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Analyse Fêtes Galantes, Verlaine

1. Mandoline

INTRO :
-Publié une première fois en 1867 dans la Gazette Rimée, sous le titre «Trumeau» (désigne peinture
placée au dessus d'une porte, représentant une fête galante, ou un paysage).
-15ème poème des Fêtes Galantes, quatre quatrains écrits en heptasyllabes et avec que des rimes
féminines
-Problématique :
I. Fresque d'une fête légère
II. Un tableau musical audacieux
III. Un univers fantasmagorique et illusoire

PERSONNAGES :
-Tircis, Aminte et Damis sont des bergers de pastorale (d’œuvre littéraire), c'est un genre littéraire
d'origine antique. C'est le XVIème siècle qui lui rend ses lettres de noblesse. Comprend des romans,
des poèmes, des œuvres dramatiques et met en scène des amours de berger et de bergère.
-Tircis : personnage d'un poème pastoral de Virgile
-Aminte : Héros de la comédie pastorale du Tasse
-Damis : on le retrouve dans certaines pièces de Molière, et chez Marivaux.
-Clitandre : apparaît dans différentes pièces de Molière, dans la tragi-comédie de Corneille.
-Ce sont des amoureux transis que l'on croise dans la littérature pastorale, ou de la comédie
italienne. Verlaine les affectionne puisqu'ils apparaissent plusieurs fois dans son œuvre.
-Les conjonctions de coordination crée un effet d'accumulation : il présente ces bergers, ces pantins,
leur nom suggère leur psychologie : mais dans la réalité, ils n'ont pas d'identité. Ils symbolisent des
rôles, des rôles d'amoureux stéréotypés.
-Les donneurs de sérénades : déterminant défini donne un aspect ambigu. S'agit-il de donneurs de
sérénades connus du poète, ou de donneurs de sérénade en général, comme s'il s'agissait d'un
éternel recommencement ?
-Les écouteuses : ce terme pourrait s'inscrire dans le même registre familier que donneur, encore
qu'il s'agisse d'un mot ancien qui recouvrait l'idée d'écouter avec curiosité. Tout nous montre bien
qu'il s'agit d'une fête galante et que les jeunes femmes à qui l'on adresse la sérénade ne semblent pas
indifférentes puisqu'elles écoutent, ce qui suppose une attention.
-Premier quatrain, les personnages ne sont encore que des rôles, des substantifs de verbes d'action.

