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Analyse linéaire du texte 4 

: extrait du chapitre XXI de Gargantua (pp. 91 et 92)

ADAPTER LA NUMÉROTATION DES LIGNES AU TEXTE DE RÉFÉRENCE POUR


L’ÉPREUVE ORALE (VOIR BLOG ENT DU 7/12)

(Présentation de l’œuvre générale)


Deux ans près Pantagruel, paru en 1532, François Rabelais publie Gargantua, une
parodie des romans de chevalerie. Il est l’un des premiers auteurs à représenter, cachée
derrière l’histoire de héros gigantesques, la réalité du monde qui l’entoure et à proposer
une réflexion psychologique sur certains états de l’homme. Gargantua est à ces égards
considéré comme l’un des premiers romans modernes. L’ouvrage rencontre un franc
succès dès sa publication. Cela s’explique d’une part grâ ce à l’aspect grassement
comique et d’autre part à la finesse de la réflexion et au message humaniste qui
émaillent le récit. Malgré la censure exigée par la Sorbonne, Rabelais rencontre de
nombreux soutiens dont le poète de la Pléiade du Bellay et devient un auteur référent
dont se réclameront une multitude d’écrivains, parmi les plus illustres : Montaigne (fin
XVI), La Fontaine (XVII), Voltaire (XVIII), Balzac (XIX), Georges Brassens (chanteur du
XX s).
(Lecture de l’extrait)
(Situation de l’extrait)
Suite à l’admiration provoquée par les réflexions de son fils sur l’utilisation du « torche-
cul » au chap. 13, Grandgousier décide de confier son éducation à des précepteurs, tous
plus décevants et incompétents les uns que les autres (chap. 14, 15). L’enfant est alors
envoyé à Paris pour suivre l’enseignement de Ponocratès. Ce dernier, dans le chapitre
que je vais analyser, demande d’abord au géant de lui montrer comment il procède
quotidiennement afin de juger ses acquisitions et ses habitudes de travail, à l’évidence
mauvaises.
(Problématique et plan d’analyse)
Il s’agira par conséquent d’étudier dans cet extrait la conception de la « mauvaise
éducation » selon Rabelais à l’aide de trois mouvements :
- 1er mouvt : L. 1 à 13 : les effets de la mauvaise éducation reçue par Gargantua
- 2e mouvt : L. 14 à 25 : le raisonnement de Gargantua
- 3e mouvt : L. 26 à 36 : la satire de l’éducation sophiste
Je vais maintenant procéder à l’analyse linéaire de l’extrait

1er mouvt : L. 1 à 13 : les effets de la mauvaise éducation reçue par Gargantua

Il répartissait donc son temps de telle façon qu’ordinairement il s’éveillait entre huit
et neuf heures, qu’il fasse jour ou non, comme l’avaient prescrit ses vieux régents (1),
alléguant David : «Il est vain de se lever avant la lumière. » (2)
Puis il gambadait, sautait et se vautrait au milieu du lit quelque temps, pour mieux
réjouir ses esprits animaux et s’habillait selon la saison, mais il portait volontiers une
grande et longue robe de gros tissu de Frise fourré de renard. Après, il se peignait du
peigne d’Almain, c’est-à -dire des quatre doigts et du pouce. Car ses précepteurs disaient
que se peigner, laver et nettoyer autrement, c’était perdre son temps en ce monde.
Puis il fientait, pissait, vomissait, rotait, pétait, bâ illait, crachait, toussait, hoquetait,
éternuait se raclait la gorge, rotait, pétait, bâ illait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait
et se mouchait en archidiacre (3), et il déjeunait pour combattre la rosée et le mauvais
air : de belles tripes frites, de belles carbonnades, de beaux jambons, belles grillades et
force grosses tartines.

