieu?2?, hors des lois naturelles. Elle s’ajoute au
pneuma. Cette théorie, si elle est admise par Clément, confir-
. merait la dichotomie psychologique signalée plus haut.

Progrès de l'âme. L'homme ainsi formé s’individua-


lise surtout par son action morale.
« L'homme simplement tel, dit-il, est façonné selon le plan du
pneuma qui lui est inné. Car il n’est pas créé sans plan et sans
forme dans l’atelier de la nature, où mystérieusement s’accomplit
la génération humaine, puisque art et substance sont communs.
Mais l’homme un tel est caractérisé selon l'impression survenue
dans son âme du fait de ses choix 30, » Par ces mots, Clément
oppose à merveille le travail accompli par la nature dans l’épa-
nouissement de l’homme et le rôle de la liberté. Il définit mieux
qu'aucun Père antérieur la part de la personnalité.

25. Exc. ex Theod., 55, 2-3.


26. Les Eclogae Propheticae, 50, 1 et 2, acceptent cette position. Clément,
dans les Sfromates, pose deux fois la question, sans la résoudre (V, 5, 3; VII,
9, 7-13, 8). Dans ce long dernier texte, il la donne comme type de discussion.
11 conclut par l’affirmative : le fœtus est animé parce qu’il est doué de vie
sensitive et de mouvement (ibid., 13, 7-8). Mais on sait qu’on ne peut mettre
au compte de Clément les théories contenues dans ce livre VIII.
27. Anima, XXXVII, 1.
28. Eclog. Proph., 50, 1-3.
29. Quelques précisions : « L’âme en soi m'est pas différenciée, ni mâle,
ni femelle » (Str., VI, 100, 3), dit-il avec Athénagore et Tertullien. Passe-t-elle
par les douze signes du zodiaque pour rejoindre l’homme ? Clément trouve
cette idée chez Platon et ne la repousse pas (ibid., V, 103, 4).
30. Str., IV, 150, 2.

196
us PHYSIOLOGIE

Conclusion. Nous ne rencontrons pas chez les


Pères de l'Eglise une théorie bien
homogène de la génération humaine, moins encore le système
stoïcien.,On trouve cependant épars presque tous les éléments
de ce système, en particulier l’insistance sur la génération simul-
tanée du corps et du pneuma, le rôle de ce pneuma dans le
façonnement et le développement de l’embryon, le traducianisme
explicatif de l’hérédité, les rapports entre le sang, le sperme et
le lait. Ici encore l’atmosphère est en général stoïcienne, mais
liée à tout un contexte médical,

V. PHYSIOLOGIE ET QUESTIONS MÉDICALES

Dans ces problèmes de génération, on a noté l’importance des


notions médicales. C’est, chez les Pères, un reflet de la culture
ambiante : l’intérêt que l’on porte à la médecine. Mais comme la
médecine, l’école pneumatique en particulier, a subi profondé-
ment l’influence stoïcienne, c’est une nouvelle source où nos
Pères ont pu puiser leur stoïcisme. N'est-ce pas à un médecin,
Soranus, que Tertullien doit en majeure partie sa connaissance
du Portique ? Sans prétendre traiter ce nouveau problème, il faut
en signaler au moins quelques aspects.

L'importance .
A. Harnack a consacré jadis une
de la médecine. étude sérieuse à la médecine dans
l'Eglise primitive. Après avoir fait
l’histoire des médecins chrétiens et signalé, par exemple, l’exis-
tence d’une école chrétienne de disciples de Galien à Rome vers
l’an 2001, il étudie successivement, sans s’inquiéter d’écoles
médicales précises, diététique et thérapeutique ?, physiologie et
psychologie 3, maladies #, exorcismes 5, Puis, dans un dernier

1. Medicinisches aus der ältesten Kirchengeschichte, coll. Texte und Unter-


suchungen, VIIL 4, 2° partie, Leipzig, 1892, p. 37 (1)-50 (14).
2. Ibid., p. 51 (15)-67 (31).
3. 1bid., p. 67 (31)-92 (56).
4. Ibid., p. 93 (57)-104 (68).
5. Ibid., p. 104 (68)-124 (88).

197
QUESTIONS M ÉDICALES

chapitre, il montre 6 que l’idée de guérison est extrêmement à


la mode au Il° siècle : tous les dieux se font guérisseurs, et les
chrétiens ont fait aussi du Christ un guérisseur, du christianisme
une guérison des âmes 7. Harnack a parfaitement raison de sou-
ligner l'importance des données médicales dans les premiers
écrits chrétiens et l’on pourrait encore grossir le dossier de réfé-
rences qu’il apporte. Evidemment, l'opinion des Pères n’est pas
toujours favorable à la médecine 8, mais tous, absolument tous,
témoignent un intérêt exceptionnel pour la matière et la plupart
empruntent volontiers à ce domaine scientifique une foule de
comparaisons ?, Tertullien a trouvé la formule qui dit tout : la
médecine, sœur de la philosophie 1°,
Ces données, dans leur variété, sont de valeur fort inégale. Les
premiers écrivains se font l’écho des vieilles fables naturalistes
d’une naïveté étonnante, sur le lièvre, la belette, la murène, le
caméléon, le cerf ou l’hyène 11. Tertullien, plus avisé sur d’autres
points, semble encore y croire? et Clément ne les écarte 13
que pour accepter dans le contexte des notions non moins fantai-
sistes 14 Cependant leurs œuvres présentent aussi des données
sérieuses, appuyées sur la science contemporaine. C’est là que
nous trouvons cette médecine, « sœur de la philosophie », qui
mérite qu’on y jette un coup d’œil, parce que souvent elle engage
une conception de l’homme.

6. Medicinisches aus der ältesten Kirchengeschichte, coll. Texte und Unter-


suchungen, VIII, 4, 2° partie, Leipzig, 1892, p. 125 (89)-147 (111).
7. Ibid., p. 132 (96)-143 (107). Sur ce point, cf. J. CARCOPINO, Aspects mys-
tiques de la Rome païenne, Paris, 1941, p. 246-247. L’auteur parle de l’hermé-
tisme. On peut ajouter à ses références et à celles d’Harnack les Exc. ex
Theod., où le Sauveur est également présenté comme guérisseur des passions
(45, 1-46, 2).
8. Tatien est le-plus violent de tous dans ses attaques (Orat., XVI-XX).
A signaler un texte curieux dans L’Evangile de l'Enfance (arabe et syriaque),
ch. zur, éd. P. PETEERS, coll. Hemmer-Lejay, Evangiles Apocryphes, t. IX,
Le livre des miracles de Notre Seigneur Maître et Sauveur, p. 63, où l’auteur
attribue à Jésus enfant une série de connaissances médicales « et autres
choses qui dépassent la raison d’une créature ».
9. 11 y aurait là un amusant sujet de recherche. Voici quelques références :
Irénée, Haer., III, v, 2, HARVEY Il, p. 19; II, xvrr, 2, HaRvEey II, p. 137 ;
Cyprien, Lapsis, XIV, CSEL III, 1, 247, 17-23; Mortal., XVI, CSEL III, 1, 307,
3-13; Ep., LV, xvi, 8, éd. BAyARD, p. 141. Clément y revient très fréquemment
(Protr., 115, 2; Paed., I, 64, 4; 65, 2; 88, 1; 96, 2...). Tertullien est l’auteur
d’un traité intitulé Scorpiace ou l’antidote, qui n’est qu’une longue allégorie
médicale.
10. Anima, IL, 6.
11. Par exemple, Epist. Barn., X, 1-10. On connaît ces notions : que le lièvre
se fait un anus par an, que la belette conçoit par la bouche, que l’hyène
change de sexe tous les ans. Cf. Tatien, Orat., XVIII : que le chien se guérit
par les herbes, le cerf par la vipère, le porc par les écrevisses de fleuve et le
lion par les singes.
12. Pall., III, 2-3. Par exemple que l’hyène change de sexe tous les ans et
que le cerf se rajeunit en avalant un serpent.
13. Paed., II, 83, 4-84, 1; cf. 85, 1.
14. Ibid., 85, 2-88, 3.

198
PHYSIOLOGIE

La thérapeutique: Un auteur comme Clément a traité


le bain. longuement d’hygiène. 11 ne s’agit
pas d’invoquer ses thèses sur l’usage
du vin, du lait ou du miel. Nous n’examinerons que deux points,
où les données sont précises et à prétention scientifique: les
effets du bain et le métabolisme alimentaire. Le bain, aux yeux
de Clément, a quatre fins : la propreté, le réchauffement du corps,
la santé et le plaisir. Il exclut la jouissance, et même la chaleur,
qui peut être recherchée par d’autres moyens. Restent pour la
femme les raisons de santé et de propreté, pour l’homme la santé.
Mais sur ce point, Clément montre les inconvénients : le corps
pompe l’eau par les pores et par là détend son tonos. Il faut donc
user du bain avec discrétion et tenir compte de l’âge, de l’état de
l'estomac, de la saison de l’année 15, Tertullien, de son côté, se
vante « de prendre son bain à une heure convenable et hygié-
nique, pour conserver la chaleur du sang 16 », Il semble bien lier
l’usage du bain à un réchauffement du sang : la chaleur de l’eau
agit sans doute sur le pneuma chaud mêlé au sang, pneuma étroi-
tement associé à l’âme dans la reproduction, Quoi qu’il en soit,
Tertullien, comme Clément, fait allusion aux théories médicales
qui circulent alors, dont Hippocrate se fait déjà l’écho. L’illustre
médecin aussi conseille de ne pas abuser du bain chaud, parce :
qu’il humecte les parties sèches et dessèche les parties humides 17.
Il distingue selon que le baïn est chaud ou froid, que l’on est à
jeun ou non 18. Nos Pères obéissent au même souci.

Le métabolisme Un autre point où les Pères, Clé-


alimentaire, ment et surtout Athénagore, sont
précis, c’est l’assimilation des ali-
ments. Athénagore d’abord — c’est l’occasion même de son
exposé — explique qu’il y a adaptation ou non entre l’aliment
et celui qui le prend. S'il n’y a pas adaptation,il ne peut pas y
avoir assimilation. Ainsi l’homme ne peut être assimilé par
l’homme ou par la bête, et son corps, même dévoré, sera retrouvé
à la résurrection 19, Clément dit de même que « toute nourriture

15. Paed., II, 46, 1-47, 1.


16. Apol., XLII, 4; le texte porte calorem (ou colorem) et sanguinem.
J. P. Waltzing traduit « la chaleur et la couleur ». C’est affaiblir le texte.
17. De morb., LII, LiTTRÉ VI, 264-265.
18. De uictu, I, 57, LiTTRÉ VI, 570-571.
19. Res., V, VII, VIII.

199
QUESTIONS MÉDICALES

n’est pas retenue 20 ». Il y a donc une olxeloou initiale, qui fait le


départ des aliments
?1.
Athénagore décrit alors les trois étapes du métabolisme :
l'estomac, le foie, les intestins. A chaque stade recommencent le
choix et l’élimination, jusqu’à l’harmonie complète entre la nour-
riture et l’être nourri 22, L'auteur y fait intervenir des causes
secondaires, qui modifient encore les conditions : fatigue, chagrin
et même irrégularité dans la température intérieure ou dans le
refroidissement périphérique 23. Clément, de son côté, insiste sur
ces conditions dans la transformation définitive des aliments en
lait chez la mère, En hiver, dans le corps resserré par le froid,
qui ne laisse rien échapper de sa chaleur intérieure, il y a trans-
formation idéale, avec afflux de sang et donc de lait. En été, au
contraire, le corps est moins tendu et laisse passer les aliments
plus rapidement avec une assimilation moindre 24. Là encore
nous effleurons sans cesse les théories qu’expose un Galien, par
exemple. Lui aussi enseigne que certains aliments sont adaptés
(olxeïix) et d’autres non, que l'instinct fait choisir et que tout
le rôle de l’assimilation consiste à rendre plus adapté 5. Il étudie
les étapes de cette assimilation avec élimination progressive et
insiste sur la fonction de l’estomac, puis du foie, qui fait subir
une transformation plus profonde %6. Il souligne aussi l’action de
la chaleur pour opérer la coction 27 et des liquides pour trans-
porter l’élément élaboré dans tout le corps 28, Voilà un exemple
du lien qui unit les Pères à la science médicale de leur temps.

Autour du pneuma.
Il est une autre question médicale,
où la philosophie est toujours sous-
jacente : le problème du pneuma. Nous l’avons déjà rencontré en
étudiant le composé humain et la génération. Il reste quelques

20. Paed., I, 44, 3.


21. C’est une application d’une vaste thèse stoicienne, sur laquelle nous
reviendrons au sujet de la connaissance. On voit ici l’adaptation des êtres
les uns aux autres dans l’alimentation. On peut en rapprocher la théorie de
l’affinité des êtres. Clément admet les sympathies et antipathies entre certains
corps (Paed., I, 50, 3); Tertullien également (Anima, XXXII, 3-4). Tatien, au
contraire, ridiculise cette thèse dans ses applications médicales (Orat., XVII).
22. Res., V-VI.
23. Jbid., NII.
24. Paed., I, 44, 2-3; cf. 50, 2-3.
25. De uar. cons., II, 117, fin.; 119, fin.-120.
26. De usu part., IV, 2-3, 268-269; cf. De natur. facult., XII, 7, 161.
27. De usu part., IV, 4, 272; cf. 8-9, 285-286.
28. Ibid., IV, 5, 273.

200
PHYSIOLOGIE
points plus scientifiques que nous voudrions aborder ici. À côté
du nvedua ouuœuéç 2%, ou nvedua quoixèv xal Gepuév 30, qui forme
l'embryon, qui travaille à sa bou et devient, si l’on peut dire,
son âme, il faut étudier le rôle du pneuma respiratoire, son jeu
dans l’organisme comme dans l'embryon. Les médecins se sont
toujours fait un problème de savoir comment le souffle de la
respiration entrait en composition avec les éléments de l’orga-
nisme 81, Les Pères disent simplement que les artères avec les
poumons sont les organes de la respiration et transmettent l’air 82.
Tertullien en discute longuement, dans une argumentation
empruntée aux Stoïciens, à Soranus et à Pline 33, au sujet de
certains animaux qui vivent sans avoir d’organes respiratoires
apparents. Toujours il associe respiration et artères 34, L’héré-
tique Simon, selon Hippolyte, en fait autant autour de l’embryon.
Il voit sortir de la matrice, comme un fleuve, le cordon ombi-
lical, qui se divise en quatre branches, deux artères chargées
du souffle, deux veines chargées du sang. L’air arrive ainsi, par
un chemin bien tracé, au cœur et opère le mouvement de
l'embryon 35. C’est à peu près la théorie qu’enseignait Galien 56.
Clément fait encore appel à l’air pour expliquer la transfor-
mation du sang en lait, dans les seins. Après avoir parlé de
l’action « d’un preuma chaud », il précise : en effet le sang, par
le jeu de la nature, se déverse à flots, depuis l’accouchement,
dans « les réservoirs naturels ». « Mais le souffle des artères
correspondantes s’y étant mêlé, tandis que la substance du sang
initial reste toujours intacte, il constitue une vague bouillon-
nante, et, par cette espèce de reflux, se change en écume, par un
sort analogue à celui de la mer, qui sous l’irruption des vents,
selon les poètes, crache son écume salée », ou à l’image de « la
substance humide de notre bouche, qui blanchit sous l'effet du
souffle. >» « Qu’y a-t-il d’étrange à reconnaître que le sang se

29. Str., IV, 150, 2; cf. Tertullien, Spect., II, CSEL 20, 4, 1; Anima, XLIII,
4 : consati spiritus.
30. Paed., I, 49, 1.
31. Fr. Ruescue, Blut, Leben und Seele.…, Paderborn, 1930, en parle con-
tinuellement (p. 209-265).
32. Irénée dit sans précision « artères et veines, transmetteuses du sang et
du souffle » (Haer., V, 111, 2, HARVEY II, p. 326).
33. VERBEKE, p. 182-183.
34. Anima, X, 3; 5; 7, et tout le chapitre. Cf. XXXII, 3. En fait, il ne
s’inquiète pas du contact de cet air avec le sang. Galien supposait, dans les
artères et dans les veines, des ouvertures invisibles qui permettaient la ren-
contre (De usu part., VI, 10, 455 fin.).
35. Refut., VI, 14, 8-11. Dans un contexte différent, le Corpus Hermeticum
explique que le souffle, « passant à travers les veines, les artères et le sang »,
« met en mouvement le vivant » (X, 13, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 119).
36. De usu part., XV, 4, 225-226; 5, 231.

201
QUESTIONS MÉDICALES
de
tourne en matière très lumineuse et très blanche, sous l’effet
le pneuma et
© J'air 379 » Il faut donc qu’il y ait rencontre entre
le sang, mais il ne précise pas le mode de cette rencontr e.
Le souffle vital se voit chargé d’autres fonctions. D’abord il est
lié à l'accroissement. Clément rapporte « que les corps gran-
dissent facilement, chez les enfants qui progressent en taille,
quand la nourriture fait défaut. Car le pneuma qui concourt à la
croissance n’est pas empêché par un excès de nourriture qui
gêne la liberté du souffle circulatoire 38 ». On retrouve ici une
théorie pneumatologique du souffle unique, qui se répand dans
tout le corps et s’acquitte de toutes les fonctions. La voix est
conçue de même : « Souffrant du froid, elle s’affaiblit, parce que
la peau extérieure se resserre, par suite de l’air ambiant; les
le
artères du cou, écrasées et resserrées, écrasent en même temps
souffle. Celui-ci, pressé et étouffé, produit un écho; en revanch e,
s’associant à l’air ambiant et se relâchant avec le printemps, le
souffle est libéré de son étroitesse, porté par les larges canaux des
artères jusque-là contractées. Alors le chant ne gazouille plus 52. »
Pour affirmer que les anges n’ont pas de voix, il énumère les
organes dont ils sont privés : « Les lèvres et ce qui les entoure,
le pharynx, l'artère, les entrailles, le souffle et l'air heurté 40, »
Les derniers mots (rAnooéuevov &épa) font allusion à une définition
technique donnée par le Portique #1 et vouée à un grand succès.
Elle est rapportée avec précision par les Philosophoumena qui
la prêtent aux Docètes : « La voix, c’est de l'air heurté, signi-
_ficatif d’une pensée (omuavrixh To Aéyou nAnooëuevos dñp), Sans
quoi la pensée humaine n’est pas connue #2. » Elle se retrouve
chez Tertullien #8 et dans les Constitutions Apostoliques #4, C’est
encore une de ces notions mi-scientifiques, mi-philosophiques,
qui s’imposaient partout à l’époque.

37. Paed., I, 39, 3-40, 1.


88. Ibid., IX, 17, 3.
39. Ibid., II, 84, 4-85, 1.
40. Str., VI, 57, 4.
41. ArRNiIM, SVF I, 74, p. 21; Il, 138-139, p. 43; 384, p. 127; II, 17-19, p. 212.
On la retrouve dans l’Asclepius, 20, éd. Nocx-FEsTUGIÈRE, p. 320 : « Ex aere
spiritu percusso sonus declarans omnem hominis uoluntatem uel sensum,
quem forte ex sensibus mente perceperit. » Cf. encore Aulu-Gelle, Noct. Atf.,
V, 15.
42. Refut., VIII, 9, 8.
43. Prax., VII, CSEL 47, 236, 22 : « Aer offensus, intelligibilis auditu. »
44. VIII, 12, 10 (nous nous permettons d’utiliser — secondairement — les
Constitutions en raison des éléments anciens que contient l’ouvrage). Justin
fait peut-être allusion à la même définition quand il distingue la voix des
onpatvoueva (1 Apol., III, 1). Novatien, au sujet de sermo, dit : « In sono
pércussi aeris » (Trin., XXXI, éd. FAUSSET, 116, 4-7). :

202
PHYSIOLOGIE

Conclusion. Voilà quelques échantillons d’une


matière très riche, qui reste à
explorer. On y voit le mélange de la médecineet de la physique
philosophique. Il est souvent impossible de distinguer l’origine
précise de ces notions. Comme tant d’autres, elles appartiennent
à la koiné intellectuelle de l’Empire, que nous rencontrons dans
tous ces problèmes d’anthropologie. Jamais nous n’avons retrouvé
un système bien homogène. Même l’anthropologie d’un Tertullien,
assez unifiée du fait de son antiplatonisme, est pénétrée de
notions platoniciennes ou aristotéliciennes. Dans cette philo-
sophie éclectique, on peut cependant dégager beaucoup d’élé-
ments de provenance stoïcienne. C’est qu’en ce domaine aussi, le
Portique dominait à l’époque de l’Empire Romain #5.

45. FR. Ruescne, Blut, Leben und Seele…, Paderborn, 1930, le souligne
(p. 275).

203
CHAPITRE SIXIÈME

LES ACTIVITÉS DE L'HOMME


LA CONNAISSANCE

I. CHEZ LES STOÏCIENS

Les Grecs, tout en affirmant hautement la liberté humaine,


n’ont jamais reconnu chez l’homme une faculté volitive spéciale.
La volonté n’était pour eux qu’une face de la connaissance t. La
connaissance est donc à leurs yeux l’activité essentielle, Les
Stoïciens ont poussé très loin l’étude de cette faculté. Pour la
vérité, « les critères sont l’atfofnou et la xpéAnguc », soit la sensa-
tion et la prénotion, selon Chrysippe; l'intelligence (voüc) et la
prénotion, selon Boëthos 2. Ils admettent donc une double source
de vérité, l’une qui passe par les sens, l’autre, plus intellec-
tuelle, qui est comme une prise directe de la réalité.

La connaissance L'opération habituelle de la con-


sensorielle. naissance commence, d’après eux,
par l’œ«ïoônox ou sensation-percep-
tion. Les sens sont la base de tout. L'objet perçu imprègne le
pneuma, s’y grave comme un cachet dans la cire, dit Cléanthe.
C’est la tÜmwoic àv fyeuowx® , selon l’expression de Zénon 8. Il en

1. M. Pourenz, Der Hellenische Mensch, Gôttingen, 1947, p. 9; Die Stoa, I,


p. 124-125. La rpoalpeatç d’Aristote est encore un choix concret et non une
faculté de choisir.
2. Diogène Laërce, VII, 54 : ARNIM, SVF II, 105, p. 33.
3. G. ELorDuy tire de cette relation des sens avec l’hègemonikon une con-
clusion originale. Au lieu d’y voir une preuve du matérialisme sensuel des
Stoïciens, il juge au contraire — et sans moins de raison — que l’hègémo-
nikon, qui est causatif, déverse sa spiritualité dans les sens humains, La
logica de la Estoa, in Revista de Filosofia, 3, 1944, p. 47-148. Même tendance
chez V. GoLpscaMipT, Le système stoïcien et le temps, Paris, 1953, p. 163.
Ce raisonnement suppose que l’homme est actif dans la connaissance.

204
LES STOÏCIENS
résulte une œavraclx ou image représentative, qui peut être,
d’après Chrysippe, réelle ou illusoire, et, dans ce dernier cas,
s’appelle pévraoux, Le logos alors donne ou refuse son assenti-
ment (ovyxaré@eaiç). Si la phantasia est agréée, il y a xaréAnpie ou
saisie. Toute l’opération est mécanique 4. L'homme y est plutôt
passif et n’y intervient que pour écarter l’intrusion des passions.
Par là la connaissance est infaillible, si le logos est sain 5. D’une
série d’images ainsi gravées et conservées dans la mémoire se
dégage l’Evvotx, la notion, résultat de l’expérience cognitive. Il y
a des xowval Évvoua, connaissances communes, qui proviennent de
la communauté du logos.

La connaissance A côté de cette connaissance par les


intellectuelle. sens, existe une connaissance intel-
lectuelle, plus intuitive, appuyée
essentiellement sur la nature quasi divine de l’âme et sur sa
parenté avec tout ce qui peut être objet de connaissance. Elle est,
en somme, une application de cette grande loi stoïcienne de
l'olxelwou 6, selon laquelle le vivant se concilie automatiquement
ce qui lui est adapté. Elle agit en particulier dans le sommeil et
lextase, où les instruments habituels de la connaissance sont
inactifs. Mais elle opère aussi spontanément à l’état normal.
A son domaine ressortit 1’ éwémua, cétte notion intellectuelle qui
ne correspond pas à une réalité extérieure 7. Cependant, dans
l’ensemble, ce mode de connaissance, en définitive, n’est pas

4, Sur ces notions de #2VTaaix €t d’aïohrots, cf. Anim, SVF II, 52-81,
p. 21-28; sur la aride et ses résultats, ibid., 90-101, p. 29-32. Sur le
problème d’ensemble, cf. E. BRÉHIER, Chrysippe et l’ancien stoïcisme, nouvelle
éd., Paris, 1951, p. 81-100; A. Levi, La feoria stoica della verità e dell’errore,
in Rev. d'Histoire de la Philos., 2, 1928, p. 113-192.
5. Les Stoïciens du Moyen Portique reconnurent un certain rôle volontaire
à l’homme dans l’acte de la connaissance. D’où certains auteurs soulignent
plutôt l’activisme de la théorie stoïcienne. Ce dernier mot est d’E. ELorpuy,
qui, dans le contexte, après avoir divisé en trois stades l’opération cognitive,
dit encore : « Le premier comprend aussi bien l’activité des choses connais-
sables dans la connaissance sensible que celle de l’hègemonikon qui est néces-
saire dans chacune des trois phases » (Die Sozialphilosophie der Stoa,
Leipzig, 1936, p. 36). Un excursus est consacré à la connaissance, p. 36-42.
Cf. aussi la note précédente.
6. ARNIM, SVF I, 197-198, p. 48-49. M. PonLenz en a fait une étude très
fouillée sous le titre Grundfragen der stoischen Philosophie, in Abhandl. der
Gesellsch. der Wissensch. zu Gôtt., Philolog.-histor. Klasse, 3, 26, 1940, p. 1-82.
Evidemment, l’oixeiwst explique également la connaissance sensorielle chez
les Stoïciens. Sénèque a consacré sa lettre CXXI à cette notion, qu’il applique
aux bêtes. F
7. E. Eronpuy voit là une trouvaille du stoïcisme, qui corrige ainsi son
réalisme excessif. 11 dépasse le pur objectivisme aristotélicien, sans tomber
dans le subjectivisme (La logica de la Estoa, in Revista de Filosofia, 3, 1944,
p. 235). Sur les évofparz, cf. ARNIM, SVF II, 82-89, p. 28-29.

205
LA CONNAISSANCE :

‘coupé de tout contact avec le dehors et garde par là quelque


chose de sensoriel 8.
L'aspect le plus connu de cette connaissance intuitive, c’est la
rpéknbis ?. Sans être innée, elle est appelée naturelle (éupuroc),
parce qu’elle se constitue comme d'elle-même, en tout homme,
sans les détours de la dialectique et sans l’aide d’une technique.
Elle donne une connaissance globale et implicite; mais après
l’âge de sept ans, elle peut être explorée et devenir une notion
proprement dite. Ces prénotions sont surtout morales : la con-
‘ naissance de soi, l’existence des dieux et de la Providence, le
sens du bien et du mal. Puisqu’elles sont l’œuvre spontanée de
l'intelligence commune, elles sont communes et se confondent
souvent de ce fait avec les xowal Évvoux, connaissances univer-
selles acquises par un logos formé et méthodiquement actif 10.
On trouve chez les Pères, non pas tel quel, le système stoïcien
de la connaissance, mais de nombreuses traces, éparpillées de-ci,
de-là.

IL ATHÉNAGORE

La connaissance Les premiers écrivains ecclésias-


par le noûs. tiques se sont préoccupés du pro-
blème de la connaissance de Dieu
plutôt que d’étudier le mécanisme de l’activité cognitive. Faut-il
nommer Justin ? On trouve chez lui quelques traces de termi-
nologie technique. On sait — et nous le verrons plus loin —
qu'il croit à la connaissance naturelle de Dieu. Dans l’Apologie,
il parle de « semences de vérité 1 », de croyance « innée » ou

8. Cf. V. Gozpscnmipr, Le Système stoïcien et l’idée de temps, Paris, 1953,


p. 163-164.
9. Le terme est emprunté au sensualisme épicurien, comme le signale
Cicéron (Nat. deor., 1, 44), mais il désigne, chez les Stoïciens, une œuvre de
raison (inconsciente) et non plus la saisie empirique d’un objet individuel.
10. Ces notions de xotvai Ævvotat, de mpoïñdeux , de poutor mpohfÿets, sont
très discutées. Cf. M. PonLenz, Die Stoa, À, p. 56-58, 231, 232; et mieux encore
les notes correspondantes, t. II, p. 32-34, 117, 163. L’auteur utilise son travail
antérieur, Grundfragen der stoischen.…, p. 82-104 (l’essence du concept moral).
A la xpéhngw en particulier, V. GOLDSCHMIDT consacre quelques très bonnes
pages (Le Système, p. 159-162). Voir encore E. GrumACH, Physis und
Agathon in der alten Stoa, coll. Problemata, 6, Berlin, 1932, qui consacre tout
un excursus à la ronde (p. 71-76) et O. Risrm, Grundbegriffe der stoischen
Ethik, eine tradilionsgeschichtliche Untersuchung, coll. Problemala., 9, Berlin,
1933, p. 187-188, dans un exeursus très riche consacré à la théorie des signes
(p. 181-190). E. Brémier, Chrysippe et l’ancien stoïcisme, nouvelle éd., Paris,
1951, p. 65-67.
1. 1 Apol., XLIV, 10.

206
ATHÉNAGORE

« naturelle » (éuœuroc) 2. Dans le Dialogue, il signale les œpuoixal


Evvotar 3, que l’on peut perdre par corruption, au contact d’un
mauvais milieu. Mais on n’y voit pas de véritable intérêt pour
le problème de la connaissance 4. On n’en voit pas davantage
chez Irénée, qui parle de xaré&Anbi ou d’ôxéAngie, mais sans
aucune notion technique 5.
Le premier qui s’y intéresse est Athénagore. Il apporte des don-
nées précises, mais dispersées et difficiles à coordonner. D’abord
nous l’avons vu attribuer à l’homme une faculté supérieure, un
« logos naturel6 », avec sa xploic Aoytxh xal alonrixh 7, cette
faculté qu’il appelle volontiers voës xaœi A6yos. Or, « ce noûs-logos
est donné pour discerner les noëta8 », Dieu par exemple ?, qui
sont antérieurs, dans l’ordre temporel, aux êtres corporels et
sensibles que nos yeux voient d’abord 10, Le noûs aboutit, même
en ce domaine, à une connaissance scientifique : xar'émiormuny 11.
L'homme est donc par là admis à la contemplation des intelli-
gibles et Athénagore y fait sans doute allusion quand il dit:
« L’âme par elle-même, en tant qu’immortelle, peut subir des
mouvements raisonnables; elle prévoit l’avenir, ou porte remède
au présent 12, » Bien plus, « la contemplation du donateur » lui
apparaît comme le terme normal de la vie sage et dominée par le
logos 18, Mais cette faculté supérieure peut aussi se diminuer« en
acquérant, et en se mêlant plus au pneuma hylique, quand elle
quitte la vision des choses célestes et de leur auteur, pour se
tourner vers le bas et les choses terrestres, en un mot comme si
elle était devenue seulement sang et chair, au lieu d’esprit pur 14».
Voilà un premier mode de connaissance qui n'offre aucune
couleur philosophique caractérisée. L’atmosphère est plutôt pla-
tonicienne, bien qu’il s’agisse en somme de cette connaissance
intellectuelle et directe, parfaitement admise par les Stoïciens.

2. II Apol., VI, 3.
3. Dial., XCII, 1.
4. On ne voit pas sur quels textes C. CLEMEN s’appuie pour attribuer à
l'Apologie de Justin une théorie stoïcienne de la connaissance, à côté de
l’a-priorisme platonicien que soutient le vieillard du Dialogue, et y voir « le
plus important service rendu par l’Apologie de Justin » (Die religionsphilo-
sophische Bedeutung des stoisch-christlichen Eudämonismus in Justins
Apologie, Leipzig, 1890, p. 150).
5. Katéæhndic : Haer., I, 1, 4, HARVEY I, p. 21; 1, 1, 15, HARvEY, I, p. 68.
YréAndu : Haer., V, 11, 3, HARVEY IL, p. 323; cf. suspiciones : Haer., III, v, 1,
HARVEY Il, p. 19.
6. Res., XXV,
7. Ibid., XV, bis; XXIV, c. med., fin.; XXV, c. fin.
8. Ibid., XV.
9. Leg., V.
10. Ibid., XXXWVI, fin.
11. Ibid., V.
12. Ibid, XXVII.
13. Res., XXV.
14. Leg., XXVII.

207
LA CONNAISSANCE

La connaissance physique D’autres textes semblent ignorer


et par consécution. cette connaissance supérieure, peut-
être la seule scientifique aux yeux
de l’auteur. Athénagore y établit la certitude sur une double base
toute différente : ëx Tñc xouwvñs xal puouxñç évvolac À Tic Tpùs Tà
npèra Tov Seurépwv &xonovôlac. Soit, d’une part, « la connaissance
commune et physique 15 », qui concerne « les premiers principes
et a besoin de la seule mémoire », celle qui donne les œuoixal
vou sans doute et la xowh rpéanic ; d’autre part, la connais-
sance « par consécution », par induction, qui tire des vérités
premières d’autres vérités appelées secondes. Cette consécution
logique n’est qu’un aspect de l’&xoxovôlx physique qui règle
l’ordre des réalités 16, Elle est copiée sur elle. Pour être exacte,
outre qu’elle ne doit pas passer à des causes troisièmes, il faut
qu’elle « ne brouille pas les choses rangées et délimitées par la
nature et n’en rompe pas l’enchaînement 17 ». C’est le raisonne-
ment par ouvmuuévov, avec connexion nécessaire, reflet de la con-
nexion objective des faits. Le lien du raisonnement est donc
parallèle au lien des réalités : c’est la même é&xodouflx qui gou-
verne l’un et l’autre; le même enchaînement, le même ordre,
parce que derrière il y a le même logos 18, Ce contact du raison-
nement avec le réel, qui repousse la généralisation et l’universel,
pour rester strictement concret et objectif, est la caractéristique
du stoïcisme 19, Nous nous trouvons donc cette fois devant deux
modes de connaissance qui portent la marque du Portique : la
connaissance « naturelle » et la connaissance par « consécution
physique ».

15. A côté de « connaissance commune et physique », le même texte emploie


l'expression « connaissance physique ». On trouve aussi dans le De Res.
« connaissance commune à tous » (XXIV, c. med.). Athénagore parle enfin de
xo!Yn ports pour la connaissance de Dieu et l’oppose à la connaissance
scientifique (Leg., V).
16. C’est une notion chère à notre auteur. Il en sera question dans l’étude
des doctrines sur le monde (ch. XII).
17. Res., XIV, c. init.; XVII, fin.
18. Le mot a les mêmes sens — et d’autres — chez Grégoire de Nysse par
exemple, cf. J. DANIÉLOU, Akolouthia chez Grégoire de Nysse, in Rev. des Sc.
Relig., 27, 3, 1953, p. 221-227.
19. V. BROCHARD a, le premier, relevé cette originalité de la logique stoï-
cienne : Sur la logique des stoïciens, in Archiv für Geschichte der Philos.,
5, p. 449-468, surtout p. 458. Elle a été reprise par tous les historiens du
stoïcisme. J. LEeBRETON voit dans ce rapport raisonnement-réalité « un des
indices les plus sûrs qui permettent de reconnaître, chez les Apologistes chré-
tiens, par exemple chez Athénagore, une influence stoïcienne » (Les théories
du Logos au début de l’ère chrétienne, Paris, 1906, extrait des Etudes (1906),
p. 25, n. 2). On trouve ce lien assez curieusement chez Spinoza, Ethique,
2e partie, t. vI1 : « Ordo et connexio idearum idem est ac ordo et connexio
rerum. »

208
ATHÉNAGORE

La connaissance L’apologiste n’exclut pas cepen-


sensorielle. dant un dernier mode : la connais-
sance expérimentale par les sens.
L’&xoovôlx uoxn ne joue que là où « les choses ne comportent
pas crédibilité à partir des apparences mêmes 20 ». Cette connais-
sance paraît venir des sens et se formuler sous le contrôle de
l’âme. « L’âme, dit-il, par nature, préside aux ôpuat du corps et
juge ou mesure ce qui tombe sous les sens par des jugements ou
des mesures adaptées 21, » C’est le corps qui éprouve les pre-
mières sensations et entraîne le consentement de l’âme 22.
Cependant dans le contact avec la matière, l’âme risque de se
tromper. « Les mouvements irraisonnés et fantaisistes de l’âme
autour des opinions se forgent des eldwlx en tous sens, soit qu’ils
les tirent de la matière, soit qu’ils les façonnent et les conçoivent
d’eux-mêmes. » « Ces mouvements de l’âme, fantaisistes et irrai-
sonnés, donnent naissance à des pavracior eldmhouavets. Mais quand
l’âme, délicate et facile à mener, ignorante et inexpérimentée
dans les doctrines solides, inapte à contempler le vrai, à saisir
le Père et auteur de tout, se voit marquée ( évaxooppaytteoOat)
d'opinions menteuses sur elle-même, les démons qui sont autour
de la matière. s’emparant de ces mouvements mensongers, qui
travaillent l’âme de la plupart, permettent, en usurpant leurs
fonctions, aux phantasiai de se glisser dans les intelligences
mêmes... 23, » N'est-ce pas une explication de l’erreur, liée au
système stoïcien ? L’image, normalement, est tirée de l’objet
présent et conformément à l’objet présent. Les caprices de l’âme
constituent des images trompeuses, qui arrachent l’assentiment,
parce que l’homme n’est pas sain. Le texte se complique d’un
point de vue moral. Mais si notre interprétation est exacte, il y
aurait là, sous-jacente, une théorie de la connaissance par les
sens 24, Une particularité : à l’étape où les Stoïciens font inter-
venir le logos, qui trie les représentations, Athénagore a placé le
jeu possible du démon, qui introduit dans l'intelligence, insuf-
fisamment attachée au vrai, des images menteuses 25, Evidem-

20. Res., XVII, fin.


21. Ibid. XIX, c. fin.
22. Ibid., XXI, c. med.
23. Leg., XXVII.
24. G. VERBEKE précise ce mode de connaissance « sous-entendu » : la
matière envoie à l’âme des courants pneumatiques, lesquels sont assimilés par
elle comme une nourriture psychique (p. 417). C’est pousser loin la précision
hypothétique.
25. Tatien laisse aussi entendre que les démons peuvent provoquer dans
l'intelligence des phantasiai trompeuses (Orat., XIV, c. init.; cf. XVI). Ce jeu
du démon dans les images est exposé également dans le Corpus Hermeticum,
IX, 3, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 97.

209
LA CONNAISSANCE

ment, ce stoïcisme n’est pas à l’état pur. La conception


aristotélicienne de la connaissance par les sens, comme de la
connaissance per uiam consequentiae, avait trop fortement
marqué l’histoire de la logique.
En somme, cette connaissance sensorielle apparaîtrait comme
de valeur assez incertaine aux yeux d’Athénagore, à cause des
interventions possibles du mal. En tout cas, il ne cache pas sa
préférence pour la connaissance par consécution : « Le raison-
nement par consécution physique... est plus sûr et plus fort que
l'expérience pour la croyance à la vérité 26. » Ici, nous ne sommes
plus en atmosphère stoïcienne, puisque les Stoïciens consi-
déraient les sens comme la base de toute connaissance et ne s’en
défiaient guère.

III. TERTULLIEN

Tertullien apporte sur le problème de la connaissance des


données précises et assez logiquement coordonnées, qui pré-
sentent un très grand intérêt du point de vue du stoïcisme 1.
Tout semble s’ordonner autour de deux mots, autour de deux
qualités de l’âme, la sensualitas, qui est au cœur de toute la con-
naissance rationnelle des êtres, la diuinitas, qui explique les
possibilités de prescience de l’âme. Par l’une et l’autre connais-
sance, l’âme se révèle à l’image de Dieu, mais à l’image seulement:
elle porte « les traits de Dieu, en tant qu’elle a la prescience, la
plupart du temps, qu’elle est raisonnable, capable d’intelligence
et de science; cependant, même en cela, elle est image et ne va
pas jusqu'aux propriétés divines 2 ».

26. Res., XVII, fin.


1. Cf. G. Scnezowsky, Der Apologet Tertullianus.…., Leipzig, 1901, p. 36-44;
F. Sevr, Die Seelen- und Erkenntnislehre Tertuilians und die Stoa, Vienne,
1937, p. 62-74; G. EssEr, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893, con-
sacre de longues pages à la théorie de la connaissance (p. 141-173), mais ne
s’aventure guère dans les questions d’influences. G. Raucu, Der Einfluss der
sioischen Philosophie auf die Lehrbildung Tertullians, Halle, 1890, intitule
un bref chapitre « la théorie de la connaissance » (p. 37-42) et note que
l'influence est moins profonde ici qu’en psychologie.
2. Marc., II, 9, CSEL 47, 346, 15-19.

210
TERTULLIEN

1. AUTOUR DE LA « SENSVALITAS »

Sentire ef intelligere Tertullien joint une fois assez


étrangement trois mots : « Ratio-
nalitatem sensualitatem intellectualitatem 3, » Il semble bien
désigner par là trois modes de connaissance : le raisonnement, les
sens, l'intelligence, Il est très souvent question des deux derniers,
mais toujours dans l'intention de les unir étroitement, Il y a
consacré tout le chapitre xvirr du De anima et le but y est mani-
feste encore une fois : Platon a transmis aux hérétiques l’idée
d’un intellect séparé des corporels, qui ne joue convenablement
qu’isolé du corps, et c’est là que Gnostiques et Valentiniens ont
puisé leur division outrée en sens corporels et forces intellec-
tuelles 4.
Et voici sa réfutation. En fait, la division est dans les objets.
Les réalités invisibles, « les qualités des êtres incorporels5 »,
sont objet direct de l’intellectus qui relève de l’animus. Les réa-
lités visibles sont objet immédiat des sens qui appartiennent au
corps. Il y a donc une distinction possible, mais les deux séries
d’objets sont attribuées à l’âme, pour être à son service. Elle
« sent par le corps les êtres corporels, exactement comme, par
l'esprit (animus), elle comprend (intellegat) les êtres incor-
porels, avec cette réserve qu’elle sent encore tout en com-
prenant 6 ».
L’âme fait donc l’unité de ces deux modes de connaissance. On
se demande même s’il s’agit bien de deux modes de connais-
sance, et non de deux étapes, tant ils sont unis. Toute la suite
démontre l’impossibilité d’isoler l’un de l’autre, aussi bien dans
la connaissance des êtres corporels que dans la connaissance des
êtres intellectuels. « N’est-il pas vrai que sentir, c’est comprendre,
et comprendre, sentir ? Ou bien que sera le sensus, s’il n’y a pas
compréhension de la chose sentie ? Que sera la compréhension,
s’il n’y a pas sensus de la chose comprise ?.. Qui me montrera
un sensus qui ne comprend pas ce qu’il sent, ou une compréhen-
sion qui ne sent pas ce qu’elle comprend, pour prouver que l’un

3. Anima, XXXVIIL, 6.
4. Ibid., XNIII, 1-6. Tertullien y oppose tantôt infellectualia à corporalia,
uires animae ou uires intellectuales à sensus corporales, animus à corpus,
en exposant la thèse de Platon et des Gnostiques.
5. Ibid., VI, 4.
6. Ibid., XNVIIX, 6, cf. 8. Toutes ces traductions sont fatalement déficientes.
I1 n’y a pas équivalence entre les terminologies latine et française. Nous
n’avons pas essayé de traduire sensus à cause de sa polyvalence. Quant à
intellectus et intelligere, nous les avons rendus défectueusement par com-
préhension (quand il ne désigne pas l’intellect) et comprendre, pour qu’il y
ait correspondance entre le verbe et le nom verbal.

211
LA CONNAISSANCE

peut exister sans l’autre 7 ? >» Il pousse l’union des deux facultés
jusqu’au bout, N’a-t-il pas dit que l’animus n’est qu’une activité
de l’anima ? « Qu’est-ce qui sent les êtres corporels ? Si c’est
l'esprit, c’est que l’esprit est aussi doué de sensus, et pas seule-
ment intellectuel, car en comprenant il sent, puisque, s’il ae sent
pas, il ne comprend pas non plus. Si c’est l’âme qui sent les êtres
corporels, c’est que la propriété de l’âme est aussi intellectuelle,
et pas seulement douée de sensus, car en sentant elle comprend,
puisque, si elle ne comprend pas, elle ne sent pas non plus. » Et
il recommence le même chassé-croisé pour les êtres incorporels,
afin de redire, une fois de plus 8, que, malgré les objections, les
deux facultés, sensus et intellectus, sont étroitement unies et
inséparables dans un échange continuel de bons services. Tant
pis pour nos Gnostiques platoniciens ! La connaissance intelli-
gible n’a pas son indépendance ?.
Elle n’a même pas sa supériorité. Tertullien avoue naïvement
que le problème ne l’intéresse guère, pourvu qu’on n’aille pas
accorder la préférence à l’intellectus à seule fin de pouvoir mieux
isoler du sensus 10, Et voilà que cette perspective le met en
veine et il démontre qu’en réalité la connaissance intellectuelle
n’a pas droit à la priorité 11, I] conclut qu’il ne faut ni la préférer,
ni la séparer 12,

Le sensualisme. Dans ce dernier raisonnement


intervient un élément intéressant.
« Comment, dit l’auteur, peut-on préférer l’intellect au sensus,
qui lui fournit son information pour la connaissance des
vérités 18? » « Ne crois-tu pas que l’intellect a le sensus pour
guide, pour instigateur et pour principal fondement, que sans lui
les vérités ne peuvent être atteintes 14 ? » Mais ici apparaît clai-
rement le grand principe stoïcien très célèbre : nihil esse in
intellectu, quod non prius fuerit in sensu 15, et l’on peut même

7. Anima, XVIIXL, 7.
8. Ibid., XVIII, 8.
9. Il est curieux de constater que le Corpus Hermeticum tente également de
confondre sensation et intellection (IX, 1-2; 5, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 96-98;
cf. Fragm. de Stobée, IV, 23, éd. FESTUGIÈRE, p. 26-27), sous l’influence du
stoïcisme, dit l'éditeur en note du premier texte. S’il y a influence du stoi-
cisme, il y a surtout un problème d’école, depuis Platon, cf. Corpus Herme-
ticum, t. I, éd. Nocx-FESTUGIÈRE, p. 106, n. 39; t. III, éd. FESTUGaIèRE,
P. XXXIV-XXXVI.
10. Anima, XVIII, 10.
11. Ibid., 10-12.
12. Ibid., 13.
13. Ibid., 11.
14. Ibid., 12.
15. J. H. Waszinx signale la marque stoïcienne de ce principe (p. 267) et
affirme : « La conception du sensus comme fondement de l’intellectus appar-
tient aux Stoïciens » (p. 255).

212
TERTULLIEN

ajouter que, pour Tertullien, rien ne se trouve dans les sens, qui
n’ait son fondement dans la réalité : causas sequuntur 18, Il y a
donc en définitive à la base de toute connaissance une sensation :
Vnde opinio si non a sensu 17 ? La perception est la source de
tout 18. Nous sommes parfaitement dans le sensualisme stoi-
cien 19,
Si Tertullien l’a découvert pour réfuter des Platoniciens, on ne
peut dire cependant que cette affirmation soit accidentelle chez
lui. Dans toute son œuvre, la sensualitas est la fonction de base
de l’âme humaine et la conséquence directe de sa passibilité.
« Sentir, c’est pâtir, dit-il, puisque pâtir, c’est sentir 2, » « L’âme
est douée de sensus par nature. Vraiment il n’existe pas d’être
animé sans sensus, il n’existe pas d’être doué de sensus sans
âme; pour employer des termes plus frappants, le sénsus est
l’âme de l’âme 21, » Cependant il se rattrape en parfait Stoïcien.
Platon a bien tort de déclarer la sensualitas irrationnelle 22, Elle
est pénétrée de cette raison qui commande et domine toute l’âme.
Le sensus est raisonnable, comme la raison est doué de sensus.
Nous retrouvons un dogme stoïcien. L’âme est à la fois totalement
rationnelle et totalement « sensuelle ».

Le travail Il est curieux de remarquer que


de la sensualitas. Tertullien ne parle presque jamais
de l’activité rationnelle, du raison-
nement. Nous en verrons seulement quelques signes autour de la
connaissance de Dieu. Il sait qu’on arrive à l’existence de Dieu
ex operibus ipsius, à partir de ses œuvres#3, « sur le témoignage
de ses œuvres 2# », « par des argumentations justes 25 ». Mais
u
il s’intéresse relativement peu à cette preuve de Dieu et, rare-
ment dans son œuvre, il parle de la connaissance par raison-
nement.
Au contraire, le travail de la sensualitas est assez souvent
signalé. Cette naturalis scientia naturalium est un mode d’appré-

16. Anima, XVII, 8.


17. Ibid., 5.
18. « Il fait des sens la source de toute connaissance », dit G. RAucx,
Der Einfluss…., p. 40.
19. On retrouve discrètement la même théorie dans le traité justinien
De Resurrectione : « Des choses saisies par le logos, le critère est la sensa-
tion; mais celle-ci n’a de critère qu’elle-même. » Elle est juge définitif « des
choses atteintes par le logos » (éd. K. Horz, Fragmente vornicänischer Kir-
chenväter aus den Sacra Parallela, Ieïipzig, 1899, n° 107, p. 37, 1. 14-26).
20. Anima, XII, 4.
21. Carn. Xti, XII, CSEL 70, 221, 8-11; Carn. Res., XLVI, CSEL 47, 95, 9-14.
22. Anima, XVII, 2.
23. Apol., XVII, 4.
24. Carn. Res., II, CSEL 47, 27, 11.
25. Marc., I, 16, CSEL 47, 311, 4-6.

èsrer[SE]
LA CONNAISSANCE

hension qui doit être rapporté à l’âme, mais il est du corps,


« parce qu’il s’exerce à cause de la chair et par la chair 26 ».
Il a pour instrument les sensus, les cinq sens, que Tertullien
nomme souvent 27, ces « aides de l’homme extérieur qui aident
l’homme intérieur >» et font passer dans l’âme les résultats de
leur travail 28. Il faut se fier à eux et Tertullien tâche de le
prouver par l’expérience, par le témoignage de Platon et même
par l'Evangile, Les prétendues illusions proviennent de causes
explicables, qui ne sont pas dans les sens, mais dans la réalité.
Les sens donnent la reproduction exacte des êtres extérieurs
dans leur contexte #, Ailleurs encore il s’en prend à ceux qui
déprécient les sens pour préférer les vérités intellectuelles #0. Il
ne parle guère de l’image, qu’il suppose cependant 5, ne décrit
pas avec précision le mécanisme de cette connaissance par les
sens, mais en marque les étapes : « Les opinions sont guidées
par les sens, qui suivent les causes 32. » Il semble même accorder
à la représentation une force contraignante qui était détenue chez
les Stoïciens par le logos 88.

La communauté du sensus. Il souligne laspect universel de


cette connaissance. Il y a dans toute
l'humanité une communauté de sensus : « Tous les peuples,
dit-il, n’ont qu’un même homme, bien que les noms varient; une
même âme, bien que les termes varient; un même esprit, bien
que l’expression varie; chaque peuple a son propre langage, mais
la matière du langage est commune... 34, > Tertullien parle volon-
tiers du publicus sensus 35, communis omnium sensus 86, Autres
synonymes de ces expressions, c’est le festimonium animae,
l’objet d’un opuscule qui est un chef-d'œuvre 87; c’est la com-
munis lex. in publico mundi38; c’est enfin la conscience

26. Carn. Res., XLVI, CSEL 47, 95, 9-14; VII... 36, 7-21.
27. Anima, XVII, 1; XIV, 3; XXIV, 6; Carn. Res., VII, CSEL 47, 36, 10;
Corona, V, CSEL 70, 161, 7-9.
28. Corona, V, CSEL 70, 161, 10-12.
29. Anima, XVIII, en entier, surtout 11-12. Ici Tertullien part d’un contexte
stoïcien sur la crédibilité des sens (ARNIM, SVF I, 60-61, p. 18-19; II, 73-78,
p. 26-27), qu’il invoque expressément, et apporte une opinion apparemment
personnelle (WAszINK, p. 237-238).
30. Anima, XXIV, 6.
31. Ibid., XNVIIL, 12.
32. Ibid., XVII, 8.
33. G. RAuCrH, Der Einfluss.…., souligne le fait que chez Tertullien la repré-
sentation force à l’assentiment, bien qu’il admette que la cause complète
n’est pas dans la représentation (p. 41-42).
34. Test. an., VI, 3, CSEL 20, 142, 25-28.
35. Anima, IL, 1.
86. Nat., Il, 5, 1.
37. Cf. Apol., XVII, 4-6.
38. Corona, VI, CSEL 70, 162, 1-2.

214
TERTULLIEN
humaine « connaturelle et innée », qui recueille « la doctrine
de la nature 5 ». Tertullien en souligne le caractère antique et
universel. « L’âme, dit-il, existe avant la prophétie et la cons-
cience est donnée par Dieu à l’âme dès l’origine, et Dieu trouve
‘les mêmes témoignages, sans différences, chez les habitants de
l'Egypte, de la Syrie et du Pont 4. > Minucius Félix se rencontre
avec lui : « Tous les hommes, dit-il, sans distinction d’âge, de
dignité, sont doués, par naissance, de raison et de sensus et
capables d’en user. Leur sagesse n’est pas une faveur de la
fortune, mais un don naturel 41. »

Les sensus communes. Cette communauté du sensus abou-


tit naturellement à des sensus com-
munes 42 Le mot, cette fois, désigne, non plus la faculté de
percevoir, mais les connaissances qui en proviennent. Il s’agit
des « notions communes », les xotvai Évvoua, produites en quelque
sorte inconsciemment par l’accumulation des expériences dans
toutes les âmes et capables de guider l’homme, en particulier
dans le domaine moral et religieux. Elles sont voisines des
œuotxæl Évvoux connues d’Athénagore et de Justin. C’est une fois de
plus, un concept stoïcien que Tertullien emprunte à l’hellénisme.
. Au nombre des notions communes figure avant tout pour l’âme
la connaissance de soi. Minucius Félix dit prudemment : « Je
n’écarte pas que l’homme se connaisse 43. » Mais Tertullien est
beaucoup plus précis. « Puisque l’âme, dit-il, applique à tout la
perception (sentire) et qu’elle a elle-même aussi des perceptions
(sensus) de tout, à plus forte raison les qualités, qui peut croire
qu’elle n’ait pas elle-même obtenu dès l’origine la perception de
soi ? » et l’auteur poursuit en attribuant à l’âme la connaissance
de tout « ce qui lui est nécessaire par nécessité naturelle », de sa
qualité en particulier. C’est la notitia sui, la connaissance de soi,
sans laquelle aucune âme ne pourrait se conduire. « Méconnais-
sant sa raison, (l’homme) s’ignorerait lui-même ## »

39. Test. an., V, 3, CSEL 20, 141, 4-5; Marc., 1, 3, CSEL 47, 293, 19-20;
Virg. uel., V, PL II, 896 A.
40. Marc., I, 10, CSEL 47, 303, 12-22. Pour Tertullien, le sensus communis
est une des sources de vérité dans la philosophie, avec la chance, les livres
prétendus sacrés, les aprocryphes et l'Ancien Testament (Anima, II, 1).
J. QuisreL souligne que Tertullien a fini dans sa lutte contre les Gnostiques
par mettre les notions communes au second plan, comme confirmation de
l’Ecriture mise seule en avant. Il invoque le De carn. Res., III-IV et De uirg.
uel., V (Het Getuigenis der Ziel bij Tertullianus, Leiden, 1952, p. 24-27).
41. Oct, XNI, 5.
42, Carn. Res., III, CSEL 47, 28, 22; 29, 3; 29, 23; V, CSEL 47, 31, 5;
Marc., 1, 16, CSEL 47, 311, 4-5.
43. Oct., XVII, 1. *
44. Carn. Xti, XII, CSEL 70, 221, 11-222, 22.

215
LA CONNAISSANCE

Nous retrouverons ici dans toute sa pureté la théorie stoïcienne


de l’otxelwois, que semblait soupçonner Athénagore. L’intelligence
connaît spontanément ce qui lui est connaturel, les rpüra xarà
æéow, et cette connaissance ne manque jamais : « La science
des vérités naturelles ne fait défaut pas même chez les bêtes 45»,
ce qui est encore un trait du Portique. Tertullien, d’ailleurs,
applique le principe au problème de la nourriture : l’âme désire
ses aliments « par raison de nécessité », mais le corps « par
raison de propriété 46 ». C’est peut-être le terme d’oixsiwotc qu’il
traduit par ce dernier mot.
Tertullien précise l’objet de ces connaissances naturelles.
« Certaines choses sont connues par la nature, telle l’immortalité
de l’âme chez la plupart 47. >» Dans le même texte, il ajoute:
« Notre Dieu chez tous 48. » Parmi ces notions communes, il faut
ranger la connaissance du bien et du mal 4? et sans doute la loi
naturelle, objet de la conscience, dont il sera question plus loin,
autre notion chère à Tertullien autant qu’aux Stoïciens.

2. AUTOUR DE LA « DIVINITAS »

‘L'âme connaît aussi des expériences exceptionnelles, des


modes de connaissance transitoires, soit surnaturels, comme
l’extase prophétique, soit naturels, comme la diuinatio et le rêve.

L'extase. La prophétie n’est pas un genre de


connaissance que Tertullien ait
décrit plus que les autres Pères. Au contraire. Mais il en a noté
avec précision un aspect intéressant : la saisie prophétique est
accompagnée de l’extase, qui est sortie de soi. Déjà Athénagore
notait quela prophétie se fait xar'Éxoraouw tv &v œdroic Aoyiouüv 50,
Irénée aussi imaginait la prophétie comme une véritable sortie
de soi, où l’âme quitte le corps pour rejoindre l'Esprit, et,

45. Anima, XXIV, 5. Se rappeler qu’Athénagore explique par une loi d’adap-
tation le choix et l’assimilation des aliments et qu’il applique cette loi même
aux bêtes. C’est en somme une conception de la loi naturelle appliquée aux
bêtes. On la retrouve dans le Corpus Hermeticum, Fragm. de Stobée, XXV, 7,
éd. FESTUGIÈRE, p. 70.
46. Anima, XXXVIII, 4. Le mot propriété y revient deux fois. Tertullien
vient de montrer que le désir de nourriture est le seul besoin naturel.
47. Carn. Res., III, CSEL 47, 28, 25-26.
48. lrénée semble prévenir Tertullien sur ce point, comme sur beaucoup
d’autres, en attribuant à la sensibilitas, qu’il rend synonyme d’intuitio mentis,
une connaissance universelle de la transcendance toute-puissante de Dieu
(Haer., II, 1V, 5, HARVEY, I, p. 263-264).
49. Marc., IV, 16, CSEL 47, 472, 20-21,
50. Leg., IX.

216
TERTULLIEN

informée, s’en revient : « Tout ce que (les prophètes) voient et


entendent spirituellement, disait-il, selon les visions des êtres
célestes, revenus à l’homme, ils s’en souviennent aussi ct l’an-
noncent aux autres. Et le corps ne fait pas oublier à l’âme ce
qu’elle a vu dans l’Esprit; mais l’âme renseigne le corps et lui
communique la vision reçue dans l'Esprit 51, »
Tertullien, peut-être sous l’influence montaniste 57, a insisté
sur cette sortie de soi, cette perte de la raison (amentia), qui
constitue l’extase prophétique. Il en parle au sujet d'Adam à et
définit expressément la prophétie : « Excessus sensus, amentiae
instar 5% » ou simplement amentia 55. Cependant il ajoute toujours
l'aspect positif : « Spiritalem uim qua constat prophetia 56. »
L’âme quitte donc ses facultés naturelles et habituelles, mais sous
l'effet du Saint-Esprit : « L’homme constitué dans l’Esprit, préci-
sément quand il voit la gloire de Dieu ou quand Dieu parle par
lui, doit absolument quitter le sensus, puisqu'il est pénétré de la
vertu divine 57. » Telle est l’extase prophétique. Bien que cette
faculté soit surnaturelle, elle ne surprend pas Tertullien : l’âme
n'est-elle par née du souffle de Dieu 58 ? N’est-elle pas relative-
ment divine ?

Le sommeil et le rêve. Le rêve apparaît à Tertullien — et


à Irénée — comme un genre d’ex-
tase 59, mais une cextase cette fois toute naturelle et liée au
sommeil. Le sommeil, pour Tertullien, comme pour Athéna-
gore 60 et pour les Stoïciens qu’il cite 61, est « un relâchement de
la vigueur sensuelle 6 ». Il est le propre du corps, puisque l’âme,
toujours active en tant qu’immortelle, ne peut dormir 68, Mais que

51. Iaer., I, Lu, HARVEY, I, p. 379. L’Ascension d’Isaïe raconte la même


expérience, dans un contexte plus nettement trichotomiste : « Et son esprit
fut ravi en haut, ct il ne voyait plus les hommes qui étaient debout devant
lui. Mais ses yeux étaient ouverts et sa bouche se taisait et l’esprit de son
corps était enlevé d’au-dessus de lui. Et son souffle était en lui et il voyait
une vision » (VI, 10-12). :
52. Cf. P. DE LABRIOLLE, La Polémique antimontaniste contre la prophétie
extatique, in Rev. Hist. Litt. Relig., 11, 1906, p. 97; La Crise Montaniste, Paris,
1913, p. 555-562.
53. Anima, XI, 4.
54. Ibid., XLV, 3.
55. Anima, XXI, 2; Marc., V, 8, CSEL 47, 600, 22; IV, 22..., 492, 28; 493, 4.
56. Anima, XXI, 2.
57. Marc., IV, 22, CSEL 47, 493, 1-4; 7-8; 8-9.
58. Marc., Il, 9, CSEL 47, 346, 17.
59. Anima, XLV, 3.
60. Res., XVI, c. med.
61. Anima, XLIII, 3.
62. Ibid., 5; ces théories de Tertullien sur le sommeil se retrouvent au
compte de Zénon chez Cicéron (Diuin., II, 119) et chez Diogène Laërce (VII,
158).
63. Anima, XLIIL, 5; 12; XLV, 1; LVII, 3.

217
LA CONNAISSANCE
fait l’âme ? Pour Irénée, « l’âme voit à part soi et agit en phan-
tasme », apparemment retirée du corps, puisqu'elle est « seule »,
mais ensuite, une fois mêlée au corps et dispersée dans l’orga-
nisme entier, « se rappelant la plupart des choses, elle les com-
munique au corps 64 ». C’est encore le phénomène de l’extase.
Ici aussi, Tertullien est d’accord avec Irénée qui fait agir l’âme
en phantasme, mais il le complète. L’âme dans le sommeil agit
d’abord matériellement, si l’on peut dire : « Privée de secours
étranger, elle ne se repose pas, et, si elle manque de l’activité de
membres corporels, elle utilise les siens 65 », « pourvue qu’elle
est de ses membres 66 ». Elle agit donc avec les membres de cet
homme intérieur dont il a été question plus haut. L’âme a ses
mouvements, qui percent parfois la chair tendre de l’enfant qui
dort 67, ses élancements 68. Elle a d’autres articulations, « qui lui
servent dans ses pensées 6 ». L'âme possède ainsi en propre
toutes les activités de l’homme, comme les mouvements des
mains, des pieds, des yeux, de la langue 7. La seule différence
est que ces mouvements,'pendant le repos corporel, demeurent
sans résultat. « Ils se font en acte, mais ils ne se font pas en
effet 71, » Cette activité factice est encore conforme aux théories
stoïciennes 72.
L'une des activités de l’âme dans le sommeil, c’est le rêve,
activité intellectuelle que Tertullien, toujours fidèle à la philo-
sophie, est loin de mépriser. Les songes sont, d’après l’expli-
cation des Stoïciens qu’il accepte, « une aide » accordée à
l’homme par « le Dieu très provident », « un soin particulier
appliqué à l’oracle naturel #3 ». Ne sont-ils pas une source de
connaissance sur Dieu 74? L’expérience humaine prouve qu’ils
ont leur vérité 75. Il faut y croire et les utiliser à sa façon, qui
n’est pas celle des païens 76. Malgré ces affirmations stoïcisantes,
Tertullien est bien hésitant sur la vérité intellectuelle du rêve.
En dépit de certains textes stoïciens, il dit que l'esprit est rigide
(stupet) dans le sommeil 77. Comment le rêve peut-il être une
activité raisonnable, puisqu'il est « une extase, sortie du sensus

64. Haer., 11, L, HARVEY I, p. 376.


65. Anima, XLV, 1.
66. Ibid., XLIII, 12.
67. Ibid., XLIX, 1. ;
68. Ibid., XLV, 1; Carn. Res., XVIII, CSEL 47, 50, 10-13.
69. Anima, IX, 8.
70. Ibid., VI, 3.
71. Ibid., XLV, 2.
72. ARNIM, SVE I, 130, p. 36.
73. Anima, XLVI, 11.
74. Ibid., XLVII, 2.
75. Ibid., XLVI, 3; LVII, 10.
76. Ibid., XLVI, 12.
77. Ibid., XLV, 6. Cf. XLVIII, 1 : le matin, la uigor de l’âme revient.

218
TERTULLIEN

et sorte de folie 78 » ? Or ici il n’y a pas d’Esprit-Saint pour


suppléer, comme dans la prophétie ®?. Puisque sa définition est
purement négative, comment le rêve peut-il être une puissance
(uis) ? On sent chez Tertullien une hésitation, une gêne sur ce
point. Il se défend. « Ce sera là le caractère propre à cette folie,
dit-il, qu’elle découle, non de la corruption de la bonne santé,
mais de l’ordre de la nature. Elle ne chasse pas l’esprit, elle
l’écarte; autre chose est d’ébranler, autre chose de mettre en
mouvement; autre chose de détourner, autre chose de mettre en
action 80, » Il reconnaît à la fois dans le rêve un jeu des fonctions
inférieures de l’âme et un exercice parfois très intelligent: le
rêve « nous apporte des images de sagesse, comme aussi
d’erreur 81 ».

Variété des rêves.


Tertullien a classé les rêves d’après
leur origine. Il distingue d’abord
ceux qui viennent des démons, dont les Pères parlent souvent 8?;
puis ceux qui viennent de Dieu 8 et qui sont accordés aux inf-
dèles comme aux fidèles, source de connaissance divine pour la
plupart, dont aucune âme par nature ne doit être privée 84; enfin
ceux qui relèvent de l’âme elle-même, non de son libre arbitre,
mais du jeu normal de son contact avec les objets 85, Comment
peut-elle agir, puisque l'esprit est au repos ? Il faut s’en rap-
porter au mécanisme du rêve, où l’âme, dans le travail de l’extase,
s’acquitte de ses fonctions propres 86. Pratiquement certains rêves
ne relèvent d’aucune de ces catégories; ils seront rattachés à
l’extase proprement dite, comme l’extase spirituelle 87, que connut
Adam pour prophétiser 88, C’est la classification des Stoïciens #,
mais ces derniers soulignent, à ce propos, la connexion de l’âme

78. Anima, XLV, 3.


79. Ibid., XI, 4; Cf. Marc., IV, 22, CSEL 47, 493, 1-9.
80. Anima, XLV, 5.
81. Ibid., 6. Clément d’Alexandrie, dans une note plus dualiste, est plus
logique avec lui-même et moins hésitant.
82. Anima, XLVII, 1; Apol., XXII, 1; cf. Minucius Félix, XXVII, 2; Justin,
1 Apol., XIV, 1.
83. Anima, XLVII, 2.
84. Ibid., XLIX, 3.
85. Ibid., XLVII, 3; cf. XLVUL, 2 (cité infra : ex arbitrio erunt somnia, si
dirigi poterunt).
86. Ibid., XLV, 3; 6; XLVIL, 3.
87. Ibid., XLVIL, 4.
88. lei. adu. psych., III, CSEL 20, 277, 7-15.
89. ArRNIM, SVF III, 605, p. 157; II, 1198, p. 344. C’est à peu près la clas-
sification de Posidonius (cf. Cicéron, Diuin. 1, 64), reprise par Philon (De
somn., I, 1-3: IL, 1-4; cf. E. BRÉRIER, Les idées philosophiques et religieuses
de Philon d’Alexandrie, 3° éd., Paris, 1950, p. 186). J. H. WaszINk souligne
que Tertullien étend à tous les rêves cette classification, qui ne s’appliquait
qu’aux rêves prophétiques (p. 500, 502).

219
LA CONNAISSANCE

humaine avec l’âme de l’univers et voient dans cette sympathie


la source de cette connaissance spéciale : le repos des sens rend
lâme capable de contempler l’univers et de voir l'avenir. Ter-
tullien insiste plus, en ami du montanisme, sur la révélation
divine, qui commence par le rêve issu de Dieu, sans cependant
négliger le contact immédiat de l’âme avec la nature, comme nous
le verrons.
Enfin, il souligne les conditions et détaille les influences exté-
rieures qui agissent sur les rêves; l’heure de la nuit où ils sur-
viennent : ils sont plus vrais à la fin de la nuit, parce que le tonos
revient; la saison : ils sont plus paisibles au printemps, tandis
que l’été relâche l’âme, l’hiver la resserre, l’automne l’amollit ®;
la position du corps ?1; la nourriture : l’abstinence fait que le
rêve glisse en Dieu %?, ou, si elle n’a pas un effet direct, elle attire
l’extase divine %, Mais Tertullien ne se fait pas d’illusion sur la
force de ces influences, sinon l’homme sera le maître de ses
rêves : « Les songes tomberont sous le libre arbitre, s’ils peuvent
se diriger %4, »

La divination. Le rêve apparaît comme un entre-


deux, entre le don de prophétie,
qui est un pur effet de l’Esprit-Saint, et une autre faculté, que
Tertullien accorde à l’âme comme naturelle : la divination %5.
C’est par cette dernière surtout que s’explique la qualité de l’âme
annoncée plus haut : praescia plerumque. 11 s’agit de la fonction
divinatrice de l’âme, fonction normale, que Tertullien distingue
expressément de la prophétie proprement surnaturelle, qui agit
par grâce %. Il semble qu’il faille la distinguer aussi de la con-
naissance naturelle par notion commune. Mais ici la frontière est
moins précise. Tertullien glisse facilement de la divination aux
notions communes et unit volontiers les deux. La divination, à
ses yeux, « éclate en pressentiments » et il en rapproche la
conscience, qui proclame « Dieu bon?7 ». Cependant il lui
accorde un rôle plus large, « Prends connaissance, dit-il, de
celle qui fait que tu connaisses. Considère-la comme devine-
resse en ses pressentiments, comme augure en tout, comme
annonciatrice dans les événements %8, » Et il joint souvent à cette

90. Anima, XLVIUI, 1.


91. Ibid., 2.
92. Ibid., 2.
93. Ibid., 4.
94. Ibid., 2.
95. Ibid., XXII, 1-2.
96. Ibid., 1.
97. Ibid., XLI, 3.
98. Test. an., V, 2, CSEL 20, 140, 24-26.
TERTULLIEN

fonction divinatrice de l’âme la fonction « dominatrice % »


L'âme détient donc une capacité naturelle de pénétrer l’inconnu,
source de sa puissance sur l’univers.
Tertullien, pour qu’on admette cette divination, fait appel à de
« nombreuses preuves », qu’il a déjà données à Hermogène, et
prend à témoin l’expérience humaine. « Il n’y a pas un homme,
dit-il, qui n’ait personnellement pris conscience un jour de la
capacité prophétique de son âme, augurant d’un malheur, d’un
danger ou d’une joie. Si le corps ne nuit pas à la divination, il
ne fera pas obstacle, je crois, à la mémoire 1%, » Il justifie alors
cette faculté par sa philosophie : l’essence de l’âme et sa rela-
tion avec la nature. C’est « la divinité même de l’âme » qui agit,
dit-il 101, Diuinatio et diuinitas sont pour lui presque deux syno-
nymes 102, L'origine divine de l’âme justifie parfaitement à ses
yeux la divination : « C’est une chose étrange que (l’âme), donnée
par Dieu à l’homme, sache deviner ? une chose si étrange qu’elle
connaisse celui qui l’a donnée 103 ? >» Une deuxième explication
vient à la rescousse de la première : l’âme lit ces mystères dans
la nature dont elle est disciple, comme la nature est disciple de
Dieu, « Le maître, c’est la nature, l’âme est disciple. Tout ce que
celle-là a parfaitement enseigné, ce que celle-ci a parfaitement
appris, est un apport de Dieu, qui est bien le maître du maître lui-
même 104, » L’âme est liée à la nature jusqu’à se confondre avec
elle en un sens : « Sur le témoignage de l’âme même, sans distinc-
tion, crois à la nature..., crois à l’âme 195, » La nature n’a-t-elle
pas été une propédeutique pour la connaissance par la pro-
phétie ? « Dieu t’a donné d’abord la nature pour maître, dans
l’idée de t’adresser ensuite la prophétie, pour que tu croies plus
facilement à la prophétie, étant disciple de la nature 106, » Mais
ici encore cette divination rejoint le sens commun. Dans l’une
comme dans l’autre, l’homme « recueille l’enseignement de la
nature » : « La nature suggère la plupart de ces connaissances
par une espèce de sens commun dont Dieu a daigné doter
l’âme 107, » Il existe un lien mystérieux entre l’âme et le

99. Anima, XXII, 2; cf. « et la domination sur les choses et la divination


parfois » (ibid., XXII, 1). H. KarpPp entend le mot domination dans un autre
sens : l’âme possède l’hègemonikon (Probleme altchristlicher Anthropologie….,
Gütersloh, 1950, p. 43). N’est-ce pas négliger les nombreux textes de Tertullien
qui font de l’homme le maître du monde et l’expression même : dominationem
rerum ?
100. Anima, XXIV, 10. ;
101. Virg. uel., V, PL II, 896 A.
102. Anima, XLI, 3.
103. Test. an., V, 2, CSEL 20, 140, 26-28.
104. Ibid., V, 1, CSEL 20, 140, 15-23.
105. Ibid., VI, 1, CSEL 20, 142, 8-11.
106. Carn. Res., XII, CSEL 47, 41, 20-27.
107. Anima, II, 1; cf. Spect., II, CSEL 20, 2, 23 : natura suggerit.

#81
LA CONNAISSANCE .
cosmos 108, Cette explication naturaliste est évidemment aussi bien
dans l'esprit stoïcien que la première qui rappelle la parenté de
l’âme avec le pneuma divin.
Dans tout son exposé des modes de connaissance, Tertullien ne
fausse compagnie à la philosophie qu’un instant, pour justifier la
prophétie surnaturelle. Cette philosophie est celle qui l’emportait
à l’époque et qui, pour comble de bonheur, permettait à l’apolo-
giste de pourfendre l’hérésie gnostique d'influence platonicienne
avec son intelligence supracorporelle. C’est le réalisme du Por-
tique qui unifiait sa théorie de la connaissance, comme il uni-
fiait sa conception de l’âme.

IV. CLÉMENT D’ ALEXANDRIE

Comme nous l’avons signalé plus haut, toute l’œuvre de


Clément d’Alexandrie révèle une connaissance exceptionnelle de
la logique stoïcienne et de ses définitions. L'influence est-elle en
accord avec la richesse de l'information ? Il y aurait là un
domaine de recherche possible, non seulement pour Clément,
mais pour tous les Pères 1. Il consisterait à analyser la structure
de leurs raisonnements ? et l’usage qu’ils font de la terminologie
philosophique. L’Alexandrin, par exemple, se sert couramment
de termes techniques, mais les applique à une matière bien
inconnue des philosophes qui les avaient illustrés. Ainsi le terme
ovyxartéBeoux, qu’il attribue aux Platoniciens et aux Stoïciens 8, a
rarement son sens technique consacré #, mais il lui sert conti-
nuellement à définir la foi5. C’est un exemple symbolique de

108. Ce lien est signalé par J. Quisper, Het Getuigenis der Ziel bij Tertul-
lianus, Leiden, 1952, p. 19. Cf. St. Orro, « Natura » und « Dispositio ». Unter-
suchung zum Naturbegriff und Denkform Tertullians, Munich, 1960.
1. Nous avons dit plus haut que le travail de A. Vrrieux-REeyMOND, La
logique et l’épistémologie des Stoïciens, leurs rapports avec la logique d’Aris-
tote, la logistique et la pensée contemporaine, Chambéry, s. d. (1949), n’aborde
le problème que pour saint Augustin.
2. Par exemple, la préférence d’Aristide ou d’Athénagore pour le syllogisme
disjonctif, que Tatien et Justin ignorent au dire de G. BarDpy, Athénagore,
Supplique au sujet des chrétiens, coll. Sources Chrétiennes, Paris, 1943, p. 46.
3. Str., II, 54, 5.
4. Ibid., VI, 69, 1; II, 55, 1.
5. Ibid., IL, 55, 1; V, 3, 2; 86, 1; IL, 8, 4, et passim, où le mot est doublé de
see autre terme d’école. Ailleurs, la foi est appelée üréAndis et il discute
(Str., 11, 28, 1). M. J. DaskaraAKIS souligne que le terme æp6Andw est employé

227
CLÉMENT D'ALEXANDRIE

l’usage que Clément a fait de la terminologie des Stoïciens et de


leur théorie de la connaissance.
Pour les raisons indiquées plus haut, nous n’aborderons ici
que ce dernier point, le problème de la connaissance, sans oser
encore parler de critériologie et sans prétendre apporter au
problème une réponse bien sûre. Clément a pillé les théories
stoïciennes, peut-être inconsciemment, et les a terriblement
embrouïillées, en les mêlant d’autres théories ou en donnant aux
termes, à yvôouw par exemple, des sens multiples, presque contra-
dictoires. Autant l’influence est manifeste, autant il est difficile
de retrouver le fil du stoïcisme dans cet écheveau de doctrines
et même de dégager simplement un système de la connaissance
qui représente la pensée de Clément.

Noùc el «toOnoic. [1 est possible de dégager au moins


certaines idées et de définir
quelques éléments avec précision. Deux textes nous en four-
nissent le point de départ. « Il se manifeste en nous, dit Clément
après Philon, trois mesures, trois critères, la sensation (aloôno1c),
pour les choses sensibles; pour les choses dites, les noms et les
mots, le raisonnement (A6ÿoc); pour les choses intelligibles,
l'intelligence (vodc) 6. » Et ailleurs : « Il y a quatre choses en quoi.
réside la vérité : la sensation («Yo6no1c), l’intelligence (voÿc), la
science (ëxorun), l'hypothèse (üxéAnpu). Du point de vue de la
nature, la première est l’intelligence; mais à notre point de vue
et selon nous, c’est la sensation. De la sensation et de l’intelli-
gence, se constitue l’essence de la science, car l’évidence est
commune à l’intelligence et à la sensation 7, » Soit au total cinq
sources de vérité : la sensation, l’intelligence, le raisonnement, la

dans le sens stoïcien (Die eklektischen Anschauungen des Clemens von Alexan-
dria und seine Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig, 1908,
p. 33-35). Sur ce point, cf. en particulier K. PRuemM, Glaube und Erkenntnis
in Str., 11, in Scholastik, 12, 1937, p. 17-57. Cf. aussi H. A. Wozrson, The
double Faith Theory in Clement, Saadia, Averroes and St. Thomas, and its
origin in Aristotie and the Stoics, in Saadia Studies, publiées par The Jewish
Quarterly Review, 33, 1943, au nom de A. A. Neuman et Sal. Zeitlin, p. 213-264;
l’article donne, en ce qui concerne Clément, une analyse précise de la foi et
de ses définitions, sans négliger les influences philosophiques (p. 223-230).
6. Str., 11, 50, 1; Clément reproduit mot pour mot le texte de Philon, De
congr. erud. gr., 100 : tpia métpa elvat Goxet, alofnais, A6Yos, vois : alontrüv
uèv alobnatc, évopéruv dè xal Énpatuy xal Tov Acyopévuv 6 Àdyos, vonrov ôè
voüc (éd. ComN-WENDLAND, Philonis Alexandrini opera quae supersunt, t. III,
P. Wendland, Berlin, 1898, p. 92). Clément fait une inversion et précise le
mot pécpa par l’apposition RO le terme classique depuis Epicure et
la Stoa pour désigner la faculté de discerner le vrai.
7. Ibid., II, 13, 2, texte qui utilise Aristote. W. ERNST, qui le signale, étudie
Ja démonstration chez Clément et prouve qu’elle suit la voie péripatéticienne,
LA CONNAISSANCE
science, et l’hypothèse. Laissons tomber le raisonnement, le
domaine de la logique; quelle que soit l’importance de la logique
dans l’œuvre de Clément, l’auteur ne revient guère sur cette
méthode de connaissance. Ne nous inquiétons pas de l’hypothèse,
qui n’est qu’une connaissance incertaine, bien dépassée par la
foi 8.
Il reste deux termes communs aux deux textes, les deux grands
moyens de connaissance, la sensation et l’intelligence ?, avec leur
aboutissant unique, la science, ou, comme il dit ailleurs, la
vérité 10, D’abord la sensation; elle a pour objet le sensible 11,
qui se saisit par le corps 12; elle est « la vue de l’âme 18 > par les
sens. L'intelligence ensuite, dont la fonction est l’intellection
(vénoic) et qui s’occupe des intelligibles 14, des causes premières,
dit-il une fois 15,
La distinction paraît claire :deux modes de connaissance, l’un
par les sens, l’autre par l'intelligence. Et Clément approfondit le
fossé qui les sépare. Il les oppose nettement. Il met d’un côté la
connaissance commune par obveouc xal &vrlAnbuw, entendons par
concepts, qui apparaît chez tout homme semblablement, selon la
saisie de chaque objet; elle agit avec la participation des facultés
logiques, mais sans exclure lés facultés irrationnelles. C’est une
connaissance qu’il n’appellerait jamais gnose. Il met de l’autre
côté la connaissance des intelligibles, propre au logos et aux
facultés logiques, due à la seule énergie de l’âme 16, et, de ce fait,
réservée à l’homme 17,
1 n’ignore pas le mécanisme de la connaissance par les sens,
ce qu’il appelle lui-même « l’organisation des sens en vue de la
science 18 », Volontiers, il parle de l’image (pavraolx), commune

tout en se servant de termes stoïciens, adaptés à l’aristotélisme (De Clementis


Alexandrini Stromatum libro VIII. qui fertur, Gôttingen, 1910, p. 15-30).
E, DE FAYE souligne aussi que ce passage et en général Str., II, 13-14 est plein
de thèses aristotéliciennes (De l'originalité de la philosophie chrétienne de
Clément d'Alexandrie, dans l’Annuaire 1919-1920 de l'Ecole Pratique des
Ilautes Etudes, Sect. des Sc. Relig., Paris, 1919, p. 12-13, en note).
8. Str., IL, 13, 3.
9. Nous retrouvons ces modes de connaissance dans les Constitutions Apos-
toliques : Dicu donne à l’âme « le discernement logique qui juge de la piété
ou de l’impiété, qui avertit du juste et de l’injuste »; au corps les cinq sens
es 12, 17).
. Str., VI, 150, 4.
x Ibid., VI, 137, 1.
12. Ibid, NS va
13. Paed., 1, 77, 2.
14. Str., 1, 33, 1; IL, 24, 1-2; V, 16, 1; VI, 136, 5-137, 1.
15. Ibid., NI, 155, 3,
16. Ibid., VI, 3, 1-2.
17. Ibid., VI, 69, 1-2; VII, 8, 2. Pour cette description des modes de con-
naissance, “ef, W. SCcHERER, Klemens von Alexandrien und seine Erkenntnis-
prinzipen, Munich, 1907, p. 7-14.
18. Ibid., IV, 163, 1.

224
Le

CLÉMENT D'ALEXANDRIE

à l’homme et à la bête 19, Il sait que cette image « se grave dans


l’âme (évarepeSouévn) », « y imprime son sceau (ruxodro) 20 ». Le
résultat est une altération (étepolwouc), à laquelle échappe cepen-
dant le gnostique impassible 21, L'homme n’est pas, comme la
bête, emporté par toute image; mais par le /ogos, il juge de sa
crédibilité 22, L’âme alors consent (ovyxaratliôera) ou non à
l’image, selon sa valeur 23. Ainsi que l’ont dit Platoniciens et
Stoïciens, affirme-t-il, le consentement (ovyxatéôeotc) est en notre
pouvoir et il n’y a, sans lui, ni opinion, ni jugement, ni con-
naissance 24, Nous retrouvons ainsi tous les éléments de la con-
naissance sensorielle selon les Stoïciens, mais ces éléments sont
éparpillés partout et mêlés à mille autres notions. Les termes
paraissent même souvent avoir perdu une partie de leur valeur
technique ou réaliste. Manifestement, Clément n’a pas adhéré
consciemment au mécanisme de la connaissance enseigné par le
Portique. |

Une théorie sensualiste ? La distance que Clément met entre


l’intelligence et la sensation se
réduit parfois considérablement. Déjà dans l’un des textes que
nous avons pris pour point de départ, il montrait dans la science,
qui a pour objet la certitude, un résultat de l’intelligence et de
la sensation conjuguées. Mieux que cela ! En reconnaissant la
supériorité de l’intelligence, il mettait au premier plan, du point
de vue humain, la sensation 25. Plus précisément, dans le con-
texte, il affirme que « la sensation est la base de la science 26 ».
C’est dire que l'intelligence, au moins en partie, part de la sensa-
tion. Et de fait, quand il décrit le travail sensoriel, dans un
texte où pourtant il oppose intellection et sensation, il admet un
double jeu des sens, l’un sur le plan sensible, l’autre sur le plan
intellectuel : « Les mouvements des sens à la fois s’impriment
(&morvroüvru) selon la Giévoux et sont apparents selon l’énergie
corporelle, A partir des deux, il y a saisie (xar&Anÿic). Encore une
fois, comme la sensation va au sensible, l’intellection va à l’intel-
lectuel. Les activités sont doubles, les unes selon l’éÉvvow, les
autres selon l’énergie 27. >» Ce texte semble bien, malgré la dis-
tinction qu’il comporte, mettre à l’origine une source unique,

19. Str., II, 110, 4; 111, 13 112, 2.


20. Ibid., XI, 111, 4.
21. Ibid., IV, 139, 3.
22. Ibid., II, 111, 2.
23. Ibid., 1, 84, 5; IV, 116, 1; V, 28, 2.
24. Ibid., Il, 54, 5-55, 1.
25. Ibid., IL, 13, 2.
26. Ibid., 3.
27. Ibid, VI, 136, 5.
LA CONNAISSANCE
les sens, à partir desquels le corps et l'intelligence travaillent de
conserve28. Clément prend le cas spécial de l’ouïe : « L’ouïe en
nous, bien qu’elle travaille par des moyens corporels, obtient
l'évrinbie 2, non par une puissance corporelle, mais par une
espèce de sensation psychique et d’intellection qui discernent les
sons signifiant qüelque chose #0, » En somme, il éprouve le besoin
de lier ensemble la sensation et la pensée : la pensée ne peut-elle
pas € être pleine d’innombrables images 51 » ? N'y a-t-il pas
« des images raisonnables-» qu’il faut cultiver 82 ? Nous retrou-
vons ici l’unité de l’âme signalée plus haut : le logos pénètre la
sensation, comme la sensation sert le logos.
On ne rencontre plus la précision que la théorie sensualiste
atteignait chez Tertullien. L'intelligence a reçu une relative indé-
pendance et des titres de noblesse peut-être inconnus de la Sfoa.
Cependant les sens n’ont pas perdu leur dignité et semblent rester
la base de toute connaissance.

La science, Quoi qu’il en soit, intelligence et


sensation aboutissent à la science.
La science est, avec l'ignorance et l’opinion, l’une des trois atti-
tudes de l’homme devant la vérité 33. Elle est une conquête, fruit
‘ d’un lent travail. On part d’une certaine connaissance qui pro-
voque un élan (épu#) lié à l’assentiment 84, Cet élan, quand il veut
saisir, fait sa « recherche », « inventoriant l’objet par certains
signes: la découverte est le terme et l’arrêt de la recherche
arrivée à la saisie, c’est-à-dire la science 55 ».
La science est aussi définie en termes stoïciens. Clément sait
qu’elle peut être une nature nouvelle ou une disposition (ë&ç) 86.
Il rapporte même la définition qu’en donnent « les enfants des
philosophes » : « Un état inamissible sous l'effet du logos #7. »
Plus loin, il prend à son compte cette dernière définition 88 et il
lui cherche des points de comparaison : mapéxerrar Ôè tn miorn-

28. On est tout près de l’opinion stoïcienne rapportée par Sextus, Adu.
math., VII, 307 (SVF II, 849, p. 230) : tadrôv éott ôLavora xai atolnots où nat
radrd 6, GX xaT'AAo mèv ôtévora, nat Ado 8è alanou.…. À aùTh OUvapute
xaT'ŒANo pév éott voûs, xat'&Aho Gè aïolnots.
29. Synonyme de xatd%ndis, saisie (Str., VI, 3, 1-2; VII, 37, 1-2).
30. Str., VII, 36, 5.
31. Paed., II, 81, 1.
32. Str., VII, 100, 4.
33. Ibid., 6.
34. Ibid., VI, 69, 1. Le mot opphñ a naturellement aussi un seus moral.
Il désigne « un élan de l'intelligence (vopà Stavolaç) qui porte vers un être ou
en détourne » (Str., II, 59, 6).
35. Ibid., NI, 121, 4. Tout ceci est stoïcien; cf. ARNIM, SVF II, 102-104, p. 42.
36. Ibid., IV, 139, 2.
37. Ibid., IL, 9, 4 : Ébts uetdrtutos.
38. Ibid., II, 76, 1; 77, 13 II, 47, 4.

220
CLÉMENT. D'ALEXANDRIE
un À Téuretplx xal h elônou oûveolc Te xal vénois xal yvooic 29.
Il précise chacune de ces connaissances. L’eïdnoi est connais-
sance de l’objet dans son ensemble, selon sa forme; l’éurepl
saisit le contour et voit le détail; l’intellection s’attache à l’intelli-
gible; la obveox établit le rapprochement et la gnose atteint
l'essence 40.
Ailleurs, il donne à la science son aspect de sagesse 41, d’après
Xénocrate, Elle devient la ppévnou rovuepñc; mais cette phronèsis
est bien plus vaste que ce que nous appelons sagesse; elle prend
le nom de science, et aussi de gnose — un des sens du mot — et
de sagesse, quand elle aboutit à la certitude par le raisonnement;
mais elle est intellection, appliquée aux causes premières; foi,
quand elle concerne le Verbe sans la contemplation; opinion
droite, quand elle tient au sensible; art, quand il s’agit du pra-
tique; expérience enfin. 42 En somme, la science est une
appréhension sûre et immuable, d’objets réels et concrets, tournée
vers l’action et l’effort moral. E. Elorduy n’a pas tort de voir
dans les définitions de Clément une conception stoïco-chrétienne
de la science #8,

"Evvoux physique Jusqu'ici nous n’avons parlé que de


et rpéAnbis. la connaissance normale, avec son
mécanisme habituel, sans pouvoir
pénétrer l’intellection. Sans doute faut-il rattacher à l’intelli-
gence, avec la science des causes premières, la connaissance des
principes indémontrables 44 et les xouval Évvoux 45, Clément parle
aussi de la œuoixh Évvoux, connaissance commune aux Grecs et aux
chrétiens, qu’il justifiie, entre autres raisons, par la communauté
de l'intelligence 46, Dans la même ligne, il faut ranger la xpéAmdic,
qui est également commune. Partant de la sympathie universelle
qui lie les êtres, dans la providence divine, il dit : « Toute race...
a la seule et même prénotion (xpéAndic) au sujet de celui qui

39. Str., Il, 76, 2.


40. Ibid., 3.
41. Ibid., II, 24, 1-2.
42. Ibid., VI, 155, 3.
43. Mision de la Estoa en la fitosofa perenne, in Revista de filosofia, 6, 1947,
p. 44-50, surtout pour Clément p. 49-50.
44. Str., II, 13, 4-14, 1.
45. Ibid., VII, 95, 9; VIII, 2, 4.
46. Ibid., I, 94, 2; on peut noter qu’on retrouve les sensus communes dus
au sensus communis rencontrés chez Tertullien, mais sous les termes voùc et
évrorz. Ce qui, chez l’Africain, était centré autour de la sensation, l’est ici
autour de l'intelligence. Le rapprochement est curieux, mais il y a là une
opposition de terminologie plutôt que de théorie. En effet, dans l’Asclepius,
sensus rend noûs, selon A. J. FESTUGIÈRE, Corpus Hermeticum, t. IV, Paris,
1954, p. 27, n. 50.

287
LA CONNAISSANCE s

impose son hégémonie #7. » De même en morale, il croit en l’exis-


tence d’un « témoignage naturel du bien #8 », qui permet de
« choisir avec évidence le meilleur # ». Mieux encore |! Il fait
appel à la définition épicurienne de la æpéndis et montre qu’au-
cune démarche rationnelle ne peut se faire sans cette intuition
première de la vérité 5, Il poursuit : « L'étude transforme la
prénotion en saisie »; et il applique ce raisonnement à la foi 51.
Les Stoïciens parlaient dans les mêmes termes de l’évolution de
la prénotion 5. Sans doute s’agit-il exclusivement de matière
religieuse et morale, mais Clément reconnaît bien, au moins en
ce domaine, l’existence d’une connaissance qui ne suit pas les
cheminements de la sensation.

Connaissance Ce n’est pas là une simple hypo-


extra-sensorielle. thèse. Clément ne veut pas qu’on
érige en principe universel que
toute connaissance vient des sens, ainsi que l’ont cru les Stoi-
ciens, en particulier de l’ouïe et de la vue, comme si on ne
pouvait jamais appréhender autrement. Il continue par une énu-
mération des moyens de connaissance non sensoriels. « N’y a-t-il
pas encore la bonne disposition (rù eùxa@éc) de l'air, la synes-
thésie très aiguë des anges et la puissance de l’âme, effleurant
celui qui, par une puissance indicible et sans ouie sensible,
connaît tout simultanément avec le noëma53? » Qu’est exactement
cette « bonne disposition de l'air 54 » ? Nous ne savons. En tout
cas, les autres points sont clairs et Clément reconnaît à l’âme une
connaissance intuitive, par contact mystérieux avec la réalité.
Ce mode, nous le connaissons avec assez de précision. Nous en
avons même une double, sinon une triple expérience. Il y a
d’abord l’extase prophétique proprement surnaturelle, où
l’homme devient « l’instrument de la voix divine 55», Clément,
comme Tertullien, reconnaît ensuite une espèce d’extase natu-
relle. Frappé par la part de vérité contenue dans le message
païen, — question classique — il en cherche l’explication : vols

47. Str., N, 133, 9.


48. Toù d&yafoÿ époutov.. miottv.
49, Protr., 95, 3.
50. Str., II, 16, 3.
51. Ibid., 17, 1-3.
52. La notion de rpéhnts est étudiée, à travers les textes de Clément ici
utilisés, par K. PRueMM, Glaube und Erkenntnis in Strom., II, in Scholastik,
12, 1937, p. 17-57, surtout p. 23-30. : ‘
53. Str., VII, 37, 1-2.
54. Cf. Plutarque, De gen. Socr., 20, 589 c, où ävp et eèmafeta sont rap-
prochés : 6 &np tpemômevoc v'eômdetav. Il y a là derrière les théories d’Hippo-
crate dans son De aeribus, aquis et locis, xt11-vi, LiTTRÉ II, 14-27.
55. Str., VI, 168, 3.

228
CLÉMENT D’ALEXANDRIE
commis aux dépens de la Bible, observations naturelles et con-
jectures, inspiration démoniaque. Mais, comme dernière réponse,
il suppose que les païens ont pu être jetés dans l’extase prophé-
tique par les vapeurs qui émanaient des eaux, par des parfums,
par les influences atmosphériques, peut-être cette « bonne dispo-
sition de l’air >» nommée plus haut 56, Il y a donc là une extase
normale et humaine, moyen d’atteindre la vérité bien inférieur à
la puissance divinatrice des Juifs, qui émanait du ciel 57, mais un
réel moyen de connaissance. « Au milieu de leurs mensonges,
déclare-t-il, les pseudo-prophètes disaient aussi quelques vérités
et réellement ceux-ci prophétisaient dans leur extase 58, »

Sommeil et réve, Il connaît enfin, comme Tertullien,


l’extase du rêve. Pour Clément, le
sommeil, comme la mort, « signifie sécession de l’âme, l’une plus,
Jautre moins », et il s’en rapporte à Héraclite 59. Dans l’un
comme dans l’autre, il y a absence de sensation 5. Mais la nuit,
« l’âme dont les sens sont au repos séjourne avec elle-même et
participe davantage à la phronèsis », car il se produit un
« resserrement (ovoro) de l’âme en l’absence du corps 61 ».
En effet, le repos n’est pas pour elle, mais pour le corps. « Elle
est toujours en mouvement » et, pendant le repos du corps,
« n’ayant plus à agir corporellement, elle contemple à part soi ».
C’est pour cela qu’il y a une vérité plus grande dans les songes
de celui qui a l’esprit sain : son âme n’est plus enchaînée « aux
sympathies du corps et elle se conseille elle-même le meilleur...
Et, comme le repos de l’âme serait sa mort, toujours elle con-
temple Dieu dans un colloque ininterrompu, enveloppant le corps
dans son état de veille, et élève l’homme à la hauteur des privi-
lèges angéliques 62 ». Dans les derniers mots de la citation, l’acti-
vité intellectuelle du sommeil est rapprochée de la « synesthésie
angélique ». On ne témoigne plus à son égard la défiance qu’on

56. Str., I, 135, 2. Ne faut-il pas voir là un écho des théories de Posidonius?
Le philosophe de la sympathie cosmique admet une espèce de « sensibilité
cosmique », « ein kosmisches Sensorium », dit K. REINHARDT, Kosmos und
Sympathie, Munich, 1926, p. 111-121. Pour le reste, ces explications ne sont
pas éloignées de celles que donne Plutarque sur le même phénomène (cf. VER-
BEKE, p. 272-275). I1 explique les oracles en faisant appel aux démons ou
génies, et à un fluide ( rvweüua), issu de la terre, qui excite les facultés de
l’âme; mais Apollon Pythien reste la cause principale (cf. aussi R. FLACELIÈRE,
Plutarque Apologiste de Delphes, in Information Littéraire, 5° année, n° 3,
1953, p. 101-103).
57. Str., I, 135, 2.
58. Ibid., I, 85, 3; 94, 1-3.
59. Ibid., IV, 141, 1.
60. Paed., IX, 80, 3.
61. Str., IV, 140, 1-2.
62. Paed., II, 82, 1-3.

229
LA CONNAISSANCE

trouvait chez Tertullien. Le gnosticisme n’est plus un objet de


terreur et le dualisme a marqué des points. L'âme ne peut plus
qu’accroître l’acuité de sa connaissance du fait qu’elle est libérée
du corps 63, On s’aperçoit tout au long de cet exposé qu’il y a de
la distance de Tertullien à Clément. Tertullien, excité par les
adversaires platoniciens, adhérait à un stoïcisme relativement
pur. Clément, qui a baigné profondément dans la philosophie de
son époque et qui tendait vers une gnose orthodoxe 64, n’est plus
qu’un témoin de l’éclectisme contemporain. Dans sa théorie de
la connaissance, aux éléments stoïciens se mêlent des éléments
aristotéliciens et platoniciens, et l’influence du Portique se réduit
plusieurs fois à une terminologie.

Conclusion. On retrouve donc chez les Pères de


nombreuses données stoïciennes sur
la connaissance humaine. D’abord la théorie des notions com-
munes, de la notion physique, de la prénotion. Ensuite et surtout
la place accordée aux sens chez Tertullien, et peut-être chez
Clément. Athénagore offre un aspect plus curieux du stoïcisme,
ce lien qu’il établit entre l’ordre de la réalité et l’ordre du raison-
nement. La Stoa, sans imposer intégralement à aucun auteur son
système de la connaissance, a donc marqué de sa griffe la pensée
des Pères en ce domaine, même en des points qui semblaient
offrir plus de prise au platonisme, comme la théorie de la con-
naissance extra-sensorielle.

63. Cependant dans le contexte il invite à « découvrir avec soin et pru-


dence ceux de nos songes qui sont vrais » (ibid., II, 80, 4) et pour cela à éviter
les repas trop lourds.
64. Sur ce dernier point se référer désormais à la riche étude de J. MornGr,
La gnose. de Clément d'Alexandrie dans ses rapports avec la foi et la philo-
sophie, in Rech. de Sc. Relig., 37, 1950, p. 195-251, 398-421, 537-564; 38, 1951-
1952, p. 82-118 (l’auteur y définit le concept de gnose par comparaison, mais
sans rechercher les influences philosophiques), et au travail magistral de
W. VoeikEr, Der wahre Gnostiker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-Leipzig,
1952. Ù

| 230
CHAPITRE SEPTIÈME

LES ACTIVITÉS DE L'HOMME


LA VIE MORALE

En étudiant l’état de la question, nous avons signalé qu’on a


volontiers recherché l’influence du stoïcisme sur la morale des
Pères. Sans vouloir refaire la synthèse de J. Stelzenberger déjà
citée, il nous a semblé que certains points pouvaient être
réétudiés dans une perspective un peu différente. L'influence en
ce domaine est évidemment très profonde et très nettement
marquée. Elle est cependant assez différente selon qu’il s’agit des
grands problèmes de la morale théorique ou des consignes de vie
pratique. Cette division, qui peut paraître artificielle et scolas-
tique, se montrera juste à l’expérience, d’autant plus que les
Stoïciens eux-mêmes faisaient la distinction.

I. PROBLÈMES DE MORALE THÉORIQUE

On pourrait dire que toute la vie morale, aux yeux des Stoï-
ciens, est une lutte entre la raison libre et les passions. Sous la
direction du libre arbitre, encore mal défini comme faculté,
l’homme dompte les instincts et fait régner en lui la raison, syno-
nyme de vertu. Pour échapper au hasard et à ses accidents
capricieux, il se rend indifférent au résultat extérieur de son
action et ne la juge que sur son effet intérieur, qui est dans
l'intention 1. Par ce triomphe de la raison, il se met en sym-

1. M. BARzIN voit dans cette intériorisation de l’action une conquête


du
stoïcisme (La signification du stoïcisme, in Bull. CL. Lettres et Sc. Morales
et
Politiques de l’Ac. Royale de Belgique, 35, 1949, p. 100-101),

231
LA VIE MORALE :
l'unisson
pathie avec tous les êtres logiques et avec l’univers, à
s, le libre arbitre, l’activi té vertueu se,
de la nature 2. Les passion
univers elle, tels sont les points où nous recher cheron s —
la loi
le
rapidement — l'influence stoïcienne sur les Pères dans
domaine de la morale général e #.

1. INSTINCTS ET PASSIONS

Chez les Stoiciens. Les réôn, qui sont les maladies de


l’âme{, sont quatre essentielle-
ment : ÿôovn et Abrn par rapport au présent, émuôvulx et p660c par
rapport à l’avenir. Leurs variations disposent le pneuma diffé-
remment et lui donnent comme des hauts et des bas, des moments
de tension et des moments de relâche : ovoron et uelwois (ou
érapoic et Éxxloiç) 5. Où résident les pathè ? Nouvelle question
discutée. Les uns, avec Zénon, les situent dans une partie irra-
tionnelle de l’âme — le raônruwxév, précise le platonisant Posido-
nius —, qui prend place à côté du Aoytoruxév. D’autres les logent
dans le logos lui-même, qui manque alors de fonos. L'âme
affaiblie n’est plus « droite », et, séduit par un objet, l'instinct
déraisonnable donne un jugement faux. C’est la position de Chry-
sippe. Cependant, même ce dernier admet qu’il y a une part
somatique dans cette maladie et qu’il faut soigner le corps pour
obtenir une maîtrise parfaite du logos.

Athénagore. Les Pères ont fait écho à ces


théories assez fréquemment à partir
du III: siècle. Mais les premiers Pères ont très peu parlé des
instincts, et du problème que pose leur présence en l’homme.
Athénagore est seul à poser la question et c’est pour écarter net-
tement les poussées instinctives de l’âme en elle-même. « L'âme,
dit-il, préside par nature aux instincts ( épuai) du corps $ »; mais
c’est le corps qui « la trouble et l’attire vers ses propres tendances

2, « La cohérence de la morale stoïcienne » autour des notions de nature


et raison est bien soulignée par G. RoDIER, Efudes de philosophie grecque,
Paris, 1926, p. 273-283.
3. Nous négligeons volontairement des points où l'influence stoïcienne est
moins nette. On se reportera donc à J. STELZENBERGER pour l’étude de la
conscience (p. 186-216), du devoir (p. 216-244), le schéma des quatre vertus
cardinales (p. 355-378) et des sept péchés capitaux (p. 378-402).
4. M. Pourewz, Die Stoa, I, p. 142-143, pour Zénon, dont les textes sont
groupés dans ARNIM, SVF I, 205-215, p. 50-52; p. 143-149 pour Chrysippe;
p. 225-226 pour Posidonius. Que pathè — maladies, on reconnaît là une cer-
taine défiance à l’égard du corps et de la sensibilité. Cependant des Stoïciens
plus tardifs admettent des edra@etar.
5. M. PouLenz, Die Stoa, 1, p. 149. Cf. ARNIM, SVF II, 463, p. 116.
6. Res., XII, c. fin.

232
PROBLÈME THÉORIQUE
et mouvements 7 ». Tel est le principe soutenu par lPApologiste.
L’âme en effet, selon lui, « est insensible en elle-même aux fautes
qui concernent les plaisirs, les nourritures, les soins corporels 8 ».
Il y a beaucoup de domaines, où, selon sa propre nature, elle n’a
aucune espèce de tendance ou de mouvement ou d’instinct, ainsi
la débauche, la violence, la cupidité et les injustices en ces
matières. C’est « le corps (qui) subit le premier (rpwronafet) et
entraîne l’âme à la sympathie et à la communauté des actions... ».
« Les désirs et les plaisirs, comme aussi les craintes et les cha-
grins.., ont leur mouvement à partir du corps, l’âme seule
n’éprouve aucun besoin tel, ne convoite, ne craint, ne subit par
elle-même rien de ce que l’homme subit de ce genre par nature®?. »
C’est donc bien au corps qu’il faut attribuer directement les mou-
vements affectifs : « Il est étrange d’appliquer les passions en
propre aux âmes 10, » Cependant, par une espèce de communi-
cation des idiomes, en définitive Athénagore reconnaît qu’elles
sont le fait de l’homme : « Ces pathè ne sont pas du corps seul,
mais de l’homme 11, »
On remarquera au passage qu’il s’agit des quatre passions
chères aux Stoïciens : désir, plaisir, crainte et chagrin. Dans le
contexte, l’auteur les écarte une à une de l’âme, en employant
quatre verbes de même sens ou de même racine : ôpéyeoôou,
épuäoar, Avreïoôat, pobeicôæ . Ce n’est donc pas un hasard qu'il
les classe ainsi. Bien plus, un peu plus loin, en face des quatre
passions, il range quatre vertus ou groupes de vertus : courage
ou persévérance devant la crainte, maîtrise de soi et tempé-
rance (owppooivn) devant le désir, sagesse (ppévnoux) devant
le mouvement ou instinct naturel, justice devant l'instinct à
l’égard des biens propres ou étrangers 12, Cette note bien stoi-
cienne mérite d’être relevée chez un auteur assez marqué par le
platonisme.

