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IDÉES GRECQUES

SUR L'HOMME ET SUR DIEU


DU M:ÊME AUTEUR

Recherchessur le sens et les originesde l'expression CAEL VM


CAELI dans le livre XII des « Confessions » de
saint Augustin, dans « Archivum Latinitatis Medii
Aevi » (« Bulletin du Cange»), 2.3, Bruxelles,
1 953·

J.4ythe et Allégorie. Les origines grecques et les contestations


judio-chrétiennes, collection « Philosophie de !'Es-
prit», Paris, Aubier, 1958.
Les deux approches du christianisme, Paris, Les Éditions
de Minuit, 1961.
ÉPICTÈTE, Manuel, traduction nouvelle avec notice et
notes, dans Les Stoïciens de la « Bibliothèque de
la Pléiade», Paris, Gallimard, 1962..
Théologiecosmiqueet Théologiechrétienne( Ambroise, « Exam. »
I I, I-4), dans « Bibliothèque de Philosophie
contemporaine», Paris, P.U.F., 1964.
Dante et la tradition de l'allégorie ( « Conférence Albert-
le-Grand », 1969), Montréal, Institut d'Études
médiévales - Paris, Vrin, 1970.
COLLECTION D'ÉTUDES ANCIENNES
publin.ro11.1lepatronagede l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ

IDÉESGRECQUES
SURL'HOMME
ET SURDIEU

PAR

Jean PÉPIN

PARIS
SOCIÉTÉ D'ÉDITION « LES BELLES LETTRES»
95, BOULEVARD RASPAIL

1971
Ouvrage publié avec le concours
du Centre National de la Recherche Scientifique
A Monsieur Pierre B~ancé.
A Monsiellf' Joseph Moreau.
AVANT-PROPOS

Plusieurs des problèmes dont je traite dans les pages que


l'on va lire ont été dijà abordés par moi dans divers articles1•
Naturellement, j'ai emprunté à ces premières esquisses. Mais
en m'appliquant totefours à les dépasser. D'abord en tenant
compte des travaux paru.r depuis lors, particulièrement nombreux
sur de tels stefets, et parfois important.r. En voyant les choses
.rou.rde.r angle.r nouveaux, qui m'avaient échappé naguère. En
corrigeant enfin de.r erreur.r, en précisant des ana(yses demeurée.;
floue.r, en considérant de.r oijection.r imprévue.r ; à cet égard,
j'ai reçu l'aide de savant.rlecteur.rqui, qyant regardémes première.r
rédaction.r, ont bien voulu m'en écrire ; ainsi ai-je pu recueillir
et méditer l'avis de Mgr. A. Mansion (qui m'adressa sans
doute l'une de ses dernières lettres), du professeur H. Cherniss,
du R.P. É. de Strycker, du professeur W. Theiler.
M. P. Boyancé a eu la bonté de lire en manuscrit toutes les
pages que)' ai consacréesau Premier Alcibiade ; bien davantage,
il m'a révélé l'importance de ce dialogue, qu'il connait mieux
que personne ; je lui dois plus queje ne saurais le dire, surtout
peut-être quand il m'arrive de hasarder de.r conclusionsdifférentes
des siennes. Ma gratitude va aussi à MM. ]. Irigoin et F. Robert,
qui ont favorisé la publication de ce livre ; à A. Ph. Segonds,
qui m'a aidé à en corriger les épreuves.

(1) Cf. Revue du Études grecques,77, 1964, et 82, 1969 ; Aristote,


De la rkhesse, etc., Paris, P.U.F., 1968 ; L'ailualità della probkmatica
aristotelka, Atti del Convegno franco-italiano su Aristotele (1967),
Padova, Antenore, 1970 ; Dialogue (Canada), 8, 1970. Je remercie
les éditeurs qui m'ont autorisé à remployer certaines de ces pages.
ABRÉVIATIONS USUELLES

DIELS, Doxogr.. . . . Doxographi graeci, collegit, recensuit,


prolegomenis indicibusque instruxit
H. DrnLs, Berolini 1879.
DIELS-KRANZ...... Die Fragmente der Vorsokratiker,
griechisch und deutsch von H. DrnLs,
8. Aufl.age herausgegeben von
W. KRANZ, 3 vol., Berlin 1956.
PC............... Patrologiae cursus completus, series
graeca, accurante J.-P. MIGNE,
Parisiis 1 856 sq.
PL.............. . Patrologiae cursus completus, series
latina, accurante J.-P. MIGNE,
Parisiis 1844 sq.
RAC............. Reallexikon für Antike und Christen-
tum, herausgegeben von TH. KLAU-
SER, Stuttgart 1950 sq.
RE............... Pau/ys Real Encyclopadieder classischen
Altertum swissenschaft, herausgegeben
von G. WissowA (quem seq.
W. KROLL, K. MITTELHAUS,
K. ZIEGLER), Stuttgart 1893 sq.
SVP............. Stoicorum Veterum Fragmenta,
collegit I. AB ARNIM, 3 vol., Lipsiae
1903-1905.
INTRODUCTION

ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

UNE MÉPRISE A ÉVITER

Le lecteur qui, comme il sied, entrera dans cet ouvrage


par la table des matières aura sans doute l'impression
d'une discontinuité entre les deux pièces qui le constituent :
selon un plan sinueux, mais, je l'espère, limpide, qui suit
l'ordoinueniendiplus que l'ordre chronologique, la Première
partie retrace l'histoire ancienne d'une conception plato-
nicienne de l'homme, son origine, son développement
immédiat, ses répercussions tardives jusqu'à la fin de
l' Antiquité païenne et chrétienne ; la Deuxième partie, quant
à elle, essaye de restituer les vues d'Aristote sur Dieu,
sa nature, ses opérations ; et, comme l'habitude s'est
imposée aujourd'hui, à juste titre, d'étudier ce philosophe
en termes de « développement », elle montrera les variations
en même temps que les constantes de sa doctrine, en
s'arrêtant particulièrement à deux des plus anciennes
expressions de celle-ci, formulées respectivement dans
les dialogues Sur la prière et Sur la philosophie.C'est dire qu'à
une recherche sur l'anthropologieplatonicienne et son
histoire succède ici une investigation sur la théologie
2 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

aristotélicienne et son évolution. Il est à craindre que


le premier sentiment ne soit que ces deux ensembles
juxtaposés constituent malaisément un tout.
C'est ce qu'il ne faut pas. On pourrait arguer que la
rupture entre le platonisme et l'aristotélisme est moins
universelle qu'on ne le croit d'ordinaire, et en particulier
que traiter de l' Aristote encore platonisant, dont il sera
surtout question dans ces pages, est une autre façon
de parler encore de Platon. On pourrait aussi montrer que
l'homogénéité des deux parties de ce livre semble garantie
par le fait que quantité de thèmes abordés dans la première
s'imposent à nouveau à l'examen dans la seconde, comme
en témoignent de nombreux renvois. Mais la véritable
justification est ailleurs : elle est dans la constatation que,
chez les Grecs aussi bien que dans le christianisme primitif,
la spéculation sur l'homme et la spéculation sur Dieu sont
inséparables ; chacune se nourrit de l'autre, et l'alimente
à son tour. On connaît bien la liaison qui existe, dans la
plupart des cantons de la pensée grecque, entre l'anthropo-
logie et la cosmologie, du fait notamment de l'image
microcosmique, selon laquelle l'homme est regardé comme
une miniaturisation de l'univers, et l'univers comme un
agrandissement gigantesque de l'homme ; mais on pourrait
parler avec autant de raison d'une sorte de « micro-
théisme », qui fait concevoir l'homme comme le diminutif
de la divinité, et la divinité comme le superlatif de l'homme.
En vertu de quoi l'on peut tenir pour assuré que le Grec
moyen de la plupart des époques eût réagi validement à
un test du genre de : dis-moi quel est ton homme, et je te
dirai quel est ton Dieu, ou l'inverse ; aussi bien est-ce
à peu près le discours que Théophile d'Antioche, contem-
porain de Marc-Aurèle, adresse à son adversaire païen :
« Peut-être est-ce encore en raison de ta propre inutilité
au service de Dieu que tu as sur Dieu ces idées. Si en
outre tu me disais : ' Montre-moi ton Dieu ', je te dirais
LES NOTIONS ET LES MOTS 3

à mon tour : ' Montre-moi ton homme, et moi je te


montrerai mon Dieu' »i.
Que si cette réciprocité entre anthropologie et théologie
n'apparaît pas expressis uerbis dans les textes anciens, la
raison en est simple : à la différence du mot 0s:o).oy(<X,
usuel au moins depuis Platon (Républ. II 379 a) et Aristote
(Meteor. II 1, 3 53 a 35) au sens de « discours sur les dieux »2 ,
le mot qui serait &.v8pw1t0Àoy(<X n'existe pas dans la langue
grecque, même tardive ; et même s'il existait, il n'aurait
pas le sens de « discours sur l'homme », car les mots de
même famille &.v8pw1t0Àoys:î:v et &.v0pc,moMyoç,qui, eux,
existent, n'ont pas ce sens3 • Dans la mesure où l'absence
d'un mot indique que la notion correspondante n'a pas
encore été totalement isolée, on ne devrait donc pas
parler d'anthropologie grecque ; de fait, en dépit de
certaines amorces que l'on rencontre par exemple dans la

(1) THÉOPHILE,Ad Auto/. I 1-2., éd. Bardy, p. 58-60 : fowç 8è:


hi ctô-roç où &xp"IJO"'îOÇ è:iv -rcj>(kcj>m:pl -roü 6e:oü o,hwç cppove:1:ç.
,.A»-à: Xctl&à:vcp'ijç. 8dl;6v µ01 'îOV6e:6va-ou,x&yoo0"01d1to1µ1 &v .
8s1:l;6v µ01 -rov &v6pw1t6va-ou x&yoo 0-01 8dl;(I) -rov 6e:6v µou ;
cf. I 14 in fine, p. 92.
(2) Cf. A. J. FESTUGIÈRE, La révélation d'Hermès Trismégiste, II :
Le dieu ço.rmique,collect. « Études bibliques», Paris 1949, Append. III,
p. 598-605 : « Pour l'histoire du mot 6e:oÀoylct»; V. GoLDSCHMIDT,
Théologia, dans Revue des Étude.r greçque.r,63, 1950, p. 2.0-42.
(3) &v6p(l)1t0Àoye:1:v signifie « représenter en forme d'homme »
(PHILON,Quod deus .rit immut. 13, 60; De sarrif. Ab. et Caini 2.9, 94;
à propos des anthropomorphismes de la Bible) (LIDDELL-Scon-JoNEs,
A Greek-Engl. Lex., Oxford •1940, .r. u., p. 141 b) ; à quoi G. W.
H. LAMPE,A Patri.rtic Greek Lex., Oxford 1968, s. u., p. 140 a, ajoute
le sens légèrement différent de<<parler en homme» (DIDYME[BASILE],
Adu. Eunom. V, PG 29, 752. A: les plus ignorants appliquent de façon
impie à la divinité -rà:&v6pw1t0Àoyooµe:vct) ; l'emploi du mot, on le voit,
est exclusivement théologique, sans rien qui fasse penser à l'« anthro-
pologie» moderne (il n'est pas sans intérêt de savoir que c'est encore,
semble-t-il, le seul sens reçu à la fin du xvne siècle ; cf. LEIBNIZ,
Di.rcour.rde Métapqysiqu, XXXVI, éd. Lestienne, p. 92., j·7 : « C'est
en cela qu'il [Dieu] s'humanise, qu'il veut bien souffrir des anthro-
pologies, et qu'il entre en société avec nous))). Quant à l'adjectif
&v6pw1t0Myoç,il est chez ARISTOTE,Eth. Nic. IV 8, 112.1111 S, avec le
sens d'« amateur de commérages >J.
4 ANTHROPOLOGIB ET THÉOLOGIB

littérature épique, médicale ou géographique1, on ne peut


dire que les Grecs aient pratiqué la science anthropologique
au sens où on l'entend aujourd'hui. Mais ils avaient
évidemment réfléchi à la nature de l'homme ; plusieurs
de leurs traités, que l'on verra, portent pour titre ou sous-
titre Ihpt cp6cri::wç <x-.6p6>TCou. C'est cette théorie de
l'homme que, pour faire court, et après beaucoup d'autres 2,
on désignera ici par le terme d'« anthropologie». C'est
elle dont on voudrait maintenant, pour reprendre le fil de
ce propos, montrer la solidarité et les échanges incessants
avec la réflexion sur Dieu ; d'abord en rassemblant, tirés
de l'hellénisme païen aussi bien que de la patristique, un
certain nombre de thèmes qui seront développés à loisir,
sans souci de systématisation, dans le corps de cet ouvrage ;
puis en mettant en vedette un exemple vraiment privilégié,
dont il ne sera plus question dans la suite.

(1) CT. A. LANG, Homer and Anthropology, dans R. R. MAR.ETT


(eclit.), Anthropo!ogy and the Classics•, New York 1966, p. 44-65 ;
G. G. A. MuRRAY, Anthropology in the Greek Epi& Tradition outside
Homer, ibid., p. 66-92. ; J. L. MYRES, Herodotus and Anthropology, ibid.,
p. 121-168 ; C. Kr.ucKHOHN, Antbropology and the Classics (« The
Colver Lectures» 1960), Providence 1961, p. 2.6-42; et déjà E. E. S11Œs,
The Antbropology of the Greeks, London 1914.
(2) Tels par exemple, outre les titres cités dans la note précédente,
B. GROETHUYSEN, Anthropologie philosophique, dans « Biblioth. des
Idées», Paris 19'j2 : <<les conceptions anthropologiques de Platon»
(p. 38), « l'anthropologie scientifique, telle que l'a élaborée Aristote »
(p. 60), etc. ; L. GERNET, Anthropologie tk la Grèce antique (collect.
<<Textes à l'appui »), Paris 1968, chap. I , p. 9-19 : « L'anthropologie
dans la religion grecque )).
II

SPÉCULATIONS GRECQUES ET CHRÉTIENNES

J. POINTS DE VUE GRECS

1. Le divin dans l'homme.


Le sentiment de la séparation entre dieux et hommes
semble bien avoir précédé, au moins dans la littérature,
celui de leur parenté ; la formule d'Homère et d'Hésiode
sur Zeus « père des dieux et des hommes » marque sans
doute la dépendance plus que la filiation ; d'autres en
revanche ne comportent aucune équivoque, telle celle-ci :
« ce seront toujours deux races distinctes que celle des
dieux immortels et celle des humains qui marchent sur
la terre »1 ; à quoi il faut peut-être joindre le célèbre début
de la VI 0 Néméenne(str. 1, 1-2) de Pindare : « Les hommes
sont une race, les dieux en sont une » (Ev &.v3p&v, iv (k&v
ysvoc,)2 • Ce qui est sûr, c'est que cette représentation
attristante n'a pas tardé à se trouver compensée par la
représentation inverse, qui met l'accent sur la communauté
de race des hommes et des dieux : l'affirmation d'une telle
r;uyysvwx. remonte elle aussi très haut, peut-être jusqu'à

(1) Iliade V 441-442, trad. Mazon; cf. É. DES PLACES,Syngeneia.


La parenté del' hommeatJecDieu, d'Homère à la patristique, collect. (<Études
et commentaires », 51, Paris 1964, p. 20-21,
(2) Ce n'est pas sûr ; car, à cette interprétation disjonctive, beaucoup
d'historiens préfèrent l'interprétation unitaire : « C'est une seule race
que celle des hommes et celle des dieux » ; on retrouvera cette
deuxième façon de voir infra, p. 36-38 ; cf. là-dessus É. DES PLACES,
op, cil., p. 26 et n. 5.

2
6 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

l'orphisme ancien, puisqu'on la lit sur les lamelles d'or


funéraires de Thourioi1 ; en tout cas, elle est par excellence
le fait de Platon 2, mais on la rencontrera aussi dans l' Éthique
à Nicomaque; les stoïciens reprendront la même idée sur
d'autres bases, plus physiques que théologiques, et par-
viendront à démentir exactement les formules d'Homère
et de Pindare : l'Hymne à Zeus (vers 4) de Cléanthe et les
Phainomena (vers 5) d'Aratos se rejoignent littéralement
(sans que l'on sache d'ailleurs avec certitude lequel des deux
textes a déteint sur l'autre) pour affirmer que nous sommes
la race de Dieu ; au point que, cherchant dans la tradition
grecque l'analogue de la croyance chrétienne à la filiation
divine de l'homme, c'est l'hémistiche d' Aratos que saint Paul
citera dans son discours d'Athènes (Actes 1 7, 2.8). Grâce
à cet apport massif du platonisme et du stoïcisme, la thèse
de la parenté entre l'homme et la divinité ne cessera de
gagner du terrain aux dépens de la thèse de leur hétéro-
généité ; les philosophes eux-mêmes qui, tel Épicure,
rejettent cette parenté définiront leur idéal moral par
la ressemblance avec les dieux, et promettront à leur
adepte : ~~cm ~è wç Os:oçèv &.v0pc.:moiç 3 • Tout cela est fort

connu.

(1) ÛRPHÉE, B 18 DIELS-KRANz,I, p. 16, 8-10: arrivant chez les


dieux, l'âme du défunt s'adtesse à eux (&:0avi:tTOt fü:o() et se flatte
d'appartenir à leur race bienheureuse (tywv ôµ&v yévoç iSÀÔtov
e:15xoµi:tt
e:!µe:v); de même B 19, p. 16, 20-22; cf. M.-J. LAGRANGE,
Les mystères :l'orphisme (Introd. àl'étude du Nouv. Test., IV 0 p.: Critique
historique, I), collect. « Études bibliques», Paris 1937, p. 139-140.
(2) Et naturellement, après lui, du néoplatonisme ; cf. par exemple
PLOTIN, Enn. IV 7, 10, 1 et 18-19, éd. Henry-Schwyzer, p. 214: l'âme
humaine est de même race que la nature divine (-tjj 0eto-répq.qiucret
auyye:v~ç ~ tJiux~),elle doit être divine du fait qu'elle participe aux
choses divines, grâce à sa parenté et à sa communauté d'essence avec
elles (&:vayx'lj0e:'fov-rà -rmoihov e:!voi:t,&-re:0e:L(,)vµe:-ràvoi:ô-rw8ui
cruyyéve:ioi:vxoi:t-rà bµooucrtov). '
(3) ÉPICURE, Epist. III ( ad Men.), dans DroG. LAËRCE,X 13~ ;
le sage épicurien est « égal aux dieux ll, !cr60e:oç(PLUTARQUE,Non
posse suau. 7, 1091 11; CLÉM. D'ALEx., Strom. II 21, = testim. 419 et
602 UsENEa, p. 282, 18, et 340, 1 ; sur le mot, cf. DroG. LAËRCE,X ~, =
fgt 165 UsENEa, p. 150, 28) ; son bonheur n'est en rien inférieur à
« LE DIVIN EN NOUS» 7
S'il est vrai que l'homme a parenté avec les dieux, elle
doit se traduire par la présence en lui d'un élément divin :
"t"Otv ~µî:v fü:î:ov; la formule se lit chez Platon 1 comme
chez Aristote 2, et on la rencontrera dans toute la tradition
platonicienne. Présent dans l'homme, le divin n'est
généralement pas regardé comme coextensif à l'homme ;
on le place dans le meilleur de l'homme, qui est l'âme,
et mieux encore dans le meilleur de l'âme, qui est l'intellect.
Cette idée encore est un lieu commun du platonisme ;
on s'arrêtera particulièrement à l'expression qu'elle revêt
dans le Jer Alcibiade 133 c, où il est dit que rien dans l'âme
n'est plus divin ou semblable au divin que la partie affectée
à la connaissance et à la pensée ("Exoµe:v oùv d·7t'E:Î:v o "t"L
to'"t"L
Tijç t.Jiux'Yjç 7te:pl8 "t"O
8e:uSnpov~ 't"OÜ"t"O e:t8éva;L"t"Exa;l
cppove:î:v
to'-rLv; - Oùx.~xoµe:v.-Tcj) 8dep &pa;-roü-r'foLxe:v
a;ÙTijç).De là est sortie une innombrable postérité, dont
on examinera diverses variétés ; parmi les multiples formules
qui condensent la doctrine, il en est une surtout qui

celui des dieux, même si la mort en limite la durée, cf. DIOGÈNEo'OEN.,


fgt 52, col. IV 1-10 CttrLTON, p. 80-81 : nepiyelveTocLij[µ]E<L>V
-rci8'o!ocniv 8Lci6e:ow~µ&v tcr66e:ovno:er xocloù8! 8uxniv 6v7JT6T7)Tet
T'i)c;&rp6cipTouxetl µocxocpletc;
rpucre:ooc;
ÀEmoµb>ouc;~µiic; 8e:lxvucrw.
dO-re:µèv yœp ~&µe:v,oµo[ooc;-roïc;6e:oïc;xoclpo[µ]e:v(cf. CICÉRON,De
fin. l 19, 63 et II 27, 87), et LucRÈcE, De rer. nat. m 322 : « ut nil
inpediat dignam dis degere uitam ». Épicure lui-même est regardé
par ses disciples comme un dieu, cf. LucRÈCE, V 51 : « hune hominem
numero diuom dignarier esse», et CICÉRON, Tuscul. I 21, 48. Les
cyniques avaient, sur ce point, montré la voie aux épicuriens, cf.
DION CHRYS.,Oral. VI ;1, disant de Diogène : µciÀLcrToc èµLµeÏTo
-r&v 6e:&v-rov ~[ov. Peut-être faut-il ajouter ÉPICURE,Epùt. III 124 :
"oùc; ôµo[ouc; &rro8éx_ovTocL, texte controversé, mais où beaucoup
d'historiens voient l'idée que les dieux accueillent dans leur compagnie
les hommes qui leur ressemblent ; cf. W. ScHMrn, Giitter und Menschen
in der Theo/ogieEpikurs, dans Rhein. Museum, 94, 1951, p. 105-115, et
É. DES PLACES, op. cit., p. 142-143.
(1) Tim. 90 c; cf. Républ. IX 589 e: T0 &IXUTOU 6e:L6TetTOV; Tim.
73 a: Tou 6e:toTci-rou TWVrrocp'~µïv ; 88 b : T0 6eL6Toc-rov "&v èv ~µîv,
etc.
(2) Eth. Eud. VIII 2, 1248 a z7 ; cf. Eth. Nic. X 7, 1177 a 16 :
Tù)VÈ\I ~µÏV '°'06e:L6TIXTOV;b 28: 6e:î6VTLèv OCÙTcj> [se, : '°'cj>
civ6pwmj>]
Ul't'cXpx_eL.
8 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

retiendra l'attention par sa netteté et sa concision : « l'intel-


lect, c'est, en nous, Dieu» (o voue;yixp ~µ.&v o 6e:6c;);si
le contenu en apparaît clairement, elle pose de délicats
problèmes d'ordre littéraire ; elle est tirée du Protreptique
de Jamblique, qui doit la tenir de l'ouvrage homonyme
d'Aristote ; mais d'autres auteurs la citent, l'attribuant
tantôt à Ménandre, tantôt à Euripide ; on verra les raisons
que l'on a de la faire remonter en définitive jusqu'à
Anaxagore, à qui la rapporte d'ailleurs Jamblique ; c'est
à Anaxagore qu'Aristote l'aura empruntée, la jugeant
particulièrement propre à rendre la croyance platonicienne
à la divinité de l'intellect humain. La doctrine ne trouvera
pas d'expression plus absolue ; mais elle en trouvera de
plus imagées, dont on aura aussi à connaître. C'est ainsi
que Cicéron compare l'intellect de l'homme à une statue
consacrée, sicut simulacrumaliquoddicatum (De leg. I 22, 59) ;
mais il n'est lui-même, ce faisant, qu'un relais dans une
tradition qui le précède, et que l'on suivra jusqu'à Proclus ;
dans cette continuité, on remarquera la place d'Épictète,
qui assimile l'homme à une statue exécutée par Zeus
lui-même et, à ce titre, combien plus vénérable que le Zeus
de Phidias. Épictète encore et Marc-Aurèle emploieront
souvent une autre image pour donner à entendre la nature
divine de notre intellect : reprenant une formule déjà
employée peut-être par leurs prédécesseurs stoïciens
Chrysippe, Apollodore et Posidonius 1 , ils le regarderont
comme un fragment détaché (&.1t6crnoccrµ.oc) de la divinité.
Beaucoup d'autres exemples montreront, sous la diversité
des expressions, la continuité de la doctrine.
Si Platon, pour décrire la relation de l'homme à Dieu,
parle souvent de cruyyévs:Loc, il parle aussi, une fois au
moins, d'ôµ.o(Cùmç; c'est dans la célèbre page du Théétète
1 76 b, qui aura tant de retentissement dans le néoplatonisme,
et où l'on voit définie la fuite qui, du mal régnant ici-bas,

(1) a. DxoG. LAËRCE,VII 142.-143,= SVF II 633, p. 191, 3s-40,


« PARENTÉ » ET « ASSIMILATION » 9

doit nous conduire auprès des dieux : cette fuite, c'est de


devenir semblable à Dieu dans la mesure du possible
(oµ.o(wnç 8scj>xci:roc-rà 8uvoc-r6v) 1 • Nulle synonymie entre

les deux mots : la cruyyévstocdésigne un état de fait, qui


est le lot de tout homme sans initiative de sa part, cependant
que l'oµ.o(wcriç marque une action à assumer, dont le
résultat ne peut être garanti 2 • Mais nulle contradiction non
plus entre les deux notions : la parenté divine étant une
simple virtualité, un point de départ nécessaire mais
insuffisant, il appartient à l'homme soit d'en tirer parti
par un effort positif d'assimilation, soit de renoncer par
négligence à en bénéficier ; l'assimilation ne peut s'engager
si elle ne prend appui sur une parenté préexistante ; mais
la parenté ne mène à rien si elle n'est ratifiée et fécondée par
une volonté d'assimilation. Deux observations confirment
cette analyse. D'une part, tous les textes platoniciens qui
appellent à l'oµ.owücr8ocL6scj> ajoutent une réserve sur
l'issue de l'entreprise, telle que xoc-roc-rà 8uvoc-r6v,5-rL
µixÀtcr-roc,etc., alors qu'aucune précaution de ce genre
n'affecte les affirmations de la cruyyévsioc. D'autre part,
on ne voit pas que la cruyyévstoccomporte un contraire ;
mais l'oµo(wmç a le sien, qui est naturellement l'&.voµo(wcrtç,
conçue soit comme assimilation au principe antagoniste
de Dieu (par exemple Théétète 1 76 e-1 77 a : en présence

( 1) Cf. encore Républ. VI 5oo ç : -re:Tl)(yµévl)(


&ni)( XI)(!Xl)(TIX
Tl)(\JTIX
&d ~XOV't"I)( [ ... ] µLµda!hl 't"S Xl)(Le't"L µetÀLO"'t"I)(
&qioµornücr61)(L ;
X 613 a : e:tç&crov8UVl)(TO\I &v6pw7t<J> fü:éj); II 383 t;
oµornücr61)(L
Tim. 90 d; Lois IV 716 cd,· et H. MERKI, 'OMOif.ŒU:: 0E1). Von
der platoni.rcbenAngleicbung an Coll zur Gottabnlfrbkeit bei Gregor von
Nyssa, collect. « Paradosis », 7, Freiburg Schw. 1952, p. 1-7.
(2) Que l'oµolrocriç soit bien une visée, c'est ce qui apparaît encore
lorsque les doxographes la donnent pour un TéÀoç ; ainsi Arius
Didyme(?) apud SToBÉE,Antbol. II 7, 31, éd. Wachsmuth, II, p. 49,
8-9 : ~roxp&.TI)ç,IIMTrov Tl)(Ô-rcx T<Ï>
Ilu6ocy6pqi;,-réÀoçoµotrocrLv6eéj);
ce témoignage a en outre l'intérêt de rattacher la doctrine platoni-
cienne à Pythagore, selon une filiation admise par W. K. C. GuTHRm,
A Hi1tory of Greek Pbilo1opby, I : Tbe furlier Pruocratic1 and tbe
Pytbagorean1, Cambridge 1962, p. 199, n. 1.
10 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

des deux paradigmes opposés, l'un divin, l'autre athée,


les méchants se rendent semblables (oµmouµi::voL) au
second, c'est-à-dire dissemblables (ocvoµowuµi::voL) au
premier), soit comme chute dans la dissemblance pure (de;
-rov -njc; &.voµoL6TI)TOÇ [ ... ] rr:6v-rov(T6rr:ovcodd.), comme
il est dit du monde dans le mythe du Politique, 2.73 d).
On comprend maintenant comment les deux concepts
sont à la fois distincts et complémentaires : la parenté divine
de l'homme se présente comme un donné, que rien ne
compromet parce que, de lui-même, il n'assure pas de
salut ; son rôle est de fournir une base à la tentative de
l'assimilation à Dieu, entreprise difficile et menacée,
mais porteuse d'un espoir de libération.
C'est entre la cruyyévi::Locet l'oµo[wcrLc;que, dans la tradition
platonicienne, se joue la vie de l'homme. Ou encore, pour
reprendre la terminologie signalée précédemment, entre
le divin en nous et le divin en soi ; faire se rejoindre l'un
et l'autre, voilà l'unique nécessaire. On connaît la dernière
parole de Plotin mourant : « il dit qu'il s'efforçait de ramener
le divin qui est en nous au divin qui est dans le Tout
(rr:1::Lp1fo6ocL
't'Ô&v~µ"r:v6z"r:ovocvcx.yi::wrr:pôc;TÔ &v 't"CÎ)TCOCV't't
61::"r:ov)
» 1 ; les ultima uerba du philosophe, dont on n'a

(1) PORPHYRE, Vita Plot. 2, 2.5-2.7, éd. Henry-Schwyzer, p. 3.


Il faut ajouter que cette phrase est trop belle pour être tout à fait sûre.
Après avoir publié en 1951 le texte que l'on vient de lire, P. HENRY,
La tkrnière parole de Plotin, dans Studi c!a.r.ricie orienta!i, 2., 1953, p. 113-
13~, a reconsidéré minutieusement le problème: paléographiquement,
trois leçons ont des chances égales, pour avoir toutes appartenu à
l'archétype : -ro &vl)µ.Îv fü:fov, -ro tv ôµ.îv 6dov et -rov tv ôµ.iv 6e:6v;
pour des raisons de doctrine et de tradition indirecte (Synésius),
P. Henry préfère maintenant la troisième leçon, et c'est elle qu'avec
H.-R. Schwyzer il a homologuée en 1964 dans les Plotini opera de la
« Scriptorum class. Bibliotheca oxon. », t. I, p. 2.. R. HARDER,Plotins
Schriften, Bd. V c, Hamburg 1958, p. 80-82, qui reste fidèle au texte
traditionnel, a montré les faiblesses de la démonstration de P. Henry ;
des contre-arguments de Harder, retenons ceux-ci : 1 o bien que les
critères stylistiques usuels soient peu applicables à Plotin, la rupture
entre le style indirect (n-e:Lpiicr6aL)et le style direct (ôµ.iv) est difficile
LA DERNIÈRE PAROLE DE PLOTIN 11

aucune raison de suspecter l'authenticité, ne peuvent être


insignifiants ; d'après les réflexions qui précèdent, ils
traduiraient exactement l'accomplissement de la cruyytveLoc
par l'oµ.o(wmç, et le coefficient d'incertitude que Platon
attachait à ce dernier terme aura été bien rendu chez
Plotin par la notion de tentative (1reipoccr6ocL). On ne connaît
dans l' Antiquité qu'une référence expresse à ce texte, et
elle est le fait du chrétien Synésius (fin du ive siècle-début
du ve) ; dans une lettre, cet auteur se flatte d'adresser à son
correspondant un conseil tiré des mots que Plotin mourant
livra aux assistants, et c'est : « ramène le divin qui est en
toi-même au divin primordial (--ràÈv crocu--rcï> 0e'r:ov&vocye¾1rt
--rà1rp6yovov 0e'r:ov)» 1 • Mais bien d'autres pages néoplato-
niciennes font état de cette dualité du divin en nous et
du divin en soi, et voient dans le retour du premier au
sein du second l'essentiel de la vie spirituelle ; ainsi,
c'est par le fait qu'elle favorise une telle résorption que
Jamblique, dans un passage sur lequel on aura à revenir,
apprécie la valeur de la prière : « Le divin qui est en nous
(Tà [... ] 0e'1:ov¾v~µ.'1:v)[...] se réveille alors, bien en évidence,
dans les prières ; réveillé, il tend à ce qui, de façon éminente,
lui est semblable, et il se conjoint à la perfection en soi
(cruvix1r--re--rocL
7t'poç OCÙ't'O-"t"eÀe(OTI)'t'OC)
» 2 ; entendons que la
prière tire le divin en nous de son assoupissement, le met
en pleine lumière, et ainsi rend possible sa réunion au divin
absolu ; c'est bien la même démarche qu'avec moins
d'assurance tentait Plotin, dans la ligne de l' oµo(wcriç
platonicienne.

à admettre ; 2° comme on l'a vu ici même, les mots -rà sv'YJ[l,ÎV8e:îov


ont un passé platonicien et aristotélicien ; sur les lèvres de Plotin,
ils ne peuvent être qu'une réminiscence, presque une citation, ce qui
en accroît la vraisemblance.
(1) SrnÉsms, Episl. 139, 276 a, éd. Hercher, p. 725 ; cité par
P. HENRY,art. ât., p. 126-128,
(2) JAMBLIQUE, De myst. I 15, 46, 13-16, éd. des Places, p. 65.
12 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

z.. De la connaissance
de l'homme à la connaissancede Dieu.
Dans cette constitution de la notion de -roF;V~fLÎ:V0ei:ov,
dans son identification à la partie intellectuelle de l'âme,
dans le devoir qu'on lui trace de réintégrer, par un effort
d'ofLo(wcr~ç,le divin originel, on accordera qu'il y a déjà
une notable compénétration d'analyse anthropologique
et de réflexion religieuse. La conviction s'en impose
davantage encore si l'on passe de l'ordre de l'être à celui
de la connaissance. S'il est vrai que la structure de l'homme
comporte un élément divin qui n'est autre que son intellect,
il doit en résulter que la connaissance de l'intellect humain
procure dans une certaine mesure la connaissance de Dieu.
De ce principe général, les Grecs ont tiré les applications
les plus diverses. Certaines se situent à un humble niveau.
Constituer, comme fait Homère, les dieux à l'image des
hommes, projeter notamment en ceux-là les bassesses
de ceux-ci, voilà déjà, sans nul doute, une façon d'extraire
de la connaissance de l'homme une représentation de la
divinité. On sait quelle levée de boucliers cette théologie
anthropomorphique a provoquée chez les penseurs plus
rigoureux, de Xénophane à Épicure en passant par l'ancien
pythagorisme et par Platon 1 ; rappelons simplement
la protestation de Cicéron, qui offre l'intérêt de renverser
le sens de l'inférence en souhaitant que l'on représente
plutôt les hommes sur le modèle des dieux : en racontant
le rapt de Ganymède, « Homère fabulait et transportait aux
dieux les attributs humains : je préférerais qu'il eût transporté
en nous les attributs divins »2 ; c'était demander qu'à la
théologie anthropomorphique des poètes se substituât

(1) Par exemple XÉNOPHANE,fgts 11 et 12 DrELS-KRANz, I, p. 132,


1-11 ; Pythagore apud DIOG. LAËRCE, VIII 21 ; PLATON, Républ. II
377 d-383 c; ÊPrcuRE, testim. 228-229 UsENER, p. 171, 31-172, 23, etc.
(2.) CrcÉRON, Tuscul. I 26, 65 : « Fingebat haec Homerus et humana
ad deos transferebat ; diuina mallem ad nos >>; cité avec éloge par
AuGUSTIN, Conf. I 16, 25 et De ciu. dû IV 26.
ANTHROPOMORPHISMES ET THÉURGIE 13

une anthropologie théomorphique. Une autre catégorie


de lecteurs n'appréciaient pas davantage les anthropo-
morphismes de la théologie homérique, mais n'envisa-
geaient pas pour autant de rien sacrifier de leur admiration
pour le poète ; il est bien connu que c'est le conflit entre
cette répulsion et cet attachement qui, psychologiquement
et sans doute historiquement, suscita l'invention de l'exégèse
allégorique ; grâce à cette thérapeutique des mythes les
plus inconvenants, on se crut muni d'une alternative à
l'impiété d'Homère ; tel est le sens d'une célèbre sentence
du commentateur Héraclite (sans doute ne siècle de notre
ère) : « Son impiété fut universelle s'il n'a usé d'aucune
allégorie » 1 • C'est encore une façon de projeter dans
la divinité les aspects les moins relevés de la psychologie
humaine que de professer, avec les épicuriens romains,
que PrimtJS in orbe deosfecit timor 2 •
Dernier exemple, dans une tout autre mentalité, de cette
réduction du divin à l'humain : la théurgie née des Oracles
chaldaïqueset florissante à la fin de l' Antiquité ; car le
théurge, de par son nom même (6eoupy6ç), veut se distinguer
du simple théologien (6eoMyoç) : non content de parler
des dieux, il prétend faire œuvre divine. Psellus expose
ainsi la nature de la 6eoupyla : le théurge transforme les
hommes en dieux, ce qui lui vaut d'être appelé « père
divin » ; il divinise l'homme en le délivrant de la matière
et des passions, en sorte que celui-ci devienne théurge
à son tour et d'un autre homme fasse un autre dieu 3 • De

(1) HÉRACLITE,Quae.rt.homer. 1, 1 ; cf. de même 22, 1.


(2) PÉTRONE,fgt 27, 1 ERNouT, p. 190 ; STACE,Theb. III 661.
(3) PsELLus, De omnif. doctr. 74, 1-3, éd. Westerink, p. 47 : 'O µèv
~xc,wTIJIIfü:oupytX'l}II&peni116eomh-rop xoc't'o11oµoc~e-roct
· timll'I} yàp
6e:oùç 't'O\>Ç&116pwrcouçoihoç èpyoc~e:'t'oct,lltà 't'OCÜ't'OC
fü:oTCOC't'(J}f)
; 71, 9-11, p. 46 : -ro llè: M11occr6oct
xocÀe:Ï-roct 6eorcote:î11cx116prorco11
xocl njç 6À'I)<;è~ocye:t11
xoct 't'w11mx6w11&.rcocÀÀ&:'t"t'e:t11,
&cr-re:llu11occr6oct
xocl ocÙ't'OII6e:oupyd11 ~npo11 ; pour le premier texte, comparer
PORPHYRE,Sent. 32, 7, éd. Mommert, p. 22, 13-14, où celui qui agit
selon les vertus paradigmatiques (les plus hautes) est appelé 6e&11
14 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

ces données sur la prétention théopoïétique des théurges,


E. R. Dodds 1 a rapproché certains passages de l' Asclépius
hermétique : à l'imitation du Dieu suprême qui crée à
sa ressemblance les dieux du ciel, l'homme fabrique à la
ressemblance de son visage ses propres dieux (qui ne sont
autres que les statues animées des temples), il est deorum
ftctor 2 • Sans doute ces deux démarches créatrices de dieux
ne sont-elles pas identiques : dans le témoignage de Psellus,
plus proche de la théurgie des Oracleset de son interpréta-
tion philosophique, il s'agit de la divinisation de l'homme ;
dans le texte hermétique, plus imprégné de magie « égyp-
tienne», l'accent est mis sur la matérialité d'une opération
voisine du bricolage (exception faite, évidemment, de
l'exploitation des «sympathies» cosmiques). On aura
remarqué néanmoins, de part et d'autre, des expressions

rc;cxTI)p; et voir surtout H. LEWY, Cha/daean Oracles and Theurgy.


Mysticism, Magic and P!atonism in the Later Roman Empire, dans
(< Recherches d' Archéol., de Philo!. et d'Hist. » de l'Inst. franç.
d'Archéol. orient., 13, Le Caire 1956, Excursus IV : <<The Meaning
and the History of the Terms 'Theurgist' and 'Theurgy' », p. 461-
466.
(1) Theurgy and ifs Re/ationship to Neoplatonism, dans The Journal of
Roman Studies, 37, 1947, p. 55 (repris dans The Greeks and the Irrational
[« Sather Class. Lectures)) 25], Berkeley-Los Angeles •1964, App. II,
p. 2.83-284 et p. 300, notes). Dans Pagan and Christian in an Age of
Anxiery. Some Aspects of Religious Experience /rom Marcus Aurelius
to Constantine,Cambridge 1965, p. 72-101, le même historien a relevé,
dans les papyrus magiques et certains textes gnostiques et hermétiques,
d'autres conceptions de la divinisation proches de celles-ci, et pris
soin de les distinguer fortement de 1'6µo[wcHÇ0e:0 selon la tradition
platonicienne, comme la mystique «extravertie>> de l'« introvertie».
(2.) Asclep. 2.3,éd. Nock, p. 325, 7-11 : <<deus ut effector est deorum
caelestium, ita homo fictor est deorum, qui in remplis sunt humana
proxirnitate contenti [... ] Nec solum ad deum proficit, uerum etiam
conformat deos » ; p. 326, 4-8 : 11 humanitas [... ] in illa diuinitatis
irnitatione perseuerat, ut, sicut pater ac dominus, ut sui similes essent,
deos fecit aeternos, ita humanitas deos suos ex sui uultus sirnilitudine
figuraret )) ; 24, p. 32.6, 9-15 : ces dieux anthropomorphes sont les
statues animées et miraculeuses ; 37, p. 347, 13-14 : « inuenerunt
artem qua efficerent deos » ; p. 347, 16-18 : l'animation des statues
divines est obtenue par l'insertion d'âmes de démons ou d'anges ;
38, p. 349, 7-8 : <!Sic deorum fictor est homo >>.
THÉOLOGIE ET INTROSPECTION 15

identiques, et extrêmement fortes ; elles attestent que ces


milieux admettaient la capacité de l'homme à tirer de son
propre fonds et à produire véritablement du divin. Il y a
bien des façons de concevoir l'homme et sa « planète
réfractaire » comme « une machine à faire des dieux » ;
la théurgie chaldéenne fut sans aucun doute l'une d'elles,
à laquelle l'auteur des Deux sources a vraisemblablement
peu pensé. On pourrait se croire, dans ces perspectives
théurgiques, à cent lieues des inoffensifs anthropomor-
phismes d'Homère ; malgré leur distance, les deux mondes
ont pourtant en commun leur tendance à concevoir les
dieux comme un reflet de l'homme et, par là, à les mettre
en son pouvoir ; sous ce rapport, on pourrait dire que la
théologie grecque .finissait comme elle avait commencé 1 •
Sur ces usages, malgré tout bien élémentaires, du
principe selon lequel la connaissance de l'homme commande
la connaissance de Dieu, on ne reviendra plus dans ce livre.
En revanche, on s'y arrêtera souvent et longuement à une
forme plus philosophique de la même loi, qui est que Dieu
peut être atteint dans la connaissance de soi-même. Ici
encore, le point de départ sera emprunté au Jer Alcibiade,
où la réflexion sur le I'vw6i crrx.u-r6vtient une grande place ;
une particularité de ce dialogue est de concevoir la connais-
sance de soi non pas comme une introspection directe, mais
comme une opération complexe qui inclut un détour par
la connaissance d'autrui: de même que l'œil ne peut se voir
lui-même que s'il se reflète, comme en un miroir, dans un
autre œil, plus précisément dans sa pupille, de même l'âme,
pour se connaître elle-même, doit regarder une autre âme,
plus exactement sa partie intellectuelle (132 d-133 b) ; or,

(1) Non sans plusieurs relais intermédiaires ; c'est ainsi que, malgré
leur répugnance pour les théologies anthropomorphiques, les stoiciens
peuplaient une partie de leur panthéon au moyen d'hommes divinisés ;
cf. PHILODÈME, De piet. 11, = SVF II 1076, p. 315, 23-24, disant de
Chrysippe (dans le I•r livre de son Ilept 0erov): Koc[t ixv]0pwitouç
elç 0eo[u]ç (!)7)0-t µe[-r]ocÔ:xÀeî[v].
16 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

comme on l'a signalé plus haut, la partie intellectuelle de


l'âme est divine ; dès lors, la regarder procure non seule-
ment la meilleure connaissance de soi-même, mais en même
temps la connaissance de tout le divin et de Dieu ( 13 3 c :
·nç dç 't"OÜ't'O~Àé7t'wvxcd 7t'(1.V
't'O 0e'i:ovyvouç, 0e6v 't'e xoà
q,poV'Y)OW,o{hw XO:Lé:o:u-rovIXVyvobJ !J,OCÀL(r't"O:).Ce passage
suffit à donner corps à la doctrine selon laquelle l'intellect
humain est comparable à un miroir qui permettrait
d'apercevoir un reflet authentique de la divinité ; nul besoin,
pour formuler cette conception, de mobiliser en outre les
dix lignes suivantes du dialogue, dont l'authenticité est
incertaine (absentes des manuscrits, elles n'existent que
dans une citation qu'en fait Eusèbe), et qui décrivent
d'ailleurs une thèse sensiblement différente, selon laquelle
c'est Dieu lui-même qui devient le miroir tendu à la
connaissance de soi. Dieu perceptible dans le reflet qu'offre
de lui l'intellect humain, voilà l'idée qui appartient
indiscutablement au dialogue, et dont on trouvera de
nombreuses reprises dans l'héritage platonicien.
Elle peut sembler tout à fait étrangère aux données de
l' Asclépius sur la fabrication des statues divines anthro-
pomorphes. Elle l'est moins qu'on ne pourrait le croire,
comme il ressort du rapprochement que l'on a institué 1
sur ce point entre le traité hermétique et certains textes
médio-platoniciens et néoplatoniciens ; c'est ainsi que
Porphyre expose pourquoi l'on est fondé à façonner des
dieux des effigies anthropomorphes : parce que le divin est
de nature noétique (sous-entendu: et que le voüç se présente
ordinairement revêtu d'une forme humaine) 2 ; et la même

(1) A. J. FESTUGIÈRE, éd. citée, p. 378-379, n. 197 (ad As&lep. 23),


qui toutefois ne mentionne pas le témoignage de Varron.
(z) PORPHYRE, De imagin., fgt z BrnEZ, p. z*, 8-9, = EusÈBE,
Praep. euang. III 7, 3 : &v0pùl7tOe:t3dç; µèv IX7t"E:TU7t"OUV
't"OÙÇ6e:ouç;,
lht ).oytxov TO 0e:ï:ov; fgt 3, p. 6*, 8-10, = EUSÈBE, III 9, 5 : si l'on
(Phidias) a fait de Zeus une statue anthropomorphe, c'est en raison
de l'intellect selon lequel le dieu a accompli la création de l'univers.
Eusèbe a parfaitement décelé, et récusé, la liaison entre les traits
JUSTIFICATION DES ANTHROPOMORPHISMES 17

justification apparaît déjà, un siècle plus tôt, chez Maxime


de Tyr : l'appréciation de ceux qui ont établi les statues
divines à la ressemblance humaine n'était pas dérai-
sonnable ; en effet, si l'âme est ce qu'il y a de plus semblable
à Dieu, l'enveloppe la plus convenable pour Dieu ne
pouvait être que celle des âmes immortelles 1 ; en remontant
plus avant encore, on rencontre l'idée chez Varron : les
auteurs de statues divines en forme d'homme ont tablé
sur le fait que le corps humain est le signe de l'âme
raisonnable qui s'y trouve, et que cette âme est toute
semblable à celle de la divinité 2 • Ces réflexions, on le voit,
reviennent à légitimer l'anthropomorphisme des représenta-
tions divines par la connaturalité qui existe entre la
divinité et l'intellect humain ; à ce titre, elles se rattachent
directement au platonisme ancien, et jettent un pont entre
lui et les spéculations hermétiques dont on pourrait croire
qu'elles en sont infiniment éloignées.
De la page de l' Alcibiade sur la possibilité de discerner

humains de l'effigie du dieu et son identification à un voüc;apparenté


à l'intellect humain, cf. Praep. euang. III 10, 16, é.:1.Mras, I, p. 133,
12-14 : 'Yux11 µèv oi5v Àoytx.1)xocl &:0&voc-roc; xd voue; &:n-oc011c; èv
&:v0pwn-ou<pucre:te:i5µot 8oxe:ï:Mye:cr0octdx6voc XOCLoµo(wcrw
&:n-ocrc[,~e:t'I !le:oü(cf. Gen. 1, 26).
(1) MAxlME DE TYR, Philos. II 3 be, éd. Hobein, p. 21, 4-9 : oùx
ID.oyoc; ~ &ç[wmc; 'rW'I -ra &yciÀµoc-rix e:tc; &v!lpwn-Ev71v oµat6"7JTIX
XOC't'IXO"'r7JO"et.µévwv · d yap &v0poon-ou\PUX1)tyyu-ra-rov !le:éj'>xoct
èµ<pe:pfo-ra-rav,où 8-fin-oudxàc; 'rO oµot6TIX'r0'1 aù-réj'>
n-e:ptÔIXÀÛV,'rO'I
0e:6v, crx-five:t&-.om.o>-rix-rCiJ, &M' &n-e:pfµe:ÀÀe:v\jiux'ijc;&0av&-rmc;
e:Ù<pop6v [ ... ] !cre:cr!la,;t
; les prémisses de l'argument sont d'origine
épicurienne, cf. CICÉRON, De nat. deor. I 18, 47-48, = testim. 352
UsENER, p. 233, 14-234, 1.
(2) VARRON, Antiq. rer. diuin. XVI, fgt 6 AGAHD, = fgt 729
HAGENDAHL-WRDAUNS, apud AUGUSTIN, De ciu. dei VII 5, éd.
Hoffmann, p. 309, 1-9 : « quorum qui simulacra specie hominis
fecerunt, hoc uideri secutos, quod mortalium animus, qui est in
corpore humano, simillimus est inmortalis animi [... ] per simulacrum,
quod formam haberet humanam, significari animam rationalem, quod
eo uelut uase natura ista soleat contineri, cuius naturae deum uolunt
esse uel deos » ; cf. mon Mythe et Allégorie. Les origines grecques et les
contestations judéo-chrétiennes, collect. « Philos. de !'Esprit », Paris
1958, p. 324-325 et 357-365.
18 ANTHROPOWGIE ET THÉOLOGIE

Dieu dans le miroir de notre intellect, on aura encore à


rapprocher la forme extrême que peut prendre la même
doctrine, par exemple dans un témoignage relatif à
Empédocle 1 ; poussant au paradoxe, c'est-à-dire prenant
à la lettre, la thèse de la divinité de l'intellect et le principe
de la connaissance du semblable par le semblable, ce
philosophe n'aurait pas craint de se dire tout uniment
dieu, et de concevoir la théologie comme un dialogue entre
ce dieu interne et le Dieu extérieur ; grossissement carica-
tural, qui rend mieux perceptible l'anatomie de la théorie
dans sa présentation tempérée : exigeant, pour saisir Dieu,
d'être lui-même dieu, l'Empédocle mis en scène par
Sextus Empiricus rendait, à sa façon, hommage à l'implica-
tion de la connaissance de Dieu dans la connaissance de
soi. On doit ajouter enfin que la solidarité de ces deux
connaissances se trouve ratifiée par la liaison que l'on
établit parfois entre les deux ignorances correspondantes ;
reprochant à un interlocuteur de s'ignorer soi-même,
Épictète lui dira: «tune sais ni ce qu'est Dieu, ni ce qu'est
l'homme » 2 •

3. Les deux théologies.

Admettre la nature divine de l'intellect humain, enraciner,


en conséquence, la connaissance de Dieu dans la connais-
sance de l'intellect humain, c'est opter pour la voie de ce
qu'on appellera plus tard la théologie affirmative. L'autre
voie, qui consiste au contraire à s'appuyer sur la disconti-
nuité que l'on suppose entre l'humain et le divin, n'est
pas non plus, tant s'en faut, inconnue du platonisme ;
on cite à cet égard la première hypothèse du Parménide
(137 c sq.), où Platon nie de l'Un toute détermination
positive, tout et parties, figure, lieu, mouvement et repos,

(1) Apud SExTus EMPIRICUS, Adu. mathem. I 303.


(2) ÉPICTÈTE, Dissert. II 14, 19 : o(hs -rl 0e6ç ècr-rwo!8ocço(hs -.(
&v0pwn:oç.
AFFIRMATION ET Nl1GATION 19

identité et différence, temps, participation à l'être, etc. ;


dès la fin du 1er siècle de notre ère, avec le néopythagoricien
Modératus de Gadès, ces pages étaient interprétées comme
la charte de la théologie négative, et c'est d'elles que
Plotin tirera sa description, toute en négations, de la
première hypostase 1 •
L'usage associé de ces deux méthodes théologiques,
qui, dans leur principe, s'excluent mutuellement, a posé
de bonne heure des problèmes. Pour reprendre les termes
indiqués au début de cette étude, on pourrait dire que la
première se présente comme une théologie lestée d'anthro-
pologie, et la seconde au contraire comme une théologie
purgée de toute référence anthropologique. On ne tentera
nullement ici de retracer l'histoire de leur conflit. On en
rencontrera pourtant, incidemment, un épisode chez
Aristote, lorsque l'auteur del' Éthique à Eudèmeet (peut-être)
de la Grandemorale,après avoir conclu, de l'autarcie divine,
à celle qui s'impose à l'homme, se prend à douter que tous
les traits propres à Dieu soient à inclure dans l'idéal de
l'homme, et inversement que les plus hautes vertus de
l'homme doivent être transportées en Dieu. Les stoïciens
n'auront pas le même scrupule ; proches en cela, on l'a
vu 2 , de l'école épicurienne, ils soutiennent, entre Dieu et
l'homme de bien, l'égalité de la vertu, et, puisque la vertu
détermine le bonheur, l'égalité du bonheur 3 ; c'était, par

(1) Cf. E. R. Donns, The Parmenides of Plalo and the Origin of the
Neoplaloniç « One )), dans The Clau. Quart., 22, 1928, p. 129-142, avec
les réserves d'É. BRÉHIBR, Le «Parménide)> de Platon et la théologie
négative de Plotin, dans Études de Philosophie antique(« Public. de la Fac.
des Lettres de Paris»), Paris 1955, XXVII, p. 232-236.
(2) Cf. supra, p. 6 et note (3).
(3) Sur l'égalité de la vertu, cf. Cléanthe dans SVF I 564, p. 129,
6-14; Chrysippe dans SVF III 245-252, p. 58-59, et 526, p. 141, 21-22.
Sur l'égalité du bonheur, cf. Chrysippe dans SVP III 54, p. 14, 10-13,
et 248, p. 59, 9-11 ; CrcÉRON, De nat. deor. II 61, 1B ; SÉNÈQUE,
Epist. ad Lucil. 59, 14 ; 73, 13 ; 110, 18 ; Nat. quaest. VI 32, 5 ;
PLUTARQUE, De commun. nol. 33, 1076 B. Le sage stoïcien est même
supérieur à Dieu en ce qu'il est au-dessus de la souffrance alors que
20 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

le fait, s'engager définitivement dans la ligne de la théologie


affirmative la plus rigide, et s'interdire la souplesse que
Platon et même Aristote avaient su maintenir dans
l'utilisation alternée des deux voies 1 •

IL POINTS DE VUE CHRÉTIENS

1. Continuité du platonisme.

Tous les thèmes platoniciens que l'on vient de rappeler,


et qui fondent la théologie sur l'analyse anthropologique,
n'ont pas été agréés par tous les auteurs chrétiens. Un
bon exemple d'hostilité se trouve au début du Dialogue
avec Tryphon, lorsque Justin relate l'échange de vues
qu'étant encore lui-même philosophe païen, il eut avec un
vieillard chrétien, et à la suite duquel il devait se convertir ;
Justin défend les thèses platoniciennes classiques dans
la présentation qu'en donnait le moyen platonisme :
parenté (-ro <ruyyevéç) naturelle de l'âme avec l'Être et

Dieu est en dehors (SÉNÈQUE,De prouid. VI 6), et en ce qu'il ignore


la crainte par son propre mérite tandis que Dieu l'ignore de par sa
nature (SÉNÈQUE,Epi.ri. 53, 11). Pour Aristote au contraire, le bonheur
de Dieu n'est pas celui de l'homme, cf. Eth. Eud. VII 12., 1245 b 16-17:
où yàp o(h·wi; ô fü:ài; e:o fxe:L; Eth. Nic. VIII 9, 1158 b 35-36 ; et
R. WALZER, Magna moralia und aristotelische Ethik, dans « Neue philolog.
Untersuch. 11, 7, Berlin 192.9, p. 2.32..
( 1) Ptoclus oppose sur ce point la suffisance des stoîciens à la
déférence de Platon pour les dieux et à la modération socratique ;
cf. In Plat. Tim. comment. 2.9c, éd. Diehl, I, p. 351, 11-14, = SVF III
2.52., p. 59, 2.1-2.4 : Ot 3è &1tà -nji; L-roixi; xod TI)\/ CXÙTI)\I &peTI)\I
eL\ICXL 6e:W\IXCXL &v6pwmo\leLp7jXCXaL, 7tOÀÀOÜ 3éovn:i; -nji; -roÜ lD.oc-
'rW\IOÇ ôcrL6TI)TOÇ e!vcxL1:TJÀW-rcxt xcxt -nji; Lwxpcx-rLx'iji;µ.e:-rpL6TI)TOÇ.
Noter que Platon évite en effet de prétendre que l'homme est dieu,
et préfère le dire divin ; ainsi en va-t-il du philosophe, que sa fami-
liarité avec le divin rend divin autant que le permet la nature humaine
(Républ. VI 5oo c : 0dep 87i xcxt xocrµ.lep 6 ye qnMcrorpoi;ô!J-LÀW\I
x6crµ.L6,;;-re: xcxt 6eîoi; e:1.ç-rà 3uvcx-ràv&116pw1tep ylyve:-rcxL) ; il n'est
nullement un dieu, mais un être divin (Soph. 2.16 b : Kcxl µ.oL3oxe:i:
6eo,;; µ.èv (X\17lpOÙ3CX!J-WÇ e:L\ICXL,
6e:ÎOÇ!J-7jV • miv-rcxi;yàp ÈyW TOÙÇ
tpLÀocr6rpoui; -roLou-roui;1tpocrcxyope:uw).
LB PLATONISME DB CŒMENT 21

le Bien, parenté de l'homme avec Dieu (~µ.iv [...] <ruyyévetot


1tpàç -ràv 0e6v), divinité de l'âme(~ ~ux~ 0e(oc)qui est une
portion de l'intellect royal (-roü ~ocrrLÀtx.oü voü µ.époç, cf.
Philèbe ;o d), aptitude de l'intellect de l'homme à saisir
le divin (èqnx.-ràv-rc'ji~µ.e-répepvc'jirruMocodv -rà 6dov) ;
or son interlocuteur chrétien rejette l'essentiel de ce pla-
tonisme, à savoir que c'est sa parenté divine et sa nature
noétique qui valent à l'homme de voir Dieu (Oôx. &poc,
~rp"I),~toc-rà <ruyyev~çop~ -ràv 6e6v, oô~' 8n voüç fo-rtv),
et non pas sa tempérance et sa justice 1 •
Mais les chrétiens accueillirent ces données platoniciennes
beaucoup plus souvent qu'ils ne les repoussèrent. Quand
Augustin, dans ses Soliloques(II 1, 1), adresse à Dieu le
souhait célèbre Nouerim me, nouerim te, on peut hésiter à
dire laquelle de ces deux opérations est pour lui le point
de départ et laquelle le point d'arrivée (sans doute chacune
d'elles est-elle tour à tour l'un et l'autre)2; mais on ne peut
nier qu'il ait voulu indiquer que Dieu est atteint de la
meilleure façon dans la connaissance de soi ; c'était la
thèse même du Jer Alcibiade, dont Augustin subit l'influence
par l'intermédiaire, semble-t-il, de Porphyre 3 • Mais aucun
auteur chrétien n'a sans doute été plus loin que Clément
d'Alexandrie dans l'homologation de cette théologie de
l'immanence ; un passage de son Pédagogue,qui n'a pas
fini de nous intéresser, ramasse dans une formule étonnante
tout l'essentiel du platonisme sur l'inclusion de la connais-

(1) JUSTIN, Dia/, cum Tryph. IV 1-3 ; cf. J. H. WAsZINK,Bemer-


kungen zum Einfluss des Platonismus im frühm Chrislentum, dans Vigil,
christ., 19, 1965, p. 147-148.
(2) Voir G. VERBEKE,Connaissancede soi et connaissancede Dieu chez
saint Augustin, dans Augustiniana, 4, 19S4, p.495-515 ; E. v. lvANKA,
Plalo christianus. Übernahme und Umgestallung des Platonismus durch die
Vater, Einsiedeln 1964, p. 189-208.
(3) Comme l'a bien montré A. SOLIGNAC, Réminiscencesplotiniennu
el porphyriennes dans le début du « De ordine >) de saint Augustin, dans
Archives de Philos., 20, 1957, p. 45 5-462, dont les conclusions sont
admises par P. HADOT, Porphyre et Victorinus, thèse Paris 1968, I,
p. 90-91 et notes.

8
22 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

sance de Dieu dans la connaissance de soi, et sur l'assimila-


tion à Dieu comme résultat de la connaissance de Dieu :
ÉO'.:U'C'OV
yocp 'C'LǾav yvëjl, fü:ov s:foë'C'O'.:L,
6s:ov aè s:tawç
èl;oµoLw6~az-.cxL6s:i:>
1 • On retrouvera chez Clément bien des

thèmes dont on vient de signaler la présence dans la


tradition platonicienne ; ainsi le rapprochement entre la
statue de Zeus due au ciseau de Phidias et l'effigie divine
scellée dans l'intellect de l'homme ; et encore l'idée que
l'intellect d'autrui est comme un miroir où l'on aperçoit
le reflet de Dieu et de soi-même. Nul n'est plus enclin que
lui, ni plus avisé, à repérer dans le platonisme et dans
l'Écriture les traits capables de s'accorder et de se renforcer
mutuellement ; on le verra par exemple associer le miroir
de la Jre Ép. aux Corinthiens 13, 12 et le miroir de
l' Alcibiade, rapprocher l' « homme intérieur » de la
République IX 589 a et celui de la /Je Ép. aux Corinthiens
4, 16, illustrer (dans le texte du Pédagogueque l'on vient de
citer) par des souvenirs platoniciens le passage de la Jre Ép.
de Jean 3, 2 sur l'assimilation à Dieu comme conséquence
de la vision eschatologique de Dieu (O'lacxµs:véhL ¾av
q>o.:vepw6îjoµoLOLcxù-.éj>fo6µs:6cx, O't'Lôtji6µs:6cxcxù-.ov
xcx6wç&O"C'L'II).

2. Deux apports fondamentaux.

Les derniers exemples cités montrent que !'Écriture ne


manque pas de textes qu'il était facile, sans aucune sollicita-
tion, de mettre en harmonie avec certaines images, formules
et doctrines platoniciennes. Parmi les versets bibliques
capables de consonner ainsi avec le platonisme et de lui
conférer une physionomie proprement chrétienne, aucun
n'a joué un plus grand rôle que celui de la Genèse 1, 26
sur l'homme fait « selon l'image et la ressemblance » de
Dieu (xoc-.' dx6vcx ~µe-répcxvxa.l xa.8' ôµolCùO'L'II),
Il a été

(1) CLÉMENTn'ALEx., Paed.III 1, 1, 1, éd. Stahlin, p. 235, 21-22.


L' « IMAGE » ET LA « RESSEMBLANCE » 23
indéfiniment commenté, et souvent dans des termes où l'in-
fluence platonicienne est patente. Beaucoup d'auteurs
n'accordent pas de portée doctrinale au fait que la formule
comporte deux termes, et ils les prennent conjointement,
comme les prenait d'ailleurs la Genèse. Mais certains autres
donnent une valeur différente à dxwv et à OfLOtw<rn;, voient
dans le premier mot l'image divine que tous les hommes
portent naturellement en eux, et dans le second l'assimilation
à Dieu que quelques-uns seulement accomplissent par
faveur surnaturelle ; dans cette dualité d'une donnée
anthropologique et du mouvement spirituel qui la vivifie,
on reconnaît à peu près (sauf évidemment pour la distinction
de la nature et de la surnature) le passage de la rruyyévs:ux
à l'ofLolwmc:;tel qu'on l'a signalé plus haut dans le platonisme.
Quelques exemples patristiques feront mieux comprendre
ce dédoublement des deux notions et ses attaches plato-
niciennes.
A vrai dire, il est antérieur au christianisme, puisque
l'amorce en apparaît chez Philon d'Alexandrie : toute
image n'étant pas semblable à l'archétype, beaucoup en
étant dissemblables, Moïse a ajouté -r<j'> x1n' dxovoc -ro
x oc0' ofLo l w <rLv pour donner à entendre l'exactitude de
l'empreinte 1 . Les gnostiques utilisent la distinction pour
caractériser respectivement l'homme « terrestre », qui est
xoc-r' dxovoc, et l'homme «psychique», qui est xoc0'
ofLo l w a Lv 0s:oü2 ; c'est pour s'opposer à ce détournement
gnostique du texte sacré qu'Irénée essaiera de donner
à la dualité de l'imago et de la similitudo un sens orthodoxe :
si l'homme est à l' « image » de Dieu par la création, il
ne devient à sa «ressemblance» qu'en participant à
l'Esprit 3• Clément d'Alexandrie pense peut-être à Irénée

(1) PHILON, De opif. mundi 23, 71.


(2) Apud CLÉMENT D'ALEX., Excerpla ex Theod. 50, 1-2 et 54, 2;
cf. encore CLÉMENT, Strom. IV 13, 90, 3-4.
(3) IRÉNÉE, Adu. haer. V 6, 1, éd. Harvey, II, p. 334 : l'homme à
qui !'Esprit ferait défaut serait « imaginem habens in plasmate, simili-
24 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

quand il fait état de « certains des nôtres» pour qui


l'homme a reçu dès sa naissance l' « être à l'image », mais
n'obtiendra que plus tard, dans la mesure de sa perfection,
l' « être à la ressemblance »1 ; l'intéressant de ce texte est
qu'il vient dans un développement sur la théorie plato-
nicienne du télos, et qu'il est immédiatement précédé et
suivi de peu par une citation expresse du Théétète 1 76 b
sur l'àµolwcrn;; fü:cjl2 ; la conjonction de l'àµolwcrn; selon
Moïse et de l'àµolwcr~ç selon Platon est donc chose faite
chez Clément, qui suspecte d'ailleurs le second de s'être
inspiré en cela du premier. Une interprétation de tous
points identique se répète chez Origène ; lui aussi, au
cours d'une dissertation sur le souverain bien, cite les termes
du Théétète,et les dit empruntés aux livres saints ; observant
ensuite que la Genèse 1, 26 associe « image » et « ressem-
blance », tandis que le verset 2 7 tait la « ressemblance »
pour ne retenir que l' « image », il en infère que l' « image »
est accordée dans la création initiale comme une simple
possibilité de perfection, alors que la « ressemblance »
est conquise à la fin des temps dans la réalisation de cette
perfection grâce aux efforts personnels et aux œuvres
accomplies 3 • On aura remarqué que, de Philon à Origène,

tudinem uero non assumens per spiritum » ; voir sur ce point A. ÜRBE,
Antropologla de San Ireneo, dans « Bibliot. de autores cristianos »,
286, Madrid 1969, p. 122 sq.
(1) CLÉMENTo'ALEX., Strom. II 22, 131, 6, éd. Stahlin, p. 185,
25-28 : "H yà.p OÙ)(o(h·wi; 't"LVS:<;
't"WV ~µe:-rspwv't"Oµsv XCX't"'
e:lx6vcx
e:ù0éw,;xcx't"à.
TIJVyéve:mve:l):ricpéva:L't"OV
&v0pwrrov,'t"Oxcx0' oµolw-
crLv8s 6crnpov xcx't"à.TIJV't"ùdwcrw µéÀÀe:Lv &rro).cxµMve:LV
èx8éxov-
't"CXL;même interprétation dichotomique en Paed. I tz, 98, 3 (c'est le
Christ qui a réalisé pleinement l'ôµolwcrLç;, tandis que les autres
hommes en restent à l'e:txoov); III 12, 101, 1 ; Protrept. XII 120, 4 ;
Strom. II 19, 97, 1, etc.
(2) Strom. II 22, 131, 5 et 133, 3.
(3) ORIGÈNE, De princ. III 6, 1, éd. Koetschau, p. 280, 2-17 (trad.
Rufin): « summum bonum [... ] a quam plurimis etiam philosophorum
hoc modo terminatur, quia summum bonum sit, prout possibile
est, similem fieri deo (Théét. 176 b). Sed hoc non tam ipsorum
inuentum, quam ex diuinis libris ab eis adsumptum puto. Hoc namque
LE DOGME DE L'INCARNATION 25
cette exégèse de la Genèse 1, 26 - qui se nourrit de
platonisme et, en retour, imprime au platonisme une
coloration chrétienne - se développe en milieu alexandrin ;
elle était vouée à n'en point sortir ; les Cappadociens, et
notamment Grégoire de Nysse, devaient revenir à l'inter-
prétation unitaire de l'dxwv et de l'oµo(wmç 1 •

Si la doctrine de l'homme créé « selon l'image et la


ressemblance » divines s'accordait facilement aux thèses
platoniciennes, on n'en peut dire autant de l'autre apport
dont la pensée chrétienne marqua si puissamment les
problèmes du divin dans l'homme et de la connaissance
de Dieu dans son immanence à l'âme humaine, - c'est-à-
dire du dogme du Verbe incarné ; l'un des thèmes princi-
paux de la tradition platonicienne, celui dont il sera traité
tout au long de la Première partie de cet ouvrage, concerne

indicat Moyses ante omnes, cum primam conditionem hominis enru:rat


dicens : Et dixit deus : Faciamus hominem ad imaginem
et similitudinem nostram (Gen. 1, 26). Tum deinde addit :
Et fecit deus hominem, ad imaginem dei fecit illum,
masculum et feminam fecit eos, et benedixit eos (1, 27-28),
Hoc ergo quod dixit ad imaginem dei fecit eum et de simi-
litudine siluit, non aliud indicat nisi quod imaginis quidem
dignitatem in prima conditione percepit, similitudinis uero ei
perfectio in consummatione seruata est : scilicet ut ipse sibi eam
propriae industriae studiis ex dei imitatione conscisceret, quo possibi-
litate sibi perfectionis in initiis data per imaginis dignitatem, in
fine demum per operum expletionem perfectam sibi ipse simili-
tudinem consummaret >J (Origène cite alors I ]oh. 3, 2, à quoi
on a vu Clément se référer dans le même contexte platonicien) ; même
interprétation de l'image et de la ressemblance dans C. Cels. IV 30 et
dans In Epist. ad Rom. IV 5. Plusieurs des textes que l'on vient de
parcourir sont indiqués par H. MERKI, op. cit., p. 61-62 et 83-84 ;
pour Origène, voir H. CROUZEL,Théologiedel'image deDieu chez Origme,
collect. « Théologie >J, 34, Paris 1956, p. 218-219.
(1) Cf., pour Grég. de Nysse, H. MERKr, op. cit., p. 136-139; c'est
si vrai que, selon cet historien (p. 165-173), la présence de l'interpréta-
tion dichotomique dans certains textes attribués à Grégoire (les deux
homélies In uerba <<Faciamus hominem») scelle leur inauthenticité ;
voir cependant, en sens contraire, R. LEYS, L'image de Dieu chez.saint
Grégoire de Nyue. Esquisse d'une doçtr;ne, dans (( Mus. Lessianum.
Sect. théol. », 49, Bruxelles-Paris 1951, p. 116-119 et 130-138.
26 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

la dévaluation du corps humain, rayé du nombre des


constituants authentiques de la personnalité ; on verra
comment il a heurté la croyance chrétienne à la résurrection
de la chair ; mais il est clair que cette antinomie est peu
de chose, comparée à celle qui devait surgir entre le même
aspect du platonisme et le dogme de l'Incarnation. D'autre
part, et c'est le point sur lequel il faut insister maintenant,
ce dogme a introduit une nouveauté extrêmement impor-
tante dans le problème métaphysique des rapports entre
la nature humaine et la nature divine, et, par voie de
conséquence, dans le problème épistémologique des
rapports entre l'anthropologie et la théologie ; établissant
une rencontre révolutionnaire entre l'humain et le divin
dans l'unité de la personne du Christ, il devait provoquer
parallèlement une conjonction inédite des spéculations
correspondantes ; le discours sur le Verbe incarné ne peut
être qu'à la fois anthropologique et théologique, et cette
coïncidence nouvelle des deux disciplines laisse loin derrière
elle toutes les interférences du même genre que l'on a
précédemment observées dans la pensée grecque. C'est
à l'appui de quoi il n'est pas inutile de rappeler quelques
textes caractéristiques, prélevés parmi un grand nombre.
Les plus anciens sont aussi les plus sobres. Ils insistent
sur la réciprocité parfaite qui existe entre la façon dont,
dans l'Incarnation, Dieu est devenu homme et celle dont,
par les mérites de l'Incarnation, l'homme devient Dieu ;
par exemple Clément d'Alexandrie : « le Verbe de Dieu
devenu homme, afin que, toi aussi, d'un homme ( = l'huma-
nité du Christ) tu apprennes comment l'homme peut
devenir Dieu »1 ; et, plus brièvement encore, Athanase

( t) CLÉMENT D' ALEX., Protrepl. I 8, 4, éd. Stahlin, p. 9, 9-11 :


Ô Àlyoç O 'tOÜ fieoÜ èfv6pw7tOÇyi.v6µevoç, ÎVŒ 31) XIXt GU 7t1Xp<X
&.v6pC:mou µ&671<;,
1t711ton &p°'&v6pw1to:;yÉv'l)'tlXI
6e:6ç; on enlève de
sa force à la formule en traduisant « comment l'homme peut devenir
un dieu», ainsi que le voudrait G. W. BuTTERWORTH, The Deijication
of Man in Clement of Alexandria, dans The Journal of Theo!. Studie.r, 17,
1915, p. 169.
DE CLÉMENTA JEAN DAMASCÈNE 27
« Il s'est fait homme, afin que nous soyons faits Dieu »1 .
De telles formules impressionnent par leur netteté, même
si leurs auteurs précisent ailleurs, pour prévenir toute
confusion avec les schèmes platoniciens rencontrés pré-
cédemment, que cette déification n'implique, entre
l'humain et le divin, aucune communauté de nature,
aucune consubstantialité 2 • Augustin emploiera une expres-
sion semblable pour traduire l'échange que la personne
du Christ réalise entre l'humanité et la divinité : « telle
était son assomption (de la condition humaine) qu'elle
rendait Dieu l'homme, et homme le Dieu »3 • La christo-
logie de Denys l'Aréopagite passe pour « l'un des points
les plus délicats » de son orthodoxie 4 ; pourtant, à sa
manière, qui est faite d'une grande préciosité théologique,
il a rendu la compénétration de l'humain et du divin dans
l'unité du Christ avec une virtuosité qui fait pâlir celle de
ses maîtres néoplatoniciens ; une virtuosité qui ne recule
pas devant le néologisme, puisqu'il forge, pour qualifier
l'activité humano-divine du Dieu fait homme, l'adjectif

(1) ATHANASE,De incarn. uerbi LIV ;, PG 25, 192 B : Aô't'OÇyixp


bnJv6p&micrev, rvoc-i)µeîç 6eo1tOL1J600~.Ces deux textes, surtout le
second, sont souvent cités ; ainsi par É. DES PLACES,op. dl., p. 189,
qui a le mérite de bien entendre la phrase de Clément, ce qui n'est
pas le cas de tous les traducteurs.
(2) Ainsi CLÉMENTD'ALEx., Strom. II 16, 74, 1, p. 152, 10 (oµoou-
cr(ouç-i)µ,iç't'cji6ecji),et ÜRIGÈNE, ln ]oh. XIII 25, 149, éd. Preuschen,
p. 249, 5-6 (oµooucrtouç-tji clyevv~'t'CJ>
qiucrei),cités, d'après H. de Lubac,
par É. DESPLACES,op. cit., p. 184 et 192 ; ajouter, avec W. THEILER,
Die Seele ais Mitte bei Augu.rlin und Origene.r,dans Unler.ruchungenzur
anliken Literatur, Berlin 1970, p. 558, AuGUSTIN,De Gen. ad litt. VII 2,
éd. Zycha, p. 202, 6-7 : « sacrilega opinio est eam [.rc. : animam] et
deum credere unius esse substantiae ». Par là, les Pères se trouvent
directement en opposition avec Plotin cité supra, p. 6, note (2).
(;) AUGUSTIN,De trin. I 1;, 28, PL 42, 840 : 11Talis enim erat illa
susceptio, quae deum hominem faceret, et hominem deum >l ;
Augustin justifie, par cette compénétration totale des deux natures,
que saint PAUL,I Cor. 2, 8, ait pu parler de la crucifixion du Seigneur
de gloire, alors que c'est l'homme qui a été crucifié ; c'est ce que les
théologiens appelleront la « communication des idiomes i>.
(4) R. ROQUES, L'univer.r dionysien, Stru.lure hiérarchique du monde
.relon le pseudo-Deny.r, collect. «Théologie», 29, Paris 1954, p. ;05.
28 ANTHROPOLOGm ET THOOLOGIB

0eG(vapLx6,; « ce n'est pas en tant que Dieu qu'il a fait


les choses divines, ce n'est pas en homme qu'il a fait les
choses humaines, mais, Dieu-fait-homme, c'est une nouvelle
activité, [son activité] théandrique, qu'il a exercée en notre
faveur » 1 • A la fin du vue siècle, Jean Damascène s'inspirera
de cette page en lui adjoignant quelques subtilités de son
cru: « Ce que montre donc l'activité théandrique, c'est que,
Dieu ayant été fait homme, autrement dit s'étant fait
homme 2, et son activité humaine était divine, ou encore
déifiée, participant de son activité divine, et son activité
divine participait de son activité humaine, chacune des
deux étant considérée en union avec l'autre »3• Dans ces
raffinements de la basse patristique, bien fin qui prétendrait
tracer la frontière entre l'anthropologie et la théologie ;
comparées à eux, les réflexions de Platon sur la <SUyyéveLG(
et l'oµ.olwcrL,;feraient facilement figure d'improvisations
d'amateur.

3. Théologieaj/irmative et théologienégative.

Philon d'Alexandrie enrichit la tradition platonicienne


sans la trahir quand il maintient la validité, à son niveau,
de chacune des deux voies, qu'il distingue d'ailleurs
soigneusement. Un bon exposé de sa position se lit dans son
commentaire du «repentir» de Dieu (Genèse 6, 6) ; on y
voit les deux théologies justifiées respectivement par deux
versets bibliques, dont l'un (Nombres 23, 19) dit que
« Dieu n'est pas comme un homme », et l'autre (Deuté-

(1) DENYS, Episl. IV (ad Gaium), PG 3, 1072. BC: oô X<XT<X fü:ov


T<X 0e:i:,xllp&:cr,xi:;,
oô T<X &:v0p6>7t'&L<XX<XT<X
&v6pc,mov,&;).).' &:v3poo0év-.oç
0soü, XOCLVlJV TLVOC Ti)v 0e:ocvllpLX~\Itvépye:LOCVî)[LÎV7t'E7t'OÀLT&U[LÉVOÇ
(trad. RoQUEs, op. cit., p. 310-311) ; à vrai dire, il n'est pas sûr que
6socvllpLx6i:; ne soit pas légèrement antérieur à Denys ; du moins
celui-ci est-il le premier à le mettre en relief, et c'est lui qui en trans-
mettra l'usage à ses successeurs.
(2.) &:vllpoo6év-roi;0e:oü, 'ijyouv tvocv0poo7t'l)cr<Xv-roi:;
; le premier parti-
cipe vient de Denys, et le second est repris d' Athanase.
(3) JEAN DAMAsc., De /ideurthod. III 19, PG 94, 1080 CD.
LES DEUX TIIBOLOGIES CHEZ PHILON 29

ronome 8, ~ ), que Dieu au contraire agit « comme un


homme » 1 ; la première méthode, de beaucoup la plus
vraie, convient aux « amis de l'âme », qui « ne comparent
l'Îhre à aucune forme appartenant aux créatures, mais le
tiennent à l'écart de toute qualité »2 et ne conçoivent de
lui que la pure existence ; la seconde méthode est pratiquée
par les « amis du corps », qui « ont appliqué à la Cause
universelle aussi les idées qu'ils s'étaient faites sur eux-
mêmes »3 ; elle est sans nul doute déplorable, conduisant,
à l'égal des fictions mythologiques, à attribuer à la divinité
non seulement la figure humaine, ce qui n'est qu'absurde,
mais aussi les passions humaines, ce qui est impie 4 ;
néanmoins, elle reste utile à titre pédagogique (lvexoc
[•..] 8i8ocO"XocÀ(ocç)
pour ceux que la nature et l'éducation
ont rendus incapables de suivre l'autre voie 5 ; aussi Moïse
y recourut-il souvent, parlant, non pas au sens propre,
mais par métaphore (où xupLoÀoyd-rocL,xoc-r&x_p'1)0'LÇ 8'
t0'-r(v)6.
La distinction de Philon ne coïncide pas exactement
avec celle des deux théologies traditionnelles ; si sa première
méthode est à peu près identique à la théologie négative,
la seconde est une caricature de la théologie affirmative
dans la mesure où celle-ci, dans la conception classique, ne
transporte en Dieu, avec mille précautions, que les attributs
les plus relevés de la créature. A cette correction près,

(1) PHILON, Quod tkus sil immut. 11, 53-54; cf. de même De som11.
1 40, 237 ; Quae.rt. in Gm. II 54.
(2) Quod deus... 11, 55, éd. C.-W., II, p. 68, 23-69, 1 : oùlle:µiqi
'rOOV y~ov6-.oov tllé~ 1tocpocô&MO\l(rL -ro 1$v,à).).' èxfüô&crocv-re:ç
ocù-ro
... ; de même 13, 61-62 ; De poster. Caini 48, 168 ;
mfol)<; 1tot6't'1)-roç
D, somn. I 11, 67.
(3) Quod tkus ... 11, 56, p. 69, 7-8 : o!oc m:pt 11:oc\l-rwv -rotocihocxoct
1te:pl -roü 1t&v-roov a:!-r(o\l1lte:vo~01)cra:v
; de même De sacrif. Abel. el
Caini 29, 95 ; De co,ifus. ling. 21, 98.
(4) Quod deus... 12, 59 ; De sacrif. .. 29, 95-96.
(5) De confus. Jing. 21, 98, éd. C.-W., II, p. 248, 1 ; Quod deus..• 14,
63-64.
(6) De poster. Caini 48, 168, éd. C.-W., II, p. 37, 13.
30 ANTHROPOLOGIE
ET THÉOLOGIE

il faut reconnaître à Philon, dans ce domaine, une doctrine


élaborée et cohérente. D'une façon générale, les Pères
de l'Église la prendront à leur compte. Leur progrès
consistera surtout à en pousser la systématisation, comme
on le voit, plus que chez tout autre, chez le pseudo-Denys 1 •
Les auteurs qui le précèdent ne manqueront pas, sans
doute, d'observer, comme le fait Arnobe, que la seule
idée vraiment certaine sur la nature de Dieu, c'est qu'un
discours humain ne peut rien en dire 2 • Mais, plus souvent,
ils ne verront pas d'inconvénient à appliquer à Dieu les
notions et les mots employés pour les hommes (création,
être, substance, vie, intelligence, etc.), sous réserve de les
entendre de Dieu différemment, et non pas au sens propre 3 ;
comment serait-on plus exigeant que le Seigneur, qui,
dans l'Évangile, n'hésite pas à transporter à Dieu des
mots qui, tel le mot « père », ont aussi un sens charnel ?4
Grégoire de Nysse enfin, pourtant spécialiste de théologie
négative, montrera une belle confiance dans la combinaison

(1) Cf. R. ROQUES,Noie sur la noûon de ccTheologia » chez le pseudo-


Denys l'Aréopagite, dans Mélanges M. VILLER (= Revm d'As&ét. et de
Myst., 25, 1949), p. :rn8-210; De l'implication de.r méthodes théologiqms
chez. Je pseudo-Denys, dans la même revue, 30, 1954, p. 268-274 ; et
aussi mon étude sur La représentation du monde chez. saint Augustin el
chez. le pseudo-Denys l'Aréopagite, dans Les deux approches du chrù-
tianisme, Paris 1961, p. 184-190, où j'ai essayé de montrer que les thèses
de Denys, excepté la systématisation, sont déjà perceptibles chez
Augustin.
(2) ARNOBE,Adu. nat. III 19, éd. Reifferscheid, p. 125, 3-5 : « Vnus
est hominis intellectus de dei natura certissimus, si scias et sentias
nihil de illo passe mortali oratione depromi ».
(3) Ainsi ATHANASE, Epist. de decretis Nic. syn. 11, éd. Opitz,
p. 9, 35-36 : ètÀÀooçbd 6e:oü ,ocç M~e:1ç Àoq.1.ô&voµe:v xcd hlpooc;
hrl TW\I oc116pwrroovTOC\JTO(Ç31oc11oouµe:6oc ; MARIUS VICTORINUS,Ad
Cand. 28, 4-6, éd. Henry, p. 166 : « ab his quae scimus, nominamus
deum, habentes in intellectu, quoniam non proprie appellamus ll ;
Eunomius apud BASILE, Adu. Eunom. II 23, PG 29, 621 C : xup[ooc;
xocl n-pw,wç ~n-l TW\I cxv6pC:moo11 ,e:,ocyµt110011TW\I ôvoµ1hoov TOUTOOV,
xoc,a)(p7Jcr,tx&ç 'l)µe:ïç tmMyoµe:v ,éji 0.:<ï>(comparer Philon cité
supra : ou xupmÀoy.:ha1, XOCTIX)(f)'l)crLÇ3' fo,lv) ; GRÉG. DB NYSSE,
Orat. &ate.het.I 3-4.
(4) BASILE, Adu. Eunom. II 23.
UNE STAGNATION SURPRENANTE 31
des deux voies en déclarant contre Eunomius « Par la
négation des attributs impropres et par l'affirmation de
ceux qu'avec piété on a dans l'esprit au sujet de Dieu, on
saisit ce qu'il est » 1•
Que les Pères, dans leur ensemble, n'aient pas, sur tous
ces points, dépassé de beaucoup les analyses de Philon,
cela a de quoi surprendre si l'on y réfléchit. Entre l'un
et les autres en effet est apparu un ordre de spéculation
dont on a vu la nouveauté sans précédent, à savoir la
théologie de l'Incarnation ; du rapprochement inouï
qu'elle a révélé entre l'humain et le divin, on pourrait
attendre qu'il ait bouleversé les données traditionnelles
du problème, provoqué une mutation dans le projet
d'approcher la nature divine par sa relation, positive ou
négative, à la nature humaine, dès lors que ces deux natures
avaient coïncidé dans la personne de l'Homme-Dieu. Or
c'est ce qui n'apparaît pas. Certains textes pourtant semblent
sur le point de combler cette attente; c'est le cas d'une
page de Clément d'Alexandrie, du fait qu'elle introduit
le Christ en médiateur dans la uia negationis; mais, après
cette ouverture pleine de promesses, l'auteur tourne court,
et poursuit par des considérations, d'ailleurs remarquables,
sur la théologie négative la plus classique. Voici, pour
:finir, l'essentiel de ce morceau : « Si donc, retranchant
tous les caractères attachés au corps et aux êtres dits
incorporels, nous nous lancions nous-mêmes dans la grandeur
du Christ et si, de là, nous allions de l'avant, par la sainteté,
dans son immensité, nous nous approcherions en quelque
façon de !'intellection du Tout-puissant, en découvrant
non pas ce qu'il est, mais ce qu'il n'est pas» ; Clément
expose ensuite, en des termes qui proviennent de la première
hypothèse du Parménide, qu'on ne doit pas appliquer au

(1) GRÉG. DE NYSSE, Adu. Eunom. II 141, éd. Jaeger, I, p. 2.55,


s-7 : èx 8è -rijç &pv~cn:wi;-rwv µ:~ 7tpoaov-rwv xœl èx -rijç oµoÀoylœi;
'rWV e;Ûae:OWÇ
7te:p( ŒÛTOÜVOOUµt\lWV
/) TL fo-rl [/$-ri fo-rL Jaeger]
XotTŒÀŒµOŒ\IE:TŒL.
32 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

Père universel, même si !'Écriture l'a fait, les catégories de


la figure, du mouvement et du repos, du lieu, du temps,
de la dénomination, etc. ; il reprend alors: « C'est pourquoi
Moïse dit lui aussi : 'manifeste-toi toi-même à moi',
donnant à entendre de la façon la plus claire que Dieu
ne peut être, de la part des hommes, objet d'enseignement
ni de discours, mais n'est connaissable que par la puissance
venue de lui » ; et encore, quelques pages plus loin : « Et
s'il nous arrive de le nommer, l'appelant de façon impropre
Un ou le Bien ou Intellect ou l'l?.tre en soi ou Père ou Dieu
ou Démiurge ou Seigneur, nous ne parlons pas dans
l'intention de publier son nom, mais, dans notre embarras,
nous recourons à de beaux noms afin que la pensée, sans
s'égarer ailleurs, puisse prendre appui sur eux. Car chacun
d'eux isolément n'est pas significatif de Dieu, mais, tous
rassemblés, ils deviennent des indices de la puissance du
Tout-puissant ; les noms que l'on avance, en effet, sont
prononcés soit en vertu de leurs propriétés intrinsèques,
soit en vertu de la relation qu'ils ont les uns aux autres ;
or rien de cela n'est admissible quand il s'agit de Dieu.
Mais il n'offre pas non plus prise à la science démonstrative ;
car celle-ci se forme à partir de vérités antérieures et plus
connues ; or, à l'inengendré, rien ne préexiste »1 .

(1) CLÉMENTn'ALEX., Strom. V 11, 71, 3, p. 374, 11-15 : Et -i-o(wv,


&.cpe:Mv-i-e:i:;
1tâ.v-ra:llcra:1tp6cre:cr-rL -i-oîi:;crwµa:crLvxa:t TOÏc;Àe:yoµévoLç
&crwµ&-roLc;, smpp(\jia:Lµe:via:uTOÙç e:lç -ro µÉye:0oc; -i-oü XpLcr-roü
x&xe:i:0e:v dç 't"O&xa:vè:çcxyL6TI)'t"L 1tpotoLµev, -tjj voi)creL't"OÜ7t"ct:V't"O-
xp&-ropoçcxµ'/iyÉ 7t"fl1tpocrcxyoLµev <<iv>, oùx Il ÊC!'t"LV, 8 llè: µ-fi fo-rL
yvwp(cra:vnç ; V 11, 71, 5, p. 374, 20--22. : t..ux -.oü-ro xa:t ô
Mwucr'ijç tp7)crLvlµtpcxvLcr6v µoL cra:u-r6v (Exod. 33, 13), sva:p-
yfo't"a:-ra:cdvLcrcr6µevoc; µl) e:!va:LIILlla:x-ràv1tpàc; &v0pw7tWVµ7Jllè
p7)'t"àv-ràv 0.:6v, &.1X -?) µ6v71 -tjj 1ta:p' a:ù-roü lluvocµu yvwcr-r6v
(l'exégèse des mots de Moïse est très influencée par PHILON, De
poster. Caini 5, 16, comme aussi en Strom. II 2, 6, 1 et V 12, 78, 3) ;
V 12, 82, 1-3, p. 380, 25-381, 7 ; K&v ovoµcx~wµev a:ù-.6 7t"O't"e, où
xup(wc; x.ocÀoÜv-rei:; ~'t"OL iv -?)-r&.ya:0ov~ voüv ~ a:ù-rà 't"Oav -?)1ta:-i-épix
-?)Oe:àv~ ll7Jµmupyov ~ xopmv, oùx ùlÇ ovoµ()( IX1J't"OÜ 1tpotpe:p6µe:voL
ÀÉyoµev, imà llè: &.1topla:çov6µixcrLX.OCÀOÎÇ 1tpocrxpwµe:Oix,îv' ~îl ~
IILâ.voLa:,µl) 1tept i}.).).r,,. 1tÀœvwµÉ11'1),é-r,epe:lllecrOocL
-i-ou-roLc;.Où yà:p
UNE SENTENCE PRIVIŒGIIIB 33
Si l'on ne craignait de lasser sa patience, on pourrait
continuer longtemps à mettre sous les yeux du lecteur
textes et références, de provenance chrétienne aussi bien
que païenne, qui tous montreraient, sous des angles divers,
la solidarité croissante de l'anthropologie et de la théologie.
Peut-être vaut-il mieux maintenant, revenant à une
pratique plus stricte de l'histoire des doctrines, essayer
d'arriver au même résultat par une démarche moins
dispersée : il existe une ancienne sentence grecque où se
trouvent associées de façon étroite les notions de divin
et d'humain ; suffisamment obscure pour être ployable
à toutes fins, elle a été plusieurs fois commentée aux
premiers siècles de notre ère ; l'examen de ces interpréta-
tions devrait procurer une pièce précise à verser au
dossier.

TOxix6' !xixcr-rov fl-l)VUTLKOV


-roü 6e:oü,cxÀÀà.
&6p6(ù,;obtlXVTIX êv8e:tXTLX!X.
-nj,; -roü 1t1Xv-roxpa.-rapa.:;
8uva.µ.e:(ù.:;· 'tlX yd:p Àe:y6µ.e:vix'lJ Êx -rwv
1tpaa6v-roov IXÔ-raî:,;~l)Ta. lcr-rLv 'lJ tx -nj.:; 1tpo.:; fi.Ml)ÀIX CT)(foe:ooc;,
aôaèv 8è 't'OUTCilV ÀIXÔe:î:v
at6v -re:1te:pl-raü 0e:aü. 'AÀÀ' aôaè tmcrriJµ.TI
Àixµ.ôa.ve:-r1Xt'î7Î cx1ta8e:tX't'tX'/i
• IXÔTl)yà.p tx 1tpa'tépCilvXIXl "'(VCilpt-
fl-Cil-répCilvcruvla-r!XTIXL,-raü 8è cxye:vv~'t'OUaô8èv 1tpaU1ta.pxe:t(la
dernière phrase est inspirée d'ARISTOTE, Analyt. poster. I 2, 71 b
20-22). Voir sur tout cela A. MÉHAT, Etude sur lu « Stromates » de
Clément d'Alexandrie, collect. « Patristica Sorbon.», 7, Paris 1966,
p. 438-442.
III

« IMMORTELS MORTELS,
MORTELS IMMORTELS »

1. LE FRAGMENT 62. D'HÉRACLITE

Dans un contexte que l'on verra dans un moment,


l'hérésiologue Hippolyte attribue à Héraclite les mots
suivants : &0ocvor:,OL 0v'Yj't'OL,
0v'Yj't'OL
&0ocVIX't'OL,
t&vnç -ràv
ÈXELVCùV 0ocvix-rov,-ràv 8è ÈxELVCùV 1 ; pour ne
~LOV't'e:0ve:&-re:ç
rien préjuger de leur sens, il faut les traduire aussi littérale-
ment que possible : « immortels mortels, mortels immortels,
vivant la mort de ceux-là, mourant la vie de ceux-là » ;
toutefois, on ne prend pas un grand risque en introduisant
une copule entre le premier et le deuxième mot, entre le
troisième et le quatrième, et en supposant une liaison
causale entre les deux parties du fragment ; on aurait
alors, rejoignant à peu près la traduction proposée par
Diels : « les immortels sont mortels, les mortels sont
immortels, car la vie des uns est la mort des autres, et
la mort des uns est la vie des autres ».
Le sens n'en devient pas clair pour autant. Le seul
point sur lequel tous les interprètes soient d'accord est que
l'on a affaire ici à une application du principe héraclitéen
de l'identité des contraires. Cela dit, que signifie le mot

(1) HÉRACLITE, B 62 DrnLs-KRANz, I, p. 164, 9-10, = HIPPOLYTE,


Elen.ho.rIX10, 6.
U REUTION A L'ORPHISME 35
« immortels »? A la suite notamment de K. Reinhardt 1,
plusieurs historiens 2 y ont vu la désignation des âmes
humaines, conçues dans une perspective orphique et pytha-
goricienne : les âmes sont des êtres immortels enfermés dans
des corps mortels ; la vie du corps, qui est un tombeau,
est mort pour l'âme, la mort du corps est vie pour l'âme,
en sorte que chacun est en même temps vivant et mort.
Cette interprétation a le mérite de s'accorder à d'autres
fragments moins obscurs 3, et aussi à un important
témoignage de Sextus Empiricus, aux termes duquel
« Héraclite dit que et la vie et la mort [dont on parle]
consistent [en réalité] et dans notre vie et dans notre mort ;
car lorsque nous vivons, nos âmes sont mortes et ensevelies
en nous, mais lorsque nous mourons, nos âmes reviennent
à la vie et vivent »4 • V. Macchioro 5 a poussé à l'extrême
la relation du fragment 62. à l'orphisme ; selon lui, il
s'expliquerait entièrement par l'arrière-plan des mystères
orphiques, dont l'essentiel consistait, on le sait, dans la
mort et la renaissance de l'initié en Zagreus : les « immortels
mortels » désigneraient Zagreus, le seul dieu du panthéon
hellénique qui meurt sous les coups des Titans ; quant
aux « mortels immortels », ils se rapporteraient à l'initié
qui devient dieu. Cette exégèse par la théologie et la liturgie

(1) Parmenitk.r und die Ge.r,hichte der grieçhischen Philo.rophie, Bonn


1916, p. 195-196.
(2) Ainsi G. S. KIRK et J. E. RA.VEN,TIM Pruocratic Philosopher.r.
A Critica/ Hùtory with a Selection of Text1, Cambridge •1964, p. 210;
W. K. C. GuTHRIE, op. cit., p. 464 et 478-479.
(3) Cf. B 88, p. 170, 9-10, = [PLUTARQUE],Crm1ol. ad Apollon.
XO!l't"e0v'l)x6,;;B 77, p. 168, 14-15, = NuMÉNrns,
.... !,n ~0011
10: 't"IXÙ't"6
le11im. 46 LEEMANS : ~'Y}\/i)µix,;'t"O\/txel\/Cù\/[1c.: 't"W\/ l 0oc\/lX't"O\/
IJ!uxoov
xixt ~'ijv txelvix,; 't"O\/i)µhepov (l,xvix't"OV; et encore B 21, 26 et 36.
(4) SEXTUSEMPIR., Hypot. pyrrhon. III 230 : ·o 8è 'Hp<XXÀ€L't"6,;
xixl tv Tci>~'ijviiµix,;ÈcnLxixl h
cp'l)ow,6TLxixt TO~'ijvxixl TOâ:1to6ixve:i:v
't"ci>
't"€0\/IX\/IXL
· lhe µèv yà:p i)µe"i,;~ooµev, Tà:,;IJ!uxà:,;iiµoov n0v<XVIXL
itixl t\/ iiµ!v 't"e0occp6ixL,
6't"e 8è i)µe!,; â:1to611-floxoµev, Tà:,; IJ!uxà:,;
â:vixÔLoÜv xixl ~'ijv. De même PHILON, Leg. alleg. I 33, 108.
(5) Eradilo. Nuovi 1/udi 111/l'orft.rmo,dans « Bibl. di Cultura
moderna >1, Bari 1922., p. 87-94.
36 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

orphiques est généralement abandonnée aujourd'hui ;


mais il demeure très probable que le fragment reflète les
croyances anthropologiques et eschatologiques de cette
religion.
Si les «immortels» ont donc des chances d'être les
âmes humaines dont la vie apparente cache la mort réelle
et inversement, ce ne peut pourtant être là le seul sens du
mot, ni même le principal. Car dans la langue archaïque
d'Héraclite, encore très proche des usages homériques,
le couple &.6&.vtX-rot-6v1J't'OL
s'applique d'abord à la dualité
des dieux et des hommes, à laquelle le philosophe se réfère
plusieurs fois sous d'autres noms 1 . Selon cette perspective,
les deux catégories d'êtres qui échangent d'une certaine
façon leur vie et leur mort ne seraient autres que les dieux
et les hommes : malgré l'abîme qui les sépare, les uns et
les autres sont faits d'une même réalité, à la fois divine et
humaine, qui, dans les dieux, vit la mort des hommes et,
dans les hommes, meurt la vie indestructible des dieux.
H. Frânkel 2, qui a défendu cette interprétation, observe
combien le fragment ainsi entendu s'accorde à la vérité
historique, selon laquelle les Grecs ont façonné leurs
dieux comme une réplique de l'humanité. Il en rapproche
le début de la VJe Néméenne de Pindare, où il découvre
semblablement l'idée que dieux et hommes sont frères,
étant nés de la même mère, bien qu'à partir de là ils aient
pris des chemins différents. S'il faut en croire Frankel 3,
le texte de Pindare devrait donc être traduit à peu près de

(1) Ainsi Oe:6ç (Oe:ol)- &vOpw11:oç (&vOpw11:01): B 30, 53, 83 ;


Oe:'i:oç
- &vOpw11:e:LOÇ: B 78 ; 8ctlµwv - &v-lJp: B 79• a. o. GIGON,
Unter.ruchungenzu Heraklit, diss. Base!, Leipzig 1935, p. 124-125.
(2) Dichtung und Philosophie des frühen Griechentum.r, München
•1962, p. 428 et n. 11.
(3) Cf. encore op. cit., p. 539, et 540, n. 5-6. Même interprétation
chez C. M. BoWRA, Pindar, Oxford 1964, p. 96 et n. 1, qui exclut
même la possibilité que le second !v signifie he:pov ; et aussi chez
J. B. BURY, The Nemean Odes of Pindar, Amsterdam 1965, p. 103,
note ad lot.
LA VI• NÉMÉENNE 37
la façon suivante : « C'est une seule et même race que
celle des hommes et celle des dieux ("Ev ocv~pwv,~V 8e:wv
yévoc;); à une mère unique nous devons de respirer, les
uns comme les autres. Mais nous sommes séparés par
toute la distance du pouvoir qui nous est attribué : l'huma-
nité n'est que néant, tandis que le ciel d'airain, résidence
des dieux, demeure à jamais immuable. Cependant nous
avons quelque rapport avec les immortels par la sublimité
de l'intellect (µéyocvv6ov) et aussi par notre être physique,
quoique nous ignorions quelle voie le destin a tracée pour
notre course, jour et nuit » 1 • Il est difficile de décider si
Friinkel a raison ou tort de voir dès les deux premiers vers
de ce texte l'idée d'une communauté d'origine entre
les hommes et les dieux. Ce que l'on peut dire, bien que
l'interprétation de l' Antiquité ne fasse pas nécessairement
foi, c'est que les auteurs anciens qui ont cité ces vers sont
unanimes à les joindre, pour le sens, à la phrase sur la
« mère unique » des deux lignées, ce qui revient à les
entendre comme l'affirmation de l' « homogénéité » des
hommes et des dieux. C'est le cas de l'auteur d'une compila-
tion de morale péripatéticienne recueillie dans le II 0 livre
de l'Anthologium de Stobée, et que l'on tient pour l'œuvre
d' Arius Didyme, lui-même tributaire d' Antiochus d' Asca-

(1) PINDARE, Ném. VI, str. 1, 1-11 ; sauf pour le début, je recopie,
à de minimes changements près, la trad. d' A. Puech, p. So ; en toute
hypothèse, ce texte est rythmé par l'affirmation alternée de la parenté
et de la dénivellation entre les dieux et les hommes, la seule difficulté
restant de savoir si la première idée exprimée concerne l'une ou
l'autre ; cf. supra,p. 5 et note (2). La mère unique est la Terre, cf.
HÉsmnE, Théog. 117, dont s'inspire d'ailleurs le vers 6 de Pindare
(à moins que ce ne soit d'0d. VI 42, : !'Olympe, résidence des dieux
à jamais immuable) ; le « ciel d'airain n des vers 6-7 vient d'J/. XVII
425. Pour le début, Frankel compare HÉSIODE,T,-av. 108: 'Qç oµ60e:v
ye:y&01:(l"L
(le:ot8v7j-;o!-;' &v0poorçot,
dont l'authenticité est malheureuse-
ment controversée. On aura remarqué enfin aux vers 7-9 l'idée que
le voüç humain est à la ressemblance divine ; c'est l'une des plus
anciennes expressions de la thèse que l'on a signalée plus haut, et dont
on rencontrera encore tant d'exemples.

4
38 ANTHROPOLOGIE
ET THÉOLOGIE

lonl ; c'est également ce qui apparaît dans un chapitre du


Pro nobi/itate d'un pseudo-Plutarque 2 ; à son tour, Clément
d'Alexandrie reproduit les trois vers, auxquels il trouve
un sens secret (µucr,Lxw,e:pov)et qu'il attribue au pytha-
gorisme de Pindare ; c'est qu'il y voit l'indication d'un
Créateur unique pour les hommes et les dieux, qui permet
à chacun selon son mérite de progresser vers la divinité 3•
Il vaut la peine enfin de recopier une scholie ancienne au
début de la VJe Néméenne, qui atteste une interprétation
entièrement conforme à celle de Frankel : la filiation
à partir d'une mère unique (identifiée à la Terre) y est
entendue à l'appui de l'!v yévoc;; la seule idée retenue
est celle d'une communauté de race des hommes avec les
dieux, manifestée par nos dons naturels et les activités de
notre intellect, et pour laquelle est invoqué en complément
le témoignage d'Hésiode 4 •

(1) STOBÉE,Anthot. II 7, 13, éd. Wachsmuth, II, p. 121, 16-21 ;


l'auteur cite les vers 1-3 de Pindare à l'appui de l'existence en nous
et de la valeur intrinsèque d'une (( bienveillance naturelle » pour tous
les hommes ; il identifie la <( mère unique » non à la Terre, mais à la
Nature ; cf. A. J. FESTUGIÈRE, Le dieu cosmique, p. 307 ; on examinera
infra, p. 69-70, plusieurs autres passages de ce compendium péripaté-
ticien, ainsi que le problème de son auteur et de la source de celui-ci.
(2) [PLUTARQUE], Pro nobil. 20, éd. Bernardakis, p. 270, 17-20;
la citation est faite à l'appui de la thèse selon laquelle "A1tocvnc;yixp
-IJµe:îc;ol 61r1rrolûri:o -rwv 8ewv 'îU'(XCÎvoµevyev6µevoi (ibid., p. 268,
21-23 ; de même p. 272, 6-7) ; on sait que le texte grec conservé pour
ce traité n'est que la rétroversion tardive et médiocre d'une traduction
latine ancienne.
(3) CLÉMENTo'ALEx., Strom. V 14, 102, 2, p. 394, 25-395, 4.
(4) Srhol. uetera in Pind. Nemea, ad VI 1, éd. Drachmann, p. 101, 16-
102, 8: "Ev &:v8pwv, à:v 6ewv yévoc;] ti< µ1iic;µ7J-rpoc; ûri:cipx_oµev,
cp7Jcrl,xocl Çwµev 't"ijc;Pijc; ot n 6eol i<oclol &v6pc.mo1.'Eµcpoclve1
81:8ux 'îOÜri:poo1µ(ou,6-rLKOL\lù>\IIOC\I'îL\IIXri:poc;'îOÜÇ6eooc;ol &v6pù>lî01
lxoµev -tjj eùcputq;xocl -roî:c;lpyoLc; -roü voü. "0-rL 31: xoLvov -IJµî:v
-roî:c;&:v6poori:01c;
1tpôc;'îOùÇ6eooc;'îÔ yévoc;,xocl'Hcr(o3oc;µocp-rupeî:[ ... ]
Ü(hooc; /f,y ècr-rL6ewv KO:l&:v6poolîù>\I 'îÔ yévoc;. A la place des
points de suspension, le scholiaste s'explique sur le témoignage
d'Hésiode : à l'aide de citations (Théog. 126-127 et Trav. 60-62), il
montre que, par la médiation de Pandore, fille d'Héphaïstos, Hésiode
a établi une généalogie ininterrompue depuis le couple divin initial,
Gaia et Ouranos, jusqu'aux hommes d'aujourd'hui.
LES TROIS REGISTRES DU FRAGMENT 39
Entendus de cette façon, les vers de Pindare prennent un
relief certain et aident sans aucun doute à donner au
fragment d'Héraclite un sens acceptable. De ce que les
&0&.voc-rot du philosophe désignent probablement les dieux,
s'ensuit-il qu'ils ne puissent plus se rapporter aux âmes
humaines conçues dans la perspective orphique? En fait,
il semble que les deux interprétations doivent être main-
tenues simultanément, et intégrées à une plus vaste
conception d'ensemble qui est celle de l'échange ininter-
rompu comme loi suprême de toute réalité ; d'autres
fragments attestent en effet qu'Héraclite pensait en termes
de vie et mort réciproques la transformation cyclique des
éléments, qu'il disait par exemple que « le feu vit la mort
de la terre et l'air vit la mort du feu, l'eau vit la mort de
l'air, la terre celle de l'eau » 1 • En sorte que la loi universelle
qui veut que toute vie soit l'envers de toute mort, toute
mort l'envers de toute vie, aurait reçu chez lui au moins
trois grandes applications : une application cosmique,
au niveau des éléments matériels ; une application anthro-
pologique, vraie des âmes et des corps ; une application
théologique enfin, concernant la relation entre les dieux et
les hommes 2 • De ces trois expressions, les deux dernières
seraient sûrement présentes dans le fragment 62 ; mais la
première aussi, sans doute, s'il est vrai que, comme il
ressort du fragment 36, la vie et la mort des âmes sont
annexées au cycle de transformation des éléments cosmiques.

(1) B 76, p. 168, 4-6, = MAxrME DE TYR XII 4; cf. les autres
textes de B 76, et aussi B 36. B 76 a été suspecté de contamination
stoïcienne par KIRK et RAVEN, op. cit., p. 206, n. 1, pour la raison
qu'Héraclite n'aurait pas admis l'air au nombre des éléments ; voir
en sens contraire GuTHRIE, op. cit., p. 453 et n. 2. C'est cette mutation
perpétuelle de tous les éléments les uns dans les autres qui a conduit
à refuser à Héraclite la thèse de l'Èxrrup<ilcrLç,
que lui prêtent pourtant
les stoïciens ; cf. par exemple W. JABGER, The Theology of the Barly
Greek Phiiosophers(« The Gifford Lectures» 1936), Oxford 1947,
p. 12.2-123, et W. K. C. GuTHRIE, op. cit., p. 455-458.
(2) Ce point a été bien mis en lumière par K. REINHARDT,op. cil.,
p. 1 79•
40 ANTHROPOLOGIE ET TH~OLOGIE

IL SA POSTÉRITÉ p AÏENNE

Bien que l'on s'accorde à trouver chez Hippolyte la


formulation du fragment 62 la plus proche de l'original,
plusieurs autres auteurs anciens l'ont cité de façon plus
ou moins approximative, et d'autres encore s'y sont
implicitement référés 1 ; c'est dire qu'il a joué son rôle
dans l'expression de la théologie postérieure, païenne aussi
bien que chrétienne ; de cette tradition dont il est le point
de départ, on voudrait maintenant dire un mot ; étant donné
l'importance des notions qu'il met en cause, une telle
enquête doit être fructueuse. Si l'on admet que le fragment
comporte deux parties (la césure intervenant entre le
ze &.0ixvcx:ro~et ~wv-re:ç),seuls Hippolyte, le commentateur
d'Homère Héraclite et Maxime de Tyr citent ces deux
parties ; encore ce dernier ne le fait-il que séparément,
en deux endroits, très éloignés l'un de l'autre, de son
recueil 2 ; les autres témoins se contentent de rapporter
soit la première partie, soit la seconde ; vu le propos de
cette introduction, on ne s'intéressera ici qu'aux échos
de la première partie, d'abord dans la tradition profane,
ensuite dans le domaine chrétien.
Les plus anciens de ces textes sont brefs, dépourvus des
développements théoriques que l'on attendrait et qui ne
viendront que plus tard ; ils se bornent à citer plus ou
moins fidèlement et complètement les propos d'Héraclite,
soit pour les railler, soit pour en faire ressortir la forme
énigmatique. C'est le cas de deux auteurs du u 0 siècle de
notre ère, Lucien de Samosate et Maxime de Tyr, ainsi que
de l'autre Héraclite, l'exégète d'Homère, qui doit être leur

(1) On en trouvera la liste à peu près complète dans ERACLrro,


Frammenti, ed. R. WALZER, collect. « Testi della Scuola norm. sup.
di Pisa », 4, Firenze 1939, p. 101-102.
(2) Cf. O. GrGON, op. çit., p. 123.
LES TROIS PLUS ANCIENNES CITATIONS 41
contemporain, ou de peu leur aîné 1 • Tous trois présentent
plusieurs points communs, qui s'expliquent probablement
par leur dépendance à partir d'une même source : ils
nomment le philosophe d'Éphèse ; surtout, si l'on prend
pour paradigme du fragment 62 le texte d'Hippolyte, on
voit qu'ils s'entendent à substituer au premier &.6&.voc"t'OL
le mot fü:o(, et au deuxième 6v"tj"t'o( le mot ~v6p(ù7t'OL;c'est
la preuve qu'ils ont compris la dualité « immortels »-
« mortels » comme étant celle des dieux et des hommes,
bien qu'ils n'aient probablement pas rattaché leur inter-
prétation au principe héraclitéen que l'on a signalé plus
haut. En revanche, si le commentateur homérique s'est
certainement proposé de donner une citation littérale du
philosophe (à la double substitution près, qui doit d'ailleurs
lui être antérieure), si Maxime a sans doute voulu faire
de même, quoique plus brièvement, on ne peut en dire
autant de Lucien, qui a pris plus de liberté avec le texte
afin de le faire entrer dans un dialogue ; c'est cette liberté
qui lui a permis d'introduire une notation absente chez les
deux autres, et tout à fait étrangère au dessein d'Héraclite,

(1) LucrEN, Vit. auct. 14, pour illustrer la tristesse et l'obscurité


d'Héraclite, l'imagine répondant ainsi à deux questions de l'acheteur :
Tl 8è:of.v0pw7t'm;- 0e:ol 0111rroL -Tl 8è:0e:ol; - "Av0pc,mot &.0&vcx-
-rot. Pour montrer que l'énigme a cours chez les philosophes, MAXIME
DE TYR, Philos. IV 4 h, éd. Hobein, p. 45, 8-9, cite le cas d'Héraclite
et l'exemple de la même sentence : crx67t'e:txcxl -rov 'HpœxÀe:t-rov,
6e:ol 6117J-rol, of.v6pwrroL Hl&vcx-rot (of.116pc.mot est une correc-
tion de la seconde main d'un ms., adoptée par les éditeurs, pour 0e:ol
que portent les mss. et que conserve Hobein ; elle semble nécessaire
par comparaison avec les textes de Lucien et du commentateur
Héraclite). Enfin, HÉRACLITE,Quaest. homer. 24, 3-4, éd. Buffière,
p. 29-30, voulant justifier les allégories d'Homère par le fait que les
philosophes recourent au même tour, invoque le symbolisme théo-
logique de son homonyme, et en cite comme preuve la totalité du
fgt 62, bien reconnaissable malgré les variantes : 'O yoüv crxonwo<;
'HpœxÀe:t-roi:;&crcx<p-ij xcxl 8uz r:rnµo6Àw\ltdxoc,e:cr0cxL 8uv&µe:vcx
0e:oÀo-
yd TIX <pumxix 8t' &v <p"l)O-L • 6e:ol 611"1)-ro[· [-r'] of.116pc.rno~
~ '6' cx,IICX't'OL,
,,_
',~\l't'e:i:; 't'UV
1
e:xe:
' l VW\I 0'CX\IOC't'O\I,
6'V'IJO"XO\l't'e:i:;
'
't'"ljV
S:XE:t\lW\I'W"lj\l.
42 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

à savoir que les « dieux mortels » désignent les hommes,


et que les « hommes immortels » désignent les dieux.
Qu'il en soit l'auteur ou, plus probablement, qu'il
reproduise une pratique plus ancienne, cette innovation
de Lucien suggère une conclusion de grande portée : elle
invite à supposer que le fragment d'Héraclite est peu
ou prou à l'arrière-plan de tous les textes qui définissent
l'homme comme un « dieu mortel ». Or ces textes sont
nombreux, et parfois assez anciens. On en trouve sous la
plume d'Euripide1, et, de façon plus précise, dans le
Protreptique d' Aristote 2 • De là, l'idée passe dans le
stoïcisme ; on a signalé plus haut 3 la thèse stoïcienne
selon laquelle le sage est égal aux dieux pour la vertu et le
bonheur ; la conséquence en est que la seule supériorité
des dieux réside dans leur immortalité, autrement dit que
l'homme serait un dieu s'il était immortel ; cette formule,
toute proche de celles de Lucien et d'Aristote, est attestée
dans le stoïcisme 4 • L'égalité du bonheur entre les dieux
et les hommes sages, sans que l'immortalité des uns, la
mortalité des autres introduise entre eux de véritable
différence, c'est un point, on l'a vu aussi 5 , sur lequel l'école
épicurienne se rencontre avec les stoïciens. Mais c'est au
stoïcisme, non à l'épicurisme, que se rattacheront les
attestations ultérieures de l'homo mortalis deus; ainsi chez

( 1) Hfrube 3 56 : fo71 !le:otm TtÀ~\I -ro xoc-r!loc11d11 µ611011(sur les


lèvres de Polyxène, la captive d'Ulysse).
(2) Fgt 10 c 2° Ross, p. 42, = CICÉRON,Deftn. II 13, 40: <<hominem
ad duas res, ut ait Aristoteles, ad intellegendum et ad agendum esse
natum quasi mortalem deum ll.
(3) Cf . .rupra, p. 19 et note (3).
(4) Cf. CICÉRON,De nat. deor.II 61, 153 (exposé stoïcien de Balbus) :
<<uita beata [.rc. : hominum] [... ] par et similis deorum, nulla alia re
nisi immortalitate [... ] cedens caelestibus >l ; SÉNÈQUE, De con.ri. .rap.
8, 2 : « sapiens autem uicinus proximusque diis consistit, excepta
mortalitate similis deo >>.
(5) Cf. supra, p. 6 et note (3), en particulier le texte cité de Diogène
d'Oenoanda; déjà ÉPICURE,Episi. III 135 : 0601:v yixp lotxe: !lnJ-rfu
Çc[>C;J Çwv &v!lpc.moç È11&!locv1hotç&yoc6o"Cç ; et encore Ratae sent.
XIX et XX.
HOMO MORTALIS DEUS 43
Varron 1, et encore chez Quintilien 3 • Il faut reconnaître
qu'une telle formule, si largement diffusée, apporte
une contribution de première importance au problème des
rapports entre l'humain et le divin ; faire de l'homme un
dieu mortel est une nouvelle façon, et non la moindre, de
concevoir la divinité comme une réplique, à peine sublimée,
de l'humanité dans ses plus hautes réussites ; en d'autres
termes, on a là une manifestation supplémentaire de ce que
l'on a appelé plus haut la solidarité grecque de l'anthro-
pologie et de la théologie. S'il est vrai, comme semble bien
le montrer le texte de Lucien, que l'expression se rattache
en dernière analyse au fragment 62 d'Héraclite, totalement
détourné d'ailleurs de son sens originel, voilà pour ce
fragment une postérité considérable, même si l'auteur n'en
eût sans doute pas avoué la paternité ; du reste, le fait
n'est pas pour surprendre si l'on songe que les stoïciens,
principaux représentants de la thèse, avaient coutume de se
réclamer de la doctrine du philosophe présocratique.
Encore a-t-on gardé pour la lin les deux manifestations
les plus intéressantes de la tradition, qui se trouvent aussi
bien en être les dernières chronologiquement ; leur lien
à Héraclite tel que l'a interprété Lucien est d'ailleurs plus
étroit, en ce qu'elles offrent non seulement l'idée que
l'homme est un dieu mortel, mais aussi sa réciproque,
selon laquelle les dieux seraient des hommes immortels.
De façon imprévue, le premier texte a pour auteur l'histo-
rien Dion Cassius (lin du ne siècle-début du me) : « Seuls
(d'entre les êtres vivants) nous fixons les yeux vers le haut,
nous avons commerce avec le ciel même et, si nous
dédaignons les choses de la terre, nous sommes en liaison
avec les dieux eux-mêmes en tant qu'ils sont semblables
à nous, puisque nous sommes leurs rejetons et leur ouvrage,

(1) Sent, 1, éd. Riese, p. 2.65 : « Di essemus, ni moreremur >>.


(2.) lnst. oral. I 10, 5 : les philosophes décrivent le sage comme
un être qui serait expert achevé dans toutes les connaissances « et, ut
dicunt, mortalis quidam deus ».
44 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

non de la terre, mais du ciel ; en vertu de quoi nous les


dessinons et les façonnons eux-mêmes selon notre propre
figure ; car, s'il faut parler encore de façon bien audacieuse,
ni l'homme n'est rien d'autre qu'un dieu pourvu d'un
corps mortel, ni le dieu n'est autre qu'un homme incorporel
et par suite immortel » 1•
L'autre important groupe de textes est moins surprenant
quant à sa provenance, dès lors qu'il appartient au corpus
hermeticum.La glorification de l'homme est un thème connu
de l'hermétisme : l'homme porteur de l'image du Père 2 ;
l'homme ne peut comprendre Dieu que s'il se rend égal
à Dieu et s'estime immortel, puisque le semblable n'est
intelligible qu'au semblable 3 ; l'homme passe dans la nature
d'un dieu comme si lui-même était dieu, il est uni aux dieux
par sa parenté divine, il comprend la divinité par l'intellect
qui est son privilège 4, etc. Dans ces conditions, on n'est

(1) DIONCASSIUS, Hist., fgt 28, 3, éd. Melber, I, p. 84, notamment:


oil-r' &v6pCùl't'OÇ ou8~v &Mo fo-rtv 716e:oçcrwµ(X6v7l't'OV !xCùvo(he: 6e:oç
&Mo 't'~ 71&v6pCùl't'OÇ &crwµ(X't'OÇ X(Xl8ux 't'OU't'OX(Xl&0iiV(X't'0Ç ; les
lignes qui précèdent dépendent étroitement du Tim. 90 ab, notamment
pour la station droite propre à l'homme, sa parenté divine, sa qualité
de qiu-rovoux iyyetov &Ma oup&v~ov; sur la justification des effigies
divines anthropomorphes, cf. supra, p. 14-17. Dion Cassius revient
brièvement sur la thèse stoïcienne du bonheur divin, supérieur à
celui des hommes en cela seul qu'il est immortel, en Hist. LVI 2, 3 :
nous devons nous consoler de notre mortalité individuelle en songeant
à la succession indéfinie des générations, comparable à celle des
coureurs de relais qui se passent l'un à l'autre la torche, tv' bJ é[>µ6vCp
'l'ljç 6d(XÇ e:M(Xtf)-OVt(XÇ 7)Trwµe:6(X,'t'O\J't'' l~ W~ÀCùV &6&v(X't'OV
X(X0tcr,wµe:0(X.
(2) Corp. hermet. I (Poimandrès) 12, éd. Nock, p. 10, 17 : .--iJv't'OU
l't'(X,p/;çe:tx6v°'!!xCùv; comparer à Gen. 1, 26 et aux exégèses chrétiennes,
cf. supra, p. 22-25.
(3) XI 20, p. 155' 11-13 : 'Eav oi5vµ~ ô'E(XU't'OV &~tô'/Xô'î)Ç
't'0 fü:0,
'l"OV6e:ov vo'ijcroctou MV(Xô'(Xt . 't'O yap oµotov 't'0 oµ.ol(:l V07l,6V;
p. 155, 16 : cre:(XU't'OV 'lîY7Jô'(Xt
&.6ii'l(X't'OV;
comparer le témoignage de
Sextus Empiricus sur Empédocle signalé supra, p. 18, et étudié infra,
p. 73-74.
(4) Asclépius 6, p. 301, 18-19 : « magnum miraculum est homo» ;
p. 302, 1-2 : « in naturam dei transit, quasi ipse sit deus » ; p. 302,
6-7: « diis cognata diuinitate coniunctus est>> ; p. 303, 9-10: <<humanos
tantum sensus ad diuinae rationis intellegentiam exornat ».
TEXTES HERMÉTIQUES 45
pas étonné que la littérature hermétique ait exploité comme
une aubaine la sentence d'Héraclite dans les termes qui
s'étaient imposés depuis Lucien. Elle l'a fait à deux reprises.
Dans le traité X 25, il est simplement ajouté que l'homme
dont il s'agit est « terrestre », et le dieu « céleste »1• Dans
le traité XII 1, la citation est précédée d'un contexte où
l'on reconnaît bien des idées déjà rencontrées et que l'on
n'a pas fini de retrouver : l'intellect venant de la substance
même de Dieu (non qu'il soit découpé dans la substantialité
de Dieu, mais plutôt déployé à partir d'elle), il est Dieu
dans les hommes qui le possèdent, et qui sont donc à leur
tour des dieux ; aussi le Bon Génie a-t-il nommé les dieux
« hommes immortels», et les hommes « dieux mortels »2 •
De ces notations du corpus hermeticum, on rapprochera
enfin une page d'Hiéroclès, philosophe alexandrin du
ve siècle ; le souvenir du mot d'Héraclite y est plus estompé,
mais encore reconnaissable : c'est les âmes humaines qui
sont maintenant dites « dieux mortels », en raison de
l'alternance de mort et de vie qui est leur lot ; cette idée
rappelle la deuxième partie du fragment d'Héraclite ;
en revanche, on ne rencontre pas dans ce texte d'Hiéroclès

(1) X 25, p. 126, 9-11 : -roÀµl'j-réovdm:!v -rov µèv &118pw1tov


t1t(ye:tovdvor.tee:011611l'j-r611,
TOI/8è oùp&vtOII ee:011
&e&vor.-rov &118pw1to11;
la référence lointaine au fgt 62 d'Héraclite, très détourné de son
sens qui serait probablement physique, est admise par W. SCOTT,
Hermetica, t. II, Oxford 1925, p. 284-285 ; l'hermétiste aurait compris
la sentence dans le sens que lui avaient donné les stoïciens ; le même
historien, p. 284, n. 2, signale à ce sujet plusieurs des textes qui ont
été utilisés ci-dessus. Du 't"OÀµl'j-r&ov dm:îv de l'hermétiste, on
rapprochera 8.:! 871 -rt xor.t8por.cru116µe:vov
e:!1tdv de DION CAssxus,
fgt 28, 3.
(2) XII 1, p. 174, 10-12 : -roùi; µèv 8e:oùi; ehrev &8or.v&-roui;
<cxv8pC:mouc;>, 't'OOÇils&v8pC:moui;8e:oùi;6Vl'j'i'OO,;;
la relation au fgt 62
est notée par NocK, Préf. de l'éd. citée, t. I, p. nr, et par FEsTuGrÈRE,
ibid., p. 186, n. 21, qui ajoutent, après Reitzenstein, que les Mytor.
d'Agathodémon devaient dériver d'un recueil d'aphorismes populaires
d'Héraclite. A la notation hermétique selon laquelle l'intellect humain
n'est pas une partie de la substance divine, comparer la précaution
des chrétiens lui refusant toute consubstantialité avec Dieu, cf. Jupra,
p. 27 et note (2) ; contra, Plotin cité Jupra, p. 6, note (2).
46 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

l'autre définition, généralement solidaire de la première,


et selon laquelle les dieux sont donnés pour des « hommes
immortels »1 •

Ill. SA POSTÉRITÉ CHRÉTIENNE

1. Hippo(yte.
L'Elenchosd'Hippolyte (après 222) est sans aucun doute
postérieur de quelques années au Pédagoguede Clément
d'Alexandrie (mort avant 215). C'est néanmoins par
Hippolyte que l'on commencera d'examiner la tradition
chrétienne du fragment 62 d'Héraclite, tant il apparait
que le progrès dans la méthode théologique s'est développé
ici au rebours de la chronologie. La première question
est de savoir comment Hippolyte a pris connaissance du
texte d'Héraclite, dont il a sauvé tant de fragments 2 ,
dans une transcription que l'on s'accorde à trouver
d'excellente qualité. On a cru naguère que cette connaissance
avait été indirecte, procurée par l'intermédiaire d'un texte
valentinien intitulé Apophasis et attribué par Hippolyte
à Simon le Mage 3 • On pense aujourd'hui qu'il a eu directe-
ment accès à l'œuvre d'Héraclite, dans une anthologie
alexandrine où elle était accompagnée d'interprétations
stoïciennes 4 ; cette vue des choses rend assurément mieux

(1) HIÉROCLÈS, Comment. in Aureum carmen I 1, éd. Mullach


(Fragm. philo.r. graec. I), p. 418 b : etx6-rwç Oe:ot 6v7lTOLÀéyoiv-ro
&vod &.v6pwmvoct ,J,uxocl,wç &.1to6v1Jcrxoucrocl
1ton niv 6e:locveôÇw(ocv
T7i&.1to6e:oücpuY7i,)(O(L&.vocÔLwcrx6µevm mx.ÀwT7i1tpoç 6e:ov
OCÜ't"t)V
tmcr-rpocp7i,xoct o(hw µè:v Çwcroct-rov 6e:ï:ov~lov, txe:lvwç 8è: &.1to-
Ov1Jcrxoucroct.
(2) Au moins dix-huit, édités sous les numéros 50 à 67 par DIELS-
KRANZ, I, p. 161-165.
(3) Hypothèse de K. REINHARDT,op. cit., p. 158-163 ; HIPPOLYTE,
Elencho.rVI 9, 3, dit en effet que Simon avait utilisé Héraclite et, sous
son influence, détourné de leur sens les mots de Moïse (Deutér. 4, 24)
sur Dieu semblable à un feu dévorant ; l' Apopha.ti.r invoquait aussi
Empédocle, cf. VI 11-12.
(4) Opinion de M. MARCOVICH,Hippolytu.r and Heraditu.r, dans
HÉRACLITE, HIPPOLYTE ET NOËT 47
compte de la fidélité au texte du présocratique que l'on croit
discerner dans les transcriptions d'Hippolyte.
Tous les fragments d'Héraclite conservés par Hippolyte
figurent aux chapitres 9 et 10 du livre IX de son traité,
c'est-à-dire dans la section dirigée contre l'hérésie de
Noët (IX 7-10). Ici encore, après avoir imaginé que la
doctrine de Noët était effectivement à base d'héraclitéisme,
et même d'orphisme1, on en est venu à estimer, plus
raisonnablement, que le seul auteur à avoir eu quelque
affinité avec Héraclite n'est autre qu'Hippolyte lui-même 2 •
C'est lui qui aura tiré de son propre fonds, selon un procédé
classique de l'hérésiologie, la conviction 3 que le système
de son adversaire était inspiré d'Héraclite, et, en consé-
quence, l'idée de le confondre par des rapprochements
avec le philosophe ; ce qui ne veut pas dire, tout au
contraire, que la doctrine de Noët n'ait pas, objectivement,
autorisé de tels rapprochements.
On se trouve sur un terrain plus solide quand on se
propose de comprendre le rôle joué précisément par le
fragment 62 dans la lutte d'Hippolyte contre Noët. Celui-ci,
si l'on en croit l'auteur chrétien, dans le souci de resserrer
la monarchie divine, concevait Dieu comme un seul et
même être appelé tantôt Père, tantôt Fils 4 ; cette concentra-
tion des deux personnes divines en une seule entraînait
comme une conséquence l'attribution à Dieu, indistincte-
ment, des qualités propres à chacune d'elles ; Dieu se
voyait ainsi rapporter divers couples d'attributs contra-
dictoires (qui ne sont pas sans analogie avec le langage de
la théologie négative) ; en particulier, Noët le disait tout
ensemble inengendré et engendré, immortel et mortel,

Studia patristica, 7, collect. « Texte und Untersuch. zur Geschichte


der altchristl. Literatur », 92, Berlin 1966, p. 255-256.
(1) Comme le faisait V. MAccmoRo, op. cil., p. 13-49.
(2) Cf. M. MARcovrcH, art. dt., p. 262.
(3) Plusieurs fois exprimée en Elenchos IX 7, 8 et 10.
(4) Elenchos IX 10, 11, éd. Wendland, p. 244, 23-245, 1 : l\v xixt
TO IX\JTOi:p&crxwv im&pxe:w7tct't"épaXIXLu!ov xo;).ouµe:vov.
48 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

étant mort et n'étant pas mort 1 • Aux yeux d'un connaisseur


tel qu'était Hippolyte, cette juxtaposition des notions
d'immortalité et de mortalité, de vie et de mort, devait
évoquer de façon irrésistible le fragment 62. d'Héraclite,
étonnamment proche en effet ; c'est d'ailleurs lui-même
qui remarque, aussitôt après avoir rapporté la thèse de
Noët sur Dieu immortel et mortel : « Comment les gens
de cette sorte n'apparaîtront-ils pas manifestement disciples
d'Héraclite, tant il est vrai que ce sont les termes mêmes
dans lesquels, les devançant, le Ténébreux a exprimé sa
philosophie? »2 • Si l'on admet, comme il faut le faire,
que la transcription du fragment 62. par Hippolyte est
la plus proche qui soit de l'original, on ne peut qu'admirer
la justesse avec laquelle il l'a compris, laissant loin derrière
lui tous les autres témoins que l'on a vus jusqu'ici ; il est
notamment le seul à y avoir pris telles quelles les notions
d'immortalité et de mortalité, au lieu de leur substituer
les notions plus restreintes de divinité et d'humanité,
le seul par conséquent à avoir laissé le champ libre aux
diverses spécifications possibles ; il a en outre parfaitement
vu que le rapprochement des « immortels » et des
«mortels» n'était qu'un cas particulier du principe
héraclitéen de l'universelle coincidentia oppositorum, ainsi
qu'il ressort de la façon même dont il introduit la citation
du fragment 62 8 • Eu égard à cette remarquable intelligence

(1) IX 10, 10, p. 2.44, 16-17 : &.yév'ljTOÇ<xa.l ye:V'l)T6,;>,


cx0ocv1XTO<;
xa.L 0v'l)T6c;; 10,12., p. 245, 7 : &.1to0a.v6vTix
xix! µ~ cirro0a.v6vTa..
(2) IX 10, 10, p. 244, 17-19 : Ilwc; oùx 'Hpa.XÀ&LTOU o! TmOÜ't"Ot
3e:ix0~crona.t µa.0'/)Ta.l, < el xixt > µ~ -tji3e: -tji M~e:t 3:a.q:i0&crix,;
ÈqnÀocr6q,1Jcre:v o crxoTe:iv6c;; Hippolyte a dit peu auparavant
qu'Héraclite, précisément, identifiait Dieu à la coïncidence des
contraires, le concevant comme 11 jour-nuit, hiver-été, guerre-paix,
satiété-faim», etc. (B 67 DrnLs-KRANZ, p. 165, 8-9).
(3) Car elle vient clore chez lui toute une série de références sur
l'identité des contraires dans les domaines les plus divers, physique,
éthique, technique, etc. ; or, en amenant le fgt 62, il prend soin de
noter qu'il continue de s'agir du même sujet: Aéye:t ai oµoÀoyou-
µévwc; 'l"O&.0ocVO'.'t"OV
e:tvixt0V'l}'t"OV
xa.L 'l"O0V'l)'t"OV
cx0&.vixTOV
3ui 't"WV
't"OIOUTwvMyùlv · ... (IX 10, 6, p. 2.43, 16-19).
CONTEXTE DE LA CITATION CHEZ CLÉMENT 49
du texte et du système, il est permis de regretter
qu'Hippolyte, d'un aphorisme riche de tant de virtualités
théologiques, n'ait su tirer qu'un argument polémique,
immédiatement épuisé.

z. Clément d'Alexandrie.

