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Vénus anadyomène, Rimbaud : commentaire

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Par Amélie Vioux

Venus anadyomène, Rimbaud, introduction de commentaire


Dans le sonnet « Vénus anadyomène » publié dans les Cahiers de Douai en 1870, Arthur
Rimbaud revisite un thème célèbre, celle de Vénus, la déesse de l’amour qui a inspiré de
nombreux poètes (de Louise Labé à Baudelaire en passant par Ronsard) mais aussi des
peintres (Botticelli à la Renaissance et Alexandre Cabanel, 8 ans avant l’écriture du poème).

Vénus est ainsi l’inspiratrice du lyrisme mais Rimbaud utilise justement ce modèle pour se
positionner de manière critique face au lyrisme traditionnel.

Nous verrons dans ce commentaire littéraire de « Vénus anadyomène » que Rimbaud


réalise un anti-portrait parodique de Vénus (I) pour faire émerger une forme poétique
nouvelle, l’art parnassien (II)

I – L’anti-portrait parodique de Vénus

A – Un contre-blason

Rimbaud réalise dans ce poème un contre-blason poétique.

En littérature, le blason est un court poème évoquant une ou plusieurs parties du corps de
la femme aimée pour en faire l’éloge.

« Vénus anadyomène » reprend cette tradition du blason comme le montre le champ


lexical du corps : « femme », « cheveux bruns», « col », « omoplates », « reins »,
« L’échine », « reins », « tout ce corps », « croupe », « anus ».

Comme dans les blasons, l’évocation du corps est organisée de manière logique, de haut
en bas dans ce poème.

Mais Rimbaud prend le contre-pied de la tradition poétique en évitant les parties du corps
qui représentent la féminité ou la valorisent. Au contraire, il parcourt les parties du corps qui
n’ont aucune charge poétique comme les « omoplates ».

Il met même en exergue avec trivialité des parties du corps anti-poétiques ou vulgaires
comme « l’anus ».

Ce contre-blason rappelle ainsi le « blason du laid tétin » de Clément Marot (1534).

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Loin du blason idéalisant qui divinise la femme aimée, Rimbaud dévalorise la femme et met
en valeur les parties de son corps qui en montre la laideur.

B – La dépréciation de Vénus

La femme est dévalorisée dans ce poème.

Les jeux de rime contribuent tout d’abord à désacraliser l’image de la femme. Ainsi, « tête »
rime avec « bête » et surtout « Venus » rime avec « anus ».

Pas de spiritualité ou d’idéal chez cette Vénus qui est animalisée : « lente et bête », « col
gras et gris », « rondeurs », « graisse sous la peau », « tout ce corps remue », « large
croupe ».

Cette transformation de la femme en éléphant est possiblement imprégnée du souvenir de


Baudelaire dans le « Serpent qui danse » (Les Fleurs du Mal, 1858) :

« Sous le fardeau de ta paresse


Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant »

Mais à la différence de Baudelaire qui suggérait la sensualité et l’idéal, Rimbaud met en


valeur la maladresse du mouvement.

Le rythme du poème avec des rejets et des contre-rejets mime la disharmonie de son
mouvement :
♦ « et le tout sent un goût/ Horrible […] (rejet)
♦ « une tête/ De femme à cheveux bruns fortement pommadés » (contre-rejet)

L’hyperbole « tout ce corps » ainsi que le verbe « remue » accentue cette animalité.

Le parallélisme « qui rentre et qui ressort » met en évidence le caractère mécanique de son
mouvement.

Chosifiée, la femme est dévalorisée et le poème devient une véritable parodie.

C – Une parodie des tableaux de la naissance de Vénus

Ce poème est une parodie des tableaux qui représentent la naissance de Vénus en
particulier celui de Botticelli (La Naissance de Vénus, 1485) et un tableau qui connut un
grand succès lorsqu’il fut exposé en 1863, La Naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel.

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Le champ lexical des couleurs (« vert », « blanc », « bruns », « gris », « rouge »)
rapproche ce poème d’un tableau comme celui d’Alexandre Cabanel dans la mesure où le
vert et le blanc (« un cercueil vert en fer blanc » ) rappellent la vague et l’écume de la mer
où naît Vénus.

La naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel (1863)

Par contre, le tableau originel est détruit par la couleur « rouge » (« l’échine est un peu
rouge » ) qui enlève toute sensualité à la Vénus de Rimbaud.

Le poétique coquillage du tableau de Botticelli ou la mer du tableau de Cabanel laissent la


place à une « vieille baignoire » qui imite ironiquement la forme du coquillage.

La naissance de Vénus, Botticelli

La blondeur traditionnelle de Vénus est remplacée par des « cheveux bruns fortement
pommadés ». Le terme « pommadés » évoque l’artifice du maquillage théâtral comme si
cette Vénus provenait plus de la Commedia dell’Arte que de la poésie.

Le champ lexical de la laideur (« pommadés », « mal ravaudés », « saillent », « horrible »,


« hideusement », « ulcère ») et de la vieillesse (« pommadés », « vieille », « déficits mal
ravaudés », «ulcère ») est omniprésent.

Cette anti-Vénus éveille les sens du poète mais pour les agresser.