Tertullien. Tertullien, si précis en psychologie,


est bien vague sur les passions.
Il écarte l’alogon de la nature humaine originelle. Ce n’est qu’un
accident, causé par l'influence du démon 18, Le seul instinct que
Tertullien reconnaisse comme « proprement naturel », c’est le
désir de nourriture 14, Cependant, il parle ailleurs avec Platon

7. Res., XXI, c. med.


8. Ibid., XNIII.
9. Ibid., XXI, c. med.
10. Ibid;:, XXI, fin.
11. Ibid., c. med.
12. Ibid., XXII.
13. Anima, XVI, 1-2.
14. Ibid., XXXVWVIIL, 3.
LA VIE MORALE

du 6vuxév et de l’émôvunrixév, pour dire qu’ils peuvent tous deux


et
être rationnels, puisqu'ils le sont en Dieu et dans le Christ 15,
donc, semble-t-il, appartenir de plein droit à l’âme logique 16,

Clément d'Alexandrie. Clément énumère les quatre pas-


sions classiques, célèbres chez les
Stoïciens: le plaisir et le désir (ëxw@vuutæ), le chagrin et la crainte 17,
Ailleurs, il appelle le désir ré8oç, mais il s’en tient aux quatre et
ajoute avec netteté : « En un mot les passions de l’âme 18. » Il pré-
cise la nature de certaines de ces passions. Il explique que la
crainte en général est une passion, mais que « la crainte du Dieu
impassible est impassible 19 ». Il sait aussi distinguer deux ten-
dances du désir, l’une déraisonnable, qui porte sur les plaisirs et
l’intempérance, l’autre qui porte sur les nécessités naturelles ‘et
qui est un mouvement raisonnable 2. Il présente le plaisir comme
n'étant pas tout à fait essentiel : « C’est un accompagnement de
certains besoins physiques, la faim, la soif, le froid, le mariage. »
Ce n’est qu’un auxiliaire, mais qui souvent prend le dessus 21.
Du plaisir il distingue la joie, qui porte sur le beau 22. Ce sont là
autant de considérations qui se retrouvent chez Chrysippe.
Il étudie également la nature de la passion. Elle n’est pas autre
chose qu’une tendance excessive, débridée. Avec Chrysippe
encore 23, Clément dit : « L'instinct est une tendance de l’intel-
ligence, qui se porte vers une chose ou s’en détourne. La
passion est un instinct excessif, qui dépasse la mesure raison-
nable, ou un instinct déchaîné et insoumis au logos. » La suite
du texte parle de « mouvement de l’âme contre nature dans
l’insoumission au logos », de « tendance déraisonnable 24 ».

15. Anima, XVI, 4-6.


16. Peut-être Tertullien a-t-il cru que la passion jouait dans l’âme par une
espèce de période (modus). I1 décrit l’âme de Socrate, sous le coup de la mort
proche, consternata ad aliquem modum, secundum naturam, aut exsternata,
si non secundum naturam (Anima, I, 2). Serait-ce là une allusion à un mou-
vement de tension (quand on suit la nature), et d’extension (quand l’âme ne
la suit plus) ? Rien dans l’œuvre de Tertullien ne confirme une telle hypo-
thèse, mais il connaît la théorie du tonos. J. H. WasziK, considérant le texte
comme douteux à cause de son obscurité, corrige modum en motum et sous-
entend mota derrière le deuxième emploi de naturam (p. 85-86). La conjecture
est encore plus hasardeuse que l’interprétation proposée, qui rejoint certaines
théories stoiciennes.
17. Paed., 1, 101, 1.
18. Str., VI, 112, 3; il explique que le Buuoç est gardé par le voÿs, avec
l'ävôpelx, l'orouové et la xaprepia. Le désir est gardé par la cwwposivn et la
gpovrots (Str., IV, 151, 1).
19. Ibid., II, 40, 1-2.
20. Ibid., IV, 117, 5.
21. Ibid., II, 118, 7-119, 1.
22. Ibid., II, 72, 1.
23. ARNIM, SVF III, 378-384, p. 92-93.
24. Str., II, 59, 6; 61, 2. :

234
PROBLÈME THÉORIQUE
Il donne plus loin une théorie apparemment plus personnelle, où
il considère les passions comme des phantasiai stoïciennes,
« autant d'empreintes gravées (èvexepelouarx) dans l’âme molle
et fléchissante et comme des sceaux imprimés (évarooppayiouara)
dans les facultés pneumatiques, contre quoi nous combattons.
L'œuvre donc, à mon avis, des facultés mauvaises est de pro-
duire quelque chose de sa propre essence dans chaque être 25 ». :
Cet effet est une corruption de l’âme et la passion est toujours
présentée comme une maladie #6, que le Christ peut enlever
comme le chirurgien tranche les chairs malades 27.
Ce sont encore les termes techniques du stoïcisme qu’il emploie
pour définir chaque passion. Si le désir est simplement « une ten-
dance indocile au logos », « la crainte est une ëxxAoic indocile
au logos, le plaisir une érapou de l’âme indocile au logos, le
chagrin une ovoroàn indocile au logos 28 ». Fidèle à son vocabu-
laire, il appelle aussi la joie (xxp&) une Érœpouc 29. La crainte est
toujours une éxxAouw 30, mais il applique le même mot à la bien-
veillance 81, Manifestement, cette terminologie d’école n’a plus
la rigueur ou la force qu’elle avait dans le stoïcisme,
Dans tous ces textes, on soulignera combien est dégagée l’idée
d’insoumission au logos, de désobéissance à la raison, qui paraît
bien être la note propre de cette théorie de la passion.

2. LE LIBRE ARBITRE

Chez les Stoïciens. On comprend difficilement com-


ment les Stoïciens, avec leur pro-
vidence cosmique à tendance fataliste, pouvaient sauvegarder la
liberté humaine, Eux-mêmes sentaient la difficulté. Ils ont
cherché péniblement à la résoudre en divers sens. Quoi qu’il en
soit du conflit, et des solutions apportées, les Stoïciens sont restés
devant l’histoire comme les grands champions de la liberté indi-
viduelle 32, C’est le seul point qui nous importe ici : l’affirmation

25. Str., II, 110, 1-2. Sur les passions chez Clément, cf. TH. RUETHER, Die
sittliche Forderung der Apatheia in der beiden ersten christlichen Jahrhun-
derten und bei Klemens von Alexandrien…., Fribourg, 1949, p. 51-57. ;
26. Protr., 115, 2; Paed., I, 65, 2; 88, 1.
27. Ibid., I, 64, 4.
28. Ibid., 1, 101, 1.
29. Str., IX, 72, 1.
30. Ibid., I, 32, 2; 4; IL, 4, 4.
31. Ibid., IX, 33, 2; II, 79, 5.
32. Pour les textes stoïciens, cf. ARNIM, SVF II, 974-1007, p. 282-298.
O. Rrerx, Grundbegriffe der stoischen Ethik, eine traditionsgeschichtliche
Untersuchung, Problemata, 9, Berlin, 1933, souligne que le problème ne se
pose, sous cette terminologie (œütetoüotoc), qu’à l’époque impériale et que
l'origine du mot est encore inconnue (p. 133, avec note). Il remarque aussi
que l’idée de rémunération a souvent déclenché la question (p. 156).

235
LA VIE MORALE
devoir
de la liberté humaine ##. Les Pères semblent bien leur
de leur insistan ce sur le libre arbitre, dont la
quelque chose
fourniss ait les bases 34, mais non l'expre ssion philoso -
Bible
phique 55.

De Justin à Irénée. Depuis saint Justin, le libre arbitre


| humain est affirmé unanimement.
Justin, le premier, s’en prend violemment aux Stoïciens 36 et à
toutes les philosophies qui soutiennent le ‘fatalisme du destin.
« Si tout était l’œuvre du destin, dit-il, il n’y aurait plus de libre
arbitre. Si c’est le destin qui veut que celui-ci soit bon et
celui-là mauvais, celui-ci n’est pas digne d’éloge, ni celui-là de
blâme. Et si l’homme ne peut, par le choix libre de sa volonté,
éviter le mal et faire le bien, il n’a aucunement à répondre de ses
actions 37, » Justin explique même que la prescience ne fait pas
que « la loi fatale domine tout; Dieu sait d'avance 58 ».
Le libre arbitre, condition et fondement du mérite, c’est nette-
ment la théorie de Justin : « Toute créature est capable de bien
et de mal; on n’aurait aucun mérite, si on ne pouvait choisir
entre deux voies 32. » C’est la loi commune et aux aux anges
hommes #0,
Tatien, son disciple, a hérité de ses principes : l’avenir ne se
déroule pas « selon le destin, mais par la décision volontaire de
ceux qui choisissent #1 », Il y montre la base de la rétribution, et,

33. Le conflit fatalisme et liberté sera étudié dans la dernière partie de


ce travail.
34. La Bible suppose la liberté, à juger par son insistance sur la respon-
sabilité morale.
35. Sur toute cette question du libre arbitre, cf. Dom D. AMmaAnD, Fatalisme
et liberté dans l'antiquité grecque, Louvain, 1945. L’auteur accorde une part
essentielle aux .Pères (p. 191-569). Mais il cherche surtout à y retrouver
l'argumentation antiastrologique et antifataliste de Carnéade, ce qui en limite
l’intérêt pour nous.
36. II Apol., VII, 4.
37. 1 Apol., XLIII, 1-8; 11 Apol., VI, 9.
38. I Apol., XLIV, 11; Dial., CXLI, 2.
39. 11 Apol., VIL 6.
40. Dial, LXXXVIIL, 5; CIL, 4; CXLI, 1; LI Apol., VII, 5. C. CLEMEN a for-
tement mis en valeur cet aspect de la morale de Justin. Il y voit du stoïcisme,
ainsi qu’en beaucoup d’autres théories morales de l’apologiste (Die religions-
philosophische Bedeutung des stoisch-christlichen Eudämonismus in Justins
Apologie, Leipzig, 1890, p. 145-147). Il voit en Justin des éléments platoniciens,
qu’il attribue à son œuvre préchrétienne, voisinant avec des théories stoi-
ciennes dominantes. « Justin, dit-il, est en étroite relation de parenté avec
la Stoa, même là où il ne le dit pas expressément, même peut-être sans qu’il
en soit du tout conscient » (p. 145-146). Il invoque aussi l'influence de Posi-
donius. L’auteur tend à exagérer le bien propre du stoïcisme.
41. Orat., VII, med.; cf. XI, c. fin.

236
PROBLÈME THÉORIQUE
dans la suite du texte, il s’en prend, lui aussi, aux théories fata-
listes, œuvre du démon 42.
Athénagore, bien qu’il soumette une partie de l’homme au
destin #3, à travers tout son traité de la résurrection insiste sur le
mérite, commun au corps et à l’âme #4, Comme nous le verrons,
il distingue même dans l’action divine une providence cosmique
et une providence particulière, pour sauver le logos humain et sa
liberté.
Théophile d’Antioche exalte tellement la liberté et l’autonomie
de l’homme #5, qu’il paraît faire fi de la grâce. Pour lui,
« l’homme, par nature, était entre deux, ni complètement mortel,
ni totalement immortel, mais réceptif de l’un et de l’autre 46 ».
Par l’usage de sa liberté, en se soumettant à Dieu, il acquiert
l’immortalité, ou, inversement, il se rend coupable de sa propre
mort 47,
Avec saint Irénée, l’insistance est extraordinaire : « Dieu,
dit-il, a fait (l’homme) libre dès l’origine; il possède le pouvoir
sur soi, comme il possède son âme, pour user de la volonté divine
volontairement et non contraint par Dieu: » Il revient, dans le
contexte, sur ce pouvoir de choisir, commun aux anges et aux
hommes, base du mérite et donc de la rétribution 48. Liber in
arbitrio et suae potestatis, ces mots reparaissent fréquemment ##.

Les Philosophoumena. Les Philosophoumena sont exacte-


ment dans la même note. Non seule-
ment l’auteur dit que « l’homme créé était un vivant libre », mais
il précise que ce pouvoir est antérieur à toute capacité surnatu-
relle, Il y voit le fondement de la moralité. Ce pouvoir rend
l’homme capable « d’engendrer le mal ». « Si l’homme ne dis-
posait pas du vouloir et du non-vouloir, pourquoi donc la loi
serait-elle définie 50 ? » Il dit clairement : l’homme n’est « pas
asservi par la violence d’une nécessité, mais appelé à la liberté
par un libre choix volontaire 51 », II semble ainsi faire du libre
arbitre une faculté.

42. Oral., VITI-IX.


43. Leg., XXV. Ce texte sera étudié plus loin, p. 403.
44. Res., XVIII et passim.
45. Autol., II, 27.
46. Ibid., II, 24; 27.
47. Ibid., XI, 27.
48. Haer., IV, 1x, HARVEY II, p. 285.
49. Ibid., IV, Aie Harvey II, p. 154; IV, Lx, 1-2 (quatcr), Harvey II, p. 288-
289; IV, rxux, 8.., p. 297; IV, Lxrv, 3..., p. 300; Dem. p. d., 11, GRAFFIN-NAU,
PO 12, p. 762; Fragm., VI, GRArFIN-NAU, PO 12, p. 738..., etc.
50. Refut., X, 33, 9-10; cf. 33, 15.
51. Ibid, X; 33, 13.

237
LA VIE MORALE

L'Eglise d'Afrique. Dans le monde africain, c’est la


même insistance. Tertullien pré-
sente la liberté comme une marque propre de l’âme, due à son
origine divine : libera et sui arbitrüi F2. Plus souvent encore, il la
rattache à l’homme, à la nature humaine, mais en rappelant
qu’elle est à l’image de Dieu 5. Il affirme le libre arbitre et le
défend contre les thèses adverses, bien qu’il admette que l’âme
subit certaines influences au cours de son développement. Il
rejette en particulier le fatum des astrologues, qui dispense « les
hommes de rechercher Dieu, sous prétexte que nous sommes mus
par le jugement immuable des étoiles54 ». Minucius Félix 55,
Novatien 56 et saint Cyprien 5 apportent la même insistance à
affirmer la liberté.

Bardesane. Bardesane d’Edesse est l’un des


plus étranges défenseurs de la
liberté humaine, Cet astrologue, qui n’a jamais renié l’astrologie
et son fatalisme, est en même temps un ardent champion du libre
arbitre. On retrouve dans son Livre des lois des pays toute l’argu-
mentation précédente. L’homme n’est pas un « instrument » dont
Dieu jouerait à sa guise. Il est « maître de soi 58 ». Il est doué
de liberté, seul dans la création, et ce privilège le rend égal aux
anges 52. Il est le maître de sa destinée, responsable moralement,
« se justifiant ou se condamnant 60 ». Sans doute son corps est
soumis à la loi de la nature, mais le bien « relève de l’esprit de
l’homme, de telle sorte qu’il n’est pas au pouvoir du corps, mais
dans la volonté de l’âme 61 » et cette âme peut aimer la maladie,
la faiblesse, l’infirmité 6, ou être joyeuse d’éviter le mal et de
faire le bien 53, « excepté chez ceux qui ne sont pas créés pour

52. Marc., IL, 9, CSEL 47, 346, 15-19. Cf. Anima, XXII, 1; 2; XX, 5; XXXVIII,
6; Marc., LL, 8, CSEL 47, 345, 7-19; 5..., 340, 12-18; 6..., 341, 1-20. J. H. WaASzINK
énumère toutes les expressions utilisées par Tertullien pour désigner le libre
arbitre (p. 289).
53. Marc., II, 4, CSEL 47, 338, 24-27; 6, CSEL 47, 343, 7-9; Anima, XXI, 6;
Exch. cast., II, CSEL 70, 127, 20-24.
54. Idol., IX, CSEL 20, 38, 8-10.
55. Oct., XXXVI, 1.
56. Trin., I, éd. FAUSSET, 3, 14-15; 4, 4-6.
57. Ep., LIX, vix, 2, éd. BaxaRD, p. 175; Cath. Eccl. unit., X, CSEL Il, 1,
218, 16-17.
58. R. GRAFFIN, Patr. Syr., la, 2, Paris, 1907, 542-545,
59. Ibid., 545, 549.
60. Ibid., 546, 562.
61. Ibid., 550.
62. Ibid., 550-553.
63. Ibid., 553-554.

238
PROBLÈME THÉORIQUE
ce bien et qui sont appelés ivraie 64 », « Dans les opérations de
l’esprit (l’homme) fait tout ce qu’il veut, doué qu’il est de liberté
et de pouvoir, comme image de Dieu 65 ». Tout ce Livre des lois
des pays est un plaidoyer pour la liberté, dont la position cen-
trale se résume en ces mots : « En toute région, chez tout peuple,
tous les hommes jouissent de leur liberté naturelle, comme ils
veulent, et servent le destin et la nature, à cause du corps dont
ils sont revêtus 66, » Malgré la réserve qu’apportent ces dernières
lignes 67, la liberté est affirmée avec entêtement.

Clément d'Alexandrie. Clément est fidèle à cette tra-


dition 68, Il explique que l’homme
n’est pas insensible, pour être porté comme un corps. Dieu lui
a donné le choix, base de la rémunération 69, Et Clément semble
bien croire à l’existence d’une faculté spéciale, chargée du
choix, en quoi il dépasse les philosophes, « Le vouloir préside
à tout, dit-il, car les puissances logiques sont nées pour servir
le vouloir 7, » Il applique le principe au salut comme au péché :
« Celui qui est sauvé ne sera pas sauvé malgré lui71. » Pour
le mal, le caractère volontaire est indispensable 72, Le pécheur
ne tombe pas « par l'influence du démon, mais il a la malice
que librement il a choisie 78 ».
Ces textes de Clément offrent un intérêt spécial. Une fois,
l’auteur définit longuement que « le salut provient d’un chan-
gement de conviction (ëx mera6oXñc xetônviou) et non d’une dispo-
sition naturelle (ëèx pboewc) 74 ». Mais on sait parfaitement
pourquoi Clément insiste sur la liberté du salut, Le contexte
le dit clairement. Il vient d’exposer la physique gnostique de
la prédestination, chez les Basilidiens et chez les Valentiniens,
avec citation à l’appui, et il emploie leurs termes pour les réfuter.
C’est donc contre les Gnostiques que Clément se fait l’apôtre du

64. R. GRAFFIN, Patr. Syr., Ia, 2, Paris, 1907, 554.


65. Ibid., 561,
66. Ibid., 598.
67. Pour les notions contenues dans les lignes précédentes, cf. ce qui con-
cerne le fatalisme dans la quatrième partie de ce travail (ch. XII).
68. Str., II, 12, 1; Quis diues, 10, 1.
69. Ecl. Proph., 22, 1-3.
10Str 1, 077,10,
71. Ibid., VII, 42, 4-5.
72. Ibid., II, 64, 3-5.
73. Ibid., VI, 98, 1-2. On trouvera d’autres citations et une bonne étude de
ce point dans W. VOoELkER, Der wahre Gnostiker nach Clemens Alexandrinus,
Berlin-Leipzig, 1952, p. 115-119. L’auteur y souligne, avec des nuances, « le
primat de la volonté » chez Clément.
7A. Ibid., II, 115, 2.
LA VIE MORALE
libre arbitre, et on comprend que Tertullien et Irénée l’aient
précédé dans cette voie75, Nous n’avons pas quitté lanti-
gnosticisme.

Le problème grâce On peut être surpris que les écri-


et liberté. vains de l’époque, presque tous aux
prises avec les Gnostiques, n’aient
pas affronté le problème de la liberté dans ses rapports avec la
grâce. On en retrouve des traces chez Tertullien et chez Clément.
La réponse de Tertullien est surprenante, mais unique dans son
œuvre, au point qu’il serait imprudent d’y attacher trop d’impor-
tance. Après avoir rappelé les changements étonnants que peut
connaître la nature, il poursuit : « Telle sera la vertu de la grâce
divine, plus puissante en tout cas que la nature, mettant sous son
empire la faculté du libre arbitre, qui est en nous et qu’on appelle
ædretoborov; puisqu'elle est naturelle elle-même et, de ce fait, modi-
fiable, partout où elle incline, elle incline par nature 76, » Ter-
_tullien accorde à la grâce le rôle que les Grecs attribuaient au
destin et peut-être aux lois naturelles 77. Il lui donne un pouvoir
absolu sur le libre arbitre. Cependant les derniers mots pour-
raient s’entendre en ce sens, que l’influence divine se glisse dans
les rouages humains, au point que l’action reste naturelle.
C’est la note dominante de l’œuvre de Clément. Ce théologien
de la grâce, qui en a montré l’existence et la nécessité mieux
que personne 8, la rapproche de la moira divine des Platoniciens,
mais y voit une aide qui permet à l’homme de parvenir à la con-
naissance de l'être véritable ®?, Elle entre dans les facultés
logiques de l’homme spirituel, comme un perfectionnement qui
facilite leur marche vers le bien 8, Clément est assez proche de

75. G. Quisrez l’a bien vu (La conception de l’homme dans la gnose valen-
tinienne, in Eranos Jahrbuch 1947, 15, 1948, p. 266; cf. Gnosis als Welt-
religion, Zurich, 1951, p. 25).
76. Anima, XXI, 6.
77. H. Karpp dit qu’ « un chrétien peut difficilement se rattacher à un
dogme philosophique plus étroitement que Tertullien le fait ici » (Probleme
altchristliche Anthropologie, Biblische Anthropologie und philosophische Psy-
chologie bei den Kirchenvätern des dritten Jahrhunderts, Gütersloh, 1950,
p. 73). Cependant cet auteur n’est pas prodigue de rapprochements avec la
philosophie. :
78. Str., III, 57, 2; IL, 5, 4-55 V, 7, 3; 8. E. GiLsoN note que Clément « se
montre beaucoup plus explicite (que ses prédécesseurs) sur la nécessité et le
rôle de la grâce » (La philosophie au Moyen-Age, Des origines patristiques
à la fin du XIV° siècle, Paris, 1944, p. 52).
79. Str., V, 88, 1-3. J. MerrorT étudie attentivement ce problème, Der Plaio-
nismus bei Clemens Alexandrinus, Tubingue, 1928, p. 32-43, W. VOELKER
souligne aussi la correspondance entre la prescience divine et l’effort humain
(Der wahre Gnostiker…, p. 125-126).
80. L’idée est de R. P. Casey, Clement of Alexandria and the beginnings of
christian platonism, in The Harvard Theol. Review, 18, 1925, p. 52 : « La grâce
cependant n’est pas conçue par Clément comme une force spéciale qui est

240
PROBLÈME THÉORIQUE
la théorie de la gratia adiuuans 81, et pratiquement n’imagine pas
de conflit possible entre la grâce et la liberté : il est un Grec
optimiste 82,
On aura remarqué, et on remarquera mieux encore plus loin,
que les Pères les plus affirmatifs sur la liberté humaine sont
parfois ceux qui ont laissé la part la plus grande à l’enchaînement
physique dans le monde. Cette contradiction leur donne une res-
semblance de plus avec les Stoïciens.

3. L'ACTION VERTUEUSE

Des Stoiïciens aux Pères. Les conceptions morales des Stoi-


ciens sont étroitement liées à l’idée
qu’ils se font de Dieu et du monde. Pour eux, puisque l’homme est
une partie de l’univers, une partie favorisée de ce grand tout
intelligent, son effort doit tendre à s’intégrer solidement dans ce
Tout. Il ne s’agit pas tant de sortir de soi pour monter vers Dieu,
d’imiter Dieu, comme l’enseignait Platon. Il faut plutôt vivre
d'accord avec soi-même, avec son logos intérieur : époAoyouuévec
Cv, dit Zénon. Ses successeurs précisent la formule. Puisque
logos et physis sont synonymes, Cléanthe dit : vivre en accord
avec la nature; Chrysippe : vivre en suivant la nature 85. Pané-
tius élargit l’expression : tù Cv xara ràç OeSouévacs iv Èx pÜoews
&popuéc 84, Par là, il humanise la morale; il faut vivre selon toutes
les tendances que la nature a déposées en soi et pas uniquement
selon le logos, comme l’entendait Chrysippe 55.
Cependant le logos est bien l’élément qui doit dominer. Il doit
être « droit » et se soumettre tout l’homme; de là une morale
essentiellement intellectuelle où la connaissance occupe une place
primordiale, Les pathé, au contraire, même ceux qui nous

instituée par Dieu pour réparer la faiblesse importée par le péché. La grâce
de Dieu cst une grâce naturelle, et son activité est une part du fonctionnement
normal de l’organisme de l’homme spirituel. »
81. H. A. Wozrson prétend trouver chez Philon l’origine de la théorie de la
gratia adiuuans, quand il y étudie le problème de la liberté (Philo, Founda-
tions of religious Philosophy in Judaism, Christianity and Islam, Cambridge-
Mass., 1947, t. I, p. 424-462).
82. En somme, la grâce chez Clément joue le rôle de la providence chez
les Stoïciens. Il n’a qu’à transposer, Saint Augustin, beaucoup plus sensible
au mal, s’en tirera plus difficilement.
83. M. Pourenz, Die Stoa, I, p. 116-118. Cf. ArRNIm, SVF IIL, 1-9, p. 3-7.
84. M. PouLenz, Die Stoa, I, p. 200. Rappelons que Clément d’Alexandrie
rapporte textuellement toutes ces définitions (Stfr., II, 129, 1-8), cf. ch. III
de ce travail. Le présent exposé simplifle à outrance une question assez déli-
cate. W. WIERSMA a consacré un livre à montrer la précision progressive de
la notion de fîn chez les Stoïciens : Ilepi téhouç, Studie over de leer van het
volmaakte leven in de Ethiek van de oude Stoa, Groningue, 1937.
85. On trouvera une excellente étude de ces notions dans E. GRUMBACH,
Physis und Agathon in der alten Stoa, Problemata, 6, Berlin, 1932, p. 6-43.

841
LA VIE MORALE

paraissent estimables, comme la miséricorde 86, sont bannis


comme l’antiraison. Etre Aoyuxés et &xxôñnc, c’est la même chose;
l’apatheia répond à la perfection du logos. Celui qui la possède
est l’égal de Dieu, impassible par essence, puisqu'il est logos pur.
Il est en même temps parfaitement heureux, parce que vertu et
bonheur ne font qu’un dans ce système eudémoniste 87.
Une action morale est une « action droite >» (xatépüœoua)
88,
Elle comporte une valeur essentielle, absolue. A côté, grâce aux
êtres intermédiaires, mitoyens ##, il peut exister des actes secon-
daires qui conviennent à notre nature dans des circonstances
déterminées; ce sont des xaôñxovræ %. Quoiqu’on admette un pro-
grès moral, on ne reconnaît cependant pas de demi-mesure entre
la folie qui ravale au rang de la bête et la sagesse qui élève jusqu’à
Dieu. Le logos est droit, ou ne l’est pas. De peu ou de beaucoup,
qu'importe ! Quand un soulier est trop petit, qu'importe de com-
bien ! Par le fait même toutes les vertus sont unies et liées les
unes aux autres dans le « logos droit ». Pas de degré non plus
dans le mal: tous les péchés sont égaux. La conversion est
brutale et totale, bien qu’il y ait progrès; la vertu une fois acquise
ne se perd plus. Avec complaisance alors, on trace le portrait du
sage, qui est libre, qui est roi, qui est Dieu, mais qui peut-être
n’a jamais existé...
On trouverait chez les Pères, en ce domaine, une influence
profonde et variée. Les documents ne manquent pas. Tantôt il
s’agit de pôsitions stoïciennes franchement adoptées, tantôt
d’adaptations, tantôt enfin de terminologie ou de définitions
empruntées %1. Dans cette vaste documentation, l’action vertueuse

86. E. Erorpuy étudie la sympathie (Die Sozialphilosophie der Stoa, Leipzig,


1936, p. 155-160); il montre que ce rigorisme venu du cynisme, s’est adouci
dès le moyen stoïcisme, puis surtout chez Sénèque.
87. Pour une vue d’ensemble sur l’apatheia, rapide, mais agréable, cf. P. DE
LABRIOLLE, Apatheia, dans les Mélanges de philologie, de littérature et d’his-
toire anciennes offerts à A. Ernout, Paris, 1940, p. 215-225. Les textes stoïcicns
se trouvent dans ARNIM, SVF III, 443-445, p. 108-110, pour l’apathie, et 49-67,
p. 13-16, pour l’eudémonisme.
88. ARNIM, SVF III, 500-523, p. 136-140; cf. M. PoxLenz, Die Stoa, 1,
p. 128-129. ‘
89. ARNiIM, SVF IIL, 114, p. 27; 71, p. 17; 118, p. 28; 181, p. 44.
90. Ibid., 491-499, p. 134-136. Le mot xafñxovra englobe parfois les
xatopôwuata,qui concernent l’activité propre du logos (ibid., 494, p. 135). De
toute façon, les kathèkonta constituent un devoir comme les katorthômata.
Cf. M. PouLenz, Die Stoa, I, p. 129-131.
91. Voici quelques thèmes de recherches possibles : la terminologie même
comme xatoploüv, xatophwmata, xaffxovra ; les définitions des vertus; la
notion de patience appliquée à Dieu et au chrétien, son sens précis, ses
origines bibliques et philosophiques; l’image de la désertion pour désigner
le mal moral chez Clément de Rome (Cor., XXI, 4: XXWVIII, 2), Ignace
d’Antioche (Polyc., VI, 2; Epkh., VI, 2), Tertullien (Scorpiace, IV, CSEL 20,
153, 14-18; X..., 168, 2; Idol., IX..., 38, 10; Nat., I, 1, 7; 5, 10; 14, 1), Minucius
Félix (XXXIIL, 5), Cyprien (Ep., XXX, vi, 3, éd. Bayarn, p. 74-75 : Novatien,
A. D’ALÈS, Novatien.…., Paris, 1925, p. 141).

248R
PROBLÈME THÉORIQUE

apparaît d’abord comme une position de repli. Elle consiste à se


retirer de tout ce qui peut toucher nos sens. Mais la fin est de
se mettre au-dessus et de trouver dans la vertu le bonheur suff-
sant : autarcie et apathie, ces deux thèmes stoïciens, sont très
familiers aux Pères. Mais, comme les Stoïciens, ils soulignent
l'effort positif sous le signe du logos. La morale est rejet de la
passion, et, du fait même, triomphe de la raison, adhésion au
logos, qui est raison universelle et loi du monde, mais qui est
aussi, pour les Pères, Verbe de Dieu.

Autarcie de la vertu. Les Pères apologistes, en particulier


devant le martyre, ont beaucoup
vanté l’autarcie de la vertu. Le bien se suffit à lui-même. Justin
crie très haut qu’il ne craint ni les bourreaux 2, ni la mort ?5.
« Vous pouvez tuer, leur dit-il, mais non nuire ®#, » Et il prêche
le mépris de la vie, de la richesse, de la gloire et du plaisir #5, La
vertu ne donne-t-elle pas le bonheur parfait, l’eôSausovio 96 ?
Athénagore affiche le même mépris °7. « Ayant l’espoir de la
vie éternelle, nous méprisons les choses de cette vie et même les
plaisirs de l’âme...®8. » L’un des biens qu’il dédaigne le plus
précisément, c’est l’opinion : les hommes « ne deviennent pas
plus mauvais du point de vue de la vertu, dit-il, à cause de
l’opinion de la multitude ». Ce qui compte, c’est que « nous
ayons bonne réputation auprès de Dieu ®% ». Le jugement de Dieu
est essentiel et il pénètre tout, pas seulement les actions, mais les
intentions, la pensée, le désir 100, Tatien donne la même note de
mépris pour le monde. Il invite expressément « à mépriser la
mort et exercer l’autarcie 101 », et ce dernier mot est cher à
l’apologiste 102, Minucius Félix est, lui aussi, indifférent à la pau-
vreté 103, aux richesses 104, aux misères du corps 1%, aux supplices

92. I Apol., XI, 2.


- Ibid., LNIL, 2.
Platon, Apol., 30 cd.
Ibid., IL, 4; XLV, 6; Cf. Epictète, Ench., 53, 4;
95. Dial., LXXXII, 4.
96. Ibid., II, 4; VII, 2; CXLIL, 3; cf. Diogn., X, 2; Minucius Félix, XXXVIIL 4.
Rappelons que C. CLEMEN a consacré une thèse à l’eudémonisme de Justin :
Die religionsphilosophische Bedeutung des stoisch-christlichen Eudämonismus
in Justins Apologie, Leipzig, 1890. L’exposé en est confus.
97. Leg., I, c. fin.
98. Ibid., XXXIII, init.
99. Ibid., XXXI, c. med.
100. Ibid, XXXIII, c. med. Cf. Justin, 1 Apol., XIX, 3; XV, 5; Théophile,
Autol., III, 13.
101. Orat., XIX, init.
102. Ibid., I, c. init.
103. Oct., XXXVI, 4-5.
104. 1bid., 7.
105. Ibid., 8.
LA VIE MORALE
et à la mort 106, et il lance devant les rois un cri de liberté 107, Ter-
tullien paraît couronner cette tendance. Dans l’Ad martyres :il
affiche évidemment son mépris pour le monde et dans l’Apolo-
geticum il exprime une pensée digne d’un Stoïcien : « Au reste,
nous ne souffrons en aucune manière, d’abord et surtout parce
que rien ne nous importe en celte vie..., ensuite parce que, si
quelque malheur nous frappe, c’est à vos crimes qu’il faut
l’attribuer 108, »
Clément d’Alexandrie est beaucoup plus nuancé, et, malgré
cela, dans ses idées comme dans sa terminologie, nettement
stoïcien. Il croit à la suffisance de la vertu pour le bonheur 19%,
d’autant plus qu’à son avis « celui qui possède une vertu les
possède toutes gnostiquement, en raison de l’accompagne-
ment 110 » et que la vertu, nouvelle essence, est inamissible 111,
Seul l’honnête est une fin digne de l’activité humaine 112 et il
faut user très prudemment « des biens d’où jaillissent les pas-.
sions, comme la richesse et la pauvreté, la réputation et le déshon-
neur, la santé et la maladie, la vie et la mort, la peine et le
plaisir ». Il faut « user indifféremment des choses indiffé-
rentes 118 », Cependant cette vertu est moins hautaine que chez
les Pères antérieurs. Clément reconnaît que « certaines choses

106. Oct, XXXVII. Dans ce dernier texte, l’auteur propose des modèles
stoiciens.
107. 1bid., XXXVIII, 1.
108. Apol., XLI, 5, trad. WALTZING.
109. Str., V, 96, 5-6; 97, 6, où il fait appel aux Stoïciens; IL, 133, 7; I, 98, 2;
Paed., 1, 98, 4.
110. Str., II, 80, 3. Cette ävraxohoubia des vertus revient (ibid., IV, 163, 3;
VIII, 30, 2; cf. VI, 108, 3; II, 16, 2). Elle est évidemment stoïcienne (ARNIM,
SVF III, 295, p. 72; 299, p. 73; 302, p. 74). Clément dit textuellement : « Les
. vertus s’accompagnent mutuellement » (Str., II, 80, 2; 45, 1). De là l’unité de
la vertu (ibid., I, 97, 3).
111. Jbid., IV, 139, 2. TH. RUETHER, Die sittliche Forderung der Apatheia in
den beiden ersten christlichen Jahrhunderten und bei Klemens von Alexan-
drien…., Fribourg, 1949, livre dont la moitié est consacrée à Clément (p. 50-102),
étudie ce point (p. 78-81) ct juge que l’affirmation de Clément est une hyper-
bole (p. 81). Cependant Clément souligne dans le texte cité la stabilité absolue
dans le bien quand il décrit le gnostique : « Le gnostique aura une vertu
qu’il ne pourra perdre, ni de jour, ni de nuit, ni par quelque imagination »
(Str., ibid.). La gnose est inamissible, parce que la science est une propriété
inaliénable (Str., II, 47, 4; 76, 1; 77, 1; VI, 54, 1-2; 80, 2: NIL,060,,3:;:57,13;
70, 5). A ces notes stoïciennes on pourrait ajouter l'égalité absolue devant la
vertu et devant la philosophie (ibid., IV, 58, 4-59, 1; 59, 3; 60, 1; 62, 4; 67, 1)
— que l’on retrouve chez Minucius Félix (XVI, 5) — avec une tendance fémi-
niste (Str., IV, xix, en entier; Paed., I, 1v, en entier: cf. ARNIM, SVF III, 254,
p. 59). On peut trouver beaucoup d’autres précisions sur la vertu du gnos-
tique chez Clément auprès de W. VoELKkER, Der wahre Gnostiker nach Clemens
Alexandrinus, Berlin-Leipzig, 1952, p. 449-479. L'influence stoïcienne y est
souvent notée.
112. 11 connaît le bien, l’utile et l’agréable (Str., VII, 49, 8), mais le gnos-
tique écarte l’agréable (ibid., 61, 2), même l’agréable et l’utile au profit de
l’économie (ibid., 83, 2). Le bien seul est digne de louange (Paed., I, 93, 2;
cf. ARNIM, SVF III, 29, p. 9).
113. Str., II, 109, 3-4.

244
PROBLÈME THÉORIQUE

indifférentes sont tellement en estime qu’elles paraissent dignes


de choix 114 »; elle peuvent se choisir, non pour elles-mêmes,
mais € à cause d’autres 115 ». « Il y a en effet des choses qui sont
bonnes par elles-mêmes, d’autres qui participent aux biens,
comme nous disons des bonnes actions. Sans les choses entre
deux..., il ne subsiste ni bonnes, ni mauvaises actions, je veux
dire par exemple la vie et la santé 116, »
Ce n’est pas le stoïcisme primitif dans toute sa raideur, mais le
stoïcisme atténué, tout aussi célèbre, qui admet une zone
moyenne: « L'âme est reconnue comme la partie supérieure de
l’homme, le corps comme la partie inférieure, mais ni l’âme n’est
chose bonne par nature, ni le corps en revanche chose mau-
vaise par nature et ce qui n’est pas bon, cela n’est pas mau-
vais pour autant; il existe en effet certaines mitoyennetés, des
choses à choisir plutôt (rponyuév«), des choses à écarter plutôt
(érorponyuév«), parmi les choses moyennes 117, y Maïs cette qua-
lité inégale de l’action, vraiment bonne où moyenne, crée une
morale à deux étages, qui oppose la foule aux sages. Clément
transporte sur le plan religieux la distinction stoïcienne : « De
même, dit-il, que le fait d’être simplement sauvé est une œuvre
intermédiaire, mais que d’être sauvé pleinement, comme il faut,
c’est l'acte droit (xarépfwua), ainsi toute action du gnostique est
acte droit et celle du simple fidèle peut être dite intermédiaire...
et enfin toute action du païen est un péché 118. » Tout reste stoï-
cien, jusqu’au vocabulaire 119, Il faut cependant noter que la vertu
stoïcienne se satisfait dans l’accomplissement de la personnalité.
Elle est, malgré l’adhésion au logos, tournée vers soi; le chrétien,
par la vertu, se tourne vers Dieu et semble satisfait dans un
accomplissement eschatologique : « Sa fortune est un bien à
venir 120, »

4. Str., IV, 69, 1.


15. Ibid., VI, 98, 3.
116. Ibid., IV, 39, 3.
117. Ibid., IV, 164, 3-4.
Ibid., VI, 111, 3; Paed., I, 102, 3. Cf. J. LEBRETON, La théorie de la
118.
Sc. Relig., 18,
connaissance religieuse chez Clément d'Alexandrie, in Rech. de
1928, p. 457-488, surtout p. 485-486.
par
119. La théorie de Zénon sur les choses indifférentes est rapportée
du devoir
ARNIM, SVF I, 191-196, p. 47-48. Pour plus de détail sur la doctrine
p. 216-244.
chez les Pères, se reporter à J. STELZENBERGER, Die Beziehungen.….,
ici étudiée,
Pourtant le chapitre, assez incomplet, parmi les Pères de l’époque
ne traite que le cas de Clément (p. 226-230).
Das Hauptproblem
120. Cette distinction est très bien notée par H. GREEVEN,
entum, Gütersloh, 1935,
der Sozial-Ethik in der neueren Stoa und im Urchrist
, p. 62-112) et par
p. 112 (cf. tout le chapitre 111, Richesse et propriété
n Stoa und in neuem
H. Préisker, Mensch und Schicksal in der Rômische
t, zugleich ein Beitrag zur Methode religions geschichtliches Arbeit,
Testamen
Ni l’un, ni l’autre ne
coll. Forschungen und Forschritte, 25, 1949, p. 274-276.
parlent des Pères.

245
LA VIE MORALE

Apathie Chez les Pères aussi, comme chez


et intellectualisme les Stoïciens, la droite raison et
chez Justin, l’apathie sont liées. Mais la droite
Athénagore et Irénée. raison, c’est d’abord la connais-
sance. La morale des Pères, comme
celle de la Sfoa, présente une note fortement intellectuelle que
l’on retrouve d’ailleurs dans l’Hermétisme contemporain 121, Déjà
Justin décrit l’immoralité et la vertu en termes stoïciens. Les
méchants, dit-il, « n’ont pas un logos droit 122 », ni un raison-
nement sage 123, Ils vivent « déraisonnablement 124 ». En même
temps, loin d’être impassibles 125, ils sont dominés par les pas-
sions 126, Mais il ne faut pas souhaiter leur châtiment : « Ils sont
châtiés suffisamment par leur conscience perfide et leur ignorance
du bien 127,» C’est la description stoïcienne du mal moral. Au con-
traire, faire usage de ses facultés rationnelles 128 et dominer ses
passions, tel est l’idéal du chrétien : « Afin que toujours on soit
sans passions et sans besoins, il faut s’attacher à nos dogmes 129, »
Et le terme de la vie vertueuse est présenté comme une apathie
éternelle 130, Il ne manque rien au tableau 131, Athénagore révèle
la même tendance : « Qu’avec Dieu et en compagnie de Dieu,
dit-il, nous ayons l’âme sans inclinations et sans passions, non
comme des êtres charnels, mais que nous restions comme l’esprit
céleste 132 », et lui aussi attache une grande importance à la
connaissance dans l’acte moral 133, Irénée enfin unit de même
connaissance et salut, ignorance et mal 134, I] invite sans cesse à
vivre « raisonnablement 185 ».

121. Corpus Hermeticum, X, 8-9, éd. Nocx-FEesTUGiÈèRE, p. 116-117, présente


l'ignorance comme un vice et la vertu comme une science,
122. 11 Apol., II, 2; VII 7; IX, 4.
123. I Apol., LVIII, 3.
124. Jbid., LNII, 1.
125. Ibid., LVIII, 3.
126. JIbid., LUI, 12; LVII, 1.
127. Ibid., VIXL, 5.
128. Jbid., X, 4; XXVIII, 3.
129. Ibid., LVII, 2.
130. Ibid., X, 2; LVII, 2; II Apol., I, 2; Dial., XLV, 4; XLVI, 7; CXXIV, 4.
131. C’est un aspect stoïcien de la morale de Justin, bien dégagé par
C. CLEMEN. « Comme chez les Stoïciens, écrit-il, chez Justin aussi le logos est
précisément un concept abstrait (?) du vrai et du convenable, qui justement
peut être considéré comme critère commun pour l’action et pour la pensée »
(Die religionsphilosophische Bedeutung.…, p. 153). Mais de là à vouloir
retrouver chez Justin tout l’eudémonisme stoïcien, il y a loin. J. STELZEN-
BERGER a raison de rejeter cette thèse de Clemen (Die Beziehungen…., p. 322).
132. Leg., XXXI, c. fin.
133. I1 joint ignorants et enclins à la colère (ibid., XXI, c. in.). Il dit que
les dieux des païens, devenus des hommes, étaient méchants par ignorance
(ibid., XXIX). Au contraire les empereurs, renseignés par sa supplique, ne
pourront plus pécher par ignorance (ibid., IL, c. fin.).
134. Haer., II, v, 2, Harvey IL, p. 19.
135. 1bid., V, vin, 2, HARVEY Il, p. 340-341.

246
PROBLÈME THÉORIQUE

L’intellectualisme Le cas de Clément est beaucoup


moral de Clément. plus net encore. En somme, chez
lui, le mal est considéré comme une
déraison, l’acte vertueux comme un triomphe de la raison. Son
gnostique juge que le seul mal est l'ignorance et « l’activité qui
n’est pas selon la droite raison 136 ». Pour Clément, qui a défini
la passion comme une insoumission au logos, le péché est un
alogon 137 et l’homme « qui pèche contre le logos, c’est une bête
alogon 188 », puisque la partie animale domine en lui. Dans le
même sens, il approuve « les enfants des philosophes », qui
< regardent toutes les actions des insensés comme autant de fautes
et d’impiétés, et qui, en représentant l'ignorance elle-même
comme une image de la folie, reconnaissent tout simplement que
la plupart des hommes sont fous 189 ».
A ce lien entre bien et raison, mal et déraison, il a consacré
tout le chapitre x111 du livre I‘ du Pédagogue : « De même que
l’action droite s’engendre selon la droite raison, de même le
retour au péché (s’engendre) contre la raison. » Le début en est
typique: « Tout ce qui est contre la droite raison est péché 140 »,
et le terme raison y revient une quinzaine de fois dans les trente
premières lignes. Clément dirait sans doute volontiers, « avec
certains 141 », que « la loi est la droite raison 142, » Il vante « la
conscience. Or son fondement solide, c’est une vie droite accom-
pagnée de la connaissance adaptée 143 ». C’est la connaissance
encore et l'habitude de suivre les jugements sains, qui lui appa-
raissent comme moyens d’arracher l’amour-propre et toute pas-
sion 144, Il va jusqu’à dire : « Je n’appelle pas sagesse autre chose
que la science 145 » ou encore : « Ce n’est pas la nature, mais
linstruction qui fait les hommes vertueux, comme elle fait les
médecins et les pilotes 146, » La vertu serait-elle donc quelque
chose qui s’apprend ? Le péché serait-il une question d’ignorance,
la vertu une science, le vertueux un savant 147 ? On est bien tenté

136. Str., VI, 113, 3.


137. Paed., 1, 5, 2. 4
138. Ibid., I, 102, 1; cf. Ps., 49 (48), 13-21.
139. Protr., 122, 1.
140. Paed., 1, 101, 1.
141. ARNIM, SVF III, 308, p. 76.
142. Str., 1, 166, 5.
143. 1bid., I, 5, 2.
144. Ibid., VII, 98, 5; 100, 4-5.
145. Ibid., IV, 8, 8.
146. Ibid., I, 34, 1.
147. FR. QUATEMBER, Die christliche Lebenshaltung des Klemens von Alexan-
drien…, Vienne, 1946, repousse cette conclusion (p. 120-121), à laquelle tendent
cependant les textes de Clément (cf. TH. CAMELOT, Clément d'Alexandrie et
l’utilisation de la philosophie grecque, in Rech. de Sc. Relig., 21, 1931, p. 556-

247
LA VIE MORALE
Clément
de le croire, quand on songe à la place qu’occupe chez
qui inquiét ait Irénée et Ter-
cette gnose, cette spéculation,
il pas de mettre la connai ssance avant
tullien 148, Ne se permet-
de salut 142?
le salut, alors que toute sa philosophie est une morale
étienne,
Dans cette morale, intellectualiste jusqu’à sembler antichr
l’ombre le corps 150 »,
« les actions suivent la gnose, comme

Apathie et pitié. Cette hégémonie est doublée une


fois de plus de l’apathie, mais Clé-
ment semble avoir soupçonn é, avec Tertullien, un problème par-
ticulier, Comment concilier cette apathie avec la charité chré-
tiénne, avec la miséricorde ? Pour Tertullien, le problème n’est
pas bien grave. Il parle en somme assez peu de l’apathie stoi-
cienne en matière morale, Quant à la miséricorde, elle prend
l’aspect de charité à l’égard du pauvre 1, de charité concrète,
de bienfaisance, pour se confondre bientôt, surtout chez saint
Cyprien, avec l’aumône 152, Il n’y a donc pas de vrai problème 158.
Il en va autrement de Clément. D’abord l’Alexandrin insiste
gravement sur l’apathie, Cette vertu divine est aussi vertu du

yeux
557). G. VERKUYL est tenté de l’admettre: la vertu s’apprend en un sens aux
zu
de Clément (Die Psychologie des Clemens von Alexandrien im Verhältnis
seiner Ethik, Leipzig, 1906, p. 48-50). 11 dit : « Au moins négativement l’iden-
la
tité de vertu et science est reconnue » (p. 51). C. MERk donne à peu près
même note (Clemens Alexandrinus in seiner Abhängigkeit von der griechischen
Philosophie, Leipzig, 1879, p. 54-59) et dit que la théorie de Clément « place
toute vertu (sainteté, union à Dieu) dans un savoir » (p. 90). On trouve
évidemment des textes opposés. Par exemple, Clément dit que le Pédagogue
« a pour but de rendre meilleur et non d’instruire, de proposer une vie sage
et non savante » (Paed., I, 1, 4). Mais il s’agit du Pédagogue.…. Partout Clément
souligne le rôle du Baptême, de l'Eglise. Partout aussi l’objet de cette gnosec
est spécifiquement chrétien.
148. Clément met essentiellement dans la connaissance la différence signalée
plus haut entre initiés et vulgaires, gnostiques et fidèles. Les premiers ont une
« révélation privilégiée ». Il a consommé la rupture entre théologie savante et
foi populaire. Cf. J. LEBRETON, Le désaccord de la foi populaire et de la
théologie savante dans l’Eglise du IIIe siècle, in Rev. d’Hist. Eccl., 19, 1923,
p. 481-506 (surtout p. 491-501); 20, 1924, p. 5-37.
149. Str., IV, 136, 5.
150. Ibid., VII, 82, 7.
151. H. Pérré, « Misericordia », Histoire du mot et de l’idée du paganisme
au christianisme, in Rev. des Et. Latines, 12, 1934, p. 376-389.
152. H. JANSseN, Kultur und Sprache, zur Geschichte der alten Kirche im
. Spiegel der Sprachentwicklung, von Tertullian bis Cyprian, coll. Latinitas
Christianorum. primaeva, 8, Nimègue, 1938, au mot misericordia, p. 208-214.
153. J. STELZENBERGER, Die Beziehungen.…, ch. vit. La doctrine des pathè
et de l’idéal d’apathie, p. 245-276, dit que Tertullien rejette la miséricorde et
il renvoie à Pudic., 1, CSEL 20, 220, 2 sq; II, CSEL 20, 222, 9. Mais il s’agit là
de l’indulgence pour le péché. FR. J. DOELGER repousse le rapport avec la
notion stoïcienne : Bewertung von Mitleid und Barmherzigkeit bei Tertul-
lianus, Vermeintliche Beziehungen zur stoische Philosophie, in Antike und
Christentum, 5, 1936, p. 262-271.

248
PROBLÈME THÉORIQUE
gnostique et Clément y consacre un long chapitre 154, Il montre
le Christ 155 et même les apôtres 156 impassibles. Il entend le mot
au sens stoïcien près de trente fois et par là exclut non seule-
ment la sympathie, ou l’attachement intérieur aux choses, et
l’amitié, mais tout serrement de cœur et même la pitié « en tant
qu’elle est la douleur provoquée par les malheurs d’autrui 157 »
ou « la douleur au sujet de quelqu'un qui est victime injus-
tement 158 », Clément va plus loin encore, dit Th. Rüther,
« même ce qui paraît être bon dans les mouvements de passions
comme courage, zèle, joie, satisfaction, ne se trouve pas chez le
gnostique 15 ». L’apathie, au sens bien stoïcien 16, constitue,
avec l’agapé, une des dominantes de cette morale 161, Elle est une
qualité qui rapproche de Dieu et de son Verbe.
Cependant cette apathie n’est pas esssentiellement insensi-
bilité. Elle est peut-être avant tout libération du péché et puri-
fication. Elle se rapproche de la pureté. « Le salut, dit Clément,
est le fait des âmes impassibles et pures 16, » Il recommande
« d'aimer son compagnon de vie, de le plaindre et de prier
pour lui à cause de son ignorance 163 », En somme, il exclut de
la pitié l’aspect sentimental et la réduit à la bienfaisance devant
la misère, que recommandent aussi les Stoïciens. Sous le terme
biblique, il cache la théorie du Portique 164, Ici vraiment Clément
a suivi les moralistes païens jusqu’au bout. L’apathie est la
marque de l’homme qui s’est totalement dominé pour faire

154. Str., VI, 71-79.


155. Paed., I, 4, 1; Str., VI, 71, 2; VIL, 7, 5. Beaucoup d’autres références
sur l’impassibilité de Dieu et du Logos chez Clément dans H. D. PIRE, Pitié
ou insensibililé? Le témoignage de Clément d’Alexandrie, Thuillies, 1939,
p. 15-18. Déjà chez Ignace d’Antioche, Polyc., I, 2; Eph., NII, 2.
156. Str., NI, 71, 3.
157. Ibid., IV, 38, 1.
158. Ibid., II, 72, 1; c’est la définition de Chrysippc.
159. Die sittliche Forderung.…., p. 69.
160. H. D. PIRE, Sur l'emploi des termes Apatheia el Eleos dans les œuvres
de Clément d'Alexandrie, in Rev. des Sc. Philos. et Théol., 27, 1938, conclut
ainsi, après avoir examiné les 33 emplois du mot (avec ses dérivés) dans les
Stromates (p. 429). Pour plus de détail, cf. l’opuscule du même auteur : Pitié
ou insensibilité ? Le témoignage de Clément d'Alexandrie, Thuillies, 1939.
161. E. DE Faye rapporte à ce sujet une vingtaine de références, parfois
importantes (Clément d'Alexandrie, p: 293-300), non sans souligner quelques
traces platoniciennes. Cf. également P. De LABRIOLLE, Apatheia…., p. 219;
M. Vizrer et K. RAHNER, Aszese und Mystik in der Väterzeit, ein Abriss, Fri-
bourg-en-Br., 1939, p. 69-70. TH. RUETHER, Die sittliche Forderung..., p. 72-76.
162. Quis diues, 20, 6.
163. Str., VII, 62, 3. Cf. TH. RUETHER, Die sittliche Forderung.…., p. 69.
164. H.-D. Pire, Sur l'emploi des termes…, conclut ainsi (p. 431), après
avoir examiné les 48 emplois du mot ëheoc. L'auteur n’y signale pas l’atti-
tude de Clément à l’égard de la métriopathie. Clément l’admet comme bonne
(Str., II, 39, 4; IV, 107, 4; 106, 1), mais le gnostique la dépasse (ibid., VI,
74, 1; VI, 105, 1). H. D. P1RE en glisse un mot dans Pitié ou insensibilité.….,
pour dire qu’elle est « une première étape » (p. 26). à

249
LA VIE MORALE

triompher en lui la raison, à l’image du Dieu impassible par


nature 165, Mais la mystique chrétienne donne à cette impassibi-
lité une âme nouvelle.

Soumission au logos Certains des textes où Clément


et à la nature. invite à agir selon le logos souffrent
de l’ambiguité que ce terme connaît
chez les Stoïciens. S’agit-il de la raison humaine ou du logos
commun ? Pour les écrivains ecclésiastiques, un troisième sens
s’ajoute : ne s’agit-il pas du Verbe personnel du Père ? Quoi qu’il
en soit, la docilité au logos est partout enseignée. Pour Justin,
le chrétien vit conformément au logos divin 166 auquel l’homme
participe. Athénagore parle des chrétiens constants en toutes
circonstances, logiques avec eux-mêmes parce qu’ils sont
d’accord avec le logos et la loi naturelle 167. Mais le glissement a
dû se faire facilement du logos universel au Verbe des chrétiens.
La transposition est faite chez saint Irénée, quand il invite « à
suivre le Verbe de Dieu sans détours 168 ». L'expression est stoï-
cienne, la pensée ne l’est certainement plus. Tatien semble par-
tager les deux interprétations. Il dit bien, dans un climat proche
d’Epictète : « Je ne veux pas bayer quand beaucoup chantent; je
me refuse à être rangé avec celui qui incline et se laisse porter
contre la nature 16, » Mais il dit souvent aussi qu’il faut « suivre
le Verbe de Dieu 170 ».
C’est ce dernier sens que nous retrouvons le plus fréquem-
ment chez Clément 171, Cependant le concept stoïcien n’est pas

165. Str., IL, 40, 13 IL, 72, 2; IV, 151, 13 VI, 73, 6; VI, 137, 4; Ecl: Proph.,
52, 2, etc. J. Gross, La divinisation du chrétien d’après les Pères Grecs, contri-
bution historique à la doctrine de la grâce, Paris, 1938, souligne l’influence
stoïcienne non seulement sur la terminologie, mais sur les conceptions morales
de Clément (p. 169, n. 11). Dans le contexte, il dégage, peut-être abusivement,
l’aspect intellectuel et antichrétien de cette morale. H. D. PIRE affirme aussi
que Clément cest ici un vrai Stoïcien, qui juge la passion mauvaise en soi
(Pitié ou insensibilité.…., p. 38-40). M. PoLenz fait de même une large part au
stoïicisme, autour de l’apatheia, du terme mpostabeiv en particulier (Klemens
von Alexandreia und sein hellenisches Christentum.…., p. 133-134) ct dans toute
la morale (p. 140, 155, 163, 166, 176 et passim), sans diminuer l'originalité
chrétienne de la doctrine. W. VOoELkER, au contraire, dans sa volonté de
souligner le caractère spécifiquement chrétien du gnostique, a sous-estimé le
stoïcisme de l’auteur (Der wahre Gnosttker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-
Leipzig, 1952, p. 524-540).
166. 11 Apol., XIIX, 4; 1 Apol., XLVI, 3.
167. Leg., XXXWV, c. fin. -
168. Haer., IV, xxvir, HARVEY Il, p. 192; xLiv, 2... p. 245; LV, 6... p. 269.
169. Orat., XXII.
170. Orat., XXV, fin.; cf. XVIII, c. med.; XXVI, c. fin.
171. « Ce qui arrive ainsi contre la raison (rapa vùv À6yov), dit FR. Qua:
TEMBER, arrive selon Clément, également, sinon même en première ligne,
contre le Logos personnel. Cela ne doit pas nous surprendre chez un homme

250
PROBLEME THEORIQUE
absent, On le constate en particulier quand il associe logos à
nature, comme chez les Stoïciens. C’est ainsi qu’il invite à agir
MOuméG Te mal puorxdc xal Xoyimce 172, Ces trois adverbes sont
manifestement des synonymes. Pour définir la vie morale, il dit
aussi bien « vivre selon la nature 178 », que vivre selon le
logos 174; suivre la nature 175, Dieu 176 ou le Verbe 177, Il définit
le péché tantôt « passion de l’âme contre nature 178 », tantôt
désobéissance au logos 17%, Pour être moral, l’homme n’a qu’à
« se soumettre au logos auquel toutes les bêtes sont soumises
déjà 150 ». « La vie du chrétien. est un ensemble d’actions raison-
nables, c’est-à-dire la pratique inamissible des enseignements du
Verbe, ce que nous appelons la foi 181, » Et le but pour l’homme,
c’est de s’assimiler au « logos droit 18 », auquel il est apparenté
par sa participation essentielle au logos 183, A6yoc, Aoyixéc, on peut
souvent se demander de quel verbe il s’agit. Il est bien évident
en tout cas que, dans la pensée de Clément, les facultés de
l’homme sont « logiques », c’est-à-dire marquées de rationalité et
en somme spiritualisées, quand le Verbe de Dieu les prend en
charge, « dans la montée de l’âme vers la vision face à face 184 ».
Cet aboutissement mystique de l’activité humaine chez l’Alexan-
drin rend un son platonicien, mais il est bien clair que la route
vers la gnose suit un itinéraire stoïcien 185, Logos et physis sont
les clefs de voûte de tout l’édifice moral 186

qui considère même toute la sagesse des Grecs comme une œuvre du Logos
personnel » (Die christliche Lebenshaltung.…., p. 114). Sur la soumission au
logos, sans précisions, cf. C. MERKk, Clemens Alexandrinus in seiner Abhän-
gigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig, 1879, p. 64-67.
172. Str., IV, 163, 3.
173. Ibid., VI, 136, 2. Sur la maxime : vivre selon la nature, chez les Pères,
cf. J. STELZENBERGER, Die. Beziehungen.…., p. 158-185.
174. Protr., 57, 4; Str., II, 4, 1; Ecl. Proph., 31, 2.
175. Paed., 11, 87, 3.
176. Ibid., II, 36, 2, etc.
177. Ibid., II, 110, 2. P. WENDLAND en faisait la remarque (Quaestiones Muso-
nianae, Berlin, 1886, p. 3-4) en apportant de nombreux exemples (p. 3, n. 2).
178. Paed., I, 6, 1.
179. Ibid., 1, 101, 1-2; 102, 1.
180. Ibid., III, 99, 2.
181. Ibid., I, 102, 4.
182. Str.,. II, 134, 1-2; VI, 113, 3.
183. Ibid., VI, 136, 3.
184. CL. MoNDÉSERT, Vocabulaire de Clément d'Alexandrie, le mot Doytxos,
in Recherches de Sc. Relig., 42, 1954, p. 262. Tout l’article (p. 258-265), montre
la variété des emplois de ce mot, qui en vient à désigner la sagesse chrétienne -
opposée à l’humanisme.
185. M. Pouexz fait cette distinction : Clément est authentiquement stoïcien
en morale, mais plutôt platonicien et essenticllement chrétien dans sa saisie
de Dieu (Klemens Alexandrinus und sein hellenisches Christentum.….,
. 155).
é 186. Ibid., p. 176; sur.la physis chez Clément, p. 110-144.

251
LA VIE MORALE

4, LOI NATURELLE ET UNIVERSALISME

Aux yeux des Stoïciens, la morale n’était pas tant individuelle


qu’universelle. Derrière les législations particulières, ils voient
une loi naturelle, qui leur est antérieure, une loi physique et
morale à la fois, qui se confond avec la loi du monde, avec l’ordre
divin. Ce droit naturel, que les Stoïciens, les premiers, ont for-
mulé clairement 187, appuyé sur l’universalité du logos, sur la
raison commune, sur la sympatheia générale, relie entre eux tous
les hommes 188, La Sfou pensait sa morale aux dimensions du
monde. Aussi, quand les petites patries s’effritaient et que l’hellé-
nisme gagnait des peuples entiers avec Alexandre, offrait-elle un
système tout adapté : l’humanité remplaçait la cité, la polis
devenait cosmopolis, l’homme citoyen du monde 18, Ces deux
idées enchaînées l’une à l’autre, de loi naturelle et de cité du
monde, rendues célèbres par les Stoïciens, obtinrent un grand
succès dans la pensée chrétienne 190,

187. M. PonLenz, Die Stoa, 1, p. 132-133; Der Hellenische Mensch, Gôttingen,


1947, p. 341-342; Stoa und Stoiker, die Gründer, Panaitios, Poseidonios, Zurich,
1950, p. xvi. Pour les textes, cf. ARNIM, SVF III, 308-326, p. 76-80.
188. La communauté du droit ne s’étend pas aux bêtes (ARNIM, SVF II,
367-376, p. 89-91), bien qu’une même loi physique pénètre tout.
189. Le R. P. FESTUGIÈRE a montré qu’Alexandre et certains de ses contempo-
rains avaient l’idée d’une communauté humaine appuyée sur la paternité uni-
verselle, avant les Stoïciens (La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 187-
195). Mais on peut vraiment reconnaître aux Stoïciens le mérite d’avoir pro-
clamé la communauté du genre humain, la dignité de l’homme en général et
un certain amour réciproque (cf. H. MEYER, Geschichte der abendländischen
Weltanschauung, t. 1, Die Weltanschauung des Altertums, Wurtzbourg, 1947,
p. 333-335). W. PREISER, La philosophie de la Stoa et sa signification pour le
droit international moderne, dans les Proceedings of the tenth international
Congress of philosophy, par E. W. Beth, H. J. Pos et J. H. A. Hollak, vol. I,
fasc. 1, Amsterdam, 1949, p. 589-591, rappelle aussi que les Cyniques sous-
traient l’homme à la polis, par individualisme, tandis que les Stoïciens lui
donnent des devoirs envers la communauté mondiale, « l’état mondial stoi-
cien » (p. 591). Cependant, tout en reconnaissant que les Stoïciens ont con-
tribué à l’éclosion de cette idée, E. GiLzson ne croit pas qu’ils aient envisagé
une authentique cité aux dimensions du monde, « l’idéal d’une société univer-
selle coextensive à notre planète et capable d’unir la totalité des humains »
(Les métamorphoses de la cité de Dieu, Louvain-Paris, 1952, p. 6-7), « l’idée
d’un corps social universel, qui serait aux cités particulières ce que la cité
même est aux familles et, par elles, aux individus, bref une société humaine
digne de ce nom » (p. 11, cf. p. 9).
190. Pour un bon aperçu général du problème, cf. O. ScHiLzziNG, Naturrecht
und Staat nach der Lehre der alten Kirche, Paderborn, 1914. Pour une étude
détaillée, voir maintenant l’excellent ouvrage (parvenu trop tard) de F. FLuec-
KIGER, Geschichte des Naturrechts, t. I, Altertum und Frühmittelalter, Zollikon-
Zurich, 1954. L’auteur y étudie, après les origines, les Stoïciens (p. 186-238),
les autres philosophes, les Pères de l’Eglise (p. 284-387), qu’il montre dépen-
dants de la philosophie et non de saint Paul. Vingt pages sont consacrées
expressément à l’époque ici étudiée (p. 299-318).

252
+

PROBLÈME THÉORIQUE

Loi naturelle. Saint Justin est le premier des


Pères qui ait mis nettement en
valeur la notion de « loi naturelle 191 ». Au-delà de la loi mosaïque
particulière et passagère 192, il conçoit une moralité « universelle,
naturelle, éternelle 193 », Cette loi morale, l’homme la connaît par
ses propres moyens. Elle fait partie des « notions physiques 194 »,
dont il a été question plus haut. « L’homme, dit-il, a dans sa
nature le pouvoir de discerner le bien et le mal 1%, » Cette loi,
qui pour Justin est exclusivement morale, retrouve, avec Athé-
nagore, son aspect physique. Il parle, lui aussi, d’une « connais-
sance commune et physique 1% », avons-nous dit, Mais il en
donne la source : un nomos-logos qui est inné 197, Il fait de ce
logos naturel un synonyme de loi divine 198 et en somme d’ordre
du monde. La loi naturelle a chez lui une portée cosmique; elle
coïncide avec l’enchaînement universel que nous étudierons plus
tard. :
L'idée de loi naturelle au sens moral se rencontre chez saint
Irénée. Il dit que le Seigneur a voulu parfaire les naturalia
legis 199, note qui se retrouve dans les Constitutions Apos-
toliques 200 avec l’expression loi naturelle 201, Derrière se recon-
naît l’idée de Justin, que la loi juive n’est pas étrangère à la loi
naturelle, qui est essentielle et contient les principales pres-
criptions judaïques.
Tertullien a rendu célèbre le problème, posé déjà par Philon 2%,
et a montré définitivement et expressément le caractère tempo-
raire de la loi mosaïque. C’est l’une des thèses de l’Aduersus
ludaeos 23, Ailleurs, il a montré que loi et nature se complètent :
la loi précise la nature 204, qui est la sagesse commune 295, parfai-
tement accordée à Dieu 206, De Dieu « relèvent à la fois la loi

191. 11 Apol., II, 4.


192. Dial., XI, 2.
193. Ibid., XLV, 4; XLVII, 2.
194. Jbid., XCIII, 1.
195. J1 Apol., XIV, 2.
196. Res., XIV, c. init, bis; XXIV; XIII.
197. Res., XXIV; XIIL, c. init. Cf. infra, p. 401-402.
198. Leg., III. Cf. Minucius Félix (XI, 1).
199. Haër., IV, xx1V, 1-3, HARVEY II, p. 180 et 183.
200. VI, 22, 5-23, 2.
201. VIII, 12, 17-18; VIIL, 9, 8.
202. Cf. E. BRÉHIER, Les idées philosophiques et religieuses de Philon
d'Alexandrie, 3° éd., Paris, 1950, p. 13-14. Pour plus dé détails, cf. A. H.
Wozrson, Philo, Foundations of religious philosophy in Judaism, Christia-
nity and Islam, Cambridge-Mass., 1947, t. II, p. 180-196.
203. Surtout ch. 11, CSEL 70, p. 254-255; p. 256, 43-49; p. 527.
204. Cor., V, CSEL 70, 161, 1-3; VII, CSEL 70, 164, 6-8.
205. Ibid., VII, CSEL 70, 164, 1-2.
206. Test. an., VI, 1, CSEL 20, 142, 7-10.

no)Si vw
LA VIE MORALE :

et la nature même 207 » : on peut faire naturellement ce qui est


de la loi. Cette tendance de Tertullien n’est pas étrangère aux
autres Pères. On la retrouve chez Novatien, pour qui le méfait
« n’est jamais l’œuvre de la nature, mais de la volonté per-
verse 208 », Les Constitutions Apostoliques reconnaissent aussi le
sens moral inné avec la loi naturelle 20, Tertullien se permet ce
jeu de mots, qui exprime très exactement le fond de sa pensée :
« Loi naturelle et nature légale 210, > Il double cette notion de loi
naturelle du concept de « droit naturel 211 >» et parle de « droit
humain et pouvoir naturel 212 », Tertullien, qui avait tant insisté
sur le sensus communis et la conscience, se devait d’exalter ainsi
la moralité naturelle et universelle. On est allé jusqu’à y voir «un
principe capital de l’éthique tertullienne 213 ».
Clément, pour les mêmes motifs, devait proclamer également
la loi naturelle. En effet, il souligne que les législateurs romains
faisaient observer « la loi de la nature 214 ». La tribu de Lévi,
favorisée cependant par la Révélation, ne fait que « garder la
loi de la nature reçue de Dieu 215 ». Enfin, l’auteur dit expres-
sément : « De Dieu sont la loi de la nature et la loi de la Révé-
lation, qui ne font qu’un216, » C’est la théorie exacte de Tertullien.
Comme on le constate, la pensée chrétienne dépasse nettement
en ce domaine l’expression presque accidentelle chez saint Paul
(Rm., 2, 14). Ce n’est manifestement pas dans l’Ecriture que les
Pères ont puisé cette morale de la nature, mais dans la pensée
contemporaine.

Egalité humaine L’idée d’une loi naturelle univer-


et cosmopolitisme. selle, d’une part, suppose à la base
l'égalité foncière entre les hommes;
d'autre part, entraîne une communauté aux dimensions du
monde. On retrouve chez les Pères ces deux thèmes. Saint Paul
déjà, l’apôtre des gentils, supprimait toute distinction de race

207. Marc., V, 13, CSEL 47, 619, 20-25.


208. De cibis iudaicis, III, éd. LANDGRAF-WEyMAN, p. 231, 3-4. Pour Tatien,
la pédérastie est aussi contre la loi naturelle (Orat., XXVIII).
209. VIII, 12, 17-18; VIII, 9, 8.
210. Cor., VI, CSEL 70, 162, 1-163, 6.
211. Pudic., IV, CSEL 20, 226, 1.
212. Scap., II, éd. BINDLEY, p. 128, 12. Pour la question du droit naturel
chez les Pères dans la perspective stoïcienne, cf. J. STELZENBERGER, Die
Beziehungen.…, p. 95-157.
213. G. Raucw, Der Einfluss der stoischen Philosophie auf die Lehrbildung
Tertullians, Halle, 1890, p. 53.
214. Paed., II, 23, 1.
215. Str., IIL, 72, 3.
216. Ibid., I, 182, 1.

254
PROBLÈME THÉORIQUE
et de condition 217, Le chrétien est essentiellement catholique 218.
Devant le monde, il se trouve à peu près dans la situation du
citoyen grec sous Alexandre, qui voyait tomber toutes les fron-
tières : l’univers s’ouvre à l’un comme à l’autre, au-delà des
patries particulières. Le christianisme est un cosmopolitisme.
On retrouve évidemment chez les Pères ce cosmopolitisme
chrétien. Déjà le Pasteur d’Hermas affirme que « sa patrie est
loin de ce monde 21? » et l’apologie À Diognète dit très bien des
chrétiens : « Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais
comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs
devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des
étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie
une terre étrangère 220,» Avec Tertullien, l’expression se rap-
proche davantage de la terminologie classique : « Ce monde
entier, dit-il, est pour tous la maison unique, où la grâce de Dieu
brille plus pour le païen qui se trouve dans les ténèbres, que pour
le chrétien qui est déjà dans la lumière de Dieu 221, » Minucius
Félix est dans la même ligne quand il proclame : « Pour Dieu ce
monde entier est une seule maison 222, > C’est l’image même de
Sénèque, qui invite à « voir dans le monde une seule maison
commune 223 ». Clément d’Alexandrie maintient la tradition et
répète à satiété que le Verbe « est la lumière commune qui brille
sur tous les hommes 224 ». « Même nature par naissance, dit-il,
même vertu 22% » et il rêve « d’une symphonie unique, sous la

217. Rm., 10, 12; I. Co., 12, 13; Ga., 3, 28; Col., 3, 11.
218. « Enseignez toutes les nations », avait dit le Christ (M1, 28, 19); « Que
tous soient un » (Jn., 17, 20-23).
219. Sim., I, 1.
220. Diogn., V, 5, trad, Marrou. C’est le cosmopolitisme en quelque sorte
négatif d’un Diogène, pour qui l’homme n’est d’aucune cité (A. J. FESTUGIÈRE,
La Révélation d'Hermès Trismégiste, t. II, p. 270, n. 2). On le voit exprimé
dans Epictète, Dissert., IIL, 24, 66. E. GiLsoN voit dans le texte de lEpiître à
Diognète, et même dans le texte de Tertullien cité plus loin (Apol., XXXVIIL),
« l’effet de dénationalisation produit par le christianisme » (Les métamor-
phoses de la cité de Dieu, Louvain-Paris, 1952, p. 20). Les chrétiens sont
domiciliés au ciel. Pour ce problème, cf. Cu. GUIGNEBERT, Tertullien, Etude
sur. ses sentiments à l'égard de la société civile, Paris, 1901. E. GizsoN a
parfaitement raison de rappeler ici la formule d’H. Scholz : « C’est un cosmo-
politisme fondé sur un acosmisme » (op. cit., p. 21, avec références biblio-
graphiques). Cette tendance est clairement exprimée dans les Stromates de
Clément (VII, 77, 3).
221. Pudic., VII, CSEL 20, 232, 7-9.
222. Oct., XXXIII, 1. Cf. XVIII, 4 : in hac mundi domo. Le même mot se
trouve dans saint Cyprien (Demetr., XIX, CSEL III, 1, 364, 18-19).
223. De benefic., VII, 1, 7. La même expression se retrouve dans la « Vie de
saint Cyprien: » (Pont. Vita Cypr., X, 3) : « Pour le chrétien, le monde entier
est une seule maison ». Pour Cicéron le monde est comme « la ville et l’état
communs des hommes et des dicux » (De fin., III, 64). Sur la notion de cité
chez les Grecs et chez les Pères, cf. K. L. ScHminr, Die Polis in Kirche und
Welt, eine lexicographische und exegetische Studie, Bâle, 1939. Clément y est
particulièrement étudié, p. 57-67.
224. Protr., 88, 2.
225 0S1r.S IN, 25874!

255
LA VIE MORALE
direction unique d’un choreute et d’un maître, le Verbe 226 »,
Unité de tous les hommes, mais, comme l’a très bien remarqué
H. Greeven, cette unité s’appuie sur l’égalité dans la vocation
divine, « Tous ceux qui déposent les désirs charnels sont égaux
près de Dieu », dit Clément 227, Cette communauté se fonde sur
un élément PT re l’homme. En somme, elle relève de Dieu
et non de la nature humaine 28.
Il existe cependant chez les Pères autre chose qu’un simple
parallélisme avec la philosophie stoïcienne. Sans faire appel ici
à l’universalité du logos, soulignée surtout par Justin et Clément
d’Alexandrie 22%, il faut remarquer que les Pères ont enseigné
volontiers l’égalité naturelle qui rapproche les hommes, ce res-
pect de l’homme en tant qu'homme qui faisait la base de la
philanthropie déjà chez Zénon. Saint Cyprien rappelle à Démé-
trianus et à son esclave qu’ils ont le même sort à la naissance et
à la mort, même matière en leur corps, même intelligence en
leur âme, « droit égal et loi pareille soit pour venir en ce monde,
soit pour s’éloigner du monde un peu plus tard 230 ». Tertullien
rapproche de même païens et chrétiens. Bien sûr! dit-il, es
chrétiens ne doivent pas se compromettre avec les païens, « mais,
poursuit-il, vivons avec tous. Réjouissons-nous ensemble dans la
communauté de nature, mise à part la superstition. Nous sommes
égaux, mise à part la discipline; possesseurs communs du monde,
mise à part l'erreur 231 ». Et cette idée philosophique de com-
munio naturae revient plusieurs fois 22. Il croit à l’unité de
l’espèce humaine 233, Dans son Apologétique, où il défendait les
chrétiens d’être une faction politique, il avait dit à ses desti-
nataires : « Nous formons une même société avec vous 234 » et il
avait lancé le mot fameux : « Nulle chose ne nous est plus étran-
gère que la chose publique. Nous ne reconnaissons à tous qu’une
seule république, le monde 235, >» Minucius Félix, toujours proche
de Tertullien, prend la défense des gens pauvres et grossiers,
parce que « tous les hommes sans distinction d’âge, de sexe, de
dignité, sont doués par naissance de raison et de sensus 236 ».

226. Protr., 88, 3.


227. Paed., I, 31, 2.
228. Das Hauptproblem der Sozialethik in der neueren Stoa und im Urchris-
tentum, Gütersloh, 1935. Le ch. 1, consacré à l’égalité des hommes, oppose pré-
cisément les thèses stoïcienne et chrétienne, surtout p. 19-24.
229. Ce problème sera traité dans la partie suivante (ch. IX).
230. Demetr., VIII, CSEL IX, 1, 356, 16-20; cf. XIX, CSEL III, 1, 364, 17-24;
Mortal., VII, CSEL HI, 1, 301, 11-27.
231. Idol., XIV, CSEL 20, 46, 16-19.
232. Marc., 1, 10, CSEL 47, 303, 6; IV, 16, CSEL 47, 471, 19.
233. Test. an., VI, 3, CSEL 20, 142, 24; Nat., IX, 5, 17.
234. Apol., XLI, 5.
235. Ibid., XXXVIIX, 3.
236. Oct., XVI, 5.

256
PROBLÈME THÉORIQUE
+

Mieux encore! Il affirme qu’on ne peut connaître l’homme et


administrer la cité, sans connaître l’ensemble, « la cité commune
à tous, qui constitue le monde 237 ».
Chez les Pères africains, l’idée de communauté humaine
trouve un emploi inattendu. Elle sert à justifier les malheurs des
chrétiens. Tertullien explique ainsi que Dieu « ne précipite pas
avant la fin du monde le triage qui est la condition du juge-
ment 238 ». Saint Cyprien précise beaucoup cette idée. Certains
s’étonnent que nous ayons en commun tous les accidents géné-
raux. Mais € y a-t-il quelque chose en ce monde que nous
n’ayons pas en commun avec les autres, tout le temps du moins
que cette chair nous reste commune, selon la condition de la
naissance première ?.… tout le temps que nous portons dans le
monde cette chair commune 239 ? » « Par suite de notre com-
mune condition corporelle. nous sommes contenus, bons ét
mauvais, à l’intérieur d’une seule maison 240, »
Enfin, dans les Constitutions Apostoliques, la terminologie
même exclut l'hypothèse d’une influence paulinienne et porte
une teinte philosophique. Ce texte, qui fait précisément appel à
la loi naturelle 241, présente l’homme, et pas seulement le chré-
tien, comme citoyen du monde : « Au temps de la création, tu
disposas le vivant raisonnable, le cosmopolitès 242, » Ce dernier
mot, cher à Philon déjà et aux philosophes de l’époque ?2#à, revient
plusieurs fois 24 et le contexte souligne que l’homme est l’habi-
tant du cosmos. La thèse de l'égalité foncière des hommes,
appuyée cette fois sur la nature, et cette ouverture de l’individu
sur le monde entrent parfaitement dans la philosophie contem-
poraine à dominante stoïcienne.
En somme, l’influence du stoïcisme sur la morale théorique est
capitale et cette influence apparaîtrait mieux encore, si nous
avions fait la quête des définitions. Très souvent, les Pères ont
établi en système des idées conformes à la Bible, mais qui ne s’y
trouvent qu’implicitement ou passagèrement : la nécessité de
l’apathie, la théorie de la liberté, de la loi naturelle, du cosmo-
politisme. Toutes semblent partir d’une même confiance dans
les forces naturelles de l’homme. Souvent elles s’apparentent au
stoïcisme essentiel et antique.

237. Oct., XVII, 2.


238. Apol., XLI, 3.
239. Mort., VIII, CSEL III, 1, 301, 11-27.
240. Demetr., XIX, CSEL III, 1, 364, 17-24. L'expression « genre humain »
se trouve dans cette citation. Elle est familière à l’auteur (ibid., V.….., 354,
10; 13).
241. VIIL, 12, 17-18; VIIL, 9, 8.
242. VII, 34, 6. )
243. Cf. À. J. Fesruciène, La Révélation d'Hermès Trismégiste, t. 1,
p. 273-274.
244. VII, 39, 2; VIII, 12, 16.

257
LA VIE MORALE

II. MORALE PRATIQUE ET DIATRIBE

Tendance générale. Il est curieux de constater que l’in-


fluence du stoïcisme sur la morale
pratique des Pères est capitale, mais qu’elle s’exerce non plus
par les auteurs anciens, mais par les auteurs contemporains.
Cette fois nos Pères baignent directement dans les doctrines de
leur temps. Cette influence s’est traduite de manière très variée
et sur un plan très vaste. Il faudrait rappeler d’abord certaines
tendances rigoristes, déjà souvent signalées dans l’étude de la
morale théorique. Cette indifférence aux biens matériels que l’on
rencontre partout, avec l’idéal d’apathie, se range parfaitement
dans le stoïcisme de l’époque. Un Aristide, un Justin, un Tatien,
un Athénagore, un Tertullien, un Clément d’Alexandrie — et
saint Cyprien lui-même —, tous les Pères en somme, pour peu
qu’ils aient touché à la morale, sont des rigoristes et mériteraient
l'avertissement que Novatien s’attirait de la part de saint Cyprien
pour sa discipline sévère et son refus du pardon : « Autres sont
les principes des philosophes et des Stoïciens, qui disent que
tous les péchés sont égaux et qu’un homme sérieux ne doit pas
facilement se laisser fléchir. Entre les chrétiens et les ‘philo-
sophes, il y a bien de la distance. » Mais il est difficile de
donner à cette atmosphère rigoriste une marque précise.

1 LA DIATRIBE

L'objet. L'influence est plus précise dans


l’utilisation des thèmes, que l’on
retrouve dans toute la littérature de l’époque et qui font l’objet
de la diatribe. Là surtout les Pères sont directement en dépen-
dance de leur temps. Quand Tertullien ?, Cyprien 3 et Clément,
tout au long du Pédagogue, dénoncent le maquillage et écartent
même la teinture des étoffes parce qu’on n’altère pas l’œuvre de
Dicu, leur zèle saint leur vient plus de la morale contemporaine

1. Ep., LV, xvi, 1, éd. BAYARD, p. 141; cf. LX, 111, 1..., p. 192.
2. Pall., IV, 2; Cult. fem., I, 8, CSEL 70, 68, 1-12.
3. Hab. uirg., XV, CSEL III, 1, 198, 4-24; Laps., XXX, CSEL IX, 1, 259,
17-25; VI..., 240, 17-19.

258
LA DIATRIBE

d’un Musonius que de la Bible. La distinction du vrai et du


faux philosophe, rencontrée plus haut, est un lieu commun.
Le mépris des spectacles, qu’on trouve à la fois chez Tatien #,
Théophile d’Antioche 5, Minucius Félix 6, Tertullien 7, Cyprien8
et Novatien %, est un thème de diatribe. Les développements sur
la nourriture, la boisson, les habits, les parfums, les fleurs, le
sommeil, les bains, souvent communs à Tertullien, Minucius
Félix, Cyprien et Clément, appartiennent à la diatribe, Là encore
on peut dire que tous les Pères ont subi l’influence de cette
« casuistique du quotidien 10 », qui triomphe avec le Pédagogue
de Clément d’Alexandrie.

Les fins du mariage. On pourrait examiner en détail


tous les lieux communs de la dia-
tribe. Deux thèmes nous suffiront, qui paraissent parmi les plus
célèbres : la morale conjugale et le portrait du Sage. Les lois du
mariage reviennent chez tous les écrivains ecclésiastiques 11 et
sont toujours interprétées à peu près dans le même sens, avec
une relative rigueur. D’abord les deuxièmes noces y sont jugées
avec plus de sévérité que chez saint Paul. C’est le cas de Clément
d’Alexandrie 12 et de Minucius Félix 13, Tertullien a toujours été
rigoriste également. Dès son traité Ad uxorem, il déconseille les
secondes noces, qui dans le De exhortatione castitatis constituent
« une espèce de stupre 14 ». I1 devient Montaniste et sa tendance
morale va s’aggravant, jusqu’à considérer -le mariage même
comme un mal, un moindre mal. Ainsi dans le De monogamia et
le De pudicitia. Mais déjà Athénagore annonçait sa rigueur et
parlait, au sujet du remariage, d’ « adultère secret », « adultère
décent 15 », On peut voir dans ce durcissement des positions de

4, Orat., XXII-XXIV.
5. Autol., IIX, 15.
6. Oct., XXXVII, 11-12.
7. Spect., III; XXX et passim.
8. Donat., VIII, CSEL III, 1, 9, 15-10, 23.
9. Spect., V, 1-4, éd. BOULANGER, p. 104-105.
10. J. STELZENBERGER, Die Beziehungen.…., p. 452. Le contexte offre une série
de parallèles Pères-Diatribe, p. 453-459. Nous en avons exploité quelques-uns
dans la première partie de ce travail, pour montrer qu’il s’agit non seulement
d'influence, mais de véritable emprunt littéral.
11. Ce point de morale a fait l’objet d’études particulières : H. PREISKER,
Christentum und Ehe in den ersten drei Jahrhunderten, eine Studie zur Kul-
turgeschichte der alten Welt, coll. Neue Studien zur Gesch. der Theol. in der
Kirche, Bonwetsch-Seeberg, 23, Berlin, 1927. K. PREYSING, Ehezweck und zweite
Ehe bei Athenagoras, in Theologische Quartalschrift, 110, 1929, p. 85-110.
J. SrELZENBERGER, Die Beziehungen.…., ch. x11, La morale sexuelle, p. 403-447,
surtout p. 417 et sq.
12. Str., IIL, 4, 3; 74, 2; 82, 3-4; 88, 4.
13. Oct., XXXI, 5.
14. Exhort. cast., IX, CSEL 70, 141, 2-3.
15. Leg., XXXIII.

259
LA VIE MORALE

saint Paul une influence philosophique de Sénèque ou de Marc-


Aurèle. ER
Les fins du mariage sont aussi rappelées sans cesse. « Nous ne
contractons mariage que pour avoir des enfants », dit saint
. Justin 16, après Aristide 17, Athénagore n’est pas moins exclusif
et il interdit expressément les relations avec la femme enceinte :
on ne sème pas dans un champ ensemencé 18, Minucius Félix 19
et Tertullien 2 maintiennent cette tendance, qui s'étale longue-
ment chez Clément d'Alexandrie 21, N’a-t-il pas consacré un long
développement à la matière, où il fait directement appel à la
morale du Portique : sur la procréation 22, pour rappeler qu’il est
illégal de poursuivre le seul plaisir dans le mariage 28 ? Dans
cette insistance sur la moralité du mariage beaucoup plus que sur
son aspect sacramentel et dans la solution rigoriste qu’on apporte
généralement au problème des relations conjugales, on ne peut
pas ne pas voir une influence de la philosophie populaire à ten-
dance stoïcienne 24,

Le Sage. La perfection de la moralité stoi-


cienne, depuis l’origine jusqu’à
l’époque impériale, s’incarne dans le Sage, cet homme sans
passions, plein de science et de vertu, dont l’action, totalement
intériorisée, est indifférente à l’accueil extérieur comme aux
circonstances matérielles, le personnage que prétendaient être
les philosophes ambulants, dépeints par les écrivains païens ou
chrétiens. On trouve partout épars ces traits du Sage chez les
auteurs chrétiens, mais deux Pères ont directement repris le
thème. C’est Tatien, qui proclame :

Je ne veux pas régner, je ne veux pas être riche, je dédaigne les


honneurs militaires, je hais la débauche, je n’ai cure de naviguer pour
assouvir ma cupidité, je ne concours pas pour recevoir des couronnes,
j'ai renoncé à la folle gloire, je méprise la mort, je suis au-dessus de
toutes les maladies, le chagrin ne dévore pas mon âme. Si je suis
esclave, je supporte la servitude; si je suis libre, je ne tire pas fierté
de ma naissance. Je vois que le soleil est le même pour tous, et que
la même mort menace chacun, qu’il jouisse ou soit misérable. Le riche

16. I Apol., XXIX, 1.


17. Apol., XV, 4; 6.
18. Leg., XXXIII.
:19. Oct., XXXI, 5.
20. Væor., I, 2, CSEL 70,98, 2-3; Exhort. cast., XII, en entier.
21. Str., II, 143, 3-144, 1; III, 72, 1; Paed., II, 83, 1-4; 102, 1.
22. Paed, II, x.
23. Ibid., 92, 2.
24. K. PreysiNG, Ehezweck…., p. 95-97, Par exemple, Musonius écartait
comme illégal de poursuivre le seul plaisir dans le mariage (éd. Hense,
p. 64, 3-4).

260
LA DIATRIBE

sème et le pauvre a sa part de la même moisson; les plus riches


meurent, les mendiants voient leur vie circonscrite dans les mêmes
limites. Les riches ont plus de besoins, et par leur désir d’obtenir du
crédit ils s’appauvrissent, au sein de la gloire, tandis que l’homme très
modéré, qui conforme ses désirs à son état, se tire plus facilement
d’affaire *%,

C’est là un portrait du Sage à peine christianisé. Clément a


poussé plus loin encore l’imitation, quand il a dépeint son chré-
tien modèle ou le gnostique proprement dit. Il y a consacré une
longue partie du livre II de ses Stromates (ch. x1x-xx) 26 et du
livre IV (ch. xxI-xxvi). Il y est souvent revenu aux livres VI et
VII 27, Son chrétien est dépourvu de passions, doué d’une science
exceptionnelle qui fait sa vertu, indifférent aux vicissitudes du.
monde 28, Souvent Clément n’a fait que démarquer Musonius ou
quelque Stoïcien, en de longs passages où il remplace les termes
sage, vertueux, philosophe, raisonnable, par chrétien 2, quand il
ne l’oublie pas pour laisser tel quel le mot sage 8, Evidemment,
cet idéal est profondément stoïcien 31. Cependant il s’y mêle des
éléments platoniciens et le terme de la vertu pour Clément est
l’union à Dieu dans la contemplation. Plus précisément, le gnos-
tique est animé d’un esprit chrétien, qui s’ouvre sur l'infini; son

25. Orat., XI, trad. PUECH.


26. Ces textes sont analysés par K. PRUEMM, Glaube und Erkenninis in
zweîten Buch der Stromata des Klemens von Alexandrien, in Scholastik, 12,
1937, p. 17-57.
27. G. BARDY a groupé de nombreux textes de Clément sur le gnostique dans
Clément d'Alexandrie, coll. Les moralistes chrétiens, Paris, 1926, p. 246-312.
I1 ne faut pas oublier le fameux opuscule intitulé Le gnostique de saint Clé-
ment d'Alexandrie, éd. P. DuDpon, Paris, 1930, œuvre de Fénelon réfutée par
Bossuet (P. Dupon, De qui est « le gnostique » réfuté par Bossuet en 1694 ?,
in Rev. d’Asc. et de Myst., VIII, 29, 1927, p. 161-169), qui, selon P. Dudon,
voit le gnostique avec les yeux de Molinos (La gnose de Clément d'Alexandrie,
interprétée par Fénelon, ibid., p. 300-312). Mais il faut recourir désormais à
l’œuvre magistrale de W. Voeiker, Der wakhre Gnostiker nach Clemens
Alexandrinus, Berlin-Leipzig, 1952, surtout p. 507-609.
28. J. LEBRETON a noté une évolution dans la notion du gnostique du livre IV
aux livres VI et VII; de fidèle parfait doué d’apathie, il devient une espèce
. d’ange, séparé des fidèles jusque dans l’autre monde (La théorie de la con-
naissance religieuse chez Clément d’Alexandrie, in Rech. de Sc. Relig., 18,
1928, p. 457-488, surtout p. 479-484). .
29. J. STELZENBERGER a rangé ces pages de Clément dans le chapitre xiv de
ses Beziehungen… sous le titre : Paraphrases chrétiennes d’écrits stoïciens,
p. 472-508. On y trouvera les références à Musonius, qu’il nous a paru inutile
de reproduire ici. Cf. aussi, ibid., ch. var, L’idéal du Sage, p. 277-306.
30. Il emploie souvent le mot sage, pour l’appliquer à Moïse (Str., 1, 168, 4;
II, 21, 1) ou à l’homme qui entre dans le plan de Dieu (ibid., 11, 20, 1; II, 99,
3, etc.).
31. L’influence stoïcienne est signalée partout, dans J. STELZENBERGER, loc.
cit.; dans W. Voezxer, Der wahre Gnostiker, p. 507-521, maïs l’auteur dégage
plutôt l'originalité chrétienne du gnostique; dans C. MErKk, Clemens Alexan-
drinus in seiner Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig, 1899,
p. 69-76, qui ne fait cependant aucun rapprochement textuel; dans A. STOECKL,
Geschichte der christlichen Philosophie zur Zeit der Kirchenväter, Mayence,
1891, p. 105-111.

261
LA VIE MORALE

désir n’est pas étouffé, mais comblé 22, et n’arrive à se satisfaire


que par la grâce, ajoutée à l’effort moral 33. Cette conception
chrétienne du Sage se retrouvera, réalisée, dans le moine du
désert, dont tant de traits moraux et religieux évoquent le
Stoïcien 54,

2. INFLUENCE TEXTUELLE

Nous avons montré dans la première partie de cette thèse que


les Pères sont, dans le domaine moral, des témoins du stoïcisme
contemporain. Clément, en particulier, nous a gardé de longs
textes de Musonius. A côté de cet emprunt proprement dit, il est
d’autres cas où l’influence dépasse le domaine de l’idée et va
jusqu’aux mots, sans qu’on puisse cependant parler d'emprunts
littéraux. Les auteurs profanes ainsi utilisés sont, avec Musonius,
surtout Sénèque et Epictète.

Cyprien, Minucius Félix


Les contacts de saint Cyprien
et Sénèque. avec l’œuvre de Sénèque ont été
signalés — et bien exagérés —
par H. Koch 35. Les rapprochements qu’il aligne ne sont guère
convaincants. Souvent l’idée est la même des deux côtés, mais
on la retrouverait aussi bien chez tous les moralistes et l’on
retombe dans les lieux communs de la philosophie populaire; il
ne s’agit peut-être jamais d’une influence littérale. Qnelques cas

32. La remarque est de E. GiLzsoN-P#. BOEHNER, Die Geschichte der christ-


lichen Philosophie, Paderborn, 1937, p. 33. La comparaison entre le chrétien et
le Stoïcien, en dehors du contexte de Clément, a été faite, dès 1858, par
E. GRAMMONT, Le stoïcien et le chrétien, Montauban. A. J. FESTUGIÈRE a
montré la transcendance de la sainteté chrétienne en un article impression-
nant : Le sage et le saint, in La Vie Intellectuelle, 27, 1934, p. 390-408, et
dans La Sainteté, coll. Mythes et Religions, Paris, 1942.
33. Tu. RuzTHER, Die sittliche Forderung der Apatheia…., p. 82-87; cf. p. 9.
J. DUMORTIER reprend cette position et la démontre à son tour au sujet du
Pédagogue (Les idées morales de Clément d'Alexandrie dans le Pédagogue, in
Mélanges de Sc. Relig., 11, 1, 1954, p. 63-65; 69-70).
34. Pour l’étude de l’influence du Sage sur le moine, de l’Enchiridion
d’Epictète en particulier, cf. J. STELZENBERGER, Die Bezichungen.…., ch. vint,
p- 277-306, et x1v, p. 472-508. Pour une comparaison systématique, cf. A. BRÉ-
MOND, Le moine et le stoïcien, le stoïcisme et la philosophie du désert, in
Rev. d’Asc. et de Myst., VIII, 29, 1927, p. 26-40. Pour une étude positive des
sources dans un cas précis, cf. Dom D. AmAnn, L'’ascèse monastique de
saint Basile, Essai Historique, Maredsous, 1948, qui signale à plusieurs
reprises l'influence stoïcienne. Cependant L. Bouyer, La Vie de saint Antoine,
essai sur la spiritualité du monachisme primitif, Saint-Wandrille, 1950, sou-
ligne que l’apathie qui « deviendra, surtout avec Evagre, le nœud de toutes
les vertus monastiques » (p. 60-61), n’est pas encore mentionnée dans la Vita
Antonii (milieu du IVe siècle). « Il est remarquable, dit-il, que le terme soit
absent de la plus ancienne littérature monastique égyptienne » (p. 61, n. 2).
35. Cyprianische Untersuchungen, Bonn, 1926, p. 289-310.

262
LA DIATRIBE

acceptent cependant l’hypothèse. « Tam ille timere cogitur, quam


timetur », dit Cyprien #6, et Sénèque : « Adiice nunc quod qui
timetur timet 37. » Cyprien, dans un texte déjà utilisé, montre
que nous avons tout en commun avec les esclaves : « Eadem sors
nascendi, conditio una moriendi, corporum materia consimilis,
animarum ratio communis, aequali iure et pari lege uel ueniatur
in istum mundum uel de mundo postmodum recedatur 38 », alors
que Sénèque avait dit: « Vis tu cogitare istum, quem seruum
tuum uocas, ex isdem seminibus ortum, eodem frui caelo, aeque
spirare, aeque uiuere, aeque mori %, » Le rapprochement évidem-
ment est possible, mais il est plus dans les idées que dans les
mots et peut s’expliquer par la communauté de milieu culturel.
Minucius Félix a de même été rapprochéde Sénèque, par
F. X. Bürger 40, Dans l’Octauius il dit : « Vnde enim Deus longe
est, cum omnia caelestia terrenaque et quae infra istam orbis
prouinciam sunt, Deo cognita plena sint ? Vbique non tantum
nobis proximus, sed infusus est. » Puis il parle du soleil « qui
se mêle à tout » et il poursuit : « Quanto magis Deus auctor
omnium ac speculator omnium », puis il passe au domaine des
pensées, objet de cette vue universelle de Dieu 41, Et Sénèque de
son côté : « Prope est a te Deus, tecum est, intus est. Ita dico,
Lucili : sacer intra nos spiritus sedet, malorum bonorumque
obseruator et custos », et il prend lui aussi la comparaison du
soleil 42, Au chapitre xxxvi de l’Octauius, consacré au thème de
la pauvreté, pièce de choix pour la Diatribe, l’auteur dit: « Magis
pauper ille est, qui, cum multa habeat, plura desiderat 43, » Et
Sénèque : « Non qui parum habet, sed qui plus cupit, pauper
est 44, >» Minucius Félix dit encore : « Aues sine patrimonio uiuunt
et in diem pecua pascuntur #5 » et Sénèque : « Nihil deest auibus,
pecora in diem uiuunt 46, »
Enfin nos trois auteurs se retrouvent dans une même compa-
raison. Minucius Félix dit: « Rex unus apibus, dux unus in
gregibus. 47, » Saint Cyprien reprend : « Apes habent regem et

36. Donat., XIII, CSEL IIL, 1, 14, 15-16.


37. Ep., CV, 4. Cf. Oct., XXXVII, 9 : « Tam times quam timeris. »
38. Demnetr., VIII, CSEL II, 1, 356, 16-20.
39. Ep., XLVII, 10.
40. Ueber das Verhältnis des Minucius Felix zu dem Philosophen Seneca,
Munich, 1904. Cf. correctif de P. COURCELLE, Virgile et l’immanence divine
chez M. Félix, dans Mullus, Festschrift Klauser, Munster-en-W., 1964, p. 35.
41. Oct., XXXII, 7-9.
42. Ep., XLI, 1-2 et 5.
43. Oct., XXXVI, 4.
44. Ep., IL, 6.
45. Oct., XXXVNI, 5.
46. De remed. fortuit., X, 1.
47. Oct., XVIII, 7. Déjà supra, n. 36-37, les trois auteurs se rencontrent.

263
LA VIE MORALE

ducem pecudes et fidem seruant #8, » Mais Sénèque les précédait


l’un et l’autre, en déclarant : « Rex unus apibus, dux unus in
gregibus, in armentis rector unus 42. »
F. X. Bürger, comme H. Koch, est très sensible à ces rappro-
chements et à beaucoup d’autres encore, moins probants. Ils
semblent pourtant pouvoir se réduire, pour la plupart, à des ren-
contres accidentelles, Les expressions communes sont presque
toutes proverbiales ou objet de lieux communs. Il ne paraît pas
possible d’en établir la paternité précise 50,

Une source possible : Au contraire, un fait peut impres-


le De prouidentia sionner, que ces auteurs n’ont pas
de Sénèque. remarqué. C’est le grand nombre
de rencontres avec un traité précis
de Sénèque, le De prouidentia. Saint Cyprien décrit la mollesse
du paresseux insouciant à peu près dans les mêmes termes que
Sénèque dans le De prouidentia :

SAINT CYPRIEN SÉNÈQUE


Bibat licet gemma, et cum epulis Mero se licet sopiat…. tam uigi-
marcidum corpus torus mollior labit in pluma quam ille in cruce..
alto sinu condidit, uigilat in hunc uoluptatibus marcidum.….
pluma ", vexat 5.

Les deux auteurs se rencontrent encore plus littéralement dans


l'expression suivante :

SAINT CYPRIEN SÉNÈQUE


Gubernator in tempestate dinos- Gubernatorem in tempestate, in
citur, in acie miles probatur ®. acie militem intellegas ‘%#,

Minucius Félix semble s'inspirer du même traité. Dans l’homme


qui lutte contre le mal et la fortune, il voit « un spectacle digne
de Dieu 55 », expression de Sénèque 56. Lui aussi, comme Clément

48. Ep., LXVI, vi, éd. BAyARD, p. 224.


49, De clem., I, 19, 2.
50. I1 faut faire la même remarque sur un rapprochement possible entre
Sénèque (Ep., LXXI, 31) et Clément (Paed., I, 78, 1), où la pénétration des
vertus dans l’homme est comparée à l’action des colorants sur les laines,
51. Don., XII, CSEL III, 1, 13, 24-26.
52. De prou., II, 10.
53. Mort., XII, CSEL IIL, 1, 304, 19-20.
54. De prou., IV, 5.
55. Oct., XXXVII, 1.
56. De prou., II, 7-8.

264
LA DIATRIBE

à l'égard de Musonius, semble parfois démarquer ce traité. Son


chrétien ressemble au Sage du Stoïcien :
. Mnuaus FÉLix SÉNÈQUE
Miser uideri potest; non potest Potest enim miser dici, non
inueniri %. potest esse ®,

Au chapitre xxxvi de l’Octauius, les rapprochements se multi-


plient et vont fréquemment jusqu'aux mots.
Minucius FÉLIx SÉNÈQUE
Nemo tam pauper potest esse Nemo tam pauper uiuit quam
quam natus est ®. natus est ®,
Non est paena, militia est. cala- Non est saeuitia, certamen est,
mitas saepius disciplina uirtutis quod quo saepius adierimus, for-
est Vires… sine laboris exerci- tiores erimus*. Nimia felicitate
tatione forpescunt *, torpescunt ®.

Là, les rapprochements s’accumulent au point qu’on peut sup-


poser à bon droit que nos auteurs ont subi l’influence du texte
de Sénèque.

Clément et PRIE Pour Epictète aussi, il faut recon-


naître que Clément s’est servi du
texte même. Il ne l'a pas retranscrit, comme celui de Musonius,
mais il s’en est profondément inspiré. Mettons quelques textes
face à face.
Paed., I, 100, 2, p. 150, 5-6. Epictète, éd. H. ScHENKL, fr. 19.
TG pèv oùv larpg où5èv…. supéou- TS pèv larp® unôèv auu6ouetov-
heovrt dyboyrar 0! XAHVOVTES, tt SxBovtat oi xéuvovtec.

Paed., III, 39, 1, p. 259, 12-13. Epictète, Ench., 39.


Mérpov ôè xadanep © moùç toù Üro- Métpov xThoEewÇ Td SOU ÉxASTY
ôuatos, oÙtus 4al The xTÂSGEUWS üç © moùç ÜroÔÉuaTos.
Éxæotou td coua.
Paed., I, 88, 1, p. 141, 19-21. Epictète, Dissert., II, 14, 21.
“Qc yèp To Écontpov r$ aicxpS où Ei ph xai T0 Écontpov t@ alcyp®,
- manbv, Br BerxvÜer aÙTdv ol6« Otu etmyUer aûTdv avt® olbç ÉcTtv*
Éott, xai &ç 6 larpôc To vosoüvtt el ph xai 6 latpôc Tèv vosodvra
où xaxdç 6 TÜV nuperdv dvayyéhwv aÿ- d6plter, Ürav ein aÿt® : dyôpune,
to. Soxeïs unôèv Éxeuv, mupéooets dè..

57. Oct., XXXVII, 3.


58. De prou., II, 1.
59. Oct., XXXVI, 5.
60. De prou., VI, 6.
61. Oct., XXXVI, 8.
62. De prou., IV, 12.
63. Ibid., IV, 6..

