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LA GRÈCE
DE PERSONNE
l ' 0 RD RE PHILOSOPHIQUE
SEUIL
L'ORDRE PHILOSOPHIQUE
COLLECTION DIRIGÉE PAR ALAIN BADIOU
ET BARBARA CASSIN
LA GRÈCE DE PERSONNE
JEAN BOLLACK
'
LA GRECE
DE PERSONNE
Les mots sous le mythe
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VJe
ISBN: 2-02-019898-3
,
© Editions du Seuil, novembre 1997
Un certain nombre d'ouvrages, très souvent cités, seront désignés par les
abréviations suivantes :
D.-K. : H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 1903, 1 vol.
5e éd. revue par W. Kranz, 1934-1937, 3 vol. 6e éd. augmentée, 1951-1952.
RE : A. Pauly, Realencyclopiidie der classischen Altertumswissenschaft.
Neue Bearbeitung von G. Wissowa, hrsg. von K. Ziegler, Stuttgart, 1894-
1980.
L. S. J. : H.G. Liddell et R. Scott, A Greek-English Lexicon. Revised and
Augmented throughout by H.S. Jones (9e éd.), Oxford, 1925-1940. Witha
Supplement, 1968 (nouvelle éd., 1996).
Les publications de Jean Bollack sont en général citées sous une forme
abrégée (titre suivi de la date de parution) : on retrouvera la référence
complète en se reportant à la liste de ses publications en fin de volume.
Apprendre à lire
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APPRENDRE À LIRE
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LA GRÈCE DE PERSONNE
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APPRENDRE À LIRE
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APPRENDRE À LIRE
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LA GRÈCE DE PERSONNE
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APPRENDRE À LIRE
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LA GRÈCE DE PERSONNE
18
APPRENDREÀ LIRE
,,
d'Alexandre Koyré, traduisant l'Ethique de Spinoza dans
ses propres formules, resplendissantes de clarté, d'en-
jouement, ou de simple intelligence. J'ai suivi, dans une
autre aile plus animée du palais de Nénot 1, les cours
d'Henri-Irénée Marrou devant une salle bondée d'étu-
diants d'histoire ancienne, développant ce qui allait être
un classique, son Histoire de l'éducation dans l'Antiquité.
,,,,,
19
LA GRÈCE DE PERSONNE
20
APPRENDRE À LIRE
27
LA GRÈCE DE PERSONNE
La controverse
Analyse de l'analyse
38
ULYSSE CHEZ LES PHILOLOGUES
La réaction à l'analyse
Le sens de l'unité
Lefaux dépassement
un autre, sans y être soumis comme les autres. Son Homère est
adapté au goût d'un public qu'il veut charmer et surprendre, lui
apprenant que l'épopée est un drame, une mise en scène et en
paroles, le poète surtout un marin, son information phénicienne,
etc. L'Odyssée porte témoignage d'une civilisation raffinée toute
proche de nous, presque chrétienne et française (Athéna Polias,
par exemple, est travestie en Notre-Dame-de-la-Ville 29 ; etc.). La
facilité, d'ailleurs, est érigée en dogme. Homère est limpide comme
un conte de Voltaire, du moins quand il n'a pas été brutalisé par un
interpolateur. La mise au goût du jour trahit l'absence de hardiesse
que l'assimilation universitaire manifestait autrement, en éternisant
dans une prose académique l'actualité scientifique.
La lecture géographique
temps, les lecteurs n'ont pas manqué qui se sont récriés sur le
merveilleux des Aventures ou ont insisté sur les limites de la possi-
bilité d'une localisation. Mais, en l'absence d'une théorie du récit,
ce mode de lecture était plus frivole, et l'analyse plus précise, lors-
qu'elle dégageait les couches de la composition. L'effort d'assi-
gner des lieux aux Aventures devait à son tour, mais à moindres
frais, apparaître comme vraiment scientifique.
Le merveilleux, séparé, appartiendrait au conte qui entre dans le
genre du folklore universel, mais l'utilisation qu'en fait le poète est
réaliste. On peut alors reconnaître dans Charybde et Scylla le motif
de la Porte de l'au-delà sans en tirer parti pour l'interprétation, et
,, .
ecnre:
[ ... ] le poète fait que se ressemblent, autant que possible, les pays
légendaires [ ... ] et les pays réels, pour nous comme pour lui, que
fréquentaient les navigateurs 43 .
52
ULYSSE CHEZ LES PHILOLOGUES
Le newlook de l'analyse
ment plus juste qu'on ne l'avait fait, non pas la genèse du poème
d'Homère, qu'elles ne touchent pas, tout en croyant le faire, mais
celle de la composition monumentale, favorisée, bien avant lui, par
la pratique de la poésie orale.
i La démonstration a été faite de l'importance des schémas ryth-
\ miques et des modèles de formules ou d'actions (formulaic pat-
' terns). Albin Lesky, l'auteur du nouvel article « Homeros » de la
grande encyclopédie des sciences de l 'Antiquité (RE), écrit en 1968 :
La percée qu'a faite entre les deux guerres la certitude que l'es-
sence et, pour une grande partie, également le devenir de la poé-
sie homérique doivent être compris à partir de certains traits
caractéristiques de sa langue et de sa métrique est un événement
dont l'importance, pour les recherches homériques, peut être
comparée à l'impulsion initiale donnée à l'analyse par Friedrich
August Wolf.
Pourtant l'idée est plus ancienne que l'analyse 54, qui lui a servi de
relais. Pour Friedrich Schlegel, Homère n'était qu'un nom, celui de
la poésie épique (Histoire de la Poésie épique chez les Grecs,
1798) 55• La pluralité des auteurs, soutenue par Kirchhoff, revient à
présenter d'une manière plus plausible, avant que des enquêtes
n'aient pu être menées sur le terrain, la théorie de la voix collective.
D'après les observations faites en Serbie, où Parry 56 puis Lord
56
ULYSSE CHEZ LES PHILOLOGUES
ont entendu des bardes inspirés par une tradition épique encore
vivante il y a quarante ans, de très longs poèmes peuvent être rete-
nus et récités grâce à la possession d'un matériel de formules et de
vers tout faits. Les aèdes grecs se distinguent des rhapsodes, qui se
borneront plus tard à réciter des chants sans y apporter de change-
ments 57, en ce qu'ils se servent des possibilités d'expression de
leur répertoire pour improviser, combinant les formules, modifiant
les unités thématiques ou les réunissant d'une façon nouvelle.
Le poète unique de l'Odyssée ou de l'Iliade est grand dans ce sens,
par la mémoire et le génie de l'improvisation. L'art qu'on lui
reconnaît, parce que c'est son œuvre qui a été conservée, n'est pas
essentiellement différent de celui des chantres d'un âge oublié, qui
composaient pour un auditoire et une poésie orale. La diffusion de
l'écriture coïncide en effet avec une création « monumentale » qui
porte le travail de la tradition à son point culminant. Kirk pense que
la forme donnée à la matière héritée par le main composer a arrêté
le flux d'un développement par son caractère imposant, juste avant
qu'elle ne fût fixée par l'écriture et indépendamment d'elle; pour
d'autres, le compositeur, travaillant suivant les lois de la poésie
orale, se serait servi de la découverte de l'écriture pour dicter ses
poèmes; toujours, c'est l'enchaînement de la production, aidé par
le hasard, qui a donné naissance au poème.
Enfermer Homère dans la lignée des aèdes et insister sur les
mécanismes de la production orale, c'était alors donner aux ano-
malies une explication d'ensemble et les fonder une fois pour
toutes sur les particularités d'un genre 58 • Les défenseurs de la
poésie orale acceptent le schéma de l'analyse, la division du
poème, sa composition par additions et par raccords. Pour Kirk, les
aventures des chants X et XII, ,, des Lestrygons à Thrinakiè, ont été
insérées entre l'arrivée chez Eole et l'histoire de Calypso, et la des-
cente aux Enfers du chant XI est encore une addition dans l 'inser-
tion. Tous les exemples que donne Kirk dans le chapitre « Structu-
ral Anomalies in the Odyssey 59 » sont tirés sans changement du
répertoire des analystes. Les incohérences mises au jour par l'ana-
lyse sont imputables, dans cette perspective, à la « complexité du
matériel qu'utilisait ! '"assembleur principal" et aux difficultés
inévitables qu'il devait rencontrer en réunissant des éléments diffé-
rents de son répertoire pour en faire des épopées unifiées d'une
57
LA GRÈCE DE PERSONNE
60
M. DE W.-M. (EN FRANCE)
L'admiration officielle
La barrière du goût
Le poids de l'institution
et le caractère national du rapport à la science
64
M. DE W.-M. (EN FRANCE)
Mieux que les Allemands, les Français ont rendu la Grèce aux
Grecs, sans les germaniser (la politique n'a jamais été étrangère
aux entreprises archéologiques). Pour Wilamowitz, au contraire,
l'hellénisme français était venu d'Allemagne, ce que Bérard eût
contesté. En réalité, la science, quand elle était arrivée, avait suivi
deux voies convergentes, par l'Allemagne si l'on y voit le modèle
d'une pratique, et par l'implantation exterritoriale convoitée en
Grèce 26 • Le retard et les inhibitions ont leurs raisons, que Wilamo-
witz ne considère pas. En France, à l'époque même où il écrit,
l'Université s'est fondée face à la classe dominante et partiellement
contre elle, dans la prolongation du lycée et en solidarité avec lui;
elle ne pouvait donc faire autrement qu'enseigner le langage de
l'intégration sociale. La discipline philologique est réduite en tant
que discipline principale à l'apprentissage d'un langage de cour. La
rhétorique est imprimée dans les habitudes par la classe possé-
dante, mais le côté scolaire, qui devait condamner la production
française aux yeux d'un grand seigneur de la science comme Wila-
mowitz, est le fait de l'absence de cette classe dans l'Université (on
sait que la bourgeoisie, grande et moyenne, n'envoyait pas ses
enfants à la faculté des Lettres - ni à celle des Sciences). Wilamo-
witz, jusqu'au moment où il se sentit obligé d'intervenir, à la fin du
siècle, pour la défense du grec, pouvait feindre d'ignorer cet aspect
pédagogique. Sans doute, dans l'esprit des réformateurs de 1865-
1880, l'Université devait-elle primordialement promouvoir la
recherche scientifique et précisément doter le pays d'institutions
capables de rivaliser avec l'Allemagne, mais la place primordiale
que les langues anciennes occupent à la faculté des Lettres, en
raison de leur fonction dans la formation des lycéens, fait que la
scientifisation les rencontre sur son chemin, et que toute l'histoire
de l'enseignement supérieur des lettres en France est remplie par
un conflit où l'on fera jouer à Wilamowitz un rôle très précis, sur
un terrain qui n'est pas le sien, entre l'idéal nouveau de la spé-
cialisation et la réalité du « général ». La philologie, si l'on veut
66
M. DE W.-M. (EN FRANCE)
Typologie du commentaire
L'indécence du jugement
c'est qu'un tabou culturel est tombé; or« personne n'a le droit de
dire», proteste Paul Girard (1852-1922), « comme l'a dit, du ton
tranchant qui lui est habituel, un philologue fort connu [ ... ] que
l'exodos des Sept n'est pas d'Eschyle » 32• « M. de Wilamowitz est
un esprit éminent, mais aussi un caractère essentiellement décidé,
décisionnaire même, comme on eût dit,, au Grand Siècle », écrit
Parmentier dans son compte rendu des Etudes sur le drame antique
de Weil, « et, par suite, il est quelquefois exclusif dans ses affmna-
tions » 33• Et Henri Weil, évoquant la vigueur de la critique que
Wilamowitz se plaît à faire de Bacchylide, l'histoire étant selon
lui mieux racontée par Pindare, conclut : « je pense que les deux
poètes ont bien fait 34 ». L'admiration pédagogique condamne
encore Wilamowitz en 1936 aux yeux du Suisse Georges Méautis
(1890-1974), références scolaires à l'appui: il est grotesque de
contester le caractère tragique d'une scène d'Eschyle (la scène des
boucliers dans les Sept) ;
Pour révélatrices que soient les réserves que l'on a notées, il n'en
reste pas moins que Wilamowitz jouit très évidemment d'une
grande autorité, et le corps étranger est accueilli malgré ce qui en
lui choque la tradition, parce qu'il rencontre un mouvement d'his-
torisation analogue à celui qui l'inspire lui-même. Il faut bien voir
quels sont les canaux par lesquels il pénètre et la grille d'accueil
69
LA GRÈCE DE PERSONNE
Que deviennent les tableaux d'un poète, si l'on soumet toutes ses
constructions aux exigences d'une stricte et plate logique gram-
maticale 45 ?
Son édition de Sophocle [ ... ] est un des livres qui ont marqué
chez nous le relèvement des méthodes philologiques. Ces mé-
thodes, M. Tournier a voulu, depuis lors, en faire l'unique objet
de son activité. Il s'y est donné avec une passion exclusive, qui
nous a peut-être privés ,,d'autres œuvres où nous aurions aimé à
retrouver l'auteur del' Etude sur la Némésis 46 •
les droits de l'analyse pour montrer contre eux, mais dans l'esprit
de l'histoire, que les progrès de la rédaction faisaient connaître une
évolution vécue. Bodin récuse une méthode qui s'accroche au
détail et qui, d'autre part, considère l 'œuvre dans sa totalité pour y
déceler les contradictions. Ce qui compte, ce sont les grands mor-
ceaux où le créateur s'est épanoui, la réussite littéraire. La tradition
d'enseignement est maintenue, et le débat emprunté à une recherche
d'un autre type, neutralisé, aucun principe propre ne permettant
de décider entre l'approche historique et l'approche philologique.
On retrouve chez Bodin la stratégie d'adaptation qui caractérise les
réactions françaises devant l'analyse des poèmes homériques 60 • Le
refus des critères et l'agnosticisme prudent permettent de justifier
la non-participation à un jeu pour lequel on n'est pas préparé 61•
Sous ce jour, de la critique verbale, du découpage virtuose
des segments de texte et de l' « analyse », pris dans ces rets et natu-
ralisé principalement par cette voie, Wilamowitz n'est pas assez
« brillant » ès lettres pour franchir avec éclat le seuil érudit du
palais de Nénot 62 et pour arriver à destination dans le monde. On
comprend ainsi que même des universitaires se complaisent à lui
reprocher ses fautes de goût; il arrive même que certains, pro-
voqués par cette étrangeté, redressent naturellement les excès de
l'hyperscientisme. « N'est-ce pas une méthode dangereuse que de
vouloir améliorer les textes en vertu de convenances morales ou
littéraires dont , les Anciens ont pu d'ailleurs juger autrement que
nous?» écrit Emile Chambry (1864-1938), défendant l'authenti-
cité de certaines leçons de l 'Hippolyte, au nom des critères formels
mêmes - la répétition de termes à courte distance - et psycholo-
giques, contre Weil, Wecklein et Wilamowitz 63• Si la démarche his-
torique n'était fmalement pas assez historique pour tenir devant les
exigences ultimes d'un critique comme Louis Gemet (1882-1962),
historien de la société, formé à l'école de Durkheim(<< Il est essen-
tiellement un philologue, au sens le plus large et le plus élevé du
mot», parce qu'il découvre« les petites vérités significatives, celles
qui révèlent[ ... ] cette âme fugitive et éternelle d'hellénisme», c'est
un humaniste plutôt qu'un historien 64 ), sur ses collègues directs,
l'ordinaire des enseignants de grec ou de latin dans les facuités
françaises, Wilamowitz ne peut exercer d'influence réelle en raison
à la fois des différences culturelles et des voies de l'importation.
75
LA GRÈCE DE PERSONNE
Les traits isolés que l'on vient de situer montrent que l'accueil,
unanime en principe, du modèle n'a pas empêché une altération.
Celle-ci est plus révélatrice du système français que du sujet lui-
même. La division de son personnage de philologue et d'historien
dans une culture étrangère a l'avantage de faire apparaître à nos
yeux certaines contradictions propres à la science des textes qui ne
se déclareront que plus tard et sur lesquelles on reviendra. Ces
contradictions ont favorisé l'utilisation de sa figure dans les luttes
qui marquent l'histoire de l'Université entre 1880 et la Première
Guerre. Bien qu'aucun dialogue n'ait été engagé sur les positions
fondamentales et la méthode, dans les cercles où son œuvre était
adoptée, son ascendant a pu servir les intérêts des factions en place.
Le label de la scientificité
Tactiques
par un cursus « moderne » parallèle 79, rares furent ceux qui, comme
Gustave Lanson ( 1857-1934) l'avait fait en 1895, choisirent comme
stratégie d'exalter l'esprit littéraire. Restait évidemment la res-
source de définir une « voie française », qui justifiât malgré tout
l'occupation humaniste menacée et si démunie. Aux yeux des visi-
teurs français de ! 'Exposition universelle de 1900 (où l'Allemagne
n'exposait pas), deux grandes méthodes se partagent le champ des
humanités, l'une grammaticale et formelle, en honneur en Grande-
Bretagne
, et en Russie ; l'autre historique et archéologique, régnant
aux Etats-Unis, au Canada, en Hongrie et en Italie. Là, on lit les
auteurs latins et grecs pour savoir ces langues, ici pour connaître
l'histoire grecque et l'histoire romaine.
La méthode vers laquelle l'Université de France tend de plus en
plus à l'heure actuelle, méthode morale et philosophique en
même temps que littéraire, méthode qui s'occupe moins des
formes et des faits que des idées et des sentiments, est fort peu
représentée à l'étranger.
La modernisation
Le grec en trop
86
M. DE W.-M. (EN FRANCE)
Le révélateur
Pédagogie et science
La force de l'isolement
pouvait encore passer pour subversif 127, il jugeait utile, face au défi
des nouvelles méthodes 128, de justifier la démarche traditionnelle :
Science et émancipation
.,
Editer une page d 'Eschyle ou de Platon, séparer leurs phrases
ou leurs vers, comprendre, pour tout dire, c'est découvrir que, pour
une part considérable, la composition obtenue par une tradition
longue et cohérente, mais aussi par la science moderne qui en
hérite, se différencie d'un texte conservé, parfois seulement d'une
manière interrompue au bas des pages, dans l'apparat critique,
mais également en haut de la page, dans les lignes de la lecture
courante. Reprendre même cette phrase connue, c'est souvent la
refaire suivant une autre grammaire. Ce dédoublement de la lettre
demande à être expliqué. Il ne peut être le fait ni de l'erreur,
puisque toute analyse découle de conditions précises qui la justi-
fient, ni non plus du goût de la contradiction. Toujours est-il qu'il
pousse à méditer sur les frontières de l'hermétisme et les possibi-
lités mêmes de la communication.
Plusieurs livres sur des auteurs classiques, qui sont en même
temps des éditions, m'ont conduit à réfléchir ., sur la raison des diffi-
cuités propres à la pratique philologique. Etablir et traduire des textes
canoniques, c'était rencontrer, au détour des paragraphes, le person-
nage protéiforme de l'interprète, enchaîné par l'autorité, et les
manières universitaires. La plupart des., lecteurs ignorent qu'ils lisent
Marolle dans Lucrèce, Usener dans Epicure, Diels dans Héraclite.
La leçon se défend mal. Elle est faible devant la conjecture. C'est
qu'il y avait, pour que la correction s'impose, toutes sortes de bonnes
raisons, qui valent encore, parce que les préjugés sont constants et
que la tradition a la vertu d'exister et la force du fait accompli.
93
LA GRÈCE DE PERSONNE
Les exemples, dans les auteurs les plus lus, seraient légion, où la
description est détournée d'une manière analogue. Tous les envols
de la lecture « créative » et libre sont plus pauvres que le pro-
gramme qu'imposerait l'établissement systématique de la dimen-
sion méconnue. Le propre, au lieu d'être analysé comme un signe,
est motivé comme un accident, interprété comme une discordance
ou une incohérence. L'intégration de ces termes montre au contraire
que la logique du texte n'est précisément pas celle qui les a fait
prendre pour discordants. Sans doute la phrase recèle-t-elle l'erreur
comme la vérité, et la démiurgie qu'elle possède serait-elle capable
même de creuser sur la mer la route des navigateurs fantômes. Les
Anciens (Diogène Laërce) disaient qu'il existe un Héraclite pour
les sots, et sans doute aussi un Homère. Certaines interprétations
se contentent de dissocier ce que la genèse de I'œuvre a fondu, ou
alors recomposent ce qu'elle a divisé 1•
Il serait facile - et injuste - de narguer l'effort déployé dans l'ap-
pareil si lourd de la démonstration philologique. L'accès immédiat
au texte est demandé avec insistance. Et pourtant il est impossible
de constituer l'interprétation sur la matière nue sans passer par
l'histoire des interprétations. Non que les siècles aient fourni des
approximations progressivement plus justes sur le chemin du vrai,
ni qu'il soit profitable a priori de tirer de la pluralité les compo-
santes d'un mélange neuf, mais outre que la justification de la
matière, à savoir du texte retenu, ne peut se faire sans que soient
reconnues et réfutées les raisons qui l'ont altérée, la matière elle-
même ne se constitue qu'à mesure que l'interprétation s'impose
contre d'autres (le cercle herméneutique s'applique aussi à la
découverte du texte dans la durée). Une lecture quelle qu'elle soit
ne se précise pas dans un vide de lectures. La bonne leçon ne
s'affrrme qu'affrontée, seule, à tous les possibles.
Même si cet aspect heuristique n'existait pas, la démonstration
ne convaincrait pas si elle ne l'emportait pas par la réfutation. Elle
apparaîtrait du seul fait de sa différence comme plus ésotérique que
le texte expliqué. Il est vrai qu'il ne suffit pas de discuter pour
convaincre. On sait que, dans une culture qui repose depuis toujours
sur l'explication des textes, la plus grande partie de la production
n'a d'autre raison que le fonctionnement de l'institution, où qu'elle
existe, et le maintien de l'exercice. La quantité, la masse des publi-
94
RÉFLEXIONSSUR LA PRATIQUE
II
98
RÉFLEXIONS SUR LA PRATIQUE
III
IV
Même si, ce qui en soi est douteux [écrit Peter Szondi dans l'ana-
lyse d'un poème de Paul Celan], on pouvait prétendre à l'identité
d'une ou de plusieurs [ ... ] expressions dans les deux endroits, et
que l'interprétation que l'on tient pour sûre dans l'un des pas-
sages semble éclairer le sens de l'emploi du même mot dans le
vers que l'on cherche à comprendre, ce vers devient clair sans
être compris puisqu'il n'est ce qu'il est que dans cet emploi parti-
culier et qui d'abord justement se refuse à la compréhension 17•
105
'
LA GRECE DE PERSONNE
Remarque préliminaire
Lecture de
Die endliche und die unendliche Analyse 1,
section VI, sur Empédocle
Peterpersonnelle
Szondi a beaucoup compté, d'abord dans ma vie
et intellectuelle, mais autant dans l'his-
toire de mon travail, par les discussions que nous avons
menées au long de plus de douze ans sur les littératures,
dont il était un connaisseur et un juge merveilleux, et la
théorie de l'interprétation. Ses essais, denses et démons-
tratifs, ont sûrement transformé la situation des études
littéraires, et plus encore réhabilité le statut et les droits
de la réflexion dans ce domaine.J'ai été chargé d'éditer à
sa mort, avec l'aide de quelques-uns de ses élèves, une
importante
,,,
œuvre posthume, parue à partir de 1971 aux
Editions Suhrkamp (Francfort), où était incluse l' Introduc-
tion à l'herméneutique littéraire, au titre alors vraiment nou-
veau. Les pages qui suivent formaient la postface de l'édi-
tion française (Paris, 1989).
Ce cours marque un tournant dans les positions de
Szondi. Il avait combattu l'idée d'une autonomie interne
des œuvres, s'appuyant sur un système de valeurs établies,
qui consolident leur explicitation, sans le remettre en
question, et par conséquent mis l'accent sur les stades de la
médiation sociale et historique. Puis il en était venu, dans
les années 60, à considérer davantage leur facture, en
incluant les formes de l'expression poétique à travers le
caractère esthétique de la textualité. Cette orientation
nouvelle l'a poussé à s'intéresser à la naissance d'une her-
méneutique non théologique, propre à la littérature,
depuis le XVIIIe siècle, en montrant, d'abord contre Gada-
115
LA GRÈCE DE PERSONNE
131
LA GRÈCE DE PERSONNE
,
traités pour eux-mêmes, comme chez Epicure et Lucrèce,
à partir de données suffisamment problématisées pour
être soustraites à la spéculation. Ce n'est pas ainsi que pro-
cède Aristote. Dans ce livre, pour ces « mythes» qui inter-
rogent le mythe, il est opposé à Platon, à qui, en la matière,
il se rattache de si près. J'ai repris ce thème à propos de la
spéculation historique de Théophraste, dans mon étude
sur le philologue Jacob Bernays, « Un homme d'un autre
monde» (1996). Nous pouvons à notre tour interroger
la réduction au paradigme biologique qu'il adopte, et
conclure qu'il diminue à sa manière, par des catastrophes
accidentelles, l'impact de la matière traitée, en accordant
le moins possible à une évolution qu'il ne peut évidem-
ment pas entièrement nier, et donc le plus possible aussi à
une éternité coprésente au devenir, qui fournit à son étude
le modèle cognitif. Il s'impose dans ce cadre d'envisager
le mythe dans les textes littéraires. L'autonomie de ces
espaces narratifs et compositionnels 1 ouverts à la réfection,
largement séparés de la croyance et des rites, m'a poussé
depuis à travailler dans le même sens les parties lyriques de
la tragédie.
Ce n'est que très haut dans le temps que la relation avec
les rites peut être envisagée utilement, à un niveau anthro-
pologique différent, avant la conclusion d'un savoir systé-
matique, dans la zone problématique et provisionnelle
d'une véritable préhistoire littéraire. Du moins la question
ne peut-elle pas se poser directement pour une matière
comme nucléaire, qui ne s'altère pas, non transformée et
non transformable. Le problème de cette différenciation
de la tradition mythique et de son cheminement intra-
littéraire a été posé à plusieurs reprises dans mes travaux.
L'insertion dans un contexte reste liée aux modalités
d'un processus de transformation constant. Une distance
se creuse toujours. Marcel Detienne tente de la résoudre à
132
LIRE LE MYTHE
133
LA GRÈCE DE PERSONNE
134
LIRE LE MYTHE
135
...