MANDOLINE :
-Le lecteur joue un rôle d'invité pour participer à une fête champêtre dans un cadre qui pourrait
préfigurer l'impressionnisme
-Fresque de la légèreté et de l'allégresse nous renvoie l'écho des fêtes galantes, féeriques telles
que Watteau et Boucher pouvaient les peindre pour traduire l'insouciance libertine du XVIIIème
-Joie fardée et costumée, personnages nommés que l'on croise appartiennent au genre de la
comédie. Quant aux autres, participants ou figurants, outre ces « donneurs de sérénades », ils se
comptent parmi « les belles écouteuses »et ceux qui « tourbillonnent »
-Le narrateur ne s'implique pas, il se situe à l'extérieur de ce poème et il se contente d'observer la
fête et de nous la décrire.
-Le mot « sérénade » place le poème sous le signe de la galanterie parce que la sérénade, de l'italien
serenata qui, dans son sens premier, signifie « belle nuit » ou « ciel serein », est un concert
accompagné ou non de chants. Elle se donnait la nuit pour séduire, divertir ou honorer une femme
aimée. Elle situe le texte dans un décor italianisant avec de la musique qui se joue en plein air.
-Le mot fade confirme la critique qui apparaissait de façon plus nuancée dans les deux premiers
vers. Terme péjoratif montre l'effet d'une conversation banale, de discours stéréotypés dont
personne n'est dupe. Présent de l'indicatif « échangent » confirme l'hypothèse de la vérité générale.
Tous les donneurs de sérénade et les écouteuses n'ont que des banalités à se dire, ce qui donne un
certain côté niais et dérisoire à l'amour.
-Le rejet de « cruelle » crée un effet de surprise par le contraste qu'il produit avec l'ambiance de
joie, de danse, de légèreté.
-« éternel » suggère la répétition de la scène
-symétrie de construction des trois premiers vers. « et c'est » anaphore scande le rythme du quatrain
et celui de la musique, puis de la danse et du chant.
-Troisième strophe, qui ne constitue que la première partie d'une phrase qui s'achèvera à la dernière
strophe du poème. Absence de verbe dans cette strophe : nous sommes dans un présent absolu.
Juxtaposition d'éléments, gradation, qui constitue une progression.
Vers 9 à 10 : il n'est question que de leurs vêtements. Vers 11 : avec élégance, on passe du concret à
l'abstrait, changement de plan. De même que leur joie. Vers 12 : leurs molles ombres bleues rappelle
l’indistinction que l'on rencontre dans Colloque sentimental. On observe donc une atmosphère où
l'indécis se joint au précis.
-Les vers de la troisième strophe sont bâtis sur une même construction, sur le mode de
l'énumération, évoquent une ritournelle qui participe au mouvement. La conjonction de
coordination « et » participe largement au tempo. On voit déjà les personnages danser alors que ce
n'est qu'à partir de la strophe suivante qu'ils tourbillonnent.
-Allitération en l croissante, le nombre de « l » augmente de vers en vers.
→ Dans cette strophe, c'est par leur vêtement que les personnages existent. Pas désignés par de
nom, ou de pronom personnel. Seuls les adjectifs possessifs « leurs » confirment leur présence. Ils
sont déjà plus que des ombres qui se fondent dans la nuit.
-Dans les vers 9/10/11, la joie transparaît, mais le vers 12 apporte une note de mélancolie, univers
faux et clinquant. Le bleu, couleur froide, qui apparaît souvent dans l’œuvre de Verlaine, fait sans
doute ici référence au bleu des tableaux de Watteau.
-L'adjectif « molle » donne une note passive, ce qui vient se heurter à l'initiative de danser, de
tourbillonner. On peut se demander si le sujet de ce verbe se rapporte vraiment aux personnages. Le
pronom personnel « ils » qui pourrait les représenter n'apparaît pas. Les danseurs n'était déjà que
des attributs. Par ce moyen subtil, on pourrait se demander si Verlaine suggère que « ils » n'existent
pas.
-Strophe 4 ; rappelle rime jase/extase que Baudelaire fait rimer dans « Le jet d'eau ».
-Extase : mot fort de la langue religieuse qui désigne l'idée d'une sortie du réel, pour atteindre
directement la divinité. Étymologiquement, extase signifie « action d'être hors de soi ». Dans le
texte, « extase » est appliqué à l'univers profane, celui de la fête qui transporte les êtres dans un état
second. L'extase ici se limite à l'état d'excitation et ne se prolonge pas dans le sublime.
-D'une lune rose et grise : infuse au poème une tendresse et un raffinement musical. Association
gris/rose représente en quelque sorte un contraste et plonge le poème dans l'indéfini, dans l'indécis,
comme dans Clair de Lune où la tristesse est joyeuse et la joie triste.
-Le poète semble vouloir prolonger la fête pour ne pas avoir à sombrer dans la mélancolie.
Mandoline et mélancolie ont d'ailleurs sept lettres en commun, m, a, n, o, l, i, e.
MUSICALITÉ :
-Poème musical jusque dans son titre, invite à une lecture musicale
-Dès le premier vers, la mandoline résonne avec d'une part les allitération en n, consonne nasale «
donneurs », « sérénades », et d'autre part par l'allitération en «d», consonne dentale, qui évoquent
le pincement des cordes « donneurs de sérénades ».
-vers 2 : consonnes sifflantes qui confirment bien l'idée de musique « et les belles écouteuses ».
-souci délibéré d'incorporer dans une structure musicale audacieuse des termes qui rappellent
la musique (sérénades/chanteuses/mandoline jase).
-Verlaine conscient de l'effet produit par l'emploi du vers impair dans son souci d'harmonie au
rythme brisé: recherche harmonique, mélodique, expression de la fantaisie. Vers courts,
génèrent une cassure qui, en brisant la continuité d'un vers, donne un effet de sautillement,
reflet changeant d'un univers fantasmagorique d'où surgissent des créatures de rêve. Poème se
transforme presque en danse.
-plus on progresse dans ce poème, plus le rythme s'accélère
-Si le poème chante, il ne s'apparente d'aucune manière à un hymne à l'amour.
-Vers 7 et 8 marquent un ralentissement, notamment par le rejet qui oblige à une lecture quasi
continue des deux vers, mais aussi par la présence d'une allitération en « m » qui réduit la mélodie
presque à l'état de murmure.
-La fête bat son plein et les ombres molles tourbillonnent. Paradoxalement, si le rythme de l'histoire
s'accélère, les vers 15 et 16, n'a rien de comparable au point de vue de la cadence avec les trois
premiers vers. Le rythme est haché, brisé, ce qui a pour effet de rompre l'harmonie et le
balancement des vers 1, 2, 3.