C'est une appréciation tout opposée que l'on doit porter


sur l'utilisation du même fragment au début du livre III
du Pédagoguede Clément. Le contexte antécédent concerne
la découverte de Dieu dans la connaissance de soi-même,
avec la formule saisissante que l'on a rapportée plus
haut 1 • Dans une page pleine de souvenirs platoniciens sur
lesquels on reviendra, Clément fait l'éloge de la partie
intellectuelle de l'âme, véritable homme intérieur, dont
le Logos est le compagnon : elle ne prend pas mille facettes
comme l'âme passionnelle, elle est belle sans ornements
artificieux, de la beauté même de Dieu 2 • Au cours de ce
développement apparaissent diverses notations sur l'union,
plus exactement sur l'identification à Dieu : l'homme
intérieur « a la forme du Logos, il se rend semblable à Dieu
(è1;ofJ,OWÙ't'ê,uTcj>fü:cj>)», « cet homme devient Dieu, parce
que Dieu le veut (6sàç aè èxs~\IOÇ b &v6pw1toç y(vs't'ocL,
6-n ~ouÀs't'ocLô 6s6ç) »3•
C'est pour couronner ces formules vert1g1neuses
qu'apparaît la référence expresse à Héraclite : « Ainsi donc,
c'est justement qu'Héraclite a dit : les dieux sont hommes,
les hommes sont dieux. Car c'est•le même Logos; mystère

(1) Cf. supra, p. 2.1-2.2.


(2.) CLÉMENT n'Ar.Ex., Paed. III 1, 1, 5, p. 236, 21-2.4.
(3) III 1, 1, 5, p. 2.36, 2.3-2.5 ; dans la dernière proposition, le 6
des mss. (« parce que Dieu le veut») semble préférable à l'inutile
correction de Bernays en 6 (« parce qu'il veut ce que veut Dieu»),
du fait que Clément expose plus loin (III 1, 2., 1, p. 2.36, 28) que le
Logos médiateur « mène à bien la volonté du Père» (cf. Joh. 4, 34)
en réalisant la divinisation de l'homme.
50 ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE

transparent; Dieu est dans l'homme, et l'homme est Dieu » 1 •


Cette citation appelle plusieurs remarques. Qu'il s'agisse
bien du fragment 62., c'est hors de doute. Mais on voit
la modification apportée à l'original supposé: la substitution
des « dieux » aux « immortels », et des « hommes » aux
« mortels », avec en outre une interversion qui fait que
les « hommes » sont placés ici en premier, alors qu'Héraclite
commençait par les « immortels » ; introduisant ainsi les
«hommes» et les «dieux», Clément rejoint l'usage de
Lucien, Maxime de Tyr et l'autre Héraclite, qu'il suit de
peu chronologiquement ; mais il se sépare tout à fait d'eux
en ce qu'il donne congé aux notions de mortalité et
d'immortalité, avec leurs séquelles stoïciennes et épi-
curiennes, ces deux concepts apparaissant effectivement de
peu d'intérêt dans sa perspective platonicienne et
chrétienne ; de ce point de vue, on peut dire que son
interprétation est inédite.
Elle ne l'est pas moins si l'on considère la justification
qu'il incorpore au fragment : A6yoc,y.-xpW\Yr6c, ; la graphie
archaïque du dernier de ces trois mots montre bien qu'il
les donne comme étant d'Héraclite. On ignore totalement
l'origine de cette addition, dont Clément est le seul témoin 2 •
Mais on comprend facilement la portée qu'il lui attribue :
s'il est vrai qu'Héraclite a établi l'identité des hommes
et des dieux par la présence en eux tous d'un commun
Logos3, la même fonction sera mieux assurée par la média-

(1) III 1, 2., 1, p. 2.36, 2.5-al!: 'Op6w,; ô!por.dm:v 'HpocXÀtWro,; •


ô!v6pW1't"OL6.:o(, 6.:ot ô!v6pW1't"OL.A6yo,; yocp wù1:6,; •
(J,UO-TI)pLOVtµqior.vé,;• 6Eè>,;tv &v6pwl't"CJ),xod 6 ô!v0pc.mo,;6.:6,; ;
on pourrait également entendre : « les hommes sont dieux, les dieux
sont hommes ».
(2) Cf. O. GIGON, op. cit., p. 124 ; M. MARCOVICH, art. Herakleitos,
dans RE, Supplemtbd. X, 1965, col. 318.
(3) Le Logos héraclitéen <<selon lequel toutes choses arrivent >>,
qui est (( commun » à tous, que les hommes ne comprennent pas,
mais devraient écouter, etc. ; cf. B 1, 2., 50, 72., etc. ; W. KRANZ, Der
Logos Herakliü und der Logos des Johannes, dans Rhein. Museum, 93,
1950, p. 81-95 ; et W. K. C. GuTHRIE op. cil., p. 419-435 ; les stoïciens,
CLÉMENT ET HÉRACLITE 51

tion du Logos chrétien, lui aussi commun à Dieu et à


l'homme, ainsi que Clément le dit d'ailleurs tout de suite
après 1 •
On voit en quoi cette nouvelle interprétation chrétienne
du fragment 62 diffère de la précédente. Éclairé par son
hostilité même, Hippolyte parvenait mieux à discerner ce
qui doit avoir été le propos originel d'Héraclite, mais
il n'y trouvait rien à prendre qu'un argument propre
à confondre Noët. Fidèle à son attitude d'ensemble
relativement à la philosophie, Clément se montre sensible
aux harmonies plus qu'aux désaccords ; son intelligence
du dessein d'Héraclite peut être moindre (encore que
sa mention du Logos, probablement authentique, doive
être retenue à son actif) ; mais sans doute cette infériorité
se trouve-t-elle plus que compensée par le parti positif
qu'il a su tirer du fragment pour l'illustration du chapitre
le plus audacieux de sa théologie.

on le sait, reprendront la thèse du Logos commun aux dieux et aux


hommes ; ils fondent précisément leur communauté sur leur partici-
pation au même Logos, cf. ARIUS Dm., Epit. fragm. phys. 29, =
SVF II 528, p. 169, 28-29 : Kotvwvlo,;v3' Ùl't"&pxe:Lv [se. : 't'OÎ<;Oe:oî,;
xo,;tciv0pc:mou;]l't"poc;CXM7JÀOUÇ i>L±'t'OÀ6you µe:..éxe:tv, 6,; tcm qiucre:t
v6µoc; ; et encore ÉPICTÈTE, Dissert. I 12, 26 : xo,;'t"& ye: 't'OVMyov
oMèv xe:lpwv [sç. : e:'l] "t"WvOe:wvoù3è: µtxp6"t"Epoc;.On ne peut
admettre la traduction trop restrictive d'O. Sù'.ttLIN dans la « Biblio-
thek der Kirchenvater », II. Reihe, t. 8, 2, Kempten-München 1934,
p. 136 : « Deon das Denken ist das gleiche » ; ni davantage celle de
Ph. WHEELWRIGHT, Heraclitus, 'New York 1964, p. 147 (voir aussi
p. 74-75) : « for their meaning is the same », comme si ces mots
contenaient une critique de Clément à l'adresse d'Héraclite.
(1) III 1, 2, 1, p. 236, 28-237, 1 : µe:crlTI)c; a a
y±p Àoyoc; XOLVO<;
cxµqioîv.
PREMIÈRE PARTIE

" QUE L'HOMME N'EST RIEN


D'AUTRE QUE SON AME "
LA TRADITION DU Ier ALCIBIADE

5
CHAPITRE PREMIER

DEUX ATTITUDES DE CICÉRON

Dans plusieurs passages des livres IV et V du De ftnibus,


Cicéron détermine le souverain bien en référence à la double
nature de l'homme, qui est tout ensemble esprit et corps.
En De ftn. IV, cette démarche est rapportée à Xénocrate
et à Aristote : la nature de l'homme comportant esprit et
corps, il faut rechercher les vertus propres à chacun de
ces deux composants, étant entendu que l'esprit l'emporte
infiniment sur le corps, et par conséquent les vertus du
premier sur les biens du second 1• En De ftn. V, Cicéron
charge son camarade Pison d'exposer une doctrine identique
(qu'il approuve implicitement, puisqu'il ne critiquera pas
Pison sur ce point) : dès lors que nous aspirons à la perfec-
tion complète de notre esprit et de notre corps, c'est en
cela que doit consister le souverain bien ; on ne méconnaîtra
pas pourtant que l'esprit tient le premier rôle, et que sa

(1) CICÉRON,De ftn. IV 7, 16 : « Idemque diuiserunt naturam


hominis in animum et corpus. Cumque eorum uttumque per se
expetendum esse dixissent, uirtutes quoque utriusque eorum pet
se expetendas esse dicebant, et, cum animum infinita quadam laude
anteponerent corpori, uirtutes quoque animi bonis corporis ante-
ponebant >1 (Xénocrate et Aristote nommés en 6, 15) ; de même
8, 19 ; en 10, 25-26, la liaison entre la double nature de l'homme et
la définition du souverain bien est mieux affirmée encore : « sequitur
illud, ut animaduertamus, qui simus ipsi, ut nos, quales oportet esse,
seruemus. Sumus igitur homines ; ex anima constamus et corpore,
[... ] nosque oportet [... ] haec diligere constituereque ex his finem
illum summi boni atque ultimi ; quem, si prima uera sunt, ita constitui
necesse est [... ] Hune igitur finem illi tenuerunt ».
56 DEUX ATTITUDES DE CICÉRON

vertu passe avant celle du corps 1 ; plus loin, la même


définition du souverain bien est mise en relation avec
le précepte d'Apollon sur la connaissance de soi 2. D'autres
textes cicéroniens encore défendent la même conception ;
ainsi les Seconds Académiques, dans le résumé d'histoire
de la philosophie mis sur les lèvres de Varron : pour les
académiciens comme pour les péripatéticiens, le bien
du corps entre, quoique à la deuxième place, dans
la constitution tripartite du souverain bien ; de sorte
que, si la uita beata réside bien dans la seule vertu de l'esprit,
la uita beatissima requiert en outre celle du corps (et aussi,
ajoute Varron, d'autres biens favorables à l'exercice de
la vertu) 3 •

(1) De fin. V 13, 37 : ccEx quo perspicuum est, quoniam ipsi a


nobis diligamur omniaque et in animo et in corpore perfecta uelimus
esse, ea nobis ipsa cara esse propter se, et in iis esse ad bene uiuendum
momenta maxima [... ] ea enim uita expetitur, quae sit animi corpo-
risque expleta uirtutibus, in eoque summum bonum poni necesse
est » ; 14, 40 : cc••• ut ad summum perueniret, quod cumuiatur ex
integritate corporis et ex mentis ratione perfecta » ; 12, 34 : <<uidendum
est [... ] quae sit hominis natura. Id est enim de quo quaerimus. Atqui
perspicuum est hominem e corpore animoque constare, cum primae
sint anirni partes, secundae corporis l>; 13, 38 : <<Ita fiet, ut animi
uirtus corporis uirtuti anteponatur l>.
(2) Ibid. V 16, 44 : <<Iubet igitur nos Pythius Apollo nosccre
nosmet ipsos. Cognitio autem haec est una nostri, ut uim corporis
anirnique norimus sequamurque eam uitam quae rebus iis perfruatur n.
(3) CrcÉRON, Acad. I 5, 19-6, 22 : <<constituebant extremum esse
rerum expetendarum et finem bonorum adeptum esse omnia e natura
et animo et corpore et uita [... ] lta tripertita ab his inducitur ratio
bonorum, atque haec illa sunt tria genera quae putant plerique
Peripateticos dicere. Id quidem non falso ; est enim haec partitio
illorum ; illud imprudenter, si alios esse Acadernicos qui tum appella-
rentur alios Peripateticos arbitrantur. Communis haec ratio, et utrisque
hic bonorum finis uidebatur, adipisci quae essent prima in natura
quaeque ipsa per sese expetenda aut omnia aut maxima ; ea sunt
autem maxima, quae in ipso anima atque in ipsa uirtute uersantur.
!taque omnis illa antiqua philosophia sensit in una uirtute esse positam
beatam uitam, nec tamen beatissimam nisi adiungerentur etiam corporis
et cetera quae supra dicta sunt ad uirtutis usum idonea n. Même
théorie en De fin. V 24, 71 : « Ilia enim, quae sunt a no bis bona corporis
numerata, complent ea quidem beatissimam uitam, sed ita, ut sine
L'ADVERSAIRE STOÏCIEN 57
Bien que cette théorie soit assez claire, on en sera mieux
informé en examinant quelle théorie adverse elle s'attache
à démentir. Celle-ci est longuement décrite en De fin. IV :
oubliant le corps dans la définition du souverain bien, elle
place celui-ci non pas dans l'homme tout entier, mais
dans une partie de l'homme 1 ; elle ne recherche pas le
souverain bien de l'homme, mais celui d'un être animé
qui ne serait qu'esprit ou intellect, et nullement corps 2 ;
or aucune partie de la nature ne doit être négligée dans la
détermination du souverain bien, et il faut considérer
également le corps au lieu de n'avoir d'yeux que pour
la ra.ison3• Tout ce livre IV étant employé à critiquer
l'éthique stoïcienne, on devine que la thèse incriminée
est celle des stoïciens ; de fait, Cicéron l'impute à Chrysippe,
qui, a.près a.voir donné pour fin à l'homme d'exceller par
l'esprit, ne s'en est pas tenu là, mais a établi un souverain
bien tel que l'homme parût n'être qu'esprit : summum
bonum id constituit, non ut excellere animo, sed ut nihil esse
praeter animum uideretur4 • Fidèle à la conception synthétique
de l'homme et à la définition du souverain bien qui s'ensuit,
Cicéron rejette la théorie moniste de Chrysippe, à l'égal

illis possit beata uita exsistere ll ; 27, 81 : « ad beatissime uiuendum


parum est, ad beate uero satis » (propos prêtés à Pison).
(1) De fin. IV 11, 26 : « quo loco corpus subito deserueritis » ;
13, 33 : ccQuo modo igitur euenit, ut hominis natura sola esset, quae
hominem relinqueret, quae obliuisceretur corporis, quae summum
bonum non in toto homine, sed in parte hominis poneret ? >>
(z) Ibid. IV 11, 27 : « Quodsi non hominis summum bonum
quaereremus, sed cuiusdam animantis, is autem esset nihil nisi
animus, ... >>; 28 : <<Cuiuscumque enim modi animal constitueris,
necesse est, etiamsi id sine corpore sit, ... » ; 12, z8 : <c Vno autem
modo in uirtute sola summum bonum recte poneretur, si quod esset
animal, quod totum ex mente constaret >>.
(3) Ibid. IV 15, 41 : <<Quid ergo aliud intellegetur, nisi uti ne
quae pars naturae neglegatur? In qua si nihil est practcr rationem, sit
in una uirtute finis bonorum ; sin est etiam corpus, ista explanatio
naturae nempe hoc effecerit, ut ea quae ante explanationem tenebamus
relinquamus? >>
(4) Ibid. IV 11, 28, = SVF III 20, p. 7, 24-25 ; la leçon animo,
donnée par un ms., est préférable à animu.r.
58 DEUX ATTITUDES DE CIC~RON

du monisme opposé selon lequel la nature de l'homme et


sa fin se réduiraient au corps : d'un côté comme de l'autre,
on s'interdit de déterminer le souverain bien de l'homme
réel, puisqu'on ampute celui-ci de la moitié de sa constitu-
tion 1 • Pour patronner les deux thèses extrêmes à égale
distance desquelles il choisit de se tenir, Cicéron produit
d'autres noms à la fin du Lucullus : c'est Aristippe qui fait
de l'homme un corps sans esprit, c'est Zénon qui fait de
lui un esprit sans corps 2•
Ces divers textes, on le voit, forment un ensemble
cohérent : tout en reconnaissant la primauté de l'esprit
relativement au corps, Cicéron, se réclamant de l'ancienne
Académie et du Lycée, entend que le corps soit pris en
considération dans la définition de l'homme et, en consé-
quence, dans la détermination de son souverain bien ; aussi
repousse-t-il la théorie, qu'il donne pour stoïcienne,
selon laquelle l'homme se réduirait à un pur esprit 3, et
son souverain bien au seul bien de l'esprit. Mais d'autres

(1) Ibid. IV 13, 35 : « Si est nihil in eo quod perficiendum est,


praeter motum ingeni quendam, id est rationem, necesse est huic
ultimum esse ex uirtute agere ; rationis enim perfectio est uirtus ; si
est nihil nisi corpus, summa erunt illa : ualetudo, uacuitas doloris,
pulchritudo, cetera. Nunc de hominis summo bono quaeritur » ;
14, 36 : « Quid igitur dubitamus in tota eius natura quaerere quid sit
effectum ? [•.•] alii (ne me existimes contra Stoicos solum dicere)
eas sententias afferunt, ut summum bonum in eo genere ponant quod
sit extra nostram potestatem, tamquam de inanimo aliquo loquantur,
alii contra, quasi corpus nullum sit hominis, ita praeter animum nihil
curant [... ] Quam oh rem utrique idem faciunt, ut si laeuam pattern
neglegerent, dexteram tuerentur [... ] Eorum enim omnium multa
praetermittentium, dum eligant aliquid quod sequantur, quasi curta
sententia ; at uero illa perfecta atque plena eorum qui, cum de hominis
summo bono quaererent, nullam in eo neque animi neque corporis
pattern uacuam tutela reliquerunt ».
(2) CrcÉRON, Lucullus 45, 139: « Possum esse medius, ut, quoniam
Aristippus quasi animum nullum habeamus corpus solum tuetur,
Zeno quasi corporis simus expertes animum solum conplectitur, ... »
(3) Ainsi ai-je rendu systématiquement animus; Cicéron, dans les
textes cités, parle aussi de mens, d'ingenium, de ratio; il n'y a pas lieu
ici de relever le sens spécifique de chacun de ces termes.
UNE TOUT AUTRE PERSPECTIVE 59
déclarations du même auteur, souvent conjointes elles aussi
au rappel du précepte de Delphes, rendent un son tout
différent : le bonheur de l'homme, c'est de prendre
conscience des ressources propres à son esprit, et de cesser
de ménager complaisamment son corps 1 ; n'en déplaise
aux épicuriens, le souverain bien ne dépend pas du corps,
sinon les dieux, privés des plaisirs du corps, ne sauraient
être heureux 2 ; dans le précepte d'Apollon, les Tusculanes
ne voient plus, comme faisait le De jinibus, une invitation
à reconnaître le dynamisme du corps comme de l'esprit
et à jouir pleinement de l'un et de l'autre : elles entendent
que l'intellect doit se reconnaître lui-même et éprouver,
dans une joie sans satiété, sa conjonction avec l'intellect
divin 3 ; cela implique sans doute une réduction du véritable
« moi » à la seule mens; d'ailleurs, peu auparavant, Cicéron
a rapporté avec éloge un raisonnement de Socrate qui
semble reposer sur l'identification de l'homme à son
aqfectusanimi4 • Il y a déjà là plus que des nuances. Toutefois,
les deux textes les plus caractéristiques de cette nouvelle
orientation sont les suivants. D'une part, Tuscul. I, au
cours de la démonstration de l'immortalité de l'âme,

(1) CrcÉRON, De /eg. I z3, 60 : « Nam cum animus, cogrut1s


perceptisque uirtutibus, a corporis obsequio indulgentiaque discesserit,
[... ] quid eo dici aut cogitari poterit beatius? >>; le précepte d'Apollon
est mentionné en 2z, 58 et 23, 61 ; en 22, 59 se trouve l'idée que la
véritable connaissance de soi découvre la présence du divin dans
l'homme, dont l'intellect ressemble de ce fait à une statue consacrée :
« Nam qui se ipse norit, primum aliquid se habere sentiet diuinum,
ingeniumque in se suum sicut simulacrum aliquod dicatum putabit ».
(2) Deftn. II 34, 115: c<Quaero enim de te, si sunt di, ut uos etiam
putatis, qui possint esse beati, cum uoluptates corpore percipere non
possint, aut, si sine eo genere uoluptatis beati sint, cur similem animi
usum in sapiente esse nolitis ».
(3) CrcÉRON, Tuscul. V z5, 70: ccexistit illa a deo Delphis praecepta
cognitio, ut ipsa se mens agnoscat coniunctamque cum diuina mente
se sentiat, ex quo insatiabili gaudio compleatur ll ; noter peu après
(§ 71) la mention du souverain bien : <<quid sit [.•.] extremum in
bonis».
(4) Ibid. V 16, 47 : « Sic enim princeps ille philosophiae disserebat:
qualis cuiusque animi adfectus esset, talem esse hominem ».
60 DEUX ATTITUDES DE CICÉRON

interprète la maxime de Delphes dans le même sens que


Tuscul. V cité à l'instant, mais de façon bien plus nette :
il ne s'agit pas de connaître notre corps, qui n'est pas
nous-même, mais seulement le réceptacle de l'esprit, son
vase, sa maison étrangère ; ce que nous sommes en réalité,
et que l'on nous exhorte à connaître, c'est notre esprit 1 •
D'autre part, sans référence cette fois au précepte d'Apollon,
le Songede Scipion établissait déjà l'immortalité personnelle
en soulignant que chacun de nous n'est pas son corps, mais
bien son intellect 2 • Forcément, cette anthropologie nouvelle

(1) Ibid. I 2.2., 5 1-52. : « Mihi quidem naturam animi intuenti multo
difficilior occurrit cogitatio, multo obscurior, qualis animus in corpore
sit tanquam alienae domui, quam qualis, cum exierit et in liberum
caelum quasi domum suam uenerit [... ] Est illud quidem uel maxumum
animo ipso animum uidere, et nimirum banc habet uim praeceptum
Apollinis, quo monet ut se quisque noscat. Non enim, credo, id
praecipit, ut membra nostra aut staturam figuramue noscamus ; neque
nos corpora sumus, nec ego tibi haec dicens corpori tuo dico. Cum
igitur ' Nosce te' dicit, hoc dicit : ' Nosce animum tuum '. Nam
corpus quidem quasi uas est aut aliquod animi receptaculum ; ab
animo tua quicquid agitur, id agitur a te ».
(2.) C1cÉRON,Somn. Scip. (De repub!. VI) 8, 2.6 : <<sic habeto non
esse te mortalem sed corpus hoc. Nec enim tu is es quem forma ista
declarat, sed mens cuiusque is est quisque, non ea figura quae digito
demonstrari potest. Deum te igitur scito esse si quidem est deus qui
uiget, qui sentit, qui meminit, qui prouidet, qui tam regit et moderatur
et mouet id corpus cui praepositus est quam hune mundum ille princeps
deus ; et ut ille mundum ex quadam parte mortalem ipse deus aeternus,
sic fragile corpus animus sempiternus mouet >> (noter que E. KA.PP,
Deum te scito esse?, dans Hermes, 87, 195 9, p. 131-132., a proposé pour
cette page une correction : si quidem est deus serait une interpolation,
et il faudrait lire eum te igitur scito e.rsequi uiget, etc. ; séduisante en ce
qu'elle rend mieux compte de la suite du raisonnement Ogitur), cette
conjecture ne repose malheureusement sur rien d'autre). Il y a long-
temps que ce texte a été rapproché du précédent ; cf. notamment
P. CoRSSEN,De Posidonio Rhodia M. Tul!i Ciceronis in libro I. Tusc. disp.
et in Somnio Scipionis auctore, diss. Bonn 1878, p. 41 ; P. BoYANCÉ,
Études sur le Songe de Scipion ( Essais d'histoire et de p.rychologiereligieuses),
dans <<Biblioth. des Univ. du Midi ll, 2.0, Bordeaux-Paris 19;6,
p. 12.1-12.2. Quant à De !eg. I 22., 58 sq. et Tus.u!. V 2.5, 70, ils ont été
versés au débat par P. BoYANCÉencore, Cicéronel le «Premier Alcibiade»,
dans Revue des Études lat., 41, 1963, p. 2.11 et 2.17-218. Enfin, les
principaux textes de Cicéron viennent d'être étudiés et minutieusement
UNE ANTITHÈSE PEU CONTESTABLE 61
s'assortit d'une révision de la précédente définition du
souverain bien ; en Tuscul. V, Cicéron rejette la division
tripartite des biens 1 ; surtout, il repousse à plusieurs
reprises toute distinction entre la uita beata et la uita beatis-
sima2 ; il le fait également à la fin du De ftn. V 3 •
Il est certain que cette seconde prise de position de
Cicéron ne procède pas des mêmes préoccupations que
la première. Le problème était alors de déterminer le
souverain bien, et les discussions sur les constituants de
la nature humaine étaient ordonnées à cette recherche. Le
propos est maintenant tout différent : il s'agit d'accréditer
l'immortalité et son caractère divin ; non seulement dans
le Songe, mais dans presque tous les textes du deuxième
groupe, il est fait état, à cette fin, d'une ascension de l'âme
qui découvre la sublimité du cosmos, selon un thème hellé-
rust1que bien connu 4 ; dans cette perspective, le corps
humain se trouve naturellement dévalué, et exclu, au
bénéfice de l'âme seule, de la définition de l'homme
véritable. Néanmoins, malgré la différence des contextes,
les deux cas présentent certains éléments communs ; ainsi
la référence à la maxime delphique, usuelle dans les textes
du second groupe, n'est pas absente de ceux du premier ;
inversement, la définition du souverain bien et la recherche
du bonheur, qui étaient le moteur de la première prise de
position, interviennent plusieurs fois dans la deuxième ;
surtout, c'est une analyse anthropologique de même

comparés entre eux par P. COURCELLE,Cicéronet le préceptedelphique,


dans GiornaleItal. di Filologia,21, 1969 (In memoriamE. V. MA!l.'dORALE,
II), p. 109-112.
(1) Tu.rcu!.V 13, 40 ; en 41, 119-120, il va jusqu'à laisser entendre
que certains des anciens académiciens eux-mêmes suppriment du
nombre des biens ceux du corps et de l'extérieur, et que les péripaté-
ticiens font de même, par où ils rejoignent les stoïciens.
(2) Ibid. V 13, 39; 16, 47; 18, 51 (où la distinction est attribuée
à Critolaos et à Xénocrate) ; 27, 76.
(3) De fin. V 27, 81 ; 28, 83-85.
(4) Sur lequel cf. A. J. FESTUGIÈRE,Les thèmes du Songede Scipion,
dans Erano.r Rudbergianu.r,= Erano.r,44, 1946, p. 370-388.
62 DEUX ATTITUDES DE CICÉRON

nature qui est mise en œuvre à chaque fois ; or, elle se


traduit de part et d'autre par des affirmations opposées :
le corps, revendiqué dans le premier temps comme un
composant de plein droit, est ensuite désavoué comme
un élément étranger, inutile et hostile, à retrancher de la
constitution de la véritable personnalité ; les formules
sont parfaitement inverses de l'un à l'autre cas, le neque
nos corpora sumus, par exemple, ayant l'air de s'appliquer
à contredire le perspicuum est hominem e corpore animoque
cons/are, ou encore le non... praecipit, ut membra nostra ...
noscamus semblant démentir, dans l'interprétation de la
sentence d'Apollon, le cognitio autem haec est ... , ut uim
corporis animique norimus. Tout se passe comme si, dans
un second temps, Cicéron prenait à son compte l'anthro-
pologie stoïcienne qu'il a d'abord combattue 1 ; il y a là
toutes les apparences d'un renversement auquel l'auteur
latin ne semble pas avoir pris garde, et qui n'a pas frappé
davantage, jusqu'ici, ses historiens ; sans doute la recherche
des sources de Cicéron est-elle capable de projeter quelque
lumière sur cette assez surprenante dissonance 2 •

(1) En Tuscul. V, Cicéron reconnaît qu'il combat les péripatéticiens


et l'ancienne Académie au nom de l'éthique stoïcienne ; cf. 29, 82
(interruption de l'auditeur): « Multa enim a te contra istam sententiam
dicta sunt et Stoicorum ratione conclusa » ; 30, 85 : 11Stoicis, quorum
satis uideor defendisse sententiam ».
(2) Aucune explication n'en saurait être fournie par la chronologie
des textes considérés ; en effet, si deux d'entre eux ( Somn. Sdp. et
De leg.) sont nettement antérieurs (entre les années 54 et 51), tous les
autres ( Acad., De fin., T uscu!.) datent sensiblement de la même année 4 5,
cf. R. PHILIPPSON, art. M. Tullius Cicero (Philosophische Schriften),
dans RE, z. Reihe, VII, 1939, col. 1109, 1118, 1128-1129, 1135,
1141-1142 ; de plus, on aura remarqué que certaines déclarations de
sens contraire appartiennent à un même ouvrage (p. ex. au De fin.).
Il est concevable, en revanche, que le contraste des deux points de
vue provienne de ce que Cicéron s'inspire de deux traditions diver-
gentes ; on sait en effet qu'il se vante de n'être pas systématique et
d'adopter librement toute thèse qui lui semble probable ; cf. par
exemple Tuscul. V 11, 33 et 29, 83.
CHAPITRE II

LA SOURCE DE LA PREMIÈRE ATTITUDE

Quand il définit le souverain bien comme la perfection


conjointe de l'esprit et du corps, Cicéron, on l'a vu, fait
profession de suivre les académiciens et les péripatéticiens,
plus précisément Xénocrate et Aristote. D'autres textes
confirment cette attribution ; ainsi, après avoir énuméré
les définitions « simples » du souverain bien (stoïciens,
Épicure, etc.), Tuscul. V cite les défenseurs d'une définition
«mixte» (qui a, on s'en souvient, la faveur de Cicéron):
ce sont, au premier chef, les péripatéticiens et l'ancienne
Académie 1 • Cicéron évoque encore, pour la même doctrine
qui fait sa part au plaisir à côté de la moralité, divers
philosophes moins connus, dont plusieurs d'ailleurs sont
péripatéticiens : Hiéronymus, Diodore, Dinomaque, et
surtout Calliphon, dont la position tempérée le séduit
particulièrement 2•

(1) Tu.md. V 30, 85 : « Haec igitur simplicia, illa mixta: tria genera
bonorum, maxuma animi, secunda corporis, externa tertia, ut
Peripatetici nec multo ueteres Academici secus >>; témoignage iden-
tique chez SEXTUS EMPIR., Adu. mathem. XI 45 : O! µèv ytxp cx1to-rijç
'Axcc87Jµlccc; xccl.'l'OÜ Ile:pmchou Tplccyiv7J q>cccrl.vdvcc1'l'WV cxycc6iJJv,
xccl.& µè:v m:pl. tJiux~vùmxpxe:w,& 8è 1te:pl.criJJµcc,& 8è ixToç tJiuxijç
'l'E: xcd cr0µoiToç ; de même Hypot. pyrrhon. III 180.
(2) Tu.rcul. 30, 85 et 31, 87 ; Lucullus 42, 131 ; 45, 139 : « ut
Calliphontem sequar » (mais la position de Calliphon est inconfor-
table).
64 SOURCE DE LA PREMIÈRE ATTITUDE

Toutefois, il est douteux que Cicéron soit redevable


directement à ces auteurs. Car la thèse de la nature mixte
du souverain bien, défendue à l'origine par l'ancien
académicien Palémon et par Aristote, avait été accueillie
par Antiochus d' Ascalon, qui faisait par ailleurs profession
de suivre Aristote et Xénocrate 1 • Or Cicéron avoue lui-
même qu'il a du mal à renoncer à la définition du souverain
bien proposée par Palémon, les péripatéticiens et Antiochus,
car il n'a rien trouvé qui fût plus probable 2• Ces textes
du L11c11!!11srendent très vraisemblable que Cicéron doive
à Antiochus sa connaissance des anciennes théories du
souverain bien ; dès lors, c'est également de lui qu'il
tiendrait le présupposé anthropologique de ces théories,
à savoir la conviction que l'homme est constitué d'un corps
non moins que d'un esprit. A vrai dire, les pages du
De fin. V, où l'on a trouvé cette conception exposée avec
ampleur et netteté, ne laissent aucun doute sur ce point ;
car elles appartiennent toutes à l'exposé de Pison, qui
occupe l'essentiel du livre ; or on sait que Pison fait
profession de rapporter l'enseignement d'Antiochus sur
les théories du souverain bien qui avaient cours chez les
anciens académiciens et les péripatéticiens 3 • Il en résulte

(1) Lucullus 42, 131 : « Honeste autem uiuere fruentem rebus is


quas primas homini natura conciliet et uetus Academia censuit, ut
indicant scripta Polemonis quem Antiochus probat maxime, et
Aristoteles eiusque amici hue proxime uidentur accedere l>; 45, 137:
<cAristoteles et Xenocrates, quos Antiochus sequi uolebat >>; Tuscul.
V 8, 21 : ccauctore Aristo et Antiocho [ ... ] sit bonum aliquod praeter
uirtutem >l.
(2.) Luculb~s 45, 139 : « ... quamquam a Polemonis et Peripatetico-
rum et Antiochi finibus non facile diuellor nec quicquam habeo adhuc
probabilius >>.Ce texte et les trois précédents constituent les fgts 41
à 43 et 81 d'Antiochus dans le recueil de Luck, p. 82-83 et 92..
(3) De fin. V 3, 7 : ccaudebo te ab hac Academia noua ad ueterem
illam uocare, in qua, ut dicere Antiochum audiebas, non ii soli nume-
rantur qui Academici uocantur, Speusippus, Xenocrates, Polemo,
Cranter ceterique, sed etiam Peripatetici ueteres, quorum princeps
Aristoteles >>; 3, 8 : <CStudet enim meus audire Cicero, quaenam sit
ANTIOCHOS D'ASCALON 65
que les textes du De fin. IV, où l'on a rencontré, développée
davantage encore, la même doctrine établie par la même
démonstration et rapportée aux mêmes académico-
péripatéticiens, ont toutes les chances d'avoir été inspirés
eux aussi par Antiochus ; c'est le meilleur argument en
faveur de la communauté d'origine des livres IV et V,
soutenue déjà par Madvig et Hirzel et généralement
acceptée après eux 1 • Dans ces conditions, on peut affirmer
que c'est Antiochus qui, dans la définition de la nature
humaine et, en conséquence, dans la détermination du
souverain bien, réclamait, contre les stoïciens, que l'on
prît en considération le corps non moins que l'esprit,
encore qu'il maintînt fermement la supériorité de celui-ci
relativement à celui-là 2 ; c'est lui que Cicéron aura suivi
dans les textes qui manifestent ce que l'on a appelé sa
première attitude 3 •
Si cette conclusion avait besoin d'une confirmation, on
la trouverait au début du livre XIX de la Cité de Dieu, où

1stms ueteris, quam commcmoras, Academiae de finibus bonorum


Peripateticorumque sententia. Censemus autem facillime te id expla-
nare posse, quod [... ] complures iam menses Athenis haec ipsa te ex
Antiocho uideamus exquirere [... ] Cuius oratio attende, quaeso,
Brute, satisne uideatur Antiochi complexa esse sententiam » ; 5, 14 :
« Antiquorum autem sententiam Antiochus noster mihi uidetur
persequi diligentissime, quam eandem Aristoteli fuisse et Polemonis
docet » ; ce sont les fgts 25, 27, 39 et 40 LucK, p. 79, 80 et 82.
(1) Cf. A. LUEDER, Die philo.rophische Per.rônlichkeit de.r Antiochos
von A.rkalon, diss. Gottingen 1940, p. 13-15 ; P. MILTON VALENTE,
L'éthique stoïcienne chez Cicéron, thèse Paris 1956, p. 17-18.
(2) Ce point a été bien dégagé par A. LUEDER,op. &it., p. 30-33,
41-42 et 68-70. Il l'avait déjà été par W. THEILER,Die Vorbereitung de.r
Neuplatonùmu.r, 2Berlin-Zürich 1964, p. 53, qui suppose qu'Antiochus
exposait cette doctrine dans un ouvrage de caractère protreptique
inspiré du Protrept. d'Aristote ; cf. ce dernier · apud JAMBLIQUE,
Protrept. 5, éd. Pistelli, p. 34, 9-11 : Toü 3è; &v0pC:moucruvecr-r&-ro,;
qiucrei èx IJiuxîj,; 'l"l:: xcd crwµet-roç, ~.:À-rlovoç3è; OÛO"î)Ç -njç IJiux'ijç
-roü crwµet-roç... (absent des recueils de Walzer et de Ross, ce texte
constitue le fgt B 23 du Protrept. d'Aristote dans le recueil de Düring,
p. 56).
(3) Parfaitement vu par P. BoYANcÉ,Cicéronet le« Premier Alcibiade»,
p. 212-213.
66 SOURCE DB LA PREMIÈRE ATTITUDE

saint Augustin, utilisant le Liber de philosophiade Varron,


expose comment les philosophes ont conçu « les fins des
biens et des maux» : trois grandes options, selon que l'on
place ces fins dans l'esprit, dans le corps ou dans l'un et
l'autre ; diversifiant ce point de départ au moyen de subtiles
spécifications, Varron est arrivé à compter jusqu'à 288 opi-
nions possibles, qu'il a ensuite ramenées, par éliminations
successives, au nombre de trois, selon que l'on recherche
les biens naturels premiers en vue de la vertu, ou la vertu
en vue de ces biens, ou l'une et les autres pour eux-mêmes.
Comment choisir entre ces trois écoles ? S'agissant du
souverain bien de l'homme, Varron s'est demandé ce qu'est
l'homme : la nature de l'homme comprend assurément le
corps et l'âme, celle-ci étant en vérité bien plus éminente
que celui-là ; mais l'homme est-il l'âme seule, qui serait
au corps comme le cavalier à son cheval? ou bien le corps
seul, qui serait à l'âme comme la coupe au breuvage?
ou enfin l'ensemble de l'âme et du corps, comme un
attelage de deux chevaux? C'est cette dernière définition
que Varron a choisie: l'homme étant l'âme et le corps tout
ensemble, son souverain bien est fait du bien de l'âme et
du corps, et les biens naturels premiers, tout autant que
la vertu, sont à rechercher pour eux-mêmes 1 • On ne peut

(1) AuGUSTIN, De âu.dei XIX 1, éd. Hoffmann, II, p. 363, 2.2-29 :


<<... alii [se. : philosophi] in animo, alii in corpore, alii in utroque
fines bonorum ponerent et malorum. Ex qua tripertita uelut generalium
distributione sectarum Marcus Varro in libro de philosophia
tam multam dogmatum uarietatem diligenter et subtiliter scrutatus
aduertit, ut ad ducentas octoginta et octo sectas, non quae iam essent,
sed quae esse possent, adhibens quasdam differentias facillime perue-
niret » ; 2, p. 370, 2-7 : « Interim de his tribus quo modo unam Varro
eligat, quantum breuiter aperteque possumus, disseramus. Istae nem-
pe tres sectae ita fiunt, cum uel prima naturae propter uirtutem, uel
uirtus propter prima naturae, uel utraque, id est et uirtus et prima
naturae, propter se ipsa sunt expetenda » ; 3, p. 370, 12-371, 8 :
« Quid ergo istorum trium sit uerum adque sectandum, isto modo
persuadere conatur. Primum, quia summum bonum in philosophia
non arboris, non pecoris, non dei, sed hominis quaeritur, quid sit
ipse homo, quaerendum putat. Sentit quippe in eius natura duo esse
LE TÉMOIGNAGE DE VARRON 67

éviter d'être frappé par la coïncidence des vues qu'Augustin


reproduit d'après Varron et de celles que Cicéron, tout en
les tenant d' Antiochus, attribuait à l'ancienne Académie ;
rien de plus naturel, puisque, comme Augustin le précise,
Varron prétendait que la théorie à laquelle il s'arrête
était celle des anciens académiciens, et qu'il avouait la
devoir à Antiochus, le maître de Océron et le sien 1. Malgré

quaedam, corpus et animam, et horum quidem duorum melius esse


animam longeque praestabilius omnino non dubitat, sed utrum anima
sola sit homo, ut ita sit ei corpus tamquam equus equiti (eques enim
non homo et equus, sed solus homo est ; ideo tamen eques dicitur,
quod aliquo modo se habeat ad equum), an corpus solum sit homo,
aliquo modo se habens ad animam, sicut poculum ad potionem (non
enim calix et potio, quam continet calix, simul dicitur poculum, sed
calix solus ; ideo tamen quod potioni continendae sit adcommodatus),
an uero nec anima sola nec solum corpus, sed simul utrumque sit homo,
cuius sit pars una siue anima siue corpus, ille autem totus ex utroque
constet, ut homo sit (sicut duos equos iunctos bigas uocamus, quorum
siue dexter siue sinister pars est bigarum, unum uero eorum, quoquo
modo se habeat ad alterum, bigas non dicimus, sed ambo simul). Horum
autem trium hoc elegit tertium hominemque nec animam solam nec
solum corpus, sed animam simul et corpus esse arbitratur, Proinde
summum bonum hominis, quo fit beatus, ex utriusque rei bonis
constare dicit, et animae scilicet et corporis. Ac per hoc prima illa
naturae propter se ipsa existimat expetenda ipsamque uirtutem ».
Sur le Liber de philosophia de Varron, cf. H. DAHLMANN, art.
M. Terenfius Varro, dans RE, Supplemtbd. VI, 1935, col. 12.59-1261.
Ces passages de De ciu. dei XIX 1-3 et ceux qui vont être invoqués
encore font partie des fgts 1, 3, 4 et 5 du Liber de philo.r. dans l'édition
de G. LANGENBERG, M. Terenti Varroni.t Liber de philo.raphia. Au.rgabe
und Erkliirung der Fragmente, diss. Koln 1959, p. 9, 13, 16, 17-18 et 2.0 ;
sur le traité de Varron, cf. ibid., p. 30-37. Les fgts correspondants
occupent les numéros 782 à 784 dans l'édition de B. CARDAUNS apud
H. HAGENDAHL,Augustine and the Latin Clas.rics, dans <<Studia graeca
et lat, gothoburgensia », 2.0, Goteborg 1967, t. I, p. 305-311 ; cf.
l'étude de ces fgts au t. II, p. 62.1-623.
(1) De ciu. dei XIX 1, p. 366, 9-18 : <<Quo modo autem refutatis
ceteris unam eligat, quam uult esse Academicorum ueterum [... ],
eamque sectam, id est ueterum Academicorum, sicut dubitatione ita
omni errore carere arbitretur, longum est per omnia demonstrare » ;
3, p. 372., 2.9-30 : « Haec sensisse adque docuisse Academicos ueteres
Varro adserit, auctore Antiocho, magistro Ciceronis et suo ».
L'influence d'Antiochus sur Varron a été bien mise en lumière par
P. BoYANCÉ,Sur la théologiede Varron, dans Revue des Études ancienne.r,
57, 1955, p. 74-82.; cf. aussi G. LANGENBERG, op. cit., p. 2.1 et 29-30.
68 SOURCE DE LA PREMIÈRE ATTITUDE

la communauté d'idées et de vocabulaire perceptible entre


l'exposé d'Augustin et celui de Cicéron 1, rien ne permet
de mettre en doute la parole d'Augustin affirmant que
c'est de l'ouvrage de Varron qu'il a tiré son information 2 •

(1) Un exemple notable : en De ciu. dei XIX 3, p. 371, 23-28,


Augustin, à la suite de Varron, distingue entre la 1/Îta beata, qui jouit
de la vertu et des biens indispensables à la vertu, et la uita beatùsima,
à laquelle ne manque aucun bien de l'esprit ni du corps ; on reconnaît
la distinction (mise d'ailleurs sur les lèvres du même Varron) de
CICÉRON, Acad. I 6, 22, cité supra, p. 56 et note (3); noter que cette
distinction est attribuée expressément à Antiochus par CICÉRON,
Lucullus 43, 134: ccZeno in una uirtute positam beatam uitam putat.
Quid Antiochus? ' Etiam ' inquit ' beatam, sed non beatissimam ' » ;
de même Tuscul. V 8, 22 : « Dicebantur haec, quae scripsit etiam
Antiochus locis pluribus, uirtutem ipsam per se beatam uitam efficere
posse neque tamen beatissimam » ; et encore De fin. V 27, 81 ( = fgts
80 à 82 LucK, p. 92-93) ; cf. G. LANGENBERG, op. cit., p. 19, note, et
p. 64-65 ; sans doute une distinction du même ordre était-elle déjà
dans l'esprit de l'académicien Polémon qui, selon CLÉMENT D'ALEx.,
Strom. II 22, 133, 7, professait tout ensemble que le bonheur est la
suffisance de tous les biens, ou des plus nombreux et des plus grands,
et d'autre part qu'indépendamment des biens corporels et extérieurs,
la vertu suffit au bonheur. - Autre coïncidence : les prima naturae de
Varron (la formule même est d'ailleurs cicéronienne, cf. De fin. IV 16,
43 ; V 8, 21, etc.) recoupent les res quas primas homini natura conciliet
du Lucullus 42, 131, cité supra, p. 64 et note (1).
(2) De ciu. dei XIX 1, p. 363, 30-31 : « inde oportet incipiam, quod
ipse aduertit et posuit in libro memorato » ; p. 366, 8-9 : <<Haec de
Varronis libro, quantum potui, breuiter ac dilucide posui, sententias
eius meis explicans uerbis >J,etc. Ajoutons qu'Augustin semble avoir
connu l'ouvrage de Varron de très bonne heure. Dès le C. Acad. III
12, 27, éd. Knoll, p. 67, 20-25 (en 386), il expose que, si, à son avis,
le souverain bien de l'homme réside in mente, on doit, à considérer la
question scientifiquement, envisager trois hypothèses : ccaut in animo
esse aut incorpore aut in utroque >>.Peu de temps après (en 387-389),
dans le De mor. I 4, 6, PL 32, 1313, Augustin, s'interrogeant sur la
nature de l'homme en vue de déterminer son souverain bien, pose ainsi
la question: « quid est ipse homo, utrumque horum quae nominaui, an
corpus tantummodo, an tantummodo anima >J; or il reprend chacune
de ces trois éventualités, sans oser se prononcer, mais en les illustrant
par les comparaisons mêmes, si singulières, que l'on a vues en De ciu.
dei XIX ; c'est le signe que, bien que Varron ne soit pas nommé ici,
Augustin a déjà en mains son Liber de philos. ; sans doute faut-il en
dire autant à propos du texte du C. Acad. Dernière page augustinienne
qui a toutes les chances du provenir de la même source : De ciu. dei
AUTRES ÉCHOS CHEZ ARIUS DIDYME 69
Voilà donc un témoignage indépendant de Cicéron, et
duquel il ressort qu' Antiochus déterminait le souverain
bien à partir d'une analyse anthropologique où le corps
entrait dans la définition de l'homme comme un constituant
de plein exercice ; c'est la preuve définitive qu'Antiochus
est bien responsable de la première façon de voir de
Cicéron.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'une doctrine très
semblable à celle que Cicéron et Varron développent en
s'inspirant d' Antiochus, se fait jour dans quelques pages
du livre II de l' Anthologie de Stobée. Voici en effet les
idées que l'on relève dans ces textes : l'homme étant
composé de corps et d'âme, son bonheur doit être constitué
en tenant compte de ces deux éléments 1 ; si l'homme
est à rechercher pour lui-même, ses parties principales,
à savoir le corps et l'âme, doivent l'être également, et en
particulier le corps ; notre corps et notre âme nous sont
chers l'un et l'autre, et entrent tous deux en ligne de

VIII 8, éd. Hoffmann, I, p. 367, 3-7, où l'auteur passe en revue les


thèses des philosophes sur le souverain bien : <cHoc ergo beatificum
bonum alii a corpore, alii ab animo, alii abutroque homini esse dixerunt.
Videbant quippe ipsum hominem constate ex animo et eorpore et
ideo ab alterutro istorum duorum aut ab utroque bene sibi esse posse
credebant » ; ici, la signature varronienne pourrait apparaître lorsque
Augustin observe (p. 367, 20-23) que cette division,tripartiteàl'origine,
a donné naissance à une multitude de sectes philosophiques. Certains
de ces textes ont été étudiés par H. Fucus, Augustin und der antike
Friedensgedanke. Untersuchungenzum neunzehnten Buch der Civitas Dei,
dans « Neue philolog. Untersuchungen », 3, Berlin 1926, p. 5 sq. et
157-161 ; A. SOLIGNAC, Doxographies et manuels dans la formation
philosophique de saint Augustin, dans Recherches augustiniennes, I, Paris
1958, p. 126-128 ; G. LANGENBERG, op. cit., p. 40-41 (qui, avec Agahd,
mais à tort selon moi, repousse l'origine varronienne du dernier texte) ;
R. HoLTE, Béatitude et sagesse. Saint Augustin et le problème de la fin de
l'homme dans la philosophie ancienne, Paris-Worcester (Mass.) 1962,
p. 11-20 et 198-199.
(1) STOBÉE, Anthol. II 7, 3 d, éd. Wachsmuth, II, p. 48, 20-22 :
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6
70 SOURCE DE LA PREMIÈRE ATTITUDE

compte dans la définition du bien 1 ; pourtant, ils ne sont


pas à mettre sur le même pied ; car la vertu de l'âme
détient une grande supériorité par rapport aux biens
corporels et extrinsèques ; ceux-ci coopèrent au bonheur,
mais ne lui donnent pas son achèvement ; le bonheur est
en effet vie et activité, ce qu'ils ne sont à aucun degré ;
qu'on les ait tous ou seulement les principaux d'entre eux,
leur rôle est de servir de cadre à la vie vertueuse, qui est
la véritable fin 2 • On reconnaît facilement dans ces lignes
la prise en considération du corps dans la définition de
l'homme et en conséquence dans la détermination du
souverain bien, c'est-à-dire l'essentiel du contenu du
premier groupe de textes cicéroniens (avec des parallèles
textuels indiqués dans les notes de l'édition Wachsmuth) ;
or ces extraits de Stobée sont tirés soit d'un épitomé de
philosophie morale, soit d'un exposé d'éthique péripaté-
ticienne, l'un et l'autre étant, depuis Meineke, attribués à
Arius Didyme ; comme l'avait déjà vu Madvig, leur
ressemblance avec les textes de Cicéron s'explique au
mieux par une commune dépendance à partir d' Antiochus 3 •

(1) Ibid. II 7, 13, p. 122, 11-14: Et yixp O &v6pc,moc;aL' <XÙ-rov


ix!pe:-r6c;,
xod -rix µé:p1)-roü &vOpC.:mou ?lL' ,xu-rix&v e:'i7J,x[pe:-rcx..
Mép7J
8' ècr-rlv&vOpC:mou oÀocrxe:pé:cn,x-r,xm7lµ,x X<XL ..Jiux-~-"ilcr-re: xoü -ro
cr&µix?li' ixu-ro&vix!pe:-rove:r7J; de même p. 123, 17-20 ; p. 118, 20-
119, 1 : <lllÀovyœp e:!v<XL 1)µîv -ro cr&µ,x, cplÀ'l)V Il~ 'O)V..Jiux~v,etc.
(2) Ibid. II 7, 14, p. 125, 14-16 ; de même p. 126, 12-127, 2, spéciale-
ment : e:!vocL [ ... ] -ro -rÉÀOÇ [ ... l -ro x,x-r' &pe:-oiv~'ijv &v-roîç rce:pl
cr&µœ xixL -roîç ~~Col6e:v &yœ6oîc; )1 rciicrLv)1 -roîç 1tÀdcr-roLçx,xl
xupLCol-r,i-roL,;.
(3) Voir surtout H. STRACHE, De Arii Diqymi in morali philo.rophia
auctoribu.r,diss. Berlin 1909, p. 6-8. Cette représentation généralement
admise a été récemment récusée par M. GrnsTA, I do.r.rografi di etica, I,
dans ccUniv. di Torino. Pubblic. della Fac. di Lett. et Filos. », XV 3,
Torino 1964, p. 74-112 : la source principale commune aux textes
d'Arius Didyme et à ceux de Cicéron ainsi qu'aux fragments du Liber
de philo.r. de Varron serait, non pas· Antiochus, mais un texte doxo-
graphique (pour les passages d'Arius Did. qui viennent d'être par-
courus, cf. p. 68-69 et 277) ; les arguments mis en avant, surtout
fondés sur l'étude de l'ordre de succession des thèmes chez les divers
auteurs, ne manquent pas d'intérêt ; pourtant, on ne voit pas qu'ils
suffisent à renverser l'opinion commune.
CHAPITRE III

LE PROTOTYPE
DE LA DEUXIÈME ATTITUDE
LE Jer ALCIBIADE ; SA POSTÉRITÉ

1. LA DÉFINITION DE L'HOMME DANS LE DIALOGUE

Quant à l'origine de la seconde attitude de Cicéron,


différents indices engagent à la rechercher en dernière
analyse du côté de Platon. C'est d'abord le contexte
fortement platonicien des deux pages les plus représenta-
tives de cette attitude, Somn. Scip. 8, 26 et Tuscu!. I 22,
51-52 ; l'une et l'autre, on le sait, précèdent immédiatement
la traduction d'un long morceau du Phèdre, 2.45 c-2.46a,
relatif à la démonstration de l'éternité de l'âme par son
automotricité 1 • C'est ensuite le grand nombre de références
que les textes du deuxième groupe font au rvwfü <:j('J..UT6v,
thème éminemment platonicien. Enfin, certaines compa-
raisons employées par Cicéron en Tuscu!. I 22, 51-52
(le corps comme maison étrangère ou comme vase de
l'esprit), bien qu'elles ne semblent pas se rencontrer
expressément chez Platon 2, évoquent à coup sûr les
orientations du Phédon.

(1) Somn. Scip. 8, 27-9, 2.8 ; Tuscul. I 23, 53-54. Noter encore
Tuscul. I 21, 49 (éloge de Platon); 23, 55 (id.); 24, 57-58 (référence
au Ménon), etc.
(2) Voir cependant Tim. 44 a, où le corps est dit le récipient ou
obtocvxu-roç.
l'enveloppe de l'âme, -ro -rijç ljiux_'ijç
72 LE Ju ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

De fait, c'est le Jer Alcibiade qui, pour la première fois


de façon aussi nette et ample, développe l'idée que l'homme
n'est pas son corps, mais son âme seule. Il importe de
remarquer que, tout comme les textes de Cicéron et de
Varron, c'est pour résoudre des problèmes d'ordre moral
que le dialogue fait intervenir la définition de l'homme :
il s'agit de déterminer le juste et l'injuste (m:pt aLxoclwv
xoct &a[xwv, 113 b ), de rechercher si le beau et le bien
coïncident (Tocù-ràvixpocèrpcxv'f) ~µ.ïv 1tcxÀtvocùxocMv"Texoct
&yoc06v,116 c; de même 115 a etc, 116 a, 135 b), de devenir
le meilleur possible (6c; ixptO''t'Ot~ouÀecr0ocL yevfo0oct, 124 d);
or, pour connaître l'art de se rendre meilleur, il ne faut pas
ignorer ce que l'on est (-rlç 't'SXVYJ ~eÀ-rtw7tOLÛ ocù-r6v,~p'
rlv 1to-re yvoî:µev &yvooüv-rec;-rt 1to-r' ècrµè:vocÙ't'ot; 128 e) ;
plus loin enfin, la tempérance se trouve définie par la
connaissance de soi (crwrppocruv-ri ècr't't-ro E:OCU't'OV
ytyvwcrxetv,
131 b ; il en résulte qu'aucun des cultivateurs et autres
artisans n'est crwrppwvdu fait de son art, puisqu'ils ne se
connaissent pas eux-mêmes, ni ne connaissent même
't'CZe:ocu't'ùl'I,
mais seulement 't'CZ't'OÜcrwµoc"Toc;) 1 . Le rappel de

l'inscription de Delphes vient ici tout naturellement ( 124 ab,


129 a, 132 c). L'interprétation proposée en est on ne peut
plus claire : à la question « qu'est-ce que l'homme? »
(Tl 1to-r'oùv o &v0pc,moc;;129 e; rappelons que le sous-titre
traditionnel du dialogue est : 1tept rpucrewc; &v0pw7tou),il ne
peut y avoir que trois réponses : l'âme, le corps ou le tout
formé de leur union ('P'ux·~v~ cr&µoc~ cruvocµrp6-repov, 't'O
l'lÀov-roü-ro,130 a) ; mais, étant le principe qui commande
au corps, l'homme ne peut être son corps, ni davantage le
système de son corps et de son âme ; s'il est quelque chose,
il faut donc que ce soit exclusivement son âme ('E1tei3~

(1) Il est surprenant que ce passage del'A/cib., qui coïncide pourtant


si exactement avec son propos, soit cité seulement de façon incidente
par H. NoRTH, Sophro.ryne. Self-Knowledge and Self-Restraint in Greek
Literature, dans « Cornell Studies in Classical Philology l>, 3 5, Ithaca
1966, p. 156, n. 8, et p. 334 ; cf. infra, p. 193, note (3).
LES PAGES ESSENTIELLES DU DIALOGUE 73

~, oih·e -ro aNµoc oi.J-re-ro cruvocµq,6-rep6v iGTLV&v6p@toç,


)..d1te"t'ocL
[... ] µl]oèv &Mo -rov &v6pc,movcruµooc(vew ~ ~ux~v,
130 c) ; par conséquent, ce que le précepte nous enjoint de
connaître, c'est notre âme (130 e) ; connaître notre corps,
comme font le médecin et le maître de palestre, ce n'est
pas nous connaître nous-même, mais connaître ce qui
nous appartient ; prendre soin de nos richesses, comme
fait le banquier, ce n'est prendre soin ni de nous-même,
ni même de ce qui nous appartient, mais nous en éloigner
(127 e-128 a, 128 de, 131 ab, 132 c, 133 de). Sur la nature
de l'âme, la fin du dialogue (132 d-133 c) ajoute une précision
importante : s'il est vrai que l'œil d'autrui est comme un
miroir dans lequel nos traits se reflètent, il en va semblable-
ment de son âme, qui nous renvoie l'image de la nôtre ;
davantage, de même qu'il y a dans l'œil un lieu privilégié,
la pupille, où réside la vertu de l'œil, de même y a-t-il
dans l'âme un lieu où réside sa vertu ; c'est la partie de
l'âme affectée au savoir et à la pensée (doévocL-re xocl.
q,poveë:v); rien n'est plus divin que cette partie-là ; la
regarder, c'est connaître tout le divin, un dieu et une
pensée (1tiiv -ro 6eë:ov[... ], 6e6v n xocl.cpp6v1jcrLV)
(133 a-c)1 •
Que la connaissance de soi, non seulement conduise à
la connaissance de Dieu, mais se confonde avec elle, que
l'intellect de l'homme soit de nature divine, ce sont des
idées connexes promises, on le verra, au plus grand succès ;
sans doute sont-elles d'ailleurs antérieures au dialogue ;
on les trouvera bientôt, traduites en formules particulière-
ment saisissantes, attribuées à Anaxagore et à Euripide ;
peut-être Empédocle déjà avait-il proclamé Dieu son
propre intellect, et prétendu saisir le Dieu extérieur grâce
à ce Dieu immanent en lui-même ; c'est du moins la
conviction que lui prête Sextus Empiricus, se fondant sur
la doctrine empédocléenne de la nécessité que le semblable

(1) Voir sur ce dernier passage R. WIGGERS,Zum grossen A!âbiades,


p. 132 d-133 ç, dans Philolog. Wochenschrift, 52, 1932, n° 25, col. 700-703.
74 LE Jer ALCIBIADE ET SA POSTÉRITll

soit connu par le semblable, et probablement aussi sur


d'orgueilleuses déclarations d'Empédocle lui-même 1•
On ne peut pas n'être pas impressionné par la concor-
dance vraiment remarquable qui se manifeste entre ces
thèmes du Jer Alcibiade et le contenu des textes latins
examinés plus haut. Encore faut-il voir les ressemblances
exactement là où elles sont. Certaines d'entre elles
concernent assurément les conceptions d' Antiochus dont
on a vu qu'elles étaient responsables de la première attitude
de Cicéron; chez Antiochus comme dans le dialogue, c'est
le même problème qui est posé, et il l'est semblablement
en deux temps : premièrement, la détermination du bien
de l'homme (l' honestumde Cicéron reflète le XetÀOV x&.yet66v
grec) exige la connaissance de la nature exacte de l'homme ;
deuxièmement, l'homme ne peut être défini que par son
âme, par son corps, ou par la réunion de l'un et l'autre
(l'analogie est ici parfaite avec les témoignages qui
proviennent de Varron) ; en outre, on vient de relever
dans le dialogue la distinction de trois sortes de biens,
qui sont, en valeur décroissante, ceux de l'âme, ceux du

(1) SExTus EMPIR., Adu. mathem. I 303 : o 'Eµm:8oxÀ'ij,; fü:011


É:IXU't'O\I
1't'pOITT)y6pe:ucre:v,
tl't'd µ6vo,; xct.6ocpov&.l't'oxocxloc,;TIJP'YJ!'rlXÇ
't'OVvoüv xcd &.ve:m66ÀwTov 't'êj>i:v É:ocu't'êj>
6e:êj>TOVèxTo,; xocTdÀ7)<pe:v.
Ce témoignage prend place dans un chapitre consacré à la tradition de
la connaissance du semblable par le semblable : seul peut connaître
Dieu un intellect semblable à lui ; cf. C. W. MÜLLER, Glefrhe.r zu
Gleichem : ein Prinzip frühgriechi.rchen Denken.r, dans « Klass.-philol.
Studien », 31, Wiesbaden 1965, p. 3-4. Sur Empédocle se disant Dieu,
cf. début des Koc6ct.pµol, B 112 DrELs-KRANZ, I, p. 354, 17-18:
i:ycl>a· oµ'iv 6e:oç &µopoToç, OùKéTL6v7l't'6,;l't'WÀe:uµoci µe:'t'OC
(une
partie de la formule sera citée avec éloge, à l'appui de l'essence divine
de l'âme purifiée, par PLOTIN,Enn. IV 7, 10, 37-,9, éd. Henry-Schwyzer,
p. 215, cf. W. THEILER,Die Vorbereitung de.rNeuplatoni.rmu.r, p. 109, -
et reprise, à la 2e personne, en Carm. aur. 71) ; mais ce sentiment
superbe est démenti par la conscience de son péché et de son exil
dans le monde de la mort, cf. B 115, p. 358, 7-8, et W. )AEGER, The
Theology of the Ear!J Greek Philo.ropher.r (« The Gifford Lectures>>
1936), Oxford 1947, p. 143-147 (qui observe combien la façon dont
Empédocle se dépeint lui-même comme un « dieu immortel » est
unique dans l'histoire de l'ancienne religion grecque).
RESSEMBLANCES AVEC CICÉRON 75
corps, ceux de la fortune ; mais on avait observé la même
tripartition des biens en Acad. I 5, 19-6, 2.2. et en Tuscul.
V 30, 85 1 • Seulement, il est clair que la ressemblance avec
Antiochus s'arrête là ; car, au problème de la définition
de l'homme qu'ils posent dans les mêmes termes, Antiochus
et l'auteur du Jer Alcibiade choisissent des réponses nette-
ment différentes, le premier voyant l'homme dans l'ensemble
de son âme et de son corps, alors que le second ne retient
que l'âme seule. En sorte que ce n'est pas avec la première
attitude de Cicéron, mais bien avec la deuxième que le
dialogue grec se trouve vraiment d'accord. De plus, les
attestations de cette seconde attitude, a-t-on vu, sont la
plupart du temps incluses dans une démonstration de la
nature divine propre à l'âme, plus exactement à l'intel-
lect2 ; voilà qui coïncide avec les développements du
dialogue sur le caractère divin accordé à la partie
intellectuelle de l'âme humaine. Dès lors, on n'est pas surpris
de rencontrer de part et d'autre une interprétation identique
de la maxime delphique, au point que le Cum igitur « Nosce
te » dicit, hoc dicit: « Nosce animum tuum » de Tuscul. I 2.2., 52.
traduirait correctement la page 130 e du dialogue : 'Yux.~v

(1) Cités .rupra, p. 56, note (3), et p. 63, note (1). Classement iden-
tique des biens chez PLATON,Apol. 30 ab; Gorgia.r 477 ab; Philèbe
48 c-e (en relation avec l'inscription de Delphes) ; Loi.r III 697 ab;
V 726 a-72.9a ; 743 d-744 a ; IX 870 b (cité infra, p. 88, note (o) ; moins
nets, Euthyd. 279 a-280 a et Lois I 631 b-e; et aussi chez ARISTOTE,
Eth. Nic. I 8, 1098 b 12-20, etc. Le classement est plus systématique
chez Aristote ; d'autre part, on sait que celui-ci accorde aux biens
corporels et extérieurs plus de considération que ne faisait Platon,
au point de déclarer qu'ils sont indispensables au bonheur (Polit. IV
[VII] 1, 1323 a 24-27 ; et aussi Eth. Nic. I 9).
(2) Cf. par exemple De leg. I 22, 59 et Tu.rcul.V 25, 70, cités supra,
p. 59, notes (1) et (3). En Somn. Scip. 8, 26, la même idée est
exprimée par la notion d'une correspondance entre la façon dont le
Dieu suprême gouverne le monde et celle dont l'esprit humain régit
le corps placé sous ses ordres ( id corpus cui praepositus est) ,· cette
dernière notation rejoint un thème fondamental du Jer Alcibiade, à
savoir que la distinction de l'âme et du corps est celle du commandant
(ro 't'OUcrroµoc't'OÇ<'lpxov,130 a) et du commandé (<'lpx.:cr0oci, 130 b).
76 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

&pot~µoc,; xû.i::UeLyvwplcrotLo è:m-rcx-t''t'CùV


yv&w.1.iZIXU't'6v.
L'analogie pourrait être poussée jusqu'au détail ; c'est ainsi
qu'immédiatement avant la ligne qui vient d'être citée,
Cicéron avertissait son interlocuteur supposé que ses propos
ne s'adressent pas au corps de celui-ci : nec ego tibi haec
dicenscorporituo dico; or il se trouve que, en 13o e encore,
Socrate tient exactement le même langage à Alcibiade :
Myou,; 1 . De
OÙ7tpoç 't'Ocrov1tp6crw1tov[... ] 1towuµevoç 't'OUÇ
cette identité de doctrine, de ces rencontres dans l'expres-
sion, il ressort à l'évidence que la deuxième manière de
Cicéron (mais non pas la première) se situe dans la tradition
inaugurée par le Jer Alcibiade.
Cette conclusion n'est en rien affectée par la suspicion
qui s'attache aujourd'hui à l'authenticité platonicienne du
dialogue 2 ; celle-ci n'a jamais été mise en doute dans
l' Antiquité ; qu'il ait eu pour auteur Platon ou, dans la
deuxième moitié du rve siècle, un académicien inconnu
mêlant des données prises à Xénophon et à Eschine de
Sphettos, le Jer Alcibiade doit être tenu pour le premier
témoignage important de la tradition qui nous occupe 3 •

(1) Je m'aperçois après coup que ce rapprochement, d'ailleurs


saisissant, a déjà été souligné par R. M. JONES, Posidonius and Cicero's
« Tusculan Disptttations i, i 17-81, dans Class. Pbilology, 18, 1923, p. 214.
Autre consonance, notée, celle-ci, par A. BARIGAZZI,Su/le fonti del
libro I delle Tusculane di Cicerone, dans Riv. di Fifofogia class., 76, 1948,
p. 169 : la comparaison de l'esprit à un œil en Tuscul. I 27, 67 (<cut
oculus, sic animus se non uidens alia cernit ))) fait penser à l'Alcib.
132 d-133 b. Pour le parallélisme précis entre les passages de l' Afcib.
et les textes de Gcéron, on consultera maintenant P. CouRCELLE,
art. cit., p. 112-115.
(2) Voir par exemple Ê. DE STRYCKER, Platonica, I : L'authenticité
du Premier Alcibiade, dans Les Études classiques, 11, 1942, p. 135-151
(pour les textes allégués ci-dessus, p. 147-149).
(3) Ce point est admis, bien qu'il soit un partisan de l'inauthenticité,
par H. J. KRAMER, Der Ursprung der Geistmetaphysik. Untersuchungen
zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon und Pfoûn, Amsterdam
1964, p. 136-138 ; seule serait 1iujette à modification la chronologie
relative du dialogue et de certains textes aristotéliciens que l'on va
voir. Naturellement, l'habitude de rendre par tjiuz1j la notion du
c<moi >> est antérieure à Platon ; mais elle n'a alors ni le caractère
LE PROBLÈME DE L'AUTHENTICITÉ 77

Une circonstance pourrait jouer en faveur de l'inauthen-


ticité ; c'est que l'on retrouve la thèse centrale du
Jer Alcibiade dans un autre dialogue, certainement apo-

systématique ni la tonalité ccpuritaine» qu'elle prendra dans la suite,


comme l'a bien dit E. R. DODDS, The Greek.r and the lrrational
(ccSather Lectures ll 2.5), Berkeley-Los Angeles •1964, p. 138-139.
En tout cas, on ne peut dire qu'elle soit dominante chez Homère.
Le plus souvent en effet, le poète distingue la ljiuz~ qui, à la mort,
rejoint !'Hadès, de l'homme tclui-même >l,qui est identifié à son corps ;
c'est ainsi quel' Il. I 3-5 déplore la colère d'Achille qui jeta dans !'Hadès
tant d'âmes (ljiuz&,;) de héros, cependant que ces héros mêmes (ocô-roùç
Bé) devenaient la proie des chiens et des oiseaux ; autre exemple en
Il. XXIII 66 et 107, où la ljiuz~ de Patrocle venue de !'Hadès et apparue
à Achille est dite absolument semblable à Patrocle lui-même (cxô-rcjl);
ces textes, qui établissent un contraste entre l'homme cxô-r6çet sa
IJiux~, se trouvent de ce fait aux antipodes de l'anthropologie de
l'Alcib. ; il est vrai que la IJiux~ homérique n'est pas l'âme au sens
platonicien (qu'Homère désigne par d'autres mots, principalement
par fluµ6ç;), mais l'ombre du mort présente dans !'Hadès, le reflet
infernal fait à l'exacte ressemblance de la personne vivante (outre
les passages que l'on vient de signaler dans Il. XXIII, voir la Nékyia
d'Od. XI). Plus rarement, Homère semble au contraire identifier cette
IJiux~ à la véritable personnalité, par où il rejoint, au moins verbalement,
la thèse du dialogue ; en Il. XXIII 244 par exemple, Achille parle du
moment où il s'enfoncera lui-même (cxô-r6ç)dans !'Hadès. Pour ces
deux aspects de l'anthropologie homérique, cf. E. RoHDE, P.ryché.Le
culte del' âme chez le.r Grecs et leur croyanceà l'immortalité, trad. française,
dans ccBiblioth. scientifique ll, Paris 1928, p. 3-5. Mais, outre le sens
que l'on vient de voir, la ,Jiux~en a chez Homère un autre quand il
s'agit d'une personne vivante, chez qui elle désigne le principe vital,
animal et impersonnel (ainsi en Il. XXII 161) ; Rohde (p. 5) a pensé
que ces deux emplois du mot tux~ se rejoignaient pour caractériser
un second moi, un « double J>,caché pendant la vie et se manifestant
dans l'outre-tombe ; il éclaire cette notion au moyen d'un fragment
de Pindare (Thrènes, fgt 2 PuECH, p. 196-197, = fgt 131 b SNELL,
p. 263, = [PLUTARQUE],Con.roi.ad Apollon. 35, 120 D), où l'on voit
en effet que, alors que le corps cède à la mort, demeure vivante une
image de l'être (~wàv 8' È!n Àdm:-rcxioctwvo,;E'lilwÀov),seule venue
des dieux ; elle est assoupie pendant que nos membres agissent, mais,
quand ils s'arrêtent, elle se manifeste à nous en rêve. A la suite de
W. F. Otto et d'E. Bickel, W. JAEGER,op.cil., p. 74-79, a dénoncé ce
rapprochement : Pindare, notablement plus tardif, n'éclaire en rien
Homère ; chez celui-ci, les deux sens de ,Jiux~s'appliquent à deux
réalités différentes, l'une impersonnelle, l'autre personnalisée par sa
ressemblance avec l'individu vivant ; s'il y a entre elles un lien, il est à
chercher dans le sens originel de tux~,qui est ccsouffle » (Bickel).
78 LE I" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

cryphe celui-là, l' Axiochos, 365 e : une fois que l'âme s'en
est allée, le corps qui reste n'est pas l'homme, car nous
sommes âme (-rà u1t0Àeup0è:v cr&µ.oc [...] oûx fonv o&v0pw-
1to.:;.'Hµ.d.:; µ.è:vyixp lcrµ.ev ~ux~) ; vient ensuite (370 b-d)
un argument en faveur de l'immortalité de l'âme, tiré de la
présence en elle d'un 0e'i:ov1tveuµ.ocqui seul explique les
prouesses techniques et les conquêtes scientifiques de
l'homme ; ce sont ces deux données qui ont conduit à
rapprocher l' Axiochos des textes de Cicéron 1 •
Néanmoins, l'idée que l'homme n'est pas autre que son
âme n'est pas tout à fait absente des dialogues sûrement
platoniciens. Le plus souvent, elle s'y trouve de façon
implicite ; ainsi en Phédon 115 c-116 a (le vrai Socrate n'est
pas son cadavre) ; en Répt1bl.V 469 de (ne détroussons pas
les cadavres ennemis : l'ennemi s'en est envolé, ne laissant
là que l'instrument avec lequel il combattait) ; en Lois V
726 a (de tous nos biens, l'âme est le plus divin, étant celui
qui nous est le plus personnel: ~ux~ 0et6-roc-rov, otxet6-roc-rov
6v). Une fois au moins pourtant, en Lois XII 959 ab, la
formulation se présente aussi nettement que possible,
et même avec quelque redondance : l'âme est entièrement
supérieure au corps ; dans cette vie même, ce qui constitue
chacun de nous n'est rien d'autre que l'âme (-rà 1tocpex6µ.evov
r,µ.wv
• - "
EXOCO"'t"OV
- , 1' ~\ ,,, , .lÀ \ ,1, 1
OC/VI. 'j 't"'Y)V't'UX'Y)V ; e corps
't"OU't" E~VOCLfL'YJOE:V
1 )

n'est qu'une manifestation qui nous suit, comme le cadavre


n'est que l'image du mort ; l'être véritable de chacun
de nous, c'est l'âme immortelle (-ràv i>è:ISv-roc 1jµ&v lxoccr-rov

(1) Cf. P. CoRSSEN,Cicero's Quelle für das erste Buch der Tusculanen,
dans Rhein. Museum, 36, 1881, p. p6 (pour Tuscu!. I zz, 52) ;
P. BoYANcÉ, Études sur le Songe de Scipion, p. 124 (pour Somn. Scip.
8, 26) ; R. PHILIPPSON,art. cit., col. 1144-1145, va jusqu'à voir dans
ce dialogue l'une des sources de Tuscul. I, alors que Corssen pensait
plus sagement à une source commune ; enfin L. ALFONS!, L' Assioco
pseudoplatonico. Ricerca su/le fonti, dans Studi di Filosojia greca in onore
di R. MoNDOLFO(<<Bibliot. di Cultura mod. ll, 472), Bari 1950, p. 266,
explique la ressemblance entre le dialogue et Somn. Scip. 8, 26 par
l'influence parallèle de l' Aristote perdu.
THÈMES AUTHENTIQUEMENT PLATONICIENS 79

oc0ocVO:'tOV
()\J't'CùÇ1 e:!vo:L~UX.~VÈ1t:0V0!',,0:~6µi;vov), - CeS
réflexions paraissant propres à abréger et à simplifier le
rituel des funérailles 1 •
Si l'âme tout entière défi.nit l'homme, la partie ration-
nelle de l'âme le défi.nit de façon privilégiée ; cette précision
que l'on a relevée dans I' Alcibiade se retrouve elle aussi
dans les dialogues ; elle ressort par exemple d'un passage
bien connu de la Républ. IX 588 b sq., où l'âme est comparée
à l'assemblage d'une bête polycéphale, d'un lion et d'un
homme, une forme humaine venant envelopper le tout ;
on reconnaît la tripartition platonicienne classique de
l'âme en èm0uµ'Y)·nx6v, 0uµoi;t~éç et Àoyu:rnx6v; mais
la fiction qui l'habille ici a son prix : l'assimilation de l'âme
complète à une figure humaine s'accorde à la définition
de l'homme par l'âme tout entière ; toutefois, cette figure
humaine globale renferme, à côté de deux autres consti-
tuants, un homme, qui est à la lettre l'homme intérieur,
o èv-.àr; &v0p<ùrcoç(5 89 a), à qui il revient de dominer
l'homme entier ; entendons que, dans cette âme qui
définit l'homme, la partie rationnelle le définit plus adé-
quatement, qu'elle est, selon une formule à laquelle la
tradition platonicienne fera un sort, l'homme dans
l'homme. Quant à la distinction, liée dans I' Alcibiade
à cette définition de l'homme, entre le souci de nous-même
et celui de ce qui est à nous, elle se rencontre en propres
termes dans !'Apologie de Socrate 36 c, où l'on voit celui-ci
essayer de persuader à chacun de ses auditeurs de µ~ 1tp6-
npov µ~-.i; 'tWVêo:u-roüµ'Y)aevàçèmµeÀEi:cr0o:L 1tp1vêo:u-roü
èmµeÀ'YJ0d'YJ, Enfin, la comparaison de l'âme d'autrui à un
miroir dans lequel nous apercevons la nôtre n'est pas
propre à l' Alcibiade; car on en trouve une toute semblable

.. (1) Ce texte a été rapproché de Somn. Scip. 8, 26 par R. HARDER,


UberCicerosSomniumScipionis,dans « Schriften der Konigsb. Gelehrten
Gesellschaft », Geisteswiss. KI., 6, 3, Halle (Saale) 1929, p. 126, qui
souligne judicieusement le parallélisme entre la répétition d'&xom"to;
par Platon et celle de quisquepar Cicéron.
80 LE /" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

dans le Phèdre2 55 d, où le courant amoureux parti de l'aimé


est dit se réfléchir dans l'âme de l'amant, en sorte que
l'aimé, sans le savoir, s'y voit lui-même comme dans
un miroir (lJ:icmEp 3' ÈV x.i:n-61t-rp<pÈV 't"CÏ)ÈpWV't"LÉCl:U'TôV
)1.
opWV ÀéÀ'l)0EV

Il. LE CHEMINEMENT DU THÈME

1. Aristote.
Les pages de Jamblique que l'on rapporte communément
au Protreptique d'Aristote accusent des ressemblances très
sensibles avec le Jer Alcibiade2 ; ainsi y trouve-t-on l'idée
que le corps est à l'âme comme le commandé au comman-
dant, ou comme l'instrument à l'utilisateur 3 ; et encore
l'affirmation du caractère divin propre à l'intellect de
l'homme 4 ; cette exaltation de l'âme et de l'intellect

(1) Autres thèmes du Jer Alcib. dont la présence chez Platon est
bien connue : - rapport du corps à l'âme conçu comme celui de
l'instrument à l'utilisateur ou du commandé au commandant (Phédon
79 ç; 79 e-80 a; Tim. 34 ç; Loi.r X 896 ç); - caractère divin de l'âme
ou de sa partie intellectuelle (Phédon 80 ab; Républ. IX 589 d-590 d;
X 611 e; Tim. 41 ,; 69 d; 72 d; 88 b; 9oaetc; LoisV72.6a; X 897b;
899 b-900 a, etc.).
(2) Elles n'ont pas échappé à Jamblique qui, quelques pages avant
de commencer sa compilation d'Aristote, résume et paraphrase dans
son propre Protrept. 5, p. 2.8, 19-29, 14, un passage essentiel de l'Alâb.,
130 e sq.
(3) ARISTOTE,Protrept., fgt 6 Ross, p. 34 : TO µt'II lent tjiux_~TW\I
Év 'Î)µÏ:'11
TO llè cr&µo:, xo:t TO µèv &px_st TO llè: &px_&-ro:t,
xo:t TO µè:'11
XP'iiTo:tTO Il' ùn:6xstTO:twç lîpyo:\IO\I; de même fgt 4 début, p. 30.
Comparer Alâb. 129e-13ob; cf. supra, p.75,note (2). JAMBLIQUE,
Protrept. 5, p. 27, 12-28, 6, reproduit ces distinctions d'Aristote, et
leur ajoute des notations qui proviennent directement de l' Alcib.
132 c sur la notion d'ÈmµÜ,sto: et la distinction entre tJiux-fi, cr&µo:
et TIXTOÙ crwµo:TOÇ= TIXxp-fJµo:TO:.
(4) Protrept., fgt 10 c 1°, p. 42 : Oôllè'II où\/ 6do\l ~ µo:x&ptov
ùmxpxst -roï:ç &vOpwn:otç, n:À~\I [ ... ] /Scro\ltcrTL\I Év 'Î)µÏ:'11\/OÙ xo:l
cppo\1-fJcrswç,etc. ; peu après, Aristote approuve une formule concor-
dante, qu'il attribue à Hermotime ou Anaxagore : 6 \IOUÇ'(IXP -iJµ&\I
6 0s6ç ; la même citation, rapportée cette fois à Euripide, se lit chez
CrcÉRON, Tu.rcul.I 26, 65 : « animus quoque, ut ego dico, diuinus est,
LES TRAITÉS DE MORALE 81

s'accompagne, comme dans le dialogue platonicien, de


la réduction de l'homme à la partie pensante (-rà J.6yov
fy_ovxoct~tcxvmocv) de son âme; simplement, Aristote atténue
le caractère absolu de cette définition : soit uniquement,
soit principalement, nous sommes cette partie de nous-
même1. Sur chacun de ces points, l'Éthique à Eudème
ne diffère guère du Protreptique: le rapport de l'âme au corps
y est encore conçu comme celui de l'artisan à son outil et
du maître à son esclave 2 ; d'autre part, la partie pensante
de l'âme humaine (raison, science, intellect) y est présentée
comme constituant le divin en nous 3 ; pourtant, on a
quelque peine à y découvrir l'idée que l'homme se définit
par son âme seule ; peut-être doit-on en voir une trace dans
le fait que les affections y sont rapportées à l'âme, au lieu
de l'être au composé humain comme ce sera le cas dans
le De anima 4 •

ut Euripides dicere audet, deus >>,texte que R. HARDER, op. cit.,


p. 127-129, a rapproché de Somn. Scip. 8, 26 ; <CDeum te igitur scito
esse >>.L'identité de ces vues d'Aristote avec celles de Platon rend
superflue la question, agitée par Ch. JossERAND,L'âme-dieu. A propos
d'un passage du<<SongedeScipion », dans L'Antiq. class., 4, 1935, p. 144-
145, de savoir duquel des deux s'inspire la dernière formule de Cicéron.
(1) Protrept., fgt 6, p. 35 : xcd yàp &v -roiho, o!µcu, 0d1) -r:ç,
wç ~'t"OL µ6vov ~ µ&.Àicrw:1)µe:îç &crµe:v't"Oµ6piov -roiho ; même
hésitation quelques lignes plus bas : l'essence de l'homme consiste
dans le Myoç et le voüç si l'homme est un animal simple ; mais on doit
envisager aussi qu'il soit composé de plusieurs facultés. Voir sur ce
texte F. NUYENS, L'évolution de la p.rychologied'Aristote, trad. française,
collect. e<Aristote. Traduct. et études », Louvain-La Haye-Paris
1948, p. 129. Il a été rapproché du Ier Alcib. par R. S. BLuCK, The
Origin of the <cGreater Alcibiades >>,dans The Clau. Quart., new ser., 3,
1953, p. 47. Une comparaison a été instituée, sur des thèmes voisins,
entre l'Alcib. et un autre écrit perdu d'Aristote, le De iustitia, par
P. MoRAux, A la recherche de l' Aristote perdu. Le dialogue <cSur la
justfre », collect. « Aristote. Traduct. et études ll, Louvain-Paris
1957, p. 95-100.
(2) ARISTOTE,Eth. Eud. VII 9, 1241 b 17-19 : 6µo!roç ~XE:L tJiux-Ji
rrpàç crwµO(XO(L
-re:xv!niç rrpoç opyO(VOV
XO(L
8e:crrr6niçrrpoç 8oÜÀOV
;
de même VII 10, 1242 a 28-29.
(3) Ibid. VIII 2, 1248 a 27 : -ro &v 1)µî:v0e:î:ov.
(4) Ibid. II 3, 1221 a 13 ; en disant que ce n'est pas l'âme qui a
pitié, apprend ou pense, ma -rn
"ov &v0proTCO'I tJiuxn, le De an. I 4,
82 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

L' Éthique à Nicomaque apporte un écho plus net de


l'anthropologie de l' Alcibiade, tout en en adoucissant la
rigueur : chacun de nous semble bien être sa faculté
pensante, ou du moins - ajoute Aristote par le même
scrupule que l'on vient de voir dans le Protreptique -
l'être principalement 1 ; de même qu'une cité, ou toute
autre organisation, consiste principalement dans son
composant dominant, de même chaque homme s'identifie
à sa faculté maîtresse, l'intellect 2 ; il est à croire que chaque
homme est sa faculté la plus fondamentale et la meilleure,
c'est-à-dire son intellect ; aussi la vie selon l'intellect
est-elle sa vie, toute autre vie étant la vie d'un autre 3 •
Cette dernière phrase fait apparaître une connexion, que
l'on a également relevée dans l' Alcibiade, entre la définition
théorique de l'homme et la détermination de son bien
propre ; c'est cet aspect qui prévaut en d'autres passages
de la même Éthique : le bien de l'homme consiste dans
une activité de l'âme conforme à la vertu 4 ; la vertu de

408 b 13-15 s'écartera en tout cas de l'anthropologie de l'Alcib.,


comme l'a bien vu F. NUYENs, op. cit., p. 186 sq. Peut-être est-ce
encore une façon d'identifier l'homme à son intellect que de dire qu'il
commence à avoir de l'amitié pour lui-même seulement quand son
110Gçest en désaccord avec son èm0uµ(o: (Eth. Eud. VII 6, 12.40 b
30-H, cf. R. S. BLUCK, art. cit., p. 49).
(1) ARISTOTE, Eth. Nic. IX 4, 1166 a 16-2.3 : TOÜyttp 8Lo:'V01)TLKoù
xocpw, orre:p i:KO:<,TOÇ dvo:L 8oKe:L [ ... ] Â6çe:Le:8' &11TO '\IOOÜ'\I
!!xo:cr-roçdvo:L, 'iJ µocÀLcr-ro:.Cf. GAUTHIER-JOLIF, comment. ad /oc.,
p. 72.8-72.9.
(2.) Ibid. IX 8, 1168 b 35 : •.. KpO:Tet'\ITOV'\IOÙ'\I 'iJµ~, &ç TOUTOU
éxoco--rou611To<; ; vient ensuite (1169 a 2.) l'atténuation : il est clair que
chacun est son intellect, ou du moins qu'il l'est principalement
('1J µocÀtO'W,).
(3) Ibid. X 7, 1178 a 2.-4 : Â6l;eu;;3' &11KO:Ldvo:L i:xo:o-Toç-roü-ro,
efaep TO KÙpLO'IKo:L&µewo'I · &TOTTO'I oi5'1 yl'loL-r' &v, el µ'I] -rov
O:ÔTOÙ ~(ov o:!poho <XÀÀIX TLVOÇ &ÀÀou; on trouve peu après la
réserve habituelle : la vie propre à l'homme est la vie selon l'intellect,
puisque l'homme est principalement l'intellect (Ko:l Téj>iiv0pclmep 3'1)
0 KO:TttTO'I'IOÜ'I~loi;, ehrep TOÜTOµocÀLO'TO: &v0p<il7tOÇ,1178 a 6-7).
(4) Ibid. I 6, 1098 a 16 : TO iiv0promvo'I iiyo:00'1 IJiux'ijçèvépye:Lo:
yl11e:-ro:L Ko:T' &pe:tj11.
L'ÉTHIQUE A NICOMAQUE 83
l'homme n'est pas celle du corps, mais celle de l'âme 1 •
Ajoutons pour mémoire que les deux autres thèmes de
l' Alcibiade - conception instrumentiste du rapport de
l'âme et du corps, qualité divine reconnue à la partie
pensante de l'âme - se rencontrent aussi, surtout le
second, dans l' Éthique à Nicomaque2 ; dans ces conditions,
plus encore que les deux autres traités de morale d'Aristote,
celle-ci est certainement à regarder comme un jalon
important dans la tradition du dialogue platonicien,
même si la définition anthropologique propre à ce dernier
apparaît maintenant moins tranchée. Pour ceux qui croient
à l'authenticité aristotélicienne de la Grande morale, il
faut signaler enfin qu'une page de cet ouvrage rejoint
étonnamment le Jer Alcibiade, non plus pour la définition
de l'homme, mais pour l'idée que la connaissance de soi
s'opère par la médiation de l'âme d'autrui : incapables
par nous-mêmes de voir notre propre visage, - lit-on
dans le traité controversé, - nous y parvenons en regardant
dans le miroir ; de la même façon, quand nous voulons
nous connaître nous-mêmes, nous devrions y arriver en
regardant notre ami, puisqu'il est, comme on dit, notre
alter ego3•

(1) Ibid. I 13, 1102.a 16-17 : 'ApeTIJ" ail: Às:yoµe" 1b0peù1tL\l'l')\I où


TIJ" -roü o-wµix-roç,ixÀÀdr. 't"'Y)\I
-njç tJ,uxlj,;.On notera que cette concep-
tion du bonheur humain, si elle rejoint la deuxième attitude de Cicéron,
se trouve en complet désaccord avec la première, c'est-à-dire avec
celle pour laquelle Cicéron, sur la foi d' Antiochus, se réclamait juste-
ment d'Aristote ; elle coïncide en revanche avec la thèse qu'il repoussait
comme stoïcienne. Aussi bien, d'autres textes aristotéliciens, tels
ceux que l'on a rappelés supra, p. 75, note (1),cautionneraient la position
d' Antiochus.
(2) Ainsi ibid. VIII 13, 1161 a 34-35 (l'âme est au corps comme
l'artisan à son outil et comme le maître à son esclave) ; X 7, 1177 a
13-17 (qualité divine de l'intellect humain); 1177 b 26-31 (id.) ; X 9,
1179 a 2.2-2.8(parenté des dieux avec le voü,; des hommes).
(3) [ARISTOTE],Magna mor. II 15, 1213 a 16-2.4 : ixù-roLµ1:-.,00\1
/X\l't"OÙÇ te; /X\l'rùl\loù au-vixµe:6ix0e:fo1X0"6/Xt [ ... J &o-1tepoov ()'t"/X\I
6itÀCù[LE:'Ja:ù-roL(/.\l't"ùl'V
-rà 1tp60-Cù1tOV !ae:î-v,dç -ro X./X't"07t't"p0\I
tµOÀS:-
tj,a:neç e:'l8oµe:-v,oµolCùç X.IXt O't"IXV
ixù-rotO(\l't"OUÇ ~OUÀ'l')0&µe:v
"('Jùl'JIXt,
e:ti;-ro" cplÀo"LM-.,-re:ç &-.,• fo-r: ,&p, wi;cpocµt-.,,;, cplÀo,;
"('Jwplo-ixtfLE:'J
84 LE Jer ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

Naturellement, l'anthropologie de l' Alcibiade perdra pour


Aristote tout attrait quand il aura adopté sa conception
hylémorphique de l'homme, les deux points de vue étant
incompatibles ; quelque souvenir pourrait pourtant en
subsister ; dans le livre H de la Métaphysique, l'auteur
déplore qu'il soit difficile de savoir si tel nom désigne une
forme essentielle ou sa réalisation concrète : ainsi, le mot
«animal» s'applique-t-il à une âme dans un corps, ou bien
à l'âme? il n'y a pas d'équivoque, poursuit Aristote, pour
le mot « âme », puisque l'âme concrète et la forme de l'âme
coïncident ; mais il y en a une pour le mot « homme »,
du fait que la forme de l'homme et l'homme concret ne
sont pas identiques, à moins toutefois que l'âme elle
aussi ne soit appelée homme 1 ; c'est cette dernière notation
qui pourrait se rattacher à la tradition de l' Alcibiade2 •

2.. Philon d'Alexandrie.


On verra dans un moment que la période hellénistique
est loin d'être muette touchant cette tradition ; réservons

g-rspoç ~yoo
; cf. R. W ALZER,Magna moralia und aristotelische Ethik
dans « Neue philolog. Untersuch. >>,7, Berlin 1929, p. 232 et n. 3,
et F. DIRL"lo!',llIER,Aristoteles, Magna moralia, dans « Arist. Werke in
deutscher Ubersetzung » (E. Grumach), 8, Berlin 1958, p. 469, qui
voient dans ce texte un souvenir de l'Alcib. 132 d sq. et du Phèdre
z55 d.
(1) ARISTOTE,Metaph. H 3, 1043 a 29-b 4, surtout b 3-4 : &v0pJmei>
iè xixl &.v0pwrroçoù -rixù-r6v,e:l µ71 xixt Yj 'f'UXYJ
&.vOpwrroç),s;.:0-fiae:-rCXL,
Sur ce passage et quelques-uns de ceux qui viennent d'être extraits
d'Eth. Nic., voir F. NuYENS, op. cit., p. 179 et 190-192.
(:z) On a supposé, - de façon gratuite, mais sans invraisem-
blance, - que la définition de l'homme véritable par son seul intellect
devait avoir été professée aussi par un académicien contemporain
d'Aristote, Xénocrate ; l'hypothèse a été avancée par R. HErNZE,
Xenokrates. Darstellung der Lehre und Sammlung der Fragmente, Leipzig
1892, p. 143 et n. 1, et reprise récemment par M. GrGANTE, Poe.riae
critica letteraria ne//' Academia antica, dans Miscel/anea... A. RosTAGNI,
Torino 1963, p. 236-237 ; cette conjecture de Heinze s'insérait dans sa
tentative de faire de Xénocrate la source du mythe eschatologique du
De facie de Plutarque, qui comporte effectivement une semblable
définition de l'homme, comme on le verra infra, p. 93-94.
DÉFINITIONS INDIRECTES DE L'HOMME 85
cette époque pour l'instant, et venons-en à Philon
d'Alexandrie, dont l'équipement philosophique présente
tant d'affinités avec celui de Cicéron. Le parfait politique,
dont Joseph est la figure, n'a rien à craindre de la tyrannie
des hommes : ils ont pouvoir sur son corps, mais non pas
sur lui-même ; car il agit au nom du principe le plus
puissant, sa raison, et il se soucie peu de son corps mortel
qui l'entoure à la façon d'un coquillage 1 ; c'est dire que
le corps n'entre pas dans la constitution de la véritable
personnalité, laquelle s'identifie à la 8Locvoux; la comparaison
du coquillage rappelle celles que Cicéron employait, en
Tuscul. I 22, 51-5 2, pour exprimer la même doctrine ;
or elle provient sans aucun doute du Phèdre 250 c, détail
qui rend probable l'inspiration platonicienne de tout
le passage. Autre façon pour Philon de traduire la même
conviction : quand !'Écriture parle d'un « homme »,
entendre qu'il s'agit de notre intellect ; sont interprétés
ainsi le premier homme à qui Gen. 1, 26-29 donne pouvoir
sur les végétaux et les animaux 2, l'homme puni par le déluge
(Gen. 6, 7)3, l'homme qui rencontre Joseph errant (Gen. 37,
1 5)4, etc. Ce dernier texte introduit une notion qui est loin

(1) PHILON, De losepho 14, 71, éd. Cohn-Wendland, IV, p. 76,


7-11 : , AAA' ou-ro( ye: TIJV0"6lfl.OCTOÇ xupe:!ocv,oô T1)\I
émypa.tpO\ITOCL
xoc-r'trié · tyoo yocp &no TOÜxpe:(-r-rovoi;;, T'iji;;év tfLOCUTCÏ> 8iocvoloci;;,
XP'/Jfl.OC,l,oo,
xoi:6' 'l}v nocpe:crxeuoccrriocL
~ioüv ô).[yoc cppov-rt,oov-roü
6v'l)TOÜ ô x&v ocr-rpéouIHx'l)Vm:pme:q,uxoi;;
cr&>rioc-roi;;, ... ; sur le corps
comparé à une coquille, voir encore De sacrif. Ab. et Caini 29, 95 ;
De uirt. 12, 76 ; et P. COURCELLE, Le corps-tombeau. Platon, <<Gorgias»,
493 a, <<Craty!e», 400 c, «Phèdre», 250 c, dans Revuedes Études ancien-
nes, 68, 1966, p. 104-105.
(2) De agric. 2, 9, II, p. 96, 24-25 : "Av6poo1to,; 8è otv tx&cr-rci> ~riwv
-dç ixv d'I) 1tÀ1)V 6 voüç ... ; P. BoYANCÉ, Cicéronet le « Premier Alci-
biade», p. 222 et n. 5, rapproche ce texte (~fl.ù>V l!xom-roç)de Lois XII
959 ab et de Somn. Scip. 8, 26.
(3) De confus.Jing. 7, 24, II, p. 234, 16 : -rov &vOpc,mov,Myoo 8è
-rov voüv ; Quaest. in Gen. I 94, trad. Aucher, p. 68 : ccsymbolice homo
est in nobis intellectus >>.
(4) Quod det. pot. in.rid.soleat s, 22-23, I, p. 263, 13-16 : TOÜ1tpo,;
&).~6e:Locv&v6p@1tou-ro !8tochoc-rov xocl e:ô6uôo).&>,oc-rov 15vowifo-rw
ocô-ro-roü-ro&vOpoonoi;;, ~p6pooritvl)c;xoctÀoyLx~ç8iocvolcxc; otx.:LD'l'IXTI]

7
86 LE Jer ALCIBIADE ET SA POSTÉRIT!l

d'être claire chez Philon1, celle del'« homme véritable»;


parmi les acceptions de cette formule, l'une nous intéresse,
selon laquelle l' « homme véritable » est immanent à
l'homme concret sous les espèces de son intellect 2 ; cela
encore revient certainement à considérer le voüç comme
définissant l'homme 3 •

11:p60-p1)0-Lc;.Oi5-roc; o &v6pw1toc; bJ éxfo-ro\) -r1itli\)x:'iixix-roLxwv ...


(1) Cf. É. BRÉHIER, Les idées philosophiques et religieuses tk Philon
d'Alexandrie, dans « Études de Philos. médiév. », 8, Paris 3 1950,
p. 121-12.6.
(2.) De plant. 10, 42, II, p. 142, 5-6 : "t"O'I&V"Ïjfl-L'I1rpàc; cxÀ+,0eLIXV
&v6pw11:ov,-rol)-recr-rL-ràv vouv ; De fuga et inuent. 14, 71, ill, p. 12.5,
2-3 : Tou fl-Èvyixp 11:poc;<XÀT,0ELCt.\l
&v0pC:mo\),8ç 8Yjvoue; &cr"t"L xa.0ctp<il-
"t"IX"t"OÇ;De somn. I 37, 215, III, p.251, 14-15 : ÀoyLXYJtJi\)x+,,'ljç lepEÙc;
o 11:pàc;cxÀT,0ELct'I&v6pw1toç; Quis rer. diuin. ber. sit 48, 2.31, III, p. 52,
10-11 : -rov xix0' Exa.o--rov"Ïjfl-WV vouv, 8ç 8l) Xl)pLooçxixL 1tpàç cxÀT,-
0eLct'I &v6poo1t6çtcr-rL; Quod omnis prob. lib. sil 17, 111, VI, p. 32, 2-3 :
-rov &6pa.-rov vouv [ ... ] , 8ç &<j,e\)8wc;, &v6poo1t6ç fo-rLv oixov
l:mepep6fl-&VOÇ -rà a.Lcr01)-ràve18oç, à comparer avec Tusrul. I 22,
p-52, cité supra, p. 60 et note (1). Voir sur ces textes
V. N1K1PROWETZKY,La doctrine tk l'Élenrhos chez Philon, ses
résonancesphilosophiques et sa portée religieuse, dans Philon d'Alexandrie.
Colloque tk Lyon 1966, Paris 1967, p. 257-259 et 262. Autre façon pour
Philon d'exprimer la même idée : le vouç est à proprement parler
ccl'homme dans l'homme», &v6poo1t6ç È:cr-rLv &V&v0p<i>7t<p (De rongr.
18, 97, III, p. 91, 20-21), ou encore ccl'homme en nous», -rov èv "Ïjfl-Î:V
&v6pw1tov (De somn. II 40, 267, II, p. 301, 13) ; sur l'origine platoni-
cienne de ces formules, cf. supra, p. 79 ; l'&v6poo1toc;&V &v6pC:mepsera
repris par les gnostiques, cf. CLÉMENTn'ALEX., Excerpt,t ex Tbeod.
51, 1. Quant à l'homme concret, créé en Gen. 2, 7, il dt meure un
composé de corps et d'âme ; ainsi De opif. mundi 46, 1H ; Leg. alleg.
III 5 5, 161 ; De uita Mos. Il 51, 288 (cité infra, p. 95, note (o).
(3) Voir sur ce point H. SCHMIDT, Die Anthropologie Pbilons von
Alexandreia, diss. Leipzig, Würzburg 1933, p. 4-5 et 116-117. Habi-
tuellement lié à cette définition, le thème de la parenté de l'intellect
humain avec Dieu se rencontre lui aussi chez Philon, dans des termes
souvent très proches de ceux que l'on a vus chez Cicéron ; ce point
a été mis en lumière par P. BoYANCÉ, Sur l'exégèse hellénùtique du
« Phèdre » (Phèdre, p. 246 c), dans Miscellanea... A. RosTAGNI, Torino
1963, p. 49-50, et Études phibmiennes, dans Revue tks Étutks grecques, 76,
1963, p. 108-109. Ajoutons que, lorsque PHILON, De opij. mundi 21, 66,
compare l'intellect dans l'âme à la pupille dans l'œil, il pourrait bien
se souvenir de l' Akib. 133 ab; peut-être le fait-il aussi quand, en Quod
deus sil immut. 10, 45-46, il considère l'intellect comme l'homologue,
dans l'âme, de la vue dans le corps ; ce dernier thème est également
aristotélicien, cf. Eth. Nic. I 4, 1096 b 2.8-2.9 ; Top. I 17, 108 a 1 t.
DÉFINITION DU SOUVERAINBIEN 87
Chez Philon comme dans le Jer Alcibiade, cette définition
de l'homme retentit sur la détermination de son bien.
En Gen. 9, 27, Noé prie Dieu d'élargir la place de Japhet
et d'habiter dans les maisons de Sem ; interprétation
philonienne du premier vœu : que Japhet ne limite pas
la fin à la recherche du bien selon le seul intellect souverain,
mais qu'il l'étende aux trois genres de biens (selon l'âme,
selon le corps, selon les choses extérieures) ; quant à Sem,
il désigne l'âme parfaitement purifiée, qui tient la beauté
morale pour le seul bien et tous les autres biens pour
ses serviteurs ; l'habitant des maisons de Sem, c'est d'abord
Dieu ; mais peut-être Noé prie-t-il pour que ce soit aussi
Japhet ; car il faut prier pour que celui qui regarde comme
des biens les avantages corporels et extérieurs revienne
au seul bien de l'âme 1 • Quand Dieu donne à Abraham
le pays qui va du fleuve d'Égypte jusqu'à !'Euphrate
(Gen. 15, 18), entendons par le premier fleuve les biens
corporels et extérieurs, par le second les biens spirituels ;
le récit passe de l'un à l'autre, de même que les jeunes
jouissent des biens corporels et extérieures avant d'accéder,
dans la vieillesse, aux biens spirituels 2 • Mais le texte le

(1) De .;obr. 12, 60-13, 68; surtout 12, 60, II, p. 2.2.7, 7-11 : Toü
ocyoc6ov-iJyouµévouTOKOCÀOV µ6vov fo-roci-.-roc~
x:octcruvîjx:-rocLTO-.é).o,;;-
é:vtYIXPµuplwv lîvTWVTùlVm:pt ~µtic; T<Îl~ye:µ6vLv0 auvé~e:UKTOCL -,
-roü 8è Tptcrtv èqiocpµ6~ovToc; ocÔTOyéve:mv, T<Îl,re:pt ljiux~v, T<Îl,re:pt
cr&µoc,T<Îl,re:pt TIX1btT6ç,[... ] e:ôpuve:TC(L;
et 13, 67, p. 2.28, 8-10 : T4l
yt\:p xoct TIXcrwµocToc;xoct TIXèxTOÇ ,r).e:ove:x:T~µocToc &yoc61X -iJyou-
µévep xoci-.ove:ü~occr0oct,rpoç µ6vov TO ljiux-ïjç &va8paµe:îv ; de
même Quaest. in Gen. II 76. Noter que tout le passage du De sobr.
est plein de souvenirs du mythe du Phèdre, à ajouter aux relevés
de P. Boyancé dans les deux articles cités à l'instant.
(z) Quaest. in Gen. III 16 ; la théorie qui fait consister le bonheur
dans l'accomplissement des trois genres de biens est rapportée par
Philon (qui ne la prend nullement à son compte) à Aristote et
Pythagore ; cf. la trad. Aucher, p. 188 : ccAd mentem uero felicitatem
annuit, quae est perfecta plenitudo (cf. OCÔTIX cruµ,rÀ1)poüvTI)Ve:ô8oct-
µovlocv d'Arius Did. apud SToBÉE,Anthot. II 7, 14, p. 126, 2.1-2.2.;
de même CLÉMENT n'ALEx., Strom. II 2.1, 12.8, 5, éd. Stâhlin, I, p. 182.,
27-28, parlant des péripatéticiens : ~uµ7tÀ1)poücr0ocL 't'OLVUVniv
e:ô8octµovlcxvéx: 't'-ïjçTp1ye:vdocçTwv &yoc0&v;II 21, 129, 10, p. 184,
88 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

plus net en faveur, non pas même de la primauté des biens


de l'âme, mais de leur vocation à être les seuls biens, se
lit à propos de la mission de Joseph (Gen. 37, 13-14) :
Joseph est dans l'erreur quand il imagine que le bonheur
ne consiste dans aucun des trois genres de biens pris
séparément, mais dans leur somme ; aussi est-il envoyé
à des hommes chargés de lui apprendre que le seul bien
est la beauté morale de l'âme, et que les avantages extérieurs
et corporels sont des biens mensongers 1 • Plus exactement,
le bien de l'âme doit lui-même céder le pas à celui de
l'intellect ; on vient de rencontrer déjà cette thèse chez
Philon ; un autre texte ne laisse aucun doute sur ce point 2 •

2-3, à propos de Critolaos: TIJVèx -rwv -:-ptwvye:vwvcruµ1t):,;pauµb.17lv


-rptye:vtX'/)V -re:Àe:t6'r'1)TCC)
triplicium bonorum, spiritualium nempe,
corporalium, externorum : ut laude celebrant eam nonnulli eorum,
qui posthac philosophi exstitere, Aristoteles cum Peripateticis :
dicitur tamen etiam Pythagorica esse talis legislatio ». En Quaest. in
Gen. IV 215, p. 416-417, Philon discerne dans Gen. 27, 28 l'idée que
les biens célestes et di vins priment sur les biens terrestres et corrup-
tibles ; puis il rappelle la hiérarchie des trois sortes de biens, au-dessus
desquels, comme en De .robr.,il place ceux du voüç : <<Optime maiores
quoque amiqui dixere, opulentiam, nobilitatem, dilectionem, honorem
similiaque externa seruire corpori ; sanitatem uero et uirtutem,
bonumque sensum animae ; animam autem menti J> ; même hiérarchie
par la notion de « service >J en Quis rer. diuin. her. sit 58, 285-286
(cf. SÉNÈQUE,Epist. 92., 1 ; l'idée vient de PLATON,Lois IX 870 b:
To yixp à:À7l0èçÀéye:cr0cct m:pL TOÜ1tÀ01hou [ .•. ] wç lve:xcccrcliµcc't'6Ç
foo:1, xccLcrwµcc'-!iux1jç/tve:xcc· &ycc0w'Iµè'I oov 5v,w'I é1'1fve:xcco
1tÀaihaç d'ioU rnt,:puxe:,-rpl-ra'I èl'I e:!'1)µe:,ix crcliµ:x-roç&pe:TI)'Ix.°'L
'-!iux-îîç); même division binaire des biens en 'I07lTOC et °'tcr07i-r&,à
propos du même texte scripturaire, en De migr. Abrah. 18, 101.
(1) Quod tkt. pot. insid. soleat 3, 7-4, 9 ; ainsi 3, 8, I, p. 260, 7-10 :
-rà e:i.lacctµo'Iµ+,-re: t'I 't'OÎÇ èx-ràç tal~ µ+,-re:è'I TOÎ:Ç1te:pt crwµcc
µ-~-re:S'i -roï:ç 1te:pl '-!iux'/J'Ixcc0' ccu-ràÈ~e:-r&1;e:cr0cc1,
[ •.. ] à:ÀÀIXxcc-rà
-rà ÈX 7t<X'ITül'I àWpoLcrµcc ; 4, 9, p. 260, 11-14 : ... <X'lapccçfLÔ'IOV
-rà XCCÀà'i &y(X0à'I'loµl1;onccç, 8 '-!iux1jçwç '-!iux1jçÈcrTt'IŒto'I, 't'IX
8' èx-ràç x:xt 1te:pLcr&µcc 7tÀEO'IEXT+,µ(XTCC Àe:y6µe:'ICC µÔ'IOV,où 1tpàç
à:À+,0e:1ccv 5ncc, &ycc0dc. m:mcrnux.6-ro:ç. Cf. aussi De post. Caini 39, 13 ,.
(2) De uirt. (De nobil.) 1, 187, V, p. 325, 2-4 : TO 1tpoç à:À1J0e:t(X'i
&yo:00'1oùae:'11TWVbt't'6ç, à:ÀÀ,aùaè 't'WV1te:plcrwµ°', µœÀÀO'i8è aùaè
7tCC'ITLµipe:t '-!iux1jç,à:ÀÀIX µ6wjl T!Î}'i)ye:µovtx/i'l1té:,:puxe:'I
èvatcct-r&cr0o:t.
Peu après, Philon en donne la justification : c'est que seule la raison
porte l'image du bien (µ6'1oç &yo:Àµcc-roc:popd -r&ycc06'1,188, p. 325,
LA CONNAISSANCE DE SOI 89
Tous ces témoignages font apparaître une doctrine assez
cohérente 1 : dans la mesure où l'homme véritable est
défini par l'intellect, son bien suprême ne peut être que
celui de l'intellect, les avantages corporels et extérieurs
étant réputés biens, non pas subordonnés, mais faux et
dépassés.
Compte tenu de ces prémisses - définition de l'homme
par son intellect, identification de son bien au bien de
l'intellect-, on pourrait penser que c'est à la connaissance
de l'intellect que Philon réduira la connaissance de soi.
Il n'en va pas exactement ainsi. Philon aborde le I'vwfü
ar:t.u,6vprincipalement à propos de la migration d'Abraham.
Double migration : Abraham et son père Tharé sortent de
Chaldée pour s'établir à Haran (Gen. 11, 31), Abraham quitte
Haran pour le pays de Chanaan (Gen. 12, 4-5). Le premier
déplacement représente aux yeux de Philon l'abandon
des investigations astronomiques conjecturales au bénéfice
d'une recherche plus à la portée de l'homme : la connais-
sance de soi-même ; discernant en soi la partie maîtresse
et la partie sujette, on comprendra que, dans l'univers
également, il y a un intellect hégémonique qui conduit
le char du monde, et l'on connaîtra ainsi Dieu et ses
œuvres 2 • L'établissement à Haran est interprété, avec le

6-7) ; cela rejoint l'ingenium... sicut simulacrum de Cicéron cité supra,


p. 59, note (1).
(1) Cf, H. A. WoLFSON, Philo. Foundations of Re!igious Philosophy
in ]udaism, Christianity and Islam, Cambridge Mass. 1948, II,
p. 297-301 ; A. MrcHEL, Quelques aspeçts de la rhétorique chez Philon,
dans Philon d' Alex. Colloque... , p. 95-102 ; on voit mal sur quoi se
fonde M. ALEXANDRE, ibid., p. 102-103, pour penser le contraire ;
dans tous ces passages, la thèse du bien mixte n'est jamais décrite
que comme une opinion étrangère, que Philon récuse ensuite ; en
De ebriet. 48, 200-201, il ne prend à son compte aucune des deux
doctrines adverses ; mais c'est pour illustrer un développement sur
la nécessité de suspendre son jugement 1
(2) De migr. Abrah. 33, 185-,4, 187, II, p. 304, 16-30 : KomiÔ'l)TE
oi5v &7t' oôpœvou [ ..• J, µ6vouç 3è éocu-rouçxœt TIJ'I èœu-rwvcpoow
èpia:uvéï.-ria:,
µl) hépwfü µiÀÀov oLx~crœv-rs:c; 7) 1tœp' itœu-roii;;· 3Lœ0ia:cb-
µia:voL
yo:p -rà xœ-ro:-ràv t3Lavoixov, -rà 3e:cm6~avÈvœô-rij),-rà Ô7t~xaav,
90 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

renfort de l'étymologie, comme une enquête sur le


fonctionnement de la connaissance sensible et sur l'habita-
tion corporelle de la pensée 1 . Le départ de Haran signifie
la recherche de l'immortalité, la découverte de l'âme et
de l'intellect rendus à eux-mêmes pendant le sommeil
et dans la contemplation vigile, les distances prises par
rapport au corps qui entoure l'intellect comme un vase ;
se connaissant ainsi soi-même, on peut aspirer au bonheur ;
convaincu de son propre néant, on peut espérer parvenir
à la connaissance de Dieu 2 • Haran est encore la localité
où Rébecca envoie Jacob passer quelques jours pour
échapper à la fureur d'Ésaü (Gen. 27, 43-44) ; transposé par
l'allégorie philonienne, cet épisode nous vaut un développe-
ment substantiel sur le rvwfü crcw-r6v,qui se trouve expliqué
comme suit : renseigne-toi sur le domaine des sensations,
connais chacune des parties qui te composent, sa finalité,
le mode de son action, quel est enfin le principe invisible

[ .•. ] e:ô0ùç èmcrTI)µ'1l'-'0e:oü xcd 'l'WVipyoov OCÙ't'oÜ crocq>'ij


À~(j;e:cr0e:.
Aoyte:fofü: yo:p <ηn, wç èv ùµîv fo·rt voi3ç, xocl T0 rrocvTLècr't'L,xocl wç
à ùµ,he:poç &.p:ôiv xo:l 8e:crrroTe:lo:v'l'WV rre:pt ùµiiç &.vo:(j;ocµe:voç
lxo:cr't'ov 'l'WV µe:p&v ù~xoov &.rré:q>l)ve:v ~o:uT<j>,o(hw xo:t à 'l'OÜ
rro:nèç 'TT)V iJye:µov[o:vrre:ptÔe:ÔÀl)µÉ:voç ocÙ't'oxpoc't'optv6µCf)xo:t 3(xn
-rèv x6crµov iJvtO)(Et[ ... ] Me:-rocvoccr-r&v-re:ç oùv &.1tè-r'ijç xo:-r' oùpo:vèv
1te:pte:pyLo:ç, éo:u't'ouç, i11te:pe:!1tov,otx~cro:'t'e:,'TT)Vµè:v Xo:).80:[wvy'ijv,
86~0:v,xo:'t'o:Àm6v-re:ç ... ; de même 35, 194-195; De somn. l 10, 52-54 et
H; De spec. leg. I 8, 44. Les recours répétés à l'idée d'cchabitation n sont
suscités par Gen. 11, 31 (xo:Tq>Xl)cre:v) et 12, 1 (o(xou). Les lignes qui
assimilent au rôle directeur du voi3ç dans l'homme celui de l'intellect
divin dans l'univers, sont proches de Somn. Scip. 8, 26 ; la notion de
Dieu cocher cosmique est encore un souvenir du mythe du Phèdre.
Cf., pour ces thèmes, De opif. mttndi 23, 69, I, p. 23, 6-11, où l'on trouve
en outre l'idée que l'intellect humain porte l'image divine (cf. supra,
p. 88, note (2) et, à ce titre, est d'une certaine façon un dieu :
't'p6rrnv -rtvo: 0e:èç &v -roü q>É:pov't'oç xcà &.yo:ÀµocToq>opoi3vToç o:ÙT6v;
à rapprocher de Somn. Scip. 8, 26 : « Deum te igitur scito esse n.
(1) De migr. Abrah. 34, 187-188; 35, 195; De somn. I 10, 55.
(2) De migr. Abrah. 34, 189-35, 193 (193, p. 306, 8 : 1te:ptÉ:)(e:'t'OCL
wç èv &.yye:LC(l 'l'<j>crooµo:Tt; on reconnaît la comparaison de CrcÉRON,
Tuscul. l 22, 52); 35, 195 ; De somn. I 10, 56-60 (56, p. 217, 7-8: crot
µe:î~ov i1tLTo:yµo:Èm'l'OC't''l'Cù, 'TTJVcro:uToÜtJ;ux~v l8e:iv xo:1 -rèv voüv).
INCLUSION DE LA CONNAISSANCE DU CORPS 91
qui tire les fils de ces marionnettes, que ce soit ton intellect
ou celui de l'univers 1 •
Dans cette description de la connaissance de soi, plusieurs
points peuvent être rattachés d'emblée au Jer Alcibade,·
ainsi la distinction, dans l'homme, d'une partie qui
commande et d'une autre qui obéit ; et encore l'idée que
la connaissance de notre propre intellect nous conduit
à celle de Dieu. En revanche, un autre élément de l'analyse
philonienne semble s'écarter du dialogue. Car les textes
que l'on vient de parcourir assignent au rvNfü aocu't"6vun
vaste objet, qui embrasse non seulement l'âme et l'intellect,
mais aussi le corps comme organe de la sensation, comme
habitation et servant de la pensée ; dès son départ de
Chaldée, Abraham symbolise la connaissance de soi, qui,
de ce fait, inclut comme une partie intégrante la leçon du
séjour à Haran, c'est-à-dire la réflexion sur le corps. Une
circonstance met bien en lumière cette extension du rvN6L
aocu't"6v: Tharé, le père d'Abraham, n'a jamais dépassé
Haran, où il mourut (Gen. 11, 32) ; or Philon le donne
pourtant pour le Socrate juif, bien davantage, pour « l'idée
même de la connaissance de soi », ocÛ't"oc; o Myoc; ô ·m:pt
't"OÜyvNvoc( 't"LVOC 2• Philosopher sur l' « habitation
É:ocu't"6v
propre », c'est-à-dire sur le corps, la sensation, le langage,
c'est bien déjà s'examiner soi-même 3 • Un dernier texte
philonien va dans le même sens : si Moïse prescrit pour
la purification une aspersion d'eau mêlée de cendre

(1) De fuga et inuent. 8, 46, III, p. 120, 3-6 : 't7JVTWVoc!a0~ae:wv


xc:ipocvxocT&µoc0e:,yv&fü aocuTovxoctTIXaocuToîiµép"IJ,TL't"e: fxocaTov
xoct 1tpoç TLyéyow::.xoct 7t'ùlÇêve:pye:îv1técpuxexoctTLÇ6 TIX0ocuµO(TO(
iiopocToçiiop&Twçe:he o èv aot voüc; e:t-re
xwéi'ivx°'t ve:upocr1tO(crTéi'iv
6 TWVauµ1t&v-rwv.Même rapprochement avec Somn. Scip. 8, 26 que
supra, p. 90, note (o). La comparaison des marionnettes vient
de PLATON, Lois I 644 de; cf. encore De opif. mundi 40, 117;
[ARISTOTE],De mundo6, 398 b 16-22 ; MARc-AuRtLE, pa.r.rim.
(2) De .romn.I 10, 58, p. 217, 17-18.
(3) De migr. Abrah. 35, 195, p. 306, 16-18 : "E1te:1T'Etc; 't7JV
l:1tlaxe:~1vl:À0wv't7JVmhôc; é0t1JTOU, cp1Àoaocp~aoci;TIXXOCTIX
TOVt81ov
o!xov, TIXl't'e:ptac:iµocToç,TIXl't'e:ptocta0~ae:ooc;,TIXm:pt Myou ...
92 LE /or ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

(Nombres 19, 17-18), c'est pour inviter l'homme à la


connaissance de soi, indispensable à qui veut servir Dieu
et comprendre sa puissance ; car il lui rappelle ainsi que
la substance de son corps est faite de terre et d'eau, deux
éléments de piètre valeur 1 ; voilà qui revient encore
2
à donner le corps comme objet du I'v&fü crcxu-r6v • Mais
cette idée ne va-t-elle pas à l'encontre des leçons du Jer
Alcibiade, où l'on a vu le corps exclu de la connaissance de
soi ("ÜO"TLÇ &.pcx
't"WV 't"OU0"6>f.l-CX't"6ç
't"L"(L"(V6>0"Xe:L,
't"i);cxù-rou,
OûXc-tù-rovfyvwxe:v, 131 a)? En réalité, la distance des
&,1,.1,.'
deux auteurs pourrait être moindre qu'elle n'en a l'air ;
car le dialogue, 133 de, ne supprime pas exactement la
connaissance du corps, il la subordonne à la connaissance
de soi comme à sa condition préalable ; il va même jusqu'à
professer que la connaissance de soi, celle du corps et celle
de ce qui s'y rapporte sont toutes trois l'acte d'un même
sujet et d'un art unique (!oLxe:yocp7t!XV't"OC 't"OCU't"OC
e:LVOCL XC't't"L-
~e:i:vév6ç -re: xocl f.l-LCXÇ
-réxv"l)Ç,c-tù-r6v,'t"i);ocù-rou,'t"OC -r&v
éocu-rou); cette concession n'empêche pas l'auteur de
l' Alcibiade de maintenir fermement que l'homme se réduit
à son âme. On doit pourtant reconnaître que Philon a élargi
considérablement l'étroite marge que son modèle ménageait
sur ce point ; en cela, il sera d'ailleurs suivi par d'autres
auteurs que l'on verra bientôt.
3. Plutarque.
Toutes les écoles philosophiques n'admettaient pas la
définition de l'homme défendue par le Jer Alcibiade. C'est
ainsi que les épicuriens étaient d'avis de faire entrer le

(1) De spec. leg. I (De sacrif.) 2, 263-264, V, p. 64, 5-11 :


~ooÀe:'t"CXL't"oÙc;èid TIJV't"OÜilv't"oc;6.:pcme:locvt6v't"occ;
yvwvocL1tp6't"e:pov
&CXU't"oùc;xocl.TIJV la(ocv oùcr(ocv[ ... ] "Ecr't"LVoi'iv "IJµwv "IJxomlG'l"O
crwµcx oùcr(oc,yYj xocl.{l8wp, ~c; Ù1toµLµvflcrxe:L 8Lœ 'l"ljc;xoc0&:pcre:wc;,
CXÙ't"O't"OÜ6'Ù1t0Àocµô&:vwv dvocL TI)V roqie:ÀLµCù't"aTI}V x&:6ocpcrLv,'l"O
yvwvocl 't"LV(X eocu't"OVxocl è~ 0rwv [ ..• l cruve:xp&:611.
(2) Cet aspect de la connaissance de soi a été bien dégagé par
E. G. WILKINS, ccKnow Thyself » in Greek and Latin Literature, diss.
Chicago 1917, p. 61-62.
L'ANTHROPOLOGIE DU DE FACIE 93
corps dans cette définition 1 • Plutarque, par qui cette
position est attestée, ne s'y limite pas quant à lui : le
problème de la définition de l'homme comporte d'autres
réponses, dont aucune ne compromet la possibilité de
vivre ; ainsi peut-on faire consister l'homme soit dans le
mélange de l'âme et du corps, soit plutôt dans une âme
qui se sert du corps - de même que le cavalier est un
homme qui se sert d'un cheval et non pas le composé
d'un homme et d'un cheval -, soit enfin dans la partie
maîtresse de l'âme, celle qui pense et agit, dont toutes
les autres parties de l'âme et du corps sont les instruments 2 •
Conception instrumentiste du rapport de l'âme et du corps,
prééminence de la partie intellectuelle de l'âme, on reconnaît
les thèmes du Jer Alcibiade. La thèse centrale du dialogue
platonicien est la seule qui soit retenue dans l'eschatologie
du De facie in orbe lunae; auparavant, Plutarque transporte
à l'anthropologie une constitution ternaire que le Timée 30 b
appliquait naguère à la cosmologie : l'homme comporte
un intellect, une âme et un corps, respectivement fournis
par le soleil, la lune et la terre au moment de la naissance,
et rendus par la mort à chacun de ces trois lieux ; mais

(1) PLUTARQUE,Adu. Colotem 20, 1118 D, = testim. 314 UsENER,


p. 218, 5-6: El y(Xp-ro è;1;&µ<poîv,c1iç&1;toücnv ocô-ro!,crooµoc-roç-rotoülle:
xod o/UX'ii<;,
6:v6pw1t6,;È:cr-rtv... ; ce témoignage est recoupé par ceux
de SEXTUS EMPIR., Adu. mathem. VII 267 et Hypot. II 25, = testim. 310
USENER, p. 216, 24-25, selon lesquels, pour Épicure et son école,
6:v0pw71:'6çÈ:cr-rt-rowu-rovl.µ6pcpwµocµe:i;' è;µo/uxloc,;.
(2) Adu. Colotem 21, 1119 A: cpépe:-r!ç &v oihoç ~ è;yw WYXIXVCù;
c1>,;
71:'6-re:pov xpiiµoc, -ro µe:µtyµévov ltx -re:tjç o/ux'ij,;xocl.-roü crooµoci;oç,
~ µiiÀÀO\I Tlo/UX'Y) -réî;crooµocnxpwµévî), xo:6&.1te:p LTl:'m:uç
<XV'Y)p
tTl:'71:'Cp
xpooµe:vo,;,où 'rO l1; tTl:'71:'0U
xocl.&vllp6ç; ~ tjç o/UX1JÇ 'rO xuptW'l"IX'l"OV,
(j) cppovoüµe:vxocl.ÀoytÇ6µe:Oo: xo:l. 1tpix't"'l"oµe:v,
~xoccrToç1)µ&11È:cr'l"t,
/lè ÀotmxXotl.o/UX1JÇ
't"(X µ6ptot mX.ll'l"otxocl.crooµO:'l"OÇ
opyo:voctjç 't"OIJ'l"OU
/luv&µe:oo,;; cf. Alcib. 129 e-130 a et 133 c; l'idée que l'homme
serait une µî1;t,; de l'âme et du corps est stoïcienne, cf. SVF I 145,
p. 40, 1 ; II 799, p. 221, 7-9 ; 826, p. 226, 4 ; 1047, p. 308, 36-37,
etc. ; la comparaison du cavalier, qui n'est pas le système d'un cheval
et d'un homme, est celle que l'on a trouvée chez Varron inspiré
d'Antiochus, cf. supra, p. 66 et note (1) ; mais Varron repoussait
la définition de l'homme illustrée par cette comparaison ; ce détail
confirme qu'Antiochus n'était pas dans la ligne de l'Alcibiade.
94 LE Jer ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

qu'est-ce au juste que l'homme? Non pas son cœur, ni


sa crainte, ni son désir, pas davantage ses chairs ni ses
humeurs, mais bien ce qui en lui raisonne et pense ; en
d'autres termes, ni l'âme, ni le corps, mais l'intellect ;
aussi Homère, observe Plutarque, parle-t-il divinement
quand il distingue Héraclès en personne qui festoie chez
les dieux, et l'image d'Héraclès rencontrée dans l'Hadès ;
car cette image, différente de la personne même, est une
heureuse désignation de l'âme, qui, même après une
longue séparation, conserve l'empreinte qu'elle a reçue
de l'intellect et imprimée au corps 1. On doit signaler

(1) PLUTARQUE,De facie 30, 944 F-945 A, notamment : Aù-r6~


-re ydtp ëxo:cr-roc;tjµwv où 0uµ6c; tcr-rw oùal: qi6ôoc; oùô' tm0uµlo:
xo:fübte:p oùôl: cr&pxe:c;oùô' ôyp6't""l)-re:c;, &n' <j) ôto:voouµe:80:xo:L
qipovoüµe:v,fi -re: '-Jiux11 -ru1touµév"I)µl:v ô1tà -roü voü -ru1toücro:ôl: -rà
crwµo: xo:L 1te:pm-rucrcroucro: 1to:v-ro:x68e:v
&xµ&ne:'l"o:t-rà dôoc; &cr-re
x&v 7tOÀUV XPOVOV xwptç ttxomfpouybJ"l)'t"O:tOtO:'t""l)pOÜ<rO:
'l"î)Voµot6't""l)'r0:
xo:t 't"OV 'l"U7tOVe:'iôwÀov op0wc;ovoµcH;e:'t"O:t, Le texte d'Homère dont
il est question est Od. XI 601-603, d'où proviennent o:ù-r6c;et e:rôeoÀov;
de l'exégèse anthropologique de ces vers, qui est copieuse et que l'on
retrouvera plusieurs fois ici même, j'ai essayé de faire l'histoire
dans Héraclès et son reflet dans le néoplatonisme, sous presse dans les
Actes du Colloque international sur le néoplatonisme (Royaumont I969),
Paris 1971 ; la correction de 8 Ôto:voouµe:80:des mss. en <T>
semble recommandée par comparaison avec <7> qipovoüµe:v xo:L
Àoyt~6µe:0o: du texte précédent. Sur les trois composants de
l'homme, ibid. 28, 943 A : Tàv ixv6peo1tovol 1toÀÀoLcruv0e't"ov
µèv op0wc;, tx ôue~v ôl: µ6vov cruvOe:-rovoùx op0wc; tjyoÜV't"O:t.
M6ptov ydtp e:!vo:l1twc; ljiux'ijc;ofov-ro:t'l"OV voùv, oùôl:v 1)-r-rovtxe:lveov
&µo:p-r&vov-re:c; o!c; 1j '-Jiux11ôoxe:i µ6ptov eivo:t TOU crwµo:-roc;. voüc;
yocp '-Jiux'ijc;&crep41ux-1J crwµo:-roc;&µe:w6vtcr-rt XO:L0e:t6-re:pov[ ••. J
Tpt&v ôè -rou't"wvcruµ1to:yév-rwv'l"Oµèv cr&µo:1j y'ij, 'l"î)Vôl: '-Jiux11v 1j
cre:À~V"IJ,-rèv ôl: voùv 6 ~Àtoc;1tixpe:crxevde; 'l"î)Vyévemv, etc. ; voir
encore PLUTARQUE,De uirt. mor. 3, 441 D-442 A (avec références
à Pythagore et Platon) ; De sera num. uind. 24, 564 C ; De genio Socr. 22,
591 DE; ainsi que W. HAMILTON,The Myth in P!utarclls De fade
( 940 F-945 D ), dans The Cla.r.r. Quart., 28, 1934, p. 26-29 ; et
P. THÉVENAZ, L'âme du monde, le devenir et la matière chez. Plutarque,
avecttne trad. du traité <<De la Genèsede ! 'Ame dans le Timée » (1re partie),
dans « Collect. d'Études anciennes ... de l'Assoc. G. Budé», Paris
1938, p. 70-74. L'origine de cette anthropologie est platonicienne ;
on trouve en Tim. 30 b une tripartition identique appliquée à l'univers :
le démiurge -r6vôe:\IOÜ'Iµl:v tv '-Jiux'/i,'-Jiux11v ô' êv crwµix-.~cruvtcr't"0ti;
-rè 1tô:vcruve:-rex-ro:(ve:'t"o
(Plutarque est familier de ce texte, dont il fait
COMPLEXITÉ DE L'ANTHROPOLOGIE DE PLOTIN 95

en revanche que, dans un traité mutilé (dont l'attribution


lui a d'ailleurs été contestée), Plutarque rapporte avec
sympathie une définition de la personne tout opposée à celle
de l' Alcibiade, et selon laquelle le « moi » serait, non pas
l'âme, mais l'homme entier 1•
4. Plotin.
Les historiens ne veulent reconnaître dans les Ennéades
que trois passages où se manifeste de façon certaine
l'utilisation du Jer Alcibiade2 • Mais il n'est pas douteux que
l'influence exercée sur Plotin par le dialogue déborde
largement ce maigre inventaire ; seulement, on a de la
peine à la mettre en lumière du fait que Plotin, même
quand il s'en inspire, ne s'asservit pas aux formules un peu

l'argument de l'une de ses Platon. quaest. 4, 1002 F) ; appliquée à la


fois à l'univers et à l'homme en Phi!èbe29 e-30 d; à l'homme seul en
Tim. 69 ç et 90 a; pour la dualité voüç-tJiu:x:~, cf. encore Phèdre 247 ç,
Lois X 897 b, XII 961 d, etc., et P. BoYANCÉ,Sur l'exégèse hellénistique
du «Phèdre>> ... , p. 51. Aristote, sur de tout autres bases, reprendra
cette doctrine trichotomiste en séparant fortement le voüç de la ljiu:x:~ ;
ainsi De an. II 2, 413 b 24-27 : Ile:pt 81:'l'OÛvoü [...], ~otxe:ljiu:x:'ijc;
yévoc;
l'l'e:pov dvat, xat 't'OÛ'l'Oµ6-1ov l:v3txe:'t'<XL :x:wpl~e:cr0aL [entendons
probablement: cbro 't'OÜcrwµa'l'o<;]; et encore III 4-7,pa.rsim (Aristote,
sur ce point, fait profession de s'opposer à Anaxagore et à Démocrite,
selon qui, compte tenu de diverses nuances, 'l'<XU't'OV tJiu:x:'f)v
xat voüv,
De an. I 2, 404 a 25-b 6 ; cf. PLATON,Crai. 400 a). Sur l'histoire de
cette tripartition, voir enfin A. J. FESTUGIÈRE,L'idéal religieux des
Grers et l'Évangile, collect. « Études bibliques», Paris 1932, Excursus
B : <<La division corps-âme-espritde I Thessal. 5 •• et la philosophie
grecque», p. 199-203, qui cite encore Corp. hermet. XII 2-4. De
l'anthropologie du De fade, on rapprochera celle de PHILON, De
uita Mo.r. II 51, 288, IV, p. 267, 21-23, y compris pour la relation de
l'intellect au soleil : au terme de ses jours, Moïse est appelé à l'immor-
talité par le Père, ôç au,ov 8u&aa ()\l'l'IX, cr&µa xat tJiux~v,e:lçµovix8oc;
<pucrwoÀov 8L' oÀwv µe:0apµo~6µe:voçdç voüv lJÀLOE:L-
&ve:cr't'OLXe:lou
8écr't'<X'l'OV.
(1) PLUTARQUE, De /ibid. et aegrit. 7, éd. Pohlenz, p.43, 6-8: (( 'Eyw »
8' oilx dµL iJ ljiu:x:'f)
ci).).' 6 &v0pMrnç, xat 'l'O xaxov oilx ècri;L'l"ijç
tJ;ux'ijc;&ncx ,où &v0pwrrnu; on notera que cette définition de
l'homme et de son mal (c'est-à-dire également de son bien) rejoint
sensiblement la première attitude de Cicéron, autrement dit la thèse
d' Antiochus.
(2) Enn. I 1, 3, 3 ; IV 4, 43, 20-21 ; VI 7, 5, 24 ; cf. H.-R. ScHWYZER,
art. Plotinos, dans RE, XXI, 1951, col. 550-551.
LE l" ALCIBIADE ET SA POST~RITe

sommaires de son prédécesseur ; il les raffine par de


nombreuses distinctions, il les conteste en même temps
qu'il les accueille, il les intègre dans un ensemble infiniment
plus souple où elles paraissent s'évanouir. Le résultat est
que l'anthropologie plotinienne semble s'opposer à celle
de l' Alcibiade comme la complexité de la recherche à la
simplicité du catéchisme. L'homme des Ennéades n'est pas
un être simple (IV 7, 1, 4-5) ; sa substance est faite d'élé-
ments nombreux (I 1, 7, 8) ; il est le composé d'une âme
et d'un corps bestial (I 1, 10, 3-7), d'une essence et d'une
différence (VI 8, 12., 7) ; il est un couple de deux hommes,
du fait qu'à l'homme intelligible primitif s'est ajouté par
la suite un homme sensible (VI 4, 14, 16-31 ; cf. III 2., 7,
6-8). Réduirait-on l'homme à son âme, qu'il ne deviendrait
pas un pour autant ; car l'âme n'est pas lv &.1tÀ0Üv,elle
n'est pas identique à l'être de l'âme1, elle est associée à une
autre espèce d'âme, laquelle est l'image inférieure de la
première (I 1, 12., 6 sq.; cf. II 3, 9, 21-26), la dualité de ces
deux âmes étant illustrée par la distinction homérique
d'Héraclès et de son image (I 1, 12., 31-35 ; IV 3, 2.7, 1-7) 2 •
Ces diverses considérations sur la nature composite de
l'homme se trouvent rassemblées et développées dans
quelques chapitres de l' Enn. VI 7 : dualité de l'homme
éternel et de l'homme engendré (VI 7, 2., 51-3, 2.), de
l'homme de là-haut et de l'homme d'ici-bas (4, 1-6), de
l'âme et de l'acte de l'âme (4, 34-36), de l'homme intelligible,
primitif, et de l'homme-image, postérieur (5, 13-15 ; 18 ;
28 ; 6, 9-11) ; définition de l'homme comme un animal
fait d'âme et de corps (4, 10-12), comme le composé d'une

(1) Contestant la formule TO O(\)TQIJiux~v XO(t TO IJiux'ii &tVO(((cf.


déjà Enn. I 1, 2, 1-6), Plotin vise ARISTOTE,Af.etaph. H 3, 1043 b .:z,
cf . .r11pra,p. 84.
(2) Voir aussi VI 4, 16, 36-4; sur l'e:t/lw).ov qui, dans l'hypothèse
d'une libération philosophique parfaite, se séparerait de l'âme et
descendrait seul dans l'Hadès ; et le commentaire de ce texte chez
PORPHYRE,Sent. 29, 1, éd. Mommert, p. 13, 1-14, 3. Héraclès n'est
pas nommé, mais l'allusion à son dédoublement ne fait pas de doute.
L'HOMME IDENTIFIÉ A L'ÂME 97

âme et d'un certain acte de cette âme (5, 1-4) ; en définitive,


ce n'est pas même deux, c'est trois hommes qu'il faut
compter : le premier homme est dans l'intellect, comme
un dieu ; il illumine le second, qui est comme un démon
et illumine à son tour le troisième, lequel peut prendre un
corps de bête (6, 11-36).
Cette anthropologie compliquée peut sembler aux
antipodes des affirmations tranchées du Jer Alcibiade.
Elle leur emprunte pourtant plus d'un élément. On aura
remarqué que, pour Plotin, les différents aspects de l'homme
(ou, comme il dit, les différents hommes) sont fortement
hiérarchisés ; il en résulte que l'un d'eux doit être plus
proprement homme que les autres. Or celui-là, désigné par
diverses appellations, est souvent donné pour identique
à l'âme : ce que nous sommes au sens propre (~µetç 8s:xoc-roc
-rà xuptov), la partie la plus précieuse de nous-mêmes, bref
l'homme (-roù-ro~µ&v -ro -rLµLW'rot'rO\I xoct-ràv &v0pw7to\l),
ce n'est pas le corps, ni même l'âme qui est dans le corps,
mais l'autre âme (Aéyw as
~µtv Tfi &Î.ÀTJ~ux?i) (IV 4, 18,
10-19; de meme II 1, 5, 20-21 : '1)
A ' yocp
' ot/\A'I)
,,..,.., 'i'UX'IJ,
,I, , xoc 0' '1)\1
"
~µdç) ; le principal de l'homme, l'homme même (fo 8s:
xupLw-roc-rov o &v0pw1toç),c'est l'âme (~ ~ux~
xcd ocù-;-àc:;
ocù-r6ç)(IV 7, 1, 22-25); même si l'homme concret doit être
défini comme un composé d'âme et de corps, cette définition
ne convient pas à l'homme en soi (ocù-roix.v0pw1toc:;), au -rà
-.[ ~v dvocL de l'homme, à l'être de l'homme (-ro dvocL
&.v0pwmp),à la raison qui fait que l'homme est homme
(-rà 1te1tonp,àç -roù-rov-ràv &v0pw1tov),et qui ne peut être
que l'âme (~ ~ux~ o &v0pw1toc:; fo-rocL)(VI 7, 4, 16-36).
Malgré l'appareil aristotélicien de ce dernier texte, on
ne peut nier que l'idée essentielle coïncide avec la défi-
nition de l' Alcibiade1. D'autres passages des Ennéades

(1) Certaines formules du dialogue sont proches de celles de Plotin ;


ainsi 12.9 b et 130 d: cx.ù-ro
'TOcx.ù-r6;130 ç : ~ tJiux~&OTW &v6pc,moc;j
130 d: xupic!m:p6v ye où8~v œv ~µwv.
98 LE fer ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

précisent quelle est cette « autre âme » qui nous définit :


c'est la partie supérieure de l'animal, laquelle est à peu
près identique à l'homme véritable ( &v0pc.mo,; o o
&);1)0~,;); l'âme rationnelle, avec laquelle l'homme coïncide
(l:uvap6µou yi:xplîv-roç -roü &v0pC:mou-ryj Àoyrn:jj 1./iuxjj);
les réflexions, opinions et pensées, où nous sommes
surtout nous-mêmes (~v0oc S~ ~µeï:,; µ.iiÀtO"'îoc) (I 1, 7,
16-2.2.) ; l'homme véritable (appelé également, peu après,
« homme intérieur »1, 'îOÜ ~vaov &.v0pC:mou)est celui
qui possède les vertus intellectuelles (I 1, 10, 7-8 et 15) ;
nous ne sommes pas notre activité végétative, mais
bien l'activité de notre partie intellectuelle (~ aè 'îOÜ
vooünoç èvépye:ioc): quand celle-ci agit, c'est nous qui
agissons 2 (I 4, 9, 27-30) ; pourtant, nous ne sommes pas
l'intellect (oô yi:xpvoüç ~µ.ûç), mais seulement la raison
discursive, c'est-à-dire la partie principale de notre âme
('îOÜ'îo1Sne:ç'îO xoptov -njç 41ux~,;),elle-même inférieure à
l'intellect (V 3, 3, 31-39). Cette définition de l'homme, non
seulement par son âme, mais plus précisément par la partie
rationnelle de celle-ci, tel est aussi ce à quoi arrivait
l' Alcibiade; l'analogie s'accroît si l'on considère que,
pour Plotin également, c'est un être divin que l'âme
de l'homme (IV z, 1, 5 ; IV 7, 9, 13 ; V 1, 3, 1 ; V 1, 10,
10-11), surtout dans sa partie supérieure (V 1, 3, 53 ;
VI 7, 5, 2.1-2.2.): c'est selon cette âme plus divine que
nous sommes pleinement nous-mêmes ('î[vo,; 41ux~ç, -nj,;
µèv Àe:yoµÉv1)Ç uq/ ~µ.wv 0Eto"t"Épocç, xoc0' ~V ~µ.e:ï:ç; IV
3, 2.7, 1-2.).
D'autres ressemblances sont mieux perceptibles du fait

( 1) <<Homme véritable » et « homme intérieur ,, sont des formules


platoniciennes; cf., pour la première, Lachès 188 cet Républ. Il 359 b;
pour la seconde (employée aussi en Enn. V 1, 10, 10), Républ. IX
589 a, cité sttpra, p. 79.
(2) Même notation chez C1cÉRoN, Tuscul. I 22, 52 : « ab animo tuo
quicquid agitur, id agitur a te ».
(3) 0et6-repov -rà tJiux'iji;; comparer Alcib. 133 c : 5 -rt ècr-rt 't"ijç
q,ux'ijç0et6-repov.
RENCONTRES PRÉCISES AVEC LE DIALOGUE 99

qu'elles portent sur des points plus précis. Ainsi l'idée,


souvent exprimée par Plotin, que l'âme se sert du corps
comme l'artisan de son outil: Xpwµzv"t)µèv oùv o-û>µocno!oc
àpyrx.ve:-i,[...] &crnep [...] ot 't'exv'i:'t'oct
(I 1, 3, 3-5 ; cf. encore
3, 15-17; I 1, 1, 3; IV 3, 26, 4-5 ; 7, 1, 5-6; 1, 20-21 et
24 ; 8, 3 ; VI 7, 4, 10 ; 5, 23-24) ; tous ces textes sont à
regarder comme des références au Jer Alcibiade1 (le dernier
d'entre eux porte d'ailleurs le nom de Platon). Autre
exemple de rencontre entre les deux auteurs : le dialogue,
on 1'a vu, professait en 131 ab que le corps n'est pas
l'homme, mais ce qui est à l'homme, 't'OC O(Ù't'OÜ,w' oox
1:t.ùT6v
; or la même notation exactement se retrouve dans
les Ennéades : notre corps ne nous est pas étranger, il est
à nous, et c'est pourquoi nous nous en occupons 2 ; nous
ne sommes pas ce corps ; pourtant, sous un autre rapport, il
est nôtre (Othe yocpTOÜT6foµev ~µdç, [...] ~µ&v aè i}).).wç
ISµwç TOÜTo)(IV 4, 18, 11-15); autres expressions de la
même doctrine : alors que nous commençons à être nous-
mêmes dans la partie rationnelle de notre âme, ce qui se
trouve au-dessous d'elle est seulement nôtre (Toc Sè 1tpo
TOUTCùV a~
~µé'!'epoc,~µe'i:ç '!'o èneü0ev oc.vw,I 1, 7, 17-18) ;
inférieure à la partie principale de l'âme qui nous constitue,
la sensation est nôtre (V 3, 3, 40). Comme dans le dialogue
encore, cette définition de l'homme par son âme rationnelle
se trouve, chez Plotin, mise en rapport avec la connaissance
de soi : connaître la nature de la pensée discursive de l'âme,
c'est se connaître proprement comme homme (!ocuTov
voe'i:v[... ]wç &v6pw1tov),à la différence d'une autre connais-
sance de soi, qui consiste à s'éprouver comme participant
à l'intellect (V 3, 4, 7-11). Enfin, dans le même ordre

(1) 12.9 e,·le mot ilpyocvovse trouve en 12.9 cet d; comparer encore
Enn. I 1, 3, 15-16: M.\xpt yà;p -ro\3-ro µèv e!voct-ro xpwµe:vov,-ro ilè
ci>xp'ij-roct,xooplç fonv è:x.&1:epov,et Akib. 12.9 e : "E-re:povil' ~V -r6
-re:xpwµevov x.octci>:x:p'ij-roct.
(2.) µ~Àe:t71µîv ocô-roüwç -IJµwvilv-roç; comparer Akib. 131 b :
-rà;è:ocu-roü[ ... J 6e:po:n-e:ue:t.
lîcr-rtçoi:ùcrwµoi:6e:poi:m:ue:t,
100 LE /" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

d'idées, Plotin se rencontre avec l'auteur du dialogue


( 133 c) pour affirmer que la connaissance de l'intellect
par lui-même s'identifie en quelque façon à sa connaissance
de Dieu : d TOV0e:ovyt vwcrxe:tv rxvr6v [se. : TOVvoüvJ n,;
àµoÀoy~cre:t, xrxt TrxÛTflcruyxwpdv &.vrxyxrxcr0~cre:-.rxt xrxt
é:rxuTOV ytvwcrxe:tv(V 3, 7, 1-3). Bien que Plotin enrichisse
infiniment l'anthropologie du Jer Alcibiade, ces différents
traits montrent que c'est d'elle qu'il part 1 •
Parmi les dimensions nouvelles dont il l'étoffe, en voici
une dont on mesurera bientôt l'importance : c'est que
l'essentiel des considérations qui viennent d'être rappelées
touchant la définition de l'homme peut être appliqué
également à celle du monde ; le monde lui aussi présente
deux aspects, selon qu'on le regarde comme l'union d'un
corps et d'une âme liée à ce corps, ou bien comme l'âme
universelle dégagée du corps ; or c'est celle-ci qui constitue
proprement le monde, qui lui assure son excellence et sa
divinité (Il 3, 9, 30-47) ; l'extension au monde entier de
la définition de l'homme apparaît plus clairement encore
en III 5, 5, 13-15 : Plotin expose pourquoi on ne peut
entendre par l'Éros et l' Aphrodite du Banquetle monde et
son âme ; l'une des raisons qui s'opposent à cette inter-
prétation, c'est qu'elle obligerait à identifier Éros et

(1) Alexandre d'Aphrodise s'était déjà inspiré du dialogue, et


il peut en avoir montré la voie à Plotin ; au début de son De an. en
effet, éd. Bruns, p. 1, 4-2, 2, il rattache la connaissance de soi au
précepte d'Apollon, et il la donne pour la condition de la vie morale
(wi:; BLOC
-riji:; Gt.(l'TOÜ
yvwcr€ù)Çéx&cr-rep1t€ptêCJOµ.é11ou
't"OÜXGl.'t"OC
<pÛCH\I
~lou) ; il la fait consister dans la connaissance de ce par quoi l'homme
est vraiment homme, à savoir son âme (~ S' !Ct.u-roüyvwcru; ~ -tjj
s~
yvoocr€t TÎÎ XGl.0'I', fo-rw Ct.Ù-r6ç,XOC't"OC TIJ'I \jlUXlJ"0 &11Opù)1tQÇ
&110pù)1toi;). Le lien entre l'anthropologie de Plotin et l'Akib. a été
signalé par R. BEUTLER et W. THEILER, Plotins Scbriften, Anmerkungen,
t. III b, Hamburg 1964, p. 486 ; t. V b, 1960, p. 368, 437, 441 ; sur
l'homme défini par son âme, voir encore H.-R. ScHWYZER, art. ût.,
col. 566-567; sur l'anthropologie plotinienne en général, A. H. ARMS-
TRONG, Studies in Traditional Antbropology, II : Plotinus, dans The
Downside Review, 66, 1948, p. 405-418, et 67, 1949, p.123-133 et 406-
419,
PORPHYRE ET NÉMÉSIUS 101

Aphrodite ; on sait en effet que l'âme du monde est le


monde même, de même aussi que l'âme de l'homme est
l'homme (x6crµoç -fi t.jiux~tcrnv ocû-roü,é::i0'7t'e:p
xoct &v0pCi.l-
1toç -fi &v0p&mout.jiux~).

