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Objet d’étude : la
poésie. Lectures linéaires.
Eléments d’introduction :
- Section des « Rhénanes » qui évoque le séjour d’Apollinaire en Rhénanie et ses
amours avec Annie Playden.
- Poème de forme très régulière : trois strophes + un vers isolé ou « monostiche », qui
constitue une « clausule » (formule qui clôt le poème), alexandrins avec césure (pause
principale) à l’hémistiche (au centre, après 6 syllabes) : « Mon/ver/r-est/plein/d’un/vin
// trem/bleur/com/m-u/ne/flamm ; « Ces/fées/aux/che/veux/verts //
qui/in/can/tent/l’é/té »). Rimes croisées.
- Grande cohérence des strophes : quatrains, rimes croisées alexandrins ; retour des
mêmes thèmes – le vin, le feu, le chant, le Rhin, la figure féminine.
- Mais cette forme très versifiée n’en est pas moins marquée par la modernité du recueil
Alcools, (absence de ponctuation visible).
- La thématique (= ensemble des thèmes) est inspirée par la réalité et l’imaginaire
associées à la Rhénanie, au Rhin, déjà sources d’inspiration pour les poètes du
XIXème siècle ; cette thématique reprend aussi des thèmes encore plus anciens de la
poésie occidentale.
I/
- Le poème s’ouvre sur l’évocation d’une scène assez paisible : verre de vin, chanson
écoutée, rythme lent de la chanson
- La musique est tout d’abord très humaine, portée par la voix d’un batelier
- Le thème de la musique est accompagné par la musicalité du poème : rimes internes,
allitérations et assonances qui donnent de la cohérence au poème. Ex : le « v » de vin
que l’on retrouve dans « verre », « verts », « cheveux », « vignes », « ivre », « voix ».
Allitérations qui donnent le rythme d’un vers : « Ecoutez la chanson lente d’un
batelier » (rythme du fleuve ? de l’eau ou des vagues ? » ; répétition qui accélère le
rythme : « Le Rhin le Rhin est ivre… ».
- Elle ajoute au poème un registre lyrique (lyre = instrument de musique du héros
antique de la poésie, Orphée), d’autant plus que l’expression des sentiments est
plaintive, mélancolique (lyrisme élégiaque) : chanson « lente », atmosphère nocturne
(« sous la lune »), image d’une chute (vers 11 « tombe »), désir de ne plus entendre
une chanson qui rend peut-être triste (« que je n’entende plus… ») …
- Le thème de la féminité apparait, déjà inquiétant dans la 1 ère strophe (« sept femmes
aux cheveux verts », un détail de légende), plus paisible dans la 2ème strophe : « …
filles blondes / Au regard immobile aux nattes repliées ».
- Ivresse, féminité, lyrisme triste = des éléments qui construisent, comme des notes de
musique, une partition, celle de la plainte amoureuse : l’expression du deuil amoureux.
II/
- Présence du thème dionysiaque [Dionysos : dieu antique de la vigne, de la
fertilité, de la création et de la poésie. Associé au vin, aux fêtes délirantes où
règnent l’ivresse et où rivalisent les poètes lyriques].
- Thème présent dès le 1re vers : « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une
flamme ». La comparaison éloigne immédiatement le lecteur du sens dénoté
de « vin » ; il s’agit ici d’un sens symbolique et poétique ; la « flamme » représente
dans l’imaginaire tout ce qui donne de l’énergie, permet la création (voir le mythe de
Prométhée) ; dans la poésie amoureuse ou le théâtre en vers, elle symbolise souvent
l’amour (ici, rime avec « femmes »). Ce verre (jeu de mot sur « vers ») plein de vin du
poète, c’est donc son amour, fragile donc « trembleur » (allusion à la liaison
d’Apollinaire avec Annie Playden), et en même temps son génie poétique.
- La deuxième strophe évoque une chanson moins douce : « chantez plus haut », « une
ronde », donc une danse qui donne le vertige ; l’emploi de l’impératif rend plus vif le
ton de l’énonciation.
- Le poème peut d’abord s’interpréter comme le récit d’un souvenir : une soirée dans un
cabaret, une chanson entendue. Mais l’étrangeté du récit fait basculer dans le
fantastique : on ne sait plus si le poète entend seulement la chanson ou vit réellement
une aventure surnaturelle : à qui dit-il « debout chantez plus haut en dansant une
ronde » ? Aux filles blondes et nattées ? aux fées vertes ?
