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Automne, Apollinaire : analyse linéaire

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Par Amélie Vioux

Voici un commentaire linéaire du poème


« Automne » issu du recueil Alcools de
Guillaume Apollinaire.

Les Princes de l’automne, Magritte

Automne, Apollinaire, introduction


Guilaume Apollinaire est l’un des plus grands représentants de la modernité poétique
qui agite Paris au début du XXe siècle.

L’effervescence artistique de la capitale voit converger des artistes novateurs, qui


cherchent à élaborer une esthétique qui épouserait la modernité technique et urbaine.

Là où Picasso brise l’espace avec le cubisme, Apollinaire brise la phrase en supprimant


la ponctuation, créant ainsi des effets de simultanéité et de collages qui renouvellent la
création poétique.

Le poète et critique d’art innove également en faisant entrer des thèmes prosaïques en
poésie comme la ville ou le quotidien.

Alcools, publié en 1913, est son grand recueil.

Le poème « Automne« , composé de deux tercets et d’un distique d’alexandrins aux


rimes croisées, s’ancre profondément dans la traditionnelle expression du désespoir
amoureux.

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Problématique

Comment ce court poème élégiaque modernise-t-il le thème traditionnel de


l’automne mélancolique ?

Automne

Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux


Et son boeuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s’en allant là-bas le paysan chantonne


Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un coeur que l’on brise

Oh! l’automne l’automne a fait mourir l’été


Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises

Annonce de plan linéaire


Le poème « Automne » s’ouvre sur l’évocation d’un paysan cheminant dans l’automne
(premier tercet). Le deuxième tercet porte sur la chanson d’amour infidèle chantée par ce
paysan. Le poème se clôt sur une plainte mélancolique du poète (distique final).

I – L’évocation d’un paysan cheminant dans l’automne

(Premier tercet)

Le poème s’ouvre sur un complément circonstanciel de lieu : « “Dans le brouillard” ».


Ce complément inscrit d’emblée le poème dans une atmosphère incertaine et
vaporeuse, qui peut être celle d’un paysage embrumé mais aussi celle du rêve ou du
souvenir.

Apparaît alors la figure centrale du poème : « “un paysan cagneux / et son bœuf ”».

Ce paysan est l’allégorie d’un univers rustique et rigoureux. L’article indéfini « un »


l’anonymise.

L’adjectif « cagneux » attribue au paysan une sorte d’infirmité, et sa démarche


incertaine est restituée par l’enjambement sur le deuxième vers.

Ce couple banal et humble – le paysan et son bœuf – peut sembler cocasse. Il participe
cependant d’une poétisation du quotidien au cœur de l’esthétique d’Alcools, où la
familiarité et le raffinement se conjuguent. L’adjectif rare « cagneux » représente bien
cette synthèse entre le prosaïque et la poésie.

Le premier vers en alexandrin évoque le départ du paysan, une fuite peut-être. Ce départ
suscite un effet d’attente chez le lecteur, qui peut envisager un poème narratif.

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Le deuxième vers surprend néanmoins par son incohérence syntaxique, le deuxième
hémistiche n’ayant aucun lien grammatical avec le premier.

Cette incohérence tient à la suppression de la ponctuation, que le lecteur doit


reconstituer. Mais cette audace poétique permet de brouiller les frontières entre les vers,
comme le brouillard gomme la ligne d’horizon.

Le premier et le deuxième vers semblent ainsi se superposer dans une même


simultanéité, avec la répétition du terme « brouillard », enrichie dans le deuxième vers
par une atmosphère d’automnale mélancolie : « “lentement dans le brouillard
d’automne ”».

L’adverbe « lentement » et l’assonance en « an » ralentit le rythme du vers par sa


répétition.

L‘enjambement du vers 2 sur le vers 3 brouille encore une fois les frontières entre les
vers.

Ce brouillard cache un paysage rustique fait de « “hameaux pauvres et vergogneux” ».

L’adjectif rare « vergogneux », qui signifie « réservé » attribue à cette paysannerie une
pudeur humble, conforme à l’imaginaire populaire.

Notons la rime suffisante et rare « -gneux », qui témoigne des expérimentations


d’Apollinaire, et de son goût pour la bizarrerie.

II- La chanson d’amour du paysan

(Deuxième tercet)

Le deuxième tercet reprend le premier par la répétition du substantif « paysan » et du


verbe aller : « “s’en vont” » au vers 1 devient « “s’en allant” » au vers 4.