5. Porpf?yre.
La référence au Jer Alcibiade n'est pas moins nette chez
Porphyre. Dans son ~~'t"Y)µoc Sur l'union de l'âme et du corps,
dont Némésius a sauvé de larges extraits, Porphyre expose
à la suite de quelle aporie Platon refuse que l'être vivant
soit un composé d'âme et de corps, et le définit plutôt
t.jiux71v
crwµoc-rL
xe:x;p'Y)µév1)V
1
, Némésius fait encore état de ce
texte au début de son traité, et en développe les implications
doctrinales dans des termes voisins de ceux de l' Alcibiade :
en concevant l'homme (car c'est de lui qu'il s'agit, et
non plus seulement du ~c'j'>ov) comme une âme qui se sert
du corps, Platon nous engage à prendre soin de l'âme
seule ; convaincus d'être notre âme, poursuivons les seuls
biens de l'âme, cessons de chérir les désirs du corps
puisqu'ils n'appartiennent pas à l'homme en tant qu'homme,
mais à l'homme en tant qu'animal 2 • Dans ces conditions,

(1) ApudNÉMÉsrus, De nat. hom. 3, PG 40, 593 B; cf. H. Dè:iRRIE,


Porphyrios' « Symmikta Zetemata ». Ihre Ste!!ung in System und Geschi&hte
des Neup!atonismus nebst einem Kommentar z.u den Fragmenten, dans
« Zetemata », 2.0, München 1959, p. 49 (texte) et 50-51. Même souvenir
de l'Akib. 12.9 e chez JAMBLIQUE, De an., apud STOBÉE, Anthot. I 49,
36, éd. Wachsmuth, 1, p. 371, 16-17.
(2) NÉMÉsrus, De nat. hom. 1, 505 AB : IIÀch·wv 8è ou 8oxe:i ÀÉye:tv
't"OV ixv6pwnove!voct't"Ocrl.lvocµcp6'te:pov, tj,uxllvxocl crwµoc,&ÀÀ<itj,uxllv
crooµoc-rt-rotëï>8e:
xpwµÉV"l)V [ ... ] "Î)µiic;tmcr'tpécpwv!Tel~V njc; tj,ux'ijc;
µ6v"l)Ç6e:t6't"l)-roc
(? peut-être 6e:pocm:locv, cf. A!db. 131 b : 6e:poc1te:ue:t)
xocl tmµéÀe:tocv(cf. 132.c), Evoc~v tj,uxl)vtocu-roùc;dvoct mcr'te:UOV'te:ç,
't"IXnjç tj,ux~ç &yoc6<iµ6vocBtwxwµe:v,'t"O:Ç &pe:-r<iç
xocl~V e:ucréfü:tocv,
xocl µl) -r<iç -roü crwµoc-roçtm6uµlocç &yocrrficrwµe:v, wç oux 01.Scrocç
n
&.v6poo1tou ixv6pc.moç,&ÀÀ<X ~ooou.Ce texte vient d'être étudié par
E. A. WYLLER, Die Anthropologie des Nemesios von Emesa und die
A{~ibiades !-Tradition. Eine Unter.ruchungz.um P!aton-Bi!d in der Schrift
ccUber die Natur des Menschen i> (K.ap. 1, 1), dans Symbo!ae osloenses,
44, 1969, qui (p. 131-134) en a relevé minutieusement les points

8
102 LB /" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

il apparaît que ce n'est pas par une coïncidence que l'ouvrage


de Némésius a pour titre (Ile:pl cpucrew,; &v0p6>7tou)
le sous-titre même traditionnellement porté par le
Jer Alcibiade 1 •
Du traité de Porphyre Sur le « Connais-toi toi-même »,
il ne subsiste que quelques pages chez Stobée. Elles
montrent que Porphyre, par divers jeux de mots inspirés
du Charmide, voyait dans le précepte une exhortation à la
conservation de soi-même ; mais quelle est l'essence de
nous-mêmes ? l'intellect 2 • La recommandation d'Apollon
vient à propos, puisque, descendus ici-bas et revêtus de
l'homme extérieur, nous croyons à tort être ce que l'on voit
de nous ; elle se réfère, semble-t-il, au devoir de connaître

communs avec l'Alcib. 127 e-134 b. Cet historien (p. 140-142) pense
que l'intermédiaire entre le dialogue et Némésius a été le commentaire
(perdu) de Jamblique sur l' Alcib. ; car un indice montre que Némésius
connaît le dialogue dans une présentation néoplatonicienne : c'est
qu'il parle de tJiux~ crwµct"t'L"t'OLcj}8e:XPCùfLévlJ ; or "t'OLcj}lle:
ne se
trouve pas dans l'Alcib., et traduit une notation néoplatonicienne (cf.
PLOTIN, Enn. IV 3, 13, 20-21 : toute âme ne s'incarne pas dans n'im-
porte quel corps, mais tel être a tel destin, e:lµa:pµ€\IO\I &.e:L
Tcj}"t'Oté;'}lle:
L'hypothèse de Wyller est plausible; toutefois, il est diffi-
"t'O"t'Otô\llle:).
cile de nier que Némésius se souvienne aussi du ~~TI)µct porphyrien;
du reste, Porphyre également professe que l'âme crxécrw foxe: n-poç
"t'On-oto\l crwµct (Sent. 29, 1, éd. Mommert, p. 13, 11), ce qui n'est
pas loin du crwµct"t't"t'OLé;'}lle:.
(1) Cf. supra, p. 72, et E. A. WYLLER, art. &it., p. 130, qui rappelle
que c'était également le titre d'un traité de la collection hippocratique,
dont on connaît l'influence exercée sur l'anthropologie de Némésius
par l'intermédiaire de Galien. Noter qu'un traité IIe:pt &.\16pwn-ou
<pu cre:w i; est également attribué à Aristote par l'appendice de la liste
d'Hésychius, n° 184 (ce ne serait qu'un sous-titre du II. e:ùye:\ldctç
selon P. Mo RAUX, Les listes anciennes des ouvrages d'Aristote, collect.
« Aristote. Traductions et études )), Louvain 1951, p. 269), et qu'un
autre l'est à Zénon, cf. SVF I 41, p. 14, 29.
(2) PORPHYRE, II. "t'OÜr\lwOL crctu"t'6\I I, apud STOBÉE,Anthol.
III 21, 27, éd. Hense, III, p. 580, 10-12 : ... crc/i~e:witctu"t'on-ctpct-
xe:).eu6µe:\loç· "t'OÜ"t'o Il' ètv e:'l7Jà voüç. 'A'A'A'd "t'OÜ"t'o, Ile:~nocÀL\I
y\lw\lctt~" oùcrlct\11)[1.W\I ~ "t'LÇ
tcr"t'(\I.Selon certains, poursuit Porphyre,
l'homme étant un microcosme, sa connaissance de soi-même le
conduit facilement à la contemplation de l'univers, qui est la philo-
sophie ; plus exactement, à la fin de la philosophie, qui est le bonheur
(p. 580, 12-581, 14).
LE TRAITÉ SUR LE « CONNAIS-TOI TOI-MÊME » 103

notre âme et notre intellect, qui nous constituent essentielle-


ment ; mais, dans sa totalité, la connaissance de soi paraît
s'étendre à la fois à nous-mêmes, à ce qui est nôtre, et à ce
qui s'y rapporte ; telle est la double connaissance de soi
conçue rigoureusement par Platon : elle porte tout ensemble
sur l'homme intérieur immortel et sur son image extérieure,
ainsi que sur ce qui importe à chacun d'eux ; l'important
est, pour le premier, le parfait intellect, constitutif de
l'homme en soi dont chacun de nous est l'image ; pour
la seconde, les choses du corps et les richesses ; connaissons
les ressources de l'un et l'autre, et jusqu'où il faut s'en
soucier 1 • Dans ce dernier fragment, Porphyre se réfère
expressément au passage du Philèbe 48 de sur la triple
méconnaissance de soi (selon qu'elle concerne les richesses,
le corps ou l'âme) 2 ; mais, sans être avouée, l'influence de
l' Alcibiade a sans doute joué davantage; c'est de ce dialogue
que doit provenir l'idée que notre essence consiste dans
l'âme et l'intellect, et que ce que l'on voit de nous n'est

(1) Ibid. IV, apud SToBÉE, III 21, 28, p. 581, 16-19 : 'Em:l 8è:
1JVTLÇxocTcxÔocmç 'Î)µ.îv dç Tà. 'tjj8e:, xoct Tov èxTàç 1te:ptxe:tµ.évmç
&v0pc,mov xci:l '1)7tOCTI)µ.évotç ye:, ()'t"t 'l'Oth6 foµ.e:v 'l'O opwµ.e:vov,
mxpoclve:crn; olxe:loi:dç TI)Vyvwmv T'ijç éoi:uToÜ8uv&µ.e:wç; p. 582,
13-27 : Tà µ.èv oov ytyvwcrxe:tvéoi:UTOV TI)V &;voi:,popcxv!otxev ~xe:w
t1tt TO ytyvwcrxe:Lv8e:tv TI)V<.jiux~vxoi:tTOVvoüv, wç èv TO\l't"Cfl 'Î)µ.wv
oùcrtwµ.évwv• TO 8è 1t1X.V'1) ytyvwcrxe:tv totuTàv cruµ.1te:ptÀocµ.ô&ve:tv
~otxe:v 1Jµ.<içxoct T<X1Jµ.éTe:poi: xoi:t T<XTwv 'Î)µ.e:Tépwv.Totoi:UTI)µ.è:v
xoi:l'Î) èv TOUTOLÇ Tou II1.&Trovoç&;xplôe:toc <ptÀOTLµ."fl0évToçèxTàç Twv
&1.1.rovxoi:t8lx_oi: Twv 1te:pt'Î)µ.<içoc1t1X.VTrov yvwvoi:téocuT6v,xoi:t1t1X.Àtv
1tocv-rnyvwvoctéoi:u-r6v,tvoi:xoi:to èvToç &;0&.vocToç yvrocr07i&v0pw1toç
xoi:t o èxTàç e:lxovtxàç µ.~ &;yvol)0'/ixoi:l -rcx -rou-rot,;;8toi:qiépov-roi:
yvwptµ.oi:yéVl)TOl:L. ~toccpépe:tµ.è:vycxp 't"(flÈV't"OÇ mxnéÀE:W<;; VOU<;;, &V
cr OCÙTOÇ &v0pro1to,;;,ou e:lxwv s:xoi:cr-roç 'Î)µwv · 8toccpépe:tBè: 't"(fl
&XTOÇ d8oo).qi 't"IX1te:plTO aéi>µ.oc xoct T<XÇ xtjcre:Lç. •nv 3d xocl T<XÇ
Buvixµe:tçytyvwcrxe:tvxoct -ro &xin -rlvoç -rou-rrovcppov-rta-réov.Sur
ce dernier texte et son rapport à l'Alcib., voir A. J. FESTUGIÈRE,
L'ordre delecture des dialog11esde Platon aux V•- VI• siècles, dans Museum
helvet., 26, 1969, 4 (= Mélanges W. THEILER), p. 285-286, n. 27.
(2) Pour la notion d'« homme intérieur», cf. supra, p. 98 et
note (1) ; l'opposition des deux hommes pourrait avoir été suggérée
par Phil. 46 de et 47 c (plaisirs et douleurs internes et externes), ou
encore par saint PAUL, II Cor. 4, 16.
104 LE /« ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

pas nous-même ; bien plus, la distinction entre ~µ.eî:ç,-rà


~µ.é-repoc et -rà -r&v~µ.e-répwvest tirée, non pas du Philèbe,
mais certainement de l' Alcibiade 13 3 d, où ces trois termes
se retrouvent expressis uerbis,· Porphyre ne se borne
pas à reprendre les mots du dialogue, il en reproduit la
doctrine sur un point dont on a déjà vu l'importance ;
disant, d'après Platon, que la connaissance complète de
soi-même inclut, outre celle de nous-même, celle de notre
corps et de nos richesses, il fait écho à l' Alcibiade 133 de,
qui professe, non seulement que les deux dernières connais-
sances supposent la première, mais que toutes trois relèvent
d'un même savoir ; on a supposé plus haut que Philon
également aurait pu se prévaloir de cette maxime ; s'il
l'a fait, c'était en tout cas de façon à la fois moins explicite
et moins mesurée.
Porphyre, on le voit, se présente comme un témoin
privilégié de la survie du dialogue ; que l'exemple de son
maître Plotin ait pu orienter son attention vers l' Alcibiade,
c'est ce qui apparaît dans le fait qu'il en reprend la thèse
centrale dans ce compendium des Ennéades que veulent
être les Sententiae: le fondement premier de la purification,
y lit-on, c'est de se connaître soi-même comme une âme
enchaînée à une réalité de nature étrangère et d'essence
différente ; un autre passage des mêmes 5 ententiaereprend
de l' Alcibiade le thème de l'identité de la connaissance de
soi et de la connaissance de Dieu, en y ajoutant de grands
raffinements métaphysiques : à ceux qui peuvent rejoindre
leur propre essence et la connaître, et ainsi se recueillir
eux-mêmes et se rendre présents à eux-mêmes, l'être est
aussi présent 1 • Deux textes du De abstinentia prennent en

(1) PORPHYRE, Sent. 32, 8, éd. Mommert, p. 23, 4-5 : ... -ro yvwvoci
G:OCU'rÔV tyUX1JV
ClV'rOC~" wo-rplep 1't'pocyµoc-rL xoct he:poucrlep cruvBe:-
Be:µévî)V; 40, 5, p. 38, 7-11 : Toï:ç µ~11yo:p 8uvocµévmç xwpe:i:ve:tc;
'r1j\locô-rwvoôcrtrx.11
voe:pwç xrxt 'rlJV ocù-rwvyivwcrxe:Lvoôcrlocv< xocb
[... ] ocù-roùç&1't'oÀocµôocve:L\I
[... ], -roo-roLç1't'ocpoücriv
ocù-roïç1't'ocpe:cr·n
xoct -rà è)v,
DIVERS TEXTES PORPHYRIENS 105
considération la notion de « moi réel », vers quoi tend notre
remontée spirituelle et à quoi nous unit la connaturalité ;
or cet ocÛ"t"ôÇov"t"wç, conformément à la tradition issue du
dialogue, est identifié à l'intellect, en sorte que notre fin
se définit la vie selon l'intellect 1 • La Lettre à Marcellaenfin,
dans un langage plus accessible, regroupe plusieurs de ces
notations et en adjoint quelques autres, qui ressortissent
également à l'héritage du Jer Alcibiade : à sa femme souffrant
de leur séparation, Porphyre représente que son vrai moi
n'est pas pour elle cet individu tangible et sensible, mais
bien l'être absolument dégagé de son corps, sans couleur
ni figure, que la main n'atteint pas, mais seulement la
pensée ; on reconnaît, derrière cette formule de réconfort,
l'idée que l'enveloppe charnelle n'entre pas dans la constitu-
tion de la véritable personnalité ; pour te connaître toi-
même, écrit-il encore à Marcella, prends garde que ton
corps t'est seulement conjoint de façon provisoire, pour
les nécessités de la vie terrestre, sans faire vraiment partie
de l'homme 2 ; il n'est pas jusqu'au thème du miroir qui
ne transparaisse dans la Lettre, lorsque l'intellect reçoit
l'injonction de s'attacher à Dieu, dont il est, par la

(1) PORPHYRE,De abstin. I 29, éd. Nauck, p. 107, 6-10 : où y0tp


de; &Mo, &M' de; 't"OViîv-rwc;é:ocu,ovTJ&voc8poµ~• où8è 1tpoc;&Mo,
&Mà: 1tpoc;'t"OV iîv-rwc;ocù-rov<T)> croµqiucnc;.Aù-roc;Sè iîv-rwc;o voue;,
&rrre: xoc( -ro -réÀoç-ro qv xoc-rà:voiiv; III 27, p. 226, 15-17 : e:lxe:L
-re:'t"q>0vlJ,0 -riji;qiucre:w,;
ocô-roii,l;;w,;'t"OV
ISv,w,;é:ocu-rov oùx èyv@pLcre:v.
Sur la formule ocù-ro,;iîv-rwç,voir encore II. -roii rvoo(h crocu,6v IV,
apud STOBÉE, III 21, 27, p. 581, 9: ,oui; ISv,w,;é:ocu-rou,;, et JAMBLIQUE,
Protrept. 4, éd. Pistelli, p. 18, 20-21 : &1to't"OUISv-rro,; &v0p@7tOU.
(z) PORPHYRE,Ad Marc. 8, éd. Nauck, p. 279, 14-18 : TAp' oùx
15n µèv cro( èyc:i oùx o &.1t,oçoiS-roc;xoc( -r'/îoclcrO~creL Ù1to1t,w-r6c;,o
Sè è1d 7tÀELO''t"OV &qie:O"'t"'IJX6lÇ
't"OUO"@µoc-ro,;, ô &.xpwµoc-roc; xod &.crx7j-
µcincr-ro,;, xoct xe:pcr( µèv où8ocµooi;è1tocqilJ,6i;,8LocvolqeSè µ6v7i
32, p. 294, 13-295, 2: e:Lµ.~ 't"Ocrooµ.oc
XPOC't"'IJ't"OÇ; o{Î't"wO'OLO'UVlJp'TTj-
0'00CL qiuM~e:L,;[ ... ], où yvwcrn cre:ocu-r~v [ ... ] 't"Ocruvocp-rwµe:vov-r'jj
\jiux'/icr1tocpdcrncrooµocoù µépoc; &.v6pw1tou.Comparer avec les textes
de Cicéron cités supra, p. 60 et notes (1)-(2), notamment avec
Somn. Scip. 8, 26 : « non ea figura quae digito demonstrari potest ».
106 LE I" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

ressemblance, comme un reflet 1 • Ces quelques témoignages,


qui pourraient être complétés par beaucoup d'autres du
même genre, suffisent à montrer que Porphyre se trouve être
un jalon d'une importance exceptionnelle dans l'histoire
des thèmes accrédités par le dialogue 2•

(1) Ad Marc. 13, p. 283, 9-11 : 'E1técr6w -rolw\l o µ~ \loÜc;-réji


0e:éji,È\107tTpL1;6µe:\IOÇ -r'/j oµOLWO&L 0e:oÜ; cf. p. 282, 22-23, OÙ, inver-
sement, c'est Dieu qui est dit se refléter, comme en un miroir, dans
l'âme soumise à sa volonté: AL' 6)\1µixÀLcr-ra xat aô-roc;t\101t-rpl~e:cr0aL
1tÉqiuxe:11.On notera, à la fin du même§ 13 et au début du§ 14, p. 283,
9-16, la tripartition de l'homme en \loüc;, ,jlux'IJet crwµa, identique â
celle que l'on a vue chez Plutarque, cf. supra, p. 94 et note (1) ;
le rapprochement s'impose d'autant plus que l' Ad Marc. 26, p. 290,
25-291, 12, reproduit deux notations caractéristiques de l'anthro-
pologie du De facie : d'une part, il existe entre l'âme et l'intellect le
même rapport qu'entre le corps et l'âme (Noüe; (... ) -rpoq>'l]\I -re: &.1t'
aô-roü 1topll;e:L-r'/i&cr1te:pcrwµa-rLaô-roü IJiux'ii-Noü y&:pcrwµa ,jlux'Y)\I
ÀoyLXî)\I0e:-rfo\l); d'autre part, l'intellect reçoit l'empreinte de la loi
divine, et l'âme reçoit l'empreinte de l'intellect (Noüe; 8è aÔ-ro\l [.•.]
-re:-ru1twµÉ\IO\I è:v au-réji è:!;e:uplcr>m[ ... ] <j,UX'Y)V [ ••• ] -rpÉq>e:L o \IOÜc;
-r&:c;è:v aô-r'/j Èvvolac;, &c; è:ve:-r1'.mwcre: xat È\le:xtipal;e:11 è:x -rijc; -roü
Odou v6µou ŒÀ7)0dac;[ ... ] -ràv 8è Oe:fov[ ... ] v6µov [ ... ] è:v aô-r'/j
-re:-ru1twµÉvo\l è:1;al8lou 1bnyL\lhlcrxe:L) ; sur l'action de -ru1toÜ\Iexercée
par une hypostase sur l'hypostase inférieure, voir encore PLOTIN,
Enn. II 3, 17, 16: 'lJ[se.: <J.uxîllµe:-r&: \IOÜ\1-r'/j
µe:-r' aÔT'Y)v (... ] -ru1toücra;
V 5, 1, 26 : -ru1twcre:-ra,,etc. ; tous ces témoignages concourants
montrent qu'il s'agit bien là d'une tradition platonicienne ; elle repose,
comme c'est souvent le cas, sur une transposition métaphysique
d'une théorie gnoséologique du stoïcisme, cf. par exemple SVF I
141, p. 39, 10. Dans Ad Marc. encore, 11, p. 281, 20, Porphyre, après
avoir donné la raison du sage pour le seul temple digne de la divinité
(cf. aussi 19, p. 287, 5-6 : ve:tilc;µè:\I fo-rw -roü 0e:oü o 11:v crot voue; ;
comparer Corp. hermet. XVI 15, éd. Nock, p. 236, 24-26 : -ro 8è:ÀoyLxo\l
[ ... ] è:mtj8e:mv de; {mo8oxîlv -roü fü:oü), explique
µitpoc; -rijc;<J,ux'ijc;
qu'il convient d'orner ce sanctuaire au moyen de l'intellect, statue
vivante de Dieu qui y a imprimé son image : è:µ<J.oxep &.yixÀµ.a-n-r<j>
véji è:ve:LKO\IL(1G(µ.évou &yixÀÀO\ITG( <-roü 0e:oü> (cf. A. J. FESTUGIÈRll,
La révélation d'Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la Gnose,
collect. ccÉtudes bibliques», Paris 1954, p. 213-216, qui croit à
l'origine platonicienne ('fim. 90 c) de l'idée ; noter que W. PôTSCHER,
Textkritische Bemerkungen zu Porphyrios, 1tpoc; MapxÉÀ),czv,cap. II,
dans Wiener Studien, 79, 1966 (= Donum natal. A. LESKY),p. 237-240,
corrige en &yixÀÀovTo<; 0e:oi3); la ressemblance est frappante avec
l'ingenium... sicut simulacrum aliquod dicatum de C1cÉRON,De leg. I 22, 59.
(2) Plusieurs des textes de Porphyre qui viennent d'être cités ont
été bien étudiés par P. HADOT, Porphyre et Victorinus, thèse Paris
1968, I, p. 91, n. 1, et p. 327 sq., n. 5. Et déjà par E. Di:iNT, <c Vorneu-
L'EMPEREUR JULIEN 107

6. Le néoplatonismetardif.
La position de l'empereur Julien dans la postérité du
dialogue s'apparente à celles de Philon et de Porphyre.
Julien se réfère expressément à l' Alcibiade1 ; il emploie
une partie notable de son discours Contre les ryniquesigno-
rants à montrer la portée philosophique du rvwfü O'CXU't'OV.
Rien d'étonnant, dès lors, qu'il prenne à son compte
l'anthropologie du dialogue : l'homme n'est pas le corps
ni les richesses, qui sont ses propriétés, mais non pas
lui-même ; homme, il l'est par l'intellect et la pensée, en
un mot par le Dieu qui se trouve en nous et y constitue
l'espèce d'âme la plus authentique 2 • Ces lignes pourraient

platonische.r» im Gro.rsen Alkibiades, dans Wiener Studien, 77, 1964,


p. 45-50 ; ce dernier historien, qui relève avec raison beaucoup de
consonances entre l'auteur du dialogue et les néoplatoniciens, en
conclut que l' Akib. est plus proche de ceux-ci que de Platon
(notamment pour la notion de o:u-ro-ro o:u-r6désignant le divin dans
l'âme, et pour le thème du miroir en 132-d-133 c, qui ne pourraient
pas avoir été élaborés par Platon) : non seulement il ne serait pas
authentiquement platonicien, mais il appartiendrait au pré-néopla-
tonisme (art. cil., p. 40-44 et 50-51). A cette vue des choses, il est
permis d'en préférer une autre : le dialogue serait sorti de l'ancienne
Académie (peu importe ici qu'il soit de Platon lui-même ou d'un
platonicien proche de Platon), et les affinités indéniables qu'il présente
avec le moyen platonisme et le néoplatonisme s'expliqueraient
suffisamment par l'influence qu'il exerça à ces époques, manifestée
par les commentaires dont il fut l'objet, de Jamblique à Damascius.
(1) JuLIBN, Oral. IX (Contre les ryn. ignorants) 9, 188 cd.
(2) Orat. III (Constance ou De la royautê) 15, 68 d-69 a : Tl, yocp
ae:o:u-roü ou 3-fi1tou -rè aooµrx q:>T)Otv [se. : IIMn.iv] où3è: -roc
xp-fiµo:-ro:
où3è:e:ùyéve:to:v xo:t M~o:v1to:-répc.iv · -ro:ü-ro:
yocpo:ù-roüµév
-rLvo,;otxe:îo: x-r-fiµo:-ro:,où µ-fiv fo-rt -ro:Ü't"o: o:ÙT6,;,&:ÀÀCX v0 xo:t
q:>pov-lJae:t,
q>7Ja(,xo:t -rè 6Àov-rcï>è:v"tjµîv6e:cï> · & 37)xo:t o:ÙTo,;hépc.ifü
xuptw't"o:-rov è:v "tjµîv ~ux'ij.; e:!3o.; lqi7J; les derniers mots
amorcent une citation du Tim. 90 a. Et encore 16, 69 d-70 a : o:ù-rov
µév 't"L'ltX
q:>7JOLIlÀtX't"ùl'I
't"O'Ivoüv xo:t ~'I (jiux-fiv,o:ù-roü31:'t"Oaooµo:
xat ~v xtjatv. Tout ce développement a pour but de montrer qu'on
ne dénature pas la pensée de Platon en substituant à i!:o:uT6v du Ménex.
247 e soit voüv xo:t q:>p6117Jat11, soit même -ro116e:6v(15, 68 c; 16, 70 ab).
Sur l'intellect identifié à Dieu en nous, cf. de même Oral. IX 15,
196 d-197 a : -rê;>tv i)µîv Oe:ê;>, -roü't"'fo-rt -r0 v0 ( ... ] -ro µév è:a-rt
tj,; ~ux'ij,; 1jµ00116e:t6i-e:po11,
& 37) voüv xo:t qip6117Jalv q:>o:µe:v
; compa-
rer avec le texte d'Aristote compilé par JAMBLIQUE, Protrept. 8, éd.
108 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

avoir été inspirées par !'Alcibiade 131 ab et 133 c. Quant


à l'objet de la connaissance recommandée par le précepte
de Delphes, Julien est très loin de le limiter à l'âme ou à
l'intellect ; sans doute, à ses yeux, le rvw0i crcw,6vinvite-t-il
principalement à une investigation approfondie de l'âme :
on ne se contentera pas d'apprendre que l'homme est
une âme qui se sert d'un corps, on recherchera en outre
l'essence de l'âme et ses facultés, on se demandera s'il y a
en elle un élément supérieur, de caractère divin et céleste ;
cela dit, on s'intéressera aussi à la partie passionnelle de
l'âme et aux techniques qui la flattent, ne serait-ce que
pour les mépriser ; surtout, on s'informera du corps, de
ses principes, de son harmonie, de ses passions, de ses
facultés, des arts qui aident à le maintenir ; bref, puisque
nous sommes composés d'une partie divine et d'une partie
mortelle, la connaissance de soi unira dans son objet l'âme
et le corps, attribuant à la première la suprématie, au
second la sujétion 1. Voilà une analyse bien prolixe, comparée

Pistelli, p. 48, 9-18, cité .rupra, p. 80, note (4) ; le fait que l'on
rencontre là aussi l'association voù xcd qipov~cre:ooc; montre que Julien
s'inspire ici de Jamblique, plus précisément de son Comment. perdu
.rur l'Altib., comme l'a indiqué R. AsMus, Der Alkibiades-Kommentar
des ]amblichos ais Hauptquelle f ür Kaiser Julian, dans <<Sitzungsber. der
Heidelb. Akad. der Wiss. », Philos.-hist. Kl., 1917, 3, Heidelberg
1917, p. 19.
(1) Oral. IX 4, 183 a-184 a: Oôxoüv ô ytyvwcrxoovcxù-ràvdcre:-rcxt
µè:v rte:pl <j,u;('ijç,
e:foe:-rcxt
8è:xcxtm:pl crwµcx-roc;. Kcxt-raü-rooôx &:pxécre:i
µ6vov wc; fonv &vOpoortaç<J,ux~xpooµévl) crwµcx-riµcxOdv, &:U.oc xcd.
cxô-njc;-njç 4'U)'.î)Çèrte:Àeucre:-rcxt~V oôcrlcxv,lm:i-rcx &:vixve:ucre:i TOCÇ
8uv&µe:tç· xcxl oôaè: -roù-roµ6vov &:px:écre:t cxô-réj'>,&:ÀÀoc xcxl d -ri -njç
èv ~µîv €CTTL
..jiU)'.î)Ç xpe:înov X:CXL0e:t6-re:pov[ ... ] 'Emwv aè:cxi50tç-rocç
&:pxocç -,;oùcrwµcx-roçcrxé<j,cxL't'O,
e:he: cruvOe:-rove:t-re:IX7tÀOÜ'Iècr-rw. e:hcx
680 1tpo6cxl'loov{mép 't'e:&pµovlcxçcxô-roüx:cxl1tcx0w'Ixcxl au ....&µe:oov
x:cxl7t(XVTCù\l IX7tÀWÇ W\I 8e:hcxi rtpo:; 8tcxµov~'I, etc. ; 11, 190 b : TO
tcxu't'ov yvw'lcxL -roü-ro èv6µtcrcxv, -rà µcxOe:îv&:x:ptl'lwc; -rt µèv
&:1to8o't'tov<J,ux'/i,-rl 8è: crwµcx-rt· &:1té8ocr&v -re: e:tx:6-rooç~ye:µovlcxv
µèv -r'/i <J,ux'ii, Ù7tl)pe:crlcxv8è -r[r crwµcx-rt. Voir sur ces textes
E. A. WYLLER,art. cil., p. 143-144, qui, à la suite d' Asmus, les
rattache avec raison à l'influence de l' Altib. exercée à travers le
commentaire de Jamblique.
MACROBE 109

au schématisme de l' Alcibiade; la premtere partie du


programme - l'homme comme ~ux71 xpwµév"/J crwµcc't"L,
l'hégémonie de l'âme opposée à la sujétion du corps,
la présence dans l'âme d'un principe divin - s'accorde
certainement au dialogue ; mais l'investigation détaillée
du corps, présentée comme la moitié du rvwfüO'IXU'T6V ?
Sans doute a-t-on observé à propos de Philon que la
connaissance du corps n'est pas absente de l' Alcibiade;
pourtant, en lui réservant la place considérable que l'on
vient de voir, Julien semble bien s'écarter de l'esprit
de ce texte.
Plusieurs des pages de Plotin et de Porphyre qui ont été
citées plus haut rejoignent étonnamment celles par lesquelles
on a illustré la deuxième attitude de Cicéron. Le rapproche-
ment n'a pas échappé à Macrobe, qui, pour commenter
le Songede Scipion 8, 26, ne voit pas de meilleure référence
qu'à l' EnnéadeI 1 et, au-delà, au Jer Alcibiade : la divinité
de l'homme ne lui est pas révélée avant qu'il ne démêle
quel il est ; Cicéron ayant passé trop brièvement sur cette
vérité secrète, recourons à Plotin qui lui a consacré tout un
traité, dans lequel il atteste que l'homme véritable est
l'âme même, et non pas ce que l'on voit de l'homme;
quant au rapport entre l'âme immortelle et le corps mortel
qu'elle anime, il imite la relation de Dieu au monde qu'il
gouverne, ce qui a permis de regarder le monde comme
un grand homme et l'homme comme un petit monde ;
c'est à la suite de cette assimilation des fonctions de l'âme
à celle de Dieu que Cicéron a pu dire de l'âme qu'elle est
un dieu 1 •

(1) MAcROBE, Comment. in Somn. Scip. II 12, 6-11, éd. Willis,


p. 131, 22-132, 19 : « ... deum te scito esse, non prius tantam
praerogatiuam committit homini, quam qui sit ipse discernat [... ]
tantum includit arcanum quod Plotinus [... ] libro integro disseruit,
cuius inscriptio est Quid animal, quid homo [... ] hominem
ipsam animam esse testatur. Ergo qui uidetur, non ipse uerus homo
est ; sed uerus ille est a quo regitur quod uidetur [... ] anima autem,
qui uerus homo est, ab omni condicione mortalitatis aliena est, adeo
110 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

Des deux commentaires néoplatoniciens conservés sur


le Jer Alcibiade, celui de Proclus perd pour nous de son prix
par le fait que, dans ce qu'il en reste, il s'arrête avant
d'en venir aux pages essentielles du dialogue 1 • Mais cet
auteur a abordé le problème de la définition de l'homme
dans son exégèse de la République, par un biais qui ne
manque pas d'intérêt puisqu'il s'agit de l'interpolation
homérique sur Héraclès et son image. On a déjà rencontré
chez Plutarque et Plotin 2 l'utilisation anthropologique de
ces vers de l'Oqyssée(XI 601-60;). Dans un premier passage,
Proclus rapporte à la tradition homérique divinement
inspirée l'idée de distinguer dans l'homme une âme, son
image dont elle se sert, et, plus divin que ces deux
constituants, l'intellect de l'âme 3 • Un deuxième passage

ut in imitationem dei mundum regentis regat et ipsa corpus, dum a


se animatur. Ideo physici mundum magnum hominem et hominem
breuem mundum esse dixerunt. Per sirnilitudines igitur ceterarum
praerogatiuarum, quibus deum anima uidetur imitari, animam deum
et prisci philosophorum et Tullius dixit ». Inutile d'insister sur les
emprunts à Plotin; cf. K. MRAS,Macrobius'Kommentarzu CicerosS omnium.
Ein Beitrag zur Geistesgescbichte des 5. Jahrhunderts n. Chr., dans
Sitzungsber. der preuss. Akad. der Wiss., Philos.-hist. Kl., 1933, Berlin
1933, 6, p. 273, et aussi 233 et 280 ; P. HENRY, Plotin et l'Occident.
Firmicus Maternus, Mar;us Victorinus, saint Augustin et Macrobe, dans
(<Spic.sacrum Lovan., Études et docum. », 15, Louvain 1934, p. 150-
152.
( 1) Il contient pourtant quelques allusions à ces pages ; ainsi
p. 73, 14-15 CREUZER,p. 32· WESTERINK: 6 8è ôiv6pc,moç IJiux-Jiècr·n
cr@µot't'txpwµév'I) (cf. Alcib. 129 e); et encore p. 37, 2-9 CR., p. 16 W.,
et p. 49, 13-15 CR., p. 22 W. (cf. Alcib. 131 c-e).
(2) Cf. supra, p. 94 et 96.
(3) PRocLus, In Plat. Remp. comment., éd. Kroll, I, p. 120, 22-26 :
Ilooç 8è: oô xoi:l 't'Oiho -nj<; 'Oµ'l)pLx'Ïji; fo't"tv év6éou 1totpoi:86cre:w,;, 't'O
8Lotxp(ve:wIJiux-fivn xoi:l d8wÀov 't"0 -rotu't"I)<;x.oi:t--ràv vouv 't'0V
't"Ïji; (j,ux'iii;, XotLTI)V µè:v IJiuxriv XP'iicr6ott't'<t)e:tMÀep Àéye:tv, --ràv 8è
vouv &µqio'tv Ù1tixpxe:w0e:t6npov; (Od. XI 602-603 cité p. 120, 15-16).
Comparer év0éou à PLUTARQUE, De facie 30, 944 F : x.oi:-rà6e:6v ;
vouv ... 0e:t6npov à 28, 943 A : vouç ... 6Et6't"Epov; mais Proclus se
sépare de son devancier en ce qu'il identifie l'e:'(8wÀov à l'instrument
de l'âme, - et non pas à l'âme même, comme faisait Plutarque. Il se
rapproche davantage de Plotin, pour qui l'E'iawÀov figure une émana-
tion inférieure à l'âme la plus divine.
PROCLUS SUR PLATON ET HOMÈRE 111
nous retiendra davantage, car - ce que l'on n'a pas encore
rencontré jusqu'ici - la jonction y est faite entre les
vers d'Homère et le Jer Alcibiade. Platon, y est-il dit, a
construit des développements entiers à partir de minimes
données homériques ; ainsi, dans ce dialogue (129 c sq.),
les discours de Socrate sur la différence entre -ro XP~µe:vov
et -ro 6pyixvov1 . Il vaut la peine de voir comment Proclus

résume, en la raffinant, la thèse de l' Alcibiade : chacun de


nous ne trouve sa réalité ni dans sa portion inférieure, ni
dans l'ensemble de l'instrument et de l'utilisateur, mais se
définit entièrement par l'utilisateur seul ; par conséquent,
chacun consiste dans son âme, abstraction faite des instru-
ments corporels ; mais non pas dans toute l'âme : dans
l'âme intellectuelle, désignée dans le dialogue ( 130 d;
cf. 129 b et 1 32 c) par la formule ixù-ro-ro ixù-r6; car, alors
que le simple ixù-r6indique aussi la totalité de l'âme dans
son rapport à son instrument semblable à un coquillage,
-ro ixù1:6,authentiquement, marque bien avec précision
l'espèce intellectuelle de l'âme 2 • Or, poursuit Proclus,
toute cette spéculation sur la nature de l'homme, Platon

(1) Ibid., p. 171, 2.0-2.7.


(2) Ibid., p. 171, 2.7-172, 6 : xocl TOV~xoc,nov Yjµ&voilTe: i:v -tjj
xdpovi µolp~ 'TT)\Iurr6crTOC(H\I ~xe:w OÎ>Te: è1; &µqioTépwvO'\Jµrre:rrÀ71-
p&crOoci,TOU-re:opy&:vouÀéyw xocl TOUxpwµévou, ixÀÀixxocT' IXÔTO
µ6vov nÀéwc; &cpwplcr!loci TO xpwµevov. "OOev a~XIXTIX 'TT)\Iljiux~v
ocô-rovucpecr-r&:voci'TTJV-r&v crwµccTix&vôpy&:vwvè1;71p71µév71v, xod
TOCU't'îj\l
oô rrifoocv,&nix 'TTJ'IVO"l)p&:v,~v xoct ouTwcrl rrwc; ctÔTO Tà
ctÙTO rrpocrdp"l)xevèv èxe:lvoic;.AôTô µèv yixp xoct ij ljiux~ rrifooc
rrpoc; TO ÔcrTpe&3e:c; /Spyccvov,TO 131:ISvTwc;aÔTo TOUTO&pa -ljv
èxe:~voTO voe:pbv e:rnoc;T'ijc;tJiux'ijc;.On trouvera une interprétation
un peu différente de ocôT6et de aÔTOTO ctÔT6dans un témoignage
d'Olympiodore sur le Comment. du Jer Alcib. de Proclus (fgt 11
WESTERINK,lignes 1-5, p. 162.), sur quoi cf. W. O'NEILL, Produs:
Alcibiades I. A Transi. and Commentary, The Hague 1965, p. 2.27 et
n. 12. Sur le vrai sens de aÔTOTO aôT6, voir R. E. ALLEN, Notes
on Alcibiades I, 129 B 1, dans Amer. Journal of Philo!., 83, 1962,
p. 187-190. Sur le corps ÔcrTpe<7>3e:c;, cf. supra, p. 85 et note (1). On
voit cc que Proclus ajoute à l' Alcib. 130 be; mais il le fait en s'inspi-
rant de 133 be ; enfin, pour TOVfxctcrTovYjµ&v (repris plus bas,
p. 172, 10 et 30), il se souvient peut-être des Lois XII 959 ab, cf. supra,
p. 78-79.
112 LE /" ALCIBIADE ET SA POSTllRITil

l'emprunte à Homère, et se borne à la mettre en forme


démonstrative ; c'est Homère qui, le premier, a distingué
chacun de nous des instruments qui lui sont attachés, et
bien séparé, des hypostases primitives, leurs images
1
(e'tawÀoc-r&v npw-roupy&v u1to0'-r<XO"ewv) . Car la rencontre
d'Ulysse et d'Héraclès dans la nékyia (Od. XI 601-60;)
montre sans aucun doute que la véritable essence de
ce dernier réside dans l'âme (TIJVµ€V &.Àî)füv~v -roü 'Hpoc-
x:Mouç OÛO'tOCV ZV-r"/ilf!UXTI-rl0e0'0tx:t1tpocrfixet),et non pas
dans son image, simple instrument à la ressemblance du
personnage ; l'anthropologie de Platon se rattache ainsi
aux indications d'Homère, dont il a même conservé les
termes, puisque l' ocû-rà-rà ocù-r6vient de l' ocù-r6çdu vers
602. ; homérique encore le fait d'appeler la nature cor-
porelle etawÀov de l'essence véritable ; évidemment
homérique enfin (Od. XI 90-91 : la 41ux~ de Tirésias me
reconnut et me parla) l'idée de placer dans l'âme la réalité
propre de chacun de nous (O'ocq>&ç -ràv éxocO"-rov ~µ&v èv
'-!iuxn 8topl~e-roct TI)V 1)7t0Cp~tvëxew) 2 • L'intérêt de ces

(1) Ibid., p. 172, 6-12.


(2.) Ibid., p. 172., 12.-30. Ce texte montte que la ttipartition envisagée
par Proclus p. 12.0, 22.-2.6 de son commentaire est bien celle du corps,
de l'âme et de l'intellect. Il n'est pas sans intérêt de savoir que, moins
d'un siècle avant Proclus, Servius, le célèbre commentateur de Virgile,
voyait dans les mêmes vers d'Homère l'indice d'une tripartition toute
différente, celle de l'âme (qui, à la mort, rejoint le lieu céleste de son
origine), du corps (qui se dissout dans la terre), et de l'ombre ou
simulacre (qui gagne les enfers) ; cf. ln Verg. Aen. comment. IV 654,
lignes 3-16, éd. Stocker-Travis, III, p. 453 : « Valde enim quaeritur
apud philosophos quid illud sit quod inferos petat. Nam ttibus
constamus : anima, quae superna est et originem suam petit ; corpore,
quod in terra deficit ; umbra [... ] Ergo umbra, si ex corpore creatur,
sine dubio perit cum eo, nec est quicquam reliquum de homine quod
inferos petat. Sed deprehenderunt esse quoddam simulacrum quod
ad nostri corporis effigiem fictum inferos petit, et est species corporea
quae non potest tangi, sicut uentus [... ] Hanc autem rem etiam
Homerus requirit simulacro Herculis apud inferos uiso [... ] Sciendum
tamen abuti poetas et confuse uel simulacrum uel umbras dicere » ;
cf. de même II 772., éd. Rand-Savage, etc., II, p. 501 : « Per simulacrum
autem apotheosin ostendit, quia simulacra deorum sunt, umbrae
AUTRES TEXTES DE PROCLUS 113

développements 1 fait regretter plus encore la lacune du


commentaire de Proclus sur l' Alcibiade en ce qui con-
cerne la définition de l'homme ; du moins peut-on
supposer que ces pages perdues ne devaient pas différer
beaucoup, pour la doctrine, du développement que l'on
vient de parcourir. Enfin, c'est encore le même Proclus
qui révèle l'origine orphique du thème (souvent rencontré
chez Cicéron, Philon, Porphyre 2 , et que l'on n'a pas fini
de voir) de l'intellect humain comme simulacrum consacré
de la divinité 3 •

inferorum ; sicut Vlixes in Homero apud inferos umbram Hereulis


cernit, quia post mortem umbrae inferos, animae caelum petunt 11;
et encore VI 134, 650 (Virgile suit Homère), X 819. L'interpolation
d'Od. XI 602-604 serait d'origine pythagoricienne, de même que
l'interprétation de Servius ; celle-ci se trouve déjà chez Aristarque,
qui montrait qu'une telle doctrine est étrangère à Homère, et en consé-
quence condamnait ces vers ; voir là-dessus F. CuMONl\ Lucrèce et le
symbolisme pythagoricien des Enfers, dans Revue de Philologie, 44, 1920,
p. 237-238, et Lux perpetua, Paris 1949, p. 190-191 et 354 ; mais ce
savant méconnaît la différence entre l'exégèse néoplatonicienne et
celle qu'a conservée Servius.
(1) Noter en outre une référence expresse à l'Alcib. (sans doute
133 be) chez PRocLus, In Plat. theol. I 3, éd. Saffrey-Westerink, t. I,
p. 15, 21-23 : l'âme, entrant en elle-même, découvre toutes choses et
Dieu. Texte indiqué, avec divers autres, dans l'utile édition de l'Alcib.
par A. CARLIN!, <<Enciclop. di autori class. 11,82, Torino 1964, ad. /oc.
Encore un souvenir de l'anthropologie du dialogue dans PROCLUS,
De decem dubit. 36, 1-2, éd. Boese, p. 57 : Ka:l µ~'J xa:l ·rnü·rn <f,µî'J>
fl"t)Tfov... &-ri IJ>ux~µè:v 6 &v0pCù7tOÇ
... , iiÀÀCX
IJ>ux~;(pCùµbi"t)O"OOµom
(texte signalé par P. Thillet) ; et enfin dans ce passage (que me signale
H. D. Saffrey) de l'In Parmen. VI, éd. Cousin•, col. 1069, 8-10: wç ycxp
6 xup!CùÇlMlpCù7tOÇXiXTCX ~ux~v. o(hooç 6 xup!ooç 0eoç XiXTCX TO l!,v.
(2) Cf. supra, p. 59, note (1), p. 88, note (2), p. 90, note (o), p. 106,
note (1).
(3) Il s'agit de In Plat. Crarylum comment. 133, éd. Pasquali, p. 77,
24-78, 3 (sur Crai. 400 d, peu après le passage orphique de 400 c sur
sôma-sêma) : l'intellect en nous est dionysiaque et véritablement image
de Dionysos ; commettre une faute contre l'intellect, en déchirer,
à la façon des Titans, la nature indivise par le mensonge aux multiples
distinctions, c'est pécher contre Dionysos même, et plus que par un
manquement à l'endroit des images extérieures du dieu, dans la mesure
où l'intellect lui est plus apparenté que toute autre image ("0-ri 6 èv
-l)µîv \IOÜÇÂLO\/Ucn:xx6çècr-rt'J x:xt ôéy:xÀµ:x0\/T(!)Ç TOÜ ÂLO'Jl)(l'QU.
"Oa-ru; oov dç :xù-rov 1tÀ1Jµµ.:À7Îx:xt ~'J &µ.:p'ij cxù-roüqiuai'J 3t:xcm~
114 LE Ju ALCIBIADE ET SA POST1'RITÉ

Le commentaire d'Olympiodore sur le dialogue, en


revanche, traite longuement de la partie anthropologique,
s'appliquant à dégager la structure logique de l'argumenta-
tion1. Dès le début de son exégèse, Olympiodore observe
que le libellé même du r-.&fü rrc:1:u-r6-.
montre que l'homme
n'est autre que son âme raisonnable ; car le précepte ne
peut s'adresser ni au corps, ni au composé (l'âme végétative),
- qui ne connaissent pas, - ni à l'âme irrationnelle,
- qui, si elle connaît, ne se connaît pas elle-même ; seule
reste donc l'âme raisonnable 2 • Peu après, le même commen-
tateur, tout comme Macro be, évoque « le 1er chapitre
des Ennéades» ; il en retient que, si le composé est l'animal,
c'est l'âme qui est l'homme, et il rappelle que l' Alcibiade
de Platon avait le même rrxo1t6c; 3

TLTC(VLXWÇ 8ux TOÜlTOÀucrxL8oüç l)ieu8ouç, OÙTOÇ 8'1)ÀOV6TL dç C(l)TQV


TOV~t6vucrov ciµC(pTOCVe:t, XC(!µéiMOV TWVe:lç TIXÈXTOÇTOÜ 6e:oü
CÎ:yocÀiJ.C(TO: ÔcrovOVOÜÇ
rrÀ'l)fLiJ.E:ÀO\lVTWV, µéiMOVTWVrJ.ÀÀWV cruyye:v71ç
ècrTLT<j>6e:cj>);texte signalé par E. RoHDE, Psyché. Le culte de l'âme
chez le.r Grecs et leur croyance à l'immortalité, trad. française, dans
<<Biblioth. scientif. », Paris 1928, p. 363, n. 1, et par J. HAUSSLEITER,
art. Deus internu.r, dans Reallexikon f ür Antike und Chri.stent11m,III,
1957, col. 799·
(1) ÛLYMPIODORE, In Plat. Alcib. I comment., éd. Westerink, p. 127-
133, sur Alcib. 13oa-c.
(2) Ibid. I, p. 8, 21-9, 7 CREUZER,p. 9 WESTERINK: ~t<X8è TOÜ
rrpocr-rocyµC(TOÇ TO rrpocr-rC(x6èvè871Àwcre:, -rou-récr-rtV
<ln l)iux7JÀOYLX7)
o &v6pw1Toç,etc. ; tout ce passage constitue une variation libre sur
Alcib. 130 a-c, cf. p. 9, 2-3 : où Y<XP TO crwµC(ytvwmm, &.M' où8è: TO
cruvo:µqi6-re:pov ; Olympiodore poursuit en disant que le précepte de
Delphes n'intéresse pas davantage les êtres célestes, qui, s'ils sont
bien capables de connaissance et d'auto-connaissance, ne passent pas
de l'ignorance à la connaissance, et ne sauraient donc être concernés
par l'impératif yvw6L.
(3) Ibid., p. 9, 16-19 CR., p. 9 W. Olympiodore nomme encore
1'Alcib. (129 b et 130 d) dans In Plat. Phaedonem comment. A VIU 6,
éd. Norvin, p. 48, 12.-13 : par C(Ù-r6,Platon désignerait l'àme, et l'âme
raisonnable par C(Ù-ro -ro C(Ù-r6(on reconnaît, cf. supra, p. 111, l'inter-
prétation avancée déjà par Proclus); en In Plat. Gorg. comment., Prooem.
6, éd. Norvin, p. 4, 24-5, 1, il rappelle la thèse du dialogue: l\'h66v-roç
Y<XPèv -rcj>'AÀXLOtOC8'/l, ()TLl)iuxii ècrµe:v X.CI.L YUX7J1j ÀOYLX7j,
lliRMIAS (Syrianus), In Plat. Phaedrum .rchol. 253 e, éd. Couvreur,
p. 196, 25-29, fait lui aussi référence à 1'A!cib, (132 e) ; d'autres fois,
LE PROBLÈME DB L'INFORMATEUR DE CICÉRON 115

III. L'HOSTILITÉ n' ANTIOCHUS


A L'ANTHROPOLOGIE DU Jer Alcibiade

Telles sont quelques-unes des traces, expresses ou


inavouées, perçues ou inconscientes, certaines ou seulement
probables, que la lecture du Jer Alcibiade a imprimées dans
l'ancienne tradition philosophique. Sans aucun doute, ce
que l'on a nommé la seconde attitude de Cicéron s'insère
dans cette longue postérité\ comme le montrent les
nombreux rapprochements que l'on a pu signaler en
cours de route. La question qui se pose maintenant est
de savoir de quelle façon l'influence du dialogue s'est
exercée sur Cicéron ; la plupart des plus récents historiens
estiment qu'ici encore, Antiochus d' Ascalon doit avoir été
l'intermédiaire ; tel est notamment l'avis de K. Reinhardt 2,
de G. Luck 3, de P. Boyancé 4 , de P. Courcelle 5 • A priori,
cette hypothèse n'a rien d'incroyable ; qu' Antiochus,
scholarque de l'Académie au début du 1er siècle, ait été
familier avec les dialogues platoniciens, c'est le contraire
qui surprendrait (même si son platonisme s'écarte sur
certains points de celui de Platon 6) ; qu'il ait fait l'exégèse

il s'en souvient sans le nommer ; ainsi en 245 c, p. 102, 25-26 : 't"OV


xupl(J)c;;&v6p(J)7t'OV
niv ÀoyLx~vtjiux_~v&.1toxCXÀÛ.
(1) Ainsi que l'a bien discerné P. BoYANCÉ,Cicéron et le « Premier
Alcibiade», p. 212 et 219-223, pour De leg. I 22, 58 sq., Tu.rm!. V 25,
70 et Somn. Sdp. 8, 26.
(2) Art. Po.reidonio.r,dans RE, XXII 1, 1953, col. 571-586, où cet
historien montre longuement, contre Corssen et Pohlenz, 1 ° que le
Somn. Scip. et surtout Tuscul. I sont d'inspiration platonicienne, 2° que
ce platonisme porte la marque d'Antiochus.
(3) Der Akademiker Antiochos, dans <t Noctes romanae », 7,
Bern-Stuttgart 1953, p. 33-34, 40, 66, etc. ; Studia diuina in uita humana.
On Cicero'.r « Dream of Scipio >>and ifs Place in Graeco-Roman Philosophy,
dans The Harv. Theo/. Rev., 49, 1956, p. 214.
(4) Art. cit., p. 212, .218, 223.
(5) Cicéron et le précepte delphique, dans Giorna!e lta!. di Fi!ologia, 21,
1969 (In memoriam E. V. MARMORALE, II), p. 116-117.
(6) Ainsi que l'a montré, contre Pohlenz, G. LucK, op. cil., p. 2.3-
24, et art. cil., p. 216.
116 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTl!RITÉ

et transmis l'enseignement de certains d'entre eux, parmi


lesquels l' Alcibiade, c'est fort naturel 1.
Mais cela n'implique pas qu'il ait souscrit à toutes les
thèses des dialogues. Dans le cas particulier de l' Alcibiade,
la confrontation de ce texte avec ceux dans lesquels Cicéron
et Varron s'inspirent certainement d' Antiochus montre
bien, on l'a vu plus haut, ce que ce dernier doit au dialogue,
et qui est loin d'être négligeable : l'idée de subordonner
la détermination du souverain bien à une définition préalable
de l'homme, la conviction que celle-ci doit être choisie
parmi trois hypothèses seulement (l'homme s'identifie
ou bien à son âme, ou bien à son corps, ou bien au composé

(1) Selon P. BoYANCÉ,art. cit., p. 227, c'est même à Antiochus


que pourrait remonter l'habitude, attestée dans les écoles platoni-
ciennes, d'aborder l'étude de Platon par l'Alcib. Le fait est bien connu
dans le néoplatonisme tardif; cf. Proleg. philos. platon. 10, 26, 18-20,
éd. Westerink, p. 49 : il faut commencer par l'Akib. parce que la
connaissance de soi doit précéder celle des choses extérieures ; de
même ÛLYMPIODORE, In Plat. Alcib. I comment., p. 10, 20-11, 6 CR.,
p. 20 W., qui ajoute que, dans l'édifice du platonisme, ce dialogue
est semblable aux propylées, tandis que le Parmén. constituerait
l'adyton; dans In Plat. Gorg. comment., Prooem. 6, cité supra, p. 114,
note (3), le même auteur voit dans la lecture de l'Alcib. la préface
nécessaire à l'étude des différentes classes de vertus, parce qu'il nous
apprend que nous sommes une âme raisonnable; PROCLUS,In Plat.
A!cib. I comment., p. 11, 3-15 CR., p. 5 W., rapporte à Jamblique
d'avoir donné à ce dialogue le premier rang. Mais cette réglementation
de la lecture de Platon est antérieure à Jamblique lui-même, puisque
l'on en trouve trace chez DIOGÈNE LAËRCE, III 62 ; elle apparaît
même clairement déjà au ne siècle, chez ALBINUS,Isag. 5, éd. Hermann,
p. 149 en bas, qui recommande de commencer par l' Alcib. pour savoir
de quoi il faut avoir souci : &p~E:'l"O(t a
tx.7t0'l"OÜ'A À Xdl t (X Ou 1tpo,;
-i-o <1tpo,; éocu-i-ov xoct èmcnpwp'ijvoct xoct yvwvoct où 8e:î
> -i-poc1t'ijvoct
-niv èmµé'i.e:tocv1tme:fo6oct; <1tpè,; éocu-i-ov > est une addition de
Freudenthal, acceptée par A. J. FESTUGIÈRE,L'ordre de lecture des
dialoguesde Platon aux V•-VI• siècles, dans Museum helvet., 26, 1969, 4
( = MélangesW. THEILER), p. 282 (p. 281-287 pour les autres textes) ;
cf. encore E. A. WYLLER,art. cit., p. 135-137 ; R.F. HATHAWAY,The
Neoplatonist Interpretation of Plato : Remarks on its Decisive Characte-
ristics, dans Journal of the Hist. of Philos., 7, 1969, p. 22-23. Dans ces
conditions, il n'est pas invraisemblable de supposer qu'Antiochus a
pu être l'initiateur de cette priorité reconnue à l'Alcib. dans l'étude des
dialogues platoniciens.
L'ANTHROPOLOGIE D' ANTIOCHUS 117

de l'un et l'autre), enfin la distinction et le classement


des trois sortes de biens. Mais s'il est vrai que Varron
reflète fidèlement la pensée d' Antiochus lorsque hominem
nec animam solam nec solum corpus, sed animam simul et corpus
esse arbitratur, si Cicéron fait de même quand il voit dans
le précepte de Delphes une invitation ut uim corporisanimique
norimus et quand il s'emporte contre ceux qui praeter
animum nihil curant1, il est clair que, sur ces points fonda-
mentaux, Antiochus prenait le contre-pied de l' Alcibiade2•
Par conséquent, imaginer qu' Antiochus est la source du
second groupe de textes cicéroniens revient à supposer
qu'il aurait pu rallier Cicéron aux thèses du dialogue que,
pour sa part, il repoussait ; c'est peu vraisemblable. Ou
bien l'on doit transporter chez Antiochus même le
contraste observé entre les deux attitudes de Cicéron ;
mais cette incohérence, à la rigueur explicable chez un
Cicéron que sa haute culture n'empêche pas de demeurer
un amateur, deviendrait plus surprenante de la part d'un
philosophe professionnel tel qu' Antiochus. Pour imputer
à Antiochus la paternité des deux tendances cicéroniennes,
on a été amené plus ou moins consciemment à en adoucir,
voire à en méconnaître l'opposition 3 ; mais ignorer ou

(1) Textes cités ;upra, p. 67, note (o), p. 56, note (2.), et p. 58,
note (1); ils s'opposent nettement à Alcib. 130 be, 130 e-131 a et 132.c.
(2.) En s'inspirant peut-être de Panaetius, cf. M. PoHLENZ, Die
Stoa. Geschicbte einer geùtigen Bewegung,Gêittingen 1948-1949, I, p. 2.52.,
et G. Lucx, op. cit., p. 47-48.
(3) C'est ainsi que K. REINHARDT, art. cit., col. '579, ne voit, de
De fin. V 16, 44 à Tu;cul. I 2.2.,52. et à De Jeg.I 2.2.,58, aucun désaccord,
mais bien un renchérissement ; déjà E. G. WILKINS,op. ât., p. 64-65
et 67-68, mettait Tuscul. I 2.2., 52. parmi les textes qui appliquent le
précepte de Delphes à la connaissance du corps, et voyait une position
stoïcienne en De fin. V 16, 44 l En revanche, P. BoYANCÉ,art. cit.,
p. 2.2.1, a bien perçu l'antinomie entre l'Alcib. et Antiochus source
de De fin. IV-V; P. CouRCELLE,art. cil., p. 112., n. 7, a vu lui aussi
que la uis du précepte delphique n'a pas le même sens en De leg. I et
T11scul. I qu'en De fin. V ; mais ces discordances ne leur paraissent
pas suffire à exclure l'hypothèse d' Antiochus intermédiaire entre
l' Alcib. et, d'autre part, Somn. Scip. 8, 2.6, De leg. I 2.3, 60, Tusml.

9
118 LE Ju ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

camoufler le problème n'est pas le résoudre. En réalité,


s'il y a bien chez Cicéron deux orientations discordantes,
et si l'une d'entre elles, hostile à l' Alcibiade, provient
certainement d' Antiochus, il devient difficile de lui attribuer
la responsabilité de l'autre aussi, fidèle à la doctrine du
dialogue.
A cette objection d'ordre général s'ajoutent des argu-
ments plus détaillés. Dans un passage du De ciu. dei XIX 3
que l'on a examiné plus haut1, Augustin attribue à Varron
d'avoir exposé que le souverain bien recherché en philo-
sophie n'est pas celui de l'arbre, ni de l'animal, ni de Dieu,
mais celui de l'homme ; cette hiérarchie du monde vivant
se retrouve en bien d'autres textes 2 , que l'on rapporte
à l'influence de Posidonius ou d' Antiochus. Il est
remarquable que cette présentation varronienne de la
Stufenlehre, à la différence d'autres présentations 3 , insiste
sur la disparité qui sépare l'homme de Dieu : non dei, sed
hominis; qu' Antiochus ait construit son éthique sur ce hiatus,
c'est ce que confirment deux passages de Cicéron : on y
voit que la réaction d' Antiochus contre Zénon est celle
d'un « pauvre homme » ( homuncio) contre un dieu, et

I zz, 52. et V z5, 70. Pourtant, H. STRACHE,Der Eklektizismus des


Antiochus von Askalon, dans « Philolog. Untersuchungen », 26, Berlin
1921, avait déjà relevé l'opposition irréductible, pour l'interprétation
du précepte et la doctrine du souverain bien, entre le <<dualisme>> de
De fin. V 16, 44 (Antiochus) et le <<monisme» de Tuscul. I 22, 52 ;
de même I. HEINEMANN,Poseidonios' metaphysische Schriften, Breslau
1921-1928, 1, p. 69; Il, p. 313 et 379.
( 1) Cf. supra, p. 66, note ( 1).
(2) Indiqués par G. LANGENBERG,op. cit., p. 18, note, et p. 58-59 ;
voir aussi W. THEILER, op. cit., p. 54-5 5 ; K. REINHARDT, art. cit.,
col. 582, 587-588, 701-702, 773-778. - La notation de Varron-
Antiochus ccsummum bonum [ ... ] non pecoris, [ .. ] sed hominis
quaeritur li pourrait être dirigée contre l'épicurisme ; cf. CICÉRON,
Acad. I 2, 6, = testim. 398 UsENER, p. 274, 23-24 : <<pecudis enim et
hominis idem bonum esse censent [se. : Epicurei] >>.
(3) Qui concluent au contraire à la nature divine de l'âme humaine;
ainsi CrcÉRON, Tuscul. I 24, 56 ; V 13, 37-39 ; Varron apud AuGusnN,
De ciu. dei VII 23 ; SÉNÈQUE,Epis!. 1z4, 14 ; ce pourrait être là l'aspect
posidonien de la doctrine.
L'HOMME DISJOINT DB DIEU 119

que l'extrémisme stoïcien, auquel s'oppose la position


moyenne d' Antiochus et de Calliphon, prétend disjoindre
l'homme de la bête et le rattacher à Dieu : hominem iungit
deo1 • Rebelle à toute divinisation de l'homme, le réalisme
d' Antiochus contredit, non seulement l'héroïsme des
stoïciens, mais aussi l'oµo[Cocrtc;fü:<7>
de Platon 2 ; si l'on se
rappelle maintenant que la deuxième attitude de Cicéron,
tout comme l'anthropologie de l' Alcibiade, est centrée sur
la doctrine platonicienne de la mens coniuncta cum diuina
mente et du deum te scito esse3, on conviendra qu'il serait
surprenant qu'Antiochus l'eût inspirée.
On a vu que Cicéron, dans son interprétation du précepte
de Delphes, tantôt fait une place à la connaissance du
corps, tantôt l'exclut. La seconde exégèse se trouve liée
à l'idée que l'esprit sorti du corps est plus facile à connaître
que l'esprit présent dans le corps 4 ; en d'autres termes,
le corps fait obstacle à la connaissance5. Tout autre apparaît
la position d' Antiochus en De fin. IV et V : d'importance
incomparable à celle de l'esprit, le corps est plus facile
à connaître, et ses biens sont d'une estimation aisée 6 ; aussi

(1) CICÉRON, Lucullu.r 43, 134, = fgt 80 LucK, p. 92 : ccZeno


[... ] Antiochus [... ] Deus ille qui nihil censuit deesse uirtuti, homuncio
hic qui multa putat praeter uirtutem ... >>; 4 5, 139 : « reuocat uirtus
uel potius reprendit manu, pecudurn illos motus esse dicit, hominem
iungit deo. Possum esse medius [... ] sed si eum ipsum linem uelim
sequi, nonne [... ] ratio mihi obuersetur : 'tune [... ] hominem cum
belua copula bis? ' >>.
(2) La formule de Varron-Antiochus mn pecori.r,non dei, .redhomini.r
pourrait viser un texte comme Phèdre230 a, où Platon réduit l'homme
à être soit une bête fauve, soit un participant de la divinité ; cf. de
même Républ. IX 589 d-590 d.
(3) Textes cités supra, p. 59, note (3), et p. 60, note (2) ; cf. encore
Tuscul. V 13, 38 : u humanus autem animus decerptus ex mente
diuina cum alio nullo nisi cum ipso deo, si hoc fas est dictu, comparari
potest >>.
(4) Tuscul. I 22, 5 1, cité supra, p. 60, note (1), début.
(5) Cf. Lucullus 39, 122 : « Corpora nostra non nouimus, qui sint
situs partium, quam uim quaeque pars habeat ignoramus » ; comparer
De fin. V 16, 44, cité supra, p. 56, note (2) : u ut uim corporis
[... ) norimus ».
(6) De fin. V 12, 34 (exposé de Pison) : « quae corporis sunt, ea nec
120 LE /" ALCIBIADE ET SA POST:Ë.RIT:Ë.

n'est-il pas étonnant qu' Antiochus étende expressément


le précepte à la connaissance du corps, à l'opposé de la
deuxième attitude de Cicéron. Celle-ci, d'autre part, qu'on
la considère dans le Songe ou en Tuscul. I, s'accompagne
de l'idée que la mort introduit à la vie véritable, et qu'il
faut dès ici-bas dissocier l'esprit du corps, le suicide
demeurant toutefois interdit 1 . Ici encore, Antiochus semble
avoir adopté une conception bien différente : comme le
montre la peur universelle de la mort, l'homme veut
passionnément demeurer vivant dans l'union de son corps
et de son âme 2 •

auctoritatem cum anirni partibus comparandam et cogmttonem


habent faciliorem. ltaque ab his ordiamur » ; IV 7, 17 : « corporis
bona facilem quandam rationem habere censebant » (sujet : Xénocrate
et Aristote, auçJore.rhabituels d' Antiochus).
(1) Somn. Sâp. 3, 14-15 ; 9, 29 : <<iam tum cum erit inclusus in
corpore [.rc. : animus], [... ] quam maxime se a corpore abstrahet »
(cf. P. BoYANCÉ,Étude.r .rur le Songe de Scipion, p. 125-128) ; tout le
Jcr livre des Tu.rml., on le sait, est consacré à montrer que la mort
n'est pas un mal ; voir en particulier Tu.rcul.I 30, 72-31, 76 ; 31, 75 :
« quid [... ] agimus nisi animum ad se ipsum aduocamus, secum esse
cogimus maximeque a corpore abducimus? Secernere autem a
corpore animum, nec quicquam aliud, est mori discere » ; et déjà 19,
44 : « profecto beati erimus, cum corporibus relictis et cupiditatum
et aemulationum erimus expertes>> ; à quoi l'on peut ajouter le fgt 1
du De leg., apud LACTANCE,Diuin. in.rJiJ.III 19, 2 : « Gratulemurque
nobis, quoniam mors aut meliorem, quam qui est in uita, aut certe
non deteriorem adlatura est statum ; nam sine corpore animo uigente
diuina uita est, sensu carente nihil profecto est mali ». Tous ces textes
dépendent plus ou moins étroitement du Phédon, cf. notamment 62 a-
&, 67 c-e, 71 c-72 a, Bo e-81 b, 85 b, etc.
(2.) De fin. V 9, 2.4-11, 33 (exposé de Pison) ; VARRON, Liber de
philo.!., fgt 10 LANGENBERG,p. 2.5, = AUGUSTIN,De âu. dei XIX 4,
p. 378, 10-17 : « Magna uis est in eis malis, quae cogunt hominem
secundum ipsos etiam sapientem sibimet auferre quod homo est ;
cum dicant, et uerum dicant, hanc esse naturae primam quodam modo
et maximam uocem, ut homo concilietur sibi et propterea mortem
naturaliter fugiat, ita sibi arnicus, ut esse se animal et in hac coniunc-
tione corporis adque animae uiuere uelit uehementer adque adpetat ».
Que ce dernier texte remonte sûrement à Varron, et, au-delà, à
Antiochus (p. 377, 21-22.: ccsicut Peripatetici, sicut ueteres Academici,
quorum sectam Varro defendit >>; comparer au texte d'Augustin
l'exposé antiochéen de Pison en De fin. V 1 1, 3 1-32 : « •.. non modo
carum sibi quemque, uerum etiam uehemenJercarum esse [... ] Quis
LE CORPS, MAISON ÉTRANGÈRE 121

La théorie de la destinée humaine développée dans le


Songe et en Tuscul. I s'exprime, en Tuscul. I 2.2., 51-5 2., au
moyen de deux images de grand intérêt : l'esprit, présent
dans le corps comme dans une maison étrangère ( qualis
animus incorpore sit tanquam alienae domui), gagnera sa propre
maison quand il sera sorti du corps et rendu à la liberté
du ciel ( cum exierit et in liberum caelum quasi domum suam
uenerit); peu après, c'est à un vase ou autre récipient de
l'esprit que le corps est assimilé (corpus quidem quasi uas
est aut aliquod animi receptaculum)1. La mention de la maison
ou du domicile de l'esprit revient plusieurs fois chez
Cicéron même, qu'il s'agisse de sa demeure corporelle 2,
ou, plus souvent, de son séjour céleste3, ou encore de l'une
et l'autre 4 ; le texte le plus proche de Tuscul. I 2.2., 51
appartient au Cato maior, de senectute : l'opposition entre
la vie corporelle et l'immortalité céleste y est rendue par
la distinction de l'auberge où l'on passe et de la maison
où l'on s'établit 5• Mais la comparaison n'a pas été inventée
par Cicéron, puisqu'on la rencontre assez souvent chez
Philon 6 ; les néoplatoniciens l'associeront fréquemment

autem de ipso .rapienle aliter existimat, quin, etiam cum decreuerit


esse moriendum ... >>),cf. G. LANGENBERG, op. cil., p. 70 ; les dernières
lignes sont en antithèse avec T rum/.13 1, 75 cité dans la note précédente;
le début montre qu' Antiochus admettait le suicide, ce dont Augustin
tire argument.
(1) Texte cité supra, p. 60, note (1).
(2) Tuscul. I 24, 58,
(3) Somn. Scip. 9, 29 ; De leg. I 9, 26 ; Tuscul. I 11, 24 ; 49, 118 ;
Calo maior 21, 77.
(4) Hortens., fgt 93 RucH in fine, p. 163.
(5) Calo 23, 84 : c<ex uita ita discedo tanquam ex hospitio, non
tanquam domo : commorandi enim natura deuersorium nobis, non
habitandi dedit >>; la double image sera reprise par SÉNÈQUE, Epi.ri.
120, 14 : c<nec domum esse hoc corpus, sed hospitium, et quidem
breue hospitium quod relinquendum est>> ; 16 : « Hoc euenire solet
in alieno habitantibus ».
(6) Par exemple De agric. 14, 65, II, p. 108, 17-19 : 1tifoa. o/U)(~
aocpoi31ta.'t'pl8a.µè:11oùpa.v611,~év"l)\I8è: yîjv t>..a.xe,
xr.d voµl~eL 't'OV
µè:vaocpla.c;o!xov t8to11,'l'OV8è:crwµa.Toc;ô6vefov, ci>xa.11ta.pem8"1)µti:v
ote:Ta.L(à propos de Gen. 47, 4) ; de même De somn. I 31, 181; contra,
De praem. et poenis (De bened.) 20, uo.
122 LE /., ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

à l'exégèse allégorique du retour d'Ulysse 1 ; l'un de ses


plus anciens emplois apparaît dans l' Eudème d' Aristote 2 •
Il est difficile de dire à qui Cicéron pourrait l'avoir
empruntée ; mais il n'y a guère de chances pour que ce soit
à Antiochus, tant la représentation du corps comme une
résidence étrangère et, par bonheur, provisoire est incom-
patible avec l'idée antiochéenne que l'homme in hac
coniunctionecorporisadque animae uiuere uelit uehementeradque
adpetat.
L'image du vase est plus révélatrice encore3. Appliquée
au corps dans son rapport à l'âme, elle est employée
volontiers dans l' Antiquité, soit que, comme Cicéron,
on la tienne pour valable (Lucrèce, Philon, Marc-
Aurèle, etc.), soit que l'on proscrive la représentation qu'elle

(1) Connexion bien indiquée par P. BoYANCÉ, Écho des exégèses


de la mythologiegrecquechez Philon, dans Philon d' Alex. Colloque... , p. 171-
172; sur l'histoire de la comparaison, voir aussi F. HusNER, Leib
und Seele in tkr Sprache Senecas. Ein Beitrag zur sprachlichen Formulierung
der moralischen Adhortatio, dans « Philologus n, Supplemtbd. XVII 3,
Leipzig 1924, p. 60-76.
(2) Fgt 1 a Ross, p. 16, = CICÉRON, De diuinat. I 25, 53 : « ita
illud somnium esse interpretatum ut, cum animus Eudemi e corpore
excesserit, tum domum reuertisse uideatur ll. P. BOYANCÉ, /oc. cit.,
cite également l'Axiochos 365 b : 1t01:pe:m811µl01: -rlc; ècnw o ~loc;
(à quoi il faut ajouter 365 e : njc; \jiux}ie;e:tc;-ràv otxe:i:ov !8pu0e:(ITT)c;
-r61tov,ce qui montre que cette comparaison est liée à la définition de
l'homme par l'âme seule, tout comme chez Cicéron).
(3) Il n'est pas inutile de se demander, dans l'hypothèse - extrême-
ment probable - où cette image viendrait à Cicéron d'une source
grecque, par quels termes elle s'exprimait à l'origine. Le mot grec
que traduit uas est facile à identifier : c'est &yye:fov,présent dans tous
les textes auxqµels renvoie la bibliographie de la note suivante. Quant
à l'original grec de receptaculum, une piste est offerte par la traduction
du Timée due à Calcidius ; car cet auteur rend ainsi, à deux reprises
(49 a et p a, éd. Waszink, p. 46, 20 et 49, 8; cf. aussi 50 e, p. 48, 24), le
mot t'ma8o:x_~, par lequel Platon désigne le principe matériel du monde,
le ccréceptacle ll de toute génération ; la ressemblance avec Cicéron
est d'autant plus notable que, dans son commentaire, Calcidius choisit
le même mot receptaculum pour exprimer le rapport du corps humain
à l'âme correspondante : « Consequenter deinde iubet factis a se
diis, id est stellis, fingere humana corpora (Tim. 42 d) anima-
rum competentium receptacula >> (In Plat. Tim. ,omment. 2.01, éd.
LE CORPS COMME VASE DE L'ÂME 123
implique (Alexandre d' Aphrodise, Plotin, Porphyre, etc. )1.
Dans sa forme précise, elle n'est pas très ancienne, et on ne
la fait pas, d'ordinaire, remonter plus haut que l'époque
de Cicéron. En réalité, un témoignage montre qu'elle est
un peu antérieure. En De ciu. dei XIX 32, Augustin rapporte
en effet au Liber de philosophia de Varron une discussion
sur diverses comparaisons plus ou moins propres à illustrer
le rapport du corps et de l'âme ; selon l'une d'elles, le corps
serait à l'âme comme la coupe au breuvage, sicut poculum
(ou calix) ad potionem. Sans doute le mot «coupe» est-il
plus spécifié que le mot « vase » ; mais il est clair qu'il
s'agit bien de la même image que chez Cicéron 3 • Avec une

Waszink, p. 220, 18-221, 1). Toutefois, l'exemple de Calcidius ne


garantit pas que Cicéron, quant à lui, ait également visé à rendre le
grec u-,,;o/Soxiiquand il écrit receptacu!um; cependant, une phrase du
De nat. deorum II 54, 136 donne à penser qu'il en est bien ainsi ; en
effet, décrivant le mécanisme de la nutrition, Cicéron y écrit : « Sed
cum alui natura subiecta stomacho cibi et potionis sit receptaculum, •.• » ;
or, il est facile de constater, comme le montre le parallélisme des
mots soulignés, que Cicéron, excellent connaisseur du Timée qu'il
avait lui aussi traduit, a alors dans l'esprit une phrase du dialogue, 73 a:
(les dieux) 'r'ÎÎ -.oü m:ptyevricroµ.évou-,,;6.)µ.cc-.oç è8écrµ.cc't'6ç n ll;et
TIJVOVOIJ.CC~OIJ,éVl)V X.<X'>W X.OtÀLCCV u-,,;o/SOX'fJV (cf. GALIEN,
~fü:crccv
De usu part. 4, 7, éd. Helmreich, I, p. 204, 13-14) ; on voit que Cicéron
traduit là par receptaculum le grec u-,,;08ox71 ; sans doute a-t-il fait de
même en Tuscul. I 22, 52. Du corpus... quasi... animi receptaculum de
Cicéron, on rapprochera enfin SYNÉsrns, Caluit. encom. 6, 69 B, éd.
Terzaghi, p. 201, 15-17 : se flattant de ressembler à Silène, Socrate
avait fait de sa tête le « réceptacle de l'intellect », voü 8oxefov.
(1) Références dans F. HusNER, op. cil., p. 77-84 ; A. S. L. FAR-
QUHARSON,The Meditalions of the Emperor Marcus Antoninus, Oxford
1944, II, p. 556-557; H. DoRRIE, op. cil., p. 80-81 ; M. ALEXANDRE,
trad. du De congressu de Philon dans la collection lyonnaise (n° 16,
1967), p. 120, n. 2 ; P. CouRCELLE,art. cit., p. 117-118 et notes ;
et aussi mon article Une nouvelle source de saint Augustin: le ~îJ't'"/lfLCC de
Porphyre<<Sur l'union del'âme etdu corps», dans Revue des Études anciennes,
66, 1964, p. 57, n. 3, p. 64, p. 66, n. 4. Ajouter PLUTARQUE, De !ibid.
et aegrit. 6, éd. Pohlenz, p. 41, 14-20 (Diodote). L'un des textes de
Philon, De migr. Abrah. 35, 193, a été cité supra, p. 90, note (2).
(2) Cité supra, p. 67, note (o).
(3) L'identité des deux comparaisons ressort par exemple de
divers textes où Tertullien les entremêle ; ainsi Adu. Marc. V 10,
13, éd. Kroymann, p. 609, 2-5 : « Venenum dare scelus est, calix
124 LE I" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

différence capitale cependant : à l'inverse de Cicéron, Varron


ne signalait cette comparaison que pour la rejeter, l'estimant
solidaire d'une définition de l'homme par son corps seul.
Or il est très vraisemblable que cette image, comme les
autres et les doctrines qu'elles illustrent, fut empruntée
par Varron à Antiochus 1 ; en d'autres termes, Antiochus
devait connaître, et condamner, une théorie des rapports
de l'âme et du corps associée à l'image du vase ; ce ne peut

tamen, in quo datur, reus non est. Ita et corpus carnalium operum uas
est, anima est autem, quae in illo uenenum alicuius mali facti tem-
perat » ; De re.rurr.carnis 16, 8-13, éd. Evans, p. 4:z : « carnem [... ]
uice potius ua.rculi adparere animae, ut instrumentum non ut
ministerium : itaque animae solius iudicium praesidere, qualiter usa
sit ua.rcu!ocarnis, ua.rculumuero ipsum non esse sententiae obnoxium :
quia nec calicemdamnari si quis eum ueneno temperarit » (thèse des
adversaires) ; 16, 38-44, p. 44 : « etsi uas uocatur [se. : caro] apud
apostolum, quod iubet in honore tractari, eadem tamen ab eodem
homo exterior appellatur [cf. I Thess. 4, 4 et Il Cor. 4, 16], ille scilicet
limus qui prior titulo honùnis incisus est, non calicis aut gladii aut
ua.rculiullius. Va.r enim capacitatis nonùne dicta est qua animam
capit et continet, homo uero de communione naturae quae eam non
instrumentum in operationibus praestat sed ministerium » (thèse de
Tertullien, qui contredit celle de l'Adu. Marc., sans que cela importe
ici; on notera chez les adversaires de T., comme dans l'Alcib., une
conception instrumentiste du corps, ce qui confirme que les images
de la coupe et du vase cadrent avec cette conception ; sur le corps
comme «homme extérieur», voir aussi Porphyre cité.rupra, p. 102-103).
En De an. 40, :z-3, éd. Waszink, p. 56, :z:z-n, 1, T. revient à sa position
de l'Adu. Marc., avec l'image de la coupe : <C[caro] ministerium est,
et nùnisterium non quale seruus uel nùnor anùcus, animalia nonùna,
sed quale calix [..•] Adeo nulla proprietas honùnis in choico, nec ita
caro homo tamquam alia uis animae et alia persona, sed res est alterius
plane substantiae et alterius condicionis, addicta tamen animae ut
suppellex, ut instrumentum in officia uitae >>; ce refus d'identifier
le corps à l'homme, sa relégation au rang d'instrument placent T.
parnù les héritiers del' Alcib. Dans son commentaire ad /oc., p. 451-45 z,
]. H. Waszink a bien vu que l'image du calix pour désigner le corps est
une variante de celle du vase ; mais on ne peut dire qu'elle ne se trouve
pas avant T., puisqu'on l'a vue, en substance, chez Varron et très
probablement chez Antiochus.
(1) Admis par G. LANGENBERG, op. cit., p. 59. Peut-être l'image
du vase pour désigner le corps dans son rapport à l'âme venait-elle
encore dans un passage des Antiq. rer. diuin. de Varron, cf. AUGUSTIN,
Ds ciu. dei VII 5, cité .rupra,p. 17 et note (z).
L'ANTIPLATONISME D'ANTIOCHUS 125

être de lui que Cicéron s'inspire quand il prend à son


compte l'usage de la même image.
Un certain nombre d'indices donnent donc à penser que
l'anthropologie platonicienne du Songe de Scipion et de
Tuscul. I ne peut avoir été recommandée à Cicéron par
Antiochus d'Ascalon. C'est d'ailleurs le contraire qui eût
été surprenant, puisque, sur la définition de l'homme,
ces textes divergent nettement du De fin. IV et V où l'influ-
ence d' Antiochus est patente. Il n'est pas question de nier
les emprunts considérables de Cicéron à Antiochus, mais
de les localiser là où ils sont ; ils ne doivent pas faire
oublier les nombreuses critiques adressées au second par
le premier 1 • C'est une réaction du même genre que semblent
marquer les conceptions anthropologiques caractéristiques
de la seconde attitude de Cicéron : un retour à la tradition
platonicienne, et un désaveu de l'infidélité par laquelle
Antiochus s'était écarté du platonisme 2 • Si ce dernier
philosophe ne peut avoir été, sinon a contrario,l'intermé-
diaire entre l'anthropologie platonicienne et les textes du
Songe ou de Tuscul. l, comment expliquer sur ce point le
platonisme de Cicéron? Parmi les diverses hypothèses
possibles, celle d'une connaissance directe des grands

(1) De fin. V, on le sait, comporte un long morceau (25, n-28, 86)


où Cicéron reproche son incohérence à l'exposé antiochéen de Pison,
et rejette notamment la distinction, capitale chez Antiochus, entre
uila beala et uita beati.rsima; même critique en Tuscul. V, cf. supra,
p. 61. Noter Tuscul. V 8, 22: « ista mihi et cum Antiocho saepe et cum
Aristo nuper [... ] dissensio fuit» ( = fgt 81 LucK, p. 92).
(2) L'antiplatonisme d'Antiochus est avéré sur certains points ;
par exemple, De fin. IV 15, 42, dont on sait l'inspiration antiochéenne,
contient une critique de la théorie des Idées défendue par « certains
philosophes », lesquels sont assimilés aux stoïciens pour la définition
du souverain bien. En définitive, les déclarations de Cicéron sur
Antiochus tout ensemble Academicus et germani.rsimus Stoicus (Lucullus
43, 132, = fgt 52 LucK, p. 85) sont à entendre avec précaution :
<<académicien» n'est pas «platonicien» ; quant à l'antistoïcisme
d' Antiochus, on l'a vu en De fin. IV, cf. supra, p. 57-5 8, pour la défini-
tion de l'homme et celle du souverain bien ; cf. encore Lucullus 43,
133-134, = fgts 85, p. 94, et 80, p. 92, etc.
126 LE l" ALCIBIADE ET SA POSTÉRITÉ

textes platoniciens ou pseudo-platoniciens n'est pas la


moins probable 1 ; elle rendrait compte, de la façon la
plus économique, des ressemblances notables que l'on a
signalées entre les pages cicéroniennes et, par exemple,
le Jer Alcibiade. Toutefois, l'éventualité d'un contact
immédiat n'exclut pas, parallèlement à lui et sans doute
avant lui, l'intervention de divers relais. Puisque la deuxième
attitude de Cicéron dément l'anthropologie d' Antiochus,
et que celle-ci s'oppose, non seulement aux thèses plato-
niciennes, mais, comme il ressort du De fin. IV, à la
philosophie du Portique, il est normal de se demander
maintenant d'une part si les stoïciens n'ont pas épousé
les vues du Jer Alcibiade, d'autre part s'ils ne pourraient
être, de ce fait, peu ou prou à l'origine des définitions
de l'homme dans le Songe et en Tuscul. I. En parcourant
plus haut quelques-unes des étapes de l'influence exercée
par le dialogue grec, on est passé d'Aristote à Philon, sans
rien dire de la période hellénistique ; l'examen de l'ancien
stoïcisme va permettre de meubler une partie de ce vide.

(1) Cette hypothèse vaut, non seulement pour l'A!cib., mais aussi
pour les pages sûrement platoniciennes où s'exprime la même anthropo-
logie, et que l'on a vues supra, p. 78-80 ; Cicéron connaît (( de première
main» notamment Phédon 115 c sq. et Lois XII 959 ab (qu'il cite
respectivement en Tuscul. I 43, 102 sq. et De leg. II 2.7, 68), comme le
rappelle E . .KAPP,Deum te sûto esse?, dans Hermes, 87, 1959, p. 132..
CHAPITRE IV

DU Jer ALCIBIADE A CICÉRON


L'ANTHROPOLOGIE STOICIENNE
..

l. L'ANCIEN STOÏCISME

Le témoignage d'Épiphane sur Cléanthe commence


par deux données importantes pour notre enquête :
IO.e:ocv0'Y)ç
-rà &yrx0àvxrxl XIXÀOV),.éye:ie:!vrxt-rocç~aovocç,xrxt
&.v0pw7tovb<ocÀe:t
µ6v'Yjvniv ljiux_~v1 . La deuxième notation

rejoint de façon frappante l' Alcib. 130 c. La première


fait difficulté ; elle rapporte à Cléanthe une position qui
est en réalité celle d'Épicure2, et que les stoïciens ont
combattue d'emblée 3 • Il n'en reste pas moins que, de
l'aveu même de Chrysippe, bien des gens tiennent le
plaisir pour un bien, dont il a toutes les apparences 4 ;
aussi ce philosophe a-t-il consacré plusieurs traités à

(1) ÉPIPHANE, Panar. III 2, 9, = DIELS, Doxogr., p. 592, 30-31, =


SVF I 538, p, 123, 7-8.
(2) Cf. ÉPICURE, EpiJt. Ill ad Men., apud DroG. LAËRCE, X 129,
éd. von der Mühll, p. 47, 22-23 : Ilifoc.t ouv 1i8ov'!)[...] ixyc.t06v; de
même teslim. 397, 399, 402, 404, 427, 450, 452 UsENER.
(3) Chrysippe a répété que le plaisir n'est pas un bien ; ainsi SVF III
156 et 158. A la formule attribuée à Cléanthe, comparer notamment
PLUTARQUE, De Stoic. repugn. 15, 1040 D, = SVFIII 157, p. 37, 20-22:
Chrysippe objectait à Platon que toutes les vertus sont détruites si
on laisse dire que le plaisir, qui n'est pas l'honnête, est un bien (&.v-1J
'TT)\I'Yj()DV'!)\I [ ... ], a µ'!) Xc.tA6vfonv, &.yc.t6àv IX7tOAbtwµev).
(4) Cf. SVF III 229 a et 230, p. 55, 9-11 et 34-36; 236, p. 56, 36-37;
394, p. 95, 43-96, z; 474, p. 125, 4-8.
128 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

confronter le plaisir avec l'honnête et avec le bien 1 ; bien


plus, il a concédé que le plaisir peut être un bien, mais non
pas le bien, ce dernier caractère étant réservé à l'honnête 2 •
A la lumière de ces précisions, la première affirmation
d'Épiphane apparaît déjà moins extravagante. Mais il
peut aussi n'avoir pas pris "t'Ox<XMv dans l'acception
stoïcienne technique de « l'honnête », et avoir entendu
"t'O&.y<X6ov x<XLx<XÀ6vau sens courant ; son témoignage
signifierait alors : « Cléanthe dit que ce qui est bon et
beau, voilà les vrais plaisirs ». Cette explication semble
moins sommaire que celle qui fait fonds simplement sur
les erreurs tendancieuses dont Épiphane est coutumier 3 ;
elle permet de relier sans difficulté le premier propos au
second : pour montrer que les véritables plaisirs de
l'homme sont effectivement le bon et le beau, Cléanthe
pouvait arguer de façon cohérente que, selon lui, l'homme
se définit par sa seule âme. Aussi bien, si cette dernière
opinion se rattache, comme il est très probable, au
Jer Alcibiade, la précédente pourrait à son tour en provenir
de quelque manière ; on a vu en effet 4 que le maniement
des concepts d' &.y<X66v et de x<XMv est fréquent dans le
dialogue.
En tout cas, que Cléanthe ait appelé « homme » l'âme
seule est rendu tout à fait vraisemblable, indépendamment
d'Épiphane, par le témoignage de Cicéron attribuant la
même représentation à Chrysippe 5 • Dès le me siècle, le

(1) Voir SVF II 18, p. 10, 3-5.


(2) PLUTARQUE,ibid. 1040 C, = SVF III 2.3, p. 8, 15-16: µd~ov
ixyoc6ov [... ] 1:0 xocÀov xoct 1:0 Blxocwvtjç 1}8ov-ïjç; de même p. 8,
18-19. Plutarque exploite la contradiction qu'il croit sutprendre sur
ce point chez Chrysippe.
(3)_ Exemple de la deuxième solution chez A. BONHOFFER,Epictet
und die Stoa. Unter.ruchungenzur .rtoi.rchenPhi/o.rophie, Stuttgart 1890,
p. 34 i sut la médiocrité d'Épiphane doxographe, cf. H. DrnLs
Doxographigraeci, Berolini 1879, Proleg., p. 175-1 77. '
(4) Supra, p. 72.
(5) Cf . .rupra, p. 57 et note (4) (noter que chez Cicéron, la
définition de l'homme se trouve en rapport aveJ le .rummum bonum,
L'HOMME DÉFINI PAR SON ÂME 129
stoïcisme avait adopté sur ce point l'anthropologie plato-
nicienne ; avec toutefois, bien vue par Bonhôffer1, une
différence dans la motivation, la dévaluation du corps
étant d'ordre éthique chez les stoïciens, alors que, dans
le platonisme, elle procédait davantage de considérations
métaphysiques, de la conviction que la seule vraie réalité
appartient aux Idées. Or il n'est pas douteux que cette
composante platonicienne de l'ancien stoïcisme devait
s'alimenter principalement au Jer Alcibiade; aux rapproche-
ments qui viennent d'être signalés, il convient d'ajouter
celui-ci : lorsque, selon le témoignage d'Épiphane encore,
Zénon assignait à la divinité, comme sa seule véritable
résidence, l'intellect humain, mieux, le regardait comme
Dieu 2, il se rencontrait de façon frappante avec l'auteur du

tout comme elle l'est avec l'&yocOov xoctxocMvchez Épiphane). On peut


renforcer le témoignage de Cicéron sur Chrysippe par un passage
du Ile:pt ,Jivx'ijç de ce philosophe, conservé par GALIEN, De p/aç.
Hippo.r. et Plat. II 2, = SVP II 895, p. 245, 14 sq.: selon Chrysippe,
les mouvements de la bouche qui prononce le mot tyw indiquent que
le cœur est le siège du ccmoi J>, lequel est donné pour identique à
l'~ye:µovix6v et à la lh&voux.Une citation textuelle empruntée au IIe: pt
TOÜxocO~xovToç du même philosophe et sauvée par SEXTUSEMPIR.,
Adu. mathem. XI 194, = SVP III 752, p. 187, 1-2, montre de façon
concourante qu'il regardait le corps comme n'étant rien pour nous,
à l'égal des ongles et des cheveux: à nos parents morts, nous donnerons
les tombes les plus simples possible, &ç &vToÜcrwµocToçxocO&rre:p llvv-
xoç ~ TPLXW'I où8èv llvToç rrpoç ~µiiç. De la définition de l'homme
par Cléanthe, I. HEINEMANN,op. cil., II, p. 3 12, rapproche encore
SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. IX 90, = SVF I 529, p. 120, 11-12 :
l'auteur stoïcien, parlant des soins exigés par le corps, regarde celui-ci
comme distinct de nous, à la façon d'un tyran cruel qui nous tient
sous sa coupe.
(1) Op. rit., p. 34.
(2) ÉPIPHANE, Panar. III z, 9, = DrnLS, Doxogr., p. 592, 21-22, =
SVP I 146, p. 40, 3-5 : Z~vwv [ ...] ~'l'l"/J
µ~ 8dv 0e:oîç otxo8oµdv Le:p&,
&_)J.'~XE:LV
TOOdov èv µ6vep -.0 v0, µii)J.ov 8è fü:o'I~ye:fo0ocL
't"OV
voüv;
cf. encore Chrysippe en SVF II 1077, p. 315, 29, et III 606, p. 157,
18-19, = DrnG. LAËRCE, VII 119 : Odovç Te: e:1vocL [s,.: ToÙç crrrov-
yà:p év éocvToÏ:çolove:t0e:6v.A. J. FESTUGIÈRE,La révé-
8oclovç] • ~Xe:Lv
lation d'Hermès Trismégiste, II: Le dieu cosmique,collect. ccÉtudes bibli-
ques », Paris 1949, p. 272 et n. 2, a bien vu l'inspiration platonicienne de
Zénon sur ce point ; mais le Timée 90 ,, qu'il invoque, semble moins
130 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

dialogue, 133 c; en même temps, il annonçait de façon


non moins reconnaissable le Deum te igitur .rcito e.r.reet
autres formules cicéroniennes du même genre.
Un autre thème usuel dans l'ancien stoïcisme mérite
d'être mentionné ici, bien qu'il soit absent, en tant que
tel, de l' Alcibiade : l'idée d'une correspondance entre la
façon dont l'esprit humain exerce son commandement sur
le corps et celle dont le Dieu suprême régit le monde ;
car on a relevé cette notation dans le Songe de Scipion1
aussi bien que, dans un contexte très semblable, chez
Philon 2 ; c'est le signe qu'elle s'est trouvée de bonne
heure associée à la définition de l'homme par l'âme seule.
Or trois témoignages au moins attribuent aux stoïciens
classiques le même rapprochement entre la présence de
l'intellect divin dans le corps du monde et la présence de
l'âme dans le corps humain ou animal3. Peut-être trouvera-

caractéristique que l' Alcib. ; il faudrait aussi rapprocher ARISTOTE,


Protrept., fgt 10 ç 1°, cité supra, p. 80, note (4). On voit que les
premiers stoïciens, dans la postérité de l' Alcib., prennent place aussitôt
après Aristote, et, tout compte fait, plus nettement que lui.
(1) Somn. Scip. 8, 26, cité supra, p. 60, note (2); cf. p. 75, note (2).
(2) De migr. Abrah. 33, 186, cité supra, p. 89 et note (2) ;
noter en 3 5, 192-193 des réserves sur le parallélisme de l'intellect humain
et de Dieu. Et aussi De fuga et inuent. 8, 46, cité supra, p. 91 et note (1).
(3) ÉPIPHANE, Panar. I 5, dans DrnLs, Doxogr., p. 588, 4-6: Kat
~'l'ùHKOtµèv qipovoüm 1te:pL0e:6nJ't'OÇ 't'OÙ't'O
qioccrKOV't'EÇdvat voüv 'l'OV
0e:ov xod 1tavToç 't'OÜôpc.>µivouKU't'ouçoùpavoü T€ q>'l)[Lt xat y'ijç xat
'l'W\/ &.UNv &ç tv crwµa't't l)iux1iv; de même prooem., p. 587, 17-18;
on ne voit pas pourquoi ces textes semblent absents des SVP; à noter,
pour le corps du monde, la métaphore du récipient (xthoc;), toute
proche de la comparaison du uas et du receptaculum de Tuscul. I
22, 52, et d'ailleurs platonicienne, cf. supra, p. 71, note (2). DrnG.
LAËRCE, VII 138, = SVP II 634, p. 192, 1-4: Tov 8~ x6crµov <8Pot-
xe:fo0at Xll:TCXvoüv xahrp6vmav, xa0oc (jl'l)Cl't Xpucrt1t1toc;tv 't'OÎÇIle: pt
1tpovo(ctc; [... ), Etc;&m:tvct\J't'OÙµipoç 8t7jKO\/'t'OÇ 't'OÜ',IOÜ,xctOoc1te:p
tqi' 'Y)[LWV rijc; l)iux'ijç. ALEX. n' APHROD., De mixt., p. 226, 10 sq., =
sVF II 1041, P· 308, 36-40: e:t ycxp a{hNc; o Oe:oc;µtµixTctt tji ,:,:,..TI,
Ka't'' l)(\J't'OUÇ,&c;!-.,'t'OÎÇ~t;iotc;'Yll)iux~ Téj:,crwµaTt, [... ] d8oc; <OÎ>T>ù>Ç
&v ÀÉyote:vaùrijc; Tov 0e6v, &c; ~v l)iux-!Jv-roi3crwµctToc;(voir aussi
Diogène de Babyl. apud PmLODÈME,De piet. 15, = SVP III ;3, p. 217,
L'ÂME HUMAINE ET L'ÂME DU MONDE 131
t-on insuffisante une attestation limitée à ces trois textes ;
il conviendrait alors d'observer que l'idée de ce rapproche-
ment, sous une forme plus elliptique, mais bien reconnais-
sable, se trouve déjà incluse dans l'habitude stoïcienne
- cautionnée, celle-ci, par de multiples documents 1 -
d'identifier la divinité à l'âme ou à l'intellect du monde.
Sans doute l'homologie discernée entre l'âme humaine
et la divine âme de l'univers est-elle d'abord une ·thèse
platonicienne, clairement exprimée par exemple en Lois X
896 a-899 d 2 ; mais il n'est certainement pas indifférent de

10-12, = DœLs, Doxogr., p. 548 b-549 b: '!OVx6crµov [... ] m:ptéze:w


'!OV ~la; (identifié à l'âme du monde) xct6cbt"e:p&v6pCùi't"OV q;ux1iv).
L'idée se retrouvera largement dans le stoïcisme tardif ; ainsi
MANILIUS,Astron. IV 886 sq. : le corps et l'esprit de l'homme sont la
réplique du corps du monde et du spiritus divin; 893-895 : « Quid
mirum, noscere mundum J si possunt homines, quibus est et mundus
in ipsis I exemplumque dei quisque est in imagine parua? » ; on
rapprochera le dernier vers de CicÉRON, De leg. I 22, 59, cité supra,
p. 59, note (1), sur l'esprit de l'homme comme simulacrum divin ;
cf. aussi p. 88, note (2), p. 90, note (o), p. 106, note (1) ;
SÉNÈQUE, Epi.ri. 65, 24: <<Quem in hoc mundo locum deus obtinet,
hune in homine animus : quod est illic materia, id in nabis corpus est.
Seruiant ergo deteriora melioribus » ; CORNUTUS, Theo/. graecae comp. 2,
éd. Lang, p. 3, 3-5 : "[lcr-n:e:p8è: ~µe:i:c;ûr.è q;uz~c; 8tOLKOUµe:6ct,
o{l'!(J)Kctt 6 x6crµoc; q;ux-Jivfxe:L '17)V0"1J\IÉ:X01JO"ct\l
cti'.i'!6v,KO:La;Ô'TTl
xctÀe:Î:'!ctLZe:uc;.
(1) Ainsi SVP I 157, p. 42, 7-8 (Zénon); HO et 532, p. 120, 22
et 37-38, p. 121, 4-5 (Cléanthe) ; II 613, p. 187, 13 ; 1076 et 1077,
p. 315, 3-4 et 29-30 (Chrysippe) ; III 31, p. 216, 32-33 (Diogéne de
Babyl.), etc. Cette thèse elle aussi reparaît chez PHILON, Leg. alleg.
I 29, 91, I, p. 8 5, 11-1 2 : •H ydtp '!WV/>),wvq;ux-Ji6 6e:6c;Ècr'!LXct'!OC
~\1\/ota;v; Philon a dit auparavant que l'intellect humain, tout comme
l' œil, saisit les autres êtres, mais ne se connaît pas lui-même ; c'est
la comparaison même de Tu.rcul. I 27, 67, dont on a vu, .rupra, p. 76,
note (1), qu'elle peut avoir rapport à l'Alcib. La men.r mundi est
également divinisée en Somn. Scip. 4, 17 par son identification au soleil ;
or cette représentation vient de Cléanthe, comme l'a fortement établi
P. BoYANCÉ,Étudu sur le Songe de Scipion, p. 78 sq., surtout 86-92.
Voir encore le commentaire d'A. RoNCONI, Cicerone, Somnium Sci-
pioni.r, dans c<Testi greci e latini ... ed. dagli Istit. di Filol. class .... di
Firenze ll, 2, Firenze 1961, p. 102 et 136.
(2) Cf. P. BoYANCÉ,Sur /'exégèse hellénistique du ccPhèdre)>... , p. 49,
à qui j'emprunte aussi les textes de Sénèque et de Cornutus cités .r11pra,
p. 131, note (o). Noter que ces pages des Loi.r font intervenir
132 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

savoir que celle-ci a été accueillie par les stoïciens, en


conjonction avec ces autres dogmes platoniciens que sont
la définition de l'homme par l'âme seule et la divinité de
l'intellect humain ; or c'est l'assemblage de ces trois
croyances qui fait l'essentiel des textes considérés du
Songede Scipion et du Jer livre des Tusculanes.
Une observation analogue s'imposerait enfin à propos
de la classification des biens. On sait que les stoïciens, s'ils
ont gardé sur ce point le caractère ternaire de la classification
péripatéticienne (qui est aussi celle d'Antiochus)1, en
ont profondément modifié le contenu : ils refusent de
compter pour des biens les avantages du corps 2, et aussi
ceux de l'extérieur, du moins dans le sens que les péri-
patéticiens donnaient à ceux-ci (richesse, honneurs,
noblesse, etc.). Ce faisant, ils accentuent une tendance que
l'on a observée dans le platonisme aussi bien que dans
le Jer Alcibiade, où le souci du corps et celui de la fortune

largement la considération de l'automotricité de l'âme, qui est juste-


ment l'argument central du texte du Phèdre traduit en Somn. Scip.
et T u.rcul.I.
( 1) Dans le stoïcisme, les biens se répartissent en trois classes, selon
qu'ils concernent l'âme (vertus et bonnes actions), ou l'extérieur
(relations d'amitié et de famille), ou ne concernent ni l'âme ni l'extérieur
(l'homme de bien dans son rapport à lui-même) ; cf. SVF III 96,
97 et 97 a, à quoi il faut ajouter SEXTUS EMPIR., Hypot. pyrrhon. III 181.
On notera que la constitution de la troisième catégorie de biens amène
les stoïciens à renier dans une certaine mesure leur définition de
l'homme par l'âme seule ; car le fait que les biens relatifs à l'âme ne
concernent pas l'homme dans son rapport à lui-même suppose qu'il
ne se réduit pas à son âme, mais se compose d'une âme et d'un corps ;
c'est ce que dit SEXTUS EMPIR., Adu. mathem. XI 46, = SVF III 96,
p. 2.3,42.-2.4,2. : OUTE:
3è n-e:pt<Jiux~vOUTE: èx-roç O::l>TO'I
TO'Icrn-ou3o::1:ov
&v8pwn-ovOOÇ n-poç écxu-r6v· OUT& yocp èx-roç É:<XU"t"OÜ3uvo::TO'Ie:Ivcxt
<Xll"t"O'I
oihe; n-e:pt <Jiux-fiv
. èx yocp <Jiux'ijçX<XLcrci>µo::-roç
cruvécrnixe:v.
De cette entorse commise par les stoïciens à l'endroit de leur anthro-
pologie coutumière, on rapprochera le témoignage polémique de
LucrEN, Vit. auct. 2.î, où l'on voit Chrysippe susciter une réponse
affirmative à la question ~ù 3è: cr&µtXe:t;
µiv-rm n-e:ptcr&µ,x,&
(2) SExTus EMPIR., Hypot. pyrrhon. III 181 : -i-oc
<pcxmvol èx -roü m:p11tci.-rou &ycx8ocdvcx1, ou <p<Xcrtv&ycx86.; de même
SVF III 96, p. 23, 38-39.
LA THÉORIE DES BIENS 133
étaient écartés du souci de soi. Mais on a vu que la deuxième
attitude de Cicéron s'assortit elle aussi d'une critique de la
tripartition des biens selon Antiochus, et d'une répudiation
des biens corporels et extérieurs prétendus nécessaires à la
tlita beatissima1 ; en sorte que, sur ce point encore, le
platonisme de Cicéron pourrait avoir été facilité par les
affinités platoniciennes de l'ancien stoïcisme 2•

Il. LE STOICISME IMPÉRIAL

Les stoïciens plus récents conserveront beaucoup de cet


héritage platonicien. L'éloge de la vie post mortem tient
naturellement une grande place dans les Consolations de
Sénèque ; il s'accompagne normalement de la conviction
que le corps ne fait pas plus partie de l'homme que son
vêtement, et que l'âme qui s'évade du cadavre est le tout
de l'homme ; c'est ce que l'on voit par exemple dans une
page de la Consolation à Marcia, où perce probablement
le souvenir du Songe de Scipion3• Dans le De uita et poesi

(1) Cf. supra, p. 61, p. 125 et note (1).