III/
- Le batelier chantait ; les fées quant à elles « incantent l’été » (= produisent une
incantation : un chant magique qui fait apparaître qqch ou qqn par envoûtement). La
3ème strophe fait donc progresser l’atmosphère du poème vers le surnaturel ; le registre
du poème hésite entre le merveilleux et le fantastique.
Le merveilleux, registre des contes et légendes, qui mettent en récit des actions et des
personnages surnaturels :
- Evocation de légendes traditionnelles rhénanes connues grâce aux chansons
populaires : « la chanson lente d’un batelier ». Eléments récurrents dans les légendes,
popularisés en Europe par les opéras du compositeur allemand Wagner (son opéra
L’Or du Rhin) et la poésie romantique au XIXème siècle : les divinités du Rhin au
nombre de sept, les Ondines, la couleur verte (algues du Rhin ?) des cheveux de fées,
les nattes blondes des paysannes rhénanes (plus rassurantes : « repliées » par
opposition à ces chevelures démesurées que les fées « tordent »)…
- Thème de l’amour fatal : la chanson des ondines fait perdre la raison et la vie aux
hommes du Rhin (variante du mythe des sirènes).
Le fantastique (registre + moderne des nouvelles et des contes inquiétants, effrayants,
notamment d’inspiration romantique, au XIXème siècle) :
- Etrangeté du poème renforcée par l’emploi de mots rares ou inventés : « trembleur »,
« incantent » ; « râle-mourir ». Structure inhabituelle : « tombe en tremblant s’y
refléter » = « tombe, en tremblant, [pour] s’y refléter » ? ou « tombe, en tremblant [de]
s’y refléter » ?
- Bien que nocturne, l’atmosphère du poème évoque la lumière : « flamme », « or »,
tremblement du vin évoquant les lueurs qui s’y reflètent, reflet du ciel nocturne dans le
Rhin au vers 10. Le reflet n’est qu’une image de la réalité dans l’eau ou sur un miroir ;
le mot est donc une métaphore fréquente de l’illusion. Illusion de l’amour (sentiment
peut-être trompeur), illusions d’optique, illusions dans les rêves, illusions jetées par les
phénomènes magiques. A ces reflets déstabilisants s’opposent le regard rassurant des
femmes humaines : « au regard immobile ». Ce thème du reflet ajoute à la confusion
entre nature et surnaturel, rêve et veille, conte et réalité : il fait le lien entre registre
merveilleux et registre fantastique.
Le thème de l’ivresse est repris strophe 3 :
- L’ivresse de l’énonciateur est partagée avec la nature entière (personnifiée), en
référence au sens de l’ivresse dans la mythologie grecque (moyen de communion avec
les dieux et la nature) : « Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent ». Le
« Rhin » peut d’ailleurs être compris comme le fleuve ou comme le dieu de ce fleuve.
La propagation de l’ivresse est exprimée par l’allitération en –v et l’assonance en –in
ou –i (lettres du mot « vin ») qui courent sur ce vers : « Rhin » (répété), « ivre »,
« vignes », « mirent ». Le thème du tremblement est lui aussi partagé entre le vin et le
fleuve : « Tout l’or des nuit (voir la note sur « L’Or du Rhin ») tombe en tremblant s’y
refléter » (Image : le reflet des étoiles tremble à la surface du Rhin comme le vin
tremble dans le verre du poète).
- Tout semble s’accélérer strophe 3 : répétition qui accélère le rythme, adjectif intensif
(« Tout ») ; connotations plus négatives : verbe « tomber », chant magique pour faire
revenir l’été disparu ; évocation de la mort : « toujours à en râle-mourir » (néologisme
d’Apollinaire pour évoquer la voix d’un mourant).
Conclusion :
L’association du thème de l’ivresse avec celui du chant (« chanson…d’un batelier »), et celui
des légendes rhénanes (les fées, les sept femmes sous la lune, les filles aux longues nattes
blondes) compose l’atmosphère d’un cabaret au bord du Rhin (d’où le batelier) : les souvenirs
personnels d’Apollinaire, sa découverte de la Rhénanie pittoresque sont associés à des thèmes
plus anciens et plus universels (ivresse poétique, lien de la création et du sentiment
amoureux).
