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Lecture linéaire.

Le Malade imaginaire, Acte II, scène 5, de « Madame, c'est avec justice » à


« qui portent les meilleurs fruits ».

► PRÉSENTATION

Auteur, œuvre, extrait


Molière (1622 – 1673) fonde très jeune l’Illustre-théâtre rêvant de concurrencer l’Hôtel de
Bourgogne et le Marais. Directeur de troupe, auteur, metteur en scène et acteur, il connaît une
ascension exaltante ; talent du comédien + production intensive : grandes comédies,
divertissements fastueux de cour, farces réjouissantes
Scandale de la pièce Tartuffe (1664) = coup d'arrêt à cette ascension. Mais, Molière ne
cessera pas de créer.
Phtisique, le dramaturge meurt, en 1673, au sortir de la quatrième représentation de sa
dernière comédie-ballet, Le Malade imaginaire (il y jouait le rôle d’Argan).
Argument du Malade imaginaire :
Argan, un « malade imaginaire » qui vit reclus au milieu des potions et des drogues, et
entouré à toute heure de médecins et d'apothicaires, rêve d'un gendre ... médecin, pour l'avoir
constamment sous la main! Peu lui importe que sa fille Angélique ne partage pas ses vues ; elle
aime, en effet, un certain Cléante.
Situation du passage
Scène 5 de l’acte II, nœud de la pièce = point culminant qui réunit les protagonistes essentiels de
l’intrigue. Points de vue divergents des personnages sur scène et tout réel échange entre eux est
impossible ; le père autoritaire et égoïste, aveuglé par sa monomanie, Argan, et les médecins (les
Diafoirus), d'un côté (tous trois ignorent totalement la position et les sentiments des autres
personnages en scène), les amants, Angélique et Cléante, puis Toinette, de l'autre. La folie, la
raison !
= Parodie de rencontre amoureuse qui joue avec la complicité du spectateur (double
énonciation).

►COMPOSITION
L.1 à 16 : Thomas Diafoirus, un personnage ridicule
L.17 à 26 : aveuglement d'Argan VS ironie de Toinette et de Cléante
L.27 à 36 : éloge paradoxal de monsieur Diafoirus
►PROBLÉMATIQUE
Comment le comique se met-il au service de la satire de l'autorité paternelle et des médecins ?
Ou
En quoi cette scène est-elle particulièrement divertissante pour le spectateur ?
►ANALYSE
L.1 à 16 : Thomas Diafoirus, un personnage ridicule
Début de la scène : Thomas Diafoirus récite un compliment appris par cœur et sans doute
composé par son père.
Incapable de reconnaître sa future femme, Angélique, qu'il prend pour Béline ; absence de
discernement et d’adaptation. Réaction à la précision d'Argan, d'autant plus loufoque : au lieu de
s'excuser de sa méprise, il demande où est Béline – ce qui est sans intérêt ! Demande ensuite (à
nouveau) conseil à son père !
Compliment finalement récité à Angélique = exercice de style – clichés précieux de la déclaration
d’amour mondaine. La comparaison et la métaphore dominent.
Les deux premières phrases développent des comparaisons similaires : la statue de Memnon et le
soleil / Thomas Diafoirus et la beauté d’Angélique ; l’héliotrope et le soleil / le coeur du
jeune homme et les yeux de la jeune fille.
1re phrase : une métaphore (« soleil de vos beautés ») vient s’enchâsser dans la comparaison.
3e phrase : métaphore filée à connotation religieuse (« autel », « offrande ») destinée à exprimer
l’adoration du jeune homme accentuée par l’hyperbole : « astres resplendissants », « yeux
adorables », la répétition de l’adverbe « très » à la fin de la réplique.
Volonté d'impressionner Angélique par la maîtrise du langage galant. Mais, cela s'avère
complètement artificiel : il cherche surtout à appliquer les consignes de son père en jouant selon
les codes précieux cette scène de première rencontre loin d'être touchante !1
=> Comique de caractère marqué pour le personnage de Thomas ; sa bêtise domine et le
spectateur ne peut avoir d'empathie – même s'il semble aveuglément soumis à son père il n'en
reste pas moins autoritaire et égoïste. Cf le mot « mari » à la fin de son compliment, exprime le
pouvoir qu’il entend exercer sur son épouse => opposition avec les termes qui précèdent,
« humble », « obéissant », « serviteur » = hypocrisie.
L’effet produit est donc l’inverse de celui escompté : les procédés de style sont au service de
la tonalité comique dans ce compliment ampoulé.