(2) Les stoïciens avaient bien conscience d'être sur ce point les
continuateurs de Platon; selon CLÉMENTn'ALEx., Strom. V 14, =
SVP III 56, p. 252, 31-34, Antipater de Tarse, stoïcien du ne siècle
avant notre ère, produisait beaucoup d'exemples de consonance doc-
trinale entre Platon et le stoïcisme, et avait notamment consacré
trois livres à montrer 6·n KŒ-ràr.In&.-roo11Œµ611011-ro KŒÀOII cxyŒ6611.
(3) SÉNÈQUE, Ad Marc. de consol. 25, 1 : (<Proinde non est quod ad
sepulcrum filii tui curras : pessima eius et ipsi molestissima istic
iacent, ossa cineresque, non magis illius partes quam uestes aliaque
tegimenta corporum. Integer ille nihilque in terris relinquens sui fugit
et totus excessit )), etc. ; de même Epist. 102, 22 : <(Cum uenerit dies
ille qui mixtum hoc diuini humanique secernat, corpus hic ubi inueni
relinquam, ipse me diis reddam » ; cf. F. HusNER, op. cit., p. 85-86 ;
le rapprochement avec Somn. Scip. 26 est admis par K. A»EL, Posei-
donios und Senecas Trostschrift an Marcia (dia!. 6, 24, 5 if.), dans Rhein.
Museum, 107, 1964, p. 224. Autre idée concourante : le propre de
l'homme est la raison, qui le place avant les animaux et tout près des
dieux ; ainsi Epist. 76, 9-10 : (<Ratio : hac antecedit animalia, deos
sequitur. Ratio ergo perfecta proprium bonum est [... ] Quid est in

10
134 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

Homeri du pseudo-Plutarque, daté habituellement du


ne siècle de notre ère, se manifeste une philosophie
éclectique à dominante stoïcienne ; aussi n'est-on pas étonné
de retrouver dans ce traité la définition de l'homme par
l'âme seule ; l'idée est maintenant attribuée à Homère, sur
la foi de deux passages du chant XI de l'Oqyssée(première
nékyia) : aux vers 90-91, la tux~de Tirésias est affectée d'un
participe masculin (gx(J}v),pour faire entendre que Tirésias
était identique à son âme ; aux vers 601-602, on observe
un dédoublement entre l'image d'Héraclès présente dans
l'Hadès et le héros lui-même qui festoie chez les dieux ;
c'est dire que l'image, réplique inconsistante du corps,
était un faux Héraclès, le vrai s'identifiant à la partie la
plus pure de son âme, absente des enfers 1 • On se souvient

homine proprium? Ratio )), etc. Autre thème encore, hérité de Zénon
et de Chrysippe (cf. supra, p. 129 et note (2), et à rapprocher pareillement
de l'ingenium... sicut simulacrum de CrcÉRON, De leg. l 22, 59 : le cœur
de l'homme comme temple consacré à la divinité ; ainsi S&"!ÈQUE,
fgt 123 HAASE, p. 444, = LACTANCE,Diuin. instit. VI 25, 3 : <<Non
templa illi [se.: deo] congestis in altitudinem saxis exstruenda sunt:
in suo cuique consecrandus est pectore li (souvenir chez Mrnucrus
FÉLIX, Octau. 32, 2) ; cf. encore SÉNÈQUE,Epi.ri. 31, 11 ; 41, 2 ; et
J. HAUSSLEITER,art. cit., col. 804-806. - On peut signaler ici, faute
de savoir où le faire mieux ailleurs, que la définition de l'homme par
l'âme seule apparaît très clairement dans une page de la littérature
hermétique ; aussi bien, W. SCOTT, Hermetica, t. III, Oxford 1926,
p. 225, note ad foc., a rapproché celle-ci de SÉNÈQUE,Ad Marc. de
rnnsol. 25, 1, à quoi elle ressemble effectivement beaucoup ; du reste,
il est possible que cc soit par le canal du stoïcisme de cette époque que
la doctrine a passé chez l'hermétiste. Il s'agit de l'Asclépius 37, éd.
Nock, p. 347, 22-348, 1 : dans une sépulture du mont de Libye repose
Asclépios ; plus exactement, ce qui fut en lui l'homme terrestre, le
corps, puisque le reste, ou mieux le tout de lui, - car le tout de
l'homme consiste dans le sentiment de la vie, - s'en est retourné au
ciel [ « in quo eius iacet mundanus homo, id est corpus (reliquus
enim uel potius totus, si est homo totus in sensu uitae, melior remeauit
in caelum) »] ; ce texte est cité par AUGUSTIN,De ciu. dei VIII 26 ;
W. ScoTT, foc. cil., observe avec humour combien ce mépris du corps,
appris de la philosophie grecque, contraste avec la peine que les
anciens Égyptiens prenaient pour assurer la conservation du cadavre.
(1) [PLUTARQUE],De uita el poesi Hom. 123, éd. Bernardakis,
8è x&x.:ivo &r.éqrl)VE:V,
p. 398, 9-23 : 'Evctpyfot"ct'l"OC lh~ 'l"OV
&v0pc.mov
LA DÉVALUATION DU CORPS CHEZ ÉPICTÈTE 135
d'avoir rencontré dans le De facie de Plutarque, chez Plotin
et chez Proclus 1 une interprétation comparable des deux

Héraclès ; c'est le signe que ce passage de l'Oc/ysséeservait


depuis longtemps à illustrer l'anthropologie du Jer Alci-
biade, l'initiative en revenant sans doute à l'un des anciens
stoïciens.
Le stoïcisme impérial offre un dossier très fourni à
l'appui de l'influence doctrinale, et parfois littéraire, exercée
par le dialogue. Épictète exprime cent fois l'idée que le
corps n'est pas l'homme : tyran et meurtriers ont pouvoir
sur le corps, non sur l'homme 2 ; le corps n'est rien pour
moi 3, en sorte que la formule « moi et mon corps »4 peut
être employée sans pléonasme ; dire « mon corps » est
même trop dire, puisque le corps n'est pas mien, mais,
de par sa nature, cadavre et terre pétrie 5 ; en tout cas, chose
étrangère 6 • A ces notations sans grand relief s'en ajoutent
d'autres, plus précises et déjà rencontrées chez d'autres
auteurs : le corps est dit une prison 7 ; il est comparé à une

où8èv &.Uo -rj TIJVtJiux11vvoµlt;e:i [ ... J tvœ 8d~1J &·n iJ tJiux11l)V b


Te:ipe:crlœc;[ ... J è8~ÀCùcre:v,6-n -ro µ1:v e:Ï8ù>ÀOV, &n-e:pl)V ixn-on-e:-
n-ÀtXcrµévov -roü crwµœ-roc;,oùxé-ri -njc; èxdvou ÛÀ"IJÇèq>e:Àx6µe:vov
èq>œv-r&.t;e:-ro,-ro 81: xœ611p6>-ra('rOV
-njc; tjiuz'ijc;ixn-e:À6ov
O(\l'rOÇfiv ()
'Hp°'XÀ'ijc;; texte signalé par HusNER, op. &it., p. 141, n. 2. ; remar-
quer que le début reproduit sensiblement la phrase centrale de
l'Alâb. 130 ç,
(1) Cf. supra, p. 94, 96 et 110-112.; Proclus, qui fait également état
des vers sur Tirésias, pourrait bien s'inspirer directement du pseudo-
Plutarque ; voir encore F. BuFFIÈRE,Les mythes d'Homère et la pensée
grecque, dans <<Collect. d'études anciennes ... de l'Assoc. G. Budé>),
thèse Paris 1956, p. 404-409.
(2.) ÉPICTÈTE, Dissert. I 18, 16-17; III 13, 17 : cri: o!l, IXMIX-ro
crroµ&-riov; comparer PHILON,De Iosepho 14, 71, cité supra, p. 85 et
note (1).
(3) Ill 22, 2.1 : To cr<ùµ&-riov81:où81:vn-poc;èµé.
(4) III 2.2., 88 : êyw x°'t -ro cr&µ°' -rô èµ6v.
(5) III 10, 15 : TÔ crroµ&-rLov,-ro oùx êµ6v, -ro q>Ùcre:L ve:xp6v;
I 1, 11 : -roü-.o oùx fo-rLvcr6v, &Uà: n'"l)À6c;.
(6) IV 1, 130 ; TO awµœ IXÀÀ6-rpmv.
(7) I 2.9, 2.7-29 ; Épictète associe cette idée à la condamnation du
suicide, pour la raison que <<Dieu a besoin des hommes » ; il s'inspire
certainement du Phédon 62. be, 82 e, etc., et mentionne d'ailleurs la
136 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

coquille (xf>,,ucpoc;)
1 ; on ne montre pas l'homme en tant

qu'homme en le désignant du doigt, mais en montrant ses


jugements 2 ; ce disant, Épictète reprend exactement
l'expression du Somn. Scip. 8, 2.6 par laquelle Cicéron niait
que chacun de nous se réduisît à ea figura quae digito
demonstrari potes!. Ce dernier propos du moraliste stoïcien,
en même temps qu'il exclut le corps de l'essence de
l'homme, amorce une définition positive de celle-ci :
l'homme est identique à ses jugements ; Épictète dira
encore: à sa raison 3, à son élément raisonnable 4, et surtout
à son pouvoir de céder comme de refuser 5, à sa faculté de
choix (rrpooc(pecnc;)
6 ; d'autres fois, il identifie plus simple-

ment l'homme à une âme qui porte un cadavre 7, c'est-à-dire


au principe qui se sert du corps et des biens extérieurs 8 •
Le corps éliminé de la définition de l'homme au profit
de la seule âme, elle-même décrite comme ce qui se sert du
corps, on reconnaît les thèmes centraux du Jer Alcibiade
12.9 d-130 c; d'autres traits encore, dans les textes qui
viennent d'être rappelés, font penser au même dialogue ;
ainsi plusieurs mentions du rvw0t (j'O(U't"OV9, de l'èmµ.éÀs:LO(

captivité et la mort de Socrate. Même usage du Pbédanchez CICÉRON,


Tusml. I 30, 74, cf. supra, p. 120 et note (1).
(1) I 20, 17 ; 23, 1, deux textes de polémique antiépicurienne ;
on a vu une image très proche, d'origine platonicienne, dans plusieurs
passages de Philon, cf. supra, p. 85 et note (1).
(2) Ill 2, 12 : "Av0pc,moi; ycxp 8ctXTtlÀCjloô 8.:b-:\IUTOCL [ .•.], ci).).'
OTIX\ITLÇTCX 86yµctTIXIXÔTOÜ 8.:lçn, T6TE<XùTà\looi;&v0p<.ù7t0\I~8ELÇE\I ;
voir le texte de Cicéron supra, p. 60, note (2).
(3) IV 11, 33.
(4) III 1, 26.
(5) I 1, 12 ; cf. aussi II 14, 22.
(6) I 18, 17 ; III 1, 40 ; IV 5, 11.
(7) Fgt 26 ScHENKL,p. 420, = MARC-AURÈLE,IV 41 : 'Yux&pLO\I
.:! l3ixaT&,ov v.:xp6v ; comparer ARISTOTE,Prolrept., fgt 1 o b Ross,
p. 41-42.
(8) II 12, 20-21: Tà IXÙTOÎ<; \Ill 6.lctTOUTOL<; [•••]- 'Apix
XPW(J.!:\10\1
ye ~v (YUXlJV ÀÉ:y.:Li;;- 'Op0wi;; IV 7, 31-32: loin d'être le cadavre
qui risque d'être jeté sans sépulture, l'homme véritable oôx foTL
acxpç oô8' oaTii oô8è \IEÜpix,<XÀÀCX Tà TOUTOti;XPW!J.€'10\1.
(9) I 18, 17 ; II 14, 19-20 ; III 1, 18 ; IV 7, 32.
NATURE DIVINE DE L'INTELLECT 137

locu-mü,qui n'est pas le soin du corps, mais de l'âmet,


enfin de la connaissance de soi comme condition nécessaire
de la véritable beauté 2 • Qu'aucune de ces analogies de
doctrine ne soit fortuite, c'est ce que montre le dernier
passage cité, dans lequel Épictète insère une citation
approximative, mais indéniable de l' Alcibiade3 • A lui seul,
ce fait donne à penser que tous les textes précédents
s'inspirent également, peu ou prou, du dialogue, qui,
partant, s'impose comme une source importante de
l'anthropologie d'Épictète 4 •
Comme presque tous les auteurs influencés par le
Jer Alcibiade, Épictète en a conservé, en les amplifiant
considérablement, les vues sur le caractère divin de l'intel-
lect de l'homme. On connaît ses multiples déclarations sur
l'homme parent de Dieu, fils de Dieu, égal aux dieux,
de Dieu 5• Deux points
fragment détaché (oc1t60"1tocaµ.oc)

(1) II 12., 19-23 (M. A. Ph. Segonds me fait remarquer que II 12, 23:
'AX>.'tX\lTOÇ
È:mµeµiÀl)<rtXL
tX\lTOÜ
; TC6Tepov
µct0wv TCtXp<X
TOU~ Eüpwv
tXÔT6ç; pourrait être en outre un souvenir d'Alcib. 106 d : Oùxoüv
TtXÜTtX µ6vov ofo0ct & nctp' &1.1.oov lµct0eç fi tXÙToçÈ:Çl)Üpeç;);III 1,
19 ; cf. Alcib. 132 bç.
(2) III 1, 24-2.6et 39-42; cf. Alcib. 131 d-132 a.
(3) III 1, 42 : 'AÀÀ' llpct T! Myet :Eooxp<XTIJ,.ç Téj> XtXÀÀ(<rT<Jl
TC<XVTOOV )((X( ooptXLOTIXT<Jl'A1.xtfü<X8'/j· Ile:tpoo Ol)VXtXÀOÇ E:ÎVtXL;
l'allusion concerne l'Akib. 131 d, où Socrate dit à Alcibiade :
1Ipo0uµoü To!vuv Il Tt X<XÀÀt<rTOÇ e:!voct.
(4) Cette évidence n'a pas été suffisamment reconnue par
A. BoNHOFFER,op. çit., p. 30-33, qui étudie pourtant plusieurs des
textes où elle apparaît ; en revanche, elle a été bien dégagée par
A. ]AGU, Épùtète et Platon. Essai sur les relations du stoïcisme et du
platonisme à propos de la morale des Entretiens, Paris 1946, p. 87-96,
103-106, 137-138. Au vrai, elle avait déjà frappé SIMPLICIUS, Comment.
in Epict. Enchir., praef., éd. Dübner, p. 3, 3-54; il résume l'anthropo-
logie d'Épictète en des termes plus proches de l' Alcib. que ne le sont
ceux d'Épictète lui-même : /ln o IXÀl)OC>ç &v0pc,moçriÀoytxî) l),ux7l
È:<rTLV, riTéj>crooµocTtWÇ6pyocvepxpooµtvl) (lignes 16-17) ; si Épictète,
ajoute-t-il, n'a pas repris la démonstration du dialogue sur ce point,
c'est qu'il la suppose connue ; Simplicius, quant à lui, tient à la
reproduire : il le fait en résumant Alcib. 129 ,-131 b.
(5) I 3, 1-3 ; 9, 1-7; 12, 26-2.7 ; 14, 6 ; 17, 27 ; II 8, 11-14, etc. ;
cf. A. ]AGU, op. dt., p. 123-126 ; É. DES PLACES, Syngeneia. La parentl
138 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

méritent d'être relevés dans cette conception de la auyyéve~ix


qui unit les hommes à Dieu. D'abord, ce ne sont pas tous
les constituants de l'homme qui attestent la parenté divine,
mais son âme1, et plus encore, dans cette âme, l'intellect
(voüç), la science, la raison, la pensée 2, le jugement, le
pouvoir de choisir 3 ; regarder la raison comme la faculté
commune à l'homme et à Dieu est banal dans le stoïcisme,
notamment à basse époque ; on doit néanmoins observer
que les stoïciens prolongent en cela une idée de l' Alcibiade.
D'autre part, une fois au moins, Épictète offre un développe-
ment intéressant sur l'homme qui porte en soi l'effigie
divine : si, en présence d'une image matérielle de Dieu, on
rougirait de certaines actions, combien plus en présence
de son image intérieure I plus qu'une statue de Zeus
ouvrée par Phidias, l'homme est l'œuvre d'art exécutée
par Zeus lui-même' ; le rapprochement s'impose avec
les textes de Cicéron et de Philon sur la raison conçue

de l'homm, avec Dieu, d'Homère à la patri.rtique, collect. « Études et


comment.», p, Paris 1964, p. 154-156.
(1) I 14, 5-6.
(2) I 3, 3 ; 9, 4-5 ; 12, 26 ; Il 8, 2.
(3) I 1, 12; 17, 25-27.
(4) II 8, 12-21 : 6e:ov m:puptpe:tç, i:&J,o:ç,xo:l &yvoe:îc;.~oxe:î:c;
µe: Mye:tv &pyupoüv w10: 'lJ xpucroüv lt~Cil6e:v ; tv cro:ui:éjlqitpe:tc;
ocù-r6v[ •.. ] Ko:l &yœÀµo:-roç µè:11TOÜ6e:oü1to:p6v-roc; OÙKa.v ,:oÀµîj<ra:LÇ
-rt -roÔTCilll 1tote:î:vw11 1tote:î:ç.Aù-roü 31: -roü 6e:oü 1to:p6v-roc; fo<.il6e:v
[ ••• ] à;),.),.'d µè:11TO &yo:Àµo:1JÇ -ro ll>s:tlllou,~ 'AO'l)vii.'lJ O Ze:ùç,
èµéµv'l)crOèèv xo:l cro:u-roüxo:l -roü -re:x11hou[ ... ] vü113é cre:o-rL o
Ze:uc;1te:1tol'l)xe:11 ... Selon F. J. DOLGER,Da.r Apollobildcben von De/phi
ais Krieg.ramulett de.r Sulla, Giiiierbildchenal.r Reiseamulette, dans Antike
und Chri.rtentum, IV, Münster 1934, p. 69-70, Épictète pense aux
amulettes à l'effigie d'un dieu. Cf. encore I 14, 14 : o 6e:oc;ltllllov ècr-rl
xo:l o uµéi:e:poc;30:lµCil11 ècri:lv. L'opposition entre l'image divine dans
l'homme et la statuaire de Phidias se trouve encore chez le contempo-
rain d'Épictète PLUTARQUE, Ad princ. inerud. 3, 780 EF : &p::(Cilll 3'
e:lx<ilv6e:oü -roü 1tœv-ro:xocrµoüv·rnç, où ll>e:illlou3e:6µe:voç1tÀch-rov-
-roç [... ], (i),.),.' ocù-roç0:ÛTOV e:lc;oµot6'r'l)'r0:6e:éi>3t' &pe-njç xo:Otcr-ràcc;
xo:l 3l)µtoupywv &yo:Àµœ-rwv-ro -l\3tcr-rovôq:,6'ij110:L xocl 6e:01tpe:1té-
cr-ro:-rov.
L'INTELLECT, EFFIGIE DIVINE 139

comme une effigie divine intérieure à l'homme 1 • Quant à


la théorie des différents biens, Épictète se réfère moins
à la tripartition proprement stoïcienne 2 qu'à la division
usuelle en biens de l'âme, du corps et de l'extérieur, qu'il
dit admise par à peu près tout le monde 3 • Entre les trois
espèces du bien, il donne naturellement la palme à celui
de l'âme : l'âme étant notre partie maîtresse, ses biens
seront les maîtres biens4, ceux dont il faut s'assurer soi-
même, tandis que l'on confie à des tiers le soin des biens
corporels et extérieurs 5 ; plus exactement, l'essence du
bien, qui ne diffère pas de celle de Dieu, n'est en rien chair
ni richesses, mais intellect et raison 6 • Autant de thèses et
d'arguments qui se situent sans aucun doute dans la ligne
du dialogue socratique.
Il est bien connu que Marc-Aurèle distingue dans
l'homme trois constituants: 1° le corps (cr&µ.o::, plus souvent
crwµ.chwv, cro::pido::,
mxpxlôwv), instrument des sensations ;
2° l'âme (~ux:fi,~ux&.ptov, mais aussi souffle, 7tVEU!J,O::, 7tVEU-
µ&:nov), siège des inclinations et des passions; 3° l'intellect
hégémonique (vouç, ~yeµ.ovix6v, également puissance de
choix, 1tpoo::ipe·nx6v),responsable des jugements 7 • Cette
tripartition n'est pas inédite ; on l'a rencontrée chez
Plutarque, à propos du mythe du Defacie, et plus ancienne-

(1) CT. supra, p. 59, note (1), p. 88, note (2), p. 90, note o, p. 106,
note (1), p. 113, note (3), p. 130, note (3).
(2) Cf. supra, p. 132-et notes (1)-(2).
(3) III 7, 2 : "0-n µ/;v yocp -rpla tcr-rl m:pl TOV&v6pc,l7t'OV, <.Jiux-Ji
xal crwµa xat -rocèx-r6ç, crx_d5ovoôadç &:v-r1Àéye:1. Même division,
plus implicite, en II 12, 18-22..
(4) III 7, 4-5 : Tl oi5vxpefocro'I tx_oµev't"ijçcrapx6ç; - T-lj'I<.Jiux-fiv,
tqi7J. - 'Aya6oc aè -rà. 't'OÜxpa-r!cr-rouxpel--r-rovcx tcr-rtv... ; de même
II 12., 2.0-2.2.: 't'O xpcx't'Lcr't'OV
't'WVO'EotU't'OÜ;
comparer Akib. 130 d:
XUpLW't'Ep6v ye; OÙ8èv&v ~µwv otÙTWV 1) -r-l)v<.jiUX,'1)'1.
ql'1)0'otLµev
(5) Il 12., 18-23 ; même notation en Alcib. 132 c.
(6) II 8, 1-3 ; I 20, 17-18 ; cf. Alcib. 131 be.
(7) MARC-AURÈLE,Medit. II 2, 1 ; III 16, 1 ; VII 16, 1-4 ; VIII 56, 1;
XII 3, 1 ; 14, 4-5.
140 L'ANTHROPOLOGIE STOÏCIENNE

ment dans le Timée, appliquée cette fois à l'univers 1 • Les


diminutifs péjoratifs par lesquels Marc-Aurèle désigne
d'ordinaire le corps et l'âme montrent déjà le peu d'estime
où il tient ces deux composants ; quant à l'intellect, bien
que les méchants eux-mêmes le prennent pour guide 2 ,
il est d'une tout autre sorte : c'est le démon que Zeus a
détaché de lui-même et donné à chacun pour maître et
guide 3, c'est une parcelle divine dont nous participons
et que nous avons à révérer 4, c'est Dieu même descendu
de l'au-delà 5•
Exaltant ainsi la nature divine de l'intellect humain,
Marc-Aurèle exploite l'un des principaux thèmes de
l' Alcibiade et de la tradition qui en est issue ; aussi n'est-on
pas étonné de le voir faire droit, sous diverses formes, à
la définition de l'homme imposée par le dialogue. Des
trois constituants que l'on a vus, les deux premiers sont
dévalués : fait de boue et de sang, percevant de façon
confuse et trompeuse des objets sensibles eux-mêmes
inconsistants, le corps n'est qu'un vase méprisable 6 ;
l'âme ou souffle se réduit au vent expiré aussitôt qu'aspiré,
à l'exhalaison du sang 7 ; l'un et l'autre échappent au

(1) Cf. supra, p. 93, p. 94, note (1), et le commentaire de


W. THEILER, Marc Aurel, Wege zu sich selbst, dans « Die Bibliothek
der alten Welt >>,Zürich 195 1, ad II 2, p. 308.
(2) III 16, 2.
(3) V 27, 1-2 : o lloc(µw1, lîv È:xcfo't'epn-pocrnîTIJVxocl 'ÎJyeµ6voc
o Zeuc; ltllwxEV&n-6an-occrµc,; 1:ocuToÜ.ÜùToc; M è:cr-rw 6 l:xcfoTou
voüc;xocl)..6yoc;; III 3, 6 : voüç;xoct llc,;lµwv(de même III 7, 2). L'idée
remonte à l'ancienne Académie, cf. Xénocrate apud ARISTOTE, Top.
II 6, 112 a 38, = fgt 81 HEINZE, p. 191, 9-10: TIJV ,j,ux~v [... ] È:X<X.O''l"OU
dvocLlloclµovc,;;et, au-delà, à PLATON, Tim. 90 a: m:pt ToÜ xupLwT&.-
-rou n-ocp' 'ÎJµîv <J,ux'ijc;r.l'.llouc;ll,ocvoefo0octBd -tjîBe, wc; &pococÙTO
Boi:lµov<X0eèc;l:x&.crTeplHBwxev (cf.aussi 90 c).
(4) Il 1, 3 : même le pécheur est voü xoct0docc;&n-oµo(pocç;µé-roxo,;;;
XII 1, 5 : µ6vov Tà 'ÎJyeµovLK6vcrou xoct Tà èv crol 0efov TLfJ-'IJ<r'()<;.
(5) XII 26, :z : o è:x&.cr-rou voüc; 6eàc; xoct &xeî0ev èppü'J)Xev.
(6) II 2., 2.; V 33, 4; III 3, 6 : xdpovL -ri;'>cxyydep; X 38, 2 : -ro
m:ptxdµevov &yyet&Bec;; on reconnait la comparaison de Cicéron
et de Philon, cf. supra, p. 60 et note (1), p. 90, note (2), et p. 122-124.
(7) II 2, 3 ; V 33, 4.
MARC-AURÈLE ET L'ALCIBIADE 141

libre arbitre, sont communs aux hommes et aux bêtes 1 ;


aussi, à la façon de meubles procurés par la nature, ne sont-
ils pas vraiment tiens, sinon en ce sens qu'il te faut en
prendre soin 2 • Qu'est-ce alors qui est proprement tien?
l'intellect 3 ; non seulement tien, mais toi-même, qu'on
l'appelle raison ou pensée 4 ; le principe caché qui, en nous,
tire les fils, voilà l'homme 5 ; c'est à lui de commander,
au corps de servir, comme un instrument 6. Tout dans cette
doctrine ne coïncide pas avec celle du Jer Alcibiade,·
notamment, la distinction de l'intellect et de l'âme, et, en
conséquence, la dévaluation de celle-ci, bien qu'elles y
fussent amorcées, étaient bien moins tranchées dans le
dialogue; Marc-Aurèle renchérit sur son devancier en disant
que le corps n'est pas à l'homme ; il va en revanche moins
loin que lui quand il admet que l'homme doit prendre
lui-même soin de son corps ; cela dit, il reste que la
définition de l'homme est substantiellement la même de
part et d'autre, y compris la conception instrumentiste
des rapports de l'homme véritable à son corps. Moins
ouvertement qu'Épictète, Marc-Aurèle s'inscrit encore dans
la postérité doctrinale de l' Alcibiade7 •

(1) XII 3, 3 ; V 33, 6 ; III 16, 2.


(2) X 38, 3 ; V 33, 6 : ,or.ÜTIX [Le:µvija0ouµ-fi,e: mi liv,or.; XII
3, 2 :µé)(pt TOÜèmµe:).e:fo0or.L 8e:1:v0-(X€a-TL.
(3) XII 3, 2 : µ6vov xuplwç o-6v.
(4) VIII 40, 2 : Tlç IXÙ,6ç; 6 Myoç ; XII 3, 3 : &rco o-e:1XuToÜ,
,ou,foTtv &nô -cijç o-ijç 8vxvo(or.ç.
(5) X 38, 1 : -côve:upoo-rcomToüv èo-Ttvèxdvo -rô lv8ov èyxe-,<.puµ-
µévov [... ] èxe:ï:vo, e:t 3d drce:ï:v, é/.v0pwnoç; sur le voüç qui, dans
l'univers comme dans l'homme, tire les fils, cf. supra, p. 91 et note (1);
voir aussi la note de W. THEILER, op. cil., p. 340.
(6) II 2, 4 ; 111 3, 6: ,Ô ÔmJpe:-roüv; X 38, 2-4: ôpy&vtor..
(7) A. S. L. FARQUHARSON, op. cit., II, p. 495-496, mentionne
l' Alcib. et les auteurs qui en dépendent à propos de MARc-AuR.,
II 2, - tout en notant que ce dernier s'abstient de toute théorie
anthropologique et se borne à discerner l'essentiel de l'homme dans le
principe qui contrôle le corps.
CHAPITRE V

UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

J. L'HYPOTHÈSE D'UN RELAIS STOÏCIEN

De Oéanthe et Chrysippe jusqu'à Épictète et Marc-


Aurèle, les stoïciens sont donc demeurés attachés, avec
une persévérance remarquable, à la définition de l'homme
par l'âme seule (entendue comme '-!iux~ ou comme voue;; on
peut maintenant négliger cette nuance) ; plus même que
les platoniciens, ce sont eux les plus fidèles héritiers de
l'anthropologie proposée par le Jer Alcibiade. De ce fait
découle un problème : comme le stoïcisme a accueilli très
tôt, dès le me siècle, les thèses du dialogue, on ne peut
éviter de se demander si les auteurs, extérieurs à cette
école, qui ont fait de même dans la suite le doivent à
l'influence directe de I' Alcibiade ou à l'action d'un inter-
médiaire stoïcien. Pour nous en tenir au cas de Cicéron,
la concordance observée entre sa deuxième attitude et les
données de l' Alcibiade, au lieu de se fonder sur une connais-
sance personnelle de ce texte, ne s'expliquerait-elle pas
plutôt par le truchement d'un stoïcien adepte de l'anthro-
pologie du dialogue? On ne perdra d'ailleurs pas de vue
que cette seconde hypothèse n'exclut pas forcément la
première, Cicéron pouvant fort bien avoir été incité par
un intermédiaire à prendre directement contact avec le
document primordial.
Dans quelle direction chercher ce stoïcien de relais ?
144 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

On pense naturellement à l'un des représentants du moyen


Portique ; Cicéron a approché plusieurs d'entre eux, qui
sont de peu ses aînés. Une investigation de ce milieu
s'impose à un autre titre encore : dans les sondages du
chapitre précédent sur le succès que l'anthropologie
platonicienne rencontra auprès du stoïcisme, aucun indice
n'a été relevé pour la longue période qui va de Chrysippe
à Sénèque ; il est invraisemblable que l'école se soit
désintéressée de cette doctrine pendant près de trois siècles ;
un coup d'œil sur le moyen stoïcisme devrait fournir de
quoi garnir plus ou moins cette lacune. Quant à avancer
le nom d'un moyen stoïcien, il semble que l'on doive
exclure dès l'abord celui de Panaetius ; car la définition
de l'homme par l'âme seule, dans l' Alcibiade même et chez
tous les auteurs qui en dépendent, se trouve solidaire, d'une
façon qui ne peut être fortuite, de la croyance à la qualité
divine de cette âme et, partant, à son immortalité ; or
Panaetius, malgré son admiration pour Platon, rejetait
ce dernier point, en invoquant le fait que les âmes naissent
et sont sujettes à la souffrance comme à la maladie ; c'est
Cicéron lui-même qui fournit ce renseignement en Tuscul. I,
peu après le passage tributaire du Jer Alcibiade1 •

(1) Tuscul. I 32., 79, = PANAETrns,fgt 83 VAN STRAATEN,p. 27,


21-30 : ccCredamus igitur Panaetio a Platane suo dissentienti? [... ]
huius hanc unam sententiam de inmortalitate animorum non probat.
Volt enim, quod nemo negat, quicquid natum sit interire ; nasci autem
animas [... ] Alteram autem adfert rationem, nihil esse quod doleat,
quin id aegrum esse quoque possit ; quod autem in morbum cadat,
id etiam interiturum ; dolere autem animos, ergo etiam interire » ;
de même AscLÉPrus, In Metaph. 991 b 3, = fgt 84, p. 28, 7. Le premier
principe invoqué par Panaetius est aristotélicien ; cf. De caelo I 10,
279 b 20-21 : &rcocnocyo:p -rd:yw6fLe:vix
xixt qi0e:ip6fLe:vix
qiixlve:·mi;c'est
Épicure q:1i l'a appliqué à l'âme, cf. LACTANCE,Diuin. instit. III_ 17,
33, = teshm. _336UsENER, p. 227, 3-4: « quod cum corpore nasc1tur,
cum corpore mtereat necesse est n. Le second argument est également
d'origine épicurienne ; cf, LucRÈCE, III 461 sq. ; 472 : « dolor ac
morbus leti fabricator ll,
UNE QUESTION QU'ON NE PEUT ÉLUDER 145

II. L'ANTHROPOLOGIE PLATONICIENNE DE PosIDONIUS

On est ainsi conduit à examiner le cas de Posidonius ;


il ne saurait être question d'exhumer les thèses excessives
qui prétendirent faire de ce philosophe la source unique
de la totalité du Songede Scipionet de Tuscul. I, et dont on a
fait justice depuis longtemps ; simplement, on ne peut se
dispenser de rechercher si Posidonius, touchant la notion
de l'homme, aurait pu, comme ses prédécesseurs de l'ancien
stoïcisme, accueillir les vues de l' Alcibiade, et éventuellement
incliner de ce côté l'opinion de Cicéron. Au demeurant,
l'hypothèse n'a rien d'inédit ; elle est implicite de la part
des nombreux historiens qui ont rapporté à l'influence
de Posidonius presque tout l'héritage d'anthropologie
platonicienne dont on a plus haut discerné la présence
chez divers auteurs ; ainsi a-t-il été fait notamment pour
Plutarque\ pour Marc-Aurèle 2, pour Plotin 3 , ainsi que
pour certains Pères grecs dont on examinera le cas dans
un moment 4 • De plus, il faut avouer tout de suite que le
résultat de cette nouvelle enquête sera médiocre ; bien
que telle page alléchante de M. Pohlenz 5 promette le

(1) Par K. REINHARDTpar exemple, art. cit., col. 782-791.


(2) Par W. THEILER,Marc Aurel ... , p. 308 et 310 ; Die Vorbereitung... ,
p. 115 ; à sa suite par H. R. NEUENSCHWANDER, Mark Aurels Bez.iehun-
gen z.u Senecaund Poseidonios,diss. Bern, dans « Noctes romanae », 3,
Bern 1951, p. 48-57,
(3) Par R. BEUTLER-W. THEILER, Plotins Schriften, Anmerkungen,
t. V b, Hamburg 1960, p. 369, 438, 445, 447 ; cf. aussi W. THEILER,
Plotin z.wiscbenPlato und Stoa, dans Entretiens de la FondationHardt, V:
Les sourcesde Plotin, Vandœuvres-Genève 1960, p. 67, n. 1, et p. 78-79.
(4) Par K. GRONAU,Poseidoniosund die _jüdiscb-cbristlicbe Genesis-
exegese,Leipzig-Berlin 1914, notamment p. 2.20-304.
(5) Stoa und Stoiker. Die Gründer. Panaitios. Poseidonios,dans « Die
Bibl. der alten Welt », Zürich 1950, p. 214, 330, 346, où le célèbre
historien, usant même de guillemets, attribue expressément à
Posidonius, et déjà à Panaetius, d'avoir identifié à l'esprit le vrai moi
de l'homme et d'en avoir exclu le corps ; malheureusement les notes
des p. 372, 381, 383, qui devraient justifier cette affirmation, ne le font
aucunement.
146 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

contraire, aucun des textes que l'on peut raisonnablement


tenir pour le reflet d'opinions de Posidonius ne permet
d'affirmer qu'il ait jamais défini l'homme une âme se servant
d'un corps ; mais l'examen del' Alcibiade et de la tradition
qui en est issue a montré que cette définition est toujours
solidaire d'un certain contexte doctrinal (croyance à une
certaine divinité de l'intellect humain, comparaison du
rôle de cet intellect dans le corps au rôle de Dieu dans
l'univers, dévaluation du corps dont l'âme aspire à se
libérer et y parvient, importance reconnue à la connaissance
de soi pour la vie morale, etc.) ; si l'on parvient à établir
que ce faisceau de doctrines platoniciennes a probablement
obtenu l'agrément de Posidonius, on sera fondé à supposer
qu'il a dû acquiescer aussi à la définition de l'homme par
l'âme seule, les conditions étant en tout cas réunies pour
qu'il le fît ; dans la meilleure des hypothèses, on le voit,
on ne dépassera pas le niveau de la vraisemblance ;
acquisition appréciable pourtant, s'agissant d'un auteur
aussi mal connu.
La tendance platonisante de Posidonius est bien attestée :
plein d'admiration pour l'homme et de respect pour ses
idées, il nommait Platon un être divin et se réclamait de
son enseignement 1 ; sa principale ambition aura été de
réunir platonisme et stoïcisme, au point d'apparaître, dans
des domaines importants2, plus platonicien que stoïcien.
Il est un thème sur lequel la fusion des deux traditions
n'offrait aucune difficulté : celui de la parenté qui unit
l'esprit humain aux dieux ; Cicéron attribue expressément
à Posidonius la reconnaissance de cette cognatio,sur laquelle

(1) Selon GALIEN, De p/aç, Hippocr.et Plat. IV, éd. Müller, p. 396,
16-397, 2 : Ilocre:i8C:Mo,; [...] 0ocuµa.~wv-rov &v8pocxocl.0dov &rm-
xocÀwvù>Çxocl.1tpe:croe:ùwvCX\l't'OÜ't"IX
[... ] 86yµcx-rcx;V, p. 452, 13-14:
&cr1te:po IlÀa.-rwv ~µiiç è8l8oc!;e:(dit Posidonius).
(2) Ainsi sur la question de l'origine des 1ta.6'1) ; cf. E. ZELLER,
Die Philos. der Griechen,herausg. von E. WELLMANN, III 1, Leipzig
•1923, p. 599-601.
PARENIB DIVINE DE L'ESPRIT HUMAIN 147
il aurait fait fonds pour expliquer la divination par les
songes 1 • La même doctrine trouvait à s'exprimer à propos
du principe de la connaissance du semblable par le
semblable : de même qu'il y a communauté de constitution
entre la vue et la lumière, entre l'ouïe et la voix, de même
la raison de l'homme, pour saisir la nature universelle, doit
lui être apparentée 2 ; Sextus Empiricus, qui prête cette
formule à Posidonius, précise qu'elle provenait de sa
réflexion sur le Timée (sinon de son commentaire du
Timéé !). La thèse de la cruyyéveLr:t..divine rencontrait enfin
des résonances morales, ainsi qu'il apparaît dans une
citation littérale du philosophe conservée par Galien :
la cause des passions, qui est aussi celle du désaccord avec
la nature et de la vie malheureuse, c'est de ne pas suivre en
tout le démon intérieur, parent de celui qui gouverne
l'univers et ayant une nature semblable à la sienne, c'est
de s'abandonner au principe mauvais et bestial3. Les textes

(1) D, diuin. I 30, 64 : « tribus modis censet [.rc.: Posidonius,


nommé peu auparavant] deorum adpulsu homines somniare, uno,
quod prouideat animus ipse per sese, quippe qui deorum cognatione
teneatur >>.
(:z) SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. VII 93 : o{h·c.ixoc! ~ Trov IIÀc.iv
<pucrLc; u11:àcruyyevoüc;bcpdÀeLxaTocÀocµMvecr6oct ToÜMyou ; la réfé-
rence est sans doute au Tim. 90 a : m:pl TOÜxuptc.>TtXTOU ~µi:v
11:ocp'
ljiux'ijc;e'l8ouc;[.•.] 11:pàc;
8è -niv È:voùpocvéj)cruyyéveiocv;voir aussi 45 be;
cf. K. REINHARDT,art. cil., col. no. C'est cette attestation qui rend
concevable l'attribution à Posidonius du témoignage (cité supra,
p. 74 et note (1), d'Adu. mathem. I 303 sur Empédocle
(l'intellect qui connaît Dieu doit être lui-même un dieu) ; voir
W. THEILER, Die Vorbereitung... , p. 109.
(3) GALIEN, De plac. V, p. 448, 15-449, 4 : ... T<l µ't) XIXT<X 11:riv
foecr6oct Têj:, è:v ocuToîc;8oclµovLcruyyevei: TE lîvTt xoc! -niv oµolocv
q>ucrwfy,oVTt Têj:,Tàv l!,).ov x6crµov 8wtxoüvTL, Têj:,8è xdpovt xoct
~Cf)Cil8et 11:0TÈ:
O'UVEXXÀLVOVTIXÇ q>épecr6ou; cf. K. REINHARDT,art. cil.,
col. 747 (pour la traduction de cruyyevd), et É. DES PLACES,op. cit.,
p. 148-149. Posidonius a des chances d'avoir, pour ce thème de
l'esprit humain comme démon intérieur, relié Platon et Xénocrate
à Marc-Aurèle, cf. supra, p. 140 et note (3). Le témoignage de
Galien suggère de rapporter à Posidonius deux textes (où il n'est
pas nommé) de DIOGÈNE LAËRCE,VII 88 (IITIXV mxVTIX 11:ptX'!TI)TŒL
xa:Tix -niv cruµcpc.ivlocv ToÜ 11:ocp'è:x&:crTCfl
Sa:lµovoc;11:poc;-niv ToÜTrov
<>Àc.>v 8totX"flTOÜ ~ouÀ-qcrtv)et 151.
148 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

de Cicéron et de Sextus cités à l'instant montrent que ce


démon intérieur apparenté à Dieu n'est autre, dans la
pensée de Posidonius, que l' animus ou le Myoc,de l'homme 1 ;
on reconnaît le thème dont on a si souvent, en particulier
dans le Songe de Scipion, observé la conjonction avec la
définition de l'homme par l'âme seule.
L' excerptum posidonien de Galien amorce une autre idée
également présente en Somn. Scip. 8, 2.6: celle du parallélisme
entre la situation du démon dans l'homme et la façon dont
Dieu administre l'univers. La notation est courante, on
l'a vu 2, dans le stoïcisme ancien. Qu'elle ait été formulée
aussi par Posidonius, c'est ce qu'atteste encore Diogène
Laërce : le monde est gouverné par un intellect qui s'étend
à toutes ses parties, comme fait en nous l'âme ; ainsi
parlait Posidonius dans le ;e livre de son traité Sur les
dieux3. Il n'est pas impossible que cet auteur ait poussé

(1) De la notion de cruyyéve:ux,il faut rapprocher celle d'une


communauté, xowwv(a, entre les hommes et les dieux, fondement
de la justice rendue aux dieux ou sainteté (7) 8LxaLocruv7j xoc-r&: -rLvoc
xmvwv(av tiv6p@1twv[... ] 1tpoc;6e:oùc;ve:v61J-raL) ; car cette commu-
nauté, tout comme la parenté requise par notre connaissance de la
nature universelle, repose sur la possession d'une raison qui s'étend
aux hommes et aux dieux (it1td Myov l:x:oµe:v-rov t1t' ,xÀÀ-lJÀouc; -re
xal. 0e:où,; 8ioc-rdvov-roc).Ces lignes sont de SEXTUS EMPIR., Adu.
mathem. IX 131 ; sans le nommer, elles ont des chances de refléter
la doctrine de Posidonius ; car elles sont destinées à montrer, contre
les pythagoriciens, que les hommes n'ont pas de justice à observer
envers les animaux sans raison, du fait que ceux-ci ne participent pas
au ).6yoc; (§ 130) ; or cette thèse, héritée d'ailleurs de l'ancien
stoïcisme, est rapportée expressément à Posidonius par DmG. LAËRCE,
VII 129.
(2) Supra, p. l30-132.
(3) DmG. LAËRCE, VII 138: Tov 8~ x6crµov 8ioLxe:fo0aLxoc-rœ'IOU'I
xal. 1tp6vouxv,xoc0&:<p7Jm[ ...] Il. tv -r0 -rpl-t·epIle:pl. 0e:&v, e:tc;&1tav
ocù-roüµépo,; 8L-/Jxov-roc;-roü voti, xa6&:1te:pè<p' 7)µ&v-r'ij,;1j)\):x:'ij,;;
139:
l'âme humaine se fait voue; dans 1'7)ye:µovLx6v ; le monde, vivant
raisonnable, a lui aussi un 7)ye:µovLx6v,qui est, selon Posidonius,
le ciel (de là provient sans doute la même analogie chez PHILON,
De gig. 13, 60 ; Quis rer. diuin. ber. sil 48, 232-233 ; Quaest. in Gen.
IV 215). C'est à Zeus qu'avec le secours de l'étymologie, il identifiait,
comme ses prédécesseurs stoïciens, cet intellect administrateur du
HOMOLOGIE DES ÂMES HUMAINE ET COSMIQUE 149

davantage la correspondance entre l'âme humaine et


l'intellect cosmique, et rencontré par ce moyen la définition
de l'homme proposée par le Jer Alcibiade. On se souvient
en effet d'avoir trouvé 1 deux fois chez Plotin (Enn. II 3, 9,
30-47 et III 5, 5, 13-15) l'idée que la même ambiguïté
affecte la notion de l'homme et celle du monde : chacun
de ces deux mots désigne tantôt le composé d'un corps et
d'une âme, tantôt l'âme seule, humaine ou cosmique;
il avait été facile de discerner dans cette dernière acception
la thèse du dialogue, étendue de l'anthropologie à la
cosmologie. Mais voici qu'une extrapolation tout à fait
comparable se manifeste, selon le témoignage de saint
Augustin, dans les Antiquités divines de Varron : cet auteur
fondait sa théologie naturelle sur la conviction que l'âme
du monde est Dieu, et que le monde lui-même l'est aussi ;
malgré les apparences, c'était là reconnaître un seul Dieu ;
car, de même que l'on parle d'un homme sage, alors qu'il
ne l'est que par son esprit, de même le monde entier est
dit Dieu parce que son esprit l'est 2 • Ce texte, on le voit,

monde ; cf. JEANLYDus, De mens. IV 71, éd. Wuensch, p. 122., 17-18 :


II. 't"O\I ~toi: 't"O\I TÇ(X\l't"OI:
3tO(XOU\l'l"OI:.
(1) Supra, p. 100-101.
(2) AUGUSTIN,De ciu. dei VII 6, éd. Hoffmann, I, p. 311, 5-11, =
VARRON,Antiq. rer. diuin. XVI, fgt 3 AGAHD, p. 198, 15-2.0, = fgt
731 HAGENDAHL-CARDAUNS, p. 288: <<Dicit ergo idem Varra adhuc de
naturali theologia praeloquens deum se arbitrari esse animam mundi,
quem Graeci uocant x6crµov, et hune ipsum mundum esse deum ; sed
sicut hominem sapientem, cum sit ex corpore et animo, tamen ab animo
dici sapientem, ita mundum deum dici ab animo, cum sit ex animo et
corpore. Hic uidetur quoquo modo unum confiteri deum » ; Augustin
reproduit le même texte en VII 9, pour montrer que la divinité de
Janus est indéfendable si l'on voit en lui simplement le corps du
monde, de façon à ménager celle de Jupiter identifié à l'âme cosmique :
« Num igitur ita dicturi sunt Iouem animam mundi, ut !anus sit
corpus eius, id est iste uisibilis mundus? Hoc si dicunt, non erit quem
ad modum Ianum deum dicant, quoniam mundi corpus non est deus
uel secundum ipsos, sed anima mundi ac partes eius. Vnde apertissime
idem dicit deum se arbitrari [... ] et corpore. Solum itaque mundi
corpus non est deus, sed aut sola anima eius aut simul corpus et animus,
ita tamen ut non sit a corpore, sed ab anima deus» (p. 316, 6-17).
11
150 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

fait état de l'analogie entre le rôle de l'âme cosmique dans


l'univers et celui de l'esprit dans l'homme, selon un schéma
que Tertullien, de son côté, signale chez Varron 1 ; mais
il tire de cette idée banale une application qui l'est moins :
qu'il s'agisse de l'homme ou du monde, le langage étend
à l'ensemble du corps et de l'esprit des qualités qui, en
rigueur de termes, ne sont vraies que de l'esprit. On
reconnaît dans cette remarque, de façon frappante, l'équi-
voque signalée par Plotin, les deux auteurs étant en cela
tributaires de l'anthropologie de l' Alcibiade; comment
expliquer une telle rencontre, sinon par la dépendance
à partir d'une source commune? Source stoïcienne sans
aucun doute, les meilleures chances étant pour Posidonius,
dont on a vu qu'il avait repris à son compte le rapproche-
ment entre l'intellect cosmique et l'âme humaine ;
l'hypothèse de Schmekel qui, sans connaître l'argument
tiré de Plotin, rattachait à Posidonius les deux textes de
Varron, pourrait bien se trouver moins déraisonnable qu'on
ne l'a dit 2 •
En Tuscul. I aussi bien que dans le Songe de Scipion, la
définition de l'homme par l'âme seule se conjugue avec

J'ai étudié ces discussions dans Mythe et Allégorie. Les originesgrecques


et les contestations judéo-chrétiennes, collect. ccPhilos. de l'Esprit »,
Paris 1958, p. 315-316 et 373-374. Même ambiguïté chez le stoïcien
Diogène de Babylone, selon qui Zeus figure à la fois le monde et son
âme : 'l"OV x6crµov ypci.cpe:L
'l"cj:,
Ll.Lt'l"OV
OCÙ'l"OV 'i) n;e:ptsxe:tv'l"OV
u1tci.pxe:LV
&v0pc.mov 41ux~v (PHILODÈME, De piet, 15, = SVP
Ll.[ocxoc0ci.1te:p
III 33, p. 217, 10-12, = DrnLs, Doxogr., p. 548 b-549 b).
(1) TERTULLIEN, Ad nat. II 2, 19, = VARRON, 1, fgt 12 b AGAHD,
p. 148, 13-15 : c<Vnde et Varro ignem mundi animum facit,
ut perinde <in> mundo ignis omnia gubernet, sicut animus in
nobis ».
(2) A. ScHMEKEL, Die Philosophie der mitt!eren Stoa in ibrem ges-
cbichtlichenZusammenhange,Berlin 1892, p. 122, 125, 137. Contrairement
à ce que je pensais dans M,ythe et Allég., p. 316, note, et p. 317-319,
à la s_uitede P. BoYANCÉ,Sur la théologiede Varron, p. 78-82, - cette
notation précise de Varron et de Plotin me paraît difficile à imputer
à l'influence d'Antiochus ; car elle implique l'adhésion à la définition
de l'homme del' A!cib., qu' Antiochus, comme j'ai essayé de le montrer
n'admettait pas. '
LA LIBÉRATION DE L'ÂME 151

l'idée que celle-ci n'a de salut que dans sa libération


relativement au corps 1 • On sait que les anciens stoïciens
n'ont guère admis la possibilité d'une telle libération, dont
ils se désintéressaient d'ailleurs 2 • Malgré la pauvreté des
documents, il est à croire que Posidonius tint sur ce point
une opinion plus positive que celle de ses devanciers. Le
texte important est ici une page bien connue de Sextus
Empiricus, Adu. mathem. IX 71-74. Il ne porte aucunement
le nom de Posidonius ; mais il est jalonné, à peu d'inter-
valle, de plusieurs idées dont on sait, - par référence à des
témoignages nominatifs, cette fois, - qu'elles furent pro-
fessées par ce philosophe ; c'est le cas des notations suivantes :
les âmes sont faites de feu et de souffie 3 ; ce n'est pas
le corps qui les tenait, mais bien elles qui assuraient
l'assemblage du corps 4 ; les âmes prennent le temps de
demeurer dans l'air proche de la lune 5 ; les astres se
nourrissent de l'exhalaison terrestre 6 • Sans doute aucune de

(1) Cf. supra, p. 120 et note (1).


(2) VoirF. CUMONT, Luxperpetua, p. 114-115 et 119-122.
(5) SEXTUS EMPIR., Adu. mathem. IX 71 : oôx î)'t"t'O\I1tupro8e:ic; "li
cf. DroG. LAËRCE, VII 157 : II. 1t\le:üµa:IMkpµo\l
7t\lWfMG't'ro8e:ic;;
TI)\I \J>ux-fi\l.
e:!\IOl:L
(4) Ibid. IX 72 : Oô8è yàp 1tp6't'e:po\l'l'O crwµa: 8ia:xpOl:TI)'t'LXO\I '1Î"
Ol:Û't'W\I, &,)J.,' a:ù.-od 'l'ij>crroµa:'t'Lcr'Jµµov7Î<;-ljcra:\I
a:hia:t ; cf. ACHILLE
TATIUS, lsag. in Arati Phaen. 15, éd. Maass, p. 41, 2-5 : Il. 8è &y11od11
't'OÙ<;'Emxoupe:loui; ~qi'Y), w,;où 'l'O:crroµa:'t'a:'t'CZÇ qiuxa:i;cruvéxs:i,&)X
a:l qiuxa:t 't'OC. cr©µa:'t'a:,&cr1te:pxa:t 1j x6na: xa:t la:UTI)\Ixa:t 't'OC. ~x'l'ô<;
xpa:'t'e:î; noter le caractère antiépicurien de ce dernier texte, comme
de SEXT, EMPIR., IX 72.
(5) Ibid. IX 75 : ~116&8e: -;-s; 8ioc'l'l)\/dÀmpl11e:L01;\I
't'OÜ&épo,;1tÀe:lo11a;
1tpo,; 8ia:µo\l'l)\IÀa:µ6&11oucrL xp611011;cf. CICÉRON, De diuin. I 30, 64 :
P. pense que les dieux provoquent les songes des hommes ccquod
plenus aer sit inmortalium animorum )l ; peut-être est-ce à lui qu'il faut
rattacher le témoignage des Commenta Lucani IX 1, = SVF II 817,
p. 225, 3-5 : ccQui uirorum fortium animas existimant in modum
siderum uagari in aëre et esse sic immortales >>.
(6) Ibid. IX 75 : les âmes qui séjournent dans l'air voisin de la lune
't'poq;7i'l's: XPW\l't'<XL otxe:l<;tTTI &1tàyîj,; &11a:Ouµirfoe:t w,;xod 'l'IXÀomdc.
&cr-rpa:; cf. DroG. LAËRCE, VII 145 : Tpéq;e:cr0ou[...) TI)V8è cre:À7l\17l\l
èx 1to-rlµrov uochro11,&e:poµiyîj 'l'Uyx&voumxvxa:t 1tp6crye:io"oocra:11,
wç 6 II. [...] 't'dc.8' iJ.ÀÀa: &1to 't'7Î<;yij,;.
152 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

ces notations n'est-elle propre à Posidonius 1 ; mais leur


rassemblement dans l'espace de quelques lignes autorise
à penser qu'elles viennent effectivement de lui ici ; s'il en
est ainsi, c'est l'ensemble des § 71 à 74 de Sextus, dont elles
sont inséparables comme la trame l'est de l'étoffe, que l'on
doit regarder comme posidonien. Cette probabilité permet
de créditer avec vraisemblance Posidonius d'une doctrine
de la libération de l'âme : affranchies de leur corps (cbto-
Àu0e:fooc.L ,&v awµoc,Cilv),les âmes ne descendent pas (dans
l'Hadès), mais leur légèreté les emporte vers les lieux
supérieurs, dans l'air pur qui jouxte la lune ; là, elles
demeurent, rendues à elles-mêmes (x.oc.0'oc.{.rnxi:; 3è 3ioc.µs-
voum), sans risque d'être dissoutes (,o
3LocÀua6v,e:
[...] oùx. l:xoucrw),devenues identiques aux démons 2 ;
oc.ù-rœi:;
sans doute était-ce déjà leur état avant leur entrée dans les
corps, puisqu'elles sont dites avoir été alors cause de leur
propre cohésion (cruµµwîji:; ~croc.voc.fnoc.i,
rcoÀù3è rcp6,e:pov
x.oclé:ocu,oc.'i'.i:;).
Si, comme on a des raisons de le croire, cette page
exprime la doctrine de Posidonius, il en résulte que ce
philosophe admettait la préexistence des âmes et leur

(1) R. M. JONES, Posidonius and Solar Eschatology, dans Classical


Philology, 27, 1932, p. 113-116, l'a fait observer à propos de la doctrine
attribuée à Posidonius par Achille Tatius, qu'il discerne avec raison
chez ARISTOTE,De an. I 5, 411 b 6 sq. ; il aurait pu ajouter plusieurs
témoignages relatifs au stoïcisme ancien, à l' Aristote perdu, et même
à Anaximène, cf. mon article Une nouvelle source de saint Augustin ... ,
p. 58-61. Malgré ces réserves, R. M. Jones ne nie d'ailleurs pas que
le passage de Sextus Empir. puisse être posidonien ; concession qui
a son prix, venant d'un historien connu pour sa sévérité à l'égard des
tentatives de reconstruction du système de Posidonius. A. D. NocK,
Posidonius, dans The Journal of Roman Studies, 49, 1959, p. 11, estime
que la page de Sextus concerne très probablement Posidonius, et donc
que celui-ci se rattachait au platonisme pour ce qui est de l'origine et
de la destinée de l'âme. Voir également, sur plusieurs des textes qui
viennent d'être invoqués, K. REINHARDT,art. cit., col. 779-781.
(2) Sur la parenté des âmes et des démons selon Posidonius, voir
les textes cités supra, p. 147 et note (3); et encore DmG. LAËRCE,
Vll 151 sur l'héroïsation des âmes ayant appartenu aux hommes de bien,
- qui pourrait provenir du même auteur.
L'IMMORTALITÉ DE L'ÂME 153
survivance autonome, pour un temps indéfini, après
la rupture de leurs liens avec le corps. Il faudrait alors
supposer la même origine pour un témoignage du pseudo-
Galien, qui rapporte à des stoïciens indéterminés une
théorie identique semblablement formulée (y compris
l'expression platonicienne xoc6' ocù't'&.ç)
1 • Entrant davantage

dans les vues de Platon, Posidonius serait-il allé jusqu'à


professer, contre son maître Panaetius, l'immortalité de
l'âme? Le mot de Sextus sur les âmes qui, libérées, ne
sont plus menacées de dissolution, pourrait le laisser
entendre ; en tout cas, le témoignage d'Hermias, où l'on
voit parfois 2 la preuve que Posidonius déniait l'immortalité
à l'âme individuelle, n'autorise pas une telle conclusion 3•

(1) HiJtrtr.philos. 24,dans DIELs, Doxogr., p. 614, 16-17: µe-rckTIJV


x.cxtTI]\I /X7tCXMCXY7)V
8L1XÀUCH\I 'îOÜ crooµcx-roc;;
x.cx6'CX\J'î~ ... ; pour x.cx6'
cxû-rcxc;,cf. PLATON,Phédon 66 e (et alibi) : -r6-reydp CXO'î1Jxcx6' IX\JTI]\I
7llj,ux-lJfo-rcxLXùlplc;-roü crooµcx-roc;;
voir la note de Diels ad lo&.,· la for-
mule 7lxcx6'CXUTIJVlj,ux-fine se trouve pas dans les passages essentiels de
l' Alcib.; mais elle est introduite par les commentateurs tardifs à propos
de 130 ç; ainsi les Proleg. phi/oJ. platon., opuscule alexandrin de la
fïn du vre siècle, XI 27, 58-60, éd. Westerink, p. 53 : dans l'Akib.,
Platon emploie la méthode additionnelle ; 1tpo-rl6e:-rcxL ydp ~'l)'îE:Î\I
-rl fo-rLv o &v6pùl1toc;;, n6-re:povcrwµcxîl <Jiux~îl -ro cruvcxµcp6-re:pov,
<XÀÀ 7l
xcxl ,8e:lx"';'crL~0c;; olhe -ro crwµix olhe: -ro cruvcxµcp6-repov,
1

4IUX'I) X.cx6CXU'î'l)V.
(2) Ainsi L. EDELSTEIN, The Philosophical System of Posidonius,
dans Amer. Journal of Philology, 57, 1936, p. 300 (cf. aussi p. 315).
(3) Il s'agit d'HERMIAS, In Plat. Phaedrum 245 c, éd. Couvreur,
p. 102, 10-13 : selon Posidonius, le mot de Platon (<Jiux~1tiimx<ifl&vet.-
-roc;;)concerne seulement l'âme du monde. On voit mal en quoi cela
impliquerait que Platon, selon Posidonius, ait refusé l'immortalité
individuelle ; de plus, Posidonius ne dit rien là de sa propre position.
Ce texte a pourtant, touchant les sources de Cicéron, une portée
considérable, que me signale M. P. Boyancé (dont on verra là-dessus
l'art. Sur le Songe de Scipion (26-28), dans L'Antiq. class., 11, 1942,
p. 8-12). En effet, lorsque CrcÉRON, Somn. Scip. 8, 27-9, 28 et Tuscul.
I 23, 53-54, cite la même page du Phèdre 245 c-246 a, c'est, à la différence
de Posidonius, pour prouver l'immortalité de l'âme humaine, et
non seulement de l'âme cosmique ; il s'ensuit que, contrairement à
l'avis de nombreux historiens de naguère, Posidonius a peu de chances
de lui avoir montré la voie sur ce point (la difficulté a été méconnue
par exemple par M. VANDEN BRUWAENE,'l"ux~ et voüc;;dans le« Som-
nium Scipionis >>de Cicéron, dans L'Antiq. class., 8, 1939, p. 129-130) ;
154 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

D'autre part, il est superflu de rappeler combien la thèse


de la survie de l'âme se trouvait liée, chez Platon, à celle
de la métensomatose ; aucun document n'attribue à
Posidonius cette dernière théorie ; toutefois, plusieurs
auteurs tardifs la rapportent à l'école stoïcienne, et l'on a
peine à croire qu'il s'agisse du stoïcisme ancien ; une
page de Lactance est spécialement intéressante à ce sujet :
on y lit que les stoïciens, comme les pythagoriciens,
soucieux de garantir la survie des âmes et d'échapper
à l'argument selon lequel naître avec le corps entraînerait
de mourir avec lui, ont été conduits à admettre qu'elles
préexistent aux corps et passent de l'un dans l'autre 1 ; or,
comme l'a déjà signalé P. Corssen 2, l'argument en question
est précisément l'un de ceux que Panaetius utilisait contre
la thèse de l'immortalité 3 ; dans ces conditions, il est
tentant de supposer que la position stoïcienne relatée par
Lactance correspond à celle de Posidonius et à son effort
pour parer les objections de son maître 4 •

Cicéron était fort capable de se référer de lui-même au Phèdre.Mais cela


n'entraîne nullement que sa notion de l'homme dans le Songe et en
Tuscul. I n'ait pu lui venir de Posidonius.
(1) LACTA..c'<'CE,Diuin. instit. III 18, 1-3, éd. Brandt, p. 236, 13-
237, 2 : <<Alii [... ] disserunt superesse animas post mortem : et hi
sunt maxime Pythagorei ac Stoici [... ] cum timerent argumentum
illud quo colligitur necesse esse ut occidant animae cum corporibus,
quia cum corporibus nascuntur, dixerunt non nasci animas, sed
insinuari potius in corpora et de aliis in alia migrare. Non putauerunt
aliter fieri posse ut supersint animae post corpora, nisi uideantur
fuisse ante corpora JJ ; peu après (18, 5, p. 237, 6 sq.), Lactance cite
plusieurs stoïciens célèbres parmi ceux qui se sont donné la mort par
conviction de l'éternité des âmes et de leur migration céleste. Autres
attributions de la métensomatose aux stoïciens : HIPPOLYTE,Philos.
2.1, 3, dans DrnLs, Doxogr., p. 571, 18-19 ; ÉPIPHANE, Prooem., ibid.,
p. 587, 19-20 (note de Diels ad /oc.) ; Ps.-GALIEN, Histor. philos. 24,
ibid., p. 614, 11-14.
(2) De Posidonio Rhodio... , p. 2.5.
(3) Cf. supra, p. 144 et note (1).
(4) Quant au second argument de Panaetius (la mortalité de l'âme
conclue des douleurs qui la frappent), il se trouve mentionné et réfuté
chez SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. IX 70 : µtfxe:-rat yixp &.e&va-ro,;
(j)\l<J(Ç
cxÀy7Ji>6<Jt lite:bte:p1t&\I -ro cxÀyoüv6v7J-r611
Kat ~o,:c;&vm,;, fo·nv;
ce détail confirme que tout le morceau doit se rattacher à Posidonius.
INVTILIS CARO ET FLVIDA 155

Sans aller du tout aussi loin, on doit tenir pour extrême-


ment probable que Posidonius avait adopté, touchant la
survie et la libération de l'âme, une position proche de
celle de Platon. Étant donné, comme on l'a si souvent
constaté, que l'eschatologie et l'anthropologie se condi-
tionnent mutuellement, il serait surprenant qu'il se soit
fait une conception de l'homme en tout point opposée
à la définition platonicienne ; plus encore si l'on songe que,
sur ce point, les fondateurs du stoïcisme avaient déjà
accueilli cette définition, et réalisé, avant même Posidonius,
la conciliation du Portique et de l'Académie. On ne peut
en tout cas douter qu'il ait attaché du prix à une théorie
de l'homme, notamment dans l'intérêt de l'éthique ; le
fer Alcibiade, on s'en souvient1, posait que l'apprentissage
du bien exige la connaissance de soi ; or la même idée
se retrouve dans la Lettre 121 de Sénèque2, qui nous
apprend d'où elle lui vient: de Posidonius et d' Archédémus,
sous l'autorité desquels l'auteur latin s'abrite pour affirmer
que toute réflexion sur l'homme ressortit à la morale8.
Quant à savoir comment Posidonius concevait cette
nature humaine dont la connaissance éclaire toute morale,
on dispose de quelques indices. Sénèque encore lui attribue
une formule cruelle sur la chair incommode et sans
consistance, tout juste bonne à emmagasiner la mangeaille,
qui se trouve conjointe à la partie primordiale de l'homme,
c'est-à-dire à la vertu 4 ; un tel mépris du corps retenait
certainement Posidonius de le faire entrer dans la définition

(1) Cf. supra, p. 72 ; il s'agit de 128 e.


(2) Epist. 121, 3 : ccQuomodo enim scies qui [se.: mores] habendi
sint, nisi quid homini sit optimum inueneris, nisi naturam eius
inspexeris? Tune demum intelleges quid faciendum tibi, quid uitandum
sit, cum didiceris quid naturae tuae debeas ».
(3) Ibid. 1 : c<exclamabis: 'hoc quid ad mores?' (... ] Tibi primum
alios opponam cum quibus litiges, Posidonium et Archidemum :
hi iudicium accipient ».
(4) Epùt. 92, 10 : « Prima pars hominis est ipsa uirtus : huic
committitur inutilis caro et fluida, receptandis tantum cibis habilis,
ut ait Posidonius J>; cf. ibid. 33 : le corps est un tyran dont il faut
s'affranchir (rapprocher CrcÉRON,De leg. I 23, 60 et le témoignage de
156 UNE SOURCE STOÏCIENNE DB CIC~RON ?

de l'homme. I. Heinemann 1 a rapproché ce receptandis


tantum cibishabilisde l' animi receptaculumde T uscul.I .u, 52. ;
à tort, tant les deux idées sont différentes 2 • Le même
historien est mieux inspiré quand il évoque, à propos de
la conception posidonienne du corps, l'ù1to~ox~ du Timée
51 a; car l'adjectif ftuidus, en grec peuaT6ç;,appliqué par
Posidonius au corps ( caro•.. ftuida), est traditionnel pour
désigner le caractère informe de la matière 3 ; on peut en

Sextus Empir. sur Cléanthe, cités .rupra, p. 59 et note (1), et p. 129,


note (o); peut-être Posidonius est-il encore derrière SÉNÈQUE,Nat.
quaest. I, praef. 4 : suis-je né « ut cibos et potiones percolarem? ut
hoc corpus causarium ac fluidum periturumque nisi subinde impletur,
farcirem et uiuerem aegri minister? )>.K. ABEL, Po.reùionio.rund Seneca.r
Tro.rt.rchriftan Marcia ( dia/. 6, 24, 5 If.), dans Rhein. Museum, 107, 1964,
p. 2.30-231, a bien vu que Posidonius a repris le motif platonicien du
corps conçu comme fardeau et chaîne pour l'âme immortelle, et que
c'est de lui que dépendent parallèlement Cicéron et Sénèque ; sur la
croyance de Posidonius à la préexistence de l'âme, cf. ibid., p. 229-230.
(1) Op. cit., II, p. 316.
(2) Si l'Epi.ri. 92 de Sénèque peut faire penser à la formule de
Cicéron, c'est plutôt en son § 34 : ccille diuinus animus egressurus
hominem, quo receptaculum suum conferatur, [... ] non magis ad se
iudicat pertinere quam ... ».
(3) Divers présocratiques (Pythagore surtout, mais aussi Thalès,
Héraclite, Protagoras) passent pour avoir dit la matière peucr-rii;
cf. ARISTOTE,De Archyt. philos., fgt 2 Ross, p. 143 ; A.ÉTrus,Plac. I 9, 2,
dans DrnLS, Doxogr., p. 307 a 24 et 308 b 1 ; NUMÉNIUS,testim. 30
LEEMANS,p. 92., 18-19 (jluida .rilua); PROTAGORAS, te.rtim. 14 DIELS-
KRANZ, II, p. 2.5 8, 22. ; et encore, de façon un peu différente,
ÉPIPHANE,Philos. 2.3, z, dans DIELS, Doxogr., p. 572., 2.5 (toute essence
est pe:ucrtj selon les pyrrhoniens). En fait, c'est surtout une formule
média-platonicienne et néoplatonicienne, cf. par exemple PORPHYRE,
De antro nymph. 5, éd. Nauck, p. 59, 13 ; CALCIDrus, In Plat. Tim.
comment. 236, éd. Waszink, p. 249, 2 (fiuida materies). Noter que les
platoniciens, par un glissement facile à comprendre, appliquent aussi
le même adjectif aux corps, et en particulier, tout comme Posidonius,
au corps humain ; ainsi ALBINUS,Epit. XI 2., éd. Louis, p. 65 ; CLÉM.
n'ALEX., Strom, II 20, 118, 5, éd. Stâhlin, p. 177, 8 ; III 12., 86, 4,
p. 236, 5 ; ÜRIGÈNE, In ]oh. XIII 33, éd. Preuschen, p. 2.57, 24-26
(-rixµèv crwµcxTcx, che: tjj qium:1llv-rocpi;;ucmî, -rpi<pe:-rcxt
'î'Ïji; -rpo<p'ij,;
&.vcx1tÀ7Jpoucr7Ji;-rèv -r61tov-r&v &.1toppe:6v-roov; comparer Posidonius) ;
CALCIDIUS,ibid. 24, p. 75, 7 (« natura corporis fluida est») ; 203,
p. 2.23, 2.-3 (Tim. 43 a) ; 210, p. 22.6, 26. Sénèque lui-même introduit
cette représentation et ce vocabulaire dans sa description (peut-être
influencée par Posidonius) du platonisme scolaire; cf. son Epist. 58,
LB DUALISME DE POSIDONIUS 157
inférer que le philosophe stoïcien réduisait le corps humain
au rang de la pure matière, autre façon de ne pas le prendre
en considération dans la définition de l'homme. Cette
supposition s'accorderait bien avec une doxographie de
Macrobe 1 selon laquelle Posidonius aurait dit de l'âme
qu'elle est une idea; il aurait ainsi conçu l'assemblage du
corps et de l'âme comme la rencontre provisoire d'une
matière et d'une forme immatérielle.
Plus encore qu'entre l'âme et le corps, il apparaît que
Posidonius a introduit un dualisme 2 radical à l'intérieur
de l'âme même. Le fragment conservé par Galien et déjà
cité ne laisse aucun doute à ce sujet : l'âme humaine se
trouve partagée en deux principes, d'une part le démon
intérieur que l'on a vu, de même famille et de même nature
que celui qui gouverne l'univers, d'autre part la partie
mauvaise, animale, irrationnelle et proprement « athée » de
l'âme ; ne pas suivre en tout le premier, se laisser entraîner
par la seconde, voilà la vraie cause des passions, c'est-à-dire
de la vie malheureuse et désaccordée 3 • S'accommoder de
cette dualité, c'est faire du souverain bien un assemblage
monstrueux de membres mal assortis, semblable à la Scylla
de Virgile, c'est greffer, sur la vertu divine et céleste, un

24 : « De homine dixi, fluuida materia et caduca >>; 2.7 : « Inbecilli


fluuidique >J.
(1) Comment. in Somn. Scip. I 14, 19 ; cf. PLUTARQUE, De an. procreat.
in Tim. 2.2, 1023 B; M. PoHLBNZ,Die Stoa ... , II, p. 106 ; K. REINHARDT,
art. cil., col. 791. Cet aspect de la doctrine de Posidonius est à rap-
procher de la thèse du stoïcisme classique selon laquelle le rapport
de l'âme au corps, dans l'univers aussi bien que chez les êtres vivants
particuliers, est celui de l'e:18oç à la UÀ"IJ; cf. ALBx. n'APHROD., De
mixt., p. 2.2.6,10 sq., = SVF II 1047, p. 308, 36-40.
(2) Sur l'opportunité de ce mot, voir cependant les contestations
entre K. Reinhardt et M. Pohlenz dans les Kleine Schriften de ce dernier,
her. von H. DéiRRIE, I, Hildesheim 1965, p. 2.24-225 et 304.
(3) GALIEN, De plac. V, cité supra, p. 147, note (3) ; ajouter
la suite du texte, p. 449, 7-8 : l'essentiel pour le bonheur est -rô xoc-rt1
µ"1)8èv&ye:cr0m{mil -roü &:Myou -re:xocl xocxo8oclµovoç xocl &:0fou -rijç
lflU,('îjç; témoignage concordant de CLÉMENTn'ALBX., Strom. II 2.1,
129, 4, p. 183, 10-12 : la fin de l'homme selon P., c'est -rô ~'ijv [... ]
xomx. µl)8èv &:y6µevov u1tà -roü &:Myou µépouç -rijç lflU;('ÎjÇ; cf.
M. PoHLBNZ,Die Stoa ... , II, p. 115.
158 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

animal fangeux et veule ; l'appréciation est tirée de la


Lettre 9z de Sénèque1, où elle entoure immédiatement la
citation de Posidonius ; comme, de plus, elle recoupe
pour l'essentiel (l'âme humaine tiraillée entre l'élément
divin et l'élément animal) le texte sauvé par Galien, on peut
penser que c'est également à Posidonius que remonterait
l'image du monstre mythologique 2 • Mais cette affabulation

(1) Epi.ri. 92, 9-10, notamment : « Virtus illa diuina in lubricum


desinit et superioribus eius partibus uenerandis atque caelestibus
animal iners ac marcidum attexitur ».
(2) Cf. K. REINHARDT, art. cit., col. 759-76o. C'est alors de
Posidonius, lui-même inspiré de PLATON, Républ. IX 588 c sq. (cité
supra, p. 79), que dépendrait PLOTIN,Enn. I 1, 7 et 10 (textes examinés
supra, p. 96-98), comme le pense W. THEILER, foc. ât. supra, p. 145,
note (3). Parmi les textes platoniciens, il faut considérer aussi
Phèdre 230 a, où Socrate se place dans l'alternative d'être une bête
fauve (6îjplov) contradictoire et emportée, ou bien un être vivant de
nature paisible et simple, participant d'une destinée divine (6el°',;;
·1-ivôç;[•..]µ,o[p°'ç;<pucretµ,e't'éxov); les analyses de Posidonius dont on
trouve l'écho chez Sénèque et Galien devaient faire état d'un tel
morceau, avec lequel elles présentent tant d'analogie ; peut-être même
suscita-t-il a contrario certaine déclaration d' Antiochus, comme on l'a
supposé supra, p. 119 et note (z). Or le chapitre 21 de l'Adu.
Colotem de Plutarque, où, comme on l'a vu supra, p. 95 et note (z),
est agité le problème de la définition de l'homme, s'achève
(1119 B) précisément sur une citation de ce passage du Phèdre; cet
indice permet d'envisager que Plutarque puisse dépendre ici, en quelque
mesure, de Posidonius ; d'autant plus que Plutarque insère cette
citation pour montrer, par l'exemple de Socrate, que les incertitudes
sur sa propre nature n'empêchent pas l'homme de continuer à vivre
('t'O\J't'Ol<;
ye 't'OÏçtmÀoyu:rµ,oïç;où 't'OV~lov &vflpet; Plutarque réagissait
ainsi contre les prétentions de l'épicurien Colotès, auteur d'un traité
- cf. Adt1. Co!otem 1, 1107 E, et Non posse suauiter... 1, 1086 C -
IIe pl 't'OÜO't't XO('t'CX 't'CX't'WV&.ÀÀwv<piÀocr6q:,wv86yµ,°''t'°' où8è:
s
~ 'ij v crn v) ; or Posidonius disait de même dans son Protreptique
que les dissensions des philosophes ne doivent pas faire renoncer à
la philosophie car, à ce compte-là, c'est la vie tout entière qu'il faudrait
abandonner (DroG. LAËRcE, VII 129 : 't'éiiMyep 't'OU't'Cp 1tp0Àd1peiv
()ÀOV't'OV~lov, wç; XO(LII. <p'l]crtV tv 't'OÏÇIlpo't'pe:1tnxoïç). Quant
à l'anthropologie eschatologique du De facie, rien ne permet vraiment
de la rattacher à Posidonius, malgré les efforts déployés en ce sens,
cf. supra, p. 145 et note (1). - Si c'est à Posidonius surtout que
remonte le propos de dissocier l'.homme de la bête pour le conjoindre
à Dieu, on doit assigner la même origine à certains griefs rapportés
par Cicéron contre les vues d'Antiochus et de Calliphon relatives à
LA DÉFINITION DE L'HOMME 159
décrit la condition humaine, elle ne propose pas la définition
de l'homme ; ce qui fait que l'homme est homme ne peut
être identique à l'élément animal, ni même à l'assemblage,
mais bien au seul élément raisonnable et divin ; c'est
exactement en ces termes que Sénèque définit l'homme :
le premier attachement de l'homme ayant pour objet sa
propre constitution et celle-ci étant raisonnable, ce n'est
pas à ce qu'il y a en lui d'animal, mais bien de raisonnable,
qu'il est attaché ; car l'homme est cher à lui-même par la
partie qui fait qu'il est homme 1 ; sans aucun doute, il y a là,
à peine voilée, la définition de l'homme véritable (ea...
parte ... qua homo est) par la partie raisonnable de son âme ;
or la Lettre 121 de Sénèque, d'où ce passage est extrait,
a toutes les chances d'être inspirée de Posidonius, sous
le patronage de qui elle se place dès le début 2 ; les lignes que

la nature mixte du souverain bien; ainsi Lucullus 45, 139 : (<reuocat


uirtus uel potius reprendit manu, pecudum illos motus esse dicit,
hominem iungit deo [... ] honestatem cum uoluptate tamquam hominem
cum belua copulabis? )) (noter 46, 140 : <<multa ruunt et maxime
communitas cum hominum genere >>; sur l'importance de cette notion
chez Posidonius, cf. K. REINHARDT,art. cil., col. 771-772). Il n'est
pas impossible que ce soit en réaction contre Posidonius qu' Antiochus
a comparé à un centaure, autre monstre fabuleux, l'union de l'âme et
du corps qui définit l'homme (apud AUGUSTIN,De mor. I, 4, 6, PL 32.,
1313: <( Quid ergo homin= dicimus? animam et corpus tanquam [... ]
centaurum? >>,cf. supra, p. 68, note (2).
(1) Epist. 121, 14 : « omne animal primum constitutioni suae
conciliari, hominis autem constitutionem rationalem esse et ideo
conciliari hominem sibi non tamquam animali, sed tamquam rationali :
ea enim parte sibi carus est homo qua homo est » (thèse de Sénèque,
qui en met la description dans la bouche de l'interlocuteur supposé).
(2) Cf. supra, p. 155 et note (3). L'importance de ce texte
a été bien vue par I. HEINEMANN,op. cit., I, p. 80-81, et II, p. 317 ;
cf. aussi K. REINHARDT,art. €!1,, col. 720 ; G. PFLIGERSDORFFER,
Studien zu Poseidonios, dans (C Osterreichische Akad. der Wiss. )),
Philos.-hist. Kl., <(Sitzungsber. », 232, 5, Wien 1959, p. 21-24. Il n'est
pas sans intérêt d'observer que l'opposition est totale, et d'autant plus
perceptible que le vocabulaire est identique, avec la thèse d' Antiochus
apud AUGUSTIN,De du. dei XIX 4, cité supra, p. 120 et note (2) :
(C ... ut homo concilietursibi [... ], ita sibi amicus, ut esse se animal [... ]
uelit >>; à ces deux conceptions contraires de l'obtdCùat<; répondent
normalement deux définitions divergentes de l'homme.
160 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

l'on vient d'en lire s'accordent d'ailleurs parfaitement


au fragment conservé par Galien en ce qui concerne
la division de l'âme humaine en une partie animale et
une partie rationnelle. Ajouté à tous ceux qui précèdent,
cet indice confère quelque solidité à l'hypothèse selon
laquelle, dans la plus pure tradition de l' Alcibiade,
Posidonius aurait défini l'homme par l'élément raisonnable
de son âme, à l'exclusion du corps et de l'âme irration-
nelle ; sans doute en serait-il même venu, par une sorte
de corollaire, à ne retenir, dans l'âme, que la pensée et
l'intellect 1 ; ainsi, selon une progression cohérente, l'homme
aurait-il été défini par la ..Jiux.~,et la ~ux.~par le voüç.

III. PosmoNrns ET ANrrocHus

On voit que Posidonius est demeuré fidèle à l'anthro-


pologie des anciens stoïciens ; comme eux, et plus qu'eux,
il se trouve être en ce domaine l'héritier du platonisme.
Le paradoxe est que, dans le même temps et sur les mêmes
sujets, c'est Antiochus d' Ascalon, représentant officiel
de la tradition platonicienne, qui la désavoue ; on vient
de surprendre l'opposition des deux philosophes sur des
points précis : situation de l'homme entre la divinité et
l'animalité, objet de la conciliatio et de l' amicitia qui
attachent l'homme à lui-même, définition même de
l'homme. Ce désaccord manifeste, dans les détails comme

(1) Le Ps.-GALIEN,Histor. philos. 24, dans DrnLS, Doxogr., p. 615,


5-6, attribue en effet à <<certains stoïciens » cette réduction de l'âme à sa
faculté intellectuelle : Oô3èv yocp &no 'r'YJV <Jiux-Jiv
ÜITOÀC(µMvoucrLV 1)
,pp6v71crLv ümipxe:tv, 1iv XC(LvoGv XC(Lv6r,rnv rrpocre:tpl)XC(O-L ; c'est
pourquoi, a-t-il dit auparavant (p. 615, 4-5), l'âme est selon eux
simple et dépourvue de parties : ·nvè:ç 3è: 'r'YJV <Jiux-Jiv
Ô:rrÀ
'ijv XC(L
&µe:p'ij
-ruyxcx.ve:LVdpfixC(crLv; mais ce point de psychologie est une parti-
cularité bien connue de Posidonius, cf. GALIEN, De plac. VI, p. 501,
10-12 ; c'est donc lui qui a toutes les chances d'être concerné par
l'ensemble du témoignage.
ANTIOCHUS CONTRE POSIDONIUS 161
dans les vues d'ensemble, entre Antiochus et Posidonius
peut difficilement passer pour l'effet du hasard : il doit y
avoir eu chez l'un le dessein de faire pièce à l'autre. Qui est
alors l'attaquant, et qui est l'attaqué? Bien qu' Antiochus
soit de quelques années antérieur à Posidonius, on peut
penser, avec K. Reinhardt1, que c'est le premier qui a réagi
aux opinions du second ; dans cette perspective, c'est
Posidonius, plus immédiatement que Chrysippe, qui, pour
la définition de l'homme et la détermination de son
souverain bien, serait visé par l'enseignement d' Antiochus
tel qu'il transparaît en De fin. IV et V et dans la Cité de
Dieu XIX. D'autre part, étant donné la similitude qui
se manifeste, pour l'anthropologie et son environnement
doctrinal, entre les thèses de Cicéron dans le Songe de
Scipion comme en Tuscul. I et celles de Posidonius, il est
permis d'imaginer dans la personne de celui-ci le stoïcien
de relais qui aurait facilité à l'auteur latin l'accès aux vues
des fondateurs de l'école et, au-delà, à celles du
Jer Alcibiade 2 •
Une circonstance toutefois pourrait aller contre cette
représentation. C'est que, sur un point de première
importance, Posidonius et Antiochus semblent avoir été
d'accord, et hors d'état, par conséquent, de transmettre
à Cicéron les doctrines divergentes que l'on a vues. Il
s'agit de l'appréciation des biens extérieurs tels que
richesse, santé, puissance, et de leur valeur d'appoint,

(1) Art. cit., col. 815.


(2) Les dénégations a priori de R. M. JONES, Posidoniusand Cicero's
« Tus.ulan ».•., p. 213-214, 219-220, 226, etc., ne paraissent pas
concluantes contre cette hypothèse. Elles consistent à arguer que les
éléments de la deuxième attitude de Cicéron (ainsi, en Tuscuf. I 22, 51,
l'idée que l'âme sortie du corps est plus facile à connaître qu'enclose
en lui ; en I 27, 67, le désintérêt pour la configuration de l'âme, etc.)
ne peuvent provenir de Posidonius parce qu'ils ne concordent pas avec
le stoïcisme classique. Mais cette façon de raisonner méconnaît
l'originalité de Posidonius et la part de platonisme incorporée à son
système.
162 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON?

ajoutés à la vertu, dans la constitution du souverain bien.


Deux passages de Diogène Laërce attribuent à Posidonius
d'avoir démenti l'enseignement des anciens stoïciens en
comptant ces avantages au nombre des biens et en pré-
tendant que, sans eux, la vertu ne suffit pas au bonheur 1 .
Il n'est pas douteux que cette doctrine rejoint sensiblement
la position d' Antiochus sur la nécessité des biens extérieurs
pour la uita beatissima, sinon pour la uita beata2 ; de ce fait,
si Posidonius peut bien avoir inspiré la seconde attitude
de Cicéron pour la définition de l'homme par l'âme seule
et la dévaluation du corps, il devient difficile de lui imputer
les critiques que Cicéron, dans la même ligne de pensée,
adresse aux thèses d'Antiochus sur le souverain bien 3 ;
enfin, la position même de Posidonius semble peu cohé-
rente: comment concilier, avec le discrédit jeté sur le corps,
la valorisation de ces avantages corporels que sont la santé,
la force, la richesse ?
Il ne peut être question, pour résoudre ces problèmes,
de restreindre la valeur du témoignage de Diogène Laërce 4 •
Mais on a observé depuis longtemps qu'il se trouve
apparemment démenti par certaines attestations de Sénèque :
selon Posidonius, la richesse, la santé et autres avantages

(1) DroG. LAËRcE, VII 103 : II. µév-i-oLxocl -rocïhcx[.rc. : n-ÀoÜ·mv


xoct oy[e1ocv](jlî)(n 'rOO\/&:yoc6oov e:!vocL; 128 : ·o µÉv-roLIIocvoc[-rw,;
xd II. OùX ocù-rcxpXî) l ÀÉyoum TI)\/ &:pe:tjv,
[se. : n-po,; e:ùlhLµovlocv
&:Mà x_pelocvdvoc[ q>occnxoct ôy1e:locçxoct x_op7Jy[oc,; xoct to-x_uo,;.
ÉPIPHANE, Panar. Ill 2, 9, dans DrnLs, Doxogr., p. 593, 9-10, accentue
la thèse : II. ,An-ocµe:u,;~Àe:yeTÔ µéyLO-TO\/ &v &:•16pw1tOLÇ
&yoc6ov
e:!voctn-ÀoÜ-rovxoctôye:locv; vraisemblablement à partir de Diogène,
cf. DrnLs, ibid., Prolcg., p. 177.
(2) Pour la thèse d'Antiochus, voir supra, p. 56 et note (3), p. 64
et notes (1)-(2), p. 66-68 et notes, p. 69-70 et notes.
(3) Voir ces critiques supra, p. 61 et notes (1)-(3).
(4) M. VAN STRAATEN, Panétius. Sa vie, ses écrits et sa do.triM avec
une édit. des fragments, thèse Nijmegen, Amsterdam 1946, p. 154-156,
note que le§ 128 de Diogène (qui concerne Panaetius en même temps
que Posidonius) est à prendre à la lettre : ce n'est pas seulement la
tendance vers ces biens qui est nécessaire au bonheur, mais leur
possession réelle.
LE PROBLÈME DES BIENS EXTÉRIEURS 163

semblables ne sont pas des biens, parce qu'ils ne donnent


pas à l'esprit la grandeur, la confiance, la paix, mais au
contraire l'insolence, l'enflure, l'arrogance ; encore faut-il
voir comment ils produisent ces maux ; ce n'est pas à la
façon d'une cause directement efficiente, mais simplement
prédisposante ; aussi, sans être des biens, ne sont-ils pas
forcément des maux ; la vertu elle-même, à la rigueur,
peut prédisposer à des maux 1 • En fait, la distance qui
sépare le témoignage de Sénèque de celui de Diogène
est peut-être moins irréductible qu'il ne semble ; sans
dire que la richesse, la santé, etc. sont des biens, Sénèque,
développant les vues de Posidonius, affirme qu'elles ne
sont pas des maux ; leur relation au mal n'est pas nécessaire,
mais en quelque sorte fortuite ; l'idée que la vertu peut
elle aussi engendrer des maux est révélatrice ; car elle
établit une certaine parité entre la vertu et les avantages
extérieurs, elle rend moins inconcevable que ceux-ci
puissent être associés à celle-là dans la confection du
bonheur. En d'autres termes, la doctrine posidonienne
décrite par Sénèque comporte une certaine ouverture, par
laquelle on pourrait espérer intégrer le témoignage de
Diogène Laërce ; il reste que, d'un côté comme de l'autre,
Posidonius s'écarte du stoïcisme classique, en ce que les
avantages extérieurs ne sont plus pour lui des indijferentia,
mais reçoivent une valeur positive 2 •

(1) SÉNÈQUE,Epùt. 87, 35 : « Posidonius sic interrogandum ait :


• Quae neque magnitudinem animo dant nec fidudam nec securitatem,
non sunt bona : diuitiae autem et bona ualetudo et similla his nihil
horum fadnnt : ergo non snnt bona' », etc. ; 31-34 : « P., ut ego
existimo, mellus, qui ait diuitias esse causam malorum, non quia ipsae
faciunt aliquid, sed quia facturos irritant. Alla est enim causa efficiens,
quae protinus necesse est noceat, alla praecedens. Hanc praecedentem
causam diuitiae habent [... ] - Isto modo, inquit, etiam malum sunt
diuitiae, non tantum bonum non sunt [ = interruption de l'inter-
locuteur supposé] - Essent malum, si ipsae nocerent, si, ut dixi,
haberent efficientem causam : nunc praecedentem habent [... ) Habet
uirtus quoque praecedentem causam, adducit inuidiam 11.
(2) Explication de L. EDELSTEIN,art. cit., p. 308-309 et 312;
164 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

Rejoint-il pour autant Antiochus? Pour en décider,


il faut revenir à la Lettre 92. de Sénèque ; l'inspiration
posidonienne doit y déborder largement la brève citation
du § 10, car le texte tout entier repose sur une conception
du corps et de l'âme dont on a vu qu'elle était celle de
Posidonius. Or ces pages formulent une appréciation des
avantages corporels capable d'éclairer celle que l'on vient
de lire dans la Lettre 87 et chez Diogène Laërce : s'ils
n'entravent pas la vertu, santé, repos, absence de douleur
sont à rechercher ; non qu'en eux-mêmes ils soient des
biens ; ce qu'ils ont de bien, c'est de fournir l'occasion d'un
bon jugement, d'un bon choix ; car l'honnête réside dans
la façon d'agir, et non dans la matière de l'acte 1 • Cette
idée de concentrer la moralité dans le iudicium et l' electio
annonce assurément Épictète ; surtout, elle aide à
comprendre comment les avantages du corps sont des biens
sans l'être : ils ne le sont pas par eux-mêmes, ils le sont en
tant qu'objet de choix et de jugement, et à ce titre doivent
être recherchés ; sans doute une telle distinction, que
l'on peut croire posidonienne, offre-t-elle un moyen de
surmonter la divergence apparente des témoignages de
Diogène Laërce et de la Lettre 87 ; elle rassure enfin en
ce qui touche à la cohérence de la pensée de Posidonius,
puisqu'on voit, par l'exemple même de la Lettre 92., qu'elle

noter que certains témoignages, de médiocre valeur, il est vrai,


attribuent aux anciens stoïciens une position identique à celle de
Posidonius ; ainsi LucrnN, Vit. auct. 2.3, faisant dire à Chrysippe :
1'1'epl-.d: 1'1'pw-.ix[se. : &yix0o:Jxix-.o: cpuow -.6,e yev~crnµixt, My<ü 8è
1'1'Àoihov,uy[eLIXVXIXL-.d: '<OLIXÜ-.ix.
(1) SÉNÈQUE, Epist. 92., 11-13 : <cQuid ergo? inquit, si uirtutem
nihil impeditura sit bona ualetudo et quies et dolorum uacatio, non
petes illas ? [ = question de l'adversaire] - Quidni petam? non quia
bona sunt, sed quia secundum naturam sunt et quia bono a me iudicio
sumentur. Quid erit tune in illis bonum? hoc unum, bene eligi [... ]
Itaque non est bonum per se munda uestis, sed mundae uestis electio,
quia non in re bonum est, sed in electione quali : actiones nostrae
honestae sunt, non i quae aguntur [... ] sumpturum quidem me,
si detur electio, et s et uires, bonum autem futurum iudicium
de illis meum, non i
L'ANTAGONISME D' ANTIOCHUS ET DE POSIDONIUS 165

est compatible avec la dévaluation du corps. Il n'est pas


moins intéressant d'examiner à quel système cette doctrine
s'oppose. Celui-ci est décrit dans la suite de la Lettre 92 :
il consiste à soutenir que la possession de la vertu peut
bien rendre le sage beatus, mais non pas beatissimus, sinon
grâce à l'adjonction des biens naturels tels que la santé et
l'intégrité physique 1 • On n'a aucune peine à reconnaître
dans cet énoncé la position propre d' Antiochus ; en sorte
que, si l'on accorde, comme il faut très probablement
le faire, l'inspiration posidonienne de la Lettre 92, les
vues de Posidonius sur le souverain bien, malgré les
apparences, ne coïncident pas avec celles d' Antiochus ;
elles les démentent, ou du moins pouvaient être utilisées
contre elles, ainsi que le laissait prévoir la divergence
des deux penseurs pour ce qui est de la définition de
l'homme. C'est donc de Posidonius aussi qu'ont chance
de provenir les critiques adressées par Cicéron au souverain
bien tel que le concevait Antiochus. Un indice milite en
faveur de cette hypothèse : la riposte de Sénèque à
Antiochus consiste à arguer que la vertu, capable de
faire franchir l'abîme qui sépare le malheur du bonheur,
peut a fortiori assurer à elle seule la faible progression qui,
de beatus, rend l'homme beatissimus; par deux fois, Sénèque
illustre cet argument au moyen de la comparaison du
lumignon qui n'ajoute rien à la clarté du jour ou du
soleil 2• Or Cicéron, dans son exposé de la morale
d' Antiochus en De fin. IV, prend soin de récuser la même
image 3 , cependant que Caton, porte-parole du stoïcisme,

(1) Ibid. 14 : « Est quidem, inquit, sapiens beatus [... ] Ita miser
quidem esse qui uirtutcm habet non potest, beatissimus autem non est
qui naturalibus bonis destituitur ut ualetudine, ut membrorum
integritate ».
(2) Ibid. 5 : « Vides autem quale sit die non esse contentum nisi
aliquis igniculus adluxerit : quod potest in hac claritate solis habere
scintilla momentum? >>;de même 17.
(3) CrcÉRON, De ftn. IV 12, 29-31 : (Cin sole, quod a te dicebatur,
lucernam adhibere nihil interest [... ] Hoc simile tandem est? Non
risu potius quam oratione eiciendum? >>.

12
166 UNE SOURCE STOÏCIENNE DE CICÉRON ?

la met au contraire en avant en Defin. III 1 ; c'est donc qu'elle


avait cours dans les milieux stoïciens, et qu' Antiochus
lui-même devait en nier la portée. Mais si le maniement
de cette comparaison remonte à Posidonius, comme
le montre l'utilisation qu'en fait Sénèque, c'est le signe
d'une part que le stoïcisme combattu par Antiochus était
celui de Posidonius, d'autre part que Cicéron, quand
il critique les vues de celui-là, devait tout naturellement
reprendre les arguments prévus par celui-ci.

(1) Ibid. III 14, 45 : « Vt enim obscuratur et offunditur luce solis


lumen lucemae, ... »
CHAPITRE VI

LE fer ALCIBIADE
ET LES AUTEURS CHRÉTIENS

l. REJET DE L'ANTHROPOLOGIE PLATONICIENNE


POUR DES RAISONS DOGMATIQUES

1. La résurrectiondes corps.
Les travaux classiques sur l'anthropologie propre au
christianisme primitif 1 ne font pas état de références,
positives ou négatives, à I' Alcibiade. De fait, les auteurs
chrétiens ne tiennent guère de place dans la tradition
littéraire du dialogue. En revanche, on trouve chez eux
des traces d'une influence doctrinale, soit qu'ils se rallient
à l'anthropologie de l' Alcibiade, soit qu'ils s'y opposent ;
sans espérer, il s'en faut, épuiser la matière, il vaut la peine
de considérer quelques exemples, d'abord de ce rejet,
puis de cette adhésion.
Parmi les articles du dogme chrétien qui rendaient
difficile l'accord avec les thèses du dialogue, le principal,
on le comprend aisément, concerne la résurrection des

(1) Ainsi H. KARPP, Probleme a!tchrist!icherAnthropologie. Biblische


Anthropologieundphilosophi.rcheP .rychologie
bei den Kirchenviiterndes dritten
]ahrhuntkrts, dans « Beitriige zur Forderung christlicher Theologie ll,
44, 3, Gütersloh 1950 ; E. DINKLER, Die Anthropologie Augustins,
dans « Forschungen zur Kirchen- und Geistesgeschichte >l, Stuttgart
1934 ; A. ÜRBE, Antropo!ogla de San Ireneo, dans ccBibliot. de autores
cristianos n, 286, Madrid 1969.
168 LE fer ALCIBIADE ET LES CHR~TIENS

corps : ce point essentiel de l'enseignement paulinien ne


peut être tenu si l'on exclut le corps de la définition de
l'homme. L'antinomie apparaît déjà chez saint Irénée. Les
gnostiques qu'il combat réservaient le salut à l'âme, et
niaient que le corps, en raison de son origine terrestre et
de sa nature corruptible, y eût part 1 ; cette exclusive était
dans la ligne du platonisme. Irénée fait fonds sur la
constitution tripartite de l'homme par le corps, l'âme et
l'esprit, telle que la proposait I Thess. 5, 232, et qui d'ailleurs
était en gros admise par les gnostiques 3 ; mais il se sépare
d'eux en ce qu'il professe que, sous l'angle sotériologique,
l'homme complet ne se réduit à aucun de ces constituants
séparé des autres, qu'en particulier il ne se limite pas à
l'âme ou à l'esprit : âme et esprit, tout comme le corps,
ne sont, pris isolément, qu'une partie de l'homme total,
lequel se définit par l'union et l'assemblage des trois
éléments ; or c'est l'homme total qui est l'objet du salut
voulu par Dieu, ce qui implique que le corps aussi soit
sauvé par la résurrection 4 • L'opposition d'Irénée aux

(1) IRÉNÉE, Adu. haer. I 19, 3, éd. Harvey, I, p. 2.01 (Basilide) :


« Animae autem eorum soli esse salutem ; corpus enim natura
corruptibile exsistit » ; I 2 5, 2, p. 218 (Marcion) : « Salutem autem solum
animarum esse futuram, earum quae eius doctrinam didicissent ;
corpus autem, uidelicet quoniam a terra sit sumptum, impossible esse
participare salutem ».
(2) Ibid. V 9, 1, II, p. 342 : (( sunt tria, ex quibus [ ... ] perfectus
homo constat, carne anima et spiritu ».
(3) Cf. H. JoNAS, The Gnostic Religion. The Message of the Alien
Cod and the Beginningsof Christianiry, Boston 2 1963, p. 44.
(4) IRÉNÉE,Adu. haer. V 6, 1, p. 333-335: <<Anima autem et spiritus
pars hominis esse possunt, homo autem nequaquam [... ] Neque enim
plasmatio carnis ipsa secundum se homo perfectus est ; sed corpus
hominis, et pars hominis. Neque enim et anima ipsa secundum se
homo ; sed anima hominis, et pars hominis. Neque spiritus homo :
spiritus enim, et non homo uocatur. Commixtio autem et unitio horum
omnium perfectum hominem efficit >>(I Thess. 5, 23 est cité peu après) ;
pour l'homme comme « mélange », doctrine stoïcienne, cf. supra,
p. 93, note (2) ; sur la thèse d'Irénée, voir J. DANIÉLOU,
Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, II : Message évangélique et
culture hellénistique aux JJe et IJJe siècles, dans « Biblioth. théologique »,
LB COMBAT CONTRE LES GNOSTIQUES 169
gnostiques, on le voit, réitère en quelque mesure celle
d' Antiochus à l'anthropologie platonicienne.
Cette analyse anthropologique d'Irénée sera reprise par
les théologiens postérieurs à l'appui du dogme de la résur-
rection des corps. Tertullien dénonce les mêmes hérétiques
qui, rencontrant chez saint Paul (II Cor. 4, 16) la distinction
de l'homme extérieur corruptible et de l'homme intérieur
rénové, adjugeaient le salut à l'âme et la destruction à
la chair ; il leur remontre que l'âme par elle-même n'est
pas l'homme, et que la chair sans l'âme ne l'est pas
davantage : le mot « homme » est comme une agrafe qui
maintient les deux substances attachées l'une à l'autre, et
il ne peut les désigner que conjointes ; l' « homme intérieur »
de saint Paul, c'est moins la substance de l'âme que sa
saveur, c'est-à-dire l'intellect et l'esprit 1 . Ailleurs, Tertullien
exprime les mêmes idées en référence au texte de Luc 19,
10 : « Le Fils de l'homme est venu sauver ce qui était
perdu » ; selon lui, cette perte et ce salut concernent
assurément l'homme ; mais laquelle des deux substances
qui composent l'homme? son corps, son âme, ou encore
l'un et l'autre, c'est-à-dire l'homme total? en toute hypo-
thèse, que sa perte ait été ou non consommée, le corps est
capable de salut, et la thèse des hérétiques qui soutiennent

Tournai 1961, p. 366 ; A. ÛRBE, La deftnicùJndel hombreen la teologia


dûs. 11°, dans Gregorianum,48, 1967, p. 538 et n. 46.
(1) TERTULLIEN, De resurr. carnis 40, 3-15, éd. Evans, p. 108-110 :
<<Nactae denique haereses duos homines ab apostolo editos, interiorem,
id est animam, et exteriorem, id est carnem, salutem quidem animae,
id est interiori homini, exitium uero carni, id est exteriori, adiudi-
cauerunt, quia scriptum est Corinthiis, Nam etsi homo noster
exterior corrumpitur, sed interior renouatur die et die.
Porro nec anima per semetipsam homo, quae figmento iam homini
appellato postea inserta est [cf. Gen. 2, 7], nec caro sine anima homo,
quae post exilium animae cadauer inscribitur. Ita uocabulum homo
consertarum substantiarum duarum quodarnmodo fibula est, sub quo
uocabulo non possunt esse nisi cohaerentes. Porro apostolus interiorem
hominem non tam animam quam mentem atque animum intellegi
mauult, id est non substantiam ipsam sed substantiae saporem ».
170 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

le contraire s'en trouve ruinée : c'est bien l'homme total,


corps compris, dont le salut était promis par le Christ 1 .
Le recours à l'analyse anthropologique devient encore
plus net, parce qu'il cesse d'être voilé par des références
scripturaires, dans deux traités De resurrectionejadis attribués
à des auteurs du ne siècle, mais relevant probablement de
la lutte antiorigénienne menée au me ou rve siècle 2 • L'un
d'eux, conservé sous le nom de Justin dans les Sacra
para!lela de Jean Damascène, établit comme suit que le
salut annoncé à l'homme concerne aussi la chair : l'homme
étant un animal raisonnable composé d'âme et de corps,
ni l'âme en elle-même ni le corps seul n'est l'homme, mais
bien le résultat de leur assemblage ; si donc Dieu a appelé
l'homme à la vie et à la résurrection, il s'agit du tout de
l'homme, c'est-à-dire de l'âme et du corps ; voilà que
répondre aux adversaires selon lesquels Dieu sauve l'âme
qui lui est apparentée comme une partie de lui-même,
mais abandonne à la destruction la chair qui ne vient pas
de lui 3 • Ici encore, l'on doit constater que, malgré la

(1) TERTULLIEN,Adu. Marc. IV 37, éd. Kroyrnann, p. H8, 15-25 :


ccDe homine agi nulla dubitatio est. Hic cum ex duabus substantiis
constet, ex corpore et anima, quaerendum est, ex qua substantiae
specie perisse uideatur. Si ex corpore, ergo corpus perierat, anima non.
Quod perierat saluum facit filius hominis : habet igitur et caro salutem.
Si et anima perierat, animae perditio saluti destinatur : caro, quae non
periit, salua est. Si totus homo perierat ex utraque substantia, totus
homo saluus fiat necesse est, et elisa est sententia haereticorum negan-
tium carnis salutem. 1am et Christus creatoris confurnatur, qui
secundum creatorem totius hominis salutem pollicebatur J> ; de
même De resurr. carnis 34, z-10, p. 92 : ccquid dicis perisse ? hominem
sine dubio. Totumne an ex parte? utique totum [... ] Totus itaque
saluus fiet qui periit totus [ ... ], ex utraque utique substantia ».
(z) Cf. R. M. GRANT, Athenagoras or Pseudo-Athenagoras, dans
The Harvard Tbeofogicaf Review, 47, 1954, p. 121-129.
(3) [JusnN], De resurr. 8, 593 D-594 A, éd. Otto, p. 238-240, =
JEAN DAMAsc., Sacra parai!., éd.Holl,p.45,283-46, 306: 'l'l y6.p È:crTL\I
ô oMlpùHt"OÇ, cïÀÀ' ~ 't"O &x tJ>ux-îjçxcxl (Hilfl-Ol:'t"OÇ O"U\IE:O"'t"OÇ
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&v0poo1't"6Ç 't"O 81: tx 't"-îjç cîfJ-<j)O't"époov
È:cr't"L, O"UfJ-1't"ÀOX7ÎÇ
XOl:ÀE:t't"Ol:L
L'ANTIPLATONISMEDES APOLOGISTES 171

différence profonde des préoccupations, l'assaut de l'auteur


chrétien contre les hérétiques reproduit la lutte d' Antiochus
d' Ascalon contre la conception platonicienne de l'homme ;
les affinités de ces hérétiques avec le platonisme et le
stoïcisme sont particulièrement sensibles : on a vu par
exemple l'origine platonicienne de l'expression x,x6' É0tu"t"~V
ljiux~1 ; on a trouvé chez Épictète, formulée dans les mêmes
termes, la conception de l'âme humaine comme µÉpoç oôcr,x
-roü 6eoü, comme étant, par rapport à Dieu, -ro !~tO\I x,xt
cruyyevÉç2 • Dans l'autre traité De resurrectione,attribué
celui-là à Athénagore, deux arguments en faveur de la
résurrection de la chair s'appuient sur des considérations
anthropologiques. Le premier consiste à observer que,
la naissance et le cours de la vie ayant été accordés par
Dieu, non pas à l'âme prise en elle-même ni au corps isolé,
mais à l'homme constitué de leur réunion, il doit en aller
de même pour le terme de la vie, qui sera commun à
l'ensemble de l'âme et du corps 3 ; manifestement, un

&\10pw1toç,XÉXÀ"l)Xe: 8è ô 0€/:,çdç l;;w'Î)\Ixod &\l&o--rixo-w TO\I&v0pw1tov,


où -ro µépoç iiÀÀ<X -ro OÀOV XÉXÀ"l)XE:\I,om;p to-·d ~V !Jiux'Î)\Ixixl TO
o-&µix [ ... l Ncxl, <pM(v · ti),.),.'71 µèv ljiux-Jifo·tw &<p0ixp,oç,µépoç
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O"WO"IXt· 718è O"<Xp~ <p01Xp~XIXloùx ocre'IXÙ,oüXIX0&mp71
4JUX7J· De la doctrine hérétique combattue par le ps.-Justin, on trouve
encore un écho chez ÉPIPHANE, Ancor. 55, 9, éd. Holl, p. 65, 13-15,
qui, tout en niant que l'âme humaine soit une partie de Dieu, ne
s'explique pas comment elle est pourtant identique à l'insufflation
divine selon Gen. 2, 7 : oihe: µÉpoç 0e:oü Àéyoµe:v€1\IIXt~\I !Jiux'Î)\I
o!he: iiÀÀo,p!IX\I,oü èµ<pucr-JiµIX't"OÇ.
(1) Cf. supra, p. 153, note (1). On retrouvera deux fois la
même formule dans le texte du ps.-Athénagore cité infra, p. 171,
note (3), et p. 172, note (2).
(2) Ainsi ÉPICTÈTE, Dissert. I 14, 6 : od 4JUX,1Xl [•••] cruv1X<pe:Ï:ç-,cj">
0e:cj">
éhe: IXÙ't"OÜ
µ6pt1XOUO"Ctt ; II 8, 11 : ~xe:u; Tt t\l o-e:1Xu,cj"> µépoç
èxe:l\lou. T! oiSv ocyvoe:!,;crou ~v o-uyyéve:tccv; etc.; cf. supra, p. 137.
(3) [AnrÉNAGORE],De resurr. cadau. 15, éd. Schwartz, p. 65, 25-66,
4 : Et yà:p 1tê'io-et
XOtVWÇ 71TW\I&v0pW7tCù\l <pucrtçèx !Jiuxîjç&01XVIXTOU
XIXlTOÜXIXT<X ~\/ yéve:crtvIXÙtjjO"UVIXpµocr0éno,; crwµIX,OÇŒxe:t~V
O"UO"TIXO"LV,
XIXLµ1i,e: ,'/i <pucm-rijç !Jiuxîjçxcc0' €1XU~\Iµ1i-:-e: tjj <pÙcre:t
TOÜO"WµIX,OÇ XCùpLÇ ti1te:XÀ7lpCùO"E:V
fü:OÇ~V 't"Ottfv8e: yéve:crtV~ ~V
~w'Î)v xlXl -:-ov crùµ1t1XVTIX f3(ov, &Mà: ,oï:ç èx ,oÙ,Cù\l 71vwµévot_;
172 LE fer ALCIBIADE ET LES CHRaTIENS

tel raisonnement suppose une conception de l'homme qui


inclut le corps comme un élément constitutif. Le deuxième
argument est plus singulier : l'intellect et la raison ayant
été donnés à l'homme pour juger des objets intelligibles,
le jugement rationnel doit subsister autant que les intel-
ligibles, ce qui implique la permanence de la nature qui en
a reçu le privilège ; voilà posé un principe d'allure plato-
oicienne1 ; mais l'auteur en tire une conclusion qui, elle,
tourne le dos au platonisme : cette nature à laquelle ont
été donnés l'intellect et la raison, ce n'est pas l'âme en elle-
même, c'est l'homme ; c'est donc lui, fait de ses deux
constituants, qui doit demeurer à jamais ; or il ne le peut
que par la résurrection, indispensable à la permanence de
la nature humaine en tant que telle 2 •
Le De resurrectionede Méthode d'Olympe est dirigé expres-
sément contre l'origéoisme. On sait que la doctrine
origénienne de la résurrection telle que Méthode la présente
ne coïncide pas avec celle que reflètent certains textes
d'Origène lui-même 3 • Il y a là un problème difficile qu'on
se gardera d'aborder. Qu'il suffise pour le moment

iiv6pw1t0Lc;,[ ..• J 8e:i: [ ... 1 1tpôc; lv 't"L't"tÀoc;&vixcptpe:a61XL 7t(X\l't"IX


't"OVèx 't"OU't"WV dpµ6v.
(1) a. PLATON, Ménon 86 b; PLOTIN, Enn. IV 7, 12, 11 ; AuGuSTIN,
De immort. animae 1, 1 ; 4, 5 ; 6, 11.
(2.) De resurr. cadau. 15, p. 66, 2.0-30 : El 8è xixt voüc; xixl À6yoc;
8t80't"IXL't"OÎ:<;;
&v0p<il7t0LÇ n:poc; 8Lœitpun11VO"l]'l"WV [ ••• ], <X.V<X.YK"IJ,
3Lixµs:v6vTwv éi.ivlvs:xs:v11ÀoyLit'l)M8oTtl.LxplcrLc;,xat aÙ'r'l)V3uxµé11e:Lv
'r'l)Vè1tl 't"Où't"OL<;
8o0e:foœv xpLcrLV 8è 8Laµéve:L11
• 't"CCU't""IJV &Mvix't"o11,
µ'!) -rijc;lkl;œµtv"l]c;IXÙ'r'IJII
xixl 't"IXÈ11otc; ècr't"L3Lixµs:vo60'1]<;
cp6cre:wc;.
'O 8è xœt voüv xœt Myov 3e:1;&µs:v6c; ècmv &v0pc,moc;,où IJiux'IJ
xix0' fouTI)v · &v6pw1tovôtpœ8e:i:'t"OVèi; &µcpo't"&pwv IS11't"a
8Lœµéve:LV
e:tç&.e:(, 3è 8LixµbJe:Lv
TOÜ't"O\I &.86vœ't"O\I µ'!) IXVLO''t"œµe:vov.
'AVIXO''t"tXCie:Wc;
yocp µ'!) yLVoµtV"l]Ç, OÙJ.1.
OCV 11't"WV&v0p<il7t<ùll &ç &v0pw7tWV 3LœµévoL
cpucrLç.Sur le caractère antiplatonicien de cette page, voir L. ALPONSI,
Motivi tradizionali del giovane Aristotele in Clemente Alessandrino e in
Atenagora, dans Vigil. christ., 7, 1953, p. 139-140.
(3) Cf. J. FARGES, Les idées morales et religieuses de Méthode d'Ofympe.
Contribution à l'étude des rapports du christianisme et de l'hellénisme à la
fin du IJ[e siècle, dans « Biblioth. des Archives de Philos.», Paris 1929,
p. 191-204.
LES CONTROVERSES ORIG~NISTES 173

d'observer que la position attribuée à Origène par Méthode


recoupe celle qu'Irénée et Tertullien dénonçaient dans
le gnosticisme : la résurrection de la chair était niée parce
que le salut était réservé à l'âme seule 1 • Contre cette thèse,
l'argumentation de Méthode diffère de celle de ses prédéces-
seurs, mais elle continue de s'appuyer sur des considérations
anthropologiques : étant l' œuvre directe de Dieu qui est
immortalité, l'homme est immortel ; mais qu'est-ce que
l'homme dans sa véritable nature? ni l'âme séparée du
corps, ni davantage le corps séparé de l'âme, mais l'ensemble
de l'âme et du corps conjoints dans la beauté d'une forme
unique ; en particulier, il ne saurait y avoir d'homme en
dehors d'un corps, mais seulement avec un corps ; celui-ci
ne périt donc pas 2 • Sans corps, l'homme n'est pas homme:
on voit combien cette doctrine, comme les précédentes,
s'oppose à l'anthropologie platonicienne. Un détail le
confirme : on a rencontré plusieurs fois, chez divers auteurs
héritiers du platonisme, l'idée qu'il y a dans l'homme
comme une effigie divine imprimée d'en haut, cet &yo:Àµo:
ou simulacrum étant jusqu'ici discerné dans l'intellect
humain 3 ; la notation prendra une importance considérable
dans la théologie chrétienne, en relation, on le devine, avec
Gen. 1, 26-27 sur l'homme créé à l'image et ressemblance

(1) MtTHODE, De rcsurr. I 51, 2, éd. Bonwetsch, p. 305, 4-6 : au


lieu de réfuter les sadducéens (Matth. 22, 23-30), le Christ leur aurait
donné raison e! µ-lj 'ljv &:voccr-roccrL<;
mxpx6<;,&:)iÀo: µ6vov tcr<!>~e-ro
~
ljiuxlJ•
(2) Ibid. I 34, 4, p. 27z, 7-9: "Av6pw1to<;8è &:).-1J0fo-roc-roc
Àéye-
't'IXL XIX't'IX <J)UO"LV oihe ljiux-lJ xwpL<; crc!iµoc-ro,;
01'.l-r' oci'i ml:ÀLV
crwµoc xwpl<; ljiux-ïj,;, &:JJ.&:-.ô èx crucr-roccrew,; ljiux-ïj,; xa:L
crc!iµ oc-ro ç; e!ç; µLocv 't"-ljv-.oü xa:Àoܵop <p-lJv cruv-.e0év(Méthode
se souvient là de la définition de l'être vivant donnée dans l'Epin.
981 a, à laquelle il emprunte les mots soulignés ; d'autre part, sa
phrase sera conservée par PHOTIUS,Bib!iotb. 234, 293 a 30-33) ; I 50, 3,
p. 304, 10-15 : éév6pw1toç8è 't"Ôèx ~U;('Ïj<; xod crc!iµoc-roç; Mye-.oct
cruv-.e0év,oùx fo-.oci &pocèx-rôç crc!iµoc-roç 6 &v0pc,moç,&:Uix µeTœ
crc!iµoc-.oç; [•.•] Oùx éépoc&:1t6ÀÀuTocL TÔ crwµoc.Cf. J. FARGES,op. cit.,
p. 92-93.
(3) Voir les références récapitulées supra, p. 1391 note (1).
174 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRETIENS

de Dieu ; Méthode, pour sa part, trouve à ce sujet des:


formules qui font penser à celles de Cicéron ou de Philon ;
mais avec une différence caractéristique de leur désaccord
sur la définition de l'homme: ce n'est plus pour lui, comme
pour eux, l'intellect humain qui seul porte l'effigie de la
divinité, c'est l'homme entier fait d'une âme et d'un
corps 1. Il faut savoir enfin que les analyses anthropologiques
de Méthode seront reprises, presque sans changement, par
les adversaires ultérieurs de l'origénisme ; ainsi, au
vre siècle, par l'empereur Justinien : l'homme ayant été
créé complètement, et ne se réduisant ni au corps sans âme
ni à l'âme sans corps, l'âme, non moins que le corps, est
l'œuvre de Dieu 2 • Vers la même époque, l'exégète Procope
de Gaza se souvient aussi des thèses de Méthode : au sens
propre, l'homme se définit par l'ensemble des deux éléments
qui le composent, et non par aucun d'eux pris en lui-même 3 ;
sans doute le même Procope ne méconnaît-il pas la
supériorité de l'âme ; il retrouve, pour l'exprimer, certaines

(1) De resurr. I 34, 1, p. 271, 8-10 : Dieu a introduit dans le monde


l'homme, imitation ressemblante de sa propre image, il a fabriqué de
ses propres mains cette statue radieuse destinée à un beau temple
(of.ytû.µocwc;b., vocc'ï>xocÀC))
cpocL3p6v). Mentionnant les mains de Dieu et
l'insertion dans le monde, Méthode montre bien qu'il entend par cet
of.yocÀµoc le corps de l'homme aussi; de même en I 35, 2, et surtout en
I 35, 4, p. 275, 4-9, où il est dit que l'art souverain de Dieu (0e:àc;o
ixpLcr't"oTéxvocc;)a fait immortel l'homme, qui est sa statue raisonnable
('t"àof.yocÀµoc't"OÀoyixàv !oc1noü,'t"O\I&.v6pCù1tov);
car c'est l'immortalité
du corps de l'homme qui importe dans un traité sur la résurrection.
Voir sur ces textes J. FARGES, op. cit., p. 91-92,
(2) JUSTINIEN, Liberadu. Origenem,PC 86 I 953 A,= E. SCHWARTZ,
Acta concil. œcum., III, Berolini 1940, p. 192, 29-31 : "Aµoc ycl:pcrwµoc
ô 0e:àc;xocl TY)\I4IUX7JV
l1tÀoccre:v i:lhiµmupY7Jcre: TÉ:Àe:mv
Tàv of.v0pc,mov
&7:onÀÉ:crocc;• où3è ycl:p crwµoc XCùfllÇtJ;ux'ijc;,où3è ljlUX7Jxwplc;
crwµocToc;of.v6pCù1toc;.
(3) PROCOPE DE GAZA, Comment. in Cen. II 7, PC 87 I 157 A :
"AvOpCù1toc; 3è xup!Cùc;'t"à cruvocµcp6't"e:pov
• ixÀÀ'où3é't"e:povXct't"'ctÙ't"o
TW\Icruvn0év't"Cù\l 't"O\I&116pCù1tO\I
; noter la ressemblance dans le voca-
bulaire, en même temps que l'opposition dans la pensée, avec l' Alcib.
130 c; le refus de définir l'homme par un seul composant Xct't"'ctÙTÔ
rappelle le même refus opposé à la tJ;ux7JxxO' ocutjv, cf. supra, p. 171
et note (1).
LA CHRISTOLOGIE APOLLINARISTE 175
notations platoniciennes qui rappellent la thèse des
adversaires du pseudo-Justin 1 : infiniment plus que le corps,
réalité extérieure, l'âme, principe interne, vit en conjonction
(ot'.xe:tCùcnc;)
avec Dieu qu'elle connaît et qui est son péda-
gogue ; c'est elle qui vaut au corps la résurrection 2 ; mais
ces concessions au platonisme ne vont pas, tant s'en faut,
jusqu'à réserver le salut à l'âme, comme c'était la pensée
des gnostiques et des origéniens.

2. L'Incarnation du Verbe.

Une autre considération empêchait les théologiens


chrétiens de se rallier à l'anthropologie platonicienne du
Jer Alcibiade: celle du dogme de l'Incarnation. L'adversaire
était ici l'hérésie apollinariste. Selon Apollinaire de Laodicée
(fin du rve siècle), soucieux de sauver l'unité de la personne
du Christ, le Verbe n'aurait pas assumé une nature humaine
complète, mais seulement le corps d'un homme, à l'exclusion
de l'âme, ou seulement le corps et l'âme d'un homme,
à l'exclusion de l'intellect 3 • Contre cette hérésie, la riposte
de l'orthodoxie consistera principalement à arguer que
l'homme total ne pouvait être sauvé que s'il avait été
assumé dans sa totalité par le Verbe ; comme le dit Grégoire
de Nazianze, c'est inintelligence que d'imaginer qu'un
homme sans intellect, uni à la divinité, aurait pu procurer

(1) Cf. supra, p. 171 et note (2).


(2) Comment. in Gen. II 7, PG 156 A : ... t1td xctl tv iiµî11 l!/;CùfJe:11
µè11TO o-wµoi, f11aovaè î) ~ux~.7tÀE:ÎO"'t"OV 000"0( -r<'i'>
fJe:0 otxe:Lo-repoi
't"OÜo-ooµoi-roi;.rwooo-xe:t n: yocp Otl>'t"OV
xoil 1toitaeuE't"O(t 1toip' oiù-roü •
x&.xEï:voatoc 't"OCUTI)V &.1toÀOC1JEL-nji; &.voiO"'t"IXO"ECùÇ
' -rotyoipoü11)(.O(L
otxdCùo-tç 1te:plTOCUTIJ'IµEL~Cùv ifµqiotlve't"oit.
(3) Cf. J. TIXERONT, Histoire des dogmes dans /'Antiquité chrétienne,
II: De saint Athanase à saint Augustin (p8-430), dans «Biblioth.
de l'enseignement de l'hist. ecclés. )), Paris 10 1931, p. 97. On reconnaît
une nouvelle référence à la tripartition platonicienne et aristotélicienne
de l'homme en o-wµoi,~ux~et vouç, cf. supra, p. 94, note (1).
176 LE I" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

le salut total ; car ce qui n'était pas assumé par le Verbe


ne pouvait être rendu à la santé 1.
On comprend que cette argumentation reposait sur
une certaine notion de l'homme, qui trouvera souvent
l'occasion de s'exprimer. C'est ainsi que, s'attaquant à la
forme la plus sommaire, mais non pas sans doute la plus
ancienne 2 , de l'apollinarisme, saint Athanase expose que
le salut procuré par l'Incarnation ne peut concerner le corps
seul, puisque l'homme dans sa totalité est véritablement
âme et corps 3 • Quant à l'autre présentation de l'apollina-
risme, qui, dans l'homme, distingue de l'âme l'intellect,
elle fut combattue notamment par Grégoire de Nazianze,
au moyen d'une anthropologie bien arrêtée : la nature
humaine se composant de trois éléments, le corps, l'âme
et l'intellect, l'intellect suprême du Verbe se l'est attachée
tout entière 4 ; n'en déplaise à Apollinaire, la divinité
était incapable de remplacer l'intellect humain : on ne fait
pas un homme en ajoutant la divinité à la chair seule, ou
à l'âme seule, ou à l'une et l'autre si l'on oublie l'intellect,
qui est le principal de l'homme ; c'est à la totalité de
l'homme qu'il faut joindre la divinité 5• Dans le monde

(1) GRÉG. DENAZ., Epi.ri. 101 {adC!edonium),PG 37,181 C-184A:


Et ·nç e:lç &vouv &v!:lpc,movi)Àrmte:v,&v67JTOÇ /Sv,;ooçfo,;(, xo:l oùx
&~wç OÀCilÇ O'Cil~e:cr!:lo:L.
Tà yixp &n-p6crÀ7J7t'TOV,
&fü:p&n-e:\lTOV• & 8è
~VCilTO:L ; cf. J. TIXERONT,op. cit.,
TCÏ>!:le:4>,TOUTOxo:t O'Cil~e:TO:t
p. 114-115.
(2.) Cf. AuGUSTIN, De diu. quaest. LXXXIII, quaest. 80, 1.
(3) ATHANASE,Epist. ad Epict. 7, PG 2.6, 1061 B, = éd. Ludwig,
1JcrooT7Jplo:
p. 11, 11-13 : où <po:v-.o:crlo: tjµwv où8è crwµo:-.oç µ6vou,
&U' OÀO\l(X'i!:lpCil7t'O\l
tjiux_'ijç 1j O'Ci1T7Jplo:
xo:t crwµo:-.oçCX.À7J!:lwç yéyovev
tV O:ÙTq> Tq>A6y<p.
(4) GRÉG. DE NAZ., Carmina I 1, 10 : De incarn., adu. Apollinarium,
vers 1-3, PG 37,464 A-465 A : Nouv TOVµéytO'TOV foµev &v!:lpwn-ou
qiucrw I n-ifoo:vn-o:yévTo:,&X Tptwv cruyxetµé:111iv, 1 tJiux'ijçT€ xo:l VOU
xo:l n-&xouç TOUcrwµo:-.oç; Oral. 30 (theol. 4), 2.1, PG 36, 132.B, =
éd. Mason, p. 142., 7-8 : •.. n-&v-.o:ôn-èp n-&v-.c.>v yev6µevo,;;, llcro:
tjµe:î,;;,7t'Àl)\Itjç &µo:p,;(o:ç,crwµo:, 1Jiux7l,\IOUÇ.
(5) Epi.ri. 101, PG 37, 184 B : 'AU' i)px.i;:t,<p7Jcrlv, 1j 6e:6T7J.;;
&v-.l
Tou voü. Tl o?ivrrpàç èµè TOÜTo; 0e:6T7Jçyixp µeT<Xcro:pxàçµ6117Jç oùx
&v!:lpoon-oç, &U' où8è IJiux'ijçµ6v7J<;;, où8è &µ<po-.époov xooplç -.oü voü,
& xo:l µeiUov &v!:lpc,moç. T7jpe:toov -.àv &v!:lpc,mov8Àov,xo:l µl~ov Tl)V
UN ANTIPLATONISME TEMPÉRÉ 177

latin, saint Ambroise, luttant contre les mêmes apolli-


naristes, observera pareillement que retirer à l'homme son
âme raisonnable ou son corps, c'est supprimer la nature
humaine tout entière 1 • Pas d'homme sans l'intellect, qui
est le meilleur dans l'homme, écrira de même saint Augustin
à l'encontre de l'apollinarisme 2 •
Il n'est pas douteux que l'anthropologie sous-jacente
à cette défense de l'orthodoxie, dans la mesure où elle
inclut expressément le corps dans la définition de l'homme,
se sépare de celle du Jer Alcibiade; toutefois, à la différence
de ce que l'on a observé touchant le dogme de la résurrec-
tion, il s'agit ici d'un désaccord de fait, et non pas d'une
hostilité dans l'intention : les chrétiens engagés dans la
lutte contre l'apollinarisme maintiennent bien le corps au
nombre des constituants authentiques de l'homme, mais
c'est sur l'âme ou l'intellect qu'ils mettent l'accent ; à ce
titre, leur visée rejoint celle des platoniciens plus qu'elle
ne s'en écarte, et telles de leurs formules sur l'intellect
8 xod µiiÀÀo\lcx\10pw1toç (Grégoire de Nazianze) ou quodest
optimum in homine (Augustin) sont proches du platonisme.
D'autres croyances chrétiennes encore exigeaient que le
corps fût inclus dans la nature humaine ; ainsi, pour n'en
signaler qu'une, la théologie sacramentaire, où le signe
sensible n'aurait plus sa place si l'homme était défini par
sa seule âme 3 •

6e:6TI)'t"OC,
Ces textes de Grégoire de Nazianze ont déjà été rapprochés
a contrario de l' Alcib. et des Lois XII 959 ab par K. GRONAU,De
Basilio, Gregorio Nazianzeno Nyssenoque P!atonis imitatoribus, diss.
Gêittingen 1908, p. 5-7.
(1) AMBROISE,De incarn. sacram. II 11, PL 16, 821 A:« homo ex
anima rationabili constat et corpore. Si alterum toilas, totam naturam
hominis sustulisti »; de même VII 67, 835 B.
(2) AUGUSTIN,De agone christ. 19, 21, éd. Zycha, p. 121, 13-20 :
c<audent dicere non habuisse hominis mentem, sed solam animam et
corpus. Hoc est dicere: non fuit homo [... ] hoc eum negant habuisse,
quod est optimum in homine ll ; et aussi De ftde et symb. 4, 8 (cf. 10, 23) ;
Coef. VII 19, 25 ; De ciu. dei X 27 ; Serm. 237, 4, 4, etc.
(3) Cf. par exemple, pour le baptême, AMBROISE,Expos. euang.
sec. Luc. II 79, éd. Schenkl, p. 84, 17-20.
178 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

11. ACCUEIL DE L'ANTHROPOLOGIE PLATONICIENNE


A DES FINS SPIRITUELLES

1. Les thèmesplatoniciensclassiques.
L'hostilité que, par souci de pureté dogmatique, les
théologiens chrétiens sont obligés de marquer à l'endroit
de la définition platonicienne de l'homme ne les empêche
pas d'apprécier les ressources que celle-ci leur offrait pour
la vie morale et ascétique. Ainsi retrouve-t-on chez eux
la plupart des aspects traditionnels de l'anthropologie
platonicienne, à commencer par la conception du corps.
Quand Origène écrit que les honneurs funèbres appliqués
au corps se justifient par le fait qu'il fut la demeure et
le fidèle instrument de l'âme raisonnable, mais que seule
celle-ci mérite d'être honorée1, il emploie le vocabulaire
du Jer Alcibiade (5py~vov), il rejoint l'image de Tuscul. 1
(olxYJTIJpwv= domus), il pourrait se souvenir des passages
platoniciens qui, dans un contexte identique, distinguent
l'homme véritable de son cadavre 2 ; ailleurs, prenant
occasion du Livre des Juges 5, 10, il compare le corps à une
monture, et le « moi », ou homme intérieur, au cavalier
qui l'utilise 3 ; on reconnaît là une image familière à la

(1) ÛRIGÈNE, C. Cels. VIII 30, éd. Koetschau, II, p. 245, 27-246, 5 :
'f'ux-riv yocp ÀOYLXYJ'I ·nµo:'I µ6Vl)'I '1jll.&Î:Ç
foµev xcd 't"OC 't"OCU't"7lÇ
opyoc'loc µe't"oc 't"tµ-ïjc;1tocpoc3ta6'1octxocTocTOCve'loµmµÉvoc 't"occp'/i ·
&~to'Iyocp't"OT"ÎjÇ Àoytx'iîc;<Jiux'iîc;
olX7JTIIPLO'Iµ-ri 1tocpocppm:Td'1
[ ••. ],
xocl µciÀtO"TOC on ol <Xpmnoc\lOL> TI)\/ ·rtµY)'I TOUcrwµ<X't"OÇ, ~veoc
Àoytx-1)<Jiux1lc\>X7Jm:, 1temcrTeuxocmxocl h,' ocÔTovcp6&croct<Tov>
3e~&µevov xocÀwc;&y<ùvtcrocµsv7JV 3toc TOtoUTOUÔpy&vou \jiux~'I ;
les mots soulignés sont ceux mêmes de Celse, cf. VIII 28, p. 243,
26: Pour l'idée que le corps ne fait pas partie de la personnalité,
volt H. CROUZEL, L'anthropologie d'Origène dans la perspective du combat
spirituel, dans Revue d'Ascét. et de Mystique, 31, 1955, p. 382.
(2) Cf. supra, p. 78-79.
(3) ÛRIGÈNE, In Iud. hom. (trad. Rufin) VI 5, éd. Baehrens, p. 502,
23-503, 1 : <<Corpus hoc meum iumcntum est; ad adiumentum
enim_ animae et ad ministerium datum est ; ego autem sum, id est
mtenor homo, qui ascendi super iumentum >>.
LA CONCEPTION DU CORPS 179

tradition platonicienne, qui l'employait également pour


montrer que l'âme constitue la véritable personne 1 . Se
faisant l'interprète de la pensée des « Hébreux » dans la
ligne de Philon et d'Origène, Eusèbe de Césarée conçoit
le corps comme l' « enveloppe » ou le « vêtement »
(m:piooÀ~, m:ploÀ'Y)µoc) terrestre de l'âme 2 ; le rapport du
corps à l'âme est pour lui celui de l' « animal domestique »
(8péµµoc) ou de l'« esclave» (~ouÀoç)à son maitre (&pxov,
3 • Connaissant l'influence exercée par Cicéron
~s:0"1t6TTjç)
sur Lactance, on ne s'étonnera pas que celui-ci ait adhéré
à l'anthropologie platonicienne telle qu'il la trouvait en
Tuscul. I et dans le Songede Scipion,au point d'en reproduire
non seulement les idées, mais les termes mêmes : ce que
l'on voit, ce que l'on touche, ce que l'on saisit de l'homme
n'est pas l'homme, mais son revêtement, son uas, son
receptaculum;l'homme véritable, qui est l'esprit, se dissimule
à l'intérieur de ce contenant, et ne se révèle que par ses
actes et son comportement 4 • Pour montrer que la chair

( 1) On a vu cette image et la doctrine qu'elle illustre repoussées


par Varron-Antiochus, cf. supra, p. 66 et note (1), mais rap-
portées avec faveur par Plutarque, cf. supra, p. 93 et note (2).
(2.) EusÈBE, Praep. euang. VII 4, 1, éd. Mras, I, p. 366, 2.5-2.6;
10, 9, p. 381, 12.-13.
(3) Ibid. 4, 3, p. 367, 11-15 ; 18, 6, p. 399, 2.5-400, 4.
(4) LACTANCE,Diuin. instit. II 3, 8, éd. Brandt, p. 104, 2.2-26 :
« Nec mirandum est si deum non uideat [se.: le vulgaire ignorant],
cum ipsi ne hominem quidem uidcant quem uidere se credunt. Hoc
enim quod oculis subiectum est non homo, sed hominis receptaculum
est : cuius qualitas et figura non ex liniamentis uasculi quo continetur,
sed ex factis ac moribus peruidetur »; De opif. dei I 10-11, éd. Brandt,
p. 5, 19-6, 2. : « ... corpus, cuius omnis ratio ideo conparata est, ut
animo tamquam domino seruiat et regatur nutu eius. Vas est enim
quodammodo fictile quo animus id est homo ipse uerus continetur » ;
XIX 9, p. 62, 4-63, 3 : [l'homme qui garde la foi] ccsimilis deo sit
necesse est. Errat enim quisquis hominem carne metitur : nam hoc
corpusculum quo induti sumus, hominis receptaculum est. Nam ipse
homo neque tangi neque aspici neque conprehendi potest, quia latet
intra hoc quod uidetur )>. Comparer avec les textes de Cicéron cités
supra, p. 60, notes (1)-(2). S. BRANDT, Über die Quel/en von Lactanz'
Schrift De opiftcio dei, dans Wiener Studien, 13, 1891, p. 277 sq., n. 5,
a fait quant à lui le rapprochement avec les passages de Némésius
180 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

n'est pas l'homme, Ambroise reprendra la vieille image du


corps vêtement de l'âme, et en conclura à la hiérarchie qui
doit régler nos devoirs envers l'un et l'autre 1 .
On se souvient que l'Alcibiade tout d'abord, et plusieurs
représentants de la tradition qui s'ensuit 2 distinguaient
l'homme même de ce qui est à lui, et davantage encore de ce
qui le concerne de façon plus lointaine. On retrouve des
traces de cette discrimination chez plusieurs auteurs
patristiques. Basile s'en tient encore assez loin quand,
dans un contexte tout moral, il oppose, aux biens matériels
qui ne sont pas nôtres, ce qui l'est véritablement : l'âme
subtile et intellectuelle et le corps son véhicule, c'est-à-dire
l'homme 3 • Plus fidèle à l'esprit de l'anthropologie plato-
nicienne, Grégoire de Nysse distingue fortement, parmi
nos constituants, l'ordre de l'âme et, d'autre part, l'ordre du
corps et les biens extérieurs ; mais il se livre à une sorte
de surenchère par rapport au Jer Alcibiade quand il donne

signalés supra, p. 101 et notes (1)-(2), et conclu à l'existence d'une


source commune aux deux auteurs, sans oser la nommer ; la chrono-
logie détourne de penser à Jamblique, mais non pas peut-être à
Porphyre, dont le ~'Y)'n)µOC est en tout cas à l'origine de l'un des textes
cités de Némésius (ce qui a échappé à Brandt) ; aussi bien, les notations
de Lactance pourraient s'expliquer suffisamment à partir de Cicéron.
(1) AMBROISE,Exam. VI 6, 39, éd. Schenkl, p. 231, 2-7 : « Caro
amictus est animae, quae se induit quodam corporis uestimento.
Non igitur tu uestimentum es, sed qui uestimento uteris [ ... ] Non,
inquam, caro es tu ll ; De Isaac uel anima 2, 3, éd. Schenkl, p. 643,
19 : « alius qui induitur et aliud uestimentum l> ; 8, 79, p. 700, 6-9 :
« Nos animae sumus, nostra autem membra sunt <uestimenta>.
Seruanda sunt quidem uestimenta, ne scindantur, ne inueterescant,
sed ille magis qui his utîtur seruare se debet et custodire ll. Sur le
corps comme vêtement, cf. Sénèque cité supra, p. 133, note (3) début.
(2) Ainsi Plotin, Porphyre, Julien, cf. supra, p. 99, 103-104 et 107 ;
pour les textes de l'Alcib. même, cf. p. 72-73.
(3) BASILE,Hom. 21, 5, PG 31, 548 D-549 A : T( 13è6v-rù>Ç ijµé-t-e-
pov ; <Jiux~-re, 11~wµev, À1mtj w; oocroc,ta;Lvm:p&.[...] . KOCL crwµa;,
8061:v<lX'IJµoc
-ro 't"OCU"tî} [... ] Toü-ro yà;p &v0pc,mo,;.L'idée que le corps
humain est 1'6x'IJµa;de l'âme, à distinguer de l'immense spéculation
néoplatonicienne sur le « corps astral», vient de PLATON, Tim. 44 e
et surtout 69 c; elle se rencontre aussi chez MÉTHODE,De resurr. II 22,
1, p. 376, 9-11 : a&µcc [... ] 'njç <J,ux'ijç-reTUX'IJKEV 6x'IJµa;.
NOUS ET LE PLUS OU MOINS NÔTRE 181
le domaine de l'âme pour véritablement nôtre (et non pas
pour identique à nous-mêmes), et le domaine du corps
et les biens extérieurs pour étrangers à nous, faussement
nôtres et pris pour tels par appropriation (tandis que le
dialogue déclarait nôtre le corps)1. Ambroise en revanche
se range dans la droite ligne de l' Alcibiade quand il identifie
clairement l'âme au nos, et le corps au nostrum; il marque
encore sa conformité au dialogue par sa façon de poser le
problème de l'essence de l'homme au moyen de trois
hypothèses, et de concevoir le rapport du corps à l'âme
comme celui de l'instrument à l'utilisateur ou du serviteur
au maître 2 •

(1) GRÉG. DE NYSSE,Comment. in Cant. cant. IX (ad Cant. 4, 12), éd.


