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LE " DE ENTE ET [ESSENTIA "
DE S. THOMAS D'AQUIN
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BIBLIOTHÈQUE THOMISTE
Directeur : Pierre MANDONNET, O.P.
VIII
lé
LE DE ENTE ET ESSENTIA "
DE S. THOMAS D'AQUIN
PAR
M.-D. ROLAND-GOSSELIN, 0. P.
AVANT -PROPOS
Les recherches dont nous donnons ici les résultats, ont été entre
prises en vue d'un cours à l'Institut historique d'études thomistes
établi au Collège théologique et philosophique du Saulchoir en
l'année 1921. Ces recherches n'avaient pas d'autre but que de par
venir à éclairer en quelque mesure la formation de la pensée philo
sophique de saint Thomas d'Aquin. L'analyse historique des pre
miers opuscules philosophiques du saint Docteur s'imposait donc
à nous, et tout spécialement celle du De ente et essentia. L'essai que
nous publions ne concerne directement que cet opuscule. L'on s'est
attaché à en donner un texte correct, à l'aide des manuscrits con
servés dans les bibliothèques parisiennes ; à identifier les citations,
explicites ou non ; à déterminer les influences subies ; à expliquer
la pensée de l'auteur par les passages, parallèles et contemporains,
du Commentaire aux deux premiers livres des Sentences. Il n'entrait
donc pas dans notre programme d'avoir recours aux Commenta
teurs, même les plus autorisés, malgré l'intérêt considérable que
présentent leurs explications, soit pour l'histoire de l'école thomiste,
soit pour une étude proprement doctrinale.
Cependant nous avons été amené à donner une plus grande exten
sion à l'étude des deux problèmes philosophiques dont la solution
proposée par saint Thomas paraissait à ses contemporains la plus
audacieuse : le principe de l'individualité, et la distinction entre
l'essence et l'être dans les créatures. Problèmes connexes d'ailleurs,
et qui sont au premier plan des questions métaphysiques abordées
par le De ente et essentia. Il était difficile, et il eût été peu satisfaisant,
de discerner ici les rapports de la pensée de saint Thomas avec les
philosophies antérieures, et plus encore avec les théologiens ses
contemporains, en limitant l'analyse de sa doctrine à ses premiers
écrits. Nous avons donc résolument poursuivi riotre étude à travers
l'œuvre entière de saint Thomas, en suivant l'ordre chronologique
accepté par le R. P. Mandonnet l. De même la doctrine des philo
1. Cf. Mandonnet, Des écrits authentiques de saint Thomas d'Aquin, 2e éd., 1910 j
Chronologie des Questions disputées de saint Th. d'Aq. dans Revue thomiste, 1918,
pp. 266-287, 341-371 ; Bibliographie thomiste, le Saulchoir, 1921, Introduction ;
VIII DE ENTE ET ESSENTIA
Les Questions disputées de s. Th. d'Aq. (Introduction à la réédition des Quaest. dis-
put.) Paris, Lethielleux, 1925 ; Saint Thomas d'Aquin, créateur de la dispute quodli-
bétique, dans R. se. ph. th., t. XV, 1926 et t. XVI, 1927. — Les modifications pro
posées par le R. P. Synave (Bulletin thomiste, Ire année, 1924, n» 2, pp. 33-50 ;
3« année 1926, n° 1, pp. 1-21 ; L'ordre des quodlibets VII à XI de saint Th. d'Aq.,
dans Rev. thomiste 1926, pp. 43-48 ; Le problème chronologique des Questions disputées
de S. Th. d'Aq., ibid., 1926, pp. 154-159), n'ont pas de répercussion sur l'histoire des
doctrines que nous étudions.
1 . Sur les points que nous avions à étudier, nous n'avons rien trouvé d'intéressant
à relever chez Maimonidc et Algazel. Nous ne disons rien non plus des commen
taires de Gilbert de la Porrée sur Boèce parce qu'il ne nous a point paru qu'ils
aient une relation quelconque à la pensée de s. Thomas.
2. A savoir les Questions de Roger Bacon sur la Physique et la Métaphysique
d'Aristote, contenues dans le ms. n° 406 de la Bibliothèque municipale d'Amiens.
Grâce aux très grandes facilités que nous a données, avec beaucoup de bienveillance,
le conservateur, M. Henri Michel, nous avons pu étudier à loisir les passages de ce
ms. qui intéressaient plus directement notre travail. — Puis quelques extraits du
Commentaire de Robert Kilwardby sur les Sentences, dont le R. P. Chenu a eu
l'amabilité de mettre à notre disposition une copie faite par lui d'après le ms. n° 131
de Merton Collège.
BIBLIOGRAPHIE
DES OUVRAGES ET ARTICLES CITÉS
B. Albert1 Magn1 Opera omnia cura ac labore Aug. Borgnet. Parisiis, Vives,
1890- 1899 (toutes nos références renvoient à cette édition).
Id. — Opera omnia recogn. P. Jammy, O. P. Lugduni, 1651.
Alexandr1 de Ales. Summa theologiae, Venetiis, 1575.
Id. — Summa theologica, T. I. Quaracchi, 1924.
G. S. André, S. J. Les Quodlibeta de Bernard de Trilia, dans Gregorianum, t. II
(1921), pp. 225-265.
Ar1stotel1s Opera, ed. Academia regia borussica. Berolini, 1831-1870.
S. Augdst1n1 De civitate Dei, rec. E. Hoffmann, T. I. Vindobonae, 1899 (Corpus
script, ecclesiast. latin. T. XL).
[Averroès]. Ar1stotel1s... O^era... Averro1s Cordubens1s in ea opera... commen
tant. Venetiis, in-40, T. I, 1552 ; T. IV et V, 1550 ; T. VIII, 1552 ; T. IX, 1550.
[Id.]. Ar1stotel1s Libri tres de Anima... cuva. Averro1s Cord. etc.. Lugduni,
in-16, 1542.
Av1cenne... Opera... per canonicos [regulares S. Augustini] emendata. [Venetiis,
1508].
[R. Bacon]. Opera hactenus inedita Rogeri Baconi. Fasc. II. Liber primus commu-
nium naturalium fratris Rogeri. Partes prima et secunda Edidit Robert Steele.
Oxonii s. d. — Id. — Fasc. III. Partes tertia et quarta. Oxonii, 191 1.
Id. — Philosophia Baconis, sive Quaestiones super libros physicae et metaphysicae
a magistro R. B. — Bibliothèque municipale d'Amiens, ms. n° 406. (Philosophia
Baconis est le titre donné au ms. par les moines de l'abbaye de Corbie auxquels
il appartenait.)
A. Baeumker. Avencebrolis (Ibn Gebirol) Fons vitae ex arabico in latinum translatum
ab Iohanne Hispano et Dominico Gundissalino. Munster i. W., 1 892-1 895 (Beitr.
z. Gesch. d. Philos, d. Mittelalt. Bd. I, H. 2-4).
Id. — Roger Bacons Naturphilosophie. Insbesondere seine Lehren von Materie und
Form, Individualitât und Universalitdt. Miinster i. W., Aschendorff, 1916.
O. Bardenhewer. Die pseudo-aristotelische Schrift Ueber das reine Gute bekannt
unter dem Namen Liber de Causis. Freiburg i. Br., 1882.
L. Baur. Die philosophischen Werke des Robert Grosseteste Bischofs von Lincoln.
Munster i. W., 1912 (Beitr. z. Gesch. d. Philos, d. Mittelalt. Bd., IX).
S. Bernard1 De consideratione ad Eugenium. M1gne P. L., t. 182.
M. S. Bobt11 Opera omnia. T. 2. M1gne P. L. t. 64.
Id. — In Isagogen Porphyrii commenta. Rec. S. Brandt, Vindobonae, 1906.
(Corpus script, ecclesiast. latin. T. 48).
X DE ENTE ET ESSENTIA
Id. — L'ordre des Quodlibets VII à XI de S. Thomas d'Aquin, dans Revue thomiste,
1926, pp. 43-48.
Id. — Le problème chronologique des Questions disputées de S. Thomas d'Aquin,
dans Revue thomiste, 1926, pp. 154-159.
Them1st11 AnaXyticorum paraphrasis, ed. Walues, Berolini, 1900 {Comment, in
Aristot. graeca., V, 1).
G. Thery, O. P. Autour du décret de 1210 .' I. — David de Dînant. Le Sanlchoir,
Kain, 1925 (Bibliothèque thomiste, VI).
D. Thomas Aqu1nat1s Opera omnia... Studio et labore St. Ed. Fretté et P. Mare.
Parisiis, Vives, 1 871-1879 (nous indiquons cette édition par la lettre V).
Id. — Opera omnia, jussu... Leon1s XIII. P. M., edita. T. IV-XIII. Romae,
1888-1918.
Id. — Summa theologica. Pars prima. Patavii, 1698.
F. Nicholai Trevet1 Annales, ed. Th. Hoc Londini, 1845.
N. Valo1s. Guillaume d'Auvergne. Sa vie et ses ouvrages. Paris, 1880.
M. W1ttmann. Die Stellung des hl. Thomas von Aquin zu Avencebrol. Munster i. W.,
1900 (Beitrâge zur Geschichte der Philosophie des Miilelalters, Bd. III, H. 3).
M. Worms. Die Lehre von der Anfangslosig&eit der Welt bei den mittelalterlichen
arabischen Philosophen des Orients... Munster i. W., 1900 (Beitr. z. Gesch. d. Phil.
d. Mittelalt. Bd. III, H. 4).
F. Wûstenfbld. Die Uebersetzungen arabischer Werke in das lateinische. Gôttingen,
1877.
Ed. Zeller. Die Philosophie der Griechen, II. T., 2. Abt., 4. Aufl. Leipzig 1921 ;
III. T., 1. Abt., 4. Aufl. hrsg. v. Ed. Wellmann, Leipzig, 1909.
INTRODUCTION
espèce ou différence, elle ne doit donc pas être considérée comme une
partie du sujet auquel se fait l'attribution, mais, par rapport à lui,
comme un tout. Qu'est-ce à dire ? sinon qu'elle doit contenir en
elle, d'une certaine manière, tous les éléments qui constituent le
sujet ? Je ne dirai : Socrate est homme, ou : Socrate est animal, ou:
Socrate est raisonnable, que si « homme », « animal », « raisonnable »,
contiennent en eux tout ce que Socrate est. Ou encore je ne pourrai
dire : l'homme est animal, ou bien raisonnable, que si « homme »
est déjà compris dans « animal » et dans « raisonnable ». Or cette
inclusion n'est possible que si l'abstraction au moyen de laquelle
je conçois ces essences n'en exclut pas absolument ce qu'elles
laissent inexprimé. « Animal » ne signifie pas « homme », mais il
peut ne point l'exclure positivement de son concept, ni « homme »
exclure positivement « Socrate ». Nous dirons alors que l'essence,
comme tout, et non plus comme partie, contient implicitement ce
qu'elle ne signifie pas explicitement. C'est seulement de cette ma
nière qu'une essence peut être attribuée comme genre, espèce ou
différence.
Cependant le genre, l'espèce et la différence ne sont pas des attri
buts quelconques : ce sont des attributs universels, c'est-à-dire qui
peuvent convenir en droit à une infinité de sujets. Or l'essence,
même considérée comme un tout, peut être prise en elle-même,
absolument, en dehors de la relation qu'elle peut avoir aux individus
où elle se réalise, et qu'elle inclut implicitement, et en dehors de
sa relation à l'esprit qui la pense en cet état d'abstraction. De ce
point de vue, l'essence est attribuable à chaque individu réel, mais
d'elle on ne peut rien dire sinon : elle est ce qu'elle est ; on ne peut
lui attribuer ni l'existence, ni l'unité, ni l'universalité, sous peine de
signifier que, en elle-même et absolument, elle existe, ou elle est une,
ou elle est universelle ; ce qui exclurait d'elle radicalement toute
possibilité d'exister dans les individus, ou d'être attribuéeàplusieurs.
D'autre part, prise dans sa réalité individuelle, réalisée soit en
Socrate, soit en Platon, soit en un autre, elle ne peut être attribuée
qu'au seul individu auquel elle appartient. •
Il reste donc que l'essence, pour être attribuée universellement,
soit l'essence considérée dans la pensée. Saint Thomas fait sienne
la forte"expression d'Averroès : « C'est l'intelligence qurfait* l'uni
versel. »
Craindrait-on que cette conclusion ne nous condamne à une
sorte de subjectivisme ou de nominalisme ? Saint Thomas prévoit
l'objection. A la vérité, l'essence n'est pensée que par chaque esprit
individuel ; de ce point de vue elle n'a d'existence et de réalité que
XXIV DE ENTE ET ESSENTIA
dans telle âme ou dans telle autre, et elle participe sans aucun doute
à l'individualité de l'esprit qui la pense. Loin d'être un inconvénient,
cet état de choses doit être maintenu avec fermeté contre Averroès,
lequel pour sauvegarder l'universalité de l'idée voudrait, pour tous
les hommes, une intelligence unique. Chaque homme a son intelli
gence et ses idées. Mais plusieurs esprits peuvent concevoir une même
essence, et celle-ci être en chacun d'eux universelle, parce que plu
sieurs concepts, individuellement distincts, peuvent représenter une
même réalité, peuvent être semblables à une même nature, et chaque
concept être considéré par chaque intelligence dans l'universalité
de son rapport aux sujets qui réellement possèdent ou peuvent
posséder cette nature.
Ainsi l'universalité se fonde sur la ressemblance de l'essence,
conçue par un esprit individuel, à l'essence réalisée, ou réalisable,
en des sujets individuels multiples.
Cette même relation de ressemblance nous assure que, lorsque
nous attribuons, comme genre ou espèce, etc., à un sujet donné,
l'essence conçue par l'esprit, cette attribution a sa raison dernière,
son principe, dans l'essence réelle, individualisée.
Ce principe, d'ailleurs, n'est pas le même pour chacune des attri
butions logiques. La matière est le principe du genre, la forme le
principe de la différence qui détermine le genre pour constituer
l'espèce, enfin la matière déterminée par les dimensions est le prin
cipe de l'individu. Et l'on voit bien maintenant comment le prin
cipe donne naissance à l'attribution logique, et par quoi il s'en dis
tingue. La matière n'est pas le genre, parce qu'elle ne peut être attri
buée comme lui au composé ; mais si je puis dire en vérité : l'homme
est un animal, cet attribut désignant le genre de l'espèce humaine,
c'est, d'une part, parce que le composé humain a pour matière un
corps vivant doué de sensibilité, et, d'autre part, parce que je con
çois cette matière (et implicitement sa forme) comme pouvant être
attribuée universellement à tout homme. Et si je puis ajouter :
l'homme est un animal raisonnable, désignant par là l'espèce, c'est
que l'âme intelligente est la forme du composé humain, et que
« animal » contient déjà implicitement « raisonnable », et que je
considère l'essence, ainsi définie, dans sa relation universelle à
tous les hommes. Enfin, dans l'attribution à l'individu, si l'univer
salité disparaît, et avec elle la nécessité de considérer l'essence dans
l'esprit et non pas absolument, le procédé demeure le même ; en
disant : cet individu, Socrate, est homme, je suppose en cet individu
l'essence humaine réalisée, et je conçois « homme » comme précon
tenant implicitement tous les caractères individuels de Socrate.
INTRODUCTION XXV
La seule différence est que le genre devient espèce par une déter
mination formelle, tandis que la progression de l'espèce à l'individu
se fait par détermination matérielle.
3. — l'établ1ssement du texte
au texte primitif (à cause de cela nous les avons mises entre cro
chets), sont celles indiquées en marge, et d'une main postérieure,
par E, sauf pour ce qui est du début du ch. Ier. Ces divisions nous
ont paru en effet les plus satisfaisantes.