Le participe présent « s’en allant » et le polyptote « chantonnent » et « chanson »


intensifient plus encore le « simultanéisme » du poème. Apollinaire se nourrit des
novations du cubisme (Picasso, Braque) et du futurisme (Sonia et Robert Delaunay) pour
élaborer une poésie « en un seul plan », où tous les éléments semblent simultanés.

Le vers 4 évoque un « là-bas » fascinant : au mystère du départ, s’ajoute le mystère de


la destination.

On peut rapprocher ce paysan vagabond d’autres figures de l’errant qui traversent le


recueil : migrants, tziganes, circassiens, magiciens.

Le « chantonne[ment] » du paysan pourrait aussi en faire une figure du poète, qui


explore et chante le monde humblement, d’autant plus que la thématique de l’amour
triste chanté par le poète est centrale dans Alcools, comme dans la « Chanson du Mal-
Aimé » ou « Les colchiques ».

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L’enjambement vers le vers 5 restitue aussi la marche boiteuse et incertaine du
paysan endolori par l’amour : « “chantonne / Une chanson d’amour et d’infidélité” ».

La coordination « amour et infidélité » souligne la tragique coexistence de l’amour et


de la trahison que l’on retrouve dans d’autres poèmes d’Apollinaire (comme « Annie »).

Et cette chanson en effet « “parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise” ». La
coordination « et » construit ici un zeugma car la proposition relative « que l’on brise »
s’applique aussi bien à la bague (objet de l’amour) qu’au coeur (organe de l’amour). Ce
rapprochement cocasse entre l’objet et l’organe de l’amour fait déchoir l’amour,
ramené au statut de simple objet brisé.

Dans Alcools, c’est tour à tour l’homme et la femme qui trompent ou déçoivent. Le
pronom indéfini dans « on brise » montre combien chacun peut infliger ou subir la
trahison.

III – La plainte mélancolique du poète

(Distique final)

Le distique final s’ouvre avec l’interjection exclamative « Oh ! » qui fait de ce poème


une élégie (une élégie est un poème lyrique exprimant la plainte mélancolique du poète,
souvent due à la déception amoureuse).

La plainte mélancolique atteint son paroxysme avec la répétition obsessionnelle du


terme automne qui associe cette saison à la douleur du poète : « “l’automne l’automne a
fait mourir l’été” ».

L’automne est le meurtrier de l’été, saison du bonheur et de l’amour.

Le passé composé (« “a fait mourir” ») insiste sur le caractère révolu de cette action :
l’été est bien mort, l’automne règne, faisant régner la mort de l’amour.

Le lyrisme mélancolique de ce distique fait bien du poème une élégie. L’alliance de deux
vers (distique) correspond d’ailleurs au vers gréco-latin caractéristique du genre
poétique de l’élégie.

Le dernier vers, « “Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises” » reprend le
premier vers, dans un effet de boucle et d’ouverture. Le mystère du brouillard se
maintient, tandis que le paysan et son bœuf se résument désormais à « “deux silhouettes
grises” ».

Le gris, couleur terne, représente le ton de l’automne. Il pourrait également évoquer la


couleur du crayon traçant un dessin aussi vague et brumeux qu’est ce poème.

Automne, Apollinaire, conclusion

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Nous avons vu que dans ce court poème élégiaque, Apollinaire modernise la
traditionnelle évocation d’un automne mélancolique.

Guillaume Apollinaire supprime la ponctuation, multiplie les répétitions et les effets de


disjonction syntaxique afin de restituer la mélancolie de l’automne et la tristesse de la
déception amoureuse.

Le thème traditionnel de l’automne est ainsi renouvelé par la forme et le caractère


elliptique de la narration.

Le thème de la déception amoureuse est central dans Alcools. On le retrouve par


exemple dans les poèmes « Annie », « Les colchiques« , « Mai« , « Sous le pont
Mirabeau« , « La chanson du Mal-aimé« .

Tu étudies Alcools d’Apollinaire ? Regarde aussi :


♦ Les fonctions de la poésie (vidéo)
♦ Les rimes en poésie (vidéo)
♦ La Loreley : commentaire
♦ Nuit Rhénane : commentaire
♦ Le Pont Mirabeau : commentaire
♦ Saltimbanques, Apollinaire : commentaire
♦ Mai, Apollinaire : analyse
♦ Marie, Apollinaire : analyse
♦ Si je mourais là-bas, Apollinaire : analyse
♦ Union libre, Breton : analyse

5/5

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