LA GRECE DE PERSONNE
«Métaphysique»,/, 3
des poètes [d'Homère et d'Hésiode], qui a été ainsi appelée par eux»,
à savoir par les premiers théologiens. C'est une inférence. Le nom
de Styx est alors antérieur à l'épopée, hérité d'un autre âge, comme
ceux d'Okéanos et de Téthys, mais, pour anciens que soient les
rites, nous n'avons d'autre document que la poésie où les dieux
invoquent« l'eau du Styx» 11•
«Premiers», par conséquent, ne peut pas prendre le même sens
quand il est question des « premiers théologiens » ou des « pre-
miers philosophes». Dans le second cas, il s'agit des Milésiens
qui, deux siècles avant Aristote, ont inauguré une recherche qu'il
conduit lui-même à son terme; il faudrait, si l'on veut que le pre-
mier terme revête le même sens, admettre également qu'il ait
donné, dans sa propre théologie, une forme parfaite à la mythologie
d'Hésiode. Jaeger a bien noté la différence qui sépare les emplois
du mot theologia chez Aristote 12, servant tantôt à désigner la partie
la plus noble de la philosophie théorétique 13, la philosophie pre-
mière (= theologike), tantôt la spéculation mythologique représen-
tée par les theologoi, Hésiode ou Phérécyde; mais, faute de choisir
entre ces deux sens dans I, 3, il s'est empêtré dans la contradiction.
Ou bien l'on choisit la seconde acception (= « précisément les non-
philosophes » du type d'Hésiode) et les «théologiens» sont des
auteurs plus primitifs, fort éloignés de la théologie philosophique,
ou bien, si l'on s'en tient à la première, force est de reconnaître en
eux les précurseurs sinon d'Aristote, du moins de la pensée philo-
sophique; on ne peut simultanément prêter au mot les deux sens 14,
qui s'excluent mutuellement. Il ne s'offre guère d'issue, tant qu'on
fait d'Homère et d'Hésiode à la fois des théologiens mythologiques
(sens b) et qu'on les dit« premiers» par rapport à une science qui
ne se distingue pas d'un discours philosophique ultérieur (sens a);
la difficulté disparaît pour peu qu'on laisse à « théologiens » la seule
valeur b qui convienne aux auteurs qui s'expriment par figures
mythologiques ; « premiers » alors situe dans un passé leurs lointains
ancêtres. Autant que le début d'une évolution (Thalès précédant
Démocrite et « en premier » Aristote), le terme de « en premier» se
prête à désigner une antériorité plus absolue, plus originelle. Ainsi,
d'après le texte de Métaphysique XII, 8 discuté plus loin (p. 147-
151), la critique, appliquée à l'analyse des mythes, permet d'isoler
le fond issu d'un passé originel ( « ce qui est premier »), recouvert
140
L'INTERPRÉTATION DU MYTHE
[A. Ciel:] Ce n'est pas une fois, ni deux, mais un nombre infmi
de fois, sachons-le bien, que les mêmes opinions reviennent jus-
qu'à nous. Estimant que le premier corps est différent de la terre,
du feu, de l'air et de l'eau, ils [les anciens] ont donc nommé
« éther » le lieu le plus élevé ; ils tiraient de sa course incessante
[aei thein], pendant l'éternité entière, cette dénomination qu'ils
lui ont donnée. Anaxagore emploie ce mot d'une manière abusive
et incorrecte : il donne le nom d'éther à ce qu'il devrait appeler
feu 26 •
144
L'INTERPRÉTATIONDU MYTHE
rien de ce qu'on trouve ici-bas. Car ce n'est pas une fois ni deux
ni plusieurs fois seulement, disons-nous, que les mêmes opinions
reviennent périodiquement parmi les hommes, mais un nombre
infini de fois 27 •
Des hommes des premiers et des plus anciens temps est resté un
héritage qui a été transmis à la postérité sous la gangue du mythe,
à savoir que les dieux sont ainsi faits et que le divin embrasse cir-
culairement la nature entière. Tout le reste est addition mytholo-
gique, destinée à persuader la foule et à servir les lois et le bien
général. Quand ils font des dieux des hommes en quelque sorte,
ils ressemblent à d'autres animaux. Si l'on s'abstient de le faire et
que l'on retient le premier point, à savoir qu'ils prenaient les sub-
stances premières pour des dieux, alors on ne peut trouver que
c'est un discours divin et que manifestement toute connaissance,
technique ou philosophique, qui souvent se trouve être découverte
puis perdue, peut être vue dans cette perspective comme un ves-
tige de l'une et de l'autre, préservée jusqu'au jour d'aujourd'hui.
C'est avec ces réserves seulement que nous pouvons connaître la
pensée de nos ancêtres, comme aussi celle qui remonte aux tout
premiers hommes.
dieux, le divin est, et s'il existe une chose à laquelle on puisse attri-
buer la qualité de divin, les hommes sont fondés à concevoir des
dieux, quelles que soient les erreurs que la figuration et les trans-
ferts aient produites au sujet de leur nature et de leurs lieux.
phie » et existait donc bien avant l'époque des Sept Sages, auquel
cas la survivance apportait la preuve de la succession régulière des
civilisations. Bien que les interprètes fassent état des catastrophes
cosmiques. ils s'en montrent gênés; ils y reconnaissent de préfé-
rence le signe d'un platonisme dont Aristote ne s'était pas complè-
tement affranchi 79 et ils évitent de les faire entrer dans leurs
réflexions sur les fragments. Ainsi, pour André-Jean Festugière,
elles expliquent la coupure qui contraint les hommes à réapprendre,.
« chaque fois à nouveau, les arts m », mais il ne s "interroge pas sur le
rôle qu'Aristote réserve au « petit nombre » qui survit, si bien qu'il
introduit sans hésitation les témoignages dans le cadre que lui offre
le texte de Philopon 81• Les Mages dont Aristote aurait dit, « dans
le premier, livre de la Philosophie 82 », qu'ils « étaient plus anciens
que les Egyptiens» (cf. infra, p. 159), sont rangés avec les Sept
Sages dont plus de cinq mille ans les séparent (Aristote situe
Zoroastre six mille ans avant Platon 83). A quelle époque. à ce
compte, Dardanos, le rescapé du déluge 84, aurait-il fondé la « Troie
du mont Ida 85 » ? Berti 86 admet de même qu'Aristote voyait dans
les Mages « une des plus anciennes, peut-être la première» secta
sapientiae (qui ne pouvait se former avant le troisième stade); mais
en même temps leur système illustrerait la « science des principes »
(donc nécessairement une activité philosophique) '67. On pourrait
multiplier les exemples de l'impasse où l'on est entraîné à vouloir
classer les témoignages dans une suite linéaire et continue.
Jaeger, plus nuancé et plus insaisissable, semble à première vue
mieux tenir compte de la théorie des catastrophes périodiques et de
la découverte régulière de l'unique vérité qu'elle implique~. Ainsi,
Socrate renouvellerait les principes de la religion apollinienne 89
et Zoroastre,« le prophète de l'Orient 90 », aurait d'avance professé
la philosophie platonicienne. Mais, à regarder de près, ces explica-
tions sont constamment en désaccord avec le « principe philoso-
phique» dont Jaeger prétend pourtant qu'il comn1ande toute l'or-
ganisation chronologique 91• Ainsi, au sujet des proverbes, il oublie
complètement les catastrophes périodiques et considère qu'Aristote
y voyait les vestiges d'une philosophie primitive, non littéraire, qui
se serait conservée sous cette forme en dépit des « transformations
intellectuelles de la nation 92 ». Dans ce cas, l'écart est sans doute
immense ; entre Socrate et la sagesse delphique, il serait beaucoup
153
LA GRÈCE DE PERSONNE
plus réduit ; entre les deux, la date des précurseurs iraniens du pla-
tonisme 93 serait fixée à six mille ans, non par Aristote, mais, par
anticipation, par les Sages de l'Orient 94 • La philosophie, par sauts
imprévisibles, apparaît arbitrairement, où bon lui semble, à travers
l'espace et le temps, et revêt les formes les plus hétérogènes et les
plus disparates 95•
En vérité, la reconstruction historique de Jaeger est viciée dans
son principe 96 • Il ne conçoit pas un instant que la théorie du retour
cyclique découle de la spéculation philosophique elle-même et que
les éléments qui composent l'histoire ne peuvent être compris sans
qu'on les situe dans la pensée qui les a organisés. Jaeger n'accepte
pas la théorie d'Aristote ; dans ses conséquences, elle lui eût paru
naïve, mais il en retient, sans les relier, certains principes et y pro-
jette ses propres idées, pour contraires qu'elles soient à la pensée
d'Aristote 97 • Par ailleurs il en dissocie les aspects, comme on le fait
fréquemment en philologie, pour pouvoir les attribuer à des auteurs
différents et constituer de la sorte un système factice de dépen-
dances qui présente le double avantage d'offrir l'apparence d'une
filiation et de dispenser de la recherche d'une cohérence. Ainsi
la doctrine des catastrophes cosmiques remonterait à Eudoxe de
Cnide; elle reposerait sur une analyse rationaliste des mythes
de Phaéton et du déluge qui ne peut pas être le fait de Platon 98, bien
qu'on les connaisse par le Timée, mais porte les traces d'un esprit
plus scientifique 99 • Platon l'aurait appliquée dans les Lois au déve-
loppement des civilisations 100, et Aristote, enfin, l'aurait étendue
à l'histoire de la philosophie 101• Jaeger n'explique pas comment
cette double transposition s'est faite; s'il ne s'était pas contenté
de l 'affmner, il aurait été amené à réfléchir aux conséquences de
ce que par ailleurs il dit. Il rappelle qu'Aristote (cf. supra, XII, 8)
interprète les mythes des dieux« comme les rudiments d'une strate
antérieure, obscurcie dans la tradition, de sa théorie du moteur
des sphères 102 » ; on ne peut s'empêcher de demander où se situe
cette préfiguration et comment il accorde les destructions totales
(sic) 103 avec le retour des phénomènes intellectuels 104, mais le
choix du vocabulaire qu'il emprunte (ait, Vorstufe, geistige Dinge:
« Anciens », « stade préliminaire », « objets spirituels») révèle
l'ambiguïté et l'équivoque qu'il paraît laisser planer à dessein sur
l'ensemble de son exposé 105•
154
L'INTERPRÉTATION DU MYTHE
-----------~-----~----------------------------~
Égypte
'
Zoroastre
'1
Perse 1
1
'1
1
1
1'
'1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
''
Inde?
Destructions
périodiques
Apogée du règne de l'Autre
(parallaxe absolue)
158
L'INTERPRÉTATION
DU MYTHE
ICRONOSI IZEUSI
3 000 6000 9000 12000
··············-Il t 1 1
Athènes
primitive
î î
Saïs Solon
Atlantide
La Grande
Guerre 8 000 ans
159
LA GRÈCE DE PERSONNE
162
L'INTERPRÉTATIONDU MYTHE
«Métaphysique»,/, 2
[ ... ] qu'elle ne soit pas d'autre part une science pratique, c'est ce
que montre aussi l'histoire des premiers philosophes. C'est en
effet l'étonnement qui poussa les hommes, aujourd'hui et au
commencement, aux spéculations philosophiques. Au début leur
étonnement porta sur les difficultés qu'ils trouvaient devant eux;
puis s'avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à
des problèmes plus importants, tels que les états de la lune et ceux
qui touchent au soleil, et aux étoiles, enfin à la genèse de l 'uni-
vers. Or apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître
son ignorance (c'est pourquoi même l'amour des mythes est, en
quelque sorte, un amour de la science, car le mythe est composé
de faits merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à
l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philoso-
phie, c'est qu 'évidemment, ils recherchaient les connaissances en
vue du savoir, et non pour une fm utilitaire 138•
Les présocratiques
jection sur certains éléments déjà intégrés est déterminée par l 'in-
tention historique « actuelle » du poète.
Le bref récit que, dans l'Iliade 169, Diomède fait des mésaventures
de Lycurgue indique les raisons de la répugnance qu'il éprouve à
se mesurer avec la divinité que pourrait être l'étranger debout
devant lui. Lycurgue, ne reconnaissant pas la nature de Dionysos,
s'est attaqué au cortège des nourrices du dieu. Il a été frappé de
cécité, en punition de son aveuglement.
On saisit la situation que dépeint le récit. Chargé d'assurer à
ses sujets une vie heureuse et sans troubles, un souverain, roi de
Thrace 170 ou d'ailleurs, s'oppose à la nouveauté d'une expérience
touchant à la sphère du divin. Si elle était légitimée, elle introdui-
rait le désordre. La divinité nouvelle s'affirme, elle se sert de la
résistance qu'elle rencontre pour s'imposer aux yeux des non-
initiés, et elle triomphe par la violence du pouvoir établi que tous
acceptent comme garant de l'ordre, et qui doit se méprendre sur la
nature du dieu. Le lien qui unit la répression et la vengeance est
souligné par l'identité de l'erreur et du châtiment. Il n'est guère
important de retrouver le fondement historique et social d'une
pareille légende.
Il importe davantage de suivre le travail de l'imagination qui
aboutit à l'intégration d'un fait isolé et limité dans une vision glo-
bale du monde. Dionysos et ses nourrices représentent l'humidité
fertile, le lait et la sève, dont ils ont eux-mêmes la mollesse vite
effarouchée. Le dieu nourrisson ne se réfugie-t-il pas dans l'eau
comme dans son domaine familier et protecteur? Une femme
encore, Thétis, l'y accueille dans ses bras 171• Le roi d'une tribu
agraire n'a pas de mal à terrasser, avec la dureté du mâle, la troupe
des femelles de son aiguillon de bouvier 172• Cependant le rugueux
171
LA GRÈCE DE PERSONNE
héros est rendu invincible, tant que des airs il se limite à combattre
ses ennemis sur terre; lorsqu'il veut profiter de l'ascension pour se
mêler aux dieux, il est reconnu pour le simple mortel qu'il est, avec
ses désirs qui servent à accomplir les desseins qui le dépassent.
En esquissant, à la fin, comme vouée au silence, la perte de
Bellérophon, Pindare situe la borne qui divise les domaines 206 • Il
ouvre le chant aux exploits magnifiques de l'intelligence qu'accor-
dent les divins. La grâce porte les mortels au-delà des limites de
leur condition, elle leur fait même franchir l'horizon des espoirs
concevables. Le dépassement de la condition commune se dis-
tingue radicalement de la transgression, vouée à l'échec. La faveur
des dieux ouvre la voie de l'apothéose. A condition qu'il respecte
la finalité qui s'attache à la faveur particulière et qui répond à un
dessein précis, le héros est assuré d'être reçu parmi les bienheu-
reux, brillant de son vivant, avec sa race et sa cité, de l'éclat que lui
confère l'élection. Pindare chante cette lumière-là.
La comparaison de deux récits tirés d'une même légende montre
qu'il serait simpliste de vouloir saisir l'intention du poète dans la
pure variation d'un schéma préalable et immuable ; qu'on l'appelle
«populaire», «traditionnel» ou «primitif», on cherche à marquer
son inconsistance. Il suffit de dégager par une forme de réduction
eidétique les éléments essentiels pour anéantir la fiction d'un pro-
grès situant le compliqué à la suite du simple. Dans les mythes que
nous transmet la littérature, le poète a déjà effectué les démarches
herméneutiques que nous accomplissons pour en découvrir le sens.
Il faut entrer dans les mouvements d'une réflexion mythique ; le
mythe ainsi s'ouvrira à nous, au lieu qu'il se présente comme un
objet classé dans le grand inventaire que dressent les sciences.
- dans les étables et dans les pacages où, aux côtés d'Hermès,
elle fait croître ou périr les troupeaux 217•
Ce sont autant d'activités où, à la différence de l'agriculture (qui
fait défaut), le résultat est incertain 218• Le succès comme l'échec
risquent d'être exorbitants. Aussi l'intervention propre à la déesse
se définit-elle par la liberté avec laquelle elle accorde ou refuse ses
faveurs. Elle fait ce qui lui plaît (v. 429) 219 et se soustrait aux
contraintes du rite, si bien que l'on comprend qu'elle ne puisse
faire l'objet d'un culte officiel et public. Elle est à la fois trop pré-
sente et trop insaisissable. D'autre part, ses manifestations, exces-
sives dans le bien comme dans le mal, sont caractérisées par une
facilité dénuée de pesanteur 220• Son intervention n'est soumise à
aucune forme de causalité. On voit que la magie s'inscrit en fili-
grane sous le thème de l'excessive facilité, mais Hésiode évite
toute allusion précise. Il faut donc se garder d'y avoir recours dans
l'exégèse, mais appréhender le discours au niveau où il se situe et
capter l'ubiquité de chance comme trait dominant qui se dégage du
portrait. Le temps traverse toutes les parcelles de l'espace, détermi-
nant l'avenir différencié. Ainsi la chance, qui est un fruit du temps,
revêt-elle toutes les formes du réel.
La conceptualisation de la chance s'éclaire dans le premier
groupe (b 1), en même temps qu'on y voit annoncée l'intégration
dans la vision cosmologique. Outre les traits saillants, l'autonomie
attentive (cf. v. 419) et la facilité de ses mouvements (cf. rheia,
ibid.), les vers dégagent le lien qui unit le pouvoir de la déesse
(dunamis, v. 420) au thème majeur de la louange, l'honneur que
lui accordent les dieux. En un premier temps 221, cet honneur est
accordé à ceux qu'elle exauce (v. 418), sa nature se dévoilant dans
le don qu'elle fait de ce qu'elle a reçu 222• Elle s'efface en transmet-
tant une time. Or, cet honneur qui lui est partout imparti et que par-
tout elle dispense vient de sa présence universelle, sur terre, dans
la mer, dans le ciel (v. 412-415). Elle participe à chacun des règnes,
sans en posséder aucun, n'ayant partout qu'une part (v. 413,
cf. v. 414). L'honneur que lui accordent les dieux tient à cette sou-
veraineté très particulière, diffuse et universelle. Hésiode analyse le
concept et approfondit la nature de la déesse de la chance, en rame-
nant sa puissance à son omniprésence cosmologique.
Il fallait, pour remonter de la représentation particulière à son
177
LA GRÈCE DE PERSONNE
181
LA GRÈCE DE PERSONNE
* Les textes grecs signalés par un astérisque sont donnés en tête des notes,
p. 421 sq.
183
LA GRÈCE DE PERSONNE
La construction du problème
La rupture initiale
187
LA GRÈCE DE PERSONNE
L'unité sphérique
La cosmogonie de la périphérie
202
LA COSMOGONIE DES ANCIENS ATOMISTES
L'événement particulier
L'hypothèque de l'origine
Le hasard
Sans aucun doute, l'illimité dans les textes étudiés peut être
mis en relation avec le principe d'Anaximandre; la reprise, malgré
la transformation que lui fait subir Démocrite, et même à travers
elle, peut nous apprendre ou plutôt nous confirmer la fonction du
concept milésien, déjà abstrait et construit, à condition cependant
de distinguer avec persévérance entre la pensée qui fait communé-
ment l'objet de la réflexion et la réflexion sur l'objet, déposée dans
la réfection particulière du problème dans le texte, à condition donc
d'intr9duire au profit de la pensée originale une distance critique.
Celle-ci ne diffère pas beaucoup de celle que nous ajoutons dans
la lecture des témoignages pour parvenir à dissocier avec une assez
grande certitude la pensée des atomistes de la transformation
qu'elle a subie dans la présentation péripatéticienne, source large-
ment prépondérante et presque exclusive de notre information. Le
travail de discrimination, mené par l'esprit critique de l'historien
devant la documentation indirecte, découvre, dans l'objet, un esprit
non moins critique que lui. Le principe, évidemment, dérange au
plus haut point les habitudes descriptives de l'historiographie, qui
répugne à discuter de la discussion.
Au terme du travail de restitution émerge une réflexion qui se
définit par la relation qu'elle entretient avec une affrrmation anté-
rieure, et peut-être avec une autre réflexion. On doit, comme on l'a
fait le plus couramment, rapprocher Démocrite des monistes ioniens,
et cela sous plusieurs aspects 90 , ou bien, à cause de la séparation
initiale et de l'action- du tourbillon, insister sur les ressemblances
avec les principales options d 'Anaxagore 91 ; on a vu que certains
témoignages doxographiques découvrent dans les phases de la
cosmogonie la constitution des masses homogènes, l' « amour » des
semblables d 'Empédocle et le mélange par l' « amour » des dissem-
blables. Tous ces rapprochements, avant d'avoir été exploités en
faveur d'un système de dépendance par l'historiographie moderne,
peuvent être et sont le plus souvent le fait de la doxographie
antique qui, dans un esprit syncrétique, conforme à son ambition
de totalisation, compare et superpose les structures et les éléments
séparés de leurs structures primitives. Mais une relation comme
celle que l'on établit entre les deux types d'amour d 'Empédocle
existe d'abord au niveau de la réflexion de Leucippe ou de Démo-
crite et de l'information dont ils disposaient, avant d'être codifiée
219
LA GRÈCE DE PERSONNE
Le fond nietzschéen
Définition du lyrisme
Un sacré désacralisé
langue qui le cerne, et vise la cible qui le dit. La référence aux actes
techniques de l'étude et de la composition littéraire n'est pas moins
constante chez Pindare que chez Saint-John Perse.
L'idée d'une sélection doit être écartée. L'éloge n'est pas déter-
miné par une préférence, ni par un rejet; il ne l'est sans doute
pas pour Pindare. Il concerne le mode de dire. Rien ne permet de
soutenir, comme on le fait, que « tout ce qui ne peut provoquer
la louange de Saint-John Perse est, en général, écarté dans sa
poésie 34 ». C'est le contraire qui est vrai. Rien n'est écarté. Le
« monde entier des choses 35 » n'est amputé de rien. Le tour le
dit. Non que les poèmes cherchent à embrasser, comme on l'a dit,
la totalité; elle n'est pas saisissable, n'étant pas constituée comme
telle, sous aucun visage. Tout le sépare, sur ce point, d'une filia-
tion ontologique grecque du cosmos. Les« choses», c'est la multi-
tude, l'infmie diversité qui surgit, nouvelle, la continuité d'un mou-
vement unique et diversifié. Aucune valeur ne peut faire l'objet
privilégié d'une louange plutôt qu'une autre, si ce n'est le vent, s'il
est le mouvement même.
Si Saint-John Perse a opté pour Pindare, ou s'il s'est trouvé dans
le Pindare qu'il s'est fait, c'est qu'il a choisi de dire le dire et
en même temps tous les dires suivant la seule voie qui conduise
jusqu'aux infimes bouts du réel, disséminés et particuliers, mais il
n'y parvient que par ce détroit de l'absence, par la voie d'une
nudité et d'une nullité. C'est à ce moment, avant tous les déploie-
ments de la parole, que la louange est pure, dépouillée de toutes les
valeurs terriennes, «dé-valorisée» par le dépouillement, n'ayant
d'autre objet que sa propre visée, seule à être investie pour magni-
fier. De là tous ces «beau», ces «grand» et tous ces «haut» qui,
une fois entrés, ne quitteront plus le poème 36, qu'il se perde dans
le silence et aboutisse, qu'il se reprenne sans préambule, issu de
la même traversée du désert. C'est la carence, c'est le vide, qui font
la grandeur, font la plénitude, non par construction antithétique,
pour importants que soient les modèles de la méditation mystique,
mais parce que l'intensité est plus forte où elle est pure, dans l'abs-
traction d'un désir de désir et d'une virtualité expressive. Les rois
seront « grands » ; la parole qui les aura fait être transitoirement
s'est munie de la transition initiale, onomaturgique.
« C'est du Roi que je parle, ornement de nos veilles, honneur du
235
LA GRÈCE DE PERSONNE
bouche des rhéteurs de tous les âges et de toutes les latitudes. Les
langues s'étaient engraissées, amplifiées de tous ces projets du
verbe et du style. Peut-être est-ce un moyen démagnifiant que
de faire de la magnificence l'usage qu'il en a fait ou qu'il s'est
astreint à faire, arraché aux profondeurs, au-delà d'un abîme
ouvert. La louange alors ne serait pas moins critique que l'invec-
tive, si l'art dédouble la langue par artifice. Une charge aussi
excessive suppose que la volonté de dépassement serait assurée, et
constamment. Elle requiert une science parfaite de l'excès, et donc
aussi des limites, si les poids et la gravité doivent être désignés
comme tels, d'abord maîtrisés avant d'être enchaînés, comme ils
le sont. Rien dans l'estime n'est dit ni repris que l'auteur n'ait
réemployé et réévalué, réestimé.
On mesure la distance qui sépare en profondeur, en dépit de
toutes les apparences, l'usage de la « louange >> du travail de
réfection entrepris par Mallarmé sur le langage poétique le plus
archaïque et le plus traditionnel. Le manque de positivité est banni ;
c'est qu'il la faut. Paul Claudel est le plus clair: « [ ... ] la grande
joie divine est la seule réalité et [ ... ] l'homme qui n'y croit pas
sincèrement ne fera jamais œuvre d'artiste pas plus que de saint ...
Là est l'explication de Stéphane Mallarmé, ou de 1'artiste pur,
s'apercevant qu'il n'a vraiment rien à dire 54. » Saint-John Perse
ne le suivait pas pour la sainteté ; il était passé avec Nietzsche aux
réalités anthropologiques, mais l'approche positive n'était pas
remise en question non plus, ni une forme d'immédiateté que
l '<<art pur» avait déjà brisée à jamais 55•
La fragmentation des mouvements reconstitutifs émerge du
songe, avec tous les élans d'une mémoration non notariée. La fraî-
cheur n'est-elle pas défraîchie par 1'extériorité, par sa qualité
si volontairement impersonnelle, historisante, illimitée dans la
recherche d'une virtualité? L'auteur, si singulier quand il affronte
l'impersonnel, dans ce cadre le plus ouvert et le plus universel qui
se conçoive, transsubstantialise la matière qui s'est faite chair, à
savoir événement de langage. Il y mêle sa prédilection, elle est un
filtre, au point qu'on a cru pouvoir y déceler un critère sélectif de
la louange, là où l'honneur, au contraire, n'est qu'une condition du
langage, une hauteur de ton ; il y mêle une expérience personnelle,
expérimente son insertion dans l'impersonnel; elle était, on le sent,
238
UNE ESTHÉTIQUE DE L'ORIGINE: SAINT-JOHN PERSE
pas : poésie] est une ontologie 60 », c'est un transfert qu'il dit, dans
l'ordre du langage. Il établit une relation entre la chose verbale et
une origine : ce qui la porte, ce dont elle se détache, vers quoi elle
tend. Toutes ces relations sont internes. L'autonomie de l'interre-
lation a été souvent affirmée par le poète : « car, si la poésie n'est
pas, comme on l'a dit, "le réel absolu", elle en est bien la plus
proche convoitise et la plus proche appréhension, à cette limite
extrême de complicité où le réel dans le poème semble s'informer
lui-même 61 ». La nature de la présence n'est pas facile à cerner;
elle a été rapprochée de l'être-là, une coprésence heideggerienne ;
en même temps Saint-John Perse ne s'éloigne pas franchement des
lois d'un repliement interne et elliptique, inhérent à une forme
d'indépendance verbale - un entre-les-deux. Dans le « Discours
de Stockholm», il vise « une limite extrême de complicité»; il y
emploie la même formule pour ce point « où le réel semble s'in-
former lui-même» 62 • Production du langage? Expérience et inter-
prétation du réel ?