Nous avons conservé l'orthographe de G, sans nous croire obligé
cependant à lire « Sortes » au lieu de « Socrates », l'absence du signe
indiquant la contraction venant, croyons-nous, de la très grande
fréquence de ce nom, dans les exemples donnés par les théologiens
du moyen âge, et non pas d'une corruption du nom lui-même.
La ponctuation et la division en paragraphes ont été adaptées en
vue de la meilleure intelligence du texte.
Dans la disposition de l'appareil critique on s'est inspiré des
Règles pour éditions critiques établies par M. Louis Havet à l'usage
des collaborateurs de l'Association Guillaume Budé 1.
1. Publiées sans indication de date ni d'éditeur.
P. S. — L'on comparera utilement au texte du De ente et essentia, tel que nous
l'avons établi, celui que vient d'éditer L. Baur : S. Thomae Aquinatis De ente et
essentia (Opuscula et textus historiam Ecclesiae eiusque vitam atque doctrinam
illustrantia. Series scholastica et mystica edita curantibus M. Grabmann et F.
Pelster, S. J. — Fasc. 1) Monasterii 1926, d'après les mss. suivants : Basileae,
Bibl. Univ. F IV 34 ; Bononiae Bibl. Univ. lat. 2312 ; Romae Vat. lat. 722 ; ib..8o7 ;
ib. 301 1 ; ib. 4262 ; ib. Barberin. lat. 165 ; ib. Ottobon. 198. Cette édition nous est
parvenue trop tard pour que nous ayons pu songer à l'utiliser.
DE ENTE ET ESSENTIA
[PROOEMIUM]
Quia paruus error in principio magnus est in fine, secun-
dum Philosophum in primo Celi et Mundi 1, ens autem et
essentia sunt que primo intellectu concipiuntur, ut dicit
5 Auicenna in primo libro sue Methaphysice 2, ideo ne ex eo-
rum ignorantia errare contingat, ad horum difficultatem
apperiendam dicendum est quid nomine essentie et entis
significetur, et quomodo in diuersis inueniantur, et quo-
1 lucipit tracta tus de essentia add G || Incipit opusculum de essentia compilatum a fratre
Thoma de Aquino de ordine predicato1um add A || Tractatus incipit de esse et essentia ira-
tris Thome de Aquino ordinis predicatorum add C U Incipit liber de entium quiditate. Capi-
tulum 1m quid significetur hoc nomine essentie in suhstantiis compositis add D || Incipit
tractatus fratris Thome de Aquino de entium quiditate add E || 2 Quia : Quoniam V ||
6 errare : error U || 7 et entis om CE || 8 inueniantur ADFU inueniatur GBCE
[CAPITULUM PRIMUAf]
est quod secundo modo potest dici ens omne id de quo affir-
matiua proposicio formari potest, eciam si illud in re nichil
ponat ; per quem modum priuationes et negationes eciam
entia dicuntur, dicimus enim quod affirmatio est opposita
5 negationi, et quod cecitas est in oculo. Set primo modo non
potest dici ens nisi quod aliquid in re ponit ; unde primo modo
cecitas et huiusmodi non sunt entia. Nomen igitur essentie
non sumitur ab ente secundo modo dicto ; aliqua enim hoc
modo dicuntur entia que essentiam non habent, ut patet in
1o priuationibus ; sed sumitur essentia ab ente primo modo
dicto ; vnde Commentator in eodem loco dicit 1 quod ens
primo modo dictum est quod significat essentiam rei. Et
quia, ut dictum est, ens hoc modo dictum diuiditur per de-
cem genera, oportet quod essentia significet aliquid com-
15 mune omnibus naturis per quas diuersa entia in diuersis
generibus et speciebus collocantur, sicut humanitas est
essentia hominis, et sic de aliis 2. Et quia id per quod res
constituitur in proprio genere uel specie est hoc quod
significatur per djffinitionem indicantem quid est res, inde
20 est quod nomen essentie a philosophis in nomen quiditatis
mutatur ; et hoc est quod Philosophus frequenter nominat quod
quid erat esse, jd ggt hoc yer quod aliquid habet esse quid 3.
2 formari : affirmare B |) 5 in oculo : quod est in oculo oppositum D |) 7 entia : essen
tia BC II 10 essentia om B || 13 ens hoc modo dictum om G ens hoc modo AF || 15 diuersa
entia : diuersa genera B essentia G omnia F || 17 Et om G || 21 est : eciam add ACDE
5 [CAPITULUM SECUNDUM]
materia sola rei non sit essentia planum est, quia res per essen-
tiam suam, et cognoscibilis est, et in specie ordinatur et gene
re ; set materia neque cognitionis principium, neque secun-
dum eam aliquid ad genus vel speciem determinatur, set se-
5 cundum id quo aliquid actu est. Neque eciam forma tantum
essentia substantie composite dici potest, quamuis hoc qui
dam 1 asserere conentur. Ex hiis enim que dicta sunt patet
quod essentia est id quod per dimnitionem rei significatur.
Diffinitio autem substantiarum naturalium non tantum for-
1o mam continet set eciam materiam ; aliter enim diffinitiones
naturales et mathematice non differrent. Neque hoc dici po
test quod materia in diffinitione substantie naturalis pona-
tur sicut additum essentie eius uel ens extra essentiam eius
quia hic modus diffinitionum proprius est accidentibus que
15 perfectam essentiam non habent ; vnde oportet quod in
4 determinatur : ordinatur DU || 7 conentur ABE continente GCF || enim : ergo B \\
8 id quod ADE om GCF || 9 naturalium : materialium EFU || 10 continet rretinet B || n
mathematice : meth06 GCE || 12 substantie naturalis : rei B || 13 ens : tamquam aliquid
quod est F || eius om GC.
est ; homo enim neque est anima neque corpus 1 ; set si homo
aliquo modo ex animali et rationali esse dicatur, non est
sicut res tercia ex duabus rebus, set sicut intellectus ter-
cius ex duobus intellectibus ; intellectus enim animalis est
5 sine determinatione specialis forme exprimens naturam rei,
ab eo quod est materiale respectu ultime perfectionis ; intel
lectus autem huius differentie rationalis consistit in deter
minatione forme specialis; ex quibus duobus intellectibus con-
stituitur intellectus speciei uel diffinitionis. Et ideo sicut
1o res constituta ex aliquibus non recipit predicationem illa-
rum rerum ex quibus constituitur, ita nec intellectus recipit
predicationem eorum intellectuum ex quibus constituitur :
non enim dicimus quod diffinitio sit genus aut differentia.
Quamuis autem genus significet totam essentiam speciei,
15 non tamen oportet quod diuersarum specierum quarum est
idem genus, sit una essentia ; quia unitas generis ex ipsa inde-
terminatione uel indifferentia procedit ; non autem quod illud
quod significatur per genus sit una natura numero in diuer-
5 naturam : materiam GBDE || 10 constituta ex aliquibus : constitutum ex duobus
aliqualibus uel pluribus F 16 una : eadem add D || 17 autem : ita add BDE
sis speciebus, cui superueniat res alia que sit differentia deter-
minans ipsam, sicut forma determinat materiam que est
una numero ; set quia genus significat aliquam formam, non
tamen determinate hanc uel illam quam determinate differen-
5 tia exprimit, que non est alia quam illa que indeterminate
significatur per genus. Et ideo dicit Commentator in duode-
cimo Methaphysice1 quod materia prima dicitur una per remo-
tionem omnium formarum, sed genus dicitur unum per com-
munitatem forme significate. Vnde patet quod per addi-
10 tionem differentie, remota illa indeterminatione que erat cau
sa unitatis generis, remanent species per essentiam diuerse.
Et quia, ut dictum est, natura speciei est indeterminata
respectu indiuidui, sicut natura generis respectu speciei,
inde est quod, sicut id quod est genus prout predicatur de
15 specie implicabat in sua significatione, quamuis indistincte,
totum quod determinate est in specie, ita eciam et id quod
est species, secundum quod predicatur de indiuiduo, oportet
quod significet totum illud quod est in indiuiduo essentia-
liter licet indistincte ; et hoc modo essentia Socratis signi-
3 aliquam : aliam G || 9 forme significate : materie signate GF || 13 natura : nomen F ||
14 predicatur : predicabitur B predicabatur CE \\ 16 determinate : determinatum AD ||
17 oportet... indiuiduo om GEF j| 19 Socratis : speciei B
tv,
CAPITULUM TERTIUM 23
{CAPITULUM TERTIUM]
eius, nunquam posset esse una cum tamen una sît secundum
quod est in Socrate. Similiter si unitas esset de ratione eius,
tune esset una et eadem Socratis et Platonis et non posset
in pluribus plurificari. Alio modo consideratur secundum
5 esse quod habet in hoc uel in illo, et sic de ipsa aliquid
predicatur per accidens, ratione eius in quo est, sicut dici-
tur quod homo est albus quia Socrates est albus, qua-
muis hoc non conueniat homini in eo quod est homo.
Hec autem natura habet duplex esse : unum in singulari
10 bus et aliud in anima ; et secundum utrumque consequitur di-
ctam naturam accidens, et in singularibus habet eciam
multiplex esse secundum singularium diuersitatem. Et tamen
ipsi nature secundum primam considerationem suam, scilicet
tantum... ergo ex hoc quod ipsa est humanitas non est ipsum unum
vel multum... » ibid. f. 87 a : « Dicemus ergo quod hoc est quiddam
sensibile quod est animal vel homo cum materia et accidentibus, et
hic est homo naturalis ; et hoc est quiddam quod est animal vel homo
consideratum in seipso secundum hoc quod est ipsum, non accepto
cum eo hoc quod est sibi admixtum sine conditione communis aut pro-
prii aut unius aut multi... animal enim ex hoc quod est animal, et homo
ex hoc quod est homo scilicet quantum ad diffinitionem suam et intel-
lectum suum absque consideratione omnium aliorum quae comitantur
illum, non est nisi animal vel homo ; sed animal commune et animal
individuum... et animal secundum respectum quo est in his sensibilibus
vel intellectum in anima est animal et aliud non animal... Manifestum
est autem quod cum fuerit animal et aliud quod non est animal, animal
tune erit in hoc quasi pars ejus... Poterit autem animal per se consi-
derari, quamvis sit cum alio a se ; essentia enim ejus est cum alio a se...
Ipsum vero esse cum alio a se est quiddam quod accidit ei vel aliquid
quod comitatur naturam suam sicut haec animalitas et humanitas...
Ex hoc enim esse nec est genus nec species nec individuum nec unum
nec multa ; sed ex hoc esse est tantum animal et tantum homo... »
ibid. b : « Hic est autem quiddam quod debet intelligi, scilicet quia
verum est dicere quod de animali ex hoc quod est animal non debet
praedicari proprietas nec communitas, nec est verum dicere quod de
animali ex hoc quod est animal debet non praedicari proprietas vel
communitas... Si enim concederetur quod animal, ex hoc quod est
animal per se, esset cum conditione quod non haberet esse in sensibi
libus istis, nou tamen concederetur quod platonitas esset in sensibilibus
istis. Esse enim animalis cum conditione non rei alterius in intellectu
tantum est ; animal vero per se, non cum conditione rei alterius, habet
esse in sensibilibus. Ipsum vero .in se in veritate sua est sine conditione
26 DE ENTE ET ESSENTIA
[CAPITULUM QUARTUM]
1o [CAPITULUM QUINTUM}
runt esse illud esse uniuersale quo quelibet res fonnaliter est.
Hoc enim esse quod Deus est huius conditionis est quod nul-
la sibi additio fieri possit. Vnde per ipsam suam puritatem
est esse distinctum ab omni alio esse, sicut si esset quidam
5 color separatus ex ipsa sua separatione esset aliud a colo
re non separato. Propter quod in commento none propositio-
nis libri De causis dicitur 1 quod indiuiduatio prime cause
que est esse tantum est per puram bonitatem eius. Esse
Iautem commune sicut in intellectu suo non includit addi-
tionem, ita non includit in intellectu suo aliquam preci-
sionem additionis, quia si hoc esset, nichil posset intelligi esse
in quo super esse aliquid adderetur. Similiter eciam quam-
uis sit esse tantum non oportet quod deficiant perfectiones
relique et nobilitates. Imo habet Deus perfectiones que sunt
15 in omnibus generibus, propter quod perfectum simpliciter
dicituT, ut Philosophus et Commentator in quinto Methaphy-
sice dicunt 2, set habet eas modo excellentiori ceteris rebus,
quia in eo unum sunt sed in aliis diuersitatem habent. Et
hoc est quia omnes ille perfectiones conueniunt sibi secun-
20 dum suum esse simplex ; sicut si aliquis per unam qualitatem
1 esse uniuersale : esse om BE illud essentiale E et add in marg alias esse uniuersale || 2
nulla : non B || 4 alio om B II sicut si esset... separato om ABC || 8 est per : cum per
G H eius. Esse : cuius esse G || 9 additionem, ita non includit om GCF II n quia si... ad
deretur om B \\ 13 deficiant perfectiones... nobilitates : ei perfectiones alique et perfec
tiones F II 14 et nobilitates... perfectiones om A || Deus : om B omnes add BCF || 17 eas
modo excellentiori : ea hoc excellentiori modo G II ceteris : omnibus BD omnibus aliis C
éd. Hog, Londres, 1845, p. 194. — Comp. S. Th., S. Th., I P., Q. III,
a. 8 : « Alii autem dixerunt Deum esse principium formate omnium
rerum : et haec dicitur fuisse opinio Almarianorum. » — Voir de même
Gu1ll. d'Auv., De Trin., c. 4 (Orléans, t. II, Suppl., p. 4 ss.) — L'on
sait que A. de B. avait été condamné en 1215 par le IVe concile de
Latran.
1. De causis, in S. Th. Op. t. 26, p. 536, lect. 9 : « et causae quidem
primae non est ylcachim, quoniam ipsa est tantum esse... et individuum
suum est bonitas sua. » Cf. Bardenhewer, op. cit., § 8, p. 173 : « et
individuum suum est bonitas pura. »
2. Ar1st., Met. A 1021 b 30 (S. Th. in h. I., L. V, 1. 21) et Averr. in
h. /., L. V, comm. 21, f. 62 a 10-13. — Ni le texte grec, ni la versio antiqua
ne parlent de Dieu : ta |ièv ouv xaô' auxa XEYOfiiva t&Eta tOCTauta^ûç Xe'-fEtat,
ta jièv t(ji xaxà ta eu (atj8èv èXXEi'iretv (xtj8' eXElv u1tspPoXT)v h !xàcr8({) y^vEt
(J.118' EÏvai ti !'£a>. Mais Averr. commente ainsi la deuxième partie de la
phrase : « Deinde dicit et quaedam modo universali, etc., id est defi-
nitio eorum universaliter est talis : perfecta sunt illa quorum nihil
invenitur in eis, per quod dicuntur imperfecta in eis, aut extrinsecum,
et ista est dispositio primi principii, scilicet Dei. »
CAPITULUM QUINTUM 39
15 [CAPITULUM SEXTUM]
1. Ar1st., De hist. animal., % 588 b 4-14 : ooxio 8'lx xûW a^tfytov sïç xà
Çipa (i,Exa|3a{vEt xaxà jjuxpov i\ <piSat(, uxrxe Tfl auve^EÎqt XavOivetv xà (XsOo'ptov
aùxâiv xal xà (jiaov itoxé'pCjav Èïxiv' xat toôxuw è'xspov irpôç e'xepov StayÉpEt x(f>
|xaXXov Soxeïv jxex^etv Çtoîjç, é'Xov 8è to' y^voç irpàç |xèv xaXXa atijiaxa tpaivexai
a^tSàv &<ntEp iî|x<|iu^ov, itpô<; Se to xwv Çtptov âtyo^ov. ^ 8è (jt,Exot(3a<7iç è£ aùxiov
eU xà Çtfia ctuve^tjç ecttiv, &airep èXeyST) irpo'xepov.