Langerbeck, p. 276, 16-277, 2 : è:rre:L3'1] -rwv è:117Jµ'iv -rocµèv WÇ<XÀ'l)6wç
ècr-rw 1iµihs:pcx, llcrcxtjç \jluz'rjç ècr-rt11'latcx, -roc 3è obmouµs:6cx w,;
1iµihe:pcx,-rocm:pt 'rO cr&µ& 'rS:xixt 'r<X~i;w0s:v Myw, Sui 'rt\lOÇlJfJ,<Xp'r'l)-
µ~V'l)ÇùrroÀfi\jls:wç 'latix voµl~o11-rs:ç-roc exÀÀ6-rpL<X. Noter la notion
d'olxs:lwcrLç, dont on a conjecturé supra, p. 159 et notes (1)-(2),
la présence chez Posidonius. Sur l'anthropologie platonicienne de
Grégoire et le fait qu'il exclut le corps de la nature de l'homme, voir
A. H. ARMSTRONG,P!atonic E!ements in St Gregory of Nj.r.ra's Doctrine
ef Man, dans Dominican Studies, 1, 1948, p. 119-126.
(2) AMBROISE,De Isaac 2, 3, p. 643, 17-18 : (intrigué par le fait que
des hommes sont désignés par le mot animae en Gen. 46, 26, alors qu'en
Gen. 6, 3 l'homme est dit caro, - et avant de voir dans cette différence
la dualité des fidèles et des pécheurs, - l'auteur pose la question
suivante)<< Quid est itaque homo? Vtrum anima an caro an utriusque
copula? Aliud enim nos sumus, aliud nostrum n ; De bono mortis 7,
27, éd. Schenkl, p. 728, 7-12 : <cAnima est ergo quae utitur, corpus
quod usui est, ac per hoc aliud quod in imperio, aliud quod in
ministerio, aliud quod sumus, aliud quod nostrum est. Si quis animae
pulchritudinem diligit, nos diligit ; si quis corporis decorem diligit,
non ipsum hominem, sed carnis diligit pulchritudinem, quae tamen
cito marcescit et defluit ». W. SEIBEL, F!eisch und Geist beim heiligen
Ambrosius, dans ccMünchener theolog. Studien », II 14, Miinchen
1958, p. 23 et n. 86, rapproche avec raison ces textes de l'Alcib.;
voir notamment 129 d-130 b; la ressemblance est saisissante entre la
dernière phrase citée du De bono mortis et Alcib. 131 c-e (le véritable
amoureux l'est de l'âme, et non du corps qui ne tarde pas à se faner),
et l'influence directe apparaît ici fort probable ; le fait a échappé
à l'éditeur C. ScHENKL, Praej. dut. 32, 1 du CSEL, p. xxrx-xxxm,
comme à W. WrLBRAND,Ambrosius und P!ato, dans Romische Quartal-
schrift, 25, 1911, p. 42*-49* ; mais il a été relevé par J. HuHN, Des
18
182 LE fer ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

Tout comme la thèse de la ressemblance divine, la notion


del'« homme intérieur» est un thème platonicien 1 auquel
la théologie chrétienne procurera un nouveau départ et
une fortune considérable en raison de sa consonance avec
certains textes bibliques (surtout II Cor. 4, 16). Clément
d'Alexandrie est encore très proche du platonisme quand,
après un développement sur le yvwvrxLrx1n6v, il distingue
dans l'âme trois principes, à savoir le voEp6vou Àoyu;nx6v,
le 6uµLx6v et nm0uµ1Jnx6v ; mais il se fait plus précis que
Platon, il annonce Plotin et Porphyre quand il identifie
expressément le principe intellectuel à l'homme intérieur,
qui commande à l'homme visible et est lui-même mené par
Dieu 2 • Bien que la doctrine de l'homme intérieur soit
chez lui plus paulinienne que platonicienne, Origène, quand
il la développe, rejoint aisément plusieurs points de l'anthro-
pologie issue de Platon. On l'a vu plus haut 3 affirmer
l'identité de l'homme intérieur et du « moi » : ego autem
sum, id est interior homo; il exprime la même idée à propos
du singulier redoublement homo homo de Nombres ;o, ; :
l'homme intérieur est l'homme dans l'acception la plus
vraie et la plus noble du terme ; celui qui néglige en lui
l'homme intérieur, l'engourdit par les vices et l'écrase par
les soucis de ce monde, celui-là ne peut être appelé « homme
homme », mais simplement homme, mieux « homme
animal »4 • Mais l'homme intérieur est aussi l'homme créé

hl. Ambrosius Schrift « Der Tod-Ein Gut», Fulda 1949, p. 106, note
ad !oc.
(1) Cf. supra, p. 98 et note (1), p. 103 et notes (1)-(2.).
(2) CLÉMENTo'ALEx., Paed. III 1, 1, 2, éd. Stiihlin, p. 236, 4-8 ;
TpLyevouç oi5v 1J7tCCp:;(OU<nJÇ rijç tJiux'ijr,;-ro voe:p6v,& ilî) ÀoyunLXO'II
o o o
xa;).e:ha:L, &v0pc,m6çfo-rw ltv3ov, -rou qia:woµévou -rou3e:&pxwv
&:v0pC:mou, a:ù-rov31: Èxdvov &Moç &ye:t, 0e:6ç, etc. ; les textes pla-
toniciens que Clément a en tête sont Républ. IV 439 de, 440 e-441 a,
IX 588 b-5 89 b, etc.
(3) Supra, p. 1 78 et note (3) ; cf. de même C. Cels. VII 38, p. 188,
24-25.
(4) ORIGÈNE, In Num. hom. (trad. Rufin) XXIV 2., éd. Baehrens,
p. 228, 13-20 : « Nam qui interiorem hominem (Il Cor. 4, 16)
L' « HOMME INTÉRIEUR » 183
à l'image de Dieu, incorruptible, invisible et incorporel,
c'est-à-dire la raison et l'intellect aptes à connaître Dieu,
par opposition au corps qui est l'homme extérieurl. Si
donc Origène définit ainsi l'homme intérieur par l'intellect,
si d'autre part il fait de lui l'homme par excellence, il en
résulte qu'à ses yeux, dans le meilleur style platonicien,
l'essence de l'homme se trouve être identique à l'intellect.
A la notion d' « homme intérieur », Eusèbe, tout comme
Philon et Plotin l'avaient fait, conjoint celle d'« homme
véritable » ; cet homme essentiel, dont le type biblique est

non excolit, qui illius curam non gerit, qui uirtutibus eum non instruit,
[... ] hic non potest homo homo dici, sed homo tantum et homo
animalis (I Cor. 2, 14), quia ille interior, cui uerius et nobilius
homo nomen est, sopitus in eo est carnalibus uitiis et mundi huius
curis ac sollicitudinibus obrutus, ita ut nec nominis eius haberi possit
appellatio ». Il est possible que le début de ce texte ( exco!it, curam...
gerit, uirtutibus... instruit) ait quelque rapport avec l' Alcib. 131 b
(6e:pot1teue:L),132 be (èmµe:Mµe:voL,etc.), 134 ç (X'O)-réov&.pe:tjv).
Interprétation semblable de l'« homme homme >l (pris cette fois à
Ezech. 14, 4) dans In Ezech. hom. Ill 8, éd. Baehrens, p. 355, 20-356, 17.
Quant à la formule ô!v0pc.moçô!v0pc.mot;des LXX, que la Vulgate n'a
point traduite, elle avait déjà piqué la curiosité de PHILON, De gigant.
8, 33 (à propos de Leuit. 18, 6; l'cchomme homme JJ ou homme
véritable n'est pas le composé de corps et d'âme), dont AUGUSTIN,
Loeuf. in Heptat. III 59 (sur Leuit. 24, 15), connaît et réprouve l'inter-
prétation ; voir H. RAHNER, Das Menschenbild des Origenes, dans
Eranos-Jabrbuch, 15, 1947 : Der Menscb, I, Zürich 1948, p. 224-226.
(1) ORIGÈNE, Comment. in Epist. ad Rom. (trad. Ruiin) VII 4,
PG 14, 1110 B : (sur Rom. 7, 20) c<ille interior homo qui secun-
dum deum creatus est, et ad imagincm dei factus, incorruptibilis est
et inuisibilis, et secundum propriam sui rationem etiam incorporeus
dici potest. Exterior uero homo et corporeus et corruptibilis
dicitur [... ] Interioris autem hominis renouatio, utpote qui
est rationabilis et mens, in agnitione dei [... ] constat l>(tout le passage
s'inspire de II Cor. 4, 16). Définition analogue de l'homme intérieur
par l'âme et par l'être ccà l'image JJ dans l' Entret. avec Héraclide 23,
2-4, éd. Scherer minor, p. 100: El ve:v6'1)TotL~ tJJux~, xoi:lve:v6'1)TotL
xomx
-ràv ~croo ô!v6pw1tov, xotl ve:v6'1)-rocL -.o
lî-rLèv èxdvn ècr-rlv xoc-r'
e:tx6voc ... ; cf. H. CROUZEL, Théologiede l'image de Dieu chez Origène,
collect. C( Théologie», 34, Paris 1956, p. 157. Voir encore C. Cels.
VI 63, où il est expliqué, contre Celse, que l'homme c( à l'image >)
n'est ni le corps seul, ni le composé de corps et d'âme, mais l'âme
seule; de même Comment. in Mattb. XVII 27,
184 LE Jer ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

Énos, fils de Seth 1, est selon les « Hébreux » le seul qui


mérite que l'on en ait souci ; on reconnait le thème du
Jer Alcibiade 132. c; quant à définir l'homme intérieur ou
véritable, Eusèbe, fidèle encore à l'esprit du dialogue, le
fait par l'âme, par la participation à l'essence intellectuelle,
incorporelle et raisonnable, par la création à l'image de
Dieu 2 •
Une autre façon d'arriver à la même conclusion est
d'observer que le premier homme, créé par Dieu à son
image et ressemblance (c'est-à-dire, on vient de le voir,
la mens rationabilis), est désigné par Origène, dans une
formule que l'on a rencontrée chez Philon et chez Plotin 3,
comme l'homme proprement dit 4 • Plotin encore, mais sur-
tout Philon, a-t-on signalé 5 , faisaient largement usage du
concept platonicien d' « homme véritable », et voyaient
celui-ci dans le voü.:;. Les auteurs chrétiens ne sont pas
étrangers à cette pratique ; on en a rencontré un exemple
chez Lactance, qui propose une définition très proche de
la précédente : animus, id est homo ipse uerus6 ; mais la
déclaration la plus nette se trouve peut-être dans le Protrep-
tique de Clément d'Alexandrie : de même que le divin

(1) EusÈBE, Praep. euang. VII 8, 5, p. 371, 4-9 ; cf. Gen. 4, 26 et


5, 6-11.
(2) Ibid. 4, 1, p. 366, 24-367, 1 : ... 1:ov CX.À7JÜ'ij
&v0pwrmv, 1:àv xcx,:o:
ljiUX'1JV,
VEV07j\Û:\IO\I [,) 1:'1J,V m:pl. rijç 't"OÜ~v8ov tzv0peil7tOU
1t&,crrx.v ~w'ij5
cppovn8cxXCXL CJ7tOU87jV ELCJ7lllqXCXV't"O; 10, 9, p. 381, 10-12 : tV ljiux"/J
µèv bp(~ETCXL TO\I cx.À7J0'ij&v0pwrmv, voe:p&c;oùcrlrx.c; xcxl.&.crwµ&:1:ou
xrx.l Àoytx'ijç µihoxov wç &v xcx,:' dx6vcx 0e:oü 8E87JµLoupnµévov
(Gen. 1, 27). Ces textes d'Eusèbe et ceux qui ont été indiqués supra,
p. 179 et notes (:z.) et (3), m'ont été signalés par mon auditeur
M. G. Schroeder.
(3) Cf. supra, p. 86, note (:z.),et p. 97.
(4) ÜRrGÈNE, Comment. in psalm. 4, 3, PG 12, 1140 B: "Av0pw1toc;
yo:p 1tpw-roc;6lvoµ&:cr07J6 xcx,:' dx6vcx xcxl. bµolwcrw 7tE7tOL7J[LÉ:Voc;
{mà -roü 0.:oü, xrx.l.o(hwc; &v d7J xup(wç &v0pw1toc;.
(5) Cf . .rupra, p. 86 et note (:z.),et p. 98 et note (1).
(6) Cf. supra, p. 179 et note (4). Définition analogue del'« homme
véritable >> chez CLAUDIANus·MAMERTUS,De statu animae I 24, éd.
Engelbrecht, p. 85, 15 : cchomo uerus, hoc est anima rationalis »;
de même I 5, p. 40, 8-9.
L' « HOMME WRITABLE » 185
Logos est image de Dieu et fils de l'Intellect, de même
l'homme véritable, c'est-à-dire l'intellect qui est dans
l'homme, est image du Logos ; c'est ainsi par l'intermédiaire
du Logos divin, auquel il est assimilé par sa nature
raisonnable, que l'homme est dit avoir été fait à l'image
et ressemblance de Dieu 1 •
On voit vers quoi, dans la théologie chrétienne comme
dans l'anthropologie platonicienne, convergent toutes les
notations qui précèdent : vers l'idée du Jer Alcibiade selon
laquelle l'homme n'est pas autre chose que son âme. Sans
être formulée explicitement, la thèse affieure plusieurs fois
chez Origène par des allusions ; on l'a déjà trouvée sous-
jacente à un passage des Homéliessur les Juges, où l'homme
est décrit comme le principe qui se sert du corps 2 ; elle
apparaît encore à deux reprises dans le De principiis, quand
l'homme est défini par l'âme et distingué du corps 3 • On
aimerait savoir si c'est en durcissant des textes comme
ceux-là ou en s'inspirant d'une œuvre inconnue de nous
que Photius, aussitôt après avoir recopié la page de
Méthode que l'on a vue4, ajoute en antithèse : « Origène,

(1) CLÉMENTn'ALEx., Protrept. X 98, 4, éd. Stahlin, p. 71, 2.4-2.9:


Eixwv µè:v yà:p TOÜ 8e;oü (II Cor. 4, 4) 6 Myoç IXÔTOÜ (xctL
u!ôç TOÜ voü yv-fi,:noç6 8doç À6yoç, qlù>TÔÇ ocpxhunov cpwç), dxwv
8è TOÜ Myou 6 &v8pwnoç <o> 1XÀ'1)0Lv6ç, 6 voüç 6 èv ocv0p<!m11),
6 Xct-r' e:tx6voc -roü Oeoü xoct xocO' àµolwcnv (Gen. 1, 2.6) 8tà:
-roü-ro yeye:vîjcrOoct Àe:y6µe:voç,T'/ixoc-rà:xocp8locvcppov-ficre:1 Tél> Od11)
nocpe:txix1;:6µe:voç À6y11)xocLTIXUT7l Àoyix6ç ; sur le rattachement de
ce texte à l'anthropologie platonicienne, voir L. ALFONS!, Motivi
tradizionali... , p. 135-138. Pour Clément donc, comme on vient de le
voir chez Origène, c'est l'intellect humain qui est l'image de Dieu ;
cf. J. DANIÉLOU,Meuage évangélique ... , p. 374-376.
(2) a . .rupra,p. 178 et note (3).
(3) ÜRIGÈNE, De princ. (trad. Rufin) III 4, 1, éd. Koetschau,
p. 2.64, 4-5 : « ex nobis, id est ex animabus corpus materiale uiuifica-
tur >> ( dans la description d'une opinion sur le corps comme origine
du mal) ; IV 2., 7 (14), p. 318, 12-319, 1 : ocvOpcimouç 8è vüv :>.éyw-rà:ç
XPW[J.Évocç 41ux_±çcr6:1µ1Xmv; C. Cel.r.VII 38, p. 188, 2.4 : &vOpwnoç
µè:v oùv, -rou-rfon YJUXîJ xpwµé:v'1)cr6:lµoc-rt ; outre Alcib. 12.9 e-130 a,
comparer ce dernier texte avec ceux de Plutarque et de Porphyre cités
.rupra,p. 93 et note (2), et p. 101 et note (1).
(4) Cf . .rupra,p. 173 et note (2.).
186 LE /" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

comme Platon, disait que l'homme est l'âme seule »1 ;


mais, qu'il ait lu cette formule ou l'ait forgée par ampli-
fication, Photius ne trahissait sûrement pas la pensée
d'Origène 2 • Aussi bien, à l'époque de celui-ci, était-il
courant de poser le problème de la définition de l'homme
dans des termes tout proches du Jer Alcibiade, comme le
montre un passage du traité antimanichéen d'Alexandre
de Lycopolis (fin du me siècle-début du ive) ; pour
embarrasser ses adversaires, Alexandre les met en demeure
de choisir parmi ces possibilités : l'homme est-il le mélange
fait de l'âme et du corps, ou bien l'un de ces deux consti-
tuants pris seul, ou enfin l'intellect supérieur à la totalité
de l'âme ?3
Dans le courant du rve siècle, saint Basile fait état d'une
« sage maxime » (qui pourrait désigner l' Alcibiade même)
selon laquelle l'homme n'est pas ce que l'on voit de lui ;
rechercher la perfection de son corps n'est donc pas se
connaître soi-même, ce qui exige une sagesse supérieure~ ;
une telle notation revient sans aucun doute à identifier

(1) PHOTIUS, Biblioth. 234, 293 a 33-34 : ·o 8' '!1pLyévi)c; 't'~V


tJiux~v µ6v7Jv~Àqev &v6pc.mov,wc; 6 ll),,,h·wv (texte communiqué par
P. Thillet).
(2) Cf. H. RAHNER, art. fit., p. 203-204 : pour Origène comme
pour Philon, c'est le voue;qui fait que l'homme est homme.
(3) ALEXANDREDE LYCOPOLIS,C. Manich. opin. 23, éd. Brinkmann,
p. 33, 6-9 : Tlc; 8è xot-r' otû't"oûc;6 &v6pw71"oç;éxp&ye -ro lx -njc;
tJiux'ijc;XO(Lcr&µot't"OÇ µ1:yµot"IJ't'Ôi't"epov"IJo),7)ÇtJiux'ijc;&vw't"épwvoue;;
après quoi, p. 33, 9-18, l'auteur examine les quatre hypothèses (voue;,
tJiux-fi,crroµot,-rô &x 't'OU't"WVcruvecr-r6c;),et montre que dans aucun des
quatre cas l'homme ne peut être, comme le prétendent les manichéens,
l'œuvre de la matière; sur le mot µ1:yµot,voir supra, p. 93 et note (2);
comparer l'ensemble avec Alcib. 130 a; le texte d'Alexandre est cité
par K. GRoNAU, Poseidonios ... , p. 283-284.
(4) BASILE,Ad adulesc.7, PG 31, :,81 C, = 9, 28-33, éd. Boulenger,
p. 5 5 : To yœp 't"~V7\"ŒO"O(V 0"7\"0U8-/;ve:tmpépecr6ocL 07\"WÇ wc; XliÀÀLO"'t"O(
otù't"0 -rà crroµotéfi;moù 8LotyLv6:>crxov-r6c; Ècr't"LV
1:ocu-r6v, oùaè cruvLév-roc;
't"OUcroq:,ou7\"0CpotyyéÀµot-roc;, O't'Loù 't'Ô op&µev6v fonv 6 &v0pW7l"OÇ,
Q:ÀÀ!i 't"L\IOÇ
8e1:7\"epL't"'t"O't"O:potç ih' "ijçl!xotcr-roc;
croq:,locç, "i)µrovocrnc; 7\"0't"€
Ècr't'LV1:otu't"OV
i:myv&cre't"otL ; comparer A!cib. 13 1 ab, et plus encore les
textes de Cicéron, Porphyre et Lactance cités supra, p. 60, notes ( 1)-(2),
p. 103, note (1) début, p. 179, note (4) début.
IDENTITÉ DE L'HOMME ET DE SON ÂME 187

l'homme à son âme invisible 1 • Ambroise, quant à lui,


formule la thèse expressément, encore qu'il le fasse sous
deux formes un peu différentes. Dans l' Exameron, il professe
l'identité de l'homme et de son anima, en l'établissant par
des arguments scripturaires et linguistiques : l'âme n'est
pas une partie de l'homme, mais la totalité de l'homme,
puisqu'il n'est rien sans elle ; cette vérité est sanctionnée
par certains passages de la Bible, où le mot « âme » est
employé pour désigner l'homme ; c'est ainsi qu'en Gen. 46,
27, les personnes de la suite de Joseph sont dites des
«âmes» ; l'étymologie enfin confirme cet usage, puisque
le mot « homme » provient en latin de l'humanité, en grec
de la vivacité du regard, deux qualités qui, sans aucun doute,
conviennent mieux à l'âme qu'au corps 2 • Dans le De Noe,
Ambroise modifie légèrement sa perspective ; ce n'est plus
à l'anima que l'homme est identifié, mais à la mens, partie
supérieure de l'âme, et qui est dite, selon un schéma
platonicien connu, entretenir avec l'âme le même rapport

(1) Basile exprime encore la même idée en disant que l'intellect


et la raison constituent la totalité de la nature humaine : voüv xoi:t
À6yov cruµ1tÀ1)poüv-roi: 1iµ<7>vniv <pùcriv~xop.ev (Homif. De grat. act.
2, PG 31, 221 C).
(2) AMBROISE,Exam. VI 7, 43, p. 234, 13-22 : « Anima igitur
nostra ad imaginem dei est. In hac totus es, homo, quia sine hac nihil
es, sed es terra et in terram resolueris (Gen. 3, 19). Denique
ut scias quia sine anima caro nihil est [... ] Quam enim dabit
homo commutationem pro anima sua (Matth. 16, 26), in qua
non exigua sui portio, sed totius humanae uniuersitatis substantia
est? » (on reconnaît à peu près l'idée de Basile signalée dans la note
précédente) ; VI 8, 46, p. 237, 1-9 : « Sed audi et istud, quia anima
nomine hominis nuncupatur. Scriptum est enim in Genesi: [... ]
(Gen. 46, 27). Et multo aptius anima uel homo latine uel graece
&v0pc,moç dicitur, alterum ab humanitate, alterum ab intuendi habens
uiuacitate, quae magis animae quam corpori conuenire non dubium
est)) ; l'étymologie d'&v0pc,moç est celle, classique, du Crat. 399 c:
&voi:0p<7>v & 01tc,me:; sur Gen. 46, 26-27, voir aussi le texte indiqué supra,
p. 181, note (2) début. La définition de l'homme par son âme apparaît
également en De Isaac 8, 79, cité supra, p. 180, note (1) (nos
animaesumus), comme l'observe W. SEIBEL,op. cit., p. 21-22; voir aussi
P. R. L. BROWN,Augustine of Hippo, London 1967, p. 84-8~.
188 LE fer ALCIBIADE ET LES CHR~TIENS

que celle-ci avec le corps 1 • Intellect ou âme, il s'agit, on


le voit, de deux variantes de la même doctrine, cautionnées
l'une et l'autre, comme on l'a souvent rappelé plus haut,
par le Jer Alcibiade. Il faut enfin signaler, dans une homélie
d'attribution incertaine (Basile? Grégoire de Nysse?
alius quidam?) sur les mots de Gen. 1, 26 : Faciamu.r
hominem... , un passage de grand intérêt pour l'étude de
la christianisation de l'anthropologie platonicienne ; non
seulement en effet on y trouve l'idée que l'homme est
identique à son âme ou à la partie raisonnable de celle-ci ;
mais cette doctrine se présente dans un contexte qui
récapitule la plupart des thèmes adjacents signalés précé-
demment, en mêlant les données de !'Écriture et les
souvenirs de l' Alcibiade : l'homme intérieur est ce que nous
sommes véritablement, le corps et les biens extérieurs
sont miens et non pas moi, le corps est l'instrument de
l'homme et de l'âme, l'homme au sens propre se définit
par l'âme 2•

(1) AMBROISE,De Noe 4, 10, éd. Schenkl, p. 420, 4 : « homo mens


est, quae est rationis capax >>; 11, 38, p. 436, 27-437, 6 : « Quod enim
in anima mens, hoc anima in corpore [... ] intra tu (Gen. 7, 1),
hoc est : in te ipsum intra, in tuam mentem, in tuae animae principale >>.
Textes signalés par W. SEIBEL,op. &it., p. 28. Sur mens-anima-corpus,
leur inclusion et leur proportionnalité, voir les passages de Platon et
de Plutarque cités supra, p. 94, note (1), et aussi PHILON, Quaest.
in Gen. II 11, qui est probablement la source d'Ambroise.
(2) In uerba « Faciamus hominem» oral. I, PG 44, 264 B : "Ecroo
-ro[vuvlxoµe:v &v6poorrov,xott 8mi,,oi:-rwéç foµev, xotl -r6 ye: &:i,,1J6èç
Àey6µevov iht lv8ov foµév. 'Eyw yà:p Xot-rà:-rov fooo &vOpoorrov. Te1
li;w, oùx èyw, &:Mà:èµ&.. Où yà:p -1]xe:tp èy©, &:llà: èyw -ro ),O"(LXOV
-r'ijç <Jiux'ijç.'H ?Jè xe:lp µépoç -roü &:v6p6l1t"O\.l,
"Ocru 'TOµèv cr&µot,
<Îpyotvov-roü tiv6p©rrou, !Jiux-îjç 15pyotvov,&v6pwrroç 8! xuploo,;
Xot-r'otù-.-l]v>r7JV <Jiux~v; auparavant, l'auteur avait affirmé l'identité
de l'homme à l'image et de l'homme intérieur, et cité II Cor. 4, 16.
On a fourni plus haut, pour chacun de ces thèmes, des exemples
pris dans la tradition platonicienne ; sur le corps comme instru-
ment à la fois de l'homme et de l'âme, ajouter Alcib. 129 e-130 a.
On sait enfin qu'E. VONIvANKA,Die Autorschaft der Homilien Etç -ro
IloL~crwµe:v&v6pwrrovXot-r' etx.6vot-l]µe:-répotv x.o.'.làµo[wmv, Migne
PG 41, 2;7-297 (Poseidonios bei den kappadokischen Kirchenviitern), dans
Byz.antinischeZeitschrift, 36, 1936, p. 46-57, partisan, soit dit en passant,
L'HOMMECOMMEEFFIGIE DIVINE 189
On a rappelé plus haut à propos de Méthode d'Olympel
combien le thème platonicien de l'homme comme effigie
divine avait été relancé et amplifié par les spéculations
chrétiennes sur Gen. 1, 26-27. Clément d'Alexandrie est
de ceux qui reflètent le mieux, sur ce point, la confluence
des deux courants. Reprenant à sa façon la thèse de Zénon,
il expose que le Logos de vérité a construit un temple dans
l'homme afin d'y établir Dieu 2 • En des termes assez
semblables à ceux d'Épictète, il célèbre l'homme statue
vivante, offrande à la divinité, porteur de l'image divine
qui ne nous quitte pas et nous détourne du péché ; comme
Épictète encore, il oppose le Zeus de Phidias, image d'une
image, fort éloigné de la vérité, et l'homme, statue animée
façonnée par l'art sublime du Créateur 3 • Ces notations ne
sont pas sans analogie avec celles de Méthode, qui leur
empruntera probablement, pour qualifier l'artiste incom-
parable qu'est Dieu, un mot rare, l'adjectif dorien &.pLcr-.o-
't"t:"J.Vr.t.Ç, lequel est d'ailleurs un souvenir de Pindare 4 ;

de l'authenticité grégorienne de l'homélie, y a découvert, après


K. GRONAU, op. cit. (p. 284, n. 1 pour le texte cité) l'influence de
Posidonius, qui pourrait donc avoir transmis à l'auteur l'anthropologie
platonicienne.
(1) Cf. supra, p. 173-174.
(2) CLÉMENT n'ALEX., Protrept. XI 117, 4, p. 83, 1-2: 0 SV&.v6pwn:mc:;
o!xo3oµ1Jcrcxçveoov, lvcxSv &v6poon:oic:; !llpùcr?J't'O\I6e:6v; comparer
Zénon cité supra, p. 129 et note (2).
(3) Protrept. IV 59, 2, p. 46, 15-18 : 1Jµûç foµè:v ol 't"iJvdx6vcx
't'ou 6e:oum:piq>l:poneç &v't'é;'l~W\l't'L
xcd xwouµl:v<:)'t'Où't'<:)
&:ya˵cxn,
't'0 &:v6poon:<:l [... ] · &:v:HhJµcx
ye:y6vcxµe:v
't'é;'l6e:0; X 98, 1-4, notam-
ment 3, p. 71, 21-24: M6voc:;o 't'WV8Àc,w371µLOupy6c:;, o <XpLcr't'o't'i:-
XVlll:c:;n:cx't'-/Jp, 't'OLOU't'OV
&y01:Àµcx~µtjiuxov 1Jµiic:;'t'ôv &v6pc,mov
~1tÀcxcrev · o llè: 'OMµmo,; ôµ&v, e:tx6voç dxoov, n:oÀo 't'L -njc:;
1XÀ716dcxç àn:fllwv, ~pyov ècr't'l xwq>6v; Eclogae prophet. 37, 1, éd.
Stiihlin, p. 148, 12 : la « vertu gnostique >J dispose l'homme à être
&ycxÀµlll: 6e:1:ov.Comparer le texte d'Épictète cité supra, p. 138 et
note (4), qui a aussi le verbe 1te:piq>l:pe:iv. Clément se souvient
probablement du procès qu'au début de la Républ. X, Platon fait
des arts d'imitation, qu'il oppose à l'art du Créateur universel
(596 c), et auxquels il reproche de s'éloigner de la vérité, du fait qu'ils
copient des images (598 b, 600 e, 603 a, 608 a).
(4) Cf . .rupra, p. 174, note (1) ; il s'agit d'un vocable du fgt 57
SNELL de Pindare, p. 232, cité également en Strom. V 14, 102, 2.
190 LE Ju ALCIBIADE ET LES CHR~TIENS

mais, alors que Méthode, on l'a dit, s'écarte de la tradition


platonicienne en tenant pour &ycû,µ.oc divin l'homme com-
plet, corps compris, Clément, pour sa part, demeure fidèle à
cette tradition et professe que seule l'âme humaine, ou son
intellect, porte l'effigie de Dieu ; ce point apparaît déjà
dans le dernier texte cité du Protreptique,où il est dit que
o o
la créature faite à l'image de Dieu est voue; èv &.v6pw1tep 1
;
il est confirmé par deux passages au moins du VIIe Stromate,
où l'on voit que l'effigie divine et sainte se trouve dans
l'âme juste du Gnostique 2 ; et encore que l'homme, et
notamment le Gnostique doivent être regardés comme une
statue animée du Seigneur, non pas selon les particularités
de la figure, mais par la manifestation de la puissance 3 •
En ce domaine, Origène suit de très près la ligne platoni-
cienne de Clément ; quelques pages du livre VIII du
Contra Celsum montrent que le polémiste païen reprochait
aux chrétiens de répugner à l'établissement d'autels, de
statues et de temples ; Origène lui répond que les autels
des chrétiens sont l'intellect de tout homme juste, d'où
monte cet encens authentique et intelligible que constituent
les prières d'une conscience pure ; que les statues dignes
de Dieu sont les vertus imprimées par le Logos dans l'âme
raisonnable, et que ces effigies sont destinées à subsister
aussi éternellement que l'âme même. On ne saurait mieux
exposer que c'est l'intellect du croyant qui porte l'effigie
divine ; à quoi il faut ajouter qu'Origène lui aussi se plaît
à opposer cette statue intellectuelle aux œuvres inanimées,

(1) Protrept. X 98, 4, cité supra, p. 185 et note (1).


(2) Strom. VII 5, 29, 6-8, éd. Stahlin, II, p. 21, 31-2.2.,5 : 'EvTocÜ0oc
xoct Tà &1te:LX6vtaµoc e:6potµe:v &v, TÔ 0e:fov xoci &ywv &yocÀµoc, tv
tjj Btxoc[9(tJiux?i [ ... _] &yo::Àµoc iv&pe:Tov, &vocxe:lµe:vov0e:4'>; cf.
J. HAUSSLEITER, art. czt., col. 82.6.
(3) Ibid. 9, 52, 2-3, p. 39, 1-11 : t7t1 TWVtµtJioxrov &yo::Àµ(hrov,
-rwv&v0pwrcrov[ ... ] &yocÀµoc !!µtJiuxo11
e:tx6Troç&11-roü xup[ou MyoiTo,
OÙ XOCTà TI)V Tijç µopqi~ç tBt6TY)Tct, IXÀÀàxa-rà TÔ Tijç Bu11ocµe:roç
aoµÔ~ÀO\I; texte étudié par A. MÉHAT, Étude mr les 'Stromates'
de Clement d'Alexandrie, thèse, collect. « Patrîstica Sorbonensia >l 7
Patis 1966, p. 214. ' '
L'ÂME COMME PORTRAIT DE DIEU 191

insensibles et périssables des artistes vulgaires, notamment


au Zeus olympien de Phidias 1 • La théologie latine accordera
moins de place au thème platonicien de l'âme humaine
comme simulacr11n1 de la divinité. Il faut signaler toutefois
dans l' Exameron de saint Ambroise quelques notations qui
s'y rattachent ; Ambroise a naturellement médité Gen. 1,
2.6-2.7, et, après Clément d'Alexandrie et Origène, c'est
dans l'âme de l'homme, non dans son corps, qu'il fait
résider la ressemblance divine 2 ; comme Origène, il aborde
la nature du véritable temple de Dieu, qui n'est pas la chair,
mais l'habitation de l'esprit divin 3 ; il est ainsi conduit à
discerner dans l'âme, non pas exactement une statue, mais,
en relation avec Isaïe 49, 16, l'effigie divine peinte par Dieu
même et constituée par l'éclat des vertus 4 •

(1) ÜRIGÈNB, C. Cels. VIII 17, II, p. 234, 15-26 : b Ké)..croç<plJcrLv


71µiiç [3roµoùç xcd &:y&ÀµIX'r<X XIXLve:wç !3puecr0aL <peuye.v
[ ..• ] oùx bpwv o-rL f3ro µ o t µÉv dcrw 71µîv -rô èx&cr-rou-rwv
3Lxa(rov 71yeµovŒ6v, &:qi' ou &:v1X1tɵ1te-ro:, cl:)..r,0wçxo:t vo"l)-rwç
eùwa"I) 0uµL&µo:-ro:, 1tpocre:ux1Xt (Apoc. 5, 8 ; P.ralm. 140, 2)
&:rtô cruve,81icre:roç xo:0o:piii:;[ ... ] 'A yiüµo:-rlX as: x1Xt1tpÉ1tov-ro:
0e0 &vo:01iµo:-ro:,oùx ûrtÔ [31XVO:UCTCùV nxv,-rwv xo:ncrxe:uo:crµÉvo:
ixÀÀ, ürtli Myou 0eoü -rpavouµeva xat µop<poùµevo: Év 1Jµîv, 1X!
&pe-ro:(; VIII 18, p. 236, 8-13 : ~uvd;e-ra~É'îro oi'i\l b [3ouMµevoc;
[ ... ] &y &Àµ IX-ra Év T/j -rwv eùcreôouv-rrovde; -rôv -r&v OÀCùV 0eôv
l)iuxn &y &Àµ 1X cr, ~e:.3lou [ ... ] xo:t <!IX<pWÇ dcre:-rlXLÉxdva µÈ:\Ixat
&yuxo: dvo:, x1Xtxp6vep qi0e:,p6µe:vo:, -raü-ro:3è Év T/j &:61X'l<Î-rep
µéve:w
\jJUX7ÎÉÇ ocrov µÉve:,v ÉV 1Xû-r7Î'YJ ÀoyLX'l) ,jiUX'lJ[3ouÀe:-ro:L. CT.
H. CROUZEL, Théologiede l'image ... , p. 228.
(2) Cf. Exam. VI 8, 45, p. 235, 25-26 ; 46, p. 236, 23 ; 50, p. 241, 14.
(3) Ibid. VI 6, 39, p. 231, 7-14, avec citation de I Cor. 3, 16-17 et
de Gen. 6, 3.
(4) Ibid. VI 7, 42, p. 233, 26-234, 2 : <<Illa anima a deo pingitur,
quae habet in se uirtutum gratiam renitentem splendoremque pietatis.
Illa anima bene picta est, in qua elucet diuinae operationis effigies >>;
cf. 8, 47, p. 238, 3-4 ; en Expos. psalmi CXVIII 10, 10, 3, éd.
Petschenig, p. 209, 8-10, Ambroise fait état de l'effigie divine qui
brille en nous et doit permettre, à qui interroge notre intellect, d'en
reconnaître l'auteur : « ... ut in corde tuo refulgeat quaedam auctoris
effigies, ne, qui mentem tuam interrogat, non agnoscat auctorem » ;
cela revient à faire résider l'effigie divine dans la mens de l'homme.
Autres exemples de cette représentation dans la patristique latine :
les textes de Minucius Félix et de Lactance inspirés de Sénèque et
signalés supra, p. 134, note (o).
192 LE fer ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

Faute d'en avoir encore trouvé dans la tradition plato-


nicienne des traces de quelque ampleur, on ne s'est guère
arrêté jusqu'ici, sauf pour la thèse de la divinité de la
partie intellectuelle de l'âme1, aux pages 132 d-133 c de
I'Alcibiade2 • Mais l'exposé de l'anthropologie platonicienne
des Pères oblige maintenant à en dire un mot. Le dialogue
énonce à cet endroit : 1° que la connaissance de soi n'est
pas immédiate, mais s'opère par le détour d'un objet qui
joue le rôle de miroir (&O"i't'e:p Èv XC(1"61t-rpep)
; 2° que cet
objet intermédiaire est une âme semblable à la nôtre ;
3° que la partie intellectuelle de notre âme est divine, d'où
il suit que se connaître soi-même équivaut à connaître
Dieu. Or les mêmes idées, semblablement conjointes, se
rencontrent dans une page du [er Stromate, où l'on voit
Clément citer un logion non consigné dans !'Écriture :
« Tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu » ; il entend par
ce texte que la connaissance de notre prochain conduit à
la connaissance de Dieu, moyennant un relais intermédiaire
qui est la connaissance de nous-mêmes : dans l'état actuel,
la connaissance d'autrui, comme un miroir, conditionne
la connaissance de soi, laquelle conduit à la contemplation
de Dieu d'après le divin qui est en nous-mêmes 3 • Cette
dernière notation apparaît également dans une formule

(1) Cf. supra, p. 59 et notes (1) et (3), p. 60 et note (2), p. 73,


p. 80 et note (4), p. 83 et note (2), p. 98, p. 104 et note (1), p. 109,
p. 113 et note (3), p. 119, p. 129 et note (2), p. 137-140, 146-148, etc.
(2) Cf. supra, p. 73 ; pour la postérité du thème de la connaissance
de soi ou de Dieu per speculum, voir cependant déjà supra, p. 83 et
note (3) ( Magna mor.), p. 106 et note (1) (Porphyre).
(3) CLÉMENT n'ALEx., Strom. I 19, 94, 3-5, p. 60, 20-26 : Ncd µ~v
xot-r' ~µqiotmviX.ÀYj0dotç &ÀÀoL 0éÀouow dp'ijcr0otl-rivot-rori; qiiÀocr6qiou;
[ ... ] [1Hrrnµev ycxp vùv wç 3i' Ècr6rr-rpou (I Cor. 13, 12),
Xot'l'' iX.VœXÀotcrW srr' otlJTOÙiotU'l'OOc;'(L'IWGXOVT€c;
XiX.XTOÙÈv "1]µLV
0dou 'l'O rroiri-rixov othwv wc; o16v -re cruv0ewpouvnç · e:!3eç y&:p,
qiricrl, -rov &3eÀqi6v crou, eHlec; -rov 0e:6v crou; l'agraphon en
question est le n° 144 de l'édit. d'A. RESCH, Agrapha. Aussercanoni.rche
Schriftfragmente, dans « Texte und Untersuch. zur Gesch. der alt-
christl. Literatur », N.F., XV 3-4, Leipzig 1906, p. 182 ; il est cité
encore en Strom. II 15, 70, 5, comme on le verra infra, p. 200, note (1).
L'ÂME D'AUTRUI COMME « MIROIR » 193
célèbre du Pédagogue,où le même Clément exalte la connais-
sance de soi comme la plus haute science, du fait qu'elle
mène à la vision de Dieu 1 . On a depuis longtemps remarqué
les affinités platoniciennes de cette doctrine 2 ; mais c'est
surtout avec l' Alcibiade 132 d-133 c que la ressemblance
s'impose à l'attention 3 •

(1) Paed. III 1, 1, 1, p. 235, 20-21 : THv &p°',wç ~otxev, mxVTCùV


µéyur-rov µ°'07lµ!hCùv 't"Oyvwv°'t °'ô-r6v · i:°'u-rovy&p nç Mv yvéi>,
0eàv .efoe-r°'t; voir encore, sur le I'vw0t cr°'uT6v,Strom. I 14, 60, 3-4.
(2) Voir en dernier lieu A. MÉHAT, op. cit., p. 452-453. Pour -rà
tv i)µÏ:v 0dov de Strom. I 19, 94, 4, cf. notamment Républ. IX 589 e
et Tim. 90 c; et encore ARISTOTE,Eth. Eud. VIII 2, 1248 a 27 ; Eth.
Nic. X 7, 1177 a 16 et b 28 ; Plotin apud PORPHYRE,Vita Plot. 2, 26 ;
il a été touché à cette formule supra, p. 7-11.
(3) La citation de I Cor. en Strom. I 19, 94, 4 a peu de rapport
doctrinal avec les lignes qui la suivent, et aura été suggérée simplement
par la notion de « miroir 11, l' Alcibiade demeurant, semble-t-il, la
véritable source. N. HuGEDÉ, La métaphore du miroir dans les Épitres
de saint Paul aux Corinthiens, dans « Biblioth. théologique 11, Neuchâtel-
Paris 1957, p. 109-112, a rassemblé quelques textes probablement
influencés par l'Alcib. 132 d-133 c (et non pas, comme il le dit, par
l'interpolation conservée par Eusèbe) ; mais aucun d'entre eux n'est,
il s'en faut, aussi proche du dialogue que le Strom. I 19, 94, 4-5, que
N. Hugedé ne cite d'ailleurs pas à ce propos. Même omission chez
H. LEISEGANG,Die Erkenntnis Cottes im Spiegel der Seele und der Natur,
dans Zeitschrift für philos. Forschung, 4, 1949, p. 165 sq., qui consacre
quelques pages à l'Alcib. 132 d sq. et à sa postérité. En revanche, le
rapprochement avec l' Alâb. a été parfaitement signalé par E. MoLLAND,
Clement of Alexandria on the Origin of Greek Philosophy, dans Symbolae
osloenses, 15-16, 1936, p. 76-81, qui montre le caractère platonicien
de l'expression de Oément <(par le reflet de la vérité » (x°'-r' ~µqioccrtv
et juge extrêmement élogieuse cette appréciation de la
à.).710e:locç),
philosophie profane, sans que la comparaison du miroir y introduise
rien de péjoratif (art. cil., p. 69-75). Il l'est également, à propos de
Paed. III 1, 1, 1 et d'autres textes de Clément, par H. NoRTH, Sophro-
syne. Self-Knowledgeand Self-Restraint in Greek Literature, dans (< Cornell
Studies in Oassical Philology >>,35, Ithaca 1966, p. 332-334. - Le
1t'a:v-rwv µé:ytcr-rovµ°'07lµ&-rwvde Paed. III 1, 1, 1 n'est pas non plus sans
intérêt; il évoque immédiatement le µé:yLcr-rov µ&071µ°'de Républ. VI
505 a (cf. 504 a et e; VII 519 c) ; mais le contexte est entièrement
différent de part et d'autre ; en revanche, l' Alcib. 126 e-127 a fait état
de divers µoc0~µ°'-roc, propres les uns à la femme, les autres à l'homme,
pour conclure, en 12.8 e-129 a, qu'une science les conditionne tous,
à savoir la connaissance de soi ; voilà encore qui rejoint sensiblement
la pensée de Oément.
194 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

Le thème du miroir, associé à celui de la connaissance


de soi, apparaît également dans le De mortuis de Grégoire
de Nysse 1 • Le point de départ est ici une sentence des
Proverbes 13, 10 : « Les connaisseurs d'eux-mêmes sont
sages »2 • Non plus que les yeux, commence Grégoire,
l'âme ne peut se voir elle-même ; comme eux, elle a besoin
d'un miroir. Ce début rappelle !'Alcibiade 132 de. Mais,
alors que Clément continuait de suivre le dialogue en
pensant que ce miroir tendu à l'âme est constitué par une
autre âme, Grégoire ici s'en sépare : l'image privilégiée
dans laquelle l'âme va découvrir indirectement sa propre
réalité, ce n'est plus pour lui une autre âme, mais bien
la matrice transcendante à la ressemblance de laquelle
l'âme a été faite, autrement dit la beauté divine ; il faut donc,
dans le cas présent, corriger la comparaison du miroir ;
car l'image offerte par le miroir n'est que le reflet de son
archétype, tandis que l'intermédiaire grâce auquel l'âme
se découvre n'est autre que son archétype même ; bref,
c'est en levant les yeux sur son propre archétype que
l'âme se voit exactement elle-même 3 • Dieu étant intellectuel

(1) Et dans bien d'autres textes du même auteur ; on les verra chez
J. DANIÉLOU, Platonisme et théologie my.rtique. E.;.rai .rur la doctrine
.rpiritue/le de .raint Grégoire de Nyue, collect. « Théologie )), 2, Paris
1944, p. 223-235 (qui ne parle malheureusement pas de la page du
De mortui.r).
(.z) GRÉG. DE NYSSE, De mortui.r, éd. Heil, p. 40, 20-21 : r.:'16>[J.e:6,x
-ro(w" X<XT<X T0'1 TC<Xpotµt6>1hJ À6yo" 'E<XUTW'1èTCtY'16>µ.ove:c;.
(3) Ibid., p. 41, 10-19 : Ü(ÎTooc; XP~ x,xl. ~" ljlux~" TCpoi;~" la(,x"
&.m8d" dx6'J<XX<Xl. /Î.'Jtan èv TCJlX(XP<XXT'ijpt
15TCe:p <1'>ciq100µ.o(oo-r(Xt,
wi;
Ï8t0'1 É:(XUT'ijÇTOÜTO 'AM.X µtxpà'1 IJTC<XM~(Xt
6e:occr,xcr6<Xt. Tt TCpocr-fixe:t
TOÜÔTCo8dyµ.(XTOÇ, LV(Xolxe:100071 -rcj>My(jl -rà v6î)µ<X• hl. µèv yà:p
-ri'jc;èv TCJl)((XT6TCTp<p µopq>'iji;'li e:txwv TCpà,;TO cxpxé-ruTC0',1 O"XîJ!l-<XT(-
~e:T<Xt, èTCl.8è TOÜ-ri'Ji;\jiux'ij,;x(Xp<XxTijpoc; TO lµTC<XÀLV vs:vo-fix,xµs:v

)(<XT<X yà:p TO 6ûov XOCÀÀOÇ TO -ri'Ji; ljluxrji; d8oi; CX.TCE:IXO'Jl~e:T<X
Ouxoüv lhctv TCpo,;TO &.pxéwTCo\lÉ:<XuTijç [3MTC7J '/J \jiux-fi, T6Ts:
81' cixptod(X,; É:ctu~v x,x6op~. L'idée que la connaissance de Dieu
conduit à la connaissance de soi s'exprimait déjà dans les Sentences
de Sextus ; ainsi Sent. 446, éd. Chadwick, p. 62 : ôp&" TOV6.:àv oljln
cre:<XUT6v ; Sent. 577, p. 70 : yv&OL6e:6v, LV<X yv0i; x,xl. cr,xu-r6v; en
revanche, cet auteur emploie la métaphore du miroir dans le sens
DIEU COMME «MIROIR» DE L'ÂME 195
et immatériel, l'âme connaîtra qu'elle l'est aussi. Par ce biais,
Grégoire de Nysse rejoint les thèmes classiques de la
consolation : l'âme s'approche davantage de son modèle
quand elle se sépare de la chair ; il faut donc se réjouir
quand l'homme, après avoir accompli ici-bas son inévitable
service, cesse de vivre en terre étrangère et rejoint la
demeure pure et incorporelle qui lui est propre et naturelle ;
car c'est bien une terre étrangère que la matière du corps
pour la nature incorporelle de l'intellect 1 • On reconnaît
dans ces lignes l'assimilation du corps à une aliena domus
de l'esprit, telle qu'on l'a rencontrée, associée à l'anthro-
pologie issue de l' Alcibiade, chez Cicéron, chez Philon, chez
Sénèque, chez Épictète 2 • Il est plus difficile de savoir à quelle
tradition rattacher la notation de Grégoire de Nysse
sur l'âme humaine se découvrant, comme en un miroir,
dans son exemplaire divin ; les textes bibliques que l'on
allègue à ce propos 3 demeurent loin du compte, car le
miroir dont ils font état est toujours le miroir créé où
Dieu se reflète, et non pas le miroir divin où l'âme
s'aperçoit ; ce qui se rapprocherait le plus de la métaphore
telle que l'entend Grégoire est encore la portion (authen-
tique ou interpolée) de l' Alcibiade 133 c, absente des
manuscrits de Platon, mais conservée par Eusèbe 4 ; car

de Oément, et non pas de Grégoire, quand il écrit que la pensée


du sage est le miroir de Dieu (Sent. 450, p. 62. : aoqioü ÔtlX\/Otct 0e:oü
i\loTM"po\l).Ces textes sont mentionnés par E. R. DODDS, Pagan and
Christian in an Age of Anxiery. Some Aspects of Re!igious Experience
from Marcus Aurelius to Constantine, Cambridge 1965, p. 96 et n. 4,
qui fait le rapprochement avec Alcib. 133 c et II Cor. 3, 18.
(1) GRÉG, DE NYSSE,ibid., p. 42., 24-43, 10: ... oôxt't"Lt\l &.ÀÀo't"plotç
~TI[ ... ], e:tç ôè TI)\/otxdcx\l CXÔ't"(fl
xcxt XCX't"IX qiuat\l tltCX\lû,0C:l\l
EO"'t"[CX\I
TIJ"xcx0cxpix\lxcxt &.m1µcx't"O\I.Eév1)yixp 't"(.çÈa't"t\lCl\l't"WÇ
xcxl&.ÀÀoÔcxltlj
'!"TI&crwµIX'l"(p qiucre:L
~ 't"OÜcrooµcx't"OÇ ·o
UÀ7j [ ••• ] ôè \IOÜÇ[ ••. ] t\l
ÇIZ\IOLÇxcxl liÀÀo't"p(oLç ~TI...
(2) Cf. supra, p. 12.1-12.2et 1;5-136.
(3) Ainsi Sap. Salom. 7, 2.6 et II Cor. 3, 18, indiqués ad /oc. par
l'éditeur Heil; cf. aussi I Cor. 13, 12.
(4) Praep. euang. XI 27, J.
196 LE /" ALCIBIADE ET LES CHR~TIENS

c'est là que se trouve l'idée que Dieu même nous offre


le plus beau miroir dans lequel nous pouvons le mieux nous
voir et nous connaître (Etc.,-ràv 0e:àv&poc~tbtov-re:c.,he:[vc:>
xoctJ.[rr-rc:>
èv6mpep xpCÎ)µe:0'&v [ ... ] xocloihwc.,&v µ0.~rr-roc
opc'rµe:vxoclytyV(i)O"XOL!,J-EV ~µiic.,ocù-rouc.,).
En revanche, c'est
à la partie incontestée de la page 133 c du dialogue, où la
connaissance de Dieu est dite conditionnée par la connais-
sance de l'âme (Tér 0dc:>&poc-roih' lmxe:v ocùnjç;xoc[-rtc.,de.,
-roü-ro ~:M7tCùV xocl 7t<XV -rà 0dov yvouc.,,0e:6v -re: xocl rpp6-
VYJO"LV que fait penser un passage d'une homélie pseudo-
•••),
grégorienne sur !'«image et ressemblance» de Gen. 1, 2.6-2.7;
l'auteur cite ce conseil d'un sage : « Si tu veux connaître
Dieu, commence par te connaître toi-même », et il le
développe en ces termes : plonge en toi-même, regarde
d;rns ton âme comme en un miroir, analyse sa constitution,
et tu te découvriras créé à l'image et ressemblance de
Dieu 1.
On doit observer pour finir que la définition platonicienne
de l'homme par l'âme seule, chez les auteurs mêmes qui
s'en font les champions les plus décidés, coexiste souvent
avec la définition plus banale par la réunion de l'âme et
du corps. C'est ainsi que Clément d'Alexandrie, peu de
lignes avant de souscrire à la conception platonicienne
et gnostique de l'âme qui vient dans le corps en étrangère,
ne craint pas d'énoncer que l'homme vivant dans le monde
sensible est l'assemblage de deux éléments différents
mais non pas contraires, le corps et l'âme, dont aucun n'est

(1) [GRÉG. DB NYSSE], De to, quid .rit <<ad imag. dei et similit. )),
PG 44, 1332 AB ; &xoucr6v1woç; -r:wvcro,:pwvcroL1tcxpcxLvoi3v-r:oç;, xcxl
Myov-r;oç;. EL ~O\JÀEL yvwvcxL8e:6v, 1tp0Àcx6wvyvw0L cre:cxu-r:6v . Èx
njç; crcxuwi3cruv0foe:ooç;, Èx njç; crcxu-r:oi3 xcx-r:cxcrxe:u-ijç;,
,:p'Y)crlv,
Èx -r:wv
Ènoç; cri;cxu-r:oi3.
EfoL0Limo8ùc; Èv (j((\)'l"ii>, 8LaOÀEo/OV <il<;Èv è:cr6m·plj)
-r:wl Èv 'l"'/j o/UX'/iscxu-r:oi3,
8Lcixpwov -riJv -r:CXU'T:'1)<;
xcx-rcxcrxe:u·~v,
xcxt
o<jle:Lcre:cxu-rovxcx-r' e:!x6vcx xcxt 6µoloocrLv 8e:oi3 -rurxcivov.cx.
Ce texte et celui du De mortuis ont été rapprochés de l' Alcib. par
H. F. CHBRNISS, The Platonism of Gregory of Nys.ra, dans <<Univ. of
California Public. in Class. Philology », XI, 1930-1933, fasc. 1,
Berkeley 1930, p. 40 et 82.
L'ANTHROPOLOGIEBANALE 197
bon ni mauvais par nature 1 • Origène expose qu'à la
différence de Dieu qui est incomposé, l'homme est un
être vivant composé par la rencontre d'un corps et d'une
âme 2 ; plusieurs fois chez lui, comme on l'a vu déjà chez
Irénée 3, cette conception synthétique s'exprime en relation
avec I Thess. 5, 2.3, soit qu'il fasse fonds sans discussion
sur l'anthropologie tripartite proposée par saint Paul 4,
soit qu'il en remette à plus tard l'examen 5• On a vu que
Basile associait de même l'âme et le corps dans la déter-
mination de ce qui, à la différence des biens matériels, est
vraiment nôtre6. A la secte gnostique des Audiens qui,
du rapprochement de Gen. 1, 2.6et 2., 7, arguaient que c'est
le corps de l'homme qui est à l'image de Dieu 7, Épiphane
oppose sans peine que Dieu n'est pas un corps ; l'homme
à l'image serait-il alors différent du corps? A quoi Épiphane
objecte que, aux termes de Gen. 2., 7, le corps (le limon),
non moins que l'âme (le souffle de vie), reçoit le nom

(1) CLÉMENTD'ALEX., Strom. IV 26, 164, 3-165, 2, I, p. 321, 17-25 :


o(he &:y°'6oviJ 1Jiux1J<pucretoih·e 0(0 )(O()(QV '1"0crCÏlµO(
lj)UO"E:I [ ••. ]
'Exp'ijv 81) oov tjv cruv6emvTOÜ&.v6pcfmoul:v °'tcr&rjTo~,; yevoµbnjv
l:x 81°',p6pwv cruvecr't"OCVO(t, &.)X oôx tç tVO(V't"(<üv,
crcf>µ°'T6çn XO(l.
tliux'ij,; [ .•. ] Aô't"(XO(TJ 'l"OÛcro,poü 'l"E:)(O(tyvwcr'l"IXOÜ tJiux~. otov
lmçevouµév'1) T<j>crcf>µ°'Tt,...
(2) ORIGÈNE, De princ. l 1, 6, p. 22, 21-2.2 : 11nos homines animal
sumus compositum ex corporis animaeque concursu ».
(3) Cf. supra, p. 168 et notes (2.) et (4).
(4) Ainsi en De princ. III 4, 1, p. 263, 20-23, Origène se demande
si, 1<in nobis, id est hominibus, qui ex anima constamus et corpore ac
spiritu uitali (Sap. Salam. 15, 11) JJ, il y aurait en outre un prin-
cipe spécifique capable de nous pousser au mal ; en IV 2, 4 (11),
p. 313, 1-4, il expose que, de même que ô &v6pw1toçcruvfo'l"1)xev tx
crcf>µ°'Toç x°'t lj,ux'ijçx°'t JtVeuµ°'Toç,de même, par une disposition de
Dieu, est structurée !'Écriture. Sur l'anthropologie trichotomiste
d'Origène, voir H. CROUZEL,Théologie de l'image .•., p. 130-133. Sur
l'absence de contradiction entre les différentes thèses, voir H. URS VON
BALTHASAR, Parole et mystère chez. Origène, Paris 1957, p. 12.1, n. 21.
(5) Par exemple Comment. in Matth. XVII 2.7, éd. Klostermann,
p. 658, 33-36: (sur Matth. 2.2, à propos du denier de César) ~uvecrtj-
x°'µev l:x IJiux'ijçx°'t crwµ°'Toç ({mepxdcr6w 8~ vÜ'I Myew lht x°'t
l:x JtVeùµO(To,;).
(6) Cf. supra, p. 180 et note (3).
(7) Cf. ÉPIPHANE, Panar., haer. 70, 2, 4-:,.

14
198 LE Ju ALCIBIADE ET LES CHR~TIENS

d' « homme » ; l'hérésiologue, on le voit, à la différence


de tant d'autres auteurs de son temps, tire de la Genèse
une anthropologie non platonicienne, selon laquelle le
corps recouvre son plein emploi dans la définition de
l'homme ; ce changement ne laisse pas de retentir dans
l'identification de l'homme à l'image : s'opposant au
courant, teinté de platonisme, qui voyait celui-ci dans
l'âme ou dans l'intellect, Épiphane s'avoue incapable de
décider, et s'en remet à Dieu même 1 . On rencontrerait
enfin chez saint Augustin 2 la même ambiguïté que chez
Origène entre la définition platonicienne de l'homme et
une définition que l'on pourrait dire aristotélicienne :
certaines formules augustiniennes pourraient sortir du
Jer Alcibiade, et donnent l'homme pour une âme raisonnable
qui se sert d'un corps terrestre 3 ; d'autres au contraire
intègrent expressément le corps dans la définition de
l'homme, en l'associant, soit à l'esprit et à l'âme dans la
perspective de I Thess. 5, 2.;, soit à l'âme seule 4 ; parfois

(1) ÉPIPHANE, Ancor. 55, 4-8, éd. Holl, p. 64, 18-65, 12, notam-
ment : xoi:! &110pc.mo11 xoi:Àd -roxo·cx611,xoi:l &110pc.Hm'I xoi:Àe:î-ro
tJ;uxLx6v; de même Panar., haer. 70, 2-3.
(2) Dont la dualité d'inspiration, sur ce point, a été bien vue par
Ch. CouTURIER, La structure métaphysique de l'homme d'après saint
Augustin, dans Augustinus magister, Actes du Congrès internat.
augustinien, Paris 1954, t. 1, p. 543. La même observation a été
faite au sujet d'Ambroise par W. SEIBEL, op. ât., p. 36-39. Enfin,
E. L. FoRTn<r, Christianisme el culture philosophique au Ve siècle. La
querelle de l'âme humaine en Occident, Paris 1959, p. 112, n. 2, a noté
un « flottement » tout à fait comparable chez Oaudianus Mamertus.
(3) Ainsi De mor. eccles. catho/. I 27, 52, PL 32, 1332 : « Homo
igitur, ut homini apparet, anima rationalis est mortali atque terreno
utens corpore » ; c'est la définition même que l'on a trouvée chez
Origène, cf. supra, p. 185, note (3).
(4) Par exemple De anima et eius orig. IV 2, 3, PL 44, 525 : (( Natura
certe tota hominis est spiritus, anima et corpus : quisquis ergo a natura
humana corpus alienare uult, desipit ll ; De ciu. dei XIII 24, éd.
Hoffmann, I, p. 654, 14-18 : (( homo non est corpus solum uel anima
sola, sed qui et anima constat et corpore. Hoc quidem uerum est, quod
non totus homo, sed pars melior hominis anima est ; nec totus
homo corpus, sed inferior hominis pars est ; sed cum est
utrumque coniunctum simul, habet hominis nomen ll ; néanmoins,
poursuit Augustin, le langage courant, et même celui de !'Écriture,
DEUTÉRONOME 4, 9 199

aussi, Augustin évite de choisir entre les deux orientations ;


ainsi fait-il dans les pages de la Cité de Dieu et du De moribus
étudiées au début de ce travail 1, quand il décrit longuement
la problématique et l'opinion de Varron élève d'Antiochus,
en s'abstenant de prendre parti quant à lui. Plusieurs
théologiens de l'époque patristique, on le voit, et non
des moindres, ne se sentent pas liés à une définition de
l'homme, et ne se font pas faute d'adhérer à la définition
opposée quand un nouveau contexte le réclame ; cette
constatation doit rendre moins insolites les variations
de Cicéron qui ont servi de point de départ à la présente
enquête : elles ne sont pas un cas unique.

2. Les références à !'Écriture.

On a déjà signalé au passage divers textes scripturaires


privilégiés (notamment Gen. 1, 26-27, II Cor. 4, 16,
I Thess. 5, 23, etc.), à l'occasion desquels les auteurs
chrétiens sont amenés à faire droit à certains aspects de
l'anthropologie platonicienne. Il faut maintenant, pour
finir, accorder une attention particulière à deux versets
de l'Ancien Testament qui sont interprétés comme une
exhortation à la connaissance de soi et, à ce titre, cristal-
lisent d'indéniables réminiscences du Jer Alcibiade.
Le premier d'entre eux est le Deutéronome 4, 9, avec
l'injonction Ilp6rreze rreau't'<T>,en latin Adtende tibi"·.

donnent souvent le nom d'« homme ll à l'âme ou au corps considérés


isolément ; ainsi en Gen. 1, 26-27 et 3, 19. Augustin, on le voit, rejoint
la doctrine et les formules mêmes (pars bomini.r) d'Irénée cité supra,
p. 168 et note (4) ; il s'oppose en revanche au texte d'Ambroise
( in bac lotus es, homo) cité supra, p. 187, note (2) début. C'est cet aspect
de l'anthropologie augustinienne qui a été seul retenu par J. GOLD•
BRUNNER, Das Leib-Seele-Problem bei Augustinus, diss. München,
Kallmünz 1934, p. 28-29.
(1) Cf. supra, p. 66, note (1), à 68, note (2).
(2) Plusieurs autres passages de la Bible contiennent la même
formule, tels Gen. 24, 6 ; Ex. 10, 28 ; Deut. 12, 19 ; 12, 30 ; 15, 9, etc. ;
mais Deut. 4, 9 demeure privilégié du fait que les mots IIp6crexe
200 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

Recherchant, selon son inclination, les origines bibliques du


rvwfü O"IXUT6v grec, Clément d'Alexandrie en avance deux :
l'une, plus mystérieuse, serait dans un logion de Jésus ;
l'autre, plus claire, dans le Ilp6ae:xe:ae:ocu-rcï>
souvent répété
par Moïse 1 • Dès lors, cette dernière formule tendra à
s'imposer comme le rvw0i O"IXUT6v des chrétiens 2 ; en la
commentant, ceux-ci seront conduits à reprendre certaines
des idées que la tradition platonicienne développait en
interprétant le précepte de Delphes. Le texte le plus net
à cet égard est bien connu 3 ; il appartient à une homélie
de Basile consacrée précisément au Ilp6cre:xe:cre:ocu-rcï>; on y
lit que cette exhortation du Deutéronomenous enjoindrait
d'abord de distinguer ce qui est proprement nous-même
de ce qui est nôtre et de ce qui est autour de nous : nous
sommes notre âme et notre intellect, qui portent l'image
du Créateur ; nôtre est notre corps, ainsi que les sensations
dont il est l'organe ; autour de nous enfin sont les richesses
et autres facilités de la vie ; être attentif à soi-même, c'est
donc l'être à son âme, la parer et avoir souci d'elle 4 • On a

y sont suivis (et là seulement) de : xccl tpuÀcc~ov'TT)V


cre:ccU't'c;> <Jiux1Jv
crou crq:,68pcc,ce qui prédispose évidemment à l'interprétation que
l'on va voir.
(1) CLÉMENT n'ALEx., Strom. II 15, 70, 5-71, 3, I, p. 150, :z1-151, 3:
MucrTLXCil't'Epov 8è ij87J 'l'O ' yvw!h <rCCU't'OV ' èxe:î:0ev e:rÀ7ll't"l'CCL·
et8eç Tov &.8eÀq:,6vaou, e:18e:ç Tov 6e6v crou [... ] :Ecctpéo-Tepov
8è 't'O ' yvw!h O"CCU'l'OV ' 1tccpeyyuwv o Mwucrijç ÀéyeL 7t'OÀÀ1îXLÇ ·
1tp6crexe creccuT4>. Pour l'agraphon de la première phrase, cité
déjà en Strom. I 19, 94, 5, cf . .rupra,p. 192. et note (3).
(2) Cf. P. CouRCELLE, <<No.rce teip.rumll du Ba.r-Empire au haut
Mqyen-âge.L'héritageprofane et !e.rdéveloppement.r chrétien.r,dans Il pa.r.raggio
dall'Antichità al Medioevoin Oc&idente(= Settimane di studio.. , su/l'alto
Medioevo,IX), Spoleto 1962., p. 2.70-:z71.
(3) Voir par exemple K. GRONAU, Poseidonios ... , p. :z32, n. 1, et
p. :z8:z-283 ; P. COURCELLE, ar-t.cil., p. :z78.
(4) BASILE, Homil. in<<Attende tibi ip.ri ll 3, éd. Rudberg, p. :z6, 15-
:z7, 8, = PG 31, 204 AB : flp6crexe oi'iv O"ECCUT<:>, 'l'OU'l'Écr't'L.
f.l.l)TETOÎ:çaoî:ç, f.1.lJTE
TOÎ:çnepl cré, à.ÀÀ<l<rCCUT<:> µ6vep 1tp6crex_e.
"Ai.Ào y&:pècrµev 7Jµ.eî:çmho(, xccl f}.),,),,o Tel 7Jµ1hepcc,xccl &no Tel
nept 7Jµ1iç. 'Hµeî:ç µèv oi'iv ècrµev 7J <Jiuxî)xcct o voüç, xa:6' ôv
xccT' e!x6vcc TOÜxTlcrccvToçyeyev1iµe6cc· î)µéTepov 8è TOcrwµO(,
xcd cc! llLà TOUTOU cctcr61icretc;
· nept ~µ1ic; 8è XPlJf.l.CCTcc, Téxvcct, xcct
CANTIQUE DES CANTIQUES 1, 8 201

déjà examiné 1 quelques textes patristiques, dont l'un de


Basile lui-même, sur la différence entre nous-même, ce
qui est nôtre et ne l'est pas ; mais aucun d'eux ne
s'approchait del' Alcibiade ( 131 ab, 133 de) autant que celui-ci
avec la distinction scolaire qu'il établit entre 1jµEi:,;o,;O't"o(,
1'0C-riµsnp.x et -rocne:pl.1)µêi,;; dans toute la postérité de
l'anthropologie platonicienne, seul sans doute Porphyre
se montre plus fidèle à la lettre du dialogue 2 ; aussi n'est-on
pas étonné de voir Basile prendre à son compte la thèse
maîtresse de l' Alcibiade, et professer avec toute la netteté
désirable l'identité de l'homme à sa t)Jux~et à son voü,;.
Il faut ajouter que la substance de cette page remarquable
ne tarda pas à venir à la connaissance du monde latin grâce
à l'adaptation très exacte qu'en fit saint Ambroise à la fin
de son Exameron3 •
Le second texte de l'Ancien Testament à propos duquel
s'énonce plusieurs fois la définition de l'homme par son âme
est le Cantique des cantiques1, 8 : 'Eiiv µ~ yv<j'>,;m~.xutjv,
1) x.xÀ~èv yuvc.<Œ;lv, ... Origène est probablement le plus
ancien commentateur qui ait entendu par cette dame de
beauté l'âme, invitée ainsi par l'auteur sacré à reconnaître
la beauté initiale de sa nature et à la rapporter au fait

1JÀOm'1)'t'OÜ(3LouXct't'O((n(€1.)~
[ ... ] rrpocre:xe: CJEOCU't'cj>,
't'OU't'écr't'I.
't'7Î lJiux1icrou. Tocuniv Xct't'OCXOCJµe:1,
xocl 't'OCUTIJÇ
!mµe:ÀoÜ.
(1) Supra, p. 180 et note (3) à 181 et note (2).
(2) Car Porphyre, cité supra, p. 103 et note (1), parle de tjµdç,
-rcxl)µé-re:pocet -rcx-rwv l)µe:-répwv, exactement comme Alcib. 133 d;
-rcxrre:p! l)µocç de Basile rendrait plutôt TCXrroppwripw -rwv éctUTOÜ
d'Alcib. 131 ab. Malgré cette différence, sa dépendance, directe ou
indirecte, relativement au dialogue est hors de doute ; son -rocuniç
È;mµe:ÀoÜvient du lJiux'ijç!mµe:À"l),éovde 132 c.
(3) AMBROISE, Exam. VI 7, 42, p. 233, 15-22 : « Adtende
inquit tibi soli. Aliud enim sumus nos, aliud sunt nostra, alla
quae circa nos sunt. Nos sumus, hoc est anima et mens, nostra sunt
corporis membra et sensus eius, circa nos autem pecunia est, serui
sunt et uitae istius adparatus. Tibi igitur adtende, te ipsum
scito, hoc est non quales lacertos habeas, non quantam corporis
fortitudinem, non quantas possessiones, quantam potentiam, sed
qualem animam ac mentem >>.
202 LE l" ALCIBIADE ET LES CHRÉTIENS

qu'elle fut créée à l'image de Dieu ; en même temps, comme


Clément l'avait fait pour le Deutér. 4, 9, Origène rapproche
ce verset du Cantiquedu rvw6L crixu-r6v, et estime que Salomon
inspira celui des Sept sages à qui l'on doit cette célèbre
sentence 1 . Grégoire de Nysse voit également dans le
texte en question une invitation à la connaissance de soi :
se connaître soi-même pour se garder, c'est d'abord ne
nous confondre avec aucun des biens qui sont en nous,
comme la force, la beauté, la gloire, etc. ; dans cette exhor-
tation à éixu-ràv&:rtà -rwvm:pt ixù-ràv~tixxplvi::w,on reconnaît,
formulée en d'autres termes, une distinction essentielle au
Jer Alcibiade; une fois accomplie cette discrimination,
poursuit Grégoire, que reste-t-il qui soit le propre de la
nature humaine? la raison, qui permet de mépriser tout
commerce irrationnel, et de dénier toute beauté à ce qui
ne profite pas à l'âme ; agir autrement, s'attacher aux
valeurs terrestres, c'est ce que l'auteur sacré appelle suivre
les traces des troupeaux et partager la pâture des boucs 2 •
Dans la diffusion de cette exégèse, Ambroise joua un rôle

(1) ORIGÈNE,Comment. in Cant. cant. (trad. Rufin) II, éd. Baehrens,


p. 141, 19-2.7 : « Vnius ex septem, quos apud Graecos singulares
in sapientia fuisse fama concelebrat, haec inter cetera mirabilis fertur
esse sententia, qui ait : 'scito te ipsum' uel 'cognosce te ipsum '.
Quod tamen Solomon, quem praecessisse omnes hos tempore et
sapientia ac rerum scientia in praefatione nostra docuimus, ad animam
quasi ad mulierem sub comminatione quadam loquens dicit :
nisi cognoueris temet ipsam, o pulchra inter mulieres, et
agnoueris pulchritudinis tuae causas inde descendere, quod ad
imaginem dei facta es (Gen. 1, 2.7), per quod inest tibi pluri-
mum naturalis decoris, et agnoueris, quam pulchra eras ex initio, ..• » ;
on comprend comment cette célébration de la beauté initiale des âmes
s'insère dans les vues d'Origène sur leur préexistence.
(2) GRÉG, DE NYSSE,Comment. in Cant. cant. II, éd, Langerbeck,
cppoup(X..-wvtv ~[L~V
p. 63, 18 sq. ; p. 64, 4-8 : Oôxoüv &crcpo:Àe:cr..-&TIJ
&yo:6wv"t'0 €0:U't'OUÇ [L-J)&yvo'ijcro:L
xo:l "t'0 yvwvo:t l:XO:O""t'OV€0:U"t'0V
Ôrte:pé:cr..-1
xo:l àxptôwc; €0:U't'0V&rto "t'WVm:pl o:ù..-àv8to:xplve:tv,wc;
ôlv [L')JM6m cpuMcrcrrov&v6' Éo:u..-oü-;o&JJ..6-;pwv; p. 66, 4-7 :
'O 8è rtpoc; "t'0 t8tov "t"ijc;&v6prortlv1}c; q>ucre:roc; ~ÀÉ:rtCùV
(-;oiho 8é:
É:cr-rtv6 Myoc;) xo:-;o:q>pOVIJO"Et
[Lèv"t"ijc;àÀ6you cruv'1)6e:lo:c;,oô8èv 8è
wc; XO:ÀOV ô µ71't1Î ljiuxiicpé:pe:t"t't xé:p8oc;.
o:lp~cre:-ro:t,
CONJONCTION DES DEUX VERSETS 203
plus considérable encore qu'on ne vient de le voir pour la
précédente ; non seulement, comme Origène, il comprit
que la femme du Cantique désignait l'âme à la beauté
immarcescible, et il rapporta à Salomon la paternité du
cognoscete ipsum prétendu d'Apollon Pythien ; mais il
réunit dans une même interprétation la formule du Cantique
et, bien antérieur selon lui, l' Adtende tibi du Deutéronome;
surtout, il répéta à cette occasion la thèse platonicienne
traditionnelle, selon laquelle l'âme ou l'intellect constitue
la meilleure partie de l'homme, plus exactement la totalité
de son être, auquel la chair n'a aucune part 1.

(1) .AMBROISE,Exam. VI 6, 39, p. 230, 9-24 : « cognosce te ipsum,


o homo, quod non, ut feront, Apollinis Pythii, sed Solomonis sancti
est, qui ait : nisi scias te, formonsa in mulieribus, quamquam
multo ante Moyses in Deuteronomio scripsit : adtende tibi.
Homo, tibi adtende ait !ex et propheta ait : nisi scias te. Cui
hoc dicit ? Formonsa inquit in mulieribus. Quae est pulchra
in mulieribus nisi anima, quae in utroque sexu praestantiam possidet
pulchritudinis ? Et merito decora est, quae non terrena sed caelestia,
non corruptibilia sed incorrupta desiderat, in quibus decus perire non
soleat ; corporalia enim omnia processu aetatis aut aegritudinis
inaequalitate marcescunt. Huic adtende, dicit Moyses, in qua tu
totus es, in qua melior tui portio est. Denique interpretatus est
dominus qui sis tu dicens : adtendite uobis a falsis prophe-
tis (Mattb. 7, 15) ; isti enim animam debilitant, mentem subruunt.
Non igitur caro tu es» ; de même Expos. psalmi CXVIII 10, 10, 2,
p. 208, 23-209, 1 : « Nosce te ipsum, homo ; tuae animae dicitur
in Canticis : nisi cognoueris te formosam in mulieribus.
Cognosce te, anima [... ] Adtende tibi, ut !ex dicit; hoc est tibi,
id est animae tuae >>.Voir sur ces deux textes W. SEIBEL, op. ,it.,
p. 20. Dans le premier d'entre eux, l'opposition entre la beauté impéris-
sable de l'âme et celle du corps que l'âge flétrit fait penser à l' Akib.
131 c-e, de même que le De bono mortis cité supra, p. 181, note (2) ;
pour in qua tu tolus ,s (que semble d'ailleurs contredire in qua melior
tui portio est), comparer Exam. VI 7, 43, cité supra, p. 187 et note (2).
- Sur les théories anthropologiques des Pères (notamment Lactance,
Grégoire de Nysse, Ambroise), ajouter, à la bibliographie donnée
ci-dessus, l'article d'E. voN.)VANKA, Die stoiscbe Anthropologie in der
lateiniscbenLiteratur, dans Osterrekb. Akad. der Wiss., Philos.-hist.
KI., Anzeiger, 87, 1950, p. 178-192.
DEUXIÈME PARTIE

PERMANENCES ET VARIATIONS
DANS LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE
CHAPITRE PREMIER

ÉVOLUTION ET STRUCTURES

Dans le domaine de la théologie comme dans la plupart


des autres, il est difficile de restituer les idées d'Aristote de
façon strictement univoque. Peut-être plus qu'ailleurs,
la surprise commence ici dès l'examen du vocabulaire de
base. En effet, comme l'a observé déjà W. Jaeger1, Aristote
eût accepté avec honneur la réputation de s'adonner à la
«théologie», mais il aurait certainement refusé qu'on fît
de lui un « théologien ». C'est qu'à ses yeux, la OsoÀO"(LX~
è1rn1Tfiµ,1Jest la philosophie première, la plus prestigieuse
parmi les sciences les plus prestigieuses, celle qui a l'objet
le plus précieux, à savoir l'être éternel, immobile et séparé,
lieu par excellence du divin 2 ; elle est doublement la

(1) The Theology of the Barly Greek Philo.topher.r ((( The Gifford
Lectures » 1936), Oxford 1947, p. 4-6 et 194.
(2) Metaph. E 1, 1026 a 10-32; passage parallèle en K 7, 1064 a 28-b
14. Une tradition, attestée par JULIEN, Epist. ad Themistium 10, 264
d-265 a, prête à Aristote la composition d'une 6s:oÀoyŒ't)cruyyp1X<p~
non identifiée, dont il aurait tiré autant de légitime fierté qu'Alexandre
de sa victoire sur les Perses ; sans doute tenait-il ce propos dans
une Lettre à Antipatros, cf. fgt 664 d RosE", p. 418, 5-8, et M. PLEZIA,
Aristote/fr Epùtularum fragmenta cum Testamento, dans ccAuctorum
graec. et latin. opusc. selecta », 3, Varsoviae 1961, p. 109-111. Cette
6s:oÀoytx1)cruyyp1X<p~ ne fait probablement qu'un avec la Métaphysique,·
car certains commentateurs alexandrins tardifs désigneront ce traité
par une dénomination du même genre ; pour introduire une citation
de Metaph. A 1, 980 a 21-22, ils écriront par exemple : 'O µèv 'Ap.
&px6µs:voc;-r'ij~ t1Xui-oü6s:oÀoy!°'c;<p7jcrlv(ÜLYMPIODORE,In Plat.
Akib. I çommenl. I, p. 1, 3 CREUZER,éd. Westerink, p. 1), ou encore:
·o µèv 81Xtµ6vtoc;'Ap. -r'ij,;6s:oÀoytx'ij,;0(1)-COÎ><ptÀ0<1o<p!1XÇ
&px6µsvoc;
[•••] l!<p7j(Anon, Proleg. philo.r. platon. 1, 1-2, éd, Westerink, p. 3 ; cf.
208 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

science la plus divine, à la fois parce qu'elle a Dieu pour


objet et parce qu'elle est celle que Dieu lui-même possède
au plus haut point 1 • Cet éloge de la théologie contraste
avec le peu d'estime qu'Aristote réserve aux 6i.oÀ6ym
ou 61.oÀoyfio-cxv-ri.ç
; dans son langage en effet, tes mots
désignent régulièrement les poètes archaïques qui ont
dramatisé les origines de l'univers 2 et sont tombés dans des
erreurs philosophiques et scientifiques grossières 3 ; parmi
eux, il nomme Hésiode, pour lui reprocher, au lieu d'user
de démonstrations de portée universelle, de s'être seulement
soucié des croyances de son milieu, et d'avoir abondé en
subtilités mythiques qui ne méritent pas l'examen 4 •

introd., p. XLIII) ; PHILOPON, In Arist. Ana{yt. poster. comment.,


ad I 33, 89 b 7, éd. Wallies, p. 331, 10-11, dira de même: tv 8è -tjj
6eoÀoytx'ii [se.: rrpocyµoc-,;dq:], Àiyoo 8ri -tjj Me-,;,x -,;,x cpucnxix.
(1) Metaph. A 2, 983 a 5-11 ; la théologie n'est pas nommée, mais
c'est bien d'elle qu'il s'agit; cf. R. S. BLUCK, The Origin ef the « Greater
Alcibiades )), dans The C/ass. Quart., new series, 3, 195 3, p. 48, selonqui
cette exaltation de la théologie revient à assinùler l'intellect humain
à celui de Dieu, et par là rejoint [PLATON], Prem. Alcib. 133 c. En
982. b 24-32., la théologie est dite la seule science libre (étant elle-même
sa propre fin), celle qui, pour cette raison, dépasse peut-être la mesure
de l'homme.
(2) Ibid. A 3, 983 b 2.8-32: les anciens théologiens ont nùs à l'origine
de la nature l'eau, sous les traits d'Océan, de Téthys et du Styx ; A 6,
1071 b 26-2.8 : tandis que les cpucnxol parlent de la confusion initiale,
les 6eoÀ6yot font naître toutes choses de Nuit.
(3) Ibid. A 10, 1075 b 24-27 : faute d'avoir adnùs l'existence d'êtres
non sensibles, les 6eoÀ6yot, comme d'ailleurs les cpucnxol,ne sont pas
arrivés à la notion d'un principe prenùer ; N 4, 1091 a 33-36: d'accord
avec certains contemporains d'Aristote, les 0e:oÀ6yot ne mettent
pas la perfection dans le principe, mais la font apparaître seulement
dans le progrès de la nature ; Meteor. II 1, 353 a 34-35 : les ixpx_ocîot
xocl 8toc1:plôov1:eç rrepl -,;,xç6e:oÀoylocç(noter l'emploi, probablement
unique dans le corpus aristotelicum, du mot 0e:oÀoytoc)imaginent des
sources de la mer.
(4) Metaph. B 4, 1000 a 5-2.2 ; il s'agit de savoir pourquoi, si
leurs principes sont identiques, certains êtres sont corruptibles et
d'autres incorruptibles ; Hésiode et ses semblables disent que c'est
le fait d'avoir ou non goûté au nectar et à l'ambroisie qui distingue
les immortels des mortels ; 1000 a 9-11 : Ot µèv o?iv rrepl 'Halo8ov
xocl rra.vnç &aot 0eoMyot µ6vov Ècpp6v-,;tmxv 't"OÜ m0ocvoü -,;oü rrpàç
riµwv 8' WÀLyoop"l)CîOCV
C(\l'tOU<;, (comparer PLATON, Soph. 243 a); 18-19:
DE CAEW 1-II 209

Exaltation de la théologie, discrédit des théologiens ;


identifiée à la philosophie première, la théologie est l'affaire
du philosophe. Dès l'abord, cette notation annonce une
perspective toute différente de la mentalité d'aujourd'hui,
que dominent les idées de Dieu personnel et de religion
révélée. On verra pourtant que le Dieu d'Aristote est
loin de se réduire à une notion. Au vrai, ce philosophe
n'a pas donné de ses vues théologiques une seule expression,
mais plusieurs ; faute de pouvoir les envisager toutes, on
a choisi d'examiner successivement quatre d'entre elles,
appartenant à des ouvrages qui, autant qu'on peut le
savoir, datent d'époques assez différentes. Chacun de ces
prélèvements opérés dans la carrière d'Aristote théologien
rend un son particulier, que la description essaiera de
caractériser ; il restera alors à rechercher s'ils sont, comme
ils le paraissent, le signe d'autant de mutations, ou bien si
la mobilité apparente n'y masquerait pas des permanences
profondes.
l. QUATRE ÉTATS DE LA DOCTRINE

1. De caelo!-IL
De l'avis à peu près général 1, l'essentiel des deux premiers
livres du De caelo remonte, dans l'activité littéraire

&Màcm:pl µ!v -r&v µufüx&,; O"oqn~oµtvwvoôx &~wv µe:,:-àc 0'1tou8'Ïjc;


O'X01tdv.Cf. W. JAEGER, op. tit., p. 9-10 et 195 ; A. J. FEsTUGIÈRE,
La révélationd'Hermès Trismégiste, II : Le dieu cosmique, collect. « Études
bibliques», Paris 1949, Append. III : « Pour l'histoire du mot 0e:oÀo-
y!a: », p. 599-601. Après avoir cité ce texte, W. J. VERDENIUS, Tradi-
tional and Persona/ Elements in Aristotle's Religion, dans Phronesis, 5,
1960, p. 59 et 66, observe qu'Aristote ne marque pas toujours le
même dédain à l'endroit de la mythologie : en De anim. mot. 4, 699
b 32. sq., il donne sa théorie du Moteur immobile pour la justification
de l'épisode homérique de l' aurea catenalancée par Zeus ; interprétation
allégorique du mythe d'Atlas ibid. 699 a 27 sq. ; autres exemples du
même genre dans mon Mythe et Allégorie. Les origines grecques et les
contestations jttdéo-chrétiennes, collect. « Philos. de !'Esprit ,,, Paris
1958, p. 121-124.
(1) W. ]AEGER, Aristotle. Fundamentals of the History of his
Development, transi. by R. ROBINSON, Oxford •1948, p. 299-308,
210 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

d'Aristote, à une date ancienne, toute proche de celle du


dialogue De philosophia. Ce qui explique que les deux
écrits présentent de notables ressemblances dans le domaine
théologique. Sans doute toutes les thèses du dialogue
n'ont-elles pas été maintenues dans le traité ; c'est par
exemple le cas de la croyance à la divinité du monde, qui
semble avoir constitué l'une des pièces maîtresses de la
théologie du De philosophia 1 ; on ne voit pas que le De caelo
en ait gardé la moindre trace, et l'on trouve d'ailleurs dans
d'autres textes du corpus aristotelicum certains indices
hostiles à cette représentation 2 • En revanche, on va voir

a obtenu sur ce point l'accord d'A. MANSION, La genèse de l'œuvre


d'Aristote d'après les travaux récents, dans Revue néo-scolast. de Philos.,
:29, 19:27, p. 4:25-4:27 ; cf., plus récemment, L. ELDERS, Aristotle's
Cosmo!ogy. A Commentary on the (( De caelo l>, dans « Philos. Texts and
Studies », 13, Assen 1966, p. 67. Un problème bien connu est posé
par le fait que certaines pages du De cae!o 1-ll (notamment en II 6
et 1:2) semblent refléter la théorie du Moteur immobile, et, à ce titre,
s'accordent mal au reste ; H. VONARNIM, Die Entstehung der Gotteslehre
des Aristote/es, dans « Akad. der Wiss. in Wien, Philos.-histor. Kl.,
Sitzungsber. », 21:2, 5, 1931, p. 16-:21, et W. K. C. GuTHRIE, The
Development of Aristotle' s Theologv,I, dans The Class. Quarter/y, 27, 1933,
p. 170-171 (voir aussi son édit. du De cae!odans la collect. Loeb, 1939,
lntrod., p. xxvm-xxrx), ont vu dans ces pages des additions
postérieures insérées par Aristote lui-même pour les besoins de son
enseignement ; explication refusée comme trop facile par H. CHERNISS,
Aristot!e's Criticism of Plato and the Academy, I, Baltimore 1944,
Appendix X, p. 584-585, et par P. MORAUX,édit. du De caelo dans la
collect. G. Budé, 1965, Introd., p. XLIII-XLIV; position intermédiaire
chez W. D. Ross, Aristotle's Physics, Oxford 1936, Introd. (« The
Development of Aristotle's Theology »), p. 97-98 : l'hypothèse des
additions ultérieures est inutile, du fait que les passages en question
peuvent être compris sans recourir à la théorie du Moteur immobile,
(t) De philos., fgt 18 Ross, p. 85 : -rocroü-rovôpo:-rèv6e:6v; fgt 19 a,
p. 86 : -rov ôpo:-rèv6e:6v; fgt 22 a, p. 91 : -rèv x6crµov xo:ù-rèv1:v6e:ov ;
fgt 26, p. 94 : <( mundum ipsum deum dicit esse ll, Sur le fait qu'il
s'agit bien du « monde n, et non pas seulement du « ciel >l, voir ma
Théologie cosmique et Théologie chrétienne ( Ambroise, <<Exam. » I 1, 1-4),
dans (( Biblioth. de Philos. contemporaine », Paris 1964, p. 145-146.
(2) Ainsi Metaph. A 5, 986 b 24-25 : critique de Xénophane, qui
dç -rov /S).ovoùpm,èv &.1tooM,jlo:ç -rà s:v eivo:Ecp7Jm-rov 6e:6v; c'est le
testim. 30 DIELS-KRANZ,I, p. 121, 17-18. De an. I 5, 411 a 7-8: critique
des philosophes qui disent que l'âme est mélangée à l'univers, d'où
Thalès a pensé que tout est plein de dieux.
LA DIVINIIB DU CIBL 211
que d'autres doctrines théologiques du dialogue ont
passé dans le De caelo.
Autant qu'on peut le comprendre, les deux premiers
livres de cet ouvrage accordent la qualité divine à trois
sortes de réalités :
1 ° C'est d'abord le ciel et les astres. Aristote se dit
pénétré de la vérité des croyances traditionnelles selon
lesquelles il y a du divin ('n[ ... ]fü:ïov) dans les êtres dont
le mouvement parfait enveloppe tous les autres mou-
vements ; aussi les Anciens ont-ils assigné aux dieux le ciel
et le lieu d'en haut (Tàv 8' oùpocvàvxcxt-ràv &vfil-r6r:ov ot
µè:v cxpxocfoL 'rOLÇfü:oïç cx1téve:Lµcxv)l ; dans la même ligne
de pensée, le philosophe ajoute que le ciel ignore toutes
les misères des mortels (cx1toc67iç 7t<XITTJÇ6vY)TÎjÇ 8ucrx.e:pdocç),
ainsi que l'effort pénible (&1tovoç)dû à une contrainte qui
le ferait peiner (rnl1tovov) et l'empêcherait de jouir du
meilleur des états (aLoc6foe:{!)Ç 't"YjçcxpLO''r"f)Ç
&µOLpov); son
âme n'exerce sur lui aucune contrainte, sans quoi elle ne
saurait mener la vie exempte de chagrin et pleine de
bonheur (~WYJV &Ji.u1tov
xoct µocxocplocv) qui est la sienne, elle
serait privée de tout loisir, de toute satisfaction intellectuelle
(&crxoÀov e:!vocLxoct7t<XITTJÇ
CX7tY)ÀÀocyµévY)v poccr-r6>VY)Ç
~µ(j)po-
voç), et même de la détente qu'offre le sommeil; Aristote
termine ce chapitre sur la vie divine du ciel en soulignant que
seule sa théorie du mouvement céleste s'accorde pleinement
avec le sentiment religieux que l'on a de Dieu (-r?iµocv-rdq;
-r?i1te:pt-ràv 6e:6v)(II 1, 284 a 2-b 5)2 • Plus loin, un raisonne-
ment tient pour acquis que le ciel est un corps divin, cr&µoc
... -rL6e:tov : l'acte de Dieu étant l'immortalité, c'est-à-dire
la vie éternelle (~WYJ &:taLoç),un mouvement éternel appar-
tient nécessairement à Dieu (&.v&yxY) -rcj>6e:cj>
xlvYjcrLv
&.taLov

( 1) a. de même II 5' 28 8 a 4-5 : 0e:16-re:poç


yocp -r61toç O â!vw 't'OÜ
xchw.
(2) Ici et dans la suite, j'emprunte beaucoup d'heureuses formules
à l'excellente traduction citée de P. Moraux.
212 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

ù1tixpxe:LV); or le ciel est de nature divine (ô oûpocvàç't'ornü-


't'oç), et c'est pourquoi il comporte le corps qui se meut
circulairement sans aucun arrêt (II 3, 286 a 9-12). Ailleurs
enfin, ce sont les astres (fixes) qui sont appelés des 0e:î:oc
(II 12, 292 b 31-32).
O'Wfl,OC't"OC
Dans ces professions de théologie sidérale, les historiens
signalent avec raison la présence de traits platoniciens,
relatifs par exemple à la vie intellectuelle ininterrompue
qui est le privilège de l'âme du monde, ou à la liaison entre
l'immortalité et le mouvement incessant 1 • Cette inspiration
platonicienne s'accorde au fait que la divinité du ciel et
des astres était certainement l'un des articles de foi du
De philosophia2 , à telle enseigne que le principal des textes
du De caeloqui viennent d'être cités est regardé généralement
comme un emprunt d'Aristote à son dialogue 3 ; à l'intérieur
de leur commune adhésion à la théologie astrale, le traité
et le dialogue se rencontrent de façon remarquable sur un
point précis : de même que le premier, on vient de le
voir, accordait à l'âme qui meut le ciel une vie de bonheur
et de tranquillité (~w~v [...] µocxocptocv [•.•] <o~x > OCO';(OÀov),
le second aurait affirmé du mundus qu'il doit être quietus
et beatus4 • Il faut noter de plus qu'à la différence de la

(1) Cf. Tim. 36 e : l!µ.<ppovoç~[ou; Phèdre 245 c; et H. CHERN1ss,


op. cil., p. 586; L. ELDERS, op. cit., p. 182 et 192 ; 1. DÜRING,
Aristote/es. Darstellung und lnterpretation seines Denkens, Heidelberg
1966, p. 363-367.
(z) Fgt 18 Ross, p. 85 : 1tixv8e:1ov ; fgt 21 a, p. 90 : (<in deorum
numero astra esse ducenda >>; fgt 21 b, p. 91 : « impie faciat, si deos esse
neget [se. : astra] ll; fgt 2.6, p. 94: <(caelum deum ll; fgt 22 c WALZER,
p. 87 : \jiuxcti [... ] 0dctt ; fgt 22 J, p. 88 : 0e:ouç ; fgt 22 h, p. 88 :
ctLcr01J-r&vfü:&v.
(3) De caelo II 1, 283 b 26-284 b 5, = De philos., fgt 29 WALZER,
p. 95-96, = fgt 23 UNTERSTEINER, p. 60-62.
(4) De philos., fgt 26 ( in fine) Ross, p. 94. Le rapprochement est
signalé par I. DÜRING, op. cit., p. 187, n. 30, qui indique encore
Metaph. 0 8, 1050 b 24-28; dans ce dernier texte en effet, les astres et
le ciel tout entier sont dits ne pas se fatiguer (Oùllè x&µ.ve:t)dans leur
révolution parce qu'ils sont toujours en acte, tandis que les êtres cor-
LA DIVINITÉ DE LA SUBSTANCE ASTRALE 213

théologie proprement cosmique, qui semble avoir été


abandonnée aussitôt après le De phi!osophia,cette théologie
sidérale se poursuit, non seulement dans le De cae!o,mais,
sous des formes plus ou moins atténuées, dans de nombreux
traités du corpus, où le ciel et les astres sont assez souvent
dits fü:'i:oc,
0e:L6't'e:poc
ou 0e:L6't'OC't'OC
1•

2° Si le ciel et les astres sont ainsi regardés comme


divins, c'est moins par suite de leur être individuel qu'en
raison de la substance dont ils sont tous constitués. Le
Jer livre du De cae!o affirme le caractère divin de cette
substance en tant que telle : différente des formations d'ici-
bas, elle les dépasse toutes en excellence comme en
divinité (0e:Lo't'époc)(I 2, 269 a 30-32) 2 • Comme on l'a vu
le faire déjà, Aristote, sur ce point aussi, en appelle à
l'opinion commune sur les dieux (1te:pt0e:wv[•••],'.m6ÀYJ~Lv) :
barbares et Grecs qui croient aux dieux assignent tous au
divin le lieu le plus élevé (mxne:ç 't'(N OC\ICù'rOC't'Cù -ré[>0dep
-r6nov &noaLMoccrL) ; si donc il existe un être divin, comme
c'est bien le cas, voilà qui confirme l'exposé sur la première
substance corporelle (E'C1te:p ouv fo-rLTLOe:'i:ov, cilrme:pfo-rL,
xoct-rixvüv dpYJµév!X nept T~Çnp<ü'r'YJÇ oùcrlocç't'WVcrCùµoc-rCùv
e:'lpri-rocL
xocÀwç)(I 3, 270 b 4-11). C'est là une façon détour-
née d'exprimer l'étroite affinité qui unit le premier corps et
le divin. Une autre fois, Aristote formule la même thèse

ruptibles, dont le mouvement est en puissance, peinent à en assurer


la continuité (èrcb,ovov dvcxLTIJVcruvtxe:Lcxv tjç XLV7lO-E(l)ç).
(1) Ainsi De part. anim. I 5, 644 b 25 : 6dcxç ; 645 a 4 : 't"O: 6doc;
Phy.r.II 4,196 a 33-34: 't'ÔVa· oùpcxvôvxcxl 't'(X6e:L6't'CX't"ot
't'WVqiotve:pwv;
Eth. Nic. VI 7, 1141 a 34-b 2: xoi:lycl:p&:v6pC:mou &MotrroÀU6e:L6't"e:pot
TIJV(jlUO-tV, ye: è1;oov6 x6o-µoç cruvfo't'7JXEV;
otov <potve:pw't"ot't"<X Metaph.
E 1, 1026 a 18 : 't'OÎ<;qioi:ve:poîç 't'W'V 6drov; A 8, 1074 a 30-31: 6drov
aroµ<X't"(l)VXot't'Œ-rôv oùpoi:v6v; De an. I 2, 405 a 32-b 1 : xwe:fo6oi:Lycl:p
xoi:l 't'Π6e:i:otTt"<Xl/'t"ot
0-Ul/e:xwc;&:d, O"EÀ7)Y'flV,
~ÀLOV, 't"OÙÇ OCO"'t"€poi:ç
xoi:l
't'ôV oùpotvôv 6Àov (Alcméon, = testim. 12 D.-K., I, p. 213, 20-21 ;
noter la ressemblance avec De rae!o II 3, 286 a 9-12) ; De gener. anim.
II 1, 731 b 24 : &:t8iocxoi:l6e:îoc.
(2) O. GmoN, Aristoteles-Studien I, dans Museum he/1Jet., 9, 1952,
p. 130, a relevé le ton hiératique du passage.
15
214 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

à propos du premier corps tel qu'il se trouve être dans


le dernier orbe de l'univers (la sphère des fixes) : là, dans
ce qu'on appelle habituellement « ciel », réside toute
divinité (èv tj>xr.d 't'O 0eiov 1tocvt3pucr017.[ (fli7.µev)(I 9, 278
b 11-15). Peu après, le philosophe envisage l'au-delà
de cet orbe extrême (È:çwTijç ècrxocTYjÇ 7tepLcpopocç), pour
établir qu'il ne peut y avoir là aucun corps, ni lieu, ni vide,
ni temps (278 b 25-279 a 18); il y existe pourtant des êtres
('t'&xe:i),qui échappent au lieu, au temps et au vieillissement,
au changement ; inaltérables, impassibles, jouissant de la
vie la meilleure et la plus indépendante, ils traversent l'éter-
nité (&vcxÀÀOLW't'<X xcxl.&1tcx0~-niv &p[crTY)V fy_ov't'<X~w~v X17.L
T~v <XÙ't'cxpxe:cr't"OCTY)V
3Lcx't'e:Àei
't'OV&1tcxV't'l7.
cxt&vcx), qui est la
durée même du ciel, divine (0efoç) et divinement (0dwç)
nommée ; de là dépendent, pour les autres êtres, l'être et
la vie ("00e:v x.cxl.'t'oic; &ÀÀOLÇ &~~pTY)'t'<XL[
...]'t'o dvcx[ 't'e x.cxl.
~~v) ; ce qui confirme qu'on est en pleine théologie, c'est
qu'Aristote, pour finir, évoque ses œuvres philosophiques
en circulation relatives aux êtres divins (èv 't'oic;èyxuxÀLOLÇ
cpLÀocrocp~µcxm 1tepl.'t'<X0dcx) : là aussi, il montrait que le
divin doit être immuable, sans défaut, plein de toutes
ses perfections, mû d'un mouvement indéfectible ; une
dernière notation montre que ce n'est pas un être divin
subalterne qui est décrit, mais le Dieu suprême : il n'existe
aucun être plus divin que lui qui serait la cause de son
mouvement (279 a 18-b 3). Les historiens se sont perdus
en conjectures sur l'identité de ces êtres mystérieux disposés
au-dessus de la translation la plus extérieure (tmèp -niv è1;w-
't'CX't'W't'E:'t'<Xyµévwv cpopocv,279 a 20) 1 ; l'interprétation
la moins invraisemblable paraît être de voir en eux, malgré

(1) Il s'agirait de la sphère des fixes selon J. MOREAU,L'âme du


monde, de Platon aux stoïciens, dans « Collect. d'études anciennes ... de
l' Assac. G. Budé n, Paris 1939, p. 119, n. 1 ; du Moteur immobile
selon H. CnERNrss, op.cit., p. 587-5 88, et I. DÜRING, op. cit., p. 360-361 ;
de formes intelligibles transcendantes selon L. ELDERS,op. cit., p. 2.9-31
et 144-147.
L'AU-DELÀ DU CIEL DES FIXES 215
le pluriel, une désignation de la substance astrale telle
qu'elle constitue la surface extérieure de la sphère des
fixes ; cette explication, qui rend raison d'à peu près
tous les détails du texte, est en outre appuyée par deux
circonstances : d'une part, plusieurs des caractères attribués
ici à -r&xû (immutabilité, impassibilité, absence d'altération
et de vieillissement) sont affirmés du premier corps en
I 3, 270 a 12-b 4 1 ; d'autre part, divers témoignages doxo-
graphiques, étudiés par W. Theiler2, prêtent à Aristote
d'avoir cru en un Dieu conçu comme la limite extérieure
du ciel. Dans ces conditions, la difficile page du De cae!oI 9
doit être regardée comme une preuve de l'adhésion du
philosophe à la divinité du premier corps ou, comme il
le dit parfois 3, de l'éther.
De cette théologie de l'éther, on peut répéter à peu près
ce que l'on disait plus haut de la théologie sidérale. Dans
les textes qui la formulent, les souvenirs platoniciens
abondent 4 • D'autre part, le De caelo n'innove pas sur ce
point, puisque la doctrine était déjà proposée dans le De
phi!osophia5 ; aussi bien, c'est ce dialogue qui a toutes
chances d'avoir été désigné par Aristote évoquant ses
6
propres qxuxÀ~oc (flLÀOO"O(f,~fl,OC'TOC
m:pl 'TOC0e"i'.oc • Quant à la

survie de cette représentation de haute époque dans le


corpus aristote!icum, il semble que l'on doive cette fois-ci
se contenter d'un passage des Météorologiques,plein d'allu-

(1) Observation d'ARNrM, op. cit., p. 14-15, et de GUTHRIE, art.


cil., p. 168.
(2) Ein vergessenes Aristoteleszeugnù, dans Volume in honour of
Sir David Ross, = The Journal of Hellenic Studies, 77, I, 1957, p.127-131.
(3) De caelo 1 3, 270 b 20-25 ; III 3, 302 b 4.
(4) Cf. Tim. 32 c et 92 c (pas de corps en dehors du monde), H a
(pas de vieillissement du monde), 34 b (pas de besoin pour le ciel), etc.,
et L. ELDERS, op. cit., p. 141-149.
(5) Fgt 26 Ross, p. 94 : cccaeli ardorem deum dicit esse >>.
(6) Comme l'affirme Simplicius dans le fgt 16 Ross, p. 84 ; aussi
De cae!o19,279 a 17-279 b 3 constitue-t-ille fgt 28 WALZER, p. 94-95,
etle fgt 38 UNTERSTEINER, p. 58, du De philos.
216 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

sions au début du De caelo, et notamment à la: croyance


populaire selon laquelle un corps en mouvement incessant
comme est l'éther doit avoir une nature divine 1 •
30 Il ne s'agit plus de l'éther supracéleste lorsque le
De caelo II 12 introduit la considération d'une certaine
0eLo-rcx.-,'1l
&pz~ (292 b 22) ; car ce principe le plus divin
apparaît immobile et séparé même du premier ciel : doué
de la plus haute perfection, il possède son excellence
indépendamment de toute activité (-rcï>µ.èv ocpLG'C"OC ezov-rL
U7t"œpzeLv -ràeo &.veu1tp&!;e{ùç, 292 a 22-23), à la différence des
astres qui, eux, exercent une 1t'pii1;Lç (b 1) ; de quelle activité
aurait-il besoin, puisqu'il est lui-même la fin, et que l'activité
requiert la dualité de la fin et de l'être dont elle est la fin
(b 4-6)? Cette conception immobiliste, finaliste et transcen-
dante de la divinité fait penser au Moteur immobile 2 ;
elle est en tout cas nettement différente des deux orientations
théologiques précédentes.

2. Éthique à Eudème VII-VIII.


L' Éthique à Eudème est regardée généralement comme
le plus ancien traité de morale d'Aristote, non éloigné du
Protreptique3, et auquel l'auteur aurait pris trois livres
(IV à VI) pour les transporter dans l' Éthique à Nicomaque
(V à VII) composée plus tard.
Le livre VII de la première Éthique, comme le seront

(1) Meteor. I 3, 339 b 2.5-2.6: TO ycxp &d crwµcx 0é:ov &µex xcxL
0d6v Tt tjv <pi'.mtv folxcxcnvUl't"oÀcxÔdv(jeu de mots sur 0é:ov- 0e:ï:ov);
cf. ARNIM, op.cit., p. 2.7.
(2.) Identification assurée pour I. DÜRlNG, op. cit., p. 365, n. 12.4,
et p. 367 ; contra,L. ELDERS, op. cit., p. 2.38,et déjà Ross, op. cit., p. 100,
qui v~it dans la 0e:w-rocTTj &px~ une fin immanente, un idéal de
perfectton.
(3) Cf. W. )AEGER, Aristotle ... , p. 2.56 et n. 3 ; A. MANSION, art,
cit., p. 443 ; F. NuYENs, L'éuolution de la Pvchologie d'Aristote, trad.
française, collect. « Aristote. Traduct. et études » Louvain-La Haye-
Paris 1948, p. 185-189. •
L'AMITIÉ ENTRE DIEU ET L'HOM.',Œ 217

les livres VIII et IX de la deuxième, est consacré à la


célèbre question de l'amitié. Elle intéresse la théologie dans
la mesure où est évoqué le problème de la possibilité d'une
amitié entre Dieu et l'homme. Certains textes vont dans
un sens négatif : plus l'homme se suffit à lui-même, moins
il a besoin d'amis ; c'est manifeste au plus haut point
pour Dieu qui, n'ayant besoin de rien (où~s:vo,;1tpo11~s:6-
µs:vo,;), n'aura pas besoin d'ami, et ne sera l'ami de personne
(VII 12, 1244 b 7-10)1. Il y a pourtant une certaine amitié
de Dieu pour l'homme, comme du père pour le fils, du
bienfaiteur pour l'obligé, du chef par nature au subordonné
par nature (10, 1242 a 32-35) ; car dans chacune de ces
relations, y compris dans celle qui existe entre Dieu et
l'homme, il y a échange d'un profit (xép~oç) contre un
honneur (-rLµ~),qui doivent être d'égale quantité ( 1242 b 19-
2.1)2. Mais, malgré cet équilibre, l'amitié de Dieu et de
l'homme ne saurait être exactement réciproque : il serait
ridicule de reprocher à Dieu de ne pas aimer en retour de la
même façon qu'il est aimé (rs:ÀoÏ:Ovycîp, s:'l't'LÇtyx<tÀo["I)
-rc;'i6s:c;'i,6-rLoùx. oµotCùÇ&v-rupLÀS:~ ;, 12.38 b
ùlÇ Cj>LÀS:~"t'OCL,
2.7-28). En définitive, comme l'a bien vu W. J. Verdenius 3,
ce qui est exclu par l'Éthique à Eudème (et, avec moins
d'insistance, par l'Éthique à Nicomaque), ce n'est pas l'amitié

(1) De même Eth. Nic. VIII 9, 1158 b 35-36 et 1159 a 5 : pas


d'amitié possible entre Dieu et l'homme, qui sont séparés à tous
égards par un intervalle indiscutable. Cf. Magna mor. II 11, 1208 b 28-
31 : on n'a pas d'amitié pour Dieu ; il serait absurde que quelqu'un
prétendît aimer Zeus.
(2) Même doctrine en Eth. Nic. VIII 16, 1163 b 15-16, et IX 1,
1164 b 5, où il est dit en outre que l'honneur que nous rendons aux
dieux, à nos parents, à •.. nos maîtres en philosophie ne saurait être
proportionné aux bienfaits que nous avons reçus d'eux, et que nous
ne sommes tenus qu'au possible.
(3) Art. cil., p. 67, n. 29. Je trouve moins juste l'appréciation
d'A. MAN'3ION,Le Dieu d'Aristote et le Dieu des chrétiens, dans La
Philosophie et ses problèmes. Recueil... offert à R. JOLIVET,Lyon-Paris
1960, p. 36-37, qui, des mêmes textes, retire l'impression qu'Aristote
croit impossible toute amitié de l'homme avec les dieux traditionnels,
et à plus forte raison avec le Dieu suprême.
218 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

((J)iÀe:Ï:v)
entre Dieu et l'homme, ni même l'amitié réciproque
(&.vn(j)iÀe:Ï:v),
mais seulement l'égalité absolue dans la réci-
procité (oµotw,;; &.v-mptÀûv).Voilà levée une hypothèque
qui risquait de rendre impossible a priori toute communica-
tion de Dieu à l'homme.
La fin du livre VII amorce une transition par quelques
lignes de grande portée sur le thème de l'imitation de Dieu.
Puisque Dieu, y est-il dit, n'est pas tel qu'il ait besoin d'ami,
on doit en penser autant de qui est semblable (8µowv)
à Dieu ; mais à ce compte-là, l'homme de bien ne portera
pas sa pensée sur un objet différent de lui, puisque le
bonheur de Dieu est de n'avoir d'autre objet de pensée que
lui-même (~éÀ-rwv~ &cr-re;&Àt.o-ri voe:î:v7totp' otlrrà,;;otu't'6v);
la vérité, c'est que le bonheur de Dieu n'est pas le bonheur
humain : notre bonheur est relatif à autre chose, tandis que
Dieu est lui-même son propre bonheur (~µî:v µèv -rà di
xcr:0'~'t"Epov,èxdvep aè otÙ't'àÇcr:u,oü-rà e;Ï)ècr-r[v)(12, 1245 b
14-19). Ce texte est important à plus d'un titre. D'abord
par la définition qu'il donne du bonheur divin ; on en trouve
d'ailleurs une toute semblable au début du livre VII de
la Politique, qui passe lui aussi pour fort ancien 1 : Dieu est
heureux sans le secours d'aucun des biens extérieurs, mais
en lui-même par lui-même (ai' où0èv aè -r&v è~w't'e:pix&v
&.ycr:0&v &.t.M ai' otu't'àvcr:ù't'6,;;)
et par suite de sa qualité
naturelle (VII 1, 1323 b 23-26). D'autre part, distinguant
aussi nettement la condition de l'homme et la nature de
Dieu, l' Éthique à Eudème dénonce les limites qui entrave-
raient à la fois une morale fondée sur l'imitation de Dieu
et une théologie de caractère anthropomorphique 2 • L'auteur

(1) Cf. W. JAEGER, Aristotle ... , p. 275-282 ; F. NuYENS, op. cit.,


p. 196.
(2) Autres critiques de l'anthropomorplùsme en théologie en
Metaph. B 2, 997 b 10-11 : contre ceux qui donnent aux dieux une
forme humaine (0eouç[ ... ]&.v0pwrroe:ioe:î:c;)
et les conçoivent comme
des hommes éternels ; A 8, 1074 b 5-6 ; Polit. I 2, 1252 b 24-27 : on
dit les dieux soumis à des rois parce que &crrrep ol: xo:l -rix do'/] &om-roî:ç
LES LIMITES DE L'IMITATION DE DIEU 219

de la Grande morale s'inspirera de ce morceau pour discré-


diter, au moyen d'un dialogue rhétorique, les discours
qui reposent sur la similitude (oµ.ot6nic;) de l'homme et
de Dieu, et qui ne sont utiles ni au niveau de Dieu ni à
celui de l'homme : que Dieu soit indépendant et sans
besoin (o 0e:6c;ècrnv IXÙ"t'ocpx:ric;XIX1[1,7l3e:voc;
3e:Ï:"t"1Xt),
cela
n'implique pas que nous le soyons aussi ; inversement,
la contemplation étant la plus haute activité de l'homme,
on la prête à Dieu, qui ne peut rester à dormir (où yii.p
x1X0e:u3~cre:t); mais quel sera l'objet de la contemplation
divine? non pas un être différent de Dieu, et donc meilleur
que lui, ce qui serait absurde ; mais pas davantage Dieu
lui-même, car l'homme qui s'adonne à sa propre observation
est taxé d'insensibilité ; Dieu se contemplant lui-même
n'aura pas de sens ('1A"t'o1toc;[
•..]o 0e:oc;fo"t"IXL
IXÙ"t'OÇ€:IXU"t'OV
0e:wµ.e:voc;),
et force est de renoncer à déterminer l'objet de
la contemplation divine (II 1j, 1212 b 33-1213 a 7) 1•
Enfin, dans le passage considéré de l' Éthique eudémienne
comme dans sa caricature de la Grande morale, on discerne,
avec la notion d'un Dieu qui se pense lui-même, l'anticipa-
tion de la célèbre doctrine du livre A de la Métaphysique;

&.qioµmoümval 6i.v0pCù7t"OL, o(hCù xoct -roùç ~(oui; -rwv 0.:wv ; Eth. Nic.
I 12, 1101 b 18-21 : la référence des dieux à l'homme est ridicule
(ye:Àoi:oiyixp qioc(vov-roci
1't"poc; comme il advient
1iµiic; &vccqie:p6µe:vm),
quand nous leur décernons des louanges. Mais il existe un anthro-
pomorphisme moins grossier qu'Aristote lui-même n'a peut-être pas
toujours évité : sans doute nie-t-il que Dieu soit jaloux ( Metaph. A 2,
982 b 32-983 a 3 ; cf. Phèdre 247 a; Tim. 2.9e; Epin. 988 b), mais il lui
accorde, comme à l'homme vertueux, la capacité de faire le mal (Top.
IV 5, 126 a 34-39).
(1) La condamnation de la théologie affirmative, on l'aura remarqué,
est beaucoup plus accentuée en Magna mor. qu'en Eth. Eud., où elle
était seulement esquissée. Pour cette raison, R. WALZER, lvlagna
mora!ia und aristote!ische Ethik, dans « Neue philolog. Untersuch. »,
7, Berlin 192.9, p. 230-231, regarde le texte de Magna mor. comme
une critique dirigée contre le précédent ; en sorte que la formule
de 1212 b 34 : èv -roi:c;Myoic; viserait, non seulement tel écrit exo-
térique comme le Protrept., mais aussi l'Éth. Eud. et même la Métaph. A,
où sont professées les thèses de l' oµoLCùcnç0eéjl et de l'affinité de
l'intellect humain avec celui de Dieu.
220 LA THÉOLOGIED'ARISTOTB

c'est de tels indices qui ont incité Jaeger à placer à la


même époque la rédaction de ce livre et celle de la première
Éthique1 •
Le rapprochement avec la Métaphysique apparaît plus
malaisé quand on aborde le livre VIII de l' Éthique à Eudème.
Le propos en est, on le sait, de rechercher pourquoi, dans
tous les domaines, les hommes qui réussissent ne sont pas
les plus sensés : c'est que le réussite n'est pas affaire de
raison, mais de nature (Ot té ye: 't'owü-rot e:1huxe:î:c;, éScroL
&ve:uMyou XCX.'t'Op0oümv &c; È1tt 't'O 7tOÀU.<I>ucre:L &pocOL
e:Ù't'uxe:î:c;
e:!e:v&v,VIII 2, 1247 b 26-28), en d'autres termes
qu'elle se rattache à un principe transcendant (&.px-ri~c;
oùx itcr't'LV IXÀÀ'YJ
!'~w, 12.48 a 2.3). Vient alors un passage
d'une extrême importance sur la nature divine et le mode
de sa communication avec les hommes : Dieu, principe du
mouvement dans l'univers, l'est également dans l'âme
('t'tÇY)-njc;XLV~O"E:CùÇ ÈV't'7Î~UX''fi•~rjÀOV3~ i:>0'7te:p
CX.flX"fl
Èv 't'cj'>oÀep 0e:6c;,x&.v hdv7)) ; sans doute le divin en
nous (raison, science, intellect) est-il d'une certaine façon
notre moteur (füve:î: yocp 7tCùÇ7t1X.\l't"<X 't'O Èv Y)f.1-Î:V
0e:î:ov);
seulement, le principe de la raison n'est pas raison, mais
quelque chose de supérieur (Myou 8' &.px"fl où 1.6yoc;,cx.ÀÀoc
-rL xpe:î:nov) ; or, qu'y aurait-il de supérieur à la fois à
la science et à l'intellect, sinon Dieu? ('t't oùv &v xpe:î:nov
xoc1È7ttcr~µ.'Yjc; e:'l'YJ
xoc1voü 7tÀ"flV
0e:6c;;) ; la divinité étant
ainsi dépeinte, on comprend qu'elle puisse agir sur les
e:Ù't"uxe:î:c;
sans user de la médiation de la raison, de l'intel-
lect, de la délibération (xoc't"op0oücrLv &1.oyoL8v't"e:c;,xoc1
~ouÀe:ue:cr0cx.L où cruµ.rpépe:L <XÙ't"oÎ:c;.
''ExoucrL yocp &px-riv
-roL<XU'O'JV ~ xpe:tnCùv -roü voü xoct -njc; ~ouÀe:ucre:Cùc;),
mais en les saisissant directement d'enthousiasme, en

• (1) a. W. JAEGER, Aristotle ... , p. 2.40; de même I. DÜRING, op,


çzt., p. 4H et n. 138.
LE SECRET DE LA RÉUSSITE 221
leur communiquant par la divination et les rêves véridiques 1
ce qu'elle voit elle-même parfaitement de l'avenir et du
présent ; voilà comment l'homme qui réussit doit son
succès à Dieu (aLo xod aoxe:'r:à E:Ù't"UX~Ç aLix0e:ovXOC't"Op-
0oüv): c'est la 0doc e:ihuz[oc(1248 a 24-b 7)2.
Il est difficile de comprendre comment cette profession
de théologie irrationaliste, selon laquelle Dieu dépasse
le voüç (qui n'est que le divin en nous) et n'a d'affinité que
pour ce qui, dans l'homme, est inférieur au voüç, a pu
être identifiée à la théologie noétique de la MétaphysiqueA 3•
Ce qui frappe surtout dans cette page de la première
Éthique, c'est son inspiration platonicienne ; car le Ménon
exposait déjà que la 0doc µo'r:pocest accordée aux hommes
d'État et fait d'eux des personnages divins qui réussissent
merveilleusement, le tout sans aucune intervention de
leur intellect (99 c : 't"OO't"OUÇ0douç XOCÀe:°r:v't"OUÇ&vapoc,;,
ohLve:ç '\/OÜV µ~ ~xone:ç 7t"OMIX xoct µe:yaÀocXOC't"op0oüow ;
99 e : ocpe:~ ocve:'l11oihe: rpoae:Loihe: 8L8ocx1"6v, OCMIX 0d(f
µo[ptf 1tocpocyLyvoµév11 &ve:uvoü) ; même évacuation de
l'intellect dans le processus par lequel la 0doc µo'r:poc
procure

(1) Voir en sens contraire De diuin. per somnum (Parua na/.) 1,


462 b 20-23 : les rêves divinatoires n'ont pas Dieu pour cause ; de
même 2, 464 a 20-22; 463 b 13-15 : ayant une origine naturelle, ils
viennent de démons, car la nature est démonique, et non divine.
(2) Tout ce texte est d'une lecture difficile ; je m'inspire des
nombreuses corrections adoptées par F. DIRLMEIER, Aristote/es,
Eudemische Ethik, dans « Arist. Werke in deutscher Obersetzung »
(E. Grumach), 7, Berlin 1962, p. 490-492. Pour cette page importante,
que l'on retrouvera infra, p. 270-276, je n'ai malheureusement pas
disposé assez tôt pour pouvoir en profiter de l'étude de W. J. VERDE-
NIUS,Human Reason and Cod in the Eudemian Ethics, dans Untersuchungen
z;11rEudemischen Ethik, Akten des 5. Symposium Aristot., herausg.
von P. MORAUX und D. HARLFINGER,collect. « Peripatoi », 1, Berlin
1971, p. 285-297.
(3) Ainsi par I. DÜRING,op. cit., p. 452-453 ; en revanche, la diffé-
rence entre les deux œuvres a été fortement marquée par H. VON
ARNrM, Eudemische Ethik und Metaphysik, dans « Akad. der Wiss.
in Wien, Philos.-histor. Kl., Sitzungsber. », 207, 5, 192.8, p. 19-22.
222 LA THÉOLOGIB D'ARISTOTE

l'inspiration du poète, s'il faut en croire l'Ion (534 c : o0eài;;


è~.xtpouµevoi;;'t"OU"C"(ù\l -ràv \IOU\I; 534 d : oti;; voui;; µ~
1tocpscr-rtv,&Jv.'o 0sàç .xù-rôçècrnv o JJ:ywv) ; les analogies
frappantes dans la pensée comme dans l'expression mon-
trent suffisamment qu'Aristote avait dans l'esprit ces textes
de Platon 1 • Quant à la conception selon laquelle Dieu
serait xpzi-r-rôv -rt -rou vou, il convient de la rapprocher du
dialogue Sur la prière, où Aristote, au témoignage de
Simplicius, affirmait que Dieu est ou bien vouç, ou bien
aussi btlxet\lOC'tt 't"OUvou2 •
La dernière page du livre VIII, qui est aussi celle de
l' Éthique eudémienne, apporte d'ultimes précisions sur la
nature de Dieu et sur sa relation à l'âme. On y apprend qu'il
y a le même rapport entre Dieu et l'intuition morale, dans
la partie contemplative de l'âme, qu'entre la santé et la
médecine : Dieu n'exerce pas sa domination en donnant
des ordres, mais il est la fin en vue de laquelle la 9p6v'1Jcrti;;
donne des ordres, car lui-même n'a besoin de rien (Où yix.p
tm-rtXX't"tXWÇ rJ.pxwv O 0eÔç, (J.J..t.'OÔ ÉVEX,X 1) q>pOV'flO"tt;;
èm-rocnst [... ], è1tel. XEL\IÔÇ ys où0svàç ~ZL't"tXt) ; en sorte
que le bon choix est celui qui favorisera le plus la con-
templation de Dieu ('TTJ" -rou 0zou 0swp[,xv), et le mauvais,
celui qui empêche de servir Dieu et de pratiquer la contem-
plation (-ràv Ssàv 0spomdistv x.xt0swpsîv) (VIII 3, 1249 b
9-21). Il faut noter que les plus récents historiens 3 s'accor-
dent, en réaction contre Jaeger, à voir dans le Ssôç dont

(1) Cf. F. DrRLMEIER, op. tit., p. 490, qui observe avec raison
qu'Aristote, assignant au mouvement de l'âme un principe extrin-
sèque, est en revanche infidèle au dernier platonisme, selon lequel
l'âme est automotrice.
Ç2) Fgt 1 Ross, p. 57 ; rapprochement signalé par W. JAEGER,
Artstotle ..., p. 240.
(3) Ainsi F. DrRLMEIER, op. cil., p. 498-504 ; I. DÜRING, op. cit.,
p. 451-452; H. J. KRAMER, Der Ursprung der Geistmetaphysik. Unter-
suchungen zur Geschichte des P latonismus zwischen Plat on und P !otin,
Ams_t~rdam 1964, p. 137 et n. 32. Dans cette perspective, la 0e:wp[er;
0e:ou
(gérut1f possessif) signifie « l'activité contemplative de l'intellect 1>.
LE DIVIN DANS L'HOMME 223
il est question ici ce que le texte précédent nommait -.à
~v 'f)µ.Ï:vfü:ï:ov, c'est-à-dire l'intellect humain ; on retrou-
vera dans un instant cet important schéma.

3. Éthique à NicomaqueX 7-9.

Bien qu'Aristote, on l'a vu, n'approuve pas Thalès


soutenant que l'univers est plein de dieux (De an. I 5,
411 a 8), il lui arrive de noter que tous les êtres ont en
eux, par nature, quelque chose de divin (Eth. Nic. VII 14,
11 53 b 33 : 7t!X.V-.OCycxprpuae:L )1. Parmi eux, c'est
cy_eLn 6e:'i:ov
le genre humain qui, sinon exclusivement, du moins au
plus haut degré, participe du divin (De part. anim. II 10,
656 a 7-8 : µ.e:-réxe:t-roü 6dou), et si seul l'homme bénéficie
du status reclus, c'est parce que sa nature et son essence sont
divines (~L<X -rà -r~v rpuaLvoc1hoüxod -niv oùalocvdvocL6docv,
IV 10, 686 a 28). Ce dernier texte précise immédiatement
quelle est, dans .la nature divine de l'homme, la partie la
plus divine : celle qui a pour fonction de penser (~pyov
~è: -roü 6e:Lo-r&.-rou -.à voe:'i:vxocl rppove:'i:v,686 a 29). Que
l'intellect soit, dans l'homme, l'élément divin par excellence,
la notation en reparaît dans des traités considérés comme
tardifs 2 , tels De an. I 4, 408 b 29 : oaè: voüç fowç 6e:t6-re:p6v
TL, et De gener. anim. II 3,736 b 27-28 : -ràv voüv[... ]6e:ï:ov
s!\la~ µ6vov, et 73 7 a 9-10 : 't"f. 0e:Lov- -rotoU"t'oç8' Èa-rh,
o xocÀouµe:voçvoüç.
En fait, la doctrine est plus ancienne, puisqu'on vient
d'en observer des traces indéniables - quoique plus
ou moins considérables selon les interprètes - dans
l'Éthique à Eudème. Mais c'est dans le livre X de !'Éthique
à Nicomaque qu'elle s'épanouit de la façon la plus intéres-

(1) Cf. aussi X 2, 1172 b 36-1173 a 5.


(2) Cf. F. NUYENs, op.cit., p. 216-217 et 257-263.
224 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

saute. Au début du chapitre 7, Aristote recherche quelle est,


en nous-même, la plus noble partie dont l'activité selon
la vertu définira le bonheur parfait : c'est soit le voüc;,
soit quelque autre faculté naturellement capable de diriger
et d'avoir une notion des réalités belles et divines ('~vvoLocv
~Xe:Lv 7t'e:plxocÀ&vxoclOdwv), que cette faculté soit elle-même
divine ou bien qu'elle soit, en nous, ce qu'il y a de plus
divin (e:'r'.-re:
0dov ôv xocl ocû-ràehe -r&v tv ~µî:v -rà 0eL6-roc-
-rov) (X 7, 1177 a 13-17). Peut-être l'hésitation de l'auteur,
marquée par la répétition de e(-re;et qui rappelle le fragment
Sur la prière, est-elle surtout rhétorique. Car, peu après,
il n'est plus question que du voüe; : la vie selon l'intellect,
on ne la vivra pas en tant qu'homme, mais en tant qu'un
élément divin se trouve dans l'homme Œ0eî:6v TLtv ocû-rêj>
u7t'cx.pxe:L); si l'intellect, comparé à l'homme, est un être
divin, la vie selon l'intellect est également divine comparée
à la vie humaine (EL a~ o
0ei:ov voüc; 7t'pàe;-ràv &vOpc,mov,
xocl o xoc-rix-roü-rov~[oe;Odoc; 7t'pàc;-ràv &v0p&mvov ~[ov)
(1177 b 26-31). Dans le chapitre 9 enfin, Aristote aborde la
même doctrine sous un angle légèrement différent : agir
selon l'intellect et le servir, c'est être l'homme le plus aimé
des dieux ('O aè:XOC'TIX voüv tvepy&v xocl. -roü-rov Oepoc-
i't'E:UWV[... ] 0eoqnÀfo-roc-roe; ~oixev) ; car, normalement, les
dieux doivent se complaire dans ce qui leur est le plus
apparenté, l'intellect (-rêj> - -roü-ro a' &v
[... ] O'U"("(EVEO''t"CX.'t"Cp
e'Crio voüç), et récompenser ceux qui aiment et honorent
le mieux l'intellect (-roui; IX"(OCi't'ùJV'TOCÇ µcx.ÀLO''t"OC
-roü-ro xocl.
nµ&v-roce;), puisque c'est là prendre soin de ce que les
dieux eux-mêmes chérissent (X 9, 11 79 a 22-28).
Ce dernier texte est capital en ce qu'il montre que le
voüç considéré comme le constituant divin de l'homme
n'est pas seulement une notion, mais une réalité qui réclame
des devoirs quasi religieux, exprimés par les verbes
0e:poc7t'eueiv et nµ&v. On est ici au cœur de la théologie
aristotélicienne. On a déjà vu le même emploi du verbe
Ospoc7t'eUELV dans Eth. Eud. VIII 3, 1249 b 20. Mais, qu'il y
DIVINITÉ DE L'INTELLECT HUMAIN 225

ait en nous un principe divin qui mérite 6e:poc1tdoc et -nµ~,


c'est une idée éminemment platonicienne. Deux passages
surtout sont décisifs à cet égard. D'une part, la RépubliqueIX
589 d-5 91 a, où il est fait état de la partie la plus divine de
l'homme (-rà éocu-raü6e:L6-roc-rav, 589 e), qui le gouverne de
l'intérieur (ù1tà 0dau xocl.<ppav[µ.au&.pxe:cr0ocL, µ.ixÀLcr-roc
µ.èv
atxe:ï:ovlx.av-ra,; èv ocù-ré;),
590 d) et demande à être servie
(fü:poc1te:ucrocne:,;,
590 e-591 a). D'autre part, le Timée 90 a-c,
aux termes duquel chacun a reçu de Dieu un démon qui
habite en lui, et qu'il doit honorer d'un culte et tenir en bon
état (&e:1. 0e:poc7te:Ua\l't'OC
't'O0e:'r:av~a\l't"ct.-re: OCÙ't'O\I
e:o xe:xa-
o-µ.7Jµ.évav -ràv ~oc(µ.avoccruvmxavèv ocù-ré;), 90 c)1. Quant à la
-rLµ.~,on peut citer les Lois X 899 d, où on lit qu'une
certaine parenté divine pousse vers ce qui est de même
race et porte à l'honorer (crunéve:Lix-rL,;fow,; cre:0e:loc1tpà,;
't'O cruµ.qiu-rav&.ye:L-rLµ.iiv).De la thèse aristotélicienne sur
l'intellect comme élément divin dans l'homme, on a enfin
rapproché une page du Jer Alcibiade, tenu pour non
platonicien ; ainsi Aristote, sur ce point, non seulement
se souviendrait de l'enseignement de Platon, mais refléterait
un thème de l'ancienne Académie ; on trouve en effet
dans ce dialogue, 133 be, l'attribution de la divinité à la
partie intellectuelle de l'âme ('Ex_aµe:vaùv dm:'r:v8 't'Lècr-rl.
tj,; tjiux_~,;0e:L6-re:pav ~ -raü-ra 1te:pl 8 -rà d~évocL-re: xocl.
<ppave:'r:v èo-nv ;)2.
Aristote, doit-on ajouter, n'a pas attendu l' Ethique à
Nicomaque pour formuler cette doctrine. Car elle est
bien reconnaissable dans un fragment du Protreptique :
seul est divin dans l'homme, y aurait-il été dit, son lot

(1) Noter que, comme Aristote encore (De part. anim. IV 10,
686 a 27-28), Platon rattache ici (90 ab) la station droite de l'homme
à la présence en lui du divin.
(2)a. F. DIRLMEIER, op. cit., p. 502-504 ; H. J. KR.AMER,op. cit.,
p. 136-138 (remarquer toutefois la n. 32 de la p. 137) ; I. DüRrNG,
op.cit., p. 471-472; sur la doctrine du voü,:; en Eth. Nic. X, voir encore
ARISTOTLE, The NicomacheanEthics, A Commentary by H. H. JoACHIM
ed. by D. A. REEs, Oxford 1951, p. 288-291.
226 LA THÉOWGIE D'ARISTOTE

d'intellect et de pensée (oùôè:v OÙ'\/ 8i::~0'11[ •..]u1tocpzs:t-ro~ç


, 0pw1totç,
/J..'11, -..),v[... ]''ocrovzcrnv
1t/\, , ' s:v
' "l)fLW
• - vou - X/J..t
' tppov"l)O"S:u>Ç
, ),
1
au point que, comparé aux autres êtres, l'homme semble
être un dieu ; et Aristote illustrait cette vérité par une
célèbre sentence qu'il croit d'Hermotime ou d' Anaxagore :
« l'intellect, c'est, en nous, Dieu» (à voüç yi:xp~µwv à 0i::6ç)1.
D'autre part, P. Moraux 2 a soupçonné, dans le dernier
texte cité de l' Éthique à Nicomaque, l'éventualité d'une
utilisation, faite par l'auteur lui-même, de son dialogue
Sur !ajustice. Voilà pour les antécédents de la théologie du
voüç. Quant à ses autres formulations dans le corpus
aristotelicum, on en a déjà examiné un certain nombre, qui,
peut-être, ne font pas apparaître suffisamment toute
la place qu'elle y occupe ; on peut se demander en parti-
culier si la théorie de l'intellect qui se développe dans
le De anima III 4-5, plutôt que d'être à rapprocher de la
Métaplysique A 3 , ne serait pas dans une certaine mesure
l'aspect gnoséologique d'une doctrine dont !'Éthique à
Nicomaque X représenterait l'aspect théologique ; on sait
en effet que ces pages du De anima sont dominées par
la dualité, qui n'est peut-être qu'une ambiguïté, d'un
voüç séparé, immortel et éternel (III 5, 430 a 22-23), et
d'un voüç corruptible qui est une partie de l'âme (III 4,
429 a 10) ; mais cet intellect immanent est lui-même
séparé, différent (~zs:t at/J..tpopocv), à la fois de l'âme et du
corps (429 a 11-13 ; 24-:q ; b 5) ; or une équivoque tout
à fait comparable se fait jour dans l' Éthique, où l'on voit
que le voue; divin, tout intérieur qu'il est, reste cependant
différent du composé humain (at1J..q,éps:t -roü-ro -roü cruv0é-

(1) Protrept., fgt 10 c 1° Ross, p. 42,


(2) A la recherchede l' Aristote perdu. Le dialogue (C Sur la Justice »,
collect. « Aristote. Traduct. et études», Louvain-Paris 1957, p. 51.
(3) Comme le fait G. Roors-LEwrs, Hypothè.re.r .rur l'évolution de
la théologie d'Aristote, dans La Philosophie et .re.rproblèmes. Recueil...
offert à R. ]OLIVET, Lyon-Paris 1960, p. 66.
LA PARENTÉ DES DIEUX ET DES HOM.MES 227

-rou) et garde une certaine distance par rapport à l'homme


(0dov a voüç 1tpoç -rov &v0pc,mov)(X 7, 1177 b 28-30).
Les pages que l'on vient d'examiner dans !'Éthique
à Nicomaque sont remarquables à un autre titre encore.
Le texte de X 9 fait état d'une parenté (cruyye:ve:cr-r&-rep,
11 79 a 26) entre l'intellect humain et les dieux ; on en
rapprochera un passage de X 8, 1178 b 22-27, où l'on
apprend que l'activité humaine la plus heureuse se trouve
être la plus apparentée à l'activité divine (xo:t -r&v &.v0pw-
7ttvwv~ -ro:Ô'r?J
cruyye:ve:cr-r&-r7J
e:ùao:L[LOVLX<.ù-r&-r7J),
que la
vie des hommes est heureuse dans la mesure où elle
comporte une certaine ressemblance avec l'activité des dieux
(èr.p'8crov oµ.o[wµ.&'rL -rijç 'rOLO:Ô'r'YJÇ
ève:pydo:ç u1t&pxe:L);
on se souviendra aussi d'un mot, déjà cité, du De part.
anim. II 10, 656 a 7-8, selon lequel le genre humain, au
maximum, µe:n:xe:L-roü 0dou. Ajoutons divers textes de
l' Éthique où apparaît la notion d' « homme divin » ; ainsi
I 12, 1101 b 23-25 : nous proclamons la béatitude, non
seulement des dieux, mais des hommes les plus divins
(-r&v &.vapwv'rOUÇ0e:w-r&-rouç); VII 1, 114 5 a 19-28 : il y a
une vertu surhumaine, héroïque et divine, qui fait que les
hommes deviennent des dieux (è1;&.v0p<il1twv y[vono:L 0e:o[),
bien que l'homme divin soit un être rare (0'7t&vwvxo:t
-ro 0e:'fov&vapo:e:!vo:L).Enfin, on n'oubliera pas les lignes
célèbres dans lesquelles, en conclusion d'un développement
cité plus haut sur la divinité de l'intellect, le philosophe
récuse la parénèse mesquine des poètes, et lance un appel
à l'immortalité, autant qu'elle est possible (èr.p'8crovèvaéxe:-
(X 7, 1177 b 31-34) 1 •
-ro:L&.0o:vo:-r[~e:Lv)
Ce faisceau de notations est surprenant pour deux

(1) Aristote amalgame, semble-t-il, des bouts de vers empruntés


à divers tragiques, cf. R. A. GAUTHIER-]. Y. JoLIF, L'Éthique à
Nicomaque, Introd., traduct. et commentaire, collect. « Aristote.
Traduct. et études», Louvain-Paris 1958-1959, II 2, p. 888-889. Sur
voir W. VoLLGRAFF,L'oraison funèbre de Gorgias, collect.
à0<XV<X'l"l~ew,
ccPhilosophia antiqua)), 4, Leiden 1952, p. 156-157.
228 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

raisons. D'une part, prenant en considération l'idée de


parenté et surtout de similitude entre les dieux et les
hommes, Aristote semble contrevenir à la mise en garde
qu'il a lui-même prononcée contre l'abus, en théologie,
de l'argument de l'oµoL6TI)i;; on a vu ce texte de !'Éthique
à Eudème, que devait amplifier pesamment l'auteur de
la Grandemorale1 • D'autre part, le philosophe est coutumier,
touchant la participation de l'homme à la vie divine, d'un
tout autre point de vue, selon lequel elle s'opérerait plus
modestement par la continuité de la génération et la
perpétuité de l'espèce ; les textes où se formule cette
conception sont bien connus 2 ; sans doute ne parlent-ils
pas expressément de l'homme ; mais il est clair qu'ils le
concernent aussi, en ce qu'ils ne font pas d'exception
pour lui. Pour ce qui est de l'immortalité, ils la nient de
l'individu et ne l'accordent qu'à l'espèce ; or il est manifeste
que I' Éthique à Nicomaquen'a pas en vue cette immortalité-là
quand elle exhorte à 1'&0ocvoc-r[~s:Lv3 • En vérité, cruyyéveLoc,

O[J.OLCù<JLç,
µé(k~Lç, 0e"r:oç&v1Jp,&0ocvocaLx. sont autant de
concepts platoniciens aisément reconnaissables 4 ; on ne peut

(1) Cf. supra, p. 218-219, et aussi P. AuBENQUE,La prudence chez


Aristote, dans ccBiblioth. de Philos. contemporaine», Paris 1963,
Appendice, p. 181-183.
(2) Par exemple De gener. et corrupt. Il 10, 336 b 27-34 : toutes
choses ne pouvant posséder l'être absolu en raison de leur éloignement
du principe, elles ont reçu son plus proche substitut, la génération
ininterrompue ; De an. II 4, 415 a 2.6-b 7 : aucun être corruptible ne
pouvant, individuellement, communier (xotvwve:i.'v) à l'éternel et
au divin, c'est la génération qui procure à chacun la seule possibilité
d'une telle participation (tvoc -.oü ocdxocL-.oü 0dou µerntx-n fxoccr-.ov
8v auvoc't'OCL-.p61tov); De gener. anim. Il 1, 731 b 23-732 a 1 : la généra-
tion permet aux êtres vivants, qui ne sont ni éternels ni divins, de
participer (µe:-.ocÀocµô.xve:w) selon leur mesure au principe beau et
divin (-.o 3è XOCÀOV xoct 't'O 0e:i.'ov).
(3) Il est vain d'opposer à Eth. Nic. X 7 Eth. Nic. III 4, 1111
b 22-23, où l'ci0ocvoccr[oc est donnée comme exemple des choses
impossibles qu'il arrive de souhaiter; car sans doute s'agit-il simple-
ment là du souhait vulgaire de ne pas mourir.
(4) Pour nous borner aux textes les plus proches des formules
d'Aristote, rappelons: pour auyyive:toc, Républ. X 611 e, Tim. 90 a etc
LA VIE DE DIEU 229
échapper à l'évidence que la dernière section du livre X
de l' Éthique est décidément imprégnée de platonisme ;
c'est pourquoi certains critiques y ont subodoré des
interpolations ; sans doute est-on mieux avisé de conclure
qu'il s'agit là d'un morceau de date particulièrement
ancienne 1 . •
Quant à la vie même des dieux, le chapitre 8 la décrit
de la façon suivante : c'est une vie toute de bonheur (&mxç
o~(oç µ.ixxocpmç); quel genre d'activités (1tpocçeLç 8è 1tolixç)
faut-il attribuer aux dieux? assurément aucune des activités
humaines qui, même les plus vertueuses, s'exercent dans un
cadre médiocre et indigne des dieux (Tix1tspt TOCÇ 1tpocçeLç
µ.Lxpa xixt OCVOCÇLOC6e&v) ; pourtant, de l'avis général, ils
vivent, et sans aucun doute agissent (qv ye[ •..]xixt Èvepye"i:v
&pix),ils ne dorment pas (où yixp 81]xoc6eo3ew)comme
Endymion; or, si l'on enlève à l'être vivant l'agir (1tpocneLv),
et bien entendu le produire (1t0Leî:v),que lui reste-t-il,
sinon la contemplation (6ewp(ix)?en sorte que l'acte de Dieu,
d'un incomparable bonheur, doit être contemplatif (~ TOÜ
6eoü èvépyeLix,µ.ixxixpL6"'C"YJTL
3Loccpépourroc, èh1d"t])
6ewp"t]'t'LX1J
(X 8, 1178 b 8-27). La plupart des notations groupées

('t"<j>
Il' èv ~µrv 0elep (J1.)yyevdç),Lois X 899 d et 900 a (sur ces textes
et bien d'autres, voir les analyses minutieuses d'É. DES PLACES,
Syngeneia. La parenté de l'homme avec Dieu, d'Homère à la patristique,
collect. « Études et comment. >>,51, Paris 1964, p. 65-99) ; pour
6µolwo-Lç,Répub/. X 613 ab (tdç llcrovl>uvoc-ràv &v0p6>7t(p 6µoLoÜcr0ocL
0.:<j>),Théét. 176 b, Tim. 90 d; pour µ1We:~Li;, Phèdre 25 3 a (xoc0' llcrov
lluvoc-ràv0e:oü &v0p6>7tep µe:-roccrxdv);pour 0e:foç&v~p,Ménon 99d(où
l'expression est, comme chez Aristote, donnée pour un laconisme),
Lois VII 818 c; pour &0ocvoccrloc enfin, Tim. 90 c (xoc0' iîcrov Il' oco
µ.:-roccrxe:rv&v0pw1tlvn<pUO"E:L &0ocvoccr(ocçèvl>éxe:-rocL).
(1) Tel est notamment l'avis de G. VERllEKE, L'évolution de la
p{Ychologied'Aristote, dans Revuephilos. deLouvain, 46, 1948, p. 343-345,
qui, frappé par les traits platonisants d'Eth. Nic. X 7-9 et leurs
parallèles dans le Protrept., estime ces trois chapitres antérieurs à l'Éth.
Eud. et tout proches du dialogue ; cf. déjà F. NUYENs,op. cil., p. 192 ;
l'hypothèse de Verbeke est accueillie favorablement par GAUTHIER
et JoLIF, op. cit., I, p. 23*, n. 67, et p. 46* ; ibid., II 2, p. 873-881, elle
est confirmée par d'importants rapprochements avec les dialogues.

