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Cahiers de Douai, Rimbaud

« Vénus anadyomène »

Vers la fin du XIXème siècle, un courant littéraire majeur naît en opposition contre les excès
formalistes du Parnasse tout en réprouvant certaines facilités romantiques, il s’agit du
symbolisme (qui s’appuie davantage sur la spiritualité, l’imagination et le rêve). De nombreux
auteurs appartiennent à ce courant littéraire comme Verlaine, Baudelaire ou encore Rimbaud.
Ce dernier est considéré comme un pionnier du symbolisme. Il écrit les Cahiers de Douai en
1870. « Vénus anadyomène » parait dans le premier cahier.
LECTURE EXPRESSIVE

Rimbaud évoque dans ce poème le thème de Vénus, déesse de l’amour au centre de


nombreux poèmes prestigieux décrivant sa beauté mais il réalise ici un contre-blason parodique de
Vénus.

Nous pouvons nous poser la question suivante :

« Comment le poète renouvelle les codes de la poésie traditionnelle à travers un contre-


blason de la Vénus ?»

Nous pouvons observer dans ce texte deux mouvements distincts  :

1 – Quatrains 1 à 2 : L’ascension de Vénus dans sa baignoire

2 – Quatrains 3 à 4 : Rapprochement de Vénus et description plus détaillée de son corps

1er mouvement = L’ascension de Vénus dans sa baignoire

Dans ce premier mouvement on remarque des allitérations en « R » ce qui donne une atmosphère
sonore désagréable dénaturant l’image traditionnelle de Vénus.

(v.1) Nous retrouvons une comparaison de la baignoire dont sort Vénus avec un cercueil, ce qui nous
donne directement l’idée de la vieillesse ou de la mort en contradiction avec la beauté, l’immortalité
de Vénus.

De plus ce cercueil est vert ce qui nous donne l’idée de moisissure, de pourriture du fer blanc de la
baignoire, elle vit dans un environnement abîmé.

(v.1 à 2) Nous observons un contre-rejet qui mime la sortie de bain de cette femme « une tête / de
femme à cheveux bruns fortement pommadés » comme si d’un coup la tête sortait créant une
attente de la part du lecteur qui s’attend à une belle Vénus sortant gracieusement de son bain puis
une déception du fait de la laideur de la femme.

(v.2) Les cheveux bruns de vénus désignent déjà une dénaturation de cette femme habituellement
représentée avec des cheveux blonds. Ses cheveux sont également fortement pommadés, cela nous
donne l’image de cheveux gras, sales et luisants.
(v.3) Il y a ici une antéposition de la vieille baignoire insistant donc sur la vieillesse de cette baignoire
nous renvoyant encore l’image d’un environnement dégradé et faisant écho au cercueil du vers 1
donc au côté âgé de cette Vénus.

Les adjectifs « lente » et « bête » appuient sur la vieillesse de cette Vénus qui a du mal à sortir de sa
baignoire tant elle est âgée et ce côté bête pourrait nous montrer que cette Vénus perd la tête avec
l’âge, en opposition avec l’image traditionnelle de la Vénus qu’on associe à une femme plutôt
intelligente.

(v.4) Cette réification comparant Vénus à un objet cassé mal rafistolé fait référence à son maquillage
qu’elle à utilisée pour masquer ses défauts mais à échouée.

(v.5) Ici l’animalisation de Vénus par le mot « col » nous donne une image grotesque de cette femme,
la paronomase avec les adjectifs « gras » et « gris » aux sonorités proches insistent sur la saleté et le
surpoids de Vénus.

Le poète s’attarde sur les larges omoplates de Vénus, ce qui nous montre en premier lieu l’intérêt du
poète pour une partie du corps très peu sensuelle nous laissant croire qu’il ne trouve en Vénus
aucune sensualité, aucune partie de son corps ne l’attire alors il s’intéresse aux larges omoplates de
cette femme qui nous renvoie également l’image d’une Vénus avec une carrure imposante.

De plus le fait que ses omoplates saillent appuie sur le fait qu’elles sont tellement apparentes qu’on
est obligés de les voir.

(v.5 à 6) Le rejet entre les vers 5 et 6 crée un déséquilibre qui démontre que cette femme est mal
faite.

(v.6) Ce parallélisme « qui rentre et qui ressort » mime la femme qui se dandine en sortant de la
baignoire, l’utilisation du présent montre que l’action se déroule actuellement suscitant nôtre
imagination nous laissant voir la scène d’une Vénus disgracieuse qui sort de son bain. Il est aussi
possible que ce parallélisme décrive le dos anguleux, rond, désordonnée.