Sous le titre : De animalibus, la traduction de Michel Scot, faite sur
l'arabe, comprenait les trois traités d'Aristote consacrés à l'étude des
animaux : les livres 1-10 correspondant au De hist. an., 11-14 au De
partibus an., et 15-1g au De generât, an. Cf. Pelzer, Un traducteur
inconnu : Pierre Callego... (1250-1267), dans Miscellanea Fr. Ehrle,
I, p. 415 (Rome, 1924).
2. Ar1st., De part, an., A 642 b 5 : Aa|x|3<ivou<ri 8'È'viot xà xa8' l'xaatov,
8iaipoûji.EV0t xà yévoç etç 8ûo Siottpopctç. toûto 8'e'axl x^ (AÈv où âàSiov, xfj 8è
àSuvatov . èvfujv yàp saxai Siatpopà (xia jio'v»). — Voir note précédente.
3. Voir plus haut, p. 23, Capitulum tertium.
CAPITUCUM SEXTUM 43
I intellectiua : intellectualis BCE II 4 sicut : ut est A sicut est BEF || intelligere... sicut
om C H 6 uero : non add B || 15 dicta : animalis add G II non remanent 01» Il || 16 ordinem :
generalem add B A 17 remota : recepta F || 19 mixtione : conlunctione B || 20 in co : in
om G in eis CD || a1 per : secundum B II 26 vnde inueniuntur... speciei om GAE || 26
naturam : materiam B II 30 ex : propriis add B
1 conuenit : contingit B |j 2 suam : sui F II 4 Amen ont BCEF H Explicit liber de essen-
tia add G Explicit opusculum de essentia compilatum a fratre Thoma A Explicit
tractatus Thome de Aquino ordinis fratrum predicatorum de ente et essentia B Expli
cit liber de entium quiditate a fratre Thoma de ordine predicatorum cuius anima sine
fine requiescat in pace amen D Explicit tractatus fratris Thome de Akino de entium
quiditate F Explicit de esse et essentia V
ÉTUDES
LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
LES PHILOSOPHES
CHAPITRE PREMIER
ARISTOTE
•
La notion de l'individuel, du réSe ri, du to Kaff e/raoTov, est au
centre même de la philosophie d'Aristote. En opposition avec
Platon, Aristote voit dans l'individu la réalité même. La substance,
l'ovala, c'est, en propre et avant tout, la substance individuelle.
Bonitz remarque avec raison, dans son Index l, que la plupart du
temps ovala et -réSe t< sont synonymes. De ce point de vue fonda
mental, l'individualité ne pouvait poser aucun problème : la subs
tance est individuelle par nature ; son unité concrète, indivisible,
est son être même. Et c'est à elle que l'unité appartient en pre
mier lieu 2.
Nous n'avons pas à rappeler comment la théorie de la science
et l'observation de la substance sensible conduisirent Aristote à dis
tinguer en cette dernière substance : substance première et subs
tance seconde, matière et forme ; puis à faire, soit de la substance
seconde abstraite de la première, soit même parfois de la forme
seule, l'objet propre de la science. La conséquence immédiate de
cette théorie fut la distinction, à l'intérieur même de l'unité con
crète de la substance, de deux sortes d'unités : l'unité spécifique
et l'unité numérique. Unités dérivées, par rapport à l'unité intan
gible de l'être substantiel, et dont le sens n'apparaît à l'esprit que
s'il compare entre elles plusieurs substances. Aristote, qui eut une
si claire intelligence des rapports de l'être et de l'unité, et de leurs
1. Au mot 6'Se, p. 495 b 45.
2. Met., A, 6, 1016 b 1-3.
" De ente et essentia. " •
52 LE PRINCIPE DB L'INDIVIDUALITÉ
1. Voir surtout Met. A, 6, 1015 b 16-101716, et tout le livre I, 1052 a 15-1059 a 14.
2. Met. A, 6, 1016 b 35 : àù Se xà uitepa toïç êjncpooSev àxoXouSet, oTov ô'aa
àptGfMp xa't Eifiêi é'v, ôaa 0 sïosi où -àvxa àptOjjnù.
3. Met. A, 6, 1016b 32; Z, 8, 1034 a 5-8; 9, 1035b 30; I, 3, 1054 a 33; 9, 1o58 b5i
A, 9..1074 a 33.
4. Met., I, 9, 1058 a 29 ss.
5. v. g. Met. Z, 10, 1036 a 2.
6. De coelo, A, 9, 278 a 9 ss.
ARISTOTE 53
PORPHYRE ET BOÈCE
AVICENNE
ment, est, comme tel, indivisible. S'il peut être divisé, c'est à raison
de la nature d'où il tient son unité et selon que cette nature le per
mettra. Telle nature confère l'unité à l'individu en telle sorte que,
si l'individu venait à être divisé, la nature ne lui pourrait survivre
en aucun de ses fragments : divisez un homme en deux, soit en âme
et corps, il n'existe plus. Inversement, de plusieurs hommes on ne
peut faire un seul. Or cela suppose dans la nature humaine une
« perfection », ou forme, 1 qui assure à l'individu l'unité parfaite.
En telle autre nature, dans l'eau par exemple, ou dans l'air, ou dans
la ligne droite, une « perfection » semblable ne se retrouve pas.
De soi, sans doute, chacune de ces natures, est principe d'unité ;
mais que tel individu où elle se réalise, que telle portion d'eau, je
suppose, soit divisée : sa nature se retrouve intacte en chacune
des portions nouvelles, chaque gouttelette est de l'eau au même
titre que la nappe entière. Et de même si l'opération inverse a Heu ;
rien ne s'oppose ici à ce qu'un nombre quelconque d'individus
viennent se fondre en un seul. Or qu'est-ce qui peut permettre à
ces natures d'allier ainsi unité et divisibilité ? C'est, dit Avicenne,
l'étendue, dont l'unité, qui est celle même du continu, est apte de
soi à la division.
Ailleurs encore Avicenne précise les rapports de l'étendue avec la
substance corporelle 2.
Le corps doit se définir exactement par l'aptitude à posséder
divisibile in quantum est unum. Oportet autem considerare hoc secundum naturam
ex qua accidit ei unitas. Unum igitur numero aliud est quod ex natura sua ex qua
accidit sibi unitas non potest multiplicari sicut unus homo, et aliud est quod ex natura
sua non est hoc, sicut aqua una et linea una, etc. .. » ; et un peu plus bas : « Redeamus
igitur ad divisionem quae multiplicatur, etiam in quantum habet naturam unitate
unam et continuitate ; ejus enim quiddam est multiplicabile per multitudinem quae
est in natura, quae ex seipsa adaptata est multitudini secundum quod est unum, et
haec est mensura ; et quiddam est, in cujus natura est multitudo, quae natura non
habet unitatem aptam multitudini, nisi propter causam aliam praeter se, et hoc est
corpus simplex, sicut aqua ; haec enim aqua est aqua una numero non propter aquei-
tatem, sed propter adjunctionem causae qua est mensura. »
1. Ibid., f. 78T, b E : « ex omnibus igitur quae sunt unum, quaedam sunt quae
comitatur perfectio, et quaedam sunt quae non comitatur perfectio. »
2. Ibid., II, 2 f. 75 b : « Quapropter vera descriptio corporis haec erit : Corpus
est substantia in qua potest poni dimensio quocumque modo volueris incipere. »
(Aristote disait simplement : <rt3|xa xè irisaç l'^ov Siaetaaeie, Bonïtz 189 a 33).
t Deinde ceterae dimensiones quae ponuntur in eo inter extremitates ejus et extre-
mitates ejus et figurae etiam et situs ejus, non sunt constituentes ipsum, sed sunt
consequentes substantiam ejus... »— Ibid., 75T, a : « Si enim acceperis aliquam
ceram. . . » ; — Ibid., 75T, b BC : « Corpus enim inquantum est corpus habens formam
corpoream est quoddam in effectu. In quantum vero aptum est ad quamlibet men-
suram est in potentia . . . Id autem per quod habet effectum est forma ejus ; per quod
vero habet potentiam est materia ejus, et hoc est yle. »
AVICENNE 63
l'une quelconque des trois dimensions, et non point par leur pos
session actuelle. La substance corporelle est indépendante en son
essence de toute détermination particulière de l'étendue ; celles-ci
lui sont toujours accidentelles. Avicenne en prend exemple dans
la cire, comme Descartes le devait faire plus tard. Il suit de là que
le corps n'est étendu, de soi, qu'en puissance, et qu'il l'est donc
à raison de l'élément potentiel qui est en lui, c'est-à-dire à raison
de la matière. Par contre l'étendue en acte ne peut pas ne pas être
déterminée par l'une quelconque des trois dimensions 1.
Avicenne déduit de ces principes que les différences quantita
tives qui s'observent entre les espèces, ou bien les degrés de la con
densation et de la raréfaction, ne proviennent pas de la « corpo-
réité » comme telle mais de tout autre principe formel, soit essentiel,
soit accidentel. Le continu lui-même et la pluralité des corps ne
sont pas essentiels à la « corporéité », celle-ci doit seulement en
être susceptible. A plus forte raison la matière seule, sans forme,
ne peut-elle être étendue 2.
Transportons-nous enfin au chapitre de la Sufficientia consacré
1. De An., V, 3, f. 24 ; 4 f. 24».
2. Ibid., f. 24 b : « Si animo autem esset tantum absque corpore, una anima non
posset esse alia ab alia numero. Et hoc generaliter est in omnibus. »
3. Ibid. et Met., V, 2, f. Sy a A : « Ex his autem naturis illa quae non eget mate-
ria ad permanendum vel incipiendum si est, impossibile est eam multiplicari, et
species hujusmodi est una numero. —Ibid., IX, 4, f. 105 a : « Nec hae intelligentiae
sunt convenientes in specie » ; ibid., b : « tune in quo erunt diyersae et multae cum
non sit ibi divisio materiae, igitur ex causato primo non potest esse multitude nisi
diversa in specie. »
4. De An., V, 3, f. 24 a B et b : « Dicemus autem quod anima humana non fuit
prius existens per se et inde venerit in corpus ; animae enim humanae unum sunt
in specie et dimnitione. Si autem posuerimus quod prius habuerunt esse per se et
non inceperunt esse cum corporibus, impossibile est ut animae in ipso esse habeant
multj tudinem. Multitudo enim rerum aut est ex essentia et forma, aut est ex com-
paratione quae est ad materiam et originem multiplicatam ex locis quae circumdant
unamquamque materiam secundum aliquid, aut ex temporibus propriis unius-
cujusque illarum quae accidunt illis accidentibus, aut ex causis dividentibus illam.
Inter animas autem non est alteritas et in essentia et forma. Forma enim earum una
est, ergo non est alteritas nisi secundum suae receptibile essentiae cui comparatur
essentia ejus proprie, et hoc est corpus. Si anima autem esset tantum absque cor-
pore, una anima non posset esse alia ab alia numero. Et hoc generaliter est in om
nibus... »
66 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
AVERROÈS
tinu fait dire au Stagirite Averroès ; autrement dit les trois dimen
sions de l'étendue.
Il faut donc concevoir la matière première à la fois comme puis
sance à toutes les formes sensibles et comme informée primitive
ment par l'étendue. Non point d'ailleurs par une étendue limitée
en ses déterminations, mais par une étendue « non déterminée »,
disons par l'étendue en général. 11 revient en effet aux formes,
soit comme principe de telle espèce, soit comme principe de tel
individu, de limiter l'étendue selon les besoins de la substance à
constituer. Mais si la matière possède déjà les trois dimensions,
l'on s'explique alors qu'elle ne puisse être informée sans être
divisée, et que la partie d'elle-même qui s'unit à telle forme
individuelle ne puisse appartenir au même instant à une
autre.
L'on pourrait entendre cette théorie d'une façon assez grossière
en concevant la matière première comme actualisée d'abord par
l'étendue, suivant une priorité de temps, et formant une substance
corporelle antérieure à la naissance des substances spécifiées. Les
termes d'Averroès prêtent parfois à cette intelligence. Il est plus
juste cependant de le comprendre ainsi : de soi et prise abstraite
ment, la matière première est en puissance à être déterminée d'a
bord (d'une priorité logique) par les trois dimensions en général,
puis par la forme spécifique (individualisée ?) qui détermine les
dimensions elles-mêmes. Encore Averroès remarque-t-il que les
dimensions comme telles sont un accident et que la substance doit
être individuellement déterminée avant ses accidents 1. Il semble
même insinuer que l'individuation par l'étendue est pour la subs
tance une individuation générique en quelque sorte, qui ne peut
exprimer ce qu'il y a en son être propre de véritablement singulier.
La doctrine du Commentateur sur ce problème si difficile, ne paraît
donc pas s'être parfaitement fixée.
LES THÉOLOGIENS
GUILLAUME D'AUVERGNE
La conclusion vaut pour les anges, autant que pour Dieu. Nous
devons d'ailleurs nous fier à la connaissance expérimentale des
prophètes qui témoignent de l'immense multitude des anges 1 ;
et d'autre part nous n'avons aucun motif de croire que les diffé
rences, même les plus marquées, qui les distinguent les uns des
autres, soient de l'ordre spécifique : il n'y a pas plusieurs espèces
angéliques 2. Pour ce qui est des âmes, il est absurde de penser,
que, distinctes individuellement lorsqu'elles sont unies chacune
à son corps, elles cessent de l'être après la séparation, pour se
confondre en une seule intelligence. C'est là une de ces erreurs à
traiter par le fer et le feu bien plutôt que par la raison 3. Cesser
d'être telle substance individuelle, ce n'est pas perdre une modalité
accidentelle, c'est ne plus exister du tout *. On semble croire que
deux âmes séparées ne peuvent être distinguées l'une de l'autre
par l'intelligence pas plus que ne le seraient par la vue deux brebis,
ou deux abeilles, si on ne les voyait occuper chacune leur place
à côté l'une de l'autre ■• Et de cette impossibilité de les discerner
l'on conclut à leur identité, en vertu de ce principe : ce qui est intel
ligible est, ce qui est inintelligible n'est pas. S'il en était ainsi, il
faudrait réduire à un seul être toutes les substances immatérielles,
il faudrait identifier avec Dieu tous les anges et toutes les âmes •.
Mais l'âme en quittant le corps ne se détache pas à ce point qu'elle
n'en conserve quelque empreinte ; et puis chacune a sa perfection,
sa vertu, son mérite. Prétendre qu'elles ne sont pas discernables,
c'est confondre connaissance sensible et connaissance intellectuelle.
Le sens ne dépasse pas l'extérieur et ce qui est tout proche de lui.
L'intelligence, du moins l'intelligence pure et glorieuse, non plus
obscurcie par le corps, pénètre tout jusqu'au plus intime : c'est l'œil
du lynx. Ici-bas nous ne distinguons Platon de Socrate que par
leur extérieur, seul accessible au sens ; et de ce point de vue l'on
doit dire en effet avec Boèce que seule la variété des accidents dis
tingue individuellement les substances. Mais, une fois glorifiée,
notre intelligence aura l'intuition claire de ce qui, en vérité, et par
delà les accidents, constitue la diversité numérique des individus 7.