16
230 LA THÉOLOGIB D'ARISTOTE

dans cette page se retrouvent, parfois enrichies, dans


d'autres endroits de l' Éthique et dans d'autres traités.
Ainsi l'idée que Dieu est un être vivant (C::0ov)revient
plusieurs fois dans les Topiques1 comme un modèle de
proposition vraie. La nature du bonheur reconnu à la
divinité 2 est précisée en Eth. Nic. VII 15, 1154 b 24-28:
le changement d'activité n'est pas nécessaire au plaisir ;
pour une nature simple en effet, la même 1tpocçLçsera
toujours la plus plaisante ; aussi Dieu jouit-il sans fin d'un
plaisir unique et simple (o 0e:oçiid. µ.[ocvxoct CX.7tÀ'ÏjV xoc(pe:L
~~ov~v) ; car, s'il y a un acte de mouvement, il y a aussi
un acte d'immobilité (èvépye:toc[ ... ]ii,uvricr[ocç),et le plaisir
est dans le repos plus que dans le mouvement 3 • Que les
actions vertueuses mêmes ne conviennent pas aux dieux,
cela rejoint l'idée, plusieurs fois exprimée dans les
Éthiques\ que la divinité est au-dessus de la vertu et
de la louange. Quant à l'absence de 1tpocçe:tçqui définirait
le bonheur divin, la Politique VII 3, 1325 b 28-30 est moins
radicale que l' Éthique à Nicomaque; elle libère bien Dieu,
auquel elle ajoute l'univers, des activités tournées vers
l'extérieur ; mais elle leur maintient celles qui leur sont
propres (0 8E:àc; [ ...] xa:l 1téiç O xôrrµoç, o1ç oùx e;Lcrl'-1
èçw-.e:pLxoct
1tpâ.çe:tç1tocpii-.iiç otxdocç -.iiç ocù-.&v)5.

(1) V 1, 128 b 19-20; 4, 132 b 10-11 ; 6, 136 b 7.


(2) Sur le bonheur des dieux comme objet de célébration, cf. Eth.
Nic. l 12, 1101 b 23-24 : 't"OOÇ-.e:yœp fü;oùc;;µo:xo:pl~oµe:vxo:l e:ùlio:t-
µov[~oµe:v.
(3) Sur la simplicité et la stabilité de Dieu, thèmes platoniciens,
cf. Répub!. II 380 d et 382 e; mais Phil. 33 b et Epin. 985 a nient de la
divinité la jouissance et le plaisir ; Soph. 2.48 e-2.49 a attribue la vie au
1to:v-.e:À&ç 5v, mais c'est une vie en mouvement.
(4) Cf. Eth. Nic. I 12., 1101 b 18-25 ; VII 1, 1145 a 26: la perfection
de Dieu est -.iµui>-.e:pov&.pe:tjç ; Eth. Eud. VIII 2., 12.48 a 2.9 : 1j yœp
&.pe:-.-7)
-.oü voü 8pyo:vov.
(5) Sur l'impossible sommeil de la divinité, voir aussi Magna mor.
Il 15, 1212 b 39, examiné supra, p. 219. Commentant ce dernier texte,
F. DIRLMEIER, Aristote/es, Magna moralia, dans <<Arist. Werke in
deutscher Obersetzung », 8, Berlin 1958, p. 469-470, le rapproche
encore de diverses pages des traités de morale (Eth. Eud. I 5, 12.16 a
L'ACTION DIVINE DANS LES CHOSES HUMAINES 231

On ne peut quitter le livre X de l' Éthique sans évoquer


le problème classique de la relation de Dieu aux choses
humaines. La négation des 1tpixçe:,ç è:l;w-re:p,xoc[ est peu
rassurante sur ce point, alors que les développements
sur la parenté divine laissaient espérer une solution positive.
On doit observer pour commencer que l'œuvre d'Aristote
n'est pas exempte d'allusions à l'intervention divine dans
le cours du monde: la divinité vient au secours des victimes
de l'injustice, les dieux s'indignent des succès immérités 1 •
D'autres notations du même ordre se présentent moins
incidemment et se fondent sur un certain appareil théorique.
On se souvient par exemple de l' Éthique à Eudème VIII 2,
qui rapportait à l'action de Dieu, de la façon la plus nette,
le succès des e:ù-ruxe:ï:ç; mais la même idée, qui trouve
d'ailleurs quelque correspondance dans la Physique II 4,
196 b 5-7 (où la 't"UX"I)est donnée pour une cause échappant
à la raison humaine par suite de sa nature divine et passable-
ment démonique, wç 0e:ï:6v -r, oi'.irrocxocl ~oc,11.ovtw-re:pov),
réapparaît à la fin de l' Éthique à Nicomaque : les hommes
véritablement fortunés ne tiennent pas d'eux-mêmes leur
don naturel, mais de certaines causes divines (~tif -r,vocç
0docç oci-r(ocç't"O~Ç CilÇCX.À"l)0<7>çe:ihuxémv U7t1Xpxe:,) (X 10,
1179 b 21-23). Au début de la même Éthique2 , une origine
divine identique est assignée, non plus à l'e:ù-rux(oc,mais
à l'e:ù~oct{J.ov[oc
: des diverses hypothèses possibles, l'une
est que le bonheur advienne par une faveur divine (xoc-rix
-r,voc0docv 11.o~pocv) ; de fait, s'il y eut jamais un don des
dieux aux hommes, il est normal que le bonheur en soit

2-9 ; II 1, 1219 b 17-24; Eth. Nic. I 3, 1095 b 32-33 ; voir encore I 13,
1102 b 3-11), où Aristote expose que la vertu ne peut constituer le
bonheur puisqu'on peut la posséder et passer sa vie à dormir, et que
l'homme bon et l'homme vicieux ne se distinguent en rien pendant
leur sommeil ; l'antithèse entre le sommeil et la vie morale est déjà
une idée platonicienne, cf. Lois VII 807 e-808 c.
(1) Rhet. II 5, 1383 b 8-9 ; II 9, 1386 b 15-16.
(2) Précédée, sur ce point également, par Eth. Eud. I 1, 1214 a
14-25.
232 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

, , T , ,,-. -. , , e - "', ,e ,
un (E L µ.ev ouv xo:L O:N\.O't'L &Cl''t'L ewv owp1j[J,IXo:v pwTCotç,
,, ' ' ''-'
&UÀoyov XO:L't"YlVEUoO:L[J,OVLO:V, e, '!>
EOCl'OO'l"OV T
ELVIXL)
' en raison

de sa suprématie dans les choses humaines ; mais cette


question viendra mieux à propos dans une autre recherche ;
de toute façon, même si le bonheur n'est pas 0e6TCE[J,TC't'OÇ,
mais justiciable d'une autre origine, il compte parmi les
réalités les plus divines (-rwv 0ew'!"oc'l"Cùv); car le salaire,
la fin de la vertu ne peut être que chose divine (0ei6v -rt)
(1 10, 1099 b 9-18). Mais le texte à la fois le plus précis et
le plus incertain appartient sans conteste au livre X : si,
comme on l'a vu, les dieux chérissent l'homme qui honore
son intellect, leur parent, cela suppose, à ce qu'il semble,
qu'ils prennent quelque souci des affaires humaines (Et
yocp 't'LÇ bnµ.éÀeLIX 'l"WV &v0pCù1CLVCùV tmà 0ewv y(ve'!"IXL,
&Cl'7'Cep8oxeï:, •.•) (X 9, 1179 a 23-24).
Il n'est que trop facile d'observer que, surtout dans les
deux derniers passages cités, l'expression est aussi fuyante
que la pensée est conventionnelle 1 : en I 10, la causalité
divine du bonheur n'est offerte que comme une possibilité
parmi d'autres, laquelle peut être fausse, sans d'ailleurs
que cela change quoi que ce soit ; quant à la promesse
de soumettre le problème à un autre examen, on ne voit
pas qu'elle ait été jamais tenue ; dans les deux morceaux
abondent les formules hypothétiques et restr1ct1ves,
les appels à la vraisemblance, les références à l'apparence ;
manifestement, Aristote ne donne pas la doctrine de la

(1) a. A. MANSION, Le Dieu d'Aristote ... , p. 36-39 et 4z-43 ;


de façon très intéressante, cet historien attribue l'inconsistance de
la position d'Aristote sur ce point à l'insuffisance de sa représentation
de la psychologie divine, elle-même imputable à la pauvreté de sa
psychologie de la vie affective et appétitive ; de ce fait, la lacune
n'était pas sans remède, et pouvait être comblée par des compléments
apportés du dehors ; telle fut l'action des médiévaux, pour lesquels
reconnaître, comme faisait Aristote, la finalité naturelle et l'ordre
du monde équivalait à admettre la providence divine ; quant au
philosophe lui-même, il aurait toujours hésité à choisir entre une
finalité immanente et un Dieu ordonnateur du monde. Nous allons
retrouver ce problème dans un instant.
DIVINITÉ DU MOTEUR IMMOBILE 233
providence divine pour une vérité démontrée. On est loin
du dialogue De philosophia, où la même doctrine était
affirmée sans ambages 1 • Pourtant, c'est trop dire que
d'imaginer l'auteur de !'Éthique à Nicomaque rapportant
simplement des croyances populaires sans les prendre en
rien à son compte ; car ces digressions de caractère préten-
duement folklorique se trouvent imbriquées dans l'exposé
de thèmes dont on ne peut douter qu'ils reflètent les
convictions personnelles d' Aristote 2 ; en conséquence,
on préférera supposer que, dans les divers textes incriminés,
l'embarras de l'expression est seulement imputable aux
tâtonnements d'une pensée qui n'est pas arrivée à la
certitude.

4. MétaphysiqueA 7-9.
Tout a été dit sur le livre A de la Métapf?ysique 3 ; on

se bornera donc ici à rappeler brièvement les données


théologiques présentes dans les trois chapitres les plus
importants de ce texte classique.
Bien que ce point ne fasse guère de doute, les pages
en question ne disent pas expressément que le Moteur
immobile soit le Dieu suprême. Mais un facile détour
permet de remédier à ce silence ; en effet, le Moteur se
trouve défini en A 7, 1073 a 3-5 par son éternité, son
immobilité et sa séparation relativement au sensible (oûcrlot
-nç &t3wç xotl &x(v'1]"t"OÇ
xet.lxexwptcrµév'1]-.wv et.icr0'1J"t"Wv)
;
or ce sont ces trois mêmes caractères qui, en E 1, 1026

(1) Fgt 13 c Ross, p. 83: rrpovouxv civocyxociov


dvoci. C'est probable-
ment à partir de cette prise de position ancienne que la tradition
doxographique a attribué à Aristote la croyance en une providence
limitée au monde supralunaire ; cf. A. MANSION,art. cit., p. 40-41.
(2) Comme l'a bien vu W. J. VERDENrus,art. cit., p. 60,
(3) Conjointement avec Phys. VII et VIII, il vient d'être étudié
sous un angle nouveau - celui du mode de l'argumentation qui
établit l'existence du Moteur immobile - par J. VurLLEMIN,De la
logique à la théologie. Cinq étude.r.rur Aristote, dans « Nouvelle Biblioth.
scientifique», Patis 1967, p. 164-224.
234 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

a 15-22 (et, moins complètement, en K 7, 1064 a 33-b 1),


sont attribués à la réalité divine, objet de la théologie 1 .
On peut aussi mentionner l'éloge, pénétré de sentiment
religieux, dans lequel le De anim. mot. 6, 700 b 32-3 5, célèbre
le Premier moteur immobile (To µèv oùv 1tp&·rnv où xwou-
µe:vov xwe:i) : il est !'éternellement beau, le véritable et
premier bien, et non pas celui qui tantôt l'est, tantôt ne l'est
pas, il est trop divin et trop précieux pour qu'il y ait un être
antérieur à lui (To ~è &t3wv xo::À6v,xrxt -ro ixÀ7J0&c; xrxt -ro
1tp{i)'t"(,)Ç
&yo::0ov XO::L
µ'Y)7tOTÈ: µèv 7tOTÈ:3è µ-fi,0e:L6-re:povXO::L
TL(l,L{i)'t"E:pov
~ wcr-r' ELVO::L1tp6-re:p6v<TL>). Au demeurant,
si le livre A ne se prononce pas aussi explicitement qu'on
le souhaiterait sur la divinité du Premier moteur, il la laisse
entendre en affirmant avec netteté celle des moteurs
immobiles secondaires ; en effet, conformément à une
très ancienne tradition mythique, adultérée par la suite,
mais qu'il faut restituer dans sa pureté, ces premières
substances sont des dieux, et c'était parler divinement
que de le dire (5n 0e:oùc;é{iov-ro't"CXÇ 1tp{i),O::Ç
oùcr(o::çs:!vo::L,
0d(,)c; &v dp:,jcr0rxt)(8, 1074 a 38-b 10).
L'une des premières qualités affirmées du Moteur est
son intelligibilité : XLVS:Î: 3è c13e:TO Ôpe:x--rovXO::LTO VO))T6v
[... ]voüc; ~è u1to ,oü V07J't"OÜ xws:i-ro::L
(7, 1072 a 26 et 30).
Mais c'est là un attribut divin, ainsi qu'il ressort de plusieurs
autres textes : dans le Protreptique déjà 2, la sagesse contem-
plative recevait pour objet à la fois le divin (~Àbt(,)V~TI xo::1
1tpoc;'TO0s:fov)et le plus connaissable des êtres (0s:(,)p&v-ro
µct.ÀLCJ'TO::
-r&v15vT(,)V yv{i)pLµov);l'idée est reprise sans grand
changement dans la Métaph. A 2, où la crorp(o:: est conçue
en même temps comme la science du suprême connaissable
(-roü µct.ÀLCJ't"O::
&mCJ1"7J't"OÜ,982 a 31) et comme la science
des choses divines (-r&v0d(,)v, 98 3 a 7) ; la même conclusion

(1) Comparer De philos., fgt 16, p. 84: e:t yœp &µe:TaÔÀ'IJ't'OV


[s,. :
-ro6e:i:ov],xixl &t8Lov.
(2) Fgts 13 et 14 Ross, p. 48 et 50.
LA VIE BIENHEUREUSE DU MOTEUR 235
est suggérée par Eth. Nic. X 7, 1177 a 19-21, où l'on voit
que l'objet de l'intellect humain (qui n'est autre, on le sait,
que le divin en nous) est la plus élevée des réalités connais-
sables (xcà -.&v yvc,x,-.&v,1te:pl& o voüç) ; il n'est pas enfin
jusqu'aux Topiques V 6, 136 b 7, qui ne présentent Dieu
comme un ~cj>ovVO'Y)T6v. Autant d'indices donnant à enten-
dre qu'aux yeux d'Aristote, la divinité est le suprême intel-
ligible1 ; ce qui, soit dit en passant, détourne de voir dans
n -.oü voü du dialogue Sur la prière la notion
l'è:1téxe:Lvix.
d'un Dieu qui échapperait aux prises de l'intellect.
Le Moteur immobile est ensuite présenté comme la cause
finale (-.oou é:ve:xoc)absolue, qui, selon la formule célèbre,
XLVEL ... wc;è:pwµe:vov(7, 1072 b 1-3) ; de ce texte, on
rapprochera A 2, 982 b 24-28, où la sagesse, qui est la
science la plus divine, est dite la seule discipline libre,
parce que seule elle est elle-même sa propre fin (oc5"'1)
oco-rijc;é:ve:xévfonv) ; parallélisme notable entre la nature
divine et la science dont elle est l'objet. On lit peu après
que l'immobilité du Moteur est en acte (&.xiv'Y)TOV ISv,
è:ve:pyd~ ov, 1072 b 7-8), et que, ne pouvant être autrement
qu'il n'est, il est simplement (1btt.&c;,1072 b 13) ; on se
souvient d'avoir déjà rencontré ces deux caractères groupés,
et rapportés à Dieu, en Eth. Nic. VII 15, 1154 b 24-28.
Plus loin commence un morceau admirable sur la vie
propre au Premier moteur : il est perpétuellement la vie
caLocywy~)que nous n'avons,nous, que pour un bref moment,
puisque son acte est aussi plaisir (xocl ~aov'Y)~ è:vépye:Loc
-.01hou) (1072 b 14-16); bientôt le Moteur, pour la première
fois ici, laisse la place à o 0e:6c;: Dieu est heureux toujours
comme nous le sommes parfois (di ~et, wc; ~µe'i:c;1to-.é,
o 0eoi; &d), ou mieux, il l'est davantage ; la vie aussi
lui appartient, vie parfaite et éternelle (~W'Y) &picr"'Y)xocl

(1) Voir à ce sujet les justes remarques de GAUTHIER et JOLIF,


op. cil., II 2, p. 858.
236 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

cHSwç); bref, Dieu est un ~é;'lov&.tSwv &pu:r't"OV (1072 b


24-;o).
Mais la vie et le bonheur de Dieu sont d'ordre intellectuel:
c'est l'acte de l'intellect qui est vie (~ yocp voü èvépyi::LOC
~Cù~, 1072 b 26-27). Le chapitre 7 amorce la considération
de l'intellect divin : en Dieu, la pensée par soi a pour
objet le meilleur par soi ('H Sè v6YJO"LÇ ~ xoc0' oconiv 't'OÜ
xoc0' ocù't"O ; mais, à ce niveau, la pensée et son
&.plo-'t'ou)
objet coïncident, en sorte qu'il y a identité entre l'intellect et
l'intelligible ('t'ocÙ't"ovvoüç xocl. vori-c-6v); l'intellect divin
est purement en acte, d'où il suit que l'acte est l'élément
divin (0i::îov)de l'intellect en général (1072 b 18-23). Le
chapitre 9 reprend et amplifie la même doctrine : l'intellect
semble bien être ce qu'il y a de plus divin (0zL6't'oc't'ov);
mais comment l'est-il? ce ne peut être en ne pensant
rien, car il perdrait sa dignité et ressemblerait à un dormeur
(&mczp &v d o xcx.0i::6Swv) 1 ; ce ne peut être non plus en

pensant sous la dépendance d'un autre principe, puisqu'il


serait alors simple puissance de pensée, et que, de ce fait,
la continuité de la pensée lui deviendrait une charge pénible
(bt[1tovovdvocL,.à o-uvi::xèçocÙ't'4) -rijçvo~o-i::wç); mais, même
si l'on tient compte de ce que la pensée est sa substance, on
pourrait imaginer qu'il pense autre chose que lui ; non pas
certes des choses variables, ce qui serait absurde (&'t'o1tov
't'o Sw.:voi::fo0ocL
1tzpl Èv[wv), mais, de façon permanente, ce
qu'il y a de plus divin et de plus précieux ('t'o 0i::L6't'cx.-c-ov
xocl.
't'Lfl.LW't'tx.'t'ov);
pourtant, cette hypothèse même est inaccep-
table ; car il y aurait alors quelque chose de plus précieux
que l'intellect, à savoir son objet (&"A"Ao 't'L&v z'lri -c-ànµLw-
-c-zpov~ o voüç, 't'o voouµi::vov); une seule issue demeure :
que l'intellect se pense lui-même, et que sa pensée soit
vo~o-i::wçv6rio-Lç(1074 b 15-;5). Rappelons enfin la conclu-
sion de ce chapitre 9 : l'état dans lequel l'intellect humain se

(1) Le sommeil de Dieu ; cf. Eth. Nic. X 8, 1178 b 19-20, cité


supra,p. 229.
NATURE NOÉTIQUE DE DIEU 237
trouve temporairement quand il possède le bien suprême,
c'est pour l'éternité l'état de la pensée qui se pense (1075 a
7-10).
On ne pouvait, voulant restituer les vues théologiques
d'Aristote, se dispenser de parcourir ces pages dont la
densité défie le résumé. Si l'on fait abstraction de leur
extrême raffinement métaphysique, il s'en dégage un
certain nombre d'affirmations ou d'implications assez
simples, que l'on va maintenant soumettre à un rapide
examen. L'essentiel en est la thèse de la nature noétique
de Dieu. Elle se trouvait déjà posée indirectement chaque
fois qu'était affirmée la nature divine de l'intellect humain ;
on a vu ce schéma largement déployé dans l' Éth. Nic. X ;
on vient d'en repérer quelques traces dans la Métaph. A
également, par exemple quand il y est dit que l'intellect,
par son acte, possède un élément divin caoxd: voüc;0Eî:ov a
fy_riLV,7, 1072 b 23). Mais la formulation en clair de la
doctrine de base du livre A, à savoir que Dieu est intellect,
n'est pas absente des autres œuvres d'Aristote, notamment
des fragments d'œuvres perdues 1 ; quant aux traités
conservés, on y rencontre plusieurs fois l'association de
la notion de Dieu et de celle d'intellect : le bien s'affirme
a a
dans la substance, ofov 0dlç xi:à voue; (Eth. Nic. I 4,
1096 a 24-25) ; vouloir que la loi commande, c'est vouloir
&pXEL\I '!0\10eov xcd '!0\1voüv µ6vouc;(Polit. III 16, 1287 a
29-30).
Autre assomption fondamentale de la Métaph. A : la
pensée divine n'a qu'elle-même pour objet, elle ne s'occupe
pas de choses et d'autres (1tept &v(wv, 9, 1074 b 25). On a
beaucoup épilogué sur la rigueur de cette représentation.
Sans doute convient-il de l'atténuer au moyen de quelques
autres passages, qui ne limitent pas totalement la pensée

(1) Ainsi De oral., fgt 1 Ross, p. n : o 0eoi:;-1) voüi:;fo·dv ; De


philos., fgt 26, p. 94 : « menti tribuit omnem diuinitatem » ; fgt 27 d,
p. 96: (<nec uero deus ipse [... ] allo modo intellegi potest nisi mens» ;
De pythag., fgt 2, p. 132 : -roü Àoytxoü ~ci>ou-ro µév écrn 0eôi:;,...
238 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

divine à l'auto-connaissance. Il y a peu à attendre, quoi


que l'on en ait dit 1 , de Metaph. A z, 983 a 6-10, où l'on
apprend que Dieu seul, ou du moins principalement,
possède la sagesse (~ µ6voc; ~ µcx.Àu:r-r' ocv s.xoL o 0e:6c;);
car, ayant été donné immédiatement auparavant (983 a 8-9)
pour l'objet véritable de la sagesse, Dieu peut bien la
posséder sans connaître pour autant autre chose que soi.
Mais d'autres indices pourraient être plus positifs : en
De an. I 5, 410 b 4-7, comme en Metaph. B 4, 1000 b 3-6,
Aristote reproche à Empédocle d'avoir conçu Dieu
comme le plus ignorant (&.9povfo-rix-rov,~-r-rov q:ip6vLµov)
de tous les êtres, étant le seul à ne pas comporter, et donc
à ne pas connaître, tous les éléments ; en Top. V 4, 132 b 10-
11, il donne comme exemple de discours vrai sur Dieu
l'affirmation que celui-ci est un vivant ayant la science en
partage (tmcr-r~µ."l)c;µ.e:-réxov);enfin, en De hist. anim. IX 32,
619 b 5-7, il attribue la réputation divine de l'aigle au fait
que son vol vertigineux lui permet de découvrir (xo:0op~)
l'espace le plus vaste. Toutefois, comment ne pas percevoir
que de tels témoignages, tirés de discussions dialectiques
ou reflétant la croyance populaire, ne sont pas d'un grand
poids au regard de l'affirmation péremptoire du livre A 2 •
Que Dieu ne connaisse pas l'univers, cela n'implique
pas absolument qu'il n'y agisse en aucune façon. De fait,
trois passages au moins de la Métaph. A militent en faveur
d'une telle action. C'est d'abord 7, 1072. b 13-14: au Principe
immobile sont suspendus le ciel et la nature ('Ex 't"OLIXU't""l)Ç
&pix&.px=rjc; o oùpocvàc;xo:t ~ q:iucrLc;)
~P't""IJ't"IXL ; cette formule,

(1) Cf. W. J. VERDENIUS, art. &it., p. 68, n. 34.


(:z.) Cf. A. MANSION, Le Dieu d'Aristote ... , p. 34-35, qui impute cette
doctrine à l'anthropomorphisme coutunùer d'Aristote ; car c'est
pour _l'homme que la connaissance de certains objets est futile ou
malfaisante (cf. A 9, 1074 b 31-33) ; de façon générale, Aristote
n'aurait pas su critiquer l'application, à l'Être transcendant, de notions
empruntées à notre monde. Peut-être est-ce là ne pas faire assez de
cas d'Eth. Eud. VII 12., 1245 b 14-19, et des autres textes cités supra,
p. 2.18, n. (2.).
INDICES D'UNE CAUSALITÉ EFFICIENTE 239

qui s'inspire d'ailleurs du Théétète15 6 a(' Apx~ ~é,È~ ~ç [... )


1tocv-rix~pni-rixt)1, semble bien attribuer au Moteur une
causalité plus efficiente que ne l'est l'attraction exercée
par la fin 2 • En deuxième lieu, 8, 1074 b 3 : après avoir,
sur la foi d'une tradition qu'il tient en haute estime,
décerné la qualité divine aux moteurs immobiles secon-
daires, Aristote déclare que, selon la même source antique,
le divin entoure la nature entière (m:ptéXEL-rà 0dov ~v
é5À"Y/Vcpuow); voilà qui revient aussi à accorder à la divinité
une action efficiente sur l'univers 3 ; on trouve d'ailleurs
une formule très voisine en Polit. VII 4, 1326 a 32-33 :
une puissance divine maintient uni notre univers (0dixç [..•]
~uvocµ.Ewç[ ... ], ~-rtç xixt -r63z cruvéxei-rà 1tiiv)4 ; sans doute la
doctrine, associée à une conception créationniste, appar-
tenait-elle déjà au De phi!osophia5 ; ces parallèles détournent
certainement de regarder la notation de 1074 b 3 comme
une remarque distraite ou une référence sans conviction
aux croyances populaires. Le troisième texte est plus
significatif encore; il s'agit de 10, 1075 a 11-15: la nature
de l'univers possède-t-elle le bien et le bien suprême comme
une réalité séparée et en soi, ou bien sont-ils sa propre ordon-
nance (1to-répwç~xei ~ -roü é5Àou cpucriç-rà &yix0èvxcà 't'è &pi-

(1) Cf. I. DÜRING, op. &it., p. 229 et n. 310.


(2) Cf. A. MANSION,art, cit., p. 25. C'est cette notation qui avait
permis au même historien, La genèse del'œuvre d'Aristote .••, p. 327-328,
de montrer, contre Jaeger, que le livre A opère une jonction entre
la métaphysique et la physique, donc qu'il est loin de la conception
platonisante, donc qu'il est plus tardif que ne le voulait le savant
allemand.
(3) Voir VERDENIUS,art. &it., p. 62, et p. 68, n. 34. Cette formule
encore fut exploitée contre Jaeger par W. K. C. Gun-rRIE, The Develop-
ment of Aristotle's Theology, II, dans The Clau. Quarter/y, 28, 1934,
p. 94, qui en argua que A 8 est loin d'être purement scientifique et
étranger à la théologie.
(4) Cf. aussi De gener. et corrupt, II 10, 336 b 31-32 : cruve:1tÀ~poocre:
-rà iSÀovo 0e:6i;;.
(5) Fgt 27 e Ross, p. 96 : « ... ilium indicans qui in unum quatuor
elementa coniungensmundum fecerit » ; cf. les autres témoignages que
j'ai recueillis dans ma Théologiecosmique... , p. 163, 2.37 et 486-488.
240 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

cr"t'ov,1t6--c-Epov
xzx_wpurµévov't'L XC(t ~ù--ràxiX6, rxû"t'6,
~
'TT)V ? peut-être des deux façons ensemble, comme
-rcx.1;iv)
une armée dont le bien est à la fois son ordre et son chef,
et davantage son chef, puisque l'ordre existe par le chef,
et non le chef par l'ordre ; ainsi compris1, le morceau est
clair : avant tout, le Principe opère en demeurant séparé
du monde et sans sortir de soi, c'est-à-dire en tant que
fin ; mais secondairement, il se manifeste dans l'ordre
de l'univers dont il est la cause ; même dans le livre A,
Aristote incline donc à charger Dieu d'une activité ad extra.
Le passage devient encore plus révélateur si l'on considère
que le De philosophia, très probablement, comparait déjà
l'ordre du monde à celui d'une armée, pour en tirer la
preuve qu'existe une divinité ordonnatrice 2 •
On aura remarqué que les trois derniers textes cités de
la Métapf?ysiqueA contiennent le mot ,:pucriç. Cette unanimité
ne peut être un hasard : aussi souvent qu'est évoquée
l'activité proprement efficiente du Moteur immobile,
voici qu'apparaît la notion de « nature ». Sans doute est-ce
le signe que la causalité immanente de la nature n'est
pas incompatible avec la causalité transcendante du Moteur ;
aussi bien la Pf?ysiqueII, qui s'intéresse surtout à la première
(ainsi en 1, 192 b 20-23), ne se fait-elle pas faute de les
mentionner l'une et l'autre conjointement (7,198 a 35-b 5)3.

(1) Voir les justes remarques de W. J. VERDENIUS,art. cit., p. 67,


n. 33 ; A. MANSION,Le Dieu d'Aristote ... , p. 41, admet lui aussi que
ce texte, lu sans préjugé, est une affirmation de la providence divine.
(2) Cf. fgts 12 b et 13 c Ross, p. 80 et 82. - V. CAUCHY,La causalité
divine chez Aristote, dans Mélanges... Ch. DE KONINCK, Québec 1968,
p. 111, qui montre bien que le Premier moteur du livre A ne laisse pas
d'exercer une certaine causalité efficiente, tire encore argument de A 1 o,
1075 h 37-1076 a 4, où l'unicité du Moteur est comparée à celle,
souhaitable, du chef; car la Phys. IV 3, 210 a 21-22, conçoit le prince
comme la cause efficiente de l'État.
(3) Sur ce point, W. K. C. GUTHRIE, The Development... , I, p. 167,
a combattu avec raison les vues d'Arnim, qui opposait l'automotricité
du ciel et le dynamisme interne de la cpûatç (De caelo, Phys. !-VI)
à l'attraction du Moteur immobile (Pqys. VII-VIII, Metaph. A).
LES DEGIŒS DU DIVIN 241

Comme l'a bien exprimé W. J. Verdenius1, la nature


ne serait autre, pour Aristote, que l'aspect efficient de
Dieu, le commode substitut qui éviterait de toujours
commettre le Principe suprême à la régulation de l'univers ;
ainsi s'expliquerait-on les nombreuses formules où la
nature est coordonnée à Dieu, qualifiée de divine ou de
démonique, associée à l'action de la divinité ou revêtue
de ses prérogatives 2 •

IL MUTATIONS ET PERMANENCES

Si défiant que l'on soit à l'endroit de l'explication


génétique appliquée à Aristote, on ne peut nier que les
textes qui viennent d'être parcourus n'expriment pas tous
des conceptions théologiques identiques. Sans doute
convient-il d'être prudent dans la détection des dissonances ;
en effet, l'adjectif 0e'i:oc;;étant plus fréquent chez lui que
le substantif 0e6c;;, rien n'empêchait Aristote d'attribuer,
simultanément et sans se contredire, la qualité divine à des
réalités de différents ordres, sous réserve qu'il ne s'agît
pas partout d'une divinité de même degré ; c'est ainsi
qu'on l'a vu faire état de la divinité des astres dans des
traités où s'exprime aussi la croyance à celle du Premier

Voir aussi W. D. Ross, op. cil., p. 96-97, qui estime conciliables les
deux causalités dans le fgt 21 b du De philos. et en Phys. VIII.
(1) Art. cit., p. 61.
(2) Pour 0Eèç (0do\l) x~l qiucnç, Protrept., fgt 11 Ross, p. 44 ;
fgt 13, p. 48 ; De cae!o I 4, 271 a 33 ; sur la nature démonique, De
diuin. per somnum 2, 463 b 14-15 ; sur la nature démiurge, De philos. ( ?),
fgt 8 b, p. 77 ; De anim. incessu 12, 711 a 18 ; De part. anim. I 5, 645 a 9 ;
De gener. anim. I 23, 731 a 24 ; sur la nature comme cause divine,
Eth. Eud. VIII 2, 1247 b 28; Eth. Nic. VII 13, 1153 b 32; X 9, 1179 b
21-23. Par cette divinisation de la nature, Aristote fait figure de relais
entre les présocratiques et les stoïciens ; cf. W. ]AEGER, The Theology
of the Barly Greek Philosophers, p. 203-206, n. 44.
242 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

moteur : divinité suprême de celui-ci, qui n'exclut en rien


la divinité subordonnée de ceux-là ; cette hiérarchie des
êtres divins explique que l'adjectif 0ei:oç, presque aussi
souvent qu'à la forme simple, soit employé au comparatif
et au superlatif.
Pourtant, il semble bien que l'on doive, sur certains
points, prendre au sérieux l'hypothèse d'une variation
d'Aristote. Soit par exemple la méthode théologique qui
consiste à attribuer à la divinité, en les portant ~ leur
perfection, les meilleures qualités de l'homme. On l'a
trouvée mise en accusation dans l' Éth. Eud. VII 12, 124 5 b
15-19, et aussi lorsque l'Éth. Nic. X 8, 1178 b 10-18, juge
indignes des dieux les activités humaines même les plus
vertueuses. Mais ces critiques de la méthode cataphatique
semblent passablement oubliées lorsque le même traité,
en divers passages de X 8 et 9, et encore le De part. anim.
II 10, 656 a 7-8, font usage des notions de similitude, de
parenté, de participation entre les dieux et les hommes ;
on en dira autant de l'idée exprimée à plusieurs reprises
dans la Métaph. A 7 et 9, 1072 b 14-16 et 24-25, 1075 a 7-10,
selon laquelle, à l'éternité près, la félicité divine ne serait
guère différente du bonheur humain.
On ne saurait parler ici d'évolution, puisque les deux
points de vue discordants se rencontrent dans le même
livre X de l'Éth. Nic. Mais il n'en va pas de même pour
d'autres divergences doctrinales. On a déjà signalé le cas de
la théologie proprement cosmique, très probablement
professée dans le De philosophia, puis rejetée, à ce qu'il
semble, dans les traités scolaires. Cependant, l'exemple
d'évolution le moins discutable apparaît dans le problème
du mouvement ou de l'immobilité propre à la divinité.
Que Dieu soit le principe du mouvement universel, c'est
une vérité admise aussi bien dans le De philosophia1 que

(1) Fgt 12 a 1° Ross, p. 80 : 6e:ov 1:0V Tijc; '1:0L<XUTIJÇXLV~Cl'e:Cùi;


[ ... ] <Xt1:Lov; fgt 27 d, p. 96 : (<deus [... ] omnia [... ] mouens 11.
MOUVEMENT OU IMMOBILITÉ DE DIEU 243

clans la Métaph. A 7, sans oublier l'.Éth. Eud. VIII 2, 1248 a


25-26, qui le désigne comme la xtv~cre:wç&.px~dans l'âme
aussi bien que dans le monde. Mais cette fonction motrice
se trouve assumée, selon les traités, de deux façons anti-
thétiques : il est à peine besoin de rappeler l'immobilité
constitutive du Moteur divin défini dans la Physiqueet la
Métaphysique,et l'on a vu 1'.Éth. Nic. VII 15, 1154 b 2.7,
décrire semblablement l'acte de Dieu comme èvépye:ux
&.xi,rl)crlixç
; on ne peut éviter d'être frappé par la distance
qui sépare cette représentation de celle que proposaient
d'autres textes, attribuant à Dieu, de toute nécessité, une
xlvYJ<n<; &"t~wç(De caelo II 3, 2.86 a 10), rapprochant, par
une étymologie révélatrice de l'essence, la notion du divin,
fle:ï:ov, de celle du mouvement incessant, -ro &.d 0éov
(Meteor. I 3, 339 b 25-26), ou encore concevant Dieu
comme une mens praedita motu sempiterno1 • Une telle
constatation invite à regarder la doctrine du Moteur
immobile comme une conquête métaphysique qui, chez son
auteur lui-même, n'a triomphé qu'à la suite de diverses
concessions consenties aux théologies en quelque sorte
cinétiques héritées du platonisme.

Cependant, si impressionnantes qu'elles soient, les


mutations de la théologie aristotélicienne, dont on vient
de noter un exemple privilégié, ne doivent pas empêcher
d'y reconnaître la fixité remarquable de certains thèmes.
Rappelons rapidement les principaux d'entre eux, soit
qu'ils concernent la nature de Dieu, soit qu'ils touchent
à l'action divine.
1° On vient de voir combien il est parfois difficile,
quand Aristote écrit -ro0e:i:ovou même o 0e:6ç,de décider
s'il a en vue le Dieu suprême ou bien un être divin
subalterne. Mais certaines descriptions orientent sans
aucun doute vers la première éventualité. Ainsi quand le

(1) De philos., fgt 27 d, p. 96.


244 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

De caelo parle de la plus haute perfection (-rë;'>µè:v ixpLCi"t'OC


~X.OV't'L,
II 12, 292 a 22), ou de l'être divin premier et
à qui
suprême ("t'àfü:fov .•• 1tiiv -rà 1tpw"t'ovxixl &xpÔ"t'IX"t'OV),
ne manque aucune perfection (I 9, 279 a 32-35). Dans ce
dernier passage, la même idée se trouve confirmée au moyen
d'une formule notable : il n'y a aucun principe supérieur
à l'être divin et capable de le mouvoir, car un tel principe
serait plus divin que lui (oC-reyocp !XMOxpiû:nôv ècr·nv (.••]
- èxiû:vo yocp &v et'1) 0etô-repov) ; cette précision attribue
à Dieu la qualité d'être insurpassable, et avertit que c'est
bien de lui qu'il s'agit. Or elle revient plus d'une fois ;
on l'a rencontrée par exemple dans le De anim. mot. 6,
700 b 34-35, dans la Métaph. A 9, 1074 b 29-30, et aussi
dans la Grande morale II 15, 1213 a 2-3 ; elle se trouve déjà
de la façon la plus nette dans un fragment du De philosophia,
qui expose une démonstration de l'existence de Dieu connue
sous le nom d' argumentum ex gradibus : si certains êtres sont
meilleurs que d'autres, l'un d'eux doit être le meilleur
de tous, et c'est précisément l'être divin ; autre manière,
toujours dans le même texte, de montrer que c'est bien
la divinité suprême que l'on a en vue : elle n'a rien de
plus puissant qu'elle, sous l'influence de quoi elle pourrait
changer, car ce principe plus puissant serait aussi plus
divin 1.
Seuls, semble-t-il, dans l'œuvre entière d'Aristote, le
fragment du dialogue Sur la prière et, avec moins d'hésita-

(1) De philos., fgt 16, p. 84, = SIMPLICIUS,In Arist. De caelo I 9,


279 a 18 sq., éd. Heiberg, p. 289, 3-4 : tm:( oùv fo·nv tv -roî,; oùcri
étÀÀoétÀÀou~ÉÀ-riov,fo-rw étpcx-ri xcx(étpicr-rov,ISl't'e:pe:t'I) &11
-rà 6e:ï:ov;
p. 85, = p. 289, 7-8 : ,;à at 6e:ï:ovo!h·e: xpe:î-r-r6v-ri ~xe:i!cxu,;oi3,û,:p'
où µe:'t'<XOÀ'IJ61Jcre:,;m
(&xe:ï:voyœp &11~v 6e:i6't'e:pov);on reconnaît dans
ce dernier passage la paraphrase du texte du De cae!oqui vient d'être
cité, et dans lequel Aristote devait reprendre une idée de son dialogue.
W. ]AEGER, op. cit., p. 203-205, rapproche ces démonstrations de
l'existence de Dieu d'ANAXIMANDREA 15 DrnLs-KRANz I p 85
19-20, qui partait de réflexions sur l'infini comme princip; d~ t~ute~
choses pour conclure lui aussi : xcxt 't'OÜ't''e:!vm 't'à 6e:ï:ov.
DIEU COMME INTELLECT INTELLIGIBLE 245

tion, l'Éth. Eud. VIII 2., 12.48 a 2.8-2.9, donnent à entendre


que Dieu serait un principe supérieur à l'intellect et le
dépassant, È1téxi::wcx. 't'L-.ou vau ou xpi::i:n6v 't'L-.ou vou.
Peut-être cette idée, malgré les apparences, n'est-elle pas
incompatible avec la thèse de la nature noétique de Dieu,
qui, elle, revient fréquemment sous la plume du philosophe.
Que Dieu soit un intellect, c'est, comme on l'a dit, ce qui
est posé indirectement chaque fois que l'intellect est
présenté comme l'élément divin dans l'homme, -.à Èv
1jµ.Ï:v0i::'r:ov;or on a relevé l'ampleur de cette représentation,
qui va du Protreptique à l'Éth. Nic. X 7 et 9, en passant
par l' Éth. Eud. VIII 2., 12.48 a 2.6-2.9,et par divers traités
de psychologie et d'histoire naturelle. Quant à la formula-
tion directe de la thèse, elle ne revêt nulle part autant de
solennité et de précision que dans la Métaph. A 7 et 9 ;
mais il vaut la peine de noter qu'elle apparaît déjà sans
équivoque, quoique de façon discrète, quand le De caeloII
1, 2.84 a 31-32., veut que l'âme du ciel divin ne soit pas
privée de toute satisfaction intellectuelle, 1toccni.:; &'lt'YjÀ-
Àocyµ.év-l)V poca-'t'6>V"f)Ç
~µ.q>povo.:;.
Intellect suprême, ou, comme le dit l'Éth. Nic. X 8, 1178 b
2.1-2.2, suprême activité de contemplation, Dieu est aussi
le suprême intelligible ; on a vu que cette doctrine traverse
d'un bout à l'autre l'œuvre d'Aristote. Que l'intellect divin
se prenne ainsi lui-même pour seul objet, c'est la thèse
célèbre de la Métaph. A 7 et 9 (cf. aussi A 2., 983 a 8-10) ;
mais c'était déjà, de la façon la plus nette, celle de l'Éth.
Eud. VII 12., 12.45 b 17-18, où il est nié que la pensée divine
consiste à rJ..tJ..o 't'Lvoi::i:v1tocp'ocù-.à.:;ocù-.6v.
On a relevé dans la Métaph. A 7 l'affirmation que Dieu,
non pas a, mais est une vie parfaite remplie d'éternelle
jouissance (1J8ov+i,~w ocptO''t'"f)
xoc1&.t8Lo.:;). A ce raffine-
ment près, l'idée est présente dans d'autres contextes théo-
logiques. On n'est pas surpris de la rencontrer plusieurs
fois dans l'Éth. Nic. (VII 15, 1154 b 2.6 : ~8ov1iv; X 8,
1178 b 2.6 : &1toc.:; o~(o.; µ.ocxixpw.:;). Mais il est moins banal

17
246 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

que le même attribut soit reconnu expressément aux êtres


divins honorés dans le De caelo, c'est-à-dire au ciel (dont
l'acte est ~(ù~ &taLOç,II 3, 2.86 a 9), à son âme (qui mène
~Cù~V i0..u7t'ov
xod µ.ixxixplixv,II 1, 2.84a 28-29), à ce qui semble
être l'éther supracéleste (lequel possède niv &plcrn,v... ~w~v,
I 9, 279 a 21). Cette vie bienheureuse est définie par une
conscience qui ne connaît pas de relâche ; Aristote exprime
ce point de sa théologie en excluant à plusieurs reprises
(Eth. Nic. X 8, 1178 b 19-20; Metaph. A 9, 1074 b 18 ;
et aussi Magna mor. II 15, 1212 b 39) toute possibilité d'un
sommeil de Dieu. D'autre part, le bonheur divin est
fait d'indépendance absolue : Dieu n'a pas de besoin ;
les textes qui comportent cette notation sont si nombreux
qu'on ne peut les rappeler tous (De caeloI 9, 279 a 21-22. et
35 ; Eth. Eud. VII 12., 1244 b 8-9; VIII 3, 12.49 b 16, etc.).
Plus digne de remarque, l'observation selon laquelle la vie
divine est exempte d'effort pénible ; car la Métaph. A 9,
1074 b 2.8-2.9, la formule à propos de l'intellect divin,
pour lequel la continuité de la pensée ne saurait constituer
un labeur (È1tt7t'ovov) ; mais elle se rencontre déjà, en des
termes identiques, appliquée par le De caeloII 1, 284 a 15-17,
et par la Métaph. 0 8, 1050 b 2.4-2.8, au ciel, qui est dit libre
de tout effort pénible (i~7t'ovoç),de toute contrainte qui le
ferait peiner (è:7t'(7t'ovov);
il n'est pas jusqu'au De philosophia
qui n'ait affirmé dans le même sens que l'univers divinisé
exige d'être quietus et beatus (fgt 26). Dans le même ordre
d'idées, Aristote nie que Dieu doive exercer une quelconque
1tpixçtç, et il le fait au cours d'exposés théologiques très
différents : la OeLO-rocn, &px_~du De caelo II 12. est décrite
comme possédant son bien cxveu1tpocçewç(292. a 2.3 et b 5);
l' bth. Nic. X 8, 1178 b 10-18, juge indignes des dieux
toutes les sortes de 7t'p&.çetç,même les plus vertueuses,
cependant que la Polit. VII 3, 132 5 b 29-30, limite l'exclusion
aux è:çwn;;ptxixl1tp&.çetç.
2° En ce qui concerne l'action exercée par le principe
divin, la grande idée de la Métaph. A 7, 1072. b 1-3, est,
DÉPENDANCE
ET INCLUSION 247
on le sait, qu'il agit en tant que cause finale. Mais il est
facile de vérifier qu'Aristote n'a pas attendu ce texte
pour concevoir Dieu comme fin. Si la 0e:rn-rch·ri&.px~du
De caelo II 12. n'assume aucune 1tpéi.1;Lç, c'est qu'elle est
elle-même la fin, et que toute activité suppose la dualité
de la fin et de l'être dont elle est la fin (292 b ,-7). Dans
l' Éth. Eud. également, VIII ;, 1249 b 13-15, on a lu que
Dieu ne donne pas d'ordres, qu'il est la fin en vue de
laquelle la rpp6vriaLçen donne.
Sans doute cette causalité finale, principale manifestation
du divin, n'exclut-elle pas, à titre secondaire, une certaine
intervention efficiente. Recherchant, dans le livre A de
la Métaphy.rique,les indices favorables à l'hypothèse d'une
telle action ad extra exercée par le Premier moteur, on a
relevé, entre autres, deux notations qui comportent, chez
Aristote lui-même, d'intéressants précédents. C'est d'abord
l'idée que le Principe souverain tient sous sa dépendance
le ciel et la nature (7, 1072.b 14) ; il se trouve
(~p'TTJ't"OCL)
qu'une fonction analogue, formulée au moyen du même
verbe, est attribuée par le De cae/o I 9, 279 a 28-30, au
principe supracéleste : de lui dépendent (s1;~p'TTJ't"OCL), pour
les autres êtres, l'être et la vie. C'est d'autre part l'affirmation
que le divin entoure (1te:pr.éxe:L) la nature entière (8, 1074
b 3) ; on a repéré une représentation identique dans la
Politique et le De philosophia; or, à ces écrits, il faut ajouter
le De caeloencore, selon lequel il y a du divin dans les êtres
dont le mouvement parfait enveloppe (1te:pLéXe:L) tous les
autres mouvements (II 1, 2.84a 4-8)1.

Probablement cette énumération trop sèche ne rend-elle


pas la complexité des problèmes qui ont été parcourus plus

(1) Les correspondances, vraiment dignes d'attention, entre


Metaph. A 7 et 9 et, d'autre part, De caeloI 9 sq. ont été bien dégagées
par Ph. MERLAN, Two TheologicalProblem.rin Ari.rtot/e'.rMet. Lambda 6-9
and De caelo A.9, dans Apeiron, 1, 1966, p. 3-13 (voir notamment
l' Appendix de cet article).
248 LA THÉOLOGIE D'ARISTOTE

à loisir dans la première partie de ce chapitre ; sa seule ambi-


tion était de montrer que l'on n'a pas tout dit de la théologie
d'Aristote quand on en a fait défiler les expressions succes-
sives et apparemment hétérogènes : en vérité, quelle que
soit la distance qui sépare la théologie sidérale du De caelo
de la théologie noétique de la Métapf?ysique A, ce
développement indéniable repose en profondeur sur la
permanence étonnante de certains thèmes, qui gardent
leur place dans des contextes plusieurs fois rénovés ;
en sorte que la théologie aristotélicienne s'impose à
l'attention par sa fixité en même temps que par ses muta-
tions. Un autre problème serait de décider lesquelles,
des variables ou des constantes, l'emportent en originalité ;
il faudrait certainement donner sous ce rapport la première
place aux éléments qui furent l'enjeu de l'évolution, en
particulier à la doctrine du Moteur immobile, qui demeure
sans conteste l'acquisition majeure d'Aristote théologien,
- tandis que les éléments fixes ressortissent davantage
à la théologie traditionnelle, à l'héritage platonicien
notamment. Pour classiques que l'on suppose ces derniers,
il n'était pas inutile de remarquer combien leur continuité
n'a cessé de soutenir le déroulement des découvertes.
CHAPITRE II

LE DIALOGUE SUR LA PRI-P:RE

Au nombre des Aristotelis fragmenta figure un bref


témoignage de Simplicius, selon lequel Aristote, sur la fin
de son livre Ile pl.. e Ù:;ôir;, aurait dit que Dieu est ou
bien intellect, ou bien quelque chose au-delà de l'intellect,
ô·n o 8eàr; ~ voür;ècr-rl..v~ xixl..
btéxewoc 't'( 't'OU vou1 • Simpli-
cius est le seul auteur à rapporter cette surprenante doxo-
graphie, et même à évoquer le contenu de cet écrit aristo-
télicien. Son témoignage étant ainsi l'unique point de départ,
on doit avant tout l'examiner de très près, en lui adjoignant
les quelques lignes qui le précèdent 2 • Cette investigation
permettra peut-être d'en évaluer les chances d'authenticité.
Il restera alors à s'interroger sur le sens exact de la doctrine
ainsi rapportée à Aristote.

l. LE TÉMOIGNAGE DE SIMPLICIUS
ET LE PROBLÈME DE SON AUTHENTICITÉ

1. Le texte aristotéliciencommenté.
Le fragment unique du Ile pl.. eu X"Ilr; est extrait du
commentaire de Simplicius au De caelo d'Aristote, plus
précisément du passage où le commentateur s'intéresse

(1) Fgt 1 (plus exactement : unique) Ross (Arislotelis fragmenta


selecla, dans la « Scriptorum classicorum Bibliotheca oxoniensis »,
Oxonii 1955 ; c'est à ce recueil que nous nous référerons en général
dans la suite), p. 57. On lira ce texte infra, p. 25 3.
(2) Comme y invitent les premiers mots du fragment : 1$-nycxp
twoer...
250 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

au De caeloII 12, 292 b 10-13. Pour faire le départ entre


ce que Simplicius tire de son auteur et ce qu'il lui ajoute,
il n'est pas inutile de présenter d'abord une analyse succincte
du chapitre d'Aristote, en y relevant les formules que
le commentateur discutera.
Le philosophe commence par mentionner deux apories
relatives au mouvement des astres (De caelo II 12, 291 b
24-28) :
- Le premier corps (-roü 1tpw-roucrwµoc-roç,la sphère des
fixes) étant mû d'une seule translation, il semblerait logique
que les autres corps (les planètes) fussent soumis à des
mouvements d'autant plus nombreux qu'ils sont plus
éloignés du premier corps (z91 b zS-34). En fait, certaines
planètes plus proches du premier corps que ne sont le
Soleil et la Lune comportent plus de mouvements qu'eux1,
ainsi qu'il ressort d'observations enregistrées par Aristote
lui-même ou rapportées par les Égyptiens et les Babyloniens
des temps anciens (z91 b 34-z9z a 9).
- Pourquoi la première translation (celle de la sphère
des fixes) est-elle commune à une multitude innombrable
d'astres, alors que chaque planète a sa translation propre?
(292 a 10-14).
Pour ces apories, Aristote énonce un principe général
de solution, grâce auquel, malgré l'éloignement des phéno-
mènes en question, on verra qu'elles n'ont, à la réflexion,
rien d'irrationnel : c'est qu'il faut regarder ces corps, non
pas comme inanimés, mais comme participant de l'activité
et de la vie (m;p1 crc,iµix:,c,iv[
...]wç µe-rex6v·m,1[...]1tpci~ewç
xoct ~w9jç)(z9z a 14-22).
Dans la solution de la première aporie, le plus ou moins
grand nombre de mouvements propres aux divers astres
est justifié par diverses comparaisons :

(1) Cf. Metaph. A 8, 1073 b ;-1074 a 17, où cette donnée est reliée
aux hypothèses d'Eudoxe et de Callippe, qui font intervenir autant de
sphères que chaque planète présente de mouvements.
LE TEXTE DU DE CAELO II 12 251

- L'être le meilleur (probablement : le Moteur immo-


bile) possède son bien sans aucune activité (-r<jl µ.èv
&p,cr-roc ~ov-r, t/7t'OCPXELV
't"OEO&veu7tpocçec.iç), l'être le plus
proche de lui (la sphère des fixes) par une activité unique,
les êtres plus éloignés par des activités plus nombreuses.
Ainsi tel corps humain se trouve bien sans aucun exercice,
d'autres exigent du sport, d'autres enfin, malgré leurs
efforts, n'arrivent pas au bien, mais seulement à une étape
vers le bien ; or, quand les étapes se multiplient, il est
impossible d'atteindre le but, devenu trop lointain (2.92.a
2.2.-b1).
- L'activité des astres (&cr-rpc.iv 7tpiiçw) est comparable
à celle des animaux et des plantes. L'être le meilleur (le
Moteur immobile?) n'a besoin d'aucune activité (-rc'jl8' wç
~OV't'Loû0èv 8eï:7tp&1;,ec.iç),
&p,cr't'oc parce qu'il est sa propre
fin, et que l'activité suppose la dualité de la fin et de l'être
pour qui elle est une fin. Au contraire, l'homme a des
activités multiples, correspondant à des biens multiples.
Les animaux en ont quelques-unes, les plantes une seule
(2.92.b 1-10).
- Un être possède le bien suprême et en participe,
tel autre y arrive à travers quelques degrés, tel autre à travers
de nombreux degrés, tel autre n'essaie même pas, mais ne
peut que se rapprocher du terme ultime (Tà µ.èv oùv ~EL
xoc1 V,.E't'~EL't'OU &plcr-rou,'t'O ~• &rptx.vd't'ocL eû0ùç1 8t'
o).(yc.iv, 't'O~è 8ta 7t'OM<i>V, 't'O8' où8' êyxstpeï:, ™' tx.oc-
vàv dç 't'O È"'("(ÙÇ't'OUècrxoc-rouè).0s!v, 2.92.b 10-13) 2 . Ainsi
de la santé : l'un la possède toujours, un autre pour
l'avoir doit maigrir, un autre doit courir pour maigrir,
un autre doit prendre tel autre moyen pour courir, un autre

(1) Les manuscrits portent &yyuc;,que conservent Prantl et Tricot ;


mais z92. b zz-23 :·o 8s n-pW't"OÇoùpa:vàç eù0uç -run:&.veL8ux µ.iixc;;
XLvÎ)crewc;,
impose de corriger en e:ùOuç,comme l'ont bien vu Stocks,
Allan et Guthrie ; Moraux supprime le mot.
(2) C'est ce passage précis que commentera Simplicius dans la page
que nous allons voir,
252 LE DIALOGUE SUR LA PRill.RE

enfin ne peut atteindre la santé, mais seulement la course


ou l'amaigrissement ; bien que l'idéal soit d'obtenir la fin
suprême (-ruxi::iv&picr-rov1tiio-L-roü -réÀoui;),s'en rapprocher
seulement n'est pas négligeable (2.92.b 13-19).
En conclusion : la Terre n'a aucun mouvement ; les
plus basses planètes en ont peu, car elles ne parviennent pas
jusqu'à la 0i::Lo-rocni&px~ ; le premier ciel au contraire
l'atteint immédiatement par un seul mouvement; les pla-
nètes intermédiaires (-roc~• tv 't'q> [JZO"Cp't'OÜ7tpû>'t'OU XOCL
-r&v ~crxoc-rc,>V)
y parviennent aussi, mais par des mouve-
ments plus nombreux (2.92.b 19-2.5).
Quant à la solution de la deuxième aporie, elle s'opère au
moyen de deux justifications :
- La nature établit un équilibre (&vLcroc~i::L ~ q>ù(nç)1
en attribuant de multiples astres à la première translation,
qui est unique, et de multiples translations à chacune des
planètes prise séparément (2.92.b 2.5-2.93a 4).
- En réalité, chacune des translations planétaires
intéresse plusieurs corps, à savoir les différentes sphères
qui provoquent le mouvement de chaque planète (2.93 a
4-11).

(1) En recourant ainsi au principe de l'équilibre naturel, Aristote


s'insère dans une tradition déjà ancienne ; cf. Alcméon apud AÉTius,
Plac. V 30, 1, = B 4 D1ELs-KRANZ,I, p. 2.15, 11-14: la santé est
maintenue par l'taovo!LtiXdes qualités élémentaires, alors que la maladie
provient de la 1-LOvocpxloc
de l'une d'elles; PLATON,Protag. 32.0d-32.1 a:
Épiméthée distribue les diverses qualités aux différentes espèces
mortelles en maintenant un équilibre par compensation (èn-avLafuv
~eµ.ev). On sait que la théologie épicurienne invoquera la même loi
d'équilibre pour établir le grand nombre des dieux ; cf. CICÉRON,
De nat. deor.I 19, 50, = testim. 352.UsENBR,p. 2.35, 9-11 (et aussi I 39,
109, = p. 2.35, note) : « intellegi necesse est eam esse naturam, ut
omnia omnibus paribus paria respondeant. Hanc laovot-Llocv appellat
Epicurus, id est aequabilem tributionem », etc. Voir G. FREYMUTH,
Eine Anwendung von Epikur.r 1.ronomiege.retz(Cicero, De nat. deor.
I 50), dans Philologu.r,98, 1954, p. 101-115 ; J. MAu-E. G. SCHMIDT,
I.ronomia. Studien zur Gleichheitsvorstel!ung im griechi.tchen Denken, dans
« Deutsche Akad. der Wiss .. zu Berlin, Inst. für griechisch-rôm.
Altertumskunde, Philosophie», 9, Berlin 1964.
LE COMMENTAIRE DE SIMPLICIUS 253
Vient enfin (293 a 11-14) la conclusion générale des
chapitres 7 à 12.

2. Le commentairede Simplicius; sa substancenéoplatonicienne.


Voici maintenant en quels termes Simplicius commente
le cœur de De caeloII 12, à savoir 292 b 10-13, les dernières
lignes citées (à partir de 5-n ycxp èvvo.:î:...) constituant le
fragment du II.: pt .: ù Xîj c;;tel que l'impriment les éditeurs :
Aé-.y.:Loùv (Aristote), 5-n T&v 6nwv OUT€ TO 1rp&Tov
8.:î:-ro:L1.pix~.:wc;;OUT€ -rà foxix-rov, .à µ.èv ~rry_r;.-rov,5Tt
[J."fjaè,i;uyxixv.:L 1.poo-.:x&c;;-roü TéÀouc;;,TO Sè 1.p&,i;ov, 5Tt
où 8twptO'TIXLTOÜ &yix0oü, <XÀÀOC X.IXTOC
't'"fjVÉIXUTOÜ oùo-lixv
~.:L ixù,i;o x.ixt µ..:Té)'..:tixÙToÜ.Kixt .:t"tl &v TO µ.èv ~X.:w
bd njc;; u1t.:poucr[ou).éywv &yix0ÔT"flTOÇ x.ixt ,i;oü év6c;;,,i;à
8è µ.né-.xew brtt ,i;oü voü -roü 1rpocr.:x&c;;fivwµ.évou TCÏ>
&yix0èi> x.ixt µ.eT&)'.OVTOÇ IXÙTOÜ · TO µ.èv yocp l<.IXTOC TIJV
ÉIXUTOÜTL 1rpood)À"tjµ.évovoùcr[ixv ~€LV 1.éyeTixt, TO aè
&1r'&tJ..ou ÀIX[J.OIXVOV µ..:T&)'.€LV
· iSTLycxp èvvo.:î: TL x.ixt
u1tèp TOVvoüv x.ixt 't"IJVoùcr[ixv o 'Aptcr't'oTéÀ"flÇ,8ij"6c;; ÈcrTL
1rpàc;;'t'OLÇ7.&piXO'L TOÜIlept eùxîjc;; ~LOÀLOU O'IXq>&i:; d1twv,
iSTLO0eoç ~ VOÜÇÈcrTW~ x.oct1 rn&X.€LVIX TL TOÜVOÜ 2

Pour la commodité de l'analyse, ce texte se laisse diviser


en trois parties :
1° Aéy.:i oùv ••. µ.e,i;éz.:LixÙToÜ. Simplicius paraphrase
Aristote, soit qu'il conserve le vocabulaire aristotélicien
(a.:'1:TIXL
1tpcx.~.:wc;;,
TO~O')'.IXTOV,
TUY)'.IXV€L
TOÜ't'SÀoui:;, x.ixt qei
soit qu'il donne aux mots d'Aristote un autre
µ..:TS)'_EL),
emploi (il nomme le premier être TO 1tp&,i;ov, alors

(1) Omis par deux manuscrits et l'édit. Karsten, xod est rétabli
- avec raison, semble-t-il - par Heiberg ; c'est donc par simple
distraction que Ross, qui reproduit le texte de Heiberg, omet ce XOl:l.
On verra dans la suite que ce point peut n'être pas dénué de quelque
importance.
(.i) SIMPLICIUS, In AriJt. De cado II 12, ad 292 b 10, éd. Heiberg,
p. 485, u-22.
254 LE DIALOGUE SUR LA PRIIJRE

qu'Aristote appliquait cette désignation au ciel des fixes,


et appelait le principe suprême -ro oêpunoc1!.xovou 0s:LOTOC'ti')
&.pz1j),soit enfin qu'il introduise des termes et des concepts
absents chez Aristote (-rou &.yoc0oü,où Aristote disait -ro di
ou -ro oêpur-rov; oùo-(ocv; -rwv iSv-rwv,substitué aux O"ù>f-1,0CTOC
ou 1fo-rpocd'Aristote, montre que Simplicius quitte le
domaine particulier des astres pour envisager celui de
l'être tout entier).
2° Kocl s:'l't)&v ... ÀocµMvovµs:-rqs:iv. Simplicius reproche
à Aristote de n'avoir pas distingué cy_s:Lv et µs:-réze:w; pour
le commentateur en effet, 1!.ze:ivdoit se dire du rapport
d'un être à sa propre essence, µs:-réxs:Lvdu rapport d'un
être à un autre être. Simplicius applique le premier verbe
à l'um:poucnoc;;&.yoc06T't)c;; ou gv, le second au voüc;;uni à
1'&.yo:06v; l'apparition de ces notions nouvelles montre
que le point de départ aristotélicien est complètement
abandonné.
3° IS-riyiip èvvod ... -roü voü. Il est fait retour à Aristote,
qui, apprend-on, conçoit pourtant quelque chose de
supérieur au voüc;et à l'oùo-lo:,puisqu'il dit que Dieu est soit
voue;;,soit è1téxe:ivoc-ri -roü voü; c'est le fragment supposé
du Ils:pl s:ùx9jc;;.
On aura perçu que, plus on avance dans le texte de
Simplicius, plus on se trouve en présence de schèmes de
pensée néoplatoniciens. La première partie elle-même,
la plus « aristotélicienne », ne l'est pas exclusivement.
Ainsi, c'est bien Aristote qui dit que le premier être n'a
besoin d'aucune activité ; mais, pour Plotin également,
le Premier principe n'exerce aucune 1tpoc1;ic;; 1.

L'inspiration néoplatonicienne est patente dans la


deuxième partie. Les deux principes introduits par

(1) Bien que l'on manque d'un texte formel, ce point n'est pas
douteux, cf. R. ARNou, IIP A:SIS et 0EQPIA. !:.tutie de détail .rurle
vocabulaireet la pen.rée des « Ennéade.r>> de Plotin, thèse Paris 192.1,
p. 2.1-2.2.
FORMULES ET IDÉES NÉOPLATONICIENNES 255

Simplièius, Bonté superessentielle ou Un et Intellect,


sont de toute évidence les deux premières hypostases de
Plotin ; sans doute cet auteur, autant qu'on peut le savoir,
ne parle-t-il pas, pour l'Un, d'imepoumoç &:y1X0o-niç 1 ;

mais Porphyre applique au même principe l'adverbe


Û1tepouo-tCùç2 ; Proclus surtout emploie de façon répétée
l'adjectif correspondant 3 , et il offre au moins une fois
la formule complète Û1tepoumoç &.y1X06,niç 4 ; ces données

se trouvent tout à fait en harmonie avec la pratique de


Simplicius, qui est de s'approvisionner dans le néopla-
tonisme tardif. En revanche, nul besoin de descendre
plus bas que Plotin pour découvrir une théorie de la
participation distinguée de la « possession », exactement
semblable à celle que l'on vient de rencontrer sous la
plume de Simplicius : la participation, dit Plotin, exige
la dualité du participant et du participé 5 ; il ajoute,
employant les verbes mêmes de Simplicius (et d'Aristote),
que l'Un, objet par excellence de la participation universelle,
n'est celui d'aucune possession 6 •
Mais c'est la troisième partie du commentaire, c'est-à-dire
le texte même du fragment donné pour aristotélicien,
qui accuse la plus grande ressemblance avec les dogmes

(1) Il dit simplement, dans le même sens, que l'Un est urre:p6nc.ù<;
(Enn. VI 8, 14, 43, éd. Bréhier, p. 152).
(z) Sent. 10, éd. Mommert, p. 3, 2-3 : toutes choses sont èv [... ] -rcj>
èm:xe:tvoc&:ve:wo~Tc.ù<; -re:xoct urre:poucrlc.ùc;.
(3) Par exemple In Tim. 35 b, 2.05 CD, éd. Diehl, II, p. 2.13, 19 :
l'Un est appelé -ro urre:povcrtov;In Plat. theol. III 1, éd. Portus, p. 118 :
urre:povmov œhlocv; III 2.1,p. 163 : TO µ6Vc.ùÇ urre:povcrtov[..•) urre;pov-
moc; Orrocpl;tç,etc.
(4) Elem. theol., prop. 119, éd. Dodds, p. 104, 16: II<iç 6e:oc;KOCTIX
T'Y)V urre:povcrtov&:yoc66TI]TOCu,:pfoTI)XE.L'index de Dodds atteste en
outre la présence, dans ce traité, de quantité d'emplois séparés d'<iyoc-
66TI)ç et d'urre:poucrtoc;.
(5) Enn. VI 4, 13, 6-8, p. 193 : EL oùv Tt µe:-rocÀ~yie:-rocl -rwoç,
· ~ oô µe:-re:tÀ'Yj,:PO<;
/lrj).ov lht oôx ocu-roü µe:-rocÀ~yie:-roct fo-rtxt, &:M'
ocô-.-ofo-roct.
(6) V 5, 10, 3-4, éd. Henry-Schwyzer, p. 354: µe:-re:x6v-rc.ùv &.miv-rwv
ocô·rnüµrille:voç ~XOVTOÇ ocô-r6.
256 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

du néoplatonisme, au point qu'elle pourrait tout entière


porter la signature de Plotin. Divisons-la, pour plus de
clarté, en trois propositions :
(1) [dvor.(]-n xor.l.u1tèp -rovvoüv xcd -.iJv oùo-lor.v
(2) 0 0eoç VOÜÇ ÈO"TLV
(3) [ o 6e:6çÈO'TLV J è7téxeL
vcx.TL TOÜ voü,
la première étant rapportée à Aristote indirectement,
comme une implication dégagée par Simplicius, les deux
autres lui étant imputées expressément.
La proposition ( 1) serait cautionnée par quantité de
passages des Ennéades affirmant que la première hypostase
est supérieure soit à !'Intellect, soit à l'essence. N'en
retenons que ceux dans lesquels cette double supériorité
est posée conjointement : le Bien est rné,mvor. oùo-(or.ç
1 [ ••• ]

xor.l.è1téxe:ivor.
voü ; étant rnéxewo: oùo-lo:ç,il est aussi
2

't'OÜ voe~v è7téxewor.


3•

On aurait quelque difficulté à trouver chez Plotin


l'affirmation que Dieu est intellect, qui est à la lettre celle
de la proposition (2). Mais l'affirmation inverse, qui pour
le sens rejoint la précédente et selon laquelle !'Intellect
est dieu, apparaît plusieurs fois chez le philosophe :
!'Intellect est appelé dieu multiple4 ; grand dieu, quoique
de second rang 5 • A côté de ces formules expresses, il en
est d'autres moins directes, qui aboutissent à la même
conclusion : l'âme, quand elle pense, devient à la fois
semblable à l'Intellect et semblable à Dieu 6 ; l'Un ne doit

(1) On reconnaît la célèbre formule de PLATON, Républ. VI 509 b.


(2) I 7, 1, 19-20, p. 119 ; V 1, 8, 6-8, p. 280. Cf. JULIEN, Oral. XI
( Sur Hélios-Roi) 5, 132 c, éd. Lacombrade, p. 103 : le Bien est -ro
È;rtéxe:wa-roü voü.
(3) V 6, 6, 29-30, p. 369. Cf. R. ARNou, Le désir de Dieu dans la
philosophie de Plotin, thèse Paris 1921, p. 123-124 et 130.
(4) V 1, 5, 1, p. 270: IIoMç oov OO't"OÇ O 0e:oç trtl -tjj !.)iux'/i-
(5) V 5, 3, 2-4, p. 342 : 0e:6ç -r1ç µéyaç [... ] Kal 6e:oç aÜ'TTJij
q>ùmç, xal 6e:oç 3e:6't"e:poç.
(6) V 3, 8, 47-48, p. 313 : 11-ravvo'/i, 6soe:18'ijxal vooe:18'ij
y!yv11:a6a1.
UN CONDENSÉ DE THÉOLOGIE NÉOPLATONICIENNE 257

pas être représenté comme Intellect ou comme dieu, il est


davantage 1 .
On peut produire enfin, en regard de la proposition (3)
qui place Dieu au-delà de l'intellect, diverses déclarations
des Ennéades, plus ou moins formelles, mais sans équivoque :
Dieu plane au-dessus de la nature intelligible (qui, on le sait,
se confond avec l'Intellect) et de l'essence 2 ; l'Ame voit
Dieu à travers l'Intellect 3 ; Dieu est dit le principe et la
cause de !'Intellect qui est en nous 4 • A quoi il faudrait
ajouter les nombreux textes, rassemblés en particulier
dans l' Ennéade VI 7, où il est proclamé que le Bien se
situe plus haut que !'Intellect et que, contrairement à
celui-ci, il n'a rien au-dessus de lui 5, ce qui équivaut
certainement à reconnaître qu'il est un Dieu supra-
intellectuel.
Nul besoin de prolonger davantage l'enquête pour se
convaincre que le texte de Simplicius, parti de façon
occasionnelle d'une phrase du De caelo, est en réalité
un condensé de métaphysique et de théologie néoplatoni-
ciennes, et que ce phénomène atteint précisément son
maximum d'intensité dans les lignes qui se présentent

(1) VI 9, 6, 12-13, éd. Bréhier, p. 179 : "0-rCt.vyà:p o:ô-roV07J0-1)Ç


o!ov vouv i) 6e:6v,1tÀéovtcr-rLa. R. ARNou, op. fit., p. 114-115 et 120.
(2) I 1, 8, 8-10, éd. Henry-Schwyzer, p. 56 : Tàv 8è 0e:àv 1twc;;
"H 6>Çè:1toxouµevov-tjj V01J-r'/i qiucre:L xo:l -tjj oôcrlq.-tjj llv-rwc;.
(3) I 8, 2, 25, p. 123 : 't"OV0e:ov8L' o:ù-:-ou~Àé1te:L.
(4) V 1, 11, 6-7, p. 286 : vouv è:v1iµiv dvo:L, dvo:L 8è xo:l niv vou
&px-Jivxo:t o:hlo:v xo:l 6e:6v.
(5) Par exemple VI 7, 20, 17-21, éd. Bréhier, p. 93 : où -rà ~crxo:-rov
b voue;KCI.L VOUµèv où 7tOCV'rCI. [.rc. : È<pLE:'t"CI.L],
&yo:0ou8è 7t"OCV'rct [... ]
-roc8s: e:xov-ro:vouv oôx fo-ro:'t"CtL-lj81J,cxÀÀà: 7tOCÀLV 't"O&:yo:0àvç'YJ't"E:Î;
VI 7, 22, 19-2t, p. 94 : Ko:l vouv µèv i'.me:po:[pe:L [.rc.: ~UX7J],où 8uvoi:-ro:L
8è ô1tèp 'rO&:yCt.0ov8po:µdv, lhL [J.1J8év Ècr't"L
'rOum:pxdµe:11ov. Beaucoup
d'autres textes moins clairs, mais encore convaincants, sont cités par
R. ARNOU,op. cil., p. 81-82, p. 125 et n. 13. Cf. aussi J. M. RIST, Theo.r
and the One in Some Text.r of Plotinu.r, dans Mediaeval Studie.r, 24, 1962,
p. 169-180. On notera que PORPHYRE,Epist. ad Aneb., fgt II 11
SoDANO,p. 22, 11-12, pose une question très semblable à la formule
que Simplicius prête à Aristote : -rl -ro 1tpw-ro11o:'i-rL011 1iyouv-rotL
d\lCI.LA!yu1t't"LOL, i) Ô1tèpvouv.
1t6-.e:pov\IOUV
258 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

comme un fragment du Il ep t eùx_'riçd'Aristote. Sans aucun


doute, cette circonstance est de nature à faire légitimement
douter de l'authenticité du témoignage de Simplicius,
qui devient suspect d'avoir, à partir d'éléments doctrinaux
et expressifs empruntés au néoplatonisme, forgé un
fragment pseudo-aristotélicien dans l'intention, peut-on
imaginer, d'opposer Aristote à Aristote.

3. Le commentaire de Simplicius; son authenticité probable


touchant le Ile pt eùx.'ri
ç.
Toutefois, l'hypothèse d'un Simplicius faussaire (ou
seulement propagateur naïf d'un faux antérieur) se heurte
elle-même à bien des obstacles. En premier lieu, si la formule
attribuée à Aristote est fictive, l'auteur de la supercherie
avait intérêt à demeurer dans le vague ; il prenait un risque
en la rapportant à une œuvre déterminée. Or Simplicius
entoure son témoignage d'un luxe de précisions tout à fait
inhabituel : non seulement il fournit le nom d'Aristote,
le titre de l'œuvre, le numéro du livre (plus exactement,
l'indication qu'il s'agissait d'un écrit en un seul livre :
'îOÜ Ile:pt e:ùx_=ijç~io).[ou) et une citation que l'on peut
croire littérale - quatre éléments rarement réunis, que
les historiens de l' « Aristote perdu », on le sait, tiennent
pour la marque des plus sûrs témoignages - mais il
ajoute un renseignement vraiment exceptionnel sur la
place de la citation à l'intérieur du livre en question, dont
elle occupait la fin (1tpôç 'îOLÇ 1ttpix.cri).On voit mal un
doxographe localiser de façon aussi minutieuse un fragment
entièrement imaginaire.
Simplicius, avons-nous dit, est le seul auteur qui livre
un renseignement relatif au contenu du Il ep t e:ùx_'riç.Mais
l'existence d'une œuvre aristotélicienne de ce titre est
attestée, indépendamment de lui, par deux des « listes
anciennes des ouvrages d'Aristote » : elles mentionnent
que l'écrit ainsi désigné comportait un livre unique, et
INDICES FAVORABLES A L'AUTHENTICITÉ 25'.)

permettent de supposer qu'il constituait un dialogue 1 •


Ces catalogues ont-ils pour source originelle Ariston de
Céos, l'un des successeurs d'Aristote à la tête du Lycée,
comme le croit P. Moraux 2 , ou bien, selon la thèse tradi-
tionnelle reprise par I. Düring 3 , Hermippe? En toute
hypothèse, les éléments en remontent à la fin du me siècle,
ce qui leur confère une autorité universellement admise.
Que les données fournies par ces documents coïncident
avec celles que procure Simplicius (pour le titre de l'ouvrage
et sa composition en un seul livre), voilà un autre indice
favorable à l'authenticité du fragment rapporté par le
commentateur.
Au moins pour mémoire (car ce nouvel argument n'est
pas d'un grand poids), il convient de rappeler que ce
fragment a connu une certaine vogue au Moyen-âge,
qui en admettait donc pleinement la validité. Nous possé-
dons en effet, datant de cette époque, une Vita latina
d' Aristote 4 ; or cette biographie, parvenue à son terme,
comporte une addition qui n'est autre que la traduction
du témoignage de Simplicius sur le Ili;; pl s:ùX1j,;5 ; c'est

(1) Ile:pt e:ux.'ijc;;


ii, tel est le n° 14 du catalogue de Diogène Laërce,
éd. I. DÜRING, Ari.rtotle in the Ancien/ Biographical Tradition, dans
(( Studia graeca et latina gothoburgensia )), 5, Gôteborg 1957, p. 42.
A la suite de Rose et de Bernays, les historiens s'accordent à penser
que les dix-neuf premiers titres de ce catalogue désignent des dialogues ;
seul est controversé le cas des n°• 12 (le Protrept.), 17 et 18 ; cf.
P. MoRAux, Le.r li.rte.ranciennesde.rouvragesd'Aristote, coll. (C Aristote.
Traductions et études>>, Louvain 1951, p. 27-28 et 35. Dans un
deuxième catalogue, celui de la Vita Hesychii ou Vita Menagiana, le
II. e:ux.'ijc;;
porte le n° 9, éd. Düring, p. 83 (sans indication du nombre
de livres ; mais il est encadré de deux dialogues comportant chacun
un seul livre ; or les dialogues sont classés selon le nombre de livres).
(2) Op. cit., p. 211-247.
(3) Op. cit., p. 79. Ces deux savants s'accordent d'ailleurs à
repousser une autre thèse traditionnelle, selon laquelle la source
serait Andronicus.
(4) Traduite d'une Vie grecque (très semblable, mais non identique
à la Vila Marciana), probablement aux alentours de 1200 ; cf.
l. DÜRING,op. cil., p. 144.
(5) Vila latina 52, éd. Düring (op. cit.), p. 158 : ccFecit autem
260 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

assurément le signe qu'un érudit médiéval ne concevait


aucun doute sur l'authenticité de ce témoignage, puisqu'il
le mettait à profit pour compléter les éléments traditionnels
de la biographie d'Aristote, sur un point bien propre
à intéresser les lecteurs du temps 1 .
A ces observations d'ordre externe, on doit ajouter
celles de la critique interne ; elles atténueront les doutes
que la même méthode interne avait fait naître en révélant
les aspects néoplatoniciens du fragment. Tout d'abord,
on n'a pas oublié que celui-ci concerne la nature de Dieu.
Or, étudiant le morceau, J. Bernays 2 a déjà remarqué que
la plupart des traités antiques Sur la prière3 contiennent

Aristotiles librum de oratione, unde Simplicius : ' Quod enim intelligat


aliquid et super intellectum et super substantiam, Aristotiles manifestus
est apud finem libri de oratione plane dicens quod deus aut intellectus
est aut aliquid ultra intellectum ' ».
(1) On sait que le commentaire de Simplicius sur le De caelo fut
traduit en 12.71par Guillaume de Moerbeke ; cf. D. J. ALLAN,Mediaeval
VerJ'ionJ' of Aristotle, de Caelo, and of the Commentary of SimpliciuJ',
dans Mediaeval and Renaiuance Studiu, 2, 1950, p. 83-84. Voici cette
traduction, pour le passage qui nous intéresse (cité par Düring dans
les leJ'lim. de sa p. 158) : <cquod enim intelligat aliquid et supra
intellectum et supra substantiam Aristoteles manifestans est in calce
libri De Oratore (sic) plane dicens quod Deus est intellectus aut et
aliquid ultra intellectum ». Selon I. DÜRING, op. cil., p. 162. (cf. déjà
V. RosE, Aristotele.r pJ'eudepigraphus, Lipsiae 1863, p. 68), l'addition
tirée de Simplicius aurait été absente de l'original grec de la Vila
lat., et introduite d'après la traduction de Moerbeke. Cette dernière
conjecture me paraît douteuse ; car elle n'explique guère d'assez
sensibles différences de vocabulaire entre les deux versions latines du
fragment ( J'uper-supra, manifestus-manifestan.r, ap11d finem-in calce) ;
de plus, comme on l'a vu J'upra, p. 2B et n. (1), les manuscrits de
Simplicius offrent deux leçons (avec ou sans xocl)pour ~ xoct Èmbi.etvci
·n -roü voü ; or Moerbeke ( a11tet aliq11idultra intellectum) et l'érudit
qui a complété la Vita lat. ( a11taliquid ultra intellectum) reflètent la
même divergence ; on sera donc tenté de croire que chacun d'eux
a traduit un manuscrit différent, et qu'ils ne dépendent pas l'un de
l'autre.
(2) Die Dialoge des Aristote/es in ihrem Verhiiltniu zu seinen übrigen
Werken, Berlin 1863, p. 12.2.
(3) Parmi lesquels H. SCHMIDT,Veterer philosophi qwmodo iw:licave-
rinl de precib11s, dans <cReligionsgeschichtl. Versuche und Vorarbei-
ten », IV 1, Giessen 1907, p. 15 et n. 1, cite, outre le traité d'Aristote,
ARGUMENTS DB CRITIQUE INTERNE 261

une dissertation sur le même sujet : les auteurs l'estiment


nécessaire pour résoudre toutes les questions relatives
à l'efficacité extérieure ou intérieure de la prière et à ses
formes les plus appropriées. Les réflexions sur Dieu
intellect ou plus qu'intellect seraient donc parfaitement
à leur place dans un IIe pt e ô X.lj ç où Aristote se serait
conformé à la tradition, d'ailleurs toute naturelle ; de plus,
en définissant la nature intellectuelle ou supra-intellectuelle
de Dieu, il aurait manifesté que le philosophe est émi-
nemment apte à rendre un culte à la divinité ainsi conçue 1 •
Ce n'est là qu'un argument de convenance, sans beaucoup
de portée. Mais il en est un autre qui, dans le même genre,
paraîtra peut-être plus convaincant, et que personne ne
semble avoir employé jusqu'ici. Si l'on prête attention au
style de la phrase rapportée au Ilept eôx.ljç, on observe
qu'elle présente une structure disjonctive du type 011 bien...
ou bien... , qui reflète l'incertitude de l'auteur sur la véritable
nature de Dieu. Or on sait, depuis les travaux classiques
de H. Usener 2 et d'E. Norden 3 , qu'une incertitude tout
à fait analogue affecte quantité de prières antiques, où
elle s'exprime aussi par des formules disjonctives. Beaucoup
de ces textes de prière sont tardifs et, de ce fait, peu capables
d'éclairer le fragment d'Aristote. Mais certains d'entre eux
sont anciens, remontent au ve siècle, et ont toutes les chances
d'avoir constitué le matériel littéraire sur lequel le philo-
sophe a dû exercer sa réflexion : il s'agit de ceux que l'on
trouve sous la plume des tragiques. L'incertitude relative
à la nature divine s'y traduit par des expressions comme

le II• Alcib. (ou 1t"e:p1


7tpocre:ux'ijç)ps.-platoniden, la Sat. II de Perse,
la Sat. X de Juvénal, la Di.rs. V (XI) (El 8e:î:e:ilxeo-601:1) de Maxime
de Tyr.
(1) Observation de H. P. EssER, Untersuchungen z.u Gebetund Gottes-
verehrungder Neuplatoniker, diss. Këln 1967, p. 28.
(2) Giitternamen.Versuch einer Lehre von der religiiisenBegri!fsbi/dung,
Bonn 1896, p. 336.
(;) Agno.rios theos. Untersu,hungenzur Formenge.rchichte religiii.rer
Retie,Leipzig-Berlin 191;, p. 14;-147,

18
262 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

éSo-·rn;e!, « qui que tu sois »1, ou ô1t6-.-epov lSvoµcx.,« quel


que soit ton nom »2 • Elle se manifeste aussi par la juxta-
position de plusieurs hypothèses, introduites par le moyen
de tournures telles que et-.-e... ehe ..., « soit que ... , soit
que ... »3 • Une célèbre prière d'Hécube dans les Troyennes
d'Euripide condense admirablement ces divers procédés
de style, image de l'hésitation sur la véritable nature de
Dieu : la reine invoque Zeus difficile à identifier, support
de la terre qui est son trône, quel qu'il soit, ou bien nécessité
de la nature ou bien intelligence des mortels 4 • Cette forme
traditionnelle de prière, qui révèle une certaine inquiétude,
ou du moins une certaine recherche théologique, ne pouvait

(1) Ainsi EscHYLE, Agam. 160: Ze:ùc;ifo"nc;rro-r' b--rlv; EURIPIDE,


Héraclè.r 1263 : Ze:ùc;8', 80--rLc;
o Ze:ui; ; cf. déjà une prière d'Ulysse
dans l'O,&u. V 445 : K).ü0t, &vct~,8-rLi;focrl. Sur la différence dans
l'inspiration religieuse des deux tragiques, malgré l'identité des
formules, voir W. ScHADEWALDT,Monolog und Selb.rtgupriich. Unter-
.ruchungen zur Formguchichte der griechùchen Tragiidie, dans « Neue
philologische Untersuchungen n, 2, Berlin 1926, p. 115 ; et encore
É. DES PLACES, <<Au dieu inconnu ll (Act. 17, 23), dans Biblica, 40,
1959, p. 796-797. Cf. plus tard VIRGILE, .bi. IV 576-577: « Sequimur
te, sancte deorum, 1 quisquis es ll.
(2) Par exemple EURIPIDE, Bacch. 275-276 : ô.7Jµ~Tl)pfü:cx- 1yîj
8' ècr-rlv, llvoµct 8' orr6npov ~ouÀTIxcxÀe:t; formule qui correspond
à une pratique attestée par PLATON,Crai. 400 e: iv 'TctÎ:i;e:Ùx_ctîc;
v6µoc;
fo-rlv 1Jµî:ve:i.lxe:cr0ctL,
o'i'Twéi;n xctl orr66EVx_ctlpoumvèvoµct~6µe:vot,
'TctÜTctKctl1Jµiii;ctÙ-roùc;KctÀEÎv;cf. encore Philèbe 12 c et 30 d, Phèdre
246 d. Voir É. DES PLACES,Hymnu greu au .reui/ de l'ère chrétienne,
dans Biblica, 38, 1957, p. 120.
(3) Ainsi EURIPIDE, Héraclès 353-3H: rrctî:8' dn ô.L6i;\IL\/e:fo6l 1
e:('T''AµqiL'TflU6l\loc;
tvw. On rapprochera de cette façon de parler les
nombreuses prières romaines qui s'adressent à une divinité .riue ma.r
.riue femina, ou .riue deu.r .riue dea; cf. J. BAYET, Hi.rtoire politique et
psychologique de la religion romaine, dans « Biblioth. histor. Jl, Paris
1957, p. 49, 112, 128.
(4) Troy. 884-887 : •.nyijç 6x71µctx&rd yîjc; !:;(Cil\/ !8pctv, 1 8cmc;
rro-r' Et cru,
llucr-r6rrctcr-roi;
eΎvctL,1 Ze:ui;,d'T' IX\IOC"(K7)
qiucre:oc;
e:t'TEvoüç
~po-rwv, 1 rrpocr7lu~cxµ7Jv cre:.Un texte plus caractéristique encore, mais
malheureusement tardif, apparaît dans une prière de Lucius chez
APULÉE, Métam. XI 2 : « Regina caeli, - siue tu Ceres [ ... ], seu tu
caelestis Venus[ ... ), seu Phoebi soror [... ], seu [... ] horrenda Proserpina
[ ... ), quoquo nomine, quoquo ritu, quaqua facie te fas est inuocare ll ;
cf. E. NoRDEN, op. cil., p. 144.
STRUCTURE DISJONCTIVE DE LA PHRASE 263

échapper aux philosophes ; Norden 1 a montré qu'elle


a été parodiée par Platon à propos de la conception
sophistique du plaisir. Nul doute qu'Aristote, qui faisait
grand cas des tragiques, d'Euripide en particulier 2, n'ait
dû au moins y penser en composant un dialogue Ile pt
eùx'Yjç; s'il l'a fait, on conviendra qu'une formule comme
o (hàç ~ voüç ècr-tw~ xoctrnéxetvcx 't'L't'OÜvoü se laisserait
facilement identifier comme une trace de cette influence.
Il n'est pas impossible, même, que la phrase en question
ait pris place dans une manière de prière, qui aurait servi
de conclusion (7t'pàç't'OÏ:ç7t'époccn)au dialogue.
Ces diverses observations neutralisent suffisamment
les raisons de douter de l'authenticité du témoignage fourni
par Simplicius. Le commentateur a de bonnes chances
d'avoir dit vrai ; après tout, on ne doit pas exclure a priori
qu'Aristote ait pu employer des concepts et un vocabulaire
d'apparence néoplatonicienne ; aussi bien, cette impression
d'un fonds de néoplatonisme provient surtout de l'utilisa-
tion que Simplicius a faite de la formule donnée pour
aristotélicienne 3 • Il faut maintenant rechercher ce

(1) Op. cit., p. 146-147. Il s'agit de Protag. 358 a: d-re: yd:p ~8ù e:he:
ttpmiov Mye:ic; e:he: xap-r6v, e:he: 01t66e:vxai ilm»c; xalpe:tc; -rd:
-rouxü-ra6voµ~~c.>v ... Pastiche du même genre dans plusieurs autres
textes platoniciens (PhMre 237 a et 273 c; Crai. 400 e ,· Philèbe 63 b ,·
Euthyd. 288 ab; Banq. 212 c ,· Hippias min. 368 e, etc.), cités par
H. KLEINKNECHT,Die Gebetsparodie in der Antike, dans ccTübinger
Beitrage zur Altertumswiss. >), 28, Stuttgart-Berlin 1937, p. 110 et
131-132; le même historien, p. 19, souligne la fréquence, dans les
prières, de la forme e:he:-d-re:(ou -1\--1\),dont il relève, p. 24-25, une
autre parodie manifeste chez ARISTOPHANE, Nuées 269-274,
(2) Cf. H. BoNITZ, Index aristot., Berolini 1870, p. 300 a 10-59.
De plus, comme l'observe E. BIGNONE, L'AriJtotele perduto e la
formazione ftlosofica di Epicuro, coll. « Il pensiero classico », 4, Firenze
1936, I, p. 234-235, les passages où Aristote nomme Euripide sont
peu de chose au regard de ceux où il le cite sans le nommer.
(;) Doit-on comprendre que Simplicius prétend offrir une citation
textuelle d'Aristote, ou seulement un résumé en substance ? Il est
difficile d'en décider; peut-être la formule o-acpwc; dm:w va-t-elle
plutôt dans le sens d'une citation approximative. On sait d'ailleurs
que, très probablement, Simplicius n'avait pas une connaissance
directe des dialogues aristotéliciens dont il se fait l'écho.
264 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

qu'Aristote aurait pu vouloir dire dans ce fragment supposé


authentique ; si l'on arrive à en rattacher convenablement
le contenu à des positions connues pour aristotéliciennes,
on sera bien près d'avoir résolu de façon positive le
problème de son authenticité.

Il. LA SIGNIFICATION DU FRAGMENT n' ARISTOTE

1. L'explication par la théologiede la Métaphysique.


Beaucoup d'historiens se sont intéressés au fragment
du Ilept eùx-rjç. Certains l'ont fait de façon purement
incidente, et se sont bornés à énoncer des évidences :
les uns, frappés surtout par le début, en ont retenu la nature
intellectuelle de la divinité 1 ; les autres, davantage sensibles
à la fin, y ont relevé l'affirmation de la transcendance de
Dieu 2•
Le premier auteur qui ait étudié le fragment pour
lui-même est sans doute J. Bernays 3 • Son interprétation
est claire : Aristote aurait voulu dire que Dieu est pensée ;
mais non pas une pensée comme celle de l'homme : une
pensée supérieure, qui ne cesse de se prendre elle-même
pour objet, bref la v6ricnç vo~creCùçde la Métapf?ysiqueA.
A partir de cette identification, Bernays reconstruit
audacieusement les grandes lignes du dialogue : puisque
le dernier mot de la théologie aristotélicienne était aussi

(1) Ainsi E. BIGNONE, op. cit., I, p. 194 et 2.29 ; II, p. 360, n. 3,


et p. 426, n. 3 ; F. NuYENs, L'évolution de la psychologied'Aristote,
trad. franç., coll. « Aristote. Traductions et études >J, Louvain-
La Haye-Paris 1948, p. 132.-133.
(2) Tels W. JAEGER, Aristotle. Fundamentals of the History of his
Development, translatcd by R. ROBINSON, Oxford •1948, p. 160 et 2.40
(il a en outre proposé un important rapprochement avec Eth. Eud.
VIII 2, sur lequel nous reviendrons) ; A. J. FESTUGIÈRE, La révélation
d'Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la Gnose, coll. « Études
bibliques», Paris 19H, p. 314.
(3) Op.cit., p. 123.
NATURE NOÉTIQUE DE DIEU 265
celui èlu dialogue, on devait y trouver auparavant les
fondements de cette théologie, à savoir la doctrine du
Dieu immobile, immuable, inactif ; mais une telle repré-
sentation commandait strictement les vues d'Aristote sur
la forme appropriée et les résultats possibles de la prière :
dès lors que la divinité n'exerce pas d'activité ad extra, se
trouve exclue toute intention d'appeler l'intervention divine
dans le cours des événements extérieurs ; telle devait être
l'idée directrice du Ile:pt e:ùx:rjc;. L'essentiel de l'exégèse
de Bernays, c'est-à-dire l'équivalence de l'è1téxe:~voc ·n -rou
vou avec la v6'Y)m.:;vo-fiae:wc;décrite comme étant au-delà
de l'intellect humain, fut accepté par H. Cherniss1, et
récemment par E. Berti 2 •
Cette interprétation ne manque pas d'assise. On peut
la schématiser en disant qu'elle ramène le fragment
d'Aristote à deux propositions :
(1) Dieu est voü.:;
(2) le voüc;divin est au-delà du voü.:;humain.
Or il est facile d'établir que ces deux propositions appar-
tiennent à la théologie dont on trouve l'expression dans
les autres ouvrages du philosophe. La démonstration a
été amorcée par les historiens en question ; il vaut la
peine de déployer leurs trop rapides suggestions.
(1) Que la divinité soit de nature noétique, c'est ce
qui apparaît incidemment dans un traité d'histoire naturelle
comme le De part. anim. IV 10, 686 a 29 : !pyov 8è: -rou
0e:to-rif-rou-rà voe:ï:v.Dans l'.Eth. Nic. I 4, 1096 a 24-25, la
notion de Dieu et celle d'intellect sont associées, ofov ô
0e:àc;xcd ô voüc;, pour désigner le bien envisagé comme

(1) Aristotle's Critici.rm of Plato and the Academy, I, Baltimore


1944, Appendix X, p. 592, et App. XI, p. 609.
(2) La ftlosofta del primo Aristotele, coll. ccUniv. di Padova. Pubblic.
della Fac. di Lettere e Filos. », 38, Padova 1962, p. 386. C'est aussi la
façon de voir proposée brièvement par É. DES PLACES, La prière
des philosophesgrecs, dans Gregorianum,41, 1960, p. 256.
266 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

substance. Mais c'est dans la Métaph. A que la doctrine


s'exprime avec le plus d'ampleur et de netteté : Dieu est
l'acte de l'intellect, voü tvspye:t<X(7, 1072 b 27); son essence
est intellect ou pensée, &re: voüç ~ oûcrt<X <XÛ-roüe:t-re:v6YJcrlç
è:crn(9, 1074 b 21-22).
Pour formuler la même idée, Aristote recourt encore
à un autre moyen, moins précis, mais qui autorise une
conclusion sensiblement identique : il affirme le caractère
divin de l'intellect. Parfois, la divinité est attribuée à
« l'intellect », sans autre détermination. C'est le cas de
la Métaph. A : c'est par son acte, plus que par sa puissance,
que l'intellect a quelque chose de divin, ~oxeî: ovoüi; 0dov
fy_e:tv(7, 1072 b 23) ; il est la plus divine des choses divines,
-rwv q>CJ.woµsvwv 0sLO"t'<X"t'O\I
(9, 1074 b 15-16). Sans doute
conviendrait-il de ranger sous la même rubrique le passage
du De an. I 4, 408 b 29 où l'intellect est donné pour plus
divin que le composé humain, o ~è voüç fowi; 0st6-re:p6vn.
Il s'agit toutefois, dans ce dernier texte, de l'intellect
dans son rapport à l'âme humaine. Ainsi en vient-on au
thème, plus fréquent, de l'intellect regardé comme l'élément
divin dans l'homme. Une phrase célèbre du De gener. anim.
II ;, 736 b 28, après avoir affirmé que le voüi; survient
8up<X8e:v,ajoute que, seul d'entre les facultés de l'âme,
il est divin, 8dov dv<XLµ6vov ; conception qui reparaît
quelques lignes plus loin, en 737 a 9-10: n 0dov - -rowü-roç
i· SO'"t'L\Io XCJ.Àouµsvoçvoüç. Commandée par des soucis
d'un tout autre ordre, elle revient semblablement dans
plusieurs pages de l' Éth. Nic. X : la meilleure partie de
l'homme, qu'il s'agisse du voüç ou de quelque autre faculté,
est divine, ou du moins ce qu'il y a en nous de plus divin,
e'Cn 8dov ôv XCJ.L CJ.Ù-ro
d-re: -rwv tv ~µ"1:v-rè 0e:t6-r<X-rov(7,
1177 a 13-16) ; rapporté à l'homme, l'intellect est chose
divine, 0dov ovoüi; 1tpèç -rèv ocv6pw1tov(1177 b ;o); il est,
dans l'homme, ce à quoi les dieux se complaisent comme
à ce qui leur est le plus apparenté, X<Xlpe:w -re:<XÙ-roùç-r4'>
[... ]
cruyye:ve:cr-rchep- -roü-ro~• ixv e:('YJovouç (8, 1179 a 2.6-27).
DIVINITÉ DE L'INTELLECT HUMAIN 267
Ori trouverait sans doute dans le corpus aristotelicum
bien d'autres illustrations de cette idée 1 . Eu égard au fait
que le Ile pt eùx,ijç remonte probablement à la« jeunesse»
d'Aristote, il est plus intéressant d'observer qu'elle se
manifeste déjà dans un fragment rapporté au Protreptique.
Le rapprochement de ces deux œuvres perdues a été proposé
par R. A. Gauthier et J. Y. Jolif2, qui ajoutent ingénieuse-
ment que, dans l'une et l'autre, la thèse de la divinité
du voüç devait venir en conclusion 3 • Ce qui est probable,
en tout cas, c'est que Jamblique suit de très près le
Protreptique d'Aristote quand il expose que les hommes
n'ont en eux de divin que leur part d'intellect, et quand
il condense cette doctrine au moyen d'une formule saisissante
prêtée à Hermotime ou bien à Anaxagore : « L'intellect,
c'est, en nous, Dieu »4 • Il n'est que de retourner cette

(1) Cf. E. BARBOTIN,La théorie aristotélicienne de l'intellect d'après


Théophraste, thèse Paris, coll. « Aristote. Traductions et études»,
Louvain-Paris 1954, p. 2.16-2.32..A la suite de Jaeger, R. S. BLuCK,
The Origin of the« GreaterA!cibiades 11,dans The Clau. Quart., new series,
3, 1953, p. 48, cite encore, à cet égard, Metaph. A 2., 983 a 5-11, où
la science que l'homme a de Dieu est rapprochée de celle que Dieu a
lui-même ; il rattache avec raison ces vues d'Aristote sur la nature
divine de l'intellect humain à l'A!cib. 133 c. D'autre part, P. MORAUX,
A la recherchede /'Aristote perdu. Le dialogue « Sur la justice», coll.
« Aristote. Trad. et études 11,Louvain-Paris 1957, p. s1 et 98, souligne
la présence de la même doctrine, également rattachée au Jer Alcib.,
dans le De iustitia perdu.
(2) L'Éthique à Nicomaque, II : Commentaire, 2, même collection,
Louvain-Paris 1959, p. 875.
(3) Car I. DÜRING, Aristotle's Protrepticus. An Attempt al Recons-
truction, dans « Studia graeca et latina gothoburgensia », 12, Goteborg
1961, estime que le fgt 1o c 1° (qui, dans son édition, porteles n°• B 108-
110, p. 90-92.) constituait la ccpéroraison 11du Protrept. Pour le II.
eôx'ijç, Gauthier et Jolif s'appuient sur le n-poç "t"oîçn-épacri de
Simplicius.
(4) ARISTOTE,Protrept., fgt 10 c 1° Ross, p. 42, = JAMBLIQUE,
Protrept. 8 : Oô8èv ouv 8e'rov ~ µa:x&pwv ôn-&pxei-roîç &v8pw1t0Lç,
1tÀ1jv[... ] lfoov ècr"t"LV
Èv ~µrv voü xal cppov~creroç· -roü-royècp µ6vov
foixev EL'l/l:L "t"WV~µr."t"éprovix8<XVIX"t"OV
XIXLµ6vov 8efov [••.] '·o voüç
yècp ~µwv 6 8e6,;', ehe 'Epµ6-rLµoç ehe 'Ava~ixy6paç efoe "t"OÜ"t"O, La
mention d'Hermotime et Anaxagore a paru suspecte à plusieurs
historiens : la phrase entre guillemets serait en réalité un mot célèbre
268 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

sentence pour obtenir approximativement l'idée que


Dieu est voüi;.
(2) Dire que l'intellect de l'homme est divin n'empêche
pas de penser qu'il doive être inférieur à l'intellect de Dieu.

d'Euripide (extrait d'une tragédie inconnue, c'est le fgt 1018 NAUCK1 ,


p. 684-685, dont la forme complète se lit: ô vou,;;ycxpijµwv èo--nvèv
èx<icr't'<J>
6e6,;;); Aristote, selon son habitude (cf. supra, n. (2) de la
p. 263), l'aurait cité sans le nom du poète ; c'est Jamblique qui, intrigué
par cette citation qu'il ne savait pas identifier, l'aurait rapportée à
Hermotime ou Anaxagore, par comparaison avec Metaph. A 3,
984 b 15-20, où Aristote prononce en effet ces deux noms conjointe-
ment à propos de la doctrine du vou,;;.Telle est l'explication adoptée
par E. BrGNONB,op. cit., I, p. 234-235 ; R. A. GAUTHIERet J. Y. JoLIF,
op. cit., p. 876 ; I. DÜRING, op, cit., p. 266 (qui critique sur ce point
J, H. WASZINK, Traces of Aristotle's Lost Dialogues in Tertu/lian, dans
Vigil. christ., 1, 1947, p. 142-143). Elle ne semble pourtant pas entière-
ment convaincante, pour les raisons suivantes. (1) Elle fait fonds
gratuitement sur l'ignorance de Jamblique ; or la sentence, célèbre
à l'époque d'Aristote, a continué de l'être longtemps après lui,
puisqu'on la trouve chez Gcéron (Tuscul. I 26, 65), chez Plutarque
(Platon. quaest. 1, 999 D ; rapportée à Ménandte, qui doit l'avoir
reprise d'Euripide), et même chez Némésius (De nat. hom. 44, PG 40,
797 A ; rapportée à Euripide et à Ménandre) ; il est à remarquer
que Plutarque la cite exactement dans les mêmes termes qu'Aristote ;
JULIEN, Oral. IX (Contre les ryniques i,gnorants) 15, 196 d, reproduit
approximativement la formule ('t'0 èv iJµ.îv 6e0, 't'oth' è<J't'l't'CJlvc'j>),
sans nom d'auteur ; mais il l'emprunte à Jamblique, cf. R. AsMus,
Der A/kibiades-Kommentar des Jamb!ichos ais Hauptquel!e fiir Kaiser
Julian, dans « Sitzungsber. der Heidelb. Akad. der Wiss. », Philos.-
hist, Kl., 1917, 3, Heidelberg 1917, p. 19, et supra, p. 107, note (2).
(2) Il est difficile de penser que Jamblique ait pris sur lui d'introduire les
noms d'Hermotime et d' Anaxagore sur le vu du passage de la Métaph.;
car ce texte, s'il traite bien du voue;, ne contient aucune allusion à sa
nature divine, qui est l'essentiel dans la citation controversée ; les
deux morceaux étant à ce point différents, on ne peut raisonnablement
prêter à Jamblique d'avoir transféré à l'un les auteurs invoqués dans
l'autre. (3) On sait que Jamblique fait dans son Protrept. quantité de
citations anonymes, sans en être gêné le moins du monde ; pourquoi
aurait-il éprouvé le besoin de signer justement celle-là ? (4) Il n'est
pas interdit d'envisager que le mot en question ait vraiment eu pour
auteur Anaxagore (sinon Hermotime !), à qui Euripide l'aurait
emprunté ; l'influence de ce philosophe sur ce poète n'est plus à
démontrer ; qu'elle ait porté, entre autres, sur la croyance à la nature
divine de l'intellect humain, c'est ce qui ressort d'une scholie (qu'aurait
dû citer Nauck) aux Troy. 886 (Zeu,;;,[... ] i.tn voue;~po't'wv, cf. supra,
p. 262 et note (4), éd. Schwartz, II, p. 366, 19-20: Kcd ycxplvLo( q,œcrLv ·
TRANSCENDANCE DB L'INTELLECT DIVIN 269

C'est 'ce que laissent entendre plusieurs passages de la


Métaph. A : Dieu jouit en permanence d'une béatitude
supérieure à celle qui n'est la nôtre que par moments,
7t'OT& 1 o 81::ài:;
~µ.i::~i:; &.d (7, 1072. b 2.4-2.6); son intellect est

ô vov; 7Jµwv [ô] 6s:6i; · ôpµwv't'otL8è tx 't'ùlV'Avoc.1;oc.yopeloov


J.,.6yoov;
cf. L. PARMENTIER, Euripide et Anaxagore, dans« Mémoires de l'Acad.
royale de Belgique», 47, 1892-1893, p. 70-n, qui a bien mis en
évidence (contre P. DECHARME,Euripide et Anaxagore, dans Revm de.r
Étude.r grecqm.r, 2, 1889, p. 242) l'inspiration anaxagoréenne de
Troy. 884 sq. et du fgt 1018 ; et récemment F. LAMMLI, Vom Chao.r
z.um Ko.rmo.r.Zur Geschichte einer Idee, dans « Schweizerische Beitriige
zur Altertumswiss. », 10, Base! 1962, p. 96. On aura remarqué l'identité
rigoureuse entre la formule que la scholie rapporte à Anaxagore
et celle que reproduit Aristote. Dans ces conditions, le plus simple
est de supposer qu'Aristote a lui-même attribué sa citation anaxago-
réenne à Anaxagore (à qui il aura adjoint Hermotime comme dans la
Métaph.); l'invocation d'Anaxagore revient d'ailleurs deux autres
fois dans les fragments du Protrept.: fgt 5 a, p. 30, et fgt 11, p. 45. Voir
encore M. DETIENNE, Les origine.r religieu.re.rde la notion d'intellect :
Hermotime et Anaxagore, dans Revm philos., 89, 1964, p. 167-178.
E. R. DODDS, The Greeks and tbe Irrational (« Sather Lectures» 25),
Berkeley-Los Angeles •1964, p. 143 et p. 164, n. 50, va jusqu'à supposer
que c'est Anaxagore lui-même qui a pu se réclamer de l'autorité
d'Hermotime. Le fgt 10 c 1° du Protrept. doit donc être inséré dans les
te.rtim. relatifs à Anaxagore à côté du A 58 (Metapb. A 3, 984 b 15-20),
moins discrètement que ne le font DIELS-KRANZ(A 48, II, p. 19, 37)
et, récemment, D. LANZA, Anas.ragora. Testimonianze e frammenti,
dans« Biblioteca di Studi sup. >>,52, Firenze 1966, p. 96 (voir toutefois
la note de ce dernier sur A 58, p. 112). - Il est intéressant de noter
que l'on retrouve une formule très semblable, sans indication d'auteur,
dans le Corp. hermet. XII 1, éd. Nock, p. 174, 7-9 : ou-roi; 8è ô vovi;
0e6i; fo-rt · 8io xoc.l't'LVE:Ç
iv µèv civ0pwi't'O(Ç 't'WVciv0pwn:oov0e:ol etcn
(comparer JAMBLIQUE,/oc. cit. : 0e:6ve:!voc.t -rbv &v0poon:ov);W. ScoTT,
Hermetica, t. II, Oxford 1925, p. 340, note ad foc., n'a pas vu le rattache-
ment à Euripide-Anaxagore. Peut-être est-ce de là qu'elle a passé,
attribuée cette fois-ci à Platon {Lois X 897 b ?), chez FULGENCE,
Virgil. contin., éd. Helrn, p. 88, 2-5 : « ... illam nihilominus Platonis
antiquam fumantes sententiam, ubi ait : voüi; &v0pwmvoi;0e:6ç [... ],
id est : sensus hominis deus est». L'idée pourrait être d'origine
pythagoricienne ; en même temps qu'à Anaxagore, elle est attribuée
à Empédocle; cf. SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. I 303 : ô 'Eµi't'. 0e:bv
èoc.u-rôv7tpocr7Jy6pEucre:v,
in:d µ6voi; xoc.0oc.p6v &n:6 xoc.xloc.ç
't'l)p~croti;
'l'ÔVvovv xoc.1&vEm06À6l'l'OV-réjitv S:otU'l'éji
0Eéji't'OV~X'l'ÔÇ
Kot't'E:LÀ'l)<j)EV
;
le contexte concerne la connaissance du semblable par le semblable ;
le sens est donc : l'intellect humain, puisqu'il saisit Dieu, doit être
lui-même dieu.
270 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

incapable de penser le pire, ainsi qu'il nous arrive de le


faire (9, 1074 b 31-34) ; il ne change pas, puisque son objet
n'est pas composé, privilège qui ne nous échoit que pour
de brefs instants (1075 a 5-9), etc. Mais la transcendance
de Dieu relativement au voüç humain n'apparaît sans doute
nulle part aussi clairement que dans une page de l' Étb.
Eud. VIII 2, dans laquelle W. Jaeger 1 a discerné avec raison
un parallèle frappant au Ile: pt e:ùX1jç : si l'on recherche,
y est-il dit, le principe du mouvement dans l'âme, on
découvre que c'est manifestement Dieu, moteur universel ;
certes, l'élément divin en nous (notre intellect) nous meut
aussi en quelque façon ; pourtant, le principe de notre
pensée ne peut être notre pensée, mais bien un être
supérieur ; or, qu'y a-t-il de supérieur à la science, à l'intel-
lect, à la délibération, sinon Dieu ?2

L'œuvre d'Aristote, y compris l'œuvre perdue, offre donc


une solide caution aux deux propositions que Bernays et
ses successeurs discernent dans le fragment du Il e:pt
e:ùx.'Yj
ç. Encore faut-il s'assurer que ces propositions
reflètent fidèlement le contenu du fragment. On peut

(1) Op. cit., p. 2.40. Admis par H. CHERNrss, op. cit., p. 609, le rap-
prochement indiqué par Jaeger a été repris récemment par Ph. MERLAN,
Monop.rychis1J1, Mysticism, Metar:onsciousness.Problems of the Soul in the
Neoaristotelian and Neoplatonic Tradition, dans « Archives internat.
d'Histoire des idées», 2., The Hague 1963, p. 8. Enfin, c'est tout ce que
trouve à dire sur le II. e:ôx~ i; A. H. CHRousT, A Note on Some of the
Minor Lost Works of the Young Aristotle, dans Tijdschrift voor Filos.,
27, 1965,p. 310-311 (p. 311,n.4).
(2.) Eth. Eud. VIII 2., 12.48 a 24-32. : To 3è: ~11-rouµ.e:vov
Toih' Ècr't"l,
&px-lJEVtjj tJiux'ii-/j,_~).ov3-lj &crm:p èv 't"<jlÔÀ4)
't"L;~ T'ijc;)WJ~cre:ùli;
0e:6i;, x&v èxe:lv4>.Kwe:1 y&:pn-ùl<;n-ocvT°''t"Oèv ~µ.iv 0e:iov · Myou
3' &px-lJou Myoi;, &MocTl xpdnov · Tl oi5v &v xpe:i't"'t"ov
xa;l i!:m-
crtjµ."l)çet"/)XO(L
VOUn-">..-ljv
0e:6c;; [... ] "Exoum ycl:p &:px-lJv't"Oltz\J'n)V
~ xpe:krùlv TOUvou x°'l T'iji; ~ou">..e:ucre:ùlc;. Sur la relation entre 't"O
èv ~µ.1v 0dov et l'idée de prière, cf. JAMBLIQUE,De myst. I 15, éd. des
Places, p. 65, disant que ce qui en nous est divin s'éveille dans les
prières (To ycl:pOdov èv -1)µ.îv[... ] èydp~'t"O(('t"6tt EVO(pywi; èv TO(ÎÇ
e:ùx°'îç), pour aspirer à la divinité qui lui est semblable et s'unir à la
perfection en soi ; texte cité par H. P. EssER, diss. cil., p. 71 et n. 4.
FAIBLESSES DE L'INTERPRÉTATION DE BERNAYS 271

en douter. Dans la perspective de ces historiens en effet,


à la première partie du texte d'Aristote (à 0eàç ~ voüç
fo-nv), la seconde (~ xocl.ènéxeLvoc·n -roü voü) apporterait
une précision complémentaire, que l'on peut par exemple
introduire par « plus exactement » : « Dieu est intellect,
plus exactement un intellect qui transcende celui de
l'homme » ; nulle rupture d'un membre à l'autre de
la phrase, mais un développement, une progression, une
continuité. Que l'on nous explique alors comment Aristote,
pour rendre cette continuité, a justement choisi une
tournure disjonctive (~ ... ~ xocl.... ) dont le propre est
d'exprimer la discontinuité ! De plus, l'interprétation de
Bernays impose au mot voüç un notable changement de
sens entre le premier emploi et le second : il y aurait de
l'un à l'autre, si l'on peut dire, passage du genre à l'espèce,
du voüç en général au voüç humain. Mais un tel glissement
sémantique, en si peu d'intervalle, apparaîtra bien impro-
bable ; il enlève tout son nerf à la phrase, dont le
mouvement naturel exige, semble-t-il, que l'on conserve
au mot voüç la même pleine extension du premier membre
au second. La façon dont Simplicius utilise le fragment
est certes loin de faire foi ; on ne peut pourtant la négliger ;
or, nul doute qu'il a entendu rnéxeLvoc -rL -roü voü dans
l'acception la plus ample, et non pas dans le sens restrictif
d'un principe supérieur seulement à l'intellect humain ;
on se rappelle en effet qu'il invoque cette formule pour
établir qu'Aristote a conçu l'existence d'une réalité qui
transcende le voüç et l'oùcrloc, c'est-à-dire la deuxième
hypostase plotinienne, sans aucune limitation.
Quant à l'identification de l'ènéxeLvoc 't"L-roü voü à la
v6îJO"LÇ vo~crewç, elle est solidaire de la réduction du voüç
à l'intellect humain, et donc vulnérable aux objections
précédentes. Peut-être se heurte-t-elle aussi à un obstacle
particulier, que voici. A supposer, comme le veut Bernays,
que la doctrine de la v6îJO"LÇ vo~crewç ait commandé tout
un dialogue IIe pl. e ù X=ijç, il a dû nécessairement s'établir
272 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

un lien entre cette doctrine et la pratique, ou du moins


la notion de la prière. Dans ces conditions, il devient
inexplicable que les développements relatifs à la v6ricnc;
vo~ae:wç dans les traités scolaires d'Aristote, à commencer
par la Métaph. A, n'accordent pas à la prière la moindre
mention. Non que les mots e:ùx~ et e:üxe:a0ocL soient absents
du corpus aristote!icum; mais, quand ils y apparaissent, ce
n'est jamais, semble-t-il, pour véhiculer un contenu
religieux ou philosophique authentique1, c'est chaque
fois pour fournir un exemple en rhétorique ou en logique 2,
pour évoquer une «prière» historique ou mythique 3,
ou enfin pour rendre l'idée banale et en quelque sorte
laïque de «souhait» ou de « souhaiter »4. L'absence de
toute référence à la prière en Métaph. A, la considération
dont la prière était forcément l'objet dans le Il e:pl. e:ùx-ïjc;,
voilà le signe que ces deux écrits ne pouvaient procéder
de la même théologie ; c'est dire que la théorie de la v6l)O"LÇ
vo~ae:wç a peu de chances d'avoir inspiré l'auteur du
dialogue ; Bernays aura été abusé par le désir de découvrir
coûte que coûte dans les dialogues d'Aristote un « rapport
à ses œuvres conservées »5•
Enfin, l'invocation de l' Éth. Eud. VIII 2, pour appuyer
l'explication de Bernays 6, semble bien être une initiative

(1) Comme l'a observé H. SCHMIDT,op. cil., p. 18.


(2) Ainsi Rhet. III 2, 1405 a 18 (exemple de métaphore) ; Poe/. 19,
1456 b 11 et 16 (la prière comme crx_'ijµct
)..é:E,e:w,;)
; De interpr. 4, 17 a 4
(ex. de discours ni vrai ni faux).
(3) Par exemple Polit. I 9, 1257 b 16 (vœu de Midas) ; III 16, 1287
b 14 (d'Agamemnon) ; IV 11, 1295 b 33 (de Phocylide).
(4) Nombreux exemples, notamment dans la Polit.; cf. H. BONITZ,
Index aristot., p. 303 a 42-59.
(~) Je m'aperçois tardivement que deux points essentiels de ma
démonstration (irréductibilité à l'intellect humain du voü,; de la
seconde partie du fragment ; irréductibilité de la théologie du
II. e ÙX.'ij,; à celle de la Métaph. A) sont déjà admis par H. J. KRAMER,
Der Ursprung der Geistmetaphysik. Untersuchungen z.ur Geschkhte des
Platonismus zwischen Platon und Plotin, Amsterdam 1964, p. 135-136.
(6) Bernays lui-même ne fait pas appel à ce texte ; quant à Jaeger,
qui le rapproche du fgt du II. e:ùx'ij,;, il s'abstient d'attribuer à ce
LA PAGE D'ETH. EUD. VIII 2 273
peu opportune. Sans doute ce texte, comme on l'a vu,
parle-t-il clairement d'un Dieu supérieur à l'intellect
humain ; mais la suite donne à entendre non moins
clairement qu'un tel Dieu n'est pas l'intellect qui se pense
lui-même. On connaît l'intention du passage : il s'agit de
déterminer le secret de la réussite ; on ne peut le trouver
au niveau des opérations psychologiques de l'homme
qui réussit, car on en remonterait en vain l'enchaînement
sans jamais arriver à une origine ; il faut donc les rattacher
à un principe d'un autre ordre, lui-même dépourvu de
principe, supérieur à l'intellect humain et à ses facultés,
et qui ne peut être que Dieu. Cette page présente, dans
le détail, de grandes difficultés d'interprétation, mais le
sens général en est assez limpide 1 • Or, comme l'a fortement
montré H. von Arnim 2, elle atteste des conceptions
théologiques tout à fait différentes de celles que l'on
relève dans les autres œuvres d'Aristote, en particulier
dans la Métaph. A. Sans doute cette &.px_~, ~c:;oùx fonv OCMYJ
Ë~w (1248 a 23) ferait-elle à la rigueur penser au Moteur
immobile. Mais, à côté de cette analogie, que d'opposi-
tions ! Si le Dieu de l' Éth. Eud. est le principe du succès
propre aux hommes fortunés, il est dépourvu de l'immuta-

dialogue la doctrine de la v6ricrn; vo~cre:roç; c'est H. CHERNrss,op. cit.,


p. 609, qui juxtapose l'explication par la v. v. et le recours à l'Éth. Eud.
(1) Elle a été souvent étudiée ; cf. par exemple J. CROISSANT,
Aristote et les mystères, dans c<Biblioth. de la Fac. de Philos. et Lettres
de l'Univ. de Liège», 5 1, Liège-Paris 1932, p. 26-33 ; P. AuBENQUE,
La prudence chez Aristote, thèse Paris, dans ccBiblioth. de Philos.
contemporaine», Paris 1963, p. 71-75 ; et surtout le riche commentaire
de F. D1RLMEIER,Aristote/es, EudemischeEthik, dans ccArist. Werke
in deutscher Übersetzung >>(E. Grumach), 7, Berlin 1962, p. 490-492.
(2) EudemischeEthik und Metaphysik, dans ccAkad. der Wissensch.
in Wien, Philos.-hist. KI. ,,, Sitz.ungsber.,2.07, 5, 192.8, p. 19-22. ; notre
texte de l' Éth. Eud. fait l'objet des pages 17-25. Il est surprenant que
W. JAEGER,op. cit., p. 2.38-246, ait fermé les yeux sur le contraste entre
cette page de l'Éth. Eud. et la Métaph. A ; c'est qu'il tenait les deux
textes pour contemporains, cf. infra, p. 275, n. (1); voir l'étonnement
justifié de R. A. GAUTHIERet J. Y. JoLrF, op. cit., I : lntrod. et trad.,
Louvain-Paris 1958, p. 27*.
274 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

bilité que lui réserve la Métaph. A (cf. 7, 107z b S : oùx


èv8É:)(E't'ci:t
&Mwç fy_zLvoùSo:µ&ç) ; car le succès, aussi inso-
lent qu'on le suppose, traverse des éclipses, et la 0do: Etl't'U)(LO:
est seulement donnée pour plus continue, cruvzx~ç [... ]
µiiÀÀov(1z48 b 7), que la chance d'origine naturelle. Alors
que le voüç divin de la Métaph. A n'a d'autre objet que
soi-même, le Dieu de l' Éth. Eud. doit sortir de soi pour
inspirer l'homme fortuné, et s'intéresser à des objets
extérieurs, 't'OÜ't'O
xo:l Eù opq. xo:l 't'Ôµé:Uov xo:l 't'Ô()\1(1Z48
a 38-39). Mais c'est surtout par la façon dont s'exerce
l'influence divine sur les zù-ruxdç que l' Éth. Eud. apparaît
irréductible à la Métaph. ,· car Dieu n'agit pas sur leurs
fonctions rationnelles (intellect, raisonnement, délibéra-
tion), mais directement sur leur partie irrationnelle ; plus
les hommes répudient la raison, plus ils s'abandonnent
aux impulsions incontrôlées, et mieux ils se prêtent à la
motion de la 01do:zihux[o: (1Z48 a 31 : x;,_-rop0oücnv&"AoyoL
()\l"t'EÇ
; 34 : &"AoyOL yocp ()\l't'EÇ
rnL't'UY)(IX\IOUcn;
39 : OC1tOÀU€-
't'O:LOMyoç ; a 40-b 1 : ioLXEyocp~ ocpx'YJ OC1tOÀuoµé:vou 't'OÜ
Myou tcrxuew a
µii,,).ov; b 5: XIX't'OCtjv opµ'l)VSwp0w't'tx6ç)1.
La théologie eudémienne donne lieu ici à une profession
d'irrationalisme tout à fait singulière 2 ; elle fait penser
à ce que seront, dans l'histoire du christianisme, certaines

(1) Noter qu'Aristote lui-même prend le contre-pied de ces vues au


début du De diuin. per somnum (Parua natur.) 1, 462 b 20-22 : entre
autres absurdités, c'en est une que d'admettre à la fois que c'est Dieu
qui envoie les songes divinatoires, et qu'il les envoie, non pas aux
meilleurs et aux plus sages, mais indifféremment à n'importe qui
(µ.7)-roîç [3e:hla-rotç xo-:l <ppovLµw-roc-roLç
à;)..).,,x-roîç -ruxoüat) ; 2, 463
b 15-18 : ce sont les hommes tout à fait vulgaires (rrocvuy<ip e:û-re:Àe:i:ç),
les bavards et les mélancoliques qui sont favorisés de songes prophé-
tiques, lesquels ne peuvent donc être envoyés par Dieu ; cf.
P. SrwEK, Le Dieu d'Aristote dans les dialogues,dans Aquinas, 12, 1969,
p. 22-24.
(2) Singularité trop peu soulignée par J. CROISSANT, op. cit., p. 28
et n. 2, qui rapproche d' Eth. Eud. VIII 2 Ana{yt. poster. II 19, 100 b 10-
17 (le voüç comme principe suprême de la science) et De an. III 5 (le
voüç agent), alors que c'est les différences qui s'imposent surtout
à l'attention.
L'ETHIQUE A EUDEME ET LE DIALOGUE 275

interprétations excessives du dogme de la prédestination.


Elle se situe en tout cas fort loin de la nature noétique
de Dieu telle que la posera la Métaph. A 1 ; un Dieu qui
se communique seulement à ce qui, dans l'homme, est
inférieur au voüc;,a peu de chances d'être lui-même voue;,et
encore moins v61Jmc;vo~crewc;; on aura d'ailleurs remarqué
que notre page de l' Éth. Eud. n'accorde nulle part à Dieu
la qualité de voue;. De toute l'œuvre d'Aristote, elle est
peut-être la plus impropre à fonder l'interprétation de
Berna ys relative au Il ë pt ë ùX=ïjc; : à ce point étrangère
à la Métaph. A, elle ne peut inciter à projeter dans le dialogue
la théologie de la Métaph. A. Mais ce n'est pas à dire, bien
au contraire, qu'elle n'ait rien de commun avec le même
dialogue ; car sa conception d'un Dieu présenté, non pas
comme un voue;, mais comme 't't xpei't''t'OVvoü, se rencontre
de façon frappante avec la fin du fragment, selon laquelle
Dieu serait È1téxewix't't 't'OÜvou ; le rapprochement proposé

(1) On pourrait s'attendre à ce que ces pénétrantes observations


d'Arnim le conduisent à poser l'antériorité de l'Éth. Eud. relativement
à la Métaph. A. En réalité, prisonnier d'une théorie fondée sur d'autres
arguments, il tient pour la chronologie inverse, qu'il essaie à grand-
peine de justifier ici : ne pouvant s'en tenir à la doctrine d'un esprit
divin qui ne connaît que soi et ignore le monde, l'auteur du livre A
y avait déjà amorcé une conception personnaliste de la divinité ;
c'est cette façon de voir, encore implicite dans la Métaph., que dévelop-
pera à plein l'Éth. Eud. Nul besoin aujourd'hui de ces explications
embarrassées, puisqu'on a généralement abandonné la chronologie
d'Arnim; à la suite des travaux de W. ]AEGER, op. cit., p. 228-258,
on regarde l'Éth. Eud. comme l'Urethik, non éloignée du Protrept.
(cf. F. NuYENS,op. cit., p. 185-189 ; R. A. GAUTHIER et J. Y. JouF,
op. cil., p. 26*-30* ; F. DIRLMEIER, op. cit., p. 136-143 ; toutefois
certains historiens tiennent l'Éth. Nic. pour antérieure à l'Éth. Eud.;
ainsi D. J. ALLAN,Quasi-mathematical Method in the Eudemian Ethics,
dans Aristote el les problèmes de méthode, coll. « Aristote. Traductions
et études», Louvain-Paris 1961, p. 303-318) ; quant au livre A de la
Métaph., que Jaeger encore tenait pour presque entièrement platonicien,
on le croit maintenant bien plus tardif (cf. F. NUYENS,op. cit., p. 181-
184). Les analyses d'Arnim sur l'opposition entre Eth. Eud. et
Métapb. A, si elles ont perdu de leur paradoxe, gagnent encore en
solidité,
276 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

par Jaeger garde donc toute sa valeur ; mais, au lieu


d'assurer l'exégèse de Bernays, il dissuade, semble-t-il,
de l'accepter.

2.. L'explication par une allusion à Platon.


Il faut se résigner à prendre le fragment du IIe: p L e:ù :;cii
ç
pour ce qu'il est : l'affirmation de deux éventualités
nettement distinctes, l'une selon laquelle Dieu serait
intellect, l'autre selon laquelle il serait une réalité au-delà
de l'intellect, ce dernier mot étant pris dans son sens le
plus large, sans limitation au domaine anthropologique.
Malgré le précédent peu encourageant de Bernays, on ne
peut se dispenser de confronter ces doctrines avec celles
du corpusaristotelicum.La première proposition du fragment
n'offre à cet égard aucune difficulté, puisqu'elle consonne
parfaitement, on l'a vu, non seulement à la théologie des
traités scolaires, mais aussi à celle du Protreptique. Il en
va tout autrement de la conception de Dieu comme
btéxe:Lvoc-n -rou voü. Théoriquement du moins, cette
formule ne peut être entendue que de deux façons, d'ailleurs
plus ou moins corrélatives : (1) Dieu se situe au-delà
de l'intellect dans l'échelle ontologique ; (2.) il est hors
de prise de l'intellect qui voudrait le connaître, il est
non intelligible. Or il apparaît qu'aucune de ces deux
interprétations n'est conciliable avec la théologie du
corpus.
(1) Posant que Dieu est intellect, l'auteur de la
Métaph. A est conséquent avec lui-même en affirmant
qu'en valeur comme en puissance, rien ne dépasse l'intellect:
celui-ci est ~ &.p[cr-nioùcr[oc(9, 1074 b 2.0), ou encore -rà
xpoc-ncr-rov ~ ô vouç
(b 34) ; il n'y a rien qui soit ·nµLW't'e:pov
(b 30) ; son objet, qui ne diffère pas de lui-même, est
't'à 0e:L6-roc't'ov (b 2.6). Comme l'observe
xoct 't'Ll'-LW't'OC't'OV
excellemment H. Cherniss1, c'est au nom de cette supré-

(1) Op.&it., p. 609 ; il s'agit du testim. :is ç LANZA sur Anaxagore.


