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« Ma Bohême (Fantaisie) », Cahiers de Douai,

Arthur RIMBAUD (1870)

Sonnet Italien

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; (A) Rimes embrassées

Mon paletot aussi devenait idéal ; (B) Quatrain Strophe 1


J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal ; (B)

Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! (A)

Mon unique culotte avait un large trou. (A)


Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course (B) Quatrain Strophe 2
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. (B)
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou (A)

Et je les écoutais, assis au bord des routes, (C)


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes (C) Tercet Strophe 3

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; (D)

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, (E)


Comme des lyres, je tirais les élastiques (E) Tercet Strophe 4

De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! (D)

Enjambement :
Report sur le vers suivant Onomatopée :
un mot nécessaire au sens Mot inventé qui imite un son
du vers précédent.
HYPALLAGE : Figure de style
O on attribue à un mot ce qui appartient
à un autre mot de la même phrase.
INTRODUCTION

Le XIXe siècle est l’époque de l’émancipation créatrice, les artistes refusaient le


conformisme et l'esprit bourgeois, les poètes se libèrent des standards de la poésie.
C’est le cas de Rimbaud (1854-1891). En seulement quelques années, de l’adolescence à
ses 21 ans, Arthur Rimbaud va secouer la poésie.

Enfant sage, bon élève, il brille dans les disciplines littéraires. C’est sa rencontre avec son
professeur de rhétorique, Georges Izambard, qui va le pousser à s’intéresser à la poésie et
rêve d'être publié.
Commence alors une quête de liberté pour le jeune Rimbaud. Quête qui s’exprime par
des fugues répétées.
Mais l'émancipation pour Rimbaud va plus loin, il s'agit en s'émancipant de créer une langue
poétique nouvelle.

Le poème « Ma bohème » se trouve dans le second recueil d’Arthur Rimbaud : « Cahier


de Douai ». Ce recueil dont Rimbaud écrit les poèmes à l’occasion de ses fugues en 1870
ne sera publié qu’après sa mort, en 1919.

14 vers : 2 Quatrains 2 tercets

« Ma bohème », sonnet en alexandrin, est une allusion à une de ses nombreuses fugues
d’adolescent. Malgré la faim et le froid, il avait la sensation de toucher à « la vraie vie », il
voyait sa création poétique favorisée par sa vie vagabonde sans règles ni soucis du
lendemain.

En quoi, dans ce sonnet, Rimbaud met-il en scène sa propre émancipation personnelle et


artistique ?

Pour cela, nous suivrons le mouvement naturel du texte en adoptant un découpage par
strophe.
La première strophe introduit l’errance physique du poète. Les strophes 2 et 3 insistent
sur le lien du poète avec la nature. Enfin, la dernière strophe montre le poète dans un
processus de création.
Premier mouvement (Strophe 1) : l’errance physique du poète

 L'utilisation du pronom personnel : je


 L'utilisation du déterminant possessif :
Ma bohème / mes poches / mon paletot / Mon unique culotte / ma course / Mon auberge /
Mes étoiles
C’est un récit autobiographique de l’auteur.

 Répétition du verbe de mouvement : aller sans complément de lieu


Il se décrit pendant son errance.

 L'imparfait est présent tout au long du poème : allais / devenais / étais / avait /
égrenais /...etc.
Cela suggère une répétition de ces actions. Ce n'est certainement pas la première fois
qu'il part sur les routes.

 Les lieux évoqués sont vagues : sous le ciel / Auberge / bord des routes.
 Emploi du passé composé : « j'ai rêvées », montre que cette époque est révolue.

 Il évoque le souvenir d’une marche infinie, une errance sans itinéraire précis.

 Le champ lexical de la pauvreté :


poches crevées / Mon paletot aussi devenait idéal / unique culotte
 l’allitération en –m : « m’en » ; « mes » ; « mon » ; « Muse » ; « amours » véhicule un
sentiment de douceur et de confort en contradiction avec les difficultés matérielles.

 Ses vêtements sont misérables, son manteau devient transparent tellement il est usé.
Mais il ne souffre pas de cet état.

 au v1« les poings dans mes poches crevées »


Il montre son rejet de la possession, son opposition à la société et sa détermination.

 Il préfère vivre libre dans le dénuement, qu’opprimé dans l’opulence.

 l’interjection et la phrase exclamative: «Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! »

On voit très bien que le poète se laisse emporter par sa fougue et le bonheur qu’il ressent
à errer librement dans la nature.

 Ainsi dans cette strophe, le poète nous livre l’image d’un adolescent fugueur, pauvre,
mais heureux dans la simplicité et la liberté de son errance.
Deuxième mouvement (Strophe 2 et 3) : le lien du poète avec la nature

 la métaphore du v2 : "Petit-Poucet rêveur" :


Dans le conte original, le Petit-Poucet (issu d’une famille pauvre) sème des miettes de
pain pour retrouver son chemin. Ici, le poète laisse derrière lui « des rimes ». Il laisse
ainsi quelque chose de plus durable que des miettes de pain : de la poésie, introduisant
l’idée que la poésie est son guide.

 la métaphore du v3 : « Mon auberge était à la Grande-Ourse »


Le fait de dormir à la belle étoile lui permet surtout de trouver l’inspiration poétique.