Tradition et modernité s’associent donc dans ce poème pour offrir un mélange de registres
(merveilleux, fantastique, lyrique), une atmosphère et des thèmes (univers légendaires lié au
Rhin, communion avec la nature, séduction et déception du sentiment amoureux) qui
parcourent toute la section des Rhénanes, dont ce poème est l’ouverture (comme on dit, en
musique, qu’une symphonie commence par une « ouverture »).
Classes de 1ères. Alcools, Section des « Rhénanes » ; Guillaume Apollinaire, 1913.
Lecture linéaire n° 2 : « Mai » (p. 120 de l’édition « Classiques et Cie », Hatier).
Introduction :
- 2ème poème des Rhénanes, inspiré par le séjour d’Apollinaire en Rhénanie ; on y sent une
inspiration plus personnelle que dans « Nuit Rhénane », liée au souvenir d’Annie Playden.
- Poème lyrique, où le sentiment dominant est celui de la nostalgie et des regrets.
- Forme assez régulière : alexandrins, quatrains, sauf pour la strophe 3 (5 vers). Césure à
l’hémistiche (6 syllabes//6 syllabes), sauf pour le vers 7 : « Sont/les/ong/les // de/cel/le/que //
j’ai/tant/ai/mée » (4//4//4). Rimes embrassées, sauf rupture strophe 3. Une forme régulière,
donc, mais avec des effets de rupture.
Mouvements :
Etude linéaire :
I/ Une « élégie », expression lyrique du deuil et de la perte
A. Le poème évoque une promenade en barque sur le Rhin ; le regard semble tantôt
suivre la barque sur le fleuve, tantôt le paysage qui change en fonction du mouvement
de la barque : « vous êtes si jolie mais la barque s’éloigne » ; « Or des vergers fleuris
se figeaient en arrière ». Une eau courante, un fleuve notamment, est souvent en
poésie un symbole de la fuite du temps. Ici la promenade en barque symbolise
l’évolution de l’idylle amoureuse.
B. A la première strophe le poète s’adresse à un destinataire (2ème personne du pluriel) :
femme aimée ? Femmes aimées (« ondines » du poème précédent) ? Ambiguïté du
pluriel.
C. Ambiguïté, entretenue par l’absence de ponctuation, déjà présente dans la strophe 1 :
est-ce le mois de mai qui est « en barque sur le Rhin » ?
D. Les saules « pleurent » et sont « riverains » (comme les habitants des bords du Rhin) ;
les vergers « se figent » ; les fleurs sont « nues »… personnification de la nature qui
semble éprouver ce qu’éprouve le poète « mal aimé » (nature « état d’âme » :
représentation très fréquente dans la poésie romantique du XIXème siècle).
E. Présence du « je » strophe deux : « que j’ai tant aimée ». Le corps de la femme aimée
semble se confondre avec la nature, par une suite d’analogies (comparaison /
métaphore) : « les pétales tombés…sont les ongles de celle », « les pétales flétris sont
comme ses paupières ».
F. Chaque strophe comporte un contraste, entre une impression joyeuse et une autre plus
triste. Strophe 1 : premier vers digne d’une chanson populaire ; le mois de mai est
« joli », la répétition de »mai » accélère le rythme et la barque évoque une promenade
amoureuse paisible, des dames sont présentes, « jolies » elles aussi. Au milieu du vers
3 le charme semble se rompre : « mais » (en écho sonore à « mai »), + éloignement et
« pleurs » des saules (jeu de mot sur le nom du « saule pleureur ») vers 4. Strophe 2 :
image printanière des cerisiers en fleur, mais exp. d’une perte : « pétales tombés » ou
« flétris », vergers « figés », passion révolue (passé composé) : « celle que j’ai tant
aimée ». Rythme du vers 7 qui pourrait évoquer des sanglots. Strophe 3 : image
distrayante des « saltimbanques » (artistes ambulants) et de leurs animaux, rythme
allègre du vers 10 (« un ours un singe un chien » rapidité renforcée par l’absence de
ponctuation) ; mais expression de l’éloignement (« Tandis que s’éloignait… » / « un
fifre lointain ». De plus c’est la musique qui s’éloigne, comme si tout ce qui pouvait
rendre heureux était éphémère et périssable.