Le champ lexical de la vue (« remarque », « voir », « loupe »), l’allitération en [g] « col gras
et gris » ou le champ lexical de l’odorat (« sent », « goût », « horrible ») constituent une
parodie de synesthésie baudelairienne car les sens sont unis mais ne découvrent que la
laideur ou l’horreur.

Transition : La parodie de Vénus suggère le rejet du lyrisme traditionnel pour une poésie
tournée vers la provocation et la surprise.

II – Une poésie nouvelle

A – La destruction du lyrisme traditionnel

Dans « Vénus anadyomène » , Rimbaud s’attache à détruire le lyrisme traditionnel.

Il fait ainsi des références à la poésie lyrique traditionnelle pour mieux la détruire.

Par exemple, en ouvrant son poème par « Comme … », il rappelle « Comme un chevreuil »
de Ronsard qui est le représentant du lyrisme de la Pléiade. Le terme chevreuil et
« cercueil » sont proches phoniquement et Rimbaud se plaît ainsi à détruire le lyrisme de
Ronsard en pervertissant ses mots.

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Les mots gravés « Clara Venus » (v.12) sont en latin et rappellent le début du sonnet V de
Louise Labé « Clere Venus qui erres par les cieux ».

Ces références à la Pléiade montre la désinvolture moqueuse à l’égard d’un lyrisme qui
selon Rimbaud n’a plus de sens.

Rimbaud utilise aussi des termes ou des connecteurs a-poétiques pour casser le rythme
lyrique : « Puis », « avec », « surtout » . La répétition de l’adverbe « Puis » aux vers 5 et 7
suggère un poème dont le lyrisme s’épuise.

Les allitérations en [r] et [s] semblent faire entendre le caractère itératif et répétitif d’une
poésie qui est parvenue à ses limites :
♦ « Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor / La graisse sous la peau paraît en
feuilles plates »

Le lyrisme traditionnel ne parvient plus à émouvoir. Rimbaud souhaite explorer une autre
poétique et une autre esthétique.

B – Un art de la provocation

Pour Rimbaud, La beauté n’est plus forcément harmonie, équilibre. Au contraire, elle naît du
choc, de la surprise et de l’inattendu.

Cette Vénus anadyomène n’est pas rejetée mais elle est le support d’une beauté nouvelle :
une beauté oxymorique.

En effet, deux oxymores caractérisent Vénus Anadyomène : « Horrible étrangement » et


« Belle hideusement »

La Vénus de Rimbaud symbolise ainsi le choc entre la beauté et la laideur, une synthèse
surprenante, dérangeante mais fascinante.

Cette esthétique de la provocation se retrouve dans la structure même du sonnet.

En effet, la structure du sonnet n’obéit plus aux règles traditionnelles de la versification.


Le premier quatrain est structuré par des rimes croisées (ABAB), le deuxième par des
rimes embrassées (ACCA) puis les tercets suivent un système rimique indépendant des
rimes du début (DDEFEF).

Quant à l’alexandrin, il n’obéit plus au balancement des deux hémistiches. Son rythme est
brisé pour surprendre le lecteur :
♦ « Puis/ le col /gras et gris,// les larges/ omoplates » (1/2/3//3/3)
♦ « Les reins por/tent deux mots gravés:/ Clara /Venus » (3/5/2/2)

C – Un art poétique parnassien

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Dans ce poème apparemment anodin, Rimbaud propose un véritable art poétique qui pose
les principes d’une poésie nouvelle : la poésie parnassienne. (NB : Un art poétique est un
poème qui expose les règles permettant de réaliser un poème)

La poésie est le véritable sujet du texte comme le montre le champ lexical de l’écriture :
« feuilles plates », « singularités », « loupe », « mots », « gravés ».

La Vénus anadyomène de Rimbaud est donc un texte qui réécrit le mythe de la déesse de
l’amour inspiratrice du lyrisme traditionnel.

Mais Arthur Rimbaud souhaite une poésie libérée du carcan lyrique.

Il propose un art précis et rigoureux comme le suggère la « loupe » (v.11) qui assimile l’art
à la sculpture ou à l’orfèvrerie avec un culte du détail et de la précision : « Des
singularités qu’il faut voir à la loupe… » .

Les mots sont « gravés » (v.12) ce qui revient à associer l’art à de l’orfèvrerie : « deux mots
gravés » .

L’art repose pour Rimbaud sur les « singularités » (v.11) et sur la surprise. Rimbaud fait
donc tout pour associer des mots a priori antithétiques comme le montre la rime
« Venus »/ « anus ».

Le « je » lyrique est remplacé par le pronom impersonnel « on » plus neutre et


impersonnel : « on remarque surtout… » (v.10).

Le poète parnassien ne souhaite pas faire transparaître les sentiments. La profusion des
adjectifs et des expansions du nom montre ce souci de décrire le plus objectivement
possible la réalité :
« Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge lente et bête […] ».

Vénus anadyomène, Rimbaud, conclusion


« Vénus anadyomène » de Rimbaud est un appel à une poésie nouvelle.

Influencé par la lecture de la revue Le Parnasse contemporain au début de sa carrière


poétique, Rimbaud va toutefois progressivement s’en distancier.

Le culte de l’art pour l’art, le souci du détail, l’exigence de ce mouvement ne comblera pas
longtemps Rimbaud épris de la liberté langagière qui trouvera son expression dans des
poèmes comme « Voyelles ».

5/5

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