1. Ibid., c. 14, p. 857;
2 Ibid , c. 21, p. 864. — Voir aussi c. 116 et ss., p. 966.
3. Ibid., c. 15, p. 858 a G.
4. Ibid., c. 14, p. 857 b A ss.
5. Ibid., D.
6. Ibid., p. 858 a E.
7. Ibid., c. 15, p. 859 a B C. 1 Tntellectus igitur noster in bis tenebris tt in
bac depressione qua sumus bic, non distinguit ad nudum Socratem a Platon* in
74 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
ALEXANDRE DE HALÈS
divisio ratione formae, cum corporeitas in materia sit forma. Item si tantum ratione
materiae esset multitude», omnia essent unum in forma », etc.. — La « résolution »
ne s'occupe que des huit premières objections, celles concernant la matière commen
çant avec la onzième. Le » membrum » qui suit se présente bien comme une réponse
à ces dernières, mais il n'entre point dans le détail. Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé
dans cette Somm:, dont l'unité de rédaction est décidément bien douteuse.
1. Ibid. II, Q. XX, m. 4, a. 1, f. 36 v b.
2. Ibid., a. 2, f. 37 b.
3. Ibid., et m. 6, a. 1, f. 39 ; a. 2, f. 39vet 40. Voir aussi m. 2, resol., f. 34' a ; et,
au sujet de la composition de l'âme humaine : Q. LXI, m. 1, f. 1o3T a.
4. Ibid., III, Q. VI, m. 2, a. 3, f. 2oT a.
5. Ibid., m. 4, f. 21 a.
i
78 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
JEAN DE LA ROCHELLE
SAINT BONAVENTURE.
ROGER BACON
ALBERT LE GRAND
elle est le sujet, la « res naturae » est dite sous ce rapport et à cause
de lui : suppôt. Considérée comme un être complet en soi, sujet des
accidents, elle est dite : sujet, substance ou hypostase, ces trois
termes étant synonymes. L'individu, c'est la substance ou hypos
tase considérée dans son rapport aux accidents qm l'individua
lisent, c'est-à-dire dans son rapport à ces accidents dont la « collec
tion » ne se retrouve nulle part ailleurs. Enfin la personne ajoute
à la substance individuelle la dignité de nature raisonnable qui lui
confère l'incommunicabilité parfaite 1. Comme substance en effet,
ou hypostase, la chose est incommunicable seulement à une nature
universelle : elle possède par là l'unité ; et comme individu elle est
incommunicable à tout autre individu : elle est par là singulière ;
elle n'est vraiment incommunicable, même à une personne supé
rieure, que par sa personnalité 2.
Tous les membres de cette distinction ne nous intéressent pas
ici au même degré. Il faut considérer à part la substance ou hypos
tase, et l'individu. L'on» aura remarqué que ce dernier terme est
réservé à la substance prise dans sa relation avec certains accidents,
ceux mêmes dont parlait Porphyre 3 ; ceux dont Guillaume d'Au
vergne disait qu'ils font connaître l'individu bien plutôt qu'ils ne
le déterminent comme tel *. C'est bien là la pensée d'Albert. L'in
1. In I Sent., Dist. XXIII, a. 2 (t. 25, p. 585 b) ; Dist. XXVI, a. 4 (t. 26, p. 8 :
« ...notandum quod in inferioribus sunt quatuor, scilicet res naturae, subjectum,
suppositum, individuum, quibus etiam in natura rationali adjicitur quintum quod
est persona. Et rem naturae intclligimus compositum ex materia et forma, vel
quod est et quo est, in natura et sub natura communi, et hoc est hoc aliquid in
natura. Suppositum autem addit rei naturae respectum ad naturam communem
cui supponitur, ut incommunicabile. Subjectum autem, ut dicit Philosophus, est
ens in se completum, occasio alteri existendi in eo, et hoc habet respectum ad acci-
dens... et hoc vocatur ab Aristotele substantia et a graecis \>T:o<jz<xai$. Individuum
autem est habens accidentia individuantia. Persona autem in rationali natura dicit
incommunicabile... » Voir aussi les précisions complémentaires de In III Sent.,
Dist. VI, a. 2 (t. 28, p. 127 b). — Albert distingue un autre sens du mot hypostase, dont
il fait aussi remonter la tradition à Boère : hypostase voudrait dire matière. Cf.
In I Sent., Dist. XXIII, a. 4 (t. 25, p. 592 a). Albert utilise parfois ce sens, mais
non, il me semble, dans la question qui nous occupe. Le texte de Boèce qui définit
ce sens est souvent cité au XIIIe s. avec la référence au Commentaire des Catégories.
Mais il ne figure pas dans les œuvres de Boèce. Cf. supra, p. 8, noie 1 .
2. In I Sent., Dist. XXIII, a. 6, ad 2m (t. 25, p. 599 b) ; In III Sent., Dist. V
a. 15 (t. 28, p. 115 b) : « Et unitas est a materia : quia idem est unum numero a
materia, ut dicit Philosophus. Singularitas autem est ab individuantibus. Incom-
municabilitas autem a distinctione ultimo complente et perficiente. » Ibid., Dist. X,
a. 1 (p. 189 b) : « principium individuantium est personae singularitas. » L'on se
rend compte que ces dernières précisions surtout sont dues à la théologie de l'In
carnation.
3. Cf. supra, p. 56.
4. Cf. supra, p. 73.
92 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
***
par la matière ? Sans doute. D'une manière plus précise c'est en vue
de dégager la pensée d'Aristote des interprétations matérialistes 1,
ou de celles des commentateurs arabes qui ruinaient l'immortalité
des âmes en perdant toute intelligence au sein de l'Intellect, un
et séparé.
Tant qu'il s'agit des êtres matériels, Albert ne voit aucun inconvé
nient à faire écho à la théorie si souvent affirmée par le Philosophe
de l'individuation par la matière 2. Il la reçoit et il la commente
sans la discuter, sans essayer non plus de la préciser. S'il lui arrive
d'esquisser à plusieurs reprises une explication des rapports de la
substance matérielle à la quantité, c'est qu'il y est amené par
ses adversaires matérialistes, il s'inspire alors d'Avicenne, et par
fois d'Averroès. Voici en peu de mots de quelle manière 3.
L'union de la forme et de la matière ne divise pas d'elle-même la
substance. Ni la matière n'est de soi divisée en acte comme cer
tains le prétendent, ni les formes spécifiques diverses n'expliquent
à elles seules sa division. La matière, qui considérée en soi est une,
est divisible en puissance parce que la première forme à laquelle
elle est ordonnée c'est la corporéité, laquelle implique la quantité
dimensive. Mais le corps lui-même, comme substance, n'est pas
actuellement étendu. L'étendue est un accident dont le principe
seulement se trouve dans la substance corporelle. C'est donc par
l'un de ses accidents, par la quantité, que le corps est divisé. La
quantité a un rapport spécial avec la matière. Cependant les dimen
sions du corps, comme tel, sont indéterminées *. Il faut l'interven
tion des formes spécifiques pour parfaire la matière et lui donner
les limites quantitatives qui conviennent à chaque espèce, bien que,
à leur tour, les formes ne soient divisées que par accident. Sur
la division individuelle proprement dite, Albert ne s'arrête pas.
1. Cf. G. Théry, O. P. Autour du décret de 1210 : 1. — David de Binant. (Biblioth.
thom. VI). Le Saulchoir, Kain, 1925.
2. Voir déjà en ce sens : S. de Cr. I, Tr. I, Q. 2, a. 2, ad 3m (t. 34, p. 324 a),
Tr. III, Q. 7, a. 3 (ib., p. 404) ; II, Q. 58, a. 1 (t. 35, p. 501 a) ; Q. 78, ad qu. 2;
ad 2"> (t. 35, p. 637 b). — In I Sent., Dist. II, a. 19 (t. 25, p. 78 b), etc.. ',— Puis:
In Phys. I, Tr. 1, c. 2 ss. (t. 3, p. 5) ; III, Tr. 2, c. 12 (ib., p. 228). — In De an.
II, Tr. 3, c. 3 (t. 5, p. 235) ; III, Tr. 2, c. 4 (ib., p. 336 b): — In De praedicam. II, c. 8
(t. 1, p. 181 b). — In Met., III, Tr. 3, c. 12 (t. 6, p. 189 b) ; VII, Tr. 3, c. 2 (ib.,
p. 453 a) et c. 8 (p. 462) ; XI, t. 1, c. 7 (p. 590 ss.), etc..
3. D'après : In Phys., I, Tr. 1, c. 3 (t. 3, p. 6) ; Tr. 2, c. 4 (ib., p. 27, 29 b)i
III, Tr. 2, c. 12 {ib., p. 229), c. 13 (p. 230). — In Met., I, Tr. 1, c. 1 (t. 6, p. 2) ;
Tr. 4, c. 8 (ib., p. 75) ; V, Tr. 2, c. 2 et 3 (t. 6, p. 298 ss.) ; XI, Tr. 1, c. 12 (ib.,
p. 603 a). ,
4. In Met., XI, Tr. 1, c. 12 (ib., p. 603 a) ; In De coelo, Liv. I, Tr. 3, c. 4 (t. 4,
p. 72 ss). Cf. etiam In IV Sent., Dist. XII, a. 16 (t. 29, p. 328). Albert unit ici,
sans signaler leur opposition, Averroès et Avicenne.
96 LE PRINCIPE ÔE L'1NDtVIDUALlfÉ
1. In Phys., I, Tr. 1, c. 6 (t. 3, p. 16 a) ; InDe an. II, Tr. 3, c. 4 (t. 5, p. 237 a).
2. In Phys., III, Tr. 2, c. 12 (t. 3, p. 229).
3. In Phys., IV, Tr. 2, c. 8 (t. 3, p. 297).
4. In Praedicam. II, c. 8 (t. 1, p. 181 b) : « ...primae substantiae habent materiam
terminatam et signatam accidentibus et individuantibus per quae sunt hic et nunc,
et per quae singula eorum est unum numero et hic et nunc . »
5. In De an., III, Tr. 2, c. 1 ss. (t. 5, p. 329 ss.) 1 Et quaeramus tunc forte quo-
modo contingat intelligere ipsi animae... et qualiter intellectiva et speculativa
cum anima uniantur et contin uentur ; et hoc omnium ad sciendum gravissimum »... ;
p. 330 a : « et quia adipiscor res difficillimas et cognitione dignissimas, ideo volo
primo totam Aristotelis scientiam pro nostris viribus explanare, et tunc aliorum
peripateticorum inducere opiniones, et post hoc de Platonis opinionibus videre,
et tunc demum nostram ponere opinionem, quoniam in istarum quaestionum deter-
minatione omnino abhorreo doctorum latinorum verba, eo quod nobis videtur quod
etiam in eorum verbis non modo quiescat anima, propter quod scientiam veritatis
nec ostendunt nec verbis propriis attingunt. Rogo autem et repetens iterum ite-
rumque rogo socios nostros ut dubitationes quae hic inducuntur diligenter animad-
vertant ; et si invenerint earum solutionem perfectam Deo immortah grattas agant
immortales. Si autem minus invenerint, hoc ad minus lucri reportabunt quod scient
dubitare de rebus mirabilibus et altis et annotatione dignissimis ad scientiam divi-
nam multum proficientibus. »
m
ALBERT LE GRAND 97
contraria dictis peripateticorum... Per esse ergo quod intelligibilia habent in intel-
lectu intelliguntur ; hoc autem est esse individuum, ut dicunt, ergo per intentionem
individuam res universales intelliguntur vel universaliter ; et hoc intelligi non
potest. » Cette dernière conclusion est celle des arabes. Mais les suivantes sont bien
d'Albert : « Licet enim intellectus meus sit individuus et separatus ab intellectu tuo,
tamen secundum quod est individuus non habet unlversale in ipso, et ideo non
individuatur id quod est in intellectu... Sic igitur universale ut universale est ubique
et semper idem omnino et idem in animabus omnium non recipiens individuationem
ab anima... Et hoc est quod supra diximus quod speculativi intellectus sunt unus
in eo quod speculativi intellectus sunt, sed sunt multi secundum quod illorum vel
illorum sunt, et hac in determinatione convenit nobiscum Averroes, licet in modo
abstractionis intellectus parumper differat a nobis. » (p. 353 b).
1. Cf. ibid., c. 15 (p. 356), 17 (p. 360), 19 (p. 366).
2. L. I, Tr. I, c. 7 (t. 9, p. 487 ss.) : « licet individuus ponatur (intellectus) secun
dum quod est forma hominis, tamen secundum suam potestatem et quantum est
potentia lucis spiritualis, universalis est » (p. 488 b). Et cependant : « Quod vero
tertio objicitur non concludit nisi nos poneremus quod cognitio universalis esset
in intellectu secundum quod ipse est individuus. Hoc autem non est concedendum. »
{ibid.).
3. Tr. I, c. 6 et 7 (t. 9, p. 391 ss.) Mais là encore Albert écrit contre Avicenne :
« Propter quod mentiuntur omnino qui dicunt quod forma quae est in anima dupli-
cem habet comparationem : unam quidem ad rem cujus est forma, et sic dicunt
ipsam esse universalem, et aliam ad intellectum, et sic dicunt individuam esse per
intellectum in quo est ; forma enim ex comparatione quam habet ad rem nunquam
est universalis, et ex comparatione ad intellectum in quo est, semper est universa
lis... » (p. 394 b).Cf. supra, p. 26, note.
ALBERT LE GRAND 99
est celui de l'âme qui est individuel. Lorsqu'il dut plus tard, à
Agnani, disputer devant la curie pontificale contre l'averroïsme,
Albert se sentit sans doute obligé d'être plus précis encore, plus
décisif \ Presque toutes ses réponses aux trente arguments qu'il
s'oblige à réfuter opposent cette distinction : avant d'être faculté
de l'universel, l'intelligence est être et substance, et comme telle
nécessairement déterminée et individuelle. Mais qui plus est, au lieu
de fonder l'individualité substantielle de l'intelligence sur son union
avec l'âme, forme du corps, il a recours à un principe plus immédiat
dont il emprunte la notion à Avicenne 2. La substance intelligente,
en son existence même, dépend directement de Dieu : Albert l'avait
maintes fois affirmé contre les matérialistes sans penser trouver
là une explication de l'individualité. Or, lui suggère Avicenne, tout
ce qui est créé par Dieu, seul être nécessaire, de soi seulement est
possible, et, en un sens au moins, commence d'exister. Tout être
créé est donc composé de puissance et d'acte ; en lui la puissance
reçoit et limite l'être donné par Dieu ; elle est principe de division,
elle est le sujet qui reçoit et individualise ; ce par quoi en effet telle
substance est possible, est distinct de ce qui rend possible une autre
substance. D'ailleurs ce qui est acte dans la substance intelligente
ainsi créée s'exprime par l'intellect agent, ce qui est puissance par
l'intellect possible. Et ainsi l'intellect possible se trouve être dou
blement en puissance : premièrement par rapport à l'intellect agent
par où il dépend de la cause première, en second lieu par rapport
à l'intelligible sous la lumière de l'intellect agent. Il reste cependant
que l'intelligible est reçu comme « intention » universelle et sous
ce mode spécial de réception qui exclut l'individualité 3.
*%
Il nous reste à indiquer de quelle manière Albert le Grand enten
dait parler de l'individualité divine.
Albert a un sens très vif de la parfaite simplicité de D'eu et de
la transposition analogique qu'il est indispensable de faire subir
à nos concepts dès qu'il s'agit d'exprimer l'être divin. En Dieu il
n'y a pas de distinction réelle entre sujet et nature (quod est et quo
est) 2. Lorsque nous disons : Dieu est bon, ou Dieu est sage, nous dis
tinguons en Dieu par la pensée sujet et attribut, suivant notre mode
de concevoir. L'attribution est vraie, mais la distinction qu'elle
suppose inévitablement est aussi réduite que possible, moins accu
sée encore que dans cette proposition : « homo est homo, l'homme
est homme » 3. 11 n'y a donc pas en Dieu distinction entre universel
et singulier. Il est un de cette unité ontologique qui est au principe
de toute autre unité, et qui s'identifie absolument avec son être.