 Le déterminant possessif : « Mes étoiles »


Indique qu’Il s’approprie la nature et montre qu’il est en communion avec qu’elle, Il y
trouve refuge.

Cette nature bienveillante met ses sens en éveil : … … Correspondance des sens
 Le Toucher « doux frou-frou » « sentais des gouttes»
 L’Ouïe« je les écoutais »
 Le gout « vin de vigueur » Classe grammaticale : onomatopée
 La Vue « des ombres» Mot inventé qui imite un son

L’attitude du poète « assis au bord des routes » est très évocatrice.


On l’imagine tout à fait « écouter » les choses les plus simples et ordinaires de la nature,
un carnet en main, pour retranscrire ses émotions et sentiments sous la forme de poèmes.

La nature est donc belle est bien un hôte agréable : elle fournit une « auberge » (v.7)
au poète et le revigore.

Lieu poétique car foisonnant de


sensations
Lieu poétique car foisonnant de
sensations
Lieu poétique car foisonnant de
sensations
Lieu poétique car foisonnant de
sensations
Lieu poétique car foisonnant de
sensations
Lieu poétique car foisonnant de
sensations
Dans ces deux strophes 2 phénomènes s’opèrent simultanément :
 D’une part, le poète témoigne de son harmonie avec la nature et du bonheur qu’il
trouve dans ses errances.
 D’autre part, on commence à voir naître le poème, inspiré par les sensations
perçues par le poète.

Troisième mouvement (Strophe 4) : le poète dans un processus de création.

Il transforme le monde qu’il observe grâce au pouvoir de la poésie.


De nombreux termes sont en lien avec la poésie.

 À commencer par le participe passé : « rimant »


Si le verbe « rimer » évoque directement la poésie, il ne fait en fait que reprendre
un champ lexical de la poésie présent depuis les 2 quatrains : « idéal » ; « Muse » ;
« féal » ; « amours splendides » ; « rimes ».

 « Au milieu des ombres fantastiques » :


Il s’agit en fait de la perception de la tombée de la nuit par le poète dont l’imagination
refaçonne le réel.
Enjambement: procédé
rythmique
Report sur le vers suivant un mot
nécessaire au sens du vers
précédent.
 L’enjambement du dernier vers :

Ramène les « élastiques » à une réalité plus grossière grâce au complément du nom
« de mes souliers blessés ». Ainsi, on voit que tout part du réel, puisque le poète est en
fait en train de jouer avec ses vieilles chaussures quand lui vient l’inspiration.

 Le jeu de mots du v13 : « Comme des lyres »


Il est entré dans une forme de transe poétique, c’est à dire un délire.

 La comparaison des « élastiques » des « souliers » avec les cordes de « lyres » révèle
cette capacité du poète à transformer la réalité banale pour lui donner plus de beauté et
d'intensité.

 La rime entre « fantastiques » et « élastiques »


Rimbaud affirme donc ici sa vision de la poésie et du langage. Pour lui, l’écriture d’un
poème revient à s’adapter et de modifier le réel.

 L’adjectif « blessés » épithète du nom « souliers » forme une hypallage.


L’adjectif devrait plutôt compléter le nom « pied ».
En tout cas, cela suggère que l’errance du poète lui laisse des stigmates physiques.

On retrouve bien ici l’idée de sacrifice de soi pour la poésie, sacrifiant sa vie pour
faire « voir » aux autres.

 La dernière exclamation du poème : « un pied près de mon cœur ! ».


 si on parle du pied qui est l’unité de mesure en poésie, Rimbaud affirme que la
poésie est la chose la plus importante pour lui, car elle est « près de (s)on
cœur ».
 Si on parle dans le sens habituel au mot « pied », Il évoque le bonheur de l’errance
qui lui offre la possibilité de créer sa poésie.
CONCLUSION

Comme nous venons de voir, c’est bien sa propre émancipation que Rimbaud met ici en
scène. En s’affranchissant des normes sociales il s’émancipe des normes créatrices.
Aventure magique, fantastique, la nature lui offre une liberté : physique, intellectuelle qui se
mue en liberté poétique.

Le poète doit se faire « voyant », c'est-à-dire chercher et décrire l'inconnu par delà les
perceptions humaines usuelles, quitte à y sacrifier sa propre intégrité mentale ou physique.
Ce sonnet n’est pas sans évoquer le poème « Sensation » où le jeune poète célèbre les
plaisirs du vagabondage et l'expérience voluptueuse de la communion avec la nature, le
même bonheur que celui que l’on a avec une femme qu’on aime.

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