Le monde du songe peut être décomposé, les mécanismes
psychiques rendus à la complexité des icônes, des marais, ou de
la blancheur; la langue se déleste d'une analyse qui l'entraîne et
l'asservit. Tant qu'on la libère seulement, elle joue le jeu, le sien.
Son système n'a pas été brisé, comme il l'est, il faut le dire, chez
Mallarmé, et l'aura été après, et ailleurs, et le plus radicalement
chez Paul Celan.
Les mille et mille brisures sont presque indécelables, elles sont
souvent méconnues ; tous ces affranchissements se font dans
l'ordre, dans un désordre de l'ordre, dans la fragmentation du deve-
nir. La langue se divise et se reflète dans ces miroitements, elle n'est
pas brisée.
Une proto-Grèce
des figures modèles, garantes d'une équipée hors lieu ou sans lieu,
d'une pré-Athènes.
La biographie note pour la première année de f acuité ( 1904-
1905) : « Il poursuit son étude du grec pour une meilleure lecture
,,,
d 'Empédocle, et pour une traduction (demeurée inédite) des Epini-
cies de Pindare 63 • » Que représentent les philosophes présocrâ-
tiques, Héraclite, Empédocle, dans son œuvre? Ce sont peut-être
les seules vraies références hors citation, se citant elles-mêmes, de
l'intérieur du discours poétique, comme si la coupure introduite par
Nietzsche avec Socrate avait situé ces auteurs non du côté d'une
origine, mais dans une couche du langage plus constitutive et plus
productive que les autres.
Empédocle, par la trace qu'il laisse, est une figure - le prototype
peut-être - de l'homme qui s'en va, qui continue sa route, quittant
même toute trace. « Avec ceux-là qui, s'en allant, laissent aux
sables leurs sandales 64 • » Un chiffre du devenir, la trace d'un
mouvement élémentaire qui, dans tous les poèmes, se casse, se
morcelle, puis se ressaisit, s'échange toujours contre toutes les
productions des langues. Ce sont les règnes de l'histoire naturelle,
la variation innombrable des noms d'insectes et d'oiseaux, couchés
dans la constance d'un rythme, la seule permanence qui les emporte
et les traverse. Saint-John Perse, dans la nomenclature, ajoute l'eth-
nique, une fragmentation de l'histoire - toutes les existences de
l'éphémère qui, face à la vie qui dure, n'ont pas de durée.
La position intermédiaire, représentative, que les mêmes forces
élémentaires occupent dans le système d 'Empédocle, disloquées
et assemblées, dans l'état présent du monde, entre l'origine et
une menace, sur la voie de la reconstitution de la sphère originelle,
les prédestine à fournir au poème vents, pluie, mer : un englobant,
la transposition d'une matière symbolique qui ne se distingue pas
du mouvement qui l'anime. Sous l'aspect de cette pulsation d'un
retour, les parcelles de la Sphère où culmine l'Amour, triomphant
du devenir, peuvent être réduites à la seule plénitude de l'instant.
Peut-être est-ce là le point essentiel de l'échange qui s'opère que
cette distinction d'une langue plus élémentaire dans la langue,
d'une symbolisation primaire. L'évocation d'un englobant, vita-
lisant et revitalisant en français toutes les concrétions verbales du
globe, concerne ce mouvement dans les mouvements.
242
UNE ESTHÉTIQUE DE L'ORIGINE : SAINT-JOHNPERSE
Contextes
en est fait, d'un texte à l'autre, dans leur différence ; le signe est
rappelé, il oriente, fixe un foyer dans une constellation complexe,
et pourtant il est réinventé chaque fois, et reste indéterminé.
Les poèmes se développent à partir d'une organisation première,
peut-être plus réflexive que déjà proprement poétique, n'étant pas
elle-même d'ordre linguistique, fournissant le cadre d'une expan-
sion où les unités, dans leur diversité rythmique, trouvent leur place;
le principe organisationnel, l'ordo, fournirait ainsi l'ordonnance,
qui resterait maîtresse des nouveaux départs, comme si les impul-
sions particulières, narratives ou évocatrices ou méditatives, lui
obéissaient, ou comme si d'avance il avait tenu compte de leur désir
de s'affmner, ayant suscité l'élan qu'il a connu et pressenti. C'est la
trame réflexive qui traverse les textes, leur visée intellectuelle, sou-
vent philosophique, se soumettant la matière qu'elle anime, l'ani-
mant au point d'entrer en dialogue avec elle, avec sa propre pro-
duction, de l'interroger, de couper son dynamisme, de dicter les
temps de l'épanouissement et de l'arrêt. Il lui arrive de se confondre
avec elle, quand elle s'abandonne librement, ou au contraire de s 'au-
tonomiser dans les passages plus prosaïques, de tirer la diction à
elle, d'imposer son point de vue propre, en introduisant dans le
texte, à dessein ou non, la réflexion, ses caprices et ses servitudes,
des phrases d'une teneur différente, comme décantée, issues du plan
plus que de son exécution.
La tension, s'affirmant entre ces deux pôles, l'abandon et la
résistance, ne brise pas, elle divise et découpe, entrecoupe. Ce qui
fait la beauté des compositions est dans ce contraste, faisant voir
les lignes d'une épure intellectuelle, interrompues, jamais effacées,
et les points où la vision se concentre dans la densité des concré-
tions particulières. Dans cette dualité, l'art de Frénaud se saisit et
se définit le plus justement. Ce ne sont pas deux mouvements, bien
qu'ils soient contraires, mais une résistance, qui serait première
et toujours surmontée, se réaffirmant donc. Un élan de la pensée
enchâsse les mots, les entraîne et, en même temps, reste au-dehors,
ne les habite pas, retenant ce qui lui échappe et qui lui appartient.
Les prosaïsmes masquent une chute, mais elle est intégrée dans
la composition, dans l'entrelacs des insistances et des ruptures. Le
tissu esthétique vit des contrastes, de ces différences de tonalité,
brisures d'un envol, autres voix et voix coupées, coupures de voix.
247
LA GRÈCE DE PERSONNE
Distance
Le noyau de la dispersion
(«Le miroir de l'homme par les bêtes 2 »)
temps, qui est la vie d'un chacun, de son «moi». Le drame s'ex-
plicite. Le maître tout-puissant du jeu, l'adversaire partout présent,
le présentateur attitré du miroir, le produit des imaginations sécu-
laires, est en nous ( 17).
255
LA GRÈCE DE PERSONNE
L'extase du sang
( « La Sainte Face révélée dans les baquets 6 >>)
aux uns pour les autres. La tuerie est libératrice. L'acte fait être, le
dieu s'y célèbre. Le festin intronise le sacrificateur ( 19-26).
Ainsi, les mystères divins sont transférés. Ritualisés, les gestes
quotidiens rendent à l'abattoir sa signification, révèlent la nature
originelle du lieu : il est autel, lieu d'un sacrifice constitutif où
l'homme se fait homme dans l'évasion, en s'échappant, se libérant
par le meurtre, accédant à la vie dans le sang versé. Que célèbre-
t-on sinon, autour des tables, dans le veau tué? Sinon la destruction
de la vie dans la vie de l'autre au profit de cette autre vie, moins
animale, plus humaine, plus divine, à laquelle on pense accéder par
la violence d'une rupture?
Quelle force plus grande peut avoir un texte que celle de s 'inter-
roger lui-même en étant «repris», comme reviennent les bêtes
de la crèche ( « Les Rois mages ») dans « La Sainte Face » ( 10) ?
D'être repris, et de pouvoir dire ce qu'il disait et ne dit plus, se
mettre en question et s'affirmer ainsi par la pertinence d'une inter-
rogation sur sa justesse.
Le déplacement s'opère dans le poème ; le rite sacrificiel y est
rapporté à la réalité du culte traditionnel (Saint-Aurélien-des-
Bouchers), il éclaire la croyance, la force à livrer son secret,
comme d'elle-même, du dedans. Ce n'est pas blasphème, peut-être
ne trouverait-on même pas trace ici de cette théologie négative dont
Frénaud voit justement la présence dans certains de ses textes 7• On
reste dans l'univers du mythe, mais l'un a plus de force que l'autre.
Sa vérité creuse la foi historique en la rédemption. Sacrifice pour
sacrifice, l'un est plus vrai. Elle réinterprète la croyance en la
détournant ; elle se substitue à elle dans la hardiesse des parodies,
prend sa place : c'est ce que l'on veut dire, ce à quoi l'on pense.
L'histoire reste inscrite dans la communion des hommes, l'une
s'est voulue utopique ou eschatologique, une autre, plus anthropo-
logique, se voudra réelle, proche d'une violence originelle du deve-
nir. La machine triomphante de la boucherie fait saisir l'animalité
profonde, elle conduit aux massacres humains, aux exécutions
et à l'atrocité des camps. On tue. Homo necans. Celan a écrit des
poèmes, comme « Tenebrae » ou « Psaume », proprement blasphé-
matoires, accusateurs surtout, en dénonçant dans les crimes l'effet
de la croyance religieuse. Le Christ n'est pas mort une nouvelle
fois dans les camps d'extermination, quoi que les théologiens (de
259
LA GRÈCE DE PERSONNE
profession ou non) aient tenté de faire dire aux textes. Il s'y est vu,
en bourreau. Le point de vue est historique, analysant la haine, qui
a fait l'événement, rapportant le meurtre à la croyance qui l'a pro-
duite. Les victimes exigeaient cela, que ce ne fût pas caché. On
entend chez Frénaud une interrogation proche. Je pense au cycle
de 1945, « La nourriture du bourreau», et à ces vers très forts(« La
libération des corps 8 ») :
- Ainsi se tiennent-ils avec roideur dans la dignité cadavérique
[ ... ]Pitié pour eux, Seigneur qui n'es pas,
s'ils font semblant d'attendre, ces gisants,
[ ... ]
0" Zeus très glorieux, très grand ! Zeus à la nuée noire, qui habites
l'éther ! ne laisse pas le soleil se coucher et l'ombre survenir, que
je n'aie d'abord jeté bas, la face en avant, le palais de Priam,
271
LA GRÈCE DE PERSONNE
478 sq.). Mais pourquoi l'eau du Styx serait-elle chargée ici d'évo-
quer ce séjour? Dans le seul passage de l 'lliade où les flots du Styx
entrent dans une topographie inf emale, il s'agit, non du Tartare des
dieux, mais de l 'Hadès humain. Héraclès, sans le secours
d'Athéna, « n'eût point échappé aux flots abrupts [et non·: au cours
profond] du Styx » (//., VIII, 369). La région du Styx est ici séjour
des morts, et non géhenne des dieux 35•
Si l'idée d'une intervention des puissances chthoniennes et ven-
geresses pouvait parfois se présenter à l'esprit des hommes, quand
on envisageait expressément la possibilité d'une transgression, il
est compréhensible qu'elle ait manqué dans les invocations faites
par les dieux. Le ciel, Ouranos, n'est pas vengeur. Le ciel, la terre
et l'eau du Styx sont simplement les parties du monde qui englo-
bent tout, et l'univers même des dieux. Dans les serments humains,
les dieux, et Zeus en premier lieu, sont invoqués en même temps
que les puissances élémentaires, ou bien leurs noms recouvrent
les éléments 36 • L'appel aux forces élémentaires comme l'eau, le
feu, la terre, ou les parties du monde qui leur correspondent, repré-
sente, on l'a vu, une forme d'invocation plus ancienne, qu'Homère
nous rend dans le serment des dieux. Elle nomme toute l'étendue
de l'univers pour que, tout entier, il devienne solidaire du serment
prêté et n'offre aucun recoin où les paroles prononcées perdent leur
force astreignante.
massive d'une roche que par l'eau qui s'en précipite 37. Cette hypo-
thèse - que le Styx serait d'abord un rocher - est appuyée par le
nombre vraiment surprenant des textes qui, mentionnant le Styx,
font apparaître des images de rochers.
Dans la description des approches des Enfers que nous lisons
au chant X de l'Odyssée, au-delà de l'Océan, sur ses bords, s'ouvre
la demeure d'Hadès. Le Pyriphlégéthon et le Cocyte s'y jettent dans
!'Achéron au pied d'une roche qui marque leur confluent (v. 515).
Or le Cocyte est une chute où se déverse l'eau du Styx (v. 514) 38• Le
texte évoque un paysage de rochers. Les torrents qui se rencontrent
tombent de plus haut, comme dans les Alpes, paysage « affreux »
par excellence, les cascades ruissellent le long des parois rocheuses
et se rejoignent au confluent des vallées. Les paysages mythiques
en effet empruntent dans l'Odyssée certains de leurs éléments à des
contrées qui ne sont pas toujours méditerranéennes 39•
Dans la Théogonie, Hésiode décrit en détail la demeure de la
terrible Styx, déesse odieuse aux Immortels (v. 775-806). On sait
que, pour Hésiode, Styx est une déesse, fille de Téthys et d'Océan,
la première de toutes les Océanides (Théog., v. 361). Mais la des-
cription de sa demeure offre peut-être les traces d'une représenta-
tion beaucoup plus ancienne. Styx habite loin des dieux, aux
confms de l'univers, une illustre demeure que couronnent des rocs
élevés et que de tous côtés des colonnes d'argent dressent vers
le ciel (v. 777- 779). Iris vient, rarement, quand une querelle s'est
élevée parmi les Immortels, y chercher le « grand serment des
dieux» (v. 784), « l'eau au vaste renom, qui tombe, glacée, d'un
rocher abrupt et haut» (v. 785-787). Elle est« un bras d'Océan »
(v. 789), « la dixième partie de ses eaux», roulant ses flots sous la
terre dans la nuit noire; mais tandis que les neuf autres parties
s'enroulent autour de la terre, « ses eaux seules se précipitent du
haut d'un rocher, fléau redouté des dieux» (v. 792).
L'eau du Styx a la vertu de confondre le dieu parjure. S'il
« répand cette eau » - imitant ainsi le mouvement de la chute du
torrent (v. 786) - pour appuyer un faux serment, il est frappé pen-
dant une longue année d'une terrible torpeur (une mort passagère),
puis d'un exil de neuf ans. « Si grave est le serment dont les dieux
ont pris pour garante l'eau éternelle de Styx, l'Océanienne 40 , qui
court à travers un pays rocheux» (v. 805 sq.).
277
LA GRÈCE DE PERSONNE
* L'astérisque renvoie au texte grec, reproduit au début des notes, p. 443 sq.
289
LA GRÈCE DE PERSONNE
leurs conduites. C'est une chose très simple, qui ne laisse pas
d'être d'une importance capitale, que cette lutte sans doute très
violente, engagée en faveur d'une réflexivité pure qui se refuse à
admettre toute forme, sans exception, de fondement préalable
, .
ex teneur.
Le parti pris se fait connaître dès les premiers mots de ce prologue,
« parodique » dans le sens large, qu'est le fragment 1, reprenant
dans sa forme, dans le sens d'une «reprise», d'autres prologues
écrits avant lui 15• Le contenu est d'abord «celui-ci», portant sur
la situation même du discours: montrer ce qu'il en est, ce qu'est
un programme, et quel est l'usage qu'on fait du genre de l'arkhe,
du commencement. C'est le contraire d'un discours immédiat« sur
le tout », ou « du tout », comme le montre l'emploi, si éloquent
dans sa précision et sa singularité limitatives, du démonstratif, arra-
chant le logos à une autre référence, à tout emploi qui ne serait pas
autoréf érentiel.
Aristote, dans un fameux passage de la Rhétorique 16, cite ce
début pour montrer qu'il est difficile dans le livre d'Héraclite
de regrouper les mots, tant leur autonomie, et partant la liberté de
construction, sont grandes. Dans la première phrase : « Or, du
discours qui est celui-ci, toujours les hommes vivent loin par
l'intelligence », on peut ponctuer en séparant un deuxième membre
de phrase après « toujours » : « Ce discours-ci, qui est toujours
[ou: est toujours vrai] 17, les hommes sont [ou: évoluent] sans le
comprendre.» C'est l'éloignement de la vérité éternelle. L'adverbe
«toujours» va avec « qui est» 18• Ou bien on coupe avant « tou-
jours», en prenant le démonstratif comme prédicat:« Ce discours,
qui est celui-ci» (tel que je le présente) 19•
La première de ces deux interprétations peut paraître plus
naturelle, et Aristote la considère comme telle, ajoutant que le texte
tel qu'il est formulé n'oblige pas à s'en tenir à cette« évidence»,
que suppose la lecture ontologique à laquelle il se réfère 20 • Il ne dit
pas : c'est ceci ou cela, mais : ce n'est pas nécessairement ceci 21•
La remarque d'Aristote tient compte de pratiques d' interpré-
tation. Il ne dit rien d'une ambiguïté essentielle, ne laissant pas la
question ouverte, mais montrant la difficulté. Partant d'une lecture
« naturelle » déjà établie, Aristote s'intéresse à la manière dans
l'énonciation, et elle ne lui paraît pas claire. Son témoignage porte
292
LELOGOSHÉRACLITÉEN
L'art est bien d'écouter, non moi, mais la raison, pour savoir
écouter toute chose-une (fr. 50 *) 24 •
293
LA GRÈCEDE PERSONNE
est partielle ; il n'y a pas, comme pour l'arc, une homonymie révé-
lant la structure contradictoire.
La phrase, ainsi comprise comme une analyse du processus de
la dénomination, dans sa double fonction, n'a plus la portée prédi-
cative de révéler l'ambivalence fondamentale d'aucune puissance
hypostasiée. Il y a, en faveur de cette conclusion, l'opération lin-
guistique que désignent les mots de « nom » et d '« être dit», mais
également la formule de présentation : « Un, le savoir», si l'on
considère que sémantiquement le «savoir» (sophon), qui est un
« savoir-faire », ne porte pas sur un contenu apophtegmatique 32
mais sur la maîtrise d'une chose par l'analyse. Que seraient, à
défaut de ce report sur les moyens d'expression, le «savoir», et
l'unicité de la limitation à cet unique procédé ( « un »)? Quelle
autre unicité que l'unique référence 33 ? « Un, l'art» - la valeur de
«un» est restrictive, exclusive: « C'est toujours cette opération-
là »; il n'y en a pas d'autres.
«Un», ce ne sera pas la totalité «une», mais une restriction -
l'exclusivité d'une technique ou d'une compétence (sophie). « Ce
qui est vraiment savoir [to sophon est déterminé], c'est cela, cette
chose exclusivement. » La formule est récurrente dans les frag-
ments attestés (elle l'était sans doute davantage dans le livre com-
plet), se rapportant toujours au même principe d'analyse 34 • C'est
encore un tour de la langue ; la formule préexiste, ou bien elle en
parodie une autre, la langue est réemployée pour faire apparaître sa
structure. Ce que l'on dit est ce qui fait le savoir. Rien n'empêche
de le supposer, en précisant que la prédication d'une affirmation
spéculative - un « tout est un » ou encore ce « toutes choses, un »,
réintroduits dans Héraclite par l'une des traditions doxogra-
phiques 35 - n'a pas été détournée, dans la phrase écrite, pour que
lui soit substitué l'acte de parole - cet acte que les phrases auscul-
tent systématiquement comme étant l'unique chose dont on puisse
dire en l'analysant qu'il n'y a rien d'autre en fait de savoir. On ne
,1dit ni cet Un, que serait un Zeus, ni aucune unité, mais l'unicité de
cette structure particulière, inhérente au langage qui anime toutes
les pensées comme les discours qu'ils sont, sans se comprendre
comme tels.
298
LELOGOSHÉRACLITÉEN
vait s'adresser le livre, dont les interprètes vont même jusqu ·à faire
le credo d'Héraclite, n1ais pour exprin1er la difficulté d·en justifier
les termes au sein de la structure du logos. Savoir« dire ensen1ble >>
(honzologein), au sein de la contradiction inhérente et constitutive.
Héraclite ne rejette aucun systè1ne. Ce serait n1ettre autre chose
à la place. Le réemploi montre que l'examen est plus critique, qu'il
s'interroge sur le sens de ce que l'on dit, ou sur le n1oycn d'en jus-
tifier l'emploi. L'axiome repris ne sera pas nié, il sera re-dit, chargé
d'un contenu nouveau qui en transforme la signification contre ses
auteurs et ses usagers. Que disent les mots?
Les quatre fragments (50, 32, 41 et 108 *) où la nature de l'art,
du sophon, peut être identifiée et comme localisée 40 rapportent
le terme à cette écoute extérieure, traversée des discours, jusqu'à
percevoir le discours comme tel. Le fragment 108 * établit la dif-
férence la plus stricte :
- des discours (au pluriel) sur une matière, face auxquels le «je»
des fragments, d'où parle le sujet séparé que construit Héraclite,
se dresse en «écouteur» (ëkousa) 41• La matière du savoir que
la parole organise l'entraîne et l'écarte de l'écartement, d'où se
constitue le point archimédique de l'écoute, lorsqu'elle fait cet art
hors matière, séparé de toutes les matières discourues. Parlant, on
ne pouvait y parvenir. Tous les aphorismes ont pour préalable ce
ressort premier d'une distance hors parole, qui détermine, sur un
fond d'absence ou de négation, le choix des mots.
Le point de vue de l'extériorité est autonomisé dans la formule
récurrente, « un, l'art [de savoir] » qui, chaque fois qu'elle apparaît,
présente le résultat d'une écoute absolue, la contradiction révélée
par le « nom de Zeus » (fr. 32 *), ou par la fannule du gouveme1nent
universel, appliquée aux principes cosmiques (fr. 41 *) 42 • L'applica-
tion, à savoir la justification, est particulière1nent ardue dans le cas
de «tout-un», dont le caractère spéculatif peut ou doit, d'abord,
paraître trop manifeste. Le dépasse1nent sera un tour de force. Les
difficultés de traduction rencontrent un problèn1e sérieux sur le
fond, logique ou philosophique, lorsqu'on entend : « La sagesse
302
LELOGOSHÉRACLITÉEN
310
LIRE LE THÉÂTRE
,
Avec les Electre antiques, une situation privilégiée de la trans-
mission des textes et del' histoire littéraire se présentait à moi. Une
analyse des pratiques conduisait une nouvelle fois à se heurter au
blocage de la lecture et au cas Wilamowitz. Le philologue fut assez
franc et audacieux pour dire lui-même ce que l'analyse cherche à
mettre à nu à travers lui. La science progressait et restait sur
place, ne pouvant se défaire de ses entraves. Rédigeant un com-
mentaire et travaillant à une traduction de la pièce de Sophocle
qui verra, je l'espère, bientôt le jour, je me suis efforcé de savoir
aussi quelle était la compréhension d'ensemble des philologues au
sujet de chacune de ces pièces. Je l'avais fait pour l'Œdipe roi
dans un commentaire de la ligne et du mot. La question, le plus
souvent, n'est guère posée et, quand elle l'est, elle n'est guère arti-
culée sur les mille et une observations faites sur le texte et sa
grammaire. De la langue, on passait aux idées. Il m'a semblé avoir
découvert le « nœud » de l'incompréhension dans le désintérêt des
interprètes à l'égard de l'interprétation de l'action dramatique. Or
celle-ci a été faite par le poète lui-même ; il est le premier metteur
en scène de la pièce. Le « caractère » avait une position quasi
sacrée ; il portait le sens parce que , les valeurs s'étaient incarnées
en lui, qu'ils' appelât Antigone, ou Electre. On pouvait se satisfaire
de la grandeur mythique d' Electre, au-delà du bien et du mal; le
meurtre de la mère pouvait être justifié et Oreste ne pas être cou-
pable, lors même que l'on s'interrogeait et que l'on s'étonnait de
voir Sophocle faire le silence sur une question aussi cruciale. Le
préalable interdisait de rechercher le problème que pose la pièce.
Il est très étonnant pour nous de voir que vers la fin du x1xesiècle,
en pleine expansion de l'activité scientifique, le mythe était consi-
313
LA GRÈCE DE PERSONNE
Histoires de la littérature
L'impossible Euripide
Un modernisme neutralisé
316
LES DEUX ÉLECTRE
320
,
LES DEUX ELECTRE
,
L'Electre de Sophocle
Des héros
,,
La présence d'Electre sur scène peut être comparée, dans les
pièces conservées, à celle ,, d'Œdipe dans les deux Œdipe, Œdipe
roi et Œdipe à Colone. Electre est toujours sur scène. Et pourtant
l'action aboutissant au châtiment des meurtriers du roi défunt ne
dépend pratiquement pas d'elle. Une coupure sépare deux
intrigues; d'une part,, il y a la révolte, le malheur, les humiliations et
les lamentations d 'Electre, et d'autre part le stratagème développé
dans le prologue qui fait passer Oreste pour mort. L'une croise
l'autre, et l'aspire, mais sans conséquence réelle pour son déroule-
ment. C'est ce qui a frappé Wilamowitz lorsqu'il observe que la
scène de l'urne est inutile ,,
22 ; on devait aller droit à la reconnais-
daire que le rôle qu'il quitte. « S'il me faut parler ainsi [ ... ] », avec
des «Malheur! » et des « Comment cela se pourrait-il! » 28• La
scène de la reconnaissance, le modèle du genre del' anagnorisis, est
en fm de compte (je m'en suis persuadé) plus jouée qu'on ne pense,
de la part d'Oreste qui donne le ton, et de la part de sa sœur, qui est
obligée de, le suivre, quoi qu'il lui coûte d'abandonner le rôle noc-
turne d' « Electre » qu'elle représentait jusque-là. Il n'y aura ensuite,
,
après le rite du chant alterné, après les retrouvailles, plus d'Electre.
Son rôle est terminé. La leçon tragique du temps, faisant voir les
choses, que sa sœur Chrysothémis a su évoquer pour elle, dans
l'échange implacable et décisif sur lequel se ferme la scène de délire
du deuxième épisode (v. 1015-1057), est déjà , une fin 29• Mais il y a
pire que le châtiment qu'elle prédisait. Electre disparaît dans un
autre abîme où le néant même qu'elle appelait se néantise.
Le deuxième stasimon (v. 1058-1097) apporte l'apaisement et
revêt une fonction de transition entre la crise et un avenir qui n'est
pas fermé, après le drame de la mort fictive d'Oreste. L'échec est
manifeste : mais il existe une autre issue, assurée par les morts. Le
chœur revient à l'ordre, à savoir à la cause de la, tragédie, le
meurtre non vengé. Il en reformule les termes pour Electre, après
avoir exprimé une réprobation inconditionnelle de ses excès.