En ce sens il est indivisible et incommunicable, et l'on peut em
ployer à son égard les pronoms démonstratifs qui le désignent et
le distinguent de tout ce qui n'est pas lui. Mais il n'y a pas en lui
individuation proprement dite : son incommunicabilité ne provient
pas, comme celle de la créature, d'un accident ou d'une propriété
distincte de la « res naturae », elle s'identifie avec sa nature même
et ne fait que l'exprimer du point de vue de son existence singu
lière *.
Cependant la même nature divine se communique au sein de la
1. S. Theol. I, Tr. VI, Q. 24, m. 1 (t. 31, p. 196) ; II, Tr. I, Q. 4,a. 1, part. 2,ad
2m (t. 32, p. 65 b ; cité plus haut, p. 101 n. 1), ad 5m (p. 66 a).
2. In I Sent., Dist. II, a. 20 (t. 25, p. 79 b) ; Dist. VIII, a. 7 (ibid., p. 228 b),
a. 22 (p. 251, s.), a. 24 (p. 252); Dist. XXII, etc.. —S. Theol., I, Tr. IV, Q. 20, m. 3-
5 ; Tr. XIII et XIV.
3. In I Sent. Dist. III, a. 35 {ibid., p. 143 b) ; Dist. VIII, a. 4, Sol. et ad 3m (ibid.,
p. 226, 227).
4. In I Sent. Dist. XIX, a. 14 (ibid., p. 535 a), a. 17 (p. 541 a) ; Dist. XXIV, a. 1
(p. 606 a), a. 3 (p. 612, 613). — S. Theol., I, Tr. X, Q. 43, m. 2, a. 1 (t. 31, p. 458 b).
ALBERT LE GRAND 103
quoi il faut savoir que la matière n'est pas en n'importe quel sens
le principe de l'individualité, mais uniquement la matière désignée ;
et j'appelle matière désignée celle qui est considérée sous des dimen
sions déterminées » 1.
Voilà qui est clair et dont nous n'avons trouvé l'équivalent chez
aucun des prédécesseurs ou contemporains de saint Thomas. La
doctrine cependant, nous l'avons insinué plus haut, semble venir,
comme la terminologie, des écrits d'Avicenne, mais synthétisée
par l'esprit ferme de l'Aquinate. Celui-ci, qui avait dès l'abord
remarqué et retenu l'enseignement d'Avicenne sur l'individuation
de l'âme 2, pouvait facilement songer à rechercher dans ses œuvres
les éléments d'une théorie plus complète.
D'autres passages du même opuscule font écho à ce texte impor
tant 3, plusieurs aussi du Commentaire des Sentences, sans lui ajouter
d'explications nouvelles *.
Mais dans le Commentaire du IIe livre, en même temps que repa
raît la théorie de la corporéité forme première •, se fait jour une
notion, inutilisée jusqu'alors, et que saint Thomas emprunte au
De substantia orbis d'Averroès, la notion des dimensions indéter
minées, antérieures dans la matière aux dimensions déterminées s.
Saint Thomas en parle d'abord avec quelque réserve 7 ; et, à plu
sieurs reprises, dans le Commentaire du IIIe livre, il ne mentionne
que les dimensions déterminées comme principe de l'individualité.
Au commentaire du IVe livre cependant ce concept averroiste
est pleinement accepté t, à ce point que saint Thomas l'insère dans
l'explication théologique des mystères de la transsubstantiation
eucharistique et de la résurrection : à son aide il essaie de sauve
1. De ente et essentiel, c. 2, supra p. 10, 1. 15 ss. : « Sed quia individuationis princi-
pium materia est, ex hoc forte videtur sequi quod essentia quae in se materiam com-
plectitur simul et formam sit tantum particularis et non universalis ; ex quo sequere- ,
tur quod universalia non haberent diffinitionem, si essentia est id quod per diffini-
tionem significatur. Et ideo sciendum est quod materia non quolibet modo accepta
sit individuationis principium, sed solum materia signata; et dico materiam signa-
tam quae sub determinatis dimensionibus consideratur. »
2. In I Sent., Dist. VIII, Q. 5, a. 2, ad 6m.
3. De ente H essentia, supra 11, 15 ; 21, 3 ; 42, 9.
4. In II Sent., Dist. XXX Q. 2. a. 1;In III Sent., Dist. I, Q. II, a. 3, ad 1"> ;
Dist. V, Q. I, a. 3 ; In IV Sent., Dist. XI, Q. I, a. 3, q 3.
5. In II Sent., Dist. III, Q. 1, a. 1.
6. Ibid., a. 4. — Cf. Averroès,D« substantia orbis, c1, f. 3 b 56 (Venise 1550).
Cf. supra. Introduction p. xxvm, et ch. IV, p. 69.
7. In II Sent., Dist. III, Q. I, a. 4 ; Dist. XXX, Q. II, a. 1.
8. In IV Sent., Dist. XII, Q. I, a. 1, q. 3, sol. 3 et ad 3"" ; a. 2, sol. 4, sol. 6
et ad 5m { a. 3, sol. 1 ; Dist. XLP7, Q. I, a. 1, q. 1, ad 3™.
SAINT THOMAS D'AQUIN 107
*
SAINT THOMAS D'AQUIN 109
l'éclairer entièrement sur les divergences les plus minimes qui sépa
raient les Arabes du Stagirite. Quoi qu il en soit, un passage du
Commentaire des Métaphysiques 1 attribue l'erreur de ces anciens,
qui faisaient de la matière une substance, à la nécessité qui paraît
s'imposer d'unir directement la quantité à la matière pour expli
quer qu'elle puisse recevoir des formes diverses. Et au Commen
taire du IIe livre de l'Ame,2 saint Thomas reprend avec une pré
cision et une vigueur accentuées, contre Gebirol, la doctrine de
l'unité de la forme substantielle.
Mais venons à la Q. lxxv1 de la I* Pars, et aux Questions
disputées 3, où à propos de l'âme humaine et de son union avec le
corps, cette même doctrine est étudiée avec beaucoup d'ampleur.
Du point de vue qui nous intéresse, l'article central de la question
étudiée en ces trois traités est celui qui se demande s'il y a quelque
intermédiaire, substantiel ou accidentel, entre l'âme intellectuelle
et le corps. La réponse est évidemment négative. Une conception
rigoureuse de la forme substantielle, et de l'être, de l'unité, de la
spécification qu'elle donne, exclut tout intermédiaire entre elle
et la matière. Une lorme supérieure, comme est l'âme intellectuelle,
possède virtuellement toutes les valeurs d'être des formes infé
rieures et dès l'instant où elle informe le corps, remplit à son égard
toutes les fonctions qui peuvent être regardées comme intermé
diaires entre la matière et la pensée de l'homme. Cela est vrai
en particulier de la forme de corporéité. Et nous le savions dès
longtemps. Mais les objections que se pose saint Thomas sur ce
point précis sont significatives, et c'est à leur propos que l'on peut
saisir la raison qui motiva l'abandon de la thèse averroïste des
dimensions indéterminées. Ne faut-il pas, objecte le saint Doc
teur, concevoir les dimensions comme antérieures dans la matière
aux formes substantielles pour que la matière puisse offrir une
partie distincte à chaque forme spécifique ? * Le commentateur
n'enseigne-t-il pas dans le De substantia orbis que les dimensions
précèdent les formes élémentaires ? s Ne faut-il pas que le corps
soit individualisé par des dimensions déterminées pour qu'une âme
individuelle lui soit unie ? • Les réponses faites à ces questions,
1. In Met., L. VII, 1. 2 (V. t. 24, p. 616 b). La remarque est faite à nouveau dans
la Somme, loc. cit.
2. In De an. L. II, 1. 1 (V. t. 24, p. 58 b).
3. loc. cit.
4. S. Th. 1, Q. LXXVI, a. 6, obj. 2.
5. De spir. creat., a. 3, obj. 18.
6. De an., a. 9, obj. 17.
114 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
* **
materia quae non est in alio, jam nec ipsa forma sic existons potest in alio esse.
Quantum autem ad secundum, dicendum est quod individuationis principium est
quantitas dimensiva. Ex hoc enim aliquid est natum esse in uno solo, quod illud
est in se indivisum et divisum ab omnibus aliis. Divisio autem accidit substantiae
ratione quantitatis... Et ideo ipsa quantitas dimensiva est quoddam individuationis
principium hujusmodi formis, in quantum scilicet diversae formae numero sunt in
diversis partibus materiae. Unde et ipsa quantitas dimensiva secundum se habet
quamdam individuationem, ita quod possumus imaginari plures lineas ejusdem
speciei, differentes positions, quae cadit in ratione hujus quantitatis ; convettit
enim dimensioni quod sit quantitas positionem habens. »
118 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
m*.
SAINT THOMAS D'AQUIN 119
* *
1. L'on peut estimer en effet que s. Thomas vivait dans une intimité trop grande
des mystères de la foi : Trinité, Incarnation, Eucharistie, pour se hâter de déclarer
contradictoire toute dérogation aux lois métaphysiques les mieux établies rationnelle
ment. Ce qui motive son indignation contre les averroïstes, n'est-ce pas leur présomp
tion à limiter la toute-puissance divine ?
2. In II Sent., Dist. III, Q. I, a. 1 ; a. 2 ; a. 4 ; Dist. XVII, Q. I, q. 2. — De ente
et essentia, supra, p. 30, 1 ss. — C. G., II, c. 50, 51, 93. — De pot., Q. IX, a. 1 ;
a. 3, ad 3». — De malo, Q. XVI, a. 1, ad 18m. — De spir. creat., a. 8, ad 4m, ad
13=>. — S. Th., I, Q. XLVII, a. 3 ; Q. L, a. 4 ; Q. LXXVI, a. 2, ad 1">. — De unit,
intell., c. 7. — De subst. separ. c. 7, 8. — S. Th., III, Q. LXXVII, a. 2.
3. Cette expression est souvent employée par S. Thomas : voir De spir. creat., De
unit, intell., S. Th. III, loc. cit.
:,Jf
SAINT THOMAS D'AQUIN 121
postase, nous l'avons vu, exprime avant tout cette capacité. Il est
donc normal que le deuxième principe de l'individualité soit un acci
dent, le plus proche de la substance, le plus proche de la matière,
premier sujet récepteur.
sième pas plus que les autres, n'est l'équivalent de l'unité ontolo
gique de ce tout qu'est la substance singulière. Cela est clair pour
l'unité de genre ou d'espèce. L'unité numérique est plus voisine en
un sens de l'unité ontologique, parce qu'elle en est une condition
indispensable, la substance matérielle ne pouvant exister sans être
individuelle. Mais l'unité numérique n'exprime pas l'indivision de
l'être substantiel en tant que tel ; elle exprime l'indivision qui vient
à la substance matérielle de par la quantité, propriété essentielle
du corps. L'unité numérique, c'est l'unité principe du nombre.
Car le nombre ne peut avoir lui-même d'autre origine que la divi
sion du continu. Sans doute il y a une division transcendantale de
l'être qui permet en Dieu même la Trinité des Personnes, et dans
les êtres spirituels une multitude de substances. Mais ni la Trinité
ni l'ensemble des anges ne forment un nombre arithmétique. Le
multiple transcendantal ne dit rien de plus que l'existence singulière
de tel être, puis de tel autre, et de tel autre encore, etc., chacun
d'eux étant soi-même, et distinct de chacun de ceux qu'il n'est pas.
Pour qu'il y eût nombre il faudrait de plus que cette multitude possé
dât ces propriétés qui permettent l'addition, la multiplication, la
progression à l'infini, et sans lesquelles il n'est pas de nombre.
Seule la division du continu donne lieu à des unités qui se prêtent
à ces opérations 1. L'unité, principe du nombre, même considérée
abstraitement par l'arithmétique, ne peut donc en aucune façon
renier ses origines quantitatives ; elle est de l'ordre accidentel et
non pas de l'ordre substantiel comme l'unité transcendantale ; elle
peut s'additionner, se multiplier, se soustraire, etc., elle est la
mesure du nombre.
Cependant, comme les substances matérielles ont pour principe
de leur individualité la matière déterminée par la quantité, leur unité
n'est pas seulement ontologique et substantielle ; elles sont unes
aussi de l'unité accidentelle qui convient à la quantité. L'unité indi
viduelle, c'est-à-dire l'unité de la substance considérée sous le
rapport logique de l'individu à l'espèce, est unité numérique ; au
contraire l'unité de l'hypostase, et plus encore l'unité de la personne
est l'unité ontologique, substantielle ; et en second lieu seulement,
de façon accidentelle, unité numérique.
1. In I Sent., Dist. XXIV, Q. I, a. 1, ad 2»> : « imitas et numerus quae considerat
arithmeticus non sunt illa imitas et multitudo quae inveniuntur in omnibus entibus ;
sed solum secundum quod inveniuntur in rebus materialibus, secundum quod plu-
ralitas causatur ex divisione continui ; ex hoc enim possunt inveniri omnes illae
passiones in numeris quas arithmetici demonstrant, sicut multiplicatio et aggregatio
et hujusmodi, quae fundantur supra divisionem infinitam contmui. Unde est infi-
njtas in numero... et ideo etiam talis 1mitas est potentia omnis numerus. »
CHAPITRE XII
1. 96. Quod De us non potest mulliplicare individua sub una specie sine materia
(42).— 81. Quod, quia intelligentiae non habent materiam, Deus non posset facere
plures eiusdem speciei (43). — 191. Quod formae non recipiunt divisionem, nisi
per materiam. Error, nisi intelligatur de formis eductis de potentia materiae (110). —
Le chiffre entre parenthèses est celui du classement adopté par Mandonnet, Siger
de Brabant, 2e éd. IIe partie, 1908, pp. 179 ss.
2. In II Sent., Dist. III, P. I, a. 2, q. 1, p. 103 b (cf. supra, p. 81).
3. S« Theol. II, Tr. II, Q. 8 (t. 32, p. 137 b) (cf. supra, p. 101).
4. Baur, Die philosophischen Werke der Robert Grosscteste (Beitr. z. Gesch. d. Phtl.
d. M. A. Bd. IX) 1912, p. 424, 4.
128 LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
licos credo quod haec positio non solum est rationi et veritati con
traria sed etiam in fide valde periculosa » 1.
Mais la discusison s'étendait nécessairement à l'ensemble du pro
blème.
Si un Pierre de Tarentaise, plus homme de gouvernement que
théologien, hésitait à se prononcer et n'offrait au Frère Thomas,
son collègue en professorat, qu'un appui très incertain 2, bien d'autres
proposaient hardiment leur manière de voir. Il est à croire, par
exemple, que les traités encore inédits de Kilwardby 3 ou ceux de
Peckham sont beaucoup plus décisifs. Henri de Gand, de son côté,
prétendait qu'une négation, une double négation, suffisait comme
1 P. I. Ol1v1, Quaestiones in secundum librum Sent., ed. B. Jansen, S. J. (Bibl.
francise, schol. m. a... T. IV), Quaracchi, 1922, Q. XXXIII, p. 597.
