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Texte du poème « Vénus Anadyomène » pour l’analyse

linéaire
Vénus Anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête


De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates


Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût


Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;


– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

« Vénus Anadyomène » d’Arthur Rimbaud : Analyse


linéaire
Présentation de l’oeuvre

Le poème “Vénus Anadyomène” se trouve dans le premier recueil d’Arthur Rimbaud :


“Cahier de douai“. Ce recueil dont Rimbaud écrit les poèmes à l’occasion de ses fugues en
1870 ne sera publié qu’après sa mort, en 1919.

Présentation du poème

Vénus Anadyonème est un sonnet d’Arthur Rimbaud. Le poète y représente une prostituée
sous des traits empruntés à Vénus, déesse de la beauté, pour laisser voir progressivement sa
vulgarité, sa laideur et sa maladie. Le poème se conclut par une audace, faire rimer Vénus
avec Anus.

C’est l’occasion pour le poète de critiquer la poésie traditionnelle et le lyrisme en proposant


une nouvelle esthétique poétique.

Problématique

Ainsi, nous pourrons nous demander comment ce poème parodie le thème de la Vénus
sortie des eaux afin de rejeter la poésie traditionnelle.
Plan

Pour mener cette analyse linéaire du poème Vénus Anadyomène d’Arthur Rimbaud, nous
suivrons les strophes du texte qui donnent à voir un contreblason en insistant tour à tour sur
différentes parties du corps.

D’abord la vue d’ensemble de la femme dans la strophe 1. Ensuite le dos de la femme dans la
strophe 2. S’en suit le bas du dos dans la strophe 3. Enfin, les fesses dans la dernière strophe.

On constate que le mouvement est descendant, de la tête à l’arrière-train.

I. Strophe 1

Les premiers mots du poème : “Comme d’un cercueil” peuvent rappeler le premier vers d’un
poème de Ronsard : “Comme un chevreuil”. Les sonorités sont très similaires.

On voit donc d’emblée la volonté parodique de Rimbaud qui reprend un grand poète de la
pléiade pour déformer ses mots.

De plus, le nom “cercueil” s’oppose au thème de la naissance de Vénus car il suggère l’idée
de mort.

Les couleurs présentes dans les vers 1 et 2 : “vert” ; “blanc” ; “bruns” peuvent également
rappeler le tableau de La Naissance de Vénus par Cabanel. Seulement, ici, ces couleurs
sensées désigner la mer et l’écume de manière méliorative qualifient en fait une baignoire
usée.

L’adjectif épithète péjoratif “vieille” qui qualifie la “baignoire” confirme d’ailleurs cette
lecture.

Mais ce que le poète veut donner à voir, c’est la femme qui émerge de la baignoire.

Elle est artificielle, en témoigne ses cheveux “fortement pommadés”, ce qui s’oppose à la
beauté naturelle de Vénus.
Cependant, même avec tous ses artifices, elle ne peut cacher sa laideur comme le montre le
groupe nominal “déficits mal ravaudés”.

La baignoire de laquelle émerge la femme rappelle avec humour le coquillage duquel émerge
Vénus. On sent bien ici la volonté de parodie du poète.

Au niveau du rythme, les enjambements entre les vers 1-2 et 2-3 créent un déséquilibre et
une disharmonie à l’image de la femme présentée ici.

De plus, les deux adjectifs “lente et bête” insistent sur l’idée que la femme est malade. Elle
est presque animalisée par le mot “bête” et son mouvement n’a rien de gracieux.

II. Strophe 2

La seconde strophe commence par un adverbe de liaison : “puis”. Cet adverbe, repris au vers
7, montre une volonté d’exagération du poète dans la précision avec laquelle il décrit la
femme.

L’animalisation se poursuit car Rimbaud évoque, non pas le cou, mais le “col” de la femme.
On assiste à une sorte de transformation en vache : “col gras et gris” ; “larges omoplates / qui
saillent”.

De plus, le poète cherche à donner un sentiment désagréable au lecteur, notamment par


l’usage de l’allitération en -g (“gras et gris”) qui émet un son disgracieux.

Le mouvement de la femme est répétitif et évoque celui d’un animal en mouvement avec le
parallélisme “le dos court qui rentre et qui ressort”.

La maigreur suggérée par la proposition subordonnée relative “qui saillent” rejetée en début
de vers 6 participe au portrait horrible d’une femme laide et malade.

Pourtant, la maigreur est contredite par “les rondeurs des reins” au vers 7. On voit donc que le
physique de la femme est tout sauf harmonieux. Il s’oppose parfaitement à la perfection
habituelle de Vénus.

On note ici une nouvelle allitération en -r (vers 7 et 8) qui continue d’émettre des sons
désagréables, proches d’un râle.
La graisse n’est pas non plus la belle graisse de la Vénus traditionnelle. Au contraire, elle
“parait en feuilles plates”, ce qui signifie qu’elle ne participe pas à lui octroyer de
chaleureuses rondeurs.

III. Strophe 3

Le premier tercet apporte une nouvelle couleur au tableau d’ensemble : le rouge.