L'héroïne fait l'expérience du rien, elle prend la mesure de
l'inutilité de la transgression de l'ordre effectuée au nom de la jus-
tice du père. Oreste, le vrai, non le sien, en l'accueillant, l'intègre
maintenant comme on le ferait d'une dissidence, en lui assignant
une place à ses côtés. Elle aura son rôle, dans la vraie nuit, au cours
du déchaînement des forces chthoniennes, sachant faire sa Clytem-
nestre 30 • Elle avait bien dit auparavant à sa mère avec effronterie
qu'elle avait de qui tenir (v. 608 sq.). Mais la fonction, il faut
bien le voir, lui est quasiment dévolue par devoir et par affection
familiale. On lui ménage une place dans la bande des vengeurs et
des exécutants 31• Les meurtres se font avec elle, d'une manière qui
fait sentir qu'ils se feraient sans elle, peut-être aussi bien. Dans
l'action, elle reste hors action.
Il faut
, accentuer très fortement l'alliance saisissante d'Apollon et
des Erinyes, qui rappelle la collaboration parfaite
, des Olympiens et
des Chthoniens dans Œdipe à Colone. Dans Electre, la vengeance a
cette double légitimation. L'intrigue majeure fait solliciter à Oreste
325
LA GRÈCE DE PERSONNE
,,
l'aide des morts, elle dissocie les deux trames et elle isole Electre,
écrasée par l'avènement chthonien de ce qu'elle-même dit qu'elle
poursuit sur terre. L'action aurait donc échoué en réussissant.
Il existe une seconde motivation, comme subsidiaire, qui n'est
pas moins chthonienne, déclenchée par les frayeurs que le rêve
divin inspire à Clytemnestre. Les offrandes qu'elle envoie sur
la tombe d 'Agamemnon
,, pour apaiser le courroux du mort sont
détournées par Electre. L'enceinte de la tombe restera réservée aux
adversaires. La reine implore le dieu : qu'il lui laisse ce qu'elle a
(v. 634-649). Luttant dans la prière contre sa peur, elle sera d'autant
plus disposée à accueillir la nouvelle de la fausse mort d'Oreste
quand elle arrive, parce qu'elle fait en apparence disparaître la
menace de sa propre mort. Les Chthoniens, manifestement, mènent
le jeu.
On voit bien à quoi sert, ou a servi, dans la critique, l 'héroïsation
qui s'appuie sur la stylisation héroïque et faussement homérisante
de Sophocle. Elle avait pour effet d'effacer le dédoublement des
sphères dans la communauté factice du couple,, fraternel au profit
d'une femme de l'espèce des Walkyries, cette Electre déchaînée et
virile qui, d'un bout à l'autre, tient le rôle principal. La continuité,
même temporelle, de l'intérêt n'est alors aucunement brisée.
Quelle que soit la résistance du texte, le caractère est supposé faire,
comme dans Ajax et dans les Trachiniennes,
., l'unité de la pièce .
Pourtant, si l'on enlève à Electre l'initiative, y a-t-il ., encore
concomitance d'un espace à l'autre? Dans l'esprit d'Electre non
plus, l'alliance n'existe pas, elle fait comme si elle n'avait plus de
raison d'être, ou qu'elle était dépassée. Quelle est alors la tragédie
qui se joue ? Les excès dont parle le drame sont commis par elle,
du côté de la cause de justice, telle qu'elle la soutient et la fait être.
<<Pathos » et « praxis »
Tragédie comparée
,
Les« Choéphores» et les deux« Electre»
,
Schlegel a étendu aux Electre des trois tragiques son histoire
comparée. La comparaison devait tenter les critiques. L'incitation,
peut-être à tort, n'était pas aussi nette dans le cas des Phéniciennes
328
LES DEUX ÉLECTRE
"
Bien que personne ne doute que I 'Electre de Sophocle appar-
tienne à sa dernière période, celle du Philoctète, et que l'on croie
"
pouvoir assigner une date à I 'Electre d 'Euripide, on devrait pou-
voir s'entendre sur la relation des deux pièces. Wilamowitz avait
refusé de mettre les observations forme lies au premier plan aux
dépens d'un contenu qu'il appelait « âme », pour rester libre de sa
lecture. Les besoins de sa démonstration lui faisaient toujours iso-
ler l'aspect romantique.
Si la question de la priorité est aujourd'hui souvent considérée
comme indécidable, c'est par timidité méthodologique, parce
qu'on croit manquer de critères sûrs. Une intertextualité fermée et
déterminée permet de décider qu'un texte a dû préexister parce
qu'un autre s'y réfère clairement, dans l'espace d'une prise de dis-
tance repensée. A l'évaluation comparative, qualitativement cri-
tique, se substitue l'appréciation de la reprise. On la trouve dans le
texte, avant de l'avoir comme objet dans les mains de l'interprète.
La différence entre les conceptions esthétiques ne se manifestera
pas moins, mais la réfection fait saisir une position qui n'est en soi
ni dogmatique ni polémique, comme on l'a cru, plutôt rivale et
concurrentielle. L'écart sera d'autant plus important, et plus facile
à saisir qu'il est plus intimement lié à la production.
La proximité du sujet, de toute façon, est grande. L'Orestie de
l'Odyssée, puis d'Eschyle, est présente à l'esprit dans ces pièces;
on le voit même sans admettre que la trilogie a été rejouée - ce qui
se pourrait -, mais le texte a pu interférer sans représentation nou-
"
velle, comme pour l 'Electre de Sophocle. La comparaison aura la
force d'une analyse des modes de réfection et de la contradiction.
La langue travaille, elle se libère, en se ralliant à une orientation
" .
prec1se.
"
L' « Electre » d' Euripide
pouvaient tout dire et ne disent rien. Le dieu a été sage, ,,sans doute ;
en même temps il ne l'a pas été, ne pouvait pas l'être. Electre a agi
spontanément en accord avec le dessein du dieu, et maintenant elle
contemple devant elle l'étendue du désastre.
Apollon est à l'origine de l'action meurtrière (v. 1296). Mais les
Dioscures auraient pu l'empêcher en tenant au loin les déesses de
la mort ; ils étaient frères de la victime. La réponse théologique des
exégètes est convenue. La langue de bois fournit à peine les tennes
qu'il faut; il faut les accumuler. L'obligation, découlant d'une
nécessité, pèse sur un destin ; ou bien l'on dira que l'obligation pra-
tique traduit la loi fixée par le destin : l '« obligation » en effet mon-
trait la voie, suivant la« nécessité du destin». Apollon n'a fait que
suivre 40 , n'étant ni souverain
,, ni arbitraire, ni l'un ni l'autre, mais
s'adaptant à la situation. Electre proteste ; il n'y avait pas d 'Apol-
lon pour elle, mais la plus légitime des haines, qui à la fin s'est
retournée contre eux. Les Dioscures sont capables d'évaluer la
raison théologique. Ils savent distinguer le bien, courant de bateau
en bateau, de détresse en détresse. Aussi jugent-ils parfaitement la
situation et assistent-ils lucidement à l'éloignement des expatriés.
Oreste avait raison de redouter les conséquences de sa mission
parce que l'action est plus puissante que toutes les raisons que l'on
invoque pour l'accomplir. Il va encore trinquer. Le drame s'accom-
plit ainsi en deux temps qui répondent à deux situations inconci-
liables. Il fallait d'abord ,, vouloir, puis on découvre ce que c'est
qu'on a voulu. Oreste et Electre à la fm sortent de leur rôle ; ce n'est
pas fmi du tout comme dans Sophocle. Ils quittent l'action, mais
ont toujours une vie devant eux; ils entrent dans la tragédie, c'est-
à-dire dans la sphère où les tragédies se défont. Les meurtres
devaient se faire, mais pour rien, sans rétablissement.
Rien, dans ce jeu, tel qu'il est monté, ne conduit à remettre en
cause le cadre traditionnel de l'histoire. Wilamowitz, en soutenant
qu 'Euripide était revenu à Eschyle, désigne en fait cette perma-
nence d'une référence mythique. Ce n'est pas la variation inhérente
au mythe, liée à sa propre prolifération : les différenciations se font
reconnaître comme telles, s'ajoutant à ce qui se maintient ,, d'une
structure première. Il n'est pas question de ne pas tuer Egisthe ou
Clytemnestre, ni même de renoncer à la ruse comme moyen d'y
parvenir, mais la ruse est naturalisée, déshéroïsée; rendue à ce
334
,
LES DEUX ELECTRE
338
LIRE LE SIGNIFIANT
d'un jugement, répond aux deux critères de« justesse». Les noms
propres en offrent l'exemple le plus évident. Hermogène est un nom
juste, puisque le personnage répond à cette désignation, mais le
nom est faux si l'on en analyse la signification : fils d'Hermès. Il ne
convient pas au dénuement du personnage, il est en contradiction
avec la misère du déshérité qu'il se trouve être. La double raison du
nom fait que Cratyle peut soutenir qu'Hermogène ne s'appelle pas
Hermogène, Hermogène comprendre pourtant que la contestation
s'applique à lui. A la fonction déictique du nom Hermogène s 'op-
pose la valeur apodéictique que l'on tire de son analyse étymo-
logique : Hermo-genës.
On ne saisit ni le propos ni la portée du dialogue, si l'on perd de
vue que le débat porte exclusivement sur la valeur prédicative ; il
s'agit d'étudier les mots en tant qu'ils occupent la place propre à
révéler le sens dans un jugement (logos) qui n'est jamais formulé.
Le nom de Zeus est au fond comme une définition (396a). Chacun
des mots étudiés se divise en un élément déictique, qui tient le rôle
de sujet, et un élément apodéictique ou étymologique, qui constitue
le prédicat.
L'identité qu'exprime ordinairement dans une proposition expli-
cite le verbe «être» (Hermogène est ou n'est pas fils d'Hermès)
est, dans le jugement implicite de l'analyse onomastique, suggérée
par l'affmité phonique du mot (onoma) et de ce qu'il dit en vérité,
en disant vrai (rhëma), par son etumon. Ainsi sur le modèle qu'en-
gendre la flexion, on obtient la vie du nom de Zeus (Zèn = zèn).
Par l'interversion des phonèmes que produit l'itération des sons le
nom d'Héra dit l'air (Hëra = aër). L'identité phonique même
confère au tout le nom de Pan, et la césure inspirée fait trouver
dans
, la vérité fuyante l'errance divine (alë-theia).
Elucider de la sorte les mots au moyen d'autres mots conduit à
épuiser les ressources de la langue. Ne restent finalement que
quelques termes fondamentaux et opaques qui résistent à l'analyse,
et qui, à moins que l'on fasse appel à une origine étrangère, barbare
ou divine, demanderaient, pour être étymologisés encore, d'autres
audaces.
Comme les mots avaient été tenus pour vrais en tant que partie
d'une proposition vraie, de la même manière, leurs éléments consti-
tutifs, les phonèmes, doivent être considérés comme justes. Par un
343
LA GRÈCE DE PERSONNE
"
justesse du mot ne conduit précisément pas à la vérité de l 'Etre.
Dans la mesure même où l'on tient à la préserver, on ne peut pas ne
pas reconnaître la nature totalement et nécessairement arbitraire du
signe. Inversement, Cratyle, que l'on pose en défenseur hautain de
la vérité inaltérable des mots, et qui se rallie avec empressement
au système pour se prévaloir de la cohérence qu'il construit, est
contraint, à la fin du dialogue, de laisser tomber le masque de son
mutisme. Il fait l'aveu de l'incapacité où il se trouve de distinguer
le vrai du faux. La démonstration, empruntée mais rigoureuse,
puise dans l'arsenal des procédés dialectiques. Elle échafaude,
dans l'espace ménagé par le silence de Cratyle, un ouvrage d'art
si élaboré qu'à chaque instant le lecteur, dérouté, risque de se
méprendre et de confondre le sérieux incontestable du projet avec
la fmalité douteuse qui lui est assignée. La réussite dans l'exégèse
linguistique, toutes les prouesses, l'acrobatie de plus en plus verti-
gineuse de l'argumentation ne servent qu'à rendre plus éclatante
une chute longtemps retardée.
La recherche débouche sur le conseil, abrupt et décevant, de lais-
ser l'onomastique et de revenir à la contemplation des formes
immuables. Mais abandonner si ouvertement l'espoir de tirer des
noms autre chose que ce qu'ils sont, ce n'est pas annuler le résultat
acquis par un effort gigantesque. Il suffit que l'on détache de l'in-
ventaire des étymologies la prétention à la science qui s'y insinue,
parce qu'elle masque et doit être démasquée, pour que le propos
véritable se fasse voir. Les séries de noms que Socrate retient pour
les mettre à l'épreuve du délire analytique s'organisent alors en un
ensemble cohérent qui reproduit les différents ordres, théologique,
physique et social, de la tradition culturelle. Image mythique et
parlante de l'univers, le langage toujours créé et refait, bien que
toujours déjà transmis, n'a de références qu'internes et ne renvoie
jamais qu'à lui-même. Loin d'entasser les vocables pour escalader
le ciel de la connaissance« vraie», la jonglerie, opérant avec l'éty-
mologie, épuise le langage, elle exploite l'acquis, tout le savoir
accumulé par les générations. La richesse de l'information se dissi-
mule sous l'habit d'un éclectisme enjoué, mais elle repose sur une
documentation doxographique très soigneusement établie.
Alors qu'il est relativement simple de ramener à l'unité du genre
les noms propres qui désignent une fonction sociale comme celle
345
LA GRÈCE DE PERSONNE
TODTNAUBERG
in der
Hütte,
Waldwasen, uneingeebnet,
Orchis und Orchis, einzeln,
349
LA GRÈCE DE PERSONNE
die halb-
beschrittenen Knüppel-
pfade im Hochmoor,
Feuchtes,
vie/.
Le poème
350
LE MONT DE LA MORT
L'entrée
à la
chaumière 2,
elle, au livre
- quels noms consigna-t-il
avant le mien?-,
elle, à ce livre,
la ligne inscrite et son
espoir, à présent, dans le cœur :
la venue
d'un mot-
d' un pensant,
[ ...] .
hommage amical à son hôte. C'est ainsi qu'on a souvent voulu l'in-
terpréter. Mais une lecture de ce genre suppose que l'on fasse entiè-
rement abstraction de la valeur des mots. En vérité la relation entre
les deux niveaux de langage est comparable à celle qui peut exister
entre le cube stellaire sculpté et la fonction qu'il revêt dans le
contexte. Ainsi, le mot « pensant » peut faire penser à Heidegger le
penseur; seulement Celan, dans son œuvre, n'en fait usage qu'à pro-
pos de la remémoration et de la commémoration; de même le mot
« cœur » est régulièrement conçu comme un organe du souvenir, et
cette direction sémantique détermine le sens des autres mots : l'es-
poir, si l'on se tient à l'instant constitué, s'appuie sur une prise de
distance à l'égard de tout ce que représentent les noms de l'album ; il
reste rattaché à !'aujourd'hui; le présent à son tour se ramène à ce
que le livre est devenu dans ce texte : ce livre écrit, réécrit.
Enfin l'épithète « à venir» (kommendes) concerne moins la
parole de l'avenir qu'un énoncé qui va s 'actualiser, « advenir>>, et
aller à son destinataire. L'attente formulée par Celan ne s 'accom-
plira pas, mais il n'est pas moins important pour la compréhension
de l'ensemble de considérer le fait qu'elle a été exprimée. Par ce
moyen le poète retient le défaut : le philosophe ne dira pas ce que
le poète pourrait être venu lui demander de dire, qu'il lui suggère
de dire, mais il sait qu'il ne le fera pas. A l'absence répondra dans
la seconde partie du texte une confrrmation des raisons qui l 'empê-
chent de le faire. La parole s 'actualise dans l'aveu ouvert, révélant
la continuité d'un attachement au passé.
355
LA GRÈCEDE PERSONNE
356
LE MONT DE LA MORT
La descente
362
LE MONT DE LA MORT
Le dossier
Le témoin
plus gênée encore. « J'ai été fortement bouleversé (au sens propre),
et je me rends compte que l'appel formulé dans le poème s'adresse
aussi à moi [ce qui n'est pas le cas, pas de cette façon-là] ; j'ai des
raisons qui me font redouter de ne pas être à la hauteur de cet appel
[c'était le cas]. Je vous demande de l'indulgence, conservez-moi
votre bienveillance. » Il semble demander la permission de se reti-
rer, et de se soustraire aux conséquences d'une affaire à laquelle il
ne tenait pas à être mêlé 42 •
Baumann, dans ses souvenirs 43 , rapporte qu'au cours d'une
rencontre qui eut lieu le 24 mars 1970, peu avant sa mort, Celan
regrettait de ne pas avoir reçu de Neumann l'article que celui-ci
avait écrit sur la « métaphore absolue 44 ». Sa curiosité devait être
éveillée. On comprend que Celan, plus tard dans la soirée, se soit
mis dans une colère noire, quand il en eut pris connaissance. Il
apprenait que l'éclatement métaphorique dans sa poésie ne parve-
nait pas à saisir le réel ; l'auteur pensait à une réalité si dépravée
qu'elle échappait à la possibilité d'une saisie signifiante. L'éclate-
ment verbal traduisait la décomposition du monde. Neumann
croyait rencontrer, dans l'une de ses manifestations variées, la
doctrine de la dégradation technologique, si fortement présente
chez Heidegger, et pouvait s'appuyer sur elle. Elle avait dominé
tout un pan des interprétations proposées de l 'œuvre de Celan.
Les relations entre Celan et Neumann se sont alors irrémédiable-
ment gâtées. L'incompréhension révélait un manque de solidarité.
«L'homme» du poème n'était donc pas un homme; il n'était pas
l'incarnation du non-inhumain. Baumann, lorsqu'il présente l'inci-
dent, prend implicitement le parti de son jeune assistant : il avait
mis le doigt dans son étude sur le caractère inintelligible d'un art
auquel le pauvre poète restait attaché. La décomposition qu'il retra-
duisait était l'expression de son destin absurde. Il fallait conserver
le mystère. C'est là une autre tendance encore de l'histoire de l'ac-
cueil réservé à Celan. Il avait essayé de dire l'indicible avec plus
ou moins de bonheur. Sa maladie porte le témoignage d'une trans-
gression. Le mystère ne se laisse pas nier.
368
LE MONT DE LA MORT
Variantes
kommendes (un-
gesiiumt kommendes)
Wort
369
LA GRÈCE DE PERSONNE
Lectures
La paix de l'âme
L'école de la dureté
pas que la figure qui guide Celan dans ses poèmes puisse rappeler
l'étoile de David ou l'étoile jaune que les juifs ont été contraints de
porter ; non, dans ces lieux, ils n'étaient pas, ces hauteurs ne les
désiraient pas. C'était vrai à côté, là où vivaient les juifs. Ni l'idée
que la fleur jaune évoque cette réalité. Ni que le cube puisse être
autre chose. Le mot Würfel désigne bien un cube où l'on retrouve
le dé mallarméen que l'on jette et qui indique le nombre.
Dans un article de 1988 intitulé « La promenade dans le marais 65 »,
Pôggeler est revenu sur cette présentation des choses. Il écrivait
maintenant plus clairement - c'était après l'explication que j'avais
donnée du texte au séminaire-colloque qu'il avait organisé à Bochum,
le 2 juillet 1985 : « Heidegger ne soupçonnait pas le moins du
monde quelles étaient les pensées qui occupaient Celan quand ils
s'enfonçaient dans le marécage.» Il ne dit (et ne voit) pas ce qu'elles
représentaient, mais il admet l'existence d'un fossé.« Le mot devait
en même temps [en même temps qu'autre chose] parler de 1933. »
J'avais dit qu'à la clairière, qui, pour Heidegger, était la figure du
A
377
NOTES (Ulysse chez les philologues)
d'autres, elles n'ont rien à voir avec les Symplégades, situées près du Bosphore,
ni avec Jason. Voir mon article « Note sur l'épisode des Planctes » ( 1976).
14. Au contraire, le double nom doit permettre de se demander pourquoi
les dieux parlent ici différemment des hommes et, si l'étymologie est
«errant», pourquoi, pour eux, les Planctes errent.
15. K. Meuli, op. cit., p. 89. Mais si les Planctes n'offrent plus de danger,
pourquoi Circé ne conseille-t-elle pas à Ulysse de prendre ce chemin?
16. V. Bérard, op. cit., p. 122.
17. Ibid., p. 113 sq., note au vers 61 ; Bérard ne construit pas XXIII, 327
comme XII, 260 : sinon, il aurait dû identifier les Planctes avec Charybde et
Scylla.
18. R. Merkelbach, op. cit., p. 205. On ne fait guère mieux, mais les cita-
tions de ce genre pourraient être multipliées. Jack Lindsay, The Clashing
Rocks, Londres, 1965, écrit, p. 8 : « En mentionnant le fait que la légende
d' Argo est connue de tous, [Homère], selon moi, ne fait que dire avec tact:
"Je sais que j'ai emprunté à ce conte tout ce qui a trait à ces passes dange-
reuses, c'est pourquoi je désamorce la critique par un aveu à mots couverts."»
Le tact d'Homère est sans doute le tact du critique.
19. Il ne peut s'agir ici de donner les éléments d'une interprétation qui doit
tenir compte de l'ensemble des Aventures et qui a été esquissée au cours de
,I'
378
NOTES (Ulysse chez les philologues)
379
NOTES (Ulysse chez les philologues)
380
NOTES (Ulysse chez les philologues)
381
NOTES (Ulysse chez les philologues)
principe, fixé par l'écriture. D'où la possibilité offerte aux critiques de distin-
guer les « insertions » du main composer, créatrices et vivantes, des « inter-
polations» destructrices des rhapsodes.
58. « [ ... ] principalement parce que certaines anomalies, aussi bien dans
la composition que dans l'énoncé, sont de telle nature que l'hypothèse d'une
origine orale parvient le mieux à en rendre compte » (A. Hoekstra, op. cit.,
p. 18, n. 2).
59. G.S. Kirk, op. cit., p. 234 sq.
60. Ibid., p. 251.
61. Cf. G.S. Kirk, ibid., p. 262 sq., combattant des interprétations structu-
rales qui se condamnent elles-mêmes par leur formalisme.
62. En accord avec les observations faites sur les bardes, la théorie de l'oral
poetry part de l'idée que le principe moteur de la composition chantée est
l'improvisation, et que ce mouvement renouvelle les éléments traditionnels.
Suivant cette distinction, Hoekstra demande que soient considérées comme
des interpolations les répétitions littérales, ou que l'oral poetry soit enrichie
par une technique rhapsodique de récitation.
63. A.B. Lord (op. cit., p. 130 sq.) croit que l'oralité se déflilÎt par le nombre
des formules, comme si, avec l'apparition de l'écriture, toute une tradition
culturelle et d'expression pouvait être abandonnée. Les marques de l'oralité
ne sont pas signes que la poésie n'a pas été écrite.
64. Ibid., p. 156 sq.
65. Ainsi les scribes complétaient-ils les répétitions, indiquées seulement
dans la dictée par l'aède: cf. A.B. Lord, « Homer and Other Epic Poetry », in
Alan J. Wace et Frank B. Stubbings (éd.), A Companion to Homer, Londres,
1962, p. 195. Mais cette dictée appartient à un âge mixte, entre l 'oralité et
l'écrit ; pour Lord, cette dictée est « orale ».
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39. Erinnerungen, 2e éd., p. 314 sq. : « Après les expériences que j'avais
faites en Grèce, il me sembla particulièrement indiqué de cultiver mes rela-
tions avec les épigraphistes français, qui faisaient un travail si remarquable. »
L'édition des inscriptions d' Amorgos et de Délos dans le corpus des Inscrip-
tiones Graecae est le fruit de cette collaboration. En 1908, le rapporteur
(A. Puech) de la commission des travaux et concours de l'Association pour
l'encouragement des études grecques cite, au sujet du prix décerné à l'édition
des inscriptions d'Amorgos (/G XII, 7) de Jules Delamarre (1867-1909)
(achevée avec l'aide de Hiller von Gaertringen), ces paroles de Wilamowitz
sur la collaboration franco-allemande que ce dernier se plaît de son côté à
reproduire dans ses Erinnerungen.
40. U. von Wilamowitz, Aischylos. Interpretationen,Berlin, 1914, p. 240 sq.;
M. Croiset, Histoire de la littérature grecque III, Période attique, tragédie,
comédie, genres secondaires, Paris, 1891, p. 172.
41. La tragédie a été représentée, selon Roussel, entre 478 et 473
(« Remarques sur les Suppliantes et le Prométhée d'Eschyle », Revue de phi-
lologie 44 [1920], p. 241-247). Mazon corrige Roussel, mais dans le même
esprit et selon la même méthode, en datant la pièce de 493-490 (après 495,
avant 491) : « Un des morceaux les plus importants de la pièce, le chant d 'ac-
tion de grâces des Danaïdes (625-709), ne s'explique pleinement, dans sa
structure générale et dans ses détails les plus significatifs, que si l'on admet
qu'il a été écrit sous l'impression du désastre infligé par Cléomène à Argos
vers 493. Pareille impression a dû s'affaiblir vite à Athènes devant le péril
médique » (notice des Suppliantes, Eschyle I, p. 3). On sait que toutes ces
supputations ont été vidées de leur contenu par la publication en 1952 des
restes d'une didascalie dans le vingtième volume des Papyrus d' Oxyrhynchus.
42. Cf. U. von Wilamowitz, Interpretationen, op. cit., p. 114 sq.
43. « Il fut, dans la réforme de notre
, enseignement supérieur,
, un des
ouvriers de la première heure » (à l'Ecole normale et à l'Ecole des hautes
études), et il « a étendu jusque dans le domaine de nos recherches antiques sa
forte et bienfaisante influence » (Charles Diehl, Revue des études grecques 25
[1912], p. LVI).
44. « Édouard Tournier, dont nous suivions au collège Sainte-Barbe les
conférences de préparation à la licence, nous avait enrôlés pour faire, suivant
son
, expression "des conjectures" à ses conférences de philologie grecque»
(Emile Chatelain, au sujet des années d'études de Jules Nicole à Paris, dans
Jules Nicole. 1842-1921, Genève, 1922, p. 77). Les conjectures des membres
du séminaire (parmi lesquels, outre Nicole, l 'écrivain Paul Bourget, Chate-
lain, Charles Graux, ces deux derniers
, futurs paléographes, l'abbé Louis
Duchesne) sont recueillies dans E. Tournier (éd.), Exercices , critiques de la
conférence de philologie grecque (« Bibliothèque de l'Ecole des hautes
études», 10), Paris, 1875.
45. L. Parmentier, « Notes sur les Troyennes d'Euripide », Revue des études
grecques36 ( 1923), p. 46-61 ; cf. p. 51.
46. M. Croiset, Revue des études grecques 12 ( 1899), p. IX.
387
NOTES (M. de W.-M. en France)
388
NOTES (M. de W.-M. en France)
l'instructionpublique en Belgique 37 ( 1894 ), p. 317-331 ; voir p. 318. « Cau-
sarum finalium inquisitio sterilis est [Bacon] », écrit Henry de la Ville de
Mirmont (1858-1925), dans un compte rendu d'un livre de René-Julien
Pichon ( 1869-1923) sur Les Sources de Lucain ( 1912) (Revue universitaire
22, 2 [1913], p. 240 sq.), à propos de la recherche des sources, « où se com-
plaît la laborieuse subtilité germanique et que notre Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres encourage volontiers [ ... ]. La question qui se pose n'est pas
de rechercher quelles sont les sources de Lucain, mais bien d'apprécier dans
quel esprit il a utilisé ses sources».