2. Voir son Commentaire des Sent. (Toulouse, 1652) : In II Sent., Dist. III, Q. I,
a. 3 ; Q. 2, a. 1 et 2 ; Dist. XVII, Q. 1, a. 2 et 3. Pierre de Tarentaise trouve l'opi
nion franciscaine : « facilior », l'opinion thomiste : « subtilior ». Il semble que s. Tho
mas n'ait pas été lui-même très sûr d'avoir été compris par Pierre, si l'on en juge
par le dernier article des Resp. sup. art. 108 (Vives t. 27, p. 247 b) : « Quod vero
centesimo octavo ponitur : « Animae individuantur per materias corporum, quamvis
ab eis separatae retineant individuationem, sicut cera in impressione sigilli »,
potest et bene et maie intelligi : Si enim intelligatur.ete...» Le texte de Pierre de
Tarentaise, visé ici, parait être le suivant : « Si quis vult sustinere opinionem pri-
mam, quae videtur subtilior potest respondere sic ad objecta. Ad primam resp. :
Hoc aliquid dicitur individuum per se subsistons, hoc autem potest esse dupliciter :
aut habet principium individuationis intra essentiam propriam, et omne ta1e compo-
situm est ex materïa et forma, quia principium individuationis est materia ; aut
habens extra se, sic non omne quod est individuum per se subsistere valens, est
compositum ex materia et forma ; et taie est anima rationalis quae secundum Avi-
cennam individuatur per corpus 1 individuationem tamen retinet a corpore separata,
sicut figura in cera imprimitur a sigillo quo remoto manet figura. » (In II Sent., Dist.
XVII, Q. 1, a. 2, p. 142). — Il n'y a pas lieu non plus de s'arrêter au Commentaire
des Sentences de Ann1baldo de Ann1bald1s (1260 ou 1261), édité par Fretté au
t. XXX des Œuvres de s. Thomas : il ne fait que reprendre, en raccourci, et sans
aucune originalité, l'enseignement de s. Thomas. Cf. Mandonnet, Des écrits authen
tiques... 2e éd. p. 152, n° 124.
3. Dans son Commentaire des Sentences, Robert K1lwardby discute longuement,
et assez confusément, le problème de l'individuation. Il admet une solution assez
proche de celle de s. Bonaventure : l'individuation relève à la fois de la forme
(signatio actio) et de la matière (signatio passio), l'individuation reçue par la matière
faisant aussi retour à la forme elle-même : « Forma adveniens materiae, coadunat
et continet eam, et sibi signat et appropriat, rediensque in se, semetdpsam continet
in se et cum materia ; actio igitur formae in materiam, signatio actio est, et passio
materiae a forma signatio passio, ex quibus causatur ens actuale et individuum ;
est igitur tam materia quam forma causa individuationis, sed materia causa recep-
tiva, forma activa. » (In II Sent. vas. Merton College 131, fol. 43 d. — Texte com
muniqué par le R. P. Chenu). L'exposé de Kilwardby s'obscurcit encore de l'inter
vention constante d'autres théories imprécises : celles de la pluralité des formes et
de l'identité réelle de l'universel et du singulier dans l'individu.
4. Voir les Quaestiones de Anima de Peckham, éditées par Spettmann (Beitr. x.
Gtsch. d. Phil. d. M. A., Bd. XIX, H. 5-6), Munster, 1918, p. 51. 1.
PREMIERS DISCIPLES ET ADVERSAIRES DE SAINT THOMAS 129
dresses de rédaction 1 (qui seraient sans doute à vérifier sur les mss.)
viennent encore augmenter notre répugnance à reconnaître en ce
petit traité la pensée et la main du Maître.
ratio sua : ratio enim materiae non est una et commuais sicut sua essentia est...
Et ideo communitas secundum essentiam tantum quae est ipsius materiae, et non
secundum eamdem rationem, non impedit materiam esse primum principium indi-
viduationis. >
1. C. j, p. 466 a : < non enim in anima sunt duo actus »... jusqu'à : « sed hoc
analogice fit > ; c. 3, p. 467 a : « Ideo quantum est de ratione sua »... jusqu'à: « per
receptionem suam in materia. »
II
LÀ DISTINCTION REELLE
ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
LES PHILOSOPHES
CHAPITRE PREMIER
ARISTOTE
BOÈCE
LE «DE CAUS1S»
son vocabulaire est sur ce point beaucoup moins fixé qu'on s'est
plu à le dire 1.
Ce n'est pas pourtant de ce point de vue que saint Thomas envi
sagera la doctrine enseignée par le De causis pour y trouver la dis
tinction entre l'essence et l'existence. 11 croit la reconnaître ailleurs
de manière plus précise.
C'est d'abord dans la distinction du fini et de l'infini 2. L être,
enseigne le de Causis, bien qu'il soit simple, et qu'il n'y ait rien de
plus simple parmi toute la création, l'être est composé de fini et
d'infini '.Cette composition se retrouve dans l'âme* et dans l'intelli
gence 5.
Le texte même du de Causis donne peu de lumières sur la nature
de cette composition, sur le sens des termes qui l'expriment. Mais
il est facile de l'interpréter à l'aide de Proclus.
L'être dont il est question, c'est l'être pur, premier, antérieur
à toute autre détermination (et donc à toute forme essentielle),
tel qu'il peut venir dans la hiérarchie de l'Univers, immédiatement
après l'Un ; et c'est aussi, d'une façon générale, tout être vérita
blement être 6 et même n'importe quelle « série » ou ordre de choses.
Le fini et l'infini qui composent l'être sont en lui une participation
du Fini en soi et de l'Infini en soi 7, l'Infini en soi étant intermé
diaire entre l'Un et l'Être 8. Cet infini est infini de puissance active,
de causalité, et non pas infini quantitatif 9. Tout être véritable est
infini par rapport à ses effets10; en lui l'infini est ce qu'il y a de plus
1. Duhem et Roug1er, loc. cit. — Il suffit pour s'en convaincre de comparer les
passages suivants de VInst. theol. :VII, p. lu1, 24; VIII, p. l1v, 9 ; XI, p. lv, 30;
XIII, p. un, 1 | XVI, p. lv11, 13-21 ; XVII, p. lv11, 36 ; XVIII, p. lv11, 43-47 i
XX, p. Lvn1, 21-33;XXI, p. l1x, 31-37;XXXIV, p. lx1v, I5-33;XXXIX, p. lxv,
43-47; XL, p. lxvt, 7-11; XLIV, p. lxv11, 20-30; CIV, p. lxxx1v, 49, p. LXXXV,
8 ; CXIX, p. lxxx1x, 9-13 ; CXX, p. lxxx1x, 27 ; CXXI, p. lxxx1x, 44 ; CLVII,
p. c1, 28-44. — Proclus emploie aussi quelquefois, mais beaucoup plus rarement,
pour désigner l'essence, le datif aristotélicien : LXIX, p. lxx1v, 43 : -te qjpoe toû
ô'Xo1ç eTvat toTç ô'àok; à'itaa1v al'ttov; CXV, p. lxxxv111, 1 : où yàp taùtov Ivî te eTvat xai
ouata eTvat.
2. De ente et essentia, supra p. 39, k>.
3. De causis, § 4 (S. Th., lec. 4, p. 523). —Inst. theol., LXXXIV, LXXXV, LXXXVI,
p. lxx1x ; LXXXIX, p. lxxx ; C11, p. lxxx1v.
4. Ibid., § 4 (S. Th., lec. 5, p. 527).
5. Ibid., § 15 (S. Th., lec. 16, p. 549).
6. Inst. theol. LXXXIX, p. lxxx, 301, 36 ; C1l, p. lxxxiv, 16 ; CXXXVIII,
p. xcv, 45 i CLIX, p. cn, 4.
7. Ibid., XC, p. lxxx, 37.
8. Ibid., XCII, p. lxxx1, 14.
9. Ibid., LXXXVI, p. lxx1x, 25 ss.
10. Ibid., XCIII, p. lxxx1, 22. — De causis, § 4 (S. Th., lec. 5, p. 527) | § 15
(S. Th.. lec. 16, p. 549).
» De ente et essentia ". 12
148 LA DISTINCTION RÉELLE ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
t
AVICENNE
des mulakallim (voir par ex. : Destr. destr., f. 32 a 21 ; Horten, Die Hauptlehren
d. Averr., p. 189, 5). Mais il ne précise pas autrement et reconnaît par ailleurs cer
taines innovations d'Avicenne (ibid., t. 25 a 49 ; Horten, p. 169, 1). Il est possible
qu'Avicenne tienne seulement des mutakallim la croyance à la contingence du monde.
« Cette pensée, écrit Horten, traverse toute l'histoire de la philosophie musulmane
jusqu'à notre époque et elle est sans cesse exprimée à nouveau et aussi plus claire
ment formulée. Il n'y en a qu'un qui ne l'ait pas comprise : c'est Averroès... La
notion essentielle qui traverse toute la philosophie musulmane et qui représente
une synthèse de la totalité du réel en une idée générale unique, est la notion de la
contingence d'après laquelle, dans tous les objets qui sont en dehors de Dieu, l'être
est réellement séparé de l'existence. » (Encyclopédie de l'Islam au mot falsafa,
p. 52 a). — « Le but principal des Motécallemîn, écrit aussi Munk (Mélanges de phi
losophie juive et arabe, 1859, III, p. 321), était d'établir la nouveauté du monde, ou
la création de la matière, afin de prouver par là l'existence d'un Dieu créateur,
unique et incorporel ». — Mais peut-être faut-il retenir aussi, pour expliquer Avi-
cenne, cette remarque de Munk : « ...les docteurs musulmans ne pouvant admettre
l'existence d'êtres réels entre le Créateur et les individus créés leur attribuent une
condition intermédiaire entre la réalité et la non-réalité. Cet état possible, qui devient
réel par la création... est désigné par le mot 'hâl, qui signifie condition, état ou cir
constance. Le chef de ces conceptualistes est Abou-Hâschim al-Bacri (de Bassora),
fils d'Al-Djobbaï » (Mélanges, III, p. 328J. Abou-Hâschim (f 933) était contempo
rain de Farabi (f 950). Voir sur lui l'article de H. Lammens dans l'Encyclopédie
de l'Islam, au mot al-Djubba'i, p. 1089 b : 'Abu Hashim entendait par le terme
états (ahwâl) « des qualités qui tiennent de plus près à l'essence des choses que les
accidents plus ou moins séparables de cette essence, et qui, par suite, jouent un
rôle non seulement dans l'idée de Dieu, mais encore dans le domaine des Univer-
saux ». D'après D. B. Màcdonald (ibid. au mot Hal, p. 241 a.) : « Dans la théo
logie spéculative (kaldm) hâl (pour ceux qui professent cette opinion) est une qua
lité... qui appartient à une chose existante... tandis qu'elle-même n'est ni exis
tante, ni non-existante ».
1. Met., I, 6, 72 b : « Dicemus igitur quod ens et res et necesse talia sunt quae
statim imprimuntur in anima prima impressione, quae non acquiritur ex aliis
notioribus se. »
2. Ibid. 72T b : « Difficile est autem declarare dispositionem necessarii et possi-
bilis et impossibilis certissima cognitione nisi per signa. Quicquid enim dictum est
ab antiquis de ostensione istorum in plerisque reducitur ad circularem, eo quod
ipsi, sicut nosti in logicis, cum volunt diffinire possibile, assumunt in ejus diffini-
tione necessarium vel impossibile, etc. »
3. Ibid., 73 a : « ...ex his tribus id quod dignius est intelligi est necesse, quoniam
necesse significat vehementiam essendi, esse vero notius est quam non esse, esse
enim cognoscitur per se. »
152 LA DISTINCTION RÉELLE ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
1. Ibid., I, 7, 73 a.
2. Ibid., I, 7S 73 a et 8, 73Ta ; VIII, 3, 98* b ; IX, 1, 1o1t a et 4, 104T a.
3. Ibid., 1, 7, 73 a : « ...possibile esse per se habet causam » ; — 73 b : « Quicquid
autem possibile est consideratum in se ejus esse et ejus non esse utrumque est per
causam ». — 8, 74 a : « Ejus autem quod est possibile esse jam manifesta est ex hoc
proprietas, scilicet quia ipsum necessario eget alio quod faciat illud esse in effectu
(i. e. in actu). Quicquid enim est possibile esse respectu stri, semper est possibile
esse. Sed fortassis accidet ei necessario esse per aliud a se. »*
4. Ibid., VIII, 3, 98T b : « ...manifestum est quod necesse esse unum numero est,
et patuit quod quicquid aliud est ab illo, cum consideratur per se, est possibile in
suo esse et ideo est causatum. . . Unde quicquid est, excepto uno quod est sibi ipsi
unum et ente quod est sibi ipsi ens, est'acquirens esse ab alio a se per quod est sibi
esse non per se. »
5. Ibid., VI, 1, 91T a : « Et fortasse putabit aliquis quod agente et causa non est
opus nisi ut res habeat esse post non esse, etc... » — conclusion 91 T b : t Jam igitur
AVICENNE 153
ment sur la forme ou sur la matière mais sur leur union même, sur
la « totalité 1 ».
Il n'y a pas lieu d'examiner ici la théorie de la causalité proposée
par Avicenne, ni du côté du mode d'action de la cause première,
ni du côté de la causalité seconde. Nous avons seulement à attirer
l'attention sur la distinction qu'il pose du côté de l'effet dans l'être
possible lui-même, entre l'être qui commence d'être et l'être
étemel.
L'être qui vient à l'existence à un moment quelconque du temps,
avant d'être en acte, doit être en soi réellement possible ; sans quoi
il ne sera jamais. Il doit être possible en soi et non pas seulement
par rapport à une cause en état de le produire, car cette cause elle-
même n'aurait aucune action sur l'impossible 2., Mais puisqu'il
s'agit d'un être qui commence d'exister dans le temps, cette pos
sibilité réelle lui doit être antérieure dans le temps 3. Que sera-t-elle
donc ? Elle ne sera pas une substance, c'est-à-dire quelque chose
qui existe en soi, car elle ne serait pas alors de soi relative comme
doit l'être une possibilité. Elle est donc nécessairement accidentelle
et suppose un sujet où elle existe. Ce sujet, c'est ce que l'on appelle
« ulè » ou matière *. Cependant, remarque Avicenne, l'on ne veut
pas dire qu'entre la matière et la possibilité dont elle est le sujet
il y ait une distinction réelle 8.
Mais s'il en est ainsi, — et nous arrivons par là au point le plus
important de la théorie d'Avicenne — il n'y aura à pouvoir com
mencer d'être que les substances ayant une matière, à savoir les
corps et l'âme humaine qui a besoin d'un corps pour exister. Une
manifestum est quod causatum eget aliquo quod det sibi ipsum esse per se tantum,
sed inceptio et alia hujusmodi surit res quae accidunt ei, et quod causatum eget
datore sui esse semper et incessanter quamdiu habuerit esse ». — Voir aussi le ch. 2.
1. Ibid. VIII, 3, 98T b : « ...et haec intentio de hoc quod res est causata, scilicet
quod est recipiens esse ab alio a se, et habet privationem quae certificatur ei in sua
essentia absolute, non quod certificetur ei privatio propter suam formam absque
sua materia vel propter suam materiam absque sua forma sed per suam totalita-
tem. . . Totum igitur respectu primae causae creatum est. » — Le terme « totalitas »
est un écho certain de Proclus : cf. supra, p. 148.
2. Ibid., IV, 2, 85 a : « Si igitur nulli rei quae non est potentia essendi tune impos-
sibile est eam esse. » — 85T a : « Omne enim quod incipit esse, antequam sit necesse
est ut sit possibile in se. Si enim fuerit non possibile in se, illud non erit ullo modo.