(v.7) La rondeur des reins symbolise Vénus en surpoids avec des reins si gros, si apparents que toute
cette graisse semble sortir d’elle.

(v.8) La peau ici est abîmée, quand il parle de feuille plate, il observe la forme de la cellulite.

2ème mouvement = Rapprochement de Vénus et description plus détaillée de son corps

(v.9) L’animalisation avec le mot « échine » donne de nouveau une image grossière de la femme. Le
fait qu’elle ait la peau rouge provoque un certain dégoût et cela désacralise la Vénus traditionnelle
qui possède plutôt une peau blanche associée à la noblesse.

Rimbaud utilise l’expression « le tout » pour désigner Vénus, c’est une réification qui donne à cette
femme l’aspect d’un vulgaire paquet de viande sortant de la boucherie, on en oublie qu’il parle d’une
femme.

(v.9 à 10) Cet enjambement entre les vers 9 et 10 crée un suspens, nous pensons à la Vénus
traditionnelle qui aurait une odeur plutôt agréable mais au vers suivant, avec l’emploi de l’expression
« horrible étrangement » il y a une déception.
Cette synesthésie (association du goût et de l’odorat) renforce l’odeur dégoutante que porte cette
femme, elle sent si mauvais que cela prend le nez et la bouche, nous donnant l’impression d’en
manger.

(v.10 et 11) Le poète montre qu’il est curieux à propos du corps de cette femme, car elle possède des
« singularités » « qu’il faut voir » elle est comparée à une bête de foire dont les défauts sont
tellement uniques et présents en grande quantité qu’il faut absolument les voir.

Le fait qu’il emploi la « loupe » nous laisse penser que la première partie de la description n’était
qu’un avant-goût, il reste encore plein de détails à découvrir.

Les points de suspension à la fin du tercet symbolisent la fascination du poète pour la laideur de cette
femme.

(v.12) Sur le début de ce 2eme tercet le poète décrit un tatouage sur les reins de la femme « Clara
Vénus » ce qui signifie « illustre Vénus », ce tatouage crée un paradoxe ou une antiphrase rendant
ironique la situation car Rimbaud nous décrit une Vénus qui s’éloigne radicalement de l’image
traditionnelle qu’on lui associe alors le fait que la Vénus au paroxysme de la laideur telle qu’il la
décrit porte ce tatouage la qualifiant d’illustre est une moquerie de ce dernier afin de provoquer le
rire chez le lecteur.

(v.13) Le corps de cette femme qui remue nous fait penser à une vieille danseuse et le fait qu’elle
tende « sa large croupe » nous donnerait l’image d’une veille danseuse prostituée.

Il utilise le mot « croupe » créant de nouveau une animalisation, appuyant sur son côté grotesque,
l’antéposition avec l’adjectif « large » vient amplifier ce côté grotesque.

Elle expose sa croupe donc montre qu’elle est impudique, elle dévoile son anatomie sans aucune
pudeur contrairement à la Vénus pudique traditionnelle.

(v.14) Elle est même tellement à l’aise avec son corps que le poète peut voir sans aucun mal cet
ulcère à l’anus qui pourrait faire penser à la prostitution. Une plaie à cet endroit reprendrait donc le
vers 13 où elle expose son corps de manière impudique faisant penser à une prostituée.

Il utilise un oxymore « belle hideusement » qui renforce l’idée qu’elle est d’une laideur si unique
qu’on pourrait la qualifier d’une forme de beauté hideuse qui suscite l’intérêt du poète.

Finalement le poème se termine sur une pointe avec le mot « anus », un mot apoétique rimant avec
« Vénus ». C’est le clou du spectacle, il associe ce mot en donnant à cette femme l’image du
paroxysme de la laideur alors qu’elle représente traditionnellement la beauté incarnée.

Conclusion :

Rimbaud à travers ce poème fait donc le portrait ironique de Vénus, il la dénature lui associant
l’image de la laideur en contradiction avec l’image de la beauté traditionnelle qu’on lui accorde
habituellement. Afin de faire émerger une nouvelle forme de poésie, libérée des élans lyriques de la
poésie romantique.

Nous pouvons ouvrir sur le tableau « La naissance de Vénus » de Botticelli pour faire la comparaison
entre Vénus peinte de manière traditionnelle à l’image de la beauté et celle décrite par Rimbaud de
manière péjorative dans son poème « Vénus anadyomène ».

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