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Séance 13 : Explication linéaire - le nouveau lyrisme

[Présentation générale] Verlaine est considéré comme l’un des plus grands poètes de la fin
du XIXe siècle. Son existence tragique (misère, amour malheureux, alcoolisme) lui inspire
une poésie mélancolique et hantée par le spleen baudelairien. Ainsi, il incarne et bâtit la
figure du poète maudit, synonyme de génie visionnaire méprisé par son époque. Sa poésie
est novatrice par sa musicalité et fluidité qui restitue les élans d’une âme brisée.
Poèmes saturniens, son premier recueil publié en 1866, inscrit sa poésie sous l’influence
maligne de Saturne, considéré comme source de mélancolie. « Melancholia » est d’ailleurs
le titre de la première section du recueil où « Nevermore » occupe la 2e place.
[Lecture expressive]
[Présentation de l’extrait] « Nevermore », qui signifie « Plus jamais » en anglais est placé
juste après « Résignation », poème dans lequel Verlaine avoue s’être plié au refus d’Elisa. Ce
mélancolique sonnet en alexandrin évoque le souvenir d’un amour passé, une déception
amoureuse, probablement celle d’Elisa dont Verlaine était amoureux. Il appartient donc
plutôt au style romantique par le souvenir lyrique du premier amour.
[Problématique] Comment ce sonnet amoureux exprime-t-il la mélancolie de Verlaine ?
[Mouvements du passage]
⮚ Premier mouvement (1er quatrain) : Verlaine se replonge dans une atmosphère
automnale.
⮚ Deuxième mouvement (v. 5 à 9) : Le poète se souvient d’une promenade
amoureuse.
⮚ Troisième mouvement (v.10 à 14) : Le poète évoque avec mélancolie les premières
amours défuntes.

Premier mouvement (1er quatrain) : Verlaine se replonge dans une atmosphère automnale.
- Le poème s’ouvre sur une adresse directe au « souvenir » alors personnifié qui
symbole de la fuite du temps. La redondance sonore créée par répétition de ce mot
inscrit, dès le 1er vers, ce sonnet sous le signe de la mélancolie.
Le ton familier de l’interrogation du poète qui emploie le tutoiement indique
que ce souvenir se manifeste fréquemment. Par ailleurs, la simplicité
monosyllabique de cette interrogation suggère la lassitude morale du poète
face à cette persistance.
Ce premier vers s’achève sur un contre-rejet qui met en valeur
« L’automne », saison allégorique de la mélancolie mise en valeur par sa
place à la rime. La nature elle-même évoque la mélancolie du poète, à l’instar
des poèmes romantiques.
- Le passage à l’imparfait descriptif de « faisait » au début du vers 2 plonge le poème
dans un passé révolu, dans celui du souvenir. L’allitération en [r] et l’assonance en
[a] dans « la grive à travers l’air atone », restituent une atmosphère automnale et
confère une certaine musicalité au sonnet. Cet automne est « atone », c’est-à-dire
dans force ; l’adjectif est mis en valeur par sa place à la rime.
- Même le soleil est sans vitalité puisque ses rayons sont « monotne », autre adjectif
mis en valeur à la rime. Cette monotonie est, en outre, restituée par la longueur de
la phrase qui s’étend sur 4 vers, par les rimes suivies qui n’offrent aucune diversité,
ainsi que par l’unité musicale de la rime riche « -tone » .
- Au quatrième vers, la longueur du participe présent « jaunissant » confère
également un rythme lent et rend compte de la perte de vie en automne. Ainsi, dans
cette atmosphère déclinante, seule « la bise détone », c’est-à-dire fait du bruit. Il
s’agit donc d’un paysage plutôt silencieux, ce qui lui donne un côté presque morbide.
On remarque toutefois l’emploi ironique du terme « bise » par sa polysémie. En
effet, la bise désigne à la fois le vent mais aussi l’impossible baiser auquel aspire le
poète.

Deuxième mouvement (v. 5 à 9) : Le poète se souvient d’une promenade amoureuse.