265
LA VIE MORALE

Les deux rapprochements, qui ont pour objet des expressions


proverbiales, pourraient être encore des rencontres accidentelles,
mais le troisième ne semble pouvoir s’expliquer que par un
recours au texte. Clément, qui avait une si bonne connaissance
de Musonius, s’est inspiré également d’Epictète.
La conclusion s'impose. Les moralistes chrétiens ont une
lourde dette à l’égard de la philosophie, surtout stoïcienne. Leurs
thèses de morale générale sont souvent empruntées aux philo-
sophes du Portique, et, de préférence, aux grands classiques du
stoïcisme, Zénon et Chrysippe. Ce sont, en particulier, les notions
de vertu autarcique, d’apathie, de droite raison, de connaissance
vertueuse, de loi naturelle et universelle. Leurs conseils pra-
tiques s’inspirent plus souvent de la morale contemporaine. Les
Pères développent les mêmes thèmes, se servant des mêmes
expressions. Toute leur morale porte la marque du milieu, savant
ou populaire, où ils ont baigné. Cependant ils n’ont pas trahi pour
autant l'originalité du message chrétien. Clément d’Alexandrie
qui a le plus subi l'influence du Portique, jusqu’à nourrir un intel-
lectualisme dangereux, apporte l’enseignement le plus évangé-
lique et le plus surnaturel.

CONCLUSION

La philosophie stoïcienne a vraiment exercé sur l’anthropo-


logie chrétienne des deux premiers siècles et sur tous les pro-
blèmes de l’homme une influence multiple et profonde. Elle a
contribué à faire adopter une division de l’homme en corps et
âme, qui se retrouve à peu près partout, mal accordée parfois à
d’autres notions et surtout à la foi en la présence de Dieu par
grâce. Elle a proposé une doctrine psychologique qui a pénétré.
jusque chez les auteurs les plus platonisants, leur imposant soit
son matérialisme, soit sa théorie des divisions de l’âme. Elle a
moins influencé la philosophie de la connaissance et n’a jamais
imposé son système en ce domaine, mais elle a mis partout sa
marque, mêlée à beaucoup d’autres marques. Enfin, dans le
domaine moral, son influence est primordiale et se laisse pré-
ciser, Le stoïcisme antique a fourni au christianisme une série
de concepts et de théories; le stoïcisme contemporain lui a dicté
— et jusque dans les mots — sa morale pratique. Ces données
sont parfois adaptées ou transposées, mais le stoïcisme est partout
reconnaissable et sa place, au total, est bien grande aux premiers
siècles de l'Eglise dans toutes les questions qui concernent
l’homme.
TROISIÈME PARTIE

DIEU
CHAPITRE HUITIÈME

LE PROBLÈME DE DIEU

Le problème religieux. Le Dieu des Stoïciens n’est pas un


maître extérieur à l’homme et au
monde. C’est une force rationnelle — et cependant corporelle —,
qui pénètre tout de l’intérieur, jusque dans les moindres détails,
mais n’est Dieu, à proprement parler, que dans sa source toute
pure, située selon Zénon au ciel, et plus précisément dans le
soleil selon Cléanthe. De là, Dieu dirige et anime le cosmos par
son preuma partout répandu. Il est ainsi la Providence en même
temps que la loi du monde, Providence essentiellement cosmique,
qui n’est pas directement axée sur l’homme et a pu paraître
écraser l’être humain dans ses vastes rouages, à ceux qui
oubliaient que l’homme appartient au cosmos et en constitue un
centre. Avec ce Dieu intérieur à leur être, et non pas lointain
comme le Dieu de Platon et d’Aristote, les Stoïciens, purifiant et
spiritualisant leur culte dès l’époque de Posidonius, en sont
venus à une intimité extraordinaire qui nous émeut encore à la
lecture de Sénèque, d’Epictète et de Marc-Aurèle, Finalement,
comme le dit A. Rivaud, se développe « dans le matérialisme le
plus radical l’image religieuse la plus exaltante 1 ».
Cette atmosphère religieuse se retrouve chez les Pères. Chez
Clément en particulier, on reconnaît l’accent même d’Epictète :
« Passant toute la vie comme une fête, dit-il, convaincus de la
présence de Dieu partout et en tout lieu, nous travaillons la terre
en le louant, nous naviguons en lui chantant des hymnes?2. »
« Toute la vie du gnostique est une fête sainte 3. >» On rencontre
la même insistance chez tous les Pères pour attaquer l’immoralité

1. Histoire de la Philosophie, t. 1, Des Origines à la Scolastique, Paris, 1948,


. 369.
F 2, Str., VIL 35, 6; Protr., 100, 4.
3. [lavñyupuc, Str., VII, 49, 3; cf. Paed., I, 22, 1. Epictète emploie les mêmes
expressions (Dissert., III, 5, 8-11), avec le mot ravñyvpts (LI, 5, 10). Pour une
étude sur cette tendance religieuse d’Epictète, cf. M. J. LaGRAnGr, La philo-
sophie religieuse d’Epictète et le Christianisme, à propos d’un livre récent,
in Rev. Biblique, 9, 1912, p. 5-21, 192-212. L’auteur répond au livre

269
° LE PROBLÈME DE DIEU
_ de la mythologie et de ses statues grossières ou le formalisme
des sacrifices qui n’expriment pas un cœur pur. Tous, comme
les Stoïciens, ont plaidé pour un culte spirituel, un culte raison-
nable, selon l’expression d’Athénagore 4 Reprenant un thème
plus que classique, avec Clément d’Alexandrie 5, le Quod Idola
s’écrie : « Mais quel temple Dieu pourrait-il avoir, lui qui a pour
temple le monde entier 6 ? »
Il n’est pas question d’invoquer ici une influence stoïcienne;
le christianisme peut expliquer cette attitude 7, mais il est remar-
quable que la piété des écrivains ecclésiastiques ait trouvé une
expression si bien accordée à la religiosité contemporaine. Il est
d’autres terrains qui semblent plus fermes pour établir une
influence précise : la conception de la nature divine et surtout les
preuves de l’existence de Dieu.

I LES PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU

A. LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE DE DIEU :


CONNAISSABLE OU INCONNAISSABLE ?

Le problème. Les Stoïciens demeurent devant la


postérité comme les philosophes de
l’existence divine. Ils en ont multiplié les preuves, comme leur
physique les y invitait. Puisque la raison humaine est de même
nature que le logos divin, la découverte de Dieu n’était, pour

d’An. BONHOEFFER, Epiktet und das Neue Testament, Giessen, 1911. I1 croit
à une influence du judaïsme et du christianisme sur Epictète. Plutarque aussi
s’écrie : « Chaque jour, pour l’homme de bien, n’est-il pas une fête ? » et
il attribue l’idée à Diogène (De tranquill. anim., 20, 477 c).
) 4. Ces idées sont familières aux Pères : Aristide, XIII, 4. Justin, I Apol.,
X, 1; XIII, 1-2; Dial, XIV, 2; XV, 1; 8; XIX, 2-3; XXII, 11. Tatien,
Orat., IV. Athénagore, Leg., XXIX; Res., XII, med. Théophile, Autol., I,
10. Orat. Graec., V. Diogn., IN, 3-5. Irénée, Haer., IV, xxix-xXxXI,
HARVEY II, p. 193-210. Clément, Protr., 1v en entier; Str., V, 67, 1-3; 74,
5-77, 2; VII, 14, 4-15, 4; 34, 2-4; 35, 3. Tertullien, Apol., XXX, 5-6; Scap.,
IL, éd. BinpLey, p. 130, 11-12; Jud., V, CSEL 70, 268, 40-269, 59. Octauius
XXXII, 2. Pour la plupart de ces références, cf. l’édition de l’Octauius de
M. PELLEGRINO, coll. Scrittori latini commentati per le Scuole, Turin, 1947,
p. 236-237. La même idée se trouve dans la philosophie contemporaine, par
exemple « sacrifice raisonnable » ou « spirituel » dans Corpus Hermeticum,
I, 31, éd. Nocs-FEsTUGiÈRE, p. 19; XIII, 18, p. 208; 19, ibid.; 21, p. 209; cf.
surtout dans le même volume, p. 27-28, n. 83.
5. Str., V, 76, 2.
6. IX, CSEL II, 1, 26, 11-12.
7. L’expression même }avpeiay Aoywmv est dans saint Paul (Rm., 12, 1).

270
< UE . L’'EXISTENCE DE DIEU
eux, que la reconnaissance du semblable par le semblable 1, De
plus, Dieu est immanent au monde et en constitue la force vitale.
Le cosmos en est le reflet, La preuve traditionnelle de l’existence
divine à partir de la nature trouvait donc ici un terrain de choix.
Les Stoïciens s’y sont tant attachés, qu’ils passent pour les initia-
teurs d’un authentique rationalisme déiste 2. Cependant d’autres
Stoïciens ont cultivé une autre tradition, Certains ont jugé Dieu
inconnaissable. « Cet agnosticisme, dit le P. Lebreton, se déve-
loppe sans doute au contact du néo-platonisme, mais il appartient
aussi au stoïcisme le plus authentique; on le trouve déjà chez
Ariston de Chio, le disciple de Zénon 3. >» On retrouve chez les
Pères cette double tendance, Tantôt, pour souligner la transcen-
dance de Dieu, ils le déclarent insaisissable; tantôt ils l’affirment
connaissable à partir de son œuvre.

Inconnaissable. Les Pères, volontiers, disent Dieu


« invisible aux yeux humains ».
C’est le cas de Tatien 4, d’Aristide 5, de Théophile d’Antioche 8. :
L’Octauius le dit inaccessible à la vue et aux sens 7 et, de ce fait,
inconnaissable 8, Tertullien parle de même ?. Clément est encore
plus affirmatif et plus précis; l’influence platonicienne a travaillé
aussi. « Le Dieu du tout, dit-il, qui est au-dessus de toute parole,
de toute notion et de toute connaissance, ne pourrait être confié
à l’écriture, étant indicible du fait de sa puissance 10, » Tout le

1. La vieille formule philosophique est appliquée à ce problème au sujet


de Tertullien par J. Srier, Die Gottes- und Logoslehre Tertullians, Gôttingen,
1899, p. 8. Mais l’auteur prend soin d’ajouter qu’en ce sens la théorie stoïcienne
de la connaissance naturelle de Dieu ne peut se retrouver identique chez
Tertullien et les Pères, qui professent la transcendance divine (p. 11). L
2. E. ErorDuY dit aussi que « le stoïcisme se préoccupe de donner à la
religiosité un fondement scientifique ». Devant la classification des dieux
antiques et leur interprétation comme forces naturelles, il déclare : « Nous
tenons ce schéma et l’œuvre bâtie là-dessus pour le plus grand effort de .
l’antiquité afin de réconcilier la foi avec la science et assurer le respect de
la philosophie à l’intérieur de la religion » (Die Sozialphilosophie der Stoa,
Leipzig, 1936, p. 225).
3. Histoire du dogme de la Trinité, t. 1, p. 34; cf. J. GEFFCKEN, Zwei grie-
chische Apologeten, Leipzig, 1907, p. 35, qui donne plusieurs références. Cepen-
dant H. À. Worrson attribue la notion d’un Dieu ineffable à Philon et prouve
que cette notion était inconnue avant lui (Philo, Foundations of religious
philosophy in Judaism, Christianity and Islam, Cambridge-Mass., 1947, t. II,
p. 111-115). Le Corpus Hermeticum insiste beaucoup sur le Dieu ineffable
(cf. A. J. FEsTUGIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. IV, Le Dieu
inconnu et la gnose, Paris, 1954, p. 54-77, qui attribue la notion à une tradi-
tion platonicienne et pythagoricienne).
4. Orat., IN.
5. I, 2.
6. Autol., I, 3; 5.
7. Oct., XVII, 8.
8. Ibid., XVIII, 8-9.
9. Apol., XVII, 2-3.
10. Str., V, 65, 2; 71, 5.

271
LE PROBLÈME DE DIEU

chapitre x11 du V° livre des Stromates montre le Dieu « inacces-


sible et sans bornes 11 », qui nous échappe totalement, parce
qu’il est sans genre, sans différence spécifique, sans forme, sans
parties... 12, Justin résume cette tendance en répétant inlassa-
blement que Dieu est ineffable, indicible 18.
Les noms que nous lui donnons sont inexacts et incomplets.
Dieu « n’a pas de nom, dit déjà Aristide, car tout ce qui a nom
est compagnon de la créature 14 ». Justin ajoute : « Personne ne
peut donner un nom au Dieu ineffable; si quelqu'un osait dire
qu’il en a un, c’est qu’il est fou d’orgueil 15, » Minucius Félix dit
qu’il n’a de nom que Dieu16 et Clément d’Alexandrie, après
avoir affirmé qu’il est au-dessus de toute connaissance et de tout
nom, donne une précision intéressante : les noms que nous lui
attribuons ne sont que des aspects de sa puissance 17, Dieu
au-dessus de tout nom et de toute connaissance... Clément y voit
la justification des mystères et des symboles du christianisme !8,
Tous y trouvent la nécessité d’une révélation. Athénagore pro-
nonce le mot décisif : Dieu seul peut nous instruire de Dieu 19.
Clément reprend cette formule : Dieu « ne s’apprend pas des
hommes »; il est « connaissable par la seule puissance qui vient
de lui »; « la grâce de le connaître vient de lui par le Fils 20 ».

Connaissable dans Cependant Clément, dans le con-


une certaine mesure. texte, reconnaît qu’il est possible
de deviner Dieu par le raisonne-
ment 21, et Athénagore, en affirmant que « la divinité. se voit
uniquement par le noûs et le logos 22 », admet que Dieu est bien
saisissable par la raison 23. Aux yeux de l’apologiste, il y a donc

11. Str., V, 81, 3.


12. Ibid., 81, 4-82, 4.
13. 1 Apol., X, 1; I Apol., XII, 4; XIII, 4; Dial., CXXVI, 2; CXXVII, 4.
En ce qui concerne Justin, cf. J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité,
t. II, p. 412-415. L’auteur explique en quel sens Dieu est ineffable, en opposant
la connaissance philosophique de Dieu à la connaissance religieuse, inacces-
sible à la raison.
14. I, 5.
15. 1 Apol., LXI, 11; LXIIL, 1; 11 Apol., VI, 1-3.
16. Oct., XVIII, 10.
17, Str., NV, 81, 4-82, 4; cf. Justin, II Apol., NI, 2.
18. Str., V, 65, 4.
19. Leg., VII, c. med.
20. Str., V, 71, 5. Par « la grâce divine et le seul Verbe », dit-il encore
({bid., V, 82, 4).
21. Ibid., V, 74, 2.
22. Leg., IV; X; XXIII.
23. Ibid., IV, c. fin. « Notre raison conclut à un Dieu unique, le créateur de
ce tout. » Ne faut-il pas entehdre ainsi 6 À6yos uv... yet, d’après le
contexte, et non pas : « Notre doctrine professe », comme traduit G. BaAnDy
(éd. Sources Chrétiennes, p. 81) ?

272

L'EXISTENCE DE DIEU
vraiment un dieu de la science, de la philosophie, qui, invisible,
transparaît dans ses œuvres 24, Tatien aussi le dit saisissable dans
l'œuvre qu’il a réalisée pour l’homme #5. Tertullien, tout en rap-
pelant que « l'infini n’est parfaitement connu que de soi-même »,
souligne, dans la forme antithétique qui lui est familière, les
deux aspects du problème : Inuisibilis est, etsi uideatur; incom-
prehensibilis est, etsi per gratiam repraesentetur; inestimabi-
lis, etsi humanis sensibus aestimetur 26. Obscurité et lumière
se mêlent 27, mais la lumière l’emporte : « C’est là le comble du
crime, refuser de reconnaître celui qu’on ne peut ignorer 28, »
Clément donne la même note: « Si les Grecs. ont énoncé
quelques points de vérité, ils témoignent bien que sa puissance
n’est pas cachée, mais ils avouent leur faiblesse, puisqu'ils ne
parvinrent pas au terme 2?, »
Avant Clément et Tertullien, Irénée avait dégagé mieux qu’eux
le conflit des deux vérités. Il disait de Dieu à l’égard des créa-
tures : « Sans doute il pouvait leur être invisible, à cause de sa
transcendance; mais il ne pouvait leur être inconnu, à cause de
sa providence 32, » En un langage encore plus laconique, il écri-
vait plus loin : « Il est invisible et ineffable pour toutes ses créa-
tures, mais non pas inconnu 81, » Et Irénée établissait là-dessus la
nécessité de l’illumination par le Verbe, qui vient suppléer à
l'insuffisance des facultés humaines, chez celui qui s’en rend
digne, révélation d’un Dieu d’amour, toute gracieuse, « accordée
par amour et départie plus libéralement à l’amour 82 ».

Moyens de connaissance. Comme on le voit, la connaissance


de Dieu, aux yeux des Pères, est
double : elle est le résultat de l’effort humain ou de la révélation
divine. La connaissance surnaturelle de Dieu par l’Ecriture ou

24. Leg., V, c. fin.


25. Orat., IN.
26. Apol., XVII, 2.
27. Ibid., XVII, 3; cf. XXI, 22.
28. 1bid., XNII, 3 : « Haec est summa delicti nolentium recognoscere, quem
ignorare non possunt. » Il vaut d’être noté que ce texte se retrouve littéra-
lement dans le Quod Idola : « Quae est haec summa delicti, nolle agnoscere,
quem ignorare non possis » (IX, CSEL III, 1, 26, 18-27, 5). Sur Dieu connais-
sable et inconnaïissable chez Tertullien, cf. J. Lontz, Tertullian als Apologet,
t. I, Münster-en-W., 1927, p. 224-230.
29. Protr., 74, 7.
30. Haer., II, 1V, 5, HARVEY I, p. 263.
31. Haer., IV, xxx1v, 6, HARVEY II, p. 218.
32. J. LeBRETON, Histoire du Dogme de la Trinité, t. II, p. 536. On trouvera
là une excellente étude sur la connaîssance de Dieu chez saint Irénée
(p. 527-539). Cf. une étude d’égale valeur du même auteur, La connaissance de
Dieu chez saint Irénée, in Rech. de Sc. Relig., 16, 1926, p. 385-405. Cette
connaissance qui « procède de l’amour » est rappelée, en particulier,
p. 391-394.

273
LE PROBLÈME DE DIEU

par l'Eglise est une notion évidemment toute chrétienne. Même


l’extase prophétique, autre moyen qui dépasse les possibilités de
l’homme, est dégagée chez les Pères de tout ce qui pourrait la
faire considérer comme une réussite humaine : « L’homme, de
lui-même, dit Irénée, ne voit pas Dieu. Mais lui, volontairement,
se laisse voir aux hommes, à ceux qui lui plaisent, quand il lui
plaît, comme il lui plaît 38. > On sent qu’irénée veut distinguer
cette expérience chrétienne de la contemplation philosophique,
fruit du travail humain. Et tous les Pères de l’époque ont souligné
à l’envi, comme nous l’avons vu chez Tertullien 84, le rôle de
lEsprit-Saint dans la prophétie proprement dite 55.
La connaissance de Dieu par Révélation, notion en quelque
sorte antihellénique par définition, présente donc peu d'intérêt
du point de vue philosophique. Au contraire, la connaissance
naturelle de Dieu, qui est une vieille notion grecque 56, offre
beaucoup de chances d’être passée de l’hellénisme au christia-
nisme. C’est à ce point que nous nous attacherons désormais.

B. LA CONNAISSANCE NATURELLE DE DIEU

Tous les Pères ont reconnu que les païens, les Grecs en parti-
- culier, possédaient au moins quelques bribes de vérité morale ou
religieuse. Tertullien, les opposant aux hérétiques, disait : « Les
païens en ne croyant pas croient, et les hérétiques en croyant ne
croient pas %7, » C’est au sujet de cette croyance partielle en Dieu
en dehors du christianisme que s’est posé surtout le problème de

33. Haer., IV, xxxiv, 5, HARVEY II, p. 216.


34. « Il quitte ses sens, fécondé précisément par une puissance divine »
(Marc., IV, 22, CSEL 47, 493, 1-4).
35. Sur la prophétie surnaturelle, rappelons les données essentielles. Le
Prophète est mû par l’Esprit-Saint (Athénagore, Leg., IX), qu’on appelle pré-
cisément « esprit prophétique » (ibid., X, c. med.; Justin, 1 Apol., XXXII,
2; 5; Hippolyte, Antichr., II, GCS I, 2 part., p. 4, 22); ou par le Verbe (Justin,
1 Apol., XXXVI, 1). L’Esprit-Saint parle en lui (Théophile, Autol., II, 33);
il est « l’instrument de la voix divine » (Clément, Str., VI, 168, 3). Il possède
en lui un ryeüua #eov (Athénagore, Leg., VII), il participe au Saint-Esprit
(Hippolyte, Dan., II, 2). La variété de ces expressions — et l’on pourrait les
multiplier à plaisir —, leur flottement autour de Verbe-Esprit, prouvent qu’il
ne faut pas chercher chez les Pères une théorie uniforme de l’inspiration
prophétique, moins encore une influence précise de la philosophie.
36. La connaissance de Dieu par l’ordre du monde et par la providence est
déjà bien définie dans les Mémorables de Xénophon, 1, 4; IV, 3; cf.
À. J. FESTUGIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. Il, p. 78. Pour un
exposé historique de cette argumentation (ordre du monde et téléologie), cf.
A. S. PrAsE, Caeli enarrant, in Harvard Theological Review, 34, 1941, p. 163-200.
Les Stoïciens s’y voient consacrer dix pages (p. 175-185) et les Pères ont leur
part (p. 191 sq). L’étude est forcément rapide.
37. Carn. Xti, XV, CSEL 70, 229, 32-33.

274
L'EXISTENCE DE DIEU
la connaissance naturelle de Dieu 88. Evidemment, les Pères ont
apporté à la présence de la vérité dans le monde hellénique des
explications variées et parfois naïves. La plus fréquente, c’est
l’utilisation de l’Ecriture Sainte par les auteurs profanes. Cet
argument est si répandu que Clément d’Alexandrie, l’humaniste,
s’en fait encore le défenseur en de longues pages des Stromates 39.
Viennent alors d’autres explications, ou philosophiques ou chré-
tiennes : l’illumination par le Verbe déjà présent chez les
païens 4, l’intervention des démons qui ont dérobé les prophé-
ties de l’Écriture, la contemplation du monde et de ses signes.
Derrière certaines de ces explications apparaissent des notions
philosophiques, qu’il faut essayer de dégager 41,

1. LES DEUX MOYENS NATURELS DE CONNAITRE DIEU

Pour les Stoïciens, le Logos-Dieu, unique et immanent au


monde, ne se communique pas à l’homme par révélation, du
haut d’un ciel extra-cosmique. Il se lit dans le monde et dans
ses énergies, qui sont les différents visages de Dieu divinisés par
les Grecs. Il se lit tout particulièrement dans l’harmonie du
cosmos, dans l’ordre immuable du ciel étoilé, dans les facteurs
naturels qui échappent à nos forces comme la foudre, dans
l’œuvre de cette providence qui est essentielle à Dieu comme la

38. Cette question de la connaissance naturelle pose aussi la question de


la rédemption universelle. Cf. L. CAPERAN, Le problème du salut des infidèles,
essai historique, Paris, 1912. Sur le témoignage de l’âme, p. 38-41 (pour
Tertullien et Minucius Félix). :
39. On sait que W. Bousser voit en ces pages un document utilisé par
Clément (Jüdisch-christlicher Schulbetrieb in Alexandria und Rom; Litera-
rische Untersuchungen zu Philo und Clemens von Alexandria, Justin und
Irenäus, Gôttingen, 1915, p. 205-218). « Dans les six premiers livres des
Stromates un corps étranger est devenu nettement visible », dit-il (p. 216).
« I1 redonne la pensée d’un de ses maîtres vénérés et l’a, tant bien que mal,
rapprochée de ses propres vues » (p. 218). Le rapprochement Platon-Moiïse
revient souvent chez Clément.
40. Cette explication, rendue si célèbre par saint Justin en une terminologie
stoïcienne, sera examinée infra, ch. IX.
41. Sur ces explications, cf. l’ouvrage superficiel de C. CoRBIÈRE, Quid de
Graecis saeculo secundo senserint Christiant apologetae, Cahors, 1919 ;
L. CAPERAN, Le problème du salut des infidèles…, p. 51-61. Elles se retrouvent
toutes chez Clément, où elles ont été souvent étudiées. H. Ergz tend à montter
qu’elles se rapprochent l’une de l’autre. Le vol de l’Ecriture par les anges et
le pillage par les Grecs constitueraient les deux aspects (mythique et psycho-
logique) de la même thèse, qui n’exclut aucunement le rôle du Logos dans
cette illumination, ni l’intelligence des Grecs (Die Stellung des Clemens von
Alexandrien zur griechischen Bildung, in Zeitschrift für Philosophie und
philosophische Kritik, 164, 1917, p. 33 sq). Le meilleur article est celui de
E. Mozrann, Clement of Alexandria on the origin of Greek philosophy, in
Symbolae Osloenses, 15-16, 1936, p. 57-85. Après un rappel de généralités,
l’auteur s’attache à un texte jamais compris, Str., I, 94, 1-7, qui expose les
quatre solutions. Il s’attarde à la dernière explication : la connaissance de
Dieu « par réflexion de la vérité » (époaots) (p. 69-85).

275
LE PROBLÈME DE DIEU

blancheur à la neige. En dehors de toute cette argumentation,


Dieu se révèle à la conscience, soit par une connaissance anté-
rieure au travail intellectuel, une sorte d’instinct (xpéAnbuw), soit
par une connaissance acquise, mais naturelle à tout homme
(xouval Évvoux), deux modes de connaissance qui ont été étudiés
plus haut 4. En somme, tantôt Dieu est le terme d’un raisonne-
ment, tantôt, sans être inné pour autant, il est une donnée natu-
relle et spontanée #3,

Athénagore. Cette double route vers Dieu est


connue par les Pères et leur est
même familière. Athénagore, qui met la théologie au-dessus de
la physique, comme une science hors pair ##, oppose la connais-
sance naturelle (quouxèç A6yos) à l’imagination poétique (moutix}
mdvn ). Le premier, il exprime en termes techniques précis cette
connaissance naturelle de Dieu. Il semble bien avoir compris
qu’il y a deux moyens de connaître Dieu par les forces humaines,
Vun non scientifique (évemornuéves), « selon la mpéandie com-
mune », — on pourrait l’appeler la connaissance intuitive et
populaire —, l’autre par raisonnement scientifique, « selon la
science », qui étudie le noëton qu’est Dieu 45. On peu recon-
naître à peu près dans les termes d’Athénagore conscience et
connaissance.

Tertullien. Tertullien, on le devine, est bien


plus précis, sur ces moyens de con-
naître Dieu. Il a parfaitement distingué, mieux encore qu’Athé-
nagore, notre double moyen humain d’atteindre la divinité. Dans
l’Apologeticum, il écrit : « Voulez-vous que nous prouvions Dieu
par ses œuvres, si nombreuses et si belles ?.. Le voulez-vous par
le témoignage de l’âme elle-même 48 ? >. Ex operibus ipsius, c’est
manifestement la preuve rationnelle et rationaliste, pourrait-on
dire. Mais quel est ce testimonium animae ? Tertullien néglige
évidemment ici les sources surnaturelles de la foi qu’il rappelle
souvent : l’Ecriture éclairée par la tradition, et la lumière de
l'Esprit répandu dans l'Eglise. Il ne parle que de nos moyens
humains, de notre illumination naturelle. Or, il dit ailleurs que
la foi est établie essentiellement « sur les notions communes et

42. Cf. ch. VI du présent travail.


43. M. PoLenz, Die Stoa, 1, p. 94; 234-235.
44. Leg., XIIL, in.; X, fin.
45. Ibid., V; cf. XXII.
46. XVII, 4.

276
L’'EXISTENCE DE DIEU
sur les argumentations justes 47 ». Il y a symétrie entre ce texte
et les lignes citées plus haut. On peut donc identifier la preuve
par la création avec les « argumentations justes », et le « témoi-
gnage de l’âme » avec « les notions communes ». Un autre texte
le prouve. Dans le De carnis Resurrectione, Tertullien rappelle
les deux mêmes moyens naturels : « De testimoniis operum... de
communibus sensibus 48. » Et il attribue tantôt aux notions com-
munes #, tantôt au témoignage de l’âme 50, les mêmes exclama-
tions spontanées de l’homme : « Deus uidet » ou « Deo com-
mendo. » Il faut donc ramener à deux, dans l'esprit de Tertullien,
nos moyens naturels de connaître Dieu : l’argumentation à partir
de la création, que l’auteur utilise surtout dans sa polémique
contre Marcion, et le témoignage spontané de l’âme qu’il exploite
contre les païens 51 en s’appuyant, en particulier, sur les notions
communes 52,
Sensus communes, dit Tertullien, rpéamie, dit Athénagore — et
plus tard Clément d’Alexandrie — 58, ce n’est pas exactement la
même chose, mais c’est de toute façon une notion de la philo-
sophie grecque qu’on utilise pour exprimer la connaissance
immédiate de Dieu, qui voisine avec notre connaissance
méthodique.
Cette double connaissance naturelle de Dieu, par raisonnement
ou par conscience, se retrouve chez la plupart des Pères. Tous
ont insisté sur la preuve rationnelle de Dieu par la création, mais
quelques-uns aussi sur cette espèce d’intuition de Dieu.

2. LA CONNAISSANCE IMMÉDIATE DE DIEU

Irénée. Cette connaissance jaillissante de


Dieu se trouve affirmée chez
saint Irénée. Il admet que la connaissance de Dieu a été acces-
sible à des privilégiés en dehors du christianisme : « Certains

47. « Nunc enim communibus plurimum sensibus et argumentationibus


iustis.. fidem sternimus » (Marc., 1, 16, CSEL 47, 311, 4-6).
48. II-III, CSEL 47, 27, 10-29, 4.
49. Carn. Res., III, CSEL 47, 28, 22-29, 4.
50. Apol., XVII, 5-6; Test. an., II, 1-2, CSEL 20, 136, 6-20; II, 6..., 137, 10-11;
Anima, XLI, 3; Marc., I, 10, CSEL 47, 303, 8-12.
51. L. FUETSCHER a fait cette distinction entre les destinataires dans un
excellent article, Die natürliche Gotteserkenntnis bei Tertullian, in Zeitsch.
für katholische Theol., 51, 1927, p. 1-35; 217-251.
52. Pour l’ensemble du problème de la connaissance naturelle de Dieu chez
Tertullien, cf. J. LorTz, Tertullian als Apologet, Münster-en-W., t. I, 1927,
p. 224-248.
53. Tertullien connaît-il le mot xpoAndie ? G. Essen l’emploie en exposant
ses théories, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893, p. 172-173, Il fau-
drait contrôler en tenant compte des équivalents latins.

277
LE PROBLÈME DE DIEU

païens… mus par sa providence, quoique légèrement, se sont


cependant convertis, jusqu’à dire que le Père provident de toutes
choses était le fabricateur de cet univers et disposait le monde
selon nous 54, » Il va plus loin. Après avoir proclamé avec insis-
tance que Dieu ne peut être inconnu de son œuvre, il poursuit :
« Sa nature est invisible, mais elle est puissante; et elle fait voir
et.sentir vivement à tout être sa transcendance toute-puissante et
souveraine 55, >» La suite du texte veut donner une explication à
ce sens de Dieu et semble bien faire appel à la théorie du Logos :
« Sans doute nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils... Mais cette
chose-ci, tous les êtres la connaissent, du fait que la raison placée
dans leur esprit les meut et la leur révèle : qu’il y a un Dieu,
Seigneur de toutes choses 56, > Et Irénée n’exclut même pas de
cette connaissance de Dieu les animaux muets qui tremblent
devant la puissance divine et cèdent à une telle invocation 57.
Il dit bien : « Tous les êtres. »

Tertullien. Tertullien a insisté plus que per-


sonne sur la connaissance spon-
tanée de Dieu, puisqu'il y a consacré toute une œuvre, De testi-
monio animae 58, Selon lui, avons-nous dit, on retrouve cette
connaissance surtout dans les notions communes, mais aussi dans
le rêve. Quelles sont d’abord ces notions communes, sur lesquelles
il insiste volontiers, peut-être contre les Gnostiques ? Elles s’ex-
priment dans les exclamations courantes de l’homme. Tertullien
y trouve plus que la croyance au Dieu unique. Il y voit l’adhésion
à certains attributs de Dieu. L’âme, dit-il,
bien qu’à l’étroit dans la prison du corps, bien que circonvenue par une
éducation mauvaise, bien qu’énervée par les passions et la concu-
piscence, bien qu’asservie aux faux dieux, lorsqu'elle revient à elle-
même, comme au sortir de l’ivresse ou du sommeil, ou de quelque
maladie, et qu’elle est dans son état normal de santé, nomme Dieu par
ce seul nom, parce que c’est le nom propre du vrai Dieu. « Grand
Dieu ! », « Bon Dieu ! » et « ce qu’il plaira à Dieu », voilà le cri
universel. Elle le reconnaît aussi pour juge : « Dieu le voit » et « je
me repose sur Dieu » et « Dieu me le rendra ». O témoignage de l’âme
naturellement chrétienne ! Et, en prononçant ces paroles, ce n’est pas
vers le Capitole qu’elle tourne les yeux, mais vers le ciel. Elle connaît
en effet le séjour du Dieu vivant : c’est de lui, c’est de là qu’elle est
descendue ‘?.

54. Haer., III, xxx1X, HARVEY II, p. 133.


55. Traduction inspirée de J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité,
t. II, p. 528.
56. Haer., II, 1v, 5, HARVEY I, p. 263-264.
57. Ibid., 6..., p. 264.
58. Le thème central de cette œuvre est étudié avec précision par
: G. QuisPer, Het Getuigenis der Ziel bij Tertullianus, Leiden, 1952.
59. Apol., XVII, 5-6, trad. WaLrTziNG; Minucius Félix, toujours proche de
Tertullien, recueille aussi le témoignage de ces exclamations (Oct., XVIII, 11)

278
L'EXISTENCE DE DIEU

L’âme reconnaît donc spontanément un Dieu résidant au ciel,


bon, unique, provident 6 et juge 61, Tertullien peut dire aux
païens : « Nous honorons le Dieu unique, que tous naturellement
vous connaissez 62 » et s’écrier : « O témoignage de la vérité,
qui jusque chez les démons te fait témoigner en faveur des
chrétiens 63, »
Mais les notions communes ne constituent pas chez Tertullien
le seul aspect de notre saisie de Dieu, étrangère aux démarches
de la raison. Sans parler de l’extase prophétique proprement
surnaturelle, il faut rappeler le rêve, qui est un genre d’extase et
donc aussi un moyen de connaître Dieu 64, Tertullien, qui croit à
la vérité des rêves en général, comme nous l’avons dit, y voit une
source essentielle de connaissance de Dieu : « C’est presque la
majorité des hommes qui apprend Dieu à partir des visions 65, »
Dieu, dit-il, se doit d’envoyer des songes à toutes les nations,
parce qu’ « aucune ne lui est étrangère et que l’Evangile brille
sur toute la terre et jusqu’aux confins du monde 66 ». Nous
sommes bien toujours dans l’atmosphère stoïcienne,

Clément d'Alexandrie. Clément d’Alexandrie, autant que


Tertullien, insiste sur la connais-
sance naturelle de Dieu en dehors du raisonnement, et ses
théories sont proches de celle de l’Apologiste. Il parle d’une « cer-
taine conscience obscure de Dieu, même chez les païens 87 ». Il
admet « qu’un reflet naturel (éupaois guouxn) du Dieu unique tout-
puissant existe chez tous les gens sensés » et « la masse se faisait
une idée de la bienfaisance éternelle conforme à la providence
divine 68 ». Il invoque avec précision da rpéAnbu, ce mode de
connaissance que nous lui avons reconnu plus haut. « Du Père

et croit y découvrir la foi unanime à l’unité de la puissance divine. On les


retrouve identiques, avec le même raisonnement, introduites par ces mots :
« Le peuple proclame Dieu naturellement », dans le Quod Idola, IX, CSEL III,
1, 26, 18-27, 5.
60. Test. an., II, 1-2, CSEL 20, 136, 5-22.
61. Ibid., II, 6.., 137, 7-17; Cor., VI, CSEL 70, 163, 9-12.
62. Scap., IL, éd. BINDLEY, p. 128, 9:
63. Test. an., II, 7, CSEL 20, 137, 18-19. Ce témoignage est très bien étudié
par L. FueTscHER, Die natürliche Gotteserkenntnis…, p. 217-251, surtout
p. 226-243. WasziNK signale d’autres études (p. 455).
64. Anima, XLVII, 2.
65. Ibid.
66. Ibid., XLIX, 3.
67. Str., VI, 64, 6.
68. Ibid. V, 87, 2. Cf. I, 94, 3; 7. E. MoLLanD a étudié l’époastç de ce
dernier texte avec beaucoup de précision. Il a montré qu’elle fait appel à
l'élément divin, qui, en nous, est un reflet de Dieu, à travers lequel on
reconnaît Dieu (Clement of Alexandria…., p. 69-85).

279
LE PROBLÈME DE DIEU

et créateur de tout, dit-il, naturellement et sans enseignement,


tout se fait une idée de toute part », les êtres inanimés aussi bien
que les êtres animés, les Grecs comme les Barbares. « Pas une
race, nulle part, d’agriculteurs ou de nomades, ni davantage de
citoyens, ne peut vivre sans la foi par prénotion (rpoxarenuuévo)
en un être supérieur », et, dans la suite du texte, il fait appel à
cette prolèpsis commune à tout, parce que tout reçoit également
les effets de la providence divine 69. Il ne s’agit plus de sensus
communes, mais c’est encore un concept familier aux Stoïciens,
celui de xotvh rpéAndie, déjà rencontré chez Athénagore 7, qui a
servi à Clément pour expliquer la connaissance innée de Dieu 71,
Clément subit encore une autre influence philosophique en ce
domaine, Se posant ce fameux problème de la part de vérité
contenue dans le message des pseudo-prophètes, « brigands et
voleurs », entre autres explications, il fait appel à l’extase, une
extase naturelle, qui a fait atteindre quelque chose de la vérité
divine. Et Clément l’explique, en un texte commenté plus haut,
soit par les vapeurs qui émanent des eaux, soit par l'effet de
parfums, soit par des influences atmosphériques 72. Nous retrou-
vons encore une théorie stoïcienne de la connaissance appliquée
au problème de Dieu.
Les Pères avaient constaté, avec les païens, l’existence de
«< cette opinion, innée dans la nature humaine, sur une réalité
inexplicable », selon l’expression de Justin 73. Pour en rendre
compte, ils n’ont pas rejeté les théories que leur offrait l’épisté-
mologie de l’époque. Leurs développements sur le Logos nous per-
mettront d’y revenir 74,

3. LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR LES ŒUVRES

En général. La connaissance de Dieu ex ope-


ribus est proclamée chez tous les
Pères. Faut-il en parler ? Athénagore voit « tant de raisons pour
vénérer Dieu : l’ordre, l’harmonie totale, la couleur, la figure, la
disposition du monde 75 ». Tatien « saisit l’aspect invisible de sa
puissance dans son œuvre ® ». Irénée y insiste, Il souligne que

69. Str., V, 133, 7-9.


70. Leg., V.
71. I1 faut bien se rappeler que Clément emploie aussi prolèpsis, concur-
remment avec ouyxatdfests, pour définir la foi, cf. supra, p. 222, n, 5.
72. Str., 1, 135, 2.
73. II Apol., VI, 3.
74. Infra, p. 316-320.
75. Leg., IN.
76. Orat., IV.
L'EXISTENCE DE DIEU

« les païens apprennent de la création même ce que les autres


tiennent des prophètes de Dieu ». « La création, dit-il encore,
montre celui qui l’a créée, et sa facture suggère celui qui l’a
faite, et le monde manifeste celui qui l’a organisé 77, » Dieu ne
doit-il pas être accessible à tous pour être juge de tous 78 ?-
Saint Cyprien affirme que « l’âme, en contemplant le ciel,
connaît son auteur 7® »., Le Quod Idola, devant « le Dieu unique et
partout identiquement répandu », remarque: « Le peuple
souvent confesse Dieu naturellement 80, >» Novatien, dans l’unité
et l’ordre du monde, découvre Dieu: « Il apprend dans les
choses manifestes les choses cachées 81, »> Enfin Clément
d'Alexandrie, en une langue plus littéraire, voit dans les astres,
que les païens ont adorés 8, « un chemin qui était donné aux
nations pour se courber devant Dieu 8 ». Il existe un accord
universel pour reconnaître Dieu dans la création, et, de cette
unanimité même, Minucius Félix tire argument 84, avec les
Stoiciens.

Le cas de Tertullien. Bien que le témoignage de la cons-


cience tienne la première place
dans son œuvre, Tertullien est encore celui qui a poussé le plus
loin la preuve de Dieu par la création 85, Non seulement il dit,
comme les autres écrivains ecclésiastiques: Dieu € se voit chaque
jour dans toutes ses œuvres 86 », mais il fait aux hommes une
obligation de l’y chercher : « C’est un devoir de reconnaître le
créateur même par les moyens naturels, en raisonnant à partir
des œuvres et en cherchant sur cette base une connaissance plus
complète 87,» « I1 n’y a pas d’autre signe manifeste de l'existence
de notre Dieu, dit-il, que toute cette œuvre qu’il a créée 88. »
« Il faut d’abord prouver l’existence de Dieu par ce par quoi elle
doit être prouvée, par ses œuvres, alors ensuite par ses bien-
faits », pour.en préciser la nature 8,

77. Haer., IX, vaut, 1, Harvey I, p. 272; III, xxxix, HARVEY Il, p. 133; IV,
x1, 4..., p. 160.
78. Haer., IV, xt, 5... p. 161.
79. Don., XIV, CSEL II, 1, 15, 13-14.
80. IX, CSEL III, 1, 26, 18-27, 1.
81. Trin., UI, éd. Fausser, 12, 2-13, 3.
82. Protr., 63, 4-5.
83. Str., VI, 110, 3-111, 1.
84. Oct., XIX, 1; cf. XVII, 11.
85. L. Fuerscmer a bien étudié la preuve de Dieu par la création chez
Tertullien, dominante dans la polémique contre Marcion (Die natürliche
Gotteserkenntnis…, p. 18-35).
86. Val., III, CSEL 47, 179, 18-180, 1.
87. Marc. V, 16, CSEL 47, 630, 19-22.
88. Ibid., 1, 11, CSEL 47, 304, 23-24.
89. Ibid., 1, 17, CSEL 47, 312, 5-6.

281
LE PROBLÈME DE DIEU

Tertullien va plus loin encore. Il n’imagine pas que Dieu puisse


exister sans être cause et cause de tout : « Dans la mesure, dit-il,
où rien ne doit exister sans causalité, parce que, s’il existait sans
causalité, ce serait comme s’il n’existait pas, dans cette mesure
j'aimerais mieux croire que Dieu n’existe pas, plutôt que (de
croire) qu’il existe sans causalité %, » Dans sa discussion avec
Marcion,. il lie étroitement ces trois notions : Dieu, création,
manifestations. « Dès l’origine des choses, dit-il, (Dieu) fut décou-
vert en même temps comme leur créateur, car les choses étaient
produites à cette fin : que Dieu fût connu ?1. » Il s’en prend à
l’hérétique, parce qu’il pratique une espèce de fidéisme: « Il exige
une foi sans cause », en un Dieu non révélé en ses œuvres 22, Cette
foi « très monstrueuse % » est une insulte à la raison : son Dieu
est impudent et pervers, il réclame la foi « sans rien fournir à la
foi %4 », En somme, dans un esprit tout stoïcien, Tertullien, contre
le Gnostique, confond Dieu avec le principe de la causalité
universelle et réclame un Dieu démontrable par ses effets 95.
On objecte : mais Tertullien n’est-il pas le théologien du credo
quia absurdum ? C’est vrai. Il éprouve un certain plaisir à bous-
culer la raison. « Le fils de Dieu est mort, dit-il, c’est croyable
parce que c’est inconvenant %. » Ou encore : « Il faut y croire
d’autant plus, si, pour la raison que c’est étonnant, on n’y croit
pas °7. » Tertullien entend évidemment dépasser et peut-être
humilier la raison, dans la conviction que le mystère des opéra
tions divines lui échappe *8. Il existe même chez lui une tendance

90. Marc., I, 12, CSEL 47, 305, 28-306, 2; cf. 13, CSEL 47, 306, 24-25 : « Si
la création, telle qu’elle est, est indigne de Dieu, combien il serait plus indigne
de Dieu de n’avoir rien créé du tout. »
91. Ibid., I, 10, CSEL 47, 302, 25-26.
92. Ibid., I, 12, CSEL 47, 306, 7-9.
93. Ibid., III, 4, CSEL 47, 380, 15.
94. Ibid., I, 12, CSEL 47, 306, 9-15.
95. E. BRÉHIER a noté ce stoïcisme de Tertullien quand il s’adresse aux
Gnostiques : « Contre leur absolu sans cause, il reprend, dans les termes
mêmes du stoïcisme, l’affirmation de l’universalité du principe de causalité »
(La cosmologie stoïcienne à la fin du paganisme, in Rev. de l’Histoire des
Relig., 64, 1911, p. 19). A. BrzL a étudié le lien Dieu-causalité, Zur Erklärung
und Textkritik des 1. Buches Tertullians « Adversus Marcionem », Leipzig,
1911 (Texte und Unters., 38, 2), p. 46-48.
96. « Credibile est quia ineptum est » (Carn. Xti, V, CSEL 70, 200, 26-29).
97. Bapt., II, CSEL 20, 202, 5-6; cf. Apol., XVII, 3.
98. Bapt., Il, CSEL 20, 201, 18-21 et passim. J. LorTz explique le credo quia
absurdum à partir de Bapt., IL (Vernunft und Offenbarung bei Tertullian, in
Der Katholik, année 93, 4° série, XI, 2, 1913, p. 136 sq). Peut-être faut-il faire
appel ici à la remarque judicieuse de A. VIRIEUX-REYMOND, La logique et
l’épistémologie des Stoïciens…., Chambéry, s. d., 1949, p. 211: « L’absurde,
c’est donc ce qu’on ne peut pas même concevoir : a) ou parce qu’étant un pur
néant (la tante du logarithme) il est trop pauvre pour offrir une prise à
la pensée, b) ou bien parce que trop riche, Dieu par exemple, il échappe par
la plénitude infinie de son être aux limites de la conceptualisation. » En ce
dernier sens, le credo quia absurdum de Tertullien répondrait parfaitement
à une tendance de son œuvre.

282
L’'EXISTENCE DE DIEU

à enfermer toute vérité en Dieu %, à condamner la curiosité théo-


logique 10, à réclamer une foi sans discussion, sans question.
Mais cette exigence s’adresse toujours à des chrétiens: elle est un
rappel de « la règle de foi qu’ils ont embrassée 101 », Au contraire
avec les païens, et même avec les hérétiques, Tertullien sans cesse
fait appel à la raison. Quand il s’agit de combattre Marcion, il la
canonise résolument contre les élucubrations mystiques du
gnosticisme.
Comme toujours on découvre chez Tertullien un manque
d'unité, mais il est évident que la raison est en bonne place dans
sa théodicée. En particulier, dans sa grande œuvre contre
Marcion, nous sommes bien plus près du rationalisme que du
credo quia absurdum, bien près du « rationalisme stoïcien 102 ».

L'argument Il est surtout un aspect du monde


de l’ordre du monde. auquel les Pères étaient sensibles :
sa beauté. Nous aurons à y revenir.
Mais cette beauté du monde, faite d’ordre, d'harmonie, exigeait,
plus que tout, une cause, et une cause unique. Qu’on lise le début
de lApologie d’Aristide : « J’ai contemplé le ciel, la terre et la
mer, le soleil, la lune et les autres astres; et j’en ai admiré la
disposition. J’ai vu le cosmos et tout ce qu’il contient, mû selon
une loi immuable, et j’ai compris que celui qui le meut et le com-
mande .est un Dieu 193, » C’est, exprimé en une langue presque
enfantine, l’argument qui revient partout. Théophile dit de Dieu
que « sa providence et ses œuvres le font voir et imaginer » et il

99. A. LABHARDT tente de prouver que Tertullien enseigne habituellement


qu’il n’y a pas de vérité hors du Dieu trinitaire et que la théorie de la
connaissance naturelle est une exception (Tertullien et la philosophie, ou la
recherche d’une « position pure » in Museum Helveticum, 7, 3, 1950.
p. 169-171). L’exception est pour le moins fréquente.
100. 1bid., p. 163-166. Tertullien dit, par exemple : « Nobis curiositate opus
non est post Christum Iesum » (Praescr. haer., VII, CSEL 70, 10, 33-11, 40:
cf. toute la suite VIII-XIV).
101. Cette idée est d’A. D’ALÈSs, La théologie de Tertullien, Paris, 1905,
p. 34-35. L’auteur y a recueilli les textes de Tertullien en ce sens. Dans le
contexte, il rappelle : « Dans la pensée de Tertullien, l’adhésion à la religion
chrétienne est un acte éminemment raisonnable. Il n’est peut-être pas superflu
de le faire observer » (ibid., p. 33).
102. G. ScaeLzowsky, Der Apologet Tertullianus.…., Leipzig, 1901, p. 18.
L'auteur, après avoir souligné que Tertullien met la révélation infiniment
au-dessus de la philosophie, insiste sur l’aspect rationnel de sa foi et de
sa théologie (p. 17-22), sans même rappeler le credo quia absurdum. J. LoRTz
montre de même que Tertullien est un ennemi de la philosophie païenne
officielle, comme l’Eglise était ennemie de la philosophie du XVIII siècle,
mais nullement de la raison (Vernunft und Offenbarung.…., p. 124-140, surtout
p. 124-134). Pour la question du christianisme et la philosophie païenne chez
Tertullien, cf. J. LonTz, Tertullian als Apologet, t. I, 1927, p. 350-398, où
l’auteur explique aussi l’attitude antiphilosophique de Tertullien.
103. I, 1-2.

283
LE PROBLÈME DE DIEU
ramène les comparaisons classiques, fatiguées d’être sur le
marché; le navire s’explique-t-il sans pilote, la grenade sans
écorce, les édits sans le roi 104 ? Athénagore, qui fait aussi appel
à l’image du pilote 105, détaille « toutes les raisons que nous
avons de vénérer Dieu 106 », Il contemple l’organisation du
monde 407, « Pourtant, dit-il, ce n’est pas cela qu’il faut admirer,
mais son artisan », parce qu’on n’adore pas l’instrument, mais
celui qui en joue : « Admirant sa beauté, je m’approche de Par-
chitecte », conclut-il 108, Tertullien juge que l’ordre très com-
pliqué du monde exige une intelligence divine extérieure à lui 109,
Saint Cyprien voit à son tour une preuve de Dieu dans le soleil
et le jour, les sources, les pluies et les vents 110, L’Octauius con-
sacre à ce sujet de longs développements 111, Deux chapitres
entiers chantent la beauté du monde, l’ordre du ciel et des
saisons; et sans cesse l’auteur fait appel au Dieu créateur et pro-
vident 112, à une raison éminente qui préside à cette organisa-
tion 118, à un seigneur unique 114, comme la maison bien rangée
témoigne d’un maître. « Nous voyons la puissance de Dieu, dit-il
encore ailleurs, toujours présente dans ses œuvres et dans tous
les mouvements du monde 115, > Ne pas le reconnaître est une
ignorance criminelle, digne de châtiment 116.
Le monde, signe de Dieu, nous sommes là dans l’Ecriture 117,
mais aussi dans l’atmosphère religieuse de l’époque. Pour tout
homme cultivé, le monde est devenu le visage multiple de Dieu.
Le Corpus Hermeticum répète à l’envi que l’ordre et la beauté

104. Autol., I, 5; 4; II, 10. G. BARDY, avec raison, souligne l’aspect stoicien
de ces arguments et note que l’emprunt-a pu être inconscient (éd. Sources
Chrétiennes, p. 39-40).
105. Leg., XXII, fin.
106. Ibid., IV.
107. Ibid., XV-XVI.
108. Ibid., XVI.
109. Nat., II, 5, 16-18; 6, 6-7.
110. Don., XIV, CSEL IL, 1, 15, 10-14.
111. Les textes de Minucius Félix consacrés à cette question (XVII-XVI];
XXXII-XXXIII), sont étudiés par R. BEUTLER, Philosophie und Apologie bei
Minucius Felix, Weida-en-Thur., 1936, qui en examine la portée et en recherche
attentivement les sources.
112. Oct., XVII-XVIII.
113. Ibid., XVII, 4.
114. Ibid., XVIII, 5-7,
115. Ibid., XXXII, 4.
116. « I1 faut être privé de la raison, du sentiment et même de la vue »,
pour ne pas y voir un auteur intelligent (Oct. XVII, 3; cf. XXXV, 4-5).
Cf. Aristide, XVI, 6. Justin, 1 Apol., XXVIII, 3; 4 Théophile, Autol., î,
2-7. Tertullien, Nat., I, 1, 1-5 ; Apol., XVII, 3; XL, 10-12 ; Scap., I,
éd. BinDLey, p. 128, 12-129, 6. Quod.Idola, IX, CSEL II, 1, 26, 18-27, 5.
Clément, Protr., 104-105 et passim. Ceci est une position traditionnelle
reconnue par l’Eglise au concile du Vatican, Session III, ch. 1v en particulier :
que tout, homme peut atteindre Dieu à partir du créé par ses propres forces.
Le terme stoïcien recta ratio y est même repris.
117. Sg., 13, 1-5; Rm., 1, 20. On peut noter que, dans les Psaumes, le monde
ne sert pas à prouver Dieu, mais à le chanter. Son existence est trop évidente.

284
L'EXISTENCE DE DIEU
du monde supposent un créateur et un ordonnateur 118, que
Dieu est visible dans ses œuvres 19, Et le Peri Kosmou dit que
la divinité, invisible qu’elle est, se laisse voir dans ses œuvres,
comme l'âme invisible transparaît dans ses activités 120, C’est
l’expression même de Théophile d’Antioche : « De même qu’on
ne voit pas l’âme dans l’homme, invisible qu’elle est pour les
hommes, mais que l’âme se laisse comprendre par les mouve-
ments du corps, ainsi en doit-il être de Dieu : les yeux humains
ne peuvent le voir, mais, par sa providence et par ses œuvres,
il se laisse voir et comprendre 121, »
On peut même préciser que les Pères sont dans la ligne stoi-
cienne, plutôt que dans la ligne platonicienne. Ils ne ferment
pas les yeux devant le monde, pour atteindre Dieu par une con-
templation intérieure. Au contraire, Dieu est dans la direction de
l'univers, qui est un tremplin pour y accéder. Par là encore les
Pères s’opposent aux Gnostiques, pour qui le monde est toujours
plus ou moins mauvais 122,

C. CONNAISSANCE NATURELLE
ET CONNAISSANCE SURNATURELLE

Faiblesse de la Il ne faut pas oublier que cette


connaissance naturelle. connaissance de Dieu est un
premier degré et n’est qu’un pre-
mier degré. Elle n’est qu’un premier degré, insuffisant. Justin a
nettement distingué entre la connaissance naturelle et la connais-
sance révélée : « Autre chose est une semence et une ressemblance
d’objet.…., autre chose l’objet même dont il y a participation et
assimilation, selon l’agrément qui vient de lui 128, » Saint Irénée
va plus loin encore. Pour lui cette connaissance, « très impar-
faite 124 », n’est qu’ignorance à côté de la révélation 125, Tertul-
lien est presque aussi net. Il oppose la relation naturelle des
païens avec la divinité aux relations familières des chrétiens avec
leur Dieu : « Parce qu’ils connaissent Dieu sans l’approfondir,

118. V, 3-5, éd. Nock-FESsTUGIÈRE, p. 61-62; XI, 6-8.., p. 149-150.


119. Ibid., XI, 22..., p. 156-157; XIV, 3..., p. 223, 3-5.
120. De mundo, VI, 399 b.
121. Autol., I, 5.
122. A. J. FESTUGIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. Il, p. 59, n, 1
123. II Apol., XIIL, 6.
124. « Nul n’a mieux marqué qu’irénée, dit J. LEBRETON, ce caractère de
notre connaissance de Dieu : connaissance certaine, sans doute, mais très
imparfaite et lentement progressive » (La connaissance de Dieu chez saint
Irénée, in Rech. de Sc. Relig., 16, 1926, p. 390).
125. Haer., IV, xxxIV, 4, HARVEY II. p. 215.

285
LE PROBLÈME DE DIEU
par droit naturel et non par droit de famille, de loin et non de
près, forcément ils ignorent les ordres et les défenses qu’il
apporte à l’administration de ce qu’il a institué 126, > Ailleurs, il
appelle cette connaissance animale, en face de la science spiri-
tuelle du chrétien 127, et en souligne l’infériorité 128, Clément est
peut-être le moins précis 12%, Il parle cependant d’une connais-
sance supérieure dont la philosophie n’est que la base 130, d’une
lumière semblable au soleil qui fait évanouir la clarté de la
lampe 181, Devant les philosophes, qui ne sont que des « petits
enfants nouveau-nés », les chrétiens sont des « hommes 132 ».

Unité Cependant cette dernière image


des deux connaissances. pourrait laisser entendre qu'il s’agit
d’une différence de degré. Sans
aller jusque-là, les Pères ont volontiers insisté sur l’unité d’objet
de la connaissance naturelle et surnaturelle de Dieu. C’est le
même Dieu qu’atteignent le philosophe et le chrétien : « /dem
dominus omnium », disait saint Paul133, La connaissance
humaine est une étape sur la route unique qui va vers Dieu. Pour
l’affirmer, nous trouvons les mêmes écrivains que plus haut.
Saint Justin dit que le Verbe s’est donné aux païens fragmentai-
rement, aux chrétiens en plénitude dans la personne du Christ,
révélation complète de Dieu 184, Irénée aussi enseigne que le
Verbe révèle Dieu par des preuves successives dans l’histoire.
C’est déjà le Verbe qui montre Dieu dans la création, et c’est
encore lui qui le manifeste dans l’incarnation : « Le Verbe, par
la création, dit-il, révèle le Dieu créateur; par le monde, le
Seigneur qui a fait le monde; par l’œuvre, l’artisan de l’œuvre;
par le Fils, le Père qui a engendré le Fils 135, » Il y a continuité
dans la révélation de Dieu. C’est bien la manifestation « lente-
ment progressive » d’une même réalité 156,

126. Spect., Il, CSEL 20, 2, 23-3, 1.


127. Pat., I, CSEL 47, 2, 4.
128. Anima, I, 4-6. L. FuETSCHER a bien souligné la nature différente de ces
deux modes de connaissance chez Tertullien (Die natürliche Gotteserkenntnis….,
p. 2-18). On trouve là un thème classique chez les Pères : que le simple chré-
tien en sait plus long sur Dieu que le philosophe, Justin, 11 Apol., X, 8;
1 Apol., LX, 11; Tatien, XXXII, fin.; Athénagore, Leg., XI; Minucius Félix,
Oct, XVI, 5-6.
129. TH. CAMELOT, Foi et Gnose chez Clément d'Alexandrie, Paris, 1945,
p. 37-39.
130. Str., VI, 67, 1-2.
131. Ibid., V, 29, 6.
132. Ibid., I, 53, 2.
133. Rm., 10, 12.
134. Pour les textes et leur interprétation, cf. infra, l’étude du À0Y06
sreomat!us (p. 316-319).
135. Haëer., IV, x1, 4, HARVEY Il, P- 160.
136. J. LEBRETON souligne aussi cette unité du vaste plan divin, La connais-
sance de Dieu.…., p. 395-399,

286
L'EXISTENCE DE DIEU

Tertullien a fortement souligné cette continuité. Il n’y a pas un


Dieu de la raison et un Dieu des Chrétiens : « Nous ne nous
appliquons pas aux données naturelles comme si le Dieu de la
nature était un autre que le nôtre 187, >» Le même Dieu est connu
par un double moyen : « Nous affirmons, dit-il, que Dieu doit
d’abord être connu par nature, ensuite reconnu par enseigne-
ment; par nature, par les œuvres, par enseignement, d’après les
prédications 188, » La connaissance naturelle et la connaissance
par grâce se suivent et se complètent 159, La foi supplée aux défi-
ciences des données naturelles : « Pour que nous puissions
acquérir une connaissance plus complète et plus profonde de lui-
même, de ses décrets et de ses volontés, il nous a donné par
surcroît un ensemble de monuments écrits, où nous pouvons
chercher Dieu, et, après l’avoir cherché, le trouver, et, après .
Pavoir trouvé, croire en lui, et, après avoir cru en lui, le
servir 140, » Il dit, en revanche : « L’Ecriture est de Dieu, la
nature est de Dieu, l’enseignement est de Dieu; tout ce qui est
contraire à ces moyens n’est pas de Dieu. Si l’Ecriture est incer-
taine, la nature est manifeste 141, » En somme, Dieu se fait notre
maître aussi bien par la création que par la révélation 142,
Clément, de son côté, dit explicitement : « Quoique la vérité
manifestée par la philosophie grecque ne soit que la vérité par-
tielle, elle est pourtant la vérité vraie 148 », et l’on se souvient
qu’il a fait de la philosophie la servante de la théologie. Cette
position atteste une attitude d’accueil à l’égard de la philosophie
et une certaine faveur pour la raison humaine, qu’on s’attendait
à trouver chez Clément, qu’on n’osait espérer de la part de
Tertullien.

137. Virg. uel., XI, PL II, 906 A.


138. Marc., I, 18, CSEL. 47, 313, 11-13.
« Toute âme proclame de sa propre
nature ce que nous ne pouvons taire », dit-il aussi (Test. an., VI, 5, CSEL 20,
143, 2-3). Ou encore : « Le Dieu unique que nous honorons tous, vous le
connaissez naturellement. À sa foudre et à son tonnerre vous tresssaillez;
à ses bienfaits, vous vous réjouissez » (Scap., II, éd. BINDLEY, p. 128, 9-11).
139. Ainsi en va-t-il du dogme de la résurrection de la chair. Il en voit
le reflet dans l’évolution du monde et ajoute : « Dieu l’a prédite par ses
œuvres avant de le faire par sa parole. Il t’a donné d’abord la nature pour
maître, dans l’idée d’envoyer là-dessus la prophétie, afin que tu croies plus
facilement la prophétie, étant disciple de la nature » (Carn. Res., XII,
CSEL 47, 41, 20-24).
140. Apol., XVIII, 1 (trad. WaALTzING); cf. Spect., II, CSEL 20, 2, 23-3, 1.
141. Virg. uel., XVI, PL II, 910 C-911 A.
142. G. Essen, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893, consacre une
longue introduction aux rapports de la révélation et de la raison chez Ter-
tullien (p. 1-29). 11 étudie l’aide mutuelle que se prêtent foi-raison, p. 23-28.
143. Str., VI, 83, 2. W. VoELKER consacre un long excursus à la nature et
à la valeur de la philosophie chez Clément d’Alexandrie dans sa monographie:
Der wahre Gnostiker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-Leipzig, 1952,
p. 332-354.
287
LE PROBLÈME DE DIEU

Nous retrouvons ici, appliquées à Dieu, toutes les bribes d’une


théorie stoïcienne de la connaissance, que nous avions rencon-
trées plus haut, Nous reconnaissons en plus une grande insistance
sur nos possibilités naturelles d’atteindre Dieu, et même, chez
certains auteurs, un authentique rationalisme religieux, opposé
au platonisme.

II. LA NATURE DE DIEU : SON ESSENCE

A. MATÉRIEL OU SPIRITUEL

Tendance générale : Le Dieu des Stoïciens, nous l’avons


la spiritualité divine. vu, malgré une espèce de transcen-
dance, n’est que la matière dans sa
pureté parfaite. De lui aux êtres les plus concrets, il n’y a pas
solution de continuité, Les Pères, sous peine de contredire tout
l'Ancien Testament, devaient dégager la transcendance divine
de tout matérialisme et de tout panthéisme. Qu'ils l’aient fait,
personne ne le conteste et ce n’est pas la peine de le montrer,
d’autant moins que les théories sur le Verbe nous donneront une.
preuve éminente de ce souci fondamental. Sans doute, dans leur
volonté de rapprocher foi et philosophie, les Pères ont-ils pris
plaisir à souligner, avec la Bible 1, que Dieu est associé au feu,
qu’il apparaît sous forme de feu 2. Mais cela ne veut pas dire que
Dieu soit feu matériel 3, Justin et Clément d’Alexandrie se sont
expliqués avec précision là-dessus. Justin d’abord joint justement
feu et incorporel et, là où il parle des apparitions ignéces de Dieu,

1. Dt., 4, 24 : Dieu est un « feu dévorant ».


2. Cyprien, Quirin., Test., III, 101, CSEL III, 1, 179, 4-13. Justin, Dial.
LIX, 1; 3; CXXVII, 4; I Apol., LXIIL 10; 16. L’Octauius, dans un autre plan,
appelle « feu intelligent » le feu éternel (XXXV, 3), comme Hippolyte appelle
« intelligent » le feu de la fournaise qui brûla les spectateurs au lieu des
trois enfants (Dan., II, 31, 2). Clément fait une allusion ironique à la théorie
du feu intelligent dans Protr., 53, 3: « Une tempête d’abord détruisit le
temple d’Apollon à Delphes, le feu intelligent ensuite le fit disparaître. »
Les Philosophoumena attribuent à Simon le magicien la théorie d’un feu
intelligent et intelligible, source du monde sensible (Refut., VI, 9, 3-8), ainsi
qu’à d’autres Gnostiques (ibid., VII, 38, 1; VIIL 9, 6-7; 10, 1; 12, 4). Nous y
reviendrons au sujet de la cosmogonie.
3. Théophile d’Antioche le dit feu, mais se justifle : quand je dis feu, je
dis colère (Autol., I, 3).

288
LA NATURE DE DIEU

c’est pour les opposer expressément à une apparition corporelle


du Christ 4. Quant à Clément, il dit précisément que « Dieu — et
son Verbe — est appelé aliégoriquement feu et lumière » de la
part de l’Ecriture 5, mais qu’il n’est pas corps lui-même, Telle est
bien la tendance générale des Pères, et même de la littérature
contemporaine 6. Novatien l’exprime en termes révélateurs : Dieu
n’a aucun < assemblage corporel? », et, bien qu’on l’appelle
spiritus, il ne l’est pas en réalité, puisqu'il serdit matière créée 8.
Quelques auteurs chrétiens paraissent cependant moins affir-
matifs sur la spiritualité de Dieu : Athénagore, naturellement
Tertullien, et peut-être Méliton de Sardes.

L'hésitation Athénagore est hésitant. Il rejette


d’Athénagore. d’abord la corporéité divine : qu’on
ne dise pas « que les dieux sont
corporels, qu’ils possèdent du sang, du sperme, qu’ils éprouvent
les passions de colère, de désir.…., car il n’y a en Dieu ni colère,
ni désir, ni appétit, ni sperme destiné à la génération », mais
il ajoute : « Qu'’ils soient, si l’on veut, corporels, mais supérieurs
à la passion et à la colère, supérieurs aussi à la tristesse.
Admettons qu’ils soient corporels. ® » On sent, dans ces reprises,
qu’il tente une concession aux philosophes, avec beaucoup de
prudence 1°.

Le matérialisme Autre est le cas de Tertullien. Il a


de Tertullien. nettement affirmé que Dieu est
corps 11. Il parle de diuini cor-
poris 12, Il voit dans le Verbe une portion d’un tout 1, une part
de la plénitude divine 14 Cependant Tertullien n’entend pas dire

4. 1 Apol., LXIII, 10; 16.


5. Str., V, 100, 4.
6. Par exemple dans le Corpus Hermeticum, IV, 1, éd. NoCk-FESTUGIÈRE,
p. 49; dans le Péri Kosmou. à
7. Trin., NV, éd. FAUSSET, 18, 7.
8. Ibid., VII, éd. FausseT, 23, 10-15. R. P. Casey croit pouvoir préciser:
quand les Pères de cette époque parlent de l’incorporéité divine, c’est une
allusion à une controverse qui les dépasse; chez Clément, au contraire, c’est
le résultat d’une réflexion; pour lui pneuma est devenu noûs et noëton :
(Clement of Alexandria and the Beginnings of christian Platonism, in The
Harvard Theological Review, 18, 1925, p. 78-79).
9. Leg., XXI.
10. I1 dit ailleurs que « Dieu est lui-même à lui-même toutes choses, lumière
inaccessible, univers parfait, esprit, puissance, verbe » (ibid, XVI) et il
l’oppose nettement à la matière (ibid., XV). ;
11. Ce développement fait appel au matérialisme de Tertullien, qui
sera

étudié infra, p. 391-394.


12. Marc., Il, 16, CSEL 47, 356, 29-30.
13. Prax., IX, CSEL 47, 239, 25; XXVI.., 278, 16.
14. Marc., II, 6, CSEL 47, 385, 13-14.

289
LE PROBLÈME DE DIEU

_que Dieu possède un corps comme l’homme. Il faut distinguer les


sens divers du mot corps. Il faut « les différencier autant que les
substances l’exigent, bien que le vocabulaire paraisse commun.
Nous lisons bien : la main de Dieu, les yeux, les pieds; mais on
ne rapprochera pas ces éléments de ceux de l’homme pour la
raison que l’appellation les associe. Autant il y aura de différence
entre les membres du corps divin et (ceux du corps) humain sous
la communauté des termes, autant il y aura diversité entre les
sens de l’âme divine et (ceux de l’âme) humaine, malgré la
terminologie commune 15 ». Tertullien donne donc au mot corps,
appliqué à Dieu, un sens qu’il n’a pas, appliqué à l’homme et aux
choses. Il y a plus. Pour lui, corporéité n’exclut aucunement ce
que nous appellerions spiritualité. Affirmer la corporéité de Dieu,
dans le contexte stoïcien où il se place, c’est affirmer sa réalité
efficace, ce n’est pas nier qu’il soit esprit 16. Au contraire, Ter-
tullien affirme ce dernier point 17; il parle aussi du «€ corps de
l'esprit », opposé au « corps humain 18 >». Mieux encore, il pro-
clame: « Qui niera que Dieu soit corps, bien que Dieu soit esprit?
L'esprit est en effet un corps d’un genre propre dans une forme
propre 1?, » Tertullien est tout près de dire : corps, puisque
esprit 20,

Le cas de Méliton. À ces auteurs, faut-il ajouter Méli-


ton de Sardes ? Dans le catalogue
de ses œuvres, Eusèbe signale un écrit mepi évowudrou 6Beoÿ 21,
titre qui semble indiquer chez Méliton une conception matéria-
liste de Dieu. On peut objecter qu’il s’agit peut-être d’un traité
sur l’Incarnation 22, plutôt que d’une étude sur la nature divine.
Les bribes des écrits de Méliton qui ont: survécu montrent que
l’auteur s’intéressait beaucoup en effet à l'humanité du Christ.

15. Marc., II, 16... 356, 26-357, 2.


16. G. ESsER remarque très justement que Tertullien veut se faire une idée
orthodoxe de la spiritualité divine, mais sa formation stoïcienne le gêne :
« L’influence de la philosophie stoïcienne en question va si loin que, même
là où il a en tête une juste conception de l’être spirituel, l’exposé verbal
reste en arrière par rapport à la pensée » (Die Seelenlehre Tertullians,
Paderborn, 1893, p. 66). J. Srier y voit plutôt une réaction contre la théologie
idéaliste et le gnosticisme, qui a fait dégénérer le réalisme en matérialisme :
« Un extrême en postule souvent un autre » (Die Gottes- und Logoslehre
Tertullians, Gôttingen, 1899, p. 39).
17. Apol., XXI, 11.
18. Marc., V, 8, CSEL 47, 599, 25-26.
19. Prax., VII, CSEL 47, 237, 11-12.
20. I1 ne le dit pas, et cela montre peut-être le recul du matérialisme
stoïcien.
21. H. E., IV, 26, PG XX, 392 B.
22. E. Evans, qui discute cette question dans son édition de l’Adu. Prax.
Londres, 1948, p. 235-236, dit que Ruffin y a vu l’incarnation : De Deo corpore
induto.

290
LA NATURE DE DIEU
De plus, parmi les titres, Eusèbe mentionne un livre intitulé
ep moreuwc xal yevéeuc Xptorod. Anastase le Sinaïte, de son côté,
cite vingt lignes d’un livre III repl rñc oupxhoewc Xptoroù, et une
ligne d’un sermon sur la Passion 23, Méliton porte donc beaucoup
d'intérêt au Verbe incarné. |
Cependant, on ne connaît pas d'emploi de évowuatos Ôeéc au
IT' siècle 2 pour désigner le Dieu incarné. Le mot a couramment
le sens de matériel ou corporel. Or l'écrit en question est rapporté
précisément par Origène 25 sous le titre repl roù ÉvOouaTOv Eva
Tèv 6eév, qui convient plutôt à une œuvre sur Dieu: par le con-
texte, il montre qu’il l’entendait ainsi. En outre, Gennadius, au
V° siècle, dans son Liber ecclesiasticorum dogmatum 26, dit expli-
citement que Méliton et Tertullien ont professé la corporéité de
Dieu ?7, Il ne semble donc pas téméraire de supposer que Méliton
se range par ce traité parmi les Pères qui ont enseigné la corpo-
réité divine. ;

B. PASSIBILITÉ OU IMPASSIBILITÉ

Tertullien. Tertullien, en accordant à Dieu la


corporéité, se croit obligé de lui
reconnaître la passibilité. Il pose lui-même le principe : « Dans
la mesure où tout être corporel est passible, dans cette mesure
l’être passible est corporel ?8. » Et la Bible, qui parle si faci-
lement de la colère de Dieu, semble bien appuyer son point de
vue. Mais ici se pose un problème. Les Gnostiques arguaient pré-
cisément de cette colère biblique pour faire du Dieu de l’Ancien
Testament un dieu inférieur et sauver la pureté du vrai Dieu
impassible 2%, Irénée avait tenté de répondre à l’hérésie : Dieu,
dans sa justice, peut être en colère, mais sa colère n’est pas sem-

23. On lui attribue encore la célèbre homélie sur la Pâque, éditée sous
son nom par C. BONNER, cf. supra, p. 194, n. 12. j
24. Le mot se trouve, en revanche, avec ce sens dans le Contra Noetum
d’Hippolyte, XVII, éd. NAUTIN, p. 263, 9, et l’on sait les thèses qui rapprochent
Hippolyte et Méliton.
25. In Gen., I, 26, PG XII, 93 A.
26. IV, PL LVIII, 982.
27. Pour les œuvres, cf. en particulier W. F. Orro, Corpus Apologetarum
Christianorum Saeculi Ili, t. IX, Iéna, 1872, p. 374-478, 497-512. Faut-il
objecter le fragment XIV syriaque, éd. Orro, p. 419-420, qui dit : « Quum
sit incorporeus, corpus ex formatione nostra texuit sibi » ? Que peut valoir
ce fragment ?
28. Anima, VII, 4.
29. Ce problème fait l’objet de l’étude célèbre de M. PoHLENz, Vom Zorne
Gottes, Eine Studie über den Einfluss der griechischen Philosophie auf das
alte Christentum, Gôttingen, 1909.

291
LE PROBLÈME DE DIEU
au
blable à celle de l’homme 30. Tertullien, à son tour, s’en prit
Dieu de Marcion qu’il qualifia, pour son impassibilité, de stoïcien
ou d’épicurien 31. Il sait que certains philosophes écartent la
colère de la divinité, parce qu’elle la rendrait « corruptible et
passionnelle », mais il faut l’admettre comme signe de sa puis-
sance 3. Il existe en Dieu « mouvements et sensations », colère,
haine, jalousie, aussi bien que bonté #3. Il reprend alors l’argu-
ment d’Irénée : ses sens sont les mêmes (eosdem) que ceux de
: l’homme; cependant ils ne sont pas semblables (fales). « Autant
la corruptibilité de la substance humaine en l’homme les rend
corruptibles, autant l’incorruptibilité de la substance divine en
Dieu les rend incorruptibles 84, » Il invoque même la Passion
rédemptrice comme preuve de la passibilité divine, mais alors
il s’esquive et rejette sur le Verbe les faiblesses de l’homme et ces
sentiments pour lesquels il a tant combattu 55. Par là, il se ralliait
au Dieu philosophique de Marcion et rejoignait, en quelque sorte
malgré lui, l’unanimité des Pères.

La tendance Les Pères ont tous proclamé en effet


générale.
limpassibilité divine. Si parfois,
avec le langage biblique, ils admettent la colère en Dieu, comme
Théophile 56, ils écartent tous de Dieu le besoin, et, en général,
tout sentiment, pour lui accorder l’attribut traditionnel chez les
Stoïiciens : l’apatheia 37, Clément d’Alexandrie a insisté plus que

30. Ibid., p. 23-24.


31. Praescr. haer., VII, CSEL 70, 9, 9-10; Marc., II, 16, CSEL 47, 356, 15;
1, 25..., 325, 14.
32. Test. an., Il, 3-5, CSEL 20, 136, 27-137, 8.
33. Marc., II, 16, CSEL 47, 356, 12-13; 1, 25-27, passim.
34. Ibid., II, 16, CSEL 47, 357, 1-4.
. 35. « Tam autem incompatibilis Pater est quam impassibilis etiam Filius,
ex ea conditione qua Deus est » (Prax., XXIX, CSEL 47, 286, 11-13). Sur tout
ceci, cf. M. Pouenz, Vom Zorne Gottes…., p. 25-29. L’auteur souligne ailleurs
que Tertullien capitulait ainsi devant Marcion, « tant était profonde la
pénétration de l’idéal stoïcien de l’apathie dans la pensée de l’époque »
(Die Stoa, 1, p. 440).
386. Autol., I, 3.
37. Voici quelques références aux textes qui présentent Dieu (non le Christ
ou le Verbe) comme sans besoins, sans colère, sans passions, souvent avec
le terme même d’apathès : Clément de Rome, LII, 1; XIX, 3, où Clément
applique à Dieu le mot à&dpyntos, terme stoïcien qui dénote le sage. Aristide,
1, 4; 5. Justin, I Apol., XIII, 4; XX, 2; XXV, 2; Dial., CXXIV, 4 Tatien,
Orat., IV. Athénagore, Leg., VII, VIII, X, XIII, XXI, XXII, XXIX; Res.
XII. Théophile, Autol., II, 10. Irénée, Haer., Il, xv, 3, HARVEY I, p. 282;
XVII... p. 286; xxx, p. 309-310; xxvI.…., p. 315. Hippolyte, Noet., VII,
éd. NauriN, 249, 25. Pseudo-Hippolyte, Ber. et Helic. fr., 1, PG X, 832 C.
Novatien voit dans la colère de Dieu un anthropomorphisme (Trin., VI, éd.
Fausser, 20, 4-5, et passim), un service à l’égard des hommes (ibid., V..., 17,
5-18, 12), mais Dieu est « substance impassible » (ibid., V.…., 17, 11). Pour
un aperçu d’ensemble très sommaire, cf. G. Barpy, Apatfheia dans le Dict.
de Spirit. (Viccer), 3, col. 727-736. Pour une étude précise, TH. RUETHER,

292
LA NATURE DE DIEU
personne sur l’impassibilité divine 58. S’il admet, avec l’Ecriture,
la miséricorde en Dieu, il explique qu’elle n’est pas du tout en
lui au sens du trouble émotionnel qui existe en l’homme 39, Mais
chez Clément se révèle nettement l'influence stoïcienne 4, Il
attache tant d'importance à l’apatheia divine en fonction de sa
morale, qui a son couronnement, nous l’avons vu, dans l’apathie,
suprême ressemblance à Dieu #1. Il est à croire que l’ensemble des
Pères, dans leur insistance unanime sur l’impassibilité en Dieu,
ait subi à la fois l'influence de la théologie stoiïcienne avec son
Dieu-Logos essentiellement rationnel et actif, et celle de la morale
stoïcienne avec son apatheia qui rend égal à Dieu 42.

C. LA RATIONALITÉ DE DIEU

On peut dire que tous les écrivains ecclésiastiques ont associé


à Dieu l’idée de raison, dans la ligne même du Prologue de saint
Jean, en exposant leur doctrine du Verbe. Mais certains Pères
ont directement défini Dieu comme raison. Pour Athénagore, Dieu
est « le noûs éternel #3 »; pour Minucius Félix, il est « la raison
(mens) suprême #4 » : Dieu est-il « autre chose que mens, ratio
et spiritus #5 » ? Tertullien les dépasse tous par son insistance.
« Tout en Dieu, dit-il, doit être rationnel #6, » Avant la mani-
festation du Verbe, « il avait avec lui ce qu’il avait en lui-même,
à savoir sa raison. C’est que Dieu est rationnel, et la raison était

Die sittliche Forderung der Apatheia in den beiden ersten christlichen


Jahrhunderten und bei Klemens von Alexandrien, ein Beitrag zur Geschichte
des christlichen Vollkommenkheïitsbegriffes, Fribourg, 1949. L’auteur fait l’his-
torique de la notion chez les philosophes (p. 3-19), dans les écrits inspirés
(p. 20-28), chez les chrétiens des deux premiers siècles (p. 29-49). 11 précise
chaque fois s’il s’agit de la notion ou des termes mêmes, s’intéresse parti-
culièrement à l’apatheia divine, mais ne traite pas le cas de Tertullien, La
deuxième partie du livre est consacrée à Clément d’Alexandrie (p. 50-102).
38. Str., IL, 72, 2; IX, 81, 1; IV, 151, 1-2; VI, 73, 6; VIX, 13, 3; 14, 5; Protr.,
56, 5; Ecl. Proph., 21; 52, 2. Cf. C. MEerK, Clemens Alexandrinus in seiner
Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig, 1879, p. 34-35.
R. P. Casey précise la nature de cette apatheia divine; il la montre compatible
avec l’amour, concept positif, non pas négatif, qui dénote une plénitude
(Clement of Alexandria and the Beginnings of christian Platonism, in The
Harvard Theol. Review, 18, 1925, p. 87-88).
39. Str., II, 72, 1-73, 3.
40. Par exemple, dans le dernier texte sur la miséricorde, il définit les
termes selon Chrysippe, sans nommer sa source (ibid., 72, 1).
41. Le même raisonnement apparaît en germe chez Justin, 1 Apol., X, 2.
42. Cf. M. PoxLenz, Die Stoa, I, p. 435.
43. Leg., X.
44, Oct., XVII, 4; cf. 6.
45. Ibid., XIX, 2.
46. Marc., I, 23, CSEL 47, 320, 22-23,

293
LE PROBLÈME DE DIEU

en lui à l’avance, et c’est par là que tout vient de lui. Cette raison
est connaissance de soi 47 ». Dieu « rationnel », ce mot revient #8;
Dieu est « éternel et rationnel 4? ». Il est raison par essence : res
Dei ratio 50. La rationalité est le caractère fondamental de Dieu 51.
Mais cette doctrine n'offre plus rien de biblique. Elle est au con-
traire dans la ligne philosophique du stoïcisme, où Dieu est essen-
tiellement logos : « Qu’est-ce que Dieu, dit Sénèque, sinon la
raison de tout (mens uniuersi) 52 ? » « La raison. c’est-à-dire
Dieu », affirme-t-il encore 53. C’est l’idée de Tertullien, mais non
de saint Jean.

CONCLUSION

Dans ce domaine de Dieu, où les Pères avaient un texte sacré et


une tradition ferme, on pouvait s'attendre à trouver très peu de
traces philosophiques. Or on constate que même ici nos auteurs
ont volontiers donné à leurs thèses chrétiennes une teinte stoï-
cienne. Quand ils soulignent que leur Dieu est raison et impas-
sibilité, est-ce à la Bible qu’ils le doivent? Ne se souviennent-ils
pas plutôt de la force rationnelle qu'est le Dieu du Portique et du
lien raison-impassibilité qui fonde la morale depuis Zénon jusqu’à
Epictète ? Mais là où ils rejoignent le plus visiblement les pen-
seurs stoïciens, c’est quand ils veulent prouver l’existence de
Dieu par la raison. Pouvait-il en être autrement ? L’objet même
du débat les plaçait sur le terrain de la philosophie: il leur
fallait bien combattre avec les armes des philosophes. Or, en ce
domaine, l’argumentation stoïcienne s’était imposée jusqu’à être
un élément de la culture commune, Il n’est donc pas étonnant
qu’on retrouve, éparpillés de-ci de-là, tous les arguments de la
théologie du Portique.

47, Prax., V, CSEL 47, 233, 9-12,


48. Ibid., 17.
49. Marc., 1, 24, CSEL 47, 322, 29.
50. Paenit., I, 2; II, 1.
51, J. STIER a raison de souligner qu’aux yeux de Tertullien la ratio est le
caractère fondamental de Dieu. Il en voit d’ailleurs les deux aspects : con-
naissance du monde et conscience de soi (Die Gottes- und Logoslehre Ter-
tullians, Gôttingen, 1899, p. 56-58). Sur la rationalité de Dieu dans l’Aduersus
Marcionem, cf. A. Brzz, Zur Erklärung und Textkritik des 1. Buches Ter-
tullians « Adversus Marcionem », Leipzig, 1911, p. 80-83. L'auteur y fait
appel à Chrysippe.
52. Quaest. nat., I, Praef., 13.
53. Ep., LXV, 12-13, cf. 24; cf. De benef., IV, 7, 1. Dans ARNIM, SVF II,
549, p. 173; 937, p. 269-270; III, 337, p. 82.

294
CHAPITRE NEUVIÈME

DIEU ET LE VERBE

Jusqu'ici il a été question de Dieu, mais jamais directement du


Logos. Or c’est un point bien connu du système stoïcien, que
Dieu, répandu dans l’univers, est précisément Logos et Pneuma.
D’autre part, la théorie du Dieu-Verbe est un élément du dogme
et de la théologie chrétienne. Le rapprochement s’impose. La
doctrine du Verbe, si familière aux Pères des premiers siècles,
doit-elle quelque chose aux Stoïciens ? Le Logos des chrétiens
a-t-il quelque rapport avec ce courant rationnel qui pénètre le
monde comme une semence et s’éparpille en logoi spermatikoi
qui font la cohésion de chaque chose et l’unité du tout ?
Le rapprochement fut tenté autour de la Bible, autour de
l'Evangile de saint Jean en particulier 1. La communauté de
terminologie y invitait. Puis l’on a examiné de plus près les
notions qu’elle recouvrait et l’on a pu constater, des Stoïciens à
l’'Evangéliste, une évolution qui changeait fondamentalement la
conception de ce logos 2. La thèse d’une parenté réelle entre la

1. H. A. WiINCKLER serait-il le premier qui ait tenté de prouver méthodi-


quement une transposition du logos stoïcien dans le dogme chrétien ? (Ein
Beitrag zur Geschichte des Stoicismus, Inaug. Diss. der Philos. Fakultät zu
Leipzig, Leipzig, 1878, p. 25-27).
2. Cf. M. J. LAGRANGE, Le logos d’Héraclite, in Rev. Bibl., 32, 1923, p. 96-107;
Vers le logos de saint Jean, ibid., p. 161-184; Vers le logos de saint Jean
(suite), Le logos de Philon, ibid., p. 321-371. J. LeBRETON, Les théories du
logos au début de l’ére chrétienne, Paris, 1906, extrait des Etudes, 1906. En
ce qui concerne Philon, cf. E. BRÉHIER, Les idées philosophiques et religieuses
de Philon d'Alexandrie, 3° éd., Paris, 1950, p. 83-111. Le logos de Philon est
étudié également par H. A. Wozrson, Philo, Foundations of religious philo-
sophy in Judaism, Christianity and Islam, Cambridge-Mass., 1947, t. I. L’auteur
se résume ainsi : le logos de Philon présente trois degrés, 1° la propriété de
Dieu, 2° l’ensemble des pouvoirs incorporels créés, 3° l’ensemble des pouvoirs
divins existant dans le monde. Il en discute la qualité stoïcienne et réduit
presque la parenté à l’expression (p. 328-332). La longue étude du logos par

295
10
DIEU ET LE VERBE

donnée biblique et la notion philosophique paraît aujourd’hui


recueillir peu de suffrages $. ;
Cependant, même si on écarte le rapprochement philosophie-
Bible, il reste le problème de la pensée chrétienne. Les Pères, en
exploitant au cours des âges le concept biblique du Logos, n’ont-
ils pas été influencés secondairement par le stoïcisme ? N'ont-ils
pas été marqués par les théories de l’époque, quand ils ont pré-
cisé la nature du Verbe, de ses relations avec Dieu, avec l’huma-
nité, avec le monde ?

IL LE LOGOS EN LUI-MÊME : SA NATURE

Une puissance Il est tout à fait remarquable que


rationnelle. les Apologistes ont centré leur
enseignement, non pas sur la per-
sonne de Jésus-Christ, comme nous pourrions nous y attendre
de la part de ces premiers héritiers de la tradition apostolique,
mais sur le Verbe-Logos. Qui nomme Jésus ? Aristide, saint Justin
et Tertullien sont peut-être les seuls; mais tous parlent abondam-
ment du Verbe, comme toutes les religions de l’empire et toutes

M. Heinze, Die Lehre vom Logos in der griechischen Philosophie, Oldenburg,


1872, n’examine pas la question du logos chez les Pères, bien qu’elle pose le
problème pour Philon (p. 204-298) et pour les néo-platoniciens (p. 298-329).
3. J. LEBRETON, Histoire du Dogme de la Trinité, t. I, conclut au terme d’un
examen attentif des textes : la conception stoïcienne « est certainement
étrangère à la théologie johannique, comme à toute la pensée chrétienne de
cette époque » (p. 453). E. Gizson souligne que la notion est passée du plan
philosophique au plan religieux (La philosophie du Moyen-Age, Des origines
patristiques à la fin du XVI° siècle, Paris, 1944, p. 11). Le Theologisches
Wôrterbuch zum Neuen Testament de G. KiTTer, au mot Aéyu (t. IV, Stuttgart,
1942, p. 69-198), consacre au Logos in Griechentum und Hellenismus un article
dense et riche (p. 76-89), où l’auteur, KLEINKNECHT, repousse le rapprochement
(p. 88-89; cf. p. 134, 137-138), parce que le logos grec part de l’homme et non
de Dieu, qu’il est lien d’unité du monde et non médiateur entre ciel et terre,
qu’il appartient à un circuit physique ininterrompu au lieu de marquer une
rupture... Au contraire, P. G. CmaPpuis, La Destinée de l’homme, De l'influence
du stoïcisme sur la pensée chrétienne primitive, Paris, 1926, maintient la
permanence de la notion de Logos, du stoïcisme à saint Jean et saint Paul,
de l’Eglise primitive à la théologie chrétienne, avec « cette différence occa-
sionnelle que le Logos est personnifié » (p. 89), avec cette complication que
le Logos devient Jésus, une personnalité historique (p. 90-91). Cette position
(p. 88-106) comporte tant de réserves, qu’elle ne se distingue guère des pré-
cédentes, malgré l’affirmation initiale. A. W. ARGYLE cherche aussi à montrer
la permanence de la notion philosophique de Logos en étudiant son
influence sur la pensée chrétienne (The Influence of the Logos doctrine on
Christian Thought, dans les Studies in History and Religion présentées au
Dr. H. W. Robinson par E. A. Payne, Londres et Redhill, 1942, p. 127-142).
I1 étend l’histoire de la notion jusqu’à l’époque moderne, mais la considère
plus dans l’homme qu’en Dieu. }

296
LE LOGOS : SA NATURE
les écoles philosophiques de ce Il° siècle 1. Il y a là une première
accomodation à la philosophie, une première influence en
quelque sorte.
Ce logos, comme son nom l'indique, est considéré par les Pères
comme une force rationnelle, une Sévaute Aoywr disent Justin 2 et
Tatien % A6you Sivauxc dit encore Tatien 4, Süvauc Xéyoc selon
Hippolyte 5, le Aoyioués du tout, d’après les Philosophoumena 6.
En conséquence, l’œuvre du Verbe est souvent présentée comme
éminemment rationnelle, ainsi que nous le verrons. D’autres
Pères soulignent simplement l’aspect actif, Athénagore y voit
l’évépyeux de tous les êtres matériels, confusément unis dans le
chaos, et ce mot est doublé du terme platonicien idée 7. Justin
l’appelle « la puissance du Père ineffable 8 », ou simplement « la
puissance » de Dieu?, avec Théophile d’Antioche 10, avec Ter-
tullien 1, avec Hippolyte 12, Hippolyte dit encore : « La puis-
sance paternelle 13, > Clément y voit « la puissance de l’en-
semble 14 », ou, en une expression beaucoup plus curieuse, « le
sercle de toutes les puissances enroulées et réunies en un 15 ».
Le Verbe apparaît donc comme une puissance, affirmation qui
s’appuie sur la Bible 16, mais une puissance surtout rationnelle.

Le Verbe dans Les Pères éprouvent une certaine


l’espace et le temps. répugnance à douer cette puissance
de là spiritualité, même quand ils
accordent cette propriété au Père. Ils considèrent le Verbe comme
localisable et surtout visible, Théophile 17 et Tertullien 18, malgré

1. Ce fait a été souligné souvent, par exemple J. LeBRETON, Les théories du


Logos au début de l’ère chrétienne.., p. 5.
2. Dial., LXI, 1.
3. Orat., V-bis; VII, init.
4. Orat., V.
5. Noet., XI, éd. NAUTIN, 253, 11.
6. Refut., X, 33, 1.
7. Leg., X.
8. II Apol., X, 8.
9. 1 Apol., XIV, 5; XXIII, 2; XXXII, 10; XXXIII, 6; Dial., CV, 1.
10. Autol., I, 22.
11. Apol., XVII, 1; XXI, 11.
12. Noet., IV, éd. NaAUTIN, 243, 9.
13. Ibid., XI, éd. NAUTIN, 253, 22; XVI... 259, 24.
14. Protr., 120, 4.
15. Str., IV, 156, 2. Ce mot se ressent de Platon et de Philon aussi bien que
des Stoiciens. Il sc rapproche du Portique en ce qu’il place dans le logos la
cause essentielle, chargée en puissance de toutes les causes secondaires.
M. J. DaskaALaAxis étudie ce texte en détail (Die eklektischen Anschauungen des
Clemens von Alexandria und seine Abhängigkeit von der griechischen Philo-
sophie, Leipzig, 1908, p. 52-58).
16. Cf. I. Co., 1, 24.
17. Autol., II, 22.
18. Prax., XVI, CSEL 47, 258, 1-15.
DIEU ET LE VERBE
Hermas 19, qui le juge é&xopnros, disent le Verbe capable de se
situer dans l’espace. Tertullien, du moins dans la discussion ad
hominem, le place même dans le temps. Pour réfuter l’éternité du
monde, il déclare : « Si ce qui est à l’intérieur du Seigneur, ce qui
fut de lui et en lui, ne fut pas sans début (il s’agit de sa Sagesse
née et créée du moment qu’elle commença à s’agiter dans la con-
naissance de Dieu pour arranger les œuvres du monde), à plus
forte raison rien ne peut-il être sans début de ce qui a été en
dehors du Seigneur 2, » Plus nettement encore, il déclare à
Hermogène : « Il y eut un temps où... le Fils n’exista pas 21, » Clé-
ment, plus réservé et sans compromettre absolument l’éternité
du Verbe personnel, lie souvent sa génération à l’acte créateur 22.

Manifestable. Les écrivains ecclésiastiques re-


fusent surtout au Verbe l’invisibi-
lité du Père. C’est le Verbe qui est apparu dans l’Ancien Testa-
ment et toutes les théophanies sont des manifestations du Verbe 28.
C’est ainsi que Dieu, qui avait promis de se montrer à Moïse 24,
réalisa sa promesse, selon Tertullien 25 ou Irénée 26, par la trans-
figuration du Christ, avec Moïse et Elie, devant les Apôtres.
L’Incarnation est, aux yeux de Justin, une des apparitions du
Verbe 27, qui s'était montré auparavant sous la forme du feu ou
sous l’image des incorporels 28. Le Verbe serait donc visible au
monde dès la création, bien avant l’Incarnation. Hippolyte a l’air
de le supposer #?. Tertullien affirme nettement que le Fils a
toujours été visible, contrairement au Père 30, C’est lui qui est
entré en relation avec l’homme, selon le récit de la Bible 31.
L’apologiste oppose explicitement le Père « invisible » au Fils
« visible », « Le Père, dit-il, est invisible à raison de la plénitude

19. Past. Simil., IX, 14, 5.


20. Hermog., XVII, CSEL 47, 145, 27-146, 4.
21. Ibid., III, CSEL 47, 129, 5-6.
22. H. A. Wozrson, dans un article récent, penche pour une génération du
logos liée à la création et à l’incarnation (Clement of Alexandria on the
enerälion of the Logos, in Church History, 20, 1951, p. ([3]-[12]). Sur le
Verbe et la création, cf. infra, p. 312-316 et 351-352,
23. J. LEBRETON consacre une note à l’interprétation des théophanies chez
les Apologistes, Histoire du Dogme de la Trinité, t. XI, p. 663-677.
24, Nb., 12, 6-8.
25. Prax., XIV, CSEL 47, 252, 2-8; Marc., IV, 22, CSEL 47, 495, 18-24.
26. Haer:, IV, xxxXIV, 9, HARVEY II, p. 220.
27. 1 Apol., LXIII, 10.
28. Ibid., 16; cf. 10.
29. Noet., X, éd. NAUTIN, 253, 4-7.
30. Prax., XV, CSEL 47, 253-256.
31. Ibid., XNI..., 256 sq.

298
LE LOGOS: SA NATURE
de sa majesté. Le Fils est visible dans la mesure de sa déri-
vation 82, » La distinction est poussée jusqu’à une sorte de diffé-
rence essentielle #%, Cependant visible signifie seulement, pour
Novatien344 et Tertullien 35, capable de se manifester et non
visible en permanence, « Nous disons, écrit Tertullien, que le
Fils aussi est invisible à titre personnel, en tant que parole
et
esprit de Dieu, par suite de la condition de sa substance, même
maintenant, et parce qu’il est Dieu et parole et esprit de Dieu »,
mais qu’il a été visible avant l’Incarnation, de la manière qu’il
dit à Aaron et Marie 36, c’est-à-dire dans un miroir, en visions,
en rêve 57. Le Verbe anticipe en quelque sorte son rôle à venir 38.

Corporéité. Le langage est hésitant; mais un


fait est clair : le Verbe, au moins
chez Tertullien, est manifestable et localisable dans un certain
sens, alors que le Père ne l’est pas. De même, le Fils pourrait être
passible, quand le Père ne l’est pas, parce que le fleuve peut être
troublé sans que le soit la source 3%, Tertullien appuie cette infé-
riorité par rapport au Père, non pas sur quelque théorie subor-
dinatienne, d’obédience platonicienne, mais sur le fait que le
Verbe n’est qu’une deriuatio 4 et une portio 41, Il dit expressé-
ment : « Le Père, c’est la substance totale, mais le Fils, la déri-
vation du tout et sa partie, comme il déclare lui-même : le Père
est plus grand que moi #2, » Il précise que le Verbe n’est pas

32. Prax., XIV, CSEL 47, 250, 22-24,


33. Clément oppose aussi le Verbe connaissable au Père qu’il nous révèle
et il le range parmi les « intelligibles » (Str., VII, 2, 2) : « Le sein de Dieu »
est « invisible et ineffable » (ibid, V, 81, 3); « Il reste donc que, par
la grâce divine et le seul Verbe issu de lui, on peut connaître l’inconnais-
sable » (ibid., V, 82, 4). Mais il pousse moins loin l’opposition.
34. Trin., XVIII, éd. FAUSSET, 61, 18-62, 12.
35. Prax., XXIV, CSEL 47, 274-275.
36. Ibid., XIV, CSEL 47, 251, 17-21. Il existe un certain flottement chez
Tertullien à ce sujet. Dans l’Aduersus Marcionem, il semble soutenir que
le
Verbe est insaisissable comme portion d’un tout insaisissable (III, 6, CSEL
47,
385, 13-14). Dans l’Aduersus Praxean, il oppose Dieu, absolument transcendant,
à « la partie qui devait tomber sous le nom de Fils » (XXVI, CSEL 47, 25-26;
cf. 278, 16-17 et passim). J. STIER a longuement étudié cette visibilité du
Verbe
en opposition avec l’invisibilité du Père et tous les problèmes qu’elle pose
(Die Gottes- und Logoslehre Tertullians, Gôttingen, 1899, p. 70-79). I1 y voit
« le mode d’existence spatial-temporel » que prend l’absolu du point de vue
du monde.
37. Prax., XIV, CSEL 47, 252, 6.
38. Marc., Il, 27, CSEL 47, 373, 18-20.
39. Prax., XXIX, CSEL 47, 286, 13-21. En fait, dans la suite, Tertullien
rejette l’hypothèse. Pour Hippolyte aussi le Verbe est impassible (Noet., XV,
éd. NAUTIN, 259, 3).
40. Ibid., XIV, CSEL 47, 250, 24.
41. Ibid., 27; Marc., II, 6, CSEL 47, 385, 14; Prazx., XXVI, CSEL 47, 277, 25;
278, 16.
42. Ibid., IX, CSEL 47, 239, 24-26.

299
4

DIEU ET LE VERBE

« Dieu lui-même, mais Dieu seulement en tant qu’issu de la sub-


stance de Dieu même... et comme une portion du tout #3 ». Cette
expression: portion d’un tout, malgré les atténuations du con-
texte, laisse entendre une conception matérialiste de Dieu, et du
Verbe en particulier.
Tertullien ne s’en cache pas. Il se définit à lui-même le mot
Verbe, Parole : « Qu’est-ce que la parole, dis-tu, si ce n’est la voix
et le son de la bouche, et, comme s’expriment les grammairiens,
de l’air heurté, qui prend du sens à l’oreille, mais je ne sais quoi
de vide et de vain et d’incorporel-#4, » Et, poursuivant l’objection,
‘il se récrie en songeant à la création : comment « un être vain »
aurait-il produit « du solide et un être incorporel du cor-
porel 45 ? » Le Verbe est donc bien corporel#$. Mais corps est
ici, comme pour Dieu, employé dans le contexte stoïcien. Il est
plus proche de substance que de matière. C’est bien en ce sens
qu’il continue, mêlant platonisme et stoïcisme : « Si tout ce qui
existe d’invisible a, auprès de Dieu, et son corps et sa forme, par
quoi il est visible à Dieu seul, combien plus ce qui est sorti de sa
propre substance ne sera-t-il pas sans substance 47, » Et plus
loin une phrase qui résume tout : « La parole est faite d’esprit et,
pour ainsi dire, le corps de la parole, c’est l’esprit #8, >» Ce der-
nier mot exprime le fond de sa pensée. Le Verbe est esprit, parce
que le corps, la réalité du sermo, est esprit aussi bien que corps.
Les Excerpta ex Theodoto accordent aussi au Fils « une forme
propre et un corps # ». L'auteur du passage — Clément lui-même,
semble-t-il 50 —— précise qu’il s’agit d’une corporéité relative, qui
n’est pas celle des êtres terrestres 51; mais il maintient cette
corporéité du Fils devant le Père et établit ce rapport : comme
les êtres célestes sont « des corps mesurés et perceptibles » en
_ comparaison du Fils, « ainsi le Fils comparé au Père 52 ». Et plus
loin, on distingue le Fils du Père, « selon la délimitation, non
selon l’essence 53 ». Il y a bien là une certaine conception maté-
rielle du Verbe.

43. Prax., XXVI, CSEL 47, 278, 14-16.


44. Ibid., VII, CSEL 47, 236, 20-23.
45. Ibid., 237, 2-3.
46. Peut-être Athénagore révèle-t-il la même tendance quand ïil dit que
le Verbe inspire les prophètes comme le souffle de l’aulète la flûte (Leg., IX).
A. Puecx juge que le Verbe est « conçu à la façon stoïcienne comme un air
extrêmement ténu » (Les Apologistes grecs du II° siècle de notre ère, Paris,
1912, p. 337).
47. Prax., VII, CSEL 47, 237, 13-16.
48. Ibid., VIII, CSEL 47, 238, 11-12,
49. 10, 1.
50. F. SAGNARD, éd. Sources Chrétiennes, p. 17.
51. Exc. ex Theod., 10, 2.
52. Ibid., 11, 3.
53. Ibid., 19, 1. F. SAGNARD y voit une ébauche de la notion de personne.

300
LE LOGOS : PROBLÈME TRINITAIRE

Conclusion. Dans cette conception du Logos,


puissance rationnelle, mais plus
proche de la matière et des sens que le Père, se tromperait-on
à voir un souvenir du logos antique ? On a pu reporter sur le
Verbe, ce qu’on ne pouvait plus attribuer à Dieu même. En tout
cas, il ne faudrait pas oublier que ce Logos, au moins par sa
naissance humaine 54, est bien Fils. « Il devint Fils de Dieu, en
sortant de lui pour être engendré 5. » « Il se fit un Père de
celui dont il procéda pour devenir Fils 56, » Et Théophile, l’un
des plus stoïcisants, proclame clairement : « Le Verbe de Dieu,
qui est aussi le Fils de Dieu. le Verbe étant Dieu et né de
Dieu 57. » Par là, le Verbe est revêtu de personnalité et défini-
tivement distinct du logos des philosophes.

II. LE LOGOS EN DIEU:


PROBLÈME TRINITAIRE

Le logos, chez les Stoïciens, était Dieu lui-même. Quels sont,


chez les Pères des premiers siècles, les rapports entre le Logos
personnel chrétien et Dieu ? Comment ont-ils conçu les rela-
tions entre les personnes divines, que la théologie définira
péniblement par les termes d’hypostase et de personne au
IV* siècle ? On pourrait supposer ici encore qu’ils se sont sou-
venus du Dieu des Stoïciens, soumis dans son essence à un
développement cyclique et pourvu dans ses fonctions de noms
divers, N’en a-t-on pas découvert une indéniable adaptation
chez Candide l’Arien, où la Trinité est conçue comme une
_ expansion de Dieu selon le rythme stoicien 1 ? En fait, on trouve

54. D. B. CAPELLE remarque en effet : « Hippolyte enseigne que le Logos


ne serait devenu Fils de Dieu que par l’Incarnation » (Le Logos Fits de Diei
dans la théologie d’Hippolyte, in Rech. de Théol. Anc. et Médiév., 9, 1937,
p. 113). Il n’est Fils auparavant que par prolepse, imparfaitement Fils
(p. 115-117). Cf. la suite du présent chapitre, p. 312, n. 66.
55. Prax., VII, CSEL 47, 236, 14-15,
56. Ibid., 235, 19-20.
57. Autol., II, 22.

1. P. Haport, Typus, Stoïcisme et Monarchianisme au IV* siècle d'après


Candide l’Arien et Marius Victorinus, in Rech. de Théol. Anc. et Médiév., 18,
1951, p. 177-187. Ces théologiens doivent peut-être leur théorie à Marcel
d’Ancyre, leur maître, chez qui on trouve une théorie semblable (un rAaruüvecôat

301
DIEU ET LE VERBE

peu de traces précises d’un tel système dans les théories trini-
taires de l’époque et dans les relations que les penseurs mettent
entre le Père et le Verbe, en particulier.