57. Pour l'emploi de ce terme, voir ci-dessus, fin de la n. 27.
58. L. Bodin, « Thucydide : genèse de son œuvre », Revue d'études
anciennes 14 (1912), p. 1-38.
59. « Thukydides VIII», Hermes 43 (1908), p. 578-618 (= Kleine Schrif-
ten m.Griechische,, Prosa, éd. par Friedrich Zucker, Berlin, 1969, p. 307-345).
60. Ainsi Emile Mireaux (Les Poèmes homériques et l' Histoire grecque I,
Homère de Chios et les Routes del' étain, Paris, 1948, p. 43 sq.) se gausse de
l '« incroyable souplesse » qui fait que deux auteurs, suivant les mêmes pré-
misses, aboutissent à des conclusions opposées, se gardant de prendre parti
lui-même entre deux positions que leur différence permet de traiter d' arbi-
traires.
61. Pour l'histoire des études homériques en France, voir la contribution de
Pierre Judet de La Combe au colloque de Lille, 1977, « Champ universitaire et
études homériques en France au x1xesiècle», dans Mayotte Bollack et Heinz
Wismann (éd.), Philologie et Herméneutique II, Gottingen, 1983, p. 25-61, et
ci-dessus, l'article« Ulysse chez les philologues», p. 31-38.
62. Voir
,, n. 1, p. 19.
63. E. Chambry,« Notes sur l'Hippolyte d'Euripide », Revue de philologie
22 (1898), p. 286-296.
64. L. Gemet, compte rendu de Der Glaube der Hellenen, Revue de philo-
logie 60 (1934), p. 191-201; cf. p. 192; repris dans Les Grecs sans miracle.
Textes réunis et présentés par R. di Donato, préface de J.-P. Vernant, Paris,
coll.« Textes à l'appui. Histoire classique», 1983, p. 104-115; cf. p. 106.
65. La géographie des références scientifiques est aussi variable que signi-
fiante. Autour de 1900, l'Allemagne est du bon côté aux yeux d'un M. Croiset,
réunissant l'avantage de la défense du grec et de la science (« Le grec dans
l'enseignement secondaire», Revue internationaledel' enseignement37 [1899],
p. 453 sq.) contre «l'engouement pour je ne sais quel prétendu idéal anglo-
saxon », c'est-à-dire contre la technicité utilitaire. Après le revirement de
l'Entente cordiale (et le déplacement de l'Université de Paris à Londres,
1906), les références changent de valeur; les donations américaines sont
reçues à Paris (ainsi Andrew Carnegie est accueilli en 1909); et, avec le retour
du latin, la Méditerranée connaît à son tour les faveurs des universitaires :
« [ ... ] nous commençons à penser qu'il serait opportun de nous réserver
davantage pour l'étude des courants intellectuels qui ont existé, ou qui
existent aujourd'hui, entre les pays alliés et, plus spécialement, entre les pays
389
NOTES (M. de W.-M. en France)
latins. Songeons un peu plus à ceux qui, malgré des malentendus passagers,
demeurent nos frères par le sang et par la communion ,en un même idéal[ ... ]
attachons-nous plus encore [qu'à l'Angleterre et aux Etats-Unis], pour com-
penser les errements de jadis [le modèle allemand des années 1890-1900], à
toutes les manifestations de cette civilisation méditerranéenne, à laquelle nous
devons le meilleur de nous-mêmes - [entre autres biens], le droit même des
nationalités» (p. 138), sous la plume du comparatiste J.-Roger Charbonnel
(«Le comparatisme et l'extension universitaire», Revue internationale de
l'enseignement 74 [1920], p. 135-148, renvoyant aux numéros de l'Action
latine, éditée par Mauclair et Casabona, à la suite de la défunte Revue des
nations latines, parue en 1916 et 1917).
66. Pour son programme, qui tendait avant 1848, et dans le camp catholique,
à créer des conditions comparables à celles de l'Allemagne, voir ses contri-
butions au Correspondant éditées par son fils François (1837-1883) sous le
titre Essais sur l'instruction publique, Paris, 1873.
67. Voir aussi, de Renan, Questions contemporaines, Paris, 1868, p. 69-115,
« L'instruction supérieure en France ».
68. V. Duruy avait confié une mission en Allemagne à Karl Hillebrand,
réfugié en France depuis 1848, et professeur à l'université de Douai, pour
qu'il lui rendît compte de l'état des universités dans ce pays. Voir mon article,
« Critiques allemandes de l'Université de France (Thiersch, Hahn, Hille-
brand) » ( 1977).
69. Decharme, Euripide et l' Esprit de son théâtre, Paris, 1893; réimpr.
Bruxelles, 1966, p. IV.
70. Dans l'introduction de son édition d'Euripide (Paris, CUF, 1925, I,
p. XIV).
71. Herakles 1, p. 41; cf. H. Weil, « L'Héraclès d'Euripide », loc. cit.,
p. 203 (p. 181). Il traduit cette page étonnante, invitant le lecteur à apprécier
ce qu'il appelle « des anachronismes de style ».
72. Cf. Herakles I, p. 106.
73. G. Perrot, « Un helléniste allemand. Ulrich von Wilamowitz-Moellen-
dorff » (compte rendu de Reden 3), Journal des savants, n.s. 11 (1913),
p. 385-394, 433-442; cf. p. 388.
74. Marie Delcourt (1891-1979) est une des seules à résumer exactement la
problématique soulevée par les thèses de Wilamowitz dans son premier travail
sur l'origine de la tragédie (Revue internationale de l'instruction publique en
Belgique 55 [1912], p. 307-330). Voir la bibliographie (choisie) de son œuvre,
1912-1969, dans Hommages à Marie De/court(« Latomus » 114), Bruxelles,
1970, p. 9-19.
75. L. Duvau, Revue internationale de l'instruction publique en Belgique
35 (1892), p. 280-282, dans son compte rendu de l'ouvrage de Ferdinand Lot
(1866-1952) sur l'enseignement supérieur en France (L'Enseignement supé-
rieur en France. Ce qu'il est, ce qu'il devrait être, Paris, 1892); voir p. 281.
76. Revue internationale de l'instruction publique en Belgique 36 ( 1893),
p. 55-64.
390
NOTES (M. de W.-M. en France)
77. A. Croiset, au sujet de l'édition de l 'H erakles, loc. cit. (plus haut,
n. 18), p. 270.
78. Sur le souvenir qu'a laissé cette coupure dans l'esprit des survivants, on
notera par exemple l'émotion de Maurice Lacroix en 1948: « Ce n'est certes
pas la première fois que nos études connaissent des années difficiles : nous
n'avons pas oublié la crise consécutive aux réformes de 1902 » (Revue des
études grecques 61 [ 1948], p. xxm). La réforme devait contribuer à renforcer le
clan des nationalistes qui se prévalaient de cette « nouvelle affaire Dreyfus »
(Paul Crouzet, « 1902-1911 - Latin et Francais. Académie et Sorbonne »,
Revue universitaire 20, 2 [1911], p. 306-319) et de la destruction de l'ensei-
gnement secondaire pour exciter les esprits. En 1911, le président du Comité
des Forges part en guerre contre elle (Revue universitaire 20, 1 [1911], p. 58).
Elle a, ajoutée aux préparatifs de la guerre et à la victoire, amené la réaction
pendulaire de la restauration latine en 1922, obtenue au lendemain de la guerre,
par Léon Bérard, ministre de l 'Instruction publique, dans l'esprit déjà de Vichy.
79. Sur toutes les questions de programmes en France, voir la thèse de
Clément Falcucci, L' Humanisme dans l'enseignement secondaire en France
au XIXe siècle, Toulouse, 1939.
80. Paul Monceaux (1859-1941) et René-Julien Pichon (1864-1923), deux
latinistes,« L'enseignement du grec et du latin à l'étranger», Revue universi-
taire 10, 1 ( 1901 ), p. 252-256; cf. p. 256.
81. Ces deux derniers considérés, avec le francisant
, Ferdinand Brunetière,
comme les maîtres les plus influents de l'Ecole normale (G. Deschamps,
Revue universitaire 3, 2 [1894], p. 457 sq.).
, 82. La plupart des hellénistes
,
de cette période considérés ici sont élèves de
l'Ecole normale et de l'Ecole d'Athènes. Théodore Reinach ou Paul Mazon sont
des exceptions. C'est là le cursus normal d'un professeur d'éloquence ou de poé-
sie grecques. L'absence de ces qualifications peut cependant avoir son poids.
83. Voir Amédée Hauvette, reprenant, pour les discuter, les arguments de la
commission d'enquête parlementaire sur la réforme de l'enseignement secon-
daire («Le grec dans les études secondaires», Revue internationale de l'en-
seignement 40 [1900], p. 212-215); Hauvette ne discute qu'avec les tièdes.
84. Au contraire, dans une lettre du 30 octobre 1901, Joseph Bidez ( 1861-
1945) fait part à Wilamowitz de l'intérêt que l'élargissement de son pro-
gramme peut avoir dans un pays où l'enseignement catholique tend à donner
une grande place aux écrivains chrétiens dans les humanités,« mouvement qui
ne va pas d'ailleurs sans de dangereuses exagérations» (voir plus loin, p. 82).
85. G. Fougères, « Les réalités dans l'enseignement du grec», Revue uni-
versitaire 10, 2 (1901), p. 219-234; la réforme est décidée à cette date.
86. Revue
, internationale d'enseignement 55 ( 1908), p. 61 sq. ,
87. E. Cahen, Callimaque et son œuvre poétique(« Bibliothèque des Ecoles
françaises d'Athènes et de Rome» 134), Paris, 1929, p. 5.
88. Dans « Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff: An Unpublished Latin
Autobiography », éd. par W. Calder III, Antike und Abendland 27 (1981), p.
34-51 : voir p. 47 et n. 88.
391
NOTES (M. de W.-M. en France)
392
NOTES (M. de W.-M. en France)
393
NOTES (M. de W.-M. en France)
mand, je veux dire avec tous les agréments de forme qui sont l'apanage habi-
tuel de la science française» (Joseph Mansion, « M. A. Meillet et l'histoire
de la langue grecque», Revue internationale del' instruction publique en Bel-
gique 56 [ 1913], p. 299-305 ; voir p. 305).
112. Voir G. Weil, « Un débat pédagogique après 1870 », Revue universi-
taire 25, 1 (1916), p. 172-182.
113. « Christiana cor meum numquam intravere »,«Latin Autobiography »,
/oc. cit., p. 42.
114. Revue internationale del' instruction publique en Belgique 55 (1912),
p. 296-298, dans un compte rendu de l'édition des Limiers de Sophocle(« Die
Spürhunde des Sophokles », Neue Jahrbücher 29 (1912), p. 449-476
[= Kleine Schriften I, p. 347-383]).
115. L. Gemet, compte rendu de Der Glaube der Hellenen (cité n. 64),
p. 114 sq. (p. 200 sq.).
116. « Rentrée des classes. En marge de Wilamowitz », La Vie intellectuelle
13 (1931), p.153-158; cf. p.157. La mort de Wilamowitz étant intervenue
pendant la correction des épreuves, l'auteur considère sa contribution comme
« un dernier hommage à la mémoire de ce maître ».
117. J.-P. Waltzing, compte rendu du Lesebuch, Musée belge 6 (1902),
p. 49-55 ; cf. p. 54. Voir, dans le même compte rendu, la note dithyrambique
sur Reden, célébrant la trinité qui brille à l'horizon de ces discours : « quand le
philologue parle ou écrit, il proclame hautement sa triple foi en Dieu, dans sa
patrie germanique et dans la philologie ».
118. Pour l'actualité de ce conflit dans le combat que mène Wilamowitz
« pour la science », voir, dans M. Bollack et H. Wismann (éd.), Philologie et
herméneutique II, op. cit., la discussion reproduite p. 365-373.
119. Der Glaube der H ellenen II, 1931, p. 133 ; cf. J. Bollack, Agamem-
non 1, 2e partie, 1981, p. 203.
120. L'essence de l'enseignement français est littéraire, rappelle Lanson,
quoi que le sentiment de culpabilité des Français après la défaite ait pu en
penser : « Nous avons cru que la grammaire et la philologie, l'histoire et la
géographie [les sciences] avaient fait vaincre l'Allemagne ; que l'esprit litté-
raire nous avait désarmés » ( « Sur une restauration de l 'Agrégation des
Lettres», Revue universitaire 4, 2 [1895], p. 336-344; cf. p. 336). C'est le
contraire qu'il faudrait se dire, juge Lanson: les Français n'ont pas assez cul-
tivé leur différence pour résister à l'ennemi.
121. Gottingische Gelehrte Anzeigen 158 (1896), p. 623-638; Sappho,p. 63-
78.
122. Sur Flaubert, Maupassant et les Parnassiens : « echte, freilich in
Manier ausartende Kunst » (Erinnerungen, 2e éd., p. 201).
123. « Ga/lis et ex parte Italis debeo quod scio quid sit scribere, h.e. artem
et artificia » («Latin Autobiography », Loc.cit., p. 48).
124. Ibid.
125. M. Croiset, compte rendu de Sappho, Journal des savants, n.s. 11
(1913), p. 557-559; voir p. 558.
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NOTES (M. de W.-M. en France)
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NOTES (Réflexions sur la pratique)
Le modèle scientiste
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NOTES (Le modèle scientiste)
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NOTES (Un futur dans le passé)
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NOTES (Un futur dans le passé)
L'interprétation du mythe
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
36. Le contenu de Tà aÀÀa, qu'on traduit de façon vague« these and many
other things » (Benjamin Jowett, The Works of Aristotle, vol. 10, Politica, etc.,
Oxford, 1921; cf. Olof Gigon, Aristote/es, Politik und Staat der Athener,
Zurich et Stuttgart, 1955), peut être précisé : ce sont à la fois les acquisitions
indispensables à la survie et les perfectionnements autres que l'organisation
politique.
37. Cf. Platon, Politique, 274b-d.
38. Ne saisissant pas le raisonnement, qui repose sur la théorie des catas-
trophes cycliques, on s'est vu contraint d'introduire, après v6µwv, àEt. (Jacob
Bemays, Theophrastos' Schrift über die Frommigkeit, Berlin, 1866; Franz
Susemihl, Aristotelis Politica, Leipzig, 1872; Otto Immisch, Aristotelis Poli-
tica, Leipzig, 1929; cf. Jowett : «from time immemorial »), ou bien TTpwToL
(Schneider).
39. William Lambert Newman (The Politics of Aristotle, Oxford, 1902,
vol. m [réimpr. 1960],, p. 388 sq.) résume l'argument de façon fort étrange:
on attendrait que les Egyptiens, qui sont la race la plus ancienne sur terre,
n'aient pas de lois ; or ils en ont ; les lois sont donc elles-mêmes fort anciennes.
Il ajoute : « on suppose évidemment [sic!] avec quelque naïveté que telle est
la race, quand elle se constitue pour la première fois, telle elle demeure ».
La naïveté de l'interprète est en effet grande; on ne voit guère quel parti
il tire de l'évolution progressive des civilisations dont Aristote parle dans
la phrase précédente et que Newman résume (p. 387 sq.) sans chercher le
moindre lien dans l'argumentation.
40. Bonitz également traduit les deux parfaits (TTapa8É8oTaLet KaTaÀEÀELµ-
µÉva) par un seul mot:« est transmis», ou, plus récemment, 1. Düring, Aris-
tote/es. Darstellung und Interpretation seines Denkens, Heidelberg, 1966,
p. 218 : « [ ... ] est transmis sous une forme
.,.. mythique ». Tricot (reproduit par
Pierre Aubenque, Le Problème de l' Etre chez Aristote, Paris, 2e éd., 1966,
p. 72) traduit les deux termes:« Une tradition, venue de[ ... ] et transmise sous
forme de mythe » ; il ne les rapporte pas moins à une action unique.
41. Si l'on admettait un instant une simple redondance, l'analyse ferait
apparaître la difficulté: « Il a été transmis (TTapa8É8oTaL)sous une forme de
mythe des choses transmises (KaTaÀEÀELµµÉva)à la postérité» ( ?).
42. P. Aubenque, op. cit., p. 72.
43. Le groupe Èv µu0ou axilµaTL KaTaÀEÀELµµÉvaTOLSÜaTEpov forme le
sujet de TTapa8É8oTaL.
44. TTapci: « venu de » (= « qui remonte à »).
45. Le mythe se substitue à la tradition; voir, dans Platon, Ménéxène, 249a,
Lois, 918e; et surtout, pour le mythe même, Timée 22c (la légende de Phaé-
ton).
46. P. Aubenque, op. cit., p. 72 et n. 3.
47. Ibid., p. 73.
48. Ibid., p. 72.
49. Ibid., p. 73.
50. De même Tricot, Ross.
403
NOTES (L'interprétation du mythe)
404
NOTES (L'interprétation du mythe)
dans la foi qu'on accorde aux témoignages des autres (b 12 sq.). Après avoir
tiré argument des raisons qui ont poussé les hommes à élever les dieux dans le
ciel, il se rapporte ainsi à la perception du ciel conservée dans la mémoire de
l'humanité (b 14), qui nous apprend qu'il a toujours été décrit tel qu'il nous
apparaît aujourd'hui. Le nom de l'éther (cf. supra, p. 144 sq.) fournit le troi-
sième argument.
59. J. Bernays, Die Dialoge des Aristote/es in ihrem Verhiiltnis zu seinen
übrigen Werken, Berlin, 1863, p. 4 7 sq. et 93-115 ; Valentin Rose, Aristote/es
pseudepigraphus, Leipzig, 1863 (réimpr. Hildesheim et New York, 1971),
p. 27-34.
60. Les fragments 1 à 7 et 9 Walzer (Aristotelis Dialogorum Fragmenta,
Florence, 1934) et Ross (Aristotelis Fragmenta Selecta, OCT, Oxford, 1955).
Voir aussi, du dernier, The Works of Aristotle, vol. XII, Selected Fragments,
Oxford, 1952 (pour la correspondance avec la numérotation de Gigon, voir
plus bas, à la mention des différents fragments).
61. 3a (= 28 Gigon), 6a (= 23 Gigon) et 7a (= 26 Gigon).
62. Commentaire sur l' « Isagogé » de Nicomaque de Gérasa, l, 1 = 8 Ross
= 463 Gigon (le fragment manque dans Walzer, parce que Jaeger ne l'avait
pas retenu). On trouve un résumé très similaire, qui semble se référer au
même texte que Philopon, dans Asclépius, Commentaire de la Métaphysique,
p. 3, 27 sq. et p. 10, 28 à 11, 36 Hayduck; voir A.-J. Festugière, La Révélation
d'Hermès Trismégiste, II, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 587-591.
63. De communi mathematicarum scientia, 26, p. 83, 6-22 Pesta= Protrep-
tique, fr. 8 Ross et Walzer (= 74, 1 Gigon). ..
64. Cf. Paul Wilpert, Die aristotelische Schrift Uber die Philosophie, dans
Autour d'Aristote, Louvain, 1955, p. 99-116; A.-J. Festugière, op. cit.,
p. 222 sq.; Enrico Berti, La Filosofia del primo Aristotele, Padoue, 1962,
p. 324-334. Philopon, pour les cinq degrés de la sagesse, se réfère expressé-
ment aux dix livres de l'ouvrage du même titre (TTEpl. <pLÀoao<p(as-) du péripa-
téticien Aristoclès de Messine (maître d'Alexandre d 'Aphrodise ), qu'il faut
donc considérer comme l'intermédiaire; comme Philopon nomme les dix
livres, on peut se demander si l'évolution qu'il retrace ne répond pas au plan
de l'ensemble de cette « histoire de la philosophie ».
65. Et à Asclépius.
66. Fr. 8 Ross (op. cit., p. 76, 15 sq.; Timée, 22d).
67. Ibid., p. 77, 3; cf. supra, p. 403, n. 36.
68. Ibid., p. 77, 6.
69. Cf. Platon, Politique, 274c-d.
70. Ross, op. cit., p. 76, 9.
71. Cf. àaTELOV, ibid. p. 77, 3; d'autre part, le terme caractéristique de
rrpoLÉvaL(cf. p. 77, 3 et 77, 11 sq.) distingue le deuxième stade du premier, la
liberté de la nécessité, et il marque la coupure décisive des débuts de la philo-
sophie au quatrième stade, alors que le passage du deuxième au troisième
stade n'implique aucun écoulement du temps (cf. p. 77, 7), tout comme la
contemplation des essences immuables se rattache étroitement à celle, non
405
NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
407
NOTES (L'interprétation du mythe)
construction repose sur une notice de la Souda (fr. 33 Rose) qui fait mention
d'un Magikos du socratique Antisthène en ajoutant que certains l'attribuent à
Aristote, d'autres à « un Rhodien » (Antisthène?). Le témoignage de Pline
ainsi éliminé au profit d'une polémique insignifiante, Spoerri ne retient que le
renseignement d'Eudoxe, basé sur la spéculation purement iranienne, selon
lequel six mille ans se seraient écoulés depuis l'apparition de Zoroastre. En
vérité, il ne fait pas de doute qu'aucun des nombres avancés par les auteurs
grecs ne peut être compris en dehors de la spéculation propre à la philosophie
grecque. Konrad Gaiser (Platons ungeschriebene Lehre [1963], 2e éd. Stutt-
gart, 1968, p. 265 et p. 406, n. 244 ), qui ne se prononce pas sur le fond (« neuf
mille ou douze mille ans » ), diminue la valeur de ses propres affirmations en
accueillant l'hypothèse d'une influence iranienne « sur la pensée platoni-
cienne de l'histoire ».
95. Le flou de la pensée découle, chez Jaeger, d'une option. Il n'établit
aucune différence entre philosophie et religion, alors que le phénomène
moderne de «religion» n'aurait, par lui-même, strictement aucune portée
philosophique pour Aristote dans la perspective historique qu'adopte Jaeger.
S'il s'agit de la théologie «théorétique», qui se confond avec la« philoso-
phie première », elle ne peut être trouvée que dans le système d'Aristote ou
dans sa préfiguration parfaite dans un autre âge cosmique; s'il s'agit de
croyances « mythiques », elles n'ont d'intérêt qu'en tant qu'on parvient à y
mesurer les déformations d'un héritage métaphysique. Or, Jaeger cherche au
contraire, avant Festugière (Hermès, op. cit., p. 227 : « Ce qu'Aristote doit au
Timée, c'est une explication en quelque sorte religieuse de l'Univers»), à
effacer toute frontière. Alors que, selon lui, Aristote se proposait, dans le dia-
logue, de retracer« l'évolution historique de la philosophie», il réduit en fait
toutes les apparitions antérieures à des phénomènes religieux (« l'ancienne
religion apollinienne», Aristote/es, op. cit., p. 130; « la religion orphique»,
p. 133 ; « la religion iranienne », p. 136). Aristote avait noté que les vers
orphiques n'étaient pas d'Orphée (Philopon, commentaire de Sur l'âme,
p. 186, 24 sq. Hayduck, commentant l'expression « ce qu'on dit dans les
poèmes que l'on appelle orphiques», 410b 27 = fr. 7a Ross et Walzer
= 26 Gigon) et reconnu peut-être (voir cependant <f>aolv)dans Onomakritos
le versificateur des opinions (dogmata) anciennes; Jaeger: « il souligne l 'ori-
gine tardive de la codification littéraire dans le seul but de pouvoir faire resur-
gir un prophète authentique des premiers temps de la Grèce à la place d'un
versificateur faiseur d'oracles del 'époque des Pisistratides » (p. 133). La mys-
tification est si évidente qu'on ne peut que s'interroger sur l'idéologie qui la
motive.
96. Cela n'a pas empêché les savants de la retenir, cf. E. Berti, op. cit.,
p. 333. Berti lui-même exprime des réserves, mais sans réexaminer les don-
nées du problème.
97. L' <<évolution» (Entwicklung) d'abord, idée assez vague d'une progres-
sion continue qui est de toute évidence en contradiction avec l'affirmation
d'Aristote d'un retour du même. D'où l'ambiguïté qui caractérise l'exposé des
408
NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
141. Il faut sans doute préférer la leçon àrr6pwv (manuscrit E et Ascl.), rete-
nue par Bekker, à àT6rrwv (manuscrits Ab et AlP), qu'adoptent Ross et Jaeger
(Aristotelis Metaphysica, recognovit W. Jaeger, Oxford, 1957). Elle établirait
une relation plus étroite entre les deux étapes: a. Tà rrp6XELpaTwv àrr6pwv0au-
µcicravTES(Tà rrp6XELpafixe une limite dans le domaine total des drropa) et
b. TTEpL Twv µEL(6vwv (scil. àrr6pwv) 8Larrop17cravTES. Sur la démarche métho-
dique qu'exprime le préverbe 8La-, on peut consulter les remarques de
P. Aubenque, op. cit. (supra, n. 40), p. 221. Elle conduit à l'extension du champ
d'investigation grâce aux liens qu'elle établit entre les faits. La conclusion
reprend les deux aspects : 6 8 'àrropwv Kal. 0auµci(wv (b 17 sq.), l'aspect réflexif
(ou méthodique) (exprimé dans b) et l'impulsion première (exprimée dans a).
142. Inutile d'appuyer ce commentaire, comme le fait Ross, sur des témoi-
gnages de Thalès ou d' Anaximène, puisque ces exemples doivent précisément
illustrer un stade antérieur à la pensée des phusikoi.
143. Comme les phusikoi s'intéressent d'emblée, dès Thalès, au tout, les
deux autres domaines, les mirabilia proches (Tà rrp6XELpa) et l'astronomie,
sont considérés comme antérieurs; l'hypothèse universelle, permettant de trai-
ter dans un système cohérent tous les problèmes, succède à l'investigation
partielle.
144. C'est clairement une parenthèse, la consécutive: wcrT'E'trrEp8Là TO
q>EU')'ELV T17V (b 19 sq.) se rattachant à àyvoéiv (b 18).
c'iyvoLavÈ<pLÀocr6<t>T1crav
145. Voici quel serait, d'après Ross, le raisonnement: le mythe est com-
posé de faits qui étonnent ; quand on s'étonne, on pense qu'on est ignorant;
être ignorant, c'est désirer savoir; aimer les mythe~, c'est donc aimer la
science. L'on charge ainsi la parenthèse du contenu même de la phrase qui
l'entoure et qui s'applique à toute l'histoire de l'humanité.
146. Fr. 618 Rose dans l'édition de l'Académie de Berlin, 1870,
1582b 10 sq.; fr. 668 dans l'éd. Teubner, 1886 (= 11, 1 Gigon).