MOUVEMENTS DU TEXTE :
-Dans le premier quatrain : le décor est planté. On y relève une alternance d'immobilisme et de
mouvement. Il y a ceux qui donnent des sérénades, puis on rencontre des créatures passives « les
belles écouteuses ». On s’aperçoit au vers suivant que les écouteuses ne sont pas passives
puisqu'elles échangent des propos, puis retour dans l'inaction avec les ramures chanteuses sous
l'effet du vent.
-Le deuxième quatrain met en scène des personnages, issus de la tradition pastorale et de la
comédie italienne.
-Le troisième et quatrième quatrains présentent la joie qui s'intensifie, la fête qui bat son plein et
le poète qui se laisse envoûter par « la mandoline qui jase ». Les personnages sont devenus des
ombres qui tourbillonnent dans l'extase. Couleurs et flou rappelle l’impressionnisme, et l'ancien
titre, trumeau. Cependant, le frisson des brises annonce une nostalgie croissante dans FG.
Les ombres qui dansent retournent à un anonymat qui caractérisait déjà le premier quatrain. Quand
elles portaient un nom, comme dans le deuxième quatrain, il s'agissait de personnages fictifs,
exclus de toute vie réelle. Ils existent seulement le temps d'une fête et n'ont de vie que celle
accordé par l'auteur.

CONCLUSION :
Ce qui est caractéristique de l'exercice de la fête, c'est qu'elle passe par le
spectacle, l'ostentation, l'étalage de couleurs, de formes, de sons ; c'est qu'elle
est le domaine électif de l'illusion.
2. En patinant

INTRO :
-Problématique : Fuite du temps et fuite de l'amour vers le désenchantement.
-Double sens du titre : patiner peut aussi vouloir dire caresser indiscrètement.
-Inspiration de Watteau, qui peint les quatre saisons.

I. Renouvellement de l'un des topoï de la poésie : du symbolisme des saisons au symbolisme de l'amour.
-variation sur les quatre saisons, usage conventionnel du langage des fleurs
-Les saisons représentent la vie, le temps qui passe, et il exprime comment l'Amour vit au rythme de
la vie (ou des saisons ici)...
-Le printemps c'est la jeunesse, la découverte, les premiers émois, l'innocence.
-L'été et sa chaleur, c'est la pleine éclosion du corps, le tumulte des sentiments, le désir sexuel,
l'assouvissement des passions.
-L’autonome est le déclin, l'imminence d'une fin prévisible mais que l'on retarde, l'ennui, un peu
paisible mais nostalgique.
-L'hiver est la fin de tout, la mort, le sommeil, l'engourdissement du corps et du cœur avec pourtant
une promesse de printemps à venir...
-nombre de strophes consacrée à chaque saison a son importance : décrechendo, rétrécissement des
strophes, révèle le déclin de l'amour, le rétrécissement de la peau de chagrin.

II. Heurts et malheurs de la passion : approfondissement progressif de l'envers du décor de l'amour.


-incompatibilité entre les sexes, duperie, superficialité , tristesse.
-amour épreuve de la solitude à deux « mais seul, bien seul… » : allitération en « s », rythme
ternaire, monosyllabique.
-Poème nous fait passer d'Aphrodite à Fanchon : amour frivole. Rime aphrodisiaque/vaque : vacuité
de l'amour.

III. Primauté du mouvement, de l'oralité, du son et des rythmes : élégance ironique et douce amertume
mise à mal de l'amour.
-Rythme rapide en octosyllabe, les enjambements crée effet de surprise et soulignent l'importance
du mot.
-Le rythme ralentit à l'automne.
-Temps changeant des verbes, du passé simple dès le premier vers, pour aboutir au présent de
l'énonciation au dernier quatrain, puis au futur. Présent de vérité générale nombreux.
-« Vous » et « moi » sont les « dupes » de l'amour, de la séduction, mais aussi des charmes
trompeurs de la nature:
-le désir naît au printemps, s'impose en été, se modère en automne...
-Pas de passion amoureuse, mais la courbe naturelle du désir, plus fort que la volonté des amants
qui « cèdent ».

Une vision assez négative, dès les débuts:


-les cinq sens sont « à la fête», mais préludent à la crise
-les baisers sont « superficiels »
-les sentiments « à fleur d'âme » -les amants ne sont pas passionnés, jouissent « sans
enthousiasme»: ce serait là le bonheur sans conséquence du printemps. L'été affole les amants d'un
« ridicule/Vertigo » qui les livre aux « tristesses moites » dont les délivre l'automne.
-Pas tout à fait un "Post-coïtum, anima tristis" (Ovide) "Après l'amour l'âme est triste", puisque
plus léger, et promesse de renouvellement, d'un avenir, avec présence du futur. Peut-être même que
l'automne et l'hiver sont vus comme des saisons permettant aux amants de se délier d'une pesanteur
charnelle, de vivre un amour plus pur ?