A. EXPANSION DIVINE

Dans le plan La seule trace assez visible d’un


trinitaire. développement périodique en Dieu
dans le plan trinitaire se trouve
de Athénagore. Il appelle le Verbe äxéppoux2. Le terme même
n’a rien d’étrange. Il correspond à peu près au mot latin irès
connu, deriuatio, et, bien qu’il s'emploie dans la langue hellénis-
tique pour désigner une influence astrale, surtout personnifiée,
il ne s’éloigne pas du langage biblique #. Mais l’Esprit-Saint, qui
est aussi &néppoux du Père, pour Athénagore, est ramené à sa
source : « Il y découle et y rentre comme un rayon de soleil 4. »
Il y a un mouvement de sortie et de retour. Peut-être dans ce
double mouvement faut-il reconnaître un souvenir des dévelop-
pements cycliques du pneuma divin chez les Stoïciens 5. Justin
rapporte une théorie voisine qu’il réprouve : « Le Père, quand il
veut, disent les hérétiques, fait sortir (rpoorndäv) sa puissance, et,
quand il veut, à nouveau la rappelle à soi (&væoréAde) 6. »
On retrouve peut-être quelque chose de cette théorie chez
Novatien : « Il apparaît un seul Dieu, vrai et éternel, le Père.
Sa puissance divine, envoyée (emissa) de lui seul, même trans-
mise et dirigée sur le Fils, en retour (rursum), par la commu-

de la monade en triade), selon l'interprétation de W. GERICKE, Marcel


von Ancyra, der Logoschristologe und Biblizist, sein Verhältnis zur Antio-
chenischen Theologie und zum Neuen Testament, Halle, 1940, p. 122. Ce dernier
auteur invoque l’Orat. IV c. Arian., xixr, qui signäle effectivement des mou-
vements de contraction (ouatéh}eofat) et d'extension (éxteivecôat) en Dieu,
pour expliquer la Trinité (PG XXVI, 484 C-485 C).
2. Leg., X; XXIV.
3. Sg., 7, 25. La Sagesse divine y est appelée ärôppora, dans un contexte où
elle est présentée comme un pneuma et décrite en termes proches du stoïcisme.
Le terme se retrouve à la fois en milieu juif (Plotin, Enn., Il, 1, 7), en milieu
chrétien (Clément, Protr., 68, 2) ou gnostique (Exc. ex Theod., 2, 1; 2) et en
milieu païen, surtout stoïcien (Plutarque, Is. et Osir., 59, 375 b). Certaines de
ces références sont empruntées à R. E. Wirr, The hellenism of Clement of
Alexandria, in The Classical Quarterly, 25, 1931, p. 201. A. Puecx juge le terme
essentiellement stoïcien : il désigne la relation de notre hègemonikon avec le
logos total (Les Apologistes…, p. 337, n. 3).
4, Leg., X; cf. XXIV.
5. « On voit que l’essence divine elle-même est pour Athénagore quelque
chose d’assez analogue au pneuma des Stoïiciens », dit A. Puecx, Les Apolo-
gistes…, p. 337.
6. Dial., CXXVIIL, 3.

302
LE LOGOS : PROBLÈME TRINITAIRE

nion de substance, est ramenée (reuoluitur) au Père 7. » Mais le


contexte atténue plutôt la thèse d’un mouvement substantiel avec
expansion et contraction. On peut enfin découvrir une vague trace
de ce système chez Tertullien. Il s’en prend aux ennemis qui
l’accusent d’honorer deux ou trois dieux. « Ils se prétendent les
adorateurs du Dieu unique, dit-il, comme si l’unité déraisonna-
blement rassemblée (collecta) ne constituait pas une hérésie, et
la trinité raisonnablement dépensée (expensa8) ne constituait
pas la vérité®, » Il y a peut-être là des réminiscences de la
vieille théorie stoïcienne, mais elles sont bien discrètes.

Une théorie Nous relevons, au contraire, des


de l’Incarnation. traces manifestes d’un développe-
ment cyclique en Dieu dans l’expli-
cation que l’Homélie Pascale hippolytienne donne de l’Incar-
nation 10, C’est le document le plus curieux que la littérature
ecclésiastique de l’époque nous offre en ce domaine. Le texte
n’en est pas facile. Le voici dans la traduction de P. Nautin,
légèrement retouchée : « Comme l’Esprit divin, dans sa pureté,
était inaccessible à l’univers 11, afin que chaque chose n’eût pas
à souffrir des effusions 12? sans mélange de l'Esprit, lui-même se
resserrant (ovorelAac) en soi de son plein gré, ramassant et com-
primant (ouvaBpoloac xal ouva«yæywv) en soi toute la grandeur de la
divinité, est venu avec les dimensions qu’il a voulues… Il est
venu tel qu’il devait être contenu 13%. » Et plus loin: « Ô
divine extension (ëxrésewc) en tout et partout ! Ô crucifixion qui
se déploie 14 à travers toutes choses! Ô unique des uniques vrai-
ment tout en tout, que les cieux aient ton esprit, le paradis ton
âme... et la terre ton sang 15, L’indivisible s’est divisé, afin que
tout fût sauvé 16, »
Evidemment, à considérer seulement la deuxième partie de ce
texte, on pourrait n’y voir qu’une rhétorique un peu pompeuse

7. Trin., XXXI, éd. FAUSSET, 122, 7-10.


8. On peut se demander s’il ne faut pas lire expansa (étendue, développée)
en face de collecta. Ou bien Tertullien donnait-il au terme expensa un sens
non classique ?
9. Prax., III, CSEL 47, 230, 16-18.
10. Je me permets de l’utiliser, malgré la limite de 230 que je me suis fixée,
parce que la date en est encore discutée et que de toute façon elle est, sinon
inspirée d’Hippolyte, au moins d’origine très ancienne. L’intérêt de ce texte
m'a été signalé par M. M. Richard.
11. roi 6houw : toutes choses, P. NAUTIN.
12. ph Tavra ouumalñ vais... éméohaïs : rien n’eût part aux effusions,
P. NAUTIN.
13. Ed. Sources Chrétiennes, ch. 45, 2.
14. érhoupévns : s’élend, P. NAUTIN.
15. aîua : sua corps, coni. P. NAUTIN, p. 104, n. 2.
16. Ch. 56.

303
DIEU ET LE VERBE

et vague, des élévations mystiques devant « l’extension » des


bras du Christ, poétiquement élargis 17. Mais cette explication,
déjà mal accordée avec la fin du texte, ne tiendrait aucun compte
de la première partie. Là nous trouvons, ainsi que dans toute
l’homélie, l’idée d’un salut cosmique posée comme a priori, Ce
salut est impossible naturellement. Il faut que I « Esprit inac-
cessible », l'Esprit divin, — a-t-il quitté l’univers par suite du
péché ? — revienne sauver le monde. Alors, pour éviter une
‘pénétration universelle de l'Esprit, qui entraînerait, semble-t-il,
une souffrance universelle, le Christ-Verbe opère en lui-même une
svorod, un resserrement de tout l'Esprit aux dimensions de
l’homme, et réalise dans ces conditions la rédemption totale. Le
salut opéré, l'Esprit, exhalé par le Christ, s'étend (Ëxraou) à
nouveau et, par lui, le Christ sauveur est présent « tout en tout ».
I1 semble difficile de rendre compte des détails du texte autre-
ment. Mais alors nous retrouvons un arrière-plan philosophique.
D'abord un lien entre l’esprit divin et la création, qui cependant
veut sauvegarder la transcendance de l’esprit 18, Ensuite un mou-
vement de l’esprit qui se resserre (ouotelAxç), se regroupe (ouvæ-
6poloaç), pour l’incarnation rédemptrice, et se déploie (éxraoic),
son œuvre faite. L'auteur ne s’est-il pas inspiré d’une double
théorie stoïcienne: la pénétration universelle de l'esprit et son
déploiement cyclique, pour expliquer l’Incarnation et l’universa-
lité de la Rédemption dans le Christ 19 ?

B. SACRAMENTUM OECONOMIAE

Le problème trinitaire Plus souvent on retrouve, non pas


en général. l’idée d’un développement expansif
de Dieu, mais la théorie d’une orga-
nisation interne de la nature divine. C’est ce qu’on a coutume
d'appeler la conception économique de la Trinité, Il en est sur-
tout question, mais pas exclusivement, au sujet des relations du
Verbe avec le Père. Comme on le sait, le problème trinitaire à
cette époque restait à l’arrière-plan dans la pensée chrétienne et
l’on se contentait de l’expression biblique, Père, Fils et Esprit,
sans en expliciter la théologie. Mais sur le Christ et le Verbe, il
fallut s'expliquer aussitôt et l’on voit les Pères se débattre avec

17. Cf. ch. 15, 2 et ch. 38.


18. 11 multiplic les adjectifs qui l’expriment : ämpÜattos, dxpatocs, äpmiyhc
(ch. 45, 2).
19. Sous cet angle, le texle peut se rapprocher de Ære. ex Theod., 41, 1,
étudié infra, p. 418.

304
LE LOGOS : PROBLÈME TRINITAIRE
le problème. Il s’agit de bien entendre la filiation du Verbe, pour
ne pas nuire à l’unicité et même à l’unité divine. Justin rejette
l’idée d’une « amputation, comme si l’ousia du Père avait été
partagée 20 ». Tatien, son disciple, écarte aussi une éroxorñ du
Père, un sectionnement, parce que le Père n’est jamais sans
Verbe, mais pour accepter une espèce de répartition (uepiouéc).
Il prononce même secondairement le mot d’oixovoula 21, d’organi-
sation ou dispensation.
Ce dernier mot fit fortune. Emprunté à saint Paul 22, où il
s’applique au plan divin du salut, il continua à désigner l’incar-
nation rédemptrice dans la patristique grecque. Cependant, peut-
être sous l'influence d’Irénée #3, il prit un sens trinitaire chez
certains écrivains occidentaux du IIT° siècle, Tertullien en parti-
culier, Ce penseur, tout en étant gêné par son matérialisme et son
incapacité de soupçonner le spirituel, poussa très loin cette
théorie des personnes divines.

Le problème Tertullien possède une gamme très


chez Tertullien. variée de termes qui «expriment la
naissance du Fils. Du point de vue
du Père, il emploie edere, proche du œ8éyyoux d’Hippolyte 24,
proferre très souvent, et même le nom probolé avec Justin 25, mais
en écartant le sens que lui donnait Valentin 26, Du point de vue
du Verbe, il utilise prodire ou procedere, comme le xpoeXôeîv
d’Hippolyte ou le rpornôäv de Tatien, mais aussi le verbe decur-
rere ou le nom deriuatio. Ces termes sont orthodoxes et clas-
siques. Mais voici qu’il joint volontiers à deriu lio le mot portio,
comme nous venons de le voir. Le deuxième terme pourrait

20. Dial., CXXVII, 4; cf. LXI, 2.


21. Orat., V, c. med.
22: Ep: 1,0105 3;%2% 9: Col., 1,125:
2%. Le mot se trouve 30 fois sous sa forme grecque et 85 fois sous la forme
disp-sitio dans la partie de l’œuvre qui n’est parvenue qu’en latin. Jamais
l’évêque, sans doute pour éviter la confusion avec les Gnostiques, ne désigne
par là « l’économie interne de la Trinité » (A. Dp’ALès, Le mot oixovouia dans
la langue théologique de saint Irénée, in Rev. des Etudes Grecques, 32, 1919
[éd. 1921], p. 1-9). Pour un bon aperçu plus rapide, cf. E. Evans, éd. Aduersus
Praxeaun.…., Londres, 1948, p. 192-193. Irénée a pu néanmoins contribuer à
l’évolution du terme, par exemple dans une expression de ce genre : « Dans
Pessence même et la nature de son être, on démontre qu’il y a un seul Dieu,
quoique, d’après l’économie de notre rédemption, il y ait et un Fils et un
Père » (Dem. p. a., 47, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 779). Il serait la source probable
de la théorie de Tertullien sur l’économie. Cet emploi trinitaire du mot
économie fait pratiquement l’objet du ch. v de G. L. PRESTIGE, God in Patristic
Thought, nouv. éd., Londres, 1952, intitulé : le monothéisme organique, et
consacré exclusivement à Tertullien et Hippolyte (p. 97-111).
24. Noelt., X, éd. NAUTIN, 251, 21; 253, 5.
25. Dial., LXII, 4; LXXVI, 1.
26. Prax., VII, CSEL 47, 237, 19-238, 20. Le terme est rejeté comme gnostique
par Clément, Str., II, 1, 1; V, 126, 2, et par Hippolyte, Dan., Il, 30, 5.

305
DIEU ET LE VERBE «

inquiéter. Il n’est en fait qu’une gaucherie de l’expression, et,


dans le contexte même, l’auteur nous rassure 27 en excluant toute
division de la substance divine : non tamen diuersitate alium
Filium a Patre, sed distributione, nec diuisione alium, sed
distinctione 28. Pas de séparation, pas de division, ces mots
reviennent souvent 2. Bien plus, pour échapper à ce partage de
l'essence divine, il établit la théorie de la Trinité économique.

La solution Avant même d’employer le terme,


de Tertullien. Tertullien énonçait la théorie dans
son Apologeticum :

10. Nous avons déjà dit que Dieu a créé cet univers que nous voyons,
par sa parole et par sa raison et par sa puissance. Vos philosophes sont
aussi d'accord pour dire que c’est le logos, c’est-à-dire « la parole et
la raison », qui est l’auteur de l’univers. Zénon le désigne comme
l'artisan qui a tout formé et tout disposé; il dit qu’on l’appelle aussi
« destin, dieu, âme de Jupiter, nécessité de toutes choses ». Cléanthe
réunit tout cela pour l’attribuer à l « esprit », qui circule, dit-il,
à travers tout l’univers.
11. Or nous aussi, nous regardons la parole et la raison, et aussi
la puissance, par lesquelles Dieu a tout créé, nous l’avons dit, comme
une substance propre que nous appelons « esprit » : la parole est dans
cet esprit quand il commande, la raison le seconde quand il dispose,
la puissance l’assiste quand il réalise. Nous disons que Dieu a proféré
cet esprit et qu’en le proférant il l’a engendré, et que pour cette raison
il est appelé Fils de Dieu et Dieu, à cause de l’unité de la substance *,
car ce Dieu est esprit.
12. Quand un rayon est lancé hors du soleil, c’est une partie qui part
du tout; mais le soleil est dans le rayon, parce que c’est un rayon
du soleil, et que la substance n’est pas divisée, mais étendue, comme
la lumière qui s’allume à la lumière. La matière-source demeure
entière et ne perd rien, même si elle communique sa nature par
plusieurs canaux.
13. Ainsi ce qui est sorti de Dieu est Dieu, Fils de Dieu, et les deux
ne font qu’un. Ainsi l’esprit qui vient de l’esprit et Dieu qui vient de
Dieu est autre par la mesure, il est second par le rang, non par l’état,
et il est sorti de sa source sans s’en être détaché *.

Cette page appelle quelques mots de commentaire. Elle révèle,


chez Tertullien, une volonté de concordisme qui force les notions.

27. E. Evans, dans son commentaire, explique que le mot désigne plus une
appartenance qu’une infériorité de dimensions ou une coupure, éd. Aduersus
Praxean.…., p. 246-247,
28. Prax., IX, CSEL 47, 239, 21-23.
29. Ibid., IX, CSEL 47, 240, 5 : « Non diuisionem... sed dispositionem » ;
XI... 242, 25 : « distincte, inquam, non diuise »; XII..., 246, 20 : « Ad distinc-
tionem, non ad diuisionem »; XIX.…, 262, 26-27 : « Non ex separatione
substantiae, sed ex dispositione » ; XXI... 264, 6 : « Dispositione alium, non
diuisione. » :
30. Nous reconnaissons là l’émooustoç, qui fera l’objet: de tant de querelles,
31. Apol., XXI, 10-13, trad. WaALTZING.

306
LE LOGOS: PROBLÈME TRINITAIRE
L’auteur souligne une rencontre avec Zénon et Cléanthe, qui est
plus verbale que réelle 32. Cependant, en ce rapprochement, tout
n’est pas sans fondement. Dieu, pour Tertullien, agit par une
substance qu’il profère, une substance qui est esprit comme Dieu
lui-même, qui est raison, parole et puissance de Dieu. Tertullien
n’emploie pas ces termes au hasard; il utilise ailleurs ce triple
attribut de Dieu. « Le Dieu unique, dit-il.…., par sa parole qui a
commandé, par sa raison qui a disposé, par sa puissance qui eut
tout pouvoir, a tiré du néant tout cet édifice gigantesque 33. » Ce
sont les termes que l’on rencontre aussi chez Minucius Félix.
« Disons-nous, s’écrie ce dernier, que Dieu soit autre chose que
mens, ratio et spiritus 34? » Il rejoint même textuellement Ter-
tullien : « Dieu, dit-il, de sa parole ordonne, de sa raison dispose,
de sa puissance réalise tout ce qui existe... 35 », Mais les Stoiciens
eussent-ils écarté cette théologie ? Pour eux aussi, le pantheos
est logos, esprit, destin. De chaque côté, malgré d’innombrables
différences — nous savons que le Verbe de Tertullien est per-
sonnel —, n’y a-t-il pas unité de la substance et multiplicité des
fonctions ? L'adaptation de la pensée chez l’apologiste n’est pas
purement formelle.
La fin du texte apporte la théorie que Tertullien développe,
avec une terminologie nouvelle, dans l’Aduersus Praxean. Le
Verbe est proféré, mais sans être détaché du Père. C’est une
espèce d’émanation, si l’on veut, qui aboutit à la pluralité : il y
a premier, deuxième, troisième 36, mais il n’y a pas séparation.
La relation est celle de l’arbre à la racine, du courant à la
source, du rayon au soleil 37, « En rien cependant il n’est étran-
ger à la matrice dont il tire ses propriétés » et il poursuit : « Ainsi
la Trinité dérive du Père par des degrés qui s’emboîtent sans
rupture; n’entravant en rien la monarchie, elle favorise l’exis-
tence de l’économie 88. »

32. Ce n’est pas une rencontre de doctrines, dit E. Evans, mais « un


argument que la doctrine chrétienne du Logos. ne devait pas être sommai-
rement écartée comme déraisonnable » (éd. Aduersus Praxean.…., p. 32).
33. Apol., XVII, 1; cf. Prax., VI, CSEL 47, 235, 6-7 : « Cum sophia ct ratione
(ou sophiae ratione) et sermone disposuerat »; VII, CSEL 47, 236, 16:
« Substantiam esse sermonem, spiritu et sophia et ratione (ou sophiae tra-
ditione) constructum ».
84. Oct., XIX, 2.
35. Ibid., XVII, 7.
36. Athénagore (Leg., X) parlait déjà de Giaipeou êv tf téter. Cette « dis-
tinction par le rang » peut bien s’entendre au sens où l’emploie Tertullien,
et non comme une distinction par séparation, puisque l’auteur dit précisément
au même endroit que Père, Fils et Saint-Esprit sont « un par la puissance »,
ce qui est encore du Tertullien (Prax., II, CSEL 47, 230, 1-2).
37. Prax., VIII, CSEL 47, 238-239. Ces trois dernières images se trouvent
exactement 238, 19; cf. XXII... 269, 3. Elles sont appliquées par Cyprien
à l’unité de l’Eglise (Cath. Eccl. unit., V, CSEL II, 1, 214, 3-15). Deux d’entre
elles (le rayon et le courant…, Prax., XXVII..., 279, 20) se lisent dans Hippolyte
(Noet., XI, éd. NAUTIN, 253, 10), appliquées aux personnes divines.
38. Prax., VIII, CSEL 47, 239, 9-12.

307
DIEU ET LE VERBE

Une économie dans la monarchie divine, ces mots qui


reviennent toujours dans l’Aduersus Praxean expriment bien
l’idée de Tertullien : il voit dans la Trinité une dispensatio, une
disposition interne de la substance divine et non une division, si
bien que « l’unité qui fait découler de soi la Trinité, n’est pas
détruite par elle, mais organisée 3 ». Le résultat ? « Ils sont
trois, non par l’existence (statu), mais par l’ordre (gradu), non
par la substance, mais par la forme, non par la puissance, mais
par les propriétés (species); en fait, d’une substance, d’une exis-
tence (status) et d’une puissance 4. » C’est ce qu’il appelle de
cette riche expression : oikonomiae sacramentum #1,
Cette organisation interne, Tertullien la concevait avec la ter-
minologie et les idées de son milieu philosophique. La Trinité,
en tant que Dieu, est pour lui une substance. Or, « il n’y a pas
de doute que dans sa doctrine trinitaire il entend substantia dans
le sens de matière #2 », c’est-à-dire « corps » ; cependant un corps
spécial, « non déterminé par une limite propre, mais étendu sans
fin 4 ». Dans un corps les parties, aux yeux des juristes et des
philosophes stoïciens, pouvaient occuper trois positions : être
distinctes, être adaptées ensemble, être unifiées 44, Il n’était pas
question d’appliquer à Dieu le premier genre d’unité. Mais Ter-
tullien se sert, pour expliquer les relations des personnes, de
termes qui conviennent aux deux autres modes d’unité. Dans le
sens d’une unité par ouvmuuévæ, il parle de coniunctio 45, cohae-
rens 46, conexus et cohaerens 47, consertus et conexus 48, termes
qui sont employés par les juristes et par les philosophes, surtout

39. Prax., III, CSEL 47, 230, 13-15.


40. Ibid., II, CSEL 47, 230, 1-3; XIX..., 262, 26-28.
41. Ibid., II, CSEL 47, 229, 28. Ces textes de Tertullien sont soigneusement
étudiés par G. L. PRESTIGE, God in Patristic Thought.…, p. 98-106 et surtout
R. BRAUN, « Deus Christianorum ».…, p. 141-242; pour oikonomia, p. 160-167.
42. S. SCHLOSSMANN, Tertullian im Lichte der Jurisprudenz, in Zeitschrift
für Kirchengeschichte, 27, 1906, p. 408.
43. Ibid., p. 413. Dans le contexte (p. 409-413), l’auteur examine tous les
emplois de substantia chez Tertullien et montre que le terme désigne toujours
quelque chose de corporel. G. RAucH concluait que le terme substantia, par
suite du point de vue matérialiste de Tertullien, est « pleinement égalé, d’une
part, au concept res, et, d’autre part, au concept corpus » (Der Einfluss…,
Halle, 1890, p. 20). E. Evans juge aussi qu’il inclut une corporéité, ce qui ne
veut pas dire matérialité (éd. de l’Aduersus Praxean…., p. 53). M. KRIEBEr,
Studien zur älteren Entwicklung der abendländischen Trinitätslehre bei Ter-
tullian und Novatian, Ohlau-Marburg, 1932, p. 93-103, examine également les
emplois du terme à l’époque et se montre plus nuancé.
44. Soit en grec : x ôteotutuv (distinct) — ëx ouvzrrouévuv (adapté) —
hvwuéva (unifié), cf. ArRNImM, SVF II, 366-368, p. 124.
45. Prax., XXIV, CSEL 47, 275, 18; XXVII..., 279, 20.
46. Ibid., XII, CSEL 47, 246, 21,
47. Ibid., XXV, CSEL 47, 276, 10-11.
48. Ibid., VIII, CSEL 47, 239, 11.

308
| LE LOGOS: PROBLÈME TRINITAIRE
stoïciens 4. Dans la ligne d’une unité par vouéve, il utilise les
comparaisons du soleil et son rayon, de la source et son courant,
de la racine et sa plante; en même temps, il exploite les termes
vus plus haut de distributio, dispositio, distinctio, opposés à
separatio. Tertullien a donc appliqué à l’unité des trois personnes
les concepts de son temps. Cependant, comme le remarque fine-
ment S. Schlossmann, ces deux modes d’unité chez les philo-
sophes étaient exclusifs l’un de l’autre. En les appliquant tous
deux simultanément à l’économie divine, Tertullien dévoile son
ignorance du système : sa terminologie philosophique n’est plus
qu’une rhétorique 50,

La Trinité Le terme d’économie, cher à Ter-


chez Hippolyte, tullien, se retrouve chez Novatien 51,
Hippolyte l’emploie également, avec
une certaine insistance : « Mystère d'économie », dit-il à quatre
reprises 52, Il applique à la Trinité la même théorie d'économie.
« Qui niera, dit-il qu’il n’existe qu’un seul Dieu ? Et cependant
on ne supprimera pas l’économie 53, » Il insiste sur l’unité de
puissance 54, mais il précise : « Selon la puissance, Dieu est un,
mais selon l’économie, l’ordre est triple 5. » Ailleurs, après
avoir nommé le Père et le Fils, il parle de « deux personnes par
l’économie, et, en troisième, de la grâce du Saint-Esprit 56 », Il
ajoute : « L'économie se concilie harmonieusement avec le Dieu
unique 57, » Cependant, il ne pousse pas l’explication aussi loin
que Tertullien.

49, S. SCHLOSSMANN, Tertullian.…, p. 414. L’auteur note aussi que le mot


coniunctum désigne le lien des « deux substances » dans le Christ :
« Duplicem statum non confusum sed coniunctum » (Prax., XXVII, CSEL 47,
281, 27-28). I1 y donne à status le sens de nature, cf. Valent., XXIX..., 205, 6.
50. Pour tout cet exposé, cf. S. ScHLOSSMANN, Tertullian..…., p. 413-416.
51. Trin., III, éd. Fausser, 10, 8; XV..., 53, 7; XVIII... 65, 3-4; XXIV..., 90,
1-6; XXXVII..., 97, 7.
52. Noet., IV, éd. NAUTIN, 241, 12; 23; 26; Ben. lac., VIII, éd. C. DroBou-
NIOTIS-N. Bers (T. U., 38, 1, Leipzig, 1911), 20, 28-29; cf. Sur les Saintes
Théophanies, Il, CGS, Hippolytus Werke, I, 2° partie, p. 258, 18; III...
p. 258, 19-21.
53. Noet., III, éd. NAUTIN, 239, 11.
54, Ibid., VII, éd. NAUTIN, 247, 13; VIII... 249, 21; XI... 253, 11.
55. Noet., VIII, éd. et trad. NAUTIN, 249, 21-22, selon une conjecture (p. 118).
56. Ibid., XIV, éd. et trad. NAUTIN, 257, 1-2, selon une conjecture et la ponc-
tuation personnelle de l’éditeur, p. 105-106.
57. Ibid., 257, 4, éd. et trad. NAUTIN, selon une conjecture, p. 106. Le mot
reparaît encore deux fois dans le même chapitre, 255, 26; 257, 11. On le
retrouve dans le commentaire sur Daniel (I, 5, 4), dans l’homélie sur les
psaumes que P. NAUTIN juge authentique (Le dossier d’Hippolyte et de Méliton
dans les florilèges dogmatiques et chez les historiens modernes, Paris, 1953,
p. 169, 1. 2). Mais dans ces textes il désigne le plan divin. Il s’applique à
l’incarnation (Dan., IV, 38, 4), à l’organisme humain (Noet., XVI, éd. NAUTIN,
261, 2). P. NAuTIN étudie — avec soin — le mot chez Hippolyte (Hippolyte,
Contre les hérésies…., Paris, 1949, p. 139-142). G. L. PRESTIGE en avait déjà
précisé le sens (God in Patristic Thought, nouv. édit., Londres, 1952, p. 106-111).

309
DIEU ET LE VERBE :

. Conclusion. Cette théorie économique, sans rien


devoir directement au stoïcisme ou
à la philosophie, était cependant une explication de la Trinité
accordée à la théologie stoïcienne 58. Elle aussi interprétait la
substance divine par une espèce d'économie, Le Dieu de la Stoa
était la puissance universelle et multiple. Les dieux apparaissaient
aux Stoïiciens comme les fonctions diverses de la divinité 59, Cer-
tains textes ecclésiastiques se rapprochaient jusqu’à s’y
méprendre de cette tradition stoïcienne. Par exemple, Théophile
d’Antioche s’écrie au sujet de Dieu :

Si je l’appelle « lumière », c’est une de ses créatures que je nomme;


si je l’appelle « Verbe », c’est son principe; l’appelé-je « intelligence » ?
c’est son intelligence; l’appelé-je « souffle » ? c’est sa propre respi-
ration; l’appelé-je « sagesse » ? c’est ce qu’il engendre; l’appelé-je
« force » ? c’est sa domination; l’appelé-je « puissance » ? c’est son
activité; l’appelé-je « providence » ? c’est sa bonté; l’appelé-je « souve-
raineté » ? c’est sa gloire; l’appelé-je « Seigneur » ? c’est le dire juge;
l’appelé-je « juge » ? c’est le dire juste; l’appelé-je « père » ? c’est
dire tout ce que j’en puis dire; l’appelé-je « feu » ? c’est sa colère que
je nomme ®.

Mais nous débordons le problème trinitaire.

C. LE VERBE ET SON PÈRE :


LOGOS ENDIATHETOS ET PROPHORIKOS

Des Stoiciens aux Pères. Une tentative beaucoup plus nette


et plus curieuse d’adaptation des
doctrines trinitaires à la philosophie contemporaine, c’est la doc-
trine du logos ëväit@eros et mpopopixéc. Les Stoïciens, sauf peut-
être ceux de l’ancienne Sfoa, analysant le mot logos, avaient sou-
ligné sa double signification. Le terme désigne aussi bien la

58. G. L. PResTIGE n’hésite pas, à ce sujet, à parler de dette « envers la


philosophie grecque séculaire. et, en particulier, envers les Stoïciens » (ibid.,
p. 97-98, 99, 111).
59. On sait la faveur dont jouit chez les Stoïciens l’exégèse allégorique
d’Homère. Volontiers ils expliquent la lettre du texte par le symbolisme ou
l’étymologie fantaisiste. Ils font de même pour les noms mythologiques, cf.
supra, p. 86-87. Les Stoïciens ne sont pas seuls à s’y livrer. Pour une vue
d’ensemble, cf. le travail un peu vieilli de P. DECHARME, La critique des tra-
ditions religieuses chez les Grecs des origines au temps de Plutarque, Paris,
1904, p. 270-353 et J. PÉPIN, Mythe et Allégorie, Paris, 1958.
60. Autol., I, 3, trad. J. SENDER; cf. Novatien, Trin., II, éd. FAUSSET, 8.

310
LE LOGOS : PROBLÈME TRINITAIRE
faculté de la pensée, intérieure à l’homme (évStéBeros), que
l'expression extérieure (xpopopxés) de cette pensée par le mot et
le raisonnement 61, Des penseurs chrétiens, comme Irénée ou
Tertullien, avaient parfaitement saisi l’idée grecque. Saint Irénée,
examinant l’élaboration de la pensée, arrive au logos et s’écrie :
« Mais qu’est-ce que le logos ? Autre chose est, selon les Grecs,
le logos en tant que faculté principale qui pense, autre chose
l’instrument qui sert à émettre le logos » et il souligne la marge
qui existe chez l’homme — pas chez Dieu — entre la pensée et
son expression ®, Tertullien rappelle encore plus clairement que
logos désigne une double réalité : la ratio et le sermo, la pensée
et la parole 68, Par là, les philosophes grecs marquaient essen-
tiellement et presque exclusivement les deux étapes du logos
humain et ne songeaient pas au logos divin. Les Stoïciens ont
peut-être donné parfois une résonance religieuse à cette dis-
tinction du logos intérieur et du logos manifesté. Le P. Lebreton
le croit : « Par le premier, dit-il, l’homme participe à l’âme du
monde; par le second, il est uni aux dieux et aux hommes 84, »
Mais le P. Lagrange le conteste : « Les Stoïciens ne l’entendaient
que de la parole humaine, et nous n’avons pas à insister, car
Philon, avec l’énorme développement qu’il a donné à son logos,
n’a pas osé cependant lui appliquer ce double concept 65, »
Même si leur théorie a évolué, elle reste bien différente de
l’application qu’en font les Pères de l'Eglise. Les penseurs chré-
tiens se sont emparés de ces deux étapes du logos humain et les
ont, plus ou moins habilement, appliquées au logos divin, pour
expliquer devant la philosophie païenne la génération du Verbe.
Le Verbe, deuxième personne de la Trinité, comme notre logos,
est d’abord — et éternellement — intérieur; il est émis extérieu-

61. M. Pourenz étudie l’origine de l’idée et de la terminologie. Il rappelle


que Plutarque et Porphyre l’attribuent aux Stoïciens. Il l’admet, avec des
réserves; il souligne que Philon l’utilise, le premier et fréquemment; qu’il se
trouve aussi chez Galien (Die Begründung der abendländischen Sprachlehre
durch die Stoa, in Nachrichten der Gesellsch. Wissensch. zu Gôttingen, Philol.-
Histor. Klasse, Fachgruppe I, Altertums-Wiss., N. F., III, 6, 1939, p. 191-198).
62. IHaer., II, xLI1, 2, HARVEY 1, p. 354.
63. Prax., V, CSEL 47, 233, 12-23; 234, 3-14.
64. Histoire du dogme de la Trinité, t. I, p. 51. J. LEBRETON souligne aussi
l'influence possible de Plutarque (p. 63-64) et de Philon (p. 231-232). Pour une
étude plus détaillée de cette influence, cf. J. LEBRETON, Les thèses du Logos
au début de l’ère chrétienne, Paris, 1906, pour Plutarque, p. 47-58; pour
Philon, p. 59-89.
65. Vers le Logos de saint Jean, in Rev. Bibl., 32, 1923, p. 175. Il écarte
l’influence de Philon (ibid., p. 356). G. L. PRESTIGE l’écarte également parce que
Philon n’est cité qu’une fois par les Apologistes (God in patristic Thought,
nouv. éd., Londres, 1952, p. 124). E. BRÉHIER ne semble pas croire non plus
que Philon ait appliqué cette notion à la divinité (Les idées philosophiques..,
p. 103, surtout n. 4).

311
DIEU ET LE VERBE ‘

rement, engendré, pour l’œuvre créatrice. 11 connaît ainsi les


deux étapes du logos humain 66, Mais il faut bien noter que c’est
là une transposition et non l’adoption directe d’une théorie
stoïcienne,

La théorie Les Pères qui ont utilisé cette


chez Tertullien. théorie ont tantôt exploité l’idée,
tantôt les termes eux-mêmes. Ter-
tullien est l’un des plus explicites.
Avant toutes choses, dit-il, Dieu était seul, il était à lui-même son
propre monde , son lieu, son tout; seul, du moins parce qu’il n’y avait
rien autre, extérieur à lui. Cependant même alors il n’était pas seul;
il avait avec lui ce qu’il avait en lui-même, à savoir sa raison. C’est
que Dieu est rationnel. et cette raison, qui est sa connaissance, les
Grecs l’appellent logos, terme qui pour nous désigne aussi la parole
(sermo) S. C’est ainsi que nous avons déjà coutume, par une traduction
qui simplifie, de dire que la parole à l’origine était auprès de Dieu,
alors qu’il s’agit plutôt de la raison, parce que le Dieu rationnel n’est

66. Plus précisément la génération du Verbe, selon la théologie des premiers


siècles, comporte trois étapes : 1° Le Verbe est éternellement dans le Père.
2° Il est « engendré » antérieurement à la création et pour elle, mais non
éternellement. 3° A la création, il se manifeste complètement. Contrairement
à nos habitudes, il est rarement question, dans cette perspective, de la géné-
‘ ration du Christ par la Vierge, qui nous paraît l’étape essentielle. A. D’ALÈS,
dans sa Théologie de Tertullien, Paris, 1905, a groupé, selon ces trois étapes,
en prenant l’Aduersus Praxean comme base, les textes essentiels en la matière,
de Justin à Hippolyte (p. 88-96). C’est un chapitre important de son étude.
Nous ne le referons pas, d'autant moins que nous nous attachons surtout à
retrouver dans cette théologie la théorie du logos stoïcien. Pour le même motif,
nous ne nous inquiéterons ni des nuances qui différencient les explications des
Pères, ni de leur orthodoxie. Pour cet aspect de la question, cf. J. LEBRETON,
Histoire du dogme de la Trinité, t. IL, p. 411-513, 540-574, que nous utiliserons
parfois. P. NAUTIN, dans la conclusion de son Hippolyte, Contre les hérésies,
Paris, 1949, a raison de souligner un contresens souvent commis. On prête
aux Pères des Ile et IIIe siècles, une espèce d’arianisme, faute de comprendre
le mot génération. Avec la théologie du IVe siècle, nous voyons Ià « la rela-
tion éternelle au Père », tandis que nos auteurs « désignent par ce mot
l'émission du Verbe comme parole créatrice; et ils affirment très nettement
qu'avant cette émission le Verbe existait déjà... » (p. 196). Le contexte contient
d’autres remarques non moins judicieuses : que le monothéisme de l’époque
réside surtout dans l’unité de volonté et d'initiative divine —Dieu principe
de tout—, que Dieu est donc Père parce que créateur de toutes choses et non
par la génération du Verbe (p. 197-198). De là, la tendance à se le présenter,
dans l’anthropomorphisme inévitable, comme un personnage unique (p. 201),
alors que la Trinité est si souvent affirmée. Quelle que soit la valeur de ces
remarques, tous les Pères de l’époque attribuent manifestement au Verbe un
perfectionnement hypostatique — mystérieux pour nous— lié à l’œuvre créa-
trice. J. SriER l’a démontré jadis pour Tertullien (Die Gottes- und Logoslehre
Tertullians, Gôttingen, 1899, p. 79-90). Hippolyte semble même trouver encore
un perfectionnement de la filiation dans l’Incarnation. « Sans chair et en lui-
même, le Verbe n’était pas vraiment Fils, bien qu’il fût vrai monogène »
(Noet., XV, éd. NAUTIN, 259, 18-19).
67. Cf. Minucius Félix, Octauius, XVIII, 7; Athénagore, Leg., XVI; Théo-
phile d’Antioche, Autol., II, 10. Irénée et Clément de même.
68, Cf. Apol., XXI, 10 : « Le logos, c’est-à-dire parole et raison. »

312
LE LOGOS: PROBLÈME TRINITAIRE
pas en parole dès l’origine *, et que la parole même, consistant en
raison, montre aussi la priorité de celle-ci comme sa substance. Cepen-
dant même ainsi, peu importe ! Bien que Dieu n’eût pas encore envoyé
sa parole, dès lors il la détenait avec la raison, précisément, et dans
la raison, à l’intérieur de lui-même, pensant en silence et arrangeant
avec lui-même ce qu’il allait bientôt dire par sa parole *,

Lèà-dessus, l’auteur prend la comparaison avec la raison et la


parole de l’homme. Dieu porte en lui éternellement sa raison, et
par là, indirectement, sa parole, mais cette parole n’est pas
manifestée.
Plus loin, Tertullien, toujours dans le même contexte, marque
la deuxième étape : « Dès que Dieu voulut mettre au jour dans
leurs substance et forme extérieure (species suas) les êtres qu’il
avait arrangés à l’intérieur de lui, avec la raison et la parole de
sa sagesse, il proféra d’abord la parole même, qui avait en elle
sa raison et sa sagesse inséparables, afin que toutes choses
fussent faites par celui précisément par qui elles avaient été
pensées et arrangées, bien plus déjà réalisées, en tant que (pré-
sentes) dans la connaissance de Dieu 71. >» C’est seulement alors,
dans l’acte créateur, que le Verbe est parfaitement manifesté:
« C’est alors aussi que la parole même prend sa forme extérieure
et son éclat, son et voix, quand Dieu dit : Fiat lux. Voilà la nais-
sance parfaite de la Parole, quand elle procède de Dieu. Créée
par lui d’abord pour la pensée, sous le nom de Sophia (Dominus
condidit me initium uiarum), ensuite engendrée pour la réali-
sation (cum pararet caelum, aderam illi), enfin se faisant un Père
de celui de qui elle procède pour devenir Fils, premier-né 72. »
De la raison intérieure à la parole extérieure, les étapes sont
bien notées. Et la tendance de Tertullien est manifeste : il ne
donne au Verbe une filiation pleine, une individualité totale, que
lors de sa génération pour la création.

Ebauche de la théorie Avant et après Tertullien, d’autres


avant Tertullien. Pères, en termes plus ou moins
proches du stoïcisme, ont exposé
la même théorie. Peut-être Justin en est-il le précurseur, mais le
texte où cette thèse serait exprimée en germe est ambigu et les

69. La traduction de cette dernière proposition suit le texte établi par


A. KROYMANN, qui supprime une expression : « Quia non sermonalis a prin-
cipio sit rationalis Deus (etiam ante principium). » L’interprétation est fort
différente chez E. Evans; il supprime une négation et ponctue différemment :
« Seeing that God is (not) discursive from the beginning, but is rational
even before the beginning. » On pourrait aussi garder le texte intégral:
« Parce que Dieu, rationnel même avant l’origine, n’est pas en parole dès
l’origine. »
70. Prax., V, CSEL 47, 233, 7-22.
71. Ibid., VI, CSEL 47, 235, 6-11.
72. Ibid., VII, CSEL 47, 235, 14-21.

313
DIEU ET LE VERBE

interprétations qu’on en donne sont contradictoires 78. Tatien,


du moins, son disciple, commente nettement le verset de saint
Jean I, 1, dans le sens indiqué plus haut. « Dieu était dans le
principe, mais le principe, nous le concevons comme la puissance
du Logos; en effet, le maître de toutes choses, qui se trouve être
lui-même l’hypostase de l’univers, en tant que la création n’était
pas encore réalisée, était seul; mais en tant que toute la puissance
d’être visible et invisible était en lui, par sa puissance de Logos,
il hypostasiait lui-même le tout en lui 74. » Athénagore parle de
même : « Dès le principe, Dieu, qui est le noûs éternel, avait
lui-même en lui son Logos, puisqu'il est éternellement logique » et
l’auteur ajoute l’idée, platonicienne cette fois, d’un Verbe exem-
plaire de la création 75.

Théophile et la Théophile est le premier qui fasse


terminologie stoïcienne. explicitement appel aux termes
stoïiciens dans l'expression de sa
théorie trinitaire. Le Verbe est pour lui « celui qui est de tout
temps intérieur (Bu ravrèc évdt&Betocs) au cœur de Dieu. Car Dieu,
avant que rien n’existe, l’avait pour conseiller, puisqu'il est son
intelligence et sa sagesse. Mais quand Dieu voulut faire ce qu’il
avait projeté, il engendra ce Verbe, (de ce fait) manifesté (xpo-
popxéç), premier-né de toute la création; mais sans se vider lui-
même de son Verbe, il engendrait un Verbe et s’entretenait tou-
jours avec lui. A l’origine Dieu était seul, avec en lui le
Verbe. Le Père de toutes choses l’envoie quand il le veut... 76 ».
Et dans le même écrit, Théophile dit: « Dieu tenant son
propre Verbe intérieur (ëvit&@eroc) à ses entrailles personnelles,
l’engendra en le projetant avec sa propre sagesse avant l’uni-

73. ‘O Xdyos Tpù Toy Totnpäétuv nai GUVÈV xai YEWWUEVOS Ôte ThY pyhv
êt'adtod trévra ëxrias (11 Apol. VI, 3). Faut-il mettre d’un côté suvuv avec la
précision xp 7üv motnuituy, pour y voir le logos intérieur, de l’autre
Yewwuevos avec une détermination essentielle ôrz ëxtioe, pour y voir le Verbe
proféré en vue de la création ? On ne le croit pas généralement (J. LEBRETON,
Histoire du Dogme de la Trinité, t. II, p. 449-450). Le texte est discuté par
A. Puecx, Les Apologistes…., p. 111-112, surtout 112, en note. Il admet chez
Justin « une tendance... à utiliser, plus ou moins consciemment, pour définir
la relation du Fils au Père, les idées stoïciennes sur le Verbe intérieur et le
Verbe proféré » (p: 115). Cf. aussi M. J. LAGRANGE, Saint Justin, à propos de
quelques publications récentes, in Bull. d’Anc. Litt. et d’Archéol. chrét., 4,
1914, p. 7-8.
74. Orat., V.
75. Leg., X.
76. Autol., II, 22.

314
LE LOGOS : PROBLÈME TRINITAIRE

vers. Ce Verbe, il le tenait comme auxiliaire de ses œuvres


et il réalisa tout par lui77. » C’est l’expression la plus nette
de la théorie 78,

Le Verbe, voix de Dieu.


Après Théophile, d’autres Pères res-
tèrent fidèles au système. Hippolyte
dit : « Il n’y avait rien de contemporain à Dieu en dehors de lui;
mais, en étant seul, il était multiple, car il n’était pas sans verbe,
sans sagesse, sans puissance, sans conseil ®. » Et il poursuit:
« Le Verbe qu’il tenait en lui-même, invisible au monde créé, il
le rend visible; l’énonçant d’abord comme voix (xpotépav paovv
pBeyyéuevos ) et l’engendrant comme lumière issue de la lumière;
il émit comme Seigneur pour la création son propre noûs, qui
se trouvait auparavant visible à lui seul, et était invisible à
l'univers produit; il le rend visible, afin que l’univers, le voyant
dans sa manifestation, puisse être sauvé. Et par là un autre lui
fut présent 80, » Le Verbe, voix de Dieu dans la création, cela
paraît bien être le terme normal de la théorie du Verbe éväté&ôetoc
et mpopopixés. Voix, c’est le nom que l’auteur des Philosophou-
mena réserve, semble-t-il, au Verbe émis et manifesté, pour l’op-
poser au Verbe intérieur, engendré seulement dans la pensée:
« Dieu seul et universel, dit-il, engendra par la pensée, en pre-
mier lieu, son Verbe, non pas un Verbe au sens de voix, mais
raison intérieure du tout 81. » C’est le nom que lui donne Théo-
phile lui-même, quand il parle de la voix qu’Adam entendit au

77. Autol., I, 10.


78. Un théologien dans la ligne de Fr. Loofs a vu là le point de départ
d’une tradition antiochienne de tendance stoïcienne, qui s’achèverait en Marcel
d’Ancyre, cependant attaché à la Bible (W. GERICKE, Marcel von Ancyra, der
Logoschristologe und Biblizist…, Halle, 1949, p. 122).
79. Noet., X, éd. NAUTIN, 251, 15-18.
80. Ibid., X-XI, éd. NAUTIN, 253, 4-9. Notre traduction s’inspire du même
auteur.
81. Evôté@stov Toû mavrès doyrapov (Refut., X, 33, 1). Toù ravréc peut bien
désigner le Père, cf. Noet., XI, éd. NAUTIN, 253, 11 : « Le Tout, c’est le Père ».
D. B. CaPPELLE juge que Àdyoç évêtéôeros est ici employé au rebours du sens
traditionnel, pour }6yoçe mpowopixés et voit là « un indice de la fluctuation
des idées et du désarroi des formules à cette époque » (Le Logos, Fils de
Dieu, dans la théologie d’Hippolyte, in Recherches de Théol. Ancienne et
Médiév., 9, 1937, p. 111). C’est possible; mais le texte d’Hippolyte peut aussi
s’interpréter, comme nous le faisons, dans le sens traditionnel. De toute
façon, D. B. Cappelle refuse de faire appel « aux spéculations philosophiques
sur le logos » pour comprendre Hippolyte : l’Ecriture lui suffit (p. 124). La
suite du texte des Philosophoumena parle encore de voix au sujet du Verbe,
mais il y a contestation : mpwtOtoxoc ToUTOU YevOmevos, wwvhv (ou vevouevo:
ŒuVr, coni. Bunseu-Cruicc) etyev v Éauré tac... lôéas (Reful., X, 33, 2). Si
l’on admet la conjecture de Cruice, on obtiendra : & Devenu son premier-né,
sa voix, il possédait en lui-même les idées... » Sur l'aspect philosophique de
la théologie d’Hippolyte, on peut consulter, mais sans grand profit, G. P. STRI-
NoPpuLos, Hippolyts philosophische Anschauungen, Leipzig, 1903. Le Logos est
étudié, p. 16-25; l'Esprit dans la Trinité, p. 26-33.

315
DIEU ET LE VERBE

Paradis : « Une voix ? Qu’est-ce autre chose que le Verbe de


Dieu, qui est aussi son Fils 8 ? » Même Irénée, qui semble bien
rejeter la théorie de ses contemporains 83, dit du Christ : « Il est
la voix de Dieu 84, »

Conclusion. Il y a donc dans cette théorie une


transposition. On applique au logos
divin les distinctions que les Stoïciens avaient faites au sujet du
logos humain. Nous sommes de plus en plus éloignés de la source
qui explique cette théorie du Verbe. Mais il y a bien dans cette
théologie l’exploitation intelligente d’une donnée stoïcienne.

III. LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ


LOGOS ET LOGOI SPERMATIKOI

Il est un auteur du Il° siècle que nous n’avons guère cité


encore en ce chapitre, c’est Justin. Avec ce Père, nous abordons
une autre fonction du Logos et une autre influence du stoicisme.
Selon les philosophes, avons-nous vu, le logos essentiel se pro-
longe en logoi spermatikoi qui sont répandus dans les êtres,
s’épanouissent en eux, commandent leur développement, leur
donnent leur force individuelle et leur tension. Ces logoi jouent

82. Autol., II, 22.


83. Saint Irénée rejette l’analogie entre le déploiement du Verbe humain et
celui du Verbe divin : « Chez nous le Verbe n’est pas émis en une fois comme
il est conçu; mais par parties, selon que la langue peut le traduire; Dieu, au
contraire, étant tout entier raison et tout entier logos, dit ce qu’il pense et
pense ce qu’il dit. Celui donc qui parle de la raison de Dieu et qui prête
à cette raison une émission qui lui soit propre, fait de Dieu un composé,
comme si Dieu était autre chose que la raison suprême » (Haer., I, xLr1, 2-4,
HARVEY I, p. 354-356; II, xvi, 4, HARvEY I, p. 285; Il, xvirr, 7, HARVEY I,
p. 301; II, xv, 3, Harvey I, p. 282). Il repousse aussi l’expression A6yoe
évôtäheros (Haer., II, x1v, 1, HARVEY J, p. 278). Novatien semble également
rejeter la théorie du logos rposogt4és quand il dit que « la parole devenue
Fils » « ne se reconnaît pas au son de l’air frappé ou au ton de la voix
contractée dans les entrailles » (Trin., XXXI, éd. FAUSSET, 116, 4-7). Clément
n’est pas davantage un familier de cette terminologie. Il n’applique jamais
étderos au Verbe, et, s’il utilise l’expression nposoptxs À6yos, ce n’est pas
pour exprimer la théorie ici discutée (Str., VII, 53, 6; 55, 4); sauf peut-être
une fois (Str., V, 6, 3), où il la rejetterait plutôt.
84. Haer., V, xvir, 2, HARvEY Il, p. 370; V, xvi, 1, HARVEY IL, p. 367; V, xv,
4, HARVEY Il, p. 367.

316
‘ LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ

donc essentiellement ! un rôle cosmologique, Or le terme même


de logos spermatikos apparaît chez Justin, comme plus tard chez
Augustin. Cela pose un problème particulier.

Les textes de Justin. Justin s’est emparé de ce vocabu-


laire, sinon de cette théorie 2, en
particulier dans sa 11° Apologie 8. Après avoir défini le Verbe
« celui qui est en tout # », « celui auquel tout le genre humain
participe 5 », et, après avoir établi une certaine équivalence
entre le Christ et le logos des Stoïciens, il montre le logos émietté,
si l’on peut dire, non pas dans la matière cosmique, dont il n’est
jamais question, mais dans l’humanité, « La semence du Logos
est innée, dit-il, dans tout le genre humain 6, » Plus souvent, il
parle d’une présence partielle du Logos : xarx A6you uépoc.7
Ailleurs il unit les deux expressions et les deux idées, semence
et part : Parmi les païens, dit-il, « chacun selon sa part du
divin logos séminal (&rd épous rod omepuarixoù Oelou Aéyou), voyait
ce qui lui était apparenté, s’exprimait convenablement », mais
ne pouvait atteindre la science complète 8. Il déclare exacte-
ment dans le même sens que les païens ont un logos participé et,
« selon leur part du logos séminal », ils peuvent « vivre en un
sens selon le logos »; mais le chrétien vit « selon la connaissance

1. Uniquement, semble dire M. J. LAGRANGE, Vers le Logos de saint Jean,


in Rev. Bibl., 32, 1923, p. 170-173. I1 croit que le mot n’a été appliqué au
domaine moral que par Philon (p. 347-349). H. MEYER, qui a étudié la notion
de logoi spermatikoi et son évolution du stoïcisme à la fin de la patristique,
dans Geschichte der Lehre von den Keimkräften, von der Stoa bis zum Aus-
gang der Patristik, Bonn, 1914, croit que les logoi ont aussi parfois une fonc-
tion rationnelle et morale. C’est l’avis également de M. PoxLenz, Die Grund-
fragen der stoischen Philosophie, in Abh. der Gesellsch. der Wiss. zu Gôt-
tingen, Philol.-Hist. Klasse, III, 26, 1940, p. 95-99; il y est question des
semina uirtutum.
2. Sur la notion de Logos chez Justin, cf. L. Duncrer, Die Logoslehre
Justins des Martyrers, 1848; sur le logos spermatikos, cf. J. M. PFAETTISCH,
Der Einfluss Platos auf die Theologie Justins des Martyrers.…, Paderborn,
1910, surtout p. 104-111; en dernier lieu C. ANDRESEN, Justin und der mittlere
Platonismus, in Zeitschrift für die Neutest. Wissensch., 44, 1952-1553, p. 170-
174.
3. G. BARDY a souligné ce dernier point et tenté de montrer que la Ie Apol.
est platonicienne; la IJI°, contemporaine du stoïcisme triomphant avec Marc-
Aurèle, surtout stoïcienne, cf. Saint Justin et la Philosophie stoïcienne, in
Rech. de Sc. Relig., 13, 1923, p. 491-510; 14, 1924, p. 33-45, surtout p. 34, où
il renvoie à A. Puecu, Les Apologistes grecs…., p. 62. En fait, ce dernier auteur
pousse la différence entre ces deux apologies moins loin que G. Bardy.
4. ‘O ëv ravri Gv, II Apol., X, 8.
5. 1 Apol., XLVI, 2.
6. II Apol., VIII, 1. Ailleurs il dit que « la semence de Dieu, le Verbe,
habite chez les hommes. qui croient au Christ » (1 Apol., XXXII, 8). Il paraît
ainsi réserver sa présence aux chrétiens. Ou distingue-t-il des degrés difré-
rents de présence ?
7. II Apol., X, 2.
8. Ibid., XIIX, 3.

317
DIEU ET LE VERBE

et la contemplation du Logos entier ? ». Le « Logos entier », c’est


le Christ, à la fois « intégralement logique, quant à son corps, son
logos et son âme 10 » et « le tout du Logos 11 », ce qui est bien dif-
férent du logos participé : « Tous les auteurs, grâce à la semence
du logos déposée en eux par nature, pouvaient voir la vérité
confusément, Car autre chose est la semence et la ressemblance
d’un objet, donnée selon ce qui peut être reçu, et autre chose
l’objet même dont il y a participation et assimilation, selon
l’agrément qui vient de lui 12, » En somme, nos textes soulignent
la présence en tout homme d’un logos partiel ( oxepuarixés ou
xarx uépos), qui n’est pas sans relation avec le logos du Père,
mais bien inférieur au Logos en plénitude qu’est le Christ.

La théorie de Justin. Si l’on compare la théorie de Justin


avec les thèses stoïciennes, la pre-
mière différence, c’est que le verbe séminal n’a plus rien d’une
puissance active et créatrice. Pour Justin, « semence du Verbe »
et « semence de vérité » sont de purs synonymes. Ne dit-il pas :
« Chez tous des semences de vérité paraissent se trouver 13. »
exactement comme il disait : chez tous habite le verbe séminal ?
Le concept est passé du sens actif au sens passif, Il désigne « le
Verbe divin partiellement ensemencé dans les âmes 14 »., En
même temps, il a perdu sa portée cosmique pour une application
anthropologique 15 : il s’agit d’un logos qui est la vérité ou permet
de découvrir la vérité et de vivre en accord avec elle, en somme.
la raison humaine avec une légère teinte stoïcienne 16, La ques-
tion est devenue un problème de connaissance morale 17,

9. C’est ce logosqui éclaire Socrate, par exemple (1 Apol., V, 3-4; II Apol.,


X, 8). Faut-il souligner que le verbe de Socrate dans le texte n’a pas l’article ?
celui des chrétiens, au contraire, le Christ, est 6 AGYyos. Parfois Justin
(1 Apol., XXI, 2; XXII, 2) et Clément rapprochent le Logos de Hermès, sous
l’influence des allégories stoïciennes.
10. II Apol., X, 1.
11. Ibid., X, 3.
12. Jbid., XII, 5-6. Ce texte est discuté par M. J. LAGRANGE, Saint Justin, à
propos de quelques publications récentes, in Bull. d’Anc. Litt. et d’Archéol.
Chrét., 4, 1914, p. 5-6.
13. 1 Apol., XLIV, 10.
14. Cf. G. BarDy, Saint Justin et la philosophie stoïcienne…, p. 40, n. 97.
Cependant l’auteur veut voir, dans la 11 Apol., plus stoïcienne, surtout le
Verbe ensemenceur. A. Puecu, Les Apologistes grecs, souligne la déviation
de l’expression logos spermatikos et la synonymie oTépuax et onopi. Cela
signifie pour Justin « non pas précisément le logos qui ensemence, mais
plutôt la semence du Logos » (p. 317).
15. Cf. J. M. Prarrriscm, Der Eïinfluss Platos…., p. 104-105.
16. Ainsi l’entend A. Purcx, Les Apologistes grecs…., p. 71, 313 et passim.
17. D. VAN DEN EYNDE traite bien la question comme telle et suggère deux
sens possibles, deux communications du Verbe à l’humanité, soit simplement
la raison humaine, source de vérité, soit une révélation primitive qui écla-
terait dans le génie de certains philosophes, avant que le Verbe ne se donne

318
LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ
Cependant H. Meyer, qui l’a étudiée plus attentivement que per-
sonne, dit que la différence essentielle n’est pas là, puisque, selon
lui, dans la Stoa, la théorie avait déjà parfois cette application.
Il souligne avec raison que les deux termes de l'expression logos
spermatikos ont changé de sens en passant chez Justin. Le logos
n’est plus le preuma originel, mais « une personne divine, qui,
par sa puissance, crée les choses du monde, qui, par sa manière
d’agir, est d’une certaine façon immanente aux choses, et, dans
l’Incarnation, assume une forme humaine 18 », Quant au mot
spermatikos, qui est apparu à peu près comme synonyme de
xar& uépos, il comporte bien plus la nuance de déficience, de
présence fragmentaire et incomplète, que l’aspect de semence 1?.
Justin veut montrer la continuité et l’universalité de l’action du
Logos : le Verbe a agi spermatiquement avant le Christ, dans
l’ensemble de l’humanité, puis en plénitude en s’incarnant dans
le Christ 20,

Le logos universel Si nous ne trouvons pas chez les


dans l'humanité. Pères la théorie stoïcienne du logos
spermatikos derrière la termino-
logie technique, notre enquête n’en est pas vaine pour autant.
Nous découvrons la croyance à l’universalité du logos, source de
la connaissance naturelle de Dieu, et c’est une autre idée d’in-
fluence stoïcienne. Tout homme connaît Dieu, parce qu’il y a en
lui, par nature, une participation au logos. Clément d’Alexandrie
a repris cette théorie en termes plus nets encore. Il dit que les
Grecs « ont reçu précisément certaines étincelles du Verbe
divin 21 »., Mieux ! « A tous les hommes, absolument, dit-il,
surtout à ceux qui consacrent leur temps à l’étude, est étendue

lui-même (Les Normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patris-


tique destrois premiers siècles, Gembloux-Paris, 1933, p. 17-18; cf. p. 341).
On trouve d’autres remarques encore dans M. J. LAGRANGE, Saint Justin, à
propos de quelques publications récentes, in Bull. d’Anc. Litt. et d’Archéol.
Chrét., 4, 1914, p. 3-15, surtout p. 5-6.
18. Geschichte der Lehre von den Keimkräften.…, p. 90.
19. H. MEYER, dans son histoire de la philosophie, a repris sa position qui
se résume ainsi : logos évoque l’idée de personne, spermatikos l’idée d’incom-
plet (Geschichte der abendländischen Weltanschauung, t. 1, Die Weltan-
schauung des Altertums, Wurtzbourg, 1947, p. 13-14). Mais il a pu se servir
dans ses travaux de J. M. PFAETTISCH, qui disait déjà : « Il est bien convenu
que le logos spermatique souligne avant tout l’aspect déficient et imparfait
qui est désigné par la simple semence » (Der Einfluss Platos…, p. 106). Et il
ne faisait lui-même que citer un travail de C. WEIZSAECHER, Die Theologie des
Märtyrers Justinus, in Jahrbücher für deutsche Theologie, 12, 1867, p. 88 (non
consulté).
20. Cf. aussi J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, t. II, p. 435-439.
21. Protr., 74, 7.

319
DIEU ET LE VERBE «

une certaine émanation divine (é&véoraxtai ris &méppoux Oeuxn). C’est


à cause de cela précisément que, même malgré eux, ils recon-
naissent l’existence du Dieu unique 22 ». Dans le Protreptique,
d’où sont extraits ces textes, il invite même les hommes à se
rapprocher « selon l’unité de la substance monadique 23 ».
Comme le contexte est consacré à l’universalité du logos, il
semble dire que le logos fait l’unité substantielle de l’humanité.
Le problème ne fait pas de doute. Il existe, pour Clément, d’une
part la raison divine personnalisée 24, modèle et puissance de la
création; d’autre part, dans l’âme humaine, la raison qui découle
de Dieu #5, élément divin en nous, image, imparfaite, mais vraie,
de la divinité, que nous pouvons y découvrir en reflet 26,

Le logos et la grâce. Mais il est possible de pousser plus


loin le rapprochement. Le Verbe,
même dans le domaine surnaturel, semble bien agir quelquefois
à la manière du logos philosophique. Clément, par exemple,
décrit en termes stoïciens l’action de la grâce dans le chrétien :
€ N'est-ce pas la dunamis divine, qui, en pénétrant (BSwmxovoæ)
l’âme, la sanctifie pour son avancement (xpoxor) final 27 ? » Et il
précise que cette pénétration se fait « non pas selon la substance,
mais selon la puissance et la force 28 ».
Chez certains auteurs, nous retrouvons même le mot de
semence pour désigner l’habitation de Dieu en nous 2, C’est le
cas de Justin, qui attribue « aux croyants » « la semence issue
de Dieu, le Verbe 30 ». Saint Irénée s’écrie : « Quand donc Dieu
répandit-il cette semence de vie (uitale semen), c’est-à-dire
l'esprit de rémission des péchés, par lequel nous sommes vivifiés,
dans le genre humain ? » et il explique plus loin qu’il s’agit de
« la semence du Père de toutes choses, c’est-à-dire l'Esprit de
Dieu par qui tout est fait 81 », Tertullien, dans le De carne Christi,

22. Protr., 68, 2-3; 71, 1.


23. Ibid., 88, 2.
24. Str., VIL, 7, 4; IV, 157, 1; VI, 58, 1.
25. Ibid., VI, 135, 1 sq. Cf. encore H. Meyer, Geschichte der Lehre von den
Keimkräften…, p. 96-99; E. De Faye, Clément d’Alexandrie…., p. 188.
26. Cf. supra, le problème de la connaissance de Dieu, p. 279.
27. Exc. ex Theod., 17, 3.
28. Ibid., 17, 4.
29. L’image est biblique; très fréquente chez saint Paul (v. g. I. Co., 15,
36-44), elle se trouve aussi chez saint Jean (I. Jn., 3, 9).
30. I Apol., XXXII, 8. L’Homélie Pascale hippolytienne dit aussi que l’âme
est préparée par la rédemption « à recevoir le divin logos semence du ciel »
(10, 1, éd. NAUTIN, 137, 17-18).
31. Haer., IV, xLvinr 2, HARVEY Il, p. 253.

320
LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ
a repris le mot de semence : « Dieu, dit-il, est né dans l’homme,
prenant une chair de semence antique sans antique semence,
afin de la régénérer avec une semence nouvelle, c’est-à-dire
spirituelle, en écartant par la purification toutes ses souillures
passées » et il rapproche cette création nouvelle de la première
semence divine jetée dans une autre terre encore vierge 82, On
peut voir là en germe une théorie de l’édification d’un monde
nouveau par un pneuma-semence, comme la création première
provenait de « l’esprit flottant sur les eaux 33 ». C’est aussi une
ébauche de la théorie de la récapitulation, dont il sera question
plus tard, mais l’aspect cosmique n’y est pas souligné.
Les Gnostiques sont allés jusqu’à donner à la thèse de la
grâce-semence une certaine valeur biologique 34. Le mot désigne
encore l’action surnaturelle du Christ ou de la Sophia 55.
Selon Clément d’Alexandrie, ces hérétiques voient des semences
déposées dans l’humanité pour l’édification de l’Eglise 86. Cette
« semence spirituelle » ou, plus exactement, cet « esprit sperma-
tique » (rd omepuarxdv nvebua) a été « semé dans l’âme » par
l'intermédiaire des anges, et il tient dans le logos humain la place
de la moelle dans l’os. L'ensemble de cette « semence du plé-
rome » constitue le rassemblement des élus ou, si l’on veut, « la
semence spirituelle totale 37 ». Dans « la mystérieuse semence
qui fait les élus et les spirituels », selon l’expression de Ter-
tullien 38, on reconnaît bien le logos spermatikos de Justin,
toujours attribué à l’humanité, et même à une partie seulement de
l'humanité.

32. Carn. Xti, XVII, CSEL 70, 232, 16-233, 25.


33. K. PruEmM, Christentum als Neuheitserlebnis, Durchblick durch die
christlich-antike Begegnung, Fribourg-en-Br., 1939, p. 163-164, fait ce rap-
prochement, mais sans apporter de textes. On peut noter que le terme sper-
matikos logos est repris par Origène pour expliquer la résurrection et la vie
éternelle dans son traité perdu Sur la résurrection (R. Caprou, La jeunesse
d’Origène, Histoire de l’Ecole d’Alexandrie au début du III siècle, Paris,
1936, p. 120-121).
34. F. M. M. SAGNARD parle de « l’évolution biologique du germe valenti-
nien » (La gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, 1947,
p. 415). Il consacre une partie de son travail à l’étude de cette semence
pneumatique (p. 387-415) dans l’exposé que fait Irénée du système valen-
tinien.
35. Cf. E. M1rzxaA, Gnostizismus und Gnadenlehre, in Zeitschrift für Kathol.
Theol., 51, 1927, p. 60-64.
36. Exc. ex Theod., 26, 1-3; cf. 40. F. M. M. SAGNARD étudie les extraits de
Théodote selon Clément dans La Gnose Valentinienne.…. (p. 521-561), et l’idée
de semence en particulier (p. 547-559).
37. [iv nveupatixov arépua, Exc. ex Theod., 1, 1-2. G. VERKUYL, Die Psycho-
logie des Clemens von Alexandrien im Verhältnis zu seiner Ethik, Leipzig,
1886, p. 67-72, expose les mêmes textes, mais sans distinguer le contexte gnos-
tique de la pensée de Clément.
38. Carn. Xti, XIX, CSEL 70, 236, 7.

321
DIEU ET LE VERBE

Les fonctions du logos Clément d’Alexandrie, en tête du


chez Pédagogue, reconnaît au Verbe
Clément d'Alexandrie, d’autres fonctions, qui ne sont pas
étrangères au langage philoso-
phique. La vie de l’homme, dit-il, est composée de trois choses :
les mœurs, les actions, les passions. Le Verbe est xpotperrixéc
pour changer les mœurs, bnrorefixés pour présider aux choix
volontaires, rapauvônrixés pour guérir les troubles de l’âme 5.
Et il ajoute : le même Verbe se fait encore StôxoxæAuxés 40, pour
initier au dogme et à la gnose. Ces quatre fonctions du Verbe
sont manifestement empruntées à la terminologie du stoïcisme.
On a même cru pouvoir en préciser la source, sur la foi d’un
texte de Sénèque mal interprété : Posidonius non tantum prae-
ceptionem, sed etiam suasionem et consolationem et exhorta-
tionem necessariam iudicat #1, On identifiait la praeceptio avec
le logos SiÜacxalxéc, la suasio avec l’ôroreluxéc , la consolatio avec
le rapauvbnrxéc et l’exhortatio avec le xporpertixéc. On a montré
depuis, par le contexte de la lettre même de Sénèque, que la
praeceptio ne peut correspondre au logos BiSaoxauxés ou ensei-
gnement dogmatique, mais désigne au contraire les préceptes
moraux destinés à tous par opposition aux dogmes, source de la
vraie sagesse #2, Il faut donc abandonner ce parallélisme étroit
des termes et mettre en doute la thèse d’une influence posido-
nienne. Il n’en reste pas moins vrai que la terminologie de
Clément appartient à la philosophie du logos stoïcien. Bien plus,
un examen attentif du texte de Sénèque a permis de reconnaître
une parenté entre la pensée du philosophe latin et celle de
Clément, en ce que l’un et l’autre opposent éducation commune
et initiation du sage. On sait l’importance de cette distinction
chez l’Alexandrin.

39. Paed., I, 1, 1-2.


40. Ibid., 2, 1.
41. Ep., XCV, 65. P. WENDLAND l'avait signalé (Questiones Musontanae.….,
Berlin, 1886, p. 8) et l’édition STAEHLIN a rendu commune cette attribution
à Posidonius. R. P. Casey a repris l’idée (Clement of Alexandreia and the
beginnings of christian Platonism, in The Harvard Theological Review, 18,
1925, p. 60). Cf. en dernier lieu M. PonLenz, Klemens von Alexandreia und
sein hellenisches Christentum, in Nach. von der Ak. der Wissensch. in Güt-
tingen, Philol.-Hist. Klasse, Fachgr. 5, N. F., Bd I, 5, 1943, 3, p. 115-117, et
W. VoELKER, Der wahre Grostiker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-Leipzig,
1952, p. 100, n. 6.
42. Cette rectification a été proposée par A. MÉnAT, Les ordres d’enseigne-
ment chez Clément d'Alexandrie et Sénèque, in Studia patrislica, IX, Berlin,
1957, p. 351-357. Cf. A. MÉHAT, Eludes sur les « Stromatles » de Clément
d'Alexandrie, Paris, 1966, p. 71-95.

322
LE LOGOS DANS L'HUMANITÉ

Conclusion. En somme, on retrouve bien peu de


chose des doctrines stoïciennes sur
le logos. Les Pères ont réemployé parfois la terminologie du
Portique. On sent que le terme logos avait, dans leur culture,
populaire ou savante, tout un contexte dont ils se sont servis
presque automatiquement. Mais ces emprunts ont toujours été
transposés. Aucune théorie stoïcienne n’est passée telle quelle
en ce domaine. Il reste à voir un aspect essentiel du Verbe : son
rôle cosmique. Sur ce point nous retrouverons une influence plus
* profonde du stoïcisme.

323
CHAPITRE DIXIÈME

DIEU ET LE MONDE

Dieu, aux yeux des Grecs, ne se concevait pas hors du monde 1.


La fonction du logos stoïcien devait donc être essentiellement
cosmique. Il était un souffle qui parcourait toute la matière,
comme l’âme fait le corps, mais un souffle rationnel qui la
pénètre de raison en même temps que de vie. Il ne faut évidem-
ment pas vouloir retrouver telle quelle chez les Pères des
premiers siècles cette théorie d’un Dieu pneuma du monde. Dieu
ne peut pas être pour eux l’âme de l’univers. Cependant les Pères
n’ont-ils pas attribué au Logos ou au preuma divin de leur théo-
logie des fonctions que les Stoïciens donnaient au Dieu-Verbe ?
On sait que Philon, par exemple, malgré son judaïsme authen-
tique, admettait l’existence d’un logos parfois matériel, répandu
partout et lien de tous les êtres 2. Les Pères ont-ils fait au stoi-
cisme des concessions semblables ? Pratiquement les traces du
système, plus ou moins marquées, sont nombreuses. D’abord
l’activité même de Dieu est souvent considérée dans son aspect
cosmique. Ensuite le Logos-Pneuma, plus particulièrement, est
mis en relation avec l’univers, tantôt avec une tendance ani-

1. V. Mono», Dieu dans l'univers, Essai sur l’action exercée sur la pensée
chrétienne par les grands systèmes cosmologiques depuis Aristote jusqu’à nos
jours, Paris, 1933, a opposé excellemment la conception biblique de Dieu et
la conception grecque. Chez les Grecs, Dieu est dans le cosmos, dont il est
l’explication; chez les Juifs, il est dans l’histoire : « Ici, Dieu est visible
dans le temps. Là, Dieu est visible dans l’espace » (p. 25).
2. E. BRÉRIER, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexan-
drie, 3° éd., Paris, 1950, p. 84-85.

324
LA PROVIDENCE
miste 8, tantôt dans le sens rationaliste. Mais le degré d'influence
est très varié. Parfois le stoïcisme n’a fait qu’imprimer sa marque
à une pensée essentiellement biblique et chrétienne: d’autres fois,
on retrouve un authentique stoïcisme, plus ou moins bien accordé
à la théologie traditionnelle encore très scripturaire à l’époque.

I. L'ACTIVITÉ DIVINE : LA PROVIDENCE

A. FONCTION DE DIEU EN GÉNÉRAL

Dieu, dans la tradition biblique, joue évidemment, entre autres


rôles, celui de créateur et d’organisateur de lunivers. Cette
fonction cosmique revêt parfois chez les Pères des formes assez
spéciales. Déjà Clément de Rome parle de Dieu qui « enveloppe
(iurepéyovroc) l’univers 1 », expression qui se retrouve chez
Théophile d’Antioche ?. Aristide voit « Dieu, Notre Seigneur, qui,
tandis qu’il est un, est présent en tout8 »., Le langage d’Athéna-
gore est plus précis. Il dit que « tout est rempli par Dieu » et
« que tout ce qui est autour (du cosmos) est occupé par lui4 ».
Il parle même, pour l’opposer à la matière, du « Dieu inengendré,
éternel, et homogène à travers tout l’être 5 >». Novatien est assez
proche de lui. Son Dieu « parcourt chaque chose, meut le tout,
vivifie l’univers et examine l’ensemble 6 ». Le Père, dit-il encore,

3. Sur ce point, le présent chapitre s’inspire de G. VERBEKE, L'évolution


de la doctrine du Pneuma.…, ch. v, La littérature chrétienne, surtout p. 410-
451.
1. Cor., XXVIII, 4.
2. Autol., I, 5.
3. XIIL, 5.
4. Leg., VIII. k
5. Ibid., XXII. Mais peut-être faut-il traduire oüpouwvoc ô1à mavrés « sem-
blable à lui-même de tout temps ». Il y a dans ces mots une image musicale
très précise. Le oüpowvos 614 mavrôs évoque la Gtà tacûv gupowvix , harmonie
parfaite. Mais le rapprochement invite à voir en Dieu celui qui joue harmo-
nieusement de toutes les cordes de son instrument, celui qui harmonise
l’univers, rôle que Clément attribuera souvent au Verbe.
6. Trin., II, éd. Fausser, 6, 13-14, Il y a là une trace discrète de système
animiste, où Dieu lui-même serait l’âme du monde. À ce sujet mentionnons
VPApologie syriaque dite de Méliton, qui compare l’action de Dieu dans le
monde à celle de l’âme dans l’homme : « Dieu meut le monde entier par sa
puissance comme un corps, si bien que, lorsqu'il voudra retirer sa puis-
sance, le monde entier comme un corps tombe et périt » (VIII, éd. OTro,
Corpus Apologetarum Christianorum saeculi secundi, t. IX, Iéna, 1872, p. 429).

325
DIEU ET LE MONDE

« contient le tout 7 », « contient chaque chose » et rien n’est


en dehors 8, On trouve là quelques souvenirs du preuma imma-
nent au monde. En tout cas l’idée du Dieu « qui enveloppe l’uni-
vers » appartient à la philosophie de l’époque. Dieu est souvent
considéré comme « autour de tout », « entourant >» ou « enve-
loppant » toutes choses ?.

B. LA PROVIDENCE

Le problème. Les sources chrétiennes peuvent


difficilement expliquer à elles
seules la doctrine de la Providence chez les Pères. Non seule-
ment nos auteurs en parlent fréquemment, mais, pour en parler,
ils s’appuient plutôt sur leur conception du monde que sur les
textes néo-testamentaires et n’envisagent guère la sollicitude
paternelle de Dieu pour l’homme individuel 10, Si on se souvient
que la vieille théorie du Dieu-pronoia avait pris, avec une note
plus religieuse et mystique, une importance extraordinaire aux
premiers siècles, on comprend beaucoup mieux cette insistance
sur une providence cosmique, comme on comprend l’acte de foi
d’un Clément d’Alexandrie, que l’on pourrait mettre en exergue
à ce développement : « Voilà le gnostique fidèle, celui qui croit
que les choses de l’univers sont administrées pour le mieux. Aussi
se plaît-il à tout ce qui arrive 11, »
Deux questions se posent au sujet de la Providence dans le
cadre fixé : de quoi s’occupe-t-elle ? Comment ? directement ou
indirectement 12 ?

7. Trin., Il, éd. Fausser, 6, 9.


8. Ibid., II, éd. FAusser, 7, 3; 9, 18-19.
9. Voici quelques exemples extraits d’un témoignage particulièrement signi-
ficatif, le Corpus Hermeticum. [lspi maévra, C. H., XII, 14, éd. Nocx-FEsTu-
GièRE, p. 179, 1. 19; 20, p. 182, 1. 8; 23, p. 183, 1. 15. Tov nepréyovra Ti Tévra,
C. H., XI, 18, éd. Nock-FEsTuGièRE, p. 154, 1. 15. Ilévro éureouwyer, Fragm.
divers, 26, t. IV du C. H., éd. Nock-FEsTUGIÈRE, p. 131, 1. 6-7. [lveüpatoc
Beiou… voù neptéyovros, Fragm. de Stobée, XXTII, 48, éd. FESTUGIÈRE, p. 16, 1. 16;
ce dernier texte est très proche de Théophile, Aufol., 1, 5, mais cet auteur fait
de Dieu l’enveloppe, qui entoure le monde et _l’esprit (cf. infra, p. 338).
Tov huv..…. mep{6odov, C. H., XVI, 3, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 232, 1. 19-233,
1. 1. [eptoyh... névruv, C. H., VIII 5, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 89, 1. 13.
10. I1 faut, une bonne fois, faire exception pour Clément d’Alexandrie qui
conçoit une bienveillance divine presque maternelle (Protr., 91, 3). Mais cette
bienveillance de Dieu pour l’homme n’est elle-même pas plus étrangère au
stoïcisme (cf. ARNIM, SVF II, 1116, p. 323-324) qu’à l’Evangile (Mt., 10, 29-31).
11. Str., VIL, 45, 4.
12. Le problème est posé par Justin (Dial, I, 4). L'aspect fatalisie de la
Providence sera traité infra, p. 405-409.

320
LA PROVIDENCE
Providence universelle, Chez tous les Pères, cette provi-
dence s’étend aux détails comme à
l’ensemble 13. Athénagore explique : « Dieu ne mène rien, ni des
choses de la terre, ni des choses du ciel, sans contrôle ou provi-
dence. En toute chose, aussi bien visible qu’invisible, grande que
petite, pénètre (Sxovoav), il faut le savoir, la sollicitude de celui
qui la fit. Car tout ce qui existe a besoin de la sollicitude de
celui qui le fit, et chaque chose proprement selon son essence et
sa destinée naturelle 14, » L’écrit À Diognète, mêlant l'aspect
créateur et organisateur, détaille tout le cosmos et précise bien
que Dieu s’en occupe lui-même; le seul intermédiaire, c’est
< l’artisan et le démiurge du tout en personne 15 », L’Octauius, à
son tour, proclame que Dieu s’occupe des parties autant que du
tout 16, Clément d’Alexandrie, à plusieurs reprises, exclut qu’un
être s’administre lui-même. Même les astres n’ont pas une activité
indépendante : « Un très grand nombre, dit-il, semblable aux
philosophes, attribue l’accroissement et la transformation (des
semences) par priorité aux astres 17, dépouillant ainsi, autant
qu’il est en eux, de son indéfectible puissance, le Père de tous
les êtres. Mais les éléments et les astres, c’est-à-dire les puis-
sances administratives, ont reçu l’ordre d'exécuter ce qui est
nécessaire à l’économie... 18, >»Clément y insiste : la providence
est Idlz xal Snuooiz ka mavrayoù 19. Les Constitutions Apostoliques
énumèrent les êtres dans leur hymne à la création et ajoutent :
« La sagesse ingénieuse de ta providence accorde la providence
qui convient à chacun d’eux 2. » On peut dire que, de l’avis
commun des Pères, pas une parcelle n’échappe à la providence 21,
Les Stoïciens les auraient applaudis et les hommes cultivés de
l’époque, s’ils les lisaient, ne devaient pas s’y sentir étrangers 22.

13. D’où les attaques signalées plus haut, contre les thèses du Péri Kosmou
qui semblaient limiter la providence. Il faut noter cependant que, dans ce
traité, rien n’échappait en définitive à la providence; rien n’est QÜTAPYKEG,
C’est la théorie même des Pères, de Clément surtout.
14. Res., XVIII; V. *
15. Diogn., VII, 2.
16. Minucius Félix, Oct., XVIIL 3.
17. C’est la théorie qu’on retrouve, conformée au christianisme, chez Aris-
tide (VI, 1) et chez Justin (11 Apol., V, 2) qui attribuent la germination et la
croissance au soleil. Bardesane accorde même aux éléments et aux puis-
sances une certaine liberté, doublée de responsabilité (Le livre des lois des
pays, éd. R. GRAFFIN, Patr. Syr., la, 2, Paris, 1907, 549), et une influence
considérable sur l’homme (cf. infra, p. 407-409).
18. Str., VI, 148, 2. Athénagore rappelle aussi que les éléments ne reudent
aucun service « sans la providence qui vient de Dieu » (Leg., XXII, c. fin.).
19. Str., VII, 6, 1.
20. Const. Apost., VII, 34, 5.
21. Str., VII, 9, 1.
22. Cf. v. g. Cicéron, Nat. deor:, II, 154-165. Lucien ne plaisantait-il pas sur
ce pauvre Zeus, surchargé de besogne, au point de ne plus savoir où donner
de la tête. L’époque avait souligné la sollicitude de Dieu pour l’humanité,
sans beaucoup songer cependant à l’individu.

327
11
DIEU ET LE MONDE

Providence Que la providence soit universelle,


générale ou particulière. n’inclut pas qu’elle soit la même
pour tous les êtres. Athénagore fait
une distinction intéressante à ce sujet. Il attache une importance
extraordinaire, comme nous le verrons, au logos commun de la
création, qui s’identifie, à la mode stoïcienne, avec la providence
cosmique et générale. Mais il lui oppose une providence parti-
culière (ërt uépoucs), qui veille sur le détail 23. Il dit nettement:
« D’une part, la providence globale et générique de l’ensemble;
d’autre part, celle qui se charge du détail 24 » Il y a manifeste-
ment deux dégrés dans l’activité divine, une providence générale,
qui s’occupe de l’univers physique et lui impose sa loi commune,
l’autre particulière, qui tient compte des individus. Générale et
particulière, les mots se retrouvent chez Novatien et chez Clément
d'Alexandrie : la providence divine agit « dans les affaires d’en-
semble, comme dans les affaires particulières 25 ». C’est la termi-
nologie de l’époque.

Providence Il existe, aux yeux de Clément, une


directe ou indirecte. providence indirecte, Lui, qui sou-
tient farouchement l’universalité de
la providence jusque dans les moindres détails, ne prétend nulle-
ment que Dieu administre tout par lui-même. Quand il enlève aux
astres toute auto-providence, il en fait au contraire des intermé-
diaires, serviteurs de la providence universelle 26, « La provi-
dence universelle de Dieu, en prenant pour base des êtres qui se
meuvent plus près (d’elle), distribue jusqu’aux êtres fragmentaires
son énergie drastique 27. » Clément établit une suite ininter-
rompue d’intermédiaires avec, aux confins du monde visible, les
bienheureuses légions des anges, qui sont hiérarchisées jusqu’à

L
23. Leg., XXN.
24. Ibid, XXIV : Tv pèv Tavrentuxiv al yemany Toy OhWV TPOVOLAY, TIV à
ET HLÉpOUs.
25. Str., VI, 158, 4 : Ëv ve vois na@'Ühou Ëv ve voic êmi mépous. Novatien
oppose totum à singula (Trin., VIII, éd. Fausser, 25, 17-26, 3). C’est le voca-
bulaire consacré. On le rencontre, en particulier, dans la littérature hermé-
tique. Les maux de la fatalité sont particuliers (peptxd) ou universels
(xafohma) (C. H. Fragm. divers, 20,4, t. IV, éd. Nocxk-FESTUGIÈRE, p. 118); la
providence est universelle ou singulière (catholica-singula) (Asclepius, 38, éd.
Nocxk-FESTUGIÈRE, p. 349, 1. 12; 39..., p. 349, 1. 18). Même distinction chez
Maxime de Tyr, cf. G. Soury, Aperçus de philosophie religieuse chez Maxime
de Tyr, Platonicien éclectique, Paris, 1942, p. 24.
26. Str., VI, 148, 2.
27. Ibid., 6.

328
LA PROVIDENCE
nous, mais unifiées sous le Verbe unique 28. Cette division de la
providence est traditionnelle. Déjà Athénagore semblait établir
une délimitation de frontières entre la providence directe et indi-
recte et y voir la providence générale et particulière. « Dieu
détenait la providence d'ensemble, dit-il, … mais les anges rangés
à cet effet détenaient la providence de détail #. » Il dit encore
que Dieu « a réparti et ordonné des anges pour qu’ils s’occupent
des éléments, des cieux, du monde et de ce qui est en lui 30 ».
Justin est dans la même ligne, mais limite davantage le terrain
d’action : « Dieu a confié le soin de veiller sur les hommes et sur
les créatures qui sont sous le ciel, aux anges qu’il a mis à leur
tête 51 »; sans doute se réserve-t-il les cieux pour sa providence
directe.

Le rôle cosmique des anges Les anges et les démons se voient


chez Athénagore. chargés par les Pères de mille fonc-
tions qu’il est inutile d’examiner
ici #2, Cependant ils jouent un rôle cosmique qui mérite qu’on
le précise, chez Athénagore en particulier 88. Il existe, dit-il,
€ d’autres puissances qui se tiennent autour de la matière et à
travers elle ». Ce sont les anges et les démons, sous les ordres de

28. Str., VII, 9, 3. Cf. VII, 42, 7, où il défend la providence d’être « une
puissance servile », mais il parle des « économies ininterrompues de la pro-
vidence ». Dans ces textes, on reconnaît les « puissances invisibles » de
Philon, que « le démiurge a tendues depuis les extrémités de la terre jusqu’aux
limites du ciel », comme les « liens infrangibles du tout » (De migr., 181).
Chez Clément comme chez Philon, ces puissances d’allure stoïcienne sont
rattachées à Dieu et non à quelque principe immanent de la matière.
29. Méthode d’Olympe a repris, comme ïil le dit explicitement, et com-
menté ce texte d’Athénagore : « Dieu gardait la providence d’ensemble de
l'univers, tenant lui-même toutes ces choses dans son pouvoir et dirigeant
le monde infailliblement comme une barque par le gouvernail de la sagesse,
et les anges préposés à cela veillaient sur chaque partie en particulier » (De
Res., I, 37, éd. Bonwersc, 278). L’idée appartient à la culture de l’époque.
L’Asclepius dit aussi : « Les dieux célestes n’ont-ils pas tout le gouvernement
de l’universalité des choses (catholicorum) et les dieux terrestres l’adminis-
tration de tout leur détail (singula) ? » (39, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 349,
1. 17-18.)
30. Leg., X.
31. II Apol., V, 2-3.
32. Les démons sont associés aux faux dieux à travers toute la patrologie. :
Avec les anges, ils peuvent jouer un rôle dans la divination (Tertullien, Apol.,
XXII, 8; Minucius Félix, XXVII, 1; XXVI, 7-11; Clément, Str., VII, 37, 1-2),
dans l’inspiration et les rêves (Tatien, Orat., XIV, c. init.; XVI, c. med.; Athé-
nagore, Leg., XXV; Tertullien, Anima, XLVI, 13; XLVII, 1; Justin, 1 Apol.,
XIV, 1). Ensemble ils s’occupent des individus, des peuples, des nations
(Athénagore, Leg., XXIV; Clément, Str., VI, 157, 5; VIL, 6, 4; cf. Cicéron, Nat.
deor., XI, 164-165). La « mission des anges auprès de l’humanité dans l’his-
toire du salut » a été étudiée spécialement par J. DANIÉLOU, Les anges et leur
mission, éd. de Chevetogne, 1952.
33. Les données des autres Pères sont plus limitées. Tatien seul se rap-
proche d’Athénagore (Orat., XII, c. med.). Tertullien reconnaît aux anges une
influence corruptrice sur la nature (Apol., XXII, 5-6). Selon Clément, sept
anges contribuent à la génération du monde et veillent aux sept Planètes

329
DIEU ET LE MONDE

celui qui « commandait à la matière et aux formes contenues en


elle, et, avec d’autres, chargés des êtres qui entourent le premier
firmament 34 ». «La substance des anges, dit-il encore, fut créée
par Dieu pour exercer la providence sur les êtres organisés par
lui 35, » Et les anges déchus gardent bien cette fonction jusqu’à la
fin du monde : « Les anges tombés des cieux se tiennent autour
de l’air et de la terre. Avec les âmes des géants — ce sont les
démons —, ils errent autour du cosmos... 36, >»Ces mauvais anges
introduisent un élément de trouble dans l’ordre du monde, sous
la conduite de « l’antidieu ». « A la bonté de Dieu... s’oppose
l'esprit de la matière, créé par Dieu, comme ont été créés tous
les autres anges, et à qui il avait confié l’administration de la
matière et des formes de la matière 37, » C’est ainsi qu’Athénagore
explique les désordres qui surviennent dans la « loi commune »
qui régit la nature : un logos de la matière, aux mains des démons,
s’oppose à la loi universelle de la providence cosmique #8.

Le rôle unifiant On pourrait croire que ce pouvoir


de la providence de la providence, en quelque sorte
chez émietté à travers le vaste monde,
Clément d'Alexandrie, détend l’unité cosmique. Clément
d’Alexandrie, qui insiste le plus sur
la providence indirecte et multiplie les intermédiaires, fait au
contraire de la providence une puissance unifiante, qui évoque
même le preuma cosmique des Stoïciens. « Le Verbe divin et sa
providence, dit-il, c’est ce qui commande et dirige toute vérité ::
elle veille sur chaque chose... » « Elle est la puissance initiale du
mouvement. » « Elle ne laisse pas même le moindre détail de son
organisation sans soin... De la puissance la plus grande, je crois,
la recherche pénètre (rpoñxouox) en détail toutes les parties
jusqu’à la moindre parcelle; toutes choses se tournant vers le
premier organisateur de l’ensemble, qui gouverne par la volonté
du Père le salut du tout » et il explique qu’au « même pouvoir

(Str., V, 37, 1-2; VI, 143, 1). D’autres veillent aux naissances (Ecl. Proph.,
50, 1) et aux astres (ibid., 55, 1). Selon Novatien, le monde est mené par les
anges, dont « les mouvements, malgré leur variété, sont enchaînés par des
lois fixes » (Trin., VIII, éd. FAusseT, 27, 12-15). Les hérétiques attribuent aux
anges dés fonctions cosmiques parfois beaucoup plus étranges, par exemple
ri le Gnostique (Hippolyte, Refut., V, 26, 11-16) et Simon (ibid., VI, 19,

34. Leg., XXIV.


35. Ibid., XXIV.
36. Ibid., XXV.
37. Ibid., XXIV.
38. Le P. FESTUGïIÈRE attribue cette quasi-contradiction au mélange de deux
courants chez Athénagore, l’un stoïcien, qui enseigne une providence uni-
quement bonne, l’autre dualiste, qui met en face un logos de la matière,
tantôt s’opposant au précédent, tantôt s’y confondant (Sur une traduction
d’Athénagore, in Rev. des Etudes Grecques, 56, 1943, p. 374-375).

330
LA TRINITÉ ET LE MONDE
qui donne l'énergie » « se rattachent les corps premiers et
seconds et troisièmes 39 ». Ailleurs, sans nommer expressément
la providence, il dit que « les effets les plus universels » du
pouvoir divin « compénètrent (Suenepolrnxev) également chaque
chose40 ». L'unitéde la providence cosmique apparaît ainsi
comme un lien qui rattache entre eux tous les êtres, lien surtout
extérieur à eux, malgré les termes rpoxw ou Stxporré, mais vraie
source d’unité,.
Comme on le voit, Dieu et ses anges sont fortement tournés
vers le cosmos #1, Les anges ne sont pas les intermédiaires semi-
divins, chers aux platoniciens, mais des créatures subordonnées,
ceci même chez Clément #2. Ils sont les instruments de la provi-
dence et jouent un rôle nettement cosmique. Cette providence,
qui tient une si grande place chez les Pères, est elle-même préoc-
cupée de l’univers. Au lieu de veiller avec sollicitude sur les per-
sonnes, comme le chrétien l’envisage volontiers dans toute spiri-
tualité, elle détermine surtout l’ordre du monde, Elle est loi
physique plutôt que loi morale, et, dans cette mesure, peut-être
plus philosophique que chrétienne #3,

II. LES ACTIVITÉS DES PERSONNES DIVINES


ET LE MONDE

Logos et pneuma. Volontiers certains Pères se sou-


viennent des attributs du Logos
stoïcien, quand ils parlent de Dieu et surtout des personnes de la
Trinité, soit du Verbe, soit du Saint-Esprit. L’hésitation même

39. Str., VII, 9, 1-4.


40. Ibid., V, 133, 9.
41. Nous verrons plus bas, dans ce même chapitre, que les anges sont
même conçus à la manière des logoi spermatikoi.
42. Les Excerpta ex Theodoto présentent une angélologie très spéciale,
avec insistance sur les anges protoctistes, degré suprême d’une hiérarchie
évolutive. Ces théories sont le résultat de quelque tradition exégétique d’ori-
gine juive, encouragée peut-être par la philosophie platonicienne. F. CumonrT
croit même à une influence sémitique sur la théorie des démons; il explique
longuement la rencontre entre les notions d’anges et de démons, mais n’étudie
guère leur rôle cosmique (Les Anges du paganisme, in Rev. de l'Histoire des
Relig., 72, 1915, p. 159-182).
43. V. MonoD nous dit que c’est précisément la marque d’une conception
hellénique de Dieu, opposée à la conception biblique (Dieu dans l’univers….,
Paris, 1933, p. 25). Il ne faut pourtant pas oublier que, même dans le Nou-
veau Testament, on connaît les anges des éléments (Col., 2, 8-20). 11 y a cer-
tainement là une tradition judaïque.

331
DIEU ET LE MONDE

qu’on remarque partout autour des termes Verbe et Esprit 1 n’est


peut-être pas étrangère à la thèse stoïcienne du Logos-Pneuma.
On la rencontre chez Justin, où le Verbe reçoit parfois le rôle
de révélateur, qui est l’apanage de l'Esprit 2, où il devient esprit
et puissance selon saint Luc 8. Nous l’avons retrouvée dans l’Apo-
logeticum de Tertullien. On la reconnaît chez Hippolyte commen-
tant l'Evangile de saint Jean (xvi, 27) : « Je suis sorti du Père
et je viens » : « Qu'est-ce qui est sorti du Père, dit-il, sinon le
Verbe ? Et qu'est-ce qui est né de lui, sinon l'Esprit, c’est-à-dire
le Verbe4? » Ce flottement, qui se révèle un peu partout à
l’époque et que l’Ecriture ne justifie pas suffisamment, pourrait
trouver là une explication complémentaire : une théologie où
Logos et Pneuma étaient les deux noms d’une même réalité et
échangeaient leurs attributs.

Les attributs Mais on emploie aussi la formule


trinitaires: le rôle trinitaire, pour lui donner une
- de l’Esprit-Saint. teinte philosophique. Pas plus que
Platon, dit Athénagore, « nous ne
sommes des athées. Celui par le Verbe de qui tout a été créé et
par l'Esprit de qui tout tient ensemble (ouvéyetæ), celui-là, nous le
savons et affirmons Dieu 5 ». À côté du Logos créateur, le Pneuma
joue un rôle de cohésion dans la matière, qui est exactement
stoïcien $. Il joue ce rôle jusqu’en Dieu même : « Le Fils est dans
le Père et le Père dans le Fils, par l’unité et la puissance de
l'Esprit 7. »
Saint Irénée semble aussi charger l'Esprit d’un rôle cosmique,
proche des fonctions du pneuma stoïcien. En face du Père qui
commande, du Fils qui crée, le Saint-Esprit est représenté comme
« nourrissant et faisant croître 8 ». « Unique est l’esprit de Dieu,

1. Cf. par exemple F. J. DoeLcer, IXOYZ als Kürtzung der Namen Jesu,
Münster-en-W., t. 1, 1910, p. 70, 74-75. I1 ne faut pas oublier un troisième
emploi de pneuma, biblique également, comme détermination essentielle de
Dieu, hors de toute distinction de personne. M. KrieBez, Studien zur àälteren
Entwicklung der abendländischen Trinitätslehre bei Tertullian und Novatian,
Marbourg-Ohlau, 1932, montre bien l’ambiguïté de ce terme en matière tri-
nitaire (p. 81 et passim), son éclaircissement progressif, achevé chez Novatien
(p. 87-88).
2. 1 Apol., XXXVI, 1-2; Dial., CXXIV, 4; CXXVIIL, 4.
8. Le., 1, 35, cf. 1 Apol., XXXIII, 6 (A. Puecn, Les Apologistes grecs,
p. 323-324).
4. Noet., XVI, éd. NAUTIN, 259, 26-27,
5. Leg., VI.
6. Mais il existe chez Athénagore beaucoup de flottement autour du terme
pneuma. A côté de cet Esprit-Saint un peu stoïcisé, il connaît un pneuma
de la matière, pneuma hylique (Leg., XXVII), mentionné plus haut; et Dieu
lui-même est encore appelé pneuma (ibid., XVI).
7. Leg., X.
8. Haer., IV, Lxun1, 2, HARVEY II, p. 296.

352
LA TRINITÉ ET LE MONDE
dit-il encore, qui dirige toutes choses ®, » Une fois
le Saint-
Esprit, qui joue habituellement le rôle d’embellir la
création,
paraît y recevoir, sous le nom de Sagesse, une fonctio
n de
cohésion : Dieu « créa et modela… affermissant par
son Verbe
et constituant (compingens) par sa Sagesse toutes choses;
lui qui
était seul vrai Dieu 10 ». Enfin, dans un autre texte, il a nette-
ment cette fonction, puisqu'il y est question de « l’esprit
de Dieu
qui tient ensemble (ouvéyovroc) toutes choses 11 ». Irénée
se sou-
vient de ce rôle unifiant de l'Esprit, quand il parle de l'Eglise.
L'Esprit, doué d’un pouvoir de régénération, « famène à
l’unité
les tribus dispersées 12 », « Nos corps, en effet, par le bain
ont
reçu cette unité, qui est source d’incorruption; les âmes,
par
l'Esprit 18, » L'Esprit est pour l'Eglise ce qu’est « le souffle
au
corps modelé » par Dieu (quemadmodum aspiratio plasmationi),
auquel « tous les membres participent 14 »,
On retrouve les mêmes conceptions au passage chez Clément
d'Alexandrie. L'Esprit joue un rôle unificateur, à la fois dans
l'univers et dans l'Eglise. « Tout tient ensemble(ouvéyetau), dit-il,
tant qu’y demeure la semence », c’est-à-dire l’esprit, « image
et
ressemblance de Dieu15 ». Et ailleurs, il compare l'effet
de
PEsprit à celui de l’aimant : « Comme le Preuma de la pierre
d’Héraclée meut ensemble la plus grande partie du fer…., ainsi
attirés par l’Esprit-Saint, les hommes vertueux sont unis dans
la première demeure, et les autres à la suite, jusqu’à
la
dernière 16, »
L’Homélie Sur les saintes Théophanies, que la tradition attribue
sans certitude à Hippolyte, reconnaît aussi à l'Esprit une fonc-
tion cosmique, quand elle entonne en son honneur un hymne
lyrique : « Voici l'Esprit, chante-t-elle, qui à l’origine reposait
sur les eaux; par lui le cosmos est mû, par lui la création se tient
et tous les êtres sont vivifiés. C’est lui qui agit dans les prophètes,
c’est lui qui descend sur le Christ. 17, » Et un peu plus loin,

9. Haer., IV, Lvinr, 9, HARVEY Il, p. 283.


10. Ibid., III, xxxvinr, 2, HARVEY II, p. 132-133.
11. Ibid, V, 1, 3, HARVEY Il, p. 322. « L’Evangile tétraforme» est lui-même
« tenu ensemble » (auveydmevov) par un seul Esprit (ibid. III, xx, 11,
HARVEY II, p. 47). A. D’ALÈs, en signalant ce texte, montre chez
Irénée le
Saint-Esprit comme « principe d’ordre et de cohésion » (La doctrine de
l'Esprit en saint Irénée, in Rech. de Sc. Relig., 14, 1924, p. 500), mais
ne
souligne pas le vocabulaire technique et ne souffle mot du stoïcisme dans
l’ensemble de son article (p. 497-538).
12. Haer., III, xvurt, 1, HARVEY II, p. 92.
13. Ibid., p. 93.
14. 1bid., IT, xxxvint, 1, HARVEY II, p. 131-132.
15. Quis diues, 36, 2-3, Cf. A. Mayer, Das Bild Golles im Menschen nach
CL v. AL, Rome, 1942.
16. Str., VII, 9, 4.
17. IX, GCS, Hippolytus, t. I, 2€ partie, p. 262, 22-25,

333
DIEU ET LE MONDE +

l’auteur reparle de « l'esprit vivifiant » de Dieu 18, I1 faut bien


remarquer que, même ici, l’auteur ne s’écarte guère du texte
sacré : « C'est l'Esprit qui vivifie », dit saint Jean 19. Mais il
donne au terme biblique une portée cosmique, et, du fait même,
une teinte stoïcienne.
Ces quelques traces ne suffisent pas pour dire que le Saint-
Esprit joue chez les Pères le rôle du preuma stoïcien 2°. Ce serait
faire fi de tous les attributs bibliques, aucunement philosophiques,
que les mêmes Pères reconnaissent au Saint-Esprit, tout au long
de leurs écrits. Elles permettent cependant d’affirmer qu'ils se
souviennent du stoïcisme.

III. L’ANIMISME CHEZ LES PÈRES

A. LA THÉORIE DU PNEUMA COSMIQUE

Dans les textes qui précèdent, nous avons rencontré déjà une
certaine tendance animiste chez les Pères. Le Saint-Esprit, en
particulier, joue souvent le rôle vivifiant de l’âme, par rapport
à l’homme ou à l'Eglise, Dans l’apologie À Diognète, les chrétiens
sont eux-mêmes l’âme du monde, répandue dans tout le corps et
le conservant dans l’existence 1. L'auteur semble leur prêter une
fonction cosmique qui est manifestement un souvenir du stoi-

18. X, ibid., p. 263, 20. Chez Irénée aussi le Saint-Esprit est « l’esprit
vivifiant » (Haer., IV, xxxv, 3, HARVEY IL, p. 227; V, xt, 2, HARVEY II, p. 350).
11 vivifie et donne forme à la chair qui est « unie et formée » (ibid., V, 1x, 1,
Harvey II, p. 342). Mais en lui donnant ce nom, Irénée ne dépasse pas saint
Jean (6, 63). I1 songe à l’homme et nullement au cosmos.
19. Jn., 6, 63 : Tù mveüpa Egte td Eworotoüv. Cf. I. Co., 15, 45.
20. P. G. CHappuis, à partir de textes moins nombreux et moins expressifs,
croit pouvoir aller plus loin dans l’affirmation. Il dit, au sujet de la doctrine
du pneuma : « Les chrétiens, reprenant à leur compte cette doctrine, iden-
tifient l’âme du monde au Saint-Esprit, dont la fonction est de vivifier et de
guider par sa constante action, non seulement le monde, mais encore l’homme »
(La destinée de l’homme, De l'influence du stoïcisme sur la pensée chrétienne
primitive, Paris, 1926, p. 71 sq). R. Azrers note que les platonisants du
Moyen Age firent effectivement du Saint-Esprit l’âme du monde, surtout
Abélard, dont les théories furent condamnées au Concile de Soissons en 1121
(Microcosmus from Anc«zimandres to Paracelsus, in Traditio, 2, 1944, p. 359,
avec note 105). Nous ne trouvons rien de tel chez ños Pères.

1. Diogn., VI, 1-8.

334
L'ANIMISME CHEZ LES PÈRES
cisme ?, Seulement il y a transposition : il s’agit, dans ces textes,
de la vie religieuse de l’humanité et non plus de vitalité cosmo-
logique. Au contraire, nous avons vu parfois le Saint-Esprit
chargé de faire l’unité de l’univers. Et l’on rencontre chez Tatien
et chez Théophile d’Antioche des traces évidentes d’une con-
ception animiste du monde,

1. CHEZ TATIEN

Unité de matière Tatien suppose un esprit de la


et de pneuma. matière, qui pénètre, à des degrés
différents, cette matière partout
identique et cause ainsi les différences entre les êtres. € Il faut
voir, dit-il, l’ensemble de la création : l’univers entier est formé
de la matière; et les astres qui s’y trouvent, et la terre, et tout ce
qui vit a la même substance, parce que tout a une naissance com-
mune. Mais, quoi qu’il en soit, il existe des différences entre les
choses de la matière. » L’unicité de cette matière fait l’unité
du cosmos; la communauté de pneuma, d'esprit matériel, y con-
tribue aussi, mais en y ajoutant une harmonieuse variété :
« L'univers, selon la puissance de celui qui le fit, possédant cer-
taines choses plus brillantes et d’autres différentes de celles-là,
par la volonté du démiurge eut sa part de l'esprit hylique par
lequel il a plu à Dieu d’y répandre la vie. » Tatien précise :
€ Il y a donc un esprit dans les astres, un esprit dans les anges,
un esprit dans les plantes et les eaux, un esprit dans les hommes 8,
un esprit dans les animaux; mais, en étant le seul et même esprit,
il possède en lui des différences 4. » Soit un esprit unique qui
pénètre toutes choses à des degrés divers et qui est pour tout
source de vie.
A plusieurs reprises, on trouve un écho de la théorie des logoi
spermatikoi. Tatien semble éparpiller l'esprit dans les êtres mul-
tiples « si bien que l’on devrait presque admettre, remarque
justement J. Feuerstein, qu’un pneuma hylique est individualisé
dans les choses 5, » L’auteur n’emploie-t-il pas le pluriel : « Des

2. « Comme l’âme du corps, les chrétiens contiennent (au sens fort, étymo-
logique), soutiennent, maintiennent, guvéyouat, le monde, sont pour lui un
principe de cohésion interne, d’unité, de permanence et de vie », dit
H.-I. MaArnnou (A Diognète, coll. Sources Chrétiennes, Paris, 1951, p.
145;
cf. p. 139-145 et même 119-176, chapitre du commentaire intitulé « les chrétiens
dans le monde »).
3. Celle participation de l’homme à l'esprit hylique a été étudiée supra,
p 138, 140, 1145, 168, 176.
4. Orat., XII, c. fin.
5. Die Anthropologie Tatians und der übrigen griechischen Apologeten des 2.
Jahrhunderts mit einleitender Gottes- und Schôpfungslehre, Münster-en-W.,
1906, p. 28. L’auteur étudie en détail ce texte de Tatien (p. 26-28), avec le
pneuma divin et hylique (p. 28-31).