147. Trois exemples dans !'Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097b 9 (T4>(wvTL
~(ov µovwT17v); I, 9, 1099b 4; IX, 9, 1170a 5 sq. (µOVWTIJµÈv oùv xaÀETToS o
~(os· où yàp pq.8LOVKa0' aÙTàv ÈVEp')'EÎVUUVEXWS,
µE0' ÉTÉpwv8È KULrrpos
CÏÀÀousp~ov ).
148. Voir ci-dessus le troisième des passages cités.
149. L. S. J., en revanche, retiennent pour le fragment le sens de « talka-
tive » (disert), qui s'explique moins bien, mais donnent, pour la Métaphysique,
«fond of legends » :,,amateur de récits mythologiques.
150. Voirdansl'EthiqueàNicomaque,X, 13, 1117b33sq.
151. Aristote/es, op. cit., p. 342. Jaeger ajoute, toujours sur la foi de cette
phrase: « La personnalité austère et renfermée [ ... ] perce ici, dévoilant son
secret», et dans une note (p. 342, n. 1) il croit pouvoir en tirer que le philo-
sophe revient au mythe,« retrouvant le plaisir d'une expression à demi voilée,
plus intuitive que clairement logique ».
152. Si l'on veut en tirer un renseignement sur l'homme, il nous apprend
(ce qu'on imaginait) qu'il mène une existence retirée, qu'il lit et qu'il écoute
avec d'autant plus de plaisir les histoires.
412
NOTES (L'interprétation du mythe)
413
NOTES (L'interprétation du mythe)
épisode revient, pour Von der Mühll, également à B, d'où l'expédient:« l'em•
prunt est en tout cas plus à sa place dans l'histoire d'Héphaïstos ». Cette struc-
turation mécanique ne peut que méconnaître la nature du refuge : la mer
accueillante s'accorde aux éléments, féminins et aquatiques, qui, dans l 'his-
toire, définissent la divinité pourchassée.
172. 8ELv6µEvaL ~ouTTÀ~yL,v. 135. On se demande (cf. Leaf ad Loc.) s'il
convient de donner au « hapax » le sens d '« aiguillon » ou de « hache » (ainsi
P. Chantraine, Dictionnaire étymologique, s.v. « ~oùs»); les deux acceptions
se trouvent postérieurement dans les textes. Mais la hache me paraît trop
meurtrière dans cette scène où les femmes, effarouchées, laissent toutes
ensemble tomber les objets à terre; on les voit mieux chassées avec un bâton
(cf. crEÙE,v. 133). Si Lycurgue porte l'épithète de« meurtrier» (àv8pocp6vos,
v. 134 ), et si la frayeur du dieu est terrible « sous les cris menaçants de
l'homme» (àv8pàs oµoKÀ.lJ,v. 137), ces deux expressions ont pour but d'op-
poser à l'abandon du Nyseïon la fermeté d'un univers viril et guerrier.
173. On trouve (voir P. Von der Mühll, op. cit., p. 113, après d'autres) que
l'exemplum est privé de sa pointe, puisque Lycurgue n'attaque pas le dieu,
mais les nourrices, alors que Diomède veut éviter de s'en prendre à une divi-
nité. C'est confondre le prétexte immédiat avec la signification et les réso-
nances de l'histoire. D'abord, Lycurgue, à travers les femmes, pourchasse le
dieu ; mais la « pointe » ne tient-elle pas dans le fait qu'en combattant le dieu
il fait la guerre à la féminité triomphante ? Ainsi, le viril Diomède se trouve
devant un héros qui par son nom et son armure (l'or en face du bronze meur-
trier), et par la douceur de son caractère, n'est pas sans affmité avec le monde
combattu par Lycurgue.
174. V, 330-351.
175. V, 1-8, 121-132, 793-863.
176. V, 131 sq., 405, 421-425.
177. Cf. V, 817 sq. En vérité, il dit que ce n'est pas la peur qui l'empêche
de s'en prendre à Arès, mais l'ordre de la déesse qui, le dotant de la faculté de
distinguer les dieux des hommes (V, 128), lui a recommandé d'éviter les dieux
à l'exception de la seule Aphrodite (v. 129-132, 818-821). Diomède ne blesse
donc qu'Aphrodite ; si, au cours de son aristie, il poursuit également Apollon
(v. 433 sq.) et frappe Arès (v. 845-863), il faut bien voir que, dans le premier
cas, sa tentative reste vaine, puisque le dieu sait se défendre, et que, dans le
second, la déesse conduit son arme, transgressant l'ordre qu'elle a elle-même
donné pour combattre en personne son frère. Une fois il voudrait, mais n'exé-
cute pas ; l'autre fois, il exécute, mais sans l'avoir décidé. Par ailleurs, dans
tout le chant V, Diomède est un héros divinisé; il est doué d'une vue dont les
hommes d'ordinaire sont privés, il brille comme un astre (v. 4 sq.). Pandare,
tout en reconnaissant Diomède, se demande s'il n'a pas une divinité devant lui
(v. 183); si donc, à son tour, Diomède, en rencontrant Glaucos, redoute
d'avoir affaire à un dieu et s'il évoque un exemple qui a mal tourné pour l'ad-
versaire humain (l'histoire formant le contrepoint des trois récits de dieux
malmenés par lesquels Dioné console Aphrodite, VI, 385 sq., 392 sq.,
414
NOTES (L'interprétation du mythe)
395 sq.), Homère nous indique qu'il ne se trouve plus dans l'état de grâce et
d'élection qui lui était accordé au chant précédent.
178. VI, 150-211.
179. Aux vers 55-61.
180. Voir l'annonce du thème au vers 17, illustré par trois exemples : le
dithyrambe dionysiaque, le harnais des chevaux, les deux ailes du fronton des
temples (v. 18-22).
181. Nommant Sisyphe (v. 52), il fait de Bellérophon le père de Glaucos
(v. 60 sq.); il ne tient donc pas compte d 'Hippoloque, qui, dans l' lliade, est
l'un des fils de Bellérophon et le père de Glaucos, et ne mentionne pas le
premier Glaucos, fils de Sisyphe.
182. Amazones, Chimère, Solymes. Cf. v. 87-90. L'éther (ai0Épos- l};vxpwv
àrrà KOÀTTwv Èp17µou),universel, laisse à la cité d'où il s'est envolé ses hauts
faits.
183. VI, 157 -15 9.
184. VI, 156: Ka.À.Àos- TE Kal rivopÉT}VÈpaTELV17V.
185. VI, 160-165.
186. VI, 178-186.
187. VI, 187-190.
188. Il reconnaissait que c'était le fils d'un dieu, VI, 191.
189. VI, 191-1 9 5.
190. Cf. v. 200, et infra, n. 194.
191. Olympiques, XIII, 91 ; cf. Isthmiques, VII, 44 sq. (infra, p. 417, n. 206).
192. Des trois enfants, !sandre est tué par Arès, alors qu'il combattait les
Solymes (toujours), Laodamie, l'aimée de Zeus, par Artémis (v. 203-205).
Hippoloque seul, le père de Glaucos, semble avoir été épargné.
193. Le récit de la fin de Bellérophon reste énigmatique. Le mystère tient
sans doute en partie à notre ignorance de faits mythiques, qui rend l'allusion
plus opaque, mais il faut se garder de desceller le texte sans reconnaître l 'her-
métisme originel, et intentionnel. C'est donc manquer le but et l'exégèse que
de ramener les «obscurités» à l'adaptation maladroite d'une épopée plus
ancienne (les Korinthiaka d'Eumélos, cf. P. Von der Mühll, op. cit., p. 116 sq.,
« un extrait d'une poésie plus érudite » ; à supposer même que le « modèle »
ait existé, les silences et les allusions répondent encore à un projet précis et ne
peuvent pas être mis sur le compte del 'insuffisance technique). Les analystes,
en outre, évitent de se demander 1. si le modèle « reconstruit » était connu de
l'auditeur, en dehors de Corinthe par exemple, et 2. si, dans ce cas, il se satis-
faisait à combler les lacunes de l'information par le souvenir d'une autre
œuvre (en l'occurrence particulière et régionale).
Pégase n'est pas mentionné dans le récit des aventures de Bellérophon,
bien que l'association du cheval et du héros soit très anciennement établie (cf.
Hésiode, Théogonie, v. 325) et qu'elle ait été connue d'Homère. Si, comme
on l'admet, le poète s'inspirait d'une épopée corinthienne, l'absence du che-
val «héraldique» (cf. Nikolaos Yalouris, « Athena als Herrin der Pferde »,
Museum Helveticum 7 [1950], p. 19-101) reste non seulement inexpliquée
415
NOTES (L'interprétation du mythe)
416
NOTES (L'interprétation du mythe)
194. Sarpédon meurt sous les coups de Patrocle, bien qu'il soit le fils de
Zeus. A la faveur des dieux dans le bonheur (l liade, VI, 191 ; cf. v. 171 et 183)
répond la violence de leur haine (v. 200 sq. ).
195. VI, 215-221.
196. VI, 230-236.
197. Olympiques, XIII, 20.
198. Ibid., v. 65 sq., 74 sq.
199. Cf. v. 68 et 85.
200. Voir infra, n. 203.
201. Cf. V. 82.
202. Représentées par Athéna.
203. Dans la Théogonie, le cheval Pégase est né de l'union de Poséidon et
de Méduse (v. 278 sq.); il sort, avec Chrysaor, du corps de sa mère (seule
parmi les trois Gorgones à être mortelle et mère, v. 276 sq.), quand Persée lui
tranche la tête (v. 280 sq.). Les parents de Méduse, Phorkys et Kétô, sont tous
deux enfants de Pontos et de Terre (v. 237 sq.). Par son origine paternelle, le
cheval est prédestiné à un avenir olympien. Dans Pindare (cf. v. 69 et 81 ),
Poséidon, en tant que « maître olympien des forces terrestres », délivre Pégase
de ses attaches.
204. Dans la Théogonie, v. 285 sq., il apporte à Zeus la foudre et le ton-
nerre, forgés dans le creux de la terre.
205. Olympiques, XIII, 92; cf. Théogonie, v. 285.
206. Dans la Septième Isthmique, l'entreprise de Bellérophon définit l'aspi-
ration interdite aux mortels (v. 43 sq.).
207. Cf. Martin Litchfield West, Hesiod, Theogony, Oxford, 1966, p. 277:
« Plus tôt que cela [le ve siècle], il semble qu'il n'y ait pas de témoignage
archéologique, si ce n'est en Asie Mineure.» West ajoute cependant: « Elle
doit avoir été connue en Grèce vers 700 avant J.-C. »; il admet finalement
(p. 278) qu'Hésiode pouvait avoir eu connaissance du culte par l'inter-
médiaire de son père, émigré d'Asie Mineure.
208. Comme l '« hymne » ne renseigne guère, du moins de façon immé-
diate, sur les « croyances » établies et que ce qu'on y lit ne s'accorde pas avec
les pratiques que l'on connaît par ailleurs, le texte a été éliminé du dossier.
Erwin Rohde (Psyche. Seelencult und Unsterblichkeitsglaube der Griechen,
2e éd., Fribourg-en-Brisgau, Leipzig et Tübingen, 1898, II, p. 82) s'en
explique dans une note (n. 3): il juge, d'une part, qu'Hécate apparaît chez
Hésiode comme une déesse si universelle qu'elle se trouve dépourvue de la
moindre détermination singulière que l'historien puisse exploiter, mais il sup-
pose, d'autre part, que l'extension de son pouvoir, poussée si loin que le nom
même devient indifférent, doit s'appuyer sur un culte local, par ailleurs
inconnu (on ne voit pas quel peut être le rapport entre la particularité régionale
et l'extension universelle). Moins respectueux des textes, Wilamowitz (Der
Glaube der Hellenen, Berlin, 1931 [réimpr. Dannstadt, 1984], I, p. 172) consi-
dère le morceau tout entier comme une interpolation, carienne parce que la
déesse est censée être originaire de Carie; la violence qu'il manifeste à l'égard
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
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NOTES (L'interprétation du mythe)
228. Comme les adolescents, dont elle favorise la croissance, Hécate est
née « d'une mère » (v. 448) et partage, avant de la réparer, la condition soli-
taire de tout être venu au monde. Faute d'analyser le passage, West confesse
ingénument: « Je ne vois pas le sens del 'ajout» (op. cit., ad v. 448).
229. Il me semble manifeste que la répétition du mot kourotrophos, qui
désigne la fonction, exprime de son côté la succession des ordres et l 'antério-
rité ratifiée (v. 450 et 452). Faisant d 'Hécate ce qu'elle fut, Zeus fait aussi
qu'elle l'a été originellement. L'idée même qu'il se fait du «primitif» lui
interdisant de saisir le raisonnement propre, West (ibid.) ne voit dans le
vers 452 («ajouté[ ... ] comme après réflexion», p. 289; «s'il[ ... ] est d'Hé-
siode [ !] », p. 290) que gaucherie de style due à la pauvreté du vocabulaire
(« Un autre exemple de son incapacité d'échapper aux mots déjà écrits: ouTWS'
et KoupoTpocpoS' sont répétés [après v. 448 et 450], et encore le premier mot
dans une autre fonction [ ... ], avec en plus le Èçàpx~S' formulaire», ibid.).
Comme si l'emploi des formules et la répétition étaient des moyens propres à
empêcher la constitution d'un sens. Il est, dans le cas particulier, extrêmement
éclairant de rapprocher les récurrences (v. 203 pour Aphrodite, 408 pour
Létô, la sœur de sa mère). Le paradoxe apparent n'est pas considéré, car on
n'accepte pas qu'il puisse avoir été formulé délibérément; on le traduit en
termes d'incohérence (ibid., p. 289 sq., mais voir aussi P. Mazon, op. cit.,
p. 48, n. 1). Ne pouvant se libérer d'une représentation linéairement progres-
sive (« Zeus n'a pas pu lui confier la tutelle de tous les enfants nés depuis sa
propre naissance », puisque la déesse existait avant son règne), on transforme
l'incapacité en supériorité pour avoir une tribune d'où juger ce qu'on ne com-
prend pas ( « Hésiode [ ... ] avait si peu l'habitude de la réflexion historique
qu'il n'a pas vu qu'un réajustement était nécessaire pour parler du règne des
Titans ») et préserver l'arsenal des réductions philologiques. Tant de hauteur
évite de se demander quels sont les êtres qui, « après elle » (v. 450) - avant le
règne de Zeus et durant son règne -, « ont de leurs yeux vu la lumière d 'Eôs ».
Mazon (ibid.) songeait aux hommes, mais à lire le récit de la naissance d'Eôs
(v. 372 sq.), on apprend qu'elle est appelée à briller« pour tous les habitants
de la terre et pour les dieux immortels qui occupent le vaste ciel».
421
NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
Démocrite, 68 A 39 (Stromates, 7) :
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422
NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
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NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
phy, Cambridge, 1957, ou bien C. Bailey, op. cit., p. 90: « carried by seve-
rance /rom the boundless »; W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 406: « are eut off
/rom the infinite »; Vittorio E. Alfieri, Gli Atomisti, Bari, 1936, p. 4:
« mediante una netta separazione da/lo spazio infinito » ; O. Apelt, op. cit.,
ad /oc., etc.; je ne vois qu 'Adolf Brieger dans « Die Urbewegung der demo-
kritischen Atome», Philologus LXIII (1904), p. 593, et Hicks, qui traduisent
par « abschnittsweise », « in a given section»; cette proposition n'a pas été
discutée par les auteurs.
12. La notion de l'illimité, écrit Bailey (op. cit., p. 92), n'est pas essentielle
à l'atomisme, et même lui répugne; mais Leucippe, selon la tradition
(savante) accréditée par Bumet, était un retardataire, attaché à la « tradition »
de la physique ionienne (Anaximandre). Toute la construction pourtant repose
sur la signification adoptée pour KaT' àTToT0µ17v;si quelque chose se détache,
on ne conçoit guère que ce soit d'une masse diffuse et dispersée de corps;
mieux vaut donc admettre que le bloc est compact ; on ne va pas cependant
jusqu'à dire qu'il forme un plenum corporel (ibid. et n. 2). L'hypothèse de la
séparation (breaking off) n'est pas reconsidérée. Bailey construit donc (par-
tiellement à la suite de Brieger) hors cosmogonie, mais avec des éléments
empruntés au récit de la cosmogonie, 1. un stade où les atomes se meuvent
dans le vide; 2. leur réunion en une masse appelée aTTELpovsur la foi de ÈKTOÙ
àTTELpou qu'il fallait lire à la place de ÈKnis àTTELpou (on invoquait- voir l'ap-
parat de D.-K. - le passage cité de la Lettre à Pythoclès comme s'il fournissait
un testimonium du texte de Diogène Laërce); 3. la séparation d'une partie de
cette masse. Voir encore Jula Kerschensteiner, Kosmos ( « Zetemata » 30),
Munich, 1962, p. 157 : « Comme chez Anaximandre, on voit se détacher chez
Leucippe une pluralité de corps isolés de la masse illimitée. »
13. Cf. W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 404 et 408.
14. Ibid., p. 408.
15. Fritz Jürss, Reimar Müller et Ernst Günther Schmidt, Griechische Ato-
misten, Text und Kommentare zum materialistischen Denken der Antike, Leip-
zig, 1973, p. 119 et 515, n. 22.
16. Voir la section 4, dans notre édition (op. cit., supra, n. 10), avec le com-
mentaire, p. 136 sq.
17. Op. cit., p. 119.
18. Ibid., p. 120.
19. J. Bumet, op. cit., p. 338.
20. C. Bailey, op. cit., p. 90; W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 406.
21. « C'est seulement lorsqu'il prend cette forme circulaire qu'un monde
se forme», W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 408.
22. « Demokritos und Platon», Archiv für die Geschichte der Philosophie
XXID (1910), p. 92-105 et 211-229; il est suivi sur ce point par V.E. Alfieri,
op. cit., p. 8, n. 1O.
23. W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 409, n. 1.
24. Les atomes « continuent à tomber les uns sur les autres et à exécuter à
l'intérieur toutes sortes de mouvements giratoires» (ibid., p. 408 sq.).
424
NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
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NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
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NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
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NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
(cf. E.G. Schmidt). Pourquoi ici les astres plutôt qu'autre chose? L'exemple
du Soleil et de la Lune dans la doxographie de la Vie de Démocrite (IX, 44
= 68 A 1) et dans les Stromates (68 A 39) a une fonction dans le contexte et
se trouve développé ; voir cependant dans le raccourci 67 A 1, 30 : Tous TE
K6crµous y(vEcr0aL crwµa.TwvEls ToKEv6v ȵTTLTTTOVTwv, « les mondes se for-
ment quand les corps tombent dans le vide [qui, sans la suite, 31 sq., aurait pu
saisir de quel "vide" il s'agit?] et s'enchevêtrent; par le mouvement, quand ils
s'accroissent, se constituent les astres», mais chacun de ces termes résume
un épisode de la deuxième phase de la cosmogonie. D'autres corrections ont
été proposées, supposant une lacune plus ou moins importante (cf. S. Luria,
op. cit., p. 80, texte n° 291, et p. 176). C.W. Müller (Gleiches zu Gleichem.
Ein Prinzip des frühgriechischen Denkens [« Klassisch-Philologische Stu-
dien » 31], Wiesbaden, 1965, p. 81, n. 172) dit que la logique réclame un
terme comme suntheta, sans voir que les « composants » ne sont pas moins
des composés, et que l'opposition s'établit en fait entre composés d'un type
simple relativement homogène et d'autres, hétérogènes, qui résultent d'autres
conditions de production. Il s'offre, avec la leçon transmise, la possibilité, ou
bien d'admettre le tour y( yvEcr0aL ELS (cf. L. S. J., s.v. « y( yvEcr0aL», 3c), ou
bien de poser une lacune après Els, ou bien enfin de considérer ELScomme un
ajout. Le sens serait, si l'on s'en tient aux mots dont on dispose : « et que, une
fois le processus de l'enchevêtrement achevé, ces semblables deviennent [ou:
se muent dans] les autres corps» (ËTEpa, « les autres», s'opposant à 0µ0Lo-
crx11µova, « semblables » ). La doxa insisterait sur l'importance du palier des
unités homogènes, issues de composants différents, dans la production des
différents phénomènes, comme la doxa de 68 A 1, 44 distingue les éléments
parmi les composés, ce qui ne reflète évidemment aucune doctrine positive
propre à Démocrite (malgré J. Kerschensteiner, op. cit., p. 164 sq.).
60. W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 412.
61. Voir aussi la notice doxographique dans Hippolyte, I, 13 = 68 A 40.
62. Je renvoie pour le détail du texte des Stromates à l'article mentionné
plus haut, n. 48, sur l'astronomie des atomistes.
63. Physique, 648, 12 sq. = 67 A 20.
64. Cf. Hippolyte, I, 13, 3, et I, 13, 4 (= 68 A 40).
65. Voir par exemple A. Brieger, op. cit., p. 18 : « De nouveaux mondes se
forment dans les intermondes [ ... ],mais alors la matière aussi de ces mondes
vient, principalement du moins, des intermondes. » Le « grand vide », pris
pour l'espace illimité, n'est pas vide absolument, mais comme l'est une pièce
sans objet visible.
66. Op. cit., p. 401.
67. Bailey figure là parce qu'il rejette la chute (l'alternative étant celle-là :
pluie ou mouvement désordonné) ; l'opinion sur la nature de la répartition de
la matière dans l'étendue illimitée n'est pas discutée.
68. Cf. 67 A 1, § 31; Aristote, Métaphysique, I, 4, 985 b 4 sq.
69. Cf. Ciel, p. 242, 15 sq. = 67 A 14. Alors qu'un commentaire comme
celui d'Alexandre, Métaphysique, p. 36, 21 sq. (= 67 A 6), qui analyse les
428
NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
chocs entre les atomes, peut être extrapolé des données de la cosmogonie (la
doxographie, avec le même mot, KaT' àÀÀT1ÀOTu1r(av, ajoute: Èv T<¼) à1TELp4>,
en effaçant la frontière), d'autres, comme Simplicius dans le passage cité,
situent certaines données de l'ancien atomisme dans un cadre épicurien :
<J>ÉpEa0aL Èv T4>KEV4),1'espace illimité, puis la rencontre (auyKpouEa0aL),
conduisant au rebond (à1ro1raÀÀEa0aL)ou à 1'enchevêtrement.
70. Ciel, p. 242, 15 sq. Heiberg= 67 A 14, et p. 569, 5 sq. = 68 A61.
71. Sur la problématique dans le cadre de laquelle doivent être situées la
chute« originelle» des atomes et,, leur déviation, voir l'étude de Mayotte Bol-
Jack, « Momen mutatum », dans Etudes sur l'épicurisme antique («Cahiers de
philologie» 1), Lille, 1976, p. 163-189.
72. Phrase ambiguë sous cette forme succincte. On risque toujours de
prendre le « tout » pour l'étendue, au lieu d'y voir l'entourage abstrait (cf.
TTEpLÉXOV, 67 A 10, cité plus haut) d'où se détache l'espace cosmogonique,
avec le tourbillon cosmogonique, et de conclure, comme le fait Brieger (Loc.
cit., supra, n. 11, p. 893), que le mouvement désordonné n'est pas moins une
forme de tourbillon, sans fin ( « Le mouvement originel est conçu comme une
somme d'innombrables mouvements qui ressemblent à des tourbillons - qui
ressemblent seulement »). Si l'on isolait le témoignage et que l'on négligeait
la transposition, la conclusion était correcte, mais le raisonnement absurde.
73. Cf. W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 403, notant, pour le passage de Simpli-
cius (68 A 1) : « [ ... ] dans un contexte qui ne laisse aucun doute sur le fait
qu'il décrit l'état de choses dans un tourbillon cosmique».
74. Simplicius, Ciel, p. 294, 33 sq. Heiberg= fr. 208 Rose= 68 A 37.
75. P. 93, 29-31 D.-K.
76. II, 4, 195b 36 sq. = 68 A 68.
77. Voir la profession de foi de 68 B 118.
78. 68 A 37, p. 330, 14 sq.
79. Comme le fait Simplicius dans les textes (Ciel, p. 569, 5 sq.; 712,
27 sq.) réunis dans 68 A 61 (cf. Èçw0ouµEva••. , v<t>L(av6vTwv ..• , dans la pre-
mière référence). Guthrie (op. cit., p. 403) élimine ces témoignages parce que
Simplicius y décrit (voir la n. 73) des réactions« au sein d'un tourbillon cos-
mique» (cf. A. Brieger, /oc. cit., supra, n. 11, p. 589), mais retient d'autre part
ceux d'Aristote (De gen. et corr., I, 8, 326a 9 sq., mais non Ciel, I, 2, 309a,
pour lequel Harold Chemiss, Aristotle's Criticism of Presocratic Philosophy,
Baltimore, 1935 [réimpr. New York, 1964], p. 97, n. 412, le convainc qu'il
s'agit de composés) et de Théophraste (De sensibus, § 61). Il paraît expliquer
par la situation cosmologique à laquelle se réfère Simplicius l'apparente
contradiction de ces passages avec d'autres textes explicites notant l'absence
de poids (notamment Aétius, I, 3, 18 et 12, 6 = 68 A 47), sans expliciter pour-
tant comment les témoignages « contraires » d'Aristote et de Théophraste doi-
vent être compris (si l'interprétation est insuffisante, si les auteurs anciens se
«méprennent», ou s'ils construisent la qualité des composants à partir des
composés), pour conclure, d'une part, que le poids ne peut pas être invoqué en
faveur d'une chute originelle des corps (p. 400 sq., 404); mais, d'autre part, il
429
NOTES (La cosmogonie des anciens atomistes)
se sert de ces mêmes témoignages pour parler, lui aussi, d'atomes «lourds»
(cf. p. 414). H. Steckel (art. « Demokritos », RE, Suppl. XII, Stuttgart, 1970,
col. 204) précise dans le même sens, en reprenant les conclusions de Guthrie,
que les atomes ont un poids qui n'est pas considéré comme une qualité parti-
culière, mais comme propriété de la matière (quantum materiae). Voir, en sens
opposé, la prise de position ferme en faveur de la distinction entre simples et
composés de Schmidt, op. cit., p. 531, n. 107.
80. Hugo Carl Liepmann, Die Mechanik der leucippisch-democritschen
Atome, Berlin, 1885.
81. Adolf Dyroff, Demokritstudien, Leipzig, 1899. Voir le résumé de la dis-
cussion au début du siècle dans l'article de Brieger, cité supra, n. 11, p. 585 sq.
La position adoptée par Brieger est pratiquement celle de Guthrie : ne voulant
pas de la qualité de la pesanteur s'il s'agit d'en déduire une chute originelle
(avec Zeller), ils ne se résolvent pas non plus à priver les atomes de poids, ce
qui est très compréhensible, tant qu'on lit les textes, ne serait-ce que pour la
cosmogonie, avec l'idée qu'il faut les rapporter aux corps simples.