«Encore un printemps de passé


Je songe à ce qu'il eut de tendre
Adieu saison qui finissez
Vous nous reviendrez aussi tendre » Apollinaire

3. Pantomime

-«A-parte» ancien titre lors de la première publication dans l'Artiste


-Thématique théâtrale emprunte des tableaux de Watteau
-Thème central : commedia Dell'arte
-Le titre nous invite à penser aux représentations muettes d'acteurs, le jeu passait alors par les
mimiques, les gestes, parfois accompagné de musique, mais jamais de paroles.
-C'est bien de ce mutisme dont fait preuve Pierrot, qui apparaît comme vorace. Rapidité des vers
« vide un flacon sans plus attendre », « entame un pâté » : comme une urgence, une fois la soif
comblée, il se jette sur le pâté .
-Le second semble moins vif, plus détaché des contingences physiologiques
-Parce qu'ils jouent constamment un rôle. Ils correspondent à des types littéraires, ceux de la
commedia Dell'arte, de la comédie, de la pastorale ; ils sont élégants, raffinés, conventionnels.
Leurs vêtements impliquent frivolité, artifice, manque de fidélité à eux-mêmes et aux autres.
-Homéotéleute en -qui, allitération gutturales sourdes (k). Arlequin pirouette quatre fois. Pour
marquer sa joie ?
-Notons que la cohérence de cette pantomime n’existe que par la grâce du texte, la volonté du
poète : quelle logique narrative, quel déroulement significatif attribuer à ces quatre tableaux
successifs ? L’un mange et boit tandis qu’un autre pleure dans le fond, un troisième prévoit un
enlèvement pour satisfaire ses pulsions, dont il semble fêter par ailleurs les multiples réalisations
par une pirouette… et la femme de se montrer romantique, à son étonnement apparemment.
-le premier vers affiche d’emblée une opposition nette entre les deux noms propres qui l’encadrent,
en un rapprochement qui paraît d’autant plus gratuit qu’il est présenté comme tel : «n’a rien de» ne
peut être plus négatif et que vient faire «Clitandre» dans la commedia dell’arte, sinon par le hasard
d’un rangement dans une bibliothèque ?
Ce nom propre étant lui-même rendu commun par l’article indéfini, comme pour déprécier cette
figure classique du soupirant rencontré chez Molière puisque c’est l’amant de Lucinde dans
L’Amour médecin, celui d’Angélique dans George Dandin, d’Henriette dans Les Femmes
savantes… «Et c’est l’éternel Clitandre» mis en exergue dans Mandoline, par le présentatif et la
polysyndète… Pourquoi ensuite évoquer «sans plus attendre», en une tournure affectée, car l’objet
de l’attente échappe complètement, absence renforcée par le suspens de la rime… procédé
rhétorique que conseillera Art poétique…
L’ordre même des actions semble peu cohérent : la consommation d’un pâté se fait habituellement
au rythme de la baisse du liquide dans le flacon afférent… alors que ce dernier sert ici d’apéritif.
Après cet en-cas, Cassandre se trouve reclus au fond de l’avenue, comme en vieux rebut, et cette
mise à l’écart est confirmée par le mépris à l’égard de sa larme (sic !), alors que l’on attend plutôt
des larmes. Cette impression d’évanescence est confirmée par les préfixes mé- et dés- et corroborée
par la déshérence du neveu, dont le rapport familial est ainsi dénié. Plus vif, Arlequin, car actif
intellectuellement («combine») et physiquement («pirouette»), au rebours du passif et déplorant
Cassandre,
Colombine tranche ainsi nettement dans le dernier tercet sur les trois personnages précédents ; elle
seule incarne la beauté, le raffinement, toute en spiritualité : «rêve».
-contradiction entre les personnages : nous avons évoqué plus haut la gloutonnerie évidente de
Pierrot : cela ne fait pas partie de ses traits de caractère traditionnels, et ce défaut est plutôt réservé à
Arlequin. Certes ce dernier pirouette comme attendu, mais c’est plutôt à Pierrot de combiner
l’enlèvement de son amour, au détriment de Cassandre.
-Ce que confirme la présentation inhabituelle de Colombine, accorte jeune fille, délurée, maîtresse
de ses sentiments, à l’abri des surprises de l’amour, car elle est coutumière du fait, vu sa beauté.
Elle se montre pourtant ici d’une délicatesse extrême, on n’ose dire : romantique, vu
l’anachronisme, ou alors c’est avant la lettre ! Les nasales en écho (sen- un dans) , ensuite
soulignées par les dentales : «[d’]en[|t]en[d]r(e) en son» n’entrent pas pour peu dans la douceur de
ce point d’orgue affectif, en deux très belles images où le souffle de la brise se mêle intimement aux
battements du cœur d’un autre.