335
DIEU ET LE MONDE
esprits hyliques 8 ? » Ne parle-t-il pas « des esprits et des formes
qui sont dans la matière?», expressions qui évoquent claire-
ment le terme technique des Stoïciens 8 ?
Mais ce langage appartient à une tradition qui peut en éclairer
le sens. Athénagore, qui connaît « l'esprit hylique ? », parle aussi,
à plusieurs reprises, « de la matière et des formes contenues en
… elle 10 ». Il entend par là les anges, bons ou mauvais, qui sont
également, selon Tertullien, constitués par « l’esprit hylique ! ».
Tatien se range manifestement dans cette ligne. Les anges parti-
cipent à « l'esprit hylique » dans l’énumération citée plus haut.
« Les démons, dit-il encore, ont reçu leur complexion de la
matière et ont acquis l’esprit qui vient d’elle 12. » Les anges, les
démons pourraient bien être alors, avec « les esprits hyliques »
et les « formes de la matière », un émiettement du preuma qui
circule dans la matière et en constitue la forme, des logoi sper-
matikoi, quoique la terminologie soit totalement inconnue !#,
Quoi qu’il en soit, Tatien enseigne bien la théorie stoïcienne 1#
dans son double aspect : un esprit unique, mais répandu inéga-
lement, des astres aux anges, de l’homme à la plante. L’ange et
l’homme sont solidement rivés au cosmos dans ce système
pneumatique.

Le pneuma du tout Cependant Dieu y échappe. Cet


n’est pas Dieu. esprit qui fait l’unité du monde
n’est pas Dieu : nveïux à 6e6ç, où
Sunxov Six ris LAnc. L'auteur poursuit : « Organisateur des esprits
hyliques et des formes de la matière, (Dieu) échappe à la vue et
au toucher, étant lui le Père des choses sensibles et visibles 15 »,
un < esprit plus divin », le « Dieu parfait ». Il oppose de même
cet esprit, issu de la matière (&r'œdrñç), malgré sa complexion
ténue, au « Verbe céleste », « esprit issu du Père ». La position
de Tatien est nette. Il veut mettre Dieu à l’écart de cette con-

6. [lveümata Ülxs, Orat., IV, med.


7. Ibid., IV, med.
8. A. Puecn, Les Apologistes grecs, p. 327-328.
9. Leg., XXVNII.
10. Ibid., XXIV-bis.
11. Marc., II, 8, CSEL 47, 345, 9-10.
12. Orat., XII, med.
13. On peut rapprocher Philon qui donne au logos le rôle de lien et admet
les logoi spermatikoi, tout en réservant à Dieu le rôle essentiel. « Dans la
substance corporelle. se trouvent, cachés et invisibles, les logoi du tout »
(oi Lo r@v 6duv, De mundi opif., 43).
14. F, AnDREs déclare ainsi que Tatien « là est indépendant du panpsy-
chisme stoïcien, qui admet l’âme cosmique qui se trouve en toutes choses »
(Die Engellehre der griechischen Apologeten des zweiten Jahrhunderts und ihr
Verhältnis zur griechisch-rômischen Dämonologie, Paderborn, 1914, p. 167).
15. Orat., IV, med.

336
L'ANIMISME CHEZ LES PÈRES
ception cosmobiologique. Il dégage Dieu de la matière et le fait
rentrer dans l’orthodoxie : Dieu ne pénètre pas la matière, n est
pas soumis aux sens. Il est le Père et créateur de Tout.
Mais cette réserve faite, le Dieu de la Bible étant sauf, Tatien
adopte la théorie stoïcienne, avec sa terminologie (nvedux, &#-
xetv) 16, À côté de l’esprit proprement divin, il range un pneuma
hylique, d’un autre ordre. « L'Esprit qui pénètre la matière est
inférieur à l’esprit divin; et, comme il est analogue à l’âme 17,
il ne doit pas être honoré à l’égal du Dieu parfait 18, » Voilà le
Dieu de la Bible et le dieu des Stoïciens placés côte à côte, sans
rien perdre de leur orthodoxie respective, Tatien ne s’est guère
soucié de les accorder, ni d’expliquer l’origine de ce pneuma
mystérieux.

2. CHEZ THÉOPHILE D’ANTIOCHE

La théorie animiste. Théophile d’Antioche enseigne la


même thèse, tout en lui donnant un
point d’appui biblique : les deux premiers chapitres de la
Genèse. Entre le ciel et les abîmes, s’étend, dit-il, « porté par-
dessus les eaux, un pneuma, que Dieu a donné à la création
pour sa vivification, comme l’âme à l’homme, mêlant le subtil
au subtil, — l’esprit n’est-il pas subtil et l’eau subtile ? — afin
que l'esprit nourrisse l’eau, que l’eau avec l'esprit nourrisse
la création, en pénétrant tout 19 ». Donc le pneuma primitif,
associé à l’eau, parfois à la lumière, anime toute la création 2.

16. A. Puecx dit qu’il « accepte tout simplement la doctrine stoïcienne »


(Les Apologistes grecs…., p. 330) et parle de « pur stoïcisme » (p. 334;
cf. p. 328).
17. Le texte est altéré. A. PUuECH suppose que dans ce passage Tatien rap-
prochait l’esprit qui anime le monde de l’âme qui anime le corps, tous deux
étant créés (Recherches sur le Discours aux Grecs de Tatien, suivies d’une:
traduction française du Discours avec notes, p. 55, en note). Au lieu de
« en tant qu’il est égalé à la matière », il traduit : « Comme il est analogue
à l’âme. »
18. Orat., IV.
19. Autol., II, 13. On retrouve là les idées exprimées dans l’homélie Sur
les saintes Théophanies. Mais ce dernier texte attribuait le même rôle au
Saint-Esprit.
20. Hippolyte attribue aux Séthiens une théorie qui ressemble assez bien
à celle de Théophile d’Antioche : l'esprit sépare la lumière des ténèbres qui
sont liquides; le preuma descend avec la lumière dans l'élément liquide ct
ainsi pénètre toutes choses (Refut., V, 19, 2-5). Cette présence de la lumière
avec le pneuma ne doit pas surprendre. L’éclat (x2yf) ou la lumière (oc)
sont associés par les Stoïciens, au moins depuis Chrysippe, au feu ain
Le Dieu suprême est lumière (E. BréuiEr, La cosmologie stoïcienne.…., in Rev.
de l’Ilist. des Relig., 32° année, 61, 1911, p. 14).

337
DIEU ET LE MONDE

Et Théophile y revient. Parlant de Dieu créateur, il l’appelle


« celui qui a établi la terre sur les eaux et donné le preuma qui
la nourrit, lui dont le souffle vivifie le tout, au point que, s’il
retient son souffle en lui, l’univers disparaîtra 21, Ce souffle,
tu l’exprimes en parole, homme; son souffle, tu l’aspires, et tu
l’ignores 22 ». Le texte, en un sens, est encore plus stoïcien
que celui de Tatien. Le souffle même de Dieu joue le rôle
cosmobiologique du preuma hylique, et même exactement le
rôle de l’âme dans le monde. C’est encore l’animisme uni-
versel, cette fois étroitement lié à Dieu 23.

Ce pneuma Dieu, âme du monde alors ? Non.


n'est pas Dieu. Le preuma n’est pas le Dieu-Verbe,
mais un esprit « que Dieu a donné
à la création pour sa vivification 24 ». Cet esprit de Dieu est
l’intermédiaire entre Dieu et le monde. Il est volontiers repré-
senté comme enveloppant le monde 25, lui-même enveloppé par
Dieu : « Comme la grenade avec son écorce qui l’entoure. toute
la création est entourée par l'esprit de Dieu, et l’esprit qui
entoure est entouré avec la création par la main de Dieu... Comme
le grain de la grenade. l’homme est entouré, avec toute la
création, par la main de Dieu 26 ». Ce pneuma est nettement
l'intermédiaire que l’on met entre Dieu et le monde pour garder
la théorie cosmobiologique, sans compromettre la transcendance
divine. La Bible est accommodée tant bien que mal au stoïcisme 27.

21. Cf, Jb., 31, 14 et supra, p. 325, n. 6. Clément de Rome dit de Dieu :
« Son souffle est en nous; quand il veut, il le retient » (Cor., XXI, 9).
22. Autol., 1, 7.
23. G. VERBEKE voit là une adaptation bien consciente, par un philosophe
« bien au courant de la pneumatologie du Portique » (p. 414), qui évite par
calcul les termes d’école, C’est prêter à ce penseur peu fin (p. 413) une
connaissance du stoïcisme dont il semble bien dépourvu.
24. Autol., II, 13; I, 7.
25. Cf. « L’air enfin et toute la terre subcéleste sont pour ainsi dire oints
par la lumière et le souffle » (Autol., I, 12). Ce mot oints marque une
influence intermédiaire entre l’enveloppement et la pénétration. Pour l’union
lumière-souffle, cf. n. 20.
26. Autol., I, 5. On retrouve ce même ordre d’enveloppement encore com-
pliqué dans le Corpus Hermeticum, XII, 14, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 179,
1. 17-22.
27. J. FRUERSTEIN a bien vu cette hésitation autour du pneuma, tantôt
Esprit-Saint, tantôt esprit cosmique (Die Anthropologie Tatians.…, p. 29-30).
I1 conclut heureusement : « Il n’a ni tenté, ni atteint un rapprochement
uniflant de la théologie et de la philosophie (stoïcienne) » (ibid., p. 31; la
parenthèse est de l’auteur),

338
L'ANIMISME CHEZ LES PÈRES

B. TRACES SECONDAIRES D’ANIMISME

Irénée et Tertullien. Saint Irénée et Tertullien semblent,


en quelques affirmations secon-
daires, rejoindre Tatien et Théophile. Irénée distingue nettement
afflatus et spiritus. Le spiritus est un don divin et surnaturel
réservé à l’homme, mais le souffle ou afflatus est un être créé et
il est répandu indifféremment sur toute la création 28. Le souffle
est encore une fois cet intermédiaire créé, dont on peut faire,
sans diminuer la divinité, l’âme du monde. Mais la théorie n’est
qu’esquissée.
Tertullien a repris l’expression, par emprunt direct à Irénée,
comme nous l’avons vu en étudiant le composé humain. Il attribue
lui aussi à l'humanité, sinon à toute la création, un flatus commun,
distinct du spiritus 2, Dans le reste de son œuvre, on trouve
quelques allusions à une théorie animiste dans la ligne de Tatien.
Il parle du « corps gigantesque du monde », « animé par l'esprit
qui anima toutes choses 30 ». Il connaît aussi « l’esprit hylique »
dont il fait venir les anges 51, mais cette fois c’est pour en écarter
l’homme 22, Il y a donc un certain flottement chez Tertullien, dans
les idées comme dans le vocabulaire. Cédant à quelque influence,
il parle parfois le langage de Tatien — et des Stoïciens —, mais
n’a pas de position bien solide sur ce point 83.

Hippolyte. Les œuvres communément rangées


sous le nom d’Hippolyte présentent
des théories apparemment plus stoïciennes et surtout plus
curieuses. L’Aduersus Noetum contient cette phrase sur Dieu:

28. Haer., V, xx, 2, HARVEY IL, p. 350.


29. Anima, XI, 3.
30. Apol., XLVIII, 7.
31. Marc., II, 8, CSEL 47, 345, 7-11.
32. Anima, XXI, 3 : l’âme ne comprend pas d’élément naturel ou matériel,
cf. XVI, 1-2.
33. Même à l’intérieur du De anima, Tertullien paraît se contredire. Tantôt
il s’en prend à Aristote et aux autres qui, dans leurs théories, « partagent
avec l’univers la substance animale, qui, chez nous, est un avantage propre
à l’homme » (XIX, 2). Tantôt — et longuement — il expose avec tant de
fougue l’opinion des adversaires pour la tourner à son profit, qu’il semble
reconnaître une âme intelligente dans les plantes dès leur origine (scientias
et sapientias arborum, XIX, 3-6), comme chez l’homme, et le rapprochement
mérite d’être noté. Les arguments ad hominem occupent trop de place pour
qu’on puisse dégager la théorie propre de Tertullien, s’il en a une. G. VERBEKE
néglige tout simplement les textes cités plus haut et n’hésite pas à affirmer :
« I1 n’y a pas trace de cette cosmobiologie stoïcienne chez l’apologiste afri-
cain » (p. 441).

339
DIEU ET LE MONDE

« Tout était en lui et lui était le tout 34. » Mais c’est là de


l'Héraclite. Les Philosophoumena ne résument-ils pas la philo-
sophie d’Héraclite sous cette forme : « Le logos, c’est toujours
le tout et il est à travers le tout 35. >» Logique avec lui-même,
notre évêque poursuit contre Noet : « Unique est la dunamis,
issue du tout. Or le tout, c’est le Père, et la dunamis qui en
sort, le Logos 36, » Dans les Philosophoumena on trouve la même
théorie, exprimée en termes platoniciens, quand l’auteur parle
de « la raison intérieure ( évôté&@etoc... Aoyiou6ç ) du tout 87 ».
Mais ces affirmations sont plutôt un accident dans l’œuvre
d’'Hippolyte et la rencontre avec la philosophie est seulement
dans l’expression, puisque ce tout est le Père, avec les idées
contenues en lui 38. On n’y trouve aucun soubassement à un tel
système. Au contraire, il reproche à Calliste, son ennemi, de
s'inspirer d’Héraclite et d’affirmer que « tout est plein de
l'esprit divin, les choses d’en haut comme celles d’en bas 8 ».

Novatien. Novatien offre une théorie cos-


mique singulière. Il admet, au
milieu de textes bibliques, la possibilité qu’un air chaud pénètre
toute la matière. « De peur que ces êtres, dit-il, issus de prin-
cipes terrestres, ne s’engourdissent naturellement par le froid
(rigor) de leur origine, à tous a été ajoutée la nature chaude d’un
esprit interne, qui, associée (concreta) aux corps froids, doit
fournir à tous, pour le bénéfice de la vie, des tempéraments 40. »
Il n’y voit qu’une hypothèse. Mais auparavant il avait fait appel
à « la conspiration qui rassemble » et fait « un monde unique »,
indissociable #1, Cette même idée se retrouve dans le De specta-
culis : « L’air intermédiaire se maintient avec égalité, dans une
suprême conspiration et s'étend dans les liens de la concorde,
nourrissant toutes choses grâce à sa subtilité 42, » Il semble bien

34. Noet., X, éd. NAUTIN, 251, 18.


35. Refut., IX, 9, 3. Cf. A. p’Arès, La théologie de saint Hippolyte, Paris,
1906, p. 24-25 en note.
36. Noet., XI, éd. NAUTIN, 253, 11.
37. Refut., X, 33, 1.
38. Cf. Refut., X, 33, 2 : le Verbe « contient les idées imaginées dans le
noûs paternel », pour les réaliser sur l’ordre du Père (remarquer le langage
platonicien). On retrouve la même idée chez Tertullien : « Deus erat solus
ipse sibi.. omnia » (Prax., V, CSEL 47, 233, 7-8). « Pater enim tota substantia
est » (ibid., IX, CSEL 47, 239, 24). Cf. ch. suivant.
39. Refut., IX, 12, 17. ï
40. Trin., VIII, éd. FAusser, 27, 3-7.
41. Ibid., I, éd. FAUSSET, 6, 13-7, 1.
42. IX, 1-2, éd. A. BouLANGER, Tertullien, De Spectaculis, suivi de Pseudo-
‘Cyprien, De Spectaculis, Paris, 1933, p. 109-110. On trouvera le contexte de
ces citations infra, p. 412-413,

340
L'ANIMISME CHEZ LES PÈRES

qu’il y ait vraiment là une théorie d'inspiration stoïcienne:


un air subtil, chaud sans doute, qui pénètre le tout, le nourrit
et l’unit dans la oûurvoux commune 48.

Le concordisme Clément a souvent abordé la ques-


de Clément. tion du rapport ontologique qui
unit Dieu et le monde, Il essaie
d’abord de concilier stoïcisme et Ecriture Sainte. « Les Stoïciens,
dit-il, définissent la nature un feu. constructif, qui poursuit sa
route vers la génération, Mais Dieu, comme son Verbe, est allé-
gorisé feu et lumière de la part de l’Ecriture 44, » Ou encore :
« Les Stoïciens disent que Dieu est corps et pneuma, par essence,
comme aussi naturellement l’âme. Mais tout cela, on le trouve
aussi dans l’Ecriture 45. » Avec une bonne volonté touchante,
Clément tire à lui les philosophes et « sollicite doucement » le
texte sacré. Hélas ! son Dieu n'offre rien du feu pneumatique qui
créa le monde,
Cependant Clément fait parfois de légères concessions au sys-
tème stoiïcien. Nous avons vu qu’il n’écarte pas absolument la
théorie du « tonos pneumatique qui pénètre et tient ensemble le
cosmos 46 », De même, ailleurs, il ne repousse pas la théorie d’un
pneuma qui traverse toutes choses, à condition qu’on respecte
la transcendance divine. « Certains disent que Dieu pénètre à
travers l’essence entière, tandis que nous l’appelons lui-même
seul créateur, et créateur par le Verbe, Ils ont été égarés par ce
mot de la Sagesse : il pénètre et s’avance à travers tout à cause
de sa pureté, pour n’avoir pas compris qu’il s’agissait là de la
Sagesse, première créature de Dieu#7, » Il accepterait donc
qu’une puissance créée intermédiaire pénètre l’univers à la mode
stoïcienne, Cela nous ramène à la distinction de Tatien et de
Théophile, mais le stoïcisme de Clément est beaucoup plus dis-
cret : on sent qu’il n’est, chez l’Alexandrin, que le résultat d’un
généreux effort de conciliation #8.

43. Ailleurs, l’auteur voit « comme une intelligence » (mens quaedam),


qui « engendre et contient chaque chose » (Trin., II, éd. Fausser, 9, 18-21).
Ces mots et la suite soulignent davantage l’aspect rationnel. Il ne faut, de
toute façon, pas y voir un stoïcisme direct. L’auteur repousse expressément
l’idée d’une phusis surnaturelle (nafuram nescio quam artificem) (Trin., II,
éd. FAUSSET, 11, 20-12, 1). Tout ici relève du créateur:
44. Str., V, 100, 4.
45. Ibid., 89, 2.
46. Ibid., 48, 2.
47. Ibid., 89, 3-4, Cf. Sg., 7, 24.
48. Il me semble que C. MEeRCK exagère la part du stoïcisme dans la doctrine
de Clément sur le logos, faute de faire cette réserve (Clemens Alexandrinus
in seiner Abhängigkeit von der grtechischen Philosophie, Leipzig, 1879,
p. 36-53, en particulier p. 43-44). Il juge même que Clément est plus stoïcien

341
DIEU ET LE VERBE
En fait, quand il expose spontanément ses théories, on ne le
voit jamais enseigner la thèse du prneuma cosmique. Il ne parle
jamais clairement d’un esprit de la matière. On en trouve à peine
quelques traces. Nous l’avons vu faire appel au phénomène de
l’aimantation. Il explique à ce sujet que « le pneuma de la pierre
d’Héraclée est étendu (ëéxretvouéw») à travers les nombreux
anneaux du fer 4 ». Mais c’est là un thème classique 5°. Ailleurs,
il évoque une théorie bien stoïcienne, mais y glisse un « dit-on ».
11 parle des poissons « doués d’une âme de même nature que
l’air » et il poursuit : « Cependant les poissons n’aspirent pas,
dit-on, cet air-là, mais celui qui est mêlé à l’eau, depuis l’instant
de la création première, comme aux autres éléments, ce qui est
le signe de la permanence matérielle 51, >» Un pneuma mêlé à
l’eau, qui assure l’unité de la matière dans le temps et dans
l’espace, voilà une théorie stoïcienne 52, peut-être la théorie de
Théophile d’Antioche. Mais elle n’est qu’accidentelle dans
l’œuvre de Clément, et même la prend-il bien à son compte ?
La théorie du pneuma cosmique reste bien le propre des Apo-
logistes 53,

IV. LE LOGOS RAISON DU MONDE

Nous avons mentionné plus haut que la rationalité est une


marque de la nature divine aux yeux de beaucoup de Pères.
Naturellement, l’œuvre de Dieu doit aussi être pénétrée de raison.
Athénagore et Tertullien n’ont pas manqué de le souligner; mais
ils ont considéré la raison surtout objectivée, réalisée dans l’uni-

que platonicien, surtout dans sa conception du monde (p. 90). R. E. WiTr


révèle la même tendance : il a l’air de mettre au compte de Clément une
citation de Pythagore que l’Alexandrin rapporte avec sympathie (The Hellenism
of Clement of Alexandria, in The Classical Quarterly, 25, 1931, p. 196).
49. Str., VIX, 9, 4.
50. Cf. Hippolyte, Refut., V, 9, 19 au sujet des Naassènes. On le retrouve
dans le Corpus Hermeticum, IV, 11, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 53, avec la
note 32, p. 57, qui donne une série de références à la littérature grecque.
51. Str., VII, 34, 1.
52. Que les poissons sont des animaux inférieurs, n’ayant qu’une apparence
d’âme, pour leur conservation, c’est une thèse stoïcienne, cf. Philon, De mundi
opif., 66 (SVF II, 722, p. 206).
53. R. E. W1iTr rapporte encore certaines expressions qui paraissent évoquer
une théorie de l’immanence : que le Verbe « étant unique sauveur, soit en
particulier à chacun, en commun à tous (æäov : à tout ?) » (Str., VII, 16, 5;
cf. Fragm., 39, De prou., STAERLIN III, p. 220, 1. 10). Mais il reconnaît que
Clément repousse le stoicisme proprement dit. Il y voit le conflit de deux
cosmologies, celle de l’immanence et celle de la transcendance (The Hellenism.…,
p. 196).

342
LE LOGOS RAISON DU MONDE

vers. Il s’agit en somme chez eux de l’ordre du monde et de sa


loi, dont il sera question plus loin. Au contraire, Minucius
Félix et Clément présentent Dieu ou le Verbe, comme une force
dynamique qui enveloppe le monde de rationalité et lui donne
son unité rationnelle.

Chez Minucius Félix. Minucius Félix, devant l’œuvre du


Verbe ou de la raison divine qui
organise tout le cosmos, s’écrie : « Quoi de plus clair, de plus
manifeste, de plus éclatant, quand on élève ses regards au ciel,
quand on parcourt ce qui est au-dessus et autour, que l’influence
d’une raison supérieure, qui anime, meut, alimente, gouverne
toute la nature 2. » Cette raison supérieure, c’est Dieu, et « tout
est plein de Dieu 3 »., « Non seulement il nous est proche, mais
il est infus. Il se trouve présent partout, et mêlé à tout 4. »
L'auteur emprunte même à Virgile, en les approuvant, des
citations expressives : « Dès le commencement, un souffle inté-
rieur entretient la vie du ciel, de ia terre et de toutes les autres
parties du monde, » Cette âme répandue partout, met tout en
mouvement. « Dieu pénètre partout »… Et il enchaîne par ce
texte déjà cité : « Disons-nous que Dieu soit autre chose que
mens, ratio et spiritus 5? » L’intention concordiste transparaît,
d’autant plus qu’on ne retrouve, dans l’œuvre de Minucius
Félix, aucune théorie cosmobiologique. Mais il reste que Dieu
est clairement présenté comme la raison supérieure qui anime
tout.

Chez Clément insiste encore plus sur


Clément d'Alexandrie. l’ordre rationnel qui constitue le
monde et en parle volontiers en
termes qui évoquent le Portique. Il voit la raison dispersée dans
l'univers et se diversifiant. « Comme la phronèsis est diverse,
dit-il, étant répandue à travers l’univers entier et dans toutes les
actions humaines, elle change de nom selon chaque occasion 8, »
Il présente le Verbe comme faisant la loi et l’unité du tout:
« L'homme est transformé par le Verbe, par qui les animaux sont

. Infra, ch. XII, p. 404.


. Oct., XVII, 4.
. Ibid., XXXII, 7.
. Oct., XXXII, 7-8.
mà . Ibid., XIX, 2. Pour Virgile, cf. P. Boyancé, Le sens cosmique de Virgile,
O1
LR
in Rev. des Etudes Latines, 32, 1954 (éd. 1955), p. 220-249. L’auteur rapproche
les thèses du Portique et parle de stoïcisme inconscient (p. 241).
6. Str., VI, 155, 3. DE Faye voit dans ce texte une théorie nettement stoï-
cienne : « Cette sorte de raison immanente dans les choses revêt les formes
les plus diverses. » (Clément d’Alexandrie…., p. 188). Ailleurs, il dégage
la part de stoïcisme contenue dans les théories du Logos chez Clément
(p. 258-261).
343
DIEU ET LE MONDE “

apprivoisés, les poissons se laissent prendre aux hameçons, les


oiseaux sont attirés. C’est lui, en toute vérité, qui prépare un frein
au cheval, un joug au taureau, un rets aux bêtes sauvages, une
ligne pour le poisson, un filet pour l’oiseau.…. 7, » Poésie, dira-t-on.
Peut-être, mais l’idée se précise ailleurs en une langue bien stoi-
cienne, quand l’auteur prête au Logos un rôle harmonisateur:
« Il organisa le tout avec mesure et réduisit la dissonance des
éléments à la discipline de l’harmonie, pour se faire de l’univers
entier une symphonie 8. » Il parle même de cette harmonie orga-
nisée par le Verbe, en termes qui rappellent le rôle du preuma-
logos dans l’univers stoïcien : « Le chant sans mélange, support
de l’univers et harmonie du tout, s’étend ( Stxræév) du centre vers
les extrêmes et des extrémités vers le centre, harmonisant ce
tout. ®. » C’est le langage même de Philon 10, La théorie n’est pas
précise, mais on sent cette fois un mode de penser stoïcien,
spontanément adopté sans but de compromis 11,

CONCLUSION

On se rend compte, en ce domaine des rapports de Dieu avec le


monde, d’une influence réelle du stoïcisme sur la pensée chré-
tienne. D’abord Dieu et le monde sont intimement liés. Quand il
s’agit de prouver l’existence divine, ouvrez les yeux, nous disent

7. Paed., III, 98-99.


8. Protr., 5, 1.
9. Ibid., 5, 2.
10. La parenté est étrange. « Le logos éternel du Dieu éternel, dit Philon,
est le soutien (ëpetoua)… de l’univers (rüv 6luv). C’est lui qui, tendu du
centre aux extrêmes et des extrémités au centre (ämd vüv pécuv ëêri vd
mépata val md Tüv dxpuv êni Ta péox valels), dirige la course infaillible
de la nature » (De plant. Noe, 8-9). Clément dit aussi : Éperoua Tüv Ohwv..
dnd Tv péowv émi Ta mépara xal ànd vTüv Œxpuv ti tai péoax Glatalev…
C’est la même théorie exprimée dans les mêmes termes, Elle offre cependant
un aspect un peu moins dynamique chez Clément, qui ajoute l’idée de chant,
d’harmonie. On sait que le rôle de l’harmonie est primordial chez Clément.
G. VERKUYL l’a bien noté, qui a placé toute son étude psychologique et
morale de Clément sous le signe de l’harmonie : 1, la psychologie et l’éthique
du point de vue de l’harmonie; 11, les troubles de l’harmonie et le salut ;
a, la perfection de l’harmonie ou le concept de divinisation (Die Psychologie
des Clemens von Alexandrien im Verhältnis zu seiner Ethik, Leipzig, 1906).
Ce rôle harmonisateur du Verbe dans le monde est aussi reconnu par les
Odes de Salomon, XII, 8-10, éd. LABOURT-BATTIFCL, Paris, 1911, p. 15.
11. R. BR. ToLLINTON conclut son chapitre consacré au logos chez Clément
:
« Finalement... le fait significatif est que ce (point de vue) implique une
conception plutôt dynamique que statique du monde et, par là, de la religion »
(Clement of Alexandria, a study in christian liberalism, t. 1, Londres, 1914,
p. 365). Il avait dit plus haut : « La doctrine du logos, qui est au cœur de
la théologie de Clément, était fondamentalement apparentée à l’enseignement
stoïcien » ({bid., p. 169).

344
CONCLUSION
les Pères; il suffit de déchiffrer l’univers. La création est l’œuvre
glorieuse de ce Dieu essentiellement cause. Son activité est là, là
surtout, quoi qu’en pensent les Gnostiques, et elle se poursuit dans
la providence toute tournée vers le monde. Aujourd’hui le chré-
tien songe beaucoup plus volontiers à l’œuvre de Dieu, mysté-
rieuse et secrète, dans l’intimité des âmes, ou du moins à l’action
rédemptrice. Les Pères, sensibles à la beauté extérieure, voient
Dieu dans son activité cosmique.
Quand il s’agit ensuite d’expliquer cette opération de Dieu, les
Pères se souviennent de la théorie du logos, qui pénètre le monde
de raison et de vie. Mais ici, on constate une évolution. La théorie
de l’âme du monde a surtout été influente à l’époque des Apolo-
gistes et les hérésies contemporaines reflètent le même courant 1.
Plus tard, on se contente souvent de reconnaître à l’'Esprit-Saint
un rôle unificateur, au Verbe une fonction rationnelle et harmoni-
satrice. De toute façon, Dieu est toujours à l’abri de tout rôle
cosmobiologique.
L'intérêt que portent les Pères à ces questions d’ordre physique
appelle une dernière remarque. Epictète et Marc-Aurèle ne
s’encombrent plus guère de problèmes cosmogoniques. Ici encore
les Pères, les Apologistes du moins, ne semblent pas subir seule-
ment un stoïcisme contemporain. Ils parlent en fonction du stoi-
cisme traditionnel, celui de Zénon ou peut-être de Posidonius 2,
un stoïcisme de culture,

1. Irénée ne manque pas de dénoncer une théorie animiste chez des disciples
de Marcus : « Le chiffre des sept puissances. anima le cosmos et le posa
comme âme de tout le visible » et il parle à ce sujet de « l’âme du cosmos »
(Haer., I, vint, 8-10, HARVEY I, p. 141-144). D’après Hippolyte, l’hérésie des
Naassènes enseigne l’animation universelle : « L’âme est cause de tout ce
qui naît; tout ce qui se nourrit et s’accroît a besoin d’âme », les pierres
comme les plantes (Refut., V, 7, 10). L’auteur croit même que les Juifs ensei-
gnaient aussi que « tout dans la création a de la sensibilité et que rien n’est
inanimé » (ibid., IX, 30, 2),
2. VERBEKE, p. 415.

345
QUATRIÈME PARTIE

LE MONDE
CHAPITRE ONZIÈME

LE MONDE
SON HISTOIRE. SA VALEUR

Le lien que la pensée grecque établit entre Dieu et le monde a


pour conséquence que théologie et physique sont intimement
unies : « Toutes les cosmologies helléniques sont, en dernière
analyse, des théologies », a dit heureusement P. Duhem1, Les
Pères ne purent dissocier les deux sciences, nous l’avons déjà vu,
et l’on conçoit facilement que, pour répondre aux philosophes
grecs, ils se soient tournés vers le monde plus souvent que nos
théologiens modernes.
Là aussi ils trouvaient devant eux la pensée stoïcienne. Le stoi-
cisme établit la continuité entre tous les êtres, à la fois dans la
matière et dans le pneuma. Il s’oppose essentiellement à l’ato-
misme d’Epicure et de Démocrite. Il offre une physique dyna-
miste, où tout se tient, par l’espace et par le temps, dans une
homogénéité parfaite 2, Le monde est naturellement en mouve-
ment et doit se considérer d’abord dans le plan de l’évolution.
Mais ce monde, plein de Dieu, est foncièrement bon et cet aspect
optimiste est la deuxième dominante de la conception stoïcienne
du cosmos.

1. Le système du monde, histoire des doctrines cosmologiques de Platon à


Copernic, t. II, La cosmologie hellénique (fin), L’astronomie latine au Moyen
Age, Paris, 1914, p. 453. V. Monop, Dieu dans l’univers…, Paris, 1933, reprend
ce texte et commente : « On ne pouvait réfuter la théologie païenne, sans en
réfuter également la physique » (p. 87).
2. V. Mono», Dieu dans l’univers…., Paris, 1933, a fortement opposé cette
continuité, cette homogénéité de l’univers dans la pensée grecque, à la con-
ception biblique, où « le temps est l’essentiel » (p. 25) : aujourd’hui est la
punition d’hier et demain la récompense d’aujourd’hui. 11 y a vue historique
avec rupture et hétérogénéité.

349
LE MONDE, SA VALEUR

IL L’'HISTOIRE DU MONDE

A. SA CONSTITUTION

1. CHEZ LES STOÏCIENS

Platon met, à l’origine de tout et au-dessus de tout, le monde


immatériel des idées, les vraies réalités. Il y adjoint secondai-
rement un substrat, où l’être véritable se matérialise et trouve
son aspect sensible. De là, la marque dualiste du système, plus
ou moins dégagée selon les œuvres différentes du philosophe ou
selon les tendances de ses interprètes. Les Stoïciens, au contraire,
sont indiscutablement des monistes, pour qui tout est corps. Il y
a dès l’origine une unité corporelle, qui subsiste au cours de
toute l’hisfoire du monde. Ce corps originel présente, dans son
unité, comme deux faces, l’une active, que l’on peut appeler
esprit, l’autre passive, qui est essentiellement matière 1,
La matière première indifférenciée se développe en quatre
éléments initiaux : le feu, l’air, l’eau et la terre 2. Chaque élément
est qualifié par essence : le feu est chaud, l’air est froid, l’eau
humide et la terre sèche. Les deux premiers éléments sont actifs
et légers, les deux autres passifs et lourds. Le feu esi le premier
corps qualifié; il est porteur matériel du logos. Il constitue, dans
la cosmogonie, l’âme du monde. Il est créateur et vivifie tout
sans jamais se consumer, On l’appelle le « feu artisan ». Il con-
tinue sans cesse son œuvre : « À la manière d’un artiste, métho-
diquement il poursuit la création $. » Il ne faut pas le confondre
avec le feu de la terre, qui consume et ne crée pas. Ces éléments,
presque à l’état pur, occupent, par rapport au centre, un ordre

1. M. Pourenz, Die Stoa, I, p. 215. Pour ces questions, cf. J. Bauprv, Le


problème de l’origine et de l'éternité du monde dans la philosophie grecque
de Platon à l'ère chrétienne, Paris, 1931. Après l’étude des théories platoni-
ciennes et aristotéliciennes, le ch. x1 est consacré à « la réaction stoïcienne
et épicurienne contre le dogme de l’éternité du monde » (p. 227-256).
2. La théorie des quatre éléments, sans être la propriété du Portique, est
indéfiniment attribuée aux Stoïciens et à Chrysippe en particulier, SVF I,
412-438, p. 136-144.
3. Clément d’Alexandrie cite ce texte, cf. supra, p. 113, où sont rapportées
les références aux auteurs Stoïriens sur ce point.

350
HISTOIRE DU MONDE
relatif à leur poids. L’eau et la terre sont au milieu, puis l’air,
puis le feu, à la périphérie, porteur du logos et donc siège prin-
cipal de la divinité, qui de là s’éparpille partout. Mais ce monde
varie sans cesse dans sa diakosmèésis, dans son organisation. Il
évolue, bien qu’il soit toujours en acte et, en ce sens, parfait à
chaque instant.

2. CHEZ LES PÈRES

De cette cosmogonie précise, on ne retrouve, chez les Pères


des premiers siècles, que des souvenirs épars et vagues. Ce n’est
pas sans raison que P. Duhem, dans son Histoire des doctrines
cosmologiques, n’accorde aucune place à l’époque qui nous
occupe, bien qu’il consacre deux cents pages à la cosmologie des
Pères 4 Ce silence n’est pas négligence.

Le Verbe Les théories sur le Logos créateur


et la création. offraient une première chance de
rencontre entre théologie et philo-
sophie. Qu’on se rappelle le lien qu’établissent les Pères entre le
Verbe et la production de l’univers. Or, jamais cette thèse ne
fournit l’occasion d’une cosmogonie qui évoque, si peu que ce
soit, le système stoicien 5. Il est pourtant un point où Tertullien
semble se souvenir de la philosophie, Il souligne à plusieurs
reprises que tout était préexistant « dans la connaissance de
Dieu », c’est-à-dire le Verbe, qu’il identifie, selon toute une
tradition avec la Sagesse, première-née de la création, également
« dans la connaissance de Dieu? ». Mais il parle de ce Verbe-
Sagesse, source de la création, en termes très concrets. Il est
substance 8, origine de toutes les substances ®. Et voici qu’il
l’appelle, sous le nom de Sagesse, « matière pour les œuvres du
monde 10 », « source et origine de tout, vraiment matière des

4. Le système du monde, Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à


Copernic, t. Il... p. 293-501. I1 existe cependant une histoire de la cosmologie
chez les plus anciens Pères : E. W. MogLLer, Geschichte der Kosmologie in
der griechischen Kirche bis auf Origenes, Halle, 1860 (non consulté).
5. On retrouve plus facilement l’exemplarisme platonicien, déjà mentionné,
cf. Athénagore, Leg., X; Hippolyte, Refut., X, 33, 2; Tertullien, Prax., VII,
CSEL 47, 237, 12-16 et passim dans l’Aduersus Praxrean et l’Aduersus
Hermogenem.
6. Prax., VI, CSEL 47, 235, 10-11; thème classique, cf. Jn. 1, 3-4, mais aussi
Corpus Hermeticum, Asclepius, 2, éd. Nocxk-FESTUGIÈRE, p. 297, 1. 24-298, 1. 1;
14... p. 313, 1. 8-9.
7. Hermog., XVIII, CSEL 47, 146, 1-4; Prax., VII, CSEL 47, 236, 8-12;
cf. VI... 234, 21-22. ;
8. Prax, VII, CSEL 47, 236, 15; 237, 15.
9. Ibid., 236, 25-26.
10. Hermog., XNINI, CSEL 47, 144, 26-145, 2.

351
LE MONDE, SA VALEUR

matières 11 ». On peut y voir facilement la matière primitive et


trouver là une trace mal effacée d’une cosmogonie philoso-
phique 12, Cependant, il faut bien souligner qu’il s’agit chez
Tertullien d’une discussion ad hominem contre Hermogène, dans
ces derniers textes, et surtout que le contexte soutient préci-
sément la création ex nihilo. Le Verbe-Sagesse, « matière > par-
faite 13, ne doit pas être entendu au sens où les Stoïciens enten-
daient leur matière informe.
Le langage de Tatien appelle les mêmes réserves. « Le maître
de toutes choses, dit-il, qui se trouve être lui-même l’hypostase
de l’univers, en tant que la création n’était pas encore réalisée
était seul. Mais en tant que toute puissance d’être, visible ou
invisible, était en lui, par sa puissance de Logos il hypostasiait
lui-même l'univers en lui 14, » C’est la terminologie de l’époque 15
et l’on aurait tôt fait de voir en Dieu la substance du monde,
peut-être en son double aspect, actif et passif. Mais Tatien main-
tient parfaitement la création dans le temps d’une matière
primitive.

La Cosmogonie. C’est dans cette matière primitive,


créée par Dieu, que nous retrou-
vons une ressemblance réelle avec la théorie philosophique.
Tatien en effet conçoit une vaste matière indéterminée, qui se
précise ensuite en ses éléments : « On peut voir que toute la
constitution du monde et la création dans son ensemble sont
créées de la matière et que la matière elle-même a été produite
par Dieu, de telle sorte qu’avant d’avoir été distinguée en ses

11. Hermog., XVIII, CSEL 47, 145, 14-15.


12. Les commentateurs l’on souvent fait sans hésiter. Déjà E. WADSTEIN,
Ueber den Einfluss des Stoizismus auf die älteste christliche Lehrbildung, in
Theol. Studien und Kritiken, 53, 1880, confond Sagesse et matière originelle
(p. 656-657). G. Raucx fait appel aussi au stoïcisme et voit « la matière
habitant en Dieu, de quoi tout est formé » (Der Einfluss der stoischen Philo-
sophie auf die Lehrbildung Tertullians, Halle, 1890, p. 46). J. STIER dit expres-
sément : « Le Logos hypostatique (à savoir la Sophia de Dieu), comme inter-
médiaire d’un monde à venir, est intermédiaire de ce monde, en ce sens qu’il
est en même temps son substrat substantiel. Le Logos hypostatique est l’ini-
tiative substantielle des substances d’un monde à venir concrètement existant.
Oui, finalement, on peut dire encore davantage. Le Logos hypostatique n’est
pas seulement l'initiative substantielle, mais plutôt il est l'initiative maté-
rielle d’un monde à venir, il n’est pas seulement substrat substantiel, il est
substrat matériel de ce monde » (Die Gottes- und Logoslehre Tertullians,
Gôttingen, 1899, p. 88-89). Finalement, le Logos signifie « un concept matériel
du monde à venir » (p. 89). H. Meyer n'hésite pas davantage à voir dans
la Sophia l’Urstoff, la matière initiale dont parlait le stoïcisme (Geschichte
der Lehre von den Keimkräften…., Bonn, 1914, p. 221).
13. Hermog., XVIII, CSEL 47, 145, 15-18.
14. Orat., V.
15. Le Corpus Hermeticum appelle Dieu la oÿotactc Tévruy (VIII, 5, éd.
Nocx-FESTUGIÈRE, p. 89, 1. 13); Ünaptts.…. vrov ôvruv (X, 2…., p. 113, 1. 14).

352
HISTOIRE DU MONDE
éléments, elle était sans qualité et sans forme, et qu’après cette
division elle fut ordonnée et réglée. C’est ainsi que le ciel et les
astres du ciel sont sortis de la matière; la terre avec tout ce qui
vit sur elle a la même constitution 16. » Pour Tatien, les quatre
éléments se dégagent de la matière indéterminée. Les Philoso-
phoumena, au contraire, en attribuent la création à Dieu direc-
tement. Après avoir écarté nettement toute matière « contem-
poraine » de Dieu 17, ils continuent : « Il créa d’abord, pour les
êtres à venir, des principes différents, le feu et l’esprit, l’eau et
la terre, Et c’est à partir de ces principes différents, qu’il fit sa
création. Il composa certains êtres d’une seule essence, et les
autres de deux, de trois ou de quatre essences. Les êtres d’une
seule essence furent immortels, car la décomposition est incom-
patible avec eux : l’un ne se décomposera jamais. Les autres, de
deux, trois ou de quatre essences, furent sujets à la décomposi-
tion... 18, > C’est là une cosmogonie qui n’est pas étrangère à la
philosophie.

Les quatre éléments : On a remarqué que l’auteur nomme


précisions. ici les quatre éléments. Il y revient
plus loin 19, C’est là encore un thème
de l’époque. Déjà Hermas disait que le cosmos est composé des
quatre éléments 20, Athénagore les énumère souvent : le feu, l’eau,
l’air et la terre 21, ou bien encore : l’humide, le sec, le chaud et
le froid 22, Il dit de même que la masse originelle est composée
de corps lourds et de corps légers entremêlés 23, Clément
d’Alexandrie maintient cette tradition 24; Tertullien également 25,
mais il ajoute à chaque fois les ténèbres et l’abîime, pour figurer
le monde infernal.
Certains de ces éléments ont la faveur dans l’organisation de
lunivers. Les Philosophouména semblent accorder une place

16. Orat., XII, init., trad. PUECH.


17. Züyypovos, Refut., X, 32, 1. Le mot et l’idée reviennent deux fois dans
le Contra Noetum, X, éd. NAUTIN, 251, 12-15.
18. Refut., X, 32, 2-3, selon une trad. NAUTIN.
19. Ibid., X, 33, 4.
20. Past. Vis., III, 13, 3.
21. Leg., XXU.
22. Res., VII. init.
23. Leg., X.
24. Str., II, 31, 3; IL, 51, 1; V, 32, 3; Protr., 64, 2. H. H. SCHAKDER signale
une influence stoïcienne au sujet des éléments chez Bardesane. L’influence
porterait sur la terminologie et sur la nature de ces éléments; mais la
démonstration n’est pas probante (Bardesanes von Edessa in der Ueberlieferung
der griechischen und der syrischen Kirche, in Zeitschrift für Kirchengeschichte,
.3* série, 2, t. 51, cahier 1/2, 1932, p. 50-51). Les éléments y sont cinq, avec!
Jl'éther, ct il y est question aussi des ténèbres comme élément provisoire.
25. Ilermog., XXXI, CSEL 47, 159, 19-20; 159, 23-160, 2; 160, 21-22.

353
LE MONDE, SA VALEUR

spéciale au feu, bien qu’ils dénoncent, dans l’hérésie des Simo-


niens, la théorie d’inspiration stoïcienne qui fait du feu le prin-
cipe de toutes choses 26, Le désir, qui est source de génération,
est feu, remarque Hippolyte 27. Parmi les quatre éléments asexués,
c’est du feu que sont tirés les anges; du feu et du souffle que
proviennent le soleil, la lune et les astres 28. Clément, dans les
Eclogae Propheticae, dit plus clairement encore que le feu est
« le plus puissant des éléments et l’emporte sur tout » et il le
rapproche de Dieu ??. Il remarque même, avec les Stoïciens
encore, que « sa puissance est double », l’une nécessaire à la
formation et à la maturation des fruits, à la naissance et à la
subsistance des vivants, qui a pour image le soleil; l’autre pour
la destruction et la corruption, comme le feu terrestre 30,
Autre est la position de Tertullien, qui souligne l’action de
l’eau : « C’est aux eaux qu’il fut commandé en premier lieu de
produire les âmes 31 », dit-il en parlant avec la Genèse de l’ori-
gine du monde. Elles sont source de vie. Et il note que l’eau est
mêlée également au limon de la terre pour la fabrication de
l’homme : « La configuration de l’homme même n'est-elle pas
réalisée aussi avec le concours des eaux 32? » C’est là encore
une thèse que les Pères attribuaient aux Stoïciens 83.
On en trouve un écho dans le Peri Lutrou de Méliton de
Sardes 34. L’auteur montre que l’eau joue un rôle fonique et
nutritif à l’égard de tout. On trempe les métaux dans l’eau, afin
qu’ils y puisent leur tonos (rov8ñ). La terre, l'Egypte surtout, y
trouve un surcroît de fertilité. Même l’air, même l’arc-en-ciel,

26. Hippolyte la trouve exposée dans un livre intitulé l’Apophasis, qu’il


prête à Simon le Magicien. Il la résume ainsi : le feu est le principe de
toutes choses, principe emprunté au « ténébreux Héraclite » (Refut., VI, 9, 3).
« C’est du feu que vient le principe de la génération en tout ce qui est
engendré » : « brûler », dit-on, quand on parle du désir de la génération
(ibid., VI, 17, 4). Ce feu n’est pas simple (ibid., VE, 9, 5). Il est double, comme
en puissance et en acte (ibid., VI, 9, 6-10; VI, 32, 8) et cependant un (ibid.
VI, 17, 5). Ce principe de tout, Simon l’appelle aussi « une dunamis infinie »
(Gbid., VI, 9, 4; 5) et il dit que « la grande puissance infinie est mélée et
combinée à tous ces êtres » (ibid., VI, 13).
27. In Prou., Fragm., XII ex Vatic. 1802, GCS, I, 2 part. p. 161, 9-10.
28. Refut., X, 33, 4-5.
29. Ecl. Proph., 26, 2.
30. Ibid., 26, 3; cf. 25, 3-4; la même idée du feu double, in Exc. ex Theod.,
81; Tertullien, Apol., XLVIII, 14.
31. Bapt., III, CSEL 20, 203, 8-10.
32. Ibid., 12-13. .
33. Par ex. Minucius Félix (XXXIV, 2) et Athénagore (Leg., XIX), cités supra,
p. 91. Cette thèse appartient au stoïcisme le plus authentique, celui de Zénon,
qui croyait même la retrouver dans Hésiode (ARNIM, SVF II, 580-581, p. 179-180;
cf. M. PouLenz, Die Stoa, 1, p. 78; Il, p. 44).
34. Ce fragment se trouve dans J. B. P1rRa, Analecta Sacra spicilegio soles-
mensi parata, t. Il, Patres Antenicaeni, Typis Tusculanis, 1884, p. 3-5.
A. HARNACK l’a réédité dans Marcion, Das Evangelium vom fremden Gott,
2e éd., Leipzig, 1924, p. 421#-423#, Il est traduit dans R. M. GRANT, Second
Century Christianity, Londres, 1946, p. 74.

354
HISTOIRE DU MONDE
subissent l’effet de l’eau. L’océan sert-il à autre chose qu’à être
« le baptistère du soleil », des astres et de la lune ? Le soleil
couchant tout en feu « se baigne dans l’eau froide ». € S’étant
baigné à ce baptême mystique, il sé réjouit profondément d’avoir
l’eau pour nourriture » et il reparaît avec un fonos nouveau
(rerovouévos). Là-dessus, l’auteur revient au soleil de l'Orient,
le Christ, qui s’est baigné dans le Jourdain. On trouve là, la
théorie connue qui voit dans l’eau le principe de toute vie 35.

Divisions des êtres.


Les quatre éléments, aux yeux des
Stoïciens, se compénètrent intégra-
lement. La proportion différente de ces mélanges donne un tonos
différent aux corps et donc des corps différents. La présence du
logos-pneuma en particulier, selon sa pureté plus ou moins
grande, détermine les classes d’êtres. On peut les ranger ainsi :
ceux où le logos-pneuma donne seulement un tonos qui fait leur
unité (ËEx), ceux où il verse une poussée vitale (pbs), ceux où
il dépose des forces instinctives (6pu#) caractéristiques d’une
guxh, ceux qu’il gratifie du logos-noûs propre aux hommes et aux
dieux, qui se traduit pratiquement en vertu (&pern). Ce sont les
grandes catégories d'êtres 36,
Or Clément suit sur ce point la tradition stoïcienne et présente
quatre séries d’êtres. La première est constituée par tout être qui
se soutient individuellement, telle la pierre; la deuxième a pour
marque propre la croissance, la plante; la troisième est faite des
êtres animés et sensibles, l’animal; la quatrième est animée, sen-
sible et logique, c’est l’homme 37, On retrouve ailleurs la même
division, moins mathématique, mais avec d’intéressantes pré-
cisions. Il caractérise alors la première catégorie du mot Ékrc,
la deuxième du mot qéoic, la troisième d’épu et pavraolx. L'homme
seul se voit attribuer la faculté logique, qui lui permet de dis-
tinguer les phantasiais8, Cette division répétée n’est pas un
hasard, mais elle est le fait du seul Clément
39.

35. Il est possible que ce texte laisse apparaître, en particulier, une influence
posidonienne. Posidonius a souligné le rôle de l’eau. N’est-il pas l’auteur d’un
Tepè GxeavoÜ xal Tüv xat'adtév ? R. M. GRANT voit dans ce fragment une
exégèse stoïcienne d’Homère, empruntée probablement à Posidonius (Melito
of Sardis on Baptism, in Vigiliae Christianae, 3, 1949, p. 33-36).
36. Galien mentionne cette classification chez les Stoïciens (SVF IX, 715-716,
p. 205). On peut trouver des précisions savantes sur ces catégories dans
O. R:eTH, Grundbegriffe der stoischen Ethik, Eine traditionsgeschichtliche
Untersuchung, Problemata, 9, Berlin, 1933, p. 120-133.
37. Fragm., 38, De prou., STAEHLIN III, p. 219-220.
38. Str., II, 110, 4-111, 2; 112, 1-113, 1.
39. On retrouve des essais de classification beaucoup plus vagues chez Athé-
nagore (Res., X), ou Théophile (Autol., II, 4). Clément étend une fois la phustis
à la pierre (Sfr., II, 101, 1).

355
LE MONDE, SA VALEUR

Les incorporels: Les Stoïciens peuvent revendiquer


le temps et le lieu. l'honneur d’avoir introduit la no-
tion d’incorporel dans la philoso-
phie pour désigner l’exprimable, le vide, le lieu, le temps, ce qui
en soi est non-être, mais s’impose à l'intelligence humaine. Les
Pères manifestent dans l’ensemble un certain intérêt pour les
incorporels de la physique : le lieu et le temps. Le lieu est, aux
yeux des Stoïciens, une exigence de corporéité : « S'il y a un
corps, il y a un lieu », dit E. Bréhier 4, Les Pères se sont atta-
chés à cette question, quand il s’est agi du lieu de Dieu #1. Clé-
ment d’Alexandrie, à ce sujet, pose clairement comme principe
que « tout a un lieu », qu’exister est synonyme d’être localisé 42.
Tertullien est plus précis et nettement philosophique. Assigner
un lieu, c’est rendre corporel, dit-il. « Tout ce qui est localisé
est a priori corporel. Les incorporels n’ont pas de lieu propre,
si ce n’est dans le corps, quand ils s’ajoutent à un corps #. »
Confondant corps et substance, toujours dans l'esprit stoïcien, il
ajoute : « On fait d’une chose une substance, quand on lui assigne
un lieu #4, »
Le temps est aussi, pour les Stoïciens, un incorporel, qui
n’affecte aucunement les êtres. Il est continu et divisible à
l'infini. En un sens aucun temps n’est rigoureusement présent
et saisissable. En revanche, le temps se considère aussi concrè-
tement dans son étendue, comme « l'intervalle (Gtéormuæ) du
mouvement », en particulier du « mouvement cosmique », et la
mesure en est liée aux astres. Dans cette dernière acception, il
y a un présent et même « seul le présent existe ». Cependant
au regard de Zeus — et du voyant — tout demeure présent et
continu 45. Les Pères ont été sensibles à ce problème, avec leur
époque 48. Athénagore emploie à ce sujet le mot &iéormux 47 et
nos auteurs lient volontiers la mesure du temps aux astres qui

40. La théorie des incorporels dans l’Ancien Stoïcisme, Paris, 1928, p. 38.
La question du lieu est traitée p. 38-44.
41. Athénagore, Leg., VIII; Tertullien, Marc., I, 15, en entier.
42. Str., VII, 28, 5-29, 1. Dieu fait exception dans l’esprit des Pères, ou
plutôt il est son propre lieu, comme ils disent à l’unanimité.
43. Hermog., XLI, CSEL 47, 171, 13-17. La fin de la citation est moins
rigoureusement stoicienne. Elle passe à une théorie de l’accident qui sera
mentionnée plus loin.
44, Ibid., 19-20.
45. E. BRÉHIER, La théorie des incorporels dans l’Ancien Stoïcisme, Paris,
1928 — et surtout V. GozpscHMipT, Le système stoïcien et l’idée de temps,
Paris, 1953, en particulier p. 30-45.
46. Par exemple le Corpus Hermeticum, Fragm. de Stobée, X, éd. FEsru-
G1ÈRE, p. 52. On voit que cette question est un lieu commun.
47. Res., XVI, c. med.

356
HISTOIRE DU MONDE

en sont les signes #8 ou les instruments 4. Mais ils nous donnent


quelques notes plus précises. Tertullien semble bien appliquer au
temps le terme incorporel 5, En tout cas, le temps est vide en
lui-même; il n’est rempli que par les événements 51, Dieu lui a
donné pour corps le monde en son évolution 52. Tertullien ana-
lyse assez finement ce temps. Il remarque qu’il est « un pour la
divination qui annonce l’avenir », mais qu’il peut être distingué
à la rigueur chez les hommes en futur, présent et passé 58, Cette
différence entre le temps essentiel et le temps relatif est remar-
quable. Tatien n’est pas moins proche du stoïcisme. Il rejette
absolument la division du temps. Il ne conçoit pas que l’avenir
puisse devenir présent. « Comment le futur peut-il passer, alors
que le présent est ? >» « C’est nous qui courons, mais le temps
(œiwv) demeure aussi longtemps que le veut celui qui le fit 54, »
La notion de temps constitue vraiment pour nos Pères une pré-
occupation philosophique. |

B. L'ÉVOLUTION DU MONDE
ET LA CONFLAGRATION FINALE

Chez les Stoïciens. Le monde des Stoïciens est en


| mouvance continuelle. Sans cesse
les éléments se transforment et s’unissent. D’abord ils se conver-
tissent mutuellement en totalité, soit en se dégradant, soit en
progressant. L’eau, qui apparaît comme une matière de base,
peut devenir boue, terre; mais, inversement, se transformer en
air et de là en feu. Cette dernière transformation se produit
intégralement à la fin du monde, ou, pour parler le langage
stoïcien, au terme d’un cycle cosmique.

48. Théophile, Autol., I, 4; Tertullien, Marc., V, 4, CSEL 47, 579, 15-17;


V, 6... 588, 19-21.
49. Clément d’Al., Protr., 63, 1.
50. Nat., II, 12, 20. Le texte est de lecture très difficile et contestée. L’auteur
refuse d’appliquer les termes Saturne (ciel et terre) et Temps au même.
REIFFERSCHEID-WissowA lisent : ufrumque enim non potes corporale in eo
existimare; mais HAIDENTHALLER : utrumque enim non potes corporale (et
incorporale) in eo (existimare). Des deux côtés on semble écarter la corpo-
réité du temps. Cependant, Tertullien admet en un sens que le temps affecte
les êtres (Anima, XXIV, 7-8).
51. Anima, LVI, 7.
52. Saeculum corpus temporum fecit, Apol., XXVI, 1. Clément dit aussi que
« le temps s'ajoute aux êtres », pour écarter que la création soit faite dans
le temps (Str., VI, 142, 4).
53. Apol., XX, 5.
54. Orat., XXNI. Il emploie le terme alwv, par lequel Marc-Aurèle désigne
précisément le temps infini, cf. V. GozpscamipT, Le système stoïcien…., p. 39-40
(texte et note).

357
LE MONDE, SA VALEUR

Le monde en effet est quantitativement invariable dans sa


durée infinie, mais son arrangement est variable. En particulier le
logos qui l’anime le soumet à un cycle qui recommence, éternel-
lement pareil à lui-même, dans son circuit évolutif. Chaque
cycle est composé d’une période d’épaississement, puis d’une
période d’affinement, mais l’idée de dégénérescence est nette-
ment dominante. Finalement il y a résorption de tout dans le
feu initial: c’est l’ëxrépwors 55. Puis tout se redégage et un nouveau
cycle recommence, identique au précédent et à tous les autres
jusque dans le moindre détail 56.
Cette conception du monde appelle quelques réflexions.
D’abord elle concilie habilement les idées de changeant et de
stable, de mouvant et d’éternel, deux grands thèmes de la
pensée hellénique. Elle explique aussi deux sentiments contra-
dictoires familiers à l’âme grecque : admiration devant l’ordre
parfait de la nature et lassitude devant l’immobilisme final. Elle
apporte enfin une conception cyclique de l’histoire : un cercle
en mouvement perpétuel que le temps parcourt sans inter-
ruption 57,

L’'Ekpurôsis Un des points où les Pères étaient


chez les Pères. heureux de souligner la rencontre
avec la philosophie, surtout stoi-
cienne, c’est bien celui de la conflagration générale ou èxrépooic.
Nous savons combien ils se plaisentà noter la présence de cette
théorie chez les Stoïciens. Minucius Félix est un des meilleurs

55. Cette notion, d’origine chaldéenne, a été rendue célèbre par le stoïcisme,
cf. supra, p. 93. Elle a cependant été rejetée par Panétius et mise en doute
par beaucoup de philosophes. Pour l'exposé du cycle selon les Stoïciens,
cf. M. PoxzenzZ, Die Stoa, 1, p. 78-79. Pour un large historique du thème de
l'éternel retour, cf. H. Meyer, Zur Lehre der ewigen Wiederkunft aller Dinge,
dans les Beiträge zur Geschichte des christl. Altertums und der Byz. Literatur,
Festgabe À. Ehrhard, par A. M. Koeniger, Bonn-Leïipzig, 1922, p. 359-380;
Mircéa ELrape, Le mythe de l’éternel retour : Archétypes et répétition, Paris,
1949. Pour une étude plus scientifique, d’ailleurs peu attentive au stoïcisme,
cf. CH. MuGLER, Deux thèmes de la cosmologie grecque, Devenir cyclique et
pluralité des mondes, Paris, 1953. V. GoLDscHMipT souligne, après E. Bréhier,
qu’il n’y a pas, dans le stoïcisme, véritable évolutionnisme, ni passage de
puissance à acte, mais « achèvement atteint à chaque moment » (Le système
stoïcien et l’idée de temps, Paris, 1953, p. 62-63) : tout est dans la cause dès
l’origine.
56. Pour les textes stoïîciens, ARNIM, SVF II, 596-632, p. 183-191; cf.
M. Pourenz, Die Stoa, I, p. 81. Cette identité est totale, aussi bien pour les
événements humains que physiques. Cela constitue une base de la divination.
57. On reconnaît là un problème aujourd’hui à la mode. H.-CH. PuECcH
l’étudie dans La gnose et le temps in Eranos Jahrbuch 1951, 20, 1952, p. 57-113,
qui pose la question chez les Grecs (p. 59-67). Nous nous en inspirons. Cf.
Fr. KLENx, Antikes und christliches Geschichtsdenken, in Sfimmen der Zeit,
153, Ann. 79, 4, 1953-1954, p. 274-287; J. DANIÉLOU, Essai sur le mystère de
l’histoire, Paris, 1953; dans ce dernier livre on trouvera de-ci de-là une
bibliographie de la question sur le plan philosophique.

358
HISTOIRE DU MONDE

témoins de la tentative de conciliation. Il rapproche les termes


bibliques 58 et le vocabulaire du Portique, sachant bien que « c’est
là l'opinion constante des Stoïciens ». Tout « s’en va dans la
substance du feu; l’eau étant consumée, tout ce monde s’en-
flamme », dit notre auteur 5?.
Minucius Félix est loin d’être le seul à enseigner cette fin du
monde par le feu. Le pseudo-Clément 6, Hermas 61, en parlent
déjà, mais dans une perspective purement biblique. Justin s’y
est particulièrement attaché, dans le sens concordiste 62. Il
enseigne fréquemment l’ekpurôsis 63, Tatien, Tertullien, Hippo-
lyte ont la même tendance 8. Théophile d’Antioche souligne
même l’accord entre les philosophes et les prophètes 65 et Justin
explique que, sur ce point, « tous empruntent nos doctrines pour
parler 66 ».
Mais arrêtons là ce rapprochement trompeur. Justin n’a pas
du tout trahi l’atmosphère biblique. Il note que cette conflagration
n’est pas périodique et le feu en est la flamme de l’enfer réservé
aux impies au terme définitif du monde67; Dieu en retarde
l'échéance à cause des chrétiens 68 et attend que le nombre des
élus soit complet 6. Lui-même n’y sera pas soumis 70, Justin pré-
cise que cela ne se passera pas, comme le pensent les Stoïciens,
« selon la loi de transformation mutuelle de toutes choses », ni
« selon la fatalité », mais selon le mérite du « libre choix 71 ».
Tatien, son disciple, rejette aussi nettement le retour cyclique de
la conflagration. Il s’agit d’un événement unique et définitif 72.
Autant d’infidélités au stoïcisme. Au fond, la rencontre est seu-

58. II. P., 3, 7; 10.


59. Oct., XXXIV, 2.
60. Homélie, XVI, 3.
61. Past. Vis., IV, 3, 3.
62. 1 Apol., XX, 4.
63. Ibid., LVII, 1; LX, 8; I1 Apol., NII, 3; cf. 1 Apol., XLV, 1 où les
manuscrits présentent érixüpwatv sans doute pour ÉxrUpwoty.
64. Tatien, Orat., VI, init.; XXV, med. Hippolyte, Antichrist., V, GCS,
Hippolytus,t. 1, 2° partie, p. 77, 1. 20; LXIV.…., p. 44, 1. 5-9; 1. 21-22. Tertullien
décrit la vision de la conflagration en un style luxuriant, à la fin de son
De spectaculis, XXIX-XXX. Ce sont des pages grandioses, d’une poésie épique
fulgurante. Je ne rappelle pas les auteurs rencontrés ch. III, qui ne font que
rapporter l’opinion des Stoïciens en la matière. Nous touchons ici à une
question très vaste : la fin du monde. Signalons à ce sujet : La fin du monde
est-elle pour demain ?, numéto spécial de Lumière et Vie, 11, 1953; P, Vuir-
LAUD, La fin du monde, Paris, 1952.

65. Autol., II, 37.


66. I Apol., LX, 8.
67. Ibid., LVIL 1.
68. 11 Apol., VIL 1.
69. 1 Apol., XLV, 1.
70. Ibid., XX, 2.
71. II Apol.5 VI, 3-4.
72. Orat., III, med.; XXV, med. (eioärak).

359
12
LE MONDE, SA VALEUR
lement dans les mots. Les Pères ont salué avec joie la parenté
apparente d’une notion stoïcienne avec leurs dogmes. Us l’ont
baptisée pour lui donner une nature nouvelle. Le feu n’a plus
rien de cosmique et la conflagration a perdu son caractère de loi
physique périodique..En somme, il n’y a pas de théorie commune,

L'évolution La même
circulaire. remarque convient à
l’idée que les Pères se font de l’his-
toire. La question, depuis quelque temps, a été souvent étudiée 73,
et toujours pour opposer au temps cyclique des Grecs le temps
« rectiligne, continu, irréversible et progressif » des chrétiens T4.
Les premiers Pères, en général, sont parfaitement fidèles à l’ép&-
naë de l’Epiître aux Hébreux, x, 10 : l’unicité et l’entière nou-
veauté du fait chrétien, qui vient briser le cercle du temps. Saint
Irénée offre l’exposé le plus clair et le plus appuyé de cette con-
ception antihellénique de l’histoire #5, Mais il n’est que l'écho
d’une tradition ecclésiastique : les Pères de notre époque ne nous
apportent jamais la théorie d’une histoire cyclique 76.
Est-ce à dire qu’ils n’ont aucunement subi cette Weltan-
schauung ? Loin de là. Sans jamais enseigner le recommencement
de l’histoire totale, ils acceptent et soulignent à l’envi un per-
pétuel recommencement à l’intérieur de l’histoire unique. Athé-
nagore, dans sa théorie, exposée plus haut, du choix et du méta-
bolisme alimentaire, explique le sort des matières non assimilées
et fait clairement appel à une évolution des éléments : « Les
corps rejetés, dit-il, retournent aux éléments dont ils eurent leur
première nature, Ils s'unissent à ceux-ci pour le temps qui con-

73. En dehors des articles cités plus haut, voir G. QuisPez, Zeit und Ge-
schichte im antiken Christentum, in Eranos Jahrbuch 1951, 20, 1952, p. 115-140.
E. BRUNNER, La conception chrétienne du temps, in Dieu vivant, 14, 1949,
p. 15-30. J. DanréLou, Christianisme et Histoire, in Etudes, 254, 1947, 8,
p. 168-184. I1 ne faut pas omettre un grand livre qui a enrichi, sinon déclenché,
le débat : O. CULLMANN, Temps et histoire dans le christianisme primitif.
Neuchâtel-Paris, 1947; cf. en particulier p. 36-42, la conception biblique et
la conception grecque du temps. Sur ce dernier point voir aussi CL. TRES-
MONTANT, Essai sur la pensée hébraïque, Paris, 1953, p. 25-38.
74. H.-Ca. Puec, La gnose et le temps, p. 74.
75. K. PRuEMM, Zur Terminologie und zum Wesen der christlichen Neukheit
bei Irenäus, dans Pisciculi, Fr. J. Dôlger zum 60. Gcburtstag, 1939, p. 201 sq.
Cf. du même auteur Christentum als Neuheitserlebnis, Durchblick durch die
christlich-antike Begegnung, Fribourg-en-Br., 1939, p. 73-89, où il étudie le
temps.
76. Certains hérétiques ont pu appliquer cette théorie au salut (Cf. Clément
d'Alexandrie, Ecl. Proph., 23, 3). Plus tard Jérôme et Théophile d’Alexandrie
ont accusé Origène d’avoir enseigné que la rédemption recommencerait
identique à elle-même. G. Barpy, La conversion au christianisme durant les
premiers siècles, Paris, 1949, p. 191-192, cite les témoignages des accusateurs.
H.-CH. PuEcx y ajoute un texte de saint Augustin, De haer., XLIII, PL XLII,
33 (La gnose et le temps, p. 71, n. 17). Cf. aussi H. Meyer, Zur Lehre von der
ewigen Wiederkunft…., p. 368-372.

360
HISTOIRE DU MONDE

vient à chacun; de là, discernés à nouveau par la sagesse et la


puissance de l’animal, qui compare chaque nature avec ses
propres puissances, ils s’unissent chacun à chacun selon les con-
venances, qu’ils soient brûlés par le feu, décomposés par l’eau,
consommés par les bêtes et toutes sortes de vivants, ou, par
retranchement, dissous avant toute autre partie du corps entier.
Mais unis à nouveau les uns aux autres, ils ont la même place
pour l’harmonie et l’existence du même corps et pour la résur-
rection et la vie de ce qui est mort ou bien même partout
dissous 77, »
La même idée se retrouve chez saint Justin. Il parle des êtres
« qui se tournent et se changent et se résolvent toujours dans les
mêmes éléments 78 ». Il exprime du dégoût devant la monotonie
de ces transformations : « Dans ce monde, dit-il, il n’y a rien de
nouveau; c’est toujours la même chose. Une seule année de
jouissance amène la satiété de cette vie 72. »
L’Homélie Pascale hippolytienne révèle plus directement une
conception du temps. « L’année est en effet, dit-elle, la mesure
du temps sur terre, car se succédant à elle-même et revenant en
cercle (é&vaxvxAobuevos) sur elle-même, elle imite par son circuit
sur elle-même l'éternité sans limite 8, » Ces théories peuvent
être considérées comme une conception cyclique de l’histoire à
un étage inférieur.

Le renouvellement On peut encore trouver un écho de


périodique de la nature. cette conception dans le plaisir
qu’éprouvent les Pères à souligner
le renouvellement périodique de la nature et la fécondité même
de la mort où ils découvrent une image — et une preuve — de
la résurrection de la chair 81, Déjà Clément de Rome voit un signe
dans la succession régulière du jour et de la nuit 8. Théophile
d’Antioche, dans la même espérance, contemple les recommen-
cements de la nature 88. Minucius Félix reprend le thème 84.
Mais Tertullien l’a développé le plus longuement. « Tous les
. jours, la lumière s’éteint et brille de nouveau; de même, les
ténèbres s’en vont et reviennent; les astres meurent et reprennent
vie; les saisons finissent et recommencent; les fruits passent et

77. Res., VIII.


78. 11 Apol., VI, 9.
79. I Apol., LVII, 2.
80. Ch., 19, trad. NAUTIN.
81. Cependant Tatien oppose le renouvellement cyclique des Stoïciens à
la résurrection des chrétiens (Orat., VI).
82. Cor., XXIV, 3.
83. Autol., I, 13; IL, 14.
84. Oct., XXXIV, 11.

361
LE MONDE, SA VALEUR

renaissent; et, certes, les semences doivent se corrompre et se


dissoudre pour repousser avec une fécondité nouvelle : toutes
choses se conservent par leur destruction même, tout renaît par
la mort 85. » Il trace dans le De pallio un grandiose tableau de
l’évolution historique et naturelle du monde : changer, c’est la
loi du cosmos 86, Il le reprend dans le De carnis Resurrectione 81,
avec une note plus philosophique : « il n’est rien qui ne se passe
à nouveau.…., tout commence après avoir cessé. Il finit à seule fin
de devenir. Cet ordre réversible des êtres (totus hic ordo reuo-
lubilis rerum) est donc tout entier la preuve de la résurrection
des morts 88 ». L’écho de la théorie stoïcienne est plus lointain
et l’intention des Pères foncièrement chrétienne, mais, en dehors
de la conclusion, il n’est rien là qui n’eût été admis sous le
Portique.
L'idée du renouvellement périodique occupait donc une grande
place dans la physique des Pères. Bien qu’elle n’implique pas
une conception de l’histoire, elle reflète une tournure d’esprit
proche du stoïcisme, une espèce de stoicisme décapité. Le monde
continue à tourner en rond, mais le mouvement est contenu dans
des limites précises et s’avance tout entier vers une fin.

II. L'HYMNE AU MONDE

Le stoïcisme a chanté avec éclat la gloire du cosmos. Le monde,


tout entier pénétré d’une providence rationnelle, pourrait-il n’être
pas tout entier raisonnable et essentiellement bon ? Fidèle à son
système, le Stoïcien ancien répète, malgré ses déceptions, avec
l’entêtement de Candide, que tout va pour le mieux dans le
meilleur des mondes. Cependant à l’époque où nous sommes, il
ne réussit plus à imposer cet optimisme. Même les maîtres actuels
du stoïcisme ne voient pas toujours dans l’univers, moins encore

85. Apol., XLVIII, 8, trad. WALTZING.


86. Pall., II, 1-6.
87. Carn. Res., XII, CSEL 47, 40, 23-41, 16.
88. Ibid., 41, 17-21. Ce texte et celui qui précède expriment un lieu commun.
Hippocrate dit aussi : « Rien absolument ne s’anéantit et rien ne naît, qui
ne fût auparavant. » Tout est changement : naître et mourir sont des appa-
rences (De uictu, 1, 4, LiTTRÉ VI, 474-475). Cf. Corpus Hermeticum, VII, 1,
éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 87, 1. 8-9; 4..., p. 88, 1. 18-89, 1. 2; XII, 15-16..., p. 180,
1. 11-25.

362
L'HYMNE AU MONDE

dans le corps humain, l’œuvre admirable de Dieu 1. L'homme


qui observe et réfléchit constate le désordre en lui et autour de
lui. Pour atteindre Dieu, il a tendance à s’abstraire du monde.
C’est peut-être l’origine de ce vaste gnosticisme, que nous avons
évoqué plus haut. Ce courant nouveau concurrence et ébranle
le vieil optimisme, et, dans une œuvre comme le Corpus Herme-
ticum, qui est le témoin idéal de notre époque, on dénote parfai-
tement les deux tendances, avec plutôt une dominante pessimiste 2.
On retrouve chez les Pères la même atmosphère. Mais il est
remarquable que le courant optimiste l’emporte nettement, Nos
auteurs, à l’unanimité, ont voué au cosmos une grande admiration
et c’est là un des traits qui caractérise la première époque de la
patristique. Les sources chrétiennes ne suffisent pas à expliquer
cet enthousiasme. L’Ecriture adresse évidemment à l’univers des
louanges 3, Il y a même dans l’Ancien Testament une espèce de
monisme qui s’oppose clairement au dualisme manichéen ou
gnostique et se rapproche en un sens de la physique stoïcienne #,
Mais la Bible est loin d’être toujours optimiste dans: ses livres
sapientiaux. Bien plus, dans le Nouveau Testament le cosmos
n'est-il pas associé au péché dans un esprit plutôt dualiste5 ?
L’humain n’y est-il pas quelque peu bousculé ? « Celui qui aime
sa vie la perdra », dit saint Jean 6. L’optimisme des Pères doit
venir d’une autre source. Il faut admettre qu’ils doivent cette
sympathie pour l’univers à la philosophie dont ils se nourrissent.
Cette hypothèse est d’autant plus fondée que l’ordre interne de
l’univers est l’objet de leurs considérations et que la termino-
logie même de ces hymnes est marquée de la note stoïcienne.

1. Pour ne rapporter qu’un témoignage — double —, rappelons la citation


que Marc-Aurèle fait d’Epictète : « Tu es un bout d’âme qui porte un
cadavre » (Ad seips., IV, 41; cf. IX, 24).
2. On croit encore à l’ordre du monde (IX, 8, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 99);
le monde est beau, mais non bon (X, 10..., p. 118, 1. 6-7; cf. VI en entier).
L’homme est doublement mauvais (X, 12... p. 119, 1. 4-6); le corps est « le
tissu de l’ignorance, le support de la malice, la chaîne de la corruption, la
geôle ténébreuse, la mort vivante, le cadavre sensible, le tombeau que tu
emportes partout avec toi. le compagnon qui, par les choses qu’il aime,
te haït.…. » (VII, 2... p. 81, 1. 18-82, 1. 1; cf. I, 19... p. 13, 1. 15-17; IV, 6...,
p. 51, 1. 9-11; XI, 21..., p. 156, 1. 4-9; XII, 2..., p. 175, 1. 2-5). Tous ces textes
poussent à haïr le corps. Sur les deux courants de cette littérature, cf.
À. J. FESTUGIÈRE, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. x-xi.
3. Gn., 50; Jb., 38-39; Pr., 8, 22-31; Ps., 19 (18), 1-8; 104 (103), en entier.
4. CL. TRESMONTANT l’a montré avec insistance. Il souligne qu’on ne ren-
contre pas dans la Bible l’opposition grecque matière-forme (Essai sur la
pensée hébraïque, coll. Lectio divina, 12, Paris, 1953, p. 53). « Son non-
dualisme accorde à l’élément et au corporel une importance qui rappelle la
physique stoicienne » (p. 54). Il dégage nettement l’aspect antignostique de
l'univers biblique (p. 56-84).
5. G. KiTTEL oppose le dualisme du N. T. à une espèce de monisme de
VA. T. représenté par l’expression « ciel et terre » (Die Religionsgeschichte
und das Urchristentum, Gütersloh, 1931, p. 88-92).
6.1Jn.,112,725.

9609
«
LE MONDE, SA VALEUR

Les termes &ouxeïv, Suolxnouc, Staxooueïv, Gtaxéounotc, Y jouissent


d’une faveur exceptionnelle 7. Mais avant d’examiner ces envolées
presque lyriques, il faut en chercher le fondement rationnel. Il
faut établir le jugement de valeur que les Pères de l'Eglise ont
porté sur le monde matériel qui nous entoure.

A. CONCEPTION OPTIMISTE DU MONDE MATÉRIEL

On sait qu’il existe dans la pensée chrétienne un courant de


mépris pour la matière au profit de l'esprit. On divise l’homme
et le monde en pur et impur, pour élever la partie spirituelle
et rabaisser la partie matérielle. Le néo-platonisme, foncièrement
dualiste, a singulièrement contribué au développement de cette
tendance, qui aboutit à une spiritualité d’évasion, dont le gnos-
ticisme s’est fait une célébrité. I1 semble, au contraire, que les
Pères des premiers siècles n’éprouvent ni mépris pour la matière,
ni mésestime pour le corps. Malgré certaines expressions, qui
apparaissent chez les auteurs connus précisément pour leurs
idées platoniciennes, l’ensemble des écrits patristiques, des ori-
gines à l’année 230, professe un grand respect pour la nature,
une espèce de naturalisme, qui évoque la confusion de la phusis
avec la divinité 8.

1. OBJECTIONS ET EXCEPTIONS

Sur la matière. Quand on cherche à travers ces


écrits les marques d’un mépris de
la matière, on en trouve dans un double domaine, à l’égard du
cosmos et à l’égard de l’homme. On relève évidemment une ten-
dance discrètement dualiste, qui oppose le monde à Dieu. Saint
Ignace oppose visible et invisible; Athénagore, créé et incréé ?.
Mais il n’y a là rien qui puisse nous surprendre. La trans-
cendance divine, dogme fondamental de la foi chrétienne, ne

7. L’Index Patristicus sive Clavis Patrum Apostolicorum operum de


E. J. GoopsPzen, Leipzig, 1907, relève 1 fois ôtaxoomeiv, 1 fois Gtaxoopnaic
et 2 fois Stoiunoux. L’Index Apologeticus sive Clavis Justini Martyris operum
aliorumque Apologetarum pristinorum du même auteur (Leipzig, 1912), note
6 fois ôtaxosuetv, dont 5 fois dans Athénagore; 5 fois ôtaxosunots, dont 4 fois
dans Tatien; 4 fois Grouxeiv et 7 fois Ôôtolunotc.
8. I1 faut noter que cette tendance optimiste s’est déjà révélée dans la
conception du monde comme signe de Dieu. Tertullien ne nous invite-t-il pas,
à ce sujet, à croire à la nature, comme il dit de croire à Dieu ?
9. Leg., IV; XV; XXII.

9304
L'HYMNE AU MONDE

pouvait pas ne pas creuser le fossé qui sépare Dieu de sa créa-


tion, en face de la pensée grecque, toujours plus ou moins pan-
théiste. La même remarque suffit à rendre compte des attaques
passagères de Tertullien ou de Clément d’Alexandrie contre la
matière. Quand Tertullien la juge indigne de Dieu 1°, quand
Clément, contre les Stoïciens, repousse « que la divinité pénètre à
travers toute matière, même la plus vile 11 », ils refusent avant
tout de diviniser la matière et rappellent la distance qui existe de
Dieu au monde.
Seul Tatien, qui devait aboutir à l’encratisme, peut faire
exception. Son œuvre révèle une tendance réelle à diviser le
cosmos. Il semble y distinguer des parties plus pures, plus
brillantes 12, et une matière plus vile 18 ou du moins des éléments
inférieurs 14 Il oppose surtout la matière, soumise au démon,
source de mal 15, qui attire vers le bas 16, à l’esprit qui élève.
Il insiste beaucoup sur le mauvais usage qu’on peut en faire.
Ailleurs, il laisse entendre que l’âme est captive du corps 17; mais
c’est là de l’anthropologiec.

Sur le corps humain. En anthropologie, les traces de dua-


lisme sont plus fréquentes. Déjà
l'écrit À Diognète dit que « la chair déteste l’âme18 ». Tertullien
parle passagèrement de la prison qu’est le corps 12. Saint Cyprien
connaît « les adversités qui resserrent et enferment l’âme au
point qu’elle respire avec peine 20 »., Clément d’Alexandrie est
abondant en ce domaine, On sait combien il avait subi déjà
l'emprise platonicienne. N’y a-t-on pas vu le premier des néo-
platoniciens 21? Il invite parfois l’âme à « déposer tout le

-10. Marc., 1, 13, passim.


11. Protr., 66, 3; Str., I, 51, 1. Clément oppose le monde intelligible et le
monde sensible. 11 met entre les deux une distance infinie. J, MetrorT (Der Pla-
tonismus bei Clemens Alexandrinus, Tubingue, 1928) y insiste (p. 11-19).
Mais il s’agit d’un dualisme religieux : Dieu appartient à ce monde intel-
ligible,
12. Orat., XII, c. init.
13. Ibid., XVI, c. inil.
14. Jbid., XII.
15. Ibid., XVI, c. fin.
16. Ibid., XX, init.
17. Ibid., XVI, c. init.
18. Diogn., VI, 5. ‘
19. Apol., XVIL, 4-5; cf. Anima, LIII, 5-6 où il se montre très sévère pour
l’œuvre charnelle.
20. Demetr., IX, CSEL III, 1, 357, 17-18.
21. C’est le sens de l’article de R. P. Casey, Clement of Alexandria and the
beginnings of christian platontsm, in The Harvard Theolog. Review, 18, 1925,
p. 39-101. Il montre que Clément, sous l'influence de Philon, de Numénius,
de l'attrait du platonisme, est passé à Platon. « En rejetant sous cette
influence le stoïcisme chrétien de Tertullien en faveur de la philosophie
aloxandrine, l’Eglise devint héritière du dernier grand produit de la pensée
helléniqué » (p. 45).

309
LE MONDE, SA VALEUR

fardeau, pour le rendre à ce qui est de même nature 22 ». Il faut


dépouiller l’âme « de sa peau matérielle 2 », où elle « se glisse
comme les limaçons 24 ». Il insiste pour que le chrétien dégage
son âme des « chaînes charnelles 25 ». Le corps peut même, par
le péché, devenir « le sépulcre de l’âme?6 ». Il faut s’en
libérer 27, On retrouve là, avec une note paulinienne, la tendance
platonicienne 28 à opposer corps et âme, qui a marqué aussi les
Stoïciens tardifs comme Epictète et Marc-Aurèle ??.

2. RÉPONSE AUX OBJECTIONS =

Tatien. Faut-il croire à un dualisme méta-


physique ? nullement. Aucun Père
n’a condamné la matière en elle-même, comme œuvre du démon.
Pas même le violent Tatien. La matière n’est mauvaise que sur
le plan moral, par l’usage qu’on en fait. « La construction du
monde est belle, dit-il, la manière dont on y vit est déplorable...
Si les créatures ont quelque chose de mauvais, c’est notre péché
qui en est cause 30. » Il sait, avec la Genèse, que Dieu « n’a
rien créé qui ne soit bon 31 ». Il précise : « Il faut voir l’ensemble
de la création. L'univers entier est formé de la matière et Dieu
lui-même a créé la matière. » Là même où il rappelle les diffé-
rences qui existent entre les créatures matérielles, il dit que les
parties « inférieures » sont « belles en elles-mêmes » et con
tribuent à faire l’unité du monde dans la variété d’un corps
harmonieux 32, Dans l’insistance que met l’auteur à souligner qu’il

22. Str., V, 83, 1.


23. Ibid., V, 67, 4.
24. Ibid., 68, 1.
25. Ibid., VII, 40, 1; cf. 62, 4.
26. Ibid., III, 77, 3.
27. Ibid., IV, 9, 5.
28. J. Mexrorr note cependant avec raison qu’il ne s’agit pas de pur plato-
nisme. Les motifs sont tout différents. On se détache par amour et par esprit
de pénitence, en réparation du péché (Der Platonismus bei Clemens Alexan-
drinus, Tubingue, 1928, p. 20-23).
29. W. Voecker étudie cette « attitude négative » de Clément à l’égard du
monde (Der wahre Gnostiker nach Clemens Alexandrinus, Berlin-Leipzig,
1952, p. 188-194). Mais il souligne qu’il s’agit là d’une ascèse provisoire,
d’une étape sur le chemin de la perfection. Le paragraphe suivant est consacré
à « l’attitude positive à l’égard du monde » (ibid., p. 195-219).
30. Orat., XIX, c. med. J. FEUERSTEIN dit très bien : « Tatien ne distingue
pas toujours suffisamment bonté éthique et physique. À cause du mésusage
éthique, la matière obtient, selon lui, un certain mal physique » (Die Anfhro-
pologie Tatians.…, p. 22). E. De Faye note au passage que le dualisme de
Tatien est « purement moral, nullement métaphysique » (De la formation
d’une doctrine de Dieu au Ile siècle, Gnosticisme et christianisme, in Rev.
d’'Hist. des Relig., 32 année, 63, 1911, p. 169).
31. Orat., XVII.
32. Ibid., XII.

366
L'HYMNE AU MONDE
y a partout même matière et même pneuma, nous avons vu appa-
raître un monisme surprenant, si éloigné du dualisme, que nous
nous reconnaissons en plein stoïcisme.

Tertullien. Le cas de Tertullien est aussi net.


Facilement présenté comme anti-
humaniste, il est au contraire un grand défenseur de la matière.
C’est lui qui entonne dans son De Baptismo un hymne à l’eau,
si splendide qu’il craint d’être pris pour un panégyriste de la
matière plutôt que du Baptême. Dans le De carnis Resurrectione,
il fait un grand « éloge de la chair 88 », « Limon glorieux de la
main de Dieu, et chair plus glorieuse du souffle de Dieu », le
corps, digne de recevoir l’âme, « la brise de son souffle », partage
toutes ses activités temporelles et éternelles 84 et reçoit la matière
des sacrements pour le bien de l’âme 35. Contre Marcion, Ter-
tullien chante la dignité du monde dont les êtres servent eux-
mêmes de matière aux sacrements 36. Malgré sa sévérité habituelle
à l'égard du mariage, il sait que la procréation est un service
divin 37, Il ne faut pas rougir des fonctions naturelles, mais les
vénérer 38 et s’en servir selon la loi. Avec saint Cyprien #,
il défend la nature contre le maquillage, comme Musonius et les
Stoïciens, parce qu’on n'’altère pas l’œuvre de Dieu, la nature
qui est divine #1. Faire, des fleurs qui sont créées pour les plaisirs
de nos sens, des couronnes pour la tête, c’est un acte « contre
nature 42 ». Il prend violemment à parti Marcion pour son
mépris de la matière, en termes qui constituent un hymne magni-
fique à la nature #3, comme nous le verrons. Tertullien apparaît
clairement comme un optimiste dans son jugement de valeur sur
le monde #4, et la nature, qui constitue un thème central de son
œuvre 45, est l’objet d’un saint respect.

33. Carn. Res., XI, CSEL 47, 39, 16.


34. Ibid., VII, CSEL 47, 35, 14-36, 21.
35. Ibid., VIII, CSEL 47, 36, 25-37, 5. Sur Tertullien, défenseur du corps
humain, cf. par exemple G. ESsER, "Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn,
1893, p. 201-205.
36. Marc., I, 14, CSEL 47, 308, 19-25.
37. Anima, XXXVII, 1.
38. Ibid., XXVII, 4; Carn. Xti, IV, CSEL 70, 196, 13-15.
39. Marc., 1, 29, CSEL 47, 331, 9-17.
40. Habit. uirg., XV, CSEL IL, 1, 198, 4-24; Laps., XXX, CSEL IL, 1, 259,
17-25; cf. VI... 240, 17-19.
41. Pall., IV, 2; Cult. fem., 1, 8, CSEL 70, 68, 1-11.
42. Coron., V, CSEL 70, 162, 33-35. Même sévérité pour les habits qui tendent
à changer la nature, à la travestir, Pall., IV, 2
43. Marc., I, 13-14.
44, E. F. Scxuze dit que, malgré quelques propos pessimistes, « Tertullien
penche vers un optimisme esthétique » (Elemente einer Theodicee bei Ter-
tullian, in Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, 43 [N. F. 8], 1900, p. 87).
45, J. STELTZENBERGER dit : « La nature se trouve au centre des exposés
chez Tertullien à un degré et dans des proportions qui étonnent beaucoup »

307
LE MONDE, SA VALEUR

Mieux encore, il la fait entrer dans le concert de la louange


humaine qui s’élève de la terre vers le créateur. « Toute créature
_ prie, les troupeaux et les bêtes prient. Ils plient le genou, ct,
sortant de leurs étables ou de leurs repaires, ils regardent le ciel
d’une tête sans paresse, et lui dédient leur esprit à leur manière.
Mieux encore, les oiseaux, matinal, se lancent vers le
au lever
ciel, et, faute de bras, déploient leurs ailes en croix et parlent un
langage qui doit passer pour une prière #6, » C’est l’unité du
cosmos transfiguré, que nous retrouverons chez saint Irénée dans
le plan rédempteur.
Il existe manifestement chez Tertullien deux tendances. Il est
bien possible qu’il fût par tempérament sévère pour le monde et
la chair, ce qui expliquerait son évolution finale, Mais, en fait,
l’ensemble de son œuvre témoigne d’une sympathie pour le
monde qui approche de l’enthousiasme. Une fois de plus l’expli-
cation du mystère est que Tertullien luttait contre le dualisme
gnostique et son mépris de la création 47,

Clément d'Alexandrie. Reste le cas de Clément d’Alexan-


drie. L'influence platonicienne, à
tendance dualiste, y est donc manifeste, et personne ne songe à la
contester. Il faut, d’après lui, se dégager du matériel pour aller
au spirituel. Mais dans cette tendance il vise la concupiscence
et le péché, avec une note paulinienne, sans mépriser pour autant
la chair ou la nature. La preuve en est qu’il prêche le respect
de cette nature. Il le prêche, comme Tertullien et Cyprien, en
attaquant tous les mensonges de la toilette. Inutile de le citer,
tant la question est rebattue. Lui-même, au sujet du mariage, qui
fait l’objet de tout le livre III des Sfromates, précise sa théorie de
la libération charnelle : le mariage est normal, bon, en vue de la
procréation. Il est dans la ligne de Dieu et de la nature : « En
s’attaquant à la génération, on blasphème la volonté de Dieu et le
mystère de la création #8. >» Qu’on n’y voie pas une œuvre mau-
vaise parce que charnelle : « Mais quoi ! le Sauveur n’a-t-il pas
guéri le corps, aussi bien que l’âme, de ses maladies. Si la chair
était ennemie de l’âme, il n’aurait pas fortifié son ennemie en lui
rendant la santé 4?, »
Même respect de la nature quand il interdit le martyre volon-

(Die Beziehungen der frühchristlichen Sittenlehre zur Ethik der Stoa, Munich,
1933, p. 123).
46. Orat., XXIX, CSEL 20, 200, 5-10.
47. C’est effectivement le Contra Marcionem et le De Baptismo qui poussent
le plus loin le chant de la création. Si la même note se trouve dans le De carnis
Resurrectione, l’objet du traité en rend compte suffisamment.
48. Str., III, 102, 2.
49. Ibid., 104, 4.

308
L'HYMNE AU MONDE

taire. C’est « de la haine du créateur 50 », A ceux qui « calom-


nient le corps », il rappelle « que les bonnes dispositions phy-
siques contribuent, avec la réflexion, aux qualités naturelles 51 ».
Puis il invoque Platon et poursuit : « C’est par le chemin de la
vie et de la santé que nous prenons bien connaissance de la
gnose 52. »

Clément humaniste. Clément apparaît ainsi comme un


humaniste. Il rappelle que, pour
l’ensemble des hommes, la douleur, la pauvreté, ne sont pas des
biens : « La bonne santé, au contraire, et l’abondance des
choses nécessaires maintiennent libre et indépendante l’âme qui
sait user sagement des biens présents 53, » Les richesses ne
sont pas un mal, mais une occasion de bien 54, Que nous sommes
loin des théories qui méprisent le corps et la matière ! « Huma-
nisme et Sainteté », tel serait plutôt le titre de l’œuvre, tant
cette tendance humaniste est profonde dans la pensée de Clé-
ment. N’attaque-t-il pas les fausses religions comme antihuma-
nistes, quand il décrit la saleté des serviteurs des idoles; leurs
cheveux, leurs vêtements, leurs ongles, négligés; leurs corps
souvent châtrés ? « Ils montrent par les faits, dit-il, que les
temples des idoles ne sont que des tombeaux et des prisons; ces
gens-là, ma foi, ont l’air de pleurer les dieux, plutôt que de les
honorer. » Et il leur oppose la bonté paternelle du Dieu des
chrétiens 55,

Clément. Cette attitude de Clément n’est pas


philosophe optimiste. un accident. Elle est liée à une
théorie fondamentale, qu’il expose
en conclusion du livre V des Stromates. Il s’en prend aux impies,
qui « accablent le corps 56 », et met au point magnifiquement la
question ici débattue, en une page de belle littérature : « Cet
habitacle peut recevoir l’âme la plus précieuse aux yeux de Dieu
et il est jugé digne du Saint-Esprit 57. » « Que l’âme soit la partie

50. Str., IV, 17, 1.


51. Ibid., 17, 4.
52. Ibid., 18, 1. On trouvera de nombreux textes de Clément sur ce point
et un jugement nuancé dans W. Voecker, Der wahre Gnostiker nach Clemens
Alexandrinus, Berlin-Leipzig, 1952, p. 195-219.
53. Ibid., IV, 21, 1.
54. Quis diues, surtout 12, 5-13; 14, 1; et passim. Sur l’attitude de Clément
devant les riches, cf. R. B. ToLLiNTON, Clement of Alexandria, a study in
christian liberalism, t. I, Londres, 1914, p. 303-333; M. PouLenz, Klemens von
Alexandreia und sein ‘hellenisches Christentum.…., p. 135-139.
55. Protr., 91, 1-3, trad. MONDÉSERT.
56. Str., IV, 165, 1.
57. Ibid., 163, 2.

369
LE MONDE, SA VALEUR “

la plus noble de l’homme, et le corps la partie inférieure, c’est


un point reconnu. Mais ni l’âme n’est chose bonne par nature, ni
le corps, en revanche, mauvais par nature 58, >» Ce sont des
choses « différentes, mais non opposées 59 ». « Tout est l’ouvrage
d’un seul Dieu 6, on ne peut être par nature étranger à ce monde,
puisque unique est l’essence et unique le Dieu. L’élu toutefois
mène la vie d’un étranger 61, sachant que tout est objet de posses-
sion et de dépossession 62. » « Il use des biens et même du corps,
comme un voyageur, qui, parti pour une contrée lointaine, se
sert des hôtelleries et des maisons sur la route; il soigne et
arrange le lieu où il fait halte, mais quitte maison et propriété
aussi bien que relations, avec indifférence, suivant avec empres-
sement le guide qui l’'emmène hors de la vie, sans chercher
aucune occasion de retourner en arrière; il dit sa reconnaissance
pour son séjour et sa gratitude pour son départ, par amour pour
sa demeure du ciel 63. » « Qu’on ne dise pas que l’âme est envoyée
du ciel ici-bas pour un sort inférieur, car Dieu fait tout pour le
mieux 64, » Il y a là une note stoïcienne, ou néo-stoïcienne, et
Clément lui-même fait le rapprochement : « Les Stoïciens disent
que le ciel est la cité par excellence et que les choses de la terre
ici-bas ne sont plus des cités 55, »
Quoi qu’il en soit, Clément ne fait pas tellement exception à la
tendance moniste. Nous nous en rendrons compte beaucoup
mieux encore en découvrant chez lui une admiration profonde
pour le monde et des théories unitives qui sous-entendent des
principes stoïciens. Il semble donc bien qu’on puisse attribuer
à tous les Pères de cette époque, même à Tatien et à Clément,
une conception optimiste de l'univers. Ils ne sont dualistes
qu’exceptionnellement, sur le plan moral, dans la perspective du
péché, mais le monde à leurs yeux est physiquement bon 66, Cet
optimisme, plus appuyé que celui de la Bible, plus persévérant
même que celui de la pensée contemporaine, s’explique partiel-
lement par la lutte contre le gnosticisme, cet antistoïcisme.

58. Str., IV, 164, 3.


59. Ibid., 164, 5; cf. IV, 60, 4.
60. Cf. « Tout est œuvre et création de Dieu, la terre et les êtres supra-
terrestres » (Str., IV, 167, 1).
61. Cf. II. Co., 5, 1-3; 7-9; Ps., 39 (38), 13.
62. Str., IV, 165, 4.
63. Ibid., 166, 1.
64. Ibid., 167, 4.
65. Ibid., 172, 2.
66. Souvent leur dualisme est un mélange de platonisme et de paulinisme.
Or le dualisme de saint Paul, « qui n’est pas sérieusement discutable », doit
sans doute aussi se concevoir, non comme « un dualisme métaphysique »,
mails, selon l’expression de L. BouyErR, comme « un dualisme historique »
(La Vie de salnf Antoine, Saint-Wandrille, 1950, appendice A, cosmologie
et démonologie dans le christianisme antique,p. 181-219, surtout p. 182-198).

370
L'HYMNE AU MONDE

B. SPLENDEUR DU MONDE

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les Pères aient
chanté à l’unisson leur admiration pour le monde. Et c’est un
point à remarquer. Qu’on mesure la place qu’occupe ce regard
sur le monde dans la littérature, relativement parcimonieuse, de
cette époque et les pages consacrées au même thème dans la litté-
rature beaucoup plus abondante qui va de 230 à 350, on se
rendra compte qu’il y a vraiment là un centre d’intérêt carac-
téristique des premiers siècles : gloire au monde. Cette admi-
ration s’exprime surtout en deux mots : beauté du monde,
harmonie du monde, le deuxième précisant le premier.

1. BEAUTÉ DU MONDE

Beauté et ordre du monde 67; les deux idées sont souvent entre-
mêlées et l’on pourrait déjà citer ici Clément de Rome68. Mais
d’autres ont souligné plus nettement l’idée de beauté. Athénagore
chante sans cesse « la nature de Dieu remplie de sa beauté 69 ».
Il traite même d’impurs ceux qui méprisent la belle création de
Dieu 7 et il entonne un hymne à cette beauté en ces termes:
« Certes, le monde est beau 71! >» L’apologie d’Aristide donne,
plus discrètement, la même note ?2.

Tertullien. Tertullien est encore plus éloquent.


Il souligne que le mot grec qui tra-
duit le monde, xéouocs, contient l’idée d’ornement, d’arran-
gement 73, Les Grecs n’ont-ils pas déifié les substances indignes

67. A. J. FESTUGIÈRE a très bien noté qu’il y a deux positions différentes


dans cette conception optimiste du monde, l’une philosophique et rationnelle,
préoccupée surtout de trouver dans ce monde la preuve de l’existence de Dieu
(cf. supra, ch. VIII), l’autre religieuse et affective, qui contemple directement
son Dieu derrière le signe divin (La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. I],
p. 75). Mais il reconnaît que les deux attitudes souvent se confondent pra-
tiquement.
68. Notons que Clément loue une fois la magnificence et la « beauté »
du Christ (XLIX, 3); même si le terme s’applique à l’œuvre du Christ et non
à sa personne, comme le contexte semble l’indiquer, le qualificatif mérite
d’être relevé.
69. Leg., V.
70. Ibid., XXXIV.
71. Ibid., XVI.
72. XV-XVI, 1. Mais le texte est discuté, cf. J. De ZWAAN, À gap in the
recently discovered greek of the Apology of Aristides, 16, 1, in The Harvard
Theological Review, 18, 1925, p. 109-111. ;
73. Hermog., XL, CSEL 47, 170, 2-4; Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 1-4; Apol.,
XVII 1.
LE MONDE, SA VALEUR
qui le composent ? Et il signale l’extase de ces païens devant le
monde extraordinaire 74, Il en vient aux plus petites choses:
« Une seule fleurette sur les buissons, je ne dis pas sur les prés,
un seul coquillage d’une mer quelconque, je ne dis pas celui de
la pourpre, une seule petite plume de coq de bruyère, je ne parle
pas du paon, te présenteront-ils le créateur comme un artisan
méprisable 5? » Puis il décrit la perfection des plus petits
animaux, pour remonter jusqu’à l’homme et au monde inanimé,
avec son eau, son huile, son pain, dont le Christ a tiré ses sacre-
ments. C’est alors qu’il lance au Marcionite ce mot délicieux:
« Que je t'offre une rose, tu ne pourras mépriser le créateur T6. »
Cette admiration pour le monde jusque dans les petites choses 77
est particulièrement dans la ligne du Portique : les Stoiciens
insistaient sur l'utilité des plus petits animaux "8.

Sur les L'œuvre attribuée à Hippolyte,


saintes Théophanies. Sur les saintes Théophanies, com-
mence aussi par ces mots : « Tout
est beau, et plus que belles les créatures de Dieu notre Sauveur;
tout ce que l’œil voit et tout ce que l’âme saisit; tout ce que la
raison découvre et tout ce que la main entoure; tout ce que la
pensée enveloppe et tout ce que l’humanité conçoit. Est-il beauté
plus multiforme que la voûte du ciel ® ? » Suit une longue énu-
mération, et l’auteur répète : « Tout est plus que beau #0, » Laà-
dessus il entonne, après Tertullien, le poème de l’eau et de ses
mille services. Tout est beau, voilà l’exclamation qui jaillit du
cœur émerveillé de ces premiers chrétiens. « Tout est organisé
là-haut en vue de la beauté », dit Clément d’Alexandrie 81,

2. ORDRE ET HARMONIE

Plus encore qu’à la beauté, ils sont sensibles à l’ordre, où


ils lisent mieux leur Dieu essentiellement rationnel et provi-
dent 82, Tantôt ils chantent la régularité des mouvements cos-

74. Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 5-16.


75. Ibid., 308, 2-5.
76. Ibid., I, 14, CSEL 47, 309, 2-3.
717. Cf. encore Anima, X, 5-6.
78. SVF II, 1163, p. 334; que Dieu se soucie de tout, même du détail, « cette
doctrine tient au cœur du système », même si les Stoïciens font parfois des
concessions pratiquement, dit V. GorDscHMiIDT, Le système stoiïcien et l’idée
de temps, Paris, 1953, p. 85, n. 1.
79. I, GCS, Hippolytus, 1, 2° partie, p. 257, 2-6.
80. Ibid., 12.
81. Str., 1, 85, 5.
82. Pour étudier le problème dans toute son extension idéologique et
historique, voir le curieux et riche article de L. SPirzer, Classical and

372
L'HYMNE AU MONDE

miques, tantôt ils admirent l’art de cette symphonie savante


que constitue l’univers, sous la direction du Verbe, le choreute
parfait 83.

Clément de Rome.
Clément de Rome a, le premier,
entonné cet hymne, et de quelle
voix ! au chapitre xx de son épiître. Il admire cette vaste orga-
nisation (Stolxnois) du monde, tout entier régi par les mêmes lois;
le jour et la nuit, le soleil, la lune et le chœur des astres qui
parcourent dans l’éuévou, sans aucun écart, les orbites qui leur
sont marquées; la terre qui fournit tout à tous, bêtes et gens; les
abîimes qui se maintiennent (ouvéxerta) par les mêmes lois; la
mer, l’océan et les mondes au-delà obéissant aux mêmes ordres;
les successions des saisons et des vents, les sources, les moindres
êtres vivants sont dans l’homonoia 84, Tout est dans la paix et
dans l’homonoia sous la conduite du démiurge.
Ce développement est certainement d’inspiration stoïcienne #5.
D’abord cette admiration pour l’organisation du monde soumis
à des lois communes et pour la sagesse de la création, à laquelle
il revient plus loin 86, est fortement appuyée sur l’ordre rationnel
de l'univers 87. Ensuite le vocabulaire même est stoïcien, en
particulier ce mot ôuévoux qui revient trois fois dans le chapitre
et onze fois encore dans l’épître 88. Pour Clément, cet ordre du

christian ideas of world harmony, Prolegomena to an interpretation of the


word « Stimmung », in Traditio, 2, 1944, p. 408-464; 3, 1945, p. 307-364. Cet
auteur passe continuellement de l’antiquité grecque au Moyen Age, mais laisse
peu de place aux Pères.
83. Clément d’Alexandrie, Protr., 5, 1. Ce rôle du Verbe a été étudié supra,
p. 344.
84. Cf. Cor., XXXIV, 7; LX, 4; LXI, 1; LXIII, 2; XXI, 1.
85. C’est l’avis de tous les commentateurs. G. Barpy, Les expressions
stoïciennes dans la I. Clementis, in Rech. de Sc. Relig., 12, 1922, p. 73-85,
est très affirmatif sur le vocabulaire. L. SANDERS, L’hellénisme de Clément
de Rome et le paulinisme, Louvain, 1943, qui consacre un chapitre à ce
texte (p. 109-130), souligne plus l’origine stoïcienne de la thèse (p. 111-125).
Cependant W. C. Unnick, Is 1 Clement 20 purely Stoic? in Vigiliae Chris-
tianae, 4, 1950, p. 181-189, qui donne une bibliographie de la question, tout
en reconnaissant que le vocabulaire et, peut-être, la forme sont stoïciens, veut
prouver par une série de textes parallèles d’origine juive, nullement philo-
sophiques, qu’il y a là un bien commun, et non une influence précise du
stoïcisme.
86. XXXIIT, 3; LX, 1.
87. G. BARDYy oppose même le ch. xx au ch. xxxu1, 2-6, qu’il juge beaucoup
plus biblique. Il suppose qu’en l’écrivant, Clément avait une source stoïcienne
sous les yeux. L. SANDERS, au contraire, veut trouver du stoïcisme même
dans le ch. xxxxiz (p. 130-139; p. 137, n. 3 en particulier).
88. Arrien prête le mot à Alexandre (Anab., VII, 11, 9) pour lui faire dési-
gner l’union politique d’une communauté. A l’époque hellénistique, l’homo-
noiïa est si célèbre qu’on en fait une déesse (cf. W. W. Tarn, trad. E, J. Lévy,
La civilisation hellénistique, Paris, 1936, p. 89-90). Pour les Stoïciens, qui
ont mis la notion à la mode dès Zénon, avec l’idée de concorde, cf. ARNIM,

373
LE MONDE, SA VALEUR .

monde, c’est la beauté, c’est le bien, et c’est surtout une invitation


adressée aux hommes pour la concorde et la paix, le modèle de
l'harmonie qui doit régner dans l’Eglise. Ce passage de l’ordre
cosmique à l’ordre moral n’est pas étranger non plus au stoïcisme.