82. Cf. J. Kerschensteiner, op. cit., p. 156: « une proximité originelle du
vide et des masses corporelles ».
83. C. Bailey, op. cit., p. 92.
84. Ibid.
85. Op. cit., p. 339; trad. fr., p. 391.
86. Cité par Burnet : cf. Theodor Gomperz, Griechische Denker, 3e éd.,
Leipzig, 1911, vol. I, p. 260 : « Ici, comme ailleurs, sa théorie représente la
somme des travaux de ses prédécesseurs [1'appréciation, chez Gomperz, est
positive] ; la théorie atomistique est le fruit mûr de l'arbre de l'ancienne doc-
trine de la matière enseignée par les physiologues ioniens. »
87. Op. cit., p. 339; trad. fr., p. 391.
88. Voir la liste de ses ouvrages, Diogène Laërce, IX, 47-48 = 68 A 33, et le
bref aperçu des hypothèses de la recherche chez Guthrie, op. cit., p. 483-488.
89. Voir J. Bollack et H. Wismann, Héraclite ou la Séparation (1972),
p. 46 sq. et passim, et ci-dessous,« Le logos héraclitéen », p. 288.
90. Voir par exemple C. Bailey, op. cit., p. 92; J. Kerschensteiner, op. cit.,
p. 156 sq.; W.K.C. Guthrie, op. cit., p. 408, etc.
91. Voir par exemple C. Bailey, op. cit., p. 92; W.K.C. Guthrie, op. cit.,
p. 412 sq., etc.
1. J'avais exprimé dans une première version de ce texte, qui était une
communication lors de la célébration du centenaire de la naissance de Saint-
John Perse au Centre national des lettres, mon étonnement, et fait part d'une
découverte pour moi doublement bouleversante. Une adhésion, à la fois
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NOTES (Une esthétique de l'origine: Saint-John Perse)
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André Frénaud
Styx et serments
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NOTES (Styx et serments)
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NOTES (Styx et serments)
pense sans doute à la fom1ule solennelle, ailleurs réservée aux dieux : elle
prêta le grand serment des dieux, cf. Odyssée, X, 299.
21. Ainsi lliade, XIX, 108, 127 (Zeus); Odyssée, IV, 253 (Hélène); X, 381
(Circé); XVIII, 55 (les prétendants). On notera qu'après « jurer un puissant
sennent » on ne trouve pas d'invocation.
22. L'absence d"épithète est plus rare(//., XIX, 175; XX, 313; XXIII, 42).
23. Les verbes sont à 1'aoriste du procès réalisé, alors que, dans le vers de
l'invocation, le verbe est à l'imparfait du développement de l'action (Od., XII,
303, cf. II, 377, X, 345, XV, 437, XVIII, 58; et aussi//., XIV, 278). Quatre
fois (Od., II, 377; X, 345; XV, 437; XVIII, 58), on retrouve ànoµvuvaL, et
une fois ÈnoµvuvaL (XV, 437); co1nme, dans les quatre premiers cas, le postu-
lant exige un serment qui confirme une promesse négative, on donne à àno-
µvuvaL le sens de « jurer qu'on ne fera pas» (cf. L. S. J., s.v.); mais alors il
faut aussi adopter dans Odyssée, XVIII, 58, où les prétendants doivent jurer
de ne pas intervenir dans le pugilat burlesque, cette forme, qui est bien attestée
(Allen, Von der Mühll: Ènwµvuov). Dans /liade, X, 332, au contraire, il faut
préférer ce dernier composé, puisque Hector consent à donner une promesse
positive.
24. Voir Iliade, X, 239; XV, 36; Odyssée, V, 184; Iliade, XIX, 258; Odys-
sée, XIV, 158 = XVII, 155 = XIX, 303 = XX, 230; cf. Iliade, VII, 411.
25. Ainsi que dans Odyssée, I, 273. Achille dit aux deux hérauts, qui sont
« messagers de Zeus et des hommes» (v. 334), comme ils viennent chercher
Briséis: « Qu'eux-mêmes me servent de témoins devant les Bienheureux et
devant les mortels, et devant ce roi intraitable, si une fois encore on a besoin
de moi ... » (v. 338-341). Il répète sous une autre forme la déclaration faite à
l'Assemblée, et ajoute un nouveau serment. Les hommes sont ici encore
conviés à porter témoignage, mais les hérauts représentent Zeus aussi bien
que le roi qui les dépêche. Sur le sens de pros-, qui exprime la présence des
personnes sollicitées et participant à 1'acte solennel, cf. Pierre Chantraine,
Grammaire homérique, Paris, 1953 (réimpr. 1958), vol. II, p. 134 (cf//., XIX,
188). Avant de livrer à Achille le combat auquel il est acculé, Hector propose
un dernier accord : que le vainqueur restitue au moins le corps du vaincu. Ce
serait là un pacte scellé par des serments, comme le montre le refus d'Achille :
« il n'est pas de pacte loyal entre les hommes et les lions » (XXII, 262), et
Hector invoque en effet les dieux à témoin. Comme Ulysse (Od., XIX,
303 sq.), dans la salle du foyer, invoque Zeus et le palais, de même Pénélope
rappelle à Antinoos (XVI, 422 sq.): « Pourquoi ne respectes-tu pas les sup-
pliants [cf. XIX, 304] pour qui Zeus est témoin ? » Quand, renonçant au ser-
ment, Ulysse-mendiant propose à Eumée un engagement plus puissant encore
(ptjTpî]V ), il prend également les dieux olympiens à témoin (XIV, 394 ).
Ulysse, rappelant le terrible présage d 'Aulis qui prédisait dix années de guerre,
s'adresse aux Achéens comme à des témoins(//., II, 301 sq.). Les témoins sont
des hommes (comme les hérauts auprès d'Achille), mais ils ont une part,
comme spectateurs du présage envoyé par Zeus, à la manifestation divine.
26. Cf. plus bas le rôle qu'elle joue dans le serment d'Achille.
437
NOTES (Styx et serments)
27. Bien qu'à un stade plus ancien, les éléments fussent eux-mêmes des
forces actives et vengeresses.
28. « Sous terre» (cf. //., III, 278) ne suppose
, pas nécessairement que le
châtiment s'accomplisse sous terre ; les Erinyes, qui tiennent la place des
défunts dans ce passage, agissent sous terre, mais elles poursuivent les
vivants.
29. « [ ... ] les dieux [et à plus forte raison les parties du monde] qui sont
invoqués sont simplement témoins; il ne s'ensuit pas qu'ils se chargent de
poursuivre les parjures», Wilamowitz, Der Glaube der Hellenen, Bâle, 1955
(2e éd. ; réimpr. Darmstadt, 1984 ), vol. I, p. 31.
30. Les dieux du Tartare sont témoins, et non justiciers, quand Héra jure
devant Hypnos, « frère du Trépas» (Théog., v. 756) et puissance souterraine.
31. Quatre des cinq passages où ÈTT(opKOS'et ses dérivés figurent chez
Homère(//., m, 279; XIX, 188 annon9ant XIX, 260 et 264) sont en rapport
avec les scènes qui font apparaître les Erinyes.
32. Et non gages (cf. Rudolf Hirzel, Der Eid. Ein Beitrag zu seiner Ge-
schichte, Leipzig, 1902, p. 29) qui échoient au dieu en cas de parjure.
33. Ce serment revient quatre fois sous une forme semblable au cours du
récit des événements d'lthaque (XIV, 158 sq.; XVII, 155 sq.; XX, 230 sq.;
XIX, 303). D'abord le mendiant annonce à Eumée qu'Ulysse reviendra avant
la fin du même mois pour venger épouse et fils, ensuite Théoclymène dit à
Pénélope qu'Ulysse est déjà dans le pays et prépare la perte des prétendants,
puis Ulysse déclare à Pénélope, dans la salle du palais, que son mari doit
rentrer avant la fm du mois; enfin Ulysse prédit au bouvier qu'avant même
qu'il n'ait quitté le palais il verra son maître revenir et tuer les prétendants.
On admet que le serment se trouvait primitivement dans la scène où le men-
diant gagne la confiance de Pénélope {XIX, 303 sq.; cf. Von der Mühll, RE,
s.v. « Odyssee », col. 751), et c'est en effet dans la grand-salle du palais que
l'invocation se comprend le mieux (la« table» d'ailleurs y manque). Les trois
autres serments se trouvent dans des passages considérés d'ordinaire comme
secondaires (B): le premier (chant XIV) aurait été interpolé dans un ensemble
ancien, alors que les deux autres (Théoclymène au chant XVII, et Ulysse au
chant XX) figurent dans des parties qui sont entièrement l'œuvre de B.
Il est néanmoins possible de distinguer ces serments par leur place et leur
effet dramatique. Le poète, dans cette dernière partie, conduit le lecteur
jusqu'au moment où la vérité éclatera aux yeux de tous les personnages, Péné-
lope étant la personne que cette reconnaissance touche le plus évidemment.
Les quatre serments organisent dramatiquement cet acheminement : le retour
est d'abord annoncé à un domestique, puis à Pénélope par un étranger, avant
de lui être annoncé par Ulysse lui-même; le dernier serment joue dans la
narration le rôle de la parole dite à Pierre: « Avant que le coq n'ait chanté ... »
L'annonce elle-même se fait d'ailleurs chaque fois sous une forme légèrement
différente. Si les ajouts sont de B, l'unité de composition de l'ensemble n'en
est pas moins remarquable.
34. Il n'y a pas de raison d'étendre la relative aux trois puissances invo-
438
NOTES (Styx et serments)
guées, comme le fait M. Leumann, op. cit., p. 82. Il suffit de comparer Iliade,
II, 755, pour se convaincre que horkos est attribut de Styx seul.
35. L'Hadès est appelé aTuyEpos, «affreux», dans ce seul passage. Est-
ce pour mieux rattacher l'eau du Styx à son empire? La description (al TTà
pÉE0pa)évoque une chute d'eau se précipitant du haut d'une roche plutôt que
le cours rapide d'un fleuve. Le fleuve des rives duquel les ombres écartent
p TTOTaµoîo,v. 73) est sans doute l 'Achéron (cf. Od.,
l'âme de Patrocle ( ... ÙTTÈ
X, 513). De toute façon, même si le Styx a été considéré comme l'un des
fleuves infernaux, l'expression « les flots abrupts » paraît évoquer une repré-
sentation plus ancienne, où l'eau se jetait du haut d'une paroi rocheuse.
36. Martin P. Nilsson (Geschichte der griechischen Religion, Munich,
1941, I, p. 131) note très justement qu'il ne faut pas identifier le ciel, la terre,
les fleuves et les sources avec des dieux personnels. Toute l'étendue de l 'uni-
vers reste interdite au parjure sans que les dieux aient besoin d'intervenir.
37. L'expression a été discutée par Wilhelm Schulze, Quœstiones epicœ,
Gütersloh, 1892, p. 440-443, qui a insisté sur l'unité des deux éléments, indis-
sociables pour Homère, comme dans Kunosoura. Pour lui, ce seraient les
« eaux de l'effroi ». Boite (RE, IV A, 1, 1931, s. v. « Styx », col. 460) fait
remarquer cependant qu'il n'existe pas en grec d'autre nom de lieu formé à
l'aide du génitif d'un nom abstrait. L'existence d'une déesse Styx ou d'un
fleuve Styx s'expliquerait chez les poètes postérieurs par une méprise
(W. Schulze, op. cit., p. 442). Mais, au lieu de prendre «l'eau du Styx»
comme un groupe indissociable et d'y voir un nom propre global (comme
l'appellation d'Arcadie que rapporte Hérodote, VI, 74 ), on peut supposer qu'à
une date ancienne le lieu n'était désigné que par le nom de Styx.
38. Trois autres exemples homériques éclairent la valeur de « chute d'eau ».
Deux falaises abruptes surplombent le port de Phorcys à Ithaque (Od., XIII,
97 sq.). Le vin qu'Ulysse fait boire à Polyphème, l'ambroisie et le nectar l'ont
distillé (IX, 359 ; cf. Hésychius, A 6606). Ces deux exemples où àTToppwç
garde son sens étymologique d'abrupt (àTT6+ p11yvuvaL) permettent de lui
conférer le sens de «chute» dans le passage cité, ainsi que dans Iliade, Il,
755, où le Titarésios, comme ici le Cocyte, déverse l'eau du Styx. Le mot a
pris aussi la valeur de « pièce arrachée à», de «rejeton» (cf. Aristophane,
Lysistrata, v. 811 ).
39. Cf. Wolfgang Schadewaldt, Von Homers Welt und Werk, Stuttgart, 1951
(rééd. 1965), p. 113.
40. Le sens donné par le poète au terme wyuyLos n'est pas nécessairement
celui d' « antique » (Paul Mazon). On pourrait, comme pour Ogygie, l'île de
Calypso, songer à « océanien » (Styx étant Océanide) ou à « extrême », « aux
confins», « loin des dieux» (cf. v. 777). Cf. Von der Mühll, RE, loc. cit.,
col. 712.
41. Il n'y a pas lieu de considérer avec Mazon (Hésiode, Théogonie. Les
Travaux et les Jours. Le Bouclier, Paris, CUF, 1928, p. 61) la vigoureuse évo-
cation de la demeure du Styx comme une interpolation, pas plus d'ailleurs que
les autres descriptions du Tartare, parmi les plus personnelles du poète :
439
NOTES (Styx et serments)
cf. Kurt von Fritz, « Das Prooemium der hesiodischen Theogonie », dans
Festschrift Bruno Snell, Munich, 1956, p. 45, n. 1, et, sur l'ensemble de la
description des enfers, Hermann Frankel, Dichtung und Philosophie des frü-
hen Griechentums, Munich, 1962, p. 114-118 : dans le mode de pensée de
l'époque archaïque, on tourne plusieurs fois autour du même objet pour l'en-
visager successivement sous d'autres aspects et d'autres rapports. La demeure
de Styx se trouve sur une frontière qui délimite ici les univers céleste et noc-
"
turne (ou le Non-Etre, puisque l'eau du Styx apporte aux dieux parjures un
temps d'inexistence), cf. « du côté du ciel », v. 779 rv « sous terre », v. 787,
comme dans la demeure de Nuit, devant laquelle Atlas soutient la voûte
céleste, Jour et Nuit se rencontrent (v. 744 sq.), comme dans la maison de
Sommeil et de Mort, puisque l'un parcourt terre et mer, alors que l'autre
« tient les hommes qu'il a pris» (v. 758 sq.).
42. Une illustration de ce sens primitif subsiste peut-être dans un vers du
Catalogue des Vaisseaux (//., II, 755). Le fleuve Titarésios se jette dans le
Pénée, mais il ne se mêle jamais à ses eaux, coulant tel un flot d'huile à sa sur-
face, « car il tombe des eaux du Styx, le terrible serment ». Mazon dissocie
«serment» de «terrible», et traduit: « il est une branche du Styx, fleuve ter-
rible du serment». On peut se demander pourquoi le poète rappelle, dans un
contexte géographique, les attributions religieuses de l'eau du Styx, d'autant
que ces attributions se limitent chez Homère à l'univers divin qui n'est pas
mentionné ici. A moins qu'il ne s'agisse d'un groupe de mots déjà figé, d'où
le mot« des dieux» (cf. dans l'Hymne à Déméter, lev. 259) aurait disparu -
ce qui paraît difficile à admettre -, « terrible serment», apposition de Styx,
pourrait désigner la« terrible enceinte». Il faudrait alors traduire: « C'est une
chute des eaux du Styx, la terrible enceinte. » Mais, si tel était le sens ancien
de horkos, dans cette expression, il est difficile de savoir si Homère l 'enten-
dait toujours ainsi.
43. Mazon a sans doute raison de traduire par« monde». Le ciel porté par
Atlas couvre aussi l 'Océan.
44. On trouve dans ces métaphores une belle confirmation de l'homologie,
mise en lumière par Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris 1953,
p. 324-329 et ailleurs, du corps humain, de la maison et de l'univers. L'uni-
vers a un cou et il est entouré d'une enceinte.
45. Cf. P.-E. Legrand, éd. des Histoires, Paris, CUF, 1948, VI, notice, p. 63,
Il. 3.
46. Cf. sur ce mode de la pensée religieuse primitive, M. Eliade, Images et
symboles, Paris, 1952 (rééd. 1979), p. 52 sq.
47. Cf. R. Hirzel, op. cit., p. 174 sq., qui remarque avec raison que le poète
prêtait aux dieux des usages que leur ancienneté revêtait d'une dignité parti-
culière.
48. Il se pourrait que le relatif ne subisse pas l'attraction de horkos mais
renvoie directement à Styx, qui devrait alors être du masculin. Rien, du moins
dans les poèmes homériques, ne nous empêche d'admettre que le mot avait à
l'origine ce genre, avant de désigner une déesse.
440
NOTES (Styx et serments)
441
NOTES (Styx et serments)
442
NOTES (Styx et serments)
Le logos héraclitéen
Fr. 1:
TOÙ8È ÀoyouTOÙ8'ÈOVTOS alEl àçuVETOL
y[vovTaL dv0pwTTOLKal TTp6cr0Ev
~ àKoÙcraLKal àKoucraVTES
TOrrpwTov·yLvoµÉvwvyàp TTClVTWVKaTà TOV ÀOyov
443
NOTES (Le logos héraclitéen)
7 / 7/ I \7 I \,r I f /
TOVôE'aTTELpOLOlV
EOLKaOlTTELpwµEVOL Kal ETTEWVKaL Epywv TOLOUTEWV OKOLWV
Èyw ôLT)yEÙµaLKaTà q>VOlVôLaLpÉwv ËKaO"TOVKat q>pa(~v OKWSËXEL· TOÙS'
ÔÈ
aÀÀous àv0pwTTOUSÀav0a.VEL OK6aa ÈyEp0ÉVTES TTOLOUO"LV OKWŒTTEp OKocra
EÜôOVTESÈTTLÀav0aVOVTaL.
Fr. 2:
TOUÀoyou 8' ÈOVTOS~vvov (wovaLV o\. TTOÀÀOL
ws l8(av ËXOVTES<PPOVîlULV.
Fr. 30:
K6aµov, Tàv aùTàv aTTaVTWV, OÜTETLS 0EWVOÜTEàv0pwTTWV ÈTTOL àÀÀ'
T)ŒEV,
~v àEl., Kat. ËaTLV Kat. ËaTaL, TTÙpàEL(wov aTTTOµEvovµÉTpa Kat. àrroa~EvvuµE-
VOVµETpa.
Fr. 32 :
ËV Tà aocpov· µoVVOVÀÉyEa0aL OÙKÈ0ÉÀELKat. È0ÉÀELZT)VàSovoµa.
Fr. 41 :
Ëv Tà aocp6v· ÈTTLaTaa0aLyvwµT)v, oTÉT),KV~Epv~aaLTTavTa8Là TTavTwv.
Fr. 50:
OÙKȵou àÀÀà TOU Àoyou àKovaavTas oµoÀoyELV aoq>6v ÈO"TLVËv rravTa
"'Val.
EL
Fr. 53:
TTOÀEµosTTavTwvµÈv TTaTI7pÈaTL, TTavTwv8È ~aaLÀEus [ ..• ].
Fr. 90:
TTup6sTE àvTaµEL~ETaL TTGVTaKat. TTUpaTTaVTWV xpvaov xp17µaTa
OKWO"TTEp
' , ,
KaL XPT)µaTWVxpuaos.
Fr. 108:
OKOO"WV Àoyous "flKOuaa, OÙôELSàq>LKVEL oTl
Tal ÈS TOUTOWO"TEYLVWO"KELV
aocpov ÈO"TL,lT(lVTWVKEXWPLŒµÉvov.
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NOTES (Le logos héraclitéen)
445
NOTES (Le logos héraclitéen)
446
NOTES (Le logos héraclitéen)
Ursprung der Philosophie, Heidelberg, 1936 (2e éd., Wuppertal, 1949), p. 37-
45. Ce sont les accents d'homélie, si fréquents dans les livres sur Héraclite,
jusqu'à Conche en dernier lieu.
14. C'est vrai pour Miroslav Marcovich, Heraclitus, Merida, 1967 (éd.
revue, en italien, Florence, 1978), qui recourt souvent à ce principe pour expli-
quer et excuser l'incohérence (voir ad fr. 1, pour la non-distinction dans la
pensée archaïque entre l'aspect subjectif, le discours, et ce qu'il exprime, la
vérité), mais aussi chez Kahn. Façon d'objectiver les contradictions non réso-
lues de l'interprétation, comme on le fait avec le principe d'ambiguïté.
15. La réutilisation de certains éléments des discours analysés est souvent
comprise comme une composante du combat en faveur d'une doctrine nou-
velle : « [ ... ] une parodie manifeste de la célébration de Zeus » ; « [ ... ] réduc-
tion consciente de Zeus, par le moyen du principe universel découvert par
lui» (0. Gigon, Untersuchungen, op. cit., p. 119, pour le fr. 53). La science
nouvelle est opposée aux croyances du peuple. Pourtant, le langage de la
science offre la même matière analysable que les autres ; elle révèle sa struc-
ture contradictoire au même titre que les rites. Lorsque, pour la physique,
Héraclite était rattaché aux Ioniens, les reprises étaient interprétées comme un
témoignage de la filiation et la marque d'une dépendance.
16. Le texte d'Aristote est reproduit parmi les témoignages, 22 A 4 D.-K.
= Rhétorique, III, 5, 1407b 11-18. Je ne m'occupe pas ici de l'addition de
Diels, ligne 13 (que Rudolf Kassel, dans son édition [Berlin, 1976], ne retient
pas). Dans le contexte étroit, le cas d'Héraclite et, à titre d'exemple éclairant,
« le début de son livre » illustrent la difficulté de la lecture en l'absence de
division nette. Trait de l 'obscuritas : on ne sait pas avant analyse avec quoi
vont les mots dans la phrase. Dans Héraclite, c'est un problème (ergon).
17. Tantôt on opte pour « qui existe toujours» (passé, présent, avenir);
tantôt, avec l'accent sur le verbe « être », valant « être vrai », pour « qui est
toujours vrai» (cf. G.S. Kirk, op. cit., p. 35; Zeller-Mondolfo, op. cit., p. 21,
etc.).
18. C'est l'opinion qu'on peut appeler dominante: voir Zeller-Mondolfo,
op. cit., p. 21 : « [ ... ] ÈovTos-que l'interprétation traditionnelle réunit à àEL»
(sont cités Burnet; Snell, 1924; Gigon), ou G.S. Kirk, op. cit., p. 34: « Les
savants modernes ont, dans leur majorité, adopté la vue que àE( qualifiait
ÈovTos-» (Zeller, Diels, Capelle, Gigon, Verdenius). Ultérieurement, voir,
entre autres, C. Kahn, op. cit., p. 97 : « Bien que cette explication vaille pour
"toujours"»; il est vrai que àE( est traduit une seconde fois avec àçuvETOL:
« les hommes manquent toujours de comprendre» (voir la proposition d'une
double construction chez Gigon, Untersuchungen, op. cit., p. 2 sq., reprise par
Kranz; cf. Ewald Kurtz, Interpretationen zu den Logos-Fragmenten Heraklits
[« Spudasmata » 17], Hildesheim et New York, 1971, p. 85, contestée par Ver-
denius; G.S. Kirk, op. cit., p. 34, n. l); il faut choisir, pas seulement d'après
Aristote, qui n'ignorait pas l'enjeu de sens.
19. Le choix obéit souvent à des critères formels (àE( doit aller avec àçuvE-
TOL). La valeur prédicative du démonstratif ne conduit pas à l'acceptation de
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NOTES (Le logos héraclitéen)
42. Voir B.-W., p. 154-156. Kahn (op. cit., p. 321, n. 204) croit pouvoir
éliminer pour des raisons linguistiques la forme oTÉT); il renvoie à Friedrich
Bechtel, Die griechischen Dialekte, Berlin, 1924, vol. III, p. 171. Diels avait
parlé d '<<archaïsme conscient » (H eraklei tos, op. cit., p. 11), avec renvoi à la
forme de Parménide; Bechtel note qu'il n'y a pas de traces d'un féminin -tea
(«j'ai des difficultés»). La conclusion de Kahn («il n'y a simplement rien
qui ressemble à une forme féminine pour TLS"») pourrait ne pas s'appliquer à
cette formation secondaire, répondant à att. llTLS" et à att. oTou, à côté de
oÙTLvos--.Diels (Parn1enides, Berlin, 1897, p. 90, ad 28 B 8, 46) avait posé
TEOS"comme une formation analogique devant justifier oü TEov (= oü TL), ce
que Bechtel (op. cit., p. 169) accepte comme une éventuelle création du poète
(en raison de l'antithèse oÜTEov-Tà Èov) sur TÉou, TÉtp. Comme on a ~TLS', à
côté de ocrTLS",Héraclite a pu employer en ionien, par analogie avec les formes
obliques (TÉo ou TÉtp), OTEoç, oTÉT) (avec premier élément indéclinable). Rien
ne permet d'éliminer la forme, si elle se justifie dans le contexte pour le sens
(voir le commentaire dans B.-W., p. 155, 2, 4).
43. Si le consensus est fondé sur la pénétration, pourtant inégale, par }'Es-
prit, ils finissent par avoir le bonheur de dire ce que le logos dit « en eux »
(E. Kurtz, op. cit., p. 106, n. 97). La pensée est familière. Pour éviter le
consentement général (l'accord des écoutants entre eux ... , M. Conche, op.
cit., p. 27 - en contradiction manifeste pourtant avec le fr. 108), on a souvent
restreint l'accord à la seule écoute du logos (D.-K.; G.S. Kirk, op. cit., p. 68;
C. Kahn, op. cit., p. 131 ; U. Holscher, /oc. cit., p. 17, etc.).
44. Marcovich estime utile de préciser: Ëv est le prédicat ... (op. cit.,
p. 116).
45. Voir ci-dessus, n. 32. Tà aocp6vmarque« le plus haut degré du savoir»
(E. Kurtz, op. cit., p. 108); la formule se distingue donc parmi toutes, expli-
quant l'ordre de l'univers.
46. Voir la discussion de Kahn, op. cit., p. 131 : il s'agirait d'un « mo-
nisme », distingué de l'assimilation du feu à l'air d 'Anaximène, selon Méta-
physique, l, 3, et qu'on pourrait, suivant le point de vue, qualifier (ou non) de
milésien. Ce serait encore une voie conduisant à la clé du sens.
47. Voir O. Gigon, Untersuchungen, op. cit., p. 44.
48. Ibid., p. 43.
49. Voir C. Kahn, op. cit., p. 285.
50. Selon la paraphrase qui est proposée du fragment 10; cf. ibid., p. 286.
51. 242d-e (= 22A 10 D.-K.).