PERSONNAGES :
Pierrot n’est pas fidèle à son image traditionnelle si l’on pense au tableau de Watteau, Gilles, car il
est ici, comme l’on dit, nature : son peu de surface sociale s’incarne dans les deux synérèses et les
voyelles fermées ; sa gloutonnerie s’exprime par le rythme ascendant du vers : 1/3/4 avec une
césure centrale peu fréquente dans un octosyllabe dont le rythme rapide, avec ses variations
multiples chez Verlaine est bien en accord avec la vivacité, l’inventivité et l’improvisation dont
doivent faire preuve les acteurs dans ce type de création artistique… Ici, Pierrot, comme attendu, ne
fait pas de manière : sans plus attendre, alors que la politesse exige que dans un groupe on boive de
concert. Pour lui, peu importe le flacon pourvu que l’on ait l’ivresse, et son manque de tenue
s’oppose à celle du raffiné, voire sophistiqué Clitandre. Il passe au repas, comme de juste, en accord
avec le rythme équilibré du v. 4: 3/2/3. L’indifférenciation des articles indéfinis participe aussi au
côté fruste du personnage ici, aux antipodes d’ailleurs d’une dimension tragique, voire d’un
fantastique morbide auquel il arrivera dans Jadis et Naguère.
-Cassandre : lui, semble fini, ce vieillard libidineux que son obsession sexuelle incite au désir
incestueux à l’égard de sa fille Colombine, sans égard pour elle ; ici, à l’écart, en piètre estime, car
sa mise en exergue en début de tercet est contrebalancée par l’endroit où il est relégué, renforcée par
les 3 fricatives ; il s’avère passif comme sa fille : un seul verbe pour évoquer sa prostration,
«Verse», en début de vers, cf. Colombine qui «rêve» (au rebours des deux jeunes gens, Pierrot :
«vide, entame», comme Arlequin : «combine, pirouette»), le tout incarné par les voyelles fermées
qui abondent aux v. 5 et 6. Il est méprisable et ne mérite pas notre pitié : larme méconnue, pour
terminer sur une interrogation énigmatique : le neveu déshérité n’a pas d’avatar avéré dans la
commedia Dell'arte.
-Arlequin : Arlequin est loin d’être poli par l’amour ; il est présenté sans aménité, comme indigne
avec le démonstratif, les trois gutturales sourdes, le mépris qui effleure dans la virulence de l’insulte
(avec un effet de balancement sonore propre aux comptines : e a in a e in, quin étant en rime
interne, pour ne pas dire homéotéleute) : «faquin», donc un portefaix (amusant pour évoquer un
enlèvement ! un homme de peu de valeur, mal élevé et méprisable (d’après le dictionnaire de
l’Académie) ou plat et impertinent (dans le Robert) (vieux ou littéraire) avec la césure de
l’octosyllabe régulière : 3/8, les nasales abondent comme illustrant l’intensité du désir ; il s’agit
pour lui de s’assurer de la possession physique : l’enlèvement, en toute fausse pudeur ; à peine ce
forfait est-il mentionné que le succès en est fêté, sans retenue : 4 syllabes pour pi-rou-et-te, ce qui
alourdit singulièrement cette figure empreinte habituellement de souplesse. Oui, Arlequin est loin
d’être un parangon de la discrétion, comme l’atteste sa tenue en losange, qui évoque les multiples
facettes de ce personnage. Mais ses qualités sont discutables : il ne brille pas par son intelligence, il
est bête, famélique, crédule et paresseux. Il cherche partout de quoi se sustenter et pour ce faire, il
s’adonne à tous les stratagèmes, pirouettes ou acrobaties imaginables ; sinon, son but est la
méridienne, en respectant la loi du moindre effort.
-Colombine : Il s’oppose ici à sa chérie Colombine qui incarne, ce qui est assez inhabituel chez elle,
la spiritualité : «rêve», avec les 3 e finaux qui nous font effleurer son évanescence. Habituellement
vêtue de blanc, communément amoureuse de Pierrot, taquinant Arlequin, elle semble ici s’ouvrir
avec surprise, ce que marquent les liquides, aux subtilités de la cour amoureuse, avec l’écho des
«cœursۚ» en accord, comme le veut la répétition, le souffle de la brise étant à l’instar des battements
du cœur de l’amoureux, qui devient amant (mais lequel ? Pierrot ou Arlequin ?) puisqu’il éveille un
écho chez l’autre; elle-même semble s’ouvrir à l’amour, non pas comme quelque chose de nouveau
chez une vierge qu’elle n’est pas dans la commedia Dell'arte, mais comme une renaissance des
sentiments amoureux (Pierrot, Arlequin ? Entre les deux son cœur balancerait-il ?), pluriel auquel
nous contraint le terme final : «des voixۚ», en une mise en abyme pour évoquer les sonorités de ce
poème… Paronomase Colombine combine, Faquin Arlequin.

