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L.

A « Si tu t’imagines » Raymond Queneau


Eléments pour l’introduction :

– Le motif horatien du carpe diem est à l’origine d’une tradition poétique : Ronsard, Viau. La
poésie évoque alors la fuite du temps, ses effets sur la beauté et invite à profiter de l’instant
présent, dans le domaine amoureux notamment.

– Raymond Queneau, poète et écrivain du XX°, revisite ce motif avec sa fantaisie habituelle,
dans le poème intitulé « Si tu t’imagines », extrait du recueil L’instant fatal publié en 1948.

– Il aborde ce thème sombre de la brièveté de la vie sur un mode humoristique.

Problématique : Il s’agira de se demander comment cette réécriture se présente comme une


parodie.

I – Une invitation à considérer la fuite du temps :

A – Une invitation :

Comme chez Viau et Ronsard :

– dialogue fictif : poème adressé à une femme

Marques de la 2ème personne : si tu t’imagines/ ton teint de rose/ ta taille

Apostrophes : fillette v 3 par ex : le suffixe ETTE insiste sur la jeunesse. Le terme est repris v
13 par « petite », terme HYPOCORISTIQUE (mot qui caresse, terme diminutif ou familier à
valeur affective).

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En revanche aucune présence de la 1ère pers.

La prolepse :

Comme ses prédécesseurs, Queneau évoque le futur :

– expression du futur avec le semi-auxiliaire « aller » : xa va

– présent à valeur de futur proche « les beaux jours s’en vont » v 27

– insistance sur le verbe VA V 21par exemple : il est répété une fois de plus et se trouve mis
en valeur en fin de vers. Cela confère à ce vers une place particulière car c’est le seul
hexasyllabe : poème en pentasyllabes.

B – L’évocation du temps :

Il s’agit d’évoquer le temps qui passe :


– champ lexical du temps : verbe durer v 6 et 23 / Toujours v 6 et 23/ saison : v 7, 8 et 9

– anaphore « les beaux jours »

– image de la marche : métaphore filée « s’en vont » / « tu marches tout droit » v 32. Le
groupe « tout droit » rappelle le caractère inexorable de la vieillesse.

– La marche du temps et ses effets sont présentés comme une vérité : présent gnomique «
tournent tous en rond » « mais toi ma petite/ Tu marches tout droit ».

Ce temps qui passe est également suggéré par une série d’oppositions entre la beauté
d’aujourd’hui et le flétrissement de demain :

– la strophe 2 s’oppose à la 3 (système d’antithèses): le teint de rose/ ride véloce ; taille de


guêpe / pesante graisse, menton triplé ; mignons biceps / muscles avachis

– la strophe 2 comporte des images valorisantes, elle correspond à une liste des canons de la
beauté tandis que la strophe 3 décline des images dévalorisantes, crues, apoétiques. La 2 fait
l’éloge de la fillette et de sa beauté tandis que la 3ème évoque des parties du corps moins
nobles.

Enfin l’allongement progressif des strophes traduit le passage du temps, l’accumulation des
années : strophe 1 : 12 v/ Str 2 : 14 v et str 3 : 23 v

La cruauté du poète :

– elle transparait dans la crudité des images employées : ex « la pesante graisse »

– le tutoiement et les apostrophes minimisantes : traduisent une certaine familiarité

II – Une réécriture parodique :

On ne peut donc que remarquer les traits communs qui unissent ce texte à ceux de Ronsard et
Théophile de Viau.

A – Les échos poétiques :

On note également que Queneau pratique la citation : il reprend quasiment certains vers de
Ronsard :

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V 39 à 41 « Allons cueille cueille / les roses les roses / roses de la vie » rappelle le vers de «
Quand vous serez bien vieille », in Sonnets pour Hélène 1578.

Le poète recourt également à des injonctives et des impératifs pour exhorter la jeune femme.

On retrouve le motif de la rose, symbole de la beauté, mais aussi fleur éphémère, beauté
fugitive. On peut noter que la strophe 3 est construite sur la métaphore filée de la rose (roses,
pétales, cueillir)
De même l’adjectif « mignons » v 17 « Tes mignons biceps » fait écho à la « Mignonne » de
Ronsard dans le poème « Mignonne allons voir »

B – Humour et parodie :

Force est de constater que cette reprise du motif se place, au moins en apparence, sous le
signe de l’humour. Queneau semble proposer une PARODIE.

– on peut mentionner le passage de mignonne à « Fillette » : le suffixe ETTE a une coloration


péjorative

– les répétitions font l’effet d’un disque rayé. Ceci peut traduire l’ancienneté du motif, du
topos

– le poète recourt par ailleurs au langage familier, considéré comme apoétique : ex « Tu te


goures » v 10 / « vers sque tu vois pas » v 31 : contraction de mots (ce que) + absence d’une
partie de la négation / « si tu le fais pas » idem.

– Enfin il tutoie sa muse et tend à minimiser son statut.

Le poète exhibe sa volonté de conférer à son poème une dimension populaire. Il s’oppose en
cela à la volonté de La Pléiade de produire une poésie savante, éloignée du vulgaire.

Par son rythme, le poème cherche à se rapprocher de la chanson (le texte fut d’ailleurs chanté
»)

– le pentasyllabe crée un effet de ritournelle

– jeu de refrain

– multiplication des répétitions

– effets d’assonances en fin de vers

Il procède à des détournements comiques :

– jeu avec le langage, détournement du lexique : « xa va, xa va » ou encore « la saison des za


»

– ceci génère l’impression d’un bégaiement poétique assez comique

– le pentasyllabe traduit la légèreté

Le poème donne à rire et le poète rit lui même ainsi que le suggère les interjections « Ah ah »
v 14.

Toutefois, il s’agit peut-être d’un rire grinçant comme Viau.

Il détourne également le genre poétique du BLASON : genre poétique mis en vogue au XVI°
par Clément Marot. Pièce en vers souvent courts à rimes plates destinée à faire l’éloge du
corps féminin. Or ici le lexique du corps abonde : teint, taille, biceps, ongles, cuisse, pied,
ride, graisse… mais pas forcément dans le cadre d’un éloge. Certains éléments sont
inattendus.

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C – Mais un rire à la dimension métaphysique :

On constate cependant dans ce poème un mélange de tons : coexistence d’images crues et


familières avec des images plus littéraires dans la strophe 3 notamment : « et que leurs
pétales/ soient la mer étale/ de tous les bonheurs ».

Le poète use en effet du rire pour éviter le pathétisme. Il est hanté par la mort et l’humour
constitue une stratégie d’évitement.

Le titre du recueil « L’instant fatal » laisse entendre une certaine gravité. Fatal renvoie à la
mort.

Cette évocation de la fuite du temps comporte donc une dimension tragique (sournois) :

– double sens de l’adjectif « pesante » : elle pèse au sens propre mais aussi au figuré : elle est
angoissante.

La mention des soleils et des planètes qui tournent évoque le cosmos, le macrocosme, alors
que l’homme occupe le microcosme et ne tourne donc pas avec l’ensemble. L’homme est petit
et fini face au grand infini qui tourne sans fin…il a donc intérêt à profiter des roses de la vie.
Au delà du discours amoureux de séduction, il peut s’adresser à tous.

Conclusion :

Poème qui s’inscrit donc dans la tradition poétique du carpe diem.

Poème d’autant plus lyrique (saison des amours) qu’il adopte des allures de chanson.

Mais traitement humoristique et parodique : Queneau renouvelle le motif.

Cependant, l’humour est peut-être une façon de répondre aux angoisses métaphysiques du
poète

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