II/ L’arrivée en musique du mois de Mai éternel et victorieux
G. Poème construit sur un effet de retour, de cycle : vers 1 « Le mai le joli mai » repris
dans la dernière strophe. Le mois de mai, symbole du printemps et de l’amour, semble
donc immortel.
H. De plus le mois de Mai donne son nom au poème : le poème est donc ce qui restera,
dans les mémoires, d’un amour qui s’est achevé pour les deux amants.
I. Strophe 3 : plus de « je » ni de « vous ». 3ème personne qui désigne surtout des objets et
des animaux, sauf pour les « tziganes » que le pluriel rend assez anonymes.
J. Strophe 3 la musique ne semble plus avoir d’origine précise et appartenir au paysage :
« Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes / Sur un fifre lointain un air de
régiment ».
K. Strophe 4 : unique présence du Rhin, du vent et des plantes.
L. Strophe 4 : schéma inversé par rapport à la strophe 1 ; image d’abord un peu triste des
ruines, mais « parées » ; achèvement sur le murmure apaisant de la végétation.
M. « Mai » est personnifié strophe 4 ; de même que le vent ; les assonances et les
allitérations produisent une harmonie imitative qui évoque le murmure du vent,
donne une voix aux plantes et aux ruines : « De lierre de vigne vierge et de rosiers » ;
« …les osiers / Les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes » (enjambement sur
ces deux vers).
N. Le poème qui commençait avec une nature attristée (« Qui donc a fait pleurer les
saules riverains ») s’achève sur une végétation abondante : lierre, vigne vierge, rosiers,
osiers, roseaux…La nature semble donc être le symbole de la permanence, quand les
sentiments humains, eux, disparaissent.
O. Autre présence durable : celle du Rhin (1ère strophe/ dernière). Lieu de promenade des
amoureux. Présence qui suggère que l’amour revivra, mais pour d’autres amants.
P. 2 temps verbaux du passé marquent le poème : imparfait et passé composé.
L’imparfait raconte les souvenirs ; le PC exprime un résultat, ce qui reste (dans le
présent) d’une expérience vécue : « qui donc a fait pleurer… », « le joli mai a paré les
ruines… ».
Q. Fusion de l’être humain et de la nature qui peut être vue comme un héritage
romantique (mouvement où la description de la nature et du paysage vise souvent à
communiquer les sentiments éprouvés par le locuteur). Fusion très présente aussi dans
le mouvement symboliste (fin XIXème siècle ; Verlaine, Rimbaud), réactivée au début
du XXème siècle, dans les arts picturaux, par le mouvement Art Nouveau : voir les
allégories associant très souvent femme et fleurs ou arbres, plantes. A la strophe deux,
fragmentation du corps (ongles / paupières) qui peut aussi évoquer le cubisme, où le
corps et le visage semblent souvent déstructurés. Voir « Rhénane d’automne » :
feuilles d’automne = « mains » des « chères mortes » [« chairs » mortes ?] / ou le
derniers vers de « Zone » = « Soleil cou coupé ».
CL : Des thèmes traditionnels de la poésie (fuite du temps, nostalgie, deuil de l’amour perdu, fusion
avec la nature) renouvelés par une forme faussement régulière, une esthétique de la surprise et de la
rupture.
I/ Vers 1 à 6
- Entrée dans le recueil mystérieuse et paradoxale : qui est ce « tu » ? pourquoi « à la
fin » ? 1913 serait peut-être la fin d’une époque, à moins qu’il s’agisse de l’expression
familière « à la fin », qui marque la lassitude (poète fatigué du « monde ancien »).
Même lassitude exprimée au vers 3.
- Métaphore bucolique (= relatif à la vie des bergers ou à la poésie pastorale, qui met en
scène des bergers et des bergères), surprenante, pour invoquer la Tour Eiffel, comme
une sorte de guide. La métaphore se poursuit avec « le troupeau des ponts » : à la fois
bucolique et humoristique.
- Vers 4 à 6 : toujours un paradoxe, les objets les + modernes ont l’air ancien, c’est la
religion (Christianisme pourtant antique) qui est neuve. Comparaison avec l’aviation
que l’on retrouve + loin.
Accent mis sur le caractère éphémère de la nouveauté (tout ce qui est nouveau vieillit vite) ;
modernité qui résiderait dans les choses éternelles (religion) et simples (« toute simple »).