52. La portée du témoignage doxographique de Platon est fortement ébran-
lée par Kahn (op. cit., p. 316, n. 156); l'unité des opposés peut être illustrée
par Platon sans cette référence au cycle : « Il n'avait pas besoin de cela. »
Qu'est-ce qui fait alors la différence avec Empédocle? Faut-il préciser, 1. que
le passage du Sophiste est un arrangement; 2. qu'il n'y a pas de périodicité
héraclitéenne qui puisse être trouvée; 3. que les aphorismes qui ont trait à la
cosmologie interrogent le système des Milésiens ?
53. Voir J. Bames, op. cit., p. 61, tirant des fragments 30 et 90 qu'Héraclite
NOTES (Le logos héraclitéen)
453
NOTES (Le logos héraclitéen)
,
Les deux Electre
1. Leipzig, 1825, « Praefatio », p. IX:«[ ... ] uiam, quam illi ingressi essent,
deserere coactumfuisse. »
2. Chez Wilhelm Heinrich Kolster, Sophokleische Studien, Hambourg, 1859,
p. 148 ; voir l'aperçu de la critique au début de l'article de Hugo Steiger,
« Wann schrieb Euripides seine Elektra? », Philologus 66 (1897), p. 561-600.
A côté de Kolster, on trouve cités (p. 561-563) Wieck (1825) ou Teuffel (1861).
3. Voir le travail (« Valediktionsarbeit ») écrit en 1867, au moment de quit-
ter le lycée de Schulpforta: Inwieweit befriedigen die Schlüsse der erhalte-
nen grieschichen Trauerspiele ? Ein aesthetischer Versuch, édité par W. Cal-
der m, Leyde, 1974, p. 138.
4. Wilamowitz, « Die beiden Elektren », Hermes 18 (1883), p. 214-263
(reproduit dans les Kleine Schriften VI [éd. par W. Buchwald], Berlin, 1972,
p. 161-208).
454
,
NOTES (Les deux Electre)
5. « Darum hat die gottliche Gnade [ ... ] dem Staate [ ... ] das Gericht in die
Hand gegeben », ibid., p. 225.
6. C'est le privilège, selon Wilamowitz, du poète hellénique de contribuer
avec ses moyens au bien commun du peuple (il emploie l'expression de« hel-
lenische Dichterpflicht », ibid., p. 226).
?. Ibid.
8. « Es ist ais kiime man von Goethe zu Heine, ais liise man [ ... ] eine
Umsetzung ins Meskine Frivole Blasphemische », ibid., p. 233.
9. Ibid., p. 232.
1O.Ibid., p. 228.
II. Ibid., p. 229.
12. Ibid., p. 234.
13. Voir, entre autres présentations semblables des thèses opposées(« amo-
ral theory » ou « justificatory theory » - la formulation sans doute passe déjà à
côté du problème), Hartmut Erbse, « Zur Elektra des Sophokles », Hermes
106 (1978), p. 284-300, et en particulier p. 284 sq., 293. Le caractère de l'hé-
roïne importe seul. On n'est pas loin de Wilamowitz ; Sophocle « montrait ce
que l'homme héroïque est capable d'accomplir et de subir dans les conditions
les plus dures » (p. 293). Que compte le droit?
14. Steiger (Loc. cit., p. 561) en dresse la liste pour les années 1883-1891.
15. Cela n'a pas empêché un élève, Ewald Bruhn (c'est l'un des auteurs
cités en 1891 par Steiger), de, la reprendre, après la rétractation, contre son
maître, dans son édition de l 'Electre, Berlin, 1912.
16. Steiger relève le nombre de relations notées entre les deux œuvres par
les auteurs d'articles.
17. Wilamowitz, « Excursus zum Œdipus des Sophokles », Hermes 34
(1899), p. 55-80 (= Kleine Schriften VI, p. 209-233).
18. W. Calder m (op. cit., p. 138, n. 300), par méprise, renverse les termes
de la rétractation.
19. Introduction, dans la réimpr. de 1924, § 19, p. Lli-LVI. Il conclut en
faveur de l'antériorité de Sophocle contre Wilamowitz.
20. Voir la présentation du débat dans l 'Introduction, p. 54-63.
21. Priorité (probable) de Sophocle: M.J. Cropp, Euripides Electra, War-
minster, 1988, Introduction ; pour la priorité (probable) d 'Euripide :
J.C. Kamerbeek, The Plays of Sophocles V, The Electra, Leyde, 1974, Intro-
duction, p. 7; incertitude quant à la priorité de l'une ou de l'autre (avec pour-
tant une plus grande probabilité
, en faveur de Sophocle): J.D. Denniston, dans
son commentaire de l 'Electre d 'Euripide, Oxford, 1939, Introduction, p. XXXIX.
Les trois rubriques peuvent être abondamment nourries ; pour une présenta-
tion des thèses soutenues, voir K. Matthiessen, Elektra, Taurische lphigeneia
und Helena, Gottingen, 1964, p. 81-88; K. Vogler, Vergleichende Studien zur
sophokleischen und euripideischen Elektra, Heidelberg, 1967, p. 11-51; Giu-
seppina B. Donzelli, Studio sull' Elettra di Euripide, Catane, 1978, chap. II:
« Sulla cronologia dell 'Elletra di Euripide », p. 27- 71. Jean Irigoin pense pou-
voir opter (avec prudence : « le débat restera ouvert [ ... ] tant que les dates
455
,
NOTES (Les deux Electre)
456
,
NOTES (Les deux Electre)
reste vaste, entre Œdipe (autour de 430 ou un peu plus tard) et Philoctète
(dont la date de 409 est connue).
39. Ils n'ont pas d'intérêts propres, appréciant librement la situation. On
a remarqué qu'ils n'ont pas de lien avec les Atrides, et qu'ils ne sont pas au
service d'Apollon (voir Grégoire, dans la notice de l'édition d'Hélène, 2e éd.
1961, p. 10, n. 3 ). S'ils critiquent, c'est que c'est criticable.
40. V. 1301 : ll'YELTO <yàp> µotpas àVCl'YKTfS <To> XPEWV.
L'en-deçà infini
Le Mont de la mort
1. Du nom de son fondateur Fritz Todt ( 1891-1942), qui fut ensuite ministre
de l 'Armement du Reich, l '« Organisation Todt » effectuait notamment les
travaux de génie civil d'importance stratégique dans les pays occupés par
les Allemands. Cf. aussi Israël Chalfen, Paul Celan. Eine Biographie seiner
Jugend, Francfort-sur-le-Main, 1983, p. 124.
2. Les extraits cités ont été traduits par François Turner.
3. Le choix d'une désignation plus littérale du nom botanique allemand
commun par« délice-des-yeux » (Bertrand Badiou) illustre un problème géné-
ral de la traduction. Le travail de reconstruction du sens, dans beaucoup
de cas plus subtil, que demande au lecteur la distance entre deux niveaux de
précision ne subsiste pas.
4. « ... rauscht der Brunnen », Paul Celan, Gesammelte Werke infii,nf Biin-
den, Francfort-sur-le-Main, 1983, vol. I (= GW I ), p. 237.
5. Elle a été reproduite avec le poème dans l'ouvrage de Bemd Martin
(éd.), Martin Heidegger und das Dritte Reich, Darmstadt, 1989, p. 143-144.
Voir plus bas la n. 60.
6. Il semble qu'il ne faille pas pour autant en français rendre le mot par
«hutte».
7. Les traducteurs (passim) n'ont pas rattaché, comme il le faut pour le sens et
comme la syntaxe l'exige, « dans le cœur » à «espoir» : « von einer Hoffnung
[ ... ] im Herzen» forme malgré la séparation une seule expression unitaire,
s'ouvrant à l'objet d'une attente ( « auf .. » ). La mauvaise analyse syntaxique
457
NOTES (Le Mont de la mort)
n'est d'ailleurs pas résetvée aux traducteurs ; elle s'est comme par nécessité
imposée aussi en Allemagne, par exemple chez Otto Poggeler (Spur des Worts.
Zur Lyrik Paul Ce/ans, Fribourg et Munich, 1986, p. 264-265). Poggeler discute
les deux possibilités de construction syntaxique et invoque comme argument
principal en faveur de la solution qu'il retient la place qui revient dans la tradi-
tion théologique à la « parole dans le cœur ». Heidegger aurait transféré ce tour à
sa propre philosophie et Celan, selon lui, l'aurait suivi par hommage. Mais
Celan écrit dans sa propre langue et avec ses mots à lui. D'ailleurs, la surdéter-
mination de Wort à la fin paraît invraisemblable, en comparaison avec
la boucle que le lecteur établit naturellement entre « espoir » et « cœur ».
8. Le sens mortuaire est attesté dans le dictionnaire de Grimm (vol. 27,
col. 2282).
9. « Der übrige Raum war geebnet », Goethe, Siimtliche Werke, Francfort-
sur-le-Main, 1994, vol. I, 8, p. 395. Voir aussi Goethes Werke (Hamburger
Ausgabe), Munich (lOe éd.), vol. VI, p. 361.
10. Ibid., p. 363. Voir ci-dessous la présentation des variantes. Par ailleurs,
le mot Augentrost est, dans les Affinités électives, appliqué à Ottilie, ce qui
fournit une confirmation supplémentaire : « Dadurch ward sie den Miinnern
[ ... ] ein wahrer Augentrost », ibid., p. 283.
11. Voir Gerhart Baumann, Erinnerungen an Paul Celan, Francfort-sur-le-
Main, 1986, p. 102.
12. « Blume », GW I, p. 164.
13. Cf. « Spiiter Pfeil, der von der Seele schnellte », dans le poème « Unter
ein Bild », GW I, p. 155.
14. Je pense par exemple à bliiulich, dans le poème « Einiges Handahn-
liche », GW I, p. 236.
15. Cf. « Konig-1 liche», dans le poème « Chymisch », GW I, p. 227-228.
16. « Kristall », GW I, p. 52.
17. Révélant le parjure des dieux. Voir l'épisode de la Théogonie d'Hésiode,
v. 775-806; cf. supra, « Styx et serments », p. 277.
18. Selon une note à la fin de Poèmes de Paul Celan, traduits par André
du Bouchet, Paris, 1978 : « La traduction de "Todtnauberg" a été effectuée
d'après la première version du poème, datée "Frankfurt am Main, 1. August
1967". D'un mot à mot proposé par Paul Celan, je retiens le français: "qui
nous voiture" pour "der uns fiihrt". »
19. Cf. mon article « Histoire d'une lutte » ( 1994 ).
20. Le mot a bien cette valeur et cette tonalité extatiques, comme dans
« Flimmerbaum » ( « Off en/ lagst du mir vor/ der fahrenden Seele », GW I,
p. 234) ou dans « Kolon », ( «für/ wieviel Vonsammengeschiedenes/ rüstest
du's wieder zur Fahrt », GW I, p. 265).
21. H.-G. Gadamer, « Le rayonnement de Heidegger», in Martin Heidegger
(« Cahiers de L'Heme »), 1983, p. 138-144, voir p. 143.
22. G. Baumann, op. cit., p. 70.
23. Cf. mon article « Eden, encore » ( 1985), et supra, p. 338.
24. Otto Pôggeler, « Kontroverses zur Âsthetik Paul Celans ( 1920-1970) >>,
458
NOTES (Le Mont de la mort)
459
NOTES (Le Mont de la mort)
(La syntaxe pose problème : le cœur est le lieu de l'attente du côté du réci-
piendaire - et la variante ungesiiumt doit se comprendre d'un aveu involon-
taire qui ne se fera pas attendre, et n'aura pas de bordure.)
48. « Ins Hüttenbuch, mit dem Blick auf den Brunnenstern, mit einer Hoffnung
auf ein kommendes Wort im Herzen. Am 25. Juli 1967/Paul Celan.» Le texte est
ici reproduit d'après la lettre de Hermann Heidegger du 10 décembre 1980.
49. Voir la fin du poème « In eins » dans La Rose de personne, GW I,
p. 270. La citation de Büchner, signalée comme telle, fait, à elle seule, la qua-
trième strophe.
50. B. Allemann, « Heidegger und die Poesie », Neue Zürcher Zeitung,
15 avril 1977.
51. Liechtensteinisches Volksblatt, voir ci-dessus n. 28.
52. Une position similaire est retenue par Philippe Lacoue-Labarthe,
op. cit., p. 58.
53. « Und meine Wünsche? Da/3 sie zur gegebenen Stunde die Sprache
horen, in der sich Ihnen das zu Dichtende zusagt. »
54. « Die Herkunft der Kunst und die Bestimmung des Denkens », dans
Distanz und Niihe. Reflexionen und Analysen zur Kunst der Gegenwart,
éd. par Petra Jaeger et Rudolf Lüthe, Wurzbourg, 1983, p. 11-22; voir p. 17.
55. « [ ... ] da/3 der Mensch das noch nicht festgestellte Thier ist »,
R Nietzsche, Jenseits von Gut und Bose, cité d'après Siimtliche Werke, Stu-
dienausgabe, éd. par Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Munich, 1980,
vol. V, p. 81.
460
NOTES (Le Mont de la mort)
56. Op. cit., p. 150. Il faudrait s'entendre sur ce qui est« décisif». - De l'es-
sence (Wesen) on passe au pré (Wasen), à Waldwasen - à l'humide forestier,
qui dit à quoi l 'invoc_!ltion des esprits de la Forêt de Bade a conduit. De même
Andrea Zanzotto (« Ecrire dans la langue de l'ennemi», Le Monde des livres,
13 juillet 1992) suppose que l'entretien a porté sur des questions de poésie.
Peut-être, au contraire, Celan a-t-il évité ce sujet. Il était venu pour autre chose.
Surtout si son interlocuteur s'était fermé, « presque au bord de l'autisme»,
comme Zanzotto le pense. Le texte de Celan interdit de parler de sa « torture »
personnelle, et plus encore d' «incertitude». Sa détermination était entière.
57. La phrase est de Baumann, op. cit., p. 74. L'appréciation générale du
poème sur cette page offre un spécimen de ce que peut être le vague et le
creux d'un dithyrambe de germaniste.
58. « A jamais attaché au paysage de ses origines » ( « ... mit der Land-
schaft seines Herkommens bleibend verknüpft » ), ibid., p. 75. Il faut savoir ce
que le mot « paysage », et plus encore « Landschaft », implique aux yeux des
historiens conservateurs.
59. « Sans même en faire état» (« Ohne darüber ein Wort zu verlieren »),
ibid.
60. Ibid., p. 74. Le credo est ancré là, dans la mission qui excuse tout. L'in-
dulgence plus naïve d' Altmann n'est pas très éloignée. - Je n'ai pris connais-
sance du supplément au livre de souvenirs, Erinnerungen, de Baumann dans
l'édition de poche (1992) qu'après avoir achevé cet article en 1996, grâce à
l'émission radiophonique de Stephan Krass en mai 1997. L'auteur y corrige la
description qu'il avait faite; mais l'interprétation qu'il donne du mutisme de
Celan demeure d'après moi inadéquate et peut-être même déplacée. Elle
témoigne d'une distance considérable. Dans ce supplément, j'ai découvert
aussi le post-scriptum de Heidegger, son « dernier mot», en vers, intitulé
«Avant-propos» ( « Vorwort ») - peut-être pour lui-même, pour situer sa pen-
sée dans les hauteurs et couvrir le texte de Celan. Ces vers demandent eux-
mêmes un commentaire critique.
61. « [ ... ] eine Frage, die ins Offene weist », ibid.
62. « Bitterer Brunnen des Herzens. Erinnerungen an Paul Celan », Der
Monat, 1981, 2, p. 73-81 ; voir p. 80.
63. « lm Fahren, das zugleich ein gemeinsames Erfahren ist, wird
"Krudes" (wie es aus Heideggers Veroffentlichungen bekannt ist) deutlich »,
O. Poggeler, « Kontroverses », loc. cit., p. 234 sq.
64. « [ ... ] in dunkler und todlicher Bedrohung », ibid., p. 235.
65. « Der Gang ins Moor. Celans Begegnung mit Heidegger», supplément
Literatur und Kunst de la Neue Zürcher Zeitung, 2 décembre 1988.
66. « Du liegst », GW II, p. 334.
67. Le mot« marée jaune» (Gelbflut) est emprunté à un poème de Tour-
nant du souffle (GW II, p. 103). Ailleurs (Spur des Worts, op. cit., p. 235),
Poggeler le rattache, à juste titre, à l'étoile jaune que portaient les juifs sous
les nazis. Il faudrait ajouter le jaune de la trahison que représentait pour Celan
la non-reconnaissance des événements qui ont eu lieu.
Publications
de Jean Bollack
A. Grèce
« Huit notes sur Sophocle (Ajax 208 sq., 211 sq., 297 sq., 554 sq.,
835 sq., 839 sq., Œdipe roi 1511-1514, Trachiniennes
1105 sq.) », Revue de philologie 44, p. 37-47.
Compte rendu de M. Marcovich, Heraclitus. Greek Text with a
Short Commentary, Merida, Los Andes University Press, 1967,
dans Gnomon 42, p. 1-1O.
1971 « Mythische Deutung und Deutung des Mythos >>,dans M. Fuhr-
mann (éd.), Terror und Spiel. Prohleme der Mythenrezeption
(Actes du ive colloque « Poetik und Hermeneutik », Rheda,
1968), Munich, Fink, p. 67-119.
,
Avec Mayotte Bollack et Heinz Wismann : La Lettre d' Epicure,
/
465
PUBLICATIONS DE JEAN BOLLACK
467
PUBLICATIONS DE JEAN BOLLACK
468
PUBLICATIONS DE JEAN BOLLACK
B. Herméneutique
469
PUBLICATIONS DE JEAN BOLLACK
470
PUBLICATIONSDE JEAN BOLLACK
C. Modernité
471
PUBLICATIONSDE JEAN BOLLACK
472
PUBLICATIONS DE JEAN BOLLACK
475
NOMS ET MATIÈRES
476
NOMS ET MATIÈRES
Croiset, M. : 62, 70, 77, 89, 387 écrit, écriture: 57-59, 120, 236,
n. 46, 392 n. 89, 394 n. 125. 382 n. (57) et 65.
Cronos: 139, 157. Égypte:
, 145-147, 156.
culture : 226. Electre : 309, 311, 313-335.
cycle: 20, 33-35, 38, 181. éléments : 111.
empathie : 118-120.
Dardanie : 151, 153. Empédocle: 145-147, 156, 105-
déchiffrement: 9, 250. 114, 202,219 sq., 225,242,265,
délire : 236, 243, 254, 341, 34 7. 269, 272, 283, 286 sq., 425 sq.
Démétrius : 164. n. 38, 443 n. 70.
démiurge: 143, 344. enceinte : 119, 284-287.
,,,, . ,,,, . . . , .
Démocrite : 181, 183-220. en1gme, en1gmat1sat1on, en1gma-
démon: 108, 283. tique: 13, 55, 166, 250, 252-254,
Derrida, J. : 126. 362,415 sq. n. 193,453 sq. n. 60.
descente aux Enfers: 33-35, 57, énoncé, énonciation : 288-308.
250,254,351,356,360. enthousiasme : 236.
Detienne, M. : 132 sq. enveloppe : 195-197.
devenir : 142, 344, 454 n. 62. Éole: 169.
dialogique : 301. Épicure, épicurisme : 209 sq., 214,
Diels, H. : 112, 450 n. 33, 452 220, 309.
n. 42. épopée: 31 sq., 39, 44, 48, 59, 135,
Diogène Laërce: 183, 184,407 n. 94, , 176, 239.
426 n. 43. Erinyes : 283 sq., 325, 328, 423 n. 4,
Dionysos, dionysiaque, dionysien : 438 n. 28 et 31, 442 n. 60 et 61.
171,228,233,236. érudit, érudition: 14, 15, 47, 59,
disque: 198. 60-92, 117.
divin (le) : 138, 343, 346, 451 n. 41. eschatologie: 167 sq., 171, 413
dorien: 77. n. 160.
doublet : 34, 51. Eschyle: 36, 69 sq., 73, 88, 121,
doxographie, doxographique: 15, 386 n. 35, 387 n. 41 sq., 394
16, 30, 113, 142, 181, 183 sq., n. 119.
213,219,298,345,450 n.35, ésotérisme, ésotérique : 38, 55.
452 n. 52. esthétique, esthétisme : 31, 36 sq.,
Durkheim, É.: 75, 89, 91. 46, 59, 80, 82, 84, 87 sq.,
227 sq., 244 sq.
eau: 138, 161, 160 sq., 243, 254, éther: 141, 144 sq., 273, 415
266, 273, 275-284, 362, 376, n. 182.
439 sq. n.35, 37, 38 et 41, ethnologue, ethnologique: 168,
, 440 n. 42, 441 n. 50, 459 n. 26. 238, 242.
Ecole d'Athènes : 70, 80, 386 n. 37. Être : 118 sq., 160, 167, 228, 248,
écoute, écouter: 120, 289-291, 289, 347, 376, 446 n. 7 et 13,
294-296, 299, 301 sq., 306 sq. 449 n. 25.
477
NOMS ET MATIÈRES
479
NOMS ET MATIÈRES
Lanson, G. : 79 sq., 88, 394 n. 120. meurtre: 105 sq., 283, 320.
latin : 66, 68, 71, 78, 80, 84. milésien, Milésiens : 216, 301, 452
Leaf, W. : 413 n. 171. n. 46 et 52.
lecteur, lecture: 12, 14 sq., 16, 18, moderne, modernité, modernisme,
30 sq., 35 sq., 43, 47-49, 54, 67, modernisation: 14, 37, 47, 79-
71, 83, 89, 106, 120, 124, 294, 81, 87,127,313,316,335 sq.
304, 338, 341, 345. moi: 167, 225, 233, 251, 295 sq.,
lettre, littéral (sens), littéralité: 10, 299-301, 360.
13, 16, 101 sq., 203, 308, 344. monisme: 303.
Leucippe: 183-220. mort: 297, 351-376, 449 n. 31,452
Lévi-Strauss, C. : 133. n. 46.
lien: 271, 275, 280 sq., 284-287. mouvement originel: 191 sq., 206,
linguiste, linguistique : 16, 18, 85. 209 sq.
logos : 288-308. Müller, K. O. : 77.
Lois: 154. musical, musicien, musique : 227 sq.,
Lord, A. B.: 56-59, 381 n. 55, 382 229, 236.
n. 63-65. mythe, mythique : 49, 51, 53,
louange : 173, 233-239. 105 sq.,121, 131-182, 254 sq.,
Louys, P. : 88 sq., 394 n. 121 sq. 258 sq., 310, 313, 316-319, 323,
Lucrèce: 97, 132,441 n. 49. 328, 332-334, 345 sq.
Luka.es, G. : 126. mythologie: 131, 168, 179.
Lune: 205,207,426 sq. n. 48. mythopoétique: 162.
Lycurgue : 171 sq.
lyrique, lyrisme: 227-239. naïf, naïveté: 32, 36 sq., 55, 227.
nationalisme : 85-87.
Mages: 153, 155 sq., 159. néant: 237, 325.
magie : 38 sq., 111, 177, 285, 364. nécessité: 206, 211 sq., 218.
Mallarmé, S., mallarméen: 224, Nietzsche, F., nietzschéen: 160 sq.,
238,241,255,434 n. 55. 223-241, 357, 372.
Mann, T. : 356. nom: 39, 41, 43, 49, 56, 297 sq.,
Marrou, H.-1. : 19. 350, 449 n. 31, 450 n. 33.
Mazon, P. : 62, 73, 388 n. 53. nous: 251,260.
Méditerranée : 29-59.
Megas Diacosmos: 205. objectif, objectivation : 229, 290,
Meillet, A.: 90 sq., 393 n. 111. 295,304.
Ménélas : 171. obscur, obscurité : 14, 243 sq., 453
merveilleux: 49, 413 n. 156. n. 59 sq.
métaphore: 145, 161 sq., 368, 411 obscuritas : 305, 307, 447 n. 16,
n. 136. 453 sq. n. 60.
Métaphysique: 138-144, 147-151, océan, océanien: 277-282.
163-166, 341. Odyssée: 29-59, 169-171, 265-287.
métrique: 90 sq., 230. Œdipe à Colone: 322, 325.
480
NOMS ET MATIÈRES
481
NOMS ET MATIÈRES
482
NOMS ET MATIÈRES
tion: 53, 229, 242, 266, 271, transgression: 271, 276, 282 sq.
285,293,366. tu, toi: 251,253,301.
Szondi, P. : 115-127, 338, 362.
ubiquité: 177.
Taine, H. : 81. Ulysse: 29-59, 169-171, 268 sq.
Tartare: 276, 278. Un, un, unicité: 229, 297-299.
témoin : 271, 275, 285. unitarisme, unitariste: 29-59.
terre : 198-207, 217, 267, 272, 273, universalité : 240.
281, 303, 425 Il. 38. utopie, utopique: 10, 253, 259,
Téthys: 138 sq., 142, 277. 353 sq.
Thalès: 138, 160 sq., 216, 281, 308.
thème, thématique, thématisé : 236,
237, 246, 253, 255. vengeance: 283-285.
vents: 169,227,242, 244.
Théogonie: 134, 175-179, 346.
Vernant, J.-P.: 133-135.
théologie, théologiens, théologique :
vide : voir plein.
117, 123, 139-141, 259 sq., 317,
Vrrgile: 101.
346, 401 Il. 14, 449 Il. 31.
vita: 222.
Théophraste: 132, 213, 422 n. 3.
Von der Mühll, P. : 32 sq., 38, 377
théorie : voir pratique.
n. 13, 381 n. 51,436 n. 17.
Thétis : 171, 413 sq. n. 171.
Thucydide: 74 sq.
Timée: 143, 146, 154 sq., 410 Weil, H.: 62 sq., 65, 69-75, 77,385
n. 120. n. 24 et 27, 386 n. 38, 388 n. 54,
Timothée de Milet : 62, 383 n. 9 sq. 390 n. 71.
totalisation, totalité: 16, 107, 124, West, M. L.: 419 n. 218.
133,179,185,239,303,308. Wilamowitz-Moellendorff, U. von:
tourbillon: 192-207, 209-211, 429 32-35, 49, 54, 60-92, 310 sq.,
Il. 72. 313, 316-323, 377 n. 1, 378
tradition: 9, 11, 14, 18, 20, 25, 26, Il. 20, 379 Il. 26, 453 Il. 55.
Avant-propos • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 7
Apprendre à lire • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 9
1. LAPHILOLOGIE
fil.LECTURES DE LANGUES
Notes • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 377
Publications de Jean Bollack • • • • • • • • • • • • . . 463
Noms et matières • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 475
Sources . . . . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • . . 485
RÉALISATION : PAO ÉDmONS DU SEUIL.
IMPRESSION SUR ROTO-PAGE PAR L'IMPRIMERIE FLOCH À MAYENNE.
DÉPÔT LÉGAL : NOVEMBRE 1997. N° 19898 (42416).
DANS LA COLLECTION
« L'ORDRE PHILOSOPHIQUE»
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