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ÉMANCIPATIONS CRÉATRICES

Texte 2 : « Si tu t’imagines »

Proposition de lecture linéaire

Éléments pour l’introduction


« Si tu t’imagines » est poème issu du recueil intitulé L’instant fatal, écrit en 1948 par Raymond Queneau,
poète et écrivain fantaisiste, créateur de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Ce texte comique et
cruel ressemble à une chanson par son rythme répétitif créé par des pentasyllabes. Il reprend le thème
traditionnel du Carpe Diem horacien en le modernisant. Il s’agira de se demander comment par une
réécriture parodique de ce motif le poète le renouvelle. Après avoir étudié la première apostrophe à la
jeune fille évoquant la fuite de la jeunesse et de l’amour, nous analyserons le blason singulier que le
poète réalise de la jeune femme dans le deuxième mouvement du texte. Enfin, nous montrerons la mise
en garde du poète reprenant les principes du carpe diem.

Premier mouvement : invitation à considérer la fuite du temps


(première strophe)
Le poème débute par une apostrophe à une jeune fille comme le soulignent les marques de la deuxième
personne et le nom « fillette » répété au vers 3. Le choix de ce nom accentué par le suffixe « ette » insiste
sur la jeunesse de l’interlocutrice, thème repris dans le deuxième mouvement par « petite » à valeur
hypocoristique (affective).
Le poète a en effet la volonté de faire prendre conscience à la jeune femme du caractère éphémère de la
vie comme le confirme la répétition de la proposition subordonnée circonstancielle de condition qui inscrit
les amours de jeunesse dans la virtualité et non dans la réalité. Le présent à valeur de futur proche
souligné par un jeu verbal assimilable au langage parlé répété sur plusieurs strophes : « xa va xa va xa/
va durer toujours » insiste sur le caractère fugitif des amours de jeunesse. Ceci est renforcé par le terme
« saison » connotant leur aspect passager. La suspension syllabique créée par le phonème « za » mime
l’interruption du sentiment soumis à la dure loi du temps. Les différents syntagmes répétés rappellent les
refrains des ballades médiévales, mais le ton adopté par le poète oscille entre la provocation soulignée
par les allitérations agressives en « t », « f » et « s/z » et l’humour rendu par l’oralité et la familiarité
présente avec le verbe « se gourer ».

Deuxième mouvement : un blason singulier (deuxième strophe)


Le deuxième mouvement s’ouvre à nouveau sur une subordonnée circonstancielle de condition visant à
rompre les illusions de la jeune fille comme le souligne l’emploi du verbe « croire ». La leçon confirme
sa cruauté par les interjections moqueuses : « ah ah » et par le sort réservé à sa beauté physique. On
observera dans la reprise de « xa va xa va xa va » un hexasyllabe, le seul du texte pour souligner le temps
qui passe.
Ce mouvement reprend les caractéristiques du blason (poème dans lequel le poète décrit l’anatomie
du corps féminin de manière élogieuse). Les compléments du nom métaphoriques « teints de rose »,
« taille de guêpe », « tes ongles d’émail », « ta cuisse de nymphe » et les adjectifs « mignons », « léger »
construisent un portrait mélioratif de la jeune fille. Cependant, le choix de certains termes comme « les
biceps » et le discours familier infléchissent le discours du côté de la parodie des poèmes ronsardiens.
En outre, l’emploi de « mignons » fait écho à l’apostrophe dans le poème « Mignonne allons voir si la
rose » de Ronsard.

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Troisième mouvement : le renouvellement du carpe diem
(troisième strophe)
Le troisième mouvement est marqué par un discours plus généralisant avec des phrases au présent
de vérité générale : « les beaux jours s’en vont », « tournent en rond » contrastant avec le présent
d’énonciation et le comportement de la jeune fille : « mais toi ma petite/tu marches tout droit ». Si le
temps continue sa course effrénée et cyclique, la vie de la jeune fille avance inexorablement vers un
déclin dont elle n’a pas conscience comme le montre la négation « vers sque tu vois pas ». On notera
l’omission de la négation complète conférant une couleur populaire au ton du poète.
Le poète est donc là pour le lui rappeler dans un contre-blason se présentant comme l’antithèse de
la description du mouvement 2. Il décrit des parties du corps plus triviales associées à des termes
dévalorisants : « ride véloce », « pesante graisse », « menton triplé », « muscle avachi » qui traduisent la
déformation du corps due à l’âge.
Face à ce constat, le poète exhorte la jeune fille, tout comme Ronsard dans « Quand vous serez bien
vieille » et dans « Mignonne, allons voir sir la rose » à se saisir de son existence. L’emploi de l’impératif
« allons cueille » et l’image symbolique de « la rose » prolongée par la métaphore filée « que leurs
pétales/osent la mer étale/de tous les bonheurs » permettent de soutenir ce discours sur la beauté
fugitive.
La reprise de la proposition subordonnée circonstancielle de condition avec la négation incomplète « si tu
le fais pas » confirme la dimension parodique du poème. Si le message demeure métaphysique, la forme
populaire de la chanson par son rythme binaire et les traits d’oralité crée une distance humoristique
voire cynique du poète.
Pour conclure, ce poème mime le passage du temps avec l’allongement des strophes : de la première
la plus courte évoquant la jeunesse à la dernière plus longue décrivant la vieillesse, le poète reprend
le motif du carpe diem horacien présent également chez Ronsard. Si le poème s’affranchit de certains
codes de la poésie traditionnelle par l’absence de ponctuation, par des vers impairs, par un mélange des
registres, il exprime aussi une certaine inquiétude dont l’humour permet une forme de mise à distance.

CNED PREMIÈRE FRANÇAIS 2

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