- Dès la 1e ligne, on remarque l’emploi de l’imparfait de l’indicatif traduisant


l’habitude, des actions répétitives de la part de Gargantua (G.), comme le
confirment les connecteurs temporels : « ordinairement » (L. 1), « entre 8 et 9
heures » (L. 2).
- L. 2  et 3 : cette habitude de réveil provient de la 1e éducation : emploi du plus-
que-parfait « avaient prescrit » (valeur d’antériorité), prodiguée par « ses vieux
régents ». L’adjectif renvoie aussi bien à l’ancienneté (antériorité à Ponocratès)
qu’à l’â ge des professeurs, et donc au fait que leur enseignement soit dépassé,
archaïque, d’ailleurs justifié par un argument d’autorité biblique (« David »),
s’opposant à l’éducation humaniste, fondée sur des textes antiques. À travers ce
2nd sens, transparaît déjà la critique de Rabelais envers ce type d’éducation
prô nant la paresse (lever tardif).
- L. 4 à 6 : l’énumération de verbes à l’imparfait « gambadait, sautait, se vautrait »
met davantage l’accent sur l’aspect sauvage de G (« esprits animaux » 5,
« renard » 6) que sur la rigueur et la discipline. En effet, ces lignes font référence
au plaisir et à l’absence de contrainte : « quelque temps, réjouir, volontiers ».
- L. 6 à 8 : Passage sur l’hygiène corporelle du garçon caractérisée par la
négligence : métaphore comique du « peigne d’Almain » = jeu de mots sur le
patronyme d’un théologien du début du XVIe (Jacques Almain) et sur
l’expression « à la main » + reprise des propos des « précepteurs » de G. au
discours indirect « disaient que » (L. 7), critique implicite de Rabelais à leur
égard, fondés sur un argument de valeur (donc subjectif) : « se peigner, laver
nettoyer (hygiène de base), c’était perdre son temps. »
- L. 9 à 11 : Longue énumération de verbes à l’imparfait se référant aux besoins les
plus primaires (confirmant l’aspect sauvage et non civilisé de G.). Le lexique est
souvent grossier renforçant par là l’absence totale d’éducation et de bienséance
du garçon : il est incapable de bien se comporter en société. La comparaison
comique ( « en archidiacre » L. 11 anticipe la satire de l’éducation religieuse
présente dans le 3e mouvement.
- L. 11 à 13 : rappel de la goinfrerie caractéristique du personnage (à sa naissance,
chap. 7, il fallut « 17913 vaches » pour l’allaiter) avec la répétition de l’adjectif
« beau » : associé au dernier qualificatif « grosses » et aux articles partitifs « de,
force », il fait plutô t penser à la quantité qu’à la qualité du déjeuner. C’est encore
une allusion à peine déguisée à la mauvaise éducation reçue par
Gargantua (aucune bienséance, ni mesure, ni hygiène de vie), en totale
contradiction avec les principes humanistes.

2e mouvt : L. 14 à 25 : le raisonnement de Gargantua

Ponocratès lui faisant remarquer qu’il ne devait pas se nourrir aussi vite au sortir du
lit sans avoir fait quelque exercice, Gargantua répondit : « Quoi ! je n’ai pas fait un
exercice suffisant ? Je me suis vautré six ou sept tours au milieu du lit avant de me lever.
Ce n’est pas assez ? Le pape Alexandre VI faisait ça selon le conseil de son médecin juif,
et il vécut jusqu’à sa mort, en dépit des ennemis. Mes premiers maîtres m’y ont
accoutumé, en me disant que le déjeuner faisait la mémoire bonne et donc ils y buvaient
les premiers. Je m’en trouve très bien et n’en dîne que mieux. Et maître Thubal (qui était
premier à l’examen de licence à Paris) disait que ce n’est pas le tout de courir vite, mais
qu’il faut partir à point, aussi n’est-ce pas le bon régime de santé de notre humanité que
de boire à tas, à tas, à tas, comme des canes, mais bien de boire le matin. D’où le vers :
« Lever matin n’est point bonheur
Boire matin est le meilleur. »

- L. 14 et 15 : Interruption des activités de G. par l’entrée en scène de Ponocratès,


le nouveau précepteur : discours indirect « lui faisant remarquer que » = attitude
propre à un pédagogue destinée à faire réfléchir son élève sur son attitude
inappropriée (double négation utilisée : « ne devait pas » + « sans »). Réaction
immédiate = discours direct justificatif de G.
- L. 15 à 18 : G. entame son discours par une succession de propos exclamatifs et
interrogatifs (questions rhétoriques) : il essaie de justifier ses actes par un
discours argumentatif mais des failles apparaissent notamment à travers
l’antithèse comique « exercice » et « me suis vautré » (L. 16) et le truisme tout
aussi comique (FS consistant à énoncer une évidence) : « vécut jusqu’à sa mort »
(L. 18).
- L. 17 à la fin : Ces failles sont confirmées par la suite du raisonnement reposant,
en apparence, sur la maîtrise de la rhétorique : arguments d’autorité (« pape
Alexandre VI » L. 17, « mes premiers maîtres » (L. 18), « maître Thubal » (L. 20) +
discours structuré par l’emploi de connecteurs logiques (« donc » 19, « mais » 21,
« aussi » 22, « d’où  » 23) + citation à valeur d’aphorisme (généralisation : infinitifs
nominaux + présent de valeur générale) clô turant le raisonnement (L. 24, 25).
Néanmoins, ce discours ne provient pas de sa propre réflexion, il se contente de
répéter les paroles comme en témoigne la répétition du verbe « dire » aux L. 19 et
21. Il reproduit ainsi la méthode des sophistes qui maîtrisent la technique de l’art
oratoire mais énoncent des arguments spécieux (de belle apparence mais
faux) comme le démontre la dernière analogie entre l’éducation « mais qu’il
faut partir à point » et le rapport à la boisson « mais de bien boire le matin ». La
mauvaise éducation reçue par Gargantua imprègne l’intégralité de son mode de
vie, néfaste, mais également sa façon de raisonner, totalement erronée.