RIEN AU-DESSUS DE L'INTELLECT 277

matie de l'intellect qu'Aristote critique la noétique


d' Anaxagore, puisqu'il lui reproche de concevoir un
intellect qui meut en vue d'une fin différente de lui-même,
XLVE:L Ë--re:pov(10, 1075 b 8-10). Plotin 1
gve:x&:'twoc;, &cr--re;
ne trahira pas Aristote quand il lui prêtera d'avoir identifié
le Premier principe à l'intellect, au lieu de rechercher
celui-là au-delà de celui-ci 2 •
A la différence de tel autre système, l'aristotélisme
n'autorise même pas l'échappatoire qui consisterait à
établir au-dessus de l'intellect un monde intelligible.
Car la Métaph. A précise que l'intelligible est intérieur
à l'intellect comme à son réceptacle (7, 1072 b 22 : --ro
yixp oe:x--rLxov --roüVOYJTOÜ xcd -njc; oôcrl(Xc;
voüc;), et qu'il y a
identité entre l'intellect et son objet (9, 1075 a ;-4 : oüx_
hépou oôv ov--roc;-roü voouµévou X(X1-roü voü). A quoi fait
écho, dans le domaine psychologique, le De an. affirmant
que l'âme noétique est le lieu des formes intelligibles (III 4,
' .r.
429 a 27-2 8 : 't""f)V ' E:LV(XL
,, 't"07t0V
't'UX.YJV ' •~~ 7tA"fJV
E:Lo<,>V,'' un ~ ~ ou-re;

ISÀYJ &).).,' ~ V07JTLX~), ou encore que, touchant l'immatériel,


l'intellect et la science en acte coïncident avec leur objet
(4, 430 a 2-4; 5, 430 a 19-20).
(2) Quant à la possibilité que Dieu se dérobe à la saisie
par l'intellect, Aristote semble bien ne l'avoir jamais
envisagée ; d'un bout à l'autre de son développement
philosophique, il a considéré la divinité comme l'intelligible

(1) Enn. V 1, 9, 7-9, éd. Henry-Schwyzer, p. 282 ; cf. Ph. MERLAN,


op. cit., p. 5.
(2) Simplicius, on l'a vu, arguait de nn-éx.:iv&: ·n -roü voü pour
conclure qu'Aristote aurait conçu l'existence d'une réalité supérieure
également à l'oùcrloi; mais ce dernier point est lui aussi contredit par
plusieurs passages de la Métaph., où l'oùcrloi apparaît comme l'être
premier et absolu (Z 1, 1028 a 30-31), ou encore comme l'objet de
la plus haute des sciences théorétiques, à savoir la philosophie première
ou théologie (E 1, 1026 a 29-30 ; K 7, 1064 a 33-35) ; Ie Moteur
immobile est d'ailleurs appelé oùcrloi (A 7, 1072 a 25), ainsi que
l'intellect divin (9, 1074 b 20).

19
278 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

par excellence 1 . Déjà dans le Protreptique, la sagesse


contemplative, dont il est fait un éloge si pénétré 2, a
pour objet tout ensemble les réalités les plus divines 3
et ce qu'il y a de plus connaissable parmi les êtres 4 • La
Métaph. A 2 contient également, dans un style très plato-
nicien5, une exhortation à la o-oqi(or. conçue à la fois comme
la science du suprême connaissable (-rnü (J-OCÀLO''t'otè:mO"TI')'t'OÜ,
982 a 3 1-b 2) et comme la science des choses divines (-r&v
6dwv, 983 a 7) telle que Dieu lui-même doit la posséder
par excellence et nous convier à la partager, puisqu'il
ne peut être jaloux (982 b 32-983 a 4). On pourrait imaginer
que le divin échappe à l'appréhension de l'intellect pour
se laisser saisir par quelque autre faculté ; mais pareille
éventualité apparaît exclue quand l' Éth. Nic. X 7, 11 77 a
19-21 affirme que, comme l'intellect est la plus haute de nos
facultés, son objet est le plus haut des objets qui peuvent
être connus (Kpoc-rLO"TI'J-rs:yocpocÜTI'J èo--rl.v~ è:vÉpys:toc
· xocl.
o
yocp voü,; 't'ù>Vè:v~(J-LV, xocl.'t'ù>Vyvwo--r&v,1ts:pl.& voüc;).o
Enfin, la Métaph. A 7, 1072 a 26-27 définit sans équivoque
que le suprêmement désirable, qui caractérise sans aucun
doute la divinité, est aussi le suprême intelligible (Ktvs:î:
8è: w3s: 't'O Ôps:x-rèvxocl.'t'O VOYJ't'OV· XLVEL où XtVOU[J-EVOC.
Tou"t'wv-roc1tp&"t'oc -rococù-rcx.).
On comprend que de telles considérations aient pu

(1) Bien noté par R. A. GAUTHIERet J. Y. JouF, op. çit., II :


Commentaire, 2, p. 858.
(2) Voir notamment les fgts 11 et 12 b Ross, p. 44-45 et 47, =
JAMBLIQUE, Proirept. 9·
(3) Fgt 13, p. 4s, = JAMBLIQUE, 10 : oô yo:p ivBéxE't'a:tµ-IJxa:Àoü
µlµllµet KCtÀOVdva:t, µll8è <µ-IJ> 6i;;lou xa:t ~EOOl:LOU 't'l)V tpucrtv
xa:t ~éôa:wv [•..] M6voç yo:p rrpàç 't'l)V tpucnv ~ÀÉ:rroov
&.0&.voi:'t'ov ~?i
xa:t rrpàç -ro 0i;;î:ov.
(4) F~ 14, p. 5':, = JAMBLIQUE, 11 : 6 tpp6vtµoç [...] lha:v tvi;;pY7i
xa:t TUYXCtV1) 6e:oopwv't"OµocÀtO''t"ct
't"WVilv-roovyvwptµov.
(5) Cf. Phèdre 247 a; Tim .. 29 e (la divinité exempte de jalousie) ;
Epin. 988 ab (encouragement à spéculer sur les choses divines).
Rapprocher Eth. Nic. X 7, 1177 b 31 sq., avec W. JAEGER,op. cit.,
p. 72 et n. 1.
L'INTERPRl1TATION DE FRANK 279
induire à retirer purement et simplement à Aristote la
paternité d'une représentation selon laquelle Dieu serait
rnéx&LVCX ·n TOÜ voü. L'authenticité du fragment n'est
pas pour autant mise en cause ; il ne semble pas d'ailleurs
qu'aucun historien ait jamais songé à la nier. Le texte
demeure tout entier de la main d'Aristote ; mais seule
la première proposition (la nature noétique de Dieu) y
exprimerait la pensée de l'auteur; dans la seconde, il
aurait, à côté de son propre point de vue, condensé l'essen-
tiel de la théologie de Platon. Telle est l'explication
proposée par E. Frank1, qui voit dans la relation de Dieu
au voüç un aspect majeur de l' « opposition fondamentale »
entre les deux philosophes.
Bien mieux que la précédente, cette interprétation
concorde avec la lettre du fragment : si le dessein d'Aristote
a été d'opposer à sa propre conception celle de son maître,
on s'explique qu'il ait usé de la formule disjonctive. Frank
n'exploite pas les facilités que lui offrait la forme probable-
ment dialoguée du Ilept eù;(rjç; mais il est concevable
qu'ainsi entendue, la phrase conservée par Simplicius
pourrait récapituler un échange de vues auquel Aristote
se serait antérieurement livré avec Platon, interlocuteur
habituel (suppose-t-on le plus souvent) des dialogues
exotériques. L'important reste évidemment de savoir
si Aristote pouvait légitimement attribuer à Platon d'avoir
défini la divinité comme è1téxe~vcx n TOÜ voü; la réponse
à une telle question exigerait une laborieuse enquête,
qui se heurterait à la grande imprécision théologique
des dialogues platoniciens ; on ne peut ici que se borner

(1) The FundamentalOppositionof Plato and Arùtotle, dans Amerkan


Journalof Philo!ogy,61, 1940, p. 179, n. 60 ; les pages 178-180 produisent
de nombreux textes du corpus destinés à montrer qu'Aristote n'a
jamais admis l'existence d'un principe supérieur à l'intellect. Cette
étude a été reprise dans E. FRANK,Knowledge,Will and Belief. collected
Essays ed. by L. EDELSTEIN,Zürich-Stuttgart 1955, p. 86-119 et
470-485 ; mais je cite la pagination du périodique.
280 LE DIALOGUE SUR LA PRIÊRE

à quelques sondages, qui suffisent, semble-t-il, à donner


corps à l'explication avancée par Frank.
Le premier texte auquel on pense est naturellement
celui de la Républ. VI 509 b, qui donne le bien pour différent
de l'essence et la dépassant en dignité comme en puissance,
oùx oùcrfo:ç/Snoç TOÜ&.ycx.0oü, &:'J.:A'
~TLÈ:1téxeL'\ICX.Tijç oûcrtcx.ç.
Sans doute l'oûcr(cx.n'est-elle pas le vouç. Mais la présence
du mot È:1téxeLvcx. (rare chez Platon en contexte philoso-
phique) est notable, et donne à penser qu'Aristote, s'il
vise Platon, devait avoir cette phrase en tête, au moins
dans sa forme. Peut-être même dans son fond. Car les
proches environs du passage offrent des traces d'une
confrontation entre l'idée du bien et l'intellect : s'il n'est
pas dit qu'elle le transcende, du moins lit-on qu'elle se
situe au terme du connaissable et qu'on a peine à la voir
(È:vTcj>yvwcrTcj>TEÀë:UTCX.[cx. ~ TOU &.ycx.0ou rnécx.xcx.t µ.6yLç
opiicr0cx.L,VII 517 b), ou encore que la saisir par la pensée,
c'est arriver au bout de l'intelligible (rn' cx.ÙTCÏ>[- .. ] Tcj>Tou
VO"IJTOU TéÀeL,53z ab). Bien plus, certains textes donnent à
entendre qu'une certaine génération de l'intellect est accom-
plie par l'être ou par le bien, d'où l'on pourrait induire que
ces principes sont effectivement È:1téxewocTL Tou voü :
l'homme qui s'unit à l'être véritable engendre l'intellect
(1tÀ"IJO"Loccrcx.ç
xcx.tµ.Lydç Tcj>ISvTLISvTwç,yew~crcx.çvouv, VI
490 b) ; comme le soleil rend possible la vue, le bien rend
... ] np6ç n vouv, 508 be); l'idée
possible l'intellect (T&.ycx.0àv[
du bien procure l'intellect (voüv 1tcx.pcx.crxoµ.évY), VII 517 c)1.
D'autres dialogues platoniciens pourraient fournir divers
éléments propres à compléter le témoignage de la
République. Aux termes du mythe du Phèdre, la divine
réalité supracéleste se laisse contempler par l'intellect, qui
est dit sa nourriture (0ecx.nivcj>[... ] vcj>[... ] Tpeqioµ.év"/J,z4 7 cd).

(1) Voir l'interprétation de ces textes par A. D1Ès, Autour de Platon.


E.r~ai.rde critiqueet d'hi.rtoirq,dans <<Biblioth. des Archives de Philos. »,
Pans 1927, II, p. 562-563.
L'AU-DELÀ DE L'INTELLECT 281

Les dernières pages du Philèbeétablissent le voüç fort en deçà


d'un bien suprême, qui est défini comme µ.hpov (66 ab) ;
or c'est la définition même de Dieu (o a~ 6e:oç~µ.îv 7t!XV't"W\I
X,p"l)µoc-rwvµ.é-rpov)que les Lois IV 716 c proposent en anti-
thèse du mot célèbre de Protagoras. On sait enfin que le
Ménon s'achève par des considérations sur la 6do: µoîpo: qui
se communique aux hommes d'État et leur permet de réussir
sans aucune intervention de leur intellect (6douç[ ...] 't"OUÇ
&vapo:ç,ot-nve:çvoüv µ.~ ~x.one:ç7tOÀÀOC X.O:L
µe:y!X.ÀocX.O:'t"Op-
6oüow, 99 c; &.pe:~[...] olhe: qiucm OU't"S aiao:x't"6\I,&.ÀÀoc
6d~
f,l,O(p~
1tocpo:yLyvoµ.év"I)
&ve:uvoü, 99 e); comme on l'a fort bien
remarqué 1, ces développements ressemblent étonnamment,
jusque dans les mots mêmes, à ceux de l' Eth. Eud. VIII 2.2
et ont toutes les chances d'en avoir été la source ; au même
titre qu'eux par conséquent, ils sont à verser au dossier
d'une théologie qui concevrait Dieu comme è1téxi::ivoc 't"L
't"OÜvoü. On en dira autant des pages de l'Ion sur l'inspira-
tion du poète, chez qui l'influence divine évince totalement
l'exercice de l'intellect (oTç voüç µ~ 1tocpe:O"'t"W,&.ÀÀ'o 6e:oç
o:Ù't"6çfo't"iv o "A.éywv,534 d; de même 534 bc)3.
On ne manque donc pas de textes platoniciens qui,
plus ou moins interprétés, pouvaient fonder chez Aristote
la conviction que son maître avait admis l'existence d'une
réalité d'un autre ordre que l'intellect en général et
supérieur à lui. Malheureusement, le corpus aristotelicum
n'offre guère de reflets d'une telle conviction ; on pourrait
toutefois en discerner un dans un passage de la Métaph. A 6,

(1) I. DÜRING, Aristotle in the Protrepticus ne/ mezzo del cammin,


dans Autour d'Aristote, Recueil... offert à A. MANSION (ccBiblioth.
philos. de Louvain J>, 16), Louvain 195 5, p. 93-94 ; le rapprochement
avec le Protrept., fgt 5 b Ross, p. 33, = JAMBLIQUE, Protrept. 6 (le
cpp6vtµoçcomme règle et définition des biens) apparaît moins justifié.
(2) Cf. supra, p. 270 et n. (2), et p. 272-276.
(3) On retrouvera certains de ces textes dans l'inventaire de
J. vAN CAMP et P. CANART, Le sens du mot 0EIO~ chez Platon, dans
ccUniv. de Louvain, Recueil de travaux d'hist. et de philologie»,
4e série, 9, Louvain 1956, notamment p. 43-44 et 50-53.
282 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

retenu à juste titre par E. Frank 1 en contraste avec les


déclarations d'Aristote sur la coïncidence des formes
intelligibles et de l'intellect divin : Platon, y est-il dit de
façon critique, a fait de l'Un une cause pour les formes, qui
sont par rapport à lui comme un substrat matériel (-roi:c;
8' d8ecr~ [câ-rwv] -ro ëv, xixt -r(c;1JÛÀ'fj 1) Ô1toxe~µh,1'7) xix8'
~c;[.•.] 't'O 8' Îv è:v't'OLÇernecr~)J;ye-rixi, 988 a 11-1 ;) ; sans
doute cela revenait-il à imputer à Platon d'avoir admis
l'existence d'un principe supérieur à la sphère de l'intellect.

En dépit de ses mérites, l'explication proposée par


Frank n'est pas exempte de faiblesses. Elle a d'abord contre
elle l'extrême difficulté que l'on rencontre (et que l'auteur
lui-même a connue, puisqu'il ne réussit à citer que les
passages du Phèdre et de la Répub/. VI) à repérer chez
Platon des déclarations tant soit peu précises en faveur
de l'existence d'une divinité qui serait è:1téxe~voc
n -roü voü.
Même si l'on parvient, au prix de beaucoup d'efforts,
à dégager la notion d'une réalité supra-intellectuelle, dans
quelle mesure est-on en droit d'identifier chaque fois à
Dieu une telle réalité? Identification fort problématique,
on le sait, en ce qui concerne par exemple l'idée du bien
dans la Républiqueou le lieu supracéleste du Phèdre. Sans
doute est-ce la raison qui a poussé H. Cherniss 2 à concevoir
autrement la référence à Platon qui pourrait subsister dans
l'è:1téxewoc't'~ 't'OU VOU du Ile pt e ùX.~<; : en définissant
Dieu par cette formule, Aristote aurait entendu, non
pas livrer l'opinion de son prédécesseur, mais peut-être
le critiquer implicitement d'avoir établi au-delà de l'intellect
une entité supérieure à Dieu même. C'est là subtiliser
beaucoup, car il y a peu de chances pour que Platon, qui
attribue la qualité divine à tant d'objets 3, l'ait justement

(1) Art. çit., p. 179.


(2) Op. rit., p. 609.
(3) Cf. A. DrÈs, op.cit., p. 555 : « Tout est dieu ou divin chez ce
trop divin Platon ».
DIEU COMME INTELLECT 283
déniée au plus sublime de tous. Mais la suggestion de
Cherniss doit au moins nous garder de créditer à la légère
Platon de la doctrine d'un Dieu supérieur à l'intellect.
A tout prendre, plus peut-être que la seconde, c'est
la première éventualité énoncée par le fragment, celle qui
regarde Dieu comme vouç, dont la teneur apparaîtrait
platonicienne. Sur ce point encore, on se bornera à relever
quelques indices, Si le démiurge du Timée ne constitue
probablement pas la suprême divinité, on sait qu'il est
pourtant appelé le dieu, ô 8e:6ç (ainsi 30 a et c, 31 b, 34 a
et c, 38 c, etc. ; cf. Soph. 2.65 c : 8.:oü ~'Y)µtoupyounoc;);
mais il est également désigné comme le voüc; qui voit
les Idées contenues dans le Vivant en soi (39 e). Avant de
réduire l'intellect au rang subalterne que l'on a vu, le
Phi!èbe exalte comme identique au bien un vouç 8ei:oç
qui n'est pas celui de l'homme (-r6v ye: oc):Y)fhvbv &µocxocl
8ei:ov0!µ1Xtvoüv, 2.2.c), mais le roi du ciel et de la terre (voüc;
Èa-rt ~ocm),e:ùc; ~µîv oùpocvoü'C'e:xocl fiic;, 2.8 c), l'intellect
souverain de Zeus (~occnÀtxôv~è voüv, 30 d) ; à Socrate
qui se prépare à parler pieusement du voüc;,Philèbe reproche
de glorifier son dieu (cre:µvuve:tç[
...] -rbvcre:ocu-rou
8e:6v,2.8ab)1 ;
la mention d'un \loue;8ei:oc;,dont l'adjonction rend divine
l'âme du monde, sera d'ailleurs reprise par les Lois X 897 b2 •
Un passage bien connu du Sophiste, 2.48 e-2.49 a, affirme
que !':Être universel possède le voüc;. Tout comme chez
Aristote, on trouve enfin dans les dialogues platoniciens
l'idée que l'intellect est le constituant divin de l'homme ;
de cette thèse du Protreptique, I. Düring 3 a rapproché

(1) Sur ces passages du Philèbe,voir J. VANCAMPet P. CANART,


op. cil,, p. 237-238 ; G. FRANÇOIS,Le pofythéismeet l'emploi au singulier
des mots E>EO.E,-1.AIMQNdans la littératuregrecqued'Homère à Platon,
dans « Biblioth. de la Fac. de Philos. et Lettres de l'Univ. de Liège»,
147, Paris 1957, p. 298-299.
(2) a. AÉTIUS,Plac. I 3, .21, dans DIELS,Doxogr., p. 288 a 2 : 0 aè
Oeàr;voür; ÈO"-rL -roü x.60-µou (rapporté à Platon).
(3) Aristotle' 1 Protreptirus, p. 265 ; l'origine de cette doctrine
traditionnelle est discernée chez Diogène d'Apollonie, apud THÉO-
284 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

les Lois IX 875 c, qui célèbrent en effet l'universelle


domination du vouç, et par conséquent de l'homme à qui
le vouç serait divinement imparti ; à quoi l'on pourrait
ajouter le Premier Alcibiade 133 c, où la partie intellectuelle
de l'âme est déclarée la plus divine : qui la regarde découvre
à la fois 6e:6v -re: Xtl.L rpp6vricnv1 • On voit la conclusion à
laquelle aboutit cette rapide enquête : l'analyse doctrinale
ne confirme pas la dualité d'origine que Frank pensait
discerner entre le Dieu-voüç attribué à Aristote et le Dieu-
&7t'Éxe:Lvoc
-ri -rou vau supposé platonicien ; ce sont les deux
représentations (et même la première plus certainement
que la seconde), c'est-à-dire la totalité du fragment
aristotélicien, qui pourraient, si l'on veut, porter la marque
de Platon 2 •
Au surplus, si Aristote s'était proposé d'énoncer,
après sa propre opinion, celle - toute différente - de
Platon, il eût dfr marquer, d'une façon ou d'une autre,
sa réprobation pour la seconde ; au lieu de quoi on le
voit les présenter côte à côte, disjointes sans doute, mais
mises sur un pied de parfaite égalité, comme s'il aban-
donnait au lecteur le soin de choisir indifféremment entre
l'une et l'autre. L'ordre même de l'exposition serait

PHRASTE,De sens. 42, = A 19 DrnLs-KRANZ, II, p. 56, 3-4. Quantité


d'autres textes platoniciens pourraient être cités à cet égard ; ainsi
Phédon 80 ab; Républ. IX 589 d-590 d; X 611 e,· Tim. 41 c,· 69 d; 72 d;
88 b; 90 a et c ,· Lois V 726 a; X 897 b; 899 b-900 a, etc. ; Cicéron
ne manquait pas de cautions quand il écrivait, De nat. deor. I 12, 30 :
1<Idem [se. : Plato] et in Timaeo dicit et in Legibus et mun-
dum deum esse [... ] et animas>>. Aussi est-ce de Platon, plus que du
Protrept. d'Aristote, que serait inspirée la célèbre formule de CrcÉRON,
Somn. Scip. 8, 2.6 : « Deum te igitur scito esse», selon Ch. JossERANn,
L'âme-dieu. A propos d'un passage du « Songe de Scipion >>,dans l' Antiq.
class., 4, 1935, p. 144-145.
(1) Cf. G. FRANçms, op. cit., p. 263.
(2) Comparer avec l'appréciation d'A. DrÈs, op. cit., p. 564: « Ainsi,
pour la pensée platonicienne, on peut dire et l'on doit dire que
!'Intellect est Dieu, mais que l'Être est plus divin que l'Intellect,
parce que l'Être ou le divin est la source à laquelle Dieu lui-même
participe >>.
OBJECTIONS CONTRE LA THÈSE DE FRANK 285

surprenant ; certes, Aristote n'a pas l'habitude de rien


celer des thèses de ses adversaires ; mais, comme il l'a
souvent rappelé1, il les considère comme des apories
destinées à éveiller et à éprouver ses propres conceptions ;
la logique veut donc qu'il énonce d'abord les opinions
étrangères, au rebours de ce qui se passerait, veut-on
nous faire croire, dans le cas présent. Enfin, si le II s:pt
s:Ù X"1jç rapportait à Platon la notion d'un Dieu supérieur
à l'intellect, cette attribution devait apparaître clairement
dans le contexte, soit que la doctrine fût mise dans la
bouche de l'interlocuteur platonicien du dialogue, soit
par tout autre moyen ; ce point ne pouvait échapper, sinon
à Simplicius, du moins à tel informateur intermédiaire
encore capable de connaître l'environnement du fragment ;
or, manifestement, Simplicius ne soupçonne en rien que
la thèse de l'ènéxs:woc ''C"L't"OÜ voü ait été imputée à Platon,
puisque c'est justement sur elle qu'il fait fonds pour
poser qu'Aristote admettait l'existence d'une réalité
supérieure à l'intellect et à l'essence ; le commentateur,
notre seule source de renseignements touchant le contenu
du dialogue, nous engage sans aucun doute à tenir pour
aristotélicienne la seconde partie du fragment tout autant
que la première 2 •

(1) Par exemple en De caeloI 10,279 b 4-12; cf. notamment 5-6: 8ii;-
~e:À06v-c-e:çr:p6-rie;pov TCXÇTWV &"AÀwv u1toÀ'Î)•Jmç.Voir P. AuBENQUB,
Sur la notion ari.rtotélicienned'aporie, dans Aristote et le.r problème.rde
méthode, p. 8 (sur le caractère préalable de l'aporie doxographique) ;
S. MANSION, Le rôle del' expo.réet de la critiquede.rphilo.rophie.rantérieure.r
chez Ari.rtote, même recueil, p. 38 (sur le passage du De caelo).
(2) Il faut ajouter que, comme veut bien me le rappeler le P. É. de
Strycker, Platon, à la différence d'Aristote, n'entend pas par voüç
l'intellect au sens d'une substance ou d'une faculté, mais toujours
l'acte de !'intellection ou le savoir qui en résulte ; or, dans le fragment,
par un emploi néoplatonicien avant la lettre, le mot semble bien
désigner l'intellect comme hypostase ; c'est une raison supplémentaire
de ne pas y voir la trace d'une opinion de Platon.
286 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

3. L'hypothèsed'une référenceà la théologiecosmiquede I' Arfrtote


platonisant.
Peut-être existe-t-il un moyen de profiter des apports
positifs propres aux explications antithétiques de Bernays
et de Frank, tout en évitant les obstacles auxquels elles
se heurtent ; autrement dit : de maintenir une notable
inspiration platonicienne du fragment, sans renoncer pour
autant à en rapporter à Aristote tout le contenu doctrinal.
Il faudrait alors penser à l'époque initiale où le philosophe
était encore imprégné de certains aspects du platonisme.
L'idée n'est pas entièrement nouvelle. Elle fut lancée d'un
mot, voilà quarante ans, par P. Friedlander 1 , qui voyait
dans l'auteur du Ile: pt e:ôx_'Yj i; un « Aristote encore très
platonisant ». Elle fut reprise récemment par R. A. Gauthier
et J. Y. Jolif2, qui trouvèrent cette possibilité de concilier
l'authenticité aristotélicienne du fragment avec la répu-
gnance avérée de l'auteur du corpus aristotelicum pour
toute divinité qui transcenderait l'intellect. A cette façon
de voir, on peut espérer apporter, non pas une démonstra-
tion, mais les précisions et les indices favorables dont elle
est encore démunie.
On peut hésiter à tirer du corpusaristotelicumdes conclu-
sions positives touchant la religion de son auteur. Mais
il est hors de doute 3 qu'Aristote a traversé au moins

(1) Platon, I : Eidos, Paideia, Dialogos, Berlin-Leipzig 1928, p. 73,


n. 1.
(z) Op. cit., p. 856 : (à propos d'Eth. Nk. X 6-9) ccEn ce sens,
la contemplation aristotélicienne ne saurait être que strictement
intellectuelle : son ambition est d'achever le sujet qu'est l'intellect,
non de le dépasser pour atteindre, au-delà de lui, un objet transcendant.
Au moment où il écrivait son dialogue De Ja prière, le jeune Aristote
avait, il est vrai, retenu l'idée platonicienne d'un dieu qui serait
un au-delà de l'intellect, t1t&xe1voc TL-.oü vou [.••] Cette idée ne semble
plus apparaître dans ses écrits postérieurs ».
(3) Notamment depuis A. J. FESTUGIÈRE, La révélation d'Herm~s
Trismégiste, II : Le dieu cosmique, coll. « Études bibliques», Paris 1949,
p. 219-259.
LA PRIÈRE COSMIQUE 287

une période pendant laquelle les préoccupations religieuses,


dans leur aspect non seulement théorique, mais affectif,
n'étaient pas pour lui lettre morte : dans ce moment,
qui se reflète dans son célèbre dialogue De philosophia,
il traitait comme dieu l'univers pris dans sa totalité autant
que dans ses principales parties, et il lui appliquait les
honneurs divins, partageant en gros l'attitude du dernier
platonisme et de l'ancienne Académie.
Or il faut savoir que, comme l'a bien montré A. J. Festu-
gière 1, cette religion cosmique était pour une part une
piété exotique, importée d'Orient en Grèce ; à ce titre,
elle ne se réduisait pas à une pure religiomentis, elle com-
portait aussi un culte. De ce culte, on trouve des traces dans
l' Epinomi.r notamment, qui parle des honneurs (-nµ:l')-réov,
984a; 't"LfL<XÇ, 985 d; -rtµ:Yji:;,
di:; è:V't"LfLOV
X6>p0tv, 985 e; ·-nµcxi:;,
986 c), des hymnes (ûµv'Y)-réov,983 e), des cérémonies
mystériques (cxvopyufo--rouc;, 985 d), des fêtes et des sacrifices
(éop-rocc;n[ ...] xcxl0uc;lcxç,985 e),des temps liturgiques (&patc;,
986 a), des oracles et des dévotions (µixv-rdatLç[ .•.] xcxl[... ]
0ep0t1td~, 988 a) dont il convient d'entourer les astres
divinisés. Mais, au nombre de ces pratiques religieuses
variées, la prière proprement dite ne laissait pas de tenir
sa , place. L' Epinomis encore énonce que c'est justice
d'adresser à l'univers, comme le font tous les démons et
tous les dieux, des prières de qualité choisie (oùpcxv6v,8v xcxl
~LXocL6-roc-rov, wç rrùµ.1t0tv-reç IJJJ..oL~oclµ.oveç&µocxocl 0eol,
-rLµiiv -re xatl e()xec;0atL~tocrpep6v-rwçocù-rë;:i, 977 a). Un
témoignage analogue apparaît auparavant dans les Lois;
peu après avoir affirmé la divinité suprême du monde (-rov
µéyur-rov 6eov XOtLOÀOV 't'OVx6c;µ.ov,VII 821 a), ce dialogue
enjoint aux citoyens de ne pas blasphémer les astres, dieux
célestes, quand ils les implorent en de pieuses prières

(1) L'Epinomis et l'introdu.tion des çu/tes ét,-angersà Athènes, dans


MélangesA. FRIDRICHSEN ( = Conie.t.Neoteslam.,XI), Lund-Kôpenhamn
1948, p. 73 ; cf. Epin. 985 cd, 986 e-987 a et 987 d-988 a.
288 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

(adv 7tEpt0s&v 'iù>Vxix,' oùpixvàv[...] µix0dv[ ...] µè:xpi't"OU


µ~
7têpLwh&, [... ] èv sùxix!ç sùxoµè:vouçEûcrdi&ç,
~ÀM(jlî)fJ.ELV
821 cd') ; ailleurs, il évoque les prières traditionnelles
adressées aux dieux (fü:o!ç sùxixtç 1tpocraiixÀEyoµè:vouç,
X 887 e) chaque fois que se lèvent et se couchent le soleil
et la lune. Et déjà le Banquet rapportait comment, au
lever du soleil, Socrate fit sa prière à cet astre (1tpocrsu1;&µe-
voç 'rcj)·~Àt(p,220 a) 1 •
Un autre document sur la prière cosmique est fourni
par Théophraste ; il confirme accessoirement les vues de
Festugière sur l'origine orientale de cette religion du
monde ; car il concerne les Syriens qui, est-il dit, s'entre-
tiennent de la divinité, s'adonnent de nuit à la contemplation
des astres, levant les yeux vers eux et les invoquant par
des prières 2 • Entre Platon et Théophraste se situe Aristote.
Bien que l'on manque de tout témoignage précis, il est
peu probable que ce philosophe ait pu apporter à la religion
cosmique l'adhésion que l'on sait, sans s'intéresser à la
prière qui en était inséparable. Dans ces conditions, il est
permis de conjecturer que le Ihpt sùxljç pouvait avoir
en quelque façon pour objet la prière cosmique.

Le contenu du fragment s'accorde-t-il à cette hypothèse?


C'est le moment d'examiner de plus près, dans sa structure
grammaticale, la formule conservée par Simplicius : ô
0eàç ~ vouç ècr't"w~ xixt è:1tè:xsivoc
'ri -rou vou. On sait que
la conjonction ~' répétée, disjoint d'ordinaire les termes

(1) Cf. E. R. DODDS, The Greeks and the lrrational, p. 220-221, et


p. 232-233, n. 70, qui montre, par le témoignage d'Hésiode, de
Sophocle et d' Aristophane, que cette prière astrale, certainement influ•
encée par l'Orient, n'était pourtant pas étrangère à la tradition grecque.
(2) THÉOPHRASTE, II. e:ùcre:odocç, fgt 13, 7-10 PoTSCHER,p. 172,
= PoRPHYRE, De abstin. II 26 : xocTtt8è: 7t'ocnocTOÜTov-.àv xp6vov,
&n qnMcro<poL TOyévoç ilvTe:ç,rte:pt TOÜOdou µè:v &.N,~ÀOLÇ ÀOCÀoÜcrL,
't"Ïj<;8è: VUXTO<;
T&v éécrTpwvrtowÜvTœLniv 6e:wplocv,/3ÀS1tOVTe:<; r.l<;
œÙT<î.xoct 8Là T&v e:ùx_&v6r.oxÀuToÜvT.:<; (texte communiqué par
P. Thillet).
UNE DISJONCTION SANS EXCLUSIVE 289
sur lesquels elle porte, et correspond alors au latin aut :
il s'agit d'une alternative dans laquelle une possibilité
doit être choisie à l'exclusion de l'autre. Mais l'adjonction
de x<XL à la suite du second ~' proposée, on l'a vu, par les
meilleurs manuscrits et retenue par l'éditeur Heiberg,
atténue la disjonction et rejoint le latin uel : il n'est plus
nécessaire de renoncer à l'une des éventualités au profit
de l'autre, l'une et l'autre peuvent être admises simultané-
ment. Tel est l'avis des grammairiens 1 • On reconnaîtra
que, dans le cas présent, la nuance est d'importance :
elle signifie que, au dire d'Aristote, la divinité doit être
conçue tout ensemble comme un intellect et comme une
réalité au-delà de l'intellect. Ce point fondamental a été
clairement discerné par W. Jaeger 2 : frappé par l'apparente
antinomie qui oppose, à l'intérieur de la République, les
passages qui présentent le bien comme supérieur à l'être 3
à ceux qui le donnent pour un être4, le célèbre historien
ne tient pas cette ambiguïté pour une contradiction de
Platon ; car, dit-il, les deux thèses doivent être, pour
le philosophe, vraies l'une et l'autre ; et il ajoute qu'il en va
de même pour Aristote dans le fragment du IIe pt e ù X-îjc;.
Il aurait pu mentionner un autre texte encore où, de la
même façon, la divinité se trouve définie simultanément
par deux traits qui pourraient sembler exclusifs l'un de
l'autre ; c'est en effet le cas d'un fragment des Héliades
d'Eschyle, où le poète, après avoir dit que Zeus est l'éther,

(1) Ainsi E. SCHWYZER-A. DEBRUNNER, Griechische Grammatik,


II, dans « Handbuch der Altertumswiss. », II 1, 2, München 1950,
p. 567 ; ]. D. DENNISTON, The Greek Partide.r, Oxford '1954, p. 306.
(2) Paideia : the Ideais of Greek Culture, transl. by G. HrGHET, II,
New York 1943, p. 285 et p. 414, n. 37·
(3) VI 509 b, cité supra, p. 280.
(4) VII 532 c: n-pàç tjv TOU&plcrTOU ~v TOÎÇoùcrt 0é(Xv;on pourrait
ajouter 518 c: Tou ilvToç ,:à cp(Xv6T(XTOV (... ] ,:ou,:o 8' dv(Xl cp(Xµev
'l"CXy(X06v,et 526 e: tjv '!"Ou&yoc0outaé(Xv[...] 't"ô eùa(XtµovécrToc-rov
'!"Ouilv'l"oç.
290 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

la terre, le ciel, ajoute : « Zeus est toutes choses, et aussi


ce qui, le plus possible, dépasse toutes choses »1 .
Si telle est bien la signification du fragment, on ne peut
manquer d'être frappé par la ressemblance qu'il présente,
pour la structure même de la phrase, avec un témoignage
de Cicéron concernant le De philosophia2 • Car l'auteur latin
prête à ce dialogue un certain nombre d'options théo-
logiques, introduites par des modo répétés. On accordera
sans doute que ce procédé, également disjonctif, s'appa-
rente fort à la formule ~--· ~ xocL. Or, comme j'ai essayé
de le montrer ailleurs 3 , la consistance et la probité des
objections épicuriennes que Cicéron oppose ensuite à la
théologie du De philosophia requièrent de toute évidence
que ces diverses représentations de la divinité aient été,
chez Aristote, maintenues simultanément. Si l'on admet
mon interprétation, on voit donc se dégager entre les deux
dialogues une analogie plus frappante encore.
Peut-on aller plus loin, et envisager un parallélisme
qui porterait, non plus seulement sur la tournure stylistique
et son interprétation, mais sur le contenu doctrinal même ?
Le fragment 26 du De philosophia, tel qu'on vient de le
lire, attribue à l'auteur trois définitions théologiques,

(1) EscHYLE, Hel., fgt 105 METTE, p. 36, 7-10, = CLÉM.o'ALEx.,


Strom. V 14, 114, 4, = EusÈBE, Praep. euang. XIII 13, 41 : o 't'C Eùqio-
p(c.>\IOÇAtcrxuÀOÇ È:7tL't'OÜ 6eoü creµ\IWÇcrqi68pcc(jl"l)CJ[\I·
"Zeuç ècr-.wcct6'Î)p, Zsùç 8è y'ij, Zsùç 8' oôpcc..,6ç,
Zeuç 't'OL-rœ 7t'CÎ\l't'C(
Xù)'rL 'rù>\18e[-roL] ùm~p-.spo" •.
Ce texte est indiqué, mais pour un tout autre usage, par W. JAEGER
lui-méme, The Theology of the Ear/y Greek Philosopher.r (« The Gifford
Lectures» 1936), Oxford 1947, p. 71.
(2.) Fgt 2.6Ross, p. 94, = CrcÉRON, De nat. deor. I 13, 33: ccAristote-
lesque in tertio de philo.rophia libro multa turbat a magistro < uno >
[Platone] dissentiens ; modo enim menti tribuit omnem diuinitatem,
modo mundum ipsum deum dicit esse, modo alium quendam praeficit
mundo eique eas partis tribuit ut replicatione quadam mundi motum
regat atque tueatur ». .
(3) Théologie cosmique et Théologie chrétienne ( Ambroise, « Exam. »
I 1, 1-4), dans ccBiblioth. de Philos. contemporaine», Paris 1964,
p. 216-247.
LE FGT 26 DU DE PHIWSOPHIA 291

selon qu'il accorderait la divinité à l'intellect (menti),


au monde ( mundum), ou enfin à un certain autre principe
( alium quendam)1. Ce système ternaire est-il susceptible de
recouvrir approximativement le système binaire du Ile: pt
e:ùX'1jç, dans lequel Dieu est identifié au voüç ou à bcéxe:LVIX
't'L 't'OÜ VOÜ?
La coïncidence de ce voüç avec la mens du De philosophia
ne pose aucun problème, les deux mots se correspondant
exactement ; elle a d'ailleurs été observée par Bignone et
Cherniss, qui n'ont invoqué le fragment du lle:pt e:ù;:,:;jc;
qu'à titre d'illustration pour ce point de doctrine du De
philosophia. Mais à quel terme de ce dernier dialogue
l'bcéx.e:LVcx't'L "t'OÜ voü pourrait-il se laisser comparer?
Pour avancer une réponse à cette question, il importe
de revenir sur la nature exacte de la mens à laquelle le De
philosophiaattribue toute divinité. Contrairement à beaucoup
d'historiens, mais d'accord avec J. Moreau 2, il apparaît
que cette mens n'est pas on ne sait quel esprit abstrait
de toute fonction cosmologique, mais bien l'intellect de
l'univers. Cette identification ressort du fragment 27 d
du dialogue, où la mens est dite mouvoir toutes choses en
étant mue elle-même, omnia[...] mouensipsaquepraedita motu
sempiterno3 • En accordant ainsi la divinité à l'intellect
cosmique, Aristote demeurait fidèle à la tradition plato-
nicienne, puisque les Lois X 897 b, comme on l'a déjà vu4,

(1) La nature divine n'est pas explicitement reconnue à celui-ci ;


mais il l'a sans aucun doute, dès lors que le masculin a/ium quendam
ne peut se rapporter qu'à un deum sous-entendu.
(2) L'âme du monde, de Platon aux stoïciens, thèse Paris, dans« Collect,
d'études anciennes ... de l'Assoc. G. Budé», Paris 1939, p. 121.
(3) De philos., fgt 27 d Ros\, p. 96, = CICÉRON, Tuscui. I 27, 66 ;
la façon dont Cicéron montre auparavant cet intellect libre de tout
mélange matériel ( mens soluta quaedam et libera, segregala ab omni
,oncreJionemortali) concerne uniquement la pureté de sa constitution,
et n'empêche en rien ses attributions cosmologiques.
(4) Supra, p. 283 et n. (2) ; comparer, ici, n-oci.3ocyooyd mxnoe et,
attribué à Aristote, omnia... mouens. A l'appui de cet aspect de la
théologie de Platon, il faut ajouter les textes du Philèbe cités supra,
292 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

célèbrent l'intellect divin qui, uni à l'âme du monde, la


rend elle-même divine et capable de guider toutes choses
droitement (voüv µkv 1tpocr:>.cd3oumx &.d 0dov ôp0wç 0sàç
oumx ôp6ix X(l.t e:ù3oclµovC'I.
ncaaocywysï:7t0CV't"OC).
Quelle est maintenant la situation de cette mens cosmique
relativement au corps du monde? On observe à ce propos
une évolution dans la pensée de Platon ; car le modèle que
propose ordinairement le Timée est celui d'une âme qui
enveloppe de l'extérieur le corps du monde 1 • Mais cette
représentation cesse d'avoir cours dans les Lois. Sans
doute ce dialogue, dans une page célèbre (X 898 e-899 a),
envisage-t-il, pour la façon dont le Soleil est mû par son
âme, trois hypothèses, sans prendre immédiatement parti
pour la première, selon laquelle l'âme serait logée à
l'intérieur (èvoucroc èv-r6ç)du corps de l'astre. Mais plusieurs
textes voisins montrent que telle est bien la formule qui a
la préférence de l'auteur : elle seule est explicitée en 899 b
(41uxC'l.l.[
...] Èv crwµC'l.crW
èvoücroet),
où elle est étendue à tous les
astres ; en 896 de, il n'est pas seulement question de l'âme
des astres, c'est l'âme de l'univers tout entier qui est dite
l'administrer en l'habitant du dedans ('-P'ux~v3~ 3wLxoücrocv
xocl èvo,xoücrocv
èv &noccr,v
-roiç 7tOCV't"()x,vouµévo,ç). L'Epi-
nomis conservera la même façon de voir, disant que la Terre,
le Ciel, tous les astres et leurs constellations ne pourraient
accomplir leur course régulière si une âme n'était présente
à chacun, à l'intérieur de chacun (µ.~ 41ux.-îjc; npàç Éxoccr-r0
ye:voµév7Jç ~ xocl.èv txoccr-ro,ç,
98 3 be). Toutes ces déclarations
concernent, immanentes à leurs corps respectifs, l'âme
cosmique ou les âmes astrales ; mais en voici une qui
transporte la même représentation à l'intellect proprement

p. 283, sur le voüç Oeï:oç, qui est probablement l'intellect cosmique,


comme l'a bien vu R. HACKFORTH, Plato's Examina/ion of Pleasure
(A Transi. of the Philebu.r), Cambridge 195 8, p. 3, 10 et 36.
(1) Voir mon article Une nouvelle source de saint Augtt.rtin: le Ç~TI)(-1-Ct
de Porphyre t<Sur l'union de l'âme el du corps)), dans Revue des Êtude.r
an.iennes, 66, 1964, p. 57-63.
UN INTELLECT INTÉRIEUR A L'UNIVERS 293

dit : il faut admettre la présence, dans les astres, de l'intellect


conducteur des êtres, -r6v -re ~ye:µ6vcxtv •rnrc;&cr't'po~c; voüv
't'&v ilv't'CùV (Lois XII 967 de).
Aristote partagea-t-il cette conception d'un intellect
cosmique intérieur à l'univers? On comprend qu'elle
ne puisse subsister quand apparaît la doctrine du Moteur
immobile transcendant ; mais sans doute fut-elle admise
auparavant ; car il semble bien qu'elle ait laissé des traces
dans les parties anciennes de la Métaphysique. En A 3
par exemple, Aristote rapporte avec les plus vifs éloges
une thèse d'Anaxagore (ou d'Hermotime)1, dont voici
le contenu : il existe, inclus dans la nature, un intellect
qui est la cause de l'arrangement et de l'ordre universel
(voüv a~ n:; e:lmbv ève:rvcx([
... ] èv 't'7Îr.pucre:(
't'OV0th(OV't'OÜ
x6crµou xcxl't'~Ç't'<X.~SCùÇ 7t<X.ûYJÇ, 984 b 1 5-1 7) ; mais, par le
fait qu'il approuve cette conception anaxagoréenne, Aristote
se trouve rejoindre les vues des Lois et de l'Epinomis,
substantiellement identiques sur ce point à celles du
philosophe présocratique. Aussi doit-on penser qu'il
en était encore plus proche à l'époque du De philosophia;
d'ailleurs, un témoignage que j'ai proposé de rapporter à
ce dialogue 2 ne dit-il pas expressément : cum alii mundum
ipsum deum esse dicant, quod ei mens diuina ut putant inesse
uideatur?
Mais ce point, si on l'admet, entraîne une conséquence
importante. En effet, concevant l'intellect cosmique
comme intérieur au corps du monde, l'auteur du De
philosophia se disposait nécessairement à regarder comme
au-delà de cet intellect tout principe supérieur à l'univers.
Or un tel principe apparait en toutes lettres dans le
fragment 2.6 : c'est l'alius quidam auquel est reconnue la
domination du monde et attribuée la fonction de gouverner

(1) CT. supra, p.


268, n. (o). Il s'agit du testim. A î8 DIELS-KRANZ,
II, p.20, 40-21,3.
(2) AMBROISE, Exam. I 1, 4, éd. Schenkl, p. 4, 9-11 ; cf. Théologie
p. 140-143.
&osmiqueet Théologie&hrétienne,

20
294 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

et de maintenir le mouvement cosmique 1 . Quelle que soit


l'interprétation que l'on donne de ce dieu maître de
l'univers 2, on devra reconnaître qu'il peut parfaitement
être dit au-delà de l'intellect immanent au monde ; c'est
de lui qu'il convient, à mon avis, de rapprocher le dieu -
È1téxetvrx. voü du II e p t e ù X !ij ç , dont la reconnais-
-n 't"OU
sance n'empêche pas d'admettre en même temps le dieu -
voüc:;,non plus que la divinité de l' alius quidam ne supprime
dans le De philosophia celle de la mens cosmique. Sans doute
est-ce aussi du côté de ce dieu transcendant au vou:; et à la
mens qu'il faudrait chercher à situer la divinité voü xpd't"'t"WV
de l'Éth. Eud. VIII 2. Sur ce point, l'évolution d'Aristote
consistera à réduire progressivement la distance entre
les deux aspects de la divinité, puis à la supprimer tout
à fait en instaurant un Dieu qui soit à la fois intellect et
transcendant à l'univers ; c'est de cette façon que l'on
comprendra la critique adressée à Anaxagore dans la
Métaph. A 10 3 : Aristote reste tout disposé à admettre un
intellect moteur, mais il refuse que cet intellect meuve
en vue d'une fin qui ne serait pas lui-même ; cela revenait
manifestement à rejeter toute distinction entre un dieu-
vouç immanent à l'univers et un dieu transcendant à
l'univers comme au voüç.

4. Postérité de la doctrine du Dieu situé au-delà de l'intellect.

S'il est vrai que, implicitement dans le De philosophia,


expressément dans le II.;: pt .;:ù X!ijç, Aristote a défendu

(1) On observera que, vu sous cet éclairage, le fgt 2.6 n'énumère


pas les trois conceptions de la divinité dans un ordre quelconque,
mais en progressant strictement de l'immanent au transcendant
( mens - mundus - alius quidampraefectus mundo).
(2.) Je crois pour ma part qu'il s'agit de l'éther disposé au-delà de
la limite extérieure de l'univers, comme j'ai essayé de l'établir,
notamment par l'étude de la notion de replicatio,dans Théologiecosmique
et Théologiechrétienne,p. 151-qo.
(3) 1075 b 8-9 : 0 y,xp voüç Xtve:î. , AiJ..,xXLVE:Lfve:xcx'\"LVOÇ,
&,ne:
ihe:pov ; cf. supra, p. 2.76-2.77.
LA DETTE ÉVENTUELLE DE PLOTIN 295
l'existence d'une divinité située au-delà de l'intellect,
il serait surprenant qu'une théorie aussi singulière n'ait
pas été remarquée et exploitée par ses successeurs. C'est à
rechercher quelques-unes de ces traces éventuelles dans
la tradition philosophique postérieure que, pour finir,
on s'arrêtera un moment. Ce n'est d'ailleurs pas sortir
du sujet ; rien n'assure en effet a priori qu'une telle enquête
ne puisse avoir une incidence sur l'étude du fragment
même du Ilept eù:(ijç, sur le problème de son authenti-
cité, sur l'élucidation de son contenu. Il faut ajouter que
cette investigation est bien facilitée par les excellents jalons
qu'a posés récemment Ph. Merlan 1 .
La postérité qui vient d'emblée à l'esprit concerne
évidemment le néoplatonisme. On a souligné au début
de ce chapitre, assez pour n'y point revenir, la coïncidence
du fragment d'Aristote avec le système néoplatonicien,
plotinien en particulier, touchant la conception d'un
Dieu supérieur au voüç. Or, quand il lui arrive, pour se
défendre contre le reproche d'hétérodoxie, de chercher
dans le passé des autorités qui puissent cautionner sa théorie
de l'Un, Plotin mentionne Aristote 2 ; se demandant sur
quels textes cette invocation pourrait se fonder, Ph. Merlan
indique très à propos le fragment du Ilept eùxljç et Eth.
Eud. VIII 2., 12.48a 2.7-2.9; mais il n'ose décider si Plotin
avait effectivement ou non ces deux passages en tête.
Il semble que l'hésitation ne soit pas permise : Plotin
ne les avait pas présents à l'esprit ; sans quoi il n'aurait
pas manqué d'en faire état, tant ils consonnent merveilleuse-
ment (en particulier le fragment) à ses propres vues sur
la transcendance de l'Un relativement à la deuxième
hypostase ; or, pour illustrer ce point de doctrine, c'est
toujours le texte de la Républ. VI 509 b (bien moins conclu-
ant, on l'a vu) qu'il se contente de citer 3 •

(1) Op. cit., p. 7-8, et p. 8, n. 1.


(2) Enn. V 1, 9, 7 sq., éd. Henry-Schwyzer, p. 2.82.-2.83.
(3) Cf• .rupra,p. 2.56 et notes (1)-(3).
296 LE DIALOGUE SUR LA PRIERE

Ce n'est pourtant pas à dire que Plotin ne soit pas


redevable, indirectement, à ces déclarations d'Aristote
sur la nature de Dieu. Car il apparaît que celles-ci ont dû
exercer une certaine influence sur des penseurs probable-
ment antérieurs à Plotin, et que Plotin a pu connaître.
C'est d'abord le cas de quelques auteurs de date mal-
heureusement incertaine. De deux pythagoriciens récents
qui se donnent pour des pythagoriciens anciens, le pseudo-
Archytas et le pseudo-Brotinus, le premier affirme que le
principe suprême est non seulement intellect, mais une
réalité supérieure à l'intellect, dont l'existence est manifeste
et qui reçoit le nom de Dieu 1 , tandis que le second donnait
à entendre qu'il avait inspiré divers développements de
Platon (à commencer par Républ. VI 509 b) sur la transcen-
dance du premier principe par rapport à l'essence et à
l'intellect (l'addition de ce dernier mot montrant bien
que Platon n'est pas la seule source)2. Sans qu'on puisse
l'assurer, il est probable que ces deux auteurs sont antérieurs
à Plotin 3, et leur rattachement à une tradition issue du

(1) Ps.-ARCHYTAS,Ilep1. &.pxi'lv, apud SToBÉE, Ed. I 41, 2., éd.


Wachsmuth, I, p. 2.80, 15-17 : To 8è: 't'OLOÜ't'ov
oà v6ov µ6vav e!µe:v
Ber, àÀÀixxoi:1.v6<,)n xpécro-ov· v6<,)8è: xpfoo-av 6\/'t'l, llrce:pôvaµ&-
~aµe:v 6e:6v, qiave:p6v.
(z) Apud SYRIANus,In Arist, Metaph. N 1, ad 1087 a 2.9, éd. Kroll,
p. 166, 5-8 : Bpo't'Ivoç 8è: 6:lç voü r.oi:V't'OÇ xoi:1.oào-lac; 8t>v&µe:i
xoi:1. rcpe:o-ôdq: t'.me:pé;ua · &qi' <1v ôpµCilµe:voç xoi:1.ô 6e:foc;
IIMT<,)V[... ] 't'IXÇoi:Ù't'OCÇ
m:p1.'t'WVoi:Ù't'wv({l<,lVOCÇ
&.qil1)0-1v
; je souli-
gne les mots qui proviennent de Républ. 509 b.
(3) H. THESLEFF, An Introduction to the Pythagorean Writings of
the Helfenistic Period, dans« Acta Acad. Aboensis », Human., XXIV 3,
Abo 1961, p. 113-115, incline à leur assigner une date très haute, le
rv• siècle avant J.-C. pour le ps.-Archytas, les nr•-n• siècles pour le
ps.-Brotinus. Ph. MERLAN,lac. cit., lance l'hypothèse séduisante selon
laquelle c'est en référence à des textes comme ceux-là que PLOTIN,
Enn. V 1, 9, 27-32, p. 2.83, aurait rattaché sa doctrine du Premier aux
pythagoriciens. A ces deux passages néopythagoriciens réunis par
Merlan, H. J, KRAMER,op. cit., p . .26.2,n. 255, et p. 278, ajoute, pris
dans un contexte également pythagoricien, un témoignage de
MACROBE,Comment. in Somn. Scip. I 6, 8, où il est question d'une
monade située in inferiorepost deum gradu et décrite comme une men.r
ex summo enata deo.
ALBINUS 297
II e pt E ùXlj ç est concevable (surtout pour le pseudo-
Archytas ). Il faut en dire autant d'un texte hermétique,
selon lequel Dieu n'est pas intellect, mais cause de
l'existence pour l'intellect 1 •
On est surpris que Merlan, qui a s1 bien repéré ces
documents, passe sous silence un autre auteur 2 , parfaitement
daté quant à lui (seconde moitié du ne siècle), et fort
capable d'avoir contribué en quelque mesure à l'édification
du plotinisme. Il s'agit d' Albinus, qui établit au-dessus
de l'intellect, comme la cause de son activité, ou peut-être
plus haut encore, le premier Dieu 3 ; ce témoignage, qui,
au moins pour la doctrine, se situe dans le prolongement
du IIe pl. e ù X~ ç aristotélicien, suggère d'interpréter celui-ci
de la façon qui a été proposée plus haut ; en effet, on aura
remarqué d'une part qu' Albinus nomme encore intellect
le Dieu qu'il discerne au-delà de l'intellect (o voü,;;xw~c;e:~

(1) Corp. hermet. II 14, éd. Nock, p. 37, 15 : 6 oùv 6eàç oô voüç
ècr-rtv, ochtoç ôè -roü < voüv> e!voct; cf. A. J. FBSTUGIÈRE, L4 Dieu
inconnuel la Gnose, p. 78. A quoi il faut adjoindre, avec H. J. KRAMBR
encore, op. cit., p. 262, n. 2 55, un témoignage hermétique de
JAMBLIQUE, De myst. VIII 3, éd. des Places, p. 196 : avant le voüç qui
se pense lui-même se trouve l'~ cxµepéç,où résident le 1tpw-rovvooüv
et le 1tpw-rov vo7J-r6v; on reconnaît, comme dans le II . E ô X 'ij c;,
l'ambiguïté d'un premier principe à la fois intellect et supérieur
à l'intellect.
(2) Du moins le fait-il là où l'on attendrait qu'il en parlât, c'est-à-dire
dans les pages consacrées à la postérité du II . e:ôX'ij ç ; car, dans la
suite de son ouvrage (op. cil., p. 62-67), il traite longuement de la
position d'Albinus, où il discerne parfaitement l'ambiguïté du premier
Dieu à la fois appelé intellect et situé au-delà de l'intellect.
(3) ALBINus, Epit. 10, 2, éd. Louis, p. 57: -rou-rouôè [se.: ToÜvoü]
6 ochtoç -rou-rouxoclIS1tep&vl-rt cxvoo-répoo
xoc).)..(oov -rou-roovuqiéaT7Jxev,
OO't'OÇ &vli:!7l6 1tpw-roç6e:6ç, ochtoç U7t<XpJ(OOV TOÜcxd ève:pye:ï'vTCJ)VCJ)
't'OOcruµ1tOCVTOÇ ye ô~ xoclOOTOÇ
oùpocvoü[•..] OÜ't'OO ovoüç XtV~O"e:t TOV
voüv -roü cruµ1tocv-roçoôpocvoü.Ce texte est déjà indiqué par W. THEILER,
Die Vorbereitung du Neuplatonimus, dans <<Problemata >>, 1, Berlin
1930, p. 56, et par A. J. FBsTUGIÈRB, op. cit., p. 96 ; cf. surtout
H. DoRRIB, Zum Ursprung der neuplatonis,hen Hypostasenlehre, dans
Hermes, 82, 1954, p. 339-340, et Die Frage nach dem Transz.endentenim
Mittelplatonismus, dans Les sources de Plotin (Entretiens de la Fondation
Hardt, V, 1957), Vandœuvres-Genève 1960, p. 211-213.
298 LE DIALOGUE SUR LA PRlliRE

-rov voüv), d'autre part que l'intellect dont il traite n'est autre
que l'intellect cosmique, voüç -roü r:roµ1t1XV't'OÇ 0Ùp1Xvoü.
Dans cette tradition, il faudrait également faire une place
à la théologie gnostique du ne siècle ; alors que certains
de ses représentants, tels Théodote, Ptolémée, l'auteur
de l' Apokryphon de Jean et celui du traité dit « Sur les
trois natures », conçoivent Dieu comme un intellect
capable de se penser et de se connaître, pourvu d'è:vvotlX
et d'èv6oµ'1)0'LÇ,d'autres le placent au-delà de l'intellect ;
c'est le cas de Basilide, pour qui Dieu transcende la dualité
du V0'1)'t'6vet de l'ocv6'1)'t'OV, et voulut faire le monde
1
OCVO~'t'CùÇ •
Calcidius est certes postérieur à Plotin, et dépend parfois
de lui ; mais ses sources principales appartiennent au
moyen platonisme, et c'est probablement le cas d'un
passage de son Commentaireoù le Dieu suprême, souverain
bien, est dit meilleur que l'intellect, qui n'obtient que
le second rang 2 • Origène enfin, contemporain de Plotin,
déclare que notre intellect a pour objet propre non seule-
ment les intelligibles, mais Dieu qui est au-delà des intel-

(1) Selon le témoignage d'HIPPOLYTE, Elencho.r VII 21, 1-2, éd.


Wendland, p. 196, 15-197, 1 ; voir H.-Ch. PUECH et G. QuISPEL,
Le quatrième écrit gno.rtiquedu Codex Jung, dans Vigil. chri.rt., 9, 1955,
p. 88-90.
(z) CALCIDIUS,In Tim. 176, éd. Waszink, p. zo4, 6-205, 1 : « (le
Dieu suprême) est summum bonum ultra omnem substantiam omnem-
que naturam, aestimatione intellectuque melior [... ] (vient ensuite la
Providence) quae est post ilium summum secundae eminentiae,
quem noyn Graeci uocant ». Dans la préface de son édition,
p. LXxx1x-xc, J. H. Waszink verrait, comme source de ce § 176,
Plotin plutôt que le moyen platonisme, et cela pour deux raisons :
1 ° dans le moyen platonisme, le premier dieu est lui aussi appelé
vouç ; 2° Républ. 509 b, à quoi pense ici Calcidius, est familier à Plotin,
mais n'a pas fait l'objet de commentaires média-platoniciens. Mais dans
les notes ad locum, p. 204-205, le savant éditeur se prononce pour une
source média-platonicienne plutôt que néoplatonicienne. Le point
demeure incertain ; cf. encore, du même auteur, Studien z.um
Timaioskommentar de.r Cakidius, I : Die er.rte Ha!jte de.r Kommentar.r
(mit Ausnahme der Kapitel über die Weltseele), coll.« Philos. antiqua>>,
12, Leiden 1964, p. 19-21.
ORIGÈNE, ET PROBABLEMENT CELSE 299
ligibles 1 ; cela reste assez loin de la lettre du fragment
aristotélicien. Mais voici que, dans un passage du Contra
Celsum, le même auteur la rejoint étonnamment : Noüv
-rolvuv ~ &1téx&LV<X voü xcd oùo-l<Xç
Myov-reç dv<XL[.••) -rov-rwv
OÀWV 6e6v2 ; les éditeurs ne pensent pas que cette phrase
ait été empruntée tout entière à Celse, et laissent entendre
qu'elle proviendrait directement de la Républ. 509 b3 ;
c'est bien invraisemblable, tant elle ajoute au texte de
Platon 4 ; de plus, on sait que Celse exposait une doctrine
tout à fait comparable 5 ; dans ces conditions, il est permis
de supposer qu'Origène reprend là une formule de Celse,

(1) Exhort. ad martyr. 47, éd. Koetschau, p. 43, 7-8 : voüc; itpoc;
-roc1101),0C xocl -ràv &rribmvoc'r:0011 \101)'r00\I 6e611; cf. déjà CLÉMENT
n'ALEX., Strom. V 6, 38, 6, éd. Stiihlin, p. 352, 13-14: 0 xopwc; [.••]
&mfxewoc-roü 1107l-r:oü ; l'inspirateur commun de ces deux auteurs,
PHILON, Leg. alleg. II 13, 46, éd. C.-W., I, p. 99, 19-20, avait dit
lui-même que l'intellect n'est cause de rien, mais bien Dieu qui est
avant l'intellect : oùx fonv a voüc;-xhmv où8e:v6c;,tù).' o itpà -r;oüvoü
6e:6,;. Ce dernier texte est signalé par J. WHrTTAKER,EIIEKEINA
NOî KAI Oî:EIA:E, dans Vigil. christ., 23, 1969, p. 102; aux p. 92-93
et 101-104, cet historien étudie, dans l'ancienne Académie et dans
le moyen platonisme, le problème de savoir si Dieu est intellect ou
au-delà de l'intellect ; il rapporte la deuxième thèse à l'influence de
Républ. VI 508 b (sur le soleil qui n'est pas la vue, mais cause de la vue).
(2) C. Cels. VII 38, éd. Koetschau, II, p. 188, 11-12.
(3) Ainsi H. CHADWICK,Origen, Contra Celsum, transl. with an
Introd. and notes, Cambridge 1953, p. 425, n. 3 ad foc.; c'est un fait
qu'Origène connaît bien ce texte platonicien, cité expressément en
C. Cels. VI 64, p. 135, 4-5, et aussi en In ]oh. XIX 6, 37, éd. Preuschen,
p. 305, 16.
(4) Même C. Cels. VI 64, qui contient une citation littérale de
Républ. 509 b, en dépasse largement le contenu, puisque la citation
n'y est que le premier élément d'une interrogation double (parallèle
à celle de VII 38): 1t6-re:pov !néxe:woc oùcrlocc;tcr-rl [... ] 6 6e:àc;[••.],
~ xocl ocù-r6,;tcrnv oùcrloc(p. 135, 4-6).
(5) Apud C. Cels. VII 45, p. 196, 28-197, 3 : (Dieu n'est) o!.he
voi3c;[•.•], cx).).àc
vcj'i-re:-r:oüvoe:î:voct-r:ioc;[ •••] n&v-rwvÉnéxe:wocéfJv;
cité par A. J. FESTUGIÈRE, op. &it., p. 117 ; voir maintenant H. DoRRIE,
Die platonische Theologie des Kel.ros in ihrer Auseinandersetz.ung mil der
christlichen Theologie, auf Grund von Origenes c. Celsum 7, 42 If., dans
Nachrichten der Akad. der Wis.r. in Gattingen, I. Philol.-hist. Kl., 1967, 2,
p. 38-41.
300 LE DIALOGUE SUR LA PRIÈRE

qui n'était pas inacceptable pour un chrétien 1 ; d'ailleurs,


même s'il n'en est pas ainsi, un emprunt à Plotin demeure
extrêmement improbable 2 •
De cette brève revue ressort une conclusion peu
contestable : le thème du Dieu situé au-delà de l'intellect,
avant de devenir l'une des pièces maîtresses de l'édifice
plotinien, était un topos dans le moyen platonisme. La
différence la plus marquante qui sépare ces auteurs de Plotin
est sans doute, comme l'a bien vu J. H. Waszink, qu'ils
continuaient néanmoins à tenir Dieu pour un intellect ;
c'est, avons-nous vu, le cas du pseudo-Archytas, d'Origène
(Celse?), et aussi d' Albinus. Mais cette ambiguïté n'est pas
pour nous surprendre, puisque nous avons relevé le
même caractère exactement dans le fragment du Il e:pl
e:ù;(ijç. Une telle rencontre pourrait conférer quelque
vraisemblance à l'hypothèse d'une influence lointaine

(1) Autre argument en faveur de cette interprétation : quand


Origène parle de son propre fonds, il n'hésite pas à définir Dieu comme
un intellect ; ainsi De princ. I 1, 6, éd. Koetschau, p. 21, 10-14 :
« putandus est deus [... ] intellectualis natura simplex, [... ] et mens
ac fans, ex quo initium totius intellectualis naturae uel mentis est » ;
ln ]oh., fgt 13, p. 495, 22-24: Dieu est K<XL 'i) v61J<nc;K<XLTO voouµe:vov.
Ce point a été bien dégagé par H.-Ch. PuECH et G. Qu1sPEL, art. cit.,
p. 87-88 et n. 38-40. A cet égard, Origène le néoplatonicien n'était pas
d'un autre avis que son homonyme chrétien : au dire de Proclus,
qui lui en fait un reproche véhément, cet auteur, s'arrêtant à l'intellect
(d~ -rov voüv -re:Àe:v-r~)et au tout premier être, laissait échapper l'Un
qui est au-delà de tout intellect (-rà 31:ëv TOrr:xv,:àc;voü[ ... ] Èm~Ke:tv:x)
et de tout être (fgt 7, 5-6 K.-O. WEBER [Origenes der Neuplatoniker.
Versuch einer Interpretation, coll. (< Zetemata », 27, München 1962],
p. 6, = PROCLUS, ln Plat. theo!. II 4) ; cf. WEBER, op. cil., p. 101 sq.,
et W. THEILER, Ammonio.t der Lehrer de.t Origenes, dans Forschungen
Z}lm Neuplatonismu.t, coll. « Quellen und Studien zur Gesch. der
Philos. », 10, Berlin 1966, p. 10.
(2) On pourrait également penser que Plotin et Origène dépendent
parallèlement d'une source commune, par exemple Ammonius Saccas ;
c'est ce qu'a fait K. H. E. DE ]ONG, Plotinus of Ammoniu.t Saccas ?,
Leiden 1941, p. 3-4, qui a eu le mérite de citer les principaux textes
d'Origène ; mais cette hypothèse n'est plus possible si l'on admet que
ceux-ci sont repris de Celse ; s'il y a une source commune à Plotin et
à Origène, on doit alors la chercher dans le moyen platonisme, lui-
même héritier de la tradition issue du II. e:ùz'ijç d'Aristote.
INFLUENCE SUR LE MOYEN PLATONISME 301
du dialogue aristotélicien sur les spéculations du moyen
platonisme, et, par leur intermédiaire, sur la philosophie
néoplatonicienne de l'Un 1•

(1) A la suite de H.-R. SCHWYZER,art. Plotinos, dans RE, XXI 1,


1951, col. 559-560, H. J. KRAMER,op. cil., p. 214-218 et 376-378
notamment, a abordé le II. e:ù;:çij,;d'un point de vue qui, malgré son
intérêt, n'a pas été envisagé ici, et qui consiste à rapprocher le fragment
d'Aristote des controverses intérieures à l'ancienne Académie touchant
la « Geistmetaphysik ». Les deux positions antithétiques étaient
à cet_égard celles de Speusippe et de Xénocrate : Speusippe, reprenant
en la durcissant la hiérarchie que l'on a vue chez Platon, distinguait
de !'Un et du Bien un Intellect doué d'une nature propre et identifié
à Dieu (apud AÉTIUS,Plac. I 7, 20, dans DrnLs, Doxogr., p. 303 b 3-5, =
fgt 38 LANG, p. 71 : I:m:ucrtimo,; [se.: 0e:èv&n-e:q>-fivoc-ro]
-rèvvoüv olhe:
-r0 bit o{l-re:-r0 &yoc00-rèv ocù-r6v,t8toq>u'ij8!) ; Xénocrate regardait
lui aussi Dieu comme un Intellect, mais en précisant que celui-ci
n'a rien au-dessus de lui, puisqu'il est dit la Monade, le Père, le Roi,
le Suprême, le Premier (apud AÉTius, I 7, 30, p. 304 b 1-7, = fgt 15
HErNZE,p. 164, 30-165, 1 : Ee:voxp&ni,;[... ] Ti)Vµov&8ocxcà Ti)V8u&8oi:
0e:ou,;, Ti)V µ/:v ù>Çètppe:voi: 7t"01:Tpè,; Tel~tV&VoÙpoi:véi>
~)(OU<rOl:V (3oi:crt-
Àe:uoucrocv, -Y)v-rtvoi:
n-pocroi:yope:ue:t
xoct Z'ijvoi:xoct m:pt-r-rèv xoct voüv,
iScr-rt,;fo-rlv ocù-r0n-péi'>-ro,;
0e:6,;).Sans doute l'un et l'autre accordent-ils
la nature divine à l'intellect, mais avec cette différence capitale que le
premier établit cet Intellect au deuxième rang, tandis que le second
le place au sommet de la hiérarchie et l'identifie à l'Un. Dans ces
conditions, il est tentant de supposer qu'Aristote, - qui, dans ses
œuvres scolaires (Metaph. A), se rangera nettement du côté de
Xénocrate, - n'avait pas encore choisi entre les deux options à l'épo-
que de sa fréquentation de l'Académie, et que le fragment du II. e:ùx'ij,;
reflète cette indécision ; on pourrait même imaginer le II . e:ùX'ii,;
antérieur aux prises de position de Speusippe et de Xénocrate,
et que chacun de ceux-ci se serait engagé dans l'une des deux voies
ouvertes simultanément par le dialogue, amorçant ainsi la double
tradition dont on a vu quelques exemples. Dans sa minutieuse enquête,
H. J. KRAMERa naturellement rencontré plusieurs des textes invoqués
ci-dessus ; c'est ainsi qu'il traite du C. Cels. VII 38 p. 286-287 ; de
CALCIDIUS,176 p. 278; d'ALBINUS, 10, 2 p. 381-382; il résume la
position de ce dernier auteur de la façon suivante : « Gott, der entweder
(reiner) Nus oder (Nus und) etwas über dem Nus ist » ; cette formule
très élaborée correspondrait admirablement au sens du fragment
aristotélicien tel que j'ai essayé de le dégager .rupra, p. 288-289.
CHAPITRE III

LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

En 1962. et 1963 ont paru trois recherches importantes


consacrées, dans des proportions diverses, au dialogue
d'Aristote Ihp1. qnÀoaocp(ixç. L'une d'elles, menée par
M. Mario Untersteiner1, est tout entière appliquée à cette
œuvre perdue ; elle en présente les fragments de façon
aussi complète que possible, et les accompagne d'un
commentaire détaillé. Dans les deux autres, le De philo-
sophia, sans être le thème unique, occupe une place
prépondérante : il s'agit, d'une part, de l'ouvrage très
documenté de M. Enrico Berti 2 sur la philosophie du
« premier Aristote» ; d'autre part, du vigoureux article
dans lequel M. Paul Moraux 3 a retracé l'histoire ancienne
de la notion de « cinquième essence». Tous ces travaux
sont de premier ordre, tant par la richesse de l'information

(1) ARISTOTELE, Della ft!osofia, Introduzione, testo, traduzione


e commenta esegetico, collect. « Terni e testi ll, 10, Roma 1963.
On ajoutera à cet ouvrage, qui en a d'ailleurs repris la substance,
deux articles du même auteur : Arùtote!e <<Phys. )> I 8-9, frammenti
del Ile:pl q>LÀocroq>(ocç, dans Rivi.rta di Filo!ogia e di Istruz.. dau.,
87, 1959, p. 1-23, et Il Ile:pl q>LÀocroq>tocç di Aristotele, I et II,
même revue, 88, 1960, p. 337-362, et 89, 1961, p. 121-159.
(2) La ftlo.roftadel primo Ari.rtotele, collect. de l'« Univ. di Padova,
Pubblic. della Fac. di Lettere e Filos. », 38, Padova 1962 ; tout le
chapitre IV, p. 3 1 7-409, concerne le De philos.
(3) Art. quinta euentia de la Realencydopadiede PAULY-WrssowA,
XXIV 1, 1963, col. 1171-1266.
304 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

que par l'aisance de la mise en œuvre. Ils ne s'accordent pas


toujours dans leurs conclusions ; mais ces divergences
mêmes doivent être fécondes. A cette fin, il a paru utile
d'interroger les trois historiens sur quelques-uns des
principaux problèmes que pose encore le dialogue
d'Aristote. Sans égaler l'ampleur de cette trilogie, d'autres
études ont été publiées depuis sur certains aspects du
même sujet ; leurs auteurs se nomment A. H. Chroust,
C. J. De V ogel, I. Düring, H. J. Easterling, B. Effe,
K. Gaiser, W. Haase, etc. ; on ne manquera pas, le moment
venu, de faire état aussi de l'apport propre à chacun de ces
savants. C'est seulement à cette condition que l'on peut
espérer, dans les pages qui suivent, rendre exactement
compte de l'interprétation que l'on donne aujourd'hui
de la théologie du De philosophia, ... ou que l'on en devrait
donner 1 •

L LA NOTION DE NATURE

La considération de la <pùcn,;joue un rôle caractéristique


dans le corpus aristotelicut11.Le fait est trop connu pour
que l'on s'y attarde. Rappelons simplement quelques
points de cette doctrine fort élaborée : - la nature est
cause motrice (Pl!Js. II 1, 192 b 21 ; III 1, 200 b 12 ; VIII 3,
25 3 b 5-9 ; De part. anim. I 1, 641 a 27, etc.) ; - elle est
en particulier la cause des mouvements célestes (De caeloI 2,
269 a 5-7 ; 269 b 1-6) ; - la nature n'est pas la seule cause
motrice ; aussi doit-elle être distinguée de divers autres
principes du mouvement, qui sont la fortune, le hasard,

(1) L'ordre suivi correspond approximativement à celui des


fragments du dialogue dans le recueil de W. D. Ross, Aristotelis
fragmenta .relecta, paru dans la « Scriptorum classicorum Bibliotheca
oxoniensis_ )), Oxonii 1955, p. 73-96. Sauf indication contraire, notre
numérotation des fragments renvoie à cette édition.
DANS LE PROTREPTIQUE 305
la nécessité, la violence, et notamment un principe intelligent
appelé VOUÇ 1•
OU 't"éXV'1J

Familière au corpus, iJ apparaît que cette théorie de


la nature n'était pas non plus absente de l'œuvre exotérique
d'Aristote. Car certains de ses aspects se rencontrent dans
divers fragments communément attribués au Protreptique.
C'est d'abord l'énumération des principes desquels les
choses tirent leur existence: outre la pensée et l'art (~Locvow.:
et ..éxvYJ),le hasard, la nécessité, Aristote mentionne la
<pumç ; celle-ci ressemble à l'art en ce qu'elle agit comme
lui en vue d'une fin ; mais la nature est première, et l'art
n'en est qu'une imitation 2 • A quoi s'ajoutent deux notations
importantes : d'une part, la nature est douée de raison,
qouaoc )..6yo'V3 ; d'autre part, elle est associée aux mots
0e6ç et 0ei:ov4 dans des formules où les historiens voient

(1) Voir les principaux textes dans A. MANSION, Introduction


à la physique aristotélfrienne,collect. <<Aristote. Traductions et études »,
Louvain-Paris •1945, p. 95, n. 5·
(2) ARISTOTE, Protrept., fgt 11 Ross, p. 43-44, = JAMBLIQUE,
Protrept. 9. CT. A. MANSION,op. cit., p. 94 et n. 4.
(3) Protrept., fgt 23 DÜRING (Ari.ftotle'.r Protrepticus. An Attempt
at &construction, collect, « Studia graeca et latina gothoburgensia »,
12, Goteborg 1961), p. 56, = JAMBLIQUE,Protrept. 5 (au vrai, le texte
de JAMBLIQUE,éd. Pistelli, p. 34, 6, porte : & crnep fxoucr°' Myo\/, ce
qui peut être une simple comparaison, et ne pas impliquer que la nature
agisse consciemment en vue d'une 6.n ; mais, même alors, l'identité
doctrinale est maintenue avec les pages de la Phys. sur le caractère non
délibéré de la finalité naturelle) ; ce fgt est absent des éditions
antérieures, mais DÜRING, op. cit., p. 193, croit pouvoir le rapporter
au Protrepl, Sur le caractère rationnel de la nature selon Aristote, voir
I. DÜRING, Arùtotle on Ultimate Princip/es /rom « Nature and Reality >>:
the « Protrepticu.r» fr. 13, dans Aristotle and Plato in the Mid-Fourth
Century, edited by I. DÜRING and G. E. L. ÜwEN, collect. « Studia
graeca et lat. gothob. », 11, Gôteborg 1960, p. 39 et n. 8, qui cite
De part. anim. III 2, 663 b 23 : ~ xwrix -ro\/ ).6yo'VcpucrLc;, et voit là un
écho de PLATON,Tim. 46 d (plutôt que 48 a) : fµcppO\/OÇ cpucreCtl<;.
(4) Protrept., fgt 11 Ross, p. 44, = JAMBLIQUE,9 : ~ cpucrL<; ~µiic;
~é'l'IYJO"ex°'t o 6e6c;; plus loin, p. 45, la même formule est répétée
sous une autre forme avec seulement fü:6c;: étY6pCtlr.oc; {mo ,:oü fü:oü
O"U'VfoTI)XeV j fgt 13, p. 48, = JAMBLIQUE, 10: rtpOÇ't"l)'V
cpUO"L\/
~ÀÉ7tCtl\/
,:o
~ii xa:t npo<;; 6efo\/,
306 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

l'affirmation de son caractère divin 1 • Cette position doctri-


nale du Protreptique est fort proche de celle du corpus
aristotelicum, comme l'attestent de nombreux passages
empruntés à ce dernier 2 • Quelle est sa relation au plato-
nisme? Selon E. Berti3, la distance serait minime entre
l'aristotélisme du Protreptiqueet le platonisme des Lois,
l'un et l'autre s'accordant à reconnaître l'existence d'un
principe rationnel de l'univers. En fait, c'est leur divergence
qui n'est pas douteuse ; car les Lois rejettent la causalité
de la (j)Ucrn;(X 889 ab; 891 c; cf. aussi Epin. 98; a, cité
infra, p. 315, note (o) et lui substituent celle de l'âme (896
ab et de; 897 c; 898 c, etc.)', qui opère par ses 8tixvouxt
(XII 967 a; cf. de même Epin. 98 3 b : 3LIXVO't)01i) et par sa
-rf:xv"fl(Lois X 889 c; Sophiste 2.65 e : les œuvres dites de
nature sont accomplies en réalité 0s:[q: -réxV'n; en 2.65 c,
il est nié que la nature engendre sans le secours d'une
3tixvotoc); or, on se souvient que les notions de 8uxvoux.
et de -réxv"tlsont, dans le Protreptique,expressément exclues
du principe de l'univers ; cela rejoint d'ailleurs Pl!Js. II 8,

(1) Cf. I. DÜRING, Aristotle on Ultimale Princip/es •••, p. 43 ;


Ari.rtotle'.r Protrepticu.r..• , p. 190; E. BERTJ, op. cit., p. 515-516 (qui
voit dans l'expression 71<pucriçxoclb 8e6ç un« hendiadys ll). Ces auteurs
mentionnent plusieurs formules du même genre appartenant aux
œuvres scolaires d'Aristote: De caelo I 4,271 a 33; De gener. et corrupt.
II 10, 336 b 27-32 ; Eth. Nicom. VII 13, 1153 b 32 ; X 9, 1179 b 21-23 ;
De diuin. per .romn. 2, 463 b 14-15. Ce dernier texte, où la <pumçest dite
80:iµovf.a.,cXÀÀ' oô fü:(oc,semble apporter aux précédents une précision
plutôt qu'un démenti ; cf. A. MANSION, op. cit., p. 268.
(2) Voir .rupra, p. 305, notes (1) et (3), et p. 306, note (1). Le caractère
t<aristotélicien 11 de la téléologie du Prolrept. vient d'être souligné par
I. DüarNG, art. Ari.rlotele.r, dans RE, Supplemtbd. XI, 1968, col. 302.
(3) Op. cit., p. 509-510.
(4) Comme l'observe W. THEILER, Zur Geschichte der teleologi.rchen
Naturbetrachlung bi.r atif Ari.rtoteles, diss. Base!, Zürich 1924, p. 84-85,
la comparaison est saisissante entre Loi.r X 896 b : µeTo:ooÀ'ljc; n xa:t
xw1Jcreooç&:mi<TY)ç oct-da:[se. : 'f'UX7J
], et Phy.r. (qui sur ce point rejoint
le Protrept.) III 1, 200 b 12-13 : 1J<pumçµév tcrTLV&px_~xt111Jcreooc; xoct
µeTotOoÀ'ljç. Plus exactement, comme le montrent les Loi.r X 892 bt,
l'opposition est chez Platon entre l'âme et la fausse nature (ce que les
athées appellent à tort nature, cpucrtç,-9jvoùx ôp8ooç è1tovoµ&:~oucrw
01:ÔTO Toiho) ; car l'âme est elle-même, à un degré éminent, cpucret.
DANS LE DE PHILOSOPHIA 307

199 b 2.7-30 la nature, malgré son caractère téléologique,


ne délibère pas1. Si donc l'on peut dire que l'âme cosmique
des Lois et la nature du Protreptiquesont un seul et même
principe, c'est pour faire entendre qu'elles jouent le même
rôle et qu'elles se sont historiquement relayées (sans
d'ailleurs que l'on puisse établir avec certitude laquelle
est chronologiquement antérieure à l'autre) 2 ; mais il ne
fait pas de doute que cette fonction identique est assumée,
de part et d'autre, avec des moyens totalement différents 3 •
Puisque la doctrine aristotélicienne de la nature se
manifeste déjà dans le Protreptique,l'on est en droit de se
demander si elle ne se rencontrerait pas également dans
d'autres œuvres de la jeunesse du philosophe, en particulier
dans le De philosophia. A cette question souvent posée,
B. Berti et M. Untersteiner répondent affirmativement :
le dialogue professait une théorie de la nature identique
à celle du Protreptique,et insistait notamment sur le caractère
divin de la q,ucrtc;
4 ( ce qui est une tout autre thèse que celle

(1) C'est pourquoi H. LErSEGANG,art. Physis, dans RE, XX 1,


1941, col. 1148, invoque le Soph. 265 e, pour montrer qu'Aristote,
dès le Protrept., s'oppose à la doctrine de Platon. On notera qu'un
témoignage rapporté au De philos. (fgt 19 c Ross, p. 89, = PHILON,
De aetern. mundi 8, 43) attribue au Dieu 87lµwupy6,; l'usage de T~X\17)
xett Buivmet ; c'est l'antithèse exacte de la position du Prolrept., en
même temps que le prolongement de la doctrine platonicienne.
(2) Cf. W. THEILER, op. cil., p. 84-86, dont BERTI, foc. cit., force
la pensée.
(3) L'è:µcppoov(f>Ucri,;du Timée 46 d (cf. supra, note (3) de la p. 305)
n'indique aucune affinité avec la doctrine du Protrept., puisque cette
formule n'est pour Platon qu'une façon de désigner la ~UX7)qui seule
possède le voü,;. L'opposition entre l'âme platonicienne et la nature
d'Aristote a été bien marquée par J. L. ACKRILL, recension de
P. WrLPERT, Zwci aristotelische Friihs,hriften über die ldeenlehre,
Regensburg 1949, dans Mind, 61, 1952, p. 106 ; sur la rupture que
la doctrine de la (f>Ucrt,;
dans le Protrept. marque relativement à Platon,
voir R. STARK,Aristoteleutudien, collect. ocZetemata », 8, München
1954, p. 9 ; cf. encore, dans le même sens, l'article (que me signale
aimablement Mme J. de Romilly) de F. SoLMSEN,Nature as Craftsman
in Greek Thought, dans Journal of the History of ldeas, 24, 1963, p. 485-487.
(4) E. BERTI, op. cil., p. 404, n. 306, et p. 510-511 ; M. UNTERSTEr-
NER,op. cil., p. xv et 181. Cf. de même J. MoREAu, Aristote et son école,
collect. « Les grands penseurs», Paris 1962, p. 24-25.
308 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

de la divinité de l'univers). C'est un fait que plusieurs


fragments rapportés au De philosophia contiennent le mot
(f)UO"LÇou natura; il faut les examiner un à un, et voir s'ils
permettent cette interprétation 1 •
Le premier texte rencontré est celui du fragment 8 b2 ;
il y est dit que les hommes, à une certaine étape de leur
développement, en vinrent à considérer les corps et « la
nature qui les fabrique» (TYJVa1)µ.LoupyàvOCÛTù'J'V <pucnv);
cette formule est pleine d'intérêt, car c'est celle-là même
que reprendra plusieurs fois I' Aristote du corpus pour
condenser sa théorie de la nature 3 ; mais on ne peut dire
qu'elle ait déjà eu cette fonction dans le De philosophia,
puisque, à supposer qu'elle appartînt au dialogue, l'auteur,
loin de la prendre à son compte, l'appliquait à des pré-
décesseurs inconnus 4 • D'autre part, il faut savoir que
ce fragment 8 b est devenu récemment l'objet d'une grave
suspicion ; W. Haase a en effet montré, au moyen d'une
argumentation minutieuse, que le texte de Philopon a peu
de chances de concerner le De philosophia; en particulier,
le passage (qui seul porte le nom cl'Aristote) sur les 'II01J't'~
xcd 6e:"i:ocqui, très manifestes dans l'ordre de l'essence,

(1) On peut éliminer tout ce qui concerne la quinta natura, qui,


malgré son nom, n'a rien de commun avec la doctrine de la cpucnç,
et sur laquelle nous reviendrons d'ailleurs bientôt.
(2) Ross, p. 77, = PHILOPDN, In Nicom. üag. I 1.
(3) De anim. inceuu 12, 711 a 18 : 'iJtpucrLçoùSè:11
S"l)µLoupye:î µ&.-ni11;
De part. anim. I 5,645 a 9: 'iJ81)µLoupy1icrotcroc
tpumç, etc. Cf. H. BONITZ,
Index aristotelicus, Berolini 1870, p. 174 b 21-23, et W. THEILER, art.
Demiurgos, dans RAC, t. III, 19n, col. 697.
(4) Des cpucrLxoL présocratiques, suppose UNTERSTEINER, op. cil.,
p. 130 et 132 ; BERTI, op. fit., p. 334, verrait, dans les diverses étapes
de l'histoire de la crocp[oc,
une succession didactique plutôt que chrono-
logique. La cinquième et dernière étape mentionnée est caractérisée
par la connaissance de -rd: 6doc xocl urrepx6crµLocxocl &µe-r<X.ÔÀ1)-rot ; si
elle a un rapport avec le De philos., cette expression a des chances de
désigner l'éther hypercosmique, lui aussi divin et immuable ; à ce titre,
j'aurais dû signaler ce passage du fgt 8 b dans ma Théologie cosmique
et Théologiechrétienne ( Ambroise, « Exam. » I 1, 1-4), collect. <<Biblioth.
de Philosophie contemporaine », Paris 1964, p. 161-170,
LE PROBLÈME DU FGT 8b 309
sont obscurs dans l'ordre de la connaissance 1 pourrait
s'expliquer suffisamment par référence à la Métaphysique(X 1,
993 b 9-112 ; on se doit donc d'être très circonspect dans

(1) Ross, p. 76, 4-7 : 'Erre:l -ro(wv -ràcvo11-ràc xrxt Oe:rrx,wç ô 'Apt-
cr-ro-rsÀ'l')Ç e:t xrxt <prxv6-ra:-roc
<p'l')cr(v, tcr-rt xrx-ràc'O)V ea:u-rwv oôcrErxv,
~µrv a,tàcTI)V bttxe:tµtV'l')V-roü crwµa:-roçàxMv crxo-re:tv<i 8oxe:î xrxt
a:µu8prx, ...
(2) W. HAAsE, Ein vermeintliches Aristote/es-Fragment bei Johannes
Philoponos, dans Synusia, Festgabe für W. ScHADEWALDT,Pfullingen
1965, p. 323-354. On ne peut entrer ici dans le détail de cette longue
démonstration, mais tout au plus en indiquer les grandes lignes, en
rappelant d'abord les dernières expressions de la thèse traditionnelle,
A. J. FESTUGIÈRE,La révélation d'Hermès Trismégiste, Il : Le dieu
cosmique, collect. <<Études bibliques», Paris 1949, p. 222-224, approuve
Bywater d'avoir rattaché le texte de PHILOPON,In Nicom. Jsag. I 1 au
I•r livre du De philos.,· dans son Appcnd. I, p. 587-591, il confirme
ce rattachement en rapprochant de Philopon AscLÉPIUS, In Arist.
Metaph. libros A-Z comment., ad A 1, 980 a 22, éd. Hayduck, p. 3, 30-H,
où les mots wç dp'l')Ttxlµot l·~ -rorç rre:pt cro<p(œç Myotç, que le com-
mentateur donne pour tirés littéralement de l' Apodictique d'Aristote,
constitueraient une référence d'Aristote à son De philos. Selon
H. D. SAFFREY,Le Ile:pt <ptÀocroip[rxçd'Aristote et la théorie plato-
niciennedes Idées Nombres, collect. <(Philos.antiqua», 7, Leiden 1955,
p. 7-10, les mots en question proviendraient en réalité, non pas
d'Aristote lui-même, mais d'un commentateur alexandrin (Ammonius)
des Ana/yl. postér. (appelés couramment Apodictique) ; c'est lui qui
aurait fait référence au De philos., comme il apparaît encore chez
PmLOPON, In Arist. Ana{yt. poster. comment., ad I 33, 89 b 7, éd.
Wallies, p. 332, 8-12. L'appartenance du fgt 8 b à !'Aristote perdu est
enfin admise par K. GAISER, Platons ungeschriebeneLehre. Studien z.ur
.rystematischen und geschichtlichen Begründung der Wissenschaften in der
Platonischen Schule, Stuttgart 2 1968, p. 236-242 et notes correspondantes
(p. 397-399 ; le texte de Philopon est cité et annoté sous le n° 13
des Testim. platonica, p. 457-459) ; seulement, selon un choix déjà
défendu par Bignone, il ne s'agirait pas du De philos., mais bien du
Protrepl., notamment pour la raison suivante : les objets OE1:0t xœl
ùrre:px6crµtrxxrxt &.µe:-rocOÀ'l)Ttx,
dont la connaissance définit la suprême
sagesse (Ross, p. 77, 14-16), ne sont autres que les Idées platoni-
ciennes ; or celles-ci, encore admises pour l'essentiel dans le Protrept.,
devaient être expressément combattues dans le De philos. - Contre
cette validation traditionnelle du fgt 8 b, le premier coup fut porté
par H. CHERNISS,recension de H. D. SAFFREY,op. cit., dans Gnomon,
31, 1959, p. 38 : en comparant au début du fragment un autre passage
du même commentaire de Philopon, où la notion d'objets à la fois
cpœv6-roc-rrxet t8E1:vxrxÀSrroc est expressément rapportée à Metaph. œ 1,
993 a 30-b 11, cet historien conclut que la référence aristotélicienne
21
310 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

l'exploitation de ce témoignage en relation avec le dialogue.


Le fragment 9 1 comporte quant à lui l'expression &px.~
xw~crewç ècr-rtv~ cpucrtç,elle aussi caractéristique de la
doctrine du corpus et présente en divers passages de la
P~ysique (III 1, zoo b iz; VlII ;, 253 b 5-9)2 ; mais la
référence au De philosophia,si elle existe pour ce fragment,
ne va pas jusque-là : elle se borne à l'appréciation d'Aristote
sur l'école de Parménide et de Mélissus (ot m:pt Ilcx.pµ.evŒ"l)V
•., xixÀ"l)XEV), le reste, y compris la formule sur la cpucrtç
(qui devient alors une simple citation de la Pf?ysique),étant
une explication introduite par Sextus Empiricus ou par sa
source.
Le fragment 1 z b3 réclame plus d'attention, car c'est

devait être la même dans les deux cas, et écarta dans le premier d'entre
eux l'hypothèse d'une allusion au De philos. A son tour, W. Haase
prolonge la critique de Cherniss en reprenant le problème tout à
loisir ; étudiant de plus près les textes, mis en avant par Festugière
et Saffrey, des commentaires d' Asclépius sur la Métaph. et de Philopon
sur les Analyt. postér., il montre qu'eux aussi ont peu de chances de
porter témoignage sur le dialogue (art. fit., p. 334-340) ; quant aux
variations étymologiques de ces divers commentateurs sur crocptoe -
ocxcpeioe, elles seraient l'aboutissement de la tradition grecque de la
« Lichtmetaphysik l), engendrée essentiellement par les livres V à VII
de la Républ. de Platon (p. 340-344) ; pour finir (p. 354, n. 78), Haase
laisse entendre que sa critique des témoignages pourrait être étendue
à d'autres prétendus fragments du De philos., par exemple au fgt 24
Ross, p. 91-92, où la formule xodlcxm:pxoct 'Apicr-.a-.éÀ7J.:; renverrait
simplement à une interprétation de Plutarque le néoplatonicien,
comme l'avait déjà vu R. BEUTLER,art. Plutarchos von Athen, dans RE,
XXI 1, 1951, col. 967.
(1) Ross, p. 77,= SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. X 45-46. Cf. BERTI,
op. cil., p. 343 ; UNTERSTEINER, op. cil., p. 135.
(2) Sa pertinence à l'aristotélisme définitif apparaît mieux encore
si on la rapproche d'une formule du fgt 12 a 1°, p. 80, = SEXTUS
EMPIR., Adu. mathem. IX 22: 0eà" -.à" -nj.:; 't"otOCUTI).:; Ktvficrew.:;[... ]
ochw"; on pourrait certes supposer que, recoupés l'un par l'autre,
les deux textes font apparaître simplement le caractère divin de la
nature ; je préfère pour ma . part comprendre que le De philos. et
la Phys. rapportent le mouvement à deux principes tout différents,
qui sont respectivement Dieu et la nature.
(3) Ross, p. 81, = SEXTUSEMPIR., Adu. mathem. IX 27.
LA NATURE... DE DIEU 311

sur lui que M. Untersteiner 1 s'appuie pour soutenir que


le dialogue assignait à la nature un caractère divin et une
fonction démiurgique, deux attributs qui, nous l'avons
vu 2, appartiennent à l'aristotélisme de la maturité. Nous y
lisons en effet que les hommes, frappés par la magnifique
ordonnance des astres, en recherchèrent l'artisan ('t'àv
3"1jµLoupy6v),persuadés qu'elle ne provenait pas du hasard
(éx 't'IXÙ't'Ofl.OC't'OU),
mais bien û1t6 nvoç xpd't''t'ovoç xixt
&cp0ocp't'0\) q>UO'e:wç, ~'t'LÇ~V 0e:6ç. Il est compréhensible que
le voisinage du « hasard » ait induit à voir dans cette (f)UO'LÇ
la « nature » familière au corpus aristotelicum, où ces deux
notions sont souvent opposées 3 • Mais il est douteux que
q>UO'LÇ ait ici ce sens ; car l'adjectif indéfini 't'LÇavertit qu'il ne
peut s'agir de la nature universelle, mais d'une certaine nature
qui est celle de Dieu, cpumç étant alors synonyme d'oùO'tix,
selon un usage bien attesté chez Aristote 4 : ce n'est pas
la nature qui est dite démiurgique et divine, c'est le divin
démiurge qui est désigné comme une nature supérieure
et incorruptible 5 •
Les fragments 17, 19 b et 21 b6 contiennent les formules
couplées XIX't'<X cpumv et 1tixpoc(f)UO'LV ( contranaturam). Mais,
contrairement à ce que pense E. Berti 7, elles ont peu de

(1) Op. &it.,p. xv et 173; Il Ile:pt qHÀoaoqilixç di Aristotele, I,


p. 358.
(2) Supra, p. 305 et note (4), p. 306 et note (1), p. 308 et note (3).
(3) Cf . .rupra, p. 304-305.
(4) Cf. H. BoNITZ, op. cit., p. 838 b 31-60 ; A. J. FESTUGIÈRE,
op. cil., p. 230, traduit fort bien « un être supérieur et immortel, qui
est Dieu». De lamêmefaçon,lefgt 6 del'Eudème,p.19, = [PLUTARQUE],
Con.roi.ad Apollon. 27, 115 B-E, porte qu'il est impossible aux hommes
rijç 'l'OÛ~eÀ'l'LO''l'OU
de fLE'l'ctCJX.:Î:V qiocre:wç.
(5) Ce point a été parfaitement vu par BERTI, op. cit., p. 5 16, qui
cite un passage comparable de Metaph. K 7, 1064 a 35-37, où 'l'O 6e:i:ov
est appelé 'l'tÇ'l'OtlX\l'TT)
qiocrtç [i.e. xwptcr'l'7JXIXL L'opposition
d.XLV"IJ'l'OÇ],
qui apparaît à cet égard entre le De philos. et le Protrept. est méconnue
par I. DÜRING, Aristotfe'.r Protrepticus ... , p. 190, qui rapproche, du
fgt 11 du second ouvrage, le fgt 12 b du premier.
(6) Ross, p. 85, 87-88 et 90, = Schol. in Prouerb. Salom.; PHILON,
De aetern. mundi 6, 28-7, 34 ; CrcÉRON,De nat. deor. II 16, 44.
(7) Op. cit., p. 361 et 368-369.
312 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

chances d'attester la présence, dans le dialogue, d'une


doctrine de la qiu<rn; comme ordre rationnel autonome.
Car, la démonstration en a été faite\ il s'agit là de simples
façons de parler, qui ne sont solidaires d'aucune philosophie
particulière, et qu'Aristote emprunte d'ailleurs à la littéra-
ture hippocratique et à Platon ; enfin, on n'oubliera pas
une importante distinction de Simplicius 2 : qu'un mouve-
ment se déroule xoc't'~ ou mxpii t.p'JOWn'implique nullement
qu'il soit ou non produit r.pucrsi.Le fragment 28 du De
philosophia3 est emprunté à Pf?ys.II 2, 194 a 27-36 ; si l'on
prend ce texte dans toute l'ampleur que lui donnent les
recueils, il est clair que l'on y trouve affirmé le caractère
téléologique de la nature, tout comme dans les traités
scolaires ; mais il est non moins clair que la référence au
dialogue est en réalité bien plus restreinte, limitée à
l'affirmation du double sens de 't'à o:S Ëvsxoc ; or cette
distinction n'est nullement liée à la doctrine de la nature,
puisque Aristote lui-même l'emploie dans plusieurs autres
contextes 4 ; rien ne prouve donc que le De philosophia l'ait
invoquée à propos de la théorie de la r.pucru; 5•

Sans doute faut-il enfin adopter le même principe


d'explication pour deux autres fragments que Ross n'a
pas retenus, mais qui figurent dans le recueil de Wal.zer6,
et qu'Untersteiner a conservés avec raison 7 • Le premier
de ces fragments, extrait du De generationeet corruptione,
pose que la nature tend toujours vers le meilleur et qu'être
est meilleur que n'être pas, ce qui rejoint certainement

(1) Par A. MANSION, op. cit., p. 108-109 et n. 14.


(2) In Arist. De caeloI 7, ad 275 b 25, éd. Heiberg, p. 242, 4-6.
(3) Ross, p. 96.
(4) Comme le montrent les divers textes cités à propos du fgt 28
par R. WALZER, Aristotelis dia!ogorumfragmenta, Firenze 1934, p. 97,
n. 2.
(5) Ce qui explique que ni Betti ni Untersteiner n'aient mobilisé
ce fgt à l'appui de leur interprétation.
(6) Sous le numéro 31 b et d, p. 98, = ARISTOTE, De gener. et corrupt.
Il 10,336 b_27-32, et Critolaos apud PHILON, De aetern. mundi S, 69.
(7) Op. CIi., p. 62-64.
LE MOUVEMENT VOLONTAIRE DES ASTRES 313

la doctrine de la (J)UO"LÇ propre au corpus; il ajoute que,


pour satisfaire au maximum à cette exigence d'être, Dieu
a institué la continuité de la génération (è:vaeÀS:X.1)
1r:ot~mxc;
TI)Vyévernv), qui a son principe dans la continuité de la
translation circulaire du ciel. Mais seule cette addition a
chance de provenir du dialogue, qui comportait en effet
une théorie de l'è:vlk/\éx.ew:en relation avec le mouvement
du cieP ; ce qui la précède, c'est-à-dire la doctrine de
la nature, doit appartenir en propre au De generatione 2•

C'est de la même façon que l'on entendra le deuxième


fragment, tiré de Critolaos, sur la nature qui gratifie
merveilleusement l'espèce de l'immortalité à laquelle
l'individu ne peut prétendre.
Il apparaît donc qu'aucun témoignage relatif au De
philosophia n'y atteste sérieusement la présence de la
doctrine de la nature qui caractérise le corpus aussi bien
que le Protreptique. Tous les textes qui, lus hâtivement,
sembleraient aller dans ce sens, sont de peu de poids
au regard d'un fragment qui incline sans aucun doute en
sens contraire : le fragment 21 b 3 , selon lequel Aristote
niait que la nature fût la cause du mouvement des astres,
et le rapportait à leur propre volonté ; or, on se souvient
que, dans l'aristotélisme ultérieur, la production des
mouvements célestes est l'une des fonctions assumées
par la nature4. On a essayé de discréditer ce texte en le
réputant purement stoïcien 5 ; il est vrai que le stoïcisme
assignait aux mouvements de l'univers une origine volon-

(1) Nous le verrons infra, p. 345 et 349-350.


(2) Quoi qu'en pense UNTERSTEINER, op. cit., p. 304. On notera
d'ailleurs combien le principe « être est meilleur que n'être pas»
s'oppose à la célèbre formule pessimiste de l'Eudème, selon laquelle
« le meilleur, pour tous et toutes, est de n'être pas nés>>(fgt 6, p. 19, =
[PLUTARQUE], Con.roi.ad Apollon. 27, 115 B-E); ce pourrait être un
indice du caractère relativement tardif de la première formule.
(3) Ross, p. 90-91, = CrcÉRON, De nat. deor. Il 16, 44.
(4)a. supra, p. 304.
(5) Ainsi fait, après Cherniss, P. MoRAux, art. cil., col. 1223.
314 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

taire 1 ; mais on voit mal en quoi cette circonstance rend


impossible qu'une position analogue ait été amorcée dans
le De philosophia, dont les stoïciens auraient pu s'inspirer ;
à supposer que les Lois (où les mouvements célestes sont
rapportés à la volonté de l'âme cosmique, cf. X 897 a,
XII 966 e-967 a) ne soient pas parvenues jusqu'à nous,
et que le Balbus de Cicéron attribue la même doctrine
stoïcienne à Platon, devrait-on voir dans son témoignage
une « interprétation tendancieuse » du platonisme? Aussi
est-ce à bon droit que M. Untersteiner et E. Berti main-
tiennent la validité du fragment 21 b ; encore sont-ils
amenés à le détourner de son sens pour le plier à leur façon
de voir. A la suite de Bernays, Untersteiner 2 imagine
que le dialogue, tout comme le De caelo,avait simplement
assigné aux astres un mouvement « particulier » (&rp'
Éexu-rwv ), que l'intermédiaire stoïcien aurait travesti en
mouvement «volontaire» (èrp' Éexu-ro'r:i:;,
que Cicéron
traduit par uoluntarius); l'explication est plus subtile que
convaincante. Berti 3 admet l'existence d'une volonté
propre aux astres ; toutefois, il voit en elle la cause, non
pas de leur mouvement même, mais seulement de sa forme
circulaire ; en vérité, rien dans le témoignage de Cicéron
n'autorise cette restriction.
Si, comme on doit le faire, on admet l'authenticité du
fragment 21 b, on ne peut qu'enregistrer que le dialogue
ignorait la théorie de la nature défendue dans le Protreptique
et dans les traités conservés, puisqu'il en niait un aspect
essentiel, à savoir la causalité naturelle des mouvements
célestes. Cette constatation s'est imposée à plusieurs
historiens 4 • Nul doute qu'elle entraîne une conséquence

(1) Cf. C1cÉRoN, De nat. deor. II 22, 58, = SVF I 172, p. 44, 17 :
« natura mundi ornnis motus habet uoluntarios )), et encore De nat.
deor.Il 11, 31.
(2.) Op.cit., p. 2.34-235.
(3) Op.cit., p. 368, 370 et 556.
.••, p. 84-85, qui observe
(4) Ainsi à W. THEILER, Zur Geschichte
CONSÉQUENCES CHRONOLOGIQUES 315
importante touchant l'ordre de succession, si controversé,
des écrits exotériques : s'il est vrai que, sur ce point de
doctrine fondamental, le De philosophia se rapproche du
dernier platonisme tandis que le Protreptique coïncide
avec le corpus aristotelicum, il est à croire, contrairement
aux vues de Jaeger suivi par la plupart des critiques,
que le De philosophiaa précédé le Protreptique1 , C'est entre
ces deux œuvres qu'Aristote aura révisé radicalement son
attachement au platonisme, et conçu les grandes lignes
de sa théorie définitive de la (f)UO'LÇ,

IL L'ATTITUDE RELATIVE A LA THÉORIE


PLATONICIENNE DES IDÉES

Les variations d'Aristote dans sa conception de la


nature offrent donc un critère sérieux pour la datation
comparée de ses deux principaux écrits exotériques. On a
longtemps cru que des renseignements du même ordre
pouvaient être extraits de son évolution relativement à la
théorie platonicienne des Idées. Ces tentatives sont bien
connues, et il suffira de les rappeler sommairement. La
voie a été ouverte par Jaeger ; selon lui, le dialogue récusait
la doctrine des Idées, et il était le seul des écrits exotériques
à le faire ; parallèle sur ce point au Ier livre de la Méta-

que le De philos. rejoignait sur ce point l'Epin. 983 a : comment se


pourrait-il qu'une nature imprimât un mouvement circulaire à l'énorme
masse ('t'ocroÜ't'ovm:pLcpépe:LV
/Syxov't'LVicpumv) des astres ? Cf. aussi
A. MANSION, op. cil., p. 94, n. 4.
(1) Selon l'hypothèse avancée par W. THEILER, op. cil,, p. 86.
Cet ordre de succession est également admis, mais sur de tout autres
bases, par E. BERTI, op. cit., p. 402.-403. Notre collègue italien écrit,
à la dernière page ü58) de son ouvrage, que c'est le Protrept. qui a
élaboré la théorie de la cpuo-Lçcomme rationalité immanente à l'ordre
naturel, et, en conséquence, éliminé les âmes ; mais on voit mal
comment il peut concilier cette affirmation excellente avec les pages
antérieures (361 ; 368-369; 404, n. 306; 510-511) où, s'opposant
à Theiler, il prête la même doctrine au De philo.r.
316 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

pl!Ysique,il en serait contemporain, l'un et l'autre étant


postérieurs à la mort de Platon (348/347) ; l'essentiel de
la thèse de Jaeger, à savoir que le De philosophiaétait hostile
aux Idées, fut admis par nombre d'historiens, parmi
lesquels Bignone, Festugière, Mlle De V ogel, Düring 1 ;
ils en tirèrent d'ailleurs des conclusions souvent différentes
de celles de Jaeger touchant la chronologie absolue, et
même relative, de l' Aristote perdu, et tendirent générale-
ment à reculer davantage la date du dialogue 2 • A l'opposé,

(1) Mlle De Vogel semble avoir récemment atténué sa position


sur ce point ; si elle pense toujours que le Protrept. était fidèle à la
doctrine platonicienne des Idées, elle admet maintenant que le De
philos. ne la critiquait probablement pas, ou du moins que rien ne
prouve qu'ill'ait critiquée autrement que sous la forme très particulière
des Idées-nombres ; c'est certainement le point de vue le plus
raisonnable, et elle le fonde sur une analyse attentive des fgts 8 h
(qu'elle rapproche du fgt 15 du Protrept., in fine), 11, 12, 13, 16 et 17
du dialogue ; cf. C. J. DE VoGEL, Did Aristotle ever accept Plato's
Theory of TranscendentIdeas? Problems around a new Edition of the « Pro-
trepticus >>,dans Archiv für Gesch. der Philos., 47, 1965, p. 291-295 ;
et encore Aristotle's Attitude to Plato and the Theory of Ideas according
to the Tapies, dans Aristotle on Dialectic. The Tapies, Proceed. of the
Third Symposium Aristotelicum, ed. by G. E. L. OwEN, Oxford
1968, p. 91-102. I. Düring, quant à lui, reste fidèle à sa conviction
qu'Aristote, même à ses débuts, n'a jamais accepté le xwptcrµ6~ des
Formes ; voir son grand ouvrage Arùtoteles. Darstellung und Inter-
pretation seines Denkens, Heidelberg 1966, p. 245-290, et son art.
Did Aristotle ever accept Plato's Theory of TranscendentIdeas? (réponse
à Mlle De Vogel), dansArchivfür Gesch.der Philos., 48, 1966, p. 312-316.
(2) Ainsi I. DüRrNG, art. Aristote/es de la RE, col. 296-297 et 332-
333, nie que, comme le voulait Jaeger, le De philos. soit à dater de
la période d'Assos ; il l'estime contemporain de la Phys. II, de la
Métaph. A et du Ile:p t tvetv·dwv (citation du De philos. en Phys. II
2, 194 a 35-36, du Il. betv·-dwv en Metaph. A 7, 1072 h 1-3), et il fait
remonter les quatre écrits au séjour d'Aristote à l'Académie (entre
360 et 355 pour De philos. et Metaph. A; entre 355 et 347 pour
Phys. II). A. H. CttRousT en revanche, The Probable Date ofAristotle's
Lost Dialogue On Philosophy, dans Journal of the Rist. of Philos., 4,
1966, p. 290-291, et The Probable Dates of Some Aristotle's « Lost
Works )), dans Riu. crit. di Storia della Fi/os., 22, 1967, p. 21-22, revient
sensiblement à la datation de Jaeger : le De philos. serait à peu près
contemporain de la mort de Platon, plus exactement postérieur à 35o
(date supposée du Protrept.) et antérieur à 347/346 (date supposée de
l'Epin.) ; inutile d'ajouter que cette datation ne repose sur aucun
critère objectif.
L'INCERTITUDE DES TÉMOIGNAGES 317

l'adhésion, au moins implicite, de l'auteur du De philosophia


aux grandes lignes de la théorie des Idées fut défendue
par Wilpert.
E. Berti se rattache nettement à la première tendance.
Comme Jaeger, il tient que le dialogue repousse les Idées
platoniciennes 1 • Sans doute certains témoignages semble-
raient-ils indiquer le contraire. Le plus positif pourrait être
le fragment 162, qui attribue à Aristote l'usage, pour
établir la réalité du divin, d'une démonstration connue
sous le nom d' argumentum ex gradibus : puisque, parmi
les êtres, l'un est meilleur que l'autre, il faut qu'existe le
meilleur absolu, qui sera -.à 0etov ; Wilpert avait pensé que
ce raisonnement implique l'adhésion à la doctrine des Idées ;
à la suite de Mlle De V ogel, Berri estime qu'il n'en est rien 3 ,
et il a probablement raison ; car une telle démonstration
peut s'appuyer uniquement sur le principe &vocyx'Y) crnivixL,
que la Pl?JsiqueVIII 5, 2.56a 2.9emploie pour prouver l'exis-
tence du Premier moteur, et qui ne doit rien à l'idéalisme
platonicien. En revanche, le fragment 8 b4 semble bien
attester un certain attachement à la doctrine des Idées.
Non pas à cause de l'emploi de formules telles que ixù-.i:x. -.a
crwµix't'oc,
IXÙ't"i:x.
-ri:x.0dlX; car Untersteiner 5 a montré, contre
Wilpert, qu'elles n'ont pas grande signification : ou bien
elles concernent des physiciens présocratiques, et ne dési-
gnent donc pas les Idées ; ou bien elles désignent les Idées,
ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'elles servent alors à décrire
la position de Platon. Cependant, les mots 't'cx.0û1Xx1Xtû7t'ep-
xocrµLixxixl. &µe-rocOÀ'Y)'t"IX
7t'IXV't"eÀ&ç
ont de quoi exciter la
curiosité, et K. Gaiser 6 a pu les regarder comme l'indice de

(1) Op. cit., p. 101.


(z) Ross, p. 84, = SrMPLICIUS,In De caelo, p. z88, z8-z89, 15.
(3) Op. cit., p. 323 et 354.
(4) Ross, p. 76-77, = PHrLoPON, In Nicom. L-ag. I 1.
(5) Op. cil., p. 129-132, approuvé par BERTI, op. cit., p. p.8-329,
(6) Op. cil., p. z38-z39, et n. 197 et 201, p. 397-398 ; c'est même
cette considération qui détermine Gaiser à retirer le fgt 8 b au De
philos., supposé hostile aux Idées platoniciennes, pout le rapporter
318 LE DIALOGUE SUR LA PHJWSOPHIE

l'adhésion d'Aristote à l'idéalisme platonicien, et non pas


comme un témoignage purement doxographique qu' Aris-
tote aurait rapporté sans s'y engager lui même (on peut
toutefois se demander si la sagesse conçue comme la
connaissance des « objets divins, hypercosmiques et totale-
ment immuables» ne correspondrait pas, plutôt qu'à la
pensée de Platon, à un autre aspect de celle d'Aristote lui-
même, qui professait sans doute dans le dialogue la divinité
de l'éther hypercosmique 1 ; dans cette hypothèse également,
c'est lui qui aurait repris à son compte la façon de parler de
Platon, avec ce qu'elle pouvait impliquer d'allusion à la
réalité des Idées). Mais le même fragment 8 b comporte,
attribuée expressément à Aristote, une autre phrase, dont
Berti et Untersteiner ne disent malheureusement rien : les
objets intelligibles et divins ('rocvo7J-roc
;w.t 0eï:a:),qui sont les
plus manifestes de par leur essence, nous semblent obscurs
et confus à cause des ténèbres du corps ; on ne peut prouver
de façon irrécusable qu'une telle déclaration concerne les
Idées platoniciennes ; mais il faut reconnaître qu'elle se
prêterait convenablement à cet emploi2.
Cependant, de pareils indices sont trop rares et trop
faibles pour établir que le De philosophiaadmettait encore la
validité de la doctrine des Idé~s ; ils en deviennent encore
plus incapables si l'on songe aux objections qui ont été
élevées contre la validité du fragment 8 b, principale
ressource des défenseurs de cette thèse, et en particulier,
justement, contre la relation au dialogue de la phrase sur les
xa:l.0ûa: 3 ; il faut donc donner raison à Berti d'avoir
V01J't"OC

au Protrept., cf. supra, p. 309, note (2) ; bien qu'il discerne dans
le texte de Phllopon la preuve de l'adhésion d'Aristote à la théorie
platonicienne des Idées, cet historien est donc à compter parmi ceux
pour qui le De philos. rejetait cette théorie.
(1) a. supra, p. 308, note (4).
(2) Comparer PLATON, Alcib. 134 d : -.à 0.:ïov xoct Àocµ1tp6v ;
~hédon ~o a : TCÏ> µèv 6d<p xcd [... ]VO'Yj't'CÏ>; Républ. VII s18 ç : 't'OÜ
OV't'OÇ 't'O (f)OCVO"ÇO('t'OV.
(3) CT.supra, p. 309 et note (2),
LA FRAGILITÉ DES HYPOTHÈSES 319

rappelé que l'adhésion du De philosophia aux Idées plato-


niciennes ne ressort pas avec certitude des fragments qui
en restent. Mais on ne peut le suivre quand, allant plus loin,
il prétend montrer que le dialogue condamnait positivement
cet aspect du platonisme. Sans doute n'invoque-t-il pas à
cette fin le fragment 11 a, où l'on s'accorde à voir le témoi-
gnage d'une hostilité, d'ailleurs très mitigée, visant unique-
ment les Idées-nombres et n'atteignant en rien les autres
présentations de la doctrine 1 • Mais il fait fonds sur les
fragments u b et 13 a 2 : le premier d'entre eux, traitant du
démiurge comme artisan de l'ordre cosmique dans la ligne
du Timée, ne dit mot du modèle intelligible ; le second serait
une imitation du mythe platonicien de la caverne, avec cette
différence fondamentale que le monde sensible, au lieu
d'être donné comme le symbole du monde des Idées, trou-
verait maintenant en lui-même toute sa valeur 3 • C'est un
fait que ces deux morceaux passent sous silence le monde
intelligible ; mais, pour qu'un tel argument ex silentio ait
la portée que l'on veut lui attribuer, il faudrait montrer
qu'Aristote s'est proposé de démarquer les développements
du Timée et de la République,et les a délibérément transfor-
més en supprimant toute référence à la doctrine des Idées ;
or, les ressemblances entre les textes platoniciens et les frag-
ments du dialogue sont trop minces pour autoriser cette
conclusion. En vérité, rien ne permet d'établir avec certi-
tude que l'auteur du De philosophiaait attaqué la théorie des
Idées dans sa forme la plus générale, ni d'ailleurs qu'il ait
continué d'y acquiescer.
A plus forte raison est-il difficile de retracer l'attitude

(1) a. UNTERSTEINER, op. cit., p. 141-142.. Pourtant, BERTI, op. cil.,


p. 341, semble regarder cette critique des nombres idéaux comme
l'achèvement d'une critique plus ancienne concernant toutes les autres
présentations de la théorie des Idées.
(2) Ross, p. 80-81, = SEXTUS EMPIR., Adu. mathem. IX 26-27, et
ÛCÉRON, De nat. deor. II 37, 95-96.
(3) BERTI, op. cil., p. 348-351.
320 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

d'Aristote à l'endroit de l'idéalisme platonicien pour la


période qui va du début de sa carrière jusqu'à ses premiers
écrits conservés. Berti s'est courageusement essayé à cette
tâche. Il se sépare de Jaeger en ce qu'il croit qu'Aristote n'a
pas attendu le De philosophia pour rejeter la doctrine des
Idées ; il n'entend donc pas de ce seul dialogue les témoi-
gnages de Plutarque et de Proclus selon lesquels Aristote,
avec âpreté et persévérance, avait combattu le recours aux
Idées atcx.-.&v È~wnptx&v atocMywv et Èv 'TOLÇ atocMyotç1
(observons cependant que ces formules, dont rien ne prouve
en effet qu'elles concernent exclusivement le De philosophia,
ne peuvent désigner avec certitude la totalité des écrits
exotériques, ni même tous les dialogues) ; d'accord avec
Düring contre Wilpert, il situe avant le De philosophia,tout
au début de la production littéraire d'Aristote, le De ideis
qui était certainement antiplatonicien 2 ; comme il l'a fait
pour le De philosophia,il s'attache à réduire tout ce qui, dans
les autres écrits de jeunesse, pourrait passer pour une
trace de l'adhésion aux Idées séparées : ni les fragments 5
(-r&v Èxe°i:fü:ocµ&.-rwv) et 6 (Tijc;-roü ~i::À-r[a-.oucpuaewc;)
de l'Eudème3 , ni le fragment 13 du Protreptique4 (ixù-.&v
-r&v 7t'pC:nwv, rxû-r&v -r&v &xpto&v) ne portent une
telle trace, et les formules suspectes qu'ils contiennent
s'expliquent suffisamment par référence soit à des réalités
transcendantes et immuables, soit à la nature comme
ordre rationnel, c'est-à-dire à des principes qui ne
se confondent nullement avec les Idées 5 • En définitive,
c'est de l'interprétation de Düring que Berti se rapproche
le plus : pas plus dans ses œuvres perdues que dans ses

(1) Fgts 10 a et b Ross, p. 77-78 et 4-5, = Proclus apud PHILOPON,


De aetern. mundi, p. 31, 17, et PLUTARQUE, Adu. Colot. 14, 1115 BC.
Cf. BERTI, op. cit., p. 335-336.
(2) BERTI, op. cil., p. 340-341 et 553.
(3) Ross, p. 18-19, = PRocLus, ln Remp. II, p. 349, 16-26, et
[PLUTARQUE], Consol. ad Apollon. 2.7, 115 B-E.
(4) Ross, p. 48, = JAMBLIQUE, Protrept. 10.
(5) BER TI, op. fit., p. 415-417, 420-423, 527-5 2.8, 553-554•
CONCLUSION FORCÉMENT DUBITATIVE 321

œuvres conservées, Aristote n'aurait jamais admis l'exis-


tence des Idées séparées 1 • Peut-être une légère différence
subsiste-t-elle pourtant entre les deux historiens quand le
second semblerait disposé à admettre la validité d'un témoi-
gnage sur Céphisodore 2, qui aurait attaqué conjointement
Platon et Aristote en commençant &1tà-rwvt~e:wv ; Aristote
a pu ainsi passer pour un adepte des Idées, mais ce ne fut
jamais que dans son extrême jeunesse, alors qu'il n'était pas
encore connu comme philosophe 3 •
Si les fragments de l' Aristote perdu ont été sur ce point
l'objet de tant de contestations, c'est sans aucun doute
qu'ils sont et restent contestables ; les seules conclusions
sûres sont des professions d'ignorance : rien ne prouve
qu'Aristote ait jamais pris à son compte la doctrine des
Idées, rien ne prouve qu'il l'ait critiquée dans le De philoso-
phia autrement que sous la forme particulière des nombres
idéaux ; aussi les historiens, convaincants lorsqu'ils démon-
tent les constructions de leurs prédécesseurs, cessent-ils de
l'être dès qu'ils présentent sur le mode positif leur propre
façon de voir. On comprend dans ces conditions que
M. Untersteiner se soit prudemment tenu à l'écart du pro-
blème. Ses développements sur la chronologie des écrits
exotériques sont rares, et il n'y tire jamais argument de
l'attitude d'Aristote relativement aux Idées. Il se borne à
faire sienne la thèse de Jaeger selon laquelle De philosophia
et Métapf?ysiqueA dateraient de la même époque, postérieure
à la mort de Platon, et à s'étonner que tout le monde ne soit
pas de cet avis 4 • Il lui arrive d'invoquer, à l'appui de cette
représentation, des témoignages peu probants. Tel celui

(1) Ibid., p. 242-246.


(2) Apud EusÈBE, Praep. euang.XIV 6, 9-10, = te.rtim.Ross, p. 5.
(3) BER TI, op. cit., p. 184-185 et 554.
(4) UNTERSTEINER, op. cit., p. xvn-xrx. En fait, la plupart des
critiques tiennent aujourd'hui le dialogue pour antérieur à la mort
de Platon; BERTI, op. çjt,, p. 403-407 et 557, pense même qu'il a précédé
les Loi.r, qui se ressentiraient de son influence.
322 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

d' Asclépius1, aux termes duquel le dialogue serait postérieur


à MétaphysiqueA, et par conséquent à Physique II (cité en
Metaph. A 10, 99; a 11) ; or on sait que Physique II cite
justement le Dephilosophia2,et ne peut donc l'avoir précédé ;
cette circonstance montre que le texte d' Asclépius ne peut
concerner le dialogue, et que la formule è:v-ro'r:çIl e:pt <p~À.o-
c; o <p( e<.ç y désigne sans doute simplement les livres suivants
de la Métaphysique3 • Tout aussi incertain est un texte de
Pline4, qui pourrait faire croire que le dialogue d'Aristote
mentionnait la mort de Platon ; mais il y a eu plusieurs
intermédiaires entre Aristote et Pline, et cette notation,
absente du dialogue, a toutes les chances d'avoir été intro-
duite par l'un d'eux 6 • Untersteiner amorce une recherche
plus féconde quand, frappé par la revalorisation du monde
sensible qui apparaît dans le fragment 14 b6, il en note le
contraste avec le pessimisme de l' Eudème, et conjecture avec
raison (puisque l'intérêt pour le monde sensible restera une
constante du corpusaristotelicum)7 que cet écrit devait donc
être antérieur au De philosophia8 , contrairement à la chrono-
logie de Düring et de Berti.

(1) In Metaph., p.112, 16-19, = testim. 4 Ross, p. 73; UNTERSTEINER


prend ce texte en considération op. cil., p. z et 70-71 ; BERTI fait
d'ailleurs de même op. cit., p. 329.
(z) Phys. Il z, 1940 27-36, = fgt z8 Ross, p. 96; cf. supra, p. 312.
BERTI, op. cil., p. 356, a relevé l'importance de ce texte pour la
chronologie, ce qui rend surprenant qu'il ait ajouté foi au témoignage
d'Asclépius. UNTERSTEINER, op. cit., p. 91-98, résoudrait la difficulté
en distinguant dans Phys. II, à la suite de Jaeger, un noyau primitif
et une reprise rédactionnelle postérieure ; il propose d'ailleurs de voir
dans Phys. I 8-9 un long fragment du De philos.; cf. encore son article
Aristotele «Phys. » l 8-9,Jrammenti del Ilept <pLÀocrocptcxt;.
(3) Explication de H. CHERNrss, recension citée, dans Gnomon, 31,
1959, p. 38.
(4) Nat. hist. 30, 3, = fgt 6 b Ross, p. 75 ; cf. UNTERSTEINER,
op. cit., p. 89.
(5) Juste remarque de BERTI, op. cit., p. 330.
(6) Ross, p. 83, = PLUTARQUE, De tranq. animi zo, 477 C.
(7) Cf. supra, p. 313, note (z).
(8) UNTERSTEJNER, op. cil., p. 188.
LE PROBLÈME DE PLATON INTERLOCUTEUR 323

Ill. LA DOCTRINE DE LA CRÉATION

Le De philosophiaétait un dialogue ; au nombre des inter-


locuteurs se trouvaient au moins Aristote (ce qui constitue
une innovation par rapport aux dialogues platoniciens) et
Platon 1 • La participation de Platon pose un grave pro-
blème ; en effet, parmi les fragments qui nous restent, il
est vraisemblable que quelques-uns au moins se rapportent
à des développements mis sur les lèvres de Platon ; com-
ment les distinguer de ceux qui concernent les tirades
qu'Aristote prenait à son compte? Les indices externes qui
le permettraient sont très rares ; le plus souvent, c'est
l'analyse du contenu qui inclinera à imputer tel fragment
à Platon mis en scène par Aristote plutôt qu'à Aristote lui-
même. On voit alors le danger : chaque fois qu'un historien
se trouvera en présence d'un morceau qui ne cadre pas avec
sa représentation de la doctrine propre à l'auteur du De
philosophia, il sera tenté de le rapporter à Platon interlo-
cuteur. C'est l'exemple-type de la pétition de principe que
Wilpert dénonçait dans les recherches sur l' Aristote perdu,
et qui vient d'être signalée de nouveau par P. Moraux 2 : les
textes nous permettent de nous faire une idée du contenu
de telle œuvre disparue, et c'est au nom de cette idée que
nous jugeons les textes. M. Untersteiner a indiqué cet abus
possible 3 ; on peut néanmoins se demander s'il ne lui est
pas arrivé d'y tomber lui-même, comme l'a souvent fait
Bignone.
Les recueils de fragmenta rapportent au De philosophia
une série de témoignages assez cohérents, et qui s'accordent
à donner le rapport de Dieu à l'univers pour analogue à celui
qui unit l'artisan à son ouvrage : Dieu est appelé s:1hod;(ocç

(1) Ibid., p. XXI-XX.II.


(2) Art. cit., col. 1218-1219.
(3) Op. cit., p. xxrv-xxv.
324 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

câ-rwç, a'YJµLOupy6ç,"t"E:)(_V('TT)Ç, 'X.OCl'µ07t'OL6Ç,


7t'OC"t"Y)flX.oct
qui... mundumfecerit, il est dit exercer sa 1tp6voiocet
7t'OL'YJ"t"~Ç,
prendre soin de ce qu'il a engendré (èmµe11.efo0ocL1:à
7tE:7t'OL'YJXOÇ
1:oü yeyov61:oç), les splendeurs du monde sensible
sont proclamées opus, opera deorum, 1:eÀeto1:&.1:n 1:éxvn xocl
èmrr-,;~µ?)a'YJµwupY'YJ0énoc, etc. Telle est la doctrine qui se
dégage des fragments 12.a 1°, 12. b, 13 a-d, 19 c, 2.0a, 2.7 e1. Elle
ne coïncide pas totalement avec celle que M. Untersteiner
estime avoir été tenue par l'auteur du dialogue, pour lequel
Dieu aurait bien été cause de l'ordre cosmique, mais non
pas créateur du monde 2, ni surtout dispensateur de
providence 3.
L'historien italien va donc opérer un tri parmi les témoi-
gnages. Les uns lui paraissent refléter les positions propres
d'Aristote: ce sont les fragments 12.a 1°, 12 b, 13 a et 2.0 a,
qui tous, à l'exception du deuxième, portent le nom d'Aris-
tote4. Les autres concerneraient au contraire les thèses
platoniciennes dont l'exposé aurait été mis dans la bouche
de Platon lui-même : tels sont les fragments 13 b-d (et
notamment 13 c, où se trouve affirmée la 1tp6voux), 19 c
(avec a'YJµwupyeî:v,xoc-,;ocrrxeuoc~eLv, -,;eÀeW"t"OC'TT) 2.7 e5 •
"TÉX.V'YJ),
Untersteiner a raison de signaler que cette deuxième série de
témoignages véhicule quantité de souvenirs platoniciens 6 •

(1) Ross, p. 80-83, 89, 96, = SEXTUS EMPIR.,Adu. mathem. IX 20-23


et 26-27 ; CrcÉRON, De nat. deor. II 37, 95-96 ; PHILON, Leg. alleg.
III 32, 97-99 ; De praem. et poen. 7, 41-43 ; De spec. leg. Ill 34, 187-191 ;
De aetern. mundi 8, 39-43 ; CICÉRON, Lucu/1. 38, 119 ; Recognit. ps.-clem.
VIII 15.
(2) C'est aussi l'interprétation de BERTI, op. rit., p. 348 et 357 ;
sa p. 556 montre pourtant qu'il ne répugnerait pas à attribuer à
!'Aristote du dialogue la notion d'un Dieu créateur, proche du
démiurge du Timée, et dont le monde serait l'œuvre.
(3) UNTERSTEINER, op. çif,, p. XV.
(4) Cf. ibid., p. 171, 176-178, 225-226.
(5) Cf. ibid., p. 173, 181, 183, 185, 223, 280. Untersteiner ne
s'attarde pas sur le fgt 13 d; mais il y verrait sans aucun doute la trace
du discours de Platon.
(6) Le fait est bien mis en lumière dans son art. Il Ile:p L qHÀocro-
<p[cxi; di Aristotele, I, p. 353-354 et 356, où les fgts 13 be et 19 c sont
mis en parallèle avec de nombreux passages de Platon.
UNE RÉPARTITION HASARDEUSE 325
Mais cette circonstance est-elle suffisante pour que l'on
puisse rapporter ces textes aux tirades platoniciennes du
dialogue? Ce serait méconnaître que l'auteur du De philo-
sophia lui-même était sûrement platonicien par certains
côtés, même si l'on ne s'accorde pas sur la délimitation de
ceux-ci. Il est donc hasardeux de décider si tel témoignage se
réfère au platonisme de Platon plutôt qu'au platonisme
d'Aristote, et cette incertitude est illustrée par les diver-
gences entre Bignone et Untersteiner qui, recourant au
même principe d'explication pour résoudre leurs difficultés,
ne s'accordent pas sur le choix des fragments à réputer
« platoniciens » ou « aristotéliciens »1 • Quoi qu'il en soit,
en présence d'un témoignage où affleurent des données
platoniciennes, on ne se pressera pas de les imputer à
l'exposé prétendu de Platon, on se demandera d'abord si
elles ne s'expliqueraient pas suffisamment par les lambeaux
de platonisme qui subsistaient sans aucun doute chez
l'auteur du dialogue; c'est ainsi qu'A. Mansion rapporte
les fragments 1 3 b et 19 c à Aristote se rangeant encore « à
l'exemple de Platon »2, sans que l'on se sente le droit de
repousser cette hypothèse comme le fait Untersteiner3. On
observera aussi que le platonisme qui se manifeste dans ce
groupe de fragments relève du Timée (où le processus créa-
teur est le fait d'un démiurge extérieur au monde) bien plus
que des Lois (où le démiurge a cédé la place à l'âme univer-
selle immanente) 4 ; pourquoi cet archaïsme dans la présen-

(1) C'est ainsi que Bignone tenait le fgt 13 a pour platonicien et


le fgt 27 e pour aristotélicien, alors qu'Untersteiner adopte la répartition
inverse ; cf. op. &it., p. 183 et 279-280.
(2) Op. fit., p. 96, n. 8. C'est aussi, pour les fgts 13 b-d et 19 &,
l'avis de BERTI, op. cit., p. 352 et 362, qui se sépare sur ce point de
Bignone et d'Untersteiner.
(3) Op. cit., p. 223.
(4) Il convient de ne pas majorer cette dissonance entre les deux
dialogues de Platon, s'il est vrai, comme le pensent beaucoup d'histo-
riens (par exemple F.M. CoRNFORD,Plato's Cosmology. The« Timaeus »
of Plato translated with a Running Commentary•, collect. « The Library
of Liberal Arts», 101, New York 1957, p. 197), que le démiurge du

22
326 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

tatioo du platonisme, surtout si la date du De phi!osophiaest


aussi tardive que le croit Untersteiner?
De plus, peut-être ce savant a-t-il négligé la présence, au
sein des fragments qu'il estime « platoniciens », de certains
éléments mieux attestés dans l'aristotélisme du De phi!oso-
phia que dans l'œuvre de Platon. Soit le fragment 13 b ;
parlant du monde qui nous aide à nous former une notion
de sa cause, Philon réserve une mention particulière aux
parties du monde (&1to't"OÜ x6crµ.ouxoà 't"6JVµ.i::p&vocihoü);
Untersteiner rapproche de ce texte le Timée p cd, qui en est
assez éloigné 1 ; mais on sait que l'auteur du dialogue accor-
dait une grande importance à la considération des parties du
monde dans la démonstration de l'indestructibilité de
l'univers (cf. les fragments 19 ab et 20 b)2 ; bien plus, il
décernait à chacune de ces parties une divinité propre,
distincte de celle du monde dans son ensemble, et Unter-
steiner le sait mieux que personne, qui a bien élucidé ce
point à propos du fragment 253 (voir aussi le fragment 26) ;
dès lors, il y a toutes les chances pour que le fragment 1; b,
faisant une place à ce thème proprement aristotélicien, soit
lui-même à regarder comme « aristotélicien ». On en dira
autant du fragment 19 c ; Untersteiner tient qu'il exprime
la pensée de Platon, parce qu'Aristote aurait tout au
contraire conçu Dieu comme l' « ordonnateur du monde »4 ;
mais il se trouve que ce texte attribue justement à Dieu la
fonction de 7tpoç 't"CX.ÇLV OC't"OCÇLOCV
µ.ewJîcx.MS:LV; on imagine
difficilement meilleure formulation de la position dite
aristotélicienne, ce qui devrait incliner à rapporter le frag-

Tim. n'est autre que la projection mythique de l'âme du monde des


Lois. Il n'en reste pas moins, du Tim. aux Lois, un changement dans
l'appellation du principe créateur, puisque celles-ci ne parlent plus du
démiurge.
(1) Op. dt., p. 182, et art. ,it., I, p. 353.
. (2) Comme Bignone a eu raison de le rappeler, fût-ce au prix d'une
1ncohérence que signale UNTERSTEINER, arJ, cil., I, p. 354-
(3) Op. ât., p. 249.
(4) Art. ,it., I, p. ;57.
• L'ARISTOTÉLISME DES FRAGMENTS « PLATONICIBNS » 327

ment à l'auteur du dialogue ; aussi bien, c'est également,


presque mot pour mot, la doctrine du Timée 30 a1, d'où il
apparaît qu'Aristote est ici bien plus platonicien qu'on ne
voudrait nous le faire croire. On peut se demander enfin si
Bignone n'avait pas raison de rapporter à Aristote lui-même
le fragment 2.7 e, plutôt qu'à Platon comme le souhaite
Untersteiner 2 ; car les rapprochements proposés par celui-ci
(et qui concernent d'ailleurs uniquement l' Epinomis) ne
sont guère convaincants : Epin. 981 be attribue la fonction
démiurgique à l'âme du monde, et non pas au cinquième
élément ; Epin. 987 be ne concerne en rien le fragment 2.7e,
sinon peut-être par une vague allusion à l' &.xoc-rov6µoccr-rov(en
987 ab : oùx ôv6µoc-rot~O"X'rJXE:V; cf. aussi 986 e) ; de plus, la
notion que le fragment exprime par coniungenssemble
absente des documents platoniciens 3 ; en revanche, tous ces
points (rôle générateur et unificateur de l'éther innommable)
sont attestés chez Aristote 4 •
C'est dire que la dichotomie introduite par Untersteiner
parmi les fragments du De philosophia n'est pas exempte
d'arbitraire. Elle ne suffit d'ailleurs pas à lever la difficulté ;

(1) Bien vu ibid., p. 356.