Non est autem possibilitas sui esse eo quod agens sit potens supra illud cum ipsum
non fuerit possibile. »
3. Ibid., 85 b : « Impossibile est autem ut sit intentio quae non est aliquid, alio-
quin non praecederet illud possibilitas sui esse. »
4. Ibid., IV, 2, 85 a ss.
5. Ibid., 85 b.
154 LA DISTINCTION RÉELtE ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
AVERROÈS
S
V
AVERROÈS 159
l'être réel et l'être qui signifie le vrai. Lorsque nous concevons une
essence quelconque sans nous préoccuper de savoir si elle existe,
nous ne faisons rien de plus que de donner une signification à un
mot : l'essence est alors une simple définition nominale. Mais si
nous venons à la penser comme réelle, l'être que nous affirmons de
l'essence, n'ajoute rien sinon que la pensée que nous formons de
l'essence est vraie 1. Prétendre que l'être désigne une réalité dis
tincte de l'essence serait classer l'être à la suite des dix prédicaments
ou faire de lui un accident commun à chacun d'eux 2.
D'ailleurs, ajoute Averroès, il n'est nullement requis de poser
une possibilité réelle dans les êtres incorruptibles pour assurer et
expliquer la pluralité qui les distingue du Premier Principe. Les
êtres incorruptibles sont simples comme le Premier Principe est
simple. Mais ils le sont moins que lui ; et par le seul fait qu'ils en
dépendent 3.
1. Destr. destr., f. 34 b 68-34T a 15 ; 34' a 30-60 ; f. 43T a 16-32 : « ...quod indicavit
quod esse, quo utitur hic, non est esse quod significat substantiam rerum... nec id
quod significat quod res sit extra animam. Nam nomen entis dicitur de duobus,
unum quidem de vero, et alterum etc.. (34T a 30)... Et ens quidem, quod est verum,
est quid in intellectibus, et est esse rei extra animam, prout in anima, quae quidem
scientia praecedit scientiam de quidditate rei, scilicet quod non quaeritur scientia
quidditatis rei, nisi prius sciatur quod sit. Quidditas vero, quae praecedit scientiam
esse in intellectu nostro, non est de verificatione quidditatis, sed est expositio rei
nominis ex nominibus. Et cum scitur quod haec res reperiatur extra animam, scitur
quod sit quidditas et definitio (34T a 44). — Horten, op. cit., p. 204, 7-23 ; 39, p. 205,
15 ; p. 227, 26-228, 3. — Epitome, f. 169 b 33-64. — Horten, Die Metaph. d. Aver.,
p. 11, 2- 12, 21. — Rodr1guez, Compendio, p. 20, n° 21.
2. Destr. destr., i. 34T a 61-70. — Horten, Die Hauptlehren d. Averr., p. 205,
12-17. — Epitome, f. 169 b 50-55. — Horten, Die Metaph. d. Aver., p. 11, 32-12, 1.
— Rodr1guez, Compendio, p. 20, n° 22.
3. Destr. destr., i. 25 b 41-63.
DEUXIEME PARTIE
LES THÉOLOGIENS
CHAPITRE VI
GUILLAUME D'AUVERGNE
quelle qu'elle soit peut revêtir l'un ou l'autre de ces deux modes ;
selon que l'attribut fait partie de l'essence du sujet ou bien se trouve
en dehors de l'essence 1. L'attribution accidentelle suppose d'ail
leurs toujours l'attribution essentielle, puisque l'être participé et
relatif est inintelligible sans l'être qui est substantiellement et
par soi 2. A cette première distinction une autre est adjointe :
esse désigne soit l'essence, ou substance, ou quiddité, signifiée par
la définition, soit l'existence 3.
Or, lorsque nous affirmons l'existence de l'être qui est substantielle
ment, nous désignons par là même son essence : car en lui l'existence
et l'essence sont une seule et même chose absolument, son essence
est d'exister *. Sinon il ne serait plus parfaitement simple 8. A lui
revient en propre le nom d'être 6.
Dans les êtres au contraire qui existent par participation, l'exis
tence est en dehors de l'essence, car l'existence n'est comprise dans
la définition d'aucun d'entre eux 7. Ils sont en ce sens de faux
êtres ; et ils ne possèdent l'existence qu'à la surface d'eux-mêmes,
comme une ombre qui les vient couvrir 8. L'existence leur est acci
Videntur autem similes habere intentiones eis quas assignant ei quod est bonum :
bonum namque dicunt, aut substantia, aut participatione, etc... — Le De hebdoma-
dibus de Boèce est cité quelques lignes plus loin.
1. De Trin., 1, p. 2 a.
2. Ibid., a b.
3. Ibid., c. 3, p. 2 b.
4. Ibid., c. 1, p. 2 b : « Ad hune modum et ens cujus essentia est ei esse, et
cujus essentiam praedicamus cum dicimus est : ita ut ipsum et ej us esse quod assi-
gnamus cum dicimus est, sint res una per omnem modum. » — C. 2, p. 2 b.
5. Ibid., c. 1, p. 1 b.
6. Ibid., c. 2, p. 3 b.
7. Ibid., c. 1, p. 1 b : « Aliud vero dicitur participatione in habendo scilicet quod
nullo modo est idem cum essentia ipsius substantiae entis ». — C. 2, p. 2 b : « Secunda
autem intentio bujus quod est esse, est illud quod dicitur per hoc verbum est de
unoquoque, et est praeter uniuscujusque rationem. In nullius autem ratione acci-
pitur esse, quidquid imaginati fuerimus, sive hominem, sive asinum, ' sive aliud,
ut in ratione ejus esse intelligamus ; eo solo excepto de quo essentialiter dicitur. »
— C. 7, p. 8 b : « Quoniam autem ens potentiale est non ens per essentiam, tune
ipsum et ejus esse quod non est ei per essentiam duo sunt revera, et alterum accidit
alteri, nec cadit in rationem, nec quidditatem ipsius. Ens igitur secundum hune
modum compositum est et resolubile in suam possibilitatem et suum esse. »
8. Ibid., c. 6, p. 6 b : 1 Esse vero falsum quod exterius est tantum ; cum vero
interius consideratum fuerit, invénitur nondum habens esse, quemadmodum falsum
argentum nominatur, quod exterius praetendit veritatem speciei, quae est species et
essentia argenti, cum interius eam non inveniatur habere : sic et ens falsum, cum
interius consideratum fuerit, hoc est in quidditate et ratione essentiae suae non
invenietur in eo esse, sed habens ipsum vel superficie tenus, velut operiens et adum-
brans quidditatem ejus. »
162 LA DISTINCTION RÉELLE ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
i
GUILLAUME D'AUVERGNE 163
L'ÉCOLE FRANCISCAINE
ALBERT LE GRAND
* *
* *
Cette composition de quod est et de quo est est la plus générale qui
soit, et antérieure à la composition matière et forme 1 ; et c'est pour
quoi elle se retrouve dans les substances spirituelles 2. Bien plus,
la matière elle-même est composée de quod et de quo, et de même
encore la forme ; car ni la matière ni la forme ne possèdent d'elles-
mêmes ce qui fait l'une matière et l'autre forme 3. Et même en Dieu
l'on distingue vraiment le Dieu qui est et la déité par laquelle il
est Dieu, encore que ces principes ne soient pas en lui distincts
l'un de l'autre *. Il n'y a que VU quod lui-même et VU quo qui
échappent comme tels à cette composition, sous peine de régression
à l'infini 5. Ils n'ont de composition que celle qui est nécessairement
impliquée dans leur dépendance de créature à l'égard de Dieu •.
Albert le Grand s'explique aussi sur la modalité de cette compo
sition et c'est même par là qu'il commence l'article important que
nous venons de résumer. Il oppose composition de raison et compo
sition de nature T. Parmi les compositions de nature, c'est-à-dire
réelles •, il énumère : le composé dont les parties sont actuelles,
comme le nombre ou le tas ; le composé de matière et forme ; le
continu physique ou mathématique, etc.. La composition de rai
son est de deux sortes • : la première est celle où deux ou plusieurs
éléments s'unissent, selon un rapport de puissance à acte, pour
former une essence ou quiddité, comme il arrive dans la définition ;
la deuxième est précisément celle qui nous intéresse ; Albert la
décrit en ces termes : « Secundum genus compositionis est quando
duo vel plura ita conveniunt ad unum constituendum quod unum
illorum est sicut cujus est actus et esse, et alterum sicut quo effec
tive vel formaliter vel utroque modo est esse in illoret haec vocatur
compositio ex quo est et quod est ; quod enim est non est ex se in
actu essendi, sed dependet ad aliud a quo effective vel formaliter
Quo est, dans les substances matérielles, signifie soit la forme, qui
donne l'être à la matière (forma partis), soit la nature composée
de matière et de forme (forma totius), soit l'acte d'être, par lequel la
substance existe. Dans les substances spirituelles quo est ne peut
avoir que ce dernier sens; car, d'une part, leur essence n'est pas com
posée, et, d'autre part, leur essence est le sujet qui existe, id quod
est. Là encore saint Thomas se tient à l'emploi du mot tel qu'il est
requis par les substances spirituelles. Quo est, c'est habituellement
pour lui l'esse au sens d'exister.
Ajoutons que si saint Thomas prend soin très souvent de rappeler
cette équivalence entre essence et quod est, existence et quo est, il
se sert beaucoup plus volontiers des termes essentia ou quidditas
et esse. Ces derniers termes font vraiment partie de son vocabulaire
personnel. Il ne mentionne le plus souvent quod est et quo est que
pour signaler leur emploi par Boèce ou par d'autres 1.
Notons enfin que esse est très rarement employé par saint Thomas
au sens de forme. Dans le De ente et essentia, esse ne figure point
parmi les synonymes d'essentia 2, et lorsque, quelques années plus
tard, saint Thomas commente le De hebdomadibus il prend l'esse
dont parle Boèce au sens d'exister, malgré les difficultés auxquelles
cette interprétation l'expose, et les procédés assez subtils auxquels
il est obligé d'avoir recours pour les surmonter s.
1. Loc. cit.
2. Cf. supra, p. 4, n. 4 Bien que le traducteur d'Avicenne emploie couramment
ce terme esse pour signifier l'essence. Cf. Av1cenne, Log. I, passim.
3. Sur le sens donné par s. Thomas à esse dans ce commentaire, voir, par ex. :
ch. 2, p. 471 a (Vives, t. 28) : « Circa ens autem consideratur ipsum esse quasi quod-
dam commune et indeterminatum... » ; p. 471 b, s. Th. interprète ce texte de Boèce:
« sed id quod est, accepta essendi forma » en ajoutant : « scilicet suscipiendo ipsum
actum essendi » ; et p. 473 cet autre texte : « Omne quod est, participat eo quod est
esse ut sit » par ces mots : « ubi dicit quod ad hoc quod aliquid sit simpliciter sub-
jectum, participat ipsum esse » ; p. 472 a « Est ergo primo considerandum » et sq.,
s. Th. a certainement en vue la distinction de l'essence et de l'être ; etc.. — Les
passages où l'on saisit le mieux les difficultés de cette interprétation sont les sui
vants : 1) p. 471 b « Secundam differentiam ponit... » : tandis que Boèce prend tou
jours dans cet écrit le terme « participare » au sens d'une participation accidentelle,
comme s. Th. le reconnaît lui-même, p. 475 b « Ad intellectum... », s. Th. est obli
gé de l'interpréter d'une participation substantielle ; 2) p. 473 b « Est tamen con
siderandum... », s. Th. restreint à Dieu l'application de l'axiome : « Omne simplex
esse suum et id quod est unum habet » alors qu'en fait il admet à ce moment, avec
Boèce, que dans les anges il n'y a pas de distinction entre le sujet et l'essence ;
3) p. 476 a « Deinde cum dicit... », s. Th. convertit adroitement les propositions de
Boèce pour donner un sens à son argumentation ; 4) p. 478 b « Redit ergo ejus solu-
tio... », s. Th. doit convenir que Boèce, par l'« esse bonum » refusé aux créatures,
entend signifier leur essence ; et de même p. 480 b : « Primo quidem quia hoc quod
est bonum significat naturam quamdam sive essentiam. »
SAINT THOMAS D'AQUIN 187
Ces précisions une fois données, saint Thomas s'y tient par la
suite avec rigueur. Or, l'on voit que, dès l'abord, elles coupent court
à toutes les hésitations ou confusions que les influences diverses
de Boèce et d'Avicenne avaient pu produire soit chez Guillaume
d'Auvergne, soit surtout chez Albert le Grand. Les termes tech
niques de Boèce sont conservés mais ils n'expriment plus désormais
que la pensée d'Avicenne l.
* *
une essence est pensée sans tel ou tel caractère, celui-ci n'appartient
pas à l'essence comme telle : s'il vient à lui être attribué, c'est du
dehors. Or toute essence peut être pensée sans son être. L'être est
donc attribué du dehors à l'essence ; leur union forme un composé.
Le schème commun à la plupart des preuves du deuxième groupe
est le suivant 1 :
L'être dans lequel essence et existence ne sont pas distincts,
l'être dont l'essence même est d'exister, est nécessairement unique,
parce qu'il ne pourrait être multiplié sans être différencié, et qu'il
ne peut être différencié d'aucune manière. En conséquence dans
tous les êtres créés, l'être se distingue de l'essence.
Ce schème est celui dont se sert Avicenne pour démontrer que
l'être nécessaire est unique et qu'en dehors de lui toute essence
n'est que possible 2.
Que l'être dont l'essence est d'exister, et qui est son être même, ne
puisse être différencié, saint Thomas l'établit ainsi s : Un tel être
tout d'abord ne peut, par soi-même, être divers puisque, simple
ment, il est. D'autre part s'il était différencié de l'extérieur, ce
serait soit par une forme, soit par une matière, ou par un sujet dans
lequel il serait reçu. Ce sont les seules manières en effet suivant les
quelles une nature absolue, en soi-même parfaitement une, puisse
être diversifiée. Mais l'être en soi, absolu, déterminé par une forme
qui lui serait adjointe, ne serait plus simplement être ; et reçu dans
une matière ou dans un sujet, il ne subsisterait plus en soi et il ne
serait plus infni.
Les preuves prises de la nature de l'être créé viennent corroborer
ces conclusions *.
L'être créé, comme tel ne peut être son être, parce qu'il est causé
par un autre. Or, d'une part, ce qui est par un autre n'est point
par soi : et donc l'être créé ne subsiste point par soi, comme subsiste
nécessairement l'être dont l'essence est d'exister ; d'autre part,
être un effet, ne peut convenir à l'être créé à raison de l'être lui-
même, sinon tout être serait essentiellement effet, et il n'y aurait
pas de cause première ; être effet convient donc à l'être créé à rai
son d'un sujet distinct de son être.
1 . In I Sent. Dist. VIII, Q. V, a. 2 (t. 7, p. 120 a) . — De ente et essentiel, supra p. ^ 4 ,
16. — InBoet.De Hebd. c. 2 ft. 28, p. 473, 474). — C. G. II, c. 52. — Quodl.VII,
Q. III, a. 7 ; IX, Q. IV, a. 6. — S. Th. I, Q. LXI, a. 1. — De spir. creat, a. 1. —
Quodl. III, Q. VIII, a. 20. — De subst. separ. c. 8, Quarta ratio; c. 9.
2. Av1cenne, Met. I, c. 8, f. 73v a. Cf. supra, p. 152.
3. loc. cit.
.. In I Sent. Dist. VIII, Ç>. IV, a. 2 (t. 7. p. 117b); — C. G. I, c. 22 : 43; II,
c. 52. — Comp. Av1cenne, supra p. 152.
SAINT THOMAS D'.AQUIN 189
***
Sur la nature de ces deux principes, essence et être, et sur leur
lien dans le créé, saint Thomas s'est prononcé avec la même netteté :
ils se composent entre eux comme la puissance et l'acte l. L'être
est acte indubitablement, acte par excellence, actualité de tout
acte, perfection de toute perfection. L'essence est puissance, pour
de multiples raisons : elle ne possède pas l'être qu'elle reçoit d'un
autre, elle participe à cet être, elle en est le sujet ; puis elle s'unit
à l'être qui est acte, bien qu'elle soit autre que lui : tout cela ne peut
convenir qu'à la puissance. D'autre part si l'être est déterminé par
l'essence ce n'est pas comme par une différence positive, puisqu'il
est l'acte suprême, mais c'est plutôt comme par une puissance qui
le resserre et le limite à telle manière d'être.