Aristide, Justin Aristide énonce plus modestement


et Athénagore. la même idée : « J’ai contemplé le
ciel, la terre et la mer, le soleil, la
lune et les autres astres; et j’en ai admiré la disposition. En
voyant le cosmos et tout ce qu’il contient, mû selon une loi
immuable ( &v&yxn), j’ai compris que celui qui les mouvait et les
commandait était Dieu %. » Athénagore adresse, lui aussi, son
compliment « au monde, admirable à la fois par sa grandeur,
puisqu'il embrasse tout, et par la disposition des astres. » Il loue
« l’instrument harmonieux grâce auquel le mouvement est par-
faitement réglé 9% », Justin salue la régularité du système
solaire °1, mais l’un et l’autre, assez vite, plus vite que Clément de
Rome, se détournent de l’œuvre vers son auteur. Le monde n’est
pour eux qu’un tremplin.

Théophile d’Antioche.Théophile d’Antioche reprend, au


contraire, l'hymne solennel de Clé-
ment, avec une nuance personnelle. Il recommence, avec plus
de précision encore, l’énumération de Clément : les saisons et le
calendrier, la variété des plantes, des animaux, et leur perfection,
le circuit des eaux et des pluies, la conjonction des astres 92, Plus
loin, il refait son récit de la création et reprend son chant #8.
Mais dans l’un et l’autre apparaît une note nouvelle, dont il sera
question plus tard : cet ordre du monde est tout entier tourné
vers l’homme.

Irénée. Saint Irénée mérite également une


note spéciale. Cet auteur, profon-
dément spirituel et tourné vers le Verbe, est cependant plein
d’admiration pour le monde, talis ac tanta conditio ?4, Il admire
la providence qui règle le comportement, l’ordre, le rythme, la

SVF I, 263, p. 61; III, 625, p. 160; 630, p. 161. Ignace d’Antioche parle aussi
d’harmonie universelle (Eph., V, 1), d’unité (tbid., IV, 2; Magn., XIII, 1),
mais il ne donne pas aux mots ce fondement cosmique.
89. I, 1-2; IV, 2.
90. Leg., XVI.
91. Dial., LXXXV, 5.
92. Autol., I, 6-7.
93. Ibid., II, 12-14.
94. Haer., IL, 11, 1, HARVEY I, p. 254; cf. II, vix, 2, HARVEY I, p. 271-bis.

74
KE)
L'HYMNE AU MONDE

quantité de chaque être %5, Il s’incline devant les techniques


divines, qui provoquent les crues du Nil, le retour des oiseaux
migrateurs, le flux et le reflux de l’océan, les changements atmos-
phériques, les richesses du sous-sol %6, « Les êtres créés sont
variés et nombreux, et, selon chaque créature, adaptés et con-
cordants », pour constituer « une seule mélodie 97 », Irénée, qui
n’est pas tendre pour les philosophes, qui n’a rien d’un ratio-
naliste, chante cependant la grandeur et l’ordre du cosmos: il
faut se rappeler sans doute qu’il est aussi l’un des plus rudes
ennemis du gnosticisme 98,

L'Eglise d'Afrique Le nom de Tertullien est revenu


et Novatien, souvent, quand il s’est agi de
l'éloge de la création. Il en admire
l’évolution régulière, la perfection du détail, la magnificence. Il
en célèbre aussi l’organisation interne %. Mais il s’y attache
moins que d’autres. Minucius Félix, au contraire, a chanté mieux
que personne cette vision d'harmonie et de beauté, « l’ordre si
parfait de ce bel univers ». Il regarde d’abord le ciel : « Qu’il est
vaste dans son étendue, qu’il est rapide dans sa révolution. » Et
il raconte « cet équilibre admirable, parfait », qui mesure le
temps. Il passe aux saisons, aux fruits, et montre que ce « bel
ordre » est nécessaire pour la variété des produits, le printemps
et l’automne venant assurer de douces transitions. Il se tourne
vers la mer, les fleuves, les montagnes, vers les animaux et leurs
ressources 100, vers l’homme enfin et son merveilleux moyen de
reproduction. Il admire combien Dieu a combiné pour le mieux
le climat de chaque région : la Grande-Bretagne, l'Egypte, la
Mésopotamie et l'Orient 101, Ce chant est nettement d’atmosphère
stoïcienne, par l’optimisme qui le gonfle et par son entêtement
à souligner l’ordre interne de l’univers 102,
Novatien mérite la même remarque, si du moins on lui recon-

95. Haer., II, xxx1X, 3, HARVEY I, p. 346.


96. Ibid., II, xL1, 2, HARVEY I, p. 350-351.
97. Ibid., II, xxxvir, 1, HARVEY I, p. 343.
98. D. B. Revynpers a bien montré cet optimisme d’Irénée devant le monde.
Il conclut avec raison : « On pourrait très justement parler de son huma-
nisme. » « Ce n’est pas un humanisme de culture : ses propos à ce sujet
et son attitude envers les philosophes ne sont pas ce qu’il y a de plus plai-
sant dans son œuvre. C’est un humanisme plus primitif, plus instinctif »
(Optimisme et Théocentrisme chez saint Irénée, in Rech. de Théol. anc. et
médiévale, 8, 1936, p. 225-252). L’auteur souligne le caractère antignostique
de cette tendance (p. 226).
99. Nat., II, 5, en entier, avec une note anthropocentrique.
100. Oct., XVII. ,
101. Ibid., XVIII.
102. Ces textes sont étudiés par R. BEUTLER, Philosophie und Apologie bei
Minucius Felix, Weida-en-Thur., 1936, p. 12-21.

275
LE MONDE, SA VALEUR

naît le De spectaculis du Pseudo-Cyprien. Dans le De Trinitate,


on constate déjà son enthousiasme pour la grandeur de l’œuvre
créatrice 103, Mais dans le De spectaculis, il énumère les mer-
veilles de « cette beauté qui se voit et s’admire » : le lever du
soleil, le retour des jours et des nuits, la lune qui marque le
temps par son croît et son décroît, le chœur des astres, le cycle
du temps, la masse de la terre en équilibre avec les monts, les
sources de lumière, l’air intermédiaire avec sa conspiration uni-
verselle, et la pluie et le beau temps 1%, Là encore à quelques
expressions techniques, que nous avons étudiées déjà, l’influence
stoïcienne se trahit clairement 105,

Clément d'Alexandrie. Nous avons dit plus haut combien


l’harmonie occupe de place dans la
pensée de Clément d’Alexandrie. Il la découvre évidemment
aussi dans le spectacle du monde. Le soleil, pour lui, répand ses
rayons harmonieusement 106. « L’organisation des éléments du
cosmos » appelle les termes : rythme, musique 107, et le mot
sphinx évoque à son esprit l’harmonie du cosmos 108, A plu-
sieurs reprises, toute l’œuvre du Logos, avons-nous dit, est
présentée comme une harmonisation 1% et il insiste sur cette
« harmonie du tout », « étendue du centre jusqu'aux extrêmes,
et des extrémités jusqu’au centre 110 ».
Souvent nous trouvons cette admiration pour le cosmos dans
l’œuvre de Clément 111, Il fait de la création, comme il convient,
le point de départ de la foi 112. Mais le monde est devenu autre
chose qu’une preuve de l’existence de Dieu. Parfois, c’est la note
spécifiquement hellénique de la « seconde religiosité >» que nous
rencontrons, comme dans sa ferveur pour le grand stade, le beau
cosmos 113, Il veut atteindre Dieu à travers la création et ce n’est

103. Trin., I, éd. Fausser, 2, 7-10; VIII... 24, 1-9.


104. Spect., IX, 1-2, éd. A. BOULANGER, Tertullien « De spectaculis », suivi
de D pre « De spectaculis », Paris, 1933, p. 109-110; cf. X, 1….,
p. 111.
105. Les textes de Novatien (Spect., IX-X; Trin., I et VIII) qui concernent
la beauté du monde, sont étudiés par B. Mezin, Studia in Corpus Cyprianeum,
Upsal, 1946, p. 122-154. L’auteur repousse qu’ils soient issus d’une liturgie et
rappelle le thème stoicien.
106. Str., V, 48, 1.
107. Ibid., 49, 1.
108. Ibid., 49, 2.
109. Protr., 5, 1.
110. Ibid., 5, 2. Cf. supra, p. 344, n. 10.
111. Str., VII, 83, 3. M. PoHLEeNz y voit, en face du gnosticisme, une survi-
vance du véritable sentiment hellénique (Nachr. von der Ak. der Wissensch.
in Gôttingen, Philol.-Histor. Klasse, Fachgr. 5, N. F., Bd I, 5, 1943, 3,
p. 131-132).
112. Str., VII, 60, 1.
113. Ibid., VII, 20,,3.

976
L'HYMNE AU MONDE

plus là un raisonnement logique, mais un sentiment religieux à


l'égard du monde, « temple de Dieu », selon l'expression de
Platon qu’il rapporte 114, « Je me libérerai du désir, fait-il dire
à son gnostique, en vue de mon appartenance à vous, Seigneur.
Belle, en effet, est l’économie créée, et tout est bien régi, rien
n'arrive sans raison; il me faut être parmi vos œuvres, Tout-
puissant; bien que je sois ici, je suis près de vous. Je veux être
sans crainte, afin que je puisse m’approcher de vous et me con-
tenter de peu, pratiquant votre juste choix entre le bien et ce qui
lui ressemble 115, » L'homme émerveillé devant le cosmos, qui
veut entrer dans l’ordre du monde, s’y intégrer dans un sen-
timent de ferveur religieuse, c’est, tout panthéisme exclu, la
position d’Epictète et de Marc-Aurèle : un stoïcisme qui prend
la teinte néo-platonicienne et tourne en spiritualité, avec la
religion cosmique contemporaine 116,

3. L’HARMONIE ET LE MAL PHYSIQUE

Les Pères, pas plus que les Stoïciens, ne pouvaient fermer les
yeux sur les éléments discordants de cette vaste symphonie:
mal moral, mal physique. Au problème du mal moral, on répond
généralement par des arguments chrétiens 117, qui ne concernent
pas notre sujet. Le mal physique est lui-même considéré quel-
quefois comme un effet de la justice divine et un signe de la
puissance de Dieu 118, De toute façon, il n’est pas un mal réel.

114. Str., V, 76, 2. L’attribution de cette expression à Pluton mérite d'être


signalée. L’image même est fréquente. A. J. FESTUGIÈRE renvoie à Manilius,
Dion Chrysostome, Plutarque. On peut y ajouter le Quod Idola. IX, CSEL TI,
1, 26, 11-12, et surtout Philon, De spec., I, 66 : « Le temple de Dieu très-haut
ct véritable, ainsi faut-il appeler tout le cosmos »; Her., 75; De somm.,
I, 215 : « 11 y a deux temples de Dieu.…., l’un, le cosmos que voici... lautre
l’âme raisonnable. » Comme source, le R. P. cite Cléanthe et renvoie timi-
dement à Aristote, selon Sénèque, Quaest. nat., VII, 30, 1 (La Révélation.
d'Ilermès Trismégiste, t. 11, p. 235-238). Que vaut l’affirmation de Clément ?
115. Str., IV, 148, 2. é
116. Ce passage de la science à la religion dans l'attitude à l’égard du
monde a été étudié magistralement par A. J. FEsTUGIÈRE dans La Révélation
d'Hermès Trismégiste. C’est en somme l’objet de tout le tome II, qui a préci-
sément pour titre Le Dieu cosmique, Paris, 1949. I1 a été souvent cité au
eours de ce chapitre et, peut-être, plus souvent encore utilisé.
117. Il est la punition du péché des hommes, encouragés par le mauvais
exemple des dieux (Aristide, VIII, 4-6). On invoque le grand nombre des
de
athées, contre les païens comme Celse, qui imputaient le mal à l’impiété
III,
la secte chrétienne (Athénagore, Res., XVIII; Cyprien, Demetr., V, CSEL
1, 354, 14-16), l’influence des démons (Justin, 11 Apol., VII, 3; Tatien, Orat.,
XVII;
XV-XVIII). La base de tout est la liberté humaine (Athénagore, Res.,
Tatien, Orat., XIX, fin.).
118. Tertullien, Hermog., XVI, CSEL 47, 144, 9-10. F. SCHULZE a consacré
a
exclusivement au problème du mal chez Tertullien sa longue étude qui
pour titre Theodicee bei Tertullian, in Zeitschrift für Wissensch. Theologie,

377
LE MONDE, SA VALEUR

-« Au reste, nous ne souffrons en aucune manière, d’abord et


surtout parce que rien ne nous importe en cette vie, si ce n’est
d’en sortir au plus tôt 112. » Tertullien emploie déjà là un argu-
ment que les Stoïciens ne repousseraient pas. Cependant les
Pères regardent le plus souvent le mal physique en face. Alors
dans leur optimisme systématique, avec les Stoïciens, ils le font
entrer dans l’harmonie générale par une double explication.

L'harmonie du tout.
D’abord ils invoquent la supériorité
du tout sur la partie. C’est l’idée de
Tertullien : un petit mal relève un bel ensemble, comme une
verrue sur un beau corps, un nuage dans un ciel serein 120.
Clément n’hésite pas à englober le mal secondaire dans le grand
plan de Dieu. C’est ainsi que les maladies corporelles « sont diri-
gées par la Providence vers une fin de santé 121 ». « C’est pour
le salut de l’ensemble que tout est ordonné par le maître de
l’ensemble, et en bloc, et en détail 122, >» La partie est sacrifiée
au tout, tendance bien stoicienne 123,

L’harmonie Plus célèbre encore est la théorie


des contraires. des contraires complémentaires,
généralement attribuée aussi aux
Stoïciens 124, Athénagore y fait peut-être allusion quand il
lie les contraires lun à l’autre par raison naturelle et loi

43 (N. F. 8), Leipzig, 1900, p. 62-104. En distinguant à la base mal physique


(châtiment de la justice de Dieu) et mal moral (péché de l’homme libre), il
montre que pour Tertullien le mal n’est pas une nécessité métaphysique
(comme contraire nécessaire du bien); que les maux physiques sont l’œuvre
de la juste colère de Dieu, apaisable par la patience (p. 93-98), ou le résultat
de l’action corruptrice du démon (p. 102-104), mais ne constituent qu’un mal
apparent. Il n’existe aucun mal réel sans péché. Comme explication du mal
physique, on peut ajouter que « l’œuvre est nécessairement différente de
l’artisan, c’est-à-dire inférieure à l’artisan » (Marc., II, 9, CSEL 47, 347, 5-6).
Cf. Irénée pour qui être créé, c’est venir après, se ranger dans le temps,
Es une période d’enfance et de faiblesse (Haer., XV, Lx1, HARVEY II,
p. 292).
119. Apol., XLI, 5.
120. Nat., 1, 5, 2; cf. Hermog., XV, CSEL 47, 142, 24-25.
121. Str., 1, 86, 1.
122. Ibid., VII, 12, 2.
123. J. LEBRETON a groupé quelques textes stoïciens sur ce thème, Histoire
du Dogme de la Trinité, t. 1, p. 51-52. Le thème se retrouve chez Maxime
de Tyr, par exemple, cf. G. Soury, Aperçus de Philosophie religieuse chez
Maxime de Tyr, Platonicien éclectique, Paris, 1942, p. 24-26, 68-71.
124. Athénagore (Leg., XXIV) et Tertullicn (Anima, VI, 1) attribuent le
principe à Empédocle. L’idée du mal contraire du bien se trouve dans Platon

378
L'HYMNE AU MONDE
divine 12, D’autres Pères sont beaucoup plus précis. Tatien
montre déjà que l’économie du corps humain vient d’une éco-
nomie du divers 126, Saint Irénée voit l’harmonie du monde faite
d'éléments discordants, qui concourent à l’unité comme les sons
variés d’une mélodie 127, Tertullien y revient souvent et longue-
ment, avec beaucoup de précision. Pour lui, le monde, l’homme, lé
cœur de l’homme, sont faits de contraires ou d’antithèses 128. La
sagesse, dit-il, « a formé l’universalité des choses, au moyen de
la diversité des éléments, de telle sorte qu’en toutes choses,
malgré leur unité, sont réunies des substances contraires, le vide
et le plein, ce qui est animé et ce qui est inanimé, le saisissable
et l’insaisissable, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort 129 ».
Novatien donne une note encore plus nettement philosophique.
« Dieu, dit-il, enchaîne les matières discordantes pour la con-
corde de tous les éléments, si bien que, avec des éléments diffé-
rents, il existe un monde unique 130, >» Clément d'Alexandrie dit
aussi : « De même que le monde est constitué de contraires, de
chaud et de froid, de sec et d’humide, il se compose aussi
d’hommes qui donnent et d’hommes qui reçoivent 181, » Dieu
établit l’harmonie à partir de la diversité et des oppositions 182,
La philosophie stoïcienne est ici encore au service de la pensée
chrétienne, comme de toute la pensée contemporaine 188,

(Theaet., 176 ab). Mais la thèse même de l'harmonie des contraires, la


concordia discors, est sans doute l’œuvre des Stoïciens, dans la ligne d’Héra-
clite. C’est l’avis de J. H. WasziNk (p. 155), de L. Sprrzer (Classical and
christian ideas of world harmony, Prolegomena to'an interpretation of the
word « Stimmung », 1re partie, in Traditio, 2, 1944, p. 415-416; cf. p. 443),
de A. J. Fesrucière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. II, p. 513 et de
H. A. WozrsoN, Philo, Foundations of religious Philosophy in Judaism,
Christianity and Islam, Cambridge-Mass., t. I, 1947, p. 339, qui étudie soigneu-
sement la loi des contraires (p. 332-336) et leur harmonie (p. 337-342).
125. Leg., III; XXXI.
126. Orat., XII.
127. Haer., Il, xxxvii, 2, HARVEY I, p. 343; cf. xL1, 4.., p. 352.
128. Marc., I, 16, CSEL 47, 311, 7-17 (aemula inter se); II, 29..., 376, 27-377, 1
(antithesis; ex contrarietatibus elementorum); IV, 1.…, 425, 25-426, 1 (ex
diuersitatibus aemularum substantiarum; antithesis); Anima, VIII, 1-2 (amicu
et aemula); Scorp., V, CSEL 20, 154, 3-6; Pall., IX, 1.
129. Apol., XLVIIX, 11.
130. Trin., II, éd. Fausser, 6, 13-7, 1.
131. Str., II, 55, 1.
132. Protr., 5, 1; Str., IV, 40, 3.
133. Ces théories se retrouvent en effet avec insistance dans le Peri Kosmou
aristotélicien dont le ch. v, 396-397, est tout entier consacré à montrer que
le monde est le résultat d’uñe harmonie, où entrent même des éléments
contraires.

279
CE

LE MONDE, SA VALEUR

C. ANTHROPOCENTRISME ET TÉLÉOLOGIE.
L'HOMME CENTRE DU MONDE

Chez les Stoïciens. Plusieurs fois, dans les textes, nous


| avons rencontré l’idée que cet ordre
est tout entier axé sur l’homme. Cet anthropocentrisme est encore
une théorie stoïcienne chère aux Pères 134 Aux yeux des Stoiï-
ciens, le monde n’est si beau que pour la joie de l’homme, si
bien ordonné que pour ses intérêts. Tout se déroule en fonction
de l’homme. Animaux et plantes lui sont destinés 135, Peut-être
le stoïcisme lui-même a-t-il subi là, dans ses origines, une
influence sémitique 136, En tout cas, il aurait poussé très loin les
affirmations rapides de la Genèse et des Psaumes 137, Dès l’époque
de Zénon, il a créé une téléologie qui exalte l’être humain au-delà
du raisonnable. Même les inconvénients, les désagréments du
monde, sont expliqués au profit de l’homme. Les puces ne l’en-
couragent-elles pas à se lever ? Et les souris à veiller sur ses
affaires ? Bernardin de Saint-Pierre et les philosophes optimistes
du XVIIT:° siècle n’ont rien inventé, pas même leurs enfantillages.
Il reste que l’homme est vraiment le centre du monde,

Note générale. Or, c’est là une des affirmations les


plus universellement appuyées par
les Pères de l’époque, que tout est fait pour l’homme, alors que,
depuis saint Thomas d’Aquin, nos théologiens répètent : Dieu ne
pouvait créer que pour sa propre gloire. Il n’y a pas contradic-
tion entre ces deux propositions, et quelques écrivains ecclé-
siastiques disent l’un et l’autre 138, mais le fait est qu’ils mettent
unanimement l’accent sur la royauté de l’homme dans le monde
ou plus précisément sur l’orientation de tout vers l’homme. C’est
à proprement parler l’anthropocentrisme. Déjà Clément de Rome,
quand il chante l’ordre du monde, met l’homme au centre de
cette organisation 139, L’écrit À Diognète dit aussi que « les êtres

134. F. CumonT y montre une tendance générale de l’âme grecque de l’époque.


- Les dimensions réduites de l’univers et son ordre admirable expliquent que
l’homme s’en soit cru le roi (Lux Perpetua, Paris, 1949, p. 7-8).
135. SVF II, 1152-1167, p. 332-335. Le De natura deorum présente aussi
longuement la terre comme cadre de la vie humaine (II, 130-133).
136. M. Pourenz, Die Stoa, 1, p. 99-100. Cf. Stoa und Semitismus, in Neue
Jahrb. für Wiss. und Jugendbildung, 2, 1926, p. 256-270.
137. Ps., 145 (144), 15-16; 147 (146), 8-9; 104 (103), 14-15.
138. Didachè, X, 3. À
139. Cor., XXXIII, 4.

9380
L'HYMNE AU MONDE

sont créés par Dieu pour l'usage des hommes 140 », que Dieu
« a créé l’univers à cause d’eux 141 » et leur a soumis tout ce
qui existe sur la terre 142. Tatien refuse d’adorer la création
« parce qu’elle est faite en vue de nous ». « Le soleil et la lune
existent à cause de nous, alors comment adorerais-je mes servi-
teurs 1439 » Aristide dit que Dieu « a tout fait à cause de
l’homme 144 ». « A cause des hommes, survint tout l’arrange-
ment, comme la création. » « Dieu leur soumit tout en
esclavage 145, »

Athénagore. Athénagore tente de justifier cette


position. L'homme n’agit que pour
lui-même, dit-il. Il essaie de le montrer et il conclut : « Rien de
ce qui dispose de raison et de jugement, grand ou petit, n'existe
ou n’a existé pour le besoin d’un autre. » Il prouve que l’homme
n’est fait ni pour les dieux, qui n’en ont pas besoin, ni pour les
êtres inférieurs, car « il n’était pas, et il n’est pas juste de sou-
mettre pour l’usage, aux êtres inférieurs, ce qui commande et
dirige ». « Il est donc évident, conclut-il, que, selon le logos pre-
mier et commun, Dieu fit l’homme pour lui-même, pour rendre sa
bonté et sa sagesse visibles à travers toute la création, mais, selon
le logos particulier aux créatures, il le fit pour la vie de cette
créature même, vie qui ne lui est pas adaptée pour un
moment... 146, » Tout en reconnaissant que la création manifeste
la gloire de Dieu, il donne à l’homme une fin en soi, qui justifie
sa pérennité. Ailleurs, plus concrètement, il dit que les bêtes sont
faites pour la nourriture de l’homme 147.

Justin Justin répète aussi à plusieurs re-


et Théophile.
prises que « Dieu n’a pas fait le
monde au hasard, mais à cause du genre humain 148 ». Il rend
grâces à Dieu « d’avoir produit le monde avec tout ce qu’il ren-

140. Diogn., IV, 2.


141. E. H., BLAKENEY discute ce texte et rappelle l’origine stoïcienne du
thème en soulignant qu’il est très répandu partout (4 Note on the epistle to
Diognetus, X, 1, in The Journal of Theol. Studies, 42, 1941, p. 193-195).
142. Diogn., X, 2.
143. Orat., IV.
144. Apol., 1, 3; cf. IV, 4.
1. H.-I. MARROU a noté que cet anthropocentrisme est
145. Ibid., XV-XVI,
réservé aux seuls chrétiens, À Diognète, Paris, 1951, p. 160. Hermas
parfois
dit le monde fait pour l'Eglise, Past. Vis., II, 4, 1; I, 1, 6.
146. Res., XII.
147. Ibid., IV.
148. II Apol., IV, 2; V, 2; 1 Apol., X, 2.
LE MONDE, SA VALEUR

ferme à cause de l’homme 14 », Théophile d’Antioche répète le


même refrain, avec une insistance exceptionnelle : « Tout est
soumis à l’humanité 150, » Il montre la gloire de Dieu derrière
cette organisation : « Dieu voulut créer l’homme, pour qu’il en
fût connu. » Mais ce rappel n’altère aucunement son anthropo-
centrisme : « Pour lui donc, il a d’abord préparé l’univers 151, »
Et il précise : les astres sont « faits. pour l’avantage et le service
de l’humanité 152 >. Dieu envoie l’éclair avant le tonnerre pour
nous prévenir, « afin que l’âme n’éprouve pas une émotion trop
subite, qui la ferait défaillir ». Dieu tempère aussi l’éclair, qui
par lui-même serait capable d’incendier la terre 153. Il a placé les
fleuves là, afin que la mer ne soit pas desséchée par le soleil et
le sel, les petites îles dans la mer pour servir de refuges aux
naufragés 154, La lumière est belle, mais « c’est évidemment pour
l’homme que cette création est belle 155 >. Les animaux reçoivent
bien la bénédiction de Dieu, mais « ils n’ont absolument rien
. reçu là qui tende à leur propre bénéfice 156 » : ils ne se repro-
duisent que pour « l’usage des hommes 157 », Quant à la terre,
« elle produisait tout spontanément, pour que l’homme ne se
fatiguât pas à la travailler 158 ». Cette touchante complaisance de
Dieu pour l’homme, traduite dans l’ordre du monde, est bien
reconnaissable. Saint Irénée ne révèle pas le même sentiment,
mais il souligne aussi volontiers que « la création est soumise
à l’homme; en effet, l’homme n’a pas été fait à cause d’elle, mais
la création à cause de l’homme 159 », Oui, « Dieu fit les choses
temporelles à cause de l’homme 160 »,

Tertullien. Tertullien a souvent redit que le


monde est fait pour l’homme, « Le
monde n’est pas indigne de Dieu; car Dieu n’a rien pu faire
d’indigne de lui, bien qu’il ait fait le monde pour l’homme, non
pour lui161, » Sans doute l’apologiste n’ignore pas que Dieu a

149. Dial., XLI, 1.


150. Autol., 1, 6; II, 18.
151. Ibid., II, 10. .
152. Ibid., I, 4
153. Jbid., I, 6.
154. Ibid., II, 14.
155. Ibid., II, 11.
156. Ibid., II, 16.
157. Ibid., I, 6.
158. Ibid., II, 19.
159. Haer., V, xx1x, 1, HARVEY II, p. 404.
160. Jbid., IV, vin, HARvEY II, p. 154. Il y revient souvent (Haer., IV, x1v,
HARVEY II, p. 164), surtout dans le plan de la rédemption (ibid., V, x1v, 2,
HARVEY II, p. 361; IV, xzix, 2, p. 255; IIL, xt, 14.., p. 66; IV, xxv, 2...
p. 185; IV, xxxIV, 7... p. 218).
161. Marc., I, 13, CSEL 47, 306, 21-23.

982
L'HYMNE AU MONDE

tout tiré de rien, « pour servir d'ornement à sa majesté 162 », que


les choses « sont produites à cette fin, que Dieu seul soit
connu 163 ». Mais il montre en même temps Dieu à l'affût du
plaisir de l’homme 164 et rappelle souvent que tout se fait pour
l’homme 165 : « Les bêtes sont prévues et livrées à notre usage
par le Seigneur 166, >» L’univers entier, dans son déroulement,
« conspire à l’intérêt de l’homme 167 ».
Tertullien apporte une note spéciale. Plus que l’orientation de
tout vers l’homme, il souligne la maîtrise de l’homme sur la
création, sa propriété. Théophile d’Antioche avait bien rappelé,
d’après la parole biblique, que « tout est soumis à l’huma-
nité 168 », mais Tertullien note avec insistance cette « posses-
sion du monde » par l’homme. L'homme est le « maître » de la
création 169, le dominus « de toutes les choses qui meurent et qui
renaissent 170 », « le possesseur de l’univers entier 171 », qui
est son mancipium 172 : « Tout est au service de l’homme, tout
lui est soumis, tout est sa propriété 178, >» C’est là encore une
théorie importée du stoïcisme, au dire de J. H. Waszink 174, bien
qu’elle soit évidemment biblique en même temps.

Minucius Félix. Minucius Félix dégage fortement la


note téléologique dans son hymne
à la création, preuve de Dieu 175, Après avoir souligné l’unité
organique du cosmos, la disposition avantageuse des saisons, il
s’écrie : « Le détail de chaque merveille nous mènerait trop
loin. Il n’est pas un seul membre dans l’homme, qui n'ait sa
grâce ou son utilité... comme la mamelle se gonfle de lait à mesure
que l'enfant se développe au sein de la mère, comme sa frêle
existence se fortifie à la faveur de la nourriture abondante que
lui offre ce lait. » Là-dessus, il montre que chaque pays est doté
à merveille : « La Grande-Bretagne est presque sans soleil, mais
elle est réchauffée par les tièdes vapeurs de la mer répandue

162. Apol., XVII, 1.


163. Marc., 1, 10, CSEL 47, 302, 25-26.
164. Coron., VIII, CSEL 70, 170, 30-31.
165. Carn. Res., V, CSEL 47, 32, 9-11; XII, CSEL 47, 41, 27-29.
166. Pat., IV, CSEL 47, 5, 17-19.
167. Ad commoda humana, Nat., I, 5, 5; cf. IL, 5, 16-18.
168. Autol., I, 6.
169. Carn. Res., V. CSEL 47, 32, 13; IX.., 37, 25-26; 37, 30-38, 1.
170. Apol., XLVIIL, 9.
171. Spect., 11, CSEL 20, 4, 11-12; 16-17; Marc., II, 4, CSELI, 47, 338, 13-16;
II, 9..., 347, 13; Carn. Res., IX, CSEL 47, 37, 25-26.
172. Spect., II, CSEL 20, 2, 25. *
173. Anima, XXXIIL, 9.
174. P. 296. Le mot même de « propriétaire » est stoïcien, cf. Cicéron, Nat.
deor., II, 157.
175. Oct., XVII-XVIII.

383
LE MONDE, SA VALEUR

‘autour d’elle. Le Nil tempère la sécheresse de l'Egypte; l’'Euphrate


fertilise la Mésopotamie; l’Indus ensemence, dit-on, et arrose
l'Orient. » Il voit le monde entier en travail pour l’homme. C’est
bien le monde stoïcien, excellent et bienveillant pour l’huma-
nité 176,

Novatien et Clément. Novatien est curieusement frappé


par cette orientation du monde vers
l’homme, qui en est le « propriétaire 177 ». En admirant la gran-
deur de la création, il souligne les lois qui la gouvernent et
mettent les astres et les saisons au service du « genre humain 178».
Les animaux, les arbres par leur bois et leurs fruits, les fleurs
par leurs couleurs agréables, les poissons, les océans limités
pour qu’ils n’envahissent pas tout « aux dépens du possesseur
humain » — exemple d’obéissance —, tout est pour l’homme 178,
Enfin Clément d'Alexandrie, malgré sa tendance mystique et théo-
centrique, n'hésite pas à dire que Dieu déploie le cycle du soleil
et des astres « à cause de l’homme 180 », que le monde est « fait
pour le service de l’homme 181 », qui est fait pour lui-même:
« L'homme que Dieu a créé est une fin en soi182, » Dans son
moralisme, il souligne que l’univers est fait surtout dans l'intérêt
de l’homme vertueux, pour son usage, mais plus encore pour
son salut 183,

CONCLUSION

Pratiquement tous les Pères de l’époque ont comparu à la


barre, pour faire l’éloge du monde. Il n’y a vraiment pas de doute
possible : le monde matériel n’est pas objet de méfiance ou de
mépris, mais l’œuvre admirable d’un Dieu souverainement rai-
sonnable. 11 est animé d’un mouvement plein de sagesse et d’har-

176. Oct., XVII, 3-XVIII, 4. Ces textes sont étudiés dans leurs sources et
leur portée par R. BEUTLER, Philosophie und Apologie bei Minucius Felix,
Weida-en-Thur., 1936, p. 21-38.
177. Trin., 1, éd. FAUSSET, 3, 3-4.
178. Ibid., 1, éd. FAUSSET, 2, 7-10.
179. Ibid., 1, éd. FAUSSET, 2, 1-3, 9.
180. Paed., I, 6, 5.
181. Protr., 65, 4.
182. Paed., 1, 8, 1.
183. Str., VII, 48, 1.

384
L'HYMNE AU MONDE

monie. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes,


comme chez les Stoïciens. De plus, cet univers est tout entier
tourné vers l’homme dans son organisation et expliqué en fonc-
tion de l’homme 1. Et, qu’on le note bien, il ne s’agit guère de la
sollicitude paternelle du Dieu évangélique : le Dieu du Nouveau
Testament est penché directement sur l’homme, et sa bienveil-
lance pour le lis des champs n’est qu’un signe de sa délicatesse
pour l’homme. Il s’agit même assez peu du premier chapitre de
la Genèse, où l’homme est présenté comme chef de la création.
Les Pères considèrent surtout l’organisation objective des êtres
créés, qu’ils interprètent par une téléologie toute en faveur de
l’homme. La Bible ne peut expliquer suffisamment cette concep-
tion du monde, en revanche familière à la philosophie. Les Pères
ont été heureux de la rencontrer dans leur milieu: ils y trou-
vaient une arme contre les hérésies qui calomniaient l’œuvre du
créateur.

1. Celse dénonçait cette tendance de la pensée chrétienne dans son Discours


vrai, cf. Contra Celsum, IV, 69-70, éd. KozrscHAU, I, 338-340. Rappelons qu'on
peut trouver un essai de restitution de l’œuvre de Celse dans L. ROUGIER,
Celse ou le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif,
Paris, 1926.

385
CHAPITRE DOUZIÈME

L'UNITÉ DU MONDE

Le Portique, qui professait un logos unique pénétrant toutes


choses et causant tous les effets, se faisait un dogme de l’unité.
Chez les Stoïciens, « l’unité du monde, dit leur dernier historien,
se présente sous deux aspects : l’enchaînement rigoureux des
événements par la loi du destin, et la hiérarchie des êtres « sym-
pathisants » par la puissance en eux du pneuma divin. Deux
séries semblent ainsi s’opposer, les corps et les événements »…
« Les deux séries, en réalité, tendent à se rapprocher l’une de
l’autre et même à s’identifier 1. » Nous avons déjà rencontré bien
des textes patristiques qui reflètent la même foi en l’unité cos-
mique. Tous les Pères qui se font une conception plus ou moins
animiste du monde, tous ceux pour qui l’univers est une vaste
harmonie, tous ceux qui conçoivent la création comme centrée
sur l’homme, nous invitent, avec Tatien, « à voir toute l’organi-
sation du monde et la création dans son ensemble 2 ». L'unité
du monde est un thème familier aux Pères; les uns se contentent
de la constater; d’autres en esquissent même une explication
philosophique.

1. V. GoLpscHMipT, Le système stoïcien et l’idée de Temps, Paris, 1953,


p. 106; cf. 62-63.
2. Orat., XII, c. init.

386
AFFIRMATIONS

I. L’'UNITÉ DU MONDE : AFFIRMATIONS

TO PAN — Vniuersitas.
On trouve surtout deux signes de la
croyance en l’unité chez les Pères :
c’est le mot même par lequel ils désignent la création et l’image
du corps qu’ils lui appliquent. Saint Irénée met une insistance
curieuse à considérer « l’ensemble >» du monde. Il parle sans
cesse du « Tout » : rù x&v1; de l’uniuersitas, selon le texte latin 2.
Et il ne s’agit pas d’une terminologie d'emprunt, toute faite.
Irénée, ailleurs, développe ce qu’il entend par univers : « Dans
ce tout est compris ce que nous appelons le monde, et, dans le
monde, l’homme3, » Il précise encore la notion de monde:
« Or ce monde se compose de sept cieux, où habitent les Vertus
ct les Anges, et les Archanges qui remplissent les fonctions du
culte envers Dieu tout-puissant et auteur de toutes choses 4, »
Pour Irénée, ce tout comprend, dans l’univers, l’homme et les
anges.
Tertullien emploie le même terme d’uniuersitas 5 et y englobe
aussi les anges, et peut-être l’homme, mais à titre de dominus ou
possessor 6, Novatien également songe volontiers au tout. Il va
jusqu’à répéter l’idée quatre fois en deux lignes : Dieu « parcourt
chaque (omnia) chose, meut le tout (cuncta), vivifie l'univers
(uniuersa) et examine l’ensemble (tota) T ». L’insistance est d’au-
tant plus significative, qu’elle est au service d’une théorie de
l’unité. L'emploi de ces mots chez Novatien, comme chez Tertul-
lien et chez Irénée, peut être considéré comme l’adhésion à une
conception moniste de la création.

1. Haer., I, 1, HARVEY IL, p. 94; I, xur..., p. 175; III, xt, 4, HARVEY II, p. 37.
On sait que le terme <d 7% chez les Stoïciens est différent de vd hov.
Ce dernier désigne le monde, tandis que « le tout » comprend en outre le vide
environnant (SVF II, 522-525, p. 167-168).
2. Haer., I, xxix, HARVEY I, p. 243; II, xxx1, 3..., p. 321; III, xx, 4, HARVEY IL,
p. 37; III, xx, 10..., p. 45; III, xxx1Ix..., p. 133; IV, LVIx, 4, p. 276; IV, xL1..,
p. 136; IV, xLu, 2, p. 137.
3. Dem. p. a, 4, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 758.
4. Ibid., 9..., p. 761.
5. Apol., XI, 9; Marc., V, 5, CSEL 47, 585, 2; Spect., II, CSEL 20, 2,
23-24 (bis); 4, 11.
6. Marc., IL, 9, CSEL 47, 347, 13; Spect., Il) CSEL 20, 4, 11-12.
7. Trin., II, éd. Fausser, 6, 13-14; 6, 9; 7, 3.

387
L'UNITÉ DU MONDE

L'image du corps, L'unité du monde est parfois évo-


emplois divers. quée par la comparaison avec le
corps humain. Cette image du corps
est si célèbre, qu’elle mérite qu’on s’y arrête quelques instants.
Les philosophes grecs se plaisaient à marquer par là l'unité, la
solidarité, l'harmonie des éléments du mondes. De là, ils en
venaient à rapprocher la structure du monde de celle du corps ?.
Les Stoïciens accordèrent à ces théories une faveur spéciale et
Sénèque dit que nous sommes les membres d’un grand corps 1°.
Mais dès la fin du premier siècle, l’image avait évolué et le mot
désignait surtout un corps social, une collectivité. C’est ainsi que
l’Empire fut, pour Sénèque, un corpus magnum, dont l’empereur
est l’âme ou la tête 11. On sait la fortune de ce mot appliqué à la
société des chrétiens par saint Paul. L. Cerfaux a très bien montré
le sens de l’expression, son approfondissement et surtout son évo-
lution depuis les grandes Epitres jusqu'aux Epîtres de la capti-
vité 12, L’image de saint Paul a été réemployée par Clément de
Rome, par Justin et beaucoup d’autres Pères.
Le texte de Clément vaut d’être cité parce qu’on y retrouve
l’image stoïcienne en sa pureté, dans un cadre également plus
stoïcien que le contexte paulinien.

Considérons les soldats qui servent sous nos chefs : quelle discipline !
quelle docilité ! quelle soumission pour exécuter les ordres ! Tous ne
sont pas préfets, ni tribuns, ni centurions, ni cinquanteniers et ainsi
de suite; mais chacun, en son rang, exécute les ordres de l’empereur
ou des chefs. Les grands ne peuvent être sans les petits, ni les petits
sans les grands; il y a, en toute espèce de choses, un certain mélange,
en quoi réside son utilité. Prenons (exemple de) notre corps; la tête

8. A. WikENHAUSER, Die Kirche als der mystische Leib Christi nach dem
Apostel Paulus, Münster-en-W., 1940, p. 130-143. Les références au thème
stoïcien dans W. L. Knox, Parallels to the N. T. use of cüpa, in Journal 07
Theolog. Studies, 39, 1938, p. 243-246; F. DE VisscHeR, Les édits d’Auguste
découverts à Cyrène, Louvain, 1940, p. 91-93; S. HansoN, The Unity of the
Church in the New Testament, Upsala, 1946, p. 52. Cf. encore Corpus Herme-
ticum, XI, 6, éd. Nocxk-FESTUGIÈRE, p. 149, 1. 22.
9. W. KRanz, Kosmos und Mensch in der. Vorstellung frühen Griechentums,
in Nachrichten Gesellsch. der Wissensch. zu Gôttingen, Philol.-Hist. Klasse,
Fachgr. I, N. F., Bd II, 7, 1938, p. 121-161.
10. Ep., XCII, 30. k
11. De clem., Il, 2, 1 : « À capite hbona ualetudo.. per omne imperii corpus » :
I, 5, 1: « Animus rei publicae tu es, illa corpus tuum. »
12. La Théologie de l’Eglise suivant saint Paul, coll. Unam Sanctam, 2° éd.
Paris, 1948. C’est à cet excellent ouvrage que sont empruntés les rensei-
gnements bibliographiques des notes précédentes. Cf. aussi K. PRUEMM,
Christentum als Neuheïitserlebnis..., Fribourg-en-Br., 1939, ch. xv, appartenance
à l’Eglise, p. 289-308.

5688
AFFIRMATIONS
sans les pieds n’est rien; de même les pieds, rien sans la tête. Les
moindres membres de notre corps sont nécessaires et utiles au corps
entier; ou plutôt tous conspirent et servent, par une subordination
unanime, au salut du corps entier. Qu’il soit donc conservé en son
intégrité, le corps que nous formons en Jésus-Christ #,

Le texte offre une collection de thèmes stoïciens (service mili-


taire, utilité, conservation du corps, mélange pour le bien de
l’ensemble), qui place nettement l’image stoïco-paulinienne dans
un contexte philosophique 14.
Justin est moins précis, mais encore plus loin de saint Paul.
Il parle des chrétiens qui ne forment « tous qu’un enfant », et
il continue : « C’est ce qu’on peut voir aussi pour le corps:
l’ensemble des nombreuses parties qu’on y compte n’est appelé
et n’est qu’un seul corps. Le peuple et l’ekklesia représentent
une pluralité d’hommes, mais parce qu’ils ne font qu’un, on les
appelle et on les désigne d’une appellation unique 15. » On
reconnaît là une définition judaïco-philosophique du corpus ex
distantibus. Nous n’avons pas quitté l’atmosphère stoïcienne.
La même note philosophique se retrouve chez saint Cyprien.
Il souhaite que l'Eglise « enferme en son sein le corps unique
d’un peuple consentant 16 », qu’elle se fasse « une foule unique,
rapprochée en l’unité massive d’un corps par la glu de la con-
corde 17 ». Novatien, de son côté, conseille de veiller « au corps
entier et à ses membres dispersés par toute la Province 18 ». Pour
Clément, enfin, l'Eglise est plus précisément comparée à un
homme fait de corps et d’âme, de corps et de sang 1?. Manifeste-
ment, ces expressions ont pu être suggérées par saint Paul, mais
leur développement vient d’ailleurs 20,

13. Cor., XXXVII, 2-XXXVIIL, 1, trad. HEMMER.


14. L. CERFAUX a souligné que l’image est plus près de l’origine chez
Clément (La Théologie de l'Eglise, p. 204; p. 214, n. 2). Mais il faut ici
invoquer surtout le témoignage de L. SAnDers, L’Hellénisme de saint Clément
de Rome et le paulinisme…., Louvain, 1943, qui étudie spécialement ce cha-
pitre xxxvir, p. 78-93. « Plus que saint Paul, dit-il, Clément conserve la
logique du matériel stoïcien qu’il incorpore » (p. 82). Cf. A. JAUBERT, Les
chris-
sources de la conception militaire de l’Eglise en 1 Clément 37, in Vigiliae
tianue, 18, 1964, p. 74-84.
15. Dial., XLII, 3 (trad. ARCHAMBAULT).
16. Cath. Eccl. unit., XXII, CSEL III, 1, 230, 15-16.
17. Ibid., 231, 8-10.
18. Pseudo-Cyprien, Ep., XXXVI, 1v, 1, éd. BAyxARD, p. 92, attribuée à Nova-
tien, cf. A. D’ALËÈs, Novatien.…, p. 144.
19. Paed., I, 38, 3.
20. Au contraire, l’image Eglise-corps de Str., VII, 87, 3-88, 2, est toute
paulinienne.

389
L'UNITÉ DU MONDE

Le corps du monde. Il est curieux de constater combien


l’aspect complémentaire des
membres du corps frappait les Pères de l’époque. Athénagore
parle indéfiniment de ouurAnpov 21, ouurAnpoots 22, ouurAnpnrixol 28.
Aristide chante, lui, la symphonie du corps humain, qui malgré
la diversité de ses parties, ne fait qu’un 24. Mais jusqu'ici nous
n’avons pas rencontré chez les Pères le rapprochement entre le
corps et le monde physique. Tatien est peut-être le premier à
exploiter ce thème dans son sens antique. « Comme la consti-
tution du corps, dit-il, a son unité qui répond à un plan — c’est
là qu’est.le principe de son existence —, et néanmoins il y a des
différences de gloire entre ses parties.…., et toutes, malgré leurs
différences réciproques, par suite du plan qui les met d’accord,
forment une harmonie; de même le monde... 25. »
Avec Tertullien, le monde est clairement comparé au corps
humain. Il parle de « ce vaste corps du monde 26 ». Dieu « a créé
‘de rien ce corps gigantesque du monde... l’a animé par cet esprit
qui a animé toutes choses 27 ». Ici le rapprochement corps-âme
donne à la comparaison, avec l’idée d’unité, une couleur encore
plus philosophique. Ailleurs, il rapproche à nouveau le monde et
ses êtres célestes d’un corps avec ses membres 28. Cela annonce la
théorie microcosme-macrocosme, qui se trouve d’ailleurs dans le
contexte.
Ces derniers textes dépassent la simple affirmation de l’unité.
L’image du corps animé évoque la théorie, déjà étudiée, d’un
logos-pneuma qui pénètre tout, explication première et fonda-
mentale de l’unité cosmique. Mais le monde offre aux yeux des
Stoïciens d’autres éléments d’unité. D’abord il est fait tout entier
de la même étoffe et se trouve tout entier corporel, jusque dans
les créatures dites spirituelles; ensuite il est pris entièrement
dans le réseau d’une loi physique et rationnelle, qui enchaîne
tous les êtres, même l’homme, et crée entre eux une sympathie
naturelle, Ce sont là autant de théories stoïciennes, partout

21. Leg., VIII; Res., IV (bis).


22. Res., Il; VII.
23. Leg., VIII.
24. Apol., XII, 5.
25. Orat., XII; cf. IV, selon la trad. Puecs.
26. Apol., XI, 5.
27. Ibid., XLVII, 7. Ce texte peut se rapprocher de Cicéron, Nat. deor.,
II, 86 : « omnium autem rerum... seminator et sator... est mundus omniaque
sicut membra et partes suas nutricatur et continet ».
28. Carn. Xti, VIII, CSEL 70, 213, 18-20.

390
LE MATÉRIALISME UNIVERSEL

répandues à l’époque : « L'âme est une, la vie est une, la matière


est une », lit-on dans le Corpus Hermeticum 2. Dans quelle
mesure les Pères ont-ils adopté ces fondements philosophiques
de l’unité ?

IL L'UNITÉ DU MONDE
DANS LE MATÉRIALISME UNIVERSEL

A. LE MATÉRIALISME DE TERTULLIEN

Les principes L'unité du monde se fait chez Ter-


de Tertullien. tullien sous le signe de la matière.
Tous les êtres existants se con-
fondent dans la corporéité. En effet, il érige en principe : « Certe
post corporale et incorporale nihil tertium 1, > Il range parmi les
incorporels, peut-être le temps, avons-nous dit, en tout cas ce qui
est manière d’être de la substance, les « accidents 2 », comme le
pulsus et l’actus, le lapsus et le casus, et surtout le mouvement,
enfin les passions. Et il précise bien dans le contexte que ce sont
là des incorporels et non des « portions » de corps, comme le
mouvement n’est « assurément pas une partie de la substance 3 ».
Or, il affirme avec la même assurance : « Tout ce qui existe est
corps sui generis, Rien n’est incorporel, sinon ce qui n’existe
pas 4. » Et il reprend volontiers ce principe : « Ce qui n’est pas
corps n’est rien 5, » Puisque tout est corporel ou incorporel, et
que seul le corporel existe, il n’y a pas d’hésitation : tout être est
corps. Nier la corporéité, c’est nier l’existence même 6.

29, Corpus Hermeticum, XI, 11, éd. Nock-FEsTUGIèRE, p. 151, 1. 14-15; cf. XI,
14... p. 152, 1. 25-26; XII, 15.., p. 180, 1. 7-15; Asclepius, 3, éd. Nock-
FESTUGIÈRE, p. 298, 1. 19.

1. Hermog., XXXV, CSEL 47, 165, 4; cf. 1-2.


2. Athénagore (Leg., XXIV) explique également que les accidents ne sont pas
une partie de la substance, mais « un accompagnement nécessaire ». Même
théorie chez Irénée, Haer., Il, XxLV, HARVEY I, p. 361.
3. Hermog., XXXVI, CSEL 47, 165, 22-166, 14.
4. Carn. Xti, XI, CSEL 70, 220, 23-24. Pour la première partie de la citation
cf. Paenit., INT, 8. Le principe stoïcien se trouve SVF II, 359, p. 123; 525, p. 167.
5. Anima, VII, 3.
6. C’est bien ainsi que saint Augustin a compris la pensée de Tertullien :
« il a cru que l’âme était corps. par crainte qu’elle ne fût rien, si elle
n’était pas corps » (De Gen. ad litt., X, 25, 41, PL XXXIV, 427).

391
13
L'UNITÉ DU MONDE

Application des principes: C’est’ pourquoi rien n’échappe à la


nature des anges. corporéité dans la pensée de Ter-
tullien. Dieu est corps, un corps
particulier, mais un vrai Corps, l'âme également. Nous l'avons
vu plus haut. « C’est que l’esprit est un corps d’un genre propre
dans une forme propre 7. > Du fait même, les anges sont corps
aussi, Tertullien cite volontiers le texte biblique où « le créateur,
des vents, fait ses messagers, et, des flammes de feu, ses servi-
teurs 8 » et il ajoute : « Aussi véritablement vents que feu ?. »
Les anges sont d’ailleurs « constitués d’esprit matériel 10 ».
Tertullien précise encore sa pensée. Pour expliquer les rapports
sexuels des anges avec la créature corporelle, problème que les
autres Pères ont l’air de ne pas soupçonner, il s’en prend à des
adversaires qui prétendent « que les-anges ont reçu des astres
la substance de la chair », comme le Christ d’ailleurs. Tertullien
répond : « Il est évident que les anges ont porté une chair qui
ne leur est pas propre; car, par nature, leur substance est spiri-
tuelle, tout en étant d’une manière corporelle, mais d’une corpo-
réité particulière, transfigurable en chair à l’occasion, si bien
qu’ils deviennent visibles et peuvent rencontrer l’homme. Aussi,
puisqu'on ne rapporte pas d’où ils ont pris la chair, il reste à
notre esprit de ne pas douter que c’est là le propre de la puis-
sance angélique de s’adjoindre un corps sans le tirer d’aucune
matière 11, » Mise à part la question des incarnations angéliques,
qui ne nous concernent pas, la théorie de Tertullien est claire :
les anges sont spirituels, mais cela ne les empêche pas d’être
corporels d’une corporéité spéciale 12. Les démons sont de la
même étoffe. « Substances spirituelles 18 », il jouissent « d’une
subtilité et d’une ténuité merveilleuses 14 » et « leur agilité passe
pour divinité, parce qu’on ignore leur substance 15 ». Les anges
rejoignent donc les âmes et Dieu dans la corporéité, mais chacun
dans une corporéité sui generis.

7. Prax., VII, CSEL 47, 237, 12; VIIL.., 238, 11-12. k


8. Ps., 104 (103), 4; cf. Heb., 1, 7; Marc., II, 8, CSEL 47, 345, 10-11.
9. Marc., III, 9, CSEL 47, 392, 4-6 : tam uere spirilus quam et ignem.
10. Ibid., IL, 8, CSEL 47, 345, 9-10.
11. Carn. Xti, V1, CSEL 70, 206, 56-63.
12. « Natura substantiae spiritalis — etsi corporalis — alicuius, sui tamen
generis » disait le texte cité. Il dit ailleurs : « l’esprit n’est ni visible, ni
palpable » (Paenit., III, 8; cf. Apol., XXII, 5). Ê
13. Apol., XXII, 1; 5.
14. Ibid., XXI, 4.
15. Ibid., XXII, 8.

392
LE MATÉRIALISME UNIVERSEL

Portée C’est pourtant trahir Tertullien,


de ces principes. comme ce serait trahir les Stoï-
ciens, que de parler de matéria-
lisme au sens moderne du mot, Pour nous, matière s’oppose à
esprit, matérialismeà spiritualisme. Le matérialisme stoïcien, au
contraire, n’aväit rien d’antispiritualiste 16, Le concevoir comme
tel serait commettre un grave anachronisme. Mais il reste que les
Stoïciens ont conçu leur esprit de manière concrète et corporelle,
comme les réalités matérielles. Et cette remarque vaut pour
Tertullien. A ses yeux aussi, corps est presque synonyme d’être
réel, en tout cas de substance : « C’est la substance même, dit-il,
qui est le corps de chaque chose 17. » Il dit encore au sujet du
mouvement : « Ce n’est pas une réalité substantielle, parce qu’il
n’est pas corporel 18. » Il accorde « à tout la forme unique de la
seule corporëéité, qui est la réalité de la substance 19 ». Corps est
devenu en quelque sorte substance 20. Cette universalité du cor-
porel tend à un monisme réaliste, qui rapproche, sans les con-
fondre, Dieu, l’ange et l’âme, des êtres inanimés, très exactement
dans la ligne stoïcienne.

16. Beaucoup d’auteurs, avec raison, écartent du système la confusion corps-


matière et sont de l’avis d’E. ELorpuy : « Pour un Stoïcien, ils sont très
fortement différents » (Die Sozialphilosophie der Stoa, Leipzig, 1936, p. 22;
cf. p. 24-27). Ce dernier précise plus loin : « La matière est animée par
le logos; de l’union matière-logos se forme un corps. De ce fait, tout matériel
est corporel; cependant pas à cause de la faible matière, mais à cause du
. logos qui l’anime » (p. 84).
17. Hermog., XXXV, CSEL 47, 165, 3-4.
18. Ibid., XXXVI, CSEL 47, 166, 1.
19. Ibid. 166, 9-10.
20. C’est là une position minima, que soutient G. Essen, Die Seelenlehre
Tertullians, Paderborn, 1893. Il voit chez Tertullien le réalisme stoïcien, mais
se refuse à parler de matérialisme (p. 67). La corporéité devient une sorte de
catégorie, la catégorie de l’être, du réel : « Par la qualification du corporel
comme substantiel, le concept est mis en relation avec le système des caté-
gories. » « Tout tombe sous la désignation commune du corporel, mais
l’existence corporelle (? Kôrpersein) est dans la classification des êtres autre
chose » (p. 68). De ce fait, il écarte à plusieurs reprises l’idée d’un monisme.
L’âme n’est-elle pas l’œuvre de Dieu, tirée de son souffle ? (p. 46-50). Le monde
n'est-il pas tiré du néant ? (p. 67). « Le point de vue de Tertullien est dualiste
dans le macrocosme et dualiste dans le microcosme » (p. 67). « L’âme n’a
rien de commun avec le monde matériel. C’est un être d’un genre parti-
culier » (p. 71). L’auteur a raison de souligner que Tertullien ne nie pas
la transcendance de Dieu et de l’âme, mais il minimise la portée des principes
stoïciens. L’opinion admet un certain matérialisme chez Tertullien, J. STier
dit : « La corporéité était pour lui l’essence de la réalité, soit la vraie réalité »
(Die Gottes- und Logoslehre Tertullians, Gôttingen, 1899, p. 27). Il ajoute que
« le corporel ne signifie pas seulement le substantiel des choses, mais désigne
l’aspect sensible, la matérialité des choses » (p. 29). C’est l’opinion de
G. Raucx, Der Einfluss der stoischen Philosophie..., Halle, 1890 : « 11 ne peut
subsister, à mon avis, aucun doute là-dessus : du point de vue de Tertullien,
tout être est matériel » (p. 243; cf. 19-24, 58-59). C'était déjà l’avis de
E. WADsTEeIN, Ueber den Einfluss des Stoizismus…, in Theolog. Studien und
Kritiken, 53, 1880, qui entend bien corps dans le sens de matière et non
seulement de substance (p. 659-663).

993
L'UNITÉ DU MONDE

Origine On a beaucoup discuté sur l’origine


de ce stoïcisme. de ce matérialisme, On a prétendu
qu’il était la réponse spontanée de
Tertullien aux théories platoniciennes : « Ses seuls principes
orthodoxes », aidés d’une imagination concrète, en fourniraient
l'explication 21, C’est oublier que Tertullien l’appuie sur des prin-
cipes consciemment et littéralement empruntés au stoïcisme 22.
Que le tempérament réaliste de Tertullien y soit pour quelque
chose, c’est probable. Il est évident aussi que le gnosticisme de
ses adversaires y est pour beaucoup. Tertullien avait dangereu-
sement intérêt à rapprocher de la matière Dieu et l'esprit, pour
lutter contre les hérétiques, qui approfondissaient le fossé qui les
sépare jusqu’à nier la relation de cause à effet. On pourrait dire
en somme qu’il s’agit d’un stoïcisme d’opportunité, mais d’une
tendance authentiquement stoïcienne où l’auteur s’est complu.

B. LA TENDANCE MATÉRIALISTE CHEZ LES PÈRES

La conception C’est le seul auteur chez qui nous


de l'esprit: retrouvions cette affirmation systé-
Anges et démons. matique. Tatien révèle la même
tendance dans l’ensemble de son
Discours aux Grecs, mais ne l’érige pas en principe philoso-
phique. La plupart se contentent d’enseigner un certain réalisme
dans un domaine précis. La transcendance divine n’en est guère
victime, Au contraire, le Verbe en paraît marqué assez souvent 23.
L'âme humaine chez tous en porte des traces plus ou moins
graves. Tous ces points ont été étudiés précédemment.
Il reste un domaine où le matérialisme s’est fortement imposé :
la doctrine des anges et des démons 24, c’est-à-dire en somme la

21. C’est l’opinion de J. LeBLanC, Le matérialisme de Tertullien, in Annales


de Philos. Chrétienne, 73° année, 3° série, t. II, 146, 1903, p. 415-424. G. RAuCH
fait appel également au tempérament réaliste de Tertullien, sans nier le
stoïcisme profond des idées.
22. C’est l’avis de G. Scaecowsky, Der Apologet Tertullianus in seinem.
Verhältnis zu der griechisch-rômischen Philosophie, Leipzig, 1901, p. 28-29,
31-33; et déjà de E. WapsTeIN, Ueber den Einfluss…., p. 659-663,
23. Cf. supra, p. 299-300.
24. On sait que les mots ange et démon sont souvent chez les Pères, comme
chez les contemporains païens, non des contraires, comme ghez nous, mais
des synonymes (Tatien, Orat., XII, c. med., où démons signifie anges bons).
H.-I. Marrou voit justement dans cette tendance un signe d’orthodoxie dogma-
tique en face des poussées « dualistes » (Un ange déchu, un ange pourtant, dans

394
LE MATÉRIALISME UNIVERSEL
conception de l'esprit céleste 25, Tatien est évidemment l’un des
plus précis. Il joint l’idée de démons et de matière, avec une
particulière insistance. Ils ont reçu « leur complexion de la
matière 26 ». Ils sont « des reflets de la matière et du mal 27 ».
Ils ne participent pas à la chair 28 : « Leur substance est spiri-
tuelle », mais l’auteur ajoute, « comme faite du feu et de l’air. »
Ils sont visibles « à ceux qui sont gardés par l'Esprit de Dieu 2? »,
mais ils peuvent se montrer aux autres 30,
Il existe toute une tradition réaliste en ce qui concerne les
anges. Minucius Félix admet qu’ils « se glissent même subrepti-
cement dans les corps, comme esprits ténus 31 ». L'auteur des
Philosophoumena rappelle que les anges sont tirés du feu 2.
Clément d’Alexandrie semble accorder la respiration aux
démons 8, Les Excerpta ex Theodoto offrent une théorie aussi
précise que Tatien. Les démons, bien qu’on les appelle parfois
incorporels, « ont corps et forme ». « Les anges aussi sont corps.
Ils se voient en effet34, » L'auteur présente même toute la
hiérarchie des êtres supra-humains, y compris le Verbe, comme
corporels : « Ni les êtres spirituels et intelligents, ni les
Archanges et les Protoctistes, ni évidemment, il faut l’avouer (le
Fils) en personne, ne sont sans forme, sans plan, sans figure, sans
corps. Mais il a aussi une forme propre et un corps en rapport
avec sa priorité sur tous les êtres spirituels, de même que les
Protoctistes ont des corps en rapport avec leur priorité sur tous

Satan, Etudes Carmélitaines, Paris, 1948, p. 31 surtout). Dans cet article,


l’auteur souligne qu’il est difficile de distinguer chez les Pères l’enseignement
révélé « et ce qui, au contraire, n’est qu’un écho du milieu culturel dans
lequel leur pensée et leurs écrits ont pris forme » (p. 35).
25. Cette question a été étudiée, un peu superficiellement, par F. ANDRES,
Die Engellehre der griechischen Apologeten des zweiten Jahrhunderts und ihr
Verhältnis zur griechisch-rômischen Dämonologie, Paderborn, 1914. Le ch. vr,
qui étudie les rapports, en ce domaine, des Apologistes avec la philosophie
gréco-latine, souligne que la conception de Justin est biblique, celle de Tatien
plus philosophique, celle d’Athénagore à tendance spirituelle, un platonisme
stoïcisant.
26. Orat., XII, c. med.
27. Ibid., XV, c. fin.
28. Ibid., XIV, c. med.
29. Ibid., XV, c. med.
30. Ibid., XVI, c. med.; cf. XV, c. med.
31. Oct., XXVII, 2; XXVI, 8; 12. Signalons l’étude de R. BERGE, Exegetische
Bemerkungen zur Dämonenauffassung bei Minucius Felix, Diss. Fribourg-
Kevelaer, 1929. L’auteur étudie particulièrement aussi la démonologie de
Tertullien, p. 67-76.
32. Refut., X, 33, 5. Il y est dit aussi que les anges n’ont pas de sexe.
33. Str., VII, 32, 1. La démonologie de Clément est étudiée également par
F. AnDRESs, Die Engel- und Dämonenlehre des Klemens von Alexandrien, in
Rômischer Quartalschrift, 34, 1926, 2-49. L'article est clair, mais évite les
questions philosophiques et les vrais problèmes pour rester purement
descriptif,
34. Exc. ex Theod., 14, 1-2.
L'UNITÉ DU MONDE

les êtres qui leur sont inférieurs #. » Il faut donc bien noter qu’il
y a des degrés dans cette corporéité : « Ils n’ont pas une forme
et un corps semblables au corps de l’univers d’ici-bas 36. » « En
comparaison des corps d’ici-bas, comme les astres, ils sont incor-
-porels et sans forme, mais en comparaison du Fils, ils ont des
corps mesurés et perceptibles; ainsi-le Fils comparé au Père 87. »
Les Eclogae Propheticae révèlent cette même tendance matéria-
liste, quand ils reprennent l'expression « corps spirituels 88 », en
l’appliquant aux astres. L’ensemble des Pères laisse soupçonner
une véritable incapacité à concevoir l'esprit.

Relations C’est dire qu’en général à cette


corps-esprit.
époque n’existait pas notre anti-
nomie actuelle corps-espri t. Les Pères ne se posaient pas les pro-
blèmes que nous nous posons sur les rapprochements du corps
et de l’esprit. Que l'Esprit de Dieu, à l’origine, se mêle à la
matière, comme on le voit rappelé par Tatien et par Théophile,
que les anges s’unissent aux filles des hommes, comme affirment
Athénagore 3% ou Justin 4, que l’âme fasse avec le corps un
composé par mélange parfait, comme le prétend sans doute
Tertullien, que Dieu « se mêle à l’homme » dans la personne du
Christ, comme on le répètetl, rien dans ces affirmations n’in-
quiète les Pères. Cela ne veut pas dire que toutes ces positions
soient in$pirées du stoïcisme #2, mais au moins la rencontre du
spirituel avec le matériel ne fait guère difficulté.

35. Exc. ex Theod., 10, 1; cf. 11, 3; 15, 1.


36. Ibid., 10, 2.
37. Ibtd., 11, 3. .
38. Eclog. Proph., 55, 1; cf. Exc. ex Theod., 14, 1; 15, 1.
39. Leg., XXIV, fin.
40. II Apol., V, 2-3.
XV,
41. Tertullien : « Homo deo mixtus » (Apol., XXI, 14; Carn. Xti,
CSEL 70, 229, 38). « Deus cum homine miscetur » (Quod Idola, XI,
CSEL IIL, 1, 28, 9-10). Novatien emploie le terme permixttus (Trin., XXV, éd.
Fausser, 91, 15-16; 92, 6), permixtione (ibid., XXIV, éd. FAUSSET, 89, 2).
Cf. encore l’Homélie Pascale hippolytienne, 39, éd. NAUTIN, 161, 10; 61, 1-2...
189, 1 et 7. Tertullien rejette bien la confusion des natures (Prax.; XXVII,
CSEL 47, 281, 27-28), mais le mélange stoïcien ne comportait pas de confu-
sion. H. A. WoLrsoN, après une étude précise de la notion de mélange dans
la philosophie grecque (The Philosophy of the Church Fathers, t. 1, Faith,
Trinity, Incarnation, Cambridge-Mass., 1956, p. 372-386), examine le cas de
Tertullien et juge qu’il a pu accepter ik dans son sens technique pour
l’appliquer au Christ; mais il est alors un précurseur de Nestorius (p. 386-
392). Cependant Clément, dans les Exec. ex Theodoto, voit dans les deux
natures une xap#0ests contre toute théorie du mélange (17, 2).
42, Pour la rencontre des deux natures dans le Christ, on discute. Cepen-
dant A. HarNacx (Dogmengeschichte, t. II, 1894, 3, p. 359 sq) et J. LerPoLDT,
Christentum und Stoizismus, in Zeitschrift für Kirchengeschichte, 27, 1906,
p. 159-160, n’hésitent pas à faire appel à la xo%o1ç ô6rou. On a vu que Ter-
tullien s’en est servi ailleurs.

396
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

Dans certains cas, le stoïcisme semble rendre compte parfai-


tement de la position. Il en est ainsi de la présence de l’esprit
divin dans l’eau matérielle, Déjà Théophile invoquait sa subtilité
pour expliquer le mélange de l’esprit avec les eaux originelles 43.
Tertullien reprend cette position pour l’eau baptismale. « Toute
matière inférieure prend nécessairement la qualité de la matière
qui vient au-dessus, en particulier la corporelle à l’égard de la
spirituelle, habile à y pénétrer et à s’y installer du fait de la
subtilité de sa substance 44, >» Il ajoute un peu plus loin : « Les
eaux ont été rendues médicinales par l’intervention de l’ange :
l’esprit est dilué corporellement dans l’eau et la chair en elle est
purifiée spirituellement #5, » Une conception corporelle de
l'esprit, doublée de la théorie stoïcienne du mélange, explique
aisément que la matière soit porteuse de spirituel 46,
Décidément le monde des Pères est loin du dualisme néo-
-platonicien et même de notre dualisme moderne. La distance du
spirituel au matériel est facilement franchie. Et ce n’est jamais
au profit de l’esprit. C’est toujours le domaine du corps et de la
matière, qui tend à empiéter sur le domaine spirituel. C’est le
moins qu’on puisse dire et le fait est remarquable.

III. L’'UNITÉ DU MONDE


PAR ENCHAINEMENT UNIVERSEL

A. DES STOÏCIENS AUX PÈRES

La cohésion du monde : Le monde grec, le monde stoïcien


les corps. surtout, n’est pas un seulement par
la communauté de la matière qui le
constitue, Tout entier pénétré de logos jusque dans ses moindres
parties, il est unifié vitalement. Il est enserré, dans un réseau

43. Autol., II, 13.


44. Bapt., IV, CSEL 20, 204, 1-4.
45. Ibid., 204, 24-27.
46. G. SCHELOWSKY trouve là avec raison une application de la xp&otc
ôt6hwy (Der Apologet Tertullianus.…, p. 36). Déjà E. Harcx voyait, dans le
rite même du baptême, qui donne un effet invisible à l’acte matériel, le reflet
d’un système, où matière et esprit sont les formes différentes d’une même
substance (T'he influence of Greek Ideas and Usages upon the christian Church,
Londres-Edimbhourg, 1890, p. 19).

397
L'UNITÉ DU MONDE

d’étroites connexions, depuis Dieu, qui est au cœur de cette


trame, jusqu’à l’être inanimé, y compris l’homme, plus nourri de
logos que le reste. Tout est lié ensemble, tout « conspire »
ensemble, tout sympathise ensemble. Marc-Aurèle le dit excel-
lemment : « Toutes choses s’enchaînent entre elles et leur con-
nexion est sacrée, et aucune, peut-on dire, n’est étrangère aux
autres, car toutes ont été ordonnées ensemble et contribuent
ensemble au bel ordre. Un, en effet, est le monde fait de toutes
‘choses, un le Dieu à travers toutes choses, une la substance, une
la loi, une la raison commune à tous les êtres 1. »

Le déterminisme Mais à côté de cet enchaîinement


causal : des êtres, en quelque sorte dans
les événements. l’espace, on peut distinguer un
enchaînement dans le temps. En
effet, ce logos est la cause totale et exclusive de tout changement
possible. La présence du logos en chaque être cause intrinsè-
quement son développement, sans incidence d’aucune influence
extérieure 2. La multitude des êtres individualisés est donc en
marche par elle-même vers une fin unique, infaillible, comme
dans une expérience en vase clos. Tout y est nécessaire et
l’homme même subit cette nécessité, libre dans la mesure où il
adhère à ce déterminisme universel. Mais en même temps, tout
est parfaitement rationnel, parce que tout découle du logos, qui
se confond à peu près avec l’eluapuévn 3. En somme Dieu, Provi-
dence, Destin, Nature, Nécessité, sont des aspects différents de
cette grande force cosmique, qui détermine le déploiement du
cosmos #, La tendance fataliste du système s’est encore renforcée

1. Ad seips., VIL, 9.
2. Le déterminisme est si universel que les Stoïciens rejettent toute rela-
tion de cause à effet entre les êtres particuliers. L’effet d’un corps sur un
autre n’est qu’une manière d’être nouvelle, un incorporel. Le logos est seul
cause réelle (E. BRÉKIER, La théorie des incorporels dans l’ancien stoïcisme,
Paris, 1928, p. 5 et 61). G. RODIER a précisé que cette physique, par son aspect
dynamiste, se rapproche de celle d’Aristote, mais pour Aristote la cause
déterminante est le but final. « Pour les Stoïciens, au contraire, il n’y a pas
d’autres causes que les causes efficientes. La cause qui produit un effet, la
cause matérielle, a en elle tout ce qu’il faut pour la produire. De là cette
doctrine paradoxale que l’effet n’est rien de plus que la cause » (Etudes de
philosophie grecque, Paris, 1926, p. 267-268).
3. Brice PARAIN fait cette remarque intéressante : « Fatum appartient aussi
à une racine qui signifie dire (fari, onu, dor. wat). Le rapprochement entre
fatum et }dyos dans le même sens de destin est significatif » (Essai sur le
logos platonicien, Paris, 1942, p. 20-21, n. 5).
4. Cf. Diogène Laërce, VII, 135. Sénèque a clairement exprimé cette idée
dans ses Questions Naturelles : À Jupiter « conviennent tous les noms.
Veux-tu l’appeler Destin ? Tu ne te tromperas pas : c’est de lui que toutes
choses dépendent, il est la cause des causes. Veux-tu le dire Providence ? Tu
auras raison : c’est par son conseil qu’il est pourvu aux besoins de ce monde,

396
L'ENCHAINEMENT UNI VERSEL

au IJ° siècle, quand le stoïcisme a rencontré le fatalisme astral,


originaire de Chaldée. Le syncrétisme se fit aisément entre ces
deux systèmes déterministes, et les Stoïciens attribuèrent aux
astres divinisés la puissance déterminante dans la chaîne infran-
gible des causes 5,

Déterminisme Cela ne faisait qu’aggraver le pro-


et liberté. blème de la liberté, dont le Portique
avait saisi la difficulté dès l’origine.
On sait les solutions, un peu désespérées, qu’il y a apportées.
Zénon souligne que l’enchaînement des causes comprend même
les choix de l’âme, mais qu’il est conduit par un logos intelligent,
qui mène l’homme de l’intérieur. Et cet homme donne son
adhésion volontaire et joyeuse à cette Heimarméné raisonnable 6.
Chrysippe fait une autre distinction, appelée à un grand succès :
il distingue deux sortes de causes, les unes, auxiliaires, antécé-
dentes et prochaines, c’est-à-dire, dans le cas de l’acte humain,
les circonstances qui entourent l’acte et jusqu’à l’ultime image où
joue l’enchaînement universel; les autres, parfaites et principales,
c’est-à-dire, dans le cas présent, l’assentiment. L’Heimarmenè
fournit donc l’essentiel et l’acte est, en ce sens, déterminé,
d'autant plus que la raison est elle-même en dépendance de la
causalité efficiente unique; cependant la raison n’en décide pas
moins finalement et l’acte est libre. L’acte volontaire est le tout
complexe, qui résulte de cette rencontre entre la chaîne uni-
verselle des causes et un logos humain 7.

de sorte que, sans heurt, il aille jusqu’au bout et déroule ses activités.
Veux-tu l’appeler Nature ? Il n’y aura pas de faute : c’est de lui que toutes
choses ont pris naissance et c’est son souffle qui nous anime. Veux-tu
l'appeler Monde ? Tu n’auras pas tort : il est ce Tout que tu vois, qui pénètre
chacune de ses parties, et qui se soutient, lui-même et tout ce qui est à lui »
(IL, 45, 1-3). Cf. De benef., IV, 7, 1-2. Cependant certains philosophes distin-
guaient habilement. W. GUNDEL le montre avec précision dans ses Beiträge zur
Entwicklungsgeschichte der Begriffe Ananke und Heimarmene, Giessen, 1914.
La distinction est faite déjà chez Cléanthe (p. 63-64); elle est précise chez
Posidonius (p. 70-72). L’ordre est généralement Dieu, Providence, Destin,
Nécessité, Nature.
5. Le problème de la rencontre entre le stoïcisme et le fatalisme astral a
été assez bien noté par W. GunpeL (ibid., p. 68-69), qui en voit le point de
départ chez Cléanthe (p. 63-64). Mais des spécialistes l’avaient étudié aupa-
ravant : E. BRÉHIER, La cosmologie stoïcienne à la fin du paganisme, in Rev.
d’Histoire des Relig., 64, 1911, p. 1-20, surtout p. 3-8. F. CumonT, Fatalisme
astral et religions antiques, in Rev. d’Hist. et de Litt. Relig., nouv. série, 3,
1912, p. 513-543; Astrology and Religion among the Greeks and Romans,:
New-York-Londres, 1912, p. 69-71.
6. M. Poxrenz, Der hellenische Mensch, Gôttingen, 1947, p. 30-31.
7. Le problème est bien étudié par O. RIETH, Grundbegriffe der stoischen
Ethik…., Berlin, 1933, autour de la notion d’év'Auiv p. 138-168; ou E. BRÉHIER,
Chrysippe et l’ancien stoïcisme, nouv. éd., Paris, 1951, p. 187-194.

399
L'UNITÉ DU MONDE

Conclusion. Certains Pères ont parfaitement


senti ce conflit. Défenseurs déclarés
de la liberté humaine, ils ne pouvaient enchaîner l’homme à la
loi cosmique. En même temps champions de la transcendance
divine, ils ne pouvaient inclure Dieu dans un système fataliste.
Cependant, malgré cette double position de base, ils ont parfois
consenti des concessions inquiétantes dans le problème de la
liberté. Ils ont insisté volontiers sur le caractère de nécessité
que revêt l’ordre du monde. Enfin, ils n’ont pas hésité à établir
une espèce de lien physique entre ce monde et Dieu ou l’homme,
En somme, ils ont professé que l’univers est un dans sa consti-
tution intime comme dans son déroulement 8.

B. LE DÉTERMINISME CHEZ LES PÈRES.


L'ENCHAINEMENT DANS LE TEMPS

D'Aristideà Tatien. Les premiers Pères sont connus,


nous l’avons vu, pour leurs attaques
contre le fatalisme païen. Cependant, ces mêmes Pères n’hésitent
pas à reconnaître une nécessité dans le monde et à y rattacher
l’homme. Déjà Aristide dit que « le monde, avec tout ce qui y est
contenu, est mû selon une nécessité? ». Et il précise, pour
l’homme : « Nous le voyons naître par nécessité, et se nourrir,
et vieillir même s’il ne le veut pas 10. » Justin dit, exactement
dans le même sens : l’homme « est engendré selon la nécessité
d’une substance humide 11 », et Tatien prend à parti les philo-
sophes : « N’êtes-vous pas nés de la même manière que nous ?
4
Ne participez-vous pas comme nous à l'organisation du
monde 12 ? » On retrouve là une idée très courante à l’époque :

8. Le problème n’a guère été étudié chez les Pères du Il° et du III° siècle
par les historiens qui se sont attachés à ces questions. W. GUuNDEL, Beiträge.….,
s’arrête aux néo-platoniciens et ne dit pas un mot des Pères. D’autres passent
directement du monde grec à saint Augustin. C’est le cas de W. C. GREENE,
Moira, Fate, Good and Evil in Greek Thought, Cambridge-Mass., 1944, et de
C. Crorrari, Fortune and Fate from Democritus to St. Thomas Aquinas, New-
York, 1935.
9. Apol., I, 2.
10. Ibid., VII, 1. Le mot naître traduit une conjecture. On lit xuoümevoy au
lieu de xtvoupevov La variante ne change pas gravement le sens du texte et
ne s’impose d’ailleurs pas : xtveisôat s’emploie précisément parfois en ce
sens.
11. I Apol., LXI, 10.
12. Orat., XXVI, c. med.

400
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

les hommes sont soumis, du fait de leur naissance, aux énergies


astrales,
qui ont influé sur eux en ce moment 18. Mais la théorie,
comme on le constate, est atténuée. Il n’est plus question des
astres. On se contente de rappeler que l’homme, dans sa nais-
sance, est soumis au destin.

L'enchaînement physique Ces théories trouvent en Athénagore


chez Athénagore. une expression claire et explicite.
Ce penseur est comme obsédé par
l’enchaînement des causes. Il y voit la loi du monde, qui soumet
tout, même l’homme, et qui n’est pas étrangère à Dieu. Il parle
expressément, dans le De Resurrectione, de « la chaîne des pro-
ductions naturelles 14 », Il souligne sans cesse les liens de causa-
lité et de conséquence, en les rattachant toujours à la loi
physique : « Selon l’étude de la cause de la production, découle
la nature de l’homme produit 15. >» Très souvent, il parle de
Jenchaînement physique qui unit les êtres 16, L’&xonovflx désigne
clairement ici l’enchaînement des phénomènes de la nature,
c’est-à-dire le sens qu’a reçu le mot dans la philosophie du
Portique 17. Volontiers même, il souligne, nous l’avons remarqué,
dans un esprit non moins stoïcien, que la consécution logique est
liée à la consécution physique, qui, seule, lui donne sa valeur.
On pourrait croire que cette &xolovôlx physique n’est qu’un
mot, Mais, dans la Supplique, Athénagore met en valeur la loi
qui préside à l’ordre parfait du monde : « Rien de désordonné ou
de négligé ne se produit en ce qui concerne la constitution de
l’univers, mais chaque chose arrive rationnellement. Les êtres
ne s’écartent pas de l’ordre établi. >» Cet ordre, c’est « la loi de
raison », dont il a été question 18; c’est encore « la raison
naturelle », « loi de nature » ou « loi divine 19 », « la raison,

13. A. J. FESTUGIÈRE, L'idéal religieux des Grecs et l’Evangile, Paris, 1932,


p. 111, n. 7; 113, n. 12; p. 296-297.
14. Eipudc, Res., XNIX, c. fin.; I, c. init.; XIU, c. fin.; XIV, c. init.; XV;
XXIV, c. med.
15. 1bid., XIII, c. fin.
16. Puorxh &xodoubla, ibid., I, c. med.; XIV (bis); XV, init.; XVII (bis).
17. Sur l’histoire de cette notion, cf. J. DANrÉLOU, Akolouthia chez Grégoire
de Nysse, in Rev. des Sc. Relig., 27, 3, 1953, p. 219-249, surtout p. 242-249.
L’idée a des antécédents chez Aristote sous la forme akolouthèsis, qui désigne
le lien de deux données particulières; mais le mot akolouthia et la thèse d’un
développement ordonné sont liés au stoïcisme; cf. du même, Essai sur le
mysière de l’histoire, Paris, 1953, p. 236-239. Chez Athénagore le mot est
appliqué exclusivement au plan naturel. Au contraire, Grégoire connaît aussi
une akolouthia de la grâce dans l’ordre de la rédemption.
18. Leg., XXV.
19. Ibid., II.

401
L'UNITÉ DU MONDE
loi commune de la substance 20 », « la raison une et commune 21»,
On constate l’insistance que met Athénagore à dégager cette loi,
tantôt cosmique, tantôt morale, qui est à la fois naturelle, divine,
rationnelle, ces trois mots étant synonymes 22.
Cette loi est, pour lui, d’application universelle. Dieu lui-même
n’y est pas indifférent : Il la respecte, puisque «€ ce n’est pas le
fait de Dieu de mouvoir vers ce qui est contre nature 23 ». Tout
lui est soumis. C’est par elle que la méchanceté s’attaque à la
vertu 24, que les bêtes s’accouplent au temps de la procréation %5,
que le chrétien sert la raison 26, C’est « la loi-Verbe innée ?7 ».
L’auteur applique les mêmes termes à la création d’un bout à
l’autre de son activité, depuis l’ordre des éléments jusqu’aux
activités humaines.

L'homme Cependant la question de l’homme


et la loi du cosmos est complexe. Comment concilier la
chez Athénagore. liberté avec cette loi universelle ?
Voici la réponse de l’auteur. A côté
de la Providence commune qui mène le monde, il a distingué,
avons-nous dit, « une providence particulière ». « Elle s’étend

20. Leg., XXV, mais le texte s’appuie sur une conjecture.


21. Ibid., XXVN. Irénée paraît se souvenir d’une théorie semblable quand il
écrit : « Omnia. debent…. subiacenti copulare argumento siue rationi »
(Haer., 11, xxxXVI1, 1, HARVEY 1, p. 342).
22. Cf. C. ANDRESEN, Logos und Nomos, Berlin, 1955. On constate ici
que le Jogos a un: valeur’ objective et désigne la raison réalisée dans
l’ordre du monde. Ainsi s’explique — et c’est la deuxième remarque — la
synonymie, qui est bicn dans l’esprit stoïcien, entre logos et nomos (Leg., I,
c. med.; XXXI, init). La synonymie entre la loi et le Verbe (personnel cette
fois) se rencontre plusieurs fois chez les Pères (J. LEBRETON, Histoire du
Dogme de la trinité, t. II, p. 648-650), mais le terme Verbe-loi n’y a peut-être
jamais une portée cosmique et vraiment stoïcienne. Deux textes soulignent
bien que ce Logos-nomos est apporté à l’univers entier (Hermas, Past. Simil.,
VIIT, 3, 2; Justin, Dial., XLIII, 1), mais il s’agit d’un message adressé à
l’humanité, plutôt que d’une loi physique. C. MERKk a tort de vouloir retrouver,
en particulier chez Clément d’Alexandrie, l’identité stoïcienne (Clemens Alexan-
drinus in seiner Abhängigkeit von der griechischen Philosophie, Leipzig,
1879, p. 44-50). Les textes qu’il apporte ne peuvent prouver que l'écrivain
chrétien ait adopté une thèse philosophique, mais tout au plus qu’il a subi
l’influence d’une terminologie. Il en va de même de l’homélie pascale
attribuée à Méliton de Sardes où logos et nomos sont souvent associés, sans
rien de cosmique (éd. C. BonNER, p. 1, 9-10 : n° 3; p. 2, 8-9 et 9 : n° 6-7;
p. 2, 17-18 : n° 9). Enfin, la rencontre loi et nature (le mot revient une cen-
taine de fois chez Athénagore) pose un autre problème très ancien et très
vaste, cf. F. HeiNiman, Nôuoc und ®üox, Herkunft und Bedeutung einer
Antithese in griechischen Denken des 5. Jahrhunderts, Bâle, 1945.
23. Leg., XXVI
24. Ibid., XXXI.
25. Nôpw voüoeuc, ibid., III; Res., XXV, c. med.; cf. VIII.
26. Leg., XXXV.
27. Res., XXIV.

402
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

— et c’est ici une vérité et non pas une opinion — à ceux qui
en sont dignes, alors que le reste suit la loi de raison, commune
à la substance. Mais parce que les mouvements et énergies démo-
niaques, provenant de l’esprit adverse, apportent les intrusions
désordonnées, maintenant qu’elles poussent les hommes en sens
divers, individuellement ou par nations, isolément ou en groupes,
selon la loi de la matière ou de leur sympathie avec le divin ?8,
de l’intérieur ou de l’extérieur, à cause de cela, certains, dont
l'opinion a du prix, ont pensé que ce même tout ne se soutenait
pas par quelque ordre, mais qu’il était poussé en tous sens par
une fortune irrationnelle. >» L’auteur rappelle que tout arrive
selon l’ordre établi, et, revenant à l’homme, poursuit : « Lui aussi
est en bon ordre par rapport à son créateur, quand on considère
sa nature du point de vue de la génération soumise à une raison
une et commune, son organisme du point de vue de sa confor-
mation, qui ne transgresse pas la loi qui le concerne, le terme
de la vie qui reste égal et commun pour tous. Mais selon sa raison
personnelle et l’énergie du prince qui l’a sous lui et des démons
qui lui font cortège, chacun est poussé et mû différemment, bien
que tous possèdent en commun le raisonnement qui est
en eux 2?. » à
Dans l’ensemble, le texte est clair. L'homme relève simplement,
dans son organisme et sa vie animale, ici comme chez Aristide,
comme chez Justin ou Tatien, de la vaste loi à laquelle obéit tout
l'univers physique. Nature et Providence semblent se con-
fondre 30, Dans sa vie rationnelle, au contraire, l’action humaine
échappe à la loi commune : elle est individuelle 81, Elle est
l’œuvre de la raison personnelle, soumise cependant aux puis-
sances spirituelles, ces fameuses « puissances dominatrices » à
qui Tertullien prêtait tant de crédit dans l’action normale. Et
même là, Athénagore fait une réserve. Cette raison individuelle
n’est pas uniquement une force de dispersion : elle est identique
chez tous. En somme, Athénagore pose ici le fameux problème
stoïcien de la rencontre entre la chaîne universelle des causes et
le logos humain. Mais sa réponse est confuse sur un point.

28. L’expression sera discutée infra, p. 410-411.


29, Leg., XXV.
30. On voit mal pourquoi G. BarDy, après E. Schwartz, les oppose (Afhé-
nagore, Supplique au sujet des Chrétiens, Paris, 1943, p. 51). Il semble que
A. J. FesTUGIÈRE ait plutôt raison de les confondre (Sur une traduction
d’Athénagore, in Rev. des Etudes Grecques, 56, 1943, p. 371, 374).
31. Le Corpus Hermeticum aussi soumet l’homme — tout l’homme — à la
fatalité, mais lui permet d’y échapper par son intellect (XII, 5-9, éd. Nocxk-
FEsTUGIÈRE, p. 176-177). Pratiquement il s’agit ici, semble-t-il, d’une victoire
sur le destin par intériorisation de l’acte. Le P. FESTUGIÈRE voit dans le texte
deux solutions juxtaposées, celle des Stoïciens (XII, 5), celle des Gnostiques
(fin du texte), cf. p. 193-195.

403
L'UNITÉ DU MONDE

Il enlève l’activité logique à la providence cosmique, pour la sou-


mettre à une providence particulière, de juridiction mal
définie 32, invoquée à seule fin de sauver la liberté humaine.

L'enchaînement rationnel Cette loi de l’enchaînement uni-


chez Tertullien. versel a laissé d’autres traces, sou-
vent moins nettes. Théophile d’An-
tioche voit encore une loi physique qui préside aux relations
des bêtes 33. Les plantes elles-mêmes sont engendrées « selon
l'ordonnance de Dieu 34 ». Cette fatalité de la génération s’est
imposée même à Tertullien, qui note que « l’embryon est enre-
gistré par le fatum 35 », rejoignant sans doute la théorie d’Athé-
nagore et de Justin. Enfin rappelons que Tertullien, qui lutte tant
contre le fatalisme, fait peser lourdement sur le développement
de l’homme de mystérieuses « puissances dominatrices 36 ».
Mais Tertullien a dégagé surtout un aspect de cet enchaînement,
qu’Athénagore, malgré sa terminologie, avait plutôt laissé dans
l’ombre : le caractère rationnel de cet ordre cosmique. Tout pour
lui est rationnel, parce que tout est l’œuvre du Dieu qu’il a
défini essentiellement raisonnable, « Nous croyons en effet, dit-il,
que la nature, si elle est quelque chose, est une œuvre ration-
nelle de Dieu %7, » « Est-il quelque chose de non rationnel que
Dieu ait produit par son ordre 38? >» Comme il enseignait le
matérialisme universel, il professe maintenant un rationalisme
cosmique :_il n’est rien que Dieu n’ait combiné, disposé, organisé
par sa raison. La nature, l’homme, Dieu, tout est rapproché
autour de ce mot ratio 3%, comme dans le logos d’Athénagore,
mais Tertullien ne souligne guère l’enchaînement physique.

32. L’auteur dit même qu’elle s’exerce sur « ceux qui en sont dignes »
(Leg., XXV). Voir la discussion de G. BARDy, Athénagore, Supplique au sujet
des Chrétiens, Paris, 1943, p. 50-52.
33. Autol., I, 6; LI, 16.
34. Ibid., II, 13.
35. Anima, XXXVII, 2 : « Cum et fato iam inscribitur. » Telle semble être
la traduction, que n’exclut pas WaAsziNk (p. 427). Rappelons que Tertullien
est l’auteur d’un De fato (Anima, XX, 5), cité par Fulgence, Serm. Antiq.,
XVI, éd. Hem, 116, 18-20.
36. Anima, XX, 4-5; XXIV, 4; XXXVIII, 1.
37. Jbid., XLIII, 7.
38. Ibid., XVI, 1.
39. C’est évidemment encore du stoïcisme, que cette conception rationaliste
du monde, cf. Sénèque, De benef., IV, 7, 1 : « Quid enim aliud est natura
quam deus et diuina ratio toti mundo partibusque eius inserta ? » M. J.
LAGRANGE souligne même que les Stoïciens considéraient le monde rationnel
plutôt que la nature de Dieu (Vers le Logos de saint Jean, in Rev. Biblique,
32, 1923, p. 165). WasziNKk invite à ne pas exagérer l’influence stoïcienne en
ce domaïne (p. 465).

404
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

L'enchainement physique Avec Clément d’Alexandrie, le


chez Clément. terme technique d’ &kolouflx puoixh
se retrouve 4. L’expression désigne
tantôt la loi naturelle, peut-être au simple sens moral #1, mais
plutôt avec une nuance cosmique #2 ; tantôt l’enchaînement
normal des événements, auquel Dieu peut ne pas se plier 48, Avec
plus de précision encore, elle dénote les changements des élé-
ments et l’évolution ordonnée de la création #4, Elle est synonyme
d’é&véyxn œuowxn, et, comme chez Athénagore, recouvre, avec
toutes les activités cosmiques, la vie humaine : « Par une néces-
sité physique de l’économie divine, la mort suit la naissance, et
la rencontre du corps avec l’âme est suivié de leur dissolu-
tion #5, »

Tendance Jusqu'ici nous n’avons jamais ren-


au fatalisme astral. contré dans cet enchaînement cos-
mique la fatalité astrale. Les Eclogae
Propkheticae semblent en admettre un aspect, quand ils précisent :
les astres ne sont pas cause eux-mêmes de ce qui arrive, mais
« significatifs de ce qui devient et sera et fut 46 ». Même théorie
dans les Excerpta ex Theodoto, mais finalement l’auteur gnostique
christianise curieusement son astrologie. Ici non plus les astres
n’agissent pas, mais « démontrent l’énergie des puissances prin-
cipales 47 ». « L’Heimarméné est un concours de beaucoup de
puissances opposées », « invisibles », dit-il, liées au cours des
astres, aux mouvements du cosmos; « elle obtient la souveraineté
sur ceux qui sont engendrés 48 ». Mais cette astrologie est soudai-
nement baptisée : par la rédemption, « ceux qui croient dans le
Christ » passent du règne « de l’Heimarméènèé à celui de la Provi-

40. Str., III, 45, 3.


41. Ibid., I, 57, 4.
42. Ibid., III, 45, 3.
43. Ibid., VI, 34, 1.
44. Fragm., 42, De prou., STAERLIN III, p. 221, 1-2.
45. Str., III, 64, 2. Le terme &xooufla — avec ses synonymes — a beau-
coup d’autres emplois chez Clément et mériterait une étude.
46. Ecl. Proph., 55, 1-2; cf. Exc. ex Theod., 70, 2. Cette précision est remar-
quable. N’est-ce pas là exactement la théorie de Plotin ? Ce dernier rejette
aussi la causalité efficiente des astres et leur réserve une puissance de signe,
basée sur la sympathie et sur l’harmonie préétablie par la cause univer-
selle, seule efficiente (P. DunEM, Le système du monde, t. II, p. 310).
R. Capiou retrouve la même théorie chez Origène (La jeunesse d’Origène,
Histoire de l’Ecole d'Alexandrie au début du IIIe siècle, Paris, 1936, p. 205-
207).
47. Exc. ex Theod., 70, 1-2; 71, 1-2.
48. Ibid., 69, 1-2; 70-71, 2.
L'UNITÉ DU MONDE
dence 4? »; l’astre nouveau, que virent les mages 5, « a détruit
l’antique position des astres 51 ». Avec le baptême du Christ, il
nous a « libérés de l’horoscope et de l’Heimarmenèé 52 », nous a
délivrés de la souveraineté des éléments visibles et invisibles 58.
La grâce reçue au baptême vient donc bouleverser cette emprise
naturelle des éléments sur l’homme. Mais de juger nécessaire le
baptème pour être libéré du destin astrologique, c’est avouer
l’existence du fatalisme astral pour l’ensemble de l’univers et
reconnaître que l’Heimarmenè écrase toujours l’humanité des
non-baptisés, c’est-à-dire l’immense majorité du genre humain 54:
« Jusqu'au baptême donc l’Heimarmenè est véritable », dit
l'auteur lui-même 55.
Or cette idée du baptême libérateur est répandue aux premiers
siècles. Peut-être faut-il la reconnaître chez le pseudo-Barnabé,
quand il parle de « la loi de Notre Seigneur Jésus-Christ, exempte
du joug de la nécessité 56 ». Justin ne laisse pas de doute, quand
il oppose la « première naissance dans l’ignorance selon la néces-
sité », au baptême qui fait que « nous ne restions plus enfants
de la nécessité et de l’ignorance, mais du libre choix et de la
science 57 » Tatien est parfaitement explicite : « Pour nous, nous
sommes au-dessus de l’Heimarmenè… Nous ne sommes plus
menés par l’Heimarmenè et nous donnons congé à ses législa-
teurs 58, » Il ajoute : « Pourquoi, dis-moi, mené par le destin,
veiller toute la nuit par amour de l'or ?.… Vis donc pour Dieu,
congédiant ton ancienne naissance 5%. » Le baptême est indis-
pensable pour être libéré de la nécessité physique, c’est-à-dire

49. Exc. ex Theod., 74, 2.


50. Ibid., 75, 2.
51. Ibid., 74, 2. Tertullien juge que l'astrologie a été permise jusqu’à la
venue du Christ (Idol., IX, CSEL 20, 38, 24-25). Les mages en ont profité. I1 la
déclare désormais interdite. C’est qu’il la suppose exacte.
52. Ibid., 76, 1. Sans doute faut-il traduire ainsi yevécsuc Aus xai eipapévne
éEé6ahev. En tout cas, « naissance » lié à destin a un sens beaucoup plus
fort que le mot français (cf. Corpus Hermeticum, XII, 6, éd. Nock-FESTUGIÈRE,
p. 176, 1. 16, et p. 185, n. 18).
53. Exc. ex Theod., 77, 1; 79. I1 faut noter que cette image d’un astre libé-
rateur est liée au fatalisme astral de l’époque (F. Cumonr, Fatalisme astral
et religions…., p. 536 sq.).
54. D. D. AmAND l’a bien souligné (Fatalisme et liberté dans l'antiquité
grecque, Louvain, 1945, p. 27) en étudiant ces textes des Excerpta (p. 25-28).
Cf. aussi À. J. Fesrucrère (L'idéal religieux des Grecs…, p. 111-115), qui met
ces textes en relation avec les spéculations néo-pythagoriciennes et néo-pla-
toniciennes.
55. Exc. ex Theod., 78, 1.
56. Barn., II, 6.
57. 1 Apol., LXI, 10.
58. Orat., IX, c. med.
59. Ibid., XI, c. fin. G. BaARDY, qui a groupé ces textes (La conversion au
christianisme durant les premiers siècles, Paris, 1949, p. 142-143), souligne
la place des gestes de délivrance dans le rituel du baptême.

406
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

de la matière et du mal. Il y a là des signes manifestes d’une


croyance au fatalisme 6, un fatalisme pessimiste, tout à fait
étranger à la loi naturelle, qu’on célèbre ailleurs 61,

Le fatalisme astral Bardesane d’Edesse, qui n’est ni tout


de Bardesane. à fait oriental, ni tout à fait héré-
tique, mérite une mention spéciale
dans cette étude du fatalisme astral chez les Pères. Astrologue
qui ne peut rejeter l’astrologie, et chrétien qui proclame le libre
arbitre à chaque page de ses écrits, il s’est posé le problème du
déterminisme plus sérieusement qu'aucun autre écrivain ecclé-
siastique. Deux affirmations font l’objet de tout son traité Des
lois des Pays. L'homme dans son âme est doué de liberté, comme
l'ange; il n’est pas soumis aux puissances et au fatum 62, puisque
la communauté des conjonctions astrales, lors de sa naissance,
n’empêche pas l’immense variété des comportements humains à
travers le monde 63, Mais, ces conditions posées, l’auteur fait
peser sur l’homme deux forces déterminantes, étrangères à sa .
volonté : la nature et le destin, deux forces dont il délimite assez
mal la puissance totale, assez bien le domaine respectif.
« À la nature de l’homme appartiennent sa naissance, sa crois-
sance, sa taille, sa génération, son vieillissement, le manger, le
boire, le sommeil et la veille, sa mort. Ces marques, qui appar-
tiennent au corps, se retrouvent chez tous les hommes; et pas
seulement chez tous les hommes, mais encore chez toutes les
bêtes qui ont une âme, et certaines d’entre elles même chez les
arbres, car c’est là l’œuvre de la nature, qui fait, produit et établit
toutes choses selon ce qui est ordonné 64, » C’est par cette loi
naturelle que chaque bête fait comme toutes celles de son
espèce 65, que tous les hommes dans leur corps suivent la loi
commune de leur nature.
Mais cette loi naturelle est, à son tour, troublée par le destin,
le fatum, qui contribue, avec la volonté individuelle, à établir
le sort personnel de chaque homme. Oui, les Chaldéens ont raison

60. On pourrait penser à saint Paul (Ga., 4, 3; 8-9; Col., 2, 8). Mais le
contexte est fort différent (A. J. FESTUGIÈRE, L'idéal religieux des Grecs….,
. 107, n. 1).
7 61. L’auteur des Philosophoumena attribue aux Pharisiens une théorie fata-
liste mitigée : ils croient à l’existence de la fatalité, si bien que certaines
choses se passent selon l’autonomie (étouaia), certaines selon la fatalité;
certaines sont en notre pouvoir, d’autres relèvent de la fatalité (Refut., IX,
28, 5). F. Cumonr leur reconnaît la même doctrine, ainsi qu’aux Esséniens,
sur la foi de Josèphe (Fatalisme astral et religions.…., p. 523).
62. R. GRArFIN, Patrol, Syr., Ia, 2, Paris, 1907, 581.
63. Ibid., 582-609.
64. Ibid., 558.
65. Ibid., 558-561.

407
L'UNITÉ DU MONDE

de dire que « le fatum existe 66 » : tout n’est pas en notre pou-


voir; les richesses et les honneurs, la santé et la maladie relèvent
du fatum 87, en somme toutes les circonstances de la vie, si bien
que nous, les hommes, « nous sommes conduits par la nature en
sens unique, par le fatum en sens divers, par notre liberté selon
le vouloir individuel 68 ».
Evidemment le fatum est, lui aussi, limité 6. C’est une varia-
tion sur un thème imposé : la nature lui trace ses limites. Ainsi
la génération est soumise à toutes sortes de conditions naturelles
immuables 70, mais « quand les temps et les modes de la nature
sont accomplis, alors le fatum se manifeste en plein et rend les
cas différents les uns des autres », tantôt aidant la nature, tantôt
la gênant 71. Et l’auteur range sous le fatum « le refus du rap-
prochement et toutes sortes de souillures et d’abominations que
les hommes, sous le couvert du rapprochement, réalisent pour
suivre leur concupiscence ». Du fatum proviennent tous les acci-
dents de la naissance, les maladies et défauts corporels 72, la
gourmandise ou la disette, en un mot tout fléchissement des lois
de la nature; « c’est le changement qui s’appelle horoscope 78 »
et qui provient des divisions qui existent entre les puissances
dominatrices. En bref, le fatum, comme la liberté, détermine et
trouble la nature. Ces trois forces doivent jouer ensemble jusqu’à
la consommation du monde ‘4.
Mais Bardesane précise encore ce fatum, son essence et son ori-
gine. « Ce qu’on appelle fatum est l’ordre du déroulement que
Dieu a fixé aux puissances et aux éléments; selon ce développe-
ment et cet ordre, les intelligences changent en arrivant à l’âme,
et les âmes changent en arrivant au corps. C’est ce changement
qu’on appelle fatum, ainsi que l’horoscope de ce mélange, qui est
passé au crible et purifié, de manière à aider les êtres qui seront
sauvés par la clémence et la faveur divine et sont sauvés jusqu’à
la consommation de toutes choses 75. » Le fatum est donc l’inci-
dence « des puissances et des éléments » dans l’ordre naturel ou
volontaire. Il s’agit bien d’une influence astrale sur l’agir humain,
comme le marque le mot même d’horoscope. L’auteur parle de
« puissances qui guident et dirigent 76 », « de puissances, gou-

66. R. GRAFFIN, Patrol, Syr., la, 2, Paris, 1907, 569.


67. Ibid., 570. ; ;
68. Ibid., 570.
69. Ibid., 573.
70. Ibid., 573-574.
71. Ibid., 574.
72. Ibid., 574.
73. Ibid., 577.
74. Ibid., 578.
75. Ibid., 573.
76. Ibid., 5717.

408
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

verneurs et éléments », à qui il reconnaît un pouvoir, comme à


Dieu, aux anges, aux hommes et aux bêtes 77, et non une simple
valeur de préfiguration. Il va plus loin : « Sachez que les élé-
ments que j’ai placés dans ma théorie en sous-ordre ne sont pas
totalement dépourvus de toute liberté, et, pour ce motif, au
dernier jour, tout sera conduit au jugement. » Ils seront jugés
selon ce qui est en leur pouvoir 78. Mais il ne faut pas oublier
non plus que Dieu est derrière, qui a fixé lui-même l’ordre
cosmique.
Ces théories de Bardesane sont étroitement liées au contexte
religieux de l’époque, mélange de fatalisme stoïcien et d’astro-
logie. On y retrouve, comme chez les autres Pères, cette tendance
à soumettre à un cycle nécessaire le développement physique
de l’homme. On reconnaît les « puissances dominatrices » de
Tertullien. Mais Bardesane pousse beaucoup plus loin la préci-
sion. Outre qu’il suppose, par un certain dualisme, les éléments
divisés en puissances de droite et puissances de gauche, qui
nuisent aux hommes, aux bêtes, aux arbres, aux fruits, aux fon-
taines 7, il a réparti la nécessité en deux puissances, qui évoquent
la double providence d’Athénagore, l’une immuable et univer-
selle, qu’il appelle nature, l’autre particulière, qui rend plus
capricieuse la loi naturelle : le destin. Mais est-ce là autre chose
que la distinction de Chrysippe, qui, pour maintenir les pos-
sibles, dans son système fataliste, considérait séparément la
nécessité de la loi universelle — par exemple, la mortalité de
l’homme — et la nécessité du destin, qui, par une chaîne de
causes déterminée aboutit à tel effet précis — par exemple, la
mort d’un tel par accident 8 ? Nous sommes vraiment dans ce
milieu de fatalisme astral à couleur stoïicienne célèbre au
IT° siècle 81,

77. R. GRAFFIN, Patrol, Syr., la, 2, Paris, 1907, 569.


78. Ibid., 549.
79. Ibid., 577; cf. Exc. ex T'heod., 71, 2.
80. F. HaaAsE, Zur Bardesunischen Gnosis, Leipzig, 1910, p. 90. M. POonLENz
suggère (Die Stoa, II, p. 197) que la distinction eipappévn-ousts a pu venir à
Bardesane d’Alexandre d’Aphrodisias (De fato, 34, SVF II, 1002, p. 295), qui
distingue entre l’Ieimarmenè absolue, qui règne en nécessité immuable dans
les étoiles, et celle, confondue avec la phusis, qui règle le déroulement du
monde sublunaire auquel échappe l’esprit humain (cf. Die Stoa, I, p. 357; I,
p. 173). Cf. le commentaire du P. FESTUGIÈRE au sujct de Corpus Ilermeticum,
XII, 5-9 (p. 193-194), qui donne d’autres références.
81. Sur providence, fatalité, nécessité, nature, leurs relations réciproques,
le Corpus Hermelicum revient sans cesse, par exemple Asclepius, 39, éd.
Nock-FESTUGIÈRE, p. 349-350, avec l’excellente note 335, p. 397; fragm. de
Stobée, IV, 7, éd. FESTUGIÈRE, p. 22; VIII, en entier.…., p. 47-48 et le commen-
taire détaillé, p. Lxn-Lxix; XI, 2, (46).…., p. 575. XI, 3, p.585 XII... p. 61;
XIII-XIV, p. 64-65 et le commentaire, p. LXXIX-LXXXII. Dans les notes et le
commentaire, on trouvera toutes les précisions souhaïitables.