- Dans cette deuxième strophe le poète se remémore les moments passés lors d’une
promenade amoureuse marquée par l’utilisation du pronom personnel « Nous »,
« elle », et « moi » qui renforce le lien d’union entre les deux personnages. Ce
cinquième vers « Nous étions seul à seule et marchions en rêvant » est rendu fluide
par l’absence de ponctuation qui restitue ainsi la liberté et l'innocence des deux
amants.
- Les expressions « seuls à seule » et « elle et moi » mettent les amants face à face, en
miroir pour exprimer la réciprocité de cet amour.
Le zeugme au vers 6 « les cheveux et les pensées au vent » (=associer deux
élément syntaxiquement ou sémantiquement différents, ici l’un concret,
l’autre abstrait) suggère une fusion entre l’homme et la nature : le corps
représenté par « les cheveux » et l’esprit représenté par « les pensées » des
amants se fondent dans le vent.
Le participe présent « rêvant » (v.5) rime avec l’énergie et la vitalité du
« vent » (v.6) ce qui forme une antithèse avec la strophe précédente.
- L’adverbe temporel « soudain » (v.7) donne un côté vivant au souvenir, crée la
surprise et introduit le discours direct pour rapporter les parole de la femme aimée
dans le moment présent « Quel fut ton plus beau jour ? ». Toutefois la valeur du
passé simple de « fut » suggère que ce bonheur est révolu.
- La répétition de « sa voix » traduit l’obsession du poète pour la femme aimé. Par
ailleurs, les expansions mélioratives « d’or vivant » et « douce et sonore » insiste sur
l’idéalisation de celle qui parle. Le poète lui attribue d’ailleurs un « frais timbre
angélique » plaçant la femme dans la sphère du divin et la rendant ainsi inaccessible.
Enfin, aux vers 9 et 10 l’allitération en [s] et l’assonance en [i] font entendre cette
voix à la fois chuchotante et souriante. Les deux adjectifs qualificatifs du vers 9
« douce et sonore » créent une intertextualité avec « Mon rêve familier »,
également publié dans Poèmes saturniens, où la voix douce et sonore est aussi
associée à la femme rêvée dans « Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et
sonore. ».
- Pour finir ce deuxième mouvement, on peut se demander si cette figure féminine qui
semble ne former qu’un avec le poète, comme le suggère l’harmonie du vers suivant,
ne serait pas une allégorie de la mémoire. En effet, le poème s’ouvre sur une adresse
directe au souvenir puis la femme pose une question semblable à celle posée par la
mémoire du poète. Cette promenade amoureuse représenterait alors la méditation
mélancolique d’un poète solitaire.

Troisième mouvement (v.10 à 14) : Le poète évoque avec mélancolie les premières amours
défuntes.
- Le poète répond par « un sourire discret » (v.10) qui lui « donne la réplique » donc
lui permet de répondre. A travers cette compréhension mutuelle, le poète suggère
ici qu’il y a une harmonie entre les deux êtres.
Par ailleurs la synecdoque (=désigner le tout par la partie, le sourire désigne
le poète) suggère l’effacement du poète derrière ses souvenirs. Cet
effacement est d’ailleurs renforcé par l’article indéfini « un » et par la
troisième personne qui prend la place du « je ». Enfin le vocabulaire théâtral
« donner la réplique » confère une dimension tragique et met à distance le
poète qui semble devenir spectateur de son souvenir.
Le vers 10 introduit une nouvelle dynamique dans le poème avec le passage
de l’imparfait descriptif au vers 1 au passé simple de 1 er plan avec « donna »
qui introduit une tension dramatique par l’effet d’attente que cela crée chez
le lecteur.
- On remarque également l’apparition de rimes embrassées à partir du vers 11 qui
rompt la monotonie des deux quatrains. Dans ce vers 11, le poète témoigne de son
amour avec pudeur de manière galante et courtoise « je baisai sa main ». L’adjectif
de couleur, symbole de pureté, rappelle l’idéalisation de la femme. L’adverbe
« dévotement » connote la sacralisation de cet amour pour le poète.
- Le dernier tercet évoque le bonheur amoureux par une série de topoï romantiques :
les « fleurs parfumées », le « murmure charmant », les « lèvres bien-aimées ». La
métaphore des « premières fleurs » pour désigner le premier amour permet à
Verlaine d’idéaliser ce souvenir. Par ailleurs, les fleurs évoquent le printemps, le
sonnet se termine donc sur une note plus joyeuse que l’automne du début.
Le recours aux clichés amoureux peut laisser penser que Verlaine est
nostalgique de ce bonheur qui n’a jamais vraiment existé.
- Le présent de l’indicatif apparaît dans ce dernier tercet pour actualiser la souffrance
du poète qui se lamente dans la dernière exclamation « Le premier oui qui sort des
lèvres bien-aimées ! »

Conclusion :

- Le sonnet « Nervermore » est une élégie qui exprime toute la mélancolie de


Verlaine. La femme aimée incarne le souvenir et l’impossibilité de l’amour pour le
poète, être solitaire. Le bonheur n’est envisageable que dans un passé fantasmé qui
n’est « plus jamais » accessible si ce n’est poétiquement.
- Élargissement : Verlaine semble rendre hommage au poème « Le Corbeau » d’Edgar
Poe où l’oiseau répète sans cesse au narrateur « Jamais plus ».

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