Saint Thomas distingue avec soin cette potentialité de l'essence
de celle de la matière 2. Assurément, l'on peut appeler matière
n'importe quelle puissance, mais ce sera toujours équivoque. La
matière n'a d'accès à l'être que par l'intermédiaire d'une forme ;
elle n'est pas elle-même et par elle seule en puissance à être ; l'essence
au contraire est en puissance immédiate à exister. Comme telle
l'essence n'exige pas de matière : elle est forme. Certaines formes
seulement, imparfaites, ont besoin de matière ; de cette matière elles
sont l'acte ; mais le composé qui en résulte est lui-même puissance
à l'égard de l'être.
Saint Thomas se devait de préciser ce point contre Ibn Gebirol
et contre l'école franciscaine.
Mais il voulait aussi se garder de concevoir le possible comme
faisait Avicenne.
î. In I Sent. Dist. VIII, Q. V, a. 2 (p. 121 b). — De ente et essentia, supra p. 35,
19. — In II Sent. Dist. III, Q. I, a. 1 (p. 47 a) ; a. 5 (p. 53 a). — In Boet. De
Trin.. Q. V, a. 4, ad 4m (t. 28. p. 539 a). — C. G. I, c. 22 ; II, c. 37, 53, 54, 55. —
De pot., Q. VII, a. 2 ad 9™. — Quodl. VII, Q. III, a. 7 ; IX, Q. IV, a. 6. — S. Th.
I, Q. III, a. 4 ; Q. L, a. 2 ad 3"» ; Q. LXXV, a. 5 ad 4m. — De spir. creat., a. 1. —
De an., a. 6. — Quodl. III, Q. VIII, a. 20. — De subst. sep. c. 8.
2. In II Sent., Dist. III, Q. I, a. 1 (p. 47 a). — C. G. II, c. 54. — Quodl. IX, Q. IV,
a. 5. — De spir. creat., a. 1 — De subst. sep., c. 8.
190 LA DISTINCTION RÉELLE ENTRE L'ESSENCE ET L'ÊTRE
l'être : « In ipso vero quod est, duo est reperire secundum rationem
(quae differtmt ratione, non re) . » Puis ayant reconnu qu'il faut
pousser plus loin la distinction, il conclut : « et ita etiam ipsum
quod est componitur etiam in se ». Le " non re " de l'incidente « quae
differunt ratione etc. », et le relatif etiam du dernier membre de
phrase paraissent en effet se rapporter à la distinction entre l'être et
l'essence. En tout cas, même si grammaticalement cette interpréta
tion semblait ne pas s'imposer, il resterait évident que Pierre de
Tarentaise n'aurait jamais pu songer à une distinction réelle à l'in
térieur de l'essence, entre l'immatérialité et sa limite, s'il n'avait
tout d'abord attribué une réalité indiscutable à la composition
d'être et d'essence, qu'il emprunte, sans doute possible, à saint
Thomas d'Aquin.
De plus il y a quelques raisons de penser que la discussion de la
distinction réelle que nous pouvons lire dans la Summa philosophiae
éditée par L. Baur parmi les apocryphes de Robert Grossetête l, est
indépendante d'Henri de Gand et antérieure à son premier Quodli-
bet. D'après Baur cette Somme dut être écrite vers 127o, peut-être
un peu après cette date2. L'auteur, qui appartient à l'Université
d'Oxford et dont la doctrine générale se relie étroitement à celle
de l'école franciscaine, se prononce avec une certaine âpreté contre
la distinction réelle ; mais il la comprend mal ; l'on sent que cette
doctrine nouvelle le heurte et qu'il n'a pas réussi à se l'assimiler :
« Iam vero occasione cuiusdam verbi Boetii, qui asserit, in omni
quod est citra primum etc.. quidam moderni compositionem realem
ex quod est et quo est introduxerunt sic, intelligentiasque hoc
solum modo posse componi, cum sint juxta Dionysium penitus
immateriales, dixerunt multisque rationibus probaverunt ; obscure
tamen, quod intendebant declaraverunt. 3 » De ces modernes « posi-
tores compositionis ex quod est et quo est» *, il dit plus loin : « isti
philosophiam potius obnubilaverunt vel venus confuderunt, quam
examinatam veritatem tradiderunt » 5 ; ou encore : « Ideoque
enormiter delirant praedicti suppositores » 6. Pourtant, parmi eux
l'auteur nomme Albert de Cologne auquel, au commencement de
sa Somme, il fait une place à part, à la suite d'Alexandre de Halès,
1. Ludwig Baur, Die philosophischen Werke des Robert Grosseteste, Bischofsvon
Lincoln. (Beitr. z. Gesch. d. Ph. des M. A., Bd. IX). Munster i. W., 1912, p. 275 ss.
2. Op. cit., Prolegom., III. T., p. 137.
3. Sum. Philos., Tr. V, c. 5, (édit. cit. p. 328, 11-21).
4. Ibid., c. 8 (p. 337, 26).
5. Ibid., (p. 337, 35).
6. Ibid., Tr. IX, c. 7 (p. 431, 14).
PREMIERS DISCIPLES ET ADVERSAIRES DE SAINT THOMAS 203
ARISTOTE
(Ed. Bekker, Berlin 1831)
Hermen. B 285 a 29 54
18 a 28-19 b 4 140 — 292 a 18 ... 54
21 a 18-28 138
De an.
An. Post. B 412 a 7 118
A 71 a 1 2 429 a 18-b 5 54
b 33 2 — — a 23 . . , 54
— 72 b 26 2 — — b 3 45
B 89 b 24 137 ,— 429 b 10 139
— 92 b 4-35 138 — 430 a 1 36
bg-n 137 — — a 10-15 54
— 93 a 20-25 138 a 23-25 54
BOECE
(Migne, PL,t. 64 et Brandt, Vienne 1goô)
In Isag. 2 PL 186 B 58
PL 114 A (Br. 233, 21-234, — 202 B 58
") 58
— 116 C (— 241, 9) . . . 57 De Trin.
— 129 B (— 271, 18). . . 57
PL 1249 D 57
— 146 B (— 315, 20). . . 57
— 1250 B 142, 143
— 1252 B 142, 143
In Porph. Dial.
— — C 143, 144
PL 43 B C 9
— 48 A B 12
De hebdom.
— 51 D-52 D 12
PL 1311 A 144
In Porph. Comm. — — BC 145
PL 81 CD 2 — — C 36
— 108, 109 9 — 1312 AB 144
— 115, 116 A B 12 — — C 144, 145
— 125 C-127 A 12 — — D 145
In De interpr. 3 De 2 nât.
PL 462 D-464 C 56 PL 1341 C 4
— 1343 D 56
In Categ. — 1344 C 57
PL 184 A 8 — — D 8
AVICENNE
(Venise 1508)
Log. Suffic.
4, 24, 44, 61, 150, 186, I, c. 1 59
187 — 2 59, l05
210 TABLE DES CITATIONS
AVERROES
(Venise 1550)
In Porph. expos 12 III, 20 70
36 70
In Phys. In Met.
L. I 53 L. I, com. 17 12, 20, 67
VIII 157 — 40 67
IV, 3 157, 205
In De cœlo. V, 14 3
l. 1 : 1 — 21 38
— com. 101 157 VII, 3 44
III, 60 m — 17 17, 47
— 20 11
De subst. orb. — 21 7
c1 68, 69, 106 — 27 9
— 28 67
3 !57
— 28 67
— 33 I2
In De an. (Lyon 1542).
— 34 7
L. I, com. 8 28 42 43
II, 8 67 VIII, 6 18, 47
III, 4 1 XII, 14 20, 67, 104
— 5 28, 36, 67, 70
— 14 35, 67, 70 Epit. in Met.
— 18 70 II 67, 68, 69
GUILLAUME D'AUVERGNE
(Orléans 1674)
De Trin. c. 3- • • . 161
c1 160, 161, 162 38,72
2 160, 161, 187 162
TABLÉ t)ES citat1ons 211
c. 6 161, 162 P. I, p. 2, c. 68 7«
7 161, 162 116 • • 73
8 162, 163, 174 II, 28 . . 164
10 163 1 . . 164
2 . . 164
De univ. 7 . . 164
P. I, p. 1, c. 3 163 8 164, 165
— 2 2 32 9 . . 163
9 72. 164 12 . . 21
10 72 20 . . 164
12 72
73 De an.
15 73 c. 6, p. 17. 74
21 73 7 1 ». 74
ALEXANDRE DE HALÈS
(Venise 1575)
Sum. Theol. P. II, Q. XII 3. .... 167
P. 1. Q. v, m. 3 167 XX 2. .... 168
— XII 3- 75 XX m. 4, a1.. 77
— XIV 1. 75,76 . 2 . . 77
— - 6, a 76 LXI 1. . 77, 167, 168
— XLV 3. 76 III VI 2. . . 1 . 176
— XLVIII 1. 76 • 3 • • 77
— XLIX 1 . 167 VII 1 • 3 • • 78
— LVII 1. 167 — 4 .... 77
II XI 2. 76 IV X 1 .... 76
— XII 1. 167 — 7 . . 2 . 76
— — 2. 167
SAINT BONAVENTURE
(Quaracchi 1882)
In Sent. II, III, p. I, a. 2 q. 2. .80, 81
I,D. VIII, p. *, q. 2 .167, 168 — — p. 1, q. 2, a. 3 . 80
— XXIII, a. 1, q. 1 . . 167 — — a. 1, q. 1-3 . . 81
— XXIV, a. 2, q. 2 . . 80 — XVII a. 1, q. 2 . . 30, 168
— XXV, a. 1, q. 1 . . 80 — XVIII a. I, q. 3 . . . 81
a. 1, q. 2 . . 80 III X, a. I, q. 3 . . . 80
II III, p. 1, a. q. I
1, 80
167, 168 De myst. Trin.
p. 1, a. 2, q. 1 80 Q. IV, 1. 1 80, 81
81, 127
ROGER BACON
Quant. (Amiens, me. 406.) 102 T a 83
102 T b 30, 84, 86
i. 8 b 30
84T b 85 103 a 11, 88
99T b 30, 169 103 b. . . 6,7,21,27,30,87
100T a 6, 7, 12, 18
1ooT a 21 Comm. nat. (éd. Steele)
1ooT b 170 L. I, P. II, c. 9 • • 86,88
102 a 83 — — c. 10 . . 27,87
102 b 83 — IV, D. 3, c. 4 30
« D« eut. et «•■•util ". 1S
212 TABLE PE8 CITATIONS
ALBERT LE GRAND
(Ed. Borgnet. Paris, Vives)
ALBERT LE GRAND
(Ed. Borgnet. Paris, Vives)
s;
'.-,
IL - TABLE DES NOMS D'AUTEURS
Accidents xxv, 3, 42,57, 83. Individualité de l'ange. 54, 72, 77, 80,
Ame . . xv11, 29, 36, 39. 54. 65. 69. 101, 120, 127.
71, 73, 81, 94-100, 113, 117-120. — de l'âme. 39, 55, 60, 61, 65.
Ange . . xvn, 29 ss., 39, 73, 77. 80, 69, 72, 79, 81, 94, 117.
81,92,94, 101, 120. — des substances mater. 11.
Augustinisme 3° 21, 42, 52, 56, 60 ss., 67,
Averroïstes (Controverses) . 28, 96 ss. 83 ss., 92, 105 ss., 128 ss.
no. — des accidents. 107, 109, 115
Certitudo 4 Individnation (v. individualité).
Christ (Unité de l'être du) . . 176, 194
Contingence .... 14o. I5I. I9o, 191 Latran (IVe concile de) 38
Corporéité ... 63, 69, 95, 104, 114
Matière . . 6, 7, 18, 20, 31, 52, 67, 77,
Définition 18, 19, 40 83. 93. 97. 133. 168, 175, 189.
Dimensions indéterminées . . xxvn1, Mixte III ss..
69, 85, 95. 106 ss., 130.
Dieu .... xxv, 37, 72, 75, 81, 102, Nature 4
121, I42, 152, 165, 167, 183, 188. Nécessaire 140, 151
Différence xxn, 18 Néo-platonisme x1x, 5
Ens 9 Panthéisme 37
Espèce . . xxn, n, 19. 23, 34. 41 Platonisme 23
101. Possible . . 140, 151-156, 159, 162,
Esse . . XIX, 5, 142 ss., l69. l8° 174, 189-191, 198.
Essence xx11, 21, 24 ss.,
etêtre. . xv111, x1x, xx, 2, Quantité . . n, 53, 62, 64, 69, 85,
34 ss., 135-205. 93.95.104,115,123.
— (Connaissance de 1') . . 4o Quidditas 3
Essentia 3. 8, 9 Quod est et quo est . . x1x, 92, 139,
Être (v. essence) 143, 167, 172 ss., 185.
— logique xx1, 3
Signari, signata, etc. . 11, 58, 59, 60
Fini et infini 39. M7 Substances composées . . xv1, 6
Forma tolius 22, 172 — simples . . . xvn, xxv,
Forme 18, 146 5. 29, 40.
Formes séparées • 23, 32
_ (Pluralité des) . . 17, 110 ss. Tout xxn, 12 ss., 148, 149.
Genre .... xxn, 12 ss., 18 ss., 46 Unité .... 51, 52, 61, 75, 93. 125
Universel xxrv, 26, 27
Helyatin ou hyleachim (v. ylcachim).
Versions latines d'Aristote ... 3
Individu 91. 123 ss. — d'Averroès . 156, 157
Individualité . xvn, 10, 21, 27, 38, 39, — d'Avicenne . 1, 59
51-134-
— de Dieu. 38, 72, 75? 102 Ylcachim 32, 148, 179
IV. — TABLE GENERALE DES MATIERES
Avant-Propos vu
Bibliographie 1x
INTRODUCTION
1. — L'occasion et l'objet du « De ente et essentia » . xv
2. — Date relative du « De ente et essentia » . . . . xxv1
3. — L'établissement du texte xx1x
DE ENTE ET ESSENTIA
Prooem1um I
Cap1tulum pr1mum 2
Cap1tulum secundum 6
Cap1tulum tert1um 23
Cap1tulum quartum 29
Cap1tulum qu1ntum 37
Capitulum sextum 42
ÉTUDES
I. — LE PRINCIPE DE L'INDIVIDUALITÉ
Ire partie
LES PHILOSOPHES
Chap1tre I. — Ar1stote 51
Chap1tre II. — Porphyre et Boèce 56
Chap1tre III. — Av1cenne 59
Chap1tre IV. — Averroès 66
220 TABLE GÉNÉRALE DES MATIERES
IIe Partie
LES THÉOLOGIENS
lie Partie
LES théolog1ens
Chap1tre VI. — Gu1llaume d'Auvergne 160
Chap1tre VII. — L'école franc1sca1ne 167
Chap1tre VIII. — Albert le Grand 173
Chapitre IX. — Sa1nt Thomas d'Aqu1n 185
Chap1tre X. — Prem1ers d1sc1ples et adversa1
res de S. Thomas 200
Tables
Table des c1tat1ons 208
Table des noms d'auteurs 216
Table analyt1que 218
Table générale des mat1ères 219
ADDENDA ET CORRIGENDA
Imprimé par Oescuée, de Brouwer et Cu, 41, Rue du Metz, Lille. — 3.791
UNIVF
1 E.»
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