409
L'UNITÉ DU MONDE

C. LA COHÉSION DES ÊTRES CHEZ LES PÈRES.


L'ENCHAINEMENT DANS L'ESPACE

La thèse stoicienne. Les Stoïciens, comme nous l’avons


dit, ont souligné le lien qui unit
tous les êtres entre eux. Posidonius a illustré un aspect de cette
unité cosmique par l’idée de sympathie. Il a conçu entre ciel et
terre, entre les âmes et l’univers ou la divinité, et, par-delà, entre
toutes les parties du cosmos, une parenté quelque peu mysté-
rieuse qui les soumet toutes aux mêmes actions et fonde une
interdépendance générale : « La sympathie de l’un pour le
tout 8, » K. Reinhardt, qui a étudié ces théories, a montré la
portée de l’idée stoïcienne chez Posidonius et y a vu la source
d’une nouvelle théologie, d’une mantique, d’une physique, d’une
critériologie. Peut-être l’historien a-t-il exagéré le rôle de Posi-
donius dans cette interprétation du coëmos, mais la théorie est
bien dans la tradition stoïcienne et elle connut aux premiers
siècles de notre ère un succès extraordinaire. Soit qu’on
recherchât les interdépendances entre les êtres d’ici-bas, soit
qu’on mit les astres en relation avec le monde sublunaire, on
voulut tout expliquer par les connexions réciproques 88.
C’est dans cet esprit qu’on imagina un lien spécial entre
l’homme et le monde, fondé sur une parenté essentielle, et que
l’homme prit le nom de microcosme en face du macrocosme
qu'était le monde.

L'idée de sympathie Athénagore se souvient peut-être du


chez Athénagore lien terre-ciel, quand il parle, à plu-
et Clément. sieurs reprises, de « sympathie à
l'égard du divin 84 ». « Les mouve-
‘ments et énergies démoniaques », dit-il, « poussent les hommes
en sens divers... selon la loi de la matière ou de leur sympathie

82. K. ReiNmaRpTr, Kosmos und Sympathie, Neue Untersuchungen über Posi-


donius, Munich, 1926, p. 186. Il étudie la sympathie de la terre avec le ciel,
des âmes avec Dieu ou avec le tout (p. 111-121).
83. Cf. À. J. FESTUGIÈRE, La Révélation d’Ilermès Trismégiste, t. 1, L’astro-
logie et les sciences occultes, Paris, 1944, ch. v, L’hermétisme et l'astrologie,
p. 89-186, surtout p. 89-91. Au t. Il, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, l'auteur
souligne que, pour les anciens Stoïciens, la sympathie s’entendait toujours ciel-
terre et non des sympathies-antipathies entre les êtres terrestres, élargissement
qui se trouve chez Cicéron (p. 422-423).
84. Leg., XXW.

110
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL
avec le divin & », Le divin peut désigner directement les astres,
selon le sens précis qu’a pris le terme dans les textes parallèles
de l’époque. Qu'importe ! Il s’agit en tout cas du monde d’en
haut. Mais qui éprouve cette sympathie ? Les avis sont partagés;
on a cru qu’il s’agissait de bons démons 86, mais les autres
emplois de l’expression chez Athénagore semblent contredire
cette interprétation. Si les païens s’inquiètent de vérité, c’est,
croit-il, « qu’ils ont été poussés à chercher, mû chacun par son
âme propre, selon la sympathie du souffle reçu de Dieu 87 ». Cer-
tains, au contraire, ont « perdu de vue la grandeur de Dieu » et
se sont attachés à la matière, « incapables de faire triompher la
raison, car ils n’ont pas la sympathie à l’égard du lieu céleste 88 ».
Ici pas d’hésitation : c’est bien l’homme ;qui éprouve cette sym-
pathie pour la vérité divine par suite de son origine et peut la
perdre quand il laisse en lui s’affaiblir la raison, qui est le lien
de l’homme avec Dieu. Le premier texte s’entend aussi parfaite-
ment en ce sens : l’homme suit l'attrait de la matière qui sollicite
son corps ou l'attrait du divin qui flatte son esprit. On trouve en
tout cas chez Athénagore le terme de sympathie, avec l’idée d’une
parenté de l’homme avec le monde céleste 8.
Clément pousse moins loin la théorie, mais connaît la thèse
et sa terminologie. Il insiste volontiers sur les liens qui unissent
les êtres du cosmos et les soumettent ensemble à l’action et à la
connaissance divine. Il voit « les êtres inanimés sympathiser avec
les vivants dans l’unité cosmique % ». Il admet une interaction
entre la lune et les huîtres, « qui vivent, croissent et même sont
en sympathie avec la lune %1 ». Il rappelle à travers le Timée
« la sympathie et la communauté des astres les uns à l’égard des

85. Oeïx, ibid., XXVW. L


86. L’auteur en introduirait l’idée dans sa phrase par une espèce d’ava-
coluthe. C’est l’opinion d’A. J. FESTUGIÈRE, qui suit J. Geffcken. Il commente
et discute le texte en s’inspirant des textes hermétiques voisins. C’est dans ces
derniers qu’il trouve le sens de 6eix — astres (Sur une traduction, p. 374).
G. Bardy suit au contraire l’opinion d’A. Puech et, dans cette expression,
attribue la sympathie à l’homme.
87. Leg., VII.
88. Ibid., XXII.
89, Evidemment, il ne s’agit pas de la théorie même de Posidonius, qui
donne comme base à la sympathie une force vitale interne et non la commu-
nauté de la raison (K. REINHARDT, Kosmos und Sympathie…, p. 186). On
retrouve chez les hérétiques des théories semblables. Les Philosophoumena en
attribuent une aux Pérates : « De même que dans l’homme il y a sympathie
entre la tête et les membres inférieurs, sympathie entre les membres inférieurs
et la tête, de même entre les êtres supra-lunaires et les êtres terrestres. Il y a
cependant une certaine différence et un certain manque de sympathie entre ces
êtres, parce qu’ils n’ont pas une seule et même unité » (Refut., V, 13, 11).
90. Str., V, 133, 7.
91. Protr., 51, 5. Ce rapport est admis par Carnéade, d’après D. D. AMmAND,
Fatalisme et liberté dans l’antiquité grecque, Louvain, 1945, p. 68; Cicéron,
Diuin., I, 33-34, parie de l’interaction des êtres chez les Stoïciens sous le
nom de sympathie et cite le cas huîtres-lune.

411
L'UNITÉ DU MONDE

äutres 2 » et leur sympathie pour l’homme enseignée par les


Chaldéens %3. Mais, s’il reconnaît accidentellement une certaine
« parenté du divin avec l’âme ?# », il écarte violemment que
l’homme soit « partie de Dieu », « consubstantiel » à lui %5, Le
domaine de la sympathie est donc bien limité chez Clément:
Dieu en est soigneusement écarté.

La connexion universelle Tertullien n’a guère insisté sur cette


dans l'Eglise d'Afrique. communauté des êtres entre eux.
Il reconnaît cependant un certain
enchaîinement physique. Il voit le ciel, la terre, « et tout ce qui
est en eux conspirer mutuellement dans l’intérêt de l’homme %6 ».
Il admire « la loi de chaque élément qui conspire à la génération,
à la croissance, à l’achèvement, à la réfection du tout ?7 ». Tertul-
lien est surtout attiré par la fin commune de toutes les activités
cosmiques. Minucius Félix est plus sensible à la loi qui les
enchaîne actuellement. Il parle d’un « ordre éternel constitré
par les lois de la nature ». Il voit dans le monde « un alliage
de tous les éléments et un assemblage céleste 8 >». Mieux que
cela. Il met l’homme et Dieu lui-même dans ce tout. On ne peut
connaître, dit-il, l’origine de l’homme, «sans connaître l’ensemble,
car tout est cohérént, connexe, coenchaîné, si bien que, si on
n’examine pas activement la notion de la divinité, on ne peut
connaître celle de l’humanité, et on ne peut bien administrer les
affaires de la cité, si on ne connaît pas la cité commune à tous
que constitue le monde % », C’est encore un aspect de l’enchaî-
nement universel. Si l’on songe qu'ailleurs il voit Dieu, qui
domine tout, « parent des astres eux-mêmes 100 », on retrouve
vraiment l’unité du monde stoïcien.

Novatien et l'unité Novatien revient à la oùurvoux, mais


par conspiration. insiste beaucoup plus que Tertul-
lien sur l’unité. Nous avons vu qu’il
enseigne une sorte d’animisme : « L’air qui pénètre tout, par sa
conspiration, unit tout dans la concorde 101, » Mais il précise sa

92. Str., 1, 166, 1.


93. Ibid., NI, 143, 1.
94. Ibid., VII 57, 1.
95. 1bid., II, 74, 1.
96. Nat., IX, 5, 5.
97. Marc., 1, 13, CSEL 47, 307, 10-12.
98. Oct., XI, 1.
99. Ibid., XVII, 2. On retrouve des idées assez voisines dans l’Asclepius,
10, éd. Nocx-FEsTUGIÈRE, p. 308, 1. 15-25; 19, p. 319, 1. 14 : conexa sunt
omnia.
100, Oct., XVIII, 4.
101. Spect., IX, 1-2, éd. BOULANGER, p. 109-110, Cf. supra, p. 340-341.

412
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL

théorie. Dieu, dit-il, « enchaîne les matières discordantes pour


la concorde de tous les éléments, si bien qu’à partir des éléments
différents, il existe un monde unique, qui fait assez bloc, grâce à
cette conspiration unifiante (unus mundus ista coagmentata con-
spiratione solidatus), pour qu’il ne puisse être dissocié par aucun
moyen 10 », Dans la suite, il souligne davantage le caractère
rationnel de cette unité. Il parle d’une « espèce d’esprit », « apte
à gouverner, pour l'utilité générale, avec une raison suprême et
parfaite, les causes des êtres naturellement enchaînés sans aucun
commencement ou terme temporel 108 ». D'un côté comme de
l’autre, Novatien est convaincu de l’unité et de l’enchaînement
de toutes choses, d’une vaste « loi naturelle » d’ordre cos-
mique 104,

Saint Cyprien et le Chez saint Cyprien on retrouve,


vieillissement cosmique. dans un tout autre contexte, l’idée
d’une sympathie cosmique qui
englobe l’homme. Il veut laver les chrétiens des accusations dont
ils sont victimes : « Vous devez savoir tout d’abord que le monde
a vieilli, dit-il à son correspondant. Par la chute de son être, il
atteste assez son déclin, L’hiver n’a plus les mêmes pluies. Les
montagnes, appauvries et fatiguées, ne produisent plus la même
quantité de marbres.. Le nombre des cultivateurs diminue... Plus
de probité au forum, plus de justice dans les tribunaux, de con-
corde entre les amis, d’habileté dans les arts, de retenue dans
les mœurs. Croyez-vous qu’une chose puisse avoir dans sa vieil-
lesse la même sève et la même vigueur qu’à son origine et dans
sa jeunesse 105 ? » « Ainsi, tout ce qui naît maintenant dégénère
dans la décrépitude du monde lui-même. Aussi personne ne
doit-il s’étonner de voir tout dépérir dans l’univers, quand
l’univers lui-même tout entier touche à sa décadence et à son
terme 106, » La décrépitude du monde est un lieu commun de la
pensée contemporaine 197, Elle y apparaît comme un stade

102. Trin., II, éd. FAUSSET, 6, 13-7, 1.


103. Ibid., 9, 18-21.
104. Ibid., VIII, éd. Fausser, 27, 9-10.
105. Demetr., III, CSEL IIL, 1, 352, 22-353, 10; cf. IV..., 353, 20.
106. Ibid., IV..., 354, 3-7, trad. Howo.
107. Il est remarquable que ce thème, sous cette forme, ne se retrouve chez
aucun autre Père à l’époque et se rencontre avec une telle insistance chez
Cyprien. En dehors des textes déjà utilisés, on peut citer Mort., VI, CSEL II,
1, 300, 16 (mundo recedenti); XXV..., 312, 25-26 (corruente iam mundo);
313, 6-8 (mundus ecce nutat et labitur, et ruinam sui non iam senectute rerum
sed fine testatur); Ep., LVIIL 11, 1, éd. BayARD, p. 160 (de saeculo iam

413
L'UNITÉ DU MONDE

normal de l’évolution cosmique, qui s’achève dans la conflagra-


tion, suivie du renouvellement 198, Mais ce qui intéresse ici c’est
de voir englober, dans le déclin du cosmos, même la moralité
humaine, comme si une même énergie, déficiente en sa source,
donnait à tout une vigueur faiblissante. Unité vitale ? Sympathie
de la matière pour l’homme ? On ne sait, mais profonde unité et
conception moniste universelle.

Macrocosme Le lien entre l’homme et l’univers


et microcosme. a souvent été traduit par l’idée de
| ressemblance et exprimé en une ter-
minologie dont les historiens de la philosophie ont peut-être
abusé, macrocosme et microcosme. Ce dernier terme, seul ancien,
est lui-même bien postérieur à la théorie 10, Il remonterait au
plus tôt à Posidonius 110, Connu chez les Stoïciens, il se serait
imposé grâce aux néo-platoniciens. Les Pères n’en usèrent guère
et le terme n’eut sa pleine vogue dans la spiritualité chrétienne
qu’au Moyen Age 111, Si le mot mettait du temps à l’emporter, la

moriente); Cath. Eccl. unit., XVI, CSEL IIX, 1, 224, 13-225, 11. H.-I. Marrou dit
qu’en fait « ce tableau de la vieillesse du monde est directement inspiré de
Lucrèce et relève avec celui-ci de la tradition pessimiste antique, habituée
depuis Hésiode à déplorer la dégradation des âges successifs à partir de l’âge
d’or » (La fin du monde n’est pas pour demain, dans La fin du monde est-elle
pour demain ? Lumière et Vie (Saint-Alban Leysse), 11, 1953, p. 86-87).
108. Par exemple, l’Asclepius parle aussi de « la vieillesse du monde », qui
annonce « la consommation par le feu », en attendant son « renouvellement »
(26, éd. Nocx-FEsTUGIÈRE, p. 329-331). Cette idée de dépérissement cosmique
ne s’oppose pas nécessairement à la théorie de l’histoire progressive, qui est
celle d’Irénée et de l’ensemble des Pères : ces derniers considèrent l’humanité
beaucoup plus que le monde physique.
109. Cette théorie a fait depuis 50 ans l’objet d’études historiques très
sérieuses; d’abord la thèse d’A. MEYER, qui comporte une étude historique et
une étude théorique (Wesen und Geschichte der Theorie vom Mikro- und
Makroskosmus, Bern, 1901); l’étude uniquement historique de G. P. CONGER,
Theories of Macrocosms and Microcosms in the History of Philosophy, New-
York, 1922, encore plus documentée; enfin, l’article érudit de R. ALLERS,
Microcosmos from Anaximandres to Paracelsus, in Traditio, 2, 1944, p. 319-407,
que nous utiliserons ici. Aucun de ces auteurs n’étudie les Pères de notre
époque, bien qu’ils s’attachent souvent à Origène, Grégoire de Nysse, Augustin,
et surtout au Moyen Age.
110. C’est l’avis de M. PouLenz, Die Stoa, Il, p. 50; de même W. W. JABGER,
Nemesios von Emesa, Quellenforschungen zum Neuplatonismus und seine
Anfängen bei Poseidonios, Berlin, 1914, qui admet néanmoins qu’il l'ait
emprunté à Démocrite (p. 135), avec A. Meyer, Wesen.…., p. 13. G. P. CONGER
rejette cette antiquité du mot. R. ALLers descendrait jusqu’à Philon (Micro-
cosmos…, p. 320-321). Cependant Aristote opposait paxpôç et puxpôs x6ajLOc.
111. Par exemple chez Godefroy de saint Victor, dont P#. DeLHAYE vient
d’éditer l’œuvre : Le Microcosmus de Godefroy de saint Victor, édition Lille,
1951, avec un commentaire qui constitue un deuxième volume intitulé Le Micro-
cosmus de Godefroy de saint Victor, étude théologique, Lille, 1951, les deux

414
L'ENCHAINEMENT UNIVERSEL
thèse était célèbre dès l’origine, mais évoluait en passant chez
Platon ou Aristote, chez les Stoïciens, Plotin et le Moyen Age.
Elle prenait des aspects bien différents, que R. Allers à savam-
ment précisés. Il distingue « le microcosmisme élémentaris-
tique », où l’on attribue à l’homme les éléments dont le monde
est tiré; « le microcosmisme structural », où tantôt l’homme est
conçu sur le modèle du monde, tantôt le monde sur le modèle de
l’homme; « le microcosmisme holistique », où toute l’organisa-
tion du monde est à l’image de l’homme; « le microcosmisme
symbolique + aux rapprochements faciles; « le microcomisme
psychologique », où l’assimilation ne se fait que par la connais-
sance; « le microcosmisme métaphorique », où l’homme devient
l’univers par pure image 112, Ces théories sont loin d’être toutes
stoïciennes. Mais dans la mesure où elles expriment une commu-
nauté de nature entre l’homme et le monde, on peut y voir un
reflet des thèses de la Stoa 113,
On retrouve chez les Pères, souvent édulcorées par le contexte,
ces différentes théories. Nous avons vu plus haut que certains se
sont fait une conception animiste du monde; que ceux-là ou
d’autres ont rapproché le monde du corps humain. Ces positions
impliquent ce que R. Allers appelle le « microcosmisme struc-
tural ». Le « microcosmisme élémentaristique » se retrouve égale-
ment. C’est déjà le cas d’Aristide, si le texte est authentique:
« L'homme, dit-il, est constitué par quatre éléments et d’âme et
d’esprit, et, par suite, il est appelé aussi cosmos 114, »y Dans les
Philosophoumena, l’homme est présenté comme le couronnement
et le résumé de l’œuvre créatrice : « Après cela (Dieu) créa le
chef de toutes choses, le formant de toutes les substances com-
posées 115, » Les Constitutions Apostoliques utilisent une termi-
nologie qui évoque la même thèse. L’homme y est appelé « cosmos
du cosmos » et il ne semble pas que ce mot signifie qu’il soit
l’ornement du monde 116, puisque l’auteur explique : « Son corps

volumes dans les Mémoires et Travaux des Facultés Catholiques de Lille,


fasc. LVI et LVII. M. Delhaye dégage, des enfantillages qui l’embrouillent, la
pensée profonde de Godefroy : une conception optimiste de l’homme et un
de
véritable humanisme chrétien. On trouve dans le 2° volume beaucoup
Age.
renseignements sur l’emploi du thème du microcosme au Moyen
112. Tout l’article de R. ALLERS est conçu dans le plan logique. I1 y avait
déjà un essai de classification dans A. MrYER (p. 95 sq).
113. A. MEver fait une grande part à la Sfoa dans ces théories (Wesen...,
p. 31-36). G. P. CoNGEr, au contraire, trouve chez les Stoïciens beaucoup
d'arguments pour la théorie, mais jamais la théorie elle-même (Theories….,
p. 13-15).
114. Apol., VI, 1,
115. Refut., X, 33, 7.
116. Noter que l’expression a ce sens dans le Corpus Hermeticum, IV, 2, éd.
Nock-FESTUGIÈRE, p. 49. 1. 10.

415
L'UNITÉ DU MONDE

est formé de quatre corps 17, » Mais ces textes ne comportent pas
de profondeur philosophique 118,
Cette dernière remarque convient aussi à une page de Ter-
tullien, qui développe apparemment un « microcosmisme struc-
tural », mais tombe dans un parallélisme enfantin entre « le
corps du monde » et le « corps de l’homme ». La chair de
l’homme, c’est la terre; son sang, c’est l’eau; les muscles, le
terroir; les os, les rochers; les glandes des seins, des espèces de
cailloux; l’enchevêtrement des nerfs, les racines noueuses; les
ramifications des veines, les ruisseaux; le duvet, les mousses; les
cheveux, le gazon; la moelle des os, les métaux précieux 119.
Cependant ces enfantillages étaient à la mode 120, Philon, qui
enseignait une théorie philosophique du microcosme 121, tom-
bait dans les mêmes fantaisies 122 et Clément lui fait l’honneur
de s’en inspirer, quand il montre que l’homme doit dépasser les
neuf facultés pour atteindre le noûs, comme il doit dépasser les
neuf parties du cosmos pour atteindre au chiffre parfait, la gnose
divine 123, Le même Clément, avec l’ivresse du nombre qui lui
est chère, divise ailleurs le monde, comme l’homme, en dix
parties dominées par deux 124, Pourtant il semble sous-entendre
une théorie plus profonde, quand il dit que le Verbe « a réglé par
un Esprit saint le cosmos et, en particulier, le omuxpèdv xéouov
qu’est l’homme, son corps et son âme », pour en tirer « un ins-
trument polyphonique dans son hymne à Dieu125 ». C’est la
seule fois que nous retrouvions le terme technique chez les Pères
de l’époque.

117. Const. Apost., VII, 34, 6; VIII, 12, 16-17. C’est un thème de l’époque,
cf. Corpus Hermeticum, VIII, 5, éd. Nock-FESTUGIÈRE, p. 89, 1. 3-4 (l’homme
image du cosmos); avec les quatre éléments : XII, 20..., p. 182, 1. 5-6; Fragm.
de Stobée, XXIV, 9, éd. FESTUGIÈRE, p. 65, 1. 4-7; XXVI, 13-30... p. 85-88. Chez
‘ Galien l’animal est appelé microcosme, cf. De usu part., III, 10, 241. Némésius
d’Emèse est beaucoup plus net sur tous ces points. Il montre que l’homme
partage son essence avec toutes les catégories d’êtres (Nat. homin., 1, PG XL,
505 B-507 À); il en fait le trait d’union de la création (ibid., 511 B), le micro-
cosme (ibid., 533 A). Sur l’homme, lien de la création, chez Némésius, cf.
W. W. JARGER, Nemesios…, p. 96-137.
118. R. Arrers fait la même remarque sur d’autres textes patristiques, de
Claudius Mamertinus, Grégoire le Grand, Isidore de Séville, Jean Damascène
et les écrits du Moyen Age qu’il signale (Microcosmus..., p. 344-348 avec notes).
119. Carn. Xti, IX, CSEL 70, 215, 5-17.
120. Même chose dans les écrits hermétiques, Fragm. de Stobée, XXIV, 11,
éd. FESTUGIÈRE, p. 56, 1. 1-2; et surtout Corpus Hermeticum, X, 11, éd. Nocr-
L'ESTUGIÈRE, p. 118, avec la note d’A. J. FESTUGIÈRE, Appendice A, p. 137-138.
121. De mundi opif., 143-144.
122. De congr. erud. gr., 100-106.
123. Str., II, 50, 3-51, 1. Irénée dénonce deux fois chez les Gnostiques une
théorie du même genre. La première rapproche l’homme de la création avec
son Dieu, autour du chiffre 30 (Haer., I, x1, 1, Harvey I, p. 169-171). Elle est
repoussée (ibid., II, vi, HARVEY I, p. 267-270). L’autre texte rapproche la
divinité de la création (ibid., 1, x, HARVEY I, p. 164-168).
124. Str., VI, 133, 1-135, 1.
125. Protr., 5,3.

416
LA RÉDEMPTION COSMIQUE

IV. L’'UNITÉ DU COSMOS DANS LE CHRIST.


LA RÉDEMPTION COSMIQUE

Nous avons considéré l’unité du monde chez les Pères et nous


avons retrouvé, transplantées dans cette pensée chrétienne, les
théories des philosophes. Nous avons vu l’homme participer plus
ou moins à la vie du cosmos, vivre à l’unisson de l'univers.
Il reste une dernière influence de l’atmosphère stoïcienne, celle-ci
profondément enrichissante pour le christianisme. Certains
Pères, très avertis de cette unité cosmique, l'ont transportée sur
le plan rédempteur et nous ont montré le cosmos participant
tout entier au salut de l’homme dans le Christ. Il y a là comme
un stoïcisme inversé et baptisé : l’univers partage désormais le
sort de l’homme racheté.

Ebauche de la théorie. Cette théorie du salut cosmique,


rendue célèbre par Irénée, a parfois
été ébauchée chez d’autres auteurs. Déjà Théophile d’Antioche
associe au sort de l’homme celui des bêtes : « C’est la faute com-
mise dans la sphère des hommes, qui les a rendues mauvaises.
Quand ils transgressèrent, elles transgressèrent aussi Mais
elles
quand l’homme à nouveau reprendra le chemin de la nature,
aussi seront rétablies dans leur douceur 1. » Clément d'Alexandrie
donne à l’idée des dimensions plus vastes : « Avec une rapidité
inégalable et une bienveillance qui n’écarte personne, la puis-
sance divine a illuminé la terre et a rempli le tout de la semence
du salut 2. » « Le Verbe, notre Sauveur, source vivifiante, paci-
fiante, s’est répandu sur toute la surface de la terre. A cause de
lui, pour ainsi dire, l'univers est devenu un océan de bien 8. »
C’est la thèse de la rédemption cosmique. Les Excerpta ex Theo-

1. Autol., II, 17.


spiri-
2. Nous avons signalé plus haut (ch. X) cette théorie d’une semence
tuelle, qui semble succéder, dans cette recréation, à l'esprit de la création
première.
3. Protr., 110, 1-3.

417
L'UNITÉ DU MONDE

doto semblent en fournir, dans un contexte gnostique, une illus-


tration très curieuse. Ils présentent l’univers surnaturel, compa-
tissant à la passion du Sauveur : « Si celui qui descendit était
l’eSoxlx de l’ensemble (en lui existait effectivement toute la plé-
nitude corporellement) 4 et que celui-ci souffrît, évidemment
aussi les semences en lui souffrirent avec lui et par là c’est
l’ensemble et le tout qui se trouve avoir souffert 5. > Le Sauveur
donc contient en lui les semences de tous les êtres et le tout
souffre sa passion en lui, mais la matière appartient-elle à ce
tout chez notre Gnostique ?

La Récapitulation Elle y participe certainement dans


chez saint Irénée. la fameuse théorie de la Récapitu-
lation, qu’'illustra saint Irénée. Ce
penseur, qui a tant insisté sur l’unité du monde, a montré que
Pœuvre rédemptrice du Christ s’étendait à tout l’animé et même
à l’inanimé. Il a expliqué que le monde des corps était résumé,
récapitulé dans la chair du Christ et que donc toute chair et,
par-delà, l’univers étaient sanctifiés de nouveau dans la chair du
Sauveur, Contre ceux qui distinguent, jusqu’à les séparer, le
Verbe et le Christ, il nous présente « le Verbe monogène, qui est
toujours présent au genre humain, uni et mêlé à son plasma
selon le désir du Père et devenu chair » dans la personne de
« Jésus Notre Seigneur lui-même », le seul « Jésus Notre Sei-
gneur »,; il nous le montre « venant à travers l’économie univer-
selle et récapitulant en lui toutes choses. Il est homme aussi en
toutes choses, façonné par Dieu. Et donc il se trouve récapituler
l’homme en lui, invisible devenu visible, incompréhensible
devenu compréhensible, impassible passible, Verbe homme,
récapitulant en lui toutes choses6 », Le terme récapituler
(ävoxepæhaoëv) est évidemment paulinien 7 et on discute encore
de la portée que saint Paul lui donne quand il l’applique au
Christ. Veut-il dire que le Christ est la tête de toute la création ?

4. L’auteur fait allusion manifestement à saint Paul (Ep., 1, 9; Col., 1, 19


et 2, 9), maïs le mot eïfoxlx y désigne la volonté divine et le mot plénitude
la perfection de la divinité. L’interprète a défiguré le texte biblique. Pour plus
de précision, cf. éd. F. M. M. SacNanp, p. 125-127.
5. Exrc. ex Theod., 31, 1.
6. Haer., NI, xvn, 6, Harvey Il, p. 87-88. Cette théorie d’Irénéc a été étudiée
avec précision par E. Scnanz, Recapitulatio mundi, Der Rekapitulationsbegriff
des heiligen Irenäus und seine Anwendung auf die Kôrpervelt, Fribourg-en-Br.,
1941, qui, avec beaucoup de textes à l’appui, montre successivement que le
Verbe incarné a récapitulé en lui toute la chair (p. 40-68), tout le monde des
corps (p. 68-85).
7. Ep., 1, 10; Rm., 13, 9. Ces textes sont étudiés par E. SCHARI, Recapitu-
latio…., p. 95-109.

418
LA RÉDEMPTION COSMIQUE

ou le mot a-t-il un sens plus réaliste et présente-t-il le Christ


comme centre vital de l’univers racheté ? En tout cas saint Paul,
par là, étend la rédemption à l’univers 8. Irénée n’a donc inventé
ni la théorie, ni la terminologie, mais il s’en est emparé et l’a
utilisée si souvent ®, qu’elle paraît manifestement répondre à une
tendance fondamentale de sa pensée ou de son effort d’apologiste.
En fait, cette récapitulation universelle 12 dans l'humanité du
Christ, qui implique une conception éminemment moniste de
l'univers, veut ruiner le dualisme et le faux spiritualisme des
Gnostiques 11, Biblique avant tout, elle répond bien cependant
aux tendances stoïciennes.
Elle dépasse d’ailleurs largement saint Paul. Pour l’apôtre, le
monde ne participe à la rédemption que de loin et sa transfor-
mation n’est sans doute « qu’une conséquence lointaine de la
victoire du Christ sur la mort 12 ». M. Goguel, que nous venons
de citer, n’a peut-être pas tort de dire : « La sotériologie pau-
linienne n’est pas un élément d’une conception cosmologique...
Le cadre dans lequel (le salut) se développe et la transformation
cosmique qui accompagnera son achèvement n’en affectent pas
l'essence 13, >» Chez Irénée, au contraire, cette participation de
l'univers paraît immédiate et essentielle. En une page toute mys-

8. Col., 1, 20; Ep., 1, 10-21.


9. Irénée dit encore que le Christ « résumait le tout en lui » (Haer, IV, zxnr,
Harvey IL,. p. 293), mais ce tout, c’est principalement l’homme que le Christ
récapitule en lui pour le sauver. Le Christ a repris en lui par Marie toute
la nature de l’homme (ibid., II, xxxt, 1-2..., p. 120-122), toutes les générations
humaines, selon la généalogie de Luc ({bid., II, xxxnt, 1.…., p. 123). Il a repris
en lui la figure de l’homme pour sauver l’homme (ibid., III, x1x, 6... p. 102),
pour sauver notre plasma (ibid., V, 1, 2..., p. 316). Comme la bête apocalyptique
récapitule en elle tout le mal antérieur au déluge même (ibid., V, xx1x, 2.
p. 404-405), il prend sur lui le mal depuis l’inimitié initiale entre le démon
et l'humanité (ibid., IV, Lxvr, 2, p. 304), pour sauver « compendieusement »
en lui tous les hommes (ibid., XII, x1x, 1..., p. 95 : Fragm. Syr., XI..., p. 441).
La notion est étudiée par G. N. BonwetscH, Die Theologie des Irenaeus,
Gütersloh, 1925, p. 97-107, et surtout par E. ScmarL, Recapitulatio..., p. 6-31.
10. Le terme est dans l’Epître de Barnabé (V, 11); le mot et la notion se
retrouvent au passage dans Tertullien qui en discute (Marc., V, 17, CSEL 47,
632, 15-23; cf. G. Quisrez, De Bronnen van Tertullianus Adversus Marcionem,
Utrecht, 1943, p. 108-109, qui donne d’autres références secondaires) et dans
l’œuvre du pseudo-Hippolyte, Contra Ber. et Helic., II, PG X, 833 B; Irénée
l’attribue aussi à un livre de Justin contre Marcion (Haer., IV, x1, 2, HARVEY II,
p. 158-159). 11 nous livre l’interprétation qu’en donnent les Valentiniens (ibid.,
I, 1, 5, HARvEY I, p. 29; I, 1, 19..., p. 83). E. ScmaRL cite d’autres emplois de
la notion chez les Pères Apostoliques (Recapitulatio.., p. 110-120) et chez les
Apologistes du Ile siècle (ibid., p. 120-131).
11. C’est la thèse d’E. Scæarz, mais l’auteur n’y insiste pas et n’aborde
aucune question philosophique.
12. M. Gocuez, Le caractère et le rôle de l’élément cosmologique dans la
sotériologie paulinienne, in Rev. d’Hist. et de Philos. religieuses, 15, 1935,
p. 337. Cependant, A. VIARD souligne davantage le « caractère cosmologique de
la rédemption » (Expectatio creaturae [Rom., VIII, 19-22], in Rev. Biblique,
59, 1952, p. 337-354).
13. M. Gocuet, Le caractère.…., p. 352.
D

419
L'UNITÉ DU MONDE

tique, il imagine la rédemption opérée dans le monde et nous


montre le Christ traçant sur l’univers tout entier un large signe
de croix :

Comme il est, lui, le Verbe du Dieu tout-puissant, dont la présence


invisible est répandue en nous et remplit le monde entier, il continue
encore (son influence) dans toute la longueur, la largeur, la hauteur
et la profondeur; car, par le Verbe de Dieu, tout est sous l'influence
de l’économie rédemptrice, et le Fils de Dieu a été crucifié pour tout,
ayant tracé ce signe de la croix sur toutes choses. Car il était juste et
nécessaire que celui qui s’était rendu visible amenât toutes les choses
visibles à participer à sa croix, et c’est ainsi que, sous une forme
sensible, son influence propre s’est fait sentir dans les choses visibles
elles-mêmes. Car c’est lui qui illumine les hauteurs, c’est-à-dire les
cieux, c’est lui qui pénètre les profondeurs des lieux inférieurs, lui qui
parcourt la longue étendue de l’Orient à l’Occident, lui qui atteint
l'immense espace du Nord au Midi, appelant à la connaissance de son
Père les hommes dispersés en tous lieux ‘“.

La rédemption cosmique L’idée d’une rédemption aux dimen-


dans l’'Homélie Pascale sions cosmiques est reprise avec
hippolytienne. une insistance rare par l’Homélie
Pascale hippolytienne dont ïil a
déjà été question. L’auteur y montre l’universalité de la Pâque,
qui s'applique même à la terre 15, Elle est « la panégyrie com-
mune de l’univers 16 », « la panégyrie cosmique », « la joie du
monde 17 », « l’âme céleste de l’univers 18 ». C’est un mystère
« cosmique et catholique 1? » et il n’est pas étonnant que le
monde entier se trouble à sa réalisation 20,
Devant le Christ en croix, l’auteur s’écrie :

Cet arbre aux dimensions célestes s’est élevé de la terre aux cieux,
se fixant, plante éternelle, au milieu du ciel et de la terre, soutien de
toutes choses et appui de l’univers, support de toute la terre habitée et
joint du monde, tenant assemblée la variété de la nature humaine et
(le Christ) cloué par les chevilles invisibles de l'Esprit, afin qu’ajusté
au divin, il n’en soit plus détaché. Touchant par son faîte le sommet
des cieux, affermissant la terre par ses pieds et étreignant de tous côtés
par ses mains immenses l’esprit nombreux de l’air entre ciel et terre ?’,
il était tout entier en tout et partout *?,

14. Dem. p. a., 34, GRAFFIN-NAU, PO 12, p. 773; 6... p. 759; 30.., p. 771.
Cependant, E. ScHARL rappelle souvent que cette récapitulation ne devient
vraiment efficiente qu’au retour définitif du Christ.
15. Ed. NaurTiNx, ch. 3, 2-8,
16. Ibid., 3, 3; cf. 62, 2.
17. Ibid., 62, 2.
18. Ibid., 3, 3.
19. Ibid., 16.
20. Ibid., 55, 2-3,
21. To ro)Ù xai péoov nveûpa vo &époe. P. NAUTIN y voit le démon.
22. Ibid., 51, 9-10, trad. NAUTIN.

420
CONCLUSION
Si l’on songe que l’auteur voit dans ce Christ le réservoir de
l'Esprit, comme nous l’avons montré plus haut, on retrouve là
vraiment une philosophie stoïcienne baptisée et très habilement
exploitée 23.
Evidemment, c’est du christianisme authentique et la marque
propre du Portique a disparu. Mais nous sommes bien dans cette
conception optimiste d’un monde qui ne fait qu’un de l'Est à
l'Ouest, du visible à l’invisible; loin de toute philosophie qui
divise, oppose et méprise.

CONCLUSION

En ce domaine de l’unité cosmique, la pensée chrétienne est


encore parente et parfois nettement tributaire du stoïcisme.
Volontiers elle soupçonne un lien étroit entre les êtres qui cons-
tituent le monde. Elle les rapproche dans leur nature en se fai-
sant, de ce que nous appelons les êtres spirituels, une conception
plus proche de la matière. C’est le cas de Tertullien évidemment;
mais encore c’est la tendance générale des écrivains ecclésias-
tiques. Ils établissent aussi entre tous les êtres une connexion
qui enchaîne l’animé et même l’homme à l’inanimé, dans un
déroulement causal sans faille ou dans une parenté universelle;
ils y découvrent une vaste loi physique et rationnelle, qui rap-
pelle la loi du monde stoïcien. Athénagore a illustré principale-
ment cet aspect du stoïcisme, mais on le retrouve, avec des
nuances différentes, chez Tertullien, Minucius Félix, Clément,
Cyprien et Novatien. Peut-être révèlent-ils encore quelques traces
de la sympathie cosmique et du rapprochement entre l’homme et
le monde sous l’image du macrocosme et du microcosme. En tout
cas, les Pères enseignent tous l’unité de: l’univers, qu’ils font .
parfois participer splendidement au sort glorieux de l’homme
racheté.

23. Le Père DanréLou veut voir en outre dans le thème de l’arbre cosmique
une influence de l’Inde (Le mystère de l’Avent, Paris, 1948, p. 158). Cf.
H. pe Lugac, L'arbre cosmique, dans les Mélanges E. Podechard, Lyon, 1945,
p. 191-198.
421
CONCLUSION

Une telle étude est partiale, il faut l’avouer. Elle est partiale
par essence, parce qu’elle choisit un aspect de la vérité multiple
et l’isole, comme s’il était seul. Elle tâche de dégager la part de
stoïicisme chez les Pères et s’en tient là. Du fait même, elle a
souvent l’air de présenter comme Stoïciens des penseurs qui ne
le sont que secondairement. Certains d’entre eux, en particulier
Justin, Tatien, Athénagore et surtout Clément d’Alexandrie, pour
d’autres thèses méritent aussi bien le nom de Platoniciens, et l’on
ne s’est pas fait faute de le leur accorder. Mais on ne peut rap-
peler à la fois tous les aspects de la pensée. Une thèse adopte un
point de vue et soumet tout à cet éclairage. Au lecteur de cor-
riger cette partialité par d’autres études, de remettre dans le
contexte les témoignages choisis et de rétablir la vérité dans sa
complexité. Il nous suffit de souligner la part du stoïcisme dans
la pensée patristique avant 230, d’en préciser l’origine et la
portée.

I. LA PART DU STOÏCISME

A. SELON LES PÈRES

Cette étude permet d’abord de constater la place que le stoï-


cisme occupe chez les différents Pères et de contrôler certaines
classifications hâtives.

Pères Apostoliques La Stoau ne s’est pas imposée aux


et premiers Apologistes. Pères Apostoliques. Les quelques li-
gnes qui en ont été citées reviennent
partout à l’époque et n’ont rien de typiquement stoïcien. Seul
fait exception Clément de Rome, qui signale l’impassibilité divine

423
14
CONCLUSION
“et surtout décrit, en un vocabulaire philosophique, l’ordre du
monde, image de l’harmonie qui doit régner dans l'humanité et
plus encore dans le corps que constituent les chrétiens. Les pre-
miers Apologistes ne sont pas plus précis que les Pères Aposto-
liques. Cependant, les théories morales de Justin évoquent clai-
rement le Portique, en particulier quand elles affirment l’autarcie
de la vertu.

De Tatien à Irénée. Son disciple Tatien bâtit un idéal


sur le modèle du Sage et surtout se
fait une conception du monde nettement moniste : il se plait à
voir le « tout » du monde dans l’unité de matière et de pneuma :
c’est la physique stoïcienne qui apparaît.
Le cas d’Athénagore mérite une attention particulière. Cet Apo-
logiste, que l’on fait passer traditionnellement pour platonicien !,
est gonflé d’éléments stoïciens. I1 proclame à grands cris l'unité
du composé humain. Il admet, mêlé à d’autres théories, tout le
système stoïcien de la connaissance et souligne la parenté du
lien logique avec l’ordre réel. Dans le même sens, la loi morale,
pour lui, est aussi loi physique. Hésitant sur la spiritualité divine,
il décrit avec insistance la Providence et les anges, en termes
techniques. Enfin sa conception du monde est toute faite de thèses
stoïciennes juxtaposées : unité de preuma, transformations réi-
térées des éléments dans les mêmes synthèses, sympathie de la
terre et du ciel, enchaînement physique, anthropocentrisme,
beauté du monde. Athénagore n’est pas un Platonicien : il est
un philosophe éclectique de son temps.
Théophile d’Antioche, à côté d’éléments stoïciens secondaires
dans tous les domaines, est remarquable par ses théories cos-
miques. Il a fait du souffle initial de la Genèse l’âme du monde.
Il loue sans cesse la beauté et l’ordre du cosmos, tout entier
tourné vers l’homme.
Saint Irénée est pénétré du même optimisme devant l’univers.
I1 en chante l’unité — unité où l’Esprit-Saint joue peut-être un
rôle —, comme il chante l’unité de l’homme. Il se fait de l’âme
une conception curieusement matérialiste, Il n’est certainement
pas aussi strictement biblique et spirituel qu’on le dit habituel-
lement.

1. F. SCRUEBRING, Die Philosophie des Athenagoras, Berlin, 1882; L. RICHTER,


Philosophisches in der Gottes- und Logoslehre des Apologeten Athenagoras v.
Athen, Leipzig, 1905. Ce dernier écarte expressément toute influence stoïcienne.

424
LA PART DU STOÏCISME

L'Eglise d'Afrique Les écrivains de l’Eglise d’Afrique


et Novatien. sont particulièrement marqués par
le stoicisme, surtout dans leurs
théories du monde. Il est inutile de souligner le cas de Tertullien
qui est indiscuté. Mais Minucius Félix a transporté la diatribe
contemporaine dans sa morale, En même temps, il voit dans le
monde un tout intimement uni, d’une ordonnance admirable, qui
sert l’homme et proclame l’existence de Dieu. Novatien est exac-
tement dans la même ligne : on a trop cherché du stoïcisme dans
sa morale, pas assez dans sa vision du monde, cependant très
remarquable par un certain animisme et par la théorie de la
conspiration. Saint Cyprien est moins nettement philosophique.
Il a néanmoins des thèses qui supposent l’unité cosmique et son
œuvre révèle un grand respect de la nature. Sa morale même a
subi l’influence du stoïcisme qu’il reproche à Novatien.

Clément d'Alexandrie. Clément d’Alexandrie mérite égale-


ment une révision des positions
classiques. Son anthropologie est loin d’être toujours platoni-
cienne. Il est souvent dichotomiste et divise l’âme à la mode
stoïcienne, en accordant à l’hègemonikon un rôle unificateur.
Dans ses théories de la génération et de l’hérédité, fusionnent des
éléments de toute origine. Dans sa conception de la connaissance,
le système du Portique apparaît, par bribes, à peu près au
complet : ne va-t-il pas jusqu’à prôner un certain sensualisme ?
En morale, l'influence est manifeste, surtout dans son insistance
sur l’apathie et dans sa tendance intellectualiste. En théologie, il
décrit le rôle unifiant de la Providence, qui pénètre tout, et
surtout crée une atmosphère religieuse proche du néo-stoïcisme
contemporain. Enfin, il divise les êtres créés selon la classifica-
tion stoïcienne et professe sur le monde beaucoup de thèses de
même origine, On a peut-être trop vite conclu que Clément était
le premier des Platoniciens chrétiens. Il n’est, comme Athéna-
gore, que le témoin de la philosophie éclectique et religieuse de
son époque.
Chez d’autres écrivains ecclésiastiques, la part du stoicisme est
plus réduite. Dans les Philosophoumena, elle se limite à une
théorie cosmogonique; chez Bardesane, à une conception fata-
liste du monde. L’écrit À Diognète suppose — sans l’expri-
mer directement — une anthropologie et même une cosmo-
biologie de teinte stoïcienne… Mais, chez tous, le stoïcisme a
laissé des traces aussi claires au moins que toute autre école
philosophique.
CONCLUSION

B. SELON LES DOMAINES DE LA PENSÉE

Vue sur Dieu. C’est dans les théories sur Dieu que
l’influence du stoïcisme est généra-
lement le moins profonde. Evidemment, le Portique n’a pas
imposé sa notion du Dieu-Verbe, esprit matériel, âme du monde,
et n’a guère déterminé, sauf chez Tertullien, l’idée que les chré-
tiens se sont faite de Dieu et de son Verbe. On le comprend
facilement. Le christianisme, étant essentiellement une théologie,
avait en ce domaine ses sources propres, à peu près indépen-
dantes de tout système philosophique, l’Ancien et le Nouveau
Testament, dont il défendait jalousement l’originalité. Il trouvait
sa doctrine dans son trésor héréditaire et n’avait que faire de la
pensée grecque. |
Cependant les Pères adaptent leur théologie, même leur doc-
trine trinitaire, et introduisent dans leur message des bribes de
la théologie stoïcienne. Leur Dieu est volontiers impassible et
rationnel. Il est doublé, chez Tatien et chez Théophile d’Antioche,
d’un esprit indéfini, mais non Dieu, qui pénètre tous les êtres
à la façon du pneuma cosmique. Assez souvent, le Saint-Esprit
lui-même joue un rôle unifiant et vivifiant, le Verbe une fonc-
tion harmonisatrice, autant de souvenirs des théories cosmolo-
giques du Portique. Surtout, les Pères attachent à la Providence,
chère aux Stoïciens, une importance capitale et lui donnent, ainsi
qu'aux anges, une portée essentiellement cosmique, qui ne paraît
guère dans les livres saints. Enfin, ils se plaisent à déchiffrer
sans fin l’existence de ce Dieu-Providence dans l’ordre du monde
et en exposent à loisir les preuves naturelles avec une tendance
franchement rationaliste, étrangère au platonisme.

Vue sur le monde. La même marque d’école est encore


plus manifeste dans la conception
que les Pères se font du monde. Elle n’apparaît que secondaire-
ment dans la cosmogonie, parce que là encore les chrétiens
avaient leur doctrine propre, une histoire sainte. Cependant ce
monde, œuvre d’un Dieu transcendant, n’en est pas moins stoi-
cien. Constitué d’un mélange de quatre éléments, il évolue et se
transforme périodiquement, mais non dans sa totalité. Il est
essentiellement bon, et, aux yeux de tous les Pères sans excep-
tion, remarquable de beauté et d'harmonie. Loin de s’opposer à
Dieu comme le mal au bien, en un dualisme dont on retrouve

426
LA PART DU STOÏCISME
quelquefois des traces secondaires dans certaines œuvres, le
monde, tout pénétré de raison, est habituellement considéré
comme le signe permanent, souverainement respectable, de l’intel-
ligence divine. Il est en même temps foncièrement un, déterminé
dans sa variété infinie par une loi physique, qui crée entre les
êtres une connexion universelle dans l’espace et dans le temps.
Il associe dans le « tout » les contraires et enveloppe dans son
unité tous les êtres, parfois l’homme, les anges et jusqu’à Dieu.
Même quand ils n’en viennent pas là, tous les Pères se font du
cosmos une conception moniste et tendent à rapprocher ce que
nous appelons esprit ct matière.

Vue sur l’homme. Leur anthropologie révèle plus sou-


vent une légère tendance dualiste,
mais leur conception fondamentale de l’homme est également
moniste, On rive le corps à l’âme et on souligne fortement l’unité
du composé humain, issue de la génération simultanée des deux
éléments. L’âme, considérée souvent comme substantiellement une
et volontiers comme corporelle, est divisée dans ses facultés à
la façon stoïcienne. Elle est douée d’un fonos variable. Son acti-
vité cognitive est décrite en termes du Portique. On insiste sur
l'unité de la connaissance et l’on accorde aux sens une place
privilégiée, comme chez les Stoïciens. Les théories morales se
ressentent de la même philosophie. L’idéal est une espèce d’apa-
thie, à base de raison et de connaissance, qui fait le bonheur de
homme, Il s’élargit aux dimensions du genre humain dans la
communauté d’une loi naturelle, L’homme, qui fait partie du
cosmos, aux yeux de certains Pères, en partage la vie intime, et,
aux yeux de tous, en constitue le centre. Le monde entier est au
service de l’être humain. Dans la conception optimiste qu’on
s’en fait, on explique tout par un finalisme naïf, orienté exclu-
sivement vers le bien de cette créature privilégiée. L’union de
l'univers avec l’homme est si étroite que le monde participe tout
entier à la rédemption de l’homme. Le monisme cosmique, à tra-
vers l’homme, est élevé au plan de la grâce.
Il y a là vraiment un courant stoïcien. Unité! Unité de
l’homme ! Unité du monde ! Unité de l’homme avec le monde !
Unité même entre le monde et Dieu dont la Providence constitue
la loi cosmique. Dans ce rapprochement de Dieu, de l’homme et
du monde, comment ne pas reconnaître une influence de cette
philosophie de l’univers qu’est le stoïcisme ?

427
CONCLUSION dr

II. L'ORIGINE DE CETTE TENDANCE

D'où provient cette teñdance, sensible chez tous les écrivains


ecclésiastiques ? De leur formation d'hommes cultivés évidem-
ment; du milieu intellectuel où ils vivaient, fortement marqué
par le stoïcisme à cette époque où le platonisme n’a pas encore
poussé son regain. Mais elle vient aussi d’une circonstance plus
particulière : la destination de leurs œuvres.

A. LES DESTINATAIRES

Le rationalisme des Ces Pères, qui sont tous essentiel-


destinataires paiens. lement des apologistes, s’adressaient
à deux espèces de destinataires : les
penseurs païens et les hérétiques . Les philosophes exigeaient
d’eux en convenance un exposé rationnel de leur foi. Ce n’est
pas là une hypothèse gratuite. Qu'on se rappelle combien les
écrivains ecclésiastiques, passée l’ère des Pères Apostoliques qui
. fut surtout une époque de spiritualité, ont voulu être des philo-
sophes. D. Van den Eynde a très bien noté cette orientation de
leur pensée : « Les Pères Apostoliques, dit-il, voient avant tout
dans la parole de Dieu une doctrine de salut. Les Apologistes
s’attachent de préférence à la face philosophique des enseigne-
ments prophétiques; avec la voie du salut, ils y cherchent une
explication de l’univers 1. » Justin, qui a toujours prétendu rester
philosophe, enseigne « la philosophie? », la sagesse divine 3,
« la seule philosophie solide et efficace 4», Tatien parle de « notre

1. Les Normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patristique des


trois premiers siècles, Gembloux-Paris, 1933, p. 15. L’auteur rassemble (p. 15
ct 16) une partie des références que nous utilisons par la suite. J. LoRTz
souligne parfaitement que le christianisme de l’époque tend à être une philo-
sophie rationnelle (Das Christentum als Monotheismus in den Apologien des
zweiten Jahrhunderts, dans les Beiträge zur Geschichte des christlichen Alter-
tums und der byzantinischen Literatur, Festgabe A. Ehrhard… herausgegeben
von À. M. Koeniger, Bonn-Leipzig, 1922, p. 300-327).
2. II Apol., XIX, 5; Dial., VII, 1; I, 6; I, 1; 4.
3. Ibid., VII, 1-3.
4. Ibid., VIN, 1.

428
L'ORIGINE DE CETTE TENDANCE

philosophie 5 », de « la philosophie barbare de chez nous6 ».


Athénagore apporte « la sagesse théologique 7 », « la doctrine
physique et théologique 8 », et veut exposer « la raison de sa
foi® ». Méliton de Sardes nous laisse aussi l’expression : « La
philosophie de chez nous 10, » Irénée et Tertullien sont peut-être
moins rationalistes, mais Irénée parle sans cesse de vérité — le
mot revient plus de cent fois dans l’Aduersus Haereses — et
VAfricain, s’il est « ennemi déclaré de la philosophie païenne
officielle », n’en est pas moins « un ami zélé et un partisan actif
d’un sain effort de connaissance 11 ». « Réjouis-toi, dit-il au pal-
lium, et tressaille, une philosophie meilleure t’a désormais agréé,
depuis que tu as commencé à revêtir le chrétien 12, >» Minucius
Félix établit une synonymie entre chrétien et philosophe 15. Que
dire de Clément qui passe pour le fondateur de la philosophie
chrétienne 14 ? N’enseigne-t-il pas la « philosophie conforme à la
tradition divine 15 » ? La gnose est « la philosophie barbare réel-
lement parfaite et véritable 16 », « l’explication des principes et
de la théologie 17 >, « la démonstration scientifique des données
de la philosophie véritable 18 >», Les circonstances imposaient
donc aux Pères de l’époque un grand effort de rationalisation.
I fallait se faire philosophe pour parler aux philosophes 19,
souci que n’avaient pas les premiers disciples du Christ et les
Pères Apostoliques, souci que n’auront plus les grands théolo-
giens du IV° siècle. Cette circonstance explique partiellement
l’aspect rationaliste de la théologie que nous avons étudiée et sa
parenté naturelle avec la pensée religieuse des Stoïciens.

. Orat., XXXI, inil.


. Ibid., XXXV, med.
. Leg., XXIV.
. Ibid., XIII.
SC. Ibid., VII.
HAS
S
10. Apud Eusèbe, H. E. IV, 26, PG XX, 393B.
11. J. LorTz, Vernunft und Offenbarung bei Tertullian, in Der Katholik, ann.
93, 4e série, 112, p. 125. Nous avons étudié plus haut, p. 281-283, cette position
de Tertullien.
12. Pall., VI, 2.
13. Oct., XX, 1.
14. J. MexrorT, Der Platonismus bei Clemens Alexandrinus, in Heidelberger
Abhandl. zur Philos. und Gesch., Tubingue, 1928, p. 2. Cf. R. P. Casey, Clement
of Alexandria and the beginnings of christian Platonism, in The Harvard
Theol. Rev., 18, 1925, p. 39-101; cf. infra, note 19.
15. Str., I, 52, 2.
16. Ibid., IL, 5, 1. 17. Quis diues, 26, 8.
18. Str., II, 48, 1. Tout ceci d’après D. VAN DEN EYNDE, Les Normes…., p. 148-
149. Cf. désormais A.-M. MALINGREY, « Philosophia », Etude d’un groupe de
mots dans la littérature grecque, des Présocratiques au IVe s. après J. C.,
Paris, 1961; pour Clément, p. 129-157.
19. R. P. Casey dit très bien : le christianisme au II° siècle, « s’il voulait
survivre, devait se justifier philosophiquement. Ce faisant, il avait à faire
son choix entre le matérialisme de la Sfoa et l’immatérialisme de Platon » et
l’auteur montre qu’avec Clément il opta pour le platonisme (Clement of
Alexandria and the beginnings.…., p. 45).

429
CONCLUSION

Le platonisme des Les destinataires hérétiques expli-


destinataires hérétiques. quent encore bien mieux l’orienta-
tion stoïcienne de cette doctrine.
Le gnosticisme constitue, nous l'avons vu, la grande hérésie des
premiers âges de l'Eglise, et, par-delà, un vaste mouvement intel-
tectuel. Or les Pères ont été très sensibles à la tendance dualiste
de cetté religion, où ils ont dénoncé, à tort ou à raison, un rejeton
du platonisme. L'œuvre d’Irénée et celle de Tertullien se sont
édifiées tout entières dans le dessein de combattre les dualismes
qu’on établissait. partout autour d’eux, entre Dieu et l’univers,
entre l’homme et le monde, à l’intérieur de l’homme entre le
corps et l’âme, et dans l’âme même entre ses différents modes
de connaissance, Tertullien ne s’en cache pas et nous l’avons
signalé très souvent au cours de cet exposé. Ce qui est une
évidence pour ces deux grands maîtres de la pensée est également
vrai pour l’ensemble de la pensée contemporaine. Pourquoi Dieu
y est-il étroitement uni au monde dans un lien de causalité mille
fois souligné ? Pourquoi ce monde est-il unanimement admiré et
défendu vigoureusement dans ses faiblesses contre une mystique
d'évasion ? Pourquoi est-il associé à la rédemption, comme il le
fut à la création ? Pourquoi la nature apparaît-elle sainte et respec-
table chez tous ? Pourquoi rappelle-t-on sans fin, malgré des affir-
mations contraires, l’unité du composé humain dans sa génération,
dans ses activités intellectuelles, jusqu’à rapprocher corps et
âme dans la matière ? Nous espérons avoir montré que la réac-
tion antignostique justifie en grande partie les tendances réalistes
et monistes de la pensée chrétienne autour de l’année 200 2.
Consciemment dans le cas de Tertullien, souvent inconsciem-
ment, les Pères ont trouvé dans la philosophie stoïcienne une
argumentation et une atmosphère qui donnaient réponse au gnos-
ticisme.

20. A. HARNACK le soupçonnait déjà. Opposant Apologistes et Gnostiques,


il disait : « Les seconds se sont davantage occupés du côté platonicien et
religieux de la tâche, les premiers du côté stoicien et rationaliste. » (Précis
de l’histoire des dogmes, trad. E. Choisy, Paris, 1893, p. 71.) E. DE FAYE l’a
noté dans son article De la formation d’une doctrine chrétienne de Dieu
au Ile siècle, gnosticisme et christianisme, in Rev. de l’Histoire des Religions,
63, 1911, p. 1-24; 64, 1911, p. 151-178. E. BRÉHIER l’a montré clairement en
ce qui concerne l’attitude devant le monde, en une étude excellente, déjà
souvent utilisée : La Cosmologie stoïcienne à la fin du paganisme, in Rev. de
l'Histoire des Religions, 64, 1911, p. 1-20, surtout p. 19-20.

430
L'ORIGINE DE CETTE TENDANCE

B. LES AUTEURS

Cependant la destination n’explique pas tout. Elle ne rend pas


compte de la morale, encore plus stoïcienne que tout le reste.
Elle laisse de côté le cas spécial de Clément d’Alexandrie. De
plus, comment les Pères avaient-ils accès au stoïcisme ? Sont-ils
allés à lui volontairement ou est-il venu à eux presque à leur
insu ? Ici, il faut jeter un coup d’œil sur les auteurs et sur leur
milieu de vie.

Culture Nous avons pu distinguer assez sou-


et spécialisation. vent en cours de route la nature du
stoïcisme qui apparaissait chez les
Pères. Une très grande partie des théories revient à la culture.
Tout le matériel de la cosmologie et de l’anthropologie, de la
critériologie et de la morale théorique avec leurs innombrables
définitions, une bonne part des données théologiques, relèvent
du stoïcisme qui s’enseignait dans les écoles et se lisait dans ces
manuels dont il a été question au début de cette étude. Tout ce
matériel s’offrait spontanément aux écrivains ecclésiastiques,
pour peu qu’ils fussent à l’écoute du monde des idées. Ils ont eu
ce souci et la part des thèses antiques paraît même relativement
plus grande dans le stoïcisme des Pères que dans l’ensemble de
la pensée contemporaine.
Certains semblent avoir dépassé la simple culture et accompli
une démarche volontaire, C’est le cas de Tertullien. Orienté vers
le stoïcisme par les nécessités de la lutte, il s’y est complu par
tempérament. Il a lu les livres d’un Soranus, peut-être d’un
Sénèque et de bien d’autres. Minucius Félix a-t-il eu le même
geste pour Sénèque ? En tout cas, Clément a connu l’œuvre
d’Epictète et a puisé chez Musonius. Ces philosophes n’apparte-
naient pas à la culture commune; nos penseurs ne les ont atteints
que par une relative spécialisation.

L'ambiance. Enfin, les Pères ont trouvé dans


l'ambiance quelque chose de leur
morale pratique et même de leur piété. Il est certain que l’atmo-
sphère religieuse d’une œuvre comme celle de Clément est bien
accordée à l’époque. Ce qui est manifeste dans ce cas se retrouve

431
CONCLUSION

plus discrètement chez Tatien, Athénagore, Minucius Félix, Nova-


tien, en particulier dans cette espèce de ferveur que l’on éprouve
devant le cosmos. Le lien de la morale pratique avec l’époque est
encore plus évident, On reconnaît chez les Pères tous les thèmes
de la morale contemporaine, qui s'était cristallisée dans la dia-
tribe cynico-stoïcienne, En somme, l’atmosphère religieuse et
surtout morale de l’œuvre patristique reflète assez bien le stoï-
cisme populaire du milieu où vivait cette génération chrétienne.
Stoïcisme volontaire ? ou consenti ? ou inconscient ? On peut
dire que le stoïcisme des Pères n’est pas toujours conscient. Dans
la terminologie et les définitions, ils utilisent un matériel vulga-
risé dont ils ignorent l’origine. Peut-être aussi en morale,
l'influence considérable du stoïcisme populaire est-elle en partie
inconsciente, Dans les autres domaines, cependant, l'influence
est consentie et souvent volontaire. Les Pères ont choisi dans le
trésor de la culture les thèses du stoïcisme antique qui pouvaient
Jeur rendre service. Parfois ils les ont recherchées en marge et
au-delà de la culture commune.

III. PORTÉE DE CE STOÏCISME

Quelle est enfin la portée de ce stoïcisme ? Nous avons fait la


part bien grande à l’influence inconsciente et surtout à l’oppor-
tunisme. Quelle est donc la profondeur, le sérieux de l'influence
stoïcienne sur les Pères ?

Terminologie La part de la terminologie est très


el transposition. vaste dans tous les domaines, sur-
tout en logique et en morale. Nous
avons même souvent souligné que ces termes techniques sont
mal possédés ou bien ont perdu de leur rigueur : on voit coha-
biter des ennemis jurés. D’autres fois on s'empare de termes
philosophiques, mais l’on s’en sert comme d’étiquettes attrayantes
et les valeurs qu’on glisse dessous sont assez différentes des
marchandises originales. Il est des exemples célèbres: logos évité
Oeroc et mpopopixés , logos omepuurixéc, éxnbpoaic . Les Pères
accomplissent ici un effort de transposition.

4 32
/

PORTÉE DE CE STOÏCISME

Concordisme. Le dernier cas révèle un souci


d’adaptation apparente assez re-
marquabie. Nos écrivains veulent souvent montrer ainsi l’accord
entre christianisme ct stoicisme. Ils recherchent tous les paral-
lélismes, les forcent un peu — compelle eos intrare —, et l’on
finit par identifier des doctrines essentiellement différentes. C’est
le concordisme, qui se rencontre surtout dans les thèses sur Dieu
et sur les relations de Dieu avec le monde.

Adaptations. Mais dans ce dernier domaine, on


trouve aussi des adaptations loyales.
Les Pères ont accepté parfois des théories animistes, en les déca-
pitant en quelque sorte, pour sauver la transcendance divine. De
même dans leur conception de l’homme, ils ont souvent gardé la
division stoïcienne, mais en enlevant au pneuma humain sa
consubstantialité divine. On trouverait en morale d’innom-
brables adaptations de ce genre.

Adoptions. L'adaptation est parfois adoption.


Adoption sincère et intéressée des
thèses et de leurs preuves, quand Tertullien veut sauver l’unité
de l’homme, l’unité de l’âme, l’unité de la connaissance; adop-
tion spontanée et cordiale, quand Clément édifie, de pièces
empruntées, son idéal de sagesse. Cette adoption, sur des points
particuliers, se rencontre dans tous les domaines. Elle a fait
l’objet essentiel de cette recherche.

Imprégnation. 11 reste une influence plus difficile


à définir ct à étudier, cependant
essentielle. On pourrait la caractériser du mot d’imprégnation.
Elle est dans le souci, partout dominant, d’unité physique ct
morale, où tout se tient d’un bout du monde à l’autre et des
origines jusqu’à la conflagration finale; dans le regard joyeux
que l’on pose sur l’univers, où l’homme facilement découvre Dieu
et sans trop de peine fait son bonheur; dans le climat de con-
fiance, où l’on ne doute ni du cœur humain, ni des sens, ni de
l'intelligence; dans le goût des clartés rationnelles, où Dieu,
l’homme et le monde se rencontrent dans la communauté de la
raison; dans la pensée, toujours présente, du grand Tout, où le.
détail trouve son sens, où les contraires s’accordent, où l’homme
et la bête s’entendent, où l’humanité vit d’une seule loi dans le
respect de la nature ct de Dieu. Toute l’atmosphère du stoïcisme,
et d’un stoïcisme plus optimiste même que celui des années 200,
revit ainsi chez les Pères,
CONCLUSION

Le sérieux On voit alors qu’on est au-delà d’un


de ce stoïcisme. stoïcisme de calcul. Sans doute nos
auteurs sont partis, pour la plupart,
d’une réaction de défensive et d'opposition, qui les a ralliés par
opportunisme aux théories du Portique. Mais ils ont dépassé de
beaucoup ce stade. A leur insu peut-être, le stoïcisme les a trans-
formés et a donné à leur christianisme une tendance rationaliste,
moniste et optimiste très prononcée. Cette tendance les a con-
duits à englober le monde dans la rédemption définitive, comme
il était compris dans la sainteté des origines. Elle a produit,
devant la spiritualité d’ascèse et d’évasion, une sorte d’huma-
nisme chrétien. Le stoïcisme des Pères est une profonde réalité.

Dans l’histoire Il existe donc bien, dans l’histoire


de la pensée chrétienne. de la pensée chrétienne, une pé-
riode où l’on a donné de la foi un
exposé objectif, rationnel et même raisonneur, tout entier dominé
par une conception unitive de l’univers. Avant la grande flam-
bée platonicienne, que marque le néo-platonisme, prépondérant
à partir de 250, il faut faire place à une étape stoïcienne dans la
pensée chrétienne. E. Gilson, en un article très riche de sugges-
tions, a montré que la théologie chrétienne a connü deux
périodes essentielles : l’âge patristique dominé par Platon et le
néo-platonisme, l’âge scolastique guidé par Aristote ou plutôt par
l’aristotélisme. Il a précisé judicieusement que l’âge patristique
satisfaisait surtout la tendance mystique, tandis que la période
scolastique répondait mieux aux besoins logiques, mais sans
qu’Aristote ait jamais remplacé Platon. L’aristotélisme, selon ce
maître, est venu compléter et souvent doubler la tendance plato-
nicienne, toujours survivante dans la spiritualité 2, Malgré son
intérêt, cette vue historique paraît simplifier exagérément et
négliger une étape de l’évolution. Elle montre que la pensée chré-
tienne a été successivement surtout une spiritualité avec le néo-
platonisme, puis surtout un exposé objectif avec l’aristotélisme.
Elle oublie qu’à l’époque des Apologistes, après les écrits ‘scrip-
turaires et quelques œuvres fortement marquées par l’Ecriture,
Ja religion et la théologie avaient été déjà — et jusqu’à l’année 230
environ — une science avec le stoïcisme. Clément semble assurer
le passage de‘l’époque stoïcienne à l’époque platonicienne.

1. Le Christianisme et la tradition philosophique, in Revu. des Sciences


Philos. et Théol., 2, 1941-1942, p. 249-266.
2. Ibid., p. 259.

434
BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie ne comporte que les études patristiques ou phi-


losophiques qui intéressent le plus directement le problème du stoi-
cisme des Pères avant 230.
Elle ne signale :
— ni les travaux cités accidentellement au cours de la thèse,
— ni les textes, traductions et commentaires, mentionnés comme
sources dans les tables suivantes,
— ni les études générales sur les rapports du christianisme avec
l’'hellénisme ou avec le stoïcisme, qui ont été présentées méthodique-
ment au chapitre II du présent travail,

AaALL (A.) : Der Logos, Geschichte seiner Entwicklung in der griechischen


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446
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

Avec l’édition consultée (parfois les éditions et traductions) et l’abréviation


utilisée dans la citation (s’il y a lieu). Les œuvres anonymes sont marquées
de l’astérisque *.

ARISTIDE ATHÉNAGORE

— éd. J. GEFFCKEN, Zwel griechische | SUPPLIQUE POUR LES CHRÉTIENS


Apologeten, Leipzig-Berlin, 1907.
I, 1-2 : 283, 374. — éd. J. GEFFCKEN, Zwei griechische
Apologeten, Leipzig-Berlin, 1907.
“ :7 au — trad. G. Barpy, Afhénagore, Sup-
4 £ 292. k plique au sujet des chrétiens, Paris,
= ; 1943 . (Sources Chrétiennes).
in a — cité Leg.
ml 4 : 381. 1 : 243, 402.
VI, 1: 327. Il : 246.
VII, 1 : 400, 415. III : 253, 379, 401, 402.
VIII, 4-6 : 377. IV : 272 (2), 280, 284, 364.
XIII, 4 : 270. V : 207 (2), 208, 273, 276, 280, 371.
5 : 325, 390. VI : 40, 85, 87, 89 (2), 113 (2),
7 : 86. 114, 117, 123, 332.
XV-XVI, 1 : 371, 381. VII : 272, 274, 292, 411.
XV, 4 : 260. VIII : 292, 325, 356, 390 (2), 429.
6 : 260. IX : 216, 274, 300.
XVI, 6 : 284. X : 272, 274, 276, 292, 293, 297,
302 (2), 307, 314, 329, 332, 351,
353. !
XI : 286.
* L'ASCENSION D'ISAÏE XIIL : 276, 202. 429
— éd. E. TISSERANT, Paris, 1909 (coll.
XV : 289, 364.
XV-XVI : 284.
Fr. à MARTIN, Documents pour l’étude
’él XVI : 87, 90, 114, 284, 289, 312,
de la Bible). 332, 371, 374.
VI, 10-12 : 217. XIX : 91 (2), 93, 354.
XXI : 246, 289, 292.
XXII : 86, 89, 90, 93, 114, 276, 284,
ATHANASE (Pseudo-) 292, 325, 327, 353, 364, 411.
XXIII : 272.
IVe Discours CONTRE LES ARIENS XXIV : 141, 302 (2), 328, 329, 330
(3), 336, 378, 391, 396, 429.
— éd. PL. XXVI. XXV : 123, 237, 328, 329, 330, 401,
XIII : 302. 402 (2), 403, 404, 410, 411.

447
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

XXVI : 402. ; DE GENESI AD LITTERAM


XXVII : 142, 147, 207 (2), 209, 332,
336. — éd. PL XXXIV.
XXIX : 246, 270, 292. X, 25, 41 : 391.
XXXI : 243, 246, 379, 402 (2).
XXXIII : 184, 243 (2), 259, 260.
XXXIV : 371. BARDESANE
XXXV : 180, 250, 402.
XXXVI : 207.
Le Livre Des Lois DES Pays
SuR LA RÉSURRECTION DES MORTS — éd. GRAFFIN-NAU, Patrologia Sy-
riaca, Ia, 2, Paris, 1907.
— éd. E. ScHwaRTz, Alhenagorae — cité selon la col. de l’éd.
Libellus pro Christianis, Oratio de 542-545 : 238.
Resurrectione cadauerum, Leipzig, 545-546 : 238.
1891 (Texte und Untersuchungen, 549 : 238, 327, 409.
IV, 2). 550-554 : 238, 239.
— cité Res. 558 : 407.
I : 401 (2). 558-561 : 407.
II : 390. 561-562 : 238, 239.
IV : 381, 390. 569 : 408, 409.
V : 199, 327. 570 : 408 (2).
VeVI : 200. 573 : 408 (2).
VII : 142, 199, 200, 353, 390. 573-574 : 408.
VIIL : 199, 361, 402. 574 : 408 (2).
X : 141, 355. 577 : 408 (2), 409.
XII : 141, 209, 232, 270, 292, 381. 578 : 408.
XIII : 141 (2), 253 (2), 401 (2). 581 : 407.
XIV : 208, 253, 401 (2). 582-609 : 407.
XV : 138, 141 (4), 207 (2), 402 (2). 598 : 239.
XVI : 217, 356.
XVII : 180, 208, 209, 210, 401 (2).
XVIII : 141, 233, 237, 327, 377 (2). BARNABÉ (Pseudo-)
XXI : 209, 233 (4).
XXII : 233. EPÎTRE DE BARNABÉ
XXIII : 180, 187.
XXIV : 141 (2), 207, 208, 253 (2), — éd. H. HEMMER, G. OGER ct A. Lau-
401, 402. RENT, Doctrine des Apôtres, Epitre
XXV : 141 (3), 207 (3), 402. de Barnabé, Paris, 1907 (HEMMEK-
Leyay, Les Pères A postoliques,
tr),
AUGUSTIN — cité Barn.
II, 6 : 406.
DE ANIMA ET EIVS ORIGINE V, 11 : 419.
X, 1-10 : 198.
— éd. PL XLIV.
IV, 14, 20 : 166.
20, 33 : 166. CLÉMENT DE ROME ct (Pseudo-)
21, 34 : 166.
— éd. H. HEMMER, Clément de Rome,
DE CiIviTATE DEI Epitre aux Corinthiens, Homélie du
Ile siècle, Paris, 1909 (HRMMER-
— éd. Corpus Christianorum, Series Leyay, Les Pères Apostoliques,
latina, t. 47, Turnhout, 1955 (Texte t. Il).
de DomBArT-Kazs, 2* éd.).
IV, 27 : 86. EPÎTRE AUX CORINTHIENS
VI, 5 : 86. — cité Cor. (ou rien).
XIX, 3 : 292.
DE HAERESIBVS XX : 69, 373 (2).
XXI, 1 : 373.
— éd. PL XLII. 4 : 242.
XLII : 360. 9 : 338.

448
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
XXIV, 3 : 361. 10, 1 : 300, 396.
XXVIIL, 2 : 242. 2 : 300, 396.
4 : 325. 11, 3 : 300, 396 (2).
XXXIII 12231 14, : 396.
; 2-6 : 373. : 395.
3970: re : 174.
4 : 380. 15, r0ne (2).
XXXIV, 7 : 373. 17, : 170.
XXXVII, 2-XXXVIII, 1 : 389. 0 : 155.
XLIX, 3 : 371. : 195, 396.
LII, 1 : 292. : 320.
LX, 1 : 373. : 168, 320.
A3 37347. : 300.
LXI, 1 : 373. ee 3 :321.
:
anssvmmmne
LXIII, 2 : 373. 31, 1 : 304, 418.
40 : 321.
HoMËLIE du Pseudo-Clément 45, 1-46, 2: 198.
47, 3 : 167.
XVI, 3 : 359. 50, 1-2 : 144.
1-3 : 168.
51, 1-3 : 169.
CLÉMENT D’ALEXANDRIE 2-3 : 168.
53, a : 168.
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mens Alexandrinus : t. I, Protrep- 55, : 168 (2).
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Excerpta ex Theodoto, Eclogae Pro- 61, 1 »©D : 168.
pheticae, Quis Diues saluetur, Frag- 62, : 168.
mente, Leipzig, 1909. L'édition est 69, : 405.
complétée par une table en quatre 70, D: : 405.
volumes qui constitue le t. IV. : 405.
70-71, 2 : 405.
rnennepun

Les EXTRAITS DES PROPHÈTES 71, 1-2 : 405.


2 : 409,
— cité Ecl. Proph. 2 : 406 (2).
1 : 293. 2 : 406.
76, 1 : 406.
22, 1-3 : 239.
1 : 406.
23, 3 : 360.
1
25, 3-4 : 354.
26, 2 : 354.

31, 2 : 7
50, : 194, 330. FRAGMENTS
-2 : 196.
3 Sur la Irc Ep. Cath. de Pierre
: 171.

Sur la patience
Fgt 44 : 172 (2), 175.

Sur la Providence
Les EXTRAITS DE THÉODOTE Fgt 38 : 355.
39 : 342.
— éd. R. P. Casey, The Excerpta ex
42 : 405.
Theodoto of Clemens of Alexandria,
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ments, I). F. SAGNARD, Clément Le PÉDAGOGUE
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Paris, 1948 (Sources Chrétiennes). — cité Paed. avec les divisions de
Péd. Stählin (sauf le chiffre romain
— cité Exrc. ex Theod. avec la numé-
rotation de cette dernière éd. du chapitre qui a été supprimé).
1, 1-2 : 321. 1, 1, 1, 1-2 : 322.
2, 1 : 302. 1,4 : 248.
2 : 302. 2,400: 322,

449
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
[, 11, 4, 1 : 249. 29, 2 : 175.
5, 2 : 247. 3 : 175.
6, 1 : 251. II, aux : 109, 111.
2 : 169. , 35, 1 : 109.
5 : 384. 3 : 109.
6 : 132, 169. 36, 27267,
Knt, 7, 12 131: 37, 3 : 109.
313 192, 38, 4 : 110.
8, 1 : 131, 384. II, v, 46, 2 : 169.
1, 1v : 244. II, var, 64, 2 : 173.
3:10, 1-7:09, 74, 3 : 171.
v, 22, 1 : 269. II, 1x, 80, 3 : 229.
1, vr, 31, 2 : 256. 4 .: 230.
38, 1 : 169, 175. 81;:17": 226:
a : 193, 389. Dre 82
39, 2 : 193 (2). 82, 1-3 : 229.
3-5 : 198. I, x : 111, 260.
3-40, 1 : 202. » 83, 1-4 : 195, 260.
40, 1 : 193. 2 : 184.
44, 2-3 : 200. 1-84, 1 : 198.
3 : 193 (2), 200. 84, 4-85, 1 : 202.
45, 1 : 193. 85, 1 : 198.
48, 1. : 183, 192, 194. 2-88, 3 : 198.
3 : 192, 193. 87, 3 :1251.
1-49, 2 : 192. 90, 2 99.
49, 1 : 194, 201. 91, 1 : 184.
3 : 193. 92,2 : 184, 260.
50, 2-3 : 200. 3 : 195.
3 : 200. 100, 1 ÿ 111,471
I, vurr, 63, 1 : 132. 102, 1 : 184, 195, 260.
64, 1 : 100. 105, 1 : 174.
4 : 198, 235. 107, 2 : 175.
65, 2 : 198, 235. 110, 2 : 25.
I, 1X, 77, 2 : 224. 111, 1 s 175.
78, 1 : 264. 115, 5 : 110.
88, 1 : 198, 235, 265. IT, xxx : 111.
X, 93, 2 : 244, » 120, 6 : 110.
I, x1, 96, 2 : 198. IX, 1, 1, 2 : 170.
Ï, x, 98, 2-8 : 144. 3, 3 : 169.
4 : 244. XII, ur, 19, 1 : 195.
99, 1 : 144. 2 : 193.
100, 2 : 265. 23, 1 : 254.
8 : 167, 169. 25, 2 : 194.
1, xumr, 101, 1 : 234, 235, 247. IIL, 1v, 27, 2 : 169.
1-2 : 251. 30, 3 : 169.
102, 1 : 247, 251. IX, vur, 37, 1 : 132.
2 : 98 (2), 100. 39, 1 : 265.
3 : 245. III, 1x, 46, 1-47, 1 : 199.
4: 251. 46, 2 : 175.
IE, 1 : 107, 109, 111. IL, xt, 53, 2 : 170.
» 1, 4 : 107. 74, 3-4 : 81, 115.
2,1: 107, IT, x, 98-99 : 344.
Dai 5208: 98, 2 : 169.
AN AO
9, 4 : 107.
99, 2 : 251.
11, 41 :: 108
109, (2).
174. LE PROTREPTIQUE5
12, 1 : 108. — texte et trad. CL. MoNDÉSERT, Clé-
15, 1 : 107. ment d'Alexandrie, Le protreptique,
3 : 109. Paris, 1949 (Sources Chrétiennes).
17, , 3 :d 175, , 202 0
— ,
cité Protr.
"
avec les divisions de
18, 3 : 174. l’éd. Stählin (sauf le chiffre romain
II, u, 20, 1 +: 169. du chapitre qui a été supprimé).
4-21, 1 : 175. 1, 5, 1 : 344, 373, 376, 379.
22, 2 : 175. 2 : 544, 376.
28, 3 : 172. 3 : 416.

450
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
IV : 270. xxI1, 57, 4 : 405.
s 46, 4 : 84. XIV, 63, 2-64, 1 : 80.
51, 5 : 411. 64, 1 : 80, 83.
53, 3 : 288. XVII, 82-84 : 100.
56, 5 : 293. 84, 5 : 225,
57, 4 : 251. 85, 3 : 229.
63, 1 : 357. 6 : 372.
4-5 : 281. 86, 1 : 378.
V, 64, 2 : 353. XVII, 91, 5 : 84.
65, 4 : 384. XIX, 94, 1-3 : 229.
66, 3 : 88 (2), 122, 365. 1-7 : 275.
4 : 124. 2 : 227.
VI, 68, 2 : 302. 3 279.
2-3 : 320. 7226279;
71, 1 : 320. xx, 97, 1-2 : 100.
72, 1 : 83, 87. 2-98, 3 : 82.
2 : 83, 88, 115 (2). 3 : 244.
VIL 73, 2 : 84, 88. 98, 2 : 244,
74, 7 : 273, 319. 99, 3 : 472.
IX, 88, 2 : 255, 320. XXI, 135, 2 : 175, 229 (2), 280.
3 : 256. XXIV, 159, 3-4 : 172.
X, 91,1 : 103. XXvV, 166, 1 : 412.
; 1-3 : 369. 5 : 247.
3 : 326. XXVI, 168, 4 : 99, 261.
95, 3 : 228. XXIX, 182, 1 : 254.
98, 3 : 172.
100, 4 : 269. Livre II
104, 2 : 169. 17, 4, 1 251.
104-105 : 284. 4 235.
110, 1-3 : 417.
XL, 111, 1 : 180. 5, 1 : 429.
113, 1 : 102. 4-5 : 240.
115, 2 : 198, 235. 8, 4 : 222,
XII, 120, 4 : 144, 297. 9, 4 226.
122, 1 : 247. 1V, 12, 1 : 239.
13-14 : 224,
QUEL RICHE SERA SAUVÉ ? 13,2 : 223, 225.
3 : 224, 225,
— cité Quis diues, avec les divisions 4-14, 1 : 227.
de l’éd. Stählin. 16, 2 : 244.
10, 1 : 239. 3 : 228.
12, 5-13 : 369. 17, 1-3 : 228.
14, 1 : 369. 19, 4 : 99.
20, 6 : 249. Y, 20, 1 : 261.
26, 8 : 429. 21, 1 : 261.
34, 3 : 169. 24, 1-2 : 224, 227.
36, 2-3 : 333. vi, 28, 1 : 222.
31, 3 : 353.
LEs STROMATES vi, 32, 2 : 235.
— éd. en cours CL. MONDÉSERT, 4 : 235.
M. CAsTER, TH. CAMELOT (Sources 33, 2 : 235.
Chrétiennes). vit, 39, 4 : 249.
— cité Sfr. avec les divisions de l’éd. 40, 1 : 250.
Stählin (sauf le chiffre romain du 1-2 : 234.
chapitre qui a été supprimé). 1X, 41, 2-42, 2 : 100.
45, 1 : 244.
Livre 1 X, 47, 4 : 226, 244.
1, 5, 2 : 247. XI, 48, 1 : 429.
vi, 33, 1 : 224. 50, 1 : 167, 223.
34, 1 : 247. 3 : 170.
vx, 37, 6 : 125. 3-51, 1 : 416.
xt, 51, 1 : 88 (2), 365. 4 : 170.
52, 2 : 429. 51, 1 21853.
53, 2 : 286. 6 2172

451
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

XI, 54, 5 : 100, 222. 1x, 63, 3 : 169.


5-55, 1 : 225. 64, 1 : 169.
55,1 -2222" (2): 2 : 405.
xutr, 59, 6 : 226, 234. x, 68, 5 : 167.
xIvV, 61, 2 : 234. Xi, 72,1 2 260
XV, 64, 3-5 : 239. 3 : 254.
AVIS TOUT : 234, 235, 249, 293. 74, 2 : 259.
1-73, 3: 293. 71, 3 31366:
2 : 250, 295. xX11, 82, 3-4 : 259.
74, 1 : 412. 83, 1-2 : 195.
xvit, 76, 1 : 226, 244. 88, 4 : 259.
2 2227: 93, 2: +: 175.
Æ 227. xv1, 100, 6 : 169.
77, 1 : 226, 244. xvir, 102, 2 : 368.
21:1239. 104, 4 : 169, 368.
xvin, 79, 5 : 100, 235.
80, 2 : 244. Livre IV
3 : 244, ut, 8, 8 : 247.
81, 1 : 293. 9, 4 : 169.
xX1x, 99, 3 : 261. 5 : 366.
101, 1 : 87, 98, 355. 11,:2 7109:
3 : 100. 12; 5::7169:
XX, 108, 1 : 82, 114. 1V, 17, 1 : 369:
109, 3-4 : : 244. 3 8:
110, 1-2 : 235. 4 : 369.
4 : 2925. 18, 1 : 369.
4-111, 2 : 355. v, 19, 1 : 97, 99.
111, 1 225 21, 1 : 369.
: 169, 225, vi, 28, 1 : 99.
:1225. 38, 1 : 249.
112, -113, 1 : 355. 39, 3 : 245.
: 225. 40, 3 : 379.
114, : 168. vint, 58, 4 1.259.
115, : 239. 4-59, 1 : 244.
6, 1 : 175. 59, 3 : 244.
118, 9, 1 : 234. 60, 1 : 244,
121, : 81. 3 199:
125, NS
C9
mi
C0
Pi
NO
àDI ot 119 4 : 169, 370.
Xx1, 129, 1 : 81, 83, 84. 62, 4 . 244.
1-8 : 98, 114, 241. 63, 5 CE 1r à
1-10 : 85. 67, 1 244.
: 84. 69, 1 : 245.
84, xXvI, 106,1 : 249.
84, 116.
107, 4 : 249.
82. xviIr, 116, 1 : 225.
82. 117, 5 51294
xxr1, 131, 3 83, 98, 117. XIX : 244,
6 : 144. ; 121, 6 : 79.
133, 7 : 244, xxIr, 136, 51 : 248.
134, 1-2 : 251. 139, 2 : 226, 244 (2).
135, 3 : 88, 99. 3 : 225.
XxII1, 138, 5 5:09: 140, 1-2 : 229.
141, 4 : 82. 141, 1 : 229.
143, 3-144, 1 : 260. xXxI11, 148, 2 : 377.
1502 0 495 196, 201.
Livre III 151,11": 234, 250.
1-2 : 293,
3,1, 115,305. XXV, 156, 2 : 297.
4,:3.: 259. 157, 1: nr
115 7,11 :-109. XXVI, 163, 1 : 132, 224, 369.
v, 42, 6 : 167. 2 : 369.
45, 3 : 405 (2). 3 : 244, 251.
V0 LIN T0 164, 3 : 169, 370.
vit, 57, 2 : 240. 3-4 : 245.
‘60, 2 : 81. 5415370:

452
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
165, : 870. 103, 4 , : 196.
166, : 370. 104, 1-105, 1 : 92.
167, : 370. 105, 1 : 81, 93, 97.
: 370. 110, 2 SUBSE
172, bi
D
md
NP: 100, 370. 2-3 : 83.
2-111, 1 : 99.
Livre V = : 115.
111, 1 :183, 115;
1, 3, 222.
126, 2 : 305.
5, 196.
133, 7 : 411.
6, 316.
7-9 : 280.
7, : 240.
9 : 228, 331.
: 224.
240. Livre VI
# 81.
1, 3, 1-2 : 224, 226.
00
C9
NS
CS
GO
Go
À# 93.
It, 34, 1 : 405.
11, 6 +0++…: 100.
vi, 52, 1-2 : 168, 170, 174.
III, 16, 1 : 224,
vit, 54, 1-2 : 244.
17, 6 : 83, 115, 117.
57, 3 _: 83.
V, 28, 2 : 225.
4 : 202.
29, 6 : 286.
58, 1 : 320.
vi, 32, 3 : 3583.
vill, 64, 6 : 279.
37, 1-2 : 330.
67, 1-2 : 286.
vint, 48, à.: 83 (2), 378.
69, 1 : 222, 226.
2 : 84, 175, 341.
1-2 : 224,
49, 1 : 376.
1x, 71-79 : 249.
2 : 376.
71, 2 : 249.
53, 1 : 170.
3 : 249.
1x, 58, 2 : 81.
73, 6 : 250, 293.
x, 61, 3 : 169.
74, 1 : 249.
5 : 169.
78, 2 : 172.
65, 2. : 271.
x, 80, 2 : 244,
4 : 272. 83, 2 : 287.
x, 67, 1-3 : 270. xt, 98, 1-2 : 239.
4 : 366. 83 : 245.
68, 1 : 366. 100, 3 : 196.
71, 5 : 271, 272. xX111, 105, 1 : 249.
74, 2 : 272: XIV, 108, 3 : 244.
5-77, 2 : 270. 110, 3-111, 1 : 281.
76, 1 : 80, 81, 88, 117, 118. 111, 3 : 245.
2 : 270, 377. 112, 3 : 234.
xI1, 80, 9 : 170, 172. 113, 3 : 247, 251.
81, 3 : 272, 299. 114, 5 : 88, 99.
4-82, 4 : 272 (2). XV, 121, 4 : 226.
82, 4 : 272, 299. xXv1, 133, 1-135, 1 : 416.
XIII, 83, 1 : 366, 134, 1 *: 167.
86, 1 | : 222. 2 : 167, 171, 194.
87, 2 : 279. 38-135, 1 : 171.
88, 1-3 : 240, 135, 1 : 171, 172, 195,
Eee à à1 320.
x1v, 89, 2 : 341. 1-136, 2 : 167, 194.
2-3 : 88. 2 : 172.
3 : 88. 3 : 174.
3-4 : 341. 3-136, 1 : 173.
5-6 : 90. 136, 1 : 172, 174.
90, 3 : 123. 2 : 174, 251
92, 4 : 93. 8 251.
94, 3-4 : 171, 173. 4 : 167, 194
95, 1 : 98. 5 : 225.
2 : 81 (2), 100, 115. 5-137, 1 : 224.
96, 5-6 : 244. 137, 1 : 224.
97, 2 : 98. 4 : 250.
6 : 84, 99, 244. 142, 4 sE807:
100, 4 : 90, 113, 289, 143, 1 : 330, 412
341. 148, 2 : 327, 328.
101, 2-3 : 84. 6 : 328.
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
xXvIT, 150, 4 : 224. XVI, 95, 9 : 227.
155, 3 : 224, 227, 343. 98, 5 : 247.
157, 5 : 329. 100, 4 : 226.
158, 4 : 328. 4-5 : 247.
xvinz, 163, 2 : 169, 174. 62%: 226:
167, 2 : 83. 101, 4 : 83.
168, 3 : 228, 274.
Livre VIII
Livre VII 1, 1, 2 : 102.
1, 2, 2 : 299. 2; 451227.
ur, 6, 1 51327. ut, 4, 3 : 90.
: 329. 1V, 9, 7-13, 8 : 196.
NI : 320. 10, 4-8 : 92.
: 249. 13, 7-8 : 196.
. 224. 14, 4 : 171.
Co
«© 327. V, 15, 2-16, 3 : 100.
-4 : 331. vi, 18, 6-7 : 170.
: 329. 1x : 100. à
mi
ei
C5
OT
Rà9 : 333, 342. , 25, 5 : 100.
12, 2 : 378. 26, 4 : 83, 84, 117.
aus, 13, 3 : 298. 30, 2 : 244.
14, 4- 15, 4 : 270.
14, 5 : 1293.
16, 5 : 342.
LES CONSTITUTIONS APOSTO-
20, 3 : 376.
v, 28, 2 LS:
LIQUES
5-29, 1 : 356.
— éd. F. X. Funk, Didascalia et Cons-
29, 3 : 118.
titutiones Apostolorum, t. I, Pader-
vi, 32, 1 : 395.
born, 1905.
7 : 170.
33, 3 : 83, 90, 116. VI, 22, 5-23, 2 : 253.
34, 1 : 342. VII, 34, 5 : 327.
2-4 : 270. 6 : 257, 416.
viz, 35, 3 : 270. 39, 2 : 257.
6 : 269. VIIL, 9,8 : 253, 254, 257.
36, 3 : 175. 12,10 : 202.
59:26, 16 : 257.
37,10 :108. 16-17 : 416.
1-2 : 226, 228, 329. 17 : 224.
40, 1 : 366. 17-18 : 253, 254, 257.
42, 4-5 : 239.
75 329;
45, 4 : 326.
CYPRIEN et (Pseudo-)
48/10 12-384
49, 3 : 269.
— éd. W. HaARTEL, S. Thasi Caecili
8 : 244.
Cypriani opera omnia, CSEL II, 1,
vit, 50, 3 : 244.
Vienne, ‘1868; CSEL III, 2, ibid.,
1x, 53, 6 : 316.
1871 (sauf pour la correspondance).
x, 55, 4 : 316.
57, 1!: 412.
3 : 244. DE BONO PATIENTIAE
xt, 60, 1 : 376.
II : 102.
61, 2 : 244.
III : 102.
62, 3 : 249.
4 : 366.
xXI1, 69, 1 : 169. AD DEMETRIANVM
70, 5 : 244.
71, 3 : 169. — cité Dem.
71491250, III : 413.
79, 6 : 170, 174. IV : 413 (2).
xt, 82, 7 : 248. V : 257, 377.
83, 2 : 244, VIII : 256, 263.
3 2: 376. IX : 365.
XIV, 87, 3-88, 2 : 389. XVI : 132.
88, 5 : 88, 99. XIX : 255, 256, 257.

454
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

DE DOMINICA ORATIONE * À DIOGNÈTE


XVI : 167. — éd. H.-I. Marrou, À Diognète,
Paris, 1951 (Sources Chrétiennes).
AD DoNATvM — cité Diogn.
III, 3-5 : 270.
VIII : 259. IV, 2 : 381.
XII : 264. NSN0:20255$
XIII : 263. VI, 1-8 : 334.
XIV : 281, 284. Ans A96:
3-9 : 136.
5 : 365.
DE CATHOLICA ECCLESIAE VNITATE
VII, 1 : 136.
V : 307. 223927
X : 238. X, 1 : 381.
XVI : 414. 2 : 243, 381.
XXIII : 389 (2).

* LA DIDACHÈ ou DOCTRINE DES


EPISTVLAE APÔTRES
— éd. L. BAyARD, Saint Cyprien, Cor- — éd. H. HEMMER, G. OGER et A. LAu-
respondance, 2 vol., Paris, 1925 RENT, Doctrine des Apôtres, Epître
(Coll. des Universités de France). de Barnabé, Paris, 1907 (HEMMER-
Leyay, Les Pères Apostoliques, t. I).
XXX, vi, 3 — Novatien : 242.
XXXVI, 1v, 1 = Novatien :. 389. X, 3 : 380.
LV, xvir, 1 : 99, 102, 258.
3 : 198.
LVIII, 11, 1 : 413. ÉPIPHANE
LIX, 111, 3 : 174.
PANARION
vi, 2 : 238.
LX, 111, 1 : 258. — éd. K. Hozr, Epiphanius (Anco-
LXVI, vr : 264. ratus und Panarion), t. I, Leipzig,
LXIX, xnrx, 1 : 106. 1915.
Vs 27460117:
1-3 : 116.
DE HABITV VIRGINVM
2-3 : 117.
XV : 258, 367. VI : 117.

DE LAPsIs EUSÈBE
VI : 258, 367. H1STOIRE ECCLÉSIASTIQUE
XIV : 198.
— éd. PG XX.
XXX : 258, 367.
— cité H.E.
IV, 11 : 105.
DE MORTALITATE 26 : 290, 429.
V, 10 : 104.
VI : 413.
VIII : 256, 257. PRÉPARATION ÉVANGÉLIQUE
XII : 264.
XVI : 198. — éd. PG XXI.
XXV : 413. IV, Prooem. : 86.
XIII, 13 : 83.
Qvop IDOLA DII NON SINT
IX : 270, 273, 279, 281, 284, 377. * ÉVANGILE DE L'ENFANCE
XI : 396. — éd. P. PEETERS, Evangile de l’en-
fance (Arabe et syriaque) (HEMMER-
LesaAy, Evangiles Apocrypkhes, t. II,
TESTIMONIORVM LiBRI TRES AD Le livre des miracles de Notre Sei-
QVIRINVM gneur maître et sauveur J.-C.).
III, 101 : 288. LII : 198.

455
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
FULGENCE SUR L’ANTÉCHRIST

SERMONES ANTIQVI
— éd. GCS L 2.
“II : 274.
— éd. R. HELM, F. PI. Fulgentii opera, V : 359.
Leipzig, 1898. LXIV : 359.
XVI : 404.
SUR LES BÉNÉDICTIONS DE JACOB
— éd. C. Diosounioris et N. BEïs,
GENNADE
Hippolyts Schrift über die Segnun-
gen Jakobs, Leipzig, 1911 (Texte
LiBER EccLesiasricorvM DoGMa1A- und Untersuchungen, 38, 1).
TVM
* VIII : 309.
— éd. PL LVII.
IV : 291. À BÉRON ET HÉLICON
— éd. PG X.
HERMAS I : 292.
II : 419.
LE PASTEUR
SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES
— éd. A. LELONG, Le Pasteur, Paris,
1912 (CHEMMER - LEsaAy, Les Pères — éd. GCS E, 1.
Apostoliques, t. IV). IV, 2: 166.
Vis. 1, 1, 6 : 381.
II, 4, 1 : 381. SUR DANIEL
III, 13, 3 : 353.
ENS 3; 9 30800. — éd. G. BarDY - M. LEFÈVRE, Hippo-
Similit. I, 1 : 255. lyte, Commentaire sur Daniel,
V, 6, 5-7 : 136. Paris, 1947 (Sources Chrétiennes).
VIII, 3, 2 : 402. I, 5, 4 : 309.
IX, 14, 5 : 298. IL, 2 : 274.
30, 5 : 305.
31, 2 : 288.
HERMIAS 38, 5 : 166.
IV, 38, 4 : 309.
LA SATIRE DES PHILOSOPHES 56, 2 : 166.
60, 2 : 166.
— éd. K. Hozz, Fragmente Vornicä-
nischer Kirchenväter aus den Sacra
Parallela, Leipzig, 1889 (Texte und PHILOSOPHOUMENA Ou RÉFUTATION
DE TOUTES LES HÉRÉSIES
Untersuchungen, N.F., V, 2).
— cité Irr. — trad. partielle A. SroUuvILLE, Hippo-
I : 95. lyte de Rome, Philosophoumena ou
VII : 83, 89, 91, 115. Réfutation de toutes les hérésies,
2 vol., Paris, 1928 (Les Textes du
Christianisme).
HIPPOLYTE et (Pseudo-) — cité Refut.
I, en tête, 5 : 80, 83, 121.
Les citations sont empruntées, sauf I, Prol. vi : 166.
indication contraire, à l’édition du I, 3 93.
Corpus de Berlin (G.C. S.) : ; LRPAUSRE
— Hippolytus Werke, t. I, Exegetische 12 : 81.
und homilitische Schriften: 19, 5 CE 5
ire part., G. N. BONWETSCH, Hip- 20, GNET ADS
polyts Kommentar zum Buche PARA L L
Daniel und die Fragmente des Kom- 20-21 : 80.
mentars zum Hohenliede, Leipzig, 21 2085, 92, 121.
1897; 2° part. H. AcHeLis, Kleine : 80, 83, 88, 90, 94.
Exegetische und homilitische : 94, 114.
Schriften, Leipzig, 1897 ; t. III, 195, 11%
P. WENDLAND, Refutatio omnium -5 : 93;
Haeresium, Leipzig, 1916. LE
GR "195

456
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

IV, 3, 7-9 : 182-183. XIV : 309 (2).


6, 3 : 84. XV : 299, 312.
46, 6-48, 14 : 84. XVI : 297, 309, 332.
V, 7,10 : 345. XVII : 291.
9,19 : 342.
41 AT HOMÉLIE PascaLE (hippolytienne)
16, 15-16 : 84.
19, 2-5 : 337. — éd. P. NAUTIN, Homélies Pascales,
26, 8-9 : 145. t. I, Une homélie inspirée du traité
11-16 : 330. sur la Pâque d’Hippolyte, Paris,
21 : 145. 1950 (Sources Chrétiennes).
21 Merr140: 3, 2-3 : 420.
NI 19,2: © 182, 3 : 420 (2).
3 : 354. 10, 1 : 320.
3-8 : 288. 15, 2 : 304.
4 :-954.
5 : 354 (2).
6-10 : 354.
13 : 354.
14, 8-11 : 201.
17, 400954.
4-5 : 194.
5 : 354.
19, 6-8 : 330.
1268 0 1304: 61, 1-2 : 396.
VIT 192 70423. 62, 2 : 420 (2).
38, 1 : 288.
VIII, 9, 6-7 : 288.
8 : 202. SERMON SUR LES SAINTES THÉO-
10, 1 : 178, 288. PHANIES
12, 4 : 288. — éd. GCS I, 2.
IX, 9, 3:-340.
12, 17 : 340. 1 : 372 (2).
279008: II : 309.
28, 5: 93, 407. III : 309.
30, 2: 345. IX : 333.
8 : 93; X : 334.
NB LA 2: 9077
15, 5-7 : 145. FRAGMENTS
EVA E
2-3 2 359 Sur la Genèse, éd. GCS I, 2.
33, 1 : 297, 315, 340. : 166.
2 : 315, 340, 355$
4 »72953: Sur les Proverbes, ibid.
4-5 : 354. Fgt XII : 354.
5 : 395.
FN Ua:
9-10 : 237.
13 00e:-2874 IGNACE D’ANTIOCHE
15. . +237.
— éd. A. LELONG, Ignace d’Antioche
CoNTRE LES HÉRÉSIES et Polycarpe de Smyrne, Paris, 1910
(Hemmer-Leyay, Les Pères Aposto-
— éd. P. NaurTiN, Hippolyte, Contre liques, t. II).
les Hérésies, Fragment, Paris, 1949
(Etudes et Textes..….). AUX EPHÉSIENS
— cité Noet.
III : 309. IV, 2 : 374.
IV : 297, 399. V, 1: 374.
VII : 309. VI, 2 : 242.
VIII : 292, 309 (2). VII, 2 : 249.
IX : 40.
X : 298, 305, 315, 340, 353. AUX MAGNÉSIENS
X-XI : 315.
XI : 297 (2), 307, 309, 315, 340. XIII, 1 : 374.
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

AUX PHILADELPHIENS Livre III


v, 1 : 207.
XI, 2 : 135. 2 : 198, 246.
xx, 4 : 387 (2).
À POLYCARPE 10 : 387.
11 : 333.
III, 2 : 249. XII, 14 : 382.
NT12209242, XVII, 1 : 180.
6 : 418.
XVIII, 1 : 333 (2).
IRÉNÉE XIX, 1 : 419.
6 : 419. e
CONTRE LES HÉRÉSIES xx, 2 : 180.
— éd. W. W. HARvEY, Sancti Irenaei XXXI, 1 : 145, 149.
Libros quinque aduersus Haereses, 1-2 : 419.
2 vol., Cambridge, 1857. XXXII, 1 : 419.
— cité Haer., selon les divisions XXXVIII, 1 : 333.
d’'Harvey. 2::°333.
xxxIX : 278, 281, 387.
XLII, 2 : 198.
Livre 1
1, 4 : 207.
Livre IV
5 : 419.
10 : 144. Praef. 3 : 143.
15 : 207.
19 : 419. vir : 237.
IV : 387. VIII : 382.
vil, 8-10 : 345. xX1, 2 : 419.
X : 416. 4 : 281, 286.
XI, 1 : 416. 5: 481,
XI : 387. XIV : 382.
XXIX : 387. XXIV, 1-3 : 253.
XXV, 2 : 382.
Livre II XXVIII : 250.
XXIX-XXXI : 270.
it, 1 : 374. XXXIV, 4 : 285.
IV, 5 : 216, 273, 278. 5 : 274.
6 : 278. 6 : 273.
vi : 416. 7 : 382:
VII, 2 : 374. 9 : 298.
Vin, 1 : 281. XXXV, 3 : 334.
XIV, 1 : 316. XLI : 387.
XV, 3 : 143, 292, 316. XLII, 2 : 387.
XVI, 4 : 316. XLIV, 2 : 250.
XVII : 292.
XLVIII, 2 : 320.
XVII, 2 : 57. XLIX, 2 : 382.
4 : 79, 94. LV, 6 : 250.
7 : 316. LVII, 4 : 387.
XXII : 292. LV, 9 : 333.
XXVI : 292. LIx © 237.
XXXI, 1 : 147, 163. Lx, 1-2: 297.
3 : 387. LXII : 378, 419.
XXXVII, 1 : 375, 402. LXIII, 2 : 332.
2 379. 3,: 237.
XXXIX, 3 : 375. LXIV, 3 : 237.
XLI, 2: 370: LXVI, 2 : 419.
4 : 379.
MENT 20e O1,
2-4 : 316. Livre V
XLvV : 149, 391. 1, 2 : 419.
L : 147, 218. 3 : 143, 144.
LII : 217. 11, 3 : 207, 333.
LIII : 147. ini, 2 : 131, 143, 148, 201.
LIV : 143. 1V : 148 (3).
LV : 147. V, 1 : 148.
LVI, 2 : 148. VI, 1 : 144 (5), 145, 146 (3), 149.
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
vil, 1 : 145, 147, 148 (2). DE vViRis 1LLVSTRIBVS
2 : 146, 148.
Vint, 1 : 145. Né EP EX XI
2 : 246. XXIII : 105.
1X, 1 : 143, 146 (2), 334. XXXVI : 104.
3 : 146.
4 : 145.
XII, 2 : 145, 148, 155, 334, 339.
JUSTIN et (Pseudo-)
3 : 146.
5 : 146.
APOLOGIES
XIII, 3 : 148.
XIV, 1 : 149. — éd. L. PAUTIGNY, Justin, Apologies,
2':12982; Paris, 1904 (HEMMER-LEJAY).
2-3 : 147.
XV, 4 : 316. I'e APOLOGIE
XVI, 1 : 144, 316.
I : 106.
XVII, 2 : 316.
II, 4 : 243,
XX, 1 : 143 (2).
III, 1 : 202.
XXIX, 1 : 382.
V, 3-4 : 317.
2 : 419.
VIL 5 : 246.
VII, 4 : 136.
DÉMONSTRATION DE LA PRÉDICATION X, 1 : 270, 272.
ÉVANGÉLIQUE 2 : 246, 293, 381.
— éd. GRAFFIN-NAU, Patrologia orien- 4 : 246.
talis, t. XII, trad. J. B. BARTHOULOT, XI, 2 : 243.
Paris, 1919. XII, 3 : 243.
— cité Dem. p. a. XIII, 1-2 : 270.
2 : 143, 149. AND /292;
4 : 387. XIV, 1 : 219, 329.
6 : 420. 541297.
;‘ Nr. XV, 5 : 243,
XIX, 5 : 92.
: 131, 143, 144, 146, 237.
les : 181. XX A 22 07
14 : 146. 1-2 : 92.
30 : 420. 2 : 93 (2), 292, 359.
34 : 420. 4 : 93, 359.
XXI, 2 : 318.
41 : 143, 149.
42 : 143. XXII, 2 : 318.
XXIII, 2 : 297.
47 : 305.
XXV, 2 : 292.
XXVIII, 3 : 246, 284.
FRAGMENTS 4 : 284.
— éd. GRAFFIN-NAU. XXIX, 1 : 260.
VI : 149, 237. XXXII, 8: 317, 320.
9 : 180.
— éd. HARVEY. 10 : 297.
Fgt syriaque XI : 419. XXXIII, 2 : 274,
XXVI : 143, 180. 5 : 274.
Fgt épars XII : 143. 6 : 297, 332.
XXXVI, 1 : 274.
1-2 : 332.
XLIII, 1-8 : 236.
JÉRÔME et (Pseudo-) XLIV, 10 : 206, 318.
11 : 236.
IN IsAIAM XLV, 1 : 359 (2).
6 : 243, :
— éd, PL XXIV. XLVI, 2 : 317.
IV, 11 : 62. 3 : 250.
LIII, 12 : 246.
EpisTvLza XXXVII Dr ORIGINE ANI- LV, 4 : 132.
MARVM) LVII, 1 : 246 (2), 359 (2).
2 : 243, 246 (2), 361.
— éd. PL XXX. LVIII, 3 : 246 (2).
4 : 185. LX, 8: 359 (2).
9 : 185. 11 : 286.