(2.) Cf. op. cit., p. 2.79-280,et art. cil., II, p. 146-148.
(3) C'est le moyen platonisme qui l'introduira dans son interpréta-
tion du Timée, comme j'ai essayé de le montrer dans mon article Une
nouvelle source de saint Augustin : le ~~-.riµixde Porphyre <<Sur l'union de
l'âme et du corps», dans Revue des Études anciennes, 66, 1964, p. 60.
(4) Cf. De philos., fgts 21 a et 27 be Ross, p. 90 et 95, = CrcÉR0N,
De nat. deor. II 15, 42, et Tu.rcul. I 10, 22 et 17, 41 ; PsELLUS, De omnif,
doclr. 13 1 (97), 4-5 ; Schol. ad Basil. Hexaem., n° 3 P ASQUALI ; AuGUSTIN,
De Gen. ad litt. VII 2.1 ; HERMIAS, Irris. gentil. philos. 11 ; ALEX.
o' APHROD., De mixt. 10 ; ARrus Dm., Epit. fragm. phys. 9 ; JuLIEN,
Oral. V 2, 162 a-d, etc. A ces textes, que j'ai étudiés avec quelques
autres dans ma Théologie cosmique... , p. 326-327 et 486-492, ajouter
JuLIEN, Oral. VIII (Sur la Mère des dieux) 6, 166 d, qui fait allusion
à la fonction créatrice de l'éther : -rà n-éµn--rovcrwµix-rou-rep87)µrnup-
ytxC::nep6v€0"'t't-rwv tjj8e xixt 0et6-repov,'t'CjlµiiMOVfo-rpoccp0ixt
1tpàt;
-roùç 0eouç ; voir encore, sur le rôle, non plus créateur, mais directeur
de l'éther, l'opinion rapportée, sans nom d'auteur, par PsELLUS,
De omnif. doctr. 18 (17), 7-8, éd. Westednk, p. 25 : -rà -re:'t'poccr-roixov
ùn-à -roi3or.t0époç8Lotxe:fo0at.
328 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

car, au sein même des témoignages que l'on nous donne


pour « aristotéliciens », subsistent des mots embarrassants.
C'est le cas d'opera dans le fragment 13 a (haec tanta opera
deorum esse), par quoi est suggérée une doctrine de la créa-
tion de style platonicien ; pour réduire ce terme à l'image
qu'il se forme de l'aristotélisme, Untersteiner est amené à
l'entendre, non pas dans le sens obvie d'« ouvrage», mais
dans le sens rare de « manifestation »1, hypothèse qui
paraîtra bien artificieuse 2 • Plus gênant encore est le mot
tîjµ.toupy6c;;,qui se rencontre non seulement, comme il est
naturel, dans les témoignages prétendus « platoniciens »,
mais aussi, par malchance, dans un texte dit « aristotéli-
cien », le fragment 12 b (im:~~'t"OUV 't"OVtw.ioupyèv T'tjc;;
'lëe:pixilloüç -rtzU'TT)Çaiaxocrµ,~cre:wç); Untersteiner ne peut
éviter de forger pour ce vocable, dans son deuxième emploi,
un sens de circonstance : le démiurge d'Aristote serait iden-
tique à la rpucriçet à la -r&:1;ic;;
3 ; nous avons vu sur quelle

méprise reposait l'assimilation de Dieu à la rpucriç 4 ; quant

à la -r&:/;iç,comment le démiurge lui serait-il identifié, alors


qu'il en est dit l'auteur, o 8ia-r&:cmwvTIJV-rOLtzU'TT)V ?5 •
-r&:/;1v
Les tours de force philologiques auxquels est ainsi réduit
qui veut imposer une discrimination entre fragments
« aristotéliciens » et fragments « platoniciens », détournent
assurément de ce principe d'explication. Dès lors que l'on

(1) Op. cil., p. XIV-XV et 181.


(2) BERTI, op. cit., p. 351, la trouve excessive, et préfère supposer
qu'Aristote emploie le langage platonicien pour traduire une doctrine
non platonicienne : explication non moins improbable. Aussi bien,
il faudrait encore justifier de la même façon l'opus (« tam praeclari
operis inceptio n) du fgt 20 a.
(3) Op. fit., p. 173.
(4) Cf. supra, p. 310-31 t.
(5) On ne sera pas dupe de la comparaison instituée entre le rapport
du démiurge à l'univers et le rapport du général à son armée ; car
une comparaison analogue, celle du pilote et de son navire (qui,
d'ailleurs, se trouve également dans le fgt 12 b), est parfois employée
par Platon (Polit. 272 e-273 e; Critias 109 c) pour donner à entendre
les rapports de Dieu et du monde, sans que soit abandonnée pour
autant, bien sûr, la doctrine de la création.
LA CRÉATION AB AETERNO 329
a montré la pertinence d'un témoignage au De philosophia
(disons à l'éloge d'Untersteiner et de Berti qu'ils n'ont
jamais essayé de la mettre en doute pour les fragments
embarrassants, ce qui eût été, de toutes les solutions, la plus
néfaste), mieux vaut le rapporter aux idées de l'auteur aussi
longtemps que manque la preuve péremptoire du contraire.
A-t-on la preuve que l' Aristote du dialogue n'a pas soutenu
une doctrine de la création apparentée à celle de Platon?
On s'est laissé impressionner par le fait indéniable que le
De philosophia professe l'éternité du monde 1 ; c'est cette
considération qui a déterminé, non seulement Bignone, mais
Untersteiner 2, Berti 3 et tout dernièrement B. Effe4, à en
bannir toute espèce de doctrine de la création. Mais
sans doute l'antinomie ainsi discernée est-elle plus
apparente que réelle. Car l'adjectif &.yév'Yl't'OÇ, qui se
trouve en effet dans les fragments 18 et 19 a5, peut signi-
fier, non pas, comme le veut Berti, que le monde soit en
vérité « inengendré », mais simplement qu'il est « sans
commencement »6 • Or l'absence d'un commencement tem-
porel du monde n'exclut pas la possibilité de sa génération,
sous réserve que celle-ci s'effectue ab aeterno.De nombreux
exemples anciens montreraient que cette position doctrinale
a été effectivement tenue ; notamment, on sait qu'elle a été
prêtée à Platon par quantité de commentateurs médio-
platoniciens et surtout néoplatoniciens. Pourquoi n'aurait-
elle pas été approximativement celle d'Aristote dans le dia-

(1) Voir notamment les fgts 18 et .zo ab Ross, p. 85 et 89-90, =


PHILON, De aetern. mundi 3, 10-11 ; CrcÉRON, Lumll. 38, 119;
LAcTANCE, Diuin. in.ttit. II 10.
(.z) Car ses efforts sur le mot opera n'ont pour but que d'arriver
au sens de « manifestations coéternelles à leur cause» (op. cit., p. 181).
(3) Qui oppose le monde éternel d'Aristote au monde engendré
de Platon, op. cit., p. 358-359 et 363. .•
(4) Studien z.ur Kosmologieund Theologieder Aristotelischen Schrift « Uber
die Philosophie>), collect. <<Zetemata )), 50, München 1970, p. 23-31 et
(pour opera deorum du fgt 13 a) p. 91 et n. 74.
(5) Ross, p. 85-86, = PHILON, De aetern. mundi 3, 10-11, et5, .zo-24.
(6) <<not having happened )), disent LmDELL-ScoTT, s.u.
330 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

logue? C'est d'ailleurs ce que donnent à entendre les frag-


ments 13 a et 20 ab, pour peu qu'on les regarde de près.
Dans le premier, Cicéron attribue au philosophe simultané-
ment la thèse de la création du monde (comment entendre
autrement haec tanta opera deorum esse?) et la thèse de son
éternité (in omni aeternitate ratos immutabilesque cursus). Dans
le deuxième, le même auteur rapporte à Aristote d'avoir nié,
non pas que l'univers ait été engendré, mais qu'il l'ait été à
un moment donné (neque enim ortum esse unquam mundum),
sur une décision subite du Créateur ( nouoconsilio inito). Dans
le fragment 20 b enfin, c'est également l'apparition du
monde dans le temps ( aliquando esse ortum, initium, quominus
habuerit et mundus ipse principium) que Lactance accuse
Aristote d'avoir méconnue, et nullement le fait même de sa
production. Les formules temporelles telles que neque.•.
unquam, nouo consilio, aliquando, ne peuvent guère laisser de
doute sur ce point.
On ne manque donc pas de raisons de supposer qu' Aris-
tote, dans le De philosophia, adhérait à une doctrine de la
création ab aeterno, assez semblable à celle que les interprètes
néoplatoniciens attribueront à Platon. Cette hypothèse
permet de récupérer pour Aristote tous les fragments
rapportés indûment aux exposés platoniciens du dialogue ;
elle dissipe également le problème posé par la présence,
dans les textes tenus pour aristotéliciens, d'un vocabulaire
employé d'ordinaire pour formuler l'idée de création ; elle
intègre enfin le fait que le De philosophia contenait une cri-
tique indignée à l'adresse de ot -r:&v xeipoxµ~-r:c.ùvoù~èv
ci,~07JO"Ct.V
~tet.qiépetv'r:OO"OU't'OV
opet.'t'OV
0e6v (fgt 18) : ce n'est
pas d'admettre la création du monde qu'Aristote reprochait
à ces « athées », mais de la concevoir sur le modèle des
fabrications humaines, c'est-à-dire in tempore1• Ce n'est pas

(1) Faute d'avoir vu cette possibilité de conciliation, A. H. CHR.OUST,


A Cosmo!ogica!Proof for the Existence of God in Aristotle' s Lost
Dialogue,On Philosophy, dans The New ScholasticiJm,40, 1966, p. 459
et n. 30, ne parvient pas à surmonter la contradiction qu'il croit
LE PRINCIPE CRÉATEUR 331
à dire qu'elle ait réponse à tout. Une question notamment
subsiste : si l' Aristote du dialogue professe la création ab
aeterno, à quel principe la rapporte-t-il? Même en le suppo-
sant plus proche du platonisme qu'on ne le croit d'ordinaire,
deux raisons détournent de penser qu'il ait adopté comme
principe créateur le démiurge du Timée ; d'une part, nous
l'avons déjà vu 1, il ne fait aucune mention du modèle
intelligible, dont le rôle est primordial dans la cosmogonie
du Timée ; d'autre part, à la date du De philosophia, si
reculée qu'on l'imagine, Platon lui-même a substitué au
démiurge, comme principe cosmogonique, l'âme universelle
des Lois 2 • C'est probablement à cette âme immanente au
monde (celle-là même qu'il divinise dans le fragment 263
sous le nom de mens) qu'il attribue la fonction créatrice,
rejoignant ainsi la doctrine bien connue du livre X des Lois
et de l'Epinomis, mais s'écartant du Timée et de sa concep-
tion d'un démiurge extérieur à son ouvrage 4 • Sans doute y
aurait-il encore dans le De philosophiaun autre principe créa-
teur, plus exactement un autre aspect du principe créateur,
qui serait la substance éthérée du ciel ; Untersteiner observe

percevoir entre le fgt 13 b (où il trouve avec raison la preuve que


l'auteur du De philos. adhérait à la doctrine platonicienne du démiurge),
et les fgts 18 et 20 a, où le monde est donné pour éternel (mais non
pas forcément, comme il dit, pour incréé). Plus loin (art. cil., p. 462-
463), étudiant les textes (surtout fgt 12 b; mais aussi fgt 13 c Ross,
p. 82, dernière ligne ; et encore PHILON, De spec. leg. Ill 34, 187) où
le rapport de l'univers au divin démiurge est comparé à celui d'une
armée au général distinct d'elle, le même historien envisage que
l'auteur du dialogue ait pu croire en un Dieu personnel; c'est oublier
que la même comparaison se retrouvera en Metapb. A 10, 1075 a
11-15 (cf. supra, p. 239-240, et UNTERSTEINER,op. ût., p. 171-172),
où la notion d'un Dieu personnel a peu de chances d'avoir cours.
(1) Supra, p. 319,
(2) Cf. supra, p. 325 et note (4).
(3) Ross, p. 94, = CrcÉRON, De nat. deor. I 13, 33.
(4) BERTI, qui inclinerait parfois à reconnaître dans le De philos,
une certaine doctrine de la création, a tort de croire, op. ût., p. 351-352,
qu'il ne peut y avoir de principe générateur que transcendant ; il
estime de même, nous verrons pourquoi dans un instant, infra, p. 334,
que la mens du fgt 26 est transcendante (op. cil., p. 377-378).
332 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

avec raison (mais comment peut-il concilier cette remarque


avec son interprétation d'ensemble?) que le fragment 22 b 1
attribue aux dieux astraux le processus de la création, 'n)V
1tOt7JOW 15),YJV,ce qui expliquerait le pluriel deoset deorumdu
fragment 13 a 2 ; or, cette donnée n'est pas isolée, mais serait
recoupée par quantité de témoignages sur le rôle générateur
de l'éther, à commencer par le fragment 27 e3 • Nulle inco-
hérence d'ailleurs dans cette attribution de la fonction
créatrice en même temps à l'âme universelle et à l'éther
astral, s'il est vrai, comme nous le verrons bientôt4, que ces
deux réalités ne sont pas autre chose que les deux faces d'un
même principe, le cinquième élément.

IV. L'HYPOTHÈSE DU MOTEUR IMMOBILE

La théorie du Premier moteur comme cause finale de


tout mouvement est depuis longtemps un signe de contra-
diction pour les historiens du De philosophia : les uns
(Bernays, Jaeger, Cherniss, Theiler) ont affirmé vigoureuse-
ment qu'elle était présente dans le dialogue, les autres
(Arnim, Guthrie, Moreau, Festugière) l'ont nié avec non
moins d'énergie 5 • E. Berti et M. Untersteiner se réclament
de la première interprétation, et invoquent en ce sens des
arguments non négligeables ; pour évaluer la validité de
leur position, il faut examiner brièvement les nombreux
témoignages qui montreraient, selon eux, que déjà l'auteur
du dialogue avait au moins entrevu la célèbre doctrine de
la Physiqueet de la Métaphysique.
On ne s'attardera pas sur le fragment 12 b6,tant il est diffi-

(1) Ross, p. 91, = ÛLYMPIODORE,In Phaedonem, p. 180, 22-23,


(2) Op. cil., p. 180, et art. cil., I, p. 359.
(3) Cf. supra, p. 327 et note (4),
(4) Cf. infra, p. 361-363.
(5) On trouvera des données sur cette controverse chez BERTI,
op. cit., p. 35-36, 46-47, 101-102, 111, 321-322, 379-381, et chez
UNTERSTEINER,op. cit., p. 259-260.
(6) Ross, p. 81, = SExTus EMPIR., Adu. mathtm. IX 26-27,
L'UNICITÉ DU PRINCIPE 333
cile de soutenir que le ~1iµ.wupyoc;nie;7t€pLXOCMouc; 't'OCUTIJÇ
iLocxocrµ.~crewc; y « laisse clairement entrevoir » le Moteur
immobile 1 • Selon le fragment 172 , Aristote aurait démontré
l'unicité du principe de toutes choses par un emboîtement
de dilemmes, ce qui est bien dans la manière du De philo-
sophia,inspiré d'ailleurs sur ce point de la dialectique plato-
nicienne ; il est bien possible que cette démonstration ait été
dirigée contre Speusippe, qui croyait à des principes mul-
tiples, et contre Héraclide Pontique, pour qui les éléments
se seraient ordonnés d'eux-mêmes 3 ; rapprochant ce texte
de divers passages du corpus aristotelicum où le Premier
moteur est appelé &.py.fi(Metaph. A 6, 1071 b 2.0 ; 7, 1072.b
11), Untersteiner en conclut que c'est également le cas ici 4.
Rien n'est moins sûr; car la définition de l'&.px~dans le frag-
ment 17 est trop vague pour cautionner cette identification ;
elle conviendrait également à d'autres réalités, notamment
à l'éther, que les MeteorologicaI 2., 339 a 11-13 présentent
dans des termes qui ne sont pas sans rappeler la scholie en
è~ é1v cruvécrTijX€V
question : µ.[oc &.px~ 't'WVO'<.ùfJ.OC't'<.ùV,
"1j-r&v èyxu0.lwc; rpepoµ.évwvcrwµOC't'<.ùV tpUcrLc;
5
; cette hypo-

thèse pourrait bien avoir ses chances, si l'on songe que le


De philosophia,nous l'avons vu, devait attribuer à l'éther la
fonction unificatrice et ordonnatrice de l'univers 6 •

(1) UNTERSTEINER, art. cit., II, p. 133, critiqué par BERTI, op. ât.,
p. 348, n. 114.
(2) Ross, p. 85, = S,hol. in Prouerb. Salom.
(3) Comme l'a proposé UNTERSTEINER, op. cil., p. 209-211.
(4) Art. cit., II, p. 133-135 ; même idée chez BERTI, op. cil., p. ,n,
qui désigne équivalemment le Premier moteur en parlant de la cause
finale.
(5) Cité à une tout autre fin pat P. MoRAux, art. cit., col. 1204.
Ce passage des Meteor. donne à penser que c'est l'éther, - plutôt que
le Moteur immobile, comme on le croit d'ordinaire (ainsi, à la suite
de Cberniss, ÜNTERSTEINER, op. cit., p. 207 et 260), - qui pourrait
être décrit en De gener.et ,orrupt.II 10, 337 a 20-22: d rr:>.e:(ouç oc!èv
xuXÀepxw~cre:L<;, [...] &viiyxl)imà µ(O(v&px~v;il est concevable que l'on
ait là, mêlé à un exposé sur le Moteur immobile (337 a 19: &xlvl)"ov),
un souvenir du De philos., non éloigné du fgt 31 b WALZER, p. 98
(= 336 b 27-32).
(6) a. supra, p. 327 et 331-332.
334 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

C'est sur le fragment 26 1 que se sont toujours appuyés


avec prédilection les historiens qui voient le Moteur immo-
bile à l'arrière-plan du dialogue. E. Bertine fait pas excep-
tion, qui discerne le Premier moteur dans deux notations de
ce fragment : dans la mens à laquelle est attribuée toute divi-
nité2 et dans l'alius quidampréposé au monde 3 • C'est une de
trop ; car le fait même que Cicéron parle d'un « autre dieu »
après avoir nommé l'intelligence divine, et la façon dont il
sépare leur mention par des mododisjonctifs, montrent qu'il
ne peut s'agir de part et d'autre du même principe ; les
auteurs qui ont perçu cette impossibilité 4 ont d'ordinaire
abandonné l'identification alius quidam = Premier moteur,
pour sauver l'identification mens = Premier moteur. Mais
il est clair que celle-ci même ne repose sur aucun argument ;
certes, le Premier moteur est lui aussi un voüc; 6e:i6-roc-roc;
(Metaph. A 9, 1074 b 15-16) ; mais le fragment 26 n'apporte
aucune précision qui puisse faire penser, pour la mens, au
Premier moteur, plutôt qu'à une intelligence immanente
au monde dans la manière du dernier platonisme (où elle est
nommée justement voüc; 6e:î:oc; 5, Lois X 897 b). Aussi

comprend-on que M. Untersteiner ait cherché ailleurs la


trace du Moteur immobile ; il pense la trouver lorsque,
dans le même fragment, l'épicurien mis en scène par Cicéron
observe que le monde perpétuellement en mouvement ne

(1) Ross, p. 94, = CICÉRON,De nat. deor. I 13, 33.


(2) Op. cil., p. 377-378.
(3) Ibid., p. 382-383. Berti a d'ailleurs le mérite d'interpréter
correctement la replicatio, en en écartant toute référence à l'&ve:l}.t/;tç.
L'interprétation de Berti (le Premier moteur détecté à la fois dans la
menJ'et dans l'a!iuJ'quidam) a été reprise récemment par A. H. CHROUST,
The Concept of Godin Arùtotle'.r Lo.ri Dialogue On PhiloJ'ophy {Cicero,
De Natura Deorum I 13, 33), dans Emerita, 33, 1965, p. 218-219 et
225-226.
(4) Ainsi Chemiss contre Jaeger, cf. UNTERSTEINER,op. cil.,
p. 2 59·
(5) Cf. AÉTrus, Plac. I 3, 21, dans DIELS, Doxogr., p. 288 a 2 : o 81;
6eoç voüç ècrn -roü x6crµou (attribué à Platon).
LE FRAGMENT 26 335
peut être quietus et beatus1 ; sans doute ces deux attributs
conviendraient-ils au Premier moteur, qui est dit à l'abri de
la fatigue (è1tfaovov, Metaph. A 9, 1074 b 29); mais ils ne lui
sont nullement propres ; car ils sont également affirmés,
dans le De caelo,du ciel (qui est é.<1tovoç et dispensé de tout
effort è1t(1tovov,II 1, 284 a 15-17), et de son âme motrice,
s'il en a une (elle devrait avoir ~Cù'Yj'V
é.<"Au1tov
xod µocxccp(ocv,
284 a 28-29) ; or on sait que ce passage du De caelo,précisé-
ment, a les meilleures chances de provenir du De philoso-
phia2, qui, pour le point qui nous intéresse, continuait la
tradition platonicienne (cf. Epin. 98 5 a: les dieux astraux sont
~~w[... ] ÀU7tYjc;).En d'autres termes, les adjectifs quietuset
beatusdu dialogue sont à entendre soit du ciel, soit de l'âme
du monde, dans le sillage du dernier platonisme, et n'im-
pliquent aucune référence au Moteur immobile, dont on ne
trouve, de ce fait, nulle attestation certaine dans l'ensemble
du fragment 263 •
Ce qui a été dit plus haut:4 des dimensions véritables de la
citation du dialogue dans le fragment 285 ne dispose guère
à y reconnaître la doctrine du Premier moteur ; c'est pour-
tant ce que font, à la suite de Bernays et de Cherniss, Berti6,
Untersteiner 7 et Düring 8 • Il est exact que la Métaphysique
A 7, 1072 b 2-3 fait intervenir à propos du Moteur immobile
la distinction entre les deux sortes de cause finale ; mais, à
supposer que le De philosophiane se soit pas borné à énoncer

(1) Op. cil., p. 2.64-2.65 ; Untersteiner fait ici sienne une vue de
Cherniss.
(2.) C'est le fgt 29 WALZER, p. 95-96, = De cae!oII 1, 2.83 b 2.6-
2.84 b 5 ; exclu du recueil de Ross, ce texte a recouvré à juste titre droit
de cité dans celui d'UNTERSTEINER, op. cit., p. 60-62..
(3) Ce point est accordé expressément par P. MoRAUX,art. cil.,
col. 12.11.
(4) SlljJra, p. 312..
(5) Ross, p. 96, = Pqys. II 2., 194 a 2.7-36.
(6) Op. cil., p. 355-356; le Premier moteur n'est pas nommé, mais
clairement désigné,
(7) Op. cil., p. 2.65et 285,
(8) Art. Aristote/es de la RE, col. 297.
336 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

cette distinction, on ne sait rien du domaine où il pouvait


l'appliquer 1 ; rien n'oblige à penser qu'il s'agissait du
Moteur immobile, puisque la distinction en question est
susceptible de plusieurs autres emplois, comme le montrent
divers passages du corpusaristotelicum2 • Bien plus, les rensei-
gnements sur l'usage que le dialogue faisait de la distinction
ne pourraient venir que de la page de la Pl!Jsique où est
enchâssée la citation ; or cette page mentionne les deux sens
de la cause finale pour montrer que la nature est fin dans les
deux sens, c'est-à-dire pour nier la portée pratique de cette
distinction au niveau de la nature ; au contraire, la Méta-
pf?ysiqueobserve que le Moteur ne peut être cause finale que
dans un seul sens, à savoir 'TOoi:ilve:xtX'Tiv6c;;on voit par là
que la Pl!Jsique,seule informatrice possible sur le dialogue,
invoque la distinction dans un dessein opposé à celui de la
Métapl!Jsique;cette constatation n'est pas de nature à accré-
diter la présence du Moteur immobile dans le De phi!osophia.
Le fragment 2.8 de Walzer3, c'est-à-dire De caeloI 9, 2.79a
17 - 2.79 b 3, ne peut être séparé du fragment 16 de Ross 4,
qui en est le commentaire par Simplicius et en fonde la
relation au De phi!osophia.Ce passage du De caeloest d'une
interprétation fort difficile et controversée, touchant notam-
ment l'identité d'une certaine réalité désignée par 'TCXXEL et
donnée pour extérieure au ciel, divine, échappant à toute
fLE'TCl:OOÀ~,inaltérable (cxvtXMO(Cù'TtX); c'est à propos de ces
derniers attributs qu'Aristote invoque ses propres écrits
exotériques (le De phi!osophia,précise Simplicius) : 'TO6dov
&.µe:'tïZOÀ'YJ'TOV
&.vayxtXÏ:ovdvai. Il était tentant de voir dans
cette description celle du Premier moteur, qui, de ce fait,
aurait pris place déjà dans le dialogue ; cette interprétation,

(1) C'était pour montrer que l'immutabilité de Dieu n'est pas


atteinte par le fait qu'il soit cause finale, propose BER TI, op.tit., p. 3 56 :
conjecture séduisante, mais dénuée de toute preuve.
(2.) Cités dans le recueil de WALZER, p. 97, n. 2.
(3) P. 94-95 ; absent du recueil de Ross.
(4) P. 84-85, = SIMPLICIUS, In De taelo, p. 288, 28-289, 15.
UNE PAGE ÉNIGMATIQUE DU DE CAELO I 9 337

jadis avancée par Simplicius, fut reprise par plusieurs histo-


riens modernes ; elle est accueillie par Berti 1 comme par
Untersteiner 2 • Elle est pourtant passablement gratuite ; car
les traits par lesquels est décrit le principe appelé -c,x.xd,s'ils
conviennent effectivement au Premier moteur, ne convien-
nent pas qu'à lui ; en particulier, et sans parler du x~vtÛ't"ou
de 2.79 b 1, qui nous entraînerait trop loin,aucune mention
n'apparaît de l'immobilité de ce principe, qui seule désigne-
rait avec certitude le Premier moteur. Betti et Untersteiner
ont pensé trouver ce signe distinctif dans l'&µe:'t"cx.OÀ'YJ't"OV,
qui,
selon eux, équivaudrait à &x(v'Y)'t"ov 3 ; il est singulier qu'ils

s'entendent ainsi à reproduire l'erreur de Simplicius 4 ; car


selon le De caelolui-même (I 3, 270 a 12-14; II 6, 288 a 34-
b 6), le ciel, qui est évidemment x~voûµe:voi;,est aussi, en
même temps, &.µe:-rocÔÀ'YJ't"OÇ. Aucun argument en faveur de
l'immobilité de -r&xe:i: ne peut être tiré de 2.79a 33-34: ou't"e:
ycxp a.MO xpe:i:n6v ècrnv 15 ·n XL\l~O'E:L 5
; car cette phrase

exclut simplement que le principe TOCxe:i: (qui est selon moi


I' « objet » de xLv~ae:L,bien plutôt que ne le serait le ciel des
étoiles fixes) puisse être mû par une force extérieure plus
puissante, elle laisse subsister tout à fait la possibilité, pour
lui, de l'ccù-roxlv'Y)TOV; elle coïncide donc exactement avec
la formule du fragment 2.1b 6 : nec uero dici potest ui quadam
maiore fieri ut contra naturam astra moueantur, dans laquelle
on ne saurait voir l'affirmation de l'immobilité des astres 1
Quant à l'argumentation par dilemmes au moyen de laquelle

(1) Op. cil., p. 353-355 et 389-392.


(2) Op. cit., p. 291-292 (où Untersteiner se réclame des vues de
Theiler), et art. fit., II, p. 122-126.
(3) BERTr, op. cit., p. 362, pose implicitement cette équivalence en
passant, à propos du fgt 19 c, de l'immutabilité de Dieu à son
immobilité. UNTERSTEINER,op. cit., p. 292, et art. cil., II, p. 122-126,
le fait expressément.
(4) In Arist. De cae!oI 9, ad 279 a 18, éd. Heiberg, p. 291, 5, 19-22,
24-30.
(5) Contrairement à ce que croit, à la suite de Theiler, UNTERSTErNER,
op. cil., p. 292.
(6) Ross, p. 90, = CrcÉRON, De nat. deor.II 16, 44.
338 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

le fragment 16 établit l'immutabilité (et non pas l'immobi-


lité !) de Dieu, elle n'a pas davantage de chances d'atteindre
le Premier moteur\ puisque Simplicius lui-même prend
soin de nous avertir qu'elle est empruntée, pour le fond
autant que pour la forme, à la République(II 380 d-381 c).
Si -r&xe'i:du fragment 2.8 de Walzer et -rà 0o:î:ovdu fragment
16 de Ross ne peuvent signifier le Moteur immobile, quelle
réalité se cache-t-elle derrière ces deux désignations? Pro-
bablement l'éther hypercosmique, qui est dans la théologie
du dialogue l'un des aspects de la divinité, et auquel
conviennent tous les caractères décrits dans les deux frag-
ments.
Au De caeloencore (II 1, 2.83 b 2.6-2.84b 5) appartient le
fragment 2.9 de Walzer 2, où est critiquée une conception de
l'âme du monde qui contraindrait le ciel à un mouvement
contraire à la nature de celui-ci : l'âme employée à cette tâche,
dit Aristote, ne mènerait pas ~Cù7JV &).u1tovxoà µcxxcxp(cxv,
elle ne connaîtrait nul loisir, nulle satisfaction rationnelle,
nul répit. Nous avons déjà eu à observer3 que les différents
avantages dont l'âme serait ainsi frustrée appartiennent au
Moteur immobile ; aussi, à la suite de Cherniss, Untersteiner
a-t-il pensé qu'Aristote repoussait l'âme du monde du Timée
pour lui substituer implicitement le Premier moteur, puis-

(1) CommelepenseBERTI,op.rit.,p. 355.Dufgt 16, UNTERSTEINER,


op. cil., p. 32 et 205, art. ât., II, p. 123-127, après Allan, a rapproché
une page d' ALBINUS,Epit. 10, 7-8, qui, elle, pourrait concerner le
Premier moteur quand elle décrit Dieu comme &xlv1JTOÇ [.••] Xot:'t"IX
T67t'ovXO(lwoloocrLv; mais, comme Untersteiner lui-même l'a très
bien marqué, elle s'explique suffisamment par Metaph. A 7, 1073 a 3-11;
elle s'étend longuement sur le Dieu &:crwtJ.ot:Toç,dont le fgt 16 ne dit
rien ; quant au raisonnement par dilemmes, par où elle ressemble
effectivement au fgt 16, il est trop peu original pour permettre une
conclusion ; bref, ce texte d'Albinus est certainement inspiré
d'Aristote, mais sa relation au De philos. ne semble pas établie.
(2) P. 95-96 ; absent du recueil de Ross.
(3) Supra, p. 335. li y a d'ailleurs un point sur lequel les deux
descriptions divergent : celui du sommeil, qui est mentionné à propos
de l'âme (De caelo II 1, 2.84 a 32.-34), mais exclu du Premier moteur
(Metaph. A 9, 1074 b 18).
« DYOTHÉISME » OU MONOTHÉISME ? 339
qu'il discréditait celle-là en la disant privée des attributs
propres à celui-cil. C'est possible, mais ce n'est pas certain ;
car le même passage du De caelo,284 a 14-18, confère au ciel
à peu près les mêmes caractères, ce qui montre que le
Premier moteur n'est pas seul à les détenir et ne saurait être
identifié grâce à eux. Untersteiner rapporte enfin au De phi-
losophia,à juste titre, un bref témoignage de Sextus Empiricus
dégagé par Theiler : 'Ap~a"TO't'éÀ'Y)Ç µ!v &o-<i>µC<'t'OV
e:fae:v
e:!va~ 't'àv 0e:àv xal. 1tépac; 't'OÜoûpcx:voü 2
; comme Theiler,

Untersteiner voit dans ce texte la mention de deux dieux, l'un


incorporel, qui est le Moteur immobile, l'autre corporel, qui
est le dieu astral ; voilà le « dyothéisme » qui serait la
marque propre de la théologie du De philosophia3 • Mais
cette représentation dualiste est contestable. D'abord, ainsi
qu'Untersteiner lui-même 4 l'a noté après Cherniss, elle se
heurte expressément au fragment 17 du dialogue, qui pro-
fesse l'unicité du principe. De plus, on ne voit pas que le
texte de Sextus distingue véritablement deux dieux ; le
style lui-même semble se prêter mal à cette interprétation ;
surtout, il ne serait sans doute pas conforme à l'aristotélisme
de réputer corporel le népocc;'t'OÜoûpavoü, puisque le dieu-
1tépcx:c; est le lieu de l'univers, et que, aux termes de Phys. IV
1, 209 a 6, le lieu n'est pas un corps, &8ûva't'ov8! o-wµa dva~
't'àv 't'61tov. Sextus ne prêterait donc pas à Aristote deux
dieux, mais un seul, sans doute encore une fois l'éther
hypercosmique, qui n'est pas un corps banal ; on ne peut
entendre autrement un autre texte du même Sextus, où le
1tépac; est dit, non pas un dieu, mais o 1tpw't'oç 0e:6c; 5 ; si

Sextus avait eu en vue le Premier moteur en parlant du 0e:àc;

( 1) Op. cil., p. z98-z99.


(z) SEXTUS EMPIR.,Hypotyp. III z18, apud UNTERSTEINER, op. cit.,
p. 58.
(3) Op. cil., p. 260 et z93-z94.
(4) Op. cil., p. z6o ; art. cil., II, p. 157.
(5) SEXTUS EMPIR., Adu. malhem. X 33, apud UNTERSTEINER, op.
cil., p. 58.
340 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

&crwµ.ocToç,
et qu'il ait voulu le distinguer du dieu-1tépoci;,
il n'aurait certainement pas nommé celui-ci premier dieu.
On voit la conclusion qui se dégage de cette revue : bien
loin de croire avec Bertil que, des trois célèbres hypothèses
des Lois X 898 e-899 a sur la façon dont l'âme meut les
astres, la troisième concerne le Moteur immobile et provient
à ce titre du De philosophia, on doit reconnaître qu'aucun
des témoignages rapportés au dialogue d'Aristote n'y
montre vraiment la présence de cette doctrine, assez origi-
nale pour ne pas passer inaperçue là où elle était soutenue.
Peut-être faut-il même aller plus loin, et avancer que le
Premier moteur, non seulement n'est pas impliqué par les
fragments du De philosophia, mais se trouve exclu par
certains d'entre eux. Nous avons déjà 2 eu à connaître du
fragment 2.1 b3, qui apparaît décidément comme le plus
important témoignage del' originalité doctrinale du dialogue,
et qui résiste à tous les efforts dépensés pour en nier l'authen-
ticité ou en restreindre la portée. D'après ce texte,
Aristote rapportait le mouvement des astres à leur volonté,
et l'une des raisons invoquées à l'appui de cette thèse était
que nec uero dici potes/ ui quadam maiore fteri ut contra naturam
astra moueantur. A la suite de Ross, Berti, puis B. Effe4
estiment que cette phrase ne nie pas l'existence d'une force
supérieure aux astres (entendez: l'existence du Moteur trans-
cendant), mais seulement qu'elle puisse les mouvoir contre
nature. C'est exact; mais il en va tout autrement de la phrase

(1) Op. tit., p. 406-407. Le rapprochement entre la troisième


hypothèse des Loi.r et le Moteur immobile était déjà fait par Jaeger
et Ross ; mais ils pensaient, à l'inverse de Betti, que c'est les Lois
qui auraient suggéré à Aristote l'idée du Moteur.
(2) Supra, p. 313-314 et 337.
(3) Ross, p. 90-91, = CrcÉRON, De nat. deor. II 16, 44.
(4) E. BERTI, op. &it., p. 370-371 ; B. EFFE, op. cit., p. 136 (pour
l'adhésion du De philos. à la théorie du Moteur immobile, p. 104
et n. 135, p. 122, 125, etc. ; pour 'ë&xe:î de De caelo l 9, 2.79 a 18,
p. 103-104). Sur le fgt 21 b, voir dans le même sens A. GRAESER,
Zu Aristote/es Ile:pl <p,Àocrocplocc;(Cicero, Nat. deor. II 16, 44), dans
Mu.reumhelvet., 27, 1970, p. 16-2.7.
EXCLUSION DU PREMIER MOTEUR 341

suivante : quaeenimpotest maior esse?, que ne limite aucune


restriction, et qui appelle sans aucun doute une réponse né-
gative1 ; rejetant ainsi la possibilité qu'existe un principe
supérieur au monde astral, le dialogue souscrivait à la cosmo-
logie del' Académie (Epin. 982 be: aucune nécessité n'est plus
forte que l'âme des astres, qui n'a rien au-dessus d'elle) ; de
toute évidence, il excluait aussi toute notion du Premier
moteur. A ce témoignage fondamental, il serait d'ailleurs
possible d'en joindre quelques autres. C'est ainsi que, selon
le fragment 27 d2, Aristote concevait la divinité suprême
comme une mens[.•.] omnia[•..] mouensipsaquepraedita motu
.rempiterno;on comprend sans difficulté qu'une telle formule
s'oppose diamétralement à l'hypothèse du Moteur immobile;
aussi Untersteiner3 la rapporte-t-il un peu légèrement à une
confusion de Cicéron. Enfin, on sait que le Premier moteur
est probablement conçu comme extérieur à l'univers
(Pf?ys.VIII 10, 267 b 6-9 ; Metaph. A 4, 1070 b 22-2;) 4 ; or
le fragment 19 a5, fidèle au Timée ;z c, énonce qu'il n'y a,
hors du monde, rien qui puisse agir sur lui, &X-ràçµ.èvyocp
oùaév fo-r~ TOÜ x6crµ.ou 6•

V. LE CINQUIÈME ÉLÉMENT COMME SUBSTANCE


DE L'AME

C'est le point de doctrine dont l'attribution au De philo-


.raphia,proposée voilà trente ans par Bignone, a rencontré

(1) Nous avons supposé, supra, p. B7, que cette réponse était
formulée expressément en De ,aelo I 9, 279 a 33-34, c'est-à-dire dans
le fgt 28 W ALZER du De philo.r.
(2) Ross, p. 95-96, = CrcÉRON, Tu.rml. I 26, 65-27, 66.
(3) Op. cit., p. 2.78.
(4) Sans doute ce point n'est-il pas clairement affirmé par Aristote ;
mais il ne peut être contesté par les historiens qui apparentent la
doctrine du Premier moteur et la troisième hypothèse des Lois,
puisque celle-ci postule que l'âme motrice est extérieure au corps mû.
(5) Ross, p. 86-87, = PHrLoN, De aetern.mundi 5, 20-24.
(6) UNTERSTEINER, art. dt., II, p. 140 et 142, a rapproché de ce
texte Metaph. 1070 b 22-23, mais sans dire combien ils s'opposent.

28
342 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

les plus vives résistances. L'article de P. Moraux sur la quinta


essentiamarque une date dans l'histoire de cette controverse;
bien qu'ils n'en soient pas l'objet unique, Aristote et son
dialogue y tiennent presque constamment le devant de la
scène ; avec une ampleur d'information et une netteté
dans l'exposé également remarquables, Moraux a repris
tout ce qu'avaient de plus consistant les négations de ses
prédécesseurs, et ajouté ses propres réflexions critiques.
Il en résulte un dossier redoutable, dans lequel on peut dis-
tinguer deux ordres d'arguments : les uns relèvent de la
critique des témoignages, dans le style de la meilleure phi-
lologie ; les autres, sans être pour autant, il s'en faut,
négligeables, procèdent de considérations a priori. On les
examinera tour à tour.

1. La valeur des témoignages


a. Les occasionsde douter.
Avant P. Moraux, et dans le même sens que lui (bien
qu'avec des arguments souvents différents), la critique des
sources a été conduite avec énergie par Reinhardt, et, à un
moindre degré, par Luck. La position de ces historiens est
bien connue 1 : les témoignages, essentiellement cicéroniens,
qui attribuent à Aristote une doctrine de l'âme faite d'éther 2 ,
ne remonteraient pas véritablement à Aristote, mais seule-
ment à Antiochus d' Ascalon ; or celui-ci aurait prêté à Aris-
tote, non pas une position authentique, mais un montage
doctrinal, bien dans sa manière éclectique, où il aurait
amalgamé la théorie aristotélicienne de l'éther, la théorie
stoïcienne, connue par Posidonius, qui identifie l'âme au
feu, enfin la théorie des sceptiques de la moyenne Académie,
pour qui l'âme et le ciel sont inconnaissables. Cette interpré-

(1) Elle est décrite par BERTI, op. ût., p. 398 ; UNTERSTEINER,
op. rit., p. 265-266 ; MORAUX, art. cil., col. 12.19, 122.2, 122.3, 1246.
(2) Ils forment les fgts 2.7 a-d Ross, p. 94-96.
LES ARGUMENTS DE REINHARDT 343

tation, pour l'essentiel, a obtenu l'agrément d'E. Berti, qui


avoue imprudemment, à son propos, que sa « méthode
coutumière » consiste à « recourir, dans l'incertitude des
textes, à l'interprétation philosophique »1 • En revanche,
les conclusions en ont été parfaitement repoussées par
Untersteiner 2, au moyen de cette remarque de bon sens :
même si l'on admet, comme il faut sans doute le faire,
qu' Antiochus est la source de Cicéron, cela n'entraîne pas
ipso facto qu'il ait mis au compte d'Aristote une doctrine
imaginaire ; d'autant moins qu' Antiochus, dans son entre-
prise de rapprocher Platon et Aristote, s'adressait naturelle-
ment, comme on le sait, aux écrits exotériques de ce dernier,
plus voisins que les autres du platonisme. Autrement dit,
pour ajouter foi à l'hypothèse d' Antiochus faussaire, il
faudrait des raisons positives.
Or celles que fournit Reinhardt apparaissent peu convain-
cantes. La moins inconsistante pourrait être celle-ci3 : la
doctrine de l'âme faite d'éther serait incompatible avec la
définition de l'âme comme d3oç ou oùcrlct.; or cette double
définition est attestée dans l'Eudème4, à peu près contempo-
rain du De philosophia; Aristote n'aurait pu soutenir, dans
le même temps, deux conceptions de l'âme exclusives l'une
de l'autre. En fait, l'incompatibilité est moindre qu'il n'y
paraît : e!Mç TL (et non pas, on le sait, 't'tv6ç) rappelle
surtout genus quoddamdu fragment 27 a5 du De philosophia,
si l'on tient compte de la confusion fréquente, chez Aristote
lui-même, entre d3oç et yévoç6 ; oùcrlocest un terme courant
pour désigner le cinquième élément et l'âme sa parente, à

(1) Op. cit., p. 399 et 401.


(z) Op. ût., p. :z.67.
(3) K. REINHARDT, art. Poseidonios, dans RE, XXII 1, 1953,
col. 585-586 ; suivi par BERTI, op. cil., p. 398 et 556.
(4) Fgts 7 a et d et 8 Ross, p. zo-z:z., = PHILOPON, In Dean., p. 144,
:z.5-30; ÜLYMPIODORE, In Phaed., p. 173, :z.o-z:z.; SIMPLICIUS, In De
an., p. 2.21, zo-33.
(5) Ross, p. 94-95, = CrcÉRON, Acad. I 7, z6.
(6) a. H. BoNITZ, Index aristot., s.u. ytvoc;, p. 151 a 57-15:z.a 6.
344 LB DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

commencer par la formule quinta essentia, et déjà Platon


disait de l'âme qui assure la révolution du ciel qu'elle est une
oùa(<X(Lois X 896 a). De plus, selon les fragments évoqués
à l'instant, l' Eudèmeprofessait que l'âme n'a pas de contraire;
mais l'éther céleste n'en a pas non plus d'après le De caeloI
3, 2.70 a 18-2.0. Autant de traits qui montrent que la doctrine
de l'âme faite d'éther ne serait pas, dans l'Eudème, aussi
déplacée qu'on voudrait nous le faire admettre. Une der-
nière observation devrait lever tous les doutes : plusieurs
historiens 1 ont récemment proposé de retirer au De philoso-
phia son fragment 2.7 (qui contient la doctrine de l'âme
incriminée) pour le transférer précisément à l' Eudème ;
comment auraient-ils pu le faire, s'il y avait, entre ce frag-
ment et l' Eudème,l'abîme que suppose Reinhardt?
Malgré la parenté de leur propos, P. Moraux n'a pas pris
à son compte toute la construction de Reinhardt ; il recom-
mence la critique des sources sur nouveaux frais, et voici,
en gros, comment il procède. Selon lui, beaucoup de témoi-
gnages dans lesquels on voit d'ordinaire la doctrine de
l'âme faite d'éther ne contiendraient en réalité rien de tel.
C'est notamment le cas des extraits du livre Jer des Tuscu-
lanesqui composent les fragments 2.7 b-d: il y est simplement
déclaré que l'âme est irréductible aux éléments matériels et
apparentée à l'esprit divin, deux affirmations qui s'expliquent
de façon suffisante par le recours aux œuvres conservées
d'Aristote ; que ce philosophe ait assigné à l'âme la même
substance qu'aux astres, Cicéron ne le dit en rien ; il
donnerait plutôt à entendre le contraire, puisqu'il pose,

(1) Ainsi O. GrGON, Cicero und Aristote/es, dans Hermes, 87, 19~9.
p. 153, et Prolegomena to an E.dition ~f the « Eudemus », dans Aristotle
and Plato in the Mid-Fourth Century... , p. z3 et 28, qui envisage ce
transfert pour tout le fgt z7, par comparaison avec le fgt 2 Ross de
l' Eud~me, p. 17 ; c'était déjà l'idée de S. MARIOTTI, La ccquinta e.rsenlia»
ne//' Ari.ttotele perduto e ne/1'Àççademia_ dans Rivista di Filologia e di
Istruz.. da.rs., 68, 1940, p. 180-181 ; même opinion chez A. GRILL!,
Cicero e /'cc Eudemo », dans La Parafa del passato, 83, 1962, p. 98-100,
mais seulement pour la citation de la Consolatio dans le fgt 27 d.
LA CINQUIÈME ESSENCE LIMITÉE A L'ÂME 346

dans le fragment 2.7 b1, que la totalité du monde sensible


(qui, implicitement, inclut les astres) provient des quatre
éléments classiques : quattuor nota il/a generaprincipiorum[.••]e
quibus omnia orerentur; en d'autres termes, la cinquième
nature ne serait pas identifiée à l'éther, mais uniquement à
l'âme divine et humaine 2 • Mais, s'il en est ainsi, comment
comprendre que Cicéron, dans le même fragment 2.7b, attri-
bue à Aristote d'avoir appelé l'âme È:\l~rû.éx,e:ux, c'est-à-dire
mouvement sans fin, ce qui semble bien se rapporter à
l'éther? C'est qu'il s'est trompé, qu'il aurait dû en réalité
écrire èv-re:Mxe:ux,et qu'il a glosé à l'appui de son erreur ; il
se trahit lui-même quand il dit d't\l~. que c'est pour Aristote
un nouumnotJJen; car un texte célèbre de Lucien 3 atteste que
c'est au contraire È:\1-r.qui était un mot nouveau'. Quant à
l'extrait des Academica qui constitue le fragment 2.7 a 6, il
ne dit pas davantage ; sans doute contient-il une phrase à
laquelle on pourrait se tromper : quintum genus, e quo es.rent
astra mente.rque;mais elle doit être éclairée par une autre page
du dialogue de Cicéron 6 , selon laquelle Zénon niait que la
mens pût provenir de la cinquième nature, pour la raison
que rien ne peut être produit par l'incorporel ; cela revenait
à affirmer que la cinquième nature était expers[... ] corpori.r,
d'où il suit qu'elle ne peut être la substance des astres ;
aussi verra-t-on dans astra mentesqueune sorte d'hendiadys
pour signifier les intelligences astrales et humaines 7 •

(1) Ross, p. 95, = CrcÉRON, Tu.rcul.I 10, 22.


(2) MoRAux, art. rit., col. 1219 et 1221. C'était déjà la position
de Mariotti, qui tranchait nettement entre la doctrine de l'âme comme
cinquième nature (il la rapportait à l'Eudème) et celle de l'éther comme
cinquième élément (présente dans le De philos.) ; on en verra la
description chez BERTI, op. &iJ.,p. 396, qui d'ailleurs, p. 394, interprète
les textes des Tumd. de la même façon que Moraux.
(3) Judie. uocal.10, 95.
(4) MoRAux, art. cit., col. 1221.
(5) Ross, p. 94-95, = CICÉRON, Acad. I 7, 26.
(6) Acad. I 11, 39.
(7) MORAUX,art. cit., col. 1222 ; l'explication par !'hendiadys 6tait
déjà celle de Mariotti, cf. BER.TI, op. &if., p. 596, et MORAUX,arl. ûl.,
346 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

Les historiens ont fait grand cas d'un point de la psycho-


logie épicurienne, qui croyait nécessaire, pour expliquer les
plus hautes facultés de l'âme, d'ajouter au feu, à l'air et au
souffle un quatrième élément &xix't"o\16µoco-'t"ov ; comparant
la fonction de ce quatrième élément épicurien et celle de la
cinquième nature d'Aristote, observant que cette dernière
était elle aussi dite uacans nomine, non nominata, &xoc't"ov6-
on en avait conclu à la dépendance d'Épicure rela-
µoco-'t'oç1,
tivement au De philosophia. A tort, dit P. Moraux ; car, de
même que les témoignages des Tusculanes, cette théorie
épicurienne ne fait aucune allusion à la doctrine de l'éther,
et se contente de professer que les activités supérieures de
l'âme, irréductibles aux éléments courants, requièrent une
substance supplémentaire ; si elle a quelque chose à voir
avec Aristote, ce serait donc tout au plus avec les traités
conservés 2 • Quant à la mention de l'&.xoc't"ov6µoco-'t"ov, elle
n'autorise aucune conclusion ; en effet, elle signifie simple-
ment pour l'épicurisme que le quatrième élément échappe
à la perception sensible, par suite de la ténuité de ses atomes;
appliquant la même notion à la cinquième nature d'Aristote,
Cicéron donnerait également à entendre que celle-ci ne
peut être saisie par les sens 3 ; rencontre banale, qui de toute
façon ne pourrait intéresser que l'aristotélisme du corpus.
Mais quantité d'autres témoignages résistent à ce prin-
cipe d'explication, parce qu'ils énoncent de façon indéniable
la nature éthérée de l'âme,soit que leurs auteurs attribuent
(rarement) cette doctrine à Aristote, soit qu'ils l'imputent à
d'autres philosophes, soit qu'ils la prennent à leur propre
compte. Selon Moraux, tous ces documents seraient le

col. 1218. Sur tous ces points, les analyses de P. Moraux viennent
d'être reproduites sans changement par B. EFFE, 1p. cit., p. 148-150.
(1)a. ,upra, p. 327 et note (4).
(2) MORAUX, art. ât., col. 1246-1248.
(3) Ibid., col. 12:z:z et 1248. Si elle est soustraite à la connaissance
sensible, la cinquième nature n'est pas pour autant donnée comme
inconnaissable ; sur ce point, Moraux se sépare nettement de l'explica-
tion de Reinhardt ; BERTI, op. cil., p. 401, fait de même.
UN PROCESSUS DE CONTAMINATION 347
résultat d'un processus de contamination. A cette tradition
syncrétiste, l'aristotélisme authentique n'aurait fourni
qu'un point de départ très étroit, et d'ailleurs mal inter-
prété : le passage bien connu du De generationeanimalium
II 3, 736 b z9-737 a 7, où apparaît la mention d'un 7tVe:î.ε<X
qui a tout ensemble une certaine communauté avec l'âme
et une certaine analogie avec l'élément astral, mais n'est en
fait identique ni à l'un ni à l'autre 1 . Il était facile de se
méprendre sur ce dernier point et d'opérer cette double
identification, qui aboutissait à la doctrine de l'âme faite
d'éther ; le glissement, peut-être amorcé déjà par Théo-
phraste, est chose faite chez certains péripatéticiens de
l'époque hellénistique (Critolaos, Diodore de Tyr) 2• Sans
doute ces derniers étaient-ils, d'autre part, perméables à
la contagion du matérialisme stoïcien ; car les stoïciens
avaient déformé la physique céleste d'Aristote pour la plier
à leur doctrine de l'automotricité du feu astral, ce qui
expliquerait qu'ils aient attribué à leur prédécesseur le
motus uoluntariusastrorum du fragment z 1 b; substituant à
la cinquième nature la substance ignée, à quoi se réduisent
selon eux Dieu, les astres et les âmes, ils auraient joué un
rôle certain dans l'identification de l'âme et de l'éther3. Il
faut également réserver une place à l'influence de diverses
données platoniciennes plus ou moins mythiques sur l'ori-
gine céleste de l'âme, l'analogie de ses mouvements et des
mouvements du ciel, la parenté des âmes humaines avec
l'âme du monde ; les successeurs de Platon ont pu prendre
ces récits à la lettre, et en conclure tout uniment à l'identité
de substance entre les âmes et les astres, ce qui rendrait
compte de la présence de cette doctrine chez tel adepte de
l'ancienne Académie (Héraclide Pontique) 4 • La fusion de
ces diverses tendances concourantes devait être l'œuvre des

(1) Cf. MoRAUX, art. cit., col. 1205-1207.


(2) Ibid., col. 1248-1249.
(3) Ibid., col. 1223.
(4) Ibid., col. 1245-1246.
348 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

spécialistes de l'éclectisme, et c'est ici que reprend toute sa


valeur l'hypothèse de Reinhardt et de Luck sur l'action
exercée par Posidonius ou par Antiochus 1 • Mais l'histoire
de la doctrine de l'âme fait d'éther se poursuit longtemps
après eux. Dans les nombreux textes de Philon où apparaît
cette représentation, Moraux voit le désir de l'auteur
d'établir le caractère divin de l'âme, le souvenir de l'aristo-
télisme authentique (celui du corpus d'ailleurs, et non pas
celui des écrits exotériques) se limitant à l'affirmation que
l'âme provient d'une cinquième substance, et à certaines
données de physique céleste 2 • L'un des derniers avatars de
la doctrine se fait enfin jour lorsque de multiples auteurs
tardifs, chrétiens pour la plupart (Athénagore, Hippolyte,
le pseudo-Clément, Origène, etc.), procèdent à la divini-
sation de l'éther3. Mais ces différentes façons d'identifier
l'âme à l'élément astral ne feront pas oublier que c'est au
prix d'un contresens initial, renforcé par quantité d'apports
de provenance diverse, qu'elles se rattachent à Aristote,
lequel, fût-ce dans le De philosophia,n'a jamais rien dit de
tel 4 •
b. Les raisons de croire.
L'argumentation de P. Moraux est en réalité bien plus
complète et étoffée que ne le suggère ce résumé ; il semble
difficile de la prendre en faute ; à peine peut-on formuler
quelques remarques et poser quelques questions. Que les
témoignages, notamment ceux de Cicéron, aient été plus
ou moins sollicités par Bignone en vue d'attribuer à l' Aris-
tote perdu la thèse de l'âme faite d'éther, c'est probable ;

(1) Ibid., col. 1246.


(2) Ibid., col. 1249-1251. Touchant Philon, P. Moraux a courageuse-
ment réformé ses positions de naguère ; car il fut l'« inventeur»
du texte important de Quis rer. diuin. here.r sil 57, 283 ; cf. son art.
Um nouvelletrace de I' Aristote perdu, dans Le.r Études da.uique.r, 16, 1948,
p. 89-91.
(3) Ibid., col. 1227-1231.
(4) Ibid., col. 1172 et 1245,
LE MOUVEMENT DE L'ÂME 349

mais il n'est pas impossible que Moraux les ait légèrement


forcés en sens contraire. Est-il certain que les fragments
tirés des Tusculaness'expliquent suffisamment par référence
à l'aristotélisme du corpus?1 • C'est douteux, quand on voit
le fragment 27 d2 attribuer à Aristote d'avoir conçu l'intelli-
gence divine (et l'âme humaine sa parente) comme praedita
motu sempiterno,· nous avons déjà remarqué 3 combien ce trait
s'appliquait mal au Moteur immobile ; mais il ne s'oppose
pas moins à la thèse bien connue du De anima I 3, 406 a 2
sur 1'impossibilité que l'âme soit mue de quelque façon
que ce soit. Force est donc d'admettre pour cette notation
un autre fondement que le corpus.D'autre part, il est clair
qu'elle coïncide de façon frappante avec la notion d'èvae-
)J,xew.,que le fragment 27 b4 explique quasi quandamconti-
nua/am motionemet perennem. Contre ce mot, l'argument tiré
de Lucien n'est pas fort convaincant ; car cet auteur indique
simplement (et d'ailleurs sur le mode fantaisiste) qu'èv/3.
est antérieur à èv-r. ; si l'on songe qu'itv-r., appliqué à l'âme,
date du tardif De anima5 , il est concevable qu'èv8. l'ait
précédé, sans que l'on doive pour autant retirer à Aristote
la paternité de ce dernier mot 6 ; voilà qui satisfait à la

(1) Peu après la publication de l'article de P. Moraux, et sans


encore le connaître, H. J. EASTERLING, Quinta Natura, dans Museum
helvet., 21, 1964, p. 73-85, a proposé une interprétation comparable,
bien que moins radicale ; il croit lui aussi qu'Aristote aurait professé,
indépendantes l'une de l'autre, une théorie de l'élément céleste et
une théorie de l'âme immatérielle, que les doxographes devaient
amalgamer abusivement ; mais au lieu d'attribuer, comme fait Moraux,
cette double doctrine au seul ,orpus, il accorde qu'elle pouvait appar-
tenir au De philos.
(2) Ross, p. 96, = CrcÉRoN, Tus,ul. I 26, 65-27, 66.
(3) Supra, p. 341.
(4) Ross, p. 95, = CrcÉRON, Tuscul. I 10, 22.
(5) Cf. F. NUYENs, L'évolution de la psychologie d'Ari.rtote, trad.
française, collect. (< Aristote. Traductions et études », Louvain-
La Haye-Paris 1948, p. 239 : (( La définition de l'âme comme
' entéléchie 'du corps est le terme auquel aboutit l'évolution d'Aristote
en psychologie >>.
(6) Car les dictionnaires signalent un seul exemple d'èv8. avant
Aristote: chez le poète épique Choirilos (ze moitié du ye siècle).
350 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

succession posée par Lucien, mais n'empêche pas qu'èvit


ait été, à son époque, un nouum nomen. Rien n'oblige donc
à regarder èv8. comme une erreur de Cicéron. On peut dès
lors restituer toute leur signification aux textes classiques
qui suggèrent de rattacher l'èv8. au mouvement du ciel :
De cae!oI ;, 270 b 22-24 (étymologie du mot «éther» rx.1to
't'OUfü:ï:v&.d),et De gener. et corrupt. II 10, ;;6 b 25-;37 a 4
(la génération est èvSe:).i::x_-fiç
parce que la translation circu-
laire du ciel est cruve:zfiç). Aussi, quand, dans De an. I ;,
407 a 3-10, Aristote dit que l'intellect est cruvez-fiçet mû
d'un mouvement circulaire, il pourrait bien se référer, en
même temps qu'au Timée, à sa propre position dans le De
philosophia1.L'affirmation du mouvement éternel de l'âme,
voilà donc une première raison de croire que les Tusculanes
attribuaient bel et bien à Aristote d'avoir rapproché l'âme
et l'éther.
Un autre indice concourant réside dans la formule cicé-
ronienne quinta natura. Sans doute l'auteur des Tusculanes
ne dit-il pas expressément que la cinquième nature soit celle
de l'éther ; mais il est difficile de supposer qu'il n'en avait
pas l'intention. Quinta natura traduit 1té:µ.1t't'OV
crwµ.oc,7tÉ:f1,,7tT'fl

(1) Sur tous ces points, la position de BERTI, op. cit., p. 399-400,
est plus nuancée que celle de Moraux : il ne croit certes pas qu'Aristote
ait vraiment identifié l'âme et l'éther ; &vil., qui est pour lui un mot
authentique, indiquerait la continuité du mouvement de l'éther ;
mais il concernerait aussi l'âme, dans la mesure où l'âme immanente
à l'astre est censée se mouvoir avec lui. Explication compliquée, où
apparaît tout de même une certaine assimilation de l'âme à l'éther. -
De la notion de l'âme comme È:vlle:Mxe:tot, il conviendrait également
de rapprocher le Phèdre 245 c sur l'âme dite -ro &.e:tXLll"l)'t"OII
(selon la
leçon de tous les mss. et de toute la tradition indirecte, à la seule
exception de l'Oxyrh. Pap. 1017 qui porte otù-roxl11"1)-ro11 [mais aussi,
dans la marge, &.e:txlv"l)-rov]; cf. C. DrANo, Quod semper mouetur
aeternum est, dans La Parola del passato, 2, 1947, p. 189-192) ; voir
A. H. CHROUST, The Doctrine of the Soul in Aristotle's Lost Dialogue
<<On Philosophyll, dans The Ne1v Scholasticism, 42, 1968, p. 370 (et
n. 14)-371, qui observe justement que la conception de l'âme comme
b.tll. implique son immortalité, ce qui permettrait de comprendre
pourquoi Cicéron a accueilli cette doctrine dans la Consolatiocitée dans
le fgt 27 d.
L'EXPRESSION QVINTA NATVRA 351
oùcrlœ. On nous dit que ces expressions sont une invention
des doxographes pour désigner le 1tp&-rovcrN[L<X du De caelo
et en faire mieux ressortir la nouveauté, sans aucune allu-
sion aux écrits exotériques 1 . Mais les doxographes ne
pouvaient ignorer que, ce faisant, ils reproduisaient tex-
tuellement une façon de parler de l'Epinomis 981 c (1tÉv-re
aè ocWÉpoc;cf. déjà
OÜV ()V't"CùV 't"NV ljCù{J,IX't"CùV[ ••• ], 7tÉ[L7t-.ov
Timée 55 c) ; s'ils se proposaient de montrer la nouveauté
d'Aristote, ils ne pouvaient qu'aboutir au résultat inverse,
puisqu'ils reprenaient une formule antérieure à Aristote ;
aussi doit-on chercher une autre raison à cet archaïsme
volontaire ; la meilleure explication reste qu'Aristote
lui-même ait appelé l'éther 1tɵ1t-rov cr. à une époque
où il était encore proche du platonisme 2 • Quoi qu'il en
soit, il y aurait eu, de ce 1tɵ1t-rovcr. à la quinta natura de
Cicéron, une filiation par analogie : ayant appliqué la pre-
mière formule à l'éther parce qu'il est irréductible aux
quatre éléments traditionnels, les doxographes auraient
imaginé la seconde pour l'âme parce qu'elle est semblable-
ment étrangère aux quatre éléments matériels 3 • Mais peut-
être cette hypothèse entraîne-t-elle des conséquences que
Moraux n'eût pas souhaitées. Car le sens exclusivement
psychique de quinta natura n'est attesté nulle part ailleurs
que dans les Tusculanesou dans des textes qui en dépendent ;
il faut donc que ce soit Cicéron lui-même qui l'ait élaboré
pour décrire l'aristotélisme; mais, conformément au postulat
de Moraux, il n'aurait pu le faire sans connaître auparavant
l'acception qttinta natura = éther ; il s'ensuit que, quand on
lit cette formule sous la plume de Cicéron, on doit envisager
la possibilité qu'elle désigne aussi l'éther ; autrement dit,

(1) MoRAux, art. cit., col. 1226.


(2) C'était l'idée de W. JAEGER, Aristotle. Fundamenta!r of the
History of his Development, transl. by R. ROBINSON, Oxford •1948,
p. 144 et n. 2. ; elle n'a rien perdu de sa valeur. Contra, MORAUX,
art. cit., col. 1172. et 12.2.6.
(3) MORAUX, art. cit., col. 1221-1222.
352 LE DIALOGUESUR LA PHIWSOPHIE

du seul fait de leur présence, les mots quinta natura ont


chance d'imputer à Aristote la doctrine de l'âme éthérée.
On peut arriver à la même conclusion par une autre voie :
l'emploi de 1téµ1t't'O'\I cr. pour signifier l'éther du De caelo est
fort ancien ; il remonte probablement à Critolaos, voire à
Théophraste 1 ; en tout cas, l'exemple de Xénarque montre
qu'il allait de soi à l'époque de Cicéron (dont Xénarque est
presque le contemporain) 2 ; aussi est-il invraisemblable
que Cicéron ait pu employer quinta natura à propos d' Aris-
tote sans songer que ces mots désignaient communément
l'éther' ; s'il les a néanmoins maintenus pour caractériser la
substance de l'âme, c'est qu'il ne craignait pas de donner à
entendre qu'Aristote avait identifié l'âme et l'éther.
Si, de façon implicite, mais réelle, cette identification est
mise au compte d'Aristote dans les Tusculanes, il devient
superflu de refuser de la lire dans les Academica4 ; nul
besoin d'imaginer un hendiadys dans le astra menterquedu

(1) THÉOPHRASTE,Phy.ric. opinion., fgt 21, dans DrI!LS, Doxogr.,


p. 493, 8-11 : quand il nie que le caractère visible des astres et du ciel
exige qu'ils soient composées de feu, Théophraste TOCÜTot Mye:t e:!croc-
yc,iv 'l'O1téµ1tTOVcrwµot.
(2) Œ. art. cit., col. 1226 et 1231. Sur Xénarque, né vers 80/75 avant
notreère,auteurd'untraité Ilpoc; -r-ljv 1téµ1t-rl)V oùcrlotv où il niait
que les corps célestes fussent constitués d'un élément différent du feu
et où il rejetait la théorie du Moteur transcendant (ce qui n'a pas
empêché la tradition de le ranger parmi les péripatéticiens), voir
P. MORAUX,art. Xenarchos aus Seleukeia, dans RE, 2.Reihe, IX 2,
1967, col. 1422-1435.
(3) Admis par BERTI, op. cil., p. 400. Autre conséquence : si la
théorie aristotélicienne de l'éther était connue de l'auteur des T u.rcul.,
il ne peut avoir dit qu'Aristote faisait provenir le système astral des
quatre éléments classiques, comme Moraux le suppose à propos du
fgt 27 b.
(4) On ne suivra pas davantage H. J. EASTERLING, art. cil., p. 76-78,
dans son application à opposer le 1er texte du fgt 27 (quintum genus,
e quo euenl a.rira mentesque, où il refuse avec raison l'hypothèse de
!'hendiadys) aux trois suivants (caractère incorporel de la quinfa natura
comme substance de l'âme) ; cette apparente discordance se trouve
doublement réduite : d'une part parce que la quinta natura recouvre
elle-même la notion de l'éther ; d'autre part en raison des indices
favorables à une certaine immatérialité du quintum genu.r.
L'ÉŒMENT « INNOMMABLE » 353
fragment 27 a ; quant à la notation de Zénon sur la cin-
quième nature expers..• corporis,elle n'empêche en rien de
voir en celle-ci une désignation de l'éther ; en effet, de
nombreux indices, sur lesquels nous aurons à revenir 1 ,
donnent à penser que l'éther du De philosophian'était pas
un corps au sens banal ; et déjà le fragment 262, parlant
apparemment du monde, mais visant selon moi l'éther, le
dit carenscorpore.Bref, il est difficile de suivre Moraux dans
ses efforts pour établir que Cicéron n'attribue pas à Aristote
la thèse de l'âme faite d'éther. On peut ajouter foi au témoi-
gnage de Cicéron, et c'est l'attitude la plus naturelle. On
peut le croire erroné, et il faudrait alors l'établir, ce qui n'a
jamais été fait. Moraux a voulu rester à mi-chemin entre ces
deux positions, défendre la validité des documents cicéro-
niens tout en en restreignant la portée : c'était l'option la
plus incommode. Mansion la reprochait déjà à Mariotti 3,
dont la façon de voir rappelle par plus d'un aspect celle de
Moraux. Aussi bien, Moraux lui-même n'est pas sans conce-
voir des doutes sur la valeur de sa propre explication ; car,
dans des Nachtragepostérieurs de plusieurs années au corps
de son article, il envisage la possibilité que Cicéron ait déjà
fondu, dans la notion de quinta natura, les deux doctrines
aristotéliciennes (de l'éther et de l'âme) 4 ; c'est ce que j'ai
essayé de montrer, à ceci près que, à mon avis, cette fusion
remonte à Aristote lui-même.
Quant à la dette éventuelle de la psychologie épicurienne
à l'endroit de la cinquième nature du De philosophia,il faut
convenir qu'elle n'est pas prouvée. Toutefois, la présence,
de part et d'autre, de la notion d'&xoc"t"ov6µ.occr"t"ov(et du mot
lui-même, extrêmement rare en dehors de la tradition de la
théologie négative) constitue un indice qu'on ne peut igno-
rer. En ce qui concerne le sens de ce mystérieux adjectif,

(1) Cf. infra, p. 361-363.


(z) Ross, p. 94, = CICÉRON, De nal. deor.I 13, 33.
(3) Cf. BERT!, op. cil., p. 397.
(4) Art. cil., col. 1266.
354 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

Moraux se sépare à bon droit de l'interprétation fantaisiste


de Reinhardt, pour qui &xo:-c-. équivaudrait à &xo:-roc):tj1t-c-oc;,
« inconnaissable », et attesterait l'apport du scepticisme de
la moyenne Académie. Mais peut-être ne s'en libère-t-il pas
suffisamment quand il propose d'entendre « inaccessible
aux sens» parce que constitué d'atomes imperceptibles ;
car la phrase de Plutarque qu'il invoque (Adu. Colot. 2.0, 1118
E : oôx ~yy:.tvovoµ.occrou
qic,.crx6vn,)Vô (-1,~Mvo:v-c-:xtXIX'C"IXÀIX-
oe:r'.v),purement polémique et dénuée de valeur documen-
taire, n'indique rien de tel, mais simplement : les épicuriens,
en introduisant cet élément « innommable », avouent leur
honteuse ignorance, ils déclarent innommable ce qu'ils ne
peuvent comprendre (ce dernier mot étant pris dans son
sens général, et non pas restreint à la perception sensible) 1 •
Dès lors, quand le fragment 2.7 énonce que la cinquième
nature est uacans nomine, non nominata, &xc,.-c-ov6µ.c,.cr-c-oc;,
il faut
entendre, de la façon la plus obvie, qu'elle n'a pas de nom
ni n'en peut avoir ; Aristote aurait saisi ce moyen de souli-
gner la nouveauté de la notion qu'il proposait 2 , avec
référence ironique, selon moi, au Théétète 2.01 e-zoz b (le
nom des éléments est « leur seul avoir »), et allusion
possible à Epin. 987 ab ; peut-être le De phi!osophia ne
comportait-il même pas le mot « éther » ; car le fragment 2.6
recourt à la périphrase caeli ardor, et De caelo l 3, 270 b 2.0-25
hésite à nommer le premier corps « éther » et ne s'y résout
que faute de mieux.
Moraux, nous l'avons dit, retrace, de façon minutieuse et
pour le plus grand profit de son lecteur, le cheminement
historique de la doctrine de l'âme faite d'éther, gonflée

(1) Il est remarquable que CrcÉRON, Tuscul. I 17, 41, = De philos.,


fgt 2 7 c Ross, p. 9 5, dise exactement le contraire de la quinta natura
comme substance de l'âme : elle n'est pas nommée, mais on ne peut
dire qu'elle ne soit pas comprise, non nominata( = ovoµ&cro,;1) magis quam
non intel/acta( = XIXT<XÀocÔdv); indice d'une source commune, travestie
par Plutarque?
(2) C'est l'avis de BERT!, op. cit., p. 401, contre Reinhardt.
POSTÉRIT~ DE LA DOCTRINE 355

par les apports les plus divers et rattachée indûment à


Aristote. On ne peut ici descendre dans tous les détails, et
l'on est réduit à isoler quelques problèmes particuliers.
L'action exercée par le stoïcisme sur cette représentation
des péripatéticiens tardifs, communément admise 1, est-elle
vraiment établie? Il reste singulier que les adeptes de la
cinquième essence aient pu se laisser influencer par un
système qui en niait l'existence. La façon dont Moraux
traite le cas de Philon est pleine d'intérêt, car elle comporte
des implications imprévues : étudiant d'une part Quis rer.
diuin. heres sit 57, 2 8 3, il reconnaît le caractère aristotélicien de
la 1tɵ1t'TT) oùcrtocxuxÀoq>opYj-rix~ donnée comme substance
des astres 2 ; analysant d'autre part De plant. 5, 18, il admet
la même authenticité aristotélicienne pour le rattachement
de l'âme à la cinquième substance 3 ; on voit à quoi l'on
parvient en rapprochant ces deux affirmations, l'une et
l'autre exactes au demeurant : sans aucun doute à créditer
Aristote d'une doctrine du quintum genus, e quo essent astra
mentesque, pour l'attestation de laquelle Philon est invoqué
au secours de Cicéron ! Enfin, Moraux fait bon marché des
multiples témoignages chrétiens sur la divinité du cin-
quième élément, dans laquelle il ne voit rien d'aristotélicien ;
peut-être est-ce oublier que cette divinisation est chose faite
aux termes du fragment 26 ( caeli ardorem deum dicit esse)4,
sans parler des passages du De caeloI 9, 279 a 22-2;, et II 1,
2.84 a 3-1; et 2.84 b ;-5, que l'on rapporte avec raison au
De philosophia5 •
Il reste une donnée dont Moraux, tout à son entreprise
de montrer que l'attribution à Aristote de la doctrine de
l'âme faite d'éther est une gigantesque Missinterpretation, a
peut-être sous-estimé l'importance : la présence d'une repré-

(1) Cf. MoRAux, ari. Git.,col. 12.48.


(2) Ibid., col. 1249.
(3) Ibid., col. 1250.
(4) Cf. ibid., col. 1210.
(5) Ils font partie des fgts 28-29 WALZER, p. 94-96.
356 LE DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

sentation tout à fait analogue dans la plus ancienne Acadé-


mie, qui sans doute y voyait le moyen de donner un fonde-
ment théorique aux mythes platoniciens sur l'origine et la
destination célestes des âmes. Il n'est pas entièrement sûr
qu'Héraclide Pontique ait dit en propres termes que l'âme
est un oct0ép wv cr&µcc,comme l'écrit Philopon 1 ; mais, quelle
qu'en ait été l'expression, l'idée se trouvait chez lui, Moraux
l'admet 2 ; peut-être est-ce aussi à cet auteur que se rapporte
le témoignage de Jamblique 3 où la même doctrine, en des
termes identiques à ceux de Philopon, est attribuée à « cer-
tains aristotéliciens ». Sans doute Héraclide n'est-il pas le
seul adepte de l'ancienne Académie qui ait soutenu cette
théorie ; car on la trouve encore dans les Commentaires
pythagoriciens cités par Alexandre Polyhistor4, que l'on
rattache communément au même milieu, tant par la date
que par la doctrine. Comment convient-il d'interpréter
cette circonstance? Bignone supposait qu'Héraclide s'était
inspiré du jeune Aristote. Moraux ne le croit pas, car le
premier, bien qu'il ait été souvent appelé péripatéticien, n'a
jamais été le disciple du second. Soit. Mais l'un et l'autre
relevaient d'une même orientation spirituelle, celle de
l'Académie ; leur commun milieu fut le berceau de la
doctrine de l'éther, à laquelle le jeune Aristote s'est vive-
ment intéressé, et dont il a tiré une première conception
qui transparaît plus ou moins dans ses œuvres postérieures.
Moraux accorde tous ces points 5 • C'est dire qu'Aristote,
dans sa période académicienne, a vu soutenir autour de lui,

(t) H:ÉRACLIDB PONT., fgt 99 WBHRLI, p. 34, 21-23, = PHILOPON,


In Arist. De an. I comment.,prooem., p. 9 : Twv 8è à.l't'ÀoÜv crwµoce:!p'l)-
x.6-r<ilv-r~v <Jiux~velv01:1 o! µèv etp-îp,01:cr1v
01:Hlép1ov
e!v01:1
awµoc, -rocô-ràv
8é fo-r1v e:!7tdlloôpci111011, &tmep 'Hp. ô Ilov-r.
( 2) Art. cil., col. 1194 et 1246.
(3) Apud STODÉE, Anthot. I 49, p, cité par MORAUX, art. çjf.,
col. 1248.
(4) Apud DIOGÈNE LAËRCB, VIII t, 2.8 : E!vc,;18è ~\I <Jiux~11
ci1't'6crl't'C1:0'fJ-01:
oct6époç, etc.
(s) ArJ. rit., col. 1194-1196 et 1209.
ORIGINE PLATONICIENNE DE LA THÈSE 357
par des penseurs issus de la même école, la doctrine de l'âme
faite d'éther; le fait ne suffit pas à établir qu'il l'ait soutenue
lui-même ; mais, ajouté au témoignage d'une tradition
ininterrompue, il ne laisse pas de conférer quelque vraisem-
blance à cette hypothèse.
H. J. Easterling enfin, dans un rapprochement de grand
intérêt, évoque, à propos de la doctrine de l'âme faite
d'éther, non plus l'ancienne Académie, mais Platon lui-
même1. Il part des témoignages de Philon et d'Hippolyte,
qui ont la particularité d'ajouter à cette doctrine des consi-
dérations sur l'origine de l'âme et son destin final : l'âme
humaine, dit le premier, provient de la cinquième essence
comme un fragment détaché ; sortie de son corps, elle
rejoindra l'éther qui est son père ; pour le second, Aristote
aurait pensé qu'après avoir survécu quelque temps, l'âme
s'évanouit dans le cinquième corps 2• Ces deux textes per-
mettent à Easterling de conjecturer par quel processus on
en serait venu, comme Cicéron dans le fragment 2.7a, à attri-
buer à Aristote la théorie du quintumgenus,e quoessentastra
mentesque: le philosophe ayant professé dans l'Eudème, à
la suite de son maître Platon, que l'âme humaine vient du
ciel et y retourne, les doxographes tardifs auraient pris ce

(1) Arl. âl., p. 81-85.


(2) PHILON, Quis rer. diuin. heru rit 57, 283, éd. C.-W., III, p. 64,
1 7-22 : 't'O llè voepàv )(otL oup&:vLOV tjç <J,ux"Y)Ç yévoç 1tpàç otUlépot't'OV
xo,:60,:poo't'OG't'OV
wç 71'ot't'épotàqil~e't'otL.Iléµ71''t"ljyocp [..•) 't'LÇoualo,:[.•.]
'l'jç [••.] ti)V àv6pc,mlv7Jv<J,ux'llv <X71'6m,o,:aµo,:; HIPPOLYTE, Philor. 20, 4,
dans DIELS, Doxogr., p. 570, 2.2.-2.3: 'ApLa-ro-réÀ7JÇ i:m8LotµéveLv xo,:l
µe-rix -rocü-roc )(OCl [se. : tijv <J,ux~v]è:vocqio,:v(Çr::a6ocL
't'O:U't"ljV 't'ij>71'éµ71''t'q>
aooµoc-rL.Ces deux témoignages sont manifestement contaminés de
stoïcisme, cf., pour le premier, DroG. LAËRCE,VII 143, = SVF II 633,
p. 191, 39-40 : tjç ~µem\po,:,;; <J,ux~,;; è:xe:L6e:voi5C17Jç<X71'00'71'&:aµoc-roç;
pour le second, ARIUSDm., Epit. phy.r.,fgt 39, = SVF II 809, p. 2.23,
18-2.0 : T'IJVllè YJU)('IJV [... ] i:mµévr::Lv't'LVIXÇ xp6vou,;;X!X8'É:OCU'TT)V [.••]
µél(pL tj,;; d,;; 71'ÜpàvocMar::w,;;. Mais il reste à expliquer la référence
à Aristote, implicite chez Philon, expresse chez Hippolyte. D'ailleurs,
si les textes cicéroniens du fgt 2.7 ne parlent pas de la destinée de
l'âme désincarnée, ils font état de son origine à partir de la cinquième
nature : quintam [ ... ] natll!'am [... ], e qua sil nmu, etc,

24
358 LB DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

mythe à la lettre ; ils en auraient inféré qu'aux yeux d' Aris-


tote, l'âme est elle-même de nature astrale, c'est-à-dire, selon
la physique aristotélicienne, faite du cinquième élément ;
et c'est le résultat de cette inférence qui seul subsisterait
chez Cicéron, les témoignages de Philon et d'Hippolyte
représentant, malgré leur date plus tardive, un état antérieur
de la tradition, dans lequel la conclusion était encore
accompagnée de ses prémisses. Cette reconstitution est
assurément séduisante. Une circonstance néanmoins dé-
tourne de l'admettre sans réserve : c'est que le glissement
des représentations mythiques sur l'origine et la destination
célestes de l'âme à l'affirmation de sa nature astrale semble
bien être chose faite déjà chez Platon lui-même ; les deux
passages du Timée que cite Easterling 1 ne laissent guère
de doute à cet égard : en 90 a, peu avant de dire que l'âme,
à l'origine, a pris naissance dans le ciel, Platon déclare que
le contenu de ce ciel est notre congénère (1tpoç aè tjv Èv où-
p(Xv<j><;UjjÉ\IEL(X\1)2 ; en 42. b, il assigne à qui a bien vécu de
retourner dans l'astre qui lui est apparenté (dç tjv -.oü
auvv6µou [...] o'Cx'Yjaw 1fo-.pou)et d'y mener une vie accordée
(~lov [...] auv1J0'Yl)à la sienne. Insister à ce point sur la
parenté qui unit aux astres les âmes humaines revient sans
doute à accorder à celles-ci une certaine nature astrale ;
mais si Platon lui-même a professé une théorie de la nature
astrale de l'âme pour justifier les mythes de son origine et
de sa destinée (et qui, dans ces domaines, se flattera de dire
où finit la théorie et où commence le mythe ?), comment
nierait-on que l' Aristote platonisant ait pu l'imiter sur
ce point ?

(1) Et dont il admet avec raison qu'ils peuvent être à l'origine du


mythe par lequel se termine le De fade de Plutarque, cf. jupra,
p. 93-95. .
(2.) Cf. la traduction d'A. J. FESTUGIÈRE, Le dieu ,o.rmiqll4,p. 133 :
« vers ces parents que nous avons au ciel », et sa n. 1 : « Le mot
( auyyéve:1a:)me paraît pris au sens concret ... et désigner les astres ».
LES INCONNUES DE LA PSYCHOLOGIE D'ARISTOTE 359

2. L'objection du prétendu matérialisme

Aux arguments tirés de la critique des sources, de nom-


breux historiens en ont adjoint un autre, inspiré de la repré-
sentation qu'ils se font de la philosophie d'Aristote : à
aucun moment de sa carrière celui-ci n'aurait pu concevoir
l'âme comme une substance tirée du cinquième élément,
parce que cette éventualité introduirait dans le développe-
ment- de sa pensée une phase «matérialiste», dont il n'y a
nulle trace et que tout détourne d'envisager. Cette objection
a été formulée notamment par A. Mansion 1, s'appuyant sur
les recherches de Nuyens (bien que Nuyens lui-même n'ait
rien dit de tel) ; Berti l'a reprise à son compte 2, comme aussi
Moraux 3 •
Est-elle aussi péremptoire qu'elle en a l'air? Ce n'est pas
sûr. D'abord, il est douteux que les travaux de Nuyens,
dont la valeur n'est d'ailleurs pas en cause, lui fournissent
la base indiscutable que l'on croit. Ce savant, on le sait,
distingue dans « l'évolution de la psychologie d'Aristote»
trois grandes périodes : entre la première, définie par le
dualisme platonicien de l'âme et du corps et représentée
surtout par l' Eudème, et la troisième, celle du De anima, où
l'âme est conçue comme la forme du corps, s'étendrait une
phase longue et indécise pendant laquelle Aristote aurait
regardé le corps comme l'instrument de l'âme. Moraux es-
time que le De philosophia se place indubitablement dans
cette période médiane 4, alors que Nuyens, il faut le noter,
l'attribuait à la période dualiste initiale 5 • Ce désaccord entre
les spécialistes montre que le problème est loin d'être

(1) Cf. BERTI, op. cit., p. 109-110 et 397 ; MoRAux, art. cil., col. 1224-
1226.
(2) Op. rit., p. 394, 396, 400-401, 556.
(3) A,-1, cil., col. 1172 et 1225.
(4) Ibid., col. 1225.
(5) F. NuYENs, op. cil., p. 96-100.
360 LB DIALOGUE SUR LA PHIWSOPHIE

tranché ; on ne voit pas au nom de quoi il serait impossible


d'introduire dans le développement de la psychologie aristo-
télicienne, que jalonnent en toute hypothèse des positions
contradictoires, une phase supplémentaire qui correspon-
drait au fragment 27 du De philosophia. Contre cette éven-
tualité, H. J. Easterling 1 élève l'objection suivante : si
Aristote avait jadis professé la théorie de l'âme comme
cinquième élément, il aurait dû en faire état dans la suite,
notamment dans la longue revue des doctrines antérieures
à laquelle il se livre en De an. I 2-5 ; or il ne le fait pas ;
quand il évoque les thèses selon lesquelles l'âme serait
constituée d'éléments matériels, ceux-ci ne sont jamais que
les quatre éléments sublunaires. Cet argument a silentio est
peut-être moins concluant qu'il n'y paraît ; d'une part,
peut-on dire que la psychologie dualiste représentée par
l' Eudème, et dont on ne doute pas, ait laissé beaucoup de
trace dans les traités ultérieurs? d'autre part, il n'est pas
impossible que certaines formules justement du De an. I
soient à entendre comme des allusions voilées à la théorie
de l'âme comme quinta natura2 • D'autre part, on aura
remarqué que Nuyens, pour dégager les trois périodes en
question, se fonde exclusivement sur le problème des
rapports de l'âme humaine à son corps ; or il est clair que le
fragment 27 ne concerne en rien ce problème ; il s'intéresse
uniquement à la relation de l'âme humaine ou divine avec

(1) Art. cil., p. 75.


(2) Ainsi D, an. I 2, 405 a 6-7 : Àt1t"roµepéa-roc-r6v-re xoct µixÀtcr-roc
't"ù>VO''t"OLX,dwv&.crwµoc-rov; I 5. 409 b 21 : cr&µa;
27 : &.crwµoc't"W't"OC't"OV;
-ro Àewroµe;pfo-roc-rov 7) -ro &:crwµoc-rw-roc-rov
-r&v èi.À.Àwv.
Certes, l'élé-
ment dont l'âme serait constituée selon les systèmes matérialistes et
auquel ces qualificatifs sont appliqués n'est pas l'éther, mais le feu ;
néanmoins, cette notion de cr&µoc&:crwµct-rov évoque de façon frap-
pante la quinta natura dont Zénon disait qu'elle était expers [... ] corpo-
ris, et que de nombreux auteurs plus tardifs définiront pat les oxymora
que l'on sait (ainsi GRÉG. DE NAZIANZE, Oral. 28 De theol., 8, PG 36,
Voir encore De an. I 2, 405
36 A : lt'éµlt'-rov crfuµa; [•.•] &.crwµoc-rov).
b 11-12, disant des philosophes matérialistes : 'Op(~ov-rixt 8ri lt'IXV't"t~
't"l)Vqiux_riv[...] -réj)&.crroµix-r<:J.
UNE MATiî;RE IMMATÉRIELLE 361

le corps des astres, c'est-à-dire à la question de la nature de


l'âme ; si maintenant l'on reconstituait l'évolution de la
pensée d'Aristote touchant la nature propre de l'âme (ce
que Nuyens n'a pas fait), rien ne prouve que la doctrine
du fragment 27 n'y trouverait pas sa place ; sans doute y
apparaîtrait-elle au contraire comme un chaînon nécessaire.
Il doit bien y avoir un motif qui a détourné Nuyens de
s'occuper du fragment 27, qu'il connaissait parfaitement
par le recueil de Walzer ; peut-être est-ce justement qu'il a
compris, avec raison, que ces textes n'entraient pas dans
son propos, et relevaient d'une autre dimension de la
« psychologie » d'Aristote.
En deuxième lieu, le mot de « matérialisme », par lequel
les historiens caractérisent la doctrine du fragment 27, n'est
sans doute pas des mieux choisis ; car il n'en fait apparaître
qu'un aspect, à savoir que l'âme serait faite de la substance
des astres supposés matériels. Mais on peut tout aussi
légitimement prendre la doctrine dans l'autre sens, et en
retenir que les astres sont constitués de la substance de
l'âme ; dans ce cas, on parlerait avec autant de raison de
panpsychisme, voire d'immatérialisme. En vérité, aucune
de ces deux façons de voir ne doit faire oublier l'autre. A
cet égard, le mot «hylozoïsme», proposé par J. Moreau
et souvent repris par P. Moraux1, est meilleur, car il ne
marque de privilège à aucune d'entre elles, et s'accorde à
l'immanence de l'âme du monde professée dans le De philo-
sophia2.Aussi bien la dualité matérialisme - spiritualisme
semble-t-elle peu appropriée au contenu doctrinal du dia-
logue ; plutôt que de dire que l'âme est faite de la substance
des astres, ou l'inverse, sans doute serait-il préférable de
poser à l'origine de toutes choses un principe unique, le
cinquième élément, d'où proviendraient, comme deux déri-
vations, les astres et les intelligences : quintum genus, e quo

(1) Cf. ar-t. cil., col. 1217.


(2) Cf. KANT, Critiquedujugemenl,§ 72, in fine.
362 LE DIALOGUE SUR LA PHILOSOPHIE

essent astra mentesque;quant à dire si ce cinquième élément


est matériel ou spirituel, la question n'a guère de sens si l'on
pense qu'il se situe au-delà d'une telle distinction et antérieu-
rement à elle.
C'est pourquoi tant de témoignages anciens donnent à
entendre, plus ou moins explicitement, que l'éther aristoté-
licien n'est pas une matière au sens courant du mot. Moraux
a parfaitement noté 1 cette conception de la cinquième
essence comme « matière immatérielle », frontalière entre
le monde sensible et le monde intelligible qu'elle aurait à
raccorder ; il a relevé plusieurs des textes dans lesquels elle
se manifeste : les doxographies sur Critolaos (... ex quinta
nescioqua substantia, si et il/a corpus), les témoignages d' Atti-
cus (l'éther comme crwµ.oc&.1toc0é:ç) et d'Origène (&üÀov[... ]i-ov
les documents néoplatoniciens sur l'cû0é:pwv iSX"f)f-1.0C
oct0é:poc),
intermédiaire entre le monde sensible et la pure immatéria-
lité, les développements de l'angélologie chrétienne où les
corps des anges sont dits à la fois oct0é:p~oc et &m,oc
2 ; il aurait

pu en ajouter bien d'autres, tels ceux de Grégoire de


Nazianze, Orat. 2.8, 8 ; 38, 9; 45, 5, PG 36, 36 A, 32.0 CD,
62.9 B. Fidèle à son interprétation d'ensemble, il ne voit
dans tous ces textes rien qui ait vraiment trait au 1tpwi-ov
crwµ.ocdu De caelo3 , ce qui surprend quand on se rappelle les
pages de ce traité (I 3) où Aristote s'attache à établir que
l'éther n'a rien de commun avec les corps ordinaires, ni
pesanteur ni légèreté, ni génération ni corruption, ni accrois-
sement ni diminution, ni altération d'aucune sorte. Mais
c'est surtout avec la cinquième nature du De philosophiaque
le rapprochement s'impose, dont Zénon disait qu'elle est
expers... corporis, dont la source épicurienne de Cicéron
ajoutait qu'elle est carens corpore 4 • D'autre part, les doxo-

graphes, a-t-on vu, n'ignoraient pas qu'Aristote rapportait

(1) Art. cil., col. 1173 et 1z49.


(2) Ibid., col. 1zz7, 1z49, 1z56, 1257-1258.
(3) Ibid., col. 1z49.
(4) Cf. supra, p. 353.
LA TRADITION DOXOGRAPHIQUE 363
la substance du ciel à un cinquième élément, quelle qu'en
fût la désignation ; s'ils avaient tenu celui-ci pour absolu-
ment corporel, et qu'ils eussent voulu rappeler que le
philosophe regardait l'âme comme étrangère à tous les élé-
ments corporels, ils auraient dû la rattacher non pas à la
quinta, mais à une sexta natura; les mots mêmes de quinta
natura appliqués à l'âme incorporelle semblent bien impli-
quer la croyance à une certaine incorporéité de l'éther. On
est libre de refuser la leçon de ces témoignages ; à tout le
moins devraient-ils détourner d'objecter sommairement, au
fragment 2.7 du dialogue, son « matérialisme ».
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE

N. B. - Dans cet index et dans le suivant, les chiffres en italiqm


renvoient aux pages du présent volume ; entre parenthèses, ils
renvoient aux notes, et le chiffre o indique la suite d'une note dont
le début figure sur une page précédente.

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384 IDÉES GRECQUES

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ZELLER (E.), Die Philosophie der Griechen, herausg. von E. WELLMANN,


III 1, Leipzig •1923. - 146 (2).
INDEX DES PRINCIPAUX TEXTES CIT~S

ALBINUS D, caelo II 3, 2.86 a 9-12. - 2I 1-


212.
Epi1. 10, .z. - 2n-2,8.
I.rag. 5. - III (r). - u, 2.91 b 2.4-2.93 a 14.
- 2J0-2JJ.
ALEXANDRED' APHRODISE - -292 a 22.-b 22.. -
D, an., éd. Bruns, p. 1, 4-2., .z. - 211.
I00 ( 1).
De gener.et corrupl. II 10, H7 a
2.0-2.2. - JJJ ( ,;.
ALEXANDRE Meteor.I 2., 339 a u-13, - JJJ,
DE LY CO POLIS - -3, 339 b 2.5-26. - 211-
C. Mani&h.opin. 23. - r86. 211.
D, an. I 2.-5. - JI".
AMBROISE II 2, 413 b 2.4-2.7. - 9J
D, bom, morti.r 7, 27. - 18r. (o).
D, I.raa, 2, 3. - 18r. III 4-5. - 221.
D, Noe 4, 10 et 11, 38. - 187-188. De part. anim. IV 10, 686 a
Exam. I 1, 4. - 291. 28-29. - 22J.
VI 6, 39. - 20J. De anim. mol. 6, 700 b 32-3', -
- 7, 42. - 1,1, 201. 2J4·
- 7, 43 et 8, 46. - r87. D, gener. anim. II 3, 736 b 2.8-
Expo.r. p.ralmi CXVIII 10, 10, z. 737 a 10. - 211.
- 20J. Metaph. A 3,984 b 15-17. - 211.
Expo.r. p.ralmi CXVIII 10, 10, 3.
- 6, 988 a 11-13. -
- r11, 2lr-282.
PSEUDO-ARCHYTAS a.1, 993 b 9-11. - 101,
II.c¼pxiiv, apud STOBÉE, I 41, 2.,
B 4, 1000 a 5-22..- 208.
- 2,1. H ,, 10.,u a 29-b 4. -
84,,1(1).
ARISTOTE A 7, 1072 a 2.6-30.
De ça,/o I ,, 270 b 4-11. - 2IJ, 2u.
-9, 278 b 11-279 b 3, - - - 1072 b 1-30.
214-21J. 2JJ-2JI.
II 1, 284 a 2-b 5. - 2u- -~ 1072 b 13-14.
2r2. 218-211.
386 IDÉES GRECQUES

Metaph. A 7, 1072 b 23-27. - Eth. Eud. VIII 2, 1247 b 26-12.48


266. b 7. - 220-
- - 1073 a 3-5. - 2JJ· 222.
- 8, 1074 a 38-b 10. - - 1248 a 23-b 7.
2)4· - 270, 272-
-- 1074 b 3· - 2 J9· 276.
- 9, 1074 b 15-22.. - - 3, 1249 b 9-21. -
266. 222-22),
-- 1074 b 15-1075 a Polit. VII 1, 1323 b 23-26. - 218.
10. - 2)6-2)1· - 3, 1325 b 28-30. - 230.
De oral., fgt 1. - 249-Jol.
- - 1074 b 20-34.
276. De philos., fgt 6 b Ross. - 322.
- 10, 1075 a 11-15.
fgt 8 b. - J08-JIO,
JI7-j18.
239-240.
fgt 9• - JIO.
- - 1075 b 8-9. - 294.
fgts 10 a-b. - 320.
Eth. Ni&. 1 10, 1099 b 9-18. - fgt 12.a1°.-J10(2),
2]1-2)2.
fgt 1Z b. - JIO-JII,
VII 15, 1154 b 24-28. JI9, )28, ))2-JJJ•
- 2)0, fgt 13 a. - ]19, )28,
X 7, 1177 a 13-17. - JJO.
224. fgt 13 b. - 326.
- - 1177 b 2.6-31. - fgt 14 b. - 322.
224, 226-227. fgt 16. - 244, J17,
--117802-7.-82. JJo-JJ8.
- 8, 1178 b 8-2.7. - fgt 17. - JII-)12,
229. JJJ·
- 1178 b 22-27. - fgt 18. - )29-JJO.
227. fgt 19 a. - )41.
- 9, 1179 a 22-28. - fgt 19 b. - JII-JI 2.
224, 227. fgt 19 c. - )07 ( 1),
)20-)27·
- - 1179 a 23-24. -
2)2,
fgts 20 a-b. - )29-JJO.
fgt 21 b. - JII-JI4,
- 10, 1179 b 21-23. -
))7, )40-)41-
2)1.
fgt 22 b. - JJ2.
[ARISTOTE], Magna mor. Il 15, fgt 26. 290-294,
12.12 b 33-1213 a 7. - 219. ))4-JJJ·
[ARISTOTE], Magna mor. Il 15, fgt 27. J44-UJ,
12.13 a 16-24. - 8J. J60-J6I.
Eth. Eud. VII 12, 1245 b. 14-19. fgt 27 b. - J49·
- 218. fgt 27 c. - )14·
- 1245 b 16-17. fgt 27 d. - 291, ;41,
- 20 (o). J49·
INDEX DES TEXTES CITÉS 387
De philos., fgt 27 e. - 327. Biblia saçra
fgt 28. - JI 2, J22, Gen. 1, 26. - 181 ( 1), 197.
JJJ-JJ6. - - 26-27. - 22-2/, 188,
fgt 28 WALZER. - 189, 191, 196.
JJ6-JJ8. - 2, 7. - 197.
fgt 29. - JJJ, JJ8- - 46, 26-27. - 181 (2), 187.
JJ9, Num. 30, 3. - 182.
fgt 31 b et d. - p2- Deuter. 4, 9. - 199-201, 20J,
JIJ. Prou. 13, 10. - 194.
tertim. 4 Ross. - J22. Cant. cant. 1, 8. - 201-20J.
Eudème, fgts 5-6. - J20. II Cor. 4, 16. - 169, 182.
Prolrept., fgt 6 Ross. - 3o-8I. I Thus. 5, 23. - 168, 197-198.
fgt 10 ç 1°. - 80, 221-
226, 267-269. PSEUDO-BROTINUS
fgt 11. - JOJ. Apud SYRIANus,In Arist. Metaph.
fgt 13. - JOJ, J20, N 1, 1087 a 29. - 296.
fgts 13-14. - 2J4.
fgt 23 OüRING. - JOf. CALCIDIUS
Apud HIPPOLYTE,Philos. 20, 4. - In Plat. Tim. çommenl. 176. - 298.
JJ1• 201, - 122
SEXTUSEMPIR., Adu. ma-
Jhem. X 33. - JJ9-J40.
SEXTUS EMPIR., Hypot_yp. CHRYSIPPE
III 218. - JJ9• SVF II 634. - lJO (J).
Arùtotelù Vita lat. 52. - 219- -895. - 129 (o).
260. III 20. - f1•
-606. - 129 (2).
ARIUS DIDYME
-n2, - 129 (o).
Apud SrnBÉE, II 7, 3 d et 1 3-14.
- 69-70. CICÉRON
[ATHÉNAGORE] Acad. I 5, 19-6, 22. - J6.
Calo maior 23, 84. - 121.
De rerurr. çat/au.15. - 171-172.
Defin. II 34, 115. - f9•
AUGUSTIN III 14, 45. - 161-166.
C. Açad. III 12, 27. - 63 ( 2). IV 7, 16. - ff·
De fiu. dei VIII 8. - 68 ( 2). - 10, 25-26. - Jf.
XIX 1. - 67, 68 (2). - 11, 26-12, 28. - !7,
- 3· - 67. - 12, 29-31. - lof.
Demor.14, 6. - 68 (2), 119 (o). - 13, 33· - !1·
- 1 3, 35· - J3.
BASILE - 14, 36. - ,s.
Ad adulm. 7 (9). - 186. - 15, 41. - !7•
Homil. in« Attende tibi ipri » 3. - V 12, 34. - JJ-J6.
200-201. - 13, 37-38. - JJ-J6.
388 IDtES GRECQUES

Dt fin. V 14, 40. - JI- JI. CORNUTUS


- 16, 44• - JI. Th,ol. grau111,omp. 2. - r JI ( o).
- 2.4, 71. - JI-JJ.
- 27, 81. - JI-J7. DIOGÈNE DE BABYLONE
D, leg. I 2.2, 59. - 8, /9 ( r). SVF III 33. - IJO (J), IJO (o).
- -23, 60. - /9·
Dt nat. dlor. II H, 136. - I2J DION CASSIUS
( o).
Hi.tt., fgt 28, 3. - IJ-44.
L,mJ/us 43, 134. - rr8-rr9.
41, 139. - J8, rr8-rr9. EMPÉDOCLE
45, 139-46, 140. - IJ9
( o). Apud SEXTUS EMPIR., Adu. ma-
s,,,,n.Stip. 8, 26. - lo, 7/ (2). them. I 303. - 18, 7J-74.
I u, , 1-12.
Tu.t111/. - 19-60, ÉPICTÈTE
I2I-I.ZJ.
--,2. - 11-71. Di.t.ttrl. II 8, 1J8,
12-21. -

-26, 6j. - I2,


- 12, 1JI.
20-21. -
III 1, 42. - 1J1•
V 16, 47. - 19.
12. -1JI.
-2,, 70. - /9·
-2,

-30, 8j. - ,,. IV 7, 31-32. - 1JI.

CLÉANTHE ESCHYLE
SVF I 129. - r29 (o). Hlliadl.t, fgt 101 METTE.
- - 138. - I 27-I28,
289-290.

CLÉMENT D'ALEXANDRIE EURIPIDE


Paed. III 1, 1, 21-22, 19J.
1. - Trayenne.r884-887. - 262.
- - --2. - rS2. Fgt 1018 NAucK•. - 268 ( o).
- - - 1, j-2, t. - /9-JI. Schol. à Troy. 886. - 268 ( 0)-

Prolrept. I 8, 4. - 21. 269 ( o).

IV 19, 2. - r89. PSEUDO-GALIEN


X 98, 3. - rS9.
Hi.rtor. philos. 14. - 1JJ.
- - 4. - rS1-18J,
r90. GRÉGOIRE DE NAZIANZE
XI 117, 4. - rS9.
Epi.ri. 101. - l7J-I70.
Strom. I 19, 94, 3-1, - r92-19J.
II 11, 70-71. - 200. GRÉGOIRE DE NYSSE
- 22, 131, 6. - 2/. Comment in Cant. ,ant. Il. - 202.
V 11, 71, 3-1. - JI-JJ. IX.-180-
- 12, 82, 1-3. - JI-JJ. 181.
VII s, 29, 6-8. - r90. De mortui.r,éd. Heil, p. 40-43. -
- 9, 12, 2-3. - 190. 191-191.
INDEX DES TEXTES CITt5 389
[GRÉG. Dl! NYSSB], De ,o, quid JAMBLIQUE
.rit « ad imag. dû el .rimilit. ». -
De 111y1I.I 15. - u, 270 (2).
r96.
[GRÉG. DB NYSSE], In r1erba JULIEN
« FaciamuJ hominem>>oral, I. - Oral. III 15-16. - ro7.
I88,
VIII 6. - J21 ( 4).
HÉRACLIDE PONTIQUE IX 4 et 11. - roS.
-15, - 107, 268 (o).
Fgt 99 WBHRLI. - Jfi.
JUSTIN
HÉRACLITE
Dia/. fU1l1 Trypb. IV 1-3. - 20-2r.
B 62 D1BLs-KRAN2:. - u-J9.
UusTIN], De re.rurr, 8. - I70.
Apud SEXTUS EMPIR., Hypotyp.
III 230. - JI• JUSTINIEN
HÉRACLITE Liber adu. Origenem, - 114.
LE COMMENTATEUR LACTANCE
Quaut. homer. 24, 3-4. - 40-42. De opif dei I 10-11 et XIX 9. -
1 19·
Hermeti,a
Diuin. in.rtil. II 3, 8, - r79.
Aullpius 37- - IJ,I (o).
Corp. hermet. X 25. - 41• LUCIEN
XII 1. - 41, 269 Vil. aucl. 14. - 40-42.
(o).
MACROBE
HERMIAS
Comment. in Somn. Scip. II 12,
In Plat. Pbaedrum 245 ,. - I!J, 6-11. - Io9.
HIÉROCLÈS MANILIUS
Comment. in Aureum ,armen I 1. - A.rlron. IV 886-895. - IJI ( o).
41-46.
MAXIME DE TYR
HIPPOLYTE Philos. IV 4 h. - 40-42.
Elen,bo.r IX 10, 6-12. - 47-49.
MÉTHODE
HOMÈRE De resurr. I 34, 1. -r74.
Il. XXIII. - 71 ( o). - -4. - IJJ.
Od. XI 90-91. - II2, IJ,I. - 3,, 2-4. - r14.
- 601-603. - 94, IIO-II2, - 5o, 3· - I?J•
IJ,I-IJf,
NÉMÉSIUS
IRÉNÉE De nat. hom. 1, PG 40, 505 AB. -
Adu. haer. V 6, 1. - r68. IOI.

26
390 IDÉES GRECQUES

OLYMPIODORE PLATON
In Plat. Akib. I comment., éd. Apol. 36 c. - 79.
Creuzer, p. 8, 21-9, 7. - II4. Ion 534 b-d. - 222, 281.
ORIGÈNE Lois VII 821 a-d. - 287-288.
Comment. in Cant. &ant. II. - - X 896 d-899 b. - 292.
20I-202. - - 897 b. - 28J, 291-292.
- Epist. ad Rom. VII - - 899 d. - 221.
4• - I8J, - XII 959 ab. - 78-79.
C. Cels. VII 38. - 299-Joo. - - 967 de. - 29J.
VIII 17-18. - r90-r9r. Ménon 99 c-e. - 221, 281.
- 30. - I78. Phèdre 230 a. - 118 (2).
De princ. III 6, 1. - 24-2;.
- 255 d. - 80.
In ]oh. XIII 33. - 1;6 (J).
Philèbe 22 c-30 d. - 28J.
In Iud. hom. VI 5. - 178.
In Num. hom. XXIV 2. - 182- Républ. VI 509 b. - 280, 291-
18J. 299.
Apud PHOTIUS,Biblioth. 234. - - IX 588 b sq. - J,.
18;-186. - 589 d-591 a. - 22;.
Théét. 176 b. - 8-10, 24.
PANAETIUS
Tim. 30 b. - 94 (r).
Fgt 83 VAN STRAATEN, - 144.
42 b. - Jf8.
PHILON 44 a. - JI (2).
De fuga et inuent. 8, 46. - 90-9r. 90 a. - JJ8.
De Io.repho14, 71. - 8;. -a-&. - 22;.
De migr. Abrah. 33, 185-35, 195. [?] fer Alcib. 129 e-133 c. - 72-
- 89-9I, JJ.
De .robr. 12, 60-13, 68. - 87. 130 e. - 71-76.
De sper. leg. I 2, 263-264. - 91-92. 131 a. - 92.
De uirt. 1, 187-188. - 88. 132. d-133 c. - If,
Leg. alleg. I 29, 91. - rp (1). 192-1n.
Quaest. in Gen. III 16. - 87-88. 1H be. - 221.
IV215.-88(0). 1H c. - 7, 16,
Quis rer. diuin. heressil 57, 283. - 191-196, 284.
1 33 de. - 92.
JJJ.
Quod det. pot. insid. soleat ;, 7-4, [ ?] Epin. 977 a-988 a. - 287.
9. - 88. 981 C, - Jll.
Quod deus .rit immut. 11, 53-56. - 983 be. - 292.
28-29. [PLATON], Axiocbos 365 b et e. -
122 (2).
PINDARE
365 e-370 d.
Ném. VI 1,1-2. - I· -78.
- - - 1-11. - J6-J8. ANoN., Proleg. philos. platon. XI
Schol. à Ném. VI 1. - J8. 27, - l!J (1).
INDEX DES TEXTES CITÉS 391
PLOTIN Apud DroG. LAfl.RcE,VII 138-
Enn. I 7. - 98, 99.
1, 139. - 148.
- II 3, 9. - 100. ÉPIPHANE, Panar. III 2, 9.
- III 5, 5. - 100-101. - 162 (r).
- N 3, 98.
27. - GALIEN, De plaç, Hippo,r.
-4, 18. - 97. et Plat. V. - 147, If7•
- -7, 1.-97. JEAN LYDus, De 111en.r. IV
- - - 10. - 6 ( 2). 71. - 148 (3).
- V 3, 4. -99. SÉNÈQUE,Epist. 87, 31-35.
- --7. -100. - 162-loJ.
- VI 7, 2-6. - 96-97. Epi.ri. 92, 10. -
--20 et 22.. - 2J7. 1JJ-1JO.
PLUTARQUE Epi.ri. 92, 11-13.
- 164.
Adprinc. inerud. 3. -138 (4).
Epi.ri. 121, 1-3.
Adu. Colot. 20-21. - 93.
- lJJ,
21. - 1J8 (2),
Epis/. 121, 14. -
De Jade 28-30. - 94.
De /ibid. el aegril. 7. - 9J, 1J9•
SEXTUS EMPIR., Adu. ma-
[PLUTARQUE], De uita et poesi
them. VII 93. - 147.
Hom. 123. - 134-13J.
PORPHYRE PROCLUS
In Plat. Crai, comment. 133. -
Ad Marc. 8. - 10J.
11. - 106 (1). 113,
13. - lOJ-106. In Plat. Remp. comment., éd.
19. - 106 (r). Kroll, I, p. 120, 22-26. - 110.
26. - 100 (1). In Plat. Remp. comment., éd.
32, - I0J. Kroll, I, p. 171, 20-172, 30, -
111-112,
De abstin. I 29 et III 27. - I0J.
Epist. ad Aneb., fgt II 11 SooANo. PROCOPE DE GAZA
- 2J7 (J).
Comment.in Gen. II 7, - 174-171,
Il.'l'OÜ rvCi6t IJOCU't'6v
I. - 102. SÉNÈQUE
IV. - 103-104.
Ad Mar,. de consol.25, 1. - 133.
Sent. 32, 8 et 40, 5. - 104.
Epi.ri. 65, 24. - rp (o).
Vita Plot. z, 25-27. - 10-11.
76, 9-10, - 133 (3).
POSIDONIUS 92, 5• - 16J.
Apud CrcÉRON, De diuin. I 30, - 9-10, - ll7-IJ8,
64. - 146-147. - 14. - lof,
DroG. LAËRCE, VII 103 et 102, 22, - IJJ (3),
128. - 162. Fgt 123 HAAsE, - 134 (o).
392 IDÉES GRECQUES

SERVIUS SYNÉSIUS
111 Verg. Aen. ,ommenl. II 772 et Epi.ri. 139. - II.
IV 6'4. - II2 (2).
TERTULLIEN
SEXTUS EMPIRICUS Adu. Marr. IV 37. - r69-r70.
Adu. maJhem. I 303. - 269 (o). V 10. - I2J (J)-
IX 70. - IJ,f. ( 4). r24 (o).
- 71-74. - IJI- De an. 40, 2-3. - I 2J ( J)-
I/2. r 24 (o).
- 130-131. - r48 D, re.rurr. ,arni.r 16. - I 2J ( J)-
(r). r 24 (o).
XI 45. - 6J (r).
34.-r70 (r).
SIMPLICIUS 40. - r69.
111Ari.rJ. De ,114/o II 12, 2.92.b 10.
THÉOPHRASTE
- 2JJ-2J8.
Ibid., trad. lat. par GUILLAUME DE De piel., fgt 13 PèiTSCHER. - 28 8.
MoERBEJŒ. (r).
- 260
VARRON
Commmf. in Epicl. Enchir., praef.
- IJ7 (4).
Anliq. rer. diuin. I, fgt 12 h
AGAHD.
SPEUSIPPE IJO.

Fgt 38 LANG. - JOI (r). XVI, fgt 3. -


r49.
Stoici Liber dephilos., fgts 1-5 LANGEN-
SVFII 1047. - IJO (J). BERG. - 66-67,
- III 96. - IJ2 (r). II8, I2J-I 24.
Apud ÉPIPHANE, Panar. I 5. - fgt 10, - I 20,
IJO ( J). I/9 (2).
LAcrANCE, Diuin.
Îll.rJiJ.
III 18, 14.
1-5. - I XÉNOCRATE
Ps.-GALIEN, Hi.rtor. philos. Fgt 15 HE1NZE. - JOI (r).
24. - r6o (r).
SEXTUS EMPIR., Hypotyp. ZÉNON
III 181. - IJ2. SVF I 146. - r29-r30.
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS.................................. IX

ABRÉVIATIONS USUELLES.......................... XI

INTRODUCTION. - ANTHROPOLOGIE ET THÉOLOGIE.. 1

I. - Une méprise à éviter. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1


La solidarité des représentations sur l'homme
et sur Dieu, z, masquée par l'absence du mot anthro-
pologia, 3.

Il. Spéculations grecques et chrétiennes ....... .


1. Points de vue grecs .................. .
1. Le divin dans l'homme. . . . . . . . . . . . . j
Deux races ou une seule?, 5. - « Le divin en
nous », 7. - De la « parenté » à l'« assimilation », 8.
- La dernière parole de Plotin, 10.
2.. De la connaissance de l'homme à la
connaissance de Dieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12.
La réduction du divin à l'humain chez Homère,
12 ; dans la théurgie, 13 ; dans la fabrication des
statues magiques, 14. - La connaissance introspective
de Dieu, 15. - Les présupposés de la statuaire
anthropomorphe, 16.
3, Les deux théologies................ 18
II. Points de vue chrétiens............... 2.0

1. Continuité du platonisme. . . . . . . . . . . 2.0


L'immanentisme platonicien, parfois rejeté par
les chrétiens, zo, mais plus souvent adopté, z 1.
394 IDÉES GRECQUES

2.. Deux apports fondamentaux........ 2.2.


1° Genèse1,sur <cimage » et u ressemblance »,
26
22, de Philon, 23, à Origène, 24. - 2° Le dogme de
l'Incarnation, 2 5, de Clément d'Alexandrie, .2.6, à
Jean Damascène, 28.
3. Théologie affirmative et théologie
négative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.8
Les données de Philon, 2.8. - Les additions
chrétiennes, 30. - Le riche apport de Clément
d'Alexandrie, 31.

III. - « Immortels mortels, mortels immortels»... 34


I. Le fragment 62. d'Héraclite. . . . . . . . . . . . 34
L'interprétation en termes orphiques, 3 5. -
La dualité des dieux et des hommes, 36. - La
VI• Néméenne de Pindare, 36, et ses lectures anciennes,
H· - Trois applications d'un principe universel, 39.
II. Sa postérité païenne. . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Trois citations du n• siècle de notre ère, 40. -
Le thème de l'homme u dieu mortel », 42. - Un texte
de Dion Cassius, 43. - Deux textes hermétiques, 44.
III. Sa postérité chrétienne. . . . . . . . . . . . . . . . 46
1. Hippolyte....... . . . . . . . . . . . . . . . .. . 46
La connaissance d'Héraclite chez Hippolyte, 46.
- La lutte d'Hippolyte contre Noët, 47. - Le fgt 62.
d'Héraclite et les thèses de Noët, 48.
2.. Clément d'Alexandrie. . . . . . . . . . . . . . 49
L'introduction de sa citation du fgt 62, 49. -
L'apport propre de Clément, 50.

PREMIÈRE PARTIE
u QUE L'HOMME N'EST RIEN D'AUTRE QUE SON AME».
LA TRADITION DU Jer ALCIBIADE

CHAPITREPREMIER.- DEUX ATTITUDES DE


CICÉRON .................................. .
Un premier groupe de textes : De ftnibus IV et V,
55, SecondsAcadémiques, 56. - Leur caractère antistoi-
TABLE DES MATIÈRES 395
cien, 57. - La considération du corps, 58. - Un
second groupe de textes : Tuscu!ane.; I, 59, et Songe de
Scipion, 60. - Différence des contextes, 61. - Deux
anthropologies contraires, 62.

CHAPITREII. - LA SOURCE DE LA PREMIÈRE


ATTITUDE................................. 63
Une doctrine ancienne, 63, connue par Antiochus
d' Ascalon, 64. - Confirmation tirée du Liber de
philosopbia de Varron, 65. - Un troisième débiteur
d' Antiochus : Arius Didyme, 69.

CHAPITRE III. - LE PROTOTYPE DE LA


DEUXIÈME ATTITUDE: LE 1er ALCIBIADE;
SA POSTÉRITÉ............................. 71
I. La définition de l'homme dans le dia-
logue................................... 71
Les indices platoniciens, 71. - L'anthropologie
de l' Alcibûuk, 72. - Comparaison avec les deux
groupes de textes cicéroniens, 74. - La question de
l'authenticité du dialogue, 76. - Un motif de défiance,
77. - Un indice favorable : le caractère platonicien
de cette définition de l'homme, 78.
II. Le cheminement du thème. . . . . . . . . . . . 80
1. Aristote. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Le Protreptique,80. - L' Éthique à Eudème, 81. -
L' Éthiqt/$ à Nicomaque, 82. - La Métaphy.riqt/$,84.
z. Philon d'Alexandrie. . . . . . . . . . . . . . . . 84
L'homme défini par l'intellect, 85. - Son bien
suprême est celui de l'âme, 87, mieux, celui de
l'intellect, 88. --:- La migration d'Abraham, figure de
la connaissance de soi, 89. - Celle-ci inclut la connais-
sance du corps, 91, à la différence de l'Alcibiade, 92.
3. Plutarque.... ..................... 92
Hésitations dans l'Aduersus Colotem, 93. -
L'anthropologie platonicienne du De facie, 93.
4. Plotin... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Une anthropologie complexe, 96. - L'homme
identifié à l'âme, 97, plus exactement à sa partie
396 IDIIBS GRECQUES

rationnelle, 98. - Rencontres précises avec l' Alci-


biade, 99. - Le monde aussi défini par son âme, 100,
5. Porphyre......................... 101
Le ~~T1)µoc Sur l'union del'âme el du corp.r, 101. -
Le traité Sur le « Connai.r-toi foi-même», 102. - Les
Sentmtiae, 104. - Le De ab.rtinentia, 104. - La Lettre
à Marcella, 105.
6. Le néoplatonisme tardif............ 107
Les Di.rcour.rIII, 107, et IX, 108, de Julien. -
Macrobe, 109. - L'anthropologie homérique selon
Proclus, 110. - L'Oqyuée, source de !'Alcibiade, 111.
- L'intellect humain comme effigie de Dionysos,
113. - Le commentaire d'Olympiodore, 114.
III. L'hostilité d'Antiochus à l'anthropologie
du rer Alcibiade. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 5
Antiochus a-t-il propagé l'anthropologie de
l' Alcibiade ?, 115. - Sa dette à l'endroit du dialogue,
116. - Mais aussi son opposition foncière, 117. -
Sa défiance de la divinisation, 118. - Sa réhabilitation
de la connaissance du corps, 119, et de l'amour de la
vie, 120. - Son rejet de la comparaison du corps à
une maison étrangère, 121, et à un vase, 122. -
Antiochus contre Platon, et Cicéron contre Antiochus,
125.

CHAPITRE IV. - DU 1er ALCIBIADE A CICÉ-


RON: L'ANTHROPOLOGIE STOICIENNE.. 12.7

I. L'ancien stoïcisme.................... 127


L'homme défini par l'âme seule chez Cléanthe,
127. - La divinité de l'intellect humain, 129. -
Analogie entre l'âme humaine et l'âme cosinique,
130. - La théorie des biens, 132.
II. Le stoïcisme impérial. . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Les Consolations de Sénèque, 133. - Le De uita
et poesi Homeri du pseudo-Plutarque, 134. - Épictète :
la dépréciation du corps, 135. - L'homme identifié
à son âme, 136. - Nature divine de l'intellect, 137. -
L'effigie divine dans l'intellect, 138. - L'anthropo-
logie de Marc-Aurèle, 139. - Les thèmes de !'Alci-
biade, 140.
TABLE DES MATillRES 397

CHAPITREV. - UNE SOURCE STOICIENNE DE


CICÉRON ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
I. L'hypothèse d'un relais stoïcien. . . . . . . . 143
Un moyen stoïcien autre que Panaetius, 144.
II. L'anthropologie platonicienne de Posi-
donius.............................. 145
Une enquête sans illusion, 145. - Le platonisme
de Posidonius : parenté divine de l'esprit humain,
146. - Homologie entre l'àme humaine et l'intellect
cosmique, 148. - Posidonius, Varron et Plotin, 149.
- Préexistence, libération et survie des àmes, 150. -
Leur immortalité?, 1J3, - Leur métcnsomatose?,
1 H· - Le mépris du corps, 1 55. - La dualité de
l'âme, semblable à un animal fabuleux, 1n, -
L'homme défini par l'intellect, 159.
III. Posidonius et Antiochus.............. 160
L'opposition paradoxale des deux philosophes,
160. - Sauf peut-être pour l'appréciation des biens
extérieurs, 161. - Mais une analyse plus poussée
montre que, là encore, Posidonius est cohérent, 164,
et en désaccord avec Antiochus, 165.

CHAPITREVI. - LE rer ALCIBIADE ET LES


AUTEURS CHRÉTIENS..................... 167
I. Rejet de l'anthropologie platonicienne
pour des raisons dogmatiques.......... 167
1. La résurrection des corps........... 167
La lutte antignostique de saint Irénée, 168, et
de Tertullien, 169. - Les traités Sur la résurre,liondu
pseudo-Justin, 170, et du pseudo-Athénagore, 171. -
L'antiorigénisme de Méthode d'Olympe, 172, de
Justinien et de Procope de Gaza, 174.
2. L'Incarnation du Verbe............. 175
La défense contre l'apollinarisme, 175, requiert
un antiplatonisme sans excès, 177.
II. Accueil de l'anthropologie platonicienne
à des fins spirituelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 78

1. Les thèmes platoniciens classiques. . . 1 78


398 IDÉES GRECQUES

La conception du corps, 178. - L'âme, le corps


et les biens extérieurs, 180. - L' <<homme intérieur )),
182. - L'« homme véritable», 184. - L'homme
défini par son âme, 18 5, ou par son intellect, 187. -
L'homme comme effigie divine, 189. - L'âme
comme portrait de Dieu, 191. - L'âme d'autrui
comme« miroir)), 192. - Dieu comme« miroir» de
l'âme, 194. - L'homme défini par l'assemblage du
corps et de l'âme, 196.
2.. Les références à !'Écriture. . . . . . . . . . 199
1° Deutéronome4, 9 : « Adtende tibi )), 199. -
20 Cantique des ranliques 1, 8 : <<nisi cognoueris temet
ipsam », 201.

DEUXIÈME PARTIE
PERMANENCES ET VARIATIONS
DANS LA THf:OLOGIE D'ARISTOTE

CHAPITREPREMIER.- ÉVOLUTION ET STRUC-


TURES ...................................... 2.07
Éloge de la théologie, 207, mais sévérité pour
les théologiens, 208.
I. Quatre états de la doctrine. . . . . . . . . . . . 2.09
1. De caelo I-II....................... 2.09
Parenté avec le De philosophùz, 210. - 1° La
divinité du ciel, 211 ; une thèse du De philos., 212. -
2° La divinité de la substance astrale, 213 ; un texte
controversé, 214. - 3° Mention d'un principe divin
transcendant, 2 16.
2.. Ethique à Eudème VII-VIII.......... 2.16
L'amitié entre Dieu et l'homme, 217. - Impos-
sibilité de prêter à chacun d'eux les traits de l'autre,
218. - Comment la faveur divine assure aux hommes
le succès, 220. - Origine platonicienne de la doctrine,
221. - La relation de Dieu à l'âme, 222.
3. Ethique à Nicomaque X 7-9.......... 2.2.3
L'intellect, élément divin dans l'homme, 223. -
Le culte de l'intellect et son origine platonicienne,
224. -Du Protreptiqueau De anima, 225. - La parenté
des dieux et des hommes, 227. - Un thème moins
TABLE DES MATiliRES 399
« aristotélicien l> que platonicien, 228. - La vie
bienheureuse des dieux, 229. - L'intervention divine
dans les affaires humaines, 231.
A 7-9.........
4. Métapf?ysique ........ 233
Nature divine du Moteur immobile, 233. -
Son intelligibilité, 234. - Sa vie bienheureuse, 235. -
Autonomie de son intellect, 236. - Indices en faveur
de son action ad extra, 238. - Nature immanente et
Moteur transcendant, .240.
II. Mutations et permanences.... ......... 241
Les degrés du divin, .241. - Les variations
théologiques d'Aristote, 24.2. - Les éléments perma-
nents : 1 ° la nature de Dieu ; la notion d'un Dieu
suprême, 243 ; suprême intellect et suprême intelli-
gible, .245 ; le bonheur divin, exempt de tout effort,
245; .2°l'action de Dieu; finalité, .246, et efficience, 247.

CHAPITRE II. LE DIALOGUE SUR LA


PRIÈRE .................................... 2.49
I. Le témoignage de Simplicius et le
problème de son authenticité. . . . . . . . . . 2.49
1. Le texte aristotélicien commenté..... 2.49
De çaelo II 12 : deux apories sur le mouvement
des astres, 250. - Solution de la première, 250. -
De la seconde, .252.
2. Le commentaire de Simplicius ; sa
substance néoplatonicienne. . . . . . . . . . . . 2.53
Division du texte, 253. - Inspiration néoplato-
nicienne croissante, 254. - Elle culmine dans le
fragment prétendu aristotélicien, .255. - Elle est peu
favorable à son authenticité, 258.
3. Le commentaire de Simplicius ; son
authenticité probable touchant le Ilept eùx_ric;2.58
Arguments de critique externe, .258. - Argu-
ments de critique interne, 260. - Structure disjonctive
de la phrase, .261.
II. La signification du fragment d'Aristote. 264
L'explication par la théologie de la
1.
Métapf?ysique...... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.64
400 IDÉES GRECQUES

L'interprétation de Bemays, 2.64. - Sa caution


aristotélicienne : la nature noétique de Dieu, 2.65. -
L'intellect comme élément divin dans l'homme, 2.66.
- Expression de la thèse dans le Protreptique, 2.67. -
Transcendance de l'intellect divin, 2.68. - Faiblesses
de l'interprétation de Bernays, 2.70. - Opposition,
pour la théologie, de l' Éthique à Eudème et de la Méta-
physiqll4 A, 2.72..- Conclusion pour l'interprétation
du fragment, 2.75.
2. L'explication par une allusion à
Platon.................................. 276
L'aristotélisme scolaire s'oppose à l'existence d'un
principe supérieur à l'intellect, 2.76, ainsi qu'à la
non-intelligibilité de Dieu, 2.77. - L'interprétation
de Frank, 2.77. - Textes platoniciens favorables à la
notion d'un Dieu au-delà de l'intellect, 2.79. - Ils ne
font pas oublier ceux qui donnent Dieu pour un
intellect, 2.83. - Autres faiblesses de l'explication
proposée par Frank, 2.84.
3. L'hypothèse d'une référence à la
théologie cosmique de l' Aristote platonisant. 286
La prière aux astres et au monde dans l'Académie,
2.87. - Vérité conjointe des deux options énoncées
dans le fragment, 2.88. - Ressemblance avec le De
philosophia, 2.90. - Divinité de l'intellect cosmique,
2.91. - Sa situation à l'intérieur du monde, 2.92..-
L'alius quidam au-delà de l'intellect cosmique, 2.93.
4. Postérité de la doctrine du Dieu situé
au-delà de l'intellect. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
La dette éventuelle de Plotin, 2.95. - Deux
néopythagoriciens d'époque incertaine, 2.96. -
Albinus, 297. - Origène, 2.98, et peut-être déjà Celse,
2.99. - Le fragment d'Aristote et le moyen plato-
nisme, 300.

CHAPITRE III. - LE DIALOGUE SUR LA PHI-


LOSOPHIE...... ............................ 303
I. La notion de nature.................. 304
Dans le corpus aristotelicum, 304. - Dans le
Protreptiqll4,305. - Relation au platonisme, 306. -
Dans le De philosophia, 307. - Le fgt 8 b, d'authenti-
TABLE DES MAîiilRES 401
cité contestée, ;08. - Le fgt 12. b, occasion d'une
méprise, ;10. - Divers fragments, de moindre
ampleur qu'il ne semblerait, ; 12. - L'importance du
fgt 21 b, ;1;. - Le D, philos., antérieur au Protrep-
lique, ;14.
II. L'attitude relative à la théorie platoni-
cienne des Idées....... ............... 315
Un problème controversé, 311. - Rien n'assure
que le De philos. ait adhéré à la doctrine platonicienne,
317. - Mais pas davantage qu'il l'ait repoussée, 319.
- Aléas de toute tentative de retracer l'évolution
d'Aristote sur ce point, 320. - La seule conclusion
possible est un aveu d'ignorance, 321.
III. La doctrine de la création............. 3z3
Difficulté suscitée par Platon interlocuteur du
dialogue, 323. - La discrimination opérée dans les
fragments par Untersteiner, 324. - Son caractère
arbitraire, 325. - Son inutilité, 327. - L'éternité du
monde n'exclut pas toute possibilité de création,
;29. - L'identité du principe créateur, 331.

IV. L'hypothèse du Moteur immobile.. . . . . 33z


Le fgt 1 7 sur l'unicité du principe, ; ;; . - La
mens divine du fgt 26, 334. - Le fgt 28 Ross sur les
deux sortes de cause finale, ;; 5. - Le mot -rcixe:idu
fgt 28 WALZER, 356. - Le fgt 29 WALZER, 338. -
Deux témoignages aristotéliciens de Sextus Empi-
ricus, 339. - Le Moteur immobile exclu par le
fgt u b, 340.
V. Le cinquième élément comme substance
de l'âme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
1. La valeur des témoignages.......... 34z
a. Les occasions de douter. . . . . . . . . . 34z
La thèse d'Antiochus falsificateur, 342. - Les
arguments médiocres de Reinhardt, 343. - La position
de Moraux : la cinquième nature ne concerne vérita-
blement que l'âme, 344. - Son identification à l'éther
astral résulte d'une contamination, 346.
b. Les raisons de croire. . . . . . . . . . . . 348
La thèse du mouvement de l'âme, 349. - La
402 IDÉES GRECQUES

formule quinJa natura connote nécessairement l'éther,


350. - L'élément «innommable», 353. - Le che-
minement de la doctrine, 3 54. - Sa présence autour
d'Aristote dans l'ancienne Académie, 356. - Et déjà
chez Platon, 357.
2.. L'objection du prétendu matérialisme. 359
Les inconnues de l'évolution d'Aristote en
psychologie, 359. - Le cinquième élément dépasse
la dualité du matériel et du spirituel, 361. - Les
témoignages anciens sur cette matière immatérielle,
362.

Index bibliographique........................... 365


Index des principaux textes cités... . . . . . . . . . . . . . . . 385

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