L.17 à 26 : aveuglement d'Argan VS ironie de Toinette et Cléante


Comique de caractère : Argan et les Diafoirus qui partagent son projet de mariage.
Argan : se laisse prendre au jeu des belles tournures de ses invités sans mesurer leur sottise à
tous deux. Son admiration pour les deux médecins le pousse à rechercher l'assentiment des
témoins : « Eh ! que dites-vous de cela ? ».Flatte même monsieur Diafoirus : « je vous trouve
bienheureux de vous voir un garçon comme cela ». => comique.
Brèves répliques de Toinette et de Cléante qui partagent le même point de vue sur Thomas D.
Cf didascalie « en raillant » donne le ton et le spectateur comprend l'ironie de Toinette, ligne17,
lorsqu’elle manifeste son admiration. La servante semble s’incliner devant la supériorité du savoir
(« étudier », « apprendre »). L’adjectif « belle », idem.
Cléante adopte un ton identique à celui de Toinette pour répondre à la demande naïve d'Argan.
Lexique mélioratif abondant : « merveille », « bon » répété, « plaisir ». A l'instar de Thomas
Diafoirus Cléante recourt à l'analogie dans son compliment pour meiux moquer le jeune homme et
élargir ainsi la critique. Il rapproche, en effet, les talents de l’orateur de ceux du médecin.
2de réplique de Toinette : poursuit l’analogie élogieuse sur le même ton ironique : « Ce sera
quelque chose d’admirable s’il fait d’aussi belles cures qu’il fait de beaux discours ».
Les répliques de Toinette et de Cléante se font ainsi écho : même ironie, même recours à
l’analogie (fortement présente dans le compliment de Thomas Diafoirus), répétition de « bon »
chez l’un de « belle/beaux » chez l’autre, la reprise de « que » et l’emploi de l’adverbe
« Assurément » soudent les répliques.
=> connivence entre les deux personnages qui, du reste, vont agir pour détourner Argan de son
projet ; cette connivence inclut le spectateur et prête à rire. Tandis que le public comprend le
double sens, Argan passe complètement à côté.
= effet de la double énonciation

L.27 à 36 : éloge paradoxal


Aveuglement de Monsieur Diafoirus vis-à-vis de son fils : comique.
Cible : critique des médecins.
Longue tirade qui dresse un portrait élogieux et détaillé de son fils. Mais éloge paradoxal (pratique
rhétorique divertissante et satirique appréciée depuis l’Antiquité), « ce n’est pas parce que je suis
son père »
Les nombreuses tournures négatives peignent le personnage sur le mode du manque, manque
de « méchanceté » ou d’« imagination » selon son père, manque d’intelligence selon le spectateur.
Les qualités présentées sont les suivantes :
– une lenteur qui annonce un bon jugement,
– un retard dans les apprentissages qui prépare les « meilleurs fruits ».

Son caractère taciturne et son retard indiquent une intelligence fragile.


La suite de la tirade se poursuit dans le même esprit, sans volonté aucune du père de manipuler
Argan (éloge au 1er degré que le spectateur prend au 2d)
1
Cela aurait plu aux Précieuses ridicules (1659) ou aux Femmes Savantes (1672) !
Tirade divertissante qui dresse un portrait à charge des médecins. Différentes critiques peuvent
être dégagées :
– Thomas Diafoirus était un enfant en retard.
– Les médecins ne sont pas intelligents.

Face à ces trois personnages comiques par leur caractère, Angélique, Cléante et Toinette
opposent trois visages lucides et raisonnables qui font ressortir les travers des premiers.

► CONCLUSION
Aucun échange réel n’est possible puisqu’Argan et les médecins sont incapables d’entendre le
rejet des trois autres protagonistes et ces derniers semblent avoir renoncé au débat. L’intrigue est
dans une impasse dont seules les ruses de Toinette assistée de Béralde, au cours de l’acte III
(travestissement, mort feinte) pourront l’en sortir.

GRAMMAIRE
Analysez les propositions subordonnées dans la phrase suivante : « Souffrez donc, Mademoiselle,
que j’appende aujourd’hui à l’autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire, et
n’ambitionne autre gloire, que d’être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant,
et très fidèle serviteur, et mari » »
✔ Proposition principale : « Souffrez donc, Mademoiselle »
✔ Subordonnée conjonctive complétive : « que j’appende aujourd’hui à l’autel de vos
charmes l’offrande de ce cœur » ;
✔ Deux subordonnées relatives : « qui ne respire, et n’ambitionne autre gloire, que d’être
toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et
mari ».
Le pronom relatif « qui » est sous-entendu en tête de la seconde relative.
Quant au mot « que » il n’est pas une conjonction de subordination mais le corrélatif de la
locution adverbiale restrictive « ne…que » (« n’ambitionne que »).

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