I. Les comédiens de la Comedia Dell'arte


II. Représentation musicale
III. Irréalité et triomphe de l'illusion
(irruption de Clitandre forme une incohérence, le monde de la fête libertine se mêle à d'autres,
inconstance).

Autonomie des personnages


Stéréotypes littéraires qui suggère leur personnalité
Goût pour l'irréel, présence de comédiens, de produits de l'imagination, portrait de ces personnages
Personnages désencrés, loin de leur rôle stéréotypé. Réécriture de la Commedia Dell'arte.
l'art d'exprimer des sentiments, des idées par des attitudes, des gestes
Quatre scène indépendantes les unes des autres : effet de tissage d'éléments disparates

4. En Sourdine
En sourdine est l'avant-dernier poème des fêtes galantes. Comme dans la plupart des poèmes des fêtes galantes,
Verlaine n'est pas un poète confortable, il introduit un doute qui rend difficile toute interprétation. Tous les poèmes des
Fêtes galantes sont en porte à faux et tout baigne dans l'équivoque. Dans un éclairage sans franchise, ni jour ni nuit,
(mi-jour), ni été ni hiver (gazon roux indique plus l'automne) des personnages équivoques se livrent à un jeu
sentimental dans lequel le paysage reflète leurs états d'âme et réciproquement en est reflété.

LE LIBERTINAGE AMOUREUX
Ce poème en alexandrins et heptasyllabes traite comme les autres poèmes des fêtes galantes, de la recherche de
l'amour vue sous un jour superficiel. " En sourdine " baigne dans une lumière crépusculaire, prélude à la nuit solitaire et
glacée de " Colloque sentimental ". On retrouve le décor des tableaux de Jean-Antoine Watteau (Pélerinage à l'île de
Cythère) avec les grands arbres dont les branches hautes donne à la scène l'allure d'un berceau. Les amants sont invités
à fusionner leur âme, leur cœur et leur sens. Le paysage état d'âme qui apparaissait en début de fêtes galantes dans Clair
de Lune " votre âme est un paysage " se traduit ici par l'inverse, le paysage est un état d'âme dans lequel " les pins et les
arbousiers " sont psychologiquement affublés de " langueur" . Désormais fondus dans les langueurs du paysage, les
amants libertins sont dépersonnalisés. Les assonances en " a " , voyelle ouverte d'âme, extase, vague, arbousier
amplifient l'abandon des amants à la fête. La femme est invitée à fermer les yeux mais seulement à demi pour rester
vigilante, puis à croiser les bras sur sa poitrine et à chasser toute arrière pensée ou tout espoir de prolonger l'aventure du
couple. Dans cette atmosphère de libertinage sophistiqué, dans lequel les sentiments se résument souvent à un jeu de
cache-cache, la femme ne doit pas succomber au premier amant. C'est évidemment par pure ironie que Verlaine invite
les belles à éluder les ardeurs de ces amants à l'affût de voluptés peu onéreuses.

POÉSIE ANTI-ROMANTIQUE
On retrouve dans ce poème tout le caractère artificiel des recherches amoureuses. Mais ici le discours amoureux qui se
confond avec le discours poétique est vu avec un regard corrosif le relayant au niveau de discours superficiel et léger
en opposition à un sentimentalisme romantique de Lamartine par exemple. Ici les rencontres amoureuses sont sans
lendemains. Losque le soir tombe chacun retrouve sa solitude et son désespoir rendu encore plus douloureux quand il
s'accompagne du chant du rossignol.

L’ÉCHEC AMOUREUX, MÉLANCOLIE EN SOURDINE


La vrai nature de Verlaine est plutôt celle d'un enfant qui rit, qui pleure, qui se console. Il est resté naïf, tendre et doux,
en opposition aux sentiments des autres. Sa poésie spontanée, naturelle est à l'opposé de celle frigide, impassible des
parnassiens, travaillée et donc artificielle. " Pénétrons bien notre amour dans ce silence profond " est une invitation à ne
pas se laisser séduire par des discours trop travaillés. L'amante invitée à s'abandonner à l'instant doit exclure de son
cœur (siège de l'affectivité) tout espoir de poursuivre l'aventure. L'amant conserve ici l'image du libertin cruel et délicat
du XVIIè siècle papillonnant qui tout en berçant son amante lui signifie son congé. " Laissons nous persuader Au
souffle berceur " est un invitation à ne pas céder à l'artifice mais à décerner dans son intérieur le murmure de son cœur.
Ce bercement, cet assoupissement nécessaire de la conscience pour écouter le murmure de son cœur est déjà
perceptible dans la monotonie 1/3/3 du rythme des vers " Fer/me tes yeux/à demi ", " Croi/se tes bras/ sur ton sein ", "
Chas/s(e) à jamais/tout dessein ". En ajoutant le temps et la répétition nécessaire au message amoureux être persuasif
Verlaine veut probablement rappeler qu'il n'avait jamais perdu l'espoir de conquérir Elisa (elle est décédée en 1867).

