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Notre scène est située au cœur de l’Acte III, nœud de l’Action. La scène se déroule sous les fenêtres
de Roxane. Christian vient d’échouer dans sa déclaration d’amour à la jeune femme et Cyrano
propose de l’aider en lui soufflant les bons mots mais l’exercice se révèle trop difficile, il va alors
prendre lui-même la parole. Une chance s’offre à lui, à la faveur de la nuit et dissimulé par le
feuillage, il est invisible et peut enfin laisser libre cours à ses sentiments.
Cette scène nous présente donc un exemple de mise en abyme, de théâtre dans le théâtre avec
une situation de comédie [des personnages dissimulés (Christian, Cyrano), un personnage qui se
fait passer pour un autre et qui joue un rôle (Cyrano), un personnage trompé, et manipulé
(Roxane) par les deux autres]. C'est pourquoi cette scène s'inscrit dans notre parcours: spectacle et
comédie.
Dans le premier mouvement, Cyrano exprime un sentiment d’amour intense dans une déclaration
d’amour lyrique, exaltée, dans un langage raffiné et précieux pour correspondre aux attentes de
Roxane (du début à la réplique de Roxane : « Oui, c’est bien de l’amour »)
Néanmoins, dans un deuxième temps, il tente de faire entendre sa propre voix, sa souffrance face à
son amour impossible, le pathétique émerge alors dans le texte qui touche au sublime (deuxième
tirade de Cyrano jusqu’à « il ne me reste/ Qu’à mourir maintenant ! »)
Le troisième mouvement constitue le point d’orgue de la scène, une osmose parfaite s’est installée
entre les deux personnages dans ce passage où la sensualité et les corps s’expriment.
C’est pourquoi nous verrons comment jouer la comédie permet au personnage de Cyrano de se
révéler dans sa vérité, dans un moment d'intimité privilégié qu'il n'aurait osé espérer.
- La femme est présentée comme le soleil qui illumine la vie de l’homme, une
divinité, ceci est lié au champ lexical de la lumière « j’ai tellement pris pour clarté
ta chevelure », « trop fixé le soleil », « regard ébloui ». Les cheveux de Roxane
sont assimilés au soleil par la comparaison "comme lorsqu’on a trop fixé le soleil"
- Il évoque une anecdote, un souvenir précis qui traduit l’adoration, l’amour fou,
l’amoureux est attentif aux moindres détails : il se souvient d’un matin où elle a
changé de coiffure : v 5 et 6
- Cette adoration se traduit par le fétichisme dont fait preuve Cyrano qui voue un
véritable culte aux cheveux et au nom de Roxane
-> Son nom vibre dans le cœur de Cyrano et le fait palpiter. Il est
enfermé pour toujours dans son coeur
Même fétichisme et même adoration pour sa chevelure : il a tellement regardé ses cheveux
blonds que « sur tout […] mon regard ébloui pose des tâches blondes ! » -> il ne voit qu’elle
et elle l’obsède
Cette conception d’un amour absolu qui rime avec toujours comme le souligne la
répétition de « comme tout le temps » aux vers 2 et 3 est traditionnelle
- Comme dans la tradition, la passion est un feu qui dévore « quand j’ai quitté les feux dont
tu m’inondes », « rond vermeil », « soleil » ou un courant qui submerge : "tu m'inondes".
Cyrano manifeste ici un goût pour les antithèses à la manière de Louise Labbé dans le poème
"je vis je meurs" au XVIème siècle: "soleil"/ "je frissonne". Ces antithèses soulignent les états
émotionnels contradictoires et intenses dans lesquels l’amoureux est plongé.
• Grâce à ces clichés, Roxane, qui est une précieuse du XVIIème siècle, adhère à la
déclaration de Cyrano : « Oui, c’est bien de l’amour », elle reconnaît ce langage
amoureux raffiné, emprunt de clichés mais à la mode. Cependant, la didascalie
indique que sa réaction n’est pas qu’intellectuelle, elle éveille sa sensualité : « d’une
voix troublée »
-> dans cette déclaration d'amour, Cyrano joue le jeu de l'Amour traditionnel en
utilisant un langage raffiné et précieux, des clichés, en idéalisant l'être aimé et
en exprimant avec lyrisme des sentiments intenses. Néanmoins, les émotions et
les sentiments véritables pointent derrière ce discours un peu convenu.
-ceci se manifeste par une série de questions rhétoriques (vers 21-22 ; 23)
- il sent presque la main de Roxane posée sur la branche de jasmin qu’il touche
aussi : « j’ai senti […] le tremblement adoré de ta main/ descendre tout le long des
branches du jasmin »
- ils échangent presque un baiser comme l’indique la didascalie : « il baise éperdument l’extrémité
d’une branche pendante ». Néanmoins, ce baiser virtuel, inaccompli est le signe de l’inachèvement
de la relation établie par la parole. La branche est un piètre substitut aux lèvres de Roxane ! Ce
passage est donc un moment d’amour sublime et pathétique à la fois.
-> ceci marque donc l’acmé de la scène. Après une déclaration d’amour où Cyrano a
laissé s’exprimer sa culture et son intelligence, il a laissé parler son cœur en
évoquant avec sincérité et spontanéité sa situation et ses sentiments puis ce sont
les corps qui s’expriment dans ce moment d’osmose parfaite entre les deux
personnages.
Conclusion
Dans cette scène l’émotion est à son comble. La déclaration d’amour lyrique montre l’exaltation du
sentiment amoureux, le trouble des amants, l’idéalisation et la sensualité de l’amour. La beauté de
cette déclaration d’amour vient cependant surtout de son ambiguïté, elle suscite l’émotion du
spectateur qui comprend toute la souffrance du héros, la profondeur de son amour et de son
sacrifice. Le final de la scène parachève ce moment sublime d’échange amoureux par la
communion des cœurs et des corps des personnages. Ainsi, dans cette scène, des échanges
amoureux intenses et lyriques se mêlent à une situation de comédie. Cyrano parle pour son rival. Il
en est réduit à exprimer ses propres sentiments en se faisant passer pour Christian. Sans cette
comédie, il n’aurait pas eu le courage de révéler la vérité de son cœur. Il assure le spectacle par sa
virtuosité verbale et réussit ainsi à séduire Roxane sans pouvoir en profiter.
Ouverture : Le spectacle et la comédie révèle ici la vérité des êtres comme dans le Malade
imaginaire où……………………………………………………………….
Ouverture possible sur la comparaison des deux mises en scène : celle de Rappeneau dans la
version filmée et celle de la Comédie française.