Cette couleur vient s’opposer à la blancheur pure avec laquelle est fréquemment représentée
Vénus. Ici, “L’échine est un peu rouge” suggère une fois de plus que la colonne est saillante,
et donc que la maigreur de la femme décrite est maladive.

Dans cette strophe, le poète mobilise plusieurs sens du lecteur pour mieux montrer l’horreur
de la femme décrite. On trouve l’odorat avec “sent”, le goût avec “goût” et la vue avec “voir”
et “loupe”.

On a donc affaire à une synesthésie détournée dans laquelle le poète sature sa description de
détails afin de confronter le lecteur à la laideur de la femme.

L’oxymore “Horrible étrangement” donne un nouveau sens à la laideur. Le goût est horrible,
mais suscite la curiosité du poète. Il faut donc voir ici une sorte de beauté du laid, du mal, qui
attire Rimbaud. On peut rapprocher cela de sa volonté de combattre la poésie traditionnelle et
son éloge de la beauté.

Dans ce même vers, Rimbaud s’éloigne également du lyrisme traditionnel dans lequel le “je”
et les sentiments personnels sont exacerbés. Ici, le pronom impersonnel “on” remplace le
“je”, et les sentiments sont absents, au profit d’une description précise de l’objet du poème.

En cela, le poème se rapproche de l’esthétique parnassienne que Rimbaud recherche dans ses
plus jeunes années.

Se poursuivent dans cette strophe les jeux d’enjambements qui disloquent le rythme
traditionnel. Ces enjambements continuent de mimer la démarche disgracieuses de la femme.

Enfin, les “singularités qu’il faut voir à la loupe” du vers 11 renforcent le sentiment
parnassien avec l’idée d’une description aussi précise que possible de l’objet du poème. On
peut presque lire ici une règle de l’esthétique que crée Rimbaud : se focaliser sur les détails.

IV. Strophe 4
Comme souvent dans les sonnets, le dernier tercet offre une chute.

Ici, la chute est double. D’une part, la femme semble porter un tatouage avec un nom qui
évoque celui d’une courtisane : “Les reins portent deux mots gravés : Clara Vénus”.

D’autre part, le poème se conclut par un pied de nez à l’esthétique traditionnelle, celui de faire
rimer Vénus avec Anus. La trivialité s’oppose ici à l’emphase avec laquelle le thème de
Vénus Anadyomène est habituellement traité.

Concernant le tatouage “Clara Venus” qui représente la vulgarité car il est placé sur les reins,
et visible donc dans des situations où la femme est déshabillée et de dos, il évoque également
un vers de Louise Labé : “Clere Venus, qui erres par les cieux”.

On peut donc voir encore ici une moquerie de Rimbaud vis-à-vis de la tradition poétique.

Au vers 15, le groupe nominal “tout ce corps” déshumanise la femme. Elle n’est plus qu’un
corps, qui plus est repoussé par le démonstratif “ce”. Il est présenté comme un objet de
dégoût inqualifiable.

La posture ostentatoire de la femme est montrée par l’emploie du verbe tendre : “tend sa
large croupe”. Elle présente donc son postérieur, mais la vision n’est pas agréable. La
métaphore “large croupe” animalise la femme ironise sur la laideur de son arrière-train,
comparé à celui d’un cheval.

Le dernier vers s’ouvre par un nouvel oxymore : “Belle hideusement”. Rimbaud fait ici
encore une fois l’éloge de la beauté du laid et s’éloigne des canons de l’esthétique poétique.

D’ailleurs, l’assonance en -e dans ce vers crée un effet de maladresse, notamment avec la


prononciation du -e de “belle”. On sent donc la volonté du poète d’ajouter à la laideur
d’ensemble en concluant son poème par un vers presque boiteux.

L'”ulcère à l’anus” affirme d’une part la maladie et la saleté de la femme décrite et clôt la
parodie sur une note triviale et humoristique.

Conclusion de l’analyse linéaire du poème « Vénus


Anadyomène » d’Arthur Rimbaud
Rappel du développement
Nous avons pu voir que Rimbaud développe dans “Vénus Anadyomène” une parodie du topos
de Vénus sortie des eaux.

En se moquant des critères de beauté traditionnels et du lyrisme poétique, le jeune poète se


range dans les rangs des parnassiens tout en laissant déjà entrevoir la révolution du langage
qu’il prépare.

Réponse à la problématique

Ainsi, en faisant le portrait d’une femme laide et malade avec de nombreuses références à
Vénus, Rimbaud se moque de la tradition artistique et rejette le lyrisme.

Le jeune poète commence, à 16 ans, sa révolution poétique avec ce poème amusant et


irrévérencieux. On peut presque y lire un art poétique en cela qu’il propose une nouvelle
vision du beau et de la création.

Ouverture

Dans ce poème, Rimbaud livre au lecteur une forme d’alchimie poétique. Comme Baudelaire,
dans son recueil Les Fleurs du Mal avec des poèmes tels que “Une Charogne” ou “Alchimie
de la douleur”, il se propose de sublimer la laideur, et de transformer la boue en or.

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