CONCLUSION
En sourdine est une comédie légère de l'amour qui trahit la nostalgie, le besoin de sentiments simples, sincères et
profonds de Verlaine. Le poète nous demande d'écouter simplement son cœur intérieur, dans le silence, sans le
brouillage extérieurs de beaux discours ou de "masques".

5. Sur l'herbe
L'octosyllabe verlainien est musical, vraiment ; non pas une "chanson douce" ("qui ne pleurerait que
pour vous plaire") mais une chanson folle, une chanson de théâtre.
Les rimes de cette première strophe entrechoquent les verres de cette petite compagnie qui semble
tirée d'une scène de genre à la manière du peintre Watteau (1684-1721).
C'est donc dans un passé de comédie, un décor, que Verlaine place ses personnages.
J'apprends par les notes d'un "choix de poèmes" de Verlaine (Nouveaux Classiques Larousse, p.33)
que Camargo est "un nom de belle usité chez les romanciers de la galanterie au XVIIIème siècle, et
aussi chez Musset, Les Marrons du feu. Camargo est la forme provençale de Camargue. Une
célèbre danseuse franco-belge porta ce nom (1710-1770)" (Note de Michel Dansel) et j'imagine tout
à fait les petits marquis et les petits abbés de comédie reluquer la nuque dite ici exquise de
Mademoiselle Camargo.

- Ma flamme... - Do, mi, sol, la, si.


L'abbé, ta noirceur se dévoile !
- Que je ne meure, mesdames, si
Je ne vous décroche une étoile !

La galanterie se poursuit et la musique abrège les paroles qui ne sont que chansons. Si la "noirceur"
de l'abbé "se dévoile", ce n'est que par fantaisie, par ironie peut-être, bien que les abbés de l'Ancien
Régime soient souvent associés à la friponnerie.
De fait, le voilà qui part dans l'hyperbole, (lui ou un autre, les discours sont interchangeables) : "que
je ne meure, mesdames, si je ne vous décroche une étoile !"
Les notes de musique font concert baroque et soulignent la virtuosité du poète (cf l'enjambement
"si/je" tandis que le siffle son rire).

La scène étonnante que nous montre le tableau est connue par ses nombreuses reproductions mais le
tableau lui- même est conservé avec interdiction de prêt par la Wallace Collection de Londres.
Son sujet est étrange. Le décor semble artificiel entre végétation envahissante bleue et verte,
lumière changeante et hésitante entre or et argent, troncs noueux et buissons fleuris du sol. Trois
personnages d’un autre monde attirent les regards : une jeune femme toute de rose et blanc vêtue
sur une escarpolette recouverte de velours rouge qui lance sa pantoufle, un homme au premier plan,
renversé dans des buissons, un homme avec un col à rabats, peut- être un ecclésiastique, la mine
réjouie, lance l’escarpolette grâce à deux cordes. Les deux hommes regardent la femme comme le
dieu Amour sur son piédestal, un doigt sur la bouche, et les deux putti appuyés sur un dauphin sous
l’escarpolette.

Paul Verlaine admirait Fragonard et « Sur l’herbe » entretient de nombreuses correspondances avec
le tableau : les personnages sont là mais il manque une ou plusieurs autres femmes (pluriel de
« mesdames, nos bergères »), ils sont l’un abbé, l’autre marquis. Le vertige du mouvement de
l’escarpolette est rendu par l’ivresse due au vin de Chypre. La lumière de la lune peut être celle
dorée et argentée du tableau.
Ce qui permet de rapprocher les deux œuvres est l’hésitation entre deux traitements : scène galante
ou scène libertine ? Paul Verlaine avait écrit sur son manuscrit au vers 10 : « Cà, baisons nos
bergères » et l’un des hommes est un abbé libertin. Dans le tableau, Fragonard peint l’amant en
suivant parfaitement la commande : « les jambes et mieux » mais il peint aussi le désir de l’amant
qui écarte les buissons de son chapeau pour mieux voir. L’autre homme, même s’il n’est pas évêque,
est alors un mari complaisant ou aveugle. Les deux œuvres sont libertines.
La scène peut rester une scène galante comme nous y invite le dieu Amour, le doigt sur la bouche, la
pantoufle si légère semble une espièglerie et le tout un jeu sans importance dans un univers de
jardin abandonné. Jeu souvent répété comme le montre l’usure du chanvre des cordes de
l’escarpolette. Chez Verlaine, le souhait d’un baiser et les chansons nous laisse dans le domaine de
la galanterie mais l’essentiel pour lui est sans doute dans l’hésitation entre les deux traitements.