3e mouvt : L. 26 à 36 : la satire de l’éducation sophiste

Après avoir bien à point déjeuné, il allait à l’église, et on lui portait dans un grand
panier un gros bréviaire (4) emmitouflé, qui pesait tant en graisse qu’en fermoirs et
parchemins plus ou moins onze quintaux et six livres. Là , il entendait vingt-six ou trente
messes ; pendant ce temps venait son diseur de prières attitré, emballé comme une
huppe (5) et ayant très bien antidoté (6) son haleine à force de sirop de vignoble. Avec
lui, il marmonnait toutes ces kyrielles (7), et les épluchait si soigneusement qu’il n’en
tombait un seul grain par terre.
En sortant de l’église, on lui amenait sur un chariot à bœufs une masse de gros
chapelets de Saint-Claude, chaque grain aussi gros que le moule d’un bonnet, et en se
promenant dans les cloîtres, il en disait plus que seize ermites (8).
Puis il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux posés sur son livre mais
(comme dit Térence) son â me était en cuisine.
- Passage rythmé par un déplacement : « il allait à l’église » (L. 26) + « en sortant de
l’église » (L. 32), lieu dans lequel Gargantua reçoit l’enseignement religieux.
- Grâ ce à plusieurs occurrences, on remarque que Gargantua est passif, il subit cet
enseignement : objet grammatical « on lui portait » (L. 26), « on lui amenait » (L.
32) même lorsque le pronom « il » est sujet grammatical : « il entendait » (L. 28),
« il marmonnait » (L. 30). La dernière phrase, en référence à l’auteur latin de
comédies Térence, expose de manière burlesque son absence d’intérêt pour
l’enseignement : « méchante demi-heure » + « son â me était en cuisine. » Par le
biais de cette insistance sur la passivité de l’élève, contraire à l’éducation
humaniste – cf. AL chap. XXIII – Rabelais fait la satire explicite de l’éducation
sophiste, dans laquelle l’enseignement religieux occupe une large place.
- Celle-ci est confirmée par les hyperboles abondantes : « grand » (26), « gros »
(27), « 11 quintaux et 6 livres » (28), « 26 ou 30 messes » (28), « ces kyrielles »
(31), « masse de gros chapelets » (33), « 16 ermites » (34) ; elles portent toutes
sur le nombre ou le poids concernant la liturgie (« bréviaire 27, messe 28, prières
31, chapelets 33 ». Ces exagérations tournent par conséquent en ridicule la
superficialité de la religion : la quantité et les apparences («emmitouflé,
emballé ») prévalent sur la réflexion personnelle.
- En effet, l’apprentissage religieux de Gargantua repose sur l’écoute (L. 28) et la
répétition (« marmonnait » L. 30, « épluchait » L. 31, « disait » L. 34) dont la
durée semble longue (en lien avec les nombres énoncés). La satire s’accentue
avec l’antithèse finale : l’unique fois où le terme « étudiait » est employé (L. 35), la
durée est écourtée « demi-heure », par ailleurs qualifiée de « méchante ».
- Enfin, le dernier point satirique porte sur le portrait méprisant et comique à la
fois du professeur de Gargantua à l’église. La périphrase à la L. 29 « diseur de
prières » démontre le peu de considération et de crédit accordés, tandis que le
ridicule du personnage est amplifié par les deux participes passés et les images
qui leur sont associées : « emballé comme une huppe » (L. 29) et « antidoté au
sirop de vignoble » (L. 30). Les exemples de la mauvaise éducation condamnée
par Rabelais atteint son apogée avec l’enseignement religieux tel qu’il est reçu
par Gargantua, inutile, ennuyeux et ignorant.

Je vais maintenant conclure mon analyse

Par l’exemple de son personnage Gargantua, Rabelais expose dans cet extrait du chap.
21 tous les principes éducatifs à éviter. De manière joyeuse, légère et satirique, il
condamne le système médiéval encore prô né au XVIe par l’université de la Sorbonne
reposant sur le mimétisme, la répétition, le par cœur sans qu’aucun esprit critique ne
soit favorisé, ce défaut est d’ailleurs nettement perceptible dans le discours prononcé
par Gargantua. L’auteur humaniste condamne aussi la vanité et la bêtise des maîtres
davantage préoccupés par l’artifice (belles paroles, belle apparence, plaisirs) que par le
développement de leurs élèves, au contraire, maintenus dans la paresse.
Ainsi, Rabelais, à la manière des philosophes de l’Antiquité, argumente, dans ce chapitre,
par le contre-exemple – la mauvaise éducation de Gargantua – pour mieux mettre en
avant les principes éducatifs qu’il défend - par l’intermédiaire du pédagogue Ponocratès
- et développe dans le chapitre XXIII, ces deux chapitres reflétant comme dans un
miroir les images de la bonne et mauvaise éducation.

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