II/ Vers 7 à 14
- Toujours modernité du Christianisme avec l’allusion à Pie X (« L’Européen le plus
moderne c’est vous Pape Pie X ») : on peut y voir un trait d’humour, Pie X ayant
laissé le souvenir d’un Pape plutôt conservateur.
- Retour du pronom « tu » qui désigne le poète (comme au vers 1) comme un croyant
mais aussi comme un pécheur : « la honte », « entrer dans une Eglise », « t’y
confesser ».
- Célébration du langage, des mots, sous quelques formes qu’ils soient : pas seulement
la « belle » littérature classique (qu’on désigne par la formule « les belles lettres »),
mais les mots de la publicité, le langage des journaux et de la littérature populaire :
« les prospectus les catalogues… », « les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures
policières ».
III/ Vers 15 à 24 :
- Une dizaine de vers célèbrent la beauté de la modernité, en créant un effet de surprise :
les sujets évoqués ne sont pas ceux que la poésie de la Renaissance, la poésie
Classique ou encore Romantique ont célébré pendant des siècles (fleurs, étoiles,
paysages, etc). Ici Apollinaire « chante » « les ouvriers et les belles sténo-
dactylographes », une « cloche rageuse » d’usine, « les inscriptions des enseignes et
des murailles », une « rue industrielle »…Noter le champ lexical de la nouveauté
associé à celui de la beauté.
- Effet de surprise également par les figures de style employées, notamment figures
d’analogie. Des images qui convoquent en même temps le sens de la vue et celui de
l’ouïe. La rue est le « clairon » du soleil (métaphore) ; « une sirène…gémit » (sirène
d’usine, sonore, ou bien sirène mythologique, au chant à la fois envoûtant et
inquiétant ?) ; la cloche fait entendre un aboiement de chien, et les images colorées
« criaillent » (verbe qui renvoie à la fois au cri et à des couleurs voyantes, criardes).
Apollinaire use ainsi du procédé de la synesthésie : mise en relief d’une sensation en
faisant appel à d'autres sens. La ville st à la fois un tableau aux belles couleurs et
une musique claironnante, comme une fanfare.
IV/Vers 25 à 40 :
- Après le « je » du vers 14, exprimant le goût de l’auteur pour la modernité industrielle
et urbaine, on trouve le pronom « tu » qui nous ramène cette fois-ci à l’enfance du
poète : « tu n’es encore qu’un petit enfant ». Le groupe « la jeune rue » présente une
figure d’hypallage : on attribue à un mot un qualificatif qui renvoie à un autre
mot ou groupe de mots. Ici il faut comprendre « la rue de ta jeunesse » ; c’est le
« petit enfant » qui est jeune.
- Cette plongée dans le passé fait revenir au présent (temps verbal employé) une
enfance pieuse, avec une éducation religieuse qui a donné au poète le goût du mystère
et des symboles. Le thème de la religion rappelle au poète des jeux d’enfant et des
aventures nocturnes (vers 27 à 30).
- Les fondements chrétiens sont évoqués grâce à des symboles : le « bleu et le blanc »
sont les couleurs traditionnellement attribuées à la Vierge Marie, personnage que l’on
retrouve dans l’expression « douloureuse mère » (« Mater Dolorosa », désignation en
latin de Sainte Marie aux pieds de la croix où meurt son fils). La « profondeur
améthyste » renvoie à la couleur violette, très présente dans les Eglises chrétiennes ; le
lys symbolise la pureté. Le feu (« torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent »)
est ici symbole d’éternité ; « le fils pâle et vermeil », c’est Jésus crucifié, « l’arbre » et
la « double potence » évoquent la forme de la croix, et « l’étoile à six branches »,
symbole du roi David dans la religion juive, rappelle que Jésus, prédicateur juif, est à
l’origine du Christianisme : il est un lien, une transition entre deux religions.
- Le vers 40, par une métaphore audacieuse, opère une synthèse entre le goût
d’Apollinaire pour les mystères religieux et son enthousiasme pour la modernité :
Christ-aviateur, allusion à la forme de croix d’un avion vu par en dessous, depuis le
sol.
Conclusion :
Les quarante premiers vers de « Zone » annoncent donc une poésie à l’écriture moderne
(poésie rimée, presque en vers libres, images et associations audacieuses et surprenantes),
nourrie par la tradition et la culture du passé, qui continuent à inspirer le poète.