AXES DE RÉFLEXION :
-Mélancolie musicienne
-Poème à la manière d'un peintre
-Ce qui est caractéristique de l'exercice de la fête, c'est qu'elle passe par le
spectacle, l'ostentation, l'étalage de couleurs, de formes, de sons ; c'est qu'elle
est le domaine électif de l'illusion

La fadeur de Verlaine

Attitude de passivité, d’attente de Verlaine face des choses. Ne se projette pas vers les choses, attend
tranquillement, passivement qu’elles se manifestent à lui. Mais les choses l’atteignent effacées,
affaiblies, atténuées par les étendues qu’elles ont dû parcourir. Verlaine aime donc les sensations
épurées, à demi-mortes, qui ne contiennent plus leur origine concrète, plus aucune allusion à un
monde réel, messagères vides de tout message. Impossibilité de remonter à la chose originelle
disparue: le fané verlainien a quelque chose d’irrévocable. Fané verlainien proche de l’extinction,
tente de s’immobiliser dans un présent vague, il est somnolence. Il ne reste que des sensations. Mais
il faut quand même exciter la conscience, ne pas la laisser tomber en léthargie par les bercements,
c’est pourquoi Verlaine cultive la dissonance, la fausse note dans l’harmonie. Goût pour
l’impair, le rejet, la claudication prosodique.

Mariage du vague et de l’aigu, jonction de l’indécis au précis. Mais ce n’est pas une coexistence
entre aigreur et douceur, c’est un mélange intime, elles sont contenues l’une dans l’autre, elles
s’équilibrent l’une l’autre.

Ce mélange séduit dangereusement, il dissolve la fermeté de la conscience qui s’abandonne à elle.


Ni aigre, ni doux, mais aigre-doux : tentation irrésistible, contagion qui décompose la conscience.
Persuasion qui consiste en un abandon aux limites de la fadeur, l‘impalpable, limites de
l‘inexistence. Rêverie verlainienne est celle de milieux négatifs et aveugles, réalité vide. Abandon à
la vie sensitive.

Peinture des impressions, célébrées dans les arts visuels, tendancieuses en poésie.

Neutralité gagne l’esprit qui s’abandonne à elle. L’être se sent pris par une puissance impénétrable,
il est gagné d’incertitude et d’irresponsabilité (idem feuille morte). Perte du sentiment de soi.
Langueur verlainienne qui épuise l’être, semble vouloir le pousser à bout, le forcer à se dissoudre et
à s’oublier en autre chose que lui-même. Passage du moi personnel à un moi impersonnel. Présence
dans ses poèmes d’une tristesse anonyme. Poésie verlainienne est une communication immédiate et
naïve entre les consciences. Nous concerne indirectement, appel insidieux, sur un lieu commun de
la sensibilité.

Mais Verlaine partagé entre deux mondes. Sa poésie se situe entre son moi impersonnel et sa
sensibilité personnelle. Conscience à la fois présente et consciente à elle-même. Poète à la fois ici et
ailleurs, attaché à son propre langage et perdu dans sa langue anonyme. Se sent vivre hors de lui-
même.

Piège de l’absence-présence, de l’exil prétendu, de la fausse naïveté. Mais Verlaine n’est pas allé au
bout de l’expérience, il ne s’est pas perdu totalement, donc n’a pas pu se retrouver.

Il renonce donc brusquement. Rien de cette fadeur n’était sincère nous dit-il.
L’artifice littéraire est rendu responsable de l’échec vécu. Mais il continue à écrire, il accuse moins
le langage que sa propre faiblesse. Cherche à se dégager de la sensation fanée. L’ignorance indécise
fait place à une foi méticuleuse. Pouvoir de la religion vient de son caractère historique, incarné et
concret. Mais ce n’est qu’une idolâtrie. Monde spirituel d’où le hasard et le mélange ont été exclu à
jamais. Tout devient alors signifiant, les choses s’affirment. Tout s’explique et se réaccorde dans
l’harmonie d’un ordre divin. Poésie verlainienne devient alors didactique et bavarde, développe des
thèmes, des lieux communs. Conclusion: tragédie d’un être qui a refusé l’expérience sensible en
sachant très bien que tout le reste est littérature.

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