459
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

LXI, 10 : 179, 400, 406. 1X, 2 : 105.


11 : 272. XI, 2°: 253.
LXIII, 1: 272. XIV, 1-2 : 136.
10 : 288, 289, 298 (2). 2, 51270.
16 : 288, 289, 298. XV, 1 : 270.
8 : 270.
XIX, 2-3 : 270.
II° APOLOGIE XXII, 11 : 270.
XE, 1: 137.
1, 2 : 2460.
XLI, 1 : 382.
11, 2 : 246.
XLIX, 3 : 389.
4 : 253.
XLIII, 1 : 402.
II, 7 : 98.
XLV, 4 : 246, 253.
IV, 2 : 381.
XLVI, 7 : 246.
V, 2 : 327, 381.
‘2-3 : 329, 396. XLVII, 2 : 253.
LIV, 2 : 179.
VI, 1-3 : 272.
PARMI E LIX, 1 : 288.
3 : 207, 280, 314. 3 : 288.
NAIL, 1 : 1359. LXI, 1 : 179, 297.
: 93, 359, 377 27/2900.
! ESS 1909.
LXII, 4 : 305.
: 93, 236. LXIII, 2 : 180.
: 236. LXXV, 4 : 179.
: 236, LXXVI, 1 : 179, 305.
Co 5199.
LXXXII, 4 : 243.
:-246: LXXXIV, 1-2 : 180.
: 236, 361. 2 0479
VII,Tounauas
1 : 79, 99, 106, 317. LXXXV, 5 : 374.
IX, 4 : 246. LXXXVII, 5 : 236.
XSL: 318. ‘XCIII, 1 : 207, 253.
2817. 3 : 136.
: 318. CII, 4 : 236.
: 140. CV, 1 : 297.
: 286, 297, 317, 318.
œnenNm,
CXXIV, 4 : 246, 292, 332.
XII, 4: 272. CXXVI, 2 : 272.
: 428. CXXVII, 4 : 272, 288.
XIII, = SOL TE CXXVIII, 3 : 302.
A 020250, 272: 4 : 305, 332.
5-6 : 318. CXLI, 1 : 236.
6 : 285. 2 : 236.
XIV, 2 : 2534 CXLII, 3 : 243.

DIALOGUE AVEC TRYPHON SUR LA RÉSURRECTION


— éd. K. Horr, Fragmente vornicäü-
— éd. G. ARGHAMBAULT, Dialogue avec nischer Kirchenväter aus den Sacra
Tryphon, 2 vol., Paris, 1909 (HEM- Parallela, Leipzig, 1899 (Texte und
MER-LE)jAY). Untersuchungen, N . F., V, 2).
— cité Dial.
n° 107 : 92 (5), 137 (2), 138 (4),
27104 213.
4 : 326. n° 109 : 137.
61:92,
6 : 428. Discours AUX GRECS
TL; 1° "105, 1428.
3 : 105, 120. V::"270
3-6 : 105.
4 | : 428. ACTES DE JUSTIN
6:11:253. III : 105.
III, 4 : 243.
IV, 12-47;
V,-3 1197. LACTANCE
4 : 137.
Vif 2 5137: DE INSTITVTIONE DIVINA
VII, 1-3 : 428.
— éd. PL VI.
VIII, 1 : 428 (2).
2 : 243, VII, 3 : 87.

460
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

MÉLITON DE SARDES ou (Pseudo-) XVI, 5 ::151, 215, 244, 256.


5-6 : 286.
APOLOGIE SYRIAQUE XVII Ye
» 21215;
— éd. W. F. Orro, Corpus Apologe- 2191257: 412
tarum Christianorum saeculi Ili, => : 284.
D
t. IX, Iéna, 1872. 3-X VIII, 4 : 384.
VIII : 325. 4 : 284, 293, 343.
6 : 293.
11 :: 131.
SUR LE BAIN XVII-XVIII : 284 (2), 383.
XVIII CRE YU R
— éd. J. B. Prrr4a, Analecta Sacra…
131
T.: II, Patres antenicaeni, Tuscu-
RS PAIE
lum, 1884, p. 3-5.
: 255, 412.
: 354. : 284.
: 263, 307, 312.
FRAGMENTS AT,
æ\ 2 271:
apud Eusèbe H. E. IV, 26 : 429. :272:
bed
nd mi
œEm
0So
«1
m : 278, 281.
Fgt syriaque, éd. OrTro, Corpus. XIX, CS : 281.
XIV : 291.
: 293,:307, 343.
-13 : 80.
SUR LA PAQUE 2% : 82 (2), 88, 113 (2),
115.
— éd. C. BonNER, The Homily on 10-12 : 86.
the Passion, by Melito Bishop of 10-13 : 87, 114.
Sardes, and some fragments of the 11 51825283.
apocryphal Ezechiel, Londres-Phi- 12 : 84.
ladelphie, 1940 (Studies and Docu- 13 : 82, 120.
ments). XX, 1 : 429.
3 : 402. XXI, 2 : 82, 114.
6-7 : 402. XXVI, 7-11 : 329.
9 : 402. 8 : 395.
16 : 194. 12 :1895:
32 11 194: XXVIL, 1 : 329.
44 : 194. 2 : 219, 395.
56 : 194. XXXI, 5 : 259, 260.
XXXII, 2 : 270.
4 : 284,
MÉTHODE D’OLYMPE 194:
7-8 : 343.
7-9 : 263.
SUR LA RÉSURRECTION DES Corps
XXXII-XXXIII : 284.
— éd. G. N. BonwEerscx, Methodius XXXIIL, 1 : 255,
von Olympus, Erlangen, 1891. 5 : 242.
XXXIV, 2: 91, 93, 354, 359.
I, 37 : 329.
11::361%
XXXV, 3 : 288.
4-5 : 284.
MINUCIUS FÉLIX XXXVI, 1 : 288.
4 : 263.
OcTavivs 4-5 : 243,
5 : 263, 265.
— éd. J. P. WaALTZING, M. Minucii 1. = TEA:
Felicis Octauius, Leipzig, 1912; 8 : 243, 265.
G. QuisPez, M. Minucii Felicis Oc- XXXVII : 244.
tauius, Leiden, 1949 ; M. PELLe- UE À : 264.
GRINO, Octauius, Turin, 1947 (Scrit- 3 : 265.9 : 263.
tori latini commentati per le 11-12 : 259.
scuole). XXXVIII, 1 : 244.
XI, 1 : 253, 412. 4 : 243.
7 : 152. 5-6 : 102.

461
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

NEMÉSIUS D’EMÈSE ORIGÈNE

DE NATVRA HOMINIS CoNTRE CELSE


— éd. PG XL. — éd. KoETscHAU, Origenes Werke,
I : 416. t. I et II, Leipzig, 1899.
XV : 96. 1, 5 : 118.
II, 795 : 90.
IV, 45 = 119:
NOVATIEN 69-70 : 385.
VI, 2 : 127.
DE TRINITATE
— éd. W. Y. Fausser, Nouatiani Ro- ENTRETIEN AVEC HÉRACLIDE
manae Vrbis presbyteri de Trini-
— éd. J. SCHERER, Entretien d’Ori-
tate liber, Novatians treatise on the
gène avec Héraclide et les évêques,
Trinity, Cambridge, 1909.
ses collègues, sur le Père, le Fils
I : 238, 376 (2), 384 (3). et l’âme, Le Caire, 1949.
II : 310, 325, 326 (2), 340, 341,
p. 144, 1. 3 - 164, 1. 17 : 181.
379, 387, 413 (2).
III : 281, 309, 341.
V : 289, 292 (2). SUR LA GENÈSE
VI : 292.
VII : 289. — éd. PG XII.
VIII : 328, 330, 340, 376 (2), 413. I, 26 : 291.
XV : 309.
XVIII : 299, 309.
XXII : 153. PONTIVS
XXIV : 309, 396.
XXV : 396. ViTA CYPRIANI
XXXI : 202, 303, 316.
XXXVII : 309. — éd. W. HaARTEL, S. Thasi Caecili
Cypriani opera omnia, CSEL II, 3,
DE SPECTACVLIS Vienne, 1871.
— éd. A. BourANGER, Tertullien, De X, 3 : 255.
Spectaculis, suivi de Pseudo-Cy-
prien, De Spectaculis, Paris, 1933.
V, 1-4 : 259. TATIEN
IX, 1-2 : 340, 376, 412.
IX-X : 376. Discours AUX GRECS
X, 1 : 376.
— éd. E. ScHWarTz, Tatiani Oratio
ad Graecos, Leipzig, 1888 (Texte und
DE cigis 1VDAÏcIs Untersuchungen, IV, 1).
— éd. G. LANDGRAF et C. WEYMANN, — trad. A. Puecn, Recherches sur le
Novatians Epistula de Cibis Ju- Discours aux Grecs, suivies d’une
daïcis, in Archiv für lateinische traduction française du discours
Lexicographie und Grammatik, 11, avec notes, Paris, 1903.
2, Leipzig, 1898, p. 221-248. — cité Orat.
III : 254. II : 123, 243.
III : 79, 89, 93, 99, 359.
EPISTVLAE IV : 139, 270, 271, 273, 280, 292,
336 (3), 337, 381, 390.
— éd. L, Bayanrp, Saint Cyprien, Cor-
V : 297 (2), 305, 314, 352.
respondance, 2 vol., Paris, 1925
VI : 93, 359, 361.
(Coll. des Universités de France).
VII : 139, 236, 297.
XXX, vi, 3 : 242, VIII-IX : 237.
XXXVI, 1v, 1 : 389. IX : 406.
XI : 236, 261, 406.
XII : 138, 329, 335, 336, 353,
* ODES DE SALOMON 365 (2), 366, 379, 386, 390,
394, 395.
— éd. J. Lasourr et P. BarirroL, Les XIII : 139 (5), 140.
Odes de Salomon, Paris, 1911. XIV : 209, 329, 395.
XII, 8-10 : 344. XV : 131, 138 (3), 139 (2), 395 (3).

462
1

TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES


XV-XVIII : 377. IX, 1 : 161 (2), 164.
XVI : 209, 329, 365 (3), 395. 3 : 164.
XVI-XX : 198.
4 : 164.
XVII : 200, 366.
5 : 164.
XVIII : 198, 250.
XIX : 103, 243, 366, 377. 6 : 164, 187.
XX : 140, 365. 7 : 154.
XXI : 86. 7-8 : 158, 165.
XXII : 250. 8 : 163, 218.
XXII-XXIV : 259. X : 157, 201.
XXV : 103, 250, 359 (2). > 3 : 201.
XXVI : 103 (2), 104, 250, 357, 400. 5e: 201
XXVII : 103. 5-6 : 372.
XXVIII : 254. 7 : 201.
XXIX : 104. 9 : 156.
XXXI : 429. XI, 2 : 156.
XXXII : 286.
3 : 145, 157, 339.
XXXV : 104, 429.
4 : 217, 219.
XLII : 104.
6 : 157.
XII, 1 : 158.
3-4 : 158.
TERTULLIEN
4 : 213.
6 : 158, 159.
— éd. d’ensemble dans le Corpus de XIII : 157.
Vienne (CSEL), t. 20; 47; 70.
> 12,198:
— éd. en cours dans le Corpus Chris-
tianorum series latina, I, 1, Opera XIV, 1 : 161.
Catholica aduersus Marcionem : ad 2 : 82 (2), 84, 106, 114, 133.
Martyres, par E. DEKKkERs; ad Na- 2-3 : 85, 96, 114.
tiones libri duo, par J. G. Pn. Bor- 3 : 161, 214.
LEerrs, Turnhout, 1953. 3-4 : 161.
532.161
DE ANIMA XV, 1 : 159.
3 : 106.
— éd. J. H. Waszinx, Q.S.F. Tertul- 4 : 159 (2).
liani De Anima, Amsterdam, 1947. 5 : 159.
120::1234 XVI, 1 : 404.
4-6 : 286. 1-2 : 233, 339.
II, 1 : 214, 215, 221. 1-5 : 133.
G : 198.
4 7158
I, 1 : 57.
4-6 : 234.
2 : 81.
4 : 155. XVII, 1: 214.
IV, 1 : 160. 2:%213;
V, 1-6 : 114. 4 : 96.
2-6 : 96, 163. p:2213!
8272): 8 : 213, 214.
: 82, 11 : 151.
: 162. XVII : 211, 214.
VI, -3 : 163. » 1-6 : 211.
10218: 3-4 : 56.
: 211. 5 : 159.
5 : 163. 6 ::211;
: 106 (3), 163. 7 : 212.
NO
à : 106, 163.
8 : 211, 212.
: 96, 163.
10 : 212.
es
œusanein
: 83, 92, 163.
10-12 : 212.
8-9 : 154.
VII, 1-3 : 163. 11 : 212.
3 : 163, 186, 391. 11-12 : 214.
A : 291. 12 : 56, 212, 214.
NI, -1::1378, 13 : 212.
1-2 : 164, 379. XIX, 2 : 190, 339.
3 : 106, 154, 164. 3-6 : 339.
Dr TA04 6 : 190.

463
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

XX, 1 : 106 (2), 121, 190. XXXVIITI : 190.


: 154, 190, 191, 401.
Prap tesSE 1e >

2-3 : 191. : 490:


.:2332
US CPR
: 154, 163, 216.
40e: 191
RL
TRE: 160, 163, 211, 238.
4-5 : 191, 404.
5 a: 238, 404. XXXIX, 1 : 188.
6 _: 184, 191. 3188:
XXI, 2 : 156, 217 (2). 1 : 188.
3 : 157 (2), 339. XL : 154.
6 : 238, 240. 1 "7164, 489:
XXII, 1 : 160, 220, 221, 238. DO TASSE.
1-2 : 220. 2-3 : 154.
2 : 160 (2), 221, 238. 2-4: 153
XXIII : 185. 4 : 154.
1-6 : 56. XLI, 1 : 187 (2).
5er 15 3 + 187, 220, 221, 277.
6 : 151. XLII 493,
XXIV 1185 : 106.
2 : 156, 160, 183. Xa : 96, 117, 162.
4 : 191 (2), 404. : 227.
5 - “21-216: : 201.
> 214 (2). : 117, 162, 217 (2).
7-8 : 357, : 404.
10/0: 221. J 217; 2178:
1PRRDEE
XXV : 92. XILAV, 22 : 106.
2 : 95, 97, 113, 185 (2). XLV, 1 : 165, 217, 218 (2).
3-6 : 185. 2 LU 21S.
Ar: 181: 3.2: 217 (2), 219 (2).
4-5 : 188. 5 : 219.
di] : 106, 189. 6 : 218, 219 (2).
6-7 : 95.
XLVI, 3: 218.
1191:
11 : 97, 218.
Dr ÉDDe
12 : 218.
9 : 82, 95, 185 (2), 187.
13 : 329.
De 7:
2-3 : 185. XLVIL, 1 : 219, 329.
3 +: 95, 97, 113. 2 : 218, 219, 279 (2).
4-5 : 185. 3 : 219 (2).
: 181, 183. 4 : 219.
TT re 185 XLVIII, 1 : 162, 218, 220.
2:°: 180, 2 : 219, 220 (3).
1 2: 367: 4 : 220.
4-8 : 184. XLIX, 1 : 165, 218.
6: 185. 3 21219,-279.
9 : 160, 186, 188. LI, 1 : 186.
XXVII : 153. 3 : 162.
XXXI, 2 : 164, 190. 5 : 161, 186.
2-5 : 191. 8 : 186.
XXXII, 3 : 162, 201. LII, 1 : 186.
-4 : 200. 3 : 154, 186.
G° 17191:
LILI, 2-4 : 164, 186.
6: 165. 3 : 163, 164.
XXXIII, 9 : 383. d : 164.
XXXVI : 186. 5-6 : 365.
, 2 : 187.
LIV, 1-2 : 97.
3 : 187.
dates 07e
4 : 164, 184, 187 (2), 188.
XXXVII, 1 : 196, 367. LIV-LV : 114.
2 : 189, 404. LV, 4
3-4 : 188. LVI, 5 : 190.
5 : 154, 189. 6 : 165.
6 : 189. 7 : 357.
TL SAAB LVII, 10 : 218.

464
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

LVIITI, 2 : 152. DE BAPTISMO FA


À $. — éd. A. REIFFERSCHEID et G. Wis-
NORMES sowA, CSEL 20, 1890.
6NEs 193
6-7 : 154. ri 28 (2x
III : 354 (2).
: IV : 156, 397 (2).
APOLOGETICVM
TICV} V : 144, ” 157.
— éd. J. P. WALTZING, À. SEVERYNS,
Tertullien, Apologétique, Paris, 1929 | DE CARNE CHRISTI
. (Coll. des Universités de France). — éd. A. KROyYMANN, CSEL 70, 1942.
— cité Apol. IV : 182 (2), 367.
IL, 6 : 79. Ne
V, 6 : 106. Art
IX, 8 : 181, 184. Le Er à
XI, 5 : 390. ere
LA 3 887 XI : 164, 391.
AL, 6 1: 106,
XVII, 121. 307, 371, 383.
: 297, 151, 213,
XUI : : 162,
XII 154. 215.
2. : 278, XV : 274, 396.
£
271. (2), 282, 284.
2-3 :: 273 XVI : 182 (2).
XVII : 182, 321.
4 _: 213, 276. XVIII : 151, 182.
4-6 365.
4-5 :: 214. XIX : 1180, 181 (2), 182 (2), 183,
5-6 :. 277, 278. RASE
AVI. 1 :.287: XX-XXIII : 183.
XX, 5 10: 357. : 82 (2), 88, 89, 115,
XXI, XXII : + 187.
XXII 182,
118, 312. XXIV : 151, 165, 180.
10-13 : 306.
11: 290, 297. DE cARNIS RESVRRECTIONE
à : ts — éd. A. KRoyManx, CSEL 47, 1906.
XXII, 1 : 392. I : 106.
4 : 392. Il : 152, 213.
5 : 392 (2). II-III : 277.
5-6 : 329. II : 106, 215, 216, 277.
8 : 329, 392. ILI-IV : 215.
XXIIL, 1 : 219. V : 152, 215, 383 (2).
XXV, 5 : 106. VI : 132.
XXVI, 1 : 357. VII : 152 (2), 154 (2), 155, 156,
XXX, 5-6 : 270. 183, 187, 214 (2), 367.
XXXVIN : 255. VIII : 152, 367.
, 3 : 256. IX : 144, 152, 155, 165, 383 (2).
XL, 10-12 : 284. X: 1182.
XLI, 3 : 257. XI : 367.
5 : 244, 256, 378. XII : 221, 287, 362 (2), 383.
XLII, 4 : 182, 199. XIV : 152 (2).
XLVI, 4 : 101. XV : 152 (2), 153 (4), 159.
7 : 101. XVI : 153, 154, 186.
13 : 82. XVII : 152 (2), 162, 163, 164 (2).
18 : 102. XVIII : 218.
XLVII : 119. XXXII : 152.
Merise. XXXIII : 152, 162.
6-7 : 119. XXXIV : 152.
7 : 119. XXXV : 152, 162.
9 : 56. XL : 152, 153, 158 (2).
XLVIIT, 3: 164. XLII : 158.
4 : 152, 160, 164. XLIV : 158.
7 : 339, 390. XLV : 153, 154, 186.
8 : 362. | XLVI : 154, 213, 214.
9 : 131, 383. XLIX : 151 (2).
11 : 379. LIII : 162.
14 : 354. LVI : 152.
L, 14 : 99, 106. LXIII : 154.
465
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

DE CORONA 12 : 282 (3).


13 : 56, 82, 86, 91, 113, 282, 365,
— éd. A. KrRoYMmMANN, CSEL 70, 1942. 371, 372 (2), 382, 412.
V : 214 (2), 253, 367. 13-14 : 367.
I : 214, 254, 279. 14 : 367, 372.
NII : 253 (2). 15 : 356.
VIII : 383. 16 : 213, 215, 277, 379.
17 : 281.
DE CVLTV FEMINARVM 18 : 287.
23 : 293.
— ibid.
24 : 152 (4), 154, 294.
1, 8 : 258, 367. 25 : 292,
25-27 : 292,
DE EXHORTATIONE CASTITATIS 28 : 157.
— ibid. 29 : 367.
IX : 238. Livre 11
IX : 259.
XII : 260. : 188.
:
491,151, 228, 383.
DE FVGA IN PERSECVTIONE :
155, 238.
:
238 (2).
— éd. PL II. :
151, 155, 238, 336, 339, 392 (2).
VIII : 151, 152, 157. co
ER
Cr
Œ
G
D :
156 (4), 160, 183, 210, 217, 238,
378, 383, 387.
ADVERSVS HERMOGENEM 16 : 289, 290, 292 (3).
— éd. A. KROYMANN, CSEL 47, 1906. 27 : 299.
29 : 379.
III : 298.
VIII : 57. Livre III
NV: 978:
XVI : 377. 4 : 282.
XVIII : 298, 351 (2), 352 (2). 6 : 289, 299 (2).
XXXI : 353. 9 : 392.
XXXV : 391, 393. pe ere UE
XXXVI : 391, 393 (2).
XL : 371. Livre IV
XLI : 155, 163, 356 (2). 1::.379.
XLIV : 89, 115, 118. 12 : 154.
16 : 216, 256.
DE IDOLATRIA 21 : 182, 189.
— éd. A. REIFFERSCHEID et G. Wis- 22 : 217 (2), 219, 274, 298.
sowa, CSEL 20, 1890. 32: 152.
IX : 238, 242, 406.
XIV : 256.
4:::8574
DE IEIVNIO ADVERSVS PsycHicos LE ty ee
6 : 152, 155, 357.
— ibid. 8 : 217, 290.
III : 219. 9 : 186.
IV : 182. 10 : 152, 154, 162.
11 : 152.
ADVERSVS IVDAEOS 1297152
13 : 254.
— éd. A. KROYMANN, CSEL 70, 1942.
15 : 161.
IT : 253. 16 : 281.
V : 270. 17 : 419.
19 : 56, 79, 91, 97, 121.
ADVERSVS MARCIONEM

— éd. A. REeIFFERSCHEID et G. NVis- AD MARTYRES


sowA, CSEL 47, 1890. — éd. T. H. BINpLey, Q. S. FI. Ter-
Livre 1 tulliani, De praescriptione haere-
3 : 215. ticorum, Ad Martyres, Ad ne
10 : 215, 256, 277, 282, 383. lam, Oxford, 1893.
11 : 281. II : 154.

466
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES
AD NATIONES DE PATIENTIA
— éd. J. G. PH. Bonrcerrs, Q. S. FI, — éd. A. KROYMANN, CSEL 47, 1906.
Tertulliani, Ad Nationes libri duo, I : 286.
Leiden, 1929. IV : 383.

Livre 1 DE PAENITENTIA
à : 242. — éd. P. DE LABRIOLLE, De Paeniten-
bd
C1 : 378. tia, De pudicitia, Paris, 1906 (HEem-
1 SD
: 242. MER-LEJAY).
8,°t5 30154. I, 2 : 294.
10, 17 : 84. II, 1 : 294.
43 : 84 (2). IL, 3-7 : 152.
14,011-:0242 5Or:1102:
8 : 391, 392.
Livre II
— éd. M. HAIDENTHALLER, Tertullians DE PRAESCRIPTIONE HAERETICORVM
zweites Buch Ad Nationes und — éd. A. KRoYMANN, CSEL 70, 1942.
De Testimonio Animae, Paderborn, VII : 56, 79, 82, 91, 120, 121 (2),
1942. 151, 283, 292.
4, 4-6:0:5284. VIII-XIV : 283.
9-12 : 86. XXX : 46, 47, 121.
2 : 119. XLIII : 56.
> 85-119.
10 : 84, ADVERSVS PRAXEAN
14 : 84, 86. — éd. A. KROYMANN, CSEL 47, 1906;
18 : 82, 88. E. Evans, Q. S. F. Tertulliani Ad-
19 : 84 (2), 90. uersus Praxean Liber, Tertullian’s
: 84, 90. treatise against Praxeas, Londres,
8 : 160. 1948.
11 : 84, 90. II : 307, 308 (2).
4, 10 : 82, 89, 115, 118, 119. III : 303, 308.
: 375. V : 155, 294, 311, 313, 340.
‘1214 VI : 307, 313, 351 (2).
D : 84. VII : 202, 290, 300 (3), 301 (2),
Cu : 383, 412. 307, 313, 351 (4), 392.
16-18 : 284, 383. VIII : 300, 305, 307 (2), 308, 392.
17 : 256. IX : 289, 299, 306 (2), 340.
, 6-7 : 284, XI : 306.
, 6 : 84. XII : 306, 308.
=,
©
œ3 : 84, 86. XIV : 298, 299 (4).
12, 5 : 84. XV : 298.
20 : 357. XVI : 151, 297, 298,
13, 1 : 84. XIX : 306, 308.
14, 1 : 84, 86. XXI : 306.
XXII : 307.
DE ORATIONE XXIV : 299, 308.
— éd. A. REIFFERSCHEID et G. Wis- XXV : 308.
sowA, CSEL 20, 1890. XXVI : 289, 299 (2), 300.
XXVII : 151, 307, 308, 309, 396.
XXIX : 368.
XXIX : 151, 292, 299.
XXX : 151, 152.
DE PALLIO
— éd. À. GERLO, Q S. F1. Tertullianus DE PVDICITIA
De Pallio, kritische uitgave, met — éd. A. REIFFERSCHEID et G. Wis-
vertaling en kommentaar, 2 vol. sowA, CSEL 20, 1890; P. DE La-
Wetteren, 1940. BRIOLLE, De Paenitentia, De Pudi-
II, 1 : 379. citia, Paris, 1906.
1-6 : 362. I : 188, 248.
II, 2-3 : 198. II : 248.
IV, 2 : 258, 367 (2). IV : 254.
V, 1-3 : 102. NII : 255.
4 : 82, 100. XIII : 152.
VI, 2 : 429. XX : 152.

467
TABLE DES CITATIONS PATRISTIQUES

AD SCAPVLAM DE VIRGINIBVS VELANDIS


— éd. T. H. Binpzey, Q. S. FI. Ter- —- éd. PL I.
tulliani, De Praescriptione haereti-
corum, Ad Martyres, Ad Scapulam, NF 21915 (2) 221:
Oxford, 1893. XI 1287,
IL : 254, 270, 279, 284, 287. XVI : 287.
IV : 106.
ADVERSVS VALENTIANOS
SCORPIACE
__ éd. A. Knovmanx, CSEL 47, 1906.
— éd. A. R£errrFEeRsCHEID ct G. Wis-
sowa, CSEI 20, 1890. III : 281.
IV : 242. XXIX : 309.
V : 379.
VI : 152 (2).
IX : 152, 187. THÉOPHILE D’ANTIOCHE
X : 242.
XII : 152.
XIIT : 152. Trois LIVRES A AUTOLYCUS

_ éd. G. Barpy -J. Sexber, Trois


DE sPECTACVLIS Paris, 1948
livres à Autolycus,
— ibid. et A. BOULANGER, Tertullien, (Sources Chrétiennes).
De Spectaculis, suivi du Pseudo-Cy- — cité Autol.
prien, De Spectaculis, Paris, 1933.
1, 2-7 : 281.
IL :,156, 183, 201, 221, 286, 287, 3 : 271, 288, 292, 310.
383 (2), 387 (2). : 284, 357, 382.
III : 259.
Ce : 138,
Ce 271, 284, 285, 325,
XIII : 156. 326, 338, 382.
XXIX-XXX : 359. : 382 (3), 383, 404.
XXX : 259.

DE TESTIMONIO ANIMAE
— éd. A, ReIFFERSCHEID et G. Wis- : 361.
sowA, CSEL 20, 1890, avec les sub- : 83, 89, 105, 120 (2), 355.
divisions de W. A. J. C. SCHOLTE, 8 : 79, 84.
Q. S. Florentis Tertulliani Libellum 10 : 270, 284, 292, 312, 315,
de Testimonio Animae praefatione, 382.
translatione, adnotationibus ins - 11 : 382.
tructum, Amsterdam, 1934. : 374.
13 : 337, 338, 397, 4U4.
1, 5 : 151, 185.
14 : 361, 382.
6 : 79.
II, 1-2 : 277, 279. 15 CHE.
3-5 : 292. 16 : 382, 404.
G ::277, 279. 17 030
TNFR AR. 18 2 + 291, 982,
IIL, 1 : 88. 19 : 382.
22 : 297 (2), 301, 314, 316.
2 : 188.
24 : 180, 237.
IV, 6 : 152.
V, 1: 221. 27 : 237 (3).
2151220; 221. 33 11210
«137 : 359.
3":1215.
I, 120.
VE 1%: 221253,
79, 82 (2), 84, 119.
3: 214, 256,
a : 100.
5 : 287.
119.
82, 94.
AD VXOREM
. 79, 83.
…...
— éd. A. KroyMAnNN, CSEL 70, 1942. : 243.
1, 2 : 260. bed
EhQUO
1&
œEr : 259.

468
TABLE DES CITATIONS PROFANES
D'AUTEURS ANCIENS

L’édition consultée est généralement l’édition classique; sont signalées en


détail surtout les éditions critiques, récentes ou peu connues.

AËCE ARRIEN

— éd. H. DreLs, Doxographi graeci, | ANABASIS


Berlin, 1879.
NII, 11,:9: 373.
PLACITA
1, 6, 9 : 86. AULU-GELLE
7, 33 : 113 (2), 117. i
II, 3, 4 : 124.
IV, 4, 4: 170. NOCTES ATTICAE
5, 11 : 171. I, 2 : 50, 104.
21, 1: 173. V, 15 : 202.
V, 23, 4 : 117. VII, 2 : 50.
IX, 2 : 50, 104.
XII, 5 : 50.
ALEXANDRE:- d’Aphrodisias AUIT, 24, 2 : 104.
XVII, 1 : 50.
— éd. I. BruNs, Alerandri Aphrodi-
siensis, praeter commentaria scripta
minora, Berlin, 1892. CICÉRON

De Fato 34 : 409.
DE NATVRA DEORVM

1, 14, 36 : 113.
ARISTOTE (et Pseudo-) 37 : 117.
17, 44 : 206.
DE ANIMALIVM GENERATIONE 1, 9, 24-25 : 137.
22, 57 + 113.
11, 748 b : 19. | 34, 86 : 390.
IV, 765 b : 193. 52, 130-53, 133 : 380.
62, 154-66, 165 : 327.
DE MVvNDpo 64, 160 : 116.
65, 164-66, 165 : 329.
V, 396-397 : 379. 63, 157 : 383.
VI, 397 b : 124. 66, 167 : 120.
399 b : 285. III, 17, 44 : 105.

469
TABLE DES CITATIONS PROFANES

ACADEMICAE XIII, 18 : 270.


19 : 270.
II, 41, 126 : 113. 21 : 270.
XIV, 3 : 285.
XVI, 3 : 326.
DE FINIBVS
II, 19, 64 : 255. ASCLEPIVS
V, 13, 38 : 116.
2::5351.
3-:1/9391.
DE DIVINATIONE 10 : 412.
I, 30, 64 : 219. 14 : 351.
I, 14, 33-34 : 411. 19 : 412.
58, 119 51217. 20 : 202.
26 : 414.
38 : 328.
TYSCVLANAE 39 : 328, 329, 409.
IL, 11, 26 : 84.
FRAGMENTS DE STOBÉE

IV, 7 : 409.
CORPVS HERMETICVM 23:: 212:
VIII : 409.
— éd. A. D. Nocx et A.-J. FESTUGIÈRE, X : 356.
4 vol., Paris, 1945-1954 (Collection XI, 2 : 409.
des Universités de France). 3 : 409.
1, 19 : 363. XII : 409.
31 : 270. XIII-XIV : 409.
IV, 1: 289. XV : 188.
2 : 415. XXII : 188.
6 : 363. XXIII, 48 : 326.
11 : 342. XXIV, 8-9 : 187.
V, 3-5 : 285. 9 : 416.
VI : 363. 11 : 416.
VII, 2 : 363. 14-15 : 191.
VIII, 1 : 362. XXV, 7 : 216.
3 : 175. XXVI, 13-30 : 416.
4 : 362.
5 : 326, 352, 416. FRAGMENTS DIVERS
IXUT-2551212.
3 : 209. 20, 4 : 328.
500212 26 : 326.
8 : 363.
MS 2 0e 352:
8-9 : 246.
10 : 363. DIOGÈNE LAËÈRCE
11 : 416.
12 : 363. ViTAE PHILOSOPHORVM
13 : 201.
— éd. C. G. CoBer, Paris, 1862.
XI, 6 : 388.
6-8 : 285. Pooimion : 79.
11 : 391. Prooim. 14 : 80.
14 : 391. VII, 5 : 79, 91.
18 : 326. 39 :182;
21 : 363. 54 : 204.
22 : 285. 87 : 117.
XII, 2 : 363. 121 : 119.
5 : 403. 135 : 398.
5-9 : 403, 409. 142 : 168.
6 : 406. 148 : 164.
14 : 326, 338. 156 : 113
15 391. 158 : 117, 217.
15-16 : 362. 175 : 117 (2).
20 326, 416. 188 : 119.
23 326. X, 63 : 168.

470
TABLE DES CITATIONS PROFANES

ÉPICTÈTE VI, 10, 455 : 201.


XIV, 6, 163-164 : 193.
DIssSERTATIONES 8, 178 : 193.
9, 183 SL LT
II, 12, 25 : 49. 10, 184 AE
14, 21 : 265. XV, 4, 225-226 : 201.
15, 4: 140. 5, 231 : 201.
15, 8 : 140.
IL, 5, 8-11 : 269.
5, 10 : 269. HERMÈS (cf. Corpus Hermeticum).
24, 66 : 255.

ENCHIRIDION
HÉSIODE
39 +: 269.
SR +: 1214 THEOGONIA, v. 196-197 : 192.
FRAGMENTS
— éd. H. SCHEXKL, Leipzig, 1916.
HIPPOCRATE
19 : 265.
| — éd. E. Lirrré, Hippocrate, Œuvres
complètes, texte et trad., 10 vol.,
GALIEN | Paris, 1839-1861, dont je note, dans
les références, les divisions, avec
— pour lensemble de l’œuvre éd. le tomc et la page.
C. G. KuEnx, Khzasiso Tanrvos
äz2xvT2,Claudii Galeni opera omnia, DE AFRIBVS, AQVIS ET LOCIS
20 vol., Leipzig, 1821-1833 (coll.
Medicorum graecorum opera quue IIT-VI : 228.
exstant), dont je note les divisions
et la page. DE EPIDEMIA
— cf. trad. partielle de CH. DAREM-
BERG, Galien, Œuvres anatomiques, II, 3° section, 17 : 189.
physiologiques et médicales, 2 vol., VI, 2 section, 25 : 189.
Paris, 1854-1856.
DE MORBIS
DEFINITIONES MEDICAE, éd. KUEHN,
t. XIX. LIIT : 199.

95, 371 : 113.


DE NATVRA PVERI

DE NATVRALIBVS FACVLTATIBVS, Éd. 1 : 177, 178, 192.


Kuexn, t. II. ILI : 178.
XVIII : 189.
II, 3, 83 : 192.
III, 7, 161 : 200.
DE VICTV

DE VARIIS CONSVETVDINIS HOMINVM 1, 4 : 362.


GENERIBVS If,:57:: 199.

— éd. F. R. Drerz, Galeni de dissec-


tione musculorum et de consuetu-
dine libelli, Leipzig, 1832, dont je HORACE
note la division et la page.
11,117 : 200. SATVRAE
119-120 : 200.
11,537: 00:
7 : 50.
DE vVSsv PARTIVM CORPORIS HVMANI,
éd. Kuexw, t. III et IV.
IIL, 10, 241 : 416. JAMBLIQUE
IV, 2-3, 268-269 : 200.
4, 11972 : 200. DE ANIMA (selon Stohée)
ñ, 1273 : 200.
8-9, 285-286 : 200. : 96, 171.

471
l'ABLE DES CITATIONS PROFANES

MARC-AURÈLE DE MIGRATIONE ABRAHAMI

AD SEIPSVM LIBRI XII 181 : 329.

17, 837197: DE MVNDI OPIFICIO


IV, 41 : 363.
VI, 38 : 47. 43 : 336.
VII, 9 : 47, 398. 66 : 116, 342.
IX, 24 : 363. 143-144 : 416.
XII, 14 : 47.
30 : 47. DE PLANTATIONE NOE
8-9 : 344.
MUSONIUS
DE soMNIis
— cité selon la page et la ligne de
lPéd. O. HENSE, C. Musonii Ruji reli- 1, 1-3 : 219.
quiae, Leipzig, 1905. 30-32 : 171.
215 :2:377.
64, 3-4 : 260.
65, 7-10 : 111. 111-4219;
95, 4-6 : 109.
6-8 : 107. DE SPECIALIBVS LEGIBVS
10; 13-14 : 109.
1; 605: :37%:
97, 5 : 107.
99, 13-14 : 108.
15-100, 1 : 108.
100, 2-4 : 108. PLATON
102, 5-6 : 107.
103, 1-5 : 108. THEAETETVS
104, 4-5 : 108.
176 ab : 379.
105, 5 : 107.
108, 14-109, 7 : 110. TiMAEvS
110, 5 : 109.
30 D : 137.
5- 6 : 109.
9-12 : 109. APOLOGIA SOCRATIS
111, 8-10 : 110. 30 cd : 213.
112, 4-9 : 110.

PLOTIN
PANÉTIUS
ENNEADES
— éd. VAN STRAATEN, Panaetii Rhodii IL, 1, 7 : 302.
fragmentu, Leiden, 1952.
Fragm. 85 et 96 : 84. PLUTARQUE

DE GEN10 Socraris
PHILON
20, 589 c : 228.
— éd. CoHN-WENDLAND, Philonis
Alexandri opera, 5 vol., Berlin, DE IsinE ET OsiRIDE
1896-1906.
59, 375 b : 302.

DE AETERNITATE MVNDI
QVAESTIONVM CONVIVALIVM
108-111 : 92. IE, 6, 1, 653 e : 117, 119.
V, 10, 3, 685 ec : 116.
DE CONGRESSV ERVDITIONIS GRATIA
100 : 223.
DE STOICORVM REPVGNANTIS
100-106 : 416. 6, 1034 b : 118.
41, 1052 f-1053 a : 113.
QVIs DIVINARVM RERVM HERES (cité
HER.) DE TRANQVILLITATE ANIMI
195377: 20, 477 c : 270.

472
TABLE DES CITATIONS PROFANES

PORPHYRE ADV. MATHEMATICOS


VII, 307 : 226.
QvoMopo ANIMETVR FETVS 374 : 168.
— éd. K. KazBFLeiscu, Berlin, 1895. XI, 190-191 : 119.
IL, 1 : 171.
ADV. PHYSICOS
II, 310-318 : 121.
SÉNÈQUE

DE BENEFICIIS STOBÉE
IV, 7, 1 : 294, 404. —— cité selon l’éd. C. WACHSMUTH,
7, 1-2 : 399. Joh. Stobaei Anthologii libri duo
VIL 1, 7 : 255. priores, eclogae physicae et ethni-
cae, t. I, Berlin, 1884.
DE CLEMENTIA I, 1, 29, p. 37-38 : 113, 117.
49, 34, p. 369, 6-9 : 96.
I, 5, 1 : 388. 49, 41, p. 381, 1-18 : 171.
19, 2 : 264.
II, 2, 1 : 388.
STOÏCIENS ANCIENS divers
EPISTVLAE
II, 6 : 263. -— cité selon le n° du fragment dans
XLI, 1-2 : 2635. l’éd. J. von ARNIM, Stoïcorum Ve-
terum fragmenta : t. I, Zeno et
5 : 263.
XLVII, 10 : 263. Zenonis discipuli, Leipzig, 1905;
LXV, 12-13 : 294. t. II, Chrysippi fragmenta logica et
24 : 294. physica, Leipzig, 1903; t. III, Chry-
LXXI, 31 : 264. sippi fragmenta moralia. Fragmenta
successorum Chrysippi, Leipzig,
XCII, 30 : 388.
XCV, 65 : 322. 1903. IL existe un t. IV de tables
CV, 4 : 263. dressées par M. Aprer, Leipzig,
1924.
CXIX, 15 : 108.
CXXI : 205.
Tel
PROVIDENTIA 60-61 : 214.
74 : 202.
IL, 7-8 : 264. 128-129 : 178.
IL, 1: 265. 130 : 218.
10 : 264. 143-144 : 170.
IV, 5 : 264. 146 : 118.
265. 171 : 113 (2).
1 0e+se.e 265. 191-196 : 245.
VE àa : 265. 197-198 : 205.
205-215 : 232.
251-256 : 119.
QVUAESTIONES NATVRALES
263 : 374.
1, Praef. 13 : 294. 264 : 118 (2).
IL, 45, 1-3 : 399. 265 : 118.
VII, 30, 1 : 377. 405 : 82.
495 : 91.
523 : 171.
DE REMEDIIS FORTVITORVM
557 : 83.
. X, 1 : 263. 560 : 83.

T. I
SEXTUS EMPIRICUS 52-81 : 205.
73-78 : 214.
82-89 : 205.
HyPOTYPOSES 90-101 : 205.
I, 205 : 119. 102-104 : 226.
245-246 : 119. 105 : 204.

473
TABLE DES CITATIONS PROFANES

138-139 : 202. 266 : 100.


318 : 175. 295 : 244.
359 : 391. 299 : 244.
366-368 : 308. 302 : 244.
384 : 202. 308 : 247.
407 : 175. 308-326 : 252.
412-438 : 350. 337 : 294.
463-481 : 92, 154. 367-376 : 252.
467 : 133. 378-384 : 234.
471 : 154. 443-445 : 242.
522-525 : 387. 463 : 232.
525 : 391. 471-473 : 140.
549 : 294 491-499 : 242.
580-581 : 91, 354. 494 : 242.
596-632 : 358. 500-523 : 242.
604 : 186. 605 : 219.
715-716 : 172, 355. 625 : 374.
722 : 342, 630 : 374.
741-747 : 178. 743 : 119.
752 : 119. 17-19, p. 212 : 202.
804-808 : 113. 45, p. 219 : 84.
806 : 95, 113.
827-832 : 134.
827-833 : 170.
849 : 226. VARRON
879 : 157.
937 : 294. — éd. R. AGaup, M. Terenti Varronis
974-1007 : 235. Antiquitatum Rerum divinarum li-
1002 : 409. bri 1, XIV, XV, XVI, in Jahrb. für
1027 : 113 (2). klass. Philol. de A. Fleckeisen,
1028-1048 : 88. Supplementb. XXIV, Leipzig, 1898.
1116 : 132, 326.
1133 : 113. ANTIQVITATES RERVM DIVINARVM
1152-1167 : 380.
11032 372, I, fragm. 1-6 : 115.
1198 : 219.
RERVM RVSTICARVM LIBRI III
TITI
II, 4, 10 : 116.
1-9 : 241.
29 : 244.
45 : 84.
49-67 : 242. XÉNOPHON
71 : 242.
114 : 242.
MEMORABILIA
118 : 242.
181 : 242. I, 4 : 274.
254 : 244, IV, 3 : 274.

474
INDEX RERUM

Les noms d’auteurs modernes ou contemporains sont omis. Les termes


techniques, latins ou grecs, sont intégrés dans la table générale, à la place
qu’ils occuperaient en graphie française (compte non tenu de l'esprit rude).
L’astérisque signale les mentions qui n’apparaissent qu’en note dans le texte.
Les pages reliées par traits d’union indiquent un développement suivi sur
le sujet.

« Accidents » : 160, 356*, 391. 217, 218, 427, 433. — lien avec l’uni-
A Diognète : 136, 243*, 255, 327, 334, vers : 51, 132*, 220, 221-222. — ori-
365, 380, 425. gine, cf. Génération : 195-196. —
AÈCE : 86%, 113, 117, 118*, 124, 170%, rôle : 136. — témoignage de l’âme,
171%, 173%. cf. Notions communes : 275%, 276-
AELIUS ARISTIDE : 52, 103-104. 277, 278. — survie : 97-98, 114, 141,
Afflatus, cf. Flatus, rvo, : 145, 155- 160, 163*, 165, 171*, 174, 207, 216.
156, 159, 160, 339. 2 âme du monde, cf. Animisme,
z!o0notç, cf. Sens, Sensation, Sensus, Microcosme : 26, 68, 123, 124, 138-
Sensualitas : 173, 204, 205%, 223-225, 139, 140, 168, 176, 220, 334, 336%,
226%. 338, 339, 343, 345, 350, 420, 424. —
3x0008ns:, enchaînement logique ou des bêtes : 83, 90, 116, 342. — des
physique : 401%. — 3zoouf'x (même plantes: 339*, 345*, — des pierres:
sens) : 208, 209, 210, 401, 405. 345*.
ALBINOS : 38, 52*. Amitié : 81, 115.
ALEXANDRE d’Aphrodisias : 409%. Avarepaatoùv, cf. Récapitulation :
Alexandrie (école d’) : 39%, 41, 104*, 418.
365%. évéuvnots, souvenir : 185.
#)0yo0s, irrationnel : 134, 158, 169, 170, avéyrn, cf. Nécessité : 374, 405.
172*, 173, 232, 233, 247. ANASTASE le Sinaïte : 291.
AMBROISE : 84*. ANAXIMANDRE : 80, 81*.
Ame, cf. Anima, Flatus, Afflatus, Ani- ANAXIMÈNE : 80*, 81*.
mus, Feu, Yuyf, vof. 1 âme hu- ANAXAGORE : 80, 81*, 171%, 177.
maine, cf. Animation, Homme : 26, Anges, angélologie, cf. Démonologie,
27, 95-97, 106, 113, 133-135, 207, 209, Feu : 328, 329-330, 331, 335, 336,
220, 221, 229, 230, 232, 233, 235, 238, 339, 387, 392, 394-396, 424, 426.
245, 341. — parties : 84, 96, 98, 106, Anima, cf. Souffle vital, Ame : 155,
114, 133-134, 149, 170-171, 173, 266, 157, 160. — animale : 156. — ani-
427. — qualités, divine, cf. Diuini- mation : 60, 92*, 184, 185-186, 189,
tas : 217; simple : 160-161; pas- 196. — animisme (cosmique) : 90,
sible : 160, 162, 163, 213; corpo- 91, 171%, 324, 325%, 334-342, 345%,
relle : 82, 95-96, 106, 114, 133, 139- 386, 412, 415, 425, 433.
140, 147-148, 161-166, 174-175, 176, Animus, cf. vor — en Dieu : 87, 158,
392, 394, 427. — unité : 134, 155- 159%, 210, 212. — fonction de l’âme,
159, 160-161, 170, 172, 173, 176, 178, cf. Mens : 158, 211, 212.

475
INDEX RERUM

ävraxohouix, accompagnement réci- Bain : 199, 259, 333, 355.


proque (des vertus) : 244*. BARDESANE : 238-239, 327*, 353*, 407-
Anthropocentrisme : 375*, 380-384, 409, 425.
385, 386, 424, 425, 427. (Pseudo-) BARXABÉ : 406, 419*.
Anthropologie, cf. Homme. BasiLiDe, Basilidiens : 47*, 123, 167*,
Anthropophagie (et autres monstruo- 239.
sités) : 82, 100%, 119. Beauté du monde, cf. Harmonie : 276,
avrfingus, Cf. oûveots, xazaAnts : 226. 283, 284, 345, 363*, 366, 371-372,
ANTIOCHUS d’Ascalon : 81*. 374, 375, 376, 377, 380, 382, 424, 426.
ANTIPATER de Tarse : 49, 84, 98, 99, Bible : 65*, 75, 76*, 140*, 159, 163,
127, 164*. 181*, 184, 185, 236, 257, 259, 273,
ANTISTHÈNE : 80*, 81*. 275, 276, 284, 287, 288, 291, 294, 296,
àari6evx, 3rafr<, cf. Impassibilité : 62, 297, 298, 302*, 320, 324, 325, 334,
242, 292-293. 337, 338, 341, 349*, 359, 363, 366,
APOLLODORE : 159. 368, 373*, 380, 383, 385, 395*, 419,
: APOLLOPHANES : 82, 96, 114. 424, 426, 434. — livres de l'A. T.
arôppota, cf. Deriuatio : 302, 320. Job : 182*, 338*; Isaïe : 145. — du
APULÉE : 38, 78, 104. N. T., Luc : 332; Jean : 293, 294,
ARATOSs : 79, 80, 84, 88, 175. 295, 296%, 314, 320*, 332, 334, 351*,
ARCESILAÜS : 81*. 363; Paul : 31*, 33, 64, 69, 134, 135,
ARCHELAÜS : 80, 81*. 139, 110%, 144, 147, 158, 166, 167*,
ARCHIDÈME : 49, 83, 98, 101, 117, 127. 170, 254, 259, 260, 270*, 286, 296*,
Arianisme : 312*. 305, 320*, 366, 368, 370, 388, 389,
ARISTIDE : 86*, 136, 222, 258, 260, 407*, 418, 419; Ep. Hébr. : 360.
270%, 271, 272, 283, 284*, 292%, 296, Bien (souverain), cf. Fin, Autarcie,
327*, 371, 374, 377*, 381, 390, 400, Vertu : 81, 84, 244%. — biens ma-
403, 415. tériels respectés, cf. Mépris : 369.
ARISTON le stoicien : 80, 82, 87, 94, 98, BoérHos : 119%, 204.
114, 120, 270.
ARISTOTE : 26*, 56%, 75, 79, 121, 122+*, CALLISTE : 340.
123-125, 127, 158, 177, 182, 183, 192, CANDIDE l’arien : 301.
195, 204%, 223%, 269, 339%, 377*, CARNÉADE : 1035, 236*, 411*.
398*, 401%, 414%, 415, 434 — Cassius scePTICUSs : 118*.
pseudo-ARISTOTE (Peri kosmou) : Catégories : 83, 117*, 393*.
39, 123-125, 285, 289%, 327*, 379%. Cause, causalité : 26%, 27*, 44, 46, 213,
— aristotélisme : 39%, 48, 52, 105, 214, 282, 283, 297%, 345, 394, 398,
117*, 122*, 123-125, 179, 194, 203, 401, 405*, 421, 430. — espèces : 100,
205*, 210, 224*, 230, 350%, 434. 398*, 399. — causes premières : 224,
ARRIEN : 373%. 227.
Ascension d’Isaïe : 217*. CELSE : 38, 377%; 385%.
Assentiment, cf. ouyxatäfests : 60*, Chair, cf. Homme, Mépris : 45, 97,
214*, 226, 399. 132-176, 214, 367, 418.
Astres, astrologie, horoscope, cf. Chaleur (vitale) : 133, 155, 177, 182,
véveats : 185-186, 236*, 238, 327, 328, 183, 184, 192, 193, 194, 199, 340.
335, 396, 399, 401, 405, 407-409, 410*, Juox, joie : 234, 235.
411, 412. Christologie : 151*, 153*.
ATHÉNAGORE : 40%, 61, 78, 79, 85, 86, CaRysipPE : 25, 27, 49, 79, 80, 81%, 83,
89, 90, 91, 93, 113, 114, 117, 118*, 86, 87, 88, 92*, 94, 96, 100, 101%,
123, 138, 141-142, 147, 152, 176, 180, 113, 114, 116*, 119, 120, 122, 127,
184, 187, 196, 199-200, 206-210, 215, 132*, 134, 151, 157, 179*, 204, 205,
216, 217, 222%, 230, 232-233, 237, 243, 232, 234, 241, 249*, 266, 292%, 350%,
246, 250, 253, 258, 259, 260, 270, 272, 399, 409.
274%, 276, 277, 280, 284, 286%, 289, CICÉRON: 38, 73*, 80*, 84, 86*, 113,
292,*, 293, 297, 300*, 302, 307*, 312*, 116, 117, 120, 127, 206*, 217*, 219%,
314, 325, 327, 328, 329, 332, 336, 342, 255*, 327%, 329%, 380%, 383*, 390%,
351*, 353, 354%, 355*, 356, 360, 364%, 410*, 411%.
371, 374, 377*, 378, 381, 390, 391%, Cité, rdc : 100%, 252, 255*.
395*, 396, 401-404, 405, 409, 410-411, . CLaAuDIUS MAMERTINUS : 416%.
421, 423, 424, 425, 429, 4792. CLÉANTHE : 25, 49, 79, 80, 81, 82, 83,
AUGUSTIN : 65, 66, 67, 86*, 115*, 222+, 86, 87, 88, 89, 90*, 91, 95, 98, 99,
241, 360*, 391%, 400, 414*. 101, 115, 116, 117, 119, 122, 127,
AuLU-GELLE : 38, 50, 78, 104, 202*. 171%, 187*, 204, 241, 269, 306, 307,
Autarcie (de la vertu) : 243-245, 266, 424. 377%, 399%.
aretoÿstoc, cf. Libre arbitre: 235, 240. CLÉMENT d’Alexandrie : 40%, 41, 43,
Avortement, infanticide : 178%, 184. 47%, 56, 61, 66, 69, 71, 73*, 74, 78,

476
INDEX RERUM

19%, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 88, 90, Cosmogonie : 83, 89, 90-91, 194, 345,
91, 92, 93, 95, 97, 98, 99, 100, 101*, 350-357, 425, 426.
102, 103%, 104, 107-112, 113, 114, 115, Cosmologie : 46%, 342%, 349, 426, 431.
116, 117, 118, 121, 122*, 123, 124, Cosmopolitisme : 252, 254-257.
126, 127, 131, 132, 140*, 144%, 154*, Cosmos, cf. Monde.
166-176,180, 181, 183*,184*, 187, 191- CRANTOR : 81*.
197, 198, 199-200, 201, 202, 219*, CrRaTEs, platonicien : 81*.
222-230, 234-235, 239-241, 244-245, CRATESs, cynique : 80, 81*.
247-248, 248-251, 254, 255, 256, 258, CRESCENS, cynique : 105*.
259, 260, 261, 262, 264, 265-266, 269, Culture profane (et Eglise) : 126.
270, 271-272, 273, 274%, 275, 277, Cycle, cf. Evolution.
279-280, 281, 284*, 286, 287, 288, 289, Cyniques et cynisme : 49, 80, 98*,
292-293, 297, 298, 299%, 300, 302*, 100%, 103, 105, 119, 242*, 252%, 432.
305*, 312*, 316*, 318*, 319-320, 321, CxPRIEN : 73%, 99*, 102, 106, 107, 132*,
322, 325*, 326, 327, 328, 329*, 330- 167%, 174%, 198%, 238, 242*, 248,
331, 333, 341-342, 343-344, 350*, 353, 255%, 256, 257, 258, 259, 262, 263,
354, 357*, 360*, 365, 366*, 368-370, 264, 281, 284, 288*, 307*, 365, 367,
372, 373, 376-377, 378, 379, 384, 389, 368, 377*, 389, 396*, 413-414, 421,
395, 402*, 405, 411-412, 416, 417, 421, 425.
423, 425, 429, 431, 433, 434.
CLÉMENT de Rome : 61, 69, 74, 242*, DémocritE : 95, 121, 177, 184, 349,
292*, 325, 338, 361, 371, 373-374, 414*.
380, 388, 389*, 423. — pseudo-Clé- Démonologie, cf. Anges : 61, 209, 223,
ment : 399. 237, 239, 275, 323-330, 392, 334-396,
Coagulation (embryologie) : 182, 192, 403.
194, 195. DENYs, stoicien : 84, 86.
Colère (divine) : 61, 291-292. Deriuatio (Verbe), cf. ànrôppota : 239,
Conflagration finale, cf. 24r)cosx : 302, 305.
Désertion (morale) : 65*, 242*.
68, 90, 92-93, 167, 358-360, 414.
Conformité (volontaire à Dieu) : 98,
Désir, cf. érufupia, modos : 233, 235.
Destin (Dieu), cf. eiuxppévr, Fatum :
250-251, 399.
87, 88, 89, 93-94, 114, 236, 237, 239,
Connaissance, cf. stôrs!<, £vvotx, Sen-
240, 306, 359, 386, 398, 399%, 401,
sus, Prophétie, Extases.— épistémo-
403*, 409.
logie : 39*, 46, 50*, 204-230, 266,
Déterminisme universel, cf. Destin,
288, 424, 425, 427, 431, 433. — con- Enchaînement physique, Fatalisme,
naissance du bien : 190, 216. — de Nécessité : 398-399, 407.
Dieu, cf. Dieu. — connaissance et Devoir : 232*, 245*.
vertu, cf. Intelligence, Intellectua- Graroopeiv, Otaxoopnou, cf. Ordre : 92,
lisme : 246-248. 351, 364.
Conscience : 30, 214-215, 216, 220, êrivosa, pensée : 225, 226%.
232%, 246, 247, 254, 276, 277, 279, Diatribe : 39, 50, 127, 258-262, 263,
281. 425, 432.
Conspiralio, cf. céprvotz : 340, 376, Didaché : 380*.
383, 389, 398, 412-413, 425. — ôvhxeuw, pénétrer : 88*, 92*, 117, 175,
« conspiration » (cosmique), cf. 320, 327, 336, 337, 341. — rpoñuetv :
courvo:a : 29, 47%, 413. 330, 331.
Constitutions Apostoliques : 202, 224#, Dieu : 27, 29, 32, 44, 46, 50, 52, 68,
253, 254, 257, 327, 415. 73, 74, 82, 83, 85-90, 93, 94, 96, 113,
Continuité (physique) : 29, 30, 31, 349. 121, 127, 269-345, 426. — nature (de
Conversion : 242. Dieu) : 87-88, 89, 114, 115, 242, 250,
CoRxNuTuSs : 49. 288-294; un : 87-88; corporel, cf.
Corporéité, cf. Matérialisme : 27, 356, Feu : 88, 288-291; impassible : 308,
392. — connaissance (de Dieu),
357%, 390, 391, 392, 393, 395-396,
connaissable : 272-274; inconnais-
397. — de Dieu, cf. Dieu. — de
sable : 270-272; conn. naturelle, cf.
l’âme, cf. Ame.
Ame (témoignage) 274-288, 426;
Corps, cf. Matière : 26, 27, 92, 94, 217,
preuves de l'existence, cf. Ordre du
290, 300, 350, 356, 391, 395-396, 397. monde : 270-288, 294, 426; Dicu des
— corps-esprit : 396-397. — corps philosophes : 272*, 273, 286, 287.
humain, cf. Homme, Unité (de — Dieu dans le monde : 88-90, 118-
l’homme) : 74, 136, 229, 230, 232, 119, 120, 271, 344, 425.
233, 238, 239, 245, 365-366, 367. — DrocrÈs : 96.
corps, image d'unité, cf. Micro- DIoGÈNE, cynique : 79, 98, 119, 255%,
cosme : 339, 388-391. — corpus: 270%,
161-163, 308%. DIOGÈNE d’Apollonie : 177, 192, 193.

477
INDEX RERUM

DiocÈèNne de Babylone : 80, 81, 84, 86, tions communes : 205, 206, 215, 227,
87. 276. — œuotxt, Évotz, cf. Notions
DIoGÈnE LAERCE : 79%, 80%, 82%, 91*, physiques : 207, 208, 215, 227-228.
113, 117, 118*, 119, 164*, 204*, Erapou, tension morale : 232, 235.
217%, 398. EPICTÈTE : 27, 33, 41, 48, 49, 64, 68, 77,
Gvorxeïv, &rofxnotç, cf. Ordre : 92, 364, 107, 122, 127, 243%, 250, 255, 262,
373. 265-266, 269, 294, 345, 363%, 366,
Dion Cassius : 78. 377, 431.
Dion CHRYSOSTOME : 52, 104, 377*. EPICURE : 82#, 119, 121, 125, 168*,
Dispensatio, cf. olxovouix : 308. — 206#, 223*, 349. — épicurisme : 48,
disponere : 307*. — dispositio : 306, 51, 88*, 228, 292, 350%.
EPrPHANE de Salamine : 116-117, 118*,
309. — distincte, distinctio : 306,
124#.
309. — distributio : 161, 306, 309.
érothun, cf. Science : 207, 223, 226.
Diuinatio, divination : 96, 175*, 220-
— épistémologie, cf. Connaissance.
222, 357, 358*. — diuinatrix : 160. ErtOuuix, cf. Désir : 170, 232, 234. —
Diuinitas, cf. Ame (humaine) : 210, éntfuurTixov : 158, 170, 234.
216-222. Espace, cf. Lieu : 30, 298.
Docétisme : 187*, 202. Esprit, cf. Spiritus, THVEÜLA, VOÏS :
Droit naturel : 252, 254, 286. 143, 144, 145-146, 148, 149, 151*,
Dualisme : 27*, 29, 32, 39,.45, 46%, 155-157, 167, 300, 306. — Esprit
67*, 74, 150, 153%, 230, 330*, 350, (Saint) : 217, 219, 220, 274, 276, 302,
363, 364-365, 367, 368, 370, 393*, 304, 309, 331, 332-334, 338*, 345,
394*, 397, 409, 419, 426, 430. 369, 424, 426.
ôuvauis, puissance : 137*, 172, 226*, Esséniens : 407*.
297, 320, 340, 354*. étepoiwot:ç, altération (de l’âme) : 225.
Ether : 87, 113%, 353*.
Eudémonisme : 29, 99, 242, 243, 246*,
Eau : 94-92, 350, 354-355, 367, 372, 427, 433.
397. s)6ox!a : 418*.
Eclectisme (philosophique) : 37-40, 52, eora0nc : 228. — :2rxôctx, bonne dis-
75, 76, 122, 124, 125, 179% 203, 230, position : 232*,
424-425. Eusèse de Césarée : 83*, 86*, 105*,
« Economie » (divine), cf. oixovouia, 124, 290, 291, 429.
Dispensatio : 161, 244*, 304-310, EvaGre : 262*,
327, 329%, 377, 379, 405, 418, 420. Evolution (cyclique) : 91-93, 301, 302,
1ôovi, plaisir : 107*, 232, 233, 234, 304, 349, 351, 357-358, 359, 360-362,
235. 405, 414, 424, 426.
Egalité, cf. Homme, Péché. Extase : 205, 216-217, 219, 220, 228-
elônats, connaissance globale : 227. 229, 274, 279, 280.
stôwAa, images trompeuses : 209.
EHapmévr, cf. Falum, Destin : 93, 94,
116, 117, 398, 399, 405, 406, 409*. Fatum, cf. Destin, siuxpuévn : 238,
398*, 404, 407, 408. — fatalisme, cf.
Exxhtot, relâche, déclin : 232, 235.
Nécessité, Destin : 235, 236, 237,
éntrüpuots, cf. Conflagration : 88*, 90,
238, 239*, 398, 399, 400, 403*, 404.
93, 358, 359, 432. È
Et: constitution, disposition : 226, — fatalisme astral : 405-409, 425.
355. — éxtixh : 172. Femme : 99, 177-195. — féminisme :
244%.
Eléments (quatre-premiers), cf. Eau,
Feu (élément) : 27, 90, 92, 93, 194%,
Feu, Principes : 79, 89, 90, 91, 92,
350, 351, 354. — anges : 392, 395.
350-351, 353-355, 415, 416*, 426.
— fime : 95. — Dieu : 88, 89, 90,
Embryon, embryologie, cf. Coagula- 113, 117, 288-289, 341. — Verbe:
tion : 178, 181, 184, 185, 188-191, 298.
194-195, 196, 201. Fin (morale) : 85, 98, 114, 241*, 246.
EMPÉDOCLE : 88%, 93, 96, 121, 177, 191, Flatus, cf. Souffle vital,rvon, Àfflatus :
194%, 378*. 156, 160, 185, 339.
éuretpia, expérience : 227. FuLGEnceE : 404%.
ëppaotc, reflet : 275%, 279.
Enchaînement (physique), cf. Déter- GALIEN : 52, 113, 116%, 177*, 179%,
minisme : 241, 253, 386, 397-398,
189*, 192, 193*, 195*, 197, 200, 201,
401-402, 405, 412, 421, 424, 427. 311*, 355*, 416.
EXÉSsIDÈME : 97, 161. yéveotç (horoscope) : 406%.
éwôénuz, notion intellectuelle : 205. Génération (humaine) : 97, 177-197,
évvota, notion : 205, 225. — xotvai 425, 427.
Éwotat, cf. Sensus communes, No- | yEvntov : 93.

478
CCE
P
INDEX RERUM
GENNADIUS : 291. 291*, 292*, 297, 298, 303, 305, 307%,
Genre humain : 184, 188*, 252*, 256, 309, 312, 315, 320%, 330*, 332, 337%,
257, 317, 320, 381, 384, 418, 427. 339-340, 342, 345*, 351*, 353, 354,
Gnose, connaissance : 223, 224, 227, 359, 395, 407*, 411%, 415, 425. —
230, 244%, 248, 251, 322, 369, 416, pseudo-Hippolyte : 292%, 309*, 333,
429. — le gnostique : 225, 248*, 249, 337*, 372, 419*; Homélie pascale:
250%, 261-262, 269, 326, 377. 166*, 303-304, 320%, 361, 396.
Gnosticisme : 32*, 37*, 38%, 41%, 42- HonÈRE : 355%.
47, 53, 65, 139, 140, 142, 144*, 146, Homme, « vivant raisonnable » : 136,
149, 153%, 154%, 155%, 158, 159*, 138, 143, 151, 169. — anthropologie
166, 167*, 168*, 176, 211, 212, 215*, générale : 26, 29, 30, 32, 45, 46, 73,
222, 230, 239, 240, 278, 282, 283, 74, 85, 95-97, 121, 131-176, 203, 237,
285, 288%, 290%, 291, 302*, 305*, 238, 266, 365-366, 369-370, 425, 427,
320, 321*, 345, 363, 364, 368, 370, 431. — division dichotomiste : 135,
375, 376*, 394, 403*, 405, 416*, 418, 136, 137, 138, 141-142, 143, 114-145,
419, 430. 147, 149, 151-152, 166*, 169-170, 176,
Goperroy de Saint-Victor : 414*. 217, 266, 425, 432. — division tri-
Grâce (divine) : 135, 144, 237, 240- chotomiste : 134, 135, 136-137, 137-
241, 262, 266, 272, 273, 287, 299%, 138, 142, 143-144, 159, 166*, 167-169,
320, 406. 427, 430. — homme debout : 131-
GRÉGoIRE de Nazianze : 124. 132, 252*, — supérieur à la bête :
GRÉGoIRE de Nysse : 166, 208, 401*, 139. — partie du Tout : 241, 427. —
414%. maitre du monde, cf. Anthropocen-
GRÉGOIRE le Grand : 416*. trisme: 221, 383, 381, 387. — égalité
(des hommes) : 254-257.
Habitus (de l’âme) : 189, 190, 191. Homo interior, âme avec facultés :
Harmonie — du monde : 325*, 344, 158, 165.
373-375, 376, 378-379, 384, 386, 388, Honnète (fin morale) : 81, 244.
424, 426; preuve de Dieu : 275, 280. HORAGE : 50, 52.
— harmonie des contraires (con- Humanisme : 103%, 369, 375%, 415%,
cordia discors) : 378-379, 413, 427, 434. Ë
433. Hypostase, hypostasier : 314, 352.
IHègemonikon, partie dirigeante de Hypothèse, cf. 5ronrtbux : 223, 224.
l’âme : 96, 106, 119*, 134, 139, 153,
159-160, 166*, 167, 170, 171-174, 204,
205*, 221%, 302*, 425. Üéx : 194, 297, 315*, 310. — idées:
Hellénisme (et christianisme) : 54-62, 26*, 350.
274. IGNAcE d’Antioche : 135, 242*, 249%,
HÉRACLITE d’Ephèse : 26*, 79, 81, 91, 364, 374%.
92*, 96, 121, 161, 175, 229, 340, Ignorance (et mal) : 246, 247, 406.
354*, 379%. Image de Dieu : 144, 146, 155, 166,
Hérédité : 177, 178, 187-188, 425. 210, 238, 239, 250, 333. — Cf. Repré-
HÉrizre, stoïcien : 82, 98. sentation : 209, 226.
HERMAS : 135, 255, 298, 353, 359, 381*, Impassibilité, cf. àriôerx : 225, 243,
402%. 246, 248-250, 257, 258, 261, 262, 266,
Hermeticum (corpus) : 39, 41, 76%, 418, 425, 427. — divine : 289, 291-
132%, 175*, 187*, 188%, 191*, 201*, 294, 294, 423, 426, — du Verbe : 299.
209%, 212%, 216%, 227*, 246, 270%, Incarnation : 298, 303-301, 305, 309%,
271%, 284, 289*, 326*, 328%, 338%, 312*, 319, 396.
342%, 351%, 352%, 356%, 362*, 363, Incorporels : 95, 211, 288, 298, 300,
391, 403, 409%, 414%, 415%, 416%. — 356-357, 391, 398%.
hermétisme : 37%, 41%, 42, 53, 198%, Indifférents (moraux) : 98%, 99, 242,
410%, 411%. 243, 244, 258.
Hermras : 82, 89, 91, 95, 115. Instinct, cf. épyaf.
HERMOGÈNE, gnostique : 156%, 157*, Intelligence (et science), cf. vode : 151,
159%; 221, 298, 352. 158, 211-213, 216, 223-225, 277*, 433.
HéroPuiLe, stoïcien : 40*, — intellectus : 211, 212. — intellec-
HÉSIODE : 354%, 414. tualitas 211. — intellectualia
Hiérarchie (des êtres) : 92%, 355. 211%. — intellection, cf. vont :
Hrppocraïte : 177%, 178%, 179%, 189%, 224-226. — ivtelligibles, cf. vortcà :
191, 192, 199, 228, 362%. 214, 223, 224, 227, 299%. — intellec-
HrppozyrTe (et les Philosophoumena) : tualisme (moral): 241, 246-248, 266,
40%, 43, 57%, 61, 79, 80, 81, 83, 84, 425.
85, 88*, 90, 93, 94, 113, 114, 120, Intention (morale) : 231, 2413.
123, .145*, 155%, 166%, 178%, 182, Interprétations (allégoriques) : 82, 83,
191, 194*, 201, 202, 237, 274, 288*, 86-87, 89, 113, 114, 115, 271*, 275.

479
INDEX RERUM «

IRÉNÉE : 31, 40%, 43, 57*, 79, 93, 131, 60, 62*, 66, 68, 87, 92, 99, 132*, 133,
143-150, 155, 156, 159, 163, 166, 170, 134, 141, 167*, 168, 169, 170, 171, 173,
174, 176, 180, 185, 198*, 207, 216, 174, 178, 205, 207, 208, 209, 213*, 214,
217, 218, 237, 210, 246, 248, 250, 253, 224, 225, 226, 232, 234, 235, 237, 239,
270*, 273, 274, 277-278, 280, 285, 241, 242, 243, 245, 247, 250-251, 252,
286, 291, ,292, 298, 305, 311, 312*, 253, 256, 270, 280, 294, 295-323, 324,
316, 320, 321*, 332, 333, 334*, 339, 331, 340, 341, 345, 350, 351, 352, 381,
945%, 360, 368, 374-375, 378*, 379, 393%, 397, 399. — Jogos de la ma-
382, 387, 391*, 402*, 114%, 416, 417, tière : 330, 397, 398. — logos-
418-120, 129, 430. pneuma : 332, 355, 390. — logos-
IsiporEe de Séville : 116%. noûs : 355. — logos universel : 319-
320, 386. — logos commun de la
création : 328, 381. — logos organi-
JAMBLIQUE : 96%, 111%, 171%.
sateur du monde : 342-344, 358, 376.
Jansénisme : 32%.
— logos-nomos : 253, 401, 402, 403.
JEAN Damascène : 116*.
— logos spermatikos : 26, 67, 89,
JÉRÔME : 62, 101%, 105%, 360%.
117, 286%, 295, 316-319, 321, 331*,
JosèPae : 407%.
335, 336, 432. 2 logos de l’homme:
Judaïsme : 37%, 39, 41, 53,56, 57, 93,
331, 380, 389. 310-312. — raisonnement, connais-
sance : 223; œustxdc h0YOs 276;
JUSTEN : 47%, 50%, 61, 67, 69, 79, 92,
93, 98*, 99, 104, 105%, 106, 120, 127,
logos universel : 278. — Adyos 6oû0c,
132*%,136, 110%, 179-180, 202, 206, 207, cf. (droite) Raison : 179. — dos
215, 217*, 222*, 236, 243, 246, 250, : évêtdBetos el mposopixdç : 310-316,
253, 256, 258, 260, 270*, 272, 274*, 340, 342.
275, 280, 284*, 285, 286, 288, 292*, Loi, cf. vôpocs: 26, 247, 253. — loi
« commune » universelle : 232, 266,
293%, 296, 297,:298, 302, 305, 312F,
313, 317-319, 320, 326*, 327%, 329%, 328, 330, 409, 433. — loi-raison, cf.
332, 359, 361, 374, 377*, 381, 388, vépog=-àdyos : 401, 403. — Joi natu-
relle cosmique : 123, 240, 243, 252,
395*, 396, 400, 402*, 403, 404, 406,
419*, 423, 424, 428. — pseudo- 253, 269, 331, 343, 362, 374, 390, 398,
Justin : 92, 137, 169, 213%. 400, 401, 403, 404, 405, 407, 413, 421,
JUS%IN, gnostique : 145%, 330%. 424, 427. — loi-nature : 401, 402*.
JUVÉNAL : 52, — Joi naturelle : Dieu : 113. — loi
rardnndis, saisie : 205, 207, 225, 226*. naturelle (morale) : 216, 250, 252-
2APaoats Où Fvisraoic, cl. Éxmupuors : 254, 257, 266, 405, 407, 409, 424, 427.
93. — Joi juive : 253, 254.
AAÏÉAOVTA, TPOSTAOV : 98, 100*, 242. Lucrex de Samosate : 38, 50, 51, 78,
xatOpBwux : 242, 245. 104, 105, 126, 128, 327*.
Hofoic Où Onwv, Cf. pifrs : 92%, 133, LucRÈCE : 414.
154%, 155%, 170. Lumière (et pneuma) : 315, 337, 338*,
Aoiste, jugement : 141. 341.
Avr, chagrin : 232, 233, 234, 235.
LACTANCE : 73%, 84%, 87%.
LACYDÈS : 81%. Mal — physique : 377-379. — moral,
Lassitude, satiété : 358, 361. cf. Ignorance : 239, 241*, 246, 377,
hentév : 83, 117%. 378*. — accompagnement du bien :
hentopepihs : 167. 122*, 123, 378.
LeucrpPE : 81, 177, 184. Manichéisme : 32*, 363.
Libre arbitre, cf. xÿtecoüstoc : 93, 160, Marius : 377%.
191, 196, 204, 219, 220, 231, 232, 235- MarG-AURÈLE : 27, 33, 47, 48, 50, 64,
241, 257, 322, 359, 399, 400, 402-404, 68, 77, 106, 127*, 266, 269, 317*, 345,
406, 407, 408. 357*, 363*, 366, 377, 398.
Lieu, cf. Incorporel : 356. Marcez d’Ancyre : 301*, 302*, 315*.
noytxdc , raisonnable : 242, 250, 251. MarcIoN, gnostique : 46*, 121, 157,
— vù hoytxôv, la partie raison- 182, 189, 277, 281%, 282, 283, 292,
nable : 96, 173. 367, 419%.
Logique (la) : 26, 47, 52, 65, 71, 72, Marcus, hérétique : 345*.
85, 100, 101%, 105, 112, 210, 222, 223, Mariage : 259-260, 367, 368.
432. Martin de Braga : 27*.
roy! püc, faculté de raisonner : 167, Matérialisme, cf. Dieu, Verbe : 27, 70,
172, 173%, 297, 340, — 70 noviottxuv : 129, 140, 147-148, 154, 161-165, 174-
167, 170, 172, 173%, 232, 176, 204%, 266, 269, 288, 289-291,
Logos, cf. Verbe, Sermo, Parole, Ratio, 299-300, 305, 350, 393, 394, 424, 129%.
Raison, Mens. 1 logos du monde. — matérialisme universel 391-
cu agénérall126,27; 229 1 AGX: 397.

480
INDEX RERUM

Matière : 25, 27, 45, 46, 74, 89, 90, 91, Musonius : 33, 48, 71, 79, 106, 107-
332, 335, 336, 337, 349, 351, 364-365, 111, 114, 115, 127, 259, 260*, 261,
366, 367, 372, 393, 397, 418, 424. — 262, 265, 266, 367. }
matière première : 350, 351, 352,
353. — matériel-spirituel : 396-397. Naassènes : 342*, 345%.
Maxime de Tyr: 38, 41, 78, 328*, Nature : 27, 30, 87, 90, 98, 113, 215,
378*. 221, 232, 234, 238, 239, 240, 241, 247,
Médecine : 42, 52, 140*, 179, 188, 197- 250, 251, 253, 254, 287, 398, 399%,
203. 401, 402%, 403, 408. — loi : 407, 408.
melwors, détente : 232. — respect de la nature : 364, 367,
Mélange, cf. mi£iç, misceri : 60%. — 368, 372, 425, 430, 433.
mélange total, cf.xoäotç, ik : 92, Nécessité, cf. äviyxn : 94, 179, 237,
396. 397. 306, 398, 399*, 400, 106, 409.
MériTon de Sardes : 194%, 289, 290- NÉMÉsIUTS d’Emèse : 96%, 416*.
291, 354, 402%, 429. —, pseudo- Néo-platonisme : 26%, 37*, 46, 53, 74,
Méliton : 325*. 271, 296%, 3614, 365, 377, 397, 400%,
Mens, Dieu : 87, 293, 294, 311*, 343. 406%, 414, 434.
— Verbe : 307. — intelligence, cf. Néo-pythagorisme : 53, 406*.
Animus : 30. — état de l’âme: Néo-stoïcisme : 77, 370, 4125.
158. NesrTorius : 396%.
Mépris, des biens matériels, cf. Bien: NoerT, hérétique : 340.
243, 244, 363*, 364, 368, 369, 371, véncts, intellection, cf. Intelligence :
384. — de la chair : 67*, 365-366. 227. — vorrôv, cf. Intelligence, In-
— du monde : 45. — de l’opinion : tellectualia : 207, 223*, 289%.
99, 243. Notions, cf. Sensus, 102. — notions
Mérite : 236, 237, 239. communes, cf. (témoignage de
Métabolisme alimentaire : 199-200. l’)Ame : 215-216, 220, 230, 277, 278-
Méraope d’Olympe : 329%. 279. — physiques : 253.
Microcosme-macrocosme : 30, 171, 390, Notitia sui : 215.
393%, 411, 414-416, 421. voÿs — Dieu : 45, 116, 289*, 293, 314,
uiErs, cf. Mélange : 396%. — mikic ô1 315, 340%. — intelligence humaine :
Ohov, cf. xpäots : 154. — misceri: 45, 134, 135, 137*, 138*, 141, 149,
396%. — permisceri : 87*, 396*. — 167, 171%, 172, 204, 206-207, 223-225,
permixtio : 396%. 226%, 227%, 234%, 416. — Vodc-70yos :
Minucius FÉLix : 69, 70, 73%, 80, 82, 207, 272.
83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 93, 102, NOVATIEN : 73%, 107, 153*, 202%, 238,
107,-113;114, 115, 131, 132%, 151%, 242%, 254, 258, 259, 281, 289, 292, 299,
152*, 215, 219%, 238, 242%, 243, 244%, 302, 309, 310%, 316%, 325, 328, 330%,
253%, 255, 256, 259, 260, 263, 264, 332*, 340-341, 375-376, 379, 384,
265, 270%, 271, 272, 275%, 278%, 281, 387, 389, 396, 412-113, 421, 425, 432.
284, 286*, 288%, 293, 307, 312%, 327, Numéxivs d’Apamée : 38, 41, 365%,
329%, 343, 354%, 358, 359, 361, 375,
383-384, 395, 412, 421, 425, 429, 431,
432. Odes de Salomon : 344%.
olxelwax, appropriation 200, 205,
Monde, cf. Beauté, Harmonie, Ordre :
25, 26, 27, 29, 30, 32, 44-46, 51, 73, 216, 361.
74, 85, 123-124, 127, 176, 232, 325, oixovouia, cf. « Economie » : :
326, 327, 329-331, 332, 333, 334, 336, Opvorx : 373.
345, 415, 416, 426-427. — Monde- ômmooïs:oç : 306%, 412.
Dieu : 399%. — vivant composé, cf. Opinion, cf. Mépris: 213;
Corps humain, Microcosme, Ame : 226, 227, 1243.
123. — preuve de Dieu : 280-285. Optimisme : 29, 39, 46, 74, 90%, 349,
Monisme : 26, 27, 30, 32, 39, 47, 52%, 362, 363, 367, 369-370, 371*, 3795, 378,
140, 160, 350, 363, 367, 370, 387, 393, 380, 415%, 421, 421, 126, 127, 130,
414, 419, 424, 427, 430, 434. 4133, 434.
Montanisme : 217, 220, 259, Ordre du monde : 29, 51, 253, 280,
Morale : 26, 29, 50, 52, 63, 64, 68, 71, 283, 284, 331, 343, 341, 358, 363, 371,
72, 77, 85, 98-100, 105, 106, 112, 115, 372-377, 380, 382, 386, 400, 101, 409,
120, 122, 127, 228, 231-266, 427, 431, 412. — preuve de Dieu : 274%, 275,
432, 433. — théorique (générale) : 280, 281, 283-281, 376, 383, 425, 426.
231-257, 431. — pratique : 258-266, ORIGÈNE, origénisime : 40%, 57, 66, 73,
431, 432, 80, 90%, 113, 118, 119%*,, 121, 127,
Mouvement (incorporel) : 330, 372, 181*, 291, 321*, 360%, 414%. -
301993 Op» instinct : 173%, 209, 226, 232-
Moyen Age : 27, 33%, 334%, 414, 415, 2351855:
416*, os, cf. Substance : 305.

481
INDEX RERUM

rayuuephs, épais : 167. PLATON : 26%, 32, 46, 47, 56%, 62, 75,
mavhyupte, fête solennelle : 269*, 420. 79%, 80, 81, 84, 96, 97, 116, 121,
PANÉTIUS : 49, 80, 84, 85, 86, 96, 98, 122%, 125, 133, 134, 137*, 151, 155*,
127, 132*, 133, 134, 178, 191, 241, 158, 171*, 176, 196, 211, 212*, 213,
358*. 214, 233, 241, 243*, 269, 275%, 297%,
PANTÈNE : 104%. 332, 350, 365%, 369, 377, 378*, 411,
Panthéisme, cf. Animisme, Transcen- 415, 429%, 434. — platonisme, cf.
dance : 27*, 160, 307, 365. Néo-platonisme : 25, 27*, 29, 32, 33,
PAPINIEN et juristes : 52. 38, 39*, 41, 46, 47, 48, 51, 52, 61,
Parenté universelle, cf. Sympathie, 62, 69, 71, 74, 105, 115%, 117*, 119,
ouyyevis : 25, 31. 120, 122, 133, 134, 135*, 142, 149,
150, 159, 163, 166, 167, 170, 171,
PARMÉNIDE : 121.
173, 176, 185, 203, 207, 212, 213,
Parole, cf. Sermo, Ratio, Logos, 222, 225, 230, 236*, 240, 249*, 251,
Verbe : 87, 300, 306, 307, 311, 312- 261, 266, 271, 285, 288, 299, 300,
313, 315. 314, 317*, 331, 334*, 340, 342%,
Passiones : 158. — passions : 52, 172, 351*, 364, 365, 366, 368, 370, 391,
205, 231, 232-235, 243, 244, 246, 247, 395%, 423, 4214, 425, 426, 128, 129x*,
248%, 249, 250. — les 4 passions : 430, 434.
114, 232, 233, 234. — riôn : 133, PLine : 38, 41, 52, 201.
232, 233, 241. — xrpuroraleiy PLorix : 42, 16, 73, 302%, 405%, 415.
233. — npoomañeïiv: 250. — raôn-
PLUTARQUE : 38, 86*, 113, 116, 117,
ruxôv, partie de l’âme : 232. — cf. 118, 119, 122*, 175*, 229%, 270%,
edrdbeta.
302*, 311*, 377*.
Patience : 62, 65*, 99, 234*, 242%.
Péché (et déraison) : 245, 247, 251. — Pneuma, cf. Esprit : 26, 27, 46%, 51,
péchés capitaux : 232*. — péché 67, 87, 88, 89, 95, 134; 139, 140,
originel : 187, 188*. — égalité des 156%, 157%, 167, 168, 170, 171*, 172,
péchés : 99, 242, 258. 173, 174, 177, 178, 185*, 222, 229%,
Pérates : 411*. 269, 274*, 289%, 295, 302, 319, 333,
Pères — Apologistes : 60, 66, 74, 79,
334, 341, 319, 367, 386, 124. — cos-
135, 142, 176%, 208*, 296, 311%, 342, mique : 82, 139, 142, 145, 117-148,
345, 395%, 419%, 424, 428, 430*, 434. 160, 167*, 207, 306, 324, 326, 330,
— Apostoliques : 419%, 423-424, 128, 332, 335, 336, 337, 338, 339, 340,
429. . 426. de l’homme, pneuma-âme :
meptéyo : 326. — Spreptéyo : 325, 326. 167, 168, 170, 181, 183, 195, 196,
Période, cf. Evolution. 197, 199, 204, 232, 433; pneuma res-
PERSE : 52. piratoire, cf. Anima, Flatus, rvot,
. PERSÉE de Citium : 82, 114. Souffle : 201-202; pneuma inné, cf.
Personnalité : 191, 196. Spiritus insitus, gupeus : 194, 201;
Pessimisme : 39, 42, 44, 363, 407,
süpoutoy : 156*, 178; physique :
414%. 192; suorxov : 178, 201.
pavtasia, représentation : 173%, 205, rvo, Cf. Flatus, Souffle : 1145, 156, 157.
209, 214, 224, 235, 355. — ciracua : POLÉMOx : 80, 81*.
205, 218. PORPHYRE : 171*, 311*.
Pharisiens : 407%. Portio (Verbe) : 299, 305.
PHiLon : 39, 41, 53, 76, 92, 116, 126%, Posiponius : 49, 70, 80, 81, 85, 96,
139%, 155*, 171%, 219%, 223, 9241 98, 122*, 127, 133, 134, 219%, 229%,
,
253, 257, 271*, 295*, 296%, 297%, 236*, 269, 322, 345, 355, 399%, 410,
311, 317*, 324, 329*, 336%, 342%, 411*, 414.
xooc, désir : 234.
344, 365%, 377%, 414%, 416.
Philosophe (le type) : 101-104, 259, — Prénotion, cf. rpdarts : 230.
philosophie commune : 40, 19425, Prescience : 210, 220, 236, 210%.
294. — philosophie populaire : #1, Principes — indémontrables : 227,
— pr. premiers : 82, 90-91, 350.
50, 126, 127, 260, 262.
wô6os, crainte : 232, 233, 234, 235. Tpoaicests : 204%.
OWYNT:XxÔY, partie de l’âme : 170, 171. Tponypiva et érorconyuévx : 245.
gpôovnots : 141, 172, 227, 229, 233, 234%, Progrès (moral), RPOXOT : 242, 320.
TPOANUUG : 204, 206, 208, 222%, 997
343. k
Physique : 26%, 31, 41, 47, ALAT2S ETS 228, 276, 277, 279-280.
85, 112, 175, 276, 349.
, Prophétie, moyen de connaissance, cf.
poots, cf. Nature : 26*, 178, 182*, 201, Extase : 216-217, 219, 220, 221, 274,
239, 241, 251, 341*, 355, 364, 409%. 287%. |
Pitié, miséricorde, cf. à Yôerx, Impas- Proragoras : 159.
Providence (rpévorx) : 26, 51, 52, 68,
sibilité : 242, 248-250, 293. 82, 86, 90, 91, 94, 105, 120, 123-195,

482
hb
ax
INDEX RERUM
227, 235, 237, 269, 326-331, 345, 378, Sage (le) : 47, 49, 64, 99-100, 242, 259,
398, 399%, 102, 403, 405, 409, 424, 260-262, 265, 322, 424.
425, 426. — preuve de Dieu : 274%, Sagesse — Sophia (trinitaire) : 131,
275,283, 284,285. | aspect cos- 227, 242, 246, 247, 253, 298, 302%,
mique : 326, 425, 126. 307*, 310, 314, 321, 322, 341, 351,
duyñ, cf. Ame, Souffle : 95, 134, 137%, 352, 428, 429, 433.
170, 171%, 355.
Salut, cf. Rédemption : 42, 45, 46, 47,
Psychologie, cf. Aime, Homme : 66*, 50, 126, 139, 143, 146, 239, 248, 249,
70, 85, 114, 140, 150%, 210, 266. 304, 378, 384, 117-421, 128. — salut
Puberté : 190.
et connaissance : 44.
Pugzirits Svrus : 51.
Sang, cf. Semence. — et âme : 193-
Puissance (divine), cf. Oüvaqis : 149,
194. — et génération : 177-197. — et
167, 302, 306, 307%, 308, 309, 314, lait : 193, 201-202.
340, 354. — « puissances domina-
Science, cf. ériotpn: 151, 213, 216,
trices » : 190, 191, 403, 408, 409.
223, 224, 225, 226-227, 214%, 947,
PYTHAGORE et pythagorisme : 9352105; 261, 276, 317, 406, 434.
117%, 121, 171%, 271%, 312%. Semence, sperme, cf. logos STEOLATUAOG !
15%, 46%, 97, 136, 147, 165, 171, 177,
QUINTILIEN : 52. 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184,
Quixrus Mucius ScAEvVOrA : 86*#. 185, 186, 187, 188, 189, 192, 193-196,
Quod idola : 270, 273, 279%, 281, 284%, 318, 418. — de grâce : 320-321,
377%. 417%, 418.
SÉNÈQUE : 27, 33, 41, 49, 50, 62, 64,
Raïson, cf. Ralio, Logos. —— raison 68, 70, 75*, 99, 106, 107, 108*, 121,
universelle : 27, 243, 252, 398, 103, 127, 205%, 242%, 255, 260, 262, 263,
411; raison du monde : 342-344, © 264, 265, 269, 294,1 322, 377, 388,
raison en Dieu : 293-294, 399, 401, 398%, 404, 431.
433; Dieu-raison : 87, 316%; raison- Sermo, cf. Parole, Logos : 300, 307x*,
Verbe : 306-307, 312-313. — raison 311, 312. — sermonalis : 313%.
en l’homme : 231, 232*, 235, 248, Sens (de l’homme) : 96, 134, 152, 158,
247, 250%; droite raison, cf. CELL 170, 171, 173, 204-205, 209-210, 214,
À0yos : 241, 242, 246, 247, 251, 266, 221, 226, 228, 229, 230, 433. — en
281%. Dieu : 290, 292. — sensation, cf.
Raisonnement : 213, 222, 224, 227, 230, aïoBnats : 224-226, 227%, 228, 299, —
246, 276, 281, 311, 377, 403. sensualisme: 206%, 212-213, 225-226,
Ratio, cf. Logos, Raison : 404 — 425, 427.
(res) dei : 293, 294, 313, 343. — Sensus — mode de connaissance, cf.
ratio-Dieu: 87. — ratio-Verbe: 307. aoPnois, voÿïc : 151, 190, 211-215,
Rationalité — du monde : 26, 29, 217, 220, 221, 227, 256; sensus com-
373, 398, 404, 413, 427. — en Dieu : munis : 254. — notion, sensus com-
293-294, 341, 342, 372, 426. — du ‘munes, cf. Notions communes, xorvaxi
Verbe : 296-297, 300. Evvouar : 215-216, 277. — sensualitas
Rationalisme : 27, 41, 271, 282-283, (qualité de l’âme) : 210-216.
288, 324, 325, 404, 426, 428-429, Séthiens : 337%.
450%, 433, 134. Sexe : 177, 180, 184, 186-187.
Réalisime : 393, 394, 395, 430. SExTUS EMprricus : 52, 119, 121, 168*,
Récapitulation (dans le Christ), cf. 183*, 226*.
dvazscanaody : 31%, 321, 368, 418- Sibylline (littérature) : 41, 52.
420, 427. Ô SIMON, hérétique : 194*, 201, 288%,
Recueils, répertoires, inanuels: 40, 330%, 354%. — Simoniens : 354.
18,51, 113, 114, 121%, 122, 127, 167, SOCRATE : 80, 81*, 98, 121.
431. Soleil : 83, 90%.
Rédemption (totale) : 30, 31, 304, 368, Sommeil, cf. Rêve : 117, 162, 205, 217-
417-121, 430, 134. 218, 229-230, 259.
Religiosité (et mystique) : 37, 40-42, SORANUS : 96, 106, 157%, 159%, 181,
44, 46, 77, 104, 125, 269-270, 271%, 184, 197, 201, 431.
284-285, 376, 377, 425, 431, 434. Souffle (de vie), cf. Flatus, TY0, doré:
Renaissance : 27. 145, 146, 152, 155, 157, 159, 168, 184,
Représentation, Cf. oavTacix : 0 205, 187, 201, 202, 338.
209, 214. Soumission (physique) de l’homme au
Rêve, mode de connaissance : 96, 165, destin : 398, 399, 400-409.
217-220, 229-230, 278-279, 299, 329%. srepparixiv, partie de l’âme, cf. Logos
Révélation (chrétienne) : 25, 2725273; oTeppatix0c : 170, 171.
274,275, 285, 286,287. SPEUSIPPE : 80, 81%.
RUFFIX : 290%, SPINOZA : 208%,

483
INDEX RERUM

Spiritualité (- corporéité), spiritua- 132, 133%, 140%, 144%, 145, 150-166,


lisme : 393, 397, 419. — en Dieu : 173, 174, 175, 176, 179, 180, 181-
288-289, 290, 424. —- Verbe : 297. 191, 192, 195, 196, 197, 198, 199, 200*,
— anges : 392. 201, 202, 203, 210-222, 226, 227*,
Spiritus — en Dieu, cf. rvsôua : 289, 298, 229, 230, 233-234, 238, 240,
293, 339, 343. — en l’homme, élé- 242%, 244, 248, 253-254, 255, 256,
ment surnaturel, cf. Esprit : 145- 257, 258, 259, 260, 270%, 271, 273,
146, 155, 156, 157, 159, 339; souffle 274, 275%, 276-277, 278-279, 281-283,
de vie, cf. Flalus, vo, of: 157, 284, 285, 287, 289-290, 291-292, 293,
158, 1593; insitus spirilus : 183; 296, 297, 298, 299, 303, 305-309, 311,
consatus spiritus : 201*; naturalis 312-313, 320, 321, 329*, 332, 336,
spirilus : 157%. 339, 310%, 342, 351, 352, 353, 356,
STOBÉE : 96%, 113%, 117, 118*, 171*. 357, 359, 361, 364*, 365, 367-368, 371-
Stoïicisme — enseignement : 48-50. 372, 375, 377%, 378, 379, 382-383,
— st. et christianisme : 62-71. 387, 390, 391-394, 396, 397, 403, 404,
STRATON : 161. 409, 412, 416, 419%, 421, 425, 426,
Substance, cf. Hypostase, oùsia, 429, 430, 431, 433.
cûotasis, irapeic : 300, 303, 306, TuarÈs de Milet : 80, 81*.
307, 308, 309, 313, 320, 330, 335, THÉODORET : 118*, 124.
951: 856; 391: 1,393,:397#, 3987 — Théodicée : 73, 74, 120.
substantia : 158, 161, 307%, 308, Théologie, cf. Interprétations physi-
340%. ques : 30, 71, 85, 87, 105*, 270-345,
ouvysvis, Cf. Parenté : 140%. 349, 426, 429, 434. — théologie tri-
guyxatileouc, cf. Assentiment : 173*, partite : 85-86.
205, 222, 225, 280%. TuéopuiLe d’Antioche : 79, 81, 82, 83,
süumvotx, cf. Conspiratio : 341, 412. 84, 89, 94, 100%, 105%, 119, 120, 121,
oûvEots — vai avrénndie : 224. — vai 131, 138*, 180, 237, 243*, 259, 270%,
vorngte : 227. 271, 274%, 283, 284%, 285, 288%, 292,
guynumévoy, uni par conjonction — 297, 301, 310, 312*, 314-315, 325,
logique : 208. — physique : 308. 326%, 337-338, 339, 341, 355*, 357%,
cuvéyw : 136, 175, 332, 333, 335*, 341, 359, 361, 382, 383, 396, 397, 404,
373. 417, 424, 426.
cistasic, cf. Substance : 172*, 352%. TnéopiLe d’Alexandrie : 360*.
gustof, resserrement — de l’âme: THÉOPHRASTE : 80.
229, 232, 235. — en Dieu : 302*, 303, Tomas d'Aquin : 380.
304. Buutxdv (partie de l’âme) : 170, 234.
Sympathie — sentiment : 242%, 249. rovos : 26, 117%, 133, 140*, 162-163,
— connexion physique, cf. Pa- 172*, 175, 199, 220, 232, 234%, 341,
renté: 26, 31, 51, 141, 220, 222*, 354, 355, 427. — reiveofat : 344%;
227, 229, 231, 233, 252, 330, 398, ôtatelveohat : 344; éuteiveofa! : 342.
403, 405%, 410-112, 413, 414, 421, — sdrovos : 140*3; oüvrovos: 172. —
424. àavovia : 1403 edtovia : 140%.
ouvaiolrisis : 228, 229. Tout (le),rù riv, universitas : 26, 29,
cuopoolvn : 178, 233, 234*. 44%, 51, 340, 387, 399*, 417, 418, 424,
427, 433. — priorité du tout : 378.
TAGITE : 92. Traducianisme : 185*, 187, 196.
Tar1EN : 78, 79, 86*, 88, 93, 99, 102- Transcendance (de Dieu) : 26*, 271,
103, 104, 105, 123, 131, 138-140, 142, 288, 299*, 338, 364-365, 393*, 394,
147, 162, 170, 176, 198%, 200%, 209*, 400, 433.
222, 236, 243, 250, 254*, 258, 259, Trinité : 301-310, 426.
260, 270%, 271, 273, 280, 286%, 292*, rünuoi : 204. — Turoïchat : 225. —
296%, 305, 314, 329%, 335-337, 338, ATOTUrOÏTMa, : 225.
339, 341, 352, 353, 357, 359, 361*,
364*, 365, 366-367, 370, 377*, 379, Unité — de l’homme (corps-âme), cf.
381, 386, 390, 394, 395, 396, 400, Hormme : 74, 133-135, 138, 141, 148-
403, 406, 423, 424, 426, 428, 432. 149, 151-154, 367, 424, 427, 430, 433.
Téléologie : 274%, 380-384, 385, 427. — du cosmos, cf. Monde : 26, 31,
Temps (incorporel) : 30, 45, 298, 356- 92,147, 930-331, 335,336, 343, 366,
357, 360. 368, 383, 386-121, 424, 425, 426, 427,
TERTULLIEN : 40%, 43, 46%, 47%, 56%, 433, 434. — unité cosmique et
61, 65%, 69, 70, 73*, 75%, 76%, 79, variété : 366.
80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, Dmapéwx, cf. Substance : 352*.
90,191: 92#,095,096,:97:%:99 4100, Sratos (Dicu) : 124.
101; 102, 106, 107, 113, 114, 115, ronds, hypothèse : 207, 222%, 223.
JET, 18 AT9 0120121 1266 NT Utile (fin morale) : 98, 244%.

484
R-n
SVTZ
INDEX RERUM
VALENTIN, gnostique : 47%, 151, 305. — Vie, vitalisme : 26, 89, 136, 137, 148-
Valentiniens : 147, 157+*, 158, 170, 149, 155, 159, 271, 320, 324, 325,
195, 211, 239, 321%, 419x*. 333-334, 335, 337, 338, 340, 343, 345,
VARRON : 84, 86, 88, 90, 115*, 116, 350, 355, 387, 411*, 414, 417, 425,
127. 426.
Verbe-Dieu —- en général, cf. Logos- Vieillissement (cosmique) : 413-414.
Dieu, Mens, Ratio, Sermo : 91, 243, Vigor, cf. sôvos: 81, 117*, 162, 217,
249, 250, 251, 255, 256, 274*, 275, 218*.
286, 288, 289, 293, 295-323, 329, ViNcENTIUS Victor : 166.
330, 331, 332, 336, 358, 340, 341, ViIRGILE : 343.
342%, 343, 345, 351, 352, 394, 402%, Volonté : 236, 237, 238, 239, 407, 408.
416, 417, 418, 420, 426. — fonctions
et qualités, cf. Impassibilité, Feu, XÉNOCGRATE : 80, 81#, 171%, 227.
illuminateur : 273, 275, 332; cor-
XÉNOPHON : 80, 87, 274%.
porel : 229-300, 308; lJocalisable:
298; manifestahle : 298-299.
ZÉNON de Citium : 25, 27*, 49, 76, 79,
Vérité : 223, 224, 226, 318.
80, 81, 82, 83, 86, 87, 88, 89, 91,
Vertu, cf. Autarcie : 98-99, 231,232;
94, 95, 96, 98, 99, 100%, 113, 115,
241-248, 261. — jinamissible: 242,
116, 117, 118, 119,120, 122, 127,
244, 251. — connexion (des vertus),
168*, 179*, 204, 217*, 232, 9241,
cf. avtarohou6{x: 242, 241. —_ vertus 245%, 256, 266, 269, 271, 294, 306,
cardinales : 232%. 307, 345, 354*, 373*, 380, 399.
PB-3957-1
hr OBSTAT, PARIS, 16 MAI 1956, JEAN DANIÉLOU, S. J.
5
IMPRIMAÂTUR, PARIS, 17 MAI 1956, PIERRE GIRARD, P. $. s.

ME 2
EUR EE RE
LSNE RIT PrD

Imprimé par OreseT-AUBiN, Poirins. D. L.,4trim. 1957. N° 85672 (218


11830€

e 118306
163 |
56 Spanneut, Mi chel
Le St oi ci sme des peres
1957
de l'eglise.

BORROWER'S NAME

| Spanneut
| Te Stoicisme...

THEOLOGY LIBRARY
SCHOOL OF THEOLOGY AT CLAREMONT
CLAREMONT, CALIFORNIA

(LL PRINTED IN USA,


Le stoïicisme Ce premier volume de la collection “ Patristic
Sorbonensia ” fait bien augurer de l’entreprise ; not
des pères seulement par le sérieux de son érudition, la clarté d
de l’Église l'expression et la netteté sobre de la présentation, mai
davantage encore par limportance du sujet traité : Ie
rencontre du message évangélique et d’un courant dk
pensée qui avait largement dépassé le cercle des philo
sophes pour marquer de son empreinte toute la culturé
et jusqu'aux institutions du monde gréco-romain. Cett
étude trouve une actualité intense au moment où
pensée chrétienne doit affronter des univers de cultures
jusqu'ici sans contact avec elle. L'exemple de cet âge dk
fermentation, marqué de bien des tâtonnements et dk
maladresses, que fut le Ile siècle est pour nous pleit
d’enseignements. /nformations catholiques internationales

Nous sommes ici en présence d’un cas typique dé


la rencontre du message chrétien avec une culture, unt
mentalité, un langage ; le message ne peut éviter di
s’exprimer dans ce langage, selon les formes de cett
mentalité et de cette culture. Il ne peut manquer d’e
subir l'influence en certains traits de son développe
ment ;mais loin de s’y laisser asservir, il les domint
et les assume librement. Bel exemple de “théologie
au sens le plus précis du terme ; sans en avoir pleine=#
ment conscience sans doute, les Pères usent des ins*
truments conceptuels que leur fournit la culture de leu
temps pour “rendre raison” de leur foi. À ce titre, €
bien qu’elle ne soit en rien marquée par l'inquiétude
augustinienne, cette thèse inaugure brillamment uné
collection consacrée à l’histoire de ceux qui furent “1
Pères de la civilisation occidentale toute entière ?
Revue des sciences philosophiques et théologiques

Patristica Sorbonensia Au Seuil


Couverture: Le chrétien philosophe (Sarcophage du IIIème siècle, Latran), À
Anderson-Giraudon, Imprimé en France (